Anthropologie des populations tchadiennes: Les Béri du Tchad 2343081220, 9782343081229

Les Béri constituent une communauté culturelle et linguistique émiettée en une multitude de clans. Chaque clan a son his

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French Pages 338 [325] Year 2016

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Anthropologie des populations tchadiennes: Les Béri du Tchad
 2343081220, 9782343081229

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Etudes africaines

Série Anthropologie

Zakaria Fadoul Khidir

Anthropologie des populations tchadiennes Les Béri du Tchad

Anthropologie des populations tchadiennes Les Béri du Tchad

Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions Maximin Lucien DA, La noix de cajou, levier de développement local au nord-est de la Côte d’Ivoire, Contribution au développement socialement durable, Cas du district du Zanzan : Gontougo et Bounkani, 2016. Ousmane KOUANGBE HOUZIBE, L’impasse démocratique en Afrique francophone : le cas du Tchad. Les dimensions juridiques, politiques et institutionnelles de la démocratisation en Afrique subsaharienne, 2016. Titi PALE, Les femmes victimes de la guerre civile ivoirienne. Récits d’atrocités et (auto) reconstruction, 2016. Maurice M’BRA KOUADIO, Les religions ancestrales des Akan de Côte d’Ivoire. Ethnographie des pratiques contemporaines, 2016. Patrick DEVLIEGER, Jori DE COSTER, Lambert Nieme, Léon MBADUKHONDE, Handicap et technologie en contextes africains, 2016. Djilali BENAMRANE, Sankara, leader africain, 2016. Ladji BAMBA, La contrebande en Côte d’Ivoire. Le cas du district d’Abidjan, 2016. Melchior MBONIMPA, L’Afrique terre de jihad. Les groupes islamistes armés sur le continent, 2016. Enoch TOMPTE TOM, Vérité philosophique et vérité théologique, 2016. André ENGAMBÉ, Les méthodes coloniales au Congo-Brazzaville de 1886 à 1958. Analyse socio-économique et devoir de mémoire, 2016. Yves Gatien GOLO, La réforme du secteur de la sécurité en République centrafricaine, 2016. Germain KUNA MABA MAMBUKU, Le Kongo Centra face à la crise de leadership Essai sur la lutte politique de Bundu dia kongo et des pseudos leaders Né-Kongo, 2016 Abdoulaye TAMBOURA, Le conflit touareg et ses enjeux géopolitiques au Mali, Géopolitique d’une rébellion armée, 2016. Didier N’KUPA Ntikala E-Benya, Le Congo-Kinshasa, une République démocratique ?, 2016. Éric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au Bénin, Logiques politique et sociale, 2016. LENDJA NGNEMZUE Ange Bergson, Les Babitchoua. Parenté, chefferie et résistance aux Allemands dans le sud-est bamiléké, 2016. BELEBENIE Pierre, Les transformations de la fiscalité locale au Cameroun, 2016. MAKENGO NKUTU Alphonse, La théorie générale du droit constitutionnel et les institutions politiques, sous la Première, Deuxième et Troisième République de la République démocratique du Congo, 2016. EBALÉ Raymond, Les Accords de Partenariat Economique entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), 2016. MINKALA NTADI Pierre, La tutelle politique dans la production de l’information de presse en Afrique francophone, Le cas du Congo-Brazzaville, 2016.

Zakaria FADOUL KHIDIR

Anthropologie des populations tchadiennes Les Béri du Tchad

Du même auteur Loin de moi-même, roman, L’Harmattan, 1989. Les moments difficiles. Dans les prisons d'Hissène Habré, roman, SEPIA, 1998. « Lexique des plantes connues des Béri du Tchad », travaux de recherche et d’études, ULPA, Languages and literatures, n°11, Leipzig, 1999. « Lexique des animaux chez les Béri du Tchad », travaux de recherche et d’études, ULPA, Languages and literatures, n°17, Leipzig, 1999. Bases et radicaux verbaux. Déverbatifs et déverbaux du berta - langue nilo-saharienne, travaux de recherche et d’études, Nilo-Saharan, vol. 20, Rüdiger Köppe Verlag, Cologne, 2005. Le chef, le forgeron et le faki : Chronique d'une petite chefferie tchadienne à l'arrivée de l'Islam, roman, SEPIA, 2006. « Le système des couleurs chez les Béri du Tchad, travaux de recherche et d’études », ULPA, Languages and literatures, n°32, Leipzig, 2007.

Édition revue et corrigée Première édition : Éditions SAO, N’djamena, 2012.

© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] ISBN : 978-2-343-08122-9 EAN : 9782343081229

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS ..........................................................................................9 CHAPITRE I Généralités ....................................................................................................23 CHAPITRE II Le Sultanat et le Mogudumat du Koubé .......................................................73 CHAPITRE III Le premier sultan du Koubé (Kobé)..............................................................89 CHAPITRE IV Le complot d’Aria .........................................................................................95 CHAPITRE V Le mensonge du Sultan Aria .......................................................................101 CHAPITRE VI Le complot d’Oumar et la perte des fils de Horout .....................................105 CHAPITRE VII Le Sultan Horout et son fils Haggar............................................................111 CHAPITRE VIII La mort du Sultan Haggar ...........................................................................119 CHAPITRE IX Le guet-apens ..............................................................................................123 CHAPITRE X Les quatre prétendants et la ruse de Hirdi ...................................................125 CHAPITRE XI La mort mysterieuse de Nafé ......................................................................129 CHAPITRE XII La revolte des Borsou et l’arrivée des Français ..........................................135 CHAPITRE XIII Histoire du Sultanat de Kobé ......................................................................149 (Première version) ...................................................................................149

CHAPITRE XIV Histoire du Sultanat de Kobé ......................................................................159 (Deuxième version) .................................................................................159 CHAPITRE XV Histoire du Sultanat du Koubé ....................................................................179 (Version du sultan Bichara) ....................................................................179 CHAPITRE XVI Histoire du Sultanat du Koubé ....................................................................187 (Version de Douda Libiss) ......................................................................187 CHAPITRE XVII Les Bidéyat et les Ouagna de l’Ennedi .......................................................189 I. LES BILIALA (OU BIRIERA) ...........................................................189 II. LES BOROGAT.................................................................................198 III. LES OUAGNA DE FADA ...............................................................231 CHAPITRE XVIII Histoire des Bigui........................................................................................235 (Version du Sultan Hassan Borgou) ........................................................235 (Version de Faki Hâchim Abdoulaye Etime) ..........................................252 CHAPITRE XIX Histoire de la chefferie de Wê.....................................................................267 CHAPITRE XX Histoire de l’Aguidat de Gourouf ...............................................................277 LEXIQUE DES NOMS ..............................................................................279 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................327 LES INFORMATEURS ET COLLABORATEURS..................................329

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AVANT-PROPOS

Le titre de cet ouvrage s’intitule Anthropologie des populations tchadiennes. Le souci principal ici est celui de bien connaître les différentes communautés linguistiques et culturelles tchadiennes afin de pouvoir envisager efficacement leur développement par des moyens appropriés, autrement dit une amélioration sensible de leurs conditions de vie par : – Des moyens appropriés de leur éducation et de leur formation ; – Une lutte efficace contre l’ignorance ; – Une démystification des problèmes sociaux perpétués par la superstition populaire ; – Une lutte contre la pauvreté maintenue par des interdits et tabous négatifs ; – etc. Un chercheur disait que "chaque discipline est loin d’être un ensemble intégré et homogène et qu’il existe des courants transdisciplinaires en son sein. Dès lors elle ouvre la possibilité d’y enchâsser des éléments, créant ainsi les conditions d’une transdisciplinarité créative1". L’étude de cette transdisciplinarité fait recours à la science anthropologique, celle-ci étant une "étude de l’homme dans son ensemble, (une) étude générale de l’homme sous le rapport de sa nature individuelle ou de son existence collective, sa relation physique ou spirituelle au monde, ses variations dans l’espace et dans le temps…" Il s’agit donc d’acquérir la meilleure connaissance d’une société par une étude prospective et globalisante en abordant tous les domaines de son existence et de sa vie et en concevant ces domaines non pas comme des parties distinctes mais comme des aspects hétérogènes d’une même structure, selon l’expression même des anthropologues. 1

Colloque Intelligence de la Complexité, Pierre GONO, L’Hypothèse Générale de la Prospective Anthropolitique (PAP) Vol. I, Cerisy 23-30 juin 2005

S’il nous est permis d’emprunter les termes de l’illustre linguiste Ferdinand de Saussure, une communauté est comme un système dont les entités constitutives sont forcément interdépendantes. La connaissance exhaustive d’une communauté exige un regard explorateur sur plusieurs aspects : – Les moyens de communication dont les plus importants sont les moyens linguistiques basés sur les trois dimensions : lexicale (stock de lexèmes ou unités porteuses de sens), grammaticale (ensemble de normes organisées par la syntaxe et la morphologie et destinées à structurer les éléments lexicaux afin de rendre le message linguistique intelligible) et sémantique (dimension du message codé déchiffrable selon les règles de la langue considérée) ; – La civilisation : l’habitat, l’artisanat, le mode économique, etc. ; – La culture : les chants, la musique, les danses, etc. ; – La vision du monde : la psychologie reflétée par la reconnaissance et la dénomination des couleurs, l’interprétation des phénomènes comme la naissance, la mort, les effets climatiques et astrologiques, la conception de l’esthétique, les relations avec la nature et le divin ou le surnaturel, etc. ; – Les mœurs : le système matrimonial, l’organisation administrative et politique, bref, la structure interne et le mode de vie. L’ambition dans cette démarche est de faire une étude globalisante de tous les groupes sociaux du Tchad selon une analyse intégrale de chacun d’eux, les Béri étant la première communauté que cette étude aura concernée. Rappelons-nous que le 21 avril 1900, il se produisait la jonction sur le bord du Chari des trois missions françaises : Lefant, Foureau-Lamy et Joalland-Meynier. Et "le 22 avril 1900, les forces coloniales françaises livraient un combat décisif à Rabah sur la rive du Chari, à Lakta (environ six kilomètres au nord de Kousseri). Les chefs des deux parties adverses, Lamy et Rabah, y perdirent la vie. Un mois plus tard, le 29 mai 1900, le commissaire Émile Gentil dont les troupes avaient auparavant fait jonction avec celles du commandant Lamy pour la circonstance, décida de créer en ce lieu un fort (c’est-à-dire une position militaire fortifiée) qu’il dénomma Fort-Lamy en mémoire de l’officier français disparu2." Le Tchad est donc né de ce fait historique. Il constitue 2

Zakaria Fadoul Khidir, Le paysage linguistique d’une ville, de 1900 à nos jours, Annales de l’Université de N’Djamena, série A n°3 (Lettres et Sciences Humaines), N’Djamena 2007, pp. 81-100.

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actuellement un pays enclavé au cœur de l’Afrique qui s’étend sur une superficie de 1.284.000 km2. Il partage les mêmes limites avec le Soudan à l’est, la Libye au nord, le Niger à l’ouest, le Nigeria et le Cameroun au sud-ouest, et la République centrafricaine au sud. Il présente, du nord au sud, trois paysages distincts : saharien à climat désertique, sahélien à savanes clairsemés et soudanien à climat tropical humide. C’est est une région de montagnes et de plateaux (Tibesti, Emi-Koussi, Erdi, Kabka, Gnéré, Abou-Talfane, etc.), sillonnée par de nombreux wadi et autres cours d’eau dont le plus important est le fleuve Chari (1.200 km) qui alimente le poissonneux Lac-Tchad, lequel fournit aussi une bonne partie du sel (carbonate de sodium) et qui reste une source de vie pour des milliers d’individus qui vivent de la pêche et de la culture d’irrigation. A l’agriculture et à l’élevage qui constituaient les deux mamelons du Tchad comme on a l’habitude de le dire, est venu s’ajouter l’or noir. En effet, le pétrole est la plus importante des ressources minières du pays et lui apporte beaucoup de devises pour son développement et sa modernisation. Les peintures rupestres dans les grottes du Tibesti et de l’Ennedi ainsi que la récente découverte du plus ancien vestige humain connu jusqu’ici jettent un peu d’éclairage sur la vie passée des gens de ce pays et pourraient ouvrir la voie au tourisme. Les royaumes d’Ouaddaï, du Baguirmi et du Kanem étaient des institutions assez bien organisées avant la pénétration coloniale mais entretenaient entre eux des relations souvent conflictuelles. Tout le pays était leur apanage et ils le gouvernaient par l’intermédiaire des Sultans, des Maliks et autres chefs traditionnels qui étaient à leur dévotion. Jean-Claude Zeltner pensait qu’une dynastie de Zaghawa s’était étendue, dans les anciens temps, de la Fezzan au Nil3. Actuellement, le Tchad est subdivisé du point de vue administratif en régions, départements, sous-préfectures et cantons. Les Béri sont répartis entre les Régions de Wadi-Fira et de l’Ennedi au Tchad et la région du Dar-For au Soudan. La région de Wadi-Fira où se trouve une partie du pays des Béri4 (partie qui a pour nom le Koubé), est habitée par plusieurs ethnies et tribus : Arabes, Maba (ou Ouaddaïens), Mimi, Tama, Béri (ou Zaghawa), Téda-Daza (ou Goranes), Ab-Charib.

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Jean Claude Zeltner (1980), Pages d’histoire du Kanem, pays tchadien, Paris, l’Harmattan. 4 Le pays des Béri s’étend du Sud de l’Ennedi à l’est du Wadi-Fira (au Tchad) et à l’ouest du Dar-For (au Soudan).

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Région de Wadi-Fira

Le Wadi-Fira est actuellement subdivisé en trois départements qui sont le Biltine, le Dar-Tama et le Koubé, comme le montre le tableau ciaprès : Départ.

Superficie

Chefslieux

Biltine

23696 km2

Biltine

Dar-Tama

9.579 km2

Guéréda

Kobé

18642 km²

Iriba

Total

Sous-préfectures

Nb. de Communes

Am-Zoer, Arada, Biltine et Mata Guéréda, Kolonga, Sirim-Birké

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Iriba, Matadjané, Ourba

51917 km2

Elle est peuplée, selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2009, de 494.933 habitants, soit 9,53 % de la population du pays. Sa carte se présente comme suit :

Carte de la région de Wadi-Fira (voies de communication et hydrologie). Source : Dr Passinring Kedeu, Département de géographie (option française) Université de 5 N’Djaména (Tchad)

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Divisions faites par les Décrets N° 415/PR/MAT/02 et 419/PR/MAT/02

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Quant à la région de l’Ennedi où vit une deuxième partie des Béri du Tchad, elle couvre une superficie de 211.422 km2 et comprend deux départements, le Département de l’Ennedi-Est qui couvre environ 85.176 km2 et le Département de l’Ennedi-Ouest qui couvre environ 126.247 km2. La population de la région de l’Ennedi est de 173.606 personnes dont 95.172 hommes et 78.434 femmes. C’est une région de roches, de sable et de vent, présentant des rudes conditions de vie à ses habitants qui sont contraints au nomadisme et à la transhumance sur un rayon allant à des milliers de kilomètres, au-delà des frontières nationales. Il s’y côtoie différents clans Goranes qui pactisent et tissent des alliances avec les Bidéyat qui, eux, sont les principaux habitants de l’Ennedi ; il s’agit des Dôza, des Annakaza, des Daza qui viennent principalement du nord du BET et quelques rares Kamadja qui vivent dans les grandes villes. La carte de cette région située au sud du désert Tchadien se présente comme suit :

Carte de la région de l’Ennedi. Source : Dr Passinring Kedeu, Département de géographie (option française) Université de N’Djamena (Tchad).

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De 1959 à 1960, une entente entre François Tombalbaye et le premier ministre français Michel Debré est établi, définissant les modalités de l’accession du Tchad à l’indépendance et Tombalbaye forme le premier Gouvernement de la République du Tchad. Enfin, le 11 août 1960, le Tchad accède à l’indépendance et à la souveraineté internationale et sera admis, le 20 sept.1960, à l’Organisation des Nations unies (ONU). Le pays, gouverné successivement par des personnalités issues de différentes ethnies parlant des langues différentes (hormis le français) autrement dit, des personnalités de tempéraments différents, connaîtra alors une période tumultueuse. En effet, le Tchad est considéré comme une mosaïque de langues. Il est habité par une multitude de tribus et ethnies émiettés en fractions, clans et sous clans qui ont construit leur identité, non seulement autour de leur terroir et de leur mode de croyance, mais également et surtout autour de leur mode de communication privilégié qu’est la langue. Généralement, les limites de nos langues se confondent à celles de l’ethnie ou des ethnies qui la parlent, exception faite des langues véhiculaires pour lesquelles le champ d’expression dépasse les frontières ethniques. Cette diversité sociale et linguistique du Tchad fait de lui un atout culturel mais également un pays où il est difficile de construire une véritable Nation.

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Contrairement au terroir et à la religion qui sont des facteurs identitaires culturels, la langue est inhérente en nous-mêmes en ce sens que la faculté de parler est inscrite dans notre cerveau et que l’acte de parole est un phénomène organique. 15

Le sentiment linguistique (ou sentiment linguistico-ethnique ou linguistico-tribal) qui est construit autour des réalités spécifiques du terroir, ne se confond malheureusement pas au sentiment national qui, lui, est basé sur une conviction de posséder le même territoire dans ses 1.284.000 km2, d’avoir le même mode d’expression national qu’est le bilinguisme étatique et d’être régis par un même système économique dont les transactions commerciales et financières sont rendues possibles par une même monnaie fiduciaire. La conscience ethnique est le sentiment profond et restrictif d’appartenance à une ethnie ou à une tribu. Il est naturel et est basé, comme je viens de le dire, sur un ensemble de pratiques et de traditions ancestrales codifiées et véhiculées essentiellement par la langue, de génération en génération, tandis que la conscience nationale est un sentiment commun à un ensemble de communautés ou groupes sociaux, linguistiquement disparates dans le cas où le pays compte plusieurs langues vernaculaires. Ce sentiment est basé, non seulement sur un fond de civilisation que ces groupes partagent souvent ensemble (comme par exemple les arts, l’artisanat, l’architecture, etc.), mais aussi et surtout sur une série d’autres facteurs d’ordre structurel ou conjoncturel (comme l’administration, l’armée, la diplomatie.) Le sentiment d’appartenance à une même Nation, partageant les mêmes intérêts, est moins intime au niveau des individus parce qu’il est essentiellement matérialiste, c’est–à–dire reposant sur des intérêts économiques, sociaux et culturels ; il est, par contre, plus formel et plus explicite que le sentiment ethnique du fait qu’il repose sur des normes institutionnelles réglementant les rapports relatifs aux hommes et aux structures de l’Etat. Par exemple, les relations entre un administrateur et le reste de la population ne sont pas du même type que celles qui régissent les membres d’une famille ou d’une ethnie. Le sentiment linguistico-ethnique est principalement entretenu par la langue qui conditionne la vision du monde et partant, le comportement des locuteurs. C’est d’ailleurs pourquoi la Révolution française de 1789 avait vite compris que l’on ne pouvait pas construire une Nation avec une multitude de langues de terroir. Car à l’époque la France comptait, en plus du francien qui deviendra le français que nous parlons aujourd’hui, une trentaine de langues que l’on appelait des patois ou des jargons. Les Français avaient vite compris que quand il y a l’unité nationale il y a aussi la paix entre les citoyens, mais que l’unité et la paix ne peuvent réellement se construire qu’au moyen de la langue qui est le moyen 16

privilégié de la communication. L’impact de la langue dans la promotion de la paix, de l’unité nationale et de la construction de la Nation est donc réel. Bref, comme toute forme de pensée et de comportement social, les facteurs sociaux à la base de l’unité nationale sont, en effet, régis dans leur majorité par la ou les langues en usage dans le pays. Dans un pays multiethnique comme le Tchad où le niveau des connaissances et celui du développement économique sont très faibles, la restauration, la consolidation et la pérennisation de l’unité nationale s’opèrent aussi en fonction du rapport entre la conscience ethnique et la conscience nationale des citoyens. En fait, qu’appelle-t-on conscience ethnique et conscience nationale ? La conscience ethnique est le sentiment plus ou moins vif d’appartenance à une même communauté de langue, ou à un groupe social dont les membres sont unis par des rapports de sang, par un habitat naturel (le terroir) et par des intérêts matériels, tandis que la conscience nationale peut concerner plusieurs communautés linguistiques ou plusieurs groupes sociaux (ethnies, tribus, etc.) autour d’une identité nationale souvent forgée selon les circonstances. Au Tchad, le sentiment ethnique se confond généralement au sentiment linguistique et est souvent source de convivialité ou de conflit. Il est donc évident que le sentiment ethnique ou tribal est plus objectif que le sentiment national car il repose, comme nous venons de le dire, sur des bases naturelles mais il est par contre très nuisible dans un pays où les citoyens, politiquement immatures, doivent faire face à une pluralité linguistique. Le conflit entre les deux types de sentiments susmentionnées provient du fait que, de part et d’autre, on n’a pas la même conception des rapports sociaux ni le même champ d’expression. Nous sommes en présence : – 1. Premièrement, d’une société traditionnelle, c’est–à-dire une unité naturelle composée d’individus généralement unis par des liens congénitaux qui entretiennent constamment des rapports de solidarité ou d’intérêts reconnus aux membres par des dispositions tacitement acceptées par l’ensemble de la tribu ou de l’ethnie ; l’ethnie relève d’une structure sociale sous-tendue par des rapports familiaux horizontaux ou des rapports de lignage verticaux ainsi que par des procédés d’entraide sociale. Ses investigations ne vont pas au-delà de la famille, du clan, de l’ethnie ou de la tribu. Sa vision est limitée par conséquent ; – 2. Deuxièmement, d’une communauté plus moderne dont la base structurelle et fonctionnelle repose sur des intérêts d’ordre lin17

guistique, historique, socioculturel et socio-économique. Dans le cas du Tchad, cette communauté est composée d’une mosaïque d’ethnies et de tribus qui sont, dans bien de cas, naturellement distinctes les unes des autres, mais régies par un contexte géophysique, économique, linguistique et culturel plus larges, même si chaque unité sociale continue à mener sa propre vie qui la particularise dans son terroir, au sein de la communauté nationale. Quatre facteurs interviennent dans ce domaine : – 2.1. Le facteur social c’est - à - dire l’appartenance à une famille, à un clan, à une ethnie ou à une tribu. Mentionnons ici que l’ethnie repose sur au moins deux bases : – 2.1.1. Une base socioculturelle impliquant une origine commune ou supposée commune, une histoire commune, une vision commune du monde forgée par des expériences communes vécues ensemble à travers le temps et l’espace et un langage commun ; – 2.1.2. Une base géophysique et économique provenant d’une interaction prolongée entre le groupe social et son environnement physique, laquelle interaction forgeant chez les membres dudit groupe des comportements et des habitudes spécifiques sur les plans technique, scientifique, économique et culturel : connaissance et interprétation des phénomènes célestes liés à l’apparition, à la disposition ou à la position des astres, connaissance et usage des végétaux à des fins alimentaires, médicinales, esthétiques, cosmétiques, architecturales et religieux, invention, confection et amélioration des méthodes et techniques culturales, commerciales, architecturales et artisanales, etc. – 2.2. Le facteur religieux, cimenté de façon solennelle dans les lieux de culte et par l’enseignement. De par son caractère sacré, ce facteur a beaucoup d’influence sur le comportement des individus ; – 2.3. Le facteur linguistique qui se confond parfois avec le facteur ethnique ; lorsque les deux facteurs se confondent on observe divers comportements dont celui où le sentiment ethnolinguistique prime, dans certains contextes (vis-à-vis des rapports sociaux), sur le sentiment religieux ; – 2.4. Le facteur géographique dont l’importance s’accroît avec le degré d’interaction entre l’homme et son milieu physique.

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Les soubresauts politiques qu’a connus le Tchad depuis des décennies sont généralement sous-tendus par ces deux sentiments (ethnique et national) qui reflètent deux types de conscience et qui s’expriment en termes de revendications d’ordre politique, ethnique et religieux. Dans un tel contexte de turbulence politique, expression d’une démocratie "multipartite", la question que certains citoyens se posent est de savoir si le choix d’un bilinguisme constitutionnel est bien fondé, c’est-à-dire si ce bilinguisme repose sur un consensus national qui consolide la paix tant qu’à l’intérieur du pays qu’avec nos différents partenaires. Plusieurs raisons nous poussent à croire que ce choix est effectivement bien fondé. – Première raison : il s’agit de la reprise d’une disposition déjà existante : le projet de constitution qui doit être soumis au référendum n’a fait que reprendre ce qui a été mentionné dans toutes les constitutions depuis l’indépendance. Il ne s’agit donc pas d’une innovation. Et la confusion qui apparaît dans l’esprit de nos compatriotes qui se disent partisans du "Non", relève également, en partie, de la méconnaissance des réalités linguistiques dans notre pays. Certains membres de notre élite ont voulu faire aussi prévaloir des raisons identitaires et d’indépendance que seules les vernaculaires seraient en mesure de satisfaire. A ceux–là, nous avons déjà répondu lors de la Conférence Nationale Souveraine en disant que l’évolution de l’humanité est un processus naturel auquel nous ne pouvons pas nous opposer forcement. L’adaptation à des situations nouvelles est le comportement naturel que l’homme doit, à chaque fois, adopter pour sa survie. Les valeurs humaines ne sont jamais figées, elles évoluent dans le temps, selon les besoins de l’homme et en fonction de l’environnement social et physique. Nous ne pouvons retenir de nos cultures, dans la poussée vertigineuse des techniques et de la science et dans un monde où la civilisation de l’écriture fait sa loi, que ce qui est véritablement conforme à notre propre aspiration, à notre bien-être physique et mental. D’autres aussi, parmi l’élite, ont soutenu le principe d’un développement de nos vernaculaires au moyen des écritures, des métalangues et des philosophies étrangères à ces vernaculaires. Sur ce point aussi, nous avons fait valoir notre position : nous y sommes d’accord, car une telle démarche, non seulement permet la promotion de ces parlers, mais constitue également un procédé pédagogique approprié à l’apprentissage des langues qui offrent leur écriture, leur métalangue et leur philosophie. 19

– Deuxième raison, d’ordre technique : la langue est le moyen privilégié qui doit exprimer les réalités de l’Etat à tous les niveaux que nous venons de mentionner. La prise en compte d’une langue est liée à des intérêts vitaux des usagers. La langue régit, outre la vie de tous les jours, l’économie, l’administration, la diplomatie, l’éducation institutionnelle, la science, la technique, la religion, etc. Tout cela n’est possible qu’au moyen des langues dont les structures sont bien maîtrisées grâce à une écriture sûre et durable. Cet aspect, anodin aux yeux des profanes, est pourtant capital en matière de langue, car l’écriture constitue, non seulement un élément de la civilisation d’une communauté, mais elle est également un moyen de conservation et de véhicule de cette civilisation, à travers le temps et l’espace. – Troisième raison, la "véhicularité" : lorsqu’une langue franchit les frontières naturelles de sa communauté et embrasse d’autres peuples, elle s’investit d’un caractère que nous pouvons qualifier d’impersonnel du fait qu’elle entretient l’intercompréhension entre sa propre communauté et des locuteurs seconds. Autrement dit, elle crée chez tous les locuteurs (natifs et seconds), une disposition mentale favorable à la coexistence dans laquelle la langue n’appartient à personne et à tout le monde. Pour le moment, la "véhicularité" des langues en usage au Tchad n’est clairement établie que pour l’arabe et le français. Il semble que le sara gagne aussi de terrain dans ce domaine. – Quatrième raison d’ordre consensuel : les deux grandes religions révélées des Tchadiens sont l’Islam et le Christianisme dont les adeptes atteignent actuellement plus de 90% de la population. Chacune de ces religions a instauré dans le pays sa propre culture et a imposé sa propre vision du monde. Or, sur le plan de l’écrit, l’arabe est la langue qui exprime et véhicule la religion et la civilisation arabo-musulmane, et le français celle qui exprime et véhicule la religion et la culture judéo-chrétiennes, bien que certaines de nos vernaculaires soient partiellement utilisées par les missions chrétiennes dans le cadre de leur évangélisation. Du fait de la portée réelle de ces deux langues dans les domaines religieux et culturel et du fait que la quasitotalité de la population a embrassé l’une ou l’autre des deux religions, nous pensons que le bilinguisme arabo-français peut constituer un consensus religieux.

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En conclusion, disons que, pour édifier et maintenir la paix, une langue doit sortir de son microcosme ethnique ou tribal afin d’être à la portée de la Nation tout entière. Elle doit, par conséquent, être imprégnée d’une solide expérience de l’écriture. Le français et l’arabe qui sont les seuls à pouvoir satisfaire à tous les besoins étatiques du Tchad, nous semblent les mieux indiqués pour former un bilinguisme constitutionnel pouvant consolider la paix et l’unité nationale. Un linguiste ne disait-il pas, à juste titre, que deux phénomènes touchent à la langue "d’une part sa motivation socio-économique, c’est - à- dire la possibilité qu’elle offre ou n’offre pas, à ses locuteurs, d’être pour eux un instrument de promotion sociale et financière ; d’autre part, sa capacité à exprimer les notions véhiculées par la culture contemporaine, c’est–à–dire le plus ou moins écart qui se manifeste entre la culture qu’elle exprime aujourd’hui et celle qu’on voudrait qu’elle exprime demain."

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CHAPITRE I Généralités

Le pays des Béri est appelé Béribé, ce qui signifie littéralement "la maison des Béri" dans la langue de ces derniers. Depuis presque un siècle, ce pays se trouve scindé par une frontière qualifiée, à juste titre, de séparateur artificiel du fait qu’elle divise et place les mêmes familles dans deux Nations distinctes, les soumettant alors à deux régimes de commandement différents. Toutefois, ladite frontière a été établie à partir des repères géophysiques (montagnes, cours d’eau, etc.) et semble, de ce fait, suivre une certaine logique. Les Béri ont pour voisins immédiats les Goranes au nord et au nord-ouest, les Arabes et principalement les Arabes Mahâmids à l’ouest, les Mimi au sud-ouest, les Tama au sud, les Guimirs au sudest et les Fors à l’est. L’influence de ces populations sur le mode de vie des Béri, aux plans culturel, religieux, économique et technique, fut et reste toujours importante mais à des degrés divers. Le nom que les arabophones, l’administration et les populations voisines donnent aux Béri est transcrit ou prononcé diversement : Zaghawa, Zaghaoua, Zagawa, Zakawa ou encore Zakhawa. Pour les historiens, cette appellation qui était inconnue des intéressés euxmêmes jusqu’à une époque récente, désigne une portion seulement de la communauté linguistique actuelle des Béri, les Zaghawa constituant jadis un groupe beaucoup plus grand, car ils auraient formé dans les anciens temps un vaste empire allant du Sahara au Nil. Albert le Rouvreur note que "Idrisi, au XIIe siècle, leur fait occuper toute la grande cuvette tchadienne, entre les bouches du Chari et le Fezzan, entre le Kawar et le Darfour". Actuellement, l’ensemble des Béri (dont les Zaghawa) occupent un territoire relativement petit aux confins de deux pays, "au nord-est de la République du Tchad et au nord-ouest

de la République du Soudan, de part et d’autre du 15e degré de latitude nord, entre le 21e et le 25e de longitude est". Le Béribé est coupé du nord au sud par "la frontière délimitée en 1922-23 pour la démarcation de la colonie française du Tchad ... (et) du Soudan Anglo-égyptien"6. Il se subdivise, selon les groupes sociaux qui s’y sont développés, en : 1 Dar-Zaghawa : le Dar-Zaghawa actuel regroupe le Koubé (Kobé des archives) dont les habitants sont des Koubéra et dont la transcription a été déformée par l’administration coloniale en Kobé, le Nanou, le Wé, le Kabka (ou Kapka)7, le Dirong, le Gourouf ainsi que d’autres petites chefferies qui étaient autrefois plus ou moins indépendantes les unes par rapport aux autres ; 2 Dar-Bidéyat qui est une appellation qui regroupe le Birié (ou Bilia), habitat de ceux que les Koubéra appellent des Touba, et la région des Borogat ; 3 Dar-Touer (ou Dar-Touwer) qui est composé de plusieurs localités : Anka ou Dar-Beïri, Dor ou Dar-Sueïni, Kornoï ou Dar-Gala, Mousbat ou Dar-Artaï, et Ambourou ou Dar-Touer, entièrement situées en territoire soudanais. La répartition de 1922-23 mettait le Dar-Bidéyat et une partie seulement du DarZaghawa en territoire tchadien. Du point de vue géophysique8, "toute la région comprise entre AmDjeres et Bir-Nesoan est uniformément composée de vallées très ouvertes et de collines de faible relief...Au nord d’Orba9 et de Bahaï, les mouvements de terrains sont un peu plus accusés qu’au sud..." La communauté des Béri est un conglomérat de plusieurs dizaines de clans s’apparentant les uns aux autres et formant des organisations plus ou moins structurées. Chacun des clans ou groupe de clans a des marques spécifiques qu’ils impriment au feu sur ses animaux (surtout les dromadaires) ou qu’ils expriment par des mutilations ou des en6

Grossard, Mission de délimitation..., 1925, cité par Marie-José Tubiana dans Des Troupeaux et des Femmes. Mariage et transferts de biens chez les Béri (Zaghawa et Bideyât) du Tchad et du Soudan, L’Harmattan, Paris, 1985 7 Kabka ou Kapka selon les prononciations, est la région montagneuse, stratégique, située dans la sous-préfecture actuelle d’Iriba et qui constituait le Sultanat des Bigui. Ce Sultanat a été supprimé par les Français au profit de celui du Kobé. Le dernier Sultan bigui résidant en territoire tchadien fut Abdoulaye Sabre. 8 Voir Le Lieutenant-colonel Grossard (Chef de Mission), op. cit. p.93 9 Transcription coloniale d’Ourba, région située au nord d’Iriba à la frontière avec l’Ennedi.

24

tailles aux oreilles (bovins, ovins et équidés). Le tableau ci-après montre les différentes dénominations des unités sociales (ethnie, fractions, sous-fractions, clans et sous-clans) : N° 1

Noms des unités sociales Abougouna

Prononciation exacte [obuguna]

Rattachement Habitant d’Abougoun (région)

2

Aboullé

[àbulle]

?

3

Abouré

[àbure]

?

4

Abourira

[aburira]

Habitant d’Abouri (région)

5

Agaba

[agaba]

?

6

Angou

[aŋgυ]

?

7

Arna

[àrna]

Habitant d’Arni (région)

8

Arni-Dobouzêne

[àrnί-dabυzεn]

Nom d’une filiation

9

Aroïra ou Ourouïra

[aroira/uruira]

Habitant d’Oroï ou d’Ourouï

10

Assira ou Achira

[asιra/a∫ιra]

Habitant d’Assi ou d’Achi (région)

11

Baga ou Maga

[bàga/màga]

?

12

Bagadamaïra

[bàgàdàbaira]

Qualificatif

13

Bawra

[bawra]

Habitant de Baw (région)

14

Beïbira

[beibira]

Qualificatif

15

Berdera

[bεrdεra]

Qualificatif

[bεri/bεlι/bιrι]

Nom propre de la communauté

16 Béri ou Béli ou encore Biri 17

Bichera

[bi∫era]

Qualificatif

18

Bigui

[bigi]

?

19

Bi-Ki

[bi-ki]

Qui appartient à l’eau

20

Biliala ou Biriéra

[biliala/biriera]

Habitant du Bilia ou Birié (région)

21

Binnêra-Màda

[binnεra-màda]

Qualificatif

22

Binnêra-Yaská

[binnεra-yaská]

Qualificatif

23

Birguebira

[bιrgεbιra]

Qualificatif

24

Borbodia

[bɔrbɔdιa]

Qualificatif

25

Boronga

[bɔrɔŋa]

?

26

Borsou

[bɔrsυ]

Qualificatif (aîné)

27

Bouïra

[bυιra]

?

28

Bour-Malla

[bur-malla]

?

29

Bouroullé

[burulle]

?

30

Bouyeïra

[buyeira]

?

31

Darbara

[dàrbara]

Habitant de Darba (région)

32

Dawa

[dawa]

?

33

Déniré

[denire]

Relatif au serpent (déni)

34

Dersira

[dersira]

Relatif au frère consécutif (dersi)

35

Di-Kawra

[di-kawra]

Relatif au chameau (di)

25

36

Dirdirda (sous-clan de magou)

[dιrdιrda]

?

37

Dimir

[dιmιr]

?

38

Dirongda

[diroŋda]

Habitant de la région de Dirong

39

Djarda-Bêri (Sigueïra)

[jàrda-bεrι]

Relatif aux termites (djarda)

40

Djeïra

[jeira]

Habitant de Djéri (colline)

41

Djordogui (Djordoguira ?)

[jordogi]

De la région de Djordogui ?

42

Djoudé

[jυdε]

?

43

Djougaïra/Djougara/Djokk [jυgaιra/jυgara/jɔkkιra] ira

?

44

Donza ou Dôza

[dõza/dɔ:za]

Nom d’un clan d’origine gorane

45

Dougoullé

[dugulle]

?

46

Dowlé

[dowle]

?

47

Eïra

[ειra]

? Habitant de la région d’Eriché

48

Elichera

[eli∫era]

50

Erdibêra

[èrdibera]

?

51

Erdié

[èrdie]

?

52

Erêra

[εrεra]

Habitant d’Erê

53

Eriséré

[erisere]

Habitant d’Erisé

54

Etimiré

[etimere]

?

55

Gabadjoura

[gabajυra]

Habitant de la région de Gabadjou

56

Gaïda-Hadjar

[gaιda-hajar]

Relatif à la pierre (hadjar)

57

Gaïda-Rarami

[gaιda-aramι]

Descendant d’arabe (arami)

58

Gâra

[ga:ra]

Habitant de la montagne de Gâ

59

Gorgui

[gɔrgι]

Relatif au crapaud (gourga)

60

Goubara

[gυbara]

Habitant de Gouba (montagne)

61

Gourouma

[guruma]

?

62

Guéïra

[gειra]

?

63

Guéni-guerguira

[geni-gεrgιra]

Relatif au village (guéni)

64 Gourkoullé ou Guiri-kowra [gurkulle/gιrι-kowra]

descendant de l’anfractuosité (guiri)

65

Habaïra ou Houbaïra

[habaιra/hυbaιra]

Habitant de la région de Houbaï

66

Hodira

[hodira]

?

67

Hourêra

[hυrεra]

Habitant de Houra (région)

68

Howra

[howra]

Habitant de How

69

Idinga

[idiŋa]

?

70

Imogou

[ιmɔgυ]

Relatif à l’autruche (imo)

71

Ina-Diguêne

[ιna-digen]

Descendant du chef (ina) Diguêne

72

Ina-kaïra

[ina-kaιra]

Descendant du chef (ina) Kaïra

73

Kabkara

[kabkara]

Habitant de la région de Kabka

74

Kamara

[kamara]

?

26

75

Kanagara

[kanagara]

?

76

Kardara

[kardara]

?

77

Kawr-Etira

[kawr-εtιra]

Relatif à la cécité visuelle

78

Kengui-Kabi

[kεŋgi-kabι]

Descendant de Kengui

79

Kéni-Bellê

[kεnι-bεllε]

?

80

Kénimeïra

[kenimeira]

?

81

Kiguèra

[kιgεra]

Habitant de la région de Kiguê

82

Kiregou

[kιrεgυ]

Qui appartient au Roi

83

Kirégouïra

[kιrεgυιra]

Habitant de Kirégouï (montagne)

84

Kodiera

[kɔdιara]

?

85

Komoura

[komura]

?

86

Korfou-kédira

[korfu-kedira]

Relatif à des espèces de plantes

88

Kottiara

[kɔttιara]

?

89

Kottira ou Kodira

[kɔttιra/kɔdιra]

?

90

Koubeïra

[kυbειra]

?

91

Koubéra

[kυbεra]

Habitant de la région de Koubé

92

Kouboura

[kubura]

Habitant de la région de Koubou

93

Koudoura

[kυdυra]

?

94

Kouma

[kυma]

Habitant d’Aw-Kouma (montagne)

95

Kourgoura

[kυrgυra]

Habitant de Kourgou (colline)

96

Kouriara

[kυrιara]

Habitant de la montagne de Kouria

97

Kowré

[kowre]

? ?

98

Magou

[magυ]

99

Maguira

[magιra]

?

100

Maï-Ettêra

[màι-εttεra]

?

101

Maïkassoura

[màι-kasυra]

Habitant de Maïkassoura (colline)

102

Makalla ou Makkala

[makalla/makkala]

?

103

Makka ou Maga

[makka/maga]

?

104

Mamia ou Mahamia

[mamia/mahamia]

?

105

Mangang

[maŋgaŋ]

?

106

Maragouïra ou Marougouïra

[màraguira/maruguira]

Habitant de Marougouï (colline)

107

May ou Maï (ar. Hadad)

[may/màι]

Nom de la caste des "forgerons"

108

Migué

[mιgε]

?

109

Mira

[mιra]

Habitant de la colline de Mir

110

Mordoura

[mɔrdυra]

Habitant de la région de Mordou

111

Mougoutoura

[mυgυtυra]

?

212

Naoura

[naυra]

Habitant de la région de Nanou

113

Nenguir

[nεŋgιr]

Relatif à l’écureuil (nenguir)

27

114

Nogordjounéra

[nɔgɔrjυnεra]

Relatif à l’équité mâle (nogor)

115

Noïra ou Noïré

[noira/noire]

Habitant de la région de Noï

116

Norsira

[norsira]

Habitant de la région de Norsi ?

117

Nourouré

[nurure]

118

Obouwéra (Bidéra)

[obuwera]

?

119

Ogouï

[ògui]

?

120

Ordio

[ɔrdιɔ]

?

121

Orou-bira

[ɔrυ-bιra]

?

122

Oudou

[υdυ]

?

123

Ougoubara

[υgυbara]

Habitant de la colline d’Ougouba

124

Ouhourira

[uhurira]

?

125

Ouïbara

[uibara]

?

126

Ouïra

[uira]

?

127

Ouled Taga

[uled taga]

Descendant de Taga

128

Oundjou ou Ounian

[υɲjυ/uniã]

?

129

Wourdi

[urdi]

?

130

Ourêra

[υrεra]

?

131

Ourouïra

[uruira]

?

132

Ouyagara

[υyagara]

?

133

Sanara

[sanara]

?

134

Sàr

[sàr]

?

135

Sâr-Mara

[sàr-mara]

Sàr-Rouges (blancs)

136

Sâr-Miyé

[sàr-miyε]

Sàr-Noirs

137

Sigueïra

[sιgειra]

Habitant de la région de Siguéri

138

Siguéïra-Bi-bour

[sιgειra-bi-bυr]

Siguéïra descendants de l’eau (bi)

139

Sinira ou Siniré

[sinira/sinire]

Habitant de la région de Sini

140

Soumra ou Soumoura

[sυmra/sυmυra]

?

141

Tadjoua

[tajυa]

?

142

Tamiré

[tàmιrε]

?

143

Tawdang

[tawdaŋ]

?

144

Tchawada ou Chawada

[cawada/∫awada]

?

145

Tchika

[cιka]

Nom d’un clan d’origine gorane

146

Téda-Groua

[tεda-grυa]

Nom d’un clan d’origine gorane

147

Téribéra

[teribera]

Nom d’un sous-clan des Angou

148

Tirgué-Horout

[trige-horut]

Descendant de Horout

149

Tobouïra

[tobuira]

Habitant de la région de Tobouï

150

Tollora

[tɔllɔra]

Habitant de la région de Tollo

151

Toriara

[toriara]

?

152

Touba

[tυbà]

?

153

Toubougui

[tubugi]

?

28

154

Toudjoumê/ Tchoutchoumê/ Soussoumê

[tυjυmε/cυcυmε/sυsυsε]

?

155

Toudoura

[tυdυra]

Habitant de la région de Toudour

156

Touméra ou Touméré

[tumera/tumere]

?

157

Touradi

[turadi]

?

158

Tour-Balla

[tur-balla]

?

159

Touré

[ture]

Relatif au singe (touré)

160

Tourtourda

[turdturda]

Relatif à la termitière (tourtourda)

161

Wêgui

[wεgι]

?

162

Wéra

[wεra]

Habitant de la région de Wé

[zagawa/zakawa/sagawa]

?

163 Zaghawa/Zakawa/Sagawa

Ceci nous amène à dire quelque-chose sur la façon de nommer les êtres humains et les choses. En effet, les Tchadiens, comme les autres communautés à travers le monde, portent des noms qui dépassent le simple cadre de la désignation car ces noms sont aussi porteurs de sens sur un second plan et constituent généralement des syntagmes se référant à des notions extra-contextuelles, comme par exemple : – Tchombélé, expression massa qui signifie "on ne te tue pas", le suffixe [bele] étant un indicateur d’initiation ; – Langmigué, expression également massa signifiant : "que t’ai-je fait ?" ; nous pouvons citer d’autres exemples du même type tels que : – Ngarmadji dont la signification en sara est : "le bon roi" ; – Irèguè qui signifie en bériá "qui terrasse, foudroyant", etc. Le processus de formation des noms d’individus qui, en général, expriment des vœux ou des qualités intrinsèques, diffère légèrement de celui des noms de groupes sociaux qui, eux, expriment des relations de diverses natures. L’étude onomastique sur plus d’une centaine de noms de clans ou fractions, de sous-clans ou sous-fractions chez les Béri (Zaghawa) permet de noter que les noms propres (dont beaucoup sont morpho-phonologiquement formés de la même manière que ceux des arbres fruitiers) que portent ces unités sociales sont basés grosso modo sur quatre types de relations : de genèse, de bienfaisance, de circonstance, historiques. Les Béri constituent ainsi une communauté linguistique et culturelle, un tout émietté en plusieurs petits groupes dont les noms spécifiques sont généralement dérivés de ceux des réalités naturelles 29

(montagne, cours ou point d’eau, plante, etc.) ou des espèces animales (mammifère, reptile, oiseau) avec lesquels ils croient avoir un lien intime de parenté ou d’obligation. Tandis que chez les Arabes du Tchad le lien fort qui entretient la cohésion de l’unité sociale et qui est d’inspiration religieuse sans nulle doute est en principe l’ancêtre réel ou mythique, celui des Béri (d’inspiration animiste de toute évidence) semble être, outre la relation biologique (parenté de sang), l’habitat de cet ancêtre ou les relations que ce dernier avait entretenues avec les espèces animales ou naturelles. Les étrangers et plus particulièrement les Arabes appellent des zaghawa les membres de la communauté concernée ; ce terme est probablement d’origine arabe ; la colonisation française l’avait adopté et l’avait consigné dans ses archives administratives. Pourtant les intéressés eux-mêmes ne connaissent cette appellation que comme une étiquette des Aramara (ceux qui ne sont pas des Béri) et ne savent pas trop pourquoi on les désigne ainsi. Pour eux, le nom que porte l’ensemble de la communauté linguistique et culturelle est Béri, Béli ou Belli selon les prononciations dialectales. Il faut noter que la fraction des Béri située au nord désigne par le terme de Biri celle située au sud d’elle ; on remarque également que le même nom de Biri est par ailleurs donné par les Béri aux Guimirs, leurs voisins du sud desquels ils dépendaient dans les anciens temps. Les Goranes qui sont au nord des Béri appellent, quant à eux, ces derniers de la même façon, les Bili. Le même nom (avec des variantes régionales) est donc utilisé par les communautés sahélo-sahariennes situées entre le Tibesti et le Darfor, mais chacune d’elle semble l’attribuer à sa voisine se trouvant au sud d’elle. Enfin, il est à noter aussi que chez les Koubéra, les personnes du peuple sont qualifiées de "Béri aux fèces vert"10, autrement dit, le terme de Béri porterait, dans ce contexte, une connotation péjorative ; on entend souvent dans les querelles l’expression : béri tiè djir nèrowa ? Ce qui veut dire : "n’es-tu pas un Béri aux fèces verts (pour oser dire ou faire cela) ?" ; les membres des familles princières qualifient souvent ainsi les sujets de Béri. Pourtant, on ne connaît pas le sens exact de cette expression. Plusieurs hypothèses sont possibles, entre autres :

10

Z. Fadoul, Le système des couleurs chez les Béri du Tchad, ULPA, Languages and literatures n°32, Leipzig.

30

– béri ou barî serait une expression arabe du répertoire religieux ; – béri (dont la prononciation exacte est [bεrι]) signifierait "garçon" dans le bériá ; le pluriel est béríi (le pluriel régulier se fait par un rehaussement de ton dans cette langue) mais on qualifie aussi orou béri [ɔr bεri] tout mammifère domestique dont on mange la viande et boit le lait (dromadaire, vache, mouton, chèvre), par opposition à orou maï [ɔr màι] qui désigne tout mammifère domestique dont on ne mange pas la viande et ne bois pas le lait (le cheval, l’âne). Notons en passant que le chien et le chat ne sont ni béri ni màï parce qu’ils n’entrent pas dans la catégorie d’animaux domestiques désignés par le terme générique d’orou [ɔr]11. Il s’agit là d’une désignation qui exprime donc des valeurs contradictoires (péjoratives et mélioratives) selon qu’on se place dans tel contexte ou dans tel autre. C’est le terme de béri qui avait donné le nom de la langue, le bériá (de béri "nom propre de la communauté" et –á suffixe qui signifie "bouche, langue, issue". Les Béri se subdivisent, selon la conception locale, en au moins six fractions qui sont : Touba [tba], Wègui [wεgi], Koubéra [kbεra], Dirongda [diroŋda], Gouroufta et Kapkara (ou Kabkara). A part les deux premiers, tous ces noms qui sont également des adjectifs ethniques d’appartenance ou de localisation, sont dérivés de ceux de lieux (Koubé, Dirong, Gourouf et Kapka) par suffixation d’un morphème d’appartenance qui se réalise en trois morphes selon les règles combinatoires de la langue et que nous pouvons représenter phonologiquement par /-Ra/12 : – -ra devant voyelle et semi-voyelle, – -da devant consonne sonore et – –ta devant consonne sourde Les Arabes qui sont les voisins immédiats des Béri n’utilisent pourtant pas ce terme pour désigner ceux-ci : ils les connaissent d’ailleurs en trois groupes distincts : Zaghawa, Bidéyat et Touwer, 11

Zakaria Fadoul Khidir, Lexique des animaux chez les Béri du Tchad, 1999, ULPA (Languages and literatures n°17), Leipzig. 12 Zakaria Fadoul Khidir, Bases et radicaux verbaux. Déverbatifs et déverbaux du bɛrιẚ (langue nilo-saharienne), 2005, Nilo-Saharan Vol. 20, Rüdiger Köppe Verlag, Cologne

31

noms que les locuteurs eux-mêmes ne connaissent qu’à travers les étrangers ou à travers les écrits de ceux-ci. Les historiens, quant à eux, font seulement deux catégories : Bidéyat d’une part et Zaghawa (tous ceux qui ne sont pas Bidéyat) de l’autre. Dans tous les cas, chaque ensemble est un groupement d’unités plus petites que sont les clans et sous-clans dont les membres se rattachent à un ancêtre généralement connu. Il nous importe de savoir maintenant comment la dénomination de ces unités s’opère. D’une manière générale, les Béri donnent des noms propres à tous les êtres, qu’ils relèvent du règne animal, végétal ou minéral. Ces noms sont donc donnés : 1. Aux réalités physiques comme les montagnes et cours d’eau, par exemples : Koubé, Mir, Wê, Nanou ; la plupart de ces noms n’ont pas de signification en eux-mêmes mais, pour désigner les groupes sociaux qui avaient occupé ces lieux originellement, ils avaient donné par un procédé régulier de dérivation affixale au moyen du morphème /–Ra/, d’autres noms, ceux que la grammaire traditionnelle appelle dénominatifs ; 2. Aux éléments de la culture comme les villages, les puits, etc. qui, généralement, portent les mêmes noms que les cours d’eau avoisinants ou dans lesquels ils sont aménagés ; mais ces éléments prennent aussi des noms à partir de ceux des plantes ou d’animaux, soit par dérivation affixale soit par composition, comme par exemple : – Keyramara (de [keira] "Ziziphusspina-christi13, jujubier en français" et [mara] "rouge") ; Keyramara signifie "jujubier rouge" ; c’est un nom donné à la fois à un cours d’eau du Koubé, au puits qui y a été aménagé et au village avoisinant ; – Tèriba (de [tèri] "Acaciaalbida" et [bà]) "puits") qui signifie "puits de l’Acacia albida" ; ce nom est également donné à la fois à un cours d’eau du Koubé, au puits qui y a été aménagé et au village avoisinant ; – Tourdabiri [trdàbìri] (de [trda] "Cordia rothî" et [bìri] "bleu, bistre") ; la signification est : "Cordia rothî bistre" ; c’est un nom donné à une colline du Koubé, au cours d’eau avoisinant et au puits qui y a été aménagé ; 13

Zakaria Fadoul Khidir, Lexique des plantes connues des Bɛrι du Tchad, 1999, ULPA (Languages and literatures n°11), Leipzig.

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– Beïba (de [bei] "caprin" et [bà]) "puits") qui signifie "puits des caprins" ; – Kèniba [kεniba] ou Kenba (de [kεni] "ovin" et [bà] "puits") ; sa signification est "puits des ovins", etc. ; 3. Aux animaux : ceux-ci portent des noms affectifs, formés : 3.1. Soit à partir des noms génériques d’animaux comme par exemple : – Tourous, nom propre de chèvre, dérivé de tourou [tr] "femelle du bouc", par suffixation de –s, morphème grammaticale exprimant une obligation ou une imposition ; ce morphème se rencontre souvent dans les conjugaisons, comme par exemple dans cette devinette : djugis keigis nray aganni ce qui signifie : "je vais (et) je viens (contre ton gré), que peux-tu me faire ?") ; – Berguí, nom propre de brebis dont la prononciation exacte est [bεrgí] (de bεrgi "femelle du bélier") ; il s’agit là d’une dérivation par flexion tonale ; 3.2. Soit à partir de la couleur de leur robe, comme par exemple : – Korfou [kɔrf], nom propre donné aux vaches dont la couleur de la robe est identique à celle du fruit du Grewia tenax ; ce nom est également dérivé par flexion tonale ; – Djirbou [jirb], nom propre donné à un chameau (mâle de la chamelle) dont la robe est verte ou verdâtre ; ce nom est aussi dérivé par flexion tonale et suffixation à la fois : [jir] "vert" ; et [b/bu] "morphème grammatical formant le diminutif des adjectifs de couleur" ; par exemple : [jirb] "verdâtre", [biribu] "bleuâtre", [marab] "rougeâtre", [tεrb] "blanchâtre", [mεb] "noirâtre"14. Ainsi, jirrb "verdâtre" vient de jir "vert" et est un "nom propre donné à un chameau" ; – Nogormè [nɔgɔrmε] "nom propre donné à un âne (mâle de l’ânesse) dont la robe est noire " : de [nɔgɔr] "mâle de l’ânesse" et [mε] ou [miyε] "noir" ; ce nom est formé, comme le précédent, par composition et flexion tonale à la fois : nɔgɔrmε "âne noir" (nom propre d’âne) ;

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Z. Fadoul, Le système des couleurs chez les Beri du Tchad, ULPA (Languages and literatures n°32), Leipzig.

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4. Aux hommes et aux groupes sociaux comme les ethnies, les clans ou les sous-clans. Les noms des personnes sont de deux catégories : 4.1. Noms musulmans, donc récents et d’origine étrangère dont on ne connaît pas trop bien la signification en soi sauf qu’ils avaient, à l’origine, désigné des personnalités religieuses : Mahamat, Mahamout, Abbakar, Ousman, Ali, Oumar, Youssouf, Aché, Hadidjé, Mariam, Halimé, etc. ; ce sont des noms que l’on rencontre dans les milieux plus pénétrés par l’Islam ; ils sont généralement portés par les citadins ou constatés dans les généalogies des familles princières ; 4.2. Noms du terroir comme Djoroua [jorua], Sounda [sndà], Keydè [kεidε], Ayba [àbà], Bayguè [baigε], etc. qui sont des noms que l’on rencontre habituellement dans les zones ayant peu de contact avec les Arabes et dont les préoccupations religieuses sont limitées à des circonstances particulières suscitant des invocations particulières : situation de danger, de concurrence, de privation, etc. ; ces noms constituent des syntagmes toujours porteurs de signification en soi. Si on se fie à la tradition orale, le Béribé (ou pays des Bèri) n’était pas très peuplé dans les anciens temps. Les gens qui y habitaient portaient des noms qui avaient des relations : 1. Soit avec la nature : – Hidagourêgo [hidagrεgɔ] : de [hida] "écorce" ; [grε] "nominoverbal exprimant le fait d’arrondir quelque chose" ; et [gɔ] "morphème nominalisateur"). Ainsi, Hidagourêgo est le nom propre d’un clan et signifie "qui roule l’écorce" ; – Toudoukourgué [tdkrgε] "pédoncule de Coccina grandis", etc. 2. Soit avec les animaux : – Touré [ture] "singe" ; – Djardabéra [jarda bεra] "qui appartient au termitière", etc. Un peuplement du pays s’est ensuite effectué par vagues successives : les gens qui y arrivaient, matériellement et intellectuellement mieux nantis que les autochtones car ils étaient des commerçants, des conquérants ou des missionnaires, s’y installaient en petits groupes : un théologien avec ses disciples, deux ou trois frères, une famille tout au plus ; ils occupaient les points stratégiques comme les montagnes (lieux de refuge), les puits (points de ravitaillement) et les cours d’eau dont les rives étaient les seuls endroits où la végétation étaient propice et où donc la cueillette des céréales étaient possible. C’était grâce à 34

leurs positions stratégiques qu’ils parvenaient à dominer les autochtones et s’emparaient alors de leur pouvoir : ils devenaient des chefs. Ils étendaient leurs territoires par divers procédés : la force, la ruse, les alliances matrimoniales ou d’amitié. Tous les gens qui dépendaient d’un point stratégique (montagne, puits ou terrain fertile) dépendaient naturellement du chef qui, avec le temps, exerçait son autorité en monarque absolu puis en dictateur. Tout un mythe se constituait alors autour des premiers foyers de ces migrants, c’est-à-dire ce qui avait constitué le premier habitat de leurs ancêtres et où ces derniers avaient été probablement enterrés. Ces lieux (surtout les montagnes) finirent par abriter aussi des génies et d’autres puissances impersonnelles à caractère sibyllin, des esprits. La montagne, le puits et le cours d’eau donnaient leur nom à l’occupant et devenaient par là-même, non seulement une propriété privée de ce dernier, mais aussi et surtout un facteur essentiel de son identification au même titre que le facteur linguistique. Il en est de même pour le facteur biologique, par exemple Mési désigne un clan dont les membres étaient considérés comme relativement plus noirs que les autres. Cette situation créait des relations entre l’homme et son habitat, suscitant des vénérations et des cérémonies rituelles qui s’instauraient définitivement en tant que obligations sacramentelles. Tous les membres d’un clan ainsi formé pourraient se reconnaître désormais par le nom qui les liait au premier foyer devenu pour la circonstance un autel qui recevait des sacrifices d’animaux, des libations de lait ou de beurre ainsi que d’autres offrandes. Il se créait ainsi entre les clans et leurs premiers habitats une sorte de lien de "parenté" qui instaurait chez les hommes un sentiment d’attachement à leur terroir exigé par des contraintes de parenté, par la soumission, mais aussi par la crainte. C’est une situation qui avait prévalu jusqu’à la pénétration de l’Islam puis de la colonisation française dont les apports avaient contribué, non pas à la suppression, mais à l’affaiblissement dudit lien qui, manifestement, était en contradiction avec les préceptes de la religion révélée et avec une vision plus moderne du monde (vision facilitée surtout par les moyens de communications et l’école qui permettaient le contact avec d’autres civilisations et d’autres cultures). Bref, ni l’Islam ni les apports de la science et des techniques occidentales n’ont pu complètement supplanté ou annihilé ce paysage mythique, et Marie-José Tubiana parlera, à juste titre, de survivances préislamiques. 35

Le nom propre du clan est, malgré tout, resté jusqu’à nos jours comme une carte d’identité pour les membres de la communauté béri, c’est-à-dire il est plus que la simple appellation, bien que le Dictionnaire de linguistique de J. Dubois dise qu’il "…n’a pas d’autre signifié que le nom (l’appellation) lui-même" et qu’il est "autodéterminé". Lorsqu’un inconnu se présente dans un village, devant un groupe d’hommes ou devant le chef, si son nom et celui de ses parents ne suffisent pas à établir son identité, il déclinera en dernier recours le nom des clans de son père et de sa mère. Le clan est assimilé à la race, désignée par deux expressions empruntées à l’arabe : tirga (qui vient de l’arabe tarîq "secte"), mot bien intégré dans le lexique du bériá, et nêfêr [nεfεr] qui est aussi un mot arabe signifiant "race". L’une des premières choses que l’on demande à un inconnu quand on veut faire sa connaissance, c’est son nêfêr. Un individu de mauvais comportement est qualifié de nêfêr êgô nôw-i, [nεfεr εgɔ nɔwi] expression qui se traduit par "il/elle est de mauvaise race". Ainsi, pour conserver l’honneur de son nêfêr, on se garde bien de salir le nom de son clan car celui-ci a une grande emprise sur la mentalité individuelle et collective des membres de la communauté. Les épidémies, les famines et les razzias désorganisaient autrefois les unités sociales et leurs membres se dispersaient dans les régions voisines surtout le Soudan anglo-égyptien, le Dar-Tama, le Dar-Mimi, le Ouaddaï et rarement le Borkou ou le Tibesti parce que d’abord ces deux régions désertiques connaissaient presque les mêmes misères que le Béribé et qu’ensuite c’était de ce côté que les razzieurs, essentiellement Arabes, Goranes et Kirini (les Kirni sont probablement des Touaregs) arrivaient pour semer la terreur et emporter hommes et bêtes. L’Ouaddaï et le Dar-For n’attaquaient le pays des Béri que pour punir surtout son sultan si celui-ci désobéissait à leur autorité. Les émigrés et même des esclaves ou leurs descendants étaient localisés après plus d’un siècle grâce à leur identité clanique. Plus récemment encore, lorsque l’administration coloniale, à la suite des découpages territoriaux successifs suivis de reformes sociales dans l’administration traditionnelle (quelques petites chefferies devant disparaître au profit d’autres), des chefferies numériquement de moindre importance avaient perdu leurs prérogatives, mais les membres des clans dépossédés n’ont cessé de réclamer jusqu’à nos jours le droit de régner sur leur terre en vertu de leur identité et des relations intimes qu’ils entretenaient avec le terroir originel, un droit qu’ils considèrent comme naturel et donc inaliénable. 36

Le signe, comme le disait Ferdinand de Saussure, n’a qu’une relation arbitraire avec la réalité à laquelle il se rapporte, mais les noms des groupes sociaux chez les Béri ont une double fonction : celle de désigner la réalité (leur servir d’étiquette) et celle de faire l’histoire c’est-à-dire d’actualiser les faits passés tout en ressuscitant les circonstances particulières de leur nomination. Le lien intime qui unit donc les hommes et la nature, comme celui qui unit les hommes et les animaux, est parfois du même type que celui qui unit les hommes entre eux, autrement dit, un lien presque congénital. Il s’agit là d’une sorte de parenté mythique qui engendre des prérogatives sur tous les plans et plus précisément sur le plan du droit. Le terroir originel devient ainsi une propriété domaniale et les revendications qui s’y rapportent se font valoir de façon plus ou moins ferme au cours des modifications des rapports sociaux. En conclusion, on peut dire qu’avant l’arrivée de l’Islam chez les Béri il y a de cela plus de quatre cents ans, les clans tiraient leur nom essentiellement des réalités physiques naturelles et parfois des animaux. Il s’agissait des : – montagnes et collines qui constituaient les seuls lieux de refuge lors des razzias et autres attaques qui étaient d’ailleurs très fréquentes dans le pays à l’époque où régnait la loi du plus fort. Par exemple ; Guirikowra15 sont les gens de l’anfractuosité dans le rocher, autrement dit, nés de la montagne ; – wadi et dunes qui offraient des meilleures conditions de vie parce qu’ils étaient des lieux de cueillette et de culture de céréales ainsi que des lieux de pâturages ; ils étaient également des lieux où des puits pérennes étaient aménagés, ces puits qui constituaient des points stratégiques car celui qui possédait un puits exerçait son hégémonie sur les autres utilisateurs ; – animaux : parfois les noms proviennent aussi des animaux comme, par exemples : – l’autruche : le nom du clan de l’autruche est Imogou16 ; – le serpent : le nom du clan du serpent est Dénira17, – etc. 15

Guirikowra : vient de girikoru [gιrιkoru] "anfractuosité" et –ra "morphème d’appartenance". Guirikowra signifie "qui appartient à l’anfractuosité". 16 Imogou : vient de : imo [ιmɔ] "autruche" et -gou [-gυ] "morphème permettant la formation de nom". Imogou [ιmɔgυ] signifie donc : "relatif à l’autruche", "qui a un rapport avec l’autruche". 17 Dénira : vient de : déni "serpent" et –ra "morphème d’appartenance". Dénira signifie "qui possède un serpent".

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Tous ces liens expriment souvent une parenté ou une relation contractée lors d’une situation difficile, d’un fait insolite ou encore d’un simple concours de circonstances ; tout cela devenait un phénomène du fait de leurs caractères inexplicables et entrait alors dans le domaine des croyances exprimées par des interdits (interdits alimentaires, interdiction de monter à un âne, etc.), des tabous (respect et vénération de l’autruche, etc.), des parentés (apparentés au serpent, au galet, etc.). Il s’agissait là d’une vision des choses qui renvoyait en fait à une situation d’animisme ou d’idolâtrie que l’Islam avait fortement combattue (surtout par des prêches) et l’avait par conséquent amoindrie sans pouvoir l’annihiler complètement. Le Koubé et le Kabka constituaient des Sultanats distincts jusqu’à l’arrivée des Français au Tchad. Les autres régions formaient aussi des chefferies de portée variable et plus ou moins autonomes les unes par rapport aux autres. Autrefois, la région du Koubé n’avait pas les mêmes limites que celles qui circonscrivent aujourd’hui le Sultanat des Zaghawa du Tchad : elles n’englobaient pas les localités de Kirégouï, d’Abougoun, de Nanou, de Wé, de Kabka, de Dourène et de Gourouf, dont la plupart des chefs portaient le titre d’Ina18 et dépendaient directement du Roi, recevant de celui-ci, lors de leur investiture, un bracelet en argent et un dinguer19, comme insignes du pouvoir. C’est en 1914 que les chefferies de Nanou, de Wé et de Kirégwi furent supprimées par l’administration coloniale et leur commandement confié à Haggar Térab, allié privilégié des Français. En 1937, ce fut au tour du Sultanat de Kabka et des chefferies de Dirong et de Gourouf de subir le même sort. Déjà depuis 1936, un an avant la destitution

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Ina est le titre que portent traditionnellement les chefs du Kobé depuis les anciens temps. Il est surtout porté, depuis l’introduction vers les années 1957-58 du système cantonal d’Europe, par les chefs de villages. L’Ina avait jadis tous les pouvoirs ; il avait même droit de vie et de mort sur ses sujets. Il s’isolait derrière une cloison pour parler à ceux-ci, se montrer donnerait l’occasion aux autres de s’habituer à lui, ce qui lui enlèverait le caractère mystérieux dont il s’investissait et qui lui donnait un pouvoir surnaturel et sacré. On assiste ici à une sorte de divinisation de la personne du Chef. 19 Dinguer est, au Kobé, l’équivalent de la timbale pour les chefs qui n’ont pas l’importance du Sultan (Ina, Malik, Mogdoum, etc.). Le dinguer du Chef a la même forme et les mêmes dimensions que la timbale et remplit les mêmes fonctions, mais il est en bois d’acacia.

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officielle d’Abdoulaye Sabre, Haggar était pratiquement à la tête de tous les Béri du Tchad, exception faite de ceux de l’Ennedi. Région semi-désertique où les pluies sont très rares, le pays des Béri est sillonné par des cours d’eau saisonniers, les wadi, dont les nappes phréatiques constituent les seules sources de ravitaillement en eau pour les hommes et les animaux. Des puits permanents sont creusés dans les lits ou sur les rives de ces wadi. Souvent, le puits, le village qui se crée généralement non loin de là, le territoire et le cours d’eau qui le traverse portent le même nom. Un puits appartenait autrefois à la personne ou au clan qui avait le premier découvert la nappe et qui y avait fait le premier creusage. Il allait de soi que celui qui détenait un point d’eau imposait sa loi à ceux qui y venaient pour se ravitailler. Les problèmes d’eau engendraient dès lors de multiples conflits conduisant parfois à des infirmités et à des meurtres. Tout au long de l’histoire de ce pays, la montagne ou la colline qui constituent un lieu de refuge salutaire en temps de guerre, et l’eau étaient au centre des préoccupations des occupants de la terre ou des stratèges en quête du pouvoir. Il existe chez les Béri tout un mythe sur l’eau. Bodou est l’orage personnifié et même divinisé ; il est souhaité et craint à la fois. Sa voix et son sabre sont terribles. On jurait autrefois sur Bodou comme on jure aujourd’hui sur le Coran. *

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Les rudes conditions de vie que le pays offre à ses habitants ont contribué à leur façonner un certain mode de vie et un certain type de culture. Tous les Béri parlent la même langue, le bériá20, et constituent une communauté linguistique et culturelle. Le bériá est une langue à tons et à harmonie vocalique, et est différencié en plusieurs dialectes. La société présente une structure hiérarchisée en trois classes distinctes : – 1. La noblesse ou classe du suzerain : celui-ci était autrefois désigné par le titre totalitaire d’Ina qui lui conférait des pouvoirs à la fois civils (politique, administratif), militaires et religieux. L’Ina des anciens temps a fait place au Sultan tandis que des pe20

Bériá est également un terme composé de Béri (nom de la communauté linguistique) et de a qui désigne la bouche (et par analogie, l’issue, le devant). Bériá se traduit donc par "parole des Béri = langue des Béri"

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tits chefs prenaient à leur tour le titre d’Ina. Mais qu’il fût Ina ou Sultan, le suzerain détenait un pouvoir héréditaire, apanage de son clan, et occupait la plus haute marche sur l’échelle des valeurs sociales. Jusqu’à une certaine époque, les Chefs du Kobé proprement dit n’étaient que des Ina investis par le Sultan des Biri21 appelé également le Mowra22, à qui ils payaient un tribut tous les trois ans. Le Mowra tenait lui-même son titre du Roi des Kora23 qui lui remettait, lors de l’investiture, des timbales24 en cuivre alors que son vassal du Kobé n’avait droit qu’à des dinguer, tambour en bois d’acacia. Le Sultanat du Kobé se serait constitué à l’époque du Roi Iri-Boukour du Dar-For. – 2. La classe servile ou classe du Maï25 : le Maï, communément désigné par le mot français "forgeron" faute d’autre terme plus 21

Les Biri sont les Guimirs de la région de Koulbous. Les Béri étaient leurs vassaux, alors que eux-mêmes, ils dépendaient des Kora ; ils constituaient un Sultanat et leur Sultan avait droit à des timbales ou tambour en cuivre tandis son vassal du Kobé ne devait posséder que des tambours en bois. 22 Mowra est un autre nom donné aux Biri. Il s’agit d’un dérivé locatif, formé à partir de : Mow-, nom donné anciennement à la région de Koulbous par les Béri et de -ra, suffixe dérivatif servant à former des noms de groupes sociaux à partir des sites géographiques (ex. Koubé-ra "habitant du Koubé") et des noms des fruitiers à partir du nom de leurs fruits (ex. kei-ra "jujubier"), etc. 23 Kora est un autre nom des For ou Hor. Les Kora fournissaient des Rois et étaient les Maîtres du Dar-For. Jadis, l’Ouaddaï leur était assujetti jusqu’à l’arrivée d’Abdelkerim Djamé dans cette région. Ce dernier ayant refusé de lui payer le tribut régulier, il se mit en conflit avec le Roi kora de l’époque qui était Ahmat Bokor (qui serait peut-être l’Iri-Boukour connu des Béri). Depuis lors, le Kobé, du fait de sa position géographique (porte d’entrée et de sortie des adversaires), était l’objet de dispute entre les deux parties. 24 Timbales sont des instruments de musique royale servant à animer une cérémonie de grande importance ou à faire une annonce au loin. Elles sont composées d’une grande caisse de résonance semi-circulaire en cuivre sur laquelle est tendue une peau de bœuf spécialement tannée à cette fin. Les timbales constituaient un symbole de pouvoir au Kobé, au Dar-Tama, au Dar-Sila, etc. Elles sont remises par le Roi à ses Sultans lors de leur investiture. Un Sultan qui perd ses timbales est considéré comme un perdant du pouvoir. 25 Maï est traduit, faute de terme plus approprié, par forgeron ; mais il n’est pas seulement forgeron, il est aussi potier (la poterie est l’apanage de la Maïra, femme du forgeron), cordonnier, chasseur aux filets et artiste à la fois. En dépit de toutes ses qualités physiques et intellectuelles, le Maï n’est pas considéré comme un être humain. Il y a, dit-on dans la communauté, les Béri d’un côté et les Maï de l’autre. Ces derniers observent certaines pratiques culturelles et religieuses prohibées par les Musulmans, comme le fétichisme, l’adoration des idoles ou des puissances maléfiques. Sur le plan social, le Maï a une condition servile presque religieuse et

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approprié, est considéré comme un non-Béri ; il est méprisé mais il est aussi craint à cause de ses pouvoirs maléfiques. Il est en effet un redoutable féticheur, un charmeur d’esprits et un devin par sa géomancie. La forme la plus connue de son fétichisme est le kodogoï26, mais il est également un boïra, le détenteur des boï. Le Béri établit une nette dichotomie entre lui et celui qu’il appelle "mon Maï ", car un Maï n’a pas de clan propre, il appartient à l’un des clans des Béri. Le Maï, de son côté, dit "mon Béri" en parlant avec un membre de la communauté, comme un serf ou un esclave dirait "mon maître" pour exprimer son respect ou sa servilité. A part la langue et le milieu physique, le Maï n’avait rien de commun avec le Béri dans sa vie quotidienne : il ne mangeait ni ne causait avec lui ; il ne se mariait pas avec lui ; il ne travaillait pas comme lui et, en outre, il ne devait pas poser son regard sur les bonnes choses du Béri, car on croyait qu’il avait l’œil mauvais. Il s’occupait et s’occupe d’ailleurs jusqu’ici, des activités qui lui sont traditionnellement dévolues telles que la forge, la poterie, le travail du bois, la chasse aux filets, le fétichisme, la divination par la géomancie, etc. Il se trouve de ce fait au plus bas niveau sur l’échelle des valeurs sociales. Mais bien que l’endogamie à l’intérieur de la caste lui ait permis de conserver l’essentiel de son patrimoine génétique, le Maï ne diffère cependant pas de beaucoup du Béri du point de vue anthropologue. – 3. La classe du peuple ou classe du Béri : entre les deux pôles de la hiérarchie sociale se situe l’homme du commun qui est précisément désigné par le terme collectif de Béri dont la prononciation varie selon les dialectes (Béri, Béli ou Biri), et qui désigne par ailleurs l’ensemble de la communauté. est tenu à l’écart de la société bien qu’ils partagent avec celle-ci la même langue. Les Maï forment une caste au sein de la communauté. 26 Kodogoï: Le Maï utilise des tendons d’antilope avec lesquels il fait des nœuds en invoquant des puissances surnaturelles pour produire des maux sur des parties spécifiques du corps humain : la tête, le cœur, les intestins, l’estomac, etc. On croit que cela peut avoir une emprise réelle sur la santé de la personne visée. Le kodogoï est souvent utilisé par des femmes contre leurs coépouses. Ces femmes obtiennent ce fétiche des Maï contre un bien (animal, argent, etc.), et l’enfouissent soit à l’entrée du domicile de la personne qu’elles veulent aliéner soit en un lieu où celle-ci est sensée de passer. Généralement l’auteur du kodogoï (le Maï), si son méfait est découvert, est contraint au dénouement, c’est-à-dire à défaire les nœuds afin de redonner la santé à sa victime.

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La pensée du Béri, comme la pensée de toute communauté humaine, est fonction de son milieu et de ses besoins. La connaissance du monde animal, végétal et minéral, les systèmes de numération et de couleurs, les formes de croyance, les techniques de travail, etc. sont autant de facteurs qui l’attestent. La numération est, en effet, à base décimale. Les chiffres zéro, cent, mille et million sont des emprunts, tandis que les dizaines sont des composés comme dans beaucoup d’autres systèmes, primitifs ou plus élaborés. La journée est subdivisée naturellement en guini (nuit) et koubaï (jour) : La nuit ne comporte que l’iskona (aurore) comme point spécifique, tandis que le jour s’échelonne en sani (le bon matin), essina (entre huit et dix heures environ), djiyé (période de chaleur, c’est-àdire au-delà de neuf-dix heures jusqu’aux environs de midi), touyé (après-midi) et touï (fin de la soirée). A partir du présent qui est hassa (probablement un emprunt à l’arabe et qui signifie maintenant) ou okkiya (aujourd’hui), le temps est divisé en quelques moments. On remonte jusqu’à deux jours seulement dans le passé : baïriè (hier), baïriè-bèr (avant-hier) ; et jusqu’à trois dans l’avenir : kouri (demain), oïni (après-demain), eïra (surlendemain). Les indicateurs spéciaux sont au nombre de trois au moins : ki (-ci), to (-là) et do (indicateur de ce dont il est question et qui se trouve loin dans le temps ou dans l’espace). La naissance (êdêïna), le sevrage, l’âge du port de peau ou âge du berger (nawra) et la circoncision (tàïra) constituent des repères dans la vie d’une personne dont l’évolution se répartit en des tranches de temps plus ou moins larges : – la période du djàa ou période de la prime jeunesse ; – la période du nawra (pour le garçon) /sarfu-tadu (pour la fille) ou période du port de la peau (aw) qui va d’environ cinq-six ans jusqu’à la circoncision pour le garçon ; – la période du tàïra ou période de la circoncision qui marque la frontière entre le statut de l’enfant mineur et son statut d’individu majeur ; – la période du kundi (garçon nubile) / tômbô (fille nubile) qui va de la circoncision jusqu’à un moment imprécis où le circoncis 42

est considéré comme suffisamment mûr pour entrer dans les rangs des personnes adultes ; – la période du borou (homme) / bagou (femme) qui va de la maturité à la vieillesse. Le mois n’existait pas de façon abstraite avant l’arrivée de l’Islam, autrement dit, on ne connaissait que la lune (ourdeï) qui apparaît et disparaît en restant toujours semblable à elle-même. De même, l’année (gîyê) ne portait pas douze mois portant des noms précis. Elle était, par contre, subdivisée en quatre saisons qui sont gîyê (saison des pluies), tarba (période des moissons), dabou (période du froid), méri (période de la sècheresse et de la chaleur). Les grands événements, les années de famine, les épidémies de variole ou de rougeole et les périodes d’aisance particulière due à une bonne pluviométrie servent de repères historiques. Le système de couleurs qui est un facteur de la psychologie des hommes comporte, parfois avec une zone chromatique mal limitée, six couleurs (avec des superlatifs, diminutifs ou affectifs, péjoratifs), comme indiquées dans le tableau ci-dessous : couleur mara "rouge" miyé "noir" djir "vert" têr "blanc" biri "bleu" bîrî "gris" ou "beige"

superlatif marra meriiri djiriiri têrr biribu bùrkuugu

diminutif affectif marabû mîyêbû djîrbû Têrbû Bîrîbû

péjoratif màràguï meiri djìiri tersi Bìrsi

Les couleurs ont aussi des significations symboliques et servent à des formulations métaphoriques : – le rouge (mara) est la couleur du feu et du sang ; il est force et danger et inspire la crainte ; – le noir (miyé) est la laideur et la frayeur ; c’est la couleur du dégoût et de la répugnance ; – le vert (djir), exprime entre autres, la crasse ; – le blanc (têr), souvent confondu au rouge (mara), est la couleur du nouveau-né, celle de la pureté et de l’innocence ; djàa mara êrî aar djoï tîgî "je suis le nouveau-né tout rouge dont la bouche

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est pleine de colostrum", est l’expression en usage pour se faire pardonner par Bodou27 ; – la couleur dite biri, traduite ici par "bleu", a un champ quelque peu imprécis. Dans l’esprit du Béri, le ciel (bégui), l’eau (bi) et l’huile (bôrû) sont tous de cette même couleur ; elle traduit l’aisance, l’abondance alimentaire ; – le gris ou beige (bîrî) est la couleur de la terre ; c’est aussi celle de la fatigue et de l’usure. La gamme de couleurs ne s’arrête évidemment pas à six. Le Béri distingue toutes les couleurs, mais il lui manque toutefois des termes originaux pour les nommer toutes ; il fait alors recours à certaines plantes pour désigner celles dont le nom ne figure pas dans son répertoire initial28. La croyance des Béri avant leur islamisation gravitait autour d’Iro. Cette puissance se situe au-dessus de toutes les autres et de tous les génies claniques appelés manda. C’est donc auprès d’Iro que ces derniers doivent intercéder pour obtenir sa faveur ou son pardon. On croit qu’Iro habite le Haut (bégui) tandis que les manda sont dans les rochers ou dans les arbres. Le Béri est fortement superstitieux : la vue de certains oiseaux ou de certains animaux lors d’un voyage ou d’une entreprise importante, les mouvements de ces bêtes par rapport à son axe de déplacement, les cris des nocturnes, l’apparition de certaines étoiles dans le ciel, le soulèvement d’un vent inattendu, le grondement du tonnerre, etc., tout cela devient pour lui objet d’interprétation et de divination, un sujet de crainte, de hantise ou au contraire d’apaisement. La naissance (surtout celle des jumeaux), la circoncision, le mariage, la pluie (lorsqu’elle tarde à venir), certaines maladies (plus particulièrement la variole), l’investiture d’un chef ainsi que la mort d’une personne peuvent conduire à des cérémonies en partie païennes. L’excision est d’une introduction assez récente et n’est encore pratiquée, sans objectif précis d’ailleurs, que par quelques familles seulement. La naissance d’un enfant est accueillie comme un bonheur sans égal, surtout quand il s’agit d’un garçon, mais la mort est regardée avec horreur et résignation. Une personne qui meurt ne retourne ce27

Bodou est le tonnerre personnifié, presque divinisé. Zakaria Fadoul Khidir, Le système des couleurs chez les Béri du Tchad, Leipzig, 2007. 28

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pendant pas au néant ; elle ne monte pas au ciel non plus ; elle reste sur la Terre (iri) mais devient invisible aux vivants, tandis que la puissance qui lui retire la vie habite le Haut, opposé du Bas. Elle revient parmi les vivants lorsque des grands événements l’exigent ou lorsque ses proches l’invoquent. Elle vient alors partager leurs repas ou manger seulement ce qu’ils lui offrent et exhausser en conséquence leurs vœux ou refuser de le faire selon qu’elle agrée ou non les mets qui lui sont offerts. Mais un mort peut, selon la croyance du milieu, se transformer aussi en un être démoniaque revêtant un caractère purement maléfique ; il devient un boï. Les boï traquent et hantent les hommes dans la pénombre et dans les ténèbres ; ils ont la capacité de posséder leur esprit et de déformer leur corps. Le malheur n’arrive jamais tout seul, spontanément et naturellement ; il est envoyé par quelqu’un, un semblable connu ou un être surnaturel dont on connaît mal la nature et la localisation précise. Dans tous les cas, on en veut à l’auteur du malheur ; on lui sacrifie des animaux à contre cœur ou on lui jette des pierres avec des jurons : dans certains milieux, lorsqu’on perd un parent, on pleure désespérément, on se verse du sable sur la tête et on jette des pierres vers le ciel en injuriant Iro. Le bonheur vient du Sud dénommé seït29, direction de l’aisance alimentaire où doivent habiter les morts. Ceux-ci sont actuellement enterrés selon les rites musulmans, couchés dans des fosses individuelles, les pieds au nord, la tête au sud et la face tournée vers l’est. Selon certaines informations, les Béri pratiquaient avant leur islamisation l’inhumation dans des fosses communes, les morts étant jetés dans un grand trou profond de quelques mètres. Ceci est d’ailleurs observable jusqu’à nos jours dans certaines ruines du B.E.T, par exemple celles de la colline de Sara-Tchattou, à côté de la ville de Fada. Sara-Tchattou signifie en gorane, l’extermination des Sara (le singulier est Sar). Il s’agit en effet des tombeaux des Sars que les For qui seraient les ancêtres des Hourera actuels auraient exterminés parce qu’ils étaient des mécréants. D’autres informations parlent encore, sans aucune confirmation cette fois-ci, d’une inhumation assise dans des poteries particulières. Beaucoup de ces croyances sont évidemment en contradiction manifeste avec l’enseignement de l’Islam. Mais bien que les survi-

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Seït : expression empruntée à l’arabe qui veut dire le Sud.

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vances30 préislamiques soient assez courantes dans la pensée des gens et interfèrent souvent (lors des rites agraires, de pluie, de naissance, d’intronisation, etc.) avec les croyances de leur nouvelle religion, l’ensemble des Béri sont actuellement musulmans. Parmi les manifestations qui retiennent plus l’attention de l’observateur par leur contraste avec les normes de l’Islam sont celles qui portent sur la femme, plus particulièrement la dot et ce qu’on peut appeler l’adjonction humaine à la diya, le fait d’introduire des filles ou des esclaves dans la diya, en remplacement d’un certain nombre d’animaux. Quelle est donc la conception que les Béri se font de la femme ? Les problèmes liés au statut de la femme, à ses droits et à ses devoirs, considérés relativement à ceux de l’homme, font couler beaucoup d’encre et sont souvent sujet à controverse. Chez les Béri, on dit qu’une femme qui conserve des œufs dans son ventre ne saurait quitter le foyer. Autrement dit, tant qu’elle n’a pas atteint l’âge de la ménopause et tant qu’elle continue à donner des enfants, elle est assujettie à la famille de son mari quelles que soient les conditions. Ce qui fait que les alliances ne sont pas forcément liées aux pratiques sexuelles, elles sont souvent des contrats entre familles au-delà des relations intimes entre conjoints. Ainsi, on peut concevoir un projet de mariage avec "une fille" qui est encore dans le ventre de sa maman, c’est-à-dire avec un fœtus et attendre presque dix-huit années avant sa consommation. On appelle traditionnellement fille, une personne de sexe féminin qui n’est pas encore mariée. On parle alors de petite fille pour désigner un enfant de sexe féminin jusqu’à l’âge nubile, ou pour désigner une femme jeune, non mariée ; on parle aussi de fille-mère pour désigner une mère célibataire, on parle également de vieille fille pour désigner une fille qui n’est pas mariée alors qu’elle en a l’âge ou qu’elle est même au-delà de cet âge. Toutes ces définitions sont donc liées d’une part à l’âge de la personne et d’autre part à son statut matrimonial. La vie de la femme comme celle de l’homme d’ailleurs est réglée par un ensemble d’habitudes sociales ou individuelles portant sur la conduite, la morale, en général sur la pratique du bien et du mal, que nous convenons d’appeler « mœurs », « coutume » ou « tradition ». Les mœurs font le droit, le droit étant ce qui est permis dans la société, ce qui est conforme à la règle ou à la norme sociale, autrement dit, ce qui est 30

Pour plus de précision, voir M.-J. Tubiana, Survivances préislamiques en pays Zaghawa, Institut d’Ethnologie, Musée de l’Homme, Paris, 1964

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conventionnellement légal, juste ou légitime ; mais est aussi droit ce qui est moral. Les juristes disent que le droit existe en dehors de toute formulation. De toutes les façons, le droit n’existe que dans une société organisée, forcement composée d’hommes et de femmes, une personne qui vit seul en plein désert ou en pleine forêt n’a pas besoin de parler de droit. Ceci étant, entre l’homme et la femme, il y a une différence de sexe et avec la différence de sexe, s’est instauré une différence de conception de notre espèce : la femme est ceci, l’homme est cela, etc. Toutefois, les croyances dites naturelles n’ont pas une vue "oppositive" sur la différence de sexes. Elles reposent sur des logiques et causalités mythiques et se contentent des constats et des expériences immédiates. Le communisme, quant à lui, considère que les valeurs sociales ne s’établissent pas en fonction des sexes mais plutôt en fonction des aptitudes de l’espèce à maîtriser la Nature et la Matière en vue d’édifier son bonheur Ici-bas. Les problèmes de la femme et de l’homme apparaissent surtout au niveau des religions révélées (l’Islam et le Christianisme) qui conçoivent l’être humain comme une créature divine et lui attribuent des responsabilités spécifiques dans ce Mondeci, en lui promettant une vie meilleure après sa mort. La conception dominante de l’Islam à ce sujet peut être résumée en quatre points, comme ceci : – a. Allah est d’une Transcendance et d’une Souveraineté absolues. Il a d’abord créé l’Homme (Adam), puis la Femme (Hawwa) de façons non-identiques : le premier a été créé selon un processus évolutif et selon une maturation perfective à trois phases. Et l’image de cette structuration génésiaque originelle se perpétue, à une dimension temporelle proportionnellement réduite, par le développement embryogénique de notre espèce. La création de la femme (Hawwa) par contre, fut ponctuelle, à partir d’un prélèvement sur Adam ; elle n’avait donc pas connu l’évolution perfective qui vient d’être mentionnée. On peut comparer cette pensée islamique sur l’évolution de l’être humain (création primaire de l’homme à partir de l’argile d’une part et sa création secondaire par morphogénèse d’autre part) et la conception scientifique de l’évolution embryonnaire, conformément au tableau ci-après :

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– b. C’est à Adam qu’Allah avait d’abord inculqué l’Intelligence de toute chose matérielle et immatérielle et confié la Direction du monde sur cette Terre. – c. C’est encore à travers les hommes (les Prophètes) qu’Allah avait transmis son message à ses créatures ; aucune femme n’avait connu cette faveur. – d. C’est enfin à l’homme qu’Allah a confié les charges de subvenir aux besoins matériels de la famille.

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Pour les musulmans, l’homme est d’une préférence originelle par rapport à la femme. Les Chrétiens, quant à eux, conçoivent la divinité sous une forme trinitaire. Cette Trinité est faite de Dieu le Père, de Dieu le Fils et du Saint-Esprit. Parmi les femmes, il y a donc la mère de Dieu le Fils. Dès lors, la femme devient un être de vénération. La majoration du statut de la femme devient de ce fait une disposition religieuse autrement dit une obligation formelle voire même un devoir sacré. Il se dégage donc, de ces deux conceptions religieuses, une différence fondamentale au sujet du statut de la femme. Du point de vue de son évolution, l’être humain est marqué par trois périodes principales31 qui sont : 1. La période de la jeunesse qui va de la naissance à 21/22 ans et qui constitue une période de la croissance de l’enfant tant sur le plan physique (taille, poids, etc.) que sur le plan mental ; elle se subdivise elle-même en trois phases : 1.1. Phase de la première enfance : de la naissance à la deuxième dentition (jusqu’à la douzième année environ) ; 1.2. Phase de la deuxième enfance : de 11/12 ans à 14/15 ans ; 1.3. Phase de l’adolescence : de la puberté jusqu’à l’âge où la croissance de l’enfant est à peu près terminée, c’est-à-dire de 14/15 ans jusqu’à 21/22 ans 2. La période de l’âge adulte (appelée aussi État) qui va de 21/22 ans à 50/60 ans, 3. La période de la vieillesse ou période de déclin qui va de 50/60 ans jusqu’à la mort. Lors de la deuxième enfance, survient la puberté qui est un événement majeur dans la vie de l’enfant car c’est pendant cette phase que ses organes génitaux se développent et apparaissent les premières manifestations des fonctions sexuelles. Cette puberté est marquée chez la fille par l’apparition des premières règles qui sont précédées de plusieurs troubles physiques (douleurs au bassin et aux reins jusqu’au bas-ventre, maux de tête, courbature, etc.) et mentales : "A la fois réservée et plus exubérante, la jeune fille a de brusques changements 31

Dr. Galtier-Boissière (sous la direction de), op. cit.

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d’humeur, une propension à la mélancolie et à la solitude, une exaltation amicale et religieuse ; elle ressent des désirs vagues qu’elle ne s’explique pas. Sa susceptibilité devient souvent excessive et un mot suffit à la faire fondre en larmes. Elle éprouve le besoin qu’on s’occupe d’elle…32". L’âge de la menstruation varie selon les races et selon les modes de vie, mais du pont de vue légal, « la puberté est l’âge auquel la loi permet le mariage. » Ceci étant, voyons maintenant comment les milieux traditionnels conçoivent-ils cette évolution. Les mœurs varient d’une population à une autre et il est par conséquent difficile de pouvoir dégager une conception et un point de vue communs et identiques à toutes les communautés culturelles vivant au Tchad. Mais il faut toutefois noter qu’à des variantes près, les groupes ethniques ou tribaux savent établir des tranches d’âge qui correspondent grosso modo aux différents changements qui interviennent dans l’évolution de la vie, lesquelles tranches d’âge sont exprimées de plusieurs façons. Par exemple, dans la communauté des Béri, une partie du corps humain (la tête et plus précisément les cheveux) et les habits servent à exprimer, au même titre que les mots, les différentes étapes de l’évolution biologique chez l’être humain : la personne change de nom, d’habit et de coiffure en passant d’une étape à l’autre de sa vie. Ainsi, nous obtenons ce qui suit : 3.1. Noms génériques a. Enfant, petit : br (enfant de l’homme, petit de l’animal ou fruit de l’arbre) b. Garçon : bεrι c. Fille : tεnε

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Le Larousse Médical.

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3.2. Première enfance a. Garçon : son nom est bɔrυbυr ; sa tête est rasée et porte une touffe de cheveux longue appelée jùgùri "toupet", en forme de tresse (comme le montre le dessin cicontre). Il ne porte généralement pas d’habit précis et vit souvent nu. b. Fille : son nom est tεnεbυr : sa tête, rasée, porte une touffe de cheveux en collerette appelée : tùgut (voir dessin cicontre). Elle porte un bεrnε, cache-sexe en bande de tissu large de quelques centimètre et long d’un mètre environ, passée entre les fesses et maintenue par une cordelette nouée autour des reins ; ou un tεrι, confection en perles constituant une bande de la largeur de la main posée devant le sexe de l’enfant et maintenue par une cordelette nouée autour des reins ; la fille porte également, pas comme cache-sexe, mais comme parure, un kabιa consistant en plusieurs rangées de perles nouées autour des reins.

Garçon

Fille

3.3. Deuxième enfance a. Garçon : il porte le nom de nàwràa, se rase la tête et s’habit d’une peau de mouton tannée appelée nàwà (d’où est dérivé le premier nom, nàwràa). b. Fille : son nom est sàrftàd (de sàrf "tempe" et tàd "rasée") ; elle se rase les deux tempes (voir dessin ci-contre), porte une confection en perles et cornaline appelée gɔndιι qu’elle pose sur ses tresses frontales, au niveau de la fontanelle ; comme habit, elle porte une robe appelée gumâji (emprunt à l’arabe) et un châle ou laffay (emprunt à l’arabe) avec laque elle se voile la tête (ce comportement est plus récent et est instauré avec l’Islam).

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3.4. Adolescence a. Garçon : Il prend le nom de kundi après la circoncision ; il devient ensuite un bùyè ; il se rase alors la tête et porte un bonnet appelé trε avec ou sans turban (ιmmι, mot emprunté à l’arabe local). b. Fille : son nom est tɔmbɔ ; sa chevelure couvre l’ensemble de la tête ; elle n’a pas encore de tresse maîtresse (voir dessin ci-contre) ; elle porte une robe, gumâji (mot emprunté à l’arabe local) et un pagne, εdεrε, avec lequel elle s’enveloppe le corps. 3.5. Âge adulte a. Homme adulte : son nom est bɔr ; son crâne est rasé ; il porte un bonnet, trε, avec ou sans turban, (ιmmι), un boubou, tàrι, avec une culotte ou un pantalon (sùràn, de l’arabe sirwâl). b. Femme adulte : son nom est bag ; elle se fait une tresse maîtresse, duri, qu’elle dirige vers l’arrière du crâne ; elle s’habille d’une robe, gumâji, avec deux pagnes, l’un appelé εdεrε, sert à envelopper sa taille, l’autre, tɔwε, est noué autour des reins et sert à couvrir la partie du corps comprise entre le nombril et la cheville. 3.6. Vieillesse a. Homme : son nom est kεŋgι et s’habille et se coiffe de la même façon que l’adulte b. Femme : son nom est mògu et s’habille et se coiffe aussi de la même façon que l’adulte : sa tresse maîtresse est donc dirigée vers l’arrière du crâne ; elle porte un gumâji, "robe", avec un εdεrε, "pagne autour du corps", et un tɔwε, "pagne autour des reins". A ces dénominations liées au découpage biologique (naturel) de la vie, viennent s’ajouter d’autres liées, elles, à des événements circonstanciels, culturel. Ainsi : 1. En période de nuptialités, – la fille prend le nom de mrà – le garçon, celui de bogura 2. Pendant la période qui suit les nuptialités et avant le premier enfant, la jeune femme devient sεgιr ; il n’y a pas de nom spécial pour le mari pendant cette période 52

3. Après le premier enfant et avant le second, la femme devient dιɔ ; il faut préciser ici que cette dénomination de la femme est liée à la naissance de son premier enfant et non à son âge ni à l’espace de temps entre les deux premières naissances de ses enfants. 4. Lorsque la fille ou la femme se rebelle contre son mari, elle prend le nom de támε, nom qui provient d’une synthèse de tà-mιyε qui veut littéralement dire "tête noire" ; mais le sens exact de cette expression est "tête nue" ou "cou nu", car une fille, pour exprimer sa rébellion, se débarrasse de toute parure à l’exemple de la femme veuve ; si la rébellion intervient avant la consommation du mariage, elle se confectionne une tresse maîtresse qu’elle oriente vers l’avant de son crâne. 5. Lorsque la femme (et non la fille mariée) perd son mari, elle devient tɔgy "veuve" ou bàgɔ tɔgy "femme veuve" ; en état de viduité, elle porte du noir comme symbole de deuil et se débarrasse de toute parure et de tout ce qui peut susciter le charme. *

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Généralement, la femme ne jouissait pas de libertés, même pas de celles qui lui sont accordées par la religion. La dot pour le mariage et la diya dans le cas d’un meurtre viennent l’avilir davantage au point de mettre en cause, tacitement, sa condition d’être humain. En effet, comme dans toutes les sociétés musulmanes, le mariage chez les Béri n’est légal qu’après que le prétendant ait versé une compensation matrimoniale d’un montant minimal d’un quart de dinar. Cette compensation est une dot de validation et est obligatoire car elle constitue l’une des conditions sans lesquelles un musulman ne peut prétendre à un mariage légal. La dot de validation est destinée à la future épouse ; elle est remise, devant des témoins, au tuteur de celle-ci par le tuteur de l’époux au moment de la conclusion du contrat de mariage. Puisqu’elle revient de droit à la fille, la dot de validation ne peut être dépensée sans le consentement de sa propriétaire. Telles sont les dispositions du Coran et de la Sunna. Mais chez les Béri, la compensation matrimoniale a malheureusement pris des proportions inquiétantes. Il y a à peine trois décennies, elle variait entre trente et soixante vaches pour une fille de parents non-forgerons et de condition libre. Si les beaux-parents exigent des dromadaires ou si dans le troupeau de la dot on a introduit 53

des chèvres ou des moutons, ces bêtes sont évaluées en vaches. Evidemment personne ne peut fournir ce troupeau s’il n’est réputé richissime. La communauté avait par conséquent établi des règles tacites d’entraide entre les membres d’une même famille ou d’un même clan, afin de résoudre ce problème. Mais si une famille est suffisamment riche, elle peut, si elle le veut, dispenser les autres de leur contribution. Le troupeau de la dot est constitué, non pas par l’individu seul, mais par tout le groupe : chaque parent, proche ou lointain, contribue à la réalisation du mariage en apportant une ou plusieurs bêtes, conformément au degré de parenté qui le lie au prétendant. Cette contribution est perçue comme un droit par le prétendant, surtout quand il s’agit d’un garçon qui se marie pour la première fois. Dans certains cas, s’il arrive qu’un membre de la famille ou du clan refuse ou manifeste quelque réticence à honorer son obligation, le prétendant outrepasse le consentement de celui-ci jugé dès lors réfractaire aux règles coutumières, et se rend directement dans le troupeau dudit parent pour choisir lui-même ce qui lui convient. De même que la dot est constituée par les différents membres de la famille du garçon et remise en public et de façon cérémoniale à la famille de la fille, la dot est aussitôt distribuée, dans les mêmes conditions, entre les membres de la famille qui offre sa fille en mariage. S’il se trouve qu’au moment du partage du troupeau un des ayant-droits soit omis, celui-ci a le droit de réclamer son dû auprès du mari en dehors de la dot règlementaire négociée entre les deux parties. Cette réclamation peut persister plusieurs années, et même continuer à se prévaloir après que la fille eût regagné son foyer et qu’elle ait déjà eu plusieurs enfants. Si la requête ne trouve pas d’issue favorable auprès du garçon, la personne lésée se tourne alors vers le père de la fille ou le tuteur qui avait initialement pris possession de la dot. Quelquefois, elle confisque purement et simplement ladite fille pour la garder chez elle jusqu’à ce qu’elle soit entrée dans son droit. Tant que le requérant n’a pas été satisfait, le problème restera toujours posé, nuisant à l’entente et à la cohésion de la famille. Ainsi chacun, en tant qu’élément du groupe, parent proche ou lointain, connaît à la fois ce qu’il doit apporter comme contribution au mariage du garçon et ce qu’il doit recevoir de droit lorsqu’une fille de sa famille est donnée en mariage. Certaines charges lourdes, telles que la dot et la diya qu’un individu isolé n’est pas souvent en mesure de surmonter, ont engendré une entraide sociale dont la rigueur se maintient malheureusement par une 54

série d’effets pervers. Il ressort des mœurs de la communauté des Béri que la possession d’un troupeau nombreux ainsi que l’appartenance à une large famille sont des choses à rechercher constamment. Dès lors, rassembler beaucoup de bêtes et faire beaucoup d’enfants y deviennent le principal désir qui sous-tend le comportement des individus. La femme est considérée comme un être précieux en conséquence, mais d’une préciosité tout à son détriment paradoxalement. Elle devient un objet à surenchère lorsqu’elle est demandée par plusieurs prétendants. Si elle oppose un refus formel à un mariage avec une personne non désirée mais qui a déjà acquis l’approbation des parents, elle est arrachée de son milieu (dans bien des cas avec la complicité des parents) et asservie de gré ou de force. Si ce sont les parents qui manifestent une réticence, elle est alors extraite de la famille par des évasions négociées (entre les deux partenaires) ou par des rapts : elle est gardée en un lieu secret pendant un temps variable allant de quelques jours à des années. Dans les cas d’évasion et de rapt organisés contre la volonté des parents, le prétendant a intérêt à persuader ces derniers soit par une dot alléchante soit par le concours des entremetteurs influents. Sinon la fille lui sera retirée quel que soit le nombre d’enfants qu’il aura fait avec elle, si seulement, dans le pire des cas, l’affaire ne se solde pas par un ou plusieurs meurtres. Les évasions et les rapts avant les noces ont aussi lieu lorsque la fille est donnée à un homme qu’elle repousse, au détriment d’un autre qu’elle aime et avec qui elle s’entend. On peut déjà imaginer qu’elle serait l’attitude du premier homme (ainsi que celle de tous les membres de sa famille), considéré comme le mari légal, face à une telle situation d’offense et de déshonneur, dès lors qu’il avait acquis l’approbation des parents et rendu public le montant de sa dot. Les duels isolés, les combats rangés sur les lieux publics, les guet-apens et pièges meurtriers, tout devient alors possible. Et un meurtre entrainant un autre, on s’épuise parfois en tuant ou se faisant tuer ou encore en versant des diya. En vérité la femme n’est presque plus qu’un élément du patrimoine familial ; elle ne s’appartient pas, elle appartient à la famille et au clan de son mari. Elle perd dès lors son statut d’être humain pour ne devenir, chaque fois que les circonstances l’exigent, un objet d’héritage au même titre que le sabre, le cheval ou le tapis d’Orient. Le lévirat qui était une pratique consentie par les deux parties chez certains peuples, est observé jusqu’à nos jours par les Béri avec une exagération et une obstination presque religieuses. Une femme qui 55

perd son mari ne doit se remarier qu’au plus proche parent patrilinéaire de celui-ci. Si elle osait le refuser, elle subissait dans bien des cas des privations et mêmes des châtiments corporels qui la faisaient périr. Comme la femme, les enfants et les biens appartiennent exclusivement à l’homme et à ses ayant-droits, sauf cas de mention exceptionnelle consentie par le défunt. Les parents n’ont pas le droit d’intervenir pour sauver leur fille, leur devoir c’est de la maintenir à son foyer par tous les moyens y compris la menace et la force. Mais si, malgré tout, ils interviennent, les beaux-parents risquent de leur chercher querelle ou d’exiger simplement le remboursement de la dot. Seulement, même si la veuve se libérait du poids de cette dot, personne n’oserait s’approcher d’elle. Une femme qui quitte le foyer initial traine avec elle la discorde et le meurtre. Les frères et les cousins paternels du défunt sont les plus concernés par le problème car ils sont les futurs maris potentiels ; ils meurent ou tuent pour conserver "leur femme" dans le cercle familial ; il y va de leur honneur ! Trois démarches leur sont possibles : – user de leur talent dans le meilleur des cas : ils essaient de la raisonner durant des mois voire même des années ; – user de leurs biens : ils proposent quelquefois à la femme des cadeaux allant jusqu’à cinq dromadaires pour qu’elle abandonne l’idée de séparation ; – user, en dernier ressort, de leur force pour la retenir ou la faire revenir dans la famille : ils l’enlèvent de force, ils la battent parfois jusqu’à la mort. Comme dans le cas de vols, les crimes relatifs aux problèmes matrimoniaux sont les plus fréquents. Si la femme, veuve ou non, mourrait par suite des sévices ou des coups de son mari ou de quelqu’un de la famille de celui-ci, la diya est, malgré le lien d’alliance, obligatoire ; mais on en déduit la valeur de la dot initiale avant de la remettre aux parents de la victime (cette déduction est entière dans le cas où le couple n’a eu aucun enfant). Si toutefois la femme consent à rester dans la famille de son mari mais qu’elle repousse seulement la personne que ladite famille propose comme son second mari, on trouve alors un compromis. La veuve reçoit quelques biens (animaux et autres effets) lors de la célébration du remariage, mais elle n’est pas dotée comme la coutume le veut pour les jeunes filles. 56

Le paradoxe est que tout le monde admet cette forme d’alliance matrimoniale qui, de toute évidence, aliène les droits les plus élémentaires de la femme : On trouve normal que la veuve ne soit pas libre de choisir un autre homme tant qu’il y en a un dans la famille ou dans le clan du mari défunt qui consente à la remarier, et ceci sans qu’elle ait souvent le droit d’opposer un refus ou de manifester, au cas où il existe plusieurs parents susceptibles de la prendre pour femme, sa préférence selon leur âge et leurs conditions matérielles ou intellectuelles. Les femmes ellesmêmes pensent que cette coutume n’est pas mauvaise puisqu’elle donne les mêmes chances à tous : une veuve qu’on force à une alliance non désirée a, elle aussi, les mêmes droits d’exigence pour ses frères, ses cousins, ses neveux, etc. Même une rebelle à la coutume ne relâcherait pas de bon gré la veuve d’un des siens ! Les travers de cette coutume sont parfois justifiés par des formules du type "la pierre que l’on jette vers le haut n’a d’autre destination que la terre", ce qui veut dire que "même si on préfère une autre personne considérée supérieure à celle qui se propose de marier la fille, celle-ci ne peut revenir qu’à son prétendant traditionnellement reconnu". Plus qu’un simple comportement social, il s’agit là d’un état de mentalité lié à la structure économique et socioculturelle de la société. Seul le développement intégral de celle-ci conduirait à un véritable dénouement. *

* *

Comme la "dot de validation, la diya" est une prescription de l’Islam. Lorsque, sans le vouloir, on tue une personne, on doit remettre aux parents du défunt ce qu’on convient d’appeler "le prix du sang". Chez les Béri le principe de payer la diya pour préserver la vie du meurtrier (car telle est la destination de la diya chez eux) n’est consenti qu’après de longues négociations auprès de la famille qui a perdu un membre, qu’il s’agisse d’un cas de meurtre prémédité ou d’une mort survenue sans intention de la provoquer. La valeur de la diya est de cent dromadaires ou deux cents vaches, mais on peut donner en équivalence de l’argent et d’autres espèces, animale ou humaine. On peut qualifier de "adjonction humaine à la diya", le fait d’introduire dans celle-ci, généralement à la suite d’une exigence formelle de la famille à laquelle appartient le mort, une ou deux filles équivalant chacune à vingt-cinq vaches, et/ou des esclaves. 57

Ce sont les plus proches parentes de l’assassin qui feront partie de la diya: ses filles, ses sœurs, ses demi-sœurs, etc. Celles-ci sont destinées aux plus proches parents du disparu : ses fils, ses frères, ses demi-frères, etc. Elles subissent un rite spécial de "lavage" destiné à les purifier ainsi que toute la famille de la souillure occasionnée par le meurtre. Lorsque deux filles sont à la fois adjointes à la diya, la répartition se fait de la manière suivante : – l’une d’elles, dite ku tibi (qui signifie "coup de lance"), est destinée exclusivement à l’un des frères du défunt et, à défaut de ceux-ci, à l’un de ses demi-frères ; – l’autre, dite gnar kì (qui signifie "pour le cercle familial"), est destinée aux demi-frères du défunt et, à défaut de ceux-ci, à ses plus proches parents de lignée patriarcale. Comme cela est dit plus haut, chaque fille est donnée à la place de vingt-cinq vaches. La diya est une affaire de groupe et non d’individu. Les proches parents d’une personne qui tue quelqu’un s’exposent à toute la famille sinon à tout le clan et aux alliés de la victime ; ils peuvent perdre la vie partout et n’importe quand, de la main de tout membre du groupe. Ils doivent par conséquent fuir les lieux où se trouvent leurs adversaires et mener une existence quelque peu fugitive jusqu’au règlement de la diya qui doit normaliser la situation. La diya se règle en public et en plein air, devant des témoins. Comme la dot, elle est constituée par un groupe et distribuée aussitôt entre les membres d’un autre groupe. Ainsi, la responsabilité devient collective : le groupe endosse les méfaits de ses membres, comme chaque membre endosse ceux de son groupe ; chacun paye pour l’autre comme il fait payer l’autre pour lui. Il faut bien admettre que ce sentiment d’appartenance au groupe qui donne au meurtrier une certaine quiétude n’est pas de nature à limiter les nombreux crimes que l’on enregistre chaque année dans la communauté. Lorsque le règlement de la diya est effectué d’un commun accord entre les deux parties, la cérémonie de remise des bêtes est clôturée par un acte rituel. Cet acte consiste à mimer l’abattement de l’esprit maléfique qui conduit au meurtre : on projette une lance dans un nurda (Maerua crassifolia) où cet esprit est sensé se cacher. Cet acte qui rappelle un combat à la lance avec un adversaire invisible (caché dans un arbre) simule l’élimination du mal par l’arme avec laquelle les homicides sont généralement commis. 58

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La culture des Béri résulte d’un mélange négro-africain tendant vers une arabisation prononcée due à l’islamisation. Elle est marquée par un paganisme ancestral ainsi que par une expression de misère et d’insécurité qui se reflète à travers la littérature orale. Mais l’Islam est venu valoriser un ensemble de qualités et de comportements focalisant les pensées sur un idéal de bonheur matériel et spirituel à la fois, dicté par le Coran et la Sunna. La littérature est lyrique, riche en anecdotes, devinettes et charades. Elle comporte des contes et légendes figés qui se transmettent de génération en génération et qui constituent un patrimoine efficace d’éducation et de moralisation de la jeunesse. Les enfants, après le repas de la nuit, se donnent rendez-vous à l’écart des maisons, où ils se racontent à qui mieux-mieux ce qu’ils en avaient retenu des personnes âgées33. Le chant est sobre, mais solennelle et d’un air souvent triste ou grave. L’improvisation est de règle. Les hommes chantent lorsqu’ils sont en guerre ou en péril, lorsqu’ils sont solitaires ou en voyage ; tandis que les filles chantent en public, accompagnant le rythme de la musique ; elles le font pour louer un parent, pour vanter les exploits d’un chef ou pour dénigrer un prétendant dont elles désirent se débarrasser. A part le Maï, seul habilité à faire danser le public en battant le principal instrument d’une musique pauvre et monotone, le tambour, il n’existait pas d’artiste de métier dans la communauté. La danse principale est cadencée, sautillante et volubile : le danseur tourne autour de sa partenaire qui décrit elle-même un mouvement pivotant et progressif. Cette danse s’organise en plein air, hors du village, sur un terrain nu. Généralement, on danse lors des cérémonies importantes, autour d’un repère fixe (roche, arbre) ou mobile que représente le Maï qui se déplace à l’intérieur du cercle des danseurs en battant avec vigueur l’instrument qu’il porte en bandoulière. Des formes empruntées de danse se sont introduites dans le pays et on observe actuellement une série de sautillements ou de trépignements accompagnés de battements de mains.

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Marie-José Tubiana, Contes Zaghawa, Quatre-Jeudis, Paris, 1962.

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Il existe également des danses rituelles comme celle des Imogou34 par exemple, qui célèbrent le lien entre un ancêtre et un être bienfaiteur de nature généralement animale ou minérale. En dehors des fêtes et exception faite des circonstances pendant lesquelles des danses sont organisées, l’adulte béri connaît très peu de loisirs. Quant aux enfants, leurs activités ludiques sont assez rudes et peu nombreuses aussi ; elles consistent essentiellement en des jeux d’adresse, de bravoure et de formation corporelle. On peut citer en guise d’exemple : – le gougou qui se joue la nuit, entre deux équipes d’enfants adverses, à la manière du rugby ; il consiste à jeter dans les ténèbres, au plus loin qu’on peut, une petite pierre ronde ; après quoi, les joueurs se précipitent à la recherche de ladite pierre. Si l’un d’eux la découvre le premier et la ramasse, il essaiera de se dérober des autres pour pouvoir aller l’enfouir dans un tertre de sable qu’on avait formé à cet effet auparavant à la place où on se trouvait au moment où on jetait la pierre ; les membres de l’équipe adverse, de leur côté, doivent empêcher leur concurrent d’arriver à destination et chercheront par tous les moyens à lui arracher la fameuse pierre. Ainsi, l’équipe qui arrive à enfouir la pierre dans le tertre sort victorieuse ; – le hôkkô qui est une course sur une seule jambe ; les concurrents tiennent avec la main, repliée sur la cuisse, l’une de leurs jambes et effectuent la course sur une seule jambe, vers un repère auparavant indiqué ; celui qui y arrive le premier devient le gagnant – l’ongo hou [ɔŋgɔ hυ] (littéralement "le tombeau des vivants" qui consiste à mettre l’enfant dans un trou creusé dans le lit d’un cours d’eau, et à l’enterrer après l’avoir couvert d’une peau de bête. On évalue ainsi s’il est suffisamment brave pour supporter longtemps l’épreuve d’asphyxie. Mais ce jeu est très dangereux car parfois, lorsque les enfants réalisent qu’ils doivent retirer leur camarade du trou, ce dernier se trouve déjà inanimé. *

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L’art et l’artisanat sont purement utilitaires. Le Béri se borne à la confection des ustensiles de ménage par la poterie et la vannerie, des 34

Imogu : Les Imogu constituent un clan parmi les Béri ; ils s’apparentent à l’autruche d’où l’appellation de Imogu qui signifie "Gens de l’autruche"

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effets de couchage et d’habillement par la tannerie et le tissage, à la fabrication des instruments de musique et des objets d’harnachement par le travail du bois, de guerre et de chasse par la forge. Son habitation est la case ronde pour les résidences permanentes, et la hutte en branchages et en herbes sèches pour la saison des pluies durant laquelle les familles campent momentanément loin de leur village. Cette case est faite d’un mur circulaire en moellons et en terre battue malaxée avec de la bouse de vache ; elle a un toit conique, une charpente en bois couvert de paille. La construction du mur d’une case ou d’une concession est une œuvre isolée qui incombe à la femme qui se fait, à la rigueur, aider par ses filles ou ses proches parentes ; tandis que celle du toit regroupe tous les hommes du village et donne lieu à un festin. Il n’y a pas chez le Béri un sens particulier de l’esthétique, mais il apprécie la beauté plus pour l’espèce animale que pour les objets : les animaux domestiques sont généralement beaux quand ils sont gras ou gravides ; les bêtes sauvages tiennent leur beauté de leur nature allègre, de leur couleur ou de leur rapidité dans la course. La recherche de la beauté corporelle chez la personne humaine était l’œuvre de la femme, l’homme n’avait pas besoin de s’embellir. La beauté d’une fille résidait en effet dans la finesse de son expression, la sveltesse de son corps et la droiture de son nez ainsi que dans la clarté de sa peau et la longueur de sa chevelure. Mais à côté des caractères naturels qu’elle tenait de sa naissance, et afin de se rendre plus attrayante, elle en créait d’autres par l’incision des joues, le piquetage et le noircissement des lèvres et par une certaine coiffure des cheveux. Cette coiffure était, par ailleurs, un moyen d’expression : les figures données aux cheveux pouvaient signifier l’impuberté ou la nubilité, le refus d’un mariage, la nuptialité, le deuil. Voici comment se pratique le piquetage et le noircissement des lèvres et gencives : L’opération de pigmentation des lèvres et des gencives se dénomme en bériá "a goussou" [a àgs] qui signifie littéralement "pilage de la bouche". Contrairement à d’autres pratiques que nous avons vues et qui concernent les enfants des deux sexes (ablation de la luette, extirpation des dents de lait, curetage de la gorge, etc.) et qui sont effectuées, toutes, par des hommes n’appartenant pas à la communauté (car les guérisseurs sont soit peuls soit haoussa), la pigmentation est, quant à elle, pratiquée par des femmes (généralement vieilles) issues de la même communauté et ne concerne que les filles âgées de cinq à

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dix-huit ans environ. Une fille, après un mariage consommé, ne peut plus se soumettre à cette pratique. Les lèvres sont parmi les lieux où l’homme extériorise sa pensée et ses sentiments ou émotions. En effet, outre qu’elles nous assurent le langage articulé, elles peuvent aussi nous permettre de produire un certain nombre d’expressions langagières grâce aux jeux de ses muscles comme la moue qui peut être une expression de l’indifférence, le sourire ou le rire qui sont l’expression de la joie ; les lèvres peuvent conférer à l’ensemble du visage une expression de contentement ou de tristesse, de dégoût, d’effroi. Mais chez les Béri, les lèvres peuvent être le lieu où la femme peut exprimer sa féminité. La pigmentation des lèvres comme celle des gencives a, surtout dans cette communauté, une fonction esthétique. Le noircissement de ces organes confère à la fille une plus grande considération dans la société. Les filles qui n’observent pas cette pratique sont souvent insultées par l’expression : "ti a mara gi", ce qui veut dire : "espèce (de fille) aux lèvres rouges". Les lèvres non pigmentées sont en effet qualifiées de rouges et considérées comme peu attrayantes par conséquent. Les Béri mettent parmi les critères de beauté d’une fille, la noirceur des lèvres et la pigmentation des gencives qui virent généralement au bleu à l’issue de l’opération. Cette pigmentation peut probablement avoir aussi une fonction de dissimulation (ce dont on n’est pas sûr), mais surtout une fonction de protection bien que cet aspect ne soit pas explicitement reconnu par les différentes communautés qui la pratiquent : certaines maladies de lèvre comme la desquamation ou la perlèche sont rares dans lesdites communautés. L’opération s’effectue tôt dans la matinée comme dans le cas de l’extirpation des dents de lait chez le nourrisson ou de l’ablation de la luette. Le matériel utilisé se compose de : – quelques dizaines d’épines de Balanites aegyptica [gòmunu man] en bériá) fraîchement cueillies, liées en paquet, les parties piquantes d’un seul côté ; – noir de fumée appelé gandjou bi [gaɲjυ bì] recueilli du toit des cases au-dessus des foyers ou des parois externes des marmites ; – d’une solution obtenue avec la racine d’une plante appelée erguissi [èrgìsì], bouillie dans l’eau ; – et des gousses de birgera (Acacia nilotica) utilisées comme produit aseptique ; – d’une cognée (fer), du beurre, une meule.

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L’enfant est étalée sur les cuisses de l’opératrice qui se met à lui "pilonner" la lèvre inférieure en l’arrosant de la solution préalablement préparée. Cette opération est très douloureuse car les lèvres sont percées jusqu’au derme et même jusqu’au tissu cellulaire sous-cutané où les piquants des épines qui se cassent au choc, restent. L’opératrice épuise ainsi plusieurs paquets d’épines. Chez les Béri, la forme de la lèvre n’est généralement pas très affectée, mais dans certaines communautés comme les Ouaddaïens, les Bilala, Kouka et bien d’autres, les deux lèvres (étant toutes deux soumises à l’opération) sont affectées de profondes gerçures, les demi-orbiculaires (supérieur et inférieur) étant profondément atteints, parfois même le petit zygomatique et le triangulaire des lèvres. Une fois l’opération terminée, on se met à frotter l’embout de la cognée contre la meule en y mettant du beurre, jusqu’à ce que ce dernier devienne noir par la poudre dégagée par le fer et la roche à l’issue de leur usure par frottement. Les plaies sont enduites de ce produit puis du noir de fumée jusqu’à leur cicatrisation. Les conséquences linguistiques se situent au niveau phonétique car les sons labiaux sont toujours réalisés avec leur valeur phonologique, mais des nuances sur le plan physique peuvent être notées car les modifications anatomiques, aussi légères soient-elles, influent sur la fonction résonatrice de l’organe, donc sur la nature acoustique des sons qu’il produit. Sur le plan de l’alimentation, la fille ressent de grosses difficultés à faire les mouvements de préhension et de mastication lors des restaurations. Parfois la lèvre inférieure incapable de garder sa position normale quand les plaies sont encore fraîches, est maintenue dans une poche de tissu dont on fait passer les lacets derrière la nuque. Dans ces conditions, il est évident que les gestes d’alimentation et de phonation sont difficiles à réaliser dans les premiers moments de l’opération. En ce qui concerne la santé, des complications locales ou générales peuvent survenir et la durée de la guérison peut varier d’une fille à l’autre et selon la façon dont la plaie est traitée. Par ailleurs, une fille qui a les lèvres et les gencives ainsi traitée est considérée dans la communauté comme une fille belle et charmante. Elle s’en enorgueillit d’ailleurs et en tire une sorte de fierté. Cela confirme le caractère relatif de la beauté car chaque communauté à ses propres façons de s’embellir : balafres, labrets, percements d’oreille et de nez, coloration des lèvres et des gencives, etc. Les gencives constituent la membrane "tapissant les rebords supérieurs (visibles) des alvéoles". Elles sont le "prolongement épaissi de 63

la muqueuse de la bouche" et sont "constituées par un tissu fibreux, ferme, rougeâtre, adhérant fortement aux arcades des dents et au pourtour du collet des dents entre lesquelles elles se prolongent"35, comme le montre le schéma ci-après :

1. Dent dans son alvéole ; 2. Gencive ; Ci-dessus : dents vues de l’extérieur

3. Collet ; 4. Maxillaire

Ci-dessus : coupe longitudinale d’une dent

L’objectif de la pigmentation des gencives chez les Béri est le même que pour celle de la lèvre : rendre la fille plus appréciable dans la société. Mais elle pourrait aussi avoir une fonction protectrice, même si, comme nous le disions, cela n’est pas explicitement reconnu par les communautés qui la pratiquent. La pigmentation des gencives n’a quasiment aucune incidence sur la phonation, car c’est la partie externe des gencives (celle qui fait face aux lèvres) qui subit l’opération. Mais sur le plan biologique, en tant que muqueuse, elles produisent le mucus qui contribue à maintenir l’humidité de la bouche et à assurer la fonction alimentaire de cet organe. Et cette fonction serait quelque peu altérée du fait de la pigmentation qui affecte donc la structure anatomique des alvéoles. Les bijoux consistaient en des colliers d’ambre, de cornaline et de perles ; les femmes en portaient également d’autres en argent, en cuivre ou en fer tels que des bracelets, des plaques circulaires suspendues à la poitrine (appelées kondo), des boucles d’oreille (kebe-kuru) et de cheville (deï-keri). Il y avait aussi des coiffures de fête ou de parade comme le mamur36, ainsi que celles de classe d’âge comme le 35

Larousse médical Mamur : Coiffure d’apparat formée d’un arc rigide en cuivre (tenant lieu d’armature) dont les extrémités sont recourbées en crochets, et des rangées de perles de différentes couleurs et de différentes formes, disposées symétriquement de part et d’autre d’une bande de cuir. Les femmes béri portaient ladite coiffure lors des grandes cérémonies. (Pour plus de précision, voir l’article de Marie-José Tubiana : 36

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gondi37 des jeunes filles ; et elles utilisaient quelques produits cosmétiques à base de beurre, de végétaux ou de minéraux qu’elles fabriquaient elles-mêmes. *

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L’économie était peu développée. On vivait d’élevage, d’une agriculture rudimentaire, de cueillette et de chasse, mais aussi des razzias. Le commerce s’est développé seulement depuis l’indépendance. Le Béri élevait traditionnellement sept espèces d’animaux. Ce sont, par ordre de valeur décroissante, le dromadaire (di), le cheval (hirdê), le bœuf (hiri)38, l’âne (ardi ou arî), l’oviné (oru) (avec la distinction kêni /beï c’est-à-dire ovin/caprin), le chien (biri) et la poule (kodi). Jusqu’à une époque très récente, un Maï ne pouvait élever que l’âne, sa seule monture et moyen de transport, le chien de chasse et la poule. Le dromadaire, le bovin, l’âne, l’ovin et le caprin sont marqués au feu ou au moyen d’une mutilation à l’oreille. Chaque clan a ses marques distinctives (appelées erfé), mais une famille peut, selon ses préférences, mettre sur ses animaux les marques de la lignée du père ou de la mère. L’erfé a pour fonction première d’identifier l’animal en cas de perte ou de vol. Aux symboles ancestraux qui étaient des formes empiriques mal dessinées (ou même déformées) par des mains non habituées à des tracés scripturaux, sont venus s’ajouter d’autres, d’invention plus récente ou empruntés aux populations voisines. L’élevage au Béribé est du type empirique ; les animaux vont au pâturage de bon matin et retournent au village avec le coucher du soleil. Les troupeaux de dromadaires et d’ovinés sont toujours gardés par un garçon non encore circoncis ou une fille impubère ; l’âge du berger (ou de la bergère) varie entre quatre et dix-huit ans. Les vaches partent brouter en brousse et reviennent toutes seules trouver leurs petits à la disparition du jour. Les veaux, les agneaux et les cabris sont surveillés autour des cases, ou attachés à des piquets lorsqu’ils sont trop jeunes. Une coiffure d’apparat des femmes zaghawa (Kobé et Kabka) et Bideyât (bilia), in Objets et Mondes - Tome III - Fasc.2, Eté 1968). 37 Gondi : Coiffure que les filles impubères posent sur le crâne, au-dessus du front, à la hauteur de la fontanelle. Elle est composée de trois boules d’ambre, de deux ou trois cornalines et de quelques perles. 38 Hiri: Ce terme est le générique qui désigne les bovins, mais c’est également le nom de la femelle de cette espèce. Le taureau et le bœuf porte le même nom de bo.

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Le village devient un véritable bazar à la tombée de la nuit lorsque, après la traite, les bêtes-mères rencontrent leurs petits. Les pâturages sont généralement assez distants du puits où tous les animaux viennent s’abreuver à des intervalles variables : les moutons, les chèvres, les ânes et les chevaux, tous les deux ou trois jours ; les vaches, tous les trois ou quatre jours ; les dromadaires, tous les cinq ou sept (ou même dix) jours. Les incessants déplacements entre le village, le pâturage et le puits fatiguent les animaux et réduisent énormément leur rendement. En général, ces animaux ne sont pas commercialisés. Leurs produits et sous-produits ne sont troqués ou vendus qu’occasionnellement dans les marchés, chez des voisins ou des connaissances. On égorgeait une bête de valeur, surtout les femelles (chamelle, génisse ou brebis), seulement dans des cas limités : – lorsqu’elle ne pouvait plus vivre à la suite d’un coup, d’une blessure, d’une morsure, ou d’une maladie ; la bête était alors égorgée soit pour sa viande, soit pour sa peau, soit pour les deux, le sang étant un produit prohibé dans tous les cas ; – lorsqu’elle était trop vieille et ne pouvait plus produire ; – lorsqu’on avait un hôte de marque dans la maison. Le reste du temps, on se nourrissait de la viande des mâles usés ou malportants (autres que les étalons) et de la viande de chasse. Le vol d’animaux était (et reste toujours) une chose courante dans le pays. Il résulte de l’état miséreux dans lequel se trouvaient l’ensemble des Béri, et du taux très élevé de la dot qu’un garçon devait remettre à une famille pour obtenir un contrat de mariage. Dans bien des cas, les jeunes démunis n’arrivaient à trouver une solution à leurs problèmes matrimoniaux que par l’enlèvement des troupeaux chez les voisins, ou le rapt de leur future épouse. *

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La rareté des pluies39 dans ce pays a engendré un mode de vie quasiment pastoral. L’agriculture se raréfie du sud au nord. Les techniques culturales, très peu développées, sont restées à un stade rudimentaire. On sème le millet (baga) ou le sorgho (goureï) avec une 39

On n’observe les premières précipitations que vers juillet-août et la saison des pluies prend fin vers septembre.

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daba sur les étendues sableuses et sur les rives des cours d’eaux ; et on sarcle à la houe (darbaï ou darfaï) lorsque les semences (bounou) germent et que l’herbe commence à pousser aussi. Les cultures maraîchères sont très peu développées. Les légumineuses n’y sont pas cultivées, non plus. La tomate (timatim), le piment (sitti) et l’ail (toum) comme le coton (goudoun) qui est d’ailleurs quasiment abandonné aujourd’hui, semblent d’une introduction récente tandis que le gombo (gnari) et le haricot (koyour) seraient connus depuis longtemps. On n’y cultivait aucun fruitier avant l’arrivée des Français dans le pays (sauf peut-être le dattier (sindora) dans la région de l’Ennedi) ; le bananier, le goyavier, le citronnier, le manguier et quelques autres fruitiers40 d’Europe ont été expérimentés à Iriba vers les années 1950, et connaissent actuellement une certaine extension. La culture attelée et la culture irriguée sont totalement ignorées dans la région. La poulie à bascule est utilisée dans quelques régions mais son introduction ne date pas de longtemps. Des rites hybrides, mi-païens et mi- musulmans sont pratiqués lorsque la pluie tarde à venir : immolation d’une bête dans le wadi sans ou suivie d’une lecture de Coran ; libation de farine, de lait, de beurre. Cette pluie est sollicitée beaucoup plus pour l’herbe et l’eau des puits que pour la culture des plantes. On récolte d’ailleurs mieux de la nature que du champ. *

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La cueillette constitue le complément de nourriture dont les Béri ont besoin pour survivre. Tandis que la population a une connaissance très sommaire des herbes et plantes volubiles ou rampantes desquelles elle ne tire pas un grand profit, la quasi-totalité des fruitiers sauvages du pays (jujubiers, tamariniers, gommiers, savonnier, myrrhe africaine, etc.) sont connus et utilisés à différents niveaux. Le kiê ou "fruit 40

Fruitiers (arbres) : Ladénomination de nouveaux fruitiers (que les Béri ne connaissaient pas auparavant), se fait selon les règles de composition ou de dérivation du bériá ; ainsi : le bananier (banan-ier) devientbanan-da ; le goyavier (goyav-ier) devient giyaf-ta ; le citronnier (citron-ier) devient lemun-da ; on remarque ici que le terme lemun est un emprunt à l’arabe et non au français ; le manguier (mangu-ier) devient môngô-ra ; etc. Pour plus de précisions, voir Zakaria Fadoul Khidir, Lexique des plantes connues des Bεrι du Tchad, ULPA N°11, Leipzig, 1999.

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du jujubier", le giê ou "fruit du savonnier", le gou ou "grain du Bracharia ramosa" et le bow ou "grain de Dactyloctium aegyptium" sont les plus recherchés. Le ramassage des céréales est une activité des femmes, véritable entreprise qui les mobilise vers la fin de la saison des pluies ; elles séjournent des mois entiers sur le lieu de cueillette, généralement loin des habitations. Le transport, le battage, la fermentation, et l’écrasement des grains constituent également des activités dévolues à la femme comme la cuisine, la traite des vaches et le barattage du lait. Les produits sont engrangés dans des poteries, sorte de gros tonneaux en argile, confectionnés par les femmes et déposés dans leur case. Les greniers forment une cloison entre le foyer placé à l’entrée de la case et l’intérieur de celle-ci où se trouvent le couchage et autres effets de la famille. Les produits ainsi stockés peuvent constituer des réserves pendant des années. *

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La chasse était plus intense dans les temps les plus reculés. Elle ne constitue plus une activité régulière que pour le Maï. Celui-ci utilise une série de techniques et de méthodes propres à traquer, piéger, abattre, transporter et conserver le gibier. Les ruminants (antilopes, girafe) et l’autruche fournissent la plus grosse part de ce gibier. Le Maï commercialise son produit et en tire un grand profit. Il est un excellent chasseur et utilise essentiellement deux pièges, le filet (meské) en tendons d’antilope et la trappe (guibo). Il passe plusieurs mois sur le terrain de chasse où il construit une hutte sous laquelle il découpe et sèche sa viande avant de la ramener chez lui à dos d’âne. Le Béri qui est moins doué pour cette activité, (hormis les enfants qui s’adonnent à la capture du petit gibier comme le lièvre, le lapin, la pintade, la perdrix, le faon), ne chasse qu’occasionnellement, soit pour se distraire soit pour se procurer un complément de viande. Il le fait à cheval ou avec un chien. La viande de chasse est destinée à la consommation domestique. Il n’existe plus de razzias organisés comme cela était de règle dans les anciens temps où les Ina et les Sultans faisaient des incursions dans les territoires voisins et surprenaient les populations, emportant bêtes et personnes : on acquérait une renommée en se battant bien lors d’un razzia ou en capturant beaucoup d’hommes et d’animaux. Mais le 68

commerce d’esclaves ne semble cependant pas avoir été pratiqué chez les Béri, tout au moins chez ceux du Koubé. Les personnes ainsi prises étaient gardées pour soi ou envoyées à l’autorité de tutelle. Dans certains cas, les parents venaient les racheter. Le prix du rachat variait selon la classe, le titre ou le rang de l’esclave. Les voleurs isolés d’animaux et les coupeurs de route constituaient aussi un grand danger pour le pays et pour les voisins. La colonisation française a voulu apporter une solution à ce problème lorsqu’elle créa la garde méhariste, une forme de police pour le désert. La garde méhariste a largement contribué à amoindrir cette pratique qui s’est intégrée dans les mœurs de la société en tant que marque de bravoure et de courage. *

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Le commerce était peu ou pas développé. C’est un constat attesté par la grande pauvreté du lexique relatif à ce domaine. Les grands axes routiers du Koubé allaient vers l’Ennedi et le Borkou qui lui fournissaient le sel rouge, le natron et les dattes et vers le Dar-Tama qui l’approvisionnait en mil et condiments. On allait vers le Dar-For et l’Ouaddaï plus pour des problèmes de pouvoirs que pour des transactions commerciales, mais on ramenait tout de même quelques produits rares comme les armes à feu, les habits, les tapis et les effets d’arrachement. Le marché n’a fait son apparition qu’avec le colon. Le troc était la règle d’échange ; les plaques de métal et la monnaie fiduciaire étaient inconnues. Il n’existait pas d’unités de mesure standards : la charge d’un dromadaire, c’est-à-dire le contenu de deux sacs en cuir (kara) d’environ cent litres chacun était utilisé comme une mesure de troc, ainsi que le contenu d’un panier de plus de cinquante litres appelé sigir. Le mît, panier d’à peu près deux litres, serait d’une introduction assez récente. Le troc portait sur les animaux, leurs produits et sous-produits tels que peaux, cordes, beurre (on troquait rarement le lait), ainsi que sur les effets ménagers et les produits résultant : – de la poterie : jarre, canari, marmites, etc. ; – de la vannerie : van, paniers, etc. ; – du travail du bois : mortiers et pilons, écuelles, calebasses, selles pour chevaux et ânes, etc. ; – du travail de la pierre : meules, galets, etc. ; 69

– de la forge : ustensiles de cuisine, armes (couteaux, couteauxde-jets, haches, sabres, lances, sagaies), étriers, mords, etc. ; – de la cueillette : surtout de céréales. Tous ces produits étaient destinés plus à la consommation domestique et à un échange interne qu’à une exportation hors du pays. Comme cela a été mentionné plus haut, on exportait pour acquérir avant tout du sel rouge et du natron, indispensables pour les hommes et les animaux, ainsi que du mil et des condiments. Mais malheureusement, le développement du commerce était limité par l’insécurité : en plus des razzias et des vols très fréquents à l’intérieur même de la région et en plus des attaques incessantes des tribus voisines, le Koubé constituait une porte d’entrée et de sortie pour le Dar-For et le Ouaddaï dont les Rois étaient constamment en conflit ouvert. Le commerce n’a donc pu réellement commencer à se développer que vers la veille de l’indépendance. *

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En conclusion, les Béri constituent un peuple de pasteurs ayant un sentiment aigu de leur appartenance ethnique. Mais il faut bien se garder de toute affirmation hâtive quant à leur race et à leur origine. Il est difficile de se fier et d’établir actuellement des principes raciaux sur la base des phénotype et génotype, c’est-à-dire sur la base de l’ensemble des caractères biologiques du groupe ou des groupes originels dont la forme et le volume du crâne, la forme du nez, la couleur de la peau ou des yeux, constituent les aspects les plus manifestes qui sous-tendent les affinités sociales et les comportements des individus : conformément à la loi mendélienne ou à la suite des mutations, les caractères de la souche du départ sont généralement faussés, à l’intérieur même des familles polygames, par les multiples alliances et par les migrations incessantes ou même par l’action du milieu et celle des maladies individuelles ou collectives ayant un effet sur le patrimoine génétique. Que certains clans admettent qu’ils sont les fils authentiques du terroir où ils se trouvent, ou que d’autres fassent venir leurs ancêtres de l’Orient musulman ou de quelque lointain coin du globe, cette communauté linguistique, culturelle et religieuse n’est que le produit d’un métissage multiracial.

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Depuis les années 1950, les Béri ont fait un énorme progrès : la scolarisation est devenue un souci familial alors que, dans le temps, les parents imaginaient mille façons pour enlever leurs enfants de l’école française ; plus encore, le désir de s’alphabétiser chez les adultes est devenu très vif. Les infrastructures routières ont permis des contacts plus élargis avec le monde extérieur. Le commerce s’est rapidement développé. L’islam aussi s’est perfectionné et a gagné du terrain. La communauté a pu se familiarisée avec d’autres philosophies et d’autres modes de vie ainsi qu’avec les apports de la science et de la technique. Elle suit, sans aucune gêne et sans perdre le pas, le progrès du monde moderne que d’aucuns qualifient de vertigineux. Bien que l’urbanisation du pays ne soit pas un projet dans les programmes nationaux ou communautaires, la sédentarisation suit son cours. Les implantations dans des villages ou dans les villes sont de plus en plus intenses avec le progrès des activités commerciales ou rémunératrices et avec la prestation des services. Le combat contre l’ignorance, la misère, les calamités de toutes sorte et contre l’attachement aveugle aux valeurs ancestrales qui devient un obstacle à une pensée plus libre et plus élaborée permettant l’accès au bien-être matériel et spirituel, ce combat est donc conçu, non plus comme une affaire du Gouvernement ou des personnes détraquées en mal de nouveauté, mais comme une affaire de tous. Il est ainsi permis de penser avec optimisme et d’évaluer positivement la marche de ce peuple qui, il y a à peine un siècle, vivait dans l’ignorance et la misère, et s’abimait dans des razzias et d’inutiles conflits fratricides. Une façon des plus appropriées à soutenir ce progrès est d’accentuer plus encore la sédentarisation par la création des points d’eau permanents et l’installation autour de ces points des fermes avec une culture irriguée associée à l’élevage des espèces du milieu, tout en y initiant l’attelage ou une mécanisation légère et adaptée. Le rendement de la culture et celui du bétail peuvent être améliorés par la pratique de la sélection des espèces ainsi que le développement de la culture fourragère pour permettre le renouvellement des pâturages afin de remédier aux longs et nombreux déplacements des troupeaux.

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CHAPITRE II Le Sultanat41 et le Mogudumat42 du Koubé

Le Sultanat et le Mogoudoumat sont deux formes de commandement introduits au Koubé avec l’Islam et qui y sont détenus depuis lors, exclusivement jusqu’à une date récente, par le clan des Angou. Bien que les Occidentaux (explorateurs et coloniaux) écrivent au sujet des "Zaghaoua"43 avec des sentiments tout à fait contraires à ceux qu’ils témoignèrent à leurs voisins (Goranes, Bidéyat, Maba, etc.), les Anou qui ne constituent qu’un clan des Zaghawa, se prévalent d’une descendance arabe noble du Hedjaz. Et c’est en vertu de cette noblesse qu’ils avaient détenu le monopole du pouvoir. Au Tchad, l’importance donnée au titre de Sultan est variable d’une communauté à une autre : les Rois du Ouaddaï, du Kanem-Bornou et du Baguirmi, ainsi que les princes du Dar-Zaghawa, du Dar-Tama, du Dar-Sila et ceux des Kotoko et des Bilala portent ce même titre. Le Sultanat du Koubé, d’après la tradition orale, se serait formé à l’époque du Roi Iri-Boukour du Dar-For (cf. chap.III). Le Sultan y 41

Sultanat : est un terme d’origine arabo-turc et désigne l’Etat administré par un souverain portant le titre de Sultan. Le contact des Zaghawa avec les arabes remonte vers le début du VIIe siècle (cf. Ibn Quteïba, Kitâb al-Ma’ârif ; Al-Yaqubi, Kitâb alBuldân, éd. de Goej, traduction de G.Wiet ; cités par Marie-José TUBIANA). 42 Mogoudoumat : Le Mogoudoumat est le territoire commandé par un prince portant le titre de Mogdoum. Il est du point de vue hiérarchique, entre le Sultanat et les autres chefferies traditionnelles chez les Béri (chefferie du Ina, celle du Mandjak, le Kamkalak et l’Aguidat). Le titre de Mogdoum serait introduit avec l’islamisation du pays ; il est d’origine arabe (de l’arabe : gaddama "représenter, avancer quelquechose" et de mogdoum "qui est mis en avant, qui dirige") ; il peut être traduit en français par le terme de "vicaire". 43 Zaghaoua : Cette orthographe est donnée dans Le voyage de Nachtigal au Ouaddaï (traduction complète par Joost Van Vollenhoven, ancien élève de l’école coloniale), publié dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française en 1903.

était un monarque investi de tous les pouvoirs dans son fief ; mais il dépendait d’un Roi : celui du Ouaddaï ou celui du Dar-For selon les circonstances. Il tenait sa légitimité, non seulement de sa désignation nominale par le Roi, mais aussi de la possession des timbales en cuivre que ce dernier lui remettait comme insigne du commandement lors de cette nomination (cf. chap. I). Le Sultan représente la haute noblesse ; il avait, dans le passé, tous les droits sur ses sujets. Le territoire et les hommes qui y vivaient étaient considérés comme ses propriétés. Il disait "ma terre" et "mes hommes" en s’exprimant. Il organisait, comme il l’entendait, des prélèvements sur les produits de "sa terre" et la réquisition des personnes vivant sous son autorité. Il faisait également des prélèvements sur les troupeaux de ses sujets ou les confisquait purement et simplement en guise de pénalité. Mais il n’existait pas de biens publics du sultanat. Ceux qui étaient ainsi collectés servaient à sa famille, à son entourage et parfois à son clan ; ils servaient également à faire des cadeaux à ses sujets et à des souverains de son rang pour acquérir une renommée, ainsi qu’au Roi afin de se rassurer de sa confiance. On peut lire ceci dans Le voyage de Nachtigal au Ouadaï (voir bibliographie) : "Les Zaghaoua sont plus noirs que les gens de Toubou ou même les Mabas ; ils parlent la même langue que les Darmouts et cette langue diffère complètement du dialecte des Tedagas. Il est d’ailleurs facile de trouver d’autres arguments qui détruisent la thèse d’après laquelle les Zaghaoua feraient partie des tribus Toubous. C’est ainsi qu’ils boivent le merissa (Melissa) et le lait d’ânesse, boissons reprouvées par les Toubous ; qu’ils ont coutume de chasser la gazelle au lacet ce que ferait tout au plus les forgerons des Toubous... Au Ouadaï les Zaghaoua sont méprisés ; on les assimile aux "forgerons"...Les Zaghaoua ne sont pas encore des musulmans fervents...Les Toubou du Ouadaï, qu’on compare volontiers aux gens d’Abéché (Abyssinie) auxquels ils ressemblent d’ailleurs beaucoup, sont beaux, bien proportionnés et très vigoureux...Leurs traits sont réguliers, leur teint varié". Nul n’est besoin de démontrer ici que ces affirmations sont de toute évidence d’une grossière aberration, sans fondement linguistique ni anthropologique. Mais des écrits plus récents que ceux de Nachtigal reflètent toujours le même souci de ramener les groupes sociaux à un modèle préétabli, celui des Toubou. Ainsi, Albert le Rouvreur, dans son ouvrage paru en 1962, afin de réfuter la nouvelle d’Idrissi selon laquelle les Zagawa (l’orthographe est de Le Rouvreur) occupaient "toute la grande cuvette tchadienne, entre les bouches du 74

Chari et le Fezzan, entre le Kawar et le Darfour" et qu’ils étaient "des pasteurs nègres éleveurs de chameaux", écrivait ce qui suit : "on ne peut qu’être frappé par les différences qui existent entre les Zagawa des historiens et les Zagawa d’aujourd’hui. On peut s’étonner aussi par exemple qu’ils ne possèdent pas de vocabulaire propre pour désigner le chameau, alors que le Toubou connaît plus de dix vocables pour distinguer les chameaux selon l’âge, le sexe, la destination"44.On voit bien que les appréciations sont variables et quand elles sont faites selon des préjugés ou des prérequis, elles ne permettaient pas souvent de mieux cerner la réalité. Enfin, le Sultan se mariait à toute fille de son fief qui lui plaisait ou dont les qualités corporelles ou morales lui étaient rapportées. Le Sultan menait en période de paix une vie retranchée dans sa chambre à coucher s’il se trouvait en résidence permanente ; ses femmes n’avaient de contact avec lui que la nuit. Le jour, il rendait justice, soit dans sa chambre même, soit dans la cour de son palais ; là, non seulement il portait un turban et un châle qui lui masquait la tête, mais personne ne devait aussi lever les yeux pour le regarder en face. Tout le monde, y compris les princes et les femmes du Sultan, devait se déchausser avant d’accéder dans la cour du palais. On saluait le Sultan avec les jambes repliées d’un côté, la tête baissée, et avec des battements de mains en prononçant des formules figées telles que Allah yansurak, ce qui veut dire "qu’Allah te rende la victoire", ou "qu’Allah te rende glorieux !". Mais actuellement, on observe chez d’autres populations comme les Tama, les Dadjo, les Kotoko, etc., un retour à la pratique originelle de cette salutation consistant à faire simplement, les mains levées, une prière au profit du Souverain : récitation des versets du Coran ou d’autres formules de l’Islam lui souhaitant tout ce dont on pense qu’il a besoin. Le Sultan du Koubé commandait son pays à travers un ensemble de Chefs : Mogdoum, Malik, Aguid, Khalifat, Mandjak et Ina. Il faisait imposer sa loi par lesdits Chefs, appuyés des "goumiers" de la cour appelés des biyébour ("enfants de la maison") et composés en partie de ses esclaves. Il n’existait avant la pénétration française que deux Mogoudoumat dépendant du même sultanat. Le premier Mogdoum au Koubé fut un Tirguéhorout du nom de Djougourou qui fut destitué au profit 44

A. Le Rouvreur, Sahéliens et Sahariens du Tchad, L’Harmattan, Paris, 1989, pp.205-206

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d’Onigué Beïra. Onigué Beïra devint alors le deuxième Mogdoum. Il était de la famille des Angou Maïkassoura. Il fut assassiné après un règne relativement long. En 1912, les Français qui avaient déjà obtenu la reddition de Doud Mourra, éliminait le Sultan Abderrahmane Hirdi fils de Bichara, tandis que du côté est, les Anglais procédaient de la même manière en éliminant le Roi Ali Dinar du Dar-For en 1915. La partition du Koubé était dès lors effective. Les Français installèrent Haggar Térab comme Sultan dans le territoire conquis et les Anglais Dawsa Abderrahmane Hirdi dans leur colonie. A la partition du Sultanat suivit celle du Mogoudoumat, chaque Sultan nommant ses Mogdoums. Les nominations se faisaient dans le manège de la rivalité, car les deux sultans s’en voulaient à mort. Du côté français, le Mogoudoumat fut confié, à la disparition d’Onigué, à Ossou, un Angou Inakaïra. Le règne du nouveau Chef ne dura pas longtemps, car il mourut quelque temps après, de mort naturelle. Ossou laissa le pouvoir à son fils Ali. Mais celui-ci fut destitué par Haggar Térab vers 1936 au profit de Fadoul Kitir, arrière-fils d’Onigué. Fadoul Kitir remplaça donc Ali vers 1936, après lui avoir disputé le pouvoir et après avoir versé, comme il était coutume de le faire, une douane qui montait à douze bêtes, deux dromadaires et dix vaches. Mais Ali, se sentant dans la légitimité puisqu’il avait hérité le pouvoir de son père, refusa d’obéir au nouveau Mogdoum. Ce fut alors que Fadoul Kitir, faisant prévaloir lui aussi la même légitimité par référence à son grandpère, interdit à son rival de creuser des puits ou de faire des champs sur son territoire. Il le somma en outre de quitter ses terres et d’aller habiter là où il lui semblait bon. Le conflit entre les deux personnes n’eut cependant pas de conséquences malheureuses, car il fut réglé par des entremetteurs avant qu’il ne prît des proportions inquiétantes. Le Sultan Haggar mourut en 1939 ; son fils Abderraman lui succéda ; celui-ci mena d’abord, sous la couverture des Français, une politique d’assimilation par le biais des alliances et au moyen d’un rigoureux protectionnisme au profit de son clan45. Mais le désir de fortifier davantage son autorité et de transformer le Sultanat du Kobé (au Tchad) en une dynastie sans partage, l’emporta sur la conception oligarchique existante, basée sur le privilège de l’ensemble du clan.

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Pour la généalogie des chefs et Sultans du Kobé, consulter Marie José TUBIANA, Survivances Préislamiques en Pays Zaghawa, op.cit.

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En effet, bien que les deux titres de Mogdoum fussent maintenus au Koubé français, le Sultan commençait déjà à avoir une vision égocentrique du pouvoir lorsque, en 1958, les colons lui donnèrent l’occasion de réaliser l’idée que les Haggar nourrissaient depuis les années 1950, celle de ramener tout à leur famille.

Ci-dessus : Une photo du Sultan des Zaghawa du Kobé, Abderrahmane Haggar, prise en 1992 par l’équipe de l’INSH dans la cour de son palais, à Iriba.

Les Français soutenaient fermement Abderamane comme ils l’avaient fait pour son père ; ce qui s’explique d’ailleurs par le rôle joué par Haggar pendant la pénétration coloniale et peut-être aussi pour récompenser les nombreux services qu’il avait rendus après cette pénétration. Il faut toutefois se rappeler que la France, forte de l’expérience qu’elle avait acquise lors de la dernière guerre mondiale, soutenait depuis lors que tous les peuples doivent vivre libres et égaux en droit. Autrement dit, l’indépendance des pays sous domination s’inscrivait à l’ordre du jour. Mais avant de se retirer, elle devrait s’assurer que le pouvoir serait entre des mains sûres, c’est-à-dire détenu par des personnes enclines à l’obéissance et toujours favorables aux décisions de la Métropole. Sur la base de ce principe, les Français introduisirent au 77

Koubé, vers les années 1957-59 une notion jusque-là étrangère à la communauté, celle de canton. Mais à travers ce système, la colonisation française chercha plus un interlocuteur unique qui serait un intermédiaire efficace entre elle et le reste de la population qu’une adéquation à travers les subdivisions cantonales importées de l’Occident qui conduirait à une forme d’administration qui conviendrait le mieux au monde moderne, sans pour autant trop nuire aux mœurs sociales de la communauté.

Le Sultan Abderrahmane Haggar assis et le Mogdoum Fadoul Kitir débout derrière lui. Source : vieille photo familiale

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Mais, alors que la notion de canton inspirait une certaine décentralisation du pouvoir traditionnel et une certaine modernisation puisque, dans un tel système, l’on est sensé de répartir plus équitablement ledit pouvoir, les Français décidèrent de confier le Sultanat et les Mogoudoumat à la seule famille de Haggar ; autrement dit, ils ne voulurent plus de Sultan et de Mogdoum dans ce pays que dans cette famille. Leurs décisions à l’égard de cette dernière, à la veille de l’indépendance, tenaient sans doute de plusieurs facteurs, tant sociaux que politiques et administratifs. Bref, le sultanat devrait connaître un système d’administration nouveau, celui du canton. Les Français décidèrent donc d’une "décentralisation centralisée" du pouvoir traditionnel sur la base des reformes administratives et territoriales. Le Sultan Abderrahmane en fut informé, car c’est lui qui devait proposer les Chefs de canton. Il convoqua ses deux Mogdoums, Fadoul Kitir et Mahamat Djamé (tous deux Angou), ainsi que le chef de Wê (l’Ina Mousa), et celui de Nanou (l’Ina Margui). Il leur apprit que les Blancs voulaient introduire au Koubé un type de chefferie appelée canton, inférieure au sultanat mais un peu supérieure au Mogoudoumat et à la chefferie de l’Ina. Il leur dit en outre qu’il les en informerait plus amplement en temps utile. Une telle structure étant quelque-chose de nouveau dans le pays, les gens n’en avaient pas une idée précise. Et tandis que tout le monde s’interrogeait sur la forme de la nouvelle administration et sur les contours que les subdivisions cantonales pourraient bien prendre, le Sultan et ses frères se réunirent à huis clos et décidèrent, dans la plus grande discrétion, de transformer le Koubé en une sorte de dynastie par la monopolisation in extenso du pouvoir au profit de la seule famille Haggar. Le Sultan Abderrahmane, toujours dans la même discrétion, proposa à l’administration coloniale les nominations aux postes de chef de canton. Il fit ses propositions uniquement parmi ses frères, exception faite pour le Gourouf et le Dourène. Mais paradoxalement, ceux qui recevaient le titre de chef de canton (toujours exception faite pour ceux du Gourouf et le Dourène) se faisaient aussi appelés Mogdoums. En effet, le Sultan destitua en 1958 ses deux Mogdoums ainsi que les Ina de Nanou et de Wê : – Le Mogdoum Fadoul Kitir qui était d’ailleurs devenu aussi son beau-fils entre temps, fut remplacé par son demi-frère, Abbo Adam Bakhit Haggar ; 79

– Et le Mogdoum Mahamat Djamé qui est un Angou Tobouïra comme le sultan, fut remplacé par un proche parent, son cousin, Ibrahim Ibo. – Les Ina de Nanou et de Wê furent également confiés à un autre de ses demi-frères, Abbo Salim Haggar. Les trois nouveaux Chefs prirent le titre de Mogdoum pour donner à leur pouvoir une légitimité traditionnelle plus grande, alors que l’administration locale les reconnaissait en tant que chefs de canton, c’est-à-dire en tant que ses auxiliaires salariés. Quant au Mogdoum Idriss Haggar, il était déjà en place avant ses trois demi-frères, sur un territoire correspondant à peu près au sultanat de Kabka qui avait été supprimé au profit de celui de Koubé. En 1958-59 le Mogdoum Fadoul Kitir46 qui était le chef de file du groupe des contestataires fut conduit et assigné à résidence surveillée à Biltine. Mais selon les dires de certaines autorités administratives, le Sultan joua en réalité beaucoup à la ruse : tandis qu’il affirmait à ses demi-frères qu’il les avait nommés chefs de canton et tandis qu’il parvint à leur obtenir des rémunérations de la part de l’administration, il cumulait lui-même les fonctions de Sultan et de chef de canton de Koubé. Autrement dit, le Koubé ne constituerait qu’un seul canton, comme le Kabka, le Gourouf et le Dourène : en principe, ses demifrères Mogdoum ne seraient pas des chefs de canton, ils seraient plutôt des auxiliaires salariés du chef de canton qui était le sultan lui-même. Toutefois le système ainsi mis en place marchait bien pour la famille Haggar dans la mesure où les nouveaux investis avaient le titre de Mogdoum, qu’ils se considéraient aussi comme des chefs de canton et qu’ils percevaient une rémunération régulière. Mais tout cela était 46

Mogdoum Fadoul Khidir (ou Kitir dans certaines transcriptions) : Fadoul Khidir, dans ses conflits avec la famille Haggar a été soutenu par ses parents maternels, les Bidéyat mais les engrenages et les tractations politiques l’ont fortement épuisé ; il mourut dans son village (à Ourba en 1989), accablé par la maladie et par l’assassinat par la DDS de son fils militaire (Abdoulaye fusillé à Ounianga Kébir le 3 avril 1989) ainsi que par l’arrestation par cette organisation de sept de ses autres fils (5 fonctionnaires, 1 commerçant et 1 chauffeur de véhicule, il s’agit de Mahamat, Siddik, Ali, Saleh, Zakaria I, Yacoub et Mahmidène) ; il était déjà atteint de cécité visuelle depuis 1983. Les conséquences de cette querelle clanique lui a valu donc entre autres, la perte des sept fils : parmi les sept arrêtés par la DDS, accusés de collaboration avec Hassan Djamous et Idriss Dibey (à la suite des événements d’Avril 1989), un seul, en la personne de Zakaria Fadoul a pu échapper à la mort. Les autres avaient tous disparu dans les prisons souterraines de N’Djamena.

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très confus et n’était pas accepté de bon cœur par le reste de la population. Pour les dissuader, on fit subir une vie très difficile aux familles des chefs destitués ainsi qu’aux sujets qui les soutenaient, et ceci jusqu’aux années 1968-69, époque durant laquelle la rébellion au Tchad apparut aux opprimés comme un mouvement libérateur qu’il fallait soutenir et alimenter clandestinement. De leur côté, les membres de la famille Haggar sous le couvert du titre d’Abbo (prince) qui leur donnait droit sur les biens et les personnes du sultanat, ainsi que les agents de l’administration coloniale et la garde nomade s’acharnaient sur ceux qui récusaient l’autorité des nouveaux chefs ou celle du Sultan, ce qui se traduirait, selon eux, par un défi lancé au pouvoir central. Si ce n’était pas un problème d’impôt, c’était un manquement à l’obéissance lors de l’aménagement forcé d’une piste ou lors d’autres réquisitions de personnes, et tous les prétextes étaient possibles. Des émigrations massives eurent lieu vers le Soudan. Des foyers se disloquèrent. Certaines personnes durent se soumettre à leur triste condition, mais d’autres comme le Mogdoum Fadoul et le Malik Issaka qui persistèrent dans la désobéissance et la revendication subirent des sévices corporels, la déportation et l’emprisonnement pendant plusieurs mois, à Fort-Lamy et dans le sud du pays. Les prétentions des Haggar sous la protection des Français, n’était pas seulement de ramener leurs sujets à l’obéissance, l’objectif apparaissait plutôt comme un mécanisme à instaurer en eux un état d’âme, un véritable complexe d’infériorité et un esprit de subordination. Le problème apparaissait donc, plus qu’un désir d’assimilation, comme un phénomène de substitution humaine : la quiétude, l’aisance matérielle ainsi que la paix mentale d’un côté, des misères multiples et une insécurité permanente de l’autre, créèrent naturellement deux situations évoluant en sens inverse. Lorsque chez les uns il s’instaurait la baisse de natalité avec une élévation du taux de mortalité, chez les autres il se produisait l’inverse du phénomène. Quelque temps après l’indépendance les dissensions entre familles et entre clans devinrent de plus en plus nombreuses et trouvèrent d’ailleurs une bonne place dans la politique de François Tombalbaye qui les exploitait ingénieusement. Avec l’évolution des querelles sociopolitiques et chacun faisant appel à son origine, à ses alliances et à son talent, le malaise devint finalement général dans le pays et une scission apparut dans la famille même des Haggar : une opposition entre le Sultan et les siens d’un 81

côté, et les nouveaux Mogdoum et les leurs de l’autre. Ces derniers avaient l’appui de l’administration, tandis que la masse populaire et les destitués étaient pour le Sultan. Mais la raison de l’administration était la raison d’Etat. Le Sultan fut appelé à Fort-Lamy où il fut gardé en résidence surveillée. A la suite de cet événement, le Mogdoum Fadoul, en vertu de l’alliance qui le liait au Sultan et dans l’espoir de reconquérir le titre de Mogdoum, ainsi qu’une trentaine de chefs de villages quittèrent Iriba à cheval et vinrent à Biltine pour faire connaître leur requête au Préfet Mamadou Gabriel, un ancien instituteur qui se convertit en administrateur après avoir fait l’école de la France d’Outre-Mer. Les dissidents, si on peut les appeler ainsi, pensaient que pour arriver à la destitution des nouveaux Mogdoums, il fallait soutenir le Sultan. Ils n’avaient d’ailleurs pas d’autre choix : techniquement et matériellement dominés, ils n’avaient aucune chance de réussir en faisant route tout seuls. C’est là que le Mogdoum Fadoul et le Malik Issaka furent arrêtés, torturés et envoyés dans les prisons de FortLamy où ils séjournèrent plus de sept mois. On dissuada entre temps le reste du groupe, qui se dispersa. Les chefs de villages qui refusèrent de s’accommoder furent remplacés. Leur dissidence n’eut d’ailleurs pas un grand poids, puisque le Sultan et ses frères purent, par l’entremise d’Abbo Nassour, une personnalité du Gouvernement de Tombalbaye qui avait une très grande influence à l’époque, trouver un terrain d’entente. Lors de la victoire des FANT, Fadoul Kitir eut raison sur son rival Adam-Bakhit Haggar, il recouvra son titre et le conserva jusqu’à l’institution par le GUNT d’une nouvelle structure inspirée des systèmes de gouvernement des pays arabes, le Baladîya. Mais lorsque Hissène Habré eut la victoire sur Goukouni Weddey avec l’appui des Français, il revint, comme on s’y attendait, aux dispositions conformes aux aspirations françaises ; autrement dit, il ne reconnaissait que les "Chefs de canton" déjà reconnus avant la "Révolution tchadienne" (c’est-à-dire avant le FROLINAT). Il s’agissait là d’une attitude manifestement contradictoire car d’un côté on admettait le principe de maintenir les Haggar au pouvoir en vertu des décisions des Gouvernements antérieurs et de l’autre on affirmait qu’il n’avait jamais eu des textes créant plusieurs cantons au Koubé celui-ci ne constituant qu’un seul canton, moins encore des textes nommant lesdits chefs de canton. Cette attitude de Hissein Habré était cependant conforme à la situation conflictuelle qui prévalait à l’époque. S’il niait déjà que le Gouvernement de Goukouni Weddey 82

émanât d’une structure étatique, alors il ne pouvait pas admettre non plus des chefs cautionnés par ce rival. Bref, un autre paradoxe est que, contrairement à l’idée de centralisation qui semble avoir guidé la décision de monopolisation du pouvoir par une seule famille, le Sultan et les nouveaux Mogdoum suscitaient un émiettement des chefferies existantes en distribuant partout des titres d’Ina, moyennant dans chaque cas des douane. Et, pour maintenir en mains la multitude de personnes qui devenaient des Ina (traduit en français dans les textes administratifs par "chef de villages"), des alliances étaient souvent conclues avec lesdites personnes. Celles-ci s’opposaient entre elles et se combattaient dans la concurrence, donnant libre cours à la délation et aux basses besognes. Cette arme politique, comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, constituait une habitude du clan des Angou depuis son implantation dans le pays il y a des siècles. Du point de vue politique et administratif, on peut dire que, malgré leur caractère injuste et contraignant à l’égard de la masse et des anciennes chefferies, les reformes apportées par la colonisation française (hormis certaines réformes sociales), ont constitué une révolution dans les mœurs du pays. Elle y avait introduit une forme de fonctionnarisation du pouvoir traditionnel par les mécanismes administratifs dont précisément la rémunération des chefs (Sultan et chefs de canton). Le salaire eut un effet positif dans la mentalité desdits chefs dans la mesure où il contribua à affaiblir, à long terme, la rigueur de l’étau féodal et de la servitude qui constituaient, avec les razzias, les seules sources d’approvisionnement de ces Chefs. Du côté anglais où l’idée d’exclusion, de monopole du pouvoir et celle de division pour mieux régner n’ont pas encore fait leur apparition ou n’était toutefois pas aussi flagrant, le Sultan Dawsa investissait vers 1925 Ibo Assar, un Angou Maïkasura qui mourut de mort naturelle après seulement quatre ans de règne, en 1929. Le Mogdoum Ibo fut succédé par son grand-frère Oubé (Oubeï, en arabe). Celui-ci régna pendant sept ans et mourut en 1936 à Gadîr où il avait, comme ses prédécesseurs, installé sa résidence. Mahamat fils du Khalifat Kourdjouk, mieux connu sous le nom de Kogo succéda à Oubé mais mourut lui aussi après quatre années seulement de règne. Il tomba malade alors qu’il se trouvait, sur ordre de l’administration coloniale, en mission de surveillance des sites dans le Djebel. On le ramena souffrant chez lui à Gadîr, mais il succomba quelque temps après. Son oncle Sordo Haguir lui succéda. Le règne de Sordo fut assez long. Le pou83

voir passa à son fils Abderrahmane à sa mort, mais celui-ci ne vécut que quatre ans après son investiture. En 1993, trois ans après la mort d’Abderrahmane Sordo, le fils de celui-ci fut nommé, non pas comme Mogdoum, mais comme Cheikh. Ce dernier titre vient d’être encore remplacé par celui d’Oumda47 (pour le Koubé, voir ci-après le schéma de succession des Mogdoums). Outre le Mogoudoumat du Koubé, il existait aussi un autre système de Mogoudoumat chez les Béri de l’Ennedi (dans le canton Bilia du sud) ; mais depuis la période coloniale, alors que les Mogdoum du Koubé continuaient à dépendre du Sultan qui les nommait et les destituait selon les agréments de son autorité, ceux de l’Ennedi, souvent élus démocratiquement par un conseil de familles ou des clans auxquels ils appartenaient, dépendaient directement de l’administration coloniale et ne devaient des comptes qu’à celle-ci. Quant aux chefs de canton du Gourouf et de Dourène, ils n’avaient pas droit au titre de Mogdoum. Ils étaient Malik et Aguid. Comme nous l’avons déjà dit, avec la structure cantonale instaurée à la veille de l’indépendance, un chef de canton était considéré comme un Mogdoum et se fait appeler comme tel. Voici comment se présente le schéma de succession des Mogdoums au Koubé : I. Avant la colonisation : 1) Mogdoum Djougourou (Angou Tirguéhorout) 2) Mogdoum Onigué (Angou Maïkassoura) 3) Mogdoum Osou (Angou Ina-Kaïra)

47

Oumda : titre arabe porté par les Chefs des Touer, fraction des Béri vivant dans le Dar-For au Soudan.

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II. Après la colonisation : 2.1. Du côté français 2.1.1. Les premiers Mogdoums 1) Mogdoum Ali48 (Angou Inakaïra)

2)Mogdoum Djamet49 (Angou Tobuïra)

3) Mogdoum Fadoul 4) Mogdoum Mahamat (Angou Maïkasoura) (Angou Tobuïra)

5) Mogdoum Ali50 (Angou Tobuïra)

2.1.2. Les frères substituts des premiers Mogdoums

1) Abbo Idriss 2) Abbo Adam-Bakhit 3) Abbo Salim 4) Abbo Ibrahim (Angou Tobuïra) (Angou Tobuïra) (Angou Tobuïra) (Angou Tobuïra)

Les Mogdoums mentionnés sur le dernier schéma sont tous des demi-frères du Sultan Abderrahmane Haggar, sauf Ibrahim qui est un fils d’Ibo, ce qui est signifié sur le schéma par des pointillés horizontaux après le trait continu : Ibrahim est assimilé à la famille Haggar par convenance coutumière puisque Ibo qui est un cousin paternel de Haggar est considéré comme un frère à celui-ci et ses fils sont aussi considérés comme des frères au Sultan Abderrahmane.

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Mogdoum Ali : A ne pas confondre avec Ali qui est un fils du Sultan Haggar et qui est un Angou Tobouïra 49 Mogdoum Djamé : il est le père de Mogdoum Mahamat dit Hour-Sow ; il mourut après seulement deux à trois ans de règne. Son Fils Mahamat mourut également quelque temps après sa destitution en 1958-59. Le Fils de Mahamat Djamé, du nom de Brahim Mahamat Djamé, connu par ses collègues de l’école par le sobriquet de Bamba, fit des études et obtint à Fort-Lamy (N’Djaména) le diplôme de receveurpercepteur. Le Sultan Abderrahmane le maria à sa fille. Il fut affecté, après quelques années de service, à Biltine où on le trouva mort de façon mystérieuse, lors d’une nuit. Aucune revendication de nature à nuire à la dynastie, de la part de la Famille de ce Mogoudoumat, n’était alors plus possible 50 Mogdoum Ali : Ali est un fils du Sultan Haggar. Il fut nommé chef d’un canton aménagé sur le territoire du Sultanat de Kabka. Il fut destitué au profit de son demifrère Idriss Haggar

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2.2. Du côté anglais Abdel-Guâdir (Angou Maïkassoura)

Dawsou

Djoumaï

Khalifat Kourdjouk

Assâr Haguir 3)Mogdoum Mahamat (dit Kogo) 1) Mogdoum Ibo

2) Mogdoum Oubé

4) Mogdoum Sordo

5) Mogdoum Abderrahmane 6) Cheikh Tâhir51

Pour conclure, nous disons que la chefferie traditionnelle au Koubé présentait et présente toujours, vue son caractère féodal archaïque, des risques très grands. Il est déroutant de constater que, dans cette classe sociale, la grandeur d’âme se mêle souvent à des indignités, des ingratitudes et des compromissions pour finir à se tourner l’arme contre elle-même. Les différentes autorités administratives et politiques s’en sont servies, depuis bien longtemps, soit pour imposer leur volonté à la communauté dans le but de fortifier leur image, soit pour y créer la discorde et la division. C’est ainsi qu’actuellement beaucoup accusent, à tort ou à raison, une bonne partie des Haggar d’avoir collaboré avec la sinistre D.D.S (Direction de la Documentation et de la Sécurité) de Hissène Habré, en lui livrant des renseignements sur les familles et en lui fournissant des indicts partout, dans les villes et les campagnes. Il est ainsi tout à fait indiqué que les acteurs sociopolitiques prennent conscience de ce problème et qu’ils agissent dans le sens de la modernisation et de l’assouplissement des systèmes traditionnels en : – démocratisant les mœurs sociales sur la base de la légalité et de l’égalité des citoyens devant la loi et devant la Nation ; 51

Cheikh Tâhir : Le titre de Cheikh est d’une introduction récente au Kobé. Tâhir est le premier Angou à porter ce titre. Mais l’appellation de Cheikh même vient d’être remplacée actuellement par celle d’Oumda qui existait déjà chez les Touwer.

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– confiant, dès que l’occasion se présente, la chefferie traditionnelle à des personnes moins oligarchiques, plus ouvertes au monde moderne et plus enclines à comprendre d’autres cultures et d’autres philosophies que les leurs ; – donnant à la population et plus particulièrement à la jeunesse une éducation qui puisse prendre en compte les mécanismes sociopolitiques dans un contexte national en transcendant les querelles familiales, claniques, ethniques ou tribales.

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CHAPITRE III Le premier sultan du Koubé (Kobé)

C’était à l’époque où les Koubéra étaient assujettis aux Biri52, connus aussi sous le nom de Mowra. Ces derniers étaient donc les maîtres des Béri du Koubé et, en vertu de ce pouvoir, ils se servaient des biens de ceux-ci comme ils l’entendaient chaque fois qu’ils avaient à sillonner le pays pour remplir une mission quelconque. Les Biri avaient précisément, dit-on, la fâcheuse habitude de ne manger que les veaux de leurs sujets pour marquer leur autorité sur ceux-ci. Les Hommes de Mow, au cours d’une tournée dans le pays à un moment où la famine sévissait, eurent habituellement l’idée d’égorger et de manger (sans en aviser la propriétaire) un veau appartenant à la seule fille de Hilane. Hilane était le frère cadet à Déritébigué53 qui avait aussi cinq autres enfants d’une seconde femme : Korè (l’aîné), Horout, Sougou, Ali-Yâbis, et Abderahmane-Tébes. On était au début du règne des Angou, dont l’ancêtre légendaire est Abdoulaye Borou. Le Kobé se trouvait sous la direction de Kari qui portait le titre d’Ina. Kari, oncle paternel de Hilane, était l’un des deux petits-fils d’Abdoulaye Borou. 52

Biri : prononciation avec un ton moyen sur un "i ouvert" dans les deux syllabes : [bιrι] 53 Déritébigué : Ce nom composé, comme certains noms de sous-clans (Inakaïra, Maïkassoura, Téribéra, Tirguéhorout etc.) exprime une idée. Déritébigué annonce donc une joie subite, impulsive ; c’est comme si on disait à l’interlocuteur : "avezvous appris que j’ai pris le pouvoir ?!" ; déri signifie littéralement "plume", mais cet organe de l’oiseau symbolise le pouvoir ; il a donc une valeur symbolique de pouvoir, d’autorité ; les chefs mettaient une plume (généralement d’autruche) sur la tête, plantée à leur bonnet ou à leur turban. Le terme a conservé sa valeur jusqu’ici chez les Bidéyats et les Goranes du Tchad ; têbigê : tébi = base verbale signifiant "prendre"; -g- est le pronom de conjugaison de la première personne du singulier ; -ê est un morphème qui exprime une annonce, une bonne nouvelle de façon impulsive.

Les Mowra ayant donc mangé le veau de la fille de Hilane, la vache mère se mit à se lamenter sans cesse, au point que la propriétaire, sœur aux cinq fils de Hilane, en fut touchée profondément, d’autant plus que la disparition du veau la privait également du lait. L’année suivante et à la même époque, alors que les Mowra se trouvaient à Norsi (dans le Koubé), la même vache mit bas. Le veau fut égorgé et mangé. Et la chose se produisit l’année suivante, curieusement, pour la troisième fois ! Les Koubéra considérèrent cette cyclique coïncidence comme un malheureux phénomène et l’acte des Mowra comme une provocation d’une témérité sans précédente. Quant aux cinq fils de Hilane dont l’un des devoirs était aussi de veiller sur leur demi-sœur, voulurent répondre aux Mowra, mais le joug des maîtres était tel qu’il leur fut impossible de faire quoi que ce soit à l’instant sans provoquer l’extermination de toute la famille. Pourtant, leur demi-sœur se trouvait dans la désolation : elle avait déjà cassé son panier à lait sur un rocher et s’était mise à pleurer et à chanter pour les exhorter à l’action : Pourquoi ma mère n’eut-elle point d’enfant mâle ? Pourquoi ai-je donc osé posséder une vache ? Pourquoi ai-je donc osé la traire ? Pourquoi ai-je donc osé boire de son lait ?

Touchés à leur tour par ces lamentations, les cinq tinrent conseil. Ils aboutirent à la conclusion que si l’un d’eux devenait le chef du Koubé, directement investi par le Roi des Kora et non par le Sultan des Mowra, ces derniers n’oseraient pas toucher à leurs biens. Ils décidèrent dès lors d’aller à la conquête du pouvoir. Ils quittèrent le village de Norsi où ils se trouvaient, accompagnés d’Ari, épouse de leur aîné, et se rendirent auprès d’Iri-Boukour, Roi des Kora à qui ils firent part de leurs intentions. Selon la coutume de l’époque, le pouvoir devrait revenir au plus âgé des demi-frères. Iri-Boukour informa ceux-ci qu’il n’attribuerait cependant le titre de Sultan à Korè et ne lui remettrait les timbales en cuivre qu’à la condition qu’on lui payât une douane54 s’élevant à trois cent chevaux à robe verte. En attendant d’aller rassembler cette

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Douane : Le douana (de l’arabe douana ou deïwane) est une redevance qu’une autorité hiérarchique exige d’un chef lorsqu’il attribue à celui-ci un titre important (Sultan, Mogdoum, Malik, Aguid).

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douane, Korè reçut, comme insignes du pouvoir, une bague, un sabre et une bouilloire argentés, un cheval, un esclave et un chapelet55. Korè devrait, jusqu’au versement de la douane, se contenter du titre d’Ina, celui que portaient habituellement les Chefs du Koubé, et détenu à cette époque-là par leur grand-père paternel Kari. Korè et Kari appartenaient tous les deux au clan des Angou, le premier à la branche des Djeïra et le second à celle des Inakaïra. Les prétendants acceptèrent la condition du Roi et décidèrent de retourner chez eux pour rassembler le troupeau qui leur fut exigé. Mais informé des intentions et des démarches des cinq demi-frères, Ina Kari réunit ses innombrables fils et leur dit : – Vous devez, de force ou de gré, empêcher les enfants de Hilane de réaliser leur dessein. Ne voyez-vous donc pas qu’ils ne sont que cinq contre cent ? Mais les princes n’accordèrent, malgré tout, aucune importance au souci de leur père, et s’occupèrent d’autres choses que de chefferie. Ina Kari les convoqua une seconde fois et, en guise de malédiction56, il prit du sol une poignée de sable en leur disant : – Vous n’êtes que des vauriens ! Qu’Iro vous disperse comme ces grains de sable si jamais vous laissez vos neveux revenir dans le pays et s’emparer de mon pouvoir ! Joignant l’acte à la parole, il envoya dans l’air la poignée de sable qu’il tenait fermement dans sa main. Mais rien n’empêcha Korè et sa suite de revenir dans leur pays. Ina Kari résidait dans la colline-refuge de Ha-Koubé57. Cependant, abandonné de ses enfants, il n’avait aucune possibilité de se défendre contre le nouveau chef. Il prit donc la fuite à l’annonce de ce dernier et alla chercher cachette dans une autre colline, non loin de Dimisi, colline qui, par la suite et à cause de l’importance de l’événement, prit le

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Chapelet : Ce chapelet était en corne de bélier et était connu sous le nom de yousour. 56 Malédiction : La malédiction du père est assimilée à une malédiction divine et elle est par conséquent très crainte. Le fait de se servir de la terre comme formule imprécatoire, de l’eau pour bénir ou encore du lait pour éloigner un malheur, est assez courant chez les vieilles personnes. 57 Ha-Koubé : de Ha "montagne" et de Koubé qui signifie "montagne de Kobé". Cette montagne (il s’agit en fait d’une colline) constitua la première résidence permanente des Chefs angou. Elle se trouve à moins d’une quarantaine de kilomètres au nord-ouest d’Iriba.

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nom de Inadjouguini58. Mais il fut poursuivi jusqu’à ce lieu, arrêté et ramené sous chaînes à Djéri (près de Ha-Koubé) où Korè avait installé sa nouvelle résidence. Désormais unique chef du pays, Korè n’avait de souci, dès lors, que de remettre au Roi son douane pour s’élever au grade de Sultan, ce qui lui permettrait d’égaler la supériorité des Mowra. Seulement, où trouver trois cents chevaux à robe verte Cela semblait impossible par des moyens légaux. Les seules alternatives qui s’offraient à lui étaient de faire des razzias comme il était coutume de le faire, d’organiser des rafles dans son territoire ou de confisquer sans aucune forme de procès tous les équidés qui répondaient à son goût, puisqu’il avait la force et l’autorité. Mais chaque fois que l’idée de rafle lui frôlait la tête, il la repoussait énergiquement : sa dépendance aux Mowra et la dictature de ceux-ci l’avaient suffisamment mûri et il se remémorait à tout moment son passé afin de se dire que l’injustice est le pire des maux que Dieu ait fait descendre sur les hommes. Korè vieillissait donc dans la sagesse mais incapable de rassembler les cent chevaux à robe verte donc sans pouvoir entrer en possession des timbales en cuivre. Lorsque, usé par l’âge, il sentit qu’il était au bout de sa vie, il fit venir auprès de lui son fils Tâ et lui tint secrètement ce conseil : – Je n’ai pas à vivre pour longtemps. Je crains que mes demi-frères ne s’emparent du pouvoir à ton détriment. Prends donc cette bague qui m’a été remise par Iri-Boukour. Dépêche-toi de la présenter au Roi avant que tes oncles ne le sachent. Trouve aussi une excuse pour la douane afin qu’il te fasse Sultan du Koubé sans autre procès. Mon épouse, ta marâtre Ari, t’accompagnera ; elle saura comment t’introduire dans le palais pour avoir été avec nous lors de notre première mission auprès du Roi. En effet, Abderahmane-Tébes, ancêtre des Tobouïra, Sougou, ancêtre des Norsira, Horout, ancêtre des Tirguéhorout, Ali-Yâbis, ancêtre des Téribéra et Korè, ancêtre des Djeïra, n’étaient que des demifrères59, étant tous de mères différentes. Et il n’était pas exclu, vu les 58

Inadjouguini : Ce nom se décompose de la manière suivante : Ina = Chef ; dju = nomino-verbal signifiant "grimper, monter" ; gini = syntagme verbal composé de l’auxiliaire, du pronom de conjugaison et des désinences. Inadjouguini signifie donc "grimpé(e) par le chef". 59 Les sous clans des Angou sont au nombre de huit ; ils ont des Maï "forgerons" qu’ils considèrent comme un neuvième de leurs sous-clans. Ces sous-clans sont : Inakaïra, May-Kassoura, Djeïra, Tobouïra, Norsira, Téribéra, Tirguéhorout,

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mœurs du pays et la mentalité des hommes de l’époque, qu’à la mort de leur aîné, chacun se sentît en droit d’accéder au pouvoir à son tour. Tâ et Ari se rendirent auprès du Roi dans le plus grand secret. Celui-ci accepta les explications que le prétendant lui livra en lui montrant la bague de son père : – Mon père est déjà mort, lui dit-il. Il m’a remis sa bague parce qu’il n’a confiance qu’en moi et me veut son successeur. Au moment où il s’éteignait, il avait déjà pu réunir les trois cents chevaux à robe verte que son altesse avait exigés pour l’attribution du titre de Sultan ; mais ses sujets, le voyant mourant, nous arrachèrent de force ce troupeau qu’ils se partagèrent. La ruse de Tâ fut payante, car le Roi, prenant ce mensonge pour vérité, se mit en courroux et, pour se venger de ces sujets qui auraient marqué peu de respect à l’autorité royale, attribua aussitôt le titre de Sultan à Tâ. Il mit à sa disposition une armée qui devait le conduire au Koubé et l’imposer éventuellement à tous les infidèles ; elle devait également l’aider à collecter les chevaux pour constituer la douane. Lorsque le Sultan revint dans son pays, son père était déjà mort comme prévu. Ses oncles ne lui opposèrent aucune hostilité. Au contraire, l’un d’eux, Abderahmane-Tébes, était même en train de rassembler des bœufs pour les sacrifices du défunt. Tâ en fut très content et, pour le récompenser, il le maria aux deux plus jeunes veuves60 de son père dont Ari, la fille des Mowra qui avait eu l’ingéniosité de l’introduire dans le palais du Roi. Mais Tâ fut moins sage que son père : sous la protection de l’armée royale, il s’appropriait à sa guise tous les chevaux à robe verte qu’il rencontrait au Kobé, prétextant que c’était les bêtes qui avaient constitué le troupeau de la douane que son père avait collecté avant sa mort. Ainsi, il ne tarda pas à satisfaire le Roi et d’être l’égal des Mowra par la possession des timbales en cuivre. Voilà comment Korè fut le premier chef Angou à avoir pu se dégager du joug de ses voisins Biri, et à dépendre directement du Roi des Kora ; et comment son fils Tâ fut le premier à avoir porté le titre de Sultan au Koubé avec possession des timbales en cuivre. Kourgoura (ce dernier n’est pas représenté sur l’arbre généalogique) et le sous-clan des forgerons appartenant aux Angou. 60 Veuves : La condition des veuves chez les Béri mérite d’être soulignée une fois de plus. Le fait que le fils ait le droit de marier sa marâtre (veuve de son père) à son oncle en guise de récompense n’apparaît cependant pas comme quelque-chose d’ambigu aux yeux des vieux de la communauté.

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CHAPITRE IV Le complot d’Aria61

Le Sultan Tâ mourut de mort naturelle. Son fils Edim Bournous, aîné d’Adam, le succéda alors que le pays tombait dans une misère qui devenait de plus en plus insupportable : l’eau manquait partout, la terre s’asséchait et l’herbe ne poussait plus. Aria, fils de Sougou profitait de cette malheureuse situation pour mener contre son neveu une campagne de diffamation auprès du Roi des Kora62. Celui-ci ne prit d’abord pas au sérieux les dires de ce prince. Mais le prétendant ne continuait pourtant pas moins de comploter et de médire le Sultan : misant sur la calamité qui sévissait sur le pays, sa convoitise augmentait de jour en jour ; il ne cessait d’affirmer à qui voulait l’entendre qu’Edim Bournous ne pourrait être un bon Sultan puisqu’il ne pleuvait plus dans le pays depuis son investiture et que les gens y mouraient de faim sans qu’il fût capable de faire quoi que ce soit. A cette époque précisément, le Koubé était discuté par le Roi des Kora et celui des Borgo63. Ce dernier, afin d’attirer le Sultan dans son camp, lui envoya clandestinement des présents constitués d’habits exceptionnels imprégnés d’un parfum spécial. Edim se trouvait dès lors dans un grand embarras. Il ne pouvait pas renvoyer les habits au Borgo sans attirer inévitablement son courroux, ni les garder pour lui sans que le Kora le sût et le châtiât comme on châtiait les traîtres. Il les accepta donc, mais sans aucune intention de trahir le Roi des Fors dont il était le vassal ; il les distribua à ses sujets, notables et dignitaires, tout en les consignant à ne rien dire à personne. De la sorte, il pensait faire passer inaperçue cette affaire d’un mauvais augure. Mais 61

Aria est un fils de Sougou, cousin paternel de Tâ. Kora : autre nom donné aux Fors. 63 Borgo : autre nom donné aux Ouaddaïens. 62

malheureusement pour lui, Aria ne laissa pas échapper l’occasion qu’il jugeait des plus propices à provoquer sa destitution : il enferma l’habit qui lui avait été offert dans une jarre neuve qu’il enterra au pied d’un poteau qui se trouvait dans l’écurie du Sultan. Il se rendit ensuite auprès du Roi des Kora et lui dit avec insistance : – Edim est sûrement en train de comploter contre vous, il est sur le point de désobéir à votre autorité pour se mettre du côté des Borgo de qui il avait reçu des habits imprégnés du parfum royal. Si vous ne me croyez pas, envoyez donc quelqu’un chez lui pour établir la justesse de mes propos : qu’on creuse au pied du poteau qui se trouve dans l’écurie ! On y trouvera une jarre dans laquelle il avait caché l’un de ces habits parfumés. Le Roi dépêcha une troupe à Norsi-Adiya où résidait le Sultan, troupe qui, à la grande surprise d’Edim Bournous, déterra de son écurie la jarre contenant un habit exhalant l’odeur du sabat64. Le Sultan était donc compromis ; il ne lui servait à rien de nier les faits. Il affirma seulement qu’il était plus déçu par la croyance des Koubéra qui lui attribuaient la responsabilité d’une calamité naturelle, que par le complot de son oncle. Il fut arrêté et conduit devant le Roi. En quittant sa résidence de Norsi-Adiya sous chaînes, Edim comprit qu’il ne reverrait plus son pays ni les siens car il savait que, non seulement qu’Aria complotait contre lui, mais que tout le pays le tenait pour responsable de tant d’années de sécheresse. Il n’espérait donc de secours de personne, sinon de son Seigneur. Et bien qu’il fût conscient qu’il ne servirait à rien de crier son innocence puisque ses paroles étaient désormais vaines, il ne cessait pourtant de dire que la calamité était une malédiction d’Iro et que ses sujets étaient aussi mécréants qu’injustes quand ils en cherchaient en lui la cause : – Si je suis indemne, comme je le sais, de ce dont vous m’accusez - dit-il à ses sujets - et si je suis un fils légitime de Tâ, alors, qu’Iro fasse tarir tous les puits du Koubé après mon départ ! Mais si, comme vous le dites, je suis responsable de vos maux parce que c’est moi qui devrais faire tomber la pluie, alors, qu’Iro me juge en conséquence, que tout le pays soit prospère à mon absence et que vous viviez tous dans l’aisance ! 64

Sabat : On pensait que les deux Rois, celui du Dar-For et celui du Ouaddaï, possédaient un parfum spécial appelé sabat que personne d’autre n’avait le droit de posséder sans leur aval. L’odeur dudit parfum servait aussi d’indication aux messagers du Roi.

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La tradition soutient qu’après la déportation d’Edim Bournous, tous les puits du Koubé tarirent subitement. Beaucoup de familles quittèrent le pays, celles qui y restèrent durent creuser le sol à des profondeurs triples ou quatre fois supérieure à la normale pour trouver de l’eau. Le Roi était trop cruel, il ne chercha pas à comprendre et ne put non plus réaliser le jeu d’Aria ; il ordonna d’enfermer, en guise de punition, le Sultan parmi des lépreux dans une chambre exiguë65. Le malheureux fut contaminé et y mourut, rongé par la lèpre. Le Roi proclama alors Aria Sultan du Koubé. Mais le Kora, prenant pour preuve le comportement peu religieux du nouveau chef avant son investiture (lors de ses convoitises), pensa que le Koubé était encore peu imprégné de l’Islam. Or le pouvoir, qu’il s’agisse de celui du Dar-For ou de celui du Koubé se basait sur la foi musulmane et ne se justifiait, à cette époque-là, que si les détenteurs en avaient la ferme conviction et s’ils se donnaient pour mission de l’imposer sur leur territoire et de la répandre hors de leurs frontières. Ainsi, en même temps qu’il nommât Aria, le Roi lui exigeait, comme condition à son maintien au pouvoir, d’accomplir sa mission sans manquement. Content d’avoir éliminé son neveu et de lui avoir pris le pouvoir, Aria organisa dès son retour chez lui des festivités pour célébrer son investiture et pour exprimer aussi, de façon ostentatoire, sa victoire sur son rival. Comme il était habituel de le faire en pareilles circonstances, on fit une randonnée de chevaux. Edim Bornous avait un fils du nom de Souleymane Komé. Celui-ci se sentit fort humilié par les manifestations lorsque Tibé, un frère à Aria, se mit à crier de joie et à chansonner en menant au galop un beau cheval. Souleymane le tua d’un coup de javelot et, fuyant vers Wê, il alla à Kapté66 demander protection au chef de cette région, Ina Terda. Ce fut la première fois, dit-on, qu’au Kobé, quelqu’un tuât un proche parent de ses propres mains. Souleymane initiait ainsi un acte fratricide qui déblayait la voie aux convoitises et aux plus ignobles manigances. S’il pouvait éviter la mort en se cachant dans les grottes et les anfractuosités, ça serait déjà

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Chambre exiguë : On dit que le Roi des Kora avait deux prisons pour punir ceux qui le désobéissaient : une maison où il faisait vivre des lépreux pour contaminer les éventuels détenus et une autre maison où on entretenait la maladie de variole pour la transmettre à toute personne qui entrait. 66 Kapté : Le village de Kapté qui n’est actuellement qu’un foyer éteint, est situé au pied de la colline qui porte le même nom.

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pas mal pour lui ! Mais mener une vie fugitive au milieu des hommes, même comme un forçat, n’était qu’une simple illusion, un vain espoir. Ina Terda dépendait directement du Roi des Borgo. Aria n’avait donc aucune autorité sur lui et ne pouvait pénétrer le territoire des Wéra67 afin de poursuivre l’assassin de son frère sans provoquer un conflit avec son voisin. La seule alternative pour mettre la main sur Souleymane était la négociation. Il proposa en effet à son homologue de Wê de troquer sa fille Bassiro contre le condamné. Bassiro était la plus belle fille du Koubé, mais Ina Terda refusa cette proposition de mariage et rejeta le marché. Toutefois, le Sultan était un homme téméraire, dit-on ; L’idée de laisser en vie le meurtrier de son propre frère l’exacerbait. Il ordonna, malgré le refus de Terda, de conduire sa fille chez ce dernier, et de relancer en même temps les négociations. Les contacts reprirent donc, d’abord informels. Le Sultan usa de toute son ingéniosité ; il déploya des entremetteurs, sages et savants traditionnels. Ceux-ci mirent à leur tour tout leur zèle à aligner à leur cause les personnes influentes, en commençant par les dignitaires de Wê qu’ils purent convaincre aussitôt de la justesse des démarches du Sultan ; ils purent ensuite séduire les proches parents du Chef, lesquels usèrent de leur influence pour ramener Ina Terda sur sa décision. La diplomatie d’Aria remporta finalement sur le sentiment d’honneur d’Ina Terda : celui-ci accepta, après tout, de prendre en considération la proposition qui lui avait été faite car cela lui était moins coûteux que la guerre contre son voisin, ce qui était fort probable en dernier ressort. Il rendit alors une sentence à sa manière, imagina une sorte de compromis avec sa propre conscience et fit parvenir à Aria un message, lui disant : – Souleymane s’est mis derrière moi68 pour implorer ma protection. Il n’est pas de notre tradition de livrer une telle personne à son ennemi, mains et pieds liés. Mais par ailleurs, je ne me sens plus de force pour renoncer à la beauté inhabituelle de ta fille. La seule chose que je peux te promettre est celle-ci : je me retirerai avec mes hommes loin de chez moi, prétextant n’importe quoi. Je dirai en même temps à Souleymane Komé qu’étant l’assassin du frère d’un Sultan, il ne pourrait faire le déplace67

Wéra : Les habitants de Wê, région située au nord d’Iriba, sont des Wéra ; ils constituent un clan au sein de la communauté des Béri. 68 Se mettre derrière quelqu’un : Quand une personne est poursuivie, elle se met derrière un protecteur pour implorer sa protection. Celui-ci a alors l’obligation de prendre sa défense en faisant face à l’agresseur. Repousser une telle imploration est passible d’un grand déshonneur.

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ment avec nous au risque d’être pris et tué. Je le laisserai ainsi dans mon village. Vous n’avez qu’à attaquer Kapté, le surprendre et le capturer. Aria attendit tranquillement l’évacuation de Kapté avant d’y aller pour déloger Souleymane Komé car il savait qu’il n’y avait pas assez d’espace dans un village de Wê, fût-il celui d’un chef, pour cacher un assassin. Souleymane aussi savait qu’il n’était plus, dès lors, possible d’échapper à Aria. Il se défendit cependant vainement, en chantant désespérément et en donnant des grands coups. Mais les hommes du Sultan le vainquirent à peu de frais et l’exécutèrent sans ménagement. Aussi paradoxal et aussi déconcertant qu’il puisse paraître, Ina Terda trouva en cette solution une issue honorable pour lui et un compromis avantageux avec son interlocuteur du Koubé. Mais ce fratricide vint malgré tout émousser la joie qui habitait le nouveau sultan et le sentiment d’une œuvre bien accomplie qu’il ressentait à l’issue de son complot.

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CHAPITRE V Le mensonge du Sultan Aria

Le Roi Térab-Lèbène envoya un messager au Koubé pour s’informer sur son oncle Horout. Le Sultan Aria qui dirigeait ce pays eut peur de cette démarche, car il pensa aussitôt que Térab-Lèbène avait l’intention de le remplacer par cet homme. Il dit alors au messager que Horout était déjà décédé. La nouvelle fut rapportée au Roi et à sa mère qui crurent à cette mort imaginaire. Un temps passa lorsqu’un jour, un nommé Koura Nogodébi, accompagné de trois hommes, razzia le Mow (actuel Dar-Guimirs) et ramena chez lui à Djéri de nombreux bœufs. La pratique de l’époque exigeait qu’en pareilles circonstances le Sultan s’attribuât la moitié du butin. Aria s’empara donc des bœufs et en fit un partage égal entre lui et les razzieurs. Mais les conseillers du Sultan jugeant cependant cette pratique assez dangereuse pour le pouvoir, décidèrent de la modifier : – Tu manques d’intelligence, dirent-ils à leur souverain. La procédure dont tu as fait usage jusqu’ici a habitué les sujets à des droits trop larges. Reprends donc les bœufs que tu as remis aux razzieurs. Chacun de ceux-ci ne doit en avoir que trois pour sa peine ! Le Sultan considéra ces propos comme émanant d’un bon conseil et s’exécuta. Les compagnons de Koura Nogodébi acceptèrent le nouveau règlement tandis que celui-ci refusa de prendre seulement trois bêtes alors qu’il avait droit à tout un troupeau. Il fut alors congédié sans égards ni aucune part du butin. Désabusé, Koura Nogodébi quitta le Koubé et alla à la recherche de la justice. Il arriva au pays des Kora et s’informa sur la façon de rencontrer le Roi. Il apprit alors que celui-ci organisait chaque vendredi un jeu étrange qui consistait à rassembler des hommes sur une place

publique, lesquels formaient, à distance, un cercle autour de lui ; on lui tenait alors, dispos au milieu du cercle, dix chevaux harnachés portant chacun deux carquois, chaque carquois contenant cinq javelots. Il montait successivement sur les chevaux et les menait au galop dans le "cirque" en envoyant les javelots à travers la foule. Il vidait ainsi les vingt carquois et rentrait chez lui sans se soucier des victimes éventuelles de ce macabre jeu. De ce fait, le vendredi était considéré comme un jour férié où le Roi ne recevait personne. Pour donner une signification symbolique à la manifestation hebdomadaire, le Roi fit tailler un poteau de korfura69 à quatre fourches qu’il dénomma GadiEderes70 et qu’il fit planter sur la place publique. Toute personne qui désirait être reçue par le Roi devrait aller s’agenouiller au pied de Gadi-Ederes en l’embrassant. Les courtisans le conduisaient alors au palais. Mais une telle demande ne pourrait être faite un vendredi : toute personne qui osait embrasser Gadi-Ederes ce jour était décapitée sur place. Koura Nogodébi n’était malheureusement pas au courant de ce dernier détail. Il choisit donc le jour férié pour aller s’agenouiller au pied du poteau, espérant que les courtisans iraient le chercher pour le présenter au Roi. Il était aussi une autre coutume que la mère du Roi se rendît au palais tous les vendredis pour saluer son fils. Elle se déplaçait sur un mulet, habillée d’un pantalon et d’un turban blancs et entourée d’une nombreuse escorte dont dix filles esclaves à peine à l’âge de la puberté qui la ventaient et l’enveloppaient dans une fumée de santal. Lorsque, de passage, la mère du Roi vit un homme agenouillé au pied du Gadi-Ederes, elle crut qu’il s’agissait d’un désespéré qui voulait se faire tuer délibérément. Elle retint alors sa monture, s’approcha du malheureux et lui dit : – Qui es-tu, ce fou qui désire se faire tuer ce vendredi ? Mais elle s’aperçut vite que l’homme ne comprenait pas la langue du pays. Elle remarqua aussi qu’il portait sur les tempes les cicatrices de son ethnie71. Elle lui parla alors en bériá72. 69

Korfura : Commiphora africana Gadi-Ederes : ce terme signifie en arabe local "le justicier sourd" 71 Soundougou, la mère du Roi, n’était pas une Kora ; elle était enlevée du DarZaghawa par des razzieurs alors qu’elle était toute jeune. C’est donc une captive Béri qui avait été acquittée par le Roi For de l’époque qui l’avait, par la suite, épousée. Ainsi, Soundouga parlait toujours sa langue maternelle et reconnaissait les cicatrices que les membres de son ethnie portaient traditionnellement sur les deux tempes. 70

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– Quel fou es-tu, qui veux mourir ce vendredi ? Koura Nogodébi leva le regard sur la vieille et la reconnut aussitôt. Il sauta sur elle et la prit entre les bras en criant de joie : – Soundouga ! Soundouga ! Les jeunes esclaves et toute l’escorte s’apprêtèrent à assommer ce hère qui osa toucher la Reine-Mère, mais Soundouga s’interposa pour lui sauver la vie. Koura Nogodébi lui donna des nouvelles du Koubé ; il lui apprit que Horout était bien vivant et que sa mort n’était qu’une invention du Sultan Aria. Soundouga rapporta la nouvelle à son fils, le Roi. Celui-ci fit conduire l’étranger devant lui pour l’interroger personnellement : – Dis-tu vrai ? lui demanda-t-il. – Oui, répondit imperturbablement Koura Nogodébi. – Bien. Si je te donnais tous les moyens, pourrais-tu l’amener ici ? – Oui, Majesté, sans nul doute. – Dans combien de temps alors ? – Dans douze jours seulement. Le Roi fit habiller Koura Nogodébi de nouveaux habits imbibés de sabat73. Il lui donna, tout harnaché, le meilleur de ses dromadaires et lui dit : – Ceux qui t’approcheront sauront par l’odeur du sabat que tu es mon messager. Aussi, ne laisse aucun vivant s’approcher de toi avant ton entrée au Koubé. Tu as le meilleur de mes dromadaires ; il n’y a pas au monde un animal de son espèce qui soit plus rapide que lui. Et voici mon fusil à jumelles, il n’y a pas dans mon royaume une arme qui tire plus juste que celle-ci. Si, durant ton voyage tu veux te reposer, ne campe qu’en un endroit où ta vue ne puisse être arrêtée que par l’horizon ; et si quelque être s’interpose sur ton chemin, sache que tu peux atteindre ta cible aussi loin que tu voudras. Tu devras te débarrasser de ces habits parfumés une fois au Koubé, car l’odeur du sabat pourrait bien te trahir. Tu as enfin tout le viatique que tu désires, je t’attendrai dans douze jours. 72

bêria : le bêria est la langue des Bêri. Ce parfum spécialement destiné aux rois de l’Ouaddaï et du Dar-for sert d’indicateur. Celui qui en est parfumé ne peut être qu’un messager du Roi. 73

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Bien qu’il fût conscient que l’insécurité régnait sur le trajet menant au Koubé, Koura Nogodébi était résolu à se venger sur Aria. Il partit volontiers, content de pouvoir mener une mission qu’il considérait de la haute importance. Quant à Horout, il ignorait tout de la situation et n’était informé ni du mensonge d’Aria à son sujet ni de la disposition que son neveux le Roi venait d’arrêter. Koura Nogodébi le rencontra alors qu’il était en train de clôturer son champ. La conclusion de l’entretien ne se fit pas attendre, les deux hommes devraient quitter aussitôt le Koubé sans attirer l’attention d’Aria et sans perdre une minute. Ils se jetèrent sur le dromadaire et prirent le chemin du Dar-Kora. Ils arrivèrent au palais le huitième jour, devançant le délai prévu initialement. Mais le Roi voulut toutefois s’assurer que la personne qu’on avait amenée du Koubé était bien son oncle Horout, car il ne le connaissait pas auparavant. Avant que la Reine-Mère ne fût au courant de l’arrivée de Horout au palais, il fit venir auprès de lui sept hommes inconnus de sa mère et qui avaient les mêmes traits du visage, la même taille et le même embonpoint que son oncle. Il les fit s’habiller tous, ainsi que Horout, de la même manière : pantoufles, boubou, pantalon et turban blancs. Les huit hommes se mirent en rang, avec Horout au milieu d’eux. Le Roi fit alors entrer sa mère et lui demanda de reconnaître son frère. Soundouga reconnut Horout sans hésitation. Les deux personnes s’embrassèrent et se mirent à pleurer d’émotion. Le Roi aussi se mit à sangloter en voyant sa mère pleurer. Et puisque le Roi sanglotait, l’assistance le fit aussi en signe de soumission et de respect. Après l’instant d’agitation et d’intenses émotions, le Roi ordonna à sa cour de laver son oncle et de l’habiller comme il se doit. Il fit ensuite installer trois karakouroumé74. – Tu n’as pas eu beaucoup d’enfants, mon oncle, n’est-ce pas ? lui dit-il. Tu allais t’éteindre sans laisser une descendance nombreuse, ce qui m’aurait rendu pauvre, moi, ton neveu, en parents maternels. Je t’ai donc fait préparer trois karakouroumé ; désormais, tu n’auras de souci que pour faire des enfants. Horout se mit à l’œuvre et les quatre-vingt-dix filles mises à sa disposition conçurent, toutes, quelque temps après. Il fut donc riche et même très riche, non pas en têtes de bétail mais en têtes d’hommes. 74

Karakouroumé: sorte de harem contenant des dizaines de jeunes filles pubères, non encore touchées par des hommes.

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CHAPITRE VI Le complot d’Oumar et la perte des fils de Horout75

Au temps d’Aria, Les Kora avaient Hissène pour Roi. Celui-ci était très vieux et avait beaucoup d’enfants. Les plus âgés de ceux-ci comptaient sur la mort de leur père pour pouvoir profiter, à leur guise, des biens du royaume. Mais le Roi tardait à mourir pourtant. Les princes seraient contraints à la patience si un événement insolite n’était venu les révolter contre ce vieillard à la vie dure : il faisait nuit et le vieux se reposait dans son palais, entouré de ses fils et arrières-fils ainsi que de son Faqhi76, lorsqu’un homme y vint annoncer que l’une des femmes du Roi venait d’accoucher d’un enfant. – Un garçon ou une fille ? demanda le Roi. – Un garçon, lui répondit-on. Il ordonna alors au faqhi de préparer de l’eau bénite pour le nouveau-né. Le faqhi écrivit sur son lôh77 quelques versets de Coran, le lava avec de l’eau et envoya cette eau à l’enfant. Mais un instant après, alors que le Roi se reposait à la même place, entourés des mêmes personnes, un autre homme vint lui annoncer la naissance d’un 75

Horout : L’histoire des fils de Horout semble être bâtie sur un mythe : si la vie de Haggar pendant sept ans dans un gouffre (privé de nourritures) nous paraît assez mystérieuse, l’étranglement du Roi des Kora par ses propres enfants ne nous paraît pas moins invraisemblable 76 Faqhi : (de fiqh "théologie musulmane"), le faqhi désigne un théologien musulman. Mais ce terme est généralement utilisé en Afrique pour désigner les personnes qui savent lire, écrire et réciter par tête le Coran, et dont la mission est de l’enseigner aux autres. Les faqhi utilisent le Coran à toute fin. 77 Lôh : Ardoise en bois de geira (Balanites aegyptiaca) que les élèves de l’école coranique se servent pour apprendre à réciter le Coran. C’est sur la même ardoise que les faqhi écrivent des versets coraniques qu’ils lavent avec de l’eau pour en donner à boire aux nécessiteux afin d’obtenir la faveur ou la grâce divine.

second garçon. Le faqhi prépara de nouveau l’eau bénite. Aussitôt, une troisième naissance fut annoncée, puis une quatrième. La même scène se répéta dans la même nuit pour quinze naissances mâles, tous du vieux Roi. Ce phénomène révolta les princes, surtout ceux qui étaient euxmêmes assez vieux et qui attendaient impatiemment la mort de leur père. Ils se concertèrent clandestinement, s’inquiétant de ces nombreuses naissances. Et ils arrivèrent à la conclusion que s’il fallait que tous ces garçons grandissent dans les bons soins du Roi, nourris des conseils de celui-ci, eux, les vieux, ils n’auraient finalement pas l’occasion de jouir à leur gré des privilèges du pouvoir. Ils décidèrent donc de faire disparaître leur père à la douce. Ils l’étranglèrent au milieu de la nuit et mirent à sa place Térab Lèbene, né du Sultan Hissène et de la Sœur de Horout appelée Gouriya78 ou Soundouga, selon les versions. Le Roi Térab Lèbene entretenait une grande cour où vivaient, entre autres, son fils Haroun-Djinnawi et Oumar, un des nombreux fils de son oncle maternel Horout (voir arbre généalogique ci-après) :

Les contraintes de la cour royale transformées en une sorte de civilité obligatoire consistaient, entre autres, à se déchausser à la porte du palais avant d’y accéder, quel que soit le rang social auquel on appartenait. Le hasard fit qu’un jour, Oumar et Haroun Djinnawi arrivèrent 78

Gouriya (ou Soundouga) : Gouriya ou Soundouga est une fille de Horout. Un jour, le Roi des Kora ayant soupçonné le Sultan du Kobé d’infidélité à son autorité, fit une incursion dans ce pays et emporta un grand butin et des personnes comme esclaves. Parmi ces personnes se trouvait Gouriya, la sœur du futur Sultan Haggar. Le Roi donna à la princesse sa liberté, mais la maria après cela et la garda chez lui. Ce fut de cette alliance qu’était né Térab Lèbene, futur Roi du Dar-For.

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à la cour au même moment, abandonnant leurs chaussures à la porte d’entrée. Haroun Djinnawi quitta le palais avant Oumar mais, ne trouvant ses chaussures à leur place, il porta celles d’Oumar et rentra chez lui, mais prenant tout de même la précaution de demander aux serviteurs d’en prévenir le propriétaire dès qu’il sortirait du palais. Oumar se mit dans une grande colère en ne retrouvant plus ses chaussures et apprenant qu’elles étaient emportées par le prince. Il alla directement à la rencontre de Haroun Djinnawi et, refusant toute excuse, il se servit d’une semelle pour lui porter une gifle. – Si je suis fier d’être dans cette cour, ce n’est pas à cause de toi, lui dit-il, mais à cause de mon cousin le Roi. Agis donc si tu as quelque pouvoir et ne m’épargne de rien ; égorge-moi avec ton kongo79 ! Haroun Djinnawi ne lui répondit pas cependant. Il ne parlait même pas de cet événement qu’il considérait comme un malheureux incident circonstanciel. Mais plus le temps passait, plus son attitude intriguait Oumar qui, au contraire, pensait que le prince lui gardait rancune et qu’il se vengerait de cet affront à la moindre occasion. L’inquiétude d’Oumar grandissait surtout avec le vieillissement de son oncle. Si celui-ci venait à mourir, se disait-il, le trône reviendrait à Haroun Djinnawi qui ne tarderait pas à le supprimer pour l’avoir giflé avec une chaussure. Il imaginait dès lors mille manières pour échapper à une telle éventualité. Et comme il avait une grande influence sur son oncle, il en usa lorsqu’il vit que la fin de celui-ci était assez proche : il lui fit admettre qu’il ne quitterait pas son chevet jusqu’à sa mort, et ceci dans le but d’éloigner par la même occasion l’héritier présomptif dont il craignait l’action. Le Roi mourut mais Oumar ordonna à l’assistance de ne pas en informer Haroun qu’il avait pu écarter du palais entre temps. Térab Lèbene avait aussi un autre fils, né d’une esclave, nommé Mahamat Fadoul. C’était ce prince qu’Oumar avait en vue pour pouvoir échapper à Haroun-Djinnawi ; il fit garder au secret la mort du Roi quand celui-ci s’éteignit et convoqua secrètement Mahamat Fadoul pour lui dire : 79

Kongo : on dit égorger quelqu’un avec le kongo qui est le dos de l’index replié. C’est une expression qui veut dire "tuer d’une façon pénible", car vouloir égorger une personne avec le dos de l’index replié, c’est évidemment vouloir la torturer.

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– Le Roi est mort. Je veux te faire son successeur mais à condition que tu jures sur le Coran qu’une fois établi, tu me traiteras comme mon oncle et me protégeras. Mais Mahamat était né d’une esclave et n’avait pas beaucoup d’audience dans la cour de son père. Il croyait qu’en tant tel, il n’avait pas droit au trône. Il eut d’abord peur de la proposition qui venait de lui être faite ; mais il finit par l’accepter, cédant à l’insistance d’Oumar qui, lui aussi, jura sur le Coran de tenir sa parole et d’être son fidèle serviteur. Mahamat Fadoul accéda donc au trône. Mais il prit la précaution de ne pas dévoiler l’événement et de le garder au secret pendant trois jours, le temps qu’il lui fallait pour armer ses hommes et les préparer à affronter ceux de son demi-frère, le prince héritier Haroun Djinnawi ; car un tel affrontement ne faisait aucun doute dans l’esprit des gens, étant donné que tout le monde admettait qu’un prince né d’une femme libre avait la priorité sur son demi-frère né d’une esclave. Le Roi arma chacun de ses guerriers d’un sabre et d’un tronc fraîchement coupé d’une plante connue sous le nom de korfura80 ; il leur dit en guise de stratégie : – Vous aurez à vous battre contre Haroun Djinnawi et ses hommes. Ce bois frais vous servira de bouclier à neutraliser l’élan de l’adversaire : vous opposerez donc au coup de sabre de celui-ci le tronc qui recevra l’arme en profondeur et la retiendra. Vous lâcherez aussitôt le tronc qui restera accroché au sabre. L’adversaire perdra alors l’équilibre et ne pourra plus vous porter un second coup. Vous en profiterez pour lui trancher le cou. Ayant ainsi établi sa stratégie de combat, le Roi fit sonner le clairon pour annoncer la mort de son père. On était au troisième jour du décès. Le prince Haroun Djinnawi réunit ses hommes et voulut prendre d’assaut le palais royal. Mais c’était trop tard, Oumar avait comploté contre lui. Il fut tué avec tous ses guerriers. Mahamat Fadoul, après avoir ainsi résolu la question de succession au trône et après s’être assuré de la confiance de son armée, s’occupa à consolider son pouvoir. Cependant, un point noir lui apparaissait dans la mémoire chaque fois qu’il entreprenait une action d’envergure : il 80

Korfoura : korfoura dont le fruit est korfou est l’espèce d’Asclépiadacées connue sous le nom de Caletropis procera (ucharâya en arabe)

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trouvait lui-même anormal et inadmissible le complot d’Oumar contre son cousin germain, bien que cela fût en sa faveur. Ce bizarre personnage l’intriguait finalement. Il se disait intérieurement : "Oumar est plus proche de Haroun Djinnawi que de moi dont la mère est une esclave importée81 d’un pays lointain. Puisque cet homme est ainsi capable de comploter contre un de ses parents, ne serait-il pas plus facile et plus aisé pour lui de le faire contre moi ?". Il décida donc, sur la base de cette logique, de liquider ce problème et d’en finir une fois pour toute. Il prétexta qu’il se posait à lui un grand problème au sujet de son royaume et qu’il voulait pour cela consulter les personnes influentes de son pays. Il convoqua alors tous les frères et demi-frères d’Oumar dont Haggar. Lorsqu’il eut rassemblé quatre-vingt-huit des fils de Horout, il les surprit, les arrêta et les répartit en deux groupes de quarante-quatre personnes qu’il enferma dans deux prisons séparées. Le groupe où se trouvait Oumar fut aussitôt exterminé à coups de gourdin par les esclaves du Roi sur l’ordre de ce dernier. Le second groupe qui comprenait Haggar fut jeté dans un gouffre profond de quarante "hommes"82 ; les prisonniers devraient y mourir de faim, d’une mort affligeante. Ils y recevaient seulement, chacun, une ration hebdomadaire d’une poignée de mil avec une quantité d’eau mesurée dans le creux d’une main. Cette ration leur était tendue au bout d’une corde de la manière qu’on ferait descendre une puisette dans un puits. Les gardes retiraient ensuite la corde pour voir si la nourriture avait été prise ou non, ce qui attestait qu’il y avait encore des survivants ou non. Quarante-trois des prisonniers moururent de faim et de soif. Il ne resta plus dans le gouffre que Haggar qui, par on ne savait quel miracle, y tint pendant sept ans. La légende explique ce phénomène de la manière suivante : chaque fois qu’un prisonnier (l’un des demi-frères de Haggar) mourait, il sortait des parois du gouffre un gros serpent83 et venait vers

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Esclave importée : Haroun Djinnawi se croyait, bien que sa grand-mère paternelle fût une esclave libérée (une sœur de Horout, importée du Kobé, voir plus haut), l’héritier légal parce que sa propre mère était de condition libre. 82 Homme : l’homme debout constitue une unité de mesure chez les Béri ; la longueur allant du bout des orteils au bout des doigts d’une personne adulte (debout avec les bras tendus au-dessus de la tête) est le boru "homme" qui permet de mesurer la profondeur des puits. 83 Serpent : A l’époque où le Sultan du Kobé avait comme obligation d’immoler une chamelle pleine sur la colline de Kobé (cette pratique n’avait cessé qu’avec le Sultan Abderrahmane Haggar), on raconte qu’un serpent sortait de l’anfractuosité de la

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Haggar qui lui offrait alors le cadavre. Le reptile l’avalait et retournait à son trou sans faire du mal à personne d’autre. Quarante-trois corps furent ainsi engloutis. Le serpent s’habitua à Haggar ; il continuait à faire ses apparitions bien qu’il ne trouvât plus de proie auprès du survivant. Les deux êtres se firent des amis avec le temps. Le serpent restait aux côtés de son ami du matin au soir. Il lui annonçait, par son apparition et sa disparition, le lever et le coucher du soleil. Tous deux se communiquaient dans un langage propre à eux et mangeaient ensemble des pastèques et des jujubes pour survivre, dit-on ; car il poussa étrangement dans la lugubre prison un orda84 et un keira85. De peur qu’on s’aperçût de cette offre providentielle dont il se nourrissait, Haggar continuait à vider le récipient qui lui apportait au bout de la corde sa ration hebdomadaire, alors qu’il n’en avait plus besoin. Mais un jour, après avoir vidé ce récipient, il lui arriva à l’idée d’y mettre un peu de ses nouveaux aliments. Lorsque le garde s’en aperçut, il en fut fort étonné ; il les goûta par curiosité et, les trouvant fort délicieux, en apporta à sa Majesté en s’exclamant : – Voici, maître, de quoi se nourrissent nos prisonniers. Nous avons cru les mettre dans une situation périlleuse mais les voilà qui vivent toujours et mieux que nous ! Le Roi en fut aussi, non seulement surpris, mais également confus : – Je comprends maintenant comment l’un d’eux a survécu jusqu’ici à nos épreuves et pourquoi il tarde à périr. Mais d’où tire-t-il donc ces choses plus succulentes que du sucre et plus agréables qu’une datte ? demanda-t-il, les ayant goûtées à son tour. Comme aucune réponse ne pouvait lui être fournie, il ordonna de tirer immédiatement le survivant du gouffre et de le conduire devant lui car, conclut-il, cet homme ne serait qu’un être extraordinaire. Le phénomène n’ayant pu être élucidé, le Roi accorda alors la liberté à Haggar mais il le somma de quitter son palais sans tarder et de rentrer chez lui. Le prince, seul survivant des quatre-vingt-huit fils du Sultan Horout, retourna enfin dans son pays. On mit sa survie au compte du miracle. colline pour avaler le fœtus qui lui était destiné. Le serpent est ainsi un être mythique pour les Angou. 84 Orda : orda est l’espèce des cucurbitacées connue sous le nom de Citrullus lantus (pastèque en français courant et bittêkhâya en arabe dialectal) 85 Keira : keira est l’espèce des Rhamnacées connue sous le nom de Ziziphus spinachristi (jujubier en français courant, et kornâya en arabe dialectal.)

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CHAPITRE VII Le Sultan Horout et son fils Haggar

Le Sultan Horout comptait parmi ses épouses une femme du clan86 des Kirêgou appelée Tio, mère de son fils Haggar ainsi qu’une autre, du clan des Nawra, mère de son fils Djadallah. Haggar avait pour oncle maternel un homme du nom d’Ali. Horout préférait sa femme du clan des Nawra à celle du clan des Kirêgou. Il avait déjà une centaine d’enfants lorsque, vaincu par l’âge, il se sentit incapable de diriger ses hommes. Il délégua son pouvoir à son fils Djadallah qui devint, de ce fait, son khalifat87. Cela laissait supposer que Djadallah serait le futur Sultan du Koubé. Or, selon les mœurs de l’époque, le titre de Sultan reviendrait à l’aîné des princes88 si, tout au moins, celui-ci ne présentait ni cécité mentale ni infirmité physique. Autrement dit, Djadallah devait céder la place à Haggar. 86

Clan : Les Béri se composent de plus d’une centaine de clans. Certains de ces clans se disent d’origine commune ou d’ancêtre commun, d’autres par contre, s’individualisent et situent leur origine dans un pays lointain. Les mariages de leurs membres sont négociés comme des contrats entre clans et non comme de simples alliances matrimoniales entre individus. Ainsi, l’intervention des oncles maternels dans la famille de leurs neveux pour les appuyés contre leurs demi-frères ou contre des parents de lignée patrilinéaire est une chose courante chez tous les Béri. 87 Khalifat (ou Halifé en béria) : Ce terme désigne chez les Béri du Kobé la personne qui seconde le Souverain et qui est généralement considérée comme l’héritier du pouvoir. Mais le Sultan peut aussi nommer des Khalifats (sorte de lieutenants) à travers son pays, comme il le fait pour les autres fonctions (Malik, Aguid, etc.). Contrairement aux Mogdoum, les Khalifats n’étaient pas forcement des Angou. 88 Aîné des princes : Le droit d’aînesse n’existe pas seulement dans les milieux des chefs, on le constate un peu partout, concernant surtout le mariage : lorsqu’un enfant cadet se marie avant son aîné, il se créait spontanément une discorde dans la famille ; mais cette situation de primogéniture est de plus en plus abandonnée et tend même à disparaître.

Mais cette alternative fut rejetée par le vieux père qui trancha rudement en faveur de Djadallah. – Tio est une idiote, son enfant ne peut être qu’un idiot qui ne saurait gouverner les hommes du Kobé, finit-il par dire. Haggar fut profondément touché par ces paroles mais il se résigna cependant et se plia au verdict de son père. De son côté, le Khalifat Djadallah abusait aussi de ses privilèges et faisait montre d’une injustice exceptionnelle. Il attribuait tous les droits à ses cousins germains, Kabbas et Awaré surnommé Gowout89, respectivement fils de ses oncle et tante maternels. Kabbas prenait le goût à sillonner le pays et à s’approprier tout mouton et tout dromadaire à robe noire qu’il rencontrait sur son chemin, sans que personne ne pût lui demander des comptes sur ses agissements. S’il arrivait que les propriétaires de ces animaux vinssent se plaindre devant le Khalifat, celui-ci leur répondait alors, avec une ironie choquante : – Lorsqu’un Nawra voit un mouton ou un dromadaire noir90, l’appétit lui vient aussitôt. Ne pouvez-vous donc pas faire paître vos animaux ailleurs que sur le chemin de Kabbas ? Quant au second cousin du Khalifat, Awaré, il ne semait pas moins le désarroi. Tous les chamelons qu’il pouvait trouver à travers le pays lui appartenait de droit ; il les égorgeait et les mangeait comme il le voulait. Le Khalifat lui trouvait toujours une justification et disait chaque fois : – Awaré m’a dit qu’il ne pourrait partager une nourriture avec des chacals91. C’est pourquoi il a juré de ne jamais toucher à la viande des ovins. Il m’a aussi dit par ailleurs que s’il ne mange plus de la viande des bovins c’est qu’il lui manque des dents. Désirez-vous que je lui interdise de manger pour vivre ? De quoi voulez-vous donc qu’il se nourrisse ? C’est à vous de lui trouver à la place de vos chamelons quelque chose qui lui convienne ! 89

Awaré Gowout : Gowout signifie "chamelon" en arabe ; Awaré Gowout veut dire "Awaré le chamelon" ; les gens se servent de "Gowout" comme sobriquet qualifiant Awaré qui n’avait cesse de manger les chamelons des autres 90 Noir : Il faut noter que, jusqu’à une certaine époque, les moutons noirs constituaient la seule espèce d’ovins élevée au Kobé. 91 Les chacals sont de grands prédateurs d’ovins et de caprins. Pour Awaré Gowout, manger ces espèces d’animaux, c’est comme si on les partageait avec les chacals, autrement dit, c’est se rabaisser au rang de ces carnivores.

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Les Kirêgou eurent finalement assez de cette situation mais comme ils savaient qu’ils n’avaient pas gain de cause ni devant Djadallah ni devant le Sultan, ils choisirent donc de se battre contre les Nawra. Mais beaucoup de Kirêgou furent tués aux premières batailles. Cette situation de belligérance perdurait et Haggar était au bout de sa patience ; il alla voir son père et lui fit part des exactions de Djadallah. Mais le vieux Sultan lui répondit comme d’habitude : – Tais-toi ! Pourquoi les Béri92ne sauraient-ils donc se soumettre à l’autorité de mon fils, le Khalifat ? Si tu n’en es pas content, si cela t’incommode, quitte mon pays sur-le-champ et va vivre ailleurs ! Haggar ne savait que dire ni que faire ; il alla se cacher dans un coin de sa maison pour dissimuler les larmes qu’il ne pouvait retenir. Mais une vieille femme, qui l’avait aperçu, alla vers lui et lui dit en donnant un coup de pied dans le dos en guise d’exhortation : – Tu as perdu la raison, prince ! Ne sais-tu donc pas que tu ne seras secouru par personne dans cette cachette ? Ne vois-tu pas tous ces opprimés mécontents qui n’ont besoin que d’un guide pour se rebeller contre Djadallah ? As-tu au moins une tête pour organiser les hommes ? Haggar sortit de sa maison, s’essuya le visage et quitta à l’instant même le pays de son père. Il alla s’installer à Sendi93 où il fit un marché avec le Sultan Djâr des Biri pour avoir la propriété de la colline sur laquelle il s’était établi. Tous les mécontents du Koubé vinrent se regrouper autour de lui, formant ainsi un gros village. Un vieux parmi eux leur dit un jour : – Si nous tournons le regard vers l’est, nous apercevons le sultanat du Kabka ; si nous regardons au sud, nous voyons le sultanat des Biri ; et tout juste à l’Ouest, voilà le sultanat des Tamara94 ! 92

Les Béri sont qualifiés différemment, selon les contextes et selon les circonstances. En tant que sujets, ils sont assujettis et sont considérés par le Sultan comme des hommes de basse classe. Leur devoir était de se soumettre aux princes. 93 Sendi : Sendi est le nom d’une colline et de la région où se trouve ladite colline. Sendi se trouve dans le sud de la sous-préfecture d’Iriba. La région de Sendi appartenait aux Biri à l’époque où les Béri dépendaient de ces derniers. Le conflit entre Haggar et son père eut lieu à une période où le pays des Biri était dirigé par un Sultan appelé Djâr. 94 Tamara : Les Béri appellent les Tama des Tamara ; tama- = Tama ; -ra = morphème dérivationnel (formation des substantifs) ; tama-ra = du Tama ; qui

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Alors, pourquoi n’agissons-nous donc pas ? Allons chercher des armes pour dévaster le Koubé ! L’initiative du vieux fut favorablement accueillie par tous. On traita avec les trois Sultans voisins, promettant à chacun un gros butin : – Nous vous conduirons sur un pays très riche, mais nous ne voulons du butin que ce qui revient à un guide, disaient les messagers que Haggar avait envoyés auprès des différents Souverains. Pour être plus convainquants, les messagers juraient en outre sur le Coran afin de rassurer leurs interlocuteurs de leur bonne foi et, par la même occasion, demandaient aux trois Sultans de faire de même. Ces derniers s’engagèrent à tenir leur parole et à exécuter immédiatement l’accord qu’ils venaient de conclure avec les hommes de Sendi. Haggar obtint ainsi des armes et des guerriers à suffisance. Il avait aussi l’appui de tous les Kirêgou restés sur place. Les troupes dépêchées par les trois Sultans en renfort aux hommes de Haggar se rassemblèrent à Sendi avant de faire mouvement vers le Koubé. Horout avait entretemps déplacé sa résidence à Bamina95 en laissant ses hommes derrière lui, en avant-poste. La première bataille eut lieu à Kouba, en un lieu appelé Ouyou. Les Kirégou infligèrent d’abord une défaite aux Nawra. Djadallah s’en échappa avec peine mais il réorganisa ses guerriers et attaqua une seconde fois les Kirêgou dans la région de Nanou, à Horogona en un lieu appelé Ogou, où il battit sans ménagement ses rivaux. Sorti vivant de cette bataille, Haggar prit sa revanche en attaquant à son tour son demi-frère. Les Nawra furent battus, pourchassés jusqu’au Dar-For et exterminés. Le Khalifat échappa cette fois-ci avec une blessure à la tête, blessure qu’il reçut de la main même de Haggar et qui le traumatisa pour le reste de sa vie. Haggar s’autoproclama alors Sultan du Koubé, outrepassant l’autorité de son père et sans le consentement du Roi. Le vieux Horout qui n’avait toujours pas modéré ses sentiments envers son fils, essaya une fois encore de le mettre en garde et de lui rappeler le respect sacré qu’il lui devait sans condition. Mais toutefois il ne comptait pas trop sur ces menaces car il était conscient de son injustice et du préjudice que celle-ci avait causé à son fils. appartient au Tama Il faut remarquer que les Tama ne désignent pas les Béri par le terme de Zaghawa comme le font les autres étrangers ; ils les appellent des Kougnit. 95 Bamina (de bà "puits" et mîna "petit" et signifie "petit puits") : c’est la partie nord-est du pays des Bidéyat.

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– Haggar, lui dit-il par messager interposé, si tu te conduis ainsi, si tu ne cesses pas d’exterminer les gens de ton demi-frère ou de me désobéir, je te porterais malheur ; je deviendrais pour toi un mauvais signe : l’épervier vert, la corneille toute noire ! Hélas ! Humilié et objet d’une injustice aveugle, Haggar n’avait que faire de telles sommations. Il encercla de nuit, avec la plus grande discrétion, le village où se trouvait Horout. Celui-ci en fut informé dès l’aube par une femme qui s’en était aperçue. Seulement, le Sultan était tellement vieux qu’il ne pouvait se déplacer que dans un lit. Et, écœuré d’apprendre que sa résidence allait être attaquée incessamment, il appela les siens et leur dit : – On m’a appris que nous sommes assiégés. C’est sûrement Haggar qui revient pour se venger. Il n’y a plus rien à faire. Sauvezvous donc comme vous le pouvez ! Evidemment, il n’y avait plus d’autres alternatives. On le transporta dans un lit et on tenta vainement la fuite. Mais Haggar donnait déjà l’assaut et ordonnait à ses hommes d’exterminer tout le monde, excepté ceux sur lesquels il poserait la main en guise de pardon. Tandis que Haggar cherchait à épargner son père dans la mêlée, celui-ci qui ne se doutait pas de sa présence parmi les guerriers, se mit à l’interpeller : – Haggar, m’entends-tu ? dit-il. Je sais que c’est toi qui reviens pour te venger. Mais sache que je suis pour toi l’épervier vert, la biche-mère-menant-son-petit ; je suis pour toi la corneille-toutenoire ! Haggar, m’entends-tu ? Je suis un mauvais augure pour qui touche à mes hommes et à mes biens ! Haggar courut alors vers le vieux en détresse et lui posa la main sur le corps pour lui sauver la vie. Mais, ne pouvant supporter l’image de la bataille d’Ogou pendant laquelle Djadallah, prenant la défense du clan de sa mère, se battit contre les Kirégou qu’il massacra après les avoir vaincus, il lui dit enfin : – Père, étais-tu aussi un mauvais augure pour qui touchait à tes hommes et à tes biens le jour d’Ogou ? Le vieux père n’interpella plus désormais. Mais Haggar avait déjà fini de nettoyer le village. Horout fut la seule personne qu’il épargna. Il mit à mort Djadallah et les deux cousins de celui-ci, Kabbas et 115

Awaré Gowout. Il s’empara ensuite des timbales royales et fit annoncer sur l’ensemble du territoire qu’il n’y avait plus d’autre Sultan que lui. Mais malgré tout, cette victoire ne dissipa qu’à moitié sa colère. Il prit désormais des précautions pour mettre le clan de sa mère à l’abri d’éventuels dangers. Il créa, pour ce faire, le titre de kamini96 qu’il attribua exclusivement aux Kirêgou. C’est ce titre que les Chefs de ce clan portent jusqu’à nos jours. Déjà usé par l’âge, le vieux Horout, mourut peu après, dans la déception. Haggar s’installa alors à Norsi. Il se sentit dès lors les mains libres et se considérait comme un Sultan ayant toutes les prérogatives d’un Souverain. Seulement, ce faisant il se mettait une fois encore dans une situation assez dangereuse vis-à-vis du Roi. Celui-ci l’arrêta en effet et l’emprisonna pendant sept ans au Dar-For pour avoir pris le pouvoir par la force et sans son consentement. Pendant toute la période de détention de Haggar, il n’eut au Kobé d’autres Chefs que des Mogdoum indépendants les uns des autres. Haggar purgea sa peine dans des conditions assez mystérieuses. A sa libération, il reçut officiellement, du Roi cette fois-ci, le titre de Sultan du Koubé. Il retourna chez lui mais paradoxalement peu instruit par toutes les mésaventures qu’il avait connues, il se disait hostile à toute soumission et finit par n’obéir à personne ni payer de tribut à quiconque. – Dépendre de quelqu’un est un grand mal, se disait-il chaque fois qu’il réfléchissait sur son passé. J’avais une centaine de frères et demi-frères, fils de Horout ; nous étions pourvus de toutes nos forces physiques et mentales. Si, avec eux, j’avais auparavant imaginé une vie d’indépendance, je n’aurais pas perdu quatrevingt-sept d’entre eux. Puisque la dépendance m’a valu leur perte, mon sultanat ne dépendra désormais ni du Roi des Kora ni de celui des Borgo. Ainsi, durant les sept années de sa vie au trône après avoir quitté la prison du Roi, Haggar fit évoluer le Sultanat de Koubé hors des con-

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Kamini : titre de noblesse, porté jusqu’à nos jours par les Chefs Kirégou ; il devrait symboliser et rappeler constamment la colère de leur lointain neveu face aux injustices de son demi-frère, responsable de l’extermination des Kirégou à Ogou ; il devrait également symboliser l’humiliation que Horout avait témoignée à son fils Haggar, suite aux exactions de Kabbas et d’Awaré. L’expression de Kamini est de toute évidence dérivée de Kamini qui signifie "colère".

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traintes royales, ne se soumettant à aucune tutelle et ne payant de tribut à aucun Roi.

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CHAPITRE VIII La mort du Sultan Haggar

On surnommait Haggar de Daggas97, à cause de son courage face aux dures épreuves et à cause des décisions qu’il prenait constamment pour piller les Arabes qui dépendaient du Roi des Borgo. Mais, bien qu’il ait pu être plus mûri et mieux instruit par les épreuves qu’il avait eu à affronter durant sa vie et bien que l’expérience ait dû le conseiller à une existence plus paisible, Haggar ne cessait d’organiser des razzias dans les régions voisines, particulièrement chez les Arabes, attaquant impunément ceux que les Béri appellent des Mourdia. Un jour, alors qu’il allait vers sa zone de chasse avec quelques guerriers dont son cousin paternel Néï, fils d’Abderahmane-Tébes, sa troupe s’arrêta au bord d’un marigot afin de se désaltérer. – Retenez vos chevaux à l’écart pour éviter de troubler l’eau, dit-il à ses compagnons, vous les laisserez s’abreuver après les hommes. Mais Néï qui n’avait pas entendu ou ne voulait pas respecter la consigne de son cousin, laissa son cheval marcher dans le marigot. Le Sultan fut alors choqué par cette désobéissance ; il s’approcha luimême de la bête et la harcela des coups de chicotte. Le cheval fit alors un bond nerveux, renversa Néï qui le tenait par la bride et le traîna dans la boue, le faisant barboter comme un pantin. Lorsque Néï se releva, il était tout honteux ! Haggar continua sa route vers le pays des razzias sans se soucier de l’état dans lequel il avait mis le prince, son

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Daggas : daggas en beria est la prononciation de daggach en arabe ; cela veut dire en arabe dialectal "qui écroule tout sur son passage". Ce surnom est donné à Haggar à cause de sa force physique, son courage et sa témérité.

cousin. Ce dernier ne se sépara cependant pas de la troupe mais il en garda une forte rancune. Excédés par les attaques incessantes du Sultan du Koubé qui n’obéissait plus à aucun Roi, les Arabes demandèrent et obtinrent l’aide des Borgo afin d’organiser une expédition punitive contre l’ennemi. Haggar fut informé de la situation, mais il préféra aller à la rencontre de ces Arabes que de fuir ou de les attendre dans son village. Le choc eut lieu à Kourgou98. Haggar avait à ses côtés Djit, ses deux neveux (Houda et Déguéré) ainsi que son cousin Néï. Mais ce dernier avait en mémoire l’image de son barbotage dans le marigot. Il n’avait donc aucune intention de se battre ; au contraire, il jugea l’occasion opportune à la vengeance. Il se mit à exhorter les hommes à baisser les armes et à prendre la fuite. En effet, Houda et Déguéré déguerpirent aussitôt. Djit aussi, s’apercevant qu’il n’y avait plus d’autre issue, courut vers Haggar et lui dit : – Il faut que nous te sauvions ! Nous formerons un bouclier autour de toi pour te retirer de la mêlée. Ne refuse donc pas de fuir, c’est la seule solution qui nous reste face à l’ennemi ; celui-ci nous dépasse en hommes et en armes ! Mais Haggar lui répondit avec dédain : – Demande à la terre du Koubé qui me porte de s’enfuir avec moi si elle veut me sauver la vie. Djit l’abandonna alors et rejoignit les fuyards. Néï qui galopait déjà à leur tête, disait à ceux-ci : – Haggar n’est qu’un bourreau, abandonnez-le à son sort ; courez donc comme vous le pouvez et allez loger vos chèvres dans des cachettes sûres ! Et, content de l’issue d’une bataille où Haggar perdrait inévitablement la vie, il fuyait comme un diable écervelé tout en chantonnant : bô doge koru kirigi Tébess bêrî gînô Dûa gû oguri

"J’ai conduit le taureau avec lequel j’ai bouché un trou" "Oh, Tébess ! Moi, ton fils," "Le pays des Rois m’appelle".

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Kourgou : Kourgou est une montagne qui se trouve à une dizaine de kilomètres de la ville d’Iriba, sur la route menant vers Ourba.

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Les Arabes, appuyés par l’armée royale, étaient décidés à en finir tandis le Sultan se battait tout seul et se défendait acharnement en donnant des coups et en chantant pour ne point penser à la mort : Hûda rû guri kîrê Dêgêrê Kerei kîragû Djit keri keibo ay îmô bûra tàwr awarî

"Le nommés Houda, aîné de Déguéré" "(tous deux) cousins qui n’équivalent pas Djit" "Je ne suis plus qu’une d’autruche-mère pondant en pleine brousse".

Haggar fut finalement tué. On lui mit une corde au pied et on le traîna jusqu’à Hiriba99, précisément à l’emplacement actuel du puits de Guemeba100. Là, on le mit dans la position assise contre une espèce de mimosacées appelée teïra101 et on lui ouvrit la poitrine. Les Arabes voulaient ainsi voir ce que cette poitrine renfermait, car, se disaientils, un cœur d’homme ne saurait être doué d’une telle bravoure. Ils furent justement très surpris, raconte-t-on, lorsqu’ils ne purent en tirer qu’un os fourchu, fixé à la place du cœur. La tradition orale dit que les Arabes amenèrent chez eux l’os mystérieux et le conservèrent. On raconte aussi que chaque fois qu’une femme de la tribu des Arabes qui avaient tué Haggar accouchait, ceuxci trempaient un os dans l’eau (en mémoire de celui qu’il avait tiré de la poitrine de Haggar) qu’ils donnaient à boire au nouveau-né pour le rendre brave. La vie de Haggar n’aurait été qu’une succession d’événements mystérieux : il aurait vécu sept années dans un gouffre avec un serpent sans périr de morsure ni de faim, se nourrissant d’aliments providentiels ; il aurait fait sept autres années dans la prison du Roi ; enfin il ne régna que tumultueusement pendant les sept dernières années de sa vie et, lorsqu’il mourut des mains des Arabes, ceux-ci lui ouvrirent la poitrine mais n’auraient pu y découvrir qu’un os fourchu à la place du cœur !

99

Hiriba (de hiri "vache" et bà "puits") : Hiriba est la prononciation correcte de "Iriba" et signifie "puits des vaches". 100 Guéméba (de gémé "blé" et bà "puits") : Guéméba ("puits du blé") est le nom du puits se trouvant à près de cinq kilomètres au nord-ouest de la ville d’Iriba, sur le wadi qui porte le même nom, à l’embouchure entre ledit wadi et le ruisseau appelé Djoura Mogounous 101 Teïra =Acacia albida

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CHAPITRE IX Le guet-apens

Les prétentions de Néï ne se firent pas attendre après la mort de Haggar dont le père est le Sultan Horout, fils de Hilane. En sa qualité d’Angou et en vertu du privilège que sa descendance lui conférait, il se sentait en droit de discuter le pouvoir à son cousin, et cela bien avant la bataille de Kourgou. On se rappelle que Néï est le fils d’Abderaman-Tébess qui est lui-même le fils direct de Hilane. Il alla auprès du Roi des Kora et lui expliqua que son cousin Haggar était mort à cause de ses goûts démesurés pour l’indépendance et parce qu’il avait désobéit à sa Majesté le Roi. Après quoi, il lui présenta sa candidature à la succession, en insistant sur le fait qu’il n’oserait jamais faire comme Haggar et qu’il resterait toujours fidèle au Trône des Kora. Proclamé Sultan, Néï s’installa à Sendi Korou102. Il eut deux fils, Mougou qui le succéda à sa mort et Ogourou qui devint Sultan à son tour à la mort de son frère. Le Sultan Ogourou, comme son grand-père Haggar, ne s’entendait pas avec ses voisins Arabes. Un jour, ceux-ci, avec l’appui des Borgo, l’attaquèrent et le surprirent en un lieu appelé Ogonabà Téri103, près de Sendi où il avait fondé son village. Il n’eut donc pas de temps pour faire appel à ses hommes à travers le pays, lesquels ignoraient tout d’une éventuelle attaque. Il fut tué, tous les habitants du village furent

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Korou : Korou signifie "trou" et Sendi Korou "trou de Sendi" ; il s’agit d’un passage étroit à travers la vallée de la colline de Sendi. 103 Ogonabà Téri: Ogona est le nom d’un lieu ; et bà signifie "puits" ; Ogonabà veut donc dire : puits d’Ogona ;Téri est l’appellation de l’Acacia albida ; Ogonabà Téri signifie enfin : "le puits de l’Acacia albida qui se trouve à Ogonabà" : nom de la place où se trouve l’Acacia albida, près du puits d’Ogona

également tués ou faits prisonniers ; leurs biens furent emportés dont le cheval du Sultan dénommé Arial104. Après avoir ravagé le village du Sultan, l’ennemi ne rentra pas directement chez lui ; il campa près d’une mare pour tendre un guetapens au reste des hommes d’Ogourou qui n’étaient pas sur le lieu et qui avaient par conséquent échappé au rafle ; il eut l’idée de tenir en laisse le cheval du Sultan, à l’écart du camp afin d’attirer les passants, car Arial était connu de presque tous les sujets et ceux-ci ne pourraient pas passer à côté du Sultan sans aller le saluer. Les gens de passage qui n’étaient pas informés de l’événement et croyant que leur Sultan campait là en y voyant son cheval, vinrent donc vers ladite mare les uns après les autres. Ils furent alors capturés aussitôt. Cette mare prit à cause de cet événement le nom d’Arial Kèï105. Parmi les personnes emportées par l’ennemi il y avait des Angou mais ceux-ci furent rachetés, échangés contre des animaux. Il était de règle à cette époque que, si les Arabes capturaient des Béri et si parmi ceux-ci il se trouvait des Angou ou des Bigui106, les captifs ne pouvaient sauver leur vie ou recouvrer leur liberté que contre vingt dromadaires pour chacun. Il en était de même si parmi les personnes capturées par les Béri, il se trouvait des Arabes de la tribu des Adawi. La fin tragique d’Ogourou107 eut lieu seulement après sept années de règne. Les Arabes s’emparèrent de ses timbales en cuivre et les apportèrent au Roi des Borgo qui les garda pour les attribuer à un futur Sultan qu’il investirait lui-même afin de le maintenir dans une entière dévotion à son trône. Les Koubéra pleurèrent beaucoup Ogourou car, dit-on, il fut un Chef exemplaire dont le pays n’avait jamais connu de misère à son temps. Son fils Abdel-Fagara108 le succéda. Celui-ci régna pendant quatorze ans. Mais il n’avait plus de timbales, ce qui, au Koubé, était unanimement considéré comme un handicap dans l’exercice du pouvoir. 104

Arial ou ériel désigne en arabe dialectal une espèce d’antilope. Le cheval du Sultan est nommé Arial à cause de la couleur de sa robe et à cause de sa rapidité dans la course. 105 Arial Kèï signifie "mare d’Arial" 106 Bigui : Le clan des Bigui fournissait des Sultans au Kabka, comme celui des Angou fournissait des Sultans et des Mogdoum au Kobé. 107 Ogourou : il n’y pas d’unanimité sur la durée du règne d’Ogourou ; Marie-José le situe toutefois entre 1807 et 1837 108 Abdel-Fagara : Il ‘y a pas d’unanimité, non plus, sur la durée du règne d’AbdelFagara ; pour Marie José, il se situe entre 1837 et 1861.

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CHAPITRE X Les quatre prétendants et la ruse de Hirdi

Comme on le sait, le Sultan Abdel-Fagara n’avait pu avoir, durant son règne relativement long, les fameuses timbales en cuivre qu’il désirait ardemment posséder. Il mourut vers 1861 et fut enterré à Maïba où il avait installé sa résidence. Il n’avait pas d’héritier indiqué auparavant. En pareilles circonstances, chacun des huit sous-clans des Angou se sentaient en droit d’accéder au pouvoir en vertu de sa descendance109. Les rivalités entre eux se ravivaient alors et la course au pouvoir justifiait des mesquines trahisons, des complots et des combinaisons de toutes sortes. C’était ainsi que plusieurs parties se déclarèrent candidates à la succession au trône, dès la mort d’Abdel-Fagara. Il s’agissait du : – Sous-clan des Angou Maïkassoura avec à sa tête le Mogdoum110 Sobor ; celui-ci avait à ses côtés beaucoup d’hommes dont ses frères ; – Sous-clan des Angou Djeïra, avec à sa tête le futur Sultan Hirdi entouré de ses frères ;

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Descendance : Les Angou se disent d’origine arabe qoreichite comme les clans royaux des Tama et des Dadjo du Dar-Sila ; ils se répartissent en huit sous-clans (Maïkassoura, Inakaïra, Djeïra, Tobouïra, Norsira, Téribéra, Tirguéhorout, Kourgoura) qui avaient l’habitude de se disputer le pouvoir et de comploter les uns contre les autres. 110 Mogdoum : Le titre de Mogdoum, comme celui de Sultan, était réservé aux sousclans des Angou. Chacun de ces sous-clans a le droit d’accéder à la tête du Sultanat ou d’un Mogoudoumat. Ainsi, chaque sous-clan avait accédé au moins une fois au titre de Sultan ou de Mogdoum, depuis que les Angou régnaient au Kobé il y a près de cinq siècles. Le pouvoir appartient au clan et non à une seule famille qui en est issue, c’est ce qui explique peut-être l’instabilité du pouvoir et les conflits fratricides qui jalonnent tout le long de l’histoire des Béri.

– Sous-clan des Angou Norsira, avec à sa tête le futur Sultan Nafé, entouré de ses frères ; – Sous-clan des Angou Tobouïra, avec à sa tête Irâkib111 (Râkib en arabe), entouré de ses frères. Le titre de Sultan était reçu, selon les circonstances, soit du Roi des Kora soit de celui des Borgo. La concurrence entre les différents prétendants se faisait à travers le nombre d’hommes qui accompagnaient chacun d’eux lors des déplacements pour la conquête du pouvoir, ainsi que la quantité et la qualité des biens constituant la douane112 destinée au Roi. Mogdoum Sobor et Hirdi, chacun entouré de sa suite, se rendirent au Ouaddaï, tandis que Nafé et Irâkib préférèrent chercher le pouvoir du côté des Fors. Les deux derniers groupes présentèrent (chacun séparément) leur douane à Aboul-Khêrât, Roi du Dar-For. La concurrence entre les deux partis était tellement serrée que le Roi hésita à les départager. Les notables et dignitaires du Koubé, ne voyant pas d’issue salutaire à cette situation, se réunirent pour se concerter afin d’éviter toute éventualité de guerre civile. Ils firent eux-mêmes le choix de leur Sultan et en informèrent Aboul-Khêrât. Celui-ci entérina ce choix et Nafé remporta ainsi la partie. Du côté du Ouaddaï où le Roi Youssouf reçut le Mogdoum Sobor et Hirdi, les deux candidats utilisèrent tous les moyens et toutes les méthodes à leur possession : le premier annonça une douane avec beaucoup d’animaux dont de nombreux chevaux. Youssouf le préféra à Hirdi ; il donna des consignes pour préparer son investiture. La date de la cérémonie fut fixée au lendemain. Cependant, Hirdi en était désolé, mais il ne se tenait pas encore pour battu, car il était un homme très fin et il savait aussi qu’il lui restait encore une dernière cartouche à épuiser : il y avait dans l’entourage du Roi une personne à qui il comptait faire recours en dernier ressort ; il la consulta. Celle-ci lui dit : – Le Roi revient rarement sur sa décision, mais si tu arrivais à contacter son oncle maternel et arrivais à l’en convaincre, il pourrait sûrement te rendre service, il est la seule personne de chez nous qui puisse faire changer d’avis au Roi. Il se rend tous 111

Irâkib (Râkib en arabe) : Le béria (langue des Béri) n’admet pas en initiale de mot la vibrante apico-alvéolaire, roulée ou battue. De ce fait, les locuteurs font apparaître une voyelle en initiale de tout mot commençant par une vibrante [r]. 112 Douane : La douane est l’ensemble des biens (animaux, et effets de valeur) qu’un prétendant offre au Roi pour acquérir le titre de Sultan ou de Mogdoum.

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les jours, au coucher du soleil, à sa mosquée où il reste à prier longtemps ; c’est là que tu pourras le rencontrer. Lorsque Hirdi arriva sur le lieu, l’oncle du Roi avait déjà commencé sa longue prière. Mais voyant les chaussures de celui-ci à la porte de la maison sacrée, il eut l’idée de jouer à la ruse : il se les saisit et, s’accroupissant sur les quatre membres, il les posa sur son dos et attendit dans cette position jusqu’à la fin de la prière. L’oncle du Roi ne reconnut pas cette personne qui jouait à il ne savait quoi. Il trouva assez amusant qu’un inconnu s’adressât à lui d’une telle manière, tout à fait insolite. – Qui es-tu ? lui demanda-t-il. – Je m’appelle Hirdi, je suis un fils du Koubé. Je viens ici à la recherche du pouvoir. – Et ce comportement, de qui le tiens-tu ? – Je sais, maître, sans qu’aucune personne me l’eusse dit, que vos pieds ne sauraient toucher le sol, vous devez marcher sur des hommes. En entendant Hirdi ainsi parler, l’oncle du Roi fut pris d’une grande joie. – Viens, mon fils ! lui dit-il. Je te ferrai ce que tu voudras. – Ainsi, il le prit avec lui et alla directement au palais. Il le présenta à son neveu en disant : – Le cheval que tu avais choisi est déjà gros, tu ne peux plus l’engraisser davantage ou le rendre obéissant et fidèle à toi ; il risque même de t’arracher les brides. Je te présente en revanche un autre cheval assez maigre ; tu peux faire de lui ce que tu veux. Et tu ne risqueras rien sur une telle monture. Le Roi, après avoir réfléchi au conseil de son oncle, changea d’avis et ce fut Hirdi qui reçut le lendemain les insignes du Sultan. Hirdi revint au Koubé avec les timbales qui avaient été remises au Roi lors de l’assassinat d’Ogourou à Sendi, ainsi qu’un esclave, une bouilloire en cuivre, un chapelet et un cheval harnaché dénommé Ossoubour qui avait été pris du Koubé au cours d’un razzia et que Hirdi reconnut aussitôt. Lorsque le Roi Youssouf lui remit ces biens, il s’exclama de joie : – Combien Iro m’aime pour avoir remis entre mes mains les timbales du Koubé et le valeureux Ossoubour ! 127

Le Sultan s’installa à Awga, entre Mordou et Wê. Il avait en face de lui Nâfé fils d’Aria, un rival intronisé par Aboul-Khêrât, Roi des Kora. Mais cette rivalité fut de très courte durée puisque Nafé ne régna que deux à trois mois car il fut assassiné dans des conditions assez mystérieuses113.

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Le Sultan Nafé fut noyé dans la mare d’Ondour vers 1887, quelques mois seulement après son investiture par le Roi Aboul-Khêrât du Dar-For. Le Roi Youssouf accorda aussi, au même moment, à Hirdi le même titre de Sultan du Kobé ; Youssouf avait ainsi un rival de Nafé, vassal d’Aboul-Khêrât. On n’a jamais su par qui le meurtre avait été commis.

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CHAPITRE XI La mort mysterieuse de Nafé

Nafé, élu de ses sujets et investi par le Roi Aboul-Khêrât, avait regagné son pays qu’il commença à inspecter. Il campait près de la mare d’Ondour114 lorsque, au cours d’une nuit, une personne fugitive l’appela de loin pour un entretien confidentiel115. Personne ne fit attention à l’appel suspect et personne, par conséquent, ne prit la précaution d’identifier le nocturne qui appelait le Sultan dans l’obscurité. Celui-ci ne fit pas lui-même trop d’attention et n’hésita pas à répondre audit appel. Mais le mal fut qu’il ne revint plus. La durée de l’hypothétique entretien intrigua quelque peu les hommes du Sultan mais ceux-ci ne firent pourtant rien à temps pour voir ce qui se passait entre leur Sultan et l’inconnu. Il fut trop tard lorsqu’ils décidèrent finalement d’aller derrière le campement pour se rassurer si cet entretien confidentiel continuait toujours. Ils s’armèrent tous de flambeaux et se mirent vainement à sa recherche. Mais les ténèbres étaient épaisses, dans une nuit sans lune ni étoiles. Pour une surprise, c’en fut une, car ils ne le découvrirent que le matin, mort étranglé et flottant sur l’eau de la mare. Les Angou Norsira116 et leurs alliés se réunirent pour étudier les mystérieuses circonstances dans lesquelles un des leurs venait de trouver la mort. Ils se 114

Ondour : Ondour est une grande mare se trouvant à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville Iriba. Elle peut conserver de l’eau pendant quelques mois après la fin des pluies. 115 Entretien confidentiel : Les Béri ont l’habitude de se retrancher du public pour se dire des confidences, pour obtenir la faveur, l’excuse ou le pardon de quelqu’un ou encore pour déterminer la position de celui-ci dans une situation donnée. L’habitude vient de l’Islam qui recommande la concertation en toute entreprise ; cette habitude est très répandue et est connue sous le nom arabe de chawr. 116 Angou Norsira : Les Angou Norsira constituent un sous-clan des Angou auxquels appartient Nafé.

dirent finalement, et avec conviction, qu’il ne pourrait avoir au Koubé de natif ou d’étranger qui osât tuer ainsi Nafé s’il n’était payé ou envoyé par Irâkib117 ou bien par son beau-frère le Tagîgnaw118DerKouwa. Ils firent alors venir devant eux les deux accusés, mais ceux-ci nièrent naturellement les faits qu’on leur reprochait. Les Norsira étaient perplexes car ils n’avaient aucun indice de compromission, aucune preuve pour étayer leur accusation bien qu’ils fussent convaincus de l’exactitude de leurs sentiments. Ils se résignèrent à faire seulement jurer les deux personnes sur le Coran. Irâkib et Der-Kouwa posèrent alors la main sur le Livre119 saint et dirent solennellement qu’ils n’étaient impliqués dans le meurtre ni de près ni de loin. On classa dès lors cette affaire pour se pencher sur d’autres problèmes de la chefferie dont le plus pressé était de choisir sans trop tarder un successeur. Oumar-Gouroun, le fils du défunt, se dépêcha auprès du Roi, prétendant à la succession de son père. Mais Aboul-Khêrât considérait que c’était une grande légèreté et même une bassesse d’esprit que Nafé avait témoignée en répondant à un appel manifestement suspect. Et, par voie de conséquence, il refusa de donner le pouvoir au fils d’un homme ainsi disqualifié. Il préféra donc Irâkib à Oumar. Irâkib s’installa à Mawn120 après son investiture. Entrer en possession des timbales royales du Koubé était dès lors son souci constant, ces instruments étant toujours entre les mains de Hirdi. Il voulait se les emparer par tous les moyens. Il prépara une expédition contre les positions de son rival à Awga. L’objectif était de déposséder ce dernier des insignes du pouvoir. Il comptait sur l’appui des Arabes Ta’acha qu’il avait déjà appelés à son aide. Les Ta’acha, dirigés par un nommé Nour-Angara, vinrent en effet fortifier les rangs d’Irâkib. Mais Hirdi était régulièrement informé des manœuvres de son ennemi. Lorsqu’il apprit que celui-ci, avec des Arabes en renfort, se dirigeait vers son village, il envoya à sa rencontre une troupe sous le commandement de 117

Irâkib : Irâkib (ou Râkib) est un Angou Tobouïra ; il était l’un des quatre prétendants au trône du Kobé. Il s’était rendu en même temps que Nafé auprès du Roi des Kora pour présenter sa candidature. 118 Tagîgnaw(ou Tagnaw) : c’est un titre de dignité porté par le clan des Mira, premiers occupants de la terre de Kobé 119 Livre : Lorsqu’une personne est accusée sans témoins ni aucune preuve contre lui, on le fait jurer sur le Coran pour lever l’accusation. Un accusé est tenu, après avoir fait conformément ses ablutions, à poser la main droite sur le Livre saint en même temps qu’il prononce la formule exigée. 120 Mawn : Mawn est à une journée de marche au sud de Touna (Tiné). Le Sultan s’était installé au village de Simobà.

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son frère le Khalifat Abel-Châfi. La bataille eut lieu à Ogona. AbelChâfi remporta une éclatante victoire. L’ennemi fut décimé ; Irâkib lui-même, Nour-Angara ainsi que quelques guerriers ne purent sauver leur vie que par la fuite. Les quelques fuyards se retrouvèrent au village d’Irâkib. Là, Nour-Angara, en courroux, dit au malheureux Sultan : – Tu n’es qu’un menteur ! Tu m’as trompé en me parlant d’une armée de Hirdi faible et désorganisée. Tu m’as fait perdre presque tous mes hommes. Je voulais rentrer à Oum-Dourmane avec Hirdi au bout de la corde, mais hélas, puisque ce n’est pas Hirdi que je dois traîner au bout de cette corde, c’est toi qui dois le remplacer. Ce disant, Nour-Angara donna l’ordre à ses guerriers, les rescapés de la bataille d’Ogona, de conduire avec eux tout le village de Mawn. Traînant le Sultan au bout d’une corde comme on ferait d’une chèvre destinée au troc, l’officier des Ta’acha prit avec lui tout ce qui restait du village. La résidence du Sultan fut donc complètement vidé : les hommes, les femmes, les enfants, les animaux et tous les biens furent emportés par les Ta’acha121. Ce fut ainsi la fin d’Irâkip, une fin tragique qui achevait un règne déjà tourmenté par l’idée des timbales que son rival détenait. Hirdi profita de cette déportation pour consolider son autorité sur l’ensemble du territoire Koubé. Mais le Roi des Kora qui en voulait à Hirdi pour sa soumission aux Borgo, n’entendait pas laisser les choses ainsi. Il convoqua un neveu à Irâkib, Abram Ardachâm, fils du Sultan Abdel-Fagara et le lui fit succéder. – C’est toi l’héritier légitime de ton oncle. Tu auras des hommes et des armes autant que tu voudras, lui dit-il lors de l’investiture. Tu iras tuer Hirdi et régner sur l’ensemble du Koubé.

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Ta’acha : Les Ta’acha sont des Arabes du Soudan. Lorsqu’ils amenèrent Irâkib (et le reste de son village) au Roi, celui-ci le garda en résidence surveillée en un lieu isolé du monde. Là, Irâkib fonda un village. Ses descendants y vivent toujours.

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Voici en effet, comment se présente la filiation de ces Sultans :

Le Sultan Ardachâm, fort du soutien des Kora marcha sur les positions de son rival qui prit aussitôt la fuite pour aller chercher refuge dans les montagnes de Kabka, puis à Dirong (Dourène des archives). Le Djoudé122 qui portait le titre de Malik et qui dirigeait le Dirong à l’époque, s’aperçut que, après six ou neuf mois de coexistence, Hirdi se conduisait mal, car au lieu de se considérer comme un réfugié, il se comportait plutôt en Sultan de Dirong. Le Malik lui demanda alors de quitter son pays. Hirdi refusa de se soumettre à cet ordre. La guerre était dès lors inévitable. Le Malik prit l’initiative d’attaquer le premier ; il avait le soutien des Goranes que commandait Djaïri Abu-Oumar. Hirdi défendit ses positions mais il perdit beaucoup d’hommes à la bataille dont ses deux fils, le Khalifat Ahmat, frère du futur Sultan Dawsa et Ismaïl Daldoum, ainsi que son beaufrère, un Borsou appelé Doï. Il ne savait plus que faire. Il rassembla le reste de ses fils et de ses hommes et leur dit alors : – Nous étions chassés de la terre de nos ancêtres. La terre où nous nous trouvons actuellement ne nous appartient pas et ses maîtres ne veulent plus nous laisser y vivre librement. Nous devons donc retourner au Koubé. Ou bien nous le reprendrons d’Ardachâm ou bien nous y perdrons tous la vie, car je ne vois pas d’autres alternatives.

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Djoudé : Les Djoudé constituent un clan des Béri ; ils fournissent des chefs dont le titre est "Malik (ou Melik)"

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A l’issue de cette décision, Hirdi et les siens quittèrent le Dirong et arrivèrent jusqu’à Mordu123. Mais le Sultan se sentait incapable de diriger la bataille, il appela alors son fils Dawsa et lui dit : – Je suis vieux et infirme, je ne peux pas me battre. Je te délègue la direction de mon armée. Mais tu ne saurais revenir devant moi si tu n’es victorieux. Tu dois vaincre ou mourir au champ d’honneur. En ce moment Ardachâm résidait dans la ruisselle qui se trouve près de la ville actuelle d’Iriba et qui, par la suite, prit le nom de Djoura-Mogounous124. C’est là que Dawsa surprit la troupe rivale et la décima sans ménagement. Ardachâm fut tué ainsi que huit de ses frères. L’atrocité était à son comble, le sang coula sur le sable de la ruisselle. La superstition mit ce massacre sans précédent au compte de la prédestination et qualifia cette ruisselle de Djoura-Mogounous c’est-à-dire "la ruisselle maudite". C’est avec une certaine peine que les gens évoquent toujours cet épisode, l’événement se trouvant gravé dans leur mémoire comme une charge étouffante. Hirdi se débarrassa ainsi de son redoutable rival. Il avait réalisé son ambition d’avoir le Koubé à lui seul, mais il avait encore peur d’Ali Dinar qu’il devrait traiter par d’autres moyens que par les armes. En homme fin et rusé, il offrit au Roi Kora sa fille Mostoura et cinquante chevaux, en même temps qu’il lui proposait sa soumission contre la paix avec le Royaume des Kora. Il s’excusa pour les malheureuses circonstances qui l’avaient conduit à l’élimination d’Ardachâm. Ali Dinar accepta la soumission de Hirdi et épousa Mostoura avec qui il eut un garçon, le prince Tiddjani et une fille du nom de Médina. Hirdi joua ainsi le meilleur jeu en sa faveur et devint une fois encore le seul maître du Koubé. Tout marcha bien jusqu’au jour où son fils Borgou se brouilla avec lui, une histoire qui mena à la révolte des Borsou et à la suppression du Sultan par les colons français.

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Mordu : Capitale du Sultanat de Kobé avant la colonisation, Mordu se trouve à une quarantaine de kilomètres au Nord-Ouest de la ville d’Iriba. 124 Djoura Mogounous : djoura veut dire "ruisselle" et mogounous "maudit(e)" (emprunt à l’arabe) ; Djoura-Mogounous signifie donc "la ruisselle maudite".

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CHAPITRE XII La revolte des Borsou125 et l’arrivée des Français

A la veille de la pénétration française au Tchad, c’est-à-dire vers les années 1900, le sultanat du Koubé se trouvait sous la suzeraineté du royaume du Dar-For à qui il payait un tribut régulier. Le dirigeant du Koubé à l’époque s’appelait Abderrahmane Hirdi, fils de Bichara, arrière-petit-fils du Sultan Tâ (Tâha en arabe). Abderrahmane Hirdi avait beaucoup d’enfants dont Borgou et Dawsa. Le premier était plus âgé que le second, il était né d’une femme du clan des Borsou appelée Ouga ; tandis que la mère de Dawsa s’appelait Ogourda et appartenait au clan des Erdié126. C’est dire que les Borsou avaient pour neveu Borgou tandis que le neveu des Erdié était Dawsa. Un jour, un Erdié du nom d’Alli fut accusé de relations intimes avec la femme d’un Borsou nommé Hâchim Gnâgnouri. Cette affaire prit de l’ampleur et finit par se transformer en un conflit entre clans ; elle fut portée à la connaissance du Sultan. Alli devait donc comparaître devant la cour. Il était question que les Erdié payassent le Badergeï127 pour réparer le forfait. Les deux antagonistes arrivèrent dans la cour, chacun escorté des siens. Mais acculé par les mauvaises langues, Hâchim Gnâgnouri avait 125

Borsou : Les Borsou (contraction de borou sou signifiant "homme aîné") constituent un clan des Béri. Les clans des Borsou, Nawra, Arna, Wéra, etc. sont d’une même origine selon la tradition orale. 126 Erdié : Les Erdié constituent aussi un clan des Béri et vivent dans le canton sud de l’Ennedi. 127 Badergeï : le Badergeï (étymologiquement badergeï, traduisible approximativement par "échange de bras") est le bien donné en réparation d’une offense, d’un forfait pour éviter que la victime ou les siens ne se vengent. Il s’élève à un dromadaire dans le cas d’adultère.

cependant l’intention de surprendre son adversaire et de se faire justice à sa manière : il voulait tuer Alli avec un couteau-de-jet qu’il dissimulait dans son habit. Mais lorsqu’il tenta son coup au moment où l’assistance, devant le Sultan, avait la tête baissée comme il en était coutume, il ne put que le blesser. Alli et les siens crurent alors à un complot contre eux. La bagarre éclata et il eut une mêlée entre les assistants ; mais aussitôt, le groupe des Erdié et celui des Borsou se cantonnèrent, chacun derrière son prince, et observèrent le duel opposant Borgou à son cadet Dawsa, sous les yeux du vieux père. Les deux princes, chacun prenant la défense du clan de sa mère, se battirent à coups de sabre. Dawsa fut blessé à la tête et au poignet droit, une blessure qui fit de lui un infirme dont l’infirmité lui servit parfois, lorsqu’il devint lui-même Sultan plus tard, de justification à certaines exactions vis-à-vis du clan des Borsou. Hirdi s’emporta alors contre la conduite de ses sujets ainsi que celle de ses fils. Il somma les deux clans de se retirer et ordonna de mettre Borgou aux chaînes et de l’attacher contre le poteau central d’une hutte en paille appelé biyé sougoudi128. Dawsa avait deux cadets jumeaux du nom de Tom et Timan. Ceuxci, voulant le venger, mirent le feu à la case où était emprisonné leur demi-frère. Mais Borgou qui était un homme de grande taille, robuste et vigoureux, réussit à s’extraire de l’incendie avec ses chaînes en cassant le poteau. La nouvelle de cet événement déborda le village du Sultan (la résidence de celui-ci était à Taria à cette époque), puis arriva jusqu’au chef des Borsou, l’Ina Ali Déless qui se trouvait à Kouba-Djourga : on rapporta à ce dernier que son neveu Borgou fut brûlé vif dans une case par les frères de Dawsa. Ali Déless envoya alors des messagers à travers tout son territoire pour informer ses hommes de la triste nouvelle et pour rassembler aussi ceux-ci en vue d’une vengeance de leur neveu129. Hirdi apprit que les Borsou d’Ali Déless préparaient une attaque de son village ; il donna des consignes à ses hommes pour arrêter leur marche. Ceux-ci envoyèrent aux insurgés une dépêche pour leur apprendre que le prince Borgou était bien vivant mais que, par ailleurs, il était impossible de le libérer des chaînes sans qu’il fût pardonné par son père. Mais les Borsou ne voulurent rien comprendre malgré toutes 128

Biyé sougoudi : Le biyé sougoudi est la case maîtresse destinée au père de famille et où sont reçus les palabres et les hôtes. 129 Un prince devient le neveu de tous les membres du clan de sa mère.

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les explications et tentèrent de forcer le passage menant vers le village de Taria. Les entremetteurs qui n’écartaient aucune solution pour éviter la confrontation, trouvèrent alors plus facile de prendre le prince enchaîné sur un cheval et de le présenter aux assaillants afin de les rassurer de son état. Seulement ces derniers, toujours en courroux, arrachèrent leur neveu des mains des hommes de Hirdi, lui brisèrent les chaînes et l’amenèrent avec eux. Après avoir ainsi libéré Borgou, Ali Déles et ses hommes demandèrent à celui-ci de se rebeller contre son père : – Nous serons derrière toi et te considérerons comme notre Sultan, mais à une condition, lui dirent-ils ; tu jureras sur le Coran que tu ne te réconcilieras jamais avec Hirdi. Les Borsou considéraient l’attitude du vieux Sultan comme partisane et irrecevable de la part d’un père vis-à-vis de son fils. Borgou accepta la condition de ses oncles130 et jura sur le Coran d’être en conflit manifeste avec son père durant le reste de sa vie. Ce fut dès lors la révolte des Borsou. Cette révolte ne dura cependant qu’une année. Les rebelles passèrent la saison de sècheresse près de Koulbous en un lieu appelé Bardi et la période des pluies à l’est de la rivière de Sogoni en un lieu dénommé Doua où naquit le défunt Sultan des Zaghawa, Abderrahmane Haggar dont les parents se trouvaient parmi les dissidents. Quand le Roi des Kora apprit la nouvelle du conflit entre le Sultan Hirdi et le clan des Borsou, il envoya un messager dire au prince Borgou : – Si tu veux devenir Sultan du Koubé, je te le ferai à la place de ton père qui est d’ailleurs vieux et infirme. Au cas contraire, je ne te donne aucune autre alternative que celle d’aller te réconcilier avec lui. Borgou lui répondit qu’il ne pourrait accepter d’être au trône de son père tant que celui-ci serait en vie. Le Sultan Hirdi considéra ce refus comme une réponse exemplaire, digne de son fils. Il envoya des notables dire à ce dernier qu’il n’avait effectivement que les deux alternatives dictées par le Roi :

130

Les membres d’un clan qui fournit une épouse au Sultan deviennent des oncles aux enfants issus de cette alliance.

137

– Tu n’as pas d’autres choix, mon fils, lui dit-il ; ou tu acceptes de prendre le titre de Sultan à ma place ou tu viens te réconcilier avec ton père. Le Sultan signifia par la même occasion son intention de le pardonner sans condition. Borgou accepta finalement la réconciliation et rompit du coup le serment qui le liait aux Borsou et qui le maintenait rebelle à son père. Le Khalifat Abit, un neveu de Hirdi (fils de son frère), prit alors la direction de cette rébellion (cf. généalogie ci-dessous).

Les Borsou pensèrent que la réconciliation faite uniquement entre le père et le fils, et non entre le Sultan et le clan dissident, ne résolvait pratiquement pas le problème. Se sentant dès lors trahis et en danger, ils décidèrent d’exiger de Hirdi un serment sur le Coran afin de prouver qu’il s’était aussi réconcilié avec toute la fraction en dissidence. Le Sultan se trouvait à Ballou, à l’est de Kouba, lorsque les Borsou déléguèrent plusieurs dignitaires dont le Khalifat Abit lui-même, afin d’aller lui proposer les conditions permettant la normalisation de la situation. Seulement, lorsque cette délégation arriva chez le Sultan, celui-ci, déjà au courant de leurs intentions, voulut les arrêter discrètement. Mais heureusement pour le Khalifat Abit et sa suite, il y avait parmi les femmes du Sultan une Borsou. Celle-ci parvint, par un langage mêlé de mimétisme, à les informer de la décision de son mari. Les rebelles s’échappèrent précipitamment de la résidence mais, avant de prendre la fuite, ils réussirent à déchirer à coups de leur sabre l’étoffe qui servait traditionnellement de cloison131 entre le Sultan et le reste du monde. 131

Cloison : Il est de tradition chez les Koubéra que le Sultan s’isole de l’assistance par une cloison en toile d’étoffe, dressée entre lui et le reste du monde. Cette

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Les Borsou n’avaient plus de choix maintenant, ils devraient chercher une protection du côté de Doud Mourra, Roi du Ouaddaï, puisque Hirdi était un vassal du Dar-For et que, d’autre part, les deux royaumes se trouvaient en situation de belligérance. Abit alla donc trouver Doud Mourra et lui fit une habile version de la situation au Koubé. Ce faisant, le Khalifat espérait transformer les choses en sa faveur ; il ne dissimulait d’ailleurs pas son intention d’arracher le pouvoir à son oncle. Doud Mourra aussi en voulait beaucoup à Hirdi pour avoir rompu avec les Borgo et pour s’être soumis à son ennemi : il accepta sans trop d’hésitation les explications qui lui étaient avancées par Abit et mit à la disposition du prétendant une armée qui devait aller éliminer Hirdi afin de pouvoir, par la même occasion, imposer le prétendant comme Sultan aux sujets qui manifesteraient une résistance à l’accepter. Ainsi investi du titre de Sultan du Koubé, Abit désigna Haggar Terab comme son Khalifat et marcha aussitôt sur le pays de sa convoitise. Mais son adversaire qui en fut informé à temps et qui ne se sentait pas assez fort pour pouvoir l’affronter, prit la fuite en emportant avec lui les timbales en cuivre auxquelles le pouvoir et l’autorité du Sultan sont liés. Abit le poursuivit en vain jusqu’à Koutoum, en territoire For, avec la ferme intention de le tuer afin de s’emparer de ces timbales. Ce fut une période d’instabilité et d’insécurité pendant laquelle le Koubé connut deux Sultans rivaux dont aucun ne pouvait résider à l’intérieur des frontières de peur que son rival ne le surprît et le tuât : Le Sultan Hirdi vivait en pays des Touer132, sous la protection du Roi des Kora tandis que le Sultan Abit résidait au Dar-Tama, dans la montagne de Djabara-Talong au nord de Koursigué, sous la protection du Roi des Borgo. La tradition orale dit que les deux Sultans sont contraints à vivre hors du Koubé parce que ce pays, sans montagne de grande importance, est sans protection. Ainsi, on raconte que, lorsque Hirdi fut investi du titre de Sultan, il demanda aux siens de lui présenter le plus vieux des hommes en pays des Béri. Le plus vieux des Béri se trouvait

pratique a survécu jusque tout récemment et s’observait, il y a moins d’une dizaine d’années, partout où le Sultan se trouvait, en résidence permanente comme en campement sporadique lors de ses déplacements. 132 Touwer (ou Twer): Les Touwer forment une fraction parmi les Béri et vivent tous dans la province du Dar-For, au Soudan.

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alors à Wê et s’appelait Abou-Douwân. Hirdi dépêcha quelqu’un pour le faire venir auprès de lui : – Je t’ai fait venir ici pour te demander seulement conseil. Sais-tu me dire la meilleure des choses au monde ? lui dit-il. Le vieux lui répondit : – C’est le pouvoir et tu l’as effectivement. Mais le Sultan continua à le questionner : – Et après le pouvoir ? Abu-Douane lui dit : – C’est la montagne, mais tu ne l’as pas. La montagne est une chose précieuse qui garantit ta vie et celle des tiens ; elle est un lieu sûr pour tes biens. Sans la montagne tu seras vite repéré par l’ennemi, tué ou pris. Installe-toi donc dans une montagne ! C’était alors que Hirdi quitta sa résidence de Gnàï133 et alla s’installer dans la montagne d’Awga, à Beïba. Le Sultan Abit mourut au Dar-Tama après trois années de vie fugitive et de conflit armé avec son oncle pour conserver son titre, alors que les Français venaient d’obtenir la reddition de Doud Mourra. Le Khalifat Haggar Térab quitta Koyogat (au Dar-Tama) à la suite de cette mort et arriva à Abéché avec quelques dignitaires dont Bahar Bouder (un Angou Kourgoura) ainsi que le Tagnaw Abdallah et le Khalifat Abdel-Qâdir : il voulait se faire proclamer Sultan par Açyl Abou Koyôma que les Français avaient, entre temps, installé comme Roi du Ouaddaï à la place de Doud Mourra. Mais Açyl sortit une lettre que Bahar Bouder lui avait adressée clandestinement depuis longtemps et qui demandait au Roi du Ouaddaï de lui attribuer le titre de Sultan du Koubé. Il admit par conséquent que, Bahar Bouder étant le premier prétendant, ce titre devrait lui revenir. Seulement, lors de leur départ du Dar-Tama à la suite de la mort d’Abit, les dissidents avaient juré sur le Coran de surmonter tout malentendu entre eux et de choisir, lorsqu’ils auraient été devant le Roi, Haggar Térab comme leur unique Sultan. Il n’était donc pas question à Bahar Bouder d’accepter la proposition d’Açyl. Le Khalifat Haggar 133

Gnàï : Gnàï se trouve dans la localité de Maïba, à une journée de marche à l’ouest de la mare d’Ondour et à une journée de marche au nord de Sendi.

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Térab devint ainsi Sultan du Koubé. Le Roi lui attacha un fil de soie verte au poignet droit, premier insigne de l’investiture. Il lui manquait cependant les fameuses timbales en cuivre, celles-ci étant toujours entre les mains de Hirdi. Après avoir désigné Abdel-Gadîr comme son Khalifat, Haggar revint à Kabka et se rendit à Marougouï où il devait trouver une installation plus sécurisante puisqu’il ne pouvait pas se rendre directement au Koubé dont les plaines nues et les quelques collines n’offrent pas de refuge suffisamment sûr aux grandes attaques. Mais son premier règne ne dura pourtant qu’une année puisqu’il fut arrêté à la suite d’un message adressé aux Français par Borgou, fils de Hirdi. Celui-ci, profitant en effet de ses bonnes relations avec le Sultan du Kabka, son homonyme Borgou Hassan qui connaissait les Français pour avoir déjà été soumis à eux, écrivit en effet, au nom de son père, une lettre aux colons, demandant leur protection en échange de sa soumission. La lettre demandait également qu’il fût garanti à Hirdi le titre de Sultan du Koubé. Les Français acceptèrent les conditions de Hirdi. Ils firent venir Haggar Térab à Arada et le jetèrent en prison sans autre procès. Le Khalifat Abdel-Qâdir se sauva alors et se réfugia dans la colline de Mir134. Se fiant à la situation qui semblait ainsi tourner en sa faveur, Hirdi quitta la montagne-refuge et vint à Touna (actuel Tiné) pour se préparer à aller vers les Français en vue de leur proposer sa soumission : il voulait, par un tel acte, mettre fin à la guerre qu’il menait sur deux fronts contre la poussée des Occidentaux. Il réunit ses hommes et leur dit : – Nous irons bientôt rencontrer les Français. On ne va pas vers un supérieur les mains vides. Rassemblez des bœufs et des chevaux, confectionnez des cordes. Ces présents nous ouvrirons le cœur de l’ennemi. Quant à moi, j’ai pardonné à tous ceux de mes sujets qui m’ont fait du mal, sauf à Abdel-Qâdir. Tous les autres peuvent vivre sans crainte sur mes terres. Le prince Borgou aussi, à son tour, pardonnait à tout le monde, exception faite d’Assip fils du Ina Bougous, à qui il ne pardonnerait jamais. Assip Bougous était en effet un Borsou qui avait trahi le Sultan Hirdi alors que celui-ci, appuyé par une troupe d’Ali Dinar, menait à 134

Mir : colline jumelle de Ha-Koubé, dont les habitants, premiers occupants de la terre du Kobé, sont appelés des Mira, "habitants de Mir".

141

partir d’El-Fascher une campagne contre les hommes de Haggar. Ces derniers, avec la bénédiction du Sultan Bari des Bigui, se cachaient dans la montagne de Kabka, à Marougouï. C’était donc sur son chemin, lorsqu’elle marchait sur Kabka, que la troupe de Hirdi rencontra Assip dans la brousse d’Arbedjek. Certaines personnes conseillèrent alors d’éliminer sur place l’indésirable voyageur afin d’écarter toute éventualité de trahison ; mais d’autres écartèrent cette solution et proposèrent de le faire seulement jurer sur le Coran. Assip jura donc sur le Coran de ne rien dire à personne sur l’imminente attaque du Kabka et continua son chemin. Mais aussitôt qu’il fut à l’abri du regard des attaquants, il s’empressa d’aller informer à temps les hommes de Haggar. Ceux-ci prirent alors position dans la montagne et attendirent de pied ferme les assaillants. La bataille fut atroce pour Hirdi ; il perdit presque tous ses hommes dont deux de ses beau-fils (un Bigui appelé Kodogo et un Nawra du nom de Houno) ; tandis que du côté de Haggar, on ne déplora aucun mort. C’était pour cette raison que le prince Borgou considérait qu’Assip était impardonnable. On devait donc se préparer à rendre des hommages concurrentiels aux Français et, comme il en était une coutume en de pareilles circonstances, faire aussi remontrance par l’importance de sa suite afin de marquer sa grandeur. Il s’agissait d’une entreprise qui mobilisait tous les hommes du sultanat : il fallait constituer, pour les futurs maîtres, des troupeaux et des présents de toutes sortes. Et alors que tout le monde s’affairait à cette œuvre, le prince Borgou jugea le moment opportun pour procéder d’abord à quelques règlements de compte. Il voulait, comme il l’avait dit, se venger contre Assip. Borgou arriva, accompagné de quelques hommes, à Gougouré, village où habitait Assip, à un moment où les hommes y étaient absents ; ceux-ci se trouvaient non loin de là, dans un autre village appelé Gourfoura où ils y participaient à une cérémonie de circoncision. Alors, le prince repartit avec tous les troupeaux qu’il trouva sur place, sans se demander s’ils appartenaient à Assip ou non. Aussitôt informés de l’enlèvement de leurs troupeaux, les propriétaires décidèrent de se mettre sur les traces afin de les lui prendre de force ou de gré. Mais arrivés à Irdi dans la rivière de Borba, certains des poursuivants proposèrent de ralentir le pas pour éviter de rattraper, avant leur arrivée à destination, Borgou et sa suite. Les rencontrer en pleine brousse occasionnerait certainement des morts. Il fallait plutôt laisser Borgou arriver jusqu’au village de son père, ce qui permettrait de demander justice à ce dernier. Tous les poursuivants acceptèrent 142

cette solution, sauf Assip. Celui-ci savait qu’il n’avait pas encore été pardonné par le prince Borgou qui exigeait toujours sa mort. Contrairement aux autres, il n’avait rien à perdre, étant condamné à mourir en toute circonstance ; et s’il devait mourir, il préférait le faire pour une cause plus honorable comme celle-ci en défendant ses biens que pour une trahison qui ne cessait de peser sur sa vie. Il refusa donc de ralentir le pas et décida de rattraper seul ce prince qui le cherchait tant pour le tuer. Assip rattrapa Borgou et sa suite entre Irdi et Djagaraba. Il y fut tué sans ménagement et les assassins rentrèrent tranquillement chez eux, abandonnant le cadavre sur le chemin. Les hommes qui venaient derrière Assip Bougous n’étaient pas trop surpris lorsqu’ils butèrent sur le corps qui gisait sur le parcourt. Ils y campèrent pour la circonstance afin de pouvoir inhumer la victime ; puis retournèrent ensuite à Gougouré afin de lui organiser des sacrifices comme il en était d’usage. Lorsque Hirdi, après avoir appris l’assassinat du fils du Ina Bougous, appela Borgou pour demander des explications sur son acte, le prince et ses complices affirmèrent unanimement qu’ils avaient tué Assip parce qu’ils avaient vu, eux tous, celui-ci tuer de ses propres mains un des leurs, le Wégui Ali. Ce dernier faisait partie de la troupe que le Roi avait mise à la disposition de Hirdi pour combattre son rival Haggar, et participait à la campagne durant laquelle Hirdi et les siens étaient victimes de la trahison d’Assip. Le Sultan accepta ces explications mais renvoya à la famille d’Assip son troupeau ; il dépêcha ensuite quelqu’un dire aux parents éprouvés, proches et lointains, qu’après avoir apporté des présents aux Français en guise de soumission et dès son retour au Koubé, il s’occuperait personnellement de ce problème afin de leur rendre justice. L’un des deux condamnés étant mort (on ne se doutait d’ailleurs pas de ce sort), le survivant (Abdel-Qâdir) se souciait énormément de ce qui lui était réservé, car il n’arrivait pas à se défaire de l’idée que son oncle lui préférait la mort à la vie. Il se cachait dans les grottes de Mir et ne pouvait se montrer au grand jour. Mais il se renseignait quand même, tant qu’il le pouvait, sur tout ce qui se passait dans la cour du Sultan. Lorsqu’il apprit la mort tragique d’Assip, il réalisa que son sort serait le même s’il ne faisait quelque-chose pour l’éviter. Cette prise de conscience de l’imminent danger l’amena à imaginer toutes sortes de combinaisons afin de trouver une échappatoire. Il quitta de nuit sa cachette et arriva au village de Gougouré où il se mit 143

à collecter précipitamment des habits d’homme qu’il transperça à coups de lance. Il les aspergea ensuite du sang des animaux qu’on immolait pour les sacrifices. Il fourra les habits ainsi préparés dans un sac et, clandestinement toujours, les emporta jusqu’à Arada où se trouvait le poste le plus avancé des Français. Abdel-Qâdir se présenta aux colons et montra à leur Chef les habits troués et trempés de sang, lui disant : – Voici ce que vous avez occasionné en croyant à la soumission de Hirdi et en emprisonnant Haggar, votre allié le plus sûr. Le Sultan du Kabka vous a menti et Hirdi ne s’est servi de votre crédulité et de l’occasion que vous lui avez offerte que pour dévaster le Koubé et tuer ceux des habitants qui sollicitent votre arrivée chez eux. En témoignage de ce que je dis, je vous présente les habits que voici, percés par les armes de ses guerriers et immaculés du sang des innocentes victimes. Le Chef des Français, trompé par cette ruse, se mit dans une terrible colère. Selon la version traditionnelle, il ne prononça aucune parole pendant l’instant qui suivit la mise en scène d’Abdel-Qâdir. Il se mit seulement à siffler longuement, puis tirant son képi de la tête, il le remplit de son urine et se le renversa sur le crâne devant tout le monde. Personne n’en comprit rien ! Etait-ce un juron ou une simple façon d’inspirer la terreur ? En tout cas, un tel acte de la part d’un colon de l’époque, de par son caractère insolite, signifiait vaguement "l’extermination de tous". Les gens, pris d’une grande peur, s’apprêtaient et cherchaient une issue pour fuir. Mais le Chef ordonna de faire sortir Haggar de la prison et de le lui présenter aussitôt. Il dit à celui-ci : – Tu es dès ce jour Sultan des Zaghawa du Koubé. Celui du Kabka m’a trompé en me faisant croire à la soumission d’Abderrahmane Firti. Je mets à ta disposition un détachement que tu dois conduire dans les meilleurs délais sur le lieu où réside cet homme. Sinon, tu sais ce qui t’attends ! Haggar mesura à sa juste valeur cette condition à sa survie, mais il était très content de la possibilité qu’on lui offrait d’éliminer son rival. Par ailleurs, il était un homme très habile qui ne se faisait pas dire deux fois la même chose et qui savait tirer profit des telles circonstances. En plus, il était, depuis le temps qu’il travaillait avec Hirdi, un serviteur obéissant chaque fois qu’il était amené à se mettre au service 144

d’un Chef avec qui il s’entendait. Il se plia donc en deux devant le colon puis se mit au gardez-vous comme le ferait un tirailleur et dit qu’il pourrait sauver sa tête si on pouvait lui donner le temps d’une journée de course sans relâche. Il exigea à son tour des montures rapides et résistantes et promit de mettre la main sur Hirdi dans un délai plus court que ne pensait le colon lui-même. Ainsi, un détachement de colons en compagnie de Haggar escorté de ses hommes dont le Khalifat Abdel-Qâdir, firent irruption à Tiné. Le 02 décembre 1912, "le maréchal des logis de Grammont de Villemontès avec vingt tirailleurs montés renforcés par des partisans de Haggar attaque avec audace à Tiné les gens d’Abderamane Firti et leur inflige un sanglant échec"135. La surprise fut alors totale du côté de Hirdi qui, d’ailleurs, ne s’attendait pas à une telle attaque. Le vieux Sultan infirme n’eut d’autre conseil que de demander à ses hommes de bien combattre l’ennemi, c’est-à-dire de vaincre ou, au cas échéant, de mourir dignement. On raconte que Hirdi avait dans sa maison un Faqhi qui lui servait de conseiller et de protecteur de ses guerriers en période de belligérance. Ce Faqhi, considérant l’attaque des Français comme une trahison (puisque ces derniers n’avaient pas respecté leur promesse de paix), lui tint ce langage au moment de la fusillade : – As-tu déjà vu des incrédules tenir parole ? Tu as trahi le principe du djihad (guerre sainte) et eux, ils t’ont trahi. Mais tout n’est pas perdu, il se peut qu’Allah nous ait épargné de la peine, car nous cherchions le Paradis et le voici qui est venu nous trouver chez nous-mêmes : qui prend la fuite ira droit en Enfer, qui meurt au combat demeure éternellement au Paradis ! La bataille ne dura pourtant pas longtemps : sept des fils du Sultan, un de ses beau-fils, un de ses cousins (fils de son oncle maternel) et son Faqhi-conseiller tombèrent parmi les premiers morts. Le Sultan, du fait de son infirmité, ne pouvait pas bouger de luimême ; mais il pouvait par contre utiliser un fusil ou se battre à portée de la main avec une arme blanche. Il avait accumulé des munitions à ses côtés et tirait à travers une fente de son domicile, avec deux fusils qu’un esclave lui chargeait alternativement. Mais Hélas ! Tous les siens furent tués ou prirent la fuite ; une vingtaine de ses fils dont Tom 135

Information tirée de : Essai de chronologie tchadienne de Jean Malval, ancien médecin des troupes coloniales.

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et Timan purent également s’échapper. Il porta ses Ouaraga (talismans) et se battit courageusement en chantant : Tom-nà Timan-nà kɔ nr todu gunu nogwera

"Que vous êtes peureux, les Tom et Timan !"

Dawsa egi margn

"Que vos cœurs soient arrachés de vos poitrines !" "Si mon Dawsa, le svelte "

tar br gn bá:r juse d

"aux longs bras comme (les manches d’un boubou)"

jgn kn kyr egeiri

"était là, il m’aurait éloigné certains des ennemis".

L’esclave le quitta lorsqu’il eut épuisé sa munition de cartouches. Hirdi se trouvait donc seul au pied de son lit, sur un petit tapis sous lequel il dissimulait son sabre pour l’utiliser à l’occasion, lorsqu’une première personne pénétra dans le domicile ; il s’agissait du nommé Ali Abou-Charaf. Celui-ci n’avait pas l’intention de le tuer, il voulait seulement s’emparer de son tapis et de ses talismans ; mais s’apercevant qu’il ne pouvait pas le faire puisque le Sultan était armé de son sabre, il alla chercher un gourdin avec lequel il lui brisa les bras. Il s’empara de ce dont il voulait et sortit avec précipitation. Mais aussitôt après, un fils du Sultan Arda-Cham du nom de Nimân y pénétra, armé d’un fusil. – Hirdi ! Me reconnais-tu ? Où as-tu mis mon père ? lui dit-il. Le Sultan lui répondit dédaigneusement : – Pour se souvenir d’un père, ce n’est quand même pas très tôt. Ne savais-tu donc pas que je l’avais décapité et que j’avais jeté son cadavre dans la fente d’une jarre136 ? Nimân le tua alors d’une balle dans le cœur. Ainsi prenait fin l’épisode du Sultan Abderrahmane Hirdi dont le nom revient encore, souvent, dans les conversations des vieux qui connaissent ses péripéties et ses engagements contre la pénétration coloniale et chez qui son évocation réveille des sentiments, divers et parfois contrariés. Lors de la bataille de Tiné, tous les fils de Hirdi étaient avec leur père sauf Dawsa qui se trouvait à la tête d’une des troupes de son père, composées chacune de cent jeunes guerriers et qui devaient s’aligner aux côtés du Roi du Dar-For qui s’opposait aux anglais. Il était un ras 136

Expression de dédain. Hirdi voulait dire par là qu’il avait, non seulement tué le père de Nimân, mais qu’il avait aussi blasphémé le cadavre de sa victime. C’est une façon de le choquer davantage.

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miya137et faisait donc face aux Anglais lorsque l’attaque de Tiné eut lieu. Il fut alors désigné par Ali Dinar pour succéder à son père, en même temps qu’en face, de l’autre côté de la rivière de Tiné, les Français installaient eux aussi Haggar Térab comme Sultan des Zaghawa du Koubé. Voilà comment il existe jusqu’à nos jours deux sultanats138 pour les Zaghawa du Koubé : un à Tiné en territoire soudanais et un autre à Iriba, au Tchad.

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Dans l’armée d’Ali Dinar, le ras miya était un officier à la tête d’un peloton de cent guerriers faisant face à la pénétration anglaise au Soudan (anglo-égyptien). 138 Les sultanats connus au Dar-Zaghawa avant l’occupation occidentale étaient celui de Kobé et celui de Kabka, le Tchad et le Soudan n’existant pas en tant que pays distincts à l’intérieur des frontières tangibles. Après la colonisation, les Français et les Anglais avaient tracé les frontières que nous connaissons maintenant et scindé chaque sultanat en deux, l’un du côté tchadien et l’autre du côté soudanais. Par la suite, les Français avaient supprimé la portion du Sultanat de Kabka qui leur était soumise, au profit du sultanat de Kobé, autrement dit il n’y avait plus qu’un seul sultanat des Zaghawa sur le territoire tchadien, alors qu’il y avait deux au Soudan.

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CHAPITRE XIII Histoire du Sultanat de Kobé139

(Première version) On ne sait pas trop où était né le Sultan Abderamane Hirdi, disait Douda Libiss. Lorsque le Sultan Mougou mourut, Ogourou le succéda et à la mort de ce dernier, son fils Abdel-Fagara fut intronisé. Celui-ci eut comme khalifat Abderamane Hirdi qui resta à ce poste de dignitaire pendant douze (12) années, devenant ainsi le chef de la cour du sultan et le juge des affaires qui s’y réglaient. Le sultan Abdel-Fagara laissa des enfants à sa mort mais ceux-ci étaient encore très jeunes : Hissein-Koubawi, Ibrahim-Ardachâm, Hamid-Tiga, Issa-Digui. Lorsque Abdel-Fagara était sur le point de mourir et avant même qu’il ne soit mort, son demi-frère Râkib était allé à l’Est chercher des Ansâr pour venir razzier le pays par-ci par-là sous prétexte qu’il revendiquait le trône de son père. Le sultan AbdelFagara qui ne lui restait pas grand-chose à vivre, réunit alors ses fils devant Abderamane Hirdi et leur dit : – J’ai travaillé avec cet homme (en montrant Abderamane Hirdi) pendant douze ans et je n’ai rien trouvé à le reprocher. Il est de bonne volonté, il aime tout le monde et il a une parole droite ; si je meurs, c’est lui qui sera au trône pour vous élever. Si vous allez à Râkib fils d’Ogourou (si vous le choisissez pour sultan), il sera même capable de vous égorger. Obéissez donc à Hirdi et n’allez pas vers Râkib. Puis le sultan Abdel-Fagara dit à Hirdi : – Si tu vas vers l’Est (Dar-For), les Ansâr vont t’arrêter, il faut plutôt aller vers l’Ouest (Ouaddaï) pour te faire introniser. Je te confie mes enfants, il faut bien les élever. 139

Cette histoire est enregistrée à Tiné le 22-10-2000, dans la résidence du Sultan Bichara (en présence de celui-ci) ; elle est racontée par Douda Libiss, fils du sultan Abderhaman Hirdi, âgé de 82 ans, né à Bir-Mara, une localité de koulbous (Soudan)

Le sultan avait raison de donner ce conseil à son Khalife, car à l’Est, Râkib avait conquis la confiance des Ansâr et il n’était plus possible à Hirdi de gagner la partie. Muni d’une recommandation du sultan Abdel-Fagara et accompagné d’une nombreuse suite composée de Wéra, Nawra, Borsou, Kirégou, etc., Hirdi arriva donc à Abéché pour assister à l’intronisation du Roi Youssouf du Ouaddaï. Il fut investi lui aussi sultan et revint chez lui, mais il devait faire face à Râkib soutenu par les Ansâr. Les deux hommes se battirent trois fois : à Touna (Tiné) puis à Keïra-Mordome où les Ansâr avaient installé un grand camp ; ils avaient des fusils. Hirdi avait un ami d’enfance, un ami de la même circoncision, du nom de Dardar. Dardar est du clan des Baïra ; il se mit à chanter lors de ce combat, disant : – J’arrive sur l’ennemi sans que le sabre ni le couteau de jet ne puisse m’en empêcher. Moi, l’aîné de Hidigaï, voilà qu’on lance sur moi des bûches enflammées (djiyé togoussou en bêria). Dardar prenait les éclairs des balles tirées du camp des Ansâr pendant la nuit, pour des bûches enflammées. Malgré l’intensité des tirs de l’ennemi, il arriva à pénétrer dans le camp. Les Ansâr furent mis en déroute, beaucoup d’entre eux y laissèrent leur peau. Ceux qui purent s’échapper avec Râkib dirent à celui-ci qu’il les avait induits en erreur sur la puissance de leur ennemi (car les Ansâr n’avaient aucune idée précise, sur le nombre et l’armement des troupes de Hirdi.) Sur ce, les Ansâr arrêtèrent Râkib et l’emportèrent avec eux. Pris de colère, ces Ansâr n’épargnèrent alors personne : ils capturèrent des hommes d’Atteïb (chef des Touer), des hommes d’Ina Margui de Nanou, des hommes de Dor, des hommes de Koutoum et même ceux de Fasher avec Ali Dinar. Alors on joua du ambaya (hautbois ?) en entonnant : – Râkib est un homme impossible ! Faites-le donc passer par une issue impossible !… Râkib fut conduit jusqu’à Gada’ârif mais il ne revint plus ; on apprit qu’il se trouvait finalement dans l’armée du Mahdi (toujours comme prisonnier) et fut tué dans une bataille que ce dernier avait engagée avec les populations locales140. 140

La Mission de Délimitation de Grossar de 1925 notait ceci : « Comme les Bideyats, les Zaghaouas ne paraissent pas avoir la mémoire encombrée de faits historiques. Ils paraissent avoir subi l’influence du Darfour plutôt que du Ouadaï vers la fin du siècle dernier. A l’époque où Slatin Pacha était Vizir Oumoun du Darfour, ils appartenaient à cette province. Leur Sultan Râkib épousa la cause du Mahdi et fut tué, en 1887, par ses sujets révoltés parce qu’il s’efforçait de recruter

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Une femme (pour les convaincre de quitter Hirdi) était venue deux fois de Touwêne, à une journée de marche de Hiri-Bà (Iriba) et à la troisième fois, les fils d’Abdel-Fagara, Hissène-Koubawi, Ibrahim-Ardachâm, etc. qui devaient se soumettre à Hirdi sur le conseil de leur père, prirent la fuite sur leurs chevaux. Les ennemis de Hirdi leur disaient : – Les Hirdi sont des Djeïra et nous, nous sommes des Tobouïra ; nous ne devons pas nous soumettre à eux. Les enfants d’Abdel-Fagara se laissèrent convaincre par cette campagne et rejoignirent le camp de l’ennemi mais ils furent pris par les troupes d’Ali Dinar et amenés vers l’Est. Le Roi les enrôla alors dans son armée et ils participèrent à plusieurs batailles. Heureusement ils sortirent tous vivants de ces batailles ; c’était des hommes bien entraînés au tir à l’arme à feu. Et comme ils étaient des princes et meilleurs tireurs, le Roi leur témoignait beaucoup de considération. Pendant quatre années, Ali Dinar se battit contre le Koubé, le Nanou et le Wê, sans arriver à les vaincre. Il imagina alors d’opposer à Hirdi les enfants d’Abdel-Fagara en les dotant d’une armée et en les plaçant à Hiri-Bà (Iriba). Hirdi n’avait pas peur de l’armée du Roi, mais plutôt des enfants d’Abdel-Fagara qui avaient une adresse exceptionnelle dans le tir au fusil. Il cherchait alors les meilleurs des faqhi pour les envoûter. Il trouva alors un faqhi-manda qui lui fit l’affaire. Hirdi dit à ce faqhi : – Ces gens (les enfants d’Abdel-Fagara) me discutent le pouvoir et ce sont des terribles tireurs ; j’ai peur qu’ils ne me tuent ; peuxtu me les lier les mains (c’est-à-dire les dépouiller de leur adresse au tir au fusil) ? Le faqki lui répondit qu’il pouvait le faire. Il demanda quatre coudées de débalan (étoffe blanche) et se mit à la retraite (khalwa) dès que Hirdi lui remit cette étoffe sur laquelle il commença à prier. Après un certain temps, il appela le sultan et lui demanda de mesurer l’étoffe ; celui-ci mesura, au lieu de quatre coudées (longueur initiale de l’étoffe), mais neuf et demi, ce qui voulait dire que l’étoffe s’était étendue au moyen de la force mystérieuse de la prière. Le faqhi lui dit alors : pour les Derviches et, sur l’ordre de ceux-ci, des jeunes gens qui devaient être envoyés à Oundurman pour grossir les effectifs mahadistes et pour s’y imprégner de la sainte doctrine religieuse » (p. 316).

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– Maintenant tes enfants peuvent livrer la bataille à leur ennemi, ils seront certainement victorieux. L’armée d’Ali Dinar qui comptait parmi ses éléments les fils d’Abdel-Fagara, avait eu les meilleurs entraînements et était armée des meilleurs fusils de l’époque. Lorsqu’elle fut surprise dans son camp par les troupes de Hirdi, elle était sûre de pouvoir exterminer ces dernières. Pourtant les guerriers du Roi du Dar-For ne purent tirer aucun coup de fusil car leurs armes étaient bloquées miraculeusement. Les enfants d’Abdel-Fagara refusèrent de fuir malgré cela, et furent tous tués dans le camp. Les gens considèrent qu’ils n’avaient fait que subir la malédiction de leur père pour avoir contredit sa volonté en s’opposant ainsi à Hirdi. Quant à Râkib, il fut amené à Gada’ârif, et il mourut là-bas. Après avoir reçu l’investiture à Abéché, Hirdi alla s’installer à HàKoubé (colline de Koubé) où il construisait des maisons avec du dî tayou (soupe de dromadaire) et érigea des fortifications. Il avait eu douze (12) femmes qui lui donnèrent vingt-cinq enfants ; mais on ne connaît pas le nombre de ses femmes qui ne donnèrent pas d’enfant. C’est aux Ouaddaïens que Hirdi avait livré sa première bataille. On appelle Kari-Kou (la guerre des Ouaddaïens), toute la guerre qui s’était passée en deçà de Kapka, à partir de Kouroung. Les Ouaddaïens avaient des chevaux et de bons fusils. C’était une guerre qui opposait Hirdi à une forte armée du Roi. A cette époque Haggar était encore avec Hirdi. Voilà la raison de cette guerre : des Bêri avaient enlevé l’enfant d’un Ouaddaïen. Alors le Roi du Ouaddaï, par la voix du Dja’atné Oumar dit au sultan : – Puisque ce sont tes hommes qui ont enlevé l’enfant, il faut arrêter les ravisseurs et il faut me les envoyer. Mais le sultan dit au messager du Roi : – Je lui envoie l’enfant si j’arrive à le retrouver, mais il me sera impossible de lui remettre les ravisseurs. Pris de fureur, le Roi dit alors : – J’avais intronisé un esclave et voilà qu’il est déjà devenu infidèle ! Il faut le capturer et me l’amener ici ! Les Ouaddaïens, obéissant à l’ordre de leur Roi, attaquèrent les positions de Hirdi sous le commandement du Dja’atné Oumar. Après une rude bataille, les Ouaddaïens furent mis en déroute et le Dja’atné 152

dut prendre la fuite. Le Khalifat Ahmat qui était à la bataille, voulant capturer ce chef, le poursuivit à cheval ; c’est alors qu’il fut surpris par un garde-corps du Dja’atné qui vint par derrière lui donner un coup de gourdin à la tête. Le Khalifat fut mortellement blessé ; on le ramena près de son père. Le Khalifat Ahmat est l’aîné des enfants de Hirdi (donc héritier du trône) ; le prince Daldoum arriva après cela dans le palais et lorsqu’il vit son demi-frère ainsi blessé, il lâcha des sanglots. Mais le sultan, sous la colère, lui dit méchamment : – Recule, Espèce de peureux ! N’est-ce pas ce sont des hommes comme toi qui l’ont tué ? N’est-ce pas ce que tu désirais ? Tu voulais être l’héritier du trône et tu ne désirais que sa mort pour le remplacer. Le vieux sultan ne ménageait évidemment pas ses enfants. Daldoum se saisit du Coran de son père qui se trouvait dans un van et mis la main dessus en disant : – Que par ce Coran Allah me tue si j’avais eu l’intention de prendre la place du Khalifat Ahmat et qu’Il me tue aussi si encore je reviens vivant devant toi ! Ce disant, il sortit précipitamment, s’échappa des gens qui tentaient de l’empêcher de partir, prit son cheval et fonça dans la direction où était parti le reste des Ouaddaïens. Il les rattrapa sur leur chemin de retour et en tua quatre avant que ceux-ci ne purent se réfugier dans une colline. Daldoum abandonna alors son cheval et se mit à grimper la colline pour les rejoindre. Mais du haut de la colline, les Ouaddaïens lui envoyèrent des boulets de pierre pour l’assommer. C’est ainsi que Hirdi avait perdu au même moment ses deux fils aînés141, mais il interdit à quiconque de les pleurer ou de porter le deuil car pensait-il, les gens croiraient à la ruine et à la faiblesse du sultanat. Il ordonna au contraire d’organiser des parades de chevaux pour montrer qu’il n’était pas éprouvé par l’attaque des Ouaddaïens et qu’il n’en était pas affaibli. Après cela, le sultan réunit son conseil et dit :

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Le successeur de Râkib, Abderrhaman Fertit, fils d’un notable Bichara, reçut l’investiture du sultan du Ouadaï ; mais en 1907, les bandes d’Ali Dinar, commandés par Adoum Roudjal, envahissent le Kobé ; Abderrhaman se réfugie au Ouadaï où il est reçut d’une façon méprisante par Doud Mourrah ; aussi, après une échaffourée au cours de laquelle deux de ses fils, Smaïn et Ahmed, sont tués, il se rallie à Ali Dinar. Une garnison forienne est installée à Tiné ; l’aguid Mahamid et ses Ouadaïens l’en chassent, en 1908, et Abderrhaman se réfugie à Kabkabieh (Grossard, pp. 316-317).

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– Le Roi du Ouaddaï m’a fait beaucoup de bien et je lui ai fait aussi du bien, mais maintenant nous sommes parvenus au pire ; je ne peux plus accepter de rester sous son autorité. J’irai me soumettre au Roi du Dar-For. Il envoya aussitôt des messagers au Roi Ali Dinar pour lui proposer sa soumission. Ali Dinar accepta cette soumission et pour exprimer sa joie, envoya des habits appelés djôk mogboût (?), des chevaux, des gadam souwé (?), des parfums, et bien d’autres choses aux princes Borgou, Fâchir, Dawsa, etc. Le sultanat du Koubé se trouva ainsi sous la dépendance du DarFor. Le Roi avait accueilli les enfants de Hirdi avec beaucoup d’égard et leur dit : – Je n’ai rien à demander de votre père ; mais j’ai besoin de vous ici chez moi, chaque année, à la fête de "dahiya" (fête du sacrifice). Il envoya à Hirdi beaucoup de cadeaux dont des sabres et des fusils et, par la même occasion, il lui demanda la main de sa fille. Hirdi lui donna alors en mariage la sœur d’Abo Borgou appelée Mostoura. C’est de ce mariage qu’était né Abo Tiddjâni (le prince Tiddjâni.) Le prince Borgou était plus âgé que son demi-frère Dawsa et, comme tel, il se considérait comme l’héritier légitime du trône de son père. Mais la différence d’âge entre les deux princes n’était pas très grande. Alors Dawsa se sentait aussi en droit d’occuper le trône. Quant aux sujets, ils considéraient Dawsa comme une personne distante de naissance, du fait qu’il était né d’une mère Bidéyât (Touba) et préféraient donc Borgou à lui. C’est dans une telle situation que les Borsou (les Borsou forment un clan au Koubé) d’où était issue la mère de Borgou et les Erdié (les Erdié forment un clan chez les Bidéyât) d’où était issue la mère de Dawsa, eurent un différent sur un problème de femme. Les deux princes, prirent, chacun, la défense du clan de sa mère. Borgou croyant que Dawsa était en train de pousser les gens anormalement (pour les écarter des Bidéyât), fonça le premier sur lui et lui porta un coup de sabre au bras, lui tranchant un doigt, et un autre à la tête qui emporta la moitié de l’oreille. Lorsque Dawsa tomba sous l’effet des blessures, les gens qui étaient là crurent qu’il était déjà mort. Le sultan Hirdi dit alors : – Soulevez-moi vite et amenez-moi chez Borgou !

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Ses esclaves et les autres le prirent sur leurs épaules et coururent pour l’amener au camp de Borgou où s’étaient réunis, derrière Borgou, beaucoup de gens, plus d’une cinquantaine dont Haggar Térab, Seïbo Gougourak, Nêsêk, etc. La femme de Borgou est une nièce des Djeïra, fille de Doura Térab, demi-sœur de Haggar Térab. C’est donc pour cette raison que Haggar se trouvait aux côtés de Borgou. Actuellement les Haggar sont des oncles germains des enfants de Borgou tels qu’Abdoulaye Djoungui, El-Abakar, etc. La suite du sultan arriva dans le camp de Borgou qui était fait de haie épineuse. Le sultan ordonna l’arrestation de Borgou mais les hommes qui y étaient défirent la haie à coups de leur épée et prirent la fuite avec Borgou. Furieux, Hirdi ordonna alors à ses esclaves de saisir tous les biens de son fils : il fit cadeau aux esclaves deux de ses chevaux et quatre de ses dromadaires, fit vider ses greniers et fit même prendre les biens de ses brus (femmes de Borgou.) Borgou était parti avec ses hommes à Kounourak, vers l’extrême Est du Koubé, en deçà de Kapka. Il s’y installa et choisit Abit comme son Khalifat. Étaient avec lui Haggar et Ibo son frère, ses propres frères (frères de Borgou), Nêssêk, Abou-Djouma, Borsêguê, etc. C’était toute une armée. Avant cet événement, Borgou était le Khalifat de son père, mais comme la situation était désormais telle, il prit la chose autrement : il pensa que, comme le Roi était son beau-frère et comme il avait aussi un neveu prince (issu du mariage entre le Roi et sa sœur) en la personne de Tiddjâni, il pourrait user de l’influence de sa sœur et de son neveu pour acquérir les faveurs du Roi, ce qui lui permettrait de se faire introniser par celui-ci comme sultan du Koubé. Il laissa donc ses hommes à Kounourak en mettant à leur tête Abit qu’il nomma comme son Khalifat, et se rendit à El-Fasher auprès du Roi. Il faut noter que Abit est un fils du frère de Hirdi, il est donc le cousin de celui-ci. Au même moment, le sultan Hirdi envoya un message au Roi lui disant : – Voilà, ton beau-frère m’a désobéi ; il a semé le désordre et la zizanie dans le pays ; il a blessé son frère et s’est mis en dissidence. Je te demande de faire tout pour l’arrêter et me l’envoyer, car c’est mon fils légitime. Mais si, en tant Roi, tu prends le parti de ton beau-frère, alors ça sera fini entre nous. Quant à Borgou, il arriva chez le Roi et lui dit : – Mon père ne m’aime pas. Il me fait du mal en prenant parti de mes demi-frères. Parmi ses fils vivants, c’est moi l’aîné, mais il ne veut pas que j’occupe le trône après lui. Voilà pourquoi je 155

suis venu vers toi pour te demander de me rendre sultan du Koubé. Mais le Roi lui répondit : – Tu es trop pressé, mon beau-frère ; si ton père meurt, je n’aurai que toi pour le trône et tu seras certainement sultan du Koubé à sa place ; mais tant que ton père vit, je ne peux pas t’introniser à sa place. Je te fais conduire chez ton père par trois Ras-Miya (lieutenant commandant cent guerriers), ainsi que par le Mogdoum Chérif, Adam Roudjâl et Sâlim Abou-Hawa. Ces gens vont te réconcilier avec ton père. Sache que dès la mort de ton père, je te ferai son successeur. Seulement, Borgou rejeta la décision du Roi son beau-frère, refusant de rentrer au Koubé sans le titre de Sultan. Le Roi ordonna alors de l’arrêter et de l’emprisonner : – Puisque c’est ainsi je vais renvoyer ta sœur avec son fils (le prince Tiddjâni) ; et quant à toi, je ne te permettrai jamais de devenir sultan. Sache que je te remettrai à ton père tout ligoté. Je voulais te faire du bien mais tu n’as rien compris ; tu verras ce que je vais te faire maintenant que tu m’as désobéi ! Après un jour et une nuit de réflexion, Borgou céda finalement à la proposition du Roi de se faire escorter jusqu’au Koubé et de se réconcilier à son père. Et comme il n’avait en tout cas pas d’autre choix, il déclara au Roi avoir reconnu son erreur. Alors le Roi le libéra et le renvoya à son père, accompagné des trois Ras-Miya et d’autres dignitaires. Mais Hirdi n’était pas un bon père, il fit rassembler tous les exemplaires de Coran que l’on pouvait trouver au Koubé ainsi que dans les pays de Wê et de Nanou et obligea son fils de jurer sur ces Corans, qu’il ne bougerait désormais même pas d’un pas sans son autorisation et qu’il n’irait nulle part au-delà de la vue du sultan, son père. Ainsi, Hirdi croyait soumettre son fils à sa volonté et le maintenir à sa merci. Mais ses dignitaires s’en inquiétèrent et lui dirent que si jamais Borgou n’avait plus de liberté pour rejoindre ses hommes, les dissidents qu’il avait laissés à Kounourak, ceux-ci ne voudraient pas déposer les armes et revenir vers le sultan. Ils demandèrent donc au sultan d’utiliser Borgou pour les faire revenir plutôt que de garder celui-ci à la portée de sa vue. Mais Hirdi était catégorique, il interdit à Borgou d’aller nulle part et c’était pour lui la seule condition permettant la réconciliation entre lui et son fils. 156

Les Ras-Miya et les dignitaires du Roi rentrèrent à El-Fasher après avoir obtenu la réconciliation entre Borgou et son père sur la base des exigences de ce dernier. Alors les gens de Borgou restés à Kounourak s’organisèrent en une véritable rébellion ; ils venaient effectuer des razzias dans le pays, indisposaient le sultan en lui enlevant des chevaux et des troupeaux de vaches. Leur nombre ne faisait que grossir, ils atteignirent finalement plus de soixante-dix hommes montés sur des chevaux et des dromadaires. Comme la première razzia leur avait réussi, ils recommencèrent l’année suivante, enlevant de nuit près de soixante-dix dromadaires mâles du sultan ainsi que deux de ses troupeaux de vaches. Les esclaves du sultan chargés de garder ses animaux vinrent trouver celui-ci et lui dirent qu’ils étaient sans doute guettés depuis le pâturage et suivis, car ils avaient laissé les dromadaires sous entrave et le temps qu’ils avaient mis pour venir dans le village prendre leur repas et retourner vers les animaux avait suffi aux voleurs d’enlever les animaux. L’entourage du sultan proposa alors de battre le tambour pour lancer l’alarme mais Hirdi leur demanda de ne pas agir de la sorte mais d’aller plutôt rassembler les bouchons des tagassaw et des togourou (récipients respectivement en peau de dromadaire et en courge, servant à conserver du beurre.) On alla donc chercher des tagassaw ogo (bouchons de tagassaw) et des togourou ogo (bouchons de togourou). Ces bouchons en bois de Commiphora africana, imbibés de beurre, brûlent comme des lampes. On les planta au bout des lances, on les alluma et, sous la lueur de ces flambeaux, on se mit en marche la nuit-même sur la trace des voleurs. On abandonna les flambeaux dès le matin et on continua la poursuite ; les ravisseurs, au nombre de trois personnes dont Ibo le frère de Haggar Térab, furent rattrapés près de la colline d’Abougoun et furent tous tués sans ménagement. Cette poursuite était conduite par le prince Borgou ; celui-ci en informa son père : – Ce sont les Ibo qui avaient organisé un coup l’année passée pour nous enlever des troupeaux de vaches, et cette fois encore ce sont eux qui recommencent la même chose. Mais cette fois-ci, j’ai pu mettre la main sur eux. Il lui expliqua qu’il avait tué tous les trois voleurs, alors, le sultan qui voulait les avoir vivants, se mit en colère et lui dit : – Toi, Borgou, tu n’as point de lait, tu n’as que du sang. Tu es mauvais et tu ne vaux rien. Pourquoi les as-tu donc tués ? Tant que tu vis, il n’y aura plus de paix dans ce pays.

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Le fils de Haggar Térab appelé Fadoul se trouvait en outre entre les mains des gens de Hirdi. Il était capturé lors d’une attaque menée sur Kounourak par les hommes du sultan contre les dissidents dont Haggar et sa famille, qui s’y étaient réfugiés. C’est Haggar que Hirdi avait projeté de capturer en y envoyant ses cavaliers. Cet homme avait installé son camp (iga) sous un arbre et au moment de l’attaque, il était surpris car il avait défait son fusil pour en nettoyer les pièces ; il put se sauver in-extremis. Et comme il put s’échapper, les cavaliers arrêtèrent tous ceux qu’ils trouvèrent là, les maltraitèrent. C’est en ce moment que Fadoul fut pris près de la montagne de Marougouï alors que les siens tentaient de le sauver, et fut conduit à Hirdi. Haggar était alors démoralisé, il signifia à ses compagnons qu’il ne pouvait plus continuer la dissidence car il mettrait en danger la vie de son fils, qu’il devait rejoindre Hirdi, ce qui pourrait éviter l’exécution de son fils. Sur ce, il décida de revenir, avec ceux qui acceptaient de le suivre, dans les rangs de Hirdi. Mais malheureusement pour lui, il apprit sur le chemin du retour au Koubé, que son fils avait été déjà tué. Haggar renonça de rejoindre Hirdi naturellement ; il se tourna alors vers les Français142 pour pouvoir combattre Hirdi. Pourquoi avait-on donc exécuté Fadoul, un enfant qui ne savait pas encore grand-chose sur les événements qui l’entouraient ? La raison de cet assassinat était que lors de la bataille de Kapka, les Haggar avaient tué l’Ina Kodogo Abou-Charfa, un homme du clan des Nawra. Il venait par la voie de Kapka avec ses hommes lorsqu’ils furent tués par les Haggar en dissidence. Et comme les siens ne cessaient de le pleurer, on décida de tuer Fadoul pour venger Kodogo et faire taire les lamentations.

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Un descendant d’Hélan, Haggar Toké, fils de Terrab, vient à Abéché pour solliciter l’investiture de Doudmourrah et la question est en cours de négociation lorsque les Français chassent le sultan du Ouadaï de sa capitale. Haggar l’accompagne dans sa fuite, à Kapka, puis sur les conseils d’Açyl, il se présente aux autorités françaises. En 1910, les Foriens d’Ibrahim Omar et les partisans d’Abderrhaman Fertit viennent razzier les gens d’Haggar, à Fogué (Tama) – (Grossard, p. 317).

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CHAPITRE XIV Histoire du Sultanat de Kobé143

(Deuxième version) Edim est un fils de Tâ, c’est pourquoi il lui avait succédé, dit Adam Tendi. Tous les Angou, et plus particulièrent ceux qui descendent de Hilâne, s’étaient réunis et s’étaient entendus pour dire à Korio (Koré) d’aller à l’Est (Dar-For) pour se faire introniser par le Roi. Etant l’aîné des fils de Hilâne, Korio était considéré comme un khalifat dans son pays. Mais quand il y arriva, le Roi lui dit : "Tu m’amèneras un douwane de cent chevaux et je te ferai le sultan du Koubé". C’est donc Korio qui était allé le premier, de Norsi-Adiya au Dar-For pour conquérir le titre de sultan du Koubé ; c’est pourquoi dans les anciens temps, tous les sultans du Koubé, et même les chefs du Birié, obéissaient au Roi de ce pays. Korio se demandait comment, sans le pouvoir, pouvait-il apprêter un douwân de cents chevaux. Il était allé chez le Roi tout seul, accompagné seulement de sa femme Ari, une femme stérile, fille des Nawra. Le Roi lui avait dit : – Je vais te donner tout ce qu’il te faut pour devenir un sultan, mais tu garderas tout ce que je vais te donner ici et tu iras me chercher le douwane avant d’en entrer en possession définitivement. Korio eut donc tous les symboles du pouvoir (timbales et autres objets) mais il les cacha au Dar-For et revint au pays avec sa femme qui seule, connaissait la cachette de Korio. Quand celui-ci arriva au Koubé, il se garda de dire que le Roi lui avait déjà remis tous les sym143

Racontée par Adam Tendi, àgé de 90 ans environ, né à Ousou-Aba d’Ondour, actuellement assesseur au tribunal coutumier d’Iriba.

boles du pouvoir de peur qu’un autre allât les dérober à son insu. Il déclara seulement aux siens que le Roi lui avait exigé un douwane de cent chevaux. Alors, ceux-ci aussi se demandèrent comment pouvaient-ils trouver cent chevaux alors qu’ont était pas encore investi du titre de sultan. C’est dans une telle situation que Korio tomba malade et quand il sentit qu’il allait mourir, il appela son fils Tâ et lui dit : – Je vais bientôt mourir ; je t’apprends que le Roi m’avait déjà donné tous les symboles du pouvoir, mais je les avais gardés en un lieu secret que seul Ari connaît. Si je meurs, alors que tes oncles s’occuperont de mes obsèques, tu prendras Ari avec toi et tu iras chez le Roi. Dis à cette femme que tu l’épouserais si tu devenais sultan, même si le mariage avec une marâtre est illicite ; sans cela elle refuserait de te montrer ma cachette. Quand Korio mourut, Tâ, respectant les consignes de son père, partit avec sa marâtre sans qu’aucun de ses oncles ne le sût, préoccupés par la mort de leur frère. Il arriva au Dar-For et dit au Roi que son père était mort et qu’il était venu pour porter le titre que sa majesté avait promis au défunt. Le Roi lui répondit : – C’est ta chance ! Je vais t’introniser et te faire accompagner par un Êrêa144. Grâce à Ari, la femme de son père, Tâ entra alors en possession de tous les symboles du pouvoir que Korio avait dissimulés car la possession des timbales surtout était nécessaire pour rendre valide le titre de sultan. Mais entre temps, ses oncles s’aperçurent de son absence et de celle d’Ari. Avant son départ vers le Dar-For, Tâ avait demandé à sa tante maternelle (qui était reconnue pour être sa confidente) de faire la malade et de rester couchée : – Si tes demi-frères te posaient des questions à mon sujet, tu leur répondrais que tu n’en sais rien, étant malade, lui dit-il en guise de consigne. La tante de Tâ se plia au désir de celui-ci et quand ses demi-frères vinrent lui poser des questions, elle leur répondit : – Normalement, c’est vous qui devez savoir où se trouve votre neveu !

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Délégation royale

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Mais les oncles de Tâ apprirent finalement que celui-ci se trouvait au Dar-For et qu’il s’était déjà fait introniser comme sultan du Koubé. Alors les Angou qui se trouvaient au pays dont l’ancêtre des Maïkassoura, Ali-Djâbis et Horout agirent en disant : – Comment un fils se permet de faire du pouvoir une "bru" en allant se faire introniser alors que nous, les pères (oncles paternels), nous sommes là ? Ainsi, ils refusèrent d’accepter Tâ comme leur sultan. Mais Abderhaman-Tébess dit : – Que devons-nous donc faire ? Nous n’avions pas ce pouvoir mais maintenant que notre neveu en a obtenu, il faut que nous l’acceptions ! Les autres lui répondirent qu’il était hors de question d’admettre cela. Or à l’époque, tous ces gens (il s’agit ici de tous les Angou qui n’étaient encore que des frères, demi-frères et cousins paternels) avaient leurs biens en commun. C’est ainsi que Ali-Djâbis avait choisi de fuir avec le troupeau de moutons, l’ancêtre des Maïkassoura avec celui de dromadaires ; quant à Horout, il prit la fuite avec le troupeau de vaches. Parmi les frères, seuls Abderahmane-Tébes resta en place. Tâ constitua un Êrêa, forma une armée et arriva à Kornoï d’où il envoya quelqu’un au Koubé pour dire à ses oncles qu’il était de retour au pays avec une délégation du Roi et qu’il leur demandait de ne plus porter le deuil (de son père) et de se préparer pour l’accueillir. Tâ ne savait pas encore que beaucoup de ses oncles avaient déjà quitté le lieu pour se rebeller à son autorité. Dès l’arrivée du messager de Tâ, Abderhaman-Tébess prépara un cheval pour la délégation du Roi, se fit accompagner par la population et alla à la rencontre de son neveu à Kornoï. Tâ arriva alors dans son village à Norsi-Adiya, escorté par ces gens. C’est alors qu’il apprit que ses autres oncles, en apprenant son investiture, avaient fui le lieu en emportant les troupeaux. Tâ s’installa dans le pays et se rassura d’abord de la soumission de ses sujets à son autorité. Puis il appela son oncle Abderhaman-Tébess et lui dit : – Il est vrai que ma marâtre Ari n’avait pu donner d’enfant avec mon père, mais je te demande de la remarier et je me chargerai de votre entretien, tous les deux.

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– A quoi bon de se marier avec une femme stérile, lui répondit Abderhaman-Tébes qui, finalement finit par accepter cette union sur l’insistance de Tâ. Pourtant Ari se révolta à cette démarche, ne voulant admettre Abderhaman pour un second mari. On dut lui mettre des chaînes aux pieds pour l’obliger à rester avec son nouveau mari. Mais quand, après un certain temps, Abderhaman annonça qu’il avait pu mettre une entrave à sa femme (cela signifiait que la femme était enceinte enfin), on la libéra des chaînes, ce qui ne l’empêcha pas de s’évader sans que tout le monde ait su sa grossesse. Quand on la ramena avec une grossesse bien visible, les gens se mirent à s’exclamer : – D’où l’avait-elle amené cela (grossesse), toute chargée et ployant sous le poids de sa charge ! Et c’est de là que vient le nom de Neï que l’on donna à l’enfant lorsqu’il fut né. Ari eut ensuite une fille, Houra-Heï, qui devint la grand-mère des Borsou. Voilà comment Tâ s’implanta dans son pouvoir. A sa mort, il fut succédé par son fils Edim. C’est Tâ qui eut le premier des timbales pour le sultanat de Koubé. Le tombeau d’Edim se trouve actuellement sur le foyer de Djéri, appelé Edim-Goubba, à côté de celui de son grand-père Korio. On dit souvent que c’est le tombeau du fils de Korio, mais en réalité, c’est celui du fils de Tâ, Edim. Le Roi du Dar-For avait destitué Tâ et intronisé Horout. Bien que Tâ fût dépouillé de son pouvoir de son vivant, Edim ne prit le pouvoir qu’à la mort de son père. – L’ennemi avait attaqué le pays et sur la montagne d’Ourou, la sœur de Horout fut enlevée et empotée en esclavage alors qu’elle était une petite fille. Elle s’appelait Gouriya et, mariée par le Roi du Dar-For, elle donna naissance au prince TérabLèbene qui occupa le trône plus tard. A cette époque il y avait à Sârêne un homme appelé Koura-Débié qui était de la même enfance que Gouriya. Donc Koura-Débié et Gouriya se connaissaient ; d’ailleurs l’ennemi les avait surpris sur le même lieu alors qu’ils étaient tous deux bergers et y étaient à la garde de leurs troupeaux. Koura-Débié avait ramené, d’une razzia, tout un troupeau de vaches, mais on lui avait arraché ces animaux injustement. Alors Koura-Débié alla vers le Dar-For pour se plaindre devant le Roi. Il était assis à l’entrée du palais royal lorsque la mère du Roi qui venait pour saluer son fils l’aperçut. Elle demanda alors qui était cet homme qui lui res162

semblait à un Béri. Koura-Débi lui répondit qu’il était effectivement un Béri. Gouriya qui n’avait pas encore reconnu son ami d’enfance, lui dit : – Si tu es un Béri, attends-moi sur place, je reviendrai te demander des nouvelles de chez toi. Quand Gouriya sortit du palais, Koura-Débi se fit reconnaître en déclinant son nom et en rappelant à la reine-mère dans quelles circonstances ils se trouvaient tous les deux lorsqu’elle fut capturée par l’ennemi. Gouriya lui répondit : – C’est vrai ! Je suis la jeune fille qui était capturée sur la montagne d’Ourou, mais je suis maintenant la mère du Roi. Koura-Débi lui dit alors : – Je vis avec ton frère Horout, je l’avais laissé là-bas. Actuellement le farik de Horout se trouve à Djourga, la ruisselle qui se trouve près de la montagne de Koubé. Il y vit avec un forgeron ; mais moi, je suis venu ici parce que je suis plaignant. Et il expliqua à Gouriya l’objet de sa plainte. Surprise, Gouriya demanda : – Mais nous avons appris que Horout était mort ! Est-il donc vivant ? Or, c’est le sultan Tâ et les siens qui avait menti à Gouriya et à son fils le Roi. Gouriya retourna voir son fils et lui dit : – Un homme est venu du Koubé, qui m’apprend que mon frère Horout est toujours vivant ! Le Roi demanda de le lui présenter. Koura-Débié fut conduit devant le Roi pour confirmer la nouvelle. Le Roi, rassuré qu’il était auparavant trompé par le sultan Tâ sur son oncle, dit à Koura : – Pourrais-tu amener Horout ici si je te donnais tout le nécessaire pour le faire ? – Oui, je le peux, lui répondit Koura-Débié qui nourrissait l’espoir de se venger sur Tâ. Le Roi lui donna alors un dromadaire et tout ce qu’il lui fallait pour accomplir sa mission et le chargea d’aller au Koubé chercher Horout.

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Koura-Débié arriva au Kouba et alla voir Horout pour lui apprendre qu’il avait vu sa sœur Gouriya et que c’est le fils de celle-ci qui était le Roi du Dar-For. Il lui apprit par la même occasion que son neveu le Roi l’avait chargé de le lui conduire dans son palais. Horout s’en douta d’abord mais quand Koura-Débié arriva à dissiper ses doutes, il s’écria : – Moi, le taureau de Kouba, j’aurai bientôt des cornes ! Il quitta alors le forgeron et partit avec Koura-Débié. Mais celui-ci avait des consignes du Roi qu’une fois arrivée il devait garder Horout au secret. Le Roi reçut donc discrètement Horout sans que Gouriya le sût, lui posa des questions puis fit venir d’autres personnes ayant les mêmes traits physiques que son oncle et les fit s’asseoir près de ce dernier. Il appela ensuite sa mère et lui demanda de reconnaître son frère parmi les hommes qu’il lui présentait. Mais Gouriya et Horout se reconnurent immédiatement et se jetèrent l’un sur l’autre pour s’embrasser. Le Roi garda alors Horout près de lui et fit venir le sultan Tâ. Quand celui entrait dans le palais royal, ignorant de la situation, sa suite fut étonnée de voir des traces qui ressemblaient étrangement à celles des pieds de Horout, car celui-ci était un homme très grand avec des pieds énormes : – En voici des traces qui ressemblent bien à celles des pieds de Horout, dit-elle. Mais le sultan répliqua que Horout ne pourrait pas venir jusqu’au palais du Roi. Térab-Lèbene interrogea le sultan et ses hommes : – Vous m’avez dit que Horout était mort, alors comment se fait-il qu’il soit maintenant devant moi, vivant ? Le Roi, à la suite de ce constat, destitua Tâ et intronisa Horout à sa place. Mais Horout, après avoir été investi comme sultan du Koubé ne revint pourtant plus à l’intérieur de ce pays ; il alla, sur instruction de son neveu le Roi, s’installer à Koursing, à la frontière entre le Koubé et le pays des Wègui (le Touer). Le Roi lui avait dit de rester là-bas : – Tu restes à cet endroit, lui avait-il dit, et partout où on peut rencontrer des ‘sió’ blancs, ça sera le pays des Béri, ça sera donc ton pays. Horout resta donc à Koursing et prenaient pour femmes des filles Arabes réquisitionnées par le Roi, appelées "Kirê-Kourou." 164

Les gens ont l’habitude de dire actuellement qu’il n’y a pas d’homme qui eût plus d’enfants que Horout. Mais tous ces enfants, exception faite de Haggar qu’il avait eu d’une fille Béri du clan des Kirégou, il les avait eus des filles Arabes que le Roi réquisitionnait, et ils étaient tous partis avec leur mère, donc devenus des Arabes. Maintenant quand on va dans les pays de l’Est, beaucoup de gens, hommes et femmes se disent descendants de Horout (dénommés "Tirguéhorout"), alors que ici au Koubé, il n’y a que le faqhi Hassan (qâdi du tribunal coutumier d’Iriba) qui soit son descendant (ce dernier luimême était venu de Nohout ou El-Obeïd). Le sultan Horout se trouvait toujours à Koursing quand le Roi son neveu mourut. Quand le sultan Horout mourut, c’est son fils Haggar-Daggas qui le succéda. Edim fut sultan avant Horout, c’est lui qui succéda à son père à la mort de celui-ci et c’est lui que le Roi destitua à la faveur de Horout. Ce dernier n’avait fait que donner des enfants dont les mères étaient des Aramara. Seul Haggar-Daggas était d’une mère Béri et c’est ce dernier qui conserva « la couronne » du sultanat de Koubé. Haggar-Daggas monta au trône à l’époque d’une grande insécurité. En outre, les descendants d’Abderahmane-Tébes dont Neï le neveu des Nawra qui se considéraient comme les plus importants numériquement essayaient de marginaliser les descendants de Horout, moins nombreux dont Haggar. Il y avait donc deux camps, celui de Haggar et celui de Neï qui devaient, tous deux, faire face à l’ennemi, les Arabes du Nord qui ne cessaient d’attaquer le Koubé. Le pays était donc en guerre et tous étaient allés près de la montagne de Kourgou pour parer au danger. Là, il y avait un peu d’eau dans la mare d’Eï-Keï. Le sultan demanda alors aux guerriers de retenir leurs chevaux et de ne pas les laisser entrer dans la mare, car ils battraient l’eau de leurs pattes et la rendraient boueuse. Le sultan s’installa derrière un rideau de tissu, dans un aménagement fait autour de la mare en guise de camp. Une sentinelle avait été placée au sommet de la montagne avec la consigne qu’il devait allumer un feu (faire monter la fumée) pour alerter le sultan et ses hommes au cas où l’ennemi se montrerait. Neï était un homme un peu orgueilleux ; faisant fi de la consigne du sultan, il laissa son cheval entrer dans la mare et battre l’eau de ses pattes. Alors le sultan qui était derrière son rideau dit en entendant les éclaboussements : – Qui fait donc cela ?

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Les Kirégou qui faisaient parti des guerriers et qui n’étaient pas contents du comportement de Neï répondirent : – Qui donc, autre que Neï qui se fait le petit sultan (le second sultan) oserait faire cela ? Le sultan était un homme nerveux ; il sortit de son installation et vint donner des coups de chicotte au cheval de Neï ; le cheval, effrayé, traîna alors Neï qui le tenait fermement, dans la boue de la mare. Mais celui-ci lui répondit par un sourire de rancune. C’est alors que la fumée se montra sur la montagne, annonçant l’attaque de l’ennemi. Le sultan et ses guerriers se jetèrent sur leurs chevaux pour foncer sur les attaquants. Mais Neï avait de mauvaises intentions sur le sultan ; il désirait qu’on le laisse seul se faire tuer par l’ennemi. Parmi ceux qui chevauchaient vers l’ennemi, il y avait beaucoup de gens braves comme Djit-Badjouï le grand-père du sultan Haggar Térab, mais Neï leur disait : – Gardez-vous de le sauver cette fois-ci. A la mêlée avec l’ennemi, les guerriers prirent donc la fuite respectant le conseil de Neï. Djit-Badjouï s’approcha alors du sultan et lui dit : – Fils de mon père ! Ce jour est un jour difficile. Qu’Iro te sauve ! Le sultan était donc resté seul aux prises avec l’ennemi ; il refusa de se sauver et se battit acharnement en chantant : – Les Diguiri et les Abta, même tous réunis, vous n’équivalez pas Djit ! Vous m’avez abandonné en pleine brousse telle une autruche et ses poussins. Diguiri et Abta étaient des Kirégou, donc cousins au sultan, mais ils se rangèrent du côté de Neï et prirent la fuite avec lui. Le sultan fut tué et l’ennemi traîna son corps jusqu’au téri (Acacia) se trouvant près du puits actuel d’Iriba. C’est là qu’il fut inhumé. Neï quant à lui, alla de ce pas directement chez le Roi, solliciter le titre de sultan de Koubé. Pourquoi le nom de Neï ? Ce nom vient du fait que la mère de Neï ne donnait d’abord pas d’enfant avec son premier mari et quand au second mariage elle tomba enceinte, les gens disaient : – nogor ê neï ginê kogorní bêr su jàa kidio ? ce qui veut dire "d’où s’était-elle chargée lourdement (comment avait-elle conçu) comme ça puisqu’elle ne donnait pas d’enfant ?" 166

Le terme de "Neï" exprime dans la langue des Béri le mouvement lent et balancé d’une personne très grosse ou lourdement chargée. Quand Ari accoucha, on donna à son enfant le nom de Neï. Après Neï, c’est Ogourou qui monta au trône, puis Mougou, Abdel-Fagara et enfin Irâb (ou Râkib) qui mit fin à la succession en ligne directe, il était allé mourir vers l’Est en un lieu appelé Djemen-Kêrêrê (la montagne de Kêrêrê) qui se trouve au-delà de la mer. Irâb et Hirdi furent sultans en même temps : Hirdi alla se faire introniser par le Ouaddaï, tandis qu’Irâb tirait son titre du Dar-For. Après son investiture, Râkib chassa Hirdi qui alla se réfugier dans la montagne d’Awga. Mais alors que son rival se cachait dans la montagne, Râkib pensa aller vers l’Est pour se faire Roi. A l’époque c’était des Ta’acha qui étaient à l’Est et ce sont eux qu’on appelait des Nassara. Tous les sultans furent appelés au combat, mais les autres sultans dont celui des Biri (Guimirs) et le sultan Hassan refusèrent de répondre à l’appel. Mais Râkib y était parti avec tous ses guerriers ; il alla très loin, au-delà des mers, jusqu’au Djemen-Kêrêrê où il mourut en combattant. Voilà comment Râkib avait fait disparaître la succession en lignée directe. A la mort de Râkib, le Roi du Dar-For intronisa Ibrahim-Ardachâm pour l’opposer à Hirdi et lui ordonna d’aller avec ses frères occuper la terre de leur père, le sultan Abdel-Fagara. Ardachâm et ses frères vinrent donc au Koubé et s’installèrent à Iriba avec des contingents du Roi. En ce moment le sultan Hirdi qui se trouvait à Mougouma-Kouroung avec le Malik Yacoub de Dourène qui avait une grande puissance à l’époque, dit à celui-ci : – Le Roi du Dar-For a envoyé mes frères occuper mes terres. Si tu m’aides à les chasser ou les tuer, tout ce que nous aurons pris d’eux lors des combats, comme fusils et chevaux, te reviendront. A cette époque-là, tous les gens du Koubé n’étaient pas des parents aux gens de Dourène comme aujourd’hui. Ils étaient comme des étrangers les uns par rapport aux autres. Malik Yacoub accepta le marché et les troupes de Hirdi renforcées par les siennes vinrent surprendre les Ardachâm à Djoura-Mogounous. Dix princes périrent dans le combat dont lui-même. Ibrahim-Ardachâm, Hour-Sow le père du Mogdoum Mahamat, mon oncle AOuara (oncle du narrateur), Dôssi, Hissène-Koubawi, etc., tous y périrent. Quand Hirdi put tuer tous ces gens et put sortir vainqueur de la situation, il voulut alors trahir le Roi du Ouaddaï : il faisait des dé167

marches pour entrer dans les bonnes grâces du Roi du Dar-For afin de pouvoir se placer sous son autorité ; il lui envoya l’une de ses filles et lui proposa de la marier ; il envoya une autre de ses filles au Mogdoum Youssouf, le chef de Koutoum qui était un Diguiré. Il donna enfin une troisième fille à Hor-Taïb. A chaque fois, il envoyait un message à ces chefs, leur disant : – C’est une affaire entre nous, frères ; nous nous sommes discutés le trône du Koubé et Ardachâm en est mort ; laissez-moi donc m’installer chez moi et vivre en bons termes avec vous. Dans les anciens temps le fratricide n’existait pas au Koubé pour des problèmes de pouvoir : si le fils d’un Angou montait au trône, les autres lui obéissaient, ils ne s’entretuaient jamais. C’est Hirdi qui avait initié le fratricide au Koubé en massacrant des Angou à Djoura-Mogounous. Et c’est depuis lors que les Angou s’entretuent. Hirdi avait donc, au moyen des alliances matrimoniales, corrompu les chefs de l’Est qui acceptèrent finalement de se marier avec ses filles. Ces derniers lui promirent la paix en échange. C’est alors que Hirdi vint s’installer au Koubé où il n’y avait que Haggar Térab et Ali Abou-Charfa comme Angou tobouïra ; tous les autres, après la perte de leur droit à la succession avec la perte de Râkib, durent fuir vers l’Est ou dans d’autres pays. Quand Hirdi était encore à Mougouma-Kouroung, ses hommes se battirent avec les Dirongda, ce qui coûta la vie à certains de ses fils dont Ismaïl-Daldoum. C’est pendant le même jour où ces princes furent tués par les Dirongda que mourut aussi Nourou, la mère du sultan Haggar. Mais Nourou fut morte de mort naturelle et enterrée là-bas sur la terre de Melik Yacoub. Alors, le sultan Hirdi, ne trouvant plus d’autres issues après la brouille avec les Dirongda, décida de venir s’installer dans la colline de Hà-Koubé. Haggar Térab se trouvait encore avec lui. Celui-ci fit des "manières" (faire des maniquences) pour mettre les fils de Hirdi dont Borgou en conflit. C’est alors qu’il se rangea du côté de Borgou et d’Ina Ali Déles qui, tous, quittèrent Hirdi et vinrent s’installer à Iris sur le territoire de Dimisi. Hirdi fit appel à des notables comme intermédiaires pour pouvoir ramener son fils Borgou près de lui et se réconcilier à lui. Mais Haggar et les autres restés là-bas dont le Khalifat Abit, un Angou djeïra, apprirent que Hirdi avait l’intention de les arrêter s’ils venaient vers lui. Ceux-ci restèrent donc là où ils étaient. Haggar eut alors cette idée de dire à Abit : 168

– Voilà, Hirdi avait tué nos hommes et était venu s’installer au Koubé. Nous ne pouvons pas accepter une telle situation. Nous te désignons donc comme notre chef (sultan) et nous devons aller au Ouddaï pour légitimer ce titre. C’était évidemment une idée qui devait plaire à Abit et à laquelle il crut naïvement. Ainsi, ils résolurent d’aller tous vers l’Ouest, mais ils décidèrent de s’installer d’abord à Hoyé (ou Kounourak) sur le territoire des Tama, en-deçà de Wayawaya. Mais Hirdi attaqua leurs positions et les dispersa après avoir capturé l’enfant aîné de Haggar du nom de Fadoul. Abit et Haggar qui purent s’échapper de l’attaque avec leurs hommes allèrent se réfugier dans la montagne de Kapka. De là, Abit et Haggar avec quelques-uns des leurs, se rendirent au Ouaddaï dans le but de conquérir le titre de sultan du Koubé. Il y avait dans la cour du Roi du Ouaddaï un Aguid, un Biriéra neveu des Angou tobouïra, un fils du Mogdoum Kérim Gobaye qui s’appelait Ab-Sakkine. L’Aguid Ab-Sakkine était donc un neveu de Haggar. Celui-ci lui dit : – Le sultan Hirdi nous a trahis, il a massacré de nos gens. C’est pourquoi nous sommes venus ici pour avoir le titre de sultan. L’Aguid lui répondit en disant : – C’est une bonne chose que vous soyez venus ici, mais qu’elle était la situation là-bas ? – En venant, dit Haggar, nous avons trompé Abit en lui faisant croire que nous le prendrons pour notre chef. Voilà pourquoi il est venu avec nous. Mais en réalité, c’est pour le compte des Tobouïra que nous faisons ces démarches. L’Aguid Ab-Sakkine conclut en ces termes : – Et finalement c’est un Djeïra, un criminel, que tu m’amènes ici ! Toi, tu attends maintenant tranquillement, l’affaire est à moi désormais. L’Aguid Ab-Sakkine alla voir aussitôt le Roi et lui dit : – Le sultan Hirdi t’avait trahi et Haggar dont les frères ont été massacrés par lui est là. Il faut l’introniser car il n’y a plus de risque qu’il puisse s’entendre avec l’assassin de ses frères, les dix princes descendants de Neï. Il y a désormais du sang entre Hirdi et Haggar. 169

Le Roi ne pouvait laisser passer une telle opportunité qui lui permettait de dresser Haggar contre Hirdi, mais dit à son Aguid : – Je vais d’abord envoyer une délégation voir les positions de Haggar à Kapka. Et après cela, je procèderai à son investiture. En ce moment Haggar avait cinq femmes : Gaïna, Ammo Charfié, Midik, Kariby et Djassa la mère d’Abbo Bahar. C’est dire qu’il avait les moyens, tandis qu’Abit n’avait que deux femmes et ne savait pas qu’il était déjà trahi par les Haggar. L’Aguid prit Haggar à part et lui dit : – Il faut veiller aux hommes du Roi dès votre arrivée là-bas, il faut bien les entretenir en immolant beaucoup de bêtes pour organiser des festivités ; il faut leur faire bonne impression avec l’intention, de se mettre dans leurs faveurs ; mais fais-le sans réveiller les soupçons d’Abit. Haggar suivit les conseils de l’Aguid Ab-Sakkine et fit tout pour se faire une bonne appréciation par la délégation du Roi. Quant à Abit, il croyait toujours que cette délégation n’était à Kapka que pour entériner le titre que ses compagnons lui avaient attribué ; il pensait donc qu’au retour au Ouddaï, il sera confirmé sultan du Koubé. Quand le Roi appela sa délégation pour avoir une idée de la situation à Kapka, celle-ci lui dit : – Haggar est l’homme du trône, car il avait perdu tous ses frères et en outre, il a les moyens pour devenir sultan. Alors, le Roi attacha au poignet de Haggar un fil de soie en guise d’investiture. C’est alors que le Khalifat Abit comprit qu’il avait été trahi par sa suite. Déçu, il quitta alors les Haggar et alla s’installer avec sa famille au Dar-Tama en un lieu appelé Djabal-at-Aloung où il mourut. Quand Haggar devait aller voir le Roi au Ouddaï, il avait laissé Gâdir comme son Khalifat dans la montagne de Kapka où il avait aménagé une fortification (djang). Alors, le Roi du Dar-For, mécontent de la nouvelle situation, renforça les troupes de Hirdi et ordonna à celui-ci d’aller détruire les positions que ses adversaires tenaient à Kapka. Les guerriers de Hirdi, sous les ordres de ses fils et de ses beaux-fils et avec des renforts de l’armée royale, s’avancèrent donc dans la montagne de Kapka, ignorant les fortifications aménagées par les Haggar, tandis que ces derniers les attendaient à l’affût. Quand ils 170

furent suffisamment engagés à l’intérieur de la montagne, les hommes de Haggar lancèrent une attaque surprise. Les hommes du Roi For qui suivaient ceux de Hirdi, se trouvant en terrain totalement inconnu, furent désorientés et exterminés. On compta parmi les morts du côté de Hirdi, ses beau-fils Kodogo Abou-Charfa et Honou Abou-Tébigué. Les Haggar remportèrent une victoire éclatante, ils massacrèrent les uns et pourchassèrent les autres jusqu’au-delà de Touna (Tiné). Ainsi, les Haggar renforcèrent leur puissance avec les armes prises de l’ennemi. Les Français étaient venus deux années après cet événement, c’est-à-dire deux années après l’intronisation de Haggar par le Roi du Ouaddaï. Quand les Français conquirent le Ouaddaï, ils ne s’installèrent pas à Biltine comme on a l’habitude de penser, mais à Arada. Le sultan Haggar fut alors appelé à Arada en détention. Il avait à ses côtés des hommes braves comme le Mogdoum Maya, Êr-Bahar, Digui-Dêk, le Khalifat Gâdir, Houngouna-Taïro, l’Ina Sougâr, Irobeï-Djarê, Troumba, etc. Le sultan Haggar dit alors aux Français : – Le For qui avait tué mes gens est encore revenu sur ma terre ; je te demande de l’aide pour aller le chasser. Les Français insistèrent sur la question de savoir si Hirdi était effectivement au Koubé, avant de se mettre à chercher le moyen de l’éliminer, car ils en voulaient énormément aux troupes du Roi du DarFor. Ils envoyèrent d’abord des espions pour se renseigner sur les effectifs et les positions de l’armée de Hirdi. Et quand la décision fut prise d’attaquer Hirdi, le sultan Haggar demanda à Gâdir d’aller déplacer sa famille et de la conduire dans le wadi de Mordou qui, à l’époque, n’était pas encore habité. Quant à lui, il devait conduire les Français à Tiné ; il avait comme éclaireur le Khalifat Ali. Les Français, guidés par Haggar et ses hommes se dirigèrent donc vers Tiné et attaquèrent Hirdi à l’aube, alors que celui-ci n’était au courant de rien. Le sultan Hirdi fut tué lors du combat avec certains de ses enfants. C’est après cela que Haggar était venu fondé la ville de Mordou. Il organisa son sultanat, procéda à l’investiture des Mogdoum parmi les Angou. Le Mogdoum Fadoul Kitir avait été investi à cette époque. Fadoul s’entendait bien avec le Kamini Digui ; tous deux étaient des prétendants, le premier au titre de mogoudoumat de Koubé qui était à l’époque détenu par l’Ali KidigariDiri, l’autre au titre de kaminini qui revenait aux Kirégou. Le sultan Haggar voulait destituer le Mogdoum Ali Kidigari-Diri au profit d’un Angou maïkassoura. Ses conseillers lui dirent alors : 171

– Il y a les oncles de Fadoul, les Seïra et les Digo, mais il n’y a que ce Fadoul qui puisse tenir cette place, car il est jeune et courageux et possède toutes les aptitudes à organiser le mogoudoumat. En outre, le Kamini Digui aussi avait plaidé pour lui. Quand tous ces gens parlèrent de lui au sultan Haggar, celui-ci dit : – Bien, je vais l’investir ; le fils de Kitir est aussi mon fils et je m’entendais bien aussi avec son père. On demanda alors à Fadoul d’aller chercher le douane. Fadoul présenta alors trois vaches, un cheval et deux chameaux. Il y avait dans la cour du sultan des gens qu’on appelait des Orou-bira c’est-à-dire une sorte de commission chargée d’évaluer le douane et de se prononcer sur sa validité. Les Orou-bira qui n’étaient que deux personnes, Manga Irêguê-Kissir et Bahar Hassaballah, après avoir observé les animaux présentés par Fadoul, dirent à celui-ci : – Tes animaux ne valent pas le Mogoudoumat du Koubé tout entier ! C’est trop peu et ce ne sont pas de bonnes bêtes. Ils allèrent dirent aussi la même chose au sultan. Fadoul demanda alors un délai pour retourner chez lui afin de pouvoir constituer un nouveau douane. Il alla donc voir les parents de sa mère et leur dit : – Je suis venu à vous parce que je suis en train de perdre le Mogoudoumat du Koubé tout entier à cause du douane. Alors ses parents lui donnèrent trois de leurs plus beaux chameaux. Les Orou-bira acceptèrent enfin le douane, mais le sultan prit tous les animaux, les anciens et les nouveaux. Fadoul fut donc investi du titre de Mogdoum et le sultan lui attacha un fil de soie au poignet. Les dignitaires le firent sortir dans la cour et dirent devant une assistance nombreuse : – Voici l’enfant de Kitir ; nous savons que ses oncles sont là aussi et qu’ils sont aussi des hommes de valeur, mais nous avons jugé que ce jeune homme est seul apte à tenir la place que nous lui attribuons. Voilà pourquoi nous l’avons investi du titre de Mogdoum. Et toute l’assistance se mit à clamer : – C’est très bien ! C’est très bien ! Que le Seigneur lui soit favorable et le fortifie dans son mogoudoumat ! 172

Une fois la cérémonie d’investiture terminée, Fadoul demanda aux Orou-Bira qui se trouvaient devant le sultan : – Où sont mes anciennes bêtes, celles que vous avez refusé d’accepter ? Fadoul pensait que c’étaient seulement les dernières bêtes (les 3 chameaux) qui avaient finalement constitué le douane et il ne cessait d’interroger. A la première question, le sultan ne dit rien ; il se tut aussi à la deuxième question ; mais à la troisième question, il lui dit : – Fadoul, mon fils ! La terre que je t’ai donnée va du téri (Acacia albida) de Kouba jusqu’au téri de Bahaï ; même si tu prenais un oru (Citrullus lantus ou pastèque en français) de sous chaque àrihuru (Geigeria alata), cela pourrait te suffire. Va donc organiser ton Mogoudoumat ! Dans quelles circonstances les deux enfants de Hirdi, Ismaïl-Daldoum et le Khalife Abit furent tués ? Ces deux princes se concurrençaient, chacun voulant devenir sultan à la place de leur père, ce qui, un jour fit dire à ce dernier : – Il se peut qu’un vieux chameau soit chargé de la viande d’un chamelon, ce qui voulait dire : vous souhaitez la mort du vieux, ma mort pour devenir, chacun, sultan à ma place ; mais il se peut que vous, jeunes, mouriez avant moi. C’était dans une telle situation de tension familiale que les populations de Dourène et Gourouf, désirant s’emparer des biens des gens de Hirdi, attaquèrent les positions de celui-ci. D’abord c’est le Khalifat Ahmat qui fut tué, mais quand Ismaïl Daldoum se présenta devant son père, celui-ci le réprima sévèrement : – Tu as tué Ahmat et tu te présentes devant moi ! Il disait cela parce qu’il pensait que Ismaïl Daldoum souhaitait la mort de son aîné le Khalife Ahmat afin de se constituer en héritier du trône. Ne pouvant supporter cette réprimande, Ismaïl alla se faire tuer à son tour par l’ennemi. Après la mort de ses deux fils, le sultan Hirdi ne pouvait plus tenir sur la terre des autres. Comme il n’avait plus d’autre alternative, il quitta le Dourène aussitôt et vint attaquer à Djoura-Mogounous, les troupes d’Ibrahim Ardachâm qu’il décima complètement. Entre la

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mort de ses fils et le massacre de Djoura-Mogounous, il n’y avait même pas vingt jours. Le conflit entre Hirdi et Haggar date d’avant l’assassinat d’Ibo, frère de Haggar et la capture de Fadoul. C’est à la suite de ce conflit que Hirdi avait aussi tué à Maïba un fils du sultan Abdel-Fagara appelé Adiguiri. Ibo était d’abord arrêté puis conduit devant le sultan Hirdi mais celui-ci le tua parce que son frère Haggar était en opposition et lui discutait le trône. Le conflit entre les deux hommes provenait du fait que les Borsou voulussent faire de Borgou (leur neveu) un sultan. Car Borgou était soutenu par l’Ina Déless. Les Borsou étaient donc retranchés avec Borgou contre Hirdi, mais celui-ci fit tout pour faire revenir son fils. Et lorsque Borgou revint auprès de son père, il fut mis sous chaînes. Alors l’Ina Ali Déless et ses hommes quittèrent le pays et allèrent s’installer à Irit. Hirdi avait parmi ses femmes Dahaba, une fille de Mogori, un Angou Tobouïra proche de Haggar. C’est elle qui informa celui-ci de l’intention de Hirdi de les arrêter : – Borgou s’était laissé se faire enchaîné, lui dit-elle, toi au moins ne te laisses pas te faire arrêter ! Fuyez tous ce lieu ! Alors Haggar pris la fuite avec ses gens. La première grande bataille avec Hirdi eut lieu à Hoyé avant celle de Kapka, mais en ce moment Hirdi n’avait pas encore les renforts du Roi du Dar-For. C’est là que fut tué le beau-père du sultan Haggar. Ori est le père de Midik et frère d’Ina Sougâr. Midik est une femme du sultan. Et c’est là que fut capturé aussi Fadoul, un jeune enfant encore nu. Tout le monde disait à Hirdi de ne pas tuer cet enfant. Hirdi faisait semblant d’accepter ce que les gens lui disaient mais il avait en réalité l’intention de tuer l’enfant. Sa femme Dahaba le suppliait alors et lui disait : – Tu as déjà tué Ibo, maintenant il ne faut pas commettre l’erreur de tuer un enfant qui n’a même pas encore d’habit sur le corps. Fadoul avait des chaînes aux pieds alors qu’il n’était qu’un gamin. Quand Hirdi le fit venir devant lui, Fadoul le regarda et lui dit : – Grand-père, tu veux me tuer ? Hirdi lui répondit en disant qu’il ne voulait pas le tuer. Dahaba qui était très touchée par la question de l’enfant et qui connaissait aussi les intentions de son mari, dit à celui-ci : 174

– Je t’avais déjà dit de ne pas tuer cet enfant, mais je sais que tu veux le faire ! Dahaba savait qu’elle ne pouvait rien faire pour sauver l’enfant ; alors elle lui dit : – Mon fils, on veut te tuer mais je ne peux rien pour empêcher cela, essaie de te sauver pendant la nuit malgré que tu sois sous chaînes. Si tu y arrives, ça sera une bonne chose, autrement, tu seras sûrement tué. Fadoul essaya alors de se sauver en se traînant sur les genoux, mais il fut pris et tué. Tout le monde était outrancé par ce meurtre et les gens disaient : – Après avoir tué un enfant qui n’a même pas d’habit sur le corps, Hirdi n’aura plus rien de bon dans sa vie. Fadoul était innocent mais il avait payé l’audace de son père qui voulait le trône du Koubé, car il était le fils aîné de Haggar, plus âgé même que Tiya (fille aînée du sultan Haggar.) Fadoul fut donc tué bien avant la mort de Kodogo le beau-fils de Hirdi, à la bataille de Kapka. Kodogo Abou-Charfa et Houno, un autre de ses beau-fils, étaient des chefs de guerre au combat de Kapka où ils furent tués. Avant Hirdi, les Angou ne se tuaient pas les uns les autres. Si l’un d’eux montait au trône, tous les autres lui obéissaient. Hirdi était le premier à pratiquer le fratricide et les autres avaient suivi son exemple. Il avait tué tous les descendants de Neï et d’Abdel-Fagara ; il avait tué Hissène Koubawi et les fils d’Abdel-Fagara, au total dix prince à la fois. De Hoyé, Haggar était allé à Kapka. Mais la plus grande bataille qui opposa Hirdi à Haggar fut celle de Kapka dans laquelle des troupes du Roi Ali Dinar étaient engagées pour soutenir Hirdi. C’est à l’issue de cette bataille que Haggar avait pu renforcer sa puissance. Comment Hirdi était-il venu au pouvoir alors qu’il y avait les fils d’Abdel-Fagara ? Hirdi était un "amine" du sultan Abdel-Fagara, c’est-à-dire son confident, son plus proche serviteur ; mais il avait trahi la confiance du sultan en allant, à la mort d’Abdel-Fagara, du côté du Ouaddaï pour se faire investir comme sultan du Koubé, alors qu’Irâb était déjà investi par le Roi du Dar-For en sa qualité d’oncle paternel aux enfants d’Abdel-Fagara dont il était le demi-frère. A cette époque, tous les chefs des Béri, même ceux du Birié étaient sous 175

l’autorité du Roi du Dar-For. Hirdi fut le premier à aller se faire investir par le Roi du Ouaddaï et à se placer sous son autorité. Après lui, quand les Français avaient conquis le Ouaddaï, le sultan Haggar se soumit à eux. Ardachâm le fils d’Abdel-Fagara n’était pas trop jeune à la mort de son père, mais la coutume voulait que ce fût le frère ou le demi-frère du défunt qui assurât la succession, d’où l’investiture d’Ardachâm par le Roi du Dar-For. Tous les enfants d’Abdel-Fagara se soumirent à leur oncle Ardachâm et étaient avec lui à Hiriba, dans la ruisselle de Djoura-Mogounous lorsque Hirdi les avait attaqués et les avait tous tués. Leurs tombeaux se trouvent dans ladite ruisselle, ainsi que ceux de Djamé le père du Mogdoum Mahamat Hour-Sow, d’Erda, de Awaré, de Hissène Koubawi, d’Ahmat-Dôssi, etc. Tous ces gens y furent tués par Hirdi. Voilà comment la discorde est entrée dans les rangs des Angou, car après le sang, il n’y a plus d’entente possible. Est-ce que Tâ avait épousé Ari, la femme de son père ? Non ! Il ne l’avait pas épousée et il ne pouvait pas le faire. Tâ avait seulement trompé Ari sur les conseils de son père (Korio) en lui disant que si elle lui montrait l’endroit où son père avait caché les timbales royales et les autres insignes du pouvoir qu’il n’était pas autorisé à emporter avant d’avoir remis le douane au Roi, il l’épouserait pour qu’elle pût jouir pleinement des faveurs du sultanat. Mais en réalité, il ne pouvait pas l’épouser, seulement il était obligé de lui mentir car Ari était la seule personne qui savait où Korio avait caché ces chose-là. Quand Tâ entra en possession des timbales, il ordonna à son oncle AbderhamanTébess de l’épouser. Et quand celui-ci épousa Ari, celle-ci tomba enceinte de Neï, puis de la princesse Bêrêm-Houraye, grand-mère des Borsou. Le foyer de Bêrêm-Houraye, appelé Bêrêm-Hourda, se trouve actuellement à Kirégouï. Neï n’est pas un nom, c’est un sobriquet donné par les frères d’Abderhaman-Tébess. Qui s’était emparé des timbales royales à la mort d’Abdel-Fagara ? A la mort du sultan, c’est Hirdi qui s’empara des timbales, car il avait trahi en fuyant avec ces timbales. Alors Irâb le pourchassa jusqu’à ce qu’il se réfugiât dans la montagne d’Awga. Mais tandis que Hirdi se cachait dans cette montagne, Irâb fut appelé par le Roi du Dar-For. Seulement les timbales qui avaient disparu avec Irâb à l’Est n’étaient pas celles que Tâ possédait, celles-ci étant entre les mains de Hirdi. Les timbales qu’Irâb possédait étaient d’autres que le Roi du Dar-For avait fait fabriquer pour lui. Les timbales de Hirdi étaient les plus anciennes, celles qui avaient l’ouverture béante (a muru), celles qu’Ali176

Djâbis (ou Yabis) avait battues, celles qui avaient été arrachées par le sultan Haggar en tuant Hirdi à Tiné, celles qui se trouvent donc actuellement dans le palais royal d’Iriba. Ce sont celles-là, les vraies timbales des Angou depuis l’investiture de Tâ. Irâb avait perdu ses timbales ainsi que sa vie à l’Est, mais quand Hirdi fut tué et que Dawsa succéda à son père grâce aux Anglais, ceux-ci lui firent fabriquer des timbales. Donc les deux sultans du Koubé, celui du côté tchadien et celui du côté soudanais possèdent tous des timbales actuellement. Au Koubé, un chef qui n’a pas de timbales ne peut devenir un sultan. C’est une tradition qui se trouve également ailleurs, au Kapka, chez les Dadjo, les Tamara (Tama), les Kari (Ouaddaïens) et les Massalat. Quelqu’un qui n’a pas battu ou qui n’a pas en sa possession des timbales, ne peut prétendre au titre de sultan ; il sera simplement un ma’aguiné, c’est-à-dire un chef sans timbale, donc inférieur au sultan. Mais au Koubé, quelqu’un qui ne descend pas d’une souche royale, même s’il s’empare de force des timbales royales, ne peut être considéré comme un sultan car ce titre est hérité des ancêtres, et ceci n’est pas quelque chose de nouveau. Les timbales seules ne font pas un sultan, l’exemple du Mogdoum Mourrah est un cas frappant : cet homme avait acheté des timbales, mais il n’avait pu devenir sultan et, à sa mort, ses timbales avaient disparu. Le pouvoir des timbales ne peut donc provenir que des ancêtres. Mais si deux frères dont l’un est sultan avec des timbales se battent et que celui qui n’a pas de timbales triomphe sur son frère et le dépossède, alors il sera considéré, dans ce cas-là, comme un sultan, car il ne peut avoir deux sultans pour un même sultanat ; et c’est celui qui possèdes des timbales qui possède aussi le pouvoir. L’ancien sultan ne sera pas obéi puisqu’il était dépossédé, c’est la coutume. Quand un sultan est investi au Ouddaï ou au Dar-For, quels autres symboles à part les timbales reçoit-il ? Il reçoit beaucoup d’autres choses dont le sabre car à l’époque, les Rois étaient comme nos chefs d’Etat actuels, ils avaient beaucoup de moyens. Les deux sultans, celui de l’Est et celui de l’Ouest étaient très puissants, ils donnaient à leurs vassaux des sabres argentés, des bouilloires et des plateaux en cuivre, etc. Ils leur donnaient beaucoup de choses, et les faisaient escorter hors du palais royal par des joueurs de hauts-bois (kaïdara en bériá.) Avant, le sultanat des Dadjo, celui des Béri (Zaghawa), des Tama et des Massalat étaient soumis au Ouaddaï, tandis que celui des Biri (Guimirs) était lui, soumis au Dar-For. Les sultanats du Koubé et celui 177

du Kapka n’avaient jamais eu de désaccord entre eux ; chacun évoluait dans son domaine. Il y avait au Kapka un sultan du nom de Tom, grand-père du sultan Abderhaman Haggar (du côté maternel) car il était le père de Charfié sa mère. Ammo Charfié est la mère du sultan Abderhaman Haggar. Quand Tom mourut, il fut succédé par le sultan Hassan fils de Dowgui, qui à son tour fut succédé par le sultan Borgou. Après Borgou, vint le sultan Nourêne, puis le sultan Abdoulaye et enfin le sultan Hassan actuel. Eux aussi (les sultans du Kapka), ils se balançaient entre le Ouaddaï et le Dar-For, mais chaque fois qu’ils se mettaient en conflit avec l’un ou l’autres des deux Rois, ils se refugiaient alors dans leur montagne de Kapka. Ils se considéraient comme les frères des Béri (du Koubé) et n’avaient jamais eu de conflit avec eux. Aucune autre personne qu’un Bigui n’avait accéder au trône du Kapka jusqu’â l’arrivée des Français qui trouvèrent au Koubé une administration structurée en sultanat, mogoudoumat et imâmat. Au temps du sultan Haggar, il n’y avait pas beaucoup de chefs comme maintenant : tout le Nord était gouverné par le Mogdoum Fadoul Kitir ; tout le sud par le Mogdoum Mahamat Djamet dit Hour-Saw ; dans les montagnes de Nanou et Wê, il y avait des Ina, car les titres de sultan et de Mogdoum ne pouvaient être portés que par les Angou ; il y avait également les chefferies des Marougouïra, des Kirêguoïra, des Obougouna (une toute petite chefferie) et des Goubara ; tout le reste était soumis aux Mogoudoumats. Le nom de Kirêguoïra vient de la montagne de Kirêgouï, comme les autres montagnes ont donné aussi leur nom à des clans : Marougouï a donné Marougouïra ; Abougoun, Obougouna ; Gouba, Goubara, etc. Le Kirêgouï avait jadis, à l’époque du sultan Ogourou, un chef du nom d’Ina Kérim qui était un grand chef, directement soumis au Dar-For. Mais après, le pays des Kirêguoïra fut annexé au sultanat du Koubé.

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CHAPITRE XV Histoire du Sultanat du Koubé145

(Version du sultan Bichara) Le sultan Abderhaman Hirdi avait été investi par le Roi Youssouf du Ouaddaï, déclarait le sultan Bichara Dawsa Abderhaman Hirdi. Sept années après cette investiture, Râkib était allé au Dar-For pour solliciter une force lui permettant de revenir combattre le sultan Hirdi et le détrôner. Râkib était d’abord avec Abdel-Fagara, son cousin paternel (ibnou ’am). A la mort d’Abdel-Fagara, il alla vers l’Est afin de se faire investir comme son successeur. Alors Hirdi, pour conqurir le pouvoir et ne pouvant plus aller sur le terrain déjà conquis par Abdel-Fagara, alla lui, au Ouaddaï. Quand Hirdi y arriva, d’autres clans Angou y étaient aussi pour le même but, mais le Roi Youssouf le préféra aux autres et l’intronisa comme sultan du Koubé. Après cela, Hirdi était revenu au pays tandis que Râkib y revenait aussi, investi par le Roi du Dar-For. Les deux sultans se livraient donc la guerre : ils se battirent pendant sept ans. Mais Râkib, affaibli, dut finalement fuir vers l’Est avec les deux timbales (Beida et Mostoura) que le sultan Tâ avait reçues originellement du Roi du Dar-For lors de son investiture. C’est donc Râkib qui détenait ces timbales. Il les fit résonner lorsqu’il se dirigeait vers le Mahadiya de qui il voulait obtenir une aide pour combattre Hirdi. Mais quand il alla voir le Mahdi, celui-ci lui dit qu’il y avait une autre guerre avec les Habacha (Abyssins) que Râkib devait d’abord aller combattre et qu’ensuite il pourrait obtenir la force qu’il sollicitait pour s’opposer à Hirdi. Râkib cacha alors les deux timbales et partit au

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Cette version est racontée par le sultan Bichara Dawsa Abderahman Hirdi, à Tiné le 22-10-2000

combat contre les Habacha, vers Gada’arif146. Mais il fut tué là-bas et on ne retrouva plus les timbales. C’est ainsi que Hirdi resta le seul maître du Koubé (Kobé) jusqu’à ce qu’Açyl aille amener les Français au Ouaddaï. Quand les Français avaient entamé la guerre au Ouaddaï, le sultan Doud Mourrah quitta Abéché pour aller ouvrir un front au Dar-Massalit, chez le sultan Tadjaddine. Mais les Français arrivèrent jusqu’au Dar-Massalit et se battirent avec le sultan Tadjaddine, le protecteur de Doud Mourrah. Les combats se déroulèrent à Djirdjir, à El-Djineïna et ailleurs aussi. Le sultan Tadjaddine, après avoir tué beaucoup de ses ennemis dans les troupes coloniales et après s’être accaparé de leur armement dont des fusils dits ab-talata, fut tué lors de l’un de ces combats. Baharaddine, fils du sultan Abbakar prit alors la succession. Mais Doud Mourrah avait sentit que la situation était intenable après la mort de Tadjaddine. Il était lui-même allé à Abéché pour se remettre aux Français. C’était donc une reddition et non une capture comme on a l’habitude de le dire. Les Français avaient Açyl avec eux. Ils placèrent celui-ci avec Doud Mourrah sous un même arbre (pour les réconcilier ?). Les deux adversaires s’échangèrent des propos en arabe : Açyl prit alors la parole le premier et dit, à l’endroit de Doud Mourrah : "Allah Yaslî alhâl" ! (ce qui signifie : "qu’Allah assainisse les comportements !") Doud Mourrah lui répondit en disant : "yuwâlî liman yuslî" (dont la traduction approximative est : "la victoire est au plus juste"). Mais après un certain temps (environ trois mois), Doud Mourrah fut arrêté et conduit à Fort-Lamy et c’est Açyl qui était resté comme Roi du Ouaddaï. Alors, à la suite de son conflit avec le sultan Hirdi, Haggar Térab vint à Abéché pour se faire proclamer, par Açyl, comme sultan du Koubé. Açyl accepta sa demande car son intention était de l’opposer à Hirdi. Haggar était revenu dans son pays après cela, mais il n’était pas encore un sultan complet. Hirdi essaya d’anéantir les positions de Haggar en les attaquant à deux ou trois reprises. Les Français envoyèrent alors à Hirdi plusieurs fois des messagers pour lui demander de se soumettre à leur autorité, de la manière qu’il était auparavant soumis à Doud Mourrah. Mais à chaque fois, Hirdi rejetait cette intimation, considérant les Français comme des "kâfir" (infidèles). Les Français avaient même essayé d’emprisonner Haggar à un certain moment, 146

Région du Soudan anglo-égyptien

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mais quand ils comprirent que Hirdi ne voulait pas se soumettre à eux, ils envoyèrent un peloton avec Haggar pour l’éliminer. L’attaque eut lieu à Tiné, à l’aube. Le sultan Hirdi, sept de ses frères et demi-frères, son amîne147 et son cousin paternel y furent tué, ainsi que son chef de guerre, l’Ina Ahmat-Djô. Le sultan Borgou de Kapka qui était un homme intelligent et instruit en arabe et dont le pays était sous la dépendance de Doud Mourrah à l’arrivée des Français, envoya dire à Hirdi d’aller prêter allégeance aux Français. Il lui disait que Haggar n’était pas un homme d’autorité et lui demandait d’aller se mettre (comme il l’a fait luimême, Borgou) sous l’autorité de ces Français. Par ailleurs, il disait à ces derniers que Haggar n’avait pas de fondement, il n’était qu’un amine148 de Hirdi et ne pouvait être sultan du Koubé, alors que l’homme de référence, Hirdi, vivait toujours. Il leur disait aussi que s’ils voulaient obtenir la soumission de Hirdi, il était en mesure de la leur obtenir (tout au moins celle de son fils, le prince Borgou au cas il n’arrivait pas à convaincre le sultan). Il demandait donc aux Français de ne pas donner confiance à Haggar. Hirdi avait finalement accepté la proposition du sultan Borgou et se préparait pour aller vers les Français. Ayant fui l’ennemi, Hirdi ne se trouvait pas à Tiné à cette époque, mais à Kornoï. Il n’était revenu à Tiné que lorsqu’il avait accepté la proposition de Borgou de se soumettre aux Français. En ce moment Haggar se trouvait en détention auprès des Français, mais sa famille et ses biens se trouvaient au Koubé. C’est aussi en ce moment que Hirdi ordonna à son fils Dawsa d’aller à El-Fasher comme un ras-miya. Mais Dawsa qui saisissait parfaitement la gravité de la situation dit à son père : – Les Français ne sont pas des hommes de confiance, il ne faut pas aller les rencontrer en personne. Tu peux déléguer un de tes fils pour tester leur réaction. Je suis un officier, j’ai des hommes et des armes, je dois rester à côté de toi pour toute éventualité et pour te protéger en cas de risque. Tous tes fils qui sont en mesure de défendre nos positions comme Fâcher et moi, devons rester auprès de toi.

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L’amine est le bras droit du sultan et son fidèle serviteur. Il reste toujours près de lui et lui sert de confident. 148 Dans le sens de "simple serviteur, garçon de maison, boy".

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Mais le vieux sultan, après avoir insisté pour que Dawsa partît à ElFasher en qualité de ras-miya, quitta Kornoï pour venir à Tiné149. Alors une fraction de ses gens alla enlever des troupeaux à Borba et à Norsi, sans qu’il le sût. C’était une situation de confusion et les gens du Koubé ne savaient pas exactement qui agissait de la sorte puisque le sultan Haggar était avec les Français et le sultan Hirdi était lui, à l’Est (le pays se trouvait ainsi sans gouvernance). On croyait que c’était un ennemi de l’extérieur qui venait enlever les troupeaux. Quand Hirdi apprit que c’était ses hommes qui agissaient comme des voleurs, il se mit en colère et les ordonna d’aller remettre les troupeaux à leurs propriétaires. Ce qui fut fait pour éviter toute confrontation. Comme le sultan Hirdi avait envoyé un message aux Français pour leur annoncer sa prochaine rencontre avec eux pour exprimer sa soumission (leur prêter allégeance), ceux-ci l’attendaient donc en conséquence. Mais il y avait là-bas un homme sans titre qui écrivit un message, mit du sang sur des habits, aménagea quelques tombeaux fictifs et alla voir les Français pour leur dire que Hirdi était venu au Koubé (car il se réfugiait ailleurs) tuer les habitants et prendre leurs troupeaux. Après cette version donnée par le Sultan Bichara Daoussa Hirdi, quelques questions viennent spontanément à l’esprit : Q : Pour quelle raison Hirdi était-il à Tiné alors qu’il avait un fort dans la colline de Koubé ? R : Hirdi était intronisé par le Roi Youssouf et quand son fils Ibrahim-Birké avait pris la succession du royaume, Hirdi était toujours en bons termes avec celui-ci ; le Koubé restait ainsi soumis au Ouddaï. Mais quand Doud Mourrah arriva au pouvoir, il accusa Hirdi d’être un complice du Roi du Dar-For, et envoya une armée sur ses positions pour les détruire. C’est pour cette raison que Hirdi avait fui sa résidence du Hà-Koubé pour venir s’installer à Tiné. Q : On se demande où se trouvent les tombeaux de tous les sultans de ce pays puisqu’il n’y a pas de cimetière dans la résidence de HàKoubé. R : On sait seulement que le tombeau de Tâ, le premier détenteur des timbales royales au Koubé, se trouve à Keïraba au sud de Tiné. 149

Il faut remarquer que Hirdi jouait un mauvais jeu car il ne pouvait être à la fois avec les deux parties rivales, ni berner l’une ou l’autre très longtemps.

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Le Sultan Bichara affirme qu’il est allé voir ce tombeau et qu’il en a renouvelé les pierres tombales. – C’est sur l’autre rive de Seïra que Tâ était donc mort – dit-il ; ce que nous savons sur les autres tombeaux remonte seulement à Abdel-Fagara : Abdel-Fagara est mort à Kouba ; Râkib est tué à Gada’arif ; Hirdi est mort dans le wadi de Tiné ; Haggar est mort à Mordou ; Dawsa est mort dans la ville de Tiné ; Abderhaman est mort à Iriba. Voilà tout ce que je sais, dit-il Q : On dit que si un sultan du Koubé devait se rendre à Hà-Koubé pour l’immolation de la chamelle gravide, il devait nécessairement passer par une place où se trouve le tombeau de Ina Korê afin d’y prier et accomplir quelque gestes rituels (par exemple dépôt des dattes et de la farine pétrie) avant de se rendre sur la colline de Hà-Koubé, est-ce vrai ? R : ni moi ni et les miens ne nous sommes rendus là-bas ; d’ailleurs il n’y a rien de bien précis sur le tombeau de Korê. Q : Le sultan Haggar et les Français n’étaient pas venus directement à Tiné, ils avaient d’abord rebroussé chemin. En avez-vous appris, cela ? R : Oui, car les Français avaient Haggar avec eux et celui-ci devait se faire rejoindre par d’autres personnes sur le chemin et avoir aussi des provisions. Avant, Haggar avait envoyé au Koubé Gâdir-Djounga, son cousin paternel, comme son Khalifat. La famille de Haggar ainsi que ses biens se trouvaient donc au Koubé avec cet homme. Nous savons que les fortifications de Hà-Koubé étaient initiées par le sultan Hirdi, mais nous ne savons pas trop où résidaient les autres sultans du Koubé. D’après le sultan Bichara, le sultan Tâ résidait de temps en temps au Hà-Koubé, mais il était détrôné de son vivant, au profit de Horout, par le Roi du Dar-For qui, à l’époque, s’appelait Térab ; car Horout est l’oncle germain de celui-ci. Le Roi Térab était né de l’union entre la sœur de Horout et le Roi Iri-Boukour du Dar-For. Tâ, à la mort de son père, alla auprès de ce Roi pour se faire introniser. Tâ revint donc au Koubé, au milieu de ses demi-frères dont Horout, en tant que sultan. Ces derniers vivaient de la culture du coton et étaient à leur préoccupation quotidienne lorsque Tâ les rejoignit. A cette époque, les gens ne voyageaient pas beaucoup mais de temps en temps le Roi et sa mère recevaient Tâ et ses frères et leur demandaient, à l’occasion, des nouvelles de son oncles Horout. Mais chaque fois 183

ceux-ci le trompaient en lui affirmant que Horout était déjà mort alors que ce dernier était bien vivant, s’occupant de la chasse et de la culture de son coton. Un jour, un conflit éclata entre Tâ et un homme appelé Koura-Débi. Ce dernier parvint au Dar-For et arriva jusqu’au palais du Roi où il se mit à crier, déclarant qu’il était l’objet d’une injustice de la part de Tâ. Le Roi le reçut et s’informa sur la situation au Koubé. Koura-Débi dit alors à celui-ci que Tâ était très injuste pour lui avoir menti sur la vie de son oncle qui se trouvait soumis à la misère, cultivant seulement un champ de coton. Le Roi appela alors sa mère pour lui dire : comment se faisait-il qu’un homme venant du Koubé affirmât que Horout était bien vivant alors que Tâ et ses frères avaient annoncé sa mort ? La reine-mère n’en revenait pas aussi. Le Roi interrogea de nouveau Koura-Débi pour s’avoir la vérité et pour savoir aussi s’il était capable d’amener Horout au palais au cas où il lui donnait tous les moyens. Koura-Débi lui affirma qu’il en était capable. Le Roi le traita alors bien, lui donna tout ce dont il avait besoin et l’envoya chercher son oncle. Celui-ci vivait dans un gouri (farik en arabe) quand il vit venir vers lui Koura-Débi avec tous les apparats et sentant du parfum royal ; il s’en inquiéta, mais le messager le rassura en informant de sa mission. Il lui apprit que c’est son neveux qui était Roi du Dar-For et que sa sœur Gouriya (mère du Roi) était toujours vivante. Horout qui était en train de préparer son champ, jeta sa hache en l’air et s’écria "moi, le taureau du Koubé, j’aurai bientôt des cornes !" Les deux hommes partirent donc ensemble. Mais KouraDébi avait reçu du Roi la consigne qu’à l’arrivée au palais il devrait garder Horout à l’écart et lui faire éviter le contact des autres et particulièrement celui de Gouriya. Quand le Roi apprit que Koura-Débi avait réussi à amener Horout et qu’il gardait à l’écart de la ville, il fit rassembler des hommes ayant les mêmes qualités physiques que son oncle, les habilla de la même façon que celui-ci. Il plaça Horout au milieu de ces hommes et fit venir sa mère pour lui demander de reconnaître son frère parmi les hommes ainsi alignés. Mais Gouriya et Horout se reconnurent sans hésitation quand ils furent face à face. Le Roi, rassuré à l’issue de cette épreuve, fit venir Tâ du Koubé et lui dit : – Je suis né grâce à toi (?), j’en suis reconnaissant, mais tu m’as trompé et cela est une très mauvaise chose. Je ne veux pas te faire du mal mais désormais tu ne seras plus sultan du Koubé et dès cet instant j’intronise Horout à ta place. Tu peux aller vivre tranquille chez toi, avec tes biens, sans t’en inquiéter. 184

Destitué, Tâ revint au Koubé vivre comme les autres sujets. Il mourut au milieu de sa famille et de ses biens à Keïraba où il avait choisi de fonder son village. Edim était le fils de Tâ, mais quand celui-ci était revenu du Dar-For dépouillé de son pouvoir, les gens, ayant compris qu’il avait subi le prix de sa trahison, admirent la décision du Roi et acceptèrent d’obéir au nouveau sultan.

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CHAPITRE XVI Histoire du Sultanat du Koubé

(Version de Douda Libiss) Tâ avait le pouvoir quand le Roi fit venir Horout. Le Roi dit alors à Tâ : "Tu avais menti au sujet de Horout mais maintenant je fais de Horout ton sultan et tu dois lui obéir !" C’est ainsi que Tâ et ses hommes acceptèrent de se soumettre à l’autorité de Horout et c’est ainsi que Horout était revenu au Koubé en tant que sultan. Mais quand il arriva au pays, Edim-Bournous était déjà mort. Edim-Bornous avait été lui aussi sultan du Koubé, de qui avait-il pris le pouvoir ? (le conteur ne donne pas de réponse à sa propre question). Horout était donc revenu au Koubé et avait pris possession du pays. Mais après sa mort, ses fils étaient conduits chez le Roi du Dar-For pour la raison suivante : il y avait dans la cour du Roi Térab-Lèbene, neveu de Horout, un homme très influent qui avait tous les pouvoirs (militaire et politique) et pouvait décider sur la destitution ou l’intronisation du future Roi. Cet homme était un proche de Horout. Quand le Roi décéda, c’est Zakaria le grand-père d’Ali Dinar que ledit homme avait choisit pour le placer au trône parce que celui-ci était son ami d’enfance et ce, au détriment de son cousin, le fils de Térab-Lèbene. Mais une année après son intronisation, le nouveau Roi démit son bienfaiteur de tous ses pouvoirs (direction de la cour royale, gestion des biens du royaume et de l’armée, etc.) Puis il le fit venir devant lui avec son cousin le prince et lui dit : – Pourquoi m’as-tu choisi comme Roi, alors que cet enfant est plus proche de toi, étant ton cousin ? – C’est parce que tu es un ami d’enfance et qu’ensemble, nous avons fait toute chose, lui répondit l’homme.

Le nouveau Roi ordonna alors de le décapiter, déclarant que ces gens (les apparentés à Horout) ne valaient rien. Il voulut faire venir Tâ pour lui restituer le pouvoir de Koubé mais il apprit que celui-ci était déjà mort. Alors il fit venir tous les enfants de Horout dont Haggar et les massacra sauf ce dernier que les armes ne pouvaient blesser. Haggar fut lui, emprisonné pendant sept (7) ans. Le Roi intronisa donc le fils de Tâ, Edim-Bournous qui régna pendant les sept années d’emprisonnement de Haggar. Un autre sultan, Aria, était lui aussi destitué de son vivant. D’après le sultan Bichara, les filles et les garçons du pays s’étaient révoltés contre Aria en disant qu’ils ne pouvaient vivre dans un pays où le sultan leur interdit le mariage. Ils disaient qu’ils ne voulaient pas d’Aria et c’est pourquoi ce dernier fut destitué. Nous n’avons cependant pas appris que ce sultan avait perdu la vue150.

150

Une version de l’histoire de ce sultan dit qu’il avait perdu la vue.

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CHAPITRE XVII Les Bidéyat151 et les Ouagna de l’Ennedi

La région de l’Ennedi dans le Borkou Ennedi Tibesti était essentiellement habitée par des Bidéyat (Biliéla et Borogat) et des Goranes, et était organisée en sept cantons à l’époque de l’enquête : GaïdaHadjar, Gaïda-Rarami, Mourdia, Téda-Groua, Bilia, Borogat et Ounian. Les Bideyat forment deux branches (voir arbre ci-dessous) et, comme les Koubéra, sont fortement émiettés en fractions, clans et sous-clans.

I. LES BILIALA (OU BIRIERA) Jadis, les Biliéla vivaient à Am-Djéres et élevaient des ovins. Ils pratiquaient aussi la culture pendant les bonnes saisons. Ils sont appelés des Biliéla parce qu’ils habitent la région dénommée Bilia (ou Birié selon les prononciations dialectales). Ils constituent actuellement plusieurs fractions dirigées, chacune par un chef de fraction, de clan ou de canton et pratiquent des activités plus variées sur un espace plus étendu que celui d’autrefois.

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Ces informations nous ont été fournies en juillet 1992 à Fada par le sous-préfet de l’Ennedi entouré de ses collaborateurs.

1.1. Les Kouriara, les Ourêra, les Idinga et les Boronga Les Kouriara sont les habitants de la chaîne montagneuse connue sous le nom de Kouria152. On y trouve un ancien foyer et une source dite Ogorori153. Les Kouriara sont les descendants de Touré-Ter154, l’un des trois fils d’un homme qui serait arrivé au Ouaddaï, on ne sait trop d’où et quand. Voici comment la légende raconte cette histoire : l’homme s’installa avec sa famille au sud de la région actuelle d’Abéché avec, pour toute fortune, une chamelle. Touré-Ter, le cadet des trois frères, était chargé de garder cette chamelle. Mais, on ne savait pas exactement pour quelle raison il eut l’idée de s’enfuir avec sa bête vers l’est. Il arriva alors à Am-Djéres à une époque où cette région était très peu peuplée et choisit de s’installer en un lieu appelé Teïra, tandis que les deux autres frères restèrent au Ouaddaï et donnèrent naissance aux Toundjours. La réputation des Kouriara était connue depuis la légende liée à Eyé-Ha155. On raconte en effet, qu’un gros serpent vivait dans une grotte du rocher et se nourrissait d’hommes et d’animaux qu’il avalait vivants. Un jour, la femme du Chef des Kouriara, le nommé Téïro, fut engloutie par le monstre. Le mari s’arma alors de son sabre et alla à la rencontre du serpent, sous l’œil apeuré de ses sujets. Le reptile, comme à l’accoutumée, sortit de son repère pour l’avaler mais il lui trancha la tête d’un coup de son sabre et délivra ainsi ses hommes du danger permanent qui les guettait nuit et jour. Cet acte lui valut le surnom de Déni-Niri, ce qui signifie "qui tue le serpent" ou "le tueur du serpent". La grotte d’Eyé-Ha qui existe jusqu’à nos jours porte le nom de Déni-Bê156. Les Kouriara, les Ourêra, les Idinga et les Boronga sont de même origine, tous descendants de Touré-Ter, conformément à la généalogie qui suit :

152

La chaîne montagneuse de Kouria se trouve à l’est de Fada à près de 200 kms de

là.

153

Ogorori : la prononciation exacte, transcrite en A.P.I. est. [ɔgɔrɔr] et signifie "qui ruisselle". C’est le nom d’une source qui se trouve dans la région de Kouria. 154 Tourê-Ter [tr-tr] : de tourê [tr] "bonnet" et ter [tr] "blanc". Tourê-Ter signifie donc "bonnet-blanc". C’est le nom de l’ancêtre des Kouriara. 155 Eyé-Hà : Nom du rocher se trouvant à l’est du puits d’Am-Djeres 156 Déni-Bê [deni-b] : prononciation tronquée de Déni-Biyé [deni-by] qui signifie "demeure du serpent" (de déni "serpent" et biyé "demeure").

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Les Kouriara, les Ourêra, les Guéniguerguira et les Idinga vivaient sur le territoire appelé le Bilia, mais ils étaient tous sous l’autorité d’un chef Kouriara. Les Ourêra partagent les mêmes signes claniques que les Kouriara et jouent un rôle important lors de l’investiture du chef157 dans la communauté. C’est, en effet, un Ourêra qui attache à celui-ci un fil de soie au poignet et lui pose sur la tête un bonnet rouge, ces deux objets constituant des insignes du pouvoir. D’après certains informateurs les Idinga seraient, comme les Guéniguerguira, d’origine Touwer158, bien que la généalogie ci-dessus les fasse descendre de Tourê-Têr. 1.2. Le sultanat des Biliala de l’Ennedi Comme on le sait, les Bilia sont une sous-fraction des Bidéyat où les Kouriara (tous issus de cinq familles descendant d’un même ancêtre du nom de Toussiné) forment un clan. Leur ancêtre, Toussiné, eut deux femmes dont Beïbou, une fille de Kelba (de la fraction des Wégui ou Touer du Darfour). Quatre de ses cinq enfants (Sô, Tidah, Sitti et Boroua) sont de Beïbou, tandis que Dawaré, leur demi-frère, est d’une autre femme. C’est ce que représente l’arbre généalogique159 ci-après. 157

Ce rôle des Ourêra est identique à celui que jouaient jadis les Mira du Kobé lors de l’investiture du Sultan qui était généralement un Angou. 158 Touer : Fraction des Béri vivant essentiellement au Soudans, dans la région du Dar-For. 159 Informations recueillies auprès de Souleymane Adouma, lui-même de mère Kouriara, fonctionnaire à la Direction des impôts et résidant à N’Djamena.

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Sous l’autorité des Kouriara, les chefs traditionnels de la fraction Biliala de l’Ennedi constituent actuellement un sultanat au sein de la communauté des Béri. Ils représentent plus d’une trentaine de cantons sur un territoire limité par le Borkou au nord, le Kobé au sud et s’ouvrant à l’est sur le Darfour soudanais. Jadis, les Kouriara et les Ourêra (issus du même ancêtre, TouréTer) formaient un seul clan et étaient tous sous l’autorité d’un seul chef. Le pouvoir était géré par les deux clans frères. On dit qu’un de leurs ancêtres, un nommé Houno fils de Soureya fils d’Akiyo, détenait son pouvoir du royaume du Ouaddaï. Un jour, alors qu’il jouait au dala160 avec un dignitaire ouaddaïen (un ras miya161) et qu’il remporta le jeu, le dignitaire lui rétorqua : – "Tu as l’audace de venir chez moi et de remporter le jeu ?". 160

Dala désigne, en arabe dialectal tchadien, un jeu de nombres, aménagé avec des petits trous au sol, auquel s’adonnent les hommes pendant leur moment de détente. 161 Ras-miya (mot arabe composé de ras qui veut dire "tête" et miya qui désigne le chiffre "cent") ; un ras-miya est un officier à la tête de cent guerriers pour faire face à l’ennemi.

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Houno lui répliqua : – Même chez moi, tu serais toujours vaincu ! Sur ce, le ras-miya décida d’aller dans le pays de Houno avec ses hommes pour lever le défi. Les deux hommes se battirent, mais le rasmiya fut vaincu et tous ses hommes tués. Désormais, les circonstances ne permettaient plus à Houno de se rendre chez les Ouaddaïens. Il chercha donc à légitimer son pouvoir du côté des Fors. Il arriva à El-Fascher accompagné de sa femme. Le Roi des Fors accepta de l’introniser et lui noua un fil de soie (insigne de pouvoir) au poignet. Il fut ensuite logé dans une maison où il devait passer la nuit avant de repartir chez lui. Mais là, il périt curieusement de variole. C’est alors que Hitno, fils de son oncle Hébis, alla à son tour conquérir le pouvoir déjà reconnu à son cousin Houno et ramener aussi la femme de celui-ci restée chez les Fors après la mort de son mari. Hitno devint ainsi le chef des Bilia. Il épousa la femme de son cousin et de leur union naquit Déby. Meri hérita de Hitno le pouvoir lorsque celui-ci mourut. Mais, lorsque Méri décéda, il se créa un désaccord au sein de la communauté des Bilia sur le choix du successeur. Les colons Français étaient déjà maîtres du pays des Bidéyat lorsque les Bilia ne pouvaient plus s’entendre pour choisir leur chef. L’administrateur colonial de l’époque leur posa alors la question de savoir si lui, il leur en choisissait un, est-ce qu’ils l’auraient au moins approuvé. La proposition fut acquiescée et l’administrateur leur indiqua Mourra, un Houbayra qui parlait bien le béria et le français, un intellectuel de son époque. Mais les Bilia réfutèrent encore ce choix malgré tout. Ils furent alors réprimés et Mourra leur fut imposé. Celuici dirigea les Bilia sous le titre de Mogdoum. Il mourut de mort naturelle et son titre fut porté ensuite par Arim fils de Djorbo. Le Mogdoum Arim Djorbo étant un descendant de Boroua, l’un des quatre frères nés de Toussiné et de Beïbou (cf. arbre généalogique plus haut), le pouvoir est de nouveau revenu aux Kouriara. Toutefois, à la mort d’Arim Djorbo, ce pouvoir passa à un Erdiyé, le Mogdoum Digo, avant de revenir à Déby à la faveur des circonstances qui avaient prévalu au Tchad pendant la guerre civile. Déby porta le titre de sultan qui fut reconnu et légitimé après l’accession de Hissein Habré au pouvoir.

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1.3. Les Siguéïra Siguéïra signifie "qui appartient à Siguèri" (lieu également connu sous le nom de Ba-Siguèri162 ou Baskêri. Ce nom évoque l’étendue d’eau qui, jadis, se trouvait à cet endroit. La légende veut que l’ancêtre des Siguéïra, Ina-Maya ou KawrTeyri163 fut né aveugle de la source de Baskêri et que, aussitôt après avoir surgi de l’eau, il monta sur une jument verte dénommée Dà-Djir164 et se mit à conquérir la région de Siguèri. Il fonda son premier foyer à BayaSéri puis entreprit à délimiter les frontières de son territoire. Il rencontra lors de cette entreprise d’autres conquérants avec qui il eut à négocier. Voici comment cela se serait passé : Kawr-Teyri partit d’abord d’Oudou (ou Outou) vers le nord et arriva à Sini. Là se trouvait l’un de ses cousins qui aurait quitté son pays d’origine, suivant les traces d’un de ses dromadaires égaré et qui ne serait plus revenu à Oudou. On raconte que Kawr-Teyri auraient en effet eu trois fils qui donnèrent naissance respectivement au clan des Siguéïra, à celui des Sinira165 et à celui des Djarda-Bêri166. Djarda-Bêri était né infirme et ne pouvait pas marcher. On imagina un jour de le mettre sur une termitière pour le remettre de son infirmité. Ce fut une heureuse initiative, car il se redressa et se mit à marcher pour s’éloigner des fourmis lorsque celles-ci le piquèrent. C’est pour cette raison qu’il fut nommé Djarda-Bêri. Bref, le Siguéïra alla voir le Sinira et lui dit "nous sommes des cousins, ce territoire nous appartient à nous tous ; tu nous le gardes et moi, je continue d’explorer les autres régions", et il continua son chemin. Il arriva ensuite au pied d’une montagne sur la dune appelée Dirri où il rencontra un Assira167 qui venait de la région d’Assi ainsi qu’un Noïra168 venant de Noï. Ce dernier refusa de rester avec les deux autres explorateurs et retourna chez lui. Le Siguéïra et l’Assira se mirent d’accord pour poursuivre la conquête. Et les deux hommes arrivèrent à la frontière du Kobé, au puits de Manda, à 162

Bà-Siguêri [bà-sgr] : de bà "puits" et siguèri "qui dort". Ce nom signifie "puits qui dort" (équivalent de "eau dormante") ou "puits où l’on dort". 163 Kawr-Teyri : prononciation tronquée de kaforu-teyri [kafɔr-tyr] (ou koforuteyri [kɔfɔr-tyr] chez les Kobé). Kawr-Teyri veut dire "né aveugle" (de kafo ou kofo qui signifie "aveugle" et teyri "né"). 164 Dà-Djir [dà-jr] : ce nom signifie "la jument verte" (de dà "femelle de l’équidé" et djir "vert, verte" 165 Sinira veut dire "Habitant de Sini". 166 Djarda-Bêri [jàrda-br] : Nom qui signifie "fils de fourmis" (de djàrda "fourmis" et béri "fils de"). 167 Assira veut dire "habitant d’Assi". 168 Noïra veut dire "habitant de Noï".

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l’ouest d’Iga, où ils rencontrèrent un Wéra169. Celui-ci leur conseilla de ne pas continuer plus loin car le territoire de Koubé (ou Kobé) était déjà occupé. Sur ce, l’Assira renonça à l’entreprise et retourna dans son pays à Assi. En effet, le Siguéïra et le Wéra se mirent d’accord à leur tour pour partir ensemble à l’est. Ils arrivèrent à la colline de Djébiri où ils trouvèrent un Biliéla (Biriéra). C’est là qu’une autre personne, un Koubéra170, vint les rejoindre. Le Siguéïra repartit dans la direction de l’ouest et aboutit à la colline de Hougoï ; de là, il alla successivement à Bowê, à la colline d’Orini appelé aussi Dirê-Nguesta, à Djoura-Koun, à Gourouï-Séri dans la région de Kawra, à Kéï-Nakko-Koni, à Boï-Séri, à Togouï jusqu’à la limite du cours d’eau qui porte le même nom, puis revint à Sini où il alla rejoindre à Sini-Atiya-Mara son cousin, le Sinira. La légende ajoute que l’ancêtre des Siguéïra qui émergea aveugle de la source et qui conquit tout le territoire malgré sa cécité, avait recouvré la vue en mangeant la viande d’un mouton Howé171 et se massant le visage de la graisse de cette bête. Il est de tradition que, lorsque les pluies tardent à venir, on organise une cérémonie dans le wadi d’Oudou : un Siguéïra égorge, dans le lit du cours d’eau une brebis verte ; le cadavre est trainé trois fois d’une rive à l’autre du wadi. Du mil est ensuite pilé avec des dattes, du sel rouge, des fruits de birguéra172 et du sourou173. Ce mélange est dilué dans l’eau, dans une vannerie174 ou dans une tasse. Un Siguéïra bibour175, après avoir prononcé des paroles invocatoires, renverse le récipient contenant la solution sur un tertre de sable préalablement aménagé à cet effet. La cérémonie doit se dérouler à l’emplacement du puits d’Oudou sur la place appelée Ha-Borou ("montagne mâle"). La bête sacrifiée est également partagée de façon rituelle : c’est aux Toudjoumê que revient le flanc sur lequel la bête était couchée sur le sol lors de son immolation. On croit qu’une telle cérémonie attire beaucoup de pluies et éloigne aussi, des champs et des troupeaux, les insectes et les bêtes nuisibles. 169

Wéra veut dire "habitant de Wê". Koubéra veut dire "habitant de Koubé = Kobé". 171 Howé : D’après la légende, la bête est qualifiée de howé parce que tout son pelage était rouge sauf son ventre, son front, ses coudes et genoux. Ces parties étaient noires. 172 Birguéra [brgra] : Nom de l’Acacia nilotica 173 Sourou [suru] : Nom d’Artemisia vulgaris. 174 On évite d’utiliser une calebasse car selon certains informateurs, la calebasse constitue un tabou pour les Siguéïra-Bi-Bour (les Siguéïra qui descendent de l’eau). 175 bi-bour signifie littéralement "enfant de l’eau" 170

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Les Siguéïra sont donc, d’après leur tradition, des natifs de Siguèri ou Baskêri. Ils présentent leur généalogie de la manière suite :

Tous ces sous-clans ont pour marque clanique le hirdê-souwé, à l’exception des Sinira qui mettent sur leurs dromadaires le wachi qui, en réalité, appartient aux Achira. Les Siguéïra entretiennent des rapports plus spéciaux d’une part avec les Sinira et d’autre part avec les Toudjoumê. Lorsqu’aujourd’hui un Siguéïra doit être investi, c’est un Sinira qui lui attache au poignet le fil de soie et lui met aussi le turban sur la tête. Par ailleurs, comme le Chef Siguéïra effectuait périodiquement chaque année, au moment des récoltes, des razzias contre les Ouaddaïens et les Arabes qu’il considérait comme des ennemis, c’est aux Toudjoumê que revenait alors d’organiser, sur les instructions du Chef, les hommes et les troupes d’assaut. Les Siguéïra, les Tamiré, les Toudjoumê et les Guéïra étaient sous l’autorité d’un Chef Siguéïra. Ils vivaient ensemble avec les Kottira sous la conduite du même clan. Sans marque clanique, les Guéïra seraient des Noïré (Noïra), c’est-à-dire des Borogat venus de la région de Noï. Les Noïra constituent dix-neuf (19) sous-clans dont celui de leur forgeron. Selon certaines informations les Djougara et les Ougouï-Miyé seraient aussi des Siguéïra. 1.4. Les Erdibéra Les Erdibéra habitent actuellement la région d’Erdi, mais ils seraient venus de l’Est. Après avoir quitté Doungoula (au nord de Fasher, dans le Soudan actuel), l’ancêtre des Erdibéra, appelé Tât (ou Tadi), se serait installé à Mirgui, à l’est de Baw, à la frontière actuelle Tchad-Lybie-Soudan. Il n’y avait, dans le village qu’il avait choisi de fonder, que ses propres enfants. Le mariage entre eux était donc impossible. Un jour, les filles se mirent à danser en chantant : - Dibo agira gini hài sera sêrô ?

"Un dromadaire affamé mange-t-il ou non sa selle ?"

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Tous les jeunes du village répondirent en chœur : - Sêri ! sêri !

"il la mange ! il la mange !"

Tât, le Chef du village, en entendant cela, fut fort inquiet. Il immobilisa tous les dromadaires, leur coupa la langue après leur avoir fait boire beaucoup d’eau : ainsi, les dromadaires ne pouvant plus ruminer, l’eau restera intact dans leur panse. Il quitta alors le village avec toute sa famille, à la recherche d’autres communautés. Chaque fois que les voyageurs avaient soif, Tât ordonnait d’immoler l’un des dromadaires pour récupérer le chyle afin de se désaltérer. La famille arriva ainsi à Baw, puis jusqu’à Am-Djéres où elle trouva les descendants de TourêTêr qui y vivaient sous l’autorité des Kouriara. Une autre légende raconte qu’un Tchika du nom de Derdê-Marou était allé à Warka-Kourra, à Djoumâ. Il y trouva la famille de l’Erdibéra. La terre appartenait à ce dernier. L’un des enfants de l’Erdibéra eut une dispute avec celui de Derdê-Marrou ; le premier tua le second. Ne pouvant supporter un tel acte, le Tchika décida de quitter ses hôtes pour rejoindre les siens qui vivaient à Gourou et au-delà du pays de l’Erdibéra. Mais l’Erdibéra ne voulait pas se séparer de lui ; c’est pourquoi il chercha à arranger la situation en proposant d’offrir en mariage sa fille Dabou à l’un des fils de Derdê-Marrou. Celui-ci accepta la proposition et renonça de quitter la région : il y fonda un foyer et donna naissance au clan des Arni-Dobouzêne. Ainsi, les marques claniques des Arni-Dobouzêne sont matrilinéaires, c’està-dire qu’ils mettent sur leurs dromadaires le tibissa qui est la marque clanique des Erdibéra, lignée de Dabou, leur arrière-grand-mère. Les Kottira, les Mamia et les Erdibéra descendent d’un même ancêtre, Tât ou Tadi :

Les Makka (ou Maga), les Kottira (ou Kodira), les Mamia (ou Mahamia) et les Erdibéra habitaient la région de Baw et étaient sous l’autorité d’un Chef Erdibéra. Les Kottira seraient de souche InaDiguêne. 197

1.5. Les Wêkowra Ce sont des habitants de Kowra. Ils seraient arrivés au pays des Béri avec les Ordio du Kobé. 1.6. Les Erdié Ils habitent toujours la région d’Am-Djares mais ils seraient venus de l’Ouest (?). Digo, un des leurs, succéda au Mogdoum Arim avant de céder le pouvoir à Déby. II. LES BOROGAT D’après M. Wadaï Tolli176, le nom de Borogat proviendrait du terme bodou, lequel serait dérivé de l’expression arabe badawi qui signifie "campagnard, paysan". Mais il faut remarquer que le même terme aurait aussi donné bidéye (qui fait son pluriel en Bidéyat) dont les Borogat constituent l’une des deux branches, l’autre étant celle des Biliéla. Borogat et Biliéla ne se différencient d’ailleurs ni culturellement ni anthropologiquement ; les seules distinctions que l’on peut y déceler sont d’ordre linguistique (ils parlent deux variantes légèrement distincte de la même langue, le béria) et géographique (ils ont des terroirs distinct dans le même territoire). Les Borogat habitent, entre autres, les régions de Gabadjou, d’Achi, d’Oundouï, de Noï et de Fada. Ils forment plusieurs clans dont le nom est généralement celui du premier site qui les avait abrités, comme par exemple : – Houbaïra = habitants de la mare appelée Houbaï ; – Kouriara = habitants de la chaine montagneuse appelée Kouria ; – Gabadjoura = habitant de Gabadjou ; – Achira = habitant d’Achi ; – Erdibéra : Habitant d’Erdi, – Noïra : Habitant de Noï ; etc.

176

Informations recueillies le 04 juillet 1992 à Fada dans la sous-préfecture de l’Ennedi (B.E.T), auprès de Wadaï Tolli Lougouma, né vers 1944 à Terboul (Ennedi), en fonction depuis neuf ans en tant que représentant de son père, chef de canton des Borogat mais trop vieux et malade pour pouvoir diriger ses hommes. Actuellement Wadaï Tolli est chef de canton titulaire depuis le décès de son père

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Comme les Béri du Kobé (les Koubéra) et les Biliéla (Biriéra) de l’Ennedi, les Borogat sont émiettés en plusieurs clans comme le montre le tableau ci-après (par ordre alphabétique) : 1. Aboullé 2. Achira 3. Bichera 4. Borbodia 5. Bour-Malla 6. Bouroullé 7. Djougara 8. Elichéra 9. Gâra 10. Gourkoullé 11. Houbaïra 12. Hourêra 13. Kamara 14. Kéni-Bellê 15. Kouma 16. Makkala 17. Mamia 18. Mougoutoura 19. Noureré 20. Ourouïra 21. Sar 22. Siniré (ou Sinira) 23. Tadjoua 24. Tchawada 25. Toudjoumé 26. Touméré 27. Tour-Balla 28. Wourdi

– Le clan des Djougara (ou Djokkira) aurait disparu à nos jours. – Les Toudjoumê (ou Tchoutchoumê ou encore Soussoumê) sont les descendants d’un Donzi (ou Dôzi) du canton actuel de Dôza au Borkou (B.E.T.). – Les Ourouïra constituent un clan mais ils n’ont pas un espace géographique bien connu. Tous les informateurs ne sont pas unanimes sur le nombre exact des clans Borogat ; pour certains, ils sont treize, pour d’autres ils sont vingt et pour d’autres, ils sont encore beaucoup plus nombreux. Voici les récits sur quelques-uns de ces clans : légendes, histoires, mœurs.

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2.1. Les Kouma et les Elichera Les Kouma et les Elichera177se réclament d’une origine Arabe Ben Abbass. Leur ancêtre aurait quitté l’Arabie Saoudite afin de propager l’Islam et convertir les tribus arabes ayant fui cette religion. Cet ancêtre était en compagnie de l’Emir Abdallah Waldam-Sawda qui était un grand cheikh de l’Islam. Ils sont allés jusqu’au Maroc en passant par l’Egypte avant de revenir sur le territoire de l’actuel Tchad. Ils se sont installés à Yébibou au Tibesti puis à Tigui puis atteignirent Innou à la porte d’entrée de la chaîne montagneuse d’Ewou, actuel Fada. Là, ils propageaient l’Islam et imposaient la dîme aux non musulmans. Le cheikh Waldam-Sawda a été assassiné à Chili (non loin d’Innou) par ceux qui ne voulaient pas payer la dîme. Sa tombe reçoit jusqu’à nos jours des visites et des offrandes sont faites aussi par les populations environnantes qui continuent de vénérer cette tombe. Après la mort de l’Emir, ses compagnons se sont dispersés en petits groupes. C’est ainsi que l’ancêtre des Kouma, Mahamat Al-Sounni et son fils Chérif ainsi que son petit-frère Ali (grand-père de Yacoub Annour, ancêtre des Elichera) se sont retirés au cœur de la chaîne montagneuse d’Ewou ; cette zone est connue sous le nom de EwouKouma. La généalogie des Kouma et Elichera, se présente selon les données ci-dessus, comme suit :

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Cette Histoire est racontée en septembre 2014 par Fadoul Bilya Bédéryo du clan des Kouma et Toïna Haliki, chef de race des Elichéra à N’Djamena. Les entretiens avec Fadoul Bilya Bédéryo ont eu lieu à N’Djamena le 28 août 2014 et le 21 septembre 2014. Fadoul Bilayo Béderyo est lui-même Kouma, mais ne parle que l’arabe et le gorane. D’une soixantaine d’années, il est né à Abéché et réside actuellement à Batan-Djanna (entre le Batha et le BET). Il est éleveur et jardinier.

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Du point de vue religieux, social et linguistique, les Kouma, coupés de leur origine et baignés dans les traditions locales, s’éloignèrent, au fil des générations, des préceptes de l’Islam. Ils se sont par ailleurs métissés avec toutes les communautés voisines et abandonnèrent progressivement leur langue d’origine (l’arabe) au profit du béria (langue des Béri) et du dazaga (langue des Daza, fraction de la communauté connue sous le nom de Gorane). Les Kouma et les Elichera ont su résister aux invasions extérieures et défendre leur terroir. Ils avaient en commun un certain nombre de pratiques traditionnelles tels que les interdits alimentaires comme le lait d’une bête appartenant à un forgeron, les graines recueillies d’une fourmilière et la viande de l’outarde, ou vestimentaires tel qu’un habit rouge. Du point de vue de l’organisation politico-administrative, les Kouma et les Elichera constituaient une chefferie qui fut dirigée à l’origine par les descendants de Mahamat Al-Sounni. Les Kouma conservèrent le pouvoir jusqu’au moment où l’un des leurs, un descendant de Mahamat Al-Sounni, perd la vue après avoir porté un manteau rouge. Il abdiqua alors au profit d’un Elichera, descendant de Yacoub Annour Ali. Ainsi les Elichera se succédèrent à la tête de la chefferie jusqu’au jour où le chef Bouyé décida de remettre le pouvoir à son petit-fils Bollou, fils d’Oumar Toundjour (de la communauté des Gaéda) qui le garda jusqu’à nos jours :

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Les signes claniques des Kouma, imaginés par les descendants de Mahamat Al-Sounni, sont les kouma-erfè qui sont deux traits parallèles imprimés au feu sur chaque fesse de leurs dromadaires, représentant les quatre baguettes de la timbale, symbole de la chefferie, tandis qu’Ali, le frère de Mahamat Al-Sounni qui avait quitté la région d’Ewou-Kouma avec sa famille pour aller s’installer à Eliché en donnant naissance à la branche des Elichera, choisit trois traits parallèles imprimés aussi au feu sur le cou de ses dromadaires. En réduisant le nombre de traits constituant la marque de son clan (3 au lieu de 4), il avait l’intention de marquer sa différence avec ses frères Kouma. 2.1.2. L’histoire des Kouma Chérif, fils de Mahamat Al-Sounni est né à Innou. Il eut un fils unique, Archebo qui donna naissance à sept garçons. Trois de ceux-ci migrèrent vers l’Ennedi-est et le Kobé, tandis que les quatre autres vécurent longtemps entre Ewou, Tourba, Berdéchi, Arsa, Dougouro Kennebé qu’ils acquirent des Wandallah178 contre un cheval et quatre ovins, etc. D’après les informateurs, Les Arabes Nadja’a, les Daza Ourta et les Kouma sont d’un même lignage. Ils mettent sur leurs bêtes les mêmes marques en les complétant souvent avec le tourkone ou le grali. Les Kouma se sont brassés avec beaucoup de communautés comme les Magazana, les Daza Aralian, les Téda Ehida, les Ouaddaïens, les 178

Les Waddallah vivent actuellement au Niger.

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Arna Djokowogourda, etc. Beaucoup d’entre eux migrèrent dans le nord du Soudan. Les Kouma s’adonnaient à des razzias, mais la communauté eut aussi à faire face à des attaques extérieures et des razzias et compte parmi ses membres des chefs de guerre et des héros tels que Djor Biali, Dodobi Ediman, Dahoubo Edji, Tekilio Kaya, Dindima Ousoïtnou, Korome Mouhouma, Dyn Araw, Abdallah Bédéryo dit Kalak qui fut un haut responsable de l’armée du royaume du Ouaddaï ; il avait recruté un nombre important des siens et réorganisa l’armée du royaume. Il fut un homme brave qui mena une résistance remarquable à la pénétration coloniale. Il arriva à stopper l’avancée des Français vers le nord-est du Tchad pendant presque une décennie. Sa bravoure lui permit de tisser des relations particulières avec le Roi Doud Mourra. C’est en guise de reconnaissance de ses qualités et de l’amitié entre les deux communautés Kouma et Ouaddaïenne, que le roi Brahim Mahamat-Ourada donna aux Kouma, à la sortie sud d’Abéché, un vaste terrain d’habitation qui constitue une trace visible dans l’histoire des deux communautés. Le Chef des Kouma avant l’arrivée des colons français s’appelait Sabre Djougoudoumi. Il avait hérité le pouvoir de son père qui l’avait également eu du sien. Son frère Guim Djougoudoumi ayant été tué par les colons, il organisa une riposte pour le venger, ce qui conduisit à la perte de sa chefferie :

Les colons avaient regroupés les Borogat en un seul canton. Les représentants des Kouma qui se sont succédé auprès du canton Borogat sont :

203

Il faut également noter que, lors d’une élection à la tête du cantonnat des Borogat, Erébi Barka Bédéryo était l’un des concurrents favoris sur les six (6) candidats, mais c’est plutôt Tolli Lougouma qui fut élu. Du côté de l’Ennedi-est, la Direction de la chefferie était assurée tour à tour par les Kouma et les Maga, deux clans regroupés en une seule fraction. Abraham Hourgui fut l’un des Kouma à assurer la direction de cette fraction. Pour assoir son autorité dans le Kobé, le sultan Haggar du DarZaghawa avait eu la main forte de ses cousins Kouma. En guise de reconnaissance, il désigna un Kouma du nom de Sabre, comme khalife de Sougouni (Sogoni ?), une zone d’élevage par excellence. C’est son fils Issa Sabre qui est à la tête de cette chefferie jusqu’à nos jours. Actuellement, les Kouma ont deux cantons : – Canton Kouma de Fada dirigé par Ali Hissein Khamis dit Tinimi ; – Canton Kouma Nomade de l’Ennedi dirigé par Adam Moustapha Dodoby.

204

2.1.3. Les Elichera Les descendants de Yacoub Annour Ali se sont installés dans un vaste bassin au nord d’Ewou-Kouma (territoire qui s’étend de Wadi Doum à NDeguideï) qu’ils se partagent avec les Kamara et les Toboula. Au fil du temps, une partie des Elichera ne migra plus au sud et s’installa dans des localités de Gourouf, Dirong, Kobé, Goz-Mimi, Haraz-Djombo, etc. Les Elichera avaient vécu longtemps au nord d’Ouadi-Doum en un lieu appelé Héris. Les Elichera ont des alliances (pacte d’entente et d’entraide) avec les Makkala et les Tchoutchouma. Oumar Toundjour, l’ancêtre des Gaéda s’était marié avec la fille de Bouyé, chef des Elichera. De cette alliance naquirent trois fils dont les descendants constituent la communauté actuelle des Gaéda. 2.2. Les Hourêra Les Hourêra ou Horêra sont les habitants de Hora ou Houra (prononciation locale de Fada). Ils constituent trois sous clans : les Dougoullé, les Aboulé et les Kamara. Ils descendent des Fors. Ceux-ci, après avoir exterminé les Sars qui étaient les maîtres de la région, fondèrent la ville de Fada179. Leurs descendants qui habitaient la ville de Houra ou Hora (Fada) étaient devenus des Hourêra ou Horêra, ce qui se traduit par "habitants de Houra ou Hora". Selon la tradition orale, deux frères arrivèrent du Dar-For sur la montagne actuelle de Houra (ou Fada) qui prendra par la suite le nom de Sara-Tchatto180 à l’issue de l’extermination des Sars. Ils s’y installèrent, s’organisèrent et se gouvernèrent eux-mêmes, c’est-à-dire y vécurent sans dépendre d’autres personnes. Mais il y avait aussi, avant leur arrivée dans cette région d’autres clans : Sara, Kouma, Etimiré, Djokira, Abourira ou Abouré (d’Abouri), Kamara, Eriséré (d’Erisé), Houbaïra (de Houbaï), Howra (de How), Guirikoullé (ou Guirikowra), Kawr-Etira.

179

Fada : La prononciation locale est [hɔra] ou [hura] qui signifie "qui appartient à Hor (For) ". Le suffixe –ra indique, entre autres, l’appartenance ou l’origine. L’évolution linguistique de ce nom aurait donné : Hor-ra qui aurait donné ensuite Horra puis Hora/Houra (prononciation locale) et Fada (prononciation française). 180 Sara-Tchattou : terme gorane qui vient de : Sara (pluriel de Sar) et Tchattou [catt] qui signifie "extermination" ; Sara-Tchattou veut donc dire dans la langue des Goranes "extermination des Sars".

205

L’un des deux frères, en faisant le tour du territoire, s’aperçut qu’il y avait, dans une dépression de la montagne de Houra, une source d’eau cachée par des touffes d’herbes. Il y jeta le bonnet rouge dont il était coiffé, puis retourna dire aux gens du lieu qu’il avait découvert de l’eau et qu’il y avait laissé sa coiffure en guise de reconnaissance. Les habitants de Houra qui n’avaient aucune idée de l’existence d’une source d’eau dans leur région, en furent tellement émus qu’ils lui répondirent que si jamais cela se confirmait, ils le proclameraient leur Chef. C’était ainsi que l’étranger entra en possession du pouvoir grâce à un concours de circonstances. Mais la prédominance politique et l’importance numérique des Sars préoccupaient constamment le nouveau Chef. Il se faisait énormément de soucis lorsqu’un événement tragique survint pour mettre fin à ses craintes : l’extermination des Sars par des Fors. 2.3. Les Sars (Sara en gorane) Les Sars (ou Sara181 en gorane) habitaient la région de Fada dont la ville constituait la capitale de l’Ennedi depuis l’administration coloniale. Mais ils avaient été exterminés par un ennemi venu de l’est, (probablement des Fors) à l’exception d’une femme enceinte dont les jumeaux donnèrent par la suite naissance aux deux sous-clans des Sars que l’on trouve actuellement parmi les Béri. La mère de ces jumeaux avait échappé au massacre parce qu’elle était absente, étant allée ailleurs pour se faire tresser les cheveux. A son retour, voyant son village assailli, elle s’était réfugiée dans le trou d’une fourmilière où elle accoucha de deux enfants, l’un de teint clair qui devint l’ancêtre des Sars-Mara182 et l’autre de teint relativement plus sombre qui devint l’ancêtre des Sars-Miyé183. Cette femme appartenait au clan des Kouma ; elle se rendit donc avec ses jumeaux chez ses parents et les enfants grandirent auprès de leurs oncles utérins. L’ennemi était venu combattre les Sars sur l’initiative d’un forgeron leur appartenant. Ce forgeron avait agi ainsi pour se venger de la mort de son fils égorgé par les enfants de ses maîtres. En effet, des enfants des Sars, prenant la chose pour amusement, tuèrent le fils de leur forgeron pour en extraire le foie qu’ils donnèrent à manger à la 181

Les Goranes font le pluriel des noms en ajoutant au mot un suffixe vocalique et généralement un /-a/. 182 Sars-Mara ou Sara-Mara signifie "Sars rouges ou Sara rouges". 183 Sars ou Sara-Miyé signifie "Sars noirs ou Sara noirs".

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mère de leur victime. Celle-ci en mangea, ignorante de l’origine de la viande. Lorsqu’elle apprit qu’elle avait mangé le foie de son propre fils, elle alla raconter cela au Chef. Ce dernier dicta à la malheureuse mère la manière dont elle devait se prendre pour se venger : – Confectionne des hori-bour184 et assemble des kori185 et va les présenter au Roi des Fors en lui racontant ta peine. Plus les horibour et les kori seront nombreux, plus les Fors croiront aussi que les Sars sont nombreux et que leur destruction leur rapporterait un grand butin ; ils accepteraient alors de venir les tuer ! Le couple de forgerons fit ce que le Chef lui conseilla et le Roi des Fors envoya effectivement une troupe contre les Sars. Lorsque l’ennemi arriva à proximité de la montagne au pied duquel habitaient les Sars, il y prit position en se dissimulant derrière les rochers. Seul le forgeron alla jusqu’au village et se mit à battre du tam-tam comme il en était de ses habitudes, mais cette fois-ci avec l’intention de fatiguer ses maîtres afin de les mieux exposer aux assauts des hommes à l’affût. Tout le monde s’enivra de bière et se mit à danser jusqu’à l’aube, au son du tam-tam et au rythme du chant de leur forgeron qui scandait sans relâche : kr ogot ki togu-ru bi-ru waya waya tιr

"demain à cette heure-ci" "la farine et l’eau" "s’emmêleront".

Les Sars, ne comprenant rien des allusions du forgeron et abattus par la fatigue, dormirent tous dès l’aube. L’ennemi les surprit dans leur sommeil et les extermina, tuant les uns et emportant les autres en esclavage. Ceux qui eurent leur salut par la fuite ne revinrent plus chez eux et allèrent vivre dans d’autres communautés. Seule une femme enceinte qui s’était rendue dans un autre village avec son chien pour se faire tresser les cheveux put échapper au désastre : lorsque, de retour, elle s’aperçut de la situation, elle se cacha dans un trou de fourmilière où elle donna naissance à des jumeaux, l’un de teint clair et l’autre de teint relativement plus foncé. Elle sur184

hori-bur : de hori "panier" et bur "petit, enfant" : ce sont de petits paniers en paille et en feuilles de palmier, servant d’ustensiles ménagers ou de jouets pour les enfants. 185 Kori : petit outil en fer dont l’une des extrémités est affilée et l’autre portant un embout en bois, servant à confectionner les vanneries.

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vécut grâce à son chien qui chassait et lui ramenait du gibier. Aussitôt qu’elle se remit des couches, elle se rendit avec ses enfants chez ses parents, les Kouma. Voilà comment les Sars se firent massacrés par les Fors et comment leur clan a survécu malgré tout grâce à deux jumeaux de couleurs étrangement différentes et enfin, pourquoi la montagne de Fada avait pris le nom de Sara-Tchattou. Les Sara ont aussi un mythe lié à l’une de leurs ancêtres, une arrière-grand-mère. Il est raconté de la manière suivante : une Fille de Sars du nom de Hirê186 était mariée à un Erdié. Elle était une femme sans charme et ne savait pas bien tenir son foyer. Un jour, son mari la renvoya et, comme elle rentrait chez ses parents, elle trouva sur son chemin un dromadaire chargée de mil. La bête qui appartenait à une caravane de Goranes et dont la laisse était attachée à la selle d’un autre dromadaire187, avait cassé la corde et y était restée, retenue par les abondants pâturages. Hirê revint sur ses pas avec les retrouvailles. Le mari, tout content de voir sa femme revenir avec tant de biens, ne la renvoya plus. Mais, aussitôt le mil épuisé, il redécouvrit que Hirê était toujours sans charme et peu savante pour le ménage. Il la somma de nouveau de regagner le village de ses parents. Hirê repartit une deuxième fois sans se plaindre. Mais avant d’arriver au village, elle découvrit, au pied d’un aï-kéï188 une gourde pleine de beurre de chamelle. Elle revint encore sur ses pas avec sa découverte. Le mari, de nouveau content de voir sa femme revenir à la maison avec un tel bien, lui permit de rester avec lui. Seulement, une fois le beurre épuisé, il la renvoya pour une troisième fois. Hirê quitta son mari, toujours sans se plaindre mais avant d’atteindre le village de son père, elle découvrit, dans le creux d’une roche, du beurre fondu. Elle puisa ce beurre, en remplit un tagasaw189 et le ramena à son mari. Ce dernier comprit alors que sa femme était une porteuse de bonheur et ne la renvoya plus jamais. C’est depuis lors que les Sars vénèrent cette lointaine ancêtre et l’invoquent en toute circonstance pour maudire 186

Hirê : [hr] est la bonne prononciation. La légende de Hirê nous a été racontée par Halimé Fadoul Kitir, ménagère, âgée de près de 75 ans (au moment de l’enquête), née à Ourba. Elle est d’une mère du clan des Sâr. 187 Dans de pareils cas, les dromadaires marchent à la queue leu-leu, les unes derrière les autres. 188 aï-kéï : le nom scientifique de cette plante est Capparis galeata. 189 tagasaw : récipient en forme de "U", fait avec la peau prélevée sur le cou du dromadaire et servant à conserver et à transporter le beurre.

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quelqu’un, se venger d’une offense, retrouver une bête perdue, rattraper un voleur en fuite, etc. On dit que Hirê ne se nourrit que de lait, de beurre et de polenta de mil. Pour obtenir son intercession, on lui offre un repas spécial, c’està-dire à son goût : une polenta de mil avec du beurre et du sel rouge. On en met un morceau au fond de la marmite qui a servi à la préparation de l’offrande, un morceau sur la bois qui a servi à touiller la nourriture, un morceau sur la meule qui a servi à écraser le grain et un morceau sur le petit pilon en roche appelé agimi et ayant servi à remoudre la pâte de mil. On invoque Hirê par ces paroles : Hr tn biri

"Hirê, la fille bleue,"

kugurí miy-r sgrɔ t ki dn egei n

"qui l’a invoquée ne reste plus sans issue," "si tu me faisais ceci (on prononce son vœux)"

msà m tg nkk

"je poserai pour toi une marmite noire190"

Par ailleurs, les informateurs rapportent avec amertume que, plus récemment lorsque les Français arrivèrent à Fada, ils trouvèrent au pied de la montagne du même nom, un gros village habité par des Sars dont le Chef, appelé Mogodi fils d’Etéré, possédait beaucoup de dromadaires. Le colon responsable de la zone de Fada avait lui aussi des dromadaires pour ses patrouilles et ses déplacements. Il se rendit un jour chez Mogodi et lui demanda s’il y avait des voleurs dans la région. Le Chef lui répondit qu’il n’y en avait pas. Mais aussitôt après cette réponse, alors que les deux hommes s’entretenaient toujours, on entendit des coups de feu tirés par les gardiens du colon contre des voleurs qui voulaient s’emparer de leurs dromadaires. Le colon, croyant que Mogodi lui avait, non seulement menti, mais voulu aussi lui dérober ses bêtes, se mit en courroux et ordonna son arrestation. Mogodi, fils d’Etéré fut alors conduit sur la plate-forme en pierre sur laquelle est bâti le côté sud de la ville de Fada et fut égorgé en public. D’après d’autres informateurs, c’était plutôt Etéré qui serait égorgé. L’histoire des Sars est d’autant plus intrigante que l’on se demande naturellement, qui sont-ils en réalité.

190

Le sens exact est : "je te préparerai en offrandes des mets dans une marmite noire".

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2.3.1. Approche linguistique L’étymologie du nom Sar n’est pas bien établie, toutefois certains pensent que ce nom est apparu à la suite de l’extermination des Sars tandis que pour d’autres, il désignait la communauté bien avant cette période. La légende relative aux Sars dit que ceux-ci sont les descendants de deux frères jumeaux nés d’une femme, rescapée de l’extermination des Sars par un ennemi venu de l’est. Le nom de la mère de ces jumeaux n’est pas connu mais les enfants, eux, s’appelaient, l’un Hiri191 et l’autre Barogey192. Selon un informateur, à cette époque, les Sars, hormis leur forgeron, ne parlaient pas encore le béria ou langue des Béri, ils parlaient le gorane (teda-daza). C’est pour cette raison que, lorsque le forgeron qui avait conduit l’ennemi chez les Sars et qui, après l’avoir dissimulé et laissé à l’affût, vint chanter pour les faire danser dans l’intention de les fatiguer afin de mieux les exposer à l’ennemi, les Sars se mirent à danser effectivement car ils ne comprenaient rien de ce que le forgeron disait dans sa langue. Ils continuèrent donc à danser sans se soucier de quoique ce soit jusqu’à épuisement, s’endormirent et furent alors surpris et exterminé par l’ennemi. Mais cette version nous semble peu probable du fait que le forgeron appartenait aux Sars et du fait aussi que l’assimilation linguistique c’est-à-dire l’acquisition de la langue du forgeron par toutes les communautés qui la parlent actuellement serait difficile à justifier. On peut plutôt s’aligner avec les linguistes et dire que les Béri et les Goranes formaient jadis qu’une seule communauté linguistique dont les locuteurs ne parlaient donc qu’une seule langue et que la différenciation de ladite langue en béria et téda-daza est intervenue avec l’évolution de cette communauté à travers le temps et l’espace. Il faut remarquer que le teda-daza fait, comme nous l’avons déjà annoncé, le pluriel des noms en y ajoutant un suffixe vocalique, généralement un /-a/, comme par exemple : aɲi/aɲa "homme/hommes", arι/arιa "femme/femmes", kallι/kallιa "garçon/garçons", etc. Par le même procédé de déclinaison, Sar fait son pluriel en Sara (Sar/Sara). Il faut noter également qu’on trouve à travers le monde des prononciations similaires, transcrites Sara, Sarra, Sarah, Sahra, Sahr, etc. Au Tchad, l’une des plus importantes ethnies du sud est celle des Sara. Au sein de ladite commu191

La prononciation exacte, transcrite en API, est [hιrί] avec un "i" ouvert dans les deux syllabes et un schème tonal moyen-haut (MH). 192 La prononciation exacte, transcrite en API, est [barɔgɛι] avec un "o" ouvert à la deuxième syllabe et une diphtongue en finale composée d’une suite de "e" et "i" ouverts.

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nauté, il y a dans les régions de Koumra et de Sarh, un clan qui porte le nom de Sar (ou Sar-Madjingaye). On trouve également le nom Sar (ou Sara ou encore Sarra) dans les littératures religieuses chez les Musulmans et chez les Chrétiens aussi, avec des variantes sémiques. 2.3.2. Les cérémonies rituelles Comme un peu partout d’ailleurs au Tchad ou en Afrique en général, des cérémonies rituelles se pratiquent jusqu’à nos jours à Fada lorsqu’on doit creuser un puits, lorsqu’on effectue un voyage dans le site salin de Domi, lorsqu’on doit cueillir des céréales sauvages après la saison des pluies, etc. Ces cérémonies s’appellent bi-agawar "le versement de l’eau" ; il s’agit d’une sorte de rite de déprécation et de bénédiction. C’est le "maître de terre" qui les organise. Pour ce qui concerne la cueillette des céréales sauvages par exemple, il interdit à tout le monde de commencer cette cueillette avant l’organisation de la cérémonie rituelle qui se pratique comme suit : Pour effectuer l’opération, on choisit une femme dont la mère est du clan des Sars et dont le père n’est pas issu dudit clan. Les Sars (les Béri en général) considèrent une telle femme comme leur nièce et la désignent par le terme de tènèw. Puis on apprête une calebasse que l’on remplit d’eau. La tènèw se met à genoux, se saisit de la calebasse et verse doucement le contenu par terre en prononçant des formules telles que : – Iro193, fais qu’il n’y ait pas de maladies ! – Iro, fais que nous soyons en bonne santé ! – Iro, fais que les produits de la cueillette nous soient agréables ! – Etc. Après avoir versé l’eau par terre, elle en enterre les traces. Cette cérémonie ne peut pas s’effectuer un mercredi, jour qualifié d’arba akira194. Chaque "maître de terre" a une tènèw et c’est elle qui fait l’action de bi-agawar. La cérémonie n’est pas exclusive aux Sara et n’est pas exclusivement effectuée par une femme non plus car un homme peut l’effectuer aussi. 193

Iro est l’équivalent d’Allah en arabe. C’est la puissance suprême chez les Béri à laquelle doivent s’adresser les génies et les ancêtres afind’intercéder en faveur des hommes. 194 Cette expression est un emprunt à l’arabe arbi’a akhîra(‫ )اربعاﺀ أخيرة‬qui signifie le "dernier mercredi" ; il s’agit du dernier mercredi du mois. D’habitude on évite le dernier mercredi du mois lorsqu’on veut effectuer une cérémonie rituelle.

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2.3.3. Approche historique Dans les anciens temps, plusieurs clans dont celui des Sars vivaient et nomadisaient ensemble. Chaque fois qu’ils devaient séjourner en un lieu, ils se mettaient d’accord pour choisir une personne (un chef) dans l’un des clans pour qu’il puisse indiquer à chacun de ceux-ci le lieu exact de son installation ainsi que ses pâturages. Le choix était rotatif et on donnait à la personne ainsi choisie le nom d’Achi195. La fonction de cet Achi était donc limitée, étant liée à la durée du séjour des nomades en un endroit donné. C’est ainsi que, quand les nomades arrivèrent à l’emplacement actuel de Fada, ce fut le tour du clan des Sars de fournir un Achi. Autrement dit, c’était un Sar qui devint Achi dans la région actuelle de Fada, et il l’était toujours à l’arrivée des Français. Sur ce point la tendance est de dire que le terme d’Achi prête toujours à équivoque car il ne s’agissait pas de la création d’un titre permanent de chefferie comme ce fut le cas pour le kamini chez les Béri du Kobé. Il s’agissait d’un qualificatif temporaire, un témoignage à l’égard des personnes qui avaient la chance d’être choisies parmi tant d’autres. Lorsque les Sars furent surpris par l’ennemi196 venu de l’est, certains durent fuir les lieux en débandade, à "sauve qui peut" : – ceux qui prirent la direction de l’est seraient arrivés dans le Darfor actuel (au Soudan) ; ils vivraient toujours dans cette région sous l’appellation de Wégui Oulagui197 ; – ceux qui s’évadèrent vers l’Ouest seraient arrivés jusqu’au Kanem et seraient actuellement connus sous le nom de Yiria (pl. de Yiri) ; ils auraient en commun avec les Sars les mêmes marques claniques ; – il y en a qui seraient actuellement parmi les Annakaza ; on les reconnaît comme les ascendants de Derdémi Kirdi ; – enfin, ceux qui seraient arrivés dans le nord de Moussoro mettent jusqu’aujourd’hui sur leurs dromadaires les mêmes marques claniques198 que les Sars.

195

Achi se traduit en français par le terme de "chanceux". Selon Djaga Djibril, lorsque l’ennemi devait venir de l’est pour attaquer les Sara, ils avaient d’abord envoyé un seul Hora qui venait explorer et évaluer la situation chez les Sara, avant l’attaque finale. C’est ce nom qu’a pris la ville après. 197 Le chef actuel de ces Wégui Oulagui s’appelle Ina Moussa 198 Le chef de canton de ces Sara est Tata Sougou 196

212

Cette version des faits nous paraît probable, même si nous n’avons pas la possibilité d’établir, pour le moment, la paternité des Sars sur ces populations. En ce qui concerne les rapports entre Sars et Yiria, certains informateurs pensent que ce sont les Sars qui seraient partis des Yiria. Ceux-ci se trouvent actuellement parmi les Goranes, les Kanembou, les Borno au Nigéria, les Peuls, et les Arabes ainsi que parmi les populations du Niger. Par ailleurs, certains informateurs pensent que les Bollou199 et les Sars seraient de même origine. Sars et Bollou auraient le même ancêtre, mais la différenciation entre les deux groupes aurait eu lieu bien avant le massacre des Sars. On raconte donc que l’ancêtre des Sars et celui des Bollou auraient vécu ensemble au nord de l’emplacement actuel de Fada. Un jour, le Bollou alla à la chasse d’un mouflon et poursuivit l’animal jusqu’au Borkou200 ; il y avait en ce lieu de l’eau et des dattiers. Le Bollou y rencontra deux personnes, un Sounna et un Biressa. Ce dernier était l’un des fils de Tchoulmaye qui avait aussi deux autres enfants, un Kilignan et un Gourkoullé201. Biressa, Kilignan et Gourkoullé auraient donc le même ancêtre. Les trois personnes, c’est-à-dire le Bollou, le Biressa et le Sounna se concertèrent sur la gestion du territoire qu’ils occupaient et arrivèrent à la conclusion qu’ils devraient se le partager sans tarder : Borkou étant riche en l’eau et en dattiers, il pourrait bien attirer d’autres personnes qui viendraient s’ajouter à eux et entrer alors dans le partage ; cela pourrait bien diminuer la part de chacun d’eux ! Ils se partagèrent donc le territoire de Borkou : une partie revint au Bollou, une autre partie au Sounna et une troisième partie au Tchoulmaye. Les positions occupées lors de ce partage sont restées les mêmes jusqu’à nos jours. Mais selon une autre version202, un Sar du nom de Miss aurait quitté le pays des Béri (région de Fada) pour aller s’installer au Borkou. Il y trouva un pays où il y avait de l’eau et des dattiers. Alors, afin de marquer le chemin, il coupa des palmes de dattier et les planta tout le long de l’itinéraire qu’il emprunta pour retourner chez lui. Ensuite il déménagea avec toute sa famille pour aller habiter au Borkou. 199

Les Bollou constituent aujourd’hui un clan chez les Annakaza du Borkou, clan auquel appartient l’ex-Président Hissein Habré. 200 Le nom de Borkou vient du fait que cet emplacement était un creux, une dépression et, en gorane, on dit bourkouba [burkuba] pour désigner un tel creux. 201 Pour certains le Guirkoullé serait un petit-fils et non le fils direct de Tchoulmaye 202 Informations fournies par Ibrahim Mokki, 57 ans, militaire à la retraite, résident à N’Djamena, de père Arna et de mère Borsou

213

Miss eut douze (12) enfants et ce sont ceux-là qui donneront les différents clans de Bollou dont les Bollou-Êkêgnê [bollu-εkεɲε] qui sont actuellement à Djourab. Les Bollou sont donc d’origine Sar et constituent actuellement l’une des trois branches d’Annakaza, les deux autres étant celle des Modouma parmi les Goranes et qui sont connus chez les Béri sous le nom de Gueïra (ils sont d’origine Toubou et vivent dans la région de Noï) et celle des Biressa (ou Birassa), Kilignan, Guirkoullé et Darbara. On note aussi qu’il y avait parmi les Bollou d’autres groupes venus d’Ounianga qui sont des Assalia. Ceux-ci vivent maintenant parmi les Annakaza de Djourab. Cette version est infirmée par Adam Hassan dit Adam Kodoï203 (voir liste des informateurs) car pour lui, les Bollou et les Sars n’étaient pas des frères. A l’origine, le Bollou était un midabou [mιdabυ] du Sar, c’est-à-dire un ami intime qui a les mêmes droits qu’un frère. Les Sars mettent sur leurs dromadaires trois marques claniques : le kawra, le dougoulaye et le bìrì, mais le bìrì est une marque de leur midabou, le Bollou. Quant aux Bollou, ils ne mettent sur leurs dromadaires que le bìrì qui est leur marque propre. Pour le Dr Ahmed Mahamadi, les origines des Sars se situent avant l’événement de leur désastre. Il pense lui aussi que les Sars sont des Yiria (pl. de Yiri) et que ceux-ci sont d’origine égyptienne. Pour lui le vocable Yiri est du vocabulaire égyptien ; ce nom était d’ailleurs porté par plusieurs empereurs de ce pays204. Mais naturellement on se pose la question de savoir comment ces Yiria se seraient finalement retrouvés là où ils sont actuellement ? Voici sa version des faits : D’après la légende chez les Yiria, huit frères (selon certaines versions) ou dixhuit (selon d’autres), auraient quitté l’Egypte à l’époque pharaonique (3e-4e siècle avant notre ère)205. La légende ne dit pas quelle est la cause de leur départ. Ils vinrent dans une région et s’installèrent avec les autochtones. Mais pour une autre raison que la légende ne dit pas non plus, ces autochtones se battirent entre eux et se massacrèrent malgré l’intervention des frères étrangers pour empêcher la tuerie. Ils s’exterminèrent, laissant derrière eux seulement des femmes et des 203

Informations fournies par Adam Hassan dit Adam Kodoï, lui-même Sar résidant à Bakaouré. 204 Voir pour plus de précision, Etienne Drioton, l’Egypte pharaonique, Armand Colin, 1959. 205 Ahmed Mahamadi, La Nation Dazagara ou Karra (faussement appelée Toubou) : Introduction à son histoire et à sa civilisation, thèse de nouveau doctorat, Paris I Panthéon Sorbonne, UER d’histoire, 1993.

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enfants. Les frères se demandaient alors ce qu’il fallait faire. Certains suggérèrent de quitter la région parce celle-ci portait malheur car l’extermination des autochtones était de mauvais augure ; mais d’autres trouvèrent une autre solution, plus avantageuse pour tous : comme tous les hommes étaient morts en laissant des filles, ces étrangers pourraient rester là, se marier aux filles orphelines, se multiplier et occuper alors la région. Cette idée fut adoptée et c’est ainsi que les Yiria se multiplièrent rapidement et devinrent les occupants de la région où ils se trouvent actuellement. Vers le 18ème siècle, les Yiria étaient constitués en un royaume dans tout le Kawar sur la route du Fezzan et avaient installé leur capitale à Kouloumfardo (?). Actuellement, les Yiria se trouvent un peu partout dans le Bahar-El-Ghazel, le Kanem, la région de Nokkou regroupés en un canton kédélaya (fils de Kédéla), le Borkou, Adré où ils étaient installés bien avant la colonisation, la région de Koufra, la région de Gouré (à l’est du Niger) et enfin le Borno State (Nigéria) parmi les Magoumi (princes) dont une des branches s’appelle Koyam ; ces gens étaient proches des Empereurs car ceux-ci choisissaient leurs Keygam (chefs de l’armée) parmi les Koyam qui étaient des Yiria. Mais ces Yiria avaient dû perdre leur langue d’origine, le gorane. Les vrais maîtres du Bornou sont donc les Koyam dont font partie les Magoumi. Les Yiria mettent, comme les Sars, le diridiring206 sur leurs dromadaires en guise de marque clanique. Diridiring est un terme gorane, un syntagme qui peut se décomposer comme suit : – dιrι qui signifie "pouvoir" ; – diring qui veut dire "sois digne !" Donc diridiring signifie "sois digne du pouvoir !". Ainsi, la connaissance des Sars (ou Sara) demande encore d’autres enquêtes anthropologiques plus approfondies et plus exhaustives avec une approche comparative sur les différents groupes sociaux que les informateurs citent et les situent un peu partout. 2.4. Les Achira Achira signifie "habitant d’Achi". Les Achira seraient d’origine bornou207. Leur ancêtre, un savant en Islam, avait pour nom Mahamat206

La prononciation exacte de diridiring, transcrite en API, est [dιrιdirιŋ].Voir la forme de cette marque dans le tableau des marques claniques à la fin du chapitre sur les Bidéyat.

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Kano. Il se rendait à la Mecque avec ses quatre enfants : Diguêne, Agaba, Towré (ou Dowré) et Houkka-Mina. Ce dernier était accompagné de sa femme. Lorsque la famille arriva à Darba, le cheval de Houkka-Mina (cadet des fils) s’égara. Houkka-Mina partit alors avec sa femme sur les traces de son animal. Le couple rencontra sur son chemin un chamelier, un certain Gourouma, qui le porta sur sa bête et l’amena jusqu’au puits d’Achi où aucun homme ne vivait avant leur arrivée. Le chamelier continua son chemin tandis que Houkka-Mina et sa femme y restèrent. Mahamat-Kano écrivit à deux reprises à son fils, lui demandant de le rejoindre. Mais Houkka-Mina refusa de retourner à Darba. Le savant déclara alors que son fils était devenu un oualed âsi ce qui veut, en arabe, "enfant désobéissant", d’où le nom "Achi" donné à la région. Mahamat-Kano continua son chemin avec le reste de sa famille. Houkka-Mina s’installa définitivement à Achi, s’appropria la portion de terre qu’il occupait et entreprit ensuite à élargir son territoire jusqu’aux frontières avec les Gâra à l’ouest, les Noïra à l’est, les Wéra au sud, les Aroïra (ou Ourouïra) au nord et enfin les Siguéïra au sudest. Lorsque Mahamat-Kano et le reste de ses enfants arrivèrent dans le Soudan actuel, Diguêne refusa à son tour de continuer et choisit de s’installer dans la région de Touer donnant ainsi naissance au clan des Ina-Diguêne que l’on trouve à nos jours dans le Dar-For. Le savant, quant à lui, parvint jusqu’à la Mecque où il mourut mais la légende ne dit pas si les deux autres fils de Mahamat-Kano (Agaba et Towré) purent également arriver avec leur père jusqu’à la terre sainte. Tous les Achira vivant actuellement au B.E.T. descendent de Houkka-Mina, fils du savant Mahamat-Kano. Ils possédaient des timbales (symboles de leur pouvoir) qu’ils avaient conservées jusqu’à l’arrivée des Français ; ils les avaient sans doute reçues des Fors desquels ils dépendaient jadis. Il y avait, avant la pénétration coloniale, quatre chefferies traditionnelles ; mais les Français, dès leur arrivée, les regroupèrent en un seul canton. Lesdites chefferies étaient celle des Achira, celle des Wourdi, celle des Bichera et celle des Hourêra.

207

Informations recueillies le 04 juillet 1992 à Kalaït auprès du fils héritier du Chef de canton des Borogat, entouré de ses dignitaires.

216

Selon certaines sources, le nom de l’ancêtre des Achira est Mahamat-Borno, Houkka-Mina étant seulement son arrière-fils. L’ancêtre direct des Achira serait Oumar, fils de Mahamat-Kano208. Il était l’aîné des enfants du savant et serait né à Achi, tandis que les trois autres frères qui seraient nés au Touer (dans le Dar-For, au Soudan), auraient vécu, quant à eux, dans le foyer de leur ancêtre. Le premier foyer qu’Oumar fonda se trouvait à l’emplacement du puits d’Achi. Ce puits est qualifié de "mer" à cause de l’abondance de son eau. La légende admet qu’Oumar avait le pouvoir mais ce pouvoir, il ne l’avait pas pris par la force. Les populations d’Achi l’avaient choisi comme Chef parce qu’il était intelligent et connaissait la justice. Il mourut à Achi et son tombeau, dans les anciens temps, faisait l’objet de vénération et de cérémonies rituelles. La généalogie qui suit était celle donnée par le vieux Berdeï Terguiyo :

Berdeï Terkio était le neuvième chef héritier des Achira, le premier étant son ancêtre Oumar. Toutefois, l’arbre généalogique de la cheffe208

Informations recueillies à Abéché le 12 juillet 1992, auprès du vieux Berdeï Terkio (ou Terguiyo), âgé de quatre-vingt cinq ans, né à Achi, ancien Chef de canton des Achira mais destitué au profit de Tolli Lougouma.

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rie ne suit pas toujours une ligne droite, surtout après Ina-Mini (ou Dêrê-Mini) : le pouvoir était d’abord détenu par Gadâr qui descend des chefs en ligne directe, mais celui-ci fut destitué par ses sujets. Il quitta alors son pays et alla s’installer à Tollo209 où ses descendants constituent actuellement les Achira de Dourêne. Darkio, le fils de son frère le succéda. Le pouvoir revint de nouveau à son frère Boït puis au neveu de celui-ci, Terkio fils de Tobouro qui le conserva jusqu’à l’arrivée des Français. Terkio eut comme successeur son fils Berdeï mais ce dernier fut destitué au profit de Tolli. Toujours d’après le vieux Berdeï, Mahamat-Borno se rendait de Bilia (Birié) à la Mecque lorsqu’il s’arrêta dans la région de Touer où il rencontra d’autres clans : des Makkala, des Noïra (Ouïbara, Kanagara, Koubeïra, Ouïra), des Sinira, des Gourouma, des Ouhourira et des Touméra (Touméré). Il se maria alors à une fille de la région, une Wêguira210 avec laquelle il eut d’autres enfants. Houkka-Mina, DêriMêdêrê et Ina-Mini vécurent, quant à eux, dans le foyer de leur ancêtre. Pour le vieux Berdeï, jadis les Achira dépendaient du Ouaddaï. Il mentionne lui aussi l’existence de quatre chefferies distinctes avant la colonisation, c’est-à-dire, celle des Bichera, celle des Achira, celle des Wourdi et celle des Hourêra.

209

Tollo est une montagne qui se trouve dans le Dourène, dans la région actuelle d’Iriba 210 Wèguira est le terme qui désigne, chez les gens du Kobé, une femme de la fraction des Béri dans le Dar-For et connue sous le nom de Wègui (l’homme est Wègui et la femme est Wèguira).

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La généalogie suivante a été établie par un autre informateur :

Selon cette version, Houkka-Mina serait l’ancêtre des Achira et serait mort à Tokouriché, dans la région d’Achi. Le premier Chef des Achira était Mahamat-Borno-Kano mais on ne sait pas s’il détenait le pouvoir depuis son pays d’origine ou s’il l’avait pris d’ailleurs. Les descendants de Dêri-Mêdêrê habitent l’Ennedi tandis que ceux de Kouta et d’Eniya vivent au Kobé. Lorsque les Chefs de l’Ennedi apprirent l’avancée des Français lors de la conquête française, ils prirent la fuite en abandonnant leurs terres, à l’exception de Terkio qui, lui, alla au contraire à la rencontre des colons pour se faire admettre comme Chef des Achira. Ce fut chose faite, mais il fut destitué peu après à la suite d’une réforme qui mettait, sous l’unique tutelle d’un Bichera, les Achira, les Wourdi et les Bichera eux-mêmes. Terkio fut désigné seulement comme chef de village, titre qu’il refusa d’accepter. Alors, on nomma à sa place son fils qui n’avait que vingt-trois ans. Les Achira considérèrent que cette réforme constituait une injustice à leur égard et la contestèrent jusqu’au moment où Terkio devint Chef de canton (émanation du nouveau regroupement constitué des Bichera, des Achira et des Wourdi). Cette situation se maintint jusqu’à 1955, date à laquelle il fut relevé de ses fonctions.

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Quant à Djorio et Lougouma, successivement chef des Bichera et des Wourdi, ainsi que d’autres personnes dont un Hourêra appelé Gouéré, ils quittèrent l’Ennedi et allèrent se réfugier à Arada. Mais ils apprirent que les Français, au lieu d’aller directement à Fada, voulurent se rendre plutôt à Arada. Lougouma quitta alors ce lieu peu sécurisant pour lui et alla chercher refuge au Kobé. Là, pour vivre en paix avec l’autorité locale que représentait le Sultan Haggar Térab (allié privilégié des Français), il lui donna en mariage sa sœur (fille de Harib) qui était une princesse Wourdi. Une autre fille du clan des Bichera appelée Eribiri (fille de Djoumah) fut également offerte en mariage audit Sultan. Djorio par contre revint à Fada et accepta de se mettre sous la dépendance des Français. Mais ces derniers, avant d’accepter sa reddition, posèrent comme condition de se joindre à eux dans une expédition qu’ils devaient mener contre les Mini-Mini (Libyens) installés à Gala (Borkou-Galaka). Djorio accepta de jouer au guide car il connaissait bien le terrain. En effet, le Bichera arriva à introduire avec succès les colons dans les fortifications des Mini-Mini. Après que Djorio eût tenu sa promesse et que les Français eussent vaincu les Mini-Mini, il obtint en récompense le titre de "Grand Chef". Mais lorsque le nouveau Chef fut bien assuré de la confiance de ses alliés et protecteurs, il imagina de jouer au stratège : il se plaignit aux colons, disant que ses hommes avaient fui ses terres pour aller s’installer au Kobé et que cela n’était pas normal dans la tradition du pays. Les colons mirent alors à sa disposition des hommes armés, chargés de ramener à Fada, sous chaînes, les Wourdi qui s’étaient réfugiés là-bas. D’abord près de six personnes furent appréhendées dont Lougouma lui-même et Djoumah, un Mowré (ou Mowra) dont la fille a été donnée en mariage au Sultan du Koubé. Rappelons que les Wourdi et les Mowré sont des frères, c’est-à-dire descendant d’un même ancêtre proche. Quant à Gouéré (un Hourêra) et ses descendants, ils n’eurent pas à subir le même sort. Ils ne revinrent donc plus dans leur pays d’origine. Pour certains informateurs, il n’y avait pas, à l’arrivée des Français, que trois chefs connus dans la région : Celui des Wourdi à Gabadjou, Celui des Achira à Achi et un autre à Oundouï et que, d’autre part, le Bichera Djorio n’avait aucun pouvoir traditionnel lorsqu’il avait contacté les Français à Arada. Il devint leur guide et entreprit à les conduire à Oundouï, à Fada, à Ouï et à Galaka avant de les ramener de nouveau à Fada. C’est ainsi qu’en guise de récompense, les colons 220

l’investirent à la place du Guirkoullé (Guirikowra) qui était au trône jusqu’alors. Après que Djorio eût amené les Français dans le pays des Borogat et après que les colons le proclamèrent chef, il fit une visite d’allégeance au Roi du Ouaddaï mais son pouvoir ne dura pourtant que sept ans car il fut destitué au profit de son frère Mori. 2.5. Les Bichéra, les Guirikowra (Guirkoullé) et les Houbaïra (ou Habaïra) Les Houbaïra sont les habitants de la mare Houbaï (ou Hâ-Ba) autour de laquelle poussait beaucoup de gou (Brachiara Ramosa) et qui appartenait auparavant à un Hourêra. Mais comme ce dernier, en sa qualité de propriétaire, somma le Houbaïra de quitter sa terre, celui-ci lui offrit du gou (le contenu d’un canari) en échange de la mare. Les Houbaïra seraient d’origine Toundjour. Leur ancêtre appelé Haroun et qui serait à Nyala au (Soudan) avait eu trois enfants : DêriBergo (l’ainé), Dêri-Outougué (le second) et Tiké (le benjamin). Il avait beaucoup de troupeau (dromadaires, chevaux, moutons) et possédait deux timbales, l’une en cuivre, l’autre en bois. Il quitta son pays avec ses trois enfants et arriva à Oundouï où il trouva des Guirikowra qui, bien qu’ils fussent les chefs dans la région, ignoraient l’aménagement des puits et prenaient leur eau des cavités rocheuses. Haroun confia ses deux timbales aux deux plus âgés de ses enfants, celle en cuivre à Dêri-Bergo et celle en bois à Dêri-Outougué. Chacun des trois frères s’installa dans un endroit qui lui semblait le plus propice à sa vie et y fonda son foyer : – Dêri-Bergo fonda son foyer à How ; – Dêri-Outougué fonda le sien à Kiyari ; – Et Tiké préféra s’installer à Tourké. Lors d’une razzia, Dêri-Outougué captura un Arabe qu’il amena comme esclave chez lui. Il imagina un jour de faire creuser par son esclave, clandestinement, un puits sur le sol des Guirikowra et chaque fois qu’il arrivait à réaliser une telle entreprise, il revendiquait la terre sur laquelle il avait aménagé le puits. C’est de cette manière qu’il s’appropria la partie ouest de la région des Guirikowra. Dêri-Bergo, de son côté, fit valoir sa ruse en troquant contre une jument le territoire compris entre Hâ-ba et Koro-Ba. Ses descendants forment actuellement le clan des Houbaïra du Kobé. Les Bichéra seraient eux, des Arabes Irêgat, descendants d’un nommé Birré. La légende dit qu’un Arabe irêgat venant du sud trouva 221

à Oundouï des habitants dont le Chef était un Guirikowra (Guirkoullé). Il demanda à celui-ci une portion de terre pour s’installer. Le Chef lui donna une place dans la montagne et cette place prit, par la suite, le nom de Bichéra-Manda211. L’Irêgat creusa un puits qu’il nomma Houroul et, étant le propriétaire du puits c’est-à-dire de l’eau, il usa de ce pouvoir pour s’emparer des territoires qui dépendaient de son puits. Le Guirikowra se trouva ainsi dépourvu de toutes ses prérogatives car il n’avait plus de droit de propriété sur l’eau. Il perdit également, de ce fait, son pouvoir sur les hommes dont le sort était lié au puits. Il eut alors l’idée d’aller, de nuit, jeter un homme dans le puits de l’Arabe pour l’accuser de meurtre afin de pouvoir le déposséder. Les gens s’aperçurent dès le matin qu’un homme gisait dans le puits de l’Arabe. Le Guirikowra qui était parmi eux s’empressa alors d’affirmer que l’Arabe est un meurtrier pour avoir jeté un homme dans son puits ! Bien que l’accusé se défendît en niant les faits, les notables se concertèrent et conclurent que l’Irêgat avait bien tué un homme et que, pour remédier à son forfait, il devrait se partager les avantages du puits avec le Guirikowra. L’accusé se résigna au verdict des notables en acceptant la responsabilité du crime mais rejeta par contre la solution préconisée au profit du Guirikowra : il garda le puits pour lui seul et offrit une diya212 aux parents du défunt. Le Guirikowra n’ayant plus de terre par conséquent, quitta le territoire de l’Arabe et alla s’installer ailleurs. C’est ainsi que l’Arabe irêgat devint le propriétaire des terres et ses descendants devinrent des Bichéra. Comme cela a été déjà mentionné, les Français regroupèrent, quelque temps après leur arrivée dans la région, tous les Borogat (Wourdi, Achira, Noïra, Sinira, Hourêra et Bichéra) en un seul canton. Des informations complémentaires apportées par certaines personnes dont des représentants des Chefs de canton de l’Ennedi213 disent ceci : avant l’arrivée des colons, certains Borogat dépendaient du Ouaddaï tandis que d’autres du Dar-For. En ce temps-là, les Houbaïra 211

Bichéra-Manda signifie en bériá "le génie des Bichéra". La diya est, dans le régime musulman, l’ensemble des biens remis par un assassin aux parents de sa victime en guise de compensation. Elle est payée selon la prescription religieuse soit en argent, soit en or, soit en têtes de bêtes (cent dromadaires répartis, selon leur âge, en quatre catégories de 25 têtes chacune), mais ne concerne que la mort survenue sans qu’il y ait eu l’intention de la provoquer. Chez les Béri, tant que les parents de la victime n’ont pas accepté le principe de diya, l’assassin encourt la mort et sera contraint de mener une vie de clandestin jusqu’au règlement de l’affaire. 213 Complément d’informations recueillies le 07 juillet 1992 à Fada. 212

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d’Oundouï détenaient le pouvoir et leur Chef avait pour neveu un Guirikowra. Il arriva un moment où il ne pleuvait plus. Le Chef, selon la coutume, devait remédier à une telle situation. Mais ce dernier, après avoir consulté sa géomancie, ne trouva rien d’autre comme solution que de céder le pouvoir à son neveu. C’est ainsi que la direction de la chefferie passa des Houbaïra aux Guirikowra. Une autre version de cette légende, enregistrée à Kalaït, dit par contre que les Guirikowra dont le Chef s’appelait Salâma, étaient déjà installés sur le territoire bien avant les Houbaïra lorsque ceux-ci y firent leur apparition. Mais ils étaient ignorants, c’est-à-dire ne savaient même pas creuser des puits. Le premier Houbaïra qui y arriva profita de la situation et, ayant creusé un puits, il fit valoir des droits sur l’eau et arriva alors à s’approprier tout le territoire dépendant de son puits, autrement dit de toutes les terres dont les habitants ne pouvaient trouver de l’eau ailleurs. Et c’est par ce biais qu’il devint maître de la région. 2.6. Les Wourdi (de l’Ennedi) et les Gâra Les Wourdi sont d’origine tchika, autrement dit d’origine toubou. La généalogie des Chefs Wourdi est donnée comme suit :

Tomour serait le premier arrivé dans le wadi de Wour où il y avait beaucoup d’eau et poussait de l’herbe en abondance. Il était seul et venait du nord (?). Mais, ne voulant rester là, Tomour abandonna le

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lieu et alla à Gabadjou214 où il rencontra des Gâra (ou Gâla) et des Borboria (ou Borbodia) dont le clan détenait le pouvoir. Il s’y installa et épousa une princesse Borboria qui lui donna un garçon. Voici comment la légende raconte la manière dont Tomour parvint au pouvoir : Lorsque la mère de Tomour fut enceinte alors qu’elle vivait encore dans le village de son père215, les timbales se mirent à résonner toutes seules de là où elles étaient cachées216. Le phénomène persista jusqu’à la naissance de l’enfant qui, quand il fut grand, put les découvrir aisément. Lorsque Tomour voulut se rendre dans le village de son père, il s’empara des timbales, les traînant par terre derrière lui, de la manière dont il traitait ses objets ludiques. Et comme il ne cessait de pleurer dès qu’on les lui arrachait, les dignitaires du Chef des Borboria conseillèrent à celui-ci de céder aux caprices de son petit-fils. Le Chef accepta alors les conseils des siens et consentit à les lui abandonner. Mais ce faisant, il savait aussi qu’il lui cédait en même temps son pouvoir. Les mystérieuses timbales alors furent gardées avec l’enfant jusqu’à ce que celui-ci fût adulte pour s’occuper lui-même de sa chefferie. C’est ainsi que Tomour s’empara du trône de son grand-père et que ses descendants, devenus des Wourdi, conservèrent les timbales jusqu’à nos jours. Mais malgré les circonstances de l’accession au pouvoir des Wourdi, seuls les princes patrilinéaires peuvent actuellement prétendre accéder un jour au trône. Les Gâra vivaient sous l’autorité des Wourdi. Leur ancêtre s’appelait Issa dont voici la généalogie :

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Gabadjou se trouve au nord de la localité actuelle de Kalaït Il est de tradition chez les Béri qu’une fille nouvellement mariée reste chez ses parents pendant des années, parfois jusqu’à ce qu’elle ait eu un ou deux enfants, avant de rentrer dans le village de son mari. Il faut noter que jadis, on pratiquait l’exogamie, c’est-à-dire que les hommes se mariaient avec des filles d’autres villages que le leur. 216 Chez les Sultans des Béri, les timbales qui sont des insignes du pouvoir, sont gardées en lieu secret de peur que les autres, surtout les membres du clan royal s’en emparent : leur perte est synonyme de perte du pouvoir. On croit aussi chez les Angou que si un membre de ce clan venait à toucher les timbales il aurait le pouvoir lié à ces objets. Ainsi, non seulement qu’on cache soigneusement ces symboles, mais on éloigne également de leur entourage les gens susceptibles d’accéder au pouvoir. 215

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Seuls les Wourdi payaient un tribut au Roi du Ouaddaï. Les Gâra qui n’auraient jamais connu d’autre langue maternelle que le béria, donnaient aux Maba (Ouaddaïens) le nom de Téhi et les considéraient, ainsi que les Arabes, comme des ennemis. Leur légende a été racontée de la manière suivante : Trois frères partirent de Ouara, capitale du Ouaddaï et arrivèrent sur la montagne de Déri où se trouvaient quatre cavités remplies d’eau. Deux des frères continuèrent leur chemin tandis que le troisième préféra y rester. Ce dernier se déplaça par la suite dans le wadi de Bichégué ou Bachigué217 qu’il explora et aboutit alors à une nappe d’eau qu’il tint désormais pour sa propriété. Il alla ensuite vers le nord, sur une dune à près de dix kilomètres de Bachigué. Là, un Wourdi en provenance du nord vint le trouver. Les deux hommes conclurent un pacte d’entente relatif au partage de la terre. Après ledit pacte, l’homme de Ouara quitta le Wourdi et se rendit à la dépression entre les deux montagnes connues sous le nom de Gâ. Il suivit cette dépression qui était en fait un cours d’eau asséché, et arriva dans un lieu où il poussait abondamment une espèce de plante appelé kiri dans la langue du pays (Liptocloa coerulescens ?). Ce lieu fut dénommé, pour cette raison, Gâ-Kiri. Il y creusa un puits avant de continuer son exploration vers l’ouest. Il fit encore la reconnaissance d’une autre nappe d’eau qui pouvait alimenter les hommes et les animaux durant quatre mois environ. Elle fut dénommée Kiri-Bâ. L’homme de Ouara, 217

Bichégué ou Bachigué est un cours d’eau se trouvant entre deux montagnes, à près de quatre kilomètres au sud-est de Fada.

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c’est-à-dire le Gâra, ne cessait d’explorer les terres inconnues et, en suivant une autre dépression, il rencontra un Assira. Comme précédemment, les deux hommes s’entendirent pour se partager la terre : l’Ouest revint au Gâra et l’Est à l’Assira. Après cela, le Gâra partit à Assouïré où il fit la reconnaissance de quatre puits dont deux pérennes. Il continua vers l’ouest et aboutit à Tourdou-Biri où il y avait aussi de l’eau. Il continua sa marche vers Eri-Maï-Mê, suivit le wadi de Koro-Kitti et arriva à la mare de SinaMani autour de laquelle il poussait du gu (Brachiara ramosa) et du takwa (nom local d’une espèce de plante). L’explorateur clôtura sa conquête en grimpant sur une colline en guise de reconnaissance, laquelle colline prit, de ce fait, le nom d’Awni-Ha218. Il revint enfin s’installer à Déri. C’est ainsi que le Gâra délimita les territoires qu’il traversait en y laissant des traces de reconnaissance : aménagement des puits, dénomination des lieux, conclusion des pactes avec d’autres personnes. L’ensemble de ces territoires avaient initialement constitué le pays des Gâra. On trouvera dans les deux pages qui suivent la répartition des marques claniques chez les Biliéla et les Borogat, notées à Fada en 1992 auprès des intéressés.

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Awni-Ha : de awni "il s’est tenu débout" ou "il s’est arrêté" ou encore "il a mis fin", et de ha "montagne, colline, pierre". La signification est "Colline où on s’est arrêté" ou "Colline sur laquelle on s’est tenu débout" ou encore "Colline de l’échéance".

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III. LES OUAGNA219 DE FADA Les Ouagna que les Béri du Kobé appellent Oundjou sont les habitants d’Oundjouba (en béria) et d’Ounianga (en gorane). Les Ouagna se disent ne pas être de la même origine que les autres Béri. Ils avaient, jusqu’à l’arrivée des Blancs, parlé leur propre langue qui a presque disparu à nos jours. Voici comment ils racontent leur histoire : L’ancêtre des Ouagna s’appelait Nahar et venait de l’est du pays des Borno. Il avait seulement deux moutons et était accompagné de sa femme et de son fils. Il s’installa en un lieu appelé Chério sur la rive du cours d’eau connu actuellement sous le nom d’Ounianga. Ce lieu était alors inhabité. Le Fils était chargé de conduire tous les matins ses moutons sur la rive d’Ounianga pour les faire paître. Il arriva un jour où une fille surgit de l’eau, venant à la rencontre du jeune berger. Elle était blanche, nue et s’appelait Midê220. Depuis lors, elle quittait régulièrement, chaque jour, la profondeur des eaux et venait lui tenir compagnie jusqu’au coucher du soleil, moment où les deux êtres se séparaient, l’un regagnant son village, l’autre descendant au fond des eaux. A la longue, le garçon commença à aimer la fille blanche. Le père qui remarqua que son fils avait des soucis et commençait à maigrir voulut comprendre ce qui se passait en lui. Il fut informé du phénomène car le garçon lui raconta tout : il lui parla des caractéristiques de la fille, l’heure à laquelle elle surgissait de l’eau et celle à laquelle elle y retournait. Son père lui demanda alors de s’accrocher à elle et de l’empêcher de regagner les eaux. L’enfant respecta les consignes de son père et s’accrocha à Midê lorsque celle-ci voulut le quitter au coucher du soleil. Le père qui était à l’affût accourut pour l’aider à la maîtriser. Midê se débattit tant qu’elle put, affirmant qu’elle n’était qu’une djinnaï221, mais elle fut maîtrisée et amenée à la maison. Elle refusa de s’alimenter durant sept jours. Et lorsqu’on lui demanda pourquoi elle ne mangeait pas, elle répondit que sa nourriture se trouvait dans la mer. 219

Informations recueillies le 06 juillet 1992 à Fada, auprès de Kaloubou Anni Kébir du clan des Gaïda Gabadjoura, né vers 1909 à Ounianga-Kébir, assesseur représentant des Ouagna. 220 Midê signifie en langue des Goranes "fille de l’eau". 221 djinnaï ou djinna est le féminin de djin : dans la religion musulmane, les djins sont des êtres (mâles et femelles) capables d’actions extraordinaires. Ils sont invisibles aux hommes.

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– Laissez-moi aller dans l’eau, dit-elle, je reviendrai avec ce que je peux manger. Faites-moi confiance ! Et elle ajouta : – A mon retour, j’aurai besoin d’un habit (pour vivre parmi les humains). Venez donc me retrouver sur la rive avec un habit. Nahar et son fils eurent confiance en elle et la laissèrent partir. Elle resta dans l’eau pendant sept jours et revint sur la terre avec sa nourriture : elle portait une petite vannerie appelée téfi en gorane qui contenait de minuscules insectes dénommés odú ou allihuli, toujours dans la langue des Goranes. Mais les insectes s’échappèrent et allèrent se poser sur les dattiers dès qu’elle ouvrit le récipient. C’est depuis lors que les gens croient que les Ouagna, bien qu’ils eussent cessé de le faire, mangent toujours ces insectes qui, jusqu’à nos jours, sortiraient de l’eau, de l’endroit même où avait surgi Midê, pour aller se poser sur les dattiers d’Ounianga. La légende précise que c’est Nahar qui avait épousé Midê la djinnaï et que le couple eut deux enfants, l’un de teint clair qui prit le nom de Binnêra-Màda222 (Binnêra blanc) et l’autre de teint relativement plus sombre qui, lui, prit le nom de Binnêra-Yaská (Binnêra noir). C’est de cette union que naquirent donc les Ouagna (ou Oundjou selon l’appellation du Kobé).

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Binnêra-Màda : Le terme de Binnêra provient de Bina ou Mina, lieu à près de quatre kilomètres de de la mer d’Ounianga. Binnêra veut dire "qui provient ou qui habite Binnê". Màda correspond au terme de mara au Kobé dont la signification est "rouge ou blanc". Ce lieu est qualifié ainsi à cause de la rougeur de son sol. Les Ounianga ont en effet des sites salins (sel rouge) dans le B.E.T.

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Les Binnêra ont pour interdit alimentaire les reins et le cœur de tout animal. Ils ne connaissent pas l’excision et peuvent marier leurs filles très jeunes. Il existe même une tradition chez eux qui consiste à se réserver comme future épouse un fœtus encore dans le ventre de sa maman223. Les Binnêra n’aiment pas être appelés Oundjou. Si on traite un Binnêra d’Oundjou, on risque de payer une amende et même la mort au pire des cas. Pourtant les Oundjou peuvent se marier avec des personnes d’autres clans bien qu’ils soient craints pour leur regard sensé de pénétrer, d’absorber ou de casser les êtres appréciables (hommes, animaux et objets). Le mal que le regard d’un Oundjou peut causer à une personne ou à un animal ne dépend pas de sa volonté ; il s’agirait d’un phénomène incontrôlable mais lié cependant à la bonne appréciation que l’auteur porterait à un être en le regardant. Le tribunal coutumier ne reconnaît pas les accusations portées contre quelqu’un pour ce genre de phénomène. Mais la tradition populaire admet pourtant l’existence des gens doués d’un pouvoir extraordinaire, appelés komoura. Il est interdit de prononcer le nom de ces gens en public. Ils sont capables de mettre des komou dans une viande, dans le corps d’une parturiente, dans la plaie d’une personne ou dans les yeux de quelqu’un si ceux-ci sont gros et beaux. Il existe des guérisseurs qui enlèvent les komou en invoquant certains esprits et en enfumant le malade. Parfois, ils arrivent à en extraire des choses pareilles à des vers de terre. A côté de tout cela, la communauté croit qu’il existe encore des familles qui portent dans la poitrine une bête étoilée, semblable à une araignée qui tue sa victime en la faisant vomir du sang. Il s’agirait d’une chose transmissible sexuellement de l’homme à la femme et de la femme à l’homme. Cette chose, appelée kou ou kouhou, était tellement crainte que la famille qui en possède était repoussée par la communauté et complètement marginalisée. Si vous dites à quelqu’un qu’il a le kou, il vous cherche querelle ou vous traine en justice.

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Cette tradition se trouve également chez les Béri mais tend à disparaître complètement sous la pression de la religion.

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CHAPITRE XVIII Histoire des Bigui

L’Histoire des Bigui nous a été racontée par deux personnalités : Hassan Borgou, Sultan des Bigui, né vers 1909 à Bir-Niswâne au Soudan, résident à Toundoubaye (Soudan) et Faqhi Hâchim Abdoulaye Etime, Chef de canton des Bigui du Tchad, 77 ans, né à Kabka Sàasa, résident à Kabka au Tchad. (Version du Sultan Hassan Borgou)224 Assis dans une chaine de handicapé et entouré de ses fils et de ses proches collaborateurs, le Sultan Hassan Borgou raconte son histoire et celle des Bigui, dans la nuit du 20 octobre 2000, sous la lumière d’une lampe à pétrole : Je suis né en 1909 donc j’ai quatre-vingt-douze (92) ans. J’étais intronisé en 1948 à El-Gineïna, par les Anglais. Le sultan Adam ayant commis une faute, les colons l’avaient destitué pour me mettre à sa place. Mon règne fut continu depuis lors et nous autres, nous nous trouvons dans le Dar-For mais nous ne dépendons plus des Fors car leur royaume n’existe plus depuis la disparition d’Ali Dinar. Nous donnions l’impôt directement aux colons et si nous avions quelque chose à exprimer, nous les contactions directement aussi. Maintenant, il n’existe plus que de petits chartaye chez les Fors. Erus s’appelle plutôt Salâma-Erus et vient en troisième position dans l’arbre généalogique descendante des Chefs bigui. Je ne connais pas tous les enfants d’El-Ka’ab mais l’un d’eux s’appelle Ahmat Al224

Cette version de l’histoire est racontée à Toundoubaye le 20-10-2000 par le sultan des Zaghawa Bigui au Soudan, le sultan Hassan Borgou, né vers 1909 à BirNiswâne.

Nour. J’ai entendu parler d’Erus mais il n’est pas le fils direct d’ElKa’ab, il est un de ses arrières-descendants. Mahamat El-Ka’ab était venu à Kabka, il était en quelque sorte un prédicateur ; c’était un faqhi qui venait du hidjâz (Arabie Saoudite) ; il y était venu avant l’arrivée d’Abdelkérim au Ouaddaï. Il serait accompagné d’autres personnes puisque tout seul, il ne pouvait pas arriver jusqu’ici ; mais je ne connais pas le nom de ses compagnons. Il avait des mahadjirin (élèves de l’école coranique), mais je n’ai pas eu connaissance qu’un de ses élèves avait laissé une descendance dans notre pays. El-Ka’ab n’était pas un Béri, il était un Arabe mais il était venu trouver des Béri sur le lieu. Dès son installation, il avait appelé des gens autour de lui pour prêcher et leur expliquer les préceptes de l’Islam. Les autochtones l’avaient accepté chez eux et quand il mourut, c’est son fils Ahmat-Al-Nour qui prit le pouvoir et s’installa à Kabka225. Quand Abdelkérim était arrivé (au Ouaddaï), le temps d’El-Ka’ab était déjà passé, celui de Mahamat-Al-Nour aussi, ainsi que celui de Tarding. Erus est le fils de Tarding. Dougui est une mauvaise prononciation, il faut prononcer Daougui. Les gens connaissent la généalogie sur la base de ceux qui avaient pris le pouvoir. El-Ka’ab était venu sur la montagne de Kabka, il y était mort mais on ne connaît pas l’emplacement exact de son tombeau. A son arrivée, il y trouva des gens, des Kabkara, organisés en sultanat, mais leur sultanat avait disparu après. Ces gens parlaient une langue qui n’était ni le béria (langue des Béri ou Zaghawa) ni le tamara-á (langue des Tamara ou Tama) ; ils ne savaient pas grand-chose, c’est ce qui avait permis à ElKa’ab, au moyen de la religion, de s’installer et de les soumettre tous à son autorité. Quand il mourut, ses fils continuèrent à gouverner. Mais lorsque les Ouaddaïens arrivèrent, eux (les descendants d’El-Ka’ab), ils se retirèrent dans le Dar-For. Son fils Béchir (fils d’El-Ka’ab) était venu à Kôrnôssy, au nord de Kouba, où il fonda son foyer. Mais là aussi, les Ouaddaïens voulaient le capturer, c’est pourquoi il partit également vers le Dar-For où il s’installa d’abord à Sàssàa. Alors, le Roi du Dar-For lui délimita un territoire, car à l’époque on délimitait les territoires comme 225

Henri Berre, dans son ouvrage Sultans dadjo du Sila rapporte un extrait de la Notice historique sur les Zaghaoua Kabja rédigée en 1926 par M. Arkell, résident du Dar Massalit : « Ahmet el Kabjaoui est venu avec la tribu de el Kaaba à la Mecque, puis s’installa avec la tribu au Djebel Kabja (à l’ouest du Dar Kobbé). Les Kabja prétendent être des Arabes issus de la même race que les Arabes Khazam (ou Khozzam) et sont certainement considérés par les autres tribus Zaghaoua comme d’origine zaghaoua »

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aujourd’hui on délimite les maisons, et c’est le Dar-For qui délimitait et distribuait les territoires. Le pouvoir des Bigui était toujours unifié, mais ce sont les différents pays (France et Angleterre) qui avaient fait la partition en mettant les uns du côté tchadien et les autres du côté soudanais. Avant la délimitation coloniale, le pouvoir des Bigui s’étendait jusqu’aux anciennes frontières du Koubé. Le Koubé de l’époque était petit, ce sont les Français qui l’avaient agrandi en y annexant le Wê et le Nanou. Le Gourouf, le Dirong, le Kabka et le Koubé étaient tous souverains les uns par rapport aux autres. Les Français avaient d’abord assujetti le Gourouf et le Dirong au pouvoir du sultan des Bigui ; c’était à l’époque du sultan Abdoulaye. Puis ils avaient pensé à regrouper tous les Béri en un seul sultanat. Ils dirent à Abdoulaye que Haggar était plus âgé et qu’il avait aussi pris le pouvoir avant lui ; ils lui demandaient, en vertu de ces raisons, de se soumettre à lui, à l’exemple du Gourouf et de Dourêne qui avaient auparavant accepté de se soumettre à son autorité (autorité d’Abdoulaye). Mais Abdoulaye rejeta ce conseil et tous ses hommes adoptèrent aussi la même attitude. Cet événement eut lieu à l’époque de Diga (administrateur colonial ?). Diga avait alors dit au capitaine de Biltine qu’Abdoulaye étant sous l’effet de la colère, il serait bon de lui donner un temps de réflexion et que si, malgré cela, il persistait dans son refus, alors il ne fallait pas le destituer de force, mais l’amener plutôt à abdiquer de son propre gré. Abdoulaye resta toujours catégorique : il ne voulait se mettre sous l’autorité de Haggar à aucun prix. Malgré cela, les Français ne l’avaient pourtant pas destitué ; ils lui signifièrent seulement qu’il s’agissait d’un ordre du Commandement colonial et qu’il (Abdoulaye) avait l’obligation à choisir entre se soumettre à Haggar et abdiquer. Abdoulaye préféra l’abdication à la soumission. Les colons demandèrent alors à Haggar de nommer un de ses fils à sa place, non pas comme un sultan mais comme un Mogdoum sous l’autorité du Sultan. Et c’est ce qui fut fait. Borgou avait été intronisé à la mort de Nourêne, puisque les fils du sultan étaient tous jeunes : à la mort de mon père, je n’avais que sept ans et les autres en avaient peut-être douze. Borgou était mort à BirNiswâne de mort naturelle, comme son père. Leurs tombeaux se trouvent sous le même arbre (à Bir-Niswâne). Le symbole ou insigne du pouvoir chez les Béri est la ou les timbales en cuivre appelées nahas en arabe et nààs en béria pour les uns et le tambour en bois pour les autres. Ces derniers reçoivent d’autres 237

symboles lors de l’investiture, comme le diminit, c’est-à-dire un bracelet donné aux chefs qui reçoivent leur pouvoir du Roi des Fors. Certains chefs chez les Béri détenaient aussi une bague, mais ce sont eux-mêmes qui se la faisaient frapper. Vous me demandez la signification des timbales ? Je sais que les gens n’acceptent un sultan que quand il possède des timbales, mais je ne sais pas pourquoi ils le font. Maintenant les Béri appellent Tourouk (Turc) tout blanc qui porte des habits courts, parce que les Turc étaient les premiers conquérants du pays, mais je ne sais pas non plus si les timbales viennent des Turcs. En réalité, les gens ne savent pas l’origine et la signification des timbales. Les timbales sont battues à toutes les fêtes dans les milieux qui ne sont pas en deuil. Chez les Angou on dit que les membres mâles de ce clan ne doivent pas toucher aux timbales. Autrefois on croyait qu’un membre du clan qui arrivait à embrasser les timbales en disant "que Iro m’accorde le pouvoir !", ou que, lors de l’immolation de la chamelle gravide sur la montagne de Koubé, il arrivait à plonger les pieds dans le rumen de la bête sacrifiée, alors il prendrait le pouvoir. Mais cette croyance qui est maintenant abandonnée par les Angou, n’existait pas chez les Bigui. Aux anciens temps, quand l’ennemi venait t’arracher les timbales, il t’arrachait en même temps le pouvoir, c’est pourquoi les sultans gardaient leurs timbales en lieu secret, un lieu sûr. Tandis qu’actuellement personne ne pense à ces objets, puisqu’il n’existe plus d’ennemi qui croit au pouvoir des timbales et qui s’y intéresse. Avant, si un Arabe, un Ouaddaïen ou un For arrivait à s’accaparer des timbales d’un sultan béri, il s’accaparait du coup de son pouvoir aussi, car la personne qui s’était accaparé des timbales se déclarait aussitôt sultan, et les sujets refuseraient d’obéir à celui qui avait perdu ses insignes d’autorité. Borgou voulait aller à la Mecque mais il se heurta au refus d’Ali Dinar qui ne voulait pas le laisser y aller ; il lui disait : – Les Anglais sont à Khartoum-Omdourman, sous prétexte d’aller à la Mecque, tu veux aller leur livrer des informations. Sur la base de cette accusation, Ali Dinar avait gardé Borgou avec lui, en résidence surveillée en quelque sorte. A la même époque, le Tama Sosso Ousmane qui avait refusé de se soumettre aux Français, avait fui son pays. Il passa par Ondour avec toutes ses troupes, ses biens et ses hommes et se dirigea vers le Dar-For. Il alla dire à Ali Dinar que des infidèles (Français) étaient arrivés dans son pays, conduits par un de ses frères qui prétendait au trône du Tama et il ajouta qu’il était venu vers sa 238

Majesté pour lui demander une armée afin d’aller combattre et chasser ces infidèles de son pays. Ali Dinar avait accepté cette demande mais le sultan du Tama lui demanda aussi de l’autoriser à amener avec lui Borgou qui se trouvait toujours en résidence surveillée, car Borgou connaissait très bien le terrain et la tactique des combats. Le Roi exhaussa toutes ces demandes et Borgou put enfin repartir vers son pays avec les Tama. La première bataille avec les Français eut lieu à Gnéré (dans la région de Guéréda) où beaucoup de personnes trouvèrent la mort. A l’issue de cet épisode, Borgou refusa de continuer les combats et alla se soumettre aux Français. Alors, Ali Dinar, furieux fit envahir son pays (Kabka), le dévasta jusqu’à Ogona, mais n’y trouvant pas les hommes, il fit brûler les villages avant de continuer sur le Tama. Voilà dans quelles circonstances Borgou avait accepté de se mettre sous l’autorité des Français. Mais il était mort peu après cette soumission et les Français durent choisir Nourêne comme son successeur. Le pays des Bigui est Kabka, mais ni Borgou ni Nourêne ne purent s’y installer, ils moururent à Bir-Niswâne. Puisque le sultan Nourêne refusait de revenir à Kabka, les Français avaient investi son demi-frère Bàri sous condition de le destituer dès l’arrivée de Nourêne au profit de ce dernier. Seulement Bàri mourut lui-même peu après son investiture. Son frère Ibrahim-Konou le succéda. Ce fut alors la période de la délimitation du territoire par les colons Français et Anglais. La frontière suivait Touna (Tiné) en longeant le cours d’eau, jusqu’à une certaine distance où il fallait dévier vers Iriba, en passant par Ondour, Ogoura-Kidi, Sendi, Sourâdj, Koulbous et continuer plus loin encore. Nous étions à Bir-Niswâne quand le tracé des frontières eut lieu. J’étais déjà majeur. Il y avait aussi les princes Abdoulaye et Nourêne. Les Blancs dirent au sultan Ibrahim-Konou que les Français et les Anglais avaient fait le partage des territoires et son pays s’était retrouvé du côté des Anglais. Les Français demandèrent donc au sultan de quitter là où il était pour aller s’installer à Kabka en territoire français. Ils lui signifièrent également que si malgré tout, il voulait rester dans la partie de son pays se trouvant sous l’autorité des Anglais, libre à lui de le faire aussi. Mais le Sultan demanda un temps de réflexion avant de prendre sa décision ; les Français lui donnèrent cinq (5) mois de réflexion. Le Sultan, après avoir pris du temps pour réfléchir, choisit de s’installer plutôt à Toundoubaye, se mettant de ce fait sous l’autorité des Anglais. Alors, Abdoulaye était allé dire aux Français que lui, il accepterait de s’installer à Kabka s’il devenait sultan. Les Français ne le connaissaient pas auparavant, mais après avoir été rassurés qu’il avait affaire à un fils du sultan Borgou, ils 239

lui répondirent que Borgou était bien le sultan qu’ils avaient sollicité voir à leurs côtés, mais que Borgou avait persisté, jusqu’à sa mort, dans son refus de venir les voir et se soumettre à leur autorité. Ayant donc reconnu la légitimité de la démarche d’Abdoulaye, ils destituèrent Ibrahim-Konou sans que celui-ci ait commis aucune faute vis-à-vis des colons, et mirent Abdoulaye à sa place. Le sultan Nourêne était parti vers Toundoubaye, mais il mourut avant d’atteindre ce lieu et son fils Mahamat fut intronisé comme son successeur. Mahamat ne mit pas beaucoup de temps au trône, il fut destitué par les Anglais, après deux ans de règne seulement, au profit d’Ibêda qui ne fit, lui aussi, qu’une seule année de règne (il fut intronisé pendant un ramadan et le ramadan suivant, il mourut). Son fils Adam prit alors la succession et mit vingt ans au trône. Et c’est à la suite d’une faute qu’il fut destitué à mon profit en 1948, et je suis le dernier sultan Bigui de Toundoubaye, en territoire soudanais. Le sultanat de Kabka est organisé comme les autres sultanats, comprenant : – Un koursi qui est le messager du sultan ; – Un amine qui est la personne de confiance et de confidence du sultan, qui lui sert bien, qui garde correctement ses biens et qui ne divulgue pas les secrets ; – Les esclaves qui sont ceux qui font partie des biens du sultanat. Chez les Béri, les esclaves n’étaient pas pris de la guerre par eux-mêmes ; ils les achetaient du marché d’esclaves à Abéché. A ma connaissance, aucun sultan béri n’avait fait le commerce d’esclaves. Par contre, le Roi des Fors amenait à Koufra des personnes enchaînées comme des troupeaux de bœufs et les échangeaient contre des marchandises. Mais les Béri n’avaient pas cette habitude. Si, à la mort d’un sultan, on établit que ses esclaves faisaient partie de ses biens propres, ongous, ces esclaves reviendraient alors à son successeur en tant que patrimoine du sultanat, mais si, à son vivant, il avait déjà distribué ses esclaves entre ses « Maisons » appelées biyé (le biyé est constitué par la reine et son clan, il y a donc autant de biyé que de reines, femmes du sultan), alors ces esclaves seraient conservés par les biyé, en tant que leur propriété privée. Tout le monde, sultans ou gens ordinaires, pouvaient posséder des esclaves car ceux-ci se vendaient au marché ; – Et les femmes du sultan qui ne pouvaient pas prétendre au divorce, car le divorce n’existait pas comme d’ailleurs c’est le cas pour tous les Béri dans les anciens temps. Même si un sultan renvoie sa 240

femme avant même sa mort, celle-ci ne pourrait être remariée pour la raison que les gens, ayant peur du sultan ne s’approchaient pas d’elle. Même s’il n’existe pas une interdiction formelle au remariage des femmes du sultan, on n’avait jamais appris qu’une femme du sultan avait été remariée par une autre personne (il faut exclure ici les cas de guerre, d’enlèvement ou le cas où deux sultans se trouvant en situation conflictuelle, chacun essaye d’arracher à son adversaire ses biens dont les femmes). Avant, de Toundoubaye-même les gens partaient pour aller remettre l’impôt à Biltine. Toundoubaye était donc sous l’autorité française et c’est l’accord anglo-français qui l’avait mis du côté anglais (Soudan). Le sultan Nourêne fut consulté lors de la délimitation du territoire : les Français lui dirent "la terre où se trouve le sultan Konou, c’est le territoire de ton grand frère, le sultan Borgou. Celui-ci nous avait promis de revenir mais il ne l’avait pas fait ; et quand il mourut, nous t’avons investi à sa place. Maintenant, ton territoire (Toundoubaye) est passé de l’autre côté de la frontière conformément à la carte (selon les accords). Tu as le choix entre d’aller t’installer à Kabka du côté français ou t’installer à Toundoubaye sous l’autorité anglaise." Le sultan demanda alors un temps de réflexion et on lui donna cinq mois pour prendre sa décision. Mais après s’être concerté avec les siens, le sultan se résolut de s’installer à Toundoubaye. Les Français dirent alors au sultan « puisque tu nous quittes, il faut d’abord nous payer l’impôt de l’année avant la séparation ». Le sultan Nourêne envoya remettre aux Français l’impôt exigé par ceux-ci, mais dès le retour des gens chargés de remettre cet impôt, il mourut. L’un de ses fils, Abdoulaye était bien informé de la situation ; il alla à Biltine dire aux Français que son père ainsi que le sultan Nourêne avaient refusé de se soumettre à eux mais que lui, il était revenu pour se remettre à eux et prendre le titre de son père. Malgré que le sultan Konou qui était en place n’ait commis aucune faute, les Français le destituèrent au profit d’Abdoulaye. Voilà notre histoire. El-Ka’ab aurait écrit des versets coraniques sur l’omoplate d’un dromadaire qu’il aurait enterré à Abéché. Mais il s’agit là d’une simple légende et non de quelque chose de tout à fait véridique. On raconte qu’El-Ka’ab habitait un farik, mais au lieu d’enterrer l’omoplate sur laquelle il avait écrit des versets coraniques chez lui (dans le farik), il alla l’enterrer à Abéché ; ce qui attira le bonheur sur Abéché qui se peupla au détriment de son « farik ». C’est la raison pour laquelle il aurait quitté son farik pour venir au Kabka. Cette légende n’est pourtant pas tout à fait 241

fausse, mais je ne sais pas si c’est précisément El-Ka’ab ou un autre (de nos ancêtres) qui avait enterré ladite omoplate. En ce qui concerne la généalogie des sultans Bigui, il faut noter que le père de Béi n’est pas Salâmi (comme cela a été indiqué dans le livre de Marie-José Tubiana) ; c’est Djérit qui est le père de Béi ; et de même, le père de Djérit n’est pas Erus, c’est plutôt Béchir. Voici comment se présente donc la généalogie des sultans des Bigui :

Sultan Hassane Borgou de Toundoubaye - Source : Photo personnelle donnée par l’intéressée lui-même le 20-10-2000 à Toundoubaye. 226

Mahamat El-Ka’ab  Ahmat Oùr  Tarding  Salâmi Erus  Djamous  Noukkou  Béchir  Adam Saboun  Salâmi Médechina  Garang  Bakhat  Tom  Hassan (1879)226  Borgou (1895-1914)  Nourêne (1914)  Mahamat  Ibêda  Adam  Hassan

Ces dates sont mentionnées par La Mission de Délimitation… (Voir ci-dessous), à la page 317. Ce document ne cite que onze chefs : Nourein (1914) ; « Borgou (1895-1914), frère de Nourein ; Hassan (1879), père des précédents ; Brahim (?), frère de Hassan ; Garan, père du précédent ; Bakhit, père de Garan ; Salami Arous, frère du précédent ; Salami Marsila, frère du précédent ; Dokko, père des précédents ; Béchir, père de Dokko et Tarni, oncle de Béchir ».

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Mon père (il s’agit du sultan Adam) avait été empêché par le Roi de se rendre à la Mecque ; il était revenu au pays pour participer au combat contre les Français. Mais comme, après cela, il avait refusé de retourner à El-Fascher, le Roi (Ali Dinar) lui envoya un messager pour lui dire qu’il lui avait pardonné et qu’il lui demandait de revenir à ElFascher. Mais mon père dit "de quoi le Roi doit-il me pardonné puisque je n’avais commis aucune faute ? Devrais-je donc aller à lui pour qu’il me tue ? Non je n’irai pas vers lui". Le Roi Ali Dinar avait dans sa cour à El-Fascher le petit frère de mon père du nom d’Abderhamane-Charâra. Il l’appela pour lui dire qu’il l’avait choisi comme sultan des Bigui et lui demanda d’aller s’installer à Toundoubaye. C’était à l’époque du sultan Borgou. Mais avant qu’Abderhamane-Charâra ne parvînt à s’installer à Toundoubaye, Ali Dinar lui-même fut chassé du trône227. 227

Voici ce que dit la Mission dirigé par le Lieutenant-colonel Grossard à ce sujet : « Les Kapka payaient un tribut aux sultans du Ouadaï. Borgou, après avoir vécu en bons termes avec les sultans Ibrahim et Abou Ghazali, se brouilla avec Doumourrah et se plaça sous la protection d’Ali Dinar. Doumourrah maintint son autorité sur le groupe du Djebel Kapka et y intronisa comme sultan le Malik Bâré, en 1908. Borgou, bien que s’étant présenté au Colonel Millot en 1909 après la prise d’Abéché, fournit des contingents à Ali Dinar dans ses attaques contre le Ouadaï et, en 1910, Nourein prit part, du côté forien, à l’affaire de Grida où son frère Haroun fut tué. En 1911, les Kapka rompent avec Ali Dinar et Nourein accompagne à Tiné le Capitaine Chauvelot. Borgou ne se rallie pas encore ouvertement aux Français. Convoqué à Arada en 1912, il n’obéit pas…Bâré est confirmé dans le commandement des Kapka de l’Ouest et, en 1913, Borgou, venu à résipiscence, n’obtint le cadmoul que pour les Kapka de l’Est (Toundoubaye et Bir Nesoan). Borgou meurt en 1914 et est remplacé par son frère Nourein ; Ali Dinar donne l’investiture à un autre frère, Abderhaman Charâra, élevé à Omdurman chez les Derviches puis fixé à Kabkabieh ; Abderhaman essaie de chasser Nourein de Toundoubaye ; il échoue et reste en territoire forien avec un très petit nombre de fidèles. Sournois, cauteleux, type achevé de tartuffe noir formé à l’école des Ta’acha, il ne jouit d’aucun prestige ; après avoir été incarcéré pendant quelque temps à El Fâcher pour vol par les autorités anglo-égyptiennes, il a été libéré et autorisé à résider près de la frontière par ces mêmes autorités. Le groupement Kapka de l’Est est peu important et est encore scindé au point de vue territorial en deux tronçons séparés par des terres Guimirs ou Kobé ; à l’Est, Toundoubaye, à l’Ouest Bir Nesoan en terre Tama ; ce dernier village a été fondé en 1913, lors de la grande famine qui a si durement éprouvé le Ouadaï. Nourein réside tantôt à Bir Nesoan tantôt à Toundoubaye (vers la fin de la saison sèche, quand la mare d’Oumdour est à sec les gens de Toundoubaye s’installent en férik à Rag-Rag). … Nourein paraît jalouser fort son puissant et riche voisin Haggar qui fait figure de grand féodal à côté de ce minuscule roitelet » (Grossard, Mission de Délimitation de l’Afrique Équatoriale Française et du Soudan Anglo-égyptien, Larose, 1925, p.318).

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A la mort de notre père, c’est Nourêne que les Français avaient installé comme son successeur. Abderhamane-Charâra est le petit frère de Borgou et se trouvait au Dar-For, plus précisément à El-Fascher, avec Ali Dinar, et la cause de sa présence là-bas est celle-ci : il était emporté par l’ennemi à Oum-Dormane avec deux de ses frères. Ali Dinar les avait pris de là-bas pour les amener à El-Fascher. Pendant le règne du sultan Hassan (frère de Nourêne et père de Borgou et Charâra), le Mahdi avait envahi notre pays (le Kapka) ainsi que le Kobé et le Tama. Le Khalifat Mahdi qui exigeait des sultans de ces régions la soumission, ne se trouvait pas lui-même dans le pays ; il y avait installé un représentant, un certain Khalifat Abdoulaye, un arabe Ta’acha qui n’avait aucun comportement du Mahdi, car il ne faisait que razzier les régions. Donc le Kabka était envahi (par ce type) et trois des princes, Charâra, Djibrine et Ali, furent capturés et emportés à Oum-Dourmane. C’est en ce moment que les Anglais attaquèrent Oum-Dourmane et chassèrent de là le Khalifat Mahdi. C’est alors qu’Ali Dinar (qui se trouvait avec le Mahdi à Oum-Dourmane) amena avec lui, dans sa retraite, les trois frères du sultan Hassan à ElFascher228. A cette époque, mon père se trouvait à Kabka. Le tombeau de notre grand-père se trouve aussi à Kabka, à l’ouest de la montagne vers le Dirong, en un lieu appelé Sobok. Ali Dinar envoya un messager à Borgou pour lui dire de le rejoindre à El-Fascher mais celui-ci refusa de s’exécuter considérant qu’Ali Dinar l’ayant déjà empêché d’aller à la Mecque, s’il le réclame maintenant (après sa fuite d’OumDourmane), ce serait sans doute pour le tuer. Alors Ali Dinar dit à Charâra : « puisque ton frère refuse de venir vers moi, c’est toi que j’investis à sa place ». Borgou était encore sultan, mais le pays était désert, car les gens y avaient fui pour aller s’installer du côté de Koulbous, à Bir-Niswâne (à la frontière du Tama). Mais Abderhamane-Charâra avait été destitué par les colons. L’habitude voulait que si un sultan meurt ou s’il est destitué, ce fut le Roi qui choisît son successeur. Et d’ordinaire, c’est le fils aîné qui est intronisé mais si les gens le refusent, c’est celui que le peuple a choisi qui sera intronisé devant des mourachiyin (superviseurs de l’élection). 228

Ces événements se sont sans doute passés entre 1880 et 1890. Nous savons qu’en « septembre 1898, le calife subit une défaite décisive à Karari, près d’Omdurman. Il mourut au cours d’une bataille en novembre 1899 avec le reste de ses partisans » (Marc Guichard – traducteur – Encyclopédie générale de l’Islam : Le Subcontinent Indien. L’Afrique, S.I.E.D., 1985, p. 263).

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Les Bigui sont des Arabes qui avaient quitté le Hidjâz, mais je ne sais pas de quel lieu précis. Ce sont des Arabes Khouzam. Ce qui n’avait pas empêché parfois leur confrontation avec d’autres Arabes. Ainsi, à l’époque du sultan Tom, des Arabes appelés Kowré avaient livré la guerre aux Bigui. Les Kowré étaient des nomades venant du Sud, avec leurs troupeaux. Voici comment la chose s’était passée : un Ina (Chef) des Ouled-Tâga du nom de Gadâr vint dire aux Bigui que des Arabes étaient là, avec leurs chameaux et qu’il venait leur demander de l’aide pour organiser une razzia sur eux. Les Kowré étaient installés au Sud, au-delà de Séïra, mais les Bigui acceptèrent la proposition de Gadâr et envoyèrent chez ces Arabes un espion pour situer exactement les farik et la position des troupeaux. Les Béri avaient une habitude de la razzia qui consistait à se poster de nuit à une certaine distance de la cible et de ne lancer l’attaque surprise qu’à l’aube. Le poste ou lieu que les pilleurs choisissaient pour se poster s’appelle kourè dans notre langue et ne devrait pas être trop loin de la cible. Ce temps d’attente leur permettait de reprendre un peu de force avant de lancer l’attaque. Seulement la personne qui avait effectué l’espionnage et qui avait choisi le kourè s’était trompé sur la distance séparant ce lieu de l’emplacement des Arabes Kowré, car il pensait qu’en se rapprochant davantage, les Arabes pourraient être alertés et mettre leurs chameaux hors de portée des pilleurs. Le kourè n’était donc pas convenable et le matin, quand l’attaque eut lieu, c’était trop tard car les troupeaux étaient déjà conduits par les hommes loin des farik, aux pâturages. On y trouva que des femmes et des enfants. Certains pilleurs proposèrent alors d’amener les enfants en esclavage, ce qui leur permettrait plus tard de les faire racheter chèrement. Ainsi, tous les enfants des Arabes Kowré avaient été capturés. Mais sur le chemin du retour, des gens mal intentionnés dirent : "ces enfants vont constituer un danger pour nous : quand ils vont grandir et devenir des hommes, ils deviendront nos ennemis ; il faut donc les tuer dès maintenant". Cette hideuse proposition avaient malheureusement acquis l’assentiment des pilleurs qui massacrèrent tous les enfants captifs et abandonnèrent leur cadavre sur le chemin avant de rentrer chez eux. Les femmes qui étaient aux farik coururent alerter leurs hommes. Ceux-ci harnachèrent leurs chevaux, se munirent de leurs armes et se lancèrent sur les traces des assaillants. Mais ils aboutirent sur les cadavres de leurs enfants, tués et jetés sur le chemin. Ils ramassèrent ces cadavres et revinrent dans leurs farik pour les ensevelir. Alors ils ne savaient plus que faire. Sur ce, les femmes arabes se révoltèrent contre 245

leurs hommes. Elles leur dirent de façon unanime : " nous vous avions considérés comme des Arabes et comme des hommes et nous avions fait des enfants avec vous pour que vous laissiez les Nouba (nègres) venir les massacrer. Désormais, nous nous abstenons de vous". Les femmes de tous les farik s’abstinrent d’avoir des relations intimes avec leurs maris, elles ne dormaient plus dans leurs abris et si un homme tentait de se rapprocher de sa femme, celle-ci lançait alors un cri d’alarme. Donc il n’y avait plus de relations intimes entre les hommes et les femmes chez les Arabes Kowré. Alors devant une telle situation humiliante, les hommes tinrent un conseil et aboutirent à la conclusion qu’il leur était impossible de mener la vengeance immédiatement puisqu’ils se trouvaient être trop abattus par le choc et trop emporté par la colère, ce qui ne pourrait leur permettre de faire aboutir leur action. Par contre, ils promettaient un châtiment sévère aux Béri l’année suivante à la même période, c’est-à-dire à la période appelée tarba par les Béri (entre octobre et décembre). Ils dévasteraient alors le pays des Béri pour en faire un terrain de pâturage à leurs troupeaux. Ainsi, la décision était prise d’exterminer tous les Béri, sans distinction. L’année suivant, à la période prévue, les Arabes vinrent de tous les côtés sur le wadi de Séira, mais décidèrent de ne pas traverser le cours d’eau et choisirent de s’installer sur la rive. C’est là que les Kowré se mirent à augmenter leurs rangs avec des renforts d’autres Arabes et à s’organiser. Quand ils se sentirent en mesure de mener les combats, ils partirent dans le Béribé (pays des Béri) pour le nettoyer comme ils l’avaient promis. Mais les Béri étaient au courant de leur intention et de leurs mouvements. Eux aussi, pour mieux s’organiser, étaient allés s’installer à Djibirit, à côté de la dune appelée Borou-Tinni (qui terrasse les hommes), du côté ouest sur le wadi de Siguiba (cours d’eau dérivant d’Abnabak.) Ils étaient donc installés dans la mare de Djibirit-Kèï. Les Arabes eux, avaient pris position à Kouri mais ils se résolurent de venir jusqu’à Djibirit-Kèï pour déclencher la confrontation. Les combats furent atroces, indescriptibles et les pertes énormes des deux côtés. On ne connaît même pas le nombre des Béri tués lors de ces combats, le sultan Tom était sorti vivant mais tous les siens y avaient péri. On dit que seulement parmi les Obouwéra (ceux qui fendent actuellement l’oreille à leurs bêtes comme marque clanique), il eut cent et quatre (104) tués, parmi les Mira il eut cinquante morts ; pour les autres clans on ne connaît pas le nombre exact des morts. Cet événement est actuellement compté chez nous parmi les trois fléaux qui furent la 246

cause de l’extermination des Béri. Les trois fléaux sont bien inscrits dans la mémoire des Béri : – le combat de Djibirit-Kèi avec les Arabes Kowré ; – la famine de Digui-Now ou "la mauvaise famine") ; – Bôri-Mèrèt-Bèrè ou "l’époque des épidémies" pendant laquelle le sultan Abdel-Fagara fut mort de maladie. Le sultanat des Bigui n’avait par contre jamais eu de différent avec les Ouaddaïens ni avec les Goranes. Ces derniers avaient leurs problèmes avec les gens de Wê et de Nanou qui sont leurs voisins immédiats donc ils ne pouvaient pas venir jusqu’aux Bigui pour les razzier, les Bigui, non plus ne pouvaient pas aller razzier chez eux. Le Kapka n’avait jamais eu de guerre avec le Koubé, leurs différents étaient toujours de moindre importance. Les razzias chez les Bigui se faisaient vers Kornoï, ils n’allaient donc pas trop loin de peur que l’adversaire les rattrapât et s’emparât du butin. Au sujet des Angou, j’ai entendu aussi raconter leur histoire, mais il faut plutôt interroger eux-mêmes, car ce que j’ai appris à leur sujet ne correspond pas à ce qu’ils racontent eux-mêmes. Quant aux Bigui que je viens de te citer, ils sont tous des Khouzam et ont pour ancêtre Amoun-Al-Ka’ab qui était un Khouzam. Je ne suis pas sûr quant à savoir lequel entre Al-Ka’ab et son père était venu à Kabka, mais l’information que j’avais eue dit que c’est Al-Ka’ab lui-même qui y était venu et y avait fondé son foyer. Kapka est le nom de la montagne comme Koubé est un nom de montagne, ainsi que Karkour-Nourêne. Avant Nourêne, le chef de Wê, ce pays était sous la dépendance du Dar-For. Un jour, le frère de Nourêne fut tué par des gens appelés Dorouk. Nourêne était alors allé tuer les assassins de son frère et détruire leur village. Mais il y avait parmi les gens qu’il avait tués pour venger son frère, un « faqhi » du Roi du Dar-For. Celui-ci envoya un messager pour faire dire à l’Ina (Chef) de Wê que s’il venait vers lui (au Dar-For), il le conseillait d’amener avec lui son « faqhi ». Choqué, Nourêne lui répondit : « donc le Roi ne se soucie pas de la mort de mon frère et il me réclame un « faqhi » déjà mort ? Il ne sait donc pas que le Roi du Ouaddaï se trouve tout près d’ici alors que j’avais accepté de me placer sous son autorité, lui qui se trouve à treize journées de marche d’ici ? » Sur ce, Nourêne alla directement au Roi du Ouaddaï et lui fit connaître sa soumission. Ce dernier accepta cette soumission mais désigna des dignitaires pour l’escorter jusque chez lui et faire aussi la reconnaissance du pays. 247

Quand ces dignitaires arrivèrent sur le lieu, ils trouvèrent un pays de montagnes et de grottes, ce qui leur fit dire « le pays de Nourêne est un karkour (anfractuosité, grotte) » et c’est de là que vient le nom de Karkour-Nourêne que les gens appliquent au pays des Wéra, un pays qui, d’ordinaire, s’appelle Wê. Je ne connais pas la signification du terme Bigui, ni celle du terme Angou. Je ne sais rien également des rites des Bigui, ce qu’ils faisaient dans la montagne, mais quand ils vinrent de ce côté (à Toundoubaye), ils ne font aucune pratique préislamique. J’ai entendu cependant dire qu’ils avaient leurs pratiques traditionnelles mais je n’ai aucune indication précise sur lesdites pratiques. La dot était variable : d’abord c’était quarante vaches, puis c’est devenu vingt, quinze, dix-huit vaches, etc. Mais il n’y avait rien de fixe qui fût préalablement établi, c’est d’ailleurs ce qui cause nos malheurs. A la question de savoir si une fille Béri commet une infidélité comme la fornication ou la conception d’un bâtard par exemple, étaitil permis de la marier à un esclave ou à un forgeron ? Le sultan Hassan se mit à rire longuement à chaude larmes avant de répondre à la question par une autre question : « si la fille commet une infidélité, est-ce que cela veut dire qu’elle a changé aussi sa race ? » Puis il ajouta : « ce que tu dis-là, avant (dans les anciens temps), tu ne pouvais même pas le prononcer ». Le hukum (amende) qu’on exigeait d’un homme qui commet une infidélité avec la fille de quelqu’un est variable. La peine infligée à un homme qui commet une infidélité avec une femme de quelqu’un diffère de celle infligée à un homme qui la commet avec une fille non mariée. Dans la tradition des Béri, l’enfant adultérin n’appartient à personne et personne n’en dit rien jusqu’à ce que l’enfant lui-même choisisse son camp quand il deviendra grand. Toutefois, s’il s’agit d’une fille, elle restera avec sa mère, mais s’il s’agit d’un garçon, il ira dans la famille de son père naturel. Si c’est le garçon lui-même qui décide de quitter son père légitime pour rejoindre son père naturel, le premier ne s’y oppose pas en principe, mais le père naturel ne peut pas prendre l’initiative de réclamer l’enfant qu’il a eu avec la femme d’un autre, car s’il le fait, il risque la mort. A la question sur les marques claniques sur les dromadaires, je peux répondre en disant ceci : à ma connaissance, seuls les Arabes et les Goranes et ceux qui sont affiliés à eux, ont la pratique de mettre des marques distinctives sur leurs dromadaires. Les autres n’élevaient d’ailleurs pas le dromadaire. Vous me demandez aussi si j’ai entendu dire que ces marques claniques servaient originellement de symboles 248

scripturaux (une forme d’écriture) ; non, je n’avais pas entendu dire cela. Les Bigui ou Arabes Khouzam avaient quitté tôt leur pays natal à l’époque du Prophète (S.A.S.). Même les habitants de la Mecque empêchaient ceux de Médine de venir y accomplir le pèlerinage. Ceux-ci ne pouvaient donc y aller sans leur accord. Une fois, les gens de la Médine avaient envoyé à la Mecque notre maître Ousmane (le compagnon du Prophète) pour solliciter des Mecquois un accord leur permettant d’accomplir le pèlerinage. Mais avant le retour d’Ousmane à Médine, l’Iblis (le diable) ayant pris la forme d’un homme, était venu dire aux Médinois que les Mecquois avaient mis Ousmane sous chaînes, qu’ils étaient en train de venir à Médine pour tuer les habitants et qu’il valait mieux fuir le lieu. Cependant le Prophète avait annoncé qu’il ne fuirait pas Médine ; il alla s’asseoir sous un arbre et demanda à tous ceux qui restaient fidèles à lui d’y venir prêter serment en mettant, chacun, la main sur la sienne. Tous, Tâha, Zobéir, Sa’ad, Séid, Abderahman ibn Ôf, Abou-Oubéida, Âmir ibn Djarrah, ainsi que les Khalifats Ali et Abou-Bakar le firent. Et comme Ousmane était absent, le Prophète mit sa main gauche sur sa main droite et prononça le serment pour lui, car il savait que s’il était présent, Ousmane ferait la même chose…. Mais le conflit concernant les Khouzam qui étaient parmi les Abbassides, était venu bien après, à l’époque de Hassan (radi-Allahu anhu), petit-fils du Prophète (sall-Allahu Alayhi wa sallam) et je conviens avec les autres pour dire que les Khouzam avaient quitté leur pays à cette période. Pour ce qui est d’Abdelkérim (du Ouaddaï), j’avais appris son histoire des gens plus âgés que moi. Abdelkérim était né à la Mecque, d’un père maghrébin (du Maghreb) de l’Ouest, un chinguitî. Je n’en sais pas trop, mais c’était un homme "rouge" (c’est-à-dire blanc). Le père d’Abdelkérim dont je n’avais pas appris le nom, était venu à Ouara (ancienne capitale du Ouaddaï) tout seul et il n’avait sur lui que son ibirik (gargoulette servant à effectuer des ablutions), un mourfa (étoffe servant à se couvrir pendant le froid) et un bâton. Il allait ainsi au pèlerinage et venait d’Ard-Al-Fâs (Fez, au Maroc.) Vers asr (prière régulière de seize heures), il arriva sur un puits où des femmes prenaient de l’eau. Celles-ci n’avaient jamais vu auparavant un homme de sa couleur, elles en avaient eu donc peur. Mais le voyageur s’installa à l’écart du puits. Alors, une jeune fille lui amena de l’eau dans une grosse calebasse (appelée gow dans la langue des Béri) qu’elle avait soigneusement lavée, 249

conformément à la tradition, mais comme elle avait peur de cet homme, elle déposa la calebasse non loin, sans se rapprocher trop de lui. Le voyageur alla chercher cette eau, s’en désaltéra, versa le reste dans son ibirik puis replaça la calebasse là où la jeune fille l’avait posée. Il était encore à sa place quand tout le monde devait quitter le puits pour rentrer à Ouara. Tréyé, le père d’Abdelkérim les avait donc suivis jusqu’à Ouara et alla s’installer au mésik ou (ìgà en béria), lieu public où les hommes se réunissent pour manger, palabrer ou tisser leur coton. Le père d’Abdelkérim arriva donc sur le lieu public et, resté parmi les hommes, il constata que personne d’entre eux ne priait. Il leur demanda alors pourquoi ne priaient-ils pas. Ces gens étaient effectivement des ignorants en matière des recommandations religieuses, mais ils demandèrent au père d’Abdelkérim de leur apprendre ce qu’il fallait faire, car ils comprenaient l’arabe. Ce dernier leur apprit à prier, resta avec eux quelques temps avant d’annoncer au cheikh (chef de la communauté) qu’il devait maintenant continuer son chemin vers le Hidjâz. Mais les habitants lui demandèrent de rester avec eux pour leur apprendre la religion (Islam) et lui proposèrent de le marier à une de leurs filles. Le voyageur accepta la demande et la proposition mais fit son choix sur la fille qui lui avait servi de l’eau au puits à son arrivée. Le mariage fut donc fait et c’est cette fille des gens de Ouara, une Ouaddaïenne, qui devint la mère d’Abdelkérim. Le voyageur, après avoir instruit beaucoup de gens, signifia aux habitants de Ouara qu’il devait continuer son chemin vers le Hidjâz avec sa femme, mais que ceux qui étaient déjà instruits pouvaient prendre en charge l’éducation de ceux des autochtones qui ne l’étaient pas encore. Il quitta donc Ouara avec sa femme et quelques hommes. C’est au Hidjâz que sa femme tomba enceinte d’Abdelkérim et c’est là que ce dernier fut né. C’est là aussi qu’Abdelkérim apprit le Coran. Un jour, son père lui apprit qu’il avait promis aux gens de Ouara qu’il devrait retourner chez eux mais que lui, il était devenu trop vieux pour le faire. Et comme il considérait sa promesse comme une promesse faite à Dieu, il demanda à son fils de se rendre à Ouara à sa place. Il lui écrivit une lettre, lui indiqua le nom de ses oncles utérins ainsi que toutes les indications qui lui devaient être nécessaires. Il lui recommanda de se rendre d’abord en Égypte où il pourrait rencontrer des voyageurs se rendant à Koufra. De là-bas, Abdelkérim pourrait atteindre Ouara où il devait rester pour enseigner le Coran. Abdelkérim fit ce que son père lui demandait de faire, selon ses recommandations : il se rendit d’abord en Égypte puis à Koufra où il rencontra des Arabes qui le conduisirent jusqu’à Ouara. Là, il sortit la lettre de son père et cita le nom de ses parents, celui de sa 250

grand-mère maternelle et ses oncles utérins, et donna toutes les indications nécessaires à sa reconnaissance. Les gens l’avaient alors reconnu, ils l’embrassèrent et lui dirent : – puisque tu es venu nous enseigner le Coran, nous voici disposés à t’écouter. Abdelkérim leur répondit : – je suis venu pour vous enseigner certes, mais j’ai un khalwa (retraite spirituelle) à accomplir avant cela. Priez donc et faites comme avant jusqu’à la fin de mon khalwa ; alors j’instituerai un mésik pour vous enseigner. Après cela Abdelkérim demanda aux habitants de le conduire dans une grotte de la montagne. Il leur dit, après avoir été installé dans la grotte : – lorsqu’on doit moudre du grain pour préparer ma nourriture, il faut que ce soit une jeune fille non encore en puberté qui le fasse ; et lorsqu’on doit m’amener la nourriture dans la grotte, il faut que ce soit aussi un jeune garçon non encore en puberté qui le fasse. Ainsi, Abdelkérim resta dans la grotte pendant trois (3) ans priant le Seigneur pour qu’Il apprît le Coran aux gens de ce pays. Quand il sentit que sa prière avait été exhaussée (au bout de trois ans), il quitta sa grotte, mais n’installa pas son mésik sur place (à Ouara) ; il alla sur la route qui mène vers Abéché en un lieu appelé Dembé et c’est là qu’il choisit d’installer son mésik et commencer d’enseigner le Coran. A cette époque le pays était sous l’autorité des Toundjours mais ceuxci n’avaient pas une bonne connaissance de l’Islam. Abdelkérim ayant constaté leur défaillance dans la pratique de la religion, appela leur chef et voulut lui expliquer les normes coraniques, mais celui-ci lui répondit : – Qui es-tu d’abord pour oser dire cela ? Alors, devant cette attitude dédaigneuse, Abdelkérim réunit les Arabes Mahâmids (ceux-là même qui l’avaient conduit de Koufra jusqu’à Ouara) et leur expliqua que les Toundjours étaient des infidèles et qu’ils devraient, par conséquent, l’aider à les combattre. Ce fut alors la guerre entre les deux parties : les Toundjours réfractaires à l’Islam d’un côté et Abdelkérim avec ses adeptes dont les Arabes Mahâmids de l’autre. Le sultan des Toundjours prit alors la fuite avec ses hommes ; ils furent pourchassés jusqu’à Oum-Hadjer. On dit que les Toundjours qui se 251

trouvent actuellement là-bas sont les descendants de ces gens qui furent chassés du Ouaddaï par Abdelkérim229. C’est ainsi qu’Abdelkérim put prendre la direction du pays (Ouaddaï.) Voilà ce que j’ai appris des gens. (Version de Faki Hâchim Abdoulaye Etime)230 Le premier Bigui qui arriva ici, à Kabka, est le Sultan Ibrahim-Fardâni. La ville de Kouf en Irak était le village de son père. C’est de Kouf qu’il était parti avec une suite constituée de ses élèves (talâmîs) et de ses adeptes (faqhi), dans le but de répandre l’Islam à travers le monde. Mais avant de venir jusqu’ici, il s’était d’abord installé à Abiat, lieu se trouvant au-delà d’El-Fascher. Puis il alla rester près de Towilé avant d’arriver à Kabka, précisément à Béi-Ba où il fonda son premier foyer qui devint une grande agglomération connue jusque-là sous le nom d’Inày, tandis que certains de ses compagnons préférèrent d’aller s’installer à Kôrnôssy, à la frontière entre le Nanou et le Wê. C’est bien Ibrahim-Fardâni, le fondateur d’Inày qui avait initié la conquête des territoires et occupé le Kabka. Il y avait là des Arabes mais il les chassa et occupa le terrain. Ce qui veut dire qu’à l’époque, le Kabka était occupé par des Arabes mais je ne sais pas de quelle tribu précise étaient ces Arabes. Leurs puits et leurs abreuvoirs qui, à travers des siècles, étaient ensevelis par le vent sous le sable, ont été découverts récemment par l’érosion et nous sommes en train de les utiliser maintenant. Avant Aïri était une simple dune, maintenant le vent a découvert sur cette dune des puits. Lorsque IbrahimFardâni, chassa les Arabes, il les pourchassa jusqu’à la mare de Harfala et c’est pour cette raison que cette mare constitue jusqu’à nos jours la frontière entre nous et les Arabes (d’Arada). Ibrahim-Fardâni était un Arabe de Kouf (Irak) ; il est un fils de Ka’ab ibn Loueï, ancêtre du Prophète (que le salut d’Allah soit sur 229

On note ceci dans l’Encyclopédie de l’Islam : « Il est possible qu’au Ouadaï la dynastie toundjere ait été superficiellement musulmane, mais elle fut renversée au début du XIe/XVIIe siècle par ‘Abde al-Karim, peut-être descendant des Ja’aliyyuns nilotiques : il se prétendait d’origine ‘abbasside. D’après une tradition, ‘Abd alKarim reçut sa foi ardente des oulémas fulanis de la Baguirmi ; d’après une autre, son oncle ou son père, prêcheur pionnier au Ouadaï, l’aurait inspiré ; une autre encore raconte qu’il prit la place du plus important ‘alim du Ouadaï (l’ancêtre du Kapka Zaghawa) en transférant et en réenterrant une tablette d’inscriptions coraniques. ‘Abd al-Karim fonda la capitale, Ouara ; Il se peut que des constructeurs nord-africains l’aient aidé, ainsi que ses successeurs » (pp. 283-84) 230 Version racontée à Matadjané le 04-11-2000 par Faqhi Hâchim Abdoulaye Etime, 77 ans, Chef de canton de Kabka, né à Kabka Sàasa.

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lui), un Arabe Qoreïch. Nous sommes des Qoreïch. Lorsqu’il s’était installé à Inày, l’un de ses savants (âlim) mourut à Nowé (cours d’eau) où il fut enterré. Le nom de ce cours d’eau vient du fait que le savant (adepte) d’Ibrahim-Fardâni du nom de Loueï y fut enterré. Loueï est devenu donc Nowé dans la langue du pays. De même, un autre de ses savants (adeptes) appelé Hawar était mort et enterré dans le wadi appelé actuellement Howas (prononciation locale) ; le nom de Howas vient également du nom de ce savant, l’un des adeptes d’Ibrahim-Fardâni. Loueï et Hawar faisaient partie des élèves d’Ibrahim-Fardâni et c’est ainsi qu’il n’y a pas au pays des Béri des cours d’eau qui donnent plus de bonheur que Nowé et Howas. Ibrahim-Fardâni mourut au Kapka après l’avoir conquis mais on ne connaît pas l’emplacement exact de son tombeau. Il fut succédé à sa mort par son fils Mahamat-Chérif qui mourut aussi dans ce pays. La généalogie des sultans Bigui se présente comme suit, selon Faki Hachim :

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Les fortifications sur la montagne de Kabka étaient réalisées par : – le sultan Salâmi231 ; il s’agit de la fortification de Disso, sur la ruisselle que l’on rencontre avant d’atteindre les autres (en partant du village du faqhi Hâchim installé près de la mare de Matadjané). Il s’agit d’une fortification qui avait été réalisé parce que le sultan était en guerre avec les Arabes ; elle devait lui servir de protéger ses hommes et leurs troupeaux ; – le sultan Tarding ; la fortification réalisée sur la ruisselle est l’œuvre de ce sultan ; – le sultan Mahamat-Dèrèt ; il s’agit de la plus grande fortification, de l’autre côté au-delà de celle de Disso ; le sultan l’avait construit parce qu’il était en guerre contre les Ouaddaïens qui constituaient un ennemi très fort ; – le foyer du sultan Bàri : le foyer de Sàssaw, là où il y a beaucoup de traces d’habitations (seulement les fondations) est fondé par le sultan Bàri qui était le sultan du Kapka à l’arrivée des colons français ; mais ce ne sont pas les Français qui l’avaient intronisé. Il mourut dans ce foyer et son tombeau se trouve là. On se demande alors pourquoi les Bigui qui étaient eux-mêmes des Arabes se battaient-ils contre d’autres Arabes qui occupaient le terrain avant eux ? C’est vrai, ceux qui occupaient déjà le terrain étaient certes des Arabes, mais des gens mécréants (modjoussa) qui y étaient venus avant l’Islam ; ils s’appelaient des Toundjours232 ; ils parlaient l’arabe et ce sont eux qui occupaient le pays jusqu’au Ouaddaï. Ils avaient, lorsqu’ils furent attaqués, fui vers l’Ouest mais certains d’entre eux avaient accepté l’Islam. Les Kodiéra, les Siguéïra et les Kodoï (gens aux dents pigmentées de rouge) faisaient aussi partie des Toundjours. Ce sont ces gens-là qui étaient maîtres du Ouaddaï à l’époque. Ceux qui avaient accepté l’Islam et qui étaient restés au Ouaddaï étaient devenus des Kodoï, les autres avaient fui le pays ; et tandis que certains étaient allés à Ba-Siguèri qui était à l’époque habité 231

Ce sultan apparait sur la généalogie donnée précédemment par le sultan Hassan. A ce sujet, René Gros, administrateur adjoint de la F.O.M. écrivait en 1951, dans son Histoire des Toundjours de Moundo (Kanem), in Les Arabes du Tchad (document de l’INSH, sans références bibliographiques), écrivait ceci : « Il est à peu près certain que les Toundjours sont d’origine arabe. Non seulement ils se réclament formellement de cette souche mais encore la plupart de leurs voisins tiennent la chose pour évidente … Ils (les Toundjours) déclarent descendre de fractions Béni Hilal réfugiées au Soudans après avoir été chassées de Tunisie … » (p.264 et 265)

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par des Ordio chasser les occupants et s’installer sur leur territoire, d’autres, les Kodiéra, étaient allés s’installer, eux, à Nouï ou Noï. Donc ceux qui avaient accepté l’Islam étaient restés sur place, les autres avaient fui leur territoire. C’est le même phénomène qui s’était produit chez nous à Kapka : ceux qui acceptèrent l’Islam sont ceux qui s’y trouvent actuellement mais ceux qui avaient rejeté l’Islam étaient partis. La bataille de Kabka s’était déroulée de la manière suivante : Bàri était le sultan du Kabka à l’époque. Plusieurs chefs étaient venus au même moment chercher refuge chez lui : – 1. Haggar Térab était alors venu lui demander protection, il voulait se réfugier dans la montagne de Kabka car il était traqué par le sultan Abderahman Hirdi du Koubé ; – 2. Ina Sawa (le père de l’Ina Margui de Nanou), pourchassé par Ina Harka qu’appuyaient des contingents du Roi du Dar For, y était aussi venu chercher refuge ; – 3. de même, Ina Nargass, chassé de Wê par les Goranes vint chercher son salut dans la montagne de Kabka. Il y avait donc dans la montagne de Kabka, ces trois chefs, en plus du maître du territoire, le sultan Bàri. Actuellement on compte six (6) foyers dans cette montagne : – deux (2) pour les Angou : Le Khalifat Abit qui était en conflit avec le sultan du Koubé y installa sa base où il mourut après deux ans. Puis Haggar y était venu rester deux ans aussi. Même quand, avec l’aide des colons français, il put éliminer son rival le sultan Abderahman Hirdi, il avait peur d’aller s’installer sur son territoire, en terrain découvert. Il demanda au sultan Bàri l’autorisation de s’installer dans la montagne de Mordou, car cette montagne appartenait à l’époque au sultanat de Kabka qui partageait ses frontières avec les Obougouna et non avec les Angou. Mais quand Haggar s’était rassuré de son implantation et qu’il fut maître de la situation, il refusa de céder Mordou à Bàri. – deux (2) pour les Wéra : Ina Guida qui y arriva fuyant l’ennemi, et ne put retourner chez lui que quand sa sécurité fut assurée. Ensuite Ina Nargass y vint chercher protection dans les mêmes conditions. – deux (2) pour les Nawra : d’abord c’est Ina Ariga qui y arriva, pourchassé par l’ennemi. C’est de Kabka qu’il organisa la résistance et put libérer son pays avant de rentrer chez lui. Ensuite 255

c’est Ina Sawa qui y arriva, dans les mêmes circonstances. C’est à l’issue de deux (2) années de refuge qu’il put regagner son pays. Voilà pourquoi le Roi du Dar For, considérant le Kabka comme le repaire de tous ses adversaires, de tous ces chefs qui refusaient de se soumettre à son autorité, voulut en finir en y envoyant des contingents dont ceux du sultan Abderahman Hirdi, forts en hommes et en armes. C’est pourquoi aussi les quatre chefs, face à une telle menace, étaient obligés de s’entendre pour faire front commun. Le sultan Hirdi n’avait pas participé lui-même à la bataille de Kabka, il y avait envoyé son fils Borgou ainsi que deux de ses Ina, Gnâm et Harka. Les trois chefs de guerre de Hirdi purent s’échapper, aucun des fils du sultan ne mourut à la bataille de Kapka, mais par contre, deux de ses beau-fils, Houno (un Bigui) et Kodogo (un Nawra), y périrent, ainsi que beaucoup d’autres personnes constituant l’armée du Roi du Dar-For : des Fors, des Wégui et des Aramara (Arabes). Dans les rangs de la coalition, il n’y avait eu qu’un seul mort, à part celui-là, il n’y avait même pas eu de blessé. Le butin fut énorme et quand on sait que les gens vivaient la famine d’Ouguino-Bêrê (AnnéeSans-Pluies), il constituait une providence pour nos gens. Konou Abdallah nous disait en jurant que le jour de la confrontation, le matin avant la bataille, les guerriers (de la coalition) étaient dépourvus de toute alimentation ; c’était des « géïmé » (fruits non mûres de Balanites aegyptiaca) cuits qu’ils s’étaient partagés à raison de sept (7) par personne avant d’entamer la bataille. Mais le septième jour après la bataille, ils purent s’enivrer de bière de mil car l’ennemi était venu au Kapka avec tout : du mil et de la farine chargés sur des dromadaires. Les contingents du Roi étaient tellement sûres d’eux et de leur victoire qu’ils amenèrent au Kabka jusqu’aux chamelles laitières pour se servir de leur lait car ils disaient qu’ils n’avaient pas du temps pour préparer la sauce. Ces gens constituaient une force effroyable à l’époque ; ils avaient mille deux cents (1.200) hommes armés de fusils, sans compter les autres guerriers, tandis que la coalition de Bàri ne comptait que quarante-neuf fusils. Mais l’avantage pour ces derniers, c’est que les gens du Roi, quand bien même guidés par des guerriers de Hirdi, ne connaissaient pas très bien le terrain. Les hommes de Bàri les laissèrent progresser dans la montagne et quand ils s’étaient suffisamment engagés, ils leur bloquèrent la sortie avant de déclencher la fusillade. En plus l’écho des détonations que la montagne répercutait produisait 256

un effet terriblement effrayant pour les non habitués. Ce fut la déroute totale, une cuisante leçon donnée au Roi du Dar-For. C’était quelque chose à laquelle personne ne s’attendait. Déjà affaibli par la défaite de Kabka, Hirdi fut tué à Tiné par son adversaire Haggar appuyé par les colons français. Il avait laissé environ vingt-cinq (25) veuves. Ses enfants et ses proches pour qui le mariage à ces femmes est illicite, autorisèrent leur union avec les membres des différents sous-clans angou, exception faite des Tobouïra et des Kourgoura qui avaient participé aux massacres des Djeïra. Lors du partage des femmes de Hirdi, les Bigui avaient eu, eux aussi, l’une d’elles comme leur part, c’est la part qui devait revenir à Dày. Dày est une fille de Bigui et il y a actuellement un adage qui dit : « si Dày déserte le foyer, elle ne s’arrêtera pas avant d’avoir goûté l’eau de Kabka » ; cet adage vient du fait que Dày qui est une princesse, fille du sultan Djamous avait été mariée à l’ancêtre des Angou, Ichi, père de Déritébigué et de Hilane. Déritébigué est l’ancêtre des Maïkassoura et Hilane est celui des cinq autres sous-clans des Angou. Dày est donc la mère à Déritébigué et à Hilane, mais chaque fois qu’elle se fâchait, elle quittait son foyer et ne s’arrêtait qu’au Kabka. L’adage est donc né de ce comportement. Et c’est de cette alliance que vient la part de Dày, étant la grand-mère de la quasi-totalité des Angou, part qui, désormais, revenait aux Bigui. Depuis que les Bigui eurent leur part dans le partage des femmes du sultan Hirdi, si un Djeïra se marie avec une femme de Bigui, ce qui est considéré comme une grave offense à l’honneur du clan, les Bigui ne lui exigent plus un ba-derguéï c’est-àdire un bien que le nouveau mari doit donner à l’ancien en guise de réparation du tort qu’il lui a commis. Ainsi, les Kengui-Kabi, les Maïkassoura, les Inakaïra, les Téribéra et même les Tirguéhorout, tous les Angou avaient eu leur part sauf les Tobouïra et les Kourgoura. Avant la bataille de Kapka, ce n’est pas avec Haggar que Hirdi se battait, c’est plutôt avec le Khalifat Abit. Ces deux hommes s’étaient affrontés d’abord à Djabaratang (?), puis à Mardi. Pendant trois ans, le Koubé était resté sans sultan, car Abit ne pouvait y rester de peur que Hirdi lui portât un coup dur et préféra s’installer dans la montagne de Kabka ; de même, Hirdi craignait aussi les attaques d’Abit et était obligé d’aller chercher refuge ailleurs, à In-Djassa dans le Koulagui au Dar-For. C’est à l’issue de la mort de Hirdi que Haggar alla résider chez lui, dans le Koubé ; certains sujets le rejoignirent mais d’autres préférèrent rester dans l’autre camp, celui de ses adversaires. C’est surtout de Wê, de Nanou et du Sud que les gens étaient venus peupler 257

le Koubé ; et tout cela (le dépeuplement) s’était passé avant l’arrivée des colons blancs. Les Béri ne se faisaient pas la guerre entre eux seulement, avec ou sans l’aide des Rois. Ils étaient aussi souvent aux prises avec les Arabes d’Arada et les Goranes. Les premiers razziaient régulièrement le Kabka aux périodes de leurs transhumances ; ils tuaient les hommes ou les capturaient et emportaient leurs troupeaux ; ils pillaient également le Koubé, le Mawn, le Kéïra-Mara, bref tout le pays. Les seconds, ainsi que des Kirni (Touaregs) du Niger, razziaient aussi le pays des Béri. Les Kirni nous avaient attaqués à trois reprises et avaient emporté nos troupeaux. Certains dromadaires daltoniens (siray dans la langue des Béri), dromadaires courts et trapus avec une couleur particulière des yeux (virant au blanc), et réputés rapides et résistants, que l’on rencontre actuellement chez nous, avaient été pris de ces Kirni lors des batailles. Malgré toutes ces guerres, aucun sultan Bigui n’avait été emporté en capture par l’ennemi, qu’il soit Arabe, Gorane ou Kirni. Seul Mahamat-Dèrèt, comme il refusait de se soumettre au Roi du Ouaddaï, avait été pris vivant et exécuté par les Ouaddaïens lors d’un combat et ce, à l’issue de trois années de guerre. C’est donc à la suite de l’exécution de ce sultan que le Kabka se résolut à se mettre sous l’autorité du Ouaddaï. Avant cela, c’est plutôt Mahamat-Dèrèt qui, au contraire, cherchait à mettre le Ouaddaï sous son autorité. Ainsi le Kabka et le Ouaddaï s’étaient battus pendant trois années : à la première bataille, le sultan du Kapka eut raison sur les Ouaddaïens, il captura leur chef de guerre. Son kaïdara (personne qui joue du hautbois) chanta alors, disant : « le veau que le lion de Kabka a capturé ne sera pas relâché – le veau que le lion de Guilding a capturé ne sera pas relâché ». Effectivement, Mahamat-Dèrèt ne relâcha pas le chef de guerre des Ouaddaïens, mais il l’exécuta. Alors les Ouaddaïens s’abstinrent pendant deux années à livrer la guerre au Kabka ; ils utilisèrent ce temps à se préparer et à s’assurer de leur supériorité avant de relancer les hostilités. Quand ils attaquèrent le Kabka de nouveau, ils étaient suffisamment forts pour pouvoir défaire l’armée du sultan. Ils la battirent en effet et capturèrent Mahamat-Dèrèt qu’ils exécutèrent sur le terrain-même des combats. Le sultan fut ainsi tué, mais personne n’avait eu l’occasion d’identifier et d’ensevelir son corps, car ce jour-là, les hommes de Kapka furent pourchassés jusqu’à Ondour. Par la même occasion, les Ouaddaïens avaient dévasté aussi l’Obougoun et le Koubé ; ce n’est pas parce que ces deux derniers 258

s’opposaient aussi à leur autorité, mais c’est le vent qui souffla sur le Kabka qui les emporta aussi. La ruisselle dans laquelle MahamatDèrèt fut capturé (un peu à l’est du foyer de Bàri) avait pris depuis lors le nom de Dèrèt-Tèbiy (littéralement, ‘Dèrèt est capturé’). Le village de Mahamat-Dèrèt était construit au sommet de la montagne qui se trouve non loin du foyer de Bàri et qui porte le nom de Guilding. A l’issue de la bataille qui coûta la vie au sultan Mahamat-Dèrèt et qui aboutit à la soumission du sultanat de Kabka au Ouaddaï, ce sultanat fut placé sous l’autorité d’un Kamkalak du nom de Dondôr. C’est cette personne qui venait du Ouaddaï pour gouverner le Kabka. Il fut succédé, à sa mort, par son fils Tâhir. Donc le Kabka n’avait plus de sultan ; le Kamkalak y plaçait des Ina (petits chefs) qui devaient lui rendre régulièrement compte de la situation. Une fois quand, après avoir nommé les Ina, le Kamkalak rentra au Ouaddaï, Bàri le rejoignit et lui dit : « Vous avez châtié mon grandpère parce qu’il ne voulait pas se soumettre à vous. Or, moi, je désire me placer sous votre autorité. Je vous demande donc de me placer sur le trône du Kabka ». Car on vient de le dire, depuis Mahamat-Dèrèt, il n’y avait pas de sultan Bigui au Kapka, le Ouaddaï régnant directement sur ce pays qu’il avait placé sous l’administration d’un dignitaire appelé Kamkalak. Alors, puisque le Ouaddaï s’était déjà rassuré de la soumission du Kabka et de la sincérité du prince Bàri, celui-ci fut investi et retourna chez lui avec le titre de sultan du Kabka. Il légua, à sa mort, le trône à son fils Ibrahim-Konou. A la mort de ce dernier, c’est Abdoulaye Sabre qui le succéda, mais celui-ci fut dépossédé par les Angou. Quand les Français étaient venus, le sultan Nourêne se trouvait à Bir-Niswâne ; ils lui avaient demandé de venir se mettre sous leur autorité. Mais Nourêne avait refusé de le faire parce qu’il disait que son pays c’est Toundoubaye et comme son pays était placé du côté des Anglais, il se soumettrait plutôt aux Anglais. Les Français avaient alors noté sa déclaration et l’avait laissé résider à Toundoubaye. Ce jour-là, les Français et les Anglais étaient ensemble pour se partager les hommes, leur indiquant les frontières et les territoires relevant de chaque autorité. A cette époque, le sultan des Biri (Guimirs) qui était également à Kodogo car il avait peur du Roi du Dar-For, disait aussi que puisque son pays était placé du côté des Anglais, il se soumettrait également aux anglais, même si avant cela il dépendait du Ouaddaï. Il y avait Bàri au Kabka, alors que Borgou était allé s’installer, lui, à Bir-Niswâne, au pays des Tama à l’instar du Biri. Le Biri comme le 259

Kabkara obéissaient au Roi du Ouaddaï jusqu’à l’arrivée des colons qui les placèrent, les uns du côté français et les autres du côté angloégyptien. Les habitants avaient suivi la logique du partage des territoires par des frontières coloniales, chacun resta sur son territoire et se soumit à l’administration de laquelle dépendait ce territoire. Avant l’arrivée des colons, le sultanat de Kabka avait toujours eu une seule direction, mais ce sont les deux frères Nourêne et Abderhamane-Charâra, fils du sultan Hassan, qui avaient les premiers commencé à se discuter le pouvoir. Nourêne fut investi ici, au Kabka par les gens du lieu quand Borgou décéda. En ce moment, Abderhamane-Charâra était absent car il était envoyé en guerre par le sultan Borgou et se trouvait à El-Fascher, faisant partie de l’armée du Roi du Dar-For. Le sultan du Kabka avait l’obligation de mettre à la disposition de ce Roi un certain nombre de guerriers qui devaient faire partie de ses contingents. Cette obligation était faite à tous les sultans relevant de l’autorité du Roi forien. C’est ainsi que celui-ci avait exigé : – du sultan Abderahman Hirdi cent (100) jeunes guerriers qui lui furent envoyés avec à leur tête, le prince Dawsa ; – du sultan Borgou cinquante (50) jeunes guerriers qui lui furent envoyés avec à leur tête le prince Abderhamane-Charâra ; – du Hor Saleh cent (100) guerriers également qui lui furent envoyés avec à leur tête, son fils, le prince Hassan-Torgo. Tous ces jeunes gens constituaient l’armée du Roi qui servait à soumettre les populations voisines. Par exemple, le Roi du Dar-For se battit avec le Faqhi Sinine ainsi qu’avec les Arabes Rizégâts, qu’il vainquit tous et soumit à son autorité. Ensuite il était allé se battre avec les Arabes Béni-Halba. C’est donc ainsi que Charâra se trouvait au Dar-For et quand le Roi apprit la mort du sultan Borgou, il décida d’investir, comme son successeur, Charâra qui lui avait servi, d’autant plus qu’il était au courant que lors de la constitution des contingents du Roi, Nourêne avait refusé d’en faire partie. Mais aussitôt après avoir investi Charâra que le Roi fut lui-même chassé du trône. Alors Charâra, fort de la possession des timbales que le Roi lui avait remises revint dans son pays pour y exercer son autorité. Mais Nourêne qui occupait déjà le terrain lui interdit de s’y installer. Nourêne avait derrière lui tout le peuple du Kabka tandis que Charâra était revenu avec toute son armée, celle qu’il avait conduite au Dar-For. La confrontation entre les deux frères 260

était donc inévitable. La première bataille eut lieu à Toundoubaye qui se solda par des morts sans qu’aucun camp ne remportât une victoire décisive. Alors, les colons qui avaient déjà mis sous leur autorité les deux royaumes (Dar-For et Ouaddaï), dirent à Charâra qu’ils ne sauraient reconnaître qu’un seul sultan, celui choisi par son peuple. Charâra quitta alors le pays et alla s’installer d’abord à El-Fascher puis à El-Djineïna où il mourut. Si les Français avaient préféré annexer le Kabka au sultanat de Koubé, ce n’est pas parce que les Bigui désobéissaient aux Français, ils étaient d’ailleurs en bons termes avec eux, c’est plutôt la politique et la stratégie de Haggar qui avaient remporté. D’une part, il avait corrompu les colons Français et d’autre part, il usa d’une ruse assez payante : il alla au-delà des frontières du Kapka pour donner en mariage sa sœur au Malik du Dourêne en lui demandant en contrepartie de dire aux Français, en temps opportun, qu’il accepterait de se mettre sous son autorité. Le Malik du Dourêne accepta le marché et se maria avec la sœur de Haggar. Ce dernier, après avoir fait ainsi ses calculs, alla ensuite dire aux Fiançais : « Voilà, même le Malik qui se trouve de l’autre côté de Kapka accepte de se placer sous mon autorité, pourquoi le sultan Abdoulaye, lui refuse de se soumettre à moi alors que le Malik de Dourêne l’a fait ? Ne crée-t-il pas ainsi une discontinuité de l’administration puisqu’il s’intercale entre mes deux territoires, le Koubé et le Dourêne ? » Le sultan Abdoulaye ne cessait cependant de répéter à Haggar : « Mon père, mon grand-père, tous mes ancêtres étaient des sultans, je descends d’une lignée royale. Notre pouvoir est antérieur au vôtre (c’est-à-dire à celui des Angou), pourquoi devrais-je donc me soumettre à toi ? » Mais Haggar, rassuré du côté des colons français, n’avait cure de ces explications et lui répliquait en disant qu’il se soumettrait qu’il le voulût ou non. Les colons tranchèrent finalement en faisant comprendre à Abdoulaye que, s’il refusait de se soumettre à Haggar, ils seraient obligés de le destituer. Le sultan du Kapka n’avait plus de choix, il leur signifia tout simplement qu’il accepterait la destitution ou la mort mais jamais il ne laisserait à sa descendance l’histoire de sa soumission à Haggar. Les Français lui ordonnèrent donc de formuler son abdication (ce qu’il fit d’ailleurs), avant de demander à Haggar de trouver provisoirement un représentant au sultan destitué en attendant de faire venir les enfants des sultans Bàri et Ibrahim-Konou qui se trouvaient à Toundoubaye afin de pouvoir choisir parmi eux le successeur. Le sultan Haggar avait ainsi gagné ; il plaça à la tête de Kapka, réduit à la dimension d’un fief 261

placé sous l’autorité du Koubé, son fils Ali qui devint le premier Mogdoum de ce pays et qui refusa par la suite de céder la place aux Bigui. Nous les Bigui, nous étions venus ensemble avec les autres Arabes Khouzam que l’on connaît actuellement et qui étaient des demi-frères à nous. Nous sommes donc tous des Khouzam233. Les Khouzam sont nombreux à nos jours, ils sont au Soudan, au Tchad dans la préfecture de Batha et ailleurs. Leur répartition obéi à un processus historique : au fur et à mesure que l’on progressait dans le pays, chaque famille occupait un territoire et s’y installait. Quant à savoir si c’était des frères qui y seraient venus et qui s’y se seraient multipliés ou bien c’était plusieurs personnes qui y seraient venus ici, nous avons appris que c’était d’abord une seule personne qui y était arrivé et ses enfants s’étaient multipliés et dispersés par la suite. Les Khouzam connaissent bien, comme nous les Bigui, la relation congénitale qui vous lie. Toutefois, personne d’entre eux n’était venu me voir depuis que je suis à la tête de Kabka, mais à l’époque du sultan Hassan, beaucoup étaient venus le voir et présenter leurs "lettres" (ouaraga) ; il s’agit sans doute des textes portant la généalogie des chefs Khouzam pour prouver l’unicité de leur origine avec le sultan. Je ne sais rien sur l’époque précise pendant laquelle notre ancêtre avait quitté son pays, mais je sais par contre que le village d’où il était parti s’appelle Kouf. Puisqu’il avait quitté son pays pour la cause de l’Islam, son départ se situe sans nul doute après la prophétie. J’ai appris aussi que sept autres savants (âlim) avaient également quitté leur pays (l’Arabie) après lui pour aller répandre l’Islam en Afrique. Le Prophète (que le salut d’Allah soit sur lui) avait, de son vivant, assigné aux croyants la mission d’aller répandre la foi musulmane à travers le monde. Les sept savants qui s’étaient consacrés, comme Ibrahim-Fardâni, à la cause de l’Islam sont : – Ahmat Koundjâri qui s’était installé à Fascher ; c’est le grandpère (ancêtre ?) d’Ali Dinar ; 233

Pour la Mission Grossard, cette affiliation n’est qu’une prétention : « Les Kapka s’attribuent une origine arabe ; ils prétendent descendre des Arabes Khouzam ; ceci est peut-être vrai pour la famille du sultan Nourein où l’on trouve des types arabes très accusés ; les familles régnantes prétendent d’ailleurs un peu partout avoir une origine plus élevée que leur peuple ; la famille royale du Sila affirme une origine arabe, les sultans du Tama seraient de souche Bornouane. Peut-être cette différence de types est-elle due simplement à des alliances avec des femmes d’origine arabe » (Mission de Délimitation…, 1925, p. 313).

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– Abdelkérim Djid-al-Islam qui était installé au Ouaddaï ; – Malik qui était installé au Ouaddaï aussi mais chez les Marfa ; il était venu à la même période qu’Abdelkérim. Quand ces gens arrivaient dans une société, ils y laissaient l’un d’eux pour la propagation de l’Islam et les autres continuaient ; – Boloua était allé chez les Bornou du Nigéria ; – Dédé s’installa au Sénégal ; – Oumar Al-Fouty était allé s’installer à l’Ard-Al-Fâs (Fez). Ces gens étaient venus après Ibrahim-Fardâni. Le Prophète avait prié pour eux pour qu’ils fussent invincibles. Ils avaient quitté leur pays sur instruction du Prophète afin de répandre l’Islam. Enfin Miyas Ibnou-Djabal avait dit au Prophète qu’il partait et devait aller partout où il pourrait, avec la chose qu’il lui avait confiée et qu’ils se verraient (le Prophète et lui) après la mort. On dit qu’il était venu passer vers l’Ouest. Donc ces gens étaient tous des Arabes, ils parlaient l’arabe, leur langue, alors que les autochtones ne connaissaient pas cette langue. Pour comprendre comment avaient-ils donc pris contact avec ces autochtones et comment arrivèrent-ils à s’installer chez eux, il faut savoir que, lorsqu’ils arrivaient dans une société, ils s’installaient d’abord chef le chef. Et, petit à petit, ils apprenaient à l’entourage la discipline de l’Islam comme par exemple « comment travailler, comment manger, comment s’habiller, comment se comporter avec les autres, etc. » Ils leur disaient de faire ceci ou cela, leur expliquaient tout ce qui avait un intérêt pratique pour eux. Alors les gens, en arrivant à observer la discipline de l’Islam, finissaient par constater une nette amélioration de leurs conditions et finissaient par obéir à ces étrangers ou, mieux encore, par embrasser leur foi. Si le nombre des croyants augmentait, ils créaient un mésik (école coranique) et exigeaient des autochtones à respecter les cinq piliers de l’Islam. Alors le chef du pays, se trouvant dans une position inconfortable, s’opposait à une pratique religieuse qui était tout à son détriment si toutefois il n’avait pas lui-même encore embrasé la foi. Et, de ce fait, il provoquait la confrontation entre lui et ses fidèles d’une part, et les nouveaux venus et leurs adeptes de l’autre. Voici un exemple : il y avait au Dar-For un chef du nom d’Ida-Sawdâr-Sît. Quand ce chef était allé effectuer des razzias hors de son pays, il apprit que le prédicateur qui se trouvait chez lui s’était proclamé chef à sa place, 263

s’emparant du palais royal. Mais ses hommes accoururent en désordre pour sauver le trône. Alors, les occupants du palais les tuèrent successivement, car ils n’y venaient pas ensemble, chacun arrivant de son côté et comme il pouvait. Les gens qu’Abdelkérim Djid-al-Islam avait trouvés au Ouaddaï étaient des Toundjours, ce sont les ancêtres des Kodoï actuels (gens aux dents pigmentées de rouge), des Siguéïra (un clan des Bidéyat), etc. La famille royale actuelle chez les Ouaddaïens descend d’Abdelkérim ; cette famille est abbasside, car Abdelkérim descend d’Abbas, oncle du Prophète. Nous, les Bigui, nous descendons de Ka’ab Ibn Loueï, ancêtre du Prophète. Donc Abdelkérim est plus proche du Prophète puisqu’il descend de son oncle paternel : Abbas et Abdoulaye le père du Prophète, sont des demi-frères. Quand Abdelkérim était arrivé au Ouaddaï, il fonda des mésik (écoles coraniques) et observa des retraites spirituelles. C’est pourquoi le Seigneur exhaussa ses prières et il put conquérir le pays. La cendre laissée dans le foyer (place où l’on allume le feu pour apprendre le Coran) de ses mahadjirin (élèves) était utilisée pour soigner les maladies et pour rendre aussi plus intelligents les enfants qui apprennent le Coran. Abdelkérim était comme un saint (wali). Sur la signification des termes Kabka et Bigui, l’informateur répond par : Kabka vient du nom de notre ancêtre Ka’ab. C’est le nom de la personne qui finit par désigner toute la "race" (il s’agit du clan des Bigui et affiliés), car Ibrahim-Fardâni est le fils de Ka’ab. Les gens disaient : "C’est le fils de Ka’ab qui s’est installé là-bas, c’est la place du fils de Ka’ab, etc." et avec le temps et l’habitude, son foyer et ses descendants prirent le nom de Kabka et Kabkara. Quant à la question de savoir si j’avais appris que, pendant la période coloniale, les Français avaient recueilli une information qui dit que Kabka et Kabkara viendraient de Ka’aba (mausolée de la Mecque), car l’ancêtre des Bigui aurait été le gardien de la Ka’aba, je réponds par "non", car je n’avais pas entendu dire cela, mais je sais par contre que le nom de notre ancêtre est Ka’ab Ibn Loueï. Quant au terme de Bigui, il s’est formé tout récemment : notre grand-père Mahamat-Chérif eut quatre enfants : Charfaddine l’aîné, Hamid le second, Ramadan le troisième et Ibrahim le benjamin. Leur exemple vis-à-vis de leur père est comme celui du sultan Abderahman Haggar qui, lorsqu’il fut trop vieux, il fut abandonné par ses enfants sauf par Bokhit qui resta à ses côtés pour s’occuper de lui ; et c’est lui qui hérita du trône. Pour les Bigui aussi, quand Mahamat-Chérif fut trop vieux, les plus âgés de ses fils 264

l’abandonnèrent et c’est le benjamin Ibrahim qui resta à ses côtés pour s’occuper de lui. Quand Mahamat-Chérif sentit la mort, il donna sa bague et tous les autres insignes du pouvoir à son fils Ibrahim et lui dit de ne plus y rester attendre sa mort avant d’aller vers le Roi du Ouaddaï234se faire investir. Le mourant ne voulait pas que le trône revînt aux enfants plus âgés puisqu’ils l’avaient abandonné. Ibrahim était donc allé au Ouaddaï se faire introniser. A la mort de leur père, les trois autres frères qui restèrent au pays, organisèrent les funérailles ; mais ils s’aperçurent de l’absence de leur benjamin. Ils se demandèrent où pourrait-il bien être mais ne mirent pas trop de temps à apprendre qu’il était allé se faire introniser au Ouaddaï et qu’il se trouvait sur le chemin du retour. Les troupeaux étaient au farik de Bàbàa. L’aîné des frères Charfaddine dit alors : – C’est le benjamin qui va se faire invertir à notre place et quand il reviendra, nous serons aussi obligés de partager avec lui les troupeaux ? Cela n’est pas acceptable ! Sur ce, il prit la fuite avec les troupeaux à l’insu des deux autres frères qui se trouvaient avec lui au Kabka. A l’époque, les Béri savaient confectionner un récipient appelé hòdi, tronc de Commiphora africana creusé en forme de panier que les bergers le portaient par l’anse, qu’ils utilisaient pour traire leurs bêtes. Charfaddine, muni de son hòdi, prit donc la fuite avec les troupeaux et alla vers Mourdia (Mortcha). Sur son passage, les gens disaient "voilà un hòdira qui passe par ici", d’où le nom Hòdira donné actuellement au clan qui descend de cet homme. Quant à Hamid et Ramadan, ils restèrent sur place jusqu’à l’arrivée de leur petit-frère Ibrahim. Alors Ramadan alla voir ce dernier pour lui demander de lui attribuer le cours d’eau qui porte le nom de Birguéba. Ibrahim attribua alors à Ramadan ce cours d’eau d’où le nom de Birguébéra donné aux descendants de Ramadan. Quant à Hamid, il n’eut rien du partage ; on disait alors de lui qu’il était resté avec sa faim. Les gens disaient alors "voilà ! Ibrahim est allé se faire sultan, le voici en train de boire son eau (sa bière), Charfaddine a pris la fuite avec les troupeaux, Ramadan a bénéficié d’un cours d’eau, mais Hamid n’a rien eu et est resté sans ration de nourriture", et c’est de là que viennent les noms de Eïra et de Bigui donnés successivement aux descendants de Hamid et du sultan Ibrahim. Le nom de Bigui qui est dérivé de bi signifiant "eau" ou "bière" vient du 234

On se demande s’il n’était pas encore indépendant de ce royaume.

265

fait qu’Ibrahim, après son investiture et revenu chez lui, s’était mis à s’enivrer de bière, de joie. Sinon le vrai nom n’est pas Bigui mais Kabkara qui vient de Ka’ab.

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CHAPITRE XIX Histoire de la chefferie de Wê235

La généalogie des Malik du Wê est donnée comme suit par Guerdi Moussa, chef de canton des Wéra du Koubé :

235

Recueillie le 13 novembre 2000 à Biltine auprès du Malik Guerdi Moussa, chef de canton de Karkour-Nourêne et de son fils Abdoulaye Guerdi Moussa, âgé de 32 ans, né à Karkour-Nourêne où il réside comme représentant de son père

Soun-Têr (ou Sounou-Têr)236 Targari Djâmane Sâdir Mogorolla Daw-Bouïgué

Ina-Kengui

Hamdallah237

Abdelkérim

Nimâne

Ina-Arim

Nourène Mahamat

Ina-Ardja

Ina-Moussa

Ina-Nargas

Ina-Guerdi

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Soun-Têr ou Sounou-Têr signifie le "marchand blanc". Une légende se rapportant à ce personnage dit que Hamdallah était un monarque cruel, un tyran. Son jeu préféré consistait à se faire attaché sur le dos d’un Hippotragus (ruminant sauvage) et de se faire entourer par ses sujets pour que l’animal sauvage qu’il avait fait capturer pour la circonstance ne s’évadât pas avec lui. Le pauvre animal se débattait jusqu’à l’épuisement à l’intérieur de la haie humaine et lorsqu’il s’écroulait, les sujets libéraient alors leur chef. Mais ces derniers, excédés par cette pratique insolite, se mirent un jour d’accord pour laisser une brèche afin que le tyran fût emporté sur sa monture. L’Hippotragus qui emporta donc Hamdallah dans la nature tomba d’épuisement et mourut. Des passants détachèrent le cruel chef du cadavre et l’emmenèrent chez eux. Hamdallah apprit la langue de ces gens, se maria à une de leurs filles et donna naissance à la tribu des Arabes Zaghawa que l’on trouve au Tchad. Sur la base de cette légende, il existe actuellement un pacte entre les Wéra et les Arabes Zaghawa qui se reconnaissent comme des gens liés par le sang.

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D’après le Malik Guerdi, les Wéra seraient partis de l’Ouest (?) et seraient passés par la Libye puis par l’Égypte avant d’atteindre la région d’El-Fascher où ils s’étaient installés en un lieu appelé Kobé, entre El-Fascher et Koutoum. Puis, petit à petit, les frères Borsou, Nawra, Wéra et Arna étaient arrivés au Koubé (Kobé des archives françaises) en un endroit du nom d’Ari-Sari-Mardi (littéralement : "la plaine des ânes qui y vont"), à l’Est de la colline de Tobouï. Les Nawra et les Arna étaient allés s’installer à Nanou par la suite, tandis que les Borsou s’installaient à Mani, au pied de la montagne de HàBougoudi. On raconte que les Toudoura étaient avec eux, mais certains disent que ces gens étaient déjà à Nanou (à Toudour) quand les quatre frères y étaient venus. Ces derniers qui étaient tous des fils de Soun-Têr, ne trouvèrent cependant aucune autorité sur place. Soun-Têr 1

2

3

4

(5)

Borsou238

Arna

Nawra

Wéra

Toudoura (?)

Les noms de tous les fils de Soun-Têr (exception faite de Borsou) proviennent des lieux qu’ils avaient initialement occupés : – Borsou vient de borousou [bɔrυ sυ] qui veut dire "l’homme aîné = l’aîné des hommes". Le grand-père des Borsou était en effet l’aîné des enfants de Soun-Têr ; il avait choisi de s’installer à Hàbira, à Hiri-Mara ; – Arna vient de Arni, lieu se trouvant à l’est de Serdêba ; – Nawra vient de Nanou (Nanou + ra > Nanoura > Nawra) ; – Wéra vient de Wê ; – Toudoura vient de Toudour, puits dans la région de Wê. La soumission au Roi du Ouaddaï était due à l’assassinat d’Obouroum, l’un des frères d’Ina Nourêne ; cet homme fut tué sur le chemin qui menait vers le Dar-For, alors qu’il était dépêché par son frère le chef de Wê pour porter un message au Roi afin de solliciter sa réconciliation car les deux chefs étaient en situation de belligérance : à l’époque d’Ina Nourêne, le Roi du Dar-For, Ali Dinar avait dévasté le 238

Borsou est un dérivé de « borou sou » qui signifie « homme aîné » ; Borsou était en effet l’aîné des quatre frères.

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territoire des Wéra, sans pouvoir obtenir sa soumission. Obouroum fut donc tué à Djebel-Si avant d’atteindre El-Fascher par des gens appelés Dourouk (?). Dans ces circonstances, Nourêne renonça de solliciter la réconciliation avec le Roi Ali Dinar et alla se mettre sous l’autorité du Roi du Ouaddaï. Avant cette époque, la chefferie de Wê était souveraine et ne dépendait d’aucun Roi. A la suite de l’assassinat de son frère, Nourêne envoya chez le Roi du Ouaddaï, pour lui proposer sa soumission, le nommé Téyani (Tiddjani), un homme du clan des Sârs, un homme rouge (blanc), grand et costaud mais pieux aussi239. A ces temps-là, le chemin menant au Ouaddaï était, non seulement peu connu, mais aussi périlleux, d’où le choix de cet homme pour accomplir cette mission. Téyani partit donc vers le Ouaddaï avec seulement un peu d’eau dans son ibirik pour faire les ablutions religieuses. Il allait de village en village, s’informant et se ravitaillant, jusqu’à ce qu’il arriva chez le Roi à qui il transmit la proposition d’Ina Nourêne. Mais le Roi exigea d’abord la présence de ce dernier en personne avant de se décider. Quand Nourêne se présenta au Roi, celui-ci accepta sa soumission et désigna une délégation qui devait le suivre jusqu’au Wê pour reconnaître et évaluer les lieux. Les gens du Ouaddaï qui ne connaissaient pas trop les montagnes dirent à Nourêne lorsqu’ils arrivèrent au Wê : "Mais ton pays est un karkour !" C’est de là que vient le nom de Karkour-Nourêne qui désigne actuellement la région de Wê. Quand Nourêne revint voir le Roi, celui-ci voulut le faire habiller en guise de reconnaissance mais Nourêne avait une très grosse tête qui ne passait pas à travers la fente du boubou, ce qui amena le Roi à le qualifier d’abou-ras avant de lui dire : – Voici des timbales, mais tu ne peux les avoir qu’après m’avoir remis un douane composé de dix chevaux, dont cinq blancs et cinq noirs. Tu laisseras les timbales ici et tu iras à Arada pour mettre une marque sur le teïra (Acacia albida). Alors, tout le territoire compris entre cet arbre et Karkour-Nourêne sera à toi. Nourêne arriva à Arada, mit une marque sur l’acacia et continua vers Karkour-Nourêne, lorsque, sur le chemin, il fut atteint de variole et mourut à Gourouf dans le village appelé Borgou, au pied de la colline (du côté ouest) se trouvant près du foyer actuel d’Aguid Moursal, 239

Il s’agissait du père du Khalifat Déréb, beau-père du Mogdoum Fadoul Kitir du Koubé.

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chef de canton de Gourouf. Son tombeau est actuellement considéré comme un goubba (lieu saint). Selon Guerdi, un tombeau est considéré comme goubba sur la base de trois critères : – 1. il ne pousse pas d’herbe sur ledit tombeau ni sur ses alentours ; tout cet espace se couvre de sable blanc avec le temps ; – 2. la distance entre les deux pierres tombales augmente énormément ; – 3. certaines personnes arrivent à y observer de la lumière. Au sommet des montagnes de Hà-Têr et de Obou-Siéri dans la région de Wê, on trouves des ruines où on observe des ossements humains et des poteries comme les petite poterie servant à contenir de l’eau, de la bière ou du beurre (mirgabour) ; on y observe aussi d’anciens puits. On dit que les habitants de ces lieux étaient d’abord des Toundjours240. Les montagnes de Wê sont des lieux mystérieux. Voici, par exemple, une histoire : Dans la montagne de Tênê-Biri (qui signifie "fille-bleue" en béria), il y avait un gouffre, un grand trou qui constituait jadis un lieu où on cachait un trésor. Il s’y trouvait des timbales, des tapis et d’autres objets royaux. Le trou était caché par un bloc de pierre qui bouchait complètement l’accès. Un jour, récemment au temps d’Ina Nourêne peut-être, un homme découvrit le trésor par un

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L’information historique relative à la présence des Toundjour au Dar Zaghawa a été mentionnée en 1951 par René Gros, administrateur adjoint de la F.O.M., dans son texte intitulé Histoire des Toundjour de Mondo (Kanem), in Les Arabes du Tchad (document de l’INSH, sans références bibliographiques) ; il écrivait ceci « La tradition place à l’ouest du Dar Kababich, l’apparition des Béni Hilal sous la conduite d’Abd el Médjid. Les Arabes y demeurèrent un certain temps, prenant contact avec les premiers noirs. Ceci n’est point surprenant car il semble que la limite de l’habitat des nègres sédentaires se portait très au nord de la ligne actuelle, il n’y a pas si longtemps. On retrouve en effet aujourd’hui sur l’ouadi D’Oum Chalouba et dans la trouée qui sépare l’Ennedi du Karkour-Nourêne des vestiges nombreux d’installations villageoises semblables à celles des sédentaires actuels (débris de poteries, mortier à mil, houes). Au centre de cette région, sur la colline qui domine au nord le puits actuel de Kourdé (l’orthographe exacte est plutôt Kourdi), dans le Zaghawa, s’élevait, selon la légende locale, la capitale des Toundjour, qu’ils devaient abandonner par la suite pour aller s’établir au Dar Four. Cette ancienne forteresse dénote, dans son organisation, une expérience militaire consommée. Le site est d’abord remarquablement choisi. Cette éminence aux longues pentes douces commande du nord au sud le couloir qui réunit le plateau d’Iriba à la dépression de Bir Bai (Bahaï ?) qui débouche sur la vallée de l’ouadi Howas … » (pp.272-273).

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concours de circonstances. Mais il n’en prit qu’une chaînette en or et alla la montrer au chef, en lui disant : – J’ai découvert un trésor. Si tu me donnes ta fille en mariage, je te montrerai l’emplacement de ce trésor. Le chef accepta le marché mais ses conseillers lui dirent : – Cet homme n’est qu’un sujet (miskin) ; tu n’as pas à lui donner ta fille pour cela, tu n’as qu’à le ligoter et le chicoter s’il refuse de t’indiquer le lieu du trésor. Alors le chef, obéissant aux conseils de ses notables, voulut agir de la sorte quand l’homme lui dit : – Attends un peu, il y a encore d’autres trésors que je connais ; donne-moi un peu de temps et je te les montrerai. Le chef lui donna un peu de temps, mais il alla jeter la chaînette dans le gouffre et jura de n’en plus rien montrer. Les gens se regroupèrent alors autour de la montagne et organisèrent vainement des recherches pour découvrir le fameux trésor. Ils y passèrent des jours et des nuits, fouillant et immolant des bœufs pour s’entretenir. Malheureusement, ils ne trouvèrent plus rien. Des trésors seraient toujours enfouis dans les montagnes de Wê. On dit que sur les montagnes de Wê, il y aussi d’autres choses extraordinaires : – des peintures rupestres dans les rochers de Kamsa et d’EguêlêKidi ; – des anciennes poteries de très grandes dimensions ; – des crânes d’homme, extrêmement gros aussi, dans des entassements de pierres ; – d’anciens puits que le vent avait découverts dans la région d’Assouguêye (dans le Wê toujours), – etc. Voici la version d’Abdoulaye Guerdi Moussa : Dans les anciens temps, le wadi de Wê était un très bon cours d’eau, avec de beaux arbres gigantesques et des djègui ; c’était une vraie forêt et si un être y pénétrait, il pourrait être totalement invisible. Mais c’était un wadi inhabité (mòw). Il y avait des animaux sauvages et les gens y venaient seulement pour chasser. Un jour, deux forgerons arrivèrent dans le wadi de Wê, à la poursuite d’une girafe. Ils purent y tuer l’animal en le forçant à se jeter dans une grande dépression de 272

falaise (ourou [ὺrύ]). Ils découpèrent leur gibier et vinrent camper sous un jujubier riverain où ils devaient couper la viande en lanière et la sécher. Ils virent alors, à leur droite, des oiseaux voltiger. L’un des chasseurs alla dans cette direction pour voir ce qu’il y avait ; il y découvrit alors une nappe d’eau (tubunu). Il revint en informer son compagnon et tous deux allèrent avec leur outre pour prendre de l’eau. Ils restèrent dans le camp sous le jujubier et finirent de sécher leur viande. Au moment de quitter, ils décidèrent d’aller encore à la nappe pour se provisionner en eau. Quand ils finirent de remplir leurs outres, l’un d’eux dit : – Oh, nappe d’eau ! Que tu as trop d’eau ! Je te demanderais, si jamais je revenais à toi, de me noyer dans tes eaux. Sur ce, les deux forgerons se chargèrent de leurs outres et revinrent vers le camp mais avant de l’atteindre, celui qui avait proféré des imprécations fit un faux pas et laissa tomber son outre qui se déchira, perdant toute son eau. Il était alors obligé de repartir à la nappe pour chercher de l’eau. Mais malheureusement pour lui, il glissa et tomba dans l’eau et se noya. Ainsi certains noms propres de Wê proviennent des événements pareils : – la région où on trouvait beaucoup d’eau et qui était qualifiée ainsi par le forgeron a pris le nom d’Eguêbê-Kidi (littéralement : « qui a beaucoup d’eau ») et le porte jusqu’à nos jours ; – le tubunu (nappe d’eau) qui n’a jamais tari jusqu’à nos jours (alimenté par une source et par les eaux des pluies) et dans lequel s’était noyé le forgeron porte désormais le nom de MaïKisseri (littéralement : « qui a mangé un forgeron » c’est-à-dire « où s’est noyé un forgeron ») ; – la dépression au pied de la falaise qui avait permis aux deux forgerons de coincer et de tuer la girafe était dénommée OuriOwré-Tíi (littéralement : « la girafe (y) est tombée ») ; – le jujubier sous lequel les chasseurs avaient établi leur camp, avait pris le nom de Maï-Keira (littéralement : « le jujubier du forgeron ».) Les Wéra se réclament d’origine arabe puisque leur ancêtre SounTêr était un Arabe kordofan (Soudan). Celui-ci venait donc de Kordofan, mais nous ne savons pas le village qu’il habitait là-bas précisément241. 241

Pour Abdoulaye Guerdi, Soun-Têr serait un Arabe Hamari qui avait quitté le Kordofan tout seul en portant ses effets sur le dos ; mais son père Guerdi Moussa

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Le tubunu de Maï-Kisseri se trouve sur une très haute montagne et on ne peut l’atteinte que par un seul passage, comme une case. Il a un comportement particulier vis-à-vis des choses qui lui appartiennent, les hommes, les animaux, les oiseaux. Les femmes des Wéra qui, elles-mêmes n’étaient pas de ce clan, étaient considérées comme ses brus (béri bàgu). Ses brus ne peuvent donc même pas boire de l’eau à ses abords ; pour le faire, elles doivent se mettre à l’abri de "son regard". Le tubunu de Maï-Kisseri refuse de noyer dans ses eaux un Wéra ou un de leurs consanguins. Même si une telle personne tombe dans cette nappe, celle-ci la projette au-dehors aussitôt. Une autre légende est celle qui croit à l’existence d’un tombeau de Prophète sur l’une des montagnes de Wê. Elle vient du fait que dans les anciens temps, quand les brus devaient aller le matin chercher de l’eau du tubunu, elles y apercevaient un homme habillé d’un blanc éclatant, en train de prier sur une natte. Mais à l’approche des femmes, l’étrange homme ramassait sa natte et descendait dans le tubunu pour leur permettre de prendre leur eau. Un jour, deux brus devaient y aller chercher de l’eau ; l’une d’elles dit à l’autre : – Cet homme doit être un saint, je vais lui apporter à manger. Et, régulièrement, elle préparait une bonne nourriture qu’elle posait sur la rive du tubunu ; elle revenait chercher ses ustensiles (écuelles, vans, etc. qui servaient à contenir la nourriture chez les Béri) une fois que l’homme eût mangé le contenu. Au bout d’un temps, l’autre bru voulut lui aussi donner de la nourriture à l’inconnu. Mais elle donnait seulement une polenta de mil non fermenté (boudougou) que l’homme ne touchait d’ailleurs pas. Les deux femmes continuaient cependant à déposer régulièrement leurs plats, jusqu’au moment où l’homme décida de récompenser l’une et de châtier l’autre. Il remplit les ustensiles de la première femme de pièces d’or et d’argent mais transforma par contre la seconde femme en un galet quand elle revint chercher ses ustensiles et ne la remit à sa forme normale que quand la première avait déjà gagné sa case avec ses biens. Après cela, on ne revit plus le mystérieux homme. C’est de là que vient la croyance populaire au Wê selon laquelle il y a un tombeau de Prophète sur la montagne de HiriIrgué. Ce lieu est le seul où les colons blancs n’avaient pas pu mettre pied. intervient pour le corriger en disant que Soun-Têr serait plutôt un Arabe Korobât ; c’est donc un Korôbî qui avait quitté le Kordofan pour venir jusqu’au Wê.

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Hiri-Irgué et Erguey sont sur l’Oussougey au Wê. Sur la montagne de Hiri-Irgué il y avait un foyer, un puits et une grotte (guiri). Quand les bergers y vont, ils y découvrent des bracelets en argent, des choses étranges qu’ils ramènent au village, mais quand les adultes y vont pour chercher ces chose-là, ils n’en trouvent plus rien. Nous n’avons pas vu les Toundjours mais on raconte que ce sont eux qui avaient fondé des foyers et creusé des puits (des puits forés dans la roche des montagnes) chez nous, au pays des Béri. Il semble que c’était des gens colossaux ; ce qu’un seul Toundjour pouvait soulever, aujourd’hui trois de nos hommes ne peuvent pas le faire. Les puits qu’ils avaient aménagés dans les montagnes en coupant la roche atteignent une profondeur trois fois supérieure à celle de nos puits actuels. Si on rencontre l’os d’un Toundjour, on le prendrait pour un os de tèguìri (grand mammifère comme l’éléphant, la girafe ou le chameau). Mais personne d’entre nous ne peut nous raconter avec précision aujourd’hui leur histoire. Seulement, ils avaient occupé le pays avant les Béri.

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CHAPITRE XX Histoire de l’Aguidat242 de Gourouf243

L’histoire est racontée par l’Aguid Adam-Moursal Abdoulaye comme suit : C’est à la suite de la mort de mon père que je suis devenu Aguid, son successeur, en 1973. L’Aguid Abdoulaye mon père avait été investi par les Français et avait dirigé le canton de Gourouf pendant quarante (40) ans ; mais lui, il n’avait pas hérité le pouvoir de son père. Il y avait au Gourouf un autre chef. A la mort de ce chef, le sultan avait placé quelqu’un pour assurer la succession. Mais ce successeur était un homme trop dur et le peuple l’avait rejeté. Il fut alors destitué au profit de mon père. Cet homme n’était pas du même clan que nous, il était un soumra. Les Soumra ou Soumoura étaient dans le pays avant nous, mais ils ne sont pas eux-mêmes d’ici ; ils viennent du Sud, du milieu des montagnes, bien qu’ils relèvent actuellement de l’autorité du Gourouf. Les Soumra aussi avaient pris le pouvoir d’autres gens. Chez nous, il n’y a pas de clan à qui appartient le pouvoir exclusivement comme par exemple au Koubé un sultan ou un Mogdoum ne pouvait être que du clan des Angou ; c’est maintenant qu’on voit apparaître des Mogdoum pris dans d’autres clans. L’exclusivité du trône est une disposition qui n’existe pas au Gourouf : si un Aguid est bon avec ses sujets, s’il est exemplaire, alors à sa mort, les gens peuvent choisir son fils pour le succéder si celui-ci est lui-même bon ; mais s’il est trop méchant, s’il vit en mauvais termes avec ses hommes, alors ceux-ci ne voudront pas de lui. C’est le choix du peuple qui passe au Gourouf. Mon père avait habité le même village que moi, le village d’Ebìrì. Et, après quarante années, quand mon père mourut à Biltine où je 242

Aguidat : C’est un fief commandé par un dignitaire appelé Aguide (de l’arabe qaïd "titre d’une hiérarchie dans l’administration du Sultanat des Béri". 243 Cette histoire est racontée par l’Aguid Adam-Moursal Abdoulaye Issaka, chef de canton de Guruf depuis 1973, âgé de 54 ans. Informations recueillies dans le village de l’Aguid le 05-11-2000.

l’avais amené à la suite d’une maladie qui l’avait terrassé et où il fut opéré, c’est aussi le peuple qui m’a choisi pour le succéder. Nous ne connaissons pas la signification de Gourouf, à part que ce mot désigne un territoire. Le clan de mon père est Erchira (ou Elichira ou encore Erichira.) Quant à savoir si les Erchira sont des autochtones ou des gens qui viennent d’ailleurs, j’ai appris de mes ancêtres que les Erchira étaient venus de Tunus-Al-Khadra (Tunis-la-Verte). De là-bas, ils étaient allés s’installer d’abord à Erchi où ils avaient tué un homme et d’où ils furent éparpillés à la suite de ce crime : les uns allèrent s’installer à Matadjané, d’autres à Dourêne et d’autres, mes ancêtres à Gourouf et enfin d’autres à Dourmoun, un peu en-deçà d’Arada. Je ne connais pas les gens qui étaient avant les Erchira ici. Tous ceux qui se trouvent actuellement ici, sont tous venus du Nord : les Dàrbàara sont venus de Dàrbàa, les Erchira d’Erchi et les Wéra de Wê. Je suppose qu’ils y avaient trouvé un territoire inhabité, ce sont eux qui avaient fondé les premiers villages. Tous ces gens n’étaient pas des frères quand ils venaient occuper le pays et ils y seraient sans doute venus séparément, mais dès leurs arrivées, ils s’étaient apparentés, en créant des alliances et en s’échangeant des filles. A l’époque, le pays connaissait une terrible misère et il y en avait qui mourraient mais ceux qui survivaient s’étaient mêlés par le procédés d’alliance et multipliés pour devenir nombreux à nos jours et pouvoir peupler tout le pays. Le pays était dans une totale insécurité dans les anciens temps. Et à l’instar d’autres chefferies comme le sultanat de Koubé et celui du Kabka, l’Aguidat du Gourouf avait son village (sa capitale) du nom de Bourkou au sommet de la colline qui avoisine le village d’Ebìrì. Les ruines du village de Bourkou sont actuellement observables sur la colline où il y avait aussi un puits. Mais ce puits ne donne plus d’eau qu’à certaines époques. Tout cela, c’était pour parer aux attaques de l’ennemi. Les Touba (Bidéyat) et les Goranes y venaient du Nord pour nous attaquer ; des Kinnine (Touaregs) venaient aussi jusqu’ici nous livrer la guerre. Donc, on gardait les enfants et les biens dans la montagne, on y aménageait des fortifications et on mettait des guerriers (vingt, trente, etc.) aux différents passages pour défendre le village en cas d’attaque. Quand les Français étaient venus, ils y avaient instauré la sécurité ; on quitta alors la montagne et chacun alla s’installer là où il voulait. Je ne sais pas précisément qui était le premier chef à avoir initié des fortifications sur la montagne, c’est l’œuvre des grandspères de nos grands-pères.

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LEXIQUE DES NOMS

Abdel-Qâdir : Un Halifé Angou-maïkassoura, allié de Haggar Térab dans le conflit qui l’opposa à Hirdi. Abderahman ibn Ôf : Compagnon du Prophète Mohammed S.A.S. Abderhamane-Charâra : Petit-frère du Sultan Adam des Bigui, il fut emporté par l’ennemi à Oum-Dourmane avec deux de ses frères. Ali Dinar les avait pris de là-bas pour les amener à El-Fascher. Il vivait dans la cour d’Ali Dinar lorsque celui-ci l’avait choisi comme Sultan à la place du Sultan Adam qui refusait de retourner à El-Fascher. Abderrahmane Haggar : Sultan des Zaghawa, successeur de son père Haggar qui était le premier sultan zaghawa investi par les Français après avoir éliminé le sultan Hirdi à Tiné en 1912. Il mourut en 1992 à Iriba, nouvelle capitale du Dar-Zaghawa construite en remplacement de Mordou abandonnée à cause du manque d’eau. Abderrahmane Hirdi : Sultan des Zaghawa, éliminé par Haggar avec les colons français, à Tiné en 1912. Abderrahmane Sordo : Fils et successeur du Mogdoum Sordo. Abderrahmane-Tébess : Cinquième fils de Hilane, ancêtre des Angou tobouïra. Abderrahmane Fertit : Appellation coloniale d’Abderrahmane Hirdi. Abdoulaye Borou : Ancêtre de tous les Angou. Abdoulaye Djoungui : Fils du prince Borgou fils du sultan Hirdi. Abdoulaye Guerdi : Fils de Guerdi Moussa, chef de canton de Wê. Abdoulaye ou Aguid Abdoulaye : Chef de canton de Gourouf, investi à la suite de mort de son père en 1973. Abdoulaye Sabre : Nom du Sultan des Bigui, successeur du Sultan Ibrahim Konou.

Abel-Châfi : Un Halifé ayant commandé les troupes de Hirdi face à Irâkib et aux Arabes dirigés par Nour-Angara. Abiat : Lieu au-delà de Fascher où s’était installé Ibrahim-Fardâni avant d’arriver à Kabka. Abit Ahmat : Nom du Sultan des Zaghawa, fils d’Ahmat et quatrième descendant de Tâ. Abit ou Halifé Abit : Fils du frère de Hirdi, il était khalifat de Borgou Hirdi lorsque celui-ci entra en dissidence contre son père ; il prit alors la direction de cette rébellion contre son oncle. Abnabak : Nom de la région au sud de Hiriba. Abou Ghazali : Nom de l’un des Rois de l’Ouaddaï. Abou-Bakr : Nom du premier Khalifat du Prophète Mohammed S.A.S. Abou-Djouma : Nom du frère du prince Borgou. Abou-Douwân : Nom du plus vieux des Béri qui se trouvait à Wê à qui Hirdi demanda conseil après son investiture. Abougoun : Nom d’une colline dans le Dar-Zaghawa. Aboul-Khêrât : Nom de l’un des rois des Fors. Aboullé : Nom de l’un des sous-clans des Hourêra, descendant des Fors. Abou-Oubéida : Nom de l’un des Compagnons du Prophète Mohammed S.A.S. Abou-Ras : Surnom que le Roi du Ouaddaï donna à Nourêne le chef de Wê lorsqu’il voulut le faire habiller en guise de reconnaissance pour s’être soumis à lui et que, Nourêne ayant une très grosse tête, celle-ci ne passait pas à travers la fente du boubou. Abourira ou Abouré : Terme dérivé d’Abouri ; il désigne l’un des clans des Borogat. Abraham Hourgui : L’un des Kouma à assurer la direction de la fraction qui regroupait les Kouma et les Maga dans l’Ennedi-est. Abram Arda-Châm : Fils du Sultan Abdel-Fagara, neveu et successeur d’Irâkib. Ab-Sakkine : Neveu de Haggar Térab, il est un fils du Mogdoum Kérim Gobaye. Abta : Un Kirêgou cousin au Sultan Horout et qui prit la fuite lors de l’attaque des Arabes où Horout perdit la vie.

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Ab-talâta : Type de fusils que le Sultan Tadjaddine avait pris des colons français Achi ou Assi : Nom d’une région du pays des Borogat, habitée par le clan des Achira. Achi : Terme gorane qui veut dire "chanceux", et qui aurait désigné dans les anciens temps un chef temporaire choisi par des clans nomades dont les Sara, afin de gérer les emplacements et les pâturages dès que ces nomades s’installaient quelque part. Il gérait également les cérémonies rituelles lors de certaines circonstances. Achira ou Assira : Expression qui signifie "habitant d’Achi ; nom du clan des Borogat, habitant la région d’Achi ou Assi. Açyl ou Açyl Abou Koyôma : Frère de Doud Mourra avec qui il se brouilla. Il alla chercher les Français pour combattre son frère et le remplacer au trône. Adam (sultan) : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Hassan. Adam Ibêda : Fils et successeur d’Ibêda, mais destitué en 1948 à la suite d’une faute qu’il avait commise. Adam Moustapha Dodoby : Un Kouma à la tête du canton Kouma Nomade de l’Ennedi. Adam Roudjâl : L’une des personnalités que le Roi Ali Dinar avait choisies pour conduire Borgou auprès de son père afin de les réconcilier. Adam Saboun : Nom de l’un des sultans des Bigui. Adam Tâ : Fils de Tâ, il est l’aîné et le successeur d’Edim-Bournous. Adam-Moursal Abdoulaye : Aguid du Gourouf, chef de canton de Gourouf depuis la mort de son père en 1973. Adawi : Nom d’une tribu arabe. Adiguiri : Fils du sultan Abdel-Fagara tué par Hirdi à Maïba. Adoum Roudjal : Chef des bandes d’Ali Dinar qui envahirent le Kobé en 1907. Agaba : Nom de l’un des quatre fils de Mahamat-Kano ou Mahamat-Borno, savant musulman, ancêtre des Achira. Aguid Mahâmids : Dignitaire et chef de guerre du Roi du Ouaddaï, il chassa Hirdi du Ouaddaï en 1908. Aguid : Comme le Mogdoum et le Malik, ce terme désigne un titre de dignitaire au Koubé. L’Aguid est un commandant des troupes royales au Ouaddaï.

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Aguidat : Organisation politico-administrative et militaire commandée par un Aguid. Ahmat Al-Nour : Fils et successeur d’Erus ou de Salâma-Erus des Bigui. Ahmat Bari-Badjouri : Fils de Bari-Djouri, troisième descendant de Tâ. Ahmat Hirdi ou Khalifat Ahmat : Fils et khalifat du Sultan Hirdi et frère du futur Sultan Dawsa, il mourut à la bataille contre le Malik de Dirong. Selon certaines informations, aîné des enfants de Hirdi donc héritier du trône, il fut tué par des Ouaddaïens au cours d’une échauffourée, ce qui avait conduit le sultan Hirdi à se tourner vers le Dar-For et se rallier à Ali Dinar. Ahmat Koundjâri : Savant à la cause de l’Islam, il est le grand-père d’Ali Dinar ; il avait, selon l’informateur, quitté l’Arabie Saoudite sur instruction du Prophète et s’était installé à El-Fascher au Soudan. Ahmat Oùr : Nom de l’un des Sultans des Bigui. Ahmat-Djô ou Ina Ahmat-Djô : Chef de guerre du Sultan Hirdi. Aïri : Nom propre d’une dune de Wê où l’érosion et le vent ont découvert d’anciens puits. Ali (Elichera) : Petit-fils de Mahamat Al-Sounni et grand-père de Yacoub Annour, ancêtre des Elichera. Ali (ibn Abi Tâlib) : Nom du quatrième Khalifat du Prophète Mohammed S.A.S. Ali (Khalifat Ali) : Nom d’un éclaireur de Haggar lors des préparatifs pour attaquer, avec les Français, Hirdi à Tiné afin de l’éliminer. Ali (Mogdoum Ali) : Nom d’un Mogdoum du clan des Angou ina- kaïra. Ali (Wégui Ali) : Nom d’un wégui faisant partie de la troupe de Hirdi et qui fut tué à la bataille de Kabka. Ali Abou-Charfa : Nom d’un Angou tobouïra qui brisa les bras de Hirdi à la bataille de Tiné pour s’emparer de son tapis et de ses talismans. Ali Déless ou Ina Ali Déless : Nom du chef des Borsou au moment où Alli fut accusé d’adultère. Ali Dinar : Nom du Roi du Dar-For éliminé par les Anglais en 1915. Ali Djâbis ou Ali Yâbis : Nom du quatrième fils de Hilane, ancêtre des Angou téribéra. Ali Hissein Khamis (dit Tinimi) : Un Kouma à la tête du canton Kouma de Fada. Ali Kidigari-Diri : Nom d’un Mogdoum angou à l’époque de Haggar.

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Ali Ossou (Mogdoum) : Nom du Mogdoum, fils du Mogdoum Ossou. Âlim : Terme arabe qui signifie savant. Al-Kôri : Nom du quatrième chef dans la généalogie des chefs Gâra. Alli : Nom d’un homme du clan des Erdié qui était accusé d’adultère avec la femme d’un Borsou nommé Hâchim Gnâgnouri ; il fut la cause de la dissension dans la famille de Hirdi occasionnant l’arrivée des colons français. Ambaya : Instrument de musique ; il s’agit peut-être du hautbois. Ambourou ou Dar-Touer : Pays de l’une des fractions des Zaghawa se trouvant dans le Dar-For. Am-Djares : Nom d’une région de l’Ennedi. Amîne : Terme arabe désignant une personne de confiance et de confidence. L’amine est le bras droit du sultan et son fidèle serviteur ; il reste toujours près de lui et lui sert de confident, il garde correctement ses biens et ne divulgue pas ses secrets. Âmir ibn Djarrah : Nom de l’un des Compagnons du Prophète Mohammed S.A.S. Ammo Charfié : Femme de Haggar au moment de sa prétention au trône et de sa dissidence au pouvoir de Hirdi. Amoun-Al-Ka’ab : Nom de l’arabe Khouzam ancêtre des Bigui. Angou maïkassoura : Sous-clan des Angou. Angou : Clan royal chez les Zaghawa du Koubé. Anka ou Dar-Béïri : L’une des régions occupée par la fraction des Zaghawa se trouvant au Dar-For. Annakaza : Portion des Gorane avec lesquels vivent des Sara descendants de Derdémi Kirdi. Ansâr : Guerriers au Soudan au temps du Sultan Abdel-Fagara. Arabe Irêgat : Nom d’une tribu arabe de laquelle descendent les Bichera. Arabes ben Abbass : Arabes dont l’ancêtre est Abbass, oncle du Prophète S.A.S Arabes Khouzam (ou Khouzam) : Les Bigui disent qu’ils sont des arabes Khouzam originaires de Hidjâz. Arabes Kowré : Arabes nomades venant du sud, au-delà de Séira ; ils avaient livré la guerre aux Bigui à l’époque du Sultan Tom.

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Arabes Mahâmids : Tribu arabe dont des membres avaient conduit Abdelkérim de Koufra à Ouara. Arabes Mourdia : Nom d’une tribu arabe habitant la région de Mourdia. Arabes Nadja’a : Arabes qui seraient de même origine que les Kouma. Arada : Région dont la capitale se trouve à près de 40 kms au nord de Biltine, lieu où le sultan Nourêne devait aller mettre une marque sur l’Acacia albida sur ordre du Roi du Ouaddaï, pour que tout le territoire compris entre cet arbre et Karkour-Nourêne revienne à lui, Nourêne. Aramara : En béria, terme qui désigne toute personne qui ne parle pas le béria et particulièrement les Arabes. Araw : Terme qui désigne en béria l’arabe. Arbá akira : Expression empruntée à l’arabe arbi’a akhîra (‫ )اربأ أخيرة‬qui signifie le "dernier mercredi" (il s’agit du dernier mercredi du mois). Arbedjek : Nom d’une région du Dar-Zaghawa. Archebo Chérif : Fils unique de Cherif Mahamat Al-Sounni, ancêtre des Kouma. Arda-Châm: Nom de l’un des Sultans des Zaghawa. Il était un rival de Hirdi et celui-ci le tua à la bataille de Djoura-Mogounous. Ard-Al-Fâs : Nom de Fez, au Maroc. Ari [àrί] : Nom d’une femme du clan des Nawra, épouse de Koré et marâtre de Tâ ; c’est elle qui avait conduit Tâ dans le palais royal au Dar-For. On l’avait prise d’abord pour stérile mais lorsqu’elle se remaria avec Abderrahmane-Tébess, elle fut enceinte et donna d’abord naissance au future Sultan Néï, puis à une fille du nom de Houra-Héï. Aria Sougou (sultan) : Nom d’un fils de Sougou, il fut un Sultan Zaghawa contre lequel les filles et les garçons s’étaient révoltés pour sa rigueur religieuse ; il fut destitué par le Roi du Dar-For. Arial Kèï : Mare où un guet-apens fut tendu en tenant en laisse Arial, le cheval du Sultan. Arial : Nom donné au cheval de l’un des Sultans du Dar-Zaghawa, à cause de la couleur de sa robe et à cause de sa rapidité dans la course. Ari-Sari-Mardi : Nom d’un lieu dans le Karkour-Nourêne où se seraient installés les frères Borsou, Nawra, Wéra et Arna à leur arrivée dans le DarZaghawa. Arna : Nom d’un des clans des Zaghawa. Ce nom provient d’Arni, lieu se trouvant à l’est de Serdêba.

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Arni-Dobouzêne : Nom du clan né du mariage d’un homme Tchika à une fille Erdibéra. Aroïra ou Ourouïra : Nom d’un clan Borogat. Assalia : Groupe constituant un clan d’Annakaza de Djourab. Assâr : Nom du fils de Dawsou, un Angou-maïkassoura. Assip : Nom du fils d’Ina Bougous, il était un Borsou qui avait trahi le Sultan Hirdi alors que celui-ci, appuyé par une troupe d’Ali Dinar, menait à partir d’El-Fascher une campagne contre les hommes de Haggar. Il fut décapité par Borgou fils de Hirdi, en guise de vengeance. Assouguêye : Nom de la région de Wê où se trouvent d’anciens puits que le vent avait découverts. Assouïré : Nom d’une région dans le terroir des Gâra. Atteïb : Nom de l’un des chefs des Touer. Awaré (Gowout) : Nom du cousin germain de Djadallah. Gowout signifie "chamelon" en arabe ; il s’agit d’un sobriquet qualifiant Awaré qui n’avait cesse de manger les chamelons des autres. Awaré : L’un des antagonistes de Hirdi tués à Djoura-Mogounous aux côtés d’Arda-Châm. Awga : Nom de la montagne située entre Mordou et Wê, où Hirdi, chassé par Irâb aussitôt après son investiture à la mort d’Abdel-Fagara, vint se réfugier. Awni-Ha : Nom d’une colline dans le terroir des Gâra. Awré : Nom du premier chef dans la généalogie des chefs Gâra. Bàbàa : Nom d’une localité de Kabka. Badergeï (ou ba-dergueï) : Bien donné en réparation d’une offense ou de tout forfait afin d’éviter que la victime ou les siens ne se vengent. Il s’élève à un dromadaire dans le cas d’adultère. Bahar Bouder : Nom d’un Angou kourgoura, allié de Haggar Térab dans le conflit qui opposa ce dernier à Hirdi. Bahar Hassaballah : Homme du clan d’Oroubira chargé d’évaluer le douane et de se prononcer sur sa validité lors de l’investiture du Mogdoum Fadoul Kitir. Baharaddine : Nom du fils du sultan Abakar, il prit la succession de Tadjaddine tué dans la guerre contre les colons français. Bahat ou Bakhat : Nom du Sultan des Bigui, successeur du Sultan Tom.

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Bokhit : Nom du fils et successeur du Sultan Abderrahmane Haggar. Il fut destitué en 2013 par Décret présidentiel au profit de son demi-frère TahirMansour Abderrahmane. Baladîya : Terme arabe qui désigne la commune. Ballu : Nom de la localité du Dar-Zaghawa se trouvant à l’est de Kouba. Bardi : Nom du lieu se trouvant près de Koulbous. Bàri : Nom du Sultan des Bigui, fondateur du foyer de Sàssaw où il était mort et enterré. C’est lui qui était à la tête des Bigui à l’arrivée des colons français. Il fut investi par les Français à la place de Nourêne. Barogey [barɔgɛι] : Nom de l’un des deux jumeaux ayant donné naissance au clan des Sars actuels. Barô-tarkû : Nom d’une marque clanique des Kouriara et Makalla. Ba-Siguèri ou Baskèri : Terme qui signifie "qui appartient à Siguèri" et qui désigne une région de l’Ennedi. Bassiro : Nom de la princesse, fille d’un Sultan du Koubé. Baya-Séri : Nom du premier foyer que l’ancêtre des Siguéïra fonda. Béchir (sultan) : Nom du Sultan des Bigui, successeur du Sultan Garang. Béchir : Fils d’El-Ka’ab, il fonda son foyer à Kôrnôssy, au nord de Kouba avant de partir vers le Dar-For où il s’installa d’abord à Sàssàa, pour éviter d’être capturer par les Ouaddaïens. Béi : Selon le Sultan Hassan des Bigui, Béi n’a pas pour père Salâmi comme cela a été mentionné dans certains ouvrages, mais il est le fils de Djérit. Béi-Ba : Nom de la localité de Kabka où s’installa Ibrahim-Fardâni lors de son arrivée dans la région et où il fonda son premier foyer. Beida : Nom de l’une des deux timbales qu’originellement le sultan Tâ avait reçues du Roi du Dar-For lors de son investiture. Béni Hilal : Nom de l’une des tribus arabes. Berdeï Terkio ou Berdeï Terguiyo : Descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira, ancien Chef de canton des Achira, il fut destitué au profit de Tolli Lougouma. Bêrêm-Hourda : Nom du foyer qui se trouve à Kirégouï. Béri ou Béri, Béli ou encore Biri : Communauté linguistique et culturelle vivant aux confins des deux Républiques (le Tchad et le Soudan). Béria : Langue des Béri.

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Béribé : Nom du pays des Béri. Bi-agawar : Signifie littéralement "le versement de l’eau" ; il s’agit d’une cérémonie rituelle de déprécation et de bénédiction qui se pratique chez les Béri lors de certaines circonstances. Bichara : Nom du père d’Abderrahmane Hirdi sultan des Zaghawa à l’arrivée des colons français. Bichara-Miné : Nom du fils de Hassan et arrière-fils du sultan Tâ (voir ce nom). Bichégué ou Bachigué : Cours d’eau se trouvant entre deux montagnes, à près de quatre kilomètres au sud-est de Fada. Bichera : Nom d’un clan des Borogat. Bichéra-Manda : Nom du lieu à Oundouï que le chef des Guirikoullé avait donné à l’arabe Irêgat qui venait du sud. Bidéyat : Nom donné aux membres de l’une des fractions des Béri vivant dans l’Ennedi. Bidéye : Expression qui fait son pluriel en Bidéyat lequel dériverait probablement du mot arabe badawi qui signifie "campagnard, paysan". Bigui : Nom du clan qui fournissait des Sultans au Kabka, comme celui des Angou fournissait des Sultans et des Mogdoum au Koubé. Bi-Ki : Nom d’un clan descendant de l’ancêtre des Siguéïra du nom de KawTéïri. Bilia ou Birié : Nom du territoire constituant le terroir des Biliala ou Biriéra. Biliala ou Biriéra : Nom de l’une des deux fractions des Bidéyat. Binnêra-Màda : Expression qui signifie "Binnêra blanc" ; nom de l’un des deux enfants qui avait un teint clair ; il était né de la Djinnaï et est l’un des ancêtres des Oundjou actuels. Binnêra-Yaská : Expression qui signifie "Binnêra noir" ; nom de l’un des deux enfants qui était de teint sombre ; il était né de la Djinnaï et est l’un des ancêtres des Oundjou actuels. Bir Bai ou Bir Haï : Transcription par René Gros de Bahaï qui est une région de l’Ennedi. Bir Nésoan ou Bir-Niswâne : Nom de la localité où fut né le Sultan des Bigui, Hassan Borgou, et du village se trouvant à la frontière du pays des Tama, fondé en 1913. Biressa (ou Birassa) : L’un des clans formant, avec les Kilignan, Guirkoullé et Darbara, une branche des Annakaza.

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Biri [bιrι]: Nom donné par les Zaghawa aux Guimirs qui sont connus aussi sous le nom de Mowra. Bìrì : Marque clanique propre aux Bollou. Les Sars le mettent aussi sur leurs dromadaires comme marque de leur midabou (ami ou allié). Birré : Nom de l’arabe, ancêtre des Bichera. Biyé : Expression qui signifie en béria "Maison" ; le biyé du Sultan est constitué par la reine et son clan ; il y a donc autant de biyé que de reines ou femmes du sultan. Biyébour : Expression qui signifie "enfants de la maison" et qui désigne les serviteurs. Bodou : Expression qui dériverait du mot arabe badawi qui signifierait "campagnard, paysan". Boï-Séri : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Boït : Nom de l’un des quatre fils de Dêri-Berdo, il fut le septième chef des Achira. Bollou : Gens qui seraient de la même lignée que les Sara. Bollou constituent aujourd’hui un clan chez les Annakaza du Borkou. Bollou-Êkêgnê [bollu-εkεɲε] : Sous-clan des Bollou vivant actuellement à Djourab. Boloua : Nom du savant qui avait, selon l’informateur, quitté l’Arabie Saoudite sur instruction du Prophète et s’était installé chez les Bornou du Nigéria pour propager l’Islam. Boloul (sultan) : Nom du Sultan des Bigui, successeur du Sultan MahamatDèrèt. Borbodia : Nom d’un clan des Borogat. Borgo : Autre nom donné aux Ouaddaïens par les Zaghawa. Borgo Hassan (sultan) : Nom du Sultan des Bigui de 1895 à 1914, période du conflit entre Hirdi et Haggar. Borgou (prince) : Nom du prince fils de Hirdi, demi-frère et aîné de Dawsa qui se brouilla avec son père et fut la cause de l’arrivée des colons français dans le pays des Zaghawa. Borgou (sultan) : Nom du Sultan de Kabka, successeur du Sultan Hassan Dowgui. Borgou (sultan): Nom du Sultan des Bigui, successeur de Nourêne, mort à Bir-Niswâne de mort naturelle.

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Borgou : Nom du village de Gourouf où le chef de Wê Nourêne fut atteint de maladie et mourut. Bôrî : Nom d’une marque clanique des Toudjoumé et Gueïra. Bori-Mèrèt-Bèrè : Nom donné à l’époque d’une grande épidémie où beaucoup de Zaghawa dont le Sultan Abdel-Fagara, périrent. Borno State : Région du Nigéria faisant frontière avec le Tchad. Bornou : Communauté linguistique et culturelle vivant au Tchad, au Nigéria et dans d’autres pays africains. Borogat : Borogat dont le singulier est Borogué, désigne les membres de l’une des deux fractions des Béri qui composent les Bidéyat. Borogué (le pluriel est Borogat) : Fraction des Bidéyat. Borondjô : Nom d’un clan descendant de Touré-Têr. Borou-Tinni : Nom donné à un lieu se trouvant du côté ouest sur le wadi de Siguiba. Borsou : Nom d’un des clans du Koubé ; borsou est un dérivé de borou sou qui signifie "homme aîné ou l’ainé des hommes" : appelation des Borsou qui constituaient l’un des quatre frères qui arrivèrent au Dar-Zaghawa. Bougour-Sirâm (prince) : Nom de l’un des fils de Néï Sultan du Koubé. Bourkou : Nom d’un village de l’Aguid du Gourouf qui, jadis, se trouvait au sommet de la colline qui avoisine le village d’Ebìrì. Bouroullé : Nom d’un sous-clan des Hourêra. Bouyé : Nom d’un chef des Elichera qui décida de remettre le pouvoir à son petit-fils Bollou, fils d’Oumar Toundjour (de la communauté des Gaéda) qui le garda jusqu’à nos jours. Bowê : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Bôya: Nom d’un descendant de l’ancêtre des Siguéïra, Kaw-Téïri. Chapelet : Confection en perles faites en corne de bélier que le Roi des Kora offrit à Koré comme symbole du pouvoir. Charfaddine Mahamat-Chérif : Nom du fils aîné du sultan des Bigui Mahamat-Chérif et frère du Sultan Ibrahim, il s’était enfui avec les troupeaux quand il apprit que c’était le benjamin des frères (Ibrahim) que le Roi venait d’introniser. Chartaye : Titre de chefferie au Soudan. Cheikh : Titre équivalent de Mogdoum chez les Soudanais.

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Cheikh Tâhir ; Nom du premier Angou à porter le titre de Cheikh au Soudan. Ce titre est d’une introduction récente au Koubé et l’appellation de Cheikh même vient d’être remplacée actuellement, au Soudan, par celle d’Oumda qui existait déjà chez les Touer. Chêkê : L’un des fils de Togouro, il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Chério : Nom du lieu que Nahar, ancêtre des Oundjou, avait choisi pour s’installer en arrivant du pays des Borno Chili (non loin d’Innou) : lieu où le Cheikh Waldam-Sawda a été assassiné par ceux qui ne voulaient pas payer la dîme et où se trouve toujours sa tombe. Dabou : Nom de la fille de l’Erdibéra, donnée en mariage à un fils de DerdéMarrou, ce qui donna naissance au clan des Arni-Dobouzêne. Dadjo : Nom de la communauté linguistique et culturelle se trouvant actuellement dans le Dar-Sila et une partie enclavée dans le Guéra. Daggas : Prononciation locale de daggach qui veut dire en arabe dialectal "qui écroule tout sur son passage". Ce surnom est donné à Haggar, l’un des Sultan des Zaghawa, à cause de sa force physique, son courage et sa témérité. Dahaba : Nom de la femme de Hirdi et fille de Mogori, un Angou tobouïra proche de Haggar. Daldoum Hirdi ou Ismaïn Daldoum Hirdi : Nom de l’un des fils de Hirdi qui se battit contre les Ouaddaïens auprès de son frère Ahmat ; Il fut tué par ces Ouaddaïens. Dar Kababich : Nom d’une région du Soudan. Darba : Nom du lieu d’où seraient venus les Darbara. Darba : Nom du village où Mahamat-Kano arriva avec ses quatre enfants. Darbara : L’un des clans formant, avec les Biressa, Guirkoullé et Kilignan, une branche des Annakaza. Darbara : Nom du clan au Gourouf qui serait venu de Darba. Dar-Bidéyat : Expression qui désigne le pays des Bidéyat. Dardar : Nom d’un homme du clan des Baïra qui était un ami d’enfance de Hirdi. Darfour ou Darfour ou Dar-For : Expression qui désigne la région du Soudan qui, jadis, constituait le Royaume du Dar-For, et où vivent actuellement une portion des Sars sous l’appellation de Wégui Oulagui.

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Dar-Guimirs : Expression qui désigne le pays des Guimirs. Darkio : Nom du sixième chef des Achira, il est l’un des quatre fils de DêriBerdo. Dar-Kora : Expression qui désigne le pays des Kora (Fors). Dar-Massalit : Nom du pays des Massalit. Dar-Sila : Expression qui désigne le pays des Dadjo. Dar-Tama : Expression qui désigne le pays des Tama, une communauté qui fait frontière avec les Zaghawa du côté sud. Dar-Touer : Expression qui désigne le pays des Touer, une fraction des Béri vivant dans le Dar-For. Dar-Zaghawa : Expression qui désigne le pays des Zaghawa. Daw-Bouïgué : Nom du successeur de Mogorolla, chef de Wê. Dawsa Hirdi : Nom du fils et successeur du Sultan des Zaghawa du Soudan, Abderrahmane Hirdi ; il était mort dans sa ville de Tiné, du côté soudanais. Dawsou : Nom du fils d’Abdel-Guâdir, un Angou-maïkassoura. Dày : Fille du Sultan Djamous des Bigui, elle était mariée à Ichi et eut de lui Hilane et Déritébigué l’ancêtre des Angou-maïkassoura. Daza Ourta : Portion des Daza (partie des Goranes) qui auraient la même origine que les Kouma Dazaga : Langue des Daza, fraction de la communauté connue sous le nom de Gorane. Dédé : Nom du Savant qui avait, selon l’informateur, quitté l’Arabie Saoudite sur instruction du Prophète ; il s’était installé au Sénégal pour propager l’Islam. Déguéré : Nom du neveu du Sultan Haggar. Dembé : Nom du lieu où Abdelkérim choisit d’installer son mésik et commencer d’enseigner le Coran. Déni-Bé : Nom d’une grotte au pays des Kouriara. Derdê-Marou : Nom du Tchika que l’ancêtre des Siguéïra rencontra dans sa conquête du territoire. Dèrèt-Tèbiy : Nom de la ruisselle dans laquelle Mahamat-Dèrèt fut capturé (un peu à l’est du foyer de Bàri) et qui avait pris depuis lors le nom de DèrètTèbiy. Déri : Nom d’une région dans le terroir des Gâra

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Dêri-Berdo : Nom de l’un des deux fils d’Ina-Mini ou Dêri-Mini, quatrième chef des Achira. Dêri-Bergo : Nom de l’ainé des trois enfants de Haroun qui est un Houbaïra de Nyala du Soudan. Dêri-Bergo avait fondé son foyer à How. Dêri-Mêdêrê : Fils et successeur de Houkka-Mina, deuxième chef des Achira. Dêri-Outougué : Nom du second des trois enfants de Haroun qui est un Houbaïra de Nyala du Soudan. Dêri-Outougué avait fondé son foyer à Kiyari. Déritébigué : Nom du frère de Hilane, ancêtre des Angou maïkassoura. Der-Kouwa : Nom d’un Tagnaw du Koubé. Derviches : Titre de dignitaire au Soudan. Diga : Appellation que les Zaghawa donnaient à un administrateur colonial. Diguêne : Nom de l’un des fils du savant musulman appelé Mahamat-Kano, ancêtre des Ina-Diguêne chez les Touer du Dar-For. Digui-Dêk : Nom d’un dignitaire accompagnant Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français. Digui-Now ("Mauvaise-Famine" ou "grande famine") : Nom de l’époque de la grande famine où beaucoup de Zaghawa périrent. Diguiré : Nom du clan de Mogdoum Youssouf, chef à qui Hirdi envoya une de ses filles, lui proposant de la marier. Diguiri : Nom d’un Kirêgou, cousin au Sultan Horout et qui prit la fuite lors de l’attaque des Arabe qui avait coûté la vie à Horout. Di-Kawra : Nom d’un clan descendant de l’ancêtre des Siguéïra du nom de Kaw-Téïri. Diminit : Expression qui désigne le bracelet que le Roi des Fors donnait aux chefs qui recevaient de lui leur investiture. Dimisi : Nom d’un village non loin d’Iriba. Dinguer : Expression qui désigne un gros tambour en bois de Commiphora servant, chez les Mogdoum et les Malik du Dar-Zaghawa, d’instrument de résonnance. Diridiring : L’une des marques claniques que les Sars et leurs apparentés mettent sur leurs dromadaires. Ce terme se décompose comme suit : dιrι signifiant "pouvoir" et diring voulant dire "sois digne !". Donc diridiring signifie "sois digne du pouvoir !".

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Dirong ou Dourêne : Nom de la région à l’ouest du Dar-Zaghawa. Dirongda : Expression qui désigne les habitants de Dirong ou Dourêne. Dirri : Nom d’une dune chez les Siguéïra. Disso : Expression qui désigne les fortifications sur la montagne de Kapka réalisées par le sultan Salâmi. Diya : Expression qui désigne les biens que les parents d’un assassin donnent aux parents de la victime : le diya est composée ou évaluée à 100 dromadaires d’âges différents. Djabal-at-Aloung : Nom de la localité se trouvant au nord de Koursigué dans le Dar-Tama où le Khalife Abit choisit de s’installer après avoir été trahi par les siens dont Haggar et où il mourut. Djabaratang : Nom du lieu où le Khalifa Abit et le Sultan Haggar se sont affrontés. Djabel-Si : Nom du lieu où le frère de Nourêne, chef de Wê, fut assassiné par des gens appelés Dourouk (?) alors qu’il était porteur d’un message de son frère au Roi Ali Dinar du Dar-For, lui sollicitant la réconciliation. Djadallah Horout : Nom du fils du sultan Horout, frère du Sultan Haggar et khalife de son père. Djagaraba : Nom de la localité dans le Dar-Zaghawa. Djaïri Abu-Oumar : Commandant des Goranes qui attaquèrent Hirdi aux côtés du Malik de Dirong. Djâmane : Chef de Wê, successeur de Targari. Djamous : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Boloul. Djâr : Sultan à la tête des Biri (Guimirs) au moment où Haggar se rendit à Sendi. Djarda-Bêri [jàrda-br] : Expression qui signifie "fils de fourmis" : djàrda veut dire "fourmis" et béri signifie "fils de". Djarda-béri est le nom d’un clan descendant de Tourê-Têr qui serait né infirme, incapable de marcher. Djassa : Nom de l’une des femmes de Haggar Térab et mère d’Abbo Bahar Haggar au moment de sa prétention au trône. Djebel Kabka : Expression qui désigne la montagne de Kabka. Djébiri : Nom d’une colline. Djeïra : Nom de l’un des sous-clans des Angou. Djemen-Kêrêrê : Nom de la montagne qui se trouverait loin du Dar-Zaghawa et où Irâb serait mort.

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Djéri : Nom de la localité du Dar-Zaghawa où se trouve le tombeau du Sultan Edim. Djérit : Selon le Sultan Hassan, Djérit n’a pas pour père Erus comme cela a été mentionné dans certains ouvrages, mais il est le fils de Béchir. Djibirit : Nom d’un lieu qui se trouve à côté de la dune appelée BorouTinni. Djibirit-Kèi : Nom d’une mare dans la région de Djibirit où les gens du Sultan Tom avaient pris position pour faire face aux Arabes Kowré. Djihad : Terme arabe qui désigne la guerre sainte chez les Musulmans. Djinnaï ou djinna : Féminin de djin ; dans la religion musulmane, les djins sont des êtres invisibles aux hommes, mâles et femelles, capables d’actions extraordinaires. Djirdjir : Nom du lieu où Doud Mourra et le Sultan Tadjaddine livrèrent combat aux colons français. Djit ou Djit-Badjouï : Nom du grand-père du sultan Haggar Térab. Djôk : Nom des habits que le Roi Ali Dinar envoya aux princes Borgou, Fâchir et Dawsa pour avoir choisi de se soumettre à lui. Djorio : Nom d’un chef des Bichera qui avait fui l’Ennedi à l’arrivée des colons français. Djoudé : Nom d’un clan des Zaghawa ; les Djoudé fournissent des chefs qui portent le titre de Malik ou Melik. Djougara ou Djokkira : Nom d’un clan des Borogat qui aurait disparu à nos jours. Djougourou : Nom d’un Mogdoum du sous-clan des Angou tirguéhorout. Djoumâ : Nom d’une localité dans le B.E.T. Djoumah : Nom du Mowré ou Mowra dont la fille a été donnée en mariage au Sultan Haggar, il était parmi les personnes qui avaient fui l’Ennedi à l’arrivée des colons français. Djoumaï : Nom du fils d’Abdel-Guâdir, un Angou maïkassoura. Djoura-Koun : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Djoura-Mogounous : Djoura veut dire "ruisselle" et mogounous "maudite" (emprunt à l’arabe) ; Djoura Mogounous signifie donc "la ruisselle maudite" : lieu où Hirdi, avec l’aide du Malik Yacoub de Dourêne, surprit et tua d’Arda-Châm en décimant toute sa troupe.

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Djourga : Nom d’une ruisselle qui se trouve près de la montagne de Koubé et où se trouvait le campement saisonnier du Sultan Horout. Doï : Nom d’un Borsou beau-frère de Hirdi qui mourut à la bataille contre le Malik de Dirong. Dombor : Fils de Kirchê, il est un descendant de Houkka-Mina, chef des Achira. Dondôr : Nom du Kamkalak sous l’autorité duquel fut placé le sultanat de Kabka après sa soumission au Ouddaï, à l’issue de la bataille qui coûta la vie au Sultan des Bigui, Mahamat-Dèrèt. Donza ou Dôza : Nom d’un clan chez les Goranes. Dor ou Dar-Suéïni : Nom d’une région du Dar-For. Dorouk : Nom des gens qui étaient massacrés et dont le village était incendié par le Sultan Nourêne des Bigui parce que ces gens avaient tué son frère. Dôssi : Nom de l’un des princes qui moururent à la bataille de Djoura-Mougounous aux côtés d’Arda-Châm. Dot de validation : Biens sans lesquels le mariage ne peut être valide. Doua : Nom du lieu qui se trouve sur la rivière de Sogoni où naquit Abderrahmane Haggar, futur Sultan des Zaghawa dont le père était en dissidence contre Hirdi. Douane ou Douwân : Expression qui désigne, chez les Zaghawa, l’ensemble des biens (animaux et effets de valeur) qu’un prétendant offre au Souverain duquel il dépend pour acquérir le titre de Sultan, de Mogdoum, de malik ou de kamini. Doud Mourra : Nom du Roi du Ouaddaï qui avait combattu la pénétration coloniale mais qui était obligé de se rendre en 1909. Doudmourrah : Transcription coloniale de Doud Mourrah, Roi du Ouaddaï. Dougoulaye : Marque clanique propre aux Sars. Dougoullé : Sous-clan des Hourêra (ou Horêra). Doungoula : Nom d’une région au nord de Fascher. Doura Térab : Nom d’une demi-sœur de Haggar Térab. Dourène ou Dirong : Nom d’une région à l’ouest du Dar-Zaghawa. Dourmoun : Région se trouvant un peu en-deçà d’Arada où certains Elichera se seraient installés après avoir fui Erchi à la suite d’un crime qu’ils y avaient commis.

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Dourouk : Nom attribué aux gens qui avaient assassiné Obouroun, frère d’Ina Nourêne alors que celui-ci portait un message de son frère au Roi Ali Dinar lui sollicitant la réconciliation. Ebìrì : Village de l’Aguid Abdoulaye de Gourouf. Edim ou Edim Bournous : Nom du fils et successeur de Tâ, Sultan des Zaghawa. Edim-Goubba : Nom donné au tombeau du Sultan Edim se trouvant à Djéri. Eguêbê-Kidi : Littéralement : "qui a beaucoup d’eau" ; ce terme désigne aussi le rocher dans la région de Wê sur lequel se trouvent des peintures rupestres. Eï-Keï : Nom d’une mare près de la montagne Kourgou. Eïra : Nom du clan constitué des descendants de Hamid, frère du Sultan Ibrahim des Bigui. Êkêrê : Nom d’une marque clanique des Bichera, Touméra et Gâra. El-Abakar : Nom du fils de Borgou fils de Hirdi. Elichelenga [eliʃeleŋa] : Marque clanique d’Ali (frère de Mahamat AlSounni) ayant choisi de s’installer à Eliché en donnant naissance à la branche des Elichera ; elle consiste en trois traits parallèles imprimés aussi au feu sur le cou de ses dromadaires. Elichera : Nom d’un clan Borogat. El-Ka’ab ou Mahamat El-Ka’ab : Nom de l’ancêtre d’Erus ou SalâmaErus ; il était un faqhi de Hidjâz, un arabe prédicateur arrivé sur la montagne de Kabka avant l’arrivée d’Abdel-Kérim au Ouaddaï. Il y était mort. Emir : Titre arabe qui peut s’appliquer à un chef (Roi, sultan, etc.) Eniya : Nom de l’un des fils de Houkka-Mina, chef des Achira. Ennedi : Nom de la région au sud du Borkou Ennedi Tibesti. Êr-Bahar : Nom de l’un des dignitaires qui accompagnaient Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français Erchi : Nom du lieu où les Elichera se seraient d’abord installés à leur arrivée de Tunis. Erda : Nom de l’un des antagonistes de Hirdi, tués à Djoura-Mogounous. Erdibêra : Nom d’un clan des Bidéyat, dont l’ancêtre commun avec les Mamia et les Kottira est Tât ou Tadi et dont le terroir est Erdi. Erdié : Nom d’un clan des Bidéyat.

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Êrêa : Expression qui désigne une délégation royale. Erguey : Nom de la montagne sur l’Oussougey, dans la région de Wê. Eribiri : Fille de Djoumah, elle est l’une des filles qui furent offerte en mariage au Sultan Haggar Térab pour que le chef des Bichera puisse rester au Koubé après avoir fui les colons français à l’Ennedi. Eri-Maï-Mê : Nom d’une région dans le terroir des Gâra. Eriséré (d’Erisé) : Terme dérivé d’Erisé, il désigne l’un des clans des Borogat. Erus ou Salâma-Erus : Nom de l’un des Sultans des Bigui, arrière descendant d’El-Ka’ab. Etéré : Père de Mogodi, un chef du clan des Sars (ou Sara) à l’arrivée des colons français. Etimiré : Nom d’un clan chez les Borogat. Ewou-Kouma : Région de la chaîne montagneuse d’Ewou où Mahamat AlSounni et son fils Chérif ainsi que son petit-frère Ali (grand-père de Yacoub Annour, ancêtre des Elichera) se sont retirés après la mort de leur Emir. Eyé-Ha : Nom du rocher se trouvant à l’est du puits d’Am-Djares. Fâchir : Nom du fils du Sultan Hirdi. Fada : Localité de l’Ennedi, Fada est le lieu où se trouvaient les Sars lors de leur extermination par un ennemi venu de l’Est. Fadoul Haggar : Nom du fils aîné de Haggar Térab, capturé très jeune et tué par la suite par les gens de Hirdi lors de la campagne de Kounourak. Fadoul Kitir ou Fadoul Khidir : Nom d’un des Mogdoums du clan des Angou maïkasoura, arrière-fils du Mogdoum Onigué. Il fut destitué à la veille de l’indépendance au profit d’un demi-frère du sultan Abderrahmane Haggar, Adam Bokhit Haggar. Faqhi : Expression qui dérive de fiqh et qui désigne la "théologie musulmane". Le faqhi désigne donc un théologien musulman Faqhi-manda : expression qui désigne un ensorceleur Farik : Expression qui désigne un "campement saisonnier" Fascher ou El-Fascher : Nom du chef-lieu du Dar-For Fersené : Nom d’une rivière près de la colline d’Am-Guilègne, entre Abéché et Adré Fezzan : Nom que les Tchadiens donnent aux Lybiens

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Fogué : Nom d’une localité du Dar-Tama Fors ou Hors : Membres d’une communauté du Dar-For (Soudan) qui auraient exterminé les Sars Fort-Lamy : Premier nom de la capitale du Tchad que le Président Tombalbaye remplacera par N’Djamena lors de sa révolution culturelle. Doud Mourrah y était conduit après sa reddition en 1909 Fulani, Peul ou Foulbé : Communauté linguistique et culturelle répartie sur plusieurs pays dont le Tchad, le Cameroun et des pays de l’Afrique de l’Ouest Gâ : Nom d’un cours d’eau asséché entre deux montagnes se trouvant dans l’Ennedi Gabadjou : Nom d’une région du pays des Borogat, habitée par le clan des Gabadjoura et se trouvant au nord de la localité actuelle de Kalaït Gabadjoura : Nom d’un clan descendant des Toundjours et habitant Gabadjou Gada’ârif : Nom de la localité du Soudan où fut conduit et où mourut Râkib Gadam-Souwé : Expression qui désigne les espèces de chevaux que le Roi Ali Dinar envoya aux princes Borgou, Fâchir et Dawsa pour avoir choisi de se soumettre à lui. Gadâr : Fils et successeur d’Ina-Mini ou Dêri-Mini, quatrième chef des Achira Gadâr : Nom d’un chef des Ouled-Tâga Gadi-Ederes : nom d’un pieu planté sur la place publique par le Roi du DarFor et qui symbolisait la mort. Il signifie en arabe local « le justicier sourd » Gadir : Nom du Khalifat de Haggar, un dignitaire accompagnant Haggar qui prétendait au trône du Sultanat des Zaghawa et qui fut arrêté à Arada par les Colons français Gadir-Djounga : Nom du cousin paternel de Haggar que celui-ci avait nommé comme Khalifat lors des préparatifs avec les Français pour attaquer Hirdi Gaïda-Hadjar : Nom d’un clan de l’Ennedi Gaïda-Rarami : Nom d’un clan de l’Ennedi Gaïna : Nom de l’une des femmes de Haggar au moment de sa prétention au trône. Gâ-Kiri : Nom d’un lieu constituant l’un des premiers terroirs des Gâra.

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Gala ou Borkou-Galaka : lieu où des Libyens étaient installés à l’arrivée des colons français. Gâra : Nom d’un clan des Borogat. Garang : Nom du Sultan des Bigui qui avait succédé au Sultan Bahat. Gawaye : Nom d’une marque clanique des Gabadjoura et Borbodia Gnàï : Nom de la localité se trouvant à une journée de marche à l’ouest de la mare d’Ondour et à une journée de marche au nord de Sendi Gnar kì : Expression signifiant "est pour le cercle familial" et désignant l’une des deux filles remises par les parents d’un assassin aux parents de la victime, destinée à être mariée par l’un des plus proches du défunt. Gnéré : Nom de la localité du Dar-Tama où eut lieu la première bataille entre le Sultan tama et les colons français Gorane : Appellation populaire de la communauté parlant le téda-daza (Toubou, Annakaza, Kréda, etc.) et vivant dans le Borkou, le Tibesti et une partie dans l’Ennedi et le Kanem aussi. Goua-deï : Nom d’une marque clanique des Ourêra, Assira, Siguéïra et Tchawada. Goubara : Terme qui désigne les habitants de la montagne de Gouba Goubba : Expression qui désigne un tombeau considéré comme un lieu sain. Gouéré : Nom du Hourêra qui était parmi les personnes qui avaient fui l’Ennedi à l’arrivée des colons français et qui n’y revint plus. Gougouré : Nom d’un village au nord d’Iriba à près de 50 kms où habitait Assip. Goumiers : Expression qui désigne les gardes ou messagers du Sultan. Gouré : Nom d’une région de l’est du Niger : Gourfoura : Nom de la localité se trouvant non loin de Gougouré (voir ce nom). Gouriya : Gouriya ou Soundouga est une fille de Horout. Un jour, le Roi des Kora ayant soupçonné le Sultan du Koubé d’infidélité à son autorité, fit une incursion dans ce pays et emporta un grand butin et des personnes comme esclaves. Parmi ces personnes se trouvait Gouriya, la sœur du futur Sultan Haggar. Le Roi donna à la princesse sa liberté, mais la maria après cela et la garda chez lui. Ce fut de cette alliance qu’était né Térab Lèbène, futur Roi du Dar-For. Gourou ou Gouro : Nom d’une région du B.E.T.

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Gourouf : Nom de l’une des régions à l’ouest du Dar-Zaghawa. Gourouï-Séri : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Gourouma : Nom d’un clan chez les Borogat. Gourouma : Nom du chamelier que le fils de Mahamat-Kano, Houkka-Mina rencontra lorsqu’il explorait le territoire. Gouwa-ayê : Nom d’une marque clanique des Mougoutoura, Ina-Diguêne, Agaba et Dowlé. Grali : Marque clanique qui serait commune aux Kouma, Daza Orta et Arabes Nadja’a. Grammont de Villemontès : Nom d’un maréchal de logis, un colon français qui, appuyé par les hommes de Haggar Térab, élimina le sultan Hirdi à Tiné le 02 décembre 1912. Grou ou Gro : Nom d’une région de l’Ennedi. Guéïra : Nom d’un clan des Bidéyat. Guéméba : Terme qui signifie "puits du blé", il est le nom du puits se trouvant non loin, au nord-ouest de la ville d’Iriba, sur le wadi qui porte le même nom, à l’embouchure entre ledit wadi et le ruisseau appelé Djoura Mogounous. Guéniguerguira : Nom d’un clan des Bidéyat. Guerdi Moussa : Fils de l’Ina Moussa, chef de Karkour-Nourêne. Guilding : Montagne qui se trouve non loin du foyer du sultan Bàri du Kabka. Guim Djougoudoumi : Frère de Sabre Djougoudoumi qui fut tué par les colons français (voir l’histoire des Kouma). Guimir : Nom d’une communauté qui fait frontière avec les Zaghawa et les Tama et dépendant du Soudan. Guirikoullé ou Gourkoullé ou Guirikowra : Nom de l’un des clans des Borogat vivant dans le wadi d’Oundouï. Les Guirikoullé auraient formé, avec les Biressa, Kilignan et Darbara, une branche des Annakaza Hà-Ba : Nom d’une localité dans le B.E.T. Habacha : Abyssins. Ha-Borou : Expression qui se traduit par "montagne mâle" et qui désigne une place près du puits d’Oudou où se déroulent des cérémonies rituelles chez les Siguéïra afin d’attirer la pluie.

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Hà-Bougoudi : Montagne au pied duquel se trouve Mani, lieu où les Borsou s’étaient installés. Hâchim Gnâgnouri : Du clan des Borsou, il accusa un Erdié du nom d’Alli d’adultère avec sa femme, une affaire qui prit de l’ampleur et qui aboutit à l’arrivée des colons français. Hâchim ou Faqhi Hâchim Abdoulaye Etime : Chef de canton de Kapka, âgé de 77 ans environ (au moment de l’enquête, actuellement décédé), né à Kapka Sàasa, il est l’un des principaux conteurs de l’histoire des Bigui. Haggar ou Haggar-Daggas : Fils et successeur du Sultan Horout, frère de Djadallah et future Sultan des Zaghawa Haggar Térab ou Haggar Toké ou Haggar Togué : Togué qui signifie littéralement "je goûte…", est un sobriquet donné à Haggar Térab, futur Sultan des Zaghawa du Tchad, du fait qu’il devait, en sa qualité d’amine "confident" du sultan, goûter les repas destinés à Hirdi pour s’assurer qu’ils n’étaient pas empoisonnés avant que le Sultan lui-même ne s’en serve. Le sultan Haggar mourut dans sa résidence de Mordou. Haguir : Fils de Halifé Kourdjouk, un Angou-maïkassoura. Hài : Expression qui désigne le coussinet d’une selle de dromadaire. Hà-Koubé : Nom de la colline de Koubé où Hirdi fonda sa résidence en construisant des maisons avec du dî tayou (soupe de dromadaire) et en érigeant des fortifications. Halifé : Terme à connotation religieuse qui désigne un titre de chefferie chez les Béri du Koubé. Parfois le Halifé est une personne qui seconde le Souverain et qui est généralement considérée comme l’héritier du pouvoir. Mais le Sultan peut aussi nommer des Halifé, sorte de lieutenants à travers son pays, comme il le fait pour les autres fonctions (Malik, Aguid, etc.). Hamdallah : Fils de Mogorolla, successeur d’Ina-Kengui, chef de Wê. Hamid (prince) : Nom du grand-frère du Sultan Ibrahim du Kabka qui n’avait rien bénéficié du partage après l’investiture d’Ibrahim. Hamid-Tiga (prince) : L’un des fils d’Abdel-Fagara. Hamit Guêt : Nom du fils de Guêt, arrière-petit-fils de Houkka-Mina, chef des Achira. Harfala : Mare jusqu’où Ibrahim-Fardâni chassa les Arabes qui, initialement, occupaient le Kabka. Harib : Nom du deuxième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Il est le père dont la fille a été donnée en mariage au Sultan Haggar Térab pour

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que le chef des Wourdi, Lougouma puisse rester au Koubé après avoir fui les colons français à l’Ennedi. Harka : L’un des chefs qui avaient conduit les guerriers de Hirdi à la bataille de Kabka. Haroun : Frère du Sultan Nourêne, il fut impliqué, en 1910, dans ce qu’on avait appelé "l’affaire de Grida" Haroun Eniya : Nom du fils d’Eniya, arrière-fils de Houkka-Mina, chef des Achira. Haroun-Djinnawi : Nom d’un dignitaire de la cour du Roi du Dar-For. Hassan (ibn Ali) : Fils d’Ali et petit-fils du Prophète Mohammed S.A.S. Hassan (sultan) : Sultan de Kabka, successeur du Sultan Abdoulaye Sabre destitué par les colons français. Hassan Adam : Sultan des Bigui, fils et successeur d’Adam. Il est le frère de Nourêne et père de Borgou et Charâra. Hassan Borgou : Sultan des Zaghawa Bigui au Soudan, il est né vers 1909 à Bir-Niswâne. Il fut intronisé par les Anglais en 1948, à El-Gineïna. Hassan Dowgui : Sultan de Kabka, successeur du Sultan Tom. Hassan-Dowgui : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Borgou. Hassan-Torgo (prince) : Fils de Hor Saleh, il fut envoyé contre les Anglais à la tête de cent guerriers. Hà-Têr : Montagne dans la région de Wê. Hawar : Savant adepte d’Ibrahim-Fardâni, mort et enterré dans le wadi appelé actuellement Howas. Hedjaz ou Hidjâz : Terme arabe qui désigne l’actuelle Arabie Saoudite, terre du pèlerinage. Hélan : Appellation coloniale de Hilane (voir ce nom). Hîdê : Nom d’une marque clanique des Wourdi. Hidigaï : Cadet de Dardar (voir ce nom). Hilâne : Frère cadet à Déritébigué, dans la généalogie des Angou. Hirdê-abô : Nom d’une marque clanique des Kouriara, Ourêra, Boronga et Idinga. Hirdê-souwé : Nom d’une marque clanique des Siguéïra. Hirdi ou Abderrahmane Hirdi (ou encore Abderrahmane Firti selon les Français): fils de Bichara, arrière-petit-fils du Sultan Tâ ou Tâha en arabe. Il

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est un Angou djéïra. Futur Sultan des Zaghawa, il avait prétendu au trône du Sultanat des Zaghawa auprès du Roi du Ouaddaï au même moment que le Mogdoum Sobor. Il mourut dans le wadi de Tiné. Hirê : Nom de l’une des arrières grands-mères légendaires des Sârs, épouse d’un Erdié. Hiri [hιrί] : Nom de l’un des deux frères jumeaux dont les Sars actuels sont les descendants. Hiri-bour-kitti : Nom d’une marque clanique des Guirkoullé. Hiri-Irgué : Nom d’une montagne sur l’Oussougey au Wê où il y avait un foyer, un puits et une grotte et est, d’après le conteur, le seul lieu où les colons n’ont pas pu mettre les pieds. Les gens de Wê croient qu’il y a sur cette montagne le tombeau d’un Prophète. Hissène (Roi) : Roi des Fors au temps du sultan du Koubé, Aria. Hissène-Koubawi (prince): Fils d’Abdel-Fagara qui, ne tenant plus compte du conseil de son père, prit la fuite pour ne pas se soumettre à Hirdi. Il fut parmi les antagonistes de Hirdi tués à Djoura-Mogounous, aux côtés d’ArdaChâm. Hòdi : Tronc de Commiphora africana creusé en forme de panier et que les bergers le portaient par l’anse, qu’ils utilisaient pour traire leurs bêtes. Hodjouma (chef) : Nom du sixième chef dans la généalogie des chefs Gâra. Honou Abou-Tébigué : Beau-fils de Hirdi, mort dans une bataille que Hirdi avait engagée contre Haggar deux ans avant l’arrivée des colons français. Hor ou For : Communauté qui avait jadis constitué le Royaume du Dar-For. Hor Saleh : L’un des chefs au Dar-For. Hora ou Houra : Prononciation locale de Fada. Horogona : Région de Nanou où une seconde bataille eut lieu entre Kirêgou et Nawra. Horout (sultan) : Sultan des Zaghawa et père de Djadallah et de Haggar. Horout : Second fils de Hilane, ancêtre des Angou tirguéhorout. Hor-Taïb : Chef au Dar-For à qui Hirdi envoya une de ses filles, lui proposant de la marier. Houbaï ou Habaï : Nom d’une mare constituant le terroir des Houbaïra ou Habaïra Houbaïra ou Habaïra : Nom d’un clan des Borogat descendant des Toundjours ; ils habitent la mare appelée Houbaï.

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Houda : Nom du neveu du Sultan Haggar. Hougoï : Nom d’une colline. Houkka-Mina : Nom de l’un des fils de Mahamat-Kano, savant musulman, ancêtre des Achira. Selon certaines informations, il serait le fils et successeur d’Oumar et le premier chef des Achira, mais selon d’autres informations, il serait le deuxième chef. Houngouna-Taïro : Nom de l’un des dignitaires qui accompagnèrent Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français. Houno : Beau-fils de Hirdi, mort à la bataille de Kabka. Houra-Héï : Fille d’Abderahmane-Tébes et d’Ari, la veuve de Koré que l’on croyait stérile. Houraye ou Bêrêm-Houraye : Princesse sœur du Sultan Néï et fille d’Ari, veuve de Korê ; elle est considérée comme la grand-mère des Borsou. Hourêra : Nom d’un clan des Borogat. Houroul : Nom du puits que l’arabe Irêgat, ancêtre des Bichera, creusa à Oundouï Hour-Sow : Surnom ou qualificatif du père de Mogdoum Mahamat ; il mourut à la bataille de Djoura-Mougounous aux côtés d’Arda-Châm. Howas : Nom d’un grand wadi dans l’Ennedi où est mort et enterré Hawar, adepte d’Ibrahim Fardâni. Howra : Terme dérivé de How, il désigne l’un des clans des Borogat. Howra-êrfê : Nom d’une marque clanique des Howra. Hoyé ou Kounourak : L’un des lieux où s’installèrent les dissidents contre Hirdi sur le territoire des Tama, en-deçà de Wayawaya. Hourêra-Bôri : Nom d’une marque clanique des Hourêra. Ibêda (sultan) : Sultan bigui, successeur du Sultan Mahamat. Ibêda (sultan) : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Adam. Ibo : Frère du future Sultan Haggar, il fut tué lors d’une razzia qu’il avait organisée contre le Sultan Hirdi. Ibo Assar : Un Mogdoum-maïkassoura investi par le Sultan Dawsa vers 1925. Ibrahim (prince) : Nom du benjamin des fils du chef des Bigui, MahamatChérif. Ibrahim (Roi) : Nom de l’un des rois du Ouaddaï.

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Ibrahim Fardâni : Père du Sultan Bigui Mahamat Chérif. Ibrahim Ibo : Mogdoum tobouïra, cousin du Sultan Abderrahmane. Ibrahim Omar : Personnalité du Dar-For dont les gens avaient razzié les gens de Haggar à l’arrivée des colons en 1910. Ibrahim-Ardachâm : Fils d’Abdel-Fagara qui, ne tenant plus compte du conseil de son père, prit la fuite pour ne pas se soumettre à Hirdi. Il fut intronisé Sultan par le Roi des Fors à la place de Râkib à la mort de celui-ci, pour l’opposer à Hirdi. Ibrahim-Birké : Fils et successeur du Roi Youssouf du Ouaddaï. Ibrahim-Fardâni : Premier Bigui qui arriva à Kapka, il est le Sultan des Bigui dont le père avait pour village la ville de Kouf en Irak. Il est, selon l’informateur, le fils de Ka’ab In Loueï, oncle du Prophète S.A.S. Ibrahim-Konou : Frère et successeur du Sultan Bari des Bigui. Ida-Sawdâr-Sît : L’un des chefs au Dar-For. Idinga : Nom d’un clan des Bidéyat descendant de Touré-Têr. Idrissi : Savant arabe du XIIe siècle. Iga : Localité dans la région de Wê. Ina Dambaï : Nom du quatrième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Ina Gnâm : Nom de l’un des chefs qui avaient conduit les contingents de Hirdi à la bataille de Kabka. Ina Guida : Nom de l’un des chefs de Wê. Ina Harka ou Hariga : Nom de l’un des chefs Nanou. Ina Kérim : Nom de l’un des chefs Kirégouï à l’époque du sultan Ogourou, directement soumis au Dar-For. Ina Lougouma : Nom du sixième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Ina Margui : Nom de l’un des chefs de Nanou. Ina Moussa : Nom de l’un des chefs de Wê. Ina Sawa : Nom du père d’Ina Margui de Nanou. Ina-Ardja : Fils de Nourêne, chef de Wê. Ina-Arim : Fils d’Abdelkérim, successeur de Nimâne, chef de Wê. Inadjouguini : Nom d’une colline au Koubé. Inakaïra : Sous-clan des Angou.

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Ina-Kengui : Fils de Mogorolla, successeur de Daw-Bouïgué, chef de Wê. Ina-Maya ou Kawr-Teyri : Nom de l’ancêtre des Siguéïra. Ina-Mina : Nom du troisième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Ina-Mini ou Dêri-Mini : Fils et successeur Dêri-Mêdêrê, troisième chef des Achira. Ina-Nargas : Chef de Wê, fils d’Ina-Ardja. Inày : Foyer qu’Ibrahim-Fardâni fonda à son arrivée au Kabka et qui devint une grande agglomération. In-Djassa : Localité dans le Koulagui au Dar-For. Innou : Localité à la porte d’entrée de la chaîne montagneuse d’Ewou, actuel Fada. Irâb : Il fut intronisé Sultan par le Roi des Fors au même moment que celui de l’Ouaddaï intronisait Hirdi. Irâkib ou Râkib : Râkib est un Angou Tobouïra ; il était l’un des quatre prétendants au trône du Koubé. Il s’était rendu en même temps que Nafé auprès du Roi des Kora pour présenter sa candidature. On dit qu’Irâkib est allé mourir vers l’Est en un lieu appelé Djemen-Kêrêrê ou la montagne de Kêrêrê qui se trouve au-delà de la mer. Irdi : Localité près de la rivière de Borba. Iriba : Transcription coloniale de Hiriba, capitale actuelle du Dar-Zaghawa. Iri-Boukour : Nom de l’un des rois des Kora. Irit : Lieu où l’Ina Ali Déless et ses hommes allèrent s’installer après que Borgou, leur neveu eut été mis sous chaînes par son père le Sultan Hirdi. Iro : Nom de la puissance suprême chez les Béri à laquelle doivent s’adresser les génies et les ancêtres afin d’intercéder en faveur des hommes. Irobeï-Djarê : L’un des dignitaires accompagnant Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français. Ismaïl Daldoum : Fils du Sultan Hirdi, il mourut à la bataille contre le Malik de Dirong. Ismaïn : Fils de Hirdi tué au cours d’une échauffourée avec les Ouaddaïens, ce qui conduit Hirdi à se tourner vers le Dar-For et se rallier à Ali Dinar Issa (chef) : Nom du premier chef dans la généalogie des chefs Gâra. Issa Sabre : Un Kouma khalife de Sougouni (Sogoni ?) au Koubé. Issa-Digui (prince) : L’un des fils d’Abdel-Fagara.

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Ja’aliyyun : Nom d’une tribu arabe. Ka’ab Ibn Loueï : Frère du père du Prophète S.A.S. Les Bigui se réclament de sa descendance. Ka’aba : Nom du mausolée sacré de la Mecque. Kabbas : Cousin germain de Djadallah. Kabka ou Kapka : Sultanat exclusivement dirigé par les Bigui jusqu’à l’arrivée des Français. Kabkabieh : Localité du Soudan. Kabkara : Gens de Kabka, organisés en sultanat avant l’arrivée d’El-Ka’ab ; ils parleraient une langue qui n’était ni la langue des Béri ni celle des Tamara. Kâfir : Terme arabe qui signifie "infidèle". Kagûr : Nom d’une marque clanique des Hourêra. Kaha : Nom de l’ancêtre des forgerons qui forment une caste chez les Borogat. Les forgerons ne constituent pas un clan propre à eux, ils appartiennent aux différents clans des Béri. Kaïda : Hauts-bois. Kaïdara désigne la personne qui joue du hautbois. Kamara : Nom de l’un des sous-clans des Hourêra. Kamini : Titre de noblesse, porté jusqu’à nos jours, exclusivement, par les Chefs Kirêgou. Kamini Digui : Nom de l’un des chefs Kirêgou. Kamsa : Rocher dans la région de Wê sur lequel se trouvent des peintures rupestres. Kanagara : Nom d’un sous-clan des Noïra. Kanem : Région du Tchad au nord du Chari-Baguirmi, où une partie des Sars ayant fui l’invasion arrivèrent et vivent jusqu’aujourd’hui sous l’appellation de Yira ou Yiria (pl. de Yiri), et qui ont conservé les mêmes marques claniques des Sars. Kanem-Bornou : Avec le royaume du Kanem et celui du Ouaddaï, il était l’un des trois principaux royaumes du Tchad avant l’arrivée des colons français. Kanembou : Communauté linguistique et culturelle vivant dans le Kanem. Kapka ou Kabka : Nom qui vient, selon l’informateur, du nom de l’ancêtre des Bigui qui serait Ka’ab.

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Kapté : Le village de Kapté qui n’est actuellement qu’un foyer éteint, est situé au pied de la colline qui porte le même nom. Kàri : Nom que les Béri donnent aux Ouaddaïens. Kari ou Ina Kari : Oncle paternel de Hilane, était l’un des deux petits-fils d’Abdoulaye Borou. Il donna naissance au sous-clan des Inakaïra. Kariby : Nom de l’une des femmes de Haggar au moment de sa prétention au trône. Kari-Kou : Première guerre que Hirdi avait livrée des Ouaddaïens. Karkour-Nourêne : Montagne dans le nord du Dar-Zaghawa qui avait donné son nom à la région avoisinante, le Wê. Kawra : Nom d’une marque clanique des Sârs. Kawra : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Kawr-Etira : Nom de l’un des clans des Borogat vivant dans le wadi de Kawr-Kitti, au sud de la montagne de Houra. Kaw-Téïri : Nom de l’ancêtre des Siguéïra. Kawsa : Nom du septième chef dans la généalogie des chefs Gâra. Kêchef : L’un des fils de Seïd, il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Kédélaya : Clan d’origine Sar constitué des fils de Kédéla : Kéï-Nakko-Koni : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Keïraba : Localité au sud de Tiné où Tâ avait choisi de fonder son village après sa destitution par le Roi du Dar-For et où il mourut ; on y trouve son tombeau. Kéira-Mara : Nom d’une région au Koubé. Kéïra-Mordome : Localité où les Ansâr avaient installé un grand camp. Kengui-Kabi : Sous-clan des Angou. Keygam : Chefs de l’armée dans le royaume du Bornou. Khalifat Abdoulaye : Arabe Ta’acha représentant du Mahdi qui avait envahi le Kabka et le Koubé et les avait razziés. Il captura et emporta à OumDourmane trois frères du Sultan Hassan : Charâra, Djibrine et Ali. Khalife Kourdjouk : Fils d’Abdel-Guâdir, angou maïkassoura. Khalwa : Chez les musulmans, retraite spirituelle pour prier.

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Kilignan : L’un des clans formant, avec les Biressa, Guirkoullé et Darbara, une branche des Annakaza. Kinnine : Nom donné aux Touaregs qui venaient livrer la guerre aux gens de Gourouf. Kirégouï ou Kirégwi : Montagne à l’est de Hiriba. Kiréguoïra : Habitant de la montagne de Kirégouï. Kirê-Kourou : Filles arabes réquisitionnées par Térab-Lébên le Roi For pour donner en mariage à son oncle Horout. Kiri-Bâ : Nom d’un lieu constituant l’un des premiers terroirs des Gâra. Kirni : Nom donné aux Touaregs du Niger qui razziaient aussi le pays des Béri. Kobé : Nom d’un lieu entre El-Fascher et Koutoum où se seraient installés les Wéra en provenance de l’ouest, avant d’arriver à Kouba. Kodiéra : Nom d’un clan chez les Béri. Kodogo ou Ina Kodogo Abou-Charfa (chef) : Chef nawra, beau-fils de Hirdi, mort dans une bataille que celui-ci avait engagée contre les gens de Haggar à Kabka, qui y étaient réfugiés et ce, deux ans avant l’arrivée des colons français. Kodoï : Nom d’une fraction chez les Ouaddaïens. Kôgûr : Nom d’une marque clanique des Tobouïra. Komoura : Expression qui désigne les personnes qui seraient douées d’un pouvoir maléfique. Konou (sultan) : Petit-frère et successeur de Borgou. Konou Abdallah : L’un des participants à la bataille de Kabka. Kora : autre nom donné aux For. Korè ou Korio (sultan) : L’aîné des fils de Hilane, premier Sultan des Zaghawa du Koubé, il est l’ancêtre des Angou djéïra. Kornoï ou Dar-Gala : Localité du Dar-Zaghawa d’où Tâ envoya quelqu’un au Koubé pour dire à ses oncles qu’il était de retour au pays avec une délégation du Roi et qu’il leur demandait de ne plus porter le deuil de son père et de se préparer plutôt pour l’accueillir. Kôrnôssy : Lieu se trouvant à la frontière entre le Nanou et le Wê où certains des compagnons d’Ibrahim-Fardâni choisirent de s’installer. Koro-Ba : Nom d’une localité dans le B.E.T.

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Koro-Kitti : Nom d’un wadi dans le terroir des Gâra. Kottira ou Kodira : Nom d’un clan des Bidéyat, dont l’ancêtre commun avec les Mamia et les Erdibêra est Tât ou Tadi. Les Kottira seraient de souche Ina-Diguêne. Kou ou kouhou : Bête étoilée, semblable à une araignée qui habite l’homme et qui tuerait sa victime en la faisant vomir du sang et que certaines familles porteraient dans la poitrine. Kouba : Nom d’une colline et de la région avoisinante au Dar-Zaghawa Ouyou : Région de Kouba où se déroula une bataille entre Kirêgou et Nawra. Kouba-Djourga : Lieu où se trouvait Ina Ali Déless, Chef des Borsou, au moment où Alli fut accusé d’adultère. Koubé ou Kobé : Pays d’une des fractions des Béri, les Koubéra. Kobé est la transcription coloniale de Koubé, pays des Koubéra. Koubeïra : Nom d’un sous-clan des Noïra. Koubéra : Veut dire "habitant de Koubé" ; nom du clan dont le terroir est la région de Koubé. Kouf : Ville d’Irak d’où serait parti Ibrahim-Fardâni, ancêtre des Bigui, pour aller occuper Kabka après avoir chassé les Arabes qui s’y trouvaient. Koulbous : Localité soudanaise qui fait frontière avec le Dar-Zaghawa. Kouloumfardo (?) : Ancienne capitale du royaume des Yiria. Kouma : Descendants de Mahamat Sounni, les Kouma constituent actuellement un clan parmi les Borogat. Kouma-erfè : marque clanique des Kouma consistant en deux traits parallèles imprimés au feu sur chaque fesse de leurs dromadaires, représentant les quatre baguettes de la timbale, symbole de la chefferie. Komou : Expression qui désigne des bêtes semblables à de petites mouches que les Komoura utiliseraient pour faire du mal. Kounourak : Localité du Dar-Tama se trouvant à l’extrême-est du Koubé. Koura-Débié ou Koura-Nogo-Débi : De Sârêne, il était un ami d’enfance à Gouriya Kourdé : La transcription exacte de ce terme est plutôt Kourdi, colline dans le Dar-Zaghawa où les Toundjours auraient installé leur capitale lorsqu’ils étaient dans ce pays.

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Kourè : En béria, poste que les pilleurs choisissent pour se cacher la nuit avant de lancer l’attaque à l’aube. Kourgou : Nom d’une montagne se trouvant à près de 15 kms au nord de la ville d’Iriba, sur la route menant vers Ourba. Kourgoura : Ce terme signifie "habitant de Kourgou" et désigne un sousclan des Angou. Kouri : Lieu où les Arabes Kowré avaient pris position pour lancer une attaque punitive contre les gens du Sultan Tom des Bigui. Kouria : La chaîne montagneuse de Kouria se trouve à l’est de Fada à près de 200 kms de là. Kouriara : Nom d’un clan des Bidéyat descendant de Touré-Têr et se rattachant à la chaine montagneuse Kouria. Kourou (chef) : Nom du cinquième chef dans la généalogie des chefs Gâra. Kouroung : Lieu où Hirdi se battit avec les Ouaddaïens. Koursi : Nom que l’on donne au messager du sultan. Kouta : Nom de l’un des fils de Houkka-Mina. Kou-tibi : Terme qui signifie "coup de lance" et désigne l’une des filles que les parents d’un assassin donnent à un parent du défunt en compensation du tort subi. Koutoum : Localité au Soudan. Koyam : Branche des Magoumi parmi lesquels les Empereurs du Bornou choisissaient leurs Keygam (chefs de l’armée). Koyogat : Localité du Dar-Tama. Lâgna ou argab : Nom d’une marque clanique des Kouma. Lévirat : Tradition qui donne droit au parent, généralement le frère d’un défunt, de se marier avec la/les femme(s) de celui-ci. Lôh : Ardoise en bois de géïra (Balanites aegyptiaca) que les élèves de l’école coranique se servent pour apprendre à réciter le Coran. C’est sur la même ardoise que les faqhi écrivent des versets coraniques qu’ils lavent avec de l’eau pour en donner à boire aux nécessiteux afin d’obtenir la faveur ou la grâce divine. Loueï : Savant adepte d’Ibrahim-Fardâni (voir ce nom). Lougouma : Nom de l’un des chefs des Wourdi qui avait fui l’Ennedi à l’arrivée des colons français. Maba : Autre nom des Ouaddaïens.

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Magoumi : Au Bornou, princes dont une des branches constitue les Koyam. Mahadiya : Institution religieuse de Mahdi de qui Râkib voulait obtenir une aide pour combattre Hirdi. Mahamat (chef) : fils de Nourêne, chef de Wê Mahamat (Mogdoum) : fils du Khalife Kourdjouk, mieux connu sous le nom de Kogo, successeur d’Oubé. Mahamat (sultan) : fils et successeur du Sultan des Bigui Nourêne, il fut destitué par les colons anglais après deux ans de règne seulement. Mahamat Al-Sounni : Ancêtre des Kouma, compagnon du grand cheikh, l’Emir Abdallah Waldam-Sawda. Mahamat dit Mahamat Hour-Sow : Mogdoum angou Tobuïra. Mahamat El-Ka’ab : Sultan des Bigui. Mahamat Fadoul : Roi des Fors, fils de Térab Lèbène et né d’une esclave. Mahamat-Borno ou Mahamat-Kano : Nom d’un savant musulman qui, selon certaines informations, serait l’ancêtre des Achira et leur premier chef, Houkka-Mina étant seulement son arrière-fils. Mahamat-Chérif : Fils et successeur d’Ibrahim-Fardâni et père du Sultan des Bigui Souleymane. Mahamat-Dèrèt : Sultan des Bigui et successeur du Sultan Béchir, il était pris lors d’un combat et exécuté par les Ouaddaïens parce qu’il refusait de se soumettre à eux Mahâmîd : Nom d’une tribu arabe. Mahdi : Chef religieux soudanais, concepteur du Mahadiya ou Mahdisme, il se battit contre les colons anglais. Maïba : Localité du Dar-Zaghawa. Maï-Ettêra : Nom d’un clan descendant de l’ancêtre des Siguéïra du nom de Kaw-Téïri Maïkassoura : Sous-clan des Angou. Maï-Keira : Littéralement : « le jujubier du forgeron », selon la légende des Wéra, jujubier sous lequel des forgerons chasseurs avaient établi leur camp. Maï-Kisseri : Littéralement : "qui a mangé un forgeron", nappe d’eau où "s’est noyé un forgeron". Maïra : Nom d’un clan descendant de l’ancêtre des Siguéïra du nom de Kaw-Téïri.

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Makka ou Maga : Nom d’un clan des Bidéyat. Makkala : Nom d’un clan des Borogat. Mâlik : Savant à la cause de l’Islam ; il avait, selon l’informateur, quitté l’Arabie Saoudite sur instruction du Prophète ; il s’était installé au Ouaddaï, chez les Marfa ; il était venu à la même période qu’Abdelkérim. Mamia ou Mahamia : Nom d’un clan des Bidéyat, dont l’ancêtre commun avec les Kottira et les Erdibêra est Tât ou Tadi Mamour : Coiffure de parade chez les Koubéra Mamûr-kafô : Nom d’une marque clanique des Houbaïra et des Guéniguerguira Manda : Nom d’un puits au pays des Béri. Manda : Nom de génie chez les Béri. Manga Irêguê-Kissir : Orou-bira (voir ce mot) chargé d’évaluer le douane et de se prononcer sur sa validité lors de l’investiture du Mogdoum Fadoul Kitir. Mani : Lieu où les Borsou s’installèrent après leur arrivée au Dar-Zaghawa. Mardi : Lieu où le Khalifa Abit et le Sultan Haggar se sont affrontés. Margui ou Ina Margui : Nom d’un chef de Nanou. Marougouï : Nom d’une montagne dans le Dar-Zaghawa. Marougouïra : Habitant de Marougouï. Massalat : Communauté linguistique et culturelle se trouvant dans le GozBeïda. Ma’aguiné : Chef sans timbales donc inférieur au sultan. Matadjané : Mare sur l’axe Iriba-Biltine. Localité de Gourouf où certains Elichera se seraient installés après avoir fui Erchi à la suite d’un crime qu’ils y avaient commis. Mawn : Localité à une journée de marche au sud de Touna (Tiné). Maya ou Mogdoum Maya : L’un des dignitaires ayant accompagné Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français. Médina : Princesse née d’Ali Dinar et de Mostoura, fille de Hirdi. Melik : Titre de noblesse porté par les Chefs Djoudé. Melik Bâré : Sultan des Bigui intronisé en1908 par Doud Mourrah lorsque le Sultan Borgou se brouilla avec lui et se plaça sous la protection d’Ali Dinar.

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Méri : Nom d’une marque clanique des Erdié. Mésik : Lieu public où les hommes se réunissent pour manger, palabrer ou tisser leur coton. Ecole coranique. Midabou [mιdabυ] : Ami intime ayant acquis les mêmes droits qu’un frère. Midê : Midê signifie en langue des Goranes "fille de l’eau". C’est le nom de la fille djinnayé qui avait surgi de l’eau et qui était mariée par Nahar ou son fils et dont les descendants sont les Oundjou actuels. Midik : Nom de l’une des femmes du sultan Haggar au moment de sa prétention au trône. Mimi : Nom de l’ethnie qui se trouve au nord-est de Biltine et qui fait frontière avec les Béri. Mini-Mini : Nom que les Goranes donnaient aux Libyens. Mir : Colline jumelle de Ha-Koubé, dont les habitants, premiers occupants de la terre du Koubé, sont appelés des Mira, c’est-à-dire "habitants de Mir". Mirgui : Nom du lieu à l’est de Baw où l’ancêtre des Erdibéra se serait installé. Miyas Ibnou Djabal : Compagnon du Prophète (S.A.S) qui lui avait dit, selon l’informateur, qu’il partait et devait aller partout où il pourrait, avec la chose qu’il lui avait confiée (la mission qu’il lui avait confiée), et qu’ils se verraient (le Prophète et lui) après la mort. On dit qu’il était venu (au DarZaghawa) passer vers l’Ouest. Modjoussa : Mécréants venus au Kabka avant l’Islam. Modouma : Clan des Bollou constituant une branche des Annakaza parmi les Goranes ; ils sont connus chez les Béri sous le nom de Gueïra et vivent dans la région de Noï (ils sont d’origine Toubou). Mogboût : Nom des habits que le Roi Ali Dinar envoya aux princes Borgou, Fâchir et Dawsa pour avoir choisi de se soumettre à lui. Mogdoum Chérif : L’une des personnalités que le Roi Ali Dinar avait choisies pour conduire Borgou auprès de son père afin de les réconcilier. Mogdoum Fadoul Kitir : Mogdoum angou d’Ourba, investi par Haggar après l’élimination de Hirdi à Tiné. Mogdoum Ibo : Mogdoum du sous-clan des Maïkassoura. Mogdoum Mahamat dit Kogo : fils de Khalife Kourdjouk, angou maïkassoura Mogdoum Mourrah : chef de canton qui avait acheté des timbales, mais qui n’avait pu devenir sultan et, à sa mort, ses timbales avaient disparu.

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Mogdoum Oubé : Nom d’un Mogdoum du sous-clan des Maïkassoura. Mogdoum Sordo : Nom d’un Mogdoum du sous-clan des Maïkassoura. Mogdoum Youssouf : Chef de Koutoum qui était un Diguiré. Mogdoum : Titre de chefferie au Koubé, réservé dans les anciens temps aux membres du clan des Angou. Mogodi (fils d’Etéré) : Un Sar qui habitait au pied de la colline de SaraTchatto près de Fada et qui aurait été égorgé en public à Fada par l’administrateur colonial à l’arrivée des Français dans cette région. Mogorolla (chef) : Successeur du chef de Wê, Sâdir. Mogoudoumat : Domaine que commande un Mogdoum Mordou : Ancienne capitale du Sultanat de Koubé avant la colonisation, Mordou se trouve à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de la ville d’Iriba Mori (chef) : Frère et successeur de Djorio, le chef des Bichera Mortcha ou Mourdia : Nom d’un clan de l’Ennedi, dans le nord du Tchad. Mostoura (princesse) : Fille de Hirdi, épouse du Roi Ali Dinar Mostoura (timbale) : Nom de l’une des deux timbales qu’originellement le sultan Tâ avait reçues du Roi du Dar-For lors de son investiture. Mougou : Sultan des Zaghawa, fils du sultan Néï. Mougouma-Kouroung : Nom du lieu où se trouvait Hirdi au moment où Arda-Châm et ses frères vinrent s’installer à Hiriba Mougoutoura : Nom d’un clan des Borogat Mourachiyin : terme arabe signifiant : superviseurs des élections. Moursal (Aguid) : Aguid Moursal est le chef de canton de Gourouf Mousbat ou Dar-Artaï : nom d’une région du Dar-For Moussa Mahamat (chef) : Nom d’un chef de Wê, fils de Mahamat Moussoro : Région du Tchad. Dans le nord de cette région, vit un groupe social d’origine sar qui a en commun avec les Sars les mêmes marques claniques. L’un de leur chef était Tata Sougou. Mow : Nom que les Béri donnaient au pays des Guimirs. Mowra : Nom donné aux Guimirs qui étaient, dans les anciens temps, les maîtres des Béri du Koubé.

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Nafé (sultan) : Angou norsira et futur Sultan des Zaghawa, il fut un prétendant au trône du sultanat des Zaghawa auprès du Roi des Fors, au même moment que le Mogdoum Sobor et Hirdi. Le Sultan Nafé fut noyé dans la mare d’Ondour vers 1887, quelques mois seulement après son investiture par le Roi Aboul-Khêrât du Dar-For. Nahar : Nom de l’ancêtre des Ouagna ou Oundjou qui serait venu du pays des Borno Nahas : Terme arabe désignant les timbales en cuivre. Nanou : Nom de la région du Dar-Zaghawa où les Nawra et les Arna étaient allés s’installer après leur arrivée dans le pays. Nassara : Ce sont les Ta’acha de l’est qu’on appelait Nassara à l’époque. Nawra ou Naoura : Terme dérivé de Nanou et signifie "habitant de Nanou". Néï : Nom du fils d’Abderahmane-Tébes et d’Ari, veuve de Koré ; il est cousin à Haggar. Nemma ou Nimma : Nom de l’un des quatre fils de Dêri-Berdo. Il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Nêsêk : Nom du dignitaire de la cour de Hirdi entré en dissidence aux côtés du prince Borgou Ngôra : Nom du Sultan des Bigui, successeur du Sultan Tarding. Nimân Arda-Cham : Nom du fils du Sultan Arda-Cham qui tua Hirdi de sa main à la bataille de Tiné pour se venger de la mort de son père. Nimâne (chef) : Nom du fils de Hamdallah, successeur d’Abdelkérim, chef de Wê. Nohout : Nom d’une localité d’El-Obeïd au Soudan. Noïra ou Noïré : Expression qui veut dire "habitant de Noï" ; nom du clan des Borogat dont le terroir est la région de Noï Norsi : Nom d’une région de Koubé Norsi-Adiya : Nom de la localité où se trouvait la résidence de Tâ au moment de son investiture. Lieu où résidait Koré, c’est là que se trouvait aussi la résidence du Sultan Edim Bournous Nouba : Les Arabe soudanais appellent les noirs des Nouba, c’est-à-dire des nègres. Nouï ou Noï : Nom d’une région chez les Borogat. Noukkou : Nom d’un Sultan des Bigui.

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Nour-Angara : Nom du commandant des Arabes Ta’acha venus en renfort à Irâkib contre Hirdi. Nourène (chef) : Fils de Nimâne, successeur d’Ina-Arim, chef de Wê. Nourêne (sultan) : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Ibêda. Nourêne (sultan) : Sultan de Kabka, successeur du Sultan Borgou, mort à Bir-Niswâne. Nourou : Nom de la mère du sultan Haggar morte et enterrée au Dourêne. Nourouré : Nom d’un clan des Borogat. Nowé : Nom du cours d’eau où Loueï, adepte d’Ibrahim Fardâni, mourut et fut enterré. Obou-Chaïdi : Nom du cinquième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Obougouna : Expression d’Obougoun".

qui

signifie

"habitant

de

la

montagne

Obouroum : Nom du frère d’Ina-Nourêne dont l’assassinat à Djabel-Si provoqua la rupture avec le Roi du Dar-For Ali Dinar et la soumission de Wê au Roi du Ouaddaï Obou-Siéri : Nom d’une montagne dans la région de Wê. Obouwéra : Nom du clan zaghawa qui perdit cent et quatre (104) personnes dans la bataille avec les Arabes Kowré. Odjouwat : Nom de l’un des fils de Togouro, il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Ogona : Nom de la localité dans le pays Kabka dont les villages furent brûlés par les troupes d’Ali Dinar lorsque le Sultan des Bigui, Borgou alla se soumettre aux Français Ogonabà-Téri : Ogonabà veut donc dire : puits d’Ogona ; Téri est l’appellation de l’Acacia albida ; Ogonabà Téri signifie donc : "le puits de l’Acacia albida qui se trouve à Ogonabà" : nom de la place où se trouve l’Acacia albida, près du puits d’Ogona Ogorori : Nom d’une source qui se trouve dans la région de Kouria. Ogou : Nom du lieu où se déroula la bataille entre Kirêgou et Nawra. Ogoura-Kidi : Nom d’une localité du Dar-Zaghawa. Ogourda : Nom de l’épouse de Hirdi et mère de Dawsa, elle est du clan des Erdié.

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Ogourou (sultan) : Sultan des Zaghawa, fils de Neï et petit-fils de Haggar. Il succéda à son frère Mougou. Ondour : Nom de la grande mare se trouvant à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville Iriba. Ongous : Dans une famille, biens propres d’une personne. L’ongous d’un Sultan constitue un patrimoine public du Sultanat et si un Sultan meurt cet ongous dont font partie les esclaves, est hérité par son successeur. Onigué Béïra (Mogdoum) : Nom du Mogdoum Angou-maïkassoura, grandpère du Mogdoum Fadoul Kitir. Ordio : Nom d’un clan du Koubé Orini ou Dirê-Nguesta : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise Orou-bira : Terme qui désigne les gens de la cour du Sultan, chargés d’évaluer le douane et de se prononcer sur sa validité Ossou (Mogdoum) : Nom d’un Mogdoum du sous-clan des Angou Inakaïra Ossoubour : Nom d’un cheval que le Roi du Ouaddaï (Youssouf) offrit au Sultan des Zaghawa Hirdi lors de l’investiture de ce dernier Ouaddaï : Territoire de l’Est du Tchad qui avait, jadis, constitué un grand royaume Ouagna (ou Oundjou) : Nom d’une fraction des Bidéyat, habitant la région d’Ounianga. Ouara : Nom de l’ancienne capitale du Ouaddaï Oubé ou Oubéï (Mogdoum) : Un Mogdoum maïkassoura qui succéda à son grand-frère Ibo Assar. Oudou ou Outou : nom d’un wadi dans la région du B.E.T. Ouga : Epouse de Hirdi et mère de Borgou, elle est du clan des Borsou Ouguino-Bêrê : Année de grande famine appelée Année-Sans-Pluies par les Zaghawa Ouhourira : Nom d’un clan chez les Borogat Ouï : Région du Borkou habitée par les Donza ou Dôza Ouïbara : Nom d’un sous-clan des Noïra Ouïra : Nom d’un sous-clan des Noïra Ouled-Tâga : Nom qui désigne une tribu arabe

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Oumar (fils de Mahamat-Kano) : Fils de Mahamat-Kano, il serait l’ancêtre direct des Achira. Il fonda son premier foyer à l’emplacement du puits d’Achi Oumar (fils du sultan Horout) : Nom de l’un des nombreux fils de Horout Oumar Al-Fouty : Savant qui avait, selon l’informateur, quitté l’Arabie Saoudite sur instruction du Prophète ; il s’était installé à Ard-Al-Fâs (Fez) pour propager l’Islam. Oumar ou Dja’atné Oumar (dignitaire) : Nom de l’un des dignitaires et chefs de guerre du Roi du Ouaddaï. Oumar-Gouroun (prince) : Fils du Sultan Nafé. Oum-Chalouba : Nom d’une région de l’Ennedi Oumda : Titre arabe porté par les Chefs des Touer, fraction des Béri vivant dans le Dar-For au Soudan. Oundouï : Nom d’une région du pays des Borogat Ounianga ou Oundjouba : Nom d’une région de l’Ennedi, terroir des Ouagna. Ourba : Localité du Koubé à près de 40 kms au nord-est d’Iriba. Ourêra : Nom d’un clan des Bidéyat descendant de Touré-Têr Ouri Owretii [υrι owretíi] : Littéralement : "la girafe (y) est tombée", c’est, selon la légende des Wéra, une dépression au pied de la falaise qui avait permis aux deux forgerons de coincer et de tuer une girafe. Ourou : Montagne sur laquelle la sœur de Horout appelée Gouriya fut enlevée par l’ennemi et l’avait emportée comme esclave. Ourouïra : Nom d’un clan des Borogat sans espace géographique bien connu dans le B.E.T. Ousmane : Khalifat du Prophète S.A.S. Qoreïch : Nom de la prestigieuse tribu d’où est issu le Prophète Mohammed S.A.S. Râkib Ogourou : fils du Sultan Ogourou et demi-frère d’Abdel-Fagara, il essaya de combattre ce dernier pour lui arracher le trône Ramadan : nom du fils du chef des Bigui, Mahamat-Chérif, grand frère du Sultan Ibrahim du Kabka à qui fut attribué le cours d’eau qui porte le nom de Birguéba

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Ras-miya : Dans l’armée d’Ali Dinar, le ras miya était un officier à la tête d’un peloton de cent guerriers faisant face à la pénétration anglaise au Soudan anglo-égyptien Rizégâts : nom d’une tribu arabe S.A.S. : initiale de la formule que les Musulmans prononcent en entendant le nom de leur Prophète et qui veut dire "que le salut d’Allah soit sur lui !". Sa’ad : Nom de l’un des Compagnons du Prophète Mohammed S.A.S. Sàasa : Nom d’une région de Kabka. Sabat : Nom donné à un parfum royal. On pensait que les deux Rois, celui du Dar-For et celui du Ouaddaï, possédaient un parfum spécial appelé sabat que personne d’autre n’avait le droit de posséder sans leur aval. L’odeur dudit parfum servait aussi d’indication aux messagers du Roi. Sabre Djougoudoumi : Chef des Kouma avant l’arrivée des colons français. Il perdit son pouvoir pour avoir voulu venger son frère Guim Djougoudoumi tué par ces colons. Sâdir : nom d’un chef de Wê, successeur de Djâmane Said : Compagnon du Prophète Mohammed S.A.S. Salâma : Nom d’un chef des Guirikoullé que les Houbaïra auraient trouvé dans le territoire qui constitue actuellement le terroir des Houbaïra Salâmi Erus (sultan) : Nom de l’un des Sultans des Bigui Salâmi Médechina (sultan) : Nom de l’un des Sultans des Bigui Sâlim Abou-Hawa : Nom de l’une des personnalités que le Roi Ali Dinar avait choisies pour conduire Borgou auprès de son père afin de les réconcilier Sar : Nom d’un clan chez les Borogat. En gorane, Sar fait son pluriel en Sara. Sara : Nom de la communauté linguistique et culturelle vivant dans le sud du Tchad. Sara-Tchatto : Nom de la colline qui se trouve près de la ville de Fada. Sara-Tchatto est un terme gorane qui vient de : Sara (pluriel de Sar) et Tchatto [catto] qui signifie "extermination" ; Sara-Tchatto veut donc dire dans la langue des Goranes "extermination des Sara" Sârêne : Nom d’une localité du Dar-Zaghawa Sar-Madjingaye : Clan de la communauté du sud du Tchad connue sous le nom générique de Sara, vivant dans les régions de Koumra et de Sarh.

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Sar-Mara : Expression qui signifie "Sars rouges", c’est-à-dire blancs ou de teint clair, et qui désigne un sous-clan des Sars. Sar-Miyé : Expression qui signifie "Sârs noirs" et qui désigne un sous-clan des Sârs. Séïbo Gougourak : Nom d’un dignitaire de la cour de Hirdi entré en dissidence avec le prince Borgou. Séïra : Nom de l’oncle paternel de Mogdoum Fadoul. Séïra : Nom de la localité sur la rive de laquelle Tâ était mort. Sendi : Nom d’une colline et d’un village au sud de la sous-préfecture d’Iriba où le Sultan Ogourou avait fondé son village. La région de Sendi appartenait aux Biri à l’époque où les Béri dépendaient de ces derniers. Le conflit entre le futur sultan Haggar et son père eut lieu à une période où le pays des Biri était dirigé par un Sultan appelé Djâr. Sendi Korou : Ce nom signifie "trou de Sendi" ; il s’agit d’un passage étroit à travers la vallée de la colline de Sendi Serdêba : Nom d’une région du Bilia Siguéïra : Nom du clan dont le terroir est Ba-Siguèri ou Baskèri Siguéïra-Bibour : Sous-clan des Siguéïra qui se disent descendre de l’eau Siguiba : Cours d’eau dérivant d’Abnabak Simobà : Lieu de résidence du Sultan Irâkib Sînà-bôrî : Nom d’une marque clanique des Mamia et Kottira. Sina-Mani : Nom d’une mare dans le terroir des Gâra. Sini : Nom d’une région du B.E.T. Sini-Atiya-Mara : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise Sinira ou Siniré : Expression qui veut dire "habitant de Sini" ; nom du clan des Borogat descendant de Kaw-Téïri et dont le terroir est Sini. Sobok : Lieu où se trouve le tombeau du Sultan Adam des Bigui. Sobor ou Mogdoum Sobor : Nom d’un Mogdoum du sous-clan des maïkassoura ; Sobor fut un prétendant au trône du sultanat des Zaghawa, auprès du Roi du Ouaddaï en concurrence avec Hirdi. Sogoni : Nom d’une rivière dans le Dar-Zaghawa. Sômôr : Nom d’une marque clanique des Houbaïra. Sordo Haguir : Successeur de Mahamat Kourdjouk.

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Sosso Ousmane : Chef tama qui, ayant refusé de se soumettre aux Français, avait fui son pays. Sougâr ou Ina Sougâr : L’un des dignitaires ayant accompagné Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français. Sougou : Nom du troisième fils de Hilane, ancêtre des Angou norsira. Souleymane (sultan) : Sultan des Bigui, successeur du Sultan Ngôra. Souleymane Komé : Nom de l’un des fils d’Edim-Bournous. Soumra ou Soumoura : Nom donné aux habitants du Gourouf qui seraient venus du Sud, avant les Elichera. Soundouga : Nom d’une princesse zaghawa enlevée du Dar-Zaghawa et qui devint par la suite la mère du Roi du Dar-For. Sounna : Clan gorane résidant au Borkou. Soun-Têr ou Sounou-Têr : Terme qui signifie "Le Marchand Blanc" ; nom donné au premier chef de Wê, un arabe kordofan du Soudan, ancêtre des Wéra, Nawra, Borsou et Arna. Sourâdj : Nom d’une localité du Dar-Zaghawa. Sultan : Le plus haut titre de chefferie dans la communauté des Zaghawa. Le Sultan des Zaghawa dépendait soit du Roi des Fors soit de celui des Ouaddaïens. Tâ (sultan) : Fils de Koré, il fut le premier Sultan des Zaghawa à avoir posséder des timbales en cuivre remises par le Roi des Fors. Ta’acha : Tribu d’Arabes au Soudan. Tadjaddine (sultan) : Sultan des Massalit à l’arrivée des colons français. Tagnaw (ou Tagîgnaw) : Titre porté par le clan des Mira. Tâha : Compagnon du Prophète Mohammed S.A.S. Tâhir (fils du Kamkalak) : Fils et successeur du Kamkalak Dondor. Tamara ou Tama : Appellation en béria des Tama, communauté au sud des Béri. Tamiré : Nom d’un clan des Bidéyat. Tarding : Sultan des Bigui, père d’Erus et successeur du Sultan Djamous. Targari : Chef de Wê, successeur de Sounou-Têr. Taria : Localité du Koubé (Kobé).

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Tarkê : L’un des fils de Dêri-Berdo, il est un chef des Achira, descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Tât ou Tadi : Nom de l’ancêtre des Kottira, Mamia et Erdibéra. Tata Sougou : L’un de des chefs du groupe social d’origine sar vivant dans le nord de Moussoro. Tchawada : Nom d’un clan des Borogat. Tchika : Nom d’un clan vivant dans le Gourou, au B.E.T. Tchoulmaye : Ancêtre des Biressa, Kilignan et Gourkoullé. Téda-daza : Les linguistes appellent ainsi la communauté parlant la langue Gorane. Téda-Groua : Nom d’un clan de l’Ennedi. Téhi : Nom par lequel les Gâra désignaient les Ouaddaïens. Tendouï : Nom d’une marque clanique des Makka ou Maga. Tênê-Biri : Terme qui signifie « fille-bleue » en béria et qui désigne une montagne de Wê. Tènèw : Terme utilisé pour désigner un lien de parenté avec une femme : une femme est considérée comme tènèw par un clan lorsque sa mère est de ce clan. Térab-Lèbène : Nom propre d’un Roi des Fors, neveu de Horout. Terda ou Ina Terda : Nom propre du Chef de la région de Wê. Téribéra : Nom d’un sous-clan des Angou. Terkio : Nom du huitième chef des Achira, il est l’un des fils de Tobouro, descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Téyani ou Tiddjani : Père du Khalifa Déréb et beau-frère du Mogdoum Fadoul, il fut désigné par Nourêne, le chef de Wê pour accomplir une mission auprès du Roi du Ouaddaï pour lui offrir sa soumission. Tibé : Nom propre du frère du Sultan Aria. Tibissa : Nom de la marque clanique des Arni-Dobouzêne et des Erdibéra. Tigui : Localité par où l’ancêtre des Kouma et la suite du Cheikh Abdallah Waldam-Sawda auraient passé avant d’atteindre Innou. Tiké : Nom du benjamin des trois enfants de Haroun qui est un Houbaïra de Nyala du Soudan. Il avait fondé son foyer à Tourké. Timbale : La timbale en cuivre est le symbole du pouvoir chez les Zaghawa ; Un Sultan qui perd ses timbales perd son pouvoir.

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Tio : Nom propre d’une femme du clan des Kirêgou, épouse du Sultan Horout et mère du Sultan Haggar. Tirguéhorout : nom d’un sous-clan des Angou. Tiya : Nom de la fille aînée du sultan Haggar. Tobouï : Nom d’une colline dans le Dar-Zaghawa. Tobouïra : Nom d’un sous-clan des Angou. Tobouro ou Togouro : L’un des fils de Dêri-Berdo, il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Togouï : Nom d’une région que l’ancêtre des Siguéïra aurait conquise. Tokouriché : Nom du lieu où Houkka-Mina, ancêtre des Achira selon certaines informations, serait mort. Tolli : Nom du septième chef dans la généalogie des chefs Wourdi. Tollo : Montagne qui se trouve dans la région de Dourêne. Tom ou Sultan Tom : Sultan du Kabka, grand-père maternel du sultan Abderahman Haggar, père de sa mère Ammo Charfié. Tomour : Nom d’un chef des Wourdi ; il serait le premier arrivé dans le wadi Wour. Touba : Nom en béria donné aux Bidéyat. Toudjoumê ou Tchoutchoumê ou encore Soussoumê : Nom d’un clan des Borogat, descendant d’un Donzi ou Dôzi du canton actuel de Dôza au Borkou. Toudour : Région de Nanou où les Toundjours se trouveraient avant l’arrivée des quatre frères, à savoir les Wéra, les Nawra, les Borsou et les Arna. Toudoura : Terme dérivant de Toudour, puits dans la région de Wê ; il désigne les "habitants de Toudour". Toukka Seïd : L’un des fils de Seïd, il est un descendant de Houkka-Mina, ancêtre des Achira. Touméra ou Touméré : Nom d’un clan chez les Borogat. Touna : Nom en béria de l’actuelle localité de Tiné. Toundjere : Transcription de Toundjour dans l’Encyclopédie de l’Islam. Toundjour : Nom d’une communauté qui habitait le Ouaddaï avant l’arrivée d’Abdelkérim.

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Toundoubaye : Nom de la localité dans le Dar-For où résidait le Sultan des Bigui, du côté soudanais. Tourdou-Biri : Nom d’une région dans le terroir des Gâra. Tourê-Têr : Nom de l’ancêtre des Kouriara. Tourkone : Marque clanique qui serait commune aux Kouma, Daza Orta et Arabes Nadja’a. Tourouk : Déformation phonétique de Turc. Appellation que les Béri donnaient à tout blanc portant des habits courts. Touwêne : Nom d’une localité à une journée de marche de Hiriba ou Iriba Touer (ou Twer) : Nom de la fraction des Béri vivant au Soudan, dans la région du Dar-For. Towilé : Lieu où s’était installé Ibrahim-Fardâni après avoir quitté Abiat et avant d’arriver à Kabka. Towré ou Dowré : Nom de l’un des fils de Mahamat-Kano, ancêtre des Achira qui serait un savant musulman. Tréyé : Nom du maghrébin, père d’Abdelkérim du Ouaddaï, qualifié de « chinguitî ». Troumba : Dignitaire accompagnant Haggar lors de son arrestation à Arada par les Colons français Wachi : Nom d’une marque clanique des Kottiara. Wadaï Tolli : Nom du fils héritier du Chef des Borogat, Tolli Lougouma. Wagachî : Nom d’une marque clanique des Sinira Wandallah : Communauté vivant actuellement au Niger qui aurait jadis vendu sa terre aux Kouma. Ouara : Nom de l’ancienne capitale du Ouaddaï Warka-Kourra : Nom d’une région dans le B.E.T. Wayawaya : Nom d’une région dans le Dar-Tama. Wégui Oulagui : Clan d’origine Sar vivant actuellement dans le Dar-For (Soudan). Wêguira : Terme qui désigne, chez les gens du Koubé, une femme de la fraction des Béri dans le Dar-For et connue sous le nom de wégui : l’homme est wégui et la femme est wêguira. Wêkowra : Nom d’un clan dont le terroir est Kowra.

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Wéra : expression qui veut dire "habitant de Wê" et qui désigne les membres du clan dont le terroir est la région de Wê. Wour : Nom de la localité et de la ville du Tibesti dont la Lybie s’empara en décembre 1986. Wourdi : Nom d’un clan des Borogat ; d’origine tchika. Yacoub Annour (fils d’Ali) : Ancêtre des Elichera. Yacoub ou Malik Yacoub : Chef de Dourène dont les troupes renforcèrent celles de Hirdi pour attaquer le sultan Ardachâm du Koubé. Yébibou : Localité du Tibesti. Yiri (pl. Yiria) : Membre du clan gorane auquel seraient apparentés les Sars. Yiria (sg. Yiri) : Clan constituant un groupe social qui serait d’origine égyptienne, dont les Sara seraient originaires. Zaghawa ou Zaghaoua ou encore Zagawa : Communauté linguistique et culturelle vivant aux confins des deux Républiques : le Tchad et le Soudan. Zobéir : Compagnon du Prophète Mohammed S.A.S. Zouar : Ville du Tibesti que la Lybie s’empare en décembre 1986.

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BIBLIOGRAPHIE

Albert Le Rouvreur, Sahéliens et Sahariens du Tchad, L’Harmattan, Paris, 1989 Dr. Galtier-Boissière (sous la direction de), Larousse médical illustré, Librairie Larousse, Paris, 1952. Gouvernement du Tchad, Décrets N° 415/PR/MAT/02 et 419/PR/MAT/02 Grossard, Mission de délimitation..., cité par Marie-José Tubiana, 1925. Jean-Claude Zeltner, Pages d’histoire du Kanem, pays tchadien, Paris, l’Harmattan, 1980. Jean Malval, (ancien médecin des troupes coloniales), Essai de chronologie tchadienne, Éditions du CNRS, 1974. Nachtigal, Le voyage de Nachtigal au Ouaddaï, (traduction complète par Joost Van Vollenhoven, ancien élève de l’école coloniale), publié dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française en 1903. Marie-José Tubiana, - Contes Zaghawa, Quatre-Jeudis, Paris, 1962. - Survivances préislamiques en pays Zaghawa, Institut d’Ethnologie, Musée de l’Homme, Paris, 1964 - Des troupeaux et des Femmes. Mariage et transferts de biens chez les Béri (Zaghawa et Bidéyat) du Tchad et du Soudan, Le Harmattan, Paris, 1985 René Gros (administrateur adjoint de la F.O.M.), Histoire des Toundjour de Mondo (Kanem), in Les Arabes du Tchad (document de l’INSH, sans références bibliographiques) Pierre GONO (Colloque Intelligence de la Complexité), L’Hypothèse Générale de la Prospective Anthropolitique (PAP) Vol. I, Cerisy 23-30 juin 2005.

Zakaria Fadoul Khidir, - Le paysage linguistique d’une ville, de 1900 à nos jours, in Annales de l’Université de N’Djamena, série A n°3 (Lettres et Sciences Humaines), N’Djamena, pp. 81-100, 2007. - Le système des couleurs chez les Béri du Tchad, ULPA, Languages and literatures n°32, Leipzig. - Lexique des plantes connues des Bɛrι du Tchad, ULPA (Languages and literatures n°11), Leipzig, 1999. - Lexique des animaux chez les Béri du Tchad, ULPA (Languages and literatures n°17), Leipzig, 1999. - Bases et radicaux verbaux. Déverbatifs et déverbaux du bɛrιẚ (langue nilosaharienne), Nilo-Saharan Vol. 20, Rüdiger Köppe Verlag, Cologne, 2005.

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LES INFORMATEURS ET COLLABORATEURS

Pour l’histoire du Koubé (ou Kobé) Abderahmane Haggar Térab : Sultan des Zaghawa Koubé, il fut le successeur de son père le sultan Haggar Térab. A sa mort, c’est son fils Bokhit qui accéda au trône mais celui-ci fut destitué par Décret présidentiel au profit de son demi-frère Tahir-Mansour. Adam Tendi : Âgé de 90 ans environ (au moment de l’enquête), il est né à Ousou-Aba d’Ondour ; il est assesseur au tribunal coutumier d’Iriba. Bichara Dawsa Abderhaman Hirdi : Sultan des Zaghawa de Tiné au Darfor (Soudan). Il succéda à son père le Sultan Dawsa fils du Sultan Hirdi. Le sultan Hirdi fut éliminé en 1912 à Tiné par le futur sultan Haggar Térab soutenu par les colons Français. Douda Libiss Abderhaman Hirdi : Fils du Sultan Abderhaman Hirdi, il est âgé de 82 ans (au moment de l’enquête) ; il est né à Bir-Maradans une localité de koulbous au Soudan. Fadoul Kitir Oniigué : Du clan des Angou et beau-fils du sultan Abdrramane Haggar, Fadoul Kitir fut le mogdoum du nord-est du Kobé ; il succéda à son gand-père le mogdoum Onigué. Il fut intronisé très jeune par le sultan Haggar Térab, puis destitué en 1958 par son fils le sultan Aderahmane Haggar au profit du frère de ce dernier, Adam-Bakhit. Fadoul Kitir fut rétabli par le GUNT à l’avènement de celui-ci mais destititué de nouveau par le régime de Hissein Habré ; il mourut en 1989 dans son village, à Ourba. Presque toute la partie concernant les différents sultans du Koubé a été transcrite initialement sous sa dictée, depuis fort longtemps (depuis que j’étais au lycée) et que j’ai répartie en onze (11) chapitres : le sultanat et le Mogoudoumat du Koubé (Kobé) ; le premier sultan du Koubé (Kobé) ; le complot d’Aria ; le mensonge du sultan Aria ; le compot d’Oumar et la perte des fils de Horout ; le sultan Horout et son fils Haggar ; le mort du sultan Haggar ; le guêt-apens ; les quatre prétendants et la ruse de Hirdi ; la mort mystérieuse de Nafé et enfin la révolte des Borsou et l’arrivée des Français.

Pour les Bidéyat et les Ouagna Berdeï Terkio (ou Terguiyo) : Ancien Chef de canton des Achira mais destitué au profit de Tolli Lougouma, il est né à Achi et âgé de quatre-vingt cinq (85) ans au moment de l’enquête. Il est actuellement décédé. Fadoul Bilayo Bédéryo : Âgé de 60 ans, il est né à Abéché et réside à Batan-Djanna (entre le Batha et le BET). Il est éleveur et jardinier et possède une palmeraie à Faya. Il appartient au clan des Kouma mais ne parle que l’arabe et le gorane (teda-daza) Halimé Fadoul Kitir :Ménagère, âgée de près de 75 ans (au moment de l’enquête), elle est née à Ourba. L’aîné des enfants de Mogdoum Fadoul Kitir, sa mère est du clan des Sârs. La légende relative à l’extermination des Sars a été racontée par elle. Kaloubou Anni Kébir : Du clan des Gaïda Gabadjoura, il est né vers 1909 à Ounianga-Kébir, assesseur représentant des Ouagna à Fada. Souleymane Adouma : Fonctionnaire à la Direction des impôts, il est luimême de mère Kouriara ; il réside à N’Djamena. Toïna Haliki : Du clan des Elichéra, il est le chef de race des Elichéra à N’Djamena. Wadaï Tolli Lougouma : Il est né vers 1944 à Terboul (Ennedi), en fonction depuis neuf ans en tant que représentant de son père qui était chef de canton des Borogat mais trop vieux et malade pour pouvoir diriger ses hommes. Wadaï Tolli est devenu chef de canton titulaire depuis le décès de son père. Siddick Nourêne Cherif : 43 ans, né à Fada mais résidant à N’Djamena ; il est ingénieur en aéronautique. Il parle le bɛrιẚ, le gorane et l’arabe. Djaga Djibril : Agent de sécurité résidant à N’Djamena, il parle le gorane, l’arabe et le béria. Ahmat Mahamadi : De la communauté gorane (il est Yiri), résidant à N’Djamena, il est historien, maître assistant à l’université de N’Djamena. El-Hadj Choua Hemchi : 65 ans, né à Fada, chef de race des Sars résidant à N’Djamena. Il parle le gorane et l’arabe. Ibrahim Mokki : 57 ans, militaire à la retraite, résidant à N’Djamena. Il parle le béria et lérabe. Adam Hassan dit Adam Kodoï : Lui-même Sar, il réside à Bakaouré (Iriba). Il parle le béria et l’arabe. Abdelkérim Zibert Daoud : Locuteur natif de la communauté Sar, il parle outre le béria, l’arabe.

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Pour l’histoire des Bigui Faqhi Hâchim Abdoulaye Etime : Chef de canton des Bigui du Tchad, il est âgé de 77 ans (au moment de l’enquête) ; il est né à Kabka Sàasa et réside à Matadjana (Kabka). Il est actuellement décédé. Hassan Borgou : Sultan des Bigui du Soudan, il est né vers 1909 à Bir-Niswâne au Soudan ; il réside à Toundoubaye (Soudan). Il est actuellement décédé.

Pour l’histoire de la chefferie de Wê Abdoulaye Guerdi Moussa : Fils du Malik Guerdi Moussa, il est âgé de 32 ans (au moment de l’enquête) ; il est né à Karkour-Nourêne où il réside comme représentant de son père. Guerdi Moussa (Malik) : Le malik Guerdi Moussa est le chef de canton des Wêra (habitants de Wê ou Karkour-Nourêne). Beau-fils du Sultan Abderahmane Haggar Térab, il réside dans son village à Karkour-Nourêne.

Pour l’histoire de l’Aguidat de Guruf Adam-Moursal Abdoulaye Issaka (aguid) : L’aguid Adam-Moursal Abdoulaye succéda à son père l’aguid Abdoulaye Issaka à la tête du canton de Guruf depuis 1973 ; il est âgé de 54 ans (au moment de l’enquête). Il réside dans son village au Guruf.

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Le Tchad aux éditions L’Harmattan Dernières parutions

POUR LE TCHAD Récit au cœur de la révolution

Medella Youssouf Moussa - Préface de Hassan Mahamat Abbas Ce livre porte un jugement sans complaisance sur certains événements de la révolution tchadienne. L’auteur, actuellement chef de canton de Médéléa (Kanem), et coordinateur adjoint des autorités traditionnelles du Tchad, ancien membre du Front de Libération Nationale, a été ministre, conseiller chargé de mission à la présidence, ambassadeur au Soudan, puis promu général de brigade en 2006. Il dévoile ici des informations historiques inédites et des secrets qui éclairent les zones obscures de cette période dite «de révolution». (Coédition Al Mouna, 19.00 euros, 190 p.) ISBN : 978-2-343-03025-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-38095-7 LES NGAMBAYES Une société de la savane arborée du Tchad

Maikoubou Dingamtoudji

Les Ngambayes forment l’une des populations de la savane arborée à l’extrême sud du Tchad. Ce livre parle de tout ce qui les entoure, de la terre et du fleuve, des différents types de végétation et du climat. On y découvre aussi leurs coutumes, leurs traditions, leur langue, leurs croyances et leurs pratiques magiques ainsi qu’un grand nombre de renseignements sur le territoire ngambaye, son organisation politique, sa monnaie, son artisanat, sa richesse naturelle et beaucoup d’autres détails surprenants. (Coll. Études africaines, 24.00 euros, 254 p.) ISBN : 978-2-343-03837-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-37346-1 TCHAD LES PARTIS POLITIQUES ET LES MOUVEMENTS D’OPPOSITION ARMÉS DE 1990 À 2012

Haggar Hissein Idriss

Le multipartisme intégral, tel qu’il existe au Tchad, ne rime pas forcément avec démocratie et a donné naissance à plus de 150 partis n’ayant aucune influence sur la vie politique. Afin d’éviter que le pays ne sombre dans un chaos généralisé et incontrôlable, l’auteur propose une démocratie éducative et constructive en limitant le nombre des partis politiques. Une fois la démocratie bien enracinée auprès des populations par la formation, l’éducation et le civisme et rendue possible l’alternance politique par les urnes, la limitation se fera d’elle-même. (Coll. Pour mieux connaître le Tchad, 31.00 euros, 302 p.) ISBN : 978-2-343-04796-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36481-0 BATAILLE LA DE N’DJAMENA  2 FÉVRIER 2008 Récit

Koulamallah Abderaman

Abderaman Koulamallah raconte ici la folle chevauchée motorisée de plus de 1000 kilomètres, qui a permis la prise de N’Djamena, le 2 février 2008, à laquelle il a participé au cœur d’une coalition rebelle déterminée à renverser Idriss Déby, ainsi que les événements qui ont suivi, et

le repli de l’expédition. La victoire de N’Djamena, fait d’armes exceptionnel, a surpris tout le monde, mais l’expédition a fini en repli. Que s’est-il passé ? Comment expliquer ce gâchis ? (18.00 euros, 282 p.) ISBN : 978-2-343-05077-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-36771-2 CONFLITS LES SOCIAUX AUX RIVAGES DU LAC TCHAD DUS À LA RÉGRESSION DU NIVEAU DES EAUX Le cas des populations du canton de Bol (nouvelle édition)

Ndadoum Nadmian

Le lac Tchad, quatrième en Afrique et septième dans le monde, a connu une régression rapide dans les quarante dernières années. La raréfaction des ressources en terres cultivables et en eau ainsi que le manque de coopération entre les acteurs impliqués dans la gestion des ressources en eau du lac expliquent la recrudescence des conflits entre cultivateurs, éleveurs et pêcheurs. Qui sont ces acteurs ? Quels rôles jouent-ils ? Comment communiquent-ils les uns avec les autres ? (Coédition Al Mouna, 12.00 euros, 106 p.) ISBN : 978-2-336-30973-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36510-7 DICTIONNAIRE PRATIQUE DU FRANÇAIS DU TCHAD

Djarangar Djita Issa

Ce dictionnaire est conçu pour permettre à l’utilisateur de s’exprimer en français tout en continuant à regarder le monde et à penser dans les langues tchadiennes : avec lui, le français devient langue tchadienne. Pour le touriste de passage comme pour l’étranger qui vit au Tchad, posséder cet ouvrage c’est déjà mettre un grand pays en poche pour un tourisme linguistique et culturel. Pour l’enseignant et l’apprenant, il est un outil pédagogique qui leur donne les moyens de se comprendre. (Coll. Études africaines, 39.50 euros, 416 p.) ISBN : 978-2-343-04070-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35476-7 RELATIONS LES ENTRE FRONTALIERS Cameroun-Tchad

Domo Joseph

Les frontières nées de la colonisation séparent des groupes sociaux qui ont toujours partagé un environnement commun. Désormais, les peuples se reconnaissent comme appartenant à des réalités différentes. La tendance est à la poursuite d’une coopération soutenue et au renforcement des liens à travers la densification et la modernisation des moyens de communication. La mobilité des populations, rendue plus fluide, autorise une meilleure approche des rapports interindividuels dans le cadre formel de la CEMAC. (Coll. Études africaines, 21.00 euros, 210 p.) ISBN : 978-2-296-99781-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-53172-7 AFFAIRE L’ HISSÈNE HABRÉ Aspects judiciaires nationaux et internationaux

Sall Alioune - Préface de Abdoul Gourmo Lô

Cet ouvrage est celui d’un décryptage ordonné, méthodique d’une instance judiciaire en déploiement hégélien... L’auteur nous invite à un presque récit philosophique d’un droit en perpétuelle réinvention, du fait des nécessités de notre temps dont l’Affaire Habré est une belle illustration. (12.00 euros, 96 p.) ISBN : 978-2-296-99549-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-52994-6 DES GROTTES DU DARFOUR À L’EXIL Chronique d’une lutte inachevée

Haggar Hissein Idriss - Préface d’Acheikh Ibn-Oumar De juin 1992 à 1995, une guérilla oppose l’armée tchadienne, épaulée par les Soudanais, aux combattants du Conseil national de redressement du Tchad, dirigé par le colonel Abbas Koty Yacoub. Ce petit groupe armé, retranché dans les grottes du Darfour, mena une résistance acharnée et courageuse contre le régime dictatorial et clanique du président Idriss Déby, avec des

moyens dérisoires. Ce sont les mouvements de ces combattants, leur vie quotidienne jalonnée d’attentes, d’emprisonnements et de combats, que décrit cette chronique. (Coll. Pour mieux connaître le Tchad, 31.00 euros, 302 p.) ISBN : 978-2-336-29162-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-51599-4 NOMS LES DE PERSONNES CHEZ LES NGAMBAYES DU TCHAD

Maikoubou Dingamtoudji

Cet ouvrage dresse un répertoire des noms propres de personnes chez les Ngambayes du Tchad. Chaque nom peut être considéré comme un message qui nous renseigne, soit sur les circonstances qui ont présidé à la naissance de l’enfant, soit sur des expériences vécues par les parents ou le clan au moment de la naissance. Les noms ngambayes parlent. Voici mis en valeur ces joyaux du génie de la langue ngambaye. (Coll. Etudes africaines, 13.50 euros, 126 p.) ISBN : 978-2-336-00506-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-51186-6 CINQUANTE ANS DE LA VIE DE L’EGLISE CATHOLIQUE AU TCHAD Épreuves et espérance

Vandame Charles

Missionnaire au Tchad depuis plus de 50 ans, l’auteur livre ses réflexions. Les missionnaires catholiques ont-ils vraiment respecté les cultures et religions africaines traditionnelles ? Comment l’Église catholique gère-t-elle ses relations avec les Eglises protestantes et avec le culte musulman ? Comment se passe la rencontre entre la culture africaine, marquée par un fort esprit communautaire, et la culture moderne, marquée par un extrême individualisme ? (Coédition Al Mouna, 14.00 euros, 136 p.) ISBN : 978-2-336-00109-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50902-3 DÉVELOPPEMENT LE DE L’ÉDUCATION EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE Exemple du Tchad

Hagam Salé

Après avoir démontré que les acquisitions des élèves restent inférieures aux ressources mobilisées, cette étude, à travers l’exemple du Tchad, propose des pistes en vue de l’amélioration organisationnelle des systèmes éducatifs des pays d’Afrique subsaharienne. (Coll. Educations et sociétés, 30.00 euros, 304 p.) ISBN : 978-2-336-00310-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50953-5 ÉLOGE DE L’AMITIÉ FRATERNELLE

Abdel-Rhamane Haggar Ali

L’auteur, militant des droits de l’homme et de la non-violence, s’interroge dans cet ouvrage sur ce qu’est être tchadien aujourd’hui. (Coédition Al Mouna, 16.50 euros, 162 p.) ISBN : 978-2-336-00067-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50854-5 TCHAD LE SUR LA VOIE DE LA RENAISSANCE

Ngardiguina Abdoulaye - Préface de Hassan Sylla Bakari Le 1er décembre 2010, date de la commémoration de la 20e édition de la Journée de la Démocratie et de la Liberté, le président de la République du Tchad annonce l’an 1 de la Renaissance. Une nouvelle page de l’histoire du pays venait de s’ouvrir. Le Tchad sur la voie de la Renaissance est une analyse du discours fondateur de cette ère nouvelle. (Coll. Harmattan Cameroun, 12.50 euros, 112 p.) ISBN : 978-2-296-99103-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-50198-0 AUTOUR DU LAC TCHAD Enjeux et conflits pour le contrôle de l’eau

Bertoncin Marina, Pase Andrea

Depuis les années 1960, des projets de développement fondés sur des techniques modernes d’irrigation se sont installés tout autour du lac Tchad, dans la certitude de vaincre ainsi les

sécheresses récurrentes. Dans ce contexte, le projet d’irrigation n’a pas seulement pour but la modernisation de la production : il intervient en profondeur sur les relations entre population et territoire, en modifiant les dynamiques sociales et celles du pouvoir. (Coll. Etudes africaines, 36.50 euros, 360 p.) ISBN : 978-2-296-99057-9 UNE SAISON AU TCHAD Juillet 1979-février 1985

Soubeste Claude

Dans un récit rehaussé d’anecdotes truculentes, cocasses ou dramatiques, l’auteur évoque les péripéties de sa mission consulaire à N’Djamena, de son séjour en Guinée équatoriale, voyage au bout de l’ennui, et de son ambassade au Tchad pendant les années de guerre civile. (Coll. Mémoires du XXe siècle, 14.00 euros, 132 p.) ISBN : 978-2-296-96835-6

L·HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino KDUPDWWDQLWDOLD#JPDLOFRP L·HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L·HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662

L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 657 20 85 08 / 664 28 91 96 [email protected]

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L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL SÉNÉGAL L’H 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] www.harmattansenegal.com L’HARMATTAN %e1,1 ISOR-BENIN 01 BP 359 COTONOU-RP Quartier Gbèdjromèdé, Rue Agbélenco, Lot 1247 I Tél : 00 229 21 32 53 79 [email protected]

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Anthropologie des populations tchadiennes Les Béri du Tchad Les Béri constituent une communauté culturelle et linguistique émiettée en une multitude de clans. Chaque clan a sa petite histoire sur son origine et ses mœurs : stratégie d’occupation des terres, superstitions diverses, rites agraires et pastoraux, interdits alimentaires ou vestimentaires, rôle des tabous et des totems, etc. Des pactes d’amitié et des alliances matrimoniales créent des liens entre l’ensemble de ces unités sociales et les familles regroupées spécifiquement dans des clans, engendrant ainsi une toile complexe et difficile à comprendre. De plus, le sentiment qui habite chaque individu et qui sous-tend la cohésion du foyer, du clan et, plus largement, de l’ethnie, est suffisamment fort pour créer un complexe social de fierté, d’honneur et de solidarité, souvent en référence à l’ancêtre mais aussi parfois aux exploits passés, ce qui peut susciter un malaise vis-à-vis du monde extérieur. La connaissance d’une telle structure est nécessaire pour toute entreprise de développement ou de réforme bénéfique à la communauté et à la nation tchadienne tout entière. Tel est l’objectif de ce livre qui se veut une description et une interprétation fidèle des faits racontés par les intéressés.

Zakaria FADOUL KHIDIR est titulaire d’une HDR en anthropologie linguistique et enseigne toujours à l’université de N’Djamena après sa retraite. Il a à son actif trois romans, une étude sur la grammaire du bériá et des travaux de recherche en linguistique/phonétique, éducation, etc. Il a occupé plusieurs postes à responsabilité et est actuellement conseiller du MESRS. Il mène parallèlement des activités associatives de défense des droits de l’homme.

Etudes africaines Série Anthropologie

ISBN : 978-2-343-08122-9

35 €