Vatican II: Concile De Transition Et De Renouveau; La Contribution Des Eveques et Theologiens Belges (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium, 323) (French Edition) 9789042946064, 9789042946071, 9042946067

La contribution des eveques et theologiens belges au Concile Vatican II a ete largement mise en lumiere en 2005 lors d&#

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 9789042946064, 9789042946071, 9042946067

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VATICAN II: CONCILE DE TRANSITION ET DE RENOUVEAU LA CONTRIBUTION DES ÉVÊQUES ET THÉOLOGIENS BELGES LEO DECLERCK

VATICAN II: CONCILE DE TRANSITION ET DE RENOUVEAU LA CONTRIBUTION DES ÉVÊQUES ET THÉOLOGIENS BELGES

BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM EDITED BY THE BOARD OF EPHEMERIDES THEOLOGICAE LOVANIENSES

Louis-Léon Christians – Joseph Famerée – Éric Gaziaux – Joris Geldhof Arnaud Join-Lambert – Mathijs Lamberigts – Johan Leemans Annemarie C. Mayer – Olivier Riaudel (secretary) Matthieu Richelle – Joseph Verheyden (general editor)

EDITORIAL STAFF

Rita Corstjens – Claire Timmermans

Université catholique de Louvain KU Leuven Louvain-la-Neuve Leuven

BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM CCCXXIII

VATICAN II: CONCILE DE TRANSITION ET DE RENOUVEAU LA CONTRIBUTION DES ÉVÊQUES ET THÉOLOGIENS BELGES PAR

LEO DECLERCK Avec une Préface du Prof. É. FOUILLOUX

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2021

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. ISBN 978-90-429-4606-4 eISBN 978-90-429-4607-1 D/2021/0602/93 All rights reserved. Except in those cases expressly determined by law, no part of this publication may be multiplied, saved in an automated data file or made public in any way whatsoever without the express prior written consent of the publishers. © 2021 – Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven (Belgium)

TABLE DES MATIÈRES Avant-Propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

Préface (Étienne Fouilloux). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV   1. La contribution de la «squadra belga» au concile Vatican II. 1   2. Les relations entre le cardinal Montini / Paul VI (1897-1978) et le cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II. 37   3. Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77  4. La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique Humanae vitae: Chronique d’une déclaration (juillet – décembre 1968) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95   5. Mgr E.J. De Smedt et le texte conciliaire sur la religion juive (Nostra aetate, n° 4). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167   6. Mgr J.M. Heuschen et le concile Vatican II. . . . . . . . . . . . . . . 213  7. Note sur les archives conciliaires de Mgr A.-M. Charue et son rôle au concile Vatican II. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251   8. Mgr Albert Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265   9. Les relations entre le cardinal Montini/pape Paul VI et Mgr/ cardinal J. Willebrands: Quelques données nouvelles d’après les archives personnelles de Willebrands. . . . . . . . . . . . . . . . . 347 10. Le Journal conciliaire de Monseigneur Pericle Felici . . . . . . . 373 11. La «Settimana nera» de la troisième session du concile Vatican II. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393 12. Les réactions de quelques periti du concile Vatican II à la Nota Explicativa Praevia (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429 13. La réponse de la Conférence épiscopale belge au Questionnaire du cardinal Ottaviani. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 461 14. Les 13 suggerimenti envoyés par Mgr Felici au cardinal ­Ottaviani, le 19 mai 1964. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493

VIII

table des matières

Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511 Index onomastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513

PUBLICATIONS ORIGINALES  1. M. Lamberigts – L. Declerck, La contribution de la «squadra belga» au concile Vatican II, dans Anuario de Historia de la Iglesia 21 (2012) 157-183.  2. L. Declerck – T. Osaer, Les relations entre le Cardinal Montini – Paul VI (1897-1978) et le Cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II, dans Notiziario 51 (2006) 47-77 et dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-laNeuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 285-323.  3. L. Declerck, Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II, dans RTL 41 (2010) 499-518.  4. L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68.  5. M. Lamberigts – L. Declerck, Mgr E.J. De Smedt et le texte conciliaire sur la religion juive («Nostra Aetate», n° 4), dans ETL 85 (2009) 341-384.  6. L. Declerck – M. Lamberigts, Mgr. J.M. Heuschen en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 47 (2017) 5-49.  7. M. Lamberigts – L. Declerck, Note sur les archives conciliaires de Mgr A.-M. Charue et son rôle au concile Vatican II, dans P. Chenaux – K.P. Kartaloff (éds), Il concilio Vaticano II e i suoi protagonisti alla luce degli archivi, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2017, 137-151.   8. D. Bosschaert – L. Declerck – C. Troisfontaines, Mgr Albert Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II, dans D. Bosschaert – J. Leemans (éds), Res opportunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, ­Peeters, 2020, 31-113.  9. L. Declerck, Les relations entre le Cardinal Montini/Pape Paul VI et Mgr/Cardinal J. Willebrands: Quelques données nouvelles d’après les archives personnelles de Willebrands, in Notiziario 66 (2013) 29-48.

X

PUBLICATIONS ORIGINALES

10. L. Declerck, Le «  Diario  » conciliaire de monseigneur Pericle Felici, dans Centro Vaticano II. Studi e Ricerche, Roma, Lateran University Press, 2015, IX/2, 157-175. 11. L. Declerck – M. Lamberigts, De «Zwarte Week» (Settimana nera) van de derde conciliezittijd (14-21 november 1964), dans Collationes 44 (2014) 403-434. 12. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcivescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. 13. L. Declerck – M. Lamberigts, La réponse de la Conférence épiscopale belge au Questionnaire du cardinal Ottaviani, dans C. ­Sorrel (éd.), Renouveau conciliaire et crise doctrinale: Rome et les Églises nationales (1966-1968), Lyon, Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, 2017, 219-251. 14. Inédit.

AVANT-PROPOS Le présent recueil d’articles ne peut être publié sans l’expression de nos vifs remerciements, en premier lieu au prof. É. Fouilloux. Non seulement il a eu l’amabilité d’écrire une préface, mais il nous avait encouragé à rassembler ces articles en vue d’une publication. Il est superflu de dire que pendant la rédaction de ces contributions, les travaux, conseils et directives du Prof. Fouilloux nous ont toujours été très précieux. Nous tenons aussi à témoigner notre gratitude aux divers éditeurs de ces textes qui nous ont permis et même encouragé à rééditer «leurs» articles dans le présent volume. La plupart des articles présentés concernent le rôle de la squadra belga pendant le Concile. Nous en avons été le témoin direct en habitant comme eux au Pontificio Collegio Belga à Rome. On comprendra que les articles traitent surtout du De Ecclesia (avec Gérard Philips, André-Marie Charue, Joseph-Marie Heuschen, Albert Prignon), du De Revelatione (avec André-Marie Charue, Lucien Cerfaux, Béda Rigaux, Joseph-Marie Heuschen, du De Libertate religiosa et De Religionibus non christianis (avec Émile-Joseph De Smedt) et de Gaudium et spes, avec son chapitre sur le mariage (avec Léon-Joseph Suenens, Joseph-Marie Heuschen et Victor Heylen). Dans ces diverses Constitutions et Déclarations, l’influence des Belges a été prépondérante. La fréquentation au Collège belge de ces évêques et experts a été un kairos qui nous a permis d’expérimenter combien le rôle des Belges dans les travaux du Concile a été efficace. Évitons cependant tout «triomphalisme». Il arrivait aussi aux Belges de se disputer et d’exprimer des avis divergents. Mais tous étaient convaincus de l’importance de l’événement conciliaire et de leur responsabilité au service du renouveau de l’Église. À cet effet, les évêques ont collaboré intensément avec leurs théologiens, surtout de l’Université catholique de Louvain. Ils sont entrés en relation avec leurs collègues évêques de sorte que le Collège belge s’est presque transformé en un «laboratoire» du Concile. Les archives révèlent aussi le rôle important du recteur du Collège, Mgr Prignon, alors que les documents officiels ou les Acta Synodalia mentionnent à peine son nom. La recherche dans les archives impose parfois de revenir sur certaines opinions courantes à l’époque du Concile et même sur ses propres souvenirs. Ainsi, on était convaincu que Paul VI faisait trop de concessions à la «minorité» en vue d’obtenir la quasi-unanimité des voix, alors qu’en

XII

avant-propos

fait il y était poussé par ses propres inquiétudes théologiques, concernant notamment l’exercice de la collégialité, l’inerrance et l’historicité de l’Écriture et la contraception. Par ailleurs, Mgr Parente, assesseur du Saint-Office et réputé comme fort conservateur, a appuyé de toutes ses forces la sacramentalité et la collégialité de l’épiscopat. L’étude de la genèse des textes montre avec quel sérieux et quel professionnalisme ils ont été rédigés. On a pu leur reprocher – à l’époque mais encore de nos jours – d’être parfois des textes de compromis. Cela est arrivé. Il reste qu’un bon compromis, s’il est honnête, résulte souvent de positions équilibrées. La recherche historique s’enrichit de nouvelles découvertes et force à évoluer. Il reste beaucoup de travail à réaliser, notamment dans l’Archivio Apostolico Vaticano. Pensons par exemple à l’histoire des 70 schémas préparatoires. Bien souvent, ils sont plus nuancés qu’on ne le croit. Ils reflètent l’esprit du temps et sont le résultat d’opinions diverses et de discussions serrées, même dans le petit cercle des experts romains. Et le rôle de l’épiscopat des États-Unis, des évêques africains (la Panafricaine avec ses groupes francophone et anglophone) et celui des évêques de l’Indonésie attendent encore à être mis en lumière. Il faut toujours se souvenir de l’adagium Concilium Episcoporum est. Il faut souhaiter que les archives des pontificats de Jean XXIII et de Paul VI soient bientôt disponibles. L’ouverture des archives des cardinaux Döpfner, Suenens, Tisserant, Larraona et Medina Estevez permet de deviner l’importance de ces fonds pontificaux. Le présent recueil invite à réexaminer certaines positions à partir des sources. Un événement aussi complexe que Vatican II ne se laisse pas enfermer dans le carcan des idéologies unilatérales. Et la richesse des Acta Synodalia invite les chercheurs à scruter en profondeur d’autres archives et d’autres documents. Nous profitons de cette occasion pour exprimer notre dette de reconnaissance envers plusieurs institutions universitaires qui nous ont aidé de diverses manières dans nos recherches, d’abord la Faculté de Théologie et des Sciences religieuses de la Katholieke Universiteit Leuven (Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II) et en particulier Jan Grootaers(†), Mathijs Lamberigts, Karim Schelkens, Dries Bosschaert, Alois Greiler, Wim Verschooten, et Anton Milh. Et nous ne pouvons oublier l’aide précieuse de Mme Rita Corstjens pour l’édition des textes. Nous remercions également la Faculté de Théologie de l’Université catholique de Louvain (le Centre Lumen gentium), particulièrement avec Claude Soetens(†), Joseph Famerée, André Haquin, Eddy Louchez, et Claude Troisfontaines. Nous voudrions mentionner également la Fondazione per le

avant-propos

XIII

scienze religiose Giovanni XXIII à Bologne et plus spécialement Giuseppe Alberigo(†), Alberto Melloni et Silvia Scatena, le Centro Vaticano II de l’Université Pontificale du Latran (spécialement Philippe Chenaux) et Loïc Figoureux. Leur aide nous a été d’un grand concours. Avoir accès aux archives est une condition indispensable pour toute recherche historique. Nous avons été largement aidé par les archivistes Piero Doria (Archivio Apostolico Vaticano), Sr Anne-Marie Abel (Institut Catholique de Paris), Peter Pfister et Guido Treffler (Diocèse de Munich), Mgr Franco Giulio Brambilla et Andrea Bellani (Facoltà Teologica di Milano), Bruno Bosatra et Giselda Adornato (Diocèse de Milan), Gerrit Vanden Bosch (Diocèse de Malines-Bruxelles), Dom Lambert Vos (Chevetogne), Kurt Priem et Doenja Van Belleghem (Diocèse de Bruges), Daniel Meynen (Diocèse de Namur), Christian Dury (Diocèse de Liège), Herman Cosijns et Lieve Truyen (Conférence épiscopale belge), Ludo Collin (Diocèse de Gand). Encore une fois, nous ne pouvons que remercier les nombreux chercheurs qui nous ont guidé avant ou après la publication de certains de nos travaux. Nous avons pu compter sur la science et l’appui de cette communauté internationale. Nos échanges nous ont été une aide indispensable et nous ont procuré la joie du travail en équipe. Le lecteur de nos articles constatera qu’il y a un certain nombre de redites. Elles sont dues au fait qu’il s’agit tantôt d’articles de revue, tantôt de contributions à des ouvrages collectifs, écrits entre 2006 et 2020 et destinés à divers pays. Il était inévitable que certains événements du Concile soient rappelés dans plusieurs de ces contributions. De même quelques corrections et une mise à jour de la bibliographie ont été insérées dans les textes. Puissent ces quelques articles faire prendre conscience de l’actualité du concile Vatican II qui n’a pas encore donné tous ses fruits. La recherche historique elle-même a encore de beaux jours devant elle. Elle peut nous faire comprendre avec plus de précision le sens des textes et la dynamique de l’événement conciliaire.

PRÉFACE Prêtre du diocèse de Bruges, Leo Declerck a bénéficié de deux carrières successives. On pourrait presque dire de deux vies, tant ces carrières ont été productives dans des registres différents bien que connexes. Il a été, durant la première, l’un des principaux administrateurs de l’Église catholique en Belgique. Né en 1938 à Ostende, dans le diocèse de Bruges, il a tôt voulu être prêtre. Mais il n’a pas suivi pour cela le cursus ordinaire. Remarqué pour ses capacités intellectuelles, il a été envoyé par son évêque, Mgr Émile-Joseph De Smedt, au Collège belge de Rome pour y faire des études cléricales supérieures. Il a obtenu ainsi, sur les bancs de l’Université Grégorienne, une licence de philosophie scolastique en 1959 et une licence de théologie en 1963. Entre-temps, il a été ordonné prêtre en 1962 pour le diocèse de Bruges. Maintenu deux ans à Rome comme vice-recteur du Collège belge entre 1963 et 1965, il regagne ensuite sa patrie pour assumer des fonctions importantes dans son diocèse, puis dans l’Église belge. Secrétaire de l’évêché de Bruges et professeur au grand séminaire diocésain en 19661967, il occupe ainsi pendant cinq ans, entre 1967 et 1972, le poste clé de directeur du secrétariat de la Conférence épiscopale de Belgique, poste qui en fait un proche collaborateur du cardinal Suenens au moment où celui-ci, au climax de la «crise catholique», fait figure de challenger du pape Paul VI. Il rentre ensuite à Bruges pour y devenir, durant un quart de siècle, vicaire général du diocèse et, à ce titre, l’un des collaborateurs quotidiens de Mgr De Smedt, jusqu’à son retrait en 1984, puis de son successeur Mgr Vangheluwe. Chanoine titulaire en 1992, le rectorat du béguinage de Bruges lui fournit une position de repli jusqu’en 2016, date de son installation dans une maison de retraite. Loin d’arrêter son activité, le repli au béguinage ouvre pour Leo Declerck une seconde carrière: celle d’archiviste et d’historien du rôle de la «squadra belga» au concile Vatican II. Élève puis vice-recteur du Collège belge, il a été, avec son ami Claude Troisfontaines, un témoin passionné de l’événement conciliaire et l’une des «petites mains» utilisées par le recteur, Mgr Albert Prignon, homme de confiance du cardinal Suenens. Sous son impulsion, le Collège belge était devenu un foyer actif de rencontre entre évêques et experts, belges ou pas, impliqués dans la rédaction des documents majeurs du Concile, les trois constitutions sur la Révélation, sur l’Église et sur l’Église dans le monde de ce temps ­notamment.

XVI

préface

Le jeune abbé Declerck a participé alors à la dactylographie, à la reproduction et à la diffusion de bien des documents issus des travaux menés au Collège belge. Cette familiarité ancienne avec les hommes et les péripéties de Vatican II est pour lui un atout de poids quand il décide de consacrer le temps retrouvé au classement et à l’inventaire des principaux fonds conciliaires belges (ou néerlandais), sources majeures pour l’histoire en cours d’élaboration du «premier concile de Louvain à Rome». Convaincu de la priorité du recours aux sources pour éviter les reconstitutions hasardeuses, Leo Declerck entreprend, à partir des années 1990, de mettre à disposition des chercheurs des outils facilitant l’accès à ces fonds d’archives et leur consultation. D’où deux séries de publications menées à bien par ses soins. D’une part l’édition critique ou la présentation des journaux tenus au Concile par quelques-uns des membres de la «squadra belga», source dont l’utilité n’est plus à prouver: carnets conciliaires de Mgr André-Marie Charue, évêque de Namur et vice-président de la Commission doctrinale du Concile (avec Claude Soetens, Louvain-la-Neuve, 2000); journal de Mgr Prignon pour la quatrième session de Vatican II (avec André Haquin, Louvain-la-Neuve, 2003); présentation des carnets de Mgr Gérard Philips, secrétaire-adjoint de la même commission et maître d’œuvre de trois des constitutions doctrinales du Concile (Leuven, 2003); agendas conciliaires de Mgr Jan Willebrands, adjoint du cardinal Bea au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens (Leuven, 2009); présentation des Mémoires du cardinal Suenens sur le Concile (Leuven, 2014). D’autre part des inventaires détaillés, avec résumés de nombreux documents, des papiers conciliaires du cardinal Suenens (avec Eddy Louchez, Leuven, 1998), de ceux de Mgr Philips (Leuven, 2001), de Mgr Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, et du professeur Heylen (Leuven, 2005), de Mgr Charue (Leuven, 2017), et surtout des archives de Mgr Willebrands: archives personnelles (Leuven, 2014) et dossiers sur la Conférence catholique pour les Questions œcuméniques conservés au monastère de Chevetogne (Leuven, 2015), avec le complément des papiers d’Emmanuel Lanne, moine du même monastère (Leuven, 2017). Chacun de ces volumes dispose d’un appareil critique conforme aux exigences de la méthode historique (introduction, notes et index onomastique). La sèche énumération qui précède rend mal compte de la somme de travail ainsi mobilisée. Il faut avoir vu, comme le rédacteur de ces lignes, Leo Declerck à l’œuvre parmi la masse des cartons Willebrands pour avoir une idée de l’ampleur de la tâche effectuée. Même s’il n’avait fait que ce travail d’archivage et d’inventaire, Leo Declerck aurait mérité la reconnaissance des historiens du concile Vatican II. Mais il a fait plus,

préface

XVII

malgré une modestie que seuls les encouragements et l’aide du professeur Mathijs Lamberigts ont permis de vaincre. Il a extrait chemin faisant du matériau inventorié, seul ou dans une rédaction à quatre mains, nombre d’articles originaux, dispersés dans des revues et des recueils plus ou moins difficiles d’accès, qui montrent que leur auteur fait figure d’expert sur l’histoire mouvementée du dernier Concile. Il devenait urgent de les rassembler pour prendre la mesure de l’œuvre accomplie. Tel est l’objet du présent ouvrage qui en rassemble les plus importants, selon un choix qui est celui de Leo Declerck lui-même. Sans en déflorer la lecture, il faut signaler quelques-uns de ses apports à une histoire du Concile occupant pourtant des rayons entiers de bibliothèque. Le volume saisit d’abord par la rigueur d’une méthode qu’on pourrait appeler positive, sinon positiviste. Leo Declerck connaît bien sûr les débats autour de l’interprétation de Vatican II, mais il ne s’y arrête guère, car tel n’est pas son propos. Ce qui le motive, ce n’est pas la controverse à caractère idéologique, mais le souci d’apporter du neuf et du solide, avec les documents inédits qu’il a mis à disposition des chercheurs, sur quelques-unes des péripéties de l’événement conciliaire et de ses suites immédiates. On remarquera d’ailleurs que ses textes ne choisissent pas entre les «écoles»: il publie là où on veut bien l’accueillir et rend justice à toutes, pourvu qu’elles respectent la priorité documentaire qui est sa règle de travail. Présent à Rome au moment du Concile et dans les coulisses du Concile, puis proche collaborateur de Mgr De Smedt et du cardinal Suenens, dont l’influence sur le cours de Vatican II n’est plus à prouver, Leo Declerck aurait pu mobiliser nombre de souvenirs pour donner une tournure subjective à ses tentatives de reconstruction. Manifestement il s’y est refusé. Dans ses publications, le témoin s’efface délibérément derrière l’historien, sauf en de rares notes infrapaginales, quand le document fait défaut. Sa mémoire des hommes et des situations aide sûrement Leo Declerck dans son travail d’historien, mais il ne la sollicite que parcimonieusement de façon explicite. Un tel souci de rigueur s’étend également aux sujets traités. À de rares exceptions près, tous les textes qu’on va lire concernent des évêques et des experts belges. Belge lui-même, d’origine flamande, Leo Declerck aurait pu être tenté de valoriser, voire de magnifier, le rôle de ses compatriotes dans l’événement conciliaire. Son parti pris quasi janséniste de retrait derrière les documents l’en empêche. De chacun des épisodes étudiés, il fournit la reconstitution la plus plausible en se gardant bien de tout jugement, positif ou négatif, sur les protagonistes et sur leurs décisions. S’il ne méconnaît pas ce qui peut être porté à leur actif, il ne dissimule

XVIII

préface

pas non plus les zones d’ombre de leur parcours conciliaire. Ce volume n’est donc pas un hymne à la gloire de la «squadra belga», mais une appréciation mesurée de son rôle, au plus près de la documentation disponible, sur un certain nombre d’épisodes cruciaux. Le préfacier n’a pas à choisir dans ce qu’il invite à lire. Il peut seulement faire état de ses coups de cœur, qui sont la trace de son ignorance avant lecture. Le héros de ce livre, s’il en faut un, est sans doute le cardinal Suenens, figure majeure et contestée de la période. Dans deux textes importants repris ici, Leo Declerck documente de façon passionnante son différend avec le pape Paul VI au lendemain du Concile, sur le contrôle des naissances bien sûr, mais aussi sur la gouvernance de l’Église. Il éclaire ainsi de façon décisive un face à face au sommet de l’Église dans le contexte troublé des «années 68». Mgr De Smedt, évêque de Leo Declerck, est un autre personnage important du recueil, mais on y trouvera aussi un texte récent sur le rôle méconnu, dans les coulisses du Concile, de Mgr Prignon, recteur du Collège belge. Mon choix est évidemment subjectif. Tous les textes de ce recueil méritent une lecture attentive, car tous apportent du neuf, y compris sur des péripéties qu’on croit bien connaître comme la «semaine noire» de Vatican II en novembre 1964. L’article repris ici sur la dernière semaine de la troisième session conciliaire m’avait échappé, car il a été publié en flamand. Nul doute qu’il m’aurait été utile quand je me suis livré récemment à une reconstitution de la même péripétie1. Il faudra comparer… Par-delà l’intérêt spécifique de chacun de ces extraits, leur rassemblement prouve que Leo Declerck n’est pas seulement l’archiviste indispensable de l’événement Vatican II vu de Belgique, mais un historien à part entière de l’Église catholique en Concile dont il est aujourd’hui l’un des plus fins et des plus scrupuleux connaisseurs. Étienne Fouilloux Professeur émérite d’histoire contemporaine Université Lumière – Lyon 2

1.  La «semaine noire» de Vatican II, dans G. Cuchet – C. Mériaux (éds), La dramatique conciliaire de l’Antiquité à Vatican II, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2019, 347-365.

1 LA CONTRIBUTION DE LA «SQUADRA BELGA» AU CONCILE VATICAN II Introduction Le rôle relativement important joué par les Belges (évêques et periti) au concile Vatican II peut étonner1. Ni leur nombre (une dizaine d’évêques et autant de periti)2, ni les réponses fournies à la consultation du cardinal D. Tardini3 ne pouvaient présager de cette influence. En effet, quel impact pourraient avoir 7 diocèses belges sur un total d’environ 1.500 diocèses dans le monde? Et les vota introduits par les évêques belges étaient tout sauf révolutionnaires. Comme les membres de la curie, les évêques belges étaient convaincus en 1962 que le Concile – un peu à l’instar du Synode romain – était surtout une question «romaine» qui tout au plus durerait quelques mois. * Cf. M.  Lamberigts – L. Declerck, La contribution de la «squadra belga» au concile Vatican II, dans Anuario de Historia de la Iglesia 21 (2012) 157-183. 1.  Pour une bibliographie, voir Annexe. 2.  Nous ne prenons pas en considération: a) les évêques missionnaires belges et leurs periti (comme B. Olivier, A. Seumois, X. Seumois, L. Vermeersch). b) les supérieurs généraux belges de congrégations religieuses qui avaient également le titre de «Pères conciliaires» (notamment J. Janssens s.j., O. Degrijse c.i.c.m., H. Systermans ss.cc., J. Van Kerckhoven m.s.c.). c) les periti belges «romains» (séjournant à Rome et appartenant à la curie romaine, à des congrégations religieuses ou aux universités ecclésiastiques). Il s’agit ici, entre autres, de C. de Clercq, É. Dhanis, F. Morlion, A. Raes, G. Van den Broeck, D. Van den Eynde qui n’appartenaient pas au groupe des théologiens belges travaillant en union étroite avec l’épiscopat belge. L’orientation théologique des «romains» était souvent plus «traditionnelle». 3.  Cf. D. Claes, Aan de vooravond van het Concilie: De ‘Vota Antepraeparatoria’ van de Belgische, Luxemburgse en Nederlandse bisschoppen voor het Tweede Vaticaans Concilie, Mémoire de Licence, Faculté de Théologie, Leuven, 1992; C. Soetens, Les ‘vota’ des évêques belges en vue du Concile, dans M. Lamberigts – C. Soetens (éds), À la veille du concile Vatican II: Vota et réactions en Europe et dans le catholicisme oriental (Instrumenta Theologica, 9), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1992, 38-52; M. Lamberigts, The ‘vota antepraeparatoria’ of the Faculties of Theology of Louvain and Lovanium (Zaïre), ibid., 169-184; J.  Famerée, Les évêques belges: Des ‘vota’ à la première période de Vatican II, dans É.  Fouilloux (éd.), Vati­ can II commence… Approches francophones (Instrumenta Theologica, 12), Leuven, ­Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1993, 146-162.

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Plusieurs théologiens de Louvain4 ne cachaient d’ailleurs pas leur scepticisme au sujet des résultats possibles du futur Concile et jugeaient non sans un certain dédain et une certaine ironie le travail de leurs collègues dans les commissions préparatoires. Les préparations matérielles semblaient trahir ce même esprit. Le Collège belge où les évêques devaient loger ne disposait que de 25 chambres («cellules») de séminaristes (sans eau chaude ni salle de toilette) et d’un seul appareil téléphonique. Aucune voiture ne lui était attachée et l’équipement de bureau était fort restreint (il n’y avait même pas une machine à polycopier). Le vieux cardinal J.E. Van Roey (86 ans en 1960) avait tout de même fait installer un ascenseur, parce qu’il était devenu presque incapable de marcher. Cependant, à partir de la 2ème session, la presse italienne commença à parler d’une squadra belga aussi redoutable que la squadra azzurra, l’équipe nationale du football italien. Cette squadra belga occupait en effet une place dominante aussi bien au sein de la direction générale du Concile (avec le cardinal Suenens comme un des quatre modérateurs) qu’à la commission doctrinale (avec Charue comme 2ème vice-président et Philips comme secrétaire adjoint) et également au Secrétariat pour l’Unité (avec De Smedt et Thils). De plus le Pontificio Collegio Belga était vu comme un centre stratégique où étaient élaborées les manœuvres de la «majorité» conciliaire. Certains parlaient même d’un Concilium Vaticanum II, Lovaniense I ou d’un Concilium Mechliniense, Romae habitum. Ceci ne manquait pas de susciter des jalousies ou de blesser certains chauvinismes (notamment de quelques Français) et bientôt la squadra belga prit une dimension mythique, comme s’il s’agissait d’une organisation structurée, avec une direction centralisée et une puissante infrastructure. La réalité était pourtant beaucoup plus modeste. Si ce petit groupe de Belges (une vingtaine de personnes en tout) a joué un rôle plutôt disproportionné dans Vatican II, il faut l’attribuer à un concours quasi fortuit de plusieurs facteurs: 1° le bâtiment du Collège belge, qui était le centre de l’équipe belge; 2° un certain nombre de personnalités exceptionnelles; 3° le catholicisme belge dans les années ’60; 4° les qualités et caractéristiques des évêques et periti belges au Concile.

4.  Notamment l’exégète Mgr J. Coppens, qui peut-être était déçu de ne pas avoir été nommé membre de la commission préparatoire théologique (cf. ses Chroniques, dans ETL durant ces années).



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Nous examinerons tout d’abord ces quatre facteurs plus en détail et nous essaierons ensuite de décrire l’influence des Belges sur le déroulement du Concile et sur quelques-uns de ses textes majeurs, ce qui nous amènera à faire un premier bilan provisoire. I. Le Pontificio Collegio Belga,

centre de la

«squadra belga»

Le Collège belge, érigé par l’épiscopat belge en 1844 pour héberger les clercs diocésains belges envoyés étudier à Rome, était situé à la Via del Quirinale 26, au centre de Rome, en face du palais du président de l’Italie. Outre les 25 étudiants, la maison hébergeait 4 religieuses qui s’occupaient de la cuisine. Elle disposait aussi de deux salons où l’on pouvait réunir jusqu’à 100 personnes. Pendant les sessions du Concile, la plupart des évêques belges et quelques experts était logée au collège tandis que la moitié des étudiants était logée dans une pension des environs. Pendant les intersessions il y avait de la place pour accueillir 5 évêques ou periti. La situation centrale dans la ville du collège présentait maints avantages: on se trouvait à 5 minutes de la Grégorienne et de l’Angélique, dans le voisinage immédiat du Collège canadien (où logeait le cardinal P. Léger), de la maison de Saint-Sulpice et à 10 minutes du Collège hongrois-germanique (où se trouvaient notamment le cardinal Döpfner, modérateur comme Suenens, et le théologien influent Karl Rahner). De fait, pendant le Concile, le Collège belge a été un lieu pratique pour beaucoup de réunions de sous-commissions et de groupes de travail. Même le mouvement «Jésus, l’Église et les pauvres», soutenu notamment par Mgr C.M. Himmer, évêque de Tournai, tenait ses assises dans les salons du collège5. Le nouveau recteur Albert Prignon, nommé en août 1962, se révéla bientôt un hôte dévoué, serviable et aimable pour ses invités. Il mit le collège entièrement à la disposition des activités conciliaires et entreprit rapidement des travaux d’aménagement nécessités par les circonstances. En effet, dès le mois de novembre 1962 le collège disposait d’une centrale téléphonique avec 3 lignes extérieures et 15 postes, d’une seconde voiture (après celle apportée par le recteur), de deux machines dactylographiques électriques, d’un appareil à polycopier et 5.  Cf. D. Pelletier, Une marginalité engagée: Le groupe «Jésus, l’Église et les pau­ vres», dans M. Lamberigts – C. Soetens – J. Grootaers (éds), Les Commissions con­ ciliaires à Vatican II (Instrumenta Theologica, 18), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1996, 63-89.

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à photocopier et même d’un vélomoteur (le moyen de transport le plus rapide dans une Rome toujours encombrée). Mentionnons aussi que le collège disposait d’une bibliothèque bien fournie, ce qui a rendu de grands services aux théologiens engagés dans les travaux de la commission doctrinale. De plus, à partir de la 2ème session, Prignon avait obtenu des évêques un vice-recteur L. Declerck pour l’assister dans la gestion du collège, et Mgr Charue, évêque de Namur, avait libéré à mi-temps un jeune d­ octorant C. Troisfontaines de son diocèse pour l’assister et aider la squadra belga. Ainsi un modeste mais cependant fort efficace secrétariat a été mis sur pied, ce qui a rendu de grands services pendant le Concile: des textes furent multipliés et ronéotypées, des fiches rédigées, des modi colportés dans Rome. Et surtout les milliers de modi de Lumen gentium, de Dei Verbum et de Gaudium et spes ont été triés, classés et ventilés au Collège belge, travail qui normalement aurait dû être fait par le secrétariat de la commission doctrinale, mais ce secrétariat s’était révélé incapable de travailler à un rythme soutenu6. Le fait qu’un certain nombre d’évêques et théologiens belges étaient logés au même endroit, se rendaient ensemble aux réunions et se rencontraient tous les jours aux repas s’est révélé d’une importance capitale pour échanger des informations, accorder les violons et déterminer la tactique à suivre. Le climat de convivialité rendait d’ailleurs le dur travail conciliaire plus supportable et aidait à soutenir les tensions inévitables. Pour se rendre compte de l’importance de ce travail solidaire, il suffit de faire la comparaison avec l’épiscopat français dont les nombreux évêques étaient dispersés dans plusieurs séminaires ou hôtels à Rome et n’avaient guère des contacts suivis avec leurs théologiens (appartenant d’ailleurs en majorité au clergé régulier). Quand Yves Congar est appelé à l’initiative de De Smedt et de Prignon pour collaborer en mars 1963 au nouveau De Ecclesia, il sera accueilli au Collège belge et il continuera à y loger pendant toutes les intersessions. Au Collège belge, il disposait en effet d’un ascenseur, d’une voiture qui le conduisait aux réunions, et de dactylographes qui multipliaient 6.  Certains, comme Mgr Heuschen, ont même suggéré que Mgr Felici aurait voulu boycotter ce travail parce qu’il était opposé au contenu de certaines constitutions et à leur promulgation à la fin de la 3ème session. Cf. L. Declerck, Inventaires des Papiers conci­ liaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Com­ mission doctrinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen], 541.



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ses textes7. D’ailleurs il savait que «le centre du travail est là [au Collège belge]»8. II.  Les

principaux protagonistes de la

«squadra

belga»

La squadra belga comportait en premier lieu les évêques résidentiels de la Belgique auxquels il faut ajouter l’évêque auxiliaire de Liège, Mgr Heuschen. Tous étaient membre d’un organisme ou d’une commission conciliaire: L.-J. Suenens (commission centrale préparatoire, Secretariatus de negotiis extra ordinem, commission de coordination, modérateur); A.-M. Charue (commission doctrinale); E.J. De Smedt (Secrétariat pour l’Unité); K.J. Calewaert9 (commission pour la liturgie); G.M. van Zuylen (commission pour le clergé); J.V. Daem (commission pour les séminaires et l’éducation catholique); C.M. Himmer (à partir de la 4ème session, commission De Episcopis), J.M. Heuschen (à partir de la fin de la 2ème session, commission doctrinale). Parmi les théologiens qui ont collaboré étroitement avec les évêques il faut mentionner: G. Philips, A. Prignon, G. Thils, L. Cerfaux, C. Moeller, P. Delhaye, B. Rigaux o.f.m., A. Dondeyne, W. Onclin, V. Heylen. Un petit nombre de periti non belges a collaboré étroitement avec la squadra belga: Yves Congar (ecclésiologue), A.-G. Martimort (liturgiste), R. Etchegaray (du secrétariat de la Conférence épiscopale française), Miguel Bonet (catalan, juge à la Rote) et Jorge Arturo Medina Estévez (canoniste chilien, homme de confiance du cardinal R. Silva Henríquez, archevêque de Santiago du Chili). Dans le cadre restreint de cet article nous nous limitons à présenter ici brièvement quatre évêques et deux théologiens belges, qui ont joué un rôle important au Concile.

7.  Il est caractéristique que H. de Lubac s.j., le plus grand théologien français de l’époque, était venu au Concile comme expert privé d’un obscur évêque missionnaire du Madagascar, qu’il a logé pendant le Concile dans l’un ou l’autre hôtel ou dans des maisons de congrégations religieuses, qu’il n’avait personne pour multiplier ses textes ou pour le conduire aux réunions. La «Fille aînée de l’Église» ne semblait pas disposer d’une tactique conciliaire fort efficace. 8. Cf. Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Jour­ nal Congar], II, p. 54. 9. Cf. M. Lamberigts, Msgr. Calewaert, Bishop of Gent, and Sacrosanctum concilium, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 611-632.

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1.   Cardinal Léon-Joseph Suenens (1904-1996), archevêque de Malines-Bruxelles10 Déjà membre de la commission préparatoire De Episcopis ac de dioe­ ceseon regimine (27.7.1960)11, Suenens, devenu entre temps (15.12.1961) archevêque de Malines-Bruxelles et cardinal (19.3.1962), fut nommé membre de la commission centrale préparatoire le 24 mars 1962. De mars 1962 à janvier 1963 il s’est efforcé de donner au Concile une structure et d’élaborer un plan global pour le Concile. À cet effet il a tenu au Collège belge deux réunions (juin et décembre 1962) avec plusieurs cardinaux importants (notamment Liénart, Montini, Döpfner, Siri). À la commission de coordination (à partir de décembre 1962) Suenens fut chargé de suivre les schémas De Ecclesia, Gaudium et spes et De Beata. En septembre 1963, Paul VI le nomme modérateur du Concile en même temps que Döpfner, Agagianian et Lercaro, ce qui lui a permis d’exercer une influence notable sur le déroulement du Concile. C’est grâce à Suenens qu’un nouveau schéma De Ecclesia a été introduit en février 1963 et que le schéma XIII est devenu une réalité. C’est aussi Suenens qui a pu forcer, malgré l’opposition tenace d’Ottaviani et de Felici, le vote sur les 5 Questions d’orientation, le 30.10.1963 (concernant la collégialité et la sacramentalité de l’épiscopat)12, qui ont marqué un tournant dans le débat ecclésiologique. 10.  Voir notamment: L.-J. Suenens, Aux origines du concile Vatican II, dans NRT 107 (1985) 3-21; Id., Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991, pp. 55-131; M. Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution (n. 9), 61-217; L. Declerck – T. Osaer, Les relations entre le Cardinal Montini / Paul VI (1897-1968) et le Cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II, ibid., 285-323; L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens (Cahiers de la RTL, 31), Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 [= F. Suenens]; L. Declerck, Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II, dans RTL 41 (2010) 499-518; L.J. Cardinal Suenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W. Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 38), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014. 11. Dans cette commission Suenens a collaboré étroitement avec C. Morcillo, archevêque de Saragosse (cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines [Cahiers de la RTL, 35], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal Prignon], pp. 210 et 263). Suenens appréciait beaucoup Morcillo comme le prouve sa lettre à Jean XXIII (16 mai 1962) qui recommande au pape de nommer l’archevêque de Saragosse secrétaire d’une commission conciliaire (F. Suenens 380). Cependant cette amitié ne durera pas pendant le Concile. 12.  Le 15.10.1963, G. Benelli, auditeur à la nonciature de Madrid et ami personnel de Suenens, lui écrit que ce vote a été interprété par les prêtres espagnols comme une ­manifestation antipapale. Et il suggère à Suenens de faire une déclaration solennelle en faveur de la primauté (cf. F. Suenens 1526) mais cette suggestion n’eut pas de suite.



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Le rôle de Suenens dans l’élaboration de Gaudium et spes a été déterminant et on sait aussi que, pendant tout le Concile, il a œuvré pour un élargissement de la morale traditionnelle concernant les moyens de contrôle de naissance13. Suenens était «plutôt un homme d’action qu’un penseur» (A. Prignon) et faisait appel à beaucoup de collaborateurs pour réaliser ses projets14. Il était un orateur polyglotte et brillant, sachant manipuler les media. Son courage, sa persévérance et son habilité tactique (qui n’excluait pas l’une ou l’autre manœuvre) étaient remarquables. Par son engagement dans la «Légion de Marie», Suenens avait en outre des relations dans le monde anglo-saxon et pendant le Concile il était devenu un ami de Dom Helder Camara. 2.  Mgr André-Marie Charue (1898-1977), évêque de Namur15 Rien ne laissait présager que Charue, homme discret et timide, aurait pu jouer un rôle important au Concile. Disciple de Lucien Cerfaux et magister en théologie de l’Université de Louvain, il avait enseigné pendant des années l’exégèse au grand séminaire de Namur. De plus, il avait publié sur la sacramentalité de l’épiscopat et sur la spiritualité du clergé diocésain, publication qui avait été remarquée par le cardinal Montini et qui lui avait valu une certaine renommée parmi les évêques français.

13. Cf. Declerck, Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II (n. 10). Le cardinal a même réussi à impliquer le roi Baudouin dans cette cause. En effet, celui-ci a transmis à Paul VI une note demandant une étude nouvelle, note que le pape a fait parvenir à Felici pour la transmettre à Ottaviani (le nom du roi n’était pas révélé, le pape parlant uniquement de «una altissima personalità») (cf. AS VI, II, p. 392). 14.  Comme exemple on peut citer son discours in aula sur les charismes dans l’Église (22.10.1963) dont le texte était entièrement rédigé par Hans Küng. Toutefois la conclusion qui demandait que des femmes – «mulieres quae, ni fallor, dimidiam partem humanitatis constituunt» – puissent assister aux assises conciliaires et qui a été amplement citée dans les media, était de la main de Suenens. 15.  Cf. P. Delhaye, Quelques souvenirs du Concile, dans Au service de la Parole de Dieu: Mélanges offerts à Monseigneur André-Marie Charue, Évêque de Namur, Gembloux, Duculot, 1969, 149-177; L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 (avec une Introduction par C. Troisfontaines, pp. 5-25) [= Carnets Charue]. L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Cha­ rue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017.

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En octobre 1962, il a été élu membre de la commission doctrinale, où on a bientôt remarqué sa compétence exégétique et théologique. Le 2 décembre 1963, il a été élu deuxième vice-président de cette commission doctrinale. Cette fonction, qu’il a prise très à cœur, lui donnait accès aux leviers de commande de la commission la plus importante du Concile, qui a élaboré trois des quatre grandes constitutions conciliaires. Charue était aussi apprécié pour son honnêteté fondamentale (il n’a jamais tramé d’intrigues) et sa persévérance pour arriver au but qu’il s’était fixé. Sa modération et son esprit conciliant étaient appréciés par tous, même par la «minorité»16. Charue a collaboré intensément avec Heuschen et Philips et avec les exégètes de l’école louvaniste: L. Cerfaux, B. Rigaux, J. Dupont. Son influence sur les constitutions Dei Verbum et sur Lumen gentium (avec le chapitre sur la Vierge Marie) a été déterminante. Et, à plusieurs reprises, Paul VI lui a demandé son avis sur des questions théologiques. À la fin de la 4ème session, Mgr Garrone, qui avait été chargé par Paul VI de mener le schéma XIII à bon port, a associé Charue (de même que Schröffer et Ancel) à sa mission, notamment pour qu’il se porte garant de la qualité théologique de ce schéma critiqué, parfois non sans raison, par des théologiens surtout allemands. 3.  Mgr Emiel-Jozef De Smedt (1909-1995), évêque de Bruges17 Malgré le fait que le diocèse de Bruges n’était guère confronté à la problématique œcuménique, Mgr Willebrands a fait nommer De Smedt 16.  Quand, le 2.12.1963, après son élection comme vice-président Charue disait à Ottaviani qu’il n’avait pas toujours été d’accord avec lui, celui-ci répondit: «Mais cela n’est rien, vous ne versez pas dans les excès» (Carnets Charue, p. 131). 17. Cf. M. Lamberigts, Msgr Emiel-Jozef De Smedt, Bishop of Bruges, and the Sec­ ond Vatican Council, dans M.T. Fattori – A. Melloni (éds), Experience, Organisations and Bodies at Vatican II (Instrumenta Theologica, 21), Leuven, Bibliotheek van de Facul­ teit Godgeleerdheid, 1999, 431-469; A. Greiler – L. De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Biblio­ theek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999 [= F. De Smedt]; C. Troisfontaines, Mgr De Smedt et la Déclaration «Dignitatis Humanae», dans Gregorianum 88 (2007) 761779; L. Declerck – C. Troisfontaines, Témoignage sur Mgr De Smedt et la liberté religieuse, dans R. Latala – J. Rime (éds), Liberté religieuse et Église catholique: Héri­ tage et développement récents (Studia Friburgensia, 106), Fribourg, Éditions universitaires, 2009, 25-30; L. Declerck – C. Troisfontaines, Paul VI et la liberté religieuse, dans R.  Papetti (éd.), La trasmissione della fede: L’impegno di Paolo VI. Colloquio internazionale di studio, Brescia, 28-29-30 settembre 2007, Brescia, Istituto Paolo VI, 2009, 121-127; A. Greiler – L. De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999.



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membre du Secrétariat pour l’Unité en octobre 1960. Tout de suite il sera engagé dans la sous-commission IV chargée de préparer des projets de textes sur le sacerdoce des fidèles et sur la liberté religieuse. De Smedt rédigera (avec l’aide de A. Dondeyne, R. Aubert et L. Janssens, professeurs de l’Université de Louvain) un premier texte sur la liberté religieuse en décembre 1960 (le texte de Fribourg). C’était le début de sa fonction de «relator» d’un des textes les plus difficiles et controversés du Concile. Tout au début de la 1ère session il contribuera grandement à la confection de listes de candidats-évêques pour les votes des commissions conciliaires. Déjà, lors de la 1ère session, son art oratoire avait impressionné les Pères, notamment avec une attaque incisive contre le schéma De Fonti­ bus Revelationis (19.11.1962) et une philippique, le 1er décembre 1962, contre le schéma De Ecclesia auquel il reprochait son juridisme, son triomphalisme et son cléricalisme. Le 27 février 1964, il a été élu avec Mgr Heenan, vice-président du Secrétariat pour l’Unité. Pendant la 3ème intersession, en juillet 1965, il entreprend avec Mgr Willebrands et le Père Duprey un voyage au Proche-Orient pour aplanir les difficultés soulevées par des patriarches et évêques orientaux contre le texte De Iudaeis dans la déclaration Nostra aetate18. De Smedt était un travailleur acharné qui se dévouait corps et âme – non sans passion – au but qu’il s’était fixe. En plus il avait le sens de la collaboration et de l’organisation, jusque dans les détails pratiques et logistiques. Au plan théologique il était moins compétent que Charue, mais il avait la sagesse de se laisser conseiller par des théologiens compétents et la souplesse de suivre leurs injonctions, même quand il était personnellement d’un autre avis. Étant délégué de l’épiscopat belge pour l’Amérique latine, De Smedt avait aussi de bonnes relations avec plusieurs évêques de l’Amérique du Sud notamment Mgr M. Larraín. Par le biais des nombreux missionnaires du diocèse de Bruges, De Smedt avait aussi développé des contacts suivis avec de nombreux évêques des pays du Tiers Monde.

18.  Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, Mgr E.J. De Smedt et le texte conciliaire sur la religion juive («Nostra Aetate», n° 4), dans ETL 85 (2009) 341-384. Iid., Vatican II on the Jews: A Historical Survey, dans M. Moyaert – D.  Pollefeyt (éds), Never Revoked: Nostra Aetate as Ongoing Challenge for Jewish-Christian Dialogue (LTPM, 40), Leuven – Paris – Walpole, MA, Peeters; Grand Rapids, MI – Cambridge, Eerdmans, 2010, 13-56.

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4.  Mgr Jozef-Marie Heuschen (1915-2002), évêque auxiliaire de Liège (1962), premier évêque de Hasselt (1967)19 Mgr Heuschen s’est engagé tout au début du Concile dans l’élection des commissions conciliaires (notamment par une visite chez le cardinal Frings, le 12.10.1962, pour demander le report de ces élections) et il a immédiatement collaboré avec son ami Mgr Philips au nouveau schéma De Ecclesia en octobre 1962. Toutefois son rôle devient officiel quand il est élu membre de la commission doctrinale (28-29.11.1963) par les Pères, grâce notamment à l’appui du cardinal Döpfner20. Heuschen était un excellent exégète et patrologue et un travailleur acharné. Avec Charue et Philips il a été très actif dans la commission doctrinale pour la rédaction de Lumen gentium, Dei Verbum et Gaudium et spes. À plusieurs reprises il a préparé des textes par des réunions avec quelques periti belges à Louvain ou à Hasselt, notamment le chapitre sur le mariage dans Gaudium et spes qui a été élaboré en janvier 1965 à Hasselt21. Son mérite principal a été l’organisation de la ventilation des 15.000 modi de Lumen gentium en octobre-novembre 1964. Un petit groupe, nommé «subcommissio advisoria» (avec Charue, Heuschen, Philips et chaque fois, selon les chapitres, le président de la sous-commission impliquée), a préparé les réponses à tous les modi, qui ont été ensuite – souvent pendant la nuit – écrites à la machine par Heuschen lui-même et multipliées au Collège belge pour être ensuite soumises à la commission doctrinale le lendemain matin. Il est superflu de noter que de cette façon le groupe belge a gardé la haute main sur la dernière version du texte. C’est aussi Heuschen qui ensemble avec le prof. V. Heylen a élaboré le compromis sur les 4 modi que le pape avait envoyé le 23 novembre 1965 au sujet des moyens de contraception. Finalement le pape a donné son accord à un texte qui laissait la question en suspens22.

19. Cf. L. Declerck – M. Lamberigts, Mgr. J.M. Heuschen en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 47 (2017) 5-49; Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen (n. 6). 20.  Döpfner et Heuschen s’étaient connus pendant leurs études à la Grégorienne et Heuschen était lauréat de leur promotion. 21. Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505. 22. Cf. J.M. Heuschen, Gaudium et spes: Les modi pontificaux, dans Lamberigts – Soetens – Grootaers (éds), Les Commissions conciliaires à Vatican II (n. 5), 353-358 et Journal Prignon, pp. 217-253.



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Paul VI a toujours apprécié la connaissance profonde que Heuschen avait des textes conciliaires et il comptait sur lui pour leur interprétation dans l’après Concile23. 5.  Mgr Gérard Philips, (1899-1972), professeur de théologie à l’Univer­ sité catholique de Louvain et sénateur24 En arrivant au Concile Philips disposait d’une grande expérience dans trois domaines: – Comme professeur de théologie dogmatique de la Faculté de Théologie de Louvain, il était bien au courant de la patristique et des ten­ dances actuelles de la théologie, même s’il n’était pas un penseur ori­ ginal comme de Lubac, Rahner ou Congar. – Comme responsable de l’Action catholique en Flandre, il s’était fami­ liarisé avec les problèmes et le rôle du laïcat dans l’Église. Ainsi il avait tenu un rôle important lors du Deuxième Congrès mondial de l’Action catholique à Rome en 1957. – Comme sénateur du Royaume (coopté par le parti social-chrétien de 1953 à 1968), il avait développé un large intérêt pour les problèmes sociaux et politiques. Mais au Sénat il avait surtout appris la technique parlementaire, par exemple, comment faire amender les textes de loi par une commission parlementaire, comment mener un débat en tenant

23.  Quand, en janvier 1970, Heuschen a présenté au pape – pour des raisons de santé – sa démission comme évêque d’Hasselt, Paul VI l’a refusée en lui disant notamment: «Vous connaissez très bien l’origine et la signification exacte de plusieurs textes conciliaires importants. Pour pouvoir les défendre avec autorité, vous devez rester évêque résidentiel» (cf. F. Heuschen, p. 13 et n° 384). 24. Cf. J. Grootaers, Le rôle de Mgr Philips à Vatican II: Quelques réflexions pour contribuer à l’étude du dernier Concile, dans A. Descamps (éd.), Ecclesia a Spiritu Sancto edocta: Mélanges théologiques. Hommage à Gérard Philips (BETL, 27), Gembloux, Duculot, 1970, 343-380; Id., Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota explicativa praevia (Lumen gentium, Chap. III) (BETL, 72), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986; C.M. Antonelli o.s.m., Le rôle de Mgr Gérard Philips dans la rédaction du chapitre VIII de ‘Lumen gentium’, dans Marianum 144 (1993) 17-97; L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips]; K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 29), Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006 [= Carnets Philips].

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compte de l’opposition25, etc. Il avait retenu qu’en politique, il faut toujours savoir faire des compromis26. Cette expérience de Philips, jointe à sa connaissance excellente du latin, son esprit conciliateur et sa capacité de travail, a grandement contribué à son élection, le 2 décembre 1963, comme secrétaire adjoint de la commission doctrinale. Dès ce moment, il a en fait remplacé le secrétaire Tromp s.j. Philips est l’auteur principal de Lumen gentium, mais il a également joué un rôle important dans la rédaction de Dei Verbum et de Gaudium et spes. Ses archives nous révèlent le grand rôle qu’il a joué à la commission doctrinale jusqu’au 25 octobre 1965: à ce moment, une sérieuse crise cardiaque lui a interdit toute activité au Concile et lui a imposé un retour précipité en Belgique. À deux reprises (le 7 juillet 1964 et le 24 octobre 1964) Paul VI le consultera sur la question épineuse de la collégialité de l’épiscopat. Et, le 22 novembre 1964, après la promulgation de Lumen gentium le pape lui offrira un calice, symbole de communion, en guise de reconnaissance. Philips était vraiment un homo conciliaris et il était convaincu qu’un texte conciliaire ne devait pas refléter l’opinion de l’une ou l’autre école théologique, mais seulement la doctrine de l’Église, en tenant compte cependant des acquis de l’histoire et de l’exégèse scientifiques27. 6.  Mgr Albert Prignon (1919-2000), recteur du Pontificio Collegio Belga de 1962 à 197228 A. Prignon, prêtre du diocèse de Liège, a été nommé recteur du Collège belge juste avant le Concile en août 1962. Après des études à Rome 25.  Un jour Philips a dit au Collège belge: «En politique il ne faut jamais humilier l’opposition, parce que demain vous pourrez en avoir besoin». 26. Dans H. de Lubac, Carnets du Concile, éd. L. Figoureux, Paris, Cerf, 2007, [= Carnets de Lubac], II, p. 369, H. de Lubac note, le 3 avril 1965, dans les débats de la commission mixte: «Philips, noie tous les poissons admirablement». 27. À bon droit le cardinal Jorge A. Medina Estévez a donné ce témoignage sur Philips: «Mgr Philips était un prêtre savant, sage, discret, paisible, consciencieux avec une très remarquable largeur de vues, et dont l’honnêteté intellectuelle imposait le respect, y compris aux personnes qui ne partageaient pas ses convictions … On ne peut pas exagérer la sagesse, la patience et la fermeté aimable mais sans relâche (très flamande) de Mgr G. Philips» (lettres à L. Declerck, 7.12.2001 et 22.7.2011). 28. Cf. Declerck – Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e session (n. 11) (avec une introduction de C. Troisfontaines, Le rôle d’Albert Prignon durant le concile Vatican II, 7-22). D. Bosschaert – L. Declerck (éds), Notes personnelles de Mgr A. Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga, sur les



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(il était au Collège belge co-étudiant avec K. Wojtyła) et à Louvain, il avait été professeur de philosophie au petit séminaire de Saint-Trond et de théologie au grand séminaire de Liège. De 1951 à 1953 il avait été professeur au séminaire grec catholique St-Paul à Harissa au Liban, ce qui l’avait mis en contact avec le monde de l’orthodoxie. Très tôt il deviendra l’homme de confiance du cardinal Suenens qui le fera nommer peritus du Concile en mars 1963. Prignon a eu un rôle central dans la squadra belga: – Il était ouvert à la problématique théologique et pastorale. – Il séjournait de manière permanente à Rome et il était également conseiller ecclésiastique de l’Ambassade de Belgique auprès du SaintSiège29, ce qui lui permettait d’avoir de nombreux contacts avec les milieux romains. – Il était un hôte exquis pour les évêques et théologiens qui résidaient au Collège belge et avait gagné la confiance de tous par son dévouement, même si parfois il y avait des tensions et des divergences de vues dans l’équipe belge. Prignon n’a sans doute pas produit lui-même beaucoup de textes conciliaires mais il était un fin critique des textes des autres. Dès lors tant les évêques que les théologiens ont volontiers accepté ses suggestions et en ont fait leur profit. Grâce à son intervention auprès du cardinal Suenens, le chapitre sur le peuple de Dieu dans Lumen gentium a été placé avant celui sur la hiérarchie, ce qu’on a appelé la révolution copernicienne du schéma. À juste titre Congar écrit de Prignon: «Il a à la fois le sens théologique, le sens pratique et le sens tactique … Mgr Prignon est un homme très évangélique, tout entier donné, très oublieux de lui-même, qui a fait du service des autres une sorte de règle absolue de son comportement»30. événements de la 2e session et de la 2e intersession du concile Vatican II. Préface de Mgr J.-P.  Delville, évêque de Liège (Instrumenta Theologica, 42), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2020; D. Bosschaert – L. Declerck – C. Troisfontaines, Mgr Albert Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II, dans D. Bosschaert – J. Leemans (éds), Res oppor­ tunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 31-113. 29.  Les rapports au sujet du Concile que l’ambassadeur P. Poswick envoyait régulièrement au gouvernement sont – à partir de 1964 – entièrement de la main de Prignon. Cf. P.  Poswick, Un journal du concile: Vatican II vu par un diplomate belge. Éd. par R.-F. Poswick – Y. Juste, Paris, de Guibert, 2005. 30.  Journal Congar, II, p. 73.

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III. Quelques éléments du catholicisme belge dans les années soixante

Quoique le catholicisme belge ne fût pas spécialement en pointe dans le monde occidental, on peut cependant y déceler plusieurs aspects, qui correspondaient aux tendances modérément réformatrices dans l’Église, tendances qui précisément vont être pour ainsi dire consacrées par Vatican II. 1.  Il y avait en Belgique une structure solide d’action catholique et de mouvements sociaux catholiques, que les laïcs prenaient de plus en plus en main. La Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) avait été fondée par J. Cardijn et ce mouvement avait pris une dimension mondiale. Dans le monde des intellectuels et à l’Université catholique de Louvain, on peut signaler deux mouvements importants: (1) Universitas, du côté flamand, fondé par le chan. A. Dondeyne avec J. Grootaers, P. De Somer, M. Vandekerckhove et l’abbé J. Heuschen (qui deviendra évêque de Hasselt et jouera un grand rôle à la commission doctrinale du Concile). Plus tard la revue De Maand31 dont Jan Grootaers était rédacteur en chef, se développera à partir de ce mouvement. (2) La Cité chrétienne, du côté francophone, était à la fois une revue fondée en 1926 et un mouvement autour du chan. J. Leclercq. Après la guerre, en 1945, la Cité chrétienne fut prise en relais par la revue La Revue nouvelle, dont un des animateurs était A. Molitor. Il faut signaler aussi un premier congrès important pour l’apostolat des laïcs avec 3000 participants à Louvain en 1956, sous l’égide de G. Philips et de J. Grootaers. De même Mgr Philips joua un rôle remarqué dans le Congrès international pour l’apostolat des laïcs à Rome, avec 2000 participants venus de 80 pays, en octobre 195732. Grâce à cette collaboration avec les laïcs, il y avait en Belgique une ouverture sur la problématique Église – monde, dont témoignent quelques publications théologiques. Déjà en 1947 et en 1949, G. Thils publia une théologie des réalités terrestres33 31. Cf. L. Gevers, Développements ecclésiaux en Flandre à la lumière de Vatican II: La voix des laïcs, dans C. Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 223-250. 32.  Non seulement il y donna une conférence importante (cf. G. Philips, La vocation apostolique du laïcat, dans Les laïcs dans l’Église: Deuxième congrès mondial pour l’apos­tolat des laïcs, Rome 5-13 octobre 1957, Roma, Comité Permanent des Congrès Internationaux pour l’Apostolat des Laïcs, 1958, 133-153) mais il contribua très largement ensemble avec le Père Tromp s.j. à la rédaction du Texte de base sur «La nature et la vocation apostolique du laïcat» (cf. ibid., pp. 225-239). 33.  G. Thils, Théologie des réalités terrestres. I: Préludes, Brugge – Paris, Desclée de Brouwer, 1947 et Id., Théologie des réalités terrestres. II: Théologie de l’histoire, Brugge – Paris, Desclée de Brouwer, 1949.



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et en 1961 A. Dondeyne édita son livre Geloof en wereld34. Ce livre eut un impact dans la rédaction de quelques chapitres de Gaudium et spes35. 2.  Le mouvement liturgique, tout en ne présentant pas les grands noms qu’on connaissait en Allemagne tels que R. Guardini, O. Casel, J. Jungmann, J. Wagner etc., avait débuté en Belgique avec L. Beauduin, B. Botte, A. Verheul et plusieurs abbayes y jouaient un rôle important (Mont César à Louvain, St-André-lez-Bruges avec le missel de G. Lefebvre36, Affligem, Tongerlo, Maredsous). 3. La Belgique, étant dans ce temps un pays majoritairement catholique, connaissait un mouvement œcuménique restreint mais intense autour de l’abbaye de Chevetogne avec L. Beauduin et O. Rousseau. Dans les colloques annuels de Chevetogne des théologiens belges comme C. Moeller, R. Aubert, G. Philips, J. Grootaers mais aussi Y. Congar et J. Willebrands se rencontraient. C’est d’ailleurs avec la collaboration de dom L. Beauduin, que les «Conversations de Malines» avec des Anglicans avaient eu lieu sous l’égide du cardinal D. Mercier de 1921 à 1927. 4.  Il ne faut pas sous-estimer l’influence de l’Université catholique de Louvain avec son école d’exégèse (L. Cerfaux, J. Coppens, B. Rigaux, A. Descamps, É. Massaux…), des dogmaticiens comme G. Thils et G. Philips, des moralistes comme A. Janssen, L. Janssens, V. Heylen, J. Étienne, des historiens comme R. Aubert, des canonistes comme W. Onclin et H. Wagnon. De plus l’Institut supérieur de philosophie, fondé par Mercier jouissait d’une grande renommée avec notamment A. Dondeyne (également professeur en théologie), J. Ladrière, G. Van Riet etc. Il est à remarquer que la plupart de ces professeurs appartenaient au clergé séculier. Ils connaissaient bien la théologie traditionnelle (plusieurs d’entre eux avaient fait une partie de leurs études à Rome comme L. Cerfaux, G. Philips, A. Descamps, É. Massaux) mais étaient également 34.  A. Dondeyne, Geloof en wereld, Antwerpen, Patmos, 1961. La traduction française, parue à Paris, 1964, porte le titre plus significatif La foi écoute le monde. Pour l’importance du livre de Dondeyne cf. J. Grootaers, Een bewogen mens in een tijd van beweging, dans A. Dondeyne et al., Gelovend in de wereld, Antwerpen – Utrecht, Patmos, 1972, 101-162, pp. 140-142. 35. Cf. D. Bosschaert, The Anthropological Turn, Christian Humanism, and Vatican II: Louvain Theologians Preparing the Path for ‘Gaudium et Spes’ (1942-1965) (BETL, 303), Leuven, Peeters, 2019. 36.  Missel vespéral romain, par Dom Gaspar Lefebvre: un des premiers missels bilingues (latin-français, édité en 1920) qui connut un très grand succès populaire. Plus tard des éditions en d’autres langues ont suivi.

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au fait des courants les plus récents en Allemagne et en France, même s’ils n’étaient pas à la pointe du progrès37. Cette connaissance leur permettait de jeter des ponts entre les différentes tendances de la théologie38. De plus ils n’avaient presque pas souffert de condamnations romaines, ce qui n’était pas le cas de plusieurs français comme Y. Congar39, H. de Lubac, M.-D. Chenu, J. Lécuyer, M. Oraison pour ne citer que les plus connus. Et n’oublions pas l’intérêt de la Faculté de Théologie pour le rapprochement œcuménique40. 5.  Enfin, on peut signaler le fait que la Belgique était un pays fortement missionnaire, qui avait pris à cœur l’évangélisation du Congo, sa colonie devenue indépendante. Le grand nombre de missionnaires (évêques, prêtres, religieux et religieuses et même des laïcs) issus de Belgique avaient donné au catholicisme belge une ouverture sur la problématique des églises dans les pays non occidentaux (cf. par ex. la figure de V. Lebbe) et une sensibilité pour les problèmes du développement des pays du Tiers-Monde. IV. Quelques qualités et caractéristiques des évêques et periti belges au concile

Avec le danger d’être forcément réducteur et simplificateur, on pourrait brièvement esquisser quelques qualités spécifiquement belges du groupe qui se dévoua au Concile. 1.  Presque tous avaient une grande capacité de travail. Non seulement ils participaient avec assiduité au travail des commissions, mais ils y étaient des membres actifs, qui prenaient des initiatives et composaient des textes41. 37.  Dans leur Vota pour le Concile, on trouve notamment un plaidoyer pour la collégialité, pour une ecclésiologie plus christocentrique, pour un renouveau de la liturgie et pour le rôle du laïcat (cf. Lamberigts, The ‘vota antepraeparatoria’ of the Faculties of Theology of Louvain and Lovanium (Zaïre) [n. 3]). 38.  Cf. l’article remarquable de G. Philips, Deux tendances dans la théologie contem­ poraine: En marge du IIe concile du Vatican, dans NRT 85 (1963) 225-238. 39.  Dans son Journal (II, p. 56) Congar écrit: «Les Belges osent. Ils n’ont pas été crossés, ils ne se sentent pas surveillés, comme nous». 40. Cf. R. Aubert, Problèmes de l’unité chrétienne: Initiation. Préface de dom L. Beauduin (Livre de Vie, 11), Chevetogne, Éditions de Chevetogne, 1952; G. Thils, Histoire du mouvement œcuménique (BETL, 8), Leuven, Warny, 1955; C. Moeller – G. Philips, Grâce et œcuménisme, Chevetogne, Éditions de Chevetogne, 1957. 41.  Le P. Tromp demandera un jour au cardinal Ottaviani de nommer Mgr Heuschen dans une sous-commission du De Revelatione «quia non recusat laborem». Et Tromp dit



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Et les évêques et les periti ne dédaignaient pas de s’adonner aux besognes les plus humbles: dactylographier et ronéotyper des textes, rédiger des fiches, colporter les textes à Rome42. 2.  Plusieurs avaient des talents d’organisation: Philips, comme sénateur, savait comment il faut mener le travail d’une assemblée; De Smedt et ­Heuschen avaient des dons de management; Suenens et Charue faisaient appel à une pléiade de collaborateurs. De plus ils poursuivaient leur but en coordonnant avec efficacité leurs actions à plusieurs niveaux: la programmation des travaux conciliaires, via le modérateur card. Suenens, la diffusion des idées par des interventions d’évêques dans l’aula conciliaire, la rédaction de textes par le travail dans les commissions. Les Belges savaient aussi que les plus beaux textes ne servaient à rien s’ils n’obtenaient pas l’approbation des Pères conciliaires (ce qu’ils appelaient «la loi de l’assemblée»). 3.  Ils étaient capables de travailler en équipe (d’où le nom de squadra belga). Dans cette collaboration, il y avait une quasi-égalité entre les évêques et les periti. Le groupe belge était restreint et composé presque uniquement de prêtres séculiers qui avaient une étroite relation avec leurs évêques (en France l’élite intellectuelle du clergé appartenait surtout aux ordres religieux: p.ex. Congar, de Lubac, Lécuyer). Ils se connaissaient, souvent depuis leur temps des études à Rome et à Louvain. Et la plupart d’entre eux logeaient pendant le Concile au Collège belge. 4. Ils étaient polyglottes: à côté de la connaissance du latin, leur maniement facile de la langue italienne (le koinè du Concile) constituait un atout appréciable43. De plus presque tous parlaient, à côté du français et du néerlandais, couramment l’allemand, l’anglais et certains même l’espagnol. Tout ceci favorisait grandement les contacts internationaux, aussi bien au niveau des évêques qu’au niveau des experts. dans sa Relatio sur les travaux de la commission doctrinale de Heuschen «immensam molem laboris perfecit» (F. Heuschen 384). Mgr Charue s’étonne dans ses Carnets à plusieurs reprises de l’absence de collègues «éminents» dans les réunions de la commission doctrinale. Mgr Garrone disait de Philips et de Heuschen: «Quand les locomotives du Limbourg se mettent en marche, ils roulent jour et nuit» (F. Heuschen 384) [Philips et Heuschen étaient tous les deux originaires de la province du Limbourg]. 42.  Non sans humour Charles Moeller disait: «Si le Concile est un navire, dont le pape est le capitaine, nous sommes les matelots qui travaillent dans les soutes» (souvenir personnel de L. Declerck). 43.  Si dans toutes les réunions dans l’aula mais aussi dans les commissions on devait parler le latin, les contacts humains se passaient le plus souvent en italien, la majorité des membres ayant fait des études à Rome.

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5.  Ils avaient en outre la qualité (pour certains c’était un défaut) de pouvoir faire des compromis (le trop célèbre «compromis belge»). Dans beaucoup de discussions au Collège belge, on entendait souvent le ­maxime: «le mieux est l’ennemi du bien». Savoir faire un compromis est indispensable dans chaque travail de commission44. De plus, dans la mesure où le pape Paul VI tâchait de faire approuver les constitutions et décrets avec une quasi-unanimité, l’art du compromis devenait fort important45. Toutes ces qualités, bien que ne constituant certainement pas une exclusivité belge, ont dans une large mesure contribué à l’influence des Belges au Concile. V.  L’influence des Belges sur le concile et quelques textes conciliaires

Esquisser cette influence est une entreprise ardue. En effet le Concile est une entreprise fort complexe et les textes ne sont pas le résultat du travail d’une seule personne mais bien d’un groupe et les Belges y ont collaboré avec d’autres épiscopats et periti de la tendance «majoritaire»46. Essayons malgré tout de dégager quelques lignes de force. 1.  Influence des Belges sur l’ensemble du Concile – Mentionnons d’abord l’influence du cardinal Suenens, qui avait gagné la confiance aussi bien de Jean XXIII que du cardinal Montini. Comme membre du Secretariatus de negotiis extra ordinem, il a essayé d’élaborer avec Montini un plan du Concile. Même s’il n’a pas réussi à 44.  L’attitude par ex. de H. Küng, qui avait refusé de participer au travail des commissions, afin de garder sa pleine liberté, n’était guère appréciée par les Belges (cf. H. Küng, Erkämpfte Freiheit: Erinnerungen, München – Zürich, Piper, 2002, pp. 465-468). 45.  Aussi bien Mgr Philips (pour la Nota Explicativa Praevia, en novembre 1964) que Mgr Heuschen et le chan. Heylen (pour le chapitre sur le mariage dans le schéma XIII, fin novembre 1965) ont pratiqué cet art du compromis jusqu’à la limite du possible. Certains, e.a. G. Alberigo pour la Nota Explicativa Praevia (cf. F. Suenens 2831) et A. Dondeyne pour le De Matrimonio (cf. F. Suenens 2661), l’ont regretté; d’autres, notamment le Père Congar dans son Journal du Concile, ont affirmé qu’ils avaient sauvé le Concile. 46.  Il faut être fort prudent dans l’emploi des catégories: «minorité – majorité, conservateur – progressiste, gauche – droite». En effet, certains sont «conservateurs» sur un sujet mais «progressistes» sur un autre (voir par ex. le card. Suenens sur la mariologie et Mgr Parente sur la collégialité). Et certains ont évolué dans l’une ou l’autre direction pendant ou après le Concile.



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imposer ce plan, celui-ci a largement contribué à la réduction et au remplacement des 72 schémas préconciliaires. Comme membre de la commission de coordination et comme modérateur, il était bien au courant des intentions du pape et des manœuvres de la «minorité» et de la curie. Quand, à partir de la 2ème session, le cardinal Döpfner proposa de terminer le Concile avec la 3ème session, Suenens, aidé par Prignon, s’y opposa aussitôt parce qu’il voulait à tout prix disposer du temps nécessaire pour un débat approfondi sur les problèmes de l’Église dans le monde moderne (le schéma XIII). –  Comme dans chaque grande assemblée, le travail le plus important se passe dans les commissions. L’élection de ces commissions revêtait donc une importance capitale47. Avec des Allemands et des Français, plusieurs Belges, dont notamment De Smedt et Heuschen, ont joué un grand rôle dans la confection de listes «modèles» pour l’élection des commissions. Si les élections avaient eu lieu le 13 octobre, cela n’aurait pas été catastrophique puisque des listes avaient été ronéotypées – le vendredi soir du 12 octobre 1962 – et diffusées à 500 exemplaires à partir du Collège belge48. Après le report de ces élections De Smedt et Heuschen ont grandement contribué à la composition de la liste dite «Européenne» dont 94 évêques (sur les 160 places à pourvoir) ont été élus. Les Belges n’avaient évidemment pas négligé de se mettre euxmêmes sur cette liste avec le résultat que 4 des 7 évêques résidentiels ont été élus49. Dans le travail des commissions l’influence des Belges a surtout été importante dans la commission doctrinale avec les évêques Charue et Heuschen et les periti Philips, Moeller, Thils, Prignon, Cerfaux, Rigaux 47. Cf. M. Lamberigts – A. Greiler, Concilium episcoporum est: The Interventions of Liénart and Frings Revisited, October 13th, 1962, dans ETL 73 (1997) 54-71. L. Declerck – M. Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge dans l’élection des commis­ sions conciliaires en octobre 1962, dans J. Leclercq (éd.), La raison par quatre chemins: En hommage à Claude Troisfontaines (Bibliothèque philosophique de Louvain, 73), Leuven – Paris, Peeters, 2007, 279-305. 48.  Il est intéressant de constater que Mgr C. Morcillo se trouvait sur cette liste, ce qui était probablement dû à Suenens. Le 15 octobre 1962, Suenens avait écrit dans une lettre à V. O’Brien: «J’attends Morcillo de Saragosse qui doit me donner les réactions du monde espagnol à ce qui se passe au Concile» (F. Suenens 571). 49.  Selon le règlement du Concile ni le card. Suenens, membre du Secretariatus de negotiis extra ordinem, ni Mgr De Smedt, déjà membre du Secrétariat pour l’Unité, ne pouvaient plus être élus. Et Mgr Himmer est devenu membre de la commission De Epis­ copis à la 4ème session (comme suppléant).

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et Delhaye et pendant la 4ème session les periti non officiels Heylen, Schillebeeckx et Dondeyne les ont rejoints. Au Secrétariat pour l’Unité il y avait également une forte influence belge avec De Smedt, Thils, Moeller, J. Hamer o.p., O. Degrijse c.i.c.m. et É. Beauduin. Ajoutons que Mgr Calewaert, plutôt conservateur, a été rapporteur pour le chapitre VI de la constitution sur la liturgie, qui traitait de la langue vernaculaire et de l’autorité des conférences épiscopales, où il s’est laissé inspirer par le liturgiste français A.-G. Martimort. Mgr Daem, évêque d’Anvers, ancien directeur général du Secrétariat national de l’Enseignement catholique de Belgique, est devenu le responsable final de la déclaration Gravissimum educationis et Mgr Onclin, canoniste louvaniste, a été avec Mgr Veuillot de Paris le rédacteur final de Christus Dominus. –  On peut souligner aussi que Mgr Himmer a joué un rôle important dans le groupe «Jésus, l’Église et les pauvres»50. 2.  L’influence des Belges sur quelques textes importants du Concile a)  La constitution dogmatique ‘Lumen gentium’ Mgr Garrone, archevêque de Toulouse, a déclaré que Lumen gentium était vraiment «le schéma belge»51. Dès le 15 octobre 1962, à l’instigation de Heuschen, Suenens a demandé à Philips de rédiger un texte alternatif pour le schéma De Eccle­ sia. Philips s’est mis tout de suite au travail mais en faisant appel à un groupe de théologiens internationaux (Rahner, Congar, Colombo, Ratzinger, Semmelroth, Lécuyer et Thils). Une première version était prête fin octobre et à la fin de la 1ère session une version amendée a été répandue à 300-400 exemplaires et provoqué une réaction violente du cardinal Ottaviani in aula, le 1er décembre. Pendant la 1ère intersession, Suenens – devenu dans l’entre-temps responsable à la commission de coordination pour le De Ecclesia – a pu obtenir – grâce à Charue – que le texte de Philips soit choisi par la commission doctrinale comme nouveau texte de base. Dès la fin de février 50.  Voir notamment Dom Helder Camara, Lettres conciliaires (1962-1965), Paris, Cerf, 2006. 51.  Cf. A. Prignon, Évêques et théologiens de Belgique au concile Vatican II, dans Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique (n. 31), Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 141184, p. 164.



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1962, Philips devient effectivement le rédacteur final de Lumen gen­ tium52. En juillet 1963, Suenens a pu obtenir, au cours de la réunion de la commission de coordination du 3-4 juillet 1963, que le chapitre sur le peuple de Dieu précède le chapitre sur la hiérarchie. Lors de la 2ème session, c’est notamment grâce à la ténacité de Suenens que les Quinque propositiones concernant la sacramentalité et la collégialité de l’épiscopat ont pu être votées. L’initiative était due à Dossetti et à Colombo mais Congar, Prignon, Moeller et surtout Philips ont travaillé à la dernière mouture du texte53. Pendant la 2ème intersession, le rôle de Heuschen, nouvellement élu dans de la commission doctrinale, devient important. Comme membre de la sous-commission V qui devait traiter De collegialitate Episcoporum, il réussit – avec Charue – à faire changer le texte «membrum corporis episcopalis aliquis constituitur vi consecrationis et communionis» en «vi consecrationis et communione» pour marquer que les deux éléments n’ont pas la même importance lors de la nomination d’un évêque. Le fait que le pouvoir de gouvernement d’un évêque ne dépend pas uniquement de la nomination du pape a été très important pour le dialogue œcuménique avec les Églises orthodoxes54. Heuschen a surtout déployé une activité intense lors de la ventilation des 15.000 modi du De Ecclesia en octobre et novembre 1964. Quand Paul VI, le 10 novembre 1964, exige l’introduction de quelques amendements dans le chapitre III et une Note explicative, c’est Philips qui se charge de la rédaction de la Nota Explicativa Praevia, qui fut approuvée par la commission doctrinale le 12 novembre 1964. Cette Note fut lue avec beaucoup d’emphase par Felici in aula le 16 novembre et suscita beaucoup de réactions parmi les Pères et surtout parmi des théologiens. En conséquence, Philips, Heuschen et Moeller furent obligés de calmer les esprits55. 52.  Du 16 au 24 avril 1963, les consulteurs espagnols se sont réunis et ont ensuite envoyé leurs remarques et suggestions pour le nouveau De Ecclesia aussi bien à Suenens qu’à Philips (cf. F. Suenens, 730-732; F. Philips 533-536). 53. Cf. Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vat­ ican II (n. 10), pp. 109-122. 54. Cf. L. Kenis, Diaries: Private Sources for a Study of the Second Vatican Council, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council (n. 9), 29-53, pp. 44-50. 55.  On sait que la réaction était violente notamment chez deux jeunes periti Jorge Medina et J. Ratzinger. Ce dernier avait voulu convaincre le card. Frings de faire une intervention in aula pour demander des clarifications sur le statut de cette Nota Explicativa Praevia, ce qui aurait mis en danger le vote final du texte. Philips et Moeller ont réussi à calmer Ratzinger. Heuschen écrit à ce propos dans une lettre à sa sœur: «Par l’intermédiaire de

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Pour le chapitre VIII De Beata, Philips a joué un rôle de médiateur entres les mariologues «maximalistes» et «minimalistes», même s’il a dû prendre position contre le cardinal Suenens qui avait reproché au schéma «un christocentrisme anti-marial». Charue a trouvé une formule de compromis sur la médiation mariale qu’il a défendue aussi bien chez Mgr Parente (protagoniste d’une définition de Marie comme médiatrice) que chez Paul VI (qui était opposé à un dogme sur la médiation mariale)56. b)  La constitution dogmatique ‘Dei Verbum’ Dans le schéma préparatoire De Fontibus Revelatonis, le rôle de L. Cerfaux avait déjà été important et il avait pu obtenir des améliorations substantielles du texte57 grâce à l’appui de Philips, Hermaniuk et Kerrigan – tous deux anciens étudiants de Louvain – tout comme de Garofalo. Toutefois, le 19 novembre 1962, De Smedt, parlant au nom du Secrétariat pour l’Unité, a émis in aula des critiques sévères sur ce schéma, critiques qui ont largement contribué au vote défavorable des Pères et à la décision de Jean XXIII de créer une commission mixte (commission doctrinale et Secrétariat pour l’Unité) devant rédiger un nouveau schéma. Charue tout comme De Smedt en font partie. Lors des réunions de cette commission en décembre 1962 et février 1963, ils se montreront des membres fort actifs. Lorsqu’en mars 1964, la commission doctrinale décide de reprendre ce texte, c’est Charue qui est chargé par Ottaviani d’assumer la présidence de cette commission De Revelatione, dont cinq Belges font partie58. Charue crée deux sous-commissions et présente habilement la présidence de la 1ère sous-commission (sur le Prooemium et le Chapitre I) à Mgr E. Florit, archevêque de Florence. Dès le 25 avril 1964, le nouveau texte était prêt. Lors de la 4ème session, au cours de la ventilation des modi, le pape intervient pour demander des changements du texte notamment c­ oncernant les quelques évêques allemands j’ai fait de mon mieux pour empêcher le card. Frings, excité par un jésuite [sic] allemand Ratzinger, prenne une initiative qui excite l’opposition … Comme ces periti peuvent être de grands enfants» (F. Heuschen 457). Cf. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’ar­ civescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. 56. Cf. Carnets Charue, pp. 196-198, 207-210. 57. Cf. K. Schelkens, Catholic Theology of Revelation on the Eve of Vatican II: A Redaction History of the Schema ‘De Fontibus Revelationis’ (1960-1962) (Brill’s Series in Church History, 41), Leiden – Boston, MA, Brill, 2010. 58.  Charue, Heuschen, Moeller, Prignon, Rigaux (Carnets Charue, p. 169). Voir aussi K. Schelkens, Une recherche critique à propos de la soi-disant «Squadra Belga», dans Oecumenica Civitas 3 (2003) 233-238, p. 237.



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rapports Tradition-Écriture, l’historicité et la veritas salutaris59. C’est Philips qui une fois de plus intervient et sauve la mise, le 19 octobre 1965, en proposant de remplacer veritas salutaris par la formule «veritatem quam Deus nostrae salutis causā, litteris sacris consignari voluit» (Dei Verbum 11)60. c)  La constitution pastorale ‘Gaudium et spes’ Dans le plan qu’il présenta en mai 1962 à Jean XXIII, Suenens avait énoncé sous la rubrique Ecclesia ad extra plusieurs thèmes qui se retrouveront dans la constitution Gaudium et spes. Pour cette raison, Jean XXIII confia à Suenens la responsabilité du fameux schéma XVII (devenu plus tard Schéma XIII) au sein de la commission de coordination. N’étant pas satisfait des premières esquisses du schéma, rédigées en mai 1963, Suenens obtient de pouvoir faire rédiger lui-même une introduction à ce schéma (ce qui deviendra la première partie du texte conciliaire) lors de la réunion de la commission de coordination du 4 juillet 1963. En septembre 1963 un groupe de théologiens (composé de Philips, Tucci, Prignon, Moeller, Congar, Delhaye, Dondeyne et Rahner) se réunit à Malines pour rédiger une version de ce texte. Cette version ne sera toutefois pas retenue et, à partir de 1964, un nouveau texte (dit texte de Zürich) est élaboré sous la direction de Häring. En novembre 1964, nouveau changement: il est décidé que le texte sera refait sous la direction de Haubtmann. Philips est toutefois chargé de revoir le texte et d’aider Haubtmann (qui ne connaissait pas suffisamment le latin) pour diriger les débats de la grande commission mixte comptant parfois jusqu’à 100 personnes. Philips se met ici loyalement au service de Haubtmann61. Suenens, de son côté, fera tout son possible pour que le Concile consacre le temps nécessaire aux thèmes importants de la société moderne et aussi pour que le texte garde le rang d’une vraie constitution conciliaire – pastorale bien sûr – et ne soit donc pas réduit au rang de Litterae pastorales comme certains le souhaitaient, ce qui aurait grandement diminué son autorité. Dans le chapitre concernant la culture, les Belges ont été très actifs: Mgr Charue présidait la sous-commission et il était assisté par Moeller, Dondeyne et Rigaux. 59.  Charue, dans une audience du 12.10.1965, n’avait pu tranquilliser les inquiétudes du pape à ce sujet (Carnets Charue, pp. 268-269). 60.  Non sans raison Mgr Parente disait alors à son voisin Mgr Franić: «Quod eiecimus per portam, reintroducunt per finestram» (Carnets Charue, p. 273). 61.  C’est pendant la 3ème intersession que Philips a reçu des suggestions concernant le désarmement et le rôle des chrétiens dans les institutions internationales provenant de l’auditeur laïc espagnol R. Sugranyes de Franch (F. Philips 2431-2432).

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Pendant tout le Concile Suenens s’est également investi pour obtenir un élargissement de la morale traditionnelle concernant les moyens de contraception. Très tôt, en mars 1963, il avait été impliqué par de Riedmatten dans la constitution par Jean XXIII d’un groupe pour étudier les problèmes de la démographie, groupe qui sous Paul VI devient la Com­ missio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. Par un discours in aula retentissant, le 29 octobre 1964, Suenens obtiendra l’élargissement de cette commission de 15 à 58 membres62. Le chapitre sur le mariage et la famille a été rédigé par un petit groupe réuni autour de Mgr Heuschen et comprenant Delhaye, Schillebeeckx, Heylen et le Père B. van Leeuwen (hollandais). Dans les journées dramatiques de fin novembre 1965, Philips ayant dû quitter le Concile à cause de sa maladie, ce sont Heuschen et Heylen qui ont trouvé un compromis au sujet du problème de la contraception après l’envoi de modi de Paul VI. Le 29 novembre, Prignon a été en mesure d’assurer à S ­ uenens que le texte corrigé laissait la question indécise et donc ouverte. Ce ne fut qu’à cette condition que le cardinal accepta de ne pas déclencher une campagne de voter non placet concernant ce chapitre63. d)  La déclaration sur la liberté religieuse ‘Dignitatis humanae’ Le texte sur la liberté religieuse avait une valeur pour ainsi dire symbolique et était considéré par les «frères séparés» comme un préalable indispensable au dialogue œcuménique. À peine nommé membre du Secrétariat pour l’Unité, De Smedt, avec l’aide de L. Janssens, R. Aubert, A. Dondeyne et J. Hamer, prépare un premier texte sur ce thème en vue de la réunion de la sous-commission IV à Fribourg, le 27 décembre 1960. Pendant tout le Concile De Smedt est resté le rapporteur de ce texte controversé qu’il a dû présenter jusqu’à sept fois aux Pères conciliaires. À la fin de la 2ème session, dans une lettre au card. Suenens, Mgr De Smedt écrit que Mgr Morcillo lui a dit qu’il ne combattra pas ce schéma et qu’il a été invité au collège espagnol pour discuter du texte avec quelques évêques et leurs periti64. 62.  Suenens avait conclu avec fougue oratoire et pathos son discours en disant: «Adiuro vos Fratres. Vitemus novum processum Galilei. Unus enim sufficit pro Ecclesia». Il est inutile de dire que ce discours a souverainement déplu à Paul VI. 63. Cf. Journal Prignon, pp. 217-258. J. Grootaers – J.  Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002. 64.  Cf. F. Suenens 2561. Le 29 janvier 1964, Mgr Morcillo envoie au card. Ottaviani neuf pages d’observations sur le De Libertate religiosa, signées également par Mgr Jaime Flores, évêque de Barbastro (cf. F. Philips 1705, 1707). Il est symptomatique que Morcillo



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Le 19 novembre 1964, des tensions dramatiques se sont produites dans l’aula conciliaire quand De Smedt, après avoir présenté la nouvelle version du texte, fut obligé d’annoncer en même temps que le vote n’aurait pas lieu. La raison, invoquée par divers évêques, était qu’un texte profondément changé devait, suivant le règlement, être soumis à un nouveau débat in aula avant le vote65. Le lendemain, lors d’une audience, Paul VI consola l’évêque de Bruges en lui disant: «À la 4ème session notre texte passera». Ce «notre», utilisé par le pape, mit effectivement beaucoup du baume dans son cœur66. adresse ces remarques à Ottaviani (président de la commission doctrinale) et non pas à Bea (président du Secrétariat pour l’Unité, qui était responsable du texte). 65.  De Smedt était profondément indigné par cette manœuvre car, pour rencontrer les objections de la minorité, il avait accepté que le texte soit changé de manière très importante. Or, c’était cette même minorité qui empêchait le vote. Ceci l’amena à déclarer en privé au Collège belge: «Vous n’allez quand même pas me dire que ce genre de manœuvres peut venir du Saint Esprit». 66.  C’est dans ces circonstances que De Smedt a reçu une lettre, datée du 7 décembre 1964, d’Aureli M. Escarré abbé de Monserrat, qui vaut la peine d’être citée [on a transcrit la version originale, malgré des fautes de français] (F. De Smedt 1266): «Excellence, Au nom de plusieurs personnalités catalanes, d’intellectuels et de jeunes, j’ai l’honneur de vous manifester l’agrément que nous tous avons par l’effort et par le travail accompli par V. E. au Concile en faveur de la liberté religieuse. Nous avons suivi, avec un intérêt croissant, votre activité dans cette affaire, de la façon, la plus privilégiée dans un pays, officiellement catholique, où l’information sur le Concile, très dirigée et modi­ fiée, nous arrive très partiellement. Avec l’agrément nous voulons ajouter la demande à V.E. de poursuivre, avec le même courage, cette mission de défendre la vérité et la liberté la plus fondamentale. En plus d’être une grande mission pour la cause de l’Église entière, certes qu’elle sera aussi pour nous une voix autorisée qui nous aidera à travailler, en Espagne, pour une partie de la catholicité qui a peur de la vérité et de la liberté. Malgré la publicité, dirigée aussi, qu’on a fait de la démocratie et des grandes qua­ lités des structures officielles existantes dans notre pays en face de l’étranger, au fond nous devons vivre soumis à la pression d’une tyrannie idéologique et d’une vigilance policière. Cette situation aggravée par l’isolement traditionnel du catholicisme espagnol, nous conduit à vivre dans les ténèbres d’une ignorance et d’une superbe édifiée sur de faux fondements. Le problème de l’Église espagnole on doit le résoudre en tenant compte qu’elle ne peut pas se considérer pratiquement comme une église nationale, mais à l’échelle de l’Église universelle. Seulement ainsi nous pourrons retrouver une normalité et une perfection de vie spirituelle et politique que des siècles Espagne n’a pas connue. Veuillez agréer l’assurance de mes sentiments très dévoués dans le Seigneur. (signé) + Aureli M. Escarré, ab. de Monserrat P.S. Je dois vous écrire de France, pour éviter la censure policière; en fait la police examine très souvent ma correspondance. Si vous voulez m’adresser une parole vous pouvez diriger votre lettre à: Mngr [sic] André Boyer-Mas La Seigneurie Saint Jean de Luz (France)».

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De Smedt, lors des multiples versions du texte, a souvent dû accepter des transformations qu’il n’aimait pas (surtout quand une approche plus juridique de la liberté religieuse a été prônée par J.C. Murray et Mgr Pavan, à partir de la 3ème session). Mais il a toujours défendu loyalement le texte arrêté par le Secrétariat pour l’Unité. Son grand talent oratoire a rendu beaucoup de services au texte mais l’a aussi parfois desservi car, forcé de présenter des textes fort différents, il s’obligeait à garder le même enthousiasme67. Notons aussi que, le 28 octobre 1965, le cardinal Wyszynski a soulevé de nouvelles objections contre le texte. À ce moment, De Smedt a eu recours aux services de Mgr Wojtyła, ancien élève du Collège belge, ce qui lui a permis de trouver un compromis. VI. Un bilan provisoire Esquissons brièvement quelques aspects négatifs et positifs de l’activité des Belges au Concile. 1.  Le rôle des Belges a été critiqué, pendant et après le Concile. À côté de quelques reproches mineurs (à savoir que les Belges ne faisaient confiance qu’à leurs compatriotes ou qu’ils avaient une influence trop grande68), la critique la plus fondamentale a été que les Belges ont fait trop de concessions à la «minorité», ce qui a atténué la teneur d’un certain nombre de textes importants. Les critiques ajoutaient que ces compromis n’étaient nullement nécessaires puisqu’ environ trois quarts des Pères conciliaires étaient gagnés aux idées modérément «progressistes»69. Ainsi G. Dossetti, théologien du cardinal Lercaro, formulera assez vite des critiques sur le nouveau projet du De Ecclesia de Philips (et à la 67.  Congar note, le 19 septembre 1965: «Haubtmann me dit que De Smedt est très démonétisé dans l’opinion. Il a successivement présenté, et avec un accent très triomphant, des textes différents. Cela n’a pas laissé une impression de sérieux» (Journal Congar, II, p. 397). 68.  Par ex. le 3 avril 1965, de Lubac note: «Le P. Martelet n’a pas caché là-dessus son sentiment au groupe belge, qui est un peu trop sûr de lui, et qui ne semble nullement enclin à suivre l’avis des évêques. Il y a là un entêtement et un essai d’accaparement regrettables. Mgr Philips, Belge lui-même, et désireux de voir le travail aboutir dans les délais convenables, se montre lui-même réticent dès qu’il s’agit de changer ou d’introduire quelque chose d’un peu substantiel. Le P. Congar estime lui aussi que le groupe belge est un peu indiscret» (Carnets de Lubac, II, p. 370). 69.  E. Schillebeeckx mentionne des disputes avec Philips à ce sujet (cf. E. Schillebeeckx, Theologisch Testament: Notarieel nog niet verleden, Baarn, Nelissen, 1996, p. 41).



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3ème session surtout sur la Nota Explicativa Praevia). Congar fait lui aussi des réserves sur certains textes et H. Küng était encore beaucoup plus dur et radical70. Il est exact que certains textes (par ex. le De Ecclesia) ont perdu de leur nouveauté et de leur force originale parce qu’on a dû tenir compte à de multiples reprises des remarques de la «minorité». Les Belges euxmêmes en étaient conscients71. À certains moments72 les tensions étaient dramatiques et on était placé devant le dilemme cornélien: ou bien faire un compromis, tout en gardant l’essentiel du texte, ou bien courir le risque que le vote soit remis à plus tard avec le danger réel que le texte ne soit jamais plus approuvé par le Concile. Dans ces circonstances un certain nombre de Belges (Suenens, Charue, De Smedt, Heuschen, Philips, Prignon, Heylen) ont jugé en âme et conscience qu’une solution de compromis, qui gardait l’essentiel du texte, était préférable. Dans des circonstances analogues, des membres du Secrétariat pour l’Unité (le card. Bea, Mgr Willebrands et le Père Duprey) ont eu la même attitude concernant les modi du pape au sujet d’Unitatis redintegratio73. Dans le jugement que l’histoire portera un jour sur cette attitude, il faut aussi tenir compte de la position de Paul VI. Si pendant le Concile beaucoup croyaient que Paul VI voulait surtout faire des concessions à la «minorité» pour arriver à une quasi-unanimité, de nos jours il devient de plus en plus évident que Paul VI lui-même a opté à plusieurs reprises pour des positions plus «traditionnelles»74. 70. Cf. H. Küng, Erkämpfte Freiheit: Erinnerungen, München – Zürich, Piper, 2002, p. 460. Un expert allemand n’a pas hésité à déclarer que Philips avait donné son accord pour rédiger la Nota Explicativa Praevia parce qu’il attendait une promotion importante à la curie et que c’était le prix qu’il devait payer pour accéder à cette charge! (Journal Prignon, p. 138). 71.  Le 24 mai 1965, Philips note: «Quand je relis maintenant le texte de Lumen gen­ tium, j’ai moi aussi, comme le dit Mgr Parente, l’impression que ‘È però una bella pagina!’ surtout le chapitre I et dans une certaine mesure le II. Le passage sur les évêques a souffert des ajouts innombrables destinés à garantir la primauté. Le texte aurait pu être, par exemple au n. 22 sur la collégialité, une déclaration de grande ampleur, surtout par rapport à l’Orient. La doctrine reste sans doute la même, mais il y a un rempart de précautions pointues, en sorte que ce qui aurait pu faire bonne impression est grandement gâché» (Carnets Philips, p. 142). 72.  On peut penser notamment à quelques péripéties de Lumen gentium, Nostra aetate, Dei Verbum, Dignitatis humanae, Gaudium et spes. 73.  Cf. M. Velati, L’ecumenismo al Concilio: Paolo VI e l’approvazione di «Unitatis redintegratio», dans Cristianesimo nella storia 27 (2005) 427-475. 74.  On peut penser notamment à la collégialité, l’historicité des évangiles, la morale conjugale. Seule l’ouverture des archives vaticanes de ce pontificat permettra d’arriver à un jugement plus définitif.

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2.  Le grand mérite des évêques et periti qui ont pris à cœur l’aggior­ namento, parmi lesquels les Belges ont tenu un grand rôle, a été de délivrer les textes conciliaires de l’emprise de la scolastique traditionnelle des milieux de la curie. Ils ont donné aux textes une structure nouvelle où on a affronté avec une grande ouverture les problèmes de l’Église, de l’homme moderne et du monde. Les Belges ont fait cette transformation dans un esprit de conciliation et de communion. Que de fois Philips n’at-il pas répété: «Un concile ne peut pas compter des vainqueurs ni des vaincus». Les résistances à vaincre ne pouvaient cependant être sous-estimées: – Il faut par exemple se souvenir qu’en 1950 et 1954 des théologiens connus du Concile (comme de Lubac, Congar, Rahner) avaient été frappés par des mesures disciplinaires romaines (mise à l’index, défense de publication, exil) et qu’en 1960 les livres de Teilhard de Chardin devaient être retirés des bibliothèques des séminaires. Pour comprendre cette mentalité il suffit de relire les schémas préparatoires, dont on croyait qu’ils seraient approuvés, pratiquement sans problèmes, par les Pères conciliaires. Les critiques parfois acerbes de H. de Lubac dans ses Carnets du Concile en témoignent. – Une autre difficulté était que pratiquement toutes les positions-clés du Concile se trouvaient dans les mains des «conservateurs»: le président de la commission de coordination, Cicognani – en même temps Secrétaire d’État –, le secrétaire général P. Felici75, homme fort intelligent et travailleur76, et les présidents des commissions conciliaires, qui étaient toutes présidées par des préfets des congrégations, ce qu’on a appelé le péché originel du Concile77. Le mérite des Belges a été de chercher, ensemble avec d’autres, une «via media» pour mener à bon port les textes du Concile. Pour arriver à ce résultat, les Belges ont durement travaillé avec une grande c­ ompétence, 75.  Pour le rôle de Felici au Concile, cf. V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Mon­ signor Pericle Felici, éd. A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015. 76.  Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 10), p. 57, Suenens écrivait: «Il [Felici] était 24h sur 24h opposé aux tendances du Concile; il a certainement été un extraordinaire apport pour l’élément conservateur, qui s’appuyait sur lui et qui s’appuyait aussi sur le cardinal Cicognani, qui a, à chaque occasion, manifesté la tendance d’extrême conservatisme et qui occupait une position extrêmement importante». 77.  Quand Suenens regrettait devant Jean XXIII que les présidents des commissions conciliaires étaient tous préfets d’une congrégation romaine, celui-ci lui a répondu: «Ha ragione Lei, ma mi ha mancato il coraggio» (Suenens, Souvenirs et espérances [n. 10], p. 60).



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ils ont pu conclure des compromis et à certains moments cruciaux du Concile, ils ont assumé une grande responsabilité. En guise de conclusion Pour conclure, nous voulons passer la parole à deux témoins privilégiés de la squadra belga. Le 14 mars 1964 le Père Congar note dans son Journal: On a dit de ce Concile: «Primum Concilium Lovaniense, Romae habi­ tum». C’est assez largement vrai, au moins pour la théologie… Les Belges ne sont pas nombreux … mais ils sont partout … Ils se connaissent, souvent sont camarades de cours et se tutoient. Ils ont confiance dans la compétence des leurs… Ils sont très efficaces … Ils s’alertent entre eux … ils se communiquent … On sait que le centre de travail est là [au Collège belge]. Les Belges ont une attitude militante, offensive. Ils ne se contentent pas, comme les Français, de proposer timidement des corrections de détail, en reprenant le texte tel qu’il est. Ils modifient le texte… Les Belges osent. Ils n’ont pas été crossés, ils ne se sentent pas surveillés comme nous… Les Belges ont, pour le travail, des qualités remarquables. Ils sont con­ crets… Nos évêques [français] n’ont pas de technique; ils ne travaillent pas avec les experts. Chez les Belges, les évêques et les experts travaillent ex æquo, au plan d’anciens élèves de Louvain … Les experts belges (sauf Rigaux, mais la qualité d’ancien de Louvain recouvre la tare d’être religieux) sont des séculiers… Tout le mouvement du Concile en sa Commission théologique a été de passer des collèges romains aux centres théologiques extra-romains. Mais de telles universités il n’y a que Louvain qui a été efficace. Qu’ont fait les facultés théologiques de nos Instituts catholiques [français]? Pratiquement rien. Aucun de nos évêques venant d’elles n’a apporté quelque chose. Constatation bien attristante!!!78.

Et le 1er novembre 1965, Philips, condamné au repos absolu, écrit avant son retour en Belgique: Le sentiment de n’avoir rien d’urgent à faire est pour moi tout à fait extraordinaire. Le Concile a été pour moi une lourde charge. Mais maintenant tout est pratiquement terminé. Je puis donc m’effacer en toute tranquillité. Et si Dieu me donne la force, je pourrai écrire encore quelques livres que beaucoup attendent.

78.  Journal Congar, II, pp. 53-57, passim.

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Cela a été une très curieuse histoire qui m’a permis d’apprendre beaucoup sur l’homme. Elle n’a pas toujours été encourageante. J’ai l’impression que beaucoup d’ecclésiastiques ont plus besoin de vertu intellectuelle que d’intelligence. Un tel fait ne plaide pas vraiment en faveur de corporation. Parfois, et même souvent nous manquons d’«humanité». L’angoisse de l’orthodoxie joue chez beaucoup un mauvais rôle: mais ceci provient d’un côté d’un manque de foi, et d’un autre côté d’un manque d’information et de formation scientifique. Ce manque est comblé inconsciemment par une rigidité. Pourtant, il apparaît que plusieurs interprètent l’orthodoxie d’une façon très large et même trop large. Cela nous a fait plus d’une fois de la peine, parce que cela a rendu très difficile notre effort pour une compréhension tranquille et large. Le Saint-Esprit écrit droit avec toutes ces lignes courbes. Ce n’est pas seulement du travail humain, Dieu merci! Certains trouvent que le Concile n’en valait pas la peine. Mais j’ai l’impression qu’ils sont peu nombreux. Beaucoup lisent les textes très superficiellement et apportent immédiatement une critique acerbe. Cela ne fait pas preuve de capacité intellectuelle ni d’humilité. Les ecclésiastiques n’«écoutent» pas suffisamment … J’espère avoir accompli mon travail avec honnêteté. Sed Dominus est qui iudicat79.

79.  Carnets Philips, pp. 155-156.



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Annexe: Bibliographie concernant la «squadra belga» 1°  Concernant le rôle des Belges sur le Concile comme groupe, on peut men­ tionner les publications suivantes: J. Grootaers, Leuven op het Concilie, dans Onze Alma Mater 2 (1965) 80-107. A. Prignon, Les évêques belges et le concile Vatican II, dans Le deuxième con­ cile du Vatican (1959-1965): Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma – La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) (Publications de l’École française de Rome, 113), Roma, École française de Rome – Palais Farnèse, 1989, 297-305. L. Gevers, Vaticanum II en de Lage Landen: Bronnen en historiografie, dans Trajecta 1 (1992) 187-205. C. Soetens, Les ‘vota’ des évêques belges en vue du Concile, dans M. Lambe­ rigts – C. Soetens (éds), À la veille du concile Vatican II: Vota et réac­ tions en Europe et dans le catholicisme oriental (Instrumenta Theologica, 9), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1992, 38-52. M.  Lamberigts, The ‘vota antepraeparatoria’ of the Faculties of Theology of Louvain and Lovanium (Zaïre), ibid., 169-184. J. Famerée, Les évêques belges: Des ‘vota’ à la première période de Vatican II, dans É. Fouilloux (éd.), Vatican II commence… Approches francophones (Instrumenta Theologica, 12), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1993, 146-162. C. Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, avec l’article important d’A. Prignon, Évêques et théologiens de Belgique au concile Vatican II, 141-184. C. Soetens, La «squadra belga» all’interno della maggioranza conciliare, dans M.T.  Fattori – A.  Melloni (éds), L’Evento e le Decisioni: Studi sulle dinamiche del concilio Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 1997, 143-172. Bij de voorstelling van het boek «Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II. Inventory», dans Ministrando 35 (1999) 860-880 (avec des contributions de Mgr. R. Vangheluwe et du Prof. M. Lamberigts). L. Declerck, Le rôle joué par les évêques et periti belges au concile Vatican II: Deux exemples, dans ETL 76 (2000) 445-464. M.  Lamberigts, Research into the Second Vatican Council in the Low Coun­ tries: A Survey, dans Annuarium Historiae Conciliorum 32 (2000) 387-404. M.  Lamberigts, Der Forschungsschwerpunkt «Vaticanum II» an der Theolo­ gischen Fakultät der Katholischen Universität Löwen, dans P. Pfister (éd.), Julius Kardinal Döpfner und das Zweite Vatikanische Konzil: Vorträge des wissen­ schaftlichen Kolloquiums anläßlich der Öffnung des KardinalDöpfner-Konzils­archivs am 16. November 2001 (Schriften des Archivs des Erzbistums München und Freising, 4), Regensburg, Schnell und Steiner, 2002, 74-83. L. Declerck, De rol van de «Squadra Belga» op Vaticanum II, dans Collationes 32 (2002) 341-372. K. Schelkens, Une recherche critique à propos de la soi-disant «Squadra Belga», dans Oecumenica Civitas 3 (2003) 233-238.

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L. Declerck – M. Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge dans l’élection des commissions conciliaires en octobre 1962, dans J. Leclercq (éd.), La rai­ son par quatre chemins: En hommage à Claude Troisfontaines (Bibliothèque philosophique de Louvain, 73), Leuven – Paris, Peeters, 2007, 279305. D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Con­ ference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008. M. Lamberigts – L. Declerck, La contribution de la «squadra belga» au con­ cile Vatican II, dans Anuario de Historia de la Iglesia 21 (2012) 157-183. D. Van Belleghem, Een collectieve retraite voor de bisschoppen: Leo Declerck en vijftig jaar Vaticanum II, dans Ministrando 48 (2012) 579-588. 2°  Comme études particulières sur les Belges au Concile, on peut mentionner: P. Delhaye, Quelques souvenirs du Concile, dans Au service de la Parole de Dieu: Mélanges offerts à Monseigneur André-Marie Charue, Évêque de Namur, Gembloux, Duculot, 1969, 149-177. J. Grootaers, Le rôle de Mgr Philips à Vatican II: Quelques réflexions pour contribuer à l’étude du dernier Concile, dans A. Descamps (éd.), Ecclesia a Spiritu Sancto edocta: Mélanges théologiques. Hommage à Gérard Philips (BETL, 27), Gembloux, Duculot, 1970, 343-380. J.S. Quinn, Monsignor Onclin and the Second Vatican Council, dans J. Lindemans – H. Demeester (éds), Liber amicorum Monseigneur Onclin: Actuele thema’s van kerkelijk en burgerlijk recht. Thèmes actuels de droit canonique et civil, Gembloux, Duculot, 1976. J.  Grootaers, De spanningen rond het huwelijkshoofdstuk van «Gaudium et spes» en het aandeel van prof. V. Heylen in het redactiewerk daarvan, dans Ethische vragen voor onze tijd: Hulde aan Mgr. Victor Heylen, Antwerpen – Amsterdam, De Nederlandsche Boekhandel, 1977, 155-177. K.  Wittstadt, Léon-Joseph Kardinal Suenens und das II. Vatikanische Konzil, dans E. Klinger – K. Wittstadt (éds), Glaube im Prozess: Christsein nach dem Vatikanum II, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1984, 159-181. L.-J. Suenens, Testimonianze, dans Giovanni Battista Montini, Arcivescovo di Milano e il concilio ecumenico Vaticano II: Preparazione e primo periodo (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 3), Brescia, Istituto Paolo VI, 1985, 178-187. J. Grootaers, Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, Chap. III) (BETL, 72), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986. C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’éla­ boration de ‘Lumen gentium’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143 (surtout p. 99-104). C.M. Antonelli o.s.m., Le rôle de Mgr Gérard Philips dans la rédaction du chapitre VIII de ‘Lumen gentium’, dans Marianum 144 (1993) 17-97. J. Grootaers, Léon-Joseph Suenens, dans Id., I protagonisti del Vaticano II, Milano, San Paolo, 1994, 229-243.



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J.M. Heuschen, Gaudium et spes: Les modi pontificaux, dans M. Lamberigts – C. Soetens – J. Grootaers (éds), Les commissions conciliaires à Vati­ can II (Instrumenta Theologica, 18), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1996, 353-358. J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II (BETL, 139), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1998 (surtout la 4ème partie: Belges et Hollandais au concile Vatican II, pp. 337-552), avec e.a. articles sur L.-J. Suenens, pp. 314-325; G. Philips, pp. 382-419; W. Onclin, pp. 420-455; A. ­Dondeyne, pp. 456-484. M. Lamberigts, Mgr. Emiel-Jozef De Smedt, bisschop van Brugge en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 28 (1998) 281-326. L. Declerck, Brève présentation du «Journal conciliaire» de Mgr Gérard Philips, dans M.T. Fattori – A. Melloni (éds), Experience, Organisations and Bodies at Vatican II (Instrumenta Theologica, 21), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999, 219-231. M. Lamberigts, Msgr Emiel-Jozef De Smedt, Bishop of Bruges, and the Second Vatican Council, ibid., 431-469. S.  Madrigal Terrazas, Recuerdos conciliares y esperanzas ecuménicas del Cardenal Suenens, dans Miscelánea Comillas: Revista de teología y cien­ cias humanas 59 (2001) 485-510. L. Declerck, Das Konzilsarchiv von Kardinal Léon-Joseph Suenens, Erzbischof von Mechelen-Brüssel, dans P. Pfister (éd.), Julius Kardinal Döpfner und das Zweite Vatikanische Konzil: Vorträge des wissen­schaftlichen Kolloqui­ ums anläßlich der Öffnung des Kardinal-Döpfner-Konzils­ archivs am 16. November 2001 (Schriften des Archivs des Erzbistums München und Freising, 4), Regensburg, Schnell und Steiner, 2002, 30-40. J. Grootaers, De plain-pied au Concile: Albert Prignon, acteur et témoin à Vatican II, dans RTL 33 (2002) 371-397. M.  Lamberigts – L. Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505. C. Troisfontaines, Quelques enjeux de Vatican II: À propos d’un quarantième anniversaire, dans RTL 37 (2006) 379-393. C. Troisfontaines, Mgr De Smedt et la Déclaration «Dignitatis Humanae», dans Gregorianum 88 (2007) 761-779. L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’en­ cyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décem­ bre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68. A.A. Kasprzak, La Collégialité épiscopale interprétée comme coresponsabilité dans la pensée et l’action du Cardinal Léon-Joseph Suenens: Une figure de pasteur dans la crise qui suit le concile Vatican II, Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, 2008. M. Lamberigts – L. Declerck, De bijdrage van Mgr E.J. De Smedt aan «Nos­ tra Aetate», nr 4, dans Ministrando 45 (2009) 751-763. M. Lamberigts – L. Declerck, Mgr E.J. De Smedt et le texte conciliaire sur la religion juive («Nostra Aetate», n° 4), dans ETL 85 (2009) 341-384. L. Declerck – M. Lamberigts, Mgr. De Smedt en de concilietekst over de Joodse godsdienst («Nostra Aetate», n° 4), dans Collationes 40 (2010) 81-104. L. Declerck, Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II, dans RTL 41 (2010) 499-518.

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L. Declerck, Mgr Emiel-Jozef De Smedt et le concile Vatican II, dans Notes et documents 35/22-23, Roma, Institut International Jacques Maritain, 2012, 58-64. L. Declerck, Articles: Charue, Moeller, Prignon, Suenens, dans M. Quisinsky – P. Walter (éds), Personenlexikon zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Freiburg i.Br., Herder, 2012, 76, 194, 221-222, 266. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcives­ covo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. D. Bosschaert, August Vanistendael: Een vergeten Belgische lekenauditor op het Tweede Vaticaans Concilie, dans Trajecta 22 (2013) 57-80. M. Lamberigts – L. Declerck, The Council Archives of Belgian Bishops and Theologians Present at Vatican II: Problems, Perspectives and Limitations Illustrated on the Basis of the Suenens Papers, dans P. Chenaux (éd.), Il concilio Vaticano II alla luce degli archivi dei padri conciliari (Centro studi sul Concilio Vaticano II, 5), Città del Vaticano, Lateran University Press, 2015, 195-213. L. Declerck – M. Lamberigts, Mgr. J.M. Heuschen en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 47 (2017) 5-49. D. Bosschaert – L. Declerck (éds), Notes personnelles de Mgr A. Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga, sur les événements de la 2e session et de la 2e intersession du concile Vatican II. Préface de Mgr J.-P. Delville, évêque de Liège (Instrumenta Theologica, 42), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2020. D. Bosschaert – L. Declerck – C. Troisfontaines, Mgr Albert Prignon, rec­ teur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II, dans D. Bosschaert – J. Leemans (éds), Res opportunae nostrae aetatis: Stud­ ies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 31-113. 3°  Archives et autres sources de participants belges: L.-J. Suenens, Aux origines du concile Vatican II, dans NRT 107 (1985) 3-21. C. Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvainla-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart (Cahiers de la RTL, 21), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989. J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvainla-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. Prignon et H. Wagnon (Cahiers de la RTL, 24), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991. J.  Famerée – L. Hulsbosch, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). III: Inventaire du Fonds Ph. Delhaye (Cahiers de la RTL, 25), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1993.



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E. Louchez, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvainla-Neuve). IV: Inventaire des Fonds J. Dupont et B. Olivier (Cahiers de la RTL, 29). Leuven, Peeters, 1995. L.-J. Suenens, Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991. L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens (Cahiers de la RTL, 31), Louvain-la-Neuve, Faculté de Thé­ ologie – Peeters, 1998. C.  Van de Wiel, Repertorium van de documenten in het archief van Monsei­ gneur Willy Onclin, Tweede Vaticaans Concilie en Pauselijke Commissie voor de herziening van het Wetboek van Canoniek Recht (Novum Commentarium Lovaniensium in codicem iuris canonici, 2), Leuven, Peeters, 1998. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000. L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Mon­ seigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001. J. Grootaers – J. Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-laNeuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003. L. D eclerck , Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heu­schen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doc­ trinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005. P. Poswick, Un journal du Concile: Vatican II vu par un diplomate belge. Éd. par R.-F. Poswick – Y. Juste, Paris, de Guibert, 2005. K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 29), Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006. L.J. Cardinal Suenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W.  Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 38), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014. L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017.

2 LES RELATIONS ENTRE LE CARDINAL MONTINI / PAUL VI (1897-1978) ET LE CARDINAL SUENENS (1904-1996) PENDANT LE CONCILE VATICAN II Introduction Les relations1 entre Montini et Suenens ont eu une réelle importance pour le déroulement du concile Vatican II. On ne peut oublier que le cardinal Montini fut présent dans le cercle restreint des cardinaux qui à deux reprises se sont réunis, à l’initiative de Suenens, au Collège belge en 1962 pour que le Concile se déroule selon un plan établi. De plus, le 5 décembre 1962, Montini a appuyé publiquement in aula le discours de Suenens du 4 décembre, proposant un nouveau plan du Concile, qui aura une influence décisive dans la réduction des schémas préparatoires. Quand Paul VI, devenu pape en juin 1963, voudra donner un nouvel essor aux travaux conciliaires et instituera à cet effet l’organe des modérateurs, on ne sera pas étonné que Suenens soit nommé en septembre 1963 comme un des quatre modérateurs. Dès lors, leurs relations furent intenses jusqu’à la cérémonie de clôture du Concile (le 8 décembre 1965) où Suenens fut encore chargé de lire dans le message au monde, la section adressée aux artistes. À une certaine période, surtout en 1963, cette relation était presque devenue une amitié personnelle tandis qu’après le Concile elle passera par une crise profonde, surtout en 1969-1971. Aussi, pour mieux comprendre cette relation qui dura de 1952 à 1978, nous traiterons également * Cf. L. Declerck – T. Osaer, Les relations entre le Cardinal Montini – Paul VI (1897-1978) et le Cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II, dans Notiziario 51 (2006) 47-77. Ce texte a été préparé pour le colloque scientifique The Belgian Contribution to the Second Vatican Council, qui a eu lieu à Malines, Leuven et Louvainla-Neuve en 2005. L’article a également été publié dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 285323. 1.  L’influence du cardinal Suenens sur le travail conciliaire est traitée dans M. Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council (n. *), 61-217.

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sommairement des rapports de Suenens avec Montini avant et après le Concile. Pour étudier ces rapports, nous disposons d’une riche documentation dans les archives du cardinal Suenens2. Suenens a gardé presque toute sa correspondance avec Montini et il a pris souvent des notes après les audiences avec le pape. De plus, ses livres «autobiographiques» Souvenirs et espérances (Fayard, 1991) et Les Imprévus de Dieu (Fayard, 1993) fourniront quelques repères. Signalons aussi l’interview, donnée en 1980, au Prof. J. Grootaers dans le Herder Korrespondenz3, la biographie de E. Hamilton4 et le livre de K.H. Fleckenstein, Pour l’Église de demain5. Il faut toutefois noter que Suenens manque souvent de précision historique dans ses notes et que ses livres reflètent son point de vue personnel et témoignent parfois d’une mémoire assez sélective. De ce point de vue il est regrettable qu’on n’ait pas encore accès aux archives de Paul VI. Ceci a comme conséquence que cette brève étude est unilatérale et que le point de vue du cardinal Suenens y est largement privilégié. Un certain nombre de pièces d’archives de l’Archidiocèse de Milan et l’excellent livre de G.  Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini a Milano, 4 gennaio 1955 – 21 giugno 1963 (Brescia – Roma, 2002) nous ont été un précieux instrument de travail pour la période milanaise de Montini6. Signalons également le Fonds Prignon7 (avec ses Rapports à l’Ambassade, ses Notes personnelles pour la 2ème session et la 2ème intersession et son Journal de la 4ème session8, 2.  Cf. L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens (Cahiers de la RTL, 31), Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 (archives à l’archevêché de Malines; cité: F. Suenens). 3. Cf. J. Grootaers, Von Johannes XXIII. zu Johannes Paul II: Ein Gespräch mit Leo Joseph Kardinal Suenens, dans Herder Korrespondenz 34 (1980) 176-182. Cf. aussi Id., Léon-Joseph Suenens, dans Id., I protagonisti del Vaticano II, Milano, San Paolo, 1994, 229-243. 4.  E. Hamilton, Suenens: A Portrait, London, Hodder & Stoughton, 1975. 5.  K.H. Fleckenstein, Pour l’Église de demain: Conversation avec le cardinal Sue­ nens, Paris, Nouvelle Cité, 1979, surtout les pp. 68-73. 6.  Nous tenons à remercier vivement Mgr B. Bosatra et Mme Dott. G. Adornato des Archives de l’Archidiocèse de Milan [cité: ASAM (Archivio della Segreteria dell’ Arcivescovo Montini)] qui nous ont procuré quelques documents de la période milanaise de Montini. 7. Prignon était l’homme de confiance de Suenens pendant le Concile. Pour ses archives, cf. J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. Prignon et H. Wagnon (Cahiers de la RTL, 24), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991 [= F. Prignon]. 8. Voir aussi L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal Prignon]. Signalons encore deux publications plus récentes:



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journal qui nous permet de traiter cette session plus en détail) et les Carnets Moeller9. I.  Prologue: Les premières rencontres de Montini et de Suenens avant la période conciliaire

1.  Rencontres avec Montini, substitut de la Secrétairerie d’État et par après pro-Secrétaire d’État pour les Affaires Ordinaires de l’Église10 On sait qu’après sa rencontre avec V. O’Brien en 1947-4811, l’évêque auxiliaire de Malines est devenu un partisan enthousiaste de la Légion de Marie. Toutefois la Légion se heurtait à beaucoup de résistance surtout de la part de l’Action catholique spécialisée en France et en Belgique qui défendait son «monopole» et sa «spécialisation»12, résistance encore intensifiée par une critique sévère des principes théologiques de la D. Bosschaert – L. Declerck (éds), Notes personnelles de Mgr A. Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga, sur les événements de la 2e session et de la 2e intersession du concile Vatican II. Préface de Mgr J.-P. Delville, évêque de Liège (Instrumenta Theologica, 42), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2020 et D. Bosschaert – L. Declerck – C. Troisfontaines, Mgr Albert Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II, dans D. Bosschaert – J. Leemans (éds), Res opportunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 31-113. 9.  C. Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-laNeuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart (Cahiers de la RTL, 21), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989, pp. 73-76. Archives du Centre Lumen gentium, Louvain-la-Neuve. 10.  Pro-Secrétaire d’État à partir du 29 novembre 1952. 11. Cf. L.-J. Suenens, Les Imprévus de Dieu, s.l., Fayard, 1993, pp. 87-96. 12.  À titre d’exemple, on peut signaler que, dans les années ’50, il y avait eu des tensions entre F. Duff, fondateur de la Légion de Marie, et J. Cardijn, fondateur de la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne, mouvement d’action catholique spécialisée). Dans une lettre à Duff (1953), Suenens écrit: «Mgr Cardijn said that the Legion opens the way for communism in India because – he said – the best catholic forces are absorbed by the Legion, so there is no room for his movement. And the J.O.C. is the unique way to obstaculate [sic] the progress of communism since social reforms are the first need in a country where people has [sic] nothing to eat. Do you see the reasoning! In the same way every missionary who is not doing social work is a protagonist of communism!». Et dans une lettre du 24 octobre 1953, Duff écrit à Suenens: «I am much amused at the manner in which Mgr Cardijn reasons that the Legion of Mary leads directly to Communism. So it is because the Legion of Mary absorbs all the best apostolic material! That puts the J.O.C. into a peculiar light as an apostolic instrument. For if an instrument is of apostolic importance and vigour, it should as one of its virtues be capable of attracting membership to itself and that in spite of the competition of other Societies. Unlike Mgr Cardijn, Cardinal Tisserant is never tired of insisting that the Legion of Mary is of all the most efficacious for resisting atheist materialism…». Cf. Correspondance Duff – Suenens, F. Suenens Archives personnelles [à l’archevêché de Malines, cité: F. Suenens A.P.], b. [boîte] 14.

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Légion, critique faite par le théologien H. de Lubac13. Dès lors Suenens cherchait à défendre la Légion de Marie aussi bien par des publications14 que par des contacts à Rome. –  Le 9 janvier 1952, Suenens obtient une audience avec Pie XII; il fait la louange de la Légion de Marie et met le pape en garde contre le Réarmement moral; il rend une première visite à Montini, substitut de la Secrétairerie d’État15. Suenens lui parle de son livre Théologie de l’Apostolat (Desclée de Brouwer, 1951) et Montini lui dit que le titre ne correspond pas exactement au contenu. En effet, Suenens avait publié en 1951 son livre Théologie de l’Aposto­ lat (au sujet de la méthode apostolique prônée par la Légion de Marie) et il cherchait à obtenir une préface du Saint-Père. De là ses contacts avec Montini. Finalement, c’est Montini16 qui a écrit cette préface (à partir de la 4ème édition), à condition toutefois que le titre soit changé en Théologie de l’Apostolat de la Légion de Marie et qu’un certain nombre de corrections soient introduites17. –  Suenens, voulant garder de bons contacts, a par après également envoyé à Montini ses livres Une héroïne de l’apostolat: Edel Mary Quinn (Desclée de Brouwer, 1952) et Que faut-il penser du Réarmement moral?18 (Éditions Universitaires, 1953). 13. H. de Lubac, Notes d’un théologien. Cet écrit ronéotypé et non signé avait été envoyé à plusieurs évêques français en 1946. Cf. aussi E. Guynot, Réponse aux «Notes d’un théologien», 18 avril 1946, 12 p. (F. Suenens, A.P., b. 79). Mgr P. Flynn, évêque de Nevers, écrit, le 1er mai 1946, une lettre aux évêques français pour défendre la Légion de Marie où il dit: «Entre autres moyens de propagande hostile on répand à profusion un tract dactylographié, universellement attribué au R. P. de Lubac s.j. Dans certains diocèses, presque tous les prêtres l’ont reçu personnellement. L’esprit de la Légion y est dénaturé et en des termes qu’on ne peut s’empêcher de qualifier d’injustes et d’injurieux» (Archives V. O’Brien [Archevêché de Malines], b. 14). 14.  Pour ces publications de Suenens, cf. L.-J. Suenens, Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991, pp. 40-45. 15.  Cf. F. Suenens, A.P., b. 79 et Suenens, Les Imprévus de Dieu (n. 11), pp. 142-145. 16.  Dans une lettre du 6.12.1952, Montini disait que le pape n’écrivait pratiquement jamais de préface à des livres. Cf. F. Suenens, A.P., b. 30. 17.  Il s’agit de corrections mineures et de vétilles, suggérées par un censeur romain; par ex. ne pas citer Bergson (auteur dont plusieurs œuvres avaient été mises à l’Index). Ou encore une critique d’une citation de Newman «Définissez un gentleman, vous avez défini un saint» (on peut être un gentleman en ne possédant que des vertus naturelles, tandis qu’un saint doit posséder des vertus surnaturelles… ) etc. Aussi V. O’Brien insiste auprès de Montini pour avoir cette préface du pape dans un entretien de fin mars 1952 (cf. Lettre de V. O’Brien à Suenens du 1.4.1952, cf. Archives O’Brien, b. 3). 18.  Montini a remercié par des lettres respectivement du 9 octobre 1952 et du 14 août 1953 (F. Suenens, A.P., b. 31 et 33).



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2.  Rencontres avec l’archevêque de Milan En 1955, Suenens publie son livre L’Église en état de mission (Desclée de Brouwer, 1955). Il annonce la publication à Montini19 et réussit à obtenir une préface de Montini20, archevêque de Milan depuis décembre 1954. Lors d’un voyage en Italie, il est reçu, le 29 avril 1955, par Montini21, avec qui il prend le repas de midi. Par après, il correspond encore à ce sujet avec P. Macchi, secrétaire de Montini22. Quand en 1956, en pleine «guerre scolaire»23, Suenens publie un livret La Question scolaire (Desclée de Brouwer, 1956)24, il en envoie un exemplaire à Montini «qui exprime ses plus vifs remerciements et les souhaits les plus sincères pour le succès de la lutte scolaire»25. 19.  Le 5 février 1955, Suenens, après une conversation à Paris avec Mgr Benelli, écrit à Montini qu’il aimerait bien avoir une entrevue pour parler des problèmes soulevés dans ce livre. Le 12 avril 1955, il écrit à «Monseigneur» (probablement Mgr P. Macchi, secrétaire de Montini) pour demander un rendez-vous; il réécrit de Rome au même Monseigneur, le 21 avril 1955, pour confirmer son entrevue avec Montini à Milan, qui aura lieu, le 29 avril 1955. Le 3 mai 1955, Suenens remercie Montini pour son accueil et pour la visite au grand séminaire de Venegono. Le 22 juillet 1955, Suenens demande à Montini d’écrire la préface de la traduction italienne de son livre. Le 8 octobre 1955, Suenens remercie Montini pour cette préface et exprime son désir de parler à Montini au sujet de la réforme apostolique des couvents et des séminaires (cf. ASAM Sacerdoti, 5, 4, 6, 10, 7, 8, 11 et 9). 20.  Préface (3 pages en italien) fort élogieuse qui débute ainsi: «Stima fortuna la mia, di presentare questo libro. Altri lo potrebbe fare, assai meglio di me; ma ora, che non posso lasciarmi sfuggire alcuna occasione per annunciare il regno di Dio, mi par dovere accogliere l’invito di offrire al pubblico, al Clero e al Laicato cattolico specialmente, questa nuova opera di Sua Ecc. Mons. Suenens, degnissimo Vescovo Ausiliare di Malines. Il nome dell’Autore dispenserebbe, a vero dire, da una prefazione, e per la dignità di cui Egli è rivestito, e per l’ufficio qu’Egli svolge nella più sviluppata diocesi del mondo e per la rinomanza che altri suoi scritti gli hanno assicurata» (F. Suenens, A.P., b. 34). 21. Cf. G. Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini a Milano, 4 gennaio 1955 – 21 giugno 1963, Brescia – Roma, Studium, 2002, p. 80. 22.  Lettre de P. Macchi à Suenens, 6.9.1955 où il écrit e.a.: «Son Excellence [Montini] a presque terminé la lecture de votre volume … Il en est très content et je pense que sous peu la préface sera faite» (cf. F. Suenens, A.P., b. 34). Dans une lettre du 10 janvier 1956 (et non de 1955, comme écrit par erreur) à Macchi, Suenens demande encore que la préface de Montini puisse être reproduite dans les autres éditions en diverses langues (cf. ASAM Sacerdoti, 1). 23.  De 1954 à 1958, le gouvernement belge socialiste – libéral avait pris plusieurs mesures en défaveur de l’enseignement catholique. Les catholiques (et le parti social-chrétien CVP-PSC) avaient réagi de façon vigoureuse. Après les élections de 1958 (que le parti social-chrétien avait gagnées), cette question fut résolue par le «pacte scolaire». 24.  Il est intéressant de voir que Suenens a discuté le contenu de son livre avec le nonce E. Forni, qui avait fait plusieurs remarques, et que L. Collard, ministre socialiste belge de l’enseignement, a réagi de façon très courtoise. Cf. F. Suenens, A.P., b. 35. 25.  F. Suenens, A.P., b. 35.

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–  Il est à noter que Suenens a certainement rencontré Montini lors du IIe Congrès mondial pour l’Apostolat des Laïcs à Rome, en octobre 1957. Montini y a tenu une conférence, où il citait le livre de Suenens L’Église en état de mission26. Et, à l’instigation de Suenens, Pie XII dans son discours fait une ouverture à la Légion de Marie27. –  Fin 1959, Suenens publie un nouveau livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi (Desclée de Brouwer, 1959). Sujet brûlant qu’il traite entre autres à la demande de V. O’Brien28. Il envoie un exemplaire à Montini, le 6 janvier 196029 et lui en parle à Milan, le 22 février 196030, lors d’un voyage en Italie pour donner une conférence à ce sujet à Rome. Il est à noter que le cardinal Montini31 prendra soin que ce livre soit traduit en italien et soit muni d’une préface de Carlo Colombo, son théo­ logien de confiance32.

26.  G.B. Montini, La mission dans l’Église, dans Les laïcs dans l’Église: Deuxième congrès mondial pour l’apostolat des laïcs, Rome 5-13 octobre 1957, Roma, Comité Permanent des Congrès Internationaux pour l’Apostolat des Laïcs, 1958, p. 79. 27.  Pie XII avait notamment déclaré: «L’Action catholique ne peut pas non plus revendiquer le monopole de l’apostolat des laïcs … Il semble nécessaire de faire connaître, au moins dans ses grandes lignes, une suggestion qui nous a été communiquée tout récemment [par Suenens]…», Discours de Sa Sainteté Pie XII, dans Les laïcs dans l’Église (n. 26), 20-23. Pour ce congrès, cf. Suenens, Les Imprévus de Dieu (n. 11), pp. 174-175. Dans une lettre du 20 octobre 1957 à V. O’Brien, Mgr Benelli avait dit que pour Mgr Jacques Martin: «[ce congrès] a été un triomphe de Mgr Suenens. Le congrès des Laïcs a été nettement dominé par la personnalité de l’auxiliaire de Malines» (Archives V. O’Brien, b. 9). Mgr Philips cependant était d’une autre opinion et, faisant allusion à l’intervention de Suenens auprès du pape, parlait de «méthodes curieuses» et «d’un certain machiavélisme» (Cahiers Philips, 2ème série, Cahier IX, 19.10.1957). 28. Cf. Suenens, Les Imprévus de Dieu (n. 11), p. 21. 29.  Suenens écrit notamment: «Je serais tellement heureux si vous trouviez le temps de le [ce livre] lire et de me faire connaître un jour vos réactions» et il lui envoie en même temps une interview à ce sujet qu’il a donnée à la Radio et à la Télévision belge (ASAM, Sacerdoti, 23 et 24). 30. Cf. Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini (n. 21), p. 652. 31.  Suenens dit qu’il a eu d’abord une discussion plutôt difficile à ce sujet avec Montini [créé cardinal par Jean XXIII, le 15 décembre 1958], qui n’avait pas encore lu le livre qu’il lui avait envoyé mais que Montini a pris l’initiative de faire traduire ce livre en italien. Cf. L.J. Cardinal Suenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W. Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 38), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014, p. 51. Ces «Mémoires» datent du début 1966. Il s’agit d’un texte dicté par Suenens et transcrit avec pas mal de fautes et d’omissions. 32.  Cf. lettre de C. Colombo à Suenens du 29 février 1960 à laquelle Suenens répond le 5 mars 1960 (F. Suenens, A.P., b. 35).



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Deux documents d’archives manifestent encore l’intérêt de Montini pour ce livre: –  En 1965, le Docteur Ennio Rosini écrit à Suenens qu’en mai 1963 Montini lui avait envoyé ce livre de Suenens pour répondre à des questions qu’il avait posées au cardinal de Milan au sujet du Birth Control33. –  En août 1968, quelques semaines après la parution de Humanae vitae, Paul VI écrit à Suenens que dans cette encyclique il n’a fait que reprendre les thèses défendues par Suenens dans ce livre34. –  Le 12 septembre 1961, Suenens remercie encore Montini pour les condoléances qu’il a adressées pour la mort du cardinal Van Roey. Et le 23 septembre 1961, Montini répond et redit son estime pour le cardinal défunt35. – Quand Suenens envoie à Montini, en 1961, son recueil de conférences Vie quotidienne, vie chrétienne (Desclée de Brouwer, 1961), celui-ci lui répond aimablement, le 13 mars 1962, en le félicitant en même temps pour son élévation au cardinalat36. * * * Dans cette période, on constate que Suenens a noué à plusieurs reprises des contacts avec Montini; comme substitut de la Secrétairerie d’État, celui-ci était un passage obligé pour accéder au pape; Suenens gardera le contact avec l’archevêque de Milan. Montini appréciait les publications du brillant évêque auxiliaire de Malines; celui-ci cherchait chez l’archevêque un appui pour répandre ses idées au sujet de la Légion de Marie et du Birth Control. Le fait que les idées de Suenens (par ex. au sujet de la mariologie, assez maximaliste; au sujet de l’œcuménisme37 33.  Lettre de E. Rosini à Suenens, 4 mars 1965, Inventaire des Archives du Cardinal L.-J. Suenens au sujet de la question du Birth Control et de l’encyclique Humanae vitae [archives à l’archevêché de Malines, cité: F. Suenens, B.C. et H.V.], 112-115. 34.  Lettre de Paul VI à Suenens, 9 août 1968. Le pape écrit notamment: «…Ma da un lato il ricordo del Suo studio su l’‘amour et maîtrise de soi’, dall’ altro la voce della nostra coscienza, interrogata lungamente davanti a Dio, ci hanno indotto a rivolgere alla Chiesa e al mondo questa parola» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1397). 35.  Cf. ASAM, Sacerdoti, 991, 3 et 4. 36.  F. Suenens, A.P., b. 35. 37.  Tromp note par ex. dans son Diarium II, le 4 octobre 1961 (ASV Conc. Vat. II, 790): «Colloquium cum Mgr Suenens, qui valde timet indifferentismum quo C. M. [Corpus Mysticum] separatur ab Ecclesia, et membra Ecclesiae vocantur etiam heretici et schisma­ tici. Dolet quod Ecclesia catholica non sibi soli vindicat voces christiani, catholici, orthodoxi. Sperat fore ut Comm. Theol. hac in re non accedat ad falsum irenismum: secus post breve tempus inveniemur in medio ‘drijfzand’ [sables mouvants]». Voir K ­ onzilstagebuch

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– voir aussi sa position vis-à-vis du Réarmement moral38 –; au sujet de sa conception activiste, presque prosélyte, sur l’apostolat39) n’étaient à cette époque nullement révolutionnaires (sauf une légère ouverture pour un examen sur la licéité des moyens anticonceptionnels) avait sans doute facilité le contact avec Montini, qui, dans certains domaines, par ex. l’œcuménisme, était plus ouvert que Suenens. Il faut d’ailleurs noter qu’à cette époque, Suenens avait aussi de bons contacts avec plusieurs personnes assez «conservatrices» de la curie romaine, comme A. Ottaviani, P. Philippe o.p.40. Cependant ceci ne l’a pas empêché de jouer plus tard un rôle important à Vatican II dans le sens de l’ouverture. II.  La période conciliaire 1.  ‘Anteconcilium’ Comme membre de la commission conciliaire préparatoire De Episcopis et de dioeceseon regimine, Suenens ne semble pas avoir eu des contacts avec Montini. Si on trouve dans les archives Suenens une copie (publiée dans les Acta et Documenta Concilio Oecumenico Vaticano II Apparando) de la réponse de Montini (9 mai 1960) à la lettre de Tardini (qui demandait d’envoyer des suggestions pour le Concile)41, ce document a été copié

Sebastian Tromp s.j. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Theologische Kommission II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, 2 vols., Roma, Editrice Ponti­ ficia Università Gregoriana, 2006, p. 299. 38.  Suenens mettait les catholiques en garde contre le mouvement du Réarmement moral à cause de son «inspiration protestante» et voulait le faire condamner par le Saint-Office. À ce sujet, il est même entré en conflit avec Mgr Charrière, évêque du lieu de Caux, où le Réarmement moral avait son centre (lettres de Charrière à Suenens du 14 mars et 7 avril 1953; cf. F. Suenens, A.P., b. 33). Voir le livre de L.-J. Suenens, Que faut-il penser du Réarmement moral?, Paris – Bruxelles, Éditions universitaires, 1953, où il écrit notamment: «Pareils à ces rameurs dont parlait saint François de Sales, qui vont droit au but en lui tournant le dos, nous nous rapprochons en nous séparant, car la vérité seule peut engendrer la vie. L’intransigeance doctrinale de l’Église, si éloignée de notre courte sagesse humaine, est une forme d’amour véritable qui ne heurte que pour libérer la vérité captive dans l’erreur, qui l’étreint, et qui invite au dépassement de soi» (p. 12 ). 39. Cf. L.-J. Suenens, L’Église en état de mission, Paris, Desclée de Brouwer, 1955. 40.  Il est significatif que Mgr D. Staffa (pendant le Concile un adversaire acharné de la collégialité des évêques), propose, dans une lettre du 1er juillet 1960, Suenens comme candidat-membre pour la commission théologique préparatoire. Cf. ASV Conc. Vat. II, 736, 58 (avec nos remerciements à Mme A. von Teuffenbach qui nous a signalé ce docu­ ment). 41.  Cf. F. Suenens 427.



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plus tardivement, probablement en vue de l’ article de Suenens Aux origines du concile Vatican II42. Quand le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles (décembre 1961) est devenu cardinal en mars 1962, il est nommé membre de la commission centrale préparatoire43 et il rencontre Montini dans les réunions de cette commission. La commission centrale se réunit à Rome du 3 au 12 mai 1962, et on constate que Montini reçoit Suenens au Collegio Lombardo à Rome, le 11 mai 196244. Suenens écrit à ce sujet: «J’ai longuement, au Collège Lombard, discuté ce plan [du Concile] avec le Cardinal Montini. Lui avait une grande idée d’un message à faire, à l’issue du Concile45, et la partie du plan, qui concerne ce message, la dernière page, est en somme le fruit d’une conversation de deux heures avec lui»46. Et, le 16 mai 1962, Suenens envoie son «plan» à Jean XXIII en disant qu’il le fait après consultation de quelques personnes47. Suenens affirme qu’une copie de son plan a été envoyée par le Secrétaire d’État à quelques cardinaux dont Montini. Toutefois, l’accord des cardinaux semble avoir été moins unanime que Suenens ne l’a écrit48. Une dernière réunion de la commission centrale a lieu du 12 au 20 juin. À cette occasion Suenens réunit quelques cardinaux au Collège belge à Rome pour discuter de son plan. Parmi les présents il y avait e.a. Montini, Siri, Liénart et Döpfner49. Et le 4 juillet 1962, Suenens envoie une nouvelle version de son plan à Jean XXIII en mentionnant l’accord de plusieurs cardinaux dont Montini50. 42.  L.-J. Suenens, Aux origines du concile Vatican II, dans NRT 107 (1985) 3-21. 43.  Le 24 mars 1962 ( cf. L’Osservatore Romano, 25 mars 1962). 44. Cf. Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini (n. 21), p. 866. 45.  Il est intéressant de voir que Paul VI a mis cette idée en application lors de la cérémonie de clôture du Concile le 8 décembre 1965. 46. Cf. Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 17. 47.  F. Suenens 380. 48.  F. Suenens 383. 49.  En écrivant que cette réunion au Collège belge (cf. Suenens, Aux origines du concile Vatican II [n. 42], p. 4) eut lieu au début de juillet, Suenens se trompe. En effet, au début de juillet Montini se trouvait à Milan (Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini [n. 21], p. 880) et, dans les archives Döpfner, il y a des notes au sujet d’une réunion au Collège belge en juin 1962 (F. Döpfner 2806). Cf. G. Treffler – P.  Pfister (éds), Erzbischöfliches Archiv München: Julius Kardinal Döpfner. Archiv­ inventar der Dokumente zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Regensburg, Schnell und Steiner, 2004. 50.  F. Suenens 388-390. Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 17, Suenens affirme que tous les cardinaux consultés (donc aussi Döpfner et Siri) étaient complètement d’accord. Cependant, les notes de Döpfner montrent qu’il est assez critique pour le plan Suenens (cf. F. Döpfner 2806: «…Ho questo dubbio: Non si può le materie

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Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II, Suenens note d’une part que Montini était opposé à sa proposition de fixer une limite d’âge pour les évêques mais qu’il a bien reçu son appui pour faire cesser le monopole de l’Action catholique51. En août 1962, le cardinal Léger rédige une lettre à Jean XXIII avec des critiques sévères sur les schémas préparatoires et demande la signature de Liénart, Döpfner, Alfrink, König, Suenens et Montini. Suenens a signé cette lettre tandis que Montini a refusé52. Suenens note: «Nous [les autres cardinaux concernés] avons été assez mécontents, à ce moment-là, qu’il se soit dérobé, mais il a, sans doute, préféré garder [le silence et] ne pas sortir de sa réserve [sic], comme il l’avait fait d’ailleurs pendant les différentes discussions au cours de la Commission centrale où il n’avait que très rarement pris une position marquée. C’était certainement une grande préoccupation de prudence qui l’animait à ce moment-là»53. À ce sujet, Suenens écrira encore, le 9 octobre 1962, à V. O’Brien: «Il [Léger] a reçu réponse à la lettre des 7, réponse de Cicognani très aimable mais ne disant rien de précis. Montini n’a pas signé mais les 6 autres. Vous voyez l’homme prudent! Il doit être un as dans cette vertu … cardinale»54. * * * Pour cette période préconciliaire, on peut estimer que Suenens considérait Montini comme un cardinal influent et le plus ouvert parmi les Italiens et qu’il croyait important d’avoir son appui. del Concilio ordinare come un articolo scientifico oppure un libro [sic]. Nella linea del locus classicus Matth. 28,18-20 si svolge una disposizione non adaequata [sic], un pò torta». Notes de Döpfner en italien). De même Siri, probablement invité sur l’insistance de Jean XXIII, n’était guère enthousiaste. Cf. B. Lai, Il papa non eletto: Giuseppe Siri, Cardinale di Santa Romana Chiesa, Roma, Laterza, 1993, p. 183, n. 13: «Suenens ha sostenuto che solo il cardinale Döpfner si mostrò contrario alla sua proposta, ma che poi acettò l’opinione favorevole di Liénart, Montini e Siri … ‘È una falsità, non acettai proprio nulla. Suenens è uno a cui è sempre piaciuto fare il protagonista’» (dans une conversation avec B. Lai, le 22.11.1985). Selon les Mémoires sur le concile Vatican II, p. 17, c’est Cicognani qui a dit à Suenens d’inviter Siri. 51. Cf. Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), pp. 9-11. Le 3 mai 1962, à la réu­ nion de la commission centrale préparatoire, Montini était d’accord qu’un évêque donne sa démission mais ne voulait pas qu’on fixe un âge-limite. Tandis que Suenens plaidait pour qu’on donne sa démission à 70 ans et qu’à 75 ans elle devait être obligatoire (cf. Acta et Documenta Concilio Oecumenico Vaticano II Apparando, series II, vol. II, pars III, pp. 665 et 671). 52.  Cf. F. Suenens 393-397 et P. Lafontaine, Inventaire des archives conciliaires du Fonds Paul-Émile Léger, Montréal, Éditions des partenaires, 1995, 128 et 128a. 53.  Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), pp. 17-18. 54.  F. Suenens 568.



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2.  1ère session (11 octobre – 8 décembre 1962) Pendant la 1ère session, on constate que les contacts de Suenens avec Montini s’intensifient55. Ceci est dû au fait que les deux cardinaux sont membres du Secrétariat pour les Affaires extraordinaires, où ils se rencontrent pratiquement chaque semaine: 8 réunions pendant cette session. De plus, il y a eu plusieurs réunions «privées» de cardinaux, où et ­Suenens et Montini étaient présents. Le fait aussi que Montini logeait au Vatican, comme invité de Jean XXIII, montrait son importance et l’influence qu’il exerçait sur le pape. Suenens en était conscient et cherchait à avoir son appui notamment pour son «plan» du Concile, présenté in aula le 4 décembre 1962. –  Pour les élections des commissions conciliaires (1ère semaine de la session), Suenens constate avec plaisir que des évêques orientaux ont fait circuler une liste (avec des candidats) pour qu’on vote pour les évêques les plus ouverts à l’Orient et qu’il y figure avec Montini56. Et le samedi 13 octobre, il écrit que «Montini lui a montré une liste où figurait même pour la commission théologique le Vagnozzi de Washington … qui n’a rien d’un théologien»57. – Au Secrétariat pour les Affaires extraordinaires, Suenens a des contacts réguliers avec Montini. Quand il fait rapport à V. O’Brien sur la 1ère réunion de ce Secrétariat le 16 octobre 1962, en présence du pape, il écrit: «Montini très bien mais sur un plan assez ‘ad extra’»58. Et aussi que Montini lui a dit en sortant: «Jusqu’ici j’avais cru que c’était un groupe ‘pro forma’; je m’aperçois que c’est sérieux»59. Le cardinal Siri note aussi que Montini appuie une proposition de Suenens et Döpfner pour ne pas porter les habits de prélat lors des congrégations générales et ne pas commencer chaque session par la messe (pour gagner du 55.  Quand l’ambassadeur de Belgique auprès du Saint-Siège Poswick fait remarquer à Suenens, le 9 octobre 1962, que dans le Secrétariat pour les Affaires extraordinaires, les Italiens ont encore la majorité, Suenens réplique: «Cela ne m’inquiète pas car le cardinal Montini sera toujours avec nous». Cf. P. Poswick, Un journal du Concile: Vatican II vu par un diplomate belge. Éd. par R.-F. Poswick – Y. Juste, Paris, de Guibert, 2005, p. 154. Une autre preuve est fournie par l’invitation que Poswick adresse à Montini pour prendre le déjeuner chez lui le 14 novembre 1962. Poswick écrit: «Son Éminence le Cardinal Suenens m’a demandé d’organiser chez moi une série de déjeuners pour lui permettre de rencontrer à loisir certaines hautes personnalités du Concile. La première d’entre elles qu’il m’a citée est Votre Éminence Révérendissime» (lettre du 10 novembre 1962). Invitation que Montini n’a pu accepter, empêché par d’autres obligations (cf. ASAM Enti, 1712, 1 et 2). 56.  Lettre à V. O’Brien, 12-13-14 octobre 1962, F. Suenens 570, p. 4. 57.  Ibid. Vagnozzi était délégué apostolique à Washington. 58.  Suenens fait probablement allusion au caractère réservé de Montini. 59.  Lettre à V. O’Brien, 16 octobre 1962, F. Suenens 573, pp. 1-2.

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temps)60. C’est aussi à une réunion de ce Secrétariat, le 19 octobre 1962, que la lettre de Montini au Card. Cicognani avec son plan pour le Concile a été distribuée à tous les membres61, lettre que Suenens a bien conservée et publiée par après dans un article de la NRT62. –  Ce que Suenens a surtout apprécié dans cette session, c’est l’appui que Montini a donné à son «plan» pour le Concile, plan développé par Suenens dans son intervention in aula du 4 décembre. Cette intervention de Suenens a été préparée par une réunion au Collège belge (fin novembre – début décembre 1962), réunion où Montini était probablement présent63. Suenens mentionne aussi qu’il avait soupé la veille au soir64 chez le cardinal Montini, dans la maison qu’il occupait près des jardins du Vatican65. Suenens avait dit qu’il allait faire son intervention, mais Montini n’avait pas dit qu’il comptait l’appuyer. Cependant, le 5 décembre, Montini commence son intervention importante in aula, par un fort appui au plan de Suenens66. Selon Suenens, Mgr Capovilla lui a dit que Jean XXIII avait demandé à Montini de faire cette intervention67. 60. Cf. Lai, Il papa non eletto (n. 50), pp. 363 et 366. Siri s’oppose à ces propositions. Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), Suenens note aussi: «Il [ce Secrétariat] comportait et Montini et Siri, ce qui était une manière de neutraliser les choses» (p. 28). 61. Cf. Lai, Il papa non eletto (n. 50), p. 365. Pour le texte de Montini (11 pages) cf. F. Suenens 565. 62. Cf. Suenens, Aux origines du concile Vatican II (n. 42). 63.  On n’a pas trouvé ni la date exacte de cette réunion ni les noms de tous les participants. Dans une bande magnétique (III), enregistrée le 8 février 2000, Prignon parle de 12 à 15 participants, mais ce chiffre est probablement exagéré et il ne peut pas affirmer avec certitude que Montini était présent. Comme Siri dans son Diario (cf. Lai, Il papa non eletto [n. 50], p. 369) parle d’une réunion de cardinaux de l’Europe centrale chez Frings le 25.10.1962 et cite comme participants Frings, Liénart, Montini, König, Döpfner, Suenens, Alfrink et lui-même, il est possible qu’il s’agissait d’une réunion du même groupe. D’ailleurs, il faut noter que cet enregistrement de Prignon, déjà octogénaire, réalisé par E. de Beukelaer en 2000, contient beaucoup d’erreurs manifestes (erreurs de chronologie et confusion de certains événements). L’agenda du card. Léger mentionne encore une réunion chez Frings, le 11 novembre 1962, avec Döpfner, Alfrink, Suenens, Liénart et Léger (lettre de G. Routhier à L. Declerck, 22.3.2004). 64.  La veille de son intervention, donc le 3 décembre. Ce qui est confirmé par une carte de visite de Montini avec la date manuscrite du 3 décembre 1962, carte annexée à un document (cf. F. Suenens 567 [où il faut corriger la date de 1963 en 1962]). 65.  Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 27. 66.  «…officii mei esse censeo vos rogare ut peculiari diligentia consideretis ea quae em.mus card. Suenens heri tam perspicue exposuit de fine huic universali Synodo pro­ posito et de ordine logico et congruenti argumentorum in ea tractandorum» (AS I, IV, p. 291). 67.  F. Suenens 2874, p. 29. Paul VI s’est souvenu de son intervention lorsque, dans une audience, il disait au card. Suenens, le 22 décembre 1970: «Avez-vous oublié que c’est moi qui vous ai dit de proposer votre plan au Concile et que je l’ai soutenu? ­J’­espérais



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À la suite de ces interventions et aussi de celles d’Alfrink, Léger et Lercaro, Jean XXIII institua, le 5 décembre, la commission de coordination, dont Suenens, mais non Montini, fera partie68. 3.  1ère intersession Jusqu’à la mort de Jean XXIII (3 juin 1963), on n’a pas trouvé de traces d’un contact entre Montini et Suenens. Et Suenens a observé le secret absolu au sujet du conclave de juin 1963, où Montini a été élu pape, le 21 juin 196369. –  Mais le dimanche 23 juin, Suenens avait une audience chez le nouveau pape. Lorsqu’à midi le pape devait réciter l’Angelus pour les fidèles qui se trouvaient sur la place Saint-Pierre, il a fait venir Suenens à la fenêtre et l’a présenté à la foule70. Ce geste extraordinaire, probablement de pure gentillesse, a été largement commenté dans les milieux romains et dans la presse71. Tout en prenant ses distances vis-à-vis de ces spéculations, Suenens a interprété ce geste comme un signe d’amitié et peutêtre comme un remerciement pour sa franchise à son égard ainsi qu’une manière de souligner son désir de continuer le Concile dans la ligne de Jean XXIII72. une collaboration et voilà: l’inverse» (notes personnelles de Suenens, cf. F. Suenens, A.P., b. 13). Cette audience se passait pendant la crise dans les relations entre Paul VI et ­Suenens, cf. infra. 68.  L’Osservatore Romano du 17-18 décembre 1962 publiait les noms des membres: Cicognani, Liénart, Spellman, Urbani, Confalonieri, Döpfner et Suenens. 69.  Non seulement dans la presse, mais aussi dans le milieu diplomatique on parlait de Suenens comme papabile. L’ambassadeur de France Wl. d’Ormesson disait le 15 juin 1963 à Poswick que «les Français (je ne dis pas les cardinaux français, sauf bien entendu le cardinal Tisserant) sont hostiles à la nomination d’un pape étranger parce qu’ils craignaient que ce soit le Cardinal Suenens, ce qui les remplirait de jalousie» (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 55], p. 285). 70.  À deux reprises, L’Osservatore Romano (numéros du 24-25 juin et du 29 juin 1963) a publié une photo de cet événement. 71.  Par ex. Il Giorno (24 juin 1963) publie la photo à la 1ère page et écrit: «Sull’apparizione di Suenens a fianco del Papa, si sono fatti molti commenti. Il cardinale belga veniva considerato pochi giorni fa uno dei pochi papabili stranieri, ed è sicuramente una delle figure intellettualmente più vive della Chiesa cattolica. Membro della commissione di coordinamento per i lavori del Concilio fra le due sessioni, egli ne è stato definito autorevolmente ‘il motore’. È uno dei cardinali più ‘progressisti’ … Il singolare onore concesso a Suenens (che ha un solo precedente: quello di Wyszynski, che Giovanni XXIII volle accanto di se in identica circostanza) rivela quindi, probabilmente, il desiderio di Paolo VI di continuare a dare grande importanza ai collaboratori di Papa Roncalli: non soltanto quelli del ‘centro’ … ma anche quelli della ‘periferia’ e in particolare di potenziare, come Suenens ha spesso chiesto, il Concilio come strumento del dialogo fra la Chiesa ed il mondo» (cf. F. Suenens, A.P., b. 13). 72. Cf. Suenens, Souvenirs et espérances (n. 14), p. 109.

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Dans son journal, Moeller raconte: «Suenens a été reçu plus tôt ce jour. Le Pape a fait approcher Suenens de la fenêtre. Suenens ne voulait pas. Le pape l’a forcé. Toute la presse du monde entier en a parlé. Les Romains ne le [lui] ont pas pardonné. On a dit que Suenens deviendrait Secrétaire d’État73. Peu de temps après, le Pape a présenté un autre à la fenêtre, puis ne l’a plus fait. Mais le mal était fait»74. Même si la presse et certains milieux de la curie ont surestimé ce geste de Paul VI, on ne peut nier que l’autorité morale de Suenens en fut renforcée et que lui-même a fortement apprécié ce geste extraordinaire. –  Le 9 septembre 1963, Suenens est nommé modérateur du Concile par Paul VI en même temps que Lercaro, Döpfner et Agagianian75. Dans une audience76 au «lendemain de sa nomination pontificale», le pape lui aurait dit: «Je songe à nommer deux ‘légats pontificaux pour diriger le Concile’. S’il y en a deux ce serait vous et le cardinal Agagianian. Si je me décide à en nommer trois, ce serait vous, le Cardinal Agagianian et le Cardinal Döpfner»77. Dans une lettre du 15 septembre 1963, Suenens remercie chaleureusement le pape: «Merci pour la confiance, l’estime et l’affection qui sont incluses dans cette nomination dont j’apprécie tout le prix, comme aussi toute la responsabilité»78. Il faut toutefois remarquer que déjà fin août commence la discussion au sujet de la mission et des pouvoirs des modérateurs, discussion qui, comme on le sait, ne s’est pas conclue dans un sens favorable pour les modérateurs. –  Dans le même mois de septembre, le pape prie Suenens de vouloir tenir le discours en mémoire de Jean XXIII pendant la 2ème session du Concile79. Suenens accepte bien volontiers et remercie de cette «si 73.  Encore le 4 novembre1963, Poswick fait état de ces rumeurs à Suenens, qui lui répond: «Pour être un bon Secrétaire d’État, il faut un passé de diplomate! En tout cas, ce n’est pas dans mes charismes. Mon ‘charisme’, c’est la pastorale. Si le Pape me l­’offrait, je déclinerais. S’il me l’imposait, à la grâce de Dieu» (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 55], p. 347). 74.  Journal Moeller, Carnet 32, octobre 1965, p. 2. Avec nos remerciements au P. Cesare Antonelli, qui nous a beaucoup aidé dans la transcription de quelques passages de ce Journal. 75.  Lettre de Cicognani à Suenens, 9 septembre 1963, F. Suenens 791. 76. Il s’agit probablement de l’audience du 23 juin 1963 puisque L’Osservatore Romano ne fait pas mention d’autres audiences de Suenens en juin et juillet 1963. 77. Cf. Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 34. Cf. aussi Suenens, Souvenirs et espérances (n. 14), pp. 110 sv. 78.  F. Suenens 788bis et Suenens, Souvenirs et espérances (n. 14), p. 111. 79.  Lettre du card. Cicognani à Suenens, 7 septembre 1963, qui écrit: «Il a paru à Sa Sainteté que nul plus que Votre Éminence n’était capable d’évoquer devant cette illustre assemblée le Pape Jean XXIII, dans l’enceinte même du Concile pour lequel il a offert ses souffrances et sa vie. C’est le Pape Jean XXIII qui, après vous avoir confié le siège archiépiscopal de Malines-Bruxelles, vous élevait à la pourpre cardinalice, et vous a­ ssociait



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­délicate attention»80 et déjà, le 17 septembre 1963, Cicognani peut lui préciser que le discours peut se tenir en français et qu’il doit durer environ 45 minutes81. On peut conclure que, pendant ces premiers mois du pontificat, l’influence de Suenens connaît son apogée, influence attestée par plusieurs gestes de confiance de Paul VI82. D’autre part les contacts entre les deux hommes ne sont pas toujours très faciles ou spontanés83. 4.  2ème session (29 septembre – 4 décembre 1963) Encore un peu euphorique du fait des événements de juin-septembre 1963, Suenens est frappé par la connexion étroite entre le discours d’ouverture du pape à la 2ème session et le «plan» du Concile tel qu’il avait été proposé84. aussitôt d’une manière étroite aux travaux du Concile œcuménique du Vatican, dans sa préparation d’abord, puis dans son déroulement. Et c’est vous encore qu’il chargeait de présenter son encyclique Pacem in terris, devant l’auditoire de choix qu’est l’Assemblée des Nations Unies à New York. Aussi le Saint-Père – dont vous savez la profonde estime et la vive affection qu’Il nourrit pour votre personne – m’a-t-il chargé de vous confier en Son nom le soin de tenir en Sa présence le discours commémoratif de Son prédécesseur, qui demeure pour tous le Pape de la paix et le Pape du Concile. Il m’est très agréable d’être auprès de Votre Éminence l’intermédiaire de cette nouvelle marque de confiance du SaintPère…». Cf. F. Suenens 1661. 80.  Lettre de Suenens au pape, du 15 septembre 1963, F. Suenens 788bis. Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 63, Suenens écrit: «Cela a été une marque à laquelle j’ai été particulièrement sensible, d’autant plus qu’il me disait dans la lettre … que j’étais un de ses [de Jean XXIII] plus proches collaborateurs ou peut-être le plus proche de ses collaborateurs en pensée». 81.  F. Suenens 1662. 82.  Au cours d’une audience donnée à l’ambassadeur Poswick au mois d’août 1963, le pape aurait dit au sujet du cardinal Suenens: «Je l’admire non seulement pour son esprit de synthèse mais pour la faculté qu’il a de faire passer dans les faits les décisions de son esprit» (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 55], p. 332). 83.  Le 19 juin 1963, Suenens aurait dit à l’ambassadeur Poswick: «que le cardinal Montini est devenu, en effet, d’accès difficile. Chaque fois que lui-même est allé le voir à Milan, bien qu’ils se connaissent et s’estiment depuis longtemps, et qu’ils étaient attelés au même travail, l’archevêque est de glace pendant la première demi-heure de conversation; pendant la seconde demi-heure il commence à mollir; pendant la troisième demiheure il est absolument charmant. ‘Mais, ajoute le cardinal Suenens, chaque fois qu’on le revoit, le même travail d’approche est à faire’» (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 55], p. 287). 84.  Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 34. Ce sentiment de Suenens est un peu exagéré. Cependant les dernières pages du discours de Paul VI du 29 septembre 1963 (cf. AAS 55 [1963] 841-859, surtout pp. 852-859) pourraient être inspirées par le «plan» de Suenens qui contient en finale un «Message au monde» (cf. Suenens, Aux origines du concile Vatican II [n. 42], pp. 17-18). Et Suenens ajoute honnêtement: «Tout ce qui a été dit sur le Christ ‘pantocrator’, l’hommage au Christ, c’est cela l’idée qu’il [Montini] avait développée lorsque nous avions travaillé ensemble à ce plan».

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Le fameux épisode des 5 Questions85 (au sujet du De Ecclesia) allait cependant pour la première fois mettre à l’épreuve les relations entre Paul VI et Suenens. On sait que Suenens s’est fortement investi dans cette bataille, surtout contre Felici et Ottaviani, pour que les modérateurs obtiennent le droit de poser ces questions interlocutoires et de faire avancer ainsi le travail du Concile. Suenens affirme que Lercaro, Döpfner et lui-même avaient songé à une lettre de démission comme modérateur et que Lercaro en avait rédigé un brouillon. Et le pape, dans une audience donnée à Lercaro, a pris position contre celui-ci et il n’aurait soutenu en rien les modérateurs à ce moment86. Si les modérateurs ont obtenu finalement gain de cause, ce ne fut pas sans une perte d’influence: leur «secrétaire» Dossetti (selon beaucoup le «mauvais génie» de ces questions) a été congédié sur insistance de Felici et les modérateurs avaient expérimenté une première fois que le pape ne marchait pas nécessairement dans la direction de l’aile «progressiste» du Concile. Huit jours après l’événement, lors d’un déjeuner avec le pape, Suenens aurait dit au pape: «Vous m’avez fait gravir les quatorze stations du chemin de croix». Et Paul VI aurait répondu: «Oui, vous avez gravi ces stations … Je voulais que ce [poser les 5 Questions à l’assemblée du Concile] soit fait sous la responsabilité des modérateurs, sans m’engager personnellement»87. À cause du rôle que Suenens a joué dans cet épisode des 5 Questions (avec leur insistance sur la collégialité) il a été dépeint dans certains milieux de droite comme un adversaire de la primauté. C’est ainsi que son ami G. Benelli, à cette époque auditeur à la nonciature d’Espagne, lui décrit les réactions en Espagne et demande à 85.  Après le débat in aula sur le chapitre II du De Ecclesia, les modérateurs voulaient soumettre à l’assemblée 4 et puis 5 Questions destinées à orienter les travaux de la commission doctrinale. Questions qui se rapportaient à la sacramentalité et à la collégialité de l’épiscopat et au diaconat. 86. Cf. Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 39. Selon le Journal de A. Nicora, cette audience de Lercaro a eu lieu le 15 novembre 1963 (cf. G. Alberigo, Pour la jeunesse du christiansme: Le concile Vatican II, Paris, Cerf, 2005, p. 93). Mgr Prignon mentionne aussi que le cardinal Suenens fut prêt, à un certain moment, à présenter sa démission comme modérateur (Bande magnétique Prignon, IV, 8 février 2000). 87. Cf. C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Lumen gentium’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143, p. 101. Troisfontaines s’est basé sur un entretien avec Suenens du 26 juin 1986. Cette version est reprise par Suenens dans Souvenirs et espérances (n. 14), p. 117. Selon le journal de Congar (cf. Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, II, p. 17), qui cite Prignon comme source, cet épisode se serait passée le dimanche 27 octobre lors d’un dîner des quatre modérateurs avec le pape.



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Suenens de faire, à la fin de cette session, une déclaration pour défendre la primauté88. Au milieu de la crise autour des 5 Questions, Suenens a tenu in aula son beau discours à la mémoire de Jean XXIII. Il est à noter qu’il a envoyé le projet de son discours au pape en lui demandant des corrections éventuelles. Dans la même lettre, il sollicite du pape la nomination de Frank Duff comme auditeur laïc89. Signalons encore que le 22 octobre 1963, dans son intervention in aula, Suenens a fait un appel solennel pour que soient nommées des «auditrices» au Concile («puisque les femmes constituent, si je ne me trompe, la moitié de l’humanité»90). Souhait auquel le pape a accédé le 21.9.196491 en nommant 8 religieuses et 7 laïques «auditrices» au Concile92. Toutefois Suenens a dit qu’il a été impossible de faire accepter par le pape qu’une femme parle au Concile93. 88.  Cf. la lettre de Benelli à Suenens, 15 novembre 1963, F. Suenens 1526. G. Benelli, (1921-1982) avait été secrétaire de Montini à la Secrétairerie d’État de 1947 à 1950. Comme auditeur de la nonciature en Irlande, il avait fait la connaissance de Frank Duff et de la Légion de Marie. Comme auditeur de la nonciature à Paris (1953-1960), il avait rencontré V. O’Brien (à ce moment envoy de la Légion de Marie en France) et Suenens. Benelli, à situer plus «à droite» que Suenens, a toujours conservé son amitié à Suenens, même lorsque comme substitut de la Secrétairerie d’État (1967-1977) et homme de confiance de Paul VI, sa position n’était pas facile, lors du conflit Paul VI – Suenens dans les années 1969-1971 (cf. infra). Benelli a toujours essayé de «modérer» Suenens, parfois à la demande de Paul VI. Que cette position était fort délicate pour Benelli, est démontré e.a. par une note de Suenens, écrite après une conversation avec Benelli, le 17 février 1972: «La grande question pour Benelli, c’était que je dise bien au Pape qu’il a fait tout ce qu’il a pu, lui, pour m’amener à prendre une autre position, parce que dans la lettre ils ont dû comprendre, le pape et surtout Villot, que Benelli au fond était de mon côté. Il a très peur de cela et je lui au soigneusement marqué que ce n’était pas le cas». Et de fait dans le récit de son audience avec le pape, le 18 février 1972, Suenens note: «…j’ai clarifié très fort la fidélité d’Eliot [Benelli] à lui [le pape] contre moi dans le passé» (cf. F. Suenens, A.P., b. 13). 89.  Lettre du 11 octobre 1963, F. Suenens 3033. 90.  «Invitentur ut auditores etiam mulieres, quae, ni fallor, dimidiam partem humanitatis constituunt». Cf. F. Suenens 1534. 91. Cf. AS VI, III, pp. 367-368. 92.  R. Goldie dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (n. 87), p. 204, n. 4, écrit que Paul VI avait voulu nommer des auditrices dès 1963 en même temps que les auditeurs, mais que des insistances peu opportunes, au lieu de faciliter ce «geste», l’ont fait remettre d’un an. Il est vrai que Paul VI, homme fin et délicat, n’aimait guère les interventions parfois un peu cavalières de Suenens (cf. son intervention in aula de la 3ème session au sujet du Birth Control et plus tard les interviews de 1969, 1970 et 1971). Mais, puisque Paul VI avait déjà nommé des auditeurs laïcs, le 14 septembre 1963, il est difficile de penser que R. Goldie fait ici allusion au discours de Suenens, qui ne date que du 22 octobre 1963. D’ailleurs dans une lettre du 3 décembre 2004 à L. Declerck, R. Goldie écrit: «I find it difficult to attribute the origin of the ‘insistances’ to Cardinal Suenens». 93.  Journal Moeller, Carnet 23, 5 novembre 1964, p. 10.

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5.  2ème intersession Pendant la 2ème intersession, les contacts de Suenens avec Paul VI sont évidemment moins intenses que pendant la 2ème session, mais restent imprégnés d’une grande confiance. On constate aussi que le cardinal s’occupe de plus en plus de la question épineuse du Birth Control. –  Le 13 décembre 1963, le card. Cicognani demande au nom du pape, un avis sur le rapport de la commission pontificale au sujet de la natalité94 et sur l’éventualité d’un prononcé du magistère95. Le 24 décembre 1963, Suenens répond à Cicognani par une note de 6 pages mais quand il présente ses vœux de Noël au pape, il envoie aussi directement sa note à celui-ci96. Dans sa note le cardinal disait que la question était urgente mais que la réponse devait être nuancée et mûrie et que la question devait encore être élucidée dans le cadre du schéma XVII et qu’il serait bon de demander un rapport à un groupe international de moralistes et de chercheurs97. –  Dans une lettre du cardinal à Paul VI, écrite, le 23 janvier 1964, à la fin de l’Octave de prières pour l’Unité, Suenens semble vouloir apaiser le pape en écrivant: «Il y a trop d’idées imprécises dans un domaine où aucune confusion ne peut régner. Le Vatican II n’a de sens que dans la continuité de Vatican I et toute opposition entre l’un et l’autre est impensable. Une collégialité qui impliquerait une ‘cogestion’ quelconque de près ou de loin irait à l’encontre de la pensée du Seigneur et de la Tradition»98. –  Le 2 mars 1964, Suenens fait parvenir à Paul VI une note sur le Birth Control et prie le pape de la lire avant l’audience qu’il demandera aux environs du 10 mars; il écrit également au pape qu’il a été heureux que la Secrétairerie d’État ait envoyé un questionnaire aux conférences 94.  Pour ce rapport, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 266. 95.  Cf. F. Suenens 1959. On sait que le P. de Riedmatten a été chargé par le Secrétaire d’État, en avril 1963, d’ériger un groupe d’études sur les problèmes de la natalité. Le card. Suenens aurait appuyé auprès de Jean XXIII la constitution de cette commission. Parmi les 6 premiers membres (S. de Lestapis s.j., J. Marshall, C. Mertens s.j., H. de Riedmatten o.p., P. van Rossum et J. Mertens de Wilmars), il y avait trois Belges qui étaient nommés grâce à l’influence de Suenens: van Rossum, ami du cardinal, Mertens s.j. qui était en correspondance avec lui à ce sujet [cf. F. Suenens 536-538, 543, 545, 664, 1332-1334] et J. Mertens de Wilmars, professeur à l’Université catholique de Louvain. On sait que la première réunion de ce groupe s’est tenue à Louvain en octobre 1963 (cf. L. Declerck, Le rôle joué par les évêques et periti belges au concile Vatican II: Deux exemples, dans ETL 76 [2000] 445-464, pp. 457-458 et F. Suenens, B.C. et H.V., 271-273). 96.  Cf. F. Suenens 1962. 97.  On voit que le cardinal, convaincu qu’une position plus ouverte du magistère n’était pas encore acquise, cherche à gagner du temps. Aussi, pendant la 3ème session, il fera encore un plaidoyer pour une commission plus scientifique et plus internationale. 98.  Cf. F. Suenens 1712.



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épiscopales sur le même sujet99. C’est probablement lors de cette audience100 que le pape aurait dit à Suenens que, si les moralistes [illisible: hésitaient?] sur la morale conjugale, il devrait intervenir. Le cardinal le supplie d’attendre jusqu’après le Concile101. –  Le samedi 18 avril 1964 à 10h50, Suenens a une audience d’une demi-heure chez le pape. Mgr Prignon, qui a vu le cardinal immédiatement après son retour du Vatican, en donne un long rapport102. Le cardinal a trouvé le Saint-Père plus détendu que dans les deux audiences précédentes de cette année103. Il a donné au pape une note d’un théologien romain au sujet de la morale conjugale – note de nature à ébranler la conviction du Saint-Père – et lui a parlé de la 2ème session de la commission pontificale pendant la semaine de Pâques104. Suenens s’est plaint de l’attitude de Cicognani (à la commission de coordination105) au sujet de la collégialité. Et il aurait suggéré au pape que le temps était venu de le remplacer. Suenens a aussi félicité le pape au sujet de son discours aux évêques italiens106. Prignon conclut: «Dans l’ensemble il [le cardinal] a trouvé donc le pape toujours aussi affectueux et l’invitant à plusieurs reprises à lui demander tout ce qu’il voulait. Il avait l’impression que le pape désirait vraiment pouvoir lui faire plaisir, même accorder des faveurs». Le cardinal ajouta toutefois: «Que le vrai problème n’était pas les gentillesses personnelles du Saint-Père mais que le Saint-Père attaque les problèmes essentiels de l’aggiornamento de l’Église»107. –  On sait que, pendant son voyage aux États-Unis, le cardinal a donné une conférence de presse à Boston le 7 mai où il a parlé de la question du Birth Control et que cet exposé a suscité des remous à Rome108. 99.  Cf. F. Suenens 1981. Pour le questionnaire de la Secrétairerie d’État au sujet du Birth Control et de la morale conjugale, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 14-28. 100.  Audience du 12 mars 1964 (cf. L’Osservatore Romano du 13 mars 1964). 101. Cf. Journal Moeller, Carnet 18, p. 41. 102.  Cf. F. Prignon 825-826 (Archives Centre Lumen gentium, Louvain-la-Neuve). Voir aussi Bosschaert – Declerck, Notes personnelles de Mgr. Prignon (n. 8), pp. 83-88. 103.  Suenens a eu des audiences le 17 janvier et le 12 mars 1964 (cf. L’Osservatore Romano du 18 janvier et du 13 mars1964). 104.  Réunion du 3 au 5 avril 1964. On n’a pas trouvé le rapport de cette réunion. 105.  Pour les détails de cette réunion, cf. F. Prignon 824. 106.  Discours aux évêques italiens, 14 avril 1964, dans AAS 56 (1964) 378-387. 107.  D’autres problèmes traités à l’audience étaient la nomination de l’évêque de Gand (qui semblait être bloquée par une démarche du premier ministre, Theo Lefèvre, à l’instigation de son ami le prof. H. Van den Bussche), les relations Flamands-Wallons, l’Université de Louvain, la grève des médecins en Belgique, le prochain voyage du cardinal aux États-Unis, la politique italienne, le mot d’ordre donné par des supérieurs majeurs pour obtenir un chapitre spécial – sur les religieux – dans Lumen gentium. 108. Cf. Declerck, Le rôle joué par les évêques et periti belges au concile Vatican II (n. 95), pp. 460-461.

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­ renant les devants, Suenens écrit une lettre franche au pape, le 2 juin P 1964, dans laquelle il justifie son interview à Boston et demande une audience109. –  Dans une bande magnétique envoyée par lui au cardinal en juin110, Prignon parle à plusieurs reprises des «hésitations» du pape: le discours aux cardinaux sur le Birth Control111 qui admet plusieurs interprétations; la questions des 13 suggerimenti au sujet de la collégialité dans le chap. III de Lumen gentium; la question de l’autorité de la commission post-conciliaire pour la liturgie et les pressions subies par le pape par la Congrégation des Rites; les problèmes de la réforme de la curie romaine («On dit d’ailleurs de plus en plus dans les milieux romains que le SaintPère parle fort mais n’agit pas beaucoup»). –  Le 17 juin 1964, le pape donne à Felici des feuilles ronéotypées de Suenens au sujet de la vie religieuse; document que le card. Antoniutti lui avait transmis avec de vives appréhensions112. * * * On pourrait conclure que pendant la 2ème intersession les relations personnelles de Suenens avec le pape restent excellentes. Suenens fait confiance au pape, le met au courant de ses projets et voyages, obtient de lui que P. de Locht soit nommé dans la commission pontificale. Toutefois, aussi bien les milieux de la «majorité conciliaire» que Suenens lui-même s’aperçoivent que – contrairement à leur attente – le pape ne 109.  «Interrogé là-bas [à Boston] par des journalistes sur l’attitude de l’Église au sujet du Birth Control, j’ai fait la plus classique des réponses: il ne faut pas s’attendre à voir l’Église changer de doctrine en la matière, mais l’Église favorise la recherche scientifique qui peut rendre praticable la continence périodique lorsque celle-ci s’impose, à l’exclusion de tout moyen stérilisant. Nul ne peut empêcher les journalistes de déformer la pensée de quelqu’un: le Cardinal König s’est vu attribuer l’idée que la doctrine de l’Église allait changer et a dû démentir à son retour. Et je vois que l’article du Tempo qui introduit une interview très déplaisante pour ‘Cardinaux et Évêques’ commence par résumer les propos du Cardinal Ottaviani en lui prêtant le contraire de sa vraie pensée. Je ne voudrais pas dramatiser l’incident de cette interview, mais on aimerait que le chef responsable du Saint-Office commence par établir en toute objectivité critique ce qui réellement a été dit avant de se lancer dans une réprimande publique. Ce sont les procédés de ce genre, bien plus que le reste, qui discréditent une institution dont l’Église a besoin. Excusez-moi, Très Saint-Père, de vous avoir parlé avec cette totale franchise qui est pour moi l’expression d’une confiance filiale envers le Père commun des fidèles … et des Cardinaux». Cf. F. Suenens 1724. 110.  Cf. F. Prignon 828. 111.  Allocutio ad Em.mos Patres purpuratos, 23 juin 1964, dans AAS 56 (1964) 581589, discours où le pape admet qu’un problème se pose. 112.  AS VI, III, p. 197.



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leur donne pas toujours son entier appui ou du moins cède aux instances de la «minorité»113. Cette distanciation au sujet de plusieurs sujets importants aura, dans quelques mois, des conséquences pour les relations personnelles entre Paul VI et Suenens114. 6.  3ème session (14 septembre – 21 novembre 1964) On sait que, pendant la 3ème session, plusieurs incidents entre le pape et la «majorité» du Concile ont eu lieu. Incidents qui atteindront leur point culminant pendant la dernière semaine de la session, appelée non sans raison par des journalistes «settimana nera». Ceci aura certainement une répercussion sur les relations entre Suenens, un des porte-parole importants de la majorité, et Paul VI. –  Le 29 octobre, Suenens fait une intervention retentissante au sujet du problème de la régulation des naissances115. Ce discours, qui demandait un élargissement de la commission pontificale et faisait un plaidoyer pour la recherche scientifique en ce domaine, était courageux et fait pour susciter le mécontentement du pape: –  Le pape ne voulait pas qu’on discute de cette question au Concile, puisqu’il avait institué une commission pontificale pour l’étude de ces problèmes. De plus, il était d’avis qu’un Concile ne devait pas entrer dans le détail de cette problématique. Le cardinal Agagianian, modérateur, avait d’ailleurs explicitement donné cette consigne au début de la congrégation générale du 28 octobre116. 113.  Quand nous parlons de la «majorité» ou de la «minorité», il faut savoir que ce sont des concepts «relatifs» ou «analogiques» et que des personnes changent parfois de «camp» selon les sujets traités. Par ex.: – Si on peut situer Suenens presque toujours dans la majorité, il faut dire que, pour la mariologie, il se trouvait plutôt dans la minorité. – Le card. Bea qui lui aussi se situait dans la majorité, va au sujet de la «veritas salutaris» dans le De Revelatione rejoindre la minorité. – Mgr Parente se trouve habituellement dans la minorité (pour le De Beata, le De Revelatione). Il se trouve pourtant du côté de la majorité dans la question de la collégialité des évêques. 114.  Mentionnons ici les questions de la réforme liturgique (le Motu proprio «Sacram Liturgiam» du 25 janvier 1964), du Birth Control, de la collégialité, de la réforme de la curie. Notons aussi que dans son Diario, Felici écrit, le 3 juin 1964: «Parlando poi del Card. Suenens [il papa] confessa che lo riteneva più equilibrato» (cf. V. Carbone, Il ­‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015 [= Diario Felici], p. 397). 115.  Pour le texte, cf. F. Suenens 2244 et AS III, VI, pp. 57-59. Felici dans son Diario, le 29 octobre, parle au pape de «l’infelice intervento della mattina fatto dal Card. Suenens sulla limitazione delle nascite» (Diario Felici, p. 430). 116.  Suenens écrit à ce sujet: «Le Cardinal Agagianian … avait fait un texte pour dire à l’assemblée qu’il priait les évêques de ne pas aborder le sujet. Je lui ai dit que je n’étais

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– Il était inouï qu’un cardinal demande publiquement au pape de rendre public les noms des membres de cette commission pontificale secrète. –  La fougue oratoire du discours du cardinal (e.a.: «Je vous conjure, mes frères, évitons un nouveau procès de Galilée. Un seul suffit pour l’Église») n’était pas fait pour plaire au caractère discret du pape. Prignon se rappelle qu’il a fait tout son possible (encore le matin in aula) pour que le cardinal change certaines expressions de son discours, mais en vain117. On sait le succès de ce grand discours de Suenens et aussi que le pape a déjà fait clore le débat le lendemain 30 octobre par le modérateur Agagianian118. Voyons toutefois comment Suenens s’est souvenu de la réaction du pape: «Le matin même Mgr Colombo est parti immédiatement chez le pape … Colombo a téléphoné à Mgr Philips pour dire que le texte avait fortement déplu en haut lieu. Puis, comme sans doute rien ne se produisait de mon côté, j’ai eu la visite du cardinal Agagianian, chargé par le Saint-Père de me dire combien il regrettait pratiquement tout, le ton, la forme, le texte etc. demandant de retraiter le sujet, de revenir etc. J’ai demandé une audience au Saint-Père119 et au cours de l’audience, qui a été la plus sèche que j’ai jamais eue, la seule d’ailleurs, c’était visiblement le mécontentement. Il demandait une sorte de rétractation tout en disant: ‘Je ne vous demande pas une rétractation’ mais il la demandait quand même et c’était sans rémission, disant qu’on n’attendait pas cela

pas d’accord avec ce texte et je l’ai modifié en disant: ‘Nous traiterons ce sujet, mais uniquement par les premiers principes, sans entrer dans les détails’. Il a accepté cela» (Mémoires sur le concile Vatican II [n. 31], p. 52). 117. Cf. Journal Moeller, Carnet 32, 4 octobre 1965, p. 3: «‘Le matin même je l’ai supplié de ne pas la [son intervention] faire’, me dit Prignon. Il [Suenens] a prié longuement à la chapelle le Saint-Esprit, pour être éclairé. Il voulait faire sauter [illisible] qui entourait le Pape. Il n’a pas réussi». 118.  Cf. aussi Journal Moeller, Carnet 22, 30 octobre 1964, fiches ajoutées, p. 2: «Prignon, vu ce matin in aula, ne dit rien. Mais quand je lui dis: cette interruption est demandée par le pape. Il me répond: ‘sapientibus sat’. Il ajoute: ‘Je suis tenu par le secret, je ne puis rien dire’». 119.  À la fin du mois d’octobre et au début novembre, L’Osservatore Romano ne mentionne pas d’audience spéciale de Suenens. Mais les 4 modérateurs ont eu une audience collective le 29 octobre et le 5 novembre au soir (cf. L’Osservatore Romano du 31 octobre et 7 novembre 1964). Il est probable que le pape a retenu Suenens après une de ces audiences. À moins qu’une audience spéciale de Suenens n’ait pas été publiée par L’Osservatore Romano, ce qui était parfois le cas (par ex. les audiences de Philips en juillet et en octobre 1964 n’ont pas été mentionnées par ce journal).



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d’un modérateur, que c’était un manque de jugement que d’avoir défendu cette thèse etc.»120. Rappelons que C. Colombo dans une lettre, du 3 novembre, attire l’attention du pape sur deux positions doctrinales inacceptables dans le discours de Suenens (l’exigence que le pape devrait rendre public les noms des personnes qu’il consulte, sans quoi les évêques ne pourraient plus garder leur confiance dans ce magistère; et la demande que des époux fassent partie de cette commission pourrait donner l’impression que le magistère soit l’expression de la pensée du «peuple de Dieu» au lieu de la Tradition apostolique121) et que c’est le 4 novembre qu’Agagianian s’est rendu au Collège belge122. Et le 7 novembre 1964, Suenens, à l’occasion de son intervention sur les Missions, fait un genre de rétractation en prétextant que l’opinion publique n’avait pas bien compris son intervention. On sait que c’est Prignon qui a surtout rédigé cette déclaration123. Que le cardinal n’était pas vraiment repentant est aussi démontré 120.  Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 53. Dans son Mémoire sur le problème du Birth Control tel que je l’ai vécu de 1958 à 1968 (texte dicté peu après la parution de Humanae vitae, F. Suenens, B.C. et H.V., 1) le cardinal confirme cette version des faits. Il ajoute notamment: «Il [le pape] était dur, il était cassant et il n’y avait pas de réplique à donner. … Alors j’ai fait, à la manière de St Augustin, une re-tractatio, c.-à.-d. re-traité une seconde fois du [sic] même sujet» (p. 8). 121.  Cf. F. Colombo LG-03-17 (Facoltà Teologica dell’Italia settentrionale, Milan), où Colombo écrit: «Non entro nel merito del problema cui si riferiva. Mi sembra invece doveroso di far rilevare che esso includeva due posizioni dottrinalmente inacettabili, e che non dovrebbero diventare mentalità dominante dell’Episcopato: a) la esigenza che il Romano Pontefice deva far conoscere i nomi delle persone che consulta per l’esercizio del Suo magistero affinche i Vescovi abbiano ad aver fiducia nella competenza di questo magistero; b) la esigenza che in una Commissione di studio siano compresi, oltre a teologi e studiosi di varie categorie, anche gli sposi cristiani ‘perchè sia veramente rappresentato tutto il popolo di Dio’ può suggerire la idea che la funzione del Magistero sia di esprimere il pensiero del ‘popolo di Dio’ invece che quello della Tradizione trasmessa degli Apostoli. È opportuno trovar modo di chiarire queste idee, senza polemica?». On voit aussi que cette lettre est écrite au milieu du débat sur la collégialité. 122.  Cf. F. Philips 1921 (Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II, Leuven). 123.  Suenens écrit dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 53: «J’ai repris le sujet, quelques jours plus tard au Concile, mais de telle manière que personne ne pouvait y voir une rétractation; j’ai tout simplement répété ce qui avait été dit en soulignant qu’il ne fallait pas comprendre comme ceci et comme cela. Je crois que la comparaison des deux textes montre que le texte est resté identique». L’Osservatore Romano (à la p. 2 du 8 novembre 1964), d’habitude assez avare d’informations sur les débats conciliaires, en fait même un sous-titre: «Una precisazione del Card. Suenens per errate deduzioni sull’etica matrimoniale». Il est encore intéressant de voir comment Prignon rapporte cet épisode dans son Rapport destiné à l’Ambassadeur de Belgique auprès du Saint-Siège (F. Prignon 1058): «Sans rien retirer du fond de son discours, celui-ci [Suenens] en effet affirmait que la décision sur les modalités des travaux – aussi bien que le jugement ultime sur le fond – revenait au pape seul. Maints évêques pensèrent que cette mise au point avait bien pu être suggérée par le pape

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par ce qu’il disait à Döpfner à la 4ème session. Döpfner avait aussi reçu une remarque du pape au sujet de son intervention sur les indulgences. Suenens lui a dit alors: «…qu’il était passé par là l’année dernière et que c’était une felix culpa parce que l’expérience lui montrait … que finalement sa démarche avait porté son fruit»124. Prignon affirme encore que quelque temps plus tard le pape se serait excusé chez Suenens pour sa manière un peu brusque d’agir et lui aurait demandé pardon125. Il faut aussi remarquer que quelques semaines plus tard, encore au mois de novembre, Paul VI a élargi considérablement la commission pontificale (de 15 à 58 membres, dont 30 laïcs) et que les membres sont apparus sur une photo de leur audience chez le pape, publiée sur L’Osservatore Romano (ce qui était une façon de rendre leurs noms publics)126. –  Un autre facteur d’éloignement, quoique beaucoup moindre, aura été le discours in aula de Suenens au sujet des Missions, le 7 novembre 1964. Tandis que le pape par un geste exceptionnel avait, le 6 novembre, donné son appui au schéma De Missionibus, Suenens et beaucoup d’autres orateurs ont critiqué ce texte avec virulence127. lui-même. On n’en a toutefois aucune preuve [sic]. Si à l’avenir [on] devait donner crédit à cette hypothèse, il y aurait là un signe de plus que le pape tenait à marquer ses distances visà-vis du Concile et affirmer sa primauté comme cela devint très clair dans la suite». Et Mgr Heuschen, évêque auxiliaire de Liège et membre de la commission doctrinale, écrit aux sœurs Verjans le 8 novembre 1964: «Vous aurez lu dans les journaux que notre cardinal a reçu une réprimande du pape à propos de son intervention sur la morale conjugale: ce n’était pas à cause de la doctrine mais parce qu’il avait demandé que la commission pontificale soit élargie … Cette intervention du pape a fait très mauvaise impression»; cf. L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen, F. Heylen]. 124. Cf. Journal Prignon, 14 novembre 1965, pp. 200 et 203. 125.  Dans ses Concilieherinneringen, p. 16 (F. Heuschen 384), Heuschen rapporte que le cardinal a dit à Prignon que pendant six semaines, dans la réunion hebdomadaire des modérateurs le pape ne lui a plus adressé la parole mais que finalement le pape s’est agenouillé devant Suenens pour lui demander pardon. Heuschen ajoute toutefois qu’il n’a pas pu contrôler ce récit. En effet, après le discours de Suenens du 29 octobre 1964 la session du Concile n’a plus duré que trois semaines. La période de six semaines est donc largement exagérée. L. Declerck se souvient d’un récit analogue que Prignon lui a raconté. Même son de cloche chez Poswick qui écrit en décembre 1964, en relatant des propos de Mgr Prignon: «Malgré les heurts, lors de la dernière entrevue du cardinal Suenens avec Paul VI, avant la fin de la 3ème session, celui-ci l’a embrassé et lui a demandé de l’excuser, s’il avait été parfois un peu vif, excipant de sa grande fatigue nerveuse» (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 55], p. 504). 126. Cf. Mémoire sur le problème du Birth Control, p. 10. 127.  Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 50, Suenens écrit: «Cela a été un moment très dramatique en ce sens que le Pape avait, en somme, patronné le schéma sur les Missions et nous avons tous, le lendemain de son intervention, démoli ce schéma, je crois à 16 sur 17».



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–  Et dans le contexte des tensions au sujet du chapitre III de Lumen gentium (1ère quinzaine de novembre) il ne faut pas s’étonner que Suenens ait dit à Moeller, le 12 novembre 1964: «Le pape n’est préparé ni théologiquement ni psychologiquement à la collégialité»128. – Pendant les derniers jours de la session, lors d’une audience le 19 novembre 1964, Suenens a encore essayé d’obtenir le vote du De Libertate religiosa, mais le pape a maintenu sa décision, tout en promettant que ce texte serait le premier qui serait discuté à la session suivante129. Et Moeller note encore: «L’entretien entre Suenens et le pape a été très cordial. Mais je me méfie de cette cordialité». * * * À la fin de cette session, on peut voir que les relations entre Paul VI et Suenens se sont rétablies et restent bonnes. Toutefois, lors de cette session, pour la première fois, un désaccord public entre le pape et le cardinal s’est manifesté. Suenens n’a pas hésité à vouloir forcer la main du pape dans la question du Birth Control et de la commission pontificale. Et le pape, qui probablement a été plus blessé par le procédé que par le contenu130, a exigé une rétractation publique de Suenens. Peut-être que cela a été le début d’un processus d’«estrangement». 7.  3ème intersession Pendant la 3ème intersession, on constate que Suenens reste surtout préoccupé de la question du Birth Control (et en conséquence par le schéma XIII et le chapitre sur le mariage). C’est probablement pour cette raison (afin de ne pas compromettre son crédit), qu’il réagit assez fortement contre un article de Paroisse et Liturgie131 et au sujet de quelques autres incidents mineurs, qui lui sont signalés par le pape. 128.  Journal Moeller, Carnet 23, 12 novembre 1964, p. 33. Moeller note aussi qu’Etchegaray lui avait dit que le pape était mal informé et que Suenens avait dit: «J’ai des exemples, dit-il, où le pape a dit: voici comment réagit tel évêque et l’évêque en question réagit exactement à l’envers» (Carnet 23, 12 novembre 1964, p. 36, avec la note 1 au verso de la p. 35). 129.  Journal Moeller, Carnet 23, 19 novembre 1964, verso de la p. 54. 130.  Moeller écrit dans son Journal: «Ce n’est pas tellement l’allusion à Galilée qui a fait tellement scandale à la curie, mais le fait que Suenens a fait une chose qu’il ne faut jamais faire à Rome: critiquer en public une chose décidée par le pape. Or, il a demandé que l’on publie les noms des membres de la commission pontificale pour ‘la pilule’» (Carnet 32, 4 novembre 1965, p. 2). 131.  Il s’agissait d’un article publié par le bénédictin belge T. Maertens o.s.b., De l’obéissance en matière liturgique (dans Paroisse et Liturgie 47 [1965] 1-2), qui prônait

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L’élévation au cardinalat de J. Cardijn, fondateur de la J.O.C., en février 1965, donne lieu à des festivités et des rencontres de Suenens avec le pape. Voyons cela plus en détail. –  Dans une lettre du 18 décembre 1964, Suenens envoie ses vœux de Noël au pape; il ajoute qu’il espère que le schéma XIII ne déçoive pas l’attente du monde [allusion au problème du Birth Control] et puisse être le digne couronnement des travaux entrepris. Il souligne enfin qu’il se réjouit de pouvoir vivre la collégialité, désormais fixée dans les textes, en profonde communion avec et sous l’égide du pape132. –  Après le consistoire, lors de l’audience du 22 février 1965, Paul VI lui parle de l’article de Paroisse et Liturgie et des prises de position de trois professeurs du séminaire de Malines (P. Pas, F. D’Hoogh et P. Anciaux) en morale conjugale133. Le cardinal réagit très sèchement134 au sujet de Paroisse et Liturgie et écrit une lettre au pape le 17 mars 1965135. Dans cette même lettre, Suenens réagit aussi au fait qu’un prêtre de son diocèse a assisté à Berlin-Est à une conférence sur la paix, les 17 et 18 novembre 1964136. –  En mars 1965, Suenens demande à V. Heylen, professeur de morale à l’Université catholique de Louvain, un projet de texte que le pape pourrait utiliser en vue d’une déclaration sur le Birth Control. Ce texte ne sera pas communiqué au pape parce que, de divers côtés, on plaide pour que celui-ci retarde son intervention137. une assez grande liberté en matière liturgique. Voir à ce sujet M. Lamberigts, Entwicklungen nach dem II. Vatikanum in den Niederlanden: Die liturgische Entwicklung als Fallstudie, dans P. Hünermann (éd.), Das Zweite Vatikanische Konzil und die Zeichen der Zeit heute, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 2006, 283-312, pp. 288-291. 132.  Cf. F. Suenens 2307. 133.  F. Suenens 2306. 134.  Mgr Charue, pourtant pas un progressiste en matière liturgique, écrit: «J’apprends que le cardinal Suenens est fort impressionné par la lecture, faite hier soir, de Paroisse et Liturgie. Dès hier soir, il a rédigé un projet de lettre collective [de l’épiscopat belge]. C’est assez dur, mais il faut une réaction nette» (cf. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue [Cahiers de la RTL, 32], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000, p. 240 et L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin [Instrumenta Theologica, 40], Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, pp. 107-108). 135.  F. Suenens 2341. 136.  À ce sujet, il y a une lettre (13 février 1965) à Suenens, où le nonce Oddi affirme que le Saint-Père a été profondément attristé par la présence d’un prêtre de Malines-­ Bruxelles à cette conférence (cf. F. Suenens, A.P., b. 13). 137.  Cf. F. Heylen 22-27 et F. Suenens 2452-2453.



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–  Mais le 26 mars 1965, Suenens envoie au pape une note du Prof. A. Dondeyne et lui suggère d’avoir une discussion avec Dondeyne et Heylen. Il demande au pape que la question puisse encore mûrir138. Le 1er avril 1965, Cicognani répond en disant que le pape a pris connaissance du texte de Dondeyne et qu’il l’a envoyé à H. de Riedmatten. –  Le 5 avril 1965, Suenens envoie à nouveau une lettre au pape en lui transmettant deux articles et suggère que le pape demande aux hommes de science catholiques de poursuivre leurs recherches sur les problèmes de la fécondité. Cicognani répond, le 10 avril 1965, que le pape n’envisage pas de faire une déclaration dans les prochains jours. La proposition du cardinal de faire appel aux hommes de science n’est pas jugée opportune, mais elle fut transmise à la commission pontificale139. –  Se trouvant à Rome pour la réunion de la commission de coordination, Suenens a une audience chez le pape140 et il lui transmet une nouvelle version de la note de A. Dondeyne141. Le pape fera lire cette note par un théologien romain, et fera envoyer les remarques de ce théologien à Suenens par une lettre de Dell’Acqua, le 8 juin 1965. Dondeyne répondra à cette note, réponse qui est transmise par Suenens à Dell’Acqua, le 1er juillet 1965142. –  Le 14 mai 1965, Suenens écrit encore une lettre à Dell’Acqua au sujet de modifications apportées au texte sur les Juifs. Il souhaite que la personne du Saint-Père ne soit pas mise en cause143. –  Le 3 juillet 1965, Suenens envoie au pape ses félicitations pour le ème 45 anniversaire de son ordination et ne manque pas l’occasion de donner un bref rapport sur le VIIème Colloque international de sexologie, qui s’est tenu à Louvain les 29 et 30 mai 1965 et auquel H. de Riedmatten a assisté144. * * * On peut conclure que pendant cette intersession, Suenens poursuit hardiment son but: une évolution dans la position de l’Église au sujet des 138.  F. Suenens 2456-2457. 139.  F. Suenens 2459 et 2459bis. Il faut noter qu’à cette époque, Suenens était fort actif pour intéresser des hommes de science à des recherches sur des méthodes de régulation de la fécondité. Cf. F. Suenens, B.C et H.V., 135-161. Cf. aussi le VIIe Colloque international de sexologie de Louvain du 29-30 mai 1965 (ibid., 947-979). 140.  Audience du 13 mai 1965 (cf. L’Osservatore Romano du 14 mai 1965). 141.  Cf. F. Suenens 2457bis. 142.  Cf. F. Suenens 2466-2467; 2469-2470. 143.  AS V, III, p. 321. 144.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 979.

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méthodes de contraception. À cet effet, il intervient avec assiduité auprès du pape. Toutefois en bon stratège il essaie de ne pas perdre son crédit par d’autres questions litigieuses. Cette insistance (opportune, importune) de Suenens trahit en même temps que le cardinal n’a plus la même confiance filiale dans le pape; il ne se trouve plus sur la même longueur d’onde que le pape et veut le faire changer d’opinion. 8.  4ème session (14 septembre – 8 décembre 1965) Pendant la 4ème session, les relations de Suenens avec le pape restent fréquentes, puisque les modérateurs continuent à avoir leur audience hebdomadaire. Toutefois, le rôle des modérateurs semble se réduire encore. Suenens lui-même obtient à sa demande une longue audience privée, le 18 octobre 1965. Faisons succinctement un survol des contacts de Suenens avec Paul VI, en notant les réactions de Suenens vis-à-vis du pape et de sa politique145. –  Le 14 septembre 1965, Suenens est heureux de l’encyclique Mysterium Fidei au sujet de l’eucharistie, mais il déplore le «mode»: seuls des théologiens du Saint-Office, sans consultation internationale, y ont travaillé. Le cardinal promet à Prignon d’en parler au pape et de lui demander de consulter à l’avenir une véritable équipe internationale146. –  Le 16 septembre 1965, lors de la première rencontre de la 4ème session du pape avec les modérateurs, le pape donnait l’impression qu’il voulait vraiment faire du synode une expression de la collégialité épiscopale et qu’il en attendait beaucoup. De même il a l’intention de convoquer les présidents des conférences épiscopales et de leur faire soumettre certains points à discuter147. –  Le 21 septembre 1965, lors de l’audience avec les modérateurs, le pape parle à nouveau très positivement du synode des évêques et aussi de la réforme du Saint-Office. Le cardinal Suenens lui propose de créer une commission internationale de théologiens148. De même, le pape est 145.  À part la transcription d’une bande magnétique de Suenens sur son audience du 18 octobre 1965, notre source principale est le Journal de la 4ème session de Prignon (Prignon note fidèlement ce que le cardinal lui dit, mais les rapports du cardinal ne sont pas toujours précis) à compléter par quelques passages du Journal Moeller (Carnet 32, 19 octobre 1965, pp. 51-52). 146.  Journal Prignon, p. 268. 147.  Journal Prignon, pp. 29-30. 148.  Commission qui sera érigée après le synode de 1967, où Suenens a fortement promu cette idée.



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d’accord avec Suenens pour imposer une limite d’âge pour les évêques, mais il rencontre de grandes résistances149. –  Dans une conversation avec Prignon, le 26 septembre 1965, le cardinal confirme qu’il a demandé au pape de nommer Philips cardinal150. –  Au cours de l’audience des modérateurs, le 28 septembre 1965, Suenens fait son possible pour éviter que le pape donne des directives au sujet du débat in aula du schéma XIII (et spécialement sur le chapitre du mariage). Il veut intervenir à ce sujet et ne pas être gêné, comme l’année précédente, par des directives du pape. Toutefois, à la fin de l’audience, le pape parle lui-même du problème du Birth Control et du rapport de la commission pontificale151. Devant la réaction du cardinal disant que ­l’instruction pastorale est très faible et même mauvaise, le pape propose de faire réagir les présidents des conférences épiscopales152. Le pape est aussi d’avis que l’année précédente [lors de la settimana nera à la fin de la 3ème session] il n’avait pas eu tort d’intervenir, abstraction faite sur le modus de ses interventions153. –  Le 5 octobre, Suenens demande à Prignon de lui faire une note au sujet des interventions du pape dans le travail des commissions (e.a. sur le texte De Revelatione, sur le schéma De Episcopis) et du danger d’une nouvelle settimana nera, note qu’il transmettrait au pape lors de sa prochaine audience privée154. –  Dans une conversation, Suenens et Helder Camara tombent d’accord pour que Suenens propose au pape de mettre le problème du célibat à l’ordre du jour d’une des réunions des conférences épiscopales, afin d’amorcer au moins la question et de le faire avec toute la discrétion possible155. 149.  Journal Prignon, pp. 62-63. 150.  Journal Prignon, p. 79. 151.  Pour ce rapport «De Quaestione regulationis nativitatum», septembre 1965, cf. F. Prignon 1448. 152.  Finalement, ce texte de la commission pontificale ne sera pas soumis aux présidents des conférences épiscopales (e.a. parce que des membres, dont Mgr Reuss, avaient protesté contre le contenu – selon eux incomplet et partiel – de ce rapport). Cependant, Suenens avait déjà demandé à des théologiens de réagir à ce rapport pour le jour où il viendrait en discussion (Journal Prignon, pp. 138-139). 153.  Journal Prignon, pp. 89-92, 99. 154.  Journal Prignon, p. 124 et Journal Moeller, Carnet 32, 6 octobre 1965, p. 11 et verso de la p. 10: «Il [Martimort] parle du malaise qui se répand parmi les commissions (Note 1: au point qu’on craint une settimana nera plus grave que l’autre, car: dernière session. Plus de possibilité de mises au point) au sujet d’une série d’interventions [du pape]. Il énumère: De Episcopis, le De Religiosis, le De Revelatione, le De Educatione christiana». 155.  Ce qui n’a pas été fait: les conférences épiscopales ont uniquement traité de la discipline pénitentielle dans l’Église et des indulgences. Beaucoup d’évêques, même de la

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–  L’audience des modérateurs du mardi 12 octobre a été agréable mais fut à peu près une cascade de mauvaises nouvelles156, disait le cardinal. Seule exception: le pape disait qu’il désirait une collaboration entre la commission pontificale et la [sous] commission conciliaire [pour le De Matrimonio du schéma XIII]. Suenens avait l’impression que, sur cette question, le pape était fort indécis, mais au cours de la discussion le pape reparlait de la fin primaire et de la fin secondaire du mariage, de la finis operis et de la finis operantis. Et le cardinal disait à Prignon que le pape, dans sa pensée personnelle, n’avait pas fait un pas en avant depuis un an et demi157. – Venons-en à l’audience privée de Suenens du 18 octobre 1965. Cette audience, soigneusement préparée par Suenens, dura une heure et 5 minutes158. Elle est rapportée par lui sur bande magnétique159; résumons-en les points saillants: 1° Le cardinal remet une note sur la réforme de la curie romaine. Il a beaucoup de peine à développer quoi que ce soit car, dit-il, «[le pape] m’interrompt et se met à expliquer pratiquement le Corriere della Sera, son interview sur la curie [sic]160, qu’elle n’est plus du tout comme autrefois, que tous ses abus de jadis ont disparu … rien dans la conversation ne laisse voir ou entrevoir l’espoir d’une réforme en profondeur de la curie romaine». 2° «J’ai enchaîné sur les commissions post-conciliaires … Rien dans la conversation n’a pu montrer qu’il [le pape] souhaitait en établir … J’ai «majorité», étaient d’avis qu’il ne fallait pas aborder ce problème délicat en session publique du Concile, d’autant plus qu’il n’y avait plus que deux ou trois jours de débat. Cf. Journal Prignon, 10 octobre 1965, pp. 144-145. 156.  E.a. les sujets à traiter par les évêques (et conférences épiscopales), les critiques du pape au sujet du schéma De Revelatione, le projet du pape de rendre – à la cérémonie de clôture – un hommage solennel aux reliques «authentiques» de Saint Pierre [M. Guarducci avait prétendu qu’elle avait découvert ces reliques, mais beaucoup d’historiens, dont Mgr J. Ruysschaert, contestaient cette «découverte» de Guarducci qu’on appelait «la romancière archéologique»] etc. 157. Cf. Journal Prignon, pp. 155-158. 158.  Il y avait la note au sujet du danger d’une nouvelle settimana nera (préparée surtout par Martimort, cf. F. Prignon 144 et F. Suenens 2501) et une note sur le problème du Birth Control faite par Delhaye, Heylen et Prignon (cf. F. Prignon 1449-1450). 159.  Cf. F. Suenens 2503. Ce texte, dicté probablement à la hâte par le cardinal, a été dactylographié par une personne du secrétariat personnel du cardinal qui manifestement ne maniait pas bien le français. D’où les nombreuses tournures curieuses dans le texte, tournures que nous avons parfois corrigées directement. Par ailleurs, ce texte dactylographié correspond fidèlement au rapport oral que le cardinal a fait à Prignon, cf. Journal Prignon, pp. 174-177 et 185. 160.  Interview de Paul VI par Alberto Cavallari dans le journal Corriere della Sera, 3 octobre 1965.



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montré aussi que … [pour] la Congrégation des Séminaires et celle des Religieux combien il était essentiel qu’il y ait là une suite et combien on était bloqué par les personnages présents161. Il a répondu que ces personnages n’étaient pas éternels, que la nature était là et rien n’indiquait en quoi que ce soit une innovation quelconque, une nouveauté quelconque». 3° Puis vient la discussion sur le Birth Control (une demi-heure). «Il [le pape] a donné son point de vue, qui consistait à dire qu’il ne faut en rien favoriser l’égoïsme des gens; qu’il ne faut pas sacrifier l’esprit de sacrifice; qu’il ne faut rien compromettre de toute la position traditionnelle de l’Église là-dedans. Je [Suenens] durcis peut-être dans les expressions, mais le fond est certainement ce qui se dégageait. Il faut que nous puissions répéter pratiquement la doctrine classique. Je n’ai pas vu à un seul endroit une ouverture en quoi que ce soit vers une position nouvelle». Puis le pape a dit à Suenens que l’auteur d’Amour et maîtrise de soi avait changé d’opinion, ce que Suenens a confirmé en disant qu’il s’est conformé à l’évolution de la majorité des moralistes à ce sujet. Alors le pape a demandé à Suenens de lui faire un texte où il exprimerait ce qu’il souhaite que l’Église dise maintenant. Hic et nunc. Une déclaration que le pape pourrait faire maintenant en attendant une encyclique qui serait pour plus tard. Suenens a encore essayé de relativiser un peu l’encyclique Casti connubii et de démontrer que les couples qui pratiquent la méthode ­Ogino-Knaus ne respectent pas eux non plus les «actus apti ad procreationem». Mais sans grand succès. En effet il écrit: «…le Saint-Père a surtout exposé une nouvelle fois la position classique sur la procréation … tout en essayant d’intégrer l’amour là-dedans. À ses yeux, certainement, il y a moyen, certainement [sic] dans sa pensée, de faire avancer quelque chose du côté de la place de l’amour … Tout en ne changeant pas la doctrine, il semble qu’il y ait une ouverture de quelque chose … côté donc amour à intégrer dans cet ensemble». 4° Le pape a encore abordé l’érection du diocèse de Limbourg et à la fin de l’audience il a déclaré: «Je me trouve devant un grave problème de conscience, devant le De Revelatione et il a exposé les difficultés au sujet de la Traditio constitutiva, la veritas salutaris et l’historicité de l’Écriture sainte. Qu’il savait qu’il s’exposait à une nouvelle settimana nera mais que sa conscience était impérieuse là-dedans»162. 161.  Le préfet de la Congrégation des Religieux était I. Antoniutti. Et à la tête de la Congrégation des Séminaires et Universités se trouvaient G. Pizzardo, préfet, et D. Staffa, secrétaire. 162.  Dans son Journal (Carnet 32, 19 octobre 1965, pp. 51-52), Moeller note: «Le cardinal Suenens est encore allé chez le pape hier. Le pape a dit: en conscience, je dois

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Le cardinal résume ainsi le climat de l’audience: «Voilà, je crois que [c’est] le résumé fondamental de cette conversation, qui se déroulait dans le meilleur des climats, avec une impossibilité de se faire écouter, parce qu’ à la moindre phrase, c’était lui qui parlait, qui exposait et qui donnait ses vues. Il n’y avait à aucun moment cette sorte de position: ‘Eh bien, dites-moi ce que vous pensez, même si je ne l’admets pas, mais qu’est-ce que vous pensez’, encouragement à expliciter une pensée. J’ai dû la donner par bribes et morceaux, dans des circonstances difficiles, heurtant et presque chaque fois étant impoli, l’interrompant … Je n’ai pas en tête chacun des arguments qu’il m’a objectés, mais je pense que pour qu’on puisse même dialoguer, les longueurs d’ondes étaient tellement différentes que je crois qu’il faut dix préalables pour déblayer et faire le cheminement qu’il faut pour qu’on se rencontre sur le même point. J’ai l’impression que l’on parlait de choses très différentes … Il [ne] me semble donc pas que l’on se trouve devant une ouverture en quoi que ce soit, ni sur le terrain curie, ni sur le terrain commissions post-conciliaires, ni sur le terrain Birth Control. Il m’a quitté en disant: ‘Il faut que nous nous aidions fraternellement. C’est l’heure de s’entraider, je compte beaucoup sur vous. Alors vraiment, prions ensemble’». –  Le 26 octobre, l’audience avec les modérateurs fut excellente. Et le cardinal est revenu rayonnant. La conversation était détendue, familière et très amicale. Le Saint-Père a raconté lui-même comment s’était faite la réhabilitation de Draguet163 et le cardinal a pu lui parler de la maladie de Mgr J. Leclercq . De plus, le pape semblait de nouveau pencher vers la création de commissions post-conciliaires. Après l’audience collective le cardinal a demandé à voir le pape seul pour pouvoir lui remettre son texte164. Il ne l’a pas fait sans appréhension mais, à sa grande surprise, il a été bien accueilli. Cette fois-ci, le pape s’est montré très ouvert dans la discussion. Le cardinal a eu l’impression qu’en tout cas son texte serait intervenir … Le pape lui-même est du côté de la minorité. Il l’est par crainte, dit Prignon. Il ne sait pas très bien. On lui dit que la foi est en danger. Il n’est pas théologien. Par tutiorisme». 163.  R. Draguet (1896-1980), professeur de théologie dogmatique à l’Université catholique de Louvain, avait dû interrompre son enseignement sur ordre de Rome en 1942. Il a été réhabilité en 1965, par une lettre du cardinal Cicognani au cardinal Suenens (2 juillet 1965) à la demande de Mgr Descamps, recteur de l’Université catholique de Louvain (cf. F. Suenens, A.P., b. 18). Voir W. De Pril, Theological Renewal and the Resurgence of Integrism: The René Draguet Case (1942) in Its Context (BETL, 266), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2016. 164.  Texte d’une déclaration éventuelle sur le Birth Control demandé par le pape à l’audience du 18 octobre 1965. Pour ce texte, cf. F. Prignon 1460.



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pris en considération et influencerait la rédaction définitive du texte que le Saint-Père publierait à une date qu’il n’a pas précisée mais avant la fin du Concile165. Le cardinal était vraiment content de cet entretien166. –  À l’occasion de l’audience des modérateurs du 18 novembre, le cardinal demande au pape ce qu’il pensait du texte qu’il lui avait remis le 26 octobre au sujet du Birth Control. Le pape a répondu qu’il le faisait examiner par cinq personnes, mais il n’a pas dit si oui ou non le texte lui plaisait167. –  Les réactions de Suenens au sujet des modi pontificaux dans le De Matrimonio du schéma XIII sont connues168. Notons toutefois que le cardinal est prêt à écrire au pape au nom de la Conférence épiscopale belge169 et, qu’à un certain moment, il se propose de mettre en branle plusieurs cardinaux et évêques pour écrire au pape et porter devant lui tout le drame de conscience devant lequel se débattent les Pères170. Le 29 novembre, il est décidé à voter non placet et à faire voter non placet autour de lui. Mais, après que le pape ait accepté le texte avec le Rapport de l’Expensio modorum, composé surtout par Heuschen et Heylen, il y renonce sur le conseil de A. Prignon en lui disant: «C’est toi qui en portes la responsabilité»171. –  Le 2 décembre a lieu la dernière audience des modérateurs. Selon Suenens, elle fut très décevante. Le pape n’a pas parlé une seule fois des grandes questions qui agitent le Concile, mais surtout des cérémonies de la fin et des cadeaux qu’il donnerait à différentes catégories de personnes (évêques, chefs d’état etc.). Les modérateurs eux-mêmes n’auraient reçu qu’un merci très rapide et «une clochette d’argent»172. Quand le pape parle de la réforme du Code de droit canonique et dit son intention de convoquer les periti à Rome une fois tous les 15 jours, le cardinal remarque que les periti venant de loin ne pourraient pas venir tous les 15 jours et que c’était pratiquement clore l’internationalisation. Mais le pape lui a coupé la parole en disant qu’on avait pensé à tout cela et que tout serait au point. De même, quand le cardinal fait une ­suggestion pour le synode des évêques, le pape lui a coupé de nouveau la parole. Le ­cardinal 165.  On sait que le pape, peu après, a renoncé à faire une déclaration concernant ce sujet avant la fin du Concile et qu’il a essayé de faire passer ses idées par l’introduction de modi dans le texte du schéma XIII. Cf. Journal Prignon, p. 198. 166.  Journal Prignon, pp. 189-192. 167.  Journal Prignon, p. 214. 168. Cf. Journal Prignon, pp. 219-260 (passim). 169.  Journal Prignon, p. 227. 170.  Journal Prignon, p. 230. 171.  Journal Prignon, pp. 235, 240. 172.  En fait, il s’agissait d’une jolie clochette en bronze, avec les symboles des quatre évangélistes, sculptée par Manfrini. Le même cadeau a été offert aux observateurs.

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a l’impression que le pape ne prend pas le synode épiscopal très au sérieux. Qu’il a fait un geste pour satisfaire l’opinion, mais qu’il ne semble pas décidé à jouer selon les règles du jeu et à dialoguer avec les évêques. Et le cardinal ajoute: «Est-ce peut-être parce qu’il [le pape] ne fait plus confiance aux modérateurs, qu’il donne sa confiance à d’autres gens? Peut-être à lui, le cardinal, spécialement depuis son discours de l’an passé sur les problèmes du mariage». «En tout cas, le cardinal avait l’impression qu’ils [les modérateurs] jouaient plutôt un rôle décoratif, que les modérateurs n’avaient plus aucune influence réelle sur le Concile, que le pape les recevait parce qu’il fallait bien. Le pape est gentil, multiplie les cadeaux, même parfois un peu puérils, mais il fuit le dialogue»173. –  À la séance de clôture du 8 décembre, des messages furent adressés par plusieurs cardinaux à différentes catégories de personnes. Le cardinal Suenens était chargé par le pape de lire le message aux artistes. C’était certainement une marque de confiance du pape. Toutefois Prignon regrette que ces messages n’aient pas été plus conciliaires, ni dans leur contenu, ni dans la forme dans laquelle ils ont été présentés. C’est la Secrétairerie d’État qui a pourvu à tout. C’est seulement la veille au soir vers 10h30 qu’on a apporté le texte au cardinal Suenens pour qu’il le lise le lendemain. Il semble que personne au Concile n’ait été consulté à ce sujet. «Voilà un signe de plus [montrant] comment la sensibilité du pape est complexe. Il ne cesse de faire appel à la collégialité, mais il agit presque toujours seul. Ses réflexions innées ne sont certainement pas conciliaires»174. Suenens fait une réflexion analogue: «…cette 4ème session s’est achevée sur la place Saint-Pierre par les messages que nous avons adressés au nom du Saint-Père … c’était lui-même sans doute qui les a rédigés; en tout cas, le texte m’en avait été remis la veille au soir et je ne l’ai vu que très tard dans la nuit, pour le prononcer le lendemain. Je ne sais vraiment pas pourquoi c’était à moi à prononcer le discours pour les artistes et les écrivains; c’est sans doute une allusion aux différents livres écrits. J’aurais préféré d’autre part avoir la parole pour m’adresser aux femmes et aux religieuses…»175. * * * On constate donc que, pendant cette 4ème session, les relations personnelles de Suenens avec le pape restent bonnes. Mais, sur plusieurs points, 173.  Récit de l’audience par le cardinal à Prignon (cf. Journal Prignon, pp. 249-251). 174.  Journal Prignon, p. 264. 175.  Mémoires sur le concile Vatican II (n. 31), p. 58.



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Suenens est déçu par l’attitude du pape: le synode des évêques ne semble pas être un prélude à un gouvernement plus collégial de l’Église, l’hésitation du pape au sujet de l’installation des commissions post-conciliaires, la réforme de la curie romaine qui n’avance guère, et évidemment aussi la question du Birth Control, où le pape reste sur ses positions. Ce sont précisément ces problèmes (ainsi que celui du célibat sacerdotal) qui domineront la période post-conciliaire et qui mèneront à un conflit ouvert entre Suenens et Paul VI dans les années 1969-1971. III. Épilogue: Les relations entre Paul VI et le cardinal Suenens dans la période post-conciliaire Il ne nous est pas possible dans le cadre de cet article de traiter de façon approfondie des relations plutôt tendues entre le pape et le cardinal Suenens dans la période de 1966 à 1971. 1.  Signalons rapidement que les conflits se situent surtout autour de trois problèmes, qui restent d’ailleurs des questions toujours actuelles: 1°  Le problème de la régulation des naissances Avant la publication de l’encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968), Suenens s’engage à fond pour une position plus ouverte de l’Église à ce sujet: – Comme membre de la commission pontificale, il déploie de grands efforts dans les réunions de mai et juin 1966 pour atteindre ce but et finalement la commission se prononce le 24 juin 1966 à une large majorité pour une position plus ouverte176. – Dans plusieurs audiences177, il s’efforce de gagner le pape à son point de vue178. 176.  F. Suenens, B.C. et H.V., 547. 177.  Notamment dans son audience du 20 avril 1967 où le pape prend la défense de la minorité [de la commission pontificale sur la natalité] et où il renonce à la suggestion de Suenens de mettre ce problème à l’agenda du Synode avec l’argument: «Il faut trop de préparation pour être compétent». Et, à l’audience du 16 mars 1968, le pape exprime sa déception que Suenens ne soit pas resté dans la ligne de son livre [Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi] qui fut pour lui une lumière. Suenens note à la fin de son mémento: «Comme position Birth Control, il [le pape] demande de prier, mais les jeux sont faits». Cf. F. Suenens, A.P., b. 13. 178.  Cf. aussi la lettre adressée au pape, le 19 mars 1968, et publiée dans Souvenirs et espérances (n. 14), pp. 158-160.

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– Au Symposium des Évêques européens à Noordwijkerhout (juillet 1967), il fait signer un document179 par plusieurs évêques pour l’envoyer au pape. Et au synode d’octobre 1967, quand il devient clair que le pape ne veut pas soumettre cette question à l’assemblée synodale, il demande à plusieurs évêques d’écrire au pape à ce sujet et il écrit lui-même une longue lettre (5 p.) au pape180. Après la publication de l’encyclique181: – Le cardinal reçoit une lettre personnelle du pape, le 9 août 1968 qui lui demande de soutenir son encyclique182. – Le cardinal s’engage très fort dans la rédaction de la Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae (30 août 1968) et garde le contact avec d’autres cardinaux, qui eux aussi ont des problèmes avec l’encyclique. Il participe à une réunion de quelques cardinaux à Essen (9 septembre 1968)183. – Le 23 décembre 1968, Paul VI adresse une nouvelle lettre personnelle184 à Suenens où il dit e.a. que son propre ministère apostolique lui réserve des amertumes, surtout quand elles viennent de l’intérieur de l’Église (allusion nette à l’opposition au sujet de Humanae vitae). 2°  Le problème du célibat des prêtres –  Ce n’est qu’après la vague de contestation de 1968, également parmi les prêtres, que le cardinal s’est vraiment intéressé à ce problème185. Si, 179.  Qui avait comme titre: «10 Propositiones quae attinent ad declarationem Summi Pontificis de licito modo regulandi natalitatem». Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 214-218. 180.  F. Suenens, B.C. et H.V., 229-233. 181. Voir L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68. 182.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1397. 183.  Réunion avec Heenan, Döpfner, König, Alfrink et Suenens (cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1410-1436). 184.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1405-1406. Le pape écrit notamment: «E diremo al Fratello ed al Figlio che noi siamo ‘in passione socii’; anche il nostro apostolico ufficio ci riserva non poche amarezze ed è ora gravato da molte difficoltà, tanto più sentite quanto più direttamente ci vengono dall’ interno della Chiesa, da sedi e da persone che per la stima e l’affezione, di cui sono da noi favorite, le rendono a noi più penose e quasi ­inesplicabili». Suenens a noté qu’une lettre similaire fut envoyée au cardinal Döpfner. 185.  En mai-juin 1962, à la commission centrale préparatoire, Suenens est encore d’avis que le problème du célibat ne devrait pas être traité par le Concile et qu’une dispense du célibat doit être réservée au Saint-Siège et peut être accordée uniquement en cas de nullité de l’ordination. Autrement, cela ouvrirait la porte à des demandes de dissolution du mariage et serait nuisible à sa stabilité. Cf. F. Suenens 167. Pour son intervention à la commision



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face à la contestation, il plaide d’abord pour que le problème soit traité ouvertement, ce n’est que plus tard qu’il prend publiquement position pour la possibilité d’ordonner des hommes mariés. Il est évident qu’après la publication par Paul VI de son encyclique Sacerdotalis caelibatus (24 juin 1967), cette prise de position devait le mettre en conflit avec le pape. Relevons quelques faits: – Au Symposium des Évêques européens de Coire (juillet 1969), Suenens lit, pendant sa conférence de clôture, une lettre assez dramatique de H. Küng qui lui était adressée à Coire par express, où celui-ci lançait un appel solennel pour que le célibat des prêtres ne soit plus obligatoire186. – Après la prise de position des évêques hollandais, Suenens, qui avait lui-même sollicité une interview avec Fesquet, lance un appel dans le journal Le Monde (11-12 mai 1970) pour ouvrir le débat sur le célibat des prêtres. Cette fois-ci le pape réagit publiquement et Suenens s’explique dans son homélie de la Pentecôte 1970187. – Dans une intervention en son nom propre au Synode d’octobre 1971188, Suenens relance son appel en disant e.a.: «Allons-nous oublier que Jésus a fondé son Église, non sur Jean qu’Il aimait pourtant d’une prédilection spéciale, mais sur un homme marié du nom de Pierre?»189. Par après Suenens envoie une note de 8 p. au pape pour expliquer son intervention au Synode190. Dans une audience (du 30 octobre 1971) très pénible pour Suenens, le pape lui dit e.a.: «Vous créez un esprit mauvais, vous êtes le porte-parole d’une tendance mauvaise; Dieu vous jugera très sévèrement»191. centrale préparatoire, cf. Acta et Documenta Concilio Oecumenico Vaticano II Apparando, series II, vol. 2, pars IV, p. 429: «Sed Sancta Sedes misericors sit in diudicandis casibus nullitatis erga ea quae antecedunt ordinationem, non vero post ordinationem». 186.  Il est intéressant de constater que, quelques jours avant la réunion de Coire, Suenens s’est rendu à Sursee (Suisse) chez Küng et que, déjà avant sa conférence de clôture, il avait mis la presse au courant de la lettre de Küng (cf. F. Suenens, A.P., b. 115). 187.  F. Suenens, A.P., b. 63. 188.  On sait que pour ce Synode Suenens n’a été désigné comme représentant de la Conférence épiscopale belge qu’après un deuxième tour de vote. Pour éviter le scandale éventuel d’une non-désignation de l’archevêque de Malines-Bruxelles, Prignon était allé trouver Benelli pour lui demander que le pape suggère aux évêques belges de mandater quand-même Suenens. Benelli en a parlé à Paul VI, mais celui-ci aurait répondu: «Judicent episcopi pro conscientia sua» (F. Suenens, A.P., b. 10). 189.  Intervention du 11.10.1971: cf. Pastoralia 24 (1 décembre 1971) 182 et F. Suenens, A.P., b. 124-125. 190.  F. Suenens, A.P., b. 124. 191.  F. Suenens, A.P., b. 13.

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3°  La mise en application de la collégialité des évêques et les réformes institutionnelles de l’Église –  Après qu’en 1968 le cardinal eut publié son livre La coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui (Desclée de Brouwer, 1968), livre qui fut peu apprécié par le pape, il donna, le 15 mai 1969, une interview retentissante dans les Informations Catholiques Internationales (L’unité de l’Église dans la logique de Vatican II)192, où il critiquait ouvertement la curie et, en fait, reprochait au pape la lenteur dans la réforme des institutions de l’Église. Si le pape ne réagit pas en public, plusieurs cardinaux de curie (e.a. Villot, Garrone, Tisserant193) écrivent à Suenens et le cardinal Daniélou publie une interview dans les mêmes Informations Catholiques Internationales pour contredire Suenens194. En février 1970, le cardinal fait encore publier par J. de Broucker des réactions à son interview, dans un livre intitulé Le Dossier Suenens195. –  Au Synode de 1969, Suenens critique la constitution apostolique Sollicitudo omnium Ecclesiarum promulguée par Paul VI le 24.6.1969 au sujet du statut des nonces apostoliques. Il prend contact e.a. avec H. Küng pour faire des propositions en vue d’une réforme du conclave196. Lors d’une audience (17 octobre 1969), le pape lui parle de son interview dans les Informations Catholiques Internationales197. 192.  Informations Catholiques Internationales 336, 15 mai 1969, Supplément, pp. Interview publiée après des incidents à Rome en mars 1969, où le cardinal avait dû se défendre contre des dénonciations du nonce Oddi. Le texte avait été rédigé par Suenens en avril 1969 et publié sous forme d’interview par J. de Broucker (cf. F. Suenens, A.P., b. 60). Cf. A. Kasprzak, Une crise entre le centre et la périphérie de l’Église dans l’histoire d’une visite du Cardinal L.-J. Suenens au Vatican, en mars 1969, dans ETL 92 (2016) 251-283. Pour la réaction des évêques de Belgique à cette interview, voir Bosschaert – Declerck – Troisfontaines, Mgr Albert Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II (n. 8). 193.  La lettre (28 mai 1968) du card. Tisserant, doyen du Sacré Collège, est particulièrement sévère et se conclut sèchement: «Je termine, non sans tristesse, cette lettre déjà trop longue, en vous invitant à relire le texte de saint Paul: ‘Tout est permis, mais tout n’est pas profitable. Tout est permis, mais tout n’édifie pas’ (1 Cor. 10, 23). Vous ne m’en voudrez pas, cher Monsieur le Cardinal, de la franchise de mes propos. On peut appartenir à la curie, et pourtant aimer la vérité et l’Église. Veuillez agréer, l’hommage de mes sentiments respectueux et dévoués en Notre Seigneur». Cf. F. Suenens, A.P., b. 60. 194.  Informations Catholiques Internationales 344, 15 septembre 1969, pp. 16-20. 195.  J.  de Broucker, Le Dossier Suenens: Diagnostic d’une crise, Paris, Éditions universitaires, 1970. 196.  Il s’agissait de faire élire le pape non plus seulement par les cardinaux (en dessous de 75 ans et étant toujours en fonction) mais aussi par des délégués des conférences épiscopales (en s’inspirant de la composition du synode). Cf. F. Suenens, A.P., b. 120. 197.  Selon les notes de Suenens, le pape lui aurait dit notamment: «Je vous demande pardon pour ce qui a pu vous heurter ou blesser de ma part ou de la part de mes collaborateurs. J’ajoute que cette interview, je l’ai considérée comme une agression, de nature [à i-xvi.



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– En 1971, le cardinal donne une autre interview critique dans le National Catholic News Service (17 juillet 1971) au sujet du projet de faire précéder le nouveau code de droit canonique par une Lex Ecclesiae fundamentalis. Malgré le fait que ce projet ait déjà été retiré le 4 juillet 1971 et que tous ses vicaires généraux lui eussent demandé de renoncer à cette publication, Suenens fait quand-même publier cette interview198. Il est certain que le pape suivait avec inquiétude ces prises de position de Suenens et qu’il n’a pas manqué de le lui dire dans plusieurs audiences. Probablement que Paul VI, homme de cœur, a aussi ressenti de la peine parce que cette amitié était rompue. Toutefois le pape a toujours voulu garder le contact et a même demandé à Mgr Benelli, substitut de la Secrétairerie d’État, de bien vouloir maintenir ses relations avec Suenens parce qu’il savait que Benelli était un ami de longue date de Suenens. Et, de fait, Benelli a fait plusieurs voyages pour rencontrer Suenens lorsque celui-ci prenait des vacances à Nice (e.a. août 1968, juillet 1970199). D’autre part il faut souligner que Suenens n’a agi, ni par esprit de contestation, ni par ambition personnelle200, mais qu’il considérait comme son devoir d’œuvrer à une réforme de l’Église. Il a même comparé ses critiques sur le pape aux remontrances que l’apôtre Paul a fait à l’apôtre Pierre (cf. Gal 2,11-14). 2.  En 1971, le cardinal fait connaissance avec le renouveau charismatique et avec le mouvement des Focolari. Il décide de laisser dorénavant en repos les problèmes de structures pour donner place à des préoccupations nouvelles, notamment à l’accueil du renouveau charismatique. Dans son audience du 18 février 1972201, Suenens se réconcilie avec Paul VI, mettre] de l’huile sur le feu … Tournons la page, ne revenons plus sur le passé. Je retrouve le Cardinal Suenens que j’ai toujours connu» et Suenens ajoute: «Cela voulait dire: je reprends sur le plan de l’amitié», cf. F. Suenens, A.P., b. 119. 198.  Cf. F. Suenens, A.P., b. 65 et 66. 199.  Cf. pour la rencontre d’août 1968, F. Suenens, B.C. et H.V., 1400; et pour la rencontre du 28-29 juillet 1970, F. Suenens, A.P., b. 7. Mgr Heuschen, qui avait offert sa démission au pape pour des raisons de santé, témoigne d’une même préoccupation du pape quand en janvier 1970 le pape lui avait demandé de rester évêque résidentiel de Hasselt et ainsi membre de la Conférence épiscopale belge, parce qu’il était un des rares évêques qui avait encore l’oreille du card. Suenens. Cf. Concilieherinneringen, page annexe (F. Heuschen 384). 200.  Certains ont même prétendu que Suenens avait publié son interview dans les Informations Catholiques Internationales (15 mai 1969) par dépit, parce qu’il n’avait pas été nommé Secrétaire d’État, mais bien le cardinal Villot (nommé le 30.4.1969). Or les archives prouvent que cette interview a déjà été écrite en avril 1969, donc avant la nomination de Villot et à cause de quelques incidents de mars 1969. Cf. F. Suenens, A.P., b. 60. 201.  Cf. F. Suenens, A.P., b. 7. En vue de l’audience du 18 février 1972 [fête de Sainte Bernadette], Suenens notait dans son cahier: «Je dois me souvenir de Bernadette, invitée par

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réconciliation confirmée par sa lettre au pape du jeudi saint 1972202 et par son audience du 6 juillet 1972203. À partir de ce moment, les relations redeviennent chaleureuses. Paul VI cite le livre de Suenens Une nouvelle Pentecôte (Desclée de Brouwer, 1973) dans l’allocution de l’audience publique, le 16 octobre 1974. À la Pentecôte 1975, Suenens dirige un grand pèlerinage (10.000 participants) du mouvement charismatique à Rome, et assiste à la messe pontificale. Le lundi de Pentecôte (19 mai 1975) les pèlerins sont reçus en audience et Paul VI donne la mission à Suenens de veiller à la pleine intégration du mouvement charismatique dans la vie de l’Église catholique. * * * On peut donc conclure que les bonnes relations se sont rétablies204, sans que toutefois la vieille amitié n’ait été restaurée. Un détail intéressant encore à noter: quand le postulateur pour le procès de béatification de Paul VI a adressé en 1992, 1993, 1994 de longs questionnaires à Suenens, celui-ci n’a pas répondu205. On n’en connaît pas la raison. Était-ce par discrétion ou faut-il attribuer ce silence à son âge déjà très avancé, qui ne lui permettait plus de répondre à des questionnaires détaillés?

la Vierge ‘à manger de l’herbe’. C’était vraiment un geste sans élégance et bien peu indiqué à nos yeux. Mais ce que Marie voulait n’était pas cette herbe mais la souplesse, la docilité, l’ouverture d’accueil. Il faut aller à la rencontre ‘réconciliatrice’ désencombré de soi, de ses plans, de ses vues. Le Seigneur nous demande de laisser à d’autres la réforme ‘institutionnelle’ toujours indispensable. Mais Il nous oriente vers un autre plan: vers l’animation spirituelle des structures. ‘Mes paroles, dit le Seigneur, sont esprit et vie’. Il nous demande de donner le meilleur de nous-mêmes à vivifier son Église, à laisser le Christ être voie, vérité, vie. Il nous demande de croire à la parole de Simone Weil lorsqu’elle affirmait: ‘Les problèmes humains sont tels que seule la sainteté peut les résoudre’». Cf. F. Suenens, A.P., b. 10, Cahier I, p. 114. Pour cette audience, voir aussi les notes du Cardinal: «Séjour à Rome autour du 18 février 1972» (F. Suenens, A.P., b. 13). 202. Cf. Souvenirs et espérances (n. 14), p. 205. 203.  Suenens note à ce sujet: «…c’était l’audience la plus chaleureuse de ma vie; on ne sentait plus aucune espèce de réticence nulle part et c’était détendu à l’extrême. Deo gratias!» (F. Suenens, A.P., b. 13). 204.  Dans le livre de Fleckenstein, Pour l’Église de demain (n. 5), pp. 68-73, Suenens esquisse un portrait fort élogieux de Paul VI et justifie quelque peu ses critiques: «On peut critiquer le fonctionnement d’une voiture sans pour autant critiquer le chauffeur». 205.  F. Suenens, A.P., b. 13.

3 LE CARDINAL SUENENS ET LA QUESTION DU CONTRÔLE DES NAISSANCES AU CONCILE VATICAN II Introduction Le quarantième anniversaire de l’encyclique Humanae vitae (1968) du pape Paul VI a été l’occasion de rappeler l’importance de ce document et des controverses qu’il a soulevées1. Par ailleurs, les archives de Paul VI, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et de Secrétairerie d’État ne sont pas encore accessibles aux chercheurs2. De ce fait, les documents qui *  Article, avec quelques adaptations, de L. Declerck, Le cardinal Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II, dans RTL 41 (2010) 499-518. 1.  Vu le caractère restreint de cet article, il ne nous est pas possible de justifier toutes nos affirmations par un abondant appareil de notes. Le lecteur intéressé pourra consulter notamment: L.-J.  Suenens, Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991; L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens (Cahiers de la RTL, 31), Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 [= F. Suenens]; L. Declerck, Le rôle joué par les évêques et periti belges au concile Vatican II: Deux exemples, dans ETL 76 (2000) 445-464, surtout pp. 457-463; M. Lamberigts – L. Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505; L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68; M.  Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 61-217; L. Declerck – T. Osaer, Les relations entre le Cardinal Montini – Paul VI (1897-1978) et le Cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II, ibid., 285-323. L.J. Cardinal Suenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W. Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 38), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014. Les archives de Suenens sont conservées à l’archevêché de Malines-Bruxelles à Malines. Il existe un inventaire publié de ses papiers conciliaires, un inventaire de ses papiers au sujet du contrôle des naissances et de l’encyclique Humanae vitae (cité: F. Suenens, B.C. et H.V.) et un inventaire de ses archives personnelles (cité: F. Suenens, A.P.). L’historien doit toutefois savoir que la mémoire du cardinal, surtout en ce qui concerne les dates et les personnes présentes, était parfois sélective ou imprécise. Nous tenons à remercier Mr G. Vanden Bosch, archiviste, pour son aide. 2. Notons toutefois que récemment Gilfredo Marengo a eu accès aux archives de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et à l’Archivio Apostolico Vaticano pour étudier la genèse de l’encyclique Humanae vitae. Cf. G. Marengo, La Nascita di un’Enciclica: Humanae vitae alla luce degli Archivi Vaticani, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2018.

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concernent la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis, les interventions de Paul VI dans le travail de la commission conciliaire pour le schéma XIII, la préparation de l’encyclique (1967 et 1968) et le rôle joué par l’archevêque de Cracovie K. Wojtyła, devront être élucidés à l’avenir3. Tout en restant conscient de ces graves obstacles à l’élaboration historique, il nous semble intéressant d’étudier le rôle joué par le cardinal L.-J. Suenens4 dans cette question pendant le Concile. Suenens, un des principaux protagonistes de l’ouverture en matière éthique, était un des quatre modérateurs du Concile. De plus, au sein de la commission de coordination, il fut responsable pour le Schéma XVII sur «L’Église et le monde d’aujourd’hui», devenu le Schéma XIII à partir de la deuxième intersession; un chapitre de ce texte portait sur le De Matrimonio; le cardinal a donc exercé une grande influence dans la problématique de la régulation des naissances avant, pendant et après le Concile. Grâce aux archives du cardinal et de plusieurs de ses collaborateurs (Heuschen5, Prignon6, Heylen7), on peut esquisser une première approche de son rôle dans cette controverse; les archives d’autres protagonistes devraient apporter de précieux compléments. L’étude historique des activités de Suenens nous fait déjà mieux comprendre pourquoi cette encyclique a soulevé tant de contestations dans le monde occidental parmi les catholiques, les laïcs, mais aussi les théologiens et les évêques. Avant le Concile C’est Veronica O’Brien8 qui en 1958 attire l’attention de l’évêque auxiliaire de Malines sur la problématique de la régulation des ­naissances. 3.  Dans son livre G. Marengo a établi que l’influence directe de K. Wojtyła sur la rédaction de l’encyclique a été moindre que ce que l’on croyait d’habitude. 4.  L.-J. Suenens (1904-1996) est devenu vice-recteur de l’Université catholique de Louvain en 1940, évêque auxiliaire de Malines en 1945, archevêque de Malines-Bruxelles de 1961 à 1979, cardinal en 1962, membre du Secretariatus de Concilii negotiis extra ordinem et de la Commissio de Concilii laboribus coordinandis en 1962, et modérateur du Concile en 1963. 5.  J.M. Heuschen (1915-2002), évêque auxiliaire de Liège, membre de la commission doctrinale du Concile, a été évêque de Hasselt de 1967 à 1989. 6.  A. Prignon (1919-2000), prêtre du diocèse de Liège, a été recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome de 1962 à 1972, et peritus conciliaire. 7.  V. Heylen (1906-1981), prêtre du diocèse de Malines était professeur de théologie morale à l’Université catholique de Louvain. Tout en n’étant pas peritus conciliaire, il a joué un grand rôle dans la rédaction du chapitre De Matrimonio de Gaudium et spes. 8.  Veronica (Louise-Mary) O’Brien (1905-1998), fondatrice de la Légion de Marie en France et collaboratrice de Suenens, avait été confrontée dans sa propre famille irlandaise



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Chargé la même année de prononcer devant 3000 chercheurs, médecins infirmières, le discours d’ouverture au Congrès Mondial catholique de la Santé réuni à Bruxelles à l’occasion de l’Exposition Internationale, il appelle ses auditeurs à coordonner leurs efforts en vue d’aider les familles affrontées au douloureux problème de la régulation des naissances9. Il est intéressant de noter que le Père H. de Riedmatten10, futur secrétaire de la commision pontificale en 1963, a eu une rencontre avec Suenens à cette occasion. En 1959, le cardinal publie son livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi. Dans ce livre courageux, consacré à un sujet brûlant, Suenens prône la continence périodique, sans quitter les voies de la morale traditionnelle, comme on le voit par exemple au chapitre VIII «Maîtrise et régulation des naissances» (p. 109-118). Suenens envoie son livre au cardinal de Milan; après avoir donné une conférence à Rome à ce sujet, il revient en Belgique via Milan pour y rencontrer l’archevêque Montini. L’échange ne fut pas facile, mais Montini montre de l’intérêt pour le livre et le fera traduire en italien avec une préface de Carlo Colombo11, son théologien de confiance. En cette même année, sous l’instigation de Suenens, a lieu le premier «Colloque de Louvain», qui réunit sous le patronage de l’Université catholique une cinquantaine de médecins, moralistes et psychologues venant de plusieurs pays, afin d’étudier les problèmes de la famille. Ces colloques, qui eurent lieu chaque année de 1959 à 1974, ont permis à Suenens d’avoir de nombreux contacts avec des experts internationaux notamment du monde anglo-saxon12. Il faut noter qu’il a même réussi à faire nommer comme membre de la Commissio pontificia plusieurs des participants à ces colloques et que des membres de la commission pontificale – comme de Riedmatten – y ont également participé. En 1961 est érigé, à l’Université catholique de Louvain, l’Institut interfacultaire de avec les problèmes que posait la morale traditionnelle aux femmes catholiques (pour V. O’Brien, voir L.-J. Suenens, Les Imprévus de Dieu, s.l., Fayard, 1993). 9.  Suenens demandait notamment des recherches pour déterminer avec précision les périodes infécondes du cycle féminin. 10.  H. de Riedmatten (1919-1979), dominicain suisse, observateur permanent du SaintSiège auprès des Nations-Unies à Genève, a été secrétaire de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 11.  C. Colombo (1909-1991), peritus conciliaire, conseiller théologique de Paul VI, évêque titulaire de Vittoriana en 1964. Deux faits sont encore à signaler: 1. En mai 1963, Montini enverra le livre de Suenens comme réponse au Dr E. Rosini, qui lui avait soumis des questions au sujet du contrôle des naissances. 2. Quand, après la publication de Humanae vitae, Paul VI envoie le 9 août 1968 une lettre à Suenens pour défendre son encyclique, il écrit qu’il a seulement suivi les positions que Suenens avait défendues dans son livre. 12.  Pour les Colloques de Louvain, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 922-1390.

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Sciences familiales et sexologiques, appelé plus tard Centre International Cardinal Suenens13. À la demande de Jean XXIII, Suenens envoie, le 16 mai 1962, son «Plan du Concile»; il y insère dans la section Ecclesia ad extra un chapitre sur la famille où est mentionné explicitement le problème du contrôle des naissances et demande une révision de l’encyclique Casti connubii. Déjà le 7 mai 1962, dans la discussion à la commission centrale préparatoire du Concile, Suenens était intervenu pour dénoncer l’approche trop biologique du schéma De castitate, virginitate, matrimonio, familia et pour demander une reconsidération de la finis primarius et secundarius du mariage ainsi qu’une approche positive de la paternité responsable. I.  Première session et première intersession du Concile (octobre 1962 – septembre 1963) À la fin de la première session, Jean XXIII installe une nouvelle commission de coordination; Suenens aura en charge notamment le De Ordine morali et le De Ordine sociali, textes qui feront l’objet du schéma XVII. Mais le texte De Castitate, virginitate, matrimonio et familia est du ressort du cardinal Spellman14. Toutefois, le 23 janvier 1963, après les discussions de la première réunion de la commission, il est décidé d’ajouter le De Matrimonio et Familia au futur schéma XVII, ce qui ne plaît pas au cardinal de New York, mais permettra à Suenens d’intervenir dans la rédaction de ce chapitre. On voit qu’il essaie d’y impliquer tout de suite des moralistes ouverts comme J. Fuchs15 (Université Grégorienne), B. Häring16 (Alfonsianum), et L. Janssens17 (Université catholique de Louvain). 13.  C’est dans ce milieu «louvaniste» qu’ont été publiés, fin 1963, à la suite de la mise sur le marché de la «Pincus pill», deux articles importants de J. Férin, médecin, et de L. Janssens, moraliste concernant l’usage des progestogènes (cf. J. Férin, De l’utilisation de médicaments «inhibiteurs d’ovulation» et L. Janssens, Morale conjugale et progestogènes, dans ETL 39 [1963] 779-786 et 787-826). 14.  F. Spellman (1889-1967), archevêque de New York en 1939, cardinal en 1946, était membre du conseil de présidence et de la commission de coordination. 15.  J. Fuchs (1912-2005), jésuite allemand, professeur de théologie morale à la Grégorienne à Rome, était membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 16.  B. Häring (1912-1998), rédemptoriste allemand, professeur de théologie morale à l’Alfonsianum à Rome de 1949 à 1987, était peritus conciliaire, membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 17.  L. Janssens (1908-2001), prêtre du diocèse de Malines, et après l’érection du diocèse d’Anvers en 1961, prêtre de ce diocèse, professeur de théologie morale à l’Université catholique de Louvain.



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Lors de la réunion de la commission de coordination du 4 juillet, Suenens demande que ce chapitre préparé par la commission mixte soit retravaillé, étant donné l’attente de nos contemporains, l’importance des problèmes, et les études en cours sur le plan théologique et scientifique (allusion nette aux problèmes de la contraception). Suenens propose que pour les chapitres spéciaux (mariage, culture, économie, paix etc.) une sous-commission soit chaque fois constituée avec la présence d’experts laïcs. En mars 1963, pendant le pontificat de Jean XXIII, H. de Riedmatten, avec l’appui de Suenens obtient la constitution d’une commission spéciale et secrète concernant le problème de plus en plus aigu de la démographie et de la surpopulation18. Cette commission sera appelée sous Paul VI Commissio pro studio populationis, familiae et natalitatis ou commission pontificale. Suenens était en contact avec des démographes et des économistes belges (le jésuite C. Mertens19 et le prof. J. Mertens de Wilmars20) et ceux-ci se demandaient quelle était la position de l’Église catholique qu’ils devaient défendre au Congrès mondial de la Population des Nations-Unies prévu pour 1964 ou 1965. Originairement, l’objet primordial de cette commission portait donc sur les problèmes démographiques. Ceci explique que le premier nom de cette commission était «Groupe d’études sur la population», que la commission ressortissait de la Secrétairerie d’État et non pas du Saint-Office (cela réjouissait beaucoup Suenens, qui craignait les points de vue rigides de cette congrégation), que parmi les premiers membres il n’y avait pas de théologiens moralistes mais des médecins et des démographes21, et enfin que le secrétaire était de Riedmatten, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations-Unies à Genève. Celui-ci avait pris contact avec Suenens dès avril 1963 concernant le programme et la composition du groupe22.

18. Cf. Marengo, La Nascita di un’Enciclica (n. 2), p. 27. Pour les contacts entre Suenens et de Riedmatten, cf. la lettre de Riedmatten à Suenens (du 15.1.1963) (­ F. ­Suenens 1321). 19.  C. Mertens (1910-2003), jésuite belge, sociologue, membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 20.  J. Mertens de Wilmars (1917-1986), professeur d’économie à l’Université catholique de Louvain, était membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 21.  Parmi les six premiers membres il y avait trois Belges (C. Mertens s.j., J. Mertens de Wilmars et le Dr P. van Rossum, ami personnel de Suenens). La première réunion de ce «Groupe d’études de la population» s’est tenue à Louvain en octobre 1963. 22.  F. Suenens, B.C. et H.V., 271-273.

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II. Deuxième session et deuxième intersession (septembre 1963 – septembre 1964) Durant la deuxième session, le Schéma XVII n’est pas mis à l’ordre du jour, mais il faut mentionner une lettre de Felici23 à Ottaviani24 (26 octobre 1963) qui lui fait parvenir via la commission doctrinale une note pour étude, adressée au pape par una altissima Personalità. Cette note demande que le Concile se penche sur le problème de la limitation des naissances et fasse appel à tous ceux qui ont une compétence dans le domaine des sciences biologiques pour qu’ils trouvent les moyens légitimes et naturels qui aideront les chrétiens à mieux vivre la Loi de Dieu25. Bien que le nom de l’altissima Personalità n’ait pas été révélé, on peut grâce au contexte l’identifier à Baudouin, roi des Belges. Vu les liens d’amitiés qui existaient entre le roi et Suenens26 on peut être certain que cette note a été rédigée en connivence avec le cardinal. Entre temps, le «Groupe d’études sur la population» a tenu en octobre sa première réunion à Louvain et de Riedmatten a envoyé son rapport à Suenens. Le 13 décembre 1963, au nom du pape, le Secrétaire d’État Cicognani27 demande à Suenens son avis sur le travail de ce Groupe et sur l’opportunité que le magistère prenne position en cette matière. Suenens répond au pape que, malgré l’urgence du problème, le magistère ne doit pas se hâter de faire une déclaration, puisque le Concile traitera des principes généraux de cette question dans le schéma XVII et qu’après le Concile le pape pourra donner des directives concrètes28. De Riedmatten remerciera Suenens, le 7 janvier, pour sa réponse au pape et lui annoncera, le 21 février, que son «Groupe» a été élargi29. 23.  P. Felici (1911-1982), secrétaire général du Concile, est devenu cardinal en 1967. 24.  A. Ottaviani (1890-1979), secrétaire du Saint-Office en 1953, devenu cardinal en 1953, a été président de la commission doctrinale. 25. Cf. AS VI, II, p. 392. 26.  Cf. L.-J. Suenens, Le Roi Baudouin, une vie qui nous parle, Ertvelde, Éd. Fiat, 1995. 27.  A. Cicognani (1883-1973), cardinal en 1958, Secrétaire d’État de 1961 à 1969, a été président de la commission de coordination. 28.  Si Suenens n’est pas pressé d’avoir un prononcé du pape, c’est surtout pour deux raisons: 1° Ce n’est qu’à partir de 1960 aux États-Unis et de 1963 en Europe que la «pilule inhibitrice de l’ovulation» commence à être commercialisée. Beaucoup estimaient que cela avait renouvelé la problématique et ils espéraient que ce moyen contraceptif, appelé par certains la pillola cattolica, pourrait être accepté comme licite par la morale catholique; 2° Suenens savait que si le pape se prononçait maintenant, ce serait dans la ligne de la morale traditionnelle. Il voulait absolument gagner du temps pour que les esprits puissent évoluer et pour cette évolution il comptait beaucoup sur l’«événement conciliaire». 29.  Le groupe a été élargi à un sociologue (B. Colombo, frère de Mgr Carlo Colombo), un démographe (T. Burch) et cinq moralistes (J. Fuchs, B. Häring, P. de Locht, J. Visser,



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Le 22 février 1964, la Secrétairerie d’État, via les nonciatures, envoie aux conférences épiscopales un questionnaire confidentiel concernant la morale conjugale et la régulation des naissances30. Suenens prépare la réponse des évêques de Belgique, en faisant appel au théologien P. Anciaux31, président du Séminaire de Malines; il prend également contact avec Mgr Reuss32, évêque auxiliaire de Mayence ainsi qu’avec les présidents des conférences épiscopales du Canada et du Chili33. Le 2  mars, Suenens envoie au pape une nouvelle note sur le contrôle des naissances et le 18 avril il est reçu en audience par Paul VI. Le cardinal lui parle de la dernière réunion de la Commissio pontificia (3-5 avril); il trouve le pape plus ouvert; celui-ci aurait admis qu’il y avait des questions difficiles et qu’on devait continuer à les étudier. Au début du mois de mai, Suenens se rend pour une série de conférences à Chicago et à Boston34. Aux États-Unis, une controverse se développe parmi les catholiques au sujet des articles35 de L. Janssens et de J. Férin36 et d’un article très «ouvert» de Roberts37, l’ancien archevêque de Bombay, contre lequel avait réagi l’archevêque de Westminster, ­Heenan38. Il n’est donc pas étonnant que des questions au sujet du contrôle des naissances aient été posées à Suenens lors d’une conférence de presse à Boston, le 7 mai. Suenens y a dit notamment: «La recherche médicale est sur le point de découvrir une pilule qui rendra très facile, pour les couples mariés, de planifier leur famille sans violer ­l’enseignement

M. Zalba), ce qui démontre que Paul VI mettait l’accent non seulement sur les problèmes de démographie mais aussi sur les problèmes éthiques. 30.  Voir F. Suenens, B.C. et H.V., 14-32. 31.  P. Anciaux (1921-1979), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, président du Grand Séminaire de 1953 à 1963, puis professeur de théologie pastorale à l’Université catholique de Louvain, a été membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 32.  J. Reuss (1906-1985), évêque auxiliaire de Mayence en 1954, a été membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 33.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 14-34. 34. Voir Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II (n. 1), pp. 168-169. 35.  Férin, De l’utilisation de médicaments «inhibiteurs d’ovulation» (n. 13) et Janssens, Morale conjugale et progestogènes (n. 13). 36.  J. Férin (1914-1991), professeur à l’Université catholique de Louvain, chef de service gynécologie-obstétrique de 1976 à 1980, a été membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 37.  T. Roberts s.j. (1893-1976) a été archevêque de Bombay de 1937 à 1950. Pour l’article, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 51-52 et 786-787. 38.  J.C. Heenan (1905-1975), archevêque de Westminster en 1963, membre du Secrétariat pour l’Unité, cardinal en 1965, il est nommé membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis.

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de l’Église»39. À Rome, où on avait appris les propos tenus par Suenens, le cardinal Ottaviani réagit par une interview dans la revue Vita; au début de juin – Sub Secreto S. Officii et via les nonces – la Secrétairerie d’État adresse une lettre aux évêques en leur intimant l’ordre de s’abstenir de déclarations publiques sur ce problème et de veiller à l’orthodoxie des publications des théologiens. Dans une lettre au pape (2 juin 1964), ­Suenens explique son interview à Boston et regrette que le cardinal Ottaviani ait réagi à des rumeurs de la presse40. Entre temps, la commission pontificale a dû, à la demande du pape, se réunir une nouvelle fois (13 au 15 juin). Paul VI fait un discours aux cardinaux, le 23 juin; il déclare que la question est à l’étude et qu’il espère pouvoir conclure sous peu. Au mois de juin circulaient des rumeurs selon lesquelles une déclaration serait publiée le 15 août. Alarmé, Reuss écrit à Suenens et à Döpfner41 pour qu’ils essaient d’empêcher cette déclaration. En août, Suenens envoie de Locht42 à Santiago du Chili, chez le cardinal Silva Henríquez43, avec une note qui explique pourquoi il faut modifier Casti connubii. III. Troisième session et troisième intersession (septembre 1964 – septembre 1965) Durant la troisième session, le schéma XIII est pour la première fois discuté dans l’aula. Le 30 septembre, Felici annonce que le texte des Adnexa, notamment le chapitre sur le mariage non gaudebit valore conciliari; Suenens qui est modérateur lui fait rectifier son propos. Dans son intervention du 21 octobre 1964, le cardinal insiste sur l’importance du chapitre sur l’amour conjugal44. Le 29 octobre 1964, Suenens fait une 39.  «…medical research is coming very close to finding a pill which will make it very easy for married couples to plan their families without violating the teachings of the Church». 40.  Ce n’était ni la première ni la dernière fois que Suenens lançait un «ballon d’essai» dans une interview, pour accuser ensuite la presse de l’avoir mal compris. 41.  J. Döpfner (1915-1976), archevêque de Munich de 1961 à sa mort, était membre de la commission de coordination et modérateur du Concile. 42.  P. de Locht (1916-2007), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, responsable de la pastorale familiale et membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 43.  R. Silva Henríquez (1907-1999), salésien de Don Bosco, archevêque de Santiago du Chili en 1961, cardinal en 1962, est devenu membre de la commission pour l’apostolat des laïcs. 44.  Il faut noter également que si Suenens s’est opposé au «plan Döpfner» qui voulait terminer le Concile avec la troisième session, c’était surtout pour avoir la possibilité de traiter sérieusement le schéma XIII et surtout son chapitre sur le mariage.



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intervention retentissante au Concile au sujet de la morale conjugale45. Bien que le pape ait donné la consigne aux modérateurs de ne pas discuter in aula du contrôle des naissances, Suenens fait quatre demandes46: 1° Que les Adnexa fassent partie intégralement du texte conciliaire; 2° Que la commission conciliaire du Schéma XIII puisse travailler avec la commission pontificale; 3° Que la commission pontificale soit élargie à des moralistes et des hommes de science du monde entier et que leurs noms soient rendus publics; 4° Que la commission tienne compte non seulement du Crescite et multiplicamini mais aussi du Et erunt duo in carne una (cf. Gen 1,28 et 2,24) et qu’elle prenne en compte les données de la science moderne. Avec la fougue oratoire qui était la sienne, le cardinal conclut: Adiuro vos fratres. Vitemus novum processum Galilei. Unum enim sufficit pro Ecclesia. Le discours, fort applaudi, déplut à Paul VI qui a exigé une rectification. Celle-ci est donnée par Suenens, le 7 novembre; il explique que la presse a mal compris sa pensée! Peu après, toutefois, le pape élargit sérieusement la commission pontificale; celle-ci passe de 15 à 67 membres, dont quatre Belges, notamment Anciaux, Delhaye47, Férin, Lemaître48, et deux amis de Suenens, Mgr Reuss et Mgr Margéot49. Notons aussi que, pendant la troisième session, les Pères conciliaires ont reçu un texte intitulé Adresse au concile du Vatican sur les problèmes de la famille, dû à l’initiative de J. Grootaers50 et du couple Buelens-­Gijsen51, et signé par des centaines d’intellectuels. Cet appel pour une morale plus 45. Cf. Suenens, Mémoires (n. 1), pp. 51-54. 46.  Pour cette intervention de Suenens, cf. F. Suenens 2784, p. 56. 47.  P. Delhaye (1912-1990), prêtre du diocèse de Namur, professeur aux Facultés catholiques de Lille et de Lyon, puis professeur de théologie morale à l’Université catholique de Louvain, est devenu peritus conciliaire et membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 48.  G. Lemaître (1894-1966), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, astronome et physicien, professeur à l’Université catholique de Louvain, président à partir de 1960 de l’Académie pontificale des sciences, est devenu membre de la Commissio pro studio populationis, familiae et natalitatis. 49.  J. Margéot (1916-2009), prêtre du diocèse de Saint-Louis (Île Maurice), directeur de la Légion de Marie, avait été contacté par Suenens lorsque celui-ci écrivait en 1952 sa biographie sur Edel Mary Quinn. En 1969, il fut consacré évêque de Port Louis et créé cardinal en 1988. Dans les années 60, il y eut des essais pour propager la continence périodique parmi la population indigène de l’Île Maurice. 50.  J. Grootaers (1921-2016), de nationalité belge, bibliothécaire en chef du parlement belge, professeur à la Faculté de Théologie de l’ Université catholique de Louvain, auteur de nombreux ouvrages sur Vatican II. 51.  Avec J. Grootaers, le couple belge H. et L. Buelens-Gijsen a été à l’origine de l’Address to the Second Vatican Council on the Subject of the Problems of the Family en octobre 1964.

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ouverte vient en grande partie du milieu louvaniste, qui est en relation avec le cardinal. Pendant l’intersession, le schéma XIII est réécrit sous la direction de P. Haubtmann52, peritus français. Le nouveau chapitre sur le mariage est toutefois élaboré par une équipe belge et un Néerlandais; Mgr Heuschen et le Prof. Heylen y jouent un rôle central53. Suenens suit de près l’élaboration de ce schéma; les Adnexa sont intégrés dans le Schéma; il les a d’ailleurs fait approuver par la commission de coordination en mai 1965. Lors de l’audience du 22 février, Suenens a l’impression que le pape est plus ouvert sur la question et il demande à nouveau qu’une collaboration entre la commission pontificale et la commission du schéma XIII soit instaurée. En février 1965, de nouvelles rumeurs circulent au sujet d’une déclaration imminente du pape; Suenens prend contact avec Heylen, Heuschen et Anciaux pour rédiger un projet de Conclusio pastoralis. De même il accepte de transmettre au pape une lettre du groupe «Buelens – Gijsen – Grootaers». Entre temps, le pape semble décidé à attendre les conclusions de la commission pontificale. En mars 1965, Suenens envoie encore au pape une note du Prof. Dondeyne54, qui traite longuement de la lex naturae55; au cours de l’audience du 13 mai, il donne au pape une étude critique d’un article du P. Martelet56. Suenens reste aussi en contact avec de Riedmatten, qui lui communique le rapport de la réunion de la Commissio pontificia du 25 au 28 mars 196557; celui-ci assistera au VIIème Colloque de Louvain (29 au 30 mai), consacré aux moyens de régulation des naissances. Dans une lettre du 3 juin, Suenens donnera au pape un bref rapport de ce colloque. 52.  P. Haubtmann (1912-1971), prêtre du diocèse de Grenoble, directeur national du secrétariat de l’épiscopat français pour l’opinion publique est devenu peritus conciliaire, chargé de la rédaction finale du schéma XIII et recteur de l’Institut Catholique de Paris, de 1966 à sa mort. 53. Cf. Lamberigts – Declerck, Le texte de Hasselt (n. 1). 54.  A. Dondeyne (1901-1985), prêtre du diocèse de Bruges, était professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain. Sans être peritus officiel, il a collaboré à la rédaction du schéma XIII. 55.  Pour cette note, cf. F. Suenens 2457-2457bis. Le 13 mai 1965, C. Moeller note dans ses Carnets que, selon Suenens, le pape a été impressionné par cet article (cf. C. ­Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart [Cahiers de la RTL, 21], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989, p. 74, Carnets Moeller 27). 56.  G. Martelet (1916-2014), jésuite français a été professeur de théologie dogmatique à Fourvière et, plus tard, à la Grégorienne. Cf. G. Martelet s.j., Morale conjugale et vie chrétienne, dans NRT 87 (1965) 245-266. 57.  Signalons qu’une autre réunion d’un groupe restreint de la commission pontificale aura lieu du 20 au 25 juin 1965.



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IV.  Quatrième session (septembre –

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1965)

Signalons d’abord que le 28 septembre Suenens essaie de gagner le célèbre théologien H. de Lubac58 à ses vues, apparemment sans résultat59. Au début de la session, le pape a l’intention de soumettre plusieurs problèmes (les indulgences, la pratique pénitentielle et le contrôle des naissances) aux présidents des conférences épiscopales. Pour ce dernier point, le cardinal Ottaviani avait fait multiplier un long texte De Quaestione «Regulationis nativitatum», qui s’inspirait largement des travaux de la commission pontificale. Bientôt il s’avéra que ce rapport avait été précédé par une Relatio qui prenait ses distances vis-à-vis du rapport de la commission pontificale60. Des membres de la commission, notamment Mgr Reuss, avaient protesté et Suenens obtient du pape, le 12 octobre, que la distribution de ce rapport soit arrêtée. En effet, la question n’a jamais été soumise aux présidents des conférences épiscopales. Dans la même audience accordée aux modérateurs, le pape avait évoqué pour la première fois une nécessaire mais discrète collaboration entre la commission pontificale et la sous-commission conciliaire sur le mariage61. Le 18 octobre, Suenens a une longue et importante audience chez le pape; il l’avait sollicitée parce qu’il craignait à nouveau que le pape ne fasse une déclaration avant la fin du Concile62. En vue de cette audience, Suenens avait fait préparer à l’intention du pape un texte par Delhaye, Prignon et Heylen. Durant l’audience, Suenens a nettement l’impression que le pape ne veut pas changer la doctrine et qu’il a l’intention de faire avant la fin du Concile une brève déclaration qui – plus tard – sera suivie d’une encyclique. Le pape reprochait aussi à Suenens de ne plus tenir la position, qu’il avait défendue dans son livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi. Alors le pape lui demande solennellement: «Voulez-­vous vous mettre à ma place devant Dieu, avec la responsabilité des âmes qui vous entendent, et 58.  H. de Lubac (1896-1991), jésuite français, peritus conciliaire est devenu cardinal en 1983. 59.  H. de Lubac écrit notamment: «Il [Suenens] me parle encore de diverses autres choses, notamment de la morale du mariage; j’évite de m’engager sur cette question qui n’est pas de mon ressort». Et de Lubac conclut assez sévèrement: «Je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression d’un esprit superficiel, prétentieux et d’une grande fatuité». Cf. H.  de Lubac, Carnets du Concile, éd. L. Figoureux, Paris, Cerf, 2007, II, pp. 418-419. 60. Cf. J. Grootaers – J.  Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002, pp. 310-318. 61.  Le 21 novembre, il y aura au Pontificio Collegio Belga une réunion de la sous-commission pour le mariage (Schéma XIII) et de quelques membres de la commission pontificale. 62.  Cf. F. Suenens 2503.

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que diriez-vous à ma place? Faites-moi ce texte [pour une brève déclaration]». Suenens essaya encore de réfuter l’ intrinsece malum des contraceptifs et de démontrer que lorsqu’on pratique la continence périodique, l’acte matrimonial n’est pas, lui non plus, per se aptus ad generationem. Mais il ne réussit pas à ébranler les convictions du pape. Le Saint-Père expose devant lui une nouvelle fois la position classique, tout en essayant d’y intégrer l’amour. En prenant congé, Paul VI lui dit encore: «Il faut que nous nous aidions fraternellement; c’est l’heure de s’entraider, je compte beaucoup sur vous. Alors vraiment, prions ensemble»63. En rentrant de l’audience, Suenens met immédiatement au travail ­Prignon, Heylen et Häring afin qu’ils rédigent le texte demandé par le pape. Le 23 octobre, il tient une réunion avec Mgr Reuss, Martimort64, de Locht et Heylen; le 26 octobre, après l’audience hebdomadaire des modérateurs, Suenens peut déjà donner un texte au pape. Le 13 novembre, de Riedmatten informe Suenens que le pape est assez satisfait de son texte, mais qu’il a décidé entre temps de ne pas faire de déclaration. Par contre, il demandera que dans Gaudium et spes le texte sur le mariage devienne plus pastoral; pour publier son encyclique, le pape attendra les conclusions de la commission pontificale. Dans une autre audience du 18 novembre, le cardinal demande à Paul VI ce qu’il pense de son texte; celui-ci répond simplement qu’il l’a fait examiner par cinq experts, sans toutefois donner leur nom. Le 29 septembre, Suenens fait une nouvelle intervention sur le mariage dans l’aula conciliaire; il demande notamment que la recherche scientifique concernant la fécondité soit intensifiée. Mais cette fois, il s’abstient de prendre position dans le débat doctrinal. Contrairement à son intervention de la troisième session, cette dernière restera pratiquement sans écho. Puisqu’il ne veut pas faire de déclaration en la matière avant la clôture du Concile, le pape fait alors entendre sa voix par l’introduction de modi65 dans le texte conciliaire. Le 23 novembre, il envoie par le S ­ ecrétaire d’État 63.  Pour le rapport de Suenens sur cette audience, cf. F. Suenens 2503. 64.  A.-G. Martimort (1911-2000), prêtre français, professeur de liturgie à l’Institut catholique de Toulouse de 1938 à 1981 est devenu peritus conciliaire. 65.  Lors du vote d’un texte, les Pères conciliaires pouvaient introduire des amendements dans le texte (modus). Toutefois si le texte avait recueilli les 2/3 des voix, la commission compétente ne pouvait accepter des modi qui contredisaient la teneur du texte approuvé. Le pape avait évidemment lui aussi le droit d’introduire des modi. Le problème était que parfois ses modi contredisaient le texte approuvé et que, presque toujours, il demandait que l’auteur de ses propres modi ne soit pas rendu public. Heuschen, pour les modi pontificaux sur le mariage, n’a pas accepté cette manière de faire; il a écrit dans l’Expensio modorum: Commissio generalis mixta sedulo et reverenter rationem habuit consiliorum Summi Pontificis quae ei, mediante Em.mo Cardinali a Secretaria Status, transmissa fuerunt.



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quatre modi à la commission pour le Schéma XIII; ce document sèmera la panique et la consternation parmi la majorité des membres. En effet, l’introduction des modi aurait pour conséquence le retour pur et simple à la doctrine de Casti connubii, après que le pape ait soustrait cette problématique à la compétence du Concile. On sait que, grâce surtout à l’habilité de Mgr Heuschen et du Prof. Heylen, ces modi ont été rendus «inoffensifs» et que le pape a finalement donné son accord à un texte qui laisse la question en suspens66. Voyons maintenant la réaction de Suenens au cours de ces journées cruciales. Dès le soir du 24 novembre, Suenens est averti par Delhaye, qui rentre bouleversé de la réunion de la commission; il y a pris connaissance des modi du pape. Le même soir, Suenens réunit Delhaye, Prignon et Heylen. Après la réunion, il rencontre encore Prignon; celui-ci lui dit qu’il faudra faire campagne afin de faire voter contre ce texte du Schéma XIII. Le lendemain 25 novembre, Suenens reçoit Helder Camara67 et il téléphone au cardinal Döpfner pour qu’il écrive au pape. Il fait la même demande à Etchegaray68 pour qu’intervienne le cardinal Liénart69. Il félicite aussi le cardinal Léger70 pour son intervention courageuse à la commission, sur base d’un texte préparé par Delhaye et de Locht; c’est aussi Léger qui, le 30 novembre, enverra une lettre émouvante à Paul VI. Le vendredi 26 novembre, une nouvelle lettre du Secrétaire d’État arrive à la commission mixte; le pape fait savoir qu’il est permis de discuter de la formulation de ses modi. La commission arrive à un texte de compromis où la question de la contraception n’est pas tranchée. Ce texte doit 66.  Pour toute cette discussion, cf. Grootaers – Jans, La régulation des naissances à Vatican II (n. 60); J.M. Heuschen, Gaudium et spes: Les modi pontificaux, dans M. Lamberigts – C. Soetens – J. Grootaers (éds), Les Commissions conciliaires à Vatican II (Instrumenta Theologica, 18), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1996, 353-358; V. Heylen, La note 14 dans la constitution pastorale «Gaudium et Spes», P. II, C. I, N. 51, dans ETL 42 (1966) 555-566; L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A.  Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-laNeuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003, pp. 217-253. 67.  Voir aussi Dom Helder Camara, Lettres conciliaires (1962-1965), Paris, Cerf, 2006, II, p. 1077. À la Domus Mariae à Rome, il y avait une réunion hebdomadaire de délégués de conférences épiscopales, animée surtout par Helder Camara et R. Etchegaray. Helder Camara note d’ailleurs qu’il a tout de suite alerté les délégués, afin de pouvoir réagir contre l’introduction des modi pontificaux. 68.  R. Etchegaray (1922-2019), directeur du secrétariat pastoral de l’épiscopat français, peritus conciliaire, archevêque de Marseille de 1970 à 1985 est devenu président du Conseil pontifical Justice et Paix de 1984 à 1998 et cardinal en 1979. 69.  A. Liénart (1884-1973, évêque de Lille de 1928 à 1968, cardinal en 1930, a été membre du conseil de présidence et de la commission de coordination. 70.  P.-É. Léger (1904-1991), archevêque de Montréal de 1950 à 1968, est devenu cardinal en 1953 et membre de la commission doctrinale.

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toutefois encore être approuvé par le pape. Le soir, mis au courant par Prignon, le cardinal essaie de téléphoner à Döpfner, mais en vain. Il s’efforce de mettre en branle quelques cardinaux et plusieurs évêques pour qu’ils écrivent au pape. Le samedi, Heuschen et Heylen travaillent à leur rapport pour le pape. Quand Suenens apprend que les citations de Casti connubii vont probablement rester dans le texte, il veut à nouveau intervenir, mais Prignon lui demande d’attendre la réponse du pape. Le dimanche 28 novembre, Suenens est fortement impressionné par une note de Dondeyne qui écrit que la «solution» de compromis trouvée le vendredi est finalement très ambiguë et équivoque, tant pour la procédure que pour le sens du texte71. Suenens dit à Prignon qu’il a décidé de voter non placet et de faire voter non placet autour de lui. Il demandera à plusieurs cardinaux et évêques d’écrire au pape, afin de le mettre devant ses responsabilités: «S’il veut fermer la porte, qu’il le fasse alors usant de son pouvoir extraordinaire, mais qu’il ne demande pas au Concile de le faire sans discussion». Arrive le cardinal Döpfner pour dîner; celui-ci est beaucoup moins convaincu que Suenens qu’on doive voter non placet. Ce serait un grand scandale, si le schéma XIII était rejeté les tout derniers jours du Concile. Prignon demande également au cardinal d’attendre la réponse du pape avant de donner des consignes. Le dimanche soir, le cardinal rentre en Belgique pour présider aux obsèques de la reine Elisabeth, fixées au 30 novembre; il retournera à Rome le 1er décembre. Le soir du lundi 29 novembre, il téléphone de Bruxelles à Prignon; celui-ci lui annonce que le pape a approuvé le rapport de Heuschen et de Heylen et que selon lui le danger est conjuré. Le cardinal dit alors à Prignon: «Est-ce que tu donnes ta parole en conscience?». Prignon répond «Oui». Le cardinal poursuit: «Si c’est comme ça, je ne déclenche pas la campagne de voter non placet». C’est ainsi que le chapitre De Matrimonio du schéma XIII a été approuvé le 4 décembre avec 2047 placet contre 155 non placet, sans que la question du contrôle des naissances soit dirimée. Épilogue: de la fin du Concile à Humanae vitae Après le Concile, sans désemparer, Suenens poursuit ses efforts pour arriver à une position plus ouverte de l’Église. Nous esquissons brièvement quelques événements. 71.  Pour cette note, cf. F. Suenens 2660-2668.



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1.  Avant la publication de ‘Humanae vitae’ La commission pontificale conclut ses travaux dans ses dernières réunions d’avril, mai et juin 1966: d’abord les réunions des sections (théologie, théologiens et médecins, démographie, pastorale), puis la réunion plénière des experts. Suenens préside la session medico-theologica du 2 au 6 mai où il tient un discours à la conclusion pathétique: «Messieurs, avant de donner une réponse finale, voulez-vous réfléchir à toutes les conséquences? N’allez pas à l’encontre des médecins, n’allez pas à l’encontre des savants, n’allez pas à l’encontre des fidèles, des foyers» … et de citer l’adage: Salus populi, suprema lex esto. Cet appel a évidemment suscité le mécontentement du pape. Il y eut ensuite la réunion des «membres» et des experts, du 20 au 25 juin. En effet, au début de 1966, Paul VI avait nommé 16 cardinaux et évêques, qui devaient lui soumettre leur avis définitif. Ottaviani présidait ce groupe, Döpfner et Heenan en étaient les vice-présidents, Suenens n’était qu’un membre ordinaire, ce qu’il ressentit comme un signe de la mauvaise humeur du pape à son endroit. On sait qu’à la réunion du 24 juin 1966, les 15 évêques présents (Mgr Wojtyła n’avait pu se rendre à Rome) ont voté à une nette majorité dans le sens de l’ouverture72. Le cardinal Ottaviani refusera de transmettre le rapport de la commission au pape; c’est le cardinal Döpfner qui s’en chargera. Lors du Symposium des Évêques européens à Noordwijkerhout (PaysBas), en juillet 1967, Suenens réussit à faire signer par 27 cardinaux et évêques, dont Alfrink73, Pellegrino74, Marty75, Jubany76, un texte destiné au pape, rédigé par Mgr Reuss qui demandait un changement de la morale traditionnelle: 10 Propositiones quae attinent ad declarationem Summi Pontificis de licito modo regulandi nativitatem. Le cardinal Cicognani répondra, au nom de Paul VI, que les observations apportées en faveur d’une nouvelle thèse ne semblent pas convaincantes. Dans une audience du 27 avril 1967, le pape refuse la requête de Suenens de soumettre la question du contrôle des naissances au Synode des 72.  À la question: An constat de intrinseca illiceitate omnis interventus contraceptivi 3 membres ont répondu constat, 9 membres non constat et 3 membres se sont abstenus. Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 547. 73.  B. Alfrink (1900-1987), archevêque d’Utrecht de 1955 à 1975, cardinal en 1960, a été membre du conseil de présidence. 74.  M. Pellegrino (1903-1986), archevêque de Turin de 1965 à 1977 est devenu cardinal en 1967. 75.  F. Marty (1904-1994), archevêque de Reims de 1960 à 1968, archevêque de Paris de 1968 à 1981, cardinal en 1969 a été membre de la commission de la discipline du clergé et du peuple chrétien. 76.  N. Jubany Arnau (1913-1996), archevêque de Barcelone de 1971 à 1990, cardinal en 1973, a été membre de la commission pour les évêques.

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évêques (29 sept. – 29 oct. 1967), mais celui-ci demande pendant le synode à une quinzaine de cardinaux et d’évêques d’adresser des lettres au Saint-Père à ce sujet77. Dans l’audience du 16 mars 1968, le cardinal, se rendant compte que les jeux sont faits – en effet, le pape lui avait encore reproché de ne pas avoir gardé la position initiale de son livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi – écrit une lettre pathétique au pape (19 mars 1968)78 pour le supplier, au nom du principe de la collégialité, de soumettre la question du contrôle des naissances à la délibération prochaine du Synode des Évêques (octobre 1969). Le 30 juin 1968, Mgr Benelli79, substitut à la Secrétairerie d’État et ami de longue date, écrit à Suenens: «Il [le pape] a alors parlé de votre intelligence et de votre culture et il a répété qu’il regrettait énormément le fait que maintenant on ne soit pas toujours d’accord. La raison? La pillola». Le lendemain, Suenens note dans son journal: «Je veux bien obéir à Paul VI, mais pas au Père Lio80 et au cardinal Browne81 lorsqu’ils sont ses conseillers théologiques totalement incompétents en matière de contrôle des naissances»82. 2.  Après la publication de ‘Humanae vitae’ (25 juillet 1968)83 Quand paraît l’encyclique, Suenens se trouve en vacances à Nice. Cela lui donne l’occasion de ne pas réagir «ex abrupto» ou «ab irato». Entre temps, Mgr Benelli lui apporte à Nice une lettre personnelle de Paul VI, datée du 5 août 1968, dans laquelle le pape explique sa décision et demande la collaboration du cardinal a confortare il Popolo di Dio nel 77.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1: L.-J. Suenens, Mémoire sur le problème du Birth Control tel que je l’ai vécu de 1958 à 1968 [cité dorénavant: Mémoire Birth Control], p. 18, où le cardinal remarque que le Saint-Office s’est inquiété de ces nombreuses lettres et a donné comme instruction aux éléments conservateurs d’écrire de leur côté en sens inverse. Et F. Suenens, B.C. et H.V., 229-233. Dans le livre de Marengo, La Nascita di un’Enciclica (n. 2), pp. 88-90 on parle de ces lettres comme si Paul VI aurait organisé une consultation synodale. Ce qui nous semble quand même une interprétation un peu exagérée. 78.  Pour le texte de cette lettre, voir Suenens, Souvenirs et espérances (n. 1), pp. 158-160. 79.  G. Benelli (1921-1982), substitut de la Secrétairerie d’État de 1967 à 1977, archevêque de Florence de 1977 à sa mort, cardinal en 1977. 80.  E. Lio (1920-1992), franciscain italien, peritus conciliaire, a été consulteur du Saint-Office. 81.  M. Browne (1887-1971), dominicain irlandais, vice-président de la commission doctrinale, est devenu cardinal en 1962. 82.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 260. 83. Cf. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae» (n. 1).



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cammino della «via stretta» del vangelo del Signore84. Dès le début août, Suenens a des contacts avec les cardinaux Döpfner, Heenan, Alfrink85, avec Mgr Butler86, évêque auxiliaire de Westminster et Mgr Etchegaray, secrétaire de la Conférence épiscopale française. Déjà le 7 août, la commission théologique de la Conférence épiscopale belge87 s’est réunie, à la demande du cardinal, pour préparer une déclaration de l’épiscopat. Une deuxième réunion discutera d’un premier projet de texte, rédigé principalement par Mgr Philips88. Pendant deux réunions laborieuses (le 23 et le 30 août), la Conférence épiscopale mettra au point la «Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae»89. Cette déclaration, qui est la première en date d’une Conférence épiscopale avec celle des évêques allemands, souligne deux choses qui, en fait, nuancent sérieusement l’encyclique: 1° Si on ne se trouve pas devant une déclaration infaillible90 – ce que Humanae vitae ne revendique pas – on n’est pas tenu à une adhésion inconditionnelle et absolue, comme celle qui est exigée par une définition dogmatique; 2° Si quelqu’un, compétent en la matière et capable de se former un jugement personnel bien établi – ce qui suppose nécessairement une information suffisante – arrive sur certains points, après un examen sérieux devant Dieu, à d’autres conclusions, il est en droit de suivre en ce domaine sa conviction, pourvu qu’il reste disposé à continuer loyalement ses recherches. Puisque Mgr Philips, auteur principal de la constitution conciliaire sur l’Église avait élaboré cette interprétation de Lumen gentium 25, les évêques étaient rassurés quant à l’orthodoxie de leur texte. D’ailleurs, 84.  «Pour affermir le peuple de Dieu sur le chemin de la voie étroite de l’Évangile du Seigneur». 85. Ces contacts auront comme résultat une réunion «top secret» des cardinaux Alfrink, Döpfner, Heenan, König et Suenens à Essen (Allemagne), le 9 septembre 1968. 86.  Basil Christopher Butler (1902-1986), bénédictin anglais, abbé de Downside, évêque auxiliaire de Westminster de 1966 à sa mort, a été membre de la commission doctrinale. 87.  Cette commission comportait plusieurs membres qui avaient été periti au Concile et/ou membres de la commission pontificale, notamment: Philips, Thils, Delhaye, de Locht, Dondeyne, Anciaux. 88.  G. Philips (1899-1972), prêtre du diocèse de Liège puis de Hasselt, professeur de théologie dogmatique à l’Université catholique de Louvain de 1944 à 1969, sénateur du royaume de Belgique de 1953 à 1968, a été peritus conciliaire, secrétaire adjoint de la commission doctrinale et rédacteur principal de Lumen gentium. 89. Pour le texte, cf. La Documentation catholique 1524 (15 septembre 1968), col. 1603-1607. 90.  Le cardinal savait par des informations confidentielles de Mgr Moeller, sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, confirmées plus tard par I. Cardinale, délégué apostolique en Grande Bretagne, que Paul VI avait refusé de donner un caractère infaillible à son encyclique (F. Suenens, B.C. et H.V., 2141). Voir aussi Marengo, La Nascita di un’Enciclica (n. 2), p. 122, n. 92.

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même à Rome, personne n’a pu la mettre sérieusement en question. Dans son journal du 30 août 1968, le cardinal écrit: «La journée [est] historique. Le texte sur l’encyclique est voté: humainement c’est inespéré. J’attribue l’unanimité obtenue aux prières de nos Carmels91, car elle relève du miracle … En tout cas nihil honestati praeponatur. Nous avons rempli, nous aussi devant Dieu, ce que la conscience prescrivait»92. Conclusion Pendant dix ans, le cardinal Suenens a mené un long combat pour obtenir un changement dans la morale traditionnelle de l’Église au sujet de la contraception. Il s’est engagé, avec tous les moyens dont il disposait, comme écrivain et conférencier, comme archevêque et comme chancelier de l’Université catholique de Louvain, comme Père conciliaire et modérateur du Concile. De plus, comme protagoniste de la Légion de Marie, il pouvait faire appel à un réseau important d’amitiés aux ÉtatsUnis, en Angleterre et en Irlande. Après la publication de Humanae vitae, le cardinal, qui dans son for intérieur n’a jamais accepté la doctrine de l’encyclique sur le caractère intrinsece inhonestum des moyens contraceptifs, s’est efforcé d’obtenir une déclaration de l’épiscopat belge afin de libérer les consciences mais aussi pour canaliser la contestation, car lui non plus ne voulait pas que l’autorité de l’Église soit mise en question publiquement. L’encyclique a été pour lui un motif supplémentaire pour tenir un plaidoyer vigoureux93 – dans les années 1968-1972 – en vue d’un exercice plus collégial et plus coresponsable de l’autorité dans l’Église94. Ce plaidoyer a été la cause d’un nouveau conflit avec Paul VI, suivi d’une réconciliation en février 197295, grâce aux bons offices de Chiara Lubich96, fondatrice des Focolari. Mais ceci est une autre histoire… 91.  Le cardinal avait demandé aux Carmels de son diocèse des prières spéciales pour les deux réunions de la Conférence épiscopale. 92.  F. Suenens, A.P., b. 10. 93.  Cf. le livre de L.-J. Suenens, La coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui, Bruges, Desclée de Brouwer, 1968, et son interview retentissante «L’Unité de l’Église dans la logique de Vatican II», dans Informations Catholiques Internationales 336, 15 mai 1969, Supplément, pp. i-xvi. 94.  Voir notamment A.A.  Kasprzak, La Collégialité épiscopale interprétée comme coresponsabilité dans la pensée et l’action du Cardinal Léon-Joseph Suenens: Une figure de pasteur dans la crise qui suit le concile Vatican II, Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, 2008. 95.  Cf. F. Suenens, A.P., b. 7 et 13. 96.  Chiara Lubich (1920-2008), italienne, a été fondatrice et présidente du Mouvement des Focolari.

4 LA RÉACTION DU CARDINAL SUENENS ET DE L’ÉPISCOPAT BELGE À L’ENCYCLIQUE HUMANAE VITAE CHRONIQUE D’UNE DÉCLARATION (JUILLET – DÉCEMBRE 1968)

Introduction Quand, le 25 juillet 1968, Paul VI publia Humanae vitae1, cette encyclique suscita, dans l’Église et dans le monde, une contestation assez radicale. Fait exceptionnel, la mise en question ne provint pas seulement de laïcs, de prêtres ou de théologiens mais aussi de plusieurs épiscopats, principalement du monde occidental, qui ont publié des documents pour nuancer, interpréter ou même relire l’encyclique. Parmi ces réactions, la «Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae» (30 août 1968)2 revêt une importance particulière pour plusieurs raisons. Elle fut, avec la déclaration de l’épiscopat allemand, l’une des premières réactions élaborées par une Conférence épiscopale et elle a servi de *  Article de L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68. 1.  Pour le texte, cf. AAS 60 (1968) 481-503. La littérature concernant Humanae vitae est abondante mais une excellente introduction, accompagnée d’une bibliographie sélective, a été publiée par J. Grootaers, Humanae vitae, dans Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, Paris, Letouzey et Ané, 1994, fasc. 144-145, col. 328-334. Voir aussi la thèse de doctorat de S. Seminckx, La réception de l’encyclique «Humanae vitae» en Belgique: Étude de théologie morale, Pontificia Universitas Sanctae Crucis, Facultas Theologiae, Roma, 2006, notamment le Chapitre III, Les Évêques de Belgique, où toutefois la recherche historique aurait pu être plus développée. Comme le souligne à juste titre la Déclaration de l’épiscopat belge, le contenu de l’encyclique est beaucoup plus large et plus positif que la question de l’usage des contraceptifs. Toutefois, en raison de la contestation née à ce sujet, nous nous limiterons pratiquement à cet aspect. 2.  Pour le texte, voir Annexe I et La Documentation catholique 1524 (15 septembre 1968), col. 1603-1607. Remarquons que la crise autour de Humanae vitae a eu lieu en 1968, année de contestation générale dans le clergé et année également de la douloureuse scission de l’Université catholique de Louvain, qui a mis l’autorité et la cohésion de l’épiscopat belge à rude épreuve. A. Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, a signalé à Grootaers, le 21 septembre 1968, que certains membres de la curie éprouvaient une certaine «Schadenfreude», en constatant la division de l’épiscopat belge au sujet de l’Université de Louvain, épiscopat qui avait si fortement défendu la collégialité épiscopale au Concile (cf. Diarium Grootaers, Cahier 78bis).

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modèle à d’autres épiscopats. Elle présentait un contenu dogmatique et ecclésiologique élevé: l’auteur principal était en effet Mgr G. Philips, connu comme le rédacteur de Lumen gentium, et il avait été appuyé en la circonstance par Mgr J. Heuschen, un des artisans du texte sur le mariage dans Gaudium et spes. Enfin, cette déclaration fut rédigée sous l’impulsion du cardinal Suenens qui, pendant le Concile et les années post-conciliaires, a été un des plus ardents promoteurs d’une ouverture de la morale traditionnelle. Quarante ans après les événements, plusieurs archives nous permettent de retracer l’histoire de cette réaction (et de la Déclaration qui s’en est suivie) et d’en souligner toute l’importance3. Parmi les archives auxquelles nous avons eu accès, citons celles du cardinal Suenens4, du secrétariat de la Conférence épiscopale belge5, de Mgr Charles Moeller (à l’époque sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi)6, de Mgr Philips7, et de Mgr Prignon8. Nous remercions également, pour son appui et son assistance, le Prof. J. Grootaers qui nous a aussi procuré plusieurs documents confidentiels9. Les archives vaticanes du pontificat 3.  Ayant été directeur du secrétariat de la Conférence épiscopale belge de 1967 à 1972, nous avons pu situer avec plus d’exactitude certains documents d’archives et nous avons aussi évoqué quelques souvenirs personnels. Par commodité de style, nous utilisons la troisième personne pour rapporter ces souvenirs. 4.  Les archives de Suenens sont conservées à l’archevêché de Malines-Bruxelles à Malines. Il existe un inventaire de ses papiers conciliaires (L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens [Cahiers de la RTL, 31], Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998, cité: F. Suenens), un inventaire de ses papiers au sujet de la question du Birth Control et de l’encyclique Humanae vitae (cité: F. Suenens, B.C. et H.V.) et un inventaire de ses archives personnelles (cité: F. Suenens, A.P.). L’historien doit toutefois savoir que la mémoire du cardinal (surtout en ce qui concerne les dates et les personnes présentes) est parfois sélective ou imprécise. Nous tenons à remercier Mr G. Vanden Bosch, archiviste, pour son aide. 5.  Les archives du secrétariat de la Conférence épiscopale belge se trouvent au siège du Secrétariat, Rue Guimard 1, 1040 Bruxelles (cité: Archives C.E.B.). Nous remercions le Chan. E. Quintiens, secrétaire de la Conférence épiscopale, pour l’autorisation de consultation ainsi que Mlle M.T. Van Cauwenberge, à l’époque employée au secrétariat de la Conférence épiscopale, qui a soigneusement classé ces archives. 6.  Les archives de C. Moeller ont été déposées au Centre Lumen gentium, de la Faculté de Théologie de l’Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve. Cf. C. Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart (Cahiers de la RTL, 21), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989 (cité: F. Moeller). Avec nos remerciements au Prof. C. Soetens. 7.  Les archives de Mgr Philips concernant Humanae vitae se trouvent au «Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II», à la Maurits Sabbebibliotheek de la Faculté de Théologie de Louvain (cité: F. Philips, H.V.). 8.  Les archives de Prignon sont déposées au Centre Lumen gentium à Louvain-la-Neuve. 9.  Notamment des extraits inédits de son Diarium (qui ne sera accessible qu’après son décès) et quelques articles.



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de Paul VI étant toujours fermées, il est évident que notre approche est parfois unilatérale et présente des lacunes («et audiatur altera pars»… ). Notre étude comporte six sections. 1) Nous donnons une esquisse du rôle joué par les Belges, entre 1958 et 1968 en attirant l’attention sur les travaux à Rome de la commission pontificale et la sous-commission du schéma XIII mais aussi en rappelant les initiatives prises avant et après ces travaux. 2) Nous rapportons les réactions de Suenens à l’encyclique pendant le mois d’août 1968. 3) Nous étudions la préparation de la Déclaration des évêques belges, surtout au sein de la commission théologique de la Conférence épiscopale. 4) et 5) Nous assistons à la rédaction laborieuse du texte définitif de la Déclaration pendant deux journées entières (les 23 et 30 août). 6) En finale, nous examinons divers points: les réactions à cette Déclaration; la réunion de cinq cardinaux à Essen (le 9 septembre); la tentative avortée d’une déclaration des moralistes belges; l’attitude de désolidarisation de Mgr Van Peteghem; les directives pastorales de Mgr Heuschen; les contacts ultérieurs de Suenens avec Döpfner, Mgr Huyghe, Mgr Willebrands, Mgr Dupuy, Mgr Delhaye et avec le pape. Dans le cadre restreint de cet article, nous nous limiterons donc aux réactions des évêques belges et des théologiens qui étaient leurs proches collaborateurs. Il nous est impossible de traiter ici de la réaction du «peuple de Dieu» et tout spécialement du laïcat en Belgique qui était fort en pointe en cette matière. I.  Influence de quelques acteurs belges avant la publication de Humanae vitae Si la paternité responsable et la pratique de la contraception ont toujours constitué un problème moral aigu pour les époux (et les moralistes) catholiques, il est incontestable que diverses découvertes scientifiques ainsi que l’explosion démographique à partir des années 1950 ont renouvelé les données de cette problématique10. Il n’est donc pas étonnant que le concile Vatican II ait joué le rôle d’un catalyseur en la matière, en donnant l’occasion aux Pères conciliaires à traiter du mariage et de la famille. Résumons brièvement l’influence et l’engagement de quelques évêques et théologiens belges pour obtenir une position plus ouverte du 10.  Il suffit de mentionner les études en 1923 de Ogino et de Knaus sur le cycle féminin et ses périodes infécondes de même que la découverte de la «pilule inhibitrice de l’ovulation» qui est commercialisée aux États-Unis à partir de 1960 et en Europe à partir de 1963.

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magistère, dans la période qui précède, accompagne et suit le Concile. Le rôle éminent de Suenens, qui a fait appel à beaucoup de collaborateurs sur cette question, saute ici aux yeux11. Nous commençons par les discussions qui ont eu lieu à Rome tant dans la commission papale (dont les délibérations n’étaient pas divulguées) que dans la sous-commission conciliaire mixte chargée du texte sur la famille prévu pour le schéma XIII. 1.  La ‘Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis’ Cette commission fut érigée par Jean XXIII en mars 1963 à la demande de Suenens qui obtint également qu’elle dépende de la Secrétairerie d’État et non pas du Saint-Office. Parmi les six premiers membres12, il y avait trois Belges et un Anglais, ami de Suenens. Leur première réunion s’est tenue à Louvain en septembre 1963. Quand, en 1964 et en 1965, de nouveaux membres furent nommés, devant l’insistance de Suenens13, d’autres Belges furent introduits: P. de Locht, P. Anciaux, P. Delhaye, J. Férin, G. Lemaître. Cette commission poursuivit ses travaux en 1966, juste après le Concile. Une «sessio medico-theologica» a notamment eu lieu du 2 au 6 mai 1966, et cette réunion fut placée sous la présidence de Suenens14. Dans l’entre-temps, Paul VI avait nommé une commission spéciale, 11. Pour plus de détails concernant le rôle de Suenens pendant le Concile, cf. L. Declerck, Le rôle joué par les évêques et periti belges au concile Vatican II: Deux exemples, dans ETL 76 [2000] 445-464 (surtout pp. 457-463); et M.  Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 61-217. 12.  H. de Riedmatten, secrétaire, S. de Lestapis, J. Marshall, C. Mertens, P. van Rossum, J. Mertens de Wilmars. 13.  Voir son intervention au Concile, le 29 octobre 1964, qui avait fortement déplu au pape, lequel avait exigé une rétractation (F. Suenens 2242-2264). 14.  Suenens y a tenu un discours de conclusion assez pathétique (qui a d’ailleurs suscité le mécontentement du pape, à la suite d’une plainte de Lambruschini, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 609). Suenens déclarait notamment: «Messieurs, avant de donner une réponse finale, voulez-vous réfléchir à toutes les conséquences. N’allez pas à l’encontre de médecins, n’allez pas à l’encontre des savants, n’allez pas à l’encontre des fidèles, des foyers…» (cf. L.-J. Suenens, Mémoire sur le problème du Birth Control tel que je l’ai vécu de 1958 à 1968 [cité dorénavant: Mémoire Birth Control], F. Suenens, B.C. et H.V., 1, p. 11. Texte dactylographié de 18 pages, d’après une bande magnétique, enregistrée par Suenens au lendemain de la parution de l’encyclique. Ce texte contient des informations très intéressantes mais, comme souvent chez Suenens, il manque de précision et il faut vérifier toutes les dates).



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­ niquement composée de 16 évêques, et Suenens en faisait toujours paru tie15. Cette commission spéciale s’est réunie du 20 au 25 juin 1966, avec les membres de la première commission16. Le 24 juin 1966, les 15 évêques présents ont voté avec une nette majorité dans le sens de l’ouverture17. 2.  Le texte ‘De dignitate matrimonii et familiae’ (‘Gaudium et spes’, n. 47-52) Parallèlement aux travaux de la commission papale et indépendamment d’eux, les Pères conciliaires ont discuté du problème de la famille dans le cadre du schéma XIII. Lorsque fin 1964, la Commission mixte pour ce schéma a décidé de faire une nouvelle rédaction de la constitution, Mgr Heuschen prit l’initiative de récrire le chapitre sur le mariage (dès janvier 1965) et fit appel à plusieurs théologiens belges, notamment à Delhaye, Heylen, Prignon, Schillebeeckx18. Aux réunions de la 15.  Suenens remarque à ce sujet: «C’était intéressant de voir si le Saint-Père allait me nommer dans cette commission. Il l’a quand même fait. La mauvaise humeur se manifestait par le fait qu’il ne me nommait pas vice-président, mais l’ouverture se manifestait du fait que j’étais quand même dans cette commission» (Mémoire Birth Control, p. 11). Dans une de ces réunions, Suenens a noté la réponse pertinente de Mme P. Crowley, membre américaine de la commission, au P. Zalba s.j., moraliste espagnol, qui disait: «Nous ne pouvons pas changer la doctrine, car que ferait-on alors de tous ces gens qu’on a envoyés en enfer après Casti connubii». Mme Crowley répliqua sèchement: «Father, are you sure that God executed all your orders?» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1401). 16.  Mgr Wojtyła qui était membre de la commission, n’a pas pu assister à la réunion de juin 1966. 17.  Suenens a soigneusement noté le résultat des votes du 24 juin 1966 (F. Suenens, B.C. et H.V., 547): «I. An constat de intrinseca illiceitate omnis interventus contraceptivi…? constat: 3; non constat: 9; abstinent: 3. [N.B. Grootaers dans H. et L. Buelens-Gijsen – J. Grootaers, Mariage catholique et contraception, Paris, Epi, 1968, p. 251, parle de «constat»: 2 évêques et «constat ad mentem»: 1 évêque. Ceci s’explique peut-être par ce que Suenens écrit: ‘Colombo … a voté: c’est intrinsèquement mauvais sauf de très graves exceptions, ce qui pour nous est contradictoire, mais ce qui me fait croire qu’il y a un intrinsèquement mauvais à l’italienne qui n’est pas l’intrinsèquement mauvais du reste du monde’, Mémoire Birth Control, p. 12]. II. Teneantne membra liceitatem interventus contraceptivi … affirmari posse in continuitate cum Traditione Ecclesiae…? tenent: 9; non tenent: 5; abstinet: 1. III. An Supremum Magisterium quam citius loqui debeat? affirmative: 14; abstinet: 1». Chaque fois Suenens a voté dans le sens de la majorité. Suenens note également qu’un rapport officiel a été remis au pape par le cardinal Döpfner, car Ottaviani avait refusé de transmettre ce rapport au Saint-Père (pour ce rapport, F. Suenens, B.C. et H.V., 572-578). Ottaviani a transmis un soi-disant rapport de la minorité qui n’émanait en fait que de quatre théologiens, à savoir Ford, Visser, Zalba et de Lestapis (pour ce document, F. Suenens, B.C. et H.V., 479-480). Cf. Mémoire Birth Control, pp. 12-13. 18.  Le franciscain néerlandais B. van Leeuwen a aussi prêté son concours à ce travail de refonte du texte.

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c­ ommission de février (à Ariccia) et d’avril (à Rome) ce texte fut accepté et ensuite soumis aux Pères lors de la 4ème session19. En novembre 1965, lors de la dernière discussion des modi de ce même chapitre, Paul VI lui-même présenta à la dernière minute quatre modi rappelant la position traditionnelle et cette intervention causa de fortes tensions au sein de la commission mixte. À ce moment, Heuschen et Heylen ont débloqué la situation et ont rendu ces modi «inoffensifs» en rédigeant un texte qui ne permettait de trancher ni pour ni contre une solution plus ouverte. La conséquence fut que la question épineuse des moyens de contraception est restée indécise dans le texte conciliaire20. Au sujet de ce chapitre de Gaudium et spes, Mgr Charue avait déjà défendu à la commission doctrinale l’importance de l’amour dans le mariage21. De même Mgr De Smedt avait pris des contacts avec des moralistes louvanistes (L. Janssens, V. Heylen et A. Wylleman) pour recueillir leurs critiques au sujet du schéma préparatoire sur le mariage22. Dans ses archives conciliaires on trouve le projet – qu’il a probablement demandé à un théologien – d’une longue lettre au pape demandant un élargissement de la doctrine classique23. 3.  Les Colloques de Louvain24 Rappelons que Suenens n’a pas attendu les réunions de Rome pour promouvoir les études sur les problèmes de la famille. Après son discours à la 1ère Conférence mondiale de la Santé, organisée à l’occasion de 19. Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505. 20.  Cf. V. Heylen, La note 14 dans la constitution pastorale «Gaudium et Spes», P. II, C. I, N. 51, dans ETL 42 (1966) 555-566 et J.  Grootaers – J. Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002. 21.  Le jeudi 23 mai 1963, Mgr Charue note dans son Journal: «Mgr Franić … voudrait que l’on proclame par-dessus tout la fin de la procréation. Le cardinal Ottaviani est dur dans ce sens, allant jusqu’à dire qu’il est bon que l’amour accompagne la vie des époux mais que … (qu’a-t-il dit exactement? Je n’ose dire que je me le rappelle parfaitement, mais le sens est que c’est tout de même secondaire). J’interviens, remarquant qu’on semble dans la confusion, que l’amour chrétien n’est tout de même pas réduit à l’amour charnel, bestial» (L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue [Cahiers de la RTL, 32], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000, pp. 123-124). 22.  F. De Smedt 825-827 (cf. A. Greiler – L. De Saeger [éds], Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory [Instrumenta Theologica, 22], Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999). 23.  F. De Smedt 1353. 24.  Les archives Suenens contiennent une importante documentation concernant ces colloques, qui mériteraient une étude historique (cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 922-1390).



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l­’Exposition universelle de Bruxelles en 195825, des colloques scientifiques internationaux de sexologie ont été organisés à son instigation chaque année de 1959 à 1974 à Louvain et patronnés par l’Université catholique. Ces colloques réunissaient une cinquantaine de médecins, de moralistes, de psychologues venant de plusieurs pays. En 1961 fut érigé à l’Université catholique de Louvain l’Institut interfacultaire des sciences familiales et sexologiques. Plusieurs membres de la Commissio pontificia assistaient à ces colloques, notamment H. de Riedmatten, P. van Rossum, C. Mertens s.j., Mr et Mme C. Rendu, J. Marshall, J. Férin, P. de Locht, P. Delhaye. Des participants à ces colloques ont également pris des initiatives personnelles soit pour publier des études sur la question26, soit pour s’adresser directement aux autorités romaines27. Grâce à ses contacts lors de ces colloques avec des hommes de science, Suenens a également essayé en 1965, avec l’appui de Mme M. Grace28, 25.  Discours au cours duquel l’évêque auxiliaire de Malines faisait appel aux chercheurs pour aider les familles dans le douloureux problème de la régulation des naissances (Mémoire Birth Control, p. 1). 26. C’est dans ce milieu «louvaniste» qu’ont été publiés, fin 1963, deux articles importants, par un professeur de médecine et par un moraliste, concernant la moralité éventuelle des progestogènes. Cf. J. Férin, De l’utilisation de médicaments «inhibiteurs d’ovulation» et L. Janssens, Morale conjugale et progestogènes, dans ETL 39 (1963) 779-786 et 787-826. Ces publications ont causé, en 1964, des controverses aux États-Unis et notamment celle déclenchée par G. de Pauw, prêtre belge résidant aux États-Unis, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 40, 57-59, 86. 27.  C’est dans le groupe inspiré surtout par Mr et Mme H. et L. Buelens-Gijsen et par J. Grootaers, qu’ont été rédigées plusieurs Adresses solennelles au magistère de l’Église, signées par un groupe international d’intellectuels catholiques. Cf. Adresse au concile Vatican II sur les problèmes de la famille (signée par 158 médecins, juristes, sociologues, publicistes originaires de onze pays) datée du 18 octobre 1964 et Seconde Adresse au magistère de l’Église catholique au sujet des problèmes familiaux (signée par 500 intellectuels de dix-huit pays différents), datée du 21 février 1966 (cf. Buelens-Gijsen – Grootaers, Mariage catholique et contraception [n. 17], p. 211). Ce même groupe a été actif au IIIe Congrès mondial pour l’Apostolat des Laïcs qui s’est tenu à Rome du 11 au 18 octobre 1967 en même temps que le 1er Synode des Évêques. Une résolution, votée par l’Assemblée des Chefs de Délégation, disait notamment: «Face au problème angoissant de l’expansion démographique, les participants du IIIe Congrès … rappellent: … D) le sentiment très vif qu’ont les laïcs chrétiens de la nécessité d’une prise de position claire des autorités enseignantes de l’Église, qui se concentre sur les valeurs morales et spirituelles fondamentales, en laissant le choix des moyens scientifiques ou techniques de réaliser une paternité responsable aux parents agissant conformément à leur foi chrétienne et sur la base de consultation médicale et scientifique», ibid., pp. 267-269. 28.  F. Suenens, B.C. et H.V., 146-155. Voir aussi la lettre, du 11 janvier 1968, de Sœur M. Jean Wallace à Moeller. La Sœur, qui avait fait des recherches au sujet du cycle féminin à l’Harvard University, fait part à son correspondant de sa visite au Prof. Férin à Louvain grâce au cardinal Suenens (F. Moeller 3243).

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de stimuler aux États-Unis des études scientifiques sur les périodes infécondes du cycle féminin. Ces colloques ont certainement été pour Suenens un moyen de promouvoir ses idées qui allaient dans le sens de l’ouverture. 4.  Quelques initiatives de Suenens après le Concile et avant ‘Humanae vitae’29 Suenens, qui avait déployé de grands efforts pendant le Concile et les réunions de la commission pontificale en mai-juin 1966, a continué à prendre des initiatives et à faire des démarches en 1967 et 1968. En voici un bref relevé chronologique. (a) Dans l’audience de Suenens du 20 avril 1967, le pape fait «une charge à fond» contre les raisons avancées par la majorité de la commission pontificale au cours de la réunion de juin 1966 et défend la position de la minorité. Le pape, par ailleurs, répond négativement à la suggestion de Suenens de soumettre cette question au prochain synode des évêques en arguant: «Il faut trop de préparation pour être compétent». Suenens note aussi que le pape ne compte pas publier un document infaillible et que plusieurs mois seront encore nécessaires à la préparation du texte. À la demande du pape de prier pour lui afin qu’il garde le dépôt de la Révélation, Suenens réplique que la Révélation est muette sur le sujet du Birth Control30. (b) Lors du Symposium d’Évêques européens à Noordwijkerhout (PaysBas) en juillet 1967, Suenens tente une nouvelle manœuvre. Il demande à Mgr Reuss, auxiliaire de Mayence et membre de la commission pontificale, de rédiger 10 Propositiones quae attinent ad declarationem Summi Pontificis de licito modo regulandi natalitatem, qui reflètent la position ouverte. Il cherche ensuite à recueillir, avec l’aide de Reuss, de Goddijn (directeur du «Pastoraal Instituut van de Nederlandse Kerkprovincie», P.I.N.K.) et de Musty (évêque auxiliaire de Namur), des signatures parmi les évêques. Sur les 80 présents, 27 (parmi lesquels J. Höffner, F. Marty, M. Pellegrino, N. Jubany, B. Alfrink) auraient marqué leur accord. Dans une lettre personnelle au pape (du 14 juillet 1967), Suenens envoie ces 10 Propositiones en signalant que cet envoi a été demandé par les participants. Le cardinal Cicognani lui répond, le 29 août, que le pape estime que les observations 29.  Voir aussi L. Declerck – T. Osaer, Les relations entre le Cardinal Montini – Paul VI (1897-1978) et le Cardinal Suenens (1904-1996) pendant le concile Vatican II, dans Notiziario 51 (2006) 47-77, notamment pp. 74-75. 30.  Voir F. Suenens, B.C. et H.V., 212; F. Suenens, A.P., b. 13 et Mémoire Birth Control, pp. 15-16.



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apportées en faveur d’une nouvelle thèse ne semblent pas suffisamment convaincantes et qu’il a été peiné par la publication des textes confidentiels de la commission pontificale31. (c) Au 1er Synode des Évêques (29 sept. – 29 oct. 1967), un des présidents, le cardinal Villot, avait signalé, le 6 octobre, que les Pères n’étaient pas invités à traiter de la régulation des naissances mais qu’ils pouvaient toujours écrire une lettre privée au Saint-Père à ce sujet. Suenens affirme que cette déclaration n’exprimait pas le souhait du SaintPère mais était simplement le reflet d’une conversation. Villot aurait dit au Saint-Père: «Ils ne peuvent pas parler, mais naturellement, ils peuvent vous envoyer une lettre privée». À quoi le pape aurait répondu: «Ah oui, naturellement, comment voulez-vous empêcher cela?». Le cardinal Suenens a évidemment saisi l’occasion et il a demandé en même temps à une quinzaine de cardinaux et d’archevêques d’écrire également de leur côté au pape32. Dans sa lettre, Suenens, sachant que les deux arguments fondamentaux étaient que l’autorité ne peut pas se dédire et que les papes précédents [notamment Pie XI] avaient dit autre chose, a souligné qu’un grand pas en avant avait été fait par Pie XII33 et que, dès lors, prendre une position d’ouverture ne constituait pas une révolution. Suenens a immédiatement reçu d’un théologien du pape une réfutation de ses arguments. P. Delhaye a préparé pour Suenens une réponse à ce théologien, mais les archives ne disent pas si Suenens a envoyé cette lettre. De son côté le cardinal Döpfner a fait savoir au Saint-Père que, lors d’un vote secret au sein de sa Conférence épiscopale, 34 évêques contre 5 (compte tenu des abstentions) s’étaient prononcés en faveur de l’ouverture34. (d) Dans son audience du 16 mars 1968, le cardinal se rend compte que les jeux sont faits. Le pape renvoie Suenens à son livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi35 en lui reprochant de ne pas avoir gardé sa position initiale. Et il ajoute: «C’est nous qui sommes les 31.  F. Suenens, B.C. et H.V., 214-218 et Mémoire Birth Control, pp. 16-17. 32.  Voir aussi G. Marengo, La Nascita di un’Enciclica: Humanae vitae alla luce degli Archivi Vaticani, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2018, qui toutefois donne trop d’importance à cette «consultation» de Paul VI. 33.  Dans son Allocutio Conventui Unionis Italicae inter Obstetrices du 29 oct. 1951, Pie XII avait admis le recours, pour des motifs sérieux, à la continence périodique. Cf. AAS 43 (1951) 835-854, surtout p. 846. 34.  F. Suenens, B.C. et H.V., 229-233 et Mémoire Birth Control, p. 18, où le cardinal remarque que le Saint-Office s’est inquiété de ces nombreuses lettres et a donné comme instruction aux éléments conservateurs d’écrire de leur côté en sens inverse. 35.  Dans son livre Un problème crucial: Amour et maîtrise de soi, publié en 1959, Suenens avait adopté les positions classiques en la matière (avec une nette ouverture sur la continence périodique). On sait que le cardinal Montini a pris un vif intérêt à ce livre et qu’il l’a fait traduire en italien avec une préface de Mgr C. Colombo. Cf. Declerck –

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g­ ardiens de l’orthodoxie». Et quand Suenens suggère au pape de déclarer comme le patriarche Athénagoras que la contraception est mauvaise mais admet des exceptions, le pape fait un signe de désapprobation. Suenens note aussi que dans le texte préparé pour le pape, il était mis «infaillible» mais que le cardinal Šeper (préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi depuis le 8 janvier 1968) a demandé au pape de ne pas mettre ce mot «infaillible»36. Rentré en Belgique, le 19 mars Suenens écrit à nouveau une longue lettre pathétique au pape pour le supplier, au nom du principe de la collégialité, de soumettre la question du Birth Control et celle du célibat des prêtres à la délibération du prochain Synode des Évêques37. Suenens ajoute dans son journal qu’il craignait la réaction du pape à sa lettre «car c’est la négation de sa théologie papaliste et de tout son être ‘non-collégial’»38. (e) Dans les années 1967 et 1968, Suenens reste en relation avec plusieurs évêques et théologiens et il essaie, avec eux, d’influencer le pape. –  Correspondance avec Döpfner39: Le 4 mars 1967, Suenens rapporte sa visite à Döpfner qui croit que le pape fera un «statement» de type traditionaliste avec peut-être «une petite fissure». Le 28 juin 1968, Döpfner écrit à Suenens que, lors de sa dernière visite à Rome fin mai, il a retenu de ses rencontres avec le pape et quelques-uns de ses collaborateurs, qu’un document très conservateur était sur le point d’être publié et que les traductions étaient déjà prêtes. Döpfner a fait entrevoir au pape et à ses collaborateurs les conséquences désastreuses d’un tel document40.

Osaer, Les relations (n. 29), p. 52. Quelques années plus tard, Suenens a abandonné les thèses classiques et a résolument opté pour une position plus ouverte. 36.  F. Suenens, B.C. et H.V., 252. 37.  Pour le texte de cette lettre, voir F. Suenens, B.C. et H.V., 254 et L.-J. Suenens, Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991, pp. 158-160. 38.  F. Suenens, B.C. et H.V., 253. On constate que Suenens rédige à ce moment son livre La coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui, Bruges, Desclée de Brouwer, 1968. Il est d’ailleurs remarquable qu’après la publication de Humanae vitae, Suenens se désintéresse, pour ainsi dire, de la question du Birth Control pour s’occuper des problèmes de collégialité et de coresponsabilité, problématique qu’il délaissera à son tour, à partir de 1972, pour le renouveau charismatique. 39.  F. Suenens, B.C. et H.V., 211, 259. 40.  Dans sa lettre du 2 septembre 1968 à Suenens, Döpfner a ajouté le document qu’il avait transmis au pape concernant le Birth Control lors de son audience du 31 mai 1968 (Puncta Sanctitati Suae in colloquio proponenda circa quaestionem de regulandis nativitatibus, 31.5.1968, 3 p.) (F. Suenens, B.C. et H.V., 2137-2139).



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–  Correspondance avec Mgr Dupuy41 Initialement, P. Delhaye42 joue l’intermédiaire entre Suenens et Dupuy: le 22 janvier 1968, il transmet au cardinal un rapport que Dupuy à envoyé à Villot le 18 mars 1967 et, le 10 juin 1968, il lui transmet une lettre de Dupuy. De son audience, Dupuy a retenu l’impression que le pape était peu disposé à adopter une position différente de ses prédécesseurs. Une commission de théologiens ayant été mise au travail à cette époque, le pape espérait pouvoir parler en automne de la même année ou l’année suivante. Selon le Père Perico s.j., moraliste milanais et membre de la commission pontificale, cette commission comprenait une douzaine de personnes, dont Fuchs, Lambruschini et Lio. Mgr Colombo aurait été quelque peu relégué dans l’ombre43. Le 28 juin 1968, Dupuy écrit à Suenens qu’il craint la publication imminente d’une déclaration du pape et il demande à Suenens de suggérer au Saint-Père de mettre la question à l’ordre du jour du prochain Synode. Le 25 juillet 1968, il remercie Suenens de lui avoir envoyé copie de sa lettre au pape du 19 mars 1968. Perico lui écrit qu’on prévoyait une déclaration peu après la Profession de Foi du 30 juin 1968. Il était certain qu’un texte dont l’inspiration fondamentale était due au cardinal Wojtyła, était prêt44: on pouvait dès lors prévoir qu’il ne serait que difficilement accepté45. –  Mgr Reuss continue à informer Suenens Le 26 septembre 1967, Reuss envoie copie d’une lettre de Cicognani qui lui communique que les arguments pour une prise de position 41.  Archevêque d’Albi et membre de la commission pontificale. Mgr Dupuy avait notamment rédigé, fin juin 1966, six pages de «Notes pastorales», qui faisaient partie du Rapport officiel pour le pape de la réunion de la commission pontificale. F. Suenens, B.C. et H.V., 258, 261, 575. 42.  Delhaye avait été pendant de longues années professeur de morale aux Instituts catholiques de Lille et de Lyon et il avait gardé beaucoup de relations en France. 43.  F. Suenens, B.C. et H.V., 244-246, 257. Le 2 mai 1968, Dupuy avait écrit à Moeller pour pouvoir le rencontrer à Rome avant son audience chez le pape (F. Moeller 3280). Le 29 juillet, après avoir reçu l’encyclique par la nonciature de Paris, Dupuy exprime son grand désarroi à Suenens: «J’espérais que selon le vœu de son Éminence le cardinal Döpfner, il y serait apporté quelques nuances ou atténuations, qui permettraient ultérieurement aux théologiens d’élaborer des positions plus libérales. Or, rien dans le texte de l’Encyclique n’autorise un tel espoir» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1604). 44.  Dans une lettre du 30 janvier 1980 à Suenens, Mgr Matagrin, évêque de Grenoble, confirme cette information. Il écrit notamment: «Par un ami, auxiliaire de Lyon, il a su que Mgr Dupuy n’avait pas changé de position sur l’éthique de la régulation des naissances; l’indécision de Paul VI devant les conclusions de la commission sur la licéité de certaines méthodes ‘artificielles’ avait été levée [dans le sens de la non licéité] par un rapport de l’archevêque de Cracovie, arrivé en juin 1967» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1607). 45.  F. Suenens, B.C. et H.V., 258, 261.

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n­ ouvelle en la matière n’ont pas de force convaincante. Reuss tient de Döpfner qu’il n’y a pas d’espoir pour le moment de voir le pape s’éloigner de la doctrine traditionnelle. Et le 17 octobre 1967, il envoie copie d’une lettre qu’Ottaviani lui a adressée et qui écrit que l’infaillibilité pontificale … «quoque se extendit ad obiectum quoddam secundarium … immutabilia praecepta legis moralis»46. –  Une confidence de Mgr Benelli Le 30 juin 1968, Mgr Benelli, substitut à la Secrétairerie d’État et ami de longue date, écrit à Suenens: Il [le pape] a alors parlé de votre intelligence et de votre culture et il a répété qu’il regrettait énormément le fait que maintenant on ne soit pas toujours d’accord. La raison? «La pillola»47.

Après toutes ces mauvaises nouvelles, Suenens note dans son journal le 1er juillet 1968: Je veux bien obéir à Paul VI mais pas au Père Lio et au cardinal Browne lorsqu’ils sont ses conseillers théologiques totalement incompétents en matière de Birth Control48.

II. Premières réactions du cardinal Suenens après la parution de Humanae vitae (fin juillet – 20 août 1968) Au moment de la parution de l’encyclique49, le cardinal Suenens se trouvait en vacances à Saint Pancrace, faubourg de Nice. Malgré le fait que plusieurs personnalités (parmi lesquelles des évêques) souhaitaient son retour en Belgique pour prendre les affaires en main et gérer la crise suscitée par des réactions vives à l’encyclique dans l’opinion publique, dans le clergé et dans le laïcat, il n’est rentré en Belgique que le 20 août. Cela ne l’a pas empêché d’être très actif durant cette période de «vacances». Essayons de donner un aperçu de ses différents contacts et initiatives pendant cette période50. 46.  F. Suenens, B.C. et H.V., 225-228. 47.  F. Suenens, A.P., b. 18. 48.  F. Suenens, B.C. et H.V., 260. 49. L’encyclique est datée du 25 juillet 1968, mais a été rendue publique dans ­L’Osservatore Romano du 29-30 juillet, c’est-à-dire dans l’après-midi du 29 juillet. 50.  Il est nécessaire de tenir à l’esprit que l’encyclique est publiée en pleine période de vacances, ce qui rendra les contacts difficiles entre cardinaux, évêques et théologiens. De plus, le XXXIXe Congrès eucharistique international était célébré à Bogota du 22 au 24 août et la IIe Conférence générale de l’épiscopat latino-américain (CELAM) à Medellin du 24 août au 6 septembre, où le pape mais aussi plusieurs cardinaux (dont Döpfner) et évêques (dont De Smedt) se sont rendus.



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1.  Une première réaction Dans les archives du cardinal, on trouve une réaction très personnelle, dont voici en résumé quelques extraits51: – L’encyclique a fait choc parce qu’elle dépasse tout ce qu’on prévoyait comme conservatisme et comme réaffirmation de la doctrine énoncée il y a 30 ans. Le pape a pris sa décision: – à l’encontre de sa commission de 60 experts, – à l’encontre de sa commission cardinalice et épiscopale de 15 membres [en fait 16], – à l’encontre du Congrès mondial des laïcs [en 1967], – à l’encontre de la grande masse des théologiens, – à l’encontre d’un bon nombre de foyers. – L’encyclique n’est pas infaillible et donc révocable … Mais les chrétiens doivent essayer d’entrer dans la pensée du Saint-Père qui est qualifié pour donner une interprétation autorisée de la doctrine de l’Église. Ce qui est demandé à la conscience des fidèles, c’est de s’efforcer d’entrer dans ces vues, d’entrer dans cette lumière, et s’ils n’y entrent pas, s’ils ne parviennent pas à y entrer, le dernier mot reste à leur conscience. Il s’agit de ne pas entrer en rébellion «mais il y a aussi une adhésion en profondeur à ce qui est dit, qui, pour ma part, ne peut être donnée, mais qui demande de ne pas être énoncée publiquement». – Et puis il y a le gros problème de l’autorité, même du magistère, dans un certain nombre de secteurs; et il faut espérer que cette crise va hâter le processus de démocratisation et de coresponsabilité dans l’Église. – Le cardinal termine en disant: Il s’agit de rester fidèle à l’Église catholique romaine. Il s’agit de rester fidèle au Christ, à travers cette Église-là, à travers son Église, parce qu’Il est avec elle tous les jours aussi bien dans les jours de tempête que par les jours ensoleillés.

Ce document résume déjà fort bien l’attitude du cardinal face à l’encyclique: – en conscience, il n’est pas convaincu de la vérité de l’enseignement qui y est donné sur les moyens contraceptifs; 51.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1393. Ce document de quatre pages n’est pas daté (mais a été écrit après le 5 août, puisque le cardinal s’y réfère dans une lettre datée du 5 août à ses proches collaborateurs). Par ailleurs, le destinataire n’est pas mentionné. Il s’agit très probablement d’une transcription d’une bande magnétique.

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– il ne croit pas pour autant qu’il soit permis de faire une révolution ou d’engager une contestation publique du magistère du pape; – il espère que, dans l’avenir, on arrivera à un mode de gouvernement de l’Église plus collégial et empreint du sens de la coresponsabilité. 2.  Lettre à ses collaborateurs directs Le 5 août, le cardinal adresse une lettre à Mgr Schoenmaeckers, son évêque auxiliaire, de même qu’à ses vicaires généraux et leurs adjoints, lettre qui fut aussi communiquée aux évêques belges le 8 août52. – Le cardinal demande de rester en harmonie avec lui dans cette crise tragique, aux conséquences incalculables pour l’Église. – Il faut travailler ensemble pour aider les prêtres et fidèles à garder inébranlablement la foi en l’Église du Christ, malgré les secousses de l’heure. Et faire tout son possible pour éviter des gestes ou paroles d’insubordination, d’hostilité, d’irrespect. – Il faudra, avec les autres évêques, et avec la commission théologique [de la Conférence épiscopale] élaborer une pastorale adéquate qui harmonise les normes objectives et les normes subjectives de la conscience. – On peut prévoir que dans un avenir proche, par-delà la question actuelle, on soulèvera des questions théologiques sur le magistère et ses rapports avec la liberté de conscience. – Et il termine en écrivant: Nous entrons sans doute, qu’on le veuille ou non, dans un nouveau monde de problèmes. Mais je vous redis toute la thèse de mon livre sur la coresponsabilité: croyons au Saint-Esprit à l’œuvre, hier, aujourd’hui et demain, et restons très unis. Merci de votre précieuse et, plus que jamais, indispensable coresponsabilité.

Le 2 août le cardinal avait préparé un projet plus long de cette lettre53 dans lequel il remarquait le caractère non infaillible de l’encyclique, rappelait la position de Gaudium et spes n. 51 sur la question et résumait brièvement la position de la majorité de la commission pontificale. Il ajoutait: «En prenant cette décision il [le pape] agit dans la pleine responsabilité qui est la sienne propre: il ne nous appartient pas de la contester». Le cardinal ne met donc pas en cause les droits de la primauté mais il regrette le mode peu collégial de l’exercice de cette primauté.

52.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1392 et 1394. 53.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1391.



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3.  La lettre de Paul VI au cardinal54 et la réponse de Suenens55 Le 9 août, le pape Paul VI adresse une longue lettre personnelle manuscrite au cardinal, lettre qu’il fait porter à Nice par Mgr G. Benelli. Dans cette lettre émouvante, écrite dans un italien admirable, le pape commence par s’excuser de ne pas encore avoir répondu à la lettre précédente de Suenens du 19 mars et il loue les efforts de ce dernier pour appliquer le Concile [allusion à son livre récent sur la coresponsabilité]. Il espère pouvoir suivre les idées du cardinal dans la mesure où les obligations de son ministère le permettront. Il sait que la solution donnée par Humanae vitae aux problèmes du Birth Control n’est pas conforme aux vues du cardinal. Mais en prenant cette décision, il s’est laissé inspirer d’une part par le livre de Suenens Amour et maîtrise de soi et d’autre part de la voix de sa conscience, interrogée longuement devant Dieu. Le pape mentionne aussi les consultations qu’il a faites (auprès des conférences épiscopales56, de la commission pontificale, et des évêques qui, au Synode de 1967, avaient souhaité exprimer leur opinion). Il exprime dès lors sa confiance dans l’attitude des évêques: il pense que ceux-ci, surtout ceux qui pour lui sont des amis, soutiendront la ligne tracée dans Humanae vitae. Il demande enfin au cardinal de l’aider dans cette occasion et de guider le Peuple de Dieu dans sa marche sur la «voie étroite» de l’évangile du Seigneur. Le 11 août, Suenens répond au pape et transmet sa réponse par l’intermédiaire de Mgr Benelli57. Il remercie d’abord pour la délicate attention que représente la lettre manuscrite du pape. Dans l’espoir de pouvoir exprimer plus tard à l’aise, et avec les nuances requises, le fond de sa pensée, il envoie au pape une copie de sa lettre à ses proches collaborateurs [datée du 5 août] et il annonce que l’épiscopat belge est en train d’élaborer un texte qui sera discuté à la fin du mois: ce texte s’efforcera d’exprimer au mieux le respect dû à la déclaration solennelle du pape. Il est d’avis que, par delà la question du Birth Control, l’Église est confrontée à l’heure présente avec la plus grande crise religieuse de son 54.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1397. Pour le texte complet, voir Annexe II. 55.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1399-1400. Le cardinal Döpfner a lui aussi reçu une lettre manuscrite du pape, datée du 18 août, à laquelle il répond le 2 septembre (F. Suenens, B.C. et H.V., 2138). 56.  Le pape fait probablement allusion au «Questionnaire de la Secrétairerie d’État concernant le Birth Control et la morale conjugale», envoyé par les nonces aux présidents des conférences épiscopales en février 1964. Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 14-27. 57.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1400.

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histoire. Parmi les multiples causes de cette crise, l’aspect majeur lui semble la mise en question universelle, non pas de l’autorité elle-même mais de son mode d’exercice à tous les niveaux: cet aspect mérite toute l’attention car il engage l’avenir de l’Église. Suenens termine en formulant des vœux cordiaux pour le voyage du pape à Bogota. Cette lettre brève est assez conventionnelle et diplomatique. Les archives contiennent cependant un premier projet de réponse, qui est plus intéressant et qui trahit beaucoup mieux la pensée profonde de Suenens58. – Le cardinal parle d’abord du problème de l’encyclique. Il sait combien le pape a souffert devant l’option à prendre, option qui a été prise dans un sens opposé à celle du Congrès mondial des laïcs, de la toute large majorité des théologiens et d’un nombre considérable d’évêques. – Il fera tout ce qu’il pourra pour obtenir des fidèles l’accueil respectueux et filial dû à cette déclaration solennelle, quoique non irrévocable, du magistère. Mais la chose sera délicate, étant donné que les fidèles cultivés savent que la révision de Casti connubii était souhaitée par les évêques, le monde scientifique et la quasi-unanimité des professeurs de séminaire, vicaires généraux, etc. Ce monde ne croirait pas à notre sincérité si nous leur disions du jour au lendemain que nous nous rallions à des raisons qui ont fait l’objet de tant de contestation depuis dix ans dans le monde intellectuel et au sein de nos familles chrétiennes les plus ferventes. Nous avons le délicat devoir de ne pas détruire l’autorité des évêques et en même temps de sauvegarder l’autorité du Souverain Pontife que nous aimons de tout notre cœur.

– Le cardinal ajoutait à la fin: J’ose demander au Saint-Père, étant donné l’immense complexité de la situation, de bien vouloir obtenir que le nonce ne fasse pas une politique de dénonciation envers les personnes…59.

58.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1399. 59.  Il s’agit de Mgr S. Oddi. Le 21 février 1967, Oddi avait envoyé une lettre à Ottaviani. Celui-ci avait demandé aux nonces de promouvoir des articles au sujet de la morale familiale «secondo la sana dottrina». Le nonce n’avait guère eu du succès en Belgique et il écrit notamment: «Questo Cardinale Arcivescovo [Suenens] infatti mi disse subito che, nella sua arcidiocesi, non vedeva nessun teologo disposto a prestare la sua collaborazione» (F. Moeller 3142a). Suenens entrera ouvertement en conflit avec le nonce en mars 1969 et obtiendra d’ailleurs son remplacement en avril 1969 (par une promotion cardinalice) (cf. Declerck – Osaer, Les relations [n. 29], p. 76, n. 187).



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4.  Le communiqué de presse du secrétariat de la Conférence épiscopale belge (3 août) Dans les jours qui ont suivi la publication de l’encyclique, plusieurs évêques ont fait une déclaration pour essayer de calmer l’esprit de contestation qui était quasi général aux États-Unis et en Europe occidentale60. Les évêques belges se trouvaient dans l’embarras. D’une part, ils étaient priés de se prononcer par beaucoup de personnes et de groupes; d’autre part, ils ne voulaient le faire qu’en accord avec leurs collègues. Mais le cardinal Suenens, président de la conférence, restait absent. La nonciature apostolique de Belgique, de son côté, avait distribué aux journaux, le 29 juillet, un communiqué de deux pages qui prenait la défense de l’encyclique61. Par téléphone, Suenens avait fait savoir à Mgr Ceuppens, son vicaire général, qu’il ne fallait rien précipiter et éviter toute déclaration. Il était d’ailleurs impossible de réunir les évêques ou la commission théologique, puisque tout le monde était en vacances. Dans l’entre-temps, il était dès lors recommandé de s’abstenir d’éclats62. Mgr Daem, évêque d’Anvers, s’impatiente cependant et il écrit, le er 1  août, une lettre au cardinal63. Celle-ci commence par une phrase ironique: Éminence, Il se peut que je vous dérange au milieu de vos vacances. Mais je demande votre attention à propos du titre d’un article paru dans De Standaard64 «L’épiscopat belge est absent».

Et il suggère de publier au moins un communiqué de presse où on annoncerait qu’une réunion de la Conférence épiscopale aurait bientôt lieu. Par ailleurs, Daem prend contact avec le secrétariat de la Conférence épiscopale afin que celui-ci suggère également au cardinal un communiqué de presse65.

60.  Signalons un article du cardinal Renard (3 août), les déclarations, de Mgr Marty (1er août), du cardinal Heenan (4 août), du cardinal Döpfner (29 juillet), du cardinal Lefebvre. (6 août) (cf. La Documentation catholique 1523 (1 septembre 1968), col. 14611469). 61.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1437. Ce même texte a été envoyé par le nonce aux communautés religieuses (cf. lettre de S. Oddi au P. Hoing s.j., 27 juillet 1968 et lettre de J. Grootaers à L. Declerck, cf. Archives C.E.B. 11, 1). Il est probable que ce texte était inspiré par la Secrétairerie d’État. 62.  Archives C.E.B. 11, 2. 63.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1441. 64.  En cette époque, le journal des intellectuels catholiques de Flandre. 65.  Archives C.E.B. 11, 2.

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Mgr Charue, pour sa part, publie, le 2 août, dans ses Monita ad Clerum66, une brève introduction à trois documents de Paul VI: l’encyclique Humanae vitae, la profession solennelle de foi et un message spécial aux prêtres du monde entier. Il commence par dire qu’il accueille filialement l’enseignement du pape avec le respect religieux qui s’impose, mais il ajoute que les récentes déclarations du pape n’entendent pas bloquer toute réflexion théologique. Il annonce aussi que les évêques belges vont bientôt se réunir afin d’étudier les conséquences pastorales de l’encyclique. Et effectivement, après avoir pris contact via Mgr Ceuppens avec le cardinal Suenens67 et avec quelques autres évêques, le secrétariat de la Conférence épiscopale publie le 3 août un bref communiqué de presse: Au nom du cardinal Suenens, le secrétariat de la Conférence épiscopale communique que les Évêques de Belgique se réuniront sous peu afin d’étudier les conséquences pastorales de l’Encyclique Humanae vitae68.

5.  Contacts de Suenens avec quelques présidents de conférences épiscopales Après la publication de l’encyclique plusieurs présidents de conférences épiscopales de l’Europe occidentale ont cherché à entrer en contact afin de réagir dans le même sens et d’accorder ainsi, si l’on peut dire, leurs violons. Il s’agit des présidents des conférences des Pays-Bas (Alfrink), de Belgique (Suenens), d’Autriche (König), d’Allemagne (Döpfner), d’Angleterre (Heenan) et dans une moindre mesure de France. Parallèlement, il y avait aussi des contacts entre les secrétaires de conférences épiscopales, notamment W. Goddijn (Pays-Bas), R. Etchegaray (France), K. Forster (Allemagne) et L. Declerck (Belgique). Ces contacts aboutiront à la réunion de cinq cardinaux (Heenan, Döpfner, König, Alfrink et Suenens) à Essen, le 9 septembre 1968, réunion dont il sera question plus loin. W. Goddijn prend les devants69. Il téléphone, le 31 juillet, à L. Declerck pour prendre contact, selon le conseil d’Alfrink, avec les conférences 66.  Tome IV, n° 16, pp. 123-124. 67.  Une des difficultés de la communication avec le cardinal était qu’il voulait garder secrets son numéro de téléphone et son adresse à Nice. Seuls Mgr Ceuppens et W. Brieven, son secrétaire privé, étaient habilités à lui téléphoner ou à lui écrire en cet endroit. 68.  Archives C.E.B. 11, 2. Dans un projet de communiqué, Suenens avait d’abord écrit que la Conférence épiscopale avait décidé de confier à la commission théologique le soin d’élaborer un projet (F. Suenens, B.C. et H.V., 1396). 69.  La Conférence épiscopale des Pays-Bas n’avait à ce moment pas encore de secrétaire et c’est le Père Goddijn (1921-2007), directeur du P.I.N.K., qui en faisait ­fonction.



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épiscopales de France, Belgique, Allemagne, Autriche et Suisse en vue d’organiser une réunion de leurs présidents destinée à discuter des conséquences pastorales de l’encyclique. Goddijn pense que l’initiative devrait partir de Döpfner ou de Suenens. Le 1er août Goddijn reprend contact avec Bruxelles pour signaler que Döpfner est favorable à une telle réunion mais qu’il désire d’abord recueillir l’avis de Suenens. Et le 8 août, il écrit à L. Declerck que Döpfner a effectivement pu toucher Suenens le 5 août et que les deux cardinaux étaient favorables à une réunion avec Alfrink et éventuellement König70. L. Declerck reçoit un coup de téléphone de Ceuppens qui lui signale que le cardinal se dit en parfaite harmonie avec Döpfner. Suenens a également suggéré à Döpfner que Musty71 assiste à la réunion des évêques allemands des 29 et 30 août mais Döpfner n’a pas donné de réponse à cette suggestion. Plus tard Suenens suggérera une nouvelle fois que Musty rende visite à Döpfner à Munich, mais sans succès72. K. Forster envoie, le 7 août, à la demande de Döpfner, quelques documents à Suenens. Il s’agit d’un rapport de la réunion du 2 août de la «Kommission für Fragen der Glaubens- und Sittenlehre und der Pastoralkommission der Deutschen Bisschofskonferenz» et également de l’invitation aux évêques allemands à la réunion des 29 et 30 août. Döpfner demande en retour à Suenens de lui envoyer des informations au sujet de la Déclaration belge73. Le 5 août, de façon assez inattendue, le cardinal Heenan écrit simultanément à Suenens, à Alfrink et à Döpfner pour les inviter à une réunion chez lui (dans un lieu tranquille «the Castelgandolfo of the Westminster Diocese») entre le 17 août et le 1er septembre. Mais il se dit également prêt à se rendre en Belgique, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Il insiste sur la discrétion nécessaire («the press may set a rumour that we are plotting against the Pope»). Il ajoute que le «modus quo of the new Encyclical has made the id quod harder to accept» et «If an approach to the Holy Father is thought to be wise or necessary, it would obviously be stronger if we act together». Le 1er août, Goddijn communique par téléphone à L. Declerck une réaction des évêques néerlandais, rédigée à leur réunion du 31 juillet et qui sera rendu publique le 4 août (Archives C.E.B. 12, 11). 70.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1411, 1413. 71.  Mgr J.B. Musty, évêque auxiliaire de Namur, était originaire de la province de Luxembourg et connaissait parfaitement l’allemand. Pendant le Concile, Suenens l’avait envoyé à plusieurs réunions des évêques allemands. 72.  Archives C.E.B. 11, 2. 73.  F. Suenens, B.C. et H.V., 2131-2136.

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Dans sa réponse du 12 août Suenens reste vague: il est d’avis qu’il faut d’abord réunir la Conférence épiscopale belge et il note que Döpfner est absent jusqu’à la fin du mois. Il promet de lui écrire à nouveau plus tard74. En fait, Suenens essaie de gagner du temps, parce qu’il n’avait pas une entière confiance en Heenan. En effet, Heenan avait été un des deux vice-présidents de la commission pontificale (l’autre étant Döpfner) et il n’avait pas pris clairement position pour une morale plus ouverte lors de la réunion de juin 196675. R. Etchegaray, secrétaire de la Conférence épiscopale française, cherche aussi le contact. Dans une conversation téléphonique76, il fait savoir à L. Declerck que les évêques français ne préparaient pas en ce moment de déclaration commune, mais que le cardinal Renard avait publié un article dans La Croix77. Le 8 août il écrit une lettre à Suenens en lui envoyant un communiqué du cardinal Lefebvre, président de la Conférence épiscopale de France, et la première édition française de l’encyclique, introduite par le Père Martelet. Le 19 août, Suenens lui répond en lui promettant de le tenir au courant (par l’intermédiaire de L. Declerck) des délibérations de la Conférence épiscopale belge qui devait se réunir prochainement78. 6.  Quelques autres activités et contacts de Suenens Le cardinal ne restait pas inactif. Il avait entre-temps demandé au secrétariat de la Conférence épiscopale de réunir quelques théologiens afin de préparer la réunion des évêques qui devait bientôt avoir lieu. Il était également tenu au courant par ses collaborateurs de l’archevêché, Mgr Ceuppens et W. Brieven. L. Declerck, de son côté, lui avait fait parvenir plusieurs documents le 8 août79, notamment un rapport de la première réunion de théologiens du 7 août, rédigé par Mgr Heylen, et une 74.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1412 et 1417-1418. 75.  F. Suenens, B.C. et H.V., 534. Le 22 juin 1966, le cardinal Heenan avait dit notamment: «Although my heart tells me that at almost any cost we must bring relief to the magnificent Christian couples who are finding the discipline of the Church intolerable, my head warns me against accepting too readily the arguments of converted theologians who now argue against the accepted doctrine». De plus l’attaque violente de Heenan contre les periti (Timeo peritos adnexa ferentes!) et contre le schéma XIII dans l’aula conciliaire, le 22 octobre 1964, n’avait pas fait une bonne impression dans les cercles de la «majorité conciliaire» (cf. AS III, V, pp. 318-321). Suenens avait pourtant une certaine sympathie pour Heenan qui avait été directeur diocésain de la Légion de Marie. 76.  Archives C.E.B. 11, 2. 77.  La Croix, 2 août 1968. 78.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1414-1416. 79.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1451.



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«Présentation de l’encyclique Humanae vitae», document confidentiel d’une page rédigé le 1er août par C. Moeller80. De plus il est en correspondance avec plusieurs évêques, prêtres et théologiens: – Dès le 29 juillet, Mgr Delhaye lui avait fait parvenir ses Remarques publiques et … privées (12 p. manuscrites écrites un peu ab irato)81. – Suenens entretient aussi une correspondance suivie avec Mgr Butler, ami du temps de Concile82. Le 29 juillet, Butler écrit à Suenens qu’à son avis l’encyclique n’est pas infaillible. Or il craint que le silence de l’épiscopat – comme après Casti connubii – ne soit interprété comme un assentiment au magistère. C’est pourquoi il demande l’avis de Suenens: «at this time of very great crisis», n’est-il pas nécessaire d’écrire au pape? Le 6 août, n’ayant pas encore reçu de réponse, Butler répète sa demande …it is desirable that bishops who do not think that the recent Encyclical is a final answer to the problem of contraception should be able, acting together if possible, to register the fact of their opinion. I do not want theologians later on to be able to argue that the «ordinary magisterium» of the episcopal college endorsed the Encyclical. I think that the silence of the bishops, or their acquiescence after Casti connubii was a disaster. 80.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1441-1442. L. Declerck était en vacances à Volterra (Italie) quand, le matin du 30 juillet, il apprit par les journaux que l’encyclique était publiée. Il décida de rentrer en Belgique mais en rendant d’abord visite à Rome à C. ­Moeller, sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et ami du temps du Concile. Moeller lui fit savoir à ce moment que l’encyclique n’était pas infaillible («Le texte est parti d’ici – de la Congrégation – avec la mention infallibili magisterio et il est retourné de chez le pape qui a lui-même barré la mention infallibili et a mis authentico»). Moeller promit également de rédiger un texte bref pouvant être utile pour la présentation de l’encyclique, promesse qu’il exécuta le 1er août. Dans la carte de visite, qui accompagnait cette présentation de l’encyclique, il y avait ce mot qui trahit son état d’esprit: «Ecco qui la tentativa della mia Littera Encyclica dove le ‘mini gonne’ sono permesse! Avec mon amitié» (c’était la période – 1968 – où les gendarmes pontificaux refusaient l’entrée à la basilique de Saint-Pierre aux femmes en minijupes). 81.  Dans sa lettre d’accompagnement (adressée à R. Ceuppens), Delhaye ne mâchait pas ses mots: «Je puis difficilement comprendre comment le Saint-Père a pu ainsi faire fi de l’opinion de tant d’évêques exprimée au Concile ou après. Pour la Commission pontificale, il y a un camouflet caractérisé … Ne faut-il pas appliquer le mot de St Paul: ‘Date locum irae’ … Aucun raisonnement de l’encyclique ne parvient à emporter la conviction à ce sujet parce que le document, par dessus le Concile, revient à la nature purement biologique» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1439-1440). 82. Dom Basil Christopher Butler (1902-1986) o.s.b., converti de l’anglicanisme, excellent théologien, abbé de Downside, membre de la commission doctrinale à Vatican II, évêque auxiliaire (du cardinal Heenan) de Westminster en 1966. Pour la correspondance, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1592-1595.

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Le 8 août, il remercie pour la réponse de Suenens qui lui a conseillé de ne pas écrire au pape (cette réponse n’est pas conservée dans les archives). Butler serait heureux de rencontrer le cardinal vers le 1er septembre. Il lui conseille de lire l’article de Michael Richards, publié dans The London Times du 8 août. Le 19 août, Suenens répond qu’il accueillera bien volontiers Butler à Bruxelles le 1er septembre et il demande de lui envoyer copie de l’article de Richards. – Suenens est aussi informé par des amis américains notamment par le Père A. McCormack, qui était attaché à la commission pontificale Justitia et Pax à Rome83 (lettres du 1er août, du 17 août et du 22 août84). Le Père lui donne des informations sur la situation aux États-Unis et sur les réactions d’évêques et de moralistes américains. – F. Houtart (qui se trouve à Bogota) envoie copie à Suenens de sa lettre de protestation à Marty, pour sa déclaration du 1er août, et il donne en même temps quelques réactions de l’Amérique latine85. – Entre-temps des protestations du Centre National de Pastorale Familiale et d’autres milieux d’Action catholique en Belgique commençaient à affluer. En résumé, en dépit des critiques vis-à-vis de son absence dans ces semaines cruciales86, on doit reconnaître que le cardinal a été un excellent tacticien. Étant en «vacances» il a évité de faire des déclarations prématurées – comme plusieurs de ses collègues – ou de jouer cavalier seul. Il s’est informé soigneusement de la position d’autres évêques et moralistes. Il a su garder le contact avec le pape. Il a pris contact avec Döpfner, Heenan, Butler et avec les secrétariats des conférences épiscopales de France et des Pays-Bas. Et puis il a mis au travail des moralistes et théologiens belges de haut niveau pour préparer une déclaration de l’épiscopat belge. Là aussi il voulait faire le jeu de la «coresponsabilité». Dès sa rentrée, le 20 août, il va se mettre au travail.

83.  Dans sa lettre du 22 août, McCormack remarque qu’il n’a pas fait de déclaration publique car autrement il aurait dû démissionner de Justitia et Pax. 84.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1630, 1663-1667. 85.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1647-1651. 86.  On disait, une fois de plus, que le cardinal, à l’instar de certains clubs de football, jouait mieux en déplacement qu’à la maison…



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III.  La préparation par les théologiens de la Déclaration des évêques belges

La première idée du cardinal était de réunir quelques moralistes autour de V. Heylen, prêtre de son diocèse en qui il avait entièrement confiance. Mais il était difficile d’ignorer la commission théologique que la Conférence épiscopale avait instituée en 1967. Celle-ci comprenait quatre évêques: Charue, Van Peteghem, Heuschen, Descamps (V. Heylen en était le secrétaire)87. Finalement le secrétariat de la Conférence épiscopale, après beaucoup d’efforts, a réussi à réunir les membres qui se trouvaient sur place et a convoqué également quelques moralistes comme Anciaux, de Locht88, Étienne, L. Janssens, Wylleman. On a décidé, le 12 août, d’appeler ce groupe une sous-commission de la commission théologique. La première réunion eut lieu au Faculty Club (lieu habituel des réunions de la commission théologique) de l’Université catholique de Louvain, le mercredi 7 août à 15h. 1.  La réunion du 7 août 1968 Étaient présents: Mgr Descamps, Philips, Dondeyne, L. Janssens, Thils, Heylen, Anciaux, de Locht, Gesché et Declerck (Delhaye, Étienne et Wylleman s’étaient excusés). Selon le rapport officiel89, rédigé par V. Heylen, les membres ont commencé par un tour d’horizon des réactions dans divers milieux. Ils constatent que l’ensemble des réactions est peu favorable à l’encyclique et qu’elle est troublante pour la conscience d’un très grand nombre de personnes loyalement fidèles à l’Église. L’effet pratique du texte pontifical ne sera que fort réduit et on risque une crise profonde de la foi chez un certain nombre d’entre eux. Les membres examinent ensuite différents points: (a)  La compétence pontificale On s’étonne de voir que le pape se soit réservé une question aussi importante alors que, dans cette question, il aurait été opportun de faire 87.  Il est probable que le cardinal redoutait le conservatisme de Van Peteghem, la position classique de Descamps et la modération de Charue. 88.  Sur les deux réunions de la commission théologique voir aussi P. de Locht, Autour de l’Encyclique «Humanae vitae», dans C. Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 285-290 (de Locht date la 1ère réunion du 6 août au lieu du 7. De même, il donne une liste des participants légèrement différente de la liste conservée aux Archives C.E.B.). 89.  Archives C.E.B. 11, 4.

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appel à la collégialité des évêques et au sens des membres du peuple de Dieu ayant une expérience de la vie conjugale. Sans prétendre que le pape, par son isolement, peut se placer en dehors de sa fonction pontificale (comme l’avait prétendu H. Küng dans Strukturen der Kirche), il importe extrêmement que l’exercice de son pouvoir n’atteigne pas un degré d’isolement tel qu’il entraîne une contestation radicale. La matière traitée réclame plus de fondements que ceux qui sont présentés dans l’encyclique. La foi demeure en effet toujours un acte de raison et, dans des domaines relevant davantage de la raison que de la révélation, elle suppose une argumentation valable. Celle-ci ne peut être remplacée par une invocation de l’inspiration ou de l’assistance divine du pape seul. Une telle invocation, appliquée largement à la doctrine catholique, risquerait de la faire sortir du rationnel (et on tomberait dans le modernisme qui considère la foi comme un pur sentiment). (b)  La portée d’un document non infaillible Un document non infaillible se prévaut de la juste autorité du pape, pasteur suprême, mais ne détruit pas le prestige et la valeur du discours d’autres docteurs dans l’Église. L’autorité pontificale est toujours un argument qui mérite égard, respect et soumission, mais il n’est pas nécessairement une raison unique et exclusive pour l’esprit humain. Certes l’insuffisance des raisons invoquées par une autorité n’infirme pas cette autorité, mais des raisons plus pertinentes peuvent venir contester une loi énoncée, surtout lorsqu’il s’agit d’éléments naturels et concernant l’action concrète. Il n’est donc pas impossible que des hommes compétents arrivent à des conclusions radicalement opposées à celles du pape. S’ils ne peuvent pas se rallier à la vérité proposée et sont certains en conscience de la vérité trouvée, ils sont obligés de suivre leur conscience. Il importe de noter également que, selon une interprétation classique, une loi ne tient plus lorsqu’un usage contraire raisonnable s’installe de manière générale. Analogiquement le «consensus populi Dei» (fidèles et évêques) ou le «dissensus» concernant une doctrine constituent un critère de poids pour le croyant. Le rapport fait également certaines réserves sur le concept de la nature invoqué dans le texte, sur certains abus cités et aussi sur le recours défectueux au Concile. (c)  Les problèmes pastoraux Il faudra présenter une pastorale très différente pour les enthousiastes, pour les indifférents, pour ceux qui trouvent l’idéal impossible et refusent



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de le suivre et enfin pour ceux qui rejettent les arguments (nature, abus, autorité). Ce rapport officiel ne trahit cependant pas la vivacité des discussions qui se sont déroulées. Les notes manuscrites de L. Declerck peuvent témoigner de cette vivacité90. De même, l’article de de Locht présente des accents différents à ce propos. Dans une conversation avec Grootaers, le 10 septembre 1968, Philips a rapporté qu’au début de la réunion les théologiens étaient si indignés qu’ils voulaient publier une réaction unanime de protestation. Philips s’est cependant opposé catégoriquement à une telle réaction. C’est ainsi que tout le monde a finalement demandé à Philips un projet de texte à discuter lors de la réunion suivante, le 12 août91. Dès le 8 août, Philips envoie au secrétariat de la Conférence épiscopale un texte intitulé «Éléments pouvant servir à la rédaction d’une brève déclaration de l’épiscopat belge à propos de l’encyclique Humanae vitae»92 en demandant de polycopier ce texte pour la réunion de la commission théologique. Le même texte a été envoyé à Heylen pour examen et, le 11 août, Heylen envoie certaines corrections à Philips et à L. Declerck93. Ce premier texte (4 pages dactylographiées) contient déjà la structure et pratiquement tous les éléments essentiels de ce qui deviendra plus tard la Déclaration des évêques belges. Son originalité (lorsqu’on le compare aux déclarations des autres épiscopats) est d’examiner la portée doctrinale de l’encyclique et de poser la question de savoir jusqu’à quel point les fidèles sont tenus d’accepter et d’observer les prescriptions édictées par le pape. Il rappelle les principes universels reconnus en la matière, à savoir l’autorité du magistère dans les affaires de foi et de mœurs, et il applique ces principes à une déclaration non infaillible du pape. Il permet ainsi de délimiter la valeur exacte de l’encyclique mais aussi son caractère relatif. Il va sans dire que Philips, le rédacteur principal de Lumen gentium, connaissait parfaitement cette matière et que ses affirmations ne pouvaient pas être contestées, même à Rome. 90.  Archives C.E.B. 11, 4. 91. Cf. Diarium Grootaers, Cahier 78bis. L. Declerck se rappelle que Philips, lors de la réunion, a fait une violente sortie contre un article du Prof. J. Ghoos, paru dans De Standaard. Ghoos avait sévèrement critiqué l’encyclique en commençant par déclarer: «Je n’ai pas encore pu lire le texte». Philips disait: «Qu’est-ce que nous apprenons à l’université à nos étudiants sinon qu’avant d’émettre un jugement, il faut d’abord avoir lu le texte?». Et il ajouta: «Ghoos fait son petit pape» (Archives C.E.B. 11, 4). 92.  F. Philips, H.V., 1. 93.  F. Philips, H.V., 1 et Archives C.E.B. 11, 4.

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Il est important de noter qu’entre-temps plusieurs théologiens belges avaient rédigé des notes importantes au sujet de l’encyclique94. Signalons à ce propos: – les deux textes de L. Janssens, Over de relativiteit van de materiële normen in de moraal95 (5 p.) et Het geweten en de «interpretatie» van de natuurwet door het kerkelijk leergezag (19 p.)96. – la contribution de A. Dondeyne, Réflexions sur les controverses autour de l’Encyclique «Humanae vitae» (11 p.). – la réaction de P. Delhaye (envoyée le 13 août au cardinal), Remarques sur l’Encyclique «Humanae vitae» (10 p. manuscrites)97. – et le texte de P. Van den Berghe, professeur au Séminaire de Gand (rédigé le 13 août), Gelovig-kritisch luisteren naar de Paus98. Tous ces textes seront ronéotypés au secrétariat de la Conférence épiscopale et, à la demande du cardinal, envoyés aux évêques belges de même qu’à d’autres évêques (notamment Alfrink, Döpfner, Heenan, König)99. 2.  La réunion de la «sous-commission» de la commission théologique le 12 août 1968100 (de 10h à 13h) Mgr Heuschen, Mgr Descamps, Philips, Dondeyne, Thils, Delhaye, Heylen, Janssens, Étienne, Anciaux, de Locht, Declerck étaient présents tandis que Mgr Charue, Mgr Van Peteghem, Onclin et Wylleman s’étaient excusés. Le rapport est fait par V. Heylen. On suggère initialement de rédiger trois documents au nom de l’épiscopat belge: une lettre au Saint-Père; une déclaration sur l’encyclique et des directives pastorales aux prêtres (on forme à ce propos un groupe de 94.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1452, 1454, 1433, 1457. 95.  Sur la relativité des normes matérielles en morale. 96.  La conscience et l’interprétation de la loi naturelle par le magistère ecclésiastique. 97.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1455-1457. Le texte de Delhaye reprend en gros, mais de façon plus académique et plus structurée, ce qu’il avait écrit déjà au cardinal le 29 juillet (cf. supra). Dans sa lettre d’accompagnement, Delhaye était très positif sur la 2ème réunion à Louvain: «Au milieu de tant de tristesses actuelles, ce fut une joie pour moi d’assister hier à Louvain à une réunion de la sous-commission théologique … Nous y avons discuté et mis au point un texte vraiment remarquable de Mgr Philips…». Et il ajoute encore: «Faudra-t-il que les théologiens en arrivent aux barricades du Quartier latin [allusion aux émeutes à Paris en mai 1968]? À juger par l’ardeur belliqueuse des confrères retrouvés hier, cela ferait un beau feu d’artifice». 98.  Écouter le pape de façon croyante et critique (Archives C.E.B. 12, 5). 99.  Archives C.E.B. 11, 3; F. Suenens, B.C. et H.V., 1432, 1434. 100.  Pour le texte de ce rapport officiel, cf. Archives C.E.B. 11, 4.



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travail comprenant Heylen, Janssens, Anciaux et de Locht). Mais pratiquement toute la réunion fut consacrée au projet de déclaration des évêques et donc à l’examen du texte rédigé par Philips. Philips explique le principe à la base de sa rédaction: il s’agit de présenter aux fidèles le document dans le cadre d’une théologie communément admise sur l’autorité du magistère pontifical et sur le droit des consciences prudentes. Cette base paraît la seule incontestable et sans ambiguïté. Demeurant objective, elle permettra une saine évolution (quel qu’en soit le sens). La rédaction est faite avec le souci de respecter (et de faire respecter) aussi bien l’autorité du magistère que les consciences justement formées, tout en invitant à une recherche toujours plus approfondie et à des attitudes fraternelles entre chrétiens. On parcourt ensuite de façon systématique le texte et dix-sept suggestions ou corrections sont acceptées. Mgr Philips promet en conséquence de revoir son texte et de le faire parvenir aux évêques pour une première évaluation101. Le même soir L. Declerck informe le cardinal via son secrétaire, W. Brieven, sur le déroulement et l’issue de la réunion102. W. Brieven transmet ces documents au cardinal le 15 août en signalant que le secrétariat de la Conférence demande de ne rien précipiter afin de pouvoir mieux préparer la réunion de la Conférence épiscopale, prévue pour le 30 août103. Dès le 13 août, Philips envoie le texte corrigé «Schéma pour une déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae»104 au secrétariat de la Conférence épiscopale. Et le 14 août L. Declerck transmet à tous les évêques ce nouveau Schéma105. 101.  À partir de ce moment tous les projets seront rédigés dans les deux langues nationales. En effet, les évêques flamands avaient appris à leurs dépens le danger d’approuver le texte français sans contrôler la version néerlandaise. Les nuances (qui étaient parfois de vraies différences) de la traduction de la Déclaration du Pouvoir Organisateur sur l’avenir de l’Université catholique de Louvain (datée du 13 mai 1966) leur avaient été reprochées et avaient constitué une leçon pénible. 102.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1453. Le soir du 12 août L. Declerck informe aussi son évêque, Mgr De Smedt, qui avait déjà reçu le texte le soir du 10 août (Archives C.E.B. 11,3). 103.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1460. On avait d’abord pensé à réunir la Conférence épiscopale le 30 août, mais sous la pression des événements, la réunion a été avancée. C’est grâce à de nombreux coups de téléphone (notamment au Grand-Duché de Luxembourg, à Annecy, à Lourdes) que la date du 23 août a pu être trouvée. Dès le 19 août Mgr Descamps écrit cependant qu’il ne peut pas assister à cette réunion du 23 août (Archives C.E.B. 11, 8). 104.  Pour les corrections manuscrites apportées par Philips et la version néerlandaise faite par Philips, cf. F. Philips, H.V., 1 et pour le nouveau texte ronéotypé, voir Archives C.E.B. 11, 6. 105.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1458-1459.

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IV. Première réunion de la Conférence épiscopale, le 23 août 1968 1.  Préparatifs immédiats À peine rentré de Nice le 20 août, le cardinal reçoit, l’après-midi même, L. Declerck qui lui transmet un premier échantillon des réactions au texte de Philips venant des évêques de Gand, Liège, Tournai, Anvers et de Bruges106. Il donne au cardinal l’adresse de Prignon, en vacances en Suisse, et lui fait savoir que Philips et Heylen sont disponibles tandis que Delhaye ne rentrera que le 22 août. Plusieurs évêques avaient fait des remarques écrites sur le «Schéma» de Philips. Parmi ces remarques citons: – celles de Mgr De Smedt107 qui souscrivait cependant à la teneur du texte. – et les corrections du cardinal lui-même qui avait, à plusieurs reprises, relu le texte et l’avait annoté avec l’aide d’Anciaux, Heylen et Philips108. Outre plusieurs clauses de style, le cardinal avait légèrement accentué l’ouverture du texte et ajouté la citation de St Thomas d’Aquin au sujet du droit de suivre sa propre conviction, sous certaines conditions (Ia IIae q. 19, a. 5). Le soir du 22 août, Suenens – qui avait fait revenir Prignon de Suisse et l’avait invité à loger chez lui – a tout repris avec lui en discutant de 6 heures à 10-11 heures du soir. Prignon affirme également – sur base d’une photocopie – que le texte initial de l’encyclique portait: «Nous déclarons ceci de notre autorité infaillible» mais que le pape avait biffé de sa main cette mention pour mettre: «Nous déclarons ceci d’une 106.  Réactions surtout recueillies par téléphone, lors de la recherche d’une date pour une réunion de la Conférence épiscopale (23 août). Mgr Van Peteghem a protesté contre la composition unilatérale de la «sous-commission» de la commission théologique [Il est vrai que, sur instigation du cardinal, plusieurs moralistes avaient été adjoints à la commission théologique, et ceux-ci étaient tous des partisans de l’ouverture]. L’évêque de Gand annonçait que, au besoin, il publierait une déclaration en son propre nom. Mgr van Zuylen émettait également des réserves et était d’avis qu’il fallait écrire également un mot d’hommage au pape et lui manifester l’acceptation de l’encyclique. Mgr Daem, tout en étant d’accord avec le texte de Philips, désirait qu’on exprime mieux l’attachement des évêques au pape. Il se déclare également prêt à téléphoner à Van Peteghem [pour le calmer?] (Archives C.E.B. 11, 2). 107.  Archives C.E.B. 11, 9. 108.  Le cardinal a d’abord fait des notes manuscrites sur le texte (F. Suenens, B.C. et H.V., 1463), puis le texte a été dactylographié à Malines (Archives C.E.B. 11, 7) et sur ce texte le cardinal a de nouveau apporté des corrections (Archives C.E.B. 11, 7). Sur le même document certaines remarques manuscrites sont du cardinal; d’autres de Philips, ce qui prouve qu’ils ont examiné le document ensemble.



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manière authentique». Prignon a transmis cette information le lendemain à la réunion des évêques. Le cardinal a également parlé à Prignon – mais confidentiellement – de la lettre du pape du 9 août109. Le 22 août, Mgr Van Peteghem avait écrit une nouvelle lettre au cardinal pour manifester son désaccord avec le projet Philips du 14 août. Il joignait à cette lettre son propre projet de déclaration110. Dans ce projet, l’évêque de Gand approuvait chaleureusement l’encyclique et, à l’encontre de Philips, il limitait sévèrement les possibilités d’émettre une opinion discordante de celle du pape. Cette réaction laissait présager une discussion serrée (qui aura effectivement lieu le 30 août) sur la question de savoir quelles sont les personnes compétentes en la matière, capables de se former un jugement autorisé différent de celui du pape. Pour Philips ces personnes n’étaient pas tenues de conformer leur intelligence et leur volonté à la prescription édictée. Pour Van Peteghem, au contraire, elles devaient soumettre leur opinion et leurs objections au pape. Le soir du jeudi 22 août, les nouveaux textes de Philips furent ronéotypés au secrétariat de la Conférence épiscopale pour être distribués le vendredi matin à la conférence (où le cardinal avait invité Philips, Heylen et Prignon). Signalons que le matin du 23 août, le cardinal a fait téléphoner aux maisons de religieuses contemplatives de son diocèse (quatre Carmels et des Rédemptoristines) pour demander de se mettre en prière pour une réunion extrêmement importante111. 2.  La journée du 23 août (a) Le rapport officiel ronéotypé de la réunion ne comporte qu’une demi-page. Il relève la présence de tous les évêques diocésains et auxiliaires sauf celle de De Smedt, Schoenmaeckers, Musty et Descamps. (Il mentionne aussi la présence de Philips, Heylen et Prignon, invités du cardinal).

109.  Selon la transcription (9 p.) d’une bande magnétique, intitulée «Note au sujet de la préparation de la Déclaration des Évêques belges sur Humanae vitae», où le cardinal donne sa version sur la journée du vendredi 23 août (F. Suenens, B.C. et H.V., 1483, pp. 1-2). Ce texte n’est pas daté, mais il a été dicté le 24 août (à la p. 2, le cardinal parle de «notre journée d’hier vendredi»). 110.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1466-1467. Ce texte arriva cependant trop tard pour que Philips puisse en tenir compte dans la nouvelle rédaction destinée à la discussion du 23 août. 111.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1483, p. 2 et 1478 (lettre de la prieure du Carmel de Louvain informant que la communauté s’est mise en prière à l’appel du cardinal).

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Le rapport rappelle qu’un premier projet de texte a été rédigé par un groupe de théologiens, réuni à la demande du cardinal. Un second projet amendé est présenté par Philips. C’est ce texte qui est discuté pendant toute la réunion. Différents changements sont proposés et acceptés. Les évêques demandent à Philips de bien vouloir élaborer le nouveau texte et de leur envoyer pour le lundi suivant. Ils pourront ainsi faire des amendements et le tout sera réexaminé le 30 août112. (b) Les notes manuscrites (6 p.) de L. Declerck sont plus explicites et permettent de reconstituer le déroulement de la réunion. Le cardinal ouvre la discussion en remarquant que le texte soumis a déjà tenu compte des amendements des évêques et qu’il ne s’agit pas d’une lettre pastorale à lire en chaire. Le cardinal propose ensuite que Philips présente le texte et qu’on en fasse la lecture pour recueillir les réactions. Philips intégrera ces réactions dans le texte, comme il l’a fait si souvent au Concile. Philips prend alors la parole. Il commence par s’excuser auprès de Mgr Van Peteghem de ne pas avoir tenu compte de ses remarques faute de les avoir reçues à temps. Les principes du texte sont: (i) Ne rien dire qui ne soit pas parfaitement exact au point de vue dogmatique. Tout doit pouvoir être justifié de ce point de vue. (ii) Maintenir intégralement l’autorité pontificale. (iii) Tenir compte des difficultés réelles dans lesquelles se trouvent la population et les intellectuels. (iv) Éviter de donner l’impression que l’épiscopat fait complètement volte-face, ce qui paraîtrait anormal. Philips retrace enfin la genèse du texte. Il rappelle qu’il y a eu deux réunions avec les théologiens. Il précise que le texte représente le maximum de ce qu’il a pu obtenir et que les théologiens ont donné leur accord. Il a reçu dans la suite quelques réactions des évêques sur son «Schéma», 112.  Archives C.E.B., Rapports des réunions de la Conférence épiscopale, 23 août 1968. Ce rapport (rédigé après coup) donne l’impression que la réunion du 30 août a été décidée en fin de réunion. Les choses sont plus complexes. Le cardinal avait espéré que les remarques des évêques auraient été intégrées par Philips sans autre discussion ni réunion. Ce n’est qu’après avoir reçu le texte remanié de Philips (en fait le troisième projet, portant le titre «Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae») que plusieurs évêques ont exigé une nouvelle réunion de la Conférence épiscopale, celle qui a eu lieu le 30 août.



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ce qui l’a amené à faire une nouvelle rédaction. Il préfère cependant écouter les réactions des évêques de vive voix. Il conclut qu’il ne faut pas espérer arriver à un texte qui puisse satisfaire pleinement tout le monde. Après cette présentation, Heylen lit le texte paragraphe par paragraphe. Chaque fois il y a discussion. Philips essaie ensuite de tirer les conclusions113. De cette conférence, L. Declerck garde principalement deux souvenirs: Il se rappelle d’abord la vive tension qui était perceptible entre les évêques et l’extrême sérieux qui régnait à la conférence surtout durant l’avant-midi114. Les évêques étaient conscients de leur grande responsabilité. En tant que pasteurs, ils voulaient bien sûr rester en communion avec le pape, mais, par ailleurs, ils étaient fort préoccupés des graves problèmes que l’encyclique posait tant aux familles qu’aux intellectuels et aux théologiens. Il se souvient également de la «maestria» de Philips. Non seulement le professeur de Louvain connaissait parfaitement sa matière, mais il présentait son texte avec habileté, écoutait tout le monde, tirait des conclusions et était capable après dix minutes de discussion de formuler des solutions de rechange sur lesquelles tout le monde s’accordait. C’était vraiment le tout grand Philips de la commission doctrinale du Concile. Inutile d’ajouter qu’après une pareille journée, le meneur du débat (qui souffrait d’une grave maladie cardiaque) était complètement épuisé. (c) De son côté, le cardinal a donné sa version de la réunion115. Donc, séance qui s’ouvre avec deux tendances: la tendance que je pourrais résumer comme ceci: Roma locuta est, causa finita est, l’autre tendance que je résumerais dans cet autre adage: Amicus Plato sed magis amica veritas…116. Dans la première catégorie il classe Tournai [Mgr Himmer] «qui 113.  Pour ces amendements, voir les notes de L. Declerck et les ajouts manuscrits faits sur le texte par Philips (F. Philips, H.V., 1). 114.  Une anecdote permet d’illustrer l’atmosphère tendue. À midi, à table, pour changer de sujet, Mgr van Zuylen disait au cardinal: «Les Tchécoslovaques sont quand même bien courageux, n’est-ce pas Éminence?» [Les troupes du Pacte de Varsovie avaient écrasé le «Printemps de Prague» par une invasion brutale dans la nuit du 20 au 21 août]. Du tac au tac, Mgr De Keyzer, auxiliaire de Bruges, esprit fin, espiègle et légèrement frondeur, ajouta: «Bien plus courageux que nous». Mgr van Zuylen n’a guère apprécié cette remarque. 115.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1483, pp. 3-6. Nous citons presque ad litteram le texte de Suenens. 116.  À la page 6 du texte, Suenens appelle ces deux tendances d’une autre manière: il y a les «évêques-évêques, assumant leurs responsabilités» et les «évêques zouaves pontificaux».

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était particulièrement peu au fait de toutes les conséquences, qui voyait cela dans une perspective extrêmement étroite. Très étroit également Gand [Mgr Van Peteghem] … Étroit aussi: Anvers [Mgr Daem] mais louvoyant ici ou là. Fifty fifty: Namur [Mgr Charue], qui se gardait bien de dire, je crois, ce que dans le tréfonds il devait penser, mais dont chaque intervention allait cependant dans le bon sens, de sorte qu’on pourrait le considérer comme étant du côté des magis amica veritas. Alors, nettement amica veritas, Hasselt [Mgr Heuschen]), l’adjoint [= l’auxiliaire] de Bruges [Mgr De Keyzer] … . L’adjoint de Namur [Mgr Musty] est arrivé plus tard: il était également dans notre ligne. L’adjoint de Tournai [Mgr Samain] également dans notre ligne … Liège [Mgr van Zuylen], de l’autre côté, donc Roma locuta est, avec une brusque ouverture pastorale qui était assez utile au moment où les choses fondamentales étaient presque au point.

Le cardinal, une fois n’est pas coutume117, fait ensuite un éloge presque dithyrambique de Philips: Il [Philips] a fait un discours d’ouverture qui était magistral. Magistral de psychologie par rapport à ce bloc dur qu’il avait devant lui, magistral à force de répéter que, eux théologiens n’avaient absolument rien à dire et que c’était évidemment les évêques qui, eux devaient décider118 … Lorsque nous sommes arrivés au bout de nos peines, Philips a résumé tous les desiderata … a demandé qu’on lui fasse crédit pour la rédaction finale et il a fait alors un discours pathétique pour dire combien il croyait que c’était une heure importante dans notre histoire, combien il était reconnaissant d’avoir pu aider à former ce ralliement autour d’un texte qu’il déclarait ne pas être parfait et qu’il invitait tout le monde à ne pas le considérer comme le dernier mot mais comme étant la meilleure chose à dire dans les circonstances … J’ai remercié Philips avec émotion. Lui-même avait les larmes aux yeux; moi-même j’ai dû m’arrêter une seconde par l’émotion mais c’était vraiment, je crois la toute grande journée. Je crois que l’on peut dire: nous avons sauvé l’honneur. 117.  Philips, de cinq ans l’aîné de Suenens, avait connu ce dernier comme étudiant au Collège belge. Mais, à partir de 1947, Suenens, alors évêque auxiliaire de Malines, a commencé à prôner la Légion de Marie, parfois à l’encontre de l’Action catholique spécialisée, dont Philips était le responsable principal en Flandre. En conséquence, les relations entre les deux hommes s’étaient refroidies. De plus Philips n’hésitait pas à critiquer certains livres de Suenens (et à le lui écrire). Il en déplorait – surtout en mariologie – le caractère dévotionnel. Dans son «Journal» (Cahier XII, p. 64), Philips note simplement le 16 juin 1969: «J’ai écrit le texte de base pour l’épiscopat belge sur Humanae vitae. Je savais qu’à Rome cela serait malvenu, mais du point de vue doctrinal c’était incontestable». 118.  Pendant le Concile, le P. Congar avait fait la même constatation: «Il [Philips] parsème son exposé de ‘si Patres velint’, qui donnent l’impression qu’on décide librement, mais réellement il mène les Pères où il veut. Il a toujours une solution prête. Quand la discussion s’est épuisée en vain, il la propose candidement, sans surtout l’imposer. Presque toujours elle est adoptée» (Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, II, p. 55).



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Prignon de son côté a raconté à Grootaers: Dans son discours de conclusion Philips fut éblouissant. Tous les évêques étaient très émus et Philips l’était aussi. Philips a dit: nous nous trouvons devant deux intérêts supérieurs: d’une part, le respect dû au pape et d’autre part, le respect dû à la vérité; nous ne pouvons sacrifier ni l’un ni l’autre mais en aucun cas, nous ne pouvons manquer à la vérité; en adoptant ce projet vous faites une très grande chose et l’unanimité de notre épiscopat est une valeur très précieuse dans les circonstances présentes119.

(d) Les principales modifications introduites par Philips après les délibérations des évêques du 23 août120: – Addition: dans un premier paragraphe, les évêques déclarent accueillir la lettre du Saint-Père avec un respect filial, telle qu’il l’a écrite et dans le sens qu’il lui a donné. – Addition: à la suite, les évêques constatent que la position-clef de l’encyclique revient à l’affirmation d’une «jonction indestructible entre l’union et la procréation»121. – Atténuation: les évêques ne disent plus explicitement que Humanae vitae ne revendique pas l’infaillibilité, mais ils continuent à distinguer nettement les énoncés infaillibles et les documents qui ne le sont pas. – Atténuation: au n. 4, les évêques ont remplacé le passage: «il n’est pas tenu de conformer son intelligence et sa volonté à la prescription édictée», par l’affirmation du droit à suivre sa conviction. Ils ont ajouté, à ce propos, une référence à la Déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae, n. 2) après la référence à St Thomas. – Changement: toujours au n. 4, les évêques ont remplacé l’incise: «tout en étant disposé à s’acquitter du noble ministère de transmettre dignement la vie (Gaudium et spes, n. 51) et à continuer ses recherches dans un esprit excluant le relativisme et le subjectivisme, caractéristiques d’une pure morale de situation», par une phrase plus brève: «pourvu qu’il reste disposé à continuer loyalement ses recherches». – Addition: au n. 5, les évêques ajoutent après la phrase: «…l’Église leur demande de chercher avec loyauté la manière d’agir qui leur permettra d’adapter leur conduite aux normes données», le texte suivant: «S’ils n’y parviennent pas d’emblée, qu’ils ne se croient pas pour autant séparés de l’amour de Dieu». 119.  Diarium Grootaers, Cahier 71. 120.  Il suffit de comparer les deux textes, cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1468 et 1469. 121.  Cette formule peu précise a été remplacée dans le texte définitif par: «son affirmation fondamentale présente l’union des époux et la procréation comme deux aspects indissociables».

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– Changement: au n. 1 de la dernière partie, les évêques ont remplacé la phrase: «sans qu’on doive supposer chez celui qui ne le perçoit pas, une mauvaise disposition délibérée» par la phrase suivante: «sans qu’on puisse de ce fait supposer chez ceux qui ne le perçoivent pas, une recherche égoïste ou hédoniste». En résumé, les évêques ont donné un ton plus pastoral au document, mais ils ont gardé intact le contenu doctrinal du texte tel que Philips l’avait formulé. Le secrétariat de la Conférence épiscopale avait mandat de transmettre ce nouveau texte aux évêques le lundi 26 août. Ceux-ci pouvaient joindre à leur approbation définitive certaines observations que l’on chercherait, dans la mesure du possible, à intégrer dans le texte. Mais malgré son optimisme après la réunion122, le cardinal n’était pas encore au bout de ses peines. Il allait bientôt devenir évident que le texte devait poursuivre son calvaire… V. Deuxième réunion de la Conférence épiscopale, le 30 août 1968 1.  Le troisième projet et les réactions des évêques (a)  Après la conférence du 23 août, Philips s’est mis tout de suite au travail123 et le «troisième Projet»124 a pu être envoyé aux évêques à la date prévue. Les évêques ont réagi immédiatement mais plusieurs ont exigé une nouvelle réunion de la Conférence épiscopale. Le 28 août, L. Declerck transmet au cardinal les «Remarques sur le troisième projet de texte» (11 p. pour les textes français et néerlandais) ainsi que le quatrième projet de texte. Celui-ci sera distribué en séance aux évêques le 30 août125. (b)  Examinons les remarques transmises par les évêques au Secrétariat126. À l’exception de De Smedt, qui était en Amérique latine et de Descamps, on a gardé les observations du cardinal et des autres évêques: Van 122.  Le 25 août, le cardinal écrit dans son Journal: «Le texte paraîtra demain: à la grâce de Dieu!» (F. Suenens, B.C. et H.V., 1401). 123.  Cf. notamment ses notes manuscrites (F. Philips, H.V., 1). 124.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1469. 125.  Archives C.E.B. 11, 3 et F. Suenens, B.C. et H.V., 1471 et 1474. 126.  Le document «Remarques sur le 3ème Projet de texte» ne permet pas d’identifier l’auteur de chaque observation. Mais dans les archives de la Conférence épiscopale on a conservé les lettres des évêques et les notes des conversations téléphoniques.



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Peteghem, De Kesel, Daem, Charue, Musty, Heuschen, van Zuylen, De Keyzer, Himmer et Samain, Van Waeyenbergh, Schoenmaeckers. On constate aussi que van Zuylen et Himmer ont eu des contacts entre eux avant de donner leur réponse127. La plupart des corrections proposées sont de style (plusieurs évêques flamands demandaient un style plus clair); quelques-unes sont des ajouts pastoraux (notamment au sujet de la responsabilité des prêtres qui doivent conformer leur enseignement à la doctrine de l’encyclique – remarque de van Zuylen et aussi de De Kesel). D’autres corrections concernent des points de doctrine: – Himmer demande d’ajouter (p. 4, l. 19) après: «les époux qui doivent en décider devant Dieu», «Dans le cas présent ils ne pourront le faire sans tenir compte en premier lieu, s’ils sont chrétiens, des directives de l’encyclique». Remarque analogue de van Zuylen. – Van Peteghem manifestait son désaccord avec le texte et il envoyait deux corrections, présentées comme conditions sine qua non de son approbation128. (i) À la p. 3, n. 4 il fallait écrire: «Si quelqu’un compétent en la matière et capable de se former devant Dieu un jugement personnel bien établi, arrive après un examen scientifique sérieux à d’autres conclusions, il est en droit de suivre en privé sa conviction et entre temps de soumettre à l’autorité ecclésiale cette conviction, pourvu qu’il reste disposé à continuer loyalement ses recherches. Celui qui n’est pas compétent en la matière, doit se tenir aux directives de l’Église. Toutefois, il est possible que la conscience erronée mais de bonne foi, puisse constituer exceptionnellement une norme légitime d’agir, comme St Thomas l’a enseigné (Ia IIae q. 19 a. 5)»129. (ii) À la p. 4, n. 2 il fallait ajouter deux incises: «la dernière règle pratique est dictée par la conscience dûment éclairée, c’est-à-dire une conscience formée par les normes objectives» et «le jugement sur l’opportunité d’une nouvelle transmission de la vie appartient en dernier ressort aux époux eux-mêmes qui doivent en décider devant Dieu, en tenant compte des directives de l’Église».

127.  Archives C.E.B. 11, 13. 128.  Ces observations, faites d’abord au téléphones, ont été confirmées par courrier express. 129.  Original en néerlandais, traduction de L. Declerck.

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(c)  L’attitude de Van Peteghem rendait une nouvelle réunion inévitable d’autant plus que van Zuylen et Daem posaient la même exigence. En outre, Mgr Daem voulait une réunion sans experts. Il craignait en effet que ceux-ci gênent la liberté des évêques et il notait que Heylen, «qui ne sait pas se taire», avait précédemment révélé les manœuvres qui s’étaient déroulées en coulisses. Il était également d’avis que la conférence des évêques tout entière devait écrire une lettre privée au pape et pas uniquement le cardinal130. Charue, qui avait noué des rapports d’amitié avec Philips au Concile, lui a suggéré de ne plus être présent à la prochaine réunion des évêques. Il se faisait ainsi, le plus délicatement possible, le porte-parole des autres évêques. Philips aurait cependant été persuadé que Charue lui aussi se sentait freiné par sa présence131. 2.  Le quatrième projet C’est alors que Mgr Heuschen a pris à nouveau, comme pendant les dernières semaines du Concile, la relève de Philips132. Il lui a proposé de refaire le texte, avec Heylen, et de le lui soumettre avant qu’il ne soit envoyé aux évêques. C’est donc Mgr Heuschen qui a pris en main la rédaction du «quatrième Projet», dont il existe deux versions133. Quels sont les plus importantes modifications apportées dans ce quatrième Projet134? – À la p. 1, on a ajouté une déclaration de Paul VI faite en Amérique latine (le 24 août): «Elle (l’encyclique) est au fond une apologie de la vie». – À la fin de la 1ère partie, on a ajouté: «Cette réprobation par l’autorité suprême de l’Église constitue une règle de conduite pour la conscience 130.  Prignon confirme que les évêques n’avaient pas été prévenus de la présence des théologiens et n’en étaient pas contents. Il mentionne également les doléances de Daem au sujet de Heylen qui n’avait pas su se taire. Conversation de Grootaers avec Prignon, 11 septembre 1968, Diarium Grootaers, Cahier 71. 131.  Cette impression est par contre contestée par Prignon. Conversations de Grootaers avec Philips, 10 septembre 1968 et avec Prignon, le 11 septembre 1968, Diarium Grootaers, Cahiers 71 et 78bis. 132.  Heuschen écrit que Philips était découragé par la masse des amendements si divers des évêques alors qu’il croyait son texte pratiquement adopté. J.M. Heuschen, Verklaring van de Belgische Bisschoppen betreffende «Humanae vitae», texte dactylographié, sans date, 3 p., Archives Mgr Daem (Évêché d’Anvers). 133.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1472 et 1474. 134.  Nous prenons ici la 2ème version (b), qui d’ailleurs n’est pas très différente de la 1ère version (a).



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catholique, et nul n’est autorisé à en contester le caractère de soi obligatoire». – Au point 3 de la 2ème partie, on a repris l’incise précisant que Humanae vitae ne revendique pas l’infaillibilité. – Au point 4 (à propos des personnes compétentes en la matière qui arrivent à d’autres conclusions) on a ajouté «s’il arrive sur certains points», et: «il est en droit de suivre en ce domaine sa conviction». On verra que ces modifications minimes n’ont pas donné satisfaction à Van Peteghem. – Dans la conclusion on a ajouté un n° 1 concernant l’abstinence périodique et l’usage des moyens thérapeutiques: «Nous constatons que le Pape n’a pas fait d’objection, du point de vue moral à l’usage raisonnable de l’abstinence périodique. Dans nombre de cas, celle-ci procure aux époux l’occasion de réaliser d’une manière digne de l’homme, leur mission de parenté responsable et peut contribuer à l’épanouissement harmonieux de la vie familiale. L’enseignement de l’Encyclique, faut-il le rappeler, n’empêche pas l’usage des moyens thérapeutiques légitimes». Tout était donc prêt pour la réunion du 30 août. Le 29 août le cardinal note dans son Journal135: Demain, journée décisive pour notre déclaration … J’ai fait téléphoner une deuxième fois à tous les Carmels, tremblant qu’une dernière manœuvre de parcours fasse échouer ce 4ème projet. Mais il y a une lueur d’espérance très spéciale. Nous allons achever les débats aux premières vêpres de la fête de Marie Médiatrice … puisse Notre Dame de [la] Sagesse présider comme au Cénacle aux décisions.

3.  La journée du 30 août 1968 (a) Le rapport officiel de cette réunion est extrêmement succinct, ainsi que les notes manuscrites (1 p.) de L. Declerck136. On y apprend que Mgr Heuschen a présenté le quatrième Projet et expliqué les modi. Les évêques ont alors lu ce texte en silence et, durant l’avant-midi, ils ont discuté paragraphe par paragraphe le texte sous la direction de Heuschen. Ensuite les changements ont été introduits dans le texte et le secrétariat a ronéotypé un cinquième Projet. 135.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1401. 136.  Archives C.E.B., Rapports des réunions de la Conférence épiscopale, 30 août 1968.

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Dans l’après-midi on a fait la lecture de ce cinquième Projet. Quelques modifications de détail ont encore été ajoutées. Le soir le texte définitif a été arrêté. (b)  Quels ont été les changements principaux apportés au quatrième Projet? – Il y a eu d’abord une discussion très serrée entre Mgr Van Peteghem et Mgr Heuschen concernant le point 4 de la 2ème partie. En fait il y avait deux positions diamétralement opposées: Mgr Van Peteghem était d’avis que pratiquement seuls des théologiens moralistes pouvaient être compétents et donc, sous certaines conditions, en droit de suivre leur conviction. De son côté, Heuschen estimait qu’il s’agissait, non de points doctrinaux de théologie, mais de problèmes moraux concernant la vie quotidienne des couples, et il soutenait en conséquence que des époux sérieux, informés et généreux pouvaient également être considérés comme des gens «compétents»137. Après que Heuschen ait ajouté l’incise: «ce qui suppose nécessairement une information suffisante», Mgr Van Peteghem a cédé et a marqué finalement son accord138. – Mgr De Keyzer a emporté le consensus de l’assemblée pour ajouter dans la conclusion la phrase suivante: «Ils engagent les fidèles et surtout les foyers à s’accorder le soutien de la prière, l’entraide sous toutes ses formes et le respect de la conscience d’autrui en esprit de charité et de compréhension mutuelle». Pour obtenir l’assentiment des évêques il avait notamment fait usage d’un argument ad hominem en disant: Je suis certain que mon évêque, Mgr De Smedt, qui est absent aujourd’hui mais qui a été le défenseur infatigable de la liberté religieuse au Concile, serait pleinement d’accord avec cet ajout.

(c)  C’est ainsi que le texte fut définitivement approuvé et communiqué à la radio et à la presse139.

137.  Plus tard, dans ses Directives pastorales, Heuschen commentera longuement sa position (Nota voor pastorale begeleiding betreffende «Humanae vitae», dans Acta [du Diocèse de Hasselt] 8 [8.12.1968] 69-80. Cf. infra. 138.  Accord qu’il regrettera et reniera quelques mois plus tard (cf. infra). 139.  Dès le 31 août, le secrétaire du cardinal envoie le texte à Mgr Riedl, président du Collège Nord-américain de Louvain, qui avait accepté de faire la traduction anglaise du texte au collège.



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Le cardinal pouvait écrire dans son Journal, le soir du 30 août: La journée historique. Le texte sur l’Encyclique est voté: humainement c’est inespéré. J’attribue l’unanimité obtenue aux prières de nos Carmels 140, car elle relève du miracle. La majorité des évêques résidentiels étaient Vatican I, Hasselt seul141 était nettement Vatican II et moi j’étais Vatican III … En tout cas: nihil honestati praeponatur. Nous avons rempli, nous aussi devant Dieu, ce que la conscience prescrivait142.

On peut dire, en conclusion, que la tactique du cardinal Suenens a finalement porté ses fruits. Il n’a pas agi avec précipitation mais il a donné le temps à des théologiens renommés de préparer une déclaration conforme à la grande tradition théologique. En permettant à Philips de rédiger le texte et en lui demandant de le défendre devant les évêques, il a fait le bon choix: c’était probablement la seule voie possible pour convaincre les évêques d’accepter un texte qui prenait de nettes distances vis-à-vis de l’encyclique. À bon droit, Dondeyne écrit143: Plus on lit et relit la Déclaration de l’Épiscopat belge … plus on est convaincu que cette déclaration est un grand document, intelligent, nuancé et, du point de vue théologique, solidement fondé … Les évêques belges ont cru que pareille pastorale [celle de l’obéissance aveugle et inconditionnée] serait contraire à l’esprit de dialogue … Il ne serait pas difficile de montrer que le refus du dialogue et l’exigence d’une soumission aveugle ne sont pas simple140.  Le 6 septembre le cardinal remercie encore ces communautés contemplatives (F. Suenens, B.C. et H.V., 1502). 141.  Il faut tenir compte du fait que Mgr De Smedt était absent et que le jugement sur Charue devait être plus nuancé. 142.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1401. Et le cardinal note une anecdote que Mgr De Keyzer lui a raconté le jour même: «Je note ici un souvenir, raconté … par l’auxiliaire de Bruges, et qui illustre tragiquement certaines inconsciences. La scène se passe à Lourdes, au lendemain de l’Encyclique. Mgr De Smedt [qui était présent à Lourdes le 5 août pour un pèlerinage] rencontre le cardinal Martin [ancien archevêque de Rouen, membre du Secrétariat pour l’Unité et ami de Mgr De Smedt], retiré à Lourdes. Celui-ci lui dit: ‘Je viens d’envoyer un télégramme chaleureux au Saint-Père pour le féliciter de sa magnifique Encyclique, car, vous savez, je suis fils de famille nombreuse’. Réponse de Mgr De Smedt: ‘Moi aussi je suis fils de famille nombreuse … et je n’ai pas envoyé de télégramme. Car je suis bouleversé par les problèmes concrets de nos foyers. Ainsi, récemment encore, on me citait le cas d’une mère de famille nombreuse pour laquelle une nouvelle naissance serait une menace pour sa santé’. Et le cardinal Martin de s’écrier: ‘Mais qu’on lui donne la pilule, naturellement!’. Ô inconscience. Mais c’est tragique. Cela le Pape ne le saura jamais». 143. A. Dondeyne, Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique «Humanae vitae», document confidentiel ronéotypé, non daté, 6 pages (F. Suenens, B.C. et H.V., 1531). Pour le rôle de Dondeyne dans la controverse autour de Humanae vitae, cf. J. Grootaers, Een bewogen mens in een tijd van beweging, dans A. Dondeyne et al., Gelovend in de wereld, Antwerpen – Utrecht, Patmos, 1972, 101-162, notamment pp. 156-160.

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ment contraires à l’esprit de Vaticanum II mais aussi à celui de Vaticanum I, dont le souci majeur fut précisément la mise en garde contre les multiples formes de fidéisme et d’irrationalisme. C’est pour la grande gloire de l’Église Romaine d’avoir défendu partout et toujours les droits de la raison au sein d’une vie chrétienne éclairée et inspirée par la foi. Inutile de dire que ces exigences de la raison doivent être respectées de manière toute particulière, où il s’agit de l’interprétation de la loi naturelle, laquelle relève précisément de la raison humaine universelle…». Et il conclut: «La pastorale esquissée par l’Épiscopat belge dans leur déclaration… est en tous points conforme à la grande tradition théologique et, d’autre part, la seule attitude possible dans une Église post-conciliaire, qui désire prendre le dialogue au sérieux».

VI. Réactions après la Déclaration des Évêques belges (septembre – décembre 1968) 1.  Diffusion et réactions Si le cardinal n’a voulu faire aucune déclaration sur l’encyclique pendant le mois d’août, il a par contre tout mis en œuvre pour répandre la Déclaration de l’épiscopat belge le plus largement possible. – Il l’a tout d’abord communiquée à la presse non seulement de Belgique mais aussi de Hollande, de France (La Croix, Informations Catholiques Internationales, Le Figaro, Le Monde), d’Angleterre (The Times) et des États-Unis (National Catholic News Service, Religious News Service, The National Catholic Reporter144). – Puis il a fait parvenir la Déclaration aux conférences épiscopales de France, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, de Scandinavie, d’Autriche, des Pays-Bas, des États-Unis, de Rhodésie (la plupart de ces conférences enverront plus tard en retour leur Déclaration ou Statement)145. Il l’a aussi adressée personnellement à plusieurs évêques (Dearden, Pocock, Boyle, Gand, Elchinger, De Roo, Cardinale, Silva Henríquez, Sales, Rossi, Helder Camara, Hengsbach, König, Bernardin, Huyghe, Pellegrino… )146. – Il a également utilisé la Déclaration pour répondre à d’innombrables lettres provenant surtout d’associations de laïcs, de Centres de pastorale familiale, de mouvements d’action catholique. Par exemple, il a 144.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1484-1486, 1488, 1491, 1512, 1517. 145.  Un excellent aperçu des réactions des conférences épiscopales est donné dans Pour relire «Humanae vitae»: Déclarations épiscopales du monde entier, Commentaires théologiques par P. Delhaye, J. Grootaers et G. Thils, Gembloux, Duculot, 1970. 146.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1484-1530, passim et Archives C.E.B. 12, 1.



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envoyé à J. Grootaers (rédacteur en chef de la revue De Maand et cheville ouvrière des Adresses au Concile) 70 exemplaires français, 30 exemplaires néerlandais et 30 exemplaires anglais147. Si la plupart des réactions étaient positives, notamment dans la presse148, il faut relever certaines réactions romaines critiques ou même irritées: – Il y a eu trois articles du Père. M.R. Gagnebet o.p. dans L’Osservatore Romano. (i) Il Magistero della Chiesa magistero di autorità non magistero scientifico (2-3 septembre 1968); (ii) Certezza della dottrina dell’Enciclica (4 septembre 1968); (iii) Il Papa decide da solo (5 septembre 1968).

Le Prof. Thils a écrit, à l’intention du cardinal, une longue note de 15 pages «Réponse à L’Osservatore», où il réfutait les positions de Gagnebet qui majorait indûment l’autorité de l’encyclique. Dans un PostScriptum il ajoutait: Il est intolérable que L’Osservatore Romano puisse publier des articles qui sont, par l’impression globale qu’ils laissent, une vraie médisance à l’égard de tous ceux qui ne partagent pas les conceptions ‘papalistes’ du P. G. [Gagnebet]149.

– L’Osservatore Romano, édition française, du 18 septembre consacre une colonne aux «Prises de position des épiscopats belge et allemand»150. La Rédaction reste assez neutre, tout en soulignant les passages qui comportent une adhésion au pape151.

147.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1487. 148.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1532. 149.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1715. Thils a travaillé très vite car dès le 9 septembre, à Essen, Suenens donne un exemplaire de ce texte à Döpfner (F. Suenens, B.C. et H.V., 1410). 150.  Le 30 août 1963 la Conférence épiscopale allemande avait publié sa déclaration: Verlautbarung der Deutsche Bischofskonferenz zur Diskussion um die Enzyklika «Humanae vitae» (3 p.) (F. Suenens, B.C. et H.V., 1548). À la fin de leur texte les évêques avaient écrit «Im Sinne der Kollegialität werden wir Bischöfe das Gespräch mit dem Heiligen Vater und mit dem Episkopat anderer Länder pflegen». Cette incise n’a pas été reprise dans la traduction française qu’a publiée La Documentation catholique (1524 [15 septembre 1968], col. 1607-1608). Suenens s’en est étonné (F. Suenens, B.C. et H.V., 1410, p. 3). 151. Quelqu’un remarquait à l’époque que le fait que L’Osservatore Romano – dénommé ironiquement la Pravda du Vatican – publiait chaque jour pendant plusieurs semaines un article élogieux sur l’encyclique, était la meilleure preuve que Humanae vitae se heurtait à une contestation quasi générale.

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– Dans un article intitulé L’Enciclica paolina «Humanae vitae» e la Costituzione pastorale «Gaudium et spes» (L’Osservatore Romano, 7 septembre 1968), le cardinal Felici s’insurge contre ceux qui insinuent que l’encyclique n’exige pas une adhésion inconditionnelle sous prétexte qu’elle n’est pas proclamée ex cathedra et n’est donc pas infaillible. C’était précisément un point sur lequel les évêques belges avaient insisté152. – Dans un autre article du 19 octobre L’ «Humanae vitae», la coscienza e il Concilio, paru dans L’Osservatore Romano, le cardinal Felici cite, pour l’attaquer, un passage de la Déclaration belge (sans toutefois la nommer). Il s’agit du passage: «Si toutefois quelqu’un, compétent en la matière … il est en droit de suivre en ce domaine sa conviction…». Felici écrit: Come può essere, infatti, ponderato un esame e come può dirsi fatto davanti a Dio se volutamente si trascura la voce autentica del Magistero, che la legge di Dio interpreta? E chi può autorizzare a dare maggior credito alle proprie idee che alla voce autentica del Magistero che la legge di Dio interpreta?

On constate ainsi que la Déclaration belge a suscité un grand intérêt dans le monde catholique occidental tandis qu’elle a irrité beaucoup de monde à Rome. On n’a toutefois pas osé à Rome mettre en cause directement l’épiscopat belge ni attaquer sérieusement l’argumentation développée, car on a su très vite que Philips l’avait cautionnée153. 152.  De façon un peu simpliste Felici ajoutait: «Ma, di grazia, è definito che io viva, che io operi, che io cammini per strada, che compia altre azioni? Eppure tutto questo è vero e certo, e chi lo negasse andrebbe contro una evidenza solare … In altre parole, la definitio, anche se per diversi motivi estrinseci si rende talora necessaria, nulla aggiunge alla veritas, la quale richiede da sola l’adesione dell’intelletto». 153.  Dans une lettre du 3 novembre, Suenens remercie à nouveau Philips pour sa note: «Quelques réflexions à propos de la Déclaration des Évêques belges sur l’Encyclique Humanae vitae» – envoyée le 23 octobre – en ajoutant: «Il paraît que notre n° 4 ne plaît guère [en haut lieu]». Philips commentait ce point dans un rapport personnel dont nous citons deux extraits: «5. Il reste cependant que le cas de la discordance [avec une déclaration authentique mais non infaillible du magistère] est possible, pour la raison même que la prescription n’est pas présentée comme infaillible, ni donc absolue sous tous les points de vue. Celui qui de bonne foi se croit permis d’agir contre la règle prescrite n’entend pas attaquer le principe de l’autorité, ni traiter l’encyclique comme une opinion privée du Pape. Il ne s’érige pas en juge infaillible à son tour, ce qui serait une absurdité. 6. Il faut donc examiner s’il existe des motifs suffisants de dissension et quelles en sont les conditions. La Lettre des Évêques belges énumère plusieurs facteurs dont aucun ne peut faire défaut: – la compétence de l’intéressé en la matière, – sa capacité de se former un jugement personnel, c’est-à-dire non fondé sur un simple ouï-dire de la part de certaines autres personnes, théologiquement formées ou non, – un examen sérieux devant Dieu, c’est-à-dire dans la perspective du souverain Juge,



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2.  La réunion de cinq cardinaux à Essen, le 9 septembre 1968 Comme nous l’avons rappelé plus haut, pendant le mois d’août, le cardinal Suenens avait envisagé une réunion avec Döpfner, Alfrink et König. Toutefois le cardinal Heenan avait insisté pour rencontrer les cardinaux du «Continent». La perspective d’une rencontre avec Heenan n’enchantait pas Suenens qui, le 12 août, avait répondu qu’il fallait attendre la rentrée de Döpfner de Medellin. Mais Heenan insista et voulut absolument cette rencontre avant le 17 septembre, date de la Conférence épiscopale des évêques d’Angleterre et de Galles. Il ne croyait pas opportun que des hiérarchies voisines prennent des points de vue différents et, de plus, il craignait un désaccord parmi ses évêques: I imagine that the English hierarchy will not have a unanimous voice on all topics. We tend to become very emotional about the Pope – the tradition of SS. Thomas More + John Fisher154!

Il proposait même aux cardinaux de les inviter chez lui. Le 28 août, Suenens écrit à Alfrink qu’il y aura probablement une réunion à Essen, le 8 ou le 9 septembre, et que de toute façon il ne se rendra pas en Angleterre. Par ailleurs, le 3 septembre, il écrit à Heenan qu’il est disposé à le recevoir mais que Döpfner demande un délai pour une réunion de plusieurs cardinaux. Il confirme à nouveau ce point à Heenan le 4 septembre. Heenan a dû insister auprès des autres cardinaux pour faire partie de la réunion. En tout cas, lorsque le secrétaire de ­Döpfner communique le 5 septembre à Suenens l’adresse de la réunion, – toujours une information suffisante, portant en compte la déclaration authentique du magistère. Contredire cette dernière est en tout cas une chose très grave, même si l’on s’abstient de toute agitation malsaine ou de toute timidité devant les groupes de pression. La déclaration officielle constitue un élément important du problème et on ne peut jamais l’écarter ni la minimiser. Mais le cas envisagé d’un désaccord fondé n’est pas purement illusoire. Il peut se présenter d’après la conviction d’un très grand nombre de moralistes, et dans cette éventualité il n’est pas admissible d’accuser le fidèle en question de péché: ce serait fausser sa conscience pratique» (F. Philips, H.V., 3 et F. Suenens, B.C. et H.V., 2146-2147). 154.  Lettres de Heenan à Suenens, 21 août et 4 septembre 1968 (F. Suenens, B.C. et H.V., 1420, 1428). Les craintes de Heenan concernant un manque de fermeté des évêques anglais étaient exagérées. En effet, Rome a bien perçu leur désaccord. Ce point est confirmé par le fait que le cardinal Cicognani, Secrétaire d’État, a reproché au Délégué Apostolique, I. Cardinale, de ne pas s’être opposé avec assez de force à la Déclaration anglaise. C’est Cardinale lui-même qui a informé Suenens, fin janvier, du reproche qui lui avait été adressé en haut lieu. Dans le même entretien, Cardinale confirmait à Suenens que le mot «infaillible» avait été supprimé à la dernière minute (F. Suenens, B.C. et H.V., 2141).

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Heenan vient à Bruxelles le 8 septembre loger chez Suenens et le 9 septembre ils partent ensemble en voiture à Essen pour y rencontrer Döpfner, Alfrink et König155. Ils sont reçus dans la maison du baron Franz Freiherr von Bottlenberg avec une extrême discrétion (le baron avait fait disparaître dans la mesure du possible son personnel et il servait lui-même à table). La réunion a duré de 11h du matin jusqu’à 17h30. Nous trouvons quelques éléments de son déroulement dans la transcription d’une bande magnétique dictée par Suenens à son retour156. Suenens donne quelques renseignements sur les intentions des cardinaux présents: – Heenan ne comptait pas emboîter exactement le pas à l’épiscopat belge mais en être assez proche. Il préférait ne pas citer la Déclaration belge, pour des raisons intérieures de politique ecclésiastique anglaise. – Alfrink avait décidé de ne plus faire de nouvelle déclaration après celle du 31 juillet car les évêques hollandais avaient confié cette question au «Pastoraal Concilie». Alfrink lui-même était évidemment contre le fond de l’encyclique. – König déclarait qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que la Déclaration autrichienne comporte explicitement une référence élogieuse aux Déclarations belge et allemande157. König rapportait aussi qu’il avait rencontré la veille à Salzbourg le cardinal Šeper [préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi] et que ce dernier lui avait dit qu’il était pleinement d’accord avec la Déclaration allemande [Suenens ajoute: et donc implicitement avec la nôtre]. Le cardinal remarque que la France n’est pas très courageuse en ce domaine et même quasiment absente. Il note aussi qu’on a parlé, lors de la réunion, du nouveau catéchisme hollandais158. 155.  Voir F. Suenens, B.C. et H.V., 1424, 1425, 1426, 1428, 1429. La résistance de Suenens pour rencontrer Heenan est confirmée par Goddijn (cf. W. Goddijn, De moed niet verliezen, Kampen, Kok Agora, 1993 [2ème édition], p. 142). Dans une conversation avec Grootaers le 2 septembre 1982, Goddijn mentionne qu’une deuxième réunion des cinq cardinaux était prévue en 1969 en Autriche. La réunion n’a pas eu lieu car, entre-temps, Rome avait appris la chose et Döpfner avait retiré son accord (Diarium Grootaers, Cahier 164, 22 septembre 1982). 156.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1410. 157.  La Déclaration autrichienne du 22 septembre 1968 fait allusion aux Déclarations belge et allemande et toute la IIe Partie «Die Tragweite dieser päpstlichen Botschaft» s’inspire nettement de la Déclaration belge (cf. Wiener Diözesanblatt 106/10 [1er octobre 1968]). 158.  Une commission de cardinaux avait proposé plusieurs corrections.



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Le cardinal a gardé une impression très positive de cette réunion. Il parle d’une espèce de collégialité «in a nutshell». Il aimerait aussi intégrer le cardinal Pellegrino dans le groupe et il note qu’il a remis à Döpfner la Réponse de Thils aux articles de Gagnebet dans L’Osservatore. Toutefois le cardinal ne nous renseigne pas vraiment sur le contenu des discussions. Et il faut bien constater que cette première réunion n’a eu aucune suite et finalement peu d’influence sur le déroulement des événements. 3.  La Déclaration des moralistes belges159 Le 17 août, quelques moralistes notamment D’Hoogh, Dondeyne, Thils, Heylen, Delhaye et L. Janssens, invitent à une réunion – prévue pour le 4 septembre – une série de professeurs d’éthique, de théologie morale et sacramentaire provenant de l’Université de Louvain, des séminaires diocésains et des maisons de formation des congrégations religieuses. Un Document de base de 6 p. était annexé à l’invitation. Le 18 août, les initiateurs de la réunion informent le cardinal de leur initiative et signalent qu’une initiative similaire – mais à plus grande échelle – était prise aux États-Unis. Suite à la réunion du 4 septembre, un projet de texte est rédigé le 9 septembre par un groupe de travail comprenant L. Janssens, P. Fransen, M. De Wachter, D. Vandenberghe, R.S. Callewaert, F. D’Hoogh. V. Heylen qui avait participé au projet s’en désolidarise bientôt. Le 14 septembre, il écrit à Suenens pour lui communiquer ses réactions plutôt négatives. Le 15 septembre, il écrit aux initiateurs du projet pour critiquer sévèrement leur texte. Il déclare qu’à son avis, une prise de position n’est pas opportune à ce moment et il demande que l’on consulte d’abord les évêques160. Le 24 septembre les initiateurs du projet envoient au cardinal le texte définitif de leur «Déclaration succincte»161. Les auteurs commençaient par une critique sérieuse de l’encyclique et surtout du concept de la loi naturelle qu’ils estimaient réduite à sa dimension biologique. Puis ils mettaient en relief les éléments de la Déclaration des évêques contenant des réserves vis-à-vis de l’encyclique en élargissant notamment la catégorie 159.  Pour ce dossier, voir F. Suenens, B.C. et H.V., 1670-1694. 160.  Pour le projet de texte des moralistes cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1680 et pour les lettres de Heylen, ibid., 1678 et 1681. 161.  En fait 40 moralistes avaient signé cette Déclaration, 11 avaient refusé d’y adhérer et 15 autres n’avaient plus donné de réaction. F. Suenens, B.C. et H.V., 1685-1686.

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des «personnes compétentes en la matière» et donc habilitées à énoncer une doctrine différente de l’encyclique. Ils concluaient en demandant un exercice différent de l’autorité et adressaient un appel aux évêques pour qu’ils permettent que des opinions divergentes puissent être exprimées en toute liberté. Ils exigeaient, dans cette perspective, que tous les documents de la commission pontificale soient rendus publics. La réaction du cardinal ne se fit pas attendre. Dès le 26 septembre il envoie, au nom de l’épiscopat162, une lettre assez sèche aux rédacteurs du texte pour leur dire que la publication de ce document serait très inopportune. Pour lui, en effet, le document donne de la Déclaration des évêques une interprétation unilatérale et donc inacceptable. Il leur enjoint en conséquence de ne pas le rendre public. Le même jour, les rédacteurs répondent qu’ils ont informé leurs collègues de l’interdiction de publication donnée par l’épiscopat. Ils précisent cependant que les professeurs des séminaires de Malines, Gand et Bruges ainsi que les jésuites De Wachter, Monden, Fransen, Van Bladel étaient d’accord avec le texte. Ils notent qu’en revanche, les professeurs des séminaires de Liège et de Tournai ainsi que Thils, Heylen et Delhaye avaient de fortes réticences. Quant aux professeurs Janssens, Wylleman, Dhondt et De Smaele, ils supposent qu’ils étaient plutôt d’accord avec le contenu163. Le 3 octobre, M. De Wachter demande à Suenens ce qu’il entend par «interprétation unilatérale» et il déplore que les moralistes ne puissent publier leur déclaration, tandis que les laïcs, de leur côté, ne se sont pas privés de faire paraître des communiqués. Il trouve significatif le fait que les professeurs de séminaire n’ont plus réagi, ce qui laisse supposer une pression exercée sur eux par les évêques. On ne trouve pas dans les archives des traces de réponse de Suenens à ces lettres et la Déclaration des moralistes belges ne fut pas publiée par ses rédacteurs. Toutefois une fuite a été organisée et le texte fut transmis à la revue hollandaise De Bazuin, qui l’a publié dans son numéro du 13 octobre, assorti d’un commentaire critique pour les évêques. C’est ainsi que la presse belge a pu, elle aussi, en faire largement écho164. 162.  Le Bureau de la Conférence épiscopale [composé des évêques résidentiels] s’était réuni le 26 septembre et on y a discuté la question. Une directive similaire fut donnée au Chan. P. De Haene, aumônier responsable du «Nationale Raad voor Gezinspastoraal» (Conseil national – flamand – pour la pastorale familiale) (Archives C.E.B., Rapports des réunions des conférences épiscopales). 163.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1683-1694 et Archives C.E.B. 12, 1. 164.  Notamment dans De Standaard du 16 octobre 1968.



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En interdisant sèchement cette publication des moralistes belges, le cardinal avait un double but. D’abord il ne voulait pas envenimer le conflit avec Rome en endossant la responsabilité de ce texte. De plus, il n’aimait ni la révolution ni la contestation publique et il voulait en tout cas rester maître des manœuvres165. 4.  La lettre pastorale de Mgr Van Peteghem (15 novembre 1968) Dans une lettre du 22 novembre, Mgr Van Peteghem communiquait au cardinal sa décision de publier quelques directives pastorales pour ses prêtres au sujet de Humanae vitae166. Cette décision était motivée par le fait que le Prof. F. D’Hoogh avait diffusé une brochure Leven in liefde als man en vrouw167 et qu’il donnait des conférences dans son diocèse, dans lesquelles il attaquait ouvertement l’encyclique168. D’autres personnes agissaient dans le même sens. Ses prêtres en étaient troublés et lui avaient demandé des explications. Depuis quelque temps, il avait rassemblé du matériel169 pour un message aux prêtres qu’il comptait publier avec les autres évêques ou sous sa seule responsabilité. Il lui semblait que, désormais, un délai n’était plus acceptable. Il espérait que le cardinal considérerait cette initiative, prise en conscience, non pas comme une manque à la collégialité, mais bien comme une manifestation de sa responsabilité pastorale à l’égard de ses fidèles. 165.  Le cardinal avait eu une réaction similaire pendant la 2ème intersession du Concile, lorsqu’il avait condamné (trop) sévèrement un article de Thierry Maertens prônant une grande liberté en matière liturgique. Là aussi il ne voulait pas se compromettre afin de garder son influence auprès du pape. Cf. M.  Lamberigts, Entwicklungen nach dem II. Vatikanum in den Niederlanden: Die liturgische Entwicklung als Fallstudie, dans P. Hünermann (éd.), Das Zweite Vatikanische Konzil und die Zeichen der Zeit heute, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 2006, 283-312. 166.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1542. 167.  «Vivre l’amour comme homme et femme» (50 p.) brochure qui était diffusée sans Imprimatur (F. Suenens, B.C. et H.V., 1676). Mgr Heuschen lui aussi a déploré cette publication qui aurait dû être faite dans une revue scientifique, mais pas diffusée dans le grand public (Lettre de Heuschen à L. Declerck, 20.11.1968, Archives C.E.B. 12, 10). 168.  Il faut dire que l’interprétation donnée par D’Hoogh (et d’autres) au sujet des personnes compétentes en la matière, était plus large que celle qui avait été envisagée par les évêques belges. Pour certains, une personne «compétente» était simplement tout homme de la rue. Cette interprétation se diffusa rapidement dans les mouvements sociaux catholiques. 169.  Il semble bien que son vicaire général Mgr O. Schelfhout était la cheville ouvrière et l’inspirateur du texte. En 1964, il avait publié une brochure De steriliserende pil en de huwelijksmoraal: De stellingname van Prof. L. Janssens kritisch onderzocht, Brugge, 1964.

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Ces directives pastorales Beschouwingen en Richtlijnen betreffende de encycliek «Humanae vitae»170 constituent une brochure assez volumineuse de 40 pages. Après une brève introduction, la 1ère partie répond aux critiques contre l’encyclique. La 2ème partie traite de l’autorité de la lettre du pape. La 3ème partie traite du caractère obligatoire de l’encyclique pour la conscience et la formation de la conscience. La 4ème partie émet des directives pastorales pour les prêtres: ceux-ci doivent étudier l’encyclique; la diffuser dans leur enseignement et s’en inspirer dans leur direction spirituelle (notamment dans le sacrement de la réconciliation). La conclusion est un appel vibrant à rester fidèle au pape, surtout dans les circonstances actuelles si difficiles. Si cette brochure citait occasionnellement la Déclaration des évêques belges, elle se référait davantage aux déclarations d’autres épiscopats, surtout à la Note pastorale de l’épiscopat français sur l’encyclique «Humanae vitae». Presque toujours, c’étaient les passages en accord avec l’encyclique qui étaient mis en évidence. L’évêque de Gand restreint également (p. 19) les «personnes compétentes», susceptibles d’avoir une opinion différente du pape, aux seuls théologiens moralistes et il estime que les médecins, les psychologues, les sociologues ne sont pas compétents en matière de morale. Ce faisant, Van Peteghem revient sur l’accord qu’il avait donné – à contre-cœur – lors de la Conférence épiscopale du 30 août. Inutile de dire que cette prise de position de l’évêque de Gand a été l’objet de critiques virulentes non seulement de son propre conseil presbytéral171, mais également des mouvements sociaux chrétiens et des commissions de pastorale familiale172. La solidarité entre évêques était donc rompue. Et le projet d’éditer des Directives pastorales de manière commune s’évanouissait. En fait, comme nous allons le voir, seul Heuschen va publier, de sa propre initiative, de telles directives.

170.  «Considérations et Directives au sujet de l’encyclique Humanae vitae», Lettre pastorale de Mgr Van Peteghem, évêque de Gand, à ses prêtres. Elle était datée du 15 novembre, mais n’a été mise en circulation que quelques jours plus tard (F. Suenens, B.C. et H.V., 1543). 171.  Dans une lettre du 30 novembre, le Bureau du Conseil presbytéral conteste le contenu de la lettre pastorale de l’évêque et aussi le fait que ni le conseil presbytéral ni le conseil pastoral n’avaient été consultés (F. Suenens, B.C. et H.V., 1545). 172.  Un long conflit en est issu. Mgr Van Peteghem n’a reçu l’appui que de certains mouvements traditionalistes comme Positief (cf. Archives C.E.B. 12, 9) et il s’est retrouvé de plus en plus isolé au sein de son diocèse, de la Conférence épiscopale et de l’Église de Belgique.



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5.  Les Directives pastorales de Mgr Heuschen Rétroactes. On se rappelle que dans la 2ème réunion de la sous-­ commission théologique, le 12 août, la suggestion de rédiger des directives pastorales pour les prêtres avait été émise. Heuschen avait pensé, à ce moment, faire appel à Heylen173, Janssens et éventuellement de Locht et Anciaux pour aider à rédiger ce document provenant de l’épiscopat. Lors de la réunion des évêques résidentiels du 26 septembre, ceux-ci avaient décidé d’attendre quelque temps avant de publier des directives pastorales. Ce délai permettrait de prendre des contacts avec d’autres conférences épiscopales. Mais on constate que la question n’est plus mise à l’ordre du jour des réunions du 17 octobre et du 13 novembre174. Heuschen reprend alors seul l’initiative. Il avait une réunion de son conseil pastoral le 27 novembre et il voulait lui soumettre un projet de directives pastorales175. Et le 20 novembre, Heuschen demande au secrétariat de la Conférence épiscopale de s’informer auprès du cardinal, pour savoir si les évêques ont encore l’intention de publier des directives communes. En attendant la réponse, Heuschen ne compte pas publier son document mais seulement l’envoyer aux autres évêques176. Le 21 novembre, Heuschen envoie une lettre similaire au cardinal, en spécifiant qu’il a aussi consulté Mgr Dondeyne et Mgr Meunier, vicaire général de Liège. Si les évêques renoncent à rédiger des directives communes, il a l’intention de publier son texte dans les Acta du Diocèse de Hasselt. 173.  Il est intéressant de noter que Mgr Dearden (qui était à ce moment président de la Conférence épiscopale des États-Unis et au courant de la Déclaration belge), fait appel à Heylen pour lui demander une note pouvant servir à rédiger des directives pastorales pour les prêtres au sujet de Humanae vitae (ces directives devaient être rédigées en accord avec les évêques canadiens). Il demande surtout des principes de morale pouvant être invoqués dans l’application de l’encyclique, comme par exemple le principe du double effet. Il demande également quelle valeur attribuer à l’encyclique quand elle se heurte à d’autres valeurs comme la préservation de la famille ou la santé. On n’a pas retrouvé la réponse de Heylen, mais cette demande démontre l’influence du «know how» des Belges en la matière (F. Suenens, B.C. et H.V., 1603). 174.  Archives C.E.B., Rapports des réunions des conférences épiscopales. 175.  Dans les Archives Philips on voit que le premier projet a été rédigé par Heylen en français et en néerlandais. Un exemplaire du texte de Heylen est accompagné de notes manuscrites de Philips et de Heuschen. Philips a écrit en outre six pages de remarques. On trouve aussi deux pages dactylographiées provenant de la commission diocésaine de pastorale familiale avec des notes manuscrites de Philips et de Heuschen (F. Philips, H.V., 5). 176.  Lettre de Heuschen, 20.11.1968. Il est évident qu’à ce moment Heuschen n’est pas encore au courant de la Lettre pastorale de Van Peteghem (Archives C.E.B. 12, 10). Par ailleurs, le fait qu’il a rédigé également une version française de son document démontre qu’il espérait toujours arriver à un texte commun pour la Belgique.

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C’est effectivement ce qu’il fait le 8 décembre 1968177. Heuschen mentionne – le fait mérite d’être relevé – que sa Note a été rédigée en collaboration avec la commission diocésaine de pastorale familiale et qu’elle a été approuvée par son conseil pastoral le 27 novembre. Le document lui-même comporte quatre parties: Une orientation générale; des directives pour la prédication et l’enseignement; des conseils pour les cas personnels et des directives pour les médecins, les membres des bureaux de consultation et les responsables de la pastorale familiale. Contrairement au document de Van Peteghem, ces directives se situent tout à fait dans la ligne de la Déclaration belge. Dans trois notes en bas de page, on relève des explications intéressantes venant de Philips (notes 4 et 6) et de Heylen (note 2). Heuschen précise heureusement la catégorie des «personnes compétentes en la matière» en citant le cardinal ­Newman178. Ces directives pastorales ont été reprises telles quelles par Mgr Charue et Mgr van Zuylen et Mgr De Smedt les a publiées dans Ministrando, l’organe officiel du diocèse de Bruges. Mgr Himmer y renvoie dans ses propres Directives179. Mais le texte de Heuschen ne fut pas 177.  Nota voor pastorale begeleiding betreffende «Humanae vitae» (n. 137). 178.  Il écrit notamment: «La personne en question doit être formée et compétente en la matière; dans l’examen des problèmes moraux, cette compétence s’exprime surtout par la sagesse de vie et la prudence. Cette personne doit être capable de se former un jugement personnel solidement formé et ne peut donc pas s’appuyer uniquement sur ce qu’elle sait par ouï-dire; elle doit disposer d’une information suffisante, qui comprend évidemment aussi la prescription papale; elle doit pouvoir répondre en conscience de sa décision, comme elle en répondrait en présence du Dieu vivant; elle doit toujours être disposée à continuer sa recherche et sa réflexion. Ces conditions étant réalisées, celui, qui, sur certains points de l’encyclique arrive à une conclusion qui s’en écarte, est en droit de suivre sa conviction». Et Heuschen cite encore Newman qui avait écrit au duc de Norfolk: «Pour avoir, dans un cas déterminé, la priorité sur la parole du Pape, la conscience, considérée à juste titre comme la norme suprême et inviolable de l’agir, doit prendre ses décisions après une étude sérieuse et le recours à la prière et après avoir utilisé tous les moyens disponibles qui peuvent contribuer à un juste jugement sur la question en cause. L’obéissance au pape est, comme on dit en langage technique, «in possessione», c’est-à-dire que pour trancher un cas contrairement à la parole du Pape, l’«onus probandi» (l’obligation de fournir la preuve) incombe à la conscience. Lorsque la conscience placée en quelque sorte devant le tribunal de Dieu, n’est pas à même de produire la preuve du contraire, alors c’est l’obéissance qui prime» (J.H. card. Newman, A Letter Addressed to the Duke of Norfolk on Occasion of Mr Gladstone’s Recent Expostulation, dans Difficulties of Anglicans, Londres, 1891, t. II, p. 258) (F. Suenens, B.C. et H.V., 1539). Dans une lettre du 6 novembre à Philips, Heuschen dit qu’il a trouvé par hasard dans ses fiches la lettre de Newman au duc de Norfolk et il lui cite le texte en anglais (F. Philips, H.V., 5). 179. Cf. Pour relire «Humanae vitae» (n. 145), pp. 128-142; Acta [du diocèse de Liège] 6, pp. 173-185; Ministrando 5/3 (22 janvier 1969) 47-57; Lettres pastorales (Diocèse de Tournai), Tome XI/4, Notes pastorales à propos de «Humanae vitae», 2 février 1968, pp. 37-43.



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publié dans Pastoralia, l’organe officiel du diocèse de MalinesBruxelles. Le cardinal semble s’être rangé à l’avis du P. Anciaux, président du Grand Séminaire qui fut également membre de la commission pontificale. Dans une longue note180, Anciaux dénonçait l’ambiguïté tant de la Note de Heuschen que de la Déclaration belge. Pour lui il était contradictoire de dire qu’on acceptait l’encyclique «telle que le pape l’a écrite et dans le sens qu’il lui a donné» et en même temps d’apporter sur certains points des nuances ou des éclaircissements opposés en fait à l’encyclique181. 6.  Contacts et correspondance importante du cardinal de fin août à fin décembre 1968 Il n’est pas possible de donner ici un aperçu de l’immense correspondance que le cardinal a reçue à l’occasion de la publication de l’encyclique et de la Déclaration belge182. Cette correspondance provenait tant de Belgique que de France, d’Italie, des États-Unis et de Grande Bretagne et elle démontre qu’il était considéré comme un des opposants principaux à l’encyclique. Il est par exemple significatif que, lors du conflit acerbe du cardinal Boyle de Washington avec un groupe de prêtres de son diocèse et The Catholic University of America au sujet de Humanae vitae, «on» ait pensé envoyer tout le dossier au cardinal183. De même Norman St John-Stevas, membre du Parlement anglais qui avait été quelque temps séminariste au Venerable English College à Rome, lui a également transmis son échange de correspondance avec le cardinal Heenan concernant le conflit entre l’évêque de Nottingham, Mgr Ellis, et un de ses prêtres au sujet de Humanae vitae184. Limitons-nous aux contacts les plus intéressants et à la correspondance la plus importante.

180. «Aanmerkingen betreffende de Nota voor pastorale begeleiding betreffende Humanae vitae, Acta n° 8, december 1968, Mgr. Heuschen, bisschop van Hasselt» (datée du 20 décembre 1968, 11 p.) (F. Suenens, B.C. et H.V., 1541). 181.  L. Declerck se rappelle la désillusion d’Anciaux quand il lui a transmis, le soir du 30 août, le texte de la Déclaration belge. Le président du Séminaire ne comprenait pas cette «position diplomatique» et aurait voulu que les évêques prennent beaucoup plus nettement leurs distances vis-à-vis de la doctrine de Humanae vitae. 182.  D’août à décembre 1968, le cardinal a reçu environ 40 lettres importantes et 125  lettres de moindre valeur. 183.  F. Suenens, B.C. et H.V., 2030-2077. Le Prof. L. Dupré, Belge mais qui enseignait aux États-Unis, a écrit à Suenens à ce sujet (ibid., 2031 et 2033). 184.  F. Suenens, B.C. et H.V., 2159bis.

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(a)  Une lettre du cardinal Villot De Bogota, où il se trouve avec le pape, Villot, à ce moment préfet de la Congrégation du Concile, écrit le 23 août à Suenens: Vue de Rome, la situation est complexe. Il y a d’une part, l’isolement du Saint-Père dont je ne suis sans doute pas le seul, parmi les responsables des dicastères, à ressentir le caractère douloureux. Mais il y a aussi l’absence de relations suivies et d’échanges confiants avec les conférences épiscopales. Je crois, pour ma part, qu’un Synode réunissant les présidents des ces conférences épiscopales permettrait de trouver un style nouveau de collaboration185.

Plus tard Suenens écrit que cette lettre était révélatrice de l’atmosphère à Rome et manifeste que les vues de Villot concordaient avec les siennes186. (b)  Contact et correspondance avec Mgr Butler187 Après la correspondance échangée au mois d’août, une visite de Butler à Suenens à Bruxelles est fixée du 1er au 3 septembre. Le 4 septembre, Suenens envoie à Butler un livre de de Locht188 et il lui dit sa joie d’avoir pu discuter avec lui «our common problems». Butler, dans une lettre du 5 septembre remercie chaleureusement Suenens pour son hospitalité et son amitié. Il est d’avis «that it would be disloyal to our responsibilities if we allowed matters to rest in the present deplorable condition». Mais il craint «that Rome itself will attempt to push matters to some still more serious climax». À l’occasion de sa visite, Butler a transmis à Suenens une note confidentielle de 5 pages intitulée A Memorandum on Humanae vitae. Et il en envoie également une traduction latine189 que Suenens pourra distribuer à la réunion des cinq cardinaux. 185.  En effet, un synode spécial réunira en octobre 1969 les présidents des conférences épiscopales. Pour cette lettre voir F. Suenens, B.C. et H.V., 1623. 186.  Suenens, Souvenirs et espérances (n. 37), pp. 160-161. 187.  Cf. F. Suenens, B.C. et H.V., 1597-1602. 188.  Il s’agit sans doute du livre: P. de Locht, La morale conjugale en recherche, Tournai, Casterman, 1968. 189.  Dans une première partie fort intéressante, Butler est d’avis que non seulement le magistère infaillible, mais aussi le magistère authentique doit se limiter aux matières qui sont objet de la Révélation. Or il semble clair que l’enseignement de Humanae vitae ne peut être dérivé directement de la Révélation, mais seulement de la loi naturelle. En effet, il lui semble très improbable que la Révélation puisse parler de façon détaillée des questions comme les techniques du Birth Control. D’autre part la raison humaine ne peut démontrer que les actes anticonceptionnels sont intrinsèquement mauvais. D’ailleurs le décret sur l’œcuménisme recommande la liberté dans les matières qui ne sont pas ­nécessaires à la foi. Il serait très imprudent d’imposer à l’Église tout entière, et donc



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Butler a également transmis à Suenens copie d’une lettre que le publiciste catholique laïc Theo Westow lui a envoyée le 26 octobre: Westow s’y plaint du fait que le pape n’est plus accessible qu’en passant par la curie et il signale que des rumeurs circulent concernant une nouvelle encyclique du pape sur l’autorité dans l’Église. (c)  Contact et correspondance avec Mgr Huyghe, évêque d’Arras190 Les 16 et 17 septembre Huyghe a rendu visite au cardinal Suenens191. Relevons quelques points importants du rapport que le cardinal a fait de cette visite: – Le point le plus intéressant concerne la rencontre de Huyghe avec le cardinal Pellegrino, archevêque de Turin. Celui-ci lui a dit que Humanae vitae allait rejoindre Veterum sapientia192 et il a avancé neuf raisons pour conclure au caractère non fondé des arguments de l’encyclique. Pour Pellegrino, on était, avec ce texte, en présence d’une des tragédies de l’histoire pontificale193. Huyghe précise toutefois qu’il y

i­ndirectement à chaque homme, un fardeau qui n’est pas exigé par la vérité de l’évangile. Butler ajoute enfin: «One may grant that something may be credendum without appearing to be glaubwürdige [sic]; but it puts a great strain on educated people when Glaubwürdigkeit is conspicuous by its absence». 190.  Mgr Huyghe, membre de la commission conciliaire pour les religieux, a joué un rôle considérable dans l’élaboration du décret Perfectae caritatis. On se rappelle que Suenens avait écrit, au début du Concile, son livre Promotion apostolique de la Religieuse, où il faisait un plaidoyer retentissant pour la rénovation de la vie religieuse féminine. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que Suenens s’était lié d’amitié avec Huyghe au temps du Concile, amitié qui a duré jusqu’à la fin de sa vie. 191.  Suenens a fait rapport sur une bande magnétique qui a été dactylographiée dans la suite (5 p.) (F. Suenens, B.C. et H.V., 1613). 192.  Veterum sapientia était la constitution apostolique promulguée par Jean XXIII, le 22 février 1962, pour le rétablissement du latin dans l’enseignement des séminaires et des facultés théologiques. Cette constitution était restée lettre morte. 193.  La feuille manuscrite de Huyghe se trouve dans les archives Suenens (F. Suenens, B.C. et H.V., 1614). Parmi les raisons énoncées par Pellegrino, on trouve notamment: 1. Le manque de consultation des évêques et des fidèles. Les évêques, et même les fidèles comme le dit Lumen gentium ont aussi reçu l’Esprit Saint. 2. L’exercice du magistère n’est pas solitaire. Le magistère du pape est normalement exercé avec les évêques. 3. L’encyclique se fonde sur la morale naturelle dont les principes ne sont pas absolument certains. 4. Pellegrino ne voit pas comment il est possible d’admettre la domination de l’homme sur la nature physique, sans l’admettre sur la nature biologique. 6. Pellegrino ajoute que les motifs et les arguments de la majorité de la commission l’avaient convaincu. 8. Si on admet les contraceptifs pour un motif thérapeutique, c’est qu’ils ne sont pas intrinsece mala.

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a un mouvement très ouvert en Italie, que l’on ne soupçonne pas à lire L’Osservatore Romano194. – Huyghe retrace aussi sa rencontre avec R. Schutz195. Celui-ci était également d’avis qu’on était en présence d’une tragédie. Schutz semblait «complètement démonté du procédé et de la manière de faire, de l’anti-collégialité de tout cela et de l’erreur fondamentale, à ses yeux». – Huyghe confie ensuite qu’il était déçu de l’attitude de Mgr Marty et de la commission épiscopale [française] de la Famille. Cette commission était entièrement sous la coupe du cardinal Renard, devenu conservateur. – Suenens ajoute: Il [Huyghe] m’a quitté en disant combien ça faisait de bien de pouvoir penser tout haut en fils très aimant de l’Église, où nous aimons ensemble l’Église et la papauté, où nous cherchions comment mieux la servir, même au risque de n’être pas compris par elle…

Le 27 septembre, Suenens demande à Huyghe – qui avait eu récemment des contacts avec les journalistes des Informations Catholiques Internationales – ce qu’il pense d’une rencontre avec ces journalistes. Le 30 septembre, Huyghe lui répond que c’est lui-même qui leur a suggéré d’avoir une conversation libre avec le Primat de Belgique, parce qu’il a une vision claire, courageuse et prospective de l’avenir de l’Église. Comme exemples, il avait cité la déclaration sur Humanae vitae et l’ouvrage sur La coresponsabilité dans l’Église. Pour Huyghe, il paraît important que les Informations Catholiques Internationales, dont l’audience est véritablement internationale, cessent d’avoir peur des réactions romaines ou des réactions intégristes196. Le 17 octobre Huyghe écrit à Suenens qu’il n’a pas réussi à avoir une nouvelle rencontre avec le cardinal Pellegrino et donc n’a pas pu transmettre de vive voix le message que Suenens lui avait confié. Il l’a donc transmis par écrit à Pellegrino197. Le 24 octobre, Huyghe envoie une lettre au cardinal en y ajoutant plusieurs documents: (i) L’avant-projet de Note pastorale sur l’encyclique Humanae vitae, préparé par la commission épiscopale de la famille; avant-projet qui devait être discuté à la réunion plénière de l’épiscopat français à Lourdes (8 p.) le 8 novembre. 194.  Le cardinal ajoute: «D’ailleurs à lire ce journal, on ne soupçonne rien du tout!». 195.  Prieur de Taizé, qui avait été invité par le pape pour l’accompagner à Bogota. 196.  Archives diocésaines d’Arras 3Z3/268bis/V10/4 (avec nos remerciements à l’archiviste M. Beirnaert). 197.  Archives diocésaines d’Arras, ibid.



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(ii) Les remarques [fort substantielles] de Mgr Huyghe sur ce document (9 p.). (iii) Trois lettres envoyées à Mgr Huyghe par l’Union catholique des Scientifiques français au sujet de Humanae vitae. La troisième lettre venant de cette Union est intéressante parce que les auteurs déclarent au sujet des Déclarations de l’épiscopat allemand et belge: Ils font preuve d’une incroyable astuce verbale, et, tout en prétendant adhérer à l’encyclique ils lui font exactement dire le contraire de ce qu’elle dit explicitement. Ces textes donneront bonne conscience aux bien-pensants, mais ils scandaliseront: ils abîment la parole à force de la manipuler198.

Huyghe répond à son correspondant en prenant la défense des Déclarations allemande et belge. Le 28 octobre, Suenens remercie Huyghe de son envoi et de sa défense de la Déclaration belge. Il ajoute que, pendant son voyage à Graz et à Munich, il a appris que pratiquement tous les moralistes allemands ont pris la même position de réserve que les moralistes des autres régions. Le 30 octobre, Suenens envoie à Huyghe la Déclaration des évêques canadiens, un article de Butler et la réponse du professeur Dupré au cardinal Boyle199. (d)  Contact et correspondance avec le cardinal Döpfner Les relations de Suenens avec Döpfner étaient particulièrement confiantes car, en tant que modérateurs, ils avaient collaborés intensément pendant le Concile. On a rapporté les contacts téléphoniques qu’ils avaient eus au début et à la fin août. Le 28 août, Suenens avait envoyé à Döpfner une lettre accompagnée d’une copie de sa réponse à Heenan, de ses deux lettres au pape du 19 mars et du 11 août 1968 et de sa lettre à ses vicaires généraux du 5 août. Le 2 septembre, Döpfner lui répond en lui envoyant la Déclaration allemande, la copie de sa lettre à Paul VI du 2 septembre et la Note qu’il avait soumise au pape lors de son audience du 31 mai200. 198.  Cette remarque rejoint d’une certaine manière les observations d’Anciaux sur les Directives pastorales de Heuschen et la Déclaration belge (cf. supra). Il faut avouer que le langage de Philips était prudent, diplomatique et très technique. 199.  Archives diocésaines d’Arras, ibid. 200.  F. Suenens, B.C. et H.V., 2137-2140.

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Le cardinal s’est rendu à Vienne chez König le 21 octobre. Il est allé ensuite à Graz le 22 pour y donner une conférence. Ce voyage lui a donné l’occasion, de passer au retour par Munich où Döpfner l’a accueilli le mercredi 23 octobre dans la soirée201. Le cardinal a été tout de suite conquis par l’accueil chaleureux de Döpfner: «c’était vraiment le maximum de ce qu’on pouvait avoir comme communion de préoccupations, de soucis, d’espérances, de constructivité [sic]». Le cardinal Döpfner, de son côté, avait fait un voyage de trois jours en Turquie et il avait voulu savoir si la déclaration d’Athénagoras reflétait l’opinion de l’Orthodoxie et si elle avait été faite avec son Synode202. Les gens du Synode lui ont répondu qu’Athénagoras avait pris seul cette initiative et que sa déclaration ne répondait nullement à leur point de vue. Suenens note que pour la Déclaration allemande, Döpfner aussi a fait venir des experts notamment le P. Hirschmann s.j. et le P. Fuchs s.j. [qui fut membre de la commission pontificale]. L’appui de ces experts a fortement aidé Döpfner à rallier les membres de la Conférence épiscopale à la Déclaration (tous les évêques allemands avaient signé). Döpfner était aussi en contact avec les évêques scandinaves. Le Délégué apostolique avait empêché la publication de la première version du document des évêques scandinaves. Mais la majorité de ces évêques étaient du côté de Suenens et de Döpfner203. Pour terminer les deux cardinaux font un tour d’horizon sur l’avenir en demandant notamment comment élaborer une théologie où l’autorité [centrale] et la collégialité soient en meilleur équilibre. Döpfner remet enfin à Suenens le livre Einführung in das Christentum [Munich, 1968], de J. Ratzinger qu’il présente comme «leur» grand théologien. Suenens répond qu’il va lire cet ouvrage avec un grand intérêt. Le cardinal conclut son compte rendu en déclarant: Le grand pas en avant, c’est l’union beaucoup plus profonde encore avec Döpfner, qui a souffert les mêmes difficultés, qui se trouve exactement confronté à la même position et qui nous est profondément reconnaissant d’avoir pris la position que nous avons prise, ce qui lui permet à lui de ne pas se sentir isolé … Je termine en disant que nous sommes toujours dans 201.  Le cardinal a dicté une bande magnétique sur ce voyage, 8 p. dactylographiées (F. Suenens, B.C. et H.V., 1403). 202.  L’Osservatore Romano du 11 août avait publié une déclaration d’Athénagoras faite à l’Agence France Presse où il avait dit notamment: «Je suis tout à fait d’accord avec le Pape. Paul VI ne pouvait se prononcer autrement». 203.  Le 5 novembre Suenens écrit encore à ce sujet à Mgr Gran, évêque d’Oslo, qui lui répond le 22 novembre (F. Suenens, B.C. et H.V., 1580-1581).



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l’Église Vatican II, en route pour Vatican III, mais que ce cheminement sera encore assez complexe et assez laborieux mais qu’il vaut la peine de vivre!204.

(e)  Visite de Mgr Willebrands Le 30 septembre Mgr Willebrands fait une visite au cardinal à Bruxelles205. Et au sujet de l’encyclique, Suenens note: Grande conversation sur l’Encyclique où il [Willebrands] pense un peu comme nous tous… Il a eu deux conversations où deux fois le Saint-Père, après [la publication de] l’encyclique, lui a parlé de l’Encyclique. Une fois le pape lui a dit: «Oui, je sais quelles sont les réactions; on me dit que si j’énonce cette doctrine, eh bien, je heurte des gens qui viendront me dire: ‘Je vis dans un appartement, une seule pièce, et j’ai cinq enfants, comment voulez-vous que… ’. Ce n’est pas, dit le Pape, parce qu’il y a une telle situation sociale, que moi je dois changer la doctrine; il faut faire tout pour changer les conditions sociales». C’était sa réponse à cette objection. Et puis alors il a dit: «Moi, je vois que dans l’Évangile Notre Seigneur a parlé du divorce. Les apôtres ne l’ont pas compris. Le Christ a maintenu [sa doctrine] sur le divorce en disant: ‘Vous comprendrez plus tard’». Je ne sais pas exactement à quel passage de l’Écriture il vise, mais c’était donc l’idée: «Moi je parle, on ne comprend pas aujourd’hui; on comprendra un jour»206.

Et le 7 octobre 1968, Willebrands remercie encore Suenens pour son accueil chaleureux et la conversation franche et ouverte207. (f)  Correspondance avec P. Delhaye Dans une lettre du 22 octobre, Delhaye rapporte au cardinal l’entretien qu’il a eu, en même temps que de Locht, avec Mgr Dupuy, en visite à Louvain. Dupuy semble être revenu de sa soumission inconditionnelle du début mais il se sentait, à ce moment, terriblement isolé. Il remet à Delhaye le projet de la Déclaration française en ajoutant qu’il craint l’autoritarisme du cardinal Renard et les intrigues en coulisse du P. Martelet208. Le 30 octobre, Delhaye écrit à Suenens qu’il a été scandalisé par la nomination de Mgr Lambruschini: «…il s’agit … de l’inélégance qu’il a à payer si rapidement et publiquement le prix d’une trahison»209. Il ne 204.  F. Suenens, B.C. et H.V., pp. 5-8. 205.  Le cardinal a fait une bande magnétique à ce sujet, F. Suenens, B.C. et H.V., 1402. 206.  Nous avons suivi cette transcription assez littérale d’un texte dicté. 207.  Lettre de Willebrands à Suenens, Archives Cardinal Willebrands, Leuven (avec nos remerciements à Mme M. ter Steeg). 208.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1729. 209.  Mgr F. Lambruschini, professeur au Latran, était membre de la commission pontificale où il avait voté avec la majorité pour une position ouverte. Selon la lettre de

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peut s’empêcher d’appliquer à son ancien collègue le «Receperunt mercedem suam» de l’évangile [Mt 6,5]. Et le même jour il envoie quelques observations sur le projet de la Déclaration française, qui lui semble très mauvais210. Fin décembre ou début janvier 1969, Delhaye envoie de Rome une carte postale à Suenens avec ses vœux de Nouvel An211. Il y ajoute quelques informations: – Mgr Carlo Colombo a récemment rendu visite au Père Fuchs (comme lui-même le lui a rapporté) et lui a demandé «si on ne pouvait pas trouver dans l’encyclique une échappatoire pour les cas extrêmes». Réponse de Fuchs: «Vous l’avez faite beaucoup trop claire»212. – Il reparle du scandale de la promotion de Lambruschini. Certains à Rome veulent l’expliquer comme une disgrâce (Lambruschini aurait mécontenté le Vatican en défendant fort mal l’encyclique), mais Delhaye n’en croit rien. – Il dit aussi qu’on cherche à «avoir» le Père Häring, au besoin en supprimant l’Alfonsianum («on l’étouffera entre deux portes à la réforme des études»)213. (g)  Une nouvelle lettre manuscrite de Paul VI au cardinal Suenens214 Le 12 décembre, Suenens avait envoyé ses vœux de Noël et de Nouvel An au pape215. Le Saint-Père lui répond le 23 décembre. Delhaye, Mgr Lambruschini aurait écrit plus tard au Saint-Père que la majorité lui avait forcé la main et que son vote avait été extorqué. Il avait également accepté de présenter à Rome l’encyclique à la presse et, le 15 octobre, il avait été nommé archevêque de Pérouse. 210.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1732-1734. 211.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1748. 212.  En parlant des cas extrêmes Mgr Colombo envisageait probablement le cas d’une femme ayant déjà plusieurs enfants et pour laquelle une nouvelle grossesse constituerait un grave danger pour sa santé. On peut rapprocher cette question de Colombo de son vote à la commission pontificale le 24 juin 1966, où Colombo avait voté que la contraception était intrinsece illicita, sed ad mentem [cf. supra]. On peut aussi se demander si cette question de Colombo, dont on disait déjà pendant le Concile qu’il était «les yeux et les oreilles du pape», ne reflétait pas une préoccupation de Paul VI lui-même, toujours attentif aux problèmes humains. Ce qui nous amène à poser la question de savoir si la volonté du pape de maintenir la prohibition de la contraception n’a pas été traduite dans des formules préparées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et par conséquent dans un langage plus radical que le pape ne l’avait prévu. Pour avoir une réponse à cette hypothèse, il faudra attendre l’ouverture des archives de Paul VI. 213.  Le Père B. Häring, moraliste allemand célèbre, était professeur à l’Alfonsianum et avait été membre de la commission pontificale. Il avait à plusieurs reprises pris position contre l’encyclique, notamment aux États-Unis (F. Suenens, B.C. et H.V., 1641-1643, 1667, 2030, 2082). 214.  F. Suenens, B.C. et H.V., 1406. Pour le texte complet, voir Annexe III. 215.  Cette lettre n’a pas été retrouvée dans les archives.



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Il remercie le cardinal pour ses aimables vœux et les lui retourne. Il l’assure de sa prière, prière fervente parce qu’il est au courant des fatigues et des peines spéciales que l’heure présente procure au cardinal216. Il dit ensuite au Frère et au Fils que lui aussi connaît des souffrances et que son ministère apostolique lui procure bien des amertumes et des difficultés. Très délicatement, en homme de cœur et d’amitié qu’il était, Paul VI fait un doux reproche à Suenens en écrivant que les difficultés qu’il éprouve viennent aussi de l’intérieur de l’Église et plus particulièrement de personnes fort estimées et aimées de sa part. Et il exprime sa tristesse parce que des personnes cultivées et hardies se proclament des maîtres libres et des prophètes nouveaux, semant ainsi la confusion dans l’Église et risquant de semer la discorde dans le Peuple de Dieu. Mais le pape termine en affirmant sa confiance dans le Seigneur, qui reste auprès de son Église: «Ipse perficiet, confirmabit, solidabitque!» [1 P 5,10]. Dans une feuille ajoutée à la lettre, Suenens note que Döpfner a reçu une lettre similaire. Quelques considérations finales Qu’il nous soit permis, en terminant cette brève étude sur la réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à propos de l’encyclique Humanae vitae, d’émettre quelques observations et de poser quelques questions. 1.  Le fait qui frappe le plus l’historien est la rapidité et, d’une certaine manière, l’irréversibilité de l’évolution des idées en cette matière. Si, en 1960, pratiquement tous les évêques et moralistes se tenaient encore à la position classique, en 1968, la grande majorité – du moins dans le monde occidental – a déjà changé de camp. Citons pour mémoire ici non seulement Suenens mais aussi Heenan217, et parmi les moralistes Häring, 216.  C’est probablement une allusion à la contestation suite à la scission de l’Université de Louvain et à la publication de Humanae vitae. 217.  Heenan dans son intervention à la réunion de la commission pontificale du 22 juin 1966, exprimait bien le problème en disant aux théologiens: «In their lectures on moral theology and their dissertation on the natural law they apodictically laid down the inchangeable nature of the teaching of the Church. I do not doubt their sincerity nor their integrity. But I find it hard to be impressed by the intellectual force of their present arguments. I think they have changed their opinions not so much because they now regard their former reasoning as false but because, like the rest of us, they are moved to compassion when they see the plight of so many married couples» (F. Suenens, B.C. et H.V., 534). Mais nous constatons qu’en 1968 Heenan, lui aussi, faisait des réserves vis-à-vis de Humanae vitae.

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Fuchs218 et L. Janssens. En remettant à plusieurs reprises à plus tard sa déclaration sur la moralité des moyens anticonceptionnels, Paul VI a incontestablement perdu sa course contre le temps. 2.  Malgré le fait que l’encyclique ait été bien accueillie dans les pays du Tiers Monde219, beaucoup de conférences épiscopales occidentales – avec des nuances diverses – ont pris une position réservée et ont souvent proposé une relecture de l’encyclique. Butler craignait, à juste titre, qu’en l’absence de réaction des évêques, on pourrait dire plus tard que le «magistère ordinaire» du collège épiscopal était d’accord avec l’encyclique (comme on l’a fait après Casti connubii)220. Mais, après ce qui a été rapporté, cette crainte était devenue sans objet. 3.  En ce qui concerne le cardinal Suenens, on peut constater trois choses: – Dans son for intérieur il n’a jamais accepté la doctrine de l’encyclique sur l’intrinsece inhonestum des moyens contraceptifs. – Il s’est engagé avec énergie et intelligence pour obtenir une déclaration de l’épiscopat belge afin de libérer les consciences mais aussi pour canaliser la contestation (car lui non plus ne voulait pas que l’autorité dans l’Église soit mise en question publiquement). En ce qui concerne la Belgique, on peut estimer qu’il a assez bien réussi. On n’y a pas connu des conflits durs comme, par exemple, dans le diocèse de Washington avec le cardinal Boyle. Ce n’est que dans le diocèse de Gand qu’un conflit public entre l’évêque et les organisations de laïcs est né à partir de fin 1968. – Si dans les mois qui suivent la publication de l’encyclique, le cardinal est encore un point focal de la contestation, il va bien vite délaisser la problématique du Birth Control et s’engager résolument pour un exercice plus collégial et plus coresponsable de l’autorité dans l’Église. Début 1968, il avait déjà publié son livre La Coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui. En 1969, 1970 et 1971 il donnera encore trois

218.  Vers le milieu des années soixante, Fuchs avait demandé d’être relevé de son cours de morale sexuelle à la Grégorienne, parce que, en conscience, il ne pouvait plus enseigner la doctrine classique. 219. Grootaers, dans son article Humanae vitae (n. 1) souligne que dans le Tiers Monde beaucoup «applaudissent à la mise en garde contre l’impérialisme étranger qui utilise le Birth Control et l’avortement comme stratégie de mise sous tutelle» (col. 331). 220.  Cf. ses lettres du 29 juillet et du 6 août 1968 au cardinal (F. Suenens, B.C. et H.V., 1592 et 1593).



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interviews retentissantes, principalement consacrées à ce sujet221. Mais le ton assez radical de ces interviews ainsi que le procédé lui-même d’utilisation de la presse, ont déplu non seulement à Rome mais aussi aux évêques belges et à d’autres épiscopats. L’autorité morale du cardinal en fut sérieusement entamée. 4.  On doit reconnaître que Paul VI, après une longue et sérieuse étude et beaucoup de consultations222, a eu le courage de publier cette encyclique sous sa responsabilité personnelle, pleinement conscient de son rôle primatial. Mais on a l’impression qu’il a été surpris par les réactions violentes suscitées par son texte et qu’il a été attristé par le fait que plusieurs cardinaux et évêques – comme Döpfner et Suenens qu’il considérait comme des amis depuis le temps du Concile – ne l’ont pas suivi. Il en a ressenti un grand isolement223. Un problème analogue se posa du côté des évêques «réticents» qui, de leur côté, ont ressenti une grande déception vis-à-vis du pape. Ils l’avaient connu comme un homme d’une immense culture, très humain au plan personnel et expert en humanité. Ils admiraient son ouverture au monde moderne, aux problèmes sociaux et mondiaux, son intérêt pour l’art moderne224. Ils savaient comment il avait soutenu personnellement, au Concile, la constitution Gaudium et spes et le décret sur la liberté religieuse. Ils étaient également impressionnés par sa volonté de mettre le Concile en œuvre en s’engageant en faveur de l’application de la Constitution sur la liturgie, de la réforme de la curie, des ouvertures œcuméniques et de la simplification de la cour pontificale. Mais ils n’ont pas compris que, sur la question du Birth Control, il ait pris ses distances tant par rapport à la commission mixte conciliaire de Gaudium et spes que de la commission pontificale qu’il avait lui-même

221. Voir Declerck – Osaer, Les relations (n. 29), pp. 74-76. 222.  Nous avons rappelé que Suenens, lors de son audience du 20 avril 1967, avait suggéré au pape de soumettre le problème du Birth Control au prochain Synode et que le pape avait refusé en arguant qu’il fallait trop de temps pour être compétent en la matière. Dans son journal du 25 août 1968 le cardinal ajoute à ce propos: «This is priceless. Car on ne peut arguer d’une opinion majoritaire ou non, au Concile ou à un Synode, d’évêques non instruits. Or, le Saint-Office ayant bloqué la question pendant des décades, il était impossible aux évêques d’être vraiment instruits. Leur conscience ne vaut donc rien» (F. Suenens, B.C. et H.V., 212 et 1401). 223.  Beaucoup de contemporains ont vu dans la publication de l’encyclique un tournant dans le pontificat. Et après Humanae vitae Paul VI n’a plus publié d’encyclique. 224.  Pour cette ouverture au monde moderne, voir notamment: Paolo VI e il rapporto Chiesa-mondo al Concilio: Colloquio internazionale di studio – Roma, 22-23-24 settembre 1989 (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 11), Brescia, Istituto Paolo VI, 1991.

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nommée, qu’il avait élargie à trois reprises et qu’il avait encore coiffée d’une super commission, uniquement composée d’évêques225. Quarante ans après la publication de l’encyclique, on ignore toujours les sentiments personnels et les motivations profondes qui ont inspiré le pape226. Seul l’ouverture des archives de Paul VI pourra nous éclairer. Ce n’est qu’à ce moment que le «tribunal de l’histoire» pourra essayer de prononcer un jugement juste et équilibré sur cette question difficile et délicate, qui a causé tant de remous dans l’Église et dans le monde. Épilogue En mai 1969, Mgr Charue est reçu en audience privée par le pape. Celui-ci lui exprime assez vivement son mécontentement à propos de la 225.  Bon observateur Mgr Prignon, qui était aussi conseiller ecclésiastique de l’Ambassade de Belgique auprès du Saint-Siège, écrit dans un rapport pour l’ambassadeur en mai 1969: «Et, même parmi ceux qui acceptaient pleinement l’enseignement du SaintPère, beaucoup ne pouvaient pas ne pas s’étonner de la «manière»: le refus apparemment délibéré de recourir à l’aide de la collégialité épiscopale, l’insuffisance notoire de certains arguments, le manque non d’ouverture mais de compréhension véritable pour certaines requêtes de la problématique contemporaine, tout cela – spécialement relevé à propos de l’encyclique Humanae vitae et du Catéchisme hollandais – faisait surgir de nombreux points d’interrogation» (Quelques réflexions à propos des récentes décisions de Paul VI, p. 10, Archives L. Declerck). 226.  L. Declerck a eu à Varese, le 31 mai 1999, un entretien de 40 minutes avec l’ancien secrétaire privé de Paul VI, Mgr P. Macchi. Voici quelques éléments de cet entretien cordial. Mgr Macchi, en tant que bon secrétaire, n’a trahi aucun secret mais ses réactions étaient révélatrices. 1. L. Declerck pensait que Paul VI n’avait pas changé d’opinion au sujet du Birth Control entre 1960 et 1968. Mgr Macchi était également de cet avis. 2. L. Declerck s’étonnait de constater que Paul VI avait consulté (et élargi) à plusieurs reprises la commission pontificale alors qu’il était décidé à ne pas changer la doctrine. N’était-ce pas contre indiqué en la circonstance? Réponse de Mgr Macchi: Paul VI croyait en conscience qu’il devait consulter beaucoup de personnes. 3. Selon L. Declerck, Paul VI n’avait pas voulu changer la doctrine au sujet des moyens contraceptifs, principalement pour trois motifs: 1° Il ne voulait pas changer la doctrine de ses prédécesseurs car il avait «il senso della sua responsabilità davanti alla storia», comme le disait Mgr Dell’Acqua. Si on changeait la doctrine sur ce point, d’autres affirmations doctrinales auraient été mises en question. 2° Le pape ne croyait pas qu’on pouvait résoudre un problème de morale (l’humanisation de la sexualité) par des moyens chimiques ou mécaniques. C’était d’un autre ordre [Rappelons qu’en ce temps-là on parlait de la «pillola cattolica», qui aurait procuré, comme par enchantement, la solution de tous les problèmes moraux de la paternité responsable]. 3° Le pape était convaincu que la vie chrétienne (la «sequela Christi») est «une voie étroite» qui demande toujours de l’ascèse et beaucoup d’effort (au sens pascalien du terme). La vie chrétienne n’est donc jamais facile. À ces trois affirmations, Mgr Macchi a chaque fois répondu: «È vero», sans y ajouter d’autre commentaire.



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Déclaration des Évêques belges sur Humanae vitae. Il va jusqu’à lui dire: «Et vous, Mgr Charue, sachant tout cela227, signeriez-vous encore la Déclaration des Évêques belges?». Mgr Charue répond: «Oui, SaintPère», puis il éclate en sanglots. Cet évêque, qui était un grand intellectuel et un honnête homme, vivait lui aussi le drame que beaucoup de théologiens catholiques ont connu en ces jours, déchirés qu’ils étaient entre leur attachement sincère à un grand pape humaniste et la fidélité à leurs convictions. Amicus Plato…228.

227.  Le pape fait probablement allusion aux attaques injustes dont il avait été l’objet. 228.  L. Declerck tient ces informations de Mgr Prignon, recteur du Collège belge, qui, après l’audience, avait reconduit Mgr Charue. Mgr Charue, qui essuyait encore ses larmes, s’est alors – pour une fois – confié à Prignon. L’audience était d’autant plus pénible pour Charue qu’il connaissait Montini de longue date. En effet, en 1960, Charue était venu restituer à l’archidiocèse de Milan les chefs insignes des saints milanais Nabor et Felix. Montini avait fait traduire en italien le livre de Charue Le clergé diocésain tel qu’un évêque le voit et le souhaite. Et Charue avait fait Montini chanoine d’honneur du chapitre de Namur. Pendant le Concile ces relations s’étaient encore intensifiées et Paul VI avait reçu plusieurs fois Charue, en tant que vice-président de la commission doctrinale de Vatican II.

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Annexe I Déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique Humanae vitae 1.  Sens de l’encyclique Le 25 juillet 1968, le Pape Paul VI a publié l’encyclique Humanae vitae, dans laquelle il se prononce, après longue étude, prière et réflexion, sur un problème très actuel et profondément humain, à savoir le respect de la vie humaine et le mariage. Il va de soi que nous accueillons avec un respect filial la lettre du SaintPère, telle qu’il l’a écrite et dans le sens qu’il lui a donné. Nous recommandons instamment à nos fidèles et à tous les hommes de bonne volonté une lecture intégrale et une méditation approfondie de cet important document, et nous leur demandons de consacrer leurs efforts individuels et collectifs à une exacte intelligence de sa doctrine. Rarement un document du magistère ecclésiastique aura été accueilli avec une attention aussi vive et, sur certains points, avec des sentiments aussi divergents que l’encyclique Humanae vitae, et cela tant parmi les catholiques que dans le monde entier. Aux yeux d’une partie de l’opinion publique elle apparaît comme une encyclique uniquement négative, qui écarte l’usage des contraceptifs dans la régulation des naissances. En fait le sujet traité dans la lettre pontificale est beaucoup plus large et plus positif. Elle nous expose en effet, à propos du mariage et de la famille, une vision globale de l’homme, dont se dégagent deux aspects positifs et essentiels: l’amour conjugal et la parenté responsable. «Elle est au fond», d’après les paroles mêmes du Pape (Allocution devant la Conf. épiscopale de l’Amérique latine, 24 août 1968), «une apologie de la vie, une mise en relief des plus hautes valeurs humaines, qu’il faut apprécier avec un respect particulier, et que le chrétien considérera sous le regard de Dieu, créateur et rédempteur». Si nous entrons au cœur de cette doctrine, nous constatons que son affirmation fondamentale présente l’union des époux et la procréation comme deux aspects indissociables. Les composantes inséparables du mariage chrétien ne sont autres en effet qu’un amour conjugal harmonieux vraiment humain et son orientation vers la fécondité. Il s’agit d’un domaine où est engagée la vraie noblesse de l’homme. Le mariage en effet est une union totale de deux personnes liées par une donation réciproque irrévocable, union qui pour les chrétiens est un sacrement, à la fois consécration au Christ et source de fidélité. Cette union a en vue une fécondité vraiment «humaine», c’est-à-dire considérée dans une perspective personnaliste, qui tient compte de tous les éléments d’ordre psychologique, économique, médical, démographique, social. L’ensemble doit être situé dans le cadre d’une morale à base religieuse. Selon cette morale, qui assume le respect de la personne, la conscience individuelle doit observer les normes générales que l’homme découvre dans l’analyse de sa propre existence humaine et pour lesquelles le croyant reconnaît aussi la valeur de la lumière qui lui vient de la Révélation, interprétée par l’enseignement de l’Église. Il serait infiniment regrettable que les lecteurs de l’Encyclique négligent ces considérations fondamentales pour accorder seulement leur attention à la partie du document qui, tout en reconnaissant la licéité des moyens thérapeutiques nécessaires et du recours, pour des motifs sérieux, aux périodes infécondes, réprouve certaines méthodes de régulation des naissances.



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Cette réprobation par l’autorité de l’Église constitue une règle de conduite pour la conscience catholique, et nul n’est donc autorisé à en contester le caractère de soi obligatoire. Ces directives ne dispensent cependant pas vos évêques du devoir d’agir en pasteurs, ensemble avec leurs prêtres (Cf. Gaudium et spes, n. 43, al. 2; Humanae vitae, n. 28) particulièrement à l’égard de ceux parmi les fidèles, qui sont péniblement troublés par certaines exigences de l’encyclique. 2.  Portée doctrinale de l’encyclique et orientations pastorales Vos évêques sont profondément conscients des difficultés que nombre de fidèles éprouvent; ceux-ci se demandent jusqu’à quel point ils sont tenus d’adopter et d’observer les prescriptions édictées par le Pape. Ce problème est d’ordre général: il y a lieu d’appliquer au cas présent les principes qui régissent l’interprétation des documents du magistère dans les matières touchant la foi et les mœurs. Nous rappelons brièvement la doctrine classique sur ce point (cf. Lumen gentium, n. 25). 1. D’abord toute déclaration doctrinale de l’Église, y compris celle qui concerne l’application de la doctrine de l’Évangile au comportement moral, doit être accueillie avec le respect et l’esprit de réceptivité auxquels peut légitimement prétendre l’autorité établie par le Christ. Sans cette attitude d’ouverture le lecteur chrétien se rend impossible l’intelligence lucide du document. 2.  Lorsque le Pape parle ex cathedra ou lorsque les évêques en union avec lui, s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment. À pareille définition il nous faut adhérer dans l’obéissance de la foi (Lumen gentium, n. 25 B). 3.  Si nous ne nous trouvons pas devant une déclaration infaillible et donc irréformable, – ce qui n’est généralement pas le cas dans une encyclique et ce que Humanae vitae du reste ne revendique pas, – nous ne sommes pas tenus à une adhésion inconditionnelle et absolue, comme celle qui est exigée pour une définition dogmatique. Cependant, même dans le cas où le Pape (ou le collège épiscopal groupé autour de lui) ne fait pas usage de la plénitude de son pouvoir d’enseignement, les doctrines qu’il prescrit, en vertu du pouvoir qui lui est confié, exigent de soi de la part des fidèles un assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence, soutenu par l’esprit de foi (Lumen gentium, n. 25 A). Cette adhésion ne dépend pas tant des arguments invoqués par la déclaration, que du motif religieux auquel fait appel l’autorité sacramentellement instituée dans l’Église. 4.  Si toutefois quelqu’un, compétent en la matière et capable de se former un jugement personnel bien établi, – ce qui suppose nécessairement une information suffisante, – arrive, sur certains points après un examen sérieux devant Dieu, à d’autres conclusions, il est en droit de suivre en ce domaine sa conviction, pourvu qu’il reste disposé à continuer loyalement ses recherches229. Même dans ce cas, il doit garder sincèrement son adhésion au Christ et à son Église, et reconnaître respectueusement l’importance du suprême magistère, 229.  Une doctrine similaire, que l’on retrouve chez Saint Thomas d’Aquin (Ia IIae q. 19 a. 5) inspire la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae 2 et 3).

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comme le prescrit la Constitution conciliaire Lumen gentium (l. c., n. 25 A). Il doit aussi veiller à ne pas compromettre le bien commun et le salut de ses frères, par une agitation malsaine ou a fortiori par une mise en question du principe même de l’autorité. 5.  Il se peut enfin, lorsqu’il s’agit de l’application concrète de certaines prescriptions d’ordre moral, que d’aucuns parmi les fidèles, à cause de circonstances particulières qui se présentent à eux comme des conflits de devoirs, se croient sincèrement dans l’impossibilité de se conformer à ces prescriptions. Dans ce cas l’Église leur demande de chercher avec loyauté la manière d’agir qui leur permettra d’adapter leur conduite aux normes données. S’ils n’y arrivent pas d’emblée, qu’ils ne se croient pas pour autant séparés de l’amour de Dieu. * * * Nous nous rendons compte qu’en de pareilles circonstances nombre d’éléments interviennent qu’une sage pastorale ne pourra négliger. 1.  Nous constatons que le Pape ne fait pas d’objections, du point de vue moral, à un usage raisonnable de l’abstinence périodique. Dans nombre de cas, celle-ci procure aux époux l’occasion de réaliser leur mission de parenté responsable et peut contribuer à l’épanouissement harmonieux de la vie familiale. L’enseignement de l’Encyclique, faut-il le rappeler, n’empêche pas l’usage des moyens thérapeutiques légitimes. 2.  Il faut constater aussi que certains arguments invoqués dans la déclaration officielle, soit en partant des principes soit en montrant les conséquences des pratiques anticonceptionnelles, n’ont pas aux yeux de tous le même caractère convaincant, sans qu’on puisse de ce fait supposer chez ceux qui ne le perçoivent pas, une recherche égoïste ou hédoniste. 3.  Il faut reconnaître selon la doctrine traditionnelle, que la dernière règle pratique est dictée par la conscience dûment éclairée selon l’ensemble des critères qu’expose Gaudium et spes (n. 50, al. 2; n. 51, al. 3), et que le jugement sur l’opportunité d’une nouvelle transmission de la vie appartient en dernier ressort aux époux eux-mêmes qui doivent en décider devant Dieu. 4.  Sans prétendre dicter la loi aux États ni vouloir se présenter en juge des frères séparés et des non-croyants, l’Église croit de son devoir d’éclairer les consciences dans le domaine familial et démographique. Elle réclame par ailleurs pour tous ses fils la liberté réelle de vivre selon leur conviction chrétienne. 5.  L’Église sait que, quel que soit l’état de vie d’un chacun, la pratique d’une vie chrétienne authentique est exigeante et que sans la grâce du Christ nous en serons toujours incapables. Il nous incombe donc à tous de recourir à l’ascèse, à la prière et aux sacrements, en demandant avec une humble confiance à notre Père céleste: Que ta volonté soit faite … et pardonne-nous nos offenses. * * * Le Souverain Pontife, inspiré par son souci de préserver les grandes valeurs de la vie humaine et de l’amour conjugal, a adressé à ses fidèles et au monde cette lettre dont il prévoyait les graves répercussions et qui constituait pour lui un angoissant problème de conscience.



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Vos évêques s’unissent à lui dans son appel au respect sacré de la vie humaine, à l’heureux épanouissement de l’amour conjugal entre les époux et à leur générosité sincère et éclairée dans la transmission de la vie. Ils sont convaincus que l’acceptation de ces valeurs dans l’esprit de l’Évangile et avec le courage du sacrifice, inhérent à toute vie chrétienne, en fera ressortir le bienfait spirituel et la richesse humaine. Ils engagent les fidèles et surtout les foyers à s’accorder les uns aux autres le soutien de la prière et l’entraide sous toutes ses formes, à respecter aussi la conscience d’autrui en esprit de charité et de compréhension mutuelle. Avec le Pape ils invitent tous ceux qui sont capables d’apporter leur concours aux recherches psychologiques, scientifiques ou autres, à redoubler d’efforts pour trouver aux problèmes toujours poignants de l’humanité en croissance, des solutions harmonieuses et respectueuses de toutes les valeurs humaines et chrétiennes. Malines, le 30 août 1968.

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Annexe II (personale) Al caro e venerato Signor Cardinale Leone Giuseppe Suenens, Arcivescovo di Malines e Bruxelles, grazia e pace nel Signore! Sappiamo di doverLe parecchie risposte e molti ringraziamenti: per la lettera del 19 marzo 1968, per l’invio in gentile omaggio del suo libro su «la coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui», per la Lettera pastorale della festa di Pentecoste; e sentiamo l’obbligo di chiederLe venia se è mancato da parte nostra il riscontro che meritavano coteste missive. Non creda, Signor Cardinale, che il nostro silenzio significhi incuranza per ciò che ci viene da Lei: Ella sa di quale venerazione e di quale stima noi circondiamo la sua persona e la sua attività; esso significa piuttosto seria riflessione sui temi da Lei proposti alla nostra considerazione; riflessione che non ha trovato modo in questi ultimi mesi di grave lavoro di formulare la dovuta personale risposta. Ma sentiamo viva riconoscenza per la schietta et devota manifestazione del suo pensiero. Noi vediamo infatti con favorevole attenzione lo studio ch’Ella va svolgendo per dare al Concilio nuove ed ampie applicazioni, specialmente nelle forme comunitarie della vita della Chiesa, e comprendiamo lo zelo che ispira il suo desiderio di corrispondere a tendenze tanto forti e diffuse fra gli uomini del nostro tempo; e, da parte nostra, speriamo, per la stima verso il suo pensiero, per l’importanza dei temi proposti e per la deferenza verso di noi dimostrata, di poter assecondare suoi intenti fin dove lo consentano i doveri del grave mandato affidato al nostro ministero, obbligato a tener conto dei tanti impegni di pazienza, di fedeltà, di carità, di unità, inerenti al servizio di maestro e di pastore al centro della santa Chiesa. Noi pure speriamo che Ella, Signor Cardinale, ci vorrà comprendere se abbiamo ritenuto nostro dovere, con l’Enciclica «Humanae vitae», dare la soluzione, ormai nota, alla questione della norma morale circa la natalità. Sappiamo che tale soluzione non è conforme alle sue vedute e che Ella avrebbe preferito altra via per arrivarvi. Ma da un lato il ricordo del Suo studio su l’ «amour et maîtrise de soi», dall’altro la voce della nostra coscienza, interrogata lungamente davanti a Dio, ci hanno indotto a rivolgere alla Chiesa e al mondo questa parola. Abbiamo tanto pregato, affinchè non ci venisse meno l’aiuto promesso a Pietro incaricato di confermare i fratelli, ed affinchè noi non avessimo ad imporre ai retti di cuore una legge più pesante di quanto dovuto, ma piuttosto ci fosse dato di tutelare i valori della coscienza, dell’amore, della vita. E, come Ella ben sa, non sono mancate alla nostra decisione amplissime previe consultazioni, sia interrogando le Conferenze Episcopali (per tramite delle Rappresentanze Pontificie), sia incaricando la Commissione di esperti e di membri dell’Episcopato, comme Ella ben sa, sia invitando i Vescovi presenti al Sinodo ad esprimerci il loro parere, se lo credessero opportuno. Alcune Conferenze Episcopali hanno emesso dichiarazioni in favore della dottrina tradizionale, ed altre ci hanno chiesto di ribadire l’insegnamento finora vigente nella Chiesa. Non abbiamo creduto di poterci uniformare alle conclusioni della maggioranza della Commissione consultiva suddetta. Pensiamo d’avere obbedito alle esigenze del nostro dovere apostolico. Ed ora confidiamo nell’aiuto del Signore, affinchè «oboedientia et pax» sorreggano la Chiesa nel suo interiore e pratico orientamento.



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Abbiamo fiducia che i Vescovi nostri Fratelli, specialmente quelli che ci conoscono da vicino e che sì sono amici, e quelli più influenti, abbiano a sostenere efficacemente la linea segnata, e a stabilire unità di pensiero e di giudizio e di disciplina nella Chiesa su tema di tanta gravità morale e di tanta importanza sociale. Signor Cardinale, possiamo sperare che Ella ci aiuterà, anche in questa occasione a confortare il Popolo di Dio nel cammino della «via stretta» del vangelo del Signore? avremo per Lei nuova riconoscenza e nuova affezione. Vogliamo intanto noi stessi confortare il suo ministero e invocare sulla sua venerata persona la divina assistenza con la nostra apostolica benedizione. Paulus P.P. VI 9 agosto 1968 (Traduction française) (personnelle) Au cher et vénéré Monsieur le Cardinal Léon-Joseph Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, grâce et paix dans le Seigneur. Nous sommes conscients que nous vous devons déjà plusieurs réponses ainsi que beaucoup de reconnaissance: pour la lettre du 19 mars 1968, pour l’envoi en hommage aimable de votre libre «La coresponsabilité dans l’Église d’aujourd’hui», pour votre lettre pastorale de Pentecôte. Et nous sentons l’obligation de vous demander pardon si, de notre part, nous avons manqué de donner la réponse que ces envois méritaient. Ne veuillez pas croire, Monsieur le Cardinal, que notre silence soit un signe de négligence pour ce qui vient de Vous. Vous savez avec quelle vénération et estime nous entourons votre personne et votre activité. Ce silence provient plutôt de la réflexion sérieuse des thèmes que vous avez proposés à notre attention. Réflexion qui a empêché ces derniers mois de travail intense de vous formuler la nécessaire réponse personnelle. Mais nous sentons une vive reconnaissance pour la franche et dévouée manifestation de votre pensée. Nous voyons en effet avec une attention bienveillante l’étude que Vous entreprenez pour donner au Concile de nouvelles et amples applications, spécialement dans les formes communautaires de la vie de l’Église, et nous comprenons le zèle qui inspire votre désir de répondre à des tendances si fortes et tellement diffusées parmi les homme de notre temps. De notre part nous espérons, en vertu de l’estime pour votre pensée, de l’importance des thèmes proposés et de la déférence que vous nous montrez, de pouvoir suivre vos intentions dans la mesure que nous le permettent les devoirs du grave mandat de notre ministère, qui nous oblige de tenir compte de tant d’engagements de patience, de fidélité, de charité, d’unité, qui sont inhérents au service de maître et de pasteur au centre de la sainte Église. Nous aussi nous espérons, Monsieur le Cardinal, que Vous voudrez nous montrer de la compréhension quand nous avons estimé être de notre devoir, avec l’encyclique Humanae vitae, de donner la solution, maintenant connue, à la question du norme moral concernant la natalité. Nous savons que cette solution n’est pas conforme à vos vues et que Vous auriez préféré une autre voie pour y arriver. Mais, d’un côté, la souvenance de Votre étude sur «Amour et maîtrise de soi», et de l’autre la voix de notre conscience, que nous avons longuement interrogée

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devant Dieu, nous ont induit à adresser à l’Église et au monde cette parole. Nous avons tellement prié pour que l’aide promise à Pierre, à qui incombe la responsabilité d’affermir ses frères, ne nous manque pas afin que nous n’imposions pas aux sincères de cœur une loi plus lourde qu’il ne fallait, mais qu’il nous soit plutôt donné de protéger les valeurs de la conscience, de l’amour, de la vie. Et comme vous le savez bien, à notre décision n’ont pas manqué des amples consultations préalables: en interrogeant les conférences épiscopales (par la voie des Représentations pontificales), en instaurant la commission d’experts et de membres de l’épiscopat, comme vous le savez bien, et en invitant les évêques présents au Synode d’exprimer leur avis, s’ils le trouvaient opportun. Certaines conférences épiscopales ont publié des déclarations en faveur de la doctrine traditionnelle, et d’autres nous ont demandé de réaffirmer l’enseignement toujours en vigueur dans l’Église. Nous n’avons pas estimé de pouvoir nous conformer aux conclusions de la majorité de la commission consultative susmentionnée. Nous croyons avoir obéi aux exigences de notre devoir apostolique. Et maintenant nous avons confiance dans l’aide du Seigneur afin que l’«oboedientia et pax» puissent soutenir l’Église dans son orientation intérieure et pratique. Nous avons confiance que les Évêques, nos Frères, spécialement ceux qui nous connaissent de près et qui, bien sûr, sont des amis, ainsi que ceux qui sont les plus influents, auront à cœur de soutenir efficacement la ligne tracée et à établir l’unité de pensée et de jugement et de discipline dans l’Église sur un sujet d’une si grande gravité morale et d’une telle importance sociale. Monsieur le Cardinal, pouvons-nous espérer que Vous nous aideriez aussi dans cette occasion à encourager le Peuple de Dieu dans sa marche dans la «voie étroite» de l’évangile du Seigneur? Ainsi nous concevrons pour Vous une nouvelle reconnaissance et une nouvelle affection. Nous voulons encore encourager votre ministère et invoquer sur votre personne vénérée l’assistance divine avec notre bénédiction apostolique Paulus P.P. VI 9 août 1968



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Annexe III Al Signor Cardinale Leo Jozef Suenens, Arcivescovo di Malines-Bruxelles, tanto a noi caro, tanto da noi stimato e venerato, vogliamo dire che abbiamo assai gradito la sua lettera del 12 dicembre, piena di parole cortesi, di auguri gentili e dell’afflato di di [sic] una spirituale comunione, che ci ha recato viva consolazione. Vogliamo a nostra volta ricambiare al Fratello nell’Episcopato e al membro del sacro Collegio cardinalizio i nostri voti migliori, in Gesù Cristo, per il prossimo Natale, festa che ci fa, ancora una volta, tutti lietamente sorpresi, ammirati e felici per il grande annuncio dell’avvenimento silenzioso e strepitoso della venuta al mondo del nostro Salvatore, nel compimento, al centro della storia e dei destini dell’umanità, del mistero luminoso e ineffabile dell’Incarnazione del Verbo di Dio. Gloria e pace! Noi desideriamo che la sovrabbandante pienezza di questi nostri sentimenti si effonda sulla persona e sul ministero del Pastore della gloriosa e santa Chiesa di Malines-Bruxelles, e ottenga a lui la grazia e il gaudio del santo Natale e lo confortino nella non facile e non lieve missione a lui affidata. Noi sentiamo di dovere a lui questo particolare augurio, che si esprime nella preghiera a Cristo Signore e nell’invocazione alla benedetta sua Madre, la santa Vergine Maria, perchè crediamo di conoscere qualche cosa delle fatiche e delle prove, che l’ora presente riserva al ministero di lui, e intravediamo le sue difficoltà e le sue pene di Vescovo e di Pastore. E diremo al Fratello ed al Figlio che noi siamo «in passione socii»; anche il nostro apostolico ufficio ci riserva non poche amarezze, ed è ora gravato da molte difficoltà, tanto più sentite quanto più direttamente ci vengono dall’interno della Chiesa, da sedi e da persone, che per la stima e l’affezione, di cui sono da noi favorite, le rendono a noi più penose e quasi inesplicabili. È questo anche per noi un momento delicato e alquanto triste: persone colte e ardite si attestano come liberi maestri e profeti nuovi, sollevando nella Chiesa di Dio confusioni e turbamenti, che possono nuocere alla solidità e al perfezionamento della sua compagine, e produrre qualche sbandamento nel Popolo di Dio. Ma confidiamo assai: il Signore è con la sua Chiesa: «Ipse perficiet, confirmabit, solidabitque»! E con questo voto di comune conforto porgiamo il nostro riverente saluto, in Cristo, e mandiamo la nostra apostolica benedizione. Paulus P.P. VI 23-XII-1968 (Traduction française) À Monsieur le Cardinal Leo Jozef Suenens, archevêque de Malines-Bruxelles, qui nous est très cher, que nous estimons et vénérons grandement, nous voulons dire que nous avons beaucoup apprécié sa lettre du 12 décembre. Une lettre qui était remplie de paroles courtoises, de vœux aimables et d’un esprit de communion spirituelle; ce qui nous a procuré une vive consolation. À notre tour nous voulons retourner au Frère dans l’épiscopat et au membre du Sacré Collège des Cardinaux nos meilleurs vœux en Jésus Christ pour la fête bien proche de Noël, une fête qui, une fois de plus, nous rend joyeux et surpris,

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plein d’admiration et heureux pour la grande annonce de l’avènement silencieux et sonore de la venue au monde de notre Sauveur, dans l’accomplissement, au centre de l’histoire et du destin de l’humanité, du mystère lumineux et ineffable de l’Incarnation du Verbe de Dieu. Gloire et Paix. Il est de notre désir que la plénitude surabondante de nos sentiments se répande sur la personne et sur le ministère du Pasteur de la glorieuse et sainte Église de Malines-Bruxelles et obtienne pour lui la grâce et la joie de la sainte fête de Noël et puisse l’encourager dans la mission qui lui est confiée, mission qui n’est ni facile ni légère. Nous sentons le devoir de lui adresser ce spécial souhait, qui s’exprime par la prière au Christ Notre Seigneur et par l’invocation de sa Mère bénie, la sainte Vierge Marie, parce que nous croyons connaître quelque peu les peines et les épreuves, que l’heure actuelle réserve à son ministère et nous devinons ses difficultés et ses peines d’Évêque et de Pasteur. Et nous dirons au Frère et au Fils que nous sommes «in passione socii». Notre office pastoral aussi nous cause assez bien d’amertumes et est actuellement grevé de beaucoup de difficultés. Ces difficultés sont d’autant plus ressenties quand elles proviennent directement de l’intérieur de l’Église, de sièges et de personnes, que nous estimons et aimons hautement. C’est pourquoi elles nous sont encore plus pénibles et presque inexplicables. Et ceci est pour nous aussi un moment délicat et quelque peu triste: des personnes cultivées et intrépides se présentent comme des maîtres libres et des nouveaux prophètes. Ainsi ils provoquent dans l’Église de Dieu des confusions et des troubles, ce qui peut nuire à la solidité et à la perfection de son ensemble et produire quelque débandade dans le Peuple de Dieu. Mais nous gardons fortement confiance: le Seigneur est avec son Église: «Ipse perficiet, confirmabit, solidabitque». Et avec ce vœu de commun encouragement, nous vous saluons respectueusement dans le Seigneur et vous envoyons notre bénédiction apostolique. Paulus P.P. VI 23-XII-1968

5 MGR E.J. DE SMEDT ET LE TEXTE CONCILIAIRE SUR LA RELIGION JUIVE (NOSTRA AETATE N° 4) Introduction1 1.  Jusqu’il y a peu, on ignorait que Mgr De Smedt2 avait joué un rôle non négligeable au sein du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens3 dans la dernière phase de la rédaction du texte sur la religion juive de la déclaration Nostra aetate. L’ouverture du Fonds du concile Vatican II de l’Archivio Segreto Vaticano4 ainsi que la publication récente des Agendas conciliaires de Mgr Willebrands5 permettent de mieux cerner l’­importance des * Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, Mgr E.J. De Smedt et le texte conciliaire sur la religion juive («Nostra Aetate», n° 4), dans ETL 85 (2009) 341-384. 1.  Nostra aetate est la déclaration De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas (cité: De Habitudine). Comme le n° 4 de cette déclaration parle des relations avec les Juifs, le texte est aussi quelquefois appelé De Iudaeis. 2.  Emiel-Jozef De Smedt (1909-1995), né à Opwijk, docteur en philosophie et en théologie à la Pontificia Universitas Gregoriana, ordonné prêtre du diocèse de Malines en 1933, évêque auxiliaire de Malines en 1950, évêque de Bruges de 1952 à 1984. Pendant le Concile, Mgr De Smedt s’est illustré par des interventions retentissantes contre les schémas préparatoires sur la Révélation et sur l’Église et comme rapporteur du texte sur la liberté religieuse. Cf. M. Lamberigts, Mgr. Emiel-Jozef De Smedt, bisschop van Brugge en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 28 (1998) 281-326. Sur ses archives conciliaires, cf. A. Greiler – L. De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999 [= F. De Smedt]. 3.  Titre exact Secretariatus ad unitatem christianorum fovendam (cité: Secrétariat). Nommé membre du Secrétariat le 25 octobre 1960, l’évêque de Bruges a été, durant la période préparatoire du Concile, la cheville ouvrière de deux textes importants, l’un sur la liberté religieuse, l’autre sur le sacerdoce des fidèles. À la réunion plénière du Secrétariat à Ariccia (27 novembre – 2 décembre 1961), il est associé à la sous-commission pour les Juifs. Le 27 février 1964, il est élu vice-président du Secrétariat en même temps que Mgr J.C. Heenan (1905-1975, archevêque de Westminster en 1963, cardinal en 1965). 4.  Cité: ASV Conc. Vat. II. Nous tenons à remercier l’archiviste le Dr Piero Doria pour son aide. 5.  J. Willebrands (1909-2006), prêtre du diocèse de Haarlem en 1934, docteur en philosophie de l’Angelicum, secrétaire du Secrétariat en 1960, président de ce Secrétariat de 1969 à 1989, cardinal en 1969, archevêque d’Utrecht de 1975 à 1983. Ses Agendas conciliaires ont été publiés, cf. L. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Traduction française annotée (Instrumenta Theologica, 31), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009 [cité: Agenda Willebrands]. Voir aussi la biographie excellente de K. Schelkens, Johannes Willebrands: Een leven in gesprek, Amsterdam, Boom, 2020.

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interventions de Mgr De Smedt au cours de la réunion plénière du Secrétariat de mai 1965 et du voyage diplomatique qu’il a effectué en juillet 1965 au Proche-Orient, en compagnie de Mgr Willebrands et du Père Duprey6, afin de convaincre les patriarches orientaux arabes d’accepter le texte amendé sur les Juifs. Ce sera l’objet de notre étude. 2.  Commençons par un bref rappel sur la déclaration de Vatican II Nostra aetate qui a, elle aussi, connu une histoire mouvementée7. Conçue initialement comme une déclaration uniquement consacrée aux relations avec les Juifs (Quaestiones de Iudaeis), elle était devenue le chapitre IV du schéma De Oecumenismo à la 2ème session, pour devenir la Declaratio altera de Iudaeis et de non-christianis. Ce dernier texte avait été rendu moins percutant à la suite des interventions de la commission de coordination8 et il avait été discuté in aula à la 3ème session. À la suite des remarques des Pères lors de cette discussion, le texte a été à nouveau rédigé et renforcé à la fin de la 3ème session, constituant à ce moment le n° 4 de la déclaration De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas. Le 20 novembre 1964, le texte fut approuvé avec 1 651 placet, 99 non placet et 242 placet iuxta modum. En dépit de cette approbation et malgré une déclaration du cardinal Bea affirmant le caractère exclusivement religieux du texte9, les réactions à son encontre ne s’adoucissaient pas dans les pays arabes. La pression ne venait pas uniquement des ambassades de ces pays mais aussi des patriarches et évêques orientaux qui craignaient pour la liberté de culte de leurs ouailles dans ces régions où des manifestations hostiles avaient déjà eu lieu. L’opposition venait aussi de certains évêques orthodoxes (notamment monophysites10, non chalcédoniens, syriens, coptes)11 ­marqués par 6.  P. Duprey (1922-2007), père blanc français, sous-secrétaire pour la section orientale du Secrétariat en 1963, secrétaire du Pontificium Consilium ad Unitatem Christianorum fovendam de 1983 à 1999, évêque titulaire de Thibaris en 1989. 7.  Sur l’histoire de cette déclaration, cf. notamment: M. Lamberigts – L. Declerck, Nostra Aetate 4: Vaticanum II over de joden. Een historiek, dans Collationes 36 (2006) 149-177; G.M.M. Cottier, L’historique de la Déclaration dans A.M. Henry (éd.), Les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes: Déclaration «Nostra aetate». Texte latin et traduction française, Paris, Cerf, 1966, 37-78; J. Oesterreicher, Kommentierende Einleitung, dans Lexikon für Theologie und Kirche: Das Zweite Vatikanische Konzil, II, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1967, 406-478. 8.  Cf. le Procès verbal des réunions du 16 avril et du 26 juin 1964 (AS V, II, pp. 292 et 638-639). 9. Cf. L’Osservatore Romano du 30 novembre – 1 décembre 1964. 10.  Des monophysites craignaient que, en déclarant que les Juifs n’étaient pas déicides, on en vienne à nier la divinité du Christ. 11. Cf. G. Caprile , Il concilio Vaticano II, IV, Roma, La Civiltà cattolica, s.d., p. 90; La Gazette de Lausanne, 3-4 octobre 1964 et Oesterreicher, Kommentierende Einleitung



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une mentalité «anti-judaïque» (dont on trouvait l’expression dans leurs textes liturgiques de manière beaucoup plus marquée que dans la liturgie occidentale). De plus, les évêques conservateurs du Coetus Internationalis Patrum s’agitaient fortement à propos de cette question et Mgr Carli affirmait ouvertement que, selon le Nouveau Testament et la doctrine traditionnelle de l’Église, la faute de la mort du Christ, Fils de Dieu, incombait entièrement au peuple juif12. Dans ces circonstances, après la 3ème session, la position du Secrétaire d’État Cicognani13 qui était aussi président de la commission de coordination, était devenue très inconfortable. Le prélat se voyait tiraillé en des sens contraires14. –  Comme chef de la diplomatie du Saint-Siège, il était mis sous pression par les ambassades des pays arabes pour que la déclaration soit retirée et il recevait les rapports alarmants à ce sujet de la part des nonces présents dans ces pays. –  Comme ancien délégué apostolique de 1933 à 1958 aux États-Unis, il était sollicité par les nombreux amis qu’il avait gardés dans cette région et qui désiraient absolument un texte en faveur des Juifs. Ceux-ci étaient appuyés par les évêques américains mais aussi par les évêques allemands désireux de faire amende honorable pour les crimes du nazisme. La question était d’autant plus embrouillée que, dans les milieux juifs – tant aux États-Unis qu’en Israël –, on avait répandu le bruit que l’approbation de la déclaration sur les Juifs serait nécessairement suivie par la reconnaissance de l’État d’Israël par le Saint-Siège15. À tout cela s’ajoutait le fait que le secrétaire général du Concile Felici n’était guère favorable à cette déclaration16. (n. 7), pp. 458-461. Pour un excellent état de la situation telle qu’elle se présentait pendant la 3ème intersession, cf. G. Caprile, Il concilio Vaticano II, V, Roma, La Civiltà cattolica, s.d., pp. 272-290. 12. L. Carli (avec M. Lefebvre et Proença Sigaud, un des protagonistes du Coetus) venait de publier deux articles incendiaires à propos de la culpabilité des Juifs dans le Palestra del clero 44: La questione giudaica davanti al concilio Vaticano II (15 février 1965), pp. 185-203, et È possibile discutere serenamente della questione giudaica? (1 mai 1965), pp. 463-476. Cf. également, à ce propos, la réponse du cardinal A. Bea, Il popolo ebraico nel piano divino della salvezza, dans La Civiltà cattolica 116/4 (1965) 209-229. 13.  A.G. Cicognani (1883-1973), cardinal en 1958, Secrétaire d’État de 1961 à 1969, président de la commission de coordination et de la commission pour les Églises orientales. 14.  Cf. la lettre de Cicognani à Felici du 7 décembre 1964, dans laquelle il regrette que la déclaration ne soit pas formulée en des termes plus mesurés et demande la présence d’un théologien particulièrement compétent au sein du Secrétariat (AS V, III, pp. 96-97). 15.  Oesterreicher, Kommentierende Einleitung (n. 7), p. 461. 16.  Dans une longue note du 24 mai 1965, Felici suggère d’insérer dans le Schéma XIII quelques lignes à ce sujet (AS V, III, p. 331). D’ailleurs Felici était originaire du

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Pendant la 3ème intersession, le Secrétariat s’est donc vu confronté à la tâche ardue de surmonter toutes ces difficultés17. Il y est parvenu par deux voies: d’une part grâce à la ventilation des amendements (ou Expensio modorum) qui autorisait, dans le respect de limites strictes, d’introduire des changements dans le texte, ce qui a eu lieu au cours de trois réunions plénières (en mars, mai et septembre); d’autre part grâce à trois voyages au Proche-Orient qui ont permis de lever les fortes réticences des évêques de cette partie du monde. En suivant ici la chronologie des événements, nous détaillerons: I. Le premier travail de révision du Secrétariat (mars-avril 1965) suivi des deux premiers voyages au Proche-Orient de Willebrands accompagné de Duprey. II. Le deuxième travail de révision du Secrétariat (mai 1965). III. Le troisième voyage au Proche-Orient de Willebrands accompagné de De Smedt et Duprey (18 au 24 juillet 1965). IV. La dernière étape du travail de révision du Secrétariat (septembre 1965). I.  Le premier travail

Secrétariat (mars-avril 1965) et deux voyages au Proche-Orient (Willebrands – Duprey) de révision du

1.  Le premier travail de révision du Secrétariat (mars-avril 1965) Du 1er au 5 mars 1965, le Secrétariat a tenu sa première réunion plénière concernant l’Expensio modorum du De Iudaeis18. À partir du 24 février jusqu’au 27 février, les periti pour le De Habitudine avaient diocèse de Segni, dont L.M. Carli (1914-1986) était à ce moment évêque et dont on a mentionné plus haut les articles incendiaires. Lors de la discussion au Secrétariat du 13 mai 1965, Mgr Primeau se plaindra ouvertement de ces articles (cf. Rapport Long, pp. 13-14) et distribuera une copie d’une critique de ces articles dans The Christian Century, Who Kills Christ Now (cf. F. Moeller 2518, voir C. Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart [Cahiers de la RTL, 21], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989 [= F. Moeller]). 17.  Sur cette période, cf. R. Burigana – G. Turbanti, L’intersessione: Preparare la conclusione del Concilio, dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, IV, Bologna, Il Mulino, 1999, 483-648, pp. 578-591. 18.  Sur cette réunion, cf. le «Rapport de Willebrands sur les discussions concernant le schéma du décret De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas (session plénière du Secrétariat à Ariccia, 3-4 mars 1965)», 4 p. (ASV Conc. Vat. II, 1458); et Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Journal Congar], II, pp. 341345. Dans ce rapport, p. 3, Willebrands écrit qu’il a refusé d’admettre un représentant de la Secrétairerie d’État à la réunion d’Ariccia car il craignait que la presse n’ébruite une



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travaillé à l’Expensio modorum et retravaillé le texte. Celui-ci fut ensuite discuté en réunion plénière les 3 et 4 mars. Willebrands note qu’on a distribué aux membres les modi des Pères conciliaires, les observations des Pères qui, sans avoir voté iuxta modum, avaient envoyé des remarques au Secrétariat19, et enfin les réactions des chrétiens orthodoxes du ProcheOrient. Notons que De Smedt n’a pas assisté à cette discussion car, en raison d’une grande fatigue, il était retourné en Belgique le 3 mars20. Dans son rapport de la réunion, Willebrands relève les différentes modifications apportées au texte21 et, dans une lettre du 12 mars 1965, il informe brièvement De Smedt de l’issue des travaux et de ses projets de voyage au Proche-Orient22. Remarquons que, dans cette session, notamment grâce à une intervention vigoureuse du cardinal Shehan23, le texte disait clairement que les Juifs ne pouvaient être accusés du crime de deicidium et on faisait explicitement mention de ce terme24. Notons aussi que Cicognani avait envoyé une lettre à Bea, accompagnée d’un long dossier rassemblé par Mgr Angelo Felici, sous-secrétaire telle intervention. De même, dans son Agenda (pp. 155-156), à la date du 27 février 1965, Willebrands note qu’il a refusé la présence de Mgr Angelo Felici. 19.  Pour éviter que le texte n’obtienne pas les 2/3 requis de votes d’approbation, on avait donné à la «majorité» le mot d’ordre de regrouper les modi sur quelques Pères, en promettant qu’on tiendrait également compte des observations envoyées par écrit au Secrétariat (cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines [Cahiers de la RTL, 35], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal Prignon], p. 189). 20.  Agenda Willebrands, 3 mars 1965. Selon Congar la fatigue de De Smedt était aussi psychologique, parce qu’il avait dû accepter à contrecœur des changements dans le De Libertate religiosa (Journal Congar, II, p. 344). 21.  Dans ce rapport, De Smedt n’est pas mentionné comme ayant participé à la discussion. Sur les changements introduits dans le texte, cf. F. De Smedt 1465. Les changements introduits par les periti entre le 24 et le 27 février sont soulignés dans le texte et écrits à la machine. Les changements introduits dans la réunion plénière des 3 et 4 mars sont ajoutés à la main par Willebrands. Toutefois ce texte contient également quelques changements de la main de Willebrands et de la main de De Smedt qui ont été ajoutés lors de la réunion plénière du Secrétariat du 12 au 14 mai 1965. 22.  F. De Smedt 1430. Dans cette lettre Willebrands parle surtout du texte De Libertate religiosa. Concernant le texte De Habitudine il dit que les décisions finales seront prises à la réunion du mois de mai et qu’il fera un voyage à Beyrouth et à Damas la semaine suivante (et plus tard un autre voyage au Caire et à Jérusalem). 23.  L.J. Shehan (1898-1984), archevêque de Baltimore de 1961 à 1974, cardinal en 1965, membre du Secrétariat pour l’Unité, membre de la présidence du Concile en juillet 1965. 24. Cf. Oesterreicher, Kommentierende Einleitung (n. 7), p. 463. Le 16 février 1965, Moeller a noté dans son Journal: «Willebrands me demande si on ne devait pas faire sauter deicidium du texte sur les Juifs. Ceci confirme que, depuis la lettre de Gori, Bea est prêt à le faire sauter. Je réponds à Willebrands qu’il n’en est pas question» (F. Moeller, Carnet 26, pp. 6-7).

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à la Secrétairerie d’État pour les Affaires extraordinaires, concernant les réactions des pays arabes et d’Israël après le vote positif du Concile de la Declaratio De Iudaeis25. 2.  Le premier voyage de Willebrands et Duprey au Proche-Orient (18 au 23 mars 1965)26 Après avoir été reçu à Beyrouth le 18 mars par le nonce Alibrandi27, Willebrands rend visite le 19 mars à 10h45, au cardinal Tappouni28. Celui-ci lui déclare que s’il peut accepter la déclaration dans une perspective théologique («surtout si elle s’exprime plus clairement sur la responsabilité des Juifs dans la mort du Christ»), il la trouve cependant inopportune. En effet les Arabes et les Juifs sont en état de guerre et les Chrétiens orientaux, tant catholiques qu’orthodoxes, ne sont pas préparés à recevoir une telle déclaration (compte tenu, notamment, de leurs textes liturgiques qui remontent au sixième siècle). Dans l’après-midi Willebrands a un entretien à Bkerké avec le patriarche maronite, le cardinal Meouchi29, entretien qui se prolonge le 21 mars. Meouchi estime inopportune une déclaration au sujet des Juifs et de l’Islam, étant donné les tensions entre les deux peuples. Il se demande surtout si les éloges adressés aux Musulmans sont justifiés: «Ils ont persécuté les chrétiens pendant tous les siècles, nous sommes les fils des martyrs. Leur vie est plutôt animale et un scandale, malgré le bon exemple des chrétiens … ‘Homo animalis non intelligit ea quae Spiritus sunt’». Meouchi n’accepterait qu’une déclaration très générale qui n’entrerait pas dans les détails et qui pourrait être placée dans le texte sur la Liberté religieuse ou dans le Schéma XIII.

25.  Cf. ASV Conc. Vat. II, 1458. Le P. Schmidt fera un projet de réponse, qui fut aussi retravaillé par Willebrands, Stransky et Long. Et Bea enverra le 24 avril cette réponse à Cicognani (cf. ASV Conc. Vat. II, 1458; Agenda Willebrands, 14 et 15 avril 1965). 26. Cf. Agenda Willebrands, 18-23 mars 1965. Dans l’Annexe I on trouve en entier le rapport jamais encore publié de ce voyage rédigé par Willebrands, le 24 mars (cf. ASV Conc. Vat. II, 1458). 27.  G. Alibrandi (1914-2003), archevêque titulaire de Binda en 1961, nonce apostolique au Liban de 1963 à 1969. 28.  I.G. Tappouni (1879-1968), né à Mossoul, archevêque d’Alep en 1921, patriarche d’Antioche (des Syriens) de 1929 à sa mort, cardinal en 1935, membre du conseil de présidence du Concile. 29.  P.P. Meouchi (1894-1975), patriarche maronite d’Antioche de 1955 à sa mort, cardinal en 1965.



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Le samedi 20 mars, Willebrands a une conversation avec le patriarche Batanian30 qui le remercie de sa visite mais craint les graves conséquences que pourrait causer le texte aux chrétiens dans les pays arabes. Il propose lui aussi de retirer la déclaration du programme du Concile et de confier le tout au pape. Si cette solution s’avère impossible, il suggère de ne faire qu’une déclaration très mitigée. Dans l’après-midi, Willebrands se rend chez le Catholikos arménien Khoren31 et l’évêque Sarkissian32. Le Catholikos, qui est un ami sincère des catholiques, est fort ému par les cadeaux offerts par le Saint-Père (les médailles de la 3ème session du Concile) et il parle de la célébration du 50ème anniversaire des martyrs arméniens le 24 avril 1965. Le samedi soir, Willebrands va accueillir à l’aéroport le P. Duprey qui doit l’accompagner le reste du voyage. Le dimanche 21 mars, Willebrands rend une nouvelle visite, cette fois en compagnie du P. Duprey et du P. Corbon33, à Mgr Sarkissian. Celui-ci remarque qu’il a fait de grands efforts pour expliquer la déclaration aux chrétiens du Proche-Orient mais que les Arméniens sont étonnés qu’on ne parle que de la persécution des Juifs et pas de celles d’autres peuples également martyrisés, comme les Arméniens, d’autant plus que ceux-ci l’ont été pour leur foi chrétienne. Après un voyage en taxi à Damas, le soir, premier entretien avec le patriarche Maximos34, en présence des évêques Medawar35, Edelby36 et Tawil37. L’entretien avec Maximos se poursuit brièvement le lundi matin et aussi le lundi midi pendant le déjeuner. Maximos explique son point de vue. Selon lui, 1° le mieux serait de retirer la déclaration sur les Juifs, qu’il juge trop inopportune dans la 30.  I. Batanian (1899-1979), évêque de Mardin en 1933, patriarche de Cilicie des Arméniens de 1962 à 1976, membre de la commission pour les Églises orientales. 31.  Khoren I (1914-1983), Catholikos de l’Église arménienne orthodoxe. 32. Karekin Sarkissian (1932-1999), de l’Église arménienne orthodoxe, consacré évêque pour Téhéran en 1964, en 1995 élu Catholikos de l’Église arménienne orthodoxe, observateur au Concile. 33.  Jean Corbon (1924-2001), dominicain français, prêtre de l’éparchie grecque-catholique à Beyrouth, œcuméniste, membre de la commission théologique internationale. 34.  Maximos IV Saigh (1878-1967), archevêque melchite de Tyr en 1919, patriarche melchite d’Antioche (Syrie) de 1947 à sa mort, cardinal en 1965. 35.  P.K. Medawar (1887-1985), évêque auxiliaire melchite d’Antioche de 1943 à 1969. 36.  N. Edelby (1920-1995), né à Alep en Syrie, de l’Ordre basilien alepin, melchite, évêque auxiliaire d’Antioche en 1961, archevêque d’Alep de 1968 à sa mort. Il est l’auteur d’un journal intéressant sur Vatican II: N. Edelby, Il Vaticano II nel diario di un Vescovo arabo, éd. R. Canelli, Cinisello Balsamo, San Paolo, 1996. 37.  J.E. Tawil (1913-1999), évêque titulaire melchite de Myra en 1959, archevêque melchite de Newton (États-Unis) de 1976 à 1989.

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situation d’alors; 2° si l’on veut absolument une déclaration, il faudrait se contenter d’un texte très général qui n’entre pas dans les détails. Willebrands fait remarquer qu’il n’est guère envisageable de remettre toutes les difficultés dans les mains du Saint-Père et qu’il serait préférable de confier la question aux deux Secrétariats concernés, celui pour l’unité des chrétiens et celui pour les relations avec les religions non chrétiennes. Dans ce cas, on pourrait émettre une condamnation générale du racisme et de l’antisémitisme soit dans un autre document soit dans le Schéma XIII. Maximos se déclare tout à fait d’accord avec cette idée. Willebrands ajoute toutefois qu’il lui semble difficile de retirer la déclaration, étant donné la pression de l’opinion publique et la position des évêques tant des États-Unis que de plusieurs pays européens. Le lundi 22 mars, Willebrands et Duprey se rendent à 9h30 chez le patriarche syrien-orthodoxe Ignatius Jacoub. C’est ce patriarche qui avait réagi violemment contre la déclaration38. Cette fois, il ne reprend plus ses arguments et il ajoute que, même s’il manifeste un désaccord sur une question particulière, cela ne signifie pas pour autant qu’il est adversaire des catholiques. Il se plaint cependant de l’attitude de certains évêques catholiques qui n’ont plus voulu le rencontrer après sa lettre contre la déclaration. Lui aussi a apprécié le cadeau du pape et il espère qu’un jour l’unité sera réalisée. De 10h30 à 11h Willebrands et Duprey font une brève visite de courtoisie au patriarche grec-orthodoxe Theodosios qui les reçoit avec une grande cordialité. Les deux voyageurs ont encore eu un contact avec l’internonce Punzolo39 et, en retournant à Beyrouth, ils ont fait une visite au Petit Séminaire Sainte Anne et au monastère orthodoxe Deir el Harf. Le 23 mars au matin, ils quittent Beyrouth pour retourner à Rome. Le mercredi 24 mars, Willebrands boucle son rapport de voyage40; le soir, il rencontre le cardinal Bea et le jeudi à 10h30 il rend visite à Mgr

38.  Le 25 novembre 1964, Jacoub avait, dans un communiqué, accusé Rome de verser dans l’hérésie en rejetant le dogme de l’Église selon lequel la responsabilité de la crucifixion du Christ retombe sur le peuple hébreu jusqu’à la fin du monde (cf. Caprile, Il concilio Vaticano II, V [n. 11], p. 278). 39.  L. Punzolo (1905-1989), prêtre italien de Pozzuoli, internonce en Syrie de 1962 à 1967. 40. Cf. Agenda Willebrands, 24 mars 1965.



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Casaroli41 à la Secrétairerie d’État, probablement pour lui remettre son rapport. Le 6 avril, il fait rapport de son voyage à Mgr Felici42. Ce voyage de Willebrands a encore été suivi par un incident avec la Secrétairerie d’État. En effet, la Secrétairerie d’État avait demandé, le 19 mars 1965, aux nonces au Liban et en Syrie de faire un rapport sur ce séjour de Willebrands. Le cardinal Cicognani avait transmis, le 11 avril, ces rapports à Bea, qui les avait fait lire à Willebrands le 15 avril. Aussi bien Bea que Willebrands ont considéré ces rapports comme des signes de méfiance. Dans une lettre du 20 avril 1965 à Bea, Willebrands a protesté de manière officielle contre ces pratiques43. 3.  Le deuxième voyage de Willebrands et Duprey au Proche-Orient (23 au 30 avril 1965)44 Après leur premier voyage à Beyrouth et à Damas, les deux émissaires se rendent cette fois à Jérusalem, au Caire et à Addis Abeba. À Jérusalem, ils vont chez le patriarche Gori45, le Custode de la Terre Sainte Cappiello46, le métropolite grec-orthodoxe Basilios47 et l’archimandrite Germanos48, le patriarche arménien orthodoxe Derderian49, le délégué apostolique Zanini50, l’archevêque anglican McInnes51. Au Caire, ils 41.  A. Casaroli (1914-1998), à l’époque du Concile, sous-secrétaire pour les Affaires extraordinaires à la Secrétairerie d’État, cardinal en 1979 et Secrétaire d’État de 1979 à 1990. 42.  Agenda Willebrands, 6 avril 1965. 43.  Sur l’entretien de Willebrands et Bea, cf. Agenda Willebrands 15 avril 1965. Sur le rapport des nonces et la lettre de Willebrands à Bea, cf. ASV Conc. Vat. II, 1458. Sur le texte de cette lettre cf. Annexe II. Le fait que Willebrands a écrit – non sans quelques fautes – cette lettre en français (en ce temps encore la langue diplomatique officielle du Saint-Siège) montre qu’elle devait être transmise à la Secrétairerie d’État. 44.  Le fait que Willebrands transmet à plusieurs de ses interlocuteurs des cadeaux du pape, démontre bien que son voyage avait un caractère officiel et mandaté. 45.  A. Gori (1889-1970), franciscain italien, patriarche latin de Jérusalem de 1949 à sa mort. 46.  Lino (Vincenzo) Cappiello (1889-1970), franciscain italien, custode de la Terre Sainte de 1952 à 1968. 47.  Basilios, archevêque grec-orthodoxe à Jérusalem. Il avait été à Rome pour remercier le pape du retour des reliques de St Saba en Palestine. 48.  Germanos, archimandrite grec orthodoxe, supérieur de l’église du Saint Sépulcre à Jérusalem. Il avait accompagné Basilios chez le pape. 49.  Yeguishe Derderian (1910-1990), né à Van (Turquie), patriarche arménien de Jérusalem de 1960 à 1990. 50.  L. Zanini (1909-1997), délégué apostolique à Jérusalem et en Palestine de 1962 à 1966. 51.  McInnes, archevêque anglican à Jérusalem. Son évêque auxiliaire Cubaïn, qui était Arabe mais de nationalité jordanienne avait écrit un article très fort contre la Declaratio De Iudaeis, sans en connaître le texte (cf. AS V, III, p. 316).

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rendent visite au nonce Brini52, au patriarche copte-orthodoxe Kyrillos53 accompagné de l’évêque Amba Samuil54, à l’ambassadeur du Liban et au patriarche Sidarouss55. Enfin, à Addis-Abeba, ils sont reçus par l’empereur Hailé Sélassié56, l’évêque copte Theophilos57 et l’évêque grec-orthodoxe Nikolaos58. Willebrands a rédigé un long rapport de ce voyage et l’a envoyé à Mgr Dell’Acqua le 9 mai 196559. Il en ressort qu’il est fortement impressionné par ses interlocuteurs qui ont souligné le danger de réactions violentes contre les chrétiens dans les pays arabes et d’une rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège par tous les États arabes, à l’exception du Liban. Finalement il propose deux solutions: – soit introduire des modifications dans le texte – soit proposer aux Pères du Concile de ne pas promulguer la déclaration mais de voter une motion recommandant aux deux Secrétariats (pour l’unité et pour les religions non chrétiennes) de promouvoir le dialogue dans l’esprit du texte approuvé en principe à la fin de la 3ème session. Il est intéressant de noter que Bea, dans un entretien daté du 8 mai, a exigé que cette deuxième solution (que Willebrands avait déjà proposée à Maximos le 21 mars et à l’évêque Samuil le 26 avril60) soit présentée uniquement comme une opinion personnelle de Willebrands61. 52.  M. Brini (1908-1995), internonce apostolique en la République Arabe Unie de 1961 à 1965, secrétaire de la Congrégation orientale de 1965 à 1982. 53.  Kyrillos VI (1902-1971), patriarche copte-orthodoxe de 1959 à sa mort. 54.  Amba Samuil, évêque copte orthodoxe, chargé des affaires sociales du patriarcat d’Alexandrie, observateur au Concile. 55.  S. Sidarouss (1904-1987), patriarche d’Alexandrie des coptes catholiques de 1958 à 1986, membre de la commission pour les Églises orientales, cardinal en 1965. 56.  Hailé Sélassié (1892-1975), empereur d’Éthiopie de 1930 à 1936 et de 1941 à 1974. 57.  Theophilos (1909-1977), évêque copte de Harar en 1947, patriarche de l’Église copte-orthodoxe en 1971. 58.  Nikolaos, archevêque grec-orthodoxe. 59. Cf. AS V, III, pp. 313-320. 60.  AS V, III, pp. 317-318. 61. Cf. Agenda Willebrands, 3, 6, 8 et 9 mai 1965. Ceci nous incite à penser que Bea, de nationalité allemande et spécialiste de l’Ancien Testament, tenait plus que Willebrands à une promulgation définitive d’une Declaratio De Iudaeis. T. Salemink (cf. l’Introduction de sa publication «You Will Be Called Repairer of the Breach»: The Diary of J.G.M. Willebrands 1958-1961 [Instrumenta Theologica, 32], Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009, pp. 19-22 semble lui aussi insinuer qu’avant le Concile Willebrands avait quelques réserves vis-à-vis de l’État d’Israël et des hésitations à inclure le dialogue avec les Juifs dans le travail œcuménique. Quand Felici écrit le 24 mai dans un Pro Memoria que cette proposition est avancée par Willebrands «con il consenso, ci sembra, dell’Em.mo Card. Bea», il se trompe (cf. AS V, III, p. 331).



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II.  Le deuxième travail de révision du Secrétariat (9 au 15  mai 1965) La deuxième réunion plénière du Secrétariat qui a débattu du texte De Iudaeis s’est déroulée du 12 au 14 mai. Toutefois certains periti se sont déjà réunis à partir du 3 mai62. Il faut noter que, le 24 avril, le pape avait fait parvenir une note à Bea pour lui signaler que Maximos IV lui avait demandé avec insistance d’ôter du programme du Concile le texte du De Iudaeis. Le pape ajoutait qu’il avait entendu dire que Maximos quitterait l’aula conciliaire si le texte De Iudaeis était maintenu63 et que, dans ce cas, il se sentirait obligé de suspendre le débat sans promulguer le texte De Iudaeis64. Examinons à présent plus en détail le rôle que De Smedt a joué dans ce débat65. 1.  Le 12 mai pendant la matinée Le 12 mai, la réunion commence à 9h par une longue introduction de Willebrands qui propose à nouveau les deux solutions suggérées à la fin de son rapport de voyage. Ensuite le cardinal Bea prend la parole en soulignant les obstacles auxquels se heurte la déclaration. Le président du Liban lui a dit que le texte suscitera de grandes difficultés en Orient. Il est fort probable que la réforme des textes de la liturgie orientale prendra beaucoup de temps66. On constate que certains Juifs en font une question politique. Enfin, en ce qui concerne le deicidium, on ne peut dire que la théologie biblique ait répondu à toutes les questions suscitées par l’emploi de ce mot.

62.  Pour le De Habitudine, il y a eu des réunions et des contacts avec des periti, les 3, 5 et 8 mai (cf. Agenda Willebrands). 63.  Il est probable que le pape avait lu cette menace dans le rapport sur le séjour de Willebrands que le nonce Punzolo avait envoyé le 27 mars 1965 à Cicognani (cf. ASV Conc. Vat. II, 1458). 64.  AS V, III, p. 211. Le pape écrit ses remarques en marge du texte remanié par le Secrétariat les 3 et 4 mars (cf. F. De Smedt 1465). Ceci prouve que le pape se tenait au courant des dernières évolutions. 65.  Le long rapport (23 p.) du Père Long s.j. concernant les sessions des 12, 13 et 14 mai (cf. ASV Conc. Vat. II, 1458) ainsi que les archives De Smedt nous permettent de suivre de près la discussion mouvementée. 66.  Jean XXIII avait déjà supprimé dans la liturgie du Vendredi Saint le «oremus pro perfidis Iudaeis».

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Le cardinal propose ensuite plusieurs issues possibles: – amender le texte, – retirer le texte du Concile pour le donner aux deux Secrétariats (pour l’unité et pour les religions non chrétiennes), – remettre le tout au pape, – ou demander au Concile de promulguer uniquement une déclaration très générale concernant les principes que l’Église doit observer dans les relations avec les non chrétiens mais omissis omnibus particularibus. Heenan intervient immédiatement en soulignant qu’il ne faut pas se laisser guider par la peur des réactions. Pour lui, l’approbation du texte par le Concile prouve que les pères tiennent au terme deicidium. Il ajoute qu’il ne serait nullement impressionné si Maximos quittait le Concile. C’est à ce moment que De Smedt fait une longue intervention dont nous énumérons ici les points principaux67: 1. Le texte est bon et n’offense personne. 2. Le texte doit être promulgué: – Il y va de l’honneur de l’Église (car il s’agit d’un texte approuvé à une très grande majorité). – Il y va de la confiance du monde dans le Concile. – Il y va de la mémoire du pape Pie XII (cf. Der Stellvertreter de Rolf Hochhuth68). – Il y va du prestige de Paul VI (une absence de promulgation provoquera une atmosphère pareille à celle de la dernière semaine de la 3ème session69 et fera se répandre la rumeur que Paul VI ne veut pas défendre les Juifs). 3. Par charité pour les frères orientaux catholiques et orthodoxes, il faut éviter, dans la mesure du possible, les conséquences mauvaises de la promulgation du texte. À cet effet, on doit: – Exhorter ces frères à changer certaines expressions liturgiques. 67.  Cf. Rapport Long et F. De Smedt 1477 (cette page est écrite à la main et en style télégraphique – nous avons gardé en grande partie ce style). Parfois il y a une légère différence entre les notes de De Smedt et le rapport de Long. Dès le 11 mai à 15h30, De Smedt avait eu un entretien d’une demi-heure avec Willebrands. Il est probable qu’il lui a parlé de son intervention (Agenda Willebrands, 11 mai 1965). 68.  En français «Le Vicaire». Cette pièce de théâtre, écrite en 1963, accusait lourdement Pie XII d’avoir gardé le silence sur la Shoah et elle a causé beaucoup de remous. 69.  L’ajout de la Nota Explicativa Praevia à la constitution Lumen gentium et le fait que le texte De Libertate religiosa n’avait pas pu être voté, avaient créé une atmosphère de mécontentement vis-à-vis du pape dans la dernière semaine de la session, appelée par certains «settimana nera».



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– Avoir le courage d’enlever du texte le mot deicidium pour des raisons œcuméniques et fraternelles (Il y aura peut-être des réactions violentes à cette suppression, mais le Secrétariat doit le faire). – Garder, à la p. 8, ligne 1770, «Memor quoque ... reprobat et damnat», en ajoutant éventuellement «quaestionibus politicis non sese immiscens sed religiosa caritate impulsa». – Expliquer le texte aux évêques catholiques et orthodoxes. Et leur demander d’expliquer ce texte à leurs fidèles. 2.  Le 12 mai après-midi Dans l’après-midi (16h30), De Smedt poursuit son intervention, interrompue le matin par le départ du cardinal Bea au Saint-Office. Selon lui, il faut: – faire une campagne d’information par la voie des ambassades, des nonciatures et du Conseil Œcuménique des Églises de Genève – et faire jouer l’opinion mondiale contre une persécution éventuelle [des chrétiens dans les pays musulmans] dont il ne faut pas exagérer la probabilité car on n’a constaté que peu de mouvements en ce sens jusqu’alors. De Smedt ajoute qu’il n’est pas d’accord avec Heenan (qui n’attachait pas tellement d’importance à la menace des Orientaux de quitter le Concile). Et il conclut: Je propose mon opinion après prière et mûre réflexion. J’ai du respect pour l’opinion opposée. Il faut se rallier à l’opinion de la majorité et à la décision du Concile. Il faut avoir du courage comme les cardinaux von Galen71, von Faulhaber72, De Jong73 et Van Roey74. En tout cas nous devons couvrir la 70.  Le texte approuvé en mars (F. De Smedt 1465) disait dans son dernier paragraphe: «Memor quoque communis cum Iudaeis patrimonii, Ecclesia vera evangelica caritate impulsa odia et persecutiones … reprobat et damnat». 71.  Clemens August von Galen (1878-1946), évêque de Münster de 1933 à sa mort. Il était connu pour sa résistance au régime nazi et était appelé «Der Löwe von Münster». Cardinal en 1946. Béatifié en 2005. 72.  Michael von Faulhaber (1869-1952), archevêque de Munich de 1917 à sa mort, cardinal en 1921. Connu pour sa critique du nazisme. 73.  Johannes De Jong (1885-1955), archevêque d’Utrecht de 1936 à sa mort, cardinal en 1946. Pendant la guerre, en 1942, il avait pris la responsabilité d’une lettre pastorale collective des évêques protestant contre la persécution des Juifs par les nazis. 74.  Jozef Ernest Van Roey (1874-1961), archevêque de Malines de 1926 à sa mort. De Smedt, qui avait été évêque auxiliaire de Van Roey de 1950 à 1952, lui vouait une grande

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couronne et ne pas obliger le pape à prendre seul la responsabilité. Cela est devenu une affaire politique. Je suis d’accord avec ce que le pape décidera mais il ne doit pas porter tout seul le poids de la décision.

En résumé, il demande à la fin de son intervention: – qu’on promulgue la déclaration, – qu’on aide les frères orientaux en ces temps difficiles pour eux, – qu’on change le mot «deicidium», en ajoutant une note explicative, – qu’on ajoute dans le texte après «memor quoque: quaestionibus politicis non se immiscens sed religiosa caritate impulsa». Dans la suite, la discussion continue avec les interventions du cardinal Martin75, de Gran76, de Rabban77, de Hermaniuk78, de Stangl79, de Holland80 et de Mansourati81. Vers la fin de la réunion82, le cardinal Bea annonce qu’il fera distribuer le lendemain un nouveau texte susceptible de remplacer la Declaratio dans le cas où celle-ci ne serait pas promulguée83. admiration pour son courage pendant la guerre. L’estime était réciproque et Van Roey regrettait la promotion de son auxiliaire au siège de Bruges. Il en tenait responsable le nonce Cento et avait dit: «Le nonce! Faire cela à moi à mon âge» [souvenir raconté par De Smedt à Leo Declerck]. Par contre l’évêque auxiliaire Suenens ne partageait guère cette admiration pour son archevêque (cf. L.-J. Suenens, Souvenirs et espérances, s.l., Fayard, 1991, pp. 45-47). 75.  J.M. Martin (1891-1976), archevêque de Rouen de 1948 à 1968, cardinal en 1965, membre du Secrétariat pour l’Unité. 76.  J.W. Gran o.c.s.o. (1920-2008), norvégien, évêque d’Oslo de 1964 à 1983, membre du Secrétariat pour l’Unité. 77.  R. Rabban (1910-1967), archevêque de Kerkük des Chaldéens (Iraq) de 1957 à sa mort, membre du Secrétariat pour l’Unité. 78.  M. Hermaniuk (1911-1996), rédemptoriste ukrainien, archevêque de Winnipeg (pour les Ukrainiens) de 1956 à 1992, membre du Secrétariat pour l’Unité. 79.  J. Stangl (1907-1979), évêque de Würzburg de 1957 à 1979, membre du Secrétariat pour l’Unité. 80.  T. Holland (1908-1999), évêque de Salford de 1964 à 1983, membre du Secrétariat pour l’Unité. 81.  C.I. Mansourati (1917-1982), libanais, archevêque titulaire et auxiliaire du patriarcat d’Antioche (Syrie) de 1963 à sa mort, membre du Secrétariat pour l’Unité. 82.  Moeller note, le 12 mai 1965: «On a discuté. On sent que la situation se détériore» (F. Moeller, Carnet 27). 83.  Cf. F. De Smedt 1470; ASV Conc. Vat. II, 1458. Ce texte de trois pages était rédigé en des termes très généraux et ne parlait plus explicitement ni des Juifs ni des Mahométans ni des Bouddhistes. Dans un N. B. qui précédait le texte, il était écrit: «Scopus huius novi schematis est Declarationem reducere ad sola principia generalia, quibus pristinus textus innititur, non memorata ulla religione particulari, ut cuiuscumque partis quae est in quaestione offensio vitetur». Hermaniuk écrit le 14 mai 1965 que ce texte venait probablement du Saint-Père (cf. K. Schelkens – J. Skira, The Conciliar Diary of Metropolitan Maxim Hermaniuk C.SS.R. (1911-1996): Annotated Ukrainian-English Edition [Eastern Christian Studies, 15], Leuven, Peeters, 2012, p. 237). Toutefois ceci est contredit par C. Moeller qui note, le 11 mai 1965, que Duprey lui a dit que le pape a



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3.  Le 13 mai Le lendemain, le 13 mai à 9 h, se déroule une nouvelle réunion difficile84. Elle commence par l’examen du texte. Après une discussion serrée (Primeau85, Mansourati, Rabban, Lamont86), on vote d’abord sur le mot deicidium. Neuf membres veulent garder le mot et quinze veulent l’omettre. On n’obtient donc pas une majorité des 2/3 (en principe nécessaire pour changer un texte déjà approuvé). De plus, Mgr Holland n’est pas présent à la réunion. Une controverse s’ensuit pour savoir si oui ou non on a besoin d’une majorité des 2/3. Bea déclare qu’il soumettra la question à la commission de coordination (dans la soirée, on reviendra sur la question et l’omission sera alors approuvée avec 17 voix contre 6). Après un vote sur quelques autres modi, De Smedt propose son ajout après «memor quoque»: «Ecclesia quaestionibus politicis non sese immiscens sed religiosa caritate impulsa, odia…». Le modus est encore modifié par Mgr Lorscheider et devient: «non rationibus politicis sed religiosa87 caritate evangelica impulsa». Ce modus est accepté avec 23 placet. Par après, Willebrands donne lecture des modi du pape88. À plusieurs reprises, De Smedt intervient dans le débat, qui continuera l’après-midi. – De Smedt se déclare d’accord pour laisser tomber l’expression damnat. À l’unanimité l’assemblée accepte de remplacer reprobat et damnat par deplorat89. adopté la deuxième solution de Willebrands, ce que Moeller préfère à la solution de Bea (promulguer un texte général). Cf. F. Moeller 2524. C. Moeller a noté, le 12 mai 1965, dans son journal: «Cardinal [Bea] contre la non publication. De Smedt aussi. Mais [ils] disent [de] supprimer déicide» (cf. F. Moeller, Carnet 27, pp. 32-33). 84.  Hermaniuk a noté, le 13 mai, dans son Journal: «The atmosphere of the meeting became very hard and unpleasant. The members of the Commission split up». 85. E. Primeau (1909-1989), évêque de Manchester (États-Unis) de 1959 à 1974, membre du Secrétariat pour l’Unité. 86.  D. Lamont (1911-2003), carme irlandais, évêque d’Umtali (Zimbabwe) de 1957 à 1981, membre du Secrétariat pour l’Unité. 87.  Par erreur le rapport de Long écrit «religione caritate». 88.  Sur les cinq modi du pape, cf. AS V, III, pp. 212-213. Cf. aussi la lettre de Dell’Acqua à Willebrands du 27 avril 1965, avec les remarques que le pape avait transmises à Bea lors de son audience, et la réponse de Willebrands à Dell’Acqua du 5 mai 1965 (ASV Conc. Vat. II, 1447). 89.  Dans son livre La Chiesa e il popolo ebraico (Brescia, Morcelliana, 1966), Bea donne une longue explication sur le terme «deplorat» qu’il faut traduire par «­profondamente

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–  Après que Bea a affirmé qu’on était libre de discuter sur les modi du pape90, De Smedt déclare qu’il n’est pas d’accord avec le modus demandant d’omettre la phrase «Memor quoque communis cum Iudaeis patrimonii, Ecclesia … reprobat et damnat» mais il propose de transférer le texte du n° 5 au n° 4 et de l’insérer après l’incise «quasi hoc ex Sacris Litteris sequatur» (p. 7, ligne 20)91. Cette proposition est acceptée avec 17 placet contre 6 non placet. – Un modus suggérait de dire au n° 3 à propos des musulmans: «vitam quoque moralem in obsequium Dei ducere conantur». De Smedt suggère à ce propos d’écrire: «Exinde vitam moralem aestimant et Deum maxime in oratione, eleemosynis et ieiunio colunt». Ce qui est accepté à l’unanimité. Puis on vote sur la proposition de De Smedt, légèrement changé par Lorscheider, d’ajouter: «non rationibus politicis sed religiosa caritate evangelica impulsa». Elle est acceptée à l’unanimité. Au cours d’une nouvelle discussion sur le terme «antisemitismus», De Smedt propose d’écrire: «odia, persecutiones, antisemitismi manifestationes, quovis tempore et a quibusvis in Judaeos habita, deplorat»92. Cette proposition est acceptée par 17 voix contre 4, et un vote nul. Le même jour De Smedt a travaillé à la rédaction d’une Propositio destinée à être soumise à l’assemblée uniquement dans le cas où le pape jugerait que la déclaration ne pouvait être promulguée. Ce texte reprend assez largement la deuxième solution du Rapport de Willebrands envoyé à Dell’Acqua93. Cette version ronéotypée a été distribuée aux membres le 13 mai94, en même temps qu’un texte alternatif de Bea, mais elle ne sera discutée que le 14 mai. Nous reproduisons dans lamentare» ou «aufs tiefste bedauern» (p. 107, n. 3). Il faut aussi remarquer que Shehan et Journet – à la demande de Maritain – enverront dans la suite des lettres à Paul VI, transmises par Cicognani à Bea le 14 octobre 1965, pour regretter ce changement (cf. AS V, III, pp. 424-427). 90.  Bea avait ajouté: «Quando Summus Pontifex nobis communicavit suggestiones De Oecumenismo erant 40, ex quibus accepimus 19. Alias non accepimus. Etiam hic, liberi sumus» (allusion à l’intervention tardive du pape sur le texte du De Oecumenismo lors de la dernière semaine de la 3ème session). 91.  Sur la référence exacte du changement, cf. F. De Smedt 1465. 92.  Cf. F. De Smedt 1467, p. 4, l. 18-19. 93.  L’ASV Conc. Vat. II, 1458, contient la version manuscrite de ce texte (écrit sur papier du Pontificio Collegio Belga) et le F. De Smedt 1468 a conservé la version dactylographiée au Secrétariat et datée du 13 mai 1965. 94. Cf. Agenda Willebrands, 13 mai 1965.



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l­’­Annexe III ce texte inédit qui témoigne de la volonté de compromis de De Smedt et nous allons voir immédiatement le sens que l’évêque de Bruges lui attribuait. 4.  Le 14 mai Le 14 mai, à 9h la réunion reprend. Après une discussion sur la Relatio de la Declaratio De Libertate religiosa et sur le communiqué de presse95, De Smedt présente sa Propositio en l’accompagnant des commentaires suivants: 1. Cette proposition est uniquement rédigée dans l’hypothèse où la Declaratio ne pourrait pas être promulguée pour des raisons indépendantes de notre volonté. 2. Il est de grande importance que le texte que nous avons rédigé soit officiel et voté, même s’il n’est pas promulgué. Ce doit être un document officiel, approuvé par le Concile, et envoyé au Secrétariat pour lui signifier: «Ce texte sera la norme que vous devez suivre dans votre travail. La promulgation pourra se faire, de façon prudente, au moment opportun». 3. Donc le Concile ne doit pas traiter d’un texte tronqué96, mais du texte actuel. S’il n’est pas promulgué, c’est uniquement pour des raisons d’opportunité. Mais le texte lui-même doit être conservé parce que les difficultés soulevées à l’égard de sa promulgation ne concernent pas le contenu du texte lui-même. 4. Nous n’avons pas la compétence pour prendre une décision sur la question de la promulgation. Nous ne pouvons que prendre des décisions au sujet des modi. 5. Mais nous ne sommes pas seulement une commission conciliaire mais aussi le Secrétariat pour l’Unité. Pour des raisons œcuméniques, notre Secrétariat pourrait demander au Saint-Père l’autorisation de poser au Concile les questions qui se trouvent dans ma Propositio. 6. Mgr Willebrands ne peut pas tenir son discours au Concile. C’est trop délicat et on ne pourrait que le résumer. Ma proposition pourrait remplir cette fonction. Les raisons œcuméniques sont, d’une part, l’impréparation des esprits et, d’autre part, les tensions existantes. 7. C’étaient les raisons de ma proposition. Nous n’avons aucun mandat, aucune autorité pour faire un autre document. Nous ne pourrions entreprendre une nouvelle rédaction qu’après en avoir reçu mandat du Concile. 95.  Sur le texte de ce communiqué, cf. F. Moeller 2516. 96.  C’est probablement une allusion au texte alternatif proposé par Bea.

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Plusieurs évêques (Mansourati, van Velsen97, Helmsing98) sont d’avis qu’on ne peut pas abandonner le texte déjà approuvé par le Concile. Comme la discussion n’aboutit pas99 (et que par ailleurs 13 des 30 membres ne sont plus présents), Bea conclut qu’on soumettra le texte amendé aux Pères, qui très probablement vont l’approuver. Mais il faudra préparer les esprits, aussi bien en Orient qu’en Occident, pour que le texte soit bien accueilli et expliqué. Si toutefois les Pères n’approuvaient pas le texte, il reste alors la possibilité de l’envoyer aux deux Secrétariats ou de proposer un autre texte. 5.  Issue incertaine de la session de mai On peut donc constater qu’après cette session de mai, le sort du texte De Iudaeis reste fort incertain100. Malgré des changements assez importants introduits dans le texte, le Secrétariat lui-même semble hésiter sur la voie à suivre101. On ignore également quelle sera la décision du pape. Pour sortir de l’incertitude, on décide d’organiser une nouvelle prise de 97.  G. van Velsen (1910-1996), dominicain néerlandais, évêque de Kroonstad de 1951 à 1975, membre du Secrétariat pour l’Unité. 98.  C.H. Helmsing (1908-1993), évêque de Kansas-City de 1962 à 1977, membre du Secrétariat pour l’Unité. 99.  Dans son Agenda (14 mai) Willebrands a noté: «Au sujet du De Iudaeis, le projet alternatif de Mgr De Smedt. On a décidé de ne pas continuer la discussion de ces propositions alternatives». C’est ainsi que De Smedt a écrit à la main sur son texte de la Propositio: «Meegedeeld aan Secretariaat. Geen gevolg» [Communiqué au Secrétariat. Pas de suite]. 100.  Cf. la lettre de Suenens à Dell’Acqua du 14 mai 1965, écrite de Rome où il s’était rendu pour la réunion de la commission de coordination. Suenens dit son inquiétude parce qu’il a appris que le Secrétariat était en train de modifier profondément le texte sur les Juifs, accueillant en cela une suggestion présentée au nom du Saint-Père. Suenens attire l’attention sur les graves répercussions qu’une telle modification risque de soulever dans l’opinion mondiale et au Concile (AS V, III, p. 321 et F. Prignon 1134, où on trouve quatre projets de cette lettre; cf. J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. Prignon et H. Wagnon [Cahiers de la RTL, 24], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991 [= F. Prignon]). On peut constater ici que Suenens et De Smedt (qui avait proposé l’omission de deicidium) ne se trouvaient pas sur la même longueur d’ondes. D’ailleurs, le 13 mai 1965, De Smedt avait demandé à Moeller de ne rien dire au cardinal Suenens (F. Moeller, Carnet 27). 101.  Le 24 mai 1965, Willebrands s’entretient à Bossey avec Visser ’t Hooft (19001985), protestant réformé néerlandais, premier secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises de 1948 à 1966 (Agenda Willebrands, 24 mai 1965). Visser ’t Hooft estime que le texte De Habitudine est très bon et qu’on peut supprimer deicidium. Mais il insiste pour que le texte soit promulgué par le Concile (Note de Willebrands, 29 mai 1965, ASV Conc. Vat. II, 1458). Dans une Note du 19 juin 1965 de 5 pages pour l’ambassadeur de Belgique auprès du Saint-Siège, Prignon donne une excellente esquisse de la problématique (cf. F. Prignon 1135).



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contact avec les patriarches orientaux. C’est là l’origine du voyage de Willebrands, De Smedt et Duprey au Proche-Orient à la fin du mois de juillet. III.  Le voyage de De Smedt, Willebrands et Duprey au ProcheOrient du 18 au 24  juillet 1965 1.  La préparation du voyage La première allusion au nouveau voyage de Willebrands se trouve dans une lettre de Cicognani à Bea (5 juin 1965)102. Cicognani indique quelques modifications supplémentaires à apporter au texte, après en avoir parlé avec le pape103, et suggère que Willebrands se rende en Orient «con qualche altro prelato» pour présenter le texte amendé aux patriarches orientaux104. Ce n’est que le 18 juin que Willebrands est mis au courant de cette lettre105 et, le 22 juin, dans une audience privée, le pape lui parle de ce voyage et de la déclaration De Habitudine. Le 2 juillet, il s’entretient avec Bea au sujet du voyage106. Le 4 juillet Cicognani écrit à Bea que le pape veut qu’une «commission» aille présenter aux Patriarches orientaux le texte De Habitudine pour sonder leurs réactions107. Le 8 juillet, Willebrands a une nouvelle audience chez le pape et, le soir, il envoie le projet des lettres pour les patriarches (Maximos, Meouchi, Sidarouss et Tappouni) à Dell’Acqua. Ce projet devrait être signé par le pape et donne la composition de la délégation: De Smedt, Willebrands et Duprey. Finalement la lettre officielle aux patriarches sera 102.  ASV Conc. Vat. II, 1447. Tout en exprimant sa satisfaction sur les modifications introduites dans le texte, Cicognani propose de supprimer les deux incises suivantes: – «Judaei igitur neque ut a Deo reprobati neque ut maledicti exhibeantur, quasi hoc ex Sacris Litteris sequatur». – «antisemitismi manifestationes, quovis tempore et a quibusvis». 103.  Il est intéressant de noter que, le 15 juillet, Bea signale à Willebrands que le pape n’avait pas été mis au courant des remarques de Cicognani (Agenda Willebrands, 15 juillet 1965). Le même jour, Willebrands rédige pour Bea un projet de lettre de réponse à Cicognani. Bea envoie cette lettre le 16 juillet (Agenda Willebrands, 14 et 15 juillet; ASV Conc. Vat. II, 1447). 104.  ASV Conc. Vat. II, 1447. 105.  Agenda Willebrands, 18 juin 1965. Le mois de juin était particulièrement chargé pour Willebrands. Du 30 mai au 16 juin, il fait un long voyage en URSS et en Finlande; les 19 et 20 juin, il est à Vienne; du 23 juin au 1er juillet, il est en voyage en Bulgarie et en Yougoslavie. 106. Cf. Agenda Willebrands, juin-juillet 1965. 107.  ASV Conc. Vat. II, 1447 et 1459.

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signée par Cicognani et envoyée le 10 juillet (également à Batanian et à Gori)108. Le 9 juillet, Willebrands écrit à De Smedt pour lui envoyer le plan du voyage, le texte du De Habitudine et le compte rendu de la dernière réunion du Secrétariat. Il donne les adresses de leur logement et signale qu’ils devront encore, après le voyage, rendre visite aux ambassades des pays arabes à Rome109. Il ajoute que le pape lui a dit: «De ce paragraphe dépend le Concile»110. Le même jour, Willebrands a une entrevue avec Dell’Acqua et suggère de créer un service spécifique d’information sur le Concile à destination du monde musulman. Le 14 juillet, Willebrands se rend une dernière fois chez Cicognani pour préparer son voyage. Le 15 juillet, Mgr De Smedt lui téléphone pour obtenir quelques informations pratiques concernant le voyage111. Le 16 juillet, Willebrands part à Istanbul avec Duprey pour assister à une audience d’Athénagoras et il arrive à Beyrouth le 18 juillet vers 18h. À 19h, Mgr De Smedt, qui venait directement de Bruges, les rejoint à l’aéroport. Tout en ne disposant pas d’indications directes dans les archives, on peut supposer que c’est Willebrands lui-même qui a choisi De Smedt comme le «qualche altro prelato» qui devait l’accompagner. De Smedt était vice-président du Secrétariat et, au Concile, il avait acquis un grand prestige, notamment comme rapporteur du texte sur la liberté religieuse. De plus Willebrands et De Smedt parlaient la même langue et ils s’étaient liés d’amitié112. Il est probable que Willebrands avait également apprécié le caractère modéré, sage et pragmatique des interventions de De Smedt lors de la réunion du Secrétariat en mai 1965. Il est intéressant de noter que, vu le caractère confidentiel et délicat de ce voyage, De Smedt avait rédigé le 16 juillet un communiqué de presse dans lequel il annonçait qu’il devait partir le 18 juillet à Rome afin de participer à des travaux préparatoires pour la 4ème session du Concile et qu’il resterait une dizaine de jours sur place113. 108.  ASV Conc. Vat. II, 1459. 109.  Ce qui n’a pas été fait au mois de juillet. C’est seulement les 27 et 28 septembre que Willebrands a porté le nouveau texte du De Habitudine aux ambassades de la RAU, du Liban, de la Jordanie, de l’Iraq et de la Syrie. Le 28 septembre, il a eu également un entretien avec l’ambassadeur et le secrétaire de l’ambassade de la RAU (Agenda Willebrands, 27 et 28 septembre 1965). 110.  Sur cette lettre, cf. F. De Smedt 1473; ASV Conc. Vat. II, 1459. 111.  Agenda Willebrands, 15 juillet 1965. 112.  Comme le prouve le voyage de Willebrands à Bruges (cf. Agenda Willebrands 9-12 avril 1965). 113.  Cf. Nouvelles de l’Agence catholique de presse CIP – Centre pour Information à la Presse – du 16 juillet 1965; la même agence annoncera son retour de Rome le 27 ­juillet



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2.  Le rapport du voyage Pour nous former une idée exacte de ce voyage et de son importance, nous disposons d’un rapport détaillé que Willebrands a rédigé et envoyé au pape. Nous le publions ici en entier avec quelques annotations. -----------------------------Voyage de Son Exc. Mgr E. De Smedt, évêque de Bruges, Vice-Président, et de Son Exc. Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, accompagnés par le Rév. Père P. Duprey, sous-secrétaire du même Secrétariat, en Proche-Orient du 18 au 24 juillet 1965114 Ce voyage a été fait selon le désir et avec l’approbation du Saint-Père et revêtait un caractère officiel. On a porté à chacun des Patriarches une lettre de Son Ém. le cardinal Cicognani115, Secrétaire d’État, qui présentait les personnes et expliquait leur mission. Le 18 juillet la délégation a été reçue à l’aéroport de Beirut par Mgr Di [sic] Luca116 de la Nonciature de Beirut et accompagné du père Arjar, qui leur a offert l’hospitalité à la Villa de la Nonciature à Harissa. Le 19 juillet, à 10h du matin, ils ont rendu visite à Sa Béatitude Éminentissime le cardinal Meouchi, Patriarche des Maronites à Bkerké. Mgr Willebrands a présenté au Patriarche la lettre de Son Ém. le cardinal Cicognani, Secrétaire d’État. Mgr De Smedt a expliqué le travail du Secrétariat et l’état actuel du texte: De Ecclesiae Habitudine ad religiones (Archives du diocèse de Bruges). En fait il était rentré en Belgique dès le 24 juillet (Agenda Willebrands, 24 juillet 1965). 114.  Pour le texte de ce rapport, cf. ASV Conc. Vat. II, 1459. Il y a une version manuscrite de ce rapport rédigé par Willebrands et daté du 26 juillet 1965. Sur ce texte ont été ajoutées des corrections manuscrites du français (par Duprey?). Cf. ASV Conc. Vat. II, 1459. Malgré ces corrections, le texte présente encore quelques tournures peu françaises, qu’on a gardées dans la transcription. Les fautes de frappe ou d’orthographe ont été directement corrigées. Le 26 juillet 1965, Arrighi envoie le rapport de Willebrands, qui était indisposé, à De Smedt. Il lui demande de le signer et le prie de téléphoner, le cas échéant, à Willebrands pour lui transmettre des corrections éventuelles (ou bien à Rome ou bien, à partir de dimanche 1er août, à Hoorn en Hollande). Il ne semble pas que De Smedt ait apporté des corrections (cf. F. De Smedt 1453; Agenda Willebrands, 26 juillet – 1er août 1965). Le 30 juillet, Arrighi envoie ce rapport à Mgr A. Mauro (1904-1990), chef du Protocole de la Secrétairerie d’État, pour qu’il le soumette au pape (ASV Conc. Vat. II, 1459). 115.  Cf. ASV Conc. Vat. II, 1459. 116. Il s’agit de Domenico De Luca (1928-2006), prêtre du diocèse de Naples, à l’époque secrétaire à la nonciature de Beyrouth, nonce apostolique au Maroc de 1993 à 2003.

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non-christianas. L’explication, qui a été également donnée aux autres Patriarches, lors de nos visites, contenait les points suivants: 1.  Après les voyages de Mgr Willebrands aux mois de mars et d’avril le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens s’est réuni de nouveau pour entendre et étudier le rapport sur ces voyages. Le rapport donnait des informations détaillées sur les désirs des Patriarches et la situation en Proche-Orient. Le Secrétariat a discuté aussi la proposition de Mgr Willebrands qui était de terminer en Concile le texte sans le promulguer. Le Concile, après avoir terminé ce texte, pourrait le renvoyer au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens et au Secrétariat pour les religions non chrétiennes afin qu’ils le publient tempore opportuno. Les évêques, membres du Secrétariat, n’ont pas accepté cette proposition. Ils ont jugé que cette proposition allait trop loin et ils prévoyaient que l’autorité de l’Église et la crédibilité du Concile diminueraient beaucoup dans le monde entier si on renvoyait la Déclaration. 2.  Une fois prise cette décision les évêques de la Commission ont étudié de nouveau les modi, en considérant avec attention spéciale les modi envoyés par le Saint-Père. Ils ont introduit plusieurs modifications dans le texte pour le rendre plus adapté, plus clair. On a expliqué aux Patriarches les modifications, notamment la suppression du «déicide» et les expressions qui excluent, dans le même texte, toute intention politique en affirmant en même temps le motif de la charité religieuse évangélique. Les évêques du Secrétariat ont pensé qu’ils étaient allés jusqu’à la limite des possibilités en considérant la position juridique du texte déjà voté au Concile et le risque de provoquer, en allant plus loin, un vote négatif du Concile, ce qui signifierait que automatiquement l’ancien texte reviendrait comme texte définitif. Déjà Mgr Willebrands a parlé à quelques évêques américains, notamment à Son Éminence le cardinal Shehan117, pour obtenir leur accord avec les changements introduits. 3.  Mgr Willebrands a parlé confidentiellement de ce texte avec le Secrétaire-général du Conseil Œcuménique des Églises, le dr Visser ’t Hooft, à Genève, et avec le Métropolite Chrysostome de Myre et l’archimandrite Gabriel, secrétaire du S. Synode à Constantinople118, pour connaître les répercussions de la Déclaration dans le monde chrétien non-catholique. Le premier lui a répondu: Si le Concile ne faisait pas cette Déclaration, ou s’il le faisait dans une forme tellement diminuée, que le texte aurait perdu sa substance, l’Église perdrait beaucoup de son autorité et le Concile perdrait beaucoup de sa crédibilité. Le monde entier attend le schéma sur la présence de l’Église dans le monde, mais si vous retiriez le schéma sur les religions non chrétiennes, à cause de la pression politique arabe, vous auriez perdu

117.  Le cardinal Shehan n’avait pu assister à la réunion du Secrétariat en mai (pour cause de maladie – cf. Agenda Willebrands, 11 mai 1965). Mais le 7 juillet 1965, Willebrands avait reçu Shehan au Secrétariat (cf. Agenda Willebrands, 7 juillet 1965). 118.  Willebrands avait rencontré Mgr Chrysostome de Myre et Mgr Gabriel à Constantinople, les 16 et 17 juillet 1965, lors de sa visite au patriarche Athénagoras (Agenda Willebrands, 16 et 17 juillet 1965).



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beaucoup d’intérêt. Au contraire, si vous le mainteniez, l’opinion publique chrétienne et mondiale vous appuiera. À Constantinople, le métropolite de Myre et l’archimandrite Gabriel ont assuré Mgr Willebrands que le Patriarche était d’accord avec le schéma de la Déclaration sur les religions non chrétiennes. Mgr Chrysostome a demandé qu’est-ce que vous désirez? Une déclaration de notre part, un article? Mgr Willebrands a répondu qu’il serait très heureux si du côté du Patriarcat on exprimait un jugement favorable sur le schéma. 4.  On a expliqué qu’avec l’approbation du Saint Père, on renforcera le service d’information en langue arabe sur le Concile visant directement le monde musulman. En collaboration avec le service arabe d’information du Bureau de Presse au Concile (le père Hachem119) et la section pour l’islam du Secrétariat pour les non chrétiens, une personne compétente (le père Habib Bacha120) enverra à un grand nombre d’adresses arabes (personnalités religieuses, professeurs d’Universités, organes de la presse, etc.) jour par jour des informations sur tous les sujets du Concile. De cette façon ils pourront acquérir une connaissance objective et détaillée sur l’importance du Concile en général, par exemple sur le schéma La présence de l’Église dans le monde. Ainsi ils seront capables de mesurer la place du schéma sur les religions non chrétiennes dans l’ensemble des documents conciliaires et d’en connaître le contenu réel. En outre on veut contacter les Ambassades des États arabes pour leur procurer une information. 5.  Finalement on a demandé la réaction des Patriarches, leurs suggestions, leur collaboration afin que le texte puisse passer au Concile en évitant le plus possible des réactions désagréables. Lundi le 19 juillet, Sa Béatitude Éminentissime le Patriarche Meouchi nous a reçu à sa résidence de Bkerké. Après avoir entendu les explications, il a lu attentivement le nouveau texte. Tout en avouant que ses premières impressions étaient favorables, il a demandé d’étudier le texte à tête reposé et il a proposé de nous revoir le jour après, mardi le 20 juillet, avant le déjeuner. On a donc continué la conversation mardi à midi. Son Éminence nous a lu la lettre qu’il avait l’intention d’envoyer à Son Ém. le cardinal Cicognani. Dans cette lettre il exprimait son appréciation très positive pour le nouveau texte, en proposant encore deux petits changements de mineure importance dans le dernier paragraphe (le n° 5). Son Exc. Mgr De Smedt a exprimé sa reconnaissance pour l’aide que le Patriarche nous avait donnée par son intérêt et ses remarques. Son Éminence a invité ensuite la délégation à un repas fraternel. -----------------------------119.  Munged El-Hachem, prêtre libanais, responsable à l’Ufficio Stampa du Concile pour les langues arabes. 120.  Habib Bacha (1931-1999), pauliste, né à Tyr, prêtre en 1956, archevêque de Beyrouth de 1975 à sa mort.

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Le 19 juillet à 12h00 nous avons fait une visite à Sa Béatitude Éminentissime Maximos IV, à sa résidence d’été d’Ayn Traz. À l’entretien étaient également présents leurs Excellences Mgr Medawar et Mgr Edelby, conseiller du Patriarche. Il était remarquable de voir comment la lecture du nouveau texte, malgré quelques observations critiques, faisait une bonne impression, changeait l’attitude et mitigeait la critique. Après l’étude du texte, Sa Béatitude a fait ses remarques et formulé ses critiques: a) vous citez le texte de St. Paul partiellement: «carissimi propter patres» sans le «inimici propter Evangelium» (p. 4, ligne 2); b) le minime et le multe autem minus (p. 4, ligne 11) sont des expressions trop fortes, on pourrait dire mieux: «neque … neque»; c) on devrait exprimer le fait que le peuple juif n’est plus le peuple élu. (Ici Mgr Willebrands a remarqué qu’on ne parle plus dans le texte du «peuple juif», mais de «Iudaeis»); Mgr Edelby propose d’introduire la phrase «Iudaei igitur» (p. 4, ligne 12) par une pensée comme celle-ci: «licet Ecclesia sit novus populus Dei, tamen Iudaei neque ut a Deo reprobati… etc.». d) En général Sa Béatitude fait l’observation que le Concile ne doit pas se faire l’avocat des Juifs. Après le repas que le Patriarche a offert, et après un bref repos, on s’est réuni de nouveau avec les mêmes personnes et on a repris la conversation. Cette fois on a parlé surtout de la façon dont on pense organiser l’information dans les pays arabes, en milieu musulman, pour préparer l’opinion publique, et également de la possibilité de contacter directement des personnes responsables dans les gouvernements. On doit prévenir un déchaînement dans la presse arabe comme cela a eu lieu en novembre 1964. Les remarques sur le texte même seront envoyées par écrit au Secrétariat121. Le Patriarche a lu la lettre très courageuse qu’il avait envoyée au gouvernement syrien il y a quelques semaines à la suite d’une demande d’information du ministre de l’intérieur. Il semble que le Patriarche lui-même soit la personne la plus indiquée pour contacter le gouvernement et l’informer des changements introduits dans le texte et des vraies intentions du Concile. Le plan d’une information directe venant de Rome a été jugé très utile par Sa Béatitude et par les évêques melkites présents. Ils approuvent également le choix du père Habib Bacha pour cette charge. Il connaît bien la situation et la langue arabe et c’est un bon journaliste. On est prêt à collaborer. En ce qui regarde une visite aux ambassades arabes à Rome il faut le faire, mais ils n’y attribuent pas une grande importance. Il est intéressant d’observer que pendant toute la conversation personne n’a jamais mentionné l’idée que le Patriarche quitte le Concile. L’atmosphère de la conversation était très franche, très bonne, et on a cherché les 121.  Le 26 juillet 1965, Maximos enverra une lettre à Bea avec des amendements sur le texte (ASV Conc. Vat. II, 1459; F. De Smedt 1475). Le 23 août 1965, Duprey répondra à Maximos au nom de Bea et de Willebrands, absents de Rome, que ses suggestions seront soumises au Secrétariat (ASV Conc. Vat. II, 1447). Nous reproduisons en Annexe IV les amendements de Maximos.



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possibilités d’arriver en commun à un résultat acceptable. On a tenu compte du fait que c’est le Concile dans son ensemble qui doit décider et il faut donc présenter un texte qui pourra être approuvé par tous. -----------------------------Lundi le 19 juillet vers le soir, nous avons vu Sa Béatitude Mgr Batanian, Patriarche catholique des Arméniens, à Beirut. Sa Béatitude a pris connaissance du but de notre mission, et après avoir entendu les explications il a parcouru le texte. Il s’est montré content des changements apportés dans le texte et a exprimé l’espoir que dans cette forme la Déclaration ne cause pas de graves ennuis. Une information détaillée et dirigée sur le Concile serait très nécessaire. -----------------------------Son Ém. le cardinal Tappouni, Patriarche des Syriens catholiques, nous a reçus mardi le 20 juillet, de 9h30 à 11h30 dans sa résidence d’été. Son Éminence a fait quelques observations critiques avant d’avoir vu le nouveau texte: on n’aurait jamais dû parler de cette question. La Déclaration n’est pas fidèle à la Bible, ni à la tradition patristique et liturgique de l’Orient; la question n’est pas mûre et le moment n’est pas opportun. Ici également, quand Son Éminence a pris connaissance du texte, son attitude a changé tout de suite. Il lui restait surtout un souhait: qu’on déclare par exemple dans le rapport par lequel on présentera ce texte au Concile, dans l’esprit et selon l’intention de Jean XXIII, que cette Déclaration ne contient aucun nouveau dogme, mais qu’elle est de caractère pastoral. Il était impressionnant d’entendre déclarer Son Ém. le cardinal Tappouni: je vous assure Messieurs, une fois que le Concile aura parlé, toute notre Église syrienne, de son Patriarche aux simples fidèles, tous seront fidèles à l’enseignement de l’Église et au Saint-Père. Le cardinal a affirmé en outre la nécessité d’une bonne information en langue arabe sur le Concile. -----------------------------Mercredi le 21 juillet nous avons été reçus à Jérusalem par Sa Béatitude Mgr Gori122, Patriarche latin de Jérusalem. Était présent également son secrétaire le Rév. Père Médebielle123. Ce dernier a donné lecture d’une [sic] Pro-Memoria124, dans laquelle [sic] le Patriarche se plaignait que le cardinal Bea lui avait promis, dans une lettre du 13 mars 1965, qu’il pourrait «presto prendre visione del testo» et que contrairement à cette lettre, le texte ne lui 122.  Le 20 juillet 1965, Gori avait envoyé une lettre à Bea où il disait qu’il n’était pas d’accord avec le nouveau texte et qu’il le dirait à Willebrands lors de sa visite. Le 31 juillet 1965, Bea avait répondu à Gori (ASV Conc. Vat. II, 1447). 123. Pierre Médebielle s.c.j. (Prêtres du Sacré Cœur), auteur du livre Le diocèse patriarcal latin de Jérusalem, Jérusalem, 1963. 124.  Sur ce Pro Memoria du 21 juillet 1965, cf. ASV Conc. Vat. II, 1447. Nous le publions en entier dans l’Annexe V.

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avait été jamais envoyé. Le Patriarche réclamait de connaître le texte sans retard. À ce premier point Mgr Willebrands a répondu, qu’après la lettre du cardinal Bea, Mgr Willebrands lui-même avait rendu visite à Sa Béatitude le 23 avril125, lui apportant le texte, qu’il avait discuté avec le Patriarche en détail. On avait préféré une visite personnelle au simple envoi du texte par la poste. À cet entretien le père Duprey avait été présent. Aujourd’hui nous étions heureux de présenter à Sa Béatitude le nouveau texte, élaboré par les évêques du Secrétariat au mois de mai. Le Patriarche pouvait constater qu’on avait tenu compte de ses propres remarques. En effet, le père Médebielle affirmait tout de suite que le texte présent était très différent et qu’on avait introduit une observation importante de Sa Béatitude. On a discuté ensuite le nouveau texte, sans aucun doute plus acceptable que la rédaction antérieure. Les mots «minime… multo autem minus» (p. 4, ligne 11) pourraient être substitués par «neque… neque». À la p. 4, ligne après les mots «quovis tempore et a quibusvis» on devrait encore exprimer que l’anti-sémitisme peut avoir et en réalité a eu d’autres causes que le motif religieux, en ajoutant par exemple «quarumque ex causa». Ici comme ailleurs, l’étude du nouveau texte changeait sensiblement l’attitude. Le Patriarche a jugé le plan d’un service d’information très important. Il faudrait y destiner de l’argent pour le bien organiser et pour pénétrer dans la presse arabe. La Custodie de la Terre Sainte pourrait aider à Jérusalem, sur place. Nous avons demandé s’il était possible de contacter directement certaines personnalités du gouvernement en Jordanie, et même le roi lui-même, pour empêcher un déchaînement dans la presse locale, comme on avait vu en décembre 1964. Le Patriarche croyait que pour cette tâche la personne la plus indiquée soit son vicaire général Mgr Neemeh126, résident à Amman. Il est arabe, ami du roi et aura facilement des contacts. (Dans l’après-midi nous avons parlé avec Mgr Neemeh sur les détails du service d’information et des contacts possibles à Amman et à Jérusalem. Il était prêt à faire de son mieux. Il espérait aussi que le Délégué Apostolique serait présent à Jérusalem quand le schéma serait voté au Concile.) Mgr Willebrands a demandé à Sa Béatitude de ne pas garder le texte, mais de le rendre, pour l’instant à la Commission. Les raisons de cette demande sont le mal qui suivrait d’une publication du texte à un moment où il n’est pas encore imprimé à Rome. Une dernière modification, sous l’aspect théologique peut-être insignifiante mais importante sous l’aspect psychologique, n’est pas encore exclue. La Commission se réunira dans les premiers jours du Concile. Cette fois le texte n’est pas sorti du Secrétariat et pour la première fois il est resté secret. Nous voulons éviter tout ce qui pourrait créer un danger par rapport 125.  Le 23 avril 1965, Willebrands avait rendu visite à Gori à Jérusalem de 10h10 à 11h30 (Agenda Willebrands, 23 avril 1965; AS V, III, pp. 314-315). 126.  Neemeh Simaan (1908-1981), né à Rameh (Galilée, Israël), vicaire patriarcal latin pour la Transjordanie, évêque auxiliaire de Jérusalem (rite latin) de 1965 à sa mort.



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au caractère confidentiel du texte. Le Patriarche a répondu qu’il remettait volontiers le texte, espérant qu’on fasse encore des changements pour le rendre plus acceptable, si on ne pouvait pas éviter sa votation et promulgation au Concile127. -----------------------------Le même jour (21 juillet) au soir nous avons rendu une visite au Révérendissime Père Cappiello o.f.m., Custode de la Terre Sainte. L’attitude du père Cappiello nous a impressionné par sa netteté et par sa conviction: la Custodie de la Terre Sainte appuiera à fond les décisions du Concile, c’est sa mission. Les modifications du texte le rendent plus clair et plus acceptable en pays arabe, mais même s’il y aura des difficultés, nous n’hésiterons pas de défendre par tous nos moyens la position de l’Église. La Custodie collaborera volontiers avec un service d’information arabe renforcé, qui enverra les explications sur le travail conciliaire à Rome. La conversation avec le père Cappiello nous a donné grande satisfaction. -----------------------------Le 23 juillet, nous avons été reçus par Sa Béatitude Éminentissime le Patriarche Sidarouss, au Caire. Était présent à la conversation Son Exc. Mgr Youhanna Kabes128, évêque tit. de Cléopatris, auxiliaire du Patriarche pour le diocèse copte-catholique d’Alexandrie. C’est surtout l’évêque Youhanna qui a parlé. Il a développé 3 arguments contre le texte sur les Juifs: 1. un argument politique: l’attitude du Président de la RAU, Gamal Abdel Nasser129, exprimée dans son discours du 22 juillet. (Dans ce discours ni l’internonce Son Exc. Mgr Brini, ni nous-mêmes n’avons vu une pointe contre la Déclaration). 2. un argument œcuménique: les églises orthodoxes d’Orient sont des Églises nationales. Elles prendront la position nationaliste. 3. un argument catholique: qu’est-ce que cette Déclaration va ajouter de bien à la vérité catholique? (À cet argument on a répondu: la Déclaration décrit une orientation pastorale de l’Église vers toutes les religions non chrétiennes du monde. Il y a plusieurs théologiens qui pensent que cette Déclaration sera une des plus importantes pour l’avenir). Son Éminence a raconté qu’au mois de décembre les coptes-orthodoxes avaient organisé des réunions contre le texte sur les Juifs. Le nouveau texte a été l’argument théologique des orthodoxes à savoir qu’on excuserait, contrairement à la Bible, les Juifs de la mort du Seigneur. 127.  Le 10 août 1965, Gori écrira une lettre à Cicognani où il revient sur la visite de De Smedt et Willebrands et où il reconnaît que le nouveau texte a tenu compte de quelques-unes de ses suggestions. Toutefois il maintient son opposition à cette déclaration conciliaire (AS VI, IV, pp. 405-407). 128.  Youhanna Kabes (1919-1985), évêque auxiliaire d’Alexandrie de 1958 à sa mort. 129.  Gamal Abdal Nasser (1918-1970), président d’Égypte en 1956, puis de la République Arabe Unie de 1958 à sa mort.

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On a parlé ensuite de l’information de l’opinion publique. En Égypte ce sera très difficile: il n’y a pas de liberté de presse. (L’internonce nous a précisé qu’il y a de la liberté de presse, mais les journaux parlent dans le sens du gouvernement). Néanmoins, on espère qu’un nouvel effort d’information pourra avoir quelque résultat. L’évêque Youhanna Kabes avoue que le texte est devenu meilleur, mais ne satisfait pas encore. Il espère toujours qu’il ne sera pas promulgué. Le cardinal veut attendre les travaux du Concile, la Déclaration ne sera pas présentée et votée au début, on a encore du temps130. -----------------------------Le soir nous avons parlé de la question avec l’internonce Mgr Brini, pour lui demander les noms de personnalités importantes en Égypte, auxquels on pourrait envoyer les communiqués d’information. -----------------------------CONCLUSIONS I. Nous avons constaté que tous les Patriarches ont été favorablement impressionnés par le nouveau texte et le travail sérieux du Secrétariat. Ils sont prêts à une collaboration pour assurer les meilleures informations et publicité possibles concernant le Concile en général et plus spécialement concernant la Déclaration sur l’attitude de l’Église vers les religions non chrétiennes. Dans le cas d’une opposition, il y aura une opposition loyale. La possibilité de quitter en signe de protestation le Concile n’a jamais été mentionnée et était complètement étrangère à l’atmosphère ouverte et fraternelle de nos conversations. II.  Il semble souhaitable que les pères conciliaires, membres du Secréta­ riat, se réunissent dès l’ouverture du Concile, par exemple le 15 septembre, pour considérer les résultats de la mission en Proche-Orient. Quelques modifications ou retouches possibles dans la rédaction du texte qui regardent plutôt sa forme que son contenu, plutôt l’aspect psychologique que sa théologie, pourraient être étudiés [sic]. III.  Ensuite le texte devrait être présenté et voté au Concile selon la procédure normale des modi, établie dans le Règlement du Concile. IV.  Tous ont attribué une importance majeure à un service d’information sur le Concile dans le monde musulman. Après avoir obtenu l’approbation du Saint-Père, nous avons déjà contacté le Révérend Père Hachem, responsable dans le bureau de presse du Concile, pour les communiqués 130.  Le 26 juillet 1965, Sidarouss écrira à Cicognani qu’il continue à craindre des réactions dans le monde arabe mais qu’il se soumettra à la doctrine de l’Église (ASV Conc. Vat. II, 1447).



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en langue arabe, et le Révérend Père Habib Bacha, qui pourrait assister le père Hachem, et préparer les communiqués en vue du monde musulman131. Une collaboration du Révérend Père Cuoq132, des pères blancs, sous-secrétaire pour l’Islam au Secrétariat pour les non chrétiens est très souhaitable. Dès le début du Concile ce service d’information devra fonctionner. Nous avons demandé partout en Proche-Orient de nous procurer les adresses de personnalités influentes, politiques, sociales, religieuses, journalistiques. Lundi, le 26 juillet 1965. (signé) J. G. M. Willebrands Jean G. M. Willebrands évêque tit. de Mauriana Secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens

(signé) Em. Jos. De Smedt + Emile Josef M. De Smedt évêque de Bruges Vice-Président du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens

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Le voyage de la délégation s’est donc conclu par un solde largement positif. Il faudra cependant encore que De Smedt et Willebrands réussissent à introduire les modifications proposées par Maximos dans le texte. C’est ce qu’ils feront lors de la réunion plénière du Secrétariat en septembre. IV.  La dernière étape du travail de révision du Secrétariat (septembre 1965) Le 31 août, Willebrands se rend chez Felici pour lui parler du De Habitudine133. Le 1er septembre, il rencontre Dell’Acqua et le lendemain, 131.  Immédiatement après son voyage, Willebrands écrit, le 28 juillet, à Felici pour faire inviter Habib Bacha à la 4ème session en y ajoutant une lettre de Mgr Mauro assurant que le Saint-Père était d’accord avec cette nomination. Le 5 août, Felici répond qu’il faudra prendre contact avec le Comité pour la presse du Concile (Mgr O’Connor) car ce Comité avait déjà mis en place une section pour l’information destinée aux arabes, dont le responsable était Munged El-Hachem (AS VI, IV, pp. 383-384 et 399). Le 18 août 1965, Duprey note que Felici est d’accord avec la nomination de Habib Bacha comme adjoint de Munged El-Hachem (ASV Conc. Vat. II, 1459). Enfin, le 16 septem­ bre 1965, Willebrands a un entretien avec Mgr O’Connor et avec Vallainc au sujet de ce service d’information et du rôle de Habib Bacha (Agenda Willebrands, 16 septembre 1965). 132.  J. Cuoq (1917-1986), père blanc, spécialiste de l’Islam en Afrique, consulteur de la Congrégation pour l’Église orientale et de la Congrégation de Propaganda Fide, en 1965 sous-secrétaire du Secrétariat pour les non chrétiens. 133.  Agenda Willebrands, 30 septembre 1965.

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le 2 septembre, il lui envoie une note sur l’état de la question dans laquelle il annonce pour le 15 septembre une réunion du Secrétariat destinée à discuter des modi de Maximos IV134. Le Secrétariat se réunit effectivement le 15 septembre. Au cours de cette réunion, De Smedt a tenu à préciser que l’attitude des Orientaux était devenue favorable dès qu’ils avaient vu les amendements apportés au texte et entendu les explications données à ce propos. Ils ont déclaré, à ce moment, qu’ils continuaient à croire qu’il y aurait de graves difficultés mais qu’ils étaient prêts à défendre le texte, à l’expliquer et à collaborer pour que les choses aillent au mieux135. Après une longue discussion136, on est passé au vote et le Secrétariat a accepté en substance les modi de Maximos137 à l’exception du dernier concernant la citation libre de Rom 11,28-29138. Le pape avait donné l’ordre au Secrétariat de ne pas mentionner ses modi dans le rapport sur l’Expensio modorum139. Aussi est-ce sans aucune 134.  AS V, III, pp. 338-339. 135. Cf. Journal Congar, II, p. 392. 136.  Prignon a noté le 16 septembre que certains théologiens, dont le chanoine Moeller, étaient assez mécontents d’avoir été tenus dans la plus complète ignorance au sujet du voyage de De Smedt, Willebrands et Duprey en Orient au cours du mois de juillet et des quatre amendements de Maximos. On n’avait communiqué ces amendements aux théologiens qu’au moment de la réunion sans guère leur laisser le temps de les examiner sérieusement (Journal Prignon, pp. 34-35). 137.  Le 7 octobre 1965, Congar qui s’était entretenu avec Maximos au sujet du De Habitudine, note: «Maximos a vraiment des réactions antisémites: cela m’est évident. Les évêques plus jeunes sont beaucoup plus favorables à la Déclaration. Pour Maximos, elle est malheureuse, il vaudrait mieux qu’elle ne fût jamais née. Cependant, il sait qu’elle sera votée et il la défendra» (Journal Congar, II, p. 425-426). 138.  Cette citation libre de Rom 11,28 (on citait «carissimi propter patres», mais on ne citait pas: «inimici autem propter Evangelium») a fait l’objet d’une lettre de protestation de Gori au pape le 20 octobre 1965. Bea y a répondu le 30 octobre mais sa réponse n’a pas donné satisfaction à Gori. Ce dernier revient à la charge, le 8 novembre 1965, dans une nouvelle lettre qui signale que les orthodoxes n’acceptent pas dans un texte conciliaire une infidélité à l’Écriture Sainte. Gori a envoyé copie de sa lettre à Felici qui, à son tour, l’a envoyée au pape (cf. AS V, III, pp. 473-474 et 512-514). Même après la promulgation du texte, le 3 novembre 1965, Mgr Dell’Acqua (à la demande du pape?) suggéra à Willebrands de citer en entier le texte de Rom 11,28-29. Mais Willebrands s’est opposé avec succès à toute transformation du texte (cf. Agenda Willebrands, 3 et 4 novembre 1965; AS V, III, pp. 479-480 et 482-484). 139. Cf. Agenda Willebrands, 20 septembre 1965. Willebrands note que c’est le ­secrétaire du pape Don Macchi qui lui a intimé par téléphone cet ordre de ne pas mentionner l’origine papale de certains modi. On sait qu’à la fin de la 3ème session, la Nota Explicativa Praevia et les amendements du pape sur le De Oecumenismo avaient suscité beaucoup de mécontentement parmi les Pères. Le pape, en conséquence, était devenu plus prudent. Il a certes continué à examiner méticuleusement les textes du Concile et il a essayé à plusieurs reprises (pour le De Episcopis, le De Habitudine, le De Revelatione, pour le Schéma XIII) d’introduire des amendements. Chaque fois, cependant, il a demandé à la commission conciliaire concernée de ne pas mentionner son intervention. Cet ordre



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référence à son intervention que le nouveau texte et l’Expensio modorum furent distribués aux Pères le 30 septembre140. Quant à la Relatio de Bea, elle leur parvint le 11 octobre. Il y a eu une ultime offensive du Coetus Internationalis Patrum qui distribua un pamphlet virulent demandant de voter contre la déclaration, mais cela n’empêcha pas Maximos et les autres patriarches orientaux de soutenir le nouveau projet141. Le 15 octobre, les modérateurs ont proposé un vote global sur le texte: celui-ci fut approuvé avec 1 763 placet, 250 non placet et 10 votes nuls; et des applaudissements nourris s’élevèrent dans l’aula à l’annonce de ce résultat. Ainsi, après un long calvaire, la déclaration De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas a été promulguée solennellement le 28 octobre 1965. Ce texte est sans doute extrêmement bref mais il a ouvert des perspectives résolument neuves et il est resté, depuis sa promulgation, la magna charta du dialogue de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes. Quelques considérations finales En analysant la dernière étape de la Redaktionsgeschichte du De Habitudine et le rôle que Mgr De Smedt y a joué, on est frappé par plusieurs faits. 1.  Ce qui saute d’abord aux yeux, c’est la complexité et les méandres de ce texte conciliaire. Vraiment, chaque phrase et même presque chaque mot (pensons à «déicide» et «antisémitisme») ont été pesés et discutés. Et on ne peut qu’admirer la masse de travail, la compétence, la patience et la persévérance des auteurs du texte au sein du Secrétariat pour l’Unité. On comprend dès lors aisément que pour interpréter ­correctement toutes les nuances de ce texte conciliaire, il faut être au de se taire mettait souvent la commission dans un sérieux embarras. On remarquera qu’en ce qui concerne les 4 modi du pape concernant la question du Birth Control, Mgr Heuschen a refusé ce secret et a écrit dans le rapport de l’Expensio modorum, p. 44: «Commissio Generalis Mixta sedulo et reverenter rationem habuit consiliorum Summi Pontificis, quae ei mediante Em.mo Cardinali a Secretaria Status, transmissa fuerunt» (cf. aussi la lettre de Heuschen à P. et M. Verjans, du 29.11.1965, dans L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen [Instrumenta Theologica, 28], Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005, p. 123). 140. Cf. AS IV, IV, pp. 690-725. 141. Cf. M. Velati, Il completamento dell’agenda conciliare, dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, V, Bologna, Il Mulino, 2001, 197-284, pp. 224-227.

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courant de son histoire et connaître également, dans certains cas, ce qui n’a pas été écrit. 2.  Par ailleurs, on constate qu’un texte comme celui du De Habitudine a été influencé par des facteurs qu’on pourrait nommer «extra-­conciliaires». Le travail pour arriver au texte définitif ne s’est pas fait seulement dans l’aula conciliaire ou dans les commissions (ici, le Secrétariat pour l’Unité). On voit nettement l’influence qui a été exercée par la presse et l’opinion publique, les ambassades et les nonciatures, la Secrétairerie d’État, le pape bien sûr et son substitut (Dell’Acqua). Et si la crise s’est dénouée, ce n’est pas seulement grâce au travail normal des organes conciliaires (commissions, modérateurs, commission de coordination, etc.), c’est aussi et surtout grâce à une série d’initiatives qui ont été prises en dehors des organes conciliaires et souvent à leur insu142. C’est le mérite de Bea et de Willebrands d’avoir compris cela très tôt et d’avoir eu l’audace d’entrer dans ce jeu «para-conciliaire». Willebrands entreprend courageusement trois voyages au Proche-Orient; il renforce le service de presse pour les pays arabes, il rend visite à plusieurs reprises aux ambassadeurs arabes à Rome et il comprend parfaitement l’importance des services de la Secrétairerie d’État (notamment Casaroli), du substitut pour les Affaires ordinaires (Dell’Acqua143) et de Mgr Colombo, qui étaient les hommes de confiance de Paul VI. On constate aussi, concernant le De Habitudine, que Paul VI a suivi l’itinéraire du texte du début à la fin et qu’aucun détail ne lui a échappé. L’historien du Concile ne peut que regretter dès lors que les archives de la Secrétairerie d’État et de Paul VI ne soient pas encore accessibles aux chercheurs, car il pourrait s’avérer que leur influence a été plus déterminante qu’on ne le croit ordinairement. 3.  On est aussi surpris du rôle que Mgr De Smedt a joué, lui qui n’était pas théologien de métier, qui n’avait eu aucune expérience des contacts œcuméniques avant le Concile144 et qui n’entretenait aucune relation avec 142.  En grande partie, cela se passe aussi en dehors des clauses du règlement du Concile (Ordo Concilii). Évidemment le pape, en tant que législateur suprême du Concile, pouvait toujours dispenser de cet Ordo. 143.  Willebrands, diplomate et homme avisé, s’adresse directement au substitut dans tous les moments de crise. Le fait que, dans l’index onomastique de ses Agendas conciliaires, le nom de Dell’Acqua apparaît 55 fois est à lui seul révélateur. 144.  Quand Mgr De Smedt fut nommé membre du Secrétariat pour l’Unité en 1960, un prêtre de son diocèse a prétendu malicieusement qu’on s’était trompé à Rome et que De Smedt aurait dû être nommé, non pour les affaires œcuméniques, mais pour les affaires économiques du Concile. En effet, durant les dix premières années de son épiscopat De Smedt avait déployé une activité prodigieuse pour construire un grand nombre d’églises, d’écoles et de cliniques catholiques.



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les milieux juifs145. Mais c’était avant tout un homme de cœur146, habitué au terrain et animé d’un grand zèle pastoral, et c’était là que résidait sa force. On doit donc admettre que le Concile n’a pas été fait uniquement par les grands théologiens147. Souvent les décisions capitales ont été prises au Concile grâce à l’intervention d’évêques ou de periti pastoraux et pragmatiques qui avaient le sens de la tactique et du compromis, qui savaient intervenir au moment opportun et qui ont fait preuve d’une incroyable capacité de travail et d’un grand engagement personnel. De plus, De Smedt savait faire appel à beaucoup de collaborateurs avec qui il travaillait en équipe. Le fait qu’il était, comme Willebrands, bon polyglotte a contribué beaucoup à son influence148. En outre, il était doué du sens tactique. Il disait souvent à ses collaborateurs: Quand vous allez à une réunion d’une commission, ayez toujours un texte prêt à distribuer aux membres. Même si pendant la discussion on change pour la moitié votre texte, vous avez encore la moitié de vos idées qui passeront. Autrement vous réussirez au maximum d’introduire trois lignes dans le texte d’un autre.

145.  Dans un entretien avec M. Lamberigts et L. Declerck, du 26 février 1999, Willebrands a révélé qu’il pouvait assez librement choisir les membres pour le nouveau Secrétariat en 1960. Pour des raisons d’équilibre géographique et linguistique (le francophone belge J. Hamer o.p était aussi membre du Secrétariat), il cherchait un évêque belge néerlandophone. Comme le cardinal Van Roey, archevêque de Malines, était très âgé et que Mgr Calewaert, évêque de Gand, était assez conservateur, il ne restait que De Smedt, qui avait la réputation d’un jeune évêque dynamique. 146.  À bon droit Congar remarque: «Il [De Smedt] est sans doute assez affectif. En fait, il a mis son cœur dans ce texte [De Libertate religiosa]» (Journal Congar, II, 3.3.1965, p. 344). Et au Collège belge, à la fin de la 3ème session, quand par des manœuvres de la minorité, le vote sur la liberté religieuse a été ajourné, il disait avec indignation: «On ne pourra quand même pas prétendre que ces basses manœuvres viennent de l’Esprit-Saint». 147.  Sans nier le rôle éminent des periti au Concile, il est opportun de se remémorer l’adage Concilium episcoporum est (Actes du Concile de Chalcédoine) et on pourrait ici penser au mot célèbre de Clémenceau: «La guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires». On peut également estimer que si l’influence de Philips au Concile a été exceptionnelle, c’est parce que, outre ses qualités éminentes de théologien, il était aussi sénateur de Belgique et qu’il avait appris dans la vie politique comment diriger des réunions, rédiger des textes de loi et tenir compte – avec courtoisie – des amendements de l’opposition. 148.  De Smedt parlait et écrivait couramment le néerlandais, le français, l’italien (le «koinè» du Concile) et le latin. De plus il avait une connaissance passive de l’allemand (qu’il parlait un peu), de l’anglais et de l’espagnol. Malgré le fait que le Secrétariat était une des rares commissions conciliaires où les membres pouvaient parler dans leur propre langue, De Smedt y intervenait pratiquement toujours en latin, langue qu’il maîtrisait parfaitement et qui avait l’avantage d’être comprise par tous les membres.

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Il connaissait aussi la valeur d’un compromis bien fait149. Esprit pragmatique, De Smedt savait que pour travailler avec efficacité il faut y investir du temps, des moyens et des hommes. Il a contribué à plusieurs reprises à l’amélioration du matériel de bureau du Secrétariat et du Collège belge150. Après la 1ère session, il a fait don de sa voiture au collège belge, ce qui lui a permis de toujours disposer d’une voiture lors des nombreuses réunions du Secrétariat à Rome. Et il a fait nommer un prêtre de son diocèse comme vice-recteur au Collège belge, pour que le recteur Prignon dispose de plus de temps pour se consacrer au Concile151. Soulignons enfin que De Smedt était un homme de gouvernement qui savait prendre des décisions et en assumer la responsabilité. Il était aussi conscient que l’autorité dans l’Église doit être solidaire. Même devant des interventions parfois discutables du pape, il était d’avis qu’on ne pouvait pas «découvrir la couronne». On ne doit donc pas s’étonner que Willebrands, lui-même homme pragmatique et efficace, ait choisi De Smedt pour l’accompagner dans son troisième voyage en Orient. Et on doit bien constater qu’il ne s’est pas trompé. Grâce à leur collaboration, ils sont parvenus à convaincre les patriarches orientaux et ils ont réussi à imposer les changements demandés par Maximos dans la réunion du Secrétariat du 15 septembre. À ce moment, les hésitations du pape sont tombées et la voie était libre pour l’approbation définitive de la déclaration. Un petit texte, mais un grand pas sur la voie du dialogue interreligieux152.

149.  Souvent il disait dans des situations de conflit: «Mieux vaut un mauvais compromis qu’un bon procès». 150.  Cf. Cahiers, 27 février 1961. 151. Un autre exemple confirme cet esprit pragmatique de De Smedt. Quand, fin février 1963, la commission doctrinale avait constitué une sous-commission (sept évêques et sept periti) pour rédiger le nouveau De Ecclesia, Prignon et Moeller ont fait remarquer à De Smedt que le Père Congar n’était pas parmi les periti. C’est alors que Mgr De Smedt a parlé à son collègue et ami du Secrétariat pour l’Unité Mgr Martin, archevêque de Rouen. Celui-ci a pris contact avec Mgr Garrone qui a remplacé Daniélou par Congar. Quand Congar est arrivé à Rome et ne savait pas où se loger, De Smedt a dit: «Puisque nous l’avons fait venir, nous devons lui offrir l’hébergement au Collège belge». C’est ainsi que Congar a logé au Collège belge pendant toutes les intersessions et a collaboré intensément avec la squadra belga. 152.  Il est significatif que, pour Mgr M. Lefebvre et ses adeptes, la déclaration Nostra aetate a toujours constitué une des principales pierres d’achoppement de Vatican II (à côté de la déclaration sur la liberté religieuse et la réforme liturgique).



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Annexe I153 Visite de S. É. Mgr Willebrands aux patriarches orientaux catholiques au Liban et en Syrie aux patriarches orthodoxes au Liban et en Syrie concernant la déclaration conciliaire De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas, et plus spécialement le paragraphe sur les juifs

visite faite du

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au

23  mars 1965

Rencontre avec les patriarches orientaux catholiques –  Vendredi, 19 mars 1965: Visite à Son Éminence le cardinal Tappouni à 10h45. Son Éminence m’a reçu très cordialement, et nous avons parlé plus d’une heure, seuls, dans la petite salle du trône. On a parlé de la déclaration sur les juifs et des rapports avec les orthodoxes. J’ai expliqué au cardinal Tappouni les intentions de la déclaration sur les juifs, le travail de la commission à sa dernière session, les modifications apportées dans le texte. Le texte n’a pas encore été fixé définitivement, nous aurons une autre session au mois de mai. Je suis venu pour informer les patriarches et être renseigné en même temps sur la situation en Proche-Orient. Son Éminence a répondu: a) sous l’aspect théologique, on peut admettre la déclaration, surtout si on s’exprime plus clairement sur le point que les juifs ont tué le Christ; b) la déclaration, à ce moment, est inopportune 1. les arabes sont en état de guerre avec Israël. Tout ce qui est dit en faveur des juifs exaspère les arabes. Cette guerre ne durera pas toujours. Si on attendait, on pourrait faire une déclaration théologique qui dit tout sur la religion juive. Ce serait un avantage pour les juifs mêmes, si nous attendions (p. 2)154. 2. Les orientaux, tant catholiques qu’orthodoxes, ne sont pas préparés. La liturgie orientale parle en termes très forts contre les juifs. Ces textes sont d’un temps où la situation était envenimée, d’un temps relativement tardif, environ au VIème siècle. Il faut du temps pour réformer la liturgie en ce point et préparer le peuple. C’est la première fois qu’un Concile parle de cette question et tout d’un coup on veut arriver à une déclaration conciliaire. La théologie même a peu traité ces questions. Nous sommes déjà allés trop loin dans le Concile. Quelle sera la solution? La meilleure serait de remettre cette déclaration dans les mains du Pape pour qu’il agisse en un temps plus opportun. En même temps, les conférences nationales des évêques peuvent déjà se prononcer. La situation est très différente en Allemagne, aux États-Unis, en France, ou dans les pays arabes. 153.  ASV Conc. Vat. II, 1458. 154.  La pagination ente parenthèses renvoie à la pagination du document original.

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Si on ne pouvait pas faire cela, parce qu’on est déjà allé trop loin, on devrait faire une déclaration de caractère plus général, sans parler trop en faveur des juifs pour des raisons déjà indiquées. Son Éminence le cardinal Tappouni a mentionné un autre fait en disant: vous créez une situation semblable à celle au temps du Concile de Chalcédoine. Parce que les orthodoxes ne comprennent pas nos intentions, ils s’éloignent de nous, et d’autant plus que leurs chefs spirituels marquent volontiers la distance avec l’Église de Rome. Ils ont même convoqué un concile contre le concile du Vatican. Sans doute le cardinal a pensé à la conférence des Églises non-chalcédoniennes d’Addis Abeba, et au synode de l’Église copte au Caire. Cependant la conférence d’Addis Abeba a été convoquée indépendamment du concile du Vatican et en dehors de la question juive. Elle avait comme but de rassembler les Églises non-chalcédoniennes, de renforcer leur esprit de solidarité, leur vie intérieure sur le plan de la doctrine et de la spiritualité. Cette conférence avait été préparée par une réunion (p. 3) de théologiens de ces Églises à Aarhus (Danemark) en août 1964, sous les auspices du Conseil œcuménique des Églises. On a adopté à Addis Abeba une attitude très positive vis-à-vis de l’Église de Rome et on a évité de parler directement de la question juive. L’Église copte d’Égypte a tenu plus tard un synode au Caire où elle a fait une déclaration en termes modérés contre la Déclaration du Concile sur les juifs. L’Église syrienne s’est ralliée à la déclaration des coptes. Il faut se rappeler que les Églises coptes et syriennes se trouvent dans les pays où la pression politique est la plus forte. –  Conversation avec Sa Béatitude le patriarche maronite, cardinal Meouchi à Bkerké, vendredi le 19 mars, de 16h30 à 17h45. J’ai expliqué à Sa Béatitude l’intention du schéma De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas et plus particulièrement du paragraphe sur la religion juive; ensuite le texte actuel avec les modifications apportées par les Pères conciliaires du Secrétariat pour l’Unité pendant sa réunion du 1er au 6 mars à Ariccia. Le Patriarche a exprimé sa pensée en général, disant que le moment ne lui paraissait pas opportun pour faire une déclaration conciliaire sur les religions musulmane et juive. Il y a des fortes tensions en Proche-Orient entre les deux groupes en ce moment et les chrétiens risquent d’en souffrir beaucoup s’ils s’y mêlent directement par une déclaration, même si cette déclaration en soi est de caractère purement religieux. Si l’état d’Israël n’existait pas ou s’il y avait la paix entre les deux, la déclaration passerait sans difficultés. Dans la situation actuelle, elle causera de graves difficultés. En particulier: la déclaration donne des louanges aux musulmans. Est-ce qu’ils l’ont mérité? Ils ont persécuté les chrétiens pendant tous les siècles, nous sommes les fils des martyrs. Leur vie est plutôt animale et un scandale, malgré le bon exemple des chrétiens155. (p. 4) À ma demande si une déclaration de l’Église ne pouvait pas favoriser une atmosphère plus humaine, plus fraternelle, dans l’avenir, le patriarche a répondu: J’en doute beaucoup: «homo animalis non intelligit ea quae Spiritus sunt». 155.  Le 10 mai 1965, Moeller note que Willebrands lui a dit que Meouchi a déclaré en mars: les Musulmans vivent comme des animaux [sic] (F. Moeller 2525).



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Nous avons lu ensemble le texte sur les juifs, en particulier les changements apportés. À propos des additions sur les erreurs des juifs: «Ierusalem tempus visitationis non cognovit», «non pauci diffusioni (Evangelii) se opposuerunt», le Patriarche fait la remarque: vous donnez des coups aux juifs, vous rappelez au criminel son crime!, de même à propos des paroles: «auctoritates Iudaeorum cum asseclis suis mortem Christi urserunt». Concluant il lui paraît mieux de faire une déclaration très générale sans entrer dans les détails, peut-être dans le contexte de la déclaration sur la liberté ou dans le «schéma XIII» sur l’Église dans le monde. –  Samedi 20 mars 1965: Conversation avec Sa Béatitude le Patriarche Batanian, de 10h à 11h30. Comme chez les autres patriarches, j’ai expliqué les intentions du texte sur les juifs, le travail des Pères conciliaires du Secrétariat pendant la dernière session du 1er au 6 mars à Ariccia, le sens des modifications apportées. Les arméniens, qui ont connu dans l’histoire et même dans l’histoire récente, des graves persécutions, se demandent avec étonnement pourquoi l’Église catholique montre une sollicitude si exclusive pour les juifs. Le patriarche Batanian était très heureux et reconnaissant des informations données et a exprimé ensuite sa pensée. Pour lui, la déclaration est inopportune. Il ne s’agit pas de sa théologie, mais de son opportunité. Dans la présente situation de tension et de guerre entre Israël et les Arabes, une telle déclaration causera de graves conséquences pour les chrétiens dans les pays arabes. (p. 5) En outre, les chrétiens eux-mêmes sont très étonnés. Les chrétiens orientaux ne sont pas préparés théologiquement ni spirituellement à une telle déclaration sur les juifs. La liturgie, surtout de la Semaine Sainte et les Pères grecs donnent une orientation différente. Les orthodoxes prennent leur distance d’avec les catholiques en cette matière, surtout ceux qui cherchent des motifs contre les catholiques. Les arméniens orthodoxes n’ont fait aucune déclaration ou action polémique, au contraire, ils ont essayé de calmer les orthodoxes syriens. Le patriarche orthodoxe syrien a été très violent et mauvais. Les grecs orthodoxes d’Antioche se sont exprimés aussi d’une façon polémique. Comme solution le patriarche Batanian propose de retirer le texte du programme du Concile, ce qui serait pour lui la solution idéale. On pourrait alors le remettre dans les mains du Pape ou bien, si la procédure ne permettait plus cette solution, et si le Concile était obligé de faire quelque déclaration à ce sujet, de faire une déclaration très mitigée. –  Visite à Sa Béatitude Eminentissime le patriarche cardinal Maximos IV Saigh, à Damas, dimanche, le 21 mars au soir et lundi, le 22 mars au soir156. À la fin de la visite du 21 mars assistaient aussi LL. EE. les évêques Medawar, Tawil et Edelby. Le père P. Duprey y était présent. 156.  Selon l’Agenda Willebrands, Willebrands rend encore visite à Maximos le lundi matin à 9h et puis il est invité le même jour à déjeuner avec le patriarche. Ceci est plus probable parce que, le lundi soir, Willebrands est déjà de retour à Beyrouth.

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La pensée de Sa Béatitude peut être résumée en deux points: 1. La déclaration sur les juifs devait être retirée, parce que dans les circonstances actuelles du Proche-Orient elle est très inopportune. 2. Si une déclaration devait passer, elle devrait être très générale sans entrer dans les détails. Toute mention de la crucifixion et de la mort du Seigneur doit être évitée. Pourquoi ne pas remettre la déclaration dans les mains du pape? Quoiqu’on (p. 6) dise, on ne convaincra jamais les gens, dans l’atmosphère actuelle en Syrie, qu’il ne s’agit pas d’une déclaration politique. J’ai expliqué au patriarche que le Secrétariat pour l’Unité se réunira en mai pour étudier la question. Si l’on jugeait préférable de ne pas faire une déclaration mitigée ou atténuée, mais de la retirer complètement dans le cas où il paraît impossible de faire une déclaration nette, il me semble qu’on ne devrait pas la remettre dans les mains du Pape, parce que cette solution a l’apparence de mettre toutes les difficultés dans les mains du Saint Père. Il faudrait plutôt remettre toute la question des religions non chrétiennes aux deux Secrétariats intéressés, nouvellement créés, notamment au Secrétariat pour l’Unité des chrétiens (qui s’occupe des juifs) et au Secrétariat pour les religions non chrétiennes (qui s’occupe des autres religions non chrétiennes). Le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens devrait lui-même, dans ce cas, proposer au Concile, pour des raisons clairement indiquées, qu’il est désirable de ne pas poursuivre le projet comme déclaration conciliaire. Les raisons indiquées devraient non pas mettre en avant les circonstances politiques et la pression de la politique arabe mais le fait que parmi les chrétiens eux-mêmes l’étude des rapports entre l’Église et la Synagogue, des rapports entre la religion chrétienne et les religions non chrétiennes, surtout leur valorisation théologique, ne sont pas encore si avancées pour qu’une déclaration conciliaire soit assez préparée et souhaitable à ce moment. On recommanderait donc aux deux Secrétariats intéressés de promouvoir les études. Une condamnation générale du racisme et de l’antisémitisme pourrait être exprimée, soit dans la proposition même, soit dans un autre document conciliaire, comme p. ex. le schéma sur l’Église dans le monde. Sa Béatitude était parfaitement d’accord avec cette idée. (p. 6a) Cependant il semble évident qu’une telle proposition serait difficilement acceptée, soit par les évêques, soit par l’opinion publique. Les évêques des ÉtatsUnis et de plusieurs pays en Europe jugent la déclaration d’un autre point de vue. Inspirés par le problème juif tel qu’il se présente dans leurs pays, dans l’histoire et sur un niveau mondial, ils jugent la déclaration non seulement opportune, mais nécessaire. Ils ont manifesté d’ailleurs clairement leur pensée au Concile. (p. 7) Rencontre avec les patriarches orthodoxes Visite à Sa Sainteté le Catholicos arménien de Cilicie, à Antélias, samedi dans l’après-midi, de 16h à 17h. Étaient présents, à côté de Sa Sainteté, l’évêque Sarkissian et deux laïcs. Le Catholicos m’a reçu très cordialement. Il était ému du don du Saint Père: les médailles de la troisième session du Concile en or, en argent et en bronze. L’opinion du Nonce apostolique de Beyrouth, S. Exc. Mgr Alibrandi, et des patriarches catholiques est unanime: le Catholicos arménien est un ami sincère des catholiques.



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S. E. Mgr Sarkissian a fait un gros effort pour expliquer aux chrétiens du Proche-Orient le sens et le contenu du texte sur les juifs. Il a joué un grand rôle à la conférence des Églises non-chalcédoniennes d’Addis Abeba. Cette conférence n’a pas pris position contre le projet du concile du Vatican sur les juifs. L’Église orthodoxe du Malabar, l’Église éthiopienne ne l’ont pas voulu. Mgr Sarkissian disait que l’attitude de l’Église éthiopienne a été très correcte. D’autre part Mgr Sarkissian demandait compréhension pour l’attitude du patriarche copte orthodoxe d’Égypte et du patriarche syrien orthodoxe de Damas, à cause des circonstances. Le Catholicos a mentionné la célébration du 50ème anniversaire des «martyrs arméniens». Il y aura une célébration commune de tous les arméniens orthodoxes, catholiques et protestants le 24 avril 1965. On désire une célébration purement religieuse, sans aucun accent politique. Les arméniens ont beaucoup apprécié la lettre écrite par Sa Sainteté le Pape au Catholicos d’Etchmiadzine, comme aussi la présence de Sa Sainteté à la Messe arménienne célébrée à Saint-Pierre pendant la troisième session du Concile. (p. 8) Mgr Sarkissian explique qu’il y a eu dans le peuple arménien un étonnement à propos du fait que le Concile parle des juifs. Pourquoi précisément des juifs et non pas des autres qui ont souffert et qui ont été persécutés. Les arméniens eux-mêmes ont souffert dans leur histoire beaucoup à cause de leur foi chrétienne (Ici il faut noter que l’information sur le Concile en Proche-Orient a été très pauvre. Chez le peuple on rencontre souvent l’opinion que le Concile n’a parlé que des juifs!). Si à l’occasion de la célébration on pouvait avoir une lettre de Rome qui parle de la foi et demande la prière, un tel geste ferait pour le peuple l’équilibre en montrant que l’Église catholique ne parle pas seulement des juifs. (On sait que le Catholicos Khoren écrira encore au Saint Père. Dans sa réponse le Saint Père pourrait parler de la célébration. On pourrait penser également à une lettre de Sa Sainteté le Pape au patriarche catholique, Sa Béatitude Mgr Batanian.) – Visite au patriarche syrien orthodoxe, Sa Sainteté Ignace Jacoub III, à Damas, lundi 22 mars, à 9h30. La visite, à laquelle était présent le R.P. Duprey, a été brève mais importante. Le patriarche a vivement apprécié le don du Saint Père: les médailles de la troisième session du Concile. Le patriarche syrien orthodoxe est celui qui a parlé le plus fortement contre la déclaration sur les juifs. Il n’a pas abordé directement la question avec nous, mais il nous a dit: Si je ne suis pas d’accord sur une certaine question, cela ne veut pas dire que je suis contre vous. Nous espérons que l’Unité se fera dans l’avenir, avec la grâce du Seigneur et dans la fidélité à lui-même, malgré les difficultés et les divisions actuelles. Il s’est plaint du fait que quelques évêques catholiques n’avaient plus voulu le voir après certains événements (c’était après sa lettre contre la déclaration sur les juifs). (p. 9) –  Visite au patriarche grec-orthodoxe d’Antioche, Sa Béatitude Theodosios, à Damas, lundi le 22 avril [sic = 22 mars], à 10h30.

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Le patriarche a reçu S. É. Mgr Willebrands et le R.P. Duprey avec grande cordialité. Il a été très touché du don du Saint Père: les médailles de la troisième session du Concile. Il a demandé l’explication des images de la médaille. La visite avait le caractère d’une visite de courtoisie. †J.G.M. Willebrands Rome, le 24 mars 1965



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Annexe II157 Lettre de protestation de Mgr Willebrands au cardinal Bea Le 20 avril 1965 Éminence, Votre Éminence a voulu me communiquer les deux rapports des Nonces Apostoliques au Liban et en Syrie sur le voyage que j’ai fait dans ces pays du 18 au 23 mars pour rendre visite aux Patriarches catholiques et Orthodoxes. Cette visite avait pour objet la déclaration conciliaire De Ecclesiae Habitudine ad religiones non-christianas et plus spécialement le paragraphe sur les juifs. Permettez-moi, Éminence, de vous dire ma pensée en toute simplicité et franchise. J’avoue que ces deux rapports m’ont laissé perplexe. En effet, ils ont été faits sur la demande de la Secrétairie d’État («Con rife­ rimento alla venerata communicazione del 19 marzo corrente» et «In ottemperanza alla richiesta contenuta nel venerato messaggio del 19 marzo u.s.». Pour ce qui regarde le contenu de ces rapports, je maintiens sans réserve et sans changement le rapport que j’ai fait moi-même le 24 mars sur mon voyage. Ce qui me semble plus grave c’est le fait que la Secrétairie d’État a jugé nécessaire de demander aux Nonces de faire un rapport sur mon voyage. Est-ce qu’on n’a pas fait confiance quant aux intentions de ce voyage et à l’objectivité de mon propre rapport? Comme Votre Éminence le sait, j’ai préparé en suite de mon voyage en Liban et en Syrie, un autre voyage à Jérusalem et au Caire avec le même but, c’est-àdire: expliquer aux Patriarches Catholiques le texte du paragraphe sur les juifs et le travail de notre commission, dans le cadre de la préparation de la session de la commission au mois de mai. Est-ce que dans la situation actuelle ce voyage a encore un sens? Si on ne me fait pas la confiance dans cette matière, pourquoi continuer ce travail? Je ne fais pas ces voyages dans mon propre intérêt mais pour servir l’Église. Si Votre Éminence le jugeait utile, je suis toujours prêt à faire les visites à Jérusalem et au Caire, mais je l’ai cru nécessaire de Vous expliquer ma préoccupation. Daignez agréer, Éminence, l’expression de mes sentiments respectueux. J. Willebrands

157.  ASV Conc. Vat. II, 1458.

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Annexe III158 Proposition de Mgr De Smedt Cette proposition, distribuée le 13 mai 1965 aux membres du Secrétariat et discutée le 14 mai, était destinée à être soumise à l’assemblée conciliaire uniquement au cas où la déclaration n’était pas promulguée. Nous donnons ici ce texte resté inédit. Propositio Secretariatus ad christianorum unitatem fovendam communicat Patribus Conciliaribus periculum dari, propter impraeparationem spirituum et propter tensiones hodie in Proximo Oriente existentes, ne declaratio proposita in suo unico sensu, qui non est nisi religiosus, non recte ab omnibus intelligatur vel interpretetur necnon adhibeatur ad adscribendas Concilio intentiones quae ab ipso non habentur. His non obstantibus pars membrorum Secretariatus aestimat textum praeparatum et ab universo mundo exspectatum, si a Patribus Concilii approbatur, proclamandum esse. Quidem autem ex membris aestimant textum post votationem curis Secretariatuum pro non-christianis et pro christianorum unitate esse committendum. Quare, debitis obtentis licentiis, ad explendum munus oecumenicum sibi commissum Secretariatus (unanimiter) statuit sequentes Patribus submittere quaestiones: 1a quaestio: An textus declarationis a Concilio praeparatus post definitivam votationem mittendus est ad Secretariatum pro religionibus non-christianis et ad Secretariatum ad christianorum unitatem fovendam eo fine ut: a) sit pro utroque Secretariatu norma qua duci debent in opere sibi commisso b) eius contentum prudenti et opportuno modo evulgetur. 2a quaestio: An interea praeparanda est formula qua principia supradictae declarationis breviter a Concilio proclamentur? (signé) Em. Jos. De Smedt

158.  ASV Conc. Vat. II, 1458; F. De Smedt 1468. Le texte et la pagination se réfèrent au document F. De Smedt 1468.



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Annexe IV159 Les amendements du Patriarche Maximos IV Le patriarche a parlé de ces amendements à De Smedt, Willebrands et Duprey, lors de leur visite du 19 juillet 1965. Il les a mis par écrit et les a envoyés au cardinal Bea, le 26 juillet. Nous les reproduisons ici intégralement (N. B. le texte et la pagination se réfèrent au document du F. De Smedt 1467). Ain-Traz, le 26/7/1965 Voici donc quelques amendements au texte qui, nous semble-t-il, peuvent encore être faits (Nous les soulignons dans le texte): «Etsi auctoritates Iudaeorum cum suis asseclis mortem Christi urserunt, tamen ea quae in passione Eius perpetrata sunt nec omnibus indistinctim Iudaeis tunc viventibus, nec Iudaeis hodiernis imputari possunt. Licet autem Ecclesia sit novus populus Dei, Iudaei tamen neque ut a Deo reprobati neque ut maledicti exhibeantur, quasi hoc ex Sacris Litteris sequatur. Ideo curent omnes ne in catechesi et in Verbi Dei praedicatione habenda quidquam doceant, quod cum veritate evangelica et spiritu Christi non congruat. «Praeterea, memor communis cum Iudaeis patrimonii, Ecclesia non rationibus politicis sed religiosa caritate evangelica impulsa, odia, persecutiones, antisemitismi manifestationes, quovis tempore et a quibusvis in Iudaeos, sicut in quosvis alios homines, habita, deplorat». À la page 4, ligne 2, quand le texte cite le mot de S. Paul qui dit des Juifs «carissimi propter patres», il faut ajouter «inimici autem propter Evangelium». Si ces derniers mots paraissent trop durs, il faut alors éviter de citer S. Paul, car tronquer de la sorte un verset de la Sainte Écriture, pour en citer la partie favorable et omettre la partie défavorable, peut être interprété comme une falsification de la Sainte Écriture pour des fins d’apologie systématique. †Maximos IV Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient d’Alexandrie et de Jérusalem Cardinal de la Sainte Église.

159.  ASV Conc. Vat. II, 1459; F. De Smedt 1475.

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Annexe V160 Le Pro-Memoria de Mgr Gori, Patriarche latin de Jérusalem Mgr Gori a demandé à son secrétaire, le P. Médebielle, de donner lecture de ce ‘Pro-Memoria’, le 21 juillet 1965, à ses hôtes, De Smedt, Willebrands et Duprey. Nous publions le texte ici en entier. À propos de la Déclaration conciliaire Un regret et une plainte Le 13 mars 1965, S. É. le cardinal Bea m’écrivait: «Speriamo che Vostra Beatitudine, come anche gli altri Beat.mi Patriarchi, presto potranno prendere visione del testo cosi reformato e aiutarci con i lori suggerimenti e consigli, dei quale faremo tesoro nella prossime sedute plenarie che si faranno nella prima metà di Maggio, nelle quali sarà redatto il testo definitivo da proporsi al Concilio». Mais je n’ai reçu aucun texte. Une lettre du cardinal Bea du 28 mai me met devant un fait accompli en m’annonçant que le texte définitif a été déjà arrêté. Ainsi la promesse du 13 mars n’a pas été tenue. Je regrette vivement ce procédé. Une demande instante Je réclame de connaître sans retard le texte arrêté et vous prie de me le faire communiquer au plus vite. Dans la position où je suis ici, je dois absolument savoir ce qu’il contient. Je veux aussi savoir quel cas a été fait des amendements que j’avais présentés en novembre passé, sur la demande même de la Secrétairerie d’État, amendements que S. É. le cardinal Bea avait admis le 30 novembre. Je vous prie donc de transmettre cette instance à Son Éminence pour que je puisse prendre connaissance immédiatement du texte définitif. Ma position de fond a) Je ne suis pas contre la Déclaration. Au contraire je l’estime indispensable. Je veux que l’Église en finisse une fois pour toutes avec ce faux prétexte d’antisémitisme, de la responsabilité des Juifs dans la mort du Christ. Nous savons bien que les Juifs ont été persécutés pour toute autre chose, bien avant le Christianisme comme sous Hitler. Et cependant les Juifs et Israéliens donnent cela comme la cause principale sinon unique de leurs malheurs. Il faut enlever ce faux prétexte. Je tiens donc une déclaration comme indispensable. b) Mais je rejette énergiquement le texte de 1964 qui par sa présentation ten­ dancieuse [souligné deux fois en rouge] a discrédité en Orient le Concile en le faisant accuser, non sans fondement, de trahir l’Évangile. Un spécialiste aussi compétent qu’impartial comme le R.P. Benoit, Directeur de l’École Biblique, est d’accord pour estimer ce texte inacceptable. (Cf. sa très remarquable étude sur la question publiée par le centre Hollandais d’information au Concile). 160.  ASV Conc. Vat. II, 1447.



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c) Pour moi le Concile ne doit pas voter la Déclaration. Il est en effet trop discrédité en notre Orient: – par la présentation tendancieuse inacceptable de l’an passé; – par la politisation de la question par Juifs et Arabes; – par l’évidence des influences juives sur le Concile. Un vote de la déclaration par le Concile serait un danger mortel: a) danger pour l’Église catholique en Orient. L’expérience de novembre-décembre nous a donné cette évidence, comme aussi le traitement fait à l’Allemagne. Les éléments hostiles entretiennent le feu par livres, articles. Un manifeste des Frères Musulmans nous est un véritable ultimatum. Aucun évêque n’accepterait de voter un tel document s’il se sentait ce danger dans son diocèse. On n’a pas le droit d’exposer à la ruine la position catholique au Proche-Orient. b) danger pour l’œcuménisme. Le pèlerinage du Pape avait créé un admirable rapprochement, peut-être un peu contre le goût de certains hiérarques. La Déclaration a porté un tort très grave à ce mouvement. Les hiérarques en ont profité pour accabler l’Église catholique, qui trahissait l’évangile. Ils ont repris leurs distances. Ainsi notre patriarche orthodoxe ici et tout son clergé qui a été pour beaucoup dans la violence de l’agitation de novembre et a appelé les catholiques à l’orthodoxie. Un autre vote serait un coup mortel. c) danger pour toutes les églises chrétiennes. Elles sont déjà en position difficile dans le renouveau musulman que nous constatons. Elles seraient toutes entraînées dans la tourmente. Pour se lever devant les musulmans, elles feront de la surenchère contre l’Église catholique. Le tort qui résulterait d’une nouvelle agitation, fatalement provoquée par un vote de Concile, constituerait ensuite un grief définitif des Églises orientales contre cette Église occidentale qui les aurait jetées dans une telle tourmente. Il serait navrant que le Concile œcuménique, et le Secrétariat pour l’Union des Chrétiens aient ainsi travaillé au rebours de leurs intentions. La déclaration est à faire par le Pape et après le Concile L’autorité du Concile est ici discréditée. Celle du pape est intacte. Son sermon de la Passion [à l’église N. S. de Guadalupe à Rome, le 4 avril 1965] a prouvé à tous que lui restait bien fidèle à l’histoire et à l’évangile, sans compromission pour les exigences juives. Le Pape est au-dessus de l’agitation qui joue dans le Concile, livré à la Presse, si influencée par les Juifs. Le Pape a désormais par devant lui toute la documentation préparée. De toute façon, il devrait en assumer la responsabilité, peut-être au prix de modifications que lui imposerait sa conscience et qui feraient beaucoup de remous comme l’an passé. Mais le SaintPère, il l’a prouvé, a un genre prudent et net. Après le Concile, quand les passions seraient un peu tombées et surtout que la meute des journalistes ne serait plus là pour tout envenimer. Il y a eu le précédent de la remise au Pape du schéma de mariage en raison de ses difficultés aussi. Je suis persuadé que les évêques, dûment renseignés, prendraient la même sage mesure pour éviter à l’Orient et l’œcuménisme une ruine trop à craindre.

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J’ai exposé cette solution à S. É. le cardinal Bea par lettre. Il n’y a fait aucune réponse. Je la lui ai faite exposer par mon secrétaire en janvier. Il lui a fait des réponses que je n’ai pas trouvées sérieuses. Il a dit que le précédent du mariage n’en était pas un, parce que la matière aurait été remise au Pape faute de temps. Il n’en fut rien. Il y avait toute la IVe session. Il a dit que cette solution n’était pas respectueuse du Saint Père. Mais remettre une question au Pape est pour tous un hommage unique de respect et de déférence. Il a dit qu’ainsi le Concile voudrait se débarrasser de ses responsabilités sur le Pape. Mais celui-ci doit finalement les assumer toutes pour tout texte, même élaboré par le Concile, au prix même des modifications que sa conscience peut lui imposer, comme nous avons vu l’an passé. Je puis ajouter que les autres Patriarches orientaux approchés par moi sur cette question, sont tous favorables à cette solution. S. B. Mgr Maximos IV entre autres, en a déjà saisi le Vatican. C’est une solution de salut et de bon sens. Je ne comprends pas l’obstination qui a joué contre elle au Secrétariat, sinon que celui-ci a toujours été trop sensible à la pression de la propagande juive internationale. C’est notre conviction à tous en Orient.

6 MGR J.M. HEUSCHEN ET LE CONCILE VATICAN II* Introduction Le rôle important que Mgr Heuschen1 a joué au concile Vatican II n’a jamais été mis suffisamment en lumière. L’une des raisons principales est sa grande discrétion. En effet, lui-même n’a publié que deux articles scientifiques concernant sa participation au Concile2. Déjà âgé, il a également écrit deux documents relatant ses souvenirs du Concile3. Ses documents d’archives au sujet de Vatican II présentent de grosses lacunes4. Et ce n’est que par hasard que sa correspondance fort ­importante * Cet article est la traduction française de L. Declerck – M.  Lamberigts, Mgr. J.M. Heuschen en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 47 (2017) 5-49. 1.  Joseph-Marie Heuschen, né à Tongres le 12.7.1915, a obtenu à l’Université gré­ gorienne de Rome (où Julius Döpfner, le futur cardinal, était son condisciple) une licence de philosophie en 1936 et une licence de théologie en 1940. Il a été ordonné prêtre du diocèse de Liège en 1939. À l’Université catholique de Louvain, il a obtenu en 1942 une licence de langues orientales. En 1942, il est nommé professeur au Grand Séminaire de Liège, et vicaire général en 1959. Il a été ordonné évêque auxiliaire de Liège le 21.9.1962 et est nommé premier évêque de Hasselt en 1967. Il a démissionné en 1989 et est décédé à Hasselt, le 30.6.2002. Cf. K. Schelkens, Heuschen Jozef Maria, dans M. Quisinsky – P. Walter (éds), Personenlexikon zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Freiburg i.Br., ­Herder, 2012, 132-133 et Id., In memoriam Joseph-Marie Heuschen (1915-2002), dans ETL 76 (2002) 445-464. 2.  J.M. Heuschen, Les Douze, «Fondement de l’Église», d’après la tradition latine, dans Au service de la Parole de Dieu: Mélanges offerts à Monseigneur André-Marie Charue, Évêque de Namur, Gembloux, Duculot, 1969, 203-215. Et Id., Gaudium et spes: Les modi pontificaux, dans M. Lamberigts – C. Soetens – J. Grootaers (éds), Les commissions conciliaires à Vatican II (Instrumenta Theologica, 18), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1996, 353-358 (cet article contient quelques erreurs manifestes, surtout de dates). 3.  Concilieherinneringen, 30 p. (F. Heuschen 384) et De Amendementenslag (F. Heuschen 385). Ces deux documents (non datés) ont été écrits par Heuschen après sa démission comme évêque et contiennent quelques erreurs manifestes, surtout de dates. Pour le F. Heuschen, voir n. 4. 4. Pour les archives conciliaires de Heuschen, voir L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen, F. Heylen] et les Addenda, 19 p. non publiés. Ces archives se trouvent au Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II, Maurits Sabbebibliotheek – Faculté de Théologie et de Sciences religieuses, Leuven.

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avec sa maman et sa sœur5 et avec Mesdames Paula et Marie Verjans a été sauvée de l’oubli6. Délibérément, Heuschen a choisi de travailler dans l’ombre et au service de son ancien collègue et ami Mgr Philips (ils étaient tous deux collègues au Grand Séminaire de Liège et engagés dans l’Action catholique). Sans l’aide et la capacité de travail extraordinaire de Heuschen, Philips n’aurait jamais été capable de mener à bien son travail de rédacteur, en premier lieu pour Lumen gentium mais aussi pour Dei Verbum et Gaudium et spes. Surtout à partir de janvier 1964 – quand Philips a connu ses premières crises cardiaques – Heuschen a assisté Philips, avec l’aide également de Charles Moeller [peritus et professeur à l’Université catholique de Louvain]. Grâce à sa grande compétence (surtout en patrologie et en exégèse), sa capacité de travail – qui a probablement miné sa santé – son talent d’organisateur et sa serviabilité, Heuschen a joué un rôle important dans les activités de la commission doctrinale. Dans cet article nous essaierons de donner un aperçu chronologique du rôle de Heuschen au Concile. La correspondance de Heuschen – surtout citée dans les notes de bas de page – nous révèle son dévouement, ses émotions intenses et son engagement total. Le Concile lui aussi a été mené à bon terme par des hommes de chair et de sang. I.  Première session (11.10.1962 – 8.12.1962) À peine ordonné évêque, Heuschen a joué dès le début du Concile un rôle non négligeable dans quelques affaires importantes.

5. Maria Rubens (24.8.1875 – 16.6.1964) et Mariette Heuschen (25.1.1901 – 18.1.1998). 6.  La correspondance de Heuschen avec sa famille et avec Mesdames Verjans est fort intéressante, surtout par sa fréquence. Ces lettres ont été écrites souvent en grande hâte, dans un style familier et sans aucun souci littéraire, mais elles contiennent beaucoup de détails théologiques et techniques. Ce qui semble indiquer que Heuschen a écrit ces lettres comme une sorte de journal. Il a pris soin de récupérer ces lettres après le Concile. En 2001, il a autorisé Leo Declerck à en faire des photocopies. Les originaux ne sont plus trouvables aujourd’hui. Les passages de cette correspondance qui ont trait au Concile ont été traduits en français et publiés, cf. F. Heuschen 395-581. Nous avons aussi pu disposer des Carnets du prof. J. Grootaers, à l’époque rédacteur en chef de la revue De Maand et plus tard professeur a la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Leuven. Ces carnets ont été déposés au Centrum voor Conciliestudie Vaticanum II Bibliothèque Maurits Sabbe, Faculté de Théologie et Sciences religieuses, Leuven.



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1.  L’élection des commissions conciliaires en octobre 19627 Dès les premiers jours du Concile, plusieurs épiscopats avaient rédigé des listes de candidats pour l’élection des commissions conciliaires. La liste rédigée par l’épiscopat belge avait l’avantage d’être internationale et pouvait donc être appuyée par plusieurs épiscopats, y compris par des pays au-delà des Alpes. –  Le vendredi 12 octobre, Heuschen aide Mgr De Smedt, évêque de Bruges, à la rédaction de listes de candidats «sûrs». Liste qui a été distribuée la nuit même en 500 exemplaires8. Quand ces élections ont été reportées au 16 octobre9, Heuschen a collaboré avec De Smedt à la rédaction d’une nouvelle liste vraiment internationale, due à l’initiative du Collège belge10. Déjà ce moment, Heuschen a donc été appelé à contribution, notamment aussi parce qu’il était un excellent dactylographe11. –  Mais Heuschen a aussi contribué au report de ces élections, prévues pour le 13 octobre, grâce à l’intervention des cardinaux Liénart [évêque de Lille] et de Frings [archevêque de Cologne]. Dès le vendredi soir 12 octobre, Philips et Heuschen, à la demande de Mgr Charue [évêque de Namur], ont rendu une visite au cardinal Frings pour plaider ce report12. 7. Cf. L. Declerck – M. Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge dans l’élection des commissions conciliaires en octobre 1962, dans J. Leclercq (éd.), La raison par quatre chemins: En hommage à Claude Troisfontaines (Bibliothèque philosophique de Louvain, 73), Leuven – Paris, Peeters, 2007, 279-305. 8.  Cf. F. Heuschen 9 et 511. 9.  Cf. F. Heuschen 9 et F. Desmedt 515 (A. Greiler – L. De Saeger [éds], Emiel-­Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory [Instrumenta Theologica, 22], Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999). Et aussi Addenda, pp. 2 et 3. 10. Cf. Carnets Grootaers 341-345, conversation avec Heuschen du 18.10.1962. Heuschen y affirme que 175 évêques africains sont venus chercher cette liste. 11.  Au début du Concile, plusieurs évêques respectaient encore scrupuleusement le «secret» et hésitaient à faire appel à des dactylographes. 12.  Cf. F. Heuschen 384, p. 1: «J’étais content de connaître un peu de latin et d’allemand. Il ne nous a pas été difficile de convaincre le cardinal Frings que c’était au Concile lui-même de choisir ses commissions». Cf. aussi F. Heuschen 511 et la lettre de Heuschen à L. Declerck du 12.3.2001 (Archives Declerck): «Ce qui m’étonne c’est que Mgr Charue [cf. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 (= Carnets Charue), p. 33] ne parle pas de la rencontre, organisée avec son approbation, de Philips et moi-même avec le cardinal Frings. Nous lui avons dit qu’il était d’une importance capitale que le Concile puisse travailler avec des commissions conciliaires. Le cardinal était d’accord et disait qu’il demanderait la parole à la prochaine réunion de l’assemblée [le 13 octobre] après avoir pris contact avec les cardinaux König [archevêque de Vienne] et Döpfner [archevêque de Munich]. Du côté français on est intervenu auprès du cardinal Liénart. Ces interventions ont été d’une grande importance pour le déroulement du Concile».

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2.  La rédaction d’un nouveau projet de texte pour le ‘De Ecclesia’ Dès le lundi 15 octobre, le cardinal Suenens a demandé à Philips de rédiger, en collaboration avec plusieurs théologiens internationaux, un nouveau projet du De Ecclesia13 destiné à remplacer celui qui avait été rédigé par la commission théologique préparatoire. Philips mentionne que Suenens lui avait adressé cette demande à la suggestion de Heuschen14. Heuschen écrit le 17.10.1962: «On a décidé de commencer non pas avec les schémas dogmatiques, qui sont vieillis, mais avec le texte sur la liturgie et, dans l’intervalle, de faire un nouveau schéma sur l’Église. À la demande d’un certain nombre d’évêques occidentaux, on a demandé à quelques personnes d’y collaborer: Mgr Charue et moi-même, Mgr Philips et le Prof. Thils en font partie. Cela m’occupera bien une quinzaine de jours»15. Et, le 24.10.1962, il ajoute: «Par ailleurs, nous sommes prêts avec un nouveau plan pour le schéma De Ecclesia»16. Pendant cette session, Heuschen est aussi chargé par les évêques belges de s’occuper des contacts avec la presse17. Le Service presse du Concile ne donnait pas satisfaction et le secrétaire général Felici ne s’y intéressait guère18. Le 23 novembre, Heuschen fait in aula une intervention au sujet des moyens de communication. Il plaide pour la création d’un bureau catholique pour la presse, qui devrait procurer à temps et avec compétence des informations aux agences de presse internationales19. 13.  C’est ce projet qui sera finalement choisi en février-mars1963 comme texte de base pour le nouveau De Ecclesia. 14. Cf. K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 29), Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006 [= Carnets Philips], p. 83: «Mgr Heuschen et peut-être d’autres encore suggèrent au cardinal d’établir un tel texte». 15.  F. Heuschen 512, lettre du 17.10.1962. 16.  F. Heuschen 11 et 513, lettre du 24.10.1962. 17.  F. Heuschen 512, lettre du 17.10.1962. 18. Cf. V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015 [= Diario Felici], p. 246. D’ailleurs le débat in aula au sujet des moyens de communication sociale n’a guère ­intéressé les Pères. Cf. M. Lamberigts, Una pausa: I mezzi di communicazione sociale, dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, II, Bologna, Il Mulino, 1996, 295-308. 19.  G. Caprile, Il concilio Vaticano II: Il Primo Periodo, 1962-1963, Roma, La Civiltà cattolica, 1968, p. 195 et AS I, III, p. 447. Voir aussi F. Heuschen 10 et 515, lettre du 23.11.1962: «Ce matin j’allais demander au secrétariat [du Concile] quand je devais m’inscrire pour mon intervention (à la demande de l’épiscopat belge) sur la 4ème partie du schéma sur les moyens de communication. On me demanda si j’avais déjà un texte.



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Heuschen a aussi été actif dans l’opposition au schéma De Fontibus Revelationis, préparé par la commission théologique préparatoire. Il a mis sa compétence en exégèse au service des évêques belges et étrangers, qui souvent n’étaient pas au courant des développements récents des sciences bibliques20. Lui-même préparait une intervention au sujet du De Fontibus Revelationis. Mais, le pape ayant entre temps constitué, le 21.11.1962, une commissio mixta, le débat avait été clos et l’intervention n’a pas eu lieu. Début décembre, Heuschen a encore collaboré pour cette commission avec Charue, Cerfaux [peritus et professeur d’exégèse à l’Université de Louvain] et Daniélou [peritus, jésuite français] au sujet du chapitre IV De Novo Testamento, notamment sur l’historicité des textes, sujet fort discuté à cette époque21. II.  Première intersession Il n’y a pratiquement pas d’archives de Heuschen concernant la première intersession. Toutefois, Philips reste en contact avec Heuschen et lui envoie la nouvelle version des chapitres I et II du De Ecclesia et lui demande sa réaction22. Heuschen est aussi en possession de la nouvelle organisation des chapitres du De Ecclesia (le chapitre De Populo Dei avant celui sur la hiérarchie) comme elle avait été décidée lors de la réunion de la commission de coordination, le 4.7.196323. Et c’était le cas: je l’avais en effet donné à lire par Mgr van Zuylen dans le bus. Alors on m’a demandé de parler aujourd’hui, parce qu’on manquait d’intervenants … Mes confrères [les évêques auxiliaires de mon compartiment dans l’aula] m’ont félicité très cordialement et les évêques belges étaient également contents…». Voir aussi F. Heuschen 384, p. 2: «Moi-même j’ai fait une intervention au sujet des grandes agences de presse. Depuis la fin de la guerre, elles sont presque toutes dominées par des journalistes de tendance socialiste … Il est plus important d’être présent dans ces grandes agences que de créer une agence catholique propre. Le cardinal Bea [président du Secrétariat pour l’Unité] était d’accord…».  20.  Cf. F. Heuschen 512, lettre du 17.10.1962: «…par ailleurs, je dois constater que nos évêques ne sont pas très au courant de certains problèmes nouveaux de théologie et d’exégèse et me demandent constamment des informations». 21.  Carnets Grootaers 1280-1286. 22. Cf. L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips], 652, lettre de Heuschen à Philips du 29.3.1963. Heuschen était d’avis que le texte antérieur de Philips était meilleur et plus biblique. Mais il comprend combien il a été difficile d’arriver au texte actuel. Cf. F. Heuschen 20-32 et Carnets Grootaers 12861288, entretien avec Heuschen, le 26.8.1963: «le texte antérieur de Philips était meilleur; maintenant l’inspiration [Schwung] a disparu». 23.  F. Heuschen 16.

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Entre temps Heuschen a rassemblé les textes au sujet de l’Église qu’il a pu trouver dans la Patrologia Latina de J.P. Migne et constitué des fiches qui lui rendront ultérieurement un grand service. Plusieurs de ces citations des Pères peuvent être retrouvées dans le texte final de Lumen gentium24. III. Deuxième session (29.9 – 4.12.1963) 1.  Pendant la deuxième session, Heuschen poursuit ses contacts avec les journalistes belges. Toutefois, le «secret» du Concile s’étant sérieusement relâché, cette tâche lui demande plus de travail25. Heuschen s’était préparé à cette tâche dans un long entretien (du 26.8.1963) avec Jan Grootaers, qui avait de multiples contacts avec les informateurs religieux internationaux26. 2.  Dans le débat sur le De Ecclesia, Heuschen fait une intervention in aula, le 8.10.1963, sur «Les Douze, fondement de l’Église»27. Tandis que Charue avait examiné la collégialité dans l’Écriture, on avait demandé à Heuschen de développer la pensée des Pères de l’Église latine sur ce sujet. Il a demandé de l’aide à Cerfaux, Congar [dominicain français et peritus] et Rahner [jésuite allemand et peritus] et consulté les textes dans Migne (notamment Irenaeus, Tertullianus, Ignatius, Cyprianus, Gregorius Magnus etc.). Il a aussi trouvé un texte liturgique du XVIe siècle dans les préfaces des fêtes des apôtres28. Dans la Préface de la Cathedra S. Petri on lit: «quam [Ecclesiam] in patriarchis fundasti, in prophetis 24.  F. Heuschen 384, p. 4. 25.  F. Heuschen 400, lettre du 29.9.1963: «Personnellement je serai fort occupé, parce qu’on m’a demandé de m’occuper du service de presse de l’épiscopat belge et de soigner les contacts avec les agences Belga et CIP [Centre d’Information pour la Presse]. J’ai convenu avec eux qu’ils peuvent me téléphoner chaque jour entre 2h30 et 2h45 pour quelques brèves informations et qu’au moins une fois par semaine je donnerai un aperçu général, qui pourra être publié dans les journaux catholiques». Voir aussi F. Heuschen 401402, lettre du 1.10.1963: «L’information est déjà bien meilleure que la première fois … Et comme j’ai aussi envoyé les informations à l’agence Belga, les journaux de gauche publient maintenant régulièrement des informations sur le Concile. Non seulement Le Soir, mais aussi La Dernière Heure et même de temps à autre Le Peuple [journal socialiste]. Cela est une très bonne affaire, dont les évêques ici sont fort satisfaits». Cf. F. Heuschen 20-32. 26.  Carnets Grootaers 1272-1276. 27. Cf. AS II, II, pp. 331-333. Un texte plus élaboré a été publié par Heuschen dans les Mélanges Charue (cf. supra). Voir aussi F. Heuschen 34-37. 28.  F. Heuschen 404, lettre du 5.10.1963: «Je n’ai pas encore parlé au Concile; cela sera probablement pour lundi ou mardi. Je travaille encore à mon texte en faisant des recherches dans la patristique latine. Hier, il y a eu une réunion avec une quinzaine d’évêques pour s’accorder sur les diverses interventions».



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praeparasti, in apostolis condidisti»29. Et dans la Préface de la Nativité de St Mathieu: «in quibus [beatis Apostolis] Ecclesiae tuae fundamenta constituisti»30. Ces textes liturgiques constituaient un argument important, selon l’adage «lex orandi, lex credendi». L’intervention de Heuschen voulait être une réponse aux interventions de Compagnone [évêque d’Anagni] et de Carli [évêque de Segni] (du 2.10.1963) et du cardinal Ruffini [archevêque de Palerme] (4.10.1963)31 qui avaient prétendu qu’on ne pouvait pas trouver chez les Pères de l’Église que les apôtres étaient le fondement de l’Église. Heuschen avait méticuleusement préparé son intervention par des recherches dans la bibliothèque du Collège belge et l’avait prononcée avec soin32. Les réactions étaient favorables33. Mgr Bettazzi, le jeune évêque auxiliaire de Bologne, fit in aula l’éloge des interventions de Heuschen et de Charue34. Toutefois, tout le monde n’était pas enthousiaste35. 3.  Avec Philips et Cerfaux, Heuschen travaille à des textes concernant la sacramentalité de l’épiscopat36 et avec Charue, aux textes sur le Règne de Dieu et sur les images bibliques de l’Église37. 29.  Liber sacramentorum Augustodenensis, rubr. 246. 30.  Cette citation se trouve dans le texte final de Lumen gentium 19, note 39. 31.  Ruffini avait prétendu que dans la Tradition il n’y avait pas d’arguments en faveur de la collégialité. Chez les seuls Pères de l’Église latine, Heuschen avait déjà repéré 15 textes (cf. Carnets Grootaers 1616-1618, entretien avec Heuschen du 5.10.1963). 32.  F. Heuschen 521, lettre du 8.10.1963: «Ma combativité provient de l’attitude de quelques évêques italiens, qui se font mousser avec des arguments qui n’en sont pas, mais qui font impression sur des non-initiés, parce qu’ils sont proférés avec tant de conviction et une voix de stentor … Moi-même j’ai parlé à très haute voix … les Pères écoutaient bien et l’aula était silencieuse … J’étais content des réactions dont j’ai eu écho». 33.  F. Heuschen 407, lettre du 8.10.1963: «J’ai parlé ce matin; plusieurs évêques m’ont ensuite félicité et Philips a trouvé le discours ‘excellent’, appréciation qu’il ne donne que rarement. De même Cerfaux et Rigaux [franciscain, professeur d’exégèse à l’Université de Louvain, peritus] m’ont félicité. Et on dit que les periti étaient très contents de mon intervention et de celle de Charue». 34.  F. Heuschen 522, lettre du 11.10.1963. Le 11.10.1963, Heuschen a encore téléphoné à Grootaers pour attirer son attention sur l’intervention de Bettazzi, qui était une première tentative pour rallier une partie de l’épiscopat italien aux positions des évêques «occidentaux» (Carnets Grootaers 1808). 35.  «Ce que les gens de la curie pensent est une autre question. Mais si on continue à faire attention à cet avis, on perd son temps» (F. Heuschen 521, lettre du 8.10.1963). 36.  F. Philips 1007, 1009, 1010. 37.  F. Heuschen 409, lettre du 11.10.1963: «Je viens de terminer le texte sur le Règne de Dieu et Philips était très content. Et on m’a demandé de rédiger maintenant avec Cerfaux un texte sur les images bibliques de l’Église. Bettazzi, auxiliaire de Bologne, dans son discours in aula, a loué mon intervention et celle de Charue». Charue a réussi de faire introduire ces images dans Lumen gentium 6, à côté de l’image du Corps mystique du Christ (Carnets Charue, p. 105).

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4.  Le Prof. Thils avait aussi demandé à Heuschen de faire une intervention sur les laïcs (chapitre 3 du De Ecclesia). Mais Heuschen – ce qui montre sa discrétion – a alors convaincu son évêque, Mgr van Zuylen, le seul évêque résidentiel belge qui n’avait pas encore pris la parole au Concile, de faire cette intervention, dont il a rédigé lui-même en grande partie le texte38. 5.  Pour Heuschen, le fait le plus important a été son élection comme membre de la commission doctrinale, le 28 novembre 1963. Il a obtenu 1160 voix; Ancel [évêque auxiliaire de Lyon]: 1491; Butler [abbé de Downside]: 1448; Henriquez [évêque auxiliaire de Caracas]: 931. Ce résultat était très étonnant pour un jeune évêque auxiliaire inconnu. Mais c’est le cardinal Döpfner, étudiant avec Heuschen à la Grégorienne, qui l’avait mis sur une liste-modèle. Lui-même n’était pas présent à Rome lors de cette élection, Mgr van Zuylen lui ayant demandé de retourner à Liège pour une semaine39. Cela lui permettait aussi de rendre visite à sa maman, qui était malade40. Heuschen était donc absent de la réunion du 2.12 de la commission doctrinale (au cours de laquelle Charue a été élu 2ème vice-président et Philips secrétaire adjoint)41. Lors de la nouvelle rédaction du De Ecclesia, il a choisi de participer aux travaux de l’importante sous-commission V qui était chargée du texte sur la collégialité42. Parente [assesseur du Saint-Office], Florit [archevêque de Florence], Volk [évêque de Mayence] et Henriquez43 en étaient membres également. 38. F. Heuschen 411-412. Pour le texte de l’intervention de Mgr van Zuylen du 23.10.1963, cf. AS II, III, pp. 239-241. 39.  F. Heuschen 384, p. 4: «Cela a été longtemps pour moi un mystère de savoir comment mon nom se trouvait sur cette liste. Finalement le cardinal Döpfner m’a avoué que c’était sur son initiative. On était étudiant de la même année à la Grégorienne. Pendant 7 ans j’avais été premier de mon année. Döpfner n’a jamais obtenu le summa cum laude parce qu’il s’appliquait plus à du travail personnel et n’était pas fortement intéressé par les cours de nos professeurs». Voir aussi F. Heuschen 385, p. 2. 40.  Cf. F. Philips 1256, lettre de Heuschen à Philips, du 12.1.1964. 41. Cf. Konzilstagebuch Sebastian Tromp s.j. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2014 [= Diarium Tromp], 3/1, p. 369 et 3/2, p. 1042. Heuschen était absent du Concile du 27.11 au 4.12.1962 (avec nos remerciements à Piero Doria, archiviste à l’Archivio Segreto Vaticano). 42. Cf. Journal Smulders [non publié], III, p. 5: «2.12.1963: Philips me dit que Heuschen, absent à cause de la maladie grave de sa mère, aimerait bien participer à la sous-commission sur la collégialité. Approuvé sans difficultés». 43. Les periti de cette sous-commission étaient Salaverri, Betti, Rahner, Ratzinger, Colombo, Dhanis, Thils, Maccarrone, Gagnebet, D’Ercole, Lambruschini, Moeller, Schauf et Smulders.



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IV. Deuxième intersession Grâce à son élection dans la commission doctrinale, Heuschen y a pu jouer un rôle important à partir de la deuxième intersession. Il n’a pas seulement participé aux réunions fréquentes des sous-commissions I et V pour le De Ecclesia mais il a aussi été un membre actif des réunions plénières de la commission doctrinale, prenant des initiatives et proposant des textes qu’il argumentait abondamment et avec compétence. Toutefois, pendant la première moitié de 1964, Heuschen a eu des soucis à cause du décès, le 27.12.1963, de Mgr Calewaert, évêque de Gand. À plusieurs reprises Heuschen a été cité comme futur évêque de Gand, ce qu’il voulait éviter à tout prix. En effet il existait déjà des projets pour détacher la province du Limbourg du diocèse de Liège et ériger ainsi un nouveau diocèse de Hasselt, dont Heuschen serait le premier titulaire44. Tout en restant très discret, Heuschen y fait quelques allusions dans sa correspondance. Le 20.1.1964, il écrit qu’on l’a taquiné avec la succession de Mgr Calewaert45. Le 2.3.1964, il fait savoir à sa mère et à sa sœur ainsi qu’à Mesdames Verjans qu’un successeur a été nommé à Gand, Mgr Van Peteghem, ce qui était une information prématurée, mais qui par après s’est révélée exacte46. Le 19 avril, il se fait à nouveau des soucis et a demandé à Mgr van Zuylen d’empêcher cette nomination47. Le 22 avril, il est plus calme et espère qu’il échappera au pire48. 44.  Le fait que Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, a choisi de résider à partir de décembre 1962 à Hasselt en constitue un indice. D’ailleurs Mgr van Zuylen était favorable à l’érection de ce nouveau diocèse. Le Limbourg était une région unilingue flamande, tandis que le diocèse de Liège était surtout francophone. 45.  F. Heuschen 526, lettre du 20.1.1964: «On m’a taquiné avec la succession de Mgr Calewaert. Mais on peut être tranquille, je ne devrai pas déménager à Gand». 46.  Van Peteghem n’a été nommé que le 28 mai 1964. Probablement Heuschen s’était basée sur une information erronée, parue dans la presse. Voir F. Heuschen 414: «Maman aura appris qu’on a nommé Van Peteghem comme évêque de Gand. Ainsi elle ne doit plus s’inquiéter. D’ailleurs c’est une bonne nomination, le meilleur candidat pour Gand. Le Saint-Esprit a bien travaillé» (voir aussi F. Heuschen 528, lettre du 2.3.1964). Opinion que Heuschen n’aurait plus proférée après son conflit avec Van Peteghem au sujet de l’encyclique Humanae vitae. Cf. infra, Épilogue. 47.  F. Heuschen 531, lettre du 19.4.1964: «Mgr n’a encore rien entrepris et pour ma part je me tiendrai coi, en espérant que l’orage passera et qu’aussi à Rome on deviendra sage … Comme un certain temps est déjà écoulé, j’ai toujours l’espoir que rien ne se passera» (Mgr van Zuylen a eu une audience avec le pape, le 20.4.1964, cf. L’Osservatore Romano, 20.4.1964). 48.  F. Heuschen 532, lettre du 22.4.1964: «Les dernières nouvelles que j’ai recueillies m’ont apaisé quelque peu. Il semble que le nonce a transmis à Rome les objections, qu’on avait émises de plusieurs côtés, et qu’en ce moment on hésite à Rome. Il semble aussi qu’on a transmis le dossier au sommet, pour que la décision soit prise à ce niveau. Mais

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Mais Heuschen est surtout actif concernant plusieurs textes conciliaires: 1.  ‘De Ecclesia’ Il participe aux réunions de la sous-commission V du 20 au 25 janvier49 et de la commission plénière du 2 au 14 mars et du 1er au 3 juin50. Pendant ces réunions, Heuschen a pu obtenir quelques changements importants dans le texte: (a)  Le texte au sujet du collège des évêques disait: «membrum Corporis episcopalis aliquis constituitur vi sacramentalis consecrationis et communionis cum Collegii Capite et membris». Grâce à Heuschen le texte définitif de Lumen gentium se lit maintenant: «vi sacramentalis consecrationis et hierarchica51 communione…»52 (Lumen gentium 22). le seul fait qu’on ait signalé les inconvénients me rend tranquille et me donne bon espoir pour une issue favorable. J’ai l’impression qu’on attendra encore quelques jours avant de trancher l’affaire et chaque jour de délai est un jour gagné … Il y a une chance sérieuse que j’échappe au pire. Mgr van Zuylen n’a encore rien entrepris et je me suis tenu coi, mais je dispose aussi d’autres sources d’information et ce que j’ai appris me semble digne de foi…». 49.  Dans son Diarum Tromp 3/1, p. 397, Tromp écrit que Heuschen était absent le 20.1, ce qui est contredit par Heuschen (F. Heuschen 527) et par la Relatio de Betti (Diarium Tromp 3/2, p. 827). Schauf, plutôt conservateur et ami de Tromp, note le 22.1.1964 dans son Konzilstagebuch (non édité): «Heuschen macht bisher einen guten Eindruck». 50.  La commission s’est réunie jusqu’au 6 juin, mais Heuschen était rentré en Belgique pour être près de sa mère mourante et qui est décédée, le 16.6.1964. Cf. Diarium Tromp 3/2, p. 1062. 51.  Le terme hierarchica a été ajouté, le 23.10.1964, à la troisième session [cf. Konzilstagebuch H. Schauf 24.10.1964] pendant l’Expensio modorum. Cf. le document «Modi a Patribus conciliaribus propositi, a Commissione doctrinali examinati», Typis Polyglottis Vaticanis, 1964, p. 20 (réponse au modus 20). Ce document comporte 64 pages imprimées. Dans ses Concilieherinneringen, p. 4 (F. Heuschen 384) Heuschen écrit que la réponse à ce modus provenait de lui. Pendant la troisième session, certains periti ont critiqué âprement cette expression (comment une vraie communion pourrait-elle être hiérarchique?) Voir aussi les «Osservazioni sulla Nota Explicativa Praevia e sul N. B. della Relatio generalis ad Cap. III», d’E. Lanne o.s.b. moine de Chevetogne et membre du Secrétariat pour l’Unité, 15-16.11.1964, dans L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires d’Emmanuel Lanne, o.s.b., moine du Monastère de Chevetogne, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, avec une Introduction par Michel Van Parys, o.s.b. (Instrumenta Theologica, 41), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, p. 88. 52.  Pour cette question voir aussi L. Kenis, Diaries: Private Sources for a Study of the Second Vatican Council, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 29-53, pp. 45-46.



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Dans ses Concilieherinneringen53 Heuschen écrit au sujet de ce changement du génitif en ablatif: On devient évêque par la consécration mais on ne peut exercer sa charge qu’après une intervention du pape, qui assigne le diocèse. Les canonistes de la curie avaient un autre point de vue: c’est le pape qui crée l’évêque. La formulation du texte pourrait donner l’impression que la nomination par le pape est aussi essentielle que la consécration.

Il est évident que cette modification du texte était fort importante pour les relations avec les évêques orthodoxes, qui sont consacrés validement mais pas nommés par le pape. Cette modification a été introduite non sans difficultés. En effet, Heuschen n’était pas présent aux réunions de la sous-commission V en novembre et décembre 1963. Et dès qu’un texte était approuvé il était fort difficile d’apporter encore des modifications. Le 30.12.1963, il écrit à Charue pour l’inviter à une réunion de quelques periti à Louvain pour examiner à nouveau les numéros 16-18 [plus tard devenus les nn. 22-24] du De Ecclesia54. Le 12.1.1964, il écrit à Philips et demande de changer encore le texte, puisqu’il n’a pas pu être présent à la réunion de la sous-commission du 3.12.1963 à cause de la maladie de sa mère, et il donne quelques suggestions pour améliorer le texte55. Lors de la réunion de la sous-commission V du 20.1.1964, il réussit à faire discuter le texte56. Pendant cette réunion, Heuschen a eu une vive 53.  F. Heuschen 384, p. 4. 54.  L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, p. 111 [= Inventaire Charue]. 55.  F. Philips 1256-1257, 1299. 56. Cf. Carnets Philips, 20.1.1964, p. 117: «On termine le n. 16. Les notes de Mgr Heuschen seront ajoutées au compte-rendu du rapporteur». Cf. F. Heuschen 527, lettre du 21.1.1964: «La réunion d’hier s’est bien terminée. Elle commença mal, parce que le président annonça qu’on ne pouvait plus revenir sur le texte du n° 16, qui avait été discuté en décembre et approuvé par la commission. Je suis intervenu en déclarant que j’étais d’accord avec ce point de vue, à condition toutefois qu’on ajoute mes objections au texte, objections que je n’avais pas pu introduire à cause de la maladie de ma mère. Le président marqua son accord et j’ai introduit mon texte. Heureusement que je l’avais préparé d’avance; autrement j’aurais été en mauvaise posture. Au cours de la discussion, un des periti est malgré tout revenu sur un passage du texte déjà approuvé. Comme le président le laissait faire, j’ai également demandé la parole pour indiquer quelques défauts de formulation, comme je l’avais écrit dans ma note. Le président a dû concéder que j’avais raison (on devient membre du collège des évêques d’abord par la consécration; il est également requis qu’on vive en communion avec le pape). Mais ce deuxième élément n’est pas du même ordre et de même nature que le premier. Or le texte donnait l’impression que ces deux éléments avaient la même valeur. Dès lors, après quelques réactions de periti

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discussion avec Mgr D’Ercole, peritus italien et professeur d’histoire et de droit canonique au Latran, au sujet des citations des Pères de l’Église, dans lesquelles Heuschen avait découvert plusieurs erreurs57. Il devait encore obtenir l’approbation de la commission plénière, qui s’est réunie du 2 au 14 mars 1964. Le 16.2.1964, Thils lui a encore envoyé quelques textes et l’a encouragé58. Thils avait également écrit à Charue, qui à son tour avait averti Philips59. À la réunion du 6 mars, le nouveau texte du n. 22 a été approuvé à l’unanimité, non sans quelques discussions difficiles60.

italiens, ma proposition concernant le changement du texte a été acceptée. Et ensuite, avec l’appui de Moeller et de Thils, j’ai encore obtenu un changement qui est important pour les Églises orientales. Cela n’a pas été facile mais j’ai fait l’expérience qu’en insistant on obtient gain de cause … Les plus graves difficultés viennent des periti italiens, qui, quand ils obtiennent la parole, ne cessent plus de parler le plus souvent à côté de la question, mais personne ne réussit à les arrêter, pas même l’assesseur du Saint-Office [P. Parente], qui y perdra ses derniers cheveux». Voir aussi la Relatio de Betti dans Diarium Tromp 3/2, p. 827 et Konzilstagebuch H. Schauf, 25.1.1964. 57.  Cf. F. Heuschen 384, pp. 4-5: «Pendant la 1ère réunion de la sous-commission, j’ai vécu un incident mémorable. J’avais contrôlé non seulement le texte approuvé mais aussi les notes et les renvois. Selon mes recherches, il y avait cinq citations erronées. J’avais tout vérifié deux fois dans Migne. Quand je le faisais remarquer, un Monsignore italien, Mgr D’Ercole, qui était l’auteur de ces citations, a protesté violemment: Que pensent ces Belges qui prétendent qu’eux seuls connaissent les Pères. Mgr Philips m’a demandé: vous êtes bien certain. J’ai répondu que j’avais tout contrôlé deux fois. Alors Mgr Parente a suggéré à Mgr D’Ercole de vérifier les citations. Le lendemain avant la réunion, D’Ercole est venu me trouver: il s’était trompé dans les citations, m’a remercié pour mes rectifications et m’a offert son livre sur les Pères latins. L’incident a été divulgué et j’ai acquis la réputation – d’ailleurs non justifiée – d’être un bon patrologue». Voir aussi F. Heuschen 104. 58.  F. Heuschen 119-120. 59. Lettre de Thils à Charue, 15.2.1964 et lettre de Charue à Philips, 21.12.1964 (Inventaire Charue, p. 111). 60. Cf. Carnets Charue, p. 162; Diarium Tromp 3/1, pp. 471sv. Et F. Heuschen 420, lettre du 7.3.1964: «Hier, session mémorable de la commission. Il s’agissait de la collégialité et à tour de rôle le cardinal Ottaviani et le cardinal Browne ont essayé de changer le texte, avec l’appui de l’artillerie [sic] italienne. Jusqu’à quatre fois les évêques ont demandé le vote, mais quatre fois Ottaviani a fait la sourde oreille. Finalement on a pu voter et alors le texte a été voté à l’unanimité, parce que tous en avaient assez de la manière d’agir d’Ottaviani. C’était la première fois qu’il y avait un vote unanime, parce que tout le monde était las de la façon d’agir d’Ottaviani pour freiner les choses. … Mais, par la suite, Ottaviani a interrompu la réunion pendant dix minutes. Et quand la réunion a repris il a distribué un nouveau texte du cardinal Browne et a demandé de le voter. Or ce texte était fort différent du texte approuvé et ainsi la valeur du vote aurait été annulée. Alors tous les évêques ont protesté violemment et cette manœuvre a échoué. Et tout s’est passé alors facilement. Mais ceci nous a coûté deux heures de batailles et nous a fait perdre beaucoup de temps. Mais le résultat en valait la peine. La collégialité est donc votée. Que les jésuites écrivent maintenant ce qu’ils veulent» (probablement, une allusion aux articles de J. Beyer s.j., Nature et position du sacerdoce, dans NRT 76 [1954] 356-373 et 469-480, qui mettait la sacramentalité de l’épiscopat en doute).



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(b)  Le 7 mars, Heuschen a obtenu qu’on insère quelques lignes au sujet des patriarcats dans Lumen gentium 23 et ceci à la grande joie de Moeller61. Et il a également réussi à faire insérer dans le n. 25 que l’infaillibilité de l’Église réside aussi dans le Corps épiscopal quand, avec le successeur de Pierre, il exerce le magistère suprême62. Dans le n. 21, Heuschen a fait remplacer «potestas» par «munus»: «Episcopalis autem consecratio, cum munere sanctificandi, munera quoque confert docendi et regendi»63. En effet, «munus» exprime mieux l’idée de charge, de service, de devoir tandis que «potestas» ferait allusion à autorité, puissance. (c)  En mars, Heuschen a été aussi nommé membre de la sous-commission I, qui était chargée non seulement de la révision du chapitre I sur le Mystère de l’Église [dont le travail était terminé pendant la deuxième session] mais qui devait aussi superviser les citations bibliques et patristiques des textes des autres sous-commissions64. Ainsi Heuschen est parvenu à introduire dans le n. 20 son texte sur les évêques, successeurs des apôtres, en s’inspirant de son intervention de la deuxième session65. De retour à Rome pour la réunion de la commission doctrinale du 1er au 6 juin, Heuschen a encore eu une réunion au Collège belge avec un groupe d’évêques, notamment Charue, Volk, Śeper [archevêque de Zagreb] et Butler, pour arrêter la tactique concernant les 13 suggerimenti 61.  F. Heuschen 148; Carnets Charue, p. 162. 62.  F. Heuschen 163; Carnets Charue, p. 166; Diarium Tromp 3/1, p. 499. 63. Cf. Diarium Tromp 3/1, p. 485. Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, II, pp. 37, 40. Et F. Heuschen 385, p. 5: «Le texte qui était accepté dans la commission déclarait que le sacre épiscopal confère à l’évêque une triple ‘potestas’ … Mais en rentrant à la maison, le p. Congar nous disait dans la voiture: le texte est exact mais il serait encore meilleur si on employait une terminologie moins juridique et si on parlait au lieu de ‘potestas’ de ‘munus’ qui indique l’idée de service. Mgr Charue et Mgr Philips étaient d’accord et m’autorisaient d’essayer de remplacer ‘potestas’ par ‘munus’. Ce que j’ai fait, et, dans la discussion le lendemain à la commission théologique, personne n’a remarqué le changement» [Heuschen situe cependant par erreur ce changement pendant l’Expensio modorum durant la troisième session. Voir aussi Konzilstagebuch H. Schauf, 8.3.1964]. 64.  Les membres étaient: Charue, Pelletier, van Dodewaard et, à partir du 1er mars, Heuschen. Les periti: Cerfaux, Fenton, Garofalo, Castellano et Rigaux. Congar note à ce sujet: «Les Belges ont la totalité des actions dans la ‘sous-commission biblique’: Cerfaux, Heuschen, Charue, Rigaux. Par le biais d’un contrôle des citations bibliques, cette sous-commission exerce réellement un dernier contrôle sur les textes. À sa faveur, on peut encore modifier ceux-ci après le travail de la sous-commission compétente; on peut réintroduire quelque chose … Ce contrôle s’exerce parfois, non pas même à Rome, mais à Louvain» (Journal Congar, II, p. 56). 65. Cf. Carnets Charue, pp. 158, 160; F. Heuschen 108-116; F. Philips 1334-1360; Inventaire Charue, pp. 112-113.

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que le pape avait envoyés à la commission au sujet de la collégialité66. On suggérait que plusieurs évêques devaient demander une audience chez le pape. Heuschen était disposé à le faire, mais à cause de son retour en Belgique (le 4.6.1964)67 cette audience n’a pas eu lieu68. Charue et Heuschen vont ensemble, le 3 juin à 20h, chez le cardinal Bea pour attirer son attention sur les implications œcuméniques de ces suggerimenti, mais Bea refuse d’intervenir69. 2.  ‘De Revelatione’ Le 7 mars, la commission doctrinale a érigé sous la présidence de Mgr Charue une sous-commission pour rédiger à nouveau le De Revelatione. Heuschen est membre de la 1ère sous-commission70 avec Florit, Pelletier [évêque de Trois-Rivières] et Butler. Cette sous-commission devait traiter du problème épineux des «Deux Sources de la Révélation»: problème délicat surtout avec les Protestants et sur lequel le concile de Trente ne s’était pas prononcé clairement, mais qui pour beaucoup de Pères conciliaires semblait acquis. Quels étaient les rapports entre l’Écriture et la Tradition? Les réunions étaient prévues du 21 au 25 avril. Selon ses habitudes Heuschen préparait à Hasselt les réunions de la sous-­commission 66.  Cf. F. Philips 1396-1398. 67. Cf. Carnets Charue, p. 199: «Le soir, à 10h un télégramme rappelle Mgr Heuschen pour sa mère [décédée le 16.6.1964]». 68. Cf. Carnets Charue, p. 195. F. Heuschen 534, lettre du 3.6.1964: «Au Concile [= à la commission], la situation est difficile. L’opposition ne désarme pas et nous contraint tout le temps à faire appel au règlement, à rappeler le président à l’ordre et à faire des déclarations qui troublent l’atmosphère et la rendent désagréable. Je n’aurais pas cru que les gens de la curie étaient si coriaces. Leur cible principale est ce qu’ils appellent la squadra belga, le groupe des Belges dont ils font maintenant le bouc émissaire, parce que les Belges ont fait passer un tas de choses qui leur déplaisent. Heureusement que Mgr Henriquez, du Venezuela et Dom Butler, un anglican converti, nous aident sinon on devrait chaque fois tirer tout seuls les marrons du feu. Les Français et les Allemands partagent sans doute nos idées, mais au cours des réunions ils restent muets quand il s’agit de répondre à l’offensive venant de l’autre côté. Et comme il n’est plus permis aux periti de prendre la parole sur certaines questions, ce sont les évêques eux-mêmes qui chaque fois doivent ouvrir le feu. Ce n’est guère agréable, surtout que l’autre parti donne toujours l’impression que les thèses que nous défendons frôlent le protestantisme ou contredisent à tout le moins la doctrine universellement acceptée par les vrais et bons catholiques. Cette situation deviendra encore plus difficile quand la question de la collégialité – j’espère avant la fin de la semaine – sera discutée: en se référant au Saint-Père lui-même, ils rendront notre opposition doublement difficile. Avec Mgr Charue j’ai demandé une audience chez le pape pour le début de la semaine prochaine. Je veux lui parler à cœur ouvert». 69. Cf. Carnets Charue, p. 199 et Journal Smulders, III, p. 19. 70. Les periti étaient: Betti, Congar, Rahner (Schauf), Xiberta, Gagnebet, Colombo, Moeller, Prignon et Smulders.



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romaine, avec Cerfaux, Moeller et Smulders71. Puis il y a eu une réunion au Collège belge le 21 avril à 11h avec Charue, Heuschen, Philips, Prignon, Cerfaux, Moeller, Smulders et Congar72. Dès le 23 avril, la 1ère sous-commission avait un texte prêt dont Heuschen était fort satisfait73. Dans sa réunion plénière du 2-5 juin, la commission doctrinale a approuvé sans difficultés majeures le texte74. Mais, pendant la quatrième session, on devra constater que ce chemin de croix n’était pas encore terminé. 3.  Schéma XIII: ‘De Ecclesia in mundo huius temporis’ On a demandé à Heuschen de siéger dans la commissio mixta pour le schéma XIII en tant que délégué, avec d’autres, de la commission doctrinale. Les réunions de mars 1964 se passaient dans un grand désordre75. Pour celles du mois de juin, Heuschen était déjà retourné en Belgique. Heuschen était membre de la sous-commission De Matrimonio. Pour préparer ces réunions sur une matière délicate, Heuschen s’est documenté auprès de M. Kuppens [professeur au Séminaire de Liège] et des professeurs Delhaye et Jacques Leclercq et par des articles de Reuss [évêque auxiliaire de Mayence], L. Janssens, Understone, Buelens-Gijsen76. On constate donc que Heuschen, malgré le fait qu’il n’a participé aux réunions de la commission doctrinale qu’à partir de janvier 1964, s’est 71.  Cf. F. Heuschen 196-197 et F. Philips 1618-1619.Voir aussi F. Heuschen 532 et Journal Smulders, III, pp. 14-15. Il y a eu deux réunions à Hasselt le 1er et 15 avril avec Heuschen, Smulders, Cerfaux et Prignon. Dans son Konzilstagebuch (8.1.1964, 1.6.1964) Schauf mentionne le rôle coordinateur de Heuschen. 72.  Carnets Charue, pp. 182-183. 73.  Cf. F. Heuschen 384, p. 14b: «La sous-commission plénière s’est réunie le 20 avril 1964. Elle donnait mission à la sous-commission pour la Tradition d’élaborer un projet de texte. La sous-commission disposait de 4 projets de texte: de Congar, de Rahner, de Betti et de Heuschen-Cerfaux. On s’est réuni les 20 et 21 avril. Rahner disait que son texte ne convenait pas. Congar apportait un texte théologique, mais ce n’était pas un texte pour un Concile. Moi-même j’ai défendu le texte de Betti parce qu’il était bon et nous garantissait l’appui de Mgr Florit. La sous-commission décidait, que dans la discussion sur le texte, on tiendrait aussi compte de mon projet». Pour un rapport plus exact et plus détaillé, cf. Journal Congar, II, pp. 66-69. Pour les projets de texte, cf. Inventaire Charue, pp. 128-129 et F. Philips 1618-1630. Voir aussi U. Betti, La dottrina del concilio Vaticano II sulla trasmissione della Revelazione: Il capitolo II della Costituzione dogmatica Dei Verbum, Roma, Antonianum, 1985. 74.  Cependant, le 3.6, il y a eu un incident pénible entre Ottaviani et Charue (Carnets Charue, p. 198) et Ottavaini s’est plaint à Heuschen en disant: «il n’y a plus de liberté dans la commission» (Charue avait demandé – comme on avait convenu – de ne pas rouvrir la discussion sur Écriture et Tradition, mais de procéder tout de suite au vote (Entretien de Grootaers avec Heuschen, 3.10.1964, Carnets Grootaers 3490b). 75. Cf. Carnets Charue, p. 161. 76.  Voir F. Heuschen, lettre du 2.3.1964. Et F. Heuschen 203, 208-211, 216-220.

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tout de suite engagé pour trois problèmes importants du Concile: la collégialité, les rapports entre Écriture et Tradition et le mariage. V. Troisième session (14.9 – 21.11.1964) 1.  ‘De Ecclesia’ Au début de cette session, Heuschen était satisfait des textes et du résultat des votations. Comme plusieurs évêques belges il était fort critique pour l’intervention du cardinal Suenens sur la Vierge Marie, le 17.9.196477. Le 10.10, Heuschen était indigné parce que les textes sur les Juifs et sur la liberté religieuse seraient confiés à une nouvelle commission78. Ce qui finalement a pu être évité: le Secrétariat pour l’Unité restait responsable de ces deux dossiers importants. Le grand mérite de Heuschen pendant cette session a été que, grâce à sa compétence et à sa capacité de travail, il a organisé et finalisé l’Expensio modorum79 du schéma De Ecclesia. Grâce à quoi ce texte a pu être promulgué à la fin de la troisième session. (a)  L’‘Expensio modorum’80 Après les votations, on devait procéder à l’Expensio modorum. Tromp et ses collaborateurs en avaient la responsabilité mais ils n’arrivaient qu’à 77.  Heuschen disait à Grootaers que, par son intervention, Suenens avait nui à son autorité, prouvé qu’il n’avait pas de formation théologique et avait abusé de son talent d’orateur. Surtout le fait que Suenens avait reproché au schéma un christocentrismus antimarialis avait heurté Heuschen: «Comment pourrait-on être contre la Mère en exaltant son Fils?» (Carnets Grootaers 2978). 78.  Heuschen a convoqué d’urgence Grootaers, le 10.10.1964, pour le mettre au courant. Grootaers soupçonnait que Heuschen désirait alerter la presse (Carnets Grootaers 3756-3760). Pour cet incident, cf. L. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Traduction française annotée (Instrumenta Theologica, 31), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009, pp. 137-143. 79.  Tous les votes (dont 39 votations sur les différentes sections du chapitre III) du De Ecclesia avaient obtenu la majorité de 2/3 des voix. Mais le problème était le grand nombre des modi, environ 15.000 dont 5.600 pour le chapitre III (sur la collégialité). Bien sûr, un grand nombre de ces modi étaient identiques (on les avait ronéotypés et distribués aux évêques). Pourtant, les examiner était un grand travail. Les adversaires du texte sur la collégialité avaient même espéré qu’on n’aurait jamais pu répondre à temps à ces modi pendant la troisième session, et qu’ainsi l’approbation définitive de Lumen gentium ne puisse pas avoir lieu pendant la troisième session. Et on espérait que, par ce délai, le texte ne serait jamais approuvé. 80.  Heuschen, dans ses vieux jours, a rédigé à ce sujet un texte, non daté de 7 pages: De Amendementenslag (la bataille des amendements) (F. Heuschen 385). Ce texte concerne les modi du De Ecclesia mais aussi ceux du De Revelatione et du schéma XIII.



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classer 500 modi par jour81. Début octobre Heuschen a proposé à Tromp de l’aider82. Tromp a accepté et, dorénavant, tous les modi étaient transportés du Vatican au Collège belge, où – avec l’aide des étudiants – les modi étaient classés chapitre par chapitre, un travail énorme. De cette façon tous les modi pouvaient facilement et clairement être discutés chapitre par chapitre dans un petit groupe de travail (subcommissio advisoria) qui était composée de Charue (deuxième vice-président), Tromp et Philips (les secrétaires) et du président de la sous-commission responsable du chapitre concerné. À partir du moment où König, président de la sous-commission III avait demandé à Heuschen de le remplacer, celui-ci a été présent à toutes les réunions de la subcommissio advisoria83. Après la discussion, Heuschen a dactylographié sur stencil le projet des réponses84 aux modi. Le soir ou la nuit, les stencils étaient multipliés au Collège belge. Ainsi les réponses pouvaient déjà être discutées le lendemain par la commission doctrinale plénière, ce qui permettait un gain de temps considérable. Et la plupart des réponses préparées étaient approuvées sans discussions ultérieures85. Heuschen a fait ce travail avec une grande précision et beaucoup de détermination. Il est arrivé une fois qu’il ne traite pas un modus, rédigé par Colombo, peritus et théologien du pape, parce qu’il était complètement illisible. Quand Colombo lui a demandé pourquoi il n’avait pas traité ce modus, Heuschen lui a demandé un texte lisible pour qu’il puisse alors en tenir compte86. Heuschen a travaillé jour et nuit du début octobre jusqu’au 81.  F. Heuschen 439. 82.  «Je proposais au Père Tromp de l’aider. Il se rappelait qu’autrefois j’avais passé un bon examen chez lui et il prétendait qu’à ma prononciation du Latin il avait pu entendre que j’étais un Limbourgeois» (F. Heuschen 385, p. 2). 83.  Cf. F. Heuschen 441, lettre du 14.10.1964. Heuschen a aussi remplacé Mgr Parente et Mgr Henriquez (F. Heuschen 443, lettre du 18.10.1964). 84. Cf. Addenda, pp. 6-7; F. Philips 1862-1879, 1946, 1948, 1978, 2015. Pour la rédaction de ces réponses Heuschen avait une tactique propre: «La réponse à ces modi était un art à part. Pour un cas difficile on proposait d’abord une réponse assez radicale. Ce qui n’était évidemment pas accepté. Puis on proposait un deuxième texte beaucoup plus nuancé, qui – la plupart des cas – était accepté parce que la partie adverse avait obtenu – au moins partiellement – satisfaction». F. Heuschen 384, p. 6. 85.  Cf. F. Philips 1950, 1958, 1979, 2017; Inventaire Charue, pp. 141-146. 86.  «Un certain jour, j’avais trouvé parmi les papiers une feuille, qui était déchirée d’un cahier et je ne pouvais déchiffrer ni le texte ni le nom de l’auteur. J’ai montré cette feuille au Père Congar et à Mgr Moeller, mais ils ne pouvaient m’aider. Alors je l’ai remise parmi les amendements mais je ne l’ai pas traitée. Le lendemain, lors de la discussion dans la commission doctrinale, Mgr Colombo, théologien du pape a demandé pourquoi son modus n’était pas mentionné. Ce qui m’a fait un choc. Alors je lui ai demandé si son texte avait été écrit sur une feuille de papier, déchirée d’un cahier. Après sa réponse affirmative, je lui ai répondu que j’avais consulté quelques periti qui eux non plus ne savaient pas déchiffrer son nom et que le texte lui-même était en grande partie illisible.

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8 novembre pour être en mesure de terminer cette expensio87. Mais en même temps, il avait l’impression que d’autres tramaient des manœuvres de ralentissement pour empêcher la promulgation de la constitution. On exerçait une pression pour remettre à plus tard le chapitre III sur les évêques et pour semer la suspicion sur la méthode de travail de la commission. Début novembre il était évident que Paul VI lui-même avait encore des réserves au sujet de la collégialité. Il interviendra et cela a eu comme résultat qu’une Nota Explicativa Praevia sera ajoutée au texte, pour fournir un cadre d’interprétation juridique au texte de la constitution. (b)  La ‘Nota Explicativa Praevia’88 (NEP) Le 10.11.1964, le pape intervenait par une lettre du Secrétaire d’État et demandait quelques corrections dans le texte. Il exigeait que l’Expensio modorum du chapitre III soit précédée par une note et transmettait également un texte du Père Bertrams [jésuite allemand, professeur de droit canon à la Grégorienne et peritus]. Dans une réunion tumultueuse de la commission doctrinale (12 novembre 1964), où les periti (à l’exception de Tromp et de Philips) S’il pouvait nous donner une copie lisible de son texte, on examinerait encore ce soir son texte. Après la réunion, Mgr Colombo est venu s’excuser pour le malentendu» (F. Heuschen 384, p. 7). 87.  Cf. F. Heuschen 548, lettre du 29.10.1964: «Je suis très fatigué … tous les jours, nous avons travaillé jusqu’à 11h30 du soir … Mais nous avons pu respecter notre plan de travail. Tous me laissent la liberté d’agir; même Tromp vient me demander maintenant: ‘Qu’est-ce que vous prévoyez pour demain?’, et il regrette que le matin je ne puisse me rendre à Santa Marta pour la sous-commission. Je reste en effet, à ce moment, au collège pour rédiger, à la place de Mgr Philips, les réponses aux modi. Ce dernier, qui pourtant est très avare de compliments, m’a dit hier: ‘Monseigneur, vous avez vraiment réussi votre forcing; sans vous le texte n’aurait jamais été prêt pour la fin de la session’. Celui qui le connaît, sait ce que cela signifie. Il s’agit maintenant de travailler encore quelques jours à ce rythme et mardi de la semaine prochaine le pire sera passé. Nous avons traité les 6.000 modi du chapitre III qui seront discutés et terminés, j’en suis certain, à la commission demain. Cette semaine, nous aurons préparé le traitement des modi des chapitres IV et VII; et mardi prochain on traitera les modi des chapitres V et VI et mercredi ceux du chapitre VIII. Ainsi au milieu de la semaine tout sera prêt. Seulement, ces jours-ci, je dois encore rédiger toutes les réponses aux 2.000 modi des chapitres IV, V, VI, VII et VIII. Mais ce n’est plus qu’un jeu d’enfant, comparé à ce qui a déjà été fait. Il s’agit en effet de questions beaucoup moins difficiles et nous ne devons pas craindre que le Vatican n’examine chaque phrase de notre réponse, comme ce fut le cas pour le chapitre III … Mgr Onclin a flanché il y a quelques jours et nous devons faire de notre mieux pour ­soutenir Mgr Philips, qui est fort éprouvé. Heureusement que, dans la vie d’un homme, un tel Concile ne se tient qu’une fois!». 88. Pour l’histoire de la settimana nera, cf. L. Declerck – M.  Lamberigts, De «Zwarte Week» (Settimana nera) van de derde conciliezittijd (14-21 november 1964), dans Collationes 44 (2014) 403-434 et M. Lamberigts – L. Declerck, Het concilie Vaticanum II, Antwerpen, Halewijn; Baarn, Adveniat, 2015, pp. 153-171.



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étaient exclus, Philips a introduit quelques légères corrections dans sa version de la NEP. Ce texte a été accepté et le lendemain, le pape a donné son approbation pour imprimer le texte de l’Expensio modorum, qui a été distribué in aula, le samedi 14 novembre. Aussi bien Philips que Heuschen déploraient cette intervention du pape89, qui avait un caractère trop juridique90. Mais ils étaient aussi convaincus que le texte sur la collégialité n’était pas changé et que l’essentiel était sauvé. Le 16.11, Felici a encore accentué l’importance de cette NEP dans l’aula. Plusieurs periti ont réagi, notamment Ratzinger, de Lubac et Congar, d’autant plus qu’ils avaient été exclus de la réunion du 12.11 lors de laquelle la NEP avait été approuvée par la commission doctrinale91. Ratzinger et d’autres voulaient faire une campagne auprès des évêques pour ne pas voter le texte. Selon Heuschen cette commotion était exagérée et menaçait les résultats positifs du texte. Ainsi Heuschen s’est efforcé de calmer les esprits92 afin que Lumen gentium puisse être promulgué, le 21 novembre. 89.  Cf. F. Heuschen 553, lettre du 12.11.1964: «Tout à l’heure, nouvelle réunion de la commission parce que le pape nous oblige d’introduire quelques amendements dans le chapitre III. Mgr Charue me les a montrés: ils n’ont guère d’importance sauf un point qui est absolument inacceptable pour les Orthodoxes et produirait l’effet d’une bombe auprès du patriarche Athénagoras; un autre en rapport avec les diacres soulèvera peut-être une tempête chez les Sud-Américains. Si on réussit à éliminer ces deux choses, le reste peut passer pour moi. Mais il est quand même pénible de constater, une fois de plus, que le pape se comporte en dictateur absolu dans cette question. Il se cache derrière une note qu’un père jésuite [W. Bertrams] lui a envoyée et dans laquelle ce dernier fait part de ses scrupules de conscience concernant certaines formulations du texte. Mais pourquoi n’a-t-il pas invité Mgr Philips ou quelqu’un d’autre à discuter de ces questions en présence de ce jésuite et pris alors une décision? Maintenant, il prend position pour un parti, et il oublie que, manifestement, ce jésuite n’a pas compris pourquoi on a observé le silence sur certaines questions (c’était, en fait, pour rendre possible le dialogue avec les Orthodoxes). Son intervention montre à tous les membres de la commission qu’il n’a pas lui-même compris le texte. Et il ne demande pas d’examiner ces amendements, non, il les impose. En tout cas je dirai, comme ce jésuite, que je veux moi aussi décharger ma conscience et je demanderai au cardinal Ottaviani de faire observer au pape que l’introduction de ce texte offusquera gravement Athénagoras, et cela après qu’il a tout fait pour rendre un dialogue possible». 90.  Déjà, le 18.3.1964, Charue avait donné une note au pape: «Bien des confusions viennent de ce qu’on s’en tient à l’alternative du ‘moral’ et du ‘juridique’… Or, il faut aller au-delà du moral et du juridique, jusqu’au théologique et jusqu’à l’institution par le Christ» (Inventaire Charue, p. 114). 91. Cf. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcivescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. 92.  Cf. F. Heuschen 457, lettre du 16.11.1964: «Encore une journée difficile. Pendant toute la matinée, j’ai dû circuler in aula pour rectifier le mal qui a été fait par certains

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Le 22 novembre, le pape a fait porter au Collège belge un calice, signe de communion, pour Mgr Philips, qui en était très touché. En effet, la veille, avant, quelqu’un du Secrétariat du Concile avait donné à Philips une enveloppe avec 100.000 Lit [environ 200€, valeur actuelle 1.200€] pour le remercier de tout son travail. Philips en était embarrassé et demandait à Heuschen s’il en voulait la moitié. Sur quoi Heuschen s’est fâché et a téléphoné à Mgr Colombo que Philips n’avait pas travaillé pour gagner de l’argent mais qu’un geste de reconnaissance du pape était indiqué. Ainsi ce calice est arrivé au Collège belge pour Philips, qui a toujours ignoré l’intervention de Heuschen et qui le lui a légué par testament, preuve de la reconnaissance de Philips pour le dévouement de Heuschen93. Par après Heuschen a donné ce calice à Mgr T. Tshibangu, peritus, ensuite recteur de l’Université de Lovanium et évêque de Mbuji-Mayi94. 2.  ‘De Revelatione’ À partir du 30.9, le nouveau schéma De Revelatione a été discuté in aula. Heuschen a fait une intervention, le 5.10.1964, sur le chapitre V De Novo Testamento concernant l’historicité des évangiles, un sujet qu’il maîtrisait parfaitement. Il y a fait un plaidoyer pour l’exégèse scientifique moderne95. periti, qui pourtant sont de notre bord. J’ai dû me fâcher contre le P. Congar, qui a finalement compris et promis de faire savoir à plusieurs conférences épiscopales qu’elles devaient voter ‘oui’, tandis que hier soir il avait dit qu’on ne pouvait laisser passer le texte de la note préliminaire, parce qu’elle était inacceptable pour les Orientaux. Et ceci précisément alors que nous avions refusé une formule du pape, qui – elle – était inacceptable pour les Orientaux. J’ai dû tranquilliser le cardinal Alfrink, parce que le P. Schillebeeckx l’avait inquiété. Par l’intermédiaire de quelques évêques allemands j’ai fait de mon mieux pour empêcher que le card. Frings, excité par un jésuite [sic] allemand, le P. Ratzinger, prenne une initiative qui excite l’opposition. J’ai pu empêcher qu’une centaine d’évêques noirs n’écrivent une lettre de protestation au pape. C’était à devenir fou. Maintenant, nous laisserons travailler le Saint-Esprit. Comme ces periti peuvent être de grands enfants!». Voir aussi F. Heuschen 384, pp. 10-12. 93.  Cf. F. Philips 1830 et F. Heuschen 384, p. 24, où Heuschen exprime encore des regrets parce que le pape n’a pas reçu personnellement Mgr Philips. 94.  Avec nos remerciements à Mme M.T. Knapen, nièce de Philips pour cette information. 95.  Cf. F. Heuschen 436, lettre du 6.10.1964: «Contre mon attente, j’ai déjà dû parler hier. Quelques orateurs avant moi un Italien [P. Gasbarri] et un Irlandais [W. Philbin] ont défendu des thèses opposées, dont j’ai prouvé l’inanité. Il était 12h10 quand j’ai pris la parole et l’aula était bien remplie: les Pères étaient rentrés, après avoir bu leur tasse de café, et étaient à nouveau disposés à écouter. J’ai parlé avec fougue et c’était une réussite, puisque les Allemands sont venus pour demander mon texte et par après encore une vingtaine d’autres Pères. Mgr Colombo, le théologien du pape, est venu tout de suite me féliciter et était très content que j’aie répondu à l’Italien. Le card. Döpfner m’a aussi félicité par l’intermédiaire du card. Suenens, ce que les card. Léger et König ont fait le même soir. Les évêques belges avaient entendu des échos de leurs confrères et étaient tous



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Après la discussion in aula le texte a été amendé dans la commission doctrinale: Heuschen a participé au travail des deux sous-commissions concernant les sources de la Révélation96. 3.  ‘De Episcopis’ Le vendredi 30.10, le texte amendé du De pastorali Episcoporum munere a été distribué in aula. Et Felici annonçait que les votations du texte auraient lieu après les fêtes de la Toussaint, les 4, 5 et 6.11 et ajoutait que les Pères pouvaient profiter de ces vacances pour visiter l’Italie97. Heuschen avait l’impression que Felici espérait que les Pères ne lisent pas attentivement le texte, raison de plus pour lui d’examiner le texte avec soin. Ainsi il découvrit que le texte en neuf endroits s’éloignait du texte de Lumen gentium et se référait plutôt à la vision du Code de droit canonique de 1917. Heuschen a tiré la sonnette d’alarme et convoqué quelques théologiens pour travailler pendant 2 jours à la rédaction de neuf modi, qui furent multipliés en 1500 exemplaires au Collège belge et portés par des courriers, dont Léon Neyens, le chauffeur de Mgr van Zuylen, à des secrétariats de conférences épiscopales et à des évêques amis. Ces modi étaient accompagnés d’une lettre de recommandation d’évêques connus, que Heuschen avait contactés auparavant98. Comme il s’agissait d’un avant-dernier vote avec des modi, au moins un tiers des évêques votants devait les introduire pour que le texte n’atteigne pas la majorité des 2/3 et que ces modi doivent donc être introduits dans le texte. Lors de la votation du chapitre I, le 4.11, il y avait 852 placet iuxta modum et, le 5.11, concernant le chapitre II il y en avait 889. À bon droit, Heuschen pouvait écrire: «Le succès était inespéré… Sans notre intervention le texte aurait provoqué une catastrophe»99. contents et fiers. L’évêque de Verdun [P. Boillon] a dit: ‘aussi remarquable pour le fond que pour la façon de le présenter’ … Cela aurait fait plaisir à notre maman». Voir aussi F. Heuschen 542, lettre du 8.10.1964. 96.  Cf. F. Heuschen 545, lettre du 18.10.1964 et Addenda, p. 9. 97.  Il est probable que Heuschen ici a fait une confusion avec les annonces de Felici pendant la quatrième session quand les réunions ont été interrompues à deux reprises (30.10-18.11 et 19-29.11.1965) et que les Pères ont eu des vacances (cf. AS III, VI, p. 77). 98.  Cf. L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens (Cahiers de la RTL, 31), Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 [= F. Suenens], 2091 (lettre signée notamment par le cardinal Frings et Mgr Daem) et 2092 (4 modi) et Addenda, p. 8. 99.  Cf. F. Heuschen 384, pp. 14-15. Mgr Onclin, peritus et prêtre du diocèse de Liège, contrôlait normalement méticuleusement le texte du De Episcopis. Mais ces jours-là, il était parti en vacances en Sicile et c’est ainsi que Heuschen avait pris l’initiative. Voir aussi F. Heuschen 451, lettre du 3.11.1964.

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Entre temps Heuschen avait encore trouvé le temps de faire des remarques écrites concernant le texte De Religionibus non-christianis100. VI. Troisième intersession 1.  Schéma XIII: ‘De Matrimonio’ Après la discussion pendant la troisième session, le schéma XIII devait être réécrit en tenant compte des remarques abondantes. La sous-commission De Matrimonio comprenait Dearden, archevêque de Detroit et président, Castellano, van Dodewaard, Scherer, Morris, Poma, Silva Henríquez et Heuschen. Toutes les sous-commissions devaient présenter leur nouveau texte pendant une réunion à Ariccia du 1er au 6 février 1965. Une fois de plus Heuschen a pris ici l’initiative, notamment parce que Mgr Dearden rechignait à venir de Detroit pour travailler à ce texte. Bien volontiers il autorisait Heuschen à préparer, avec un groupe de travail, le texte pour Ariccia101. Heuschen demanda d’abord à P. Delhaye de faire un rapport avec les remarques des Pères. Puis il contacta V. Heylen pour être le secrétaire de rédaction du nouveau texte. Du 11 au 14 janvier 1965, il a organisé une réunion à Hasselt102 avec Heylen, Delhaye, Prignon, Schillebeeckx et B. van Leeuwen (franciscain, peritus néerlandais]103. Heylen a rédigé un texte, corrigé par après par Heuschen et Philips (surtout pour le latin de Heylen qui était fort défectueux). Heuschen, très conscient du caractère délicat de cette matière a encore, en janvier, demandé avis à Charue, J. Fuchs104 et Carlo Colombo105. Le nouveau projet était plus développé (70% en plus par rapport à l’ancien texte) et mettait plus l’accent sur l’amour conjugal (le texte ne 100.  F. Heuschen 244 et AS III, III, p. 170. 101.  Pour cet épisode, cf. M. Lamberigts – L. Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505. Cet article devrait être complété avec des archives, qui n’étaient pas encore disponibles en 2004, Cf. Addenda, pp. 10-13. 102.  «Pendant les 4 jours que nous nous sommes réunis à Hasselt, un jour on a été dîné à Bokrijk [village touristique]. Le gouverneur [de la province du Limbourg et ami de Heuschen] nous a promis alors qu’il allait ériger une stèle commémorative. Mais jusqu’ici ne je ne l’ai jamais trouvée». Cf. F. Heuschen 384, pp. 18-19. 103.  Ni Heylen ni Schillebeeckx n’étaient des periti officiels. Grâce à Heuschen ils ont été impliqués dans le travail des commissions conciliaires, également pendant la quatrième session. 104.  Joseph Fuchs (1912-2005) jésuite allemand, professeur de morale à la Grégorienne, membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 105. Cf. Addenda, p. 12.



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parlait plus d’un contrat matrimonial mais d’une alliance). Quant au problème délicat du nombre des enfants, le texte se référait non seulement à la doctrine de l’Église mais aussi à la conscience bien formée des époux. Une Relatio de 10 pages accompagnait le texte. Du 31 janvier au 7 février 1965 Heuschen s’est rendu à Ariccia pour présenter le nouveau texte à la sous-commission plénière. Après cette présentation, les 1er et 2 février, Heuschen va encore amender le texte avec van Dodewaard, Heylen, van Leeuwen et Schillebeeckx et le texte sera approuvé par la sous-commission le 4 février106. Avant toutes les autres sous-commissions Heuschen était prêt avec son texte, pourtant sur un des sujets les plus discutés. Il a encore préparé un texte pour la Commission pontificale, mais finalement il ne l’a pas transmis107. Du 8 au 13 février les nouveaux textes étaient examinés à Rome par la subcommissio centralis. Heylen a présenté le texte De Matrimonio, parce que Heuschen était déjà retourné en Belgique108. Étant malade, Heuschen ne pouvait participer à la commissio mixta plénière à Rome du 29.3 au 6.4.1965. Le texte De Matrimonio a été discuté les 2 et 3 avril et critiqué fortement par certains. Grâce aux interventions de Charue, Philips et Heylen le texte a été finalement accepté à 106.  Cf. F. Heuschen 558, lettre du 4.2.1965: «Aujourd’hui nous avons terminé la révision de notre texte, qui a été approuvé à l’unanimité en sous-commission. Nous étions d’ailleurs la première et unique [sous-] commission à avoir déjà terminé son travail. Demain je reste à Rome pour écrire une nouvelle version de la Relatio et pour mettre le texte définitif sur stencil. Cela sera prêt samedi midi. Et comme Mgr Dearden a obtenu que le rapport puisse être introduit dès samedi matin et discuté lundi matin, j’essaierai de partir lundi, sans doute tard dans l’après-midi. C’était l’avantage d’avoir préparé un texte en Belgique … Même l’opposition a été raisonnable et on a rendu inoffensif le plus dangereux opposant, un franciscain italien [E. Lio], en le faisant nommer secrétaire d’une autre commission [De vita oeconomica-sociali], où il ne peut faire du mal. Et l’homme du Saint-Office [probablement, le Père J. Géraud], qui aurait pu nous causer quelques ennuis, a été appelé lundi après-midi à Rome pour des affaires très urgentes. Ainsi on a été délivré des deux principaux hommes contrariants. Et avec un paquet de cigarillos j’ai pu amadouer un de mes collègues anglais [J. Petit]. Ainsi nous n’avons pas rencontré d’opposition excessive. Si au mois de mars tout se passe aussi bien, nous pourrons pavoiser». 107.  F. Heuschen 557, lettre du 3.2.1965: «Cependant, en dernière minute, on nous a encore chargés d’un petit travail supplémentaire: préparer un texte pour la commission pontificale – au sujet du mariage – où l’on attire l’attention sur le fait que nous ne pouvons pas prendre position sur certaines matières aussi longtemps que cette commission ponti­ ficale ne s’est pas prononcée». Voir aussi F. Heylen 15, note du 8.2.1965. 108. Cf. Carnets Charue, 8.2.1965, p. 230: «On commence par le ‘De Matrimonio et Familia’ qui est fort bien introduit par Mgr Dearden, lu et expliqué par le chan. Heylen … On ne fut pas peu surpris et heureux de voir l’accueil fait à ce texte. Il fut accepté sans grandes modifications». Et le 12.2.1965, Heylen écrit au card. Suenens (F. Suenens 2446): «qu’on avait su développer ‘l’idée de conjugalité’ basée sur l’intersubjectivité … projet dans lequel le critère fondamental devient ‘la dignité des personnes et de leurs actes’, évitant le critère trop biologique».

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une quasi-unanimité109. Le cardinal Suenens n’a connu aucune difficulté pour faire accepter le texte par la commission de coordination du 11 et 12 mai. Une fois de plus l’efficacité de la squadra belga avait fait ses preuves110. Mais, pendant la quatrième session, Heuschen va faire l’expérience que la bataille n’était pas encore terminée. 2.  ‘De Revelatione’ Le 20.11.1964, Felici avait communiqué in aula qu’on ne voterait plus le De Revelatione pendant cette session, mais que les Pères pouvaient encore envoyer leurs remarques jusqu’au 31.1.1965. C’était une erreur de sa part, parce qu’on ne pouvait plus que voter avec des modi. Toutefois un assez grand nombre de remarques furent encore transmises venant aussi bien du côté conservateur que progressiste. Charue voulait éviter à tout prix un nouveau débat in aula et a obtenu que ces remarques seraient traitées au début de la quatrième session comme des modi (quasi modi). Ainsi une nouvelle subcommissio advisoria a été installée (avec Charue, Florit, van Dodewaard, Philips et Tromp). Tromp a alors explicitement demandé que Heuschen aussi en soit membre, parce qu’il était fort compétent et ne rechignait pas au travail («quia est valde competens nec laborem recusat»111). Par la voie de la nonciature en Belgique Tromp enverra alors ces quasi modi à Heuschen pour qu’il puisse préparer les réponses112. Et le 6 septembre il y a eu 109.  Lettre de Heylen à Heuschen, 2.4.1965: «…six Pères ont critiqué l’emploi du terme ‘amor’, en tant qu’il constituerait le fondement du mariage … Pas une parole d’approbation pour l’amour au scandale des laïcs présents et de certains Pères. Et Mgr Charue leur a même demandé s’ils avaient lu le texte. Mgr Philips leur a donné une réponse magistrale … après qu’on avait approuvé les parties du texte, il y a eu une votation sur l’entièreté du texte. Aucun vote négatif. Ainsi le card. Ottaviani a conclu: ‘fere unanimiter’ (Addenda, p. 13). De retour à Tirlemont, Heylen rapporte encore, le 8.4.1965, à Heuschen les modifications au texte (Addenda, p. 13). Charue a écrit de Rome une carte à Heuschen: «Cette carte vient vous dire ma vive sympathie, alors que nous allons terminer les travaux de la commission doctrinale [sic = mixte]. Et aussi la gratitude qui nous anime pour la partie décisive que vous avez eue dans la mise au point du chapitre sur le mariage. La discussion a encore connu des moments tragico-comiques, mais le résultat fut excellent … je vous offre mes vœux fervents de parfait rétablissement…» (Addenda, p. 13). 110.  Toutefois, tout le monde n’était pas enthousiaste de cette influence prépondérante des Belges. Dans ses Carnets, de Lubac note, le 3 avril: «le groupe belge qui est un peu trop sûr de lui et qui ne semble nullement enclin à suivre l’avis des évêques. Il y a là un entêtement et un essai d’accaparement regrettables» (H. de Lubac, Carnets du Concile, éd. L. Figoureux, Paris, Cerf, 2007, II, p. 370). 111.  Lettre de Tromp à Charue, 3.6.1965 (Inventaire Charue, p. 162 et F. Philips 2123). 112. Cf. F. Heuschen 385, p. 4 (remarquons que dans ce passage Heuschen s’est trompé à plusieurs reprises).



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une réunion à Louvain avec C ­ harue, Heuschen, Philips et Rigaux pour préparer cette Expensio modorum113. VII.  Quatrième session (14.9 – 8.12.1965) Après les incidents autour de la remise de la votation du décret sur la liberté religieuse à la fin de la troisième session, la quatrième session débutait par le débat à ce sujet. Heuschen avait envoyé quelques remarques par écrit114. Et il a insisté auprès de Mgr De Smedt pour revoir l’argument scripturaire115. Heuschen était fort critique au sujet de la formulation du vote sur la liberté religieuse, le 21 septembre116. Trop occupé par le travail pour la commission doctrinale, Heuschen a alors demandé à Mgr Musty [évêque auxiliaire de Namur] de s’occuper des relations avec la presse. 1.  ‘De Revelatione’ Après les votations sur le De Revelatione (20-22.9.1965), Heuschen a commencé à classer les modi dès le 22.9. Même s’ils étaient moins nombreux que ceux sur le De Ecclesia, Heuschen y travaillait dès le matin et s’est absenté des congrégations générales117. 113. Cf. Carnets Charue, p. 253 et Carnets Philips, p. 73. 114.  AS IV, II, pp. 186-187 et F. Heuschen 466, lettre du 19.9.1965. 115. Cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003, p. 42. 116.  F. Heuschen 468, lettre du 21.9.1965: «Ce matin, on a voté sur la Liberté religieuse. Avant de partir au Concile, il y a eu encore un coup de téléphone [pour le cardinal Suenens] pour décommander la réunion des modérateurs chez le pape, mais le cardinal Agagianian (modérateur du jour) était convoqué chez le pape. Finalement, on a voté mais sur une formule bâclée en toute vitesse et qui ne donnait satisfaction à personne: ni aux protagonistes du schéma, parce que la formule disait que le texte devait être amendé selon la doctrine catholique sur la vraie foi (ce qui peut donner l’impression que le texte actuel ne donne pas toutes les garanties nécessaires), ni aux adversaires, parce qu’on leur promet que le texte sera amendé en tenant compte des interventions in aula, tandis que le règlement dit que si le texte obtient une majorité des 2/3, on ne doit pas tenir compte des interventions qui vont à l’encontre du texte. Le vote a donné 90% de ‘oui’, mais il n’y avait pas d’enthousiasme parce que tout le monde se sentait un peu dupé. Une fois de plus, il a été prouvé que Mgr Colombo, pourtant un bien brave homme, n’est pas très habile dans la rédaction de textes pontificaux». 117.  Les relations avec Tromp étaient excellentes. Cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35),

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Un groupe de travail technique (subcommissio advisoria) a été installé (avec Charue, Florit, Heuschen, Philips, Tromp et Betti) qui a pu terminer ses travaux entre le 22 et 29 septembre. Les amendements proposés ont été discutés dans la commission plénière, le 29 septembre, 1er, 4, 6 et 19 octobre. Malgré la large approbation in aula, de nouveaux problèmes difficiles ont surgi – notamment soulevés par le pape – au sujet 1° des rapports entre Écriture et Tradition; 2° de la «vérité» ou l’«inerrantia» de l’Écriture; 3° de l’historicité des évangiles. Une tentative de Philips et de Heuschen pour éviter une intervention du pape a échoué 118. Heuschen et Philips ont encore essayé, le 4.10.1965, d’arriver à un compromis mais en vain119. Le 18.10, le pape a, par une lettre du Secrétaire d’État à Ottaviani, fait une intervention120, qui aura comme suite une

Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal Prignon], 21.9.1965, pp. 66-67: «[Tromp] a porté Mgr Heuschen aux nues et il a insisté à plusieurs reprises pour que Mgr Heuschen soit certainement membre de la commission technique». Voir aussi F. Heuschen 470, lettre du 23.9.1965: «Une fois de plus il y a beaucoup de modi [sur le De Revelatione] mais ce ne n’est pas comme l’année passée où l’on en avait 20.000 [sur le De Ecclesia]. Cette fois-ci je n’ai même pas dû proposer mon aide dans le traitement des modi. Hier, le P. Tromp est venu m’en apporter tout un paquet, comme s’il croyait évident que je m’en charge». 118.  Cf. F. Heuschen 566, lettre du 2.10.1965: «En commission, notre tentative pour faire passer sans discussion le texte, dont je vous avais parlé, n’a pas eu beaucoup de succès. Avant même que Mgr Philips puisse le présenter, Mgr Parente, du Saint-Office, demanda la parole et remit sur le tapis la discussion sur les deux sources de la Révélation, l’Écriture et la Tradition (la seconde serait différente de la première et contiendrait un certain nombre de vérités qui ne se trouvent pas dans la première). Alors une discussion longue et âpre s’est déroulée et le tout se termina par un vote qui rejetait le texte de Mgr Parente, mais en même temps le nôtre. Je m’attends dès lors à ce que le pape intervienne personnellement et que l’atmosphère du Concile soit à nouveau gâchée. Dans ce cas, on se trouvera une fois de plus dans une voie sans issue. Et dire que nous avions si bon espoir de faire passer notre texte sans discussion. Mgr Colombo lui-même a concédé que l’intervention de Mgr Parente avait gâché l’affaire et que même les gens du Saint-Office ne possèdent pas le monopole de la sagesse». Voir aussi F. Heuschen 477, lettre du 2.10.1965 et Journal Prignon, pp. 111-114. 119.  F. Heuschen, lettre du 4.10.1965: «Lors d’une réunion très lourde de la commission, nous avons réussi à faire passer un texte, qui rencontre quelque peu les souhaits de la minorité. La formule n’est pas idéale mais j’espère qu’elle aura comme résultat que le pape n’intervienne plus. Mais je crois que la minorité ne désarmera pas. En tout cas le P. Tromp était content et concédait que nous avons fait de notre mieux pour faire un geste vis-à-vis de la minorité». Voir aussi F. Heuschen 567, lettre du 5.10.1965 et Journal Prignon, pp. 111-114. 120.  Ce que Heuschen craignait vivement: «D’autre part, c’est un fait que le pape interviendra sur le texte du De Revelatione. On n’a pas voulu suivre notre conseil et on n’a pas voulu faire quelques concessions. Maintenant elles seront probablement imposées d’en haut et provoqueront tant de querelles que je crains qu’une grande partie des Pères, en signe de protestation contre cette manière de faire d’en haut, ne votent contre le texte» (F. Heuschen, lettre du 13.10.1965).



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réunion dramatique de la commission doctrinale, le 19.10.1965121, de laquelle toutefois Heuschen était absent parce qu’il était retourné en Belgique du 26.10 jusqu’au 4.11.1965122. 2.  Schéma XIII et le chapitre ‘De Matrimonio’ Après la discussion in aula du 21.9 au 8.10 du nouveau texte du schéma XIII, les sous-commissions se sont attelées au travail pour adapter le texte, selon les normes rédigées par Philips, les 22 et 30.9123. Plusieurs Pères étaient intervenus in aula au sujet du De Matrimonio, surtout les 29 et 30.9. Heylen a résumé sur 220 fiches ces interventions124 et, dès le 8.10, la révision du texte a pu commencer125. Mais une difficulté ultérieure a surgi parce qu’il a été demandé à la sous-commission De Matrimonio d’intégrer quelques membres de la commission pontificale de natalitate126. Le 16.10, la sous-commission avait terminé la nouvelle rédaction du texte et la Relatio. Mais Philips et Heuschen hésitaient à déjà soumettre le texte à la commission mixte. Ils voulaient éviter un débat long 121.  À la stupéfaction de beaucoup des présents, le cardinal Bea est alors intervenu pour appuyer les thèses du pape. Philips en était fort ému et, le soir, il disait à table au Collège belge: «Parce que ces messieurs portent du rouge sur la poitrine [il visait les cardinaux Ottaviani et Bea], ils peuvent vous traiter de menteur et ne vous laissent même pas le droit de vous défendre» (A. Prignon, Évêques et théologiens de Belgique au concile Vatican II, dans C. Soetens [éd.], Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 141-184, p. 175). 122.  Moeller et Prignon ont fortement regretté l’absence de Heuschen (Journal Prignon, pp. 170 et 180). 123.  F. Heuschen 325bis et 326bis. 124.  Cf. F. Heylen 49-50 et F. Heuschen 482, lettre du 7.10.1965: «Tout à l’heure, nous recevrons les fiches concernant le De Matrimonio et Familia. Ainsi à partir de demain un groupe de travail technique pourra commencer la discussion des interventions [des Pères]. Toutes les sous-commissions ont reçu comme directive d’avoir leur texte prêt avant la fin de la semaine prochaine, ce qui demandera un travail acharné. À partir de lundi 18 octobre, le texte serait alors soumis à la commission mixte». 125.  Cf. F. Heuschen 482 et 483, lettres du 7 et 9.10.1965. 126.  Cf. F. Heuschen 486, lettre du 13.10.1965: «Hier nous avons reçu une lettre qui nous demandait d’accepter quelques membres de la commission pontificale au sein de notre sous-commission De Matrimonio et Familia. Quatre des cinq sont archi-conservateurs et il est clair que leur adjonction a été demandée d’en haut, c’est-à-dire par le pape lui-même. Il est évident qu’on a l’intention de rendre le texte plus sévère, ce qui causera pas mal de disputes dans la commission qui ralentiront le travail. Les mêmes discussions recommenceront à la commission mixte et, à nouveau, ralentiront le travail. Ainsi il m’est difficile de fixer déjà une date pour ma rentrée. Vous voyez qu’on se joue un peu des Pères conciliaires…». Selon le Journal Prignon, 12.10.1965, pp. 153-154, il s’agissait de H. de Riedmatten, J. Visser, M. Zalba, J. Fuchs et J. Ford. Visser, Zalba et Ford étaient fort traditionalistes. Mais Visser et Ford n’ont jamais participé aux réunions (cf. G. Turbanti, Un Concilio per il mondo moderno, Bologna, Il Mulino, 2000, p. 709).

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et houleux sur cette question et ont attendu jusqu’au 25.10 pour présenter le texte127. En outre, pendant cette journée, Philips a été atteint par une nouvelle crise cardiaque et a été contraint d’arrêter tout travail pour le Concile, tandis que Heuschen était déjà parti en Belgique le 15.10. Quand Heuschen est revenu de Belgique, le 4.11, il a été chargé d’une nouvelle tâche. On avait demandé à Philips de superviser les travaux pour la nouvelle rédaction du schéma XIII, parce que Haubtmann [­coordinateur pour le schéma] maniait insuffisamment le latin et était par conséquent incapable de présider les réunions de la commission mixte. À cause de la maladie de Philips, Garrone128 a demandé à Heuschen de le remplacer. Le 12.11, Heuschen a été coopté dans la subcommissio centralis et, avec Charue, il s’est efforcé qu’on ne change plus trop les textes129. L’organisation générale de l’Expensio modorum a été confiée à Heuschen130. Il a élaboré des directives et a donné, le 12.11, des explications à tous les présidents et, le 14.11, aux secrétaires des 10 sous-commissions131. 127.  F. Heuschen 570, lettre du 15.10.1965: «Notre texte sera prêt. Mais Mgr Philips craint que si la commission [mixte] commence tout de suite la discussion de notre texte [De Matrimonio et Familia], on ne perde beaucoup de temps parce que tout le monde veut intervenir à ce sujet. Ainsi il est d’avis qu’il vaudrait mieux attendre pour la discussion de notre texte jusqu’à lundi en huit, à condition toutefois que d’autres textes soient déjà prêts». 128.  Garrone, archevêque de Toulouse, avait été chargé par Paul VI, à cause de la maladie de Guano, de l’ultime responsabilité pour ce schéma. Garrone a dit un jour de Philips et de Heuschen: «Quand les locomotives du Limbourg se mettent en marche, elles roulent jour et nuit» (F. Heuschen 486, lettre du 13.10.1965). 129.  Journal Prignon, p. 196. 130.  Le texte révisé a été voté entre le 15 et le 17. Après ces votations on a pu commencer l’Expensio modorum. 131.  Pour ces directives, cf. F. Heuschen 329-330. Voir aussi F. Heuschen 496, lettre du 12.11.1965: «Ce matin, je n’ai pas été à l’aula parce que je devais préparer mon texte au sujet des directives pratiques pour le travail des sous-commissions. Exposé que j’ai fait cet après-midi à la place de Philips. La semaine qui vient sera très chargée et je devrai donner beaucoup de coups de téléphone pour activer les différents secrétaires. Heureusement que les Français m’ont laissé faire. Ils semblent être conscients qu’en ce qui concerne l’organisation et la méthode de travail, les Belges savent comment s’y prendre. Je me demande comment cela se passera la semaine prochaine: Philips était le secrétaire officiel de la commission. Moi-même je n’ai rien à dire, du moins officiellement, et je ne peux que faire appel à la bonne volonté des collaborateurs». Et F. Heuschen 574, lettre du 13.11.1965: «Hier j’ai expliqué mon plan de travail aux évêques, présidents des sous-commissions, et ils ont donné leur approbation. Ce matin le secrétariat du Concile a marqué son accord et demain je discuterai de ce plan de travail avec les secrétaires des 10 sous-commissions. S’ils observent mon timing on pourra être prêt avant vendredi en huit, malgré le fait qu’une masse de modi nous attend (Mgr Felici fait le pronostic de 30.000!!!)». Voir aussi P. Smulders, Correspondance, p. 25: «Au Collège belge Mgr Heuschen, l’évêque auxiliaire de Liège, nous avait rédigé un excellent programme de travail avec des directives».



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Le timing était fort serré, car le pape avait décidé de terminer le Concile le 8 décembre132. En même temps Heuschen restait de facto le président de la sous-commission De Matrimonio. Le 13.11, il a reçu la visite du Père de Riedmatten, secrétaire de la commission pontificale, qui l’informait que le pape permettait que des membres de la commission pontificale participent aux travaux de la commission conciliaire. Il disait également que le pape ne ferait pas de déclarations maintenant mais qu’il gardait l’espoir que la commission prendrait position133. Le 19.11, la sous-commission De Matrimonio134 commençait l’Expensio modorum en présence de quelques membres de la commission pontificale. Et le 21.11, il y avait au Collège belge une réunion spéciale de la sous-commission avec quelques membres

132.  Cf. F. Heuschen 385, pp. 5 et 6 et F. Heuschen 384, pp. 21-22: «Mgr Garrone, devenu le responsable de Gaudium et Spes … m’a demandé alors de prendre la direction de l’Expensio modorum et d’élaborer un plan qui nous permettrait de terminer à Noël. Je me suis rendu alors chez le cardinal [sic] Dell’Acqua [substitut de la Secrétairerie d’État] pour lui dire que j’étais prêt à élaborer un plan de travail adapté. Je faisais remarquer au cardinal qu’encore 9 sous-commissions devaient délibérer sur le texte et que la commission centrale mixte comptait 60 membres, qui tous avaient le droit d’intervenir. Le soir, le cardinal me communiquait que le pape lui avait dit que le Concile se terminerait non à Noël mais bien le 8 décembre et qu’on devrait avoir achevé les délibérations de Gaudium et Spes, le 4 décembre. J’ai répondu au Secrétaire d’État [sic: le substitut] qu’on disposait donc de 3 semaines en moins et qu’on ne pourrait terminer à moins d’élaborer des directives spéciales pour le déroulement des travaux. Le cardinal me donnait alors la permission de rédiger une dizaine de directives». Voir aussi Journal Prignon, pp. 196-197: «Il semble que Mgr Heuschen gardera la haute-main sur ce travail administratif et prendra là la succession de Mgr Philips. Mgr Garrone semble même très content, puisqu’il lui a dit devant moi: ‘Voilà, notre sauveur’. Il semble décidément que Garrone, Haubtmann et Ancel soient incapables d’organiser sérieusement une méthode de travail». 133.  Avec une certaine irritation Heuschen écrivait, le 13.11.1965 (F. Heuschen 574): «Tout à l’heure j’ai reçu la visite du Père de Riedmatten, de la commission pontificale pour la natalité, qui, à titre informatif, m’a communiqué que le pape voulait que les mem­ bres de la commission pontificale participent aux travaux de la commission conciliaire. Et il me laissa entendre que le pape préférait ne pas parler maintenant, mais espérait que le Concile prenne position. Pendant 6 mois on avait demandé cette collaboration et toujours on l’avait refusée. Maintenant, au moment où le texte est pratiquement prêt et que seuls les Pères ont encore le droit d’introduire des modi, on nous impose les membres de cette commission, dont seulement deux membres sont évêques. Selon le règlement les membres de la commission pontificale n’ont pas droit de vote. Je l’ai fait remarquer au P. de Riedmatten et je lui ai également dit que le règlement ne permettait pas de mettre à nouveau en discussion les questions qui avaient déjà obtenu une majorité des 2/3 in aula. Si le pape lui-même veut changer le texte, qu’il le fasse mais alors sous sa propre responsabilité. Une fois de plus nous allons vers une semaine difficile». Voir aussi Journal Prignon, pp. 198199, qui mentionne que Heuschen a été très clair avec de Riedmatten et a formulé des conditions nettes pour une collaboration éventuelle avec la commission pontificale. 134. Cf. Journal Prignon, p. 211. Les membres étaient: Dearden, Scherer, Castellino, Petit, Morris, van Dodewaard, Silva Henríquez, Heuschen, Colombo.

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de la commission pontificale135. Le 22.11, la commission mixte plénière a commencé la discussion sur l’Expensio modorum. Le chapitre De Matrimonio a été discuté les 24, 25 et 26 novembre. Heuschen ne s’attendait plus à de graves difficultés136, mais il s’est trompé lourdement. Il devra encore affronter les journées les plus dramatiques du Concile. 3.  Les quatre ‘modi’ pontificaux sur le ‘De Matrimonio’137 Le 23.11, le Secrétaire d’État Cicognani adressait, au nom du pape, une lettre à Ottaviani pour introduire 4 modi dans le texte du De Matrimonio. Le même soir Dearden a mis Heuschen et Heylen au courant. Quand la lettre, le 24.11.1965, a été communiquée à la commissio mixta, elle avait l’effet d’une bombe. En fait, les 4 modi impliquaient que le pape voulait garder pour le problème de la régulation des naissances les mêmes normes que celles énoncées dans l’encyclique Casti connubii de Pie XI. Mais ce qui suscitait surtout l’indignation, c’était le fait que le pape désirait que ces normes soient confirmées par le Concile, tandis que luimême avait expressément interdit que le Concile puisse en discuter. Après une réunion mouvementée de la commission, le 25.11, et plusieurs démarches auprès du pape138, Paul VI a écrit une nouvelle lettre à la commission mixte dans laquelle il disait que ses modi ne devaient pas être introduits à la lettre mais pouvaient être discutés. Il verrait alors s’il pouvait être d’accord avec ces propositions. Ottaviani ajoutait que seule la formulation, et non le contenu de ces modi pouvait être discutée. 135.  Pour le rapport de cette réunion, cf. J. Grootaers – J. Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002, pp. 93-96 (par erreur Grootaers écrit que ce rapport a été rédigé par Heylen; en fait il a été rédigé par de Riedmatten). Voir aussi F. Heuschen 577, lettre du 27.11.1965: «Dimanche passé, nous avons appris au cours d’une réunion secrète, qui avait toutefois l’aval du Vatican, où en étaient les travaux de la commission pontificale. On a cependant exigé de nous sous le sceau du serment de garder le secret. Ainsi on vous lie de toute part et on vous contraint de dire des choses qui vont contre votre conscience». 136.  Cf. F. Heuschen 502, lettre du 23.11.1965: «Je viens de terminer mon texte sur le mariage … Le plus dur est passé mais cela a été très astreignant. Jamais on n’a dû, en si peu de temps, être prêt pour tant de choses… , mais nous y sommes arrivés. Je ne suis pas aussi fatigué que l’an passé … Les jours qui suivront seront d’ailleurs beaucoup plus tranquilles…». 137.  Pour une étude détaillée de cet épisode, cf. Heuschen, Gaudium et spes (n. 2), Grootaers – Jans, La régulation des naissances à Vatican II (n. 135) et J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II (BETL, 139), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1998, surtout les pp. 236-245. 138.  Dans l’après-midi, de Riedmatten a été convoqué chez le pape et à son retour il pouvait dire à Heuschen que la situation s’améliorait (cf. Journal Prignon, p. 226).



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Le 26.11, ces modi furent donc discutés, adaptés et placés dans un autre endroit du texte. Le rôle de Heuschen et de Heylen dans cette discussion a été déterminant. À bon droit Heuschen a écrit: «On a pu empêcher que le Concile tranche la question de la hiérarchie des fins du mariage et on a pu affirmer que le Concile n’exclut pas qu’une évolution de la doctrine de l’Église soit possible139. Le vendredi 26.11 vers 16h, Heuschen demande à Dearden comment il faut mentionner les modi pontificaux dans le rapport. Ottaviani a alors répondu qu’on ne pouvait pas mentionner que ces modi étaient introduits par le pape140. Le vendredi soir et le samedi, Heuschen et Heylen ont rédigé le texte définitif et la Relatio mais ils ont encore rendu visite à Dell’Acqua pour voir si on ne pouvait pas citer le pape. La réponse fut négative. Mais le dimanche en terminant la Relatio Heuschen a quand même mentionné que ces modi venaient du pape manifestant ainsi que le Concile lui-même ne les a pas introduits141. Avec une lettre d’accompagnement de Heuschen, Claude Troisfontaines [prêtre du diocèse de Namur, qui travaillait pour Mgr Charue] a porté le tout à Dell’Acqua à 12h142. Le lundi 29.11, Dell’Acqua a convoqué Heuschen pour lui dire que le pape était d’accord aussi avec la façon dont l’origine de ces modi était attribuée au pape. Dell’Acqua a felicité Heuschen: «Vous êtes un homme de bon conseil»143. Heuschen, encouragé par ce bon accueil, a alors demandé si on ne pouvait pas omettre les citations de Casti connubii. Dell’Acqua a répondu qu’il y réfléchirait et prendrait contact avec de Riedmatten144. Le mardi 30.11, Mgr Poma demande encore s’il doit 139.  Heuschen, Gaudium et spes (n. 2), p. 358. Et F. Heuschen, lettre du 27.11.1965: «…le cardinal Ottaviani avait dit, au début de la réunion, qu’on pouvait discuter de la forme des modi mais pas de leur contenu. Nous l’avons cependant fait: nous avons rejeté la plupart des modi et rendu les autres inoffensifs. Le tout est de savoir si le pape acceptera notre réponse ou bien nous obligera à aller plus loin». Ceci est aussi l’opinion du peritus J. Teusch. Quand Schauf lui dit: «die Modi des Papstes klar in die Linie von Casti connubii weisen», Teusch répond: «Ebennicht, weil der Papst zugestimmt hat, dass in der Nota [14] auch seine Ansprache vor den Kardinalen [AAS 56 (1964) 581-589] zitiert wird, ist Casti connubii praktisch kastriert» (Konzilstagebuch H. Schauf, 2.12.1965). Voir aussi V. Heylen, La note 14 dans la constitution pastorale «Gaudium et Spes», P. II, C. I, N. 51, dans ETL 42 (1966) 555-566. 140.  Journal Prignon, p. 232. 141.  Le texte était: «In expensione Modorum sub numeris 5, 71, 98 et 107, Commissio Generalis Mixta sedulo et reverenter rationem habuit consiliorum Summi Pontificis, quae ei mediante Em.mi Cardinali a Secretariatu Status, transmissa fuerunt». 142. Cf. Journal Prignon, p. 235. Pour la lettre d’accompagnement de Heuschen, cf. Grootaers – Jans, La régulation des naissances à Vatican II (n. 135), p. 150. 143.  Heuschen, Gaudium et spes (n. 2), p. 355 et F. Heuschen 578, lettre du 29.11.1965. Et Journal Smulders, V, p. 31. 144.  F. Heuschen 578.

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i­nsister auprès du pape pour laisser tomber ces citations. On l’a renvoyé à Dell’Acqua qu’il devait rencontrer à 18h30. Le soir à 21h, Poma a téléphoné que selon Dell’Acqua il n’y avait que peu de chances que le pape donne son accord145. Entre temps Mgr Reuss [évêque auxiliaire de Mayence et membre de la commission pontificale] ne cessait de téléphoner à Heuschen pour qu’on enlève les citations de Casti connubii. En vain Heuschen essayait de le calmer146. À ce sujet Heuschen a encore téléphoné à Haubtmann, qui était absent, et qui a rappelé à 22h30147. Le mercredi 1.12, Colombo annonçait à Heuschen que le pape était encore disposé à recevoir Dearden. Heuschen a tout de suite averti Dearden pour qu’il demande audience. Mais le pape ne voulait pas céder et les citations ont été maintenues. Heuschen a aussi demandé à Döpfner que plusieurs cardinaux écrivent au pape pour lui expliquer que la situation était dramatique et pour que le Saint-Office n’explique pas le texte dans un sens minimaliste. Le vendredi 3.12, Garrone téléphonait encore de toute urgence à Heuschen, qui était absent parce qu’il conduisait Delhaye à l’aéroport de Fiumicino qui devait rentrer d’urgence en Belgique, son père ayant été victime d’un infarctus. Rentré au Collège belge, Heuschen et Prignon se sont rendus chez Garrone au Séminaire français. Celui-ci avait encore reçu un modus de la part de la Secrétairerie d’État pour remplacer dans le texte «non posthabitis aliis finibus» par «non exceptis aliis finibus». Pour Garrone cela ne posait pas problème. Mais alors on prendrait position dans le débat sur la hiérarchie des fins du mariage [procréation et alliance d’amour] ce que le texte avait absolument voulu éviter. Heuschen 145.  Dans son article Gaudium et spes (n. 2), p. 356, Heuschen écrit que c’est Poma qui lui avait fait cette demande. Dans son Journal (pp. 241-242) Prignon écrit que Poma s’est adressé à lui. Cette version notée le jour même, est plus probable. 146.  F. Heuschen 509, lettre du 1.12.1965: «Ce matin, nous avons eu une réunion et puis j’ai corrigé les deuxièmes épreuves. Pendant ce temps, j’ai reçu au moins quatre coups de téléphone de l’évêque auxiliaire de Mayence, en Allemagne, qui ne cessait de demander qu’on insiste ou qu’on fasse insister auprès du pape sur la nécessité d’omettre dans le texte les références à Casti connubii. J’ai essayé de mille manières de lui faire comprendre qu’une insistance ultérieure – après avoir fait moi-même une telle démarche et avoir rendu possible la démarche de deux autres personnes – ne pouvait qu’irriter le pape et pourrait obtenir le résultat contraire. J’ai essayé de le convaincre que, une fois le schéma imprimé, il serait bon que quelques cardinaux écrivent au pape et obtiennent de lui qu’il empêche les gens du Saint-Office d’expliquer notre texte dans un sens minimaliste et de défendre toute autre explication. Alors on serait absolument tranquille. Mais l’homme ne se laissait pas convaincre et continuait à téléphoner. Finalement, je me suis décidé à sortir pour quelques heures et j’ai dit aux domestiques que, si quelqu’un téléphonait, on devait répondre que j’étais sorti». 147.  Journal Prignon, p. 243. Heuschen, qui ne disposait pas d’un téléphone dans sa chambre et était déjà endormi a dû être réveillé par Prignon.



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et Prignon ont alors formulé une réponse pour Dell’Acqua. Et l’affaire fut classée sans suite148. Le 4 décembre l’Expensio modorum du chapitre De Matrimonio a été approuvée in aula avec 2047 placet, 155 non placet et 7 votes nuls. Ces derniers jours du Concile se sont déroulés dans un climat d’une grande tension149: il y avait la grande urgence à cause de la fin imminente du Concile, il y avait l’importance du sujet, qui ne concernait pas seulement les théologiens mais tous les fidèles, il y avait l’intervention inattendue du pape et les hésitations aussi au sein de la «majorité» quant à la façon d’y réagir150. Heuschen et Heylen ont alors pris leur ­responsabilité 148. Cf. Heuschen, Gaudium et spes (n. 2), p. 357; Journal Prignon, pp. 254-256; Grootaers – Jans, La régulation des naissances à Vatican II (n. 135), pp. 268-276; F. Heuschen 358 et 385, p. 7 et F. Heuschen 580, lettre du 3.12.1965: «En revenant de l’aéroport, nouvelle alerte. Je devais me rendre d’urgence chez Mgr Garrone, le rapporteur principal du schéma, afin de l’aider à rédiger une réponse à un nouveau modus, venant d’en haut, au sujet du texte sur le mariage. J’ai pu convaincre Mgr Garrone de ne pas céder et de s’en tenir aux éléments de réponse que j’avais notés. Il avait reçu l’ordre de ne consulter que moi-même et Mgr Dearden et nous devions garder le secret le plus absolu. Quand je rentrais [au collège], je voyais sur tous les visages l’envie de savoir ce qui était arrivé (et au plus haut point sur celui du cardinal [Suenens]) mais j’ai été muet comme un tombeau. Le comble a été que plus tard, lors d’une conversation à table, le cardinal a demandé – en présence de quelques periti – s’il n’était pas possible d’ajouter quelque chose en catimini au texte de la note 14 [citer également le discours du pape à la commission pontificale du 27.3.1965, dans AAS 57 (1965) 388-390]. J’ai répondu que nous avions toujours protesté – et avec raison – contre de telles manœuvres quand elles venaient des autres et que je ne voulais pas faire la même chose. Mais qu’un cardinal ose proposer une pareille chose!!!». 149.  Tout le monde était extrêmement nerveux. Un incident entre Heuschen et Prignon a encore éclaté le vendredi 26 novembre: «De grosses discussions à table avec les évêques, où je suis amené à dire ce que je pense. Le texte est acceptable, mais la façon dont on a procédé, pris dans son ensemble ne l’est pas. Et, ayant eu l’occasion de citer le courage de Butler et Charue mais ayant oublié à ce moment de mentionner la sous-commission, Mgr Heuschen se fâche comme si on l’accusait d’avoir manqué de courage. Je lui dis qu’il n’en est rien, que c’était évidemment une omission que j’ai réparée tout de suite, que la commission avait fait son devoir en ayant parlé clairement. Mais Mgr Heuschen revient chez moi, l’après-midi, pour me dire que je l’ai fortement froissé. Je lui explique de nouveau que c’était un simple lapsus, que j’ai réparé tout de suite. Il admet, mais me dit qu’il était fâché parce que j’ai attaqué l’honneur des évêques. Là-dessus, je lui dis que je ne puis être d’accord avec lui, parce que vraiment les évêques auraient pu parler autrement qu’ils l’ont fait. Je comprends très bien leur situation. Il n’y a pas de doute que la plupart ont interprété la déclaration d’Ottaviani comme si c’était un ordre du pape. Et là une fois de plus, sans peut-être s’en rendre compte, Ottaviani a forcé le sens de l’intervention du Saint-Père, mais il l’a forcé de façon telle que les évêques ont cru que l’obéissance au primat empêchait maintenant de parler» (Journal Prignon, pp. 229-230). Il semble pourtant bien qu’Ottaviani a rendu assez fidèlement l’ordre du pape. Cf. Diario Felici, p. 497. 150.  Le dimanche 28 novembre, Suenens était encore décidé de voter non placet pour ce chapitre et de déclencher une campagne pour un vote négatif. Ce n’est que le lundi 29 novembre, après que Prignon lui avait communiqué que le pape était d’accord avec la Relatio de Heuschen, qu’il a abandonné ce projet (Journal Prignon, pp. 235, 239-240).

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et ont cherché un compromis151. Ainsi ils ont sauvé l’essentiel et ont évité que le Concile ne se termine dans la discorde et la confusion. C’est le P. Tromp – pourtant nullement un partisan des conceptions théologiques de Heuschen – qui a le mieux formulé l’éloge de Heuschen. À la fin de son rapport officiel sur la commission doctrinale, il mentionne l’activité de Heuschen et termine en disant: «immensam molem laboris perfecit»152. Et dans ses vœux de Noël (19.12.1965), Tromp ajoute: «J’espère que vous vous êtes remis du travail d’esclave que vous avez fait pour le Schéma XIII. Si ce schéma a pu être achevé ‘non obstantibus contrariis quibuscumque’ c’est surtout à vous que le Concile le doit, même s’il ne vous a pas remercié. Avec mes félicitations sincères et répétées et tous mes respects»153. Épilogue 1.  Le nouveau diocèse de Hasselt Après avoir échappé à une nomination comme évêque de Gand, Heuschen a poursuivi ses efforts pour qu’un nouveau diocèse de Hasselt soit érigé. Le 27.3.1965, P. Poswick, l’ambassadeur de Belgique auprès du SaintSiège, eut un entretien avec Prignon, qui lui communiquait que Mgr van Zuylen était favorable à ce projet qu’il allait soumettre au pape154. Le 16.9.1965, Prignon notait que Mgr Samoré [secrétaire pour les Affaires extraordinaires à la Secrétairerie d’État] avait communiqué à l’ambassadeur que le Nonce Oddi [nonce en Belgique] avait écrit dans son rapport à la Secrétairerie d’État que le premier ministre Harmel était 151.  Tout le monde n’était pas satisfait de ce compromis. Cf. F. Heuschen 507, lettre du 29.11.1965: «Vous aurez lu dans les journaux qu’une fois encore nous avons passé une semaine mouvementée. À nouveau la réaction des periti était trop violente et ils ont fait une cabale, comme si des choses irréparables s’étaient produites. Le plus fort c’est qu’ils ne cessent de crier, mais qu’au moment où ils devraient faire quelque chose ou bien prendre ouvertement position vis-à-vis de l’autorité, ils se taisent complètement. Parfois même, ils ont la tendance à vilipender comme traîtres ceux qui se battent pour le texte et qui font tout leur possible pour le sauver. Je crois que c’est cette dernière chose qui a tellement blessé Mgr Philips. Mais dans des moments d’excitation il n’y a que peu de gens qui savent garder leur sang-froid». 152.  Cf. F. Heuschen 384, p. 25 et F. Philips, p. 6, VII, p. 125. 153. Cf. Addenda, p. 18. Dans des vœux que Tromp envoie à Heuschen au nom de la commission doctrinale il écrit encore, le 20.12.1965: «admiratione pleni de laboribus heroicis in servitio Commissionis doctrinalis impletis» (ibid.). 154. Cf. P.  Poswick, Un journal du Concile: Vatican II vu par un diplomate belge. Éd. par R.-F. Poswick – Y. Juste, Paris, de Guibert, 2005, pp. 547-548.



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d’accord avec l’érection de ce nouveau diocèse mais qu’il y avait encore de l’opposition du côté du parti socialiste155. Le 30 septembre 1965, Mgr De Smedt était reçu en audience par le pape, qui était d’avis qu’on ne devait plus attendre pour ériger le nouveau diocèse de Hasselt. Heuschen notait aussi que le premier ministre Harmel viendrait à Rome vers le 10 novembre, mais qu’il voudrait lier l’érection d’un diocèse de Hasselt à une solution pour les problèmes linguistiques de la région des Fourons156. Mgr De Smedt a alors écrit au ministre Bertrand pour insister auprès de M. Harmel157. Lors de l’audience du cardinal Suenens, le 18.10.1965, Suenens a informé le pape qu’il avait vu le premier ministre qui lui avait dit que dans les circonstances actuelles, l’érection du diocèse de Hasselt créerait de graves tensions linguistiques. Et Suenens a proposé au pape d’attendre jusqu’à ce que les problèmes des Fourons soient résolus. Mais, le 2 novembre, L. Roppe, gouverneur de la province du Limbourg, et ami personnel de Heuschen venait à Rome. Heuschen l’a reçu très cordialement, a fait le «cicerone» à travers Rome, mais voulait surtout que le gouverneur puisse avoir une audience du pape. Le nonce Oddi avait promis de la régler, mais sans résultat. Et Heuschen soupçonnait que le nonce voulait plutôt empêcher cette audience, puisque Oddi avait fait savoir à Rome qu’il ne fallait pas ériger ce nouveau diocèse aussi longtemps que la question des Fourons n’était pas résolue158. Mais Heuschen réussit tout de même à obtenir cette audience pour le gouverneur, le 6 novembre. Le pape avait dit au gouverneur que, bientôt, il y aurait une bonne nouvelle pour la province du Limbourg. Mais Heuschen ajoutait dans sa lettre que «bientôt» était une notion élastique et que le pape était lui aussi un bon diplomate. Et il terminait: «Moimême je ne suis pas tellement pressé: pour le moment, j’ai plus qu’assez 155.  En Belgique, qui connaît un régime concordataire avec l’Église catholique, l’érection d’un nouveau diocèse doit être approuvée par le gouvernement et le parlement. 156.  Les Fourons est une région, située sur la frontière linguistique en Belgique et appartenant alors au diocèse de Liège, qui a souvent été au centre de querelles linguistiques entre Wallons et Flamands. 157.  F. Heuschen 566, lettre du 2.10.1965. 158.  F. Heuschen 571, lettre du 4.11.1965: «Et dire que ce même homme dit au gouverneur que tout est déjà réglé et qu’il a insisté auprès de Harmel pour régler la question le plus vite possible. Vous voyez comme les diplomates sont peu fiables. Et vous voyez également à quel point Harmel fait l’impossible pour rattacher à nouveau les Fourons à Liège et lier ainsi une question pastorale à une affaire politique. Et pourtant ce même personnage vient chanter sur tous les tons que l’Église doit prendre ses distances vis-à-vis de la politique et qu’on doit éviter soigneusement de mêler l’Église à la politique».

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de travail pour le Concile et ensuite je voudrais en premier lieu prendre quelques semaines de repos»159. Finalement, ce n’est que le 31.5.1967 que le diocèse de Hasselt a été érigé160 et Heuschen a été nommé le premier évêque de Hasselt, le 13 juillet 1967. 2.  Heuschen et la déclaration de l’épiscopat belge sur l’encyclique ‘Humanae vitae’ (30.8.1968)161 Cette déclaration a d’abord été préparée par un groupe de travail dont Heuschen et Philips faisaient partie. Un premier projet a été rédigé par Philips et envoyé aux évêques pour leur réunion du 23.8.1968, à laquelle Philips, Heylen et Prignon ont aussi assisté. Pendant une journée entière le texte a été discuté. Dans ses notes personnelles, Suenens classait les évêques en deux catégories: une première qu’il appelait «Roma locuta, causa finita est» et où il mettait Himmer, Van Peteghem, van Zuylen et Daem et une deuxième nommée «Amicus Plato sed magis amica veritas». Heuschen se trouvait bien sûr dans cette deuxième catégorie. Quand, après la fin de la réunion, il devint évident qu’un accord n’était pas encore trouvé et qu’il fallait donc organiser une nouvelle réunion, Philips – épuisé – abandonna la partie. Heuschen a alors remplacé Philips et a dirigé la discussion à la réunion de la Conférence épiscopale du 30.8.1968. Van Peteghem n’était pas d’accord avec le passage: «Si quelqu’un compétent en la matière et capable de se former un jugement personnel bien établi, arrive, sur certains points après un examen sérieux devant Dieu, à d’autres conclusions, il est en droit de suivre en ce domaine sa conviction». Pour l’évêque de Gand il n’y avait que des théologiens moralistes qui pouvaient être compétents. Mais Heuschen était d’avis qu’il ne s’agissait pas ici de points de doctrines théologiques, mais de problèmes qui se rapportent à la vie quotidienne des époux. Par conséquent des époux, qui s’étaient dûment informés et qui avaient lu l’encyclique, devaient être considérés comme compétents. Après une longue 159.  F. Heuschen 572, lettre du 7.11.1965. 160.  Après un accord politique plusieurs provinces belges ont reçu des frontières qui correspondaient mieux à la frontière linguistique. Les diocèses étaient calqués sur les provinces. La région des Fourons appartenait alors à la province du Limbourg et au diocèse de Hasselt. 161. Cf. L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68.



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discussion, Heuschen a pu convaincre Van Peteghem qui a encore fait ajouter «ce qui suppose une information suffisante»162. Le 8.12, Heuschen a encore publié des directives pastorales163 dans lesquelles il revient sur ce passage et cite Newman: «Certainly, if I am obliged to bring religion into after-dinner toasts … I shall drink – to the Pope, if you please – still, to Conscience first and to the Pope afterwards»164. 3.  La démission de Heuschen comme évêque de Hasselt refusée par le pape. Déjà pendant le Concile, Heuschen avait connu plusieurs problèmes de santé. Par après il a connu de périodes de crises graves qu’il ne surmontait qu’au bout de quelques semaines. En novembre 1969, il se décida de demander une audience chez le pape pour présenter sa démission. Paul VI lui proposa de le recevoir le 20 décembre, mais à ce moment Heuschen était tellement malade qu’il ne put se rendre à Rome. Fin janvier 1970, il reçut une nouvelle proposition pour une audience. Malgré un état assez déficient de sa santé, Heuschen s’est rendu à Rome, où le pape l’a reçu très chaleureusement, mais a refusé sa démission. Le motif donné par le pape a étonné Heuschen: «Je vous demande de rester évêque et membre de la Conférence épiscopale belge, parce que vous êtes un des seuls évêques belges dont l’avis compte pour le cardinal Suenens et votre influence est irremplaçable (c’est Mgr Charue qui l’aurait dit au pape165). Je vous demande donc de renoncer à votre démission, de continuer dans la mesure du 162.  Cela n’ a pas empêché Van Peteghem de publier, le 15.11.1968, une lettre pastorale où il affirmait que seuls les théologiens moralistes étaient compétents et pas les médecins, les psychologues ou les sociologues. Cf. L.A. Van Peteghem, Beschouwingen en richtlijnen betreffende de Encycliek ‘Humanae vitae’: Herderlijke brief van Monseigneur Léonce-Albert Van Peteghem, bisschop van Gent, aan zijn priesters, Gent, Lippens, 1968. 163.  Nota voor pastorale begeleiding betreffende «Humanae vitae», dans Acta [du Diocèse de Hasselt] 8 [8.12.1968] 69-80. 164.  J.H. Card. Newman, A Letter Addressed to His Grace the Duke of Norfolk on Occasion of Mr Gladstone’s Recent Expostulation, dans Difficulties of Anglicans, London, 1891, t. 2, p. 258. Heuschen a encore écrit à Philips qu’il avait trouvé ce texte dans ses fiches. 165.  Le 15.5.1969, le cardinal Suenens avait publié dans les Informations Catholiques Internationales une interview retentissante où il critiquait sévèrement la curie romaine – et indirectement le pape – pour les lenteurs dans la mise en œuvre du Concile. Non seulement le pape mais aussi la plupart des évêques belges regrettèrent cette interview. Heuschen, bien qu’en désaccord avec la manière de rendre publiques ces critiques, était plus ouvert aux idées de Suenens, qui avait d’ailleurs beaucoup de respect pour la compétence théologique de Heuschen.

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possible votre tâche d’évêque et de vous faire aider par un évêque auxiliaire». Heuschen a alors répondu: «Saint Père, je sais que je devrai porter une lourde croix, mais je l’accepte de vos mains et je compte que mon évêque auxiliaire pourra subvenir à mes défaillances»166. Dans une lettre du 19.12.1989, à l’évêque de Bruges, écrite lors de sa démission d’évêque d’Hasselt, Heuschen a encore ajouté une autre raison au refus du pape qui lui aurait dit: «Vous connaissez bien l’histoire et la signification exacte d’un grand nombre de textes importants textes du Concile. Pour les défendre vous devez être un évêque en fonction. Restez donc à votre poste et prenez un évêque auxiliaire». Heuschen y ajoutait que ces informations étaient probablement transmises au pape par Mgr Colombo ou le Père Tromp, parce que pendant le Concile il n’a jamais eu une audience du pape. Et il conclut sa lettre: «J’ai fait ce que j’ai pu et j’aurais souvent souhaité à faire plus. Pour moi c’était une situation difficile qui ne m’a donné que peu de satisfactions. J’ai essayé d’accepter ce sacrifice. J’espère seulement que je n’ai pas trop déçu mes diocésains»167.

166.  Cf. F. Heuschen 384. Le 5.4.1970, Mgr Schruers a été nommé évêque auxiliaire de Hasselt. 167.  Archives Leo Declerck.

7 NOTE SUR LES ARCHIVES CONCILIAIRES DE MGR A.-M. CHARUE ET SON RÔLE AU CONCILE VATICAN II I.  État des archives Les archives conciliaires de Mgr Charue1 font partie de ses archives personnelles, conservées aux Archives diocésaines du diocèse de Namur. Elles étaient rassemblées dans de grandes liasses. Beaucoup de lettres parfois importantes, souvent mentionnées dans ses Carnets conciliaires ou ailleurs, ne se trouvaient pas parmi ses archives conciliaires. Mais on les a retrouvées parmi la correspondance personnelle de l’évêque (dans une farde contenant des lettres entre 1956 et 1966) et on les a insérées maintenant dans les archives conciliaires. II.  L’importance de ces archives pour connaître le rôle de Charue au Concile Le rôle de Charue dans le travail conciliaire a été considérable. Plusieurs de ses qualités ont été importantes pour les travaux du Concile et surtout dans les discussions de la commission doctrinale. * Cf. M.  Lamberigts – L. Declerck, Note sur les archives conciliaires de Mgr A.-M. Charue et son rôle au concile Vatican II, dans P. Chenaux – K.P. Kartaloff (éds), Il concilio Vaticano II e i suoi protagonisti alla luce degli archivi, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2017, 137-151. 1.  André-Marie Charue, né le 1.7.1898 à Jemeppe-sur-Sambre, prêtre du diocèse de Namur en 1922, Docteur (1927) et Maître en Théologie (1929) avec une thèse intitulée «L’incrédulité des Juifs dans le Nouveau Testament» (1929; écrite sous la direction d’É. Tobac), professeur d’exégèse au Grand Séminaire de Namur de 1928 à 1941, évêque de Namur de 1941 à 1974. Il a été élu par les Pères conciliaires comme membre de la commission doctrinale (octobre 1962) et par les membres comme 2ème vice-président (2.12.1963). Il est décédé à Namur le 20.12.1977. Cf. P. Sauvage, Charue, André, Clément, Marie, dans Nouvelle Biographie Nationale: Académie Royale de Belgique 5 (1999) 53-56. L’inventaire de ses archives conciliaires est publié par L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017 [= Inventaire Charue].

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Charue était un savant. Mentionnons qu’il était un exégète qualifié, formé à l’Université de Louvain (avec des maîtres exceptionnels comme Cerfaux), auteur de plusieurs articles d’exégèse2, respecté par les exégètes scientifiques. Par ses publications sur la bible mais aussi sur le sacerdoce et l’épiscopat, Charue s’était fait une renommée parmi les évêques français3, ce qui lui valait déjà une certaine notoriété avant le Concile4. Charue aimait travailler en équipe et demandait souvent conseil aux théologiens de Louvain ou à Congar, mais aussi à des laïcs comme Ladrière. Charue s’inséra parfaitement dans la squadra belga, dont il devint un personnage central5. Comme membre et surtout comme second vice-président de la commission doctrinale, Charue respectait toujours les procédures; il ne se prêtait pas à des manœuvres. Son honnêteté foncière lui a valu le respect des autres membres et même du cardinal Ottaviani, dont il ne partageait pourtant pas les positions théologiques6. Cela explique également qu’il a été à plusieurs reprises consulté par Paul VI qui l’estimait grandement7. Charue était un homme cordial, modéré, avec un esprit de conciliation. Il ne manquait pas de la ténacité8. 2.  Pour sa bibliographie, cf. Au service de la Parole de Dieu: Mélanges offerts à Monseigneur André-Marie Charue, Évêque de Namur, Gembloux, Duculot, 1969, pp.  xv-xx. 3.  Les «apparitions» de Notre Dame à Beauraing, reconnues en 1949, avaient mis Charue en contact avec plusieurs évêques – surtout français – de sanctuaires mariaux. 4.  Pendant le Concile, Charue continue à s’intéresser à la spiritualité et la vie des prêtres et il fait une intervention in aula, le 15.10.1965, qui a été fort appréciée par le card. J. Lefebvre (cf. Inventaire Charue, 4ème session, p. 181). 5.  Pour la squadra belga, cf. M.  Lamberigts – L. Declerck, La contribution de la «squadra belga» au concile Vatican II, dans Anuario de Historia de la Iglesia 21 (2012) 157-183 (sur Charue, pp. 163-164). 6.  Cf. le passage des Carnets conciliaires: «Après la réunion [du 2.12.1963, où Charue fut élu vice-président] j’allai saluer le card. Ottaviani. Je fus étonné qu’il me recevait cordialement. Comme je lui disais que je n’avais pas toujours été d’accord avec lui, il me répondit: Mais cela n’est rien, vous ne versez pas dans les excès!!», cf. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvainla-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets Charue], p. 131. 7.  Il ne faut pas oublier que Montini connaissait déjà Charue avant le Concile. En octobre 1960, Charue était venu restituer à l’archidiocèse de Milan les chefs insignes des saints milanais Nabor et Felix, qui lui avaient été donnés par des antiquaires namurois Van Uytrecht et Simon. Montini avait fait traduire en italien le livre de Charue Le clergé diocésain tel qu’un évêque le voit et le souhaite. Et Charue avait fait Montini chanoine d’honneur du chapitre de Namur en 1960. 8.  Dans son Journal du Concile Congar relève à plusieurs reprises le courage de Charue et il note le 5.11.1963: «Charue, vraiment accrochant et courageux: un vrai fantassin, qui est accroché au terrain» (Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, I, p. 521).



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Les archives de Charue nous renseignent amplement sur le rôle qu’il a joué au Concile et surtout à la commission doctrinale. Elles sont un complément indispensable à ses Carnets, qui malheureusement ne contiennent pas de notes sur la 2ème et 3ème session. Dans trois des quatre constitutions conciliaires Charue a eu une influence considérable: Dei Verbum, Lumen gentium et Gaudium et spes. Son intérêt pour la spiritualité du prêtre diocésain s’est manifesté non seulement dans le paragraphe 28 de Lumen gentium mais aussi dans le décret Presbyterorum ordinis. Rappelons d’abord brièvement le rôle de Charue à Vatican II9. Les vota que l’évêque de Namur avait envoyés au cardinal Tardini étaient très élaborés10. Pour lui, le Concile était une chose importante: il préparait ses diocésains11. Il regrettait de n’avoir pas été nommé membre d’une commission préparatoire au Concile12 mais le 16 octobre 1962, «il progressivo vescovo di Namur» (cf. Il Messagero)13 était élu comme membre de la commission doctrinale (il est le 9ème élu avec 1378 voix)14. Déjà à partir de la 1ère session, Charue rassemble autour de lui quelques exégètes de Louvain: Cerfaux, son ancien professeur, Rigaux, ancien condisciple, et J. Dupont, o.s.b. disciple de Cerfaux. Il avait des bons contacts avec d’autres théologiens louvanistes comme G. Philips, G. Thils, C. Moeller, A. Dondeyne et P. Delhaye, prêtre namurois. À la fin de la 2ème session il était élu comme second vice-président de la commission théologique avec 12 voix sur 2215. Dorénavant il fait partie du praesidium de la plus importante commission du Concile. Il a pris 9.  Nous renvoyons ici aux Carnets Charue et aussi à l’Introduction de C. Troisfontaines, pp. 5-25. 10.  Pour les vota belges, cf. Acta et Documenta Concilio Oecumenico Vaticano II Apparando, series I, vol. II, pars I, Città del Vaticano, 1960-1964, pp. 103-156 et C. ­Soetens, Les ‘vota’ des évêques belges en vue du Concile, dans M. Lamberigts – C. Soetens (éds), À la veille du concile Vatican II: Vota et réactions en Europe et dans le catholicisme oriental (Instrumenta Theologica, 9), Leuven, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1992, 38-52. 11. Cf. Inventaire Charue, Anteconcilium, pp. 47-49. 12. Cf. Inventaire Charue, Anteconcilium, p. 46, Lettre de Charue à Cerfaux, 24.11.1960. 13. Cf. Inventaire Charue, 1ère session, Generalia, pp. 57-58. Élection des commissions conciliaires, Il Messaggero, 21.10.1962. 14.  Déjà le 12 octobre, Charue avait suggéré à Mgr Heuschen et Mgr Philips de faire une démarche auprès du cardinal Frings afin de faire ajourner l’élection des commissions initialement prévue pour le 13.10.1962. Démarche qui fut couronnée de succès. 15.  Inventaire Charue, 2ème session, Generalia, p. 93.

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très à cœur cette grave responsabilité, il a informé Paul VI et a demandé conseil. Et le pape lui-même a consulté quelques fois Charue16. En parcourant les archives (et les Carnets) essayons maintenant de décrire sommairement le rôle de Charue dans quelques textes importants du Concile. 1.  ‘Dei Verbum’ Anteconcilium Déjà le 20.9.1962, Charue envoie 9 pages de remarques critiques au cardinal Cicognani concernant les schémas préparatoires De Fontibus Revelationis et le De Deposito fidei pure custodiendo17. Il avait consulté à ce sujet le prof. J. Havet de Louvain et était en possession des «Vota du Pontificium Institutum Biblicum» et de leur «Pro-Memoria sugli attacchi contro il Pontificio Istituto Biblico» où l’Institut biblique s’était défendu contre les attaques de l’Université du Latran18. 1ère session Le 17.11.1962, Charue fait sa première intervention in aula pour critiquer le Schéma De Fontibus Revelationis. Il y fait un plaidoyer pour l’exégèse scientifique, met en garde contre un second cas de Galilée et fait l’éloge de l’Université catholique de Louvain où les professeurs ne sont pas tombés dans les erreurs du modernisme19. Cela résultera dans sa nomination comme membre de la Commissio mixta (doctrinale et Secrétariat pour l’unité), instituée pour remanier le schéma De Fontibus (collaboration avec Thils, Dupont, Garrone Garofalo pour la rédaction du Caput IV De Novo Testamento20). 1ère intersession Tout de suite après la 1ère session, Charue a écrit à Bea pour protester au sujet de la réunion de la commission mixte du 7.12 où on avait 16. Cf. Carnets Charue, audiences du 16.3.1964, 10.6.1964, 12.10.1965. 17.  Inventaire Charue, Anteconcilium, p. 52 et AS Appendix, pp. 138-140. 18.  Inventaire Charue, Anteconcilium, p. 55. Les critiques de Havet étaient fort sévères, notamment sur la théorie des deux sources, sur la notion de création etc. À la p. II, 1, il écrit: «je mentirais si je dissimulais la nausée que j’éprouve devant un tel ‘travail’». Pour les activités de Charue concernant les schémas scripturaires pendant l’Anteconcilium, cf. K. Schelkens, Catholic Theology of Revelation on the Eve of Vatican II: A Redaction History of the Schema ‘De Fontibus Revelationis’ (1960-1962) (Brill’s Series in Church History, 41), Leiden – Boston, MA, Brill, 2010, surtout pp. 267-271. 19.  Inventaire Charue, 1ère session, p. 61. 20.  Inventaire Charue, 1ère session, pp. 62-63.



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­ ratiquement repris le «latius patet», formule auquel Bea paraissait favop rable ainsi que la réponse de Schmidt, secrétaire de Bea, qui doit le tranquilliser21 (cf. Carnets Charue, p. 85). Dans la commission mixte, les tensions – surtout au sujet du problème Écriture et Tradition – resteront vives et Charue, consultant Dupont, Thils et Cerfaux, collabore avec De Smedt22, Florit et Jaeger dans une sous-commission (23-25.2.1963) pour trouver une formule sur la relation entre Écriture et Tradition23. Toutefois le nouveau texte De Revelatione n’a pas été discuté lors de la 2ème session24. Charue s’occupe aussi de la réponse à donner à la lettre des 19 cardinaux25 par des contacts avec De Smedt, de la Potterie et Cerfaux26. 2ème intersession Après la décision de la Commissio de doctrina Fidei et Morum (7 mars 1964) de créer une sous-commission De Revelatione sous la présidence de Charue, Charue fera preuve d’un grand talent d’organisation, d’un sens tactique certain mais aussi d’un esprit modéré et conciliateur, sans toutefois jamais céder sur des points essentiels. Le 11 mars 1964, il décide d’ériger deux groupes de travail, un s’occupant du Prooemium et du Caput I (présidé par Florit et Betti en est le secrétaire), l’autre travaillant sur les autres chapitres (présidé par Charue et Kerrigan, ancien étudiant de Cerfaux à Louvain, en est le secrétaire). Charue, aidé par Troisfontaines (voir Carnets Charue, pp. 176 et 187), étudiant à Rome, prêtre namurois, attend les textes de son groupe avant le 10 avril27. Charue demande à Ottaviani d’y nommer Garrone, qui n’avait pas été élu dans 21.  Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 86. 22.  À ce sujet De Smedt avait déjà consulté à Bruges Sabbe, Willaert et Dupont, le 11.2.1963 (Inventaire Charue, p. 87). 23.  Inventaire Charue, 1ère intersession, pp. 84-85. 24.  Inventaire Charue, Dossiers, p. 43. 25.  Plurium Cardinalium Petitio, 24.11.1962 (lettre de19 cardinaux à Jean XXIII pour dénoncer des publications dangereuses d’exégèse). Cf. AS VI, I, pp. 303-306. 26.  Inventaire Charue, 1ère intersession, pp. 85-86. 27. Du Diarium de Tromp (Konzilstagebuch Sebastian Tromp S.J. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2014, 3/1, pp. 493, 541, 625) il ressort clairement que Bea ne trouvait plus nécessaire de réunir encore la commission mixte. Le 30.5.1964, le Secrétariat pour l’Unité a répondu que le texte donnait satisfaction et qu’une nouvelle réunion de la commission mixte n’était pas nécessaire. On s’étonne alors que Paul VI dans son audience à Charue, le 12.10.1965, lui ait dit que la commission mixte n’avait pas été supprimée. Il est probable que le pape a cherché un subterfuge juridique pour pouvoir envoyer à la réunion de la commission doctrinale du 19.10.1965 le cardinal Bea afin d’y défendre les amendements pontificaux (cf. Carnets Charue, p. 269).

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cette sous-commission; requête qui a été acceptée par Ottaviani28. La sous-commission se réunit du 20 au 25 avril. Charue a eu un rôle important dans le chapitre V De Novo Testamento29. Le 25 avril, la sous-commission termine son travail. Le 27 avril, Charue se rend avec le nouveau texte chez le cardinal Bea qui est fort satisfait. Après consultation de Bea, Charue envoie le texte à De Smedt et lui demande des remarques. Après une réunion, à Bruges avec Willaert, Dupont et Sabbe, De Smedt enverra des emendationes30 . Du 2 au 5 juin 1964, la Commissio de doctrina Fidei et Morum examine le travail de la sous-commission (Carnets Charue, pp. 195-201)31. Malgré l’opposition de Schauf qui a voulu revenir aux relations Tradition-Écriture sainte, le nouveau texte passe et est approuvé par le pape, le 3.7.1964 (texte TPV De Revelatione, 3.7.1964) et envoyé aux évêques. Grâce à l’organisation efficace de Charue, le nouveau projet d’un des textes les plus controversés a été réalisé en un temps record. 3ème session Entre le 30.9.1964 et le 6.10.1964, le nouveau texte, présenté à la presse par Charue, le 3 octobre, est discuté in aula32. Retravaillé par les deux sous-commissions, qui tiennent compte des interventions des Pères33, le texte, approuvé par la commission doctrinale plénière, les 10 et 11 novembre, est distribué aux Pères le 20 novembre, mais il ne sera plus voté. 3ème intersession Le 20.11.1964, Felici, lors de la distribution du nouveau texte De Revelatione, avait annoncé – par erreur34 – que les Pères pouvaient encore envoyer leurs observations à la commission avant le 31.1.1965. Plusieurs pères, notamment du Coetus Internationalis Patrum, envoient des amendements. Charue ne voulait pas ignorer complètement ces amendements, mais les traitait comme des quasi-modi. À cet effet une réunion de la sous-commission doctrinale était nécessaire les premiers jours de la 28.  Cf. Lettres de Charue à Ottaviani (4.4.1964), d’Ottaviani à Charue (13.4.1964), de Garrone à Charue (22.4.1964) (Inventaire Charue, 2ème intersession, pp. 127-128). 29.  Inventaire Charue, 2ème intersession, pp. 131-132. 30.  Inventaire Charue, 2ème intersession, p. 127. Cf. A. Greiler – L. De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999, 1121-1127. 31.  Inventaire Charue, 2ème intersession, pp. 128-133. 32.  Inventaire Charue, 3ème session, p. 149. 33.  Inventaire Charue, 3ème session, pp. 149-151. 34.  Certains ont suggéré que Felici a ainsi voulu rouvrir le débat sur les deux sources.



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4ème session et Charue obtenait un délai du vote après consultations d’Ottaviani (Carnets Charue, p. 251) et Liénart, responsable au sein de la commission de coordination du De Revelatione. Ottaviani est d’accord qu’une petite commission se réunisse avant la session; Tromp propose qu’on y ajoute Heuschen «quia est valde competens nec laborem recusat». La petite commission va finalement se réunir pendant les premiers jours de la session. L’examen des quasi-modi est fait par Smulders (document de 29 p., daté du 22.8.1965). La réunion à Rome est d’ailleurs préparée par une réunion à Louvain, le 6.9, avec Heuschen, Philips, Cerfaux, Rigaux et Smulders, où on décide de contacter les professeurs de l’Institut biblique (Lyonnet, de la Potterie) pour qu’ils n’intensifient pas leur propagande, car ils risquent d’empêcher les 2/3 du vote cum modis, ce qui serait un désastre (Carnets Charue, p. 253)35. 4ème session Du 20 au 22.9.1965, ont lieu les votes: chaque texte est approuvé avec une majorité de 2/3 de placet, mais chaque chapitre a recueilli environ 300 placet iuxta modum. Commence alors le travail intense de l’Expensio modorum, selon la même méthode qu’on avait suivie pour le De Ecclesia (Carnets Charue, p. 255) et le 29 octobre, on a voté sur l’Expensio modorum. Van Dodewaard étant absent, Charue doit le remplacer pour la lecture de la relatio sur l’Expensio modorum des chapitres 3 à 636. Après la promulgation de la constitution, Charue a encore dû réagir à une traduction italienne37 erronée, introduite par Garofalo concernant «Deus nostrae salutis causā» n. 11. Cette traduction, parue dans L’Osservatore Romano, disait: «Dio, causa della nostra salute» au lieu de «Dio a causa»38 (cf. Carnets Charue, p. 277). Il fait rédiger une note par Prignon et en parle au conseil de présidence, le 30.11.196539. Ottaviani rectifiera auprès de Felici dans une lettre du 2.12.1965 (cf. AS VI, IV, pp. 648-649). 35.  Pour cette correspondance, voir Inventaire Charue, 3ème intersession, pp. 161-164. 36.  Dans ses Carnets Charue (p. 274), Charue rappelle que, ignorant ce remplacement, il était dans l’aula en habit de ville parce qu’il devait rejoindre la commission du schéma XIII. Aussi a-t-il commencé son rapport en disant: «Licet vestem nuptialem non habeo…». 37.  La même erreur se trouve aussi dans la traduction française (Les Actes du concile Vatican II, Paris, 1966, p. 20) publiée par Le Cerf où on lit: «on doit confesser que les livres de l’Écriture enseignent nettement, fidèlement et sans erreur la vérité telle que Dieu, cause de notre salut, a voulu qu’elle fût consignée dans les saintes Lettres». L’incise «à cause de notre salut» voulut justement dire que tout ce qui est écrit dans l’Écriture (par ex. beaucoup de faits historiques, les étapes de la création etc.) n’est pas sujet de vérité infaillible, mais seulement les vérités qui concernent le salut de l’homme. 38.  Inventaire Charue, 4ème session, p. 179. 39.  Ibid.

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On peut conclure que Charue, exégète de formation et longtemps professeur d’Écriture sainte, a non seulement réussi à porter à terme le Dei Verbum mais a particulièrement poursuivi trois objectifs: 1° Veiller à ce que l’Église garantisse une liberté suffisante aux exégètes de métier dans leur travail scientifique. Lui-même avait encore connu toutes les restrictions dont les exégètes avaient souffert du temps du modernisme. 2° Obtenir un texte équilibré au sujet du problème épineux des deux sources et du «latius patet». C’était d’une grande importance dans le dialogue œcuménique40. 3° Souligner l’importance primordiale de l’Écriture aussi bien dans la vie de l’Église que dans la théologie41. 2.  ‘Lumen gentium’ 1ère session Dès le commencement, Charue est impliqué dans la rédaction du nouveau schéma De Ecclesia42 (Carnets Charue, p. 36). Le 2.12.1962, il prépare une intervention écrite sur le De Ecclesia (Carnets Charue, pp. 75 et 83), dans laquelle il fait un plaidoyer pour l’emploi de plusieurs figures bibliques pour l’Église afin qu’on ne se limite pas à l’image du Corps mystique43. 1ère intersession Le rôle de Charue dans l’acceptation du schéma Philips comme nouveau texte de base a été important. Comme membre de la sous-commission des 7, instituée par Ottaviani, le 21.2.1963, pour choisir un nouveau texte de base, il réussit, le 26.2, à faire accepter par ce groupe le schéma Philips, ceci grâce à une réunion préparatoire secrète, le 24.2, chez ­Garrone avec quelques évêques et periti «ouverts»44. Le 26.2, il fait aussi 40.  Charue note dans ses Carnets Charue (p. 277) après la promulgation de Dei Verbum: «On redit que les moines de Taizé disent que c’est le plus grand texte du Concile. Éloge aussi de Cullmann, qui a dit que pour le chapitre sur le N.T., il souscrivit à tout». 41. Cf. Dei Verbum 24: «Sacrae Paginae studium sit velut anima Sacrae Theologiae». 42.  Inventaire Charue, 1ère session, p. 59. 43.  Inventaire Charue, 1ère session, p. 60. Charue reviendra plus tard à plusieurs reprises sur ce sujet. En conséquence, le texte de Lumen gentium, 6 intégrera d’autres images bibliques. 44.  Cf. lettre de Garrone à Charue, 7.2.1963, Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 67.



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admettre Philips comme président du groupe des experts et obtient de Schröffer que Thils devienne son expert. Le 5.3, à la commission plénière il réussit à faire accepter45, contre l’attaque d’Ottaviani, le choix du groupe des 7 pour le texte Philips et aussi qu’on continue tout de suite l’examen du nouveau texte. Après l’envoi du nouveau texte De Ecclesia aux Pères, Charue fait, le 17.8.1963, des observations, en s’inspirant des Notes de Thils46. Dans la discussion à la commission doctrinale (8 mars 1963), Charue fait une intervention au sujet des figures de l’Église et il obtient gain de cause: on insère dans le Chapitre I De Ecclesiae mysterio47 d’autres images bibliques (Carnets Charue, p. 105). Pour la discussion sur le Caput II, De Constitutione hierarchica, Charue tient compte de notes de Thils, de Philips, d’un texte de Cerfaux et d’une lettre de Dupont48. Mais il se dévoue aussi pour promouvoir la spiritualité du clergé et est en contact avec Garrone49. Pour le chapitre IV, intitulé De iis qui consilia evangelica profitentur, le texte ne plaît pas à Charue, qui envoie sa réaction critique (un document de 5 pages) à Ranwez, Philips, Thils, Cerfaux et Moeller50. Charue voulait élargir la perspective du texte (le nouveau titre sera: De vocatione ad sanctitatem in Ecclesia): la vocation à la sainteté ne se limite pas uniquement aux religieux. Dans la discussion de ce chapitre en mai 1963, le 16.5, Charue insiste que la question soit traitée surtout par la commission doctrinale et pas uniquement par une commission mixte avec les religieux51 (Carnets Charue, p. 120). 2ème session Après le débat in aula, sept sous-commissions sont constituées pour retravailler les différents chapitres. Charue est président de la 1ère sous-commission qui s’occupe du Caput I De Mysterio Ecclesiae mais doit aussi contrôler tous les textes bibliques des autres chapitres. Avec l’aide de B. Rigaux, secrétaire de cette sous-commission, et sur base d’une étude de Cerfaux, Charue peut 45.  Dans son Mon Journal du Concile (n. 8), I, p. 339, Congar souligne le courage de Charue. 46.  Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 73. 47. Cf. Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 74: De figuris Ecclesiae, et lettre de Charue à Cerfaux, du 15.3.1963, Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 69. 48.  Inventaire Charue, 1ère intersession, pp. 75-76. 49.  Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 76. 50.  Inventaire Charue, 1ère intersession, pp. 77-78. 51.  Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 80.

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insérer les figures de l’Église (les images bibliques) dans le nouveau texte52. Concernant le chapitre II (plus tard III) De Institutione hierarchica, Charue intervient in aula, le 8.10.1963, où il démontre que l’Église est fondée sur les apôtres. Pour cette intervention il a utilisé plusieurs textes de Cerfaux53. Charue, un protagoniste convaincu de la collégialité épiscopale, intervient pendant la discussion De Episcopis pour affirmer que les conférences épiscopales ne sont pas une expression de la collégialité, mais une forme de collaboration de la propria potestas de chaque évêque. Ces remarques ont été cosignés par tous les autres évêques résidentiels de Belgique, hormis le cardinal Suenens54. Ce qui indique probablement que Charue était parfois assez critique vis-à-vis de Suenens, le président de la Conférence épiscopale belge. Le 25.10, Charue intervient au sujet du chapitre IV: De vocatione ad sanctitatem: il souligne que la structure essentielle de l’Église est hiérarchie et laïcat et que les religieux ne sont donc pas de droit divin55. 2ème intersession Charue a fait la Relatio in aula sur le chapitre I56. Dans le débat sur la consécration épiscopale et la collégialité (chapitre III), il envoie au pape une note57, dans laquelle il insiste que la collégialité ne peut pas entamer ou ébranler la primauté pontificale. Il insiste qu’il faut aller au delà du moral et du juridique, jusqu’au théologique et jusqu’à l’institution par le Christ. Il ne faut pas invoquer la collégialité à propos des conférences épiscopales. Quant aux «13 suggerimenti» envoyés par Felici au nom du pape, le 19.5.1964, Charue obtient qu’Ottaviani demande au pape si on peut les discuter et modifier. Le pape est d’accord (Carnets Charue, p. 201). Et les modifications sont préparées par Charue et d’autres membres de la «majorité» dans une réunion au Collège belge, le 2.6.1964 (Carnets Charue, p. 195). Pour les chapitres V-VI [anciennement IV] De vocatione ad sanctitatem in Ecclesia et de Religiosis, Charue s’engage à fond en janvier 1964 52.  Inventaire Charue, 2ème session, p. 95. Cf. Lumen gentium 6. 53.  Inventaire Charue, 2ème session, p. 99. 54.  Inventaire Charue, 2ème session, p. 101. 55.  Inventaire Charue, 2ème session, p. 100. 56.  Inventaire Charue, 2ème intersession, p. 110. 57.  Inventaire Charue, 2ème intersession, p. 114.



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dans une sous-commission mixte (avec les religieux) et dans la sous-commission de la commission doctrinale58. Il est convaincu que la vocation à la perfection évangélique n’est pas le monopole des religieux. Il rejette l’idée d’avoir un chapitre spécial pour les religieux (comme demandé par environ 700 Pères, surtout des religieux), mais perdra finalement cette bataille lors de la 3ème session, par un vote in aula, le 30.9.1964. 3ème session Charue a été important dans les vicissitudes concernant le Caput III et la collégialité. Charue a intensément travaillé à l’Expensio modorum, en tant que président de la subcommisio advisoria. Heuschen, qui avait fait venir les milliers de modi au Collège belge, était la cheville ouvrière de cette expensio. Cette subcommissio a préparé les réponses à tous les modi en un temps record 59. Toutefois concernant la rédaction de la Nota Explicativa Praevia les archives ne contiennent pas de documents nouveaux60. Charue s’est donc fort impliqué dans la rédaction du schéma De Ecclesia. Plusieurs sujets l’intéressaient particulièrement: – le caractère sacramentel de la consécration épiscopale61 . – la spiritualité et la vocation à la sainteté du clergé diocésain62. Il a fait, à cet effet, des efforts tenaces pour ne pas donner aux religieux le «monopole» des états de perfection. Et il a souligné que la vie religieuse est une structure dans l’Église mais pas une structure de l’Église (comme les évêques). Plusieurs évêques français, notamment Mgr Garrone, l’ont soutenu. – le chapitre sur la Vierge Marie.

58. L’honnêteté foncière de Charue est illustrée par sa demande à Ottaviani, le 23.1.1964, de ne pas être désigné comme président de cette sous-commission avec les religieux, parce qu’il a été trop «compromis» (défenseur d’une seule tendance) (Carnets Charue, pp. 137-138). 59.  Inventaire Charue, 3ème session, pp. 142-143. 60.  Inventaire Charue, 3ème session, p. 141. 61.  Charue avait déjà réagi dans un article L’Évêque dans l’Église (Revue diocésaine de Namur 12 [1957] 1-13) contre des articles du Père J. Beyer s.j. qui réduisait la consécration épiscopale à un mandat du pape (cf. J. Beyer s.j., Nature et position du sacerdoce, dans NRT 11 [1954] 356-373 et 467-480). 62.  Voir ses publications déjà avant le Concile: Le prêtre dans la paroisse d’aujourd’hui, dans Évangéliser (1950) 613-632; Le Clergé diocésain tel qu’un évêque le voit et le souhaite, Tournai, 1960; Jean XXIII et la spiritualité sacerdotale, dans Revue diocésaine de Namur 16 (1962) 273-295; et ses Lettres pastorales sur les Problèmes du clergé diocésain (Lettres pastorales et Mandements de S. Exc. Mgr A.-M. Charue, 1953, II, pp. 135-174; 213-250, 1954, II, pp. 321-348).

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Ses compétences comme exégète ont servi en outre à enrichir le texte de Lumen gentium, notamment en développant plusieurs images de l’Église (bercail, champ, épouse, Jérusalem nouvelle etc.). Ainsi l’image du corps mystique, que le Père Tromp voulait imposer comme seule valable, a aussi fait place à d’autres. 3. ‘Gaudium et spes’ Comme pasteur Charue était préoccupé par les questions sociales, le problème de l’enseignement et de l’université et la situation des chrétiens dans le monde moderne63. 1ère intersession Le texte du schéma XVII doit être rédigé par une commission mixte (commission doctrinale et commission pour l’apostolat des laïcs). Le 15.5.1963, Charue est désigné par la commission doctrinale pour siéger dans la sous-commission pour la culture, qui se réunit du 16 au 18.5.1963 et il participe alors à la rédaction du Caput IV De culturae progressu rite promovendo64 (Carnets Charue, pp. 119-122). On peut noter que Charue n’a pas été mêlé à la rédaction à Malines en septembre l963 du texte De activa praesentia Ecclesiae in mundo hodierno, qui pendant la 2ème session n’a pas été retenu par la commission mixte. 2ème intersession Les archives montrent que Charue n’est pas très content des travaux: une réunion de la commissio mixta après la réunion concernant le texte de Zürich est qualifiée comme déplorable. Les réunions de la commission mixte du 4 et 5 juin sont confuses (Carnets Charue, pp. 199-200). Mais les archives montrent aussi que Charue veut s’informer sur des questions comme De Matrimonio par des notes de Delhaye et de Reuss65 ou s’engager dans les débats (le 1.9.1964, il écrit des remarques sur le schéma et spécialement sur le chapitre De Cultura66). 3ème session Le 22.10.1964, Charue fait une intervention in aula en faveur du schéma «imparfait encore, mais nécessaire». Au dernier moment – les 63. Cf. Carnets Charue, Introduction de C. Troisfontaines, p. 23. 64.  Inventaire Charue, 1ère intersession, p. 90. 65.  Inventaire Charue, 2ème intersession, pp. 137-138. 66.  Inventaire Charue, 2ème intersession, p. 136.



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archives le prouvent – il a ajouté un éloge pour les periti, qui avaient été durement attaqués dans l’intervention de Heenan, le même matin 67. Il refuse de faire partie de la sous-commission centrale, à cause de son travail dans la sous-commission De Revelatione, mais il accepte de rester membre de la sous-commission pour la culture, à condition de ne pas en avoir la responsabilité ultime (Carnets Charue, p. 225). 3ème intersession La sous-commission De cultura était placée sous la responsabilité de Mgr Guano, mais, de facto, les réunions de janvier-février à Ariccia et à Rome, étaient présidées par Charue. Pour le De Cultura, Charue a eu plusieurs contacts avec des professeurs de Louvain. Il réussit à introduire Dondeyne qui pourtant n’était pas peritus officiel, dans la sous-commission68. À Ariccia, du 1 au 5 février, la sous-commission rédige son nouveau texte et Charue peut le présenter, le 6.2, pour la réunion de clôture69 (Carnets Charue, pp. 227-229). À Rome, il assiste à la réunion de la sous-commission centrale (8-12 février) et le 13.2, il se réunit avec Guano et Tucci pour améliorer encore le texte70 (Carnets Charue, pp. 230-234). Charue assiste à la réunion de la commission mixte à Rome du 29.3 au 7.4.1965. Dans la discussion sur De Cultura, Charue fait encore un plaidoyer pour qu’on ne prononce pas une condamnation du communisme, intervention couronnée de succès malgré l’opposition d’Ottaviani (Carnets Charue, pp. 247-251). On remarque que Charue continue à s’informer concernant le De Matrimonio et Familia: lettres et notes de Delhaye, de de Locht, de Ranwez, de Dondeyne71. Sur le texte du nouveau schéma envoyé aux Pères, le 28.5.1965, Charue fait encore des remarques72 et en août il entame une correspondance avec Braun et Cerfaux au sujet du terme «mundus» dans le schéma73, ce qui résultera dans une intervention lors de la 4ème session. G. Hoyois envoie à Charue des remarques, le 8.9.1965, sur le nouveau texte74. 67.  Inventaire Charue, 3ème session, p. 153. Avec une allusion au texte de Virgile, Heenan avait dit: Timeo peritos et adnexa ferentes. 68.  Inventaire Charue, 3ème intersession, pp. 171-173. 69.  Inventaire Charue, 3ème intersession, p. 173. 70.  Ibid. 71.  Inventaire Charue, 3ème intersession, pp. 170-171. 72.  Inventaire Charue, 3ème intersession, p. 107. 73.  Ibid. 74.  Inventaire Charue, 3ème intersession, p. 174.

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4ème session Pendant la 4ème session, Charue devient membre de la sous-commission centrale, le 18.9, tout en restant membre de la sous-commission De Cultura. Il intervient in aula (24.9), utilisant une note de Braun75. Et du 12 au 18.10 Charue participe à la rédaction du nouveau texte par la sous-commission De Cultura. Après les maladies de Philips et de Guano, le pape, le 3.11, remplace Guano par Garrone comme responsable principal du schéma XIII. Celui-ci ne veut pas exercer cette responsabilité tout seule et appelle à la rescousse Mgr Schröffer, Mgr Ancel mais aussi Mgr Charue. L’évêque de Namur devient donc un des quatre responsables principaux de tout le schéma: les quaestiones disputandae étaient énormes et le Concile devait se terminer le 8 décembre (dans le débat houleux du 25 novembre au sujet des modi pontificaux concernant le De Matrimonio, Charue a courageusement défendu le droit de la commission de discuter ces modi76). Ici, comme dans les autres dossiers, Charue faisait appel à des hommes compétents, prêtres mais aussi laïcs, qui n’étaient pas des periti officiels (notamment Dondeyne, Hoyois, Ladrière). Il a fait respecter les procédures, contre tout le monde, progressistes et conservateurs (Carnets Charue, pp. 284, 285). Avec Philips et Heuschen, Charue a réussi à convaincre les Allemands du sérieux théologique du texte. En acceptant des amendements, mais aussi en cautionnant le texte, Charue a contribué à apaiser le différend français-allemand. Et les Allemands avaient plus de confiance en Charue et en Philips qu’en certains periti français. Les Français avaient rejeté le texte de Malines comme trop théologique. Mais Philips, soutenu par Charue et Heuschen, après avoir été évincé par Haubtmann, contribua loyalement à traduire le nouveau texte en latin et à le défendre – avec autorité – dans la commission mixte.

75.  Inventaire Charue, 4ème session, p. 183. 76.  «En ce moment-là, Mgr Charue s’est fâché et il est redevenu le Charue des grands jours: Monsieur ‘Njet’. Il fait remarquer – Colombo ayant parlé de façon équivoque de la liberté des Pères et d’autres l’ayant appuyé – que le texte de la lettre [de Cicognani] indiquait – lui semblait-il – clairement qu’on pouvait discuter puisqu’il s’agissait de modi remis à la commission … Que d’ailleurs la lettre faisait entrer la commission dans le terrain réservé – que le pape avait enlevé au Concile – et qu’il était impensable qu’on puisse demander au Concile de porter un jugement sur des choses qu’il n’a même pas pu examiner» (cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines [Cahiers de la RTL, 35], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003, pp. 223-224).

8 MGR ALBERT PRIGNON, RECTEUR DU PONTIFICIO COLLEGIO BELGA À ROME, ET LE CONCILE VATICAN II I.  Prologue Le dimanche 26 avril 1964, le père Yves Congar1 note dans son Journal du Concile: Mais le Collège belge et le petit groupe des Belges (5 ou 6 personnes en tout) n’auraient pas joué le rôle qu’ils ont joué sans la personnalité de Mgr ­Prignon. Lui aussi, à sa façon, réunit un ensemble de qualités assez rares comme telles. Il a à la fois le sens théologique, le sens pratique et le sens tactique. Il a suivi tout, en union avec le cardinal ­Suenens2 et pour le compte de celui-ci, mais aussi en union avec C ­ harue3, Philips4, Moeller5, Cerfaux6. Il est très renseigné. Il a présents [sic] à l’esprit tous les détails, sans perdre la ligne des intérêts plus grands. Mais tout cela a rendu à plein à cause des facultés d’accueil de Mgr ­Prignon, et celles-ci découlent directement, certes de sa finesse humaine, mais principalement de la qualité religieuse et chrétienne de son âme. Mgr P ­ rignon est un homme très évangélique, tout entier donné, très oublieux de lui-même, qui a fait du service des autres une sorte *  D. Bosschaert – L. Declerck – C. Troisfontaines, Mgr Albert P ­ rignon, recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome, et le concile Vatican II, dans D.  Bosschaert – J. Leemans (éds), Res opportunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 31-113. 1.  Yves Congar (1904-1995), dominicain français, professeur de théologie au Saulchoir de 1931 à 1954, peritus conciliaire, cardinal en 1994. 2.  Léon-Joseph ­Suenens (1904-1996), archevêque de Malines-Bruxelles de 1961 à 1979, cardinal en 1962, membre de la commission de coordination, un des quatre modérateurs du Concile en septembre 1963. 3.  André-Marie ­Charue (1898-1977), évêque de Namur de 1942 à 1974, membre de la commission doctrinale, dont il est élu 2ème vice-président, le 2.12.1963. 4.  Gérard Philips (1899-1972), prêtre du diocèse de Liège et à partir de 1967 du diocèse de Hasselt, professeur de théologie dogmatique à l’Université catholique de Louvain de 1944 à 1969, sénateur coopté du royaume de Belgique de 1953 à 1968, peritus conciliaire, secrétaire adjoint de la commission doctrinale à partir du 2 décembre 1963. 5.  Charles Moeller (1912-1986), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, chargé de cours puis professeur à l’Université catholique de Louvain à partir de 1949, peritus conciliaire, sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 1966 à 1973, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens de 1973 à 1981. 6.  Lucien Cerfaux (1883-1968), prêtre du diocèse de Tournai, professeur d’exégèse à l’Université catholique de Louvain de 1928 à 1953, peritus conciliaire.

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de règle absolue de son comportement. Sans tout cela, le Collège belge et le groupe belge n’auraient, ni été ce qu’ils ont été, ni joué le rôle qu’ils ont joué7.

Ce témoignage extraordinaire d’un des principaux théologiens de Vatican II nous incite à examiner de plus près le rôle joué par P ­ rignon au Concile d’autant plus que sa discrétion, y compris après le Concile, a empêché les historiens de mettre suffisamment en lumière la part qu’il a eue dans le plus grand événement religieux du 20ème siècle8. II.  Introduction 1.  Biographie9 Albert ­Prignon est né le 28 juin 1919 à Liège, du mariage de Louis ­ rignon (1881-1953), avocat près la Cour d’appel de Liège, et Jeanne P Romain (1881-1924)10. Après une licence en philosophie (summa cum laude, 3 juillet 1939) à Rome à l’Université grégorienne (1936-1938) il entame des études de théologie à la même université, interrompues le 14 mai 1940 à cause de l’état de guerre entre l’Italie et la Belgique. À son retour en Belgique, il poursuit quelque temps ses études de théologie au Grand Séminaire de Liège (1940-1941). Il peut ensuite achever sa licence de théologie au scolasticat des jésuites à Egenhoven (cum laude, le 17 octobre 1941). Il suit aussi quelques cours à la Faculté théologique de 7.  Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Journal Congar], II, pp. 72-73. 8.  Non sans raison Jan Grootaers conclut son article De plain-pied au Concile: Albert ­Prignon, acteur et témoin à Vatican II, dans RTL 33 (2002) 371-397 en écrivant: «Dans l’intérêt de l’historiographie il convenait de remédier en quelque sorte à la discrétion et à la modestie de Mgr ­Prignon et de mettre en lumière les mérites particuliers de celui qui fut le recteur du Collège belge à Rome au cours du deuxième Concile du Vatican» (p. 396). Voir aussi les autres articles publiés sur P ­ rignon: C. Troisfontaines, Le rôle d’Albert ­Prignon durant le concile Vatican II, dans Journal ­Prignon, 7-22 (voir n. 24); C. Laporte, La Squadra belga marque au Concile, dans Id., Portraits d’Église: Les catholiques belges, du parvis au maître-autel, II, Bruxelles, Pire, 1998, 11-23 (une interview avec ­Prignon). 9. Voir Grootaers, De plain-pied au Concile (n. 8) et J.  Ickx, De alumni van het Belgisch Pauselijk College te Rome 1844-1994 / Les anciens étudiants du Collège Pontifical Belge à Rome, 1844-1994, Roma, Pontificio Collegio Belga, 1994, pp. 508-509. Nous remercions aussi M. Christian Dury, archiviste du diocèse de Liège pour les informations qu’il nous a fournies. 10.  Ils ont eu sept enfants: Marie-Louise (1910-1913), Madeleine (1912-1994), Jean (1914-1980), prêtre, Georges (1917-1986), Albert (1919-2000), Louis (1920-2008), et Marie (1922-1970).



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l’Université de Louvain, notamment de Draguet11, Cerfaux et Lebon12. Il est ordonné prêtre le 22 novembre 1942. Il avait l’intention de faire une thèse de doctorat sur «La liberté des enfants de Dieu chez saint Paul», sous l’égide du Père Levie s.j.13, et du professeur Cerfaux. Mais une nomination en 1945 au Collège de Waremme comme professeur de cinquième latine l’empêche de faire progresser ses travaux universitaires. La réouverture du Collège belge après la guerre, en 1946, lui donne l’occasion de suivre une année de théologie à la Grégorienne et une année de sciences bibliques au Biblicum (où il a obtenu cum laude la licence en sciences bibliques, le 7 novembre 1947) avec l’intention d’y achever un doctorat, qu’il n’a pas terminé. C’est pendant ces années qu’il a connu comme étudiant au Collège belge le prêtre polonais Karol Wojtyła14. En 1948 il est nommé titulaire de Poésie au Petit Séminaire de Saint-Trond15. En 1950, Mgr Kerkhofs16 – qui après la première guerre israélo-arabe avait apporté de l’aide aux réfugiés palestiniens au Liban et au diocèse melkite catholique de Galilée – demande à ­Prignon de devenir professeur au Séminaire de l’Église melkite (compétent pour la Syrie, le Liban et la Palestine) au Monastère des Paulistes à Harissa au Liban. Ce séjour au Liban fut pour lui aussi une découverte de l’œcuménisme, de la spiritualité et de la théologie des Églises d’Orient. En 1952, ­Prignon est rappelé dans son diocèse et chargé d’enseigner la philosophie au Séminaire de philosophie de Saint-Trond avant d’être nommé, en 1957, professeur de dogmatique au Grand Séminaire de Liège. En août 1962, P ­ rignon est nommé par les évêques de Belgique recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome17, où il 11.  René Draguet (1896-1980), prêtre du diocèse de Tournai, professeur de théologie dogmatique à l’Université catholique de Louvain de 1927 à 1942 (sa charge à la Faculté de Théologie lui fut retirée par le Saint Office mais il restait professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres; réhabilité en 1965). 12.  Joseph Lebon (1871-1957), prêtre du diocèse de Namur, professeur de théologie à l’Université catholique de Louvain de 1909 à 1949. 13.  Jean Levie (1885-1966), jésuite belge, professeur d’exégèse de 1921 à 1961, directeur de la NRT de 1926 à 1951. 14.  Karol Wojtyła (1920-2005), étudiant au Collège belge de 1946 à 1948, archevêque de Cracovie en 1963, cardinal en 1967, souverain pontife en 1978. 15.  En 1951, ­Prignon a assisté aux Journées d’études œcuméniques de Chevetogne (cf. F. Colleye, Charles Moeller et l’Arbre de la Croix, Paris, Publibook, 2007, pp. 135-136 et Archives de Chevetogne – Avec nos remerciements à Saretta Marotta). 16.  Louis Joseph Kerkhofs (1878-1962), évêque de Liège de 1925 à 1961. Il avait été nommé «citoyen d’honneur» de Nazareth. 17.  Le 28.8.1962, S ­ uenens écrit à Devroede: «la nomination est faite in petto par les Évêques: l’abbé ­Prignon. Mais la lettre demandant le placet à Rome vient seulement de partir». Et il ajoute: «‘Tout le monde est enchanté de votre nomination [vice-recteur de la section francophone de l’Université catholique de Louvain] qui vous donne un champ d’action infiniment plus vaste. Je suis sûr que vous allez y réussir» (­Suenens, Archives personnelles).

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succède à Mgr J. Devroede18. Malgré le fait qu’il n’était pas parfaitement bilingue, P ­ rignon a été choisi parce qu’il semble que le cardinal S ­ uenens ait surtout voulu nommer un théologien, qui pourrait l’assister pendant le Concile. Le 6 décembre 196219, il devient prélat domestique de Sa ­Sainteté. Il est nommé conseiller ecclésiastique adjoint de l’ambassade de Belgique auprès du Saint-Siège en avril 196420 et conseiller de 1966 au 1.10.197221. En 1972, ­Prignon est nommé secrétaire de la commission doctrinale de la conférence des évêques de Belgique, fonction qu’il exerce jusqu’en 199622. Il devient chanoine titulaire de Liège en 1977 et doyen du chapitre de 1991 jusqu’en 1992. Il est décédé à Liège, le 5 décembre 2000. 2.  Bibliographie ­ rignon n’a écrit que quelques articles, surtout sur le Concile23. Et P certaines de ses contributions ont été éditées après sa mort par d’autres personnes. –  En attendant le Concile, dans Revue ecclésiastique de Liège 47 (1960) 3-36. Cet article est remarquable par la connaissance approfondie 18.  Lors de l’élévation de ­Suenens au cardinalat en mars 1962, il y a eu plusieurs incidents entre S ­ uenens et Devroede, pour des questions d’ordre pratique, Devroede n’étant pas plus habile que S ­ uenens. De plus, ­Suenens avait été alerté par Antoine Levet, un dirigeant de la Légion de Marie en France que ­Suenens avait invité et fait loger au Collège belge, qui était d’avis que l’esprit parmi les étudiants était assez frondeur et qu’ils critiquaient trop ouvertement certains professeurs de la Grégorienne et des cardinaux de la curie. Bref, ils manquaient de l’esprit de la vraie «romanità». C’est alors que Devroede, prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, a été nommé, en juillet 1962, vice-recteur de la section francophone de l’Université catholique de Louvain. Sur Devroede, cf. «Monsignore … ma non troppo»: Hommage à Monseigneur Joseph Devroede / Hulde aan Monseigneur Joseph Devroede (1915-1989). Voorwoord van Kardinaal Danneels / Préface du Cardinal Danneels, Leuven, Peeters, 1991. 19.  Lettre de L. Declerck à ses parents, 12.12.1962 (Archives Declerck, Bruges). 20.  Lettre de C. Troisfontaines à ses parents, 30.4.1964 (Archives Troisfontaines, Louvain-la-Neuve). 21.  Cf. Lettre de ­Prignon à Martimort, 4.9.1972 (Archives Declerck). 22. ­Prignon a rédigé plusieurs documents pour la Conférence épiscopale belge, notamment sur la franc-maçonnerie (1972), sur l’avortement et la contraception (1973, 1978 et 1980), sur la sanctification du dimanche (1975), sur l’objection de conscience (1978), sur la réforme du droit canon (1975-1980), sur le ministère (1980), sur les «Chrétiens et la crise» (1980-1981), sur l’hospitalité eucharistique (1981), sur le désarmement (1983), sur le Notre Père (1984), sur la place de la femme dans l’Église et la société (1985), sur l’euthanasie (1992) [avec nos remerciements à Mme L. Truyen, du secrétariat de la Conférence épiscopale belge]. 23.  Déjà le 5.12.1964, C. Troisfontaines écrit à ses parents: «Je n’ai pas l’impression que le recteur a le tempérament pour écrire un livre sur le Concile» (Lettre à ses parents, Archives Troisfontaines).



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de l’auteur de la littérature scientifique concernant les divers sujets. Mais surtout parce que ­Prignon – déjà au début de 1960 – prévoit tous les grands sujets brûlants qui seront traités pendant le Concile: l’historicité de la révélation (pp. 12sv.), le collège apostolique (pp. 15-23) et la papauté (pp. 23-29), le peuple chrétien, le rôle du laïcat et les problèmes du monde moderne (pp. 29-36). L’article annonce encore une 2ème partie, qui malheureusement n’a jamais paru. –  Journal conciliaire de la 4ème session24. Pendant la 4ème session ­­Prignon a dicté ses souvenirs sur bande magnétique, pratiquement au jour le jour. Bandes qui ont été dactylographiées par C. Troisfontaines et L. Declerck et éditées en 2003. Ce Journal ne visait pas une publication ­ rignon y dit tout ce qu’il sait. On immédiate25. L’avantage en est que P observe ainsi une grande différence avec les rapports qu’il rédige pour l’ambassadeur de Belgique et qui ne contiennent pas les «secrets» du Concile ni des informations confidentielles des évêques belges et de leurs periti. –  Rapports à l’ambassade. ­Prignon étant nommé conseiller ecclésiastique adjoint de l’Ambassade de Belgique auprès du Saint-Siège en avril 1964 (et conseiller en 1966), il a rédigé régulièrement à partir de mai 1964 des rapports pour l’ambassadeur concernant l’événement conciliaire. L’ambassadeur transmettait ces rapports tels quels au Ministère des Affaires étrangères comme s’il les avait rédigés lui-même et sans jamais mentionner leur auteur véritable. Ces rapports donnent d’excellentes synthèses théologiques dans une langue très soignée, mais ne trahissent pas de secrets et restent toujours diplomatiques. Par le cardinal S ­ uenens, ­Prignon savait que le roi Baudouin26 demandait à Paul-Henri Spaak27, ministre des Affaires étrangères, de lui passer ces rapports28. 24.  L.  Declerck – A. Haquin, Mgr Albert ­Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal ­Prignon]. 25.  En nous confiant ces documents P ­ rignon écrivait encore avec beaucoup de délicatesse, le 15.12 1999: «…en demandant de veiller spécialement à ce que les publications éventuelles respectent toujours les droits des personnes citées. Je saisis l’occasion de dire qu’aucun de ces documents n’a jamais visé à intenter des procès d’intention à qui que ce soit» (Archives Declerck). 26.  Baudouin (1930-1993), roi des Belges. 27. Paul-Henri Spaak (1899-1972), ministre socialiste des Affaires étrangères du 25.4.1961 au 24.5.1965. 28.  Ces rapports ont été publiés dans P. Poswick, Un journal du Concile: Vatican II vu par un diplomate belge. Éd. par R.-F. Poswick – Y. Juste, Paris, de Guibert, 2005, voir pp. 441-450, 461-470, 477-492, 512-534, 552-556, 575-579, 581-586, 587-592, 596-608, 643-657.

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–  Les évêques belges et le concile Vatican II, dans Le deuxième concile du Vatican (1959-1965): Actes du colloque organisé par l’École française de Rome, Roma, École française de Rome – Palais Farnèse, 1989, 297-305. Le texte de cette contribution au Colloque du 29-30.5.1986 date du 3 août 1986 et donne une première description assez sommaire du rôle des Belges au Concile. –  Intervention de P ­ rignon au Colloquio internazionale di studio, Roma 22-24.9.1989, publiée dans Paolo VI e il rapporto Chiesa-Mondo al Concilio, Brescia, Studium, 1991, 35-38. Une réaction de ­Prignon pendant le débat après l’intervention de G. Cottier29 (Interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Gaudium et spes’, ibid., 14-31) concernant l’attitude de Paul VI30 pendant le Concile surtout au sujet de la question de la régulation des naissances. –  Évêques et théologiens de Belgique au concile Vatican II, dans C. Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 141-184. Le meilleur témoignage de P ­ rignon sur la squadra belga, mais qui ne tient pas toujours compte des sources qui avaient été publiées récemment. –  Postface, dans P. Tihon (éd.), Changer la papauté?, Paris, Cerf, 2000, 163-169. En juin 1999 P ­ rignon a écrit ce Postface pour la publication d’un Colloque organisé par la section belge francophone de l’Association européenne de théologie catholique. Avec esprit critique, P ­ rignon pose des questions au sujet de l’exercice actuel de la primauté et de la mise en application de la collégialité épiscopale. Et il fait appel à quelques souvenirs très précis de son expérience conciliaire. –  Il faut aussi signaler 8 bandes magnétiques avec des interviews enregistrées par Eric de Beukelaer en 2000. Ces interviews relatent des souvenirs de ­Prignon, souvent fort intéressants mais qui comprennent manifestement beaucoup de confusions et d’erreurs, dues à son grand âge. –  Signalons aussi que la plupart des archives de ­Prignon ont été déposées à l’Université catholique de Louvain, Louvain-la Neuve. Un inventaire a été édité: J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. ­Prignon et H. Wagnon (Cahiers de la RTL, 24), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991. + Addenda (inventaire réalisé en 2004 par L. Declerck). 29.  Georges Cottier (1922-2016), dominicain suisse, peritus conciliaire, théologien de la maison pontificale de 1989 à 2005, cardinal en 2006. 30.  Paul VI, Giovanni Battista Montini (1897-1978), archevêque de Milan en 1954, souverain pontife en 1963.



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–  Les archives du diocèse de Liège contiennent aussi des papiers de ­ rignon, mais – sauf une farde – ne concernent pas ses papiers du P Concile. III. Les rôles et les fonctions de ­Prignon pendant le Concile Pendant le temps du Concile, P ­ rignon a combiné plusieurs fonctions importantes et variées. Certaines comportaient des nominations officielles (recteur du Collège belge, conseiller ecclésiastique, peritus conciliaire), d’autres ont été assumées en fait selon les nécessités du déroulement du Concile. Il est remarquable que ­Prignon a eu la force de remplir toutes ces tâches, mais on constate aussi que toutes ces fonctions se sont influencées mutuellement, ce qui lui a permis de jouer un rôle unique dans le Concile. Essayons de donner un bref aperçu de ces tâches. 1.  Recteur du Pontificio Collegio Belga à Rome (d’août 1962 à juin 1972) Le Collège belge, situé Via del Quirinale 26 à Rome, était une résidence pour environ 25 étudiants provenant des diocèses belges (une vingtaine de séminaristes et 5-6 prêtres). 3 à 4 sœurs (des Sœurs de la Providence, Champion, Namur) y résidaient pour les travaux de cuisine; 2 domestiques s’occupaient du service31. Le recteur était l’unique responsable. Il devait en premier lieu s’occuper de la formation spirituelle des étudiants (par ex. prêcher chaque mois une récollection, organiser des cours d’homilétique et des stages pastoraux), et suivre aussi – en collaboration avec les universités ecclésiastiques – leurs études et leur parcours universitaire, ce qu’il n’eut pas toujours le temps de faire. Mais il devait en outre s’occuper de l’économat de la maison: comptabilité, provisions, entretien du bâtiment (le bâtiment étant fort vétuste – datant en grande partie du 16ème siècle – cela n’était pas une tâche légère32). Le recteur était aussi le procurateur des 31. Cf. Ickx, Les anciens étudiants (n. 9), pp. 13-16, et A. Tihon, Le Collège belge à Rome, dans Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome 52 (1980) 13-55. 32.  Après l’annonce du Concile, le vieux cardinal Van Roey, qui ne pouvait plus monter les escaliers, avait fait construire un ascenseur. Les évêques, dont une large partie avaient fait leurs études au Collège belge, avaient décidé d’y loger pendant le Concile. Ils occupaient les chambres des étudiants (dont une dizaine logeait alors dans une pension romaine dans les environs du collège), dépourvues de tout confort moderne. À ce moment, ils croyaient, tout comme le pape, que le Concile serait terminé en deux mois. Quand il est devenu évident que le Concile se prolongeait et que le rôle des Belges devenait plus important, il a fallu exécuter plusieurs travaux: installation d’un central téléphonique,

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évêques belges auprès des offices de la curie romaine pour tous les dossiers, dispenses et requêtes qu’ils devaient demander. Il devait aussi parfois négocier certaines requêtes auprès des responsables de la curie33. À partir de la 2ème session, le recteur a fait nommer un vice-recteur qui l’a déchargé d’une partie de ces préoccupations. 2.  Conseiller ecclésiastique de l’Ambassade de Belgique auprès du Saint-Siège ­ uenens Le Père Frédégand Callaey34 devenant souffrant, le cardinal S en a profité pour faire nommer P ­ rignon à sa place (d’abord comme conseiller adjoint en juin 1964, puis conseiller en 1966 jusqu’au 1.10.1972). En temps normaux cette fonction ne demandait que quelques heures de travail par semaine. Mais pendant le Concile, P ­ rignon a rédigé des rapports fort intéressants pour l’ambassadeur. Surtout cette fonction lui a donné l’occasion de nouer de multiples contacts. En effet l’ambassadeur Poswick35 a invité à sa table de nombreux personnages non seulement du monde diplomatique mais surtout ecclésiastique (­Suenens écrit même que l’ambassadeur avait mis sa table à sa disposition36). ­Prignon était presque toujours présent37, ce qui pour les relations de la squadra belga n’a pas été sans importance. rénovation des salons pour disposer de salles de réunion et de réception, modernisation des installations électriques et de la cuisine, renouvellement des chaudières du chauffage et des radiateurs, achat de nouveaux lits et d’une machine à polycopier, etc. Comme détail pittoresque signalons que le recteur juste avant l’ouverture du Concile a fait l’achat de 15 bénitiers pour les chambres des évêques, parce que certains, notamment le cardinal ­­Suenens, ne voulaient pas être privés d’eau bénite pendant leur séjour romain… 33.  Actuellement on ne se rend plus compte de toutes les dispenses que les évêques devaient demander: outre les causes matrimoniales, il y avait le changement de testament d’une religieuse, la prolongation d’un mandat d’une supérieure générale, la permission pour un prêtre aveugle de pouvoir dire la messe chaque jour avec le même formulaire liturgique qu’il avait appris par cœur, la modernisation de l’uniforme des religieuses (photos à l’appui) etc., etc. Ici aussi le Concile a vraiment simplifié la vie et la pratique (cf. le Motu proprio Pastorale munus du 3.12.1963 de Paul VI, dans AAS 56 [1964] 5-12). 34.  Frédégand Callaey (1885-1967), capucin belge. Cf. A. Milh, Callaey (Jan, Short for Joannes Baptist) Fredegandus of Antwerp, Belgian Capuchin Friar, Archivist and Historian (18585-1967), dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 188-189a (2017) 569-572. 35.  Prosper Poswick (1906-1992), ambassadeur de Belgique auprès du Saint-Siège de 1957 à 1968. 36.  Lettre de ­Suenens à V. O’Brien, 9.10.1962, cf. L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des Papiers conciliaires du cardinal L.-J. ­Suenens, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1998 [= F. ­Suenens], 568. 37.  Cf. aussi Poswick, Un journal du Concile (n. 28), où ­Prignon est mentionné à 17 endroits.



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3.  ‘Peritus’ conciliaire Fin mars 196338, ­Prignon a été nommé peritus du Concile, à la demande du cardinal S ­ uenens39. Cette nomination a suscité quelque étonnement parce que P ­ rignon n’était pas connu dans le monde des théologiens et n’avait aucune publication à son actif (sauf un seul article dans la Revue ecclésiastique de Liège – voir supra). Toutefois il faut signaler non seulement sa grande culture humaniste (littérature, peinture et musique) mais aussi sa large compétence théologique, philosophique et biblique. Probablement à cause d’un certain perfectionnisme, il lui était parfois difficile de conclure un travail. La patience et la longue durée ne convenaient pas à son génie. Il était l’homme de l’actualité et son intelligence très critique fonctionnait dans l’urgence et la rapidité. Il voyait de manière foudroyante, les faiblesses d’un exposé et les moyens d’y porter remède40. La qualité de peritus habilitait P ­ rignon à assister fidèlement à plusieurs commissions conciliaires, surtout la doctrinale et la commission mixte pour le schéma 13. Il pouvait suivre tous les débats et les points névralgiques en discussion. À bon droit, S ­ uenens le nommait son «procureur théologique»41 qui l’informait (par lettre ou bande magnétique, mais aussi si c’était nécessaire par téléphone) scrupuleusement de l’évolution des problèmes et des manœuvres. Si ­Prignon n’a guère rédigé de textes pour les constitutions et n’est que peu intervenu dans les débats, les notes abondantes – hélas, peu lisibles – que ­Prignon a prises pendant les réunions sont la preuve de son zèle et de sa compétence42. ­Prignon a aussi 38.  Selon le Journal Declerck, cette nomination était rendue publique le 25.3.1963. Cf. J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. ­Prignon et H. Wagnon (Cahiers de la RTL, 24), Louvain-laNeuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991 [= F. ­Prignon], 512. 39.  Le 19.2.1963, ­Suenens écrit au cardinal Ottaviani pour faire nommer ­Prignon peritus. P ­ rignon sera son agent de liaison. Ce qui lui permettra, comme rapporteur de la commission de coordination, de suivre l’évolution du travail des schémas qui lui furent confiés. Il présente P ­ rignon comme «un théologien averti et un homme aussi charmant que modeste». Le 25.2.1963, Ottaviani répond à S ­ uenens, qu’il a transmis cette demande au Secrétariat général du Concile (F. ­Suenens 768-770). Après la nomination de P ­ rignon, son évêque van Zuylen lui écrit le 29.3.1963: «C’est avec grande joie que j’apprends ce matin par le Séminaire la bonne nouvelle de votre nomination comme expert du Concile. J’en suis profondément heureux et fier … Vous nous avez déjà donné la preuve que vous serez un expert ‘expertissimus’ et je me réjouis pour le Concile œcuménique, plus spécialement pour l’épiscopat belge et tout particulièrement pour Son Éminence et pour votre évêque que ce choix souhaité et si indiqué soit chose faite» (F. ­Prignon 2011). 40. Cf. Troisfontaines, Le rôle d’Albert P ­ rignon durant le concile Vatican II (n. 8), pp. 10-11. 41.  Cf. Lettre de ­Suenens au card. Léger, 15.2.1963 (F. ­Suenens 977). 42.  Cf. F. ­Prignon 332 (42 p.), 475-489 (90 p.), 738-745 (59+5 p.), 746-747 (2+30 p), 945-960 (65+15 p.), 1129-1132 (184 p.), 1579-1580 (80 p.).

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participé aux préparations et conciliabules des évêques et periti belges pour arrêter la tactique à suivre dans les réunions de la commission doctrinale. 4.  Conseiller théologique du cardinal S­ uenens et des évêques belges Il est remarquable de constater que P ­ rignon a tout de suite conquis la confiance totale du cardinal ­Suenens, qui pourtant ne le connaissait guère auparavant43. En effet, ­Prignon était extrêmement dévoué et serviable44 et en plus avait aussi toutes les qualités d’un excellent secrétaire: il savait organiser, écrire à la machine, conduire une voiture…45. Mais P ­ rignon était aussi un bon théologien humble et discret. Et il n’avait pas l’aura et la réputation des grands théologiens de Louvain, qui souvent avaient été fort critiques pour les publications de ­Suenens46. ­Suenens n’avait donc pas de complexes vis-à-vis de ­Prignon. Et à partir de février 1963, P ­ rignon est chargé par S ­ uenens de rédiger ses rapports pour la commission de coordination, rôle qui avait d’abord échu à G. Thils47. Mais ­Prignon est aussi l’informateur romain privilégié de ­Suenens et lui conseille souvent avec beaucoup de bon sens et de modération la tactique à suivre. S ­ uenens lui exprime d’ailleurs sa grande 43.  Le 9.10.1962, S ­ uenens écrit à V. O’Brien: «…le Président [du Collège belge] est la délicatesse même» (F. ­Suenens 569) et le 12.10.1962: «Le président ici est bouleversant de gentillesses, d’attentions, de modestie et de savoir-faire: il est irrésistible auprès de chacun tant il n’existe pas et est supérieurement intelligent par ailleurs. Il est aux petits soins … Il est super bien et d’une super délicatesse que je n’ai jamais rencontrée à ce point dans un homme» (F. ­Suenens 570). 44.  Le 15.10.1962, C. Troisfontaines écrit à ses parents: «Le recteur (­Prignon) est absolument noyé et court partout pour les évêques. C’est un homme absolument charmant et avec qui il sera vraiment intéressant de travailler» (Archives Troisfontaines). 45.  Des qualités indispensables pour S ­ uenens, qui était fort malhabile et avait très peu de sens pratique. 46.  Les sarcasmes du Prof. J. Coppens étaient connus à Louvain («Les Français ont eu l’aigle de Meaux [Bossuet] et le cygne de Cambrai [Fénelon] mais nous les Belges nous avons au moins le coucou de Malines [­Suenens]»). Dom Lambert Beauduin (1873-1960), œcuméniste, fondateur des Moines de l’Union à Amay-Chevetogne et ancien directeur spirituel de ­Suenens était lui aussi fort critique sur le livre de ­Suenens Théologie de l’Apostolat [F. ­Suenens, Archives personnelles, boîte 30] et même le pacifique Philips ne pouvait pas toujours cacher son irritation des prises de position de S ­ uenens (cf. Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires par K. Schelkens. Avec une introduction par L. Declerck [Instrumenta Theologica, 29], Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006, pp. 27-28, 52-53). 47.  Gustave Thils (1909-2000), prêtre du diocèse de Malines, professeur à la Faculté de Théologie de l’Université catholique de Louvain de 1947 à 1976, membre du Secrétariat pour l’Unité, peritus conciliaire.



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reconnaissance à la fin du Concile48. Même après le Concile ­Prignon reste son homme de confiance, notamment à l’occasion des fameuses interviews de S ­ uenens en 1969, 1970 et 1971. Et ­Suenens a mis ­Prignon en contact avec son ami personnel G. Benelli49, à cette époque substitut à la Secrétairerie d’État. ­Prignon est en outre devenu aussi assez rapidement le conseiller théologique d’autres évêques belges. Si à la 1ère session ils lui demandent d’abord de dactylographier leurs textes et interventions au Concile, bientôt ils sollicitent aussi ses critiques ou suggestions, y compris pour la marche à suivre, ou les manœuvres à inventer. Une tâche dont P ­ rignon s’acquittait avec discrétion et compétence. Signalons que cette tâche était parfois fort délicate parce que sur beaucoup de questions les évêques avaient des opinions très dissemblables. Ce qui demandait à ­Prignon un grand sens de diplomatie, dont heureusement il n’était nullement dépourvu50. 5.  Pivot de la ‘squadra belga’ Si on a pu parler dans la presse italienne dès la 2ème session de la squadra belga51, c’est certainement à cause du rôle central de ­Prignon dans cette équipe qui s’est constituée au Collège belge. Constatons d’abord que comme recteur ­Prignon a utilisé au service du Concile toutes les facilités que cette fonction lui donnait52: – Le Collège belge offrait l’hospitalité au cardinal S ­ uenens et à la plupart des évêques belges ainsi que, à partir de la 1ère intersession, à 48.  Lettre de ­Suenens à ­Prignon, du 9.12.1965 (F. ­Prignon 2091). Si ­Suenens avait une grande confiance en ­Prignon, il ne lui a cependant jamais révélé ses relations privilégiées avec la famille royale belge. 49.  Giovanni Benelli (1921-1982), prêtre du diocèse de Pistoia, nonce au Sénégal en 1966, substitut de la Secrétairerie d’État de 1967 à 1977, archevêque de Florence et cardinal en 1977. 50. Signalons par ex. que sur les problèmes de l’Action catholique l’opinion de ­­Suenens (propagandiste fervent de la Légion de Marie) était nettement différente des options préconisées par Mgr C ­ harue, De Smedt et Himmer. Cf. Lettre de S ­ uenens à V. O’Brien, 16.10.1962 (F. ­Suenens 572) et C. Soetens, La «squadra belga» all’interno della maggioranza conciliare, dans M.T. Fattori – A. Melloni (éds), L’Evento e le Decisioni: Studi sulle dinamiche del concilio Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 1997, 143-172, p. 160. 51. Cf. M. Lamberigts – L.  Declerck, La contribution de la «squadra belga» au concile Vatican II, dans Anuario de Historia de la Iglesia 21 (2012) 157-183. 52.  Les archives du Père E. Lanne, qui était recteur du Collège grec, montrent comment Lanne aussi a exploité cette fonction au service du Concile (il hébergeait notamment le peritus C. Dumont, O.P. [1919-1991]; il invitait à sa table des patriarches et organisait des réunions d’experts au Collège grec).

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plusieurs experts importants: Philips, Moeller, Congar, Delhaye53, Dondeyne54 etc. – Le recteur a invité souvent à sa table (la plupart du temps à la demande du cardinal S ­ uenens et des évêques belges) des cardinaux, des évêques et des experts conciliaires. – Le recteur a mis à la disposition des évêques et des experts les locaux du Collège belge: les deux salons parfois pour de grandes réunions (jusqu’à 80 personnes, par ex. pour des réunions avec les évêques missionnaires belges, pour le Mouvement Jésus, l’Église et les Pauvres55, ou de petits locaux pour des réunions des sous-commissions ou groupes de travail, surtout de la commission doctrinale. La bibliothèque du Collège a aussi rendu de précieux services surtout à Heuschen56 et Philips. – Le recteur a équipé un secrétariat pour dactylographier et multiplier des textes. Le Collège disposait de 2 voitures pour le transport des évêques et des periti et aussi d’un vélomoteur, très pratique dans le trafic infernal de Rome, pour colporter les modi. Il avait aussi pu obtenir – à partir de la 2ème session – la collaboration de C. Troisfontaines et L. Declerck. – À plusieurs occasions les étudiants du Collège belge étaient mobilisés pour de grands travaux, notamment la classification des modi – sous la direction de Heuschen – pour le De Ecclesia, le De Revelatione et Gaudium et spes, un travail que le Père Tromp57, secrétaire de la commission doctrinale, était incapable d’organiser lui-même. Mais ce n’étaient que les substructures de la squadra. Si le Collège belge est devenu un des centres du Concile, c’est à cause des personnalités qui y habitaient. Au fur et à mesure que le Concile progressait, plusieurs Belges ont eu un rôle important: le cardinal ­Suenens, un des quatre modérateurs; ­ Charue, 2ème vice-président de la commission 53.  Philippe Delhaye (1912-1990), prêtre du diocèse de Namur, professeur de théologie morale à l’Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve de 1966 à 1982, peritus conciliaire, membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis [= commission pontificale]. De 1936 à 1938, Delhaye et ­Prignon se sont connus comme étudiants au Collège belge. 54.  Albert Dondeyne (1901-1985), prêtre du diocèse de Bruges, professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain de 1933 à 1971. 55.  Mouvement fondé par le prêtre français Paul Gauthier (1914-2002) et soutenu par Mgr Himmer. 56.  Jozef Heuschen (1915-2002), évêque auxiliaire de Liège en 1962, premier évêque de Hasselt de 1967 à 1989, membre de la commission doctrinale. 57.  Sebastiaan Tromp (1899-1975), jésuite néerlandais, professeur à la Grégorienne de 1929 à 1967, secrétaire de la commission doctrinale, peritus conciliaire.



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­ octrinale; Philips, secrétaire adjoint de la commission doctrinale; De d Smedt58, rapporteur pour la liberté religieuse; Heuschen, rapporteur pour le chapitre De Matrimonio dans Gaudium et spes; Daem59, rapporteur pour le De Educatione christiana. Cela avait comme conséquence que plusieurs personnalités importantes et actives du Concile cherchaient des contacts avec les Belges pour faire passer leurs idées. Pensons notamment à A.-G. Martimort60, R. Etchegaray61, M. Bonet62, J. Medina Estevez63. On peut aussi y ajouter R. Tucci64 et G. Dossetti65 (au moins pour les 2 premières sessions). C’est ici que le dévouement pour la grande cause du Concile, la fraternité, la serviabilité66 et l’hospitalité de ­Prignon ont joué un rôle déterminant dans la constitution de la squadra belga. P ­ rignon, par ailleurs, n’ayant guère d’esprit systématique, ni un don d’ordre rigoureux, avait la capacité de se plier à toutes les sollicitations souvent si imprévues du Concile, ce qui lui permettait de travailler parfois plusieurs jours presque sans sommeil, suivis évidemment, du 58.  Emiel-Jozef De Smedt (1909-1995), évêque de Bruges de 1952 à 1984, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, rapporteur du schéma sur la liberté religieuse. 59.  Jules Victor Daem (1902-1993), évêque d’Anvers de 1962 à 1977, membre de la Commissio de Seminariis, de Studiis et de Educatione catholica. 60.  Aimé-Georges Martimort (1911-2000), prêtre français, professeur de liturgie à l’Institut catholique de Toulouse de 1938 à 1981, peritus conciliaire. Les archives de Martimort se trouvent à l’Institut catholique de Toulouse. Le prof. Robert Cabié (19292017) a eu la gentillesse de transmettre en 2007 à L. Declerck une copie de 19 lettres que ­Prignon a écrites à Martimort entre le 10.1.1965 et le 10.4.1994. Lettres qui témoignent de leur amitié profonde. Voir aussi B.-M. Solaberrieta, Aimé-Georges Martimort: Un pionnier du Mouvement liturgique (1943-1962) (Collection histoire), Paris, Cerf, 2011. 61.  Roger Etchegaray (1922-2019), directeur du secrétariat pastoral de l’épiscopat français, peritus conciliaire, évêque auxiliaire de Paris en 1969, archevêque de Marseille en 1970, cardinal en 1979. 62.  Manuel Bonet i Muixi (1913-1969), prêtre catalan du diocèse de Barcelone, auditeur à la Rote en 1950, peritus conciliaire. 63.  Jorge Medina Estévez (1926-), prêtre du diocèse de Santiago de Chili, peritus conciliaire, cardinal et préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements de 1998 à 2002. Cf. S. Arenas, Inventario de los Archivos Conciliares Chilenos. I: Archivo Medina – Archivo Larraín, Santiago de Chile, Facultad de Teologia. Pontificia Universidad Católica de Chile, s.d. (2019) qui démontre largement ses contacts avec les Belges. 64.  Roberto Tucci (1921-2015), jésuite italien, à l’époque rédacteur à La Civiltà Cattolica, peritus conciliaire, cardinal en 2001. 65.  Giuseppe Dossetti (1913-1996), vice-secrétaire de la Democrazia cristiana après la guerre, puis prêtre du diocèse de Bologne, homme de confiance du cardinal Lercaro, peritus conciliaire. 66.  Dans une lettre du 8.3.1963, Philips écrit encore à sa sœur: «Le président ici est tout à fait serviable»; cf. L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips], 644.

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contre-coup inexorable de l’épuisement. Il ne faut d’ailleurs pas sous-­ estimer la fatigue du travail conciliaire et les tensions que cela pouvait engendrer, même parfois entre les membres de la squadra belga. ­Prignon, qui avait la confiance de tous, réconciliait autant qu’il pouvait67. De plus il prenait soin d’offrir parfois pour la détente de ses hôtes une excursion dans la «campagna romana», ou sortait une bouteille de champagne pour arroser une victoire difficilement remportée dans la commission doctrinale. Ajoutons, pour mémoire, deux exemples du dévouement de ­Prignon. D’abord, quand à partir de janvier 1964, Philips commença à souffrir de troubles cardiaques, P ­ rignon a tout fait pour lui faire donner les meilleurs soins médicaux. Ensuite, quand fin février 1963, grâce à P ­ rignon, on a pu faire venir Congar (au lieu de Daniélou68) dans la sous-commission qui rédigeait le nouveau De Ecclesia, ­Prignon lui a offert l’hospitalité au Collège belge. Ce que Congar a grandement apprécié69. ­Prignon a lui-même donné cette description de la squadra belga: «La vraie squadra, c’était l’ensemble des évêques de Belgique et des théologiens qui collaboraient directement avec eux … Un petit groupe d’hommes, ayant chacun une personnalité remarquable, se trouva rassemblé dans une étroite communion au service d’une grande tâche qui exigeait de tous et de chacun un dépassement vers le meilleur d’euxmêmes»70. IV.  Principales activités de ­Prignon pendant le Concile Il n’est pas simple de décrire l’influence et les multiples interventions de P ­ rignon dans le travail du Concile. En nous basant surtout sur les archives, on essaiera d’en donner un aperçu chronologique, par sessions 67. ­Prignon devait notamment encourager Moeller, qui était souvent catastrophé, ou calmer les susceptibilités de Delhaye et tempérer la fougue de Medina. 68.  Jean Daniélou (1905-1974), jésuite français, peritus conciliaire, cardinal en 1969. 69.  Congar a tout fait pour que pendant les autres intersessions il puisse continuer de loger au Collège belge. Non seulement il se trouvait ainsi au centre du travail, mais en plus, cet homme déjà sérieusement handicapé, y disposait d’un minimum de confort: il y avait un ascenseur au Collège, et, pour les réunions des commissions, il pouvait accompagner Philips et P ­ rignon en voiture. ­Prignon allait aussi le chercher à l’aéroport de Fiumicino pour ses séjours romains. Il est incompréhensible que Congar pendant la 1ère session ait été logé à l’Angelicum, sans ascenseur, et qu’il ait dû prendre chaque jour le bus 64, bourré de monde, pour se rendre à Saint-Pierre. On ne peut pas dire que les évêques français ont pris grand soin de leurs théologiens (de Lubac s’en plaint lui aussi avec une certaine amertume). 70.  Cf. A. ­Prignon, Évêques et théologiens de Belgique au concile Vatican II, dans C. Soetens (éd.), Vatican II et la Belgique, Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996, 141-184, p. 152.



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et intersessions, tout en groupant ces interventions autant que possible ou bien autour de quelques personnes (surtout le cardinal ­Suenens) ou selon les documents du Concile (De Ecclesia, De Revelatione, Gaudium et spes etc.) 1. 1ère session Dès les premiers jours du Concile, P ­ rignon a été mêlé à une des grandes manœuvres de Vatican II: l’élection des commissions conciliaires71. Comme les listes avec des candidats «fiables», qui ont été rassemblées surtout par De Smedt, aidé par Heuschen, devaient être multipliées et distribuées le soir et la nuit du 12-13 octobre, P ­ rignon a dû acheter tout de suite une machine à polycopier, a dû répondre le jour du 12 octobre à 164 appels téléphoniques (surtout pour De Smedt) et a aidé à répandre ces listes auprès d’épiscopats amis le soir et la nuit du vendredi72. ­Prignon a aussi été impliqué dans le débat sur la Liturgie, du fait du rôle que Mgr Calewaert73 y a tenu, surtout comme président de la 6ème sous-commission74, D’abord, il a dû aplanir des différends entre 71. Voir L. Declerck – M. Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge dans l’élection des commissions conciliaires en octobre 1962, dans J. Leclercq (éd.), La raison par quatre chemins: En hommage à Claude Troisfontaines (Bibliothèque philosophique de Louvain, 73), Leuven – Paris, Peeters, 2007, 279-305. 72. Cf. ­Prignon, Évêques et théologiens de Belgique (n. 70), p. 155 où P ­ rignon ajoute: «Les évêques décidèrent immédiatement l’installation d’un central téléphonique à quinze postes dont Mgr De Smedt offrit d’assumer personnellement la dépense». ­Suenens écrit, le 16.10.1962, à V. O’Brien: «On installe ici un central téléphonique … et le président [­Prignon] reste une merveille au point que l’évêque de Gand [Calewaert], qui est le contrepied de tout lyrisme a donné le signal pour l’applaudir après une communication qu’il venait de faire» (F. ­Suenens 572). Le 14.10.1962, Declerck écrit à ses parents que pendant la dernière semaine P ­ rignon n’a dormi que 4 à 5 heures par nuit (Archives Declerck). Et le 10.11.1962, il ajoute: «Le recteur est un peu grippé, ce qui n’est pas étonnant après 5 semaines pendant lesquelles il n’a dormi que 5 heures par nuit» (Archives Declerck). Le 29.10.1962, C. Troisfontaines écrit à ses parents: «Notre recteur continue à être noyé par le travail. Les évêques l’envoient dans tous les coins et le pauvre homme doit sans cesse faire face à de nouvelles obligations … Il est extrêmement aimable mais cependant il sait très bien ce qu’il veut … Ce que j’apprécie surtout chez lui c’est sa franchise: on pourra toujours s’expliquer entre 4 yeux sans faire de politique». 73.  Karel Justinus Calewaert (1893-1963), évêque de Gand de 1948 à 1963, membre de la commission liturgique. 74. Voir M. Lamberigts, Il dibattito sulla liturgia, dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, II, Bologna, Il Mulino, 1996, 129-192 et surtout Id., Msgr. Calewaert, Bishop of Ghent, and Sacrosanctum Concilium, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 611-632.

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Calewaert et plusieurs évêques belges, parce que les positions de Calewaert étaient – au début au moins – assez classiques notamment sur l’emploi de la langue vulgaire dans la liturgie75. La sous-commission a aussi tenu ses sessions au Collège belge les 15, 18, 19 et 22 novembre76. Martimort a été l’inspirateur et la cheville ouvrière du rapport de la sous-commission et il a d’ailleurs réussi par sa compétence et sa gentillesse à «convertir» pour une large part Mgr Calewaert. Cela a aussi été le début d’une longue et fidèle amitié entre Martimort et P ­ rignon, qui avaient des points de vue semblables et partageaient le même dévouement inconditionnel pour l’Église et pour sa réforme. Martimort n’était pas seulement un liturgiste mondialement connu mais avait en plus beaucoup de relations avec l’épis­ rignon a été fort copat français77. La collaboration de Martimort et de P importante pendant tout le temps du Concile. Pendant toute la 1ère session ­Prignon a aussi été impliqué dans la rédaction d’un nouveau schéma De Ecclesia par Philips78. Le 4.11.1962, Carlo Colombo79 – sur la suggestion de Philips – lui demande également de lui faire parvenir deux livres (de R. Snoeks80 et de P. Anciaux81) et de soumettre à ­Suenens une demande d’audience. P ­ rignon a aussi fait multiplier les interventions de C ­ harue (17.11.1962), De Smedt (19.11.1962 et 1.12.1962) et S ­uenens (4.12.1962)82. Malgré tout son travail pour le Concile, ­Prignon a réussi à organiser pour ses étudiants des conférences intéressantes – souvent ­suivies d’un débat – de théologiens présents à Rome83 notamment de

75. Cf. ­Prignon, Évêques et théologiens de Belgique (n. 70), pp. 175-176. 76.  Le 12.12.1962, Calewaert écrit à P ­ rignon: «Je tiens à vous renouveler l’expression de ma vive gratitude … pour la grande serviabilité dont vous avez fait preuve envers notre sous-commission de liturgie. Je suis et je demeure confus en songeant à tout le travail que vous avez bien [voulu] prendre sur vous pour la multiplication de nos textes» (F. ­Prignon 2002). Le rapport a été dactylographié par L. Declerck (Lettre à ses parents, 23.11.1962). 77.  Notons par ex. que c’est Martimort qui a rédigé l’intervention du cardinal Liénart, quand celui-ci a demandé le sursis de l’élection des commissions conciliaires, le 13.10.1962. Cf. Declerck – Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge (n. 71), p. 291, n. 74. 78.  Le 7.11.1962, L. Declerck a dû multiplier ce nouveau projet, cf. F. Philips 426 (Lettre à ses parents, 10.11.1962). 79.  Carlo Colombo (1909-1991), peritus conciliaire, évêque auxiliaire de Milan en 1964, conseiller théologique de Paul VI (F. ­Suenens 649). 80.  Remi Snoeks (1922-2007), prêtre du diocèse d’Anvers, à cette époque professeur d’ecclésiologie au Grand Séminaire de Malines. 81.  Paul Anciaux (1921-1979), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, professeur de théologie pastorale à l’Université catholique de Louvain de 1953 à sa mort, membre de la commission pontificale. 82.  Cette intervention de ­Suenens avait été précédée d’une réunion de quelques cardinaux au Collège belge, fin novembre (cf. Bande magnétique de ­Prignon de février 2000). 83.  L. Declerck à ses parents, lettres du 23.11 et 4.12.1962.



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Lubac84, Congar, Schillebeeckx85, Cerfaux, Thils, Chenu86, Küng87, Smulders88 et Edelby89.90. Le 8 décembre se termina la 1ère session du Concile avec un dîner d’adieu au Collège belge où P ­ rignon dans un toast félicita les évêques pour leur rôle parce qu’ils étaient parmi les promoteurs les plus importants du renouveau dans l’Église91. De fait le cardinal ­Suenens venait d’être nommé parmi les 7 membres de la commission de coordination, ­Charue et De Smedt étaient devenus membres de la commission mixte pour le De Revelatione, Calewaert était président d’une sous-commission importante pour le De Liturgia. Et le projet de Philips pour le De Ecclesia avait connu une large diffusion. La deuxième et dernière session du Concile était prévue pour le 8 septembre 1963 et devait finir en décembre92. 2.  1ère intersession La 1ère intersession a inauguré une évolution extrêmement importante du Concile, appelée non sans raison par Grootaers93 «la seconde préparation». C’est aussi la période où l’influence des Belges devient plus importante: le card. S ­ uenens, déjà membre de la commission de coordination en décembre 1962, devient l’un des 4 modérateurs en septembre 1963, Mgr C ­ harue, l’un des 7 évêques chargés de rédiger un nouveau De Ecclesia, se fait remarquer par ses interventions à la commission doctrinale; Mgr Philips devient le rédacteur principal du De Ecclesia; Mgr De Smedt deviendra rapporteur du 84.  Henri de Lubac (1896-1991), jésuite français, peritus conciliaire, cardinal en 1983. 85.  Edward Schillebeeckx (1914-2009), dominicain belge, professeur à l’Université de Nimègue, conseiller théologique de l’épiscopat néerlandais. 86.  Marie-Dominique Chenu (1895-1990), dominicain français, recteur du Saulchoir de 1932 à 1942, inspirateur de la Mission de France et des prêtres-ouvriers. 87. Hans Küng (1928-2021), prêtre suisse, professeur de théologie dogmatique à Tubingue, peritus conciliaire. 88.  Piet Smulders (1911-2000), jésuite néerlandais, professeur de théologie dogmatique à Maastricht et à Amsterdam, peritus conciliaire. 89. Neophytos Edelby (1920-1995), en 1961, archevêque d’Edessa et en 1968, ­Métropolite d’Alep. 90.  Aussi pendant la 2ème session il y a eu des conférences de Martimort, de Rahner, de Helder Camara, d’André Depierre, et de Pierre Duprey, le 30.1.1964 et de Congar, le 30.4.1964 (Lettres de C. Troisfontaines à ses parents, 27.11.1963, 30.1.1964, 30.4.1964). 91.  Cf. F. ­Prignon 35. 92.  Devenu plus prévoyant ­Prignon avait déjà demandé à De Smedt de pouvoir disposer d’un prêtre de son diocèse pour l’aider pendant cette 2ème session (Lettre de L. Declerck à ses parents, 12.12.1962). 93.  Jan Grootaers (1921-2016), de nationalité belge, chroniqueur au Concile pour les revues Irénikon et De Maand, professeur à la Faculté de Théologie de la Katholieke Universiteit Leuven de 1966 à 1987.

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De Libertate religiosa. La squadra belga se constitue et le travail de ­Prignon ne fait qu’augmenter. ­Suenens est chargé dans la commission de coordination de suivre les schémas importants De Ecclesia (avec le De Beata), De Ordine morali et De Ordine sociali (ce qui deviendra le De Ecclesia in mundo hodierno – schéma 17)94 et il prend cette responsabilité fort au sérieux. Cela a pour conséquence qu’il fait de plus en plus appel à ­Prignon pour suivre l’évolution des textes et les manœuvres à Rome, pour lui demander des avis théologiques et – à partir de mars 196395 – pour rédiger ses rapports à la commission de coordination en mars et en juillet 1963. S ­ uenens fait alors nommer P ­ rignon peritus, ce qui donne à P ­ rignon un accès direct aux commissions conciliaires. D’autre part on constate aussi que – dans la mesure où il devient connu que P ­ rignon est l’homme de confiance de ­­Suenens – plusieurs periti et d’autres s’adressent à ­Prignon pour qu’il fasse passer à ­Suenens leurs idées ou suggestions. On donnera d’abord un aperçu des relations de ­Suenens avec ­Prignon durant cette période et on examinera ensuite l’influence et le rôle de P ­ rignon dans le De Ecclesia et dans le schéma 17. a)  Les relations entre S­ uenens et P ­ rignon Dans une lettre bien chaleureuse du 14.12.1962, S ­ uenens remercie ­­Prignon pour son dévouement pendant la 1ère session96. Le 2.2.1963, ­Prignon communique à ­Suenens que Mgr Ligutti97 lui a demandé de passer chez lui et de transmettre à S ­ uenens trois sugges98 tions : D’abord, il faut modifier le règlement du Concile: les évêques et experts compétents doivent pouvoir être entendus en commission (et plus de dix minutes). Il faut prévoir un système de traduction au Concile. Ensuite, pour la question de l’Action catholique, il faudrait confier la vice-présidence à un évêque allemand Hensburg [sic = Hengsbach99]. Pour la définition de l’Action catholique, enfin, beaucoup d’Italiens répugnent absolument à voir l’appellation officielle 94. Cf. AS V, I, p. 42. 95.  Pour la réunion de janvier 1963, c’est encore Thils qui avait fait le rapport sur le De Ecclesia, L. Janssens pour le De Ordine morali et H. de Riedmatten pour le De Communitate gentium (F. ­Suenens 819-820, 830-831, 840-841). 96.  «Un très grand merci pour tout et tout et tout: ce serait une longue litanie. Et surtout pour votre amitié si loyale et si sûre qui est extrêmement précieuse en soi et dans les circonstances données» (F. ­Prignon 1629). 97.  Luigi Ligutti (1895-1983), né à Udine (Italie), émigré à Iowa (États-Unis) en 1912, ordonné prêtre en 1917, observateur permanent du Saint-Siège auprès de la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations-Unies à Rome en 1959, peritus conciliaire. 98.  F. ­Suenens 753. 99.  Franz Hengsbach (1910-1991), évêque d’Essen en 1957, cardinal en 1988, membre de la commission pour l’apostolat des laïcs.



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étendue aux mouvements non spécialisés. Mgr Ligutti demande qu’on tâche de faire passer la chose sans insister sur l’étiquette, du moins pour l’Italie100. Le 9.2.1963, ­Prignon donne de nouvelles informations à ­Suenens101: – D’une part une venue du cardinal à Rome pourrait être utile. D’autre part certains, ici, même ou surtout parmi ses confrères, ne voient pas toujours d’un bon œil la grande influence qu’il a exercée sur la marche du Concile, ni l’importance majeure des charges qui lui ont été confiées. … Et à Rome on a vite dit que quelqu’un veut s’imposer … Si donc une présence fréquente et prolongée serait de soi souhaitable, il serait heureux qu’il puisse lui donner un motif concret. – Pour la nomination de ­Prignon comme expert, le cardinal Browne102 en a parlé à Ottaviani103. On fait difficulté parce qu’on aurait décidé de ne plus accepter de nouveaux experts. Et Browne a dit: «En fait cela a été refusé, mais demandez à S. E. le card. S ­ uenens d’écrire et cela s’arrangera». – ­Prignon a relu le schéma Philips sur le De Ecclesia. Ce qu’il dit de la collégialité épiscopale est nettement insuffisant. Ce passage devra être retravaillé. – L’entretien de P ­ rignon, accompagné par Thils, avec Browne a porté principalement sur la collégialité. Browne est très opposé mais il a accepté que Thils lui adresse des études sur la question et se déclare prêt à engager un dialogue. – Tr. [sic = Tromp] et Ga. [sic = Gagnebet104] seraient assez désorientés. Ils ne savent pas trop comment rédiger, en conservant l’essence de l’ancien schéma De Ecclesia sans s’exposer à un nouveau refus du Concile … Il serait expédient d’avoir un schéma de rechange tout préparé (le schéma Philips retouché) et qu’on sera peut-être content d’adopter pour sortir de l’impasse.

100. ­Suenens, grand protagoniste de la Légion de Marie, demandait que la Légion – mouvement non spécialisé – soit reconnue comme Action catholique. 101.  F. ­Suenens 753. 102.  Michael Browne (1887-1971), dominicain irlandais, général de son ordre de 1955 à 1962, cardinal en 1962, vice-président de la commission doctrinale. 103.  Alfredo Ottaviani (1890-1979), secrétaire du Saint-Office en 1953, cardinal en 1960, président de la commission doctrinale. 104.  Marie-Rosaire Gagnebet (1904-1983), dominicain français, professeur à l’Angelicum en 1935, consulteur du Saint-Office, peritus conciliaire.

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Dans des lettres du 15 février 1963 à Léger105 et à Elchinger106, dont il envoie copie à ­Prignon, ­Suenens recommande chaque fois ­Prignon comme son «procureur théologique»107. Le 2 mars 1963, ­Prignon informe ­Suenens en détail sur les débats parfois passionnés au sujet du De Revelatione (dans la commissio mixta) et du De Ecclesia (dans la commission doctrinale)108. Dans une longue lettre de 9 pages, écrite entre le 8 et le 10 mars, ­­Prignon met S ­ uenens au courant de l’évolution de la situation109: – pour le Règlement du Concile, il a téléphoné à Dossetti, qui demande des suggestions de S ­ uenens; – il a transmis la suggestion de ­Suenens qu’on traite du De Libertate religiosa dans le chapitre De Persona du schéma 17. Il ne croit pas que le Secrétariat pour l’Unité soit officiellement habilité à intervenir, si ce n’est par le truchement éventuel d’une nouvelle commission mixte; – pour le schéma 17, il verra demain ou lundi Mgr McGrath110 et lui demandera d’aller voir ­Suenens à Malines, lors de son passage en Belgique la semaine prochaine; – Mgr Ligutti parlera à nouveau à Cento111 et à Glorieux112 pour que ­Prignon soit nommé peritus; – pour le De Religiosis, la commission compétente, fortement sous l’influence de la Congrégation pour les Religieux a rédigé un projet fort maigre. Heureusement que Thils a accepté de rédiger un exposé des principes au chap. I. – puis il fait un long rapport sur l’histoire du De Ecclesia, avec les problèmes autour de la collégialité et les difficultés du cardinal Browne. Le jeudi soir, 7 mars 1963, le cardinal Léger, qui voulait retourner au Canada le 10 mars, est arrivé au Collège et ­Prignon a pu le convaincre de rester à Rome. Et il envoie aussi le chap. II du De Ecclesia. 105. Paul-Émile Léger (1904-1991), archevêque de Montréal, cardinal en 1953, membre de la commission doctrinale. 106.  Léon-Arthur Elchinger (1908-1998), évêque-coadjuteur de Strasbourg en 1957 et évêque de Strasbourg de 1967 à 1984. 107.  F. ­Suenens 984, 977; F. ­Prignon 1629. 108.  F. ­Prignon 1628, 285, 286, 287 (textes incomplets). 109.  F. ­Suenens 754. 110.  Marcos McGrath (1924-2000), évêque auxiliaire de Panama en 1961, évêque de Santiago de Veraguas en 1964, archevêque de Panama de 1969 à 1994, membre de la commission doctrinale. 111.  Ferdinando Cento (1883-1973), ancien nonce en Belgique, cardinal en 1958, président de la commission pour l’apostolat des laïcs. 112.  Achille Glorieux, (1910-1999), prêtre du diocèse de Lille, archevêque titulaire en 1969, peritus conciliaire, secrétaire de la commission pour l’apostolat des laïcs.



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– il a invité à déjeuner au collège pour le 11 mars: Léger, Garrone113, McGrath, Schröffer114 et les experts habituels. – il croit qu’une venue de ­Suenens à Rome maintenant serait, du point de vue tactique, prématurée. – Congar demande de rester au Collège belge et Léger ne fait plus rien sans venir en parler à un des «nôtres». Pour le De Revelatione et le De Ecclesia, c’est l’Église de Belgique qui est vraiment l’aile marchante du Concile et le Collège belge devient le centre de ralliement. Les excellentes relations entre S ­ uenens et P ­ rignon sont aussi attestées par l’attitude du P. Tromp, qui est fâché avec P ­ rignon et ne veut plus le saluer parce qu’il téléphonerait chaque jour à ­Suenens115. De plus, quand le 23.6.1963, S ­ uenens a été reçu en audience par Paul VI (lorsqu’il a montré ­Suenens à la foule rassemblée pour l’Angelus sur la place de Saint-Pierre), il a présenté ­Prignon au pape et Paul VI a voulu s’entretenir avec lui quelques instants116. b)  Le schéma ‘De Ecclesia’ – Début février, P ­ rignon a eu, avec Thils, une entrevue avec le cardinal Browne, qui était opposé à la collégialité117. – Signalons d’abord que c’est grâce notamment à ­Prignon que Congar a été adjoint, en tant qu’expert de Garrone (au lieu de Daniélou) au groupe des 7 experts qui préparaient le nouveau De Ecclesia. Dès le 27 février 1963, ­Prignon interviendra (avec Philips et Moeller) chez ­Charue pour remplacer Daniélou – qui a un caractère difficile – par Congar. On en a parlé aussi à De Smedt, qui était à Rome pour la commissio mixta – qui a offert de contacter Mgr Martin118, lequel a alors téléphoné à Garrone pour faire cette suggestion119. Le 1er mars, Congar part pour Rome, et, comme il n’y avait pas de chambre disponible à l’Angelicum, s’installe le 5 mars au Collège belge120. 113.  Gabriel Garrone (1901-1994), archevêque de Toulouse en 1956, membre de la commission doctrinale, cardinal en 1967. 114.  Joseph Schröffer (1903-1983), évêque d’Eichstätt en 1948, membre de la commission doctrinale, cardinal en 1976. 115.  Cf. Journal Declerck, 18.5.1963. 116. Voir le projet de communiqué de presse, rédigé probablement par P ­ rignon (F. ­Prignon 1504). 117. Cf. supra, F. ­Suenens 753. 118.  Joseph Martin (1891-1976), archevêque de Rouen en 1948, cardinal en 1965, membre du Secrétariat pour l’Unité. 119.  Cf. Journal Declerck, 27.2 et 4.3.1963; Journal Congar, I, pp. 329-335. 120.  Le 4.3, Congar note: «Le président du Collège belge travaille aussi, il tape les textes. C’est là où se fait pratiquement le travail» (cf. Journal Congar, I, p. 335).

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– ­Prignon envoie aussi au fur et à mesure avec ses lettres (cf. supra) les textes du nouveau De Ecclesia à ­Suenens121. Le 9 mars, ­Charue demande à ­Prignon de téléphoner à Cerfaux pour avoir des textes scripturaires concernant les apôtres, fondement de l’Église, pour une intervention à la commission doctrinale. Et, le dimanche 10 mars, Cerfaux a téléphoné un texte de 2 pages à P ­ rignon122. ère – Si pour la 1 réunion de la commission de coordination (21-27 janvier 1963), c’est surtout Thils qui avait rédigé les rapports de ­Suenens sur ­ uenens a le De Ecclesia123, pour la 2ème réunion (25-29 mars 1963), S fait appel à P ­ rignon124. Le jugement sur les deux premiers chapitres est positif avec une remarque pour le second chapitre: on cite chaque fois (24 fois) le Pontife romain quand on parle de la collégialité épiscopale. Pour le chap. III: De Laicis (qui n’est pas encore prêt), il suggère la collaboration avec le Secrétariat pour l’Unité pour la rédaction du paragraphe sur le sacerdoce des fidèles125. Quant au chap. IV De Statibus perfectionis (encore à rédiger), il est demandé de traiter des religieux non comme un état de perfection mais dans une perspective plus large de la sainteté dans l’Église. – Le 30 avril, ­Prignon remercie Philips de son article dans la Nouvelle revue théologique126. Il croit qu’il serait extrêmement intéressant de le faire lire par le Saint-Père et il pense en avoir le moyen. Aussi il demande à Philips de lui envoyer un autre tiré-à-part127.

121.  F. ­Suenens 1020 (le texte de Philips du 27.2.1963 avant la réunion des 7 experts); cf. F. Philips 595, 1021, 1022, 1031-1032, 1049. 122. F. ­Prignon 78A et L.  Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. ­Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2017 [= Inventaire ­Charue], p. 75. Journal Declerck, 11.3.1963 et L.  Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. ­Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets ­Charue], 10.3.1963, p. 108. 123.  F. ­Suenens 819-820. 124.  F. ­Suenens 880 et AS V, I, pp. 463-464. Cf. Journal Declerck, 25 et 27.3.1963 (où on lit aussi que P ­ rignon pour le De Revelatione a voulu suggérer d’indiquer que le Depositum fidei est confié à «Ecclesiae et infallibili Magisterio» au lieu de «infallibili magisterio», mais que la note rédigée par P ­ rignon à ce sujet est arrivée trop tard). 125.  En effet, le Secrétariat pour l’Unité avait rédigé dans sa sous-commission IV (principalement sous l’inspiration de Mgr De Smedt) un texte De Sacerdocio omnium fidelium et de condicione laicorum in Ecclesia. Cf. A. Greiler – L.  De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999 [= F. De Smedt], 187-188. 126. G. Philips, Deux tendances dans la théologie contemporaine: En marge du IIe concile du Vatican, dans NRT 85 (1963) 225-238. 127.  F. Philips 479.



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c)  La réunion de la commission de coordination des 3-4 juillet 1963 En vue du rapport de ­Suenens, qui sera lui aussi rédigé par ­Prignon, Jorge Medina Estévez écrit le 30 juin 1963 une lettre à ­Prignon pour le renseigner au sujet de la rédaction du chap. IV du De Ecclesia: De vocatione ad sanctitatem in Ecclesia128. Histoire assez compliquée parce que la commission des religieux n’a pas été consultée et que le texte a été rédigé par une sous-commission de la commission doctrinale129. Mais c’est dans le rapport de ­Suenens sur le De Ecclesia130 pour la réunion de la commission de coordination (3-4.7.1963) que ­Prignon a pu introduire la suggestion d’ajouter un nouveau chapitre II De Populo Dei, consacré à ce qui est commun au peuple de Dieu avant la distinction entre hiérarchie et laïcat. Au-delà de cet avantage logique, avec sa conséquence pour une meilleure compréhension de la hiérarchie comme service de la communauté, on récupérerait et on intégrerait toute la richesse du thème du peuple élu de Dieu avec son ouverture sur la perspective de l’«Histoire du salut» et toutes ses autres implications (notamment la responsabilité active des fidèles et les précisions possibles sur les degrés d’appartenance à l’Église des communautés des frères séparés)131.

Ce changement a été accepté par la commission de coordination dans sa réunion du 4 juillet 1963132. Vu l’importance de cette proposition (on a parlé de «révolution copernicienne»), on donne ici l’histoire de cette inversion, comme ­Prignon l’a décrite dans une lettre au Père Congar, le 27.9.1973133: …puisqu’on publie un document comme le rapport du Cardinal S ­ uenens à la commission de coordination du 3 juillet [= 4 juillet] 1963 et que la 128.  F. ­Prignon 103. 129.  Pour cette histoire compliquée, cf. Carnets ­Charue, pp. 125-129 et Inventaire ­Charue, pp. 77-80. Le 24.9.1963, Mgr É. Ranwez, visiteur des congrégations religieuses à Namur, envoie encore son article Morale et perfection à P ­ rignon pour réfuter l’attitude prise de façon de plus en plus provocante concernant la place des religieux dans l’Église par les P.P. Jésuites d’Egenhoven, notamment contre la thèse thomiste reprise dernièrement dans un article dans Divinitas, Où est la perfection (F. ­Prignon 2015). 130.  Pour le texte dactylographié par ­Prignon, cf. F. ­Suenens 898. Et le même texte dans AS V, I, p. 594. 131. Cf. ­Prignon, Évêques et théologiens de Belgique (n. 70), p. 166. L’intérêt du Secrétariat pour l’Unité pour ce thème est attesté par une lettre de Thijssen à Thils (F. Thils 413, janvier 1963) et une lettre de Bea à Döpfner (23.1.1963): «In Sectio II wäre M. E. nicht an erster Stelle die Hierarchie zu setzen, sondern die ‘Fideles’, und zwar nicht nur die ‘laici’, sondern das ganze Kirchenvolk» (G. Treffler – P. Pfister [éds], Erzbischöf­ liches Archiv München: Julius Kardinal Döpfner. Archivinventar der Dokumente zum Zweiten Vatikanischen Konzil, München, Schnell und Steiner, 2004 [= F. Döpfner], 116). 132.  AS V, I, p. 635. 133.  F. ­Prignon 2098. Comme ­Prignon dit lui-même qu’il n’est pas sûr des dates, on en a corrigé dans ce texte quelques-unes. Congar a remercié ­Prignon, le 29.9.1973 (F. ­­Prignon 2099).

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p­ roposition du cardinal a été indirectement inspirée par vous-même, il est juste que vous soyez au courant de la marche des événements. Voici ce qui s’est passé… Le vendredi [= samedi] précédent (donc sans doute le 29 [= 30] juin … ­Suenens rentre de l’audience pontificale (…ou plus vraisemblablement quelques mots dits par le pape lors de la cérémonie de l’intronisation) et me dit: «On défait les malles, le pape décide une réunion de la commission de coordination. Je suis rapporteur pour le De Ecclesia et pour le schéma 17 (futur 13). Prépare-moi un projet de rapport». Peu après, il m’apportait un dossier assez épais: tous les projets de texte et une série de notes, critiques, propositions etc.: en tout environ 350 pages. J’ai travaillé sans arrêt jusqu’au dimanche matin pour lire, synthétiser et élaborer un projet de rapport. Le dimanche matin vers 10h, je remets ce projet à ­Suenens. Il le trouve trop long. Il désire trois ou quatre pages contenant le noyau sans développements, une sorte d’aide-mémoire qu’il commentera à la réunion. Je rédige ce résumé après le déjeuner et le remets vers 18h. ­Suenens approuve et je traduis en latin. Les presses vaticanes téléphonent pour avoir le texte le lundi avant 10h. Le lundi matin, au petit déjeuner, S ­ uenens approuve la traduction, me suit dans mon bureau et me dit: «On a cherché à établir un rapport objectif. Mais j’ai une occasion unique de faire des propositions. Que voudrais-tu voir introduire dans le schéma? Tu as suivi toute l’élaboration, tu as entendu pendant des mois les observations des periti etc. À ton avis, si je pouvais introduire une proposition lors de la discussion en commission, que souhaiteraient les periti?». Il était environ 9h. Nous attendions l’envoyé du Vatican (pour l’imprimerie). J’ai réfléchi 5 minutes. Sans doute, j’avais comme background les longues discussions préparatoires134 (vous-même, Rahner135, Thils etc.) sur le nouveau projet Philips. Mais à ce moment j’ai pensé explicitement à certaines de vos phrases qui m’avaient fortement impressionné lorsque je préparais mes cours De Ecclesia pour le Séminaire de Liège – j’étais nourri de vos livres et à ce que Mgr Cerfaux nous disait dans ses cours sur la théologie de l’Église suivant saint Paul. Et j’ai demandé trois choses à ­Suenens: 1° Introduire la «dimension» peuple de Dieu et refondre le schéma en conséquence; 2° Renverser la perspective du chap. 3 (actuel): partir de l’idée de «service» pour la hiérarchie et dire que pour accomplir 134.  Déjà dans son article En attendant le Concile, dans Revue ecclésiastique de Liège 47 (1960) 3-36, ­Prignon avait écrit un passage sur le Concile œcuménique et Peuple chrétien (pp. 29-36). Le 10.10.1963, P ­ rignon note encore: «L’adoption du chapitre spécial II sur De Populo Dei finit par être voté par les membres [de la commission doctrinale] … Je crois que c’est très important pour notre temps que ceci ait été avalisé … Et j’avais été confirmé dans mon opinion par mes conversations avec le P. Congar. Je sais aussi que le ‘Peuple de Dieu’ serait très bien à sa place dans le chap. I: De Mysterio Ecclesiae. Mais comme l’a développé Mgr Philips à la commission, le 1er chapitre étudie plus l’Église dans son tout; le 2ème chap. envisage les chrétiens comme sujets individuels. Et c’est très important, avant d’en venir à la distinction hiérarchie-fidèles, d’exposer ce que tous ont de commun» (F. ­Prignon 512). 135.  Karl Rahner (1904-1984), jésuite allemand, peritus conciliaire.



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ce service la hiérarchie avait reçu du Christ les moyens et donc les «pouvoirs» nécessaires; 3° Développer le rôle du Saint Esprit: et pour la vérité des choses et pour le progrès de l’œcuménisme. S ­ uenens me dit d’accord. «Je parlerai des trois points mais je n’ai pas beaucoup de temps. Il vaut mieux se concentrer aujourd’hui sur une idée. On veillera au reste après». C’est alors que j’ai choisi: «Peuple de Dieu» et à la demande de S ­ uenens, j’ai rapidement ajouté au rapport un post-scriptum de quelques lignes contenant la fameuse proposition. Le mardi [= jeudi] vers 19h S ­ uenens rentre en me disant: «‘Peuple de Dieu’ est accepté. Avertis Mgr Philips et son équipe»136.

Restait alors à ­Prignon la tâche délicate d’avertir Mgr Philips de ce remaniement, qui lui demandera à nouveau un grand travail. ­Prignon fait alors appel à Cerfaux pour préparer le terrain chez Philips137. Et le 28.9.1963, la commission doctrinale peut déjà distribuer la Nova ordinatio capitum à ses membres138. d)  Le schéma 17: ‘De Ecclesia in mundo hodierno’ Remarquons d’abord que ­Suenens a toujours eu un intérêt spécial pour ce schéma – plus que pour le De Ecclesia: il s’agissait en effet de la présence de l’Église dans le monde, présence essentielle pour l’exercice de l’apostolat. Schéma où devait aussi être traité le problème du Birth Control, au sujet duquel il était convaincu que la doctrine de l’Église devait être adaptée139. Dans une note qu’il a envoyée à Jean XXIII140, le 19 février 1963, ­Suenens transmet une liste de periti à consulter pour ce schéma. Pour le chapitre De Persona in societate humana et de eius

136. Cf. AS V, I, Processus verbalis, p. 635: «la seconda parte dello schema De Ecclesia viene perciò approvata e dato mandato alla Segretaria di aggiungere una nota al testo indicante la proposta della nuova divisione della materia secondo l’indicazione dell’Em. mo ­Suenens». 137.  Cf. la lettre de ­Prignon, envoyée de Trégastel en Bretagne – où il passe une semaine de vacances – à S ­ uenens le 25.7.1963: «…nous devons prévoir une petite difficulté d’ordre psychologique. Après avoir tant travaillé au schéma, Mgr Philips éprouvera peut-être quelque peine à se rallier à un nouveau remaniement. J’ai demandé à Mgr Cerfaux de préparer le terrain … Mgr ­Charue, Mgr Cerfaux et Mr Thils ont accepté d’enthousiasme cette nouvelle présentation» (F. ­Suenens 755). Dans son article ­Prignon, Évêques et théologiens de Belgique (n. 70), p. 166, il note encore: «Lorsque au cours des vacances 1963, appuyé par Mgr Cerfaux, je lui [= Philips] communiquai la résolution de la commission de coordination, il l’accepta évidemment mais il laissa échapper: ‘Il va falloir réécrire tout le schéma. J’y vais laisser ma vie’». 138.  F. Philips 791-792. 139. Cf. L. Declerck, Le cardinal ­Suenens et la question du contrôle des naissances au concile Vatican II, dans RTL 41 (2010) 499-518. 140.  Jean XXIII, Angelo Giuseppe Roncalli (1881-1963), patriarche de Venise et cardinal en 1953, souverain pontife en 1958.

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vocatione divina, ­Suenens mentionne ­Prignon141. Dans une lettre non datée142 probablement adressée à Mgr Capovilla143, secrétaire de Jean XXIII, S ­ uenens demande que pour la commission mixte du schéma 17, ­Prignon soit nommé comme expert de manière à pouvoir suivre à travers lui la marche des travaux. Le 29 mars 1963, S ­ uenens présente à la réunion de la commission de coordination son rapport concernant le De Ecclesiae principiis et actione ad bonum societatis promovendum144. Le projet est rédigé et dactylographié par P ­ rignon145 et contient des critiques sévères contre le schéma: «Redactio actualis utique praebet elementa valde bona et feliciter dicta. Attamen considerari nequit nisi ut adumbratio adhuc valde perficienda…». À partir du 24 avril, ­Prignon participe aux réunions – avec la participation de laïcs – de la commission mixte pour le schéma 17 et, le 26 avril, de la sous-commission De re internationali. Glorieux y a dit, le 26 avril, qu’on ne traitera pas de la liberté religieuse. ­Prignon a alors téléphoné à Willebrands146 qui était fâché et à ­Suenens, qui a permis à ­Prignon d’intervenir en son nom pour dire le contraire. Il a dit aussi à ­Prignon d’aller, si c’était nécessaire, chez Capovilla pour avertir le pape. Le jour suivant, à la réunion de la commission mixte, ­Prignon est intervenu en disant que ­Suenens avait bien mis la liberté religieuse au programme du schéma 17. Ce contre quoi Tromp a protesté en disant que le cardinal Cicognani147 n’en voulait pas. ­Prignon a répondu que ­Suenens lui avait dit le contraire au téléphone. Le même soir P ­ rignon a de nouveau téléphoné à S ­ uenens qui lui a demandé d’aller voir Bea148 le lendemain afin que soit Bea aille chez le pape, soit P ­ rignon se rende auprès 141.  F. ­Suenens 766. On retrouve la liste avec ces noms dans le journal de Tromp au 31.1.1963 (cf. S. Tromp, Konzilstagebuch Sebastian Tromp S.J. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2011, 2/1, pp. 191-193) [= Diarium Tromp]. Mais selon une rectification d’A. von Teuffenbach (lettre à L. Declerck du 5.6.2018), cette page a été collée au verso du journal de Tromp à la date du 21.2.1963. Ce qui prouve que le pape a fait parvenir cette liste à la commission doctrinale. 142.  F. ­Suenens 790. 143.  Loris Capovilla (1915-2016), prêtre du diocèse de Venise, secrétaire de Jean XXIII, archevêque de Chieti de 1967 à 1971, prélat de Loreto de 1971 à 1988, cardinal en 2014. 144.  AS V, I, pp. 505-508. 145.  Cf. F. ­Suenens 882 (avec des corrections manuscrites de P ­ rignon). 146.  Johannes Willebrands (1909-2006), secrétaire du Secrétariat pour l’Unité en 1960, peritus conciliaire, évêque titulaire en 1964, cardinal en 1969. 147.  Amleto Cicognani (1883-1973), cardinal en 1958, Secrétaire d’État de 1961 à 1969, président de la commission de coordination. 148. Augustin Bea (1881-1968), jésuite allemand, cardinal en 1959, président du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens en 1960.



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de Capovilla pour informer le pape. Le 29 avril, ­Prignon est allé chez Bea, qui a remercié S ­ uenens et a promis de mettre le pape au courant. Bea a dit aussi que le pape avait constitué une commission spéciale, présidée par Ciriaci149 et composée de Bea et Willebrands et d’Ottaviani et Tromp, mais que la commission doctrinale sabote l’affaire. Bea désire rencontrer ­Suenens lors de sa prochaine venue à Rome. P ­ rignon a dit aussi à ­Suenens qu’il lui semble que l’âge et la fatigue ont enlevé à Bea un peu de sa combativité150. Tout ce travail avait profondément fatigué ­Prignon: le lundi 6 mai, il est parti se reposer chez des membres de sa famille à Livourne. Mais là un médecin ami a constaté qu’il était surmené et lui a donné une piqûre et il a dormi 17 heures d’affilée151. Le 29 mai 1963, ­Prignon envoie à ­Suenens une note de 6 pages sur le schéma 17 rédigée par Philips, Congar et Moeller152 et qui suggère une révision complète du schéma. Il transmet aussi une copie de la lettre de Lukas Vischer153 à Mgr Guano154. Le 26 et le 30 mai, P. Delhaye écrit à P ­ rignon une lettre de 13 pages avec ses impressions critiques sur la récente session de la commission mixte et son opinion sur chacun des chapitres. Il termine en remerciant du fond du cœur ­Prignon de l’accueil fraternel qui lui a été réservé155. Le rapport de ­Suenens à la commission de coordination du 4 juillet 1963 au sujet du De praesentia efficaci Ecclesiae in mundo hodierno a lui aussi été rédigé par ­Prignon156, qui s’est basé en grande partie sur une note de McGrath, envoyée à S ­ uenens le 30.5.1963157. Pendant la discussion de ce rapport, le 4.7.1963, dans la commission de coordination, le cardinal

149.  Pietro Ciriaci (1885-1966), cardinal en 1953, préfet de la Congrégation pour le Concile en 1954, président de la Commissio de disciplina cleri et populi christiani. 150.  Cf. Journal Declerck; F. ­Prignon 512; transcription d’une bande magnétique de ­Prignon à ­Suenens, fin avril 1963, F. ­Prignon 301A et B; S. Scatena, La Fatica della Libertà: L’elaborazione della dichiarazione «Dignitatis humanae» sulla libertà religiosa del Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 2003, pp. 49-50. 151.  Lettre de L. Declerck à ses parents, 8.5.1963. 152. Cf. Journal Congar, I, p. 381 (28.5.1963): «Travail avec Mgr Philips et le chanoine Moeller sur le rapport que le cardinal ­Suenens doit faire sur le schéma XVII». Pour cette lettre et les textes, cf. F. ­Suenens 1273-1276. 153.  Lukas Vischer (1926-2008), pasteur de l’Église réformée (Suisse), secrétaire de la commission «Foi et Constitution», observateur du Conseil œcuménique des Églises (Genève) au Concile. 154.  F. ­Suenens 1273-1275. Emilio Guano (1900-1970), évêque de Livourne en 1962, membre de la commission pour l’apostolat des laïcs. 155.  F. ­Prignon 185. 156.  AS V, I, pp. 630-633 et F. ­Suenens 898. 157.  F. ­Suenens 892-893.

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Confalonieri158 suggère que ­Suenens rédige un projet pour la partie doctrinale du schéma 17. Les autres membres se déclarent d’accord et ­­Suenens accepte159. Cela deviendra le «Texte de Malines»160. ­ uenens écrit une lettre «officielle» Le Texte de Malines161: Le 5 juillet, S à ­Prignon pour le désigner comme son fondé de pouvoir en cette matière [élaborer un texte pour la partie doctrinale] et de prendre les initiatives nécessaires pour constituer une équipe de travail. Et il lui donne pleins pouvoirs d’agir en son nom162. Déjà le 13.7, ­Suenens écrit à Glorieux, secrétaire de la commissio mixta, que ­Prignon sera son intermédiaire pour ­ rignon écrit à la rédaction du nouveau texte163. De Trégastel en Bretagne P ­Suenens, le 25 juillet 1963, qu’il a demandé à Philips, Moeller, Cerfaux et Congar de réfléchir au texte et de proposer une date pour la réunion. Toutefois à cause des vacances, il n’a pas encore eu beaucoup de succès. Et il propose au cardinal de reporter la réunion après le retour de S ­ uenens de ses vacances164. Début août, ­Prignon a convoqué L. Declerck à Liège (dans sa maison paternelle, 9, Rue de la Résistance) pour l’aider à envoyer des lettres aux différents théologiens à convoquer165. Puis avec Ceuppens166 et De Wil167, secrétaire à l’archevêché, il fixe la réunion du 6 au 8 septembre ­ rignon transmet aussi aux participants 3 documents: 1° une à Malines168. P note sur le schéma 17 du cardinal ­Suenens; 2° une note de Congar «Animadversiones generales super Schemate De praesentia et actione Ecclesiae 158.  Carlo Confalonieri (1893-1986), préfet de la Congrégation du Consistoire de 1967 à 1973, cardinal en 1958, membre de la commission de coordination. 159. Cf. AS V, I, Processus verbalis, p. 637. 160.  Confier la rédaction d’un texte conciliaire à un membre de la commission de coordination n’était pas une procédure prévue dans le Règlement du Concile. Ce sera l’une des raisons pour lesquelles le Texte de Malines ne sera finalement pas accepté pendant la 2ème session. 161.  Pour le Texte de Malines, cf. M. Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph S­ uenens at Vatican II, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council (n. 74), 61-217, pp. 155-157; D. Bosschaert, The Anthropological Turn, Christian Humanism, and Vatican II: Louvain Theologians Preparing the Path for ‘Gaudium et spes’ (1942-1965) (BETL, 303), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2019, pp. 307-337. 162.  F. ­Prignon 236. 163.  F. ­Suenens 906. 164.  F. ­Suenens 755. 165.  Assisteront à la réunion: R. Ceuppens, vicaire général représentant le cardinal ­Suenens, à ce moment en vacances, Philips, Congar, Rahner, P ­ rignon, Tucci, Thils, Moeller, Cerfaux, Delhaye, Dondeyne et Rigaux. 166.  René Ceuppens (1911-1980), prêtre du diocèse de Malines, vicaire général du cardinal S ­ uenens de 1962 à 1977. 167.  Jean De Wil (1923-2006), secrétaire à l’archevêché de Malines-Bruxelles. 168.  Lettres de De Wil à ­Prignon, 5.8.1963; Lettres de ­Prignon à Ceuppens, 30.8.1963 et 2.9.1963 (F. ­Suenens 1281, 1283, 1290, 1292).



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in mundo hodierno»; 3° une note de Liénart169, présentée à la réunion de la commission de coordination: De praesentia efficaci Ecclesiae in mundo ­­ hodierno170. Le 1er septembre, Mgr Guano écrit encore une lettre à Prignon: il serait heureux de le rencontrer et il est à la disposition du cardinal ­Suenens pour le mettre en contact avec Lukas Vischer171. Le 2 septembre, ­Prignon écrit encore à Philips que Tucci sera à Malines le 6 ou le 7 septembre. ­Prignon espère aussi pouvoir donner à Philips un texte sur le De Beata que ­Suenens avait demandé à Dhanis172, lequel a souhaité de soumettre son texte à la critique de notre groupe173. ­Prignon assiste aux réunions des 6, 7, 8 et 17 septembre à Malines et prend avec diligence des notes manuscrites (8+7+3+7+5 p.)174. Et, le 22 septembre 1963, Philips, chargé par le groupe de réaliser la rédaction, peut présenter au cardinal le texte Adumbratio schematis XVII. De activa praesentia Ecclesiae in mundo aedificando175. 3. 2ème session176 Pendant la 2ème session a lieu le grand débat sur le De Ecclesia. ­Suenens comme modérateur, Philips comme rédacteur principal et ­­Charue 169.  Achille Liénart (1884-1973), évêque de Lille de 1928 à 1968, cardinal en 1930, membre de la présidence et de la commission de coordination. 170.  F. ­Suenens 1296, 1297, 1298. 171.  F. ­Prignon 237. 172.  Édouard Dhanis (1902-1978), jésuite belge, professeur à la Grégorienne en 1956, recteur de la Grégorienne de 1963 à 1966, peritus conciliaire. 173.  F. Philips 858. Pour le texte de Dhanis, cf. F. ­Suenens 1065-1066. 174.  F. ­Prignon 239-242. 175.  F. Philips 878 et AS VI, II, pp. 407-416. 176.  Pour la 2ème session, les archives de ­Prignon (F. ­Prignon 512-516) contiennent plusieurs séries de notes prises par P ­ rignon pratiquement au jour le jour: – des notes ms. de ­Prignon, 27 p. entre le 23.9 et le 24.10.1963. La plus grande partie de ces notes ont été dactylographiées par L. Declerck en 1963 (30 p.) [F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session]. – la transcription dactylographiée par L. Declerck de 2 bandes magnétiques. – La suite des événements, 14-27.10.1963, 7 p. [F. ­Prignon 516]. – Dimanche soir, 27.10-15.11.1963, 19 p. [F. ­Prignon 512]. – 19 pages de notes manuscrites – pratiquement illisibles – de ­Prignon, 4.11–1.12.1963 [F. ­Prignon 513]. En dehors des renseignements concernant l’activité de P ­ rignon, ces notes sont fort intéressantes pour l’histoire du Concile, notamment parce que S ­ uenens y fait rapport à ­Prignon de toutes les audiences des modérateurs avec le pape. Ces notes ont maintenant été éditées. Cf. D.  Bosschaert – L.  Declerck (éds), Notes personnelles de Mgr A. ­Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga, sur les événements de la 2e session et la de 2e intersession du concile Vatican II. Préface de Mgr J.-P. Delville, évêque de Liège (Instrumenta Theologica, 42), Leuven, Mautits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2020.

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comme membre influent de la commission doctrinale y ont joué un rôle important. D’ailleurs à la fin de cette session, le 2 décembre 1963, Charue ­­ est élu 2ème vice-président de cette commission et Philips secrétaire adjoint. De plus Heuschen est aussi élu fin novembre membre de la commission doctrinale. Le travail de P ­ rignon ne fera qu’augmenter. Le 30 septembre 1963, lors de la première assemblée générale de la session, les Pères conciliaires ont envoyé une adresse au Saint-Père177. Le texte a été pensé et écrit par Mgr De Smedt, qui en a suggéré l’idée au cardinal ­Suenens178. Mais le projet de texte a été revu et corrigé par ­Prignon: il a fait enlever le long passage faisant allusion à la primauté. Parce qu’une insistance exagérée pourrait faire croire aux uns que certains dans le Concile n’auraient pas pleine conscience de cette primauté; aux autres que certains sont en proie à une quasi-obsession ainsi que le reproche en a été fait au sujet du schéma De Ecclesia. Étant tous convaincus de cette primauté, que personne ne songe à mettre en doute, pourquoi continuer à l’affirmer quasi anxieusement?179.

Pour cette 2ème session on essaiera d’abord de décrire les relations de ­Prignon avec S ­ uenens, ce qui sera suivi d’une étude plus particulière du rôle de ­Prignon dans le De Ecclesia (où bien sûr ­Suenens lui aussi s’est engagé à fond). a)  Les relations entre S­ uenens et P ­ rignon Prignon est intervenu sur plusieurs sujets: La place spéciale des ­ patriarches au Concile: Le 24 septembre, Thils propose à P ­ rignon de faire donner aux patriarches orientaux un siège spécial et distinct des autres archevêques et évêques, proposition transmise, le jour suivant, à ­Suenens, qui est d’accord et qui téléphone, le 28 septembre, devant ­Prignon à Mgr Dell’Acqua180 pour lui rappeler cette demande. Le 12 octobre, Mgr ­ rignon de toutes les démarches Hakim181 vient au Collège pour remercier P faites par les Belges et couronnées de succès grâce à S ­ uenens182. 177. Cf. AS II, I, p. 205. 178.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 30.9.1963. Et Fonds C. Moeller, Carnet 16, 4.10.1963: «J’apprends que De Smedt a eu l’idée d’une réponse au discours du Pape. Qu’il a rédigé le texte lui-même dimanche. À 11h du soir on le tapait!» (cf. C. Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart [Cahiers de la RTL, 21], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989). 179.  Note ms. de P ­ rignon sur le texte ms. de De Smedt. Cf. F. ­Prignon 541. 180.  Angelo Dell’Acqua (1903-1972), substitut de la Secrétairerie d’État de 1953 à 1967, cardinal en 1967, vicaire général du diocèse de Rome en 1968. 181.  Georges Hakim (1908-2001), évêque melchite d’Acco et de Galilée en 1943, patriarche d’Antioche de 1967 à 2000. 182.  Cf. F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 12.10.1963, p. 1.



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Le statut des modérateurs: Le rôle des modérateurs n’a jamais été clairement défini, malgré les efforts de Dossetti, de Lercaro183 et de ­Suenens184. Après l’audience des quatre modérateurs chez le pape le 25 septembre, S ­ uenens charge P ­ rignon de faire venir Dossetti pour préparer un avant-projet du statut des modérateurs à soumettre au Saint-Père. ­Prignon remarque alors que le premier projet de Dossetti185 lui semble exagéré, imprudent et très dangereux s’il devait y avoir d’autres titulaires du poste. Quand, le 30 septembre, les trois modérateurs (Döpfner186, ­Suenens, Lercaro) ont en main un nouveau projet (surtout rédigé par Dossetti187), ­Prignon dit à ­Suenens qu’il trouve ce texte «trop fort» en soi et donne trop de pouvoirs aux modérateurs. On retombe dans ce qu’on veut éviter: une information unilatérale et non contrôlable du Saint-Père par quelques-uns. Si au lieu d’avoir trois membres favorables au courant «ouvert», c’était le contraire, ce serait la catastrophe … il est évident que l’affaire n’est pas au point188. Le discours de S­ uenens en commémoration de Jean XXIII: Le 7.10, ­Prignon note qu’il a revu la seconde version du discours de ­Suenens et qu’il n’y a plus grand-chose à corriger du point de vue de style189. Le discours aura lieu le 28 octobre. La simplification du faste de l’Église: Après l’audience des modérateurs (10 octobre) S ­ uenens est enthousiaste. P ­ rignon lui dit alors: Si le pape est si bien disposé, ne pourriez-vous lui parler de la simplification nécessaire du faste de l’Église et de tout ce problème de la pauvreté … Finalement le cardinal me demande de lui faire toutes les suggestions que je crois utiles ou que j’entends faire autour de moi. Sur le champ, je lui réponds que dans ce domaine du faste, l’Église devrait se débarrasser de tout ce qui est un reste du pouvoir temporel et sent trop le régime de cour190.

183.  Giacomo Lercaro (1891-1976), archevêque de Bologne de 1952 à 1968, cardinal en 1953, un des 4 modérateurs du Concile. 184. Cf. L.J. Cardinal S­ uenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W. Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 38), Leuven, Maurits Sabbe Library, Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014, pp. 35-36 [= Mémoires ­Suenens]. 185.  F. ­Suenens 796. 186.  Julius Döpfner (1915-1976), archevêque de Munich en 1961, membre de la commission de coordination, un des 4 modérateurs du Concile. 187.  F. ­Suenens 799-800. 188.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, pp. 2 et 7. Ce projet n’a d’ailleurs jamais été promulgué. 189.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 7.10.1963, p. 4. Voir aussi pour un dernier projet de ce discours F. ­Prignon 535A. 190.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 10.10.1963, p. 2.

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Le samedi 12 octobre, ­Prignon, sur suggestion de Thils, dit encore à ­ uenens qu’il serait important que le pape vienne une fois ou l’autre à S l’assemblée [du Concile] in forma simplici … et prenne part à une réunion ordinaire, comme le frère aîné des évêques. C’est très important aux yeux des non-catholiques pour éviter cette impression que le pape est au-dessus de l’Église191. Le message aux prêtres: À l’audience des modérateurs du 7 novembre, le pape a demandé à ­Suenens de préparer un message aux prêtres. Et le cardinal demande alors à P ­ rignon de s’adresser à Mgr De Smedt pour qu’il préparât un projet pour ce message. Mgr De Smedt proposait entre autres au cardinal une allusion délicate et discrète aux prêtres qui avaient abandonné leur état192. La prolongation du Concile: Le 10 novembre, ­Suenens demande à ­Prignon une note sur les raisons de faire encore 2 sessions du Concile, pour contredire le plan Döpfner, qui envisageait de terminer avec la 3ème session. P ­ rignon plaidait fortement auprès de ­Suenens pour avoir encore deux sessions, non seulement, pour des raisons de temps matériel mais aussi parce qu’il était nécessaire de discuter sérieusement in aula les problèmes des séminaires, des universités, des missions. Sinon, la curie prendrait toutes les mesures qu’il lui plairait193. ­Prignon, a alors rédigé sa note: «Argomenti per la prolongazione ragionevole del Concilio» où il développe 6 considérations: 1° La grâce exceptionnelle du Concile pour l’Église; 2° La nécessité d’examiner les autres schémas; 3° L’impossibilité matérielle de terminer en une 3ème session; 4° La fécondité des contacts entre les évêques; 5° La mise en pratique d’une vraie collégialité; 6° Employer tous les moyens pour gagner du temps194. La formule d’approbation des documents du Concile 195: Le 10 novembre, ­Suenens montre à ­Prignon la formule élaborée par Colombo-Dossetti196 et lui demande de la transmettre aux théologiens 191.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 12.10.1963, p. 1. 192.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, p. 5. Pour le projet de De Smedt, transmis par ­Suenens au pape, cf. AS VI, II, pp. 458-462. L’allusion aux prêtres qui avaient quitté le ministère se trouve à la fin de ce projet: «…nous ne voulons pas achever ce message sans adresser notre affection toute paternelle … à ceux dont le sacerdoce est gravement blessé». Le 2.12.1963, les modérateurs décidèrent qu’on manquait de temps pour retravailler le texte durant cette session. 193.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, p. 7. 194.  F. ­Prignon 547 et F. ­Suenens 1394bis. 195.  Voir aussi Soetens, La «squadra belga» all’interno della maggioranza conciliare (n. 50), p. 167 et J. Famerée, Uso comparativo dei diari: Una settimana di lavori conciliari (5-15 novembre 1963), dans Fattori – Melloni (éds), L’Evento e le Decisioni (n. 50), 320-354, p. 348. 196.  Il s’agit probablement du projet qu’on trouve dans le F. ­Suenens 1425 et 1426.



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pour avis. ­Prignon l’a montrée à Cerfaux, Philips et Martimort qui tous étaient d’accord. Le 14 novembre, P ­ rignon rencontre encore Dossetti qui lui présente la formule corrigée où le mot confirmatur est exclu. Dossetti demande aussi à P ­ rignon qu’on se rallie au consentire au lieu de assentire197. Le Droit canonique pour les Orientaux: Dans une réunion de cardinaux, le 12 novembre 1963, plusieurs proposèrent de ne plus éditer qu’un seul droit canon commun à l’Orient et à l’Occident et d’ajouter un appendice pour les choses qui sont spécifiques à l’Orient. S ­ uenens a rejeté cette proposition au nom de l’œcuménisme et il a demandé à ­Prignon, le 13 novembre, d’avertir le Patriarche Maximos198 et Mgr Edelby. Ce que ­Prignon a fait par l’intermédiaire de Thils, afin que lors de la discussion du schéma De Oecumenismo il puisse prendre la défense du droit canon oriental199. Intervention de S­ uenens sur la limite d’âge pour les évêques: Pour son intervention sur la limite d’âge, le 12 novembre 1963, ­Suenens a demandé des notes à Dossetti mais aussi à P ­ rignon. ­Prignon a insisté sur l’idée de service: si on n’est plus capable il faut se démettre et d’autre part vu l’accélération de l’histoire, la complexité des problèmes etc., il est plus normal aujourd’hui que jadis que certains ne soient plus tout à fait à la hauteur de leur tâche200. Critiques contre la présidence de la commission doctrinale et contre le Saint-Office: Pendant la semaine du 18 au 25 novembre 1963, ­Prignon a reçu trois fois la visite de Medina, qui lui a porté les papiers avec des critiques virulentes contre la présidence de la commission doctrinale et contre le Saint-Office201. Medina est fort pessimiste et excité. ­Prignon transmet ces lettres et notes à ­Suenens pour qu’il puisse les montrer au pape202. La liberté religieuse: Le 14 novembre, Arrighi203 vient dîner au Collège belge et il demande à ­Prignon de remercier chaudement ­Suenens 197.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, pp. 5-6. 198.  Maximos IV Saigh (1878-1967), patriarche d’Antioche des Melkites en 1947, cardinal en 1965. 199.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, pp. 9-10. 200.  Cf. F. ­Prignon 512, Dimanche soir, p. 6. Pour les observations de ­Prignon, cf. F. ­Suenens 1599. 201.  Cf. F. ­Prignon 1557, F. ­Suenens 1432 et 1436 et F. Philips 901. Pour l’activité et les textes de Medina, voir Arenas, Inventario de los Archivos Conciliares Chilenos I (n. 63), 884-915. 202.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, p. 11. 203.  Jean-François Arrighi (1918-1998), prêtre français, sous-secrétaire pour la section occidentale du Secrétariat pour l’Unité, peritus conciliaire, évêque titulaire de Vico Equense en 1985.

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parce que sans le cardinal le De Libertate religiosa ne serait jamais passé204. À ce dîner, un des convives l’évêque de Belley205 disait encore: «Vous savez la définition d’un Concile œcuménique? Eh bien, c’est un Concile belge qui se tient à Rome avec l’appui de l’épiscopat du monde entier»206. b)  ­Prignon et le ‘De Ecclesia’ On a essayé de classer les interventions de ­Prignon selon les chapitres du schéma De Ecclesia envoyé aux Pères en avril et juillet 1963. Le 25 septembre, P ­ rignon demande à S ­ uenens que Philips soit nommé rapporteur au Concile pour le schéma De Ecclesia. Demande qui n’a pas rencontré de réponse positive, puisque c’est le cardinal Browne qui a fait le rapport in aula, le 30 septembre 1963207. ‘Caput I. De Ecclesiae mysterio’ Le soir du lundi 30 septembre, le cardinal Silva Henríquez208 vient au Collège belge chez S ­ uenens pour demander un changement dans la 1ère partie du schéma: dans le schéma chilien, on avait mieux développé l’aspect trinitaire de l’Église et plus accentué le rôle du Saint-Esprit. Proposition qui fait droit aux préoccupations des Orientaux et à laquelle ­Prignon était favorable grâce à son séjour au Liban209. Le nouveau chapitre ‘De Populo Dei in genere’210 Vu l’opposition tenace d’Ottaviani et de Tromp et le peu d’enthousiasme de Paul VI, une rude bataille a été livrée pour l’insertion de ce chapitre avant celui de la hiérarchie. ­Prignon, auteur de cette initiative, y a pris sa part. Le 2 octobre, ­Prignon remet à ­Suenens une «Note à propos de la structure du Schéma De Ecclesia à la suite de la réunion de la 204.  Pour l’activité de ­Suenens concernant le De Libertate religiosa en cette période, cf. M. Lamberigts, Mgr. Emiel-Jozef De Smedt, bisschop van Brugge, en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 28 (1998) 298-299. De Smedt a présenté in aula le texte sur la liberté religieuse (le caput V du De Oecumenismo), le 19.11.1963. 205.  René Fourrey (1901-1982), évêque de Belley de 1955 à 1975. 206.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, p. 12. 207.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 25 et 27.9.1963. 208.  Raúl Silva Henríquez (1907-1999), archevêque de Santiago du Chili en1961, cardinal en 1962, membre de la commission pour l’apostolat des laïcs. 209.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 30.9.1963, p. 3. Pour le schéma chilien de janvier 1963, cf. F. Philips 581. Voir aussi J.H.M. Moons, The Spirit and the Church (thèse de doctorat de l’Université de Tilburg non publiée), 2018, p. 131. 210.  Pour l’histoire de l’insertion de ce nouveau chapitre dans le De Ecclesia, voir Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph S­ uenens at Vatican II (n. 161), pp. 106-109.



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commission de la foi»211 pour l’informer du déroulement de la réunion de la commission doctrinale du 2.10. On (surtout Parente212) a d’abord posé la question préjudicielle: la nouvelle division est-elle imposée ou seulement conseillée par la commission de coordination? Dans l’attitude de plusieurs membres de la commission, italiens et l’un ou l’autre français, il entre une part de mauvaise humeur pour une décision prise inconsulta commissione theologica. Mais même s’il ne s’agit pas d’une décision formelle de la commission de coordination, il semble difficile de revenir en arrière: cela a été imprimé dans le schéma, dit à l’assemblée, approuvé par de nombreux pères. Et la majorité des membres de la commission préfèrent cette nouvelle distribution des matières (Mgr ­­­Charue a demandé par téléphone à ­Prignon de transmettre ces informations à S ­ uenens). Le 9 octobre, la commission doctrinale se réunit et ­Prignon rédige un rapport pour S ­ uenens «Note sur les décisions de la Commission de Fide» (séance du mercredi 9 octobre)213. Il y a eu deux votes secrets. Le premier sur l’insertion d’un nouveau chapitre: 20 pour, 4 contre. Le deuxième sur le titre de ce nouveau chapitre. De Populo Dei l’a remporté avec 15 voix214. Quand le 11 octobre, Tromp et Ottaviani veulent encore remettre cette décision en question, ­Prignon avertit ­Suenens qui l’autorise à donner un démenti formel et à recourir aux modérateurs215. ‘Caput II. De constitutione hierarchica Ecclesiae et in specie De Episco­ patu’ ­Prignon a aidé De Smedt pour son intervention sur la collégialité du 7 octobre 1963216: sur ses instances De Smedt accepte d’introduire à deux reprises l’affirmation de la volonté du Christ sur la collégialité et l’aide que les évêques apportent au pape217. 211.  Cf. F. ­Suenens 1388. Et F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 4.10.1963. 212. Pietro Parente (1891-1986), archevêque de Pérouse en 1955, assesseur du Saint-Office en 1959, membre de la commission doctrinale, cardinal en 1967. 213.  F. ­Suenens 1470. 214. Le Diarium Tromp 3/1, p. 111 mentionne 14 voix. Dans son livre autobiographique Souvenirs et espérances (s.l., Fayard, 1991, p. 115), S ­ uenens écrit par erreur que l’introduction du chapitre De Populo Dei fut acceptée par un vote in aula avec une large majorité des voix. En fait la décision a été prise par la commission doctrinale, le 9.10.1963. 215.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 12.10.1963, p. 2. Voir aussi L ­ amberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph ­Suenens at Vatican II (n. 161), pp. 107108. 216.  AS II, II, pp. 263-266. 217.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 7.10.1963, p. 2.

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Les ‘Quinque propositiones’ Pour clarifier le débat sur la collégialité les modérateurs ont voulu vers la mi-octobre poser d’abord quatre puis cinq questions à l’assemblée. Une histoire fort mouvementée qui ne s’est conclue qu’avec le vote largement positif du 30 octobre 1963. ­Suenens surtout, mais aussi ­Prignon se sont engagés à fond pour ces votes218. Le 11 octobre, ­Prignon dîne avec S ­ uenens et Philips et ils mettent au point les questions des votes à proposer à l’assemblée; il faut rédiger soigneusement les textes à présenter ni trop ni trop peu219. ­Prignon obtient aussi que des évêques parlent encore sur deux points essentiels avant la clôture du débat: mise au point sur l’infaillibilité ex sese du Souverain Pontife; bien distinguer le principe de la collégialité et l’explication de son rapport avec la primauté: la difficulté de la mise au point de l’explication n’entraîne pas de doute sur le fait. Mgr Martin, sondé par Mgr De Smedt parlera sur le premier thème. Peut-être McGrath pourrait-il parler sur le second 220. Le 14 octobre, dans l’après-midi Congar écrit à P ­ rignon pour suggérer que le rédacteur – Mgr Philips – puisse avant les votes d’indication faire un exposé in aula pour préciser le sens du vote. Autrement, il craint la catastrophe. En effet, beaucoup ont encore à l’esprit la définition du collegium par le Droit romain. P ­ rignon en parlera, le 15 octobre, à S ­ uenens221. Le 19 octobre, ­Prignon avec l’aide de Philips et de Moeller a préparé une nouvelle rédaction des vota222. Le 29 octobre, le vote fut annoncé in aula. Mais craignant encore une manœuvre de dernière minute, prévoyant une intervention possible d’Ottaviani, ­Prignon a préparé avec ­Suenens une réponse qui consiste à dire qu’on n’en tiendra pas compte, les dés étant jetés, et le vote fut sans plus aucun retard soumis à l’assemblée223. Le diaconat Le 8 octobre, ­Suenens fait une intervention au Concile où il plaide pour un diaconat permanent marié. Le texte a été préparé par Dossetti 218. Voir Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph S­ uenens at Vatican II (n. 161), pp. 109-122. 219.  Pour les projets des textes avec des annotations ms. de ­Prignon, cf. F. ­Prignon 459-474. 220.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 12.10.1963, pp. 3-4. Ni Martin ni McGrath n’ont parlé sur ce thème pendant le débat sur le De Ecclesia lors de la 2ème session. 221.  Pour la lettre de Congar voir F. ­Prignon 512. Et pour les notes de P ­ rignon, voir F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 14.10.1963. 222.  F. ­Prignon 516, La suite des événements, pp. 4-5. Texte daté du 19.10.1963 dans F. ­Prignon 459-474. 223.  F. ­Prignon 512, Dimanche soir, pp. 2-3.



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et revu par ­Prignon pour le rendre plus parlant224. Mais grâce à la diplomatie de P ­ rignon un incident avec Mgr Calewaert a été évité. En effet, le 7 octobre, Calewaert demande à ­Prignon de taper le texte de son intervention sur le diaconat, où il prend une position très raide contre le diaconat de gens mariés. Son motif: cela ferait une brèche contre le célibat des prêtres. Mais le même matin, ­Suenens avait dit à ­Prignon qu’il interviendrait en sens contraire. Chacun des deux ignorait l’intervention de l’autre. ­Prignon voulait éviter un incident désagréable et les conséquences sur l’opinion publique belge. Après avoir consulté Mgr Daem, il se décide à les avertir de leurs intentions mutuelles. Mgr Calewaert a eu une réaction assez violente. Le soir, P ­ rignon apprend que Calewaert ne parlera pas à l’assemblée, mais remettra son texte par écrit225. Et Mgr Heuschen rédigera un commentaire prudent pour les journalistes belges226. ‘Caput III. De Populo Dei et speciatim De Laicis’ Intervention de Mgr van Zuylen227 sur le De Laicis (23.10.1963): Heuschen a convaincu van Zuylen de parler in aula sur le 3ème chapitre du De Ecclesia et a aidé à rédiger son texte228. Le 12 octobre, van Zuylen a porté à ­Prignon son projet d’intervention in aula et lui demande de l’élaborer. Et le soir du 14 octobre, P ­ rignon a terminé la mise au point de l’intervention de van Zuylen229. Le 10 octobre, P ­ rignon soumet à S ­ uenens un texte de communiqué pour la presse préparé par Mgr Heuschen, qui était chargé par l’épiscopat belge des relations avec les journalistes belges, au sujet de la collaboration avec les laïcs. Parce que le pape va prendre des initiatives à ce sujet, ­Suenens demande à ­Prignon d’avertir Heuschen d’attendre pour ce communiqué230.

224.  F. ­Suenens 1492-1493. F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 8.10.1963, p. 1. 225.  Cf. F. ­Prignon 387-388. 226.  Cf. F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 7.10.1963, p. 3. Et L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen], p. 28. 227.  Guillaume Marie van Zuylen (1910-2004), évêque de Liège de 1961 à 1986, membre de la commission De Disciplina cleri et populi christiani et du Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia. 228.  F. Heuschen 524. 229.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 12 et 14.10.1963. 230.  F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 10.10.1963, p. 1.

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‘Caput IV. De vocatione ad sanctitatem in Ecclesia’ ­ uenens pour Le soir du 27 septembre, Mgr Philippe231 rend visite à S plaider la division du chap. IV en deux avec un chapitre spécial sur les religieux. C’est probablement après cette visite que P ­ rignon a rédigé une note pour ­Suenens «Note à propos du chap. IV: De vocatione ad sanctitatem in Ecclesia» où il défend le texte malgré l’objection que ce chapitre a été élaboré par la seule commission doctrinale (et pas en commission mixte avec les Religieux). En effet, le texte du De Statibus perfectionis a été élargi par la commission doctrinale en un De Sanctitate christiana pour répondre à un vœu de la commission de coordination232. ‘De Beata’ Le cardinal S ­ uenens étant particulièrement intéressé par le chapitre sur la Vierge Marie, P ­ rignon l’a bien tenu au courant et a essayé en même temps de tempérer les ardeurs maximalistes de la dévotion mariale de ­Suenens, efforts qui n’ont pas toujours été couronnés de succès. Dans sa lettre du 4 octobre, P ­ rignon propose à S ­ uenens que le De Beata soit intégré dans le De Ecclesia, exposant le locus et munus de Notre Dame dans l’Église, autour de deux thèmes, Theotokos (thème des orientaux) et mère des chrétiens233. Le 7 octobre, ­Prignon insiste à nouveau auprès de ­Suenens pour que le chapitre sur la Vierge commence par la maternité divine et ne traite pas seulement de la maternité vis-à-vis des chrétiens ou du rôle de Marie dans l’Église actuelle234. Quant au titre «Marie, Mère de l’Église», s’il est défendable, il n’est pas opportun pour l’instant, surtout dans un schéma où l’on parle de l’Église notre Mère (Marie, mère de notre mère). De plus, selon P ­ rignon, ce titre est inconnu en Orient235 et n’a que très peu d’appui en Occident. Mieux vaut mère des chrétiens

231.  Paul Philippe (1905-1984), dominicain français, secrétaire de la Congrégation pour les Religieux, membre de la commission De Religiosis, cardinal en 1973. 232.  F. ­Suenens 1561. Pendant la 3ème session les religieux obtiendront finalement un chapitre spécial. Pour cette discussion où ­­Charue était très opposé à ce chapitre spécial, cf. Carnets ­­Charue, pp. 125-129 et Inventaire ­­Charue, pp. 77-80, 116-121. 233.  F. ­Suenens 1375. 234.  Influencé par la Légion de Marie, ­Suenens plaidait pour le titre de Mediatrix et considérait la Vierge Marie comme source et fondement de l’apostolat. 235.  Toutefois le P. Meersseman avait, à la demande de Paul VI, fait des recherches et avait trouvé que ce titre a été utilisé en Orient (cf. A. Marchetto, Il concilio ecumenico Vaticano II: Per la sua corretta ermeneutica, Città del Vaticano, Libreria editrice Vaticana, 2012, pp. 132, 134 et M. Maccarrone, Paolo VI e il concilio: Testimonianze, dans Rivista di Storia della Chiesa in Italia 43 [1989] 101-122, p. 113).



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ou des fidèles236. Dans son rapport pour ­Suenens sur la réunion de la commission doctrinale du 9.10, ­Prignon note que la commission a voté pour l’insertion du De Beata dans le De Ecclesia (12 pour, 9 contre, 2 abstentions) et pour un chapitre spécial De Beata dans le De Ecclesia et pas pour une mention diffuse (21 pour, 2 contre)237. c)  Contacts avec les prêtres-ouvriers Signalons aussi que ­Prignon a reçu pendant cette session quelques prêtres-ouvriers, notamment André Depierre238 et Louis Flagothier239, qui à Rome ont pris des contacts avec plusieurs évêques pour expliquer leur situation difficile après l’interdiction de travailler à temps plein dans les usines imposée par Rome en 1954. Dans une lettre du 16 décembre 1963, Flagothier remercie P ­ rignon pour l’accueil reçu à Rome. André Depierre lui aussi a revu P ­ rignon avant son retour à Paris. Flagothier se demande si Mgr van Zuylen a fait une démarche auprès du pape et il invite ­Prignon à dîner chez lui lorsqu’il rentrera à Liège. Il lui propose aussi de remettre àS ­ uenens le rapport laissé à Rome sur la vie de prêtre-ouvrier. Il s’agit d’un document de 9 pages du 25 juillet 1963, signé «Vos prêtres-ouvriers», sous forme d’une lettre adressée à leur évêque Mgr van Zuylen240. Ces contacts de ­Prignon avec les prêtres-ouvriers attestent son intérêt pour la présence de l’Église au monde ouvrier dans son diocèse très industrialisé de Liège. 4.  2ème intersession241 Pendant la 2ème intersession, des progrès notables sont réalisés pour le De Ecclesia, le De Revelatione, le De Episcopis, le De Oecumenismo, le De Libertate religiosa et le schéma 17 (avec le problème du Birth Control). La discussion concernant une éventuelle 4ème session continue. ­Suenens s’intéresse également à la réforme de la curie romaine. Et le 236. F. ­Prignon 512, Journal de la 2ème session, 7.10.1963, p. 2. Notons que, le 21.11.1964, Paul VI proclamera Marie Mère de l’Église et ceci malgré l’avis négatif de la commission doctrinale. 237.  F. ­Suenens 1470. 238.  André Depierre (1920-2011), prêtre français du diocèse de Saint-Denis, prêtre-­ ouvrier à partir de 1947. 239.  Louis Flagothier (1923-2013), prêtre du diocèse de Liège, prêtre-ouvrier de 1950 à 1993. 240.  F. ­Prignon 1639. 241.  Pour la 2ème intersession, ­Prignon n’a pris que peu de notes personnelles: du 19 au 23.4.1964 (5+4+4+3 p.). On dispose aussi de la transcription d’une bande magnétique de fin juin 1964 (7 p.). Cf. F. ­Prignon 823-826 et 828.

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Motu proprio pour la première mise en application de la constitution sur la liturgie soulève de sérieuses tensions avec la Congrégation des Rites. Pendant ces quelques mois, P ­ rignon fait aussi exécuter de grands travaux au Collège belge: rénovation des deux salons et de l’appartement du cardinal, modernisation de l’installation du chauffage, repavement du jardin242. On constate que ­Prignon continue d’informer soigneusement le cardinal par des lettres et des bandes magnétiques243 des événements du Concile, qu’il assiste aux réunions de la commission doctrinale, de la commission pour l’Apostolat des laïcs244, et de la commission mixte pour le schéma 17 et qu’il reste en contact étroit avec les periti, y compris avec des non-Belges, surtout Martimort et Medina. Nous donnons d’abord un aperçu de ses relations avec ­Suenens, puis de ses contacts avec les évêques et periti. Son rôle dans la controverse sur le Motu proprio sur la liturgie sera examiné par la suite. a)  Les relations entre S­ uenens et P ­ rignon À la réunion de la commission de coordination du 15 janvier 1964, on a discuté longuement du plan Döpfner qui proposait de terminer le Concile avec la 3ème session. Pour cette réunion, ­Prignon a rédigé une note pour ­Suenens avec des Osservazioni generali (1 p.) et des Osservazioni particolari (5 p.). Il y plaide pour une 4ème session et démontre pratiquement pour chaque schéma en particulier qu’il sera impossible de terminer en trois sessions. Le schéma 17 surtout nécessite absolument une étude approfondie245. ­ uenens une copie d’une lettre Le 1er février, ­Prignon communique à S de Cicognani à Ottaviani avec des directives pour le travail de la commission doctrinale concernant les schémas De Ecclesia (il faut ajouter un chapitre sur le De Sanctitate) et De Revelatione (il faut refaire le schéma; mais il n’est pas indiqué clairement que le Secrétariat pour l’Unité doit y collaborer). ­Prignon y a ajouté des commentaires manuscrits venant de ­­Charue et de Tromp (Tromp garde jalousement secrète la rédaction du nouveau paragraphe concernant les «deux sources»). Il envoie une note 242.  Cf. Lettres de ­Suenens à ­Prignon, 22.2.1964 et 29.4.1964 (F. ­Prignon 2058-2059) et Lettres de L. Declerck à ses parents, 20.2.1964, 1.3.1964, 23.5.1964, 3.6.1964. 243.  C’était un système IBM tout neuf grâce auquel on pouvait envoyer la bande magnétique comme une lettre par la poste. Cette bande magnétique pouvait être employée plusieurs fois. Mais alors le message précédent était effacé. Ce qui est – hélas pour les historiens – arrivé avec les bandes magnétiques envoyées par S ­ uenens et P ­ rignon. 244.  Déjà le 23.9.1963 P ­ rignon avait assisté à une réunion de cette commission. Cf. F. ­Prignon 512. 245.  F. ­Suenens 1739-1740.



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de Medina sur le Motu proprio Sacram liturgiam (cf. infra). Il informe aussi S ­ uenens qu’en janvier Philips a eu une crise cardiaque et qu’il devra ralentir son activité, au moins temporairement. ­Prignon espère trouver bientôt le temps d’envoyer une bande magnétique à ­Suenens246. Le 22 février, ­Suenens remercie du «tape» de ­Prignon, l’autorise à faire les travaux pour le chauffage du collège. Il demande aussi si ­Prignon n’a pas reçu des échos de l’entrevue du pape avec l’ambassadeur Poswick247. Fin mars (après la réunion de la commission doctrinale qui s’est terminée le 14 mars), ­Prignon rédige pour S ­ uenens un «Pro Memoria sur le schéma De Ecclesia» (1 p.); il fait remarquer que pour le De Beata le titre Mater Ecclesiae n’a pas été retenu, notamment parce que pas souhaitable du point de vue œcuménique248. ­Prignon transmet aussi à S ­ uenens une note de Häring249, distribuée lors de la réunion de la commissio mixta pour le schéma 17, le 9 mars: «De historia, stilo, methodo et spiritualitate Schematis XVII»250. ­Suenens est présent à Rome pour la réunion de la commission de coordination du 16 et 17 avril. Pour cette réunion le cardinal Marella251 avait fait parvenir les remarques que Mgr Carli252 lui avait envoyées concer­ rignon nant le schéma De Episcopis253. Pour réfuter ce texte de Carli, P avait rédigé pour ­Suenens une «Note à propos des observations de Monseigneur Carli sur le schéma De Episcopis»254. Le soir, S ­ uenens fait chaque fois un long rapport à P ­ rignon255. Le 17 avril, ­Prignon profite de l’occasion pour insister de nouveau chez le cardinal sur la simplification dans l’Église et pour souligner l’importance du schéma 17 aux yeux du monde et l’immense déception qui naîtrait 246.  F. ­Suenens 1706-1707. 247.  Remarquons que S ­ uenens emploie des noms codés: «chauffeur» pour ambassadeur, «patron» pour le pape. Ce qui est un indice de la relation confidentielle de ­Suenens avec ­Prignon. 248.  F. ­Suenens 1814. 249.  Bernhard Häring (1912-1998), rédemptoriste allemand, professeur à l’Alfonsianum à Rome de 1949 à 1987, peritus conciliaire, membre de la Commissio pontificia pro studio populationis, familiae et natalitatis. 250.  F. ­Suenens 1788. Cf. Diarium Tromp 3/1, 9.3.1964, p. 503 et G. Turbanti, Un Concilio per il mondo moderno, Bologna, Il Mulino, 2000, p. 341. 251.  Paolo Marella (1895-1984), nonce apostolique en France en 1953, cardinal en 1959, président de la commission De Episcopis et Dioecesium regimine. 252.  Luigi Carli (1914-1986), évêque de Segni en 1957, membre de la commission De Episcopis et Dioecesium regimine, archevêque de Gaeta en 1973. 253.  In Schema Decreti De pastorali Episcoporum munere in Ecclesia. Emendationes propositae ab Aloisio M. Carli, ep. Signino (cf. AS V, II, pp. 187-191). 254.  F. ­Prignon 764-765 (dont un brouillon avec des notes ms. de L. Declerck, qui a dactylographié le texte). 255.  Cf. F. ­Prignon 823-824 (notes personnelles).

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non seulement parmi les chrétiens mais même parmi une grande partie de l’opinion mondiale si le texte voté par le Concile n’était pas un texte vraiment sérieux. Il faut donc absolument une 4ème session256. Le samedi 18 avril à 10h50, S ­ uenens a une audience chez le pape. S ­ uenens rapporte à ­Prignon qu’il a parlé au pape de la nomination de l’évêque de Gand et lui a demandé de débloquer la proposition de nomination qui, semble-t-il, était contestée par le premier ministre. Toutefois ­Suenens n’a pas dit à ­Prignon qui était le candidat désigné257. Avant de partir aux États-Unis du 2 au 14 mai258, ­Suenens réagit, le 29 avril, à des propositions de ­Prignon pour les nouveaux meubles de son appartement au Collège belge259. ­ uenens Le 1er mai, ­Prignon répond que les travaux dans la chambre de S ont commencé. Il signale aussi que selon Moeller, qui le tient du Père Tucci, l’article de L. Janssens260 commence à susciter des remous à Rome et en Amérique. Et il donne des nouvelles concernant le prologue du schéma 17. Il n’a pas encore recueilli de réactions au sujet des suppressions demandées par S ­ uenens dans les notes du De Apostolatu laicorum261, mais il verra Mgr Ligutti le mercredi prochain. Il va s’atteler à la ­ rignon rédaction d’une note sur la morale conjugale262. Le 17 mai, P envoie à ­Suenens un entrefilet du journal Il Messaggero du 9 mai ­concernant le voyage de S ­ uenens aux États-Unis et il lui annonce que le 256.  F. ­Prignon 824, 17.4.1964, pp. 3-4. Le 12.3, dans la réunion de la commission mixte ­Prignon avait déjà demandé de disposer d’une 4ème session pour pouvoir terminer le schéma 17 (cf. Diarium Tromp 3/1, p. 559). 257.  F. ­Prignon 825, 19.4.1964, p. 3. Il s’agit de Léonce Albert Van Peteghem (19162004), nommé évêque de Gand, le 28.5.1964. Le premier ministre était Theo Lefèvre (1914-1973). Pour cette nomination, voir aussi L.  Declerck – M. Lamberigts, Mgr. J.M. Heuschen en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 47 (2017) 5-50, p. 15, n. 50. 258.  Pendant ce voyage ­Suenens donnera une conférence de presse durant laquelle il parle du Birth Control. Ce qui suscitera des réactions à Rome. Cf. Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph S­ uenens at Vatican II (n. 161), pp. 168-169. 259.  F. ­Prignon 2059. ­Suenens est d’avis que les propositions de ­Prignon font «trop bureau de secrétaire» et demande que P ­ rignon cherche «dans la ligne bureau de direction, c’est-à-dire quelque chose de plus élevé comme standing». 260.  Louis Janssens (1908-2001), prêtre du diocèse de Malines, professeur de théologie morale à l’Université catholique de Louvain de 1942 à 1978. Il s’agit de l’article de J. Férin – L. Janssens, Progestogènes et morale conjugale, dans ETL 39 (1963) 787-826. Cet article plaidait pour la licéité morale des progestogènes comme moyen de contraception. Anné et ­Prignon écriront encore des critiques sur cet article (12 p.), qu’ils ont envoyées à S ­ uenens, probablement fin juin. Cf. F. ­Suenens, Inventaire des archives du Cardinal ­Suenens au sujet de la question du Birth Control et l’encyclique Humanae vitae, 103. 261.  Il s’agit sans doute des notes 12, 13, 15 et 16 du projet du schéma au sujet de l’Action catholique. Cf. AS V, II, pp. 370-371 et le Processus verbalis de la réunion de la commission de coordination du 17.4.1964. Cf. AS V, II, p. 473. 262.  F. ­Suenens 1709.



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pape a institué une commission secrète pour la réforme de la curie, dont le secrétaire – très curialiste – est Mgr Pinna263. On commente aussi l’article de Louis Janssens sur la morale conjugale. Il ne semble pas toutefois que, jusqu’à présent du moins, une réaction du Saint-Office soit imminente; et un membre de la curie a dit à Mgr Anné264 que les idées de S ­ uenens ne convenaient guère à l’Italie. Il ajoute qu’il a été nommé conseiller ecclésiastique adjoint de l’ambassade à partir du 1er juin. Et il informe S ­ uenens des nouveaux meubles de sa chambre265. Le 22 mai, ­Prignon envoie un article de la revue Epoca [concernant la conférence de presse de S ­ uenens à Boston aux États-Unis] et écrit que dans la curie on n’accepte pas les idées du cardinal sur le Birth Control: «Avec tout cela, on va corrompre l’Italie»266. La constitution d’une commission pour la réforme de la curie est confirmée, mais Mgr Anné reste pessimiste sur les résultats. La nomination de l’évêque de Gand serait imminente, mais ­ rignon envoie à ­Suenens un n’est toujours pas publiée267. Le 24 mai, P article de Mgr Palazzini268 et avec Anné il commence à étudier de plus près la question du Birth Control269. ­Suenens est empêché d’assister à la réunion de la commission de coordination du 26 juin. Il écrit alors au cardinal Lercaro qu’il a demandé à ­Prignon de prendre contact avec lui afin de lui transmettre quelques renseignements utiles. Après la réunion il pourrait aussi donner ses impressions à ­Prignon, qui est «un homme d’absolue confiance»270. Dans une bande magnétique du 27 juin, ­Prignon rapporte à ­Suenens qu’il a vu Lercaro pendant une demi-heure avant la réunion, qu’il l’a mis au courant de ce qui s’était passé à la commission doctrinale271 et qu’il lui a demandé de faire très attention à ce que le card. Cicognani pourrait dire. Dans cette bande enregistrée P ­ rignon parle encore du discours du pape – du 23 juin 263.  Giovanni Maria Pinna (1906-1971), prêtre italien, auditeur à la Rote en 1952. 264.  Lucien Anné (1906-1993), prêtre du diocèse de Gand, auditeur à la Rote, qui résidait au Collège belge. 265.  F. ­Suenens 1710. 266.  Pour les incidents autour de cette conférence de presse de S ­ uenens, cf. Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph ­Suenens at Vatican II (n. 161), pp. 168-169. 267.  F. ­Suenens 1711. 268.  Pietro Palazzini (1912-2000), prêtre romain, secrétaire de la Congrégation du Concile en 1958, cardinal en 1973. Il s’agit de l’article Si può e si deve proteggere l’equilibrio della persona, dans Studi cattolici V/27 (novembre-décembre 1961) 63-64. 269.  F. ­Suenens, Inventaire des archives du Cardinal ­Suenens au sujet de la question du Birth Control et l’encyclique Humanae vitae, 62-63. 270.  Lettre de ­Suenens à Lercaro, 17.6.1964, F. ­Suenens 1781. 271.  Il s’agit sans doute des «Suggerimenti per la revisione del Capitolo III dello Schema De Ecclesia», envoyés par Felici à Ottaviani, le 19.5.1964, cf. F. Philips 1397.

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1964 – aux cardinaux concernant le Birth Control272. Pour les uns ce discours irait dans le sens d’un élargissement; pour les autres c’est un indice que les normes de Pie XII ne seront pas modifiées. Le chanoine de Locht273, qui a assisté à la réunion de la commission pontificale, après avoir été découragé le premier jour, est sorti de cette réunion assez optimiste274. ­Prignon envoie aussi à ­Suenens une étude de P. Delhaye275 et ­ rignon transmet une note de Mgr Anné, à laquelle il a collaboré276. P également à S ­ uenens un rapport sur la réforme de la curie277. En outre, il a appris que le patriarche Athénagoras278 semble décidé à envoyer des représentants (des observateurs) à la 3ème session du Concile. Puis ­Prignon donne encore un long rapport sur les discussions de la commission doctrinale concernant les 13 Suggerimenti de Felici279. Le 6 août, ­Suenens écrit encore à ­Prignon. D’abord il lui souhaite de bonnes vacances en Espagne («Dieu sait si vous l’avez mérité»). Puis il dit que l’encyclique du pape (Ecclesiam suam) ne touche pas à la «question»280, cela permettra de reprendre le thème au Concile. Felici lui a demandé d’être à Rome le 10 septembre avec les modérateurs281 pour discuter de la mise en place des votes à prévoir pour le De Ecclesia selon une proposition de Philips282.

272.  Cf. Paulus VI, Allocutio ad Em.mos Patres Purpuratos, 23.6.1964, dans AAS 56 (1964) 581-589. 273.  Pierre de Locht (1916-2007), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, où il était responsable de la pastorale familiale francophone, membre de la commission pontificale. 274.  La commission pontificale s’est réunie à Rome du 13 au 15.6.1964. 275.  Il s’agit de «Recherches et réflexions concernant l’état actuel du problème moral de la régulation des naissances» (31 p.). Cf. F. ­Suenens 2441. 276.  «Considérations sur le problème de la morale conjugale» (25 p.). F. ­Prignon 2033. 277.  «Note sur l’Aggiornamento de la Curie romaine», 20.6.1964, 10 p. F. ­Prignon 814, 1558 et F. ­Suenens 2004. Ce texte long et fort critique a été donné à Mgr Pinna et a été rédigé avec l’aide de Mgr Anné et de Martimort. ­Prignon donne d’abord des Réflexions critiques: Absence d’une «politique» générale, Vieillissement des institutions, Le personnel et son recrutement, Exagération du protocole et du faste de cour pontificale. Puis il fait des Propositions et des Suggestions: Institution d’un Conseil général consultatif de la Catholicité, L’exercice des pouvoirs, Le recrutement du personnel, Mise en œuvre sérieuse de la simplification de la Cour pontificale. 278.  Athénagoras (1886-1972), patriarche œcuménique de Constantinople en 1948. 279.  F. ­Prignon 828, pp. 5-7. Pericle Felici (1911-1982), secrétaire général du Concile, cardinal en 1967. Pour son activité durant le Concile, cf. V. Carbone, Il «Diario» conciliare di Monsignor Pericle Felici, Segretario Generale del concilio Vaticano II, a cura di A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015. 280.  Sans doute le Birth Control. 281.  Il s’agit de la réunion de la commission de coordination du 11.9.1964. 282.  F. ­Prignon 1654. Pour ces propositions de Philips «De Modo suffragia ferendi in schemate De Ecclesia», cf. AS V, II, pp. 669-678.



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b)  Les relations de ­Prignon avec les évêques et les ‘periti’ La correspondance de ­Prignon nous donne une idée de ses multiples contacts. ­­Charue: Le 30.12.1963, Charue ­­ avertit P ­ rignon qu’à la suite d’une lettre d’Ottaviani, les sous-commissions de la commission doctrinale doivent se réunir dès la 2ème moitié de janvier et que la commission plénière se réunira à partir du 2 mars. Il lui fait part qu’il fera appel à Claude Troisfontaines soit pour le véhiculer soit pour les travaux conciliaires283. Le 4 avril 1964, il annonce son arrivée à Rome pour le 20 avril et demande aussi à ­Prignon de faire parvenir une lettre à Betti284 au sujet des réunions de la sous-commission pour le De Revelatione du 20 au 25 avril285. Cerfaux: Le 25 janvier 1964, Cerfaux envoie un pli pour Mgr ­­Charue, qui se trouve à Rome. Le 27 mai, Cerfaux remercie ­Prignon qui a réglé ­­ et Rigaux286 sa note de frais pour le Concile. Pour la 3ème session, Charue sont d’accord pour lui permettre de faire l’école buissonnière, à condition qu’il puisse accourir s’il était utile. L’Instruction de la commission biblique287 est bien reçue dans nos milieux. On peut pavoiser, en effet288. Le 9 juin, Cerfaux envoie une note concernant l’autorité du Collège apostolique289, fait quelques observations au sujet des 13 Suggerimenti et relève l’inutilité des précisions répétées concernant le primat. Et il conclut: «On n’écrit pas une page très glorieuse du Concile. Mais si on le paie cher, on a tout de même le ‘Collegium episcoporum’»290. Congar: Le 4 janvier 1964, Congar demande à loger au Collège belge à partir du 2 mars, surtout pour être au plein cœur du travail291. Le 23 janvier, Congar demande maintenant à loger au collège pour la 283.  F. ­Prignon 808. 284.  Umberto Betti (1922-2009), franciscain italien, peritus conciliaire, professeur à l’Antonianum en 1954, recteur de l’Université du Latran de 1991 à 1995. 285.  F. ­Prignon 1638-1654. 286.  Béda Rigaux (1899-1982), franciscain belge, professeur d’exégèse à l’Université catholique de Louvain en 1956, peritus conciliaire et membre de la commission biblique. 287.  Il s’agit de l’Instruction De historica evangeliorum veritate du 21.4.1964, dans AAS 56 (1964) 712-718. Dans son rapport qu’il a rédigé pour l’ambassadeur, le 21.5.1964, ­Prignon se montre lui aussi très positif et il conclut: «Bref, un beau document dans le style de l’aggiornamento, qui facilitera le dialogue entre l’Église et la science, ainsi que le travail œcuménique» (F. ­Prignon 813; Poswick, Un journal du Concile [n. 28], pp. 441444). 288.  F. ­Prignon 1641. 289.  Il s’agit de la note «Réflexions d’un bibliste sur l’Église apostolique» de Cerfaux, envoyée par Cerfaux à ­­Charue, en juin 1964, 21 p. Cf. F. ­Prignon 584-619 et Inventaire ­­Charue, p. 99. 290.  F. ­Prignon 1651. 291.  F. ­Prignon 1640.

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sous-commission De Populo Dei, dès le 30 janvier, si Mgr Philips et d’autres membres de la commission sont là292. Le 5 février, Congar demande à ­Prignon d’ajouter encore trois choses à la note pour S ­ uenens 293 qu’il a remise à ­Prignon : 1° Ajouter au «Bilan du Monde» un bilan portant sur d’autres points du schéma 17, et en particulier les bombes. Et il renvoie à un dossier établi par des scientifiques français travaillant à la recherche atomique. 2° Il faut trouver un moyen pour que le Concile fasse un hommage de réparation à Galilée (1964 est le centenaire de la naissance de Galilée). 3° Avant la promulgation du De Oecumenismo, il faudrait une solennelle déclaration de repentance œcuménique. Et Congar ajoute: «Comment vous remercier de votre bonté pour moi? En en abusant encore. Je reviendrai le 2 mars»294. Le 24 février, Congar annonce son arrivée à Rome pour le 2 mars295. Et le 12 avril, Congar annonce qu’il revient à Rome le 20 avril; s’il y a au Collège belge à ce moment des membres de la commission théologique, il demandera alors de loger au Collège belge296. Il envoie également une copie des deux textes qu’il a proposés pour le De Traditione en ajoutant: «le texte dactylographié surtout vous intéresserait pour le chapitre sur la Révélation, dont vous êtes chargé avec d’autres Bénélux»297. Delhaye: Le 2 avril, Delhaye écrit du Canada et dit à ­Prignon qu’il assistera aux réunions de fin mai pour De Cultura et le De Laicis. Il dit que Léger reste très nettement anti-conciliaire et considère qu’on l’a rejeté du braintrust et que par conséquent il n’a plus rien à faire dans les commissions; d’ailleurs selon lui le Concile tombe dans le byzantinisme298. Le 15 juin, Delhaye écrit à ­Prignon que rien ne s’oppose à ce qu’il prenne position sous son nom [il s’agit probablement d’un texte sur le Birth Control] et il termine en écrivant: «je ne doute pas que tu fasses 292.  F. ­Prignon 569. 293.  Pour cette note avec diverses suggestions sur le schéma 17, sur la concélébration au Concile, sur le schéma de la formation du clergé et sur une nouvelle Profession de Foi (1 p.), 2.2.1964, cf. F. ­Prignon 810. 294.  F. ­Prignon 811. 295.  F. ­Prignon 1640. 296.  En fait Congar a logé au Collège belge, cf. Journal Congar, II, pp. 58-59. 297.  F. ­Prignon 1647. Pour le texte de Congar, cf. F. ­Prignon 646-681 et Inventaire ­­Charue, p. 129. P ­ rignon faisait partie des experts qui devaient travailler sur le De Revelatione avec Colombo, Moeller et Smulders (ces deux derniers étaient du Bénélux). Cf. Carnets ­­Charue, p. 169. 298.  F. ­Prignon 1645.



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merveille une fois de plus en première ligne. Tu travailles bien pour la bonne cause»299. Medina: Le 14 janvier 1964, Medina envoie à ­Prignon un Pro Memoria sur divers sujets qui pourra rendre service au cardinal ­Suenens et il demande combien de chanoines honoraires il y a dans un diocèse belge300. Le 17 mars, il estime qu’il faut assurer d’une façon absolue la présence de Henríquez301 et McGrath à la session du mois de mai de la commission doctrinale. Et il demande que S ­ uenens écrive au card. J. Quintero302 pour Henríquez et directement à McGrath lui-même303. Le 19 mars, Medina donne quelques informations au sujet du diocèse de Santiago de Varaguas, où McGrath a été nommé. C’est un petit diocèse et selon Medina la nomination de McGrath est un «promoveatur ut amoveatur»: c’est dur pour McGrath mais plus dur encore pour Panama (où McGrath était auxiliaire). ­Suenens devrait insister pour qu’il vienne à la réunion de la commission de mai, parce que McGrath lui-même ne serait pas très ­ rignon au sujet des 13 Suggeconvaincu304. Le 30 mai, Medina écrit à P rimenti qu’il croit découvrir parmi les «personnes qualifiées» qui ont revu le texte du chap. III du De Ecclesia la main de Bertrams305. Le pape lui-même a revu le texte de l’article du Père Bertrams sur la collégialité paru dans La Civiltà Cattolica il y a deux mois306. Il est très souhaitable que Mgr van Dodewaard307, qui a dit qu’il ne viendrait pas, soit présent à la réunion de la commission. Il suggère que ­Suenens téléphone à van Dodewaard en le priant d’être présent. Et Medina demande à P ­ rignon de 308 le voir, le 31.5, et d’avertir Philips . Philips: Le 15 décembre 1963, Philips parle des travaux de la commission théologique, dit que Tromp n’insiste pas pour que le mois de 299.  F. ­Prignon 1652. 300.  F. ­Prignon 809. 301.  Luis Henriquez Jimenez (1913-1991), évêque auxiliaire de Caracas en 1962, évêque de Valencia (Venezuela) en 1972, membre de la commission doctrinale. 302.  José Humberto Quintero Parra (1902-1984), archevêque de Caracas de 1960 à 1980, cardinal en 1961. Le 4.5.1964 ­Suenens a écrit une lettre en ce sens au cardinal Quintero (cf. F. ­Suenens 1820 avec le projet de cette lettre écrite par ­Prignon, cf. F. ­Suenens 1821). 303.  F. ­Prignon 1643. 304.  F. ­Prignon 1644. 305.  Wilhelm Bertrams (1907-1981), jésuite allemand, professeur de droit canonique à la Grégorienne, peritus conciliaire. En effet Bertrams a collaboré (avec Garrone, Colombo et Ramirez) à la rédaction des 13 Suggerimenti, cf. AS VI, III, pp. 184-185. 306. Cf. W.  Bertrams, La Collegialità episcopale, dans La Civiltà Cattolica 115/1 (1964) 436-455. 307.  Johannes van Dodewaard (1913-1966), évêque de Haarlem en 1960, membre de la commission doctrinale. 308.  F. ­Prignon 1650.

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mars soit le terme des travaux de la commission309 et qu’il espère pouvoir consacrer du temps au De Beata d’ici quelques jours. Il ajoute encore: «Je profite de l’occasion pour vous exprimer ma profonde gratitude pour votre charmant accueil et pour votre très précieuse collaboration. Sans celle-ci nous n’aurions pas réussi en ce que nous avons entrepris»310. Le 19 décembre 1963, ­Prignon répond à cette lettre et dit que selon Mgr Anné une grande partie de la curie a accueilli de mauvais gré l’élargissement des pouvoirs des évêques (le Motu proprio Pastorale munus, du 30 novembre 1963) et prédit de prompts abus. Selon un de ses élèves du Collège belge, le P. Vignon311 aurait demandé au Père Tromp ce qu’il pensait de la nomination de Mgr Charue ­­ [2ème vice-président de la commission doctrinale] et de celle de Philips [secrétaire adjoint de la commission doctrinale]. Réponse: Charue, ­­ il est à Namur. Quant à Philips, après bien de grommellements, Tromp aurait fini par dire que c’était tout ­ rignon écrit qu’il espère que de même un ami312. Le 12 février 1964, P Philips pourra se reposer et retrouver sa forme habituelle. Il écrit aussi qu’il y a une levée de boucliers contre le Motu proprio sur la liturgie et que le texte qui sera publié dans les Acta (Acta Apostolicae Sedis) sera sans doute modifié313. Le 18 juin, Philips écrit à ­Prignon: Mgr ­­Charue lui a dit que le pape suggérait que Philips demande une audience314. Philips demande à ­Prignon de faire les démarches nécessaires pour obtenir cette audience le 6 ou le 7 juillet. Il pense qu’en cette saison la chose sera moins ­ rignon répond remarquée, ce qui serait un avantage315. Le 22 juin, P qu’il fera le nécessaire. Lui-même partira du 3 au 8 juillet à Sorrente avec trois de ses nièces. Mais il renoncera volontiers à ce séjour à Sorrente s’il peut être utile à Philips. Il parle aussi d’une nouvelle alerte: Felici s’efforce d’obtenir que les décisions de la commission de liturgie ne soient considérées que comme des recommandations à soumettre à la décision du Pape et que l’exécution soit confiée à la Congrégation des Rites316. 309.  Tromp se trompe puisque la commission de coordination insistera pour avoir terminé le texte du De Ecclesia pour la fin mars. 310.  F. ­Prignon 807. 311.  Henri Vignon (1894-1963), jésuite français, professeur de théologie à la Grégorienne. 312.  F. Philips 1117. 313.  F. Philips 1119. Pour le Motu proprio sur la liturgie, cf. infra. 314. Cf. Carnets ­­Charue, p. 211. 315.  F. ­Prignon 1653. L’audience de Philips a eu lieu le 7.7.1964. Cf. Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips (n. 46), p. 121. 316.  F. Philips 1165.



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Van Zuylen: Le 7 décembre 1963, van Zuylen écrit une longue lettre de remerciements à P ­ rignon: «Vous avez vraiment fait l’impossible pour nous rendre le séjour agréable dans ce cher Collège belge et pour nous rendre le maximum de services et cela en dépit des charges si absorbantes qui pèsent sur vous. Je vous en suis profondément reconnaissant et je suis très fier que le président du collège, dont tous les évêques apprécient hautement la compétence et le dévouement, soit de mon diocèse!»317. Le 22 mai 1964, van Zuylen remercie ­Prignon de ses félicitations pour sa nomination comme membre de la commission pour la révision du droit canonique. Il se demande s’il pourra combiner cette charge avec ses obligations comme membre du Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia318. c)  Le ‘Motu proprio’ ‘Sacram liturgiam’ (25.1.1964). Le premier Motu proprio concernant la mise en application de la constitution Sacrosanctum concilium a tout de suite suscité d’âpres controverses, parce qu’il ne correspondait pas exactement à la constitution liturgique surtout en ce qui concernait la compétence des conférences épiscopales. Finalement le texte du Motu proprio a été publié dans les AAS avec 19 modifications. Dans cette controverse, le cardinal ­Suenens, les évêques belges et ­Prignon ont eu leur part319. Le 1er février, ­Prignon envoie à ­Suenens une note de Medina, rédigée le 25 janvier 1964320, qui montre les divergences entre la constitution et le Motu proprio. ­Prignon a donné cette note à Onclin321 pour examen. Le 1er février, van Zuylen écrit à P ­ rignon que le Motu proprio a fameusement déçu. C’est dommage d’avoir laissé espérer de grandes réformes pour le 16 février (fin de la vacatio legis), puis de n’accorder pratiquement rien pour la participation des fidèles à la liturgie. Le 3 février, P. Theeuws322, vicaire général du cardinal, demande à P ­ rignon comment on interprète le 317.  F. ­Prignon 2021. Mgr L. De Kesel lui aussi remercie chaleureusement ­Prignon, le 8.12.1963 (F. ­Prignon 2024). 318.  F. ­Prignon 1648. 319.  Pour l’histoire de ce Motu proprio, cf. P. Marini, A Challenging Reform: Realizing the Vision of the Liturgical Renewal, Collegeville, MN, Liturgical Press, 2007. Voir aussi AS VI, III, pp. 651-732. 320.  Cf. F. ­Suenens 1706 et 1793 et Arenas, Inventario de los Archivos Conciliares Chilenos I (n. 63), 1302. 321.  Willy Onclin (1905-1989), professeur de droit canonique à l’Université de Louvain, peritus conciliaire, fut par la suite secrétaire-adjoint de la commission pontificale pour la révision du code de droit canonique. 322.  Paul Theeuws (1914-1993), vicaire général de Malines-Bruxelles, responsable de la liturgie.

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Motu proprio et si le Saint-Siège est disposé à accorder de plus amples facultés à ce moment323. Le 6 février, ­Prignon écrit à ­Suenens que selon les instructions de ­­Charue, il a fait parvenir à Larraona le Pro Memoria ci-joint324. Il n’a pas encore pu répondre à la lettre de Theeuws. Onclin et Anné sont formels: les évêques français n’avaient pas le droit de publier leur ordonnance. Et le projet des évêques de Belgique ne peut être promulgué sans «recognitio» romaine. Il tâchera de voir Bugnini et, si le cardinal le juge utile, il ira à Bologne chez le cardinal Lercaro. Ce matin Mgr del Gallo325 a téléphoné au nom de Mgr Capovilla pour demander quand ­Suenens vient à Rome326. Le 8 février, ­Prignon écrit à ­Suenens qu’il est allé voir Bugnini327 et lui a posé la question du droit des évêques français à publier leur ordonnance. Mais il n’a pas pu obtenir une réponse claire. Il se demande s’il ne vaudrait pas mieux faire un aller-retour jusqu’à Malines pour expliquer les choses328. Le 9 février, Mgr De Kesel329 communique à ­Prignon qu’il a été invité à la réunion de la commission épiscopale de liturgie à Paris. Et il suppose que Martimort a fait rapport à P ­ rignon. Il a l’impression que les prêtres et les fidèles sont déçus. Il espère toujours qu’une mesure plus radicale de la part de Rome accompagnera la mise en vigueur de la constitution330. Dans une conversation téléphonique du même jour, ­Suenens demande à P ­ rignon de lui écrire une lettre dans laquelle il lui fait part des graves préoccupations suscitées par le Motu proprio. S ­ uenens enverra alors cette lettre au pape, pour lui faire comprendre le sérieux de la situation. Le 10 février, ­Prignon envoie cette lettre à ­Suenens. Il commence par dire: c’est avec une profonde tristesse que je vois croître chez la plupart d’entre eux [des évêques, des periti] la désillusion, l’inquiétude et même un certain découragement. Aussi, il me semble de mon devoir d’informer Votre Éminence, modérateur du Concile, de cet état d’esprit dommageable, qu’il ne serait pourtant pas tellement difficile de redresser. 323.  F. ­Prignon 2025. 324.  Le 3.2, ­­Charue signe un Pro Memoria, au nom des évêques belges, pour le cardinal Larraona dans lequel on demande l’usage de la langue vernaculaire pour l’épître et l’évangile; cf. F. ­Prignon 769. Voir aussi Carnets ­­Charue, p. 156. 325.  Luigi del Gallo Roccagiovane (1922-2011), prêtre du diocèse de Rome, camérier secret du pape, évêque titulaire de Camplum en 1982. 326.  F. ­Suenens 1794. 327.  Annibale Bugnini (1912-1982), C.M., secrétaire de la commission préparatoire pour la liturgie et secrétaire du Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia. 328.  F. ­Prignon 2026. 329.  Leo De Kesel (1903-2001), évêque auxiliaire de Gand de 1960 à 1990. 330.  F. ­Prignon 2027.



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Puis il souligne: 1° La grande déception du clergé et des fidèles devant la «pauvreté» des concessions du Motu proprio; 2° La divergence entre le texte du Motu proprio et celui de la constitution au sujet des facultés des évêques à propos des traductions; 3° Les conséquences pour l’esprit œcuménique. Et il termine: «je crains encore davantage – je vous le dis dans la simplicité de mon âme – le mécontentement et l’amertume envers l’administration centrale de l’Église, dont je vois poindre les signes précurseurs chez beaucoup de mes correspondants»331. Dans la lettre d’accompagnement P ­ rignon dit qu’il est certain que le projet rédigé par Lercaro etc. a été modifié par Felici et ses hommes. Un de ceux-ci s’en est vanté devant Onclin à la réunion de la commission De Episcopis. Onclin a de même appris que Lercaro avait écrit au pape pour dire son inquiétude332. Feltin333 a promis de faire la même chose ainsi que Liénart334. Le 22 février, P ­ rignon écrit à S ­ uenens qu’il n’a plus de nouvelles de la modification du texte du Motu proprio. On continue à lui dire que le pape a été vraiment mécontent et peiné de cette affaire. Il demandera aussi à Mgr De Smedt d’en parler au Secrétaire d’État demain au dîner à l’ambassade. Puis il fait un rapport circonstancié sur les travaux de rénovation au Collège belge et dans l’appartement du cardinal335. R. Ceuppens, dans une lettre à P ­ rignon du 10 mars, demande qu’il rappelle à S ­ uenens, qui est à Rome pour la commission de coordination, de prendre contact avec Lercaro pour obtenir une réponse aux trois questions suivantes: 1° Quand peut-on attendre de Rome une réponse à la demande de l’épiscopat belge, de fin janvier 1964, en matière de liturgie?; 2° Quelle procédure doit suivre l’épiscopat belge pour les nouvelles ordonnances à ratifier par Rome?; 3° Le rituel de la concélébration paraîtra-t-il avant le Jeudi Saint?336. Dans ses notes personnelles du 12 avril 1964, ­Prignon note que Martimort est venu au collège et qu’il a raconté les derniers jours de la bataille pour le Motu proprio sur la liturgie et pour 331.  Cf. F. ­Suenens 1796 et F. ­Prignon 772. Ce n’était ni la première ni la dernière fois que ­Suenens tramait des manœuvres avec des lettres «spontanées» de ses correspondants. On peut remarquer que P ­ rignon, par son style littéraire, se prête parfaitement à ce jeu. 332.  Il s’agit probablement de la lettre de Lercaro à Dell’Acqua du 2.2.1964, lettre que le pape a lue et à la suite de laquelle il a décidé de suspendre la publication du Motu proprio dans les AAS (cf. AS VI, III, pp. 695-697). Voir aussi Carbone, Il «Diario» conciliare di Monsignore Pericle Felici (n. 279), p. 372. Suite à cette lettre de Lercaro, Felici a préparé une note pour le pape où toutefois il lui conseille de ne pas changer le Motu proprio. 333.  Maurice Feltin (1883-1975), archevêque de Paris en 1949, cardinal en 1953. 334.  F. ­Suenens 1795. 335.  F. ­Suenens 1802. 336.  F. ­Prignon 773 et F. ­Suenens 1803.

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la constitution du Consilium malgré l’opposition de la Congrégation des Rites. Mgr van Zuylen a été choisi comme membre du Consilium à la demande de Martimort. Et P ­ rignon conclut: nous décidons de continuer à nous voir ou nous téléphoner chaque jour337. d)  Divers schémas conciliaires Outre toutes ces activités de ­Prignon, il faut ajouter qu’il a assisté aux réunions de la commission doctrinale, de la commission De Apostolatu laicorum et de la commission mixte pour le schéma 13. Même s’il n’est pas souvent intervenu, cela lui a permis d’être très exactement au courant des discussions et des points litigieux. Les notes personnelles manuscrites en témoignent: 163 + 29 pages sur les travaux sur le De Ecclesia dans la commission doctrinale en janvier, mars et juin 1964; 59 pages sur les travaux de la sous-commission pour le De Revelatione en avril 1964; 2 pages sur les travaux de la commission De Apostolatu laicorum en février 1964338; 30 pages sur les travaux de la commission mixte en mars et juin 1964339. 5.  3ème session La 3ème session a été riche en événements et en émotions: grande joie pour la promulgation du De Ecclesia et du De Oecumenismo, déception pour la Nota Explicativa Praevia et l’ajournement du vote sur la liberté religieuse. Dans son rapport pour l’ambassade, P ­ rignon dresse un 340 excellent bilan de cette session . On ne peut oublier l’énorme travail qui a été réalisé au Collège belge, ni la fatigue et la tension qui en résultaient pour le recteur341. On comprend dès lors – tout en le regrettant – 337.  F. ­Prignon 823. 338.  Il faut noter que ­Prignon n’a assisté que rarement à la commission De Apostolatu laicorum. S’il y était présent à ce moment, c’était parce qu’on y traitait de la question du mandat de l’Action catholique, un sujet délicat qui intéressait particulièrement ­Suenens, qui défendait la Légion de Marie qui n’était pas mandatée par la hiérarchie. 339.  Cf. F. ­Prignon 710-733, 738-745, 746-747. 340. Cf. Poswick, Un journal du Concile (n. 28), pp. 519-535. 341.  Le 15.9.1964, Troisfontaines écrit à ses parents: «Le recteur est complètement crevé! (Entre parenthèses: Il a failli se tuer en revenant [de Belgique à Rome] et a écrasé tout l’arrière de sa voiture sur un mur … il s’endormait au volant)». Et le 20.9.1964, L. Declerck écrit à ses parents: «Le recteur ne dort pratiquement plus, mais il tient encore le coup. Je suis certain qu’à la fin de la semaine il sera épuisé». Et quand le 9.10, ­Prignon partit passer quelques jours de repos chez sa famille à Livourne, son vice-recteur le rappela déjà le 11.10 d’urgence à Rome, à cause des incidents autour de la liberté religieuse. Le 19.11, il écrit: «Le recteur boîte à cause de la fatigue». Et le 29.11: «J’ai eu de fortes craintes pour la santé du recteur (épuisement nerveux total), mais maintenant il est en train de récupérer» (Lettres de L. Declerck à ses parents du 20.9, 11.10, 19.11, 29.11, 1964, Archives Declerck).



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que ­Prignon n’ait pas trouvé le temps pour prendre des notes personnelles sur les événements. Les archives ­Prignon nous montrent surtout comment il a été impliqué dans le débat sur la collégialité des évêques et dans les efforts menés par le cardinal S ­ uenens pour obtenir une ouverture de la doctrine de l’Église au sujet de la contraception. a)  La question du ‘Birth Control’ Le 2 octobre, Delhaye demande à P ­ rignon de remettre à ­Suenens une longue note sur la question suivie d’un texte plus bref en français avec une traduction latine342. Signalons aussi, que lors des projets pour un élargissement de la commission pontificale, ­Suenens a proposé au pape ­Prignon, Janssens et Delhaye. Il n’y a que Delhaye qui sera nommé343. L’intervention au Concile de ­Suenens du 29.10.1964344 Lors de la discussion sur le schéma 13, S ­ uenens a fait une importante intervention sur la question de la contraception, où il demande un élargissement de la commission pontificale qui devrait aussi collaborer avec la sous-commission sur le mariage du schéma 13. Et il fait un appel solennel: «Adiuro vos, fratres. Vitemus novum processum Galilei. Unus enim sufficit pro Ecclesia». Intervention qui a été remarquée aussi dans ­ rignon a collaboré et même la presse345. Les archives montrent que P rédigé en partie cette intervention346. Toutefois il faut remarquer que ­Prignon a essayé – en vain – que S ­ uenens emploie un ton plus modéré347. Ce qui était à prévoir est alors arrivé. Le 4 novembre, le cardinal Aga­ uenens au Collège belge: gianian348, envoyé par le pape, est venu voir S le pape était mécontent du ton employé du discours sur la limitation des naissances, de la mention de Galilée, de la demande aussi bien de la publication de la composition de la commission pontificale que d’une large consultation. Le pape demandait au cardinal de faire une déclaration 342.  F. ­Prignon 1655. 343. Cf. G. Marengo, La nascita di un’Enciclica: ‘Humanae vitae’ alla luce degli Archivi Vaticani, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2018, p. 35, note 71. 344. Cf. Mémoires ­Suenens, pp. 51-54. Et Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph ­Suenens at Vatican II (n. 161), pp. 174-181. 345.  Delhaye écrit, le 1.11.1964, à P ­ rignon: «Le discours de Son Éminence est salué ici avec enthousiasme. On en parle et on m’en parle partout» (F. ­Prignon 2050). Mais dans une lettre du 30.10, le cardinal Ruffini écrit à Cicognani qu’on devrait destituer ­Suenens de son rôle de modérateur (cf. Marengo, La nascita di un’Enciclica [n. 343], p. 36, n. 80). 346.  F. ­Prignon 928A et 928B. Selon Mgr Heuschen, le chanoine P. de Locht aurait inspiré ­Suenens. Cf. F. Heuschen 384, Concilieherinneringen, p. 15. 347.  Voir notamment Journal Moeller, Carnet 32, 4.10.1965, p. 3. 348.  Grigor Agagianian (1895-1971), cardinal en 1946, préfet de la Congrégation De Propaganda Fide, modérateur du Concile, président de la commission De Missionibus.

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mettant les choses au point349. Et c’est évidemment P ­ rignon qui a été chargé par le cardinal de rédiger une brève mise au point qu’il a lue in aula le 7 novembre 1964350. Habilement le texte renvoie à des soi-disant malentendus, parus dans la presse. La façon dont ­Prignon relate cet épisode dans son rapport pour l’ambassadeur est un exemple de discrétion ­ rignon a encore révélé que ­Suenens lui avait et d’habileté351. Plus tard P confié que dans une audience privée ultérieure le pape s’était excusé pour sa manière de faire et se serait même agenouillé devant lui pour demander pardon352. Dans les archives de ­Prignon on trouve également la copie d’un projet d’une longue lettre très personnelle (5 p.) de Mgr De Smedt au pape, où il plaide pour une adaptation de la morale conjugale. On ne sait si cette lettre a jamais été envoyée au pape353. Mais le fait que le projet se trouve dans les papiers de P ­ rignon est un indice que l’évêque de Bruges a consulté P ­ rignon à ce sujet. b)  Le schéma ‘De Ecclesia’ Au début de la session, il y a eu le débat sur le chap. VIII De Beata. Le 17 septembre, le cardinal S ­ uenens est intervenu sur la Vierge Marie dans un sens maximaliste. Cette fois-ci il n’a pas consulté ­Prignon. Ainsi ne faut-il pas s’étonner que ce discours, empreint de la grande piété mariale du cardinal, ait été sévèrement critiqué par des évêques (­­Charue, Heuschen) et des théologiens (Moeller, de Lubac, Congar). Même ­Prignon a pris ses distances354. 349.  Cf. Note manuscrite de P ­ rignon, 4.11.1964, F. ­Prignon 1036. Voir aussi F. Philips 1921 et F. Heuschen, Concilieherinneringen, p. 16. 350.  Pour les projets de ce texte (dont un manuscrit par ­Prignon), cf. F. ­Prignon 931AE, et 1046. Voir aussi F. ­Suenens 2245-2246. 351.  «Il apparut également assez vite que le Pape refusait d’accéder à la demande de Mgr ­Suenens. C’est du moins le sens que beaucoup à Rome donnèrent à la mise au point faite par le cardinal quelques jours après. Sans rien retirer du fond de son discours, celui-ci en effet affirmait que la décision sur les modalités des travaux – aussi bien que le jugement ultime sur le fond – revenait au Pape seul. Maints évêques pensèrent que cette mise au point avait bien pu être suggéré par le pape lui-même. On n’en a toutefois aucune preuve. Si l’avenir devait donner crédit à cette hypothèse, il y aurait là un signe de plus que le pape tenait à marquer ses distances vis-à-vis du Concile et affirmer sa primauté comme cela devint très clair dans la suite». Cf. Poswick, Un journal du Concile (n. 28), p. 513. 352.  Cf. F. Heuschen, Concilieherinneringen, p. 16. 353.  F. ­Prignon 2053 et F. De Smedt 1353. 354. Cf. Journal Congar, II, p. 142: «Mgr ­Prignon me dit que les Belges (évêques et experts) sont furieux du discours du cardinal S ­ uenens». Et dans son rapport pour l’ambassade, P ­ rignon écrit prudemment: «L’intervention du cardinal ­Suenens, dont la piété mariale est bien connue, n’a pas laissé de surprendre les uns et les autres. Il s’est détaché en effet de sa majorité habituelle. Il semble avoir employé certains termes explosifs dans un sens très général, sans se rendre compte séance tenante que ces mots avaient pris un sens technique cristallisant les oppositions». Cf. Poswick, Un journal du Concile (n. 28), p. 467.



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Les votes sur la collégialité et l’expensio modorum du chap. III De Hierarchia ont encore dominé les débats de la commission doctrinale lors ­ rignon y était fortement impliqué. On a d’abord été de la 3ème session. P fort étonné de ne trouver que très peu de documents à ce sujet dans ses archives. Le mystère s’est éclairci quand on a inventorié les papiers de Philips, où l’on a trouvé qu’en février et mars 1969, P ­ rignon a envoyé – sans faire de photocopies – sa documentation autour de la Nota Explicativa Praevia à Philips355. Heureusement ­Prignon a à cette occasion dactylographié des notes qu’il a prises pendant les réunions de la commission doctrinale du 22 octobre et du 6 novembre et une note sur les événements des 10, 11 et 16 novembre356. Dans sa lettre à Philips du 2 février 1969, ­Prignon écrit notamment: «Je partage entièrement votre avis que la Nota ne contient rien de plus que le texte. Non seulement la juridiction des Orientaux a été plusieurs fois évoquée dans les débats de la Commission, mais également la question de l’interprétation des documents antérieurs. Les Pères Anastase357 et Fernandez358 ont évoqué le problème lors des débats»359. Dans ses notes personnelles P ­ rignon a aussi griffonné quelques informations sur l’audience de Philips chez le pape du 21 octobre 1964, où on peut déchiffrer que le pape est inquiet au sujet de la collégialité360. c)  Interventions ‘in aula’ de S­ uenens sur les schémas ‘De Missionibus’ (7.11.1964), ‘De Religiosis’ (11.11.1964), ‘De Seminariis’ (4.11.1964) Ces trois schémas intéressaient particulièrement le cardinal S ­ uenens361 qui défendait à leur sujet des idées particulières. ­Prignon n’y a pas collaboré spécialement. Toutefois les archives démontrent que ­Suenens a chaque fois passé son projet de texte à ­Prignon qui a fait quelques 355.  Cf. F. Philips 1922-1936. Philips a alors rédigé sa «Note pour servir à l’histoire de la Nota Explicativa Praevia», publiée dans J. Grootaers, Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, Chap. III) (BETL, 72), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986, pp. 63-159. 356.  F. Philips 1933-1934, 1923-1924. Ces rapports et ces notes de P ­ rignon donnent des détails intéressants sur l’histoire de la Nota Explicativa Praevia. 357.  Anastasio del Ssmo Rosario (Alberto Ballestrero) (1913-1998), O.C.D., membre de la commission doctrinale, archevêque de Turin en 1977, cardinal en 1979. 358.  Aniceto Fernandez (1895-1981), dominicain espagnol, général de son ordre de 1962 à 1971, membre de la commission doctrinale. 359.  F. Philips 1922. Dans une lettre à Martimort du 10.1.1965, ­Prignon juge l’article que Rouquette [dans Études, janvier 1965, pp. 107sv.] a publié insuffisant et erroné et écrit aussi que Parente maintient sa position dans L’Osservatore Romano et qu’il n’a lu jusqu’ici aucune interprétation minimisante (Archives Declerck). 360.  F. ­Prignon 1036. 361. Cf. Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph ­Suenens at ­Vatican II (n. 161), pp. 213-214.

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remarques ou des corrections de style362. Notons aussi que ­Prignon a pris des notes manuscrites sur les réunions de la commission doctrinale et de la commission mixte: 65 p. sur le De Ecclesia (chap. II-IV, VII et VIII), 11 p. sur le De Revelatione et 16 p. sur le schéma 13363. 6.  3ème intersession Après l’immense fatigue de ­Prignon due surtout aux tensions de la settimana nera364, on avait espéré que la 3ème intersession serait plus tranquille365. En fait, il n’en fut rien. Outre l’imprévu de l’ordination épiscopale et du cardinalat de Cardijn366, ­Prignon fut fortement impliqué dans la rédaction du schéma 13, dont S ­ uenens était le rapporteur à la commission de coordination et où le rôle de Philips – après que Haubtmann367 ait été désigné comme rédacteur final – restait fort important, que ce soit pour la rédaction définitive du texte latin ou les discussions à la commission mixte, lors des réunions de février 1965 à Rome, et d’avril 1965 à Rome. La question du Birth Control dans le chapitre sur le mariage dans le schéma 13 mais aussi le travail de la commission pontificale secrète continuait à être l’objet de l’attention particulière de ­Suenens et donc de P ­ rignon. En outre dans le schéma De Religionibus non christianis, le chapitre sur les Juifs continuait à soulever des polémiques, ce qui rendait la présence à Rome de De Smedt nécessaire en 362.  Cf. F. ­Prignon 1023, 1016, 1005. 363.  F. ­Prignon 945-960. 364.  Le 6.1.1965, ­Prignon écrit à Philips: «Mais le voyage à Paris a, je crois, usé mes dernières réserves. À peine rentré ici, j’ai senti tout d’un coup le poids de la fatigue. Je n’avais plus qu’une envie: dormir et encore dormir» (F. Philips 2084). 365.  Un signe en était que l’évêque de Bruges avait décidé de rappeler le vice-recteur pour un stage pastoral dans son diocèse de janvier à juin 1965. En fait, après avoir quitté Rome le 9 janvier, le vice-recteur était déjà de retour à Rome fin février, parce que Mgr De Smedt l’avait rappelé d’urgence à Rome, notamment à cause du travail occasionné par les solennités pour le cardinalat de Cardijn. 366.  Joseph Cardijn (1882-1967), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, fondateur de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, peritus conciliaire, archevêque titulaire de Tusoro le 21.2.1965, cardinal le 25.2.1965. Pour le rôle de Cardijn au Concile, voir le livre de Stefan Robert Gigacz, The Leaven in the Council: Joseph Cardijn and the Jocist Network at Vatican II, University of Divinity, Melbourne, Australie, 2018. Cardijn, n’étant pas évêque résidentiel, ne disposait pas d’un staff de collaborateurs qui avaient une expérience du protocole romain. Une grande partie de l’organisation de certaines cérémonies a été faite par ­Prignon. 367.  Pierre Haubtmann (1912-1971), prêtre du diocèse de Grenoble, aumônier national de l’Action Catholique Ouvrière de 1954 à 1962, peritus conciliaire, directeur national du secrétariat de l’épiscopat français pour l’opinion publique, chargé de la rédaction finale du schéma 13 à la fin de la 3ème session, recteur de l’Institut Catholique de Paris de 1966 à sa mort.



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mars et en mai 1965. Encore une intersession plus que remplie qui a causé de grosses fatigues au recteur368. Pour cette période nous ne disposons que de relativement peu de documents dans les archives, qui se rapportent surtout au schéma 13. a)  Le schéma 13 et le chapitre ‘De Matrimonio’ On constate que P ­ rignon a assisté aux réunions de la commission mixte du 1er au 15 février et à partir du 29 mars où il a été convoqué par Guano et Glorieux369. Pendant ces réunions il a pris abondamment des notes (184 pages)370. Mais avant ces réunions officielles, il avait aussi assisté à une réunion d’un petit groupe de travail (avec Heuschen, Delhaye, P ­ rignon, Schillebeeckx, Heylen371 et van Leeuwen372), convoqué par Heuschen à Hasselt à partir du 11 janvier et qui a rédigé un nouveau projet du chapitre sur le mariage373. On constate aussi que ­Prignon a continué d’étudier la question du Birth Control, certainement à la demande de S ­ uenens, et que lui-même a demandé à Troisfontaines de résumer plusieurs articles concernant la régulation des naissances374. Et ­ uenens écrit à P ­ rignon qu’il a eu un week-end excellent le 1er juin, S discutant sur les problèmes conjugaux avec 55 participants dont le Père de Riedmatten375, qui a pris une part active. Et il a bonne impression de ce côté376. Du 20 au 25 juin 1965, il y a une réunion d’une vingtaine de membres de la commission pontificale. Delhaye y a assisté et, le 30 juin, il écrit un rapport circonstancié à P ­ rignon: avec la position de de 368.  Dans les lettres à ses parents, L. Declerck écrit, le 2.3, que P ­ rignon va prendre 5 jours de repos. Et le 18.6, il note que le recteur doit absolument prendre un mois de repos: «Pour le moment il a perdu un peu son énergie». 369.  Cf. F. ­Prignon 1074 et 1076. 370.  F. ­Prignon 1129-1132. 371.  Victor Heylen (1906-1981), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, professeur de morale à l’Université catholique de Louvain. Sans être peritus conciliaire il a joué un rôle important dans la rédaction du chapitre De Matrimonio du schéma 13. 372.  Bertulf van Leeuwen (1913-2008), franciscain néerlandais, conseiller des évêques indonésiens. 373.  Pour ce «Texte de Hasselt», cf. M. Lamberigts – L.  Declerck, Le texte de Hasselt: Une étape méconnue de l’histoire du ‘De Matrimonio’ (schéma XIII), dans ETL 80 (2004) 485-505. Voir aussi F. ­Prignon 2064, 2065, 2073. 374.  F. ­Prignon 2080-2085. 375.  Henri de Riedmatten (1919-1979), dominicain suisse, secrétaire de la commission pontificale, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations-Unies à Genève. 376.  F. ­Prignon 2061. Il s’agit du VIIe Colloque de Louvain des 29-30.5.1965, colloques organisés à l’initiative de S ­ uenens par l’Institut des Sciences familiales et sexologiques de l’Université Catholique de Louvain (cf. F. ­Suenens, Inventaire des Archives du Cardinal L.J. ­Suenens au sujet de la question du Birth Control et de l’encyclique Humanae vitae, 947-979). De Riedmatten, au début assez rigoriste, a évolué vers une position plus ouverte au cours des travaux de la commission pontificale.

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­Riedmatten (animateur extraordinaire mais plutôt conservateur), de ­Lestapis377 (qui aurait dit: «on espérait la caution du groupe pour des positions dépassées. On nous demandait de défendre Bir-Akkeim [sic: = Bir Hakeim378]»), de Mgr Beans [sic = Binz]379 (très conservateur: «moins étonnant parce qu’il a été cinq ans le collaborateur de Cicognani à la Délégation apostolique de Washington’)»380. b)  Correspondance avec Philips Le 23 novembre 1964, P ­ rignon écrit à Dell’Acqua pour accuser réception du calice précieux que le pape a envoyé à Philips en reconnaissance de son travail à la commission doctrinale. Mgr Philips étant déjà parti en Belgique, P ­ rignon lui a immédiatement téléphoné et il portera lui-même ce calice à Philips381. Le 24 novembre, Philips remercie ­Prignon: «pour tout ce que vous avez si aimablement fait pour alléger le fardeau que nous avions à porter et pour maintenir ma santé. Croyez bien que j’ai été extrêmement sensible à votre prévenance». Et il lui demande de rechercher dans les fardes des Modi du chap. III une note dactylographiée de Mgr Frutaz382 sur le texte du «Sacramentaire Grégorien» à propos de la fundatio super Apostolos383. Le 6 janvier 1965, P ­ rignon écrit à Philips et lui donne quelques réactions au sujet de la Nota Explicativa Praevia: Je recommence seulement à nouer des contacts. Les premiers sont à la fois rassurants et inquiétants. Rassurants en ce sens que la véritable signification du De Ecclesia n’échappe à personne ici. Si on discute le sens de la fameuse Note, c’est qu’on se rend compte de sa vraie portée. Et les ultras n’ont pas encore pardonné au Pape de ne pas avoir renvoyé la collégialité aux calendes grecques. Sauf erreur de ma part, ni L’Osservatore Romano, ni aucun autre organe plus ou moins officieux n’ont jamais publié de commentaires édulcorants dans le sens d’une concession administrative. Mgr Parente a fait paraître un article dans L’Osservatore que je joins à

377.  Stanislas de Lestapis (1903-1999), jésuite français, professeur de sociologie à l’Université grégorienne, membre de la commission pontificale. 378.  La bataille de Bir Hakeim (près de Tobruk) où des Français ont combattu courageusement du 26.5 au 21.6.1942 mais ont été défaits par l’armée du maréchal Rommel. 379.  Leo Binz (1900-1979), archevêque de Saint Paul, Minnesota de 1961 à 1975, membre de la commission pontificale. 380.  F. ­Prignon 1661. 381.  F. ­Prignon 2055. 382.  Aimé-Pierre Frutaz (1907-1980), prêtre du diocèse d’Aosta, historien, secrétaire du Pontificio Comitato delle Scienze storiche, relator à la Congrégation des Rites, peritus conciliaire. 383.  F. ­Prignon 1657. Pour la Note de Frutaz, cf. F. Philips 1331.



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cette lettre384 … Il [le Père Rouquette385] ne semble pas se rendre compte que le «munus» implique déjà la potestas et ne voit pas la portée de l’«actu pleno»386. J’ai constaté que plusieurs (y compris Mgr Descamps387) n’interprétant pas correctement ce «pleno», minimisent la portée du texte voté par les Pères388.

Le 14 janvier, Philips répond à P ­ rignon et écrit notamment: «Comme il fallait s’y attendre, on écrit à propos du De Ecclesia et surtout du chapitre III une foule de choses plus ou moins exactes. Le P. Smulders389 vient de publier dans Streven un article sur la Nota Praevia plutôt regrettable390 …Vous savez probablement que le Pape m’a fait remercier une fois de plus et toujours avec effusion. Il est donc certain qu’il est d’accord avec les textes [du De Ecclesia]»391. c)  Autre correspondance Le 22.11.1964, Mgr De Kesel remercie chaleureusement ­Prignon: «Si nous étions fatigués, combien plus vous devez l’être, vous qui [vous êtes] préoccupé du Concile, du Collège belge, du cardinal, des évêques, de l’ambassade, vraiment la sollicitudo omnium ecclesiarum. Je vous en reste très reconnaissant…»392. Même son de cloche dans une lettre de Mgr van Zuylen du 25 novembre 1964: «Une fois de plus vous vous êtes dépensé au maximum pour vos hôtes … Je vous suis profondément reconnaissant pour tout et vous dis combien je suis fier de ce que ce soit un de mes prêtres qui reçoive si bien les évêques belges dans leur séminaire de Rome et les aide de toutes façons dans leurs activités conci­ rignon on trouve aussi une note de van liaires»!393. Dans les papiers P Zuylen «Constitution d’un diocèse du Limbourg», du 25.3.1965, ­destinée 384.  Pour l’article de Parente: voir L’Osservatore Romano, 19.12.1964: «Al vertice del Concilio Ecumenico». 385.  Robert Rouquette (1907-1980), jésuite français, rédacteur d’Études pendant le temps du Concile. 386.  Voir le texte de la Nota explicativa praevia 4 «[Collegium] A. v. non est semper in ‘actu pleno’, immo nonnisi per intervalla actu stricte collegiali agit et nonnisi consentiente Capite». 387.  Albert Descamps (1916-1980), professeur d’exégèse à l’Université catholique de Louvain, évêque auxiliaire de Tournai en 1960, recteur de l’Université catholique de Louvain de 1962 à 1970. 388.  F. Philips 2084. 389.  Pieter Smulders (1911-2000), jésuite néerlandais, peritus conciliaire. 390.  P. Smulders S.J., Het Concilie in mineur, dans Streven 18 (1964-1965) 339-357. Dans son journal du Concile [non publié] le père Smulders note, le 10.12.1964: Ce matin j’ai achevé mon article pour Streven sur les événements du Concile. 391.  F. ­Prignon 1659. 392.  F. ­Prignon 2054. 393.  F. ­Prignon 2056.

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au Saint-Siège. Van Zuylen y expose les arguments pour l’érection de ce nouveau diocèse et aussi les difficultés à résoudre. Mais il plaide pour ne plus tarder394. Le 21 mars 1965, la maison d’édition Herder à Rome envoie à P ­ rignon un enregistrement au magnétophone du discours que S ­ uenens a tenu lors de la présentation du livre Discorsi del Cardinal Lercaro en novembre 1964395. Le Père Xavier Seumois396 donne une réponse détaillée dans une lettre, du 20 avril 1965, à une demande de P ­ rignon au sujet de la place réservée aux laïcs dans le schéma des Missions397. Le Père André Hayen398 envoie, le 6 mai, une lettre à ­Prignon sur deux problèmes: 1° la morale conjugale, où il recommande l’article de Martelet399, Morale conjugale et vie chrétienne400; 2° le schéma De Presbyteris401. Le 1.6.1965, Grootaers remercie P ­ rignon de ses encouragements et demande ses critiques sur son article récemment paru dans la revue Alma Mater402. d)  Varia Les archives contiennent encore une note manuscrite de P ­ rignon sur une réunion avec Martimort et Etchegaray, le 26 avril 1965, où l’on a discuté du déroulement de la 4ème session (commencer par la liberté religieuse avec un vote de prise en considération, puis le schéma 13 avec un vote de principe)403. On y trouve aussi le texte «Aperçu sur les travaux des commissions conciliaires», rapport rédigé pour l’ambassade404. On peut noter que L. Declerck a commencé à classer les papiers conciliaires 394.  F. ­Prignon 1500. En fait, le diocèse de Hasselt n’a été érigé qu’en 1967. 395. F. ­Prignon 2057. Le 18.11.1964, ­Suenens avait présenté à Rome le livre de G. Lercaro, Cristianesimo e mondo contemporaneo, Roma, Herder, 1964. 396.  Xavier Seumois (1915-1994), Père Blanc belge, peritus conciliaire. 397.  F. ­Prignon 1660. Il est probable que ­Prignon avait demandé ces informations pour le cardinal ­Suenens. 398.  André Hayen (1906-1988), jésuite belge, qui a enseigné la philosophie à Egenhoven; il a quitté le sacerdoce. Hayen avait prêché la retraite annuelle pour les étudiants du Collège belge en avril 1965. 399.  Gustave Martelet (1916-2014), jésuite français, conseiller théologique des évêques francophones d’Afrique. 400.  G. Martelet, Morale conjugale et vie chrétienne, dans NRT 87 (1965) 245-266. 401.  F. ­Prignon 2060. 402.  F. ­Prignon 2062. J. Grootaers, Leuven op het concilie, dans Onze Alma Mater 2 (1965) 80-107. 403.  F. ­Prignon 1149. 404.  F. ­Prignon 1145. Publié dans Poswick, Un journal du Concile (n. 28), pp. 552556 (en date du 12.4.1965).



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de P ­ rignon à partir d’avril 1964405, papiers fort intéressants parce que ­Suenens lui a donné beaucoup de ses propres documents. 7.  4ème session La 4ème session a été une course contre la montre pour terminer 11 schémas conciliaires. De plus la «minorité», qui s’était assez bien organisée autour du Coetus Internationalis Patrum, a continué son opposition tenace aux textes sur la liberté religieuse, la déclaration sur les religions non chrétiennes (avec le paragraphe 4 sur les Juifs) et à certains passages du De Revelatione (l’historicité de la Bible) et du schéma 13 (on exigeait une condamnation du marxisme). Ajoutons à cela que le pape est intervenu d’autorité à plusieurs reprises surtout dans le De Revelatione et le De Matrimonio. Si pendant la 3ème session, on attribuait encore ces interventions à des pressions de la curie et de la «minorité», il devenait clair que ces interventions provenaient de l’opinion personnelle et décidée de Paul VI. Quand on sait que plusieurs textes (De Libertate religiosa, De Revelatione et le schéma 13 – surtout le De Matrimonio) ont été menés à bon terme grâce au dévouement de la squadra belga (De Smedt, Philips, ­­Charue, Heuschen, Heylen), on peut facilement s’imaginer que cette session a été exténuante pour le recteur du Collège belge. Mais on constate aussi que le mécanisme et la tactique de la squadra belga étaient bien rodés. Cela en partie grâce à P ­ rignon qui avait des relations privilégiées non seulement avec ­Suenens et d’autres Belges (Philips, ­­Charue, De Smedt, Daem, Heuschen) mais aussi avec Martimort, Medina, Etchegaray et Bonet. Grâce aux notes presque quotidiennes que ­Prignon a prises pendant cette session et qui ont été publiées dans son Journal conciliaire de la 4ème session, nous sommes amplement informés des vicissitudes de cette période mouvementée, notamment de la crise cardiaque de Philips qui a dû rentrer en Belgique, le 7 novembre 1965. On essaiera de décrire ces faits en les groupant autour de quelques textes et événements conciliaires dans lesquels P ­ rignon a été spécialement impliqué. a)  Le ‘De Matrimonio’ et la question du ‘Birth Control’ Les problèmes du mariage ont retenu particulièrement l’attention du cardinal ­Suenens, et aussi de ­Prignon, qui avait été aumônier d’Équipes 405.  Lettres à ses parents du 27.4 et 18.6.1965. En octobre 1965, le Prof. R. Aubert est venu voir ces archives et a parlé de son intention de rassembler toutes les archives conciliaires des évêques et periti belges à Louvain (Lettre à ses parents, 1.11.1965).

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Notre Dame406, lorsqu’il était professeur de séminaire. Il était d’ailleurs partisan d’une ouverture de la doctrine traditionnelle407. On sait que le chapitre De Matrimonio du schéma 13 avait été rédigé en grande partie par Heuschen et Heylen et que la commission pontificale a été instaurée par Jean XXIII en mars 1963, notamment sur une suggestion de ­Suenens. Le fait que Paul VI ait réservé l’étude des questions du Birth Control à une commission pontificale, dont les travaux devaient rester strictement secrets, a compliqué la rédaction du chapitre De Matrimonio. En outre, les hésitations de Paul VI (non pas sur sa conception personnelle de la doctrine mais sur la méthode à suivre) ont parfois semé le désarroi dans le Concile. En fait: 1° Le pape a eu le projet de soumettre cette question aux présidents des conférences épiscopales pendant la 4ème session, projet abandonné par la suite. 2° Sur ordre du pape les travaux de la commission pontificale devaient rester strictement secrets et elle ne pouvait donc pas collaborer avec la sous-commission conciliaire, malgré les demandes de ­Suenens et de Heuschen. Mais pendant la 4ème session, 4 ou 5 théologiens de la commission pontificale devaient assister aux réunions de la sous-commission et il y a même eu une réunion conjointe de quelques membres de la commission pontificale et de la sous-commission au Collège belge, le 21 novembre 1965. 3° En octobre 1965, le pape avait encore l’intention de faire une brève déclaration à ce sujet avant la fin du Concile et a même demandé à ­Suenens des suggestions pour pareille déclaration. Par après, il a renoncé à parler. 4° Malgré le fait que le Concile ne pouvait pas traiter la question de la régulation des naissances, le pape a envoyé, le 23 novembre, 4 modi qui devaient être insérés dans le texte de Gaudium et spes, modi qui confirmaient nettement la doctrine classique. Mais après la réaction de la sous-commission et l’expensio modorum faite par Heuschen et Heylen, qui avaient en fait rendu les modi pontificaux «inoffensifs», le pape a approuvé ce rapport de Heuschen et a accepté que dans le texte conciliaire, la question restait indécise et en suspens.

406.  Mouvement de spiritualité conjugale, fondé par le prêtre français Henri Caffarel (1903-1996). 407.  Voir aussi l’entretien de Poswick avec P ­ rignon. Cf. Poswick, Un journal du Concile (n. 28), p. 595.



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Essayons de décrire le rôle de P ­ rignon dans ces mois cruciaux408. Le 14 septembre, S ­ uenens donne pour avis le projet de son intervention409 in aula à P ­ rignon (268), qui estime, le 16.9, qu’il y aura beaucoup à retravailler et que le texte lui semble devoir être entièrement refait (30). D’ailleurs ­Prignon note, le 29 septembre, que cette intervention de ­Suenens a un peu déçu, parce qu’il se situe uniquement sur un plan pratique et qu’il n’y a aucun développement doctrinal (100)410. Le 28 septembre, dans une audience des modérateurs, le pape dit qu’il a l’intention de demander l’avis des présidents des conférences épiscopales et de publier une déclaration avant la fin du Concile. ­Suenens demande à ­Prignon d’étudier la question et de préparer un texte pour la Conférence épiscopale belge avec les théologiens habituels (Delhaye, Heylen, Anné etc.) (91-92). S ­ uenens a l’intention d’en reparler au pape dans une audience privée. Le 10 octobre, Mgr Dearden411 demande à ­Prignon que les réunions de la sous-commission De Matrimonio puissent se tenir au Collège belge, vu tous les avantages que comportent la situation centrale et l’accueil du collège. P ­ rignon accepte avec empressement (141-142). Le 13 octobre, le vice-recteur a téléphoné à 4 experts (de Riedmatten, J. Fuchs412, Visser413, Zalba414, le cinquième J. Ford415 se trouvait à Washington) de la commission pontificale qui avaient reçu un ordre d’en haut d’assister dorénavant aux réunions de la sous-commission De Matrimonio (163). Le même après-midi, il y a réunion de la sous-commission au collège, où Colombo propose d’écrire dans le texte que l’amour «consistit in voluntate». ­Prignon s’y est opposé parce que c’est faux et que cela 408.  Nous mettons entre parenthèses ( ) le renvoi aux pages du Journal ­Prignon. 409.  Intervention du 29.9.1965, AS IV, III, pp. 30-33. 410. ­Suenens avait notamment proposé de faire une rénovation annuelle de l’engagement conjugal (comme on renouvelle les vœux religieux). Le journal Il Messaggero avait alors écrit que ­Suenens était partisan d’un mariage ad tempus. Alors ­Prignon a, le 30.9, dû rectifier ces propos et a également averti le Père Tucci et L’Osservatore Romano (107108). 411.  John Francis Dearden (1907-1988), archevêque de Detroit, cardinal en 1969, membre de la commission doctrinale, président de la sous-commission du chapitre De Matrimonio. Mais en fait, Dearden a demandé à Heuschen de diriger les travaux de cette sous-commission. 412.  Joseph Fuchs (1912-2005), jésuite allemand, professeur de théologie morale à l’Université grégorienne, membre de la commission pontificale. Dans une lettre à Heylen du 15.3.1966, Fuchs demande par quelle autorité il avait été invité au travail de la sous-commission (cf. F. Heuschen 138). 413.  Johannes Visser (1912-1991), rédemptoriste néerlandais, professeur à l’Academia Alfonsiana à Rome, peritus conciliaire, membre de la commission pontificale. 414.  Marcello Zalba (1908-2008), jésuite espagnol, professeur de théologie morale à l’Université grégorienne, peritus conciliaire, membre de la commission pontificale. 415.  John Ford (1902-1989), jésuite américain, moraliste, membre de la commission pontificale.

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rendrait la commission ridicule aux yeux des gens mariés (163-164). Le 14 octobre, P ­ rignon dit encore à S ­ uenens qu’il ne faut pas aborder le problème du Birth Control comme un conflit de devoirs. Mais que les règles morales classiques doivent être changées (166-167). Le 17 octobre, ­Suenens demande à P ­ rignon – afin de préparer son audience – de rédiger en compagnie des théologiens qui sont sur place, un projet à soumettre au pape concernant la morale conjugale. P ­ rignon y travaille avec Heylen ­ uenens et Delhaye et le porte alors au cardinal416 (173). Le 18 octobre, S téléphone à ­Prignon le résultat de son audience. Le pape a demandé à ­Suenens de préparer un projet de déclaration que le pape pourrait faire. ­Suenens demande à P ­ rignon d’y travailler avec Häring, Heylen et Delhaye (175-176) et d’avoir préparé un projet pour le 26 octobre417. ­Prignon rend alors visite à Häring, le 19.10 (177). Le 20.10, Heylen remet son ­ rignon note que Heylen et avant-projet à ­Prignon418 (182) et, le 21.10, P Delhaye ont composé un bon texte, tandis que le texte de Häring419 lui semble inacceptable (184). Le samedi 23 octobre, il y a une nouvelle réunion chez le cardinal avec ­ rignon doit ­Prignon, Reuss420, Martimort et de Locht. Le 25 octobre, P encore mettre au point deux paragraphes de ce texte, qui sera présenté au pape, le jour suivant (186-187). Le 26 octobre, à 15h, ­Prignon présente ce texte au cardinal et il apporte aussi un autre texte de de Locht, afin que le cardinal puisse juger lui-même celui qu’il devra présenter au pape (189). Le pape dit à S ­ uenens, le 18 novembre, qu’il fera examiner ce texte par cinq personnes (214). Le 19.11, S ­ uenens dit à P ­ rignon que Dondeyne et de Locht trouvent le texte De Matrimonio, rédigé par la sous-commission, fort pauvre. P ­ rignon défend alors ce texte en arguant que Dondeyne et de Locht n’ont pas assisté aux débats du Concile et ne se rendent pas compte que chaque mot est presque une victoire. Il ajoute que, par rapport aux trois quarts de l’Église, le texte est une fameuse victoire et un formidable élargissement, dont les théologiens sauront bien faire leur profit. Cette réponse a l’air de rassurer et de convaincre le cardinal (217). 416.  Pour ces textes: V. Heylen: Projet de notes pour le card. ­Suenens, 18.10.1965, 3 p. (F. ­Prignon 1449). P. Delhaye et V. Heylen, Consultation pour le card. ­Suenens, 18.10.1965, 4 p. (F. ­Prignon 1450). 417. Pour ces projets de textes: de Häring, cf. F. ­Prignon 1452; de Heylen, cf. F. ­Prignon 1454 et 1455A; de de Locht, cf. F. ­Prignon 1459A. 418.  F. ­Prignon 1461-1462. 419.  F. ­Prignon 1452A. 420.  Joseph Reuss (1906-1985), évêque auxiliaire de Mayence en 1954, membre de la commission pontificale.



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Les ‘modi’ pontificaux du 23.11.1965 Ces modi pontificaux sont arrivés à la commission mixte le 24 novembre, et ont été la cause pour ­Prignon d’une semaine extrêmement mouvementée421. Du 24 novembre jusqu’au 3 décembre, le récit de ces jours fatidiques ne comporte pas moins de 47 pages de son Journal. Récit fort intéressant avec force détails passionnants sur les événements et les personnes en cause422. Nous nous limitons ici à un résumé des faits principaux dans lesquels P ­ rignon a été impliqué. Le soir du 24 novembre, le cardinal avec Heylen, Delhaye et P ­ rignon, a commencé les premiers linéaments d’une contre-attaque et rédigé des contre-propositions. À table, avec les évêques et un peu au moins au nom des experts, qui n’osaient pas parler devant les évêques, ­Prignon a dit fermement mais fortement ce qu’il pensait: que ce procédé du pape était vraiment inacceptable; il a même employé le mot de malhonnêteté. Le problème avait été retiré par le pape de la compétence du Concile; pourtant, il envoie des modi qui semblaient résoudre la question par la négative et qui devraient être assumés par la commission et le Concile. Les évêques ont semblé assez surpris de ces propos passionnés mais ­Prignon avait parlé en conscience et avait dit qu’il était temps que les évêques réagissent. Il avait ajouté pour le cardinal qu’il valait alors mieux voter non placet que de faire approuver par le Concile un texte semblable (219-221)423. Le 25 novembre, P ­ rignon assiste à la réunion de la commission et, le soir, il téléphone au cardinal ce qui s’est passé ainsi que toutes les démarches qui sont faites auprès du pape. Mais si le texte n’est pas amendé, P ­ rignon reste bien décidé à faire campagne pour faire voter non placet in aula (227-228). Le 26 novembre, la commission a reçu une nouvelle lettre de Cicognani: la commission peut discuter de la formulation des modi pontificaux tout en respectant leur teneur. C’est alors que Heuschen et Heylen ont réussi à amender le texte, de telle sorte qu’il était clair que la commission n’avait pas voulu trancher la question. Le soir, à table avec les évêques, P ­ rignon trouve que le nouveau texte est acceptable mais que la façon dont on a procédé, prise dans son ensemble, ne 421.  Le 24.11, P ­ rignon note: «Avant d’en venir aux douloureux événements d’aujourd’hui» (217) et le 25.11: «Nous avons vécu aujourd’hui ce qui restera sans doute la journée la plus tragique du Concile» (223). 422.  Outre le Journal de P ­ rignon, on doit aussi se référer au livre de J. Grootaers – J. Jans, La régulation des naissances à Vatican II: Une semaine de crise (Annua Nuntia Lovaniensia, 43), Leuven – Paris – Sterling, VA, Peeters, 2002, où est publié un dossier de 40 documents. 423.  En authentique Liégeois, P ­ rignon, homme toujours aimable et courtois, avait aussi le courage et la ténacité des «valeureux Franchimontois».

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l’est pas. Et il cite le courage de C ­ harue et de Butler424 en oubliant par un simple lapsus de citer la sous-commission. Ce qui a mené à un incident avec Heuschen (229-230)425. ­Prignon a encore fait un effort afin que le texte de la constitution indique bien que les modi insérés venaient du pape (ce en quoi il a, avec le concours de Heuschen, réussi) et afin que quelques renvois à l’encyclique Casti connubii soient enlevés du texte, cette fois-ci sans résultat (235, 239). Le dimanche 28 novembre, le cardinal est toujours d’avis qu’il faut voter non placet, mais P ­ rignon lui demande d’attendre la réaction du pape (qui devait encore approuver la relation de Heuschen). Et le cardinal téléphonera encore à ­Prignon (236)426. Le soir du lundi 29 novembre, ­Suenens téléphone de Bruxelles à ­Prignon qui dit que selon lui le danger est conjuré. Le cardinal dit alors: «Est-ce que tu donnes ta parole en conscience?». P ­ rignon répond: «Oui». Le cardinal poursuit: «Si c’est comme ça, je ne déclenche pas la campagne de voter non placet» (240). Et quand, le 3 décembre, de Locht et Dondeyne viennent trouver P ­ rignon pour lui dire que les évêques devraient voter non placet, P ­ rignon leur rétorque que le monde est averti d’avance que le Concile ne prendra pas de décision sur le point le plus délicat puisque le pape se l’est réservé (254). Et ainsi le 4 décembre, le chapitre De Matrimonio a été voté avec 2.110 placet contre 98 non placet et 4 votes nuls. b)  ‘De Revelatione’ Schéma difficile et délicat, qui déjà à la 1ère session avait été l’objet d’âpres controverses et qui pendant la 2ème intersession avait été à nouveau rédigé par une sous-commission, présidée par ­Charue. Lors de l’expensio modorum pendant la 4ème session, Tromp a parlé d’une lettre du pape à la commission427. Philips qui voulait empêcher que le pape intervienne à nouveau dans le travail de la commission (comme il l’avait fait avec la Nota Explicativa Praevia) a cherché alors à introduire des changements mineurs dans le texte pour donner satisfaction au pape. ­Prignon était au courant de cette manœuvre mais la plupart des experts, dont Moeller, l’ignoraient. Finalement cette manœuvre a échoué et la ­conséquence a été que ­­Cicognani, 424.  Christopher Butler (1902-1986), bénédictin anglais, abbé de Downside, évêque auxiliaire de Westminster en 1966, membre de la commission doctrinale. 425.  On doit bien constater que la fatigue et la tension de ces jours avaient mis les nerfs des évêques et des periti à bout. 426.  À cause des funérailles de la reine Élisabeth (1876-1965), le 30.11, ­Suenens était rentré en Belgique, le 28.11 et est retourné à Rome, le 1.12. 427.  En fait, il s’agissait d’une lettre de Felici à Ottaviani, du 24.9, dans laquelle il disait que le pape demandait qu’on parle plus clairement de la nature constitutive de la Tradition, comme source de la Révélation (AS V, III, p. 377).



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au nom du pape a envoyé, le 18.10, une lettre à Ottaviani428 en exigeant des modifications au sujet de la Tradition (non omnis doctrina catholica ex sola Scriptura probari queat), la suppression de l’expression veritas salutaris et l’affirmation de la historica fides Evangeliorum. Pendant ces semaines P ­ rignon a d’abord soutenu Philips (121-122) et puis a fait tout son possible pour éviter une intervention du pape, en demandant à plusieurs reprises à ­Suenens de convaincre le pape de ne pas intervenir: le 5 octobre (129-130), le 10 (141) et encore le 18 mais sans résultat (174). Le 16 octobre, P ­ rignon demande à Heuschen de ne pas retourner en Belgique mais de rester à Rome pour assister à la commission doctrinale du 19 octobre, mais Heuschen refuse. Après la réunion, le 19 octobre, P ­ rignon dira au téléphone à Heuschen qu’on a regretté son absence. Cette réunion a été fort pénible pour Philips surtout à cause de l’attitude d’Ottaviani et de Bea, lequel a fortement attaqué la veritas salutaris. Le soir au Collège belge Philips se plaint amèrement aux évêques et P ­ rignon passe encore une heure avec Philips et Moeller pour se détendre et commenter les événements. Il conclut ainsi son récit: «Encore une nuit du Collège belge comme nous en avons déjà connu tant depuis l’ouverture du Concile» (180)429. Un nouvel incident s’est encore produit le 29 novembre. Philips avait réussi à remplacer dans le texte veritas salutaris par Deus nostrae salutis causa [ablatif] (en vue de notre salut) (Dei Verbum 11). Mais dans L’Osservatore Romano on avait traduit: «Dio, causa [nominatif] della nostra salvezza». Mgr C ­ harue a alors demandé à P ­ rignon de faire une note avec tous les arguments montrant bien le sens du texte430. L’affaire fut arrangée (237, 243). Mais une dernière péripétie devait encore survenir. On avait remplacé dans Dei Verbum 7 «communicantes» qui se rapportait aux apôtres par «communicans» se rapportant au Seigneur. Le P. Betti fut ému et vit là un mauvais coup de Tromp. ­Prignon se rend avec Betti chez ­Charue et de là chez Florit431. Florit va trouver Ottaviani et l’erreur fut corrigée ­ rignon terminera son Journal conciliaire de la (261)432. Non sans raison P 428. Cf. AS V, III, pp. 459-460. 429.  Dans sa contribution Évêques et théologiens de Belgique (n. 70), ­Prignon écrit: «Mgr Philips fut à ce point affecté par cet incident que le soir même … il se plaignit amèrement aux évêques belges [en disant ]: ‘Parce que ces messieurs ont du rouge sur la poitrine [Ottaviani et Bea], ils peuvent vous traiter de menteur et ne vous laissent même pas le droit de vous défendre’» (p. 175). 430.  Pour cette note de 2 pages, voir F. ­Prignon 1580 et Inventaire ­Charue, p. 179. Cf. AS V, III, pp. 635-636. 431.  Ermenegildo Florit (1901-1985), archevêque de Florence en 1962, cardinal en 1965, membre de la commission doctrinale. 432. Cf. AS V, III, pp. 655-656.

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4ème session en rapportant le mot de Mgr C ­ harue au moment du départ de la gare: «Monseigneur, veillez bien sur les textes» (264). c)  ‘De Libertate religiosa’ Après l’ajournement du vote sur le schéma De Libertate religiosa lors de la settimana nera de la 3ème session, la 4ème session avait débuté par un débat sur le nouveau texte. Les modérateurs pouvaient alors, sans y être obligés, conclure le débat par un vote de principe: «est-ce que le texte peut être accepté comme texte de discussion et recevoir par après les amendements». Ce qui était normalement une formalité a donné lieu à une discussion serrée. D’une part les critiques du schéma (acerbes surtout de la part du Coetus Internationalis Patrum) faisaient craindre un grand nombre de votes négatifs. Ce qui dans l’opinion publique serait fortement critiqué, surtout que le pape devait se rendre à l’ONU, le 4 octobre suivant. D’autre part, le Secrétariat pour l’Unité et aussi une majorité des Pères conciliaires voulaient absolument une acceptation de principe de cette déclaration. Restait aussi le problème de la formulation de ce vote. Après que dans une réunion des modérateurs et de la présidence du Concile, le 20 septembre, on avait renoncé à procéder à un vote, le pape était intervenu et avait exigé, un vote le jour suivant, mais sur un texte assez flou et même ambigu, avec lequel pratiquement tout le monde pouvait se déclarer d’accord433. Comme on disait à l’époque: le pape avait obtenu son passeport pour l’ONU. Une fois de plus le Collège belge se trouvait au centre des manœuvres avec S ­ uenens comme modérateur, De Smedt comme rapporteur du schéma et P ­ rignon comme conseiller et go-between. Le 15 septembre, P ­ rignon a une longue conversation avec Dossetti, qui juge le texte sur la liberté religieuse très mauvais. Il aurait préféré une déclaration très courte mais formelle, précise et ferme, sans les arguments développés dans le texte, qui ne sont pas au point (32). Le 16 septembre, Cardijn remet à P ­ rignon le texte de l’intervention qu’il compte faire et demande des suggestions (34-35). Le 17 septembre, devant les critiques émises dans l’aula, ­Prignon et Martimort jugent utile de demander au cardinal Lefebvre434 de faire une intervention. Et Medina propose à ­Prignon de faire appuyer l’intervention de Lefebvre par une série d’évêques (38). Le même jour à 16h, De Smedt, impressionné par les critiques, vient chez P ­ rignon pour discuter de la 433.  On trouve une étude détaillée de cette période dans Scatena, La Fatica della Libertà (n. 150), pp. 445-499. 434.  Joseph Lefebvre (1892-1973), archevêque de Bourges, cardinal en 1960.



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tactique à suivre pour la suite des débats, qui pourraient être conclus par un vote. De Smedt part ensuite pour le Secrétariat pour l’Unité pour exposer le problème (39). Le même soir, Etchegaray téléphone encore à ­Prignon qu’à la réunion des 22 conférences épiscopales435, on demande un vote et ­Prignon en avertit De Smedt (39-40). Le 18 septembre, Etchegaray, qui avait vu ­Suenens qui lui avait communiqué qu’il n’y aurait pas de vote, téléphone à P ­ rignon que les évêques qui logent au Séminaire français désirent fermement un vote et il demande à ­Prignon d’intervenir auprès de S ­ uenens pour faire changer la décision (47). Le 19 septembre, De Smedt vient chez ­Prignon et lui communique que Bea écrira au pape pour avoir un vote de principe. Il lit à ­Prignon son projet de Relatio conclusiva, qu’ils corrigent ensemble (50). À 17h, longue réunion de ­Prignon avec Etchegaray, Martimort, Medina et Bonet. Ensemble ils préparent deux textes, soit un ensemble de questions pour le cas où le vote aurait lieu436, soit un projet de déclaration à faire par les modérateurs si le vote n’a pas lieu. Le 20 septembre, De Smedt dit à ­Prignon qu’il accepte le texte préparé la veille au cas où il n’y aurait pas de vote mais y ajoute encore une phrase437. ­Prignon porte alors ce texte au cardinal (52). Pendant la séance Etchegaray et Arrighi avertissent P ­ rignon que la minorité fait circuler des listes pour avoir des signatures soit pour le dépôt d’un contre-schéma, soit pour demander une modification de procédure ou l’instauration d’une commission mixte (Secrétariat – commission doctrinale). P ­ rignon va avertir tout de suite S ­ uenens pendant la séance. Après le déjeuner ­Prignon prépare avec ­Suenens la réunion des modérateurs et de la présidence. À 19h30, ­Suenens, rentré de cette réunion, fait rapport à P ­ rignon (53-56). Le soir, De Smedt apporte au Collège belge le projet de l’intervention de Journet438 et Daem dit à ­Prignon qu’il n’est pas content de ce texte. Le 21 septembre, Martimort et ­Prignon essaient de convaincre De Smedt de demander, dans sa Relatio conclusiva, une collaboration plus étendue avec la minorité (59). Au cours de cette même journée P ­ rignon parle avec Arrighi, Lanne et Martimort et ils sont d’accord pour ­souhaiter 435.  Pour les activités de ce groupe, cf. J. Grootaers, Une forme de concertation épiscopale au concile Vatican II: La Conférence des «Vingt-deux» (1962-1963), dans RHE 91 (1996) 66-112. 436.  Pour ces projets de texte: de Medina, cf. F. ­Prignon 1328A-1328B; de Martimort, cf. F. ­Prignon 1329-1330, 1333-1334. 437.  Cf. F. ­Prignon 1331. 438.  Charles Journet (1891-1975), professeur de théologie à Fribourg (Suisse), ami de Jacques Maritain, cardinal en 1965. Pour cette intervention, cf. AS IV, I, pp. 424-425. ­Prignon dit lui-même, le 21.9, que l’intervention de Journet n’est pas mal, mais qu’il y aurait tout de même des choses à nuancer (59).

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que le Secrétariat élargisse lui-même la commission chargée de la nouvelle rédaction du texte. Le P. Hamer439 voudrait que Philips vienne travailler au texte sur la liberté religieuse. ­Prignon le demande à Philips qui ne peut accepter parce que déjà surchargé (67-68). Le 22 septembre, Bonet suggère à ­Prignon de conseiller à Mgr De Smedt de faire appel à l’évêque secrétaire de la Conférence épiscopale espagnole pour la rédaction du texte sur la liberté religieuse. Ce que De Smedt accepte (72). Et le 26 septembre, Heylen, qui a été coopté parmi les théologiens rédacteurs du schéma et spécialement chargé de la question des rapports avec l’État, l’ordre public etc., lit sa rédaction à ­Prignon auquel elle semble très bonne (85). Et quand Mgr De Smedt semble trop accommodant vis-à-vis de la minorité dans la nouvelle rédaction du texte, ­Prignon prend sur lui d’alerter certains théologiens du Secrétariat. De Smedt a alors mitigé son texte (28 et 29.9) (94, 98). Quand le 28.11, Dell’Acqua envoie encore un modus de Staffa440 à De Smedt, qui était rentré pour quelques jours en Belgique, ­Prignon téléphone à De Smedt qui n’y attache guère d’importance mais demande quand même à ­Prignon d’avertir Willebrands. d)  ‘De Educatione christiana’ Mgr Daem, qui avant de devenir évêque d’Anvers avait été directeur-général du Secrétariat National de l’Enseignement Catholique de Belgique, était le rapporteur du schéma De Educatione christiana. Lui aussi a connu des problèmes, parfois de dernière minute, pour faire arriver son texte à bon port. Difficultés qui lui étaient surtout causées par Staffa, qui voulait obstinément imposer le thomisme comme philosophia perennis dans les séminaires et universités mais aussi par certains évêques français, dont Veuillot441, qui attachaient plus d’importance au rôle de l’État, comme pouvoir organisateur des écoles442. Une fois de plus 439. Jérôme Hamer (1916-1996), dominicain belge, membre du Secrétariat pour l’Unité et peritus conciliaire, cardinal en 1985. 440.  Dino Staffa (1906-1977), secrétaire de la Congrégation pour les Séminaires et Universités, vice-président de la Commissio de Seminariis, de Studiis et de Educatione catholica, cardinal en 1967. Pour ce modus, cf. F. De Smedt 1678-1679. 441.  Pierre Veuillot (1913-1968), archevêque-coadjuteur de Paris en 1961, cardinal en 1967, membre de la commission De Episcopis et Dioecesium regimine. 442.  La différence entre l’optique de Daem et celle de Veuillot peut s’expliquer en grande partie par la situation respective dans leur pays. Tandis qu’en Belgique une large partie (en Flandre, même 70 %) de l’enseignement aussi bien primaire et moyen qu’universitaire était organisée par l’Église, en France, c’était surtout l’État et les instances publiques qui étaient le pouvoir organisateur des écoles. Pour les objections contre ce schéma cf. G. Caprile, Il concilio Vaticano II: Quarto Periodo, Roma, La Civiltà ­Cattolica, 1968, pp. 248-249.



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­­ Prignon, qui avait d’excellentes relations avec Etchegaray et Martimort, a fait fonction d’intermédiaire et de conseiller. Le 25 septembre, Etchegaray demande à P ­ rignon d’avertir Daem des réactions assez violentes d’évêques français et particulièrement de Mgr Veuillot à propos du texte sur les écoles (73). Et le jour suivant, ­Prignon met aussi ­Suenens au courant (83). Le 29 septembre, Etchegaray téléphone encore que Veuillot et d’autres évêques sont vraiment mécontents de certains passages et voudraient demander qu’on puisse encore déposer des amendements, ce qui au terme du règlement n’était pas possible443. ­Prignon en parle avec Daem, qui va se mettre en contact avec Veuillot (99). ­ rignon et lui donne rapport des disLe 1er octobre, Daem vient chez P cussions à sa commission au sujet de la proposition de Staffa d’insérer dans le texte que les universités avaient l’obligation de suivre les principia S. Thomae (114-115, et 118). Il demande aussi conseil à P ­ rignon sur un texte et sur l’opposition des évêques indonésiens444. Le 4 octobre, Daem dit à ­Prignon qu’il ne voit aucune difficulté pour voter encore iuxta modum mais il ajoute qu’au sujet des écoles, il y a division au sein de l’épiscopat français, et qu’en réalité ce que Veuillot voudrait, c’est faire couvrir la réalité française par le Concile (119). Le 8 octobre, ­Prignon communique encore à Martimort et Etchegaray que ­Suenens n’a pas obtenu un nouveau vote iuxta modum (136-137). Le 10 octobre, P ­ rignon cherche encore, avec Bonet, Martimort et Etchegaray qu’on puisse voter avec amendements sur 4 ou 5 points essentiels, où le texte a été notablement amplifié. Ensemble ils rédigent le projet d’une lettre au tribunal administratif445 (142-144). Et le même soir, Martimort et P ­ rignon vont chez Daem, qui est personnellement d’accord mais conseille d’aller voir Mayer446. Le 11.10, il y a une probabilité d’obtenir un vote iuxta modum, mais maintenant Daem, qui est très ému, dit son mécontentement à P ­ rignon. Il craint beaucoup qu’on emploie cette procédure comme un artifice pour essayer de faire passer une doctrine sur les droits de l’État en matière d’éducation, qui est opposée à celle du texte et qui est contraire d’ailleurs 443.  Après l’expensio modorum, le texte ne pouvait plus être voté que par placet ou non placet. Toutefois on chercha encore la possibilité d’amender le texte, sans qu’on doive voter non placet pour certaines parties. 444.  Cf. Lettre de J. Darmajuwana (1914-1994), archevêque de Semarang, au conseil de présidence du Concile, F. ­Prignon 1513. Voir aussi Journal Smulders (non publié), 27.9.1965 et L. Declerck, Inventaire Jozef Van Kerckhoven (non publié, Centre for the Study of the Second Vatican Council), p. 45. 445.  Pour ce texte, cf. F. ­Prignon 1528A-1528B. 446.  Augustin Mayer (1911-2010), bénédictin allemand, secrétaire de la Commissio de Seminariis, de Studiis et de Educatione catholica, peritus conciliaire, cardinal en 1985.

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à toute la politique suivie par les évêques belges depuis l’indépendance (149). Le 12 octobre, Daem dit à P ­ rignon que Felici s’opposerait à la procédure iuxta modum. Mais cela ne suffit pas à calmer ses inquiétudes. Daem revient chez ­Prignon une seconde fois pour lui apporter les épreuves de la relatio qu’il doit lire le lendemain. Et il demande à ­Prignon de la remettre à ­Suenens avant qu’il ne parte pour la réunion des modérateurs avec le pape, afin qu’il ait le temps de la lire et puisse éventuellement défendre le texte de la commission447 (151). Le 13 octobre, ­Prignon peut noter que Daem a retrouvé la sérénité grâce à la majorité plus que réconfortante qu’il a recueillie ce matin448 (162). e)  ‘De pace fovenda et de communitate gentium promovenda’ (‘­Gaudium et spes’, 77-90) L’ambassadeur Poswick a été très inquiet surtout du n. 80 de cette constitution qui condamnait non seulement l’utilisation mais aussi la possession d’armes nucléaires comme immorale449. ­Prignon, qui était moins inquiet de ce texte que l’ambassadeur, a – comme conseiller ecclésiastique – été mêlé à cette préoccupation, qui a été partagée surtout par des évêques des États-Unis mais aussi par Mgr De Smedt. Déjà le 14 novembre, De Smedt appelle P ­ rignon pour dire qu’il trouve le texte trop naïf et de nature à susciter de très graves difficultés et qu’il va déposer un amendement450. ­Prignon lui explique comment le texte a été fait: que le premier texte était trop faible, celui-ci est trop fort, on finirait bien par trouver la juste mesure (205). Le 16 novembre, P ­ rignon constate que l’ambassadeur continue à s’agiter très fort au sujet de la déclaration sur la paix et la guerre et qu’il attend des instructions du Ministre Spaak pour faire une démarche à la Secrétairerie d’État (208-209). Le 19 novembre, ­Prignon traduit pour l’ambassadeur la 1ère section du chapitre sur la guerre afin qu’il voie que le texte n’était tout de même pas aussi redoutable qu’il se l’imaginait451 (211). Et le 29 novembre, ­Prignon discute 447. Précaution pas inutile, puisque le pape avait reçu une lettre de Veuillot. Et ­Suenens a défendu le texte de Daem devant le pape (156-157). 448.  En fait, le 13.10, il y a eu 13 votations mais il n’y a pas eu de votes iuxta modum. Et le maximum de non placet n’a jamais dépassé les 132 votes (sur 2.180 votes). 449.  Dans ses notes et rapports pour le Ministre Spaak, Poswick revient, en novembre et décembre 1965, six fois sur cette question et les efforts qu’il a déployés pour faire changer le texte (cf. Poswick, Un journal du Concile [n. 28], 19.11, pp. 613-622; 24.11, p. 625; 30.11, pp. 626-629; 6.12, pp. 629-632; 10.12, pp. 634-639; 20.12, pp. 641-643). 450.  Pour les modi de De Smedt, cf. F. De Smedt 1706 (sur l’objection de conscience) et 1707 (sur la défense légitime, éventuellement armée). 451.  Pour cette traduction de ­Prignon, cf. Poswick, Un journal du Concile (n. 28), pp. 614-622. Pour la note transmise par Poswick en son nom privé à Mgr Casaroli, cf. F. ­Prignon 1317A.



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encore avec l’ambassadeur du texte sur la paix, parce que manifestement il en exagère la portée et que lui aussi fait des démarches inconsidérées (238). Dans cette matière également on peut constater la sagesse et le bon sens de P ­ rignon. f)  Les contacts et les réunions de ­Prignon avec Martimort, Etchegaray, Medina et Bonet Si avant la 4ème session il y avait déjà des contacts réguliers et amicaux entre ces periti, pendant la 4ème session leurs contacts s’intensifient et ils ont souvent des réunions programmées452. Ils discutent entre eux de plusieurs sujets importants: la réforme de la curie, la possibilité ou non de voter encore une 2ème fois iuxta modum pour certains textes, le rôle des commissions postconciliaires, la façon d’occuper intelligemment les évêques pendant les périodes creuses quand la commission mixte devait retravailler le texte du schéma 13 ou en faire l’expensio modorum. Et à chaque moment de crise (par ex. pour la liberté religieuse, la De Revelatione, le schéma 13), ils se contactaient pour trouver des solutions. En fait, par leur rôle au Concile et leurs contacts, ils étaient en mesure d’influencer parfois la marche des événements. Cela était à attribuer à leur compétence et surtout aux réseaux qu’ils s’étaient constitués. Etchegaray avait des contacts avec l’épiscopat français mais surtout, il était l’animateur des réunions de la «Conférence des 22» (conférences épiscopales) qui se réunissait presque chaque semaine au Domus Mariae; Martimort connaissait bien l’épiscopat français, avait de multiples contacts dans la curie et connaissait également tous les liturgistes; Medina était l’homme de confiance du cardinal Silva Henríquez et de l’épiscopat chilien mais avait aussi des contacts avec beaucoup d’évêques latino-américains; Bonet, catalan, juge à la Rote, connaissait le milieu romain mais aussi le monde espagnol et catalan. Et P ­ rignon était l’homme de confiance de S ­ uenens, avec Döpfner le modérateur le plus influent, et rencontrait presque quotidiennement ­Charue, Philips, Heuschen, De Smedt. Ces cinq periti avaient d’ailleurs une même orientation idéologique (ouverts sans être spécialement progressistes), un esprit œcuménique et un réalisme qui ne dédaignait pas des compromis. Ils étaient pour ainsi dire un reflet de la «majorité» au Concile, ce qui explique leur efficacité. 452.  Pour illustrer quelque peu ces contacts, on constate que dans l’index onomastique du Journal ­Prignon, le nom de Bonet revient dans 21 pages, celui d’Etchegaray dans 41 pages, celui de Martimort dans 57 pages, et celui de Medina dans 18 pages.

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Pour terminer cette session mentionnons encore que P ­ rignon a rencontré à deux reprises des prêtres-ouvriers pour discuter de leur statut (79-80 et 216)453, que Moeller le tenait au courant du projet d’un institut œcuménique à Jérusalem454 (109), que ­Prignon contactait parfois René Laurentin455 pour influencer ses articles dans Le Figaro (167), qu’il a reçu parfois longuement Grootaers (42) et qu’il a encore trouvé le temps de rédiger des rapports fort intéressants et circonstanciés pour l’ambassadeur456. 8.  ‘Postconcilium’ Nous avons mentionné les articles peu nombreux de P ­ rignon sur le Concile dans sa bibliographie. Signalons aussi que ­Prignon quand il a quitté Rome, en 1972, a soigneusement rapporté toutes ses archives conciliaires et les a léguées à la Faculté de Théologie de Louvain-laNeuve. De plus, il a rapporté 5.753 fiches qui, sous la direction de Philips, avaient été confectionnées pour le travail de la commission doctrinale et que ­Prignon a déposées dans le Fonds Philips à Leuven457. De sa correspondance, nous voulons mentionner ici par ordre chronologique surtout les lettres qui se réfèrent au Concile et à l’Église postconciliaire. ­Suenens, le 9.12.1965, remercie chaleureusement ­Prignon: «Merci encore pour tant de serviabilité, de disponibilité, et de précisions théologiques ou pratiques précieuses. Le Concile vous doit beaucoup et je vous en remercie au nom de l’Église. Ce sera, si vous voulez, mon dernier acte de modérateur!»458. Mgr van Zuylen ne tarit pas d’éloges non plus sur P ­ rignon dans sa lettre du 11 décembre 1965: «Vous avez apporté au Concile lui-même directement et indirectement une collaboration des plus fructueuses. Au risque de froisser votre modestie, je vous dis combien je suis fier du rôle que vous avez rempli avec compétence, tact, efficacité: vous avez pris une place toute spéciale dans

453.  Le 25.9, il s’agissait des responsables de la Mission Ouvrière de France avec un prêtre-ouvrier belge, A. Courtoy (1924-1997), du diocèse de Liège, et d’André Depierre (1920-2011) de la Mission de Paris. 454.  Moeller a été le premier recteur de cet Institut œcuménique à Tantur. 455.  René Laurentin (1917-2017), prêtre du diocèse d’Angers, mariologue, peritus conciliare, chroniqueur religieux du journal Le Figaro (Paris). 456. Voir Poswick, Un journal du Concile (n. 28), pp. 581-586, 587-592, 596-608, 643-657. 457.  Cf. F. Philips, pp. 7-8. 458.  F. ­Prignon 2091.



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la contribution que le diocèse de Liège a apportée au Concile et vous savez que celle-ci n’est pas mince»459. Le 19 juin 1970, P ­ rignon envoie une lettre fort nuancée et assez cryptique à Mgr De Smedt, évêque de Bruges: Comme vous m’en aviez chargé, je suis allé il y a quelques jours chez le Cardinal Villot460 et je lui ai fait part de tout ce que vous m’aviez demandé de lui dire. Le Cardinal m’a très bien reçu. Il m’a dit que le pape serait content d’apprendre ces nouvelles et il m’a confirmé qu’il n’avait jamais été question de démission. La consigne est ici de dédramatiser le plus possible l’événement, afin de ne pas faire un «martyr». On se rend très bien compte en effet de l’impact de l’opinion publique. Par ailleurs, on comprend parfaitement la difficulté dans laquelle se trouvent les évêques belges et on ne voudrait pas que cette attitude volontaire d’apparent «détachement» soit mal interprétée par eux. Je suis expressément chargé de vous dire la reconnaissance de l’autorité suprême et l’assurance qu’on vous soutient…461.

Pour comprendre cette lettre, il faut savoir qu’en 1969 et en 1970 le cardinal ­Suenens avait publié deux interviews retentissantes où il critiquait sévèrement non seulement la curie romaine mais aussi le pape462. Les évêques belges n’étaient pas d’accord avec tout le contenu de ces interviews mais surtout avec le modus quo d’articles publiés dans la presse. Mgr De Smedt, au nom des évêques belges, avait alors chargé ­Prignon d’avertir le pape qu’ils se distanciaient de ces interviews mais qu’il ne fallait tout de même pas exiger la démission de S ­ uenens de sa charge d’archevêque, comme certains bruits le prétendaient. C’était une mission fort difficile pour P ­ rignon qui était toujours l’homme de confiance de S ­ uenens. Normalement, il se serait adressé à G. Benelli, substitut de la Secrétairerie d’État, mais celui-ci était aussi un ami personnel et de longue date de ­Suenens. On ne peut qu’admirer l’habileté diplomatique avec laquelle P ­ rignon s’est acquitté de cette mission463. 459.  F. ­Prignon 2092. Heuschen, Philips, Onclin et P ­ rignon appartenaient tous au diocèse de Liège. 460.  Jean Villot (1905-1979), archevêque-coadjuteur de Lyon en 1959, sous-secrétaire du Concile, cardinal en 1965, Secrétaire d’État en 1969. 461.  Archives Declerck. 462. Cf. A. Kasprzak, Une crise entre le centre et la périphérie de l’Église dans l’histoire d’une visite du Cardinal L.-J. ­Suenens au Vatican, en mars 1969, dans ETL 92 (2016) 251-283. 463.  Dans ses notes personnelles ­Suenens écrit, le 30 juillet 1970: «Une autre visite: Mgr ­Prignon venait me dire sa mission reçue de la part des évêques belges auprès du cardinal Villot, pour lui dire, de leur part: 1) qu’ils désavouaient mon interview; 2) qu’un bon nombre des gens étaient de mon avis en Belgique; 3) qu’on demandait de ne pas prendre de mesures contre moi, qui ne feraient qu’aggraver la situation. Mgr ­Prignon fit admirablement de la patinoire sur glace, ayant à la fois à être fidèle à ses mandataires et à ne pas me désa-

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Le 25 juin 1971, Philips transmet à ­Prignon – en top secret – un petit dossier qu’il a envoyé au pape464. Le 14 novembre 1972, De Smedt remercie P ­ rignon parce qu’il a accepté de rapporter en Belgique ses archives conciliaires et il serait heureux de le recevoir à table à Bruges avec Mgr De Keyzer465 et L. Declerck (invitation qu’il a répétée le 11 janvier 1973)466. Le 25 janvier 1974, P ­ rignon envoie à C ­ harue les premières pages de son étude sur le «Peuple de Dieu au Concile». Et il demande l’avis de ­Charue: «ces pages méritent-elles de donner naissance à un article?»467. Le 20 décembre 1980, P ­ rignon écrit une longue lettre à Mgr Danneels468 au sujet de l’audience que le pape Jean-Paul II lui a accordée469. Vu son intérêt nous publions ici ad litteram cette lettre: Durée: une heure et demie, à table en souper tête à tête avec présence totalement muette des deux secrétaires privés. Ton: progressivement décontracté, cordial et permettant la plus grande franchise: «oubliez que je suis le Pape, nous parlons en prêtres et théologiens, au niveau ici de la compétence technique». «Dites tout ce que vous pensez en conscience devoir me dire». Objet: Souvenirs et regrets concernant M. Uylenbroeck470 et A. Descamps «avec qui j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps». – Influence de la situation hollandaise sur la Belgique. Crainte que le synode hollandais ne porte pas les fruits espérés. –  Information biographique sur les activités antérieures de «votre archevêque. Il est jeune mais fait grande impression». vouer pour son compte personnel … autant que possible. Je garde l­’impression que, s’il jette du lest lorsqu’on m’attaque, il est tout de même fondamentalement de mon côté. Il m’a dit au téléphone: ‘Quand on a vécu huit ans à Rome, on comprend le pourquoi de votre intervention, et que c’était la seule forme possible. Merci pour votre courage’. Mais ceci il ne l’a sûrement pas redit aux évêques!» (F. ­Suenens, Archives personnelles, boîte 10). 464.  F. ­Prignon 859. Il s’agit sans doute d’un dossier concernant la Nota Explicativa Praevia. 465.  Maurits De Keyzer (1906-1994), évêque auxiliaire de Bruges de 1962 à 1984. 466.  F. ­Prignon 2127-2128. 467.  Inventaire ­Charue, p. 193. La lettre est accompagnée d’un texte «Le ‘Peuple de Dieu’ à Vatican II», 34+3 p. Ce texte devait comprendre 4 chapitres: I. Rappel historique; II. Le texte et ses commentaires officiels; III. La controverse actuelle; IV. Concluons: le vrai problème posé par Vatican II. Hélas, seuls les deux premiers chapitres ont été élaborés. Ces deux chapitres contiennent beaucoup de détails historiques intéressants et mériteraient une publication. 468.  Godfried Danneels (1933-2019), évêque d’Anvers de 1977 à 1979, archevêque de Malines-Bruxelles de 1979 à 2010, cardinal en 1983. 469.  Il faut se souvenir que le pape avait été élève du Collège belge de 1946 à 1948, où il avait bien connu ­Prignon, Uylenbroeck et Descamps comme condisciples. 470.  Marcel Uylenbroeck (1920-1979), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, adjoint et successeur de Cardijn pour la JOC, secrétaire du Conseil pontifical pour les laïcs en 1967. Uylenbroeck était décédé de maladie, le 2.10.1979, à 59 ans et Descamps d’un accident de voiture, le 15.10.1980, à 64 ans.



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–  Situation générale en Belgique concernant les rapports entre Flamands et Wallons et l’Unité de la Conférence [épiscopale]. Difficulté pour lui de comprendre le problème de Bruxelles. –  Situation en Pologne et relations avec la Russie comme avec l’Occident. Mise en garde contre le danger d’unilatéralisme dans les interprétations occidentales et certains reproches. –  Difficulté de la question des «nouveaux ministères»: «Qu’est-ce que cela veut dire?». –  Idées et mentalité des théologiens. – Ai dit: exagérations certes, imprudences aussi et parfois abus de la «liberté»; d’autre part, malaise assez répandu, concernant les rapports avec le Magistère. Crainte de voir le rôle réduit à répercuter et propager l’enseignement officiel et de manquer d’espace de liberté pour la recherche. –  Enfin, plus de trois quarts d’heure sur le Synode de la famille et le problème de la régulation des naissances. En résumé: me suis efforcé de décrire, avec force exemples, la situation pastorale suite aux déceptions et à la «dureté» de son dernier discours. Longs développements sur la contestation théologique. Ai remis le document de «Leuven» en commentant le contenu. Lui a insisté sur la «vérité» de la doctrine d’Humanae vitae. –  sur l’impossibilité de retirer une norme parce qu’elle est difficile, –  sur l’approbation unanime des évêques du Synode, –  sur l’isolement, en la matière, des Églises occidentales, les arguments opposés par les autres Églises et le devoir d’accepter de se laisser juger par elles, – sur les causes des abandons et du laxisme occidental, sur les conséquences prévisibles, –  sur la distinction entre doctrine et pastorale. Il parlait avec chaleur et la volonté de convaincre. Il n’a pas hésité à reprocher à de nombreux théologiens et à des évêques de ne pas faire leur devoir. Moi ai répondu que nous avions tous le souci de condamner l’hédonisme et ses conséquences mais que cela laissait intact le problème de la «vérité» de la doctrine, qu’on ne pouvait confondre la teneur même de la norme avec arguments tirés des causes et conséquences. –  l’affirmation d’Humanae vitae ne pouvait pas se déduire directement de la Révélation mais était la conclusion d’un raisonnement éthique et ne pouvait donc échapper à l’examen de la raison critique; –  que se posait le préalable de l’autorité de l’Église en cette matière de sa nature, de son étendue etc. – problème insuffisamment étudié jusqu’ici; –  quant à la teneur elle-même, personne parmi les théologiens ne songeait à contester les valeurs fondamentales en cause mais la rigueur extrême de l’application n’était pas si facilement démontrable; – que plusieurs évêques au synode n’avaient pas caché la contestation même au sein de l’épiscopat et que tous n’avaient peut-être pas eu le «courage» – sans procès d’intention – d’exprimer exactement toute leur pensée, –  qu’on ne voyait pas bien pourquoi il fallait interdire ici le recours au conflit de valeurs; –  que le Synode prenait une position, intellectuellement assez curieuse en demandant de nouveaux arguments pour confirmer la doctrine;

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–  que la retractatio personnaliste devait aller nécessairement plus loin que lui-même ne l’avait fait dans son livre; –  que les demandes africaines au sujet du mariage coutumier allaient bien plus loin puisqu’elles concernaient un point de foi; –  que le reproche adressé aux théologiens et aux évêques était justifié si la doctrine de l’encyclique était absolument indubitable. Sinon, on pouvait facilement tomber dans la pétition de principe. Et même, on ne pouvait pas empêcher certains de se demander si le Magistère avait le droit d’imposer aux consciences une norme peut-être particulièrement contestable; –  que la pastorale ici ne pouvait être abandonnée aux seuls jugements individuels; –  que tout ceci postulait l’approfondissement de la réflexion sur la morale fondamentale; etc., etc. J’ai conclu que, après tant d’années de réflexion sur le sujet, je n’étais plus convaincu qu’il s’agissait d’une norme absolue n’admettant aucune exception. Et que s’il jugeait cette position inacceptable, j’étais prêt à offrir ma démission de conseiller théologique de la Conférence. Ce qu’il a refusé. Au cours de la conversation, il m’a dit une fois ou l’autre que certaines de mes observations recoupaient celles faites quelques jours avant par «votre archevêque». Enfin, j’ai insisté pour que dans le Document à paraître, l’approche pastorale soit particulièrement soignée. Il a semblé l’admettre. Enfin, il m’a remercié pour mon courage et ma franchise et a conclu que ses nombreuses occupations, ce soir encore, ne permettaient pas de continuer la conversation. «Il faut revenir encore»471.

On constate que P ­ rignon avait le courage de défendre ses idées. Quelques années plus tard dans une lettre à Martimort du 2 août 1983, ­Prignon mentionne cette audience et écrit: «Cela n’a pas été facile … Je crois bien que j’y ai laissé quelques plumes». Et, le 10 avril 1994, ­Prignon écrit au même que le pape ne lui avait pas caché que certaines de ses prises de position l’étonnaient grandement472. Signalons encore une correspondance avec Jan Grootaers et Roger Aubert473: Le 19 août 1986, ­Prignon envoie à Aubert 2 pages d’observations (avec des précisions sur la collégialité et la Nota Explicativa Praevia) sur la contribution de Troisfontaines au Colloque de Bres­ rignon qui avait d’abord accepté de parler à ce colloque en cia474. P 471.  F. ­Prignon 2122. 472.  Lettres de ­Prignon à Martimort, 2.8.1983 et le 10.4.1994 (Archives Declerck). 473.  Roger Aubert (1914-2009), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, professeur d’histoire ecclésiastique à l’Université catholique de Louvain. 474. Cf. C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de «Lumen gentium», dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio, Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143. Pour la lettre, voir Archives ­Prignon, Diocèse de Liège.



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1986, avait finalement demandé à Troisfontaines de le remplacer, et celui-ci lui avait envoyé son projet de texte. Le 25 février 1987, P ­ rignon envoie à Grootaers quelques observations concernant son introduction historique au Dossier Philips475: Quelques observations à propos du «Dossier Philips»: une note de 6 pages avec des précisions fort intéressantes sur le rôle du pape et sur la collégialité des évêques où Prignon, s’appuyant sur l’histoire des débats au Concile, nuance ­ quelques idées de Grootaers476. Le 21 octobre 1989, ­Prignon envoie encore à Grootaers deux pages de remarques au sujet d’un exposé de Carlo Colombo concernant la détermination canonique ou juridique par l’autorité hiérarchique et la collégialité477. Et le 24 février 1996, Grootaers transmet à ­Prignon des notes478 qu’il a adressées aux professeurs Giuseppe Ruggieri479 et Alberto Melloni480. V. Considérations finales 1.  Dans une publication connue481, Philippe Levillain a déjà attiré à juste titre l’attention sur l’importance des institutions, des procédures et des règlements pour comprendre le fonctionnement de l’assemblée conciliaire. En analysant le rôle de P ­ rignon à Vatican II, on comprend mieux encore que le Concile n’a pas été seulement le fait de quelques grands protagonistes (songeons aux papes, aux cardinaux, aux théologiens célèbres) ni le résultat des organes officiels (présidence, modérateurs, commissions, secrétariat général, etc.) mais a aussi été porté par le dévouement et la compétence de beaucoup de collaborateurs qui ont travaillé en toute discrétion en coulisses. Dans son langage imagé, Moeller, parfois un peu mélancolique, s’est confié un soir: «Si le Concile est un navire, dont le pape est le capitaine, les cardinaux les officiers, et les évêques les passagers, nous les periti nous ne sommes que des pauvres 475. Cf. Grootaers, Primauté et Collégialité (n. 355), pp. 23-61. 476.  Voir Archives ­Prignon, Diocèse de Liège. 477.  F. ­Prignon 2102. 478.  F. ­Prignon 2013. 479.  Giuseppe Ruggieri (1940-), professeur de théologie à Catane, directeur de la revue Cristianesimo nella Storia. 480.  Alberto Melloni (1959-), professeur d’histoire ecclésiastique à Reggio Emilia, directeur de la Fondazione per le scienze religiose Giovanni XXIII à Bologne. Il s’agissait des contributions de Ruggieri et de Melloni dans les volumes 2 et 3 de la Storia del concilio Vaticano II, où ils avaient minimisé le rôle de Philips. 481.  P. Levillain, La mécanique politique de Vatican II: La majorité et l’unanimité dans un Concile, Paris, Beauchesne, 1975.

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matelots qui travaillent dans les soutes». Mais il ajoutait quand même: «Toutefois, sans les matelots le navire ne pourrait jamais quitter la rade». Le Concile était une mécanique compliquée: il fallait non seulement des idées originales et brillantes mais aussi la tactique pour les faire passer. On n’avait pas uniquement besoin d’individualités remarquables mais aussi de personnes sachant collaborer, travailler en groupe, faire des compromis et ne cherchant pas à se mettre en avant482. ­Prignon en était certainement483. Le Concile est donc aussi tributaire des personnes qui permettaient d’activer les rouages de la mécanique conciliaire. On peut penser ici à Martimort, Etchegaray, Medina, Bonet, Tucci et P ­ rignon. L’historiographie du Concile devrait encore approfondir le rôle de ces periti, qui le plus souvent ont œuvré loin des feux de la rampe. 2.  Par l’étude des archives, il devient évident que le rôle de ­Prignon a été rendu possible par le cardinal ­Suenens. Dès la 1ère session, ­Suenens s’est révélé un orateur brillant et polyglotte, un tacticien habile et un homme courageux et tenace. Le fait que tout le monde à Rome savait que ­Prignon était l’homme de confiance de ­Suenens le rendait incontournable. Qui voulait obtenir un résultat savait qu’en beaucoup de cas, il devait passer par S ­ uenens, modérateur influent et efficace, et donc par ­Prignon. Mais d’un autre côté, c’est aussi ­Prignon qui a permis à S ­ uenens de jouer ce rôle au Concile, parce que ­Prignon, excellent théologien et bon exégète et œcuméniste, a réussi à convertir S ­ uenens à ce que Dom Lambert Beauduin a jadis appelé «nos idées». On ne peut pas oublier qu’avant le Concile ­Suenens n’avait guère systématiquement étudié la nouvelle théologie, que sa mariologie était maximaliste et qu’il était plutôt mal vu des milieux œcuméniques484. Le grand mérite de ­Prignon a été de gagner, par sa grande serviabilité, sa modération et sa compétence la confiance de ­Suenens, qui a tout de suite vu le profit qu’il en pouvait tirer. 3.  Les archives montrent également que le rôle de P ­ rignon ne s’est pas limité à être le conseiller de ­Suenens mais qu’il a aussi gagné la confiance d’autres évêques belges. Il a été l’âme de plusieurs réseaux: évêques et 482.  On pourrait ici se demander pourquoi un théologien brillant comme Hans Küng, n’a eu qu’assez peu d’influence directe dans le travail conciliaire. 483.  Le 12.1.1969, P ­ rignon écrit encore à Martimort, après avoir évoqué les tensions dans l’Église: «Je tiens ferme à ma position d’homme-pont. Je continuerai à essayer de rendre justice à tout le monde, de rapprocher les points de vue, de tout faire pour que ne se creuse pas encore davantage ce fossé qui m’angoisse. Et je sais bien qu’une telle position ne peut que m’attirer des coups de tous les côtés. Mais j’y tiendrai ferme» (Archives Declerck). 484.  Par exemple aussi bien de Lubac que Lambert Beauduin étaient déjà avant le Concile fort critiques pour S ­ uenens et ses publications.



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théologiens belges, periti de la commission doctrinale, relais internationaux avec surtout Medina, Martimort, Etchegaray, Bonet. P ­ rignon était moins un spécialiste qu’un généraliste. Par son intelligence, il n’a pas seulement inspiré de bonnes idées aux évêques, mais par sa générosité et serviabilité il leur a aussi rendu la vie, parfois très dure à cause des tensions au Concile, plus aisée et vivable. Dans l’article que ­Prignon a écrit, à la fin de sa vie, il affirme de ses confrères théologiens qui avaient collaboré à la publication: «Je ne puis que constater chez tous les chrétiens évoqués ci-dessus un amour intense de Jésus et un vrai souci de fidélité à la foi commune»485. Une parole qu’on pourrait à juste titre appliquer à P ­ rignon lui-même, qui était vraiment un homme d’Église. VI. Épilogue Le 6 avril 2009, Mgr Joseph Kallas486, archevêque Grec-Melkite catholique de Beyrouth et Jbeil, écrivait à L. Declerck487: Si Père ­Prignon a été un «maître» pour vous il a été pour moi un maître «maître». Je ne puis pas me souvenir de lui, sans sentir une forte émotion monter à la gorge. Je lui dois le meilleur de moi-même. En 1997 ou 1998 de passage à Wavre et à Louvain, pour deux jours, j’ai tenu à chercher et à retrouver sa maison à Liège. Il y vivait avec sa sœur. C’était pour lui dire mon affection et ma reconnaissance après 46 ans de séparation. J’étais alors Supérieur général des Missionnaires de St Paul, dont la maison-mère est à Harissa au Liban. Entre 1952 et 1954 [en fait de 1950 à 1952], Père ­Prignon était notre professeur de philosophie, du temps où les études des grands séminaires s’étendaient sur six ans, dont deux étaient consacrés aux quatre branches de la philosophie, la logique, la métaphysique, la psychologie et la morale. Récemment sorti de Louvain, il nous a enseigné toutes les matières, l’une après l’autre. C’était la première fois qu’il les donnait. Mais il le faisait avec tant de conscience, d’amour, d’application, d’ouverture et d’humilité, qu’il avait influencé la façon de penser de tout le séminaire et nous a laissé le souvenir du professeur le plus proche de ses élèves. Je me souviens qu’il a enseigné aussi certaines matières de patrologie ou de Bible. Il a bien connu nos prières liturgiques, nos offices et nos habitudes. Probablement qu’il a quitté le Liban en 1955 [en fait en 1952]. Pour d’amples informations historiques, veuillez les chercher auprès du ­Séminaire St Paul à Harissa-Liban. La bourgade est petite, mais très célèbre et connue à travers le Liban. 485. Cf. A. ­Prignon, Postface, dans P. Tihon (éd.), Changer la papauté?, Paris, Cerf, 2000, 163-169, p. 168. 486. Joseph Kallas (1931-), prêtre de la Société des Missionnaires de Saint Paul (grec-melkite), archevêque de Beyrouth et de Jbeil de 2000 à 2010. 487.  Archives Declerck.

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Le Père P ­ rignon adorait la lumière éclatante de l’Orient. Il raffolait d’admirer les nuances de ses dégradations, le matin et le soir. Pour un lever ou un coucher de soleil, il abandonnait son travail. Ne me demandez pas davantage. Je ne tarirais pas de mots au sujet de ce prêtre, qui a fortement modelé mon âme. Je m’imbibais, heure après heure, de ses principes scientifiques et spirituels. Ils continuent à orienter mes choix et mes comportements. Avec mes parents, c’est la personne que j’aimerais tant revoir au ciel. Excusez mon émotion. Mais ce n’est pas une personne à me laisser indifférent. En union de prières. + Joseph Kallas Archevêque Grec-Melkite Catholique de Beyrouth et Jbeil

9 LES RELATIONS ENTRE LE CARDINAL MONTINI/PAPE PAUL VI ET MGR/CARDINAL J. WILLEBRANDS QUELQUES DONNÉES NOUVELLES D’APRÈS LES ARCHIVES PERSONNELLES DE WILLEBRANDS

Note préliminaire Depuis la mort du cardinal Willebrands1, grâce au Kardinaal Willebrands­ archief et au Cardinal Willebrands Research Centre, plusieurs publications concernant la vie et l’œuvre du cardinal ont déjà vu le jour2. Récemment un * L. Declerck, Les relations entre le Cardinal Montini/Pape Paul VI et Mgr/Cardinal J. Willebrands: Quelques données nouvelles d’après les archives personnelles de Wille­ brands, in Notiziario 66 (2013) 29-48, avec quelques adaptations. 1.  Johannes Gerardus Maria Willebrands est né à Bovenkarspel (Pays-Bas), le 4 septem­ bre 1909. Il fait ses études secondaires au petit séminaire des pères rédemptoristes à Roermond et à Vaals, et fait une année de noviciat comme rédemptoriste à Bois-le-Duc. En 1929, après avoir quitté le noviciat des rédemptoristes en 1928, il devient étudiant au grand séminaire de Warmond et, en 1934, il est ordonné prêtre du diocèse de Haarlem. De 1934 à 1937, il entreprend des études de philosophie à l’Angelicum à Rome où il obtient, en 1937, un doctorat avec une thèse sur Newman (John Henry Cardinal Newman: Zijn denkleer en haar toepassing op de kennis van God door het geweten). De 1937 à 1940, il est nommé chapelain au Béguinage d’Amsterdam et, en 1940, il devient professeur au Philosophicum du grand séminaire de Warmond, dont il devient directeur en 1945. En 1948 il est nommé en outre président de la «Sint Willibrordvereniging». Cette fonction est l’occasion de ses premiers contacts œcuméniques qui aboutissent, en 1952, à la fondation de la «Conférence catholique pour les Questions œcuméniques». En juin 1960, il est nommé, sur proposition du cardinal Bea, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité à Rome. Le 28 juin 1964, il est sacré évêque titulaire de Mauriana et, en 1969, il succède au card. Bea comme président du Secrétariat pour l’Unité. Le 28 avril 1969, Paul VI le crée cardinal. Tout en gardant la présidence du Secrétariat pour l’Unité, il est archevêque d’Utrecht de 1975 à 1983. En 1983, il repart à Rome et continue à exercer la présidence du Secrétariat jusqu’en 1989. En 1997, il rentre aux Pays-Bas et réside à la St. Nicolaasstichting à Denekamp, où il est décédé le 2 août 2006. 2.  Signalons notamment: T. Salemink, «You Will Be Called Repairer of the Breach»: The Diary of J.G.M. Willebrands 1958-1961 (Instrumenta Theologica, 32), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek, Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009 [cité dorénavant: Diary Wille­ brands; voir aussi Archives Willebrands [voir n. 3], Dossiers 321+322+323, 1]; L. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Traduction française annotée (Instrumenta Theologica, 31), Leuven, Maurits ­Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009 [cité dorénavant: Agendas conciliaires Willebrands, voir Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, 2]; A. Denaux – P. De Mey (éds), The Ecumenical Legacy of Johannes Cardinal Willebrands (BETL, 253), Leuven – Paris – Walpole, MA, Peeters, 2012; K.  Schelkens – H.  Witte (éds),

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inventaire des archives personnelles du cardinal a été publié3. L’ouverture de ces archives permet aux historiens de nouvelles recherches. On connaît l’ouverture de Montini, comme substitut de la Secrétairerie d’État, comme archevêque de Milan et comme souverain pontife, à l’œcuménisme4. Et il est évident que les relations entre Montini et Willebrands, qui ont commencé en 1960, ont été intenses surtout pendant le Concile et la période postconciliaire. On ne peut pas oublier que le pape Paul VI luimême a sacré Willebrands évêque, le 29.6.1964, qu’il l’a promu président du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens comme successeur du cardinal Bea, l’a créé cardinal en 1969 et, fait plus surprenant, qu’il a nommé Willebrands archevêque d’Utrecht en 1975 tout en stipulant explicitement que Willebrands devait en même temps rester président du Secrétariat. Les archives de Willebrands donnent quelques détails intéressants sur les relations personnelles entre les deux hommes, qui se sont bien compris et estimés mutuellement. Il est évident qu’on ne peut traiter ici des multiples relations «professionnelles»5 de Willebrands avec le pape pendant et après le Concile. D’ailleurs les archives personnelles ne contiennent que peu de documents à ce sujet, Willebrands ayant confié toutes ces archives au Secrétariat pour l’Unité, qui – pour la période du Concile – ont été déposées aux Archives du concile Vatican II, Archivio Apostolico Vaticano. Notre brève étude comportera trois sections, avec chaque fois quelques événements: I. Les contacts de Willebrands avec Montini avant Vatican II. II. Quelques contacts de Willebrands avec le pape Paul VI pendant le concile Vatican II. III. Quelques événements de la période postconciliaire. J. ­Willebrands, John Henry Cardinal Newman: Zijn denkleer en haar toepassing op de kennis van God door het geweten (Willebrands Studies, 1), Bergambacht, 2VM, 2013. K. Schelkens, Johannes Willebrands: Een leven in ­gesprek, Amsterdam, Boom, 2020. 3.  L.  Declerck, Inventaire des Archives personnelles du Cardinal J. Willebrands, secrétaire (1960-1969) et président (1969-1989) du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, archevêque d’Utrecht (1975-1983) (Instrumenta Theologica, 35), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Theologie en Religiewetenschappen – Peeters, 2013 [cité dorénavant: Archives Willebrands]. 4.  Voir notamment: Istituto Paolo VI, Paolo VI e l’Ecumenismo. Colloquio Interna­ zionale di Studio. Brescia, 25-26-27 settembre 1998, Brescia, 2001 [cité dorénavant: Paolo VI e l’Ecumenismo]. 5.  Il s’agit ici des contacts et des péripéties liés à la rédaction de plusieurs textes conciliaires (Nostra aetate, Unitatis redintegratio, Dignitatis humanae), des contacts du pape avec des personnalités du monde œcuménique [Willebrands les accompagnait lors de leurs audiences avec le pape], de la levée de l’excommunication entre Rome et ­Constantinople le 7.12.1965, de plusieurs voyages de Paul VI (notamment à Jérusalem, à Constantinople et à Genève) etc.



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I. Les contacts de Willebrands avec le cardinal Montini avant Vatican II On sait qu’à l’initiative de Willebrands et de son ami Frans Thijssen6, la Conférence catholique pour les Questions œcuméniques (CCQŒ)7, qui regroupait une série de théologiens internationaux a été érigée en 19528. Willebrands et Thijssen ont tenu au caractère international de ce groupe et les réunions ont eu lieu en Allemagne, Suisse, Pays-Bas, France et Italie. Willebrands et Thijssen, qui avaient d’ailleurs tous les deux fait des études universitaires à Rome et parlaient couramment l’italien, ont toujours cherché à avoir des relations en Italie. Non seulement à Rome, où ils tenaient les instances romaines (Saint-Office, Congrégation orientale, les professeurs Bea, Boyer et Tromp, les bénédictins de San Anselmo, le collège grec) au courant de leurs activités mais aussi par ex. dans les Pouilles9, à Assise10, en Lombardie et dans le Piémont. Le 12 novembre 1958, Willebrands, qui cherche des contacts en Italie pour la CCQŒ, rend ainsi visite à C. Colombo11, à Venegono12. Ce dernier deviendra membre de la Conférence, et, le 25 juin 1959, apprend à Willebrands que le cardinal Montini aimerait bien qu’une réunion internationale soit organisée à Gazzada, à la Villa Cagnola. Willebrands prend alors la décision d’écrire au cardinal Montini13. Quand, en 1959, la CCQŒ conçoit le projet de rédiger une «Note du Comité directeur de la CCQŒ sur la restauration de l’Unité chrétienne à 6.  Frans Thijssen (1904-1990), prêtre du diocèse d’Utrecht, œcuméniste, ami fidèle de Willebrands avec qui il a fondé – en 1951-1952 – la Conférence catholique pour les Questions œcuméniques, consulteur du Secrétariat pour l’Unité. 7. Voir L. Declerck, Mgr J. Willebrands et la Conférence catholique pour les Ques­ tions œcuméniques: Ses archives à Chevetogne, avec une Introduction par P. De Mey (Instrumenta Theologica, 39), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2015 (cité dorénavant: Archives CCQŒ). 8. Cf. M. Velati, Una difficile transizione: Il cattolicesimo tra unionismo ed ecume­ nismo (1952-1964), Bologna, Il Mulino, 1966, pp. 17-174 et P. De Mey, Johannes Wille­ brands and the Catholic Conference for Ecumenical Questions (1952-1963), dans Denaux – De Mey (éds), The Ecumenical Legacy of Johannes Cardinal Willebrands (n. 2), 49-77. 9.  Voyages dans les Pouilles, en novembre 1958 et en mai 1960, cf. Diary Willebrands, pp. 61-62, 160-161. 10.  XVIII Corso di Studi Cristiani, organisé par «Pro Civitate Christiana» en août 1960 (Diary Willebrands, pp. 202-204). 11.  C. Colombo (1909-1991), professeur au séminaire de Venegono, professeur et recteur de la Facoltà Teologica di Milano, peritus conciliaire, évêque titulaire de Vittoriana, sacré évêque avec Willebrands par Paul VI le 28.6.1964, conseiller théologique et homme de confiance de Montini. 12.  Diary Willebrands, p. 57. 13.  Diary Willebrands, p. 108.

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l’occasion du prochain Concile», le P. C. Dumont14 écrit à Willebrands: «Pour la diffusion ultérieure (même en très petit nombre) Mgr Montini estime qu’il ne faut rien faire sans la permission de la Secrétairerie d’État, car on pourrait s’en formaliser et il en résulterait un grand dommage. Il en irait autrement si les autorités en décidaient autrement: il est possible qu’elles soient heureuses d’entendre des avis autorisés; mais c’est à elles de le dire, pas à nous de le supposer. Telle est, du moins, l’opinion catégorique de Son Éminence»15. Les Archives Willebrands nous renseignent sur trois contacts avec Montini en 1960: 1.  Une lettre de Willebrands à Montini à l’occasion de ses conférences à Milan, Bergamo, Brescia, Legnano et Turin du 3 au 13 février 196016 Dans cette lettre du 19 février 1960, Willebrands traite trois sujets: (a) Il communique d’abord le texte de la conférence qu’il a tenue à Milan et en d’autres villes italiennes. Il indique aussi avoir eu, le 10 février 1960, une rencontre à la maison du pasteur Ribet17 avec les pasteurs protestants. Du côté catholique y assistaient également Alberto Bellini18, professeur du séminaire de Bergame, et Franco Falchi19, secrétaire du groupe «Unitas» à Milan. Le pasteur Ribet a exprimé le souhait d’organiser à Milan plusieurs rencontres par an entre théologiens catholiques et pasteurs protestants20. Le prof. Bellini demandera 14.  Christophe Dumont (1898-1991), dominicain français, directeur du Centre d’études Istina, consulteur du Secrétariat pour l’Unité. 15.  Pour la lettre de C. Dumont à Willebrands, 11.3.1959 et la «Note», voir Archives Willebrands, Dossier 34. 16. Cf. Archives Willebrands, Dossier 22 et Archivio della Segreteria dell’Arcivescovo Montini, Milan, Sacerdoti, 237-700 [Nous remercions Mme G. Adornato de nous avoir communiqué quelques documents des Archives Montini à Milan]. Voir aussi l’article fouillé de A. Maffeis, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico dagli anni giovanili all’episcopato milanese, dans Paolo VI e l’Ecumenismo, 82-85, qui traite amplement de ce sujet et montre que dans le diocèse de Milan il y avait, dans les années 50-60, plusieurs groupes actifs pour l’œcuménisme (Unitas, le Centro San Fedele des Pères jésuites). 17.  Alberto Ribet (1905-1989), pasteur protestant vaudois à Milan de 1950 à 1964. 18.  Alberto Bellini (1919-2012), professeur au séminaire de Bergame, consulteur du Secrétariat pour l’Unité. 19.  Franco Falchi, avocat, protestant vaudois converti au catholicisme, secrétaire du mouvement «Unitas» à Milan. 20.  Entre janvier 1960 et novembre 1964, il y a eu à Milan 24 rencontres entre pasteurs et prêtres catholiques. F. Falchi fut la cheville-ouvrière de ce groupe et il envoyait fidèlement les rapports de ces réunions à Willebrands (cf. Archives Willebrands, Dossier 22, 3).



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l’autorisation à Montini. Et Willebrands ajoute qu’il n’est pas de son ressort de juger de l’opportunité de telles réunions et qu’il est d’avis que du côté catholique, les prêtres participants ne soient pas uniquement des «studiosi» mais aussi des prêtres avec une responsabilité pastorale. (b) Il fait part à Montini de l’existence de la CCQŒ et envoie une note de 4 pages à ce sujet. En même temps il annonce à Montini que la CCQŒ, après avoir pris contact avec Carlo Colombo et Aldo Locatelli21, a l’intention de tenir sa prochaine réunion à la Villa Cagnola du 19 au 23 septembre. Il serait honoré si Montini pouvait être présent. Il transmet aussi à Montini la «Nota sulla restaurazione dell’unità»22. (c) Il ne lui a pas été possible de demander une audience à Montini lors de son récent séjour, mais au début mai il fera un voyage à Rome et pourrait alors s’arrêter à Milan et obtenir une audience. Déjà le 25 février, le cardinal Montini répond à Willebrands. Il lui dit qu’il suit avec intérêt ces activités et est heureux qu’elles sont animées par l’amour pour la vérité, la prudence et la charité. Bien sûr, les difficultés pour atteindre le but sont très nombreuses et, humainement parlant, à l’heure actuelle insurmontables. Mais «apud Deum omnia possibilia sunt»23. 2.  L’audience de Willebrands chez Montini, le 11 mai 1960 Le 8 mai, Willebrands et Thijssen se rendent d’abord à Davos (Suisse) pour rendre visite à la secrétaire malade de Willebrands, Corinna De Martini24 qui s’y trouvait dans un sanatorium; le 10 mai, ils vont à la Villa Cagnola à Gazzada pour préparer la réunion de la CCQŒ en 21.  Aldo Locatelli (1925-2018), professeur de théologie à Milan. 22.  Il s’agit de la traduction italienne de la «Note du Comité directeur de la ‘Conférence catholique pour les Questions œcuméniques’ sur la restauration de l’Unité chrétienne à l’occasion du prochain Concile (15 juin 1959)». 23.  Dans sa «Presentazione» du livre de C. Boyer, Il problema ecumenico oggi, Brescia, Queriniana, 1960, Montini avait encore écrit: «Deus potest facere miraculum reditus immediati omnium christianorum ad unitatem et huius miraculi desiderium honorat Dei bonitatem et omnipotentiam. Attamen oeconomia ordinaria regni Dei in hoc mundo alia procedit via, illa nempe nostra humanae experientiae evangelicae praedicationi obvianti» (cité dans M. Velati, Dialogo e rinnovamento: Verbali e testi del Segretariato per l’unità dei cristiani nella preparazione del concilio Vaticano II (1960-1962), Bologna, Il Mulino, 2011, p. 751). 24.  Corinna De Martini (1921-2011), d’origine italienne, née en Suisse, membre du mouvement De Graal, secrétaire de Willebrands au Secrétariat pour l’Unité de 1961 à 1995.

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s­ eptembre prochain et, le 11 mai, ils sont reçus en audience par Montini. Dans son Journal Willebrands a noté: Le matin nous sommes allés chez le Cardinal. Nous avons obtenu une audience. Le Cardinal était très simple et cordial. Il avait une pleine confiance dans notre travail et dans notre méthode. Il nous donna quelques bons conseils pour les dialogues avec les pasteurs. Il nous demandait ce que nous voulons lui dire ou demander. Nous lui avons parlé de la conférence de Gazzada en septembre. Mais à cette date il a un «piccolo Sinodo» avec 200 doyens, etc. Cependant il trouvera l’occasion pour venir. Nous lui parlons de la Villa Cagnola qui pourrait devenir un «Bossey»25 catholique. On pourra en discuter. Le Cardinal est extrêmement gentil avec nous. Après nous faisons connaissance avec Mgr Prandoni26, président d’Unitas à Milan27.

3.  La visite du cardinal Montini à la réunion de la CCQŒ à la Villa Cagnola, Gazzada, 19-24 septembre 1960 Cette 10ème réunion de la CCQŒ était importante. C’était la première réunion après l’érection du Secrétariat pour l’Unité et en présence de son président, le cardinal Bea et son secrétaire Willebrands. La plupart des membres présents de la CCQŒ étaient déjà ou deviendront membre ou consulteur du Secrétariat. Willebrands a pu écrire que c’était comme la première réunion non-officielle du Secrétariat pour l’Unité28. Le Cardinal Alfrink, en vacances dans les Alpes italiennes, a célébré l’eucharistie, le 20 septembre. Et, le 22 septembre, le cardinal Montini est venu saluer la conférence29. Dans son témoignage pour la béatification de Paul VI en date du 24 juin 1995, Willebrands raconte l’événement: La «Conferenza cattolica per le questioni ecumeniche» aveva organizzato la sua riunione annuale (la 10a) a Gazzada, nella vicinanza di Milano. Come segretario di questo «Conferenza» avevo invitato il cardinale Montini, arcivescovo di Milano, a onorarci della sua visita. Eravamo un gruppo di 25.  En 1946, le Conseil Œcuménique des Églises a fondé à Bossey (Suisse) un institut pour la formation œcuménique, surtout des laïcs et des jeunes. Willebrands y avait donné cours du 27 octobre au 11 novembre 1958 (Archives Willebrands, Dossiers 221+222). 26.  Narciso Prandoni (1898-1961), chancelier de l’archidiocèse de Milan et délégué pour l’association «Unitas». 27.  Traduction du texte néerlandais (Diary Willebrands, p. 341). Une version plus brève de cette audience dans Archives Willebrands, Dossier 34, 4. 28. Cf. T. Stransky, Preface. Memories of J. Willebrands at Vatican II: An Insider’s Story, dans Agendas conciliaires Willebrands, p. ix. 29. Cf. G. Adornato, Cronologia dell’episcopato di Giovanni Battista Montini a Milano, 4 gennaio 1955 – 21 giugno 1963, Brescia – Roma, Studium, 2002, p. 707. Cette visite n’est pas mentionnée dans le Diary de Willebrands, parce que, le 22 septembre, le cardinal Bea et Willebrands avaient un premier rendez-vous secret avec W. Visser ’t Hooft, secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises, à Milan (Diary Wille­ brands, pp. 209-210).



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40 o 50 teologi cattolici interessati a problemi ecumenici. Il 25 gennaio 1959, Papa Giovanni XXIII aveva annunciato il Concilio ecumenico che si sarebbe indirizzato anche ai fratelli delle altre Chiese e Comunità ecclesiali. Il cardinale Montini rispose che proprio nei giorni della nostra riunione si teneva la seduta del «piccolo Sinodo» dell’Arcidiocesi, ma che sarebbe venuto volentieri un pomeriggio per incontrare il cardinale Bea, presidente del Segretariato per la promozione dell’unità dei cristiani, nonché i teologi presenti. Questo interesse del cardinale Montini, la sua presenza e la conversazione che si è avuta a cui participava anche il padre Yves Congar o.p., ci hanno lasciato una profonda impressione. Era evidente che il cardinale Montini pensava all’impostazione ecumenica dell’iniziativa di Papa Giovanni. Egli aveva già avuto contatti personali con cristiani di altre comunità cristiane, specialmente anglicani, e desiderava approfondire le sue conoscenze in questo campo per meglio servire il Concilio e il Papa30.

Mme Joséphine Schermer-Voest31, qui avait assisté à cette conférence en tant que secrétaire, se rappelle encore l’accueil du cardinal Montini à Gazzada et l’émotion du prof. Joseph Lortz32 – il avait les larmes aux yeux –, quand Montini lui disait «Wir haben Ihnen groszes Unrecht getan». Et elle parle d’une soirée qui a procuré une joie intense à tous les présents33. 4.  Enfin, ajoutons qu’en février 1961, Thijssen a donné une conférence à l’archevêché de Milan pour 200 curés et prêtres. Le jour précédent, il a été reçu par Montini34. Il est typique de la prudence de Montini 30.  Archives Willebrands, Dossier 186. Voir aussi Romana. Beatificationis et Cano­ nizationis Servi Dei Paul VI Positio super vita, virtutibus et fama sanctitatis [cité dorénavant Positio Pauli VI], Roma, Tipografia Nova Res, 2012, Vol. III, Tome 1, pp. 523-524. Déjà, le 22.6.1960, Colombo avait écrit à Willebrands: «Sua Eminenza il Card. Montini con una lettera … mi communicava d’essere disposto ad accettare la presidenza della riunione di Gazzada nella forma che gli avevo accennato: cioè come ordinario del luogo e senza presidenza effettiva (promettendo però una visita)». Et dans une lettre à Willebrands du 10.10.1960, Colombo communique que Montini est d’accord pour qu’il devienne membre du Comité directeur de la «Conférence catholique pour les Questions œcuméniques» et il ajoute: «Sono lieto di comunicarLe questo, come segno dell’interesse che il Card. Montini porta al lavoro della ‘Conferenza’» (cf. Archives CCQŒ, pp. 266 et 102). 31.  Joséfine Schermer-Voest (1913-2005), secrétaire à partir de 1949 de la «St Willibrordvereniging», dont Willebrands était président; de 1964 à 1979 directrice de la «Katholieke Bijbelstichting» aux Pays-Bas. 32.  J. Lortz (1887-1975), luxembourgeois, spécialiste de l’histoire de la Réforme. Montini fait probablement allusion au fait qu’après la guerre Lortz, qui avait été nommé à Münster à la place de G. Schreiber (écarté par le régime nazi), a été accusé de sympathies national-socialistes. Cf. G. Lautenschläger, Joseph Lortz (1887-1875): Weg, Umwelt und Werk eines katholischen Kirchenhistorikers, Würzburg, Echter, 1987. 33.  Lettre de J. Schermer-Voest à J. Willebrands, 13.2.1995, p. 1 (Archives Wille­ brands, p. 393). 34.  Archives Willebrands, Dossier 22.

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que, le 15 janvier 1961, il demande des informations au sujet de Thijssen à Mgr Prandoni. Prandoni peut le rassurer, en disant que c’est un collègue de Willebrands et que Montini avait déjà donné son accord pour cette conférence de Thijssen. Il rappelle aussi que Montini a voulu consulter le Saint-Office au sujet de Taizé35. Signalons encore que Willebrands a découpé et conservé avec soin un article de Montini Ciò che la Chiesa è, publié dans L’Osservatore Romano, 9-10.12.196036. II.  Quelques contacts de Willebrands avec le pape Paul VI pendant le concile Vatican II 1.  L’élection de Montini comme pape et les réactions de Willebrands (juin-juillet 1963) Quand la radio annonce, le 21 juin à 11h que la fumée est blanche Willebrands va avec Arrighi37 vers la place Saint-Pierre et note: «Grande joie pour l’élection de Montini et le choix du nom de pape Paul VI. Le chan. Pawley38 vient nous offrir du champagne au Secrétariat». Vers 17h, Willebrands téléphone à Bea et note: «Lors de la première obédience, le pape Paul VI a dit au card. Bea que le Secrétariat doit continuer son travail comme auparavant. À la seconde obédience, il a transmis ses salutations au Secrétariat, à l’Institut Biblique et à la Grégorienne»39. F. Thijssen exprime lui aussi, dans une lettre du 23 juin, à Willebrands, sa grande joie pour cette élection: «Deo gratias et félicitations! Après cette annonce j’ai relu le discours du nouveau pape, qu’il a tenu au Concile le 5 décembre [1962]. Cela me donnait du courage et de la force sachant que l’héritage du pape Jean sera conservé, peut-être d’une façon un peu plus ‘rationnelle’, mais quand même dans son entièreté. Le pape Paul prendra les desseins du Secrétariat très au sérieux. Cela peut te 35.  Archivio della Segretaria dell’Arcivescovo Montini, Milan, Sacerdoti 242-1093. 36.  Archives Willebrands, Dossier 31, 4. 37.  J.-F. Arrighi (1918-1998), né à Vico, Corse, secrétaire du card. Tisserant, minutante puis sous-secrétaire pour la section occidentale du Secrétariat pour l’Unité de 1960 à 1985, peritus conciliaire, évêque titulaire de Vico Equense et vice-président du Conseil pontifical de la Famille de 1985 à 1992. 38.  B. Pawley, anglican, chanoine du diocèse d’Ely, représentant personnel de l’archevêque de Canterbury à Rome en 1961. Il avait été prisonnier de guerre en Italie et avait connu Montini, lorsqu’il était archevêque de Milan (cf. T. Stransky, Paul VI and the Delegated Observers/Guests to Vatican Council II, dans Paolo VI e l’Ecumenismo, 118158, p. 134, n. 53). 39.  Agendas conciliaires Willebrands, p. 31.



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causer (et aussi à nous tous) encore beaucoup de travail … mais maintenant nous savons qu’un esprit œcuménique équilibré pénétrera toute la vie de l’Église». Le 24 juin, Thijssen ajoute encore à sa lettre: «Ce matin, j’ai reçu ta belle lettre, qui m’a fortement frappé … Je pense que le nouveau pape va te stimuler énergiquement pour continuer ton travail et, comme je l’ai déjà écrit en lisant son intervention au Concile, avec pour tâche d’ériger une commissio mixta pour le De Ecclesia. Si je peux être sincère, j’ai le sentiment qu’il pourra imposer une réforme dans la composition de la commission théologique, qui, à mon avis, a constitué le plus grand frein pour une collaboration loyale»40. Le 5 juillet 1963, Willebrands, dans sa réponse à Thijssen, écrit notamment: Je veux encore une fois t’exprimer ma joie pour l’élection du nouveau pape Paul VI. Tu as évidemment entendu ou lu son allocution lors de son couronnement. Ce qu’il a dit, en français, au sujet de l’activité œcuménique est magni­fique et ouvre des perspectives merveilleuses pour l’avenir. Si, au début, j’avais encore quelque crainte pour une attitude trop intellectuelle ou inspirée par la diplomatie ecclésiastique, cette crainte est complètement disparue après l’audience que j’ai eue avec les observateurs41, qui étaient venus spontanément pour le couronnement. Tu auras lu l’Osservatore au sujet de cette audience. C’était une audience extraordinairement belle: cette attitude du pape, sa grande cordialité et toutes les paroles qu’il a prononcées étaient sublimes, animées d’une grande charité. Il nous a embrassés un par un et tous ensemble, chacun dans sa propre langue, nous avons prié le Notre Père avec le pape. Ils étaient tous fort émus et moi aussi. Par après, en partant quand nous étions déjà dans le couloir près de l’ascenseur, le pape a voulu me voir un instant en privé pour échanger nos impressions au sujet de l’audience qui avait eu lieu. Cela m’a intensément ému et le pape a dit qu’il était très satisfait des activités du ­Secrétariat et que ce grand travail devait être continué dans l’avenir42.

Dans une audience pour le Secrétariat, le 7 juillet 1963, Willebrands note que le «Saint-Père veut toujours soutenir notre travail»43. 2.  Pèlerinage du 4 au 6 janvier 1964 Le pape Paul VI a par ailleurs voulu que Willebrands l’accompagne dans son pèlerinage en Terre sainte du 4 au 6 janvier 1964. En effet, 40.  Archives Willebrands, Dossier 378 (lettre en néerlandais). 41.  Audience du 1.7.1963. Le pape avait donné des ordres pour recevoir les observateurs «con particolare cortesia, con dovuti riguardi» (Agendas conciliaires Willebrands, p. 33). 42.  Archives Willebrands, Dossier 378 (lettre en néerlandais). 43.  Agendas conciliaires Willebrands, p. 38.

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Willebrands et le Secrétariat avaient été activement impliqués dans la rencontre d’Athénagoras et Paul VI à Jérusalem44. Willebrands a soigneusement gardé les souvenirs de ce pèlerinage45. Il a aussi conservé avec soin l’édition du Nouveau Testament par A. Merk (Pontificium Institutum Biblicum, Roma, 1948)46 dans laquelle il a ajouté une carte ms. en français, indiquant que cet exemplaire a été utilisé par Paul VI et le patriarche Athénagoras à l’occasion de leur rencontre à Jérusalem dans le Jardin des Oliviers, en janvier 1964, quand ils ont prié ensemble alternativement en grec et en latin le chapitre 17 de l’évangile de Jean47. Dans son témoignage pour le procès de la béatification de Paul VI, Willebrands en fait le récit suivant: Quando il Patriarca fu informato del pellegrinaggio del Papa, decise immediatamente di unirsi al pellegrinaggio e di incontrare il Papa a Gerusalemme. L’incontro di preghiera ha avuto luogo nell’Orto degli Ulivi. È stato un incontro di preghiera per l’unità. Entrambi hanno recitato insieme la preghiera sacerdotale di Gesù, alternando i versetti del capitolo XVII° del Vangelo di Giovanni. Qualche tempo dopo il Papa mi disse: Non ho mai saputo che in un incontro così breve potesse nascere un’amicizia così profondo48.

3.  Novembre 1965 On sait également le grand rôle que le pape a joué pour que les décrets sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae49) et les religions non chrétiennes (Nostra aetate50) puissent être promulgués. Les relations avec 44.  Agendas conciliaires Willebrands, 8.12.1963-1.1.1964, pp. 83-87 (passim) et P.  Duprey, Témoignage, dans Positio Pauli VI, Vol. III, 1, 431-433 et Documenta, pp. 88-91. 45.  Archives Willebrands, Dossiers 181 et 182. Willebrands a aussi écrit un article pour présenter le voyage du pape: Aspetti ecumenici del pellegrinaggio di Paolo VI, dans La Rocca, 1.1.1964, pp. 15-16. 46.  Archives Willebrands, Dossier 367. 47.  Ce Nouveau Testament a été déposé sur le cercueil de Willebrands lors de son enterrement. 48.  Archives Willebrands, Dossier 186. Au sujet de la visite de Paul VI à Athénagoras à Constantinople les 25 et 26 juillet 1967, Willebrands écrit dans ce même témoignage: «Il Papa sapeva che era il desiderio del Patriarca di incontrarlo di nuovo a Roma. Ma la situazione politica della Turchia non permetteva un viaggio del Patriarca a Roma. Il Papa mi disse in una udienza: So che il Patriarca desidera venire a Roma, ma che le circostanze glielo impediscono. Ora, ho pensato di recarmi a Costantinopoli. Che ne pensa lei? – Ho risposto: Santo Padre, sono tanto preso all’improvvista che non oso e non so bene come esprimere la mia gioia; è una grazia, una ispirazione del Signore. La Chiesa se ne rallegrerà. Il Papa rispose: Non parli di questo a nessuno. Desidero andarvi». 49. Voir Agendas conciliaires Willebrands, pp. xxix-xxxii. 50.  Voir les voyages entrepris par Willebrands, avec l’approbation du pape, au ProcheOrient en 1965 pour expliquer le texte de Nostra aetate aux patriarches orientaux (cf.



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Willebrands ont été fréquentes mais ne sont guère illustrées par les archives personnelles de Willebrands. Notons quand même les marques de confiance que le pape a t­ émoignées à Willebrands lors des journées de crise – 16-20 novembre 1964 – concernant la promulgation du décret Unitatis redintegratio. Le 18 novembre, le pape dit à Mgr Dell’Acqua51: «supplichi Willebrands di aiutarmi». Et le jeudi soir, 19 novembre, le pape propose encore trois modifications dans le texte mais laisse à Willebrands la décision ultime de les accepter ou de les refuser (en fait, Willebrands en a refusé deux)52. 4.  Autres contacts Enfin, dans ses Agendas conciliaires, Willebrands a noté les nombreuses audiences avec le pape quand il accompagnait des visiteurs du monde non-catholique ou les observateurs du Concile53. Il faut évidemment mentionner également le sacre épiscopal de Willebrands, le 28 juin 1964, sacre qui a été conféré par le pape lui-même. Mais Willebrands a aussi été reçu plusieurs fois en audience privée54, dont une fois avec son père (le 12 mai 1964), une autre fois le jour de la clôture du Concile, le 8 décembre 1965. Il était alors invité au déjeuner réunissant le pape et P. Felici, secrétaire général du Concile, C. Colombo, P. Macchi55 et B. Bossi56, les deux secrétaires privés du pape57. M. Lamberigts – L.  Declerck, Msgr. Willebrands and Nostra aetate: Diplomacy and Pragmatism, dans Denaux – De Mey [éds], The Ecumenical Legacy of Johannes Cardinal Willebrands [n. 2], 245-259 et Agendas conciliaires Willebrands, pp. xxvii-xxix). 51.  A. Dell’Acqua (1903-1972), secrétaire de la Délégation Apostolique en Turquie et en Grèce de 1931 à 1935 (quand A. Roncalli y était délégué apostolique), substitut de la Secrétairerie d’État en 1953, cardinal en 1967, vicaire général de Sa Sainteté pour la ville de Rome en 1968. 52.  Willebrands a rédigé, le 15.12.1964, un «journal» sur ces journées dramatiques, quand le pape a voulu introduire au dernier moment (après l’approbation des modi par les Pères) des changements dans le texte. Ce journal a été publié par M. Velati, L’ecume­ nismo al Concilio: Paolo VI e l’approvazione di «Unitatis redintegratio», dans Cristiane­ simo nella storia 27 (2005) 427-475. Une version dactylographiée a été ajoutée aux Archives Willebrands, Dossier 324, 7. 53.  Notamment: 1.7, 15.9, 10.10, 11.10, 17.10, 6.12 1963; 7.4, 5.6, 23.9, 9.10, 25.10, 26.10, 30.10, 13.11 1965. Il faut évidemment tenir compte du fait que Willebrands n’a rien noté dans ses Agendas conciliaires en 1962 et dans les périodes 1.1-19.2.1963, 2.120.2.1964, 28.6-8.10.1964, 18.10.1964-1.1.1965. 54.  Notamment: 18.9.1963, 12.5.1964, 12.2, 22.6, 8.7, 13.9, 9.10, 15.10.1965. 55.  P. Macchi (1923-2006), secrétaire privé de Montini et de Paul VI, archevêque et délégué pontifical pour le sanctuaire de Loreto de 1988 à 1996. 56.  Bruno Bossi (1910-1995), prêtre italien, secrétaire de Montini et de Paul VI de 1959 à 1974. 57.  Agendas conciliaires Willebrands, p. 269.

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III.  Quelques événements de la période postconciliaire Nous nous limitons ici à quelques événements que Willebrands a notés dans ses Agendas58. Il est évident qu’il y a eu beaucoup d’autres contacts et rencontres entre Paul VI et Willebrands, mais les Archives nous renvoient à 5 événements. 1.  Un incident concernant l’Instruction de la Congrégation pour la Doc­ trine de la Foi sur les mariages mixtes59. Pour comprendre ces notes de Willebrands dans son Agenda60, il faut savoir que Michael Ramsey, archevêque de Cantorbéry, a fait une visite officielle au pape du 22 au 24 mars 1966, rencontre que Willebrands avait préparée par un voyage en Angleterre du 2 au 4 février 196661. Nous donnons les notes de Willebrands: 18 mars 1966 à 11h, téléphone de Dell’Acqua: venir tout de suite. 58.  Il est assez surprenant que dans les archives personnelles de Willebrands on ne trouve pas de documents qui se réfèrent à sa nomination de président du Secrétariat ou à son élévation au cardinalat, conférée par Paul VI, le 28.4.1969. La succession de Bea par Willebrands (12.4.1969) semble une évidence. Toutefois il faut noter que dans les archives de S ­ uenens (Archives personnelles, boîte 18) on trouve une lettre personnelle de Benelli (25.12.1968), substitut, dans laquelle il demande à ­Suenens des candidats pour succéder à Bea. On ne sait si Benelli a agi de sa propre initiative ou à la demande du pape. Benelli écrit notamment: «Autre problème urgent: la succession du [sic] Bea. Avez-vous des noms à proposer? Moi je pense que les Préfets ne doivent pas obligatoirement être des spécialistes (exactement comme il arrive dans les Gouvernements, où les Ministres ne sont pas des spécialistes, mais des garants d’une certaine politique): ils doivent plutôt être capables d’assurer la coordination de l’activité de ce Dicastère précis avec l’activité en général du S. Siège. Timeo unius viri librum [sic]. Si à la tête de chaque dicastère nous avons des spécialistes, nous risquons de faire des ‘compartimenti stagni’ [hermétiquement clos]. Il faut le spécialiste mais celui-ci doit être le Secrétaire de la S. C. [Sacrée Congrégation] et non pas, obligatoirement, le Préfet. Qu’en pensez-vous?». Dans sa réponse (29.12.1968), ­Suenens conteste ce principe de Benelli et propose sans hésiter le nom de Willebrands et, si ce nom ne va pas, celui de Butler et de Moeller. 59.  S. Congregatio pro Doctrina Fidei, Instructio de Matrimoniis mixtis, 18.3.1966 (AAS 58 [1966] 235-239). Le 31.3.1970, un Motu proprio de Paul VI fera encore des adaptations à la législation sur les mariages mixtes (AAS 62 [1970] 257-263). 60.  Pour ces notes, voir Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agenda de bureau 1966. Nous donnons une traduction des notes de Willebrands, qui sont écrites en néerlandais, et dont nous avons gardé le style télégraphique. 61.  Les annotations de Willebrands du 28.1 jusqu’au 21.3 montrent avec quel soin la visite de Ramsey à Paul VI a été organisée. Willebrands a une audience chez le pape (29.1), il fait un voyage à Londres pour rencontrer Ramsey et Heenan, archevêque catholique de Westminster (1-4.2), il répond à un Memorandum de Heenan – qui a eu une audience du pape, le 13.2 – au sujet de cette visite et il rend visite au chargé d’affaires du Royaume-Uni auprès du Saint-Siège (15.2). Willebrands et son staff sont tout le temps en



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Je prends les traductions de la Déclaratio et les discours du pape [pour la visite de Ramsey]. Téléphone du Père Schmidt62: un journaliste (Pucci [lecture probable]) lui a communiqué que le Motu proprio [en fait une «Instructio»] sur les mariages mixtes sera publié aujourd’hui. Je ne suis au courant de rien. Mais peut-être tout à l’heure chez Dell’Acqua. Chez Dell’Acqua: le texte de l’Instruction sur les mariages mixtes sera publié à 12h. Il se trouve déjà chez L’Osservatore Romano et chez l’Ufficio Stampa. Quelle est ma réaction? Cela signifie claquer la porte à Ramsey. Que faire? Obtenir un délai? On peut remettre jusqu’à 13h. Cela n’a aucune signification? Dell’Acqua dit que le texte est bon. Qu’il doit être publié avant la visite [de Ramsey]. Autrement on pourrait avoir l’impression que ce texte est le résultat de la visite. Et ce texte donne au pape une meilleure position pour un dialogue que l’ancien texte. Et surtout: le texte n’est pas une loi, mais ad experimentum. S’il ne plaît pas, on peut le changer. Ramsey est libre de dire ce qu’il pense. Alors nous pourrons voir. Une consultation préalable des autres églises pourrait entamer l’autorité du pape. Dell’Acqua lit le texte. Je dis que ce texte est meilleur que le précédent; Dell’Acqua est très content du texte (après toutes les difficultés qu’il a connues63) et dit que Bea, au Saint-Office, était d’accord. Je demande: est-ce qu’on a mis Lambeth [le palais de l’archevêque de Cantorbéry] au courant? Non. Alors c’est la première chose à faire. Ramsey ne peut apprendre cela par la presse. Dell’Acqua téléphone au pape; celui est en conversation avec un cardinal. Je dis: ce mythe des cardinaux ici; avant tout il faut mettre Ramsey au courant. Dell’Acqua téléphone à nouveau et demande si on peut avertir le pape et alors le rappeler. Un peu plus tard le pape téléphone. Dell’Acqua dit que je suis content du texte (je proteste en disant: en l’écoutant, je le trouve meilleur que le texte précédent, mais c’est tout) mais que je veux téléphoner à Lambeth. C’est entendu, je peux téléphoner et informer. Nous appelons Lambeth «urgentissime». Je reste seul dans le bureau de Dell’Acqua. J’obtiens la communication avec contact avec Dell’Acqua et la Secrétairerie d’État et le délégué de Ramsey à Rome (Findlow). Le programme, la déclaration commune (préparée notamment avec Moeller, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi) et la célébration liturgique à Saint Paul hors-lesmurs (pour laquelle il a des contacts avec Mgr A. Bugnini) ont été minutieusement préparés. 62.  Stjepan Schmidt (1914-2006), jésuite croate, doctorat à l’Institut Biblique Pontifical de Rome, secrétaire privé du cardinal Bea sur qui il a rédigé une biographie monumentale, S. Schmidt, Augustin Bea, der Kardinal der Einheit, Graz – Wien – Köln, Styria, 1989. 63.  Le problème des mariages mixtes se trouvait au programme du Concile. D’une part le Secrétariat pour l’Unité avait préparé un texte (Vota Subcommissionis VII de Matrimo­ niis mixtis, avril 1962, cf. Velati, Dialogo e rinnovamento (n. 23), pp. 695sv.). Le problème était d’autre part traité dans le schéma «Vota de Matrimonii sacramento», mais, le 20.11.1964, le Concile avait confié la matière au pape, qui, d’ailleurs, avait déjà demandé en août 1964 que la question soit résolue pendant le Concile (AS VI, 3, pp. 278-279) et avait institué une commission pour préparer un Motu proprio (cf. AS VI, IV, pp. 39-46). Nous savons par ses Agendas que Willebrands a été fort préoccupé de ce problème en septembre, octobre et novembre 1965. Après le Concile, la question a été encore soumise au Synode des évêques en octobre 1967.

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David Tustin64. Je raconte brièvement que le texte de l’Instruction paraîtra ce soir dans les journaux; que c’est ad experimentum; une meilleure base pour le dialogue. L’archevêque est libre de donner son opinion et d’exprimer ses souhaits. Le contenu est meilleur qu’autrefois en ce qui concerne les «cautiones» et la bénédiction du mariage. Que moi-même je n’étais pas au courant. Tustin avertira l’archevêque, il remercie pour la communication. Dell’Acqua revient et est content de l’information. En partant je rencontre Duprey65. Il revient d’une visite au roi Constantin. Il demande: on a pu l’arrêter. Non, c’était trop tard. Pourquoi est-ce que nous ne l’avons pas appris un jour plus tôt? De retour au bureau: Téléphoné à [illisible]. Il va aider à mettre les bons accents (sa fille est mariée à un catholique). Mais il n’est pas enthousiaste. Téléphoné à Findlow66. Il trouve important que l’excommunication soit levée. Stransky67 vient. Demande: peut-il lors de son voyage à New York passer d’abord à Londres et apporter le texte à Lambeth? Dîné avec Long68 en ville (avec Corinna [De Martini] et Margriet ­Winkler). Dans l’après-midi Corinna tape le texte de l’Osservatore. Stransky est plus optimiste que Long. Téléphoné à Satterthwaite69 au sujet de la venue de Stransky. Tentatives pour avoir une place dans l’avion: BOAC [British Overseas Airways Corporation] et BEA [British EuropeanAirways]. On y réussit avec l’aide de Mr Cape70 de la Légation pour un vol de BEA, départ à 23 h. de Rome. À 20 h., rentré à la maison.

64.  David Tustin (1935-), à l’époque adjoint du secrétaire général de l’Anglican Office for Inter-Church Contacts, évêque de Grimsby de 1979 à 2000. 65.  P. Duprey (1922-2007), père blanc français, de 1956 à 1963 professeur de théologie dogmatique au Séminaire de Sainte Anne à Jérusalem, sous-secrétaire pour la section orientale du Secrétariat pour l’Unité en 1963, ensuite secrétaire du Pontificium Consilium ad Unitatem Christianorum fovendam de 1983 à 1999, évêque titulaire de Thibaris en 1989. 66.  John Findlow (1915-1970), observateur anglican au Concile, représentant de l’archevêque de Cantorbéry de 1949 à 1956, chapelain de l’église anglicane «All Saints Church» à Rome, de 1966 à sa mort, directeur du Centre anglican à Rome (Piazza Collegio Romano, 2/7), érigé après la visite de l’archevêque Ramsey à Paul VI en 1966. 67.  T. Stransky (1930-2019), Américain, membre de la congrégation religieuse des Paulist Fathers, en 1960 minutante au Secrétariat pour l’Unité. Il a joué un rôle important dans la rédaction du n. 4 de Nostra aetate (sur les relations avec les Juifs) et, après avoir été quelques années supérieur général (de 1970 à 1978) de sa congrégation, il est devenu recteur en 1986 de l’Institut œcuménique de Tantur à Jérusalem. 68.  John Francis Long (1925-2005), jésuite américain, nommé en mai 1963, minutante de la section orientale du Secrétariat pour l’Unité. 69.  John R. Satterthwaite (1925-2014), chanoine anglican, secrétaire de l’archevêque Ramsey. 70.  Donald Cape, premier secrétaire auprès de la Légation de la Grande Bretagne auprès du Saint-Siège.



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19 mars À la maison. À 11 h., téléphoné à Dell’Acqua pour dire que Stransky porte le texte à Lambeth71. Il trouve cela très bien et dit que les premières nouvelles sont très positives.

2.  Une note de retraite Pendant sa retraite, du 25 au 30 mars 1972, à Nemi, Willebrands, dans ses notes personnelles, parle à deux reprises du pape: Pendant la dernière audience le pape a dit: Non stancate … anche se i risultati sono pochi72. Je dois vivre entièrement de la foi et dans le lien de charité qui est propre à l’Église. Ces principes déterminent d’abord ma relation avec le Pape. Il a toujours été comme un père pour moi; il représente le Christ, non seulement comme autorité mais par toute son attitude. Il m’a donné bien des marques de confiance et de charité. De nos jours il y a des critiques sur le Saint-Père qui ne proviennent pas de la foi ou de la charité mais de l’esprit du monde. Je ne peux pas être contaminé par cela. Je dois soutenir le Pape principalement en accomplissant bien la tâche qu’il m’a confiée73.

3.  Un dîner avec les frères de Taizé, Roger Schutz et Max Thurian. Le 8 décembre 1972, le pape invite les frères de Taizé à un dîner à 8h du soir avec Willebrands et les deux secrétaires du pape. Nous transcrivons les notes de Willebrands74: 7 décembre 1972 8h45 Tandis que je délibère avec le p. Duprey comment répondre à Don Macchi, celui-ci me téléphone et demande si j’accepte une invitation du pape pour un repas. Je dis que, selon les informations du p. Duprey, il avait paru moins convenable que j’assiste moi-même à ce repas avec les frères de Taizé et qu’on avait pensé au p. Hamer, qui se trouve cependant à 71.  Le 21.3.1966, Willebrands note encore que le card. Heenan a été mécontent parce que Ramsey a reçu ce texte et lui pas (Agenda de bureau, 1966). 72.  Selon le témoignage de Mgr J.F. Arrighi, le pape aurait dit un jour à Willebrands (à l’occasion d’un échange de vues sur le problème de l’ordination sacerdotale des femmes dans l’Église anglicane): «Eminenza, Ci guardi bene in faccia, Noi abbiamo fatto tutti i passi, mentre loro non hanno fatto niente» (Positio Pauli VI, Vol. III, 1, p. 400). 73.  Archives Willebrands, Dossier 324, texte en néerlandais. 74.  Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agenda de bureau, 1972. Willebrands a écrit ces notes en français. On remarque que souvent Willebrands, quand il est d’avis que ses notes sont importantes pour l’histoire, passe du néerlandais au français, malgré le fait que son français n’est pas sans fautes. Nous avons gardé ad litteram le texte de Willebrands.

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Madrid jusqu’à samedi soir. Don Macchi dit maintenant que l’invitation serait pour vendredi soir. Fin de matinée (+ 13.00). Macchi téléphone de nouveau et dit que le pape m’invite cordialement. Je réponds que j’accepte de tout cœur. Alors Don Macchi demande: qui invitera les fr. [frères] de Taizé? Je suis étonné et dis: est-ce qu’ils ne sont pas encore invités? Il dit non, le Pape voulait être sûr de vous. Je dis: bien, maintenant tout est réglé, mais c’est bien vous qui devez les inviter. Il le fera. 8 décembre à 20.00. Souper chez le pape avec les deux secrétaires et les frères de Taizé, Roger Schutz et Max Thurian. Le pape très cordial, très simple. Il n’est pas facile de juger le fr. Roger qui a tellement insisté pour avoir ce repas, et maintenant est d’une amabilité extrême. Quelques points ont été touchés pendant la conversation, qui était en général agréable, mais n’a pas atteint un niveau exceptionnel au point de vue spirituel ou théologique. On a touché à la question de la double appartenance: Église catholique et Église de son origine. L’élément de la famille a été souligné par le fr. Roger. J’ai parlé de ce même problème chez le Père Wattson, chez le Card. Newman, dans des contextes différents. On a parlé de l’intercommunion. Le fr. Roger s’est exprimé clairement contre: cela diminue et confond la foi eucharistique. J’ai ajouté: et la foi en l’Église. Le fr. Roger a dit que les jeunes actuellement veulent le Christ et non pas l’Église. Il affirme toujours l’importance de l’Église et de Pierre; il met en relief le lien avec Pierre. Après le repas le Pape leur a posé encore des questions concernant leur méthode d’aborder, de contacter les jeunes. Et quels sont les objectifs du Concile des jeunes75? Est-ce qu’on a fixé thème, date, durée? Il y a certainement des points à éclaircir dans un entretien avec le fr. Roger. Cet entretien aura lieu au Secrétariat jeudi prochain à 10h. Le fr. Prieur m’enverra le texte qu’il avait donné au S. Père pour l’audience privée (Le fait a été mentionné pendant le repas que le même jour 8 déc., il y a sept ans, j’étais l’hôte du Pape dans la même chambre au [sic = pour un] repas après la clôture du Concile76).

Le 10 décembre, Willebrands a encore un entretien avec Benelli et note: Le souper chez le Pape avec les frères de Taizé. Benelli avait été contre. Les frères ont tellement insisté, que finalement on a cédé. Ils auraient voulu le repas maintenant, l’audience en janvier. Le pape les a combinés. Benelli m’a dit qu’il y avait un peu de nervosité autour de tout cela. On était content que j’y étais présent.

75.  Taizé a organisé un Concile des jeunes du 30.8 au 1.9.1974. 40.000 jeunes de 100 nations y ont participé. 76. Cf. Agendas conciliaires Willebrands, 8.12.1965, p. 269.



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4.  La nomination de Charles Moeller77 comme secrétaire du Secrétariat pour l’Unité, février 1973. Dans les notes de Willebrands concernant cette nomination, il est remarquable de constater comment le pape consulte Willebrands et est soucieux des aspects humains de cette nomination, qui pour Moeller avait des aspects pénibles. 10 février 197378 à 10.00 audience chez le S. Père. Le pape commence immédiatement à parler de la nomination du p. Hamer79 comme successeur de Mgr Philippe80. Il dit: je vais vous demander un grand sacrifice! Le p. Hamer pourrait prendre la place de Mgr Philippe. Le pape loue les qualités du p. Hamer. Théologien sûr et ouvert, traditionnel dans le bon sens du mot; ici le P. [pape] mentionne le livre du p. Hamer sur l’Église-communion81. Puis il parle de son esprit œcuménique: nous ne devons pas imposer plus que ce qui est imposé par Dieu. Le père Hamer comprend cela. Le Concile a parlé d’une «scala di valori»82. Le père Hamer connaît cela mieux qu’un autre. Pour l’œcuménisme c’est très important d’avoir un homme comme lui à cette place stratégique qu’est le S. Office. J’avoue tout cela, mais pour notre bureau c’est un grand sacrifice, qu’on fait volontiers si c’est demandé au service de l’Église. J’ai raconté quand et comment j’ai connu le p. Hamer, ce qu’il a fait et ce qu’il signifie pour nous. 77. Charles Moeller (1912-3.4.1986), prêtre de Malines-Bruxelles, maître de con­ férences (1949) puis professeur (1954) à l’Institut des sciences religieuses et à la Faculté de Théologie (1974-1982) de l’Université de Louvain, animateur des Semaines œcuméniques de Chevetogne (1942-1965), il donne des conférences sur les grands écrivains du XXe siècle à Louvain et dans diverses parties du monde (cf. ses publications Littérature du XXe siècle et christianisme, vol. 1-5, Tournai, Casterman, 1953-1975, vol. 6 [posthume], Louvain-la-Neuve, Artel, 1993). Nommé peritus du Concile le 7.12.1962, il collabore au sein du Secrétariat pour l’Unité à la rédaction de Unitatis redintegratio, Nostra aetate et Dignitatis humanae. Comme signal d’ouverture au monde moderne, Paul VI le nomme sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1966-1973). Il devient aussi le premier recteur de l’Institut œcuménique de Tantur qu’il inaugure en 1972. Il est nommé secrétaire du Secrétariat pour l’Unité (1973-1980). Pour cette nomination de Moeller, voir aussi F. Colleye, Charles Moeller et l’Arbre de la Croix, Paris, Publibook, 2007, pp. 567-573. 78.  Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agenda de bureau, 1973. Les notes de Willebrands ont été rédigées en français et ont été transcrites telles quelles. 79.  J. Hamer (1916-1996), dominicain belge, consulteur du Secrétariat pour l’Unité, peritus conciliaire, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité de 1969 à 1973, en 1973 secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 1985 cardinal et préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée. 80.  P. Philippe (1905-1984), dominicain français, secrétaire de la Congrégation pour les Religieux en 1959, archevêque titulaire de Eracleopoli Maggiore en 1962, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1967, cardinal et préfet de la Congrégation pour les Églises orientales en 1973. 81.  J. Hamer, L’Église est une communion, Paris, Cerf, 1962. 82.  Le pape fait probablement allusion à Unitatis redintegratio 11, qui parle de «hierarchia veritatum».

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Après cela le Pape dit: je dois demander un autre sacrifice. Si le p. Hamer vient au S. Office, il y aura là deux Belges. Cela ne convient pas83. Où ira alors Mgr Moeller? Peut-on lui demander d’aller au Secrétariat pour remplacer le p. Hamer. Le Pape connaît l’œuvre de Mgr Moeller. Déjà à Milan il a lu ses livres et il a pensé: cet homme écrit sur la littérature mais il est un théologien qui cherche la théologie dans la littérature. Il s’intéresse à l’œcuménisme. C’est Cullmann qui a tiré [sic = attiré] l’attention du pape là-dessus et qui l’a demandé pour Jérusalem84. Devenir secrétaire au Secrétariat signifie aussi une promotion pour lui. Je réponds que je connais personnellement bien Mgr Moeller. C’est un théologien, il connaît bien les Pères de l’Église, surtout les Pères grecs. Il a le don des contacts humains. Ses qualités sont différentes de celles du p. Hamer. Je comprends la pensée du S. Père et j’espère que tout ira bien, supposant en tout cela la Providence. Le pape demande encore: sera-t-il accepté? Je dis: sur le plan humain, oui; sur le plan du travail, j’ai confiance, il devra le montrer. Le Pape me demande: Est-ce que Mgr Moeller acceptera? Je demande: peux-je [sic = puis-je] lui en parler? Le Pape répond: Et pourquoi pas? Cependant en forme d’hypothèse: Si le p. Hamer etc. et si vous etc., alors on espère une bonne collaboration. Je le ferai ainsi et j’inviterai Mgr Moeller demain à déjeuner chez moi. Après cela, je parle du WCC85. Nouveau secrétaire général86. Situation créée par notre décision de ne pas devenir membre87. Crise générale de la foi, de l’Église répercussion sur la WCC. Nous ne sommes pas devenus membres, mais cette décision ne doit pas apparaître comme une condamnation ou comme un refus du WCC en soi. Nous acceptons la collaboration, nous devons appuyer le WCC et montrer compréhension pour le meilleur qui est en lui: un effort pour la restauration de l’Unité des chrétiens. Dans la phase actuelle de nos rapports, je crois qu’il est désirable que notre Secrétariat ait un membre de son staff détaché à Genève. Dans ce sens, j’ai écrit une lettre au Card. Villot et j’y attache une certaine importance. Le pape est intéressé de [sic = par] l’idée et dit: cette proposition rencontre une idée qui depuis quelque temps mûrit dans mon esprit. Après votre retour88 vous aurez la réponse. Il continue: le WCC est un drame, il souffre d’une contradiction: d’une part il affirme la personnalité propre de chaque église; 83.  Le pape donne ici une raison plausible pour l’éloignement de Moeller du Saint-­ Office; mais il ne devait pas ignorer qu’il y avait dans certains milieux de la curie beaucoup de critiques sur Moeller. On le taxait – à tort – d’être davantage un homme de littérature qu’un vrai théologien et on lui reprochait aussi ses fréquentes absences (notamment pour l’Institut œcuménique de Tantur et ses cours à l’Université de Louvain). On l’accusait également d’indiscrétions, notamment concernant la rédaction d’Humanae vitae. Et ­Moeller lui-même savait qu’à Rome des potins circulaient disant: «Au Saint-Office, le pape n’a vraiment pas de chance: le préfet (le card. Šeper) est un malade et le sous-­ secrétaire est un poète» (conversation de L. Declerck avec Moeller). 84.  Moeller a été le premier recteur de l’Institut œcuménique de Tantur. 85.  World Council of Churches. 86.  Philip Potter (1921-2015), secrétaire général du CŒE de 1972 à 1984. 87.  Pour l’histoire de ces négociations, cf. J. Grootaers, Rome et Genève à la croisée des chemins (1968-1972): Un ordre du jour inachevé, Paris, Cerf, 2005. 88.  Voyage de Willebrands en Australie du 11.2 au 3.3.1973.



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d’autre part il promeut leur unité. C’est une tension immense. Nous pouvons leur [sic = les] aider89.

5.   La nomination de Willebrands comme archevêque d’Utrecht (6.12.1975) Quand le cardinal Alfrink avait atteint la limite d’âge (75 ans, le 5 juillet 1975), la situation de la province ecclésiastique était difficile90 et cette succession posait de graves problèmes à Paul VI. À plusieurs reprises Willebrands, qui était très préoccupé de la situation et surtout des tensions entre le cardinal Alfrink et la curie romaine et même avec le pape, avait voulu garder le contact avec Alfrink et jouer un rôle d’intermédiaire91. 89.  Willebrands a continué ses notes, le 11 février, en racontant sa rencontre avec Moeller: «à 13.00 h. Ch. Moeller vient chez moi à déjeuner. Je l’ai invité pour deux raisons: par amitié et pour lui parler de sa possible nomination comme secrétaire au Secrétariat pour l’Unité. Il est très fatigué et dans un état dépressif. Il a plusieurs considérations presque réservées: je n’ai pas les qualités de Hamer, je suis très fatigué, j’ai 61 ans, j’ai par nature la tendance de voir ce qui est bon dans une autre personne et il me manque l’esprit critique; est-ce que vous me jugez capable? Sous toutes ces hésitations se révèle cependant aussi un grand désir d’accepter une telle nomination: je n’accepterais rien d’autre, seulement l’œcuménisme me retiendrait à Rome; dans les contacts avec les autres je me retrouve moi-même (comme jadis quand nous avons reçu les représentants de l’Alliance réformée; le Card. Šeper y a participé jusqu’à la fin); pour cette tâche je sacrifierais tout (Jérusalem-Tantur, les cours à Rome et à Louvain). Je l’ai assuré que nous l’accepterions volontiers: il connaît l’œcuménisme, ses problèmes, ses personnes; il connaît la théologie, surtout la patristique. J’espère cependant que ce changement et le fait qu’il se débarrassera d’autres engagements lui donneront un nouvel élan vital, des nouvelles énergies, parce que sa situation actuelle est misérable (una ricotta [fromage blanc italien], un condannato a morte: Beatrice [Beatrice Meschini était la gouvernante de Willebrands])». 90.  Mentionnons le Catéchisme hollandais (1966), les prises de position du Concile pastoral néerlandais en 1970 (surtout concernant le célibat des prêtres), les nominations contestées des évêques de Rotterdam (A. Simonis en 1970) et de Roermond (J. Gijsen en 1972). Voir aussi T.H.M. van Schaik, Alfrink: Een Biografie, Amsterdam, Anthos, 1997, pp. 368-486 et S. Majorano, La prudenza pastorale di Paolo VI ed alcune problematiche della Chiesa Olandese, dans Positio Pauli VI, Vol. I, 401-429. Notons encore qu’au sujet du sacre de Mgr Gijsen, le 13.2.1972, à Rome par Paul VI, Willebrands note en français, le 6.9.1972, après un entretien avec Villot, secrétaire d’État: «Pour la première fois j’entends l’histoire de l’invitation à Gijsen d’être consacré à Rome. D’abord le pape était content qu’il serait consacré par le Card. Alfrink. Cependant Alfrink aurait renvoyé la consécration, exigeant d’abord un accord de Gijsen sur plusieurs points. Après ce renvoi, le Pape a décidé de consacrer Gijsen avec les autres. Quelle est la réalité derrière cette histoire?» (Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agenda de bureau, 1972). 91.  Voir notamment un entretien avec le card. Villot, 21.3.1970 (concernant la position des évêques néerlandais au sujet du célibat et où le pape ne veut pas que Willebrands intervienne dans cette question), visite de Willebrands à Alfrink, 31.8.1970 (la question des mariages mixtes: différend entre Alfrink et Mgr P. Philippe, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi), visite de Willebrands à Alfrink, le 7.8.1971 (le Synode

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Les notes de Willebrands concernant sa nomination à Utrecht mettent en lumière la délicatesse du pape, qui a voulu communiquer lui-même à Willebrands cette nomination92 et sa volonté expresse de le garder comme président du Secrétariat pour l’Unité. On y constate aussi la disponibilité et la vénération de Willebrands pour Paul VI. Dans une retraite de 1979 (23-28 juillet), Willebrands note à ce sujet: Dieu m’a appelé. Il n’y a pas de doute. En son nom, le pape Paul VI m’a envoyé à Utrecht. Le pape Paul était pour moi un père; il m’a fait évêque et cardinal. Ai-je répondu à sa confiance?93.

Et dans son témoignage pour la béatification, Willebrands a écrit: Quando nel dicembre 1975, Papa Paolo VI intendeva nominarmi arcivescovo di Utrecht, mi aveva prima informato del suo proposito per il tramite dal cardinale Sebastiano Baggio, allora prefetto della Congregazione per i Vescovi, lasciandomi il tempo per riflettere. Informato dal desiderio del Papa, ho risposto quasi subito con una lettera al Santo Padre, dicendogli la mia piena disponibilità. In seguito a tale mia lettera, il Papa mi ha ricevuto in udienza e mi disse: Sa Lei dove io ho conosciuto la Chiesa? Vedendo la mia meraviglia e esitazione di fronte a questa domanda, egli proseguiva: A Milano! Certamente avevo l’esperienza della Segreteria di Stato ed altre conoscenze. Ma niente è comparabile con l’esperienza dalla Chiesa che vive nelle parocchie, nelle riunioni e gli incontri con il popolo. Il Papa mi ha voluto incoraggiare per il mio servizio a Utrecht ed ha aggiunto: Lei rimane il presidente del Segretariato per l’unione dei cristiani, e di questo non si discute94. de 1971, la visite d’Alfrink à Rome, les relations avec les Vieux-catholiques), visite chez Mgr Simonis, 25.3.1972 (le statut du «Landelijke Pastorale Raad» [conseil pastoral national] et la réaction de Rome [cf. Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agendas de bureau, 1970, 1971, 1972]. 92.  Peut-être que le pape s’est souvenu de l’attitude assez étonnante de Pie XII lors de sa nomination comme archevêque de Milan en 1954. De la lettre que Montini a adressée au Cardinal Piazza, secrétaire de la Congrégation du Concile – et donc responsable à l’époque des nominations épiscopales – pour marquer son accord, il ressort clairement que Pie XII n’a pas lui-même annoncé à Montini, son plus fidèle collaborateur, sa nomination à Milan (cf. lettre de G.B. Montini au card. Piazza, ms., it., 23.9.1954, 1 p.). Notons aussi qu’Alfrink était satisfait de la nomination de Willebrands, parce qu’il avait craint d’autres candidats (cf. van Schaik, Alfrink [n. 90], pp. 485-486, 489). 93.  Archives Willebrands, Dossier 324, texte en néerlandais. 94.  Archives Willebrands, Dossier 186, 24.6.1995 et Positio Pauli VI, Vol. III, Tome  1, pp. 525-526. Dans sa lettre pastorale aux fidèles du diocèse d’Utrecht, écrite, le 7.8.1978, lors du décès de Paul VI, Willebrands avait déjà rappelé que le pape lui avait dit lors de sa nomination à Utrecht: «Savez-vous où j’ai appris à connaître l’Église? et il continuait: à Milan, comme archevêque. Dans mon travail à Rome j’étais en contact avec l’Église de par le monde. Mais à Milan j’ai appris à connaître le cœur de l’Église dans la vie des paroisses, dans les contacts avec les gens dans leur vie quotidienne». C’est là que l’Église vit et lutte. J’espère pour vous la même expérience à Utrecht» (Archives Willebrands, Dossier 196).



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Après sa nomination Willebrands donne encore un témoignage émouvant de sa vénération pour Paul VI, quand il note, le 25 décembre 1975: Assisté comme «diacono ministrante» à la clôture de l’Année Sainte et à la messe de minuit. Après la messe de minuit en arrivant dans la Capella della Pietà, le pape est venu à moi avec les bras ouverts, m’a embrassé longuement et a dit à voix haute: «Buon Natale. Buon Natale! Lo dico con amicizia, con tutta la forza dell’amicizia [4 mots illisibles], come questa si è formata tra noi durante tutti gli anni che Lei sta a Roma». Le pape était si direct et si cordial dans son regard, dans ses gestes et dans ses paroles. J’étais profondément ému et je garde dans mon cœur ces instants comme une bénédiction pour ma vie et mon travail. Le soir, arrive un télégramme très chaleureux du pape pour la fête de Saint Jean l’évangéliste, mon patron. Également des télégrammes de Villot et de Benelli95.

Quelques considérations finales Malgré les limites évidentes de notre documentation, nous pouvons tout de même essayer de tirer quelques conclusions au sujet de l’attitude et du profil de Montini/Paul VI et de Willebrands. Montini/Paul VI 1.  En ce qui concerne l’archevêque Montini on voit son intérêt sincère pour des initiatives qui favorisent le rapprochement avec les anglicans d’abord (déjà en 195696) et les protestants ensuite. S’il encourage Willebrands et d’autres, notamment les jésuites de San Fedele, il faut cependant remarquer qu’il est très prudent et suit scrupuleusement les ­directives 95.  Archives Willebrands, Dossiers 321+322+323, Agenda de bureau, 1975 (notes écrites en néerlandais). 96.  Six ou sept pasteurs anglicans, entre autres John Dickinson, Colin C.C.W. James, C.L. Gage-Brown, Bernard C. Pawley (cf. G. Adornato, Preparazione del Concilio a Milano: Montini, dans G. Routhier – L. Bressan – L. Vaccaro [éds], Da Montini a Martini: Il Vaticano II a Milano, Brescia, Morcelliana, 2012, 49-90, p. 70). Voir aussi le témoignage de Mgr Bernardo Citterio: «Circa i rapporti con gli anglicani, ricordo la visita di un gruppo di pastori anglicani (6 o 7 più un diacono), che avevano chiesto di venire a Milano per conferire con il Cardinale [Montini]. Curò che fossero ospitati con larghezza; dedicò personalmente tempo a loro; li invitò a passare una giornata al Seminario di Venegono … li invitò a seguirlo nella visita pastorale che il Cardinale stava compiendo nel Vicariato foraneo di Mariano Comense … Partirono trasecolati» (Positio Pauli VI, Vol. III, 1, p. 500). A. Rimoldi mentionne encore que les pasteurs anglicans étaient accompagnés du Père C. Boyer (cf. A. Rimoldi, La preparazione del Concilio, dans Giovanni Battista Montini: Arcivescovo di Milano e il Concilio ecumenico Vaticano II. Prepara­ zione e Primo Periodo, Brescia, Istituto Paolo VI, 1985, 202-241, p. 210).

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de Rome et du Saint-Office. Mais Willebrands sait qu’il est un homme ouvert, ce qui en cette époque préconciliaire n’était nullement évident non seulement en Italie mais aussi en beaucoup d’autres pays97. Il ne faut pas non plus s’étonner qu’il préconisait un «œcuménisme du retour»98, ce qui était la règle dans beaucoup de milieux catholiques, même chez Willebrands avant 195099. 2.  Pendant et après le Concile, on peut admirer les gestes audacieux de Paul VI pour nouer et promouvoir des contacts œcuméniques. Pensons aux rencontres avec Athénagoras à Jérusalem, à Constantinople et à Rome, les relations suivies avec Roger Schutz et Max Thurian de Taizé, le baiser du pied du métropolite Meliton, les innombrables rencontres avec des observateurs et dignitaires d’autres confessions, où pratiquement chaque fois Willebrands était présent. Cependant il faut aussi remarquer la prudence de Montini au plan doctrinal, prudence qui fait dire à Congar que Paul VI n’avait pas toujours la théologie de ses gestes [œcuméniques]100. 3. Les relations de Montini avec Willebrands sont empreintes de confiance et de respect. Déjà à Milan, Montini avait pu constater que Willebrands n’entreprenait rien sans avoir l’autorisation de la hiérarchie et qu’il tenait scrupuleusement les autorités de la curie romaine au courant de ses initiatives. Paul VI était aussi assuré de la discrétion de Willebrands à qui il pouvait parler sans crainte de rumeurs de la nomination éventuelle de Moeller au Secrétariat pour l’Unité. De plus on peut aussi pressentir que Montini, un homme d’une très profonde spiritualité101, découvrait en Willebrands un prêtre engagé et pieux. En effet les écrits

97.  Citons pour mémoire que Mgr S ­ uenens – pendant le Concile coryphée de l’œcuménisme – mettait en 1953 encore en garde contre le mouvement du «Réarmement moral» à cause de son inspiration protestante et voulait le faire condamner par le Saint-­Office. Il écrivait «L’intransigeance doctrinale de l’Église, si éloignée de notre courte sagesse humaine, est une forme d’amour véritable qui ne heurte que pour libérer la vérité captive dans l’erreur, qui l’étreint, et qui invite au dépassement de soi» (L.-J. ­Suenens, Que faut-il penser du Réarmement moral?, Paris – Bruxelles, Éditions universitaires, 1953, p. 12). 98.  Pour cette période milanaise, cf. Maffeis, Giovanni Battista Montini e il problema ecumenico (n. 16), pp. 86sv. 99.  Voir les nombreux contacts de Willebrands avec des juifs convertis (Salomon-Steiner, O. Schwarz [Archives Willebrands, Dossier 347] et des protestants convertis (M. Signorelli, des pasteurs convertis) [Dossiers 294, 378]. 100.  Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, II, p. 291. 101.  Cet aspect est très bien souligné par G. Adornato, auteure de la «Biografia ex documentis» de Montini, cf. Positio Pauli VI, Vol. II, pp. 585sv.



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de Willebrands102, ses efforts pour fonder un «oratorio» (dans l’esprit de Philippe Neri et Newman)103, sa vénération pour la bienheureuse Maria Gabriella Sagheddu104 et aussi sa sympathie pour Chiara Lubich et les Focolari témoignent de sa spiritualité, de sa piété et de sa dévotion. J. Willebrands 1.  On peut constater combien Willebrands a apprécié l’attitude de Montini à Milan et surtout sa visite à la réunion de la Conférence catholique pour les Questions œcuméniques à Gazzada en 1960. Les premiers contacts de Willebrands avec Paul VI, qui a exprimé tout de suite son estime pour le travail du Secrétariat, l’ont confirmé dans son estime pour le nouveau pape. Très vite Willebrands s’est rendu compte de la capacité extraordinaire de Montini de nouer des relations de profonde sympathie avec ses interlocuteurs provenant des autres Églises. Willebrands a aussi hautement apprécié la ténacité de Montini dans sa défense des textes conciliaires sur les Juifs et sur la liberté religieuse. S’ajoutaient à cela des gestes d’amitié personnelle de Montini pour Willebrands comme le fait que Paul VI lui a demandé de participer à son pèlerinage à Jérusalem, qu’il a voulu sacrer Willebrands évêque personnellement et qu’il l’a reçu en audience privée (12.5.1964) Willebrands, accompagné de son père âgé à qui il a également donné une bénédiction apostolique autographe pour ses 90 ans105. 2.  La grande estime de Willebrands pour Paul VI ne l’a pas empêché d’émettre parfois des jugements critiques sur certaines positions théologiques ou décisions du pape. Les Archives Willebrands nous renseignent sur trois points: – Dans les changements que le pape a introduits dans le décret Unitatis redintegratio, Willebrands regrette surtout la substitution du mot «inveniunt» par «inquirunt» 106. – Quand le pape a voulu, en octobre 1965, absolument éviter dans la constitution Dei Verbum le terme de «veritas salutaris», et avait envoyé Bea à la réunion de la commission doctrinale pour imposer ce changement, Willebrands a été étonné et déconcerté par l’attitude de 102.  Voir par ex. ses notes de retraite (Archives Willebrands, Dossier 324). 103. Cf. Archives Willebrands, Dossier 54. 104. Cf. Archives Willebrands, Dossier 343. 105. Cf. Archives Willebrands, Dossier 345, 2. 106. Cf. Unitatis redintegratio 21 «[fratres nostros] Spiritum Sanctum invocantes, in ipsis Sacris Scripturis Deum inquirunt quasi sibi loquentem in Christo…».

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Bea, qui avait reçu des instructions du pape dans une audience quelques jours auparavant107. – En ce qui concerne les mariages mixtes, Willebrands est étonné que le Secrétariat n’ait pas été suffisamment impliqué dans l’Instruction de 1966 tandis que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a reçu l’appui du pape108. Dans des notes confidentielles le card. ­Suenens a aussi écrit de Willebrands au sujet de l’encyclique Humanae vitae «qu’il pense un peu comme nous tous»109. * * * Pour conclure on ne peut mieux faire que de reprendre le jugement final de Willebrands sur Paul VI dans son témoignage pour la béatification: Mi pare sufficiente ciò che ho riportato per illustrare, della sua persona, la santità, particolarmente l’umiltà, la saggezza, la decisione, il servizio della Chiesa, l’amore della Chiesa: – l’umiltà nel suo comportamento, il suo atteggiamento di massimo rispetto verso di me et verso gli altri, mostrandosi «l’ultimo», ascoltando con pazienza, con stima, incoraggiando a parlare con sincerità e franchezza; – saggezza nello spirito della sapienza descritta nei libri sapienzali della S. Scrittura, anche nutrita dalle scienze umane, ma sopratutto ispirata dalla conversazione con Dio. Consultava le persone, il loro giudizio, la loro conoscenza ed esperienza, concludendo tutto nella preghiera, 107.  Agendas conciliaires Willebrands, p. 246, n. 492. 108.  Déjà le 19 octobre 1965, Willebrands notait: «Concernant les Matrimonia mixta: il [Döpfner] a demandé plusieurs fois au pape de montrer le texte à Bea. Le pape ne le fait pas parce que ce n’est plus une matière du Concile» (cf. Agendas conciliaires Willebrands, p. 246). 109. ­Suenens, opposant notoire de Humanae vitae, avait reçu la visite de Willebrands, le 30.9.1968 (cf. Archives du cardinal L.J. ­Suenens au sujet de la question du «Birth Control» et de l’encyclique Humanae vitae, n° 1402). Dans son intervention au Synode de 1980 au Circulus minor Anglais C, Willebrands est très nuancé. D’une part il affirme: «We give therefore full assent to Humanae vitae and ask that all the great human and evangelical values contained in it be safeguarded and developed against all tendencies of a consumer society with its hedonistic character in a secularized word with a technological culture». D’autre part il continue: «Since the publication of the Encyclical new prob­ lems have arisen which show the need for a deeper elaboration of the arguments employed in H. V. and for a wider context in which the vision itself of the Encyclical will be clearly expressed. A simple repetition ad litteram of the doctrine and argumentation of the Encyclical is not sufficient … The problems raised today ask first for a clear insight in the notion of nature and secondly for more finally arguments from Revelation. The wider context considers sexuality in its personalistic and not only in its biological aspects» (Archives Willebrands, Supplément, p. 20).



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­ isurando il bene della Chiesa. Anche con la grande esperienza del suo m lavoro a Roma e a Milano, il Pape non esitava a chiedere consiglio ai suoi collaboratori. Ho ammirato sempre la saggezza del suo giudizio, saggezza dello spirito; – decisione. C’è chi diceva che Papa Paolo VI era esitante, incerto, irre­ soluto. In realtà il Papa consultava, ponderava e sopratutto pregava molto. Ma una volta convinto del suo giudizio per il bene della Chiesa, era molto deciso. Esempi: • La sua allocuzione magistrale all’apertura del secondo periodo del Concilio, in cui indicava le grandi linee per continuare il lavoro. • Atteggiamento chiaro nell’ecumenismo. • La decisione in riguardo ai metodi anticoncezionali, anche contro la maggioranza della commissione. • Il suo discorso alle Nazioni Unite con le parole forti: «Mai più la guerra». • Il papa consultava e meditava, ma al momento giusto la sua decisone era chiara e forte. – il servizio della Chiesa. Sarebbe difficile separare in Papa Paolo il servizio della Chiesa e l’amore della Chiesa. Il suo servizio nasceva dall’amore, era impregnato, penetrato dall’amore. Amava la Chiesa nel suo lavoro, negli uomini, nella sua preghiera, a Roma, a Milano, nei suoi viaggi. La «sollecitudo omnium ecclesiarum» era tanto più profonda perchè non era di natura amministrativa ma aveva come sorgente l’amore. Così lo ho conosciuto anche nei rapporti con gli altri cristiani, e non solo verso gli Ortodossi, ma anche verso gli Anglicani, i Luterani ed altri. Il suo discorso di congedo, alla chiusura del Concilio, il 4 dicembre 1965 ne è una prova: «Frères, frères et amis dans le Christ! … nous voudrions vous avoir toujours avec nous!». Allo stesso tempo ammiriamo la sua fermezza; «Vous allez partir. N’oubliez pas cette charité avec laquelle l’Église catholique romaine continuera à penser à vous et à vous suivre. Ne la croyez pas insensible et orgueilleuse si elle sent le devoir de conserver jalousement le ‘dépôt’ (cf. 1 Tim 6,20) qu’elle porte avec elle depuis les origines; et ne l’accusez pas d’avoir déformé ou trahi ce dépôt, si, au cours de sa méditation séculaire, scrupuleuse et pleine d’amour, elle y a découvert des trésors de vérité et de vie auxquels ce serait une infidélité de renoncer». In queste parole troviamo, la coscienza, il senso di responsabilità, la decisione ed il cuore del Papa110.

Ce témoignage de grande sympathie nous révèle en même temps l’esprit de service et d’amour de l’Église et des hommes et le respect pour les frères séparés de Willebrands lui-même.

110.  Archives Willebrands, Dossier 186 et Positio Pauli VI, Vol. III, Tome 1, p. 526527.

10 LE JOURNAL CONCILIAIRE DE MONSEIGNEUR PERICLE FELICI Introduction Avec un grand intérêt les historiens de Vatican II peuvent maintenant prendre connaissance du Diario1 de Mgr Pericle Felici (1911-1982), secrétaire général et personnage central du concile Vatican II. En fait Mgr Felici avait tenu dans les années 1959-1966 deux journaux: – 4 Cahiers intitulés «Cogitationes cordis mei»: un journal spirituel contenant des méditations, des examens de conscience, des réflexions de spiritualité, des prières. – 8 Agendas qui vont de 1959 à 1966. Un bref supplément pour l’année 1967 y a été ajouté. Felici avait confié ces cahiers et agendas manuscrits à Mgr Vincenzo Carbone (1920-2014), un de ses premiers collaborateurs au Secrétariat général du Concile, chargé par la suite des archives de ce Concile et éditeur infatigable des Acta Synodalia. Il les a dactylographiés ad litteram2 et annotés. Travail d’Hercule, vu l’ampleur des documents et l’écriture difficile à déchiffrer de Felici. De plus Carbone a eu l’idée de rassembler les deux espèces de documents en un texte continu, en suivant la chronologie. En outre il a annoté le Journal en identifiant la plupart des personnes mentionnées et en renvoyant à des documents publiés dans les Acta Synodalia3. La mort, survenue à 94 ans, a toute*  Cf. L. Declerck, Le «Diario» conciliaire de monseigneur Pericle Felici, dans Centro Vaticano II. Studi e Ricerche, Roma, Lateran University Press, 2015, IX/2, 157-175. 1.  V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015 [= Diario Felici]. 2. Je remercie Mgr Marchetto qui m’en a donné confirmation dans sa lettre du 25.11.2015. 3.  Le lecteur d’aujourd’hui, surtout s’il est non italien, aurait souhaité parfois quelques notes supplémentaires. En effet, il faut aussi tenir compte du fait que beaucoup de structures et d’organismes de la curie romaine des années 60 ont pris d’autres noms ou ont été modifiés. Les renvois aux AS, surtout aux volumes V et VI, sont très précieux pour

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fois empêché Mgr Carbone de terminer complètement son travail. C’est grâce au dévouement alerte de Mgr Marchetto, ami de vielle date de Carbone, que le Journal a maintenant été publié. Très utilement celui-ci a écrit une longue présentation qui, dans les pages 10-19, donne un aperçu substantiel des faits les plus intéressants de ce Journal pour l’histoire du Concile. Contenu et quelques caractéristiques de ce ‘Diario’ Une partie assez notable, qui reprend les Cogitationes cordis mei, est constituée d’annotations très personnelles nous renseignant surtout sur la vie spirituelle, la dévotion, les états d’âme de Felici. Bien que moins utiles pour l’histoire du Concile, elles montrent les oppositions et appuis que Felici a rencontrés dans l’exercice de sa fonction. Cela nous fait découvrir la psychologie complexe de Felici, qui lui aussi a connu des périodes de découragement et qui a été confronté à d’assez nombreuses résistances, pas seulement des évêques plus «progressistes» mais aussi – et cela est assez surprenant – de plusieurs milieux de la curie romaine elle-même. Cela aide à nuancer des schémas préconçus ou simplistes. Les Agendas, en revanche, donnent une masse de données objectives et des faits survenus. Beaucoup sont fort intéressants pour l’histoire en particulier pour la connaissance des audiences des papes Jean XXIII et Paul VI et les relations avec les secrétaires d’État Tardini et Cicognani. On ne peut que regretter que les notes de Felici sont parfois très sommaires et tendent à se raréfier avec la progression du Concile, probablement à cause d’un surcroît de travail. En fait, la période préconciliaire comporte 298 pages (pp. 23-321) et la période conciliaire n’en comporte que 179 (pp. 322-501). Il est assez étonnant que la 2ème session du Concile se réduit à 5 pages (pp. 356-361). Serait-ce à attribuer à ses problèmes de santé (épuisement nerveux, scrupules) ressentis pendant les 8 premiers mois de 1963? Le Diario nous donne beaucoup de renseignements sur les acteurs du Concile, les papes en premier lieu, mais aussi sur le déroulement des événements. Évidemment il faut confronter la version et les impressions de Felici avec d’autres sources (documents officiels) mais aussi avec des journaux (ou de la correspondance) d’autres acteurs pour s’approcher le

c­ omprendre le Journal de Felici, qui est parfois très sobre. Et Mgr Carbone cite aussi quelques documents ou notes de Felici qui n’ont pas encore été publiés.



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plus possible de la vérité historique4. On peut aussi se demander dans quel but ou pour quels destinataires Felici a écrit son journal. Un index onomastique fort utile est ajouté au volume. I.  L’apport

du

Diario

Nous donnons maintenant – en guise d’illustration – quelques exemples de l’apport du Diario de Felici, importants pour la compréhension de quelques personnalités et du déroulement de certains événements majeurs du Concile. 1.  Les relations de Felici avec Jean XXIII Depuis sa nomination (17.5.1959, p. 29), sur proposition du card. Tardini, comme secrétaire de la commission antepréparatoire du Concile, les relations de Felici avec Jean XXIII vont s’intensifier et il sera successivement nommé secrétaire général de la commission centrale préparatoire (7.6.1960), archevêque titulaire (28.10.1960) et secrétaire général du Concile (4.9.1962). Le Diario révèle plusieurs choses: – Le fait que depuis la maladie de Tardini5, dont Felici était l’homme de confiance, les relations directes et personnelles avec le pape s’intensifient considérablement. – Felici avait les meilleures relations avec le pape Jean XXIII, avec qui il partageait les critiques sur le carriérisme et les ambitions de nombreux fonctionnaires de la curie6. Avec Tardini, Felici était aussi d’avis que Jean XXIII était trop bon. Mais la fidélité absolue au pontife romain était un élément essentiel de la spiritualité de Felici7. 4.  Pour la discussion concernant la valeur des sources privées pour l’historiographie du Concile, cf. L. Kenis, Diaries: Private Sources for a Study of the Second Vatican Council, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 29-53. Dans cet article L. Kenis se montre en désaccord avec les positions de Mgr A. Marchetto à ce sujet, qui depuis lors a nuancé son opinion (cf. p. 10). 5.  Une maladie du cœur (cf. 27.1.1960, p. 96), dont il est mort, le 30.7.1961. 6.  On pourra être étonné des critiques sévères de Felici sur Mgr Dino Staffa. Pendant le Concile beaucoup d’évêques croyaient que Felici était un proche de Staffa, dont il semble avoir partagé les opinions sur (ou contre) la collégialité. 7.  Voir aussi la lettre de Felici à Paul VI, 19.11.1965 où il exprime sa vénération pour Jean XXIII (AS VI, IV, pp. 627-628).

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– De son côté Jean XXIII renouvelait à chaque audience sa confiance en Felici. Le 6.9.1960, il dit même: «Vedo con molto piacere che i nostri caratteri s’incontrano in molti punti»8. – Malgré cette relation privilégiée, on doit constater que sur plusieurs décisions importantes Jean XXIII n’a pas suivi les conseils ou les vœux de Felici, notamment pour les compétences et les nominations du conseil de présidence, du Secretariatus pro negotiis extra ordinem9, et la nomination des sous-secrétaires du Concile (Felici avait proposé Carbone et Fagiolo, qui n’ont pas été nommés) et aussi pour l’interruption du débat sur le schéma De Fontibus10. Et on peut s’étonner que Felici dans ses notices ne prête aucune attention au contenu du discours si important de Jean XXIII, Gaudet Mater Ecclesia à l’ouverture du Concile, le 11.10.196211. 2.  Les élections des commissions conciliaires en octobre 1962 On sait que l’intervention de Liénart et de Frings, le 13.10.1962, a eu comme résultat un report de l’élection des commissions conciliaires. Il a 8.  Cf. p. 173. Mais c’est peut-être une façon de parler que Jean XXIII employait facilement. En mai 1962, il avait dit au card. Suenens: «nos deux têtes fonctionnent de la même manière» (cf. L.J. Cardinal Suenens, Mémoires sur le concile Vatican II. Édités et annotés par W. Van Laer. Préface du Cardinal G. Danneels. Introduction par L. Declerck [Instrumenta Theologica, 38], Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2014). Or les affinités entre Suenens et Felici étaient plutôt minimes. 9.  Ce n’est pas sans un léger étonnement qu’on lit dans une lettre du 17.10.1962 du card. Suenens: «Hier soir à 18h rendez-vous des six [en fait les 7 membres du Secretariatus de Concilii negotiis extra ordinem] … H. F. [Holy Father] expose que les 10 [le Conseil de présidence] sont simplement là pour le normal, qu’il a encadré le ‘Felici’ pour l’internationaliser [sic] (on sent qu’il n’en est pas ravi mais qu’il le garde par bonté) …» (L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens [Cahiers de la RTL, 31], Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 [= F. Suenens], 573). 10.  Cf. 5.6.1962, p. 311; 24.8.1962, p. 318; 14.10.1962, pp. 324-325; 20.11.1962, pp. 331-332. Avec un peu d’amertume Felici note le 7.12.1962: «Per me questi due mesi sono stati una croce continua … difficoltà di ogni genere, derivate in parte dalla organizazzione del Concilio, da me non volute anzi contrastata, solo l’obbedienza, e purtroppo a me attribuita» (p. 333). 11.  Certains ont aussi parlé de l’énigme Jean XXIII: parfois très ouvert aux tendances nouvelles, parfois très classique et «conservateur», louant – même dans son journal – le travail préparatoire. Et en même temps – souvent avec d’autres interlocuteurs – il critiquait fortement les schémas préparés pour leur allure trop scolastique et professorale. Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council (n. 4), 61-217, pp. 73-74 et M. Lamberigts – L. Declerck, Het concilie Vaticanum II, Antwerpen, Halewijn; Baarn, Adveniat, 2015, p. 62, note 12. Et G. Sale, Giovanni XXIII e la preparazione del concilio Vaticano II nei diari del direttore della ‘Civiltà cattolica’ padre Roberto Tucci sj, Milano, Jaca Books, 2013, p. 151.



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été considéré comme un premier affranchissement du Concile de ­l’­emprise de la curie romaine12, tandis que la distribution de la liste des membres des commissions préconciliaires, le 11.10.1962, a été interprétée comme une manœuvre de Felici pour faire élire les membres des commissions préparatoires. Felici a raison de réfuter cette interprétation13 et affirme qu’il a uniquement distribué ces listes pour faciliter ces élections et aussi pour que le travail du Concile puisse se dérouler en bon ordre et donc en continuité avec la période préparatoire, ce qui était un réflexe de bon sens. On peut cependant constater que Felici a gravement sous-estimé les critiques très sévères contre les schémas préparés de la part de plusieurs épiscopats et periti. Un peu à tort il écrit que cet incident «dimostra l’atteggiamento di parte almeno dell’episcopato, che non è favorevole ad accettare neppure consigli o indicazioni della Santa Sede» (p. 323). Et avec une certaine exagération il soutient que les Pères ont néanmoins opté pour la continuité, puisque «circa un centinaio dei 160 membri eletti figuravano già nelle liste delle Commissioni Preparatorie» (p. 328)14. 3.  Les ‘5 Propositiones’, votées le 30.10.1963 Les 5 Propositiones sur la sacramentalité et la collégialité de l’épiscopat et le diaconat, votées avec une grande majorité, le 30.10.1963, ont constitué un tournant dans le Concile et pour la première fois une «majorité» s’est déclarée dans le Concile15. Felici, pour sa part parle de «una pagina poco onorevole nella storia del Concilio» (p. 357). On sait que le cardinal Ottaviani était fort opposé à cette initiative des modérateurs: il estimait en effet que seule la commission doctrinale avait le droit de formuler des 12.  Pour ces élections, cf. M. Lamberigts – A. Greiler, Concilium episcoporum est: The Interventions of Liénart and Frings Revisited, October 13th, 1962, dans ETL 73 (1997) 54-71 et L. Declerck – M. Lamberigts, Le rôle de l’épiscopat belge dans l’élection des commissions conciliaires en octobre 1962, dans J. Leclercq (éd.), La raison par quatre chemins: En hommage à Claude Troisfontaines (Bibliothèque philosophique de Louvain, 73), Leuven – Paris, Peeters, 2007, 279-305. C. Masson, L’intervention du cardinal Liénart au concile Vatican II le 13 octobre 1962, dans G. Cuchet – C.  Mériaux (éds), La dramatique conciliaire de l’Antiquité à Vatican II, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2019, 385-404. 13.  Diario Felici, pp. 328-330 et Appunto sulla prima Congregazione del Concilio (13 ottobre 1962), dans AS VI, I, pp. 170-172. 14.  En fait, 92 élus appartenaient déjà à des commissions préconciliaires dont seulement 60 dans une commission analogue (cf. G. Caprile, Il concilio Vaticano II: Il Primo Periodo, 1962-1963, Roma, La Civiltà Cattolica, 1968, p. 59). Et dans l’importante commission doctrinale huit des seize membres élus étaient nouveaux. 15. Cf. Lamberigts – Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II (n. 11), pp. 109-122.

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questions dans des matières théologiques. Felici était du même avis; en outre, comme canoniste, il estimait que les modérateurs avaient sérieusement dépassé leurs compétences. Aussi il a fait tout son possible pour bloquer ces Propositiones, comme on peut le lire dans son Diario (pp. 356358). Non seulement il a fait brûler une première version des 4 Propositiones, mais il a essayé d’empêcher ce vote. Le problème fut finalement soumis à une réunion conjointe du conseil de la présidence, de la commission de coordination et des modérateurs, le 23.10.196316. Le Diario nous révèle que Felici n’avait pas seulement des réticences de procédure mais aussi d’ordre doctrinal. Il parle de «concetti di falsa collegialità, che erano stati oggetto della votazione del 30 ottobre. Si voleva ridurre il Papa ad uno che consentiva a quanto deciso» (p. 358). On voit donc que Felici, du point de vue théologique, était plutôt d’accord avec les thèses des cardinaux Siri et de Browne17. On constate aussi que Felici n’était pas au courant que – après une première version des questions rédigée par Dossetti et Colombo – la formulation avait été corrigée au Pontificio Collegio Belga par Congar, Prignon, Moeller et surtout par Philips. Et Felici n’a pas saisi toutes les nuances du texte, notamment celles ajoutées par la Nota Bene aux Propositiones 3 et 418. 4.  La lettre de Felici au card. Ottaviani: ‘Suggerimenti per la revisione del Capitolo III dello Schema De Ecclesia’, 19.5.1964 Le Diario nous donne des renseignements importants sur les péripéties de la rédaction de ces 13 suggerimenti (pp. 377-381, 392-393, 397-398) concernant le problème de la collégialité, traité dans le chap. III du nouveau De Ecclesia. 16.  Si Felici a perdu la bataille au sujet des Propositiones il a cependant obtenu l’élimination de Dossetti comme secrétaire des modérateurs (p. 356). Il est caractéristique qu’avant le 30.10.1963, Felici n’a pas voulu inclure des rapports des réunions des modérateurs, dont Dossetti était encore secrétaire (cf. AS V, III, p. 697, en note). 17.  Pour Siri, cf. AS V, I, p. 735; pour Browne, cf. sa note du 12.2.1964, Adnotatio in textum noviter propositum Schematis De Ecclesia, Parte I, Cap. II, par.16, 12.2.1964 (L. Declerck – W.  Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale [Instrumenta Theologica, 24], Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001, 1352). 18. Cf. G. Philips, L’Église et son mystère au IIe concile du Vatican: Histoire, texte et commentaire de la Constitution ‘Lumen gentium’, Paris, Desclée, 1967-1968, I, pp. 29-31 où Philips fait des rapprochements intéressants entre le libellé des 5 Propositiones et la Nota Explicativa Praevia. Ce qui n’est pas étonnant puisque Philips avait été pour une grande partie l’auteur et de ces Propositiones et de la Nota Explicativa Praevia. Voir aussi C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Lumen gentium’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143.



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Nous apprenons l’inquiétude de Paul VI19 (pp. 377-379) qui n’est pas rassuré par Mgr Parente. Et dans son audience du 3.4.1964, le cardinal Ottaviani a dit au pape qu’il regrettait son vote positif dans la réunion de la commission doctrinale du 6.3.196420 (p. 381). Le 4.4.1964, Felici a aussi écrit une lettre au pape avec ses critiques sur le texte21. Le résultat a été que le De Ecclesia n’a pas été envoyé aux Pères22 et que Felici a réuni un petit groupe ultra secret23 avec Colombo, Garrone, Ramirez et Bertrams qui, dans des réunions du 14 et 15.5, ont rédigé ces 13 suggestions, qui après l’approbation du pape, le 18.5 (p. 393), ont été envoyées par Felici à Ottaviani, le 19.5.196424. On pourrait remarquer que Felici – d’habitude si attaché à l’Ordo Concilii – n’a pas hésité à constituer un groupe de travail tout-à-fait secret qui a travaillé en dehors de la commission doctrinale compétente. Pour lui le pape était sans conteste le souverain absolu qui était au-dessus de toute législation. 5.  Le rôle de Felici après l’envoi au pape de la ‘Nota personalmente riservata al Santo Padre sullo schema Constitutionis de Ecclesia’, le 13 septembre 1964 Dans une note, datée du 13.9.1964 – la veille de l’ouverture de la 3ème session – 16 (puis 25) cardinaux et les supérieurs généraux des carmes, dominicains, jésuites, franciscains, rédemptoristes, oblats et salésiens de 19.  Voir aussi le journal de Tromp: Konzilstagebuch Sebastian Tromp S.J. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2014, 3/1, pp. 597, 599, 609. 20.  Avec trop d’optimisme Mgr Charue avait noté, le 6.3.1964: «la collégialité est votée «unanimiter, etiam a praeside» … on dit que le 6 mars sera dorénavant «Festum conversionis Cardinalis Ottaviani» (cf. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue [Cahiers de la RTL, 32], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets Charue], p. 162). 21. Cf. AS VI, III, p. 128. 22. Cf. AS VI, III, p. 151. 23.  Le secret a été bien gardé parce que Colombo et Garrone, membres de la commission doctrinale, n’ont pas révélé leur participation à ce groupe. Aussi Parente et Tromp étaient tenus dans l’ignorance (cf. Carnets Charue, pp. 193, 201-202). 24.  Lors d’un entretien privé, le 18.4.1989, Mgr Carbone m’a confirmé que – comme théologien – il avait participé à la rédaction de ces Suggerimenti (déjà pendant le Concile on l’avait soupçonné – cf. Carnets Charue, p. 200 et Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002, II, p. 109). De plus Carbone m’a dit que la commission n’aurait pas dû discuter – et amender – ces Suggerimenti, parce qu’une suggestion du pape est toujours un ordre. Aussi dans l’avenir le pape a toujours fait parvenir ses remarques (par ex. sur le De Revelatione et le De Matrimonio) par des lettres du Secrétaire d’État. Carbone m’a ajouté que, si on avait accepté ces 13 Suggerimenti, on n’aurait jamais eu besoin de la Nota Explicativa Praevia.

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Don Bosco avaient demandé de surseoir au vote du chap. III du De Ecclesia (sur l’épiscopat et la collégialité)25. Le 17.9.1964, Felici a pu tranquilliser le pape, qui était fort inquiet (p. 416) et, malgré le fait qu’il avait lui-même des réticences sur le texte, lui a donné le conseil de poursuivre normalement les votes comme prévu. Éventuellement on aurait pu demander à l’assemblée d’étudier encore les problèmes de façon plus approfondie. Felici a aussi averti Agagianian de l’affliction du pape (pp. 416-417). Et le 19.9, il a envoyé un Pro-­Memoria au pape26 où il déconseille le renvoi du vote et suggère que, par la suite, le texte puisse encore être amendé. Le pape lui a alors exprimé sa satisfaction pour ce Pro-Memoria (p. 417). 6.  Les incidents autour de la révision du schéma ‘De Libertate religiosa’ (octobre 1964)27 Un incident a éclaté autour des lettres de Felici à Bea et à Ottaviani où il écrivait que, dans la commission spéciale qui devait s’occuper de la révision du De Libertate religiosa, M. Browne, M. Lefebvre, C. Colombo et A. Fernandez devaient être insérés comme membres. Trois de ces noms étaient des adversaires notoires du texte et surtout le nom de M. Lefebvre, supérieur général des Spiritains, soulevait des protestations. Après une lettre de treize cardinaux «Non sine magno dolore…» du 10.11.1964, le pape a maintenu le Secrétariat pour l’Unité comme commission compétente du texte28, tout en exigeant que la commission doctrinale examine le texte29. Dans le Diario (p. 423) Felici affirme qu’il n’a pas voulu insérer M. Lefebvre parmi les quatre noms mais qu’il a été induit en erreur par

25.  Pour cet épisode, cf. V. Carbone, L’Azione direttiva di Paolo VI nei periodi II e III del Concilio Ecumenico Vaticano Secondo, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (n. 18), pp. 85-86 et G. Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota explicativa praevia’, ibid, 587-697, spéc. pp. 595-628. 26. Cf. AS VI, III, pp. 357-358. 27.  Pour cet incident, voir V. Carbone, Il ruolo di Paolo VI nell’evoluzione e nella redazione della dichiarazione «Dignitatis humanae», dans Paolo VI e il rapporto Chiesa-mondo al Concilio: Colloquio internazionale di studio – Roma, 22-23-24 settembre 1989 (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 11), Brescia, Istituto Paolo VI, 1991, 126-173, pp. 137-138; et L. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands, secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. Traduction française annotée (Instrumenta Theologica, 31), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009, pp. 137-143. 28. Cf. AS V, II, pp. 788-789. 29. Cf. AS VI, III, pp. 501-502.



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Fagiolo et Morcillo30. Il affirme aussi que par ordre explicite du Secrétariat d’État il a introduit ces quatre noms. Or, la lettre de Dell’Acqua disait seulement: «associando agli attuali viri della Commissione qualche altra persona competente specialmente nel campo della Teologia e Sociologia» et le pape avait demandé que le texte soit revu par la commission doctrinale, sans toutefois indiquer des noms31. On peut donc supposer que Felici a interprété les souhaits du pape dans un sens maximaliste. Il a d’ailleurs toujours été d’avis que la commission doctrinale n’avait pas été suffisamment impliquée dans la préparation du texte De Libertate religiosa 32. 7.  La semaine du 14 au 21 novembre 1964 Sur la fameuse «settimana nera» avec l’introduction de la Nota Explicativa Praevia, les amendements du pape sur le De Oecumenismo et le renvoi du vote sur le De Libertate religiosa, les notes de Felici (pp. 432439) sont assez sobres, mais pourtant pas dénuées d’intérêt. Essayons de relever – pour chaque problématique – quelques faits importants ou nouveaux: a)  La ‘Nota Explicativa Praevia’ (NEP) Dans son audience du 5.11, le pape dit à Felici qu’il est encore très perplexe au sujet du chap. III De Ecclesia et si on ne lui fournit pas les preuves suffisantes de ce qui est affirmé, il ne pourra pas promulguer la constitution. Le 8.11, Mgr Dell’Acqua met Felici au courant d’un recursus d’une centaine de Pères contre la procédure engagée pour les votes du chap. III et contenant aussi des critiques sur la doctrine. Felici partage les difficultés doctrinales mais il peut rassurer le pape sur la régularité de la 30.  Felici a encore ajouté: «Dopo aver spedito le lettere mi sono accorto che era proprio lui. Pazienza!» (avec mes remerciements à Mgr Marchetto qui m’a donné cette information). V. Carbone dans l’article précité (p. 137) parle d’une confusion avec le cardinal Joseph Lefebvre. Ce qui est fort étonnant. En effet, dans la lettre de Felici à Bea du 9.10.1964 (AS V, II, p. 773), on parle explicitement de Marcello Lefebvre et il est indiqué comme évêque (Ecc.mo) et non pas comme cardinal (Em.mo). Et dans sa note du 12.10.1964 (AS V, II, p. 787) Felici écrit que les 4 personnes indiquées (Browne, Lefebvre, Colombo, Fernandez) «si sono distinti per i loro saggi interventi sull’argumento. Si accludono tali interventi». Le 15.10, Felici ajoute encore dans son Diario (p. 426): «poiché tutto è questione di un nome (Lefebvre), non capisco tanta accanimento contro un Vescovo degnissimo, che sarà sì estremista, ma difende la fede; mentre per alcuni, che in Concilio dicono cose offensive per la fede e il buon senso, nessuno reagisce efficacemente». 31. Cf. AS VI, III, pp. 417-418 et 501-502. 32. Cf. AS V, II, p. 787 et le Diario Felici, 17.9.1965, p. 489.

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p­ rocédure. Felici regrette que Morcillo ait signé ce recursus. Le pape est tranquillisé mais ajoute: «Ma questi non mi fanno dormire». Ensuite Felici rédige ses Osservazioni33. Le 13.11 au soir, Ottaviani communique à Felici que la commission doctrinale a trouvé un accord et que le texte maintenant lui paraît bon «e sicuro». Le 14.11, dans une note pour Mgr Macchi, Felici pose encore la question au pape sur la valeur précise de la NEP34. Le 16.11 à 20h15 le pape ordonne à Felici de lire la NEP in aula le lendemain avant le vote35. Le 21.11, Felici peut noter: «Sessione pubblica splendida et ottimamente riuscita. Trionfo del papa e della Madonna»36. Après la 3ème session, on voit que le pape a reçu Parente, qui après son audience, a dit à Felici qu’il a été choqué par la NEP (11.12.1964, p. 440). Le 28.1.1965, le pape dit à Felici qu’il n’est pas content de la Nota de Mgr Parente pas plus d’ailleurs que de l’article de Mgr Fagiolo, qui est inspiré par le Latran et par Mgr Staffa37 (p. 455). Et le 10.2.1965, le pape se lamente encore chez Felici des interventions de Parente sur la NEP (p. 457). 33. Pour le texte du recursus, la réponse de Felici et la position de Morcillo, cf. Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota Explicativa Praevia’ (n. 25), pp. 653-660, 660-662, 664 et P.J. Roy, Le Coetus Internationalis Patrum, un groupe d’opposants au sein du concile Vatican II, Laval-Lyon, 2011, Tome IV, pp. 849-856 (thèse de doctorat non publié). 34.  AS VI, III, p. 529. 35.  Philips écrit: «…Mgr Felici insiste, de sa voix de stentor, sur la troisième Communication» (cf. J. Grootaers, Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, Chap. III) [BETL, 72], Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986, p. 82). Est-ce cette insistance qui a introduit le cardinal König en erreur quand il attribue à tort la rédaction de la NEP à Felici? (cf. Chiesa dove va? Gianni Licheri interroga il cardinale Franz König, Città di Castello, 1985, pp. 32-35). 36.  Felici ne semble donc nullement partager les critiques sévères de Ratzinger contra la NEP ni la désolation de de Lubac qui écrit, le 23.11, à son ami Mgr Bruno de Solages: «Dans leur immense majorité, les évêques ont été joués. Le mot de ‘brigandage’ paraissait le seul adéquat. Les plus lucides sur la situation de l’Église et sur celle du monde sont cruellement blessés. On a pu voir à Saint-Pierre, le cardinal Alfrink verser des larmes. Je n’ai pas le cœur à en dire davantage». Cf. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al Concilio Ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcivescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. 37. Cf. V.  Fagiolo, Il concilio Vaticano II nei lavori e risultati del terzo periodo, dans Rivista diocesana di Roma, 1964, 897-906; P. Parente, Visione della Chiesa nella dottrina del Concilio Ecumenico, dans Città Nuova 9/2 (25.1.1965) 14-17. Felici a réagi contre cet article de Parente avec une note pour le pape; le cardinal Siri, archevêque de Gênes a également protesté auprès de Felici (cf. AS VI, IV, pp. 34, 92-93, 102, 122, 130-131).



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Toutefois, le pape exprime ses regrets pour la publication «cosi vistosa» de la NEP faite par L’Osservatore Romano (p. 461)38. b)  Les ‘modi’ du pape sur le décret ‘De Oecumenismo’ (pp. 435-437)39 Le 16.11, à 20h15 le pape téléphone à Felici pour lui annoncer que le De Oecumenismo ne le satisfait pas et ne pourra être voté dans la 3ème session. Le 17.11, Felici communique cette décision du pape aux modérateurs qui lui demandent de conjurer le pape de changer d’avis. Le pape téléphone à Felici qu’il est étonné de la perplexité des modérateurs, qui eux devraient d’abord être perplexes de la doctrine. Et qu’en tout cas il ne peut accepter le texte actuel. Le 18.11, les modérateurs insistent auprès du pape pour approuver le De Oecumenismo. À Felici le pape dit qu’il va étudier les notes qu’on lui a envoyées. Toutefois, si le Secrétariat pour l’Unité accepte ses modifications, le texte pourra être promulgué. Le pape est très décidé. Finalement Willebrands accepte une grande partie des modi du pape. c)  Le renvoi du vote sur le ‘De Libertate religiosa’ (pp. 436-438) Le 16.11, le pape dit encore à Felici de prévoir le vote du De Libertate religiosa. Le 18.11, devant l’opposition au vote, Tisserant et les modérateurs décident de soumettre la question du vote à l’assemblée, le 19.11. Le 19.11, après une consultation avec le card. Roberti [du tribunal administratif] qui a dit que la question du vote ne peut être soumise à l’assemblée, Tisserant renvoie, au nom de la présidence, le vote (seul le card. Meyer y était favorable). Mgr De Smedt («acceso») lit alors sa relation. Felici note qu’il y a beaucoup d’applaudissements mais il les trouve polémiques40. 38.  On peut constater que Felici a tout fait pour souligner l’importance de la NEP. Et il a réussi à bloquer la publication de l’Expensio modorum du chap. III, comme demandée par Philips et ensuite par Ottaviani. Ce qui était pourtant nécessaire pour avoir une compréhension exacte de la NEP. Et tandis que le pape lui avait dit qu’il fallait attendre la fin du Concile, cette Expensio modorum n’a été publiée dans les AS qu’en 1976 (AS VI, III, pp. 582-584, 591). 39.  Pour mieux situer et compléter les notes brèves de Felici, on peut consulter les notes de Willebrands à ce sujet publiées par M. Velati, L’ecumenismo al Concilio: Paolo VI e l’approvazione di «Unitatis redintegratio», dans Cristianesimo nella storia 27 (2005) 427-475. 40.  Felici ne semble pas avoir beaucoup de compréhension pour Mgr De Smedt, qui, le 20.11.1964, écrit encore au pape: «Comme la plupart des évêques, je quitte Rome profondément attristé et écœuré par les méthodes difficilement admissibles qui ne cessent d’être employées par certains membres influents de la minorité et qui ont porté un

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À 12h15 Felici est chez le pape qui approuve la décision de la présidence. Puis on vient dire au pape que les cardinaux Meyer, Ritter et Léger veulent le voir d’urgence pour protester contre ce renvoi. Le pape, contrarié, voudrait d’abord ne pas les voir, mais les reçoit quand-même à 13h41. À 16h45 Felici est de nouveau chez le pape, qui lui dit espérer d’avoir convaincu les cardinaux: on a seulement voulu respecter le Règlement du Concile, il n’y a pas eu d’autres manœuvres. À 18 h, durant un consistoire des cardinaux, Frings a encore protesté publiquement auprès du pape, qui lui a répondu avec fermeté. Le 20.11, après le renvoi du vote, Felici remarque avec un peu de «Schadenfreude» que la pétition des 456 Pères a été rejeté par respect du Règlement, respect que les 13 cardinaux avaient eux mêmes invoqué dans leur lettre de protestation «Non sine magno dolore» (contre les manœuvres de Felici) du 11.10.1964. II.  Les personnalités du Diario Le Diario nous donne aussi des informations précieuses sur beaucoup de personnalités du temps du Concile et nous oblige à nuancer des opinions parfois fort répandues. Nous nous limitons ici à illustrer notre propos et à donner quelques détails pour Jean XXIII, Paul VI et évidemment pour Felici lui-même42. 1.  Jean XXIII – À l’occasion du cardinalat de B. Alfrink (28.3.1960), le pape, le 24.3.1960, se dit préoccupé de la lettre qu’Alfrink a envoyée comme réponse pour le Concile43. Et à l’occasion de son cardinalat Alfrink p­ réjudice extrêmement grave à l’honneur et au prestige de la Sainte Église. Je prierai pour Votre Sainteté. Puisse le Maître l’aider à réparer le mal qui a été causé et à faire rayonner d’un éclat plus pur la sainteté de notre mère la Sainte Église» (cf. A. Greiler – L. De Saeger [éds], Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory [Instrumenta Theologica, 22], Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999 [= F. De Smedt], 1261). 41.  Pour cette «pétition» de 456 Pères conciliaires, cf. AS V, III, pp. 89-92. 42.  Pour notre propos, les notes que Felici fait après chaque audience des papes sont fort intéressantes. Toutefois on peut soupçonner que Felici a surtout noté les opinions des papes quand elles correspondaient à ses propres convictions. 43.  Les votes pour le Concile de l’épiscopat néerlandais – rédigés en grande partie par Schillebeeckx – avaient fortement insisté sur la collégialité. Notes qui avaient été mal traduites en italien.



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doit maintenant comprendre quelle doit être son attitude. Jean XXIII ajouta: «Ci sono degli ammonimenti che si fanno anche con la promozione» (p. 124). Et quand Jean XXIII a reçu Alfrink, le 1.4.1960, il demande d’urgence à Felici de lui faire parvenir une copie de cette lettre d’Alfrink pour pouvoir lui en parler et faire des remarques (p. 129). Toutefois, le 30.4, il dit à Felici qu’il n’est pas content de la façon drastique avec laquelle le Saint-Office a traité cette affaire (p. 135). – On constate aussi que le pape a hâté la préparation du Concile et qu’il a fixé, malgré la demande de Frings et de Döpfner de ne pas commencer le Concile avant le début de 1963 (pp. 236-238), la date de l’ouverture au 11 octobre 1962. En avril 1960, le pape croyait encore que le Concile pourrait durer seulement deux mois (p. 135). – Si Jean XXIII est d’abord opposé à la nomination du P. Tromp comme secrétaire de la commission théologique préparatoire (p. 142) et qu’il nomme, sur insistance de Montini, Colombo comme membre de cette commission (p. 166), il faut toutefois noter que le pape est plutôt en désaccord avec l’avis envoyé par la Grégorienne au sujet de la collégialité et du pouvoir, trop étendu à son avis, des évêques (p. 142). – Notons aussi que Jean XXIII est assez critique vis-à-vis du Padre Pio (pp. 202, 215) et du Père Lombardi (pp. 289, 290, 291). 2.  Paul VI Les notes de Felici confirment ce qu’on sait depuis quelque temps de l’opinion et des convictions de Paul VI. Pendant le Concile la plupart des membres de la «majorité» croyaient que les prises de position et les hésitations de Paul VI sur quelques sujets brûlants (Écriture et Tradition, collégialité, mariage et contraception …) provenaient de la pression exercée par la curie romaine et par des représentants importants de la minorité. Et que pour obtenir une quasi-unanimité sur les textes du Concile, Paul VI faisait – contre son gré – des concessions à cette «minorité». Or, le journal de Felici montre qu’en plusieurs cas c’était le pape lui-même qui avait des problèmes avec la doctrine des textes et avec certaines personnes. Examinons quelques cas: – problèmes avec les periti: ils ne sont pas assez préoccupés dans la rédaction des textes d’obtenir leur approbation par le Concile (31.12.1964, p. 444); le pape se plaint de l’«intemperanza» de certains periti (18.2.1965, p. 458); parfois les periti se sont servis du Concile (au lieu d’être au service du Concile) pour propager leurs propres idées

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et pour diffamer d’autres (10.6.1965, p. 475). Et du peritus Fr. Murphy qui publiait des chroniques sur le Concile sous le pseudonyme de Xavier Rynne, le pape disait qu’il «lavora contro la Chiesa» (27.2.1964, p. 375). – problèmes avec les observateurs qui n’ont pas toujours été dignes de l’hospitalité qui leur a été offerte par le Saint-Siège (18.2.1965, p. 458)44. – problèmes avec les modérateurs: il faudra modérer les modérateurs (15.10.1964, p. 427); le pape est étonné que les modérateurs sont perplexes que le De Oecumenismo ne pourra être voté (17.11.1964, p. 436); les modérateurs ne doivent pas exprimer leur opinion personnelle ou prendre position dans les débats (6.5.1965, p. 470). – les problèmes avec la collégialité sont plus connus, voir les 13 Suggerimenti et la Nota Explicativa Praevia. Il est toutefois caractéristique de constater que déjà le 23.1.1964, Paul VI dit qu’il ne pourra pas approuver certaines formules, même si les Pères les approuvent (p. 370) et que, le 12.3.1964, il dit à Felici que tout doit se faire «cum Petro, sub Petro, per Petrum»45 (p. 377). Et le 9.9.1964, Felici note que le pape est encore perplexe pour le chapitre sur la collégialité: «È una spina, mi dice» (p. 415). Affirmation répétée encore le 5.11.1964 (p. 433). – pour le De Revelatione, le pape exprime, le 23.9.1965, ses inquiétudes à Felici (p. 490). Et il fait envoyer par Felici une lettre à Ottaviani pour dire que la commission doit affirmer plus clairement «la natura costitutiva della Tradizione»46. Le pape exprime encore ses préoccupations, le 14.10. (p. 492) et finalement Cicognani doit écrire une lettre à Ottaviani, le 18.10.196547. – pour les problèmes de la contraception, Felici dit au pape qu’il n’a guère confiance dans les moralistes de la commission pontificale et le pape lui non plus n’est pas favorable à la «pillola» (1.4.1965, p. 465). Après l’envoi de sa lettre à la commission (23.11.1965)48, le pape exprime, le 26.11, son désappointement à la réaction de la commission 44.  Le P. Stransky (du Secrétariat pour l’Unité) affirme que dans une lettre envoyée à Bea vers mi-avril, le pape aurait même envisagé de ne plus inviter les observateurs. Cf. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands (n. 27), pp. xv-xvi et A. Wenger, Le cardinal Villot, 1905-1979: Secrétaire d’État de trois papes, Paris, Desclée de Brouwer, 1989, p. 52. 45.  Le pape aurait dit la même chose au card. Suenens; ceci à l’étonnement de Mgr Charue (Carnets Charue, 16.3.164, p. 177). 46.  AS V, III, p. 377. 47.  AS V, III, pp. 459-461. 48.  AS V, III, pp. 604-606.



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mais il acceptera d’autres formulations, à condition qu’elles correspondent à sa pensée. Si d’autres ont leur conscience, lui aussi a sa conscience qu’il doit suivre pour ne pas compromettre la vraie doctrine de l’Église, qui dans le schéma n’est pas toujours clairement exprimée. Et Paul VI ajoute: «E poi che cosa è tutto questo parlare di amore, amore, amore senza dire che il fine primario del matrimonio è il bonum prolis? E perchè non denunciare gli antifecondativi e i contraccettivi quando si condanna l’aborto et l’infanticidio?». Felici note que les paroles du pape l’ont réconforté (p. 497). 3.  Felici Le Diario nous renseigne abondamment sur Felici49 lui-même. Et il faut avouer que le journal nous réserve certaines surprises. Examinons brièvement quelques traits de sa personnalité ainsi que certaines informations sur son rôle et son influence sur le Concile. a)  L’homme Felici Une premier trait marquant est la profonde spiritualité de Felici50. Une spiritualité nourrie de pratiques de dévotion, de pensées profondes, d’examens de conscience. La dévotion mariale y prend une grande place et même la vénération des reliques51. Le service fidèle du pape pour la «gloria della Chiesa» fait partie de cette spiritualité. Cette spiritualité exigeante était très classique mais n’était guère consciente de la problématique du monde moderne et des problèmes d’une pastorale dans un monde de plus en plus sécularisé (voir par ex. les prêtres ouvriers en France). On peut aussi constater que Felici ne néglige nullement l’engagement pastoral. Comme évêque il fait des ordinations sacerdotales, il confirme des enfants. Malgré tout son travail pour le Concile, il reste fidèle à ses cours de catéchèse pour des jeunes filles au Borgo Santo Spirito.

49.  Sur Felici voir V.  Fagiolo (éd.), Il Cardinale Pericle Felici, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1992; J. Grootaers, I protagonisti del Vaticano II, Milano, San Paolo, 1994, pp. 115-132; Aa.Vv, Il Cardinale Pericle Felici (1911-1982). Congresso di studio nel ventennale della morte (Roma, 22-23 marzo – Segni, 24 marzo 2002), Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2003. 50.  Toutefois, l’ampleur des notes consacrées à la vie spirituelle ne peut pas trop nous étonner, puisqu’on a publié les Cogitationes cordis mei, le journal spirituel de Felici. 51.  Quand son ami Don Pino est gravement malade, Felici lui envoie une relique du Père Cappello, jésuite récemment décédé en odeur de sainteté (p. 312). Et pour la guérison de sa maman, il a reçu des reliques de Jean XXIII par l’intermédiaire de Capovilla (p. 513).

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L’ancien directeur spirituel du Seminario Romano Maggiore garde régulièrement contact avec ses anciens dirigés, les aidant dans les problèmes de la vie sacerdotale. Il prêche des récollections et retraites pour prêtres et séminaristes et il reste toujours préoccupé du bon fonctionnement de son ancien séminaire, où il retourne souvent et se plaît dans la compagnie des jeunes séminaristes. C’est aussi animé par son idéal de vie sacerdotale qu’il souscrit à des réformes nécessaires dans l’Église, partage les critiques de Tardini (par ex. p. 66) et de Jean XXIII (par ex. p. 162) sur la curie romaine et il est même assez sévère pour le Vicariat de Rome (p. 246). Il serait donc erroné de classer Felici comme un représentant typique de la curie romaine. Avec plusieurs de ses fonctionnaires il avait d’ailleurs des problèmes et des conflits. Une autre caractéristique de Felici est sa fidélité dans ses relations humaines, avec sa famille d’abord et aussi avec ses amis prêtres. Les évêques du Concile ont connu Felici comme un homme brillant, toujours de bonne humeur, doué d’humour et d’une grande vitalité. Il est donc surprenant que le Diario nous révèle qu’il a connu assez souvent des doutes, des angoisses (p. 473) et même des crises de dépression, comme en 1963 (p. 353)52. Travailleur infatigable, il prend cependant, aussi des périodes de congé: voyage en Palestine (24.4-3.5.1964); en Italie du Nord et en Suisse (7-20.8.1964), en Égypte (4-21.1.1965), en Allemagne (9-30.7.1965), en Espagne et en France (29.5-8.6.1966). Si pendant le Concile plusieurs évêques étiquetaient Felici comme «furbo» même «furbissimo» (certains évêques et periti l’appelaient «Periculum Felici» et l’accusaient de manœuvres pour retarder des textes qui ne lui plaisaient pas), rien dans le Diario ne permet de justifier ou de contredire cette assertion. b)  Felici et le Concile53 Le rôle de Felici au Concile a été fort important. Toutefois de par sa fonction, il n’a guère occupé le devant de la scène et il a exercé son influence surtout dans les coulisses. Tout le monde a loué son intelligence, sa capacité de travail et d’organisation (il a réussi à constituer une équipe unie dans le secrétariat ­général

52.  Le 7.5.1962, il a même envie de démissionner (p. 305). 53. Cf. V. Carbone, Segretario Generale del Concilio Ecumenico Vaticano II, dans Fagiolo (éd.), Il Cardinale Pericle Felici (n. 49), 159-194.



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– surtout avec V. Fagiolo et V. Carbone), son éloquence et sa parfaite maîtrise du latin. Remarquons d’abord que Felici ne reconnaissait comme autorité du Concile que le pape et éventuellement le secrétaire d’État. À cause de la maladie de Tardini et le grand âge de Cicognani54, Felici a de plus en plus traité les affaires du Concile directement avec le pape lui-même. Ce qui a eu comme conséquence qu’il n’a guère reconnu l’autorité des ­instances intermédiaires du Concile: le conseil de présidence, le Secretaria­ tus pro negotiis extra ordinem, la commission de coordination et les modérateurs, avec qui il est entré souvent en conflit (voir par ex. pp. 354, 356-357, 370 «il faudrait les supprimer»; p. 427 «tre di loro stiano al governo e all’opposizione»; pp. 436, 470). D’ailleurs pendant les sessions Felici était chaque semaine reçu en audience privée chez le pape, avant les modérateurs. Felici s’est engagé de toutes ses forces pour la réussite du Concile et pour la réforme de l’Église, comme la voulait Jean XXIII55. Mais, hormis la réforme de la liturgie56, il n’était guère enthousiaste pour les grandes tendances novatrices qui se sont exprimées au Concile. Signalons notamment: – la collégialité de l’épiscopat, dont il avait une conception minimaliste, assez proche de celle de Staffa (p. 407); il a certainement renforcé les hésitations du pape et a souligné la signification de la Nota Explicativa Praevia. Son enthousiasme pour le Synodus Episcoporum est limité57 et, le 31.8.1967, il est même hésitant pour accepter la présidence du Synode de 1967 (p. 567). – la liberté religieuse: il se défiait du Secrétariat pour l’Unité et il a fait tout son possible pour que la rédaction de la déclaration soit aussi confiée à la commission doctrinale58. Et le 14.11.1965 il essaie encore 54.  Déjà en avril 1964, Suenens s’est plaint de la confusion de Cicognani (né en 1883) à la réunion avec la commission de coordination et il a suggéré au pape, le 18.4.1964, de remplacer Cicognani (J. Famerée, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). II: Inventaire des Fonds A. Prignon et H. Wagnon [Cahiers de la RTL, 24], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1991, 823-825). Et, le 24.10.1965, Cicognani demande à Willebrands si le texte De Ecclesiis orientalibus est déjà promulgué (le texte avait été promulgué le 21.11.1964 et Cicognani était le président de cette commission conciliaire) (Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands [n. 27], p. 249). 55.  Cf. 31.12.1962, p. 337. 56.  Le 1.1.1964, il appuie la nomination de Bugnini comme secrétaire du Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia (p. 365). 57. Cf. AS VI, IV, pp. 419-420. 58.  À Dell’Acqua il dit, le 13.10.1964, que pour le texte De Libertate «non bisognava fidarsi troppo del Segretariato per l’unione, che finora, in materie così delicate, non ha

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de différer le vote sur le texte prévu pour le 19.11, manœuvre qui n’a pas réussi59 – l’œcuménisme: la sensibilité œcuménique de Felici ne semble pas fort développée. Le 16.7.1959 (p. 47), il est déjà fort critique sur la Note sur la restauration de l’Unité chrétienne à l’occasion du prochain Concile, élaborée par le comité directeur de la Conférence catholique pour les Questions œcuméniques60. Lors de la visite du primat anglican Fisher à Jean XXIII fin 1960, Felici ne trouve pas opportun que soit faite une photo de Fisher aux côtés de Jean XXIII (p. 206). Le 17.2.1961, il est, comme Tardini, d’avis que le Secrétariat pour l’Unité dépasse ses compétences; et de Bea il dit: «è piuttosto mosso [dal movimento ecumenico] che movente diretto» (p. 226). À la fin de la 1ère session, il critique Bea et le Secrétariat pour le rôle qu’ils jouent dans des questions théologiques, notamment sur le De Revelatione (27.12.1962, pp. 336-337). Il nourrit même des doutes sur l’importance de la rencontre entre Paul VI et Athénagoras à Jérusalem, le 6.1.1964 (p. 367). – les relations de l’Église avec le monde moderne (Gaudium et spes). Felici reste critique sur le schéma XIII et surtout sur la 2ème partie concernant les problèmes urgents (les Addenda61). Le 7.10.1964, il parle encore au pape de ce schéma «fantomatico» et dit que c’est «un schema raffazzonato e di esito assai incerto» (p. 422); le 11.4.1965, il expose dato buona prova» (p. 425). Le 25.3.1965, il dit au pape qu’il n’est pas enthousiaste et nullement satisfait par le nouveau texte De Libertate (p. 463). Le 7.5.1965, il écrit au pape qu’il espère que Mgr C. Colombo pourra aider le Secrétariat pour orienter le texte De Libertate dans un sens correct (AS VI, IV, p. 278). Même son de cloche dans son Appunto du 21.9.1965: «Mons. Felici … insiste molto che il nuovo lavoro venga svolto in piena armonia, con lealtà e fattiva collaborazione del Segretariato e della Commisione dottrinale» (AS VI, IV, p. 501). 59. Cf. Declerck, Les Agendas conciliaires de Mgr J. Willebrands (n. 27), p. 258. 60.  Pour ce document important, rédigé surtout sous l’inspiration de Willebrands et du Père C.J. Dumont, cf. M. Velati, Una difficile transizione: Il cattolicesimo tra unionismo ed ecumenismo (1952-1964), Bologna, Il Mulino, 1966, pp. 144-151, et L. Declerck, Inventaire des Archives personnelles du Cardinal J. Willebrands, secrétaire (1960-1969) et président (1969-1989) du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, archevêque d’Utrecht (1975-1983) (Instrumenta Theologica, 35), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Theologie en Religiewetenschappen – Peeters, 2013, Dossier 34, pp. 58-59. 61.  Cf. Les Mémoires de Suenens: «Il y avait à ce moment-là un texte avec de longues annexes. Mgr Felici qui était furieux d’ailleurs et sur le texte et sur les annexes a voulu donner à ces annexes une allure de documents sans importance, de documents privés [le 30.9.1964]. J’ai dû, en pleine séance du Concile l’obliger à rectifier [le 1.10.1964]. Je lui ai fait un papier [F. Suenens 2215] demandant qu’il dise que ces annexes étaient demandés par la Commission de Coordination et que ce plan avait été prévu; que par conséquent ça faisait partie de la matière conciliaire. Il l’a fait sans broncher: au moins cette fois-là nous avons été en harmonie» (Mémoires sur le concile Vatican II [n. 8], p. 62).



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une fois de plus au pape ses graves appréhensions sur le schéma XIII, que pourtant le pape ne partage pas (p. 465), critiques qu’il répète à la commission de coordination du 11.5.1965 (p. 471 et AS V, III, pp. 303304). – les relations avec la presse. Les critiques de la presse internationale sur le peu d’ouverture et l’impossible «secret» à garder sont bien connues et le service de presse a été amélioré dès la 2ème session. En fait, Felici n’était guère ouvert aux critiques de la presse ni au rôle de l’opinion publique dans l’Église62. – dans le Diario on ne trouve nulle trace d’un intérêt de Felici pour le mouvement Jésus, l’Église et les pauvres, soutenu par les cardinaux Lercaro et Gerlier, le Père Gauthier, Helder Camara et Himmer. On doit donc bien constater que Felici n’était guère sensible à plusieurs aspects de l’aggiornamento, préconisé par Jean XXIII ni à l’ouverture au monde moderne, voulu par Paul VI. Certes il ne faut pas souscrire au jugement trop sévère émis par le cardinal Suenens sur Felici63, mais probablement Felici lui-même a émis un bon jugement sur sa propre personne en notant, le 21.6.1964: «Un po’ per carattere, un po’ per formazione, un po’ per ministero esercitato con certi orientamenti, io mi trovo a condividere nella dottrina e nella pratica alcune posizioni, che si è convenuto chiamare tradizionali, pur guardando con serenità – così mi sembra – a delle aperture, che possano migliorare gli spiriti e renderli più 62.  Il est symptomatique que devant les critiques de la presse surtout allemande, la réaction de Felici n’est pas de vouloir améliorer le service de presse mais d’écrire seulement: «è una piccola pena che offro al Signore per il buon esito del Concilio» (14.6.1961, p. 246). 63.  Dans ses Mémoires sur le concile Vatican II (n. 8), Suenens écrit: «Ma seule intervention finale au Concile a été de remercier, à la toute dernière séance, au nom de 1’Assemblée, Mgr Felici pour son travail, ainsi que tous les employés, tous ceux qui avaient contribué à la réussite matérielle et administrative du Concile. Je crois que c’était un discours assez amusant, qui en même temps rendait hommage à quelqu’un qui, pendant 4 ans, avait été implacablement l’adversaire de toutes les idées que nous défendions. Il était 24 heures sur 24 opposé aux tendances du Concile; il s’est véritablement battu avec une habilité consommée, faisant jouer tous les jeux de la procédure contre nous, ne cédant jamais que devant des majorités écrasantes, essayant toujours de faire triompher son point de vue. Il a perdu toutes les grandes batailles au niveau des discussions conciliaires, mais il a certainement été un extraordinaire apport pour l’élément conservateur, qui s’appuyait sur lui et qui s’appuyait aussi sur le Cardinal Cicognani, qui a, à chaque occasion, manifesté la tendance d’extrême conservatisme et qui occupait une position extrêmement importante» (pp. 56-57). Remarquons encore que dans son Diario (p. 397) Felici a noté que le pape lui disait, le 3.6.1964: «Parlando poi del Card. S. confessa che lo riteneva più equilibrato!». Il s’agit fort probablement du cardinal Suenens, qui, le 2.6.1964, avait écrit une lettre à Paul VI concernant notamment des incidents avec Ottaviani sur les déclarations de Suenens sur le Birth Control à Boston en Amérique (F. Suenens 1724).

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adatti alla diffusione del vero e del bene. In Seminario particolarmente, ho cercato di correggere (più che combattere) alcune ideologie di marca tedesca o francese, riguardanti l’ascesi, la liturgia, la formazione spirituale, la morale ecc. Ora invece mi trovo al Concilio, a dover fare l’imparziale fra diverse tendenze; e quello che fa la voce più grossa è quello a cui io ho guardato con una certa preoccupazione. Il guaio è che, in pratica, la preoccupazione è anche dei Superiori, nonostante che anche loro debbano guardare con una certa imparzialità a questo ‘fiorire dei cervelli’, e talora ne sentano il fascino. Naturalmente chi deve eseguire (senza poter dire la fonte) è il Segretario Generale, il quale dovrebbe combinare cose in pratica assai scombinate». * * * En tout cas on ne peut que remercier Mgr Carbone et Mgr Marchetto pour l’édition et l’annotation de ce Diario, document si important pour l’historiographie du Concile, où jusqu’à ce jour beaucoup d’archives restent à explorer, surtout celles des protagonistes «romains» (pensons à Cicognani, Ottaviani, Parente et évidemment au pape Paul VI). La recherche continue, donc.

11 LA «SETTIMANA NERA» DE LA TROISIÈME SESSION DU CONCILE VATICAN II La 3ème session du Concile s’était ouverte sous d’heureux auspices. Après les débuts hésitants de la 1ère session où l’on cherchait sa voie sous Jean XXIII, Paul VI avait, dès le début de son pontificat, pris sans hésiter les rênes du Concile et avait demandé au card. Döpfner de rédiger un plan pour que le Concile puisse se terminer par une 3ème session1. Déjà pendant la 2ème session la constitution sur la liturgie et le décret sur les moyens de communication sociale avaient été promulgués. Et on avait fait de grands progrès pour plusieurs schémas. Les commissions conciliaires avaient pris conscience des tendances de la majorité2 et avaient travaillé sans répit pendant l’intersession. Le voyage de Paul VI en Terre sainte, où il avait rencontré, en janvier 1964, le patriarche Athénagoras, avait suscité beaucoup d’espoir. Et sa première encyclique Ecclesiam suam, publiée le 6 août 1964, avait été accueillie très favorablement. Les attentes de la 3ème session étaient donc vives, surtout qu’il existait une chance réelle que ce soit aussi la dernière3. Le De Ecclesia, le

*  Cet article est la traduction française de L. Declerck – M. Lamberigts, De «Zwarte Week» (Settimana nera) van de derde conciliezittijd (14-21 november 1964), dans Collationes 44 (2014) 403-434. À quelques endroits il a été complété par des recherches récentes. 1.  Déjà le 20.7.1963, Döpfner avait envoyé une note de 10 pages à Paul VI «Überlegungen zur Fortsezung des Konzils», où Döpfner prévoyait une 3ème et dernière session en 1965 (cf. L. Declerck – E. Louchez, Inventaire des papiers conciliaires du cardinal L.-J. Suenens [Cahiers de la RTL, 31], Louvain-la-Neuve, Faculté de Théologie – Peeters, 1998 [= F. Suenens], 785). 2.  Pour la facilité on emploie la terminologie de «majorité» et «minorité». Toutefois on doit rester conscient que ce ne sont pas des groupes compacts ou délimités et que certains évêques, selon le sujet traité, pouvaient appartenir successivement à la majorité et à la minorité. Le card. Suenens par exemple appartenait nettement à la majorité, mais en ce qui concerne la mariologie il se rangeait dans la minorité, qui voulait promouvoir une mariologie maximaliste. Une remarque analogue doit être faite concernant les notions de «progressif» et de «conservateur». 3.  Ce n’est que le 23.10.1964 qu’on a communiqué officiellement, qu’il y aurait une 4ème session (cf. G. Caprile, Il concilio Vaticano II: Terzo Periodo, Roma, La Civiltà Cattolica, 1965, pp. 260-261).

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De Oecumenismo et le De Ecclesiis orientalibus étaient bien avancés et on prévoyait leur promulgation à la fin de la session. – Le De Libertate religiosa avait été débattu; le texte retravaillé par après pouvait maintenant être soumis à un premier vote. – Le Schéma XIII avait été longuement discuté. – Le De Habitudine ad Religiones non christianas avait été discuté et avait reçu une approbation de principe (20.11.1964) et le texte pouvait être terminé en tenant compte des modi. – Le De Revelatione et le De Apostolatu laicorum avaient reçu une approbation de principe. – Le De Episcopis avait été voté mais devait encore être revu en tenant compte des modi. – Et les autres schémas «mineurs» (De Missionibus, De Sacerdotibus, De Institutione sacerdotali, De Educatione catholica, De Religiosis) avaient été discutés une première fois et devaient maintenant être ­réécrits pendant l’intersession. Malgré quelques incidents sérieux, à la mi-octobre, au sujet des textes sur les Juifs et la liberté religieuse, on avait bien avancé et tout le monde espérait pouvoir rentrer chez soi le 21 novembre (la fin escomptée de la session) avec des résultats substantiels. Comment se fait-il alors que, le 20 novembre, Mgr De Smedt, évêque de Bruges et rapporteur pour la liberté religieuse, écrivait dans une lettre personnelle au pape: Comme la plupart des évêques, je quitte Rome profondément attristé et écœuré par les méthodes difficilement admissibles qui ne cessent d’être employées par certains membres influents de la minorité et qui ont porté un préjudice extrêmement grave à l’honneur et au prestige de la Sainte Église. Je prierai pour Votre Sainteté. Puisse le Maître l’aider à réparer le mal qui a été causé et à faire rayonner d’un éclat plus pur la sainteté de notre mère la Sainte Église4.

La raison de ce «cri de cœur» on la trouve dans les événements de la semaine la plus mouvementée du Concile, réputée dans son historiographie comme la settimana nera (la semaine noire)5. À ce moment, le Concile était pressé par le temps, parce que le pape devait se rendre après la clôture de la session à Bombay pour le Congrès eucharistique international. 4.  A. Greiler – L. De Saeger (éds), Emiel-Jozef De Smedt, Papers Vatican II, Inventory (Instrumenta Theologica, 22), Leuven, KUL Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 1999 [= F. De Smedt], 1261. 5.  Pour l’histoire de cette semaine, cf. L.A.G. Tagle, La tempesta di novembre: La «settimana nera», dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, IV, Bologna, Il Mulino, 1999, 417-482.



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La majorité était convaincue qu’aussi bien le De Ecclesia que le De Oecumenismo devaient absolument être promulgués dans la 3ème session, parce qu’on craignait qu’un délai ultérieur ne menât à l’abandon ou à un affaiblissement des textes. Nous présentons ici un rapport de cette semaine dramatique avec des détails concernant les quatre incidents les plus importants. I.  La collégialité et la Nota Explicativa Praevia (NEP) 1.  Quelques notes d’histoire Le 6.3.1964, le n. 22 de Lumen gentium concernant la collégialité est approuvé dans la commission doctrinale. Mgr Charue note dans ses Carnets: «Qui l’aurait cru, la collégialité est votée, unanimiter, ‘etiam a Praeside’ fait ajouter le card. Ottaviani … À la sortie, on dit que le 6 mars sera dorénavant ‘Festum conversionis Cardinalis Ottaviani’»6. Mais Charue avait crié victoire trop tôt. Début avril, Ottaviani se rend chez le pape pour lui dire qu’il s’est trompé en approuvant le n. 227. Et après la commission de coordination du 16-17 avril Cicognani décide avec l’accord du pape de ne pas envoyer le schéma De Ecclesia aux Pères8. Felici convoque, avec l’accord du pape, un petit groupe de travail ultra secret qui rédige 13 suggestions pour améliorer le texte9 et qui sont envoyées par Felici à Ottaviani, le 19 mai 1964. Le 5 juin, la commission doctrinale discute de ces Suggerimenti: quelques-unes sont acceptées, 6. Cf. L.  Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets Charue], p. 162. 7. Cf. V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A.  Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015 [= Diario Felici], p. 381. 8. Cf. AS VI, III, p. 151. 9. Cf. AS VI, III, pp. 166, 184-185 et L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips], 1396, 1697, 1398. Et Paul VI en personne avait des difficultés avec le texte approuvé par la commission doctrinale, le 6.3.1964. Cf. Konzilstagebuch Sebastian Tromp S.J. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2014, 3/1, pp. 597-597-598,609. Notons aussi que Mgr V. Carbone a été soupçonné d’avoir collaboré à ces Suggerimenti. Cf. Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Journal Congar], II, p. 109. Ce que Carbone a confirmé à L. Declerck lors d’un entretien à Rome en janvier 2000. Et à Brescia, en septembre 1986, Carbone avait affirmé à L. Declerck que les suggestions du pape auraient dû être considérées comme un ordre.

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d’autres rejetées et le schéma est alors envoyé aux Pères. Toutefois la résistance contre ce texte a continué. Le 13 septembre, un jour avant l’ouverture de la 3ème session, le pape a reçu une «Nota riservata» avec des objections fondamentales contre la doctrine de la collégialité et la demande de ne pas soumettre ce chapitre à l’assemblée conciliaire. Cette Note a été rédigée à l’initiative du card. Larraona et signée par 18 cardinaux, Mgr M. Lefebvre et les supérieurs généraux des jésuites, des carmes, des dominicains, des salésiens, des rédemptoristes, des oblats de Marie et des franciscains10. Le pape, dans des termes énergiques, a refusé cette Note11 et le chapitre III du De Ecclesia a été approuvé avec une majorité très confortable, le 30 septembre12. Toutefois les adversaires n’avaient pas rendu les armes et le pape luimême se posait encore des questions13. Alors que la commission doctrinale était en train d’achever l’Expensio modorum14, le pape, sous l’influence de la minorité mais aussi par conviction personnelle, fera une nouvelle intervention. 2.  L’origine de la NEP15 L’Expensio modorum du chap. III fut discutée dans la commission doctrinale entre le 22 et le 30 octobre. Toutefois les réunions avaient été préparées par une petite commission technique composée de Charue, Tromp, Philips et Heuschen. Ce dernier y avait été délégué par le c­ ardinal König16. 10. Cf. AS VI, III, pp. 322-338. 11.  Cf. la réponse du pape à Larraona, AS VI, III, pp. 462-464. 12.  Il y a eu deux votations sur le chapitre III. Pour la Première partie (nn. 18-26) il y avait 1.624 de placet, 42 non placet et 572 placet iuxta modum. Pour la Deuxième partie (nn. 24-29) il y avait 1704 placet, 53 non placet et 481 placet iuxta modum. 13.  Quand, le 8.11, le pape avait reçu les doléances de plus de cent évêques de la minorité contre la procédure suivie, Felici essaie de le rassurer. Pourtant le pape répliqua: «Ma questi non mi fanno dormire» (Diario Felici, p. 434). 14.  Malgré le fait que le Chapitre III avait été approuvé par une large majorité de plus des 2/3 des votes, il y eut environ 6.000 de modi, introduits surtout par la minorité. Cf. L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen (Instrumenta Theologica, 28), Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen], 447. La plupart des modi avaient été rédigés et répandus par le Coetus Internationalis Patrum, à l’initiative de Marcel Lefebvre, Luigi Carli et Dino Staffa. 15. Cf. G. Philips, Notes pour servir à l’histoire de la Nota Praevia Explicativa (Lumen gentium) III), dans J. Grootaers, Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, Chap. III) (BETL, 72), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986, 63-84. 16.  König était le président de la sous-commission responsable du chapitre III, et aurait dû être présent dans la petite commission, lorsqu’elle traitait les modi de ce chapitre. Mais König y avait délégué Heuschen (cf. F. Heuschen 441).



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C’est surtout grâce à Heuschen que l’immense travail de l’Expensio modorum avait pu être mené à sa fin. Il était évident que la plupart de ces modi devaient être refusés parce qu’ils contredisaient la teneur du texte, qui avait été approuvé par une majorité de plus des 2/3. Des membres de la minorité contestaient cette manière de travailler de la commission technique et avaient obtenu du pape – au grand mécontentement de Tromp – que Mgr Franić [de la minorité] soit ajouté à la commission technique. Franić a toutefois refusé. Le 30.10, Colombo proposait que l’Expensio modorum soit précédée par une introduction, dans laquelle on expliquerait pourquoi tous ces modi de la minorité étaient refusés. Ainsi on espérait rencontrer les objections de la minorité. Philips a alors rédigé le texte Addenda ad Relationem generalem. Mais, le 2.11, Colombo (qui semble bien être envoyé par le pape, mais il ne le disait pas) vient chez Philips avec une autre note préliminaire17, qui était manifestement inspirée par le canoniste W. Bertrams18. Philips n’est pas enchanté de ce texte et le 6.11 la commission doctrinale approuva les «Addenda» de Philips. Le bureau de la commission rejette, le 10.11, la note de Colombo. Ces textes furent envoyés au pape pour l’approbation définitive. Mais, le 11.11, le pape, par une lettre du Secrétaire d’État au card. Ottaviani, exigea quelques corrections dans le texte et impose de rédiger une note qui devrait précéder l’Expensio modorum. Le pape y ajouta une note de Bertrams19. Le 12.11, la commission doctrinale se réunit en l’absence des periti, – à l’exception de Tromp et de Philips – pour éviter des indiscrétions20. Philips présenta quelques corrections à sa version de la NEP. La d­ iscussion 17.  F. Philips 1899. 18.  Wilhelm Bertrams (1907-1981), jésuite allemand, professeur de droit canonique à la Grégorienne était un homme de confiance de Paul VI. Tout en n’appartenant pas à la minorité, il envisageait la problématique de la collégialité surtout sous un angle juridique. Non sans raison Mgr Charue avait écrit dans une note «À propos de la Collégialité épiscopale» envoyée à Paul VI après son audience du 16.3.1964: «Bien des confusions viennent de ce qu’on s’en tient à l’alternative du ‘moral’ et du ‘juridique’ … Or, il faut aller au-delà du moral et du juridique, jusqu’au théologique et jusqu’à l’institution par le Christ». … Il y a de-ci de-là des esprits qui traitent tout dans un juridisme étroit. Il faut dépasser le domaine de la juridiction pour voir le fondement doctrinal». Cf. L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A. Haquin (Instrumenta Theologica, 40), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, p. 114. 19. Cf. Grootaers, Primauté et collégialité (n. 15), pp. 109-113. 20.  Mais en vain. Le peritus chilien Jorge Medina (en 1998 cardinal et préfet de la Congrégation pour le Culte divin) a pénétré dans la salle de réunion pendant la pause de midi, a emporté les documents du membre Benno Gut, absent, les a photocopiés et remis à leur place. Le soir, plusieurs periti étaient au courant du texte. Cf. F. Heuschen 384, p. 11.

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fut tendue et la majorité était mécontente mais vers 18h on arriva à un accord. Le nouveau texte fut soumis au pape, qui communiqua son accord à Philips le vendredi 13 novembre vers 18h. Felici commanda alors l’impression pendant la nuit et, le samedi 14.11, l’Expensio modorum fut distribuée in aula et saluée par des applaudissements21. L’enthousiasme se refroidit quand, le 16.11, Felici d’un ton solennel, lut la NEP, ajoutée au texte par l’autorité suprême et déclara que le chapitre III devait être compris et expliqué selon le sens de la NEP22. 3.  Le contenu de la NEP23 La NEP contient 4 paragraphes et un Nota Bene24. 1°  Existence et nature du collège épiscopal La première thèse que la minorité devait accepter est que les évêques forment, sous l’autorité du pape, un collège qui succède au collège des apôtres. À vrai dire, il n’y avait qu’une petite partie de la minorité qui prétendait que la notion de collège était une invention récente et n’avait jamais existé. Ces théologiens craignaient qu’en admettant l’existence d’un collège des évêques, on n’introduise un groupe rival de l’autorité du pape25. Pour apaiser ces craintes la NEP déclare que le collège ne doit pas s’entendre au sens d’un «groupe d’égaux» (selon la définition ­d’­Ulpien26 dans 21.  Beaucoup de Pères étaient fort inquiets parce que l’Expensio modorum du chap. III tardait et craignaient que le chapitre sur la collégialité ne soit bloqué. D’où leur sou­ lagement, mais à ce moment ils n’avaient pas encore lu le contenu de la NEP. 22.  «Ad cuius Notae mentem et sententiam». Cf. AS III, VIII, p. 10. 23. Cf. G. Philips, De dogmatische constitutie over de Kerk ‘Lumen gentium’, Antwerpen, Patmos, 1967, I, pp. 286-291. C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Lumen gentium’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143, pp. 124-129. 24.  Pour ce commentaire nous suivons surtout Grootaers, Primauté et collégialité (n. 15), pp. 76-79. Voir aussi P. Hünermann – B.J. Hilberath, Herders Theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen Konzil, II, Freiburg i.Br., Herder, 2004, pp. 263582, surtout pp. 541-547. 25.  Le représentant le plus connu de cette position extrême était Dino Staffa qui, appuyé par tout un groupe, cherchait à empêcher purement et simplement la promulgation de Lumen gentium. Le card. Browne était proche de cette position. Philips note: «[Le card. Browne] craignait surtout une définition de la collégialité sur laquelle on pourrait s’appuyer pour établir, à côté de la curie, un comité permanent de l’épiscopat à Rome» (cf. K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck [Instrumenta Theologica, 29], Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, Peeters, 2006 [= Carnets Philips], p. 94). 26.  Domitius Ulpianus (+ 170-221), juriste romain de Tyr.



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le droit romain). Les évêques forment un groupe stable à la manière d’un collège. C’est ce groupe des douze (dont Pierre est la Tête) tel qu’il est décrit dans le Nouveau Testament qui doit servir de modèle. 2°  Conditions pour faire partie du collège La deuxième thèse à accepter est qu’on devient membre du collège en vertu de la consécration épiscopale qui confère les charges (munera) de sanctifier, d’enseigner et de gouverner et par la communion hiérarchique avec la Tête du collège et avec ses membres qui fait passer à l’acte le pouvoir issu de la consécration et en règle l’exercice. Ces deux conditions ne sont pas du même ordre27. La consécration épiscopale donne la participation ontologique aux trois charges sacrées. La détermination canonique ou juridique s’ajoute ensuite pour que la puissance correspondant à ces charges passe à l’acte et devienne une «potestas ad actum expedita». Philips souligne à maintes reprises que la grande redécouverte de Vatican II est d’avoir rétabli le lien entre la collégialité et la sacramentalité de l’épiscopat. Cette thèse rompt avec la thèse des canonistes très agissant parmi la minorité. Pour ceux-ci, le sacre épiscopal donne le pouvoir d’ordre (qui permet de sanctifier) mais non le pouvoir de juridiction (qui permet de gouverner et d’enseigner) car ce pouvoir est donné par l’autorité supérieure. Dans cette ligne, le collège n’existe véritablement que par la juridiction accordée par le pape. Cette thèse était notamment celle du P. Bertrams28. Il est à noter que, sur ce point, la majorité a reçu l’aide très précieuse de l’assesseur du Saint-Office, Mgr Parente29. Celui-ci a répété que la séparation des pouvoirs d’ordre et de juridiction n’était qu’une thèse tardive des canonistes médiévaux sans fondement dans la tradition. 27.  On sait que grâce à la diligence de Mgr Heuschen, membre de la commission doctrinale, le texte «vi consecrationis et communionis» a été changé en «vi consecrationis et communione» pour marquer que les deux éléments n’ont pas la même importance. Cf. L. Kenis, Diaries: Private Sources for a Study of the Second Vatican Council, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 29-53, pp. 44-50. 28.  Philips signale: «Le canoniste bien connu le Père W. Bertrams s.j. ne fait pas opposition à la collégialité, mais selon lui un évêque en dehors de la communion du pape de Rome n’a aucune juridiction et les actes qu’il pose sont de soi sans valeur». Cf. G. Philips, L’Église et son mystère au IIe concile du Vatican: Histoire, texte et commentaire de la Constitution ‘Lumen gentium’, Paris, Desclée, 1967-1968, I, p. 28. Le Père Bertrams énonçait en effet le principe suivant: «Potestas regendi in consecratione episcopali confertur quoad substantiam, attamen efficax redditur per recognitionem ex parte Romani Pontificis». Pour Philips, le second membre de la phrase annulait le premier. 29.  P. Parente (1891-1986), assesseur du Saint-Office en 1959, membre de la commission doctrinale, cardinal en 1967.

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On doit donc admettre qu’un évêque légitimement ordonné est chargé en vertu de sa consécration de gouverner l’Église en même temps que d’autres évêques. Ceci dit, il est clair qu’il faut des déterminations ultérieures pour préciser comment cet évêque accomplira sa tâche. C’est dans la nature des choses, dit explicitement la NEP, puisqu’il s’agit de charges qui doivent être exercées par plusieurs sujets, qui, de par la volonté du Christ, coopèrent hiérarchiquement. La NEP ne fait donc pas de difficultés pour admettre la nécessité d’une détermination juridique pour mettre en œuvre les charges reçues mais elle refuse de faire dépendre de cette détermination la réalité des charges reçues30. 3°  Le pouvoir suprême du collège Il faut admettre que le collège qui n’existe pas sans sa Tête, est aussi sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur l’Église universelle. En fait, cette thèse est tout à fait traditionnelle car on a toujours admis que les conciles œcuméniques avaient autorité sur l’Église entière. Mais n’est-ce pas là admettre deux sujets du pouvoir suprême dans l’Église, sujets qui risquent d’entrer en compétition? La NEP répond que ce danger n’existe pas car on ne met pas le pape d’un côté et les évêques pris collectivement d’un autre côté. Le pape est envisagé comme agissant tantôt à part (seorsim) tantôt avec le collège. La NEP ajoute même qu’on mettrait en péril la plénitude du pouvoir papal si on prétendait que le pape ne dispose plus d’un tel pouvoir lorsqu’il agit comme Tête du collège. Ceci admis, la NEP reconnaît que seul le Pontife Romain peut poser certains actes qui ne reviennent nullement aux évêques comme par exemple convoquer le collège et le diriger, approuver les règles de son action etc. Elle précise que pour ordonner, promouvoir, approuver l’exercice collégial, le Souverain Pontife procède suivant sa propre discrétion. Ces différentes remarques ont bien évidemment pour but de rassurer la minorité: la primauté papale reste intacte qu’il agisse avec ou sans le collège. Philips remarque toutefois dans ses commentaires que la 30.  Le 7 mars 1964, Charue rapporte encore la discussion à la commission doctrinale sur la sacramentalité de la consécration épiscopale et son lien avec les 3 munera et les potestates. «Pour Tromp, Gagnebet et Schauf, le sacre ne ferait que rendre plus apte à l’enseignement et au regimen, les pouvoirs viendraient de la mission canonique … [Tromp] rappela que le Pape a tous ses pouvoirs dès son élection, même s’il n’est pas évêque. Nettement, Mgr Parente lui réplique que c’était une anomalie. Comme il l’avait dit l’autre jour, c’est un monstrum theologicum. L’expression m’échappe à moi-même à ce moment ‘Hoc est absurdum’ et la réprobation fut presque unanime et bruyante comme elle le fut rarement. Le P. Tromp parut consterné» (Carnets Charue, p. 163). Philips aussi a souvent rappelé qu’on ne pouvait donner la juridiction pour confesser qu’à un prêtre validement ordonné.



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c­ ommission a évité certaines expressions qui majoreraient le pouvoir papal au point de le rendre absurde. Par exemple, elle a évité de dire que le pape est uni Domino devinctus car le pape est lié à l’Évangile, aux définitions conciliaires, à la tradition de l’Église etc. 4°  Asymétrie dans l’exercice du pouvoir plénier sur l’Église Le Souverain Pontife en tant que Pasteur suprême de l’Église, peut en tout temps exercer à son gré son pouvoir, selon que le requiert sa charge même. Mais le collège, bien qu’il existe toujours, n’agit pas pour autant de façon permanente d’une action strictement collégiale. Il y a donc deux différences – dans le temps et dans l’autonomie – dans l’exercice du pouvoir plénier sur l’Église. Le pape peut à tout moment prendre l’initiative d’intervenir pour le bien de l’Église. Le collège, quant à lui, est toujours prêt à intervenir puisqu’il existe de manière permanente. Cela ne signifie pas qu’il intervient à tout moment. Les actes strictement collégiaux qu’il pose sont plus épisodiques et requièrent pour être considérés comme tel le consentement du pape31. Philips fait une remarque importante à propos du «nonnisi consentiente». Cette expression remplace un «non independenter a Romano Pontifice» qui supposerait un ordre explicite du pape32. En fait, la commission a admis que le consentement du pape pouvait être postérieur. Un groupe d’évêques peut prendre une initiative et être rejoint par d’autres évêques jusqu’au moment où le pape intervient et donne son consentement. Sans doute, tant que cet accord n’est pas formellement acquis, le collège n’est pas en acte plein et ses actes ne sont pas strictement collégiaux. Mais cela ne signifie pas que ces actes n’ont aucune signification collégiale. Il y a plusieurs degrés dans l’activité collégiale et Philips n’hésite pas à écrire: «Le Collège n’est jamais en état de chômage. Sans

31.  Dans son audience du 21.10.1964, Philips, lui-même sénateur a fait cette comparaison. Le Sénat belge une fois légitimement élu dispose de toutes ses compétences selon la constitution, mais ne peut exercer ces compétences que quand il a été convoqué ou bien par son président ou bien par le premier ministre. Le Sénat dispose donc de toutes ses compétences mais ne peut les exercer que moyennant les dispositions de la constitution (cf. Lettre d’A. Prignon à R. Aubert, 19.8.1986, Archives C. Troisfontaines). 32.  Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est Schauf qui a permis cette explication. Philips écrit: «Je propose une formule brève: les évêques peuvent arriver à un acte collégial, à condition que le pape ne s’y oppose pas. Cette fois, Gagnebet veut qu’on ajoute que le pape doit préciser d’avance de quelle manière cet acte doit être accompli: si le pape ne donne pas de directives, un acte collégial ne peut être posé. Schauf a une formule plus large et même plus précise que la mienne. Il examine l’exemple d’un pape détenu en Sibérie, qui approuverait l’acte des évêques après sa libération. Cela semble sauver l’affaire. Je me rallie à la formule de Schauf qui est acceptée à l’unanimité» (Carnets Philips, p. 102).

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interruption il s’occupe de sa tâche sous une forme moins rigoureuse, par exemple dans le magistère ordinaire»33. La NEP se termine par un N. B. important qui précise que la commission doctrinale n’a pas voulu entrer dans les questions de licéité et de validité, spécialement pour ce qui regarde le pouvoir qu’exercent de fait les Orientaux séparés, et pour l’explication duquel il y a diverses opinions. Ce N. B. a provoqué beaucoup de déceptions chez les periti de la majorité parce qu’il signifiait que le Concile refusait de trancher une question délicate de portée œcuménique. En réalité, comme l’explique Philips, un modus papal inspiré par Bertrams aurait comme résultat que l’on déclare la nullité des actes posés par les évêques séparés de Rome. La commission a refusé ce modus en demandant d’expliquer au pape que l’introduction de ce modus ruinerait tous ses efforts de rapprochement avec Athénagoras. On peut donc constater que Philips, en rédigeant la NEP, a toujours maintenu les principes suivants: 1° Le pouvoir du collège n’est pas un pouvoir délégué ou octroyé par le pape mais un pouvoir qui appartient à la structure de l’Église. 2° Le pouvoir collégial et sa responsabilité sont aussi exercés en dehors d’un Concile œcuménique. 3° L’exercice du pouvoir collégial a besoin de règles juridiques, qui, au cours de l’histoire, se sont développés progressivement. 4.  Réactions à la NEP pendant la dernière semaine de la 3ème session Après que, les 17 et 19 novembre, Felici eût encore à deux reprises souligné que les votes sur le De Ecclesia devaient se faire selon les Communications qu’il avait lu le 16.11, l’inquiétude de beaucoup d’évêques 33.  Philips, L’Église et son mystère (n. 28), I, p. 296. Philips ajoute un peu plus loin: «Pour conserver sa raison d’être le pouvoir collégial doit toujours être actif jusqu’à un certain degré» (ibid.). Comme on le soulignera plus loin, Ratzinger craignait que la NEP soit l’occasion de rejeter l’autorité collégiale du Magisterium ordinarium d’autant plus que Schauf prétendait que c’était bien là le sens du texte. Les précisions de Philips sont donc très précieuses: elles tranchent en faveur de l’autorité collégiale du magistère ordinaire même si cette autorité ne s’exerce pas pleinement ou de manière stricte. Ceci est important pour les tâches des conférences épiscopales. Même si ces conférences ne posent pas des actes strictement collégiaux, ces actes sont quand même l’expression du souci collégial de l’épiscopat. Tandis que sous Jean Paul II et Benoît XVI le rôle des conférences épiscopales a été plutôt minimalisé, le pape François dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium cite à plusieurs reprises des déclarations doctrinales de conférences épiscopales.



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et de théologiens était grande. D’autre part il faut aussi mentionner que le pape avait atteint un de ses objectifs: le chapitre III, le 17.11, n’a obtenu que 46 votes de non placet et la constitution dans son ensemble, le 19.11, n’en a recueilli que 10. La quasi-unanimité a donc été atteinte. Mais des blessures profondes ont été infligées. Parmi les periti, qui avaient été exclus de la réunion du 12.11, le mécontentement était sérieux et de même les évêques, qui n’étaient pas au courant des manœuvres dans les coulisses, étaient de même inquiets. Et le triomphalisme de Ruffini, de Schauf et d’autres protagonistes de la minorité ne jetait que de l’huile sur le feu34. Mentionnons ici quelques réactions35: –  Gérard Philips Tout en étant l’auteur de la NEP, Philips était mécontent de cette note qu’il avait dû rédiger sur ordre du pape. D’ailleurs son texte était rédigé comme une introduction (nota praevia) à l’Expensio modorum. Il était fort étonné que cette Note ait été lue d’un ton solennel par Felici hors de son contexte et encore plus que la NEP ait été publiée comme un appendice de Lumen gentium36. Alors il est devenu conscient que cette Note pouvait être interprétée comme si la collégialité dépendait entièrement de la volonté du pape. Cette fausse impression ne pouvait être contredite que par ceux qui avaient assisté à l’histoire compliquée de sa rédaction. Mais lors de la dernière semaine de la session le temps avait manqué. Toutefois Philips fut fort consolé quand, le 22.11, le pape lui fit porter au Collège belge un calice, signe de reconnaissance et de communion37. 34.  Schauf note avec une grande joie dans son Journal, le 17.11.1964  : «Heute mittag habe ich unserm Tisch in der Villa Regina (Bischof, Weihbischof Buchkremer und Kaplan) Sekt spendiert» (cf. H. Schauf, Tagebuch zum Zweiten Vatikanischen Konzil [non publié], Domarchiv, Aix-la-Chapelle). 35. Cf. L.  Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcivescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. Dans cet article on trouve les références exactes des auteurs cités dans les pages suivantes. 36.  Il faut toutefois remarquer que la constitution Lumen gentium est signée par le pape et les Pères conciliaires tandis que la NEP est uniquement signée par le secrétaire général Felici. 37.  Toutefois Philips a surestimé la signification de ce geste. En effet le jour avant, quelqu’un du Secrétariat du Concile avait donné à Philips une enveloppe avec 100.000 Lit [environ 200 €, valeur actuelle 1.200 €] pour le remercier de tout son travail. Philips en était embarrassé et demandait à Heuschen s’il en voulait la moitié. Sur quoi Heuschen s’est fâché et a téléphoné à Mgr Colombo que Philips n’avait pas travaillé pour gagner de

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–  Joseph Ratzinger Ratzinger, le jeune théologien du cardinal Frings, n’a pas rédigé un journal dans ces jours-là, mais plusieurs témoins mentionnent la réaction émotionnelle de Ratzinger contre la NEP. Semmelroth note que Ratzinger a mené campagne pour voter non placet et a essayé de convaincre Frings de demander encore un débat in aula sur la NEP. À cet effet il était entré en contact avec Alberigo. Aussi bien de Lubac que Moeller notent dans leur journal que Ratzinger est très en désaccord avec la NEP et déclare qu’un collège qui ne peut agir n’est pas un vrai collège. Moeller et Philips ont alors essayé de convaincre Ratzinger de renoncer à de nouvelles manœuvres, sinon le pape aurait pu à nouveau hésiter et empêcher la promulgation de la constitution. Philips, lui aussi, note que Ratzinger a fait son possible pour faire rejeter la NEP. Et Heuschen écrit, le 16.11, à sa sœur: «Par l’intermédiaire de quelques évêques allemands j’ai fait de mon mieux pour empêcher que le card. Frings, excité par un jésuite allemand38, le P. Ratzinger, prenne une initiative qui excite l’opposition. J’ai pu empêcher qu’une centaine d’évêques noirs n’écrivent une lettre de protestation au pape. C’était à devenir fou. Maintenant, nous laisserons travailler le Saint-Esprit. Comme ces periti peuvent être de grands enfants!»39. –  Jozef Heuschen Mgr Heuschen, membre actif de la commission doctrinale, ami personnel de Philips et organisateur de l’expensio des milliers de modi était mécontent de la NEP, mais une fois le compromis atteint, il fit tout son possible pour que Lumen gentium soit votée et pour éviter tout délai supplémentaire. Le matin du 12.11, il écrit à P. et M. Verjans: Tout à l’heure, nouvelle réunion de la commission parce que le pape nous oblige à introduire quelques amendements dans le chapitre III. Mgr Charue me les a montrés: ils n’ont guère d’importance sauf un point qui est absolument inacceptable pour les Orthodoxes et produirait l’effet d’une bombe auprès du patriarche Athénagoras; un autre en rapport avec les diacres soulèvera peut-être une tempête chez les Sud-Américains. Si on réussit à éliminer ces deux choses, le reste peut passer pour moi. Mais il est quand même pénible de constater, une fois de plus, que le pape se comporte en dictateur absolu dans cette question. Il se cache derrière une note qu’un père l’argent mais qu’un geste de reconnaissance du pape était indiqué. Ainsi ce calice est arrivé au Collège belge pour Philips, qui a toujours ignoré l’intervention de Heuschen et qui lui a légué par testament ce calice, preuve de la reconnaissance de Philips pour le dévouement de Heuschen. 38.  J. Ratzinger n’était pas jésuite mais prêtre séculier. 39.  F. Heuschen 457.



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jésuite40 lui a envoyée et dans laquelle ce dernier fait part de ses scrupules de conscience concernant certaines formulations du texte. Mais pourquoi n’a-t-il pas invité Mgr Philips ou quelqu’un d’autre à discuter de ces questions en présence de ce jésuite pour prendre alors une décision? Maintenant il prend position pour un parti et il oublie que manifestement ce jésuite n’a pas compris pourquoi on a observé le silence sur certaines questions (c’était, en fait, pour rendre possible le dialogue avec les Orthodoxes). Son intervention montre à tous les membres de la commission qu’il n’a pas lui-même compris le texte. Et il ne demande pas d’examiner ces amendements, non, il les impose. En tout cas je dirai, comme ce jésuite, que je veux moi aussi décharger ma conscience et je demanderai au cardinal Ottaviani de faire observer au pape que l’introduction de ce texte offusquera gravement Athénagoras, et ceci après qu’il ait tout fait pour rendre un dialogue possible41. Vous voyez qu’il faut intervenir tout le temps afin d’éviter des gaffes. Qu’est-ce que cela sera quand les évêques ne seront plus ici? Je n’ose y penser42.

Mais dans les jours suivants Heuschen fera tout son possible pour calmer les esprits et il a expliqué à Congar que le problème de la question de la juridiction des évêques orthodoxes a été sauvée grâce au N. B. de la NEP43. –  Henri de Lubac À première vue la réaction de Lubac à la NEP, telle qu’elle est publiée dans ses Carnets du Concile44, est fort pondérée et de Lubac ne semble pas s’émouvoir outre mesure. Cependant on sait que de Lubac a réécrit certains passages de son journal. Et tout autre est sa réaction passionnée qu’on lit dans ses lettres à quelques-uns de ses amis45. Lettre à Mgr Bruno de Solages, le 23 novembre 1964: Dans leur immense majorité, les évêques ont été joués. Le mot de ‘brigandage’46 paraissait le seul adéquat. Les plus lucides sur la situation de l’Église et sur celle du monde sont cruellement blessés. On a pu voir à Saint-Pierre le cardinal Alfrink verser des larmes. Je n’ai pas le cœur à en dire davantage … 40.  W. Bertrams. 41.  Comme l’explique le N. B. de la NEP il s’agissait de la validité et de la licéité du pouvoir qui est exercé chez les Orientaux séparés. Heuschen fait également allusion à la rencontre du pape et du patriarche Athénagoras lors de son pèlerinage en Terre Sainte en janvier 1964. 42.  F. Heuschen 457. 43. Cf. Journal Congar, II, pp. 268-269. Toutefois Congar ajoute: «Je vois une fois de plus que le pape n’a pas l’ecclésiologie de ses grands gestes œcuméniques». 44.  H. de Lubac, Carnets du Concile, éd. L. Figoureux, Paris, Cerf, 2007 [= Carnets de Lubac], II, pp. 312-316, 320-321. 45.  Archives du Centre de Lubac, Namur. Avec nos remerciements à L. Figoureux qui nous a signalé ces lettres. 46.  Allusion au latrocinium Ephesinum du 2ème concile d’Éphèse (449).

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P. S. Tout espoir n’est pas perdu. Mais le Saint-Père ayant paru sur toute la ligne plier devant les hommes de la Curie, les évêques se trouvent devant une situation très délicate.

Lettre au Pèré André Ravier s.j., le 24 novembre 1964: Vous savez … comment s’est terminée cette session conciliaire. Pour l’instant, c’est la mort de tout renouvellement sérieux dans l’Église. On ne se fait pas une idée de la puissance extraordinaire d’un tout petit groupe d’hommes, pour qui ne comptent ni Pape ni Évêques, qui n’ont d’autre théologie que celle de leur droit canon au service de leur puissance, qui veulent la ruine de tout œcuménisme, qui sont hostiles à tout effort de pensée. Le choc a été rude.

Lettre au Père Bernard de Guibert s.j., le 23 novembre 1964: Les 19-20-21 novembre resteront pour longtemps, je le crains, des jours de deuil pour l’Église. Rien ne sert plus de s’indigner contre ce qu’il faut bien appeler un ‘brigandage’, le mal est accompli, aux conséquences incalculables. On a pu voir dans Saint-Pierre un cardinal, l’un des membres les plus solides du Concile, verser des larmes. Et je n’oserais rappeler les réflexions de certains observateurs. Très sciemment quelques hommes (une poignée) ont voulu ruiner tout aggiornamento, supprimer toute chance œcuménique, renvoyer les évêques du monde entier à la condition de valets, et en trois jours tout fut accompli. Le Saint-Père, sans leur céder en tout (loin de là) a suffisamment cédé, pour que les évêques soient maintenant dans une situation fausse, réduits à l’impuissance. Les phénomènes de décadence vont s’accélérer, et peut-être par réaction surgiront des frondes anarchiques. La catholicité tout entière a été bafouée. Il faut avoir assisté au drame de l’intérieur pour en comprendre la portée. Prions.

Même si de Lubac dans des lettres postérieures a avoué que ses premières réactions étaient exagérées, elles sont quand même un signe des émotions vécues pendant cette semaine dramatique. –  Emmanuel Lanne Les observations d’E. Lanne47, écrites en italien le jour après la distribution de la NEP in aula sont fort significatives. Avec acuité il souligne les difficultés d’une approche surtout juridique et les problèmes que soulèvent l’expression communio hierarchica et le N. B. de la NEP concernant les pouvoirs des évêques orthodoxes. Nous donnons ci-dessous en appendice son texte48, qui n’a pas encore été publié. 47. Emmanuel Lanne (1923-2010), moine français de l’abbaye de Chevetogne, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, recteur du Collège grec à Rome de 1962 à 1967. 48. Cf. L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires d’Emmanuel Lanne, o.s.b., moine du Monastère de Chevetogne, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens,



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5.  Quelques réactions postérieures à la NEP La NEP et les autres événements de la settimana nera ont provoqué des critiques sévères contre le pape, qui en était fort impressionné. Alors il a transmis toute sa documentation au Père G. Caprile s.j., directeur de La Civiltà cattolica afin d’écrire un article dans lequel son attitude était expliquée et défendue49. Avec l’appui de Charue, Philips a essayé de faire publier l’entièreté du texte de l’Expensio modorum du chap. III, parce que la NEP fournit les critères que la commission doctrinale a suivis lors de cette expensio et ne peut donc être bien comprise que dans son contexte50. Ottaviani a transmis la demande de Philips à Felici, qui l’a refusée51, même quand Tromp et Philips eurent proposé de publier uniquement les modi les plus importants. Ce n’est finalement qu’en 1976 que cette Expensio a été publiée dans les Acta Synodalia au grand soulagement de Mgr Charue52. Il faut remarquer que tout de suite après la promulgation de Lumen gentium il y a eu des controverses dans les milieux de la curie au sujet de la valeur de la NEP. Mgr Fagiolo, adjoint de Felici, publia dans la Rivista diocesana di Roma un article pour souligner l’importance de la NEP. Par contre Mgr Parente, assesseur du Saint-Office, répliqua qu’il était d’avis que Fagiolo exagérait la valeur de la NEP53. Article contre lequel à son tour Felici a protesté54. avec une Introduction par Michel Van Parys, o.s.b. (Instrumenta Theologica, 41), Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, p. 88. 49. Cf. G. Caprile, Aspetti positivi della Terza Sessione del Concilio, dans La Civiltà cattolica 116/1 (1965) 317-341. Les documents que le pape avait donnés à Caprile ont été publiés plus tard: G. Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota Explicativa Praevia’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (n. 23), 587-697. 50. Cf. AS VI, III, pp. 582-584, 591, 615, 629 et F. Philips 2090-2099. 51.  La raison alléguée était que cette Expensio serait publiée à la fin du Concile avec tous les autres documents. La vraie raison était probablement que Felici voulait donner à la NEP une importance plus grande que celle envisagée par Philips. 52. Cf. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI (n. 23), p. 124, n. 53. 53.  Mgr Heuschen a souligné le rôle positif de Parente – pourtant d’habitude assez conservateur – dans la défense de la collégialité et a écrit: «On oublie parfois de dire que sans l’appui de Parente Mgr Philips n’aurait jamais pu mener à terme Lumen gentium» (cf. Concilieherinneringen, p. 4 [F. Heuschen 384]). 54. Cf. V. Fagiolo, Il concilio Vaticano II nei lavori e risultati del terzo periodo, dans Rivista diocesana di Roma, 1964, 897-906. P. Parente, Al vertice del Concilio Ecumenico, dans L’Osservatore Romano, 9.12.1964. Id., Visione della Chiesa nella dottrina del Concilio Ecumenico, dans Città Nuova 9/2 (25.1.1965) 14-17. Felici a réagi contre cet article avec une note pour le pape. De même le cardinal Siri, l’archevêque conservateur de Gênes, a protesté chez Felici (cf. AS VI, IV, pp. 34, 92-93, 102, 122; 130-131).

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Quand le Père Schillebeeckx eut publié dans De Bazuin le texte d’une conférence qu’il avait tenue à Rome en novembre 1964 pour évaluer la 3ème session et la valeur de la NEP, le Secrétaire d’État Cicognani envoya, le 24.2.1965, la traduction italienne de cet article à Ottaviani pour que la commission doctrinale réagisse, ce que, le 30.3.1965, elle a refusé de faire55. Mgr Carlo Colombo, qui comme théologien privé du pape a joué un grand rôle est convaincu que la NEP a empêché des interprétations trop larges en défaveur de la primauté d’un groupe bien organisé d’environ une quinzaine de personnes56. Devant de Lubac il a concédé que certaines choses se sont passées de façon regrettable57. Tout en étant favorable à la collégialité, il semble bien que Colombo ait été sous l’influence de l’approche juridique de Bertrams. En décembre 1965, Prignon note encore que Colombo souhaitait que le pape promulgue un Motu proprio par lequel il reconnaîtrait la juridiction des évêques orthodoxes comme une sanatio in radice. De façon laconique Prignon ajoute: «Là aussi on voit que Colombo n’a pas fait un pas»58. Une des réactions les plus intéressantes est celle de Ratzinger. Ratzinger, entre temps devenu plus calme, revient encore à trois reprises sur l’histoire et le sens de la NEP59. Tout en reconnaissant que la NEP a Le 28.1.1965, Felici note dans son journal qu’il a parlé au pape de l’article de Parente, et que le pape n’en était pas content. Mais le pape était aussi mécontent de l’article de Fagiolo «il quale risente del Laterano, di Mons. Staffa ecc.». Et Felici conclut: «In altre parole bisognerà evitare polemiche e far parlare i documenti». Felici note encore, le 10.2.1965, que le pape se plaint des interventions de Parente sur la NEP (Diario Felici, pp. 455, 457 et 461). 55.  E. Schillebeeckx, Wij denken gepassioneerd en in cliché’s, dans De Bazuin 48/16 (23.1.1965) 4-6. Cf. AS VI, IV, pp. 115-117 et Carnets Charue, pp. 245-246. Et voir surtout l’article de Chenaux, Les dominicains et la doctrine de la collégialité à Vatican II: À propos d’une conférence du p. Edward Schillebeeckx, O.P., dans D. Bosschaert – J. Leemans (éds), Res opportunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts (BETL, 317), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 115-128. 56.  Voir l’entretien de Caprile avec Colombo, le 22.7.1965 (Caprile, Contributo alla Storia della ‘Nota Explicativa Praevia’ [n. 49], p. 681). 57. Cf. Carnets de Lubac, II, 20.11.1964, p. 339: «Je lui [Colombo] dis ma tristesse en face des incidents des derniers jours. Il est attristé lui aussi. De ses paroles un peu embarrassées, je crois comprendre qu’il est bien d’avis que certaines choses se sont passées de façon regrettable. Cependant, si les évêques avaient été mieux informés à mesure, ils auraient été moins émus et n’auraient pas été si accessibles à tant d’interprétations péjoratives». 58. Cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003, p. 253. 59. Cf. J. Ratzinger, Ergebnisse und Probleme der dritten Konzilsperiode, Köln, Bachem, 1965, surtout pp. 60-62 [= Ergebnisse]; Id., Die bischöfliche Kollegialität: Theologische Entfaltung, dans G. Baraúna o.f.m. (ed.), De Ecclesia: Beiträge zur K ­ onstitution



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laissé un goût amer pas tellement par son contenu mais bien par les circonstances de sa promulgation, il continue à affirmer que la NEP n’est pas vraiment un texte du Concile, mais seulement un texte de la commission doctrinale, et il se réfère à Mgr Parente pour étayer son opinion60. Il est d’avis que la NEP prend son origine dans une mentalité juridique-systématique à laquelle il oppose une approche historique du christianisme61. Il souligne que le problème de la validité ou de la licéité du pouvoir exercé par les évêques orthodoxes reste ouvert et que cette discussion pourrait trouver une solution par une conception de la collégialité qui est basée sur les églises locales («in einer ortskirchlichen aufgefassten Kollegialität»)62. 6.  En conclusion Lors de discussions à partir des années 80 sur la «réception» de Vatican II, l’interprétation de la NEP reste un point important. Certains exagèrent sa signification, d’autres la minimisent. On doit souvent constater que les circonstances historiques de sa rédaction ne sont plus connues. Le mieux est de se référer à l’interprétation de Philips, le rédacteur principal non seulement de Lumen gentium mais aussi de la NEP. À deux reprises Philips, après la 3ème session, met en garde contre une approche par trop juridique des questions théologiques. D’abord dans ses Carnets63, le 24 mai 1965: Quand je relis maintenant le texte de Lumen gentium, j’ai moi aussi, comme le dit Mgr Parente, l’impression que ‘È però una bella pagina!’ surtout le chapitre I et quelque peu le II. Le passage sur les évêques a souffert des ajouts innombrables afin de garantir la primauté. Le texte aurait pu être, par exemple au n° 22, sur la collégialité, une pièce si large, surtout par rapport «über die Kirche» des Zweiten Vatikanischen Konzils, Herder, Freiburg i.Br. – Basel – Wien; Frankfurt a.M., Knecht, 1966, 61-68 [= Baraúna]; Id., Kommentar zu den «Bekanntmachungen, die der Generalsekretär des Konzils in der 123. Generalkongregation am 16. November 1964 mitgeteilt hat», dans Lexikon für Theologie und Kirche: Das Zweite Vatikanische Konzil, I, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1966, 348-359. 60. Cf. Ergebnisse, p. 62. 61. Cf. Ergebnisse, p. 61: «Es stehen sich gegenüber einerseits ein Denken, das von der ganzen Breite der christlichen Überlieferung ausgeht und von ihr aus die ständige Weite der kirchlichen Möglichkeiten zu beschreiben sucht; auf der anderen Seite ein rein systematisches Denken, das allein die gegenwärtige Rechtsgestalt der Kirche als Massstab seiner Überlegungen zulässt und so jede Bewegung über sie hinaus als einen Sturz ins Bodenlose scheuen muss. Ihr Konservatismus beruht auf ihrer Geschichtsfremdheit und so im Grunde auf einem Mangel an Tradition, nämlich an Offenheit für das Ganze der christlichen Geschichte». 62.  Cf. Baraúna, pp. 67-68. 63.  Carnets Philips, p. 142.

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à l’Orient. La doctrine reste maintenant la même, mais il y a un rempart de précautions pointues, de sorte que la bonne impression en est grandement gâchée. Le travail humain est fatalement imparfait. Aurai-je dû être plus énergique? et refuser toutes ces adjonctions? … Peut-être. Mais cela aurait pu provoquer l’échec de toute l’affaire. De plus, ce qui s’y trouve est vrai et exact. La difficulté la plus grande se trouve dans la préoccupation du Pape. En ce qui concerne la doctrine sur la collégialité, il n’a jamais hésité, mais il semblait avoir été très sensible à sauvegarder la primauté, après qu’on lui eut dit avec beaucoup d’insistance que cette primauté se trouvait en grand danger. Certaines expressions (de la «gauche») selon lesquelles Vatican I «restait quand même debout», semblent avoir appuyé ce souci. J’ai fort apprécié le geste du Pape de m’avoir offert, déjà le 22 novembre 1964 au matin, un calice en or. Je lui ai parlé avec beaucoup de franchise, surtout pendant la deuxième audience64. Il est donc d’accord pour le fond. Apparemment il a dû être très sensible à la violente critique qui s’est produite envers lui. L’article de Caprile65 dans la Civiltà est une autodéfense du Pape. Imaginons que je tombe définitivement dans ce milieu, où certains n’ont pas encore désarmé… Ce sera constant comme pendant la plupart des sessions des commissions à Rome. Dommage que nous ne soyons pas plus vertueux: nous découvrirons plus facilement la vérité.

64.  Audience de Philips, le 21.10.1964. De cette audience il y a plusieurs versions: – Selon Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI (n. 23), pp. 113-114, Philips aurait convaincu le pape que les munera de l’épiscopat sont conférés par la consécration et qu’il y a deux pouvoirs suprêmes dans l’Église (le collège des évêques – cum et sub Petro – et le pape seul). – Albert Prignon note dans son Journal de la 4ème session (12.10.1965, p. 152): «Mgr. Philips, se rappelant sa seconde audience de l’an passé, où le pape monologuait à propos de la collégialité et où il laissait à peine le temps de donner quelques explications, me rappelle qu’il avait dû à six reprises interrompre le pape pour, tout de même, remettre les choses au point et ajouter des nuances nécessaires. Mais il avait déjà eu l’impression, à ce moment-là, que le pape ne l’écoutait plus, qu’il était classé comme faisant partie de la gauche et qu’il avait perdu son crédit. Il avait d’ailleurs été fort étonné, me dit-il, quand il a reçu le calice, parce qu’il croyait bien que le Saint-Père n’était plus d’accord avec lui». – Charles Moeller écrit, le 6.11.1964: «Philips a vu le pape il y a 10 jours. Le Pape lui a dit qu’il voulait voir les épreuves. C’est un homme autoritaire et faible – il parle sans cesse, tranche peu. Parlait beaucoup plus que les autres fois où je l’ai vu. Mais restait dans le vague. Il veut qu’on souligne l’action du Pape dans le collège, que son pouvoir est permanent. Bref, ce que c’est dans la réalité actuelle» (C. ­Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-laNeuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart [Cahiers de la RTL, 21], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989; Journal Moeller, Carnet 23). 65.  Caprile, Aspetti positivi della Terza Sessione del Concilio (n. 49), pp. 333-341.



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Dans une conférence de presse à l’occasion du synode des évêques de 1969, consacré à la primauté et la collégialité, Philips, qui y avait été nommé par le pape et qui avait tenu à y assister malgré sa santé déclinante – il est décédé en juillet 1972 –, a déclaré: Mais le point le plus important à mes yeux, qui est en même temps un grave avertissement, est celui-ci: si nous, catholiques de l’Occident latin, ne sommes pas sur nos gardes, nous aurons tôt fait de vider de son contenu le concept de communion et de collégialité que nous venons de redécouvrir à la faveur de Vatican II. Nous aurons tôt fait avec notre juridisme presque connaturel, de transformer la communion de la charité en un code de lois canoniques qui risqueront de l’étouffer et de l’éteindre. Et notre état final serait plus déplorable que le précédent. Il est certes urgent de rédiger des lois, mais enfermer la vie dans le légalisme, revient à l’asphyxier66.

Un avertissement solennel qu’on peut lire comme le testament de l’auteur principal de Lumen gentium. II.  Les amendements de Paul VI sur le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio67 1.  Note historique La rédaction du texte sur l’œcuménisme, un des textes les plus importants pour l’aggiornamento de l’Église, a été fort mouvementée. Après la décision du Concile, le 1.12.1962, qu’un nouveau texte De Unitate Ecclesiae fût rédigé par une commission mixte (commission pour les Églises orientales, commission doctrinale et le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens68), un nouveau projet69 a été rédigé principalement par le Secrétariat et discuté lors de la 2ème session à partir du 18.11.1963. Tenant compte des observations des Pères, un nouveau projet de texte a été rédigé et approuvé par le pape pour être envoyé aux participants du Concile, le 27.4.1964. 66.  Grootaers, Primauté et collégialité (n. 15), p. 219. 67.  Nous avons repris et résumé ici l’histoire détaillée de ces événements, comme publiée par M. Velati, L’ecumenismo al Concilio: Paolo VI e l’approvazione di «Unitatis redintegratio», dans Cristianesimo nella storia 27 (2005) 427-475, qui publie les notes de Willebrands sur ces événements, rédigées le 15.12.1964, avec un commentaire circonstancié. Voir aussi P.  Duprey, Paul VI et le décret De Oecumenismo, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (n. 23), 225-248, surtout pp. 238-247; et M. Velati, Separati ma fratelli: Gli osservatori non cattolici al Vaticano II (1962-1965), Bologna, Istituto per le scienze religiose, 2014, pp. 439-454. 68.  Dorénavant appelé Secrétariat. 69.  Ce projet contenait encore 5 chapitres avec le chapitre 4 sur les religions non chrétiennes et le chapitre 5 sur la liberté religieuse.

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Pendant la 3ème session le texte a été voté, le 5.10.1964, et les modi entre le 5 et 8.10.1964. Le Secrétariat a discuté ces modi et les 3 chapitres furent approuvés in aula ‘définitivement’ entre le 10 et le 14.10.1964 pour que le décret soit promulgué sans problèmes à la fin de la session. Mais alors est arrivée une intervention imprévue du pape. 2.  Chronique des événements Par hasard ou à cause de surmenage, le Secrétariat avait négligé d’envoyer – comme d’habitude – la version du décret au pape avant le vote de l’Expensio modorum. Le samedi 14.11, Mgr Fagiolo, adjoint de Felici, demande à Salzmann du Secrétariat 3 exemplaires du texte voté, dont un pour le pape. Le 15.11 à 20.15, le pape téléphone à Felici que le texte ne peut pas encore être présenté à une session publique du Concile et qu’on pourra seulement le voter à la 4ème session70. Et il le fera communiquer au Secrétariat par Mgr Dell’Acqua (substitut de la Secrétairerie d’État). Le lundi 16.11, le P. Duprey voit Mgr Dell’Acqua qui lui communique qu’il y a des problèmes et, à 12h30, Willebrands rencontre Dell’Acqua qui lui fait part de la décision du pape et de ses critiques sur le texte. Le Secrétariat réagit avec deux notes: une qui donne l’histoire du texte et la régularité de la procédure (notamment l’approbation par une sous-commission de la commission doctrinale, composée par Léger, McGrath et Gut) et une autre avec une première réponse aux difficultés soulevées par le pape71. En fait, Dell’Acqua n’avait pas parlé d’un refus définitif, mais bien des objections du pape. Le soir, Willebrands porte cette réponse à Dell’Acqua, qui lui promet de faire son possible pour résoudre le problème. Le 17.11, Felici annonce in aula que la votation sur le De Ecclesia serait la dernière de la session et il ne parle plus du De Oecumenismo. Avant la congrégation Felici avait communiqué aux modérateurs cette décision du pape, qui le prenaient fort mal et demandaient à Felici de conjurer le pape de ne pas exclure le De Oecumenismo d’une promulgation72. Ensuite Felici, pendant la messe, téléphone à Don Bruno Bossi (un 70. Cf. Pro-Memoria di Felici (AS V, III, p. 68). Et Diario Felici, p. 435, où toutefois ce coup de téléphone du pape est daté du 16 novembre, ce qui est une erreur de Felici. 71.  Le P. Ciappi avait fait 36 propositions de modifications qu’il avait transmises au pape. Cf. ASV Conc. Vat. II, 1435, fasc. 6 (avec nos remerciements à l’archiviste Piero Doria). Cette note du Secrétariat «Quelques explications au sujet du Schema Decreti De Oecumenismo» a été rédigée par Willebrands, Duprey, Lanne, Feiner et Thils. Cf. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires d’Emmanuel Lanne (n. 48), p. 96. 72. Cf. Pro-Memoria di Felici du 16.11.1964, AS V, III, pp. 71-72.



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des secrétaires privés du pape). Peu après le pape téléphone à Felici qu’il est bien étonné de la perplexité des modérateurs, qui devraient plutôt être perplexes de la doctrine et qu’en tout cas il ne peut accepter le texte actuel. Felici demande au pape de parler au card. Bea ce qu’il promet. Felici fait rapport aux modérateurs, qui sont mécontents73. Entretemps Suenens a parlé à Bea, tout en lui disant qu’on espère pouvoir encore sauver la situation. Alors Bea charge Willebrands d’aller voir Dell’Acqua pour lui dire en son nom qu’il serait catastrophique non seulement pour le Secrétariat mais aussi pour le mouvement œcuménique dans son ensemble et pour l’autorité du Concile si le décret n’était pas promulgué. Bea disait encore: «même le pape ne peut plus changer [le texte]. S’il y a encore des expressions qui ne lui plaisent pas, il doit les avaler (Er muss sie einfach schlucken)». Alors Dell’Acqua fait une note pour le pape. Le mercredi 18 novembre, Felici accompagne le pape (qui a assisté à la messe du Concile) et il lui demande des nouvelles au sujet du De Oecumenismo. Le pape lui répond qu’il étudiera les notes reçues et qu’il prendra alors contact avec le Secrétariat. S’ils acceptent son point de vue, alors on pourra promulguer le décret74. Le mercredi 18.11, Willebrands est convoqué chez Dell’Acqua. Le pape demande à Willebrands de l’aider et lui fait remettre les feuilles avec les observations rédigées par Ciappi75, sur lesquelles le pape avait souligné en rouge les amendements qu’il veut absolument introduire. Willebrands fait remarquer qu’on ne peut plus changer le texte, qui a déjà été approuvé par le Concile. Dell’Acqua réplique que si Willebrands accepte les amendements du pape, le décret pourra alors être promulgué. À quoi Willebrands répond qu’il veut d’abord examiner ces amendements. À 14h, Willebands, Duprey et Thils se réunissent pour étudier les amendements proposés. À 15h30, Willebrands rencontre Bea qui est d’avis qu’on doit accepter tous les changements qui ne touchent pas au contenu essentiel du texte. À 18h, Willebrands apporte à Dell’Acqua une note qui indique les changements qu’on pourrait accepter76. Dell’Acqua 73. Cf. Diario Felici, p. 436. 74. Cf. ibid. Felici ajoute encore: «Trovo il Papa molto fermo». 75.  Luigi Ciappi, o.p., dominicain italien, Maître du Sacré Palais (le théologien officiel du pape), peritus conciliaire, cardinal en 1977. Congar écrit à son sujet: «Le P. Ciappi est un pauvre et petit esprit, pour lequel le système papiste entendu de la façon la plus littéralement raide et courte, est un absolu qui occupe toute la place» (Journal Congar, II, pp. 288-289). 76.  De Oecumenismo: changements proposés, 18.11.1964, 3 p. (L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires d’Emmanuel Lanne, o.s.b., moine du Monastère de Chevetogne, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, avec une Introduction par Michel Van Parys, o.s.b. [Instrumenta Theologica, 41], Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017, p. 96).

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est satisfait, envoie cette note au pape et téléphone à Felici pour faire imprimer le De Oecumenismo. Willebrands se rend alors chez Fagiolo et lui dit que les derniers changements dans le texte seront polycopiés sur une feuille spéciale77 par le Secrétariat pour être ajoutés au texte imprimé par la Tipografia Polyglotta Vaticana, qui sera distribué, le 19.11, in aula. De retour au Secrétariat, Willebrands et Duprey y trouvent encore Mgr Heenan et Mgr De Smedt pour parler de la relatio que De Smedt devait prononcer le lendemain au sujet de la liberté religieuse, avec la possibilité que le vote n’ait pas lieu. Quand Willebrands parle des 19 changements imposés par le pape au décret sur l’œcuménisme, Mgr De Smedt dit: «quelle impression cela fera au Concile, quel étonnement». Le jeudi 19 novembre, Willebrands se rend, à 8h30, chez Dell’Acqua pour connaître la réponse du pape. Celui-ci se déclare d’accord avec les changements rédigés par Willebrands mais demande encore quelques modifications. Il désire aussi qu’on indique de manière moins explicite qu’il est à l’origine de ces modi. Dell’Acqua est d’accord qu’au lieu de «mutationes ab auctoritate suprema approbatas» on emploie la formule «suggestiones benevolas auctoritative expressas». Finalement Willebrands peut retourner au Secrétariat où on commence tout de suite à multiplier la feuille avec les modi pour les porter ensuite en 2.000 copies à l’aula conciliaire78, où ils sont lus et distribués par Felici. Dans l’aprèsmidi les épreuves d’imprimerie du texte sont corrigées et encore soumises au pape. À 20h30, Fagiolo téléphone à Willebrands que le pape propose encore trois modifications, mais qu’il laisse à Willebrands la décision finale. Willebrands en refuse deux mais accepte la troisième. À 11h de la nuit, la deuxième épreuve d’imprimerie est corrigée. Le vendredi 20 novembre, le décret est distribué aux Pères et on a pu procéder au vote définitif. Toutefois Felici n’a pas annoncé que le décret serait promulgué le 21.11. En effet le pape craignait un grand nombre de votes négatifs (comme signal de protestation et de mécontentement pour les événements de la settimana nera) et alors la promulgation serait renvoyée à plus tard. Mais le résultat était largement positif: 2054 placet et seulement 64 non placet. Et Unitatis redintegratio fut promulgué solennellement, le samedi 21 novembre 1964. 77.  Pour cette feuille avec les 19 amendements, datée du 19.11.1964, cf. F. De Smedt 1309. 78.  Heureusement que le Secrétariat disposait d’une machine moderne à polycopier, qui lui avait été offerte par Mgr De Smedt en février 1961. Cf. T. Salemink, «You Will Be Called Repairer of the Breach»: The Diary of J.G.M. Willebrands 1958-1961 (Instrumenta Theologica, 32), Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid – Peeters, 2009, p. 268.



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3.  Quel était le contenu des modi pontificaux? Les modi que Ciappi avait proposés contenaient toute une série de vétilles scolastiques, qui trahissent une peur scrupuleuse de manquer à une soi-disant orthodoxie79. Ces changements n’étaient pas importants, mais trahissaient un esprit peu œcuménique et une certaine autosuffisance dans des couches de l’Église catholique. Après que le pape eut rejeté un certain nombre de propositions de Ciappi, Willebrands ne fit pas de difficultés pour en accepter la plupart. Ce n’étaient que des détails qui n’altéraient pas le sens du décret. Si on n’était pas en possession du premier texte, les nouvelles formulations ne seraient même pas remarquées. Toutefois deux modi étaient blessants pour les ‘frères séparés’: – Premièrement: au n. 21 du texte on lisait au sujet des protestants: «Spiritu Sancto movente, in ipsis Sacris Scripturis Deum inveniunt sibi loquentem in Christo». Selon le pape cela pourrait inclure une approbation du principe ‘Sola Scriptura’, ce qui impliquerait que l’Écriture sainte pouvait être interprétée d’une manière subjectiviste et individualiste. Ainsi la doctrine de la foi pourrait être interprétée de manière ambiguë. Le pape avait changé ce texte et écrit: «Spiritum Sanctum invocantes in ipsis Sacris Scripturis Deum inquirunt quasi sibi loquentem in Christo». Willebrands déplorait qu’on avait laissé tomber; «inveniunt», mais le pape ne voulait pas fléchir. – En second lieu, le texte du n. 22 disait: «Communitates ecclesiales a nobis seiunctae, quamvis deficiat eorum plena nobiscum unitas ex baptismate profluens, et quamvis credamus illas, praesertim propter sacramenti Ordinis defectum, plenam realitatem Mysterii Eucharistici non servaverint, tamen, dum in Sancta Coena mortis et resurrectionis Domini memoriam faciunt, vitam in Christi communione significari profitentur atque gloriosum eius adventum exspectant». Ce passage avait suscité beaucoup de critiques de quelques membres de la minorité: la conception protestante de l’eucharistie y serait présentée avec trop de bienveillance, tandis qu’ils n’acceptaient ni la présence réelle ni le caractère sacrificiel de la messe. Comment osait-on alors écrire que ce n’était que la «plenam realitatem» qu’ils n’acceptaient pas. Le pape exigeait alors 79.  Donnons quelques exemples: Au lieu de dire que tous les chrétiens «Omnes tamen ad Ecclesiam Dei visibilem aspirant», il faut écrire «Fere omnes tamen»; quand on dit que la séparation s’est produite «non sine hominum utriusque partis culpae», on devrait dire: «non sine culpa ex parte etiam acatholicorum»; où on lit: «populus … quamvis peccato obnoxius remaneat», on doit remplacer cette phrase par: «populus quamvis in non paucis suis membris peccato obnoxius manet…». Etc. etc.

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de changer les mots «plenam realitatem» par «plenam veritatem». Et Willebrands a seulement pu obtenir qu’on remplace le terme «veritatem» par «plenam et genuinam et integram substantiam», malgré le fait que Paul VI avait encore insisté sur «veritatem», comme Fagiolo lui avait encore téléphoné le soir du 19 novembre. En effet le mot «veritas» aurait rendu tout à fait impossible de reconnaître que chez les protestants aussi il peut y avoir plusieurs éléments qui reconnaissaient de manière variée la réalité de l’eucharistie. 4.  Quelques réactions au sujet l’insertion de ces ‘modi’ pontificaux La réaction de plusieurs Pères conciliaires fut violente80, d’autant que l’insertion de ces modi coïncidait avec l’introduction de la NEP et l’ajournement du vote sur la liberté religieuse, le 19 novembre. Et le fait que le pape – qui évidemment en avait le droit – n’avait pas respecté l’Ordo Concilii concernant l’introduction des modi fut objet de critiques. Plusieurs Pères demandaient à Willebrands s’ils devaient encore approuver le décret ou plutôt émettre un vote de protestation. Mais Willebrands, comme Philips et Heuschen pour la NEP, put les rassurer en argumentant que l’essence du décret n’était pas changée et qu’il était fort important que le texte soit promulgué sans tarder. La réaction des «observateurs» fut plus délicate. En effet, le jeudi 19 novembre avait lieu la réunion hebdomadaire des observateurs, cette fois consacrée au schéma De Missionibus, en présence de Willebrands. Le Prof. O. Cullmann, bibliste renommé et qui avait toujours été fort bienveillant quant à l’événement conciliaire, interpella au sujet des modi pontificaux. Il déplorait surtout le remplacement du terme inveniunt par inquirunt. Il savait bien que Pascal avait écrit: «Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé», mais ajoutait qu’il sera difficile d’expliquer ce changement à ses communautés protestantes. Et Cullmann fut alors applaudi par l’assistance. Willebrands, ému, répondit que lui aussi déplorait ces modi et pria les observateurs de ne pas protester publiquement et les implora de ne pas abandonner le Secrétariat en ce moment de crise («non lasciate ci soli») mais de le soutenir par leur prière81. 80.  Voir par exemple la lettre aux présidents, aux modérateurs et à Felici et les sous-secrétaires de quelques évêques, avec notamment Mgr F. von Streng, évêque de Bâle, avec la demande urgente qu’à l’avenir pareils modi soient introduits selon la procédure normale et réglementaire (AS V, III, pp. 87-88). 81.  Horton a écrit que cet appel dramatique de Willebrands le fit presque pleurer et qu’il avait alors pris conscience des blessures profondes que ces modi avaient provoqués auprès des membres du Secrétariat. De même, L.J. van Holk était d’avis qu’il serait de mauvaise politique que les observateurs abandonnent maintenant le Secrétariat et promit de revenir à la 4ème session (cf. Velati, Separati ma fratelli [n. 67], p. 236).



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Les observateurs eux aussi étaient d’avis que la plupart des modi était sans beaucoup d’importance, étant surtout des remarques stylistiques (à l’exception toutefois des modifications dans les nn. 21 et 22) et provenaient selon L. Vischer d’un esprit scrupuleux. Mais à côté du contenu des modi, la manière peu collégiale d’agir du pape fut critiquée (surtout par D. Horton et W. Quanbeck) et Schlink était surtout choqué par la procédure secrète82 et a dit à Congar être fort triste («sehr traurig») et craignant que le décret fût dévalorisé («entwertet») par ces modi83. Mais les 19 et 20 novembre, le problème encore plus dramatique concernant la liberté religieuse éclata. III.  L’ajournement du vote de la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae (DH) 1.  Quelques notes d’histoire84 Déjà avant le Concile Visser ’t Hooft, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, avait indiqué que la reconnaissance de la liberté religieuse par l’Église catholique serait une condition indispensable pour entamer un vrai dialogue œcuménique85. L’histoire de ce texte démontre qu’il fut l’un des documents les plus rénovateurs de Vatican II qui se soit heurté à une résistance acharnée de la minorité86. Le 18.6.1962, la commission préparatoire centrale décide que les deux textes sur la liberté religieuse, introduits respectivement par la commission théologique préparatoire et le Secrétariat doivent être réécrit en c­ ollaboration 82.  Bea, en tant que cardinal fidèle et jésuite dévoué, a essayé d’excuser le pape dans une lettre à Schlink, du 24.12.1964, et il reprochait à la presse d’avoir dramatisé l’événement, qui n’était pas une machination de la curie, mais qu’en fait, le pape, à cause du surmenage du Secrétariat, n’avait pas reçu à temps le texte du décret. Ce qui est en contradiction avec ce que Bea avait dit à Willebrands, le 16.11.1964, notamment que le pape ne pouvait plus changer le texte et qu’il n’avait qu’à avaler ces modi. Cf. Velati, Separati ma fratelli (n. 67), pp. 235-238 et Id., L’ecumenismo al Concilio (n. 67), p. 443. 83.  Journal Congar, II, p. 290. 84.  Pour une histoire approfondie de cette déclaration, cf. S. Scatena, La fatica della libertà: L’elaborazione della dichiarazione «Dignitatis humanae» sulla Libertà religiosa del Vaticano II, Bologna, Il Mulino, 2003 (pour les événements de la settimana nera, nous suivons en grande partie les pp. 286-324 de ce livre). 85.  Dans un entretien de Willebrands avec Visser ’t Hooft à Genève, 22-23.2.1959 (cf. L. Declerck, Inventaire des Archives personnelles du Cardinal J. Willebrands, secrétaire (1960-1969) et président (1969-1989) du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens, archevêque d’Utrecht (1975-1983) [Instrumenta Theologica, 35], Leuven, Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Theologie en Religiewetenschappen – Peeters, 2013, p. 124). 86.  Résistance très vive encore aujourd’hui de la part de la Fraternité St Pie X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre.

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par ces deux commissions. À cause de la résistance de la commission préparatoire théologique et surtout du P. Tromp, ce projet n’a jamais abouti. Ce n’est que le 19.11.1963, qu’un schéma fut distribué aux Pères, où il était présenté comme le chapitre V du décret De Oecumenismo. Par manque de temps (ce qui a été ressenti par beaucoup comme un prétexte) le schéma n’a pas été discuté lors de la 2ème session, mais les Pères furent invités à envoyer leurs remarques par écrit. Après une réécriture pendant la 2ème intersession, le nouveau texte (Declaratio prior) fut discuté non sans passion du 25 au 28.9.1964. Le 9.10.1964, Felici trame encore une manœuvre pour soustraire le texte au Secrétariat et le confier à un groupe de 8 personnes: 4 du Secrétariat et 4 de la commission doctrinale et il ordonne que Colombo, Browne, ­Fernandez et M. Lefebvre fassent part de ce groupe, les trois derniers étant réputés des adversaires farouches de la liberté religieuse87. Après une protestation ferme de 13 cardinaux auprès du pape88, le texte est à nouveau confié pour révision au Secrétariat. Cette révision est assez fondamentale et le texte évolue dans un sens plus juridique89. Si dans les textes précédents le droit à la liberté religieuse était surtout fondé sur la liberté de la conscience et de l’acte de foi, le nouveau texte est maintenant plus juridique et affirme d’abord que l’État est incompétent en matière religieuse et doit laisser à un chacun la liberté nécessaire pour pratiquer sa religion90. Le nouveau texte fut distribué aux Pères, le 17.11.1964, et un vote avec des modi était prévu. Votation fort importante puisque finalement on saurait si une majorité du Concile était oui ou non favorable à une déclaration sur la liberté religieuse. 2.  Les incidents de la «Settimana nera» Le 15.11, Paul VI rédige une note pour Willebrands où il dit que la déclaration devra être votée mais que les modi devront encore être examinés et que l’approbation définitive aura donc lieu à la 4ème session. Sur

87. Cf. Diario Felici, 9.10-15.10.1964, pp. 423-426. 88.  Voir le texte de leur lettre «Non sine magno dolore», AS VI, III, pp. 440-441. 89.  Cf. M. Lamberigts, Mgr. Emiel-Jozef De Smedt, bisschop van Brugge en het Tweede Vaticaans Concilie, dans Collationes 28 (1998) 281-326 (surtout pp. 308-309). 90.  On voulait ainsi rencontrer quelques objections «théologiques» de la minorité. Ce revirement se faisait surtout sous l’influence de J.C. Murray, jésuite américain, qui s’était inspiré de la constitution des États-Unis. Mgr De Smedt n’était pas fort enthousiaste de cette nouvelle approche. Cf. S. Scatena, Emiel-Jozef De Smedt, John Courtney Murray and Religious Freedom, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council (n. 27), 633-645.



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cette note Willebrands a noté: «Pienamente d’accordo»91. Le 16.11, Willebrands fait une proposition à Felici pour faire quatre votes (avec possibilité d’introduire des modi) sur les quatre parties du texte92. Entre temps on avait donné parmi les membres de la majorité la consigne de grouper autant que possible les modi sous un seul nom afin que le nombre des iuxta modum ne dépasse pas le tiers des voix93. Le mardi 17 novembre, le texte est distribué et Felici annonce le vote pour le 19.11. Mais le même soir le Coetus Internationalis Patrum tient une réunion et décide d’interjeter appel contre cette votation auprès du conseil de présidence et du tribunal administratif parce que le texte a subi d’importants changements et que le temps a manqué pour l’étudier94. Et l’Ordo Concilii prévoit en ce cas qu’un nouveau débat doit avoir lieu95. Le mercredi 18 novembre, un autre groupe de 40 Pères envoie une pétition au conseil de présidence et exige lui aussi un nouveau débat96. Tisserant, le président du conseil de présidence, transmet cette lettre aux modérateurs, qui décident d’abord de n’en pas tenir compte. Mais Tisserant n’est pas d’accord et après quelques conciliabules Felici annonce in aula qu’on a interjeté appel contre la votation et que, le 19.11, on posera d’abord à l’assemblée la question si on veut ou bien un vote immédiat ou bien l’ajournement du vote jusqu’à la 4ème session. Tout de suite on commence à soupçonner des manœuvres de la part de la minorité. Minorité qui pourtant n’est pas tranquillisée parce qu’elle est convaincue que l’assemblée demandera un vote immédiat. C’est pourquoi le soir même encore une nouvelle pétition est adressée à la présidence et au Secrétaire d’État pour contester la validité de ce vote préliminaire97. Et Felici met le pape au courant98. Le même soir le Secrétariat apprend les nouvelles difficultés. Mgr De Smedt qui s’y trouve pour préparer encore sa Relatio (à lire avant le vote du lendemain) ajoute alors un appel dramatique pour ne plus différer le vote99. 91. Cf. AS VI, III, p. 530. 92. Cf. AS V, III, pp. 76-77. 93.  Sinon le texte ne serait pas approuvé. 94.  En fait, l’ancien texte comptait 271 lignes tandis que le nouveau en comptait 556. 95. Cf. AS V, III, pp. 79-80. 96.  AS V, III, pp. 80-81. 97.  AS V, III, pp. 81-82. 98.  Diario Felici, pp. 436-437. Pour le texte de l’Appunto informativo de Felici, cf. AS V, III, pp. 82-83. 99.  Pour ce texte, cf. F. De Smedt 1260. Avec un grand talent oratoire Mgr De Smedt écrivait notamment: «Si nunc iterum, in extremo fine sessionis, secunda vice suffragatio de nostra declaratione repellitur quaenam erit huius rejectionis repercussio in ipsa Ecclesia, praesertim apud intellectuales? Quisnam erit effectus apud christianos non catholicos, maxime apud fratres qui nobiscum cooperantur in motu oecumenico? Quaenam erit

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Le matin du jeudi 19 novembre, Carli écrivait au card. Roberti, président du tribunal administratif, pour contester la décision de Tisserant de soumettre à l’assemblée le vote de savoir s’il fallait oui ou non ajourner la votation sur la liberté religieuse, parce que la décision avait été prise par Tisserant seul et non par tout le conseil de présidence100. Après discussion et consultation de Tisserant avec les modérateurs, Roberti et quelques membres de la présidence, Tisserant communiqua à 11h à l’assemblée que la votation était ajournée. Communication applaudie par un petit nombre mais qui suscita de la perplexité dans l’aula. Alors De Smedt a lu sa Relatio en commençant: «Textus quem hodie vestris suffragationibus non praesentamus». À plusieurs reprises il a été interrompu par des applaudissements et à la fin un applaudissement presque interminable a suivi, que le card. Döpfner, le modérateur de service, avait toute la peine du monde à faire terminer. Tout de suite, à l’initiative de quelques évêques américains, une pétition circulait pour demander au pape de pouvoir quand même voter101. Pétition qui a été porté au pape à 13h par les cardinaux Meyer, Ritter et Léger. Le pape se montra compréhensif102 mais décidait qu’on devait respecter l’Ordo Concilii. Il donnait aussi ordre de consulter encore le Tribunal administratif. En même temps il chargeait Tisserant de donner des explications in aula le lendemain103. Le soir à 18h, Frings, pendant un consistoire de cardinaux, fit encore un effort courageux pour faire changer le pape d’avis, mais celui-ci répondit par la négative; «questo è affare della presidenza»104. Le vendredi 20 novembre, Tisserant a lu alors dans un silence total sa communication: la décision d’ajournement du vote a été prise par le conseil de présidence, en conformité avec l’Ordo Concilii et par respect de la liberté des Pères qui voudraient étudier sérieusement un texte si important. Mais le schéma sera discuté à la 4ème session, et, si possible, r­epercussio in mundo universo qui hodie oculos in nostram Synodum conversos habet? Has graves quaestiones nos membra Secretariatus, onerata nostra conscientia, humiliter, sincere et aperte vestro iudicio submittimus. Et nunc, Venerabiles Fratres, sub ductu Sancti Spiritus, vos iudicabitis». 100. Cf. V. Carbone, Il ruolo di Paolo VI nell’evoluzione e nella redazione della dichiarazione «Dignitatis humanae», dans Paolo VI e il rapporto Chiesa-mondo al Concilio: Colloquio internazionale di studio – Roma, 22-23-24 settembre 1989 (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 11), Brescia, Istituto Paolo VI, 1991, 126-173, p. 149. 101.  La pétition était passionnée: «Reverenter sed instanter, instantius, instantissime petimus ut suffragatio … ante finem Concilii concedatur» et était signée par 456 Pères (AS V, III, pp. 89-91). 102.  Felici note dans son Diario, p. 437: «[Il Papa] è contrariato perché sa che verranno a protestare contro la decisione della Presidenza. Vorrebbe non riceverli». 103. Cf. Nota Secretariae Status, AS V, III, pp. 91-92. 104. Cf. Scatena, La fatica della libertà (n. 84), p. 316.



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avant tous les autres schémas. Le tribunal administratif qui s’est réuni à 10h ne pouvait que ratifier les décisions prises105. 3.  Quelques réactions L’ajournement de la votation provoqua une crise de confiance entre la majorité des Pères et le pape 106 qu’on accusait de se laisser trop influencer par la minorité. Congar écrit: «Le pape, qui est l’homme de tous, a voulu donner satisfaction à tous. Mais ce faisant, il est apparu comme celui en qui on ne peut se fier totalement. Une fois de plus, il n’a pas la théologie de ses gestes»107. Les observateurs eux aussi étaient fort déçus. Le presbytérien John Newton Thomas note avec une certaine ironie que le Concile, qui a l’intention de promouvoir la liberté religieuse, n’a même pas la liberté de choisir ses propres procédures108. Même si les observateurs n’avaient nullement l’intention de s’immiscer dans les querelles internes du Concile109, eux aussi ressentaient que le Secrétariat avait été profondément blessé et ils commençaient à avoir des doutes sur l’influence du Secrétariat sur le pape110. Mgr De Smedt a repris courage après la brève rencontre qu’il a eue avec Paul VI, le 20.11.1964, où le pape lui a dit: «Notre texte passera à la 4ème session». Le fait que le pape parlait de notre texte l’a consolé parce que sa déception était profonde111. Rentré au Collège belge il a encore écrit une lettre au pape pour le remercier de son encouragement, mais en exprimant 105. Cf. Carbone, Il ruolo di Paolo VI (n. 100), p. 152. 106.  J. Dupont o.s.b. note, le 21.10.1964, dans son Journal: «La séance d’hier a clairement montré que le Pape est contre le Concile et le Concile contre le Pape». Cf. E. Louchez, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). IV: Inventaire des Fonds J. Dupont et B. Olivier (Cahiers de la RTL, 29). Leuven, Peeters, 1995, n° 1731. 107.  Journal Congar, II, 22.11.1964, p. 291. 108. J.N. Thomas, Report of Observer at the Second Vatican Council, Third Session, n° V/3, November 1964, p. 4. 109.  De Lubac a noté: «Lukas Vischer, rencontré par le P. Martelet, qui lui demande ce qu’il pense de ce qui s’est passé ce matin, répond avec un dédain froid et coupant: ‘Ce sont des affaires qui intéressent l’Église catholique; cela ne nous intéresse pas’» (Carnets de Lubac, II, p. 332). 110.  L. Vischer, Report concerning the Third Session of the Second Vatican Council, n° 6, p. 17. 111.  Pendant ces journées, Mgr De Smedt, qui ne faisait presque jamais des confidences, a dit à L. Declerck au Collège belge: «Vous ne pouvez quand même pas dire que cette manœuvre de la minorité a été inspirée par le Saint-Esprit». Mgr De Smedt était particulièrement indigné parce qu’il avait fait de son mieux pour adapter le texte aux souhaits de la minorité et que maintenant cette même minorité prenait prétexte de ce qu’il avait été trop changé pour demander l’ajournement du vote.

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en même temps sa crainte que, lors de la 4ème session, on fera encore des efforts pour saboter la promulgation de la déclaration112. IV.  La proclamation de Marie comme «Mère de l’Église»113 Le 21 novembre, Paul VI promulguait la constitution sur l’Église et les décrets sur l’œcuménisme et les Églises orientales. Mais dans son discours de clôture il a proclamé un nouveau pour la Vierge Marie: «Marie, Mère de l’Église». Ce qui a été applaudi par beaucoup mais aussi critiqué par certains114. On a été étonné que Paul VI a proclamé ce nouveau titre alors qu’on savait qu’il s’était opposé à un dogme nouveau qui proclamerait Marie comme Médiatrice ou Corédemptrice. Bien sûr, cette proclamation provenait de la dévotion mariale personnelle du pape. Et peut-être qu’il voulait ainsi donner satisfaction à plusieurs épiscopats, dont les évêques polonais, qui avaient demandé de proclamer la maternité spirituelle de Marie. Pourtant il y avait eu des problèmes. Quand Paul VI avait demandé, fin septembre 1964, à la commission doctrinale s’il était opportun d’ajouter l’invocation de Marie comme Mère de l’Église à la litanie de Lorette, celle-ci avait répondu par la négative115. La résistance contre ce nouveau titre venait de deux côtés. Il y avait d’abord (surtout chez Philips) le soupçon que, maintenant que la collégialité était proclamée, le pape voulait manifester que les droits de la primauté étaient restés intacts. Et que, même sans l’approbation du Concile, il pouvait exercer son magistère. Mais il y avait aussi de la déception chez les observateurs, non seulement protestants mais même chez certains orthodoxes116. 112.  F. De Smedt 1261. 113.  C.M. Antonelli, Il dibattito su Maria nel concilio Vaticano II, Padova, Messaggero, 2009, pp. 571-577 et Philips, De dogmatische constitutie over de Kerk ‘Lumen gentium’ (n. 23), II, pp. 310-312. 114.  Felici note dans son Diario, le 21.11.1964: «Trionfo del Papa e della Madonna … La Madonna è proclamata Mater Ecclesiae tra gli applausi di tutti (non proprio tutti: alcuni si sono ostentatamente astenuti)». 115.  Cf. F. Philips 1981-1982. Il y avait deux raisons à cet avis négatif: 1° le nouveau titre était peu traditionnel; 2° On a toujours invoqué la Vierge comme Mère des fidèles, pas de l’Église. Quelqu’un avait même dit: Comme l’Église est la Mère des fidèles, la Vierge, en tant que Mère de l’Église serait alors la grand-mère des fidèles … Mgr Mendez Arceo, évêque de Cuernavaca, avait – au nom de 40 Pères – remarqué que Marie comme membre de l’Église serait ainsi sa propre Mère (AS III, I, pp. 541-544). 116. Cf. Velati, Separati ma fratelli (n. 67), pp. 240-241. Congar notait: «Les observateurs gardent une très mauvaise impression des deux derniers jours et de ce dernier acte. Ils voient, nous voyons avec eux, qu’on n’a pas tenu compte d’eux, que les exigences d’une vraie sensibilité œcuménique n’ont pas été observées» (Journal Congar, II, p. 290).



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Considérations finales 1.  Si les événements de la settimana nera n’ont pas causé des dissensions irrémédiables, c’est grâce aux compromis qui ont été obtenus. D’une part Paul VI a accepté que ses propositions de changements du texte dans le De Ecclesia soient remplacées par la NEP, rédigée finalement par Philips, et que les 36 modi de Ciappi sur le De Oecumenismo ont été réduits à 19 changements. Mais Willebrands et Thils, Philips et Heuschen ont eux aussi accepté des compromis117. Il est certain que la squadra belga a joué un grand rôle pendant cette semaine cruciale peutêtre aussi parce que les Belges ont la réputation d’être des spécialistes du compromis. Plusieurs, notamment H. Küng118 et G. Dossetti, ont regretté cet esprit du compromis. Mais les Belges ont pris leur responsabilité en âme et conscience et étaient d’avis qu’il était mieux d’accepter un compromis, dans lequel l’essentiel du texte était sauvé, que de courir le risque que les textes ne soient jamais promulgués119. 2.  Les événements de la settimana nera ont également provoqué une crise dans la perception de Paul VI et dans les relations avec lui. Montini était réputé comme un esprit ouvert et social et comme un intellectuel de haut niveau. Sa famille et lui-même avaient souffert du régime fasciste de Mussolini. Comme substitut de la Secrétairerie d’État, il était ouvert aux problèmes des prêtres-ouvriers et compréhensif à l’égard de plusieurs théologiens français, dont Congar et de Lubac, qui avaient subi des mesures de la part du Saint-Office. Il était partisan du renouveau liturgique (avec l’emploi de la langue vernaculaire) et s’était intéressé à l’art religieux moderne et aux contacts œcuméniques, ce qui sous Pie XII n’était pas une évidence. Certains lui ont reproché ses hésitations120. Bien 117.  De même dans la dernière semaine de novembre 1965, ce n’est que grâce à la souplesse et à l’adresse de Heuschen et de Heylen, qu’après l’introduction de 4 modi du pape au sujet de la contraception dans le De Matrimonio, une solution a pu être trouvée. 118.  Prignon qui savait que Küng avait refusé de siéger dans la commission doctrinale pour pouvoir garder toute sa liberté de critiquer, trouvait cette attitude facile et peu responsable. 119. Un peritus allemand a même insinué que Philips avait accepté de rédiger la NEP pour qu’il puisse alors obtenir une promotion importante dans la curie romaine (cf. L.  Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines [Cahiers de la RTL, 35], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003, p. 138). 120. À Rome le mythe circulait que Jean XXIII l’aurait caractérisé comme un ‘Hamlet’. Cf. H. Fesquet, I ‘fioretti’ di Papa Giovanni XXIII, Torino, Borla, 1963. Mythe qui pourtant n’a jamais été documenté.

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sûr il était parfois lent avant de prendre une décision parce qu’il tenait à s’informer méticuleusement d’une question. Mais une fois prise la décision, il ne se laissa plus s’ébranler même par des résistances acharnées, comme il l’a prouvé lors de la publication de l’encyclique Humanae vitae121. Dans les incidents de la settimana nera, le pape était mû par le désir d’obtenir une (quasi) unanimité surtout dans les questions dogmatiques. La majorité croyait alors qu’il cédait à la pression des conservateurs et de la curie. Mais la recherche récente dément cette hypothèse122. Montini n’a pas cédé à l’insistance des ‘ultra conservateurs’ qui voulaient renvoyer Gaudium et spes, Dignitatis humanae et Nostra aetate aux calendes grecques. Contre Cicognani, Ottaviani et même Felici123, il a imposé que ces textes soient traités et promulgués par le Concile. Mais dans un certain nombre de questions théologiques Montini était lui-même convaincu des points de vue plus traditionalistes. Ceci est peutêtre à attribuer à ce que dans sa jeunesse, à cause de maladie, de la guerre, d’autres engagements et du climat antimoderniste, il n’avait pas fait d’études théologiques de niveau universitaire et qu’en théologie il était plutôt un selfmade man. Il était critique à l’égard de la théologie scolastique des manuels de l’époque et était bien au courant de la pensée d’Adam, Guardini, Zundel, de Lubac, Maritain et Journet124. Mais les courants de pensée les plus modernes (comme par ex. la phénoménologie, le structuralisme, l’exégèse critique, la théologie de Rahner) lui étaient plutôt étrangers. On a pu constater que ses objections contre un certain nombre de textes des schémas conciliaires (par ex. au sujet du De Revelatione en octobre 1965) provenaient de son opinion personnelle qui 121. Cf. L. Declerck, La questione dell’Enciclica «Humanae vitae», dans Romana. Beatificationis et Canonizationis Servi Dei Pauli VI (Joannis Baptistae Montini) Summi Pontificis (1897-1978) Positio super vita, virtutibus et fama sanctitatis, Roma, Tipografia Nova Res, 2012, Vol. I, pp. 363-401. D’autre part il faut aussi souligner le souci pastoral de Paul VI, qui en mai 1968 encore, a fait récrire l’encyclique pour le donner un ton plus pastoral. Cf. Recension par L. Declerck du livre de G. Marengo, La Nascita di un’Enciclica: Humanae vitae alla luce degli Archivi Vaticani, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2018, dans RHE 114 (2019) 497-501. 122.  Un mythe semblable a été répandu quand on prétendait que Montini était, sur le plan de la politique italienne, partisan d’une apertura a sinistra, une collaboration entre la Democrazia cristiana et le parti socialiste ou même communiste. L’étude d’E. Versace, basée sur des recherches approfondies, a réfuté cette hypothèse (cf. E. Versace, Montini e l’apertura a sinistra: Il falso mito del ‘vescovo progressista’, Milano, Guerini, 2007). 123.  Pour la résistance de Felici, cf. L.  Declerck, Le Diario conciliaire de mon­ seigneur Pericle Felici, dans Centro Vaticano II. Studi e Ricerche, Roma, Lateran ­University Press, 2015, IX/2, 157-175 (surtout pp. 173-174). 124. Dans un entretien des auteurs avec Willebrands à Denekamp, le 26.2.1999, celui-ci avec un brin d’humour parlait de Journet comme du plus grand théologien du siècle passé.



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ne s’était pas familiarisée avec les développements les plus récents de la théologie et de l’exégèse ‘au-delà des Alpes’. À cela il faut ajouter le sens de sa haute responsabilité et une conscience presque exagérée de la mission de sa primauté. Pendant sa retraite du 5 août 1963 (peu après son élection comme pape), il notait que sa fonction lui procurait une solitude extrême et qu’il devra avoir le courage de porter sa responsabilité tout seul125. Certains y ont vu l’influence exercée sur lui par Pie XII et de sa conception de la primauté. 3.  On peut se demander si les incidents de la settimana nera ont eu des conséquences durables sur l’exécution du Concile. Pour la liberté religieuse, on doit constater que la réécriture du texte pendant la 3ème intersession l’a sensiblement amélioré. L’ajournement du vote a donc eu des conséquences favorables. Quant à Unitatis redintegratio, les modi pontificaux ont causé sur le moment même de la souffrance et des désillusions dans les milieux œcuméniques. Mais cet incident a été vite oublié et tous conviennent que le décret a été un pas fort important dans le rapprochement des Églises. Quant à la NEP, la discussion au sujet de sa portée et de sa signification exactes continue. Il y a toujours des interprétations maximalistes tandis que d’autres minimisent sa portée. Peut-être qu’une exégèse fouillée n’a plus tellement d’importance mais que c’est là un problème qui ne peut se résoudre que par une pratique de gouvernement plus collégial, une évolution nettement préconisée par le texte de Lumen gentium et qui est en train de se réaliser grâce au pape François.

125.  «La posizione [du pape] è unica. Vale a dire che mi costituisce in un’estrema solitudine. Era già grande prima, ora è totale e tremenda … Anzi io devo accentuare questa solitudine; non devo avere paura, non devo cercare appoggio esteriore, che mi esoneri dal mio dovere, che è quello di volere, di decidere, di assumere ogni reponsabilità, di guidare gli altri, anche se ciò sembra illogico e forse assurdo. E soffrire solo» (G. Adornato [éd.], Paolo VI: Maestro e testimone di fede, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2012, p. 119).

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Appendice Osservazioni sulla Nota Explicativa Praevia e sul N. B. della Relatio Generalis ad Cap. III (E. Lanne) 1.  Osservo che la N. B. della p. 6 fa una distinzione tra il munus sacramentale-ontologicum nella communione hierarchica e l’aspetto canonico-giuridico. Ora da ciò’che mi risulta dalla spiegazione della p. 5, la comunione gerarchica col Capo e i membri è necessaria per l’aggregazione al Collegio. Però non vedo come questa comunione gerarchica è distinta dall’aspetto giuridico canonico. Di fatti se capisco bene il modus al quale rinvia la spiegazione dell’aggiunta «hierarchica» (modus 40, pp. 14-15) appare chiaramente che questa communio hierarchica ha un aspetto canonico-giuridico, giacchè nella responsio (p. 15) si lege [sic = legge] «Quod fieri nequit sine normis a suprema auctoritate approbandis». Quando si tratta di norme, non vedo come si possa escludere l’aspetto canonico. 2. Il «sacramentale-ontologicum» mi pare già pienamente definito con la consacrazione episcopale, siccome si dice nel testo che la consacrazione episcopale dà le munera del vescovo, la grazia dello Spirito Santo e il carattere. Quindi di per se la consacrazione conferisce tutta la pienezza dell’episcopato. È vero che presuppone la comunione e che l’aspetto canonico-giuridico deriva necessariamente da essa. Però il legame stabilito tra consacrazione et communio hierarchica nell’unico ordine sacramentale-ontologico non rege [sic = regge]. Si tratta di due cose diverse e la communio hierarchica non è di ordine strettamente sacramentale specialmente se intesa nel senso di comunione con il Capo e i membri. 3.  C’è un equivoco fondamentale nella nozione di communio. A questo riguardo me sembra strano che il De Ecclesia abbia alcune righe ottime nel n° 26, p. 69, lin. 29 sqq., sull’aspetto liturgico della presenza della Chiesa («Haec Christi Ecclesia vere adest…») in tutte le congregazioni legittime attorno al vescovo, e nel contempo non dimostri nessuna sensibilità per la realtà eucharistica della comunione tra le diverse chiese locali. Ora non si puo negare che il senso ovvio, genuino e primario della parola communio sia sì nell’ordine della carità, però abbia innanzi tutto una tonalità eucaristica. Basti ricordare tutta la prassi antico dell’ammissione alla communio tra due vescovi. Presupponeva identità di fede, mutua carità, però l’aspetto primario e fondamentale era la comunione sacramentale (Policarpo e Aniceto, il fermentum, ecc.). La dottrina della communio hierarchica che non tiene in nessun conto l’aspetto eucaristico mi sembra dunque profondamente sbagliata. Malgrado le affermazioni della Relatio, questa nozione di comunione rimane nell’ordine canonico-giuridico, giacchè non si può concepire una communio ontologica sacramentale che trascuri l’espressione adeguata per eccellenza di essa, cioè l’eucaristia. 4.  Da tutto ciò per me appare chiaramente che il N. B. quando tratta degli Orientali non-cattolici dimostra una prospettiva erronea. Se si prendesse ad verba il testo della nota nell’insieme della Nota Explicativa, risulterebbe che non solo non si può spiegare facilmente il potere che de facto apud Orientales seiunctos exercetur, ma bensì che di per se non soltanto l’esercizio fa difficoltà, ma ancora ­l’appartenenza



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al Collegio. Ora questo presuporrebbe un concezione quasi magica della consacrazione episcopale: l’imposizione delle mani senza communio, può fare un vescovo. Inoltre sicome viene affermato che nella consacrazione le tre munera sono ricevuti, questi muneri sarebbero senza legame con il Collegio, ciò che è assurdo. 5.  Aggiungo che gli Orientali non possono ricevere l’esercizio dal R. P. se non lo vogliono e se il R. P. lo conferisce all sua insaputa, o come è certamente accaduto nella storia, contra la sua propria volontà. 6.  Non dico che sia facile trovare una soluzione soddisfacente del caso degli orientali non-cattolici, ma si deve cercare nella linea dell’eucaristia valida da loro celebrata come segno di intercomunione tra di loro. Un vescovo isolato non può essere la Chiesa, cioè avere una Chiesa attorno a se. Questo caso ipotetico non rege [sic = regge]. Un vescovo è necessariamente membro di un collegio o corpo episcopale. Riceve la consacrazione da un collegio (tres faciunt collegium) o corpo di vescovi. Inoltre riceve tale consacrazione durante la celebrazione eucharistica. Non so se è storicamente provato che i vescovi furono sempre consacrati durante la celebrazione eucaristica, però è un fatto universale e di grande significato teologico. 7.  Quindi per me la sola vera spiegazione teologica del caso degli Orientali è il fatto che c’è anche per loro successione apostolica ininterrotta. Anzi l’esis­ tenza delle varie chiese di origine apostolica in Oriente li rendeva molto meno sensibili all’importanza della comunione romana giacchè ricevendo una consacrazione da vescovi successori di vari apostoli, erano inseriti per lo stesso fatto nel collegio delle Chiese sorelle. Altra via di uscita non c’è, giacchè è ammesso dal testo che gli Orientali hanno i muneri e l’esercizio, e che d’altronde non nega esplicitamente che loro sono membri del collegio. Dunque riassumendo queste osservazioni per concludere all’appartenenza degli Orientali non cattolici al Collegio (coetus stabilis) direi: – la nozione di comunione ha una nota eucaristica che il De Ecclesia ha incredibilmente trascurata, benchè sia di somma importanza per spiegare il fondamento teologico delle chiese locali tra di loro e di conseguenza dei loro vescovi. – le Chiese orientali sono di fondazione apostolica in un certo modo independente dalla Sede Romana. Dico in un certo modo, nel senso che sono altri apostoli che hanno fondato le Chiese Orientali, o almeno non il solo Pietro. – Se si vuole escludere gli Orientali dal Collegio, si deve prendere il significato ristretto di atto collegiale, in quanto non partecipano all’esercizio dell’atto collegiale attorno al successore di Pietro. Però, ricadiamo ancora nelle concezioni giuridiche che appositamente sembra escludere il N. B. E. L. 15.XI. 64 Osservazioni complementari: a) Se si lege [sic = legge] attentamente il testo del n° 23 (p. 66, lin. 20-34) si nota subito che anche nella nuova redazione (ved. nel fascicolo dei Modi Examinati, p. 62 ad num.) la teologia che viene sottintesa a proposito delle Chiese

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locali che derivano da Chiese apostoliche, è una teologia di comunione tra Chiese, anche se la parola «communio» non è adoperata: «in plures coaluerint coetus», «Ecclesiae, veluti matrices fidei, alias pepererunt quasi filias» … «arctiore vinculo caritatis in vita sacramentali atque in mutua … connectuntur» (i.e. communicantur), e l’ultima frase. Se non c’è la parola «communio», si ritrova tutta via nel testo l’essentiale [sic] dell’ecclesiologia di comunione e lo spiega la nota: N. b) Si può anche costatare che almeno secondo l’indice del CIC, il diritto canonico finora vigente 1° sotto la voce «communio» intende solo la comunione eucaristica; 2° sotto la voce «communicatio» (videl. «in sacris») intende una comunio [sic] di ordine cultuale; 3° sotto la voce «excommunicatio» agisce in recto della vita cultuale. Queste varie osservazioni rendono incomprensibile che l’aspetto eucaristico, cultuale e sacramentale della «communio» non sia preso in considerazione dalla Nota Explicativa neppure dal testo quando tratta della cosidetta «communio hierarchica». Ancora una volta tutta l’impostazione e la mentalità che presuppone questa nota mi pare sbagliata e senza vero fondamento nella tradizione. Però si può dire anche che questo concetto «communio hierarchica» essendo del tutto nuovo e ignoto dalla Tradizione, lascia intatto il vero concetto do «communio» che, quindi, non viene escluso dal testo. In fine dei conti una interpretazione benevola può considerare che la porta non è del tutto chiusa ad una vera teologia di comunione e quindi che si è evitato il peggio. Soltanto si nota che la questione è stata trattata per preterizione. Spetterà ad una ulteriore indagine teologica ed ad un eventuale complemento dell’ attuale Costituzione De Ecclesia di rimettere le cose nella giusta luce. E. L. 16.XI.1964

12 LES RÉACTIONS DE QUELQUES PERITI DU CONCILE VATICAN II À LA NOTA EXPLICATIVA PRAEVIA (G. PHILIPS, J. RATZINGER, H. DE LUBAC, H. SCHAUF) Introduction1 1.  Il est de notoriété publique que l’insertion de la Nota Explicativa Praevia (dorénavant NEP) dans les Actes officiels de la constitution dogmatique Lumen gentium a suscité bien des remous dans l’aula conciliaire, surtout parmi un grand nombre de théologiens du Concile (les periti). Quand le fascicule de l’Expensio modorum du chap. 3 fut enfin distribuée aux Pères, le samedi 14 novembre 1964, l’assemblée éclata en applaudissements car elle avait craint un ajournement du vote. La NEP se trouvait à sa place normale au début de ce fascicule car elle précédait l’examen détaillé des modi mis à la suite2. L’atmosphère changea complètement le lundi 16 novembre lorsque Mgr Felici3 fit trois notifications. La t­roisième * Cf. L. Declerck, Les réactions de quelques «periti» du concile Vatican II à la «Nota Explicativa Praevia» (G. Philips, J. Ratzinger, H. de Lubac, H. Schauf), dans J. Ehret (éd.), Primato pontificio ed episcopato dal primo millennio al concilio ecumenico Vaticano II: Studi in onore dell’arcivescovo Agostino Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2013, 577-606. 1.  G. Philips (1899-1972), prêtre du diocèse de Liège, professeur de théologie dogmatique à l’Université catholique de Louvain, peritus conciliaire, à partir du 2.12.1963 secrétaire adjoint de la commission doctrinale, rédacteur principal de Lumen gentium. J. Ratzinger (1927-), peritus conciliaire, archevêque de Munich-Freising et cardinal en 1977, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1981, souverain pontife de 2005 à 2013. H. de Lubac (1896-1991), jésuite français, peritus conciliaire, cardinal en 1983. H. Schauf (1910-1988), professeur de droit canonique à Aix-la-Chapelle en 1945, professeur de théologie dogmatique au séminaire de Lantershofen de 1976 à 1986, peritus conciliaire, ami et collaborateur de S. Tromp. Son Journal [H.  Schauf, Tagebuch zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Domarchiv, Aix-la-Chapelle [= Journal Schauf] n’est pas encore publié. 2.  Le fascicule de l’Expensio modorum distribué aux Pères était paginé pp. 3-64. Il portait la mention «sub secreto» comme tous les documents non encore approuvés par l’assemblée. Il ne sera reproduit que beaucoup plus tard dans les Actes du Concile: cf. AS III, VIII, 1976, pp. 52-109 (avec, en marge, renvoi à la pagination pp. 3-64 du fascicule remis aux Pères). Nous reviendrons plus loin sur cette réédition tardive. 3.  P. Felici (1911-1982), archevêque titulaire de Samosata en 1960, secrétaire général du Concile, cardinal en 1967.

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annonçait que, de par l’autorité supérieure, on communiquait aux Pères un texte très important: il s’agissait de la NEP dont le secrétaire général ­entreprit la lecture de manière lente et appuyée4. Le même secrétaire avait pris soin de souligner, avant sa lecture, que la doctrine du chap. 3 devait être expliquée et comprise «ad cuius Notae mentem et sententiam»5. À ce moment, la stupéfaction gagna une large part de l’assemblée6 alors que la «minorité» ne pouvait cacher sa joie7. Ce lundi fut le début de ce que certains journalistes ont appelé la «settimana nera»8 du Concile, une semaine qui fut encore perturbée par l’introduction au dernier moment de 19 modi du pape dans le texte sur l’œcuménisme, par l’ajournement du vote sur le décret sur la liberté religieuse9 et la proclamation par Paul VI, 4.  Les trois notifications de Felici ont été rééditées dans AS III, VIII, 1976. La ­t­roisième commence p. 10 et donne la NEP aux pp. 11-13. À la différence de l’Expensio modorum (reproduite dans le même volume, cf. note 5), la NEP a eu très tôt valeur de document officiel du Concile. Après l’approbation de Lumen gentium, elle a été publiée dans L’Osservatore Romano et dans le texte édité par les soins du Secrétariat du Concile. Dans ces deux éditions, elle figure comme Annexe à la constitution et est signée P. Felici. Comme nous le verrons, la publication séparée de la NEP pose divers problèmes. 5.  AS III, VIII, p. 10. Le 19 novembre, Felici répéta solennellement avant le vote: «Bene attendatis: haec suffragatio fit iuxta notificationes a me factas, superiore auctoritate, in congregatione generali 123 die 16 novembris» (cf. ibid., p. 396). 6.  Dans son Diarium (ASV Conc. Vat. II, b. 791, n. 10), Tromp note laconiquement le 16 novembre 1964: «Dicitur commotionem fuisse apud plures maxime peritos, ita ut dubium oritur num cras votatio de cap. III sit felix». 7.  Les documents suivants éclairent comment la NEP a été détachée de l’Expensio modorum. Dès le samedi 14 novembre, Felici écrit au pape pour lui demander quelle valeur attribuer à la NEP: faut-il la considérer comme faisant partie du texte ou bien comme une simple note de commentaire (ce qui était l’opinion de Parente)? Le secrétaire général estime que le pape doit trancher la question avant le mardi 17 novembre, jour du vote sur l’Expensio modorum du chapitre 3 (AS VI, III, p. 529). On peut supposer que Felici voulait faire approuver la NEP par le Concile alors que ce texte n’avait pour but que de donner les critères en vue de l’approbation du texte. Après la promulgation officielle de Lumen gentium, le samedi 21 novembre, le secrétaire général reprend toutefois sa plume le dimanche 22 novembre et il demande à nouveau que la NEP soit publiée après la constitution sous le titre Ex Actis Concilii. Le pape marque son accord, mais il demande de ne pas donner un caractère polémique à la Notificatio mais bien un caractère explicatif. Toutefois, la NEP a un caractère officiel: Ex Actis Concilii (AS VI, III, p. 561). 8.  Mais aussi un homme fort modéré comme Semmelroth note, le 19 novembre: «Heute war der bisher schwärzeste Tag des Konzils» (cf. O. Semmelroth, Tagebuch zum II. Vatikanischen Konzil 1962-65 [non édité], Archiv der Norddeutschen Provinz der Gesellschaft Jesu, München, copie dans Archiv der Hochschule St. Georgen, Frankfurt [= Journal Semmelroth], p. 112). 9.  Mgr De Smedt, rapporteur du texte, était fort affligé de cet ajournement. En effet, pour apaiser les objections de la «minorité», il avait œuvré, après le débat in aula en septembre 1964, dans un esprit de conciliation pour amender largement le schéma du décret. Mais c’était cette même «minorité» qui disait désormais que selon l’Ordo Concilii, le texte ne pouvait être voté sans un nouveau débat, parce qu’il avait été trop modifié. C’est alors que je l’ai entendu dire, très indigné: «Vous ne pourrez quand même pas me dire que ces manœuvres-là sont inspirées par l’Esprit-Saint».



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le 21 novembre, de Marie Mater Ecclesiae, un titre contre lequel la commission doctrinale avait soulevé des objections10. 2.  L’histoire de la NEP est maintenant connue avec une assez grande précision grâce à la publication posthume des Notes pour servir à l’histoire de la «Nota Praevia Explicativa» (Lumen gentium III) par G. Philips11. On sait désormais avec certitude que c’est bien Philips qui est l’auteur final de la NEP et non Mgr C. Colombo12 ou le P. Bertrams13 dont le rôle n’a été qu’indirect14. Sur le moment même, le secret dont furent entourées la rédaction et l’origine de la Note15, de même que la volonté du pape de voir ses remarques personnelles attribuées à la commission doctrinale16, ont grandement contribué à susciter des réactions 10.  Cf. la réunion de la commission doctrinale du 23.9.1964 (L. Declerck – W. VerInventaire des Papiers conciliaires de Monseigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale [Instrumenta Theologica, 24], Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips], 1981 et 1982). 11. Cf. J. Grootaers, Primauté et collégialité: Le dossier de Gérard Philips sur la Nota Explicativa Praevia (Lumen gentium, Chap. III) (BETL, 72), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1986, pp. 63-84. Deux des meilleurs articles pour comprendre la NEP sont sans doute celui de G. Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota Explicativa Praevia’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 587-697 et celui de C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Lumen gentium’, ibid., 97-143. 12.  C. Colombo (1909-1991), peritus conciliaire, évêque titulaire de Vittoriana en 1964, conseiller théologique de Paul VI. 13.  W. Bertrams (1907-1981), jésuite allemand, professeur de droit canonique à la Grégorienne, peritus conciliaire. 14.  Mgr Colombo a présenté une Note alternative (dans laquelle on trouvait la marque du P. Bertrams), mais cette Note n’a pas été retenue par la commission. Philips en a cependant tenu compte pour rédiger sa propre Note. Les publications de F.G. Brambilla, Carlo Colombo e G.B. Montini alle sorgenti del Concilio et de A. Bellani, Carlo Colombo e la «Nota praevia»: inediti, dans Teologia 33 (2008) 248-284 ont mis en lumière le rôle de C. Colombo dans la rédaction de cette Note. Il serait encore opportun d’examiner plus à fond le rôle non négligeable que le canoniste W. Bertrams s.j. a tenu dans cette rédaction. Il a d’ailleurs été reçu deux fois par le pape à cette époque – la dernière fois le 10.11.1964 (cf. Journal Semmelroth, 11.11.1964, p. 108). Les archives de C. Colombo à Milan prouvent elles aussi le grand rôle de Bertrams auprès de Colombo et du pape pour la question de la collégialité (cf. notamment Fonds [F.] Colombo, Facoltà teologica dell’ Italia settentrionale, C XVI 33, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 47; C XXI 8). 15.  Pendant tout un temps, le bruit a circulé au Concile que Mgr Felici, qui avait fortement souligné in aula l’importance de la NEP, en était lui-même l’auteur. C’était là, bien entendu, une attribution fantaisiste. Cf. V. Carbone, L’Azione direttiva di Paolo VI nei Periodi II e III del concilio ecumenico Vaticano Secondo, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (n. 11), p. 88, note 90. 16. Cf. Diarium Tromp, 12.11.1964: «Placet dicere Patribus hora 11.15 convenientibus agi de voluntate expressa a Papa sed ut emendationes ab ipsa Commissione pro­ cedant», et Relatio Secretarii (Tromp) «Placuit igitur praesidio dicere … agi quidem de voluntate expressa Pontificis, sed eundem quoque velle ut emendationes ab ipsa Commissione procederent» (cf. F. Philips, Dossiers 4, V, p. 36). schooten,

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fort vives parmi plusieurs théologiens. C’est le 12 novembre 1964, au cours d’une réunion où les periti (hormis les deux secrétaires, Philips et Tromp) avaient été écartés, que la NEP rédigée par Philips a été approuvée dans sa forme définitive par les évêques de la commission doctrinale17. L’ignorance de ces circonstances n’a pas été profitable à la NEP. De plus, le terme employé par Felici «superior auctoritas» pour désigner le pape n’a pas été immédiatement compris par tout le monde, ce qui a ajouté à la confusion des esprits18. Enfin, la polémique au sujet de la NEP, commencée tout de suite après la 3ème session et mettant même aux prises des membres de la curie romaine19, n’a pas contribué à la pacification des esprits ni à la compréhension exacte de sa doctrine.

17.  Toutefois, le secret de la réunion ne fut pas strictement gardé puisqu’un peritus a pu saisir dans la salle de réunion les documents destinés au Père Abbé Gut, qui était absent. Il les a photocopiés et remis à leur place quelque temps après. Selon nos souvenirs, Mgr Prignon nous a raconté le même jour qu’il s’agissait du peritus chilien Jorge Medina Estévez (°1926, cardinal en 1998). Mgr Heuschen confirme également qu’il s’agissait de Medina (cf. L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen [Instrumenta Theologica, 28], Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen], 348; Concilieherinneringen, p. 11; cf. aussi le Diarium Tromp, 12.11.1964: «Ante sessionem intraverunt in aula aliqui periti, qui ibidem viderunt documenta mane discussa ab Episcopis. Inde secretum servandum ab episcopis nullius valoris. Insuper refert P. Gagnebet Episc. subsecretarii Concilii [sic] aliis dixisse Papam misisse Commissioni dogmaticae observationes ad reformanda documenta circa modos capitis III de Ecclesia!» et la Relatio de Tromp de cette réunion: «Secretum hac in re fuit prorsus imaginarium. Non solum iam die 10 Nov. innotuerat ephemeristis, sed ante sessionem meridianam huius diei erronee intraverunt in Aulam Congregationum nonnulli periti, qui ibi inveniebant documenta mane Patribus distributa» (F. Philips, Dossiers 4, V, pp. 40-41). D’ailleurs, Moeller note le jeudi 19 novembre 1964: «Medina, ce soir au collège belge, a pleuré. Découragé. On a travaillé deux ans pour aboutir à un échec. Prignon et Martimort lui ont dit: il faut continuer à lutter». Cf. C.  Soetens, Concile Vatican II et Église contemporaine (Archives de Louvain-la-Neuve). I: Inventaire des Fonds Ch. Moeller, G. Thils, Fr. Houtart (Cahiers de la RTL, 21), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1989, p. 74, Carnets Moeller 23, p. 55. H. Schauf aussi a lu les textes qui avaient été laissés dans la salle. Cf. Journal Schauf [non publié; avec mes remerciements à A. von Teuffenbach qui en prépare l’édition], 12.11.1964, p. 204. 18. Cf. G. Caprile, Aspetti positivi della Terza Sessione del Concilio, dans Id., Il ­concilio Vaticano II: Terzo Periodo, Roma, La Civiltà Cattolica, 1965, p. 487, n. 30. Un peritus averti comme Semmelroth se demande encore le 16 novembre: «Ist die auctoritas superior der Papst?» (Journal Semmelroth, 16.11.1964, p. 110). 19.  Voir par ex. l’article de l’adjoint de Mgr Felici, V. Fagiolo, Il concilio Vaticano II nei lavori e risultati del terzo periodo, dans Rivista diocesana di Roma, 1964, 897-906; et les articles de l’assesseur du Saint-Office, P. Parente dans L’Osservatore Romano du 19.12.1964: Al vertice del Concilio Ecumenico et Visione della Chiesa nella Dottrina del Concilio Ecumenico, dans Città Nuova IX/2 (25.1.1965) 14-17. Felici a réagi à cet article de Parente avec une note adressée au pape et le card. Siri de Gênes a protesté auprès de Felici contre cet article (cf. AS VI, IV, pp. 34, 92-93, 102, 122, 130-131).



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3.  Dans cet article on essaiera, grâce à quelques témoignages directs et à des documents d’archives, de décrire brièvement les réactions et les sentiments (stupeur, indignation, déception des uns, joie et satisfaction des autres) de quelques periti qui avaient participé aux travaux de Lumen gentium au sein la commission doctrinale, à savoir J. Ratzinger, H. de Lubac et H. Schauf. Ainsi, on pourra mieux comprendre la crise que cette Note a provoquée chez plusieurs théologiens favorables à la collégialité et aussi le ralliement d’autres qui y étaient opposés, ce qui a permis la quasi-unanimité du vote sur ce chap. 3 par les pères du Concile, unanimité si fortement souhaitée par Paul VI. Ce parcours pourra éventuellement aider à mieux situer les raisons de la polémique qui continue au sujet de cette Note. Avant de présenter les réactions des trois periti mentionnés ci-dessus, nous examinerons la position de G. Philips vis-à-vis de la NEP. Il est vrai que Philips n’a pas réagi sur le moment même à un texte dont il était l’auteur. Cependant il a confié oralement son sentiment à des amis comme Moeller20 ou Mgr Heuschen21 qui se sont empressés de rectifier certaines erreurs d’interprétations des autres periti. Ceci explique sans doute le fait que Ratzinger et de Lubac soient passés assez rapidement d’une opposition très dure à la NEP à une acceptation fondée sur la compréhension des raisons qui l’avaient rendue nécessaire. Par ailleurs, les commentaires que Philips a donnés ultérieurement de la NEP permettent de prendre une première connaissance des enjeux de ce texte controversé. Il nous semble utile de commencer par exposer ces enjeux pour permettre de mieux suivre les réactions des autres periti. Notons enfin que, parmi les théologiens présentés ici, trois appartenaient à la «majorité» et un seul à la «minorité» conciliaire22, ce qui correspond grosso modo aux rapports des «forces» dans le Concile. On espère ainsi procéder de façon équilibrée. I.  Gérard Philips 1.  On sait que, lors de l’examen des modi du chapitre III de Lumen gentium, Philips a dû concilier deux demandes presque contradictoires: d’une 20.  C. Moeller (1912-1986), prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, peritus conciliaire et collaborateur direct de Mgr G. Philips pour la rédaction de Lumen gentium. 21.  J.M. Heuschen (1915-2002), évêque auxiliaire de Liège en 1962, membre de la commission doctrinale, évêque de Hasselt de 1967 à 1989, ami personnel de G. Philips. 22.  Il faut cependant être fort prudent dans l’emploi des catégories: «minorité-­majorité, conservateur-progressiste, gauche-droite». En effet, certains sont «conservateurs» sur un sujet mais «progressistes» pour un autre (voir par ex. le card. Suenens sur la mariologie et Mgr Parente sur la collégialité). D’autres encore ont évolué dans l’une ou l’autre direction pendant ou après le Concile.

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part, répondre aux souhaits du pape d’apporter de nouvelles précisions, d’autre part, ne pas introduire de modifications substantielles à un texte qui venait d’être approuvé par les Pères avec une majorité dépassant largement les 2/3 requis. Trois dates sont à retenir dans la genèse de la NEP. Le 6 novembre 1964, Philips rédige ses Addenda ad Relationem generalem et les fait approuver par la commission. Le 10 novembre il réussit à faire écarter par la commission un texte de Mgr C. Colombo, qui était largement inspiré par le Père Bertrams. Le 12 novembre, quand le pape insiste à nouveau, il modifie ses Addenda qui deviennent ainsi la NEP. En jouant ce rôle de médiateur et de démineur, Philips était conscient qu’il perdait la sympathie de nombreux théologiens et de quelques évêques de la «majorité». Il dit lui-même que certains jours étaient très déprimants et constituaient pour lui un véritable calvaire en sorte que «la bonne impression du vote final sur l’Église [s’est perdue] en grande partie dans tous ces remous»23. 2.  Philips a évidemment suivi avec attention les réactions des autres periti à la NEP et les commentaires qu’il a rédigés plus tard tiennent compte de leurs réactions. Il nous paraît important de recueillir les indications de l’auteur même. La thèse qu’il défend constamment est que la NEP ne modifie en rien le texte de la constitution mais apporte certaines précisions destinées à rassurer la minorité. Pour bien comprendre les quatre points développés par la NEP, il importe donc de bien voir les thèses que la minorité devait accepter tout en indiquant les limites de ce qui lui était demandé. a)  Existence et nature du collège épiscopal La première thèse que la minorité devait accepter est que les évêques forment, sous l’autorité du pape, un collège qui succède au collège des apôtres. À vrai dire, il n’y avait qu’une petite partie de la minorité qui prétendait que la notion de collège était une invention récente et n’avait jamais existé. Ces théologiens craignaient qu’en admettant l’existence d’un collège des évêques, on n’introduise un groupe rival de l’autorité du pape24. 23. Cf. K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck (Instrumenta Theologica, 29), Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006 [= Carnets Philips], pp. 134, 135, 141. 24.  Le représentant le plus connu de cette position extrême était Dino Staffa qui, appuyé par tout un groupe, cherchait à empêcher purement et simplement la promulgation de Lumen gentium. Le card. Browne était proche de cette position. Philips note: «[Le card. Browne] craint surtout une définition de la collégialité sur laquelle on pourrait s’appuyer pour établir, à côté de la Curie, un comité permanent de l’épiscopat à Rome», Carnets Philips, p. 94.



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Pour apaiser ces craintes la NEP déclare que le collège ne doit pas s’entendre au sens d’un «groupe d’égaux» (selon la définition d’Ulpien dans le droit romain). Les évêques forment un groupe stable à la manière des douze apôtres auxquels ils succèdent. C’est ce groupe des douze (dont Pierre est la Tête) tel qu’il est décrit dans le Nouveau Testament qui doit servir de modèle. b)  Conditions pour faire partie du collège La deuxième thèse à accepter est qu’on devient membre du collège en vertu de la consécration épiscopale qui confère les charges (munera) de sanctifier, d’enseigner et de gouverner et par la communion hiérarchique avec la Tête du collège et avec ses membres qui fait passer à l’acte le pouvoir issu de la consécration et en règle l’exercice. Ces deux conditions ne sont pas du même ordre25. La consécration épiscopale donne la participation ontologique aux trois charges sacrées. La détermination canonique ou juridique s’ajoute ensuite pour que la puissance correspondant à ces charges passe à l’acte et devienne une «potestas ad actum expedita». Philips souligne à maintes reprises que la grande redécouverte de Vatican II est d’avoir rétabli le lien entre la collégialité et la sacramentalité de l’épiscopat. Cette thèse rompt avec la thèse des canonistes très agissant parmi la minorité. Pour ceux-ci, le sacre épiscopal donne le pouvoir d’ordre (qui permet de sanctifier) mais non le pouvoir de juridiction (qui permet de gouverner et d’enseigner) car ce pouvoir est donné par l’autorité supérieure. Dans cette ligne, le collège n’existe véritablement que par la juridiction accordée par le pape. Cette thèse était notamment celle du P. Bertrams26. Il est à noter que, sur ce point, la majorité a reçu l’aide très 25.  On sait que grâce à la diligence de Mgr Heuschen, membre de la commission doctrinale, le texte «vi consecrationis et communionis» a été changé en «vi consecrationis et communione» pour marquer que les deux éléments n’ont pas la même importance. Cf. L. Kenis, Diaries: Private Sources for a Study of the Second Vatican Council, dans D. Donnelly – J. Famerée – M. Lamberigts – K. Schelkens (éds), The Belgian Contribution to the Second Vatican Council: International Research Conference at Mechelen, Leuven and Louvain-la-Neuve (September 12-16, 2005) (BETL, 216), Leuven – Paris – Dudley, MA, Peeters, 2008, 29-53, pp. 44-50. 26.  Philips signale: «Le canoniste bien connu le Père W. Bertrams s.j. ne fait pas opposition à la collégialité, mais selon lui un évêque en dehors de la communion du pape de Rome n’a aucune juridiction et les actes qu’il pose sont de soi sans valeur», G. Philips, L’Église et son mystère au IIe concile du Vatican: Histoire, texte et commentaire de la Constitution ‘Lumen gentium’, Paris, Desclée, 1967-1968, I, p. 281. Le père énonçait en effet le principe suivant: «Potestas regendi in consecratione episcopali confertur quoad substantiam, attamen efficax redditur per recognitionem ex parte Romani Pontificis». Pour Philips, le second membre de la phrase annulait le premier membre.

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précieuse de l’assesseur du Saint-Office, Mgr Parente27. Celui-ci a répété que la séparation des pouvoirs d’ordre et de juridiction n’était qu’une thèse tardive des canonistes médiévaux sans fondement dans la tradition. On doit donc admettre qu’un évêque légitimement ordonné est chargé en vertu de sa consécration de gouverner l’Église en même temps que d’autres évêques. Ceci dit, il est clair qu’il faut des déterminations ultérieures pour préciser comment cet évêque accomplira sa tâche. C’est dans la nature des choses, dit explicitement la NEP, puisqu’il s’agit de charges qui doivent être exercées par plusieurs sujets, qui, de par la volonté du Christ, coopèrent hiérarchiquement. La NEP ne fait donc pas de difficultés pour admettre la nécessité d’une détermination juridique pour mettre en œuvre les charges reçues mais elle refuse de faire dépendre de cette détermination la réalité des charges reçues28. c)  Le pouvoir suprême du collège Il faut admettre que le collège, qui n’existe pas sans sa Tête, est aussi sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur l’Église universelle. En fait, cette thèse est tout à fait traditionnelle car on a toujours admis que les conciles œcuméniques avaient autorité sur l’Église entière. Mais n’est-ce pas là admettre deux sujets du pouvoir suprême dans l’Église, sujets qui risquent d’entrer en compétition? La NEP répond que ce danger n’existe pas car on ne met pas le pape d’un côté et les évêques pris collectivement d’un autre côté. Le pape est envisagé comme agissant tantôt à part (seorsim) tantôt avec le collège. La NEP ajoute même qu’on mettrait en péril la plénitude du pouvoir papal si on prétendait que le pape ne dispose plus d’un tel pouvoir lorsqu’il agit comme Tête du collège. Ceci admis, la NEP reconnaît que seul le Pontife Romain peut poser certains actes qui ne reviennent nullement aux évêques comme par exemple convoquer le collège et le diriger, approuver les règles de son 27.  P. Parente (1891-1986), assesseur du Saint-Office en 1959, membre de la commission doctrinale, cardinal en 1967. 28.  Le 7 mars 1963, Charue rapporte encore la discussion à la commission doctrinale sur la sacramentalité de la consécration épiscopale et son lien avec les 3 munera ou potestates. «Pour Tromp, Gagnebet et Schauf, le sacre ne ferait que rendre plus apte à l’enseignement et au regimen, les pouvoirs viendraient de la mission canonique. … [Tromp] rappela que le Pape a tous ses pouvoirs dès son élection, même s’il n’est pas évêque. Nettement, Mgr Parente lui répliqua que c’était une anomalie. Comme il l’avait dit l’autre jour, c’est un monstrum theologicum. L’expression m’échappa à moi-même à ce moment: ‘Hoc est absurdum’ et la réprobation fut presque unanime et bruyante comme elle le fut rarement. Le P. Tromp parut consterné» (cf. L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue [Cahiers de la RTL, 32], Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets Charue], p. 163). Philips aussi a souvent rappelé qu’on ne pouvait donner la juridiction pour confesser qu’à un prêtre validement ordonné.



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action etc. Elle précise que pour ordonner, promouvoir, approuver l’exercice collégial, le Souverain Pontife procède suivant sa propre discrétion. Ces différentes remarques ont bien évidemment pour but de rassurer la minorité: la primauté papale reste intacte qu’il agisse avec ou sans le collège. Philips remarque toutefois, dans ses commentaires, que la commission a évité certaines expressions qui majorerait le pouvoir papal au point de le rendre absurde. Par exemple, elle a évité de dire que le pape est uni Domino devinctus car le pape est lié à l’Évangile, aux définitions conciliaires, à la tradition de l’Église, etc. d)  Asymétrie dans l’exercice du pouvoir plénier sur l’Église Le Souverain Pontife, en tant que Pasteur suprême de l’Église, peut en tout temps exercer à son gré son pouvoir, selon que le requiert sa charge même. Mais le collège, bien qu’il existe toujours, n’agit pas pour autant de façon permanente d’une action strictement collégiale. Il y a donc deux différences – dans le temps et dans l’autonomie – dans l’exercice du pouvoir plénier sur l’Église. Le pape peut à tout moment prendre l’initiative d’intervenir pour le bien de l’Église. Le collège, quant à lui, est toujours prêt à intervenir puisqu’il existe de manière permanente. Cela ne signifie pas qu’il intervient à tout moment. Les actes strictement collégiaux qu’il pose sont plus épisodiques et requièrent pour être considérés comme tels le consentement du pape. Philips fait une remarque importante à propos du «nonnisi consentiente». Cette expression remplace un «non independenter a Romano Pontifice» qui supposerait un ordre explicite du pape. En fait, la commission a admis que le consentement du pape pouvait être postérieur29. Un groupe d’évêques peut prendre une initiative et être rejoint par d’autres évêques jusqu’au moment où le pape intervient et donne son consentement. Sans doute, tant que cet accord n’est pas formellement acquis, le collège n’est pas en acte plein et ses actes ne sont pas strictement collégiaux. Mais cela ne signifie pas que ces actes n’ont aucune signification collégiale. Il y a plusieurs degrés dans l’activité collégiale et Philips n’hésite pas à écrire: «Le Collège n’est jamais en état de ­chômage. Sans interruption il s’occupe 29.  Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est Schauf qui a permis cette explication. Philips écrit: «Je propose une formule brève: les évêques peuvent arriver à un acte collégial, à condition que le pape ne s’y oppose pas. Cette fois, Gagnebet veut qu’on ajoute que le pape doit préciser d’avance de quelle manière cet acte doit être accompli: si le pape ne donne pas de directives, un acte collégial ne peut être posé. Schauf a une formule plus large et même plus précise que la mienne. Il examine l’exemple d’un pape, détenu en Sibérie, qui approuverait l’acte des évêques après sa libération. Cela semble sauver l’affaire. Je me rallie à la formule de Schauf qui est acceptée à l’unanimité» (Carnets Philips, p. 102).

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de sa tâche sous une forme moins rigoureuse, par exemple dans le magistère ordinaire»30. On verra également que Ratzinger préconisait, dans la même perspective, une approche de la collégialité à partir de la vie des Églises locales qui dialoguent entre elles et dont les délibérations finissent par remonter vers l’autorité suprême. La NEP se termine par un N. B. qui précise que la commission doctrinale n’a pas voulu entrer dans les questions de licéité et de validité, spécialement pour ce qui regarde le pouvoir qui est exercé de fait chez les Orientaux séparés, et pour l’explication duquel il y a diverses opinions. Ce N. B. a provoqué beaucoup de déception chez les periti de la majorité parce qu’il signifiait que le Concile refusait de trancher une question délicate du problème œcuménique. En réalité, comme l’explique Philips, un modus papal inspiré par le P. Bertrams aurait comme résultat que l’on déclare la nullité des actes posés par les évêques séparés de Rome. La commission a refusé ce modus en demandant d’expliquer au pape que l’introduction de ce modus ruinerait tous ses efforts de rapprochement avec Athénagoras. 3.  On peut se poser la question de savoir si finalement Philips était content de la NEP. Il faut répondre par la négative. C’est contraint et forcé par l’autorité supérieure que le secrétaire adjoint de la commission a rédigé les quatre points de la NEP qui, selon lui, étaient uniquement destinés à permettre une lecture plus facile de la ventilation des modi. Il a été fort étonné de voir ce texte arraché de son contexte et lu à haute voix par Felici. Il était parfaitement conscient que la NEP allait susciter une tempête de protestations. Si on parcourt rapidement ce texte litigieux, on a l’impression que l’existence et l’efficacité du collège dépendent entièrement de la volonté du pape et que celui-ci peut toujours se passer du collège et agir de manière isolée. Pour corriger cette impression, il faut connaître en détail le travail de la commission et les multiples rectifications apportées aux modi de la minorité et du pape. Mais la chose était impossible lors de la dernière semaine de la 3ème session. D’où le goût d’amertume qu’ont laissé ces événements à Philips en dépit de 30.  Philips, L’Église et son mystère (n. 26), I, p. 296. Philips ajoute un peu plus loin: «Pour conserver sa raison d’être, le pouvoir collégial doit toujours être actif jusqu’à un certain degré» (ibid.). Comme on le signalera plus loin, Ratzinger craignait que la NEP soit l’occasion de rejeter l’autorité collégiale du Magisterium ordinarium d’autant plus que Schauf prétendait que c’était bien là le sens du texte. Les précisions de Philips sont donc très précieuses: elles tranchent en faveur de l’autorité collégiale du magistère ordinaire même si cette autorité ne s’exerce pas pleinement ou de manière stricte.



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l’aboutissement de la constitution Lumen gentium. Mais le fait que le pape lui ait offert, le 22 novembre, un calice en or – signe de communion – l’a consolé de ses peines31. 4.  Ce qui est moins connu, ce sont les efforts que Mgr Philips a déployés pour rendre publique l’Expensio modorum du chap. 3. En effet, pour une compréhension exacte de la NEP il est nécessaire de prendre connaissance de cette Expensio parce que la NEP a été conçue comme une note préalable à cette Expensio afin d’expliquer dans quel esprit et selon quels critères la commission doctrinale a procédé pour ventiler les modi32. a)  C’est en fait Mgr Carlo Molari33, à cette époque aiutante di studio au Saint-Office qui a pris l’initiative, le 26 novembre 1964, d’écrire à Philips, qui était déjà retourné à Louvain. Après avoir constaté que le texte de Lumen gentium a été publié dans L’Osservatore Romano avec la NEP en annexe, il est d’avis que cela est cause de confusion, parce qu’on est poussé à penser que la NEP est «praevia» au texte, tandis qu’elle précède uniquement l’Expensio modorum34. Il demande à Philips d’intervenir pour: 1° qu’on dise que la NEP fait partie de la Relatio generalis de la commission doctrinale sur les modi, et que la NEP n’a pas été rédigée pour être publiée à part, mais bien dans le contexte de la Relatio generalis. 31.  Philips a fortement apprécié ce geste du pape (cf. ses Carnets Philips, p. 142), qu’il a peut-être surévalué. En fait, quelqu’un du Secrétariat du Concile est venu au Collège belge avec une enveloppe de 100.000 Lit. [= environ 200 €, valeur actuelle 1.200 €] pour Philips. Celui-ci en était embarrassé, et demanda à Heuschen si peut-être il en voulait la moitié. Heuschen était indigné parce que Philips n’a jamais travaillé pour de l’argent; d’ailleurs cette somme n’était qu’une aumône au regard du travail énorme qui avait été fourni. À l’insu de Philips, Heuschen a dit le lendemain à Colombo: «Nous n’avons pas travaillé pour de l’argent. Mais un geste personnel du pape serait approprié». C’est ainsi que, le même soir, ce calice en or est arrivé pour Philips au Collège belge (cf. Concilieherinneringen, p. 24 [F. Heuschen 384]). Le 12 février 1965, Colombo – faisant mine de rien – a encore écrit à Philips: «Ho saputo dei segni di benevolenza e di gratitudine che il Santo Padre Le ha personalmente inviato e ne sono sinceramente lieto» (F. Philips 2108). D’ailleurs, Philips a légué par testament ce calice à Mgr Heuschen. 32.  Le texte de la NEP renvoie en cinq endroits à des modi. 33.  Carlo Molari (1928-), aiutante di studio au Saint-Office et professeur de théologie. Il assistait spécialement le card. Ottaviani, à cause de sa cécité croissante, pour le travail de la commission doctrinale. C’est aussi Molari qui apporta à Philips au Collège belge, le vendredi 13 novembre à 18h10, la réponse positive du pape à la NEP. Des Carnets conciliaires de Mgr Charue, il appert que Molari avait des sympathies pour les positions de la «majorité» (cf. Carnets Charue, pp. 110, 112, 114, 115, 193, 196, 234). 34. Le prof. Joël-Benoît d’Onorio commet encore la même erreur quand il écrit: «Paul VI estima nécessaire de dissiper tout malentendu en joignant au texte voté par les pères une «Note explicative préliminaire» que, par une logique curieuse, on place toujours

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2° qu’on publie dans les Acta Apostolicae Sedis toute la Relatio de l’Expensio modorum du chapitre 3. 3° qu’en tout cas les indications des pages et des modi soient corrigées et complétées. Actuellement, la NEP est plutôt un motif de confusion que d’éclaircissement, parce qu’on n’a pas en main les textes complets auxquels la NEP se réfère. Tout cela provient du fait que la NEP est publiée en étant détachée de son contexte naturel. Molari ajoute qu’il a déjà demandé à Mgr Felici si on ne pouvait publier la Relatio generalis. Celui-ci lui a répondu qu’il n’en voyait pas la nécessité puisque la NEP était suffisamment claire. Si elle ne l’était pas, la faute serait à attribuer à la commission doctrinale. Molari lui a répondu que la commission n’avait pas l’intention de rédiger un texte isolé et qu’elle ne savait pas que la NEP serait publiée à part. Dans le cas contraire, elle l’aurait rédigée d’une façon beaucoup plus explicite et claire. Mgr Felici avait toutefois ajouté qu’on pourrait demander cette permission à l’autorité supérieure35. Cette autorité pourrait être le card. Ottaviani, en tant que président de la commission, mais Molari croyait nécessaire de s’adresser à la Présidence du Concile ou même directement au Saint-Père. Dans ce dernier cas, on pourrait ou bien agir par l’intermédiaire de Mgr Colombo, ou bien s’adresser directement au pape. Molari précise encore qu’il a agi de sa propre initiative personnelle et que cette demande n’a pas de caractère officiel. Il sait aussi que Mgr Parente souhaite que quelqu’un publie sur la valeur de la NEP. Parente aimerait bien le faire lui-même, mais il craint de compliquer ainsi les affaires, et peut-être n’a-t-il pas tort. Personnellement, Molari pense que par la publication de la Relatio generalis, la NEP pourrait être évaluée exactement36. b)  Dès le 1er décembre, Philips écrit au card. Ottaviani. Il a appris de plusieurs côtés que des théologiens ne comprennent pas exactement la après la Constitution en question!» (cf. J.-B. d’Onorio, Le concile Vatican II et le droit, dans Le deuxième concile du Vatican (1959-1965): Actes du colloque organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’Université de Lille III, l’Istituto per le scienze religiose de Bologne et le Dipartimento di studi storici del Medioevo e dell’età contemporanea de l’Università di Roma – La Sapienza (Rome 28-30 mai 1986) [Publications de l’École française de Rome, 113], Roma, École française de Rome – Palais Farnèse, 1989, 651-688, p. 678). 35.  Il faut se rappeler que l’Expensio modorum ainsi que les schémas étaient toujours distribués in aula avec la mention sub secreto. 36.  F. Philips 2090.



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s­ignification de la NEP. Avec l’approbation de Mgr Charue, il demande que le cardinal propose au pape que l’Expensio modorum du chap. 3 soit également publiée. En effet, la NEP renvoie aux modi, que le lecteur ne connaît pas. De plus, cette Expensio contient plusieurs éléments précieux pour expliquer le texte. Si l’on était d’avis que la publication en entier demande trop de place37, on pourrait au moins publier les modi les plus importants. Et Philips ajoute qu’il veut prêter son concours pour les sélectionner. Si cette suggestion n’était pas opportune, on devrait au moins mentionner que la NEP doit être lue en relation avec l’Expensio ­modorum38. c)  Le 8 décembre, S. Tromp remercie Philips de lui avoir envoyé copie de sa lettre à Ottaviani. Il remarque qu’il a rencontré la même difficulté pour l’édition du texte et il ajoute: «la NEP n’a pas de sens si nous ne pouvons citer les modi, qui sont mentionnés dans le texte». Toutefois il est d’avis qu’il ne sera pas possible de publier l’Expensio modorum dans sa totalité. Il faudra faire une sélection39. d)  Philips a rédigé une liste de modi sélectionnés40, et on trouve la même liste dans la Relatio de Tromp, V, p. 6341. e)  Mais comment Felici a-t-il réagi à tout cela? Le 10 décembre, Ottaviani demande à Felici de transmettre au pape la demande de publier in extenso l’Expensio modorum du chap. 3 et il ajoute un Pro Memoria justificatif. Felici note que, dans son audience du 1er décembre, le pape lui a dit que pour cette publication il faudra attendre la fin du Concile. C’est dans ce sens que Felici répond à Ottaviani, le 12 décembre 196442. Le 17 décembre, Ottaviani accuse réception de cette réponse de Felici, mais il transmet une suggestion de Philips qui demande que dans les Acta Apostolicae Sedis on ajoute une «Avvertenza» qui indique la relation de la NEP avec la Relatio generalis de l’Expensio modorum et il joint un projet de texte, rédigé par Philips. Il laisse à Felici la liberté de soumettre cette question à l’autorité supérieure. Le 28 décembre, Felici répond que ses supérieurs n’ont pas accédé à la demande43. 37.  En effet l’Expensio modorum du chap. 3 occupe 57 pages (AS III, VIII, pp. 52-109). 38.  F. Philips 2097. 39.  F. Philips 2098. 40.  F. Philips 2099. 41.  F. Philips, Dossiers 4. 42.  AS VI, III, pp. 582-584, 591. 43.  AS VI, III, pp. 615 et 629.

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On ignore encore dans quelle mesure ce refus de l’autorité supérieure a été inspiré par Felici, qui a par ailleurs fait son possible pour majorer l’importance de la NEP. Et c’est un fait que l’Expensio modorum a été publiée non à la fin du Concile, comme le pape l’avait dit, mais seulement en 1976 dans les Acta Synodalia44. 5.  Après la 3ème session, Philips a continué à défendre sa position selon laquelle la NEP, pour impressionnante qu’elle soit, n’apporte aucun élément nouveau au texte voté par le Concile, mais facilite au chercheur la voie pour se retrouver dans le fouillis des 242 modi, dont certains sont fort composites et soulèvent des problèmes compliqués45. Toutefois, il a dans le même temps regretté que la NEP ait introduit des précautions d’ordre juridique nuisibles au texte. Le 24 mai 1965, il écrit dans son journal: «Quand je relis maintenant le texte de Lumen gentium, j’ai moi aussi, comme le dit Mgr Parente, l’impression que ‘È però una bella pagina!’ surtout le chapitre I et dans une certaine mesure le II. Le passage sur les évêques a souffert des ajouts innombrables destinés à garantir la primauté. Le texte aurait pu être, par exemple au n. 22 sur la collégialité, une déclaration de grande ampleur, surtout par rapport à l’Orient. La doctrine reste sans doute la même, mais il y a un rempart de précautions pointues, en sorte que ce qui aurait pu faire bonne impression est grandement gâché»46. En octobre 1965, Philips échoue à faire insérer une phrase dans le De Revelatione qui aurait pu contenter la «minorité» tout en évitant une nouvelle intervention du pape. Mais, à ce moment, il déclare fermement qu’il n’acceptera en aucun cas de rédiger une autre Nota Praevia. Il se rendait alors parfaitement compte qu’on se servait de lui pour couvrir la couronne, tout en se demandant parfois si c’était bien la couronne qu’il devait couvrir ou le Saint-Office, ou le Secrétaire d’État, ou encore Felici47. 44.  Mgr Charue, vice-président de la commission doctrinale, a dit son immense soulagement lors de la publication de l’Expensio modorum dans les AS en 1976. Cf. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI (n. 11), p. 124, note 53. 45. Cf. Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), p. 213. 46.  Carnets Philips, p. 142. 47. Cf. L. Declerck – A. Haquin, Mgr Albert Prignon, Recteur du Pontificio Collegio Belga, Journal conciliaire de la 4e Session. Préface de Mgr A. Jousten. Introduction par C. Troisfontaines (Cahiers de la RTL, 35), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2003 [= Journal Prignon], pp. 114, 121. Philips avait parfaitement raison d’exprimer sa méfiance: il savait que son attitude conciliante déconcerterait plusieurs membres de la «majorité», surtout parmi les experts. La chose n’a pas manqué de se produire: un expert allemand n’a pas hésité à déclarer que Philips attendait une promotion importante à la curie et que c’était le prix qu’il devait payer pour accéder à cette charge! (ibid., p. 138).



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Signalons enfin que, dans une conférence de presse tenue à Rome lors du Synode des Évêques, le 18 octobre 1969, Philips lançait ce grave avertissement: «Si, nous catholiques de l’Occident latin, ne sommes pas sur nos gardes, nous aurons tôt fait de vider de son contenu le concept de communion et de collégialité que nous venons de redécouvrir à la faveur de Vatican II; nous aurons tôt fait, avec notre juridisme presque connaturel, de transformer la communion de la charité en un code de lois canoniques qui risqueront de l’étouffer et de l’éteindre. Et notre état final serait plus déplorable que le précédent. Il est certes urgent de rédiger des lois, mais enfermer la vie dans le légalisme, revient à l’asphyxier. L’importance primordiale appartient à la valeur communautaire vivante»48. Après avoir exposé les vues de l’auteur même de la NEP, nous allons voir que les craintes qu’il exprimait à propos de la réception de ce texte étaient fondées. Au départ, les réactions des periti de la majorité ont été très négatives tandis que celles de la minorité ont été triomphalistes. II.  Joseph Ratzinger 1.  On sait que le professeur de Bonn était l’un des plus jeunes periti du Concile et que le card. Frings, l’un des dix présidents du Concile, l’avait pris avec lui à Rome comme son conseiller théologique privilégié. Avec d’autres théologiens de langue allemande (notamment Rahner, Semmelroth49, Grillmeier, Schnackenburg, Hirschmann), il a été très actif pour introduire de nouveaux textes du De Fontibus50 et du De Ecclesia 48. Cf. Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), p. 219. 49. O. Semmelroth (1912-1979), jésuite allemand, professeur à la Theologische Hochschule Sankt Georgen de Francfort, peritus conciliaire. 50.  Dans le Journal du card. Siri un passage illustre la confiance de Frings pour Ratzinger, qui déjà à ce moment avait œuvré à la rédaction d’un schéma alternatif pour le De Fontibus. Ce passage nous montre aussi le fossé qui séparait la théologie «romaine» de celle du théologien allemand. En effet, lors d’une réunion de cardinaux d’Europe centrale (Frings, Liénart, Montini, König, Döpfner, Suenens, Alfrink et Siri) à Santa Maria dell’Anima, le 25 octobre 1962, Frings a réussi à introduire Ratzinger pour présenter son nouveau schéma alternatif De Revelatione. Siri note: «Ciò fa passare al terzo punto, alla sorpresa del giorno. Il card. Frings annuncia che uno (o più, non ho inteso bene) dei suoi teologi, professore a Bonn, ha preparato uno schema breve, comprensivo di tutto (ed anche esclusivo … di ciò che non interessa). Chiede se vogliamo sentirlo: occorrerà solo mezz’ora. Io immediatamente rispondo affirmativamente; il card. Montini mi sussurra all’orecchio: ‘È meglio sapere cosa pensano’. Viene dunque introdotto il professore di Bonn … Legge. È una sintesi del piano divino, non certo priva di valore, ma neppure straordinaria, nella quale tutte le verità sono in scorcio, con citazioni scritturali e con assenza completa di sistemazione teologica o definizioni di termini e di concetti. Potrebbe essere – a parte taluni rilievi che mi è parso di fare – una specie di buona epistola ad

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au lieu des schémas préparatoires qu’il jugeait largement insuffisants51. Il a aussi collaboré au schéma De Missionibus et à Gaudium et spes52. Lors de la 1ère intersession, Ratzinger était également présent à la réunion de théologiens allemands convoquée à Mayence par Mgr Volk en vue de rédiger un nouveau De Ecclesia53. Pendant la 2ème session, Ratzinger a été coauteur avec Rahner et Martelet d’une note De Primatu et Collegio episcoporum in regimine totius Ecclesiae54, un texte qui a même provoqué, le 22 octobre 1963, une réaction du card. Ottaviani in aula55. Durant la même session, Ratzinger et aussi Rahner réussissent à s’introduire – pour la révision du De Ecclesia – dans la sous-commission V qui devait traiter De collegialitate Episcoporum56. Et il signa avec Salaverri, Rahner et Maccarrone, la Relatio subcommissionis quintae. De Collegio episcoporum, un document de 27 pages57. Pour la réunion de la sous-commission en janvier 1964, c’est Ratzinger qui a rédigé la Relatio de Animadversionibus Patrum circa Diognetum, cosa da scrittori e predicatori, non da Concilio. Non si accende tanto fuoco per fare quello che un buon alunno di teologia non speculativa potrebbe fare. Finita la lettura io rimango a lungo zitto e pensoso» (cf. B. Lai, Il papa non eletto: Giuseppe Siri, Cardinale di Santa Romana Chiesa, Roma, Laterza, 1993, pp. 369-370). Plus tard, Ratzinger – peut-être un peu trop optimiste – écrira encore, au sujet de cette réunion: «Erst nach der Ermutigung durch die prominenten Hörer liess Frings … den neuen Text vervielfältigen und unter alle Väter verteilen» (cf. J. Ratzinger, Kardinal Frings und das II. Vatikanische Konzil, dans D. Froitzheim [éd.], Kardinal Frings. Leben und Werk, Köln, Wienand, 1980, p. 199. Voir aussi J. Wicks, Six Texts by Prof. Joseph Ratzinger as «peritus» before and during Vatican Council II, dans Gregorianum 89 [2008] 233-311, p. 251). 51.  Wicks, Six Texts by Prof. Joseph Ratzinger (n. 50), pp. 239-241 a démontré que la lettre que le card. Frings a envoyée le 17 septembre 1962 au card. Cicognani (cf. AS Appendix, pp. 74-77) a été entièrement rédigée par Ratzinger. Cette lettre contient des critiques substantielles sur les schémas De Deposito fidei pure custodiendo et De Fontibus Revelationis. Concernant l’activité de Ratzinger pendant le Concile on trouve des détails intéressants dans G.  Wassilowsky, Universales Heilssakrament Kirche: Karl Rahners Beitrag zur Ekklesiologie des II. Vatikanums, Innsbruck – Wien, Tyrolia, 2001. Pour une analyse fouillée des idées de Ratzinger concernant la collégialité pendant le Concile, cf. T. Weiler, Volk Gottes – Leib Christi: Die Ekklesiologie Joseph Ratzingers und ihr Einfluss auf das Zweite Vatikanische Konzil, Mainz, Matthias-Grünewald, 1997, pp. 183-191, 219-225, 236-248, 263-272. 52. Cf. Wicks, Six Texts by Prof. Joseph Ratzinger (n. 50), pp. 244-249, 285-293. 53.  Cf. F. Philips 559, 562. 54.  Pour ce texte, cf. F. Philips 1025 et Journal Semmelroth, 22.10.1963, p. 47. 55.  Pour l’intervention d’Ottaviani le 21.10.1963, cf. AS II, III, p. 148. Ottaviani protestait contre le fait que ces trois periti avaient selon lui dépassé leur rôle en faisant un plaidoyer pour le diaconat permanent d’hommes mariés. 56.  Ratzinger était fort intéressé par cette problématique, cf. J. Ratzinger – K. Rahner s.j. (éds), Episkopat und Primat, Freiburg i.Br., Herder, 1961. Cette sous-commission était la plus importante du De Ecclesia et d’autres théologiens connus s’y étaient introduits, notamment Schauf, Colombo, Maccarrone, Thils, Moeller, Betti. 57.  F. Heuschen 43. Le document est daté du 23.11.1963.



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n. 1758 [actuellement le n. 23]. Pendant cette même intersession, Ratzinger va encore envoyer, le 10 mai 1964, des remarques (7 pages) au sujet des deux derniers chapitres du De Ecclesia à Gerhard Gruber, secrétaire du card. Döpfner, qui en avait fait la demande59. Le 13 novembre 1964, Ratzinger donne à la Domus Mariae à Rome une conférence appréciée sur la collégialité épiscopale et ses applications pastorales60. Remarquons enfin que la traduction allemande de Lumen gentium a été faite par Semmelroth, Grillmeier et Ratzinger: c’est ce dernier qui s’est occupé principalement de la traduction du chapitre 361. 2.  On ignore si Ratzinger a tenu un journal durant les jours cruciaux de la NEP. Mais plusieurs autres acteurs ont parlé de la réaction fougueuse de Ratzinger après que la NEP eut été rendue publique. Nous donnons leurs témoignages, le jour du lundi 16 octobre 1964: O. Semmelroth «Ce matin on m’a dit dans l’Aula que le Prof. Ratzinger dit qu’il est nécessaire de voter non placet au chapitre 3 du De Ecclesia. Philips en était fort indigné et outré. En effet, cela serait une chose très dangereuse. Alors la tactique de Staffa62 atteindra son but: ajourner la question de sorte que le texte ne puisse plus être promulgué pendant cette session … Plus tard, j’ai parlé à Ratzinger. Il a corrigé la rumeur dans ce sens: il n’est pas partisan d’un non placet, mais il s’efforce d’obtenir par le card. Frings que, mercredi prochain, les modérateurs donnent l’occasion à des porte-parole de quelques conférences épiscopales de s’exprimer sur cette question63. Mais cela serait très dangereux, parce que cela pourrait 58.  F. Philips 1307 et F. Heuschen 142. 59. Voir G. Treffler – P. Pfister (éds), Erzbischöfliches Archiv München: Julius Kardinal Döpfner. Archivinventar der Dokumente zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Regensburg, Schnell und Steiner, 2004, nos 1434, 1443 et 4234. 60. Cf. H. de Lubac, Carnets du Concile, éd. L. Figoureux, Paris, Cerf, 2007, [= Carnets de Lubac], II, p. 302. Et de Lubac ajoute: «Travail excellent, qu’il lit en traduction française et qui doit être publié dans le premier numéro de Concilium, en janvier 1965» (cf. J. Ratzinger, De pastorale implicaties van de leer van de collegialiteit van de bisschoppen, dans Concilium 1 [1965] 35-62). 61.  Journal Schauf, 30.3.1965, pp. 219-220. 62.  D. Staffa (1906-1977), secrétaire de la Congrégation pour les Séminaires et Universités, vice-président de la commission De Seminariis, de Studiis et de Educatione catholica. Il était fort proche du Coetus Internationalis Patrum. 63.  Le card. Ruffini avait eu vent de ces rumeurs et avait écrit, le 16 novembre, au pape pour prévenir une déclaration des modérateurs. D’ailleurs, Mgr Dell’Acqua, sur ordre du pape, avait demandé à Mgr Felici d’empêcher les modérateurs de faire un quelconque commentaire sur la NEP (cf. Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota Explicativa Praevia’ [n. 11], pp. 673-675).

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a­ mener un nouveau retard et avoir comme résultat que la question soit à nouveau transmise au pape. Et alors le souhait de Staffa serait réalisé. J’ai eu l’occasion d’en parler au card. Döpfner. Il était du même avis et dit qu’il avait adjuré le card. Frings de ne rien entreprendre. Par la suite, j’entends que Alberigo64 de Bologne est allé chez Ratzinger, et qu’ils prépareront maintenant un texte que le card. Frings devrait prononcer, et dans lequel il déclarerait que la Nota Praevia est un texte de la commission et non pas du Concile. Mais la difficulté est qu’aujourd’hui il a été dit de la part de l’autorité supérieure que le texte devait être compris dans le sens de la Nota Praevia. L’autorité supérieure est-elle le pape? Si oui, une pareille intervention conduirait inévitablement à des complications et à un ajournement»65. H. de Lubac –  «Le Dr Ratzinger est opposé à la Nota, tandis que le chan. Moeller la défend avec vigueur, comme acceptable en elle-même, et par crainte d’incidents qui compromettent le vote du chapitre 3»66. –  «D’autre part, j’ai réussi à faire se joindre Ratzinger et Moeller pour qu’ils échangent leurs points de vue … du côté allemand, on paraît très préoccupé. Le Père Guglielmi67 me dit en grand secret que plusieurs demandent au card. Frings d’intervenir dès aujourd’hui, au besoin en alertant le pape lui-même, pour obtenir que demain matin une heure de la séance soit consacrée à l’examen de la Nota Praevia»68. C. Moeller –  «Ratzinger est très en désaccord avec la Note des modi [sur le chap. 3]. Il n’accepte pas que le Pape ait imposé ses vues. Il a parlé aussi à 64.  G. Alberigo (1926-2007), laïc italien, professeur d’histoire ecclésiastique, directeur de l’Istituto per le Scienze religiose à Bologne, disciple de G. Dossetti, qui était très opposé à la NEP (voir sa lettre à C. Colombo du 15.11.1964 et ses observations critiques; cf. L.  Lazzaretti, Inventario dei Fondi G. Lercaro e G. Dossetti, Bologna, s.p., 1995, Fondo Dossetti, II, 100a et 100b, et 97a et 97b). 65.  Traduction de l’allemand. Cf. Journal Semmelroth, p. 110 et L.A.G. Tagle, La tempesta di novembre: La «settimana nera», dans G. Alberigo (éd.), Storia del concilio Vaticano II, IV, Bologna, Il Mulino, 1999, 417-482, p. 469, note 236 (où il faut lire Staffa au lieu de Sacca). Le 17.11.1964, Semmelroth note encore: «Frühmorgens hatte ich noch einmal mit Kardinal Döpfner gesprochen und ihm von dem Plan Ratzingers gesprochen, eine Intervention von Kardinal Frings zu veranlassen. Döpfner will mit Kardinal Frings sprechen. Es zeigte sich dann aber, dass Kardinal Frings von sich aus nicht auf den Vorschlag eingegangen war» (ibid., p. 111). 66.  Carnets de Lubac, II, p. 312. 67.  A. Guglielmi (1927-2000), prêtre du diocèse de Florianópolis (Brésil), peritus conciliaire. 68.  Carnets de Lubac, II, p. 313.



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Frings. Je lui explique le sens de la Note. C’est surtout le N. B. qui semble difficile à interpréter. Il critique aussi le ‘ad placitum, ad discretionem’»69. Il déclare qu’un collège qui ne peut jamais agir, n’en est pas un [sic] … Je lui explique que la Note a été faite à la demande du Pape, mais que la commission a donné son avis et a agi ‘modo adulto’ … Philips vient à mon aide. Lui explique que toute tentative de la majorité pourrait faire hésiter le Pape ou le braquer, le faire remettre la proclamation du texte»70. G. Philips –  «J’ai été peiné entre autres par les vives réactions du P. Dockx71, et encore plus du P. Congar, qui après coup est devenu plus calme. Le conseiller du card. Frings, Ratzinger, m’a-t-on dit, a insisté jusqu’à la fin pour faire rejeter le décret. Personnellement j’étais d’avis que de cette façon on perdrait tout ce qu’on avait obtenu»72. –  «Un certain nombre de Pères ne sont pas contents de la note introductive et certains experts (comme Ratzinger, Dockx, Congar) veulent provoquer un vote négatif. Il y a des remous. Beaucoup s’efforcent à calmer les esprits»73. J.M. Heuschen «Encore une journée difficile. Pendant toute la matinée j’ai dû circuler in aula pour rectifier le mal qui a été fait par certains periti, qui pourtant sont de notre bord. J’ai dû me fâcher contre le P. Congar, qui a finalement compris et promis de faire savoir à plusieurs conférences épiscopales qu’elles devaient voter ‘oui’, tandis que hier soir il avait dit qu’on ne pouvait laisser passer le texte de la note préliminaire, parce qu’elle était inacceptable pour les Orientaux. Et ceci précisément alors que nous avions refusé une formule du pape, qui – elle – était inacceptable pour les 69.  Il s’agit des dernières phrases du n. 3 de la NEP: «Ad iudicium Summi Pontificis, cui cura totius gregis Christi commissa est, spectat secundum necessitates Ecclesiae decursu temporum variantes, determinare modum quo haec cura actuari conveniat, sive modo personali, sive modo collegiali. Romanus Pontifex ad collegiale exercitium ordinandum, promovendum, approbandum, intuitu boni Ecclesiae, secundum propriam discretionem procedit». 70.  Carnets Moeller 23, 16.11.1964, p. 49. Les Carnets Moeller sont fort intéressants mais très difficiles à déchiffrer. Souvent Moeller ne termine pas ses phrases ou emploie des abréviations ou expressions elliptiques qu’il faut essayer de compléter. 71.  Stanislas I. Dockx (1901-1985), dominicain belge, peritus conciliaire. 72. G. Philips, Notes pour servir à l’histoire de la ‘Nota praevia explicativa’ (Lumen gentium III), dans Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), 63-84, p. 82. 73.  Carnets Philips, p. 139, 16.11.1964.

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Orientaux74. J’ai dû tranquilliser le card. Alfrink, parce que S ­ chillebeeckx l’avait inquiété. Par l’intermédiaire de quelques évêques allemands j’ai fait de mon mieux pour empêcher que le card. Frings, excité par un jésuite [sic] allemand Ratzinger, prenne une initiative qui excite l’opposition. J’ai pu empêcher qu’une centaine d’évêques noirs n’écrivent une lettre de protestation au pape. C’était à devenir fou. Maintenant, nous laisserons travailler le Saint-Esprit. Comme ces periti peuvent être de grands enfants!»75. H. Schauf –  «J’ai entendu dire par Semmelroth que Ratzinger est préoccupé de ce que l’autorité collégiale du magisterium ordinarium, qui lors des discussions dans la commission [doctrinale] a été laissé ouverte comme possibilité, soit maintenant rejetée par la Nota76. Il a parlé avec Döpfner, qui est d’avis qu’on ne peut plus rien changer maintenant»77. Le 27 mars 1965, Schauf rencontre C. Colombo à Rome et lui communique ce que Ratzinger a écrit dans une note sur la NEP. Ils furent d’accord que cela ne suffisait pas, car il fallait montrer de manière positive la signification de la NEP. Ratzinger avait envoyé à Colombo un article et Colombo l’avait trouvé insuffisant sur deux points essentiels78. 3.  Après la 3ème session, Ratzinger a encore écrit à trois reprises sur l’histoire et le sens de la NEP79 . S’il reconnaît maintenant que la NEP a laissé un goût amer, non tellement par son contenu, mais bien par les circonstances de sa ­ 74.  Pour cette discussion avec Heuschen, cf. Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Journal Congar], II, p. 268-269 (la question des Orientaux se trouve dans la N. B. de la NEP). Philips a évité la formule proposée par Bertrams: «qua deficiente [communione hierarchica] potestas authentice docendi et regendi in Ecclesia constituta non est» (cf. AS VI, III, p. 647), ce qui eût exclu formellement les Orthodoxes de tout pouvoir de magistère ou de juridiction. 75.  Lettre de Heuschen à sa sœur, 16.11.1964 (F. Heuschen 457). 76. Cf. supra, note 30. 77.  Traduction de l’allemand. Cf. Journal Schauf, p. 207. 78.  Journal Schauf, 27.3.1965, p. 218. 79. Cf. J. Ratzinger, Ergebnisse und Probleme der dritten Konzilsperiode, Köln, Bachem, 1965, surtout pp. 60-62 [= Ergebnisse]; Id., Die bischöfliche Kollegialität: Theologische Entfaltung, dans G. Baraúna o.f.m. (éd.), De Ecclesia: Beiträge zur Konstitution «über die Kirche» des Zweiten Vatikanischen Konzils, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder; Frankfurt a.M., Knecht, 1966 [= Baraúna], pp. 61-68; Id., Kommentar zu den «Bekanntmachungen, die der Generalsekretär des Konzils in der 123. Generalkongregation am 16. November 1964 mitgeteilt hat», dans Lexikon für Theologie und Kirche: Das Zweite Vatikanische Konzil, I, Freiburg i.Br. – Basel – Wien, Herder, 1966, 348-359.



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­ romulgation80, il continue cependant à affirmer que la NEP n’est pas à p proprement parler un texte du Concile, mais seulement un texte de la commission doctrinale, et il appelle Mgr Parente81 à la rescousse pour étayer son opinion82. Pour lui la NEP provient d’une pensée juridique-­ systématique qui a comme mesure la figure juridique actuelle de l’Église. Et il oppose à cette mentalité une approche historique, qui part de toute l’ampleur de la révélation chrétienne83. Il note également que la question de la validité ou de la licéité du pouvoir qui est exercé chez les Orientaux séparés reste entièrement ouverte, et que cette discussion pourrait trouver de nouvelles issues par une conception de la collégialité fondée sur les églises locales [«in einer ortskirchlich aufgefassten Kollegialität»]84. Il reconnaît d’ailleurs que la NEP a barré la route à des interprétations «maximalistes» de la collégialité, mais aussi qu’elle a contribué largement à apaiser la «minorité» et à obtenir un vote quasi-unanime85. 80.  Ergebnisse, p. 62. 81.  Dans ses Concilieherinneringen (p. 4), Mgr Heuschen fait l’éloge de Mgr Parente pour son rôle positif dans la rédaction de Lumen gentium et de la doctrine sur la collé­ gialité (F. Heuschen 384). 82.  Baraúna, pp. 62-63. Dans Ergebnisse, p. 62, Ratzinger répète que la NEP n’a pas été signée par le Pape et les Pères du Concile mais seulement par Mgr Felici. 83. Cf. Ergebnisse, p. 61: «Es stehen sich gegenüber einerseits ein Denken, das von der ganzen Breite der christlichen Überlieferung ausgeht und von ihr aus die ständige Weite der kirchlichen Möglichkeiten zu beschreiben sucht; auf der anderen Seite ein rein systematisches Denken, das allein die gegenwärtige Rechtsgestalt der Kirche als Massstab seiner Überlegungen zulässt und so jede Bewegung über sie hinaus als einen Sturz ins Bodenlose scheuen muss. Ihr Konservatismus beruht auf ihrer Geschichtsfremdheit und so im Grunde auf einem Mangel an Tradition, nämlich an Offenheit für das Ganze der christlichen Geschichte». 84.  Baraúna, pp. 67-68. Au sujet de la question des Orientaux, dont se préoccupait également Congar (cf. Journal Congar, II, pp. 267, 268-269), Heuschen a des remarques sévères: «Mais il est quand même pénible de constater, une fois de plus, que le pape se comporte en dictateur absolu dans cette question. Il se cache derrière une note qu’un père jésuite [W. Bertrams] lui a envoyée et dans laquelle ce dernier fait part de ses scrupules de conscience concernant certaines formulations du texte. Mais pourquoi n’a-t-il pas invité Mgr Philips ou quelqu’un d’autre à discuter de ces questions en présence de ce père jésuite et de prendre alors une décision? Maintenant il prend position pour un parti et il oublie que manifestement ce jésuite n’a pas compris pourquoi on a observé le silence sur certaines questions (c’était, en fait, pour rendre possible le dialogue avec les Orthodoxes). Son intervention montre à tous les membres de la commission [doctrinale] qu’il n’a pas lui-même compris le texte. Et il ne demande pas d’examiner ces amendements, non, il les impose. En tout cas je dirai, comme ce jésuite, que je veux moi aussi décharger ma conscience et je demanderai au cardinal Ottaviani de faire observer au pape que l’introduction de ce texte offusquera gravement Athénagoras, et ceci après qu’il ait tout fait pour rendre un dialogue possible» (lettre de Heuschen à P. et M. Verjans, 12.11.1964, F. Heuschen 553). 85. Cf. Kommentar zu den «Bekanntmachungen» (n. 79), p. 348. Il est significatif qu’aussi bien E. Schillebeeckx que Mgr C. Colombo soient d’avis que la NEP a empêché des interprétations trop larges ou ambiguës (voir E.  Schillebeeckx, Wij denken

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III. Henri de Lubac On sait que la réaction de Lubac à la NEP, telle qu’elle est publiée dans ses Carnets du Concile86, est fort pondérée et que de Lubac ne semble pas s’émouvoir outre mesure. Le 19 novembre, il note: «Du reste, les plus raisonnables doivent bien voir que l’insertion de la Nota Praevia ne change rien d’essentiel et que ce document conserve son caractère, qu’il soit inséré ou non dans le fascicule [du texte De Ecclesia]»87. Et le 20 novembre, lorsqu’il rencontre Mgr C. Colombo, il écrit encore: «Je lui dis ma tristesse en face des incidents de ces derniers jours. Il est attristé lui aussi. De ses paroles un peu embarrassées, je crois comprendre qu’il est bien d’avis que certaines choses se sont passées de façon regrettable. Cependant si les évêques avaient été mieux informés à mesure, ils auraient été moins émus et n’auraient pas été si accessibles à tant d’interprétations péjoratives»88. Toutefois L. Figoureux, l’éditeur de ces Carnets, a bien montré que de Lubac a mis ses Carnets au propre à partir de notes prises sur place et qu’il a parfois corrigé, quelques années plus tard, ses impressions premières. Le décalage entre les lettres que de Lubac a écrites à des amis au sujet de la NEP et ce qui est publié dans les Carnets est manifeste89. Donnons donc quelques extraits de ces lettres de Lubac90. Lettres à Mgr Bruno de Solages91 23 novembre 1964 Dans leur immense majorité, les évêques ont été joués. Le mot de «brigandage»92 paraissait le seul adéquat. Les plus lucides sur la situation de l’Église et sur celle du monde sont cruellement blessés. On a pu g­ epassioneerd en in clichés, dans De Bazuin 48/16 [23.1.1965] 4-6 – cf. AS VI, IV, pp. 115-117 et P. Chenaux, Les dominicains et la doctrine de la collégialité à Vatican II: À propos d’une conférence du p. Edward Schillebeeckx, O.P., dans D.  Bosschaert – J. Leemans [éds], Res opportunae nostrae aetatis: Studies on the Second Vatican Council Offered to Mathijs Lamberigts [BETL, 317], Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2020, 115-128; pour Colombo, voir Caprile, Contributo alla storia della ‘Nota Explicativa Praevia’ [n. 11], p. 681). 86. Cf. Carnets de Lubac, II, pp. 312-316, 320-321. 87.  Carnets de Lubac, II, p. 330. 88.  Carnets de Lubac, II, p. 339. 89. Voir L. Figoureux, Introduction, dans les Carnets de Lubac, xxvi-xxx. 90.  Avec mes vifs remerciements à L. Figoureux, qui a découvert cette correspondance aux Archives du Centre de Lubac à Namur. 91.  Bruno de Solages (1895-1983), théologien français, recteur de l’Institut catholique de Toulouse de 1931 à 1964. Lettres manuscrites. 92.  Une allusion au latrocinium Ephesinum du 2ème concile d’Éphèse (449).



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voir à Saint-Pierre, le cardinal Alfrink verser des larmes. Je n’ai pas le cœur à en dire davantage … P.S. tout espoir n’est pas perdu. Mais le Saint-Père ayant paru sur toute la ligne plier devant les hommes de la curie, les évêques se trouvent devant une situation très délicate. 26 novembre 1964 J’aimerais aussi vous parler longuement de ce qui s’est passé à Rome au cours de cette session, et qui s’est révélé (en partie seulement), à nos bons évêques trop confiants, dans les derniers jours. On ne peut en juger seulement d’après les textes. Mais cela ne m’enlève pas la confiance, ni envers le Saint-Père, ni envers le Concile. 4 décembre 1964 Les manœuvres anti-conciliaires sont proprement scandaleuses. Mais le Saint-Père y a beaucoup moins cédé que plusieurs semblent le croire. 10 décembre 1964 Oui, très certainement, le Pape a dû se préoccuper d’obtenir une sorte d’unanimité (et il y est arrivé). Pour le De Ecclesia, il suffit de comparer les textes officiels sur [sic] les articles Staffa et Bertrams, pour voir qu’il ne s’est pourtant pas laissé intimider par le petit groupe opposant. Pour le De Oecumenismo, je n’ai pu avoir encore tous les dessous de la manœuvre. Pour la liberté religieuse, il est certain que le pape y est entièrement favorable: il en a parlé de la façon la plus nette (meilleure, à mon avis, que celle du projet conciliaire) dans son encyclique93. Ce qui est à craindre, c’est que tout le meilleur de ce Concile ne soit interprété comme un signe de faiblesse (et ne le soit un peu, réellement). Lettres au Père André Ravier s.j.94 24 novembre 1964 Vous savez … comment s’est terminée cette session conciliaire. Pour l’instant, c’est la mort de tout renouvellement sérieux dans l’Église. On ne se fait pas une idée de la puissance extraordinaire d’un tout petit groupe d’hommes, pour qui ne comptent ni Pape ni Évêques, qui n’ont d’autre théologie que celle de leur droit canon au service de leur puissance, qui veulent la ruine de tout œcuménisme, qui sont hostiles à tout effort de pensée. Le choc a été rude. 93.  Ecclesiam suam (6.8.1964). 94.  André Ravier (1905-1999), jésuite français, supérieur de la province jésuite de Lyon de 1951 à 1957, ensuite rédacteur aux Études. Lettres manuscrites.

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18 décembre 1964 De Lubac écrit d’abord que sa lettre précédente (du 24.11) était peutêtre un peu vive, et poursuit: C’est bien vrai, en tout cas, que la situation religieuse actuelle me préoccupe, et, vous le savez, depuis longtemps … Nous nous trouvons pris entre deux factions, auxquelles le Concile (mal compris de l’une et de l’autre) a donné occasion de s’exaspérer. Depuis trop longtemps, notre épiscopat ne nous donne pas d’instruction religieuse un peu solide, et chacun en est réduit à subir les pressions de son milieu et d’une presse partiale et excitée … Mais j’ai bon espoir, tout de même, que, le Concile terminé, de grandes lignes se dégageront, qui permettront de rallier les bonnes volontés. Lettres au Père Bernard de Guibert s.j.95 23 novembre 1964 Les 19-20-21 novembre resteront pour longtemps je le crains des jours de deuil pour l’Église. Rien ne sert plus de s’indigner contre ce qu’il faut bien appeler un «brigandage», le mal est accompli, aux conséquences incalculables. On a pu voir dans Saint-Pierre un cardinal, l’un des membres les plus solides du Concile, verser des larmes. Et je n’oserais rappeler les réflexions de certains observateurs. Très sciemment quelques hommes (une poignée) ont voulu ruiner tout aggiornamento, supprimer toute chance œcuménique, renvoyer les évêques du monde entier à la condition de valets, et en trois jours tout fut accompli. Le Saint-Père, sans leur céder en tout (loin de là) a suffisamment cédé, pour que les évêques soient maintenant dans une situation fausse, réduits à l’impuissance. Les phénomènes de décadence vont s’accélérer, et peut-être par réaction surgiront des frondes anarchiques. La catholicité tout entière a été bafouée. Il faut avoir assisté au drame de l’intérieur pour en comprendre la portée. Prions. 28 novembre 1964 Oui, c’est vrai, les derniers jours de cette année conciliaire ont été pénibles, et il risque d’en rester un «traumatisme». Mais pour le fond des choses, cela n’a pas apporté de changement notable. Sur l’œcuménisme, il y a deux modifications regrettables, mais qui ne sont que des détails perdus dans un texte dont toute la substance demeure. Quant à cette fameuse «Nota Praevia», le bon chanoine Berto96 s’illusionne quelque 95.  Bernard de Guibert (1910-?), jésuite français, ami de Lubac. Versions dactylographiées revues et corrigées d’après les originaux par le Père de Guibert. 96.  Victor-Alain Berto (1900-1968), prêtre français ordonné en 1926, fondateur des Dominicaines du Saint-Esprit et cofondateur de La Pensée catholique, conseiller théologique de Mgr M. Lefebvre.



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peu à son sujet. Bien sûr, elle est unilatérale, et elle insiste sur des points que quelques-uns croyaient (ou affectaient de croire) en péril, et en ce sens il est vrai de dire que les amis de Berto y retrouvent ce qu’ils réclament. Mais elle n’en laisse pas moins intacte la thèse générale du chapitre 3, tel qu’il était, et contre lequel les amis de Berto menaient une campagne acharnée. Il faut les laisser à leur satisfaction: c’est bien à cette fin de ralliement que la «Nota Praevia» fut rédigée et adoptée. Et l’on doit se féliciter de ce que, finalement, Paul VI ait approuvé cette Note, telle que la commission théologique en avait arrêté la rédaction dernière après bien des allées et venues et bien des modifications nécessaires. Si on peut constater que la première réaction de de Lubac aux événements de la «semaine noire» était très émotionnelle, on voit également que pendant le mois de décembre, après avoir reçu des renseignements complémentaires, il retrouve son calme et voit les faits dans leur perspective exacte. IV. Heribert Schauf 1.  Une tout autre réaction que celle des trois premiers periti se manifeste chez le théologien et canoniste H. Schauf. Depuis sa thèse de doctorat soutenue à la Grégorienne sous la direction de S. Tromp97, il était resté très lié à ce dernier dont il était devenu l’ami intime. Non sans humour, Schauf cite dans son Journal l’un de ses collègues qui lui écrit: «Kennst Du schon den Komparativ von Tromp? Der heisst ‘Schauf’»98. Ses idées théologiques sont proches de celles de Tromp et, pendant le concile Vatican II, il est l’un des membres fort agissants de la «minorité» sans pour autant verser dans un «conservatisme» extrême ou fermé. De plus, il était une personnalité aimable et Mgr Charue dit de lui: «Mgr Schauf … l’homme de Tromp, au dire des évêques allemands. Homme d’ailleurs des plus agréables dans les relations»99. Schauf luimême dit que Tromp trouve que: «Ich hätte die Gabe, die Dinge klar, deutlich und hart zu sagen, ohne wütend zu werden»100. 97.  H.  Schauf, Carl Passaglia und Clemens Schrader: Beitrag zur Theologiegeschichte des 19. Jh., Roma, Pontificia Università Gregoriana, 1938. 98.  Journal Schauf, 21.11.1962, p. 85. 99. Cf. Carnets Charue, 5.3.1963, p. 101. Et le 6 mars, Charue note encore: «Mgr Schauf est venu nous voir et nous avons eu une conversation cordiale» (ibid., p. 102). Philips écrit de même, le 26 février 1963: «Schauf se montre – à quelques exceptions près – bienveillant et aimable» (Carnets Philips, p. 93). 100.  Journal Schauf, 20.1.1964, p. 210.

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Par ailleurs il était fort critique vis-à-vis de beaucoup d’évêques auxquels il reprochait de ne plus témoigner de la foi et de la doctrine de l’Église, mais d’être uniquement les perroquets de leurs théologiens101. Et il prend souvent un ton sarcastique au sujet de certains théologiens de langue allemande, surtout Rahner et Ratzinger, et évidemment Küng102. Schauf était un peritus actif et fort engagé: il rédigeait des notes, alarmait des évêques, et avait un réseau de contacts surtout avec des théologiens de «droite». L’un des sujets dans lequel il s’était spécialisé était précisément la question de la sacramentalité et de la collégialité de l’épiscopat. Le 14 mars 1961, il écrit, pour la sous-commission De Ecclesia de la commission théologique préparatoire, le texte De Episcopis (residentialibus)103 et on peut constater que son texte passe pratiquement inchangé dans le schéma préparatoire De Ecclesia104, destiné à être envoyé à la Commission centrale préparatoire. Schauf y affirme notamment que: – la juridiction des évêques n’est pas conférée par le sacre mais bien par le Pontife romain (n. 2). – les évêques ont la sollicitude – ce qui n’est pas un pouvoir de juridiction – pour l’Église universelle, mais ils (seuls ou ensemble) n’ont pas de pouvoir sur l’Église universelle, sinon quand il est conféré par le Pontife romain105. – le corps épiscopal ou le collège des évêques, toujours avec le Pontife romain et jamais sans sa Tête, détient le pouvoir suprême dans l’Église, mais uniquement par un mandat spécial. Ce pouvoir est toujours exercé «ad nutum exclusivum» du Pontife romain106. Évidemment, la NEP traite de tous ces thèmes et Schauf ne manquera pas de remarquer – avec un peu trop d’assurance – qu’on revient pour ainsi dire à son texte de la période préparatoire107. 101.  Journal Schauf, 28.9.1964, p. 182. 102.  Cf. ce qu’il dit d’une réunion de théologiens allemands à Rome, le 14 novembre 1962: «Es war mehr eine Verschwörung und politische Versammlung als theologisches Gespräch» (Journal Schauf, p. 81). 103.  Cf. F. Philips 146. 104.  Schema Constitutionis De Ecclesia, propositum a Commissione Theologica, Pars Prima. Caput IV De Episcopis residentialibus, TPV, 1962 (F. Philips 148 et Acta et ­Documenta Concilio Oecumenico Vaticano II Apparando, series II, vol. III, pp. 144-146). Il est significatif que Ratzinger a critiqué explicitement ces positions de Schauf, cf. ­Weiler, Volk Gottes – Leib Christi (n. 51), p. 243. 105.  «Episcopi quamvis singillatim sumpti vel etiam quam plurimi congregati nullam potestatem in universam vel in aliam ac sibi Ecclesiam nisi ex participatione R. Pontificis habent» (F. Philips 146). 106.  Cf. F. Philips 146. 107.  Journal Schauf, p. 208.



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2.  Examinons maintenant les réactions de Schauf dans ces jours cruciaux du Concile. Le 6 novembre, Philips présente à la commission doctrinale les Addenda ad Relationem generalem108 qu’il avait rédigés pour éviter la note de C. Colombo. Schauf se réjouit de ces Addenda, surtout du n. 2, parce qu’on y fait la distinction entre munus et potestas ad actum expedita. Pour le n. 4 [concernant l’exercice du pouvoir du collège], il demandera encore au pape (via Colombo) un changement du texte. Le 7 novembre, dans l’aula conciliaire il donne ce texte à lire à Staffa, mais celui-ci n’est pas encore satisfait109. Le 12 novembre, la NEP est approuvée par la commission doctrinale qui se réunit sans les periti. Franić110 lui dit: «C’est un miracle. L’affaire a pris un tout autre tournant». Et Schauf remarque que c’est une victoire nette de la position qu’il a toujours défendue111. Le 13 novembre, Schauf est heureux que tout son travail et ses insistances n’aient pas été vains. Il se réjouit qu’on écrive maintenant nonnisi consentiente (au lieu de non independenter)112 et que, pour devenir membre du collège, il faille être en communion hiérarchique avec la Tête et les membres du collège. Il constate que ses pourparlers avec Ciappi113, Colombo, Philips, Staffa, Gagnebet114, Rossi115 ont eu de l’influence dans ce développement. Schauf est, lui aussi, d’avis qu’il est regrettable qu’une Note doive éclairer le texte, mais il en attribue la faute aux 5 Questions posées par les modérateurs le 30 octobre 1963, dont le libellé n’avait pas été rédigé par la commission doctrinale116. 108.  Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), pp. 98-99. 109.  Journal Schauf, p. 199. 110.  F. Franić (1912-2007), évêque de Split-Makarska de 1960 à 1980, membre de la commission doctrinale. 111.  Journal Schauf, p. 204. 112.  On a vu précédemment que c’est Schauf qui est à l’origine de cette formule qui rendait possible un consentement ultérieur du pape. Le peritus ne semble pas s’être rendu compte qu’en proposant ce texte, il permettait de soutenir la thèse que le collège peut prendre des initiatives sans le consentement exprès du pape. 113.  L. Ciappi (1909-1996), dominicain italien, peritus conciliaire, maître du Sacré Palais, cardinal en 1977. Ciappi avait envoyé au pape trois modi qui remettaient le texte en question. Cf. Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), pp. 91-97. 114.  M.R. Gagnebet (1904-1983), dominicain français, professeur à l’Angelicum en 1935, peritus conciliaire, consulteur du Saint-Office. Le 13 novembre, Philips recevait encore sur ordre du pape une requête de Gagnebet qui remettait tout en question. Cf. Grootaers, Primauté et collégialité (n. 11), pp. 80-81, 119-124. 115.  Giovanni Rossi, peritus conciliaire, théologien du card. G. Siri. 116.  Schauf semble encore ignorer que le libellé de ces questions a été rédigé notamment par Colombo, Dossetti, Congar, Moeller, Prignon et que le tout avait été revu soigneusement par Philips lui-même. Cf. M. Lamberigts – L. Declerck, The Role of Cardinal Léon-Joseph Suenens at Vatican II, dans Donnelly et al. (éds), The Belgian

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In aula, Schauf est encore félicité pour son travail tenace par Trapè117, Lambruschini118, Romita119, Rossi et beaucoup d’autres120. Le 17 novembre, Gagnebet dit à Schauf qu’ils ont perdu beaucoup de batailles, mais que finalement ils ont gagné la guerre. Et dans sa résidence romaine, la Villa Regina, Schauf sable le champagne avec son évêque121 et son auxiliaire122. Le 18 novembre, Schauf a appris de Höffner123 que Ruffini124 et son entourage ont voté placet, ce qui démontre pour lui que Ruffini n’est pas un adversaire dur de la collégialité, mais qu’il se préoccupait du rôle du pape et du fait que le collège n’a pas droit à un exercice permanent de son autorité. Tromp lui dit aussi qu’ils ont obtenu satisfaction sur beaucoup de choses, que les points essentiels ont été clairement affirmés, et que là où le texte est moins clair, on n’a fermé aucune porte125. Quand, le 19 novembre, Schauf rencontre Philips et lui dit sa joie que le De Ecclesia ait été approuvé, Philips lui répond «qu’il est bon surtout qu’il n’y ait pas eu de vaincus et que tout le monde ait été unanime». Schauf note alors que ce n’est pas tout à fait vrai, mais que cela prouve que le texte se trouve au milieu ou plutôt que le texte est «gemässigt rechts» (modérément à droite). Et il ajoute une esquisse des positions en Contribution to the Second Vatican Council (n. 25), 61-217, pp. 109-122. Dans ses commentaires, Philips s’est souvent référé à ces questions d’orientation pour prouver que la NEP était strictement dans la ligne de ce que les Pères avaient alors approuvé. Cf. plus particulièrement le commentaire de la NEP dans L’Église et son mystère (n. 26), I, pp. 276316. Par exemple, Philips écrit: «Certains ont tenté d’interpréter le texte de la Constitution de la manière la plus restrictive possible. D’autres pensent plutôt que la Note annexée contient effectivement une restriction du texte. Ainsi le card. Journet et le P. Schillebeeckx. Cette dernière opinion est sans fondement; il suffit, pour s’en rendre compte de comparer les expressions de la Note avec celles qui se rencontrent dans les célèbres questions interlocutoires. Entre les deux documents, on ne remarque vraiment aucune différence» (ibid. p. 283). 117.  A. Trapè (1915-1987), augustin, professeur au Latran, peritus conciliaire, prieur général de 1965 à 1971. 118.  F. Lambruschini (1911-1981), professeur au Latran, peritus conciliaire, archevêque de Pérouse de 1968 à sa mort. 119. Fiorenzo Romita, peritus conciliaire, sous-secrétaire de la Congrégation du Concile en 1967. 120.  Journal Schauf, pp. 206-207. 121.  J. Pohlschneider (1899-1981), évêque d’Aix-la-Chapelle de 1954 à 1974. 122.  J.L. Buchkremer (1899-1986), évêque auxiliaire d’Aix-la-Chapelle de 1961 à 1979. Cf. Journal Schauf, p. 208. 123. J. Höffner (1906-1987), évêque de Münster de 1962 à 1969, archevêque de Cologne de 1969 à 1987, cardinal en 1969, membre de la commission pour les études et séminaires. 124.  E. Ruffini (1888-1967), archevêque de Palerme de 1945 à sa mort, cardinal en 1953, membre de la présidence du Concile. 125.  Journal Schauf, p. 208.



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les classant de droite à gauche126: Staffa (le Latran, Lattanzi127, Maccarrone128) – Carli129, Ruffini, Franić – Siri – nous [Schauf] – Philips – Moeller – Charue, Ratzinger – Parente, Rahner, Thils130 – Léger131 – Henriquez132. En même temps, Schauf exprime lui aussi quelques réserves concernant la proclamation de Marie Mater Ecclesiae133. Quand, le 20 novembre, Schauf rencontre Ottaviani dans l’aula, il lui dit: «Dunque in fine la vittoria». Et Ottaviani de répondre: «Bravo, bravo, è giusto. Anche Lei ha fatto molto. Ringraziamo». À Schröffer134 il affirme encore que la NEP n’aurait pas été nécessaire si la commission doctrinale avait travaillé de façon plus objective et n’avait pas fait violence à la «minorité». Et il remarque que les progressistes sont conscients maintenant qu’au dernier moment ils n’ont pas atteint leur but et qu’ils ont perdu la guerre. Mais, selon lui, il leur faudra encore du temps pour prendre entièrement conscience de cette défaite135. Le 21 novembre, Schauf conclut ces notes de la 3ème session: «Aber im Grunde ist allen klar, wer die Nota gewollt und durchgeszetzt hat. Mir scheint es das beste Zeichen für die Zurückweisung antipapaler Tendenzen zu sein, dass man jetzt zu jammern und zu zetern beginnt» et il constate encore avec un réel soulagement que ces derniers temps même Döpfner ne se montre plus tellement «avanguardistisch [sic]»136. 3.  Le journal de Schauf nous montre donc des réactions qui sont tout à fait à l’opposé de celles de Ratzinger et de Lubac. Étant un homme énergique, il n’évite pas toujours un vocabulaire combatif et parfois t­riomphaliste, 126.  Ce classement est – bien sûr – fort schématique mais illustre quand même combien les différentes conceptions de la collégialité sont nuancées et compliquées. 127.  U. Lattanzi (1899-1971), professeur d’exégèse et de théologie dogmatique au Latran, peritus conciliaire. 128.  M. Maccarrone (1913-1993), professeur d’histoire ecclésiastique au Latran, peritus conciliaire, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. 129.  L. Carli (1914-1986), évêque de Segni en 1957, archevêque de Gaeta en 1973, membre de la commission De Episcopis et Dioecesium regimine, il était fort actif dans le Coetus Internationalis Patrum. 130.  G. Thils (1909-2000), professeur de théologie à l’Université catholique de Louvain, peritus conciliaire, membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens. 131.  P.-É. Léger (1904-1991), archevêque de Montréal de 1950 à1968, cardinal en 1953, membre de la commission doctrinale. 132. L. Henriquez (1913-1991), évêque auxiliaire de Caracas en 1962, évêque de Valencia (Venezuela) de 1972 à 1990, membre de la commission doctrinale. 133.  Journal Schauf, p. 209. 134.  J. Schröffer (1903-1983), évêque d’Eichstätt de 1948 à 1967, secrétaire de la Congrégation pour les Séminaires et Universités de 1967 à 1976, cardinal en 1976. 135.  Journal Schauf, pp. 210-211. 136.  Journal Schauf, p. 212.

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c­ontrairement à Philips. Mais il était bien au courant d’une matière, qu’il approchait – en disciple fidèle de Tromp – dans une perspective de canoniste, ceci à la différence de Ratzinger qui développe d’emblée une perspective plus historique et théologique. Son journal nous donne aussi des renseignements intéressants sur les manœuvres et les réseaux de la «minorité»137. Quelques considérations finales 1.  En prenant connaissance des réactions de quelques periti à la NEP, on peut être de prime abord surpris par la violence de leurs émotions. Cela est dû à plusieurs facteurs: (a) le fait de la procédure inhabituelle et secrète qui a été suivie pour arriver à la NEP. Si personne ne contestait au pape le droit de présenter ses modi, plusieurs facteurs ont étonné et déconcerté les membres et les théologiens de la commission doctrinale. L’intervention du pape a été fort tardive et elle n’est arrivée que lorsque l’Expensio modorum était déjà terminée138. Quand le pape intervient finalement par une lettre du Secrétaire d’État, il demande la discrétion sur son intervention, ce qui a pour conséquence que les membres de la commission excluent du débat les periti, lesquels évidemment se sont méfiés de ces manœuvres secrètes139. (b) l’attitude de Felici. Par deux fois, celui-ci a souligné avec beaucoup d’emphase et sur un ton «triomphaliste» l’importance de la NEP. Par la suite il s’est employé à ce que la NEP soit publiée conjointement au texte de Lumen gentium et il a en même temps empêché que la Relatio sur les modi ne soit publiée, Relatio pourtant indispensable pour comprendre le sens exact de la NEP. Au début de 1965, il continue à réagir contre l’interprétation de la NEP donnée par Mgr Parente140. 137.  En fait dans l’historiographie du Concile, la position de la «minorité» est encore trop peu connue. Cela a comme cause principale que les archives des protagonistes de cette «minorité» ne sont toujours pas accessibles. Pensons notamment aux archives d’Ottaviani, de Cicognani, de Felici, de Parente, du Saint-Office, de la Secrétairerie d’État et, par ailleurs, des papes eux-mêmes. 138.  Il est significatif qu’à la 4ème session pour le De Revelatione le pape ne commettra plus la même erreur et interviendra à temps. Cf. Carnets Charue, p. 270. Charue remarque aussi que le rôle de Mgr Colombo est devenu plus transparent (p. 266). 139. Cf. Diarium Tromp, 12.11.1964, «commendatur maximum secretum» (réunion du praesidium de la commission doctrinale, le 12 novembre à 9h). 140.  Selon Felici, le pape lui aussi était contrarié par les articles de Mgr Parente sur la NEP (cf. V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A. Mar-



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(c) la culture théologique très différente des deux partis antagonistes. Même après deux ans de Concile, on doit constater que l’approche de la collégialité reste divergente et qu’on se trouve sur des longueurs d’onde différentes141, ce qui est révélateur de ce que Philips a appelé «deux tendances dans la théologie contemporaine»142. (d) le fait que la notification de la NEP coïncidait avec d’autres incidents au sujet du De Oecumenismo et du De Libertate religiosa. 2.  On doit constater que, dans la crise au sujet de la collégialité, beaucoup de manœuvres ont été tramées aussi bien du côté de la «majorité» que du côté de la «minorité». Les pressions exercées sur le pape mais aussi sur la commission doctrinale étaient intenses. On ne peut qu’admirer alors la compétence, le calme et l’esprit de pacification de Mgr Philips, qui a permis que le texte de Lumen gentium arrive à bon port. 3.  Si d’aucuns sont d’avis qu’il n’est guère indiqué d’appeler la dernière semaine de la 3ème session une settimana nera, parce que lors de cette semaine deux textes parmi les plus en vue du Concile, Lumen gentium et Unitatis redintegratio, ont été promulgués, on pourra pourtant difficilement nier que cette semaine ait jeté une ombre sur la 3ème session143.

chetto,

Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015, p. 457). 141.  Il est typique pour une manière juridique d’aborder les problèmes qu’en décembre 1965, Mgr C. Colombo, pourtant un excellent théologien, souhaitait encore un Motu proprio du Saint-Père ou plutôt que le pape reconnaîtrait la juridiction des Églises orthodoxes, mais dans le sens qu’il l’accordait tacitement. Prignon ajoute: «Là aussi on voit que Colombo n’a pas fait un pas» (Journal Prignon, 2.12.1965, p. 253). 142. Cf. G. Philips, Deux tendances dans la théologie contemporaine: En marge du IIe concile du Vatican, dans NRT 85 (1963) 225-238. 143. Cf. Ergebnisse, p. 8 où Ratzinger écrit: «dessen Schatten auch durch den Glanz der Lichter von St. Peter nicht getilgt werden konnte».

13 LA RÉPONSE DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE BELGE AU QUESTIONNAIRE DU CARDINAL OTTAVIANI Introduction: Le Questionnaire du Cardinal Ottaviani Dans une lettre du 24 juillet 1966, adressée aux présidents des conférences épiscopales, le cardinal Ottaviani, pro préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, signale des erreurs doctrinales et des opinions dangereuses concernant la foi et il demande aux conférences d’en faire rapport au Saint-Siège avant Noël 19661. Nous résumons les erreurs mentionnées:   1. On recourt à l’Écriture sainte en laissant délibérément de côté la tradition; on réduit l’étendue et la force de l’inspiration et l’inerrance bibliques.   2. On dit que les formules dogmatiques sont à ce point soumises à l’évolution historique et que leur sens objectif lui-même est sujet à changement.   3. On néglige et minimise le magistère ordinaire de l’Église et surtout celui du Pontife romain.   4. Certains ne reconnaissent presque plus une vérité objective absolue, ferme et immuable et soumettent toutes choses à un certain relativisme.   5. Pour la christologie on use des notions sur la nature et la personne qui sont difficilement conciliables avec les définitions dogmatiques. Un certain humanisme christologique se répand qui réduit le Christ à la simple condition d’un homme qui, peu à peu, aurait acquis la conscience de sa divine filiation. Sa conception virginale, ses miracles, sa résurrection elle-même sont ramenés en réalité à l’ordre purement naturel. * Cf. L. Declerck – M. Lamberigts, La réponse de la Conférence épiscopale belge au Questionnaire du cardinal Ottaviani, dans C. Sorrel (éd.), Renouveau conciliaire et crise doctrinale: Rome et les Églises nationales (1966-1968), Lyon, Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, 2017, 219-251. 1. Cf. AAS 58 (1966) 659-661 et La Documentation catholique, 1966, col. 1843-1846.

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  6. Au sujet de la présence réelle dans l’eucharistie, il en est qui dissertent en favorisant un symbolisme exagéré comme si le pain et le vin n’étaient pas changés par la transsubstantiation au corps et au sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il en est aussi qui au sujet de la messe favorisent plus qu’il n’est juste l’idée du repas (agape) au détriment de l’idée de sacrifice.   7. Le sacrement de pénitence est expliqué comme moyen de réconciliation avec l’Église et on ne souligne pas assez la réconciliation avec Dieu offensé. La confession personnelle des péchés ne serait plus nécessaire.   8. On minimise la doctrine du concile de Trente sur le péché originel. La faute originelle d’Adam et la transmission de son péché sont, pour le moins, mises en veilleuse.   9. On rejette la raison objective de la moralité. On n’accepte pas la loi naturelle et on affirme la morale de situation. Des opinions pernicieuses sont répandues sur la moralité en matière sexuelle et du mariage. 10. On préconise une action œcuménique qui offense la vérité sur l’Unité de la foi et de l’Église en favorisant un dangereux irénisme et l’indifférentisme. I.  Histoire de la réponse belge2 1.  Première réaction Dans leur réunion du 5 septembre 1966, les évêques font remarquer que le travail demandé par Ottaviani est immense, mais que le problème est cependant réel. Le cardinal Suenens suggère que c’est une question qui pourrait être confiée à la commission doctrinale de la Conférence. 2.  Pour rédiger cet article, les archives suivantes ont été consultées: – Les archives de la Conférence épiscopale belge à Bruxelles, cité Fonds CE. – Les archives du cardinal Suenens à Malines, cité F. Suenens et F. Suenens, Archives personnelles [A.P.]. – Les archives de Mgr Philips au KADOC (Katholiek Documentatie Centrum, Leuven), cité F. Philips. – Les archives de Mgr J. Coppens à la Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses, Maurits Sabbe Bibliotheek, Leuven, cité F. Coppens. – Les archives de Mgr V. Heylen à la Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses, Maurits Sabbe Bibliotheek, Leuven, cité F. Heylen. – Les archives de Mgr E.J. De Smedt, à l’évêché de Bruges, cité F. De Smedt. Nous remercions sincèrement les responsables de ces archives notamment H. Cosijns, G. Vanden Bosch, P. Quaghebeur, V. Verspeurt, et D. Van Belleghem pour leur aide.



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Et on pourrait y nommer les experts belges au Concile. Cette commission pourrait étudier les problèmes, préparer des notes à l’usage des évêques ainsi que les principales déclarations épiscopales collectives, collaborer à la vulgarisation de certains points doctrinaux, répondre à certaines questions (par ex. les publications de J.A.T. Robinson3). On nomme comme periti: G. Philips, A. Dondeyne, V. Heylen, G. Thils, L. Cerfaux, W. Onclin, H. Wagnon, C. Moeller, B. Rigaux, P. Delhaye, A. Prignon, É. Beauduin. Le secrétaire est V. Heylen. On invitera tous ces experts à la réunion de la Conférence épiscopale du 4 octobre, prévue à Malines4. Le 9 septembre 1966, le cardinal Suenens écrit une lettre à Heylen pour lui communiquer la décision et l’inviter à la réunion du 4 octobre à Malines5. 2.  La réunion du 4 octobre 19666 Les experts belges du Concile ont été invités à une partie de la réunion, notamment: Philips, Dondeyne, Heylen Thils, Cerfaux, Onclin, Wagnon, Moeller, Delhaye, Prignon, Rigaux7. Le cardinal leur explique le but de cette réunion, à savoir la constitution d’une commission doctrinale de la Conférence épiscopale belge. Heylen a rédigé en latin le rapport de cette partie de la réunion, qui a été intégrée dans le rapport global de la Conférence épiscopale (pp. 1-3). La fonction de cette commission est décrite comme suit: aider à la formation et la propagation de la saine doctrine parmi les fidèles; signaler aux évêques ce qui est opportun ou nocif pour la doctrine catholique; préparer des documents pour les évêques. En sont membres: quatre évêques (A.-M. Charue, L.A. Van Peteghem, J. Heuschen, A. Descamps), les experts belges au Concile. On pourra aussi faire appel à d’autres 3.  Il s’agit surtout de Honest to God publié en 1963, livre qui a connu un grand succès et qui a été traduit en plusieurs langues. 4.  Rapport de la réunion de la Conférence, 5 septembre 1966, p. 2 (Fonds CE). On remarquera que la Conférence épiscopale belge, qui venait d’être érigée après le Concile, n’était pas encore bien structurée: on devait encore créer plusieurs commissions et un secrétaire ne sera nommé qu’en janvier 1967. Entre temps le plus jeune évêque résidentiel – à l’époque L. Van Peteghem, évêque de Gand – faisait fonction de secrétaire. 5.  F. Heylen. Heylen a ajouté sur cette lettre une note manuscrite: «Les statuts de la Conférence épiscopale étant approuvés, une ‘Commission doctrinale’ est érigée. Le secrétariat me fut confié». 6.  F. De Smedt. 7.  É. Beauduin n’y figure plus. En fait, il n’était pas expert du Concile mais membre du Secrétariat pour l’Unité des chrétiens.

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théologiens, professeurs des séminaires, religieux8, et même des laïcs. Des sous-commissions pourront être constituées. La première tâche sera de rédiger la réponse à la lettre du cardinal Ottaviani. On examinera d’abord si les erreurs signalées par Ottaviani sont vraiment présentes en Belgique et alors on pourra voir comment exposer plus clairement la doctrine catholique dans ces matières qui sont parfois compliquées. Les évêques, comme les periti, sont conscients qu’en Belgique, mais aussi dans les autres pays, des problèmes fondamentaux sont posés, concernant notamment l’existence de Dieu et la valeur de l’ordre surnaturel et qu’ils sont divulgués par des traductions de livres venant de l’étranger. Comme méthode générale, on recommande un contact personnel avec les auteurs incriminés et on doit supposer une foi suffisante des hommes de science dans l’Église; il faut demander à certains de la modération dans l’exposé de leurs théories; il faut être très prudent avec les condamnations afin de ne pas offenser les hommes de science; il faut surtout exposer de manière positive la doctrine catholique et ne pas tomber dans le pessimisme des erreurs. En ce qui concerne la méthode scientifique, on insiste sur une étude sérieuse, sur la collaboration internationale aussi avec les autres universités catholiques, sur la fidélité au concile Vatican II; il faut distinguer entre la recherche scientifique et la vulgarisation. Et on insiste encore sur la formation du clergé et sa formation continuée. On conclut en demandant que cette commission doctrinale puisse se réunir sans tarder afin de préparer pour les évêques la réponse au cardinal Ottaviani. 3.  Réunion de la commission doctrinale le 17 octobre 19669 La réunion se tient au Collège du Saint-Esprit à Louvain sous la présidence de Mgr Charue. Après une discussion sur l’organisation de la commission doctrinale10, on passe à l’étude du «syllabus» [sic] d’Ottaviani: Onclin prendra la responsabilité du travail sur les sacrements, commencé par A. Houssiau; Philips et Thils continueront le travail préparé à Rome par Prignon et Moeller sur le péché originel. Des collaborateurs sont adjoints, pour l’exégèse (J. Giblet et C. Matagne s.j.), le dogme (R. Guelluy), l’œcuménisme (J. Havet et les Pères de 8.  Jusqu’à la fin des années 60, des membres de congrégations religieuses ne pouvaient pas être nommés comme professeur à la Faculté de Théologie de l’Université de Louvain, sauf pour les sciences auxiliaires (liturgie, histoire, missiologie …). Certaines congrégations religieuses avaient leur propre faculté à Louvain, comme les jésuites à Egenhoven. 9.  Cf. F. Suenens, rapport fait par Heylen (dans un français pas toujours correct). 10.  On suggère de s’adjoindre les Pères G. Dejaifve s.j., J. Dupont o.s.b. et B. Olivier o.p.



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­ hevetogne) et le péché originel (E. Pirson et J. Rézette o.f.m.). DifféC rentes suggestions concernant les études et les orientations sont émises. Quant au fond doctrinal, il est impossible de traiter le fond des problèmes dans les réponses à chaque question. On ne peut donner que les éléments principaux. Il faut insister sur le travail accompli et les orientations données par le Concile qui a approfondi certaines questions, mais n’a pas examiné certains problèmes qui se posent actuellement (l’eucharistie) ou n’a pas voulu s’engager dans d’autres (le péché originel). Il faut donner la priorité à la doctrine conciliaire et à une doctrine catholique positive et ne pas être sur la défensive. Quant à la méthode utilisée pour répondre, les normes conciliaires réclament que chaque donnée soit étudiée suivant les disciplines qui s’y réfèrent. La complexité de certains problèmes réels, comme ceux qui réclament une étude historique, exclut des réponses hâtives et définitives. Le magistère pourrait difficilement répondre d’une manière prudente et suffisamment informée sans risquer de bloquer en même temps le travail scientifique. Une distinction s’impose entre les problèmes selon leur ordre d’importance doctrinale; il faut distinguer entre le noyau de la Révélation et les réalités périphériques. Il faut admettre l’autonomie de certaines données de la foi qui échappent à l’expérience immédiate. Quant aux formules doctrinales, l’essentiel est de garder intact le dogme lui-même; judicieusement choisies, plusieurs formulations peuvent l’exprimer sans confusion. Afin de rencontrer l’esprit moderne, des formulations nouvelles peuvent être tentées sans que le mystère souffre de simplification abusive ou perde de sa substance. Certaines formules anciennes sont inaccessibles aux jeunes qui sont formés aux philosophies modernes. L’abandon de certaines représentations notionnelles ne signifie pas l’abandon du noyau irréformable de la foi. Quant à la réaction contre les déviations, il s’agit de développer plutôt une doctrine positive que de proférer des anathèmes. Les condamnations n’ont que peu d’effet sur les auteurs condamnés et rendent souvent suspect le travail des auteurs consciencieux. Dans le passé, certaines interventions des dicastères romains n’ont pas favorisé l’esprit scientifique ni le progrès de la science catholique. La confiance et la modération que peut inspirer le contact avec un épiscopat ouvert et prudent sont les meilleures garanties contre les excès de nouveautés. Au final, une nouvelle réunion est prévue le 7 novembre11 pour examiner les textes de base qui seront présentés par les rédacteurs. Un texte sera présenté à la Conférence épiscopale avant le 1er décembre. 11.  Le rapport de cette réunion n’a pas été retrouvé dans les archives.

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Dans une page manuscrite avec des notes concernant la réunion du 17 octobre, Philips ajoute quelques idées de Moeller, sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi12. Il s’agit d’une collaboration avec les conférences épiscopales; c’est une enquête sur la situation et on demande des réponses. Il ne s’agit pas d’un catalogue d’erreurs, l’enquête se fait dans l’esprit d’une collaboration universelle avec l’administration centrale. Il s’agit d’un dialogue, non d’une répression, mais il existe certains problèmes13. 4.  Lettre de J. Coppens aux évêques du 22 octobre 196614 Dans une lettre au cardinal Suenens et aux évêques, le doyen de la Faculté de Théologie affirme que plusieurs de ses collègues, dont certains ont déjà été sollicités de donner leur avis, estiment que la Faculté comme telle devrait examiner le Questionnaire d’Ottaviani et transmettre aux évêques le résultat de ses recherches. Il s’agit de problèmes graves qui devraient faire l’objet d’échanges de vues entre tous les membres de la Faculté. Le 4 novembre, Suenens répond qu’il sera très heureux d’une collaboration effective avec la Faculté comme telle. Vu l’urgence du Questionnaire, les évêques ont demandé aux experts du Concile de fournir une réponse avant Noël. Mais ceci n’empêche nullement un travail plus élargi de la Faculté. Et il suggère à Coppens de prendre contact avec Mgr Charue, président de la commission doctrinale15. 5.  Lettre de J. Dupont à Cerfaux16 Cerfaux a demandé à Dupont un avis sur trois propositions du Questionnaire. Il répond par une longue lettre de cinq pages. Nous en donnons un résumé circonstancié parce qu’on peut constater que beaucoup d’éléments de cette lettre seront repris, probablement par Cerfaux et Philips, dans la réponse définitive belge. Dans son introduction, Dupont, qui dit avoir été consulté du côté bénédictin sur la même question, exprime sa méfiance et signale que Mgr P. Veuillot, rapporteur pour la Conférence 12.  Probablement communiquées par écrit, car Moeller n’était pas présent à la réunion. On a l’impression que Moeller, esprit ouvert, qui avait été nommé au début de l’année sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, fait un effort pour atténuer la mauvaise impression que la lettre d’Ottaviani avait provoquée. 13.  F. Philips 96. 14.  F. Suenens. 15.  F. Suenens. 16.  F. Philips 96. Le destinataire n’est pas mentionné, mais selon le contenu il doit s’agir de Cerfaux, qui a communiqué une photocopie de cette lettre à Philips.



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épiscopale française, a été dur au sujet de ce document. Le «genre littéraire» du questionnaire, qui aborde les questions d’une manière strictement négative, relève des procédés de la curie avant le Concile. Ainsi, on englobe dans une même condamnation des gens qui professent des erreurs manifestes et d’autres qui cherchent très légitimement à renouveler la pensée théologique. Les dix propositions évoquent certainement des périls qui ne sont pas imaginaires, mais toutes ces formules, qui condamnent des erreurs réelles, risquent d’atteindre aussi la recherche qui se poursuit actuellement d’une manière parfaitement légitime et qui correspond à une nécessité urgente. Suivent alors des commentaires sur trois propositions: À propos du rapport entre Écriture et Tradition (1ère Proposition), Dupont s’inquiète que certains entendent Tradition non pas dans le sens d’une Tradition vivante mais dans celui d’une pure répétition de ce qui s’est dit jusqu’ici. On n’a pas le droit de restreindre indûment l’inerrance, mais certains l’étendent indûment et le péril n’est pas moins grand. La valeur des textes historiques doit être sauvegardée, bien sûr. Mais on ne saurait oublier que des nuances s’imposent et que tout ne peut pas être mis sur le même pied. Autrement on risque de condamner toute l’exégèse scientifique, accusée de ne pas sauvegarder l’historicité intégrale. Concernant la christologie (5ème Proposition), les termes employés (nature et personne) à Chalcédoine en un sens très précis ont aujourd’hui, dans le langage courant, un sens tout à fait différent. Jean XXIII dans son discours du 11 octobre 1962, avait déjà clairement distingué entre les vérités de la foi et les formules dans lesquelles elles trouvent leur expression. Le document s’en prend à l’«humanisme christologique». Mais à force d’insister de façon unilatérale sur la divinité, l’enseignement courant aboutit trop souvent à compromettre l’idée qu’on doit se faire de la réalité de la nature humaine du Christ. Sous prétexte d’éviter qu’on réduise le Christ à la condition de simplex homo, le document tend pratiquement à nier la réalité humaine du Christ. On dit que certains réduisent la conception virginale, les miracles, la résurrection à des phénomènes purement naturels. Mais, sous prétexte de maintenir la réalité surnaturelle des faits, on donne l’impression de nier le recours à certains procédés littéraires de la part des auteurs inspirés qui nous les font connaître. Enfin, à propos du péché originel (8ème Proposition), le document dit que les explications que certains donnent de la doctrine ont pour résultat d’obscurcir la faute originelle d’Adam et la transmission de ce péché. On se trouve ici devant une double nécessité: celle de maintenir la foi de l’Église, et celle de la présenter d’une manière accessible aux esprits de nos contemporains, compte tenu de leurs exigences philosophiques et

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scientifiques. L’attitude purement négative de cette proposition tend non seulement à réprimer des abus, mais aussi à arrêter des recherches qui sont nécessaires et urgentes. Dupont termine sa lettre en demandant de recevoir les observations de Cerfaux et d’autres personnes, parce qu’il serait souhaitable de coordonner les efforts. 6.  L’élaboration du texte au mois de novembre 1966 Dans les archives, surtout celles de Coppens et de Philips, on trouve de nombreux textes et projets de réponse. On a formé de petits groupes par question et ceux-ci ont envoyé leurs textes à Coppens, doyen de la Faculté et coordonnateur du travail. Mgr Philips reste le coordonnateur ultime et Cerfaux joue aussi un rôle important surtout pour les questions d’exégèse. Coppens fera un projet de réponse globale, qui sera discuté à la réunion de la commission doctrinale du 28 novembre. On constate donc qu’à ce stade, l’initiative est passée de la commission doctrinale à la Faculté de Théologie. Toutefois, les membres non-évêques de la commission doctrinale appartiennent pratiquement tous à la Faculté. Le 10 novembre (date probable), Coppens écrit à Mgr Charue17 qu’il a tenu une réunion pour les questions d’Écriture sainte avec Rigaux, Giblet, F. Neirynck et A. Schoors chez Cerfaux. Celui-ci a très bien conduit les débats, et il lui a envoyé le texte auquel ils sont arrivés, émanant surtout de Cerfaux et de Coppens. Ce dernier a rédigé le texte définitif. Coppens ajoute qu’il a appris que Charue est venu présider à Louvain une réunion de quelques théologiens18 et il regrette qu’à cette occasion on n’ait pas invité le doyen de théologie [Coppens] et celui de droit canon. Des rumeurs ont circulé touchant quelques considérations aussi injustes que pénibles, à l’adresse de la Faculté, proférées par quelques membres présents qui pensent vraiment avoir reçu en partage sinon l’infaillibilité, du moins la science. Coppens ne garde pas rancune à Charue de cet oubli, tout en regrettant une nouvelle fois que certains tendent à considérer des soi-disant periti, choisis on ne sait pour quels charismes ou raisons, comme un concilium appelé à juger leurs pairs19. Et il conclut: «sine ira et studio. De Votre Excellence le serviteur J. Coppens». 17.  F. Coppens 279. Le nom de Charue n’est pas indiqué [Excellence] mais ressort du contexte de la lettre. 18.  Il s’agit sans doute de la réunion de la commission doctrinale du 17 octobre. 19.  Ce ton sarcastique révèle une fois de plus que Coppens a été morfondu de ne pas avoir été nommé peritus du Concile, un événement qui sera pour lui, dans les dernières années de sa vie, la cause de tous les malheurs survenus dans l’Église.



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Les archives de Coppens20 et de Philips21 montrent que divers théologiens ont collaboré aux projets de textes sur les différents points du Questionnaire: Cerfaux (introduction, conclusion, points 1, 5, 8), Philips (point 5), Rigaux (introduction, point 8), Van Roey (points 5, 8), Moeller (point 8), Prignon (point 8), Thils (points 2, 10), Dondeyne (points 2, 3 et 4), Houssiau (points 6 et 7), Delhaye et Heylen (point 9) et Coppens (point 4). Coppens a rassemblé les différents projets et traduit certaines parties en latin. Le 19 novembre, Heylen écrit à Coppens qu’il a reçu un texte de Cerfaux concernant l’interprétation de l’Écriture et il demande de lui procurer le projet de réponse pour la réunion de la commission doctrinale du 28 novembre22. Le 21 novembre, une réunion plénière de la Faculté de Théologie se tient au Collège du Pape à Louvain avec Aubert, Coppens, Delhaye, Dondeyne, J. Étienne, A. Gesché, Giblet, Guelluy, Havet, Houssiau, Neirynck, Riedl, Rigaux, Schoors, Thils, Van Roey, Vieujean. Philips s’était excusé23. Le rapport et le texte définitif de cette réunion ont été achevés par Coppens le vendredi 25 novembre à 18h30. Le texte a été communiqué ensuite aux membres de la commission doctrinale pour sa réunion du 28. Un exemplaire a été envoyé également au cardinal Suenens. Ce texte latin intitulé «Relatio responsionum quae in plenaria coadunatione Facultatis Sacrae Theologiae feria secunda die 21 novembris hora 15 in Collegio Papae Hadriani VI praelectae et examinatae fuerunt» comporte quinze pages24. Les pages 13 à 15 concernant les points 2, 3 et 4 ont été ajoutées après le 24 novembre. Le 28 novembre, à Louvain, la commission doctrinale rassemble ­Charue, Van Peteghem, Descamps, Cerfaux, Philips, Dondeyne, Wagnon, Thils, Delhaye, Rigaux, Heylen; par ailleurs, Heuschen, Prignon et Moeller s’étaient excusés25. Elle se consacre à l’examen des textes relus par la Faculté de Théologie. Pour le préambule, rédigé par Cerfaux, Philips insiste sur la valeur d’une doctrine positive (voir la Conclusion) et sur le 20.  F. Coppens 279. 21.  F. Philips 96. 22.  F. Coppens 279. 23.  Dans une lettre du 21 novembre, Heylen envoie à Philips une partie du projet discuté le 21 novembre à la Faculté. Il espère pouvoir lui envoyer le reste avant le 28, date de la réunion de la commission doctrinale (F. Heylen 92/2). C’est un indice de plus du rôle de Philips comme rédacteur final. 24.  F. Philips 96 et F. Suenens. 25.  Pour le rapport rédigé par Heylen, cf. F. Philips 92/2. On a gardé le style télégraphique du rapport. Les archives Philips contiennent aussi le texte de la Faculté de Théologie avec des notes de Philips, prises pendant la réunion de la commission doctrinale (F. Philips 96) et une demi-feuille avec des notes de Philips sur la réunion du 28 novembre (F. Philips 96).

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renouveau introduit par Vatican II. Et dans le texte le «munus scribendi» (p. 2), et les références exclusives à Divino afflante Spiritu semblent superflus. Pour le point 1, il ne faut pas accentuer l’opposition entre exégèse scientifique et interprétation ecclésiale et, pour le point 2, il ne faut pas dissocier le dogme et l’expression de celui-ci. Pour le point 3, il est utile d’insister sur le contact du magistère romain avec les évêques et le Peuple de Dieu. Pour le point 5, il faut éviter les répétitions et la partie trop enseignante. Pour le point 6, la communion fréquente est peu sûre comme preuve. Quant au point 8 sur le lien entre le péché originel (mystère) et la Rédemption, il convient de supprimer «polyphylétisme» pour ne pas accentuer la problématique. Mgr Van Peteghem informe aussi la commission que la «Vlaams Werkgenootschap voor Theologen» (professeurs des séminaires etc.) prépare aussi une réponse qui sera présentée aux évêques et à la commission doctrinale26. Le texte de la commission doctrinale sera remis pour la Conférence épiscopale du 12 décembre. 7.  Le texte définitif est approuvé le 12 décembre 1966 Le 6 décembre, sur ordre de Mgr Charue, Heylen envoie au cardinal et aux évêques le texte élaboré par la commission doctrinale27. Intitulé «Relatio responsionum quae in coadunatione Consilii Theologici feria secunda die 28 novembris examinatae sunt», il est daté du 4 décembre et comporte onze pages. Le 7 décembre, Philips envoie à Suenens, Charue et Heylen deux pages dactylographiées de Corrigenda et Addenda28; la plupart de ces remarques de Philips seront intégrées 26.  Le texte (F. Suenens), rédigé par des professeurs de séminaires diocésains mais aussi par des religieux, a été envoyé à la Conférence épiscopale, à la commission doctrinale et à l’Association des Supérieurs majeurs. Il est daté du 30 octobre 1966 et comporte 7 pages, mais il ne traite pratiquement pas des questions posées par Ottaviani. Il est fort sévère pour ce Questionnaire et fait surtout des suggestions pour que le magistère s’exerce de façon plus adaptée au monde moderne et plus en union avec les théologiens et le Peuple de Dieu. Il propose que la Conférence épiscopale crée une commission non seulement de théologiens mais aussi de pasteurs et de laïcs qui s’engagent pour le renouveau de la théologie, de l’annonce du message et de la pratique pastorale. C’est ce texte qui est envoyé en décembre à Mgr Philips par Mgr Schoenmaeckers, évêque auxiliaire de Malines-Bruxelles (F. Philips 96). Ce dernier demande à Philips d’en prendre connaissance avant la réunion la Conférence épiscopale du 12 décembre. Le fait que Schoenmaeckers, probablement à la demande du cardinal, envoie ce texte à Philips, montre une fois de plus que Philips a été le rédacteur final de la réponse belge. 27.  F. Suenens. 28.  F. Suenens. Dans le F. Philips 96, on trouve la version manuscrite de ces 2 pages.



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dans la réponse définitive. Le 9 décembre, Heylen écrit à Philips qu’il est d’accord avec ces remarques et lui transmet copie de sa lettre à Charue, où il suggère que Philips soit chargé, après la rencontre de la Conférence épiscopale, de la rédaction finale. Le 12 décembre, celle-ci a discuté longtemps de la réponse définitive, en présence de Philips29, qui est chargé d’incorporer les remarques des évêques dans le texte. Les évêques font d’abord des remarques générales. Par manière d’introduction, il faudrait dire que la Conférence épiscopale se réjouit de cette consultation, que c’est une forme de dialogue dans l’esprit du Concile. Il faut signaler aussi qu’en dehors des dix propositions citées par Ottaviani, il y a des problèmes plus fondamentaux qui font difficulté: l’existence d’un Dieu personnel et celle d’une vérité absolue, tant doctrinale que morale, en Dieu. Il est très difficile de faire comprendre cela à des gens formés aux méthodes scientifiques naturelles. Ici Philips se rallie aux remarques du texte du «Vlaamse Werkgenootschap voor Theologen». À la page 4, il est malvenu de parler de groupes de pression. Il est très utile qu’il y ait une relation continue entre la périphérie et le centre. Il faudrait développer davantage l’exposé des rapports entre la vérité révélée et la formule dans laquelle elle est exprimée. Enfin, l’absence de fauteurs de doctrines imprudentes ou hérétiques est affirmée d’une façon trop optimiste. Le document formule en outre quinze remarques de détail. Le cardinal Suenens distribue alors la note du «Vlaams Werkgenootschap voor Theologen». Philips dit que la commission doctrinale se réjouit de toute collaboration avec de jeunes professeurs. Il fait aussi remarquer que les décisions appartiennent non à la communauté, mais aux évêques. Si les formes de l’exercice de l’autorité changent, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’autorité. La vraie théologie doit être fidèle au donné révélé; elle ne doit pas être trop sensible aux doctrines humaines. Les archives Philips30 conservent le texte de la commission doctrinale du 28 novembre avec toutes les annotations manuscrites que Philips a faites durant, ou après la réunion de la Conférence épiscopale. Au final il n’y a eu que peu de changements, sauf pour la partie introductive: le Praeambulum d’une page de la commission doctrinale est devenu dans le texte définitif une Responsio generalis de deux pages. Le 18 décembre, Philips est déjà en mesure d’envoyer au cardinal le texte de la Réponse. Si nécessaire, il est prêt à se rendre à Malines pour introduire d’autres corrections. 29.  Voir les pages 2 et 3 du rapport de la Conférence (F. De Smedt). Le rapport est rédigé par Mgr Van Peteghem qui n’écrit pas toujours un français très compréhensible. En général nous avons suivi son texte. 30.  F. Philips 96.

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Charue insiste pour envoyer la réponse à Ottaviani sans tarder31. Le 19 décembre, Philips écrit à nouveau à Suenens. Il vient de recevoir [de Rome] quelques suggestions de Moeller. Il s’agit de remarques peu importantes, mais il les envoie dans une page annexe32. Le 21 décembre, Suenens écrit à Ottaviani pour lui transmettre la réponse collective et unanime de l’épiscopat belge: Schema Responsi Conferentiae epicopalis Belgicae ad Epistulam Em.mi Card. Ottaviani de erroribus circa fidem, un document de onze pages qui porte la date du 18 décembre 196633. II.  La réponse et ses suites 1.  Évaluation Dans un long préambule de deux pages (Responsio generalis), les évêques commencent par se réjouir de la collaboration, qui leur est offerte par le Questionnaire. Les rapports entre le centre et la périphérie peuvent aussi perfectionner l’expression de la doctrine, en tenant compte de la diversité légitime dans les façons de penser dans le monde. Le dialogue et la collaboration sont des moyens excellents pour promouvoir la foi et la science. Évidemment, il y a des problèmes sérieux et les évêques ont érigé une commission doctrinale pour étudier ces questions et leur trouver remède. Il y a même des problèmes encore plus fondamentaux (l’existence de Dieu, la capacité de l’intellect humain d’atteindre la vérité révélée, etc.) que ceux signalés par Ottaviani. Comme la Vérité ne peut être identifiée d’une façon absolue avec son expression dans des termes humains, le remède salutaire doit surtout être recherché dans le perfectionnement de l’expression théologique. Une réponse positive aidera mieux à préserver la foi qu’une simple condamnation des erreurs. On suggère donc que le magistère promeuve des études sérieuses. Ce préambule donne l’essence et le ton de la réponse: désir de collaboration avec le magistère du pape; reconnaissance de la problématique. Mais la solution ne viendra pas d’une simplification des problèmes par des condamnations simplistes, mais par des études sérieuses et approfondies.

31.  F. Suenens. 32.  F. Suenens. On peut constater que toutes les remarques de Moeller ont été introduites dans le texte définitif. 33.  Le texte original et sa traduction française sont donnés en Annexe. Nous remercions la professeure Els Agten et le professeur André Haquin pour l’aide qu’ils nous ont apportée dans la traduction française.



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Dans les réponses aux différentes propositions, on peut découvrir presque toujours le même canevas: 1. Les problèmes et erreurs signalés par le Questionnaire ne sont pas présents en Belgique; 2. La présentation des problèmes dans le Questionnaire est souvent assez schématique; 3. Il faut étudier de façon sérieuse et scientifique la problématique, sans tomber dans des simplismes ou des condamnations faciles. Dans leur Conclusio, les évêques insistent encore sur le devoir de proposer la Révélation d’une façon adaptée à résoudre les problèmes du monde moderne. Condamner les erreurs ne peut conduire à une solution. Elle mènerait au découragement des théologiens et exégètes. Mais il faut instaurer une collaboration et une confiance mutuelle entre évêques et théologiens, une confiance qui heureusement ne manque pas dans la province ecclésiastique belge. On constate que cette réponse est caractérisée par une grande franchise. Les évêques ne sont pas impressionnés par ce Questionnaire. Au contraire, à plusieurs reprises, ils semblent faire la leçon à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et aux théologiens romains. Ceci provient certainement du prestige dont jouissaient les évêques et les periti belges au Concile, qui en beaucoup de cas ont su faire prévaloir leurs solutions et rallier à leurs points de vue la grande majorité des Pères conciliaires, grâce à leur capacité de compromis. Cette assurance s’exprime d’ailleurs par une répétition, un peu fastidieuse et même trop optimiste, de l’assertion que ces erreurs ne se rencontrent pas en Belgique. La réponse est très «théologique» et scientifique. Sans être technique, on voit que pour chaque problème en peu de phrases la problématique essentielle est esquissée. La collaboration instaurée entre évêques et théologiens pendant le Concile porte ici ses fruits. 2.  Après l’envoi Lors de la réunion de la Conférence épiscopale du 21 mars 1967, on apprend que les évêques français préparent également un document doctrinal. Le secrétariat de la Conférence est prié de prendre contact avec l’épiscopat français. Dans une lettre du 31 mars 1967, L. Declerck demande à R. Etchegaray de le mettre au courant des éventuels projets de l’épiscopat français concernant des déclarations ayant trait à divers problèmes doctrinaux et moraux. Le 7 avril 1967, Etchegaray répond que l’épiscopat français a l’intention de publier une série de Notes présentées par son Bureau d’études doctrinales et pastorales et il en envoie la première qui a déjà paru34. Il y 34.  Il s’agit de la Note 1/67 de janvier 1967: De la rectitude doctrinale: Respect et amour de la doctrine de foi, 5 p.

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ajoute un document confidentiel qui explique de quelle manière va travailler ce Bureau35. Le 14 avril 1967, L. Declerck a envoyé ces deux documents à V. Heylen à l’intention de la commission doctrinale. En même temps, Etchegaray a dû envoyer la réponse française au Questionnaire d’Ottaviani, datée du 17 décembre 196636. Dans le cadre de l’Année de la Foi, inaugurée par Paul VI, les évêques de Belgique ont publié une brochure intitulée Notre foi en Jésus-Christ 37. Déjà dans leur réunion du 22 février 1967, ils avaient demandé à la commission doctrinale d’approfondir les problèmes christologiques et de préparer un texte qui pourrait servir de base pour une lettre pastorale collective. Ce document devrait traiter notamment des questions de la naissance virginale et de la résurrection du Christ38. Dans un entretien avec le cardinal Suenens, le 2 mars 1967, L. Declerck l’informe que Philips a accepté de convoquer une petite commission pour rédiger le texte; Suenens propose de lui adjoindre aussi A. Gesché. Le 21 mars 1967, le cardinal confirme aux évêques que la commission doctrinale élabore déjà un projet. Lors de la Conférence épiscopale du 17 juillet, Heuschen fait savoir que la commission doctrinale a déjà revu une grande partie du document en tenant compte des remarques des évêques. Le texte Notre foi en Jésus-Christ (Tournai, 1967), signé par les évêques de Belgique a été publié en brochure en français et en néerlandais avant une traduction italienne. Le document comporte 4 parties: 1. La christologie dans la pensée contemporaine; 2. Jésus d’après le témoignage évangélique; 3. La foi de l’Église en Jésus-Christ; 4. Notre réponse au Christ. Il traite de plusieurs questions mentionnées dans le Questionnaire d’Ottaviani: la foi et les formules de la foi, la divinité du Christ mais aussi le réalisme de l’incarnation, les sources de la foi, la résurrection et

35.  Bureau d’Études doctrinales et pastorales. Indications pour la rédaction des Notes, 13.3.1967, 3 p. On y lit que la première Note a été publiée sous la responsabilité de Mgr Renard. 36.  Une comparaison rapide avec la réponse belge nous apprend que cette réponse est plus pastorale et moins théologique que le texte belge. Les Français admettent dans une plus large mesure l’existence des problèmes doctrinaux en France, ce que les Belges ont plutôt contesté; eux aussi demandent qu’on ne prononce pas uniquement des condamnations mais ils sont moins affirmatifs et plus dociles que les Belges vis-à-vis des instances romaines. On pourrait constater des différences analogues dans la réaction des évêques belges et français après la publication de l’encyclique Humanae vitae. Cf. L. Declerck, La réaction du cardinal Suenens et de l’épiscopat belge à l’encyclique «Humanae Vitae»: Chronique d’une Déclaration (juillet – décembre 1968), dans ETL 84 (2008) 1-68. 37.  Voir les Fonds CE, Suenens et Philips 38.  Des problèmes qui avaient été signalés dans le Questionnaire d’Ottaviani.



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la fondation de l’Église, l’imperfection inhérente aux formules de foi, la conscience du Christ, la conception virginale etc. En publiant cette brochure, les évêques n’ont pas seulement voulu obtempérer à l’appel du pape pour l’Année de la Foi mais en même temps ils ont mis en pratique ce qu’ils avaient suggéré dans leur réponse au Questionnaire d’Ottaviani: propager la doctrine de manière positive par des publications destinées au grand public mais en même temps basées sur une science théologique sûre. Il n’est pas étonnant que la commission doctrinale, et surtout Mgr Philips, aient élaboré leur texte. Le 27 septembre, Suenens écrit à Philips et le remercie pour sa grande contribution à ce document. C’est encore Philips qui a réélaboré quatre fois le texte, en tenant compte de toutes les suggestions qui lui ont été envoyées. Le 21 octobre 1967, le substitut de la Secrétairerie d’État Giovanni Benelli écrit à Suenens que le pape a pris connaissance avec plaisir de la brochure et il l’a chargé d’en remercier et d’en féliciter les auteurs en son nom. Le même jour L’Osservatore Romano en publie de larges extraits. Au même moment s’ouvre le premier Synode des évêques de 1967, dont l’un des cinq sujets était De Opinionibus periculosis hodiernis necnon de atheismo39. Le document préparatoire, envoyé aux évêques le 30 juin 1967, semble pour une grande partie inspiré par le Questionnaire d’Ottaviani. Il est communiqué aux membres de la Conférence épiscopale et de la commission doctrinale pour qu’ils réagissent et leurs observations sont rassemblées par le secrétariat de la Conférence épiscopale dans un document de quarante-neuf pages. Lors de la réunion de celle-ci, le 25 septembre 1967, on signale que le texte de la réponse des évêques au Questionnaire d’Ottaviani résume assez bien la position de l’épiscopat. Le 5 octobre 1967, Suenens prononce une intervention remarquée dans le synode40: il répète les critiques de la réponse belge au Questionnaire d’Ottaviani et dit que le document préparatoire dénonce les dangers, mais ne propose pas des remèdes. Il exhorte à ne pas exagérer les premiers: la crise actuelle est aussi une crise de croissance. Beaucoup de théories qui dans un premier temps ont été jugées dangereuses sont maintenant pleinement acceptées; il cite pour les questions bibliques les avatars du Père Lagrange et renvoie à saint Thomas lui-même qui a été soupçonné d’hérésies. Il faut donc que le magistère publie des documents positifs dans la ligne de Jean XXIII et de Paul VI. Et, comme souvent pendant 39.  W. Van Laer, Kardinaal Suenens en de Synode van 1967, mémoire de licence, Faculté de Théologie et des Sciences Religieuses, Leuven, 2016. Pour les archives, Fonds CE et F. Suenens, A.P., b. 116-118. 40.  À son intervention orale Suenens ajoute un document écrit Animadversiones particulares (11 pages qui sont un résumé des remarques des évêques et théologiens belges).

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le Concile, Suenens conclut par une proposition pratique: l’instauration d’une commission théologique internationale, composée de théologiens de grande renommée et de toutes les écoles et tendances légitimes existantes qui pourra aider le magistère de l’Église. Cette proposition a été votée par le Synode et l’instance demandée a été érigée par Paul VI, le 1er mai 1969. Toutefois elle était incorporée dans la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, tandis que Suenens avait souhaité qu’elle en soit indépendante. Le Questionnaire d’Ottaviani est probablement une première réaction romaine, assez malhabile d’ailleurs, à la crise postconciliaire. On constate que la réaction des évêques et des théologiens belges est encore empreinte de l’optimisme du Concile. Sans partager l’opinion pessimiste de Maritain, qui écrivait dans Le Paysan de la Garonne que la crise moderniste n’avait été qu’un modeste «rhume de foin» si on la comparait à la crise postconciliaire, on doit quand même avouer que les évêques n’avaient pas encore pris conscience de la gravité de cette crise, causée par la théologie de la mort de Dieu, la sécularisation radicale de l’Occident et la révolte estudiantine de Mai-68.



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Annexe Réponse de la Conférence épiscopale belge (18  décembre 1966) Ad epistulam em.mi card. Ottaviani de erroribus circa fidem schema responsi conferentiae episcopalis belgicae

Responsio generalis 1.  Episcopi, membra Conferentiae episcopalis Belgii, epistulam Em.mi Card. Ottaviani, propraefecti Congregationis de Doctrina Fidei, attentissime perlegerunt, et gaudent de sic feliciter incepta cooperatione inter Congregationem ipsam et Conferentias Episcopales. Ita commercium inter centrum catholicitatis et regiones magis periphericas intensius promovetur, tum ad informationem largiorem congerendam, tum ad expressionem doctrinae aptiorem ubique perficiendam, habita etiam ratione legitimae diversitatis in modis cogitandi vivendique in variis mundi partibus. 2.  Episcopi huius Conferentiae Commissionem doctrinalem instituerunt, viris vere peritis compositam, qui eis opem ferunt ad aptum responsum praebendum novis problematibus, nullatenus parvipendendis, exortis ex progressu peracto in re exegetica et dogmatica, in disciplinis historicis et scientificis, necnon in cultura humana generali, ita ut secundum verba S. P. Pauli VI, exinde «Evangelii praecones novas vires accipere possint». 3.  Sane ex praedicto progressu non semel sequitur quaedam perturbatio et veluti insecuritas, non tam ex dubio circa fidem quam ex desiderio placita religiosa rectius intelligendi et aptius exprimendi. Certe periculum negari ­nequit quod aliqui minus periti intempestiva tentamina cum legitima progressione confundant, suasque opiniones prae­maturas et fidei parum vel forsan non conformes apud personas parumper excultas imprudenter divulgent. Qui modus agendi est deplorandus et quantum fieri potest praecavendus aut refrenandus. 4.  Ceteroquin, praeter problemata particularia, quae in Epistula Em.mi Card. Ottaviani recensentur, alia eaque magis fundamentalia aliquando excitantur, utputa de Dei existentia Eiusque natura, vel saltem de capacitate intellectus humani attingendi veritatem Deique personalis, revelationem. Haec hisque similia a mente sic dicta «scientistica» hodierna aegre admittuntur. 5.  Huiusmodi error saepe videtur oriri ex eo quod Veritas, quae Deus ipse Eiusque Verbum est, nimis simpliciter identificetur cum expressione illius in terminis humanis qui, ad divina applicati, analogici et nunquam absolute perfecti sunt. Ubi vero modus loquendi et cogitandi secundum adiuncta historica mutatur, illi qui in praedictam confusionem incidunt, simul cum notionibus et formulis, quas ut antiquatas vel falsas seponunt, ipsam fidem mysterii in discrimen vocant. 6.  Ut tali aberrationi praecaveatur vel ei finis imponatur, remedium salutare in eo imprimis quaerendum est ut expressio theologica continuo perficiatur et prudenter adaptetur, ne sensu alieno vel etiam erroneo intelligatur, sed purificetur et clarificetur, ut purum splendorem fidei Dei transcendentis indesinenter melius exprimet. Positiva responsio efficacius ad fidem tuendam conferet, quam simplex condemnatio errorum, qui non semel ex vana imperitia, vel defectu sensus mysterii, quam ex maligna oriuntur voluntate.

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7.  Suadetur etiam ut a Magisterio seria studia, praesertim exegetica, dogmatica et moralia, magis magisque promoveantur et a viris vere doctis ulterius perdurantur; et insuper ut munus docendi in rebus religiosis non conferatur nisi viris in sacris disciplinis rite instructis et spiritu fidei animatis. Quem modum agendi Provincia Ecclesiastica Belgica pro posse suo secuta est et in futuro sequi non cessabit. 8.  Proinde, siquidem dialogus et cooperatio optima atque necessaria media sunt ad fidem eiusque scientiam promovendam, Episcopi gratum suum animum exprimunt de hac oblata opportunitate ad tam praeclarum finem prosequendum. Ita enim Magisterium Summi Pontificis atque Episcoporum et testimonium fidei Populi Dei omnibus magis coniuncta apparebunt. Responsio ad particularia 1.  De interpretatione Sacrae Scripturae Quod spectat interpretationem Sacrae Scripturae atque difficultates relate ad eius inspirationem, veritatem et historicitatem, autumamus regulas hermeneuticas a documentis Magisterii hisce ultimis decenniis traditas exegetis viam firmam ac tutam parasse. Proinde, qui labore exegetico, quatenus nempe ad dominium philo­logicum et historicum pertinet, methodis hisce disciplinis propriis utuntur, ipsius Ecclesiae instructiones fideliter et adamussim sequuntur. Insuper ita, fidelitate Ecclesiae praestita, fundamentales postulationes investigationis vere scientificae observant. Etenim, quia methodi variis disciplinis propriae nunquam permiscendae et confundendae sunt, exegeta profecto dum methodo philologica et historica prout decet utitur, Traditionem eiusque authenticam interpretationem a Magisterio nequaquam parvipendit neque obliviscitur. Methodus historico-critica non equidem nata est destruere veritatem Sacrae Scripturae ipsiusque Revelationis, sed potius optimum praebet auxilium ad Revelationem secundum antiquissima testimonia fidei nostrae intelligendam, et ad illam, ratione habita necessitatum ac flagitationum hominum aetatis nostrae, aptissimo modo exponendam. 2.  De evolutione dogmatica In regionibus nostris non videntur adesse theologi talem relativismum dogmaticum docentes aut spargentes, qui sensum obiectivum doctrinae mutationi obnoxium faceret. Nostrates remanent fideles doctrinae Vaticani I asserentis quod «sacrorum dogmatum is sensus perpetuo est retinendus, quem semel declaravit sancta mater Ecclesia» (Const. Dogm. De Fide Cath., cap. IV). Attamen relativismus dogmaticus non confundendus est cum sana dogmatico progressu quem praecise vera Theologia, qua fides quaerens intellectum, nata est promovere. Ille reapse progressus nostris temporibus plus quam in praeterita aetate necessarius urgensque apparet, ut Const. Gaudium et spes, sub n. 62, aperte agnoscit: «Scientiarum necnon historiae ac philosophiae recentiora studia et inventa etiam a theologis novas investigationes postulant». Progressus ille dogmaticus duobus modis parandus videtur. Imprimis promovenda est intimior veritatis revelatae intelligentia. Nulla enim definitio dogmatica sensum mysterii fidei modo exhaustivo exhibet. Insuper declarationes Magisterii solemnes saepe solummodo unum alterumve aspectum, illum nempe de quo ­controversia habebatur, in lucem ponere intendunt, ceteris aspectibus non ­consideratis. Proinde



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d­ efinitiones compleri possunt. Quibus complementis, si dentur, dogma non mutatur, sed completior penitiorque eius intelligentia redditur. – Promovenda deinde est etiam aptior dogmatis formulatio, uti clarissimis verbis S. P. Joannes XXIII in sua oratione Vaticanum II auspicante (11 oct. 1962) declaravit: «Aliud est depositum fidei seu veritates, aliud modus secundum quem enuntiatur». Plures definitiones dogmaticae, licet nullam philosophiam particularem ratam habeant, ad vocabularium origine sua philosophicum nihilominus recurrunt, ut fidei veritatem formulis plus minusve aptis exprimere valeant. Inde pro theologia dogmatica apparet momentum primordiale recte adhibendi tum scientiam historicam tum artem criticae textualis ad verum istarum formularum sensum patefaciendum. Munus itaque theologi erit imprimis quam accuratissime determinare quisnam sit obiectivus sensus dogmatis. Qua inquisitione facta, ei licet, immo incumbit quaerere formulationem magis magisque perfectam secundum votum documenti Gaudium et spes, sub n. 62, «Theologi, servatis propriis scientiae theologicae methodis et exigentiis, invitantur ut aptiorem modum doctrinam cum hominibus huius temporis communicandi semper inquirant». Nostris diebus, periculum non tam consistere videtur in totali relativismo dogmatico quam in confusione nimis frequenter adinissa inter hoc quod proprie est de fide et illud quod est simpliciter veritas connexa, aut immo explicatio mere humana. Optandum est ut Magisterium non appareat eodem pondere affirmationis omnes suas declarationes publicas facere, ne periculum exsurgat quod populus fidelis, immo forsan sacerdotes et nonnulli theologi insufficienter attendant ad varios gradus certitudinis et auctoritatis cum quibus de facto proponuntur. 3.  De Magisterio ordinario Quod spectat Magisterium ordinarium, et in specie Magisterium Summi Pontificis, non constat illud in nostra Provincia ecclesiastica aut contemni at negligi. Dum modum saltem habitualem agendi catholicorum nostrorum inspicimus, videmus declarationes Magisterii generatim ab eis aestimari, cum debita reve­ rentia accipi et in praxim deduci. Si nostris diebus aliqui apud nos difficultates experiuntur, hoc ex eo saepe provenit quod non rectam habeant Magisterii ordinarii notionem. Aliqui enim putant unamquamque orationem Summi Pontificis auctoritate proprie dogmatica, immo et infallibili gaudere. Optandum est itaque ut Magisterium adhuc clarius quam antea manifestet se non sumper eadem cum gravitate loqui, et iure in rebus tanti momenti prudentiam commendare, quin singulis vicibus solutionem defi­ nitivam imponere intendat. 4.  De veritate obiectiva Quod spectat punctum de veritate obiectiva, advertimus talem dari descriptionem «theologiae relativismo indulgentis», quae nullam omnino servet certitudinem de revelatione eiusque obiecto. Saltem pro quanto scimus, tales «relativistae» apud nos non exstant. E contra, theologi nostri plane conscii sunt «relativismum» et «historicismum» periculosas esse tendentias quae ad agnosticismum et atheismum ducere possunt. Ideo Scholae nostrae philosophicae et theologicae satagunt ut pro viribus suis erroneas sententias removeant atque positivo modo ostendant quomodo immutabilis veritas revelata cum progressu scientiarum et culturae humanae conciliari possit.

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Hic repetere iuvat observationem de non confundenda revelatione seu fide christiana cum illis formulationibus, quae propter suam cum propria epocha connexionem saepe imperfectae perficiendaeque inveniuntur. Ipsemet Summus Pontifex Paulus VI, in sua oratione secundam Sessionem Vaticani II auspicante (cf. Oss. Rom. 30 sept.-1 oct. 1963) haec lucida principia, integrum problema quodammodo illuminantia, cum Patribus Concilii communicare dignatus est: «Ecclesia mysterium est, scilicet arcana res, quae Dei praesentia penitus perfunditur ac propterea talis est naturae, quae novas semper ulterio­ resque suiipsius explorationes admittat … Conscientia Ecclesiae sibimetipsi clarescit». 5.  De Christologia Humanismum christologicum ob quem, secundum Epistulam Em.mi Dni Cardinalis, Christus ad conditionem simplicis hominis reduceretur, apud nos non comperimus. Si vero alicubi inveniretur, manifeste tanquam dogmati fundamentali contrarius reprobaretur. Revera tamen fatendum est inquisitionem christologicam hodiernam vividum sensum pro humanitate Christi manifestare. Quod convenit dogmati chalcedonensi, imprimis contra Eutychen realitatem huius humanitatis inculcanti. Revera plures hodierni theologi censent in christologia ultimorum saeculorum nimis exclusive divinitatem Christi ita extolli, ut vera et integra Eius humanitas insufficienter agnoscatur. Illi theologi textus invocant Sacrae Scripturae difficiliores, qui progressum scientiae vel etiam ignorantiam Christo tribuunt. Qui textus eis videntur non posse adamussim explicari mero progressu in manifestatione scientiae Christi inde a conceptione perfectae, vel quadam oeconomia qua Christus in exponenda sua doctrina usus esset. Ubi vero ab omnibus theologis nobis notis dogma ephesinum et chalcedonense firmiter agnoscitur, optatur tamen a pluribus ut sensus authenticus harum definitionum methodo historica melius delineetur. Admisso enim illo dogmate, quaestio hodie praecipua ponitur de unitate psychologica Christi. Antiqui Patres praesertim ontologicam constitutionem Verbi incarnati consideraverunt; nunc autem praesertim Eius psychologia consideratur. Unde problemata christologica oriuntur quae definitionibus antiquis non totaliter solvuntur. Ubi de virginali Christi conceptione et de Eius resurrectione sermo fit, agitur de factis quae, in seipsis spectatis, testes non habuerunt, ita ut de illis indirecta tantum notitia habeatur, hunc mediante testificatione Ecclesiae primaevae, illinc testibus mediantibus qui apparitionibus Christi resuscitati donati fuerunt. Pro quanto informamur, non occurere videntur apud nos theologi qui facta illa aut omnia miracula ad ordinem aperte naturalem reducere volunt. Ubi vero de miraculis evangelicis agitur, conandum est ut lumine omnium disciplinarum ad quas spectat problema miraculi, momentum et intentio testimonii auctorum sacrorum recte perpendantur, et simul significatio religiosa miraculorum in lucem adducatur. 6 et 7.  De Sacramentis Vix credere possumus aliquos vere catholicos Sacramentum Ss.ae Eucharistiae «ad quandam significationem» reducere, necnon Poenitentiae sacramentum «ad solam functionem socialem» redigere.



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Theologia sacramentorum revera valorem symbolicum sacrorum rituum in lucem ponit, at realitatem vel praesentiam efficacem divinam insimul declarat, immo forsan aptius quam antea. Fides in reali prae­sentia Corporis et sanguinis Christi in Ss.ma Eucharistia non quassatur, neque apud theologos neque apud populum christianum. Conscii vero ineptiarum quae a raris imperitis verbotenus plus quam scriptis proferuntur, invigilant Pastores ne temerarii illi viri plebem ultra perturbent. Doctrina ipsa in Litteris Encyclicis Mysterium Fidei sufficienter exponi videtur. Servato termino «transsubstantiationis» in tractatione theologica, quaerunt tamen theologi modum loquendi qui colloquio cum coaevis nostris, absque periculo dogmatico, aptior sit, praesertim ut plebs puerique ita efficacius erudiantur. Cupimus ut theologi illum conatum prosequi possint, secludendo imperitos a tali gravi investigatione. Quoad indolem sacrificalem Eucharistiae, devotio nostri populi non inspiratur solo desiderio alicuius solidarietatis spiritualis (agape), sed nititur in recta fide de convivio paschali, ut est sacrificium unicum et actuale Christi. Theologi etiam in illo aspectu insistunt, vitando quidem locutiones a quibus hodierni abhorrent, uti v.g. «iratum Deum sanguinis effusione placari». De ipsa doctrina nullam ambiguitatem Constitutio de Sacra Liturgia reliquit (n. 47). Tractatio theologica de Poenitentia quae apud nos in libris ad usum sacerdotum et in libellis ad usum fidelium datur, sane in aspectu ecclesiologico reconciliationis poenitentialis insistit, sed illum aspectum explicite et obnixe reconciliationi cum ipso Deo subordinat. Praeoccupantur pariter theologi de dispositione sincere et vere religiosa poenitentis obtinenda, et confessarios exhortantur ut in monitionibus suis poenitentem ad profundiorem et genuinum sensum de peccato erga Deum commisso perducant. Ad rectam fidem tenendam et praxim validam fovendam nil nobis aptius videtur quam expositio de Mysterio Ecclesiae quae est «veluti sacramentum seu signum et instrumentum intimae cum Deo unionis» (Lumen gentium, n. 1). Ita impedietur ne reconciliatio cum Ecclesia a divina reconciliatione separatim intelligatur (ibid., n. 11). 8.  De peccato originali Peccatum originale, quod semper magnum et obscurum mysterium involvit, intime cum universali redemptione Christi connectitur. Factum illud firmiter et caute tenendum est, et apud nos tenetur, adhibitis variis illius peccati explicationibus sive antiquioribus sive recentioribus. De explicatione enim naturae illius peccati plures revera haesitant, hoc saltem sensu quod exacte determinare non valent quidnam in hac notione ad dogma pertineat et quid ad theologiam. Insuper quaedam huius peccati propositio theologica et pastoralis satis sparsa, aegre ab hominibus excultis accipitur. Quoad primum punctum, scilicet de elementis quae certe ad dogma pertinent, plures optimae famae theologi, qui quaestionem serio et sincere sub lumine fidei examinaverunt, praedicatores et ministros verbi ad prudentiam hortantur. Quaedam enim doctrinae, quae in communi theologia, immo a Magisterio aliquando praesentantur, non necessario cum «nota theologica» maxima, scilicet ut dogma imponuntur. Quoad secundum punctum latere non potest excultos homines aegre ferre modum quo quandoque doctrina de peccato originali proponitur. Res ipsa de facto sat intricata est, et reflexio theologica in hac re vix i­nstitui

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potest sine connexione cum diversis disciplinis scientificis et philosophicis. De qua complexitate quaedam exempla brevissime referimus, ut nucleus difficultatis appareat. a) De scientiis naturalibus. Multi exculti homines rogant quomodo theoria de evolutione, – communiter inter peritos accepta, – in apparitione hominis componi possit cum repraesentatione hominis primaevi qualiter in doctrina theologica passim proponitur, v.g. cum explicationibus de donis praeternaturalibus sat mirificis. Rogant insuper utrum necne theologica explicatio de «transmissione peccati originalis per generationem» (quam admittunt) tam stricte intelligenda sit ut necessario debeat opponi cuivis hypothesi scientificae de polygenismo. b) De philosophia. Homines hodierni exculti aegre ferunt responsabilitatem vere moralem et personalem haberi, cum sequelis gravissimis, in peccato quodam in cuius perpetratione ipsi partem personalem nullam habuerunt, praesertim quia considerant culpam originalem extra contextum redemptionis, in quo contextu a Revelatione ipsa, v.g. Rom. 5, reponitur. Ceterum numerosae explicationes de «solidarietate» iam ex ipsa sua numerositate difficilem esse quaestionem demonstrant. Ulterior ergo investigatio requiritur, ratione habita de totalitate dogmatis. c) De exegesi. Exegetae, omnibus perspectis, de re illa fusius tractantes, tandem aliquando pauca asserunt. Genesis I-III pertinet ad aliquod genus litterarium satis particulare; intentio praecipua auctoris est affirmare non Deum esse originem mali; auctores scripserunt secundum «imaginem mundi» suo tempore vulgatam. Rom. 5 intendit ante omnia agere de universalitate redemptionis Christi; peccatum sumitur aliqua ratione analogica, includendo etiam peccata personalia; non semper apparet Apostolum voluisse docere et confirmare interpretationem litteralem Geneseos. d) De theologia. Ipsi theologi mentem Conciliorum (Carthag., Araus., Trident.) iterum interrogantes notant declarationes et formulas Conciliorum non semel immodice augeri, et quoad contentum (quia non sufficienter consideratur intentio praecisa Patrum Conciliarium), et quoad notam theologicam (propter indeterminationem ipsorum Conciliorum). Unde plures theologi non negant caput illud recognoscendum esse tum ad doctrinam «de fide» in tuto ponendam, tum ad libertatem investigationis et reflexionis, ubi licite haberi potest, tuendam. Quae quaestiones serio resolvi posse non videntur sine studiis et laboribus perlongis et collectivis, neque unquam exhaustive explanari pote­ runt. Ceterum studium traditionis Patrum Ecclesiarum Orientalium faciendum esset, speciatim pro periodo «Ecclesiae indivisae». 9.  De theologia morali In provincia belgica nullum novimus qui moralem situationis aut purum subiectivismum in re morali realiter doceat. In institutionibus tam theologicis quam philosophicis Ethica proponitur ut affirmatio normarum obiective pro omnibus ubique vigentium; quae insti­tutiones nomine Philosophiae aut Theologiae moralis vel etiam expresse Iuris naturalis decoratae, in lege divina fundantur. Nonnulli sane fideles ferventiores aut magis exculti frequentius, diebus nostris, explicite iudicio conscientiae nituntur; attamen iudicium illud prudenter



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efformare conatur, non proprio arbitrio indulgentes, sed quaerentes sapientem conformitatem cum lege divina, a Magisterio Ecclesiae proposita. E contra, apud rudiores quosdam periculum forte viget ne moralitas cum aliquo materiali conformismo aut positivismo confundatur. Quare cura pastoralis etiam eo tendit ut et ipsi magis magique veras regularum rationes sub lumine fidei rite perspiciant et humaniore modo agere valeant. Etsi ius naturale et ethica christiana instanter promoventur, neminem tamen latet quasdam quaestiones harum scientiarum denuo lumine tum Revelationis tum rationis perscrutandas esse, ut solutiones prudentes et fundatae afferantur. Ad ipsum valorem legis naturalis melius ostendendum quaedam puncta, praeeunte concilio Vaticano II enucleanda sunt. Leges enim naturae humanae, magis forsan quam olim, e tota rationali hominis natura eruendae sunt quam ex uno aliove tantum huius naturae aspectu. Periculum nasci potest ut errores quidam in tali inquisitionis opere exoriantur; conandum vero est ut conamina necessaria solutionis caute perpendantur prudenterque publicentur. Maxime autem periculosum nostra tam evoluta aetate videtur omnia illa conamina quae sincere ac fideliter Ecclesiae adhaerere intendunt, interpretari ut dubii, subiectivismi et situationismi semina. Studia igitur vere scientifica in re morali enixe commendanda sunt, immo urgent, cum fideles in hoc progrediente saeculo etiam velociter vivant et solutionibus theoreticis et practicis sufficienter claris indigeant. Praeterea modus loquendi coaetaneus, novis scientiis anthropologicis ac hodiernae reflexioni philosophicae, in quantum absque aberratione fieri potest, accomodatus, bene ac recte intelligatur oportet, quin faciliori suspicione quam argumentatione reiiciatur. Ita in specie de re coniugali a concilio Vaticano II praeclare proposita doctrina penitius evolvatur, atque secundum studia postea in Commissione Pontificali elaborata, per positivam Summi Ponitificis sententiam quam citius in praxim deducatur. Denique studia de re morali secundum vota concilii Vaticani II ad mentem Evangelii elaborentur. Defectus hac in re repertos decretum Optatam totius, sub n. 16, hisce verbis notavit et reprobavit: «Specialis cura impendatur theologiae morali perficiendae, cuius scientifica expositio, doctrina S. Scripturae magis nutrita, celsitudinem vocationis fidelium in Christo illustret eorumque obligationem in caritate pro mundi vita fructum ferendi». Ceterum, plures textus Concilii ad duplicem ordinem cognitionis etiam in re morali alludunt, scilicet ad legem, Evangelii et ordinationem rationis; quae altius in lege divina conveniunt, quia prior alteram ad se elevat (Decl. Lib. Rel., n. 2; Gaudium et spes, nn. 59 et 74). Relationes tandem intimae notantur inter legem divinam et dignitatem personae humanae (Gaudium et spes, n. 41) communitatem hominum» (ibid., n. 42), necnon civitatem humanam a laicis christianis ani­mandam (ibid., n. 43). 10.  De Oecumenismo Manifestationes adunationesque oecumenicae, etiam occasione Hebdomadae Orationis pro Unitate, in Belgio valde numerosae non sunt. Sane non pauci «indifferentes» in nostris regionibus reperiuntur; sed catholici qui inceptis oecumenicis participant, religionem ut rem gravem habent, fidemque catholicam melius cognoscere intendunt, intuitu et occasione colloquii cum non-catholicis. De cetero, Episcopi invigilant ne adunationes convocentur nisi cum licentia ecclesiastica et pluribus saepe assistentibus theologis.

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Numerus membrorum Ecclesiarum et Communitatum ecclesialium non-­ catholicarum non excedit 1 ad 2 % totius populationis Regni. Activitas sectarum, utputa Testium Jehovah, generatim individualis est, eiusque relativus successus non aliud quam zelum cleri localis exigit. Conclusio Neminem fugit Ecclesiam Ecclesiaeque Magisterium hodie componi cum incepto doctrinali, quod particulariter urgens et difficile apparet, et scopulis numerosis et arduis occurrit. At nulla difficultas nos avertere potest a munere officioque nostro proponendi Revelationem modo magis magisque perfecto atque quaestionibus mundi moderni solvendis melius aptato. Modus mere negativus agendi, quo satis haberetur errores vel deviationes denuntiare et condemnare ad fructuosam solutionem ducere nequit. Potius eo pertinget ut animos frangat egregiorum in re theologica aut exegetica opificum eorumque labores et progressus in posterum efficiendos impediat. Modus agendi positivus requiritur sicut, Deo favente, in nostra provincia deficere non videtur, ubi collaboratio et mutua fiducia vigent inter theologos et exegetas in genere ex una parte, et ab altera parte Episcopos, quibus Christus Dominus gregem Ecclesiamque suam pascendam commendavit.

Schéma de réponse de la Conférence épiscopale belge à la lettre de Son Éminence le Cardinal Ottaviani au sujet des erreurs dans la foi (traduction) Réponse générale 1.  Les évêques, membres de la Conférence épiscopale de Belgique, ont lu attentivement la lettre de Son Éminence le Cardinal Ottaviani, pro-préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et se réjouissent de la collaboration qui ainsi a heureusement commencé entre la Congrégation elle-même et les conférences épiscopales. De cette manière, les rapports entre le centre de la catholicité et les régions périphériques pourront être développés aussi bien pour recueillir une information plus large que pour perfectionner l’expression de la doctrine, tenant compte d’une diversité légitime dans les façons de penser et de vivre dans les différentes parties du monde. 2.  Les évêques de cette Conférence ont érigé une commission doctrinale, composée de plusieurs experts, qui aident l’épiscopat à trouver des solutions adéquates aux nouveaux problèmes, qu’on ne peut sous-estimer et qui proviennent du progrès réalisé dans l’exégèse et la dogmatique, dans les disciplines historiques et scientifiques et aussi dans la culture générale des hommes. Ainsi, selon le mot de Sa Sainteté Paul VI, les prédicateurs de l’évangile pourront recevoir une nouvelle vigueur. 3.  Bien sûr, ce progrès mentionné provoque quelquefois un certain trouble ou insécurité, à attribuer moins à des doutes sur la foi mais plutôt au désir de mieux comprendre et exprimer les vérités de la religion. En effet, on ne peut nier le danger que des hommes moins compétents confondent des essais intempestifs



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avec le progrès légitime et répandent imprudemment auprès de personnes peu compétentes leurs opinions prématurées et parfois peu ou pas conformes avec la foi. Cette manière d’agir est à déplorer et doit être autant que possible refrénée ou empêchée. 4.  D’ailleurs, en plus des problèmes particuliers mentionnés dans la lettre de Son Éminence le Cardinal Ottaviani, d’autres problèmes plus fondamentaux peuvent parfois surgir, notamment concernant l’existence de Dieu et sa nature, ou au moins la capacité de l’intellect humain d’atteindre la vérité d’un Dieu personnel et sa révélation. Toutes choses qui ne sont que difficilement admises par la mentalité dite «scientiste» contemporaine. 5.  Cette erreur semble surtout surgir quand la Vérité, qui est Dieu lui-même et son Verbe, est identifiée d’une façon absolue avec son expression dans des termes humains, qui appliqués aux réalités divines, sont analogues et ne sont jamais absolument adéquats. Quand la manière de parler et de penser change, selon les circonstances historiques, ceux qui tombent dans cette confusion, en abandonnant des formules ou notions qu’ils considèrent comme périmées ou fausses, mettent alors le mystère de la foi lui-même en danger. 6.  Afin de prévenir cette erreur ou d’y mettre un terme, le remède salutaire doit surtout être recherché dans le perfectionnement continuel de l’expression théologique et dans son adaptation prudente. Ainsi cette expression n’aura pas un sens étranger ou erroné mais sera purifiée et clarifiée afin que la splendeur parfaite de la foi dans un Dieu transcendant soit sans cesse mieux exprimée. Une réponse positive aidera de manière plus efficace à préserver la foi qu’une simple condamnation d’erreurs qui souvent sont davantage causées par de l’incompétence ou un manque de sens du mystère que par de la mauvaise volonté. 7.  On suggère que le Magistère promeuve des études sérieuses, surtout en exégèse, en dogmatique et en morale, qui seraient menées par des gens vraiment compétents. Et on demande que la Faculté d’enseigner les branches religieuses ne soit confiée qu’à des hommes dûment instruits dans les disciplines sacrées et animés d’un esprit de foi. La province ecclésiastique belge a fait son possible pour procéder de cette façon et continuera à le faire aussi dans l’avenir. 8.  Comme en effet le dialogue et la collaboration sont des moyens excellents et nécessaires pour promouvoir la foi et sa science, les évêques expriment leur reconnaissance pour l’opportunité qui leur est offerte dans la poursuite de ce but précieux. Ainsi le Magistère du Souverain Pontife et des évêques et le témoignage de la foi du Peuple de Dieu apparaîtront à tout le monde comme plus solidaires. Réponse aux questions particulières 1.  L’interprétation de la Sainte Écriture En ce qui concerne l’interprétation de l’Écriture Sainte et les difficultés au sujet de son inspiration, sa vérité et son historicité, nous sommes d’avis que les règles herméneutiques, données ces dernières décennies dans les documents du Magistère aux exégètes constituent une voie sûre et solide. De plus ceux qui s’adonnent à l’étude exégétique, pour autant que cela ressort du domaine philologique et historique, emploient les méthodes propres à ces disciplines et suivent fidèlement et ponctuellement les directives de l’Église. En plus, tout en restant

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fidèles à l’Église, ils observent les exigences fondamentales de la recherche scientifique. En effet, parce que les méthodes propres aux différentes disciplines ne peuvent être mélangées ou confondues, l’exégète qui – bien sûr – doit employer la méthode philologique et historique, ne méprise ni n’oublie la Tradition et son authentique interprétation par le Magistère. La méthode ­ ­historico-critique n’est pas née pour détruire la vérité de l’Écriture sainte et de sa Révélation, mais constitue une aide excellente pour comprendre la Révélation par les plus anciens témoignages de la foi et pour l’exposer de façon adaptée aux hommes de notre temps en tenant compte de leurs besoins et de leurs problèmes. 2.  L’évolution des dogmes Dans notre pays, il n’y a pas de théologiens qui répandent ou enseignent un relativisme dogmatique qui soumettrait le sens objectif de la doctrine au changement. Nos compatriotes restent fidèles à la doctrine du Vatican I qui affirme que «la signification des dogmes sacrés reste toujours à garder telle qu’elle a été déclarée par notre mère la sainte Église» (Const. Dogm. De Fide catholica, cap. IV). Cependant il ne faut pas confondre le relativisme dogmatique avec la saine évolution dogmatique que la vraie théologie – étant la foi qui cherche à comprendre – est appelée à promouvoir. Ce progrès apparaît en notre temps plus nécessaire et urgent que dans le passé, comme la Const. Gaudium et spes, n. 62, le reconnaît ouvertement: «les plus récentes recherches et découvertes des sciences, ainsi que celles de l’histoire et de la philosophie … exigent des nouvelles recherches de la part des théologiens eux-mêmes». Ce progrès dogmatique doit être préparé de deux façons. Il faut d’abord promouvoir une compréhension plus intime de la vérité révélée. En effet, aucune définition dogmatique n’exprime de façon exhaustive le sens du mystère de la foi. De plus, les déclarations solennelles du Magistère ont souvent uniquement comme but de mettre en lumière l’un ou l’autre aspect controversé, laissant de côté les autres. Et les définitions peuvent être complétées. Ces ajouts, quand ils sont donnés, ne changent pas le dogme mais rendent sa compréhension plus complète et profonde. Une formulation plus adaptée du dogme est à promouvoir, comme le disait le Souverain Pontife Jean XXIII dans son allocution à l’ouverture du concile Vatican II (11 octobre 1962): «Autre est le dépôt de la foi ou les vérités, autre la manière dont il est formulé». Plusieurs définitions dogmatiques, bien qu’elles ne consacrent aucune philosophie particulière, ont cependant recours à un vocabulaire philosophique, pour qu’elles puissent exprimer la vérité de la foi dans des formules plus ou moins appropriées. En conséquence, pour la théologie dogmatique, il est d’une importance primordiale d’utiliser exactement aussi bien la science de l’histoire que la critique des textes pour faire comprendre le vrai sens des ces formules. La tâche du théologien sera donc d’abord de déterminer le plus exactement possible le sens objectif du dogme. Après cette recherche il peut, mieux, il doit rechercher la formulation de plus en plus parfaite, selon le vœu exprimé dans Gaudium et spes, n. 62 «Les théologiens, tout en respectant les méthodes et les règles propres aux sciences théologiques, sont invités à chercher sans cesse la manière la plus apte de communiquer la doctrine aux hommes de leur temps». De nos jours, le danger ne semble pas tellement consister en un relativisme dogmatique total mais bien dans une confusion, trop souvent admise, entre ce qui est vraiment de fide et ce qui est simplement vérité connexe ou même une



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explication purement humaine. Il est à souhaiter que le Magistère n’attribue pas la même importance à toutes ses déclarations publiques afin de ne pas augmenter le danger que le peuple fidèle, ou même des prêtres et quelques théologiens, ne prêtent pas suffisamment d’attention aux degrés variables de certitude et ­d’autorité avec lesquelles ces déclarations sont en fait proposées. 3.  Le Magistère ordinaire Le Magistère ordinaire, et surtout le Magistère du Souverain Pontife, n’est pas méprisé ou négligé dans notre Province ecclésiastique. En considérant le mode d’agir habituel de nos catholiques, nous voyons que les déclarations du Magistère sont généralement estimées et acceptées avec le respect voulu, et mises en pratique. Si, de nos jours, certains éprouvent des difficultés, cela provient souvent du fait qu’ils n’ont pas une notion exacte du Magistère ordinaire. Certains croient que chaque discours du Souverain Pontife possède une autorité vraiment dogmatique, ou même jouirait de l’infaillibilité. Il est donc à souhaiter que le Magistère manifeste encore plus clairement que dans le passé qu’il ne se prononce pas toujours avec la même solennité. La prudence est à recommander dans des questions si importantes, sans que le Magistère n’entende à chaque fois imposer une solution définitive. 4.  La vérité objective Concernant le point de la vérité objective, nous remarquons qu’on donne une telle description de la «théologie qui favorise le relativisme» qu’elle ne garde aucune certitude de la révélation et de son objet. Pour autant que nous soyons au courant, il nous semble que ce genre de «relativistes» n’existe pas chez nous. Par contre, nos théologiens sont parfaitement conscients qu’aussi bien le «relativisme» que l’«historicisme» sont des tendances dangereuses qui peuvent mener à l’agnosticisme et à l’athéisme. Dans nos Facultés de Philosophie et de Théologie on fait un grand effort pour écarter ces opinions erronées et pour montrer de manière positive comment la vérité révélée immuable peut être conciliée avec le progrès des sciences et de la culture humaine. On peut répéter ici la remarque qu’on ne doit pas confondre la révélation ou la foi chrétienne avec ses formulations, qui sont toujours imparfaites et perfectibles, en raison de leur insertion dans leur époque. Le Souverain Pontife Paul VI lui-même dans son discours d’ouverture de la 2ème session du concile Vatican II (cf. Oss. Rom. 30 sept.-1 oct. 1963) a énoncé devant les Pères conciliaires ces principes clairs, qui illustrent bien ce problème, en disant: «L’Église est un mystère, une arcane, totalement remplie de la présence de Dieu, de telle nature qu’elle admet toujours de nouveaux approfondissements. L’Église approfondit sa conscience d’elle-même». 5.  La Christologie Chez nous on ne trouve pas un humanisme christologique, qui, selon la lettre de Son Éminence le Cardinal Ottaviani, réduit le Christ à la simple condition d’un homme. Si on le trouvait quelque part, il serait à réprouver comme manifestement contraire à un dogme fondamental.

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Il faut cependant avouer que la recherche christologique actuelle manifeste un vif intérêt pour la nature humaine du Christ. Ceci est conforme au dogme de Chalcédoine, qui a affirmé surtout contre Eutychès la réalité de cette nature humaine. Plusieurs théologiens actuels sont d’avis que la christologie des derniers siècles a mis en lumière de manière trop exclusive la divinité du Christ et qu’ainsi sa vraie et totale nature humaine était insuffisamment reconnue. Ces théologiens renvoient alors à quelques textes plus difficiles de l’Écriture Sainte, qui attribuent au Christ un progrès dans sa connaissance et même parfois son ignorance. Pour eux, ces textes ne peuvent être suffisamment expliqués, simplement par la manifestation progressive de la science du Christ, qui aurait été parfaite depuis sa conception, ni par une «économie» dont le Christ se serait servi dans l’exposé de sa doctrine. Malgré le fait que tous les théologiens que nous connaissons, professent le dogme d’Éphèse et de Chalcédoine comme vrai, plusieurs souhaitent que le sens authentique de ces définitions soit mieux étudié selon la méthode historique. Et une fois admis ce dogme, de nos jours reste encore le problème de l’Unité psychologique du Christ. Le Pères de l’antiquité considéraient surtout la constitution ontologique du Verbe incarné. Actuellement on considère surtout sa psychologie. C’est ainsi que des problèmes christologiques sont posés qui ne sont pas totalement résolus par les définitions anciennes. Quand on parle de la conception virginale du Christ et de sa résurrection, il s’agit de faits qui, considérés en eux-mêmes, ne sont pas attestés par des témoins. Ainsi on n’en a qu’une connaissance indirecte, par le témoignage de l’Église primitive, donc de la part de témoins à qui furent accordées les apparitions du Christ ressuscité. Pour autant que nous en sommes informés, il n’y a pas chez nous de théologiens qui voudraient réduire ces faits ou tous les miracles à l’ordre uniquement naturel. Là où il s’agit des miracles des évangiles, il faut essayer d’évaluer à sa juste mesure – et dans la lumière de toutes les disciplines concernées – l’importance et l’intention du témoignage des auteurs sacrés. Ainsi on pourra mettre en lumière la signification religieuse des miracles. 6 et 7.  Les Sacrements Nous pourrions à peine croire que de vrais catholiques puissent réduire le Sacrement de la Sainte Eucharistie à un signe ou le Sacrement de la Pénitence à une fonction uniquement sociale. La théologie sacramentaire met en lumière la valeur symbolique des rites sacrés mais affirme en même temps la réalité ou la présence efficace divine, et ceci même de manière plus appropriée qu’autrefois. La foi dans la présence réelle du Corps et du sang du Christ dans la Sainte Eucharistie n’est pas ébranlée ni parmi les théologiens ni dans le peuple chrétien. Toutefois conscients des inepties répandues par des incompétents, – plutôt oralement que par écrit – les Pasteurs veillent à ce que ces téméraires ne troublent plus le peuple. La doctrine elle-même a été suffisamment expliquée dans l’encyclique Mysterium fidei. Tout en gardant le terme de «transsubstantiation» dans les traités de théologie, les théologiens cherchent cependant une manière de parler qui soit plus adaptée à nos contemporains, sans aucun danger pour le dogme, afin que le peuple et les enfants soient mieux instruits. Nous désirons que les théologiens puissent c­ ontinuer cet effort, mais en excluant les incompétents dans une recherche si importante. Quant au caractère sacrificiel de l’Eucharistie, la piété de notre peuple n’est pas



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inspirée par le seul désir d’une certaine solidarité spirituelle (agapè) mais est fondée dans la vraie foi au repas pascal, qui est le sacrifice unique et actuel du Christ. Les théologiens insistent sur cet aspect, tout en évitant certaines manières de parler que nos contemporains ont en horreur comme par ex. «le Dieu en colère doit être apaisé par l’effusion du sang». Quant à la doctrine, la Constitution sur la Sainte Liturgie (n. 47) a enlevé toute ambiguïté . Le cours théologique «De Poenitentia» qui est donné chez nous dans les traités à l’usage des prêtres et dans les livres pour les fidèles, met bien sûr l’accent sur l’aspect ecclésiologique de la réconciliation pénitentielle, mais cet aspect est toujours explicitement et avec insistance subordonné à la réconciliation avec Dieu. Les théologiens sont aussi soucieux d’obtenir une disposition sincère et vraiment religieuse de leurs pénitents et encouragent les confesseurs pour qu’ils amènent par leurs conseils le pénitent à un vrai et authentique sens du péché qui est toujours commis devant Dieu. On a institué des célébrations pénitentielles dans des circonstances particulières, qui rendent manifeste l’aspect ecclésial; les textes de l’Écriture Sainte et les prières employées aident à procurer une conversion authentique au Dieu saint. D’ailleurs la confession individuelle est maintenue. Pour garder la vraie foi et une pratique valable, rien ne nous paraît plus indiqué que l’exposé sur le Mystère de l’Église qui est «en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu» (Lumen gentium, n. 1). Ainsi on empêchera que la réconciliation avec l’Église puisse être comprise comme séparée de la réconciliation avec Dieu (ibid., n. 11). 8.  Le péché originel Le péché originel, qui constitue toujours un grand et obscur mystère, est lié par une relation intime à la rédemption universelle par le Christ. Le fait doit être tenu avec fermeté et avec prudence, ce qui se fait chez nous, moyennant des explications sur ce péché aussi bien celles d’autrefois que de plus récentes. Plusieurs hésitent quant à l’explication de la nature de ce péché, en ce sens qu’ils ne savent pas exactement déterminer ce qui dans l’intelligence de ce dogme appartient au dogme ou bien à la théologie. De plus une certaine présentation théologique et pastorale assez répandue de ce péché n’est que difficilement acceptée par les hommes cultivés. Quant au premier aspect, les éléments qui appartiennent certainement au dogme, plusieurs théologiens renommés, qui ont examiné la question sérieusement et sincèrement dans la lumière de la foi, conseillent la prudence aux prédicateurs et aux ministres de la Parole. Certaines doctrines, qui sont parfois présentées dans la théologie courante, et même par le Magistère, ne doivent pas l’être avec une «note théologique» maximale ou imposées comme dogme. Quant au second aspect on ne peut pas se cacher que des hommes cultivés ne supportent que difficilement la manière avec laquelle la doctrine du péché originel est proposée. Le fait lui-même est assez compliqué, et il est presque impossible dans cette matière d’entreprendre une réflexion théologique sans lien avec les disciplines scientifiques et philosophiques. On donne ici brièvement quelques exemples pour qu’on cerne mieux le noyau de la difficulté: a) Les sciences naturelles. Beaucoup de gens cultivés se demandent comment la théorie de l’évolution – communément acceptée par les scientifiques – dans l’apparition de l’homme peut être conciliée avec la représentation de l’homme

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primitif comme elle est proposée dans la doctrine théologique, par ex. avec des explications concernant les dons préternaturels assez étonnants. Ils se demandent en plus si l’explication théologique de la transmission du péché originel par génération (ce qu’ils admettent) doit être comprise d’une façon si stricte qu’elle s’oppose nécessairement à toute hypothèse scientifique du polygénisme. b) La philosophie. Les hommes cultivés de nos jours n’acceptent que difficilement qu’ils pourraient porter une vraie responsabilité morale et personnelle, avec des conséquences très graves, pour un péché commis sans qu’ils n’y aient eu aucune part personnelle. Et surtout parce qu’ils envisagent la faute originelle en dehors du contexte de la rédemption, contexte présent dans la Révélation elle-même, par ex. dans Rom. 5. D’ailleurs les multiples explications de la «solidarité» prouvent déjà par leur grand nombre combien le problème est difficile. Il faut donc faire des recherches ultérieures qui tiennent compte de la totalité du dogme. c) L’exégèse. Tout bien considéré, les exégètes ont souvent traité de cette question mais finalement ils n’ont fait que peu d’affirmations. Genèse I-III appartient à un genre littéraire assez particulier; l’intention de l’auteur est d’affirmer que Dieu n’est pas la cause du mal; les auteurs ont écrit selon la vision du monde qui était courante dans leur époque. Rom. 5 veut traiter avant tout de l’universalité de la rédemption du Christ; le péché est traité selon une raison analogique, qui comprend aussi les péchés personnels; il ne semble pas que l’Apôtre a toujours voulu enseigner et confirmer une interprétation littérale de la Genèse. d) La théologie. Les théologiens eux-mêmes qui s’interrogent à nouveau sur le sens des conciles (Carthage, Orange, Trente), ont noté que souvent les déclarations et les formules des conciles ont été majorées de façon excessive et quant au contenu (parce qu’on ne tient pas suffisamment compte de l’intention précise des Pères conciliaires) et quant à leur note théologique (à cause de l’indétermination des conciles eux-mêmes). En conséquence plusieurs théologiens sont d’avis qu’il faut réexaminer ce chapitre et cela aussi bien pour mettre en sécurité la doctrine de fide, que pour garder la liberté de recherche et de réflexion, là où cela est légitime. Ces questions ne pourront être résolues que par des études prolongées et collectives, et ne pourront jamais être complètement expliquées. Il faut d’ailleurs entreprendre aussi une étude des Pères de l’Église orientales, surtout pour la période où l’Église était encore indivise. 9.  La théologie morale Dans la province belge, nous ne connaissons personne qui enseigne la morale de situation ou le pur subjectivisme dans les questions morales. Dans l’enseignement aussi bien philosophique que théologique, l’éthique est présentée comme l’affirmation de normes objectivement valables pour tous et partout. Cet enseignement, appelé philosophie ou théologie morale et aussi Droit naturel, est fondé sur la loi divine. Toutefois de nos jours assez bien de fidèles – surtout parmi les plus fervents ou les plus cultivés – s’appuient explicitement sur le jugement de leur conscience. Cependant on essaie de former sagement ce jugement pour qu’ils ne s’appuient pas sur leurs propres idées mais recherchent la conformité avec la loi de Dieu, proposée par le Magistère de l’Église. Par contre chez les



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gens plus simples le danger existe parfois que la moralité soit confondue avec un conformisme matérialiste ou positiviste. C’est pourquoi la pastorale travaille à ce que ceux-ci comprennent de plus en plus les vraies raisons des règles sous la lumière de la foi et puissent ainsi se comporter d’une façon plus humaine. Bien que le droit naturel et l’éthique chrétienne soient promus avec insistance, personne ne peut nier que certains problèmes appartenant à ces sciences doivent à nouveau être examinés sous la lumière aussi bien de la Révélation que de la raison afin que des solutions prudentes et motivées puissent être trouvées. Pour mieux montrer la valeur de la loi naturelle certains points doivent être développés, à la lumière du concile Vatican II. En effet, plus que par le passé, les lois de la nature humaine, sont à développer à partir de toute la nature rationelle de l’homme plutôt que par l’un ou l’autre aspect de cette nature. Le danger pourrait exister que certaines erreurs surgissent dans ce travail d’investigation. Il faut être très attentif en notre époque de grande évolution, car il serait très dangereux d’interpréter tous ces essais comme des doutes, du subjectivisme ou des germes de «situationisme», alors que leurs auteurs veulent sincèrement et fidèlement rester attachés à l’Église. Les recherches pour une morale vraiment scientifiques sont à recommander vivement et sont même urgentes, car les fidèles vivent dans un siècle en rapide évolution et ont besoin de solutions théoriques et pratiques suffisamment claires. De plus, la manière de parler de nos contemporains, tributaire des nouvelles sciences anthropologiques et de la réflexion philosophique actuelle, doit être comprise de façon exacte, et, pour autant que cela puisse se faire sans erreur, elle ne doit pas être rejetée par des suspicions faciles mais bien par des arguments. On demande que la doctrine de la morale conjugale si clairement proposée par le concile Vatican II et ultérieurement élaborée par les études de la commission pontificale, soit aussi vite que possible mise en pratique par une déclaration positive du Souverain Pontife. Enfin, on demande que les études de morale soient entreprises selon les vœux du concile Vatican II selon l’esprit de l’Évangile. Les carences constatées ont été indiquées et réprouvées par le Décret Optatam totius, n. 6: «On apportera un soin particulier à l’enseignement de la théologie morale. L’exposé scientifique de cette matière devra être davantage nourri de la doctrine de la sainte Écriture. Il mettra en lumière la sublime vocation des fidèles dans le Christ et leur devoir de porter des fruits dans la charité pour la vie du monde». D’ailleurs plusieurs textes du Concile font allusion au double ordre de la connaissance dans la morale, notamment la loi de l’évangile et les prescriptions de la raison. Elles se rejoignent dans une synthèse supérieure dans la loi divine, parce que la première exhausse vers soi la seconde. (Déclaration sur la liberté religieuse n. 2; Gaudium et spes, nn. 59 et 74.) Il y a des relations intimes entre la loi divine et la dignité de la personne humaine (Gaudium et spes, n. 41), entre la communauté des hommes (ibid. n. 42) et la cité humaine qui doit être animée par les laïcs chrétiens (ibid., n. 43). 10.  L’œcuménisme Les manifestations et les réunions œcuméniques, notamment à l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité, ne sont pas très nombreuses en Belgique. Il y a pas mal d’«indifférents» dans nos régions, mais les catholiques qui participent à des initiatives œcuméniques considèrent la religion comme une affaire sérieuse,

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et désirent mieux connaître la foi catholique par les contacts et les rencontres avec des non-catholiques. Et les évêques veillent à que ces assemblées ne soient convoquées qu’avec la permission de l’Église et avec l’assistance de plusieurs théologiens. Le nombre des membres d’Églises et de communautés non-catholiques ne dépasse pas 1 à 2% de la population belge. Les activités des sectes, comme les Témoins de Jéhovah, s’adressent surtout aux individus, et leur succès relatif ne requiert que le zèle du clergé local. Conclusion Il est évident que de nos jours l’Église et son Magistère sont confrontés à une mission doctrinale particulièrement urgente et difficile, qui comporte des écueils nombreux et ardus. Mais aucune difficulté ne peut nous détourner de notre tâche et de notre devoir de proposer la Révélation de la façon la plus parfaite, adaptée à résoudre les problèmes du monde moderne. Une attitude purement négative consistant à croire qu’il suffirait de dénoncer et de condamner les erreurs ou les déviations, ne pourrait conduire à une solution adéquate. Elle mènerait plutôt au décourager les meilleurs théologiens ou exégètes et leurs travaux; elle empêcherait les progrès à accomplir dans l’avenir. Une façon positive d’agir est nécessaire. Grâce à Dieu, elle ne manque pas dans notre province où en général il règne une collaboration et une confiance mutuelle entre d’une part les théologiens et les exégètes et d’autre part les évêques, à qui le Christ notre Seigneur a confié de paître son troupeau et son Église.

14 LES 13 SUGGERIMENTI ENVOYÉS PAR MGR FELICI AU CARDINAL OTTAVIANI, LE 19 MAI 1964 Ces Suggerimenti envoyés à la commission doctrinale, et discutés et amendés par elle, ont parfois été sous-estimés dans l’histoire du chap. III de Lumen gentium. Pourtant ils traduisent nettement l’inquiétude de Paul VI lui-même concernant certaines formulations de la doctrine de la collégialité. On a même suggéré que si la commission n’avait pas rejeté ou amendé certains Suggerimenti la Nota Explicativa Praevia n’aurait jamais vu le jour. Essayons de présenter ici brièvement l’origine et l’histoire, les auteurs, la signification et le sort ultérieur de ces Suggerimenti. I.  L’approbation du n° 22 sur la collégialité dans la commission doctrinale, le 6  mars 19641 Le 6 mars 1964, la commission traite du n° 22 sur la collégialité et Charue note avec enthousiasme: «Le card. Ottaviani n’insiste pas. Qui l’aurait cru, la collégialité est votée ‘unanimiter; etiam a Praeside’, fait ajouter le card. Ottaviani. Il paraît content. En tout cas, il est bon joueur. À la sortie, on dit que le 6 mars sera dorénavant ‘Festum conversionis Cardinalis Ottaviani’»2.

1. Pour le rapport et les discussions à la commission doctrinale, voir surtout L. Declerck – C. Soetens, Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue (Cahiers de la RTL, 32), Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 2000 [= Carnets Charue], pp. 191-211; H. Schauf, Tagebuch zum Zweiten Vatikanischen ­Konzil, Domarchiv, Aix-la-Chapelle [= Journal Schauf] [non publié], pp. 160-165; O. Semmelroth, Tagebuch zum II. Vatikanischen Konzil 1962-65 [non édité], Archiv der Norddeutschen Provinz der Gesellschaft Jesu, München, copie dans Archiv der Hochschule St. Georgen, Frankfurt [= Journal Semmelroth], pp. 64, 71-74; Journal Smulders [non publié], Nimègue, III, pp. 20-23. Konzilstagebuch Sebastian Tromp S.J. mit Erläuterungen und Akten aus der Arbeit der Kommission für Glauben und Sitten. II. Vatikanisches Konzil, éd. A. von Teuffenbach, Nordhausen, Bautz, 2014, 3/1, pp. 477, 619-689; Y. Congar, Mon Journal du Concile, éd. É. Mahieu, Paris, Cerf, 2002 [= Journal Congar], II, pp. 84-106. 2. Cf. Carnets Charue, p. 162.

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Notons que Browne distribue encore un texte avec ses propres idées3, qui toutefois n’est plus discuté, et que le 9 mars, Colombo qui semble bien inspiré par le pape (Mgr Philips le confirme) suggère de revenir sur le n° 22 pour y introduire quelques mots disant que le Pape n’est pas tenu de prendre ses collaborateurs parmi les évêques … Ce à quoi on répond que, du point de vue juridique, le pape garde toute sa liberté4. II. Réactions en mars,

avril et mai

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à cette approbation

Dès le 8 mars, Bertrams écrit à Colombo pour soulever quelques objections sur le texte approuvé et il ajoute une note: De potestate iurisdictionis Episcoporum5. Il y affirme: «Potestas (jurisdictionis) quoad 3.  L. Declerck – W. Verschooten, Inventaire des Papiers conciliaires de Mon­ seigneur Gérard Philips, secrétaire adjoint de la Commission doctrinale (Instrumenta Theologica, 24), Leuven, KUL – Bibliotheek van de Faculteit Godgeleerdheid, 2001 [= F. Philips], 1353 et 1895. 4.  Carnets Charue, p. 166. 5.  Cf. F. Colombo (Facoltà Teologica di Milano) 1602-1603 (avec nos remerciements à Andrea Bellani). Le Père W. Bertrams s.j., canoniste allemand et professeur à la Grégorienne était un conseiller influent auprès de Paul VI et de Mgr C. Colombo (voir le F. Colombo). Il n’était pas comme Staffa ou Carli un adversaire résolu de la collégialité mais envisageait la question surtout dans une perspective juridique. C’est ce que lui reprochaient Mgr Heuschen, Ratzinger, Philips et Mgr Charue (non sans raison, Mgr Charue avait écrit dans une note «À propos de la Collégialité épiscopale» envoyée à Paul VI après son audience du 16.3.1964: «Bien des confusions viennent de ce qu’on s’en tient à l’alternative du ‘moral’ et du ‘juridique’ … Or, il faut aller au-delà du moral et du juridique, jusqu’au théologique et jusqu’à l’institution par le Christ. … Il y a de-ci de-là des esprits qui traitent tout dans un juridisme étroit. Il faut dépasser le domaine de la juridiction pour voir le fondement doctrinal». Cf. L. Declerck, Inventaire des Papiers conciliaires de Mgr A.-M. Charue, Évêque de Namur, Deuxième Vice-Président de la Commission doctrinale, avec une Introduction par A.  Haquin [Instrumenta Theologica, 40], Leuven – Paris – Bristol, CT, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2017 [= Inventaire Charue], p. 114). Voir aussi Mgr Heuschen (L. Declerck, Inventaires des Papiers conciliaires de Monseigneur J.M. Heuschen, évêque auxiliaire de Liège, membre de la Commission doctrinale, et du Professeur V. Heylen [Instrumenta Theologica, 28], Leuven, Faculteit Godgeleerdheid – Maurits Sabbebibliotheek, 2005 [= F. Heuschen] 553), Mgr Philips (cf.  K. Schelkens, Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, Secrétaire-adjoint de la Commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires. Avec une introduction par L. Declerck [Instrumenta Theologica, 29], Leuven, Peeters – Maurits Sabbebibliotheek – Faculteit Godgeleerdheid, 2006 [= Carnets Philips], p. 142) et Ratzinger (cf. J. Ratzinger, Ergebnisse und Probleme der dritten Konzilsperiode, Köln, Bachem, 1965, surtout p. 61: «Es stehen sich gegenüber einerseits ein Denken, das von der ganzen Breite der christlichen Überlieferung ausgeht und von ihr aus die ständige Weite der kirchlichen Möglichkeiten zu beschreiben sucht; auf der anderen Seite ein rein systematisches Denken, das allein die gegenwärtige Rechtsgestalt der Kirche als Massstab seiner Überlegungen zulässt und so jede Bewegung über sie hinaus als einen Sturz ins Bodenlose scheuen muss. Ihr Konservatismus beruht auf ihrer Geschichtsfremdheit und so im Grunde auf einem Mangel an Tradition, nämlich an Offenheit für das Ganze der christlichen Geschichte»).



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substantiam collata in consecratione episcopali ordinatur ad regimen habendum in Ecclesia, attamen non iam habentur subditi in concreto. Ad habendum subditos in concreto requiritur missio canonica, ita ut missione canonica deficiente potestas sit iuridice inefficax, exercitium esset invalidum». Il est évident que pour les Orthodoxes cette thèse est inacceptable. Début avril, Ottaviani se rend chez le pape pour lui dire qu’il regrette son vote positif sur le n° 22 et déclare à Felici qu’il s’est laissé émouvoir par l’atmosphère6. Le pape demande aussi à Felici son avis. Felici lui écrit une lettre, le 4 avril 19647, où il affirme: «la questione di per se complessa e delicata, sembra immatura per una decisione conciliare». La réunion de la commission de coordination du 15-16 avril 19648 Le texte De Ecclesia (chap. I-VI) était prêt et on croyait qu’on pourrait l’envoyer aux Pères, quand, le 16 avril, Cicognani a pris la parole et s’est livré à une attaque fantastique au sujet de la collégialité considérant cela presque comme une hérésie9. Le résultat a été que le De Ecclesia n’a été envoyé aux Pères que le 3 juillet 1964. Le 25 avril 1964, L. Ciappi envoie une longue note à Dell’Acqua sur le Cap III. Il l’a rédigée «per venerato incarico», donc probablement à la demande du pape. Toutes les objections classiques contre la collégialité y sont réunies10. Il y ajoute une Note de P. Ramirez, qui, lui, conclut: «nondum esse maturam ut hac de re concilium Vaticanum II loquatur in Constitutione aliqua dogmatica»11. Le 8 mai, Felici note que le pape a institué une commission pour revoir le chap. III du De Ecclesia. Elle est composée de Garrone, Colombo, Bertrams et Ramirez12.

6.  V. Carbone, Il ‘Diario’ conciliare di Monsignor Pericle Felici, éd. A. Marchetto, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2015, p. 380. 7.  AS VI, III, pp. 128-129. 8. Voir D. Bosschaert – L. Declerck (éds), Notes personnelles de Mgr A. Prignon, recteur du Pontificio Collegio Belga, sur les événements de la 2e session et de la 2e intersession du concile Vatican II. Préface de Mgr J.-P. Delville, évêque de Liège (Instrumenta Theologica, 42), Leuven, Maurits Sabbe Library – Faculty of Theology and Religious Studies – Peeters, 2020. Et Processus verbalis, AS V, II, pp. 289-293. 9.  Bosschaert – Declerck, Notes personnelles de Mgr. Prignon (n. 8), p. 76. 10.  AS VI, III, pp. 137-146. 11.  AS VI, III, p. 148. 12.  AS VI, III, p. 166.

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Le rapport de cette commission qui s’est réunie deux fois, les 14 et 15 mai 1964 est signé par Felici et daté du 25 mai 196513. Ce rapport contient les 13 Suggerimenti en question. Remarquons déjà: 1° que les membres de ce groupe étaient tenus au secret le plus strict; 2° que ce groupe a été institué à l’insu total de la commission doctrinale. Que ni Parente, ni Tromp, ni Philips, ni Charue (et même probablement Ottaviani) n’étaient au courant; 3° que la composition du groupe semble être influencée par le pape luimême: avec son théologien personnel, Colombo, Bertrams, en qui il avait grande confiance, Garrone, de tendance ouverte et Ramirez, traditionaliste. III.  Les 13 Suggerimenti Le 19 mai, Felici envoie à Ottaviani une lettre avec des «suggestions» au nom du pape. Il y ajoute: – Suggerimenti per la Revisione del Capitolo III dello Schema De Ecclesia (2 p.) – Pericopae revidendae N. B. Ut melius intelligatur … (7 p.)14. Voici la liste de ces Suggerimenti;   1) Nella parte introduttoria del Capitolo III, ove si riafferma la fede nel Primato, definito dal Vaticano I, l’espressione di pag. 18, n. 18, l. 17: cunctis fidelibus credendum rursus proponit, sia completata cosi: cunctis fidelibus firmiter credendum rursus proponit.   2) A pag. 20, n. 21, l. 24, invece di munera quoque confert docendi et regendi; quae tamen nonnisi in communione etc., dire: munera quoque confert docendi et regendi, quae tamen natura sua nonnisi in communione etc.   3) A pag. 20, n. 22, l. 33: Sicut, statuente Domino: si desidera una conveniente documentazione (dalla S. Scrittura e della Tradizione) di quanto asserto. L’affermazione è di importanza fondamentale.   4) Ib. l. 39: dopo: itemque concilia celebrata: aggiungere: praesertim oecumenica. 13.  AS VI, III, pp. 184-185. 14.  F. Philips 1396-1398.



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  5) A pag. 21, n. 22, l. 8-9: dopo: ut capite eius intellegatur: aggiungere: Eiusque integre servata potestate Primatus in omnes sive Pastores sive fideles.   6) Ib. l. 9sqq.; in luogo di: Romanus Pontifex … et universalem potestatem: dire: Romanus Pontifex habet in Ecclesiam, vi muneris sui, Vicarii scilicet Christi et totius Ecclesiae Capitis, plenam, supremam et universalem potestatem, quam semper et libere exercere valet.   7) Ib. l. 14: in luogo di: subiectum quoque supremae et plenae etc.: leggere: subiectum quoque exsistit supremae et plenae potestatis in universam Ecclesiam, iuxta Capitis ordinationem exercendae.   8) Ib. l. 17: illud autem etc.: si domanda se sia sufficiente il testo citato per provare che il potere di legare e sciogliere concesso al collegio degli Apostoli sia parallelo a quello dato a Pietro personalmente. Sarà forse utile il voto di un Biblista15.   9) Ib. l. 22sq.: in luogo di: primatum et principatum Capitis sui: dire: primatum et principatum Capitis Ecclesiae . 10) Ib. l. 32sq.: in luogo di: dummodo Caput collegii eos ad actionem collegialem invitet: dire: dummodo Ipse (Papa), uni Domino devinctus, eos ad actionem collegialem vocet. 11) A pag. 21, n. 23, l. 37sq.: Sicut Romanus Pontifex, etc. … ita episcopi singuli etc.: togliere le due particelle comparative: sicut, ita, e leggere il periodo cosi: Romanus Pontifex, ut successor Petri etc. … visibile fundamentum; Episcopi singuli principium et centrum etc. … 12) A pag. 24, n. 25, l. 16: in luogo di Romanus Pontifex, Collegii Episcoporum Caput, vi muneris sui gaudet etc.: dire: Romanus Pontifex vi muneris sui gaudet, quando ut supremus omnium christianorum pastor et doctor, qui fratres suos in fide confirmat etc. 13) A pag. 26, n. 27, l. 4sq.: anziché ultimatim regatur: dire: coordinandum sit. IV. Premières réactions à ces 13 Suggerimenti Le 25 mai, Schauf apprend par une lettre de Tromp (du 20 mai) l’envoi des Suggerimenti par Felici. Il réagit per un «Deo gratias» et écrit que cela vaut certainement la peine de faire le voyage à Rome en juin. Il est d’ailleurs d’avis que les corrections du pape sont «generatim gut» et il s’en réjouit. 15.  Le 21 mai, Felici dit à Tromp que le pape veut que la commission biblique soit consultée.

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Le 30 mai, Mgr Charue se rend à Rome pour les réunions de la commission doctrinale du 1er au 6 juin. Mgr Prignon lui annonce par téléphone que Don Medina16 vient d’apprendre que le pape impose des corrections sur la collégialité. Mais, avec Prignon, il est d’avis que Medina met vite les choses au tragique. À 21h, quand il a vu le texte, cela lui paraît grave. Le dimanche 31 mai, Charue se rend au Collège belge où se trouvent Philips, Heuschen, Delhaye et Moeller17. Au souper il est convoqué le lendemain matin avec Philips par Molari18 pour le conseil de présidence de la commission afin d’y parler du document du pape. Avec ses commensaux, assez inquiets, il convient qu’il faudrait d’abord savoir si le pape impose ces modifications ou les soumet librement aux délibérations de la commission. Le point le plus grave selon eux est qu’on remet en question la collégialité, votée presque à l’unanimité. Le 1er juin, au conseil de présidence (où Ottaviani était absent), Browne répondant aux questions précises de Charue, dit que c’est la volonté du pape mais qu’il pense qu’on peut délibérer et proposer des changements dans la formule. Il apparaît que Tromp ignorait tout et était ennuyé. Au dîner (au Collège belge), on souhaite que Charue voie le pape. Mais celui-ci hésite, parce qu’il a déjà demandé une audience il y a peu. V. Discussions à la commission doctrinale Lundi, 1er juin 1964 À 9h Tromp parle avec Browne, qui est préoccupé par la question de la collégialité. À 11h, il y a une réunion du praesidium de la commission doctrinale et Charue pose la question de savoir si les Suggerimenti sont imposés. À 16h30: réunion plénière. 16.  Jorge Medina Estévez (1926-), prêtre du diocèse de Santiago de Chili, peritus conciliaire, cardinal et préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements de 1998 à 2002. Cf. S. Arenas, Inventario de los Archivos Conciliares Chilenos. I: Archivo Medina – Archivo Larraín, Santiago de Chile, Facultad de Teologia. Pontificia Universidad Católica de Chile, s.d. (2019) qui démontre largement ses contacts avec les Belges. 17.  Il faut se souvenir que Charue ne logeait pas au Collège belge mais bien à la clinique des Sœurs de Namur, Via Cesare Correnti, 6. 18.  Carlo Molari (1928-), professeur de théologie, aiutante di studio au Saint-Office. Il assistait Ottaviani dans son travail pour la commission doctrinale, mais était de la tendance ouverte.



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Mgr Parente dit à plusieurs personnes (Philips, Charue) que le pape est actuellement l’objet d’intrigues et que c’est un siège en règle. Au retour, le soir, Molari dit à Charue que les textes du pape sont un compromis et que, par ex., Browne trouve que c’est trop peu. Au souper au Collège belge, Charue apprend que Philips a vu Colombo, qui souhaite que plusieurs aillent chez le pape, que celui-ci souhaite entendre d’autres voix19. Philips et Heuschen préparent déjà une répons20. Charue apprend aussi que la commission biblique a déjà répondu aux questions 3 et 8 et il regrette qu’ils n’aient pas attendu l’avis de Cerfaux et de Rigaux. Cependant, il estime que la réponse n’est pas mauvaise. Ils répondent oui au n° 3 et «non constat» au n° 8, mais ils ne nient pas que l’éclairage et la preuve peuvent venir d’autre part. Mardi, 2 juin 1964 Quant à l’origine des Suggerimenti, Parente a dit à Philips que cela vient du cardinal Browne (sans doute avec le Père Gagnebet). Prignon a vu le P. Dhanis qui pense que c’est venu de la crainte alimentée par certaines exagérations (par Küng, Daniélou). À 15h, au Collège belge, se réunissent Charue, Šeper, Schröffer, Volk, McGrath, Henriquez, Heuschen et Philips21. On se met d’accord sur l’attitude à avoir vis-à-vis des textes «du Pape». On doute de plus en plus qu’ils viennent de lui sans plus. Garrone et Ancel n’ont pas pu venir22. On souhaite que plusieurs demandent une audience. Mgr Garrone l’a déjà demandée. Mgr Prignon a aussi, hier soir, alerté le cardinal Suenens. À 16h30: Réunion. Colombo remet à Charue sub secreto la Note qu’il a remise au SaintPère sur le chap. III De Ecclesia23. Il confirme que nous pouvons discuter librement les propositions du pape. Si cette Note a pu influencer les19.  Quand on se souvient que Colombo faisait partie du groupe qui avait rédigé les 13 Suggerimenti, on peut s’étonner de ce souhait de Colombo. Le rôle de Colombo – également pendant la rédaction de la Nota Explicativa Praevia – sera souvent ambigu: théologien ouvert? homme de confiance et porte-parole de Paul VI? 20.  Cf. F. Philips 1402. 21.  Pour cette réunion, cf. Bosschaert – Declerck, Notes personnelles de Mgr. Prignon (n. 8), pp. 95-96. 22.  Cela se comprend, vu le fait que Garrone, pourtant proche de Charue et appartenant à la majorité, a fait partie du groupe qui a rédigé les Suggerimenti. Ce qu’il n’a révélé à personne. 23.  F. Philips 1401: «Nota sul Problema della Collegialità nello Schema De Ecclesia: textus emendatus mart. 1964».

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dites propositions, c’est sur peu de points et dans un bon sens. Le pape est d’accord, mais il craint que certains n’abusent du texte et qu’on n’énerve, dès lors, la Primauté. Mercredi 3 juin 1964 À 8h15, visite de Don Molari à Charue qui lui apprend qu’Ottaviani aura une audience vendredi matin24 et qu’il demandera au pape dans quel sens il faut comprendre ses propositions. Il confirme qu’avant dimanche, et même lundi, Mgr Parente ignorait tout de l’intervention du pape. Il fait remarquer que le changement en «in Ecclesiam», à la proposition 6 (5) vient de ce que, à la même page, on le dit du collège des évêques. D’ailleurs c’est ainsi que parle Vatican I. Il trouve que le climat est devenu fort «pesante». À 9h30, réunion au Saint-Office. À 12h30, dîner avec le P. Duprey qui dit que le card. Bea verra le pape demain ou après-demain. Il serait bon que Bea dise son sentiment à Paul VI sur les amendements proposés. On téléphone et Bea peut recevoir Charue, Heuschen et Philips encore ce soir. À 20h, ils sont reçus par Bea. Déception. Ils ont beau remarquer les incidences œcuméniques des amendements proposés, Bea se récuse, ne voulant pas se mêler des affaires des autres, surtout de la commission théologique25. Le soir, Heuschen est rappelé en Belgique pour la santé de sa mère. Jeudi, 4 juin 1964 Le card. König est arrivé et Charue lui suggère de parler au pape des amendements. À 11h30, Garrone est en audience et en rapporte l’impression que le pape est inquiet et qu’il veut leur acceptation. On remet une note de Browne sur la collégialité26, ainsi que des articles de Staffa et Lattanzi dans Divinitas27 24.  On constate une fois de plus que Molari se comporte comme un allié de Charue, en lui procurant parfois des informations précieuses. 25.  Ce ne sera pas la dernière fois que Bea décevra ses amis (cf. 4ème session en octobre pour le De Revelatione). 26.  Inventaire Charue, Considerationes Cardinalis Browne circa Collegialitatem Episcoporum, 2 p., p. 115. Et F. Philips 1404. 27.  D. Staffa, De collegiali episcopatus ratione, dans Divinitas 8/1 (avril 1964) 3-17, 18-40, 41-61 et H. Lattanzi, Quid de episcoporum collegialitate ex N.T. sententiendum sit, ibid., 62-96.



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Le soir, Charue, en rentrant avec Molari et Betti, apprend que l’on considère les Suggerimenti comme venant des services de Felici et qu’on cite spécialement Mgr Carbone, ancien professeur d’un séminaire régional28, comme étant l’un des «rédacteurs». Vendredi, 5 juin 1964 Congar achève avec Moeller une note générale sur les 13 points à corriger et en réponse aussi à un papier du cardinal Browne. Mgr Ancel tient de Mgr Dell’Acqua que le pape désire la discussion de ses amendements et qu’il cherche des réponses aux difficultés dont on l’assaille. (à 16h30, on achève le De Revelatione.) Puis, on aborde les amendements du pape. Ottaviani déclare qu’à la demande de Charue, il a demandé au Saint-Père si l’on peut discuter et modifier les textes proposés. La réponse est affirmative. Vient alors une intervention très dure de Parente qui estime être personnellement mis en cause comme président de la sous-commission. Il a été l’objet d’attaques de tout un groupe, qui a fait pression sur le pape et lui a fait peur. Il estime que le texte peut rester comme il est, qu’il ne présente aucun danger29. Mais nous devons examiner respectueusement les suggestions et répondre favorablement dans l’ensemble. Il y a des textes qu’on peut accepter tels quels; d’autres qu’on peut formuler autrement. Mais le «soli Deo devinctus» est une énormité («sapit haeresim», a-t-il dit à Charue). Il dit même à Ancel qu’il comprend maintenant les réactions de certains théologiens quand ils sont condamnés par le Saint-Office sans qu’on leur en donne les raisons. Il s’en prend alors durement au texte du card. Browne, qui ne lui a jamais parlé de cette affaire, alors qu’ils habitaient sous le même toit. Et il conclut que le fait qu’on ait seulement proposé des corrections insignifiantes démontre que le texte est orthodoxe. Le card. Browne réplique qu’il a toujours dit la même chose. On met en danger la primauté et la commission biblique montre qu’il n’y a pas d’arguments certains. Alors Charue dit qu’on s’oriente à nouveau vers une nouvelle discussion sur le fond (contraire au règlement) et demande qu’on se limite à examiner les points du pape. 28.  Le séminaire de Viterbe. Information confirmée par Congar, Journal Congar, II, p. 109. 29.  À plusieurs reprises Heuschen rappellera le rôle positif de Parente pour la doctrine sur la collégialité (cf. Concilieherinneringen, p. 4 [F. Heuschen 384]).

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Ancel remercie encore le pape de la confiance qu’il fait à la commission, ce que Charue trouve même un peu trop fort! Quand König demande de qui vient le texte, Ottaviani répond qu’il n’en sait rien30, mais que le pape a accepté que ces amendements soient présentés à la commission. Puis on commence la discussion des différentes Propositiones;  1° firmiter; immédiatement accepté.  2° … natura sua: accepté. Schauf tâche encore de remettre tout en cause: en distinguant potestas et exercitium et il prétend que la juridiction des orthodoxes doit être attribuée à une délégation du pape. Mais on ne le suit pas.  3° … statuente Domino … La réponse de la commission biblique est favorable. Garofalo signale qu’il faudrait insister sur Mc 4 (epoièsen dôdeka)31 mais Philips répond qu’on le fait dans la Relatio. L’expression est donc maintenue.  4° praesertim oecumenica. Il s’agit là des temps antérieurs aux conciles œcuméniques, comme le montre d’Ercole. Philips propose de l’introduire un peu après: accepté.   5° accepté, encore que cela soit largement dit dans le contexte.   6° Trois points: a) in Ecclesiam: intervient un peu plus loin pour le collegium episcoporum et on la trouve dans Vatican I. On admet donc mais avec regret, car cela semble mettre le pape hors de l’Église. b) au lieu de Ecclesia, Capitis mettre Pastoris plus biblique et sans l’inconvénient de laisser dans l’ombre le fait que le Caput Ecclesiae est le Christ c) on admet quem semper et libere exercere valet, mais Thils avait remarqué le danger de dire que le Pape le peut toujours32. Philips propose de supprimer le «et». Unanimement admis.   7° À propos de iuxta Capitis ordinationem exercendae, on fait remarquer que le Concile avec le pape peut faire cette ordinatio. Deux formules de remplacement sont présentées, l’une par Parente, l’autre par Colombo33. Au vote, 13 pour Parente, 7 pour Colombo. Browne déclare s’abstenir. 30.  Il est fort probable qu’ Ottaviani n’était pas au courant. Charue aussi est de cet avis. 31.  Cf. F. Philips 1406. 32.  F. Philips 1408-1409. 33.  Cf. F. Philips 1407.

  8°

  9° 10°

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[Propositio Parente: «cujus actuale exercitium regitur ordinationibus a Romano Pontifice approbatis seu statutis» Propositio Colombo: «quae quidem independenter a Romano Pontifice exerceri nequit».] Texte de Mt 18,18. La réponse de la commission biblique qui dit non constat, sur le sens d’une potestas sur toute l’Église, montre qu’on ne peut l’utiliser isolément. On supprimera enim. Mais Browne brandit cette réponse comme si elle supprimait toute valeur au fondement scripturaire, contrairement à la mens de la commission biblique. Contrairement à la nouvelle règle des periti, Maccarrone fait une sortie violente au nom de l’histoire, puis de même Ciappi, qui nous rappelle que les Pères n’ont la garantie du St Esprit qu’au vote final et que notre devoir est de mettre au point les arguments. On passe outre, presque à l’unanimité, le card. Browne refusant de voter. On maintient capitis sui plutôt que Capitis Ecclesiae: 17 sur 21. Browne s’abstenant. À l’exception de Browne, qui s’abstient, c’est à l’unanimité qu’on refuse uni Deo devinctus, cette expression risquant d’être un nouveau ex sese qu’il faudrait, pendant bien longtemps, expliquer et exorciser. On estime qu’il ne faut pas chercher un texte de substitution l’idée étant claire. Mais en fin de compte, on accepte vocet plutôt que invitet. Placet de supprimer sicut … ita. Accepté, mais en disant Christifidelium plutôt que christianorum, car on semblerait sinon inclure les non-catholiques. Retineatur textus prior, car coordinandum sit est moins que regatur.

Ainsi avec l’exception de Browne, la réponse a été donnée avec une très large majorité. Congar remarque combien le climat de la commission théologique s’est dégradé . En mars, il y avait un climat de coopération et de confiance. Aujourd’hui, on est revenu aux mauvais jours de méfiance et de lutte. Cela vient de l’offensive faite contre la collégialité. Philips note encore: «Pendant cette réunion, nous assistons à une nouvelle offensive, surtout contre la collégialité. Le Pape a fait déposer 13 propositions de modification en laissant toutefois la liberté d’en discuter. Par contre, Mgr Parente a réagi vivement, ce qui nous a largement facilité la tâche. On accepte la plupart des 13 propositions qui

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sont au fond des répétitions et des précautions. On évite néanmoins les textes trop tranchants. J’ai l’impression que les opposants ont prématurément épuisé leurs munitions. Ils ne réussiront probablement plus à faire accepter un mauvais texte en dernière minute, plus ou moins par surprise. Sur cette question, le Pape semble quelque peu hésiter et ne pas être totalement rassuré. En faisant ces concessions, il pense peut-être éviter que la question ne soit rediscutée au Concile. Mais l’expérience nous apprend une fois de plus que la résistance se manifestera jusqu’au dernier moment. Selon le cardinal Ottaviani, le mal se trouve dans la composition même de la Commission Théologique. C’est la seule fois qu’il m’a parlé franchement en me livrant ce qu’il pense depuis le début»34. VI.  Le rapport pour le pape et le texte final Samedi 6 juin Charue note qu’on a évité de justesse le retour aux discussions sur le fond, mais que certains n’ont pas désarmé. À preuve l’article infâme de Bilogeric35 où l’on fait dire à la commission que les évêques auraient la juridiction universelle sans l’intervention du pape et où l’on interprète les faits à contre-sens. Le P. Congar en parlera lundi au Saint Père et celui-ci répondra qu’il a déjà protesté. Dimanche 7 juin Le dimanche, Philips rédige le rapport de la réponse de la commission doctrinale pour le pape36 et indique aussi les changements à introduire dans le chap. III du De Ecclesia37. Finalement, le texte De Ecclesia, approuvé par la commission de coordination du 26 juin, est envoyé aux Pères avec l’approbation du pape du 3 juillet 1964. 34.  Carnets Philips, p. 120. 35. B. Bilogeric, Pensieri sulla Collegialità, dans L’Osservatore Romano, 7.6.1964, p. 6. 36. Cf. Relatio De Suggestionibus Commissioni Doctrinali propositis 5-6 iunii 1964 (F. Philips 1410). Voir le texte en Annexe. 37.  F. Philips 1412.



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VII. Considérations finales 1.  L’épisode des 13 Suggerimenti est encore une illustration de combien il a été difficile d’introduire la collégialité de l’épiscopat et la responsabilité du Collegium dans la constitution Lumen gentium. La grande difficulté était de pouvoir abandonner une vision principalement juridique de la constitution de l’Église. On remarque aussi – et certainement pendant la 3ème session – que le pape lui-même, tout comme Colombo, étaient sous l’influence du canoniste Bertrams. La «majorité» croyait que le pape voulait obtenir l’unanimité du Concile et qu’à cet effet il était disposé à faire beaucoup de concessions à la «minorité». La recherche historique récente démontre que le pape lui-même avait des difficultés théologiques. Il permettait la discussion théologique, mais en tant que souverain pontife il était persuadé qu’il portait la dernière responsabilité38. 2. Les interventions du pape avaient aussi souvent un caractère ambigu. D’abord le pape préférait ou demandait de ne pas être mentionné comme auteur de certains modi ou changements dans le rapport de la commission. Puis, presque toujours il permettait que la commission change ou adapte encore ses «propositions», tout en réservant son ultime approbation. Cette attitude embarrassait beaucoup les membres de la commission, qui, bien sûr, étaient prêts à accepter les ordres du pape, mais qui ne voulaient pas endosser la responsabilité de changements qu’ils n’avaient ni discutés ni approuvés. 3.  Cet épisode montre aussi combien l’Ordo Concilii n’avait qu’une importance fort relative . Le pape, étant le législateur suprême, pouvait à tout moment changer cet Ordo et légitimer des procédures non prévues. Pour les 13 Suggerimenti, il est évident qu’on n’a pas respecté l’autonomie de la commission doctrinale ni la tâche propre de la commission de coordination d’avril 1964. Felici, canoniste et juge de la Rote, et très attaché aux règles juridiques, le savait parfaitement. VIII. Épilogue 1.  À Brescia, lors du Colloquio di studio de l’Istituto Paolo VI en septembre 1986, Mgr Carbone disait à L. Declerck: «On n’aurait jamais dû discuter ou changer ces Suggerimenti. D’ailleurs, les suggestions du 38.  Cette attitude de Paul VI s’est également manifestée lors de ses interventions au sujet du De Revelatione en octobre 1965 et du De Matrimonio en novembre 1965.

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pape sont toujours un ordre. C’est pourquoi, à la 4ème session, le pape a transmis ses remarques (au sujet du De Revelatione et du De Matrimonio) non plus par Felici mais par le Secrétaire d’État. Si on avait accepté sans plus ces Suggerimenti, on n’aurait jamais dû rédiger, à la 3ème session, la Nota Explicativa Praevia». 2.  Le 18 avril 1989, L. Declerck a rendu visite à Carbone dans son bureau au Vatican et lui a dit: «Dans le Journal du P. Congar39 il est écrit que c’est vous, Mgr Carbone, qui êtes l’auteur de ces Suggerimenti». Réponse de Carbone: «Les Suggerimenti venaient du Secrétariat du Concile. Dans ce secrétariat, il y avait aussi un théologien. E chi era quel teologo? Un certo Monsignor Carbone».

39.  Journal Congar, II, p. 109.



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Annexe Relatio De suggestionibus Commissioni Doctrinali propositis 5-6 iunii 1964 (F. Philips 1410) Commissio Doctrinalis gratum suum animum expressit pro libertate qua in examinandis suggestionibus sibi propositis uti potuit ad perficiendum textum Capitis III Schematis III de Ecclesia. De singulis autem sequens responsum dandum esse censuit. 1.  Propositum est, n. 18, p. 1, lin. 17, ut dicatur de doctrina Primatus: «cunctis fidelibus firmiter credendum rursus proponit». Licet additio vocis firmiter non appareat necessaria, quia in casu non agitur de «Professione» fidei, libenter tamen a Commissione acceptatur. 2.  Proponitur ut n. 21, p. 20, lin. 24, de muneribus Episcoporum docendi et regendi dicatur quod «natura sua nonnisi in communione … exerceri possunt». Admittitur. Ex se enim haec munera in communione cum Collegii Capite et Membris exerceri debent. Notatum insuper est in disceptatione quod munera illa de facto apud Orthodoxos exercentur, sed in explicationem theologicam et canonicam huius facti non videtur intrandum. 3.  Petitum est a Pont. Commissione Biblica utrum, n. 22, p. 20, lin. 33., dici posset: «Statuente Domino S. Petrus et ceteri Apostoli unum collegium apostolicum constituunt». Responsum Commissionis Biblicae est positivum. Secundum eandem Commissionem sequens assertio quae rem Romano Pontifici et Episcopis applicat in Scriptura «fundamentum» habet, inquantum voluntas Domini manifesta est ut «collegium apostolicum a se fundatum maneat usque ad consummationem saeculi». Sed ex sola Scripura «modus exsequendi» voluntatem Domini non absolute constare dicitur. E contra ibi invocantur indicationes et demonstrationes ex doctrina et vita Ecclesiae. 4.  Proponitur, ib. lin. 39, ut post «concilia celebrata» addatur «praesertim oecumenica». Haec insertio admittitur, sed in aptiore loco videtur ponenda. Lin. 39 enim agitur unice de perantiqua disciplina. Quapropter textus ita componitur: «…itemque concilia coadunata, per quae et altiora quaeque in commune statuerentur … ordinis episcopalis indolem et rationem collegialem significant. Quam manifeste comprobant Concilia oecumenica decursu saeculorum in Ecclesia celebrata. Eandem vero iam innuit usus antiquus inductus …». Argumentum ex Conciliis oecumenicis tamen non est necessario unicum; a. v. assertio Commissionis positive non exclusive intelligitur. 5.  Proponitur, n. 22, p. 21, lin. 8-9, ut addatur: Corpus Episcoporum aucto­ ritatem non habet, nisi simul cum …capite eius intellegatur, huiusque integre manente potestate primatus in omnes sive Pastores sive fideles. Haec additio admittitur. Correspondet incisa superaddita Quaestioni 3ae40, cui die 30 oct. 40. Cf. C. Troisfontaines, À propos de quelques interventions de Paul VI dans l’élaboration de ‘Lumen gentium’, dans Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio (Pubblicazioni dell’Istituto Paolo VI, 7), Brescia, Istituto Paolo VI; Roma, Studium, 1989, 97-143, pp. 112-113.

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1963, Patres responderunt: Placet: 1808; Non placet: 336. Ponitur huiusque ratione connexionis cum praecedentibus; ponitur primatus pro primatialis ratione solius latinitatis; dicitur denique manente loco servata, quia prima vox est accuratior in contextu. 6.  Proponitur n. 22, p. 21, lin. 9sq., ita prosequi textum: «Romanus enim Pontifex habet in Ecclesiam, vi muneris sui, Vicarii scilicet Christi et totius Ecclesiae Pastoris, plenam, supremam et universalem potestatem, quam semper libere exercere valet». Admittitur cum leviori emendatione, scilicet: dicitur secundum suggestionem: in Ecclesiam, sicut paulo infra, lin. 14-15, etiam de Ordine Episcoporum dicitur. Loco tamen «Ecclesiae Capitis» in hoc contextu dicitur: «totius Ecclesiae Pastoris, ut expressio sit magis concors cum locutione biblica, secundum quam Christus dicitur Caput Corporis, Petrus vero Pastor, cf. Io. 21,16-17: «Pasce agnos meos … pasce oves meas». Dicitur simpliciori modo «semper libere» (deleto «et»), ne impressio inge­ ratur quod Rom. Pontifex arbitrarie et continuo in regimine Episcoporum interveniret. In Relatione autem ad n. 22, explicite dictum est quod Romanus Pontifex ad exercendam suam potestatem ab Episcopis non pendet, neque ad actionem incipiendam neque ad eam prosequendam; a.v. Episcopi eum cogere non possunt. Assertio illa itaque in ipsum textum nunc inseritur, ad praecavendas quascumque anxietates. Romanus Pontifex igitur suos collaboratores cum plena ­libertate eligit sive ex Episcopis sive ex aliis, secundum suam prudentiam, de qua ipse est iudex. 7.  Proponitur additio eodem n. 22, p. 21, lin. 14: «…numquam sine hoc capite, subiectum quoque supremae ac plenae potestatis in universam Ecclesiam exsistit; quae quidem potestas independenter a Romano Pontifice exerceri nequit». Admittitur. Suggestio quidem erat ut dicatur: «iuxta capitis ordinationem exercendae». Sed haec formula excludebat ordinationem in Concilio statutam et a Romano Pontifice approbatam. Unde alii proposuerunt ut adhiberetur sententia, quae Quaestioni 3ae et 4ae diei 30 oct. 1963 ut «Nota 1a» adiecta erat, scilicet: «Potestatis Corporis Episcoporum actuale exercitium regitur ordinationibus a Romano Pontifice approbatis». Commissio tamen praetulit formulam primam utpote clariorem et simpliciorem. 8.  Quaeritur an probatum sit illud quod n. 22, p. 21, lin. 17, dicitur; «illud ligandi et solvendi munus quod uni Petro datum est, collegio quoque Apostolorum, suo Capiti coniuncto, tributum esse constat». Responsum Pont. Commissionis Biblicae quoad parallelismum est positivum. Sed eadem Commissio advertit quod exegetae non concordant de praecisa interpretatione huius «potestatis ligandi et solvendi», et speciatim utrum haec potestas fuerit suprema in universam Ecclesiam. Quapropter Commissio Doctrinalis, lin. 15, suppressit particulam «enim», quae videbatur introducere sequenti tanquam demonstrationem completam. Insuper statuit ut ad referentiam Mt. 28,16-20, ubi ad Undecim dicit Dominus: Data est mihi omnis potestas … euntes ego … et ecce Ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi. Denique statuit ut in Relatione summatim indicarentur, praeter fundamenta biblica iam alibi indicata, etiam testimonia Traditionis, Conciliorum v. g. in Prologo «Pastor Aeternus» Denz. 3050, vitae Ecclesiae etc. Interea recolantur illa quae in Conc. Vat. I sine contradictione officialiter prolata sunt. Cf. Schema Const. dogm. II, de Ecclesia Christi, c. 4; Mansi 53, 310:



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«Illud enim ligandi et solvendi pontificium, quod Petro soli datum est, collegio quoque Apostolorum, suo tamen capiti coniuncto, tributum esse constat, protestante Domino: ‘Amen dico vobis, quaecumque alligaveritis …’». Recolatur etiam Relatio Zinelli Mansi 52, 1109 CD: «…concedimus libenter et nos, in concilio oecumenico sive in Episcopis coniunctis cum suo capite supremam inesse et plenam ecclesiasticam potestatem in fideles omnes: utique Ecclesiae cum suo capite coniunctae optime haec congruit. Igitur Episcopi congregati cum capite in Concilio oecumenico, quo in casu totam Ecclesiam repraesentant, aut dispersi, sed cum suo capite, quo casu sunt ipsa Ecclesia vere plenam potestatem habent…». Illud autem quod Relator ita corpori Episcoporum agnoscit, utpote ab omnibus agnitum, deinde etiam pro Romano Pontifice vindicat, propter verba Christi ad solum Petrum. 9.  Suggeritur ut in n. 22, p. 21, lin. 22sq., loco Capitis sui, nempe collegii Episcoporum, dicatur «Capitis Ecclesiae». Commissio Doctrinais fere unanimiter censuit potius standum esse textui recepto, quia in toto contextu agitur de relatione Collegii Episcoporum cum Romano Pontifice, deque huius capitalitate in collegio. A. v. idea expressa recolit verba concilii Vaticani I, Denz 1821 (3051), ubi ponitur B. Petrus, eiusque successor tamquam principium perpetuum et visibile unitatis corporis Episcoporum. 10.  Proponitur n. 22, p. 21, lin. 32sq., ut dicatur: «dummodo ipse (Papa), uni Domino devinctus, eos ad actionem collegialem vocet». Haec ultima expressio «vocet» libenter acceptatur, quia etiam in iuramento Episcoporum adhibetur. Incisa autem «uni Domino devinctus» Commissioni non placuit: a) quia duae priores novae insertiones eam inutilem reddunt, scilicet: «Papa semper libere agere potest», et: «potestas Episcoporum independenter a Romano Pontifice exerceri nequit». Sensum enim insertionis «uni Domino devinctus» videtur in intentione suggerentium praecise excludere altiorem auctoritatem humanam, quam Romanus Pontifex observare deberet. b) quia formula est nimis simplificata: Romanus Pontifex enim etiam observare tenetur ipsam Revelationem, structuram fundamentalem Ecclesiae, sacramenta, definitiones priorum Conciliorum, etc. Quae omnia enumerari nequeunt. Formulae huiusmodi de «solo» vel «uno» cum maxima circumspectione tractandae sunt; secus innumerabiles excitant difficultates. Unde ne postea longiores et complicatae explicationes de tali formula praeberi debeant, Commissio censuit melius ab illa abstineri. Ratio est etiam ordinis psychologici, ne, praesertim quod spectat relationes cum Orientalibus, ut apparet ex historia aliae formulae, nempe «ex sese et non ex consensu Ecclesiae». 11.  Proponitur n. 23, p. 21, lin. 37sq., ut supprimantur particulae «Sicut» et «ita», et simplicter iuxtaponantur duae phrases. Acceptatur. Comparatio nonnisi aliquem parallelismum manifestum indicare volebat, quin aliquid suggeratur de modo quo respective Romanus Pontifex in universa Ecclesia, Episcopus vero in sua Ecclesia, sit centrum unitatis. 12.  Proponitur n. 25, p. 24, lin. 16, ut supprimatur Collegii Episcoporum Caput, et ut addatur postea:«Romanus Pontifex, ut supremus omnium christianorum pastor…». Suppressio de Capite Collegii Commissioni non videtur opportuna: – ex una parte non habet valorem restrictivum: consulto enim non dicitur «ut» vel «quatenus» caput collegii; – ex altera parte ordo idearum exigit hanc incisam, quia explicat quare in textu qui de munere docendi Episcoporum agit, tam fuse de potestate docendi

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­ omani Pontificis fiat sermo. Ceterum statim postea, scilicet lin. 24, explicite R dicitur de Romano Pontifice: «ut universalis Ecclesiae magister supremus». Admittitur autem additio «omnium christianorum» sed potius scribatur «christifidelium». Protestantes et Orthodoxi enim se «christianos» dicunt, sed generatim vocem «christifidelium» non adhibent. 13.  Suggeritur n. 27, p. 26, lin. 4 sq., loco ultimatim regatur ponatur «coordinandum sit». Quia tamen haec nova expressio debilior est quam praecedens, mutatio Commissioni non videtur opportuna. 7 iunii 1964.

ABRÉVIATIONS AAS Acta Apostolicae Sedis AS Acta Synodalia Sacrosancti Concilii Oecumenici Vaticani II BETL Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium ETL Ephemerides Theologicae Lovanienses LTPM Louvain Theological and Pastoral Monographs NRT Nouvelle Revue Théologique RHE Revue d’Histoire Ecclésiastique RTL Revue Théologique de Louvain

INDEX ONOMASTIQUE Adam, K.  424 Adornato, G.  38, 41-42, 45, 350, 352, 367-368, 425 Agagianian, G.  6, 50, 57-59, 237, 317, 380 Agten, E.  472 Alberigo, G.  18, 52, 170, 197, 216, 279, 394, 404, 446 Alfrink, B.  46, 48-49, 72, 91, 93, 102, 112-113, 120, 137-138, 232, 352, 365-366, 382, 384-385, 405, 443, 448, 451 Alibrandi, G.  172, 204 Ancel,  A.  8, 220, 241, 264, 499, 501-502 Anciaux, P.  62, 83, 85-86, 93, 98, 117, 120-122, 143, 145, 149, 280 Anné, L.  306-308, 312, 314, 327 Antonelli, C.M.  11, 32, 50, 422 Antoniutti, I.  56, 67 Arenas, S.  277, 297, 313, 498 Arjar (père)  187 Arrighi, J.-F.  187, 297, 333, 354, 361 Athénagoras (patriarche)  104, 150, 186, 188, 231, 308, 356, 368, 390, 393, 402, 404-405, 438, 449 Aubert, R.  9, 15-16, 24, 325, 342, 401, 469 Ballestrero, A.  319 Baraúna, G.  408-409, 448-449 Basilios (métropolite)  175 Batanian, I.  173, 186, 191, 203, 205 Baudouin (roi)  7, 82, 269 Bea, A.  25, 27, 57, 168-169, 171-172, 174-177, 179-185, 190-192, 196-198, 207, 209-210, 212, 217, 226, 239, 254-256, 287, 290-291, 331, 333, 347-349, 352-354, 358-360, 369-370, 380-381, 386, 390, 413, 417, 500 Beauduin, É.  20, 463 Beauduin, L.  15-16, 274, 344 Beirnaert, M.  148

Bellani, A.  431, 494 Bellini, A.  350 Benelli, G.  6, 41-42, 52-53, 73, 75, 92, 106, 109, 275, 339, 358, 362, 367, 475 B enoît XVI  402; voir aussi Ratzinger, J. Benoit, P.  210 Bergson, H.  40 Bernadette (ste)  75 Bernardin, J.L.  134 Berto, V.-A.  452-453 Bertrams, W.  230-231, 311, 379, 397, 399, 402, 405, 408, 431, 434435, 438, 448-449, 451, 494-496, 505 Bettazzi, L.  219 Betti, U.  220, 222, 224, 226-227, 238, 255, 309, 331, 444, 501 Beyer, J.  224, 261 Bilogeric, B.  504 Binz, L.  322 Boillon, P.  233 Bonet, M.  5, 277, 325, 333-335, 337, 344-345 Bosatra, B.  38 Bosschaert, D.  12-13, 15, 34, 39, 55, 74, 265, 292-293, 408, 450, 495, 499 Bossi, B.  357, 412 Bossuet, J.B.  274 Botte, B.  15 Bottlenberg, F. von  138 Boyer, C.  349, 367 Boyer-Mas, A.  25 Boyle, P.  134, 145, 149, 154 Brambilla, F.G.  431 Braun, F.-M.  264 Bressan, L.  367 Brieven, W.  112, 114, 121 Brini, M.  176, 193-194 Browne, M.  92, 106, 224, 283-285, 298, 378, 380-381, 398, 418, 434, 494, 498-503 Buchkremer, J.L.  403, 456

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INDEX ONOMASTIQUE

Buelens-Gijsen, H. et L.  85-86, 99, 101, 227 Bugnini, A.  314, 359, 389 Burigana, R.  170 Butler, C.  93, 115-116, 146-147, 149, 154, 220, 225-226, 245, 330, 358 Cabié, R.  277 Caffarel, H.  326 Calewaert, K.J.  5, 20, 199, 221, 279-281, 301 Callaey, F.  272 Callewaert, R.S.  139 Canelli, R.  173 Cape, D.  360 Capovilla, L.  48, 290, 314, 387 Cappello, F.  387 Cappiello, L.  175, 193 Caprile, G.  168-169, 174, 216, 334, 377, 380, 382, 393, 407-408, 410, 431-432, 445, 450 Carbone, V.  28, 57, 216, 308, 315, 373-374, 376, 379-381, 388-389, 392, 395, 420-421, 431, 458, 495, 501, 505-506 Cardijn, J.  14, 39, 62, 320, 332, 340 Cardinale, I.  93, 134, 137 Carli, L.  169-170, 219, 305, 396, 420, 457, 494 Casaroli, A.  175, 198, 336 Casel, O.  15 Castellano, M.I.  225, 234 Castellino, I.  241 Cavallari, A.  66 Cento, F.  180, 284 Cerfaux, L.  5, 7-8, 15, 19, 22, 217219, 225, 227, 252-253, 255, 257, 259-260, 263, 265, 267, 281, 286, 288-289, 292, 297, 309, 463, 466, 468-469, 499 Ceuppens, R.  111-115, 292, 315 Charrière, F.  44 Charue, A.-M.  2, 4-5, 7-10, 17, 19-23, 27, 32, 34-35, 62, 100, 112, 117, 120, 126, 129-130, 133, 144, 156-157, 213, 215-220, 223-227, 229, 231, 234-238, 240, 243, 245, 249, 251-265, 275-276, 280-281, 285-287, 289, 293-294, 299, 302, 304, 309-

310, 312, 314, 318, 325, 330-332, 337, 340, 379, 386, 395-397, 400, 404, 407-408, 436, 439, 441-442, 453, 457-458, 463-464, 466, 468-472, 493-494, 496, 498-502, 504 Chenaux, P.  34, 251, 408, 450 Chenu, M.-D.  16, 281 Chrysostome de Myre  188-189 Ciappi, L.  412-413, 415, 423, 455, 495, 503 Cicognani, A.  28, 46, 48-51, 54-55, 63, 68, 82, 91, 102, 105, 137, 169, 171-172, 175, 177, 182, 185-187, 189, 193-194, 242, 254, 264, 290, 304, 307, 317, 322, 329-330, 374, 386, 389, 391-392, 395, 408, 424, 444, 458, 495 Ciriaci, P.  291 Claes, D.  1 Collard, L.  41 Colleye, F.  267, 363 Colombo, B.  82 Colombo, C.  20-21, 42, 58-59, 79, 82, 99, 103, 105, 152, 198, 220, 226, 229-230, 232, 234, 237-238, 241, 244, 250, 264, 280, 296, 310311, 327, 343, 349, 351, 353, 357, 378-381, 385, 390, 397, 403, 408, 418, 431, 434, 439-440, 444, 446, 448-450, 455, 458-459, 494-496, 499, 502-503, 505 Compagnone, E.  219 Confalonieri, C.  49, 292 Congar, Y.  4-5, 11, 13, 15-18, 20-21, 23, 26-29, 52, 126, 170-171, 196, 199-200, 218, 225-227, 229, 231, 252, 259, 265-266, 276, 278, 281, 285, 287-288, 291-292, 300, 309-310, 318, 353, 368, 378, 395, 405, 413, 417, 421-423, 447-449, 455, 493, 501, 503-504, 506 Constantin (roi)  360 Coppens, J.  2, 15, 274, 462, 466, 468, 469 Corbon, J.  173 Cosijns, H.  462 Cottier, G.  168, 270 Courtoy, A.  338 Crowley, P. (mme)  99 Cubaïn, N.  175



INDEX ONOMASTIQUE

Cuchet, G.  377 Cullmann, O.  258, 364, 416 Cuoq, J.  195 Cyprianus  218 Daem, J.V.  5, 20, 111, 122, 126, 129-130, 233, 248, 277, 301, 325, 333-336 Daniélou, J.  74, 200, 217, 278, 285, 499 Danneels, G.  6, 35, 42, 77, 268, 295, 340, 376 Darmajuwana, J.  335 Dearden, J.F.  134, 143, 234-235, 241-245, 327 de Beukelaer, E.  48, 270 de Broucker, J.  74 Declerck, L.  1, 4, 6-13, 17, 19, 21-22, 31-35, 37-39, 42, 48, 53, 55, 60, 74, 77, 83, 86, 92, 96, 103, 110-115, 117, 119-122, 124-125, 128-129, 131, 141, 145, 155-157, 167-168, 180, 199, 214-216, 233, 250, 265, 268270, 272-277, 279-281, 285-286, 289-293, 295, 298-301, 306-307, 316-317, 319, 321, 324, 335, 339340, 342, 344-349, 357, 364, 376377, 386, 390, 393, 395-398, 403, 406, 408, 412-413, 417, 421, 423424, 429, 434, 473-474, 494-495, 499, 505-506 de Clercq, C.  1 Degrijse, O.  1, 20 de Guibert, B.  406, 452 De Haene, P.  140 Dejaifve, G.  464 De Jong, J.  179 De Kesel, L.  129, 313-314, 323 De Keyzer, M.  125-126, 129, 132133, 340 de la Potterie, I.  255, 257 de Lestapis, S.  54, 98, 99, 322 del Gallo Roccagiovane, L.  314 Delhaye, P.  5, 7, 20, 23-24, 32, 34, 66, 85, 87, 89, 93, 97-99, 101, 103, 105, 115, 117, 120, 122, 134, 139140, 151-152, 227, 234, 244, 253, 262-263, 276, 278, 291, 308, 310, 317, 321, 327-329, 463, 469, 498

515

Dell’Acqua, A.  63, 156, 176, 181182, 184-186, 195-196, 198, 241, 243-245, 294, 315, 322, 334, 357-361, 381, 389, 412-414, 445, 495, 501 de Locht, P.  56, 82, 84, 88-89, 93, 98, 101, 117, 119-121, 143, 146, 151, 263, 308, 317, 328, 330 de Lubac, H.  5, 11-12, 16-17, 22, 26, 28, 34, 40, 87, 231, 236, 278, 281, 318, 344, 382, 403-406, 408, 421, 423-424, 429, 433, 445-446, 450, 452-453, 457 De Luca, D.  187 Delville, J.-P.   13, 34, 39, 293, 495 De Martini, C.  351, 360 Demeester, H.  32 De Mey, P.  347, 349, 357 Denaux, A.  347, 349, 357 de Pauw, G.  101 Depierre, A.  281, 303, 338 De Pril, W.  68 D’Ercole, G.  220, 224, 502 Derderian, Y.  175 de Riedmatten, H.  24, 54, 63, 79, 81-82, 86, 88, 98, 101, 239, 241243, 282, 321-322, 327 De Roo, R.  134 De Saeger, L.  8, 100, 167, 215, 256, 286, 384, 394 Descamps, A.  15, 32, 68, 117, 120121, 123, 128, 323, 340, 463, 469 De Smaele, F.  140 De Smedt, E.J.  2, 4-5, 8-9, 17, 19-20, 22, 24-27, 31, 33-34, 100, 106, 121123, 128, 132-133, 144, 167-168, 170-171, 177-187, 189-190, 193, 195200, 208-210, 215, 237, 247, 255-256, 275, 277, 279-281, 285-286, 294, 296, 298-300, 315, 318, 320, 325, 332-334, 336-337, 339-340, 383-384, 394, 414, 418-422, 430, 462-463, 471 de Solages, B.  382, 405, 450 De Somer, P.  14 Devroede, J.  267-268 De Wachter, M.  139-140 De Wil, J.  292 Dhanis, É.  1, 220, 293, 499 Dhondt, U.  140 D’Hoogh, F.  62, 139, 141

516

INDEX ONOMASTIQUE

Dickinson, J.  367 Dockx, S.I.  447 Döpfner, J.  3, 6, 10, 19, 31, 33, 45-50, 52, 60, 72, 84, 89-91, 93, 97, 99, 103106, 109, 111-114, 116, 120, 135, 137139, 149-150, 153, 155, 213, 215, 220, 232, 244, 287, 295-296, 304, 337, 370, 385, 393, 420, 443, 445-446, 448, 457 Dondeyne, A.  5, 9, 14-15, 18, 20, 23-24, 33, 63, 86, 90, 93, 117, 120, 133, 139, 143, 253, 263-264, 276, 292, 328, 330, 463, 469 Donnelly, D.  5-6, 21, 32, 279, 292, 375, 399, 435, 455 d’Onorio, J.-B.  439-440 Doria, P.  167, 220, 412 d’Ormesson, W.  49 Dossetti, G.  21, 26, 52, 277, 284, 295297, 300, 332, 378, 423, 446, 455 Draguet, R.  68, 267 Duff, F.  39, 53 Dumont, C.  275, 390 Dupont, J.  8, 35, 253-256, 259, 421, 464, 466-468 Dupré, L.  145, 149 Duprey, P.  9, 27, 168, 170, 172-175, 180, 185-187, 190, 192, 195-196, 203, 205-206, 209-210, 281, 356, 360-361, 411-414, 500 Dupuy, C.  97, 105, 151 Dury, C.  266 Edelby, N.  173, 190, 203, 281, 297 Ehret, J.  22, 34, 231, 382, 403, 429 Elchinger, L.-A.  134, 284 Élisabeth (reine)  90, 330 Ellis, E.  145 Escarré, A.M.  25 Etchegaray, R.  5, 61, 89, 93, 112, 114, 277, 324-325, 333, 335, 337, 344-345, 473-474 Étienne, J.  15, 117, 120, 469 Fagiolo, V.  376, 381-382, 387-389, 407-408, 412, 414, 416, 432 Falchi, F.  350 Famerée, J.  1, 5, 31-32, 34, 37-38, 77, 98, 184, 222, 270, 273, 279, 292, 296, 375, 389, 399, 435

Fattori, M.T.  8, 31, 33, 275, 296 Faulhaber, M. von  179 Feiner, J.  412 Felici, A.  171 Felici, P.  4, 6-7, 21, 28, 52, 56-57, 82, 84, 136, 169, 175-176, 195-196, 216, 231, 233, 236, 240, 245, 256257, 260, 307-308, 312, 315, 330, 336, 357, 373-391, 395-396, 398, 402-403, 407-408, 412-414, 416, 418, 419-420, 422, 424, 429-432, 438, 440-442, 445, 449, 458, 493, 495-497, 501, 505-506 Felix (st)  157, 252 Feltin, M.  315 Fénelon, F.  274 Fenton, J.  225 Férin, J.  80, 83, 85, 98, 101 Fernandez, A.  319, 380-381, 418 Fesquet, H.  73, 423 Figoureux, L.  12, 87, 236, 405, 450 Findlow, J.  359-360 Fisher, J.  137, 390 Flagothier, L.  303 Fleckenstein, K.H.  38, 76 Flores, J.  24 Florit, E.  22, 220, 226-227, 236, 238, 255, 331 Flynn, P.  40 Ford, J.  99, 239, 327 Forni, E.  41 Forster, K.  112-113 Fouilloux, É.  1, 31 Fourrey, R.  298 François (pape)  402, 425 François de Sales (st)  44 Franić, F.  23, 100, 397, 455, 457 Fransen, P.  139-140 Frings, J.  10, 19, 21-22, 48, 215, 232-233, 253, 376-377, 384-385, 404, 420, 443-448 Froitzheim, D.  444 Frutaz, A.-P.  322 Fuchs, J.  80, 82, 105, 150, 152, 154, 234, 239, 327 Gabriel (archimandrite)  188-189 Gage-Brown, C.L.  367



INDEX ONOMASTIQUE

Gagnebet, M.-R.  135, 139, 220, 226, 283, 400-401, 432, 436-437, 455-456, 499 Galen, C.A. von  179 Galilée, G.  24, 58, 61, 192, 254, 267, 294, 310, 317 Gand, A.  134 Garofalo, S.  22, 225, 254, 257, 502 Garrone, G.M.  8, 17, 20, 74, 200, 240-241, 244-245, 254-256, 258, 261, 264, 285, 311, 379, 495-496, 499-500 Gasbarri, P.  232 Gauthier, P.  276, 391 Géraud, J.  235 Gerlier, P.  391 Germanos (archimandrite)  175 Gesché, A.  117, 469, 474 Gevers, L.  14, 31 Ghoos, J.  119 Giblet, J.  464, 468-469 Gigacz, S.R.  320 Gijsen (Lena Buelens-Gijsen)  voir Buelens-Gijsen Gijsen, J.  365 Gladstone, W.E.  144, 249 Glorieux, A.  284, 290, 292, 321 Goddijn, W.  102, 112-113, 138 Goldie, R.  53 Gori, A.  171, 175, 186, 191-193, 196, 210 Grace, M.  101 Gran, J.W.  150, 180 Gregorius Magnus  218 Greiler, A.  8, 19, 100, 167, 215, 256, 286, 377, 384, 394 Grillmeier, A.  443, 445 Grootaers, J.  3, 10-11, 14-15, 24, 31-33, 35, 38, 85-87, 89, 95-96, 99-101, 111, 119, 127, 130, 133135, 138, 154, 213-215, 217-219, 227-228, 242-243, 245, 266, 281, 319, 324, 329, 333, 338, 342-343, 364, 382, 387, 396-398, 411, 431, 442-443, 447, 455 Gruber, G.  445 Guano, E.  240, 263-264, 291, 293, 321 Guardini, R.  15, 424

517

Guarducci, M.  66 Guelluy, R.  464, 469 Guglielmi, A.  446 Gut, B.  397, 412, 432 Guynot, E.  40 Habib Bacha  189-190, 195 Hachem (Munded El-Hachem)  189, 194-195 Häring, B.  23, 80, 82, 88, 152-153, 305, 328 Hailé Sélassié  176 Hakim, G.  294 Hamer, J.  20, 24, 199, 334, 361, 363-365 Hamilton, E.  38 Haquin, A.  6-7, 12, 35, 38, 62, 89, 171, 223, 237, 251, 264, 269, 286, 397, 408, 423, 442, 472, 494 Harmel, P.  246-247 Haubtmann, P.  23, 26, 86, 240-241, 244, 264, 320 Havet, J.  254, 464, 469 Hayen, A.  324 Heenan, J.C.  9, 72, 83, 91, 93, 111116, 120, 137-138, 145, 149, 153, 167, 178-179, 263, 358, 361, 414 Helder Camara  7, 20, 65, 89, 134, 281, 391 Helmsing, C.H.  184 Hengsbach, F.  134, 282 Henriquez Jimenez, L.  220, 226, 229, 311, 457, 499 Henry, A.M.  168 Hermaniuk, M.  22, 180-181 Heuschen, J.M.  4-5, 8, 10-11, 14, 16-22, 24, 27, 33-35, 60, 69, 75, 78, 86, 88-90, 96-97, 99-100, 117, 120, 126, 129-132, 141-145, 149, 197, 213-250, 253, 257, 261, 264, 276277, 279, 294, 301, 306, 317-318, 321, 325-327, 329-331, 337, 339, 396-397, 399, 403-405, 407, 416, 423, 432-433, 435, 439, 444-445, 447-449, 463, 469, 474, 494, 498-501 Heuschen, Mariette  214 Heylen, V.  4-5, 10, 15, 18, 20, 24, 27, 32, 35, 60, 62-63, 66, 69, 78, 86-90, 99-100, 114, 117, 119-123, 125, 130,

518

INDEX ONOMASTIQUE

139-140, 143-144, 197, 213, 236, 239, 242-243, 245, 248, 321, 325-329, 334, 396, 423, 462-464, 469-471, 474, 494 Hilberath, B.  398 Himmer, C.-M.  3, 5, 19-20, 129, 144, 248, 275-276, 391 Hirschmann, J.B.  150, 443 Hochhuth, R.  178 Höffner, J.  102, 456 Hoing, J.  111 Holland, T.  180-181 Horton, D.  416-417 Houssiau, A.  464, 469 Houtart, F.  34, 39, 86, 96, 170, 294, 410, 432 Hoyois, G.  263-264 Hünermann, P.  62, 141, 398 Hulsbosch, L.  34 Huyghe, G.  97, 134, 147-149

234301, 432, 125,

116,

Ickx, J.  266, 271 Ignatius  218 Irenaeus  218 Jacoub, I.  174, 205 Jaeger, L.  255 James, C.C.W.  367 Jans, J.  24, 35, 87, 89, 242-243, 245, 329 Janssen A.  15 Janssens, J.  1 Janssens, L.  9, 15, 24, 80, 83, 100101, 117, 120-121, 139-141, 143, 154, 227, 282, 306-307, 317 Jean XXIII  6, 18, 22-24, 28, 38, 42, 45-51, 53-54, 80-81, 98, 147, 177, 191, 255, 261, 289-290, 295, 326, 343, 353, 374-376, 384-385, 387391, 393, 423, 467, 475, 479, 486; voir aussi Roncalli, A.G. Jean-Paul II  38, 340, 402; voir aussi Wojtyła, K. Journet, C.  182, 333, 424, 456 Jousten, A.  6, 35, 38, 89, 171, 237, 264, 269, 408, 423, 442 Jubany Arnau, N.  91, 102 Jungmann, J.  15 Juste, Y.  13, 35, 47, 246, 269

Kabes, Y.  193-194 Kallas, J.  345-346 Kartaloff, K.  251 Kasprzak, A.  33, 74, 339 Kenis, L.  21, 222, 375, 399, 435 Kerkhofs, L.J.  267 Kerrigan, A.  22, 255 Khoren, I.  173, 205 Klinger, E.  32 Knapen, M.T.  232 Knaus, H.  67, 97 König, F.  46, 48, 56, 72, 93, 112113, 120, 134, 137-138, 150, 215, 229, 232, 382, 396, 443, 500, 502 Küng, H.  7, 18, 27, 73-74, 118, 281, 344, 423, 454, 499 Kyrillos VI (patriarche)  176 Ladrière, J.  15, 252, 264 Lafontaine, P.  46 Lagrange, M.-J.  475 Lai, B.  46, 48, 444 Lamberigts, M.  1, 3, 5-6, 8-10, 13, 16, 19, 21, 31-34, 37, 39, 62, 77, 83, 86, 98, 100, 141, 167-168, 199, 213, 215-216, 222, 230, 234, 251-253, 265, 275, 279-280, 292, 298-300, 306-307, 317, 319, 321, 357, 375377, 393, 399, 408, 418, 435, 450, 455, 461 Lambruschini, F.  98, 105, 151-152, 220, 456 Lamont, D.  181 Lanne, E.  222, 275, 333, 406, 412413, 426 Larraín, M.  9, 277, 297, 498 Larraona, A.  314, 396 Latala, R.  8 Lattanzi, U.  457, 500 Laurentin, R.  338 Lautenschläger, G.  353 Lazzaretti, L.  446 Lebbe, V.  16 Lebon, J.  267 Leclercq, Jacques  14, 68, 227 Leclercq, Jean  19, 32, 215, 279, 377 Lécuyer, J.  16-17, 20 Leemans, J.  12, 34, 39, 265, 408, 450



INDEX ONOMASTIQUE

Lefebvre, G.  15 Lefebvre, J.  111, 114, 252, 332, 381 Lefebvre, M.  169, 200, 380-381, 396, 417-418, 452 Lefèvre, T.  55, 306 Léger, P.-É.  3, 46, 48-49, 89, 232, 273, 284-285, 310, 384, 412, 420, 457 Lemaître, G.  85, 98 Lercaro, G.  6, 26, 49-50, 52, 277, 295, 307, 314-315, 324, 391, 446 Levet, A.  268 Levie, J.  267 Levillain, P.  343 Licheri, G.  382 Liénart, A.  6, 19, 45-46, 48-49, 89, 215, 257, 280, 293, 315, 376-377, 443 Ligutti, L.  282-284, 306 Lindemans, J.  32 Lio, E.  92, 105-106, 235 Locatelli, A.  351 Lombardi, R.  385 Long, J.F.  170, 172, 177-178, 181, 360 Lorscheider, A.  181-182 Lortz, J.  353 Louchez, E.  6, 35, 38, 77, 96, 233, 272, 376, 393, 421 Lubich, C.  94, 369 Maccarrone, M.  220, 302, 444, 457, 503 Macchi, P.  41, 156, 196, 357, 361362, 382 Madrigal Terrazas, S.  33 Maertens, T.  61, 141 Maffeis, A.  368 Mahieu, É.  5, 52, 126, 170, 225, 252, 266, 368, 379, 395, 448, 493 Majorano, S.  365 Manfrini, E.  69 Mansourati, I.  180-181, 184 Marchetto, A.  22, 28, 34, 57, 216, 231, 302, 308, 373-375, 381-382, 392, 395, 403, 429, 458, 495 Marella, P.  305 Marengo, G.  77-78, 81, 92-93, 103, 317, 424

519

Margéot, J.  85 Marini, P.  313 Maritain, J.  34, 182, 333, 424, 476 Marshall, J.  54, 98, 101 Martelet, G.  26, 86, 114, 151, 324, 421, 444 Martimort, A.-G.  5, 20, 65-66, 88,  268, 277, 280-281, 297, 304, 308, 314-316, 319, 324-325, 328, 332-333, 335, 337, 342, 344-345, 432 Martin, Jacques  42 Martin, Joseph  133, 180, 200, 285, 300 Marty, F.  91, 102, 111, 116, 148 Massaux, É.  15 Masson, C.  377 Matagne, C.  464 Matagrin, G.  105 Mauro, A.  187, 195 Maximos IV (patriarche)  173-174, 176-178, 185, 190, 195-197, 200, 203, 209, 212, 297 Mayer, A.  335 McCormack, A.  116 McGrath, M.  284-285, 291, 300, 311, 412, 499 McInnes, C.  175 Medawar, P.K.  173, 190, 203 Médebielle, P.  191-192, 210 Medina Estévez, J.A.  5, 12, 21, 277-278, 287, 297, 304-305, 311, 313, 325, 332-333, 337, 344-345, 397, 432, 498 Meersseman, G.  302 Meliton (métropolite)  368 Melloni, A.  8, 31, 33, 275, 296, 343 Mendez Arceo, S.  422 Meouchi, A.  172, 185, 187, 189, 202 Mercier, D.  15 Mériaux, C.  377 Merk, A.  356 Mertens, C.  54, 81, 98, 101 Mertens de Wilmars, J.  54, 81, 98 Meschini, B.  365 Meunier, A.  143 Meyer, A.  383-384, 420 Migne, J.  218, 224

520

INDEX ONOMASTIQUE

Milh, A.  272 Moeller, C.  5, 15-17, 19-23, 34, 39, 50, 53, 55, 58, 61, 64-65, 67, 86, 93, 96, 101, 105, 110, 115, 170-171, 180-181, 183-184, 196, 200, 202, 214, 220, 224-227, 229, 239, 253, 259, 265, 267, 276, 278, 285, 291292, 294, 300, 306, 310, 317-318, 330-331, 338, 343, 358-359, 363365, 368, 378, 404, 410, 432-433, 444, 446-447, 455, 457, 463-464, 466, 469, 472, 498, 501 Molari, C.  439-440, 498-501 Molitor, A.  14 Monden, L.  140 Montini, G.B.  6-7, 18, 32, 37-49, 51, 53, 77, 79, 102-103, 157, 252, 270, 347-357, 366-369, 385, 423424, 431, 443; voir aussi Paul VI Moons, J.H.M.  298 Morcillo, C.  6, 19, 24, 381-382 More, T.  137 Morlion, F.  1 Morris, T.  234, 241 Moyaert, M.  9 Murphy, F.  386; voir Rynne, X. Murray, J.C.  26, 418 Mussolini, B.  423 Musty, J.B.  102, 113, 123, 126, 129, 237 Nabor (st) 157, 252 Nasser, G.A.  193 Neirynck, F.  468-469 Newman, J.H.  40, 144, 249, 347, 362, 369 Newton, T.J.  421 Neyens, L.  233 Nikolaos  176 O’Brien, V.  19, 39-40, 42, 46-47, 53, 78-79, 272, 274-275, 279 O’Connor, M.  195 Oddi, S.  62, 74, 110-111, 246-247 Oesterreicher, J.  168-169, 171 Ogino, K.  67, 97 Olivier, B.  1, 35, 421, 464 Onclin, W.  5, 15, 20, 32-33, 35, 120, 230, 233, 313-315, 339, 463-464

Oraison, M.  16 Osaer, T.  6, 37, 102, 104, 110, 155 Ottaviani, A.  6-8, 16, 20, 22, 24-25, 44, 52, 56, 82, 84, 87, 91, 99, 100, 106, 110, 224, 227, 231, 236, 238239, 242-243, 245, 252, 255-258, 260-261, 263, 273, 283, 291, 298300, 304, 307, 309, 330-331, 377380, 382-383, 386, 391-392, 395, 397, 405, 407-408, 424, 439-441, 444, 449, 457-458, 461-462, 464, 466, 470-472, 474-477, 484-485, 487, 493, 495-496, 498, 500-502, 504 Palazzini, P.  307 Papetti, R.  8 Parente, P.  18, 22-23, 27, 57, 220, 223-224, 229, 238, 299, 319, 322323, 379, 382, 392, 399-400, 407, 409, 430, 432-433, 436, 440, 442, 449, 457-458, 496, 499-503 Pas, P.  62 Pascal, B.  416 Passaglia, C.  453 Paul VI  6-8, 11-12, 18, 21-22, 24-25, 27, 32, 37-38, 43, 45, 48-54, 57, 60-62, 64, 66, 71-79, 81, 83-85, 88-89, 91-95, 97-98, 100, 102-103, 105-106, 109, 112, 130, 149-150, 152-158, 163-166, 178, 182, 198, 230, 240, 242, 249, 252, 254-255, 270, 272, 280, 285, 298, 302-303, 308, 325-326, 342, 347-349, 352358, 360, 363, 365-370, 374-375, 378-380, 384-387, 390-393, 395, 397-398, 407, 410-411, 416, 418, 420-425, 430-431, 433, 439, 442, 453, 474-476, 480, 484, 487, 493494, 499-500, 505, 507; voir aussi Montini, G.B. Pavan, P.  26 Pawley, B.  354, 367 Pellegrino, M.  91, 102, 134, 139, 147, 148 Pelletier, D.  3 Pelletier, G.L.  225-226 Perico, G.  105 Petit, J.  235, 241



INDEX ONOMASTIQUE

Pfister, P.  31, 33, 45, 287, 445 Philbin, W.  232 Philippe Neri (st)  369 Philippe, P.  44, 302, 363, 365 Philips, G.  2, 5, 8, 10-12, 14-24, 26-30, 32-35, 42, 58-59, 65, 93, 96, 117, 119-128, 130, 133, 136-137, 143-144, 149, 199, 214-217, 219-220, 223-227, 229-232, 234-241, 246, 248-249, 253, 257-259, 264-265, 274, 276-278, 280-281, 283, 285-286, 288-289, 291-294, 297-298, 300, 305, 307-308, 310-312, 318-320, 322-323, 325, 330-331, 334, 337-340, 343, 378, 382-383, 395-405, 407, 409-411, 416, 422-423, 429, 431-445, 447-449, 453-456, 458-459, 462-464, 466, 468-472, 474-475, 494, 496, 498-500, 502-504, 507 Piazza, A.G.  366 Pie X  417 Pie XI  103, 242 Pie XII  40, 42, 103, 178, 308, 366, 423, 425 Pinna, G.M.  307-308 Pino (don)  387 Pio (padre)  385 Pirson, E.  465 Pizzardo, G.  67 Plato  125, 157, 248 Pocock, P.  134 Pohlschneider, J.  456 Pollefeyt, D.  9 Poma, A.  234, 243-244 Poswick, P.  13, 35, 47, 49-51, 60, 246, 269, 272, 305, 309, 316, 318, 324, 326, 336, 338 Poswick, R.F.  13, 35, 47, 246, 269 Potter, P.  364 Prandoni, N.  352, 354 Prignon, Albert  3-7, 10, 12-13, 19-24, 27, 31, 33-35, 38-39, 48, 52, 55-56, 58-60, 64-70, 73-74, 78, 87-90, 95-96, 99, 122-123, 127, 130, 156-157, 171, 184, 196, 200, 226-227, 234, 237-246, 248, 257, 264-340, 342-346, 378, 389, 401, 408, 410, 423, 432, 442, 455, 459, 463-464, 469, 495, 498-499

521

Prignon, Georges  266 Prignon, Jean  266 Prignon, Madeleine  266 Prignon, Louis (frère)  266 Prignon, Louis (père)  266 Prignon, Marie  266 Prignon, Marie-Louise  266 Primeau, E.  170, 181 Proença Sigaud, G.  169 Punzolo, L.  174, 177 Quaghebeur, P.  462 Quanbeck, W.  417 Quinn, E.M.  40, 85 Quinn, J.S.  32 Quintero Parra, J.H.  311 Quintiens, E.  96 Quisinsky, M.  34, 213 Rabban, R.  180-181 Raes, A.  1 Rahner, K.  3, 11, 20, 23, 28, 218, 220, 226-227, 281, 288, 292, 424, 443-444, 454, 457 Ramirez, J.M.  311, 379, 495-496 Ramsey, M.  358-361 Ranwez, É.  259, 263, 287 Ratzinger, J.  20-22, 34, 150, 220, 231-232, 382, 402-404, 408, 429, 433, 438, 443-449, 454, 457-459, 494; voir aussi Benoît XVI Ravier, A.  406, 451 Renard, A.  111, 114, 148, 151, 474 Rendu, C.  101 Reuss, J.  65, 83-85, 87, 91, 102, 105-106, 227, 244, 262, 328 Rézette, J.  465 Ribet, A.  350 Richards, M.  116 Riedl, P.  132, 469 Rigaux, B.  5, 8, 15, 19, 22-23, 29, 219, 225, 237, 253, 257, 259, 292, 309, 463, 468-469, 499 Rime, J.  8 Rimoldi, A.  367 Ritter, B.  384, 420 Roberti, F.  383, 420 Roberts, T.  83 Robinson, J.A.T.  463

522

INDEX ONOMASTIQUE

Romain, J.  266 Romita, F.  456 Roncalli, A.G.  49, 289, 357; voir aussi Jean XXIII Roppe, L.  247 Rosini, E.  43, 79 Rossi, A.  134 Rossi, G.  455-456 Rouquette, R.  319, 323 Rousseau, O.  15 Routhier, G.  48, 367 Roy, P.  382 Rubens, M.  214 Ruffini, E.  219, 317, 403, 445, 456457 Ruggieri, G.  343 Ruysschaert, J.  66 Rynne, X.  386; voir Murphy, F. Sabbe, M.  255-256 Sagheddu, M.G.  369 Salaverri, G.  220, 444 Sale, G.  376 Salemink, T.  176, 347, 414 Sales  134 Salomon-Steiner M. (mme)  368 Samain, P.  126, 129 Samoré, A.  246 Samuil, A.  176 Sarkissian, K.  173, 204-205 Satterthwaite, J.R.  360 Sauvage, P.  251 Scatena, S.  291, 332, 417-418, 420 Schauf, H.  22, 34, 220, 222, 224227, 231, 243, 256, 382, 400-403, 429, 432-433, 436-438, 444-445, 448, 453-457, 493, 497, 502 Schelfhout, O.  141 Schelkens, K.  5, 11, 22, 31-32, 35, 37, 77, 98, 167, 180, 213, 216, 222, 254, 274, 279, 347-348, 375, 398399, 434-435, 494 Scherer, A.  234, 241 Schermer-Voest, J.  353 Schillebeeckx, E.  20, 24, 26, 99, 232, 234-235, 281, 321, 384, 408, 448-450, 456 Schlink, E.  417 Schmidt, S.  172, 255, 359

Schnackenburg, R.  443 Schoenmaeckers, P.C.  108, 123, 129, 470 Schoors, A.  468-469 Schrader, C.  453 Schröffer, J.  8, 259, 264, 285, 457, 499 Schruers, P.  250 Schutz, R.  148, 361-362, 368 Schwarz, O.  368 Seminckx, S.  95 Semmelroth, O.  20, 404, 430-432, 443-446, 448, 493 Šeper, F.  104, 138, 225, 364-365, 499 Seumois, A.  1 Seumois, X.  1, 324 Shehan, L.J.  171, 182, 188 Sidarouss, S.I.  176, 185, 193-194 Signorelli, M.  368 Silva Henríquez, R.  5, 84, 134, 234, 241, 298, 337 Simaan, N.  192 Simon  252 Simonis, A.  365-366 Siri, G.  6, 45-48, 378, 382, 407, 432, 443-444, 455, 457 Skira, J.  180 Smulders, P.  220, 226-227, 240, 243, 257, 281, 310, 323, 335, 493 Snoeks, R.  280 Soetens, C.  1, 3, 7, 10, 14, 20, 31, 33-35, 39, 62, 86, 89, 96, 100, 117, 170, 213, 215, 239, 252-253, 270, 275, 286, 294, 296, 379, 395, 410, 432, 436, 493 Solaberrieta, B.-M.  277 Sorrel, C.  461 Spaak, P.-H.  269, 336 Spellman, F.  49, 80 St John-Stevas, N.  145 Staffa, D.  44, 67, 334-335, 375, 382, 389, 396, 398, 407, 434, 445446, 451, 455, 457, 494, 500 Stangl, J.  180 Stransky, T.  172, 352, 354, 360361, 386 Streng, F. von  416



INDEX ONOMASTIQUE

523

Suenens, L.-J.  2-3, 5-7, 13, 17-24, 27-28, 32-35, 37-116, 120-123, 125-128, 130-131, 133-155, 162163, 165, 180, 184, 216, 228, 232233, 235-237, 245, 247-249, 260, 265, 267-269, 272-276, 279-308, 310-311, 313-321, 324-328, 330333, 335-340, 344, 358, 368, 370, 376-377, 386, 389-391, 393, 413, 433, 443, 455, 462-464, 466, 469472, 474-476, 499 Sugranyes de Franch, R.  23 Systermans, H.  1

Tromp, S.  12, 14, 16, 43, 220, 222225, 228-230, 236-238, 246, 250, 255, 257, 262, 276, 283, 285, 290, 298-299, 304-306, 311-312, 330331, 349, 379, 385, 395-397, 400, 407, 418, 429-432, 436, 441, 453, 456, 458, 493, 496-498 Truyen, L.  268 Tshibangu, T.  232 Tucci, R.  23, 263, 277, 292-293, 306, 327, 344, 376 Turbanti, G.  170, 239, 305 Tustin, D.  360

Tagle, L.  394, 446 Tappouni, L.G.  172, 185, 191, 201202 Tardini, D.  1, 44, 253, 374-375, 388-390 Tawil, J.E.  173, 203 Teilhard de Chardin, P.  28 ter Steeg, M.  151 Tertullianus  218 Teusch, J.  243 Theeuws, P.  313-314 Theodosios (patriarche)  174, 205 Theophilos  176 Thijssen, F.  287, 349, 351, 353-355 Thils, G.  2, 5, 14-16, 19-20, 34, 39, 86, 93, 96, 117, 120, 134-135, 139140, 170, 216, 220, 224, 253-255, 259, 274, 281-289, 292, 294, 296297, 410, 412-413, 423, 432, 444, 457, 463-464, 469, 502 Thomas d’Aquin  122, 159, 475 Thurian, M.  361-362, 368 Tihon, A.  271 Tihon, P.  270, 345 Tisserant, E.  39, 49, 74, 354, 383, 419-420 Tobac, É.  251 Trapè, A.  456 Treffler, G.  45, 287, 445 Troisfontaines, C.  4, 6-8, 12-13, 19, 32-35, 38-39, 52, 74, 89, 171, 215, 237, 243, 253, 255, 262, 264-266, 268-269, 273-274, 276, 279, 281, 309, 316, 321, 342-343, 377-378, 398, 401, 407, 410, 431, 442, 507

Ulpianus (Domitius)  398 Understone  227 Urbani, G.  49 Uylenbroeck, M.  340 Vaccaro, L.  367 Vagnozzi, E.  47 Vallainc, F.  195 Van Belleghem, D.  32, 462 Van Bladel, F.  140 Van Cauwenberge, M.T.  96 Vandekerckhove, M.  14 Vandenberghe, D.  139 Van den Berghe, P.  120 Vanden Bosch, G.  77, 96, 462 Van den Broeck, G.  1 Van den Bussche, H.  55 Van den Eynde, D.  1 Van de Wiel, C.  35 van Dodewaard, J.  225, 234-236, 241, 257, 311 Vangheluwe, R.  31 van Holk, L.J.  416 Vanistendael, A.  34 Van Kerckhoven, J.  1, 335 Van Laer, W.  6, 35, 42, 77, 295, 376, 475 van Leeuwen, B.  24, 99, 234-235, 321 Van Parys, M.  222, 407, 413 Van Peteghem, L.A.  97, 117, 120, 122-123, 124, 126, 129-132, 141144, 221, 248-249, 306, 463, 469-471 Van Riet, G.  15 Van Roey, A.  469

524

INDEX ONOMASTIQUE

Van Roey, J.E.  2, 43, 179-180, 199, 271 van Rossum, P.  54, 81, 98, 101 van Schaik, T.H.M.  365-366 Van Uytrecht  252 van Velsen, G.  184 Van Waeyenbergh, H.  129 van Zuylen, G.M.  5, 122, 125-126, 129-130, 144, 216, 220-222, 233, 246, 248, 273, 301, 303, 313, 316, 323-324, 338 Velati, M.  27, 197, 357, 359, 383, 390, 411, 416-417, 422 Verheul, A.  15 Verjans, P. et M.  60, 197, 214, 221, 404, 449 Vermeersch, L.  1 Versace, E.  424 Verschooten, W.  11, 35, 217, 277, 378, 395, 431, 494 Verspeurt, V.  462 Veuillot, P.  20, 334-336, 466 Vieujean, J.  469 Vignon, H.  312 Villot, J.  53, 74-75, 103, 105, 146, 339, 364-365, 367, 386 Virgile  263 Vischer, L.  291, 293, 417, 421 Visser ’t Hooft, W.H.  184, 188, 352, 417 Visser, J.  82, 99, 239, 327 Volk, H.  220, 225, 444, 499 von Teuffenbach, A.  44, 220, 255, 290, 379, 395, 432, 493

Wagner, J.  15 Wagnon, H.  15, 34, 38, 184, 270, 273, 389, 463, 469 Wallace, M.J. (sr)  101 Walter, P.  34, 213 Wassilowsky, G.  444 Wattson, P.  362 Weil, S.  76 Weiler, T.  444, 454 Wenger, A.  386 Westow, T.  147 Wicks, J.  444 Willaert, B.  255-256 Willebrands, J.  8-9, 15, 27, 97, 151, 167-168, 170-178, 181-193, 195-196, 198-203, 206-207, 209210, 228, 290-291, 334, 347-359, 361-371, 380, 383, 386, 389-390, 411-419, 423-424 Winkler, M.  360 Witte, H.  347 Wittstadt, K.  32 Wojtyła, K.  13, 26, 78, 91, 99, 105, 267; voir aussi Jean-Paul II Wylleman, A.  100, 117, 120, 140 Wyszynski, S.  26, 49 Xiberta, B.  226 Zalba, M.  83, 99, 239, 327 Zanini, L.  175 Zundel, M.  424

BIBLIOTHECA EPHEMERIDUM THEOLOGICARUM LOVANIENSIUM

Series III 131. C.M. Tuckett (ed.), The Scriptures in the Gospels, 1997. xxiv-721 p.  60 € 132. J. van Ruiten & M. Vervenne (eds.), Studies in the Book of Isaiah. 75 € Festschrift Willem A.M. Beuken, 1997. xx-540 p. 133. M. Vervenne & J. Lust (eds.), Deuteronomy and Deuteronomic Literature. 75 € Festschrift C.H.W. Brekelmans, 1997. xi-637 p. 134. G. Van Belle (ed.), Index Generalis ETL / BETL 1982-1997, 1999. ix337 p. 40 € 135. G. De Schrijver, Liberation Theologies on Shifting Grounds. A Clash of 53 € Socio-Economic and Cultural Paradigms, 1998. xi-453 p. 136. A. Schoors (ed.), Qohelet in the Context of Wisdom, 1998. xi-528 p.  60 € 137. W.A. Bienert & U. Kühneweg (eds.), Origeniana Septima. Origenes in 95 € den Ausein­andersetzungen des 4. Jahrhunderts, 1999. xxv-848 p. 138. É. Gaziaux, L’autonomie en morale: au croisement de la philosophie et 75 € de la théologie, 1998. xvi-760 p. 75 € 139. J. Grootaers, Actes et acteurs à Vatican II, 1998. xxiv-602 p. 140. F. Neirynck, J. Verheyden & R. Corstjens, The Gospel of Matthew and the Sayings Source Q: A Cumulative Bibliography 1950-1995, 1998. 2 vols., vii-1000-420* p. 95 € 90 € 141. E. Brito, Heidegger et l’hymne du sacré, 1999. xv-800 p. 60 € 142. J. Verheyden (ed.), The Unity of Luke-Acts, 1999. xxv-828 p. 143. N. Calduch-Benages & J. Vermeylen (eds.), Treasures of Wisdom. Studies in Ben Sira and the Book of Wisdom. Festschrift M. Gilbert, 1999. xxvii-463 p. 75 € 144. J.-M. Auwers & A. Wénin (eds.), Lectures et relectures de la Bible. Festschrift P.-M. Bogaert, 1999. xlii-482 p. 75 € 145. C. Begg, Josephus’ Story of the Later Monarchy (AJ 9,1–10,185), 2000. x-650 p. 75 € 146. J.M. Asgeirsson, K. De Troyer & M.W. Meyer (eds.), From Quest to Q. Festschrift James M. Robinson, 2000. xliv-346 p. 60 € 147. T. Romer (ed.), The Future of the Deuteronomistic History, 2000. xii265 p. 75 € 148. F.D. Vansina, Paul Ricœur: Bibliographie primaire et secondaire - Primary 75 € and Secondary Bibliography 1935-2000, 2000. xxvi-544 p. 149. G.J. Brooke & J.-D. Kaestli (eds.), Narrativity in Biblical and Related 75 € Texts, 2000. xxi-307 p.

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