Titus de Bostra, Contre Les Manicheens (Corpus Christianorum in Translation) (French Edition) 9782503550176, 2503550177

Redige en 363-364, le traite Contre les manicheens de Titus de Bostra est la plus importante refutation chretienne du ma

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Titus de Bostra, Contre Les Manicheens (Corpus Christianorum in Translation) (French Edition)
 9782503550176, 2503550177

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TITUS DE BOSTRA CONTRE LES MANICHÉENS

CORPVS CHRISTIANORVM IN TRANSLATION

21

CORPVS CHRISTIANORVM Series Graeca 82

TITI BOSTRENSIS CONTRA MANICHAEOS LIBRI IV GRAECE ET SYRIACE

TEXTUM GRAECUM LIBRORUM I–III, 30A EDIDIT Agathe ROMAN adiuvante Thomas S. SCHMIDT TEXTUM SYRIACUM EDIDERUNT Paul-Hubert POIRIER et Éric CRÉGHEUR EXCERPTA E SACRIS PARALLELIS JOHANNI DAMASCENO ATTRIBUTIS EDIDIT José DECLERCK

TURNHOUT

FHG

TITUS DE BOSTRA CONTRE LES MANICHÉENS

Introduction, traduction, notes et index par Agathe Roman Thomas S. Schmidt Paul-Hubert Poirier

H

F

©2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2015/0095/148 ISBN 978-2-503-55017-6 Printed on acid-free paper.

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

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Introduction L’auteur L’œuvre Plan du Contre les manichéens Style, langue et particularités lexicales et grammaticales du texte grec La version syriaque et ses caractéristiques La documentation manichéenne de Titus de Bostra La présente traduction

13 14 16 22

Bibliographie

51

Addenda et corrigenda ad editionem Textus graecus Textus syriacus

69 70 72

TITUS DE BOSTRA : CONTRE LES MANICHÉENS Traduction du texte grec De Titus, évêque, Contre les manichéens Argument du premier traité Argument du deuxième traité Argument du troisième traité Argument du quatrième traité

73

5

31 41 42 45

74 74 74 75 75

Table des matières

Premier discours de Titus, évêque, contre les manichéens Introduction (1-5) Les deux principes (6-15) Transition (16-17) Critique du mythe (18-42)

77 77 89 107 115

Deuxième discours Introduction (1-2) Mesure et condition de l’homme (3-14) Gouvernement divin et raison d’être des créatures (15-62) Conclusion : Sympathie et harmonie universelles (63-66)

163 163 167 184 281

Troisième discours Introduction (1-3) La Genèse (4-36)

291 291 299

Traduction du texte syriaque Discours de Titus contre les manichéens Introduction (1-5) Les deux principes (6-15) Transition (16-17) Critique du mythe (18-42)

76 76 88 106 114

Deuxième discours de Titus contre les manichéens Introduction (1-2) Mesure et condition de l’homme (3-14) Gouvernement divin et raison d’être des créatures (15-62) Conclusion : Sympathie et harmonie universelles (63-66)

162 162 166 184 280

Troisième discours contre les manichéens Introduction (1-3) La Genèse (4-36) L’Exode (37-47) Les prescriptions relatives aux sacrifices (48-60) Justification de l’économie divine à l’égard des Juifs (61-67) Exposé hérésiologique (68-74) L’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament (75-79) Un exemple d’exégèse manichéenne : les péchés commis par les justes de l’Ancien Testament (80-87) Conclusion

290 290 298 343 352 358 364 371

6

377 383

Table des matières

Quatrième discours contre les manichéens Introduction (1-3) Le nom de « Christ » (3-11) Mani, l’Évangile et le Paraclet (12-17) Digression doxographique : les véritables sources de Mani (18-21) Mani et l’économie charnelle du Sauveur (22-44) Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire en appui à la thèse des deux principes (45-49) Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire établissant que le monde est mauvais (50-56) Le Mauvais dont parle l’Écriture (57-85) Les paroles de Paul invoquées par Mani (86-95) Transition La résurrection chez Paul (97-101) Autres paroles de Paul (102-109) Conclusion du livre IV (110-111) Conclusion de l’ouvrage (112-116) Index Index scripturaire Index des noms propres

384 384 386 392 398 401 419 423 428 445 456 456 462 469 470 473 475 481

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AVANT-PROPOS

La genèse de cette double traduction du Contre les manichéens de Titus de Bostra remonte à 1984, lorsque, dans le cadre d’un cours avancé de langue syriaque dispensé à l’Université Laval, j’ai proposé à mon unique étudiante d’alors, Catherine Sensal, d’entreprendre la traduction de la version syriaque de l’ouvrage. Commencé comme un simple exercice, ce travail s’est lentement poursuivi jusqu’en 1990 et a abouti à la publication pro manuscripto d’une traduction provisoire des deux premiers livres du traité. Entretemps, en 1988, nous avions annoncé, dans une communication présentée au Ve Symposium Syriacum (Leuven), notre intention de traduire l’ensemble de l’œuvre. Ce qui ne devait être à l’origine qu’une traduction s’est très tôt transformé, à l’instigation du regretté Maurits Geerard, en un projet d’édition critique destinée à la Series Graeca du Corpus Christianorum. Cette édition a finalement paru en 2013, fruit du travail d’une équipe que j’ai constituée après le départ de Catherine Sensal pour Besançon, et comprenant Agathe Roman, agrégée de grec et alors doctorante, Thomas S. Schmidt, professeur de grec à l’Université Laval, maintenant à l’Université de Fribourg (Suisse), Éric Crégheur, doctorant puis stagiaire postdoctoral à l’Université Laval, et José Declerck (Gand), auteur de plusieurs éditions dans la Series Graeca. Cette édition synoptique, qui constitue la base des présentes traductions, comporte, outre les textes grec et syriaque, la première édition critique, procurée par le Dr Declerck, des extraits du Contre les manichéens cités dans les Sacra Parallela attribués à Jean Damascène.

9

Avant-propos

Dans l’Avant-propos de l’édition, j’ai eu l’occasion de remercier les institutions et les personnes qui en avaient permis la réalisation. Au moment de mettre sous presse ce volume de traduction, je leur renouvelle, en mon nom et en celui de mes collaborateurs, toute notre reconnaissance. Mais je me dois de mentionner ici les personnes sans le concours desquelles le présent ouvrage n’aurait pu voir le jour : Agathe Roman et Thomas Schmidt, qui ont accepté avec enthousiasme de se joindre à moi dans cette aventure philologique ; José Declerck, qui a assuré une minutieuse révision de la traduction du grec ; Bastien Kindt et Bernard Coulie (Louvain-la-Neuve), qui ont mis à notre disposition une concordance du texte grec ; Stephen Kaufman, directeur du Comprehensive Aramaic Lexicon Project (Hebrew Union College, Cincinnati), qui a produit en un temps record une concordance ad usum proprium du texte syriaque ; S. Kaufman, à nouveau, et Jean-Claude Haelewyck, directeur de recherches au Fonds National de la Recherche Scientifique (Louvain-la-Neuve), qui ont répondu à mes questions sur la traduction du syriaque ; le personnel de Brepols Publishers et spécialement Bart Janssens, qui m’ont accueilli à deux reprises au « Kenniscentrum » du Sint-Annaconvent, dans le béguinage de Turnhout ; Simon Claude Mimouni et Jean-Daniel Dubois, qui m’ont invité, en mai et juin 2011, à présenter mes travaux sur Titus de Bostra dans leurs directions d’études respectives de la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (Paris) et les auditeurs de mes conférences qui m’ont fait part de leurs suggestions ; Emmanuel Friedheim (Université Bar Ilan) et Claude Lafleur (Université Laval), qui m’ont éclairé sur deux passages difficiles (voir l’annotation à I, 13 et III, 46) ; Loes Diercken, « publishing manager » du Corpus Christianorum in Translation, qui nous a offert l’hospitalité de la collection qu’elle dirige. À l’exception d’un certain nombre de passages du grec ou du syriaque qui ont été traduits dans diverses publications et, notamment, dans la monographie de Nils Arne Pedersen (2004), les deux versions du Contre les manichéens de Titus de Bostra n’avaient jamais fait l’objet jusqu’à ce jour d’une traduction intégrale dans une langue moderne. Il existe cependant une traduction alle-

10

Avant-propos

mande complète de la version syriaque réalisée au tout début du xxe siècle par Ludwig Nix. Restée inédite, elle est conservée dans l’original manuscrit de Nix, retrouvé par Franz Xaver Risch, de la Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, qui me l’a transmis en mai 2013. Malheureusement, faute d’arriver à lire en temps utile la forme de Sütterlin-Schrift dans laquelle le manuscrit a été réalisé, je n’ai pu en tirer profit, sauf pour la partie du traité non conservée en grec (de III, 30 à la fin), dont la traduction de Nix avait été dactylographiée à une date inconnue, transcription à laquelle j’ai eu accès dès 1987 grâce à Kurt Treu et Cornelia Römer. Même si elle ne représente sans doute pas la forme définitive que lui aurait donnée Nix, cette traduction m’a été utile pour éclairer le sens de certains passages difficiles. Elle mériterait sûrement d’être transcrite intégralement ; elle pourrait alors fournir la base d’une traduction allemande de la version syriaque. Les trois auteurs ont œuvré en commun à la réalisation de l’ouvrage et à la mise au point finale des traductions. Ils se sont partagé cependant le travail en fonction de leurs compétences et de leurs intérêts : Agathe Roman et Thomas Schmidt ont traduit le texte grec et Paul-Hubert Poirier, le texte syriaque ; celui-ci a également rédigé l’essentiel de l’introduction et la totalité de l’annotation, et il a compilé les index sur la base de ceux qui figurent dans l’édition. Au moment de publier enfin cette traduction, les auteurs formulent le vœu qu’elle permette au Contre les manichéens de Titus de Bostra de trouver la place qu’il mérite dans le vaste champ des études manichéennes. 

Québec, le 28 juillet 2015 Paul-Hubert Poirier



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INTRODUCTION

Le traité Contre les manichéens de Titus de Bostra, sans doute la réfutation chrétienne du manichéisme la plus développée1, est un ouvrage capital pour la connaissance de l’« Espérance » de Mani2 et pour l’histoire de la polémique chrétienne dirigée contre cette religion née au milieu du iiie siècle de notre ère3. Nous proposons ici une première traduction dans une langue moderne des deux formes sous lesquelles l’ouvrage nous est parvenu, le texte grec original (jusqu’à III, 30, 5) et sa version syriaque. Ces traductions sont basées sur l’édition publiée dans la Series Graeca du Corpus Christianorum4.

À l’exception, peut-être, du Contra Faustum d’Augustin, mais il s’agit d’une œuvre d’un tout autre genre. 2  Sur les autodésignations du manichéisme, « Église » et « espérance », voir infra, p. 395, n. b. Rappelons que Mani, né en 216 et mort en 274 ou 277, inaugura sa mission en 240 (voir Decret 2005, p. 167-168). 3  Pour un aperçu commode de la polémique antimanichéenne, voir la synthèse toujours utile d’Alfaric 1918, p. 111-129, ainsi que Lieu 1994, p. 197-202 ; sur le manichéisme en général, on lira Puech 1949, Tardieu 1997 et Decret 2005. 4  Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013. On y trouvera (p. xiii-cvii) une introduction détaillée à l’auteur et à l’œuvre, dont nous reprenons ici quelques éléments plus essentiels. 1 

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Introduction

L’auteur Nous savons peu de choses de la vie de Titus de Bostra mais les quelques bribes de sa biographie5 qui sont parvenues jusqu’à nous sont d’une assez grande précision, du moins pour les années 362378. Le plus ancien témoignage provient de la lettre 114 (Bidez, 52 Hertlein) de l’empereur Julien datée du 1er août 362 et adressée d’Antioche aux Bostréniens. Dans cette lettre, l’empereur exhorte les habitants de Bostra à « expulser spontanément » de leur ville l’évêque, qui s’était fait fort, dans une supplique dont Julien cite un extrait, de retenir ses concitoyens de commettre le moindre excès contre les « Hellènes ». La disparition de l’empereur, le 26 juin 363, et le changement de régime qui s’en suivit ne permirent sans doute pas aux habitants de Bostra d’exaucer le souhait de Julien ; du moins un exil de Titus n’est-il mentionné nulle part. Le deuxième événement connu de la vie de Titus de Bostra est sa participation au synode réuni à Antioche en 363, probablement en octobre-novembre6. Titus figure au nombre des vingt-sept signataires du « libelle » produit à l’issue du synode par Mélèce d’Antioche et adressé à Jovien, dans lequel les évêques « reconnaissent le consubstantiel et ratifient la foi de Nicée »7. Une autre date relativement précise de la biographie de Titus de Bostra est celle de la composition du Contre les manichéens. Le terminus ante quem est fourni par Jérôme, qui écrit que Titus a rédigé son traité « sous les empereurs Julien et Jovien »8 ; or ce dernier meurt le 17 février 364. Quant au terminus post quem, il peut être établi à partir d’une indication du Contre les manichéens, qui, en II, 28, 1-3 (grec), mentionne un tremblement de terre qui se produisit « tout récemment sous le règne de celui qui fut par trop impie et rappela l’erreur des idoles » ; il s’agit fort probablement du tremblement de terre qui détruisit Nicomédie et Nicée le La meilleure synthèse des témoignages anciens sur la vie et l’œuvre de Titus de Bostra est encore celle de Casey 1937. 6  Socrate de Constantinople, Histoire ecclésiastique III, 25 ; Sozomène, Histoire ecclésiastique VI, 4. 7  Socrate de Constantinople, Histoire ecclésiastique III, 25, 9. 8  De viris inlustribus 102. 5 

14

Introduction

2 décembre 362, et qui est mentionné par Ammien Marcellin9. Le traité a donc été composé très vraisemblablement au cours de l’année 363. L’attestation la plus ancienne du Contre les manichéens se trouve chez Épiphane, qui, dans le Panarion, dans la notice consacrée aux manichéens et rédigée en 377 (66, 21, 3), signale l’œuvre hérésiologique de Titus. Si l’on se fie à ce qu’écrit Jérôme dans les quelques lignes qu’il lui consacre dans le De viris inlustribus, Titus est mort sous Valens, donc entre le 28 mars 364 et le 9 août 378. Bien que Titus ne semble pas avoir joué un rôle prépondérant dans les controverses théologiques et ecclésiales qui faisaient rage dans la seconde moitié du ive siècle, il s’est acquis une solide réputation due en grande partie à son Contre les manichéens. Nous en avons quelques témoignages dans l’Antiquité. Dans le De viris inlustribus, Jérôme note que « [Titus de Bostra] écrivit des livres puissants contre les manichéens et quelques autres ouvrages »10. Jérôme témoigne également de l’importance de la culture et de l’activité littéraire de Titus. Dans la lettre 70 (4) à Magnus, datée de 397-398, Jérôme le mentionne en effet, en compagnie de Basile de Césarée et de Grégoire de Nazianze, d’Athanase d’Alexandrie et d’Eusèbe d’Émèse, parmi ceux qui « ont si copieusement farci leurs ouvrages des doctrines et maximes des philosophes, qu’on ne sait ce que l’on doit admirer surtout chez eux, l’érudition profane ou la science des Écritures »11. Par sa formation philosophique et rhétorique, par son équilibre dans les questions dogmatiques et éthiques, l’évêque et écrivain Titus de Bostra apparaît comme un parfait représentant de la culture urbaine de l’époque impériale. Même si nous n’avons aucun renseignement précis à ce sujet, on peut raisonnablement penser que Titus aurait été formé à Antioche ou encore à Césarée de Palestine. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas sous-estimer les compétences de Titus en matière de philosophie. Sans être un philosophe de métier, il savait manier avec efficacité les concepts qui pouvaient servir à une réfutation rationnelle du manichéisme, Histoire XXII, 13, 5. Loc. cit. 11  Trad. Labourt 1953, p. 213. 9 

10 

15

Introduction

outillage qu’il mit en œuvre non seulement sur le plan de la théodicée, mais aussi pour défendre l’interprétation de l’Écriture qu’il jugeait correcte. Nous ignorons le lieu de sa naissance et, s’il fut évêque de Bostra, cela ne signifie nullement qu’il en ait été originaire. Peut-être provenait-il d’Antioche, car, sur le plan ecclésiastique, Bostra, métropole de la partie nord de l’Arabie Pétrée, dépendait du patriarcat d’Antioche12. En plus du Contre les manichéens, Titus de Bostra semble avoir été l’auteur d’un certain nombre d’œuvres exégétiques ou homilétiques, dont malheureusement aucune ne nous est parvenue dans son intégralité13. On connaît cependant, grâce à des scolies, ses Homélies sur l’Évangile de Luc (CPG 3576)14. Neuf scolies sur Daniel (CPG 3577) sont également attestées mais elles proviendraient, non d’un commentaire suivi, mais des homélies sur Luc15. L’héritage littéraire de Titus de Bostra se résume donc pour l’essentiel à son traité contre les manichéens et à ses homélies sur Luc.

L’œuvre Tout indique que le manichéisme se soit diffusé très tôt en Syrie, dès le dernier quart du iiie siècle, peu de temps après la mort de Mani16, sans doute à partir de al-H.īra, la capitale des Lakhmides, sise sur la rive droite de l’Euphrate, au sud-ouest de Séleucie-Ctésiphon17. Un siècle plus tard, la nouvelle religion devait s’être suffisamment développée dans la province romaine d’Arabie et à Bostra pour que Titus entreprenne de la réfuter d’une manière aussi étendue et que cette réfutation soit presque aussitôt intégralement traduite en syriaque. Voir Devreesse 1945, p. 122 et 227. Voir CPG 3575-3581. 14  Éd. Sickenberger 1901 ; sur les scolies sur Luc, voir Lavoie, Poirier, Schmidt 2008. 15  Voir Sickenberger 1901, p. 246-249 et 130-134. 16  La mort de Mani est datée de 274 ou 277, voir Tardieu 1997, p. 113, et Decret 2005, p. 168. 17  C’est l’hypothèse formulée par Tardieu 1992 (voir la carte de la p. 20). 12  13 

16

Introduction

Cette monumentale réfutation du manichéisme valut à Titus de Bostra sa réputation et sa survie littéraire. Il en rédigea l’essentiel peu après la mort toute récente18 de l’empereur Julien, survenue le 26 juin 363. Déjà à l’époque de Jérôme, Titus n’était plus connu que comme l’auteur d’un Contre les manichéens ; en tout cas, Jérôme semble bien n’avoir rien lu ni connu des autres écrits qu’il lui attribue19. La situation matérielle du Contre les manichéens est complexe et elle a, à coup sûr, affecté la circulation de l’ouvrage. Deux facteurs ont joué, le premier, qui nous a privés d’une portion importante de l’œuvre, le second, qui a défiguré ce qui en restait : 1) seulement 60 %, environ, du texte grec original (du début à III, 30, 5) sont conservés, dont la dernière partie (III, 7, 27 à 30, 5) n’a été identifiée qu’en 1928 et publiée en 197320 ; fort heureusement, une version syriaque complète a survécu et elle fut éditée dès 1859 par Paul de Lagarde21 ; 2) six des sept manuscrits grecs connus du Contre les manichéens présentent, en plein milieu du chapitre 18 du livre I (l. 15, après αἰῶνας) une interpolation dont la matière provient du traité Contre les manichéens de Sérapion de Thmuis22. Inutile de dire que cet état de fait n’a aidé ni à la diffusion, ni à une juste appréciation de l’ouvrage de Titus de Bostra. Le texte grec du Contre les manichéens est attesté par sept manuscrits dont on trouvera le signalement et la description dans notre édition23. Parmi ceux-ci figurent deux manuscrits du xie siècle : Gênes, Biblioteca della Congregazione della Missione Urbana di S. Carlo 27 (G), dont dépendent tous les manuscrits ultérieurs et dont ils reproduisent la malencontreuse insertion, dans le livre I, d’une partie de l’ouvrage de Sérapion24, et Athos, VatopeVoir II, 28. De viris inlustribus 102. 20  Casey 1928 et Nagel 1973. 21  De Lagarde 1859b. 22  Voir Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. xxxiv-xlv. 23  Ibid., p. xxii-xxxiii, et li pour le stemma codicum. 24  Ces manuscrits sont : Vaticanus graecus 1491 (B) ; Rome, Biblioteca Angelica Lat. 229 (A) ; Hambourg, Staats- und Universitätsbibliothek, cod. philol. 306 (A) ; Dresde, Sächsische Landes- und Universitätsbibliothek A 77 (D), Vaticanus latinus 6221 (L). 18 

19 

17

Introduction

dinus 236 (V), qui n’a laissé aucune postérité mais qui est le seul à donner les chapitres 7, 27 à 30, 5 du livre III. Les Sacra Parallela attribués à Jean Damascène ont conservé neuf extraits du Contre les manichéens de Titus de Bostra tirés des livres II et IV. On en trouvera une première édition critique établie par José Declerck dans le volume d’édition du traité25. Le florilège d’Étienne Gobar, connu grâce à Photius, qui en rend compte dans sa Bibliothèque, cite un passage du livre I (15, 6-11), qui permet de combler une brève lacune, occasionnée par un saut du même au même (l. 6-7), qui affecte tous les témoins de la tradition directe26. Quant à la version syriaque, elle est transmise par le plus ancien manuscrit syriaque daté, l’Add. 12150 de la British Library, dont la copie, effectuée à Édesse, fut terminée en novembre 411. Il s’agit d’un témoin capital, en raison de sa date et du fait que seule cette version donne le texte complet du Contre les manichéens de Titus de Bostra. Il existe aussi une tradition syriaque indirecte, représentée par deux courts passages conservés dans des florilèges, en I, 32 et IV, 39. Si on compare le Contre les manichéens de Titus de Bostra aux autres réfutations du manichéisme qui sont parvenues jusqu’à nous, cette œuvre se distingue par l’originalité de sa conception, en un diptyque dont les deux volets se répondent symétriquement tant sur le plan de l’objet que de la documentation. Les deux premiers livres sont en effet consacrés à une réfutation purement dialectique, à la lumière des « notions communes », des thèses manichéennes relatives aux deux principes, à la matière et à l’origine du mal (livre I), et à la liberté de l’homme, au gouvernement divin et à la raison d’être des créatures dans leur diversité et leur apparente inégalité (livre II). Aucune référence aux Écritures juives ou chrétiennes n’est alléguée par Titus dans ces livres27. Les livres III et IV, en revanche, sont explicitement consacrés à l’interpréta-

Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. cix-clv. Codex 232, 288 b 24-30. 27  Les passages suivants ne sont pas à considérer comme des citations bibliques à proprement parler : en I, 17, 48, une réminiscence de 1 Tm 4, 7 ; en I, 29, 40-41, une formule qui évoque 1 Tm 6, 10 ; en II, 11 1-2, une allusion à Gn 1, 26 ; en II, 36, 28, une reprise de Jn 1, 5a dans une comparaison. 25 

26 

18

Introduction

tion que les manichéens faisaient des Écritures, celles de l’Ancien (livre III) et du Nouveau Testament (livre IV). Les « notions communes » (κοιναὶ ἔννοιαι), mentionnées dès le premier chapitre du livre I du Contre les manichéens, constituent un concept-clé du projet hérésiographique de Titus de Bostra. Voici la définition qu’en donne un contemporain de Titus, le philosophe Salloustios ( fl. 360-365) : « Communes sont les notions sur lesquelles tous les hommes, si on les interroge correctement, tomberont d’accord : par exemple que tout dieu est bon, qu’il est impassible, qu’il est immuable ; car tout ce qui change devient meilleur ou pire ; s’il devient pire, il passe au mal, et s’il devient meilleur, c’est qu’à l’origine il était mauvais »28. Dans leur édition de la Théologie platonicienne de Proclus, Henri Dominique Saffrey et Leendert Gerrit Westerink écrivent que, d’après le philosophe, « ces “notions communes” sont […] en nous innées (αὐτοφυεῖς), antérieures à tout enseignement (ἀδίδακτοι) et non perverties (ἀδιάστροφοι). Même dans l’âme la plus dépravée, elles demeurent ». Les notions communes, précisent-ils, existent dans tous les domaines de la connaissance. Pour la théologie, les éditeurs énumèrent les thèmes suivants que Proclus considère comme relevant des notions communes : la bonté et la providence des dieux, l’omniscience de la providence divine, la grandeur et la beauté des dieux, le Bien au-delà de l’être comme cause finale universelle, l’existence des Idées, la transcendance du divin par rapport à l’intellect29. L’origine des « notions communes » est discutée. D’après H. D. Saffrey et L. G. Westerink, « cette théorie des “notions communes”, qui est sortie de l’ὁμολογία socratique et du consensus gentium aristotélicien, a été formulée par les écoles hellénistiques tant stoïcienne qu’épicurienne. […] Au iie siècle de notre ère, les écoles tant platonicienne qu’aristotélicienne ont repris à leur compte cette théorie des “notions communes” »30. Plutarque a consacré tout un traité dialogué aux « notions communes, contre les stoïciens »31. Les notions communes, sous une Éd. et trad. Rochefort 1960, p. 4. Saffrey, Westerink 1974, p. 159-160. 30  Saffrey, Westerink 1974, p. 160-161. 31  Éd. et trad. Casevitz, Babut 2002. 28 

29 

19

Introduction

forme ou une autre, sont également passées chez les premiers théologiens chrétiens32. Pour Origène, il faut distinguer les « notions communes » et « l’évidence de ce qui est vu », c’est-à-dire la connaissance sensible33. On peut donc dire que la théorie des « notions communes » faisait partie de la koinè philosophique et théologique à laquelle Titus a manifestement eu accès34. Le Contre les manichéens, élaboré « à partir des saintes Écritures et des notions communes » (I, 1, 30-31), s’adresse à un public qui était sensible à l’attrait que pouvait exercer le mythe manichéen comme explication globale de l’univers et réponse à la question de l’origine du mal, sensible aussi à l’argument manichéen de la contradiction des Écritures, qui émaneraient tantôt du Dieu bon, tantôt du principe mauvais. À l’encontre des revendications rationnelles et exégétiques des manichéens, Titus cherche à démontrer, et c’est là son objectif premier, le caractère irrationnel et « barbare » du manichéisme, dans la mesure où celui-ci contredit les principes universellement admis et propose des Livres saints une lecture qui n’en respecte ni la cohérence ni l’unité. Les deux parties de la réfutation de Titus de Bostra s’appuient sur une solide documentation, manichéenne aussi bien que scripturaire, qu’il exploite inlassablement. On y relève en effet quelque cent soixante-dix citations bibliques, ainsi qu’un grand nombre de matériaux manichéens, citations ou termes techniques35. Connu d’abord par la traduction latine de Francisco Torres publiée en 1604, le Contre les manichéens fut édité pour la première fois en grec par Jacques Basnage, sur la base d’un manuscrit de Hambourg, descendant indirect de celui de Gênes, dont il reproduit l’insertion d’une partie du Contre les manichéens de Sérapion 32  Pour Justin, Athénagore, Clément d’Alexandrie et Origène, voir les références chez Pedersen 2004, p. 284-289. 33  De Principiis IV, 1, 1. 34  Le concept de « notions communes » chez Titus a fait l’objet d’une analyse détaillée de la part de N. A. Pedersen (2004, p. 280-297). 35  En attendant la publication, dans la collection « Instrumenta Patristica et Mediaevalia » (Brepols), d’un inventaire des matériaux bibliques et manichéens contenus dans le Contre les manichéens, voir Poirier 2010, Poirier 2009 et Poirier 2010-2011.

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Introduction

de Thmuis36. L’édition de Basnage sera reprise par celle d’Andreas Gallandi en 1769 et dans le tome XVIII de la Patrologia graeca en 1857. En 1859, Paul de Lagarde publiera deux éditions qui marqueront un tournant dans la diffusion du Contre les manichéens, celle du texte grec sur la base du manuscrit de Hambourg, mais débarrassé de l’ajout provenant de Sérapion37, et celle de la version syriaque, qui donnait accès pour la première fois au texte complet du traité38. Malheureusement, de Lagarde ne publia jamais la traduction qu’il annonçait alors39. La traduction latine du texte grec par Torres, réimprimée dans la Patrologia graeca, demeure à ce jour la seule disponible. La version syriaque fut intégralement traduite en allemand par Ludwig Nix au tout début du xxe siècle, mais cette traduction est demeurée à l’état manuscrit, sauf pour la portion allant de III, 30 à la fin de l’ouvrage, qui fut dactylographiée40. En 1967, dans sa thèse d’habilitation, Peter Nagel édita les chapitres 7 à 30 du livre III, connus par le seul manuscrit de l’Athos (Vatopedinus 236), édition qu’il publia en 197341. Même si l’accès au texte du Contre les manichéens est demeuré limité jusqu’à maintenant, l’auteur, l’ouvrage ou les manuscrits qui l’ont transmis ont néanmoins fait l’objet de plusieurs études importantes. Signalons les travaux d’August Brinkmann, Joseph Sickenberger, Robert Pierce Casey, Richard Reitzenstein, Anton Baumstark, Peter Nagel, Erich Lamberz, Guy G. Stroumsa, Francis Stanley Jones et Nils Arne Pedersen, qui a consacré à Titus de Bostra une importante monographie42.

Pour les références de cette édition et de celles qui sont mentionnées dans ce paragraphe, voir Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. lxxxii-lxxxviii. 37  De Lagarde 1859a. 38  De Lagarde 1859b. 39  Dans l’avant-propos des deux éditions. 40  Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. lxxxiv-lxxxv. 41  Nagel 1967 et Nagel 1973. 42  Brinkmann 1894 ; Sickenberger 1901 ; Casey 1928, Casey 1931 et Casey 1937 ; Reitzenstein 1931 ; Baumstark 1931 et Baumstark 1935 ; Nagel 1966, Nagel 1967 et Nagel 1973 ; Lamberz 1973 ; Stroumsa 1992 ; Jones 1998 ; Pedersen 2004. 36 

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Introduction

Plan du Contre les manichéens Voici une présentation sommaire du contenu des quatre livres du Contre les manichéens43.

Livre I I, 1-5 I, 1

I, 2-4 I, 5 I, 6-15 I, 6 I, 7-8

I, 9 I, 10

Introduction S’il est louable de ne pas imputer à Dieu les péchés des hommes, il faut, en se basant sur les Écritures saintes et les notions communes, se garder de tomber dans l’impiété, comme le fait Mani, en opposant à Dieu un second principe inengendré. L’erreur fondamentale de Mani et de ses disciples. Le programme de Titus de Bostra : réfutation de la thèse des deux principes et justification du gouvernement divin. Les deux principes Énoncé de la thèse des deux principes. Conséquences logiques de la thèse : l’existence de deux principes inengendrés exige d’en poser un troisième, qui les sépare l’un de l’autre. Quelle sera cette frontière entre les deux inengendrés ? Illustration de l’impossibilité de l’existence d’une telle frontière par la comparaison de l’ombre et de la lumière du soleil.

43  On trouvera dans Pedersen 2004, p. 17-65, un très utile « Summary of contents » du Contre les manichéens ; il nous a toutefois semblé préférable d’en proposer ici une analyse schématique, qui permette d’appréhender plus efficacement la structure de l’ouvrage et de guider la lecture. Les titres et sous-titres sont repris au fil de la traduction.

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Introduction

I, 11 I, 12 I, 13-15

I, 16-17 I, 16 I, 17 I, 18-42 I, 18-19 I, 20-28 I, 29-30 I, 31-35 I, 36-42

Par définition, deux principes inengendrés et égaux ne peuvent coexister. Une telle doctrine est barbare et contredit les notions communes. Critique des oppositions invoquées par les manichéens pour décrire les deux principes : bon / mauvais (13), vrai / mensonger (14), incorruptible / corruptible (15). Transition Ébranlés, les manichéens reviennent à leur aporie fondamentale  : «  D’où viennent donc les maux ? » Vue d’ensemble du mythe et remarques méthodologiques. Critique du mythe Le désordre primitif de la Matière (ὕλη). La vision de la lumière et le combat. Le « charme » ou l’ensorcellement de la Matière. La responsabilité des péchés des hommes. La finalité de la démiurgie et l’eschatologie manichéenne.

Livre II II, 1-2 II, 1

II, 2 II, 3-14 II, 3

Introduction Sujet du livre II et rappel du livre I. Réfutés en ce qui concerne les principes sans fondement, les disciples de Mani se rabattent sur leur question première : « D’où viennent donc les maux ? » Programme du livre II. Mesure et condition de l’homme Le principe de base : Dieu est créateur et provident, l’homme est doué de libre arbitre.

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Introduction

II, 4-13 II, 14 II, 15-62 II, 15-29

II, 30-62

La mesure impartie à l’homme : traité du libre arbitre et de la vertu. Résumé et conclusion. Gouvernement divin et raison d’être des créatures Les inégalités apparentes dans la condition humaine : la richesse et la pauvreté (15-16), la maladie et la santé (17-19), la domination des justes par les injustes (2021), la guerre et la mort (22-23), les catastrophes naturelles (24-26). Valeur pédagogique des inégalités apparentes (27-29). Les créatures et leur raison d’être : la nuit et les ténèbres (30-35), et leurs analogues, la vérité et le mensonge (36-37), les animaux sauvages (38-41), digression : même lorsqu’il punit et châtie, Dieu exerce sa providence envers les hommes (42-43), les animaux et les plantes vénéneuses (44), le fer, le feu et les autres instruments de mort (45-47). Transition et résumé : tout a une raison d’être dans l’économie divine (48-49). Les quatre éléments et la doctrine de Mani sur le soleil (50-54). Transition : du soleil à ce qui en dépend (55). Les pluies : du désir chez les archontes (56), génération et engendrement : du désir chez les humains (57-59). De l’âme dans les pierres (60) et dans les animaux non domestiques (61) et domestiques (62).

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Introduction

II, 63-66 II, 63-64 II, 65 II, 66

Conclusion du livre II : Sympathie et harmonie universelles Les astres et la nature. Les quatre éléments. Il est donc superflu d’imaginer un second principe.

Livre III III, 1-3 III, 1 III, 2 III, 3

III, 4-36 III, 4-12 III, 13 III, 14-29 III, 30-31 III, 32-33 III, 34 III, 35 III, 36 III, 37-47 III, 37-44 III, 45 III, 46 III, 47

Introduction Les manichéens et l’Écriture. Leur attitude envers l’Ancien Testament. Contrairement aux Grecs, les manichéens ne nient pas la réalité de ce que raconte l’Ancien Testament mais l’attribuent au mal inexistant. La Genèse La création du monde, à l’usage de l’homme (Genèse 1, 1-25). La création de l’homme à l’image de Dieu (Genèse 1, 26). Le commandement et la désobéissance (Genèse 2, 5-3, 24). Le meurtre d’Abel (Genèse 4, 1-16). Le déluge (Genèse 6). Sodome (Genèse 19). La tour de Babel (Genèse 11). Transition. L’Exode Les plaies infligées à l’Égypte (Exode 7-11). Réflexion sur les plaies. Dépouillement des Égyptiens (Exode 11, 2-3) et traversée de la mer Rouge (Exode 12, 35-36). Nuée et lumière (Exode 13, 21 + 14, 20), la manne (Exode 16), le don de la loi à Moïse (Exode 19).

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Introduction

III, 48-60 III, 48-49 III, 50-58 III, 59 III, 60 III, 61-67 III, 61-62 III, 63 III, 64-65 III, 66-67 III, 68-74 III, 68

III, 69 III, 70

III, 71-72

Les prescriptions relatives aux sacrifices Leur valeur pédagogique et la nécessité d’un culte corporel. Témoignages prophétiques sur les sacrifices. Témoignage de David, le psalmiste. Les sacrifices, preuve de la condescendance de Dieu. Justification de l’économie divine à l’égard des Juifs La raison d’être de l’économie divine : faire passer du visible à l’invisible ceux qui étaient encore imparfaits. 1ère illustration : la polygamie des justes de l’Ancien Testament. 2e illustration : le mariage entre frères et sœurs pour les enfants d’Adam et Ève. Conclusion : Mani ne comprend rien à tout cela parce qu’il est trop barbare. Exposé hérésiologique L’attitude de Mani à l’égard de l’Ancien Testament a été anticipée par celle de Marcion, Basilide et Valentin, qui, tous, professent l’existence d’une discorde entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Digression  : les contradictions doctrinales chez les chrétiens et chez les « Grecs païens ». Le dilemme auquel font face les hérétiques : mépriser les Écritures ou abandonner leurs propres doctrines. L’Église catholique et les premiers disciples, fidèles sans écrits ni culture. Les hérétiques sont pires que les païens, car ils ne s’appellent pas chrétiens mais se dénomment d’après leurs chefs.

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Introduction

III, 73

III, 74 III, 75-79 III, 75-78

III, 79 III, 80-87 III, 80-86 III, 87 III, 88

Le contre-témoignage des dissensions doctrinales dans l’Église  : tous, cependant, croient en un seul inengendré, même s’il y a désaccord sur la manière d’honorer le Fils. Les hérétiques sont hors de l’Église par leur attitude face à l’Écriture. L’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament Témoignages scripturaires (Matthieu 5) allégués contre l’unité des deux Testaments par les hérétiques et justification de la différence des économies. Conclusion sur les deux économies. Un exemple d’exégèse manichéenne : les péchés commis par les justes de l’Ancien Testament Le cas de David. La punition des péchés jusqu’à la troisième et la quatrième génération. Conclusion du livre III Folie de ceux qui séparent l’Ancien du Nouveau Testament.

Livre IV IV, 1-2 IV, 1

IV, 2

IV, 3-11

Introduction Mani et le Nouveau Testament : passe encore qu’il rejette l’Ancien Testament, mais il découpe le Nouveau, en efface l’essentiel et n’en retient que quelques bribes pour l’établissement de sa doctrine. Mani n’avait pas besoin du Nouveau Testament, si ce n’est pour mieux tromper les brebis ; voilà pourquoi il s’appelle lui-même « Apôtre du Christ » et « Paraclet ». Le nom de « Christ »

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Introduction

IV, 3 IV, 4-7 IV, 8 IV, 9 IV, 10 IV, 11 IV, 12-17 IV, 12

IV, 13 IV, 14-15 IV, 16 IV, 17 IV, 18-21 IV, 18

Le nom de « Christ », annoncé dans l’Ancien Testament, détruit complètement de ce seul fait l’hypothèse de Mani. Mais comment peut-il prétendre au nom de « Christ » s’il ne reconnaît pas l’Ancien Testament où ce nom fut annoncé ? Car l’Ancien Testament préfigure le Nouveau. Explication du nom de « Christ », dont l’efficace se réalise, pour les chrétiens, dans le combat pour la vertu. Or Mani ne reconnaît ni la nécessité ni la réalité du combat pour la vertu ; le nom de « Christ » lui est donc inutile. À preuve, son enseignement sur l’attitude à prendre en cas de persécution. Mani, l’Évangile et le Paraclet Mani prétend avoir été envoyé pour purifier et améliorer l’Évangile, mais il ne peut l’avoir été par le seul vrai Christ ; postérieur à Dèce, il est venu bien tard, car il est ignoré d’Origène, mort sous Dèce, qui a mentionné tous les hérétiques connus de son temps. Si Mani est le Paraclet promis, comment les disciples ont-ils pu s’en tirer avant la venue de Mani-Paraclet ? Or le Paraclet ne vient pas corporellement mais dans les âmes. Mani ne peut être non plus Paraclet par participation, s’il s’oppose aux apôtres. Dès lors, il ne peut venir que de Satan. Digression doxographique : les véritables sources de Mani De fait, Mani n’a pas inventé de fables nouvelles, mais il a pris ce qui était le pire chez les autres, et il en a concocté un poison de mort.

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Introduction

IV, 19

IV, 20

IV, 21 IV, 22-44 IV, 22-25 IV, 26 IV, 27 IV, 28-33 IV, 34-38 IV, 39-43 IV, 44

Les emprunts de Mani : aux Perses, d’après le témoignage de Xénophon, il a emprunté la doctrine des deux principes ; à Aristote, la matière ; à Platon, la transmigration des âmes ; aux barbares et aux Grecs incultes, la divinisation du soleil, le destin et l’horoscope. En somme, en ne reconnaissant pas ses larcins, Mani se révèle l’élève ingrat des Grecs et des barbares, lui qui prend en vain le nom de « Christ » et se fait Paraclet de mensonge. Mani a repris, sous couvert de neuf, ce qu’il y avait de pire dans le paganisme. Mani et l’économie charnelle du Sauveur Pour revenir à l’Évangile, Mani rejette la naissance corporelle du Christ, de la semence de David. Titus s’excuse de la prolixité des développements qui précèdent. Mani s’en prend à la chair, pur instrument, et non à l’âme, siège de la volonté. Mani prétend que l’incarnation n’est qu’apparente. Textes de Jean (1, 14 ; 2, 1-12 ; 13, 1-17.23-25 ; 20, 24-29) et de Luc (24, 39) invoqués par les manichéens en faveur du docétisme. Si la chair était œuvre du Mal, comment se fait-il que le Seigneur s’en soit occupé par ses miracles ? Il est inutile de réfuter en détail le discours prolixe de Mani.

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Introduction

IV, 45-49 IV, 45-46 IV, 47-49 IV, 50-56 IV, 50 IV, 51-56 IV, 57-85 IV, 57-78 IV, 79-84

IV, 85 IV, 86-95 IV, 86 IV, 87-88 IV, 89 IV, 90-95 IV, 96

IV, 97-101 IV, 102-109

Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire en appui à la thèse des deux principes Les deux maîtres (Matthieu 6, 24 ; Luc 16, 13). Les deux arbres (Luc 6, 43-46). Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire établissant que le monde est mauvais La haine du monde à l’endroit des disciples. Comment faut-il entendre le terme « monde » ? Le Mauvais dont parle l’Écriture Le Mauvais dans les textes de l’Écriture : sa nature et son action. Qui fut le maître de Satan dans sa révolte ? Personne ! Il a utilisé à mauvais escient la semence, le libre arbitre, qui se trouvait dans sa nature. Conclusion : Satan n’est pas un principe opposé à Dieu par nature. Les paroles de Paul invoquées par Mani La connaissance parfaite (1 Corinthiens 13, 9-10) réservée au monde à venir. Paul et l’attitude face aux persécutions. « Nous sommes des élus. » La loi et son utilité. Transition On ne saurait expliquer tous les passages scripturaires que Mani corrompt ; il faudrait pour cela écrire un autre livre. On se contentera de revenir sur quelques-uns. La résurrection chez Paul 1 Corinthiens 15. Autres paroles de Paul

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Introduction

IV, 110-111 IV, 112-116 IV, 112-113 IV, 114-115 IV, 116

Éphésiens 2, 1-3 ; 5, 6-8.10-12 ; 6, 12. Conclusion du livre IV Ni l’Ancien Testament, ni le Nouveau, correctement lus, n’appuient Mani. Conclusion de l’ouvrage Titus ne prétend pas convertir les manichéens, mais seulement mettre en garde les fidèles. La véritable Église est celle qui est fondée sur la foi dans le Christ proclamée par Pierre, et ses signes. Ceux qui ne confessent pas le Christ avec Pierre, en accord avec l’ancienne prophétie, chez ceux-là ne se trouve pas l’Église du Christ.

Style, langue et particularités lexicales et grammaticales du texte grec44 La première impression qui se dégage à la lecture du Contre les manichéens est celle d’une langue complexe et de compréhension difficile. Le texte de Titus se caractérise en effet par des phrases souvent très longues – il n’est pas rare qu’elles s’étendent sur dix lignes et plus ! – cumulant les subordonnées et les constructions complexes. L’ordre des mots est parfois déroutant ; on constate en particulier une curieuse tendance à placer le sujet à la fin de la phrase, souvent après d’autres énoncés qui ne s’expliquent qu’une fois que ce dernier a été identifié. De même, un usage abondant de constructions participiales et d’infinitives substantivées, doublé d’un recours fréquent aux structures elliptiques et aux expressions Cette partie de l’introduction, rédigée par Thomas Schmidt et Agathe Roman, reprend en résumé la partie consacrée à la langue de Titus dans l’introduction de l’édition parue dans la Series Graeca du Corpus Christianorum (p. lii-lxxiii), ainsi qu’un article d’A. Roman (2013). Pour plus de détails et, en particulier, pour les références précises des exemples évoqués ici, le lecteur est prié de se reporter à ces pages. 44 

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Introduction

abstraites, contribue à alourdir les phrases et souvent même à en obscurcir le sens, au point de rendre l’argumentation difficile à suivre. Cette difficulté tient toutefois plus à la nature technique de ce traité philosophico-théologique qu’à des questions de langue. Titus vise en premier lieu à réfuter les thèses manichéennes au moyen d’arguments qui, du moins dans les deux premiers livres, se réfèrent à des concepts philosophiques abstraits. Rompu à la dialectique aristotélicienne, il recourt fréquemment à un vocabulaire spécialisé et à des formulations destinées à convaincre par la force des arguments plutôt que par la qualité de l’expression. Dès lors, les considérations de langue et de style semblent passer au second plan. De fait, Titus n’a pas l’aisance stylistique de certains de ses illustres contemporains chrétiens, comme Basile de Césarée ou Grégoire de Nazianze. Son style est avant tout celui d’un érudit et d’un commentateur45. Néanmoins, sa maîtrise de la grammaire grecque est réelle et la langue dans laquelle il s’exprime est clairement celle d’un homme cultivé. Elle peut être assimilée à la κοινή littéraire. En effet, si le texte présente bien les caractéristiques habituelles de la langue dite commune et n’a certainement pas les prétentions atticisantes d’un Libanios ou d’un Thémistios, il n’est pas pourtant dépourvu d’une certaine qualité littéraire et répond globalement aux critères retenus par Horrocks pour distinguer la κοινή littéraire des formes plus populaires ou technico-scientifiques de la langue post-classique46. L’une des caractéristiques qui rapprochent la langue de Titus de la κοινή littéraire est l’utilisation du datif. En effet, alors que l’abandon progressif du datif au profit d’autres cas (génitif, accusatif) ou de tours prépositionnels (notamment εἰς + accusatif) est l’un des traits marquants de la κοινή dès l’époque hellénistique47, Titus, conformément à la pratique de la κοινή littéraire, fait du datif un usage abondant, selon toutes les facettes de ses fonctions 45  Voir dans ce sens ce qui a été conservé de ses Homélies sur Luc ; cf. Lavoie, Poirier, Schmidt 2008. 46  Horrocks 2007, p. 630-631 ; cf. aussi Meillet 1975, p. 253-318. 47  Cf. Horrocks 2007, p. 611 et 628 ; Horrocks 2010, passim ; Brixhe 2010, p. 239-240.

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Introduction

classiques. Tout au plus remarque-t-on un emploi occasionnel du tour prépositionnel εἰς + accusatif là où l’on s’attendrait en principe à un datif, mais les quelques exemples répertoriés sont plutôt des exceptions et Titus se conforme généralement à l’usage classique du datif, y compris dans le tour ἐν + datif (très fréquent chez lui), que la κοινή tardive aura tendance à remplacer par εἰς + accusatif. Semblablement, Titus fait des autres prépositions un usage conforme à leur utilisation classique, avec les distinctions de sens qui les affectent selon le cas utilisé. En revanche, il convient de relever que, pour l’expression du complément d’agent d’un verbe au passif, Titus n’utilise que rarement la construction classique ὑπό + génitif, à laquelle il préfère très nettement le tour πρός + génitif et, occasionnellement, παρά + génitif. À cet égard, il rejoint les usages de la κοινή, qui voit précisément la disparition de ὑπό + génitif au profit d’autres tournures pour exprimer le complément d’agent48. En revanche, la préposition ἀπό + génitif, qui sert également à exprimer le complément d’agent dans la κοινή, n’est jamais utilisée par Titus à cette fin, mais uniquement avec sa fonction classique de complément circonstanciel de provenance ou d’éloignement. Un autre trait de la langue classique repris par Titus est l’usage abondant des participes (très souvent substantivés) et des tournures participiales. Les génitifs absolus sont particulièrement fréquents et, conformément à la nature argumentative du texte, ils expriment toutes les nuances circonstancielles habituellement liées à ce type de construction (causale, temporelle, concessive, conditionnelle). Titus semble avoir un faible pour le génitif absolu précédé de la conjonction ὡς, qu’il utilise à douze reprises. Cette tournure, attestée dans la langue classique, sert le plus souvent à introduire une notion de subjectivité qui permet à Titus de prendre ses distances par rapport à un énoncé, en particulier lorsque celui-ci provient de Mani ou de ses disciples. Une expression en particulier est révélatrice du souci qu’a Titus de donner un tour littéraire à son texte. En effet, à quatre Cf. Horrocks 2007, p. 630-631 ; Horrocks 2010, p. 156-157 ; Hult 1990, p. 3444 ; George 2005, p. 222-263. 48 

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Introduction

reprises, il utilise la forme interrogative τοῦ χάριν (« pour quelle raison ? »), qui est remarquable dans la mesure où cette expression existe en attique classique, mais y est plutôt rare et, par la suite, sera remplacée par τίνος χάριν, qui est de loin la forme la plus courante (et que Titus lui-même utilise d’ailleurs à deux reprises). Toutefois, dès l’époque de la Seconde Sophistique, probablement sous l’effet du courant atticisant, l’expression τοῦ χάριν refait son apparition chez les grands auteurs classicisants, en particulier Aelius Aristide, Philostrate, Julien l’Empereur, Libanios, Thémistios, Grégoire de Nazianze et quelques autres, alors que les autres auteurs contemporains utilisent tous la forme courante τίνος χάριν. Il y a manifestement, chez ces auteurs, une volonté délibérée d’utiliser cette expression attique quelque peu vieillie, et il est dès lors intéressant de voir Titus s’inscrire dans ce mouvement et s’être permis cette petite préciosité atticisante. Ce souci d’atticisme, chez Titus, se constate également dans l’utilisation systématique des formes attiques en /ττ/ par opposition à celles en /σσ/. À cet égard, Titus ne fait que suivre les usages de la κοινή, dans laquelle les formes attiques en /ττ/ sont nettement plus fréquentes que celles en /σσ/, mais il donne ainsi à son texte un caractère clairement littéraire qui se démarque d’écrits stylistiquement moins relevés, comme la Septante et le Nouveau Testament, mais aussi d’auteurs comme Épictète, Pausanias, Artémidore, Sextus Empiricus, Diogène Laërce et d’autres, chez qui les formes en /σσ/ prédominent. Il s’agit manifestement d’un choix conscient de la part de Titus, car son utilisation des formes attiques en /ττ/ ne connaît que de très rares exceptions qui s’expliquent presque toutes par les sources auxquelles il se réfère. Dans le même ordre d’idées, on peut relever que, dans la déclinaison des comparatifs en –(ι)ων, Titus a une préférence pour les formes attiques contractes en –ω et en –ους. Cet usage n’est certes pas systématique chez lui, mais les formes attiques sont majoritaires. De même, il convient de noter que pour la 3e personne du singulier actif de l’optatif aoriste sigmatique, Titus utilise systématiquement (sans aucune exception sur les 25 cas répertoriés) les formes attiques en –(σ)ειεν au lieu de –(σ)αι, alors que pour les autres personnes, il utilise les formes habituelles en –(σ)αιμι, –(σ)αις, etc. Là

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encore, on peut voir dans ce trait le souci de Titus de se conformer à un standard de la langue littéraire. Ce constat est confirmé encore par l’emploi généralisé de l’optatif. En effet, alors que le déclin de l’optatif est l’un des traits majeurs de la langue post-classique49, Titus fait de ce mode un usage abondant et, à quelques exceptions près, conforme aux règles de la langue classique, bien qu’on ne recense chez lui aucun emploi de l’optatif de souhait (cupitif), ni de l’optatif dit oblique (du moins stricto sensu). Pour exprimer le potentiel, Titus utilise en règle générale l’optatif accompagné de ἄν, selon l’usage classique. On recense toutefois une douzaine de cas dans lesquels l’optatif, utilisé sans ἄν, exprime clairement une valeur de potentiel. Devant ce paradoxe, il serait tentant, dans chacun des cas, de conclure à une erreur et de suppléer le ἄν manquant dans le texte, mais le nombre de ces cas irréguliers invite au contraire à ne pas chercher à conformer le texte de Titus aux règles de la grammaire classique et à y voir plutôt un usage délibéré de la part de l’auteur. Du reste, même la grammaire classique autorise, dans certains cas, l’utilisation de l’optatif sans ἄν pour exprimer le potentiel et l’on notera également, dans les cas répertoriés chez Titus, que la plupart des verbes expriment une pensée ou une déclaration et qu’on pourrait donc y voir aussi l’expression d’une affirmation atténuée. Une autre particularité de Titus dans l’utilisation de l’optatif est la présence répétée de ἄν avec l’optatif dans une conditionnelle introduite par εἰ, un usage qui est en principe fautif selon les règles de la grammaire grecque. Ce cas se rencontre à sept reprises chez Titus (non sans poser, à l’occasion, de sérieux problèmes textuels). L’utilisation de cette construction inhabituelle (alors que, dans les quelque quatre-vingts autres emplois de εἰ avec l’optatif, le ἄν est absent, comme le veut la règle) est surprenante. Elle s’explique peut-être par un usage rare, mais attesté dans la langue classique, selon lequel cette construction sert à exprimer l’idée que la condition mentionnée peut éventuellement se réaliser. C’est le cas notamment dans les trois passages où apparaît l’expression εἰ εὕροι τις ἄν, qui prend le sens de « si quelqu’un venait à trouver… » (ce qui 49 

Cf. Meillet 1975, p. 289-294 ; Anlauf 1960 ; Reardon 1971, p. 82-87.

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est envisagé comme possible). Mais ce εἰ εὕροι τις ἄν s’apparente en réalité à un tour formulaire, comme c’est le cas aussi, semble-t-il, pour l’utilisation de ἄν + optatif après la conjonction κἄν (= καὶ εἰ ἄν), dont on trouve huit occurrences chez Titus. Apparemment, dès l’époque classique, on avait perdu de vue que κἄν était constitué de καὶ εἰ ἄν et on l’utilisait comme une conjonction indépendante, qui pouvait se construire avec le subjonctif tout comme avec l’optatif. Titus se conforme donc aux usages de son temps. De même, Titus n’échappe pas à une pratique largement répandue dans la langue post-classique, à savoir la formation de mots composés et, en particulier, l’utilisation de verbes à préfixes (simples ou doubles). En effet, les verbes composés sont, chez lui, très nombreux. La plupart sont toutefois des formes banales, attestées et largement répandues dans la langue classique. Parmi les formes moins communes, en particulier celles à doubles préverbes, plusieurs remontent également à l’époque classique, mais d’autres sont des formes dont les premières attestations datent de l’époque hellénistique ou romaine ; là encore, Titus ne fait donc que reprendre des verbes composés dont l’usage était déjà répandu. Quelques formes, en revanche, sont rares et méritent une mention particulière, parce que leur première attestation se trouve chez Titus ou à son époque. Il en est de même, du reste, pour d’autres mots utilisés par Titus, rares et/ou apparaissant pour la première fois chez lui. Dans certains cas, il peut s’agir de néologismes ou, du moins, de termes techniques provenant du vocabulaire manichéen. Sur le plan du style, Titus compose une prose assez dense, formée de longues phrases et fait un usage assez restreint de procédés rhétoriques travaillés. Il veut convaincre, mais pas charmer ni distraire, et contrairement à Lucrèce, il ne s’avise pas d’enrober de miel le médicament amer qu’est sa réflexion50. Ainsi, il utilise assez peu de figures de style. Il joue cependant à présenter Mani de façon négative, le dénigrant sans l’attaquer directement, dans une dynamique propre à la réfutation : il s’adresse à des lecteurs tentés par le manichéisme, qu’ils soient païens ou chrétiens, il ne peut 50 

De Natura rerum I, 1-25.

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donc attaquer trop de front. Ainsi, on retrouve chez lui le jeu classique entre le nom de Μάνης et le participe μανείς, du verbe μαίνω, « être fou »51 – et il compare Mani à un aveugle qui tâtonne dans le noir ou à quelqu’un qui, croyant fuir le feu, s’y précipite52. On retrouve également quelques rares métaphores, dont deux qui apparaissent au début du livre III, passage particulièrement travaillé puisqu’il constitue la charnière entre la réfutation logique et philosophique d’une part (livres I et II), et la réfutation scripturaire d’autre part (livres III et IV). Cette double métaphore intervient dans une période renouvelant la méfiance avec laquelle on doit aborder la doctrine de Mani : En effet, c’est en usant de multiples façons de l’erreur qu’il a imaginée avec l’assistance du diable qu’il entreprend de la consolider. Auprès des Grecs, d’une part, sans renverser les opinions de ceuxci, mais en élevant les plus petits maux vers une plus grande enflure d’impiété, il instaure un hellénisme plus malin par (ces choses) auxquelles il ajoute le développement de ses propres fictions en constituant pour ainsi dire un énoncé valable pour tout, sous couvert de conformité d’opinion avec ses doctrines mauvaises et erronées. Auprès des chrétiens, d’autre part, recherchant soi-disant ce qui est propre aux chrétiens et, avec la force de persuasion du nom du Christ et des paroles de l’Écriture et sous une apparence de modération, abritant à l’intérieur le loup – ce qu’il est lui-même –, mais revêtant à l’extérieur la toison de la brebis, il se fait pour le petit troupeau la tromperie d’un astre, et c’est ainsi alors qu’il lèse ceux qui sont moins intelligents. (III, 1, 11-24)

Dans ce passage, Mani est tout d’abord associé à un loup, bête sauvage s’il en est, qui se dissimule sous l’habit d’un animal inoffensif, la brebis, qui est associée ici aux textes chrétiens. Les manichéens adaptaient en effet leur discours à leur auditoire, mettant en valeur les points qui les rapprochaient de la religion chrétienne quand ils s’adressaient aux chrétiens, ce qui explique cette métaphore. Pour Titus, ce n’est pas une adaptation à l’auditoire53 mais Voir infra, p. 48-49. II, 30, 6-8 ; 49, 3-5 ; III, 3, 1-5 ; I, 1, 17-18. 53  Les manichéens appliqueront la même tactique avec les bouddhistes et les zoroastriens ; Titus dénonce même le recours à l’hellénisme chez Mani qui ne recule 51 

52 

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une tromperie délibérée : l’image du loup montre que sous un vernis chrétien se cache une réalité autrement plus dangereuse. Cette métaphore – qui constitue un lieu commun de la réfutation en général54 – se double de l’image d’un astre trompeur qui resplendit sur les moins intelligents. La présence de deux métaphores dans une même phrase a de quoi étonner qui lit Titus depuis le livre I ; mais cet effet de surprise est redoublé par le changement de type d’image là où on s’attendrait à une métaphore suivie. En jouant sur l’image de la lumière – chère aux manichéens qui se veulent Église de Lumière –, Titus fait d’une pierre deux coups et affaiblit la symbolique même de ceux qu’il attaque, faisant de leur lumière un astre faible et trompeur, qui ne touche que les moins intelligents et semble peu dangereux. Ainsi, il rejoint un autre lieu commun de sa réfutation : cette doctrine se détruit d’elle-même et ne nécessite presque pas de réfutation55. Ainsi, Titus cherche à faire réagir son lecteur dans ce passage particulier, l’alertant sur le danger de la doctrine qu’il combat, et la distorsion qu’elle impose aux Évangiles, tout en assurant son lecteur qu’il n’y a dans cette doctrine aucun principe à prendre en considération. Mais c’est surtout par le biais de comparaisons tirées du royaume de la nature ou de la vie humaine en général, de parabolai56, que Titus cherche à convaincre. Ainsi, il s’assure de rendre clair pour tout lecteur l’absurdité du raisonnement manichéen, ces parabolai se fondant sur une expérience générale du monde, qui inclut donc chaque lecteur potentiel, qu’il soit chrétien ou païen, sans faire référence à un événement historique ou à une culture particulière

devant rien pour transmettre plus facilement sa doctrine. 54  Voir Mt 7, 15. Cette métaphore de l’hérétique/loup déguisé en brebis se retrouve dans les réfutations, par exemple chez Épiphane (Panarion, II, 81, 7) et Didyme l’Aveugle (Fragmenta in epistulam ii ad Corinthios, 10, 3 ; PG 39, 1720 C). 55  Le discours manichéen se réfute de lui-même, par ses incohérences internes (I, 39, 1-3) ; Mani se contredit lui-même (II, 55, 12) ; Mani se combat lui-même (II, 26, 1-2). 56  Ce procédé est appelé παραβολή ou similitudo. D’après H. Lausberg, « a similitudo relates every similar phenomenon by comparison, to the causa, with the aim of establishing credibility » (1998, p. 200, § 422).

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autre que le bon sens57. Ce procédé est utilisé dans d’autres œuvres de la tradition antimanichéenne, comme les Acta Archelai d’Hégémonius58, qui fait usage de nombreuses comparaisons incluant un récit. Cet ouvrage datant fort probablement de 340, soit une vingtaine d’années avant la composition du Contre les manichéens, il n’est pas impossible que Titus en ait eu connaissance. On peut du moins penser que le genre de la réfutation appelle la parabolè : en faisant appel à l’expérience commune à chacun, ce procédé permet de frapper l’esprit du lecteur tout en le charmant par une image. On ne rencontre dans le Contre les manichéens que trois comparaisons de ce type, et nous en donnerons un seul exemple59. Il concerne la façon dont Mani blâme les ténèbres ainsi que les animaux, commettant par-là même un blasphème contre le créateur : Car en accusant toutes les bêtes sauvages, quadrupèdes comme reptiles, il me semble qu’il éprouve quelque chose de semblable à un serviteur qui, parce qu’il aime le péché et qu’il est très mauvais, accepterait tout le reste de son maître sans réclamer, mais haïrait et calomnierait même jusqu’à la vue du fouet, démontrant, par le fait même de le haïr, la nécessité de la présence du fouet. (II, 38, 6-12).

La comparaison permet tout d’abord d’associer Mani à un « très mauvais » serviteur, « qui aime le péché », ce qui le présente de façon négative et contribue à le rendre peu crédible. Mais elle démontre surtout que Mani se trompe : comme le serviteur concentre sa haine sur le fouet, sans en être atteint, Mani se concentre sur l’existence des φοβερά, les éléments effrayants qui se produisent dans le monde et qui font pourtant partie de l’économie divine, sans les subir. Il devrait prendre en compte tout ce à quoi Dieu pourvoit, tout comme le serviteur, qui ne devrait pas 57  H. Lausberg précise en effet : « It is thus restricted to those areas which correspond with the general, natural experience of every audience ; hence its value as evidence. It requires no special level of education (unlike, for instance, the exemplum that requires historical knowledge) » (ibid., p. 201). 58  Pour une analyse plus détaillée des Acta Archelai de ce point de vue, voir Roman 2013, p. 158-159. 59  Les deux autres parabolai décrivent un raisonnement logique et se situent toutes deux au livre II, qui est plus particulièrement consacré à démontrer, de façon logique, l’ordre divin du monde (II, 4, 13-20 ; II, 29, 1-11).

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considérer le fouet mais également toutes les autres choses qu’il reçoit de son maître. Par cette comparaison, Titus montre de façon frappante combien Mani oublie de considérer l’économie divine dans son ensemble. L’emploi restreint de ces procédés montre que Titus cherche à convaincre et à démontrer, non à charmer ou à persuader. Cela s’explique également en lien avec le public qu’il vise : on l’a dit, Titus veut écrire une réfutation universelle, concernant aussi bien les païens que les chrétiens. Ainsi, les livres I et II sont exempts de référence scripturaire et reposent sur le sens commun, tandis que les livres III et IV se fondent sur les Écritures. N. A. Pedersen fait l’hypothèse que Titus a voulu réunir des groupes antagonistes face à un ennemi commun (une mission manichéenne)60. Bostra est en effet nommée comme exemple de cité marquée par les troubles entre païens et chrétiens61. Ceci pourrait en partie expliquer l’aridité du texte, qui se veut une réfutation philosophique, logique et scripturaire : Titus utilise donc peu de moyens pour créer des émotions chez son lecteur. Dans l’ensemble des manuscrits, les copistes ont d’ailleurs en quelque sorte montré leur adhésion au style aride de Titus : les passages développant des arguments logiques sont distingués par des signes marginaux qui en soulignent à leurs yeux le caractère remarquable, là où les effets de style ne bénéficient pas d’une quelconque mise en valeur. Cela s’explique peut-être par le fait que le texte de Titus a pu être recopié dans une perspective théologique ou polémique, en particulier à un moment où l’on recherchait dans les réfutations d’hérésies passées des arguments valables pour contrer des dissensions contemporaines62.

Pedersen 2004, p. 158-166. Voir la lettre de l’empereur Julien du 1er août 362 – mentionnée supra, p. 14 – qui recommande aux citoyens de Bostra d’expulser Titus, qu’il juge au centre de ce conflit. 62  Ce qui peut expliquer que le Contre les manichéens ait été copié et traduit en latin à quelques reprises à la fin du xvie et au xviie siècle, dans le contexte des controverses entre catholiques et protestants (voir à ce sujet Petitmengin 1988). 60  61 

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La version syriaque et ses caractéristiques Outre son importance comme témoin unique du texte complet du Contre les manichéens, la version syriaque se distingue par son ancienneté, étant postérieure de moins d’un demi-siècle à la composition de l’ouvrage original grec, qu’il convient de situer entre 361 et le début de l’année 364. Si on connaît la date de la copie de l’Add. 12150 (novembre 411), on ne peut en revanche établir celle de la traduction syriaque du Contre les manichéens. F. Stanley Jones, s’appuyant sur E. R. Hayes, propose de dater la traduction des Reconnaissances clémentines, qui figure également dans le manuscrit de Londres, de 380 environ, au moment où l’école d’Édesse se tourne vers le grec, ce qui pourrait bien être le cas pour le Contre les manichéens63. On peut en effet penser que la traduction syriaque a suivi de peu la composition de l’ouvrage. C’est à la version syriaque que l’on doit la division en chapitres non numérotés et d’inégale longueur du Contre les manichéens, 42 pour le livre I, 66 pour le livre II, 88 pour le livre III et 116 pour le livre IV. Cette division en chapitres respecte parfaitement la logique du texte. De Lagarde l’a introduite dans ses éditions de 1859 et nous l’avons reprise dans notre édition et notre traduction. Les fautes évidentes que comporte le manuscrit et que nous corrigeons dans notre édition64 permettent de conclure qu’il n’est assurément pas l’exemplaire du traducteur, ou une copie effectuée par lui-même ou sous sa supervision, mais qu’il a été produit par un scribe certes professionnel et consciencieux mais pas toujours attentif au sens du texte qu’il transcrivait65. Les différences que l’on observe entre le texte grec et la version syriaque nous autorisent à penser que le modèle de celle-ci n’était pas le même que l’hyparchétype des deux plus anciens manuscrits grecs (V et G)66. La traduction syriaque est remarquable par la technique de traduction qu’elle utilise. Hugo Gressmann, l’éditeur et le traJones 1992, p. 239-240 (citant Hayes 1930, p. 155). On en trouvera la liste dans Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. lxxvii, n. 181. 65  Comme le montrent certaines erreurs évidentes, voir ibid., p. lxxvii. 66  Voir le stemma codicum, ibid., p. li. 63 

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ducteur de la Théophanie d’Eusèbe de Césarée dont le manuscrit de Londres donne une version syriaque complète, a caractérisé la traduction syriaque de l’ouvrage d’Eusèbe, et ses remarques valent tout autant pour celle du traité de Titus67. Il conclut ses observations en disant que ce serait une grave erreur que de vouloir comprendre le texte syriaque par lui-même sans chercher à retrouver, sous celui-ci, le texte grec originel, car, écrit-il, pour traduire le syriaque, « on doit utiliser davantage le dictionnaire grec que le syriaque, combiner plus que construire, deviner plus que traduire »68. Cette version présente en effet, dans l’ensemble, les traits propres aux traductions dites verbum de verbo, caractérisées par leur souci de coller non seulement au sens mais aussi à la lettre du texte-source69. On y relève en outre un nombre impressionnant de doublets, et même de « triplets », de traduction – nous en avons inventorié plus de 650 –, procédé qui n’est pas sans évoquer l’« école hellénistique » des traducteurs arméniens70. On y trouve aussi des constructions syriaques qui sont plus ou moins des calques du grec, notamment sur le plan de la syntaxe : parataxe ou asyndète entre deux énoncés, équivalents littéraux de morphèmes syntaxiques ou de tournures propres au grec, décalque de l’accusatif de durée, manière de rendre le comparatif.

La documentation manichéenne de Titus de Bostra La réfutation de Titus de Bostra s’appuie sur une riche documentation manichéenne. Ces matériaux ont depuis longtemps susGressmann 1904, p. xx-xxiv, ainsi que Gressmann 1903, p. 43-51. Gressmann 1904, p. xxiv. Dans le même sens, Robert Pierce Casey constate que « the Greek of Titus is neither easy nor graceful ; but the Syriac of his translator is excessively pedantic, and a desire for accuracy has led him to construct sentences which, without the aid of the original, are sometimes barely intelligible » (Casey 1928, p. 110). 69  Voir Poirier, Sensal 1988. 70  Cf. Mercier 1978-1979. On trouvera un relevé de ces doublets dans un apparat ad hoc qui accompagne notre édition de la version syriaque. Nous les avons scrupuleusement rendus dans notre traduction. 67  68 

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cité un grand intérêt71 et les difficultés que pose leur interprétation ont été soulevées dès l’Antiquité. C’est ainsi qu’à la fin du ve siècle, Héraclianus de Chalcédoine estime, dans son propre Contre les manichéens, que Titus, qui « passe pour avoir écrit contre les manichéens […] a bien plutôt écrit contre les ouvrages de Addas »72, l’un des premiers et des plus célèbres disciples de Mani, connu en Occident, au témoignage d’Augustin, sous le nom d’Adimantus73. L’assertion d’Héraclianus sera souvent répétée par la suite, depuis Prosper Alfaric74 jusqu’aux études les plus récentes75. Mais avant même de considérer la question des sources manichéennes de Titus, se pose celle du repérage et de l’identification des citations et matériaux manichéens préservés dans le Contre les manichéens de Titus de Bostra. C’est à dessein que nous parlons ici de « citations et matériaux manichéens », car, s’il y a de nombreux cas où il est clair que l’on est en présence d’une citation explicite d’un écrit manichéen, il en est d’autres, en revanche, et ils sont fort nombreux, où l’auteur du traité reprend des bribes de sources manichéennes ou utilise des expressions et des termes manichéens qu’il intègre à son propre discours sans qu’il soit toujours possible de délimiter la part qui lui revient et ce qu’il emprunte à ses adversaires. La présence de ces matériaux est diversement signalée selon que l’on considère le texte grec ou la traduction syriaque76. Dans le grec, il y a tout d’abord un groupe de citations qui sont très explicitement introduites comme telles, par diverses formules (ainsi en I, 6, 17, 19, 21, 22, 26, 29, 28). Une deuxième catégorie comprend des assertions qui sont attribuées à Mani ou à ses disciples, que celui-ci soit désigné par son nom, ὁ Μάνης, ou par le surnom dont la polémique chrétienne l’a très tôt affublé, en expliquant son nom par

71  Pour l’histoire de la recherche et une nouvelle proposition, voir Pedersen 2004, p. 78-88 et 177-254. 72  Cité par Photius, Bibliothèque, cod. 85 [65 b 8], éd. et trad. Henry 1960, p. 9. 73  Voir son Contra Adimantum Manichaei discipulum (éd. Jolivet, Jourjon 1961) ; sur Adimantus, on lira Van den Berg 2010, p. 11-48. 74  Alfaric 1919, p. 98-99 et 143. 75  Sfameni Gasparro 2000, p. 555-556, et Pedersen 2004, p. 178-186, 198-199 et 251-254. 76  Sur ce point, voir Poirier 2009.

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le participe aoriste moyen de μαίνομαι, ὁ μανείς, « le fou »77. La très grande majorité des citations ou matériaux manichéens que l’on retrouve dans le Contre les manichéens est cependant marquée d’une manière plus simple et, de ce fait, plus ambiguë, par un verbe d’énonciation à la 3e personne, le plus souvent φησί(ν) ou φασί(ν) mais aussi d’autres verbes, comme μυθολογεῖν, ὑπολαμβάνειν, οἴεσθαι, λέγειν, (δι)ορίζεσθαι ou γράφειν. En regard du texte grec original, la version syriaque du manuscrit de Londres reproduit grosso modo les marqueurs de citations du grec, mais elle recourt également à un procédé qui lui est propre, à savoir l’insertion, en début de citation mais aussi dans le corps de celles-ci, surtout pour les citations longues78, parfois en sus, parfois en lieu et place de l’équivalent syriaque de φησί(ν) ou de φασί(ν), de la particule enclitique lam, qui est habituellement considérée par les grammaires et les lexiques comme un marqueur de citation ou du discours direct79, comme le notait déjà le polygraphe syrien du xiiie siècle, Grégoire Bar Hebraeus, dans sa « grande grammaire », le Livre des splendeurs : « Par la particule lam, on indique comme par un signe qu’un autre personnage parle »80. Mais il ajoute la remarque suivante : « Même si tout lam signale le discours d’un autre (personnage), cependant, tout discours d’un autre personnage n’est pas signalé par un lam »81. De fait, l’emploi de cette particule est loin d’obéir à une règle stricte. En ce qui concerne la version syriaque du Contre les manichéens, on en relève 393 occurrences, dont 362 dans des « citations » manichéennes82. Pour la portion du traité attestée à la fois par le grec et par le syriaque, on relève 286 occurrences de la particule lam, dont une bonne douzaine de Pour les références, voir infra, n. 97. Ainsi, dans le chapitre le plus cité du Contre les manichéens et qui consiste presque exclusivement en une longue citation manichéenne, I, 17, on relève 28 occurrences de lam, contre cinq de φησί(ν)/φασί et une de ὑπείληφεν. On observe le même phénomène dans le chapitre sur l’arbre de vie et la désobéissance d’Adam, III, 7, où il y a 20 occurrences de lam, contre trois de φησί(ν) et une de οἴεται. 79  Costaz 1964, p. 148, n. 5 ; Payne Smith 1879, col. 1951-1952. 80  III, 2, 3, éd. Moberg 1922, p. 160, 27. 81  Ibid., p. 161, 3-4 Moberg. 82  Voir le relevé des occurrences de lam dans Roman, Poirier, Crégheur, Declerck 2013, p. 422-424. 77  78 

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cas où le syriaque signale une citation en l’absence de tout marqueur équivalent en grec, ce qui signifie soit que le traducteur syriaque ait décidé de son propre chef qu’il s’agissait d’une citation, soit qu’il ait été en mesure d’identifier comme une citation l’extrait qu’il traduisait83. Dans l’état actuel des choses, il est difficile de trancher dans un sens ou l’autre. Il est toutefois exclu de conclure, comme le faisait A. Baumstark, en tablant sur le fait que le syriaque est souvent plus développé que le grec, que Titus de Bostra aurait eu accès à des sources manichéennes syriaques qu’il aurait traduites en grec et dont il aurait amélioré le style – comme il l’avoue d’ailleurs lui-même en I, 17, 45-46 –, et que le traducteur syriaque aurait réintroduites dans le Contre les manichéens à partir des originaux manichéens utilisés par Titus84. Cette thèse, hautement spéculative et au mieux indémontrable, ne tient nullement compte de la nature de la traduction syriaque, qui a constamment tendance à expliciter le texte-source, ce qui signifie que l’impression d’une plus grande clarté au profit du syriaque que Baumstark retire de la comparaison avec le grec est la plupart du temps imputable au traducteur. La question des sources manichéennes de Titus de Bostra ne pourra être envisagée à nouveau que sur la base d’une comparaison des matériaux manichéens qu’il exploite avec l’ensemble de la documentation manichéenne accessible85.

La présente traduction Nous présentons dans ce volume une double traduction du Contre les manichéens de Titus de Bostra. Nous avons choisi de traduire intégralement non seulement le texte grec – ce qui va de soi – mais aussi la version syriaque et cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, celle-ci est le seul témoin complet de l’ensemble de l’ouvrage. Ensuite, elle présente en nombre d’endroits des partiPour la liste de ces passages, voir Poirier 2009, p. 1071, n. 57. Baumstark 1931, p. 24-28. 85  C’est ce que Timothy Pettipiece fera dans l’inventaire des matériaux manichéens contenus dans le Contre les manichéens qu’il prépare pour la collection « Instrumenta Patristica et Mediaevalia » (Brepols). 83 

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cularités qui méritaient d’être relevées autrement que par l’annotation de la traduction du texte grec. Enfin, le littéralisme et le caractère servile de cette version en font un texte d’une grande difficulté qu’il eût été, à toutes fins pratiques, inutile d’éditer sans en même temps le traduire. Comme il s’agit, aussi bien pour le grec que pour le syriaque, de la première traduction dans une langue moderne, nous sommes bien conscients des risques de l’entreprise. Nous espérons néanmoins que ces traductions, si perfectibles soient-elles, contribueront à faire mieux connaître un auteur et une œuvre dont la prise en compte est indispensable tout autant pour l’étude de la littérature grecque chrétienne que pour celle du manichéisme. Les traductions visent avant tout l’exactitude et la lisibilité, et elles ne cherchent pas à atténuer les aspérités du style, parfois laborieux, de Titus ni le caractère souvent technique de son écriture. En ce qui concerne la traduction du syriaque, elle se veut un instrument de travail qui facilite la comparaison avec le grec, tout en donnant accès à l’intégralité de l’œuvre dont elle est le seul témoin à partir de III, 30. Selon les normes de la collection, les citations bibliques sont données en italique ; les citations manichéennes sont placées entre guillemets, en fonction des marques de citation apparaissant dans le grec ou le syriaque. La double traduction du traité est précédée de celle des « arguments » (ὑποθέσεις) des quatre livres qui figurent dans les manuscrits grecs. L’annotation n’entend pas faire office de commentaire. Elle se borne à signaler, pour les matériaux manichéens, les lieux parallèles dans les sources directes et indirectes, à expliciter des notions ou des termes techniques, à attirer l’attention sur les divergences les plus notables entre le grec et le syriaque ou sur des difficultés de traduction. Pour la partie de l’œuvre préservée en grec, l’annotation est attachée à la traduction du texte original, ce qui entraîne parfois des blancs sur les pages paires. Le vocabulaire du Contre les manichéens comporte un grand nombre de termes qui ont plus ou moins une valeur technique et que nous avons essayé de rendre de la manière la plus cohérente possible. C’est notamment le cas pour deux termes qui reviennent très souvent dans l’ensemble de l’ouvrage, le grec ἀγένητος et son

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vis-à-vis syriaque ‫ܐܝܬܝܐ‬, ’īṯyā’86. En ce qui concerne la traduction d’ἀγένητος, nous avons longuement hésité entre « incréé » et « inengendré ». La première traduction permet une distinction avec le terme voisin, mais de racine différente, ἀγέννητος, littéralement « qui n’est pas né ». La seconde est tout aussi juste et plus traditionnelle en philosophie. C’est celle, par exemple, qu’adopte Paul Moraux, dans sa traduction du De Caelo d’Aristote, lorsqu’il s’agit de l’« ingénérabilité » du ciel (ἀγένητος)87. Pour Platon, où le terme ἀγένητος revient également, les traducteurs français optent la plupart du temps pour « inengendré ». Cela vaut en particulier pour le passage fameux du Phèdre 245 d 1 où il est affirmé que « le principe est une chose inengendrée – ἀρχὴ δὲ ἀγένητον »88. Cette « définition du principe que retient toute la tradition platonicienne »89 sera reprise par Plotin, en Ennéade V 4 [7] 1, 18-19 : « Le corps est engendré, mais il n’est pas principe, car “le principe est inengendré” (ἡ δὲ ἀρχὴ ἀγένητος) »90, et par les stoïciens : « Ils distinguent principes et éléments : les principes sont inengendrés (ἀγενήτους) et impérissables (ἀφθάρτους) ; les éléments périssent dans la conflagration »91. Dans la littérature chrétienne d’expression grecque, l’ἀγένητος tiendra également une place importante92. La traduction par « inengendré » est donc amplement justifiée tant sur le plan du sens que sur celui des habitudes de traduction. Elle se justifie en outre par le fait que la traduction par « incréé » fait appel à un autre registre que celui de l’autoexistence ou de l’existence par soi. Quant au syriaque ‫ܐܝܬܝܐ‬, ’īṯyā’ qui traduit le terme grec, il est apparenté à la particule ou au pseudo-verbe ‫ܐܝܬ‬, ’īṯ, exprimant l’existence (« il y a »). Nous l’avons partout rendu Payne Smith 1879, col. 173-174. Pour un autre équivalent syriaque d’ἀγένητος, voir la version syriaque du De Mundo pseudo-aristotélicien de Sergius de Reš’aina, où on trouve ‫ܕܐܠ ܒܪܝܘ‬, « sans création » (McCollum 2009, p. 16). 87  Moraux 1965, p. 38 (I, 10, 279 a 5). 88  Éd. Burnet 1901 ; trad. Paul Vicaire dans Robin, Moreschini, Vicaire 1985, p. 32. 89  Brisson, Pradeau 2003, p. 25, n. 11. 90  Éd. Henry, Schwyzer 1959, p. 234 ; trad. Brisson, Pradeau 2003, p. 20. 91  Arnim 1903, § 299 (Diogène Laërce VII, 134), p. 111, 4-6 ; trad. Bréhier, Schuhl 1962, p. 59. 92  Voir Prestige 1964, chap. II. 86 

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par « étant » plutôt que par « inengendré », pour respecter le sens littéral du vocable syriaque93. Dès le début du traité, Titus ne se prive pas de jouer sur la forme du nom de Mani en grec, ὁ Μάνης ; il recourt en effet au surnom dont la polémique chrétienne avait très tôt affublé le prophète, en expliquant son nom par le participe aoriste moyen de μαίνομαι, ὁ μανείς, « le fou » (cf., à la fin du traité, IV, 111, 6-7 : « Mani, l’homonyme de la folie »)94. La plus ancienne attestation – indirecte – de ce jeu de mot, qui connaîtra une grande fortune, est fournie par la lettre d’un évêque égyptien, de la fin du iiie siècle, conservée par le P. Rylands 479, dans laquelle Mani est désigné comme un « homme rempli d’une grande folie – ἄνθρωπος πολλῆς μανίας πεπληρωμένος »95. La formulation de Titus en I, 1, 9 (τῆς μανίας αὐτῆς ἐπώνυμος) est identique à celle qu’emploie Cyrille de Jérusalem dans la VIe Catéchèse ad illuminandos, datée de 34896. L’identité des formes du nom de Mani (Μάνεις, Μάνεντος, Μάνεντι, Μάνεντα) – sauf pour l’accentuation – avec celles du participe aoriste moyen du verbe μαίνω (μανείς, μανέντος, μανέντι, μανέντα), entraîne parfois des confusions. Une relecture attentive des manuscrits du Contre les manichéens a cependant permis de constater qu’à tous les endroits où ces formes apparaissent dans le manuscrit de l’Athos (V), elles sont toujours frappées d’un accent aigu paroxyton ou proparoxyton (même si l’accent est toujours légèrement déporté vers la droite, sur le ν), ce qui signifie que le scribe les a interprétées comme indiquant le nom de Mani. C’est généra-

93  La meilleure analyse du terme ’īṯyā’ reste encore celle de J. F. Bethune-Baker (1908, p. 213-217), qui insiste sur le caractère concret du concept qu’il exprime. 94  La forme μανείς (« fou ») appliquée à Mani apparaît dans les passages suivants : I, 6, 1 ; 22, 38 ; 28, 2 ; II, 21, 1 ; 24, 1 ; 26, 1 ; 54, 42 ; 62, 7. 95  28-29 ; Van Haelst 1976, p. 253, n° 700 ; éd. Roberts 1938, p. 42, reprise dans Adam 1954, p. 53, et Fox, Sheldon, Lieu 2010, p. 36. 96  6, 24, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 188 ; cf. Épiphane, Panarion 66, 16, 3 (éd. Holl 1933, p. 40, 5) : ὁ δὲ μανιώδης οὗτος Μάνης ; Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 153, 4 = Kugener, Cumont 1912, p. 99, 2 : « Mani, qui a été fou – c’est d’après lui que les manichéens sont nommés ». Pour une synthèse sur les formes du nom de Mani, voir Tubach, Zakeri 2001 (= Tubach, Zakeri 2004).

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lement le cas pour les autres manuscrits97. Dans la traduction du grec, nous avons suivi l’usage du manuscrit V. Nous signalons en note les endroits où le syriaque surtraduit (« Mani le fou ») ainsi que ceux où on peut penser qu’il lisait une forme du participe plutôt que du nom propre. Titus utilise également à plusieurs reprises l’adjectif ἀνόητος pour qualifier Mani (I, 19, 13 ; 24, 57 ; 31, 16 ; II, 52, 8), sa doctrine (I, 29, 48) ou celle de ses disciples (I, 13, 10). En III, 7, 3, l’adverbe ἀνοήτως caractérise sa manière de raisonner. À chaque fois que nous avons estimé que les termes « bon » et « mauvais », « bien » et « mal », « lumière » et « ténèbres » ou encore « matière » désignaient l’un ou l’autre des deux principes incréés des manichéens, nous avons recouru à la majuscule initiale. Les mots placés entre parenthèses ont été ajoutés pour la clarté et ne figurent pas dans le texte original. Les crochets obliques () signalent un ajout ou une correction par les éditeurs. Les sigles des livres bibliques sont ceux de la Bible de Jérusalem, adaptés, le cas échéant, à la nomenclature de la Septante98. La pagination de l’édition est indiquée dans les marges extérieures.

Voici les références : μάνεις : I, 1, 9 (V μάνης ; GBHAD μανείς) ; 6, 1 (V μανεὶς μάνεις, GBHAD μανείς) ; 35, 12 (GBHAD μάνης) ; II, 43, 40 ; 49, 5 ; 54, 28 (GBHAD ont μάνης) ; 59, 1 (GBHAD μάνης) ; 60, 1 (GBp.c.HAD μάνης) ; 62, 1 (GB p. c. HAD μάνης) ; III, 11, 11 ; 30, 1 (Vp.c. μάνης) ; μάνεντα : I, 42, 9 ; μάνεντος : I, 10, 3 ; 16, 2 ; 21, 17.23 ; 22, 3 ; 30, 1 ; 34, 16 (HA s.l. μανέντος, ce qui est la bonne leçon) ; 35, 10 ; 38, 2 ; II, 13, 1 ; 15, 2 ; 23, 32 ; 45, 12 ; 51, 15.18 ; III, 1, 4 ; 12, 1 ; 27, 20 ; 28, 11 ; μάνεντι : I, 12, 1 ; 13, 2 ; 29, 15 ; 32, 51 ; 39, 2 ; II, 1, 6 (Ap.c. μανέντι) ; 39, 7 ; 45, 3.31 ; III, 28, 17. 98  Pour la numérotation des Psaumes et l’intitulé des livres des Règnes (1-4 R LXX = 1-2 S + 1-2 R hébreu). 97 

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ADDENDA ET CORRIGENDA AD EDITIONEM

a.corr. add. app. B cod. corr. del. dupl. Lag. G H inv. leg. mg. Nag. om. p.corr. praem. prop. sec. s.l. syr. text. V

ante correctionem adde apparatus, apparatu Vaticanus graecus 1491 British Library, Add. (syriaque) 12150 correximus, correxit dele duplicatio(num) De Lagarde 1859a (textus graecus) vel De Lagarde 1859b (textus syriacus) Gênes, Biblioteca della Congregazione della Missione Urbana di S. Carlo 27 Hambourg, Staats- und Universitätsbibliothek, cod. philol. 306 invertit lege in margine Nagel 1973 omisit post correctionem praemisit proposuit secundum supra lineam (textus) syriacus textus, textu Athos, Vatopedinus 236

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Addenda et corrigenda ad editionem

Textus graecus I, 1, 6 I, 1, 24 I, 2, 4 I, 10, 9 I, 13, 11 I, 13, 64 I, 18, 41-42 I, 18, 41-42 I, 18, 45 I, 22, 7 I, 22, 35 I, 22, 35 I, 24, 18 I, 29, 9 I, 31, 12 I, 31, 12 I, 32, 29/30 I, 34, 38 II, 2, 4 II, 2, 4 II, 2, 9 II, 3, 4/5 II, 3, 4/5 II, 7, 13/14 II, 7, 14 II, 8, 11/12 II, 11, 2/3 II, 11, 3/4 II, 11, 5 II, 13, 13 II, 13, 13 II, 13, 24 II, 13, 25

add. in app. : 6 γε] om. V add. in app. : 24 τῶν] om. GBa.corr. del. in app. : τιμῆται B in text. : Ἆρ’οὖν … φῶς. ; in app : Ἆρ’οὖν V] Ἆρ’οὐχ Lag. in app. : τοιῶσδε] τοιουτῶδε V in app. : μὲν] μέντοι GB in text. : προσβολῶν in app. : προσβολῶν] προβολῶν GB add. in app. : 45 προσβολῶν] προβολῶν Va.corr. GB in app. : πάντῃ GB in text. : δὴ add. in app. : 35 δὴ] δὲ H (in mg. : ἴσως δὴ) add. in app. : 18 γε] om. V in app. : Ba.corr. in text. : γενέσθαι in app. : καὶ – κακῶν] κακῶν καὶ φαινομένων GB in text. : κακίας ἐκ τῆς πράξεως add. in app. : 38 αὐτὴν δὴ τὴν κατὰ τὸ φαινόμενον] αὐτὴν δὴ τὴν φαινομένην V in text. : γενομένων add. in app. : 4 γενομένων] γεγενημένων prop. Lag. del. in app. : 9 τόδε] om. G in text. : δὴ μέρος μὲν add. in app. : 4/5 δὴ μέρος μὲν] μὲν δὴ μέρος V add. in app. : 13/14 Εἰ οὖν ἔδωκε μὲν] Εἰ μὲν οὖν ἔδωκε μὲν VG in text. : ἔδωκε μὲν add. in app.  : 11/12 ἐλευθεριότητος] corr. Lag. ἐλευθερότητος VGB add. in app. : 2/3 ἐλευθεριότητι] corr. ἐλευθερότητι VGB add. in app. : 3/4 ἐλευθεριότητι] corr. ἐλευθερότητι VGB add. in app. : 5 ἐλευθεριότητι] corr. Lag. ἐλευθερότητι VGB in text. leg. Οὐ pro Οὕτω add. in app. : 13 οὐ] οὕτω GBp.corr. add. in app. : 24 προεγιγνώσκομεν] προεγινώσκαμεν V leg. in app. : εἱλόμεθα] εἱλάμεθα VBa.corr.

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Addenda et corrigenda ad editionem

II, 13, 25 II, 13, 28 II, 15, 29 II, 15, 35 II, 15, 43 II, 15, 43 II, 17, 7 II, 17, 7 II, 17, 37 II, 21, 47 II, 21, 47 II, 21, 50 II, 21, 59 II, 22, 35 II, 23, 11 II, 23, 15 II, 23, 26 II, 23, 26 II, 24, 51/52 II, 24, 59/60 II, 24, 59/60 II, 27, 11 II, 28, 9 II, 28, 18 II, 34, 2 II, 37, 10 II, 39, 7 II, 50, 27 III, 1, 22 III, 7, 32 III, 10, 17 III, 17, 12 III, 17, 12 III, 18, 4 III, 18, 4 III, 18, 20

add. in app. : 25 στερόμενοι] στερούμενοι V add. in app. : 28 τῶν φυτῶν] τὴν praem. VG in text. : συμβάλοιτ’ add. in app. : 35 ἐλευθεριότητος] corr. Lag. ἐλευθερότητος VGB in text. : τὸν add. in app. : 43 τὸν] τὴν B in text. : διέμενε add. in app. : 7 διέμενε] διέμεινε B leg. in app. ἐφ’ἡμᾶς in text. : ἐντιθέντος add. in app. : 47 ἐντιθέντος] ἀντιθέντος B add. in app. : 50 καθ’ἑκάτερον] καθ’ἕτερον VGBa.corr.s. l. (false) add. in app. : 59 ἐπίσης] ἐφίσης V add. in app. : 35 μὲν] om. V leg. in app. : δὲ] om. G αὐτὸν] τὸν V leg. in app. : τοῦτο λογιστέον] λογιστέον τοῦτό γε GB in text. : add. τοῦ post τὴν del. in app. : 26 τὴν] τοῦ add. VB a. corr. add. in app. : 51/52 ἀπολουμένου] ἀπολλομένου V leg. in text. : ἐπάγεται add. in app. : 59/60 ἐπάγεται] ἐπείγεται Lag. sec. H add. in app. : 11 λαμβάνειν] add. αὐτοὶ V add. in app. : 9 ἂν] om. V add. in app. : 18 τοῦ1] om. V add. in app. : 2 πλεόνων] πλειόνων V add. in app. : 10 ἄρα] om. V add. in app. : οὕτω] οὗτος V, οὕτως G add. in app. : 27 καὶ] om. VG add. in app. : 22 ἀπάτη] ἀπάτῃ V add. in app. : 32 ἐάσει] Nag. ἐς ἀεὶ V add. in app. : 17 πλὴν] corr. Nag., μὴν V in text. : τοὐναντίον add. in app. : 12 τοὐναντίον] τοὐναντίου corr. sec. syr. Nag. in text. : σαφῶς add. in app. : 4 σαφῶς] σαφῆ Nag. in text. : παρὰ τοῦ θεοῦ

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Addenda et corrigenda ad editionem

III, 18, 20 III, 19, 4 III, 19, 4 III, 22, 3 III, 23, 5 III, 23, 5 III, 27, 7 III, 27, 25 III, 28, 18 III, 28, 18

add. in app. : 20 παρὰ] ἐπὶ Nag. in text. : αὑτοῦ add. in app. : 4 αὑτοῦ] αὐτοῦ Nag. in text. : θείας in text. : οὐδ’ἂν in app. : οὐδ’ἂν] οὐδὲν Nag. add. in app : 27, 7 ὅ γε] corr. ὅς γε V, ὅστε Nag. add. in app. : 25 δόξας] corr. Nag., δόξαν V in text. : γὰρ pro γε in app. : γὰρ] γε Nag.

Textus syriacus I, 42, 2 II, 61, 25 III, 81, 31 IV, 41, 28 IV, 45, 8

del. in app. dupl. : 2 ‫ = ܠܒܝܟܐ ܐܘ ܐܣܝܪܐ‬ἀσχολουμένης ̇ ‫ ܡܬܨܝܪ‬cod.] leg. ‫ܢ‬ ̇ ‫ܡܬܨܝܕ‬ add. in app. : 25 ‫ܢ‬ add. in app. : 31 ‫ ܕܟܕ‬cod.] leg. ‫ܕܟܪ‬ ̇ in text. : leg. ‫ܢܬܨܝܕ‬ pro ‫ܢܬܨܝܪ‬ in text. : leg. ‫ ܐܠܠܗܐ‬pro ‫ܐܠܗܐܠ‬

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TITUS DE BOSTRA CONTRE LES MANICHÉENS

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DE TITUS, ÉVÊQUE, CONTRE LES MANICHÉENS

Argument du premier traité Le premier traité comprend une dénonciation et une réfutation des principaux points de la doctrine des manichéens, à savoir qu’ils sont tout à fait étrangers aux notions naturellement communes.

Argument du deuxième traité Le deuxième (traité) montre que ce n’est pas du fait d’une quelconque malice sans principe, qui en fait n’existe pas, et d’un principe opposé à Dieu, que l’homme faute  ; qu’il n’existe dans les êtres aucun mal essentiel ni aucune inégalité dans les choses qui nous concernent, et que c’est en vain et de façon très impie qu’ils (sc. les manichéens) blâment l’économie universelle. Ce (traité) embrasse aussi sur les points principaux l’entièreté du discours sur la providence, montrant qu’il n’y a aucune nécessité à supposer, à partir des réalités, un second principe, opposé à Dieu.

Argument du troisième traité Le troisième (traité) produit un discours en faveur de la loi et des prophètes, à savoir que la totalité de l’Ancien Testament a été donnée par Dieu ; que rien de ce qui y fut fait et dit ne fournit la moindre accusation raisonnable contre celui qui (y) agit et parle ; que tout s’y accorde avec le Nouveau Testament et que, de ce côté non plus, il n’y a pas nécessité de supposer quelque second principe, opposé à Dieu.

Argument du quatrième traité Le quatrième (traité) soustrait aussi le Nouveau Testament à leur blasphème contre Dieu, à savoir qu’ils n’ont avec celui-là (sc. le Nouveau Testament) absolument aucun partage ; que c’est en vain qu’ils (sc. les manichéens) en produisent de force certaines parties en vue d’établir leur impiété, et que la thèse relative au diable ne les aide en rien en regard de ce qu’ils disent contre Dieu.

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DISCOURS DE TITUS CONTRE LES MANICHÉENS

Introduction (1-5) 1  Pour tous ceux qui ont eu ce souci d’éloigner de Dieu les causes des péchés des hommes, le but de la justice fut pour eux vrai en de tels propos si toutefois ils n’ont pas échappé au fait que Dieu se soucie aussi de nous comme il convient et que, selon la vérité, ils établissaient que leurs péchés sont du fait des hommes. Mais, ayant voulu guérir une petite chose, ils ont été saisis par la grande et violente maladie de l’impiété, lorsqu’ils sont tombés dans la négation de la providence universelle de Dieu, qui est manifeste. Or Mani, qui est d’origine barbare et dont le nom, selon sa traduction, est « le fou », se servit encore plus du poison nocif de l’impiété. En effet, ayant voulu montrer au sujet de Dieu qu’il n’est pas la cause des maux, il dressa contre lui le Mal, qui « est à égalité comme lui, un étant, comme il a dit, contre un étant et un vivant contre un vivant », et qui « en tout temps est dressé contre lui et combat avec lui », et qui « ne cesse jamais non plus de lui nuire », et qui « ne peut être détruit complètement par lui parce qu’il est un étant éternel » et qu’« il est parfait dans son être », dans la mesure où « il n’a pas du tout été fait », et comme on dit, « fuyant

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PREMIER DISCOURS DE TITUS, ÉVÊQUE, CONTRE LES MANICHÉENS

Introduction (1-5) 1  Chez tous ceux qui ont eu soin d’enlever à Dieu les causes des péchés commis chez les hommes, le but de pareilles pensées était, sur ce point, à la fois pieux et sincère, si du moins, sans avoir esquivé le fait que Dieu pourvoit à ce qui nous concerne, en accord avec la raison et par respect de la vérité, ils avaient attribué aux hommes leurs propres péchés ; mais, en réalité, ayant voulu soigner un détail, ils ont versé dans la maladie plus grande et pénible de l’impiété, étant tombés dans le déni de la providence divine alors qu’elle est manifeste en tout. Or Mani, barbare par son origine et éponyme de la folie elle-mêmea, usa et abusa, dans la voie de l’impiété, d’un remède plus nocif encore. Ayant en effet voulu démontrer que Dieu n’est pas responsable du mal, dans la foulée, il lui a opposé le mal, « inengendré, comme il dit, contre inengendré et vivant contre vivant, toujours s’insurgeant et combattant, sans jamais cesser de lui donner de l’embarras, mais ne pouvant pas être détruit complètement par lui parce qu’il est éternel et parfait dans son essence car inengendré » – et comme on dit, « fuyant la

Sur le jeu de mot que permet le grec entre le nom de Mani et celui du fou ou de la folie, dont les polémistes chrétiens useront et abuseront, voir l’introduction, p. 48-49. a 

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LIVRE I (Syriaque)

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la fumée, il est tombé dans le feu ». En effet, « pour que Dieu ne paraisse pas être la cause des maux, il recevra en lui-même (quelque chose) de tout le mal parfait qui se trouve auprès de lui ». Même si, comme (l’)a dit celui-là, « il pourvoit à cela avec longanimité et sagesse », cependant, même ainsi, ce n’est pas sans combat qu’il le peut par sa puissance, selon ce qu’enseigne son hypothèse. Y a-t-il choses plus étrangères que celles-là aux notions et aux opinions qui (portent) sur Dieu ? En effet, cela est le souci du discours premier de l’Église catholique, à savoir qu’il est pour nous juste et convenable de confesser à propos de Dieu, de toute notre force, qu’il n’est pas la cause des péchés des hommes. Or, dans cette recherche, (à savoir) de quelle manière, nous, nous péchons alors que Dieu ne l’a pas voulu, nous n’accusons pas Dieu de grands (méfaits), comme celui-là, en voulant l’excuser au sujet de peccadilles, mais, sur la route de la vérité, à partir des livres saints et des notions communes, nous cheminons vers cette recherche tout en nous gardant prudemment, en cela que nous, comme des amoureux de la vérité, nous accusant nous-mêmes, nous faisons la démonstration de la justice pour la défense de Dieu. Ce n’est pas, en effet, pour fuir par notre discours le blâme de ces choses que nous commettons les uns contre les autres, qu’il nous faut être impies envers Dieu et inventer à son sujet les choses les plus méprisables de toutes et qui n’existent pas. Mais outre cela aussi, parce que nous pensons que les péchés

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LIVRE I (Grec)

fumée, il est tombé dans le feu »a. Car afin que Dieu ne paraisse pas soumis à l’accusation des maux qui se trouvent chez nous, comme il le pense, il subit néanmoins lui-même les effets négatifs de la présence, à ses côtés, d’un mal complet et entierb. Pourquoi donc ? S’« il administre (tout) avec patience et sagesse », comme il le dit, cependant, il ne serait pas sans subir les attaques (du Mal), du moins selon une telle hypothèse. Qu’y aurait-il de plus étranger que cela aux raisonnements appropriés sur Dieu ? Qu’en effet il est pieux de confesser de toute notre force que Dieu n’est pas responsable des injustices chez les hommes, le discours de l’Église catholiquec s’est efforcé le premier de s’en faire le porte-parole. Mais la question étant de savoir de quelle façon nous commettons des fautes sans que Dieu le veuille, nous n’en venons pas à accuser Dieu sur des sujets plus importants en voulant le défendre sur des points mineurs, comme le fait celui-là, mais détenant la voie de la vérité à partir des saintes Écritures et des notions communesd, nous cheminons en sécurité vers une telle recherche, rendant pieuse la démonstration en faveur de Dieu par le fait, précisément, que nous nous faisons sincèrement des reproches à nous-mêmes. Car il ne conviendrait pas, dans le but d’esquiver par le discours les accusations (qu’entraînent) les fautes que nous commettons les uns envers les autres, d’être impie envers Dieu en élaborant contre lui des Proverbe fréquemment attesté ; voir le Corpus paroemiographorum graecorum, ed. Leutsch, Schneidewin 1839 et Leutsch 1851 : Diogenianus, VIII, 45 (t. I, p. 314, 1-3), Macarius, VIII, 42 (t. II, p. 220, 1), Apostolius, IX, 59a (t. II, p. 474, 15), Apostolius, XVI, 93 (t. II, p. 684, 21). b  La même intention est prêtée aux manichéens par Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 110-114, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 141) : « Si grande est dans ces discours l’impiété envers le divin ! Et l’étonnant en cela, c’est qu’ils ont imaginé tout cela, à les en croire, par une pieuse crainte. En effet, parce qu’ils ne voulaient pas dire que le dieu est la cause du mal, ils ont posé un principe propre au mal en lui assignant une dignité et une force égales à celles du Bien, ou plutôt encore plus grandes ». c  τῆς καθολικῆς ἐκκλησίας (l. 26-27). Cette expression, reproduite en syriaque (‫)ܥܕܬܐ ܩܬܘܠܝܩܐ‬, signifie littéralement « église universelle ». Elle reviendra en IV, 12, 23 et IV, 114, 3. À propos de la légitimité d’un usage historique – sans connotation confessionnelle ou sectaire – du terme « catholique » lorsqu’il s’agit du christianisme ancien, voir les remarques de Niels Arne Pedersen (2004, p. 13, n. 26), critiquant la position de Christoph Markschies. d  Voir Introduction, p. 19-20. a 

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LIVRE I (Syriaque)

des hommes sont (objets) de guérison et que ce n’est pas d’un autre principe, opposé, qu’ils découlent, mais qu’ils sont accomplis par nous d’une autre manière, ce que notre discours expliquera clairement au moment opportun, non seulement ne sommes-nous pas impies envers Dieu, parce que nous n’osons pas imaginer à son sujet une faiblesse blasphématoire et dire qu’il a, (à lui) opposé, le Mal qui n’est pas, mais encore ces choses qui sont accomplies par nous de la manière (propre) aux maux, nous trouvons le moyen de les faire cesser et de les réduire à néant, et par cela il apparaît clairement à ceux qui considèrent (les choses) avec soin qu’en toute vérité, c’est bien de nous que les opérations des péchés ont (leur) principe et que c’est de nous aussi qu’elles reçoivent (leur) terme de manière à ne plus être, même si (cela) n’arrive pas chez tous. En effet, ce qui est (le propre) de tous ne se voit pas en chacun, mais chez tous ceux qui en ont le souci, cela est manifeste. Donc la propriété de tout homme, c’est cela qui se peut voir en chacun.

L’erreur fondamentale de Mani et de ses disciples 12

2  Donc, celui qui a conçu une impiété barbare et forgé le Mal sans commencement contre Dieu, lui qui, en vérité, est seul sans commencement, et qui, dans (sa) folie, a appelé celui-là second principe, non seulement place le Mal à un niveau d’égalité en face de Dieu, comme en lui faisant honneur, lui qui a donné à penser qu’il le haïssait, mais aussi il dit que les maux qui découlent de ce qui est sans commencement sont nécessairement incurables, et comme un trompeur d’hommes il a fait en sorte que ceux qui lui obéissent pensent qu’il n’y a ni amendement ni guérison à leur crime et à leurs péchés, et mettent donc de l’avant au sujet

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LIVRE I (Grec)

choses plus insolentes que tout et qui n’existent nullement. Mais, en outre, en pensant que les péchés commis chez les hommes sont guérissables – parce qu’assurément ils ne se répandent pas contre nous comme découlant de quelque principe, mais qu’ils sont faits par nous de quelque autre façon, que notre discours exposera clairement en temps utile –, non seulement nous ne sommes pas impies envers Dieu, parce que nous n’avons pas l’audace de conjecturer à son sujet une fâcheuse impuissance à résister au Mal qui n’existe pas, mais encore nous entreprenons de faire cesser ce qui est accompli par nous en matière de mal en démontrant en toute clarté à ceux qui s’y intéressent que ce qui, en vérité, possède en nous le principe pour exister peut aussi recevoir de nous le terme pour ne plus exister, même si cela n’arrive pas chez tous. En effet, ce qui est universel n’arrive pas à chacun, mais du moins chez chacun de ceux qui s’y appliquent. Mais ce qui est possible en chacun est assurément une manifestation de l’universel.

L’erreur fondamentale de Mani et de ses disciples 2  Cependant, celui qui a conçu une impiété barbarea en forgeant le Mal sans principe contre le Dieu véritablement sans principe et unique et en définissant celui-ci, dans sa folie, comme un second principe, non seulement place le Mal au même niveau que Dieu comme s’il avait choisi de l’honorer alors qu’en apparence il le déteste, mais encore, en affirmant que les maux qui découlent du Mal sans principe sont nécessairement en tout point incurables, a  En raison de son origine mésopotamienne, Mani et sa doctrine sont réputés barbares. Déjà, l’édit de Dioclétien de 297 (ou 302) affirme que les doctrines nouvelles et monstrueuses des manichéens se sont diffusées à partir de la nation perse, ennemie des Romains (de Persica adversaria nobis gente), ou même y ont pris naissance (texte dans Adam 1954, p. 83 ; voir Scopello 2008). Titus reprend le poncif à loisir (I, 1, 9 ; 2, 1 ; 11, 6 ; 12, 3 ; 23, 25 ; 26, 1 ; 40, 22 ; II, 52, 11 ; III, 1, 32 ; 66, 13 ; 68, 2 ; IV, 20, 7 ; 43, 3). Cf. Acta Archelai 40, 5, éd. Beeson 1906, p. 59, 19 (Persa barbare) ; Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 2, éd. Brinkmann 1895, p. 4, 14 ; Épiphane, Panarion, 66, 35, 2, éd. Holl 1933, p. 74, 7 (ὁ βάρβαρος ἡμῖν παρελθὼν Πέρσης καὶ δοῦλος τὴν γνώμην) ; (Augustin), Secundini epistola 3, Jolivet, Jourjon 1961, 516-517 (Persa quem incusasti) ; Augustin, Contra Secundinum manichaeum 2, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 542-543 (« la fable perse »).

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d’eux-mêmes, par anticipation du plaisir des péchés, à la place de la conversion la désespérance du doute, comme si, désormais, « il ne se pouvait pas qu’ils retiennent le cours du Mal, lui qui est sans commencement, à moins que quelqu’un, par désir de gloire, ne donne à penser qu’il y a en lui une plus grande part provenant du Bien », selon ce que dit leur affabulation, alors que c’est par son application que, dans la mesure du possible, il vainc les péchés, et qu’apparaît clairement par là que ce n’est pas du fait d’un autre qu’il avait péché mais de lui-même et par lui-même. Mais, à la vérité, ceux qui imaginent à son sujet que c’est en raison de son mélange qu’il est excellent dans sa nature, lui qui s’est servi non pas de sa nature mais de labeur et de sueur, lui qui a pensé aussi qu’il serait loué quand, en fait, ils le privent de la louange véritable, (ceux-là) ont délaissé la vraie louange qui est dans le labeur de la vertu chaque fois qu’elle est réalisée dans la justice à cause de Dieu, et ils se sont saisis mensongèrement par leur propre décision de la nécessité de la nature, et, à partir de l’amour du labeur qui est utile, ils ont ourdi une impiété contre Dieu, de sorte que, désormais, ni celui qui se trouve en tout temps dans la négligence et la mollesse n’est touché dans sa pensée à cause de ses actions mauvaises, s’il imagine que ses actions sont imputées à un autre principe, celui du Mal, ni celui qui aura usé de nombreux soins ne sera non plus digne d’être admiré en cela, puisqu’il aura agi par calcul. 3  Outre toutes ces choses, il y a cela qui est plus pénible que tout, à savoir que les disciples de celui-là s’exercent et s’instruisent dans l’impiété contre Dieu, (eux) qui, parce qu’ils n’ont pas compris le discours de la persuasion au sujet des créatures de Dieu, non

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à dessein laisse-t-il ceux qui lui obéissent penser que l’injustice chez les hommes est irrémédiable, de sorte que, par anticipation du plaisir que l’on tire des péchés, c’est l’échec qui est proposé au lieu de la conversion, sous prétexte qu’« il est impossible de retenir le cours d’un Mal sans principe, à moins que quelqu’un, mû par le désir de la gloire de paraître avoir une part plus importante du Bien », comme ils le racontent justement dans leurs mythesa, s’efforce d’atteindre l’absence de péché dans la mesure du possible, de sorte à rendre évident par là que ce n’est pas du fait d’un autre, mais par lui-même qu’il péchait, mais qu’il remporte néanmoins quelque gloire auprès d’eux comme s’il était meilleur quant au mélange de sa nature, lui qui (pourtant) se sert non pas de la nature mais de peine et de sueur ; celui-ci, de fait, penserait être loué alors même qu’il est privé de la louange véritable. Car, délaissant la gloire qui provient du labeur de la vertu, à la condition toutefois qu’il soit accompli en vue de la piété envers Dieu, il considère à tort le caractère nécessaire de la nature comme une occasion à saisir, poursuivant l’utilité de l’amour du labeur en vue de l’impiété contre Dieu, de sorte que ni celui qui s’adonne à la facilité n’est frappé dans son intellect s’il agit mal, si justement il impute ses actions à un autre principe, ni celui qui fait preuve de zèle n’est digne d’être admiré, alors que, par calcul, il s’efforce vers le pire de tout, c’est-à-dire d’être conduit à l’impiété contre Dieu. 3  Maisb ses disciples, ne comprenant pas la raison de la création de Dieu, non seulement ont failli, de la façon que nous avons a  Malgré cette mention des « mythes » (μυθολογοῦσιν, l. 13) manichéens, il est manifeste, tout au long de son traité, que Titus s’intéresse peu aux détails du récit manichéen, mais uniquement aux principes qui le sous-tendent, dans la perspective d’une réfutation dialectique et philosophique. En cela, il se rapproche d’Alexandre de Lycopolis (Contre la doctrine de Mani) et se différencie des Acta Archelai et d’Épiphane de Salamine (Panarion 66). De même, Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 36, 1-5, éd. Casey 1931, p. 52, veut « passer sous silence les émanations, les combats, les fictions mythologiques et les gigantomachies » pour s’en tenir à l’essentiel. b  Le début du chapitre 3 en syriaque reprend des éléments que nous avons considérés, en raison de la syntaxe, comme appartenant à la fin du chapitre 2 en grec. De Lagarde (1859a, p. 2) fait commencer le chapitre 3 par πρὸς τὸ τῶν πάντων (2, 26-27 de notre édition).

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seulement se sont interrogés et ont erré au sujet des mauvaises actions des hommes, de la manière qui a été dite, mais aussi ont blâmé et accusé la multitude des créatures, mais en fait toutes celles qui ne sauraient recevoir même un seul reproche, et les ont nommées maux. « Et parmi elles, il en est qui se trouvent dans le mélange des contraires provenant du Bon et du Mauvais, comme ils disent, et parmi elles, il en est qui se trouvent dans la seule forme du Mal », ont-ils dit mensongèrement, et, pour leur part, ils ont mélangé et confondu toute chose, et ont nommé maux des choses qui n’ont jamais été des maux. En effet, s’ils blâmaient dans leur discours seulement l’iniquité et les péchés des hommes qui eux seuls sont le mal, il leur faudrait en cela aussi se garder tant de son nom que de l’opinion qui porte sur lui, sur le mal, selon qu’existe ou n’existe pas ce qui se trouve dans l’opération et ce qui ne se trouve pas dans l’opération, et il ne leur fallait pas introduire un autre principe contre Dieu. En vérité, en cela, leur sottise était tolérable mais, maintenant qu’ils ont méprisé toute la création, ils ont commis ce grand et puissant blasphème contre Dieu. Et ils s’emploient à persuader par leur discours que, sans aucun doute, « tous les animaux et tous les reptiles sont des maux » et qu’« il ne convenait pas que ces (êtres) proviennent du Dieu bon », eux qui non seulement, comme ceux-là l’ont pensé, ne sont pas utiles, mais aussi « sont nuisibles pour les hommes », alors qu’il nous est précisément possible de montrer à leur sujet qu’ils sont beaucoup plus profitables et utiles que les choses qui en vérité sont réputées être avantageuses pour les hommes. Et ils amalgament beaucoup d’autres choses pour blâmer et mépriser tant les créatures que la providence et le gouvernement universel. Mais notre discours ne permettra pas que même une seule de ces choses qui ont été dites et qui seront dites demeure sans explication ni démonstration.

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dite, en examinant les actions déraisonnables des hommes, mais encore ont dénigré la plupart, ou plutôt la quasi-totalité, des créatures, alors qu’en vérité, elles n’admettent aucun blâme, et ils les ont qualifiées de maux, alléguant calomnieusement, pour les unes, « le mélange des contraires, le Mal et le Bien », comme ils disent, et professant, pour les autres, «  un mal uniforme  », et ils ont tout confondu, du moins en ce qui les concerne, appelant maux des choses qui ne sont absolument pas des maux. Car s’ils avaient porté contre l’injustice qui se commet chez les hommes, qui est la seule injustice qui soit, le reproche d’être le mal, même ainsi ils auraient dû se garder du nom et de l’opinion qui le concernent, dans la mesure où il existe et n’existe pas dans l’agir et le non-agir, et ils n’auraient aucunement dû l’introduire comme principe contre Dieu ; leur erreur aurait néanmoins été facile à circonscrire. Mais maintenant, après avoir blâmé presque toute la création, ils ont rendu démesuré le blasphème contre Dieu, et ils détournent à leur profit toutes les bêtes sauvages et tous les animaux comme s’ils avaient un rapport avec le propos, estimant qu’« il ne convient pas que ces derniers existent par la volonté du Bien  », étant donné qu’«  ils sont non seulement inutiles  », comme ils le supposent, «  mais encore extrêmement nuisibles pour les hommes  », bien que l’on puisse démontrer qu’ils sont plus utiles et plus avantageux que ce qui semble véritablement être profitable aux hommes. Et ils amalgament beaucoup d’autres choses encore en vue de calomnier les êtres et le gouvernement de l’univers, et notre discours s’efforcera de ne rien laisser sans preuve parmi ce qui a été dit et qui le sera.

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4  En effet, ils imaginent qu’il y a dans la création un mélange de deux natures opposées et, autant qu’il leur plaît, ils partagent les créatures selon ces natures. Ils disent en effet : « D’où sont les maux, s’ils ne sont pas, eux aussi, d’un autre principe ? » Et si quelqu’un leur demande : « Quels sont-ils ? », ils amalgament aussi bien les péchés des hommes que les créatures de Dieu, et ils outragent aussi tout ce gouvernement plein de toutes sagesses, de sorte que, si quelqu’un démontre que toute chose est belle et qu’elle fut et est convenablement et nécessairement, leur discours au sujet du principe opposé nécessairement cesse et est détruit. En effet, parce qu’ils n’ont pas compris comment sont les choses d’ici-bas, ils ont fabulé au sujet des choses d’en haut, et parce qu’ils n’ont pas saisi de quelle façon sont arrangées les choses visibles, ils ont calomnié ce qui est invisible, et parce qu’ils ont essayé de connaître, ils furent pris d’une grande ignorance du fait qu’ils ne parvinrent pas à connaître. En effet, comme ils ont cherché dans les ténèbres de l’ignorance au sujet des choses visibles, non seulement ils n’ont pas trouvé ce qu’ils avaient pensé chercher, mais encore ils firent que les ténèbres de leur ignorance s’accroissent.

Le programme de Titus de Bostra 5  Quant à nous, commençons et parlons d’abord au sujet de ces deux principes et royaumes opposés qu’ils posent, et venons-en ensuite à la démonstration qui est en faveur de toutes les créatures. Nous montrerons que toutes ces choses aussi existent bellement et excellemment, ainsi que je l’ai dit précédemment, et surtout celles

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4  En effet, imaginant dans les êtres un mélange de deux natures opposées, ils répartissent les êtres entre celles-ci selon ce qu’il leur semble bon, disant : « D’où viennent les mauxa s’ils ne sont pas eux aussi issus de quelque principe  ?  ». Mais si on leur demande : « Quels maux ? », ils amalgament les péchés des hommes et les créatures de Dieu, et ils accusent dans sa totalité le très sage gouvernement (universel) lui-même, de sorte que, si on démontre que tout est venu à l’être et existe de façon bonne et nécessaire, leur raisonnement sur le principe opposé s’écroule nécessairement. En effet, ne comprenant pas comment se présentent les choses d’icibas, ils ont fabulé autour de celles d’en haut, et n’ayant pas saisi non plus de quelle façon sont disposées les choses visibles, ils ont calomnié ce qui n’est pas visible et, empressés de savoir, ils se sont jetés, par absence de savoir, dans une plus grande ignorance. Car comme ils cherchaient dans les ténèbres la conception des choses apparentes, non seulement ils n’ont pas trouvé ce qu’ils semblaient chercher, mais encore ils ont rendu plus grandes les ténèbres de leur propre ignorance.

Le programme de Titus de Bostra 5  Quant à nous, après avoir d’abord traité des deux principes opposésb qu’ils postulent, nous arriverons ainsi à la démonstration concernant toutes les choses, (à savoir) qu’elles sont toutes belles et nécessaires, en particulier, comme je l’ai dit auparavant, a  πόθεν τὰ κακά; Question récurrente, qui forme l’intitulé du traité 51 (I, 8) de l’édition porphyrienne des Ennéades de Plotin. Les manichéens font donc partie de ceux que Plotin désignait comme « ceux qui cherchent d’où viennent les maux » (I 8 [51], 1) ; cf. O’Meara 1999, p. 55 et 91 : « La question : “D’où viennent les maux ?” résonne comme un leitmotiv dans la littérature de l’époque impériale ». La même interrogation reviendra en I, 16, 2-3 et II, 1, 14. Pour les sources directes, voir 1 Kephalaia 120, p. 287, 2-16, éd. Böhlig 1966 : d’où viennent les maux s’il n’existe pas « un autre (principe) en dehors de Dieu ? ». Cf. Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 178, 15-16 : « D’où (viennent) donc les maux ? disent-ils – C’est là, en effet, une question de force des manichéens, par laquelle ils entraînent ensemble les ignorants à leur perte » (trad. Brière) ; Augustin, De duabus animabus 8, 10, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 78-83. b  Cf. Acta Archelai 7, 1, éd. Beeson 1906, p. 9, 12-13.

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contre lesquelles ils ont parlé et affiché du mépris, à savoir que « ce sont sans aucun doute des maux ». De même aussi au sujet du gouvernement universel, contre lequel également, comme des ingrats, ils tiennent des propos qui sont dans l’amertume et dans la méchanceté, et (contre lequel) ils portent des accusations, nous montrerons que ce gouvernement est excellent et louable ; non seulement (cela), mais aussi au sujet des péchés des hommes et de leur iniquité, (nous montrerons) qu’il ne convient pas, au sujet de ces choses-là non plus, de forger, comme dans un délire, un principe du Mal, second, opposé à Dieu. En effet, il est également possible qu’il apparaisse que ces choses-là aussi montrent la bonté de notre créateur, que ce n’est pas selon sa propre volonté qu’elles sont accomplies par les hommes et qu’elles ne découlent pas d’un autre principe opposé en vue de nous nuire. Il nous faut désormais en venir au commencement de leur fable d’impiété, en nous demandant si les réflexions et les notions communes qui sont selon la nature admettent deux principes et royaumes opposés. Si, en effet, pas même deux principes qui seraient en accord ne sont admis, admettrions-nous à plus forte raison ceux qui se trouveraient dans un combat opposé ?

Les deux principes (6-15) 6  Ce méchant fou de Mani écrit donc et commence partout ainsi : « Il y avait Dieu et aussi la Matière, la Lumière et aussi les Ténèbres, le Bon et aussi le Mauvais, qui étaient en tout totale-

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celles contre lesquelles ils mènent la plus grande offensive, comme si c’étaient des maux avoués  ; et, en outre, (nous arriverons à la démonstration) concernant le gouvernement de toutes les choses et les raisons à cause desquelles, dans leur ignorance, ils accusent celui-ci de cruauté, alors qu’il pourvoit aux choses les plus nécessaires, mais aussi (à la démonstration) concernant les injustices commises chez les hommes, à savoir que, pas même à cause de ces dernières, il ne conviendrait d’imaginer un principe du Mal contre Dieua. Car il sera démontré que même celles-ci montrent la bonté de celui qui nous a faits et que ce n’est ni selon sa volonté qu’elles sont commises par les hommes, ni à partir de quelque principe opposé qu’elles sont dirigées contre nous. Ainsi donc, venons-en dès à présent au principe de leur affabulation impie, en examinant de près si du moins les notions conformes à la nature admettent deux principes opposés des êtres. Car si elles n’acceptaient pas même des principes qui s’accordent, le feraient-elles pour des principes qui se combattent ?

Les deux principes (6-15) 6  Ainsi donc, Mani, cet insupportable foub, lui-même commence partoutc en écrivant  : «  Il y avait Dieu et la Matièred, la Titus annonce ici le contenu des livres I et II du Contre les manichéens. Titus affectionne la formule ὁ χαλεπώτατα μανείς, que l’on retrouve en I, 22, 38, II, 21, 1, II, 24, 1 et II, 54, 42. Le manuscrit V porte ici ὁ χαλεπώτατα μανεὶς μάνεις, ce qui invite à ne pas y voir une réitération fautive, mais une formule redondante qui rejoint le syriaque (I, 6, 1 : ‫)ܘܫܢܝܐ ܒܝܫܐ ܡܢܝ‬. Tous les autres manuscrits grecs ont simplement μανείς. c  Le grec πανταχοῦ pourrait aussi être traduit par « sans détours ». Nous le comprenons ici comme le syriaque : ‫ܒܟܠ ܕܘܟܐ‬, « en tout lieu ». Comme le font remarquer P. Alfaric (1919, p. 8, n. 5) et K. Holl (1933, p. 36), Titus veut dire que Mani introduit toujours son enseignement de la même manière, par cette affirmation ; cf. Épiphane, Panarion 66, 14, 1 (éd. Holl 1933, p. 36, 5) : « tel est le prologue (πρόλογος) du charlatan ». Cf. IV, 3, 1-2, où Titus écrit que Mani « recourt à la ruse d’abord en ce qui concerne le nom en tout endroit où il écrit : Mani, apôtre de Jésus-Christ ». d  Cf. Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 24, éd. Brinkmann 1895, p. 35, 15-16 : « étant donné qu’ils font de la Matière un inengendré et, pour ainsi dire, un être contemporain de Dieu » (trad. Villey 1985, p. 86). a 

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ment opposés, et il n’y avait même en rien participation de l’un d’eux avec son compagnon. Les deux étaient des étants qui ne sont pas venus à l’existence et des vivants ».

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7  Dès lors, que lui-même nous dise si les deux sont ou bien séparés l’un de l’autre, ou s’ils se trouvent être amis l’un avec l’autre et ne paraissent pas être opposés depuis toujours. Mais il est évident que lui aussi dira qu’ils sont séparés l’un de l’autre et qu’en cela, donc, chacun d’eux est fini dans son être du fait de son compagnon et qu’aucun d’eux non plus n’est infini et sans limite. Mais qu’il impose une fin et une limite à Dieu dans son être sans reconnaître ni confesser à son sujet qu’il est infini, comment cela ne serait-il pas tout à fait de l’impiété, alors que non seulement il a estimé et dit qu’« il est fini dans son être et limité », mais qu’aussi « cela lui arrive par le Mal » ? Et étant (lui-même) fini, il a osé dire cela qui, au premier chef, se trouve hors de l’opinion et des notions qui sont selon la nature commune, celles qui nous donnent de savoir cela : qu’il existe en tout lieu et que sa nature n’est ni saisie ni limitée ni finie du fait de quoi que ce soit. 8  En outre, si ces deux étants sont nécessairement éloignés l’un de l’autre, non seulement Dieu, selon la fable de celui-là, est limité et fini, mais aussi il est dans un lieu qui lui est propre et (y) habite, à la ressemblance de celui qui lui est opposé. En effet, ceux qui sont retenus l’un par l’autre dans leurs lieux propres sont tout

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Lumière et les Ténèbres, le Bien et le Mal, en tout opposés au plus haut degré, au point de n’avoir rien en commun l’un avec l’autre, tous deux inengendrés et vivants »a.

Conséquences logiques de la thèse des deux principes 7  Dès lors, soit il séparera ceux-ci l’un de l’autre, soit, s’ils restent ensemble, ils apparaîtront amis et nullement opposésb. Mais il est clair qu’il dit lui-même aussi qu’ils sont séparés l’un de l’autre. Aussi, chacun des deux trouvera-t-il en l’autre la limite de son essence et aucun des deux ne sera-t-il illimité ? Mais comment ne serait-t-il pas tout à fait impie de circonscrire Dieu quant à son être et de ne pas le reconnaître et le confesser comme infini quand non seulement il semblera être circonscrit et délimité dans son être, mais encore endurer cela du fait du Mal, comme celui-là le ditc  ? Chose qui, tout d’abord, est en dehors des notions communes, qui suggèrent de reconnaître qu’il est partout et que sa nature est sans limite.

8  En outre, si ceux-ci se tiennent nécessairement à l’écart l’un de l’autre, non seulement Dieu semblera, selon la folie de celui-là, être circonscrit quant à sa nature, mais encore se trouver dans un lieu propre et y demeurer tout comme son contraire. Car ceux qui Citation reprise par Épiphane, Panarion 66, 14, 1 (éd. Holl 1933, p. 36, 3-4). Sur les deux principes, voir l’exposé d’Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 2, éd. Brinkmann 1895, p. 4, 23-25, 15, et le commentaire de Villey 1985, p. 121133. La citation de Titus est quasi identique à celle que transmet Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 150, 8-10 (= Kugener, Cumont 1912, p. 91, 8-92, 3) : « Chacun (des deux principes), en effet, est incréé et sans commencement et le Bien qui est la Lumière et le Mal qui est les Ténèbres et la Matière, et ils ne partagent rien l’un avec l’autre ». Cf. Augustin, Contra epistulam fundamenti 13, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 422-425 (= Stein 2002, p. 22-24). Cf. aussi Jean de Césarée, Adversus manichaeos homilia I 6, 79-80, éd. M. Richard dans Richard, Aubineau 1977, p. 86 (la Lumière et les Ténèbres, inengendrés et coéternels, existant et vivant). b  Cf. Épiphane, Panarion 66, 14, 7 (éd. Holl 1933, p. 36, 23-27, 3). c  Le même argument est développé par Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 31-38, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 118). a 

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à fait enfermés et finis. On demandera donc si ces deux (êtres) qui sont opposés en tant qu’étants qui ne sont pas venus à l’existence sont plus anciens que leurs lieux. S’il en est ainsi, il y avait encore un moment où, auparavant, ils étaient dans la concorde, éloignés de ce qui est opposé. Mais si, depuis toujours, avec l’être de chacun d’eux existait aussi sa séparation, le lieu de chacun d’eux est antérieur à son être ou lui est contemporain dans l’être. Mais si leurs lieux sont antérieurs, de sorte qu’ils paraissent être parmi les rejetons de leurs lieux propres et en être les produits, ces (êtres) ne sont pas des étants ni n’existent depuis toujours, et cela sera supposé appartenir aux lieux dont ceux-ci proviennent. Mais si les lieux leur sont contemporains dans l’être, il y aura quant à eux des étants nombreux et non seulement deux. Car ceux-là sont nécessairement différents et autres par rapport à ces lieux dans lesquels ils se trouvent, sans lesquels ils ne pourraient pas même être. 9  Outre cela aussi, une limite entre les deux (principes) est nécessaire, qui les retienne et empêche pour chacun d’eux la participation avec son compagnon, de peur qu’ils ne se mélangent à nouveau l’un avec l’autre à leur extrémité et ne détruisent la doctrine (qui professe) qu’ils sont opposés. Qu’est-ce donc qui retient et empêche les deux ? C’est pourquoi un autre, qui (serait) le troisième par son être, est nécessaire à la fiction de leur fable. Nous parleront-ils d’un rempart d’acier ou de quelque chose d’autre, selon le délire de (leur) folie ? Et par la providence de qui cela, quoi que ce soit qu’ils disent, aura-t-il été établi au milieu ? En effet, peu importe auquel de ces opposés ils veulent suspendre ce qui (viendrait) ensuite, à la fin – c’est par sa providence que cette limite sera entrée et aura été établie au milieu –, leur histoire se trouve être dans l’hésitation. En effet, une fois que ce discours se sera élevé vers le principe, l’an-

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sont tenus à l’écart l’un par l’autre se trouvent évidemment délimités dans des lieux propres. Donc il faut examiner ceci : si les contraires étaient, en tant qu’inengendrés, tous deux plus anciens que les lieux, il y avait un moment où jadis ils se trouvaient ensemble, exempts d’opposition. Mais si la séparation de l’être de chacun est coéternelle, le lieu est plus ancien que l’être de chacun ou co-inengendré. Or, s’il est plus ancien, de sorte que chacun semble être le rejeton du lieu de chacun, ces (principes) ne sont ni inengendrés ni éternels, ce qui semblera être le propre des lieux d’où ils sont issus. Si, en revanche, le lieu est co-inengendré, il y aura plusieurs inengendrés et non plus deuxa. Car il est nécessaire que ceux-là soient différents par rapport à ceux dans lesquels ils sont, sans lesquels ils ne pourront pas même être. 9  En outre, entre les deux (principes) est aussi requise une frontière, qui les sépare et qui empêche pour chacun la participation à l’autre, pour éviter qu’en se mélangeant de nouveau l’un à l’autre par leurs extrémités, ils ne détruisent le concept de l’oppositionb. Que sera donc ce qui les cloisonnera et les séparera tous deux ? Car, chez eux, la fiction de leur mythologie a besoin d’un troisième (élément) selon l’être. Dans leur folie, nous diront-ils vraiment que c’est le rempart d’acier ou quelque chose d’autre ? Et par la providence de qui diront-ils que cet élément, quel qu’il soit, sera établi ? Car quel que soit celui des deux opposés auquel ils voudraient rattacher cet (élément), en tant qu’il a été intercaCf. Jean l’orthodoxe, Disputatio cum manichaeo 64, 325-339, éd. M. Aubineau dans Richard, Aubineau 1977, p. 127-128 (si on admet des lieux pour les deux principes inengendrés et coéternels, il n’y en aura plus seulement deux mais quatre). b  L’argument selon lequel un troisième principe est nécessaire pour séparer les deux autres comme un mur apparaît déjà chez Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 16, éd. Brinkmann 1895, p. 13, 3-10, trad. Villey 1985, p. 66-67, et commentaire, p. 233-234. Il revient fréquemment : voir les Acta Archelai 26, 2-27, 2, éd. Beeson 1906, p. 38, 16-39, 15 ; Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 32, éd. Casey 1931, p. 48-49 ; Épiphane, Panarion 66, 14, 9, éd. Holl 1933, p. 37, 5-8 ; Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 150, 17-152, 6 = Kugener, Cumont 1912, p. 93, 1-95, 4 ; p. 156, 12-158, 25 = p. 105, 10-111, 7 ; Jean de Césarée, Adversus manichaeos homilia II 7, 93-101, éd. M. Richard dans Richard, Aubineau 1977, p. 95. Voir également, pour les sources directes, P. Kellis Gr. 97 B.I recto 4, éd. Gardner dans Gardner 2007, p. 100 (et commentaire, p. 108) : « un mur (τεῖχος) pour les éons de lumière ». a 

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cienneté et la priorité, il lui apparaîtra encore que ceux qui étaient opposés n’étaient pas séparés et n’étaient pas opposés. Mais s’ils disent que ce n’est pas par la providence de l’un d’entre eux que la limite qu’ils invoquent vint à l’existence et fut établie, de nouveau ils avouent qu’ils introduisent nécessairement un autre étant qui ne sera en rien non plus associé dans son être à aucun de ceux qui sont opposés, de telle manière que, parce qu’il leur sera étranger en toute chose, il les sépare l’un de l’autre. Et ils se trouvent dès lors à poser, dans leur folie, une foule et une multitude d’étants, alors qu’ils ont dit qu’il y a seulement deux étants. Donc, la limite qui les retient, qu’il s’agisse d’un rempart ou d’une terre dévastée, sans habitation, ou de quoi que ce soit d’autre qu’ils veuillent, où a-t-elle une base et un fondement ? Où touche son sommet ? Mais il est évident que sa base sera en bas – et où et jusqu’où ? – et qu’en haut sera son sommet – et où et jusqu’où ? –, car le haut et le bas sont des noms de créatures qui, avant les créatures, n’existaient pas. Et il faut donc que cette limite soit beaucoup plus basse et plus élevée que l’être de ceux qui sont séparés par elle, de peur que, soit par le bas, soit par le haut, elle ne soit en manque et ne donne lieu à ceux qui sont opposés de traverser de l’un chez l’autre. 10  Mais s’ils comparent à l’ombre et au soleil ce qu’ils appellent limite, ils imagineront dans leur erreur que l’ombre ne participe en rien au soleil, mais ils , eux qui ont erré péniblement à la suite de ce fou. En effet, l’ombre participe du soleil et c’est à la venue du soleil qu’elle existe parfaitement, lorsqu’un corps opaque fait obstacle et qu’il l’empêche de se répandre de l’autre côté. L’ombre n’est donc rien d’autre que le signe que la lumière est retenue par un corps opaque qui fait obstacle. En effet, la nuit, lorsqu’il n’y a pas de lumière, il n’y a pas non plus (la moindre) parcelle d’ombre, et donc, là où il y a de l’ombre, là aussi il y a de la lumière. En effet, les choses qui sont au-delà de l’ombre brillent dans la lumière, à moins que ce qui couvre et produit l’ombre ne soit d’une hauteur élevée (et) ne dépasse la lumière

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lé plus tard, leur hypothèse se révèlera une impasse. En effet, une fois remonté vers le plus ancien (des deux principes), le discours fera encore voir à l’inverse que les opposés qui ne sont pas séparés l’un de l’autre ne sont nullement des opposés. Mais s’ils disent que la frontière qu’ils indiquent n’existe par la providence d’aucun des deux (principes), ils reconnaissent introduire par nécessité un autre inengendré qui ne partage l’être d’aucun des deux opposés, de sorte qu’il sépare ceux-ci par le fait d’être totalement différents, et on trouvera qu’ils postulent une foule d’inengendrés alors qu’ils disent que les inengendrés sont deuxa. Mais cet (élément) qui sépare et forme une frontière, que ce soit un rempart ou une terre inhabitée ou ce qu’ils voudront, où donc a-t-il son fondement ? Où a-t-il son sommet ? Or il est évident qu’il aura son fondement en bas – mais où et à quelle profondeur ? – et son sommet en haut – mais où et jusqu’à quelle hauteur ? Car le haut et le bas sont des noms de la création (utilisés) avant (l’existence de) la création. Il faut cependant que la frontière soit plus profonde et plus élevée que l’être des (éléments) séparés, pour éviter que, si elle est en reste par le haut ou par le bas, elle procure aux opposés un passage de l’un vers l’autre. 10  S’ils comparaient ce qu’ils appellent frontière à l’ombre et au soleil, ils penseront que l’ombre n’a rien de commun avec le soleil, mais il s’avérera qu’ils sont fâcheusement trompés par Manib. Car il se trouve que l’ombre existe par la participation au soleil et, d’une façon générale, par la présence de celui-ci, lorsque quelque masse s’élève au milieu et la fait passer de l’autre côté. Et l’ombre ne saurait être rien d’autre que la preuve de la lumière entravée par l’intermédiaire de quelque corps placé au milieu, puisqu’il ne saurait y avoir même une parcelle d’ombre lorsque, dans la nuit, il n’y a pas de lumière ; ainsi donc, là où il y a de l’ombre, il y a de la lumière. Car la région au-delà de l’ombre est éclairée par la lumière, à moins que ce qui couvre d’ombre ne l’emporte de toute sa hauteur sur ce qui produit de la lumière. Et à moins de poser Cf. Épiphane, Panarion 66, 14, 12, éd. Holl 1933, p. 37, 15-38, 5. Les manuscrits donnent μάνεντος mais le syriaque (I, 10, 4 : ‫ )ܫܢܝܐ‬a manifestement lu μανέντος. a 

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qui illumine. Même si leur rempart existe, qu’ils ont dit dans leur doctrine risible être au milieu, manifestement le Mal se trouvera habiter dans la Lumière. Comment, en effet, l’ombre existe-t-elle si la Lumière est entièrement tout contre la Matière, à moins qu’on ne trouve quelque chose au milieu qui ne la retienne et ne l’emprisonne tout entière ? Et si ce qui est au milieu n’est pas très élevé et ne dépasse pas, il y aura union constante du Mal avec la Lumière. 11  Ils attribuent encore « le côté du midi au Mal » et, comme dans un rêve, ils délimitent et séparent les lieux de la création avant qu’ils ne soient créés. En effet, où était le midi avant que n’existe le midi ? Et il n’y avait pas, dans la création, d’autre lieu qui fût plus vil que son compagnon. Car les choses qui se trouvent à la gauche de celui qui se tourne vers le couchant se retrouvent à sa droite quand il se retourne et regarde vers le levant. Mais la sottise et la folie sont grandes dans cet enseignement barbare. Car les deux principes, comment peuvent-ils être ou être appelés (principes) ? En effet, est principe ce qui est plus ancien que tout et antérieur (à tout), et contient et domine tout, et cela ne se trouve être le cas pour aucun d’entre eux, selon leur doctrine. En effet, « le temps des deux est égal » et « ils sont des étants », selon ce qu’ils disent. Et on ne trouve pas d’antériorité de l’un d’eux, qui serait antérieur à son compagnon, selon leur doctrine, mais aussi, de par la primauté et la domination de l’un sur l’autre, en tant qu’opposés, non seulement sont-ils complètement annihilés, mais encore se combattent-ils dans leur nature. D’où tiennent-ils alors ce caractère de principe qu’ils sont sensés avoir ? Mais si la raison de principe ne se trouve même pas chez l’un d’eux, à la vérité comment seront-ils appelés du nom de principe ? Et comment encore les opinions et les notions qui sont selon la nature admettront-elles qu’il y ait deux (réalités) opposées dans l’être ? En effet, si, en premier lieu, le nom même d’être appartient à égalité aux deux, donc, en premier lieu, par le fait que « les deux sont des étants », il est évident qu’ils

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de façon irraisonnée le plus ridicule des remparts, il sera évident que le Mal habitant dans la Lumière est lumière. Car comment l’ombre existerait-elle, si la Lumière était tout contre la Matière à moins qu’un (élément) ne s’élève au milieu et, l’emprisonnant complètement, ne la produise ? Si cet (élément) ne se tient pas au milieu et ne s’élève pas le plus qu’il le peut, la Lumière sera éternellement commune même avec le Mal. 11  Une fois encore, « en donnant au Mal la partie située au midi », ils décrivent comme un rêve de la créationa. Car où était le midi avant le midi ? Il ne saurait y avoir un lieu de la création qui soit plus déconsidéré qu’un autre. Car ce qui est situé à gauche pour celui qui regarde vers le couchant se trouve au contraire à droite pour celui qui regarde vers le levant. Mais l’absurdité de cette doctrine barbare est énorme. Car, en bref, comment pourrait-il y avoir deux principes ou comment pourraient-ils être appelés principes ? Car est principe ce qui est plus ancien que toutes choses et qui les régit toutes, et aucune de ces deux caractéristiques ne saurait exister pour l’un et pour l’autre (des deux principes). Car le fait que tous deux soient contemporains et co-inengendrés détruit la notion selon laquelle ils sont antérieurs l’un à l’autre, mais aussi celle de leur puissance principielle, puisque non seulement ces choses se privent l’une de l’autre en tant que contraires mais aussi se combattent par nature. Comment pourrait-on penser qu’ils aient de manière absolue la capacité d’être principe ? Dès lors, si la notion de principe n’est préservée pour aucun de ces deux, comment pourraient-ils être appelés des principes ? Comment les raisonnements conformes à la nature admettraient-ils qu’il y ait deux éléments opposés selon l’être, étant donné, tout d’abord, que La doctrine manichéenne attribue au Mal le sud et au Bien les trois autres points cardinaux : « Le Bien va toujours vers le Haut, s’étendant à l’infini vers le Nord, l’Est et l’Ouest. Le Mal, au contraire, qui tend vers le Bas, n’a d’expansion infinie que vers le Sud » (Puech 1949, p. 75 et les notes 293-299 pour l’indication des sources). Voir Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 152, 14-17 (= Kugener, Cumont 1912, p. 96, 4-9) ; p. 154, 9-18 (= p. 100, 1-102, 4) ; Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 62-65, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 125) ; Jean l’orthodoxe, Disputatio cum manichaeo 9, 35-38, éd. M. Aubineau dans Richard, Aubineau 1977, p. 118 (voir le commentaire de Bennett 2009, p. 36-37). a 

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s’accordent en cela l’un avec l’autre et qu’ils ne sont pas opposés, et puis encore cela : « les deux sont vivants », et encore : « ils sont égaux en cela que leur être ne vint absolument pas à l’existence ». Ceux-là donc, dont les noms sont les mêmes et identique le signe par lequel ils sont connus, de ceux-là comment l’être est-il opposé et dans le combat, alors qu’il se trouve que les noms sont indicateurs des choses mêmes ? En effet, ils montrent au sujet de chaque chose ce qu’elle est, dans la mesure où elle peut être connue. Nous savons donc par cela que les choses sont la valeur des noms. 12  Donc, si les deux opposés, sur lesquels Mani le fou a spéculé, sont nommés « êtres, vivants et étants qui ne sont pas venus à l’existence », n’est-il pas évident que cette erreur a pris son origine chez les barbares ? En effet, chez lui, l’ordre des réflexions et des notions communes est corrompu. En effet, « le signe et la dénomination des deux sont parfaitement dans l’égalité et les mêmes ». Non seulement ce discours écarte tout soupçon d’opposition, mais il ne permet pas non plus de trouver quelque distinction dans les choses qui sont nommées.

Critique des oppositions invoquées par les manichéens pour décrire les deux principes 13  En effet, ils disent : « L’un est bon et l’autre mauvais », et, comme qui dirait, ceux qui ont couru dans l’erreur avec ce fou entreprennent de dire la qualité et l’apparence avant l’être, alors qu’en fait, l’être est nommé pareillement à propos des deux. En effet, ils donnent aux deux le nom de « être, vivant et étant qui ne sont pas venus à l’existence ». Dès lors, le fait qu’ils soient opposés par leurs qualités est superflu. Car, même s’il ne convient pas au sujet de Dieu de nommer la qualité, cependant, par notre raisonnement, de quelque manière, nous concevons que ce qui est est antérieur au fait d’être tel. En effet, ce qui est signifie être, vivant et étant qui n’est pas venu à l’existence, ce qui veut dire que, s’ils ne veulent pas dire que c’est par la suite qu’arriva et se produisit le fait que les

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le nom d’être est commun aux deux – dans la mesure assurément où chacun est d’abord un être, il est clair qu’ils sont en accord et non pas opposés –, ensuite, que tous deux sont des êtres vivants et, en outre, pareillement inengendrés ? Or, ceux dont les noms sont les mêmes et dont la description est la même, comment leur être pourrait-il être contendant et opposé ? Assurément, les noms sont signifiants des réalitésa. Car de chaque réalité ils énoncent ce que chacune est, autant qu’il est possible. Nous connaissons donc, dans la mesure du possible, les réalités grâce à leurs noms. 12  Si « chacun des éléments » conçus comme « opposés » chez Manib est appelé « un être vivant et inengendré », n’est-il donc pas évident, étant donné qu’une telle erreur a pris son origine chez les barbares, que l’ordre des notions communes soit détruit chez eux ? Car la description de chacun est complète et rigoureusement la même, bannissant non seulement tout soupçon d’opposition, mais ne consentant pas non plus à ce que quelque différence existe entre les éléments nommés.

Critique des oppositions invoquées par les manichéens pour décrire les deux principes 13  Ceux qui concourent avec Manic disent que « l’un est bon, l’autre est mauvais  », comme s’ils acceptaient les qualités avant l’être. Car comme l’être est invoqué de la même façon pour l’un et pour l’autre – en effet tous deux sont un être vivant et inengendré –, dès lors le caractère opposé de la prétendue qualité est superflu – car même s’il ne convient pas de nommer une qualité au sujet de Dieu, néanmoins, par la pensée, le fait d’être précède en quelque façon le fait d’être tel, et le fait d’être est signifié par l’expression « être vivant et inengendré » –, à moins qu’ils n’affirment que les opposés surviennent à chacun des deux séparément, ce qui est plus stupide a  Titus professe ici une définition essentialiste des noms, selon laquelle ils reçoivent leur valeur des réalités qu’ils désignent ; voir à ce sujet le Cratyle de Platon ; cf. Baratin, Desbordes 1981, p. 13-34. b  Le syriaque (I, 12, 2) surtraduit (« Mani le fou »). c  Le syriaque (I, 13, 3 : ‫ )ܫܢܝܐ‬a probablement lu μανέντι.

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deux soient opposés, cela est un non-sens sans limite. Car à l’étant qui n’est pas venu à l’existence, rien ne survient par la suite. En effet, celui à qui il n’appartient pas d’être par accident, à celui-là non plus il ne survient pas d’être tel et (d’être) ce qui n’existait pas. Il est donc possible que des qualités opposées se trouvent dans toutes les choses qui sont dans le monde, mais un être opposé ne se trouve nulle part. En effet, le blanc est opposé au noir, et les deux, dans les corps, sont dans le même être. Mais ceux-ci sont d’une certaine manière opposés l’un à l’autre et d’une autre, ils ne sont pas opposés. En effet, ils appartiennent tout d’abord à un seul genre car les deux sont des couleurs. Ensuite, même s’ils paraissent opposés, ils offrent cependant à la vision des plaisirs variés de plusieurs genres. Car aucun d’eux n’afflige non plus cette vision par son (manque de) proportion, mais plutôt la délecte. Mais la vertu et le mal, ces (réalités) qui sont dans l’âme, sont eux aussi comme opposés, et ils sont non seulement nommés dans un même être, mais aussi sous un seul genre, car les deux sont une disposition, et aussi c’est en survenant par la suite qu’ils existent dans l’âme ; voilà pourquoi il arrive aussi que ces (réalités) cessent lorsque l’âme, dans laquelle elles sont, sera autrement en un autre temps. Il est par là évident qu’est différent le discours qui (porte) sur l’être et qu’autre est celui qui (porte) sur (les réalités) qui lui surviennent ensuite. Alors même que le blanc et le noir existent et ne sont pas séparables de ces (corps) dans lesquels ils sont, cependant, bien qu’il en soit ainsi, personne ne nommera jamais ces (corps) à partir des (accidents) qui se trouvent en eux. En effet, personne, voulant dire « lait », n’usera, de préférence au nom qui est apposé à la forme de l’être, de « blancheur », de peur qu’à la place d’une seule (réalité), il ne paraisse en nommer de nombreuses dans lesquelles se trouverait la blancheur. Mais le corbeau aussi, ce n’est pas par « noirceur » que nous le désignons, mais par son propre nom d’animal et par celui de son espèce. Donc, ces qualités et celles qui leur sont semblables ne se séparent pas de ce en quoi elles sont. Quant à la vertu et au mal qui sont dans l’âme, ce sont des qualités qui lui adviennent par la suite, et s’il en est ainsi, il convient davantage que jamais non plus l’être de l’homme ne paraisse être examiné et dit à partir de ces choses, mais il convient que celui-ci soit dit proprement.

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que touta. Car rien n’arrive par accident à un inengendré : en effet, ce à quoi l’être n’est pas arrivé par accident, à cela n’arrive pas non plus le fait d’être de telle ou telle façon, ce qu’il ne saurait être. Il est donc possible de trouver dans les étants une opposition des qualités, mais nullement de l’être. Car le blanc est opposé au noir, mais chacun des deux se trouve dans le corps, selon le même être. Ceux-là cependant sont tantôt opposés l’un à l’autre, tantôt non opposés. D’abord, en effet, ils dépendent d’un même genre, car chacun des deux est une couleur ; ensuite, même s’ils semblent être contraires, cependant ils offrent à la vue le plaisir de façon variée. Car aucun des deux ne chagrine celle-ci par son asymétrie. Mais, de même, la vertu et le mal, dans l’âme, en tant que contraires eux aussi, sont assignés non seulement au même être, mais aussi à un seul genre, car l’un et l’autre sont une disposition, eux qui existent dans l’âme dans la mesure où ils arrivent par accident, d’où il s’ensuit qu’il est possible aussi qu’ils ne surviennent pas, étant donné que l’âme dans laquelle ils se trouvent sera dans un état différent à un autre moment : de sorte qu’il est évident qu’il y a d’un côté le discours concernant l’être, et que celui sur les accidents qui surviennent à l’être est différent. Or, il arrive que le blanc et le noir existent aussi comme inséparables dans les êtres dans lesquels ils sont, et pourtant personne n’a jamais nommé les êtres dans lesquels ils se trouvent d’après eux. Car personne, en voulant signifier « lait », n’a de préférence utilisé le mot de « blancheur » à la place du nom qui se trouve selon l’espèce de l’être, pour éviter qu’au lieu d’une seule chose, on semble en désigner plusieurs qui ont pour attribut la blancheurb. Mais nous ne a  Sur l’emploi par Titus de l’adjectif ou de l’adverbe ἀνοήτως, en relation avec Mani ou ses disciples, voir supra, p. 49. b  Titus recourt ici à la notion d’accident séparable ou inséparable, dont Porphyre a donné une définition qui s’imposera à partir du ive siècle : « L’accident (συμβεβηκός) est ce qui arrive et s’en va sans provoquer la perte du sujet. Il se divise en deux : une sorte est séparable (χωριστόν), l’autre, est inséparable (ἀχώριστον). Dormir, par exemple, est un accident séparable, tandis qu’être noir est un accident inséparable du corbeau ou de l’Éthiopien. Et l’on peut imaginer et un corbeau blanc et un Éthiopien qui perdrait sa couleur, sans que cela provoque la perte du sujet » (Isagogè 5, 1-3, éd. et trad. Libera 1998, p. 15-16). La blancheur du lait est donc un accident inséparable. Il s’agit néanmoins d’une appellation trop large si l’on utilisait plutôt que le terme approprié exactement, ici lait. Il en va de même du mal

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En effet, jamais personne, si on lui demande : « qu’est-ce qu’un homme  ?  », ne le nommera ni ne le dira à partir du mal qui se trouve dans tel individu, mais, quand il aura dit d’abord l’espèce de son être, il nommera ensuite de qui il s’agit et, à la fin, il exposera sa manière (d’être). Donc, la qualité opposée, comme je l’ai dit précédemment, quelqu’un la trouvera dans les (réalités) inférieures, parmi celles qui sont séparables et parmi celles qui ne sont pas séparables. Mais en ce qui concerne Dieu, toute qualité est éloignée de lui, parce que pas même quelqu’une des choses par lesquelles il est appelé n’est quelque chose d’autre en dehors de lui. En effet, il est simple et non composé. Toutefois, en fonction de ce qui est selon les réflexions humaines, ainsi que nous l’avons dit précédemment, ce qui est premier, c’est le fait d’être par rapport au fait d’être tel. C’est pourquoi nous disons comme les choses précédentes (que nous avons dites, à savoir) que, si les deux, dont ils disent qu’ils sont opposés, sont êtres et étants qui ne vinrent absolument pas à l’existence – car ils ne nient pas cela –, les deux seront donc bons, pour que nous (les) nommions plutôt par un nom glorieux, comme à juste titre, à cause de celui qui est vraiment et est seul bon, et la (réalité) opposée que nous avons dite se trouvera n’exister jamais – car nous ne rétorquerons pas contre eux –, ou bien les deux seront mauvais. En effet, l’étant qui ne vint absolument pas à l’existence est parfaitement bon et, si Dieu est un étant qui n’est pas venu à l’existence, est-ce que le fait de ne pas être venu à l’existence est pour lui comme un mal, ou il n’en est pas ainsi mais (c’est) manifestement comme un bien ? Quelle est donc cette distinction, selon laquelle la même chose et le même nom chez Dieu soient bons et beaux, et chez le Mal, comme ils disent, soient au contraire mauvais ? En effet, la différence se retrouve dans les êtres venus à l’existence, la différence et non le (fait d’être) opposé. Or, dans l’être, celui qui n’est pas venu à l’existence, quelle différence peut-on trouver ? À plus forte raison n’y trouvera-t-on pas d’opposé, parce qu’il ne se peut absolument pas qu’un étant soit l’opposé d’un étant. En effet, si (un tel étant) existait, il ne conviendrait pas que quelque chose d’opposé soit en lui ou qu’il soit nommé d’après ce qui lui est opposé, afin qu’en aucune chose il ne soit associé à son contraire. En effet, s’il n’est pas en toute chose parfaitement oppo-

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désignons pas non plus un corbeau par « le noir », mais par le nom de l’animal et de l’espèce. Donc ces qualités et leurs semblables sont inséparables, mais la vertu et le mal appartiennent, dans l’âme, aux qualités qui arrivent par accident, de sorte qu’il convient davantage que l’être de l’homme ne paraisse nullement être qualifié d’après celles-ci, mais que cet être doive être désigné de façon propre. Donc personne n’a désigné ce qu’est un homme à partir du mal qui est en tel homme donné, mais après avoir dit d’abord l’espèce de l’être, puis avoir ajouté aussi qui il est, il exprime par après sa qualité. On pourrait donc trouver parmi les réalités inférieures une opposition des qualités – ce que j’ai dit auparavant –, aussi bien des qualités séparables que des qualités non séparables. Mais, concernant Dieu, toute qualité est rejetée, puisqu’aucune des choses par lesquelles il est appelé n’est autre chose que lui, car il est simple et non composé. Néanmoins, par la pensée, comme nous l’avons dit auparavant, le fait d’être précède le fait d’être tel. C’est pourquoi nous affirmons en résumé que si chacun de ces deux éléments qu’il dit être opposés est un être vivant et inengendré – car ils ne sauraient le nier –, soit tous deux sont bons, afin que même l’opposé dont ils parlent, lequel n’existe nullement, soit plutôt tiré pieusement vers la bonne renommée à cause du Bien qui existe réellement, – car nous ne le contesterons pas –, soit tous deux sont mauvais. Car ce qui est inengendré est complètement bon. De même, Dieu qui existe comme inengendré, tient-il le fait même de ne pas être engendré pour un mal ? Nullement, mais à l’évidence il le tient pour un bien. Quelle est donc cette bizarrerie selon laquelle la même réalité et le même nom soient beaux et bons pour Dieu, mais pour le Mal, au contraire, mauvais, comme ils le disent ? Car en terme de génération, on pourrait trouver une différence, différence certes et non pas opposition ; mais en terme de non-génération, quelle différence et encore moins quelle opposition pourrait-on trouver ? C’est pourquoi il est totalement impossible qu’un inengendré soit opposé à un inengendré. Car si cela était, aucun de ceux-là ne doit ni exister ni être appelé par son opposé, afin qu’il soit distinct en tout de son ou du vice qui peut se trouver en tel ou tel individu : il n’est pas inhérent au sujet et ne peut servir à le définir.

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sé, en ce par quoi il serait associé à son opposé il se trouverait ne pas (lui) être contraire. En effet, ce qui est est opposé à ce qui n’est pas. Mais peut-être qu’il n’est pas cela non plus, car ils ne se trouvent pas en combat (l’un contre l’autre). Mais ce qui est ne peut être opposé à ce qui est. Si donc ce qui est s’accorde à ce qui est, unique est ce qui est et lui seul est en vérité un étant, et il est principe pour toutes choses, et il leur donne d’exister. 14  Mais ceux-là aussi disent : « Il convient qu’en toute chose la Matière soit nommée “ce qui est opposé à Dieu” » de façon que, « si nous appelons Dieu “Lumière”, ce qui lui est opposé nous l’appellerons “Ténèbres”, et si nous le nommons “Bon”, nous nommerons (l’autre) “Mauvais” ». Si donc nous appelons Dieu « la vérité même », il est évident que ce qui est opposé sera appelé « mensonge ». Donc, ce qui est en vérité, comme ils l’imaginent, comment serait-ce mensonge ? En effet, ce qui n’est pas, s’il est dit être, est mensonge. Mais ce qui est en vérité et très véritablement, par le fait même d’être est vrai et n’est pas mensonge. En effet, s’il est dit être, il est vrai, mais s’il n’est pas dit être afin de ne pas être vrai, il ne sera cependant pas dit non plus ne pas être afin de mentir. Mais même s’il disait qu’il n’est pas, il mentirait par une échappatoire parce qu’il n’est pas mensonge. Car, par (le fait même d’)être, il est véritablement. 15  Donc, après cela, s’ils appellent le Bon « incorruptible », ils nommeront le Mal « corruption ». Et cette corruption, de qui estelle corruptrice ? Car il n’est pas possible qu’elle soit corruptrice du Bon. Mais si le Mal se corrompt lui-même, dans cette durée du

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opposé. Car s’il n’était pas complètement opposé dans la mesure où il a des points communs, il ne lui serait pas opposé. Ce qui n’est pas est opposé à ce qui est ; mais peut-être que même ça, il ne l’est pas, car il n’est pas en situation d’opposition. Mais ce qui est n’est pas opposé à ce qui est. Or, si ce qui est se trouve complètement en accord avec ce qui est, il n’y a qu’un seul véritable étant qui soit le principe d’être pour toute chose. 14  Mais ils disent, eux aussi, qu’il faut «  appliquer à la Matière toutes les dénominations contraires à Dieu », par exemple si nous appelons Dieu « Lumière », nous appelons le contraire « Ténèbres », et si nous appelons l’un bon, nous appelons l’autre mauvais. Cependant, si nous appelons Dieu « la vérité en soi »a, il est évident que le contraire sera appelé « mensonge »b. Mais ce qui existe véritablement, comme ils le supposent, comment serait-ce un mensonge ? Car ce qui n’existe pas, s’il était dit exister, serait mensonge. Mais ce qui est réellement et qui est véritablement, étant vrai par le fait même d’être, ne saurait être mensonge. En effet, s’il dit qu’il existe, il le rend vrai ; mais s’il ne dit pas qu’il existe afin de ne pas le rendre vrai, cependant, il n’irait pas non plus jusqu’à dire qu’il n’existe pas dans le but de lui conserver son caractère de mensonge, et même s’il dit qu’il n’existe pas, il ment par la pensée. Ceci (qui est) n’est donc pas mensonge, car, en étant, il est véritablementc. 15  Ensuite, s’ils appellent le Bien «  incorruptibilité  », ils nommeront le Mal « corruption ». Mais de quoi la corruption serait-elle corruption ? Car il est impossible que ce soit du Bien. Si, Sur αὐτοαλήθεια comme épithète de Dieu chez Titus et Basile de Césarée, voir Lampe 1961, p. 268a ; ce terme ne semble pas attesté en dehors du vocabulaire chrétien. b  Cf. Augustin, Contra Fortunatum 14, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 148-149 : « il n’y a nulle ressemblance entre les ténèbres et la lumière, nulle ressemblance entre la vérité et le mensonge ». c  Titus, s’appuyant sur une adéquation être-vérité, démontre ici que la Matière, si elle est en tout point contraire à Dieu qui est vérité, ne peut pas exister dans la mesure où elle serait mensonge, car elle serait alors non-être. Pour sa démonstration, il considère les réactions possibles d’un manichéen qui serait son interlocuteur et le suivrait dans son raisonnement logique. Dès lors, ἀληθεύει (l. 9) et ψεύσηται (l. 10) sont rendus dans le sens de « rendre vrai » et « conserver le caractère mensonger de quelque chose ». Titus distingue deux niveaux : la vérité et le mensonge des réalités, et le discours vrai et le discours mensonger que l’on peut tenir sur elles. a 

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temps qui est depuis toujours, il s’est (déjà) corrompu lui-même et c’est en vain qu’ils imaginent à son sujet, comme par hallucination, qu’il existe. Or, comment se peut-il qu’étant corruption, il soit corruption de lui-même ? En effet, c’est toujours un autre qu’il corrompt et non lui-même. Mais s’il se corrompt lui-même, pas même dès le commencement n’est-il stable. En effet, il commencera par se corrompre lui-même avant même d’exister. Car, comme l’enseignent les notions communes, il n’est pas possible que la corruption passe pour corrompre ce qui est incorruptible. L’étant est donc parfaitement incorruptible et il est éternel, d’où il n’est pas non plus mortel. En effet, l’être est plus élevé que les réalités incorruptibles. Mais si la Matière avait ce (privilège) de n’être jamais venue à l’existence, ce qui est supérieur, comment n’aurait-elle pas aussi ce qui est inférieur, celui de ne pas se corrompre ? Mais si elle est incorruptible en tant qu’éternelle, elle n’est pas non plus corruptrice d’elle-même et il n’est pas possible que son être soit corruptible.

Transition (16-17) 16  Lors, donc, que ceux qui sont les disciples de Mani entendent de telles paroles, lorsqu’ils se sont retrouvés dans le doute, ils commencent à dire  : «  D’où sont les maux  ?  », et  : «  D’où est cette confusion qui apparaît dans les choses  ?  » Mais aussi, peu avant, il a été dit qu’à cause de leur ignorance, parce qu’ils n’ont pas compris l’ordre des choses et l’administration divine, ils se sont négocié pour eux-mêmes la connaissance de l’erreur et du blasphème, car, dans leur ignorance, ils ont imaginé qu’ils avaient connu cette connaissance qui est pire que l’ignorance. Et ce qu’ils cherchaient sous couvert de vérité, ils l’ont perdu avant même

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en revanche, elle était la corruption d’elle-même, elle s’est détruite elle-même dans tous les siècles, et c’est en vain qu’ils imaginent qu’elle existe. Mais comment pourrait-elle être corruption a  ? Car, de toute évidence, elle détruit quelque chose d’autre, non pas elle-même. Si elle se détruisait elle-même, elle n’aurait même pas existé dès le débutb. En effet, on la verra se détruire elle-même plutôt qu’exister. Car il est impossible de concevoir, selon les notions communes du moins, une corruption incorruptible. Or, l’inengendré et éternel est de toute évidence incorruptible, d’où il est aussi immortel ; car l’inengendré est au-dessus de l’incorruptible. Mais si la Matière possède le fait de n’avoir jamais été engendrée, ce qui est supérieur, comment ce qui est mineur ne lui appartiendra-t-il pas aussi, c’est-à-dire de ne pas se corromprec ? Si, en tant qu’éternelle, elle ne se corrompt pas, elle ne saurait être non plus corruption d’elle-même, et elle ne saurait être un être de corruption.

Transition (16-17) 16  Cependant, quand ceux qui s’élancent à la suite de Manid entendent de telles paroles, embarrassés ils demandent  : «  D’où viennent donc les maux ? »e « Et d’où, disent-ils, vient le désordre qui est visible dans les réalités ? » Mais il a souvent été dit que, par ignorance de la disposition des réalités et du gouvernement divin, ils se sont concocté eux-mêmes une connaissance erronée et blasphématoire, par ignorance des choses qu’ils croyaient connaître, Un saut du même au même a occasionné la perte de ἑαυτῆς ἡ φθορά (l. 5), passage qui peut heureusement être restitué grâce à une citation du Florilège d’Étienne Gobar transmise par Photius, Bibliothèque, codex 232, 282b25-26. b  Cf. Épiphane, Panarion 66, 17, 1 (éd. Holl 1933, p. 40, 16-24) ; voir aussi 60, 4, p. 97, 15-19. c  Cf. Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 33, 15-17, éd. Casey 1931, p. 49 : « Comment la Malice pouvait-elle se nuire à elle-même, se faire périr elle-même, s’anéantir elle-même, tantôt dévorant, tantôt donnant naissance, si elle était précisément inengendrée (ἀγένητος) ? » d  Comme les manuscrits grecs, le syriaque (I, 16, 2 : ‫ )ܡܢܝ‬a lu ici μάνεντος. e  Voir supra, I, 4. a 

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de l’avoir cherché. Mais notre discours, en son temps et au sujet de cela même qui est estimé par eux (être) confusion des choses, quand Dieu nous l’accordera, montrera que l’ordre est excellent et admirable, et aussi au sujet de ces choses qui sont dites par eux être des maux, il convaincra de ce que, parmi elles, il en est qui sont seulement dans l’action, et le reste, et aussi qu’aucune d’entre elles n’est mauvaise selon l’être. Car nous rapporterons maintenant quelles sont ces choses qui sont dites par Mani contre Dieu, après celles qui ont (déjà) été dites.

Vue d’ensemble du mythe et remarques méthodologiques 38

17  En effet, « il y avait, ainsi qu’il a dit, un temps où la Matière était désordonnée et engendrait et grandissait et agissait et produisait de nombreuses puissances. Lors donc qu’elle eut grandi, elle s’éleva, sans connaître l’être du Bon. Mais quand elle se fut élevée le plus possible, elle vit la terre et la lumière du Bon, et elle osa pénétrer dans ce qui ne lui appartenait pas. Et le Bon envoya sa puissance », qu’il nomme comme il (le) veut, « afin qu’elle garde les frontières », mais à la vérité, « afin qu’elle devienne un leurre pour que, contre son gré, la Matière ait honte et s’amende. Ce qui se produisit aussi. Car lorsque la Matière vit cette puissance qui avait été envoyée, elle y adhéra dans un grand désir d’amour et, dans une grande violence, la prit et l’avala, et elle fut enchaînée à la manière d’un serpent qui est enchaîné ». En effet, il se sert aussi de cet exemple, parce que, « comme par une incantation, par cette puissance qui avait été envoyée, la Matière fut endormie. Et ainsi,

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(mais) dont la connaissance qu’ils en avaient était pire que de l’ignorance, et en ayant plus véritablement perdu ce qu’ils cherchaient avant même de le chercher, mais notre discours démontrera aussi en temps opportun, si Dieu y pourvoit, que ce qu’ils pensent être un désordre des réalités est l’ordre suprême, et ce qui est appelé par eux des maux, il montrera que les uns sont simplement des actions et que les autres ne sont aucunement des maux selon l’essencea.

Vue d’ensemble du mythe et remarques méthodologiques 17  «  Car il fut un temps où, dit-il, la Matière était désordonnéeb et elle engendrait, s’accroissait et continuait à produire de nombreuses puissances. Or, une fois qu’elle se fut accrue, elle s’éleva, sans connaître l’existence du Bon. Quand, après s’être élevée le plus possible, elle vit la terre et la lumière du Bon, elle entreprit d’attaquer ce qui ne lui appartient pasc. Mais le Bon envoie quelque puissance », à laquelle il attribue comme nom ce qui lui a semblé bon, soi-disant « pour qu’elle garde les frontières », mais à la vérité « pour qu’elle soit un appât en vue d’un amendement contraint pour la Matièred. Et c’est bien ce qui se produisit, car la Matière, après avoir contemplé la puissance envoyée, fut puissamment remplie de désir comme si elle était en amour, et après avoir pris celle-ci dans un grand élan, elle l’avala et fut enchaînée en quelque sorte comme une bête sauvage ». Car ils utilisent aussi cet exemple, en disant qu’« elle a été charmée grâce à l’incantation de la puissance envoyée. De cette façon, dit-il, se produisirent alors À la fin de ce chapitre, le syriaque présente un ajout par rapport au grec. Le caractère désordonné (I, 17, 1 : ἠτάκτει) que Mani attribue à la Matière fait l’objet d’une critique serrée de la part d’Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 6, éd. Brinkmann 1895, p. 10, 19-13, 2 ; voir le commentaire de Villey 1985, p. 220-233. Cf. également la citation rapportée par Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 33, 3-4, éd. Casey 1931, p. 49. c  Cf. Épiphane, Panarion 66, 25, 4, éd. Holl 1933, p. 54, 8-9. d  Cf. Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 174, 3-8 (= Kugener, Cumont 1912, p. 143, 3-145, 2) : « un appât de flatterie et de tromperie » ; cf. Théodoret de Cyr, Haereticarum fabularum compendium I, 26, PG 83, 377c 14 (δέλεαρ καὶ ἄγκιστρον) ; Éphrem, Hypatius, éd. Mitchell 1912, p. 101, 5-24 (= Reeves 1997, p. 235). Le thème de l’appât revient en III, 5 et 6, et IV, 41. a 

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de cette manière, se produisirent le mélange et l’amalgame de la puissance qui fut avalée, qui provient du Bon, et de la Matière qui l’avait avalée. Et ainsi, à partir des deux, fut créé ce monde tout entier par le Bon. En effet, le Mal n’aurait pu concevoir l’origine du monde. Et à partir de là, comme a dit celui-là, parmi les choses il en est de bonnes et parmi elles (il en est) de mauvaises, et le mélange et l’amalgame des deux apparaissent et sont connus à partir de la contrariété des choses d’ici-bas ». Ainsi, il a dit que « l’âme tout entière provient d’une partie du Bon » et (que) « le corps et la chair proviennent de la Matière » et (que) « tantôt (la chair) retient l’âme comme dans une prison et tantôt elle est retenue par elle comme un serpent par une incantation. Et ainsi le Bon a pris la Matière par la ruse et il devint le créateur du monde, alors qu’en rien il ne consentait à créer le monde. En effet, il lui résiste. Mais c’est à cause de l’arrogance du Mal, qu’il a voulu corriger, qu’il prit de telles dispositions, parce qu’il n’a pu extirper des choses visibles le venin du Mal. Que le venin du Mal resta (dans le monde) est visible par la confusion des choses et par le fait, comme il (l’) a pensé, qu’il n’existe pas d’égalité chez les hommes, en cela que l’un est riche et l’autre pauvre, l’un honorable et l’autre infâme », et d’autres choses comme celles-ci. « Mais le dessein et le souci du Bon étaient ceux-ci : libérer l’âme du Mal et en quelque sorte puiser celle-ci hors de la Matière. Et cela se produit par l’intermédiaire de la lune, quand elle croît et quand elle décroît », selon ce que nous pensons qu’il en paraît. «  À la vérité, en effet, selon ce qu’il dit, à la manière d’une cruche, la lune se remplit de cette puissance qui est retenue ici-bas et elle la déverse en direction de son congénère, le Bon ». Bien qu’il n’ait pas parlé en ces

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un mélange et une fusion de la puissance engloutie du Bon et de la Matière qui l’avait avalée, et c’est ainsi que des deux fut créé ce tout, sous l’effet du Bon évidemment : car le Mal n’aurait pas pu pourvoir à la naissance du monde. De là, disent-ils, proviennent les bonnes choses et les mauvaises, ce mélange et cette réunion des deux étant manifestes par l’opposition des réalités d’ici-bas ». Il détermine que « l’âme tout entière appartient à la partie du Bon, et que le corps et la chair appartiennent à la Matièrea, (la chair) tantôt contenant l’âme comme en une prison, tantôt contenue comme une bête sauvage sous l’effet de l’incantation. Ayant ainsi trompé la Matière par ruse, le Bon, dit-il, est devenu créateur du monde, sans qu’il ait pourtant prétendu le créer – car il lui résiste – mais à cause du soulèvement du Mal, qu’il avait prévu de ramener à la raison. Cependant il n’a pas été possible de retirer des réalités visibles le venin du Mal, mais que celui-ci leur resta attaché est démontré par le désordre et », comme il le suppose, « l’inégalité des choses qui nous concernent, à savoir que celui-ci est riche mais celui-là est pauvre, et que l’un a bonne réputation, l’autre mauvaise, et ainsi de suite. Ce qui est vraiment recherché par le Bon est de libérer l’âme du Mal et de puiser en quelque sorte celle-ci hors de la Matière. Cela se produit par la luneb lorsqu’elle croît et décroît », comme nous semblons le voir. « Car en vérité, dit-il, celle-ci, remplie, à la façon d’un vase, de l’être qui est retenu ici-bas, se vide vers le Bon qui lui est apparenté »c. Car même si ce Cf. Épiphane, Panarion 66, 25, 3, éd. Holl 1933, p. 54, 2-4. Cf. 1 Kephalaia 145, p. 148, éd. Funk 1999 : « La lune, que l’on appelle “notre espoir”, existe en tant que trois lunes ». Sur le travail effectué par le soleil et la lune, voir Psaumes du Bêma 219, p. 2, 21-23, éd. Wurst 1996, p. 24 ; dans les Psaumes d’Héraclide 280, p. 101, 20-23, le soleil et la lune sont appelés les deux καμπτῆρες, c’est-à-dire les deux bornes de l’hippodrome cosmique. c  Cf. Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 4, éd. Brinkmann 1895, p. 6, 22-27, 6 ; 22-23, p. 29, 26-34, 17, avec le commentaire de Villey 1985, p. 148149 et 299-307 ; Épiphane, Panarion 66, 25, 7-8, éd. Holl 1933, p. 50, 18-12 ;66, 26, 8, éd. Holl 1933, p. 60, 8-12 ; Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 101-104, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 139). Titus ne mentionne cependant nulle part la roue à douze godets imaginée par Mani (cf. Épiphane, Panarion 66, 26, 6, éd. Holl 1933, p. 59, 8-10 ; 49, 9, p. 87, 2-4 : μηχανὴν … ἔχουσαν δώδεκα κάδους) pour assurer le transfert des éléments lumineux depuis la terre jusqu’à la lune et au soleil. a 

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termes mêmes, cependant, c’est ainsi qu’il a voulu dire ces choses qui ont été dites par nous de façon plus sobre et plus ordonnée. Car grande est chez lui la confusion d’un récit qui n’a pas de force persuasive. Et combien d’autres fables a-t-il donc écrites, à la manière d’une vieille femme (cf. 1 Tm 4, 7), en se servant de la langue araméenne : « Comment est portée la terre ? », à la manière des fables des poètes, et : « Comment se produisent les pluies, qui sont la sueur des archontes de la Matière ? » Or ces fictions et d’autres comme celles-ci, il est superflu que nous les produisions en vue d’une réfutation. En effet, il a caché ses écrits et il les a placés dans les ténèbres parce qu’il a craint la réfutation qui se ferait à leur encontre à partir d’eux-mêmes. Il convient cependant, même si ce qu’il a écrit sur toutes choses par plaisanterie est connu autrement, que nous ne consentions pas à supporter d’étendre notre discours face aux inepties de son discours de folie, parce qu’il aura suffi que

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n’est pas précisément avec ces paroles, c’est néanmoins cela qu’il veut dire, que nous avons dit d’une manière bien plus convenablea. Car, au plus haut point se trouvent chez lui l’étrange et l’invraisemblable dans le récit. Combien d’autres choses, à la manière d’une vieille femme (cf. 1 Tm 4, 7)b, n’affabule-t-il et n’écrit-il pas en utilisant la langue des Syriensc, à savoir « Comment la terre est-elle portée ? »d, sans esquiver le mythe poétique, et « Comment les pluies sont-elles constituées ? », à savoir qu’« elles sont les sueurs des archontes de la Matière »e, tout cela et les sous-produits du même genre issus de ses élucubrations, il serait superflu de les présenter en vue d’une réfutationf. Mais, quant à ce qu’il écrit à Cf. Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 44-45, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 120) : « Tels sont leurs discours, même s’ils n’emploient peut-être pas les mêmes mots ». b  Comme nous l’avons dit (supra, p. 18-19), les deux premiers livres du Contre les manichéens ne recourent pas à l’argument scripturaire, mais on y relève tout de même quelques allusions à des textes bibliques, comme ici et en I, 29, 40-41 (1 Tm 6, 10), II, 11, 1-2 (Gn 1, 26) et II, 36, 28 (Jn 1, 5). 1 Tm 4, 7 est cité à l’encontre des manichéens par Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 35, 1-3, éd. Casey 1931, p. 52. c  Sur la langue de Mani, cf. Acta Archelai 40, 5, éd. Beeson 1906, p. 59, 21 ; Épiphane, Panarion 66, 13, 3-4 (éd. Holl 1933, p. 34, 9-35, 5) ; Ibn al-Nadim, Fihrist 9, 1, éd. Flügel 1862, 102, trad. Dodge 1970, p. 797. Dans la version syriaque (I, 17, 46), l’adjectif ‫ ܐܪܡܝܐ‬sert à désigner la langue syriaque ; cf. Payne Smith 1879, col. 389. d  Pour le mythe de l’omophore, voir Psaumes du Bêma 219, p. 2, 18-20, éd. Wurst 1996, p. 22 ; Acta Archelai 8, 2, éd. Beeson 1906, p. 11, 9-12, 2 ; Épiphane, Panarion 66, 22, 2, éd. Holl 1933, p. 50, 3-6 ; 66, 31, 4, p. 69, 12-70, 2 ; 66, 49, 6, p. 86, 2126 ; 66, 58, 1, p. 94, 20-23 ; Augustin, Contra Faustum 20, 9, éd. Zycha 1891, p. 546, 4-5 (« le grand Atlas ») ; Théodore bar Konai, Livre des scholies XI, éd. Scher 1912, p. 315, 15-16 = Pognon 1898, p. 128, 25-26 et 188-189. Voir Cumont 1908, appendice II, « L’omophore », p. 69-75. e  Sur la pluie, voir 1 Kephalaia 160, p. 398-401, éd. Funk 1999. Cf. Acta Archelai 9, 3, éd. Beeson 1906, p. 14, 6-10 ; Cyrille de Jérusalem, Catéchèse ad illuminandos 6, 34, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 204 ; Épiphane, Panarion 66, 33, 3, éd. Holl 1933, p. 73, 4-9 ; voir infra, II, 56. Ces deux questions, sur l’omophore et sur la pluie, ont toutes les allures d’intitulés de chapitres ; ces titres ne correspondent cependant à aucun des Kephalaia de Berlin, si ce n’est que celui sur l’origine des pluies évoque le titre du kephalaion 160 : « Sur la pluie qui descend » (Funk 2000, p. 398, 31) ou encore le fragment du Trésor cité par Augustin, dans son De natura boni II, 44 (Roland-Gosselin 1949, p. 496-500 ; cf. Cumont 1908, appendice I, « La séduction des archontes », p. 54-68). f  D’après le syriaque, dans une phrase qui manque en grec (I, 17, 50-51), Titus accuse les manichéens de dissimuler leurs écrits, accusation qui revient en III, 80, a 

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nous réfutions le principe même de sa doctrine de folie et d’ignorance pour mépriser les autres choses qui sont siennes. En effet, s’il ne se trouvait pas aussi, à propos du discours sur la providence universelle de Dieu, qu’il soit inclus dans cette question-là par laquelle il convient de montrer que toute chose est établie justement et divinement, et qu’elle manifeste la sagesse indicible de Dieu, il serait ridicule que nous daignions même répondre à ces paroles qui ont été dites par folie, elles qui ont été rassemblées et dites hors des notions communes, et (qui), auprès des sages, portent d’ellesmêmes et en elles-mêmes leur (propre) réfutation. Et il suffirait qu’après n’avoir pas peu montré que, depuis toujours, il ne se peut qu’existent deux principes, à plus forte raison opposés, nous en venions au récit (concernant) l’homme et au reste des créatures. Mais en vérité, rien n’empêche que nous montrions de nouveau, au sujet de ces choses qui ont été dites dans la folie, qu’elles ne possèdent aucune (force de) persuasion.

Critique du mythe (18-42) Le désordre primitif de la Matière 18  «  En effet, comme il a dit, la Matière était naguère désordonnée  ». Et quel était son désordre  ? Était-elle désordonnée en elle-même ou contre un autre ? Car toute injustice contre soi-même n’est en rien une injustice, mais un autre lui est nécessaire, qui lui soit opposé. Donc, elle qui n’avait d’association avec aucun autre, contre qui était-elle désordonnée ? Quelle était la nature de son désordre, ou bien quelle était la raison qui (mena) à sa confusion ? Car « elle engendrait d’abord, comme il dit, et ajoutait et grandissait ». Donc, depuis toujours, en tout temps, sans cesse, elle engendrait. Car de deux choses l’une : ou bien elle faisait cela par sa volonté, à dessein, et maîtrisait sa volonté, ou bien elle engendrait par la nature de la nécessité et il n’était pas de temps où, du fait de sa nature, elle n’était pas contrainte d’engendrer. Mais ils la privent même des réflexions ainsi que de la connaissance et ils la qualifient de nature ignorante. Si donc

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l’envers du bon sens au sujet de chaque chose et qui est connu de tous, il ne faut en aucun cas accepter de développer le discours en un infini bavardage, parce qu’il est suffisant, après avoir dénoncé le point capital de sa folle déraison, de mépriser le reste. Et s’il n’arrivait pas que le discours concernant la providence embrasse nécessairement ce sujet-ci, discours par lequel il convient de montrer que toute chose ordonnée de façon bonne et divine proclame la sagesse indicible de Dieu, il serait assurément ridicule de considérer comme dignes de quelque réfutation les thèses proposées, qui, rassemblées en dehors des notions communes, trouvent leur réfutation spontanée, du moins auprès des gens sensés. Mais il ne suffirait pas moins, après avoir démontré que ne pouvaient nullement exister deux principes et encore moins opposés, de discourir désormais en détail sur l’homme et le reste de la créationa. Cependant, rien n’empêche de voir aussi l’invraisemblance des thèses proposées.

Critique du mythe (18-42) Le désordre primitif de la Matière 18  « Car, dit-il, la Matière était autrefois en désordre ». Quel désordre ? Était-elle en désordre en elle-même ? Ou contre qui ? Car toute injustice ne saurait être injustice contre elle-même, mais elle a besoin de quelqu’un d’autre contre qui elle serait dirigée. Or, elle qui n’avait pas d’association avec quelqu’un d’autre, contre qui était-elle en désordre ? Ou quelle était la raison de son désordre  ? «  S’avançant d’abord, elle engendrait et s’augmentait  », dit-il. Donc elle, qui est éternelle, engendrait éternellement. Car de deux choses l’une : soit en faisant cela par raisonnement, elle était maîtresse de son intention, soit en engendrant par nécessité de nature, il n’y a pas eu un moment où, 5-6. S’il y a une lacune dans le grec, elle pourrait s’expliquer par un saut du même au même occasionné par une double occurrence de ἔλεγχον (l. 53). a  Titus annonce ici le contenu du livre II de l’ouvrage.

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c’est par la nécessité de la nature qu’elle s’écoulait depuis toujours vers cette augmentation et cette addition, dans la mesure où quelqu’un dira qu’il est un espace de temps qui (existe) depuis toujours à partir du moment où elle a été contenue jusqu’à maintenant, il est manifeste que celle qui est un étant engendrait encore des myriades de fois depuis toujours, et qu’en conséquence, il n’y a pas de place pour que quelque chose se renouvelle en ce qui est depuis toujours. Ou bien, en effet, elle se renouvelle en elle-même, comme du fait de la nature, et jamais elle ne cesse ce renouvellement, s’il convient d’appeler cela renouvellement, si bien que jamais il n’y a de commencement temporel pour le renouvellement et la mutation qui lui sont opposés de la part du Bon. Ou bien, si elle agissait en connaissance (de cause), elle possédait raison et connaissance, et la thèse (qui affirme) que « le Mal est ignorance » est réduite à néant. Soit donc dans la connaissance, soit dans l’ignorance, elle s’écoulait et grandissait et devenait arrogante. Quel est le discours qui convaincra que, pendant des siècles éternels (et) des temps sans fin, il la néglige au point qu’elle grandisse et s’exalte ? En effet, « depuis qu’elle fut contenue, selon ce qu’il a dit, jusqu’à maintenant, il n’y a qu’un instant », s’il est comparé à ces temps sans fin qui sont depuis toujours. Car le temps de sa rétention est limité par un début et une fin, mais les temps tout à fait illimités sont comme s’ils étaient depuis l’éternité. En outre, si c’est en (toute) connaissance qu’elle est devenue mauvaise au point de devenir arrogante, comment n’a-t-elle pas compris grâce à cette connaissance qu’elle ne pouvait oser et qu’il n’y avait pas de moyen pour elle de courir et de vaincre la sagesse invincible ? Car c’est à cause de cela qu’ils évitent de reconnaître qu’elle possède réflexion et connaissance afin qu’il y ait place pour leurs fictions concernant l’arrogance du Mal opposé à Dieu. Et comme elle sera conduite par une nécessité ignorante, du fait d’une nature irréfléchie, elle n’attendra pas depuis des temps éternels (et) sans fin pour s’armer et se préparer en forces afin d’accomplir facilement son coup d’audace. En effet, même si elle croissait par ces engendrements qu’elle engendrait, cependant l’ardeur de sa nature ne grandirait pas non plus que s’ajouterait à elle quoi que ce soit dans le mouvement de sa nature et elle n’attendrait pas d’abord de grandir pour ensuite devenir arrogante. Car cela est le fait d’une volonté qui devient mauvaise en (toute) connaissance.

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par sa nature, elle n’a pas été contrainte d’engendrer. Mais ils lui enlèvent et le raisonnement et la connaissance, et introduisent une nature dépourvue de raison. Dès lors, si elle était amenée éternellement, par nécessité de nature, vers les émanations, aussi grand qu’on puisse dire que fût l’intervalle de temps depuis le moment où elle a été limitée jusqu’à maintenant, il serait évident qu’elle, qui est inengendrée, engendrait durant infiniment plus de siècles encore que cet (intervalle), et il n’y aura pas lieu qu’elle, qui est éternelle, innove en quoi que ce soit. En effet, ou bien elle innovera par nature et n’a jamais cessé d’innover, s’il faut appeler cela innovation, de sorte que le traitement du Bon contre elle n’a nullement un début temporel, ou bien, en faisant cela par raisonnement, elle a la raison et la connaissance, et l’hypothèse du Mal dépourvu de raison est renversée. Donc, que ce soit par raisonnement ou par un mouvement dépourvu de raison qu’elle s’est soulevée, quelle est la raison de la laisser aller vers un tel soulèvement durant les siècles infinis ? Car l’intervalle de temps à partir duquel il dit qu’« elle a été limitée jusqu’à maintenant ne serait qu’un instant », si on (le) comparait à l’infinité des siècles passés. Celui-ci, ayant un début et une fin, est en effet délimité, mais (les temps) qui sont totalement illimités sont éternels et inengendrés. Ensuite, si c’est par raisonnement qu’elle devenait mauvaise en vue de son soulèvement, comment l’impossibilité de l’entreprise n’a-t-elle pas été battue en brèche par le raisonnement aussi, dans la mesure où il n’est pas possible de s’attaquer à une sagesse invincible ? C’est pourquoi ils évitent de lui accorder le raisonnement et la connaissance, afin que la fiction du soulèvement contre Dieu puisse avoir une place, et comme elle sera nécessairement conduite par l’ignorance et par une nature dépourvue de raison, elle n’attendra pas pendant des siècles infinis et illimités, en s’armant elle-même et en s’entourant de puissance, pour devenir plus disposée à l’audace. Car si vraiment elle devenait aussi plus abondante par ce qu’elle engendrait, cependant elle n’augmentait en rien l’élan de la nature, et le mouvement naturel de celle-ci ne recevait aucune addition, et elle n’aurait pas attendu d’abord d’être augmentée et de se soulever ensuite de cette façon-là. En effet, ceci relève d’une nature douée de rai-

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Mais encore, comment la croissance adviendrait-elle au Mal du fait de l’augmentation de ses engendrements ? Si, en effet, c’était du fait des choses qu’il engendre qu’il était achevé dans le mal, il n’était pas du tout achevé dans sa malice et il n’était pas dans la perfection du mal. Cependant, si la perfection et l’achèvement se trouvent dans le mal, selon leur discours, les deux sont contraires (l’un à l’autre), et jamais on n’imaginerait que le Mal grandirait par ses engendrements, ni même qu’il acquerrait de la vaillance, étant donné qu’il est ignorant, ni même qu’il conduirait à son propre secours ces engendrements qui proviennent de lui. En effet, il semble qu’avant d’engendrer, le Mal était inachevé non seulement en méchanceté mais aussi dans sa puissance et dans son agir, ce qui est étranger à l’étant. 19  Or il raconte aussi la manière de son arrogance et il a dit : « Ceux qui étaient engendrés par lui se poursuivaient et s’entre-dévoraient, et ils accomplissaient des choses cruelles et sauvages les uns contre les autres. Ils ne furent pas d’abord empêchés de se soulever les uns contre les autres, a-t-il dit dans son discours, jusqu’à ce que, par la suite, ils aient vu la Lumière. En effet, alors qu’ils se poursuivaient les uns les autres et sans le savoir, ils furent cependant vraiment effrontés au point même de monter vers la Lumière ». Qu’y a-t-il de moins convaincant que cela, ou qui (relève) d’une fable plus ridicule, (à savoir) que ceux-là, dont la mère est unique et qui sont liés et joints par la parenté de leur nature, se soulèvent en vain les uns contre les autres, mangent les membres les uns des autres et ne soient jamais restreints dans cet agir qui est le leur ? Ce qui aussi, si c’était vrai, aiderait beaucoup à ce qu’ils se détruisent les uns les autres et ce serait en vain que ce fou ignorant nommerait confusion et désordre ce qui serait un secours. En effet, il appelle cela plutôt confusion et désordre du Mal « qui existait avant le monde », cela qu’il nomme ainsi comme quelqu’un qui souffre pour la Matière et la traite avec ménagement, comme s’« il n’était pas convenable qu’elle se détruise elle-même ». Et comme quelqu’un (qui serait) l’ami de celle-là, il souffre et il est triste au sujet de ces choses par lesquelles elle se nuit à elle-même. Il appelle dé-

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son qui se conduit mal à dessein. Mais comment l’addition des émanations serait-elle aussi une augmentation du mal ? Car s’il parvenait à l’achèvement dans le mal grâce à ce qu’il engendre, le Mal serait inachevé et ne serait pas au sommet du mal. Mais si (le Mal) est parfait et à son sommet selon son propre discours, les deux propositions sont contraires. Le Mal ne semblera nullement s’augmenter par les émanations et il ne deviendra pas plus hardi, puisqu’il n’est pas doué de raison, et il ne prendra pas (ses émanations) pour son propre renfort. Car le Mal semblera avoir été inachevé avant la génération, non seulement pour ce qui est du mal, mais aussi pour la force et l’énergie, ce qui est étranger à un inengendréa. 19  En expliquant la manière de ce soulèvement, il dit  : « Ceux qui sont issus de lui se pourchassaient et se dévoraient les uns les autres, s’infligeant des choses terribles et pénibles  ; et ils n’arrêtèrent pas de se soulever les uns contre les autres », dit-il littéralement, « avant le moment où, longtemps après, ils aperçurent la Lumière. Car poursuivis les uns par les autres, et bien qu’ignorants, ils osèrent néanmoins s’élever même jusqu’à la Lumière ». Et qu’y a-t-il donc de plus incroyable ou de plus fabuleux que cela, à savoir que ceux qui se réclament d’une mère unique et qui sont unis par la parenté de la nature, s’acharnent sans raison les uns contre les autres, dévorent les membres les uns des autres et ne cessent jamais de le faire ? Et même si cela était vrai, il serait préférable qu’ils se détruisent les uns les autres, et c’est en vain que l’insensé nomme désordre ce qui est utile. Car c’est précisément comme « appartenant à ce Mal » qu’il définit « le désordre d’avant le monde », qu’il nomme ainsi comme s’il était chagriné pour la Matière et cherchait à la ménager parce qu’«  il n’était pas convenable qu’elle se détruisît elle-même  ». Et comme un ami (de la Matière), se tourmentant à propos des choses par lesquelles elle se nuisait à elle-même, il nomme désordre ce qu’elle faisait utilement contre elle-même, alors qu’il a  À propos de l’accroissement de la Matière et de son agression contre la Lumière, Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 166, 16-168, 13 (= Kugener, Cumont 1912, p. 128, 6-132, 5), développe une argumentation semblable à celle de Titus.

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sordre ce qu’elle fait pour se secourir elle-même, ce qu’il convenait d’appeler ordre excellent parce que le Mal se corrompt lui-même.

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20  Or celui-là a dit : « Ils étaient désordonnés et se poursuivaient les uns les autres, et quand ils virent la Lumière, ils se calmèrent les uns par rapport aux autres ». La Lumière nuisit donc vraiment à ce qui est secourable si elle a séparé ces mauvais du dommage qu’(ils se faisaient) les uns aux autres et, comme le remède du médecin, a aidé ceux qui se trouvaient dans la maladie. Or en cela, il ne se pouvait que le Bon épargne le Mal de manière à ce qu’il persiste, soit conservé et ne se détruise par lui-même. Car s’il a retenu et empêché celui-là d’être par lui-même corrompu et détruit, manifestement il est son conservateur. Et cela est en vérité confusion et désordre, ce que, pour sa part, il dit « empêcher le désordre de la Matière ». 21  Il dit donc et il écrit aussi dans son discours et dans son livre : « Alors qu’ils se soulevaient les uns contre les autres, ils se sont approchés jusqu’à la frontière et ils ont vu la Lumière, vision belle et admirable. Ensuite, du fait du mouvement qui se trouvaient en eux, dans leur folie, ils ont même délibéré ensemble contre la Lumière à propos de ce qu’ils feraient pour pouvoir eux-mêmes se mêler à son excellence. Et ils ne purent ni imaginer ni penser cela mais c’est dans leur désir, parce qu’ils ont désiré son excellence, qu’ils ont cru qu’elle serait leur proie, et parce qu’ils étaient nombreux, ils se sont rassemblés contre elle pour combattre ». Le fou s’est trompé dans la mesure où il témoigne de choses excellentes et bonnes en faveur des engendrements du Mal. En effet, s’ils ont vu quelque chose d’excellent et de beau, et l’ont aimé et, dans leur désir, ont pensé que (cette chose) serait leur proie, il est évident que leur pensée et leur dessein étaient droits et bons, au point qu’aussi « ils ont déli-

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faudrait appeler «  ordre suprême  » le fait que le Mal se corrompe lui-mêmea .

La vision de la Lumière et le combat 20  Et celui-ci dit : « Ils étaient en désordre et ils se nuisaient les uns aux autres, mais après avoir vu la Lumière, ils se calmèrent ». Donc la Lumière conspira contre l’utile, si du moins elle sauva les mauvais les uns des autres et fit du bien aux malades comme le remède d’un médecin. Il ne convenait pas au Bien de ménager le Mal en vue qu’il se maintînt, qu’il fût sauf et qu’il ne fût pas détruit par lui-même. Car s’il avait empêché celui-ci de se consumer par lui-même, il aurait lui-même ouvertement préservé (le Mal), et ce dont il dit qu’« il a fait cesser le désordre », serait bien plus véritablement désordreb. 21  « Ainsi donc – le livre qui circule chez eux (le) dit littéralement – lorsque, se révoltant les uns contre les autres, ils s’élevèrent même jusqu’aux frontières et virent la Lumière, spectacle très beau et très noble, alors, possédés par le mouvement (qui se trouvait) en eux, ils complotèrent contre la Lumière à propos de ce qu’ils pourraient faire pour se mélanger avec le meilleur. Ils n’étaient pas capables de penser cela rationnellement, mais par désir du meilleur, pensant qu’ils l’auraient comme butin propre, comme ils étaient nombreux, ils se mirent en campagne ». Il ne s’aperçoit décidément pas qu’il attribue aux fils du Mal les plus belles choses de toutes : car s’ils ont vu avec amour le plus beau et le plus noble et si, pleins de désir, ils ont pensé que ce serait un butin propre, il est évident qu’ils avaient raison quant à leur suppositionc, de sorte a  Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 13, éd. Brinkmann 1895, p. 20, 20-21, 1, recourt à un argument identique. b  Sur l’attaque du royaume de la Lumière par les Ténèbres, voir la longue citation donnée par Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 164, 10-166, 15 (= Kugener, Cumont 1912, p. 122, 4-128, 5). c  Cf. Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 9, éd. Brinkmann 1895, p. 15, 9-16, 8, avec le commentaire de Villey 1985, p. 244-247 ; Épiphane, Panarion 66, 58, 9, éd. Holl 1933, p. 95, 17-21 ; le même argument revient en I, 24.

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béré », eux en qui il n’y a pas de connaissance, (pour savoir) « comment ils allaient eux-mêmes se mêler à la Lumière ». Cela est donc le fait de la jalousie que de ne pas leur permettre de jouir de la bonne Lumière qui leur était apparue. Car il n’y a pas de fin à la sottise de ce fou. Il dit en effet qu’ils se soulevaient les uns contre les autres ; il convenait dès lors qu’on les laisse faire et qu’ils se détruisent les uns les autres. Ou si, comme des (êtres) intelligents, ils ont désiré la bonne Lumière, il convenait qu’il leur permît d’en jouir. Car, selon ce qui est conforme à la nature, le désir et l’amour du bien (relèvent) tout à fait de l’intelligence et de la louange, ce dont eux pouvaient jouir, ainsi que Mani le fou le dit dans son livre : « ils ont désiré et aimé ». Ils ne pouvaient, en effet, même en quoi que ce soit, le corrompre. Le Bon est en effet tout à fait tel qu’il ne saurait être détruit ni autrement lésé par ceux qui y participent. 22  « Ils se sont réunis tous ensemble et ils ont combattu ». De quelle manière, puisqu’ils ne connaissent pas celui qui leur était opposé  ? Car leur livre, à partir duquel ils disent ces histoires de la folie de Mani, a dit qu’« ils ne savaient même pas que Dieu habite dans la lumière ni que, s’ils attentaient à la demeure de Dieu, ils ne pourraient se retirer sans dommage  ». Si donc ils ne connaissaient pas celui qui leur était opposé, qui les retenait tout à fait, comment pouvaient-il se rassembler et combattre contre celui dont ils ne savaient pas qu’ils étaient retenus par lui ? Car, ainsi qu’il a dit, il était en effet vraisemblable qu’« ils se soient armés de feu et de ténèbres  », s’ils savaient d’avance qu’ils étaient retenus loin de ces choses qui ne leur étaient pas propres. Mais parce qu’ils étaient tout à fait ignorants, non seu-

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que, alors qu’ils n’avaient pas part à la raison, ils en vinrent même à délibérer sur la façon dont ils pourraient se mêler eux-mêmes à la Lumière. Et le fait de ne pas leur laisser la jouissance du Bien était donc une marque de jalousie. Car le discours de Mania n’a pas de cesse. En effet, s’ils agissaient follement les uns contre les autres, aussi fallait-il justement qu’il les laisse se détruire les uns les autres. Mais s’ils avaient désiré la Lumière en tant qu’intelligents, il convenait aussi de leur accorder la jouissance de celle-ci – car, de toute évidence, le désir du Bien est une chose sensée et louable selon la nature – dont précisément ils pouvaient jouir, comme le dit du moins celui qui rédige les œuvres de Manib : « Étant pleins de désir », mais ils n’étaient pas capables de (le) détruire, car de toute manière le Bien est tel qu’il ne peut ni être détruit ni par ailleurs être victime d’un complot de la part de ceux qui participent de lui. 22  « Tous ensemble ils se mirent en campagne ». De quelle façon, s’ils ne connaissaient pas leur adversaire  ? Car l’écrit même, à partir duquel nous avons exposé les idées de Manic, dit qu’« ils ne savaient ni même que Dieu résidait dans la lumière, ni qu’en ayant attenté à la demeure de Dieu ils n’allaient pas s’éloigner en toute impunité ». Si donc ils ne connaissaient pas le (principe) opposé qui les entravait, il était tout à fait contraire à la raison de se mettre en campagne contre des éléments par lesquels ils ignoraient être entravés. Car il était naturel qu’ils s’arment, comme il dit, «  de feu et de ténèbres  », s’ils savaient d’avance qu’ils étaient tenus à l’écart de ce qui leur était étranger. Mais comme ils étaient complètement ignorants, il relève d’un discours Le syriaque (I, 21, 19 : ‫ )ܫܢܝܐ‬traduit plutôt μανέντος. Le syriaque donne (I, 21, 24 : « Mani le fou ») surtraduit. On notera la différence entre le grec et le syriaque dans l’attribution de l’écrit à Mani (grec) ou à un rédacteur (syriaque). c  Les « histoires » du syriaque (I, 22, 3), au lieu du neutre grec (l. 3 : τὰ παρὰ τοῦ Μάνεντος), font-elles référence à un écrit ou à un récit mythologique ? On se rappellera que Mani a composé un ouvrage intitulé Πραγματεῖα, qui serait en fait un cycle de légendes mais dont on ne connaît presque rien. D’après M. Tardieu, « Mani composa ce recueil de légendes pour répondre au besoin de curiosité de fidèles avides de savoir “comment les choses s’étaient passées au premier commencement du monde” » (1997, p. 56 ; sur cet ouvrage, voir également Wurst 2005, p. 261-262 : « le plus énigmatique de tous les écrits de Mani »). a 

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lement ce discours est-il sans persuasion, mais il est tout aussi évident qu’il se combat lui-même. Il écrit en effet qu’« ils s’armaient et se rassemblaient en vue du combat » contre quelqu’un dont ils ne s’attendaient pas du tout qu’il se lève contre eux. Ce discours ne se contredit pas peu lui-même au point qu’une fois il dit qu’« ils ont ardemment désiré la Lumière », et qu’une (autre) fois il avoue que « ceux-ci ont usé d’un plan de combat contre elle ». Car quiconque combat arbore l’armure de combat contre celui qui s’oppose à lui et non contre celui qu’il désire par amour comme (prix) de la victoire. Si donc, selon leur ignorance, il n’y avait personne qui se dressait contre eux, comment le fait de désirer n’est-il pas contradictoire avec celui de combattre ? Mais surtout, comment cela n’est-il pas aussi en guerre contre lui-même, si ceux qui ne furent jamais en paix les uns avec les autres dans les choses relevant de leur nature conspirèrent et s’accordèrent les uns avec les autres sur celles qui étaient en dehors de leur nature ? En effet, « ensemble », selon ce qu’il a dit, « ils tinrent conseil contre la Lumière  ». Mais ceux qui se dévoraient les membres les uns des autres et jamais non plus n’en eurent fini avec leur folie qui les opposait les uns aux autres, comment en ces choses qui étaient hors de leur nature s’accordaient-ils les uns avec les autres, à la fois dans la convoitise et dans la colère, contre l’(être) excellent ? Mais si la vision de la Lumière leur fut agréable, comment ne convenait-il pas que, comme par le Bon, ils fussent admis au changement complet de leur nature par la concession de la jouissance de l’excellence de la Lumière ? Mais comment la vision de la Lumière qui leur est apparue leur fut-elle profitable, à eux qui s’étaient rassemblés pour combattre contre la Lumière, eux, donc, dont la folie, quand elle s’exerçait à bon droit les uns contre les autres, avait été retenue et s’était retournée de manière inconvenante contre ce qu’ils désiraient ? Mais grandes sont la sottise et la folie qui se trouvent dans ces fictions, et ces choses-là apparaîtront autrement aussi ne pas se tenir par elles-mêmes. En effet, ils usent de l’appellation « terre du Bon ». Quelle est donc celle-là qui existait avant la création ? Car chez eux, les noms précèdent la venue à l’existence des choses. En effet, avant que ce fou de Mani ne confesse que Dieu a créé les choses créées, il a dit

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non seulement sans persuasion, mais aussi clairement contradictoire, de décrire « un armement et une armée » (dirigés) contre quelqu’un dont on ne s’attend pas du tout à ce qu’il résiste. Il n’est pas moins contradictoire tantôt de dire qu’« ils ont du désir pour la Lumière », tantôt de convenir que « ceux-ci ont fait des préparatifs de guerre contre elle ». Car, manifestement, tout ennemi s’équipe d’un armement de guerrier contre son adversaire, mais non pas contre ce qu’il désire comme prix de la victoire. Or si, en vertu de leur ignorance, il n’y avait pas d’adversaire, comment le fait de désirer ne serait-il pas contraire à celui de combattre ? Comment ceci même ne serait-il pas tout à fait en contradiction avec lui-même, si du moins ceux qui n’ont jamais été d’accord dans les choses qui relèvent de leur nature se sont accordés les uns avec les autres ? Car c’est bien « ensemble, dit-il, qu’ils ont comploté contre la Lumière ». En effet, ceux qui se nourrissaient des membres les uns des autres et qui n’avaient jamais cessé leur folie les uns contre les autres, comment dans ces choses contre leur nature se sont-ils accordés entre eux contre le meilleur pour le désir en même temps que pour la colère ? Et si la contemplation de la Lumière leur avait été avantageuse, comment n’aurait-il pas fallu qu’ils fussent conduits par le Bien vers l’ultime changement de leur nature par la concession de la jouissance accomplie du meilleur ? Comment la contemplation de la Lumière qui était apparue leur a-t-elle été avantageuse alors qu’ils s’étaient mis en campagne, eux pour qui celle-ci avait consenti à ce que la folie n’agît plus les uns contre les autres comme il convenait, mais l’avait détournée contre elle-même à l’encontre du convenable ? Grande est la sottise dans ces fictions, mais l’on pourrait montrer d’une autre façon encore que celles-ci sont irrémissibles. En effet, ils usent de l’appellation « terre du Bon ». De quelle sorte celle-ci peut-elle donc être avant la création ? Chez eux, décidément, les noms des réalités précèdent leur genèsea. Car, avant de confesser que Dieu a créé, l’insupportable fou dit qu’existe ce qui n’est pas encore Cf. Augustin, Contra Felicem manichaeum 1, 17, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 684-685 (« D’où possédait-il cette terre ? L’a-t-il faite ? Engendrée ? Lui était-elle égale et co-éternelle ? J’entends cette terre qu’il dit lumineuse et bienheureuse »). a 

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qu’il y avait quelque chose quand il n’y en avait pas encore. Car la terre, si elle est bel et bien venue à l’existence, existait. Mais si elle existait sans être venue à l’existence, elle était un autre étant avec Dieu. Et la terre, était-elle nécessaire à Dieu quand il n’en usait pas ? Mais sottement, sans réflexion, il nomme « la terre » avant de dire son existence. Car il n’est pas non plus possible, avant la création, de témoigner de l’existence de celle-ci. 23  Puis, de nouveau, cela aussi : cette lumière sensible, qui est visible pour les sens, est une œuvre de Dieu. Quant à Dieu, il est lumière intelligible, invisible, et non sensible et visible. Donc, « le Mal a vu la lumière du Bon ». Mais s’il a vu cette lumière visible et sensible, le monde n’était pas encore et le monde n’était pas encore venu à l’existence. Comment a-t-il vu quelque chose qui n’était pas encore venu à l’existence ? En effet, puisque l’homme, qui use de la lumière, n’était pas encore venu à l’existence, à qui la lumière servait-elle ? Ce qui existe en raison de son utilité est apparenté à celui qui s’en sert. En effet, ce n’était pas à Dieu qu’elle servait, lui qui est au-dessus de toute participation aux sens. Mais si (le Mal) a vu Dieu, lui qui est lumière intelligible (et) invisible, alors, c’est parce qu’il a vu ce qui lui était semblable, pareil à lui par sa nature, et donc, à cause de cela, il est nécessaire qu’il ait vu une lumière visible. Mais ce dont l’utilité se trouve dans le sens, pourquoi cela existait-il avant les sens et sans les sens ? Mais en vérité, comment les Ténèbres peuvent-elles voir la Lumière ? Si, en effet, (le Mal) a vu la Lumière, il ne peut plus être Ténèbres. Car la participation est grande entre la sensation et le sensible. En effet, selon ce qui est dans la nature, la vision se porte vers quelque chose de visible parce qu’elle est semblable à ce qui est visible et, aussitôt, elle en reçoit facilement l’image selon la participation de la loi de la nature. En effet, le corps voit le corps et ce qui est semblable se porte vers son semblable, et il n’est pas possible que ce qui, par sa nature, est excellent et sublime soit visible à la faculté visuelle d’une nature qui lui est inférieure, encore moins à ce qui lui est opposé, à lui, l’invisible. Mais si ce qui est élevé par sa nature, tout en n’étant pas opposé, si ce n’est en tant qu’incorporel, n’est aucunement visible pour celui qui est inférieur parce que corporel, comment ce qui est contraire (sera-t-il visible) à ce qui lui est opposé ? S’il (le) voit, n’est-il pas son congénère et son ami, et nulle-

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venu à l’existence. En effet, si la terre était venue à l’existence, elle existait. Mais si elle existait sans être venue à l’existence, elle était inengendrée au même titre que Dieu. Car quel besoin Dieu avaitil de la terre, s’il ne se servait pas de la terre ? Mais à l’encontre du bon sens, il utilise l’appellation « terre de Dieu » avant de dire que celle-ci existe. Car il n’était pas possible de lui accorder sa venue à l’existence avant la création. 23  Ensuite la lumière sensible est une création de Dieu, tandis que lui-même serait lumière intelligible, non pas sensible. Donc « le Mal vit, dit-il, la lumière du Bon »a. S’il s’agissait de la lumière sensible, et qu’il n’y avait pas encore de monde ou de naissance du monde, comment a-t-il vu ce qui n’existait pas encore ? Car à qui serait utile la lumière si l’homme n’existait pas encore pour s’en servir ? Les choses utiles, en effet, vont de pair avec celui qui s’en sert. Car ce n’est assurément pas à Dieu qu’elle était utile, lui qui est exempt de toute participation sensible. Si, en revanche, il a vu Dieu même, qui est lumière intelligible, sans aucun doute a-t-il vu le semblable grâce à une ressemblance de nature ; par conséquent il est nécessaire qu’il ait vu une lumière sensible. Mais en vertu de quoi (la lumière) sensible existait-elle avant les choses sensibles  ? Comment, cependant, les Ténèbres voient-elles la lumière  ? Car si elles ont contemplé la Lumière, elles ne seraient pas Ténèbres : la sensation est en effet en étroite communauté avec le sensible. Car la projection est liée à la nature, par ressemblance de la vue vis-à-vis de ce qui apparaît  ; aussitôt (la projection) en modèle l’empreinte en raison de la communauté conforme à (la loi de) la nature. Car le corps voit le corps, le semblable se projette vers le semblable et il n’est pas possible que les yeux d’une nature inférieure – à plus forte raison d’une nature contraire – contemplent ce qui est meilleur et élevé par nature ; mais si ce qui est élevé par nature, bien qu’il ne soit pas opposé, sauf du fait qu’il est incorporel, n’est aucunement visible à qui (lui) est inférieur parce que corporel, l’opposé sera Sur la vision (impossible) de la Lumière par le Mal, cf. Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 168, 14-22 (= Kugener, Cumont 1912, p. 132, 6-133, 9) ; p. 171, 3-11 (= p. 135, 5-136, 7). a 

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ment son opposé ? Mais cette fiction des fables barbares est remplie de nombreuses corruptions. Il dit en effet que non seulement « la Matière a » vraiment « vu la Lumière », mais aussi qu’« elle a voulu l’envahir », comme quelqu’un qui aurait le souci de montrer la participation de celle-ci avec la Lumière. Peut-être aussi se sont-ils repentis, ceux qui (seraient issus) d’elle, qui, en ces temps anciens qui sont depuis toujours sans fin, n’avaient pas connu la Lumière et ne s’étaient pas approchés d’elle. De quelle façon, d’une part, les Ténèbres barbares désirent-elles et aiment-elles la Lumière ? Ou pourquoi veulent-elles s’approcher de celle-ci ? Est-ce pour changer leur nature et devenir elles-mêmes lumière, ou peut-être pour se nourrir de lumière, d’une nourriture opposée à leur nature ? Si ce n’est que c’est sans (la) connaître qu’elles ont voulu l’envahir. Et si (la Matière l’)avait connue, elle aurait eu une raison, à savoir d’être changée. Mais parce que, comme il a dit, elle est, par sa nature, mauvaise et de plus ignorante, cette thèse est de ce fait complètement détruite parce qu’elle n’a pas échappé à ce qui lui est opposé. 24  Mais cela est grande folie et sottise, à savoir qu’« une puissance fut envoyée par le Bon », non pas une lumière sensible mais, comme il a dit, « la propre émanation de Dieu. Quand la Matière la vit, elle l’aima comme par désir et elle se précipita vers elle avec véhémence, l’avala et la partagea à ses propres puissances ». Et celle qui ne pouvait même pas voir ce qui avait été envoyé depuis la nature du Bon, « celle-là a même pu l’avaler ». Car j’userai davantage de ce même raisonnement, parce que, même s’il se trouve qu’elle n’a fait que voir ce qui procède et se répand à partir de la nature de Dieu, un autre raisonnement ne nous sera pas nécessaire pour la réfutation et pour l’anéantissement de cette fiction. Il semble en effet qu’elle ait vu, en tant que semblable à elle, ce qui lui ressemblait. Car ce qui, par sa nature, est constamment contraire et tout à fait et parfaitement opposé, ce qui lui est opposé ne peut ni le voir ni s’en approcher, sinon le discours qui les oppose sera tout à fait anéanti, même s’il ne fait que le voir. Et ce qu’encore il ajoute à ces choses qui ont été dites, qui est plus sot qu’elles, se combat si puissamment lui-même qu’il n’est nécessaire à personne de dire autre chose contre lui. Il a dit en effet : « La Matière a désiré cette puissance qui lui était apparue », comme si elle avait oublié com-

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donc précisément invisible à son opposé, si tant est qu’il existe. Ne seront-ils pas parents et amis et nullement contraires ? Mais la fiction du barbare est pleine de destruction ; car il dit non seulement que « la Matière a vu » mais aussi qu’« elle a décidé de monter », comme s’il montrait quelque zèle en vue de cette démonstration de communauté avec la Lumière. Peut-être aussi que ceux qui viennent d’elle se repentirent parce qu’ils avaient été sans expérience de la Lumière pendant les siècles infinis précédents. Et de quelle façon les Ténèbres s’approprient-elles la Lumière ? Ou à cause de quoi veulent-elles assaillir celle-ci ? Est-ce afin de changer de nature et de devenir lumière ? Ou pour être nourries par la Lumière, d’une nourriture opposée à leur nature ? Mais (la Matière) voulait monter alors qu’elle est ignorante. Cependant, si elle avait su, le fait de s’approprier (la Lumière) aurait une justification ; mais le fait qu’elle ne fuie pas le contraire, alors qu’elle est le Mal par nature et qu’elle est ignorante, est un renversement complet de la thèse. 24  Mais folie plus grave encore : la puissance envoyée depuis le Bien, qui n’est pas encore une lumière sensible mais pour ainsi dire une émanation de Dieu, quand (la Matière) la voit, elle la désire comme si elle l’aimait, s’élance, l’avale et la partage à ses propres puissances. Et celle à qui il était impossible même de contempler ce qui avait été envoyé depuis la nature du Bien, il dit qu’il lui était même devenu possible de « l’avaler ». En effet, j’utiliserai davantage encore le même raisonnement, à savoir que même si elle n’avait fait que voir ce qui a émané de l’essence de Dieu, nous n’aurions pas besoin de quelque autre raisonnement pour le renversement de la fiction. Car, de toute évidence, en tant que semblable, elle a vu ce qui lui était semblable. Car ce qui est tout à fait opposé selon la nature et qui atteint à la plus haute opposition ne saurait voir l’opposé ni l’approcher, puisque le concept de l’opposition s’en trouve complètement détruit, même si elle ne faisait que le voir. Et il ajoute ceci d’encore plus étrange que ce qu’il a dit précédemment, se contredisant puissamment lui-même, de sorte que personne d’autre n’a besoin de parler contre lui. Il dit en effet : « Elle aima la puissance qui était apparue », comme si elle avait complètement oublié sa

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plètement sa (propre) nature, non pas elle, qui n’existe pas, mais c’est ce fou qui a oublié ses (propres) fictions. Si en effet, avant que celle-ci ne devienne arrogante, il a dit à son sujet qu’il n’y avait pas en elle la connaissance du Bon, de manière à ne pas louer par la connaissance du Bon la nature du Mal qu’eux ont forgée, comment n’est pas stupide le fait que celle-là même qui ne possède pas par sa nature la connaissance pour connaître que le Bon existe, celle-là puisse le voir et, après l’avoir vu, le désirer ? Car le fait qu’elle voie son être par sa (propre) vision est incomparablement supérieur au fait qu’elle sache qu’il existe. Car non seulement nous, mais aussi les puissances qui, parmi les anges, sont (les plus) élevées, nous savons que le Bon existe et par cette seule connaissance nous sommes nourris en vue de son adoration. Il est évident aussi que les anges, comme ils sont plus élevés que nous par nature, sont plus élevés aussi en connaissance. Or que nous voyions l’être de Dieu, cela ne nous est pas permis non plus qu’à eux. Mais à nous il n’est pas permis non plus de voir les anges dans la mesure où nous sommes revêtus de ce corps propre à notre nature. Cela est en effet évident, et tout homme reconnaît que tout ce qui voit, voit ce qui lui est semblable. Mais si quelqu’un d’étranger à la connaissance imagine que ce qui a été dit est faible – car nous voyons le soleil ainsi que la lune et les étoiles aussi bien que les pierres et l’or et l’argent, en bref la terre, la mer et tous les animaux, et nous ne leur sommes pas semblables –, que celui qui dit de telles choses apprenne cependant que, même si les formes qui ont été énumérées sont distinctes, (pour) toutes, néanmoins, leur nature et leur genre sont un, ce sont en effet des corps. Or, dans l’être, il y a ce qui est invisible en tant qu’incorporel et il y a ce qui est visible en tant que corporel. La première division distingue donc toutes ces choses en tant qu’appartenant à un seul genre qui est le corps. Le corps voit donc le corps, et en cela qu’il est corps, ce qui voit est semblable à ce qui est vu et de même espèce que lui, même si leurs formes diffèrent à cause de l’ornement et de la diversité du tout. Ce serait en effet ridicule si l’éclat de l’or, parce qu’il est agréable à la vue, et l’apparence de la cendre, parce qu’elle n’est pas agréable, n’étaient pas appelés tous deux couleurs, ce qu’ils sont en vérité. Les deux sont en effet des couleurs, même s’ils sont différents. En effet, la vision est pareille-

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propre nature ; or, ce n’est pas elle, qui n’existe pas, (qui a oublié sa nature), mais eux leurs propres fictions. En effet, s’il dit que la (Matière) n’a pas eu connaissance du Bon avant de se soulever, afin de ne pas célébrer par la connaissance du Bon la nature calomniée par lui, comment ne serait-il pas contraire à la raison que celle-là même qui n’a pas en elle la connaissance que le Bien existe, puisse le voir et, après l’avoir contemplé, le désirer ? Car il est incomparablement plus grand de voir l’essence par la vue que de savoir qu’elle existe. Par exemple, non seulement nous, mais aussi les puissances les plus élevées des anges, nous savons que le Bien existe, nous qui sommes nourris par la connaissance et par elle seule en vue de la piété, les anges étant de toute évidence plus élevés dans leur connaissance, autant qu’ils le sont également par leur nature. Mais ni à nous ni à eux, il n’est donné de voir Dieu selon son essence, quand il ne nous est pas même permis de voir les anges eux-mêmes, dans la mesure où nous sommes revêtus d’un corps selon la nature. Car il est évident et clairement reconnu que celui qui voit quelque chose, le voit parce que semblable à lui-même. Et si quelqu’un, par manque d’éducation, pensait que ce qui a été dit est faible – nous regardons en effet le soleil, la lune, les étoiles, encore plus près de nous les pierres, l’or, l’argent et, tout ensemble, la mer et tous les animaux, et nous ne leur sommes pas du tout semblables –, qu’il apprenne que, même si les espèces de ces choses qui ont été dénombrées sont différentes, le corps est cependant le genre suprême d’elles toutes. Car de l’être, il y a d’une part ce qui est invisible, en tant qu’incorporel, et d’autre part ce qui est visible, en tant que corps. La première division délimite donc toutes ces choses comme si elles appartenaient à un genre. Donc le corps voit le corps, et selon le fait qu’il est corps, ce qui voit est semblable et de même genre que ce qui est vu, même si les formes de ces choses sont différentes en raison de la diversité et de l’ornementation qui sont présentes en tout. Or, il serait tout à fait ridicule que l’éclat de l’or, puisqu’il apparaît comme très beau à la vue, et l’absence d’éclat de la cendre ne soient pas nommés l’un et l’autre – ce qu’ils sont réellement aussi – couleur : car l’un et l’autre sont une couleur, même s’ils sont différents. C’est la même vue qui s’associe pareillement à

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ment associée aux deux. Ainsi donc tous les corps qui existent sont visibles. Même s’ils sont distincts et différents quant à leur forme, rien n’empêche de dire que des corps sont meilleurs que d’(autres) corps mais ce sont néanmoins tous des corps. Voilà pourquoi, surtout, ce qui est vu n’est pas non plus adoré par celui qui le voit parce qu’il est appréhendé par lui. Si donc la Matière a vu ce qui provient de l’être de Dieu, c’est parce qu’elle lui ressemblait beaucoup et était son congénère qu’elle est venue à sa contemplation. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus contre ce récit qui n’a ni sens ni ordre. Mais si elle a désiré cette puissance qui lui est apparue, ce qui est plus excellent que tout, ce fou a témoigné en sa faveur, alors qu’il a paru lui avoir imposé le nom de Mal, et il a reconnu que l’être (de la Matière) est bon. Car quelle meilleure démonstration y a-t-il au sujet de la beauté du bien que le fait qu’il ait désiré le Bon ? 25  Or il a dit à son sujet : « Elle l’a prise et l’a avalée », de manière à ce qu’aussi elle devienne effectivement grosse de l’être de Dieu qui lui est opposé, et « elle l’a partagée entre ses propres puissances ». Ô combien grande est la stupidité de ce fou qui dit : non seulement « elle l’a vraiment vue » mais encore « elle l’a désirée », non seulement « elle l’a désirée » mais encore « elle l’a avalée », non seulement « elle l’a avalée » mais encore « elle est retenue par elle ». Mais toutes ces choses empruntent manifestement des natures opposées et les annulent, et elles reconnaissent parfaitement et excellemment que les deux sont de (même) espèce. Si, en effet, c’est parce qu’elle s’emportait – ce qui est une démonstration de connaissance –, ou encore parce qu’elle désirait qu’elle a avalé ce qui lui était apparu, celle-là appartient manifestement à une nature qui a communion avec son congénère. Car s’ils étaient tout à fait contraires, jamais ils ne s’accorderaient ni ne s’uniraient l’un à l’autre.

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chacun d’eux. Ainsi, assurément, tous les corps sont visibles, même s’il les dit différents par l’apparence. Et si des corps sont supérieurs à d’autres, rien ne s’y oppose, du moment que tous sont des corpsa : c’est pourquoi celui qui voit n’a surtout pas à se prosterner devant ce qui est vu, dans la mesure où cela est appréhendé par lui. Si donc la Matière a vu ce qui provient de l’essence de Dieu, c’est qu’elle était venue à sa contemplation par une très grande parenté et ressemblance, et il ne serait pas nécessaire d’en dire davantage contre ce mythe incohérent. Et si elle a désiré ce qui est apparu, le sot lui a attribué ce qui est mieux que toute autre chose, de sorte qu’il semble avoir imposé le nom de Mal alors qu’il lui reconnaît une bonne essence : car qu’y a-t-il de plus grand pour la démonstration de la bonté que le fait de désirer le Bienb ? 25  « Elle l’a vue, dit-il, et saisie et avalée », au point d’être grosse de l’essence contraire de Dieu, et « elle l’a partagée avec ses puissances propres ». Ô folle déraison ! Elle ne l’a pas seulement vue mais aussi «  désirée  », et ne l’a pas seulement «  désirée  » mais aussi « avalée », et ne l’a pas seulement « avalée » mais « la contient » aussi. Tout cela, clairement, ne définit pas le caractère contraire de la nature, mais accorde aux deux la parenté la plus haute et la plus élevée. Car que ce soit par colère – ce qui est une manifestation de raisonnement – ou par désir qu’elle a avalé ce qui était apparu, ces choses auraient ouvertement communauté de nature. Car s’ils avaient été contraires au plus haut degré, en aucune façon les deux ne se seraient unis.

Le syriaque (26, 56-59) est ici assez différent du grec. Cet argument figure déjà chez Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 9, éd. Brinkmann 1895, p. 15, 9-16, 8, trad. Villey 1985, p. 69 ; cf. supra, I, 21. Cf. Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 160, 8-10 (= Kugener, Cumont 1912, p. 113, 3-6) : « Celui qui est mauvais par essence, comment désirerait-il le Bien, parce que quelqu’un désire aussi ce qu’il est capable de recevoir ? Et celui qui est mauvais par nature ne peut pas avoir part au Bien » ; Éphrem, Hypatius, éd. Mitchell 1912, p. 2, 16-13, 2 et 71, 11-28 (= Reeves 1997, p. 226-227). a 

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26  Mais le barbare n’a pas encore compris cela, que la puissance qui a été envoyée par Dieu, si elle est incorporelle, n’admettait aucune séparation ni partage, et qu’elle ne pouvait jamais être partagée dans son être entre les puissances qui lui sont opposées non plus qu’avalée. En effet, ce qui est incorporel, de quelle manière sera-t-il avalé ? Mais si elle est un corps, (il faut savoir que) tout corps qui est découpé et sectionné est de quelque manière tué et réduit à néant, et (qu’)il ne peut à nouveau raviver sa vie. Si donc la puissance qui a été envoyée par le Bon était incorporelle, elle n’avait moyen ni d’être avalée ni d’être partagée entre plusieurs, et leur fable est ainsi tout à fait anéantie et réduite au silence. Mais si elle était un corps, elle a été découpée et tout à fait corrompue par le Mal, ce qui est grandement cruel et mauvais en vue de l’opprobre du Bon, mais en fait grandement puissant en vue de l’anéantissement et du renversement de leur fable. Car un corps, quel qu’il soit, qui a été en lui-même sectionné et dispersé – car l’intellect n’est pas sécable –, quelle puissance y a-t-il en lui pour soumettre le Mal et le vaincre, lui qui a supporté dans sa propre nature une douleur et un opprobre tels qu’on pensât qu’il avait péri et avait été détruit ? Car cela est le propre d’un corps qui est sectionné et partagé. 27  Cela, cependant, est quelque chose d’encore plus sot et plus insensé que ces choses, (à savoir) que « Dieu, voulant délivrer sa terre du Mal, a livré tout nu à un méchant opprobre et à la corruption ce qui provient de sa propre nature et ce qui provient de son être ». Pendant un si long temps, il est retenu par le Mal et y habite, et il s’unit à lui et pèche avec lui. Le fait que l’être de Dieu souffre, ne serait-ce qu’une seule heure ou une fraction de temps, au point de se soumettre au Mal et de pécher avec lui, est plus sot et pire que toute chose. Combien eût-il été préférable que la terre fût livrée plutôt que fût retenu l’être de Dieu ! En effet, s’il n’a pas supporté l’arrogance de la Matière qui (se trouve) dans le désordre ni sa venue contre la terre, combien plus ne supportera-t-il cela, cet esclavage et cet asservissement de quelque chose qui provient de la nature de Dieu, et non pour un bref moment mais depuis l’éternité sans fin, de sorte que lui, le Mal, ne mette un terme à ses

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26  Mais le barbare, en plus du reste, n’a pas vu non plus ceci, à savoir que la puissance envoyée par Dieu, si elle était incorporelle, n’aurait admis aucune division, de sorte qu’elle ne peut nullement être divisée selon l’essence entre les puissances contraires ni, assurément, être avalée. Car de quelle façon ce qui est incorporel pourrait-il être avalé ? Si, en revanche, elle est corporelle, (elle suit le principe selon lequel) tout corps sectionné et réduit en morceaux est en quelque façon détruit et ne peut plus vivre sa vie propre. Donc, soit la puissance envoyée par le Bon était incorporelle et elle n’a nullement été ni avalée ni divisée entre plusieurs – et, de cette façon aussi, le mythe s’arrête complètement –, soit elle était quelque puissance corporelle et elle a été complètement détruite et a péri du fait du Mal, ce qui est plus insupportable comme outrage au Bon, mais bien plus efficace pour le renversement du mythe. Car un corps, s’il est partagé et dispersé dans son être même – car l’intellect ne se partage pas –, quelle force a-t-il, pour soumettre le Mal, lui qui a supporté un tel dommage et une telle injure contre sa nature propre, au point de sembler être anéanti et perdu ? Car c’est là le propre d’un corps sectionné. 27  Mais il serait encore plus insensé si Dieu, ayant voulu délivrer la terre du Mal, avait livré tout nu à un pénible outrage et à la corruption de son essence même ce qui provenait de sa propre nature, étant établi pendant tout ce temps pour vivre avec le Mal, participer de lui et pécher avec lui ; or, dire que l’essence de Dieu aurait subi cela ne fût-ce que pendant une seule heure ou une fraction de temps, à savoir qu’elle était soumise au Mal et péchait avec lui, serait même plus irraisonné que touta. Et combien était-il préférable que la terre fût livrée et non que l’essence de Dieu fût retenue ? Car si l’attaque (de Dieu) contre la terre en vue de contrer le désordre de la Matière n’est pas supportable, combien plus intolérables seraient un tel esclavage et une telle soumission de la nature de Dieu  ? Et non pas pour un très bref moment, mais pour un a  Pareille objection est formulée par Épiphane, Panarion 60, 2, éd. Holl 1933, p. 97, 6-9 ; cf. Augustin, Contra Fortunatum 26, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 190191 : « quel besoin était-il que l’âme souffrît tant de maux durant un si long temps, jusqu’à la fin du monde ? »

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péchés et à ses fautes, et que Dieu pèche avec lui par l’entremise de sa puissance qui était sortie de lui et avait été envoyée ! Car à partir de cela, il est vraisemblable que Dieu ne voulait pas envoyer ce qui provient de son être pour pécher avec la Matière et que la puissance n’était pas non plus persuadée ni n’obéissait (à l’ordre) d’en venir à une telle corruption, de manière que toute iniquité, crime et impiété soient achevés, afin de libérer la terre – celle qui, jusque là, n’avait pas été prise mais était sur le point de l’être – comme s’il ne se pouvait pas que Dieu aidât autrement cette terre. 28  Or il nous faut voir quelle faiblesse Mani attribue mensongèrement et ouvertement à Dieu, lui qui, dans la folie, a parlé contre Dieu, comme quelqu’un qui plaide en faveur des biens des orphelins et dont, par nécessité, il reconnaît la faiblesse de manière à ce que leur procès aboutisse et leur accorde la victoire. Au contraire, en effet, comme quelqu’un qui aide le Mal qui n’existe pas du tout (et) qui « a fait toute chose contre Dieu », il a dit : « Il s’est soulevé contre lui et a voulu pénétrer dans son (bien) propre », et cette dernière chose qui est pire que tout contre Dieu : « Il a saisi sa nature et l’a vaincue pendant tout ce temps et », ce qui ne se peut, « il brise sans fin celle-ci en fragments », et « il l’étrangle et l’oppresse et s’en fait un compagnon dans toutes ses mauvaises actions et sa débauche. Et Dieu ne put même pas délivrer efficacement son propre lieu d’une autre manière ni préserver le fait d’être sans péché », ce qui convient et plaît à sa nature. Car ces (crimes) que commet et accomplit avec la Matière cette puissance qui, provenant de son être et de sa nature, est sortie manifestement contre lui, sont dits être ceux de celui qui l’a envoyée. Ainsi donc, il témoigne en faveur de toute la puissance du Mal contre Dieu et, au sujet de Dieu, il ose dire qu’il a supporté de la part du Mal toutes ces choses pour lesquelles il n’y a pas de guérison.

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29  Et il a dit à la suite de cela que «  la puissance qui a été envoyée par Dieu a endormi la Matière comme l’incantation un serpent », et non seulement mêle-t-il à son discours, sans (force de) persuasion, des choses tout à fait opposées et raconte dans sa propre fiction des choses qui n’ont pas moyen de pouvoir exister

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temps absolu et sans fin, de sorte que le Mal ne cesse de pécher et que Dieu pèche avec lui par l’entremise de la puissance émanée de lui. C’est pourquoi il n’est vraisemblable ni que Dieu ait voulu envoyer au Mal ce qui émane de son essence pour pécher avec lui, ni que cette puissance (émanée de lui) ait obéi et obtempéré d’aller à une telle perte, de sorte à être remplie de toute iniquité et injustice en même temps que d’impiété en vue de libérer la terre, qui n’avait pas encore été prise, mais était sur le point d’être saisie, comme s’il n’était pas possible que Dieu eût défendu celle-ci autrement. 28  Vois quelle grande impuissance, clairement, celui qui est pris de folie contre Dieu attribue mensongèrement à Dieu, comme s’il défendait les possessions de quelque orphelin, dont il est nécessaire de reconnaître la faiblesse, afin que les effets du plaidoyer s’accomplissent. Car, bien au contraire, en tant qu’il défend le Mal qui n’existe nullement, il dit d’une part que « celui-ci a tout fait contre Dieu, s’est soulevé, a voulu s’attaquer aux choses qui lui appartiennent », et pour finir, le plus terrible de tout ce qu’il a porté contre Dieu, (il dit) qu’« il est devenu maître de son essence pour la totalité du temps, a coupé celle-ci – comme cela n’est pas possible – en une infinité de morceaux, l’étouffe et l’opprime fortement en lui-même et se l’associe dans toute malfaisance et débauche ». D’autre part, il dit que « Dieu n’a pu ni délivrer efficacement son propre lieu de quelque autre façon, ni même préserver pour luimême l’impeccabilité, comme il convient à sa nature ». Car (les péchés) que commet de concert avec la Matière ce qui a émané de lui par essence, se retournent contre celui-là même qui l’a fait émaner. Ainsi, tout en attribuant au Mal une totale puissance contre Dieu, il dit que Dieu a subi de la part du Mal les choses les plus incurables de toutes.

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Le « charme » ou l’ensorcellement de la Matière 29  Et il a l’audace d’ajouter que «  la puissance envoyée par Dieu endormit la Matière comme un enchantement la bête sauvage », faisant non seulement mélange, de façon invraisemblable, des choses éminemment contraires à la raison et accordant à sa propre fiction ce qui n’est nullement possible selon la nature, mais

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dans la nature mais encore renchérit-il au point de dire, ici aussi, le contraire de ce qu’il veut. En effet, selon ce qu’il a dit, « Dieu a créé toutes choses à partir de ces deux (principes), et le corps de l’homme relève du Mal et son âme, du Bon, qu’elle soit en une seule forme ou composée à partir de ce qui, des deux, est opposé ». Peu après, nous montrerons que pas même une seule des deux (affirmations) ne reçoit de démonstration. Car le corps, par lui-même et en lui-même, n’imagine ni n’accomplit quoi que ce soit parmi les maux. En effet il ne tue ni ne commet d’adultère ni ne vole ni n’accomplit quelqu’autre chose de celles qui (relève) de l’iniquité si l’âme n’est pas en lui, alors que, précisément, c’est surtout à cause de ces choses et de leurs pareilles que Mani a imaginé la constitution d’un autre principe, opposé, et un mélange opposé «  de manière à ce que soit trouvée la cause des péchés ». Si donc c’est le mélange de l’âme, qui (relève) du Bon, avec le corps, qui (relève) du Mal, qui a fourni la cause pour les péchés des hommes – car seul, de lui-même et par lui-même, le corps ne pèche pas –, il était préférable que, selon leur fiction, la puissance du Bon ne se mêle pas avec le Mal, lui qui n’existe pas. Car (alors) absolument aucun des péchés des hommes ne serait non plus accompli d’aucune façon ni n’existerait. En effet, quel meurtre y aurait-il s’il n’y avait pas celui qui est tué, si, par le mélange des opposés, selon leur discours ridicule, le monde n’existait pas ? Quel adultère y aurait-il, sans qu’il ne soit dans le corps et sans que, par lui-même et en lui-même, (celui-ci) ne désire, s’il n’y avait l’âme, celle qui a été envoyée par le Bon ? De deux choses l’une. Soit, en effet, il convient de dire que c’est par l’économie du Bon que les opposés se sont rapprochés les uns des autres afin que le monde existât de la part du Bon, et que c’est lui-même qui est autrement la cause des maux des hommes si c’est de son plein gré qu’il s’est servi du Mal contre ceux qui ont été créés, soit c’est par nécessité qu’il a été mené par le Mal et qu’aussitôt le Mal a reçu (le prix de) la victoire contre le Bon. Car, je le dis encore, quel meurtre y aurait-il s’il n’y avait ni homme ni épée ni aucun autre instrument meurtrier, si le monde n’avait pas été constitué par l’amalgame et le mélange de ces choses qui

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encore établissant, ici aussi, le contraire de ce qu’il veut, car il dit que « Dieu a créé cet univers à partir de ces deux (principes) et que le corps de l’homme ressortit au Mal, mais que son âme appartient au Bien, qu’elle soit simple ou composée à partir des contraires »a, et de cette façon nous montrerons dans un instant qu’aucune des deux (affirmations) n’a de consistance. Mais le corps ne conçoit ni ne fait rien de mal par lui-même, car il ne tue pas, ne commet pas d’adultère, ne vole pas, n’accomplit aucune autre injustice, si l’âme ne lui est pas présente. C’est cependant à cause de cela et de choses semblables qu’ont été pensés par Mani la réalité du principe opposé et le mélange des contraires, dans l’idée que la cause de ces choses pourrait être trouvée. Mais si le mélange de l’âme qui provient du Bon, avec le corps qui relève du Mauvais, a fourni aux hommes les occasions des injustices – car le corps ne commet pas de faute par lui-même –, il aurait mieux valu que la puissance fictive du Bon ne se mélange pas au Mal qui n’existe pas. Car aucun des péchés commis chez les hommes ne se produirait ni n’existerait d’aucune façon. En effet, quel serait le meurtre si la victime du meurtre n’existait pas, si justement le monde n’avait pas été créé par le mélange des opposés, selon ce discours tout à fait ridicule ? Et quel serait l’adultère, si le corps n’existait pas et ne désirait donc pas par lui-même, si l’âme, qui relève du Bon, n’avait pas été envoyée en bas ? Car de deux choses l’une : soit il faut affirmer que les opposés se sont unis selon la disposition du Bon, afin que le monde vienne à l’existence comme par le fait du Bon, et il serait lui-même complètement responsable des maux chez les hommes, si du moins il a volontairement utilisé le Mal contre ceux qui allaient exister ; soit il a été contraint par le Mal et le Mal a dès lors remporté le prix de la victoire contre le Bien. Car quel serait le meurtre, je le répète, s’il n’y avait ni homme ni épée ni aucun autre instrument de meurtre, si le monde n’avait pas été constitué grâce à l’union des opposés ? Car la Matière ne connaissait pas par ellemême le meurtre, même si ceux qui sont issus d’elle se soulevaient les uns contre les autres. Elle n’avait en effet pas de mortel à tuer ; Une affirmation semblable est attribuée à Mani par Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 12, 3-8, éd. Casey 1931, p. 34. a 

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sont opposées ? En effet, même si ceux qui proviennent d’elle se soulevaient les uns contre les autres, la Matière, par elle-même et en elle-même, ignorait le meurtre, car il n’y avait pas de mortel qu’elle eût pu tuer. Elle ne connaissait pas l’adultère, car l’union du mariage ne s’était pas encore accomplie chez elle. En outre, elle ne proférait pas non plus de calomnies, car, étant dépourvue de raison, elle n’était pas du tout en mesure de discriminer ni de juger. L’amour de l’argent, qui est la racine de tous les maux (cf. 1 Tm 6, 10), et l’amour de la gloire, elle n’avait même pas leurs noms en mémoire. En effet, l’amour de l’argent existe chez les hommes à cause de la nécessité dont celle-ci était affranchie ; et l’amour de la gloire est une passion de la connaissance que celle-ci n’avait pas parce qu’elle était ignorante. Or l’avidité, la débauche et la corruption n’avaient pas place chez elle. En bref, de façon absolue, aucun de ces maux qui sont visibles chez les hommes, au grand jamais la Matière ne les possédait avant le monde et, donc, elle ne fut absolument pas enchaînée par ce mélange mais au contraire, selon le récit de ce fou, comme le cheval qui a trouvé la plaine, elle court sans craindre d’avancer dans les maux. Car ces maux qui n’existaient pas du tout avant le monde, ce sont ceux-là qui ont été commis dans le monde depuis que le monde est venu à l’existence. En effet, même si quelqu’un affirme, selon le discours de celui-là, que « les (êtres) qui proviennent de la Matière se soulevaient et déliraient les uns contre les autres, qu’ils commettaient des myriades d’actes mauvais les uns contre les autres et qu’ils se rassemblaient contre la Lumière pour combattre », cependant, on ne peut dire que tout ce catalogue des maux qui a été recensé chez les hommes se trouvait chez eux, puisqu’il ne se pouvait pas non plus que les maux humains aient été commis avant que l’homme n’existe. Et où trouvet-on ce discours qui a dit : « Le Mal a été ramené à la modération après avoir été enchaîné  », lui qui, avant d’avoir été enchaîné, n’avait pas non plus le souvenir des maux des hommes, mais (qui), après avoir été enchaîné, est blâmé à cause de ces choses ? En effet, comment nuit-il au Bon alors qu’il est désordonné en lui-même et n’a pas ce que son désordre broierait et opprimerait ? Car il ne pouvait absolument pas altérer le Bon. Mais s’il osait pénétrer en des lieux qui ne lui sont pas propres, il lui fallait l’empêcher au-

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elle ignorait l’adultère, car les promesses de mariage n’existaient pas chez elle. En vérité, elle ne calomniait même pas, car elle ne possédait nullement le discernement, puisqu’elle était dépourvue de raison. Quant à l’amour de l’argent, racine des mauxa, et à l’amour de la gloire, elle ne s’imaginait même pas ne serait-ce que leur nom. Car l’amour de l’argent chez les hommes est causé par le besoin, dont du moins celle-ci était libérée ; et l’amour de la gloire est une affection du raisonnement, auquel elle n’avait pas part, puisqu’elle était privée de réflexion. La gloutonnerie, la prostitution et l’homosexualité n’avaient pas de place chez elle. Et, de façon générale, tous les maux qui apparaissent chez les hommes, la Matière ne les possédait nullement avant le monde, si bien qu’elle ne fut pas liée par le mélange, mais au contraire, selon la même hypothèse insensée, s’emparant de la plaine comme un chevalb, elle court, emportée vers l’injustice des maux, car ces maux qui n’existaient aucunement avant le monde, résident dans le monde depuis le moment où le monde fut. En effet, même si quelqu’un posait, selon le discours de celui-là, que « ceux qui proviennent de la Matière se sont révoltés, ont été pris de folie les uns contre les autres, ont institué les uns les autres des myriades de maux, et ont mené campagne contre la Lumière », il ne s’imaginera pas cependant que le catalogue des maux humains qui ont été dénombrés a existé pour eux, puisque justement il n’était même pas possible que les maux humains soient commis avant l’existence de l’homme. Et où serait celui qui dit que « le Mal a été ramené à la raison une fois enchaîné », lui qui, avant d’être enchaîné, ne s’imaginait même pas les maux des hommes, mais qui en est accusé après avoir été enchaîné ? Car en quoi le Mal a-t-il nui au Bien alors qu’il était en désordre en lui-même et qu’il n’avait personne à qui infliger son désordre ? Car il n’était nullement capable de mettre en fuite le Cf. 1 Tm 6, 10 ; verset cité par Épiphane, Panarion 69, 4, éd., Holl 1933, p. 109, 29-30, Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 46, 16-17, éd. Casey 1931, p. 64 ; Augustin, Contra Fortunatum 21, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 168-169. b  Cette comparaison (I, 29, 49 : ὥσπερ ἵππος πεδίου λαβομένη) est attestée ailleurs ; voir Démétrios, Du Style 89, 6 (éd. Chiron 1993, p. 30) et Himérius, Declamationes et orationes 48, 199 (éd. Colonna 1951) ; cf. Lucien, La salle 10 (éd. Bompaire 2001, p. 161). a 

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trement d’en venir à cette irruption ignorante. Car celui-là qui a affiché en lui-même un désordre d’abord sans dommage, il semble maintenant que quelque chose d’autre lui ait été ajouté, qui serait en lui, contre lequel, comme s’il était avec lui, il aurait montré son désordre nuisible. Car les hommes aussi, par eux seuls, s’ils sont impies et veulent accomplir quelque chose de mal, s’il ne se trouve (quelqu’un) d’autre contre qui ils accompliraient leur crime, sont réduits à l’inactivité et ils sont tenus les uns les autres en concorde dans leur commun accord en vue des maux. Or la Matière ne voulait même pas, car elle n’avait même pas de réflexion, parce qu’elle était sans raison. Elle ne pouvait pas non plus parce qu’elle était seule et était d’elle-même et par elle-même. 30  Par conséquent, ce qui a été appelé Matière par Mani, est contraint à paraître, par le moyen de l’âme, s’ajouter en vérité une matière provenant du Bon en vue de la réalisation de sa malice, qu’elle ne connaissait pas. Elle était en effet blâmée pour le désordre qui était avant le monde, (désordre) qui ne nous était ni manifeste ni visible, mais elle a appris à réaliser ces maux qui sont manifestes et visibles. Donc, l’incantation a complètement réveillé le serpent et elle ne l’a pas endormi, ainsi qu’il l’a dit.

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31  Mais s’il disait : Dieu ne voulait pas que le monde fût, qu’on demande : Qui était celui qui le voulait ? Serait-ce le Mal, lui qui était ignorant ? Mais quel est celui qui a constitué toutes ces choses à partir des deux (principes)  ? Est-ce la Matière  ? Sa réalisation est donc remarquable. Mais est-ce que Dieu ne (le) voulait pas et y aurait été mené par la contrainte ? Donc c’est plutôt lui-même qui a été soumis et il n’a en rien soumis, et il est superflu, selon ce qu’a dit celui-là, de nous étonner de la sagesse du Bon, qui a été menée sous la contrainte au dommage et à la nocivité à l’encontre des choses qui ont été créées. Car ces choses qui n’avaient jamais été des maux avant que les opposés ne s’approchent les uns des autres (alors que) leur nom n’avait même pas été prononcé, ces mêmes choses, après la venue à l’être du monde, se sont augmentées et ont prospéré. Comment n’est-il pas sot de dire qu’alors que

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Bien. Mais s’il entreprenait de marcher contre des lieux qui ne lui sont pas propres, il fallait le retenir autrement de faire cette course insensée. Car lui qui montre d’abord le désordre comme inoffensif pour lui-même, semble maintenant avoir ajouté quelque chose d’autre, contre lequel, du fait que ceci était avec lui, il montrera le désordre comme plus nuisible. Par exemple, les hommes aussi, malfaisants en eux-mêmes, voudront bien faire quelque chose de mal, mais s’ils n’ont personne contre qui le faire, ils seraient révélés oisifs, et ils se regarderaient les uns les autres avec bienveillance dans un accord pour faire le mal. Mais la Matière ni ne le voulait, car elle ne délibérait même pas, étant dépourvue de raison, ni ne le pouvait, étant seule et par elle-même. 30  Ainsi donc, ce qui est appelé Matière par Mani semble courir le risque de s’adjoindre, par le moyen de l’âme, une matière plus vraie provenant du Bon, en vue de la mise en œuvre du mal, qu’elle ignorait ; car, avant le monde, on l’accusait d’un désordre invisible pour nous et non apparent, mais elle apprit à produire des maux manifestes et apparents. L’enchantement a donc réveillé la bête sauvage et ne l’a nullement endormie, selon (ce qu’affirme) celui-ci.

La responsabilité des péchés des hommes 31  Mais s’il disait que Dieu n’a pas voulu que le monde existea, il faudrait demander : Et qui était celui qui le voulait ? Était-ce le Mal, lui qui était ignorant ? Qui est celui qui a constitué les êtres à partir des deux (principes)  ? La Matière  ? Elle serait donc admirable par (son) activité. Mais est-ce que d’aventure Dieu ne (le) voulait pas mais y aurait été contraint ? Donc, il (Dieu) a été soumis plus qu’il n’a soumis. Et il est superflu que celui-là (sc. Mani) aussi s’étonne que la sagesse du Bon ait été violentée au détriment de ceux qui allaient exister. Car ces choses, qui n’étaient nullement des maux avant que les opposés ne s’unissent et dont le nom n’existait même pas, ont fleuri après la naissance du monde. Et comment Ceci n’est pas une citation manichéenne mais une affirmation hypothétique mise dans la bouche de Mani par Titus. a 

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Dieu voulait que cesse le désordre de la Matière qui ne nous était ni manifeste ni connu, il fut la cause du désordre des maux des hommes, lesquels sont manifestes et visibles ? Car celui qui blâme le désordre de la Matière le dit dans son discours seulement et il ne peut le montrer de façon évidente en opération. Mais ces maux, dont il a dit, comme dans quelque fable impossible, qu’« ils proviennent du mélange », alors qu’il les voit de ses yeux, ce fou n’en a pas eu honte. Par conséquent, voulant montrer au sujet de Dieu qu’il n’est pas la cause de l’iniquité des hommes, au contraire de cela, il reconnaît que c’est lui la cause de leur cause, plus que s’il s’était ingénié de dire cela seulement. 32  Mais approchons-nous et considérons dans l’amour de la vérité ces maux qui sont accomplis par les hommes et voyons à qui ils conviennent. Car il osera peut-être aussi introduire le mélange de l’âme, qui provient des choses qu’il estime opposées. Si donc il a dit cela : « En une forme unique elle provient du Bon », ou si encore (il a dit) : « Elle provient de la composition et du mélange des choses opposées », il apparaît facilement que c’est vraiment d’une partie du Bon, selon l’hypothèse de l’impiété, que proviennent les maux et qu’ils sont. En effet, l’âme est incorporelle et elle ne reçoit absolument pas de composition dans son être, encore moins de contraires. Car ceux qui ont pensé à son sujet qu’elle était composée de parties diverses, ce n’est pas parce que son être serait divers et qu’il serait varié, mais c’est au sujet de ses actes, à partir de ce qui est visible, qu’ils ont écrit, parce qu’ils n’ont pu construire à son sujet un discours unique (et) simple qui la saisisse. Car même si elle se transforme en elle-même, d’une autre manière, en des formes diverses qu’elle reçoit de temps en temps, cependant, en vérité, dans son être, parce qu’elle est une œuvre de Dieu, elle est sans changement et n’est absolument pas composée de choses diverses. Et elle est d’autant plus éloignée du mélange des (éléments) opposés qu’il est impossible qu’elle soit considérée être corporelle. Mais supposons, selon les paroles mensongères de celui-là – s’il tente encore de dire cela –, que l’âme de l’homme aussi est composée de bon et de mauvais. Ne posera-t-il pas alors que sa connaissance et sa raison proviennent du Bon, mais son ignorance, si elle existe, ne posera-t-il pas qu’elle est du Mauvais ? Or il est évident qu’il n’a rien d’autre à

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ne serait-il pas déplacé de dire que Dieu, qui voulait faire cesser le désordre de la Matière qui, pour nous du moins, n’est pas prouvé, soit devenu, pour les hommes, complice du désordre des maux prouvés et manifestes ? Car le désordre, auquel il a condamné la Matière, il a seulement pu l’induire par le discours et non le montrer par les faits, mais les maux qui proviennent du mélange fictif et impossible des opposés, alors qu’il les voit de ses yeux, le sot ne s’en est pas embarrassé. Par conséquent, tout en voulant montrer que Dieu n’est pas responsable de l’injustice des hommes, il admet au contraire qu’il en est responsable au plus haut point, bien plus que si c’était là la seule chose qu’il cherchait à prouver. 32  Eh bien donc, par amour de la vérité, considérons à qui conviennent les maux commis par les hommes. Car il entreprendra peut-être aussi d’introduire un mélange de l’âme résultant des opposés, comme il les a conçus. Soit que, d’après lui, forme unique, celle-ci provienne du Bon, soit qu’elle provienne de la composition des opposés, il sera montré facilement que c’est au contraire de la partie du Bon que proviennent les maux selon cette hypothèse impie. C’est que l’âme est incorporelle et ne reçoit nullement de composition selon l’essence, et encore moins celle des contraires. Car ceux qui ont cru bon de la composer d’éléments différents n’ont pas introduit l’essence comme étant diverse et différente par rapport à elle-même, mais ils ont enregistré ses actions à partir de ce qu’ils voyaient, n’ayant pas pu faire sur elle un discours unique, simple et compréhensifa. Car même si elle diffère par rapport à elle-même, en fonction des diverses qualités qu’elle reçoit de façon variable à des moments donnés, cependant, étant selon son essence une œuvre de Dieu, elle est immuable et n’est pas formée d’éléments différents, mais elle est autant éloignée des mélanges contraires que du fait de sembler être elle-même un corps. Mais supposons, selon le propos mensonger de celui-ci – si du moins il entreprenait de dire cela aussi – que l’âme de l’homme aussi s’est

Pour ces questions classiques à propos de l’âme, voir Aetii Placita IV, 2-4, éd. Diels 1965, p. 386-391, ainsi qu’Aristote, De l’âme I, 1-2, éd. et trad. Jannone, Barbotin 1966, p. 1-11. a 

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dire que cela. Lors donc que le désir est sévèrement mis en mouvement, soit à partir du corps seul, soit à partir de cette partie de l’âme qui est redevable au Mal, l’action est-elle sortie par elle-même et en elle-même, sans que précède d’abord dans l’homme la réflexion et la délibération, puis la décision et aussi le choix de l’action, et alors le désir sort en vue de la réalisation de l’acte ? Or, l’accusation et la punition du mal proviennent de l’acte et de la réalisation, et non du désir, de manière que, si la réflexion du désir demeure à sa place et ne sort pas en vue de la réalisation et de l’acte, et que d’abord il se calme aussitôt, s’enflammant et s’éteignant tout à la fois, alors (cela) ne semble absolument pas relever du blâme et de la punition, non seulement communs, mais pas non plus si nous en jugeons d’après la vertu la plus élevée. Il apparaît donc, d’une manière juste et convenable, que les péchés qui existent sont attribués à la faculté de connaître et à la raison de l’âme, et non au corps ni à une autre partie de celle-ci. Donc, le Mal, qui est ignorant, a été quitte et il est étranger à la cause des maux des hommes parce qu’il n’existe même pas. Or, selon le discours de celui-là, il est manifeste que c’est d’une partie du Bon que (les maux) sortent et qu’ils existent, à moins que, par amour de la vérité, nous n’usions d’un autre discours. Car si l’âme, ignorant la forme et la puissance du désir, s’était approchée de façon inintelligente de l’action, il se pourrait que quelqu’un dise avec assurance que ces choses qui ne sont pas accomplies convenablement découlent de la partie ignorante (de l’âme). Mais si, à plusieurs reprises, l’intellect et la connaissance tantôt choisissent et veulent le désir comme s’ils s’inclinaient de bon gré vers des mœurs haïssables, tantôt, en revanche, s’en détournent lorsqu’une crainte, quelle qu’elle soit, les retient ou que l’amour de la vertu les tire vers elle, il est évident que ce sont l’intellect et la connaissance seuls qui choisissent et accomplissent soit ces choses qui sont bellement accomplies, soit celles qui existent méchamment et autrement. Encore une fois, ici aussi, au contraire, la recherche mauvaise et l’hypothèse de Mani sont restées loin des démonstrations. Car rien non plus des péchés des hommes ne semble relever de la Matière, mais de l’âme seule ou des propres intellect et connaissance de l’âme, ce qui convient à la partie du Bon, selon ce qu’a dit Mani.

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constituée à partir du bon et du mauvais : la (partie) raisonnablea de celle-ci ne devrait-elle pas, selon lui, être attribuée au Bien, et la partie privée de raison, si tant est qu’elle existe, au Mal ? Il est évident qu’il ne pourrait rien dire d’autre. Aussi, lorsque le désir est mis en mouvement d’une manière dangereuse, soit qu’il vienne du corps seul, soit qu’il vienne aussi de la part de l’âme qui relève du Mal, l’action se produit-elle d’elle-même ? Est-ce que chez l’homme ne précèdent pas l’examen et la volonté, puis le jugement et le choix de l’action, et n’est-ce pas ainsi que le désir amène à l’acte ? Mais l’accusation de mal vient de l’action, non du désir, de sorte que si la pensée du désir restait en place, sans passer à l’acte par le choix du raisonnement, d’abord elle serait plutôt amenée à cesser, s’enflammant et s’éteignant tout à la fois, puis elle ne serait nullement considérée comme une accusation, non seulement commune, mais pas non plus si on la jugeait selon le plus haut degré de la vertu. Il apparaît donc que les péchés sont attribués à juste titre à la (partie) raisonnable de l’âme et non pas au corps ni à quelque autre partie de (l’âme), si bien que le Mal irraisonné est écarté de la cause de nos maux, attendu que (le Mal) n’existe même pas, et que (les maux) risquent, selon le discours de celui-ci, d’être produits par la partie du Bon, à moins d’utiliser un autre discours épris de vérité. Car si l’âme, ne reconnaissant pas la qualité du désir, s’avançait vers l’action de façon irraisonnée, on pourrait affirmer avec force que ce qui est fait de façon déraisonnable est produit par la partie non raisonnable (de l’âme). Mais si, souvent, le raisonnement lui-même tantôt choisit le désir comme s’il cédait volontairement à une mauvaise conduite, tantôt au contraire le refuse, lorsque quelque peur ou, tout au moins, le désir d’une vertu qui l’attire à elle, le fait reculer, il est évident que c’est le raisonnement seul qui s’approprie ce qui est bien ou mal fait, et que la recherche aboutit ici au contraire de ce qui est démontré à tort par Mani. Car aucun péché dans les choses qui nous concernent ne provient, à ce qu’il semble, de la Matière mais de l’âme, ou de sa partie raisonnable, laquelle relève de la part du Bon selon celui-ci. Τὸ λογιστικόν (l. 21-22), partie raisonnable ou calculatrice de l’âme ; cf. Aristote, Éthique à Nicomaque VI, 2, 11139a 12 (voir Tricot 1967, p. 275, n. 6). a 

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33  Mais encore, outre ces choses, si ceux qui s’exercent dans la tempérance n’étaient pas ébranlés dans leur conscience par le désir, quelqu’un libérerait de l’accusation et de la punition l’intellect et la connaissance de ceux qui sont dans la débauche, comme si le désir prenait sur lui tout le blâme des choses qui sont accomplies, lui qui provient de la partie du Mal, comme celui-là (le) dit. Mais si c’est davantage chez ceux qui aiment la modération que se trouve l’exercice d’un grand labeur et qu’est visible (le fait) que c’est par la connaissance que sont empêchés et retenus les désirs de la nature, manifestement il se peut et il apparaît que ce sont l’intellect et la connaissance qui pèchent et aussi sont innocents, eux qui connaissent les deux, la vertu ainsi que le mal. 34  Or, pourquoi le désir des péchés se trouve dans notre nature, nous le dirons en son temps, quand nous montrerons que cela correspond au plus haut point à l’admirable louange de notre créateur. Mais ce qui sera maintenant (l’objet) de cette recherche, si ce qui a été dit ne suffit pas, c’est qu’il n’est pas possible que nos propres péchés soient l’œuvre et le fait de la Matière ou du Mal, lui qui n’existe pas, mais seulement de l’intellect lui-même et de la connaissance ellemême. Car il est possible aussi de fonder autrement notre discours. En effet, que dit-il d’autre au sujet du meurtre qui existe sinon qu’il est mauvais ? Et la débauche et l’adultère et le vol et le mensonge ? Il est évident que ce sont surtout ces choses qu’ils appellent des maux. Quoi donc ? Si le juge tue celui qui a transgressé la loi et agi sottement, est-il considéré comme un meurtrier, alors que l’acte est précisément le même, de celui qui tue par violence et de celui qui tue légalement, mais que le but des deux distingue l’action ? C’est aussi le même acte que l’union de l’homme avec son épouse et avec une étrangère. Mais, à partir du but, l’intellect distingue l’action qui est semblable (à une autre) dans son exécution. Et encore, si quelqu’un vole à celui qui est fou un instrument qui est près de lui ou quelques nourritures qui lui sont nuisibles, comment ne paraît-il pas que cet acte en est un de vol, ce qui est méprisable et soumis à la punition, alors que, selon la connaissance et le discernement, il ne lui est pas identique mais en est parfaitement distinct et étranger ? Outre ces choses encore, si un homme qui serait devenu dérangé redemande une épée que, sain (d’esprit), il avait confié à quelqu’un, ne serait-il pas nécessaire, pour celui à qui

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33  En outre, s’il arrivait que ceux qui s’exercent à la modération soient dans un état d’immobilité face au désir, on pourrait, pour ceux qui s’abandonnent à la licence, écarter leur raisonnement des accusations, dans l’idée que le désir, dont celui-là dirait qu’« il provient de la partie du Mal », est responsable de la totalité des actions. Mais si c’est plutôt chez ceux qui, à cause (du désir), luttent pour la modération, que quelqu’un venait à trouver le labeur de l’ascèse, parce que c’est par le raisonnement qu’ils empêchent les désirs de la nature, il est clairement montré que c’est le raisonnement qui commet des fautes et qui les corrige, lui qui connaît les deux, la vertu comme le mal. 34  Pour quelle raison, cependant, le désir des péchés nous est inné, nous le dirons en temps voulu, en montrant que la question dont nous traitons maintenant tend largement à la louange du créateur, si du moins il n’a pas encore été démontré suffisamment que nos fautes ne sont nullement l’œuvre de quelque matière ou mal, mais au contraire du seul raisonnement. Car il est possible de confirmer encore autrement ce qui a été dit. Pourrait-il dire que le meurtre est autre chose qu’un mal ? Et la prostitution et l’adultère, le vol et le mensonge ? Il est évident que ce sont au plus haut point des maux. Quoi donc ? Si le juge fait périr, en le mettant à mort, celui qui a commis une injustice, serait-ce considéré comme un meurtre ? Assurément l’acte de celui qui tue avec violence et de celui qui fait périr selon la loi, est le même, mais c’est le but qui distingue ce qui est faita. Certes, c’est la même action d’union sexuelle pour l’homme, que ce soit avec sa propre femme ou avec une autre, mais c’est en fonction du but que le raisonnement distingue les actions qui se ressemblent. Ou encore, le fait de dérober au foub des outils ou des aliments qui se trouvent près de lui pour sa propre nuisance, comment l’acte ne semblerait-il pas identique à un vol qui est condamné ? Pour le raisonnement, cependant, ce a  Même argument chez Jean l’orthodoxe, Disputatio cum manichaeo 39, 168175, éd. M. Aubineau dans Richard, Aubineau 1977, p. 122. b  Les manuscrits, sauf H qui a μανέντος, portent μάνεντος, qu’il faudrait traduire par « Mani », ce qui serait évidemment un contresens, comme le montrent la logique du texte et le syriaque (I, 34, 18 : ‫)ܫܢܝܐ‬.

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elle avait été confiée, de déclarer faussement qu’il ne l’a pas reçue ? En quoi donc ce mensonge diffère-t-il, par les (simples) paroles, de ce qui est en vérité injustice, si ce n’est qu’il se sépare de cet acte par le but (propre) aux deux ? Il est donc évident, à partir de ces choses, que l’acte n’est pas considéré ni examiné surtout à partir de lui-même et en lui-même, mais à partir de l’intellect et de la réflexion de celui qui l’exécute. Quelqu’un trouvera en effet aussi dans les choses opposées le même raisonnement. Car si quelqu’un donne de l’argent ou de la nourriture à celui qui est indigent alors qu’il n’a pas pitié de lui mais qu’il poursuit la louange et en récolte de la part de ceux qui (le) voient ou apprennent (ce qu’il a fait), comment n’est-il pas évident que cette action est bonne et miséricordieuse, mais que son but est grandement vil et méprisable ? Si encore quelqu’un prie longuement et jeûne fréquemment en faisant montre aux hommes de son endurance et de son ascèse, comment n’est-il pas évident que, même s’il est loué à cause de son action, en raison, cependant, du but et du jugement de sa volonté, il est blâmé ? Non seulement (cela) mais encore si un autre demeure chaste et se coupe de nombreux désirs, non par amour de la vertu mais à cause de l’avarice (issue) de l’amour de l’argent, comment n’est-il pas évident que celui-là, par le désir de l’argent, vainc d’autres désirs et qu’il réalise cette sienne endurance de manière apparente, dans un but qui est en échange de maux ? Si donc, en de nombreuses circonstances, même ces choses qui sont considérées comme des maux apparaissent comme bonnes ou encore comme non mauvaises, selon la connaissance et le but de celui qui les accomplit, ou bien au contraire si celles-là même qui sont estimées bonnes sont convaincues d’être mauvaises par le choix et le but de celui qui les accomplit, qui donc pourra refuser (d’affirmer) là contre que ce ne sont pas les actes qu’on examine en vue de la vérité, mais que ce sont l’intellect et le but de ceux qui agissent qui sont interrogés et examinés ? 35  Quelles sont donc les actions et les actes qui sont établis « être du Mal » ? Ne sont-ce pas ces choses qui paraissent être des maux, celles-là qui, à l’occasion, sont accomplies selon la connaissance de la vertu  ? Mais encore, celles qui sont établies être du Bon, sont-elles celles qui apparaissent être des biens, celles-là qui,

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n’est pas identique, mais complètement différent. En outre, si un homme fou réclamait une épée qu’il avait mise en dépôt quand il était sensé, de sorte qu’il serait nécessaire à celui qui l’a reçue de mentir en disant qu’il ne l’a pas, en quoi (ce) mensonge serait-il en paroles différent de la véritable perfidie, s’il ne se distinguait pas par le but de ce qui est affirmé  ? De là, il est donc évident que, la plupart du temps, ce n’est pas l’action en elle-même qui est évaluée, mais la pensée et le raisonnement de celui qui la commet. On pourrait en effet trouver le même argument également dans les cas contraires. Car si quelqu’un donnait de l’argent ou de la nourriture à un indigent non pas en le traitant avec humanité, mais en recherchant la louange de ceux qui le voient, comment ne serait-il pas évident que l’acte est très beau et humain, mais que le but est tout à fait vil et condamnablea ? Et si quelqu’un priait longuement et jeûnait assidûment, affichant aux yeux des hommes sa piété en même temps que sa force d’âme, il est évident qu’il serait loué à juste titre en raison de l’acte, mais qu’il serait blâmé à cause de l’intention de ce qui est fait. Et assurément, si quelqu’un d’autre était modéré et s’abstenait de la plupart des désirs non par soif de vertu mais pour économiser ses biens, n’est-il pas tout à fait évident que c’est par une passion qu’un tel homme maîtrise d’autres passions, poursuivant à dessein cette apparente force d’âme à la place d’un mal ? Si donc, souvent, même ce qui est censé être mauvais se révèle bon ou nullement mauvais par l’intention de celui qui agit, et si, au contraire, ce qui est entrepris en vue du meilleur s’avère à l’examen être mauvais par le choix et le but de celui qui l’accomplit, qui pourrait donc encore contester que, la plupart du temps, ce ne sont pas les actions qui sont évaluées à l’aune de la vérité, mais que c’est l’intention de ce qui est fait qui est éprouvée ? 35  Quels actes porterons-nous donc au compte du Mal ? Ceux qui semblent être mauvais, mais qui de fait sont bons, quand ils sont faits dans un esprit de vertu ? Lesquels attribuerons-nous au Bien ? Cette idée revient dans les Sentences de Sextus 342 : « Si tu donnes quelque chose pour que cela soit connu, tu n’as pas donné à un homme mais à ta propre satisfaction » (éd. Chadwick 1959, p. 50). a 

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en de nombreuses occasions, sont accomplies selon la malice de l’intellect ? Donc, manifestement, de façon tranchée, pas même une seule de celles-là n’est de l’un d’eux, mais c’est seulement selon l’intellect, le discernement et la gouverne de la connaissance de celui qui agit qu’est jugé et examiné l’acte, (à savoir) si la gouverne de la connaissance de l’homme l’a accompli avec rectitude ou non, chose qui, tout à fait à bon droit, selon le discours de celui-là, appartient à la partie la meilleure de l’âme, ce que, même si les disciples de Mani le fou devenaient excessivement fous, ils ne pourraient nier. Mani a donc parfaitement proféré une sentence d’iniquité contre la Matière qui a été créée par lui, (lui) qui a établi que les actes des hommes proviennent d’elle, (actes) qui ne lui conviennent absolument en rien, mais qui, au contraire, paraissent convenablement provenir davantage de la partie du Bon, s’il existe vraiment deux principes opposés, selon ce qu’il a dit dans sa folie.

La finalité de la démiurgie et l’eschatologie manichéenne 36  Or, il a dit : « Dieu s’efforce de rassembler à nouveau auprès de lui et d’extraire cette puissance qui a été avalée  », qu’il appelle «  l’âme du Tout, afin que celle qui provient de lui ne soit pas à jamais enchaînée dans la Matière, en tout temps sous la condamnation  ». Et pourquoi donc, dès le début, a-t-il livré celle-ci de manière à ce que, pendant tout ce temps qui est depuis toujours, elle ne puisse même reprendre haleine et que, surtout, elle pâtisse beaucoup plus qu’elle n’agisse ? En effet, s’il y avait eu dans leur récit le fait que Dieu n’a été aucunement outragé dans son être propre et que pas même un peu de lui n’a été retenu par la Matière – ce qui ne lui convient absolument pas – mais quelque chose d’autre, d’étranger à sa nature, et qu’aussitôt et à l’instant cela eut été délivré, de sorte qu’il paraisse avoir fabriqué cet expédient davantage selon que par concession, il y aurait peut-être (quelque force de) persuasion (attachée) à cette fiction mensongère. Mais maintenant qu’il a imaginé ceci  : «  Pendant tout ce temps infini, ce qui provient, comme ils disent, de la nature

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Ceux qui apparaissent comme bons, mais qui de fait découlent d’un raisonnement du Mal ? Nous n’en attribuerons donc aucun de façon tranchée à aucun des deux, mais nous examinerons seulement la partie raisonnable et la plus hégémonique de l’intellect de celui qui agit, en cherchant à déterminer si elle a entrepris l’action de façon droite ou non. Que la partie la plus hégémonique de la pensée de l’homme, selon le discours de celui-là, relève complètement de la meilleure partie de l’âme, même si les disciples de Mania étaient infiniment fous, ils ne pourraient le nier. Ainsi donc, Manib a produit un jugement totalement injuste contre la Matière fabriquée par lui, en lui attribuant ce qui ne relevait aucunement d’elle, si du moins elle se trouvait être la cause des actions commises chez les hommes. Mais au contraire, ces actions, on pourrait raisonnablement penser qu’elles ressortissent plutôt à la partie du Bien, si du moins il est vrai qu’il y a deux principes en opposition, selon la folie de celui-là.

La finalité de la démiurgie et l’eschatologie manichéenne 36  Il dit que « Dieu s’efforce de reprendre à nouveau auprès de lui la puissance avalée », qu’il appelle « l’âme du toutc, afin que ce qui provient de lui ne continue pas toujours, à l’infini, de se trouver enchaîné à la Matière et châtié ». Pourquoi donc a-til livré cela au début, de sorte que, pendant tout ce temps, il n’a même pas pu reprendre haleine et qu’il a davantage subi qu’agi ? Car si le mythe contenait l’idée que Dieu n’a en rien été outragé en son essence propre, ni retenu par la Matière ne serait-ce que pour une toute petite partie (de lui), ce qui serait très inconvenant, mais que ce soit quelque chose d’autre, de tout à fait étranger à sa propre nature, et que même ce quelque chose ait été délivré en même temps et aussitôt, de sorte qu’une telle entreprise semblerait avoir été faite selon un plan plus que par concession, la fiction comporterait au moins du vraisemblable dans le mensonge. Mais, en réalité, le temps est infini et ils disent que ce qui est issu de la Le syriaque (I, 35, 11-12 : « Mani le fou ») surtraduit. Le syriaque (I, 35, 11-12) surtraduit également ici. c  Cf. Épiphane, Panarion 66, 25, 6, éd. Holl 1933, p. 55, 4-5 (ὅ ἐστιν ἡ ψυχή). a 

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de Dieu, se trouve en prison et en captivité  », de manière qu’il semble que c’est Dieu lui-même qui soit retenu et emprisonné du fait de sa ressemblance avec ce qui est retenu parce qu’« il provient de sa nature » (et) que, pour cette raison, « il veut avec zèle et à grands frais le réunir à lui de nouveau », la Matière est cependant impassible et sans dommage, comme si elle avait plus agi que pâti. À partir de cela, il est donc évident que toutes ces choses qu’a agencées ce trompeur et ce fou, il les a agencées en vue d’un blasphème contre Dieu, lui qui n’a fait aucune de ces choses contre lui-même. 37  « Il veut » donc, comme il dit, « rassembler et faire monter vers lui cette puissance qui provient de lui, et il s’y efforce ». Et cela est, chez eux, la rédemption et la béatitude qu’ils attendent, (à savoir) que « soit retourné à Dieu ce qui provient de lui ». Maintenant, est-ce qu’il demeure en lui-même jusqu’à la fin, attendant et espérant que se réalise en lui ce bienfait, si quelque chose qui provient de sa nature est sur le point de recevoir sa libération afin de (re)construire les choses qu’il a renversées, et n’y a-t-il rien d’autre (à faire) si ce n’est d’être assis, nourri et rassasié d’espérance et d’attente, et d’être dans l’expectative et le guet de la fin qui, de quelque manière, le libérerait du Mal ? Car si cela est retardé et ne se réalise pas aussitôt, il se trouve que c’est lui qui, à cause du retard, reçoit la punition. Il est en effet évident que l’accélération de la fin ne dépendait pas de lui car il s’en serait servi, voilà un (bon) moment, et il aurait été libéré de cette attente. 38  Mani le fou a aussi une autre doctrine ridicule, (à savoir) que « ceux qui proviennent de la Matière, lorsqu’ils ont compris qu’ils périssaient de façon mauvaise, parce que peu à peu la lumière leur était enlevée, ont imaginé et comploté la fabrication

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nature de Dieu « continue d’être enfermé », de sorte que c’est luimême qui semble être retenu à cause de sa ressemblance avec ce qui est retenu et du fait que cela est issu de sa nature. De là vient qu’il désire avec un zèle plus grand encore rassembler cela à nouveau en lui-même, alors que la Matière est simple et impassible, en tant qu’elle a plus agi qu’elle n’a subi. À partir de ces choses au moins est-il évident que tout ce que le trompeur a agencé, il l’a agencé en vue d’un blasphème contre Dieu, qui n’a fait aucune de ces choses contre lui-même. 37  «  Il veut donc, dit-il, reprendre auprès de lui cette puissance et il s’y efforce ». Et tels sont donc le salut et la béatitude espérés par eux, (à savoir) que soit au moins rendu à Dieu ce qui lui est propre. Lui-même attend-il donc pour lui-même la fin, espérant recevoir un bienfait, si du moins ce qui est issu de sa nature était sur le point de reprendre sa liberté, afin qu’il (re)construise ce qu’il avait détruit et rien de plus, et que, nourri d’espoir, il demeure ferme et regardant vers la fin, afin de se libérer du Mal de quelque façon ? Et si cela tarde à venir et ne se réalise pas au plus vite, c’est lui-même qui serait châtié en raison de la lenteur. En effet, il est évident que la rapidité de la fin ne dépend pas non plus de lui, car s’il en avait fait usage, il aurait depuis longtemps pu jouir de l’espoira. 38  Puisqu’il existe aussi un autre discours de Manib tout à fait ridicule, selon lequel « ceux qui appartiennent à la Matière, percevant qu’ils seront misérablement perdus parce que la Lumière leur est enlevée peu à peuc, ont imaginé en retour la fabrication de Le syriaque, qui traduit « il se détruisait » (‫ )ܡܫܬܪܐ ܗܘܐ‬au lieu de « il aurait joui de l’espoir » (ἀπολέλαυκεν < ἀπολαύω), a probablement lu une forme de ἀπολύεσθαι. En mentionnant l’espoir (I, 37, 13 : ἐλπίς), Titus fait peut-être une allusion ironique à l’autodésignation du manichéisme comme espérance, voir infra, IV, 15, p. 395, n. b. On notera toutefois que le syriaque (I, 37, 13) ne rend pas ἐλπίς par sa traduction habituelle ‫ܣܒܪܐ‬, mais par ‫ܣܘܟܝܐ‬, qui traduit plutôt ἀναμονή. b  Le syriaque (I, 38, 1 : « Mani le fou ») surtraduit. c  Cf. Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 3, éd. Brinkmann 1895, p. 5, 23-25, trad. Villey 1985, p. 59 : « Et ce sera la mort de la Matière, quand surviendra par la suite sa séparation d’avec cette puissance ». a 

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du corps, qui soit un lien et une forte chaîne pour l’âme ». Il est donc évident, selon son discours, qu’aussi longtemps que ceux-là fabriqueront et fourniront le corps, jusque-là aussi les âmes du Bon seront retenues et liées et qu’il dépendra donc désormais de ceuxci que le monde ne soit pas limité ni achevé dans le temps, et la fin du monde ne dépendra pas du Bon. 39  Que dira donc quelqu’un qui comprend que le discours de Mani le fou ne se tient en aucun point, mais que, par lui-même et en lui-même, il se réfute puisqu’il varie de-ci de-là ? Car après avoir dit que « Dieu est le créateur du monde », comment a-t-il dit de nouveau que « ceux qui proviennent de la Matière ont fabriqué et posé contre lui le corps », comme si Dieu avait partagé la création entre lui et eux, et qu’en cela aussi, il supportait à nouveau leur violence, parce qu’il leur a cédé et que, non selon sa volonté, il parachevait leur œuvre ? C’est comme si le fou avait oublié sa propre hypothèse, (lui) qui a dit que « l’anéantissement et la destruction de la Matière, c’est l’enlèvement de la puissance qui lui a été mélangée », alors qu’il posait auparavant que « son désordre se calmait et était mis en ordre par elle ». Car si, par sa venue, elle enchaînait et liait le Mal, par son éloignement et son départ, elle l’aurait en revanche renvoyé et répudié, et du fait de son départ un grand repos lui adviendrait complètement. 40  Si donc (l’objet de) l’espérance et (de) l’attente de cette fin est que soit retourné à Dieu ce qui provient de lui, pourquoi alors était-il déterminé dès le début que, pendant tout ce temps infini, il supporterait la peine et la souillure du Mal, et qu’au lieu de la bonne espérance et de la béatitude, il lui serait imposé de reprendre et d’extraire ce qui provient de lui ? Car la Matière ne se trouve ni n’apparaît même en rien être revenue à elle-même mais, au contraire, (elle semble) avoir reçu un grand pouvoir en vue d’imaginer des actions mauvaises. Mais « il fallait », selon ce qu’il a dit, que « celle-ci soit liée et enchaînée ». Lors donc que sera reprise et emmenée peu à peu cette puissance qui était prison-

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la chair, un très grand lien pour les âmes », il est dès lors évident, selon son discours, que, tant que ceux-ci pourvoiront la chair, aussi longtemps assurément les âmes du Bon seront retenues, et il dépendra de ceux-ci que le monde ne soit pas délimité par le temps et sa fin ne dépendra pas du Bon. 39  Que pourrait dire quelqu’un qui se rend compte qu’il n’y a pas un mot de Mania qui tienne debout en aucune manière mais que, variant de-ci de-là, il se réfute lui-même ? Car en affirmant que « Dieu est le créateur du monde », il dit à nouveau que « ceux qui proviennent de la Matière lui ont, de quelque façon que ce soit, opposé la chair », comme si Dieu partageait avec eux la création et que, par là, il endurait de la violence, et qu’il complétait l’univers par concession à leur égard, non pas selon sa propre décision. Comme si le trompeur avait oublié sa propre hypothèse, il dit qu’il sera funeste pour la Matière de lui ôter la puissance mêlée à elle, par laquelle il a supposé qu’elle (la Matière), qui au début était en désordre, a été ramenée à la raison. Car si, en étant présente (ou : « par sa présence »), elle enchaîne le mal, en se retirant, au contraire, elle le laisse allerb † et sera tout à fait selon l’ancienne *** c’est-à-dire cause de joie également pour la Matière l’enlèvement de celle-ci, choses qui de la part du plaisir enlevé † 40  Si donc l’espérance en vue de la fin lui arrive néanmoins, afin de retourner vers Dieu, alors qu’elle a été séparée de lui, pourquoi a-t-il été décidé dès le début qu’elle supportât pendant un temps infini une peine vaine et une souillure mauvaise et qu’au lieu d’une très grande espérancec et béatitude, il lui soit imposé d’être reprise à nouveau ? Car la Matière n’apparaît absolument en rien être revenue à la raison, au contraire elle paraît avoir pris possession d’une plus grande puissance en vue de la machination de mauvaises œuvres. Mais « il fallait, dit-il, que celle-ci fût Le syriaque (I, 39, 2 : « Mani le fou ») surtraduit. Ce qui suit et dont nous donnons une traduction littérale est corrompu dans la tradition manuscrite grecque ; voir l’apparat de l’édition et la traduction du syriaque. De Lagarde (1859a) indique une lacune entre ἀρχαίαν (I, 39, 13) et τοῦτ’ἐστὶ (I, 39, 14), et fait commencer le chapitre 40 avec cette expression. c  Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. infra, IV, 15, p. 395, n. b. a 

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nière en elle, que se passera-t-il ? N’est-il pas évident que la Matière retournera de nouveau au désordre (propre à) sa nature ?  Mais il dit que « non, car à la fin, il la vaincra et en fera une masse et la préparera pour qu’elle se consume elle-même ». Et pourquoi donc n’a-t-il pas fait cela dès le début ? Est-ce qu’il ne le voulait pas ou ne le pouvait pas ? Car s’il ne le voulait pas, comment le veut-il par après ? Est-ce parce qu’il s’est repenti ou que, par après, il a choisi quelque chose de mieux ? Car n’était-il pas possible aussi, autrement, de la part du Bon, d’abolir le Mal dès le début, s’il le pouvait ? Mais s’il ne le pouvait pas, le danger de la faiblesse jaillit pour le blasphème contre notre créateur. Mais en vérité, comment après, à la fin, le peut-il par sa (propre) puissance ? Est-ce qu’une puissance lui est rajoutée, qu’il n’avait pas, ou est-ce qu’il a grandi ou reçu accroissement ? Car si les deux qui sont opposés sont des étants, aucun d’eux ne reçoit ni augmentation ni accroissement, ni diminution ni amoindrissement. Par conséquent, toute la fiction de ce barbare n’a ni assise ni fondement. Mais quelle perception a-t-il dit exister d’une partie, ou grande ou petite, de cette puissance qui a été mêlée à la Matière, qui a été prise et lui a été enlevée ? Certes, si, lorsque la lune croît et décroît, Dieu reçoit et prend peu à peu ce qui provient de lui, alors que, précisément, a passé tout ce temps qui est depuis toujours, que la race des hommes, dans son nombre, n’a ni diminué ni rapetissé par rapport à ceux qui vivent, qu’il n’y a aucune diminution des quadrupèdes, mais que, selon leur habitude, tous ces êtres qui viennent à l’existence et qui meurent existent, et qu’au surplus, surtout en multitude, l’humanité a reçu accroissement, d’où celui qui plaisante dans sa folie imagine-t-il donc que « cette puissance se sépare peu à peu », (elle) dont il a dit dans sa fiction qu’«  elle a été mêlée à la Matière », alors que les choses sont les mêmes dans le monde que ce qu’elles étaient ? En effet la mesure du jour est la même, et la même aussi celle de la nuit, et la lumière ne s’est pas amoindrie ni les té-

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liée » : lors donc que la puissance retenue aura été arrachée peu à peu, qu’arrivera-t-il ? Il est tout à fait clair qu’à nouveau la Matière reviendra au désordre propre à sa nature. Il dit que non. Car « à la fin, (Dieu) se rendra maître d’elle et, l’ayant transformée en une massea, il la préparera pour qu’elle se consume par elle-même ». Pourquoi donc n’a-t-il pas fait cela dès le début ? Est-ce qu’il ne le voulait pas ou ne le pouvait pas ? Car s’il ne le voulait pas, comment le voudra-t-il à nouveau plus tard ? Parce qu’il a changé d’avis ou choisi le meilleur ? N’était-il pas possible aussi autrement, de la part du Bon, d’abolir complètement le Mal dès le début, si du moins il en était capable ? Mais s’il ne le pouvait pas, le danger d’impuissance émerge contre le créateur et comment en deviendra-t-il néanmoins capable un jour ? Est-ce que ce sera parce qu’il a acquis une puissance qu’il n’avait pas, ou parce qu’il a été augmenté ou qu’il s’est accru ? Car si les opposés sont tous deux inengendrés, aucun des deux ne reçoit ni accroissement ni amoindrissement. La fiction du barbare est donc tout entière sans fondement. Mais que peut bien être la perception qu’il dit avoir eue du fait que la partie, plus ou moins grande, de la puissance mêlée à la Matière a été arrachée ? Si du moins il est vrai que, depuis que la lune croît et décroît, Dieu continue à récupérer peu à peu ce qui lui est propre, et bien qu’un si grand temps ait passé et que ni le genre humain n’ait diminué quant au nombre de vivants, ni qu’aucun des quadrupèdes ne connaisse quelque amoindrissement, mais que, selon leur habitude, les êtres qui viennent à l’existence existent et meurent, et que l’humanité s’accroisse encore plus en nombre, alors, d’où cet homme qui divague en vient-il à penser que « peu à peu se sépare la puissance » que, dans sa fiction, il dit être mêlée au Mal, si du moins les mêmes choses ont les mêmes dispositions de par le monde ? Car la mesure du jour est la même, et la même celle de la nuit, et ni la lumière n’est amoindrie ni les ténèbres n’ont

Sur la « masse » ou la « boule » (βῶλος), cf. Épiphane, Panarion 66, 31, 5, éd. Holl 1933, p. 70, 2-4 ; Augustin, Contra Faustum 2, 5, éd. Zycha 1891, p. 258, 27259, 1 (globo horrido tenebrarum). a 

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nèbres accrues, car la course du soleil et de la lune est la même, et unique est l’ordre qui est et qui perdure depuis le début. 41  Qu’on lui demande encore cela, si les âmes qui ont péché et ont été retenues par des myriades de maux dans le monde recevront la punition de leurs péchés ou non. Si donc elles reçoivent une punition, ce que lui aussi concède, car « elles seront enfoncées dans la masse avec le Mal », selon ce qu’il a dit, Dieu se trouvera à punir sa propre nature, et qu’y a-t-il de plus sot et de pire que cela ? Mais si elles demeurent sans punition, non seulement les péchés seront sans affliction ni dommage, mais ils seront aussi estimés être meilleurs que la justice si également, en ce monde-ci, ils procurent la satisfaction à celui qui les commet et, dans le monde à venir, ne sont pas cause de sa punition. 42  Outre toutes ces choses encore, il y a aussi, de lui, cette chose étonnante qu’il a dite, (à savoir) qu’« alors que le Mal était jusque-là captif ou prisonnier ici-bas, Dieu, pendant tout ce temps médian, remplit l’abîme de mottes de terre, d’où la Matière a levé la tête  », selon sa propre (et) violente folie, sans comprendre de quelle façon ce qui était tombé dans l’abîme, s’il venait de la terre du Bon, pouvait trouver place pour être en un lieu opposé à lui. Mais s’il était de la partie du Mal, ce qui est sien n’a pas enfermé ce qui s’était écoulé de là pour lever la tête. Or « Dieu reste assis », selon le discours de ce fou, « et il déplace et apporte des mottes de terre, et peu à peu il obstrue et ferme et comble l’abîme ». Ô folie ! Car le fait même que quelqu’un lui réponde en détail est ridicule ! Est achevé le premier discours contre les manichéens.

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surabondé. Car la même est la course du soleil et de la lune, et, en vérité, un seul ordre persiste, celui qui a existé dès le débuta. 41  Mais il faut encore demander ceci, à savoir si les âmes qui ont péché et qui ont été amenées à des myriades de maux dans la vie seront châtiées ou non pour les fautes qu’elles ont commises. Si donc elles sont châtiées, ce qu’assurément il concède lui-même lorsqu’il dit qu’« elles seront enfoncées dans la masse en même temps que le Mal », Dieu se trouvera à punir sa propre nature : qu’y aurait-il de plus déplacé que cela ? Si, en revanche, elles demeurent impunies, non seulement le péché sera sans affliction ni châtiment, mais encore il semblerait être supérieur à la justice, puisque, dans le temps présent, il procurerait le plaisir à celui qui le commet et que, dans le temps à venir, il ne deviendrait pas cause de châtiment. 42  Outre tout cela, il y a également ceci d’étonnant chez lui, lorsqu’il dit que, « tandis que le Mal est occupé ici-bas, à savoir emprisonné, Dieu, dans l’intervalle, remplit l’abîme d’un amas de terre, d’où la Matière a levé la tête », selon la terrible folie de celui qui ne comprend pas de quelle façon ce qui y est jeté, s’il vient de la terre du Bon, aura une place dans un lieu opposéb. Mais, si cela vient des parties du Mal, ce qui lui est propre n’enfermera pas ce qui s’efforce d’en sortir. Mais, selon Manic, « Dieu reste assis à déplacer pour l’éternité des mottes et à obstruer petit à petit quelque abîme ». Ô folle déraison, à laquelle il est même ridicule de répondre sur la plupart des points !

On trouve pareil argument chez Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 12, éd. Brinkmann 1895, p. 18, 22-19, 20, et 22-23, p. 30, 13-32, 9 (« tout demeure dans le même état »), avec le commentaire de Villey 1985, ad loc. Les manichéens prétendaient au contraire que la lumière – comme les années de vie des hommes – diminuait au fur et à mesure qu’elle était retirée du monde ; voir 1 Kephalaia 57, p. 146, 15-147, 17, éd. Polotsky, Böhlig 1940. b  Sur ce passage, voir P.-H. Poirier, « L’obstruction de l’abîme d’après Titus de Bostra (Contre les manichéens I, 42). Un aspect de l’eschatologie manichéenne », Mémorial Sundermann (à paraître). c  Le syriaque (I, 42, 10) a lu plutôt μανέντα. a 

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DEUXIÈME DISCOURS DE TITUS CONTRE LES MANICHÉENS

Introduction (1-2) 1  Le discours nous amène maintenant au zèle et au soin (relatif au) discours qui concerne Dieu. Car ce qui a été dit en vue du retournement et du renversement de la fiction des récits de celui-là, peut-être n’était-ce guère meilleur qu’un jeu. Mais, afin que nous ne méritions aussi le ridicule auprès des sages parce que nous examinons avec diligence, par des enquêtes, une fiction qui, au plus haut point, n’a ni assise ni fondement, ces choses qui se trouvent être dites comme dans des fables par Mani – or elles sont nombreuses –, nous ne les jugerons pas dignes de la réfutation de notre discours, et nous tenterons désormais de montrer que le Mal n’existe d’aucune façon en un lieu, selon l’être et selon la substance, ni qu’existe le principe de la Matière sans commencement, opposé à Dieu, mais qu’unique est le principe universel et unique, le Dieu qui a tout créé de belle et bonne façon, et que (tout) est digne de sa propre sagesse. Car les disciples de celui-là, lorsqu’ils sont repris dans un discours au sujet des deux principes qui n’ont ni consistance ni crédibilité, sont arrêtés aussi par cette aporie comme par un (problème) ne prêtant pas à démonstration et fournissant de nombreux points d’attaque contre celui qui discute avec eux, lorsqu’ils disent : « D’où viennent donc les maux ? »

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DEUXIÈME DISCOURS

Introduction (1-2) 1  Le discours nous conduit maintenant à la discussion approfondie de la question de Dieua. Car ce qui a été dit pour la réfutation de la mythologie de celui-ci ne différait peut-être en rien d’un amusement. Aussi, afin de ne pas nous exposer au rire de la part des gens sensés en examinant avec un soin superflu une fiction dépourvue de tout fondement, étant d’avis que ce qui a été inventé de plus mythique par Mani – or ces choses sont très nombreuses – n’est en aucune manière digne d’être traitéb, nous essaierons désormais de montrer que le mal n’existe nullement par essence, ni qu’un quelconque principe de la Matière dépourvu de commencement ne s’est opposé à Dieu, mais qu’il n’y a qu’un seul principe des choses et un seul Dieu, qui a créé l’univers beau et digne de sa sagesse. Car, de fait, les disciples de cet individu, quand ils sont réfutés dans un discours sur les principes sans fondement, sont ramenés à l’objection suivante, dans l’idée qu’elle est difficile à démontrer et qu’elle offre de nombreuses prises contre l’interlocuteur, en disant : « D’où viennent donc les maux ? »c a  Le deuxième livre du Contre les manichéens aborde la question de la théodicée manichéenne ; voir à ce sujet Pedersen 2004. b  Sur le peu d’intérêt qu’affiche Titus pour le mythe manichéen, voir supra, I, 2, p. 83, n. a. c  Cf. supra, I, 4.

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2  Quant à nous, nous affirmons résolument et avec confiance qu’unique est le Dieu bon, lui qui crée toutes choses, et qu’il n’est rien en ces choses qui sont venues à l’existence qui soit mauvais dans son être et dans sa substance,  mais que toute chose est excellemment belle et que toute chose, de manière différente, est belle et a été ordonnée diversement en vue d’un usage varié, et que, parmi tout ce qui est, il n’est rien qui ne soit comme il convient, mais que chacune de toutes les choses qui sont venues à l’existence, qu’elles soient petites ou grandes, possède d’elle-même et en elle-même la raison de son explication, aussi bien celles qui sont dans le ciel que celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les mers. Et c’est comme un corps achevé et parfait par l’assemblage des parties et des membres que la sagesse cachée et indicible de Dieu a ordonné ce monde entier. Donc, tout ce que tu voudrais enlever par la raison aux choses qui existent comme étant superflu et étranger à l’usage, le corps du tout en paraîtrait quant à lui affecté et lésé, puisqu’en effet, même ce qui, en quoi que ce soit qui existe dans le monde, paraît être grandement négligeable et méprisable mène l’achèvement du corps à sa perfection, et que rien n’est inutile ni vain en ces choses qui sont dans le monde, ni rien qui est venu à l’existence en vain, ni rien qui a été établi en vue d’une extrême arrogance. Et seule l’injustice des péchés des hommes, dans le mal, est justement et à bon droit méprisable et répréhensible, et elle est en vérité le mal, mais elle ne provient pas du principe du mal, lequel n’existe pas, ainsi que Mani le fou l’a conçu « à partir de celui qui, en effet, existe », comme aussi notre discours l’a suffisamment montré un peu avant par ce qui a été dit, comme par insinuation, et comme aussi il le montrera clairement par ce qui va suivre. C’est pourquoi nous entreprendrons de parler d’abord de cela et ainsi nous cheminerons sur cette voie et nous en sortirons en montrant que rien de ce qui est venu à l’existence n’est mauvais dans son être, et encore que tout ce que, selon la génération, Dieu a fait, administré et disposé, c’est selon ce qui est convenable et juste pour sa sagesse, en vue de l’avantage de ceux qui sont administrés et sont objets de ses soins, qu’il fait et accomplit ces choses en leur faveur.

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2  Quant à nous, nous affirmons donc résolument que, comme il y a un seul Dieu qui a créé l’univers, rien n’est mauvais par essence parmi les êtres,  mais que tout est parfaitement beau et diversement beau et arrangé pour des usages variés, et qu’aucune des choses qui sont venues à l’existence n’existe sans raison, mais que chacun des êtres, petits comme grands, a en lui-même sa raison d’être, aussi bien ceux qui vivent dans le ciel que sur terre et dans la mer, et que la sagesse indicible de Dieu a organisé cet univers comme un corps bien ordonné et parfait par la disposition de ses parties et de ses membres. En conséquence, ce que l’on enlèverait par la raison aux choses existantes comme superflu et étranger à l’usage, semblerait mutiler le corps tout entier, puisque, justement, ce qui semble le plus méprisable dans les êtres est propre à compléter la perfection du corps et qu’il n’y a rien d’oisif dans les êtres, rien qui n’existe en vain et ni qui ne soit établi en vue d’une recherche d’honneur superflue. Mais seule se trouve être destinée au mal, selon la raison et à juste titre, l’injustice des hommes qui pèchent, et c’est elle qui est en vérité le mal, lequel ne provient certainement pas d’un Mal sans principe, que Mani a imaginé alors qu’il n’existe pas, à partir de celui qui de fait existe, comme notre discours l’a déjà laissé entendre à suffisance par ce qui précède, et le montrera plus clairement encore par ce qui suit. C’est pourquoi, après avoir donné d’abord des explications à ce sujet, nous avancerons ainsi sur notre chemin, montrant qu’aucun des êtres n’est mauvais par essence mais que, justement, tout ce que Dieu administre selon la génération, il l’administre comme il convient à sa propre sagesse et de façon utile à ceux pour qui il le fait.

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3  Dieu a donc créé le monde et ceux contre lesquels (est dirigé) notre discours ne sont pas partagés (dans leur avis) à ce sujet. Car même s’ils sont blâmés sur le fait (de dire) que « le monde est sans ordre », et qu’ils sont dans le doute au sujet de la forme et de la cause de son existence, à la vérité, ils reconnaissent cependant le fait qu’il provient de Dieu. Or l’homme est une partie du monde et Dieu a ainsi installé l’homme comme l’habitant raisonnable d’une cité. Mais toutes ces choses qui ne relèvent ni de la vertu ni du mal, (Dieu) les a gardées pour lui pour les administrer lui-même, et il a fait que la vertu et le mal existent seulement du fait de (l’homme), ayant posé d’avance dans sa nature la connaissance des deux, afin qu’à l’instar de la vision, il examine cela et que non seulement il achève son séjour (sur la terre) dans une connaissance parfaite, mais qu’il soit aussi l’artisan de la victoire de la vertu. L’homme donc qui, par les péchés, agit de façon injuste est blâmé à bon droit. Mais s’il commet des péchés comme ne pouvant s’en empêcher, il est blâmé injustement. Si, en revanche, il a le pouvoir de ne pas commettre de péché et au contraire le fait, il est blâmé à bon droit en tant qu’injuste et (cela) sera bel et bien appelé péché dans une parole de blâme et de réprimande, parce que ce n’est pas à bon droit que l’a commis celui qui pouvait en user (autrement), de sorte que sera péché tout ce qui est accompli illicitement, même s’il prend prétexte de ces choses qui sont dans la nature. C’est en effet l’usage inconvenant des choses qui sont dans la nature qui produit le péché. Or il existe aussi dans notre nature une raison qui examine, grâce à laquelle le péché qui est commis ne (demeure) pas caché. Si donc nous exerçons la raison qui est en nous par la patience du soin de la vertu, comme le corps qui (l’est) par l’exercice d’un mouvement mesuré, nous la rendons saine et solide. Mais si nous négligeons cela et ne la jugeons digne ni d’exercice ni de soin, elle tombe malade et se détériore, et à la fin elle s’émousse du fait de la négligence. C’est donc en nous-mêmes et de nous-mêmes qu’est cela, qu’en tout lieu nous usions avec discernement de la raison qui est en nous, comme les architectes constructeurs dont la valeur de l’œuvre est manifestée par la mesure et l’équerre. Il convient donc que nous exercions celle-ci et la cultivions

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Mesure et condition de l’homme (3-14) 3  Dieu a donc fabriqué le monde et, sur ce point, ceux contre qui se dresse ce discours ne se trouvent pas pris dans la tourmente. Car s’il est vrai qu’ils changent le monde en désordre alors qu’il est bien ordonné, du moins sont-ils d’accord sur la manière et la cause de sa venue à l’être. Or, bien que l’homme fût une partie du tout, Dieu l’a néanmoins préposé à celui-ci (le monde) comme un citoyen doué de raison et il s’est réservé d’administrer toutes les autres choses qui ne concernent pas la vertu ni le mal, mais il a fait en sorte que seulement la vertu ou le mal soit sous l’autorité de l’homme, en ayant mis d’avance dans la nature la connaissance de chacun des deux, afin que, portant celle-ci avec lui à la manière d’un œil, il traverse la vie non seulement avec une science achevée, mais qu’il soit lui-même l’artisan des réussites de la vertu. Un homme qui commet une injustice est donc accusé à juste titre de pécher. Car s’il commet le péché parce qu’il ne peut pas s’en abstenir, il subit un blâme injuste. Mais si, alors qu’il lui est possible de ne pas le faire, au contraire il le fait, il est accusé avec raison d’être injuste. Et c’est assurément à juste titre que le péché est qualifié par le terme d’accusation dans la mesure où il est commis contre la raison – dont il est possible de se servir partout –, de sorte que tout ce qui est fait contre la raison est un péché même si cela prend son origine dans les choses conformes à la nature. Car l’usage irraisonné des choses conformes à la nature fait le péché, et la raison en nous est apte à examiner les choses conformes à la nature, d’où il s’ensuit que le péché n’est pas commis à notre insu. Si donc nous exerçons continuellement la raison qui est en nous à la pratique de la vertu comme (nous exerçons) le corps par un mouvement bien mesuré, nous la rendons saine et robuste. Mais si nous ne la jugeons pas digne d’entraînement et de soin, elle s’affaiblit et devient plus obscure et, à la fin, elle s’émousse parce qu’elle est négligée. Mais il est en notre pouvoir d’utiliser partout la raison qui est en nous, comme ceux qui pratiquent l’art de l’architecture utilisent l’équerre, en vue de l’exactitude de la vertu, et de

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avec soin comme une terre travaillée pour la semence qui tombe en elle, laquelle (semence), si (la terre) est négligée, s’y corrompra.

La mesure impartie à l’homme : traité du libre arbitre et de la vertu

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4  Or c’est là qu’a émergé pour nous le doute relatif à la recherche : pourquoi avons-nous été livrés à un tel danger et à toute cette tempête, puisque c’est en nous et de nous que se trouve le fait de nous soucier de nous-mêmes et de nous négliger nous-mêmes, parce que nous ne sommes ni bons ni parfaits de manière absolue, mais, la plupart du temps, il nous arrive d’être mauvais ? Mais ce danger et cette tempête (existent) nécessairement et ne sont pas simplement avantageux, sinon nous serions privés de tout achèvement de la perfection. Car si Dieu nous avait faits de manière à ne pouvoir absolument pas pécher, il ne se pourrait pas que nous soyons bons. Chez les hommes, en effet, est bon le juste et le chaste, et c’est lorsque quelqu’un se garde de l’injustice qu’il est juste et lorsqu’il fuit la débauche qu’il excelle en chasteté. La capacité des choses qui sont opposées produit donc l’acquisition de celles qui leur sont opposées, de sorte que, si l’homme n’était pas en capacité de débauche, il ne pourrait non plus être chaste. En effet, quelqu’un pourrait dire : « À quelle débauche pouvait-il se livrer et il ne l’a pas fait ? » Car ce n’est pas lorsque quelqu’un ne peut être débauché qu’il est chaste, ni lorsque quelqu’un ne peut commettre l’injustice qu’il est juste, mais lorsque quelqu’un peut faire et commettre ces choses mais s’en abstient par la raison discriminante. Voilà (en quoi consiste) la vertu de chasteté et de justice, et non seulement en cela que (l’homme) peut agir mais aussi parce qu’il peut être provoqué par sa nature, de sorte qu’il soit loué en vérité parce qu’il a choisi de ne pas agir. Cela seul est donc la vertu qui existe parmi les hommes et il ne s’en trouve pas d’autre. Car nous n’appelons Dieu ni chaste ni courageux ni fort ni rien qui soit pareil. Il est en effet plus élevé que la vertu humaine et supérieur à celle-ci, et même s’il est appelé juste, il l’est autrement et non comme nous. En ce qui concerne l’homme, nous cherchons (à savoir) comment il est bon en tant qu’homme, car, pour chacun

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la cultiver, comme les semences jetées dans la terre, qui sont détruites quand elles sont négligées.

La mesure impartie à l’homme : traité du libre arbitre et de la vertu 4  Mais c’est ici que l’ambiguïté de la recherche émerge. Pourquoi sommes-nous exposés à un si grand danger, nous qui avons entre nos mains de montrer ou non du zèle, au point de devenir non pas complètement bons, mais au contraire, la plupart du temps et non pas quelquefois seulement, mauvaisa  ? Le danger est nécessaire, non pas simplement utile, puisque en réalité nous échouerions sur toute la ligne. Car si Dieu nous avait faits complètement incapables de pécher, nous ne saurions être bons. En effet, parmi les hommes, c’est celui qui est juste et tempérant qui est bon, et c’est en s’abstenant de l’injustice qu’il devient juste et en fuyant la débauche qu’il s’accomplit en tempérance. Donc l’aptitude aux contraires engendre l’acquisition des contraires, de sorte que si quelqu’un n’était pas en puissance de débauche, il ne saurait devenir tempérant. Car quelqu’un pourrait dire : « Mais pourquoi donc, alors qu’il était capable de commettre un acte de débauche, ne l’a-t-il pas fait ? » Car ce n’est pas l’incapacité de commettre la débauche qui fait la tempérance, ni l’inaptitude à commettre l’injustice qui fait la justice, mais le fait de pouvoir le faire et de s’en abstenir par la raison, voilà ce qu’est la vertu de la tempérance et de la justice, et non pas de pouvoir seulement, mais d’être provoqué par la nature, afin qu’il y ait quelque authentique louange à choisir de ne pas le faire. Car voilà la seule vertu, et aucune autre ne saurait se trouver parmi les hommes. Car Dieu ne doit être appelé ni tempérant ni courageux ni rien de tel – il est en effet au-dessus de la vertu humaine : même s’il est appelé juste, c’est dans un autre sens, car il ne l’est pas comme nous le sommes ; mais l’homme Cf. Augustin, De Genesi contra manichaeos 2, 28, 42, éd. Monat, Dulaey, Scopello, Bouton-Touboulic 2004, p. 376-377 (« Pourquoi Dieu a-t-il fait l’homme, en sachant qu’il pécherait ? »). a 

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des êtres qui existent, la mesure de sa nature est taillée pour lui de sorte qu’il ne peut ni en sortir ni la transgresser. Or telle est la vertu parfaite : que (l’homme) ne soit ni en déficience par rapport à (sa nature) ni inférieure à elle. Quelle mesure est donc taillée pour l’homme en vue de l’achèvement de sa vertu et pour qu’il soit bon si ce n’est la chasteté, la justice et les autres (vertus) ? Car l’homme ne peut être bon en dehors de cela. Mais si la chasteté est la maîtrise par rapport aux désirs et au plaisir, il est nécessaire qu’il soit en puissance des désirs et du plaisir qui sont opposés à la chasteté, à l’encontre desquels la maîtrise recevra à la fois le nom de la chasteté et sa réalité. Mais le fait de ne pas être en puissance des désirs et du plaisir produit l’inverse, qui est privation de chasteté. Et de cette sorte sont aussi la justice et les autres (vertus). Mais si quelqu’un dit : « Il fallait que nous soyons tels que nous n’admettions pas les choses opposées, la débauche et l’injustice, tout comme Dieu », celui-ci ne dirait rien d’autre sinon qu’il fallait que nous ne soyons pas des hommes, comme si quelqu’un voyait et observait un aigle qui s’envole tout là-haut, mais s’enflammait contre la nature du cheval et blâmait cruellement celle-ci de ne pas ressembler à la nature de l’aigle alors qu’il faudrait qu’un tel (homme) compare et examine le cheval par rapport au cheval, son congénère. 5  Dieu a donc fait l’homme homme, un corps avec une âme. L’habitant du monde est en effet corporel. Celui-ci, donc, s’il est bon autant que la nature de l’homme le permet, se trouvera être vainqueur et parfait. Mais qu’on cherche de quelle manière l’homme est bon, et tu demanderas alors si Dieu l’a fait ainsi. Maintenant donc, l’homme est bon s’il est chaste et juste. S’il était possible, en effet, que l’homme soit bon sous un autre mode, qui soit meilleur, le créateur serait blâmé de ne pas avoir fait l’homme bon sous ce mode. Mais si, selon la mesure de la nature de l’homme, il n’est rien de meilleur pour l’homme que de participer à la chasteté, à la justice et aux autres (vertus) comme cellesci, on cherchera à nouveau comment l’homme peut être chaste et

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en tant qu’homme, comment pourrait-il être bon, c’est ce que nous cherchons à savoir. Car pour chacun des êtres a été délimitée une mesure de la nature, qu’il est impossible de franchir, mais le fait de ne pas rester en-deçà est vertu parfaite. Quelle mesure a donc été délimitée pour l’homme en regard de la vertu et du fait de devenir bon ? Ce sont la tempérance, la justice et les autres (vertus). Car il est impossible que l’homme devienne bon au-delà de celles-ci. Mais si la tempérance est maîtrise des plaisirs, il faut être en puissance des contraires de la tempérance, dont la maîtrise constitue le nom et l’acte de la tempérance. Le fait de ne pas être en puissance des plaisirs entraîne directement une privation de la tempérance. Il en va de même pour la justice et les autres (vertus). Mais si quelqu’un rétorquait qu’il faudrait que nous soyons, comme Dieu, incapables d’admettre les contraires – la débauche et l’injustice –, un tel homme ne dirait rien d’autre que le fait qu’il faudrait que nous ne soyons pas des hommes, comme si quelqu’un, en contemplant un aigle voler haut, quelque part dans le ciel, s’indignait contre la nature du cheval et la blâmait amèrement de n’être pas voisine de celle de l’aigle, alors qu’il faudrait examiner le cheval en rapport avec sa nature de chevala . 5  L’homme, Dieu l’a donc fait, c’est-à-dire une âme avec un corps. L’habitant du monde est en effet corporel. Ainsi, celui-ci, s’il devient bon autant que sa nature d’homme le permet, se trouvera estimé. Il faut donc chercher à savoir comment un homme pourrait devenir bon, et interroger Dieu pour savoir s’il l’a fait ainsi. Donc un homme deviendrait bon, s’il était tempérant et juste. Car s’il est possible que l’homme devienne bon d’une meilleure façon, il faut accuser le créateur de n’avoir pas produit l’homme bon selon cette façon. Si, en revanche, dans la mesure où il n’y a rien de meilleur dans la nature de l’homme, l’homme a besoin de la tempérance, de la justice et des autres vertus, il faut chercher à savoir comment à nouveau il est possible que l’homme soit tempérant et Même argument (mais avec l’image de la pierre et du bois, au lieu de l’aigle et du cheval) chez Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 180, 9-14. a 

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juste. Car son créateur veut qu’il soit dans ces (dispositions). La chasteté ne peut donc exister sans quelque comparaison et épreuve de ce qui lui est opposé, et il en va de même pour la justice. Sinon, ni la chasteté ni la justice n’existeraient. Mais s’il ne se trouvait pas que le chaste et le juste existent sous ce mode, puisqu’il est impossible pour l’homme d’être chaste et juste autrement, alors le créateur serait blâmé à bon droit pour avoir fait l’homme de manière à ce qu’il ne puisse être bon, je veux dire chaste et juste, car c’est seulement sous ce mode et sous aucun autre qu’il en viendra à être célébré et à paraître digne de la sagesse de celui qui l’a fait. 6  Mais si celui qui parle contre nous persiste en ces choses et dit qu’il fallait que l’homme soit chaste par sa nature et non par le labeur, il néglige encore et omet cette (question, à savoir) : « Qu’est-ce que la chasteté et quel est son être ? », et il dévie vers un choix privé de discernement et de connaissance, si, posant le fait qu’il ne peut sans chasteté ni justice être digne de celui qui l’a fait, il ne désire rechercher le mode de l’acquisition de ces (vertus). Car le fait d’être dans le lien de la nature n’est pas la chasteté, laquelle ne peut être connue et éprouvée par un autre moyen que par les contrariétés (suscitées par) les désirs et le plaisir. On cherchera donc en ce qui la concerne les choses qui lui sont opposées afin que, les combattant et les vainquant, elle soit et soit nommée en vérité chasteté. Et il en va de même pour les autres (vertus). 7  Ainsi donc, Dieu n’a façonné l’homme ni bon ni mauvais par sa nature, mais il a concédé et livré à sa volonté et à sa connaissance le choix de l’excellence. Mais si on demande maintenant comment existe ce qui n’est ni bon ni mauvais, qu’on observe le tout petit enfant, qui est proclamé séparé de ces deux (extrêmes), je veux dire qu’il n’est ni bon ni mauvais. C’est pourquoi l’être de celui-ci est beau. Cependant, le fait d’être bon par la vertu ne lui a pas encore été ajouté. De la même façon aussi, l’or est beau par sa nature, cependant, selon la raison de la vertu, il n’est pas bon parce qu’il est inanimé. Et de même aussi, les pierres précieuses et toutes ces choses qui existent, chacune d’entre elles se trouve dans la beauté de son propre aspect. Donc, selon ce raisonnement, l’homme aussi est beau, et il est excellemment beau en son être et

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juste. Car celui qui l’a créé veut qu’il en soit ainsi. Donc la tempérance ne saurait exister sans la comparaison de son contraire, et de même pour la justice. Sinon, il n’y aurait pas de tempérance ni de justice. S’il n’était pas possible d’être juste et tempérant de cette façon, il n’y aurait pas d’autre façon pour l’homme d’être juste et tempérant, et alors c’est avec raison que le créateur serait blâmé parce qu’il aurait fait en sorte que l’homme ne puisse pas devenir bon, je veux dire tempérant et juste, selon cette seule et nulle autre manière par laquelle il parviendrait à avoir bonne réputation et à être montré digne de la sagesse de celui qui l’a fait. 6  Mais si le contradicteur persiste à dire que c’est par nature et non par le labeur qu’il aurait fallu que l’homme devienne tempérant, à nouveau délaissant la question « qu’est-ce que la tempérance ? », celui-là incline vers un choix privé de raison, d’une part en posant que, sans tempérance ni justice, il est impossible d’être digne de celui qui nous a faits, mais d’autre part en ne voulant pas examiner la manière d’acquérir ces (deux vertus), parce que ce qui advient par le lien de la nature ne saurait être de la tempérance, qui n’est absolument pas caractérisée autrement que par la résistance aux plaisirs. Elle a donc besoin des choses opposées, afin qu’en les combattant et en les dominant, elle soit nommée et devienne tempérance. Il en est de même pour les autres (vertus). 7  Ainsi, il a formé l’homme ni bon ni mauvais par nature, mais il a confié à sa raison le choix du meilleur. Mais si ce n’est ni bon ni mauvais (qu’il a formé l’homme), on cherche encore ce qu’il pourrait être. Il faut examiner le petit enfant, caractérisé par la suppression des extrêmes, je veux dire qu’il n’est ni bon ni mauvaisa. Car son essence est belle, mais il n’a pas encore acquis le bien dérivant de la vertu. À ce titre, l’or aussi est beau par nature, mais il n’est pas bon selon l’idée de vertu, puisqu’il est inaniméb. Et il en est de même des pierres précieuses et de tous les êtres, chacun a  Cf. Épiphane, Panarion 66, 18, 7, éd. Holl 1933, p. 42, 7-10 : « Ensuite, lorsqu’il en vint à l’homme, (Dieu) n’a pas dit que l’homme est bon ni qu’il est mauvais ». b  Sur la distinction du bon (ἀγαθόν) et du beau (καλόν), voir Aristote, Métaphysique Μ, 3, 1078a 31-23, éd. Jaeger 1957 : « le premier (le bon ou le bien) ne se

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en cela même qu’il est et qu’il existe. Mais le fait d’être bon, ce qui lui est ajouté uniquement par la vertu, c’est par le labeur qu’il l’acquiert. Aussi est-ce pour cela que Dieu l’a fait : afin qu’il possède cela de lui-même et par lui-même. Si donc il lui avait donné la capacité et n’avait auparavant placé dans sa nature la connaissance de la vertu et du mal, il semblerait avoir établi un cocher aveugle sur un char rapide. Cependant, s’il mêle les deux ensemble, à la fois la capacité en vue de l’acquisition de la vertu et la connaissance en vue du discernement et de l’assurance de son choix, il a d’avance fait un professionnel de ce cocher que sont connaissance et intellect hégémonique. Et celui-ci conduit en (toute) sécurité le char de sa nature si toutefois il ne s’assoupit ni ne s’endort dans sa course, et n’est renversé ni ne tombe sous le coup des plaisirs et des désirs. 8  Donc, par son être et sa nature, l’homme est beau comme l’or, comme les pierres précieuses et comme l’œuvre de Dieu, mais qu’il soit bon ou au contraire mauvais, cela est le fait de sa volonté. Car ces choses sont à sa portée dans la mesure où il peut les accomplir. Elles sont en effet des formes qui sont accidentelles en lui, selon les habitudes et les mœurs qui sont en lui, et selon sa volonté et son choix, de manière que le mal aussi est constitué par la seule action et qu’avant d’être accompli, il n’existe pas. L’homme a donc un pouvoir sur le mal qui peut être accompli, non afin qu’il accomplisse celui-ci, mais que, ne l’accomplissant pas, il soit trouvé excellent et victorieux. Car s’il n’avait pas le pouvoir de l’accomplir, son créateur paraîtrait l’avoir écarté par envie de cette victoire et l’avoir privé de la liberté, de sorte que, de lui-même et par luimême, il ne puisse être bon. Et alors ce qui est considéré comme une possession défectueuse, cela est en vérité possession excellente et grande de la nature, et dès lors le mal ne vient absolument jamais contre lui comme par violence, parce qu’il n’existe pas selon l’être. Et s’il n’avait pas sur lui de pouvoir, il n’aurait pas non plus en lui-même celui de le fuir. Or il le fuit non pas comme quelque chose qui existe, car il n’existe pas, mais comme ce qui peut exister par lui. Comment, en effet, acquerrait-il la haine du mal, ce qui est excellent, s’il ne pouvait accomplir ces choses et, par sa volonté, se détourner d’elles  ? Car la vertu chez les hommes, semble-t-il, n’est rien d’autre que le refus et l’abstention des maux. En effet, est

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selon la beauté propre qui s’offre à la vue. Selon ce raisonnement, l’homme aussi, tout en étant beau et même très beau par l’essence et par le fait même d’être, c’est cependant par le labeur qu’il acquiert le bien, qui vient s’ajouter par la seule vertu ; voilà pourquoi Dieu a fait en sorte que cela soit en son pouvoir. Si donc il lui avait donné la puissance, sans introduire auparavant dans sa nature la connaissance de la vertu et du mal, il aurait semblé placer un cocher aveugle sur un char très rapidea. Si, en revanche, il a mélangé les deux, aussi bien l’aptitude à l’acquisition du plus beau que la connaissance en vue du discernement et de l’assurance du choix, il a défini comme un professionnel ce cocher qu’est l’intellect, et celui-ci conduira en toute sécurité le char de la nature, à moins que, s’étant endormi durant la course, il ne soit renversé par les plaisirs. 8  Par essence et par nature, l’homme est beau comme l’or, comme une pierre précieuse, comme l’œuvre de Dieu, tandis qu’il est bon ou au contraire mauvais par son intention. Car ces choses sont à sa portée comme pouvant être accomplies ; or, ce sont des qualités qui surviennent selon la conduite innée et le choix qui résulte de l’intention, de sorte que le mal, qui est constitué seulement dans l’action, n’existe pas avant d’être accompli. Cependant, l’homme a la puissance du mal qui peut être accompli, non pas afin qu’il l’accomplisse, mais afin qu’il soit révélé meilleur parce qu’il ne l’a pas accompli. Car s’il n’avait pas la puissance de l’accomplir, il semblerait subir la jalousie du créateur destinée à faire obstacle à sa bonne renommée et à le priver de sa condition d’être libre, dans l’idée qu’il n’aurait pas en son pouvoir le fait d’être bon, si bien que ce qui semble être une indigence se trouve être au plus haut point un véritable avantage de la nature. Ainsi donc, en aucun cas, le mal ne l’attaquera par violence, puisqu’il n’existe pas par essence. Mais si (l’homme) n’en avait pas la puissance, il n’aurait pas en son pouvoir de le fuir. Il fuit en effet ce qui n’existe pas, non pas en tant qu’existant, mais comme pouvant exister de son fait. Comment aurait-il acquis la haine du mal, ce qui est une très belle chose, s’il ne rencontre jamais que dans le domaine de l’action (ἐν πράξει), tandis que le beau se trouve aussi dans les êtres immobiles (ἐν τοῖς ἀκινήτοις) » (trad. Tricot 1986, 732). a  Cf. Platon, Phèdre 246a 2-d 5, 253c 6-254b 4.

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chaste celui qui n’est pas débauché, et juste, celui qui n’est pas injuste, et il en va de même pour les autres (vertus). Or Dieu est bon, non pas en raison du fait qu’il n’agit pas de façon injuste, même s’il le peut, mais seulement à cause de ses secours et de ses bontés. Voilà pourquoi aussi lui seul est bon. Mais chez les hommes, c’est avant tout dans la fuite du mal que subsiste ce qui est bon, car il est nécessaire que le pouvoir de ces choses soit à sa portée de manière à ce que celui qui veut être bon ait, de lui-même et par lui-même, (la possibilité) de ne pas commettre de maux. Même si de celui qui est parfait, en plus de la fuite des maux, on exige aussi l’accomplissement des choses bonnes, c’est cependant cela qui est plus grand et c’est en cela qu’est la victoire, (à savoir) la fuite des maux. Car ainsi celui qui est sans faute, personne ne le trouvera en aucune manière chez les hommes, dans la mesure où cela est une victoire excellente parce que l’abstention des péchés est chose difficile. C’est en effet surtout de cette manière que la vertu est scellée et achevée. Car une bonne action se rencontre parfois aussi chez ceux qui sont très mauvais. Il est donc manifeste que le bien est présent en l’homme par ce pouvoir qui lui a été donné de pécher, puisque c’est en s’en gardant qu’il est victorieux et pas autrement. 9  C’est donc en raison de cette liberté que l’homme est honoré, parce que se trouve en lui, selon sa nature, la connaissance des choses bonnes et des choses mauvaises qui peuvent être accomplies, car avant d’être accomplies, elles n’existent pas. En effet, comment l’acte existe-t-il quand celui qui l’accomplit n’existe pas ? De sorte que c’est à cause de cela que le mal vient à l’existence et aussi disparaît, quand il est accompli et quand il n’est pas accompli. Donc, Dieu aussi, qui est bon et qui seul sait favoriser et accomplir le bien, n’accomplit pas le mal en quoi que ce soit, et ce n’est pas par ignorance qu’il se détourne du mal ni par faiblesse qu’il lui est parfaitement étranger et qu’il est éloigné de cela. Comment en effet l’ignorerait-il, lui qui enseigne de ne pas commettre les maux ? Et comment serait-il convenable de penser que c’est par incapacité que Dieu évite les maux ? Car ce n’est pas par incapacité de commettre l’injustice qu’est bon celui qui est bon, mais par la puissance achevée de ne point le vouloir. Mais si nous disons que Dieu ne peut commettre l’injustice, nous disons quelque chose de beau.

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refusait pas de son propre chef de faire de telles choses, alors qu’il est capable de les faire ? Car, chez les hommes, la vertu n’est pour ainsi dire rien d’autre que le refus du mal. En effet, est tempérant celui qui n’est pas débauché, et juste celui qui n’est pas injuste, et il en va de même pour le reste. Car Dieu est bon, non par le fait de ne pas être injuste, même s’il le peut, mais par le fait de seulement faire le bien ; voilà pourquoi aussi lui seul est bon. Mais, chez les hommes, le bien consiste d’abord en la fuite du pire, dont il est nécessaire que la puissance soit à leur portée, afin qu’il soit au pouvoir de celui qui veut être bon de ne pas le faire. Car même si on réclame de l’homme parfait, en plus de la fuite des contraires, l’accomplissement du bien, cependant la fuite du pire est un meilleur expédient en vue de la bonne renommée. Ainsi, en effet, on ne pourrait nullement trouver l’absence de fautes chez les hommes, étant donné que le fait de s’abstenir du péché est plus glorieux à cause de la difficulté, puisque c’est surtout de cette façon que la vertu est caractérisée. Or nous trouvons une bonne conduite même chez ceux qui sont très méchants. Il est donc évident que l’homme fait le bien en vertu de la puissance de commettre des fautes, puisque c’est en s’en abstenant – et pas autrement – qu’il acquiert du renom. 9  C’est donc par la liberté à l’égard de la vertu et du mal que l’homme est honoré, parce qu’il possède par nature la connaissance de ces choses qui peuvent être accomplies, mais qui n’existent pas avant d’être accomplies. Où serait en effet ce qui est accompli s’il n’y avait pas quelqu’un pour l’accomplir ? De sorte que le mal apparaît et disparaît selon qu’il est accompli et ne l’est pas. À son tour, Dieu aussi, étant bon et sachant seulement faire le bien, ne fait aucun mal, et ce n’est ni par ignorance qu’il s’abstient du mal ni par impuissance qu’il en est tout à fait séparé. Car comment celui qui enseigne à ne pas le faire l’ignore-t-il ? Et comment est-il raisonnable de penser que c’est par impuissance que Dieu s’abstient du mal ? Car ce n’est pas par impuissance de commettre une injustice que le bon est bon, mais par la puissance parfaite de ne pas le vouloir. Et si nous disons que Dieu ne peut pas commettre quelque injustice, assurément nous parlons bien.

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10  Or, nous posons qu’il ne le peut pas non comme une incapacité, mais en raison de la supériorité (qui lui permet) de ne point le vouloir, et à cause du fait qu’il ne change pas en regard de l’abstention des maux. En effet, puisqu’il est immuable dans sa nature, il a aussi la volonté immuable accomplir de maux. Il le peut donc mais il ne les accomplit pas du fait de la nature d’une volonté immuable et ainsi, le mal n’existe pas non plus auprès de Dieu, non seulement en substance mais aussi en acte. Mais parce que chez les hommes n’existe pas le refus immuable du (mal) – même si quelqu’un s’élevait à la vertu au plus haut point–, c’est par l’agir seulement qu’il sera estimé exister et il n’existera pas avant l’agir. 11  Ainsi donc, Dieu a honoré l’homme qu’il a créé à sa propre image (cf. Gn 1, 26) afin que, comme lui-même est bon par la liberté de sa nature, de même aussi l’homme, par la liberté de sa volonté, soit semblable à Dieu, (l’homme) qui se détourne des maux non pas en raison de l’incapacité de sa nature mais qui par sa liberté honore la vertu. Et cela est parfaitement et suffisamment indiqué par le fait qu’en de nombreuses occasions de nombreux changements se produisent en regard de la vertu et du mal chez les hommes en qui aucune de ces choses ne serait solidement fixée par une longue habitude. Car toutes ces choses que nous accomplissons sous la contrainte de la nature, nous n’en admettons pas de changement. Mais toutes ces choses que nous faisons suivant la raison de notre volonté, celles-là existent de temps en temps différemment en nousmêmes selon les vouloirs que nous avons de nous incliner d’un côté ou de l’autre. Cela n’est donc pas dans la nature des hommes de pécher par nécessité, mais d’accomplir des choses mauvaises suivant leur volonté. Or le labeur même de la vertu montre et fait connaître qu’elle est (le fait) de la volonté de ceux qui l’acquièrent, car, quand se produit chez eux un tant soit peu de négligence pour les choses la concernant, leur possession est en danger et en péril. 12  Mais si quelqu’un produit à l’encontre de notre discours le fait qu’« existe celui qui parfois veut s’abstenir des actes mauvais, mais dit : “Je ne le peux pas” », qu’il apprenne qu’une passion qui a

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10  Cependant, ce n’est pas à sa faiblesse que nous attribuons le fait de ne pas pouvoir, mais à son excellence dans le non-vouloir et au caractère indéfectible de son abstention du pire. Étant en effet immuable par nature, il possède comme immuable le fait de ne pas vouloira faire quelque chose de mal, de sorte qu’il le peut, mais ne le fait pas en raison de la nature immuable de son non-vouloir. Et ainsi, le mal n’a pas de place chez Dieu, non seulement par le fait de ne pas exister, mais aussi par le fait de n’être pas accompli. Mais puisque le refus du mal n’est d’aucune façon immuable pour les hommes, même si quelqu’un s’est élevé à la vertu, (le mal) semble exister seulement s’il est accompli, mais s’il n’est pas accompli, il ne préexiste pas non plus. 11  Ainsi donc, Dieu a comblé d’honneurs l’homme, l’ayant créé à sa propre image (cf.  Gn 1,  26), afin que, tout comme luimême est bon par la condition libre de sa nature, de même l’homme lui aussi soit un imitateur zélé de Dieu par la condition libre de son intention, s’abstenant de pécher non pas par l’impuissance de sa nature, mais honorant la vertu par sa condition libre. Cela est attesté à suffisance aussi par le fait que l’on trouve de fréquents et nombreux changements vers la vertu et le mal chez les hommes, chez qui ni l’une ni l’autre de ces choses n’est solidement implantée par une longue habitude. Car les choses que nous faisons par nécessité de nature, nous n’en admettons pas de changement, alors que celles que nous faisons en raison de l’intention, se manifestent en nous de façons diverses, selon les inclinations qui se trouvent dans l’intention. Donc pécher ne relève certes pas du naturel ni du nécessaire chez des hommes, mais mal agir relève de la faculté de vouloir. Le labeur de la vertu atteste lui aussi la faculté de vouloir de ceux qui l’ont acquise, eux pour qui l’acquisition est en danger, si se produit chez eux un tant soit peu de négligence. 12  Mais si quelqu’un avance contre ce discours le cas de celui qui veut parfois s’abstenir de viles actions, tout en disant qu’il Le syriaque (II, 10, 5) n’a pas traduit la négation dans τὸ μὴ βούλεσθαί τι (II, 10, 4). a 

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été longtemps dans un corps ne peut être facilement changée et abolie. Il en va de même aussi pour la disposition non belle de l’âme : parce qu’elle fut longtemps fixée en elle, il ne lui est pas facile de fuir ces choses dans lesquelles elle se trouve par une longue habitude, mais si quelque bonne passion, plus grande, s’introduit, elle chasse celle qui la précédait. C’est en effet ainsi aussi qu’en de nombreuses occasions, des hommes se sont élancés avec une véhémence extrême, sans restriction, vers l’accomplissement de quelque chose de mal : ou bien celui qui voulait commettre l’adultère a vu le mari de la femme et a été empêché par la crainte de la dénonciation de son désir, ou bien il a été retenu par le souvenir de la loi. Et un autre qui veut vivre dans le brigandage a réprimé son désir par la crainte de la condamnation. Ainsi donc, les péchés sont les œuvres des passions et ne découlent pas de la nature. Et quand nous tous, à qui est dévolue la modération, nous aimons, selon la réflexion commune à nous tous, les lois dans lesquelles il n’y a ni rémission ni excuse, nous établissons à l’encontre de ceux qui font le mal et nous montrons par l’action même que ce n’est pas par leur nature qu’ils ont été menés sous la contrainte mais que c’est selon leur volonté qu’ils choisissent d’accomplir des (actes) mauvais et méritent la condamnation. 13  Mais puisque les disciples de Mani entreprennent aussi autrement de montrer et de rétorquer que deux natures opposées existent en nous du fait que « parfois nous méditons des maux et parfois des biens », nous leur dirons que, puisqu’il y a dans notre nature la connaissance des deux, nous sommes nécessairement mus vers les réflexions sur les choses que nous connaissons, sans subir de détriment en quoi que ce soit mais aussi en (en) tirant profit parfaitement, en cela que nous choisissons et honorons ce qui est beau et excellent. Car comment l’inclination et le choix des hommes qui choisissent l’excellence par leur volonté seraient-ils glorifiés si la réflexion en vue des deux, injustice et justice, n’existait pas dans leur nature ? La connaissance est en effet nécessairement exigée à cause du discernement ; la concupiscence les choses qui ont été connues et la volonté incline vers celles qu’elle veut. Or ces choses ne sont pas des parties distinctes de l’âme mais elles sont

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n’en est pas capable, qu’il apprenne qu’une passion qui est depuis longtemps dans le corps n’est pas facile à changer. De même aussi, une disposition de l’âme qui n’est pas bonne, lorsqu’elle est fixée par le temps, n’est pas facilement portée à échapper aux contraintes qui dérivent d’une longue habitude, excepté si quelque bonne passion, plus grande, ne s’introduit et ne chasse la précédente. Par exemple, un tel, alors qu’à de nombreuses reprises il s’était irrésistiblement lancé dans quelque vile action, ou qu’après s’être proposé de commettre l’adultère, il avait vu le mari de l’épouse, a reculé devant son désir par peur des reproches ou par souvenir des lois. Un autre, après s’être proposé de commettre un larcin, a retenu son désir par peur du châtiment. Ainsi, les péchés sont les œuvres des passions et non les efflorescences de la nature. Nous tous qui avons part à la modération, nous honorons et nous chérissons les lois qui châtient inexorablement ceux qui font le mal. Ainsi, selon l’opinion commune, c’est par nos actes que nous posons le principe selon lequel ce n’est pas contraints par la nature que nous commettons le mal, mais que c’est en le choisissant intentionnellement que nous méritons d’être châtiés. 13  Mais puisque les disciples de Mani tentent de faire admettre d’une autre façon encore qu’« il existe en nous deux natures opposées, par le fait que nous envisageons tantôt des choses viles, tantôt des bonnes », il faut remarquer que, comme la connaissance des deux est naturelle en nous, nous sommes mus nécessairement vers le désir de ce que nous connaissons, sans subir aucun dommage que ce soit, mais tirant notre profit de tout par la préférence de ce qui est plus beau. Car comment le mouvement vers le meilleur serait-il attesté comme volontaire chez les hommes, si la réflexion ne se rapportait pas par nature aux deux, à l’injustice aussi bien qu’à la justice ? Car la connaissance est nécessaire en vue du discernement, la réflexiona évalue les choses dont on a pris connaissance, et l’intention incline vers ce qu’elle veut. Ce ne sont pas là des parties différentes de l’âme, mais en quelque sorte des opérations La version syriaque, qui rend ἐνθύμησις (II, 13, 11) par ‫( ܪܓܬܐ‬II, 13, 12), tourne le sens du grec dans la ligne du désir plutôt que de la réflexion. a 

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comme les actes de celle-ci. En effet, de même que notre propre œil a (la capacité) de voir par sa nature les actions des autres, parfois mauvaises, parfois bonnes, et qu’il n’est la cause d’aucune d’entre elles – en effet, la connaissance perçoit par la vision et discrimine ce qui est vu –, de même la réflexion, comme l’œil, est nécessairement mue vers les choses qui peuvent être accomplies et ce n’est pas par contrainte que l’âme est conduite vers elles mais c’est par la connaissance de sa nature qu’elle s’en approche. Car si nous le voulons, nous pensons en même temps des choses qui sont opposées, mais nous ne pouvons accomplir en même temps des choses qui sont opposées. Ainsi donc, l’action discrimine par le choix de la volonté. Or, la réflexion témoigne de la connaissance du bien et du mal, qui est dans notre nature. Car si nous ne connaissions d’avance ces choses, nous ne les penserions pas non plus ni ne choisirions l’excellence, et nous nous priverions aussi de tout. Il arrive cependant à plusieurs de se complaire dans le mal parce qu’ils sont d’ores et déjà retenus par des mœurs odieuses. Voilà pourquoi il convient aux hommes de s’occuper au plus haut point de l’éducation de leurs enfants plus que les cultivateurs de la terre ne s’occupent de la croissance de leurs plantations. Donc, le fait de prendre la réflexion qui est en nous en témoignage des deux natures opposées ressemble à ceci, comme si quelqu’un disait que la vision est le mélange de toutes les couleurs parce qu’elle se porte sur toutes celles-ci. 14  Donc, grâce à ces choses qui ont déjà été dites, il est apparu parfaitement qu’il était nécessairement convenable que l’homme reçût aussi le pouvoir de pécher parce qu’il a été créé de telle façon qu’il ne pouvait acquérir autrement l’excellence du triomphe et de la victoire, ce que Dieu, parce qu’il est bon et non envieux, a établi dans sa nature. Il est en outre apparu aussi qu’il n’existe pas même une seule contrainte qui nous oblige à penser qu’il existe, à cause de l’injustice et des péchés des hommes, une Matière mauvaise sans commencement, opposée à Dieu, ni (nous oblige) aucunement à penser que le mal existe dans l’être et dans la substance, mais qu’il est constitué par l’agir seul.

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de celle-ci. Il n’appartient néanmoins pas à notre œil de voir par nature, à l’occasion, autre chose que des actions aussi bien mauvaises que bonnes et il ne saurait être responsable d’aucune des deux – c’est l’intellect en effet qui reçoit la vue et qui discrimine les choses vues. De même aussi, à la manière de l’œil, la réflexion est nécessairement mue vers les choses qui admettent le passage à l’être, sans contraindre l’âme vers celles-ci, mais en se portant vers elles par la connaissance naturelle. Par exemple, si nous le voulons, nous envisageons les contraires en même temps, mais nous ne pouvons accomplir les contraires en même temps. Ainsi l’action est délimitée par le choix de l’intention, et la réflexion atteste la connaissance naturelle de la vertu comme du mal. Car si nous ne connaissions pas à l’avance ces choses, nous ne discernerions pas ni ne choisirions le meilleur, puisque nous en serions privés du fait qu’en général nous choisissons le pire, vu que nous sommes sous l’emprise de conduites mauvaises. C’est pourquoi il faut que les hommes s’appliquent à l’éducation des enfants plus que les cultivateurs à la croissance des plantes. Ainsi, le fait de prendre notre réflexion comme preuve de deux natures opposées serait tout à fait comme si quelqu’un disait que la vue est le mélange de toutes les couleurs, puisqu’elle se porte vers toutes celles-ci. 14  Ainsi donc, le fait que l’homme a nécessairement reçu la capacité de pécher, puisqu’il est venu à l’existence de telle façon qu’il n’aurait pas pu acquérir autrement le pouvoir de bien agir, chose que Dieu, qui est bon et sans envie, a placée dans sa nature, et le fait que, en même temps, à cause des injustices qui existent chez les hommes, il n’y a aucune nécessité de croire qu’une Matière et un Mal sans principe s’opposent à Dieu ni non plus de penser d’aucune façon que le mal existe par essence, mais qu’il tient son existence dans l’action, tout cela a été démontré à travers ce qui a été dit précédemment.

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Gouvernement divin et raison d’être des créatures (15-62) Les inégalités apparentes dans la condition humaine : la richesse et la pauvreté 122

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15  Il nous faut désormais parler, selon notre capacité, au sujet du gouvernement de Dieu, plein de toutes sagesses, et au sujet des créatures, qui ont été vainement condamnées au Mal par Mani le fou. Celui-ci, en effet, blâme de nombreuses choses qui se trouvent chez les hommes, (en disant) qu’«  elles existent de manière désordonnée », et il critique la richesse et la pauvreté, la santé et la maladie (en disant) qu’« elles n’existent pas selon l’égalité ». Et cela encore : «  À de nombreuses reprises, les malfaiteurs échappent au châtiment de la loi », et « l’innocent reçoit le châtiment », et encore : « Parfois aussi les méchants exercent principauté et domination sur les autres ». Quant à nous, nous dirons donc contre ces (allégations) que l’homme est entré dans le monde, du fait de son créateur, pour qu’il ne fasse commerce de rien d’autre si ce n’est de l’adoration de Dieu et de la vertu, de sorte que, possédant en effet ces choses, il accomplisse son séjour (sur la terre) de façon belle et bonne, mais que, s’il les néglige, il sombre péniblement dans l’erreur. Or Dieu lui donne la nourriture pour son corps, la couverture des vêtements et d’autres protections, non pas comme des dons essentiels et précieux, mais comme ce qui est exigé par l’ordonnance d’ici-bas, puisqu’il se trouve dans un corps, afin que, grâce à ces choses, il lui soit donné de vivre et de peiner et se fatiguer sans entrave pour acquérir les choses qui ont été dites. La lumière aussi, il l’a faite corporelle, ce qui est convenable à sa nature, ainsi que l’air pour que nous respirions et l’eau et les autres choses nécessaires et requises. Car toutes ces choses se trouvent, du fait de Dieu, à égalité dans la nature, en commun pour tous les hommes, et personne ne peut dire que le pauvre possède moins l’usage de la lumière ou les commodités de l’eau, ni non plus la respiration et le souffle de vie qui sont dans la nature, ainsi que la nourriture qui est nécessaire et requise dont, même si elle ne se trouve pas sans sueur, le mode de la dispensation, pour ce qui est approprié et requis pour la vie de chacun, est cependant égal et commun. Et l’or, l’argent et les pierres précieuses, ces choses aussi

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Gouvernement divin et raison d’être des créatures (15-62) Les inégalités apparentes dans la condition humaine : la richesse et la pauvreté 15  Maintenant, il faut parler autant que possible du gouvernement tout à fait sage de Dieu ainsi que des créatures vainement compromises avec le Mal par Mania . Il stipule, en effet, qu’« il y a un grand désordre dans les affaires qui nous concernent, jetant le discrédit sur la richesse et la pauvreté, la santé et la maladie comme des choses inégales, ainsi que sur le fait que celui qui agit mal échappe souvent au châtiment des lois, mais que l’innocent est châtié et que les méchants s’emparent parfois du pouvoir sur les autres ». Il faut donc dire que l’homme est amené à la vie par le créateur pour ne faire commerce de rien d’autre que de la seule piété et vertu. Car s’il a acquis ces dernières, il pourra traverser cette vie de belle façon, mais s’il ne s’en est pas soucié, il pourrait être misérablement submergé dans son erreur. Mais Dieu lui a donné la nourriture du corps et la protection des vêtements et toute autre couverture non comme des dons premiers mais comme des choses nécessaires pour l’organisation de son existence ici-bas, afin que, doté d’un corps, il puisse vivre grâce à ces choses et qu’il recherche avec diligence le labeur et l’acquisition de ce qui a été dit. Il a fourni la lumière corporelle et adaptée à sa nature, l’air pour la respiration, l’eau et toutes les autres choses qui sont nécessaires. Car ces choses provenant de Dieu sont naturellement communes à tous les hommes et on ne pourrait pas dire que moins de lumière échoit au pauvre, ou moins d’approvisionnement en eau, ni assurément moins de respiration, chose la plus naturelle pour vivre. Et il se procure la nourriture nécessaire, même si ce n’est pas sans sueur ; toutefois, la façon de s’approvisionner pour vivre selon la nécessité est commune à tous. L’or, l’argent et les pierres précieuses, c’est de lui aussi que proviennent ces choses pour ceux qui les possèdent, cependant elles n’apportent pas plus de contribution a 

Le syriaque (II, 15, 3 : « Mani le fou ») surtraduit.

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proviennent de lui pour ceux qui les possèdent, mais elles ne sont pas très utiles au commerce dont on a déjà parlé, sinon qu’elles l’entravent plutôt. En vérité, cependant, ce commerce qui a été d’avance établi par Dieu pour les hommes, ce n’est pas du fait de la pauvreté qu’il n’est pas poursuivi, ni davantage n’est-il facilité par la richesse, mais il est facilité par les deux pour ceux qui sont diligents et qui se soucient de parcourir le chemin qui a été disposé pour eux. Car, dans la pauvreté, par la patience et par la liberté, et dans la richesse, par l’humilité et le fait d’honorer celui qui la donne plus que les dons qui sont faits par lui, il est possible (à l’homme) d’accomplir ce à quoi il s’emploie, de sorte que ni le pauvre ne vainc sans labeur ni fatigue dans cette affaire, mais la constance et l’application lui sont nécessaires s’il se trouve en lui de la négligence, de peur qu’en raison de sa pauvreté, il n’accomplisse quelque chose de vil, ne s’afflige et ne s’irrite contre elle, et ne mette à nu sa volonté, parce que, plus que Dieu, il honorerait les choses qui lui sont données par lui ; ni non plus celui-là qui a acquis une grande abondance de richesse, ne peut, sous le mode de l’achat, acheter la crainte de Dieu et la vertu mais le labeur et une abondante sueur lui sont nécessaires. Il est en effet bien plus probable que, pour celui-ci, sa pensée se trouve dans une grande tourmente, lui qui est partagé dans ses réflexions et son souci à l’endroit des choses qui lui sont extérieures et à l’endroit de celles qui sont en lui et dans son âme, de sorte que, si, d’une manière absolue, il ne pense pas au sujet de la richesse qu’elle est superflue et ne la méprise, et qu’il n’y a pour lui que cette seule œuvre, l’amour envers Dieu, il sera complètement submergé par l’erreur de l’ignorance parce qu’il n’aura pas compris ce qui seul est le bien premier et l’aura abandonné, et se sera fait l’esclave d’une richesse morte qu’il laissera à d’autres et mourra. Pareillement donc, ni le riche ni le pauvre ne possède sans labeur ni tempête la route de la vertu, et pour aucun d’eux, elle n’est impraticable, mais ils diffèrent l’un de l’autre en ces seules choses qui existent en dehors d’eux-mêmes, sans qu’il y ait en elles aucun profit en vue de ce voyage qui est établi pour nous. 16  Et cela aussi, la sagesse de Dieu l’a disposé de manière nécessaire. En effet, le pauvre s’exerce à l’endurance lorsqu’il voit la richesse chez un autre et la volonté du riche est mise à l’épreuve par l’état méprisable du pauvre. Car la richesse, si la pauvreté n’en est

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au commerce dont il a été question précédemment, si tant est qu’elles ne lui font pas plutôt obstacle. Toutefois, le cheminement proposé par Dieu aux hommes n’est ni inaccessible pour la pauvreté, ni plus facile pour la richesse, mais dans un cas comme dans l’autre il est au pouvoir des plus zélés de suivre la route qui s’étend devant eux. Car la pauvreté, par la force d’âme et l’état de liberté, et la richesse, par la modération et le fait d’honorer davantage celui qui a donné que ce qui a été donné, pourraient faire aboutir ce qu’elles recherchent avec zèle, de sorte que ni le pauvre ne s’adonnera sans difficulté ni peine à l’action vertueuse, mais qu’il aura besoin d’appliquer son esprit – surtout s’il lui arrive d’être insouciant – pour ne pas faire quelque action indigne de sa condition libre à cause de sa pauvreté et dévoiler, par colère contre celle-ci, sa propre intention, comme s’il honorait, plutôt que Dieu, les dons qui viennent de lui, et (de sorte que) ni celui qui possède une très grande aisance ne puisse non plus, à la façon d’un achat, se procurer à lui-même piété et vertu, mais qu’il ait besoin de plus de sueur en vue de cela. Car il est naturel qu’un tel homme soit agité dans sa pensée, partagé qu’il est entre le souci pour ce qui lui est extérieur et pour ce qui concerne son âme, de sorte que, à moins qu’il ne pense que la richesse est une chose complètement accessoire, et qu’il considère l’amitié envers Dieu comme la seule œuvre (à poursuivre), il sera submergé dans une déraison totale, sans comprendre que, pour avoir laissé le premier et seul bien, il devient esclave d’une richesse morte, qu’il abandonnera à d’autres après son départ. La route de la vertu n’est donc pareillement sans danger ni pour le riche ni pour le pauvre, et elle n’est certes pas non plus inaccessible pour aucun des deux, puisqu’ils diffèrent l’un de l’autre seulement par les circonstances extérieures, sans qu’il n’y ait en elles rien de plus en vue du chemin qui s’étend devant eux, puisque cela aussi a été disposé de manière nécessaire par la sagesse de Dieua . 16  Car le pauvre s’exerce continuellement à l’endurance, lorsqu’il voit la richesse chez un autre, et le riche est mis à a 

La coupure entre les chapitres 15 et 16 est différente en grec et en syriaque.

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pas proche, n’a aucune utilité – car à qui fera-t-elle la charité ? – et la pauvreté non plus n’est pas éprouvée si la richesse ne lui est pas opposée. Mais à la vérité, ce n’est pas tout riche qui se trouve dans le bonheur, ni tout pauvre qui se trouve dans l’impuissance et l’infortune, puisque lui seul est heureux qui a en lui-même, en plus, les vraies bonnes actions de la vertu – qu’il soit riche ou pauvre – car c’est pour cela aussi que l’homme a été créé par Dieu, puisqu’il convenait, d’une part, qu’il reçoive de Dieu d’exister et que, d’autre part, de lui-même et par lui-même, il reçoive en plus d’être bon, Dieu l’aidant. Car Dieu veut que l’homme aussi acquière, de lui-même et par lui-même, son être propre, puisqu’il est doué de raison, pour avoir une assurance digne de louange. Or donc, non plus, n’admirons-nous ni ne donnons pour heureux l’homme riche qui prospère dans le mal, ni ne demeurons-nous dans le doute au sujet de la providence de Dieu parce qu’est riche celui qui est ainsi. En effet, qu’a de plus l’homme mauvais (qui est) riche ? Par-dessus le marché, que ne lui manque-t-il pas ? Ce ne sont pas les insomnies ni les tempêtes à cause de son argent, ni les chagrins à cause des dépenses, qui sont plus grands que les plaisirs que (procurent) les richesses. Car ce qui est proche ne satisfait pas autant que ne tourmente ce qui est éloigné. Et pendant tout ce temps, ses désirs augmentent en même temps que sa richesse et ainsi, sa réflexion demeure continuellement, sans répit, en tout temps, dans une passion sans retenue, et son corps, en de nombreuses occasions, se consume et se délabre en même temps que sa réflexion. Et ce qui semble être excellent, la possession de celui qui possède une richesse excessive, est pire qu’une possession déficiente. Car les plaisirs et l’abus de couches molles amassent de temps en temps des maladies de toutes sortes. Mais le pauvre, du fait de la frugalité du régime qui (lui) est imposé et demandé, fait abonder et profiter la santé pour son corps. Et quel est celui qui peut dire que le corps n’est pas plus honorable et de plus de valeur que les choses qui lui sont extérieures ? Si donc, pour ceux qui possèdent avec modération les choses qui sont nécessaires, l’apparence et la force de leur corps persistent dans la santé mais que pour ceux qui s’abandonnent à un plaisir sans modération, la force même de leur corps périclite et tombe, comment n’est-il pas évident qu’en cela aussi la richesse est inférieure à la pauvreté ? Et cela, à moins que quelqu’un ne se

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l’épreuve quant à sa disposition d’âme par le dénuement du pauvre. En effet, si l’indigence n’est pas présente, la richesse est inutile : à qui ferait-elle en effet la charité ? Et la pauvreté n’est pas éprouvée si la richesse ne s’y oppose pas. Et, d’une manière générale, être riche n’est pas un état heureux, ni être pauvre un état digne de pitié, puisque celui-là seul est heureux chez qui se trouve le bonheur assuré de l’âme selon la vertu – qu’un tel homme soit riche ou pauvre –, ce en vue de quoi l’homme a été fait par Dieu, parce qu’il convenait qu’il reçût de Dieu le fait d’être, mais qu’il prît sur lui-même de devenir bon, avec l’aide de Dieu ; car Dieu veut que l’homme, en tant qu’être raisonnable, ait quelque chose qui vienne de lui-même (sc. l’homme) en vue d’une glorieuse assurance. C’est pourquoi nous n’admirerons ni n’estimerons heureux un homme riche qui agit mal, ni nous ne douterons de la providence de Dieu parce qu’il est riche tout en étant tel. Car qu’a de plus un homme mauvais quand il est riche ? Au contraire, que n’a-t-il en moins ? Les insomnies et les dangers à cause de ses richesses, les chagrins des dépenses plus importants que les plaisirs des acquisitions. Car ce qui est présent ne réjouit pas autant que chagrine ce qui est absent, et toujours les objets du désir augmenteront avec la richesse, au point que le raisonnement cohabite sans interruption avec une passion irrésistible et que, souvent, le corps se consume en même temps que le raisonnement. Ce qui semble un avantage de celui qui possède l’aisance est plus pénible que l’indigence. Car en vivant dans le plaisir et en s’abandonnant à la mollesse de la couche, il tombe parfois dans des maladies diverses, alors que le pauvre, par la frugalité de son genre de vie imposé par la nécessité, procure à son corps la santé. Cependant, qui pourrait dire que le corps n’est pas plus estimable que les choses qui lui sont extérieures ? Mais si l’état du corps demeure plus fort chez ceux qui sont modérés quant aux choses nécessaires, mais aussi que la vigueur du corps périclite chez ceux qui se sont relâchés vers une mollesse sans limite, comment n’est-il pas tout aussi patent que la richesse, selon ce raisonnement, est inférieure à la pauvreté ? À moins que l’on ne trouve quelqu’un qui manque même du nécessaire, ce qui n’arrive jamais à celui qui a du zèle pour la vertu. Le plaisir des

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trouve manquer même des choses qui sont nécessaires, ce qui n’arrive cependant jamais à celui qui est assidu dans la vertu. Mais est-ce que le plaisir du régime qui (s’obtient) par de grandes dépenses perdure dans la perception de ceux qui en usent en tout temps, ou bien, au contraire, ne diminue-t-il pas davantage en raison d’une longue accoutumance, de sorte que le fait de s’approcher de la jouissance ne leur procurera rien de plus ? Car toujours ce qui est habituel est méprisable. Or pour le pauvre, ce qui est frugal est plaisant et doux à cause de la santé, mais ce qui (s’obtient) par de grandes dépenses, si une fois cela lui arrive, parce que ce lui est étranger et nouveau, il le reçoit comme jouissance du plaisir. Donc en cela aussi, quiconque use de réflexions droites trouvera que le pauvre a plus que le riche.

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17  Maintenant, de la même manière aussi, la santé et la maladie sont absolument nécessaires. Car la santé est utile à la facilité dans la réalisation et l’accomplissement de la vertu, et de même pour la maladie, il arrive parfois qu’elle le soit à la réprimande et à l’empêchement de ce qui provient des péchés. Car, en de nombreuses fois, la pensée est aidée par les obstacles qui (proviennent) de l’extérieur, et également, d’une manière différente, l’épreuve des maladies fait se souvenir du bienfait qui se trouve dans la santé en vue de la crainte (de Dieu). Car elle serait grandement dans le mépris si, d’elle-même, elle persistait toujours à moins qu’il ne se trouve quelque chose qui l’entrave. Mais que quelqu’un d’humble se trouve dans la maladie et quelqu’un de pervers et d’orgueilleux dans la santé, l’un est saisi par l’aide de la retenue de sorte que la vie de son séjour (sur la terre) soit sans mépris, mais l’autre est livré aux fautes comme celui qui est rejeté et renvoyé, et dont on désespère. Mais encore, si celui qui est arrogant et très impie tombe dans la maladie et que celui qui est humble se trouve dans la santé, ce n’est pas pour être secouru ni pour qu’il perçoive (son état) que (celui-là) reçoit la punition, mais afin d’être utile par l’exemple à ceux qui le voient ; quant à l’autre, parce qu’il est sans entrave, il peut se conduire paisiblement et se convertir, car c’est à cause de cela qu’il est demeuré sans maladie. Et les deux sont toujours et partout utiles, et il est en vérité misérable et fou celui qui, à

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mets coûteux perdure-t-il dans la perception de ceux qui en font continuellement usage ou n’est-il pas plutôt fortement déprécié par une longue accoutumance  ? Au point que de tels hommes n’ont rien à ajouter à leur plaisir. Car ce qui est habituel est toujours facile à mépriser. Mais pour le pauvre, la frugalité est très agréable à cause de la santé, tandis que le luxe – si cela lui arrivait un jour – lui est étranger et tout à fait nouveau en vue d’une jouissance sans limite. De la sorte, d’après cela, celui qui use de raisonnements droits trouvera que le pauvre possède plus que le riche.

La maladie et la santé 17  De façon similaire, la maladie et la santé sont nécessaires. Car la santé est nécessaire en vue de l’injustice faite à l’œuvre de la vertu, et la maladie est parfois nécessaire en vue du renversement du péché. Car souvent le raisonnement est aidé par les obstacles extérieurs ; en particulier l’expérience des maladies remet en mémoire le bienfait de la bonne santé pour inciter à la crainte (de Dieu). (La bonne santé) serait même tout à fait facile à mépriser, si elle demeurait entièrement la même du fait que rien ne pourrait l’entraver. Mais s’il arrive que l’homme modéré soit malade et l’arrogant en bonne santé, le premier est retenu, aidé par l’obstacle en vue de conserver le caractère irréprochable de sa propre vie, et le second est abandonné à commettre des fautes, comme un désespéré. Mais si, au contraire, l’homme arrogant et tout à fait impie tombe dans la maladie, tandis que le modéré est en bonne santé, l’un est châtié non pas afin d’être aidé dans sa prise de conscience, mais afin qu’il soit utile à ceux qui le voient à titre d’exemple, et l’autre, parce qu’il est à même de vivre calmement sans entraves, demeure sans maladie. Et, dans l’ensemble, ces deux choses sont utiles en tout point, et misérable

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cause de ces choses, nie et blâme la providence de Dieu. Car une seule maladie est corruptrice, celle qui rend mauvaise la conduite de l’âme de manière à la détourner de la vertu, cette âme qui, cependant, si elle se maintient sans dommage dans la connaissance de celle-ci, que son corps se trouve dans la maladie ou dans la santé, perçoit l’aide et l’utilité de chacun de ces (états). Car même si la maladie ne détourne ni ne terrifie tout à fait les malfaiteurs, est-ce que, parce qu’il arrive parfois que les malfaiteurs échappent à la punition des lois, nous pouvons dire que les lois n’infligent ni crainte ni restriction aux malfaiteurs parce qu’ils ne passent pas par le châtiment en regard de toutes les choses qu’ils commettent, ou bien la magnificence et le caractère admirable de la sagesse de Dieu ne sont-elles pas visibles en cela aussi comme à partir de toute chose ? Car, s’il était toujours évident qu’il n’est pas possible que quelqu’un qui accomplit quelque chose qui est réprouvé par la loi fuie le châtiment et y échappe, celui qui ne commet pas de péché serait grandement de mauvais aloi, sans mise à l’épreuve, car ce serait par la crainte qui provient de la punition et non par la haine des actions mauvaises que tous seraient retenus de (commettre) des fautes. Mais il convient à celui qui est appliqué que ce soit davantage à cause de la haine (du péché) qu’il ne l’accomplisse et non à cause de la crainte de la souffrance (causée par le châtiment) qu’il soit retenu, même si (cela) arrive injustement. Voilà pourquoi de nombreux malfaiteurs échappent au châtiment des lois, puisque celui-ci n’est pas le châtiment des péchés mais paraît seulement être châtiment. Car la mort qui existe selon la nature survient également sans châtiment et le châtiment des malfaiteurs que personne ne fuit ni n’évite est donc autre chose. Cependant, de nombreux hommes échappent à ce châtiment, de sorte que le fait même qu’il leur soit possible de passer inaperçus et d’échapper est la pierre de touche de la connaissance et de la volonté des hommes. Et ce qui a été dit s’étend à tous, aussi bien voleurs, menteurs que ceux qui osent commettre de grands méfaits. 18  Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que la volonté des hommes serait grandement mise à l’épreuve si aucun malfaiteur convaincu (de l’être) ne recevait de châtiment mais que cela serait même au contraire une incitation aux mauvaises actions si, d’aventure, parmi les malfaiteurs, certains n’étaient pas appréhendés ni ne recevaient le châtiment de la loi. Voilà pourquoi les deux sont également né-

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est celui qui, à partir de cela, renie ou calomnie la providence : car la seule maladie funeste est celle qui fait du mal à la disposition de l’âme pour la détourner de la vertu. Donc ceux chez qui la raison demeure intacte, que leur corps soit malade ou en bonne santé, percevront l’utilité de l’un et de l’autre (état). Car si la maladie ne retient pas tout à fait celui qui agit mal, puisqu’il arrive aussi que les méchants échappent parfois aux lois, est-ce à dire qu’à cause de cela, la loi ne serait pas un obstacle à la méchanceté, puisqu’elle n’aboutit pas chez tous ceux qui lui sont soumis, ou que le spectacle admirable de la sagesse de Dieu n’apparaît pas là comme partout ailleurs  ? Car s’il était parfaitement clair qu’il n’est nullement possible que celui qui a accompli quoi que ce soit parmi les choses interdites échappe au châtiment des lois, l’abstention du péché serait équivoque et tout à fait dénuée de valeur. Car tous s’en abstiendraient par crainte du châtiment, non par haine de la méchanceté ; mais il faut que celui qui est zélé haïsse le fait de faire (le mal) plutôt que celui de subir (le châtiment), même si cela ne survenait pas de façon juste. C’est pourquoi la plupart des malfaiteurs échappe aux lois, puisque ce n’est pas là le châtiment de ceux qui pèchent, mais seulement un semblant de punition. Car la mort selon la nature pourrait aussi survenir sans châtiment, de sorte que, pour ceux qui transgressent la loi, la punition inéluctable est autre, mais que la plupart échappe à celle qui existe chez nous, si bien que la possibilité de passer inaperçu est une mise à l’épreuve de la raison humaine. Et, d’une façon générale, ce qui a été dit s’étend aussi bien au voleur qu’au menteur, ainsi qu’à ceux qui entreprennent de commettre les plus grands maux.

18  Mais quelqu’un pourrait dire que l’intention des hommes serait davantage mise à l’épreuve si aucun malfaiteur reconnu comme tel n’était puni, mais qu’au contraire, le fait que certains coupables de mauvaises actions ne tombent jamais sous le coup des lois serait une incitation à mal agir. C’est pourquoi l’un et l’autre sont nécessaires, aussi bien le fait que le malfaiteur tombe,

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cessaires et exigés, que le malfaiteur soit saisi par le châtiment en vue de l’exemple et de la retenue, et aussi qu’il y échappe en vue de la mise à l’épreuve de la volonté et de la connaissance de l’humanité. Car à l’homme, lui qui provient ainsi de Dieu, a été créé libre et a reçu pouvoir de choisir, de lui-même et par lui-même, aussi bien la vertu que le mal, il a été donné que, de l’extérieur aussi, son raisonnement soit aidé et soutenu de quelque manière afin qu’il se souvienne et se remémore les choses qui l’aident par la crainte aussi bien que par l’absence de crainte, dans l’incitation et la retenue (qui proviennent) de la maladie et de la santé, de la pauvreté et de la richesse, et de toutes ces choses qui semblent opposées les unes aux autres. C’est en effet pour une seule (fin) qu’unanimement elles surviennent et s’approchent : afin d’exercer et de soumettre à l’examen la connaissance et la volonté de l’humanité pour qu’elle ne s’endorme pas trop, qu’agitée et poussée de-ci de-là, elle veille à l’action et à l’œuvre de la crainte de Dieu et de la vertu. 19  Mais s’il arrive que reçoive un châtiment quelqu’un qui, non seulement, est sans faute et innocent mais même un homme admirable et que cela soit exigé (de lui) sous couvert de vertu, quel dommage lui advient-il, lui à qui cela survient ? Car on blâmera ceux qui lui ont fait cela, mais celui qui pâtit n’est en rien affligé même s’il supporte jusqu’à la mort un châtiment injustifié. Car un tel (homme) s’est certes d’avance exercé dans le monde à la condition mortelle. Quiconque, en effet, pour qui n’est agréable rien de ce qui est agréable pour les autres et pour qui ce qui lui est agréable est seulement quelque chose qui n’est pas agréable pour la multitude, comment celui-là ne serait-il pas mort pour le monde avant sa propre mort ? Et il reçoit comme un bienfait ce qui semble relever d’une tromperie et d’une fraude à son égard, parce qu’il espère qu’après ce monde-ci, de plus grands biens lui échoiront, ceux-là même dont il semble être éloigné (et) vers lesquels il est rapidement envoyé par ses ennemis, et il accueille ses détracteurs comme des bienfaiteurs. Aussi était-il par ailleurs nécessaire et exigé que viennent de Dieu la permission et la concession pour la jalousie qui (se trouve) chez les hommes, afin que l’épreuve et l’exercice existent en vue du choix de la vertu, s’il n’y a pas non plus de crainte face à la mort.

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pour créer un exemple qui détourne (du mal), que le fait qu’il y échappe, pour la mise à l’épreuve de la raison. À l’homme qui agit librement en regard du choix de la vertu et du mal, lui qui a été ainsi créé par Dieu, il est donné que, de l’extérieur, sa pensée, de quelque manière, soit aidée et soutenue, par exemple par la peur et l’absence de peur, par des encouragements et des paroles dissuasives, par la maladie et la santé, par la pauvreté et la richesse. Et toutes les choses qui semblent s’opposer les unes aux autres, tendent unanimement vers un seul but, à savoir d’exercer l’esprit humain à ne s’endormir en rien et à se réveiller une fois secoué de ci de là, en vue du labeur de la piété et de la vertu.

19  Et même s’il arrivait que quelque homme non seulement innocent, mais encore admirable, soit châtié, et qu’on lui demande justice de sa vertu, quel tort cela apporterait-il à celui qui subit cela ? Car cela blâme ceux qui le font, mais ne nuit pas à celui qui l’endure, même s’il supporte jusqu’à la mort les effets d’une punition dépourvue de fondement. Car un tel homme s’est certes d’avance exercé à la mort dans les choses qui concernent la vie. En effet, celui pour qui rien n’est agréable ou désagréable parmi les choses qui le sont pour la plupart, comment un tel homme ne se trouve-t-il pas mort à la vie avant même d’être mort ? Recevant comme une grâce ce qui passe pour un complot, en vertu de laquelle, après la vie présente, il s’attend à rencontrer des biens plus grands que ceux qu’il semble abandonner, ce vers quoi il est rapidement conduit par ses ennemis, il tient ceux qui complotent (contre lui) pour des bienfaiteurs. Par ailleurs, chez les hommes, il est également nécessaire que Dieu permette l’épreuve, dans l’idée que le choix de la vertu serait plus estimé si on ne prenait pas garde à la mort.

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20  Lorsque nous voyons encore des méchants et des cupides qui parfois détiennent le pouvoir et se voient confier le gouvernement, comprenons que cela aussi est une permission qui est selon l’économie de Dieu. Car lorsque se sont multipliés les péchés de ceux qui sont soumis à (leur) autorité, c’est pour un juste châtiment que des princes iniques dominent sur eux, qui imposent le châtiment de ce qu’ils accomplissent et tirent vengeance de ce qu’ils font, afin qu’il soit davantage évident qu’il n’y a pas d’injustice qui ne soit sans châtiment. La droiture du juge paraît en effet en ce que, ne commettant rien de mal, il châtie ceux qui commettent des maux. Mais si celui qui est juge est lui-même l’instigateur de ces mêmes choses et qu’à ceux qui agissent comme lui il impose le châtiment, davantage et copieusement, afin de paraître ne pas commettre (luimême) quoi que ce soit de mal, il sera manifestement reconnu que la justice règne et domine, et avec cela, il sera davantage visible par la crainte que c’est à juste titre que supportent (des châtiments) ceux-là qui, à cause de leurs mœurs et de leurs actions mauvaises, se sont à bon droit mérité de tels princes. Car des sentences comme celles-là, qui proviennent de Dieu à l’encontre des pécheurs, se trouvent aussi de façon manifeste dans les Écritures saintes. 21  Maintenant, ce Mani, qui est gravement fou, pour que prévale chez lui cette doctrine qui porte sur le principe du Mal sans commencement et son blasphème contre Dieu, n’a rien laissé sans calomnie parmi les choses qui sont sous le gouvernement de Dieu. Car, à de nombreuses reprises, il se trouve que nous voyions même des justes qui, parce qu’ils ont péché, se retrouvent sous la main des impies, tout comme il en irait d’un fils de bonne naissance qui n’obéirait pas à ses parents et serait giflé par des serviteurs afin qu’en plus de la douleur des coups, la condition méprisable de celui qui le gifle fasse (elle) aussi rougir et change celui qui agit sottement. Car il n’y a qu’une seule chose, comme nous l’avons dit, et elle est vraie, (à savoir) que de l’homme, lui qui provient de Dieu, cela est exigé, au cours de sa vie, de vaincre par le discernement de sa connaissance et de ne rien entreprendre si ce n’est d’être dans la vertu. Car c’est en considérant seulement cela qu’il sera vérita-

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La domination des justes par les injustes 20  Quand nous voyons parfois des hommes mauvais et cupides dominer et se voir confier le pouvoir, il faut savoir que cela aussi est une permission de l’économie divine. Car s’il arrivait qu’abondent les manifestations du péché de ceux qui sont sous leurs ordres, l’injustice de ceux qui sont au pouvoir serait un juste châtiment, puisqu’ils puniraient ce qu’ils accomplissent et châtieraient ce qu’ils font, de sorte qu’il serait tout à fait évident qu’une illégalité ne puisse demeurer impunie. La droiture du juge, puisqu’il ne commet aucun mal, semblerait punir ceux qui en commettent. Mais si celui qui juge, tout en étant lui-même l’initiateur de telles choses, châtie ceux qui en commettent de similaires, et ce d’autant plus copieusement, afin de convaincre que lui-même ne commet rien de vil, la justice apparaît manifestement dominante et tout à fait terrible, vu que ceux qui tombent à juste titre sous la coupe de tels chefs à cause de la perversité de leurs mœurs sont soumis à la justice. Car de telles sentences provenant clairement de Dieu à l’encontre des pécheurs se trouvent aussi dans les Écritures saintesa. 21  Cependant, l’insupportable fou, afin que prévale chez lui le dogme du Mal inengendré et du blasphème contre Dieu, n’a rien laissé sans calomnie parmi le gouvernement de Dieu. Il arrive souvent de voir que même des justes, parce qu’ils ont péché, sont sous la domination d’impies, comme on voit un enfant de bonne naissance, qui n’obéit pas à son père, être frappé par un étranger, afin qu’avec la souffrance des coups, la basse condition de celui qui les administre change elle aussi celui qui commet des fautesb. Car nous avons dit une seule et unique chose, et elle est vraie, à savoir qu’on exige de l’homme créé par Dieu qu’il se conduise droitement durant sa vie selon le jugement On peut évoquer ici Achab (3 R 16, 29-33) ou Manassé (4 R 21, 1-18). L’image de la correction (παίδευσις) appliquée au fils rebelle ou au mauvais serviteur apparaît également en 1 Kephalaia 99, p. 250, 15-30, éd. Böhlig 1966. a 

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blement heureux, même s’il n’avait rien d’autre dans le monde. Si donc, en tout discours qui (porte) sur la providence de Dieu, nous nous rappelons cela, il n’est rien des choses qui sont administrées par Dieu qui sera tenu ne pas être équitablement et être désordre. Car si quelqu’un trouvait que, pour l’un, la marche dans la crainte de Dieu et la vertu soit dégagée et facile, et que, pour l’autre, elle soit entravée et barrée, on pourrait estimer en cela qu’il y a faute dans le gouvernement (divin), qui ne serait pas équitable en regard de ce qui est précisément le seul principe de tous les biens. Mais si cela seul par quoi quelqu’un est vraiment heureux est également disponible pour le pouvoir commun à tout homme, quelle inégalité trouvera-t-on, même si on est grandement querelleur, quand les choses mêmes qui sont extérieures à nous se retrouvent à égalité, dans leur excellence et leur surabondance, pour les réflexions honnêtes, puisque ce n’est pas moins mais même davantage que le pauvre profite, plus que le riche, des aliments qu’il reçoit ? Et ainsi en est-il aussi du vêtement, même s’il est de valeur modeste. Et cela même est le mode de la sensation en ces choses qui sont proches d’elle et auxquelles elle est habituée, de sorte que l’un ne perçoit pas davantage parce que l’habitude émousse et altère la perception, ni l’autre moins du fait que, (pour) lui aussi, en raison de l’habitude, l’indigence n’agit pas sur sa perception. Car voici que les barbares qui, la majeure partie de leur corps se trouvant dans la nudité, dorment privés de couverture et sans lit, et se sustentent de nourritures méprisables et inférieures, jamais n’ont consenti à renoncer à l’habitude de la façon de vivre qu’ils chérissent, parce que, du fait de l’habitude, rien ne leur paraît manquer à leur façon de vivre, mais, en fait, parce qu’ils n’ont pu renoncer à leur façon de vivre, sinon ils renonceraient rapidement à leur santé même et rapidement aussi perdraient même leur endurance face au froid et face à la chaleur du soleil. Or, pour ce qui est de vivre et de vivre agréablement, personne, dans l’existence, n’a rien de plus que son compagnon. Car sont communs à tous les plaisirs naturels du réveil et du sommeil, et sont communes aussi l’absorption et la jouissance des aliments si quelqu’un, avec sagesse, outre leur disparité et, par la sensation (qu’il en a), prête attention à leur utilité. Mais sont non moins mais exactement communes

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de la raison (et) qu’il ne soit injuste en rien en ce qui concerne la vertu. C’est donc en s’appliquant à cela et à cela seulement qu’un homme pourrait être le plus heureux, même s’il n’avait rien d’autre durant sa vie. Dès lors, si on se souvenait de ceci dans tout le discours sur la providence, rien de ce qui est administré par Dieu ne saurait être soupçonné d’inégalité et de désordre. Car si quelqu’un trouvait que le chemin de la pieuse vertu est ouvert à l’un, mais se trouve fermé à l’autre, alors l’inégalité même du gouvernement (divin) semblerait tenir un grief contre ce qui est en réalité le principe des biens. Mais si ce qui, seul, permet à quelqu’un de devenir véritablement heureux, est pareillement commun à tous en vertu de leur pouvoir (de l’acquérir), de quelle différence parlerait-on – même si l’on aime la controverse – ou de quelle inégalité, lorsque l’abondance des biens extérieurs est au contraire ramenée à égalité par le raisonnement, au point que le pauvre ne profite non moins, mais bien plus, que le riche des nourritures qui lui sont offertes ? Et il en va de même pour l’habillement, même s’il a moins de prix. Les choses qui sont habituellement à notre disposition définissent le mode de notre perception, de sorte que l’un ne perçoit pas la surabondance parce que sa perception est émoussée par l’habitude, et l’autre ne perçoit pas le manque, puisque, lui aussi, à cause de l’habitude, ne prend pas conscience du manque. Par exemple, les barbares, vivant nus pour la plus grande partie de leur corps, dormant sans lit et se nourrissant de piètres aliments, n’ont jamais supporté d’abandonner le genre de vie qui leur est cher, parce que, du fait de l’habitude, ils ne se rendent pas même compte de ce qu’il leur manque, et plus encore parce qu’ils ne sont pas capables de l’abandonner. Ou alors bien vite ils perdraient leur bonne santé et bien vite aussi ils seraient dépossédés de leur résistance au froid et à la flamme du soleil. Pour vivre, et pour vivre agréablement, personne ne dispose de plus qu’aucun autre durant sa vie. Commune à tous est en effet l’alternance naturelle du réveil et du sommeil, communes les nourritures et les jouissances, si l’on passe outre leur disparité avec bon sens et qu’on en éprouve l’utilité par la sensation. Mais non moins strictement communs sont les chagrins des âmes et des corps. Et

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aussi les afflictions de l’âme et du corps, ou plutôt trouve-t-on davantage abondance de ces dernières chez ceux qui semblent posséder beaucoup dans le monde. Donc, ces choses étant ainsi en vérité, comment l’inégalité se trouverait-elle dans l’économie de Dieu, car c’est une variété toute diverse et non l’inégalité qui paraît être établie dans les affaires des hommes ? Car autre est la diversité qui se trouve dans la sagesse splendide et glorieuse dans le monde, et autre la confusion de l’économie. Car si quelqu’un trouvait parmi les hommes des individus qui seraient sans passion et d’autres qui seraient (soumis) à la passion à la fois dans leur âme et dans leur corps, certains qui vivraient sans nourriture et certains grâce à la nourriture, ou encore certains qui n’admettraient pas de maux et certains qui en admettraient, et encore certains qui seraient mortels et certains immortels, celui-là parlerait à bon droit de confusion et d’inégalité à propos de l’économie (divine), comme si c’était plus par le sort que par la raison de l’ordre que Dieu menait les affaires des hommes. Mais si le mode et la manière de la naissance de tout homme sont les mêmes, et une et même la nourriture naturelle, et que la dispensation de ces choses nécessaires et recherchées, sans lesquelles il est impossible de vivre, est également commune à tous les hommes, mais que, d’autre part, le terme en regard de tout homme est à égalité une seule et même chose, précisément et excellemment visible en tout, celui qui accuse de confusion la providence de Dieu, soit parce qu’il est complètement aveugle, soit parce qu’il considère ces choses avec un œil haineux, il ne convient pas et il n’est absolument pas juste qu’on le croit. En effet, s’il a dit au sujet de la diversité qu’il y a en elle confusion, ainsi que dans les choses et dans l’élégance de cette variété, parfaite au plus haut point pour un artisan sage en tout, celui-là, en blâmant, blâmera donc aussi la diversité des couleurs de toutes sortes et les variétés des mets et des boissons, choses dont jouissent merveilleusement les sens de ceux qui les consomment. Car c’est de là que sont sorties les (affirmations) de ces très misérables, qui ont pensé confirmer l’inconvenante inégalité du destin par les deux principes. Mais il est parfaitement apparu aux sages qu’il n’existe absolument aucune inégalité chez les hommes.

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on en trouverait quelque surabondance chez ceux qui semblent posséder davantage dans leur vie : aussi, étant donné que même ces choses-là sont ainsi en vérité, où serait l’inégalité du gouvernement de Dieu, puisqu’il a introduit la diversité et non l’inégalité dans les choses qui nous concernent ? Car une chose est la diversité de la sagesse qui brille dans le monde, et une autre le désordre du gouvernement. Mais si quelqu’un trouvait que certains, parmi les hommes, sont par nature impassibles, et d’autres, soumis aux passions selon l’un et l’autre (élément), l’âme et le corps, et que les uns vivent sans nourriture, les autres avec, ou que les uns n’admettent pas le mal, tandis que d’autres l’admettent, ou encore que les uns sont mortels, les autres immortels, un tel homme accuserait à bon droit le gouvernement de désordre et d’inégalité, comme si c’était davantage par le sort que par la raison que Dieu gouvernait les choses qui nous concernent. Mais si le genre de naissance est le même pour tous et s’il y a une seule et même croissance naturelle, que la dispensation des choses nécessaires – sans lesquelles il est impossible de vivre – est commune à tous à égalité, et que la fin est pour tous une seule et unique chose, l’égalité se manifestant en toute chose selon la plus grande exactitude, celui qui accuse la providence de Dieu d’être désordre, qu’il soit complètement aveugle ou qu’il considère les choses avec des yeux haineux, ne mérite en aucun cas d’être cru. Car si la différence contient le désordre, un tel homme calomnie l’ornement de la diversité, alors que, précisément, il est tout à fait adapté à un artiste suprêmement sage ; dès lors, dans la foulée, qu’il en vienne aussi à accuser la diversité des couleurs et la variété des mets et des boissons, qui, justement, ravissent merveilleusement les sensations de ceux qui les portent à leur bouche. C’est de là que ces hommes des plus misérables sont partis pour aboutir à la thèse du destin, pensant établir fermement, grâce aux deux principes, l’absurdité de l’inégalité, mais pour ceux qui sont sensés, il a été prouvé qu’aucune inégalité de quelque sorte que ce soit n’est présente dans les choses qui nous concernent.

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22  Mais puisqu’ils affirment aussi que les guerres relèvent du Mal, comment se fait-il, selon ceux-là, que les destinées variables de nombre de milliers de personnes tombent parfois en même temps, voire à la même heure ? Est-ce que, par hasard, une seule (et même) destinée réunissait ceux qui sont tombés ensemble ? Et comment cela ne sera-t-il pas toujours considéré comme ridicule ? De ce fait, l’inégalité de la destinée – la grave maladie de ces trompeurs – n’a pas de place dans les affaires (humaines), car les guerres tirent leur origine de l’avidité et leur efficace leur vient de la permission de Dieu. La cause de ces choses est cependant mauvaise, je veux dire que c’est le désir de l’avarice et de l’avidité, lequel est une sottise et une faute des hommes et non de Dieu, comme il est apparu dans ce que nous avons dit précédemment. Or la mort naturelle n’est pas mauvaise. En effet, la naissance et la mort ont été décrétées par Dieu dans la nature, selon la loi, alors que ceux qui meurent ne périssent pas mais que ceux qui sont engendrés s’ajoutent à ceux qui existent. Car ce ne serait pas le fait d’un (être) bon de donner d’exister seulement aux hommes qui existent, mais plutôt de former et d’ajouter ceux qui n’existent pas à ceux qui existent de manière que ceux qui sont venus à l’existence et ont parcouru à suffisance le cours de leur vie reçoivent la mort pour repos de leur course, alors qu’elle n’entraîne pour eux nulle perdition mais que chacun est transféré de l’autre côté, d’une manière différente, selon qu’il en est digne, pour que ceux qui n’existent pas encore reçoivent un passage vers l’existence. Donc la mort, qui est décrétée selon la loi de la nature, n’est pas mauvaise, quelle que soit la façon dont elle vient et survient. Car il ne convient pas de s’interroger au sujet des différences des circonstances de la venue de celle-ci, mais de savoir cela, qu’une est sa manière, commune à tous les hommes, je veux dire que ce n’est pas sans quelque circonstance fortuite et quelque nécessité que l’âme émigre du corps, mais elle (y) demeure aussi longtemps que le domicile et l’habitation de sa nature restent sans dissolution. Il y a donc dans ce terme qui est dans la nature commune quelque crainte, celle de l’appréhension de la sentence qui lui est nécessairement inhérente, non cependant pour tous les

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La guerre et la mort 22  Puisqu’ils attribuent aussi les guerres au Mal, de quelle manière, selon eux, les destinées des nombreuses personnes, parfois des milliers, qui tombent en un seul moment, voire même en une seule heure, sont-elles différentes ? Est-ce qu’une seule destinée les réunit sous elle ? Et comment n’est-il pas complètement ridicule de supposer cela ? C’est pourquoi l’inégalité de la destinée – la grave maladie de ceux qui sont dans l’erreur – n’a pas de place dans la réalité, mais les guerres prennent leur origine dans l’avidité et tirent leur mise en œuvre de la permission de Dieu. Car l’origine de ces dernières est un mal, je veux dire le désir qui provient de l’avidité, ce que nos propos précédents ont démontré être une faute des hommes et non celle de Dieu. Or, la mort qui relève de la nature n’est pas mauvaise, car la naissance et la mort ont été instituées par nature à titre de loi par Dieu, puisque ceux-là même qui meurent ne périssent pas, mais que ceux qui naissent s’ajoutent à ceux qui existent. Car il ne relèverait pas du bon d’offrir aux seuls hommes qui sont d’être et d’exister, mais encore d’ajouter ceux qui ne sont pas à ceux qui sont, de sorte que ceux qui sont venus à l’existence, après avoir suffisamment couru à travers le stade de la vie, obtiennent la mort pour repos de leur course – mort qui ne les amène pas à la destruction, mais qui les transporte de l’autre côté selon le mérite de chacun – et que ceux qui ne sont pas obtiennent un accès vers l’existence. Donc la mort qui est fixée comme une loi par la nature n’est pas mauvaise, de quelque manière qu’elle survienne. Car il ne faut pas non plus examiner la différence des circonstances selon lesquelles elle survient, mais il faut savoir qu’il y a une seule manière commune pour tous, je veux dire précisément que l’âme ne se sépare pas du corps sans quelque circonstance et nécessité, mais qu’elle subsiste tant que son lieu de séjour naturel demeurera intact. Cependant, conjointement à cet événement naturel et commun, existe une certaine crainte qui est nécessairement ressentie pour qu’on soupçonne une punition, non pas cepen-

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hommes, mais pour ceux pour qui, dans leur ignorance, les péchés furent faciles, pour qu’ils soient retenus loin d’eux. Car quiconque est sage et se trouve dans la vertu est à la fois affranchi et éloigné aussi bien des péchés que du fait de penser au sujet de la mort qu’elle est mauvaise, mais celui qui aime les péchés craint aussi la mort du fait de la même ignorance par laquelle il a péché. L’ignorance comporte donc nécessairement ce qui lui convient et lui est approprié, pour qu’en craignant ce qui n’est pas à craindre, la crainte soit en lui, celle qui est véritablement convenable, je veux dire, qu’il fuie le dommage et le tort des péchés. Dès lors qu’abondent les péchés chez différents peuples, dont la forme est une (et la même), la cupidité, ce peuple devient pour lui-même la cause du châtiment qui est visible, celui qui a été dit selon la vérité ne pas être un châtiment parce qu’il est communément décrété selon la nature pour tous les hommes, mais aider à la fois ceux qui tombent et meurent au combat, et ceux qui sont épargnés et (sur)vivent, ceux-là parce qu’il leur procure un terme à leurs péchés, ceux-ci parce qu’il produit en eux un exemple de crainte. Or il aide aussi les justes au cas où ils s’en iraient avec la foule, car, comme pour les injustes la mort est le terme de leur injustice, ainsi aussi pour les justes est-elle, à l’instar des vainqueurs, d’une certaine manière le commencement de leur couronne. C’est donc de façon admirable qu’elle survient par la providence de Dieu, sage en toutes choses, alors qu’en effet, ce qui est estimé être un châtiment aide bel et bien, non par les choses qu’il accomplit d’une manière manifeste (et) qui sont estimées être des afflictions, mais par celles-là mêmes que, par la tolérance (de Dieu), les hommes font venir sur eux-mêmes. La guerre n’est donc pas l’œuvre de Dieu mais elle est (le fait de) sa propre permission qui est nécessaire à l’appréhension du châtiment des péchés, mais en vérité, (elle l’est) en vue d’y mettre un terme par la guerre ; même si le juste tombe et meurt – mais il n’est pas vraisemblable que le juste combatte –, il est cependant grandement secouru. Car le fait de recevoir les fruits du labeur de la vertu et d’en jouir, ce qui échoit aux justes après leur mort, est meilleur que de se garder des péchés.

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dant chez tous, mais chez ceux dont la pensée est disposée au péché, en vue de les en détourner. Car celui qui est sage selon la vertu a donc été affranchi du fait de pécher et de la croyance que la mort est pénible, tandis que celui qui aime le péché, à partir de la même ignorance par laquelle aussi il commet des péchés, a une crainte révérencielle de la mort. Pareille conséquence de son ignorance est toutefois nécessaire, afin que, craignant ce qui n’est pas à craindre, il échappe au dommage de ce qu’il convenait véritablement de craindre, je veux dire celui du péché. Quand donc, chez des peuples, abondent les manifestations du péché, dont l’unique forme est celle du désir insatiable, ils deviennent par eux-mêmes cause de la punition apparente, dont on a dit, selon la vérité, qu’elle ne saurait pas être une punition puisqu’elle est déterminée par la nature commune à tous, mais qui procure un bienfait aussi bien à ceux qui tombent à la guerre qu’à ceux qui en réchappent, fournissant aux uns le terme du péché, et produisant pour les autres un exemple à craindre ; et il procure aussi un bienfait au cas où des justes partiraient avec la foule, car, de même que la mort marque le terme de l’injustice pour les injustes, de même elle marque aussi en quelque façon un commencement de couronnes pour les justes, à l’instar des vainqueurs. C’est donc quelque chose d’admirable qui arrive grâce à la toute sage providence de Dieu : car ce qui semble châtier procure un bienfait, non pas même à cause des choses qu’il prépare lui-même directement et qui semblent pénibles, mais à cause de celles qu’il concède aux hommes qui y viennent d’eux-mêmes. De sorte que la guerre n’est pas l’œuvre de Dieu, mais une permission nécessaire qu’il accorde, d’une part, pour qu’on soupçonne qu’il s’agit d’une punition, d’autre part, en vérité, pour y mettre un terme ; même lorsque c’est un juste qui tombe – mais il est invraisemblable qu’un juste fasse la guerre – il en retire davantage un bienfait. Car le fait de jouir des fruits des labeurs de la vertu, ce qui arrive aux hommes pieux après la mort, est meilleur que de s’abstenir du mala. Sur la question des guerres et de leur justification, cf. Augustin, Contra Faustum 22, 75-76, éd. Zycha 1891, p. 673-676. a 

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23  Or ceux qui parlent contre ces choses et les combattent, avant de porter accusation à l’effet que toute mort est mauvaise, en blâment une partie. En effet, si c’est « à partir du Mal qui existe selon la substance et à partir du principe sans commencement » qu’ils disent « que les guerres existent », il leur faut montrer pour la seule mort qu’elle est mauvaise. Car s’interroger au sujet de ses causes est superflu quand ce qui arrive nécessairement demeure sans examen. Mais comment peuvent-ils dire au sujet de la mort qu’elle est mauvaise, elle qui « libère l’âme de la Matière », selon le discours de cet imposteur ? Donc, selon l’opinion commune, la mort n’est absolument pas mauvaise. En effet, ce qui survient nécessairement à tout homme n’est pas mauvais, et c’est en vain qu’ils blâment la mort qui (se produit) du fait des guerres, alors qu’elle n’entraîne rien si ce n’est ce qui est établi selon la nature. Mais si quelqu’un dit que la cause de la guerre est mauvaise, que ce soit la colère, l’inimitié ou la cupidité, il ne s’écarte pas de ce qui est convenable, mais c’est aux hommes que cela est imputable, qui sont ainsi en raison de la malice de leur volonté. Mais que la mort ne soit absolument pas mauvaise apparaîtra encore davantage ainsi : si, en effet, elle n’était pas décrétée pour tout homme, le juste se trouverait en tout temps et jusque toujours dans le labeur de la vertu, ne récoltant d’autres fruits que la sueur et la peine, et aussi l’injuste passerait sa vie pour toujours dans le plaisir des péchés, et l’une et l’autre (hypothèse) seraient grandement inconvenantes. Mais la mort entrave aussi bien le plaisir injuste des pécheurs qu’elle allège le labeur de la justice de ceux qui accomplissent de bonnes choses. En effet, puisqu’il était nécessaire pour les hommes de pouvoir aussi pécher, parce que c’est la cause du fait qu’ils peuvent aussi vaincre, que ce pouvoir leur a été donné par Dieu en vue de l’acquisition des belles et bonnes choses, et que, chez de nombreuses personnes, il dévie vers la facilité des péchés afin que la vertu, mélangée à la difficulté, soit admirable, la mort des deux est profitable, aussi bien celle du juste que de l’injuste, parce qu’à l’un elle procure le repos du labeur et pour l’autre elle produit le terme des péchés. La mort se trouvant donc non seulement ne pas être mauvaise mais plutôt bonne, et non, selon le discours de Mani le fou, parce qu’« elle libère l’âme de la Matière », elle qui n’existe pas, mais de

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23  Ceux qui combattent avec acharnement contre cela, avant d’avoir démontré que l’ensemble est mauvais, en blâment le détail. Car s’ils nous ramènent l’argument que « les guerres proviennent du Mal subsistant et du principe sans principe  », il leur aurait convenu de blâmer la mort elle-même et elle seule. Car il est superflu de rechercher les causes, alors que ce qui survient nécessairement reste sans jugement. Et comment pourraient-ils blâmer la mort, alors que, précisément, « elle délie l’âme de la Matière », selon le discours du trompeur ? Donc, selon l’opinion commune, la mort n’est absolument pas un mal – car ce qui se produit nécessairement pour tous n’est pas un mal – et c’est en vain qu’ils la calomnient à cause des guerres, elle qui n’apporte rien de plus que ce qui est établi selon la nature. Et si quelqu’un blâmait la cause même des guerres, qu’il s’agisse de la colère, de la haine ou de l’avidité, il ne s’écarterait pas de ce qui convient. Cependant, c’est aux hommes qu’il faut imputer cela, eux qui sont ainsi disposés à cause de la perversité de leur intention. Mais que la mort n’est absolument pas mauvaise, cela pourrait tout à fait être démontré de la façon suivante  : en effet, si elle n’était pas définie pour tous, le juste serait tout le temps en train de s’efforcer en vue de la vertu, ne récoltant rien de plus que ses sueurs, et l’injuste passerait son temps, immortel, dans les plaisirs des péchés. Et l’une et l’autre (hypothèse) seraient tout à fait incongrues. Mais la mort à la fois réprime le plaisir injuste pour celui qui commet des fautes et mettra fin au juste labeur pour celui qui agit justement. Puisqu’en effet il est nécessaire aux hommes de pouvoir commettre des péchés, parce que c’est la cause du fait qu’ils puissent agir bien, et puisque la puissance donnée par Dieu en vue de l’acquisition du beau et du bien, chez la plupart des hommes, incline vers la facilité du péché, de sorte que la vertu accommodée avec la difficulté soit plus admirable, la mort est vraiment utile à chacun des deux, au juste comme à l’injuste, parce qu’elle fournit à l’un le repos des labeurs, à l’autre le terme des péchés. Ainsi, puisque l’on trouve que la mort est un bien – et non pas seulement qu’elle n’est pas un mal –, non pas selon le discours de Mania, qui allègue qu’« elle délie l’âme de a 

Le syriaque (II, 23, 34 : « Mani le fou ») surtraduit.

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la façon que nous avons dite, pour quelle raison quelqu’un imaginera-t-il un autre principe, (celui) du Mal, pour la guerre et ne blâmera-t-il pas seulement la volonté mauvaise de l’injustice de ceux qui en usent ? Car ce qui se produit – pour que l’on estime justement la providence de Dieu –, non seulement du fait de la guerre mais de toute manière, est entièrement bon par sa nature et n’est pas seulement non mauvais, ce qui est visible pour les sages. Nous blâmerons donc non pas la mort qui survient dans les guerres, elle qui est établie en vue d’un secours, mais la volonté mauvaise de ceux qui en usent, surtout si ce n’est pas selon la justice, accusation dont est éloigné celui qui administre selon la providence.

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24  Mais d’une autre manière encore, Mani, le méchant fou, blâme à la fois les séismes, les famines, les pestes, les pénuries de denrées, les sauterelles et les autres choses pareilles, comme « provenant » eux aussi « du principe opposé ». Il est cependant évident pour quiconque que, dans un grand repos et l’opulence en tout, pour la plupart à l’exception de quelques-uns, tous les hommes ont coutume de se relâcher dans leur pensée, de se soumettre à la passion, de tomber et de se livrer aux plaisirs et aux désirs, et que, souvenir de la vertu, du labeur ou de la crainte de Dieu, plus une seule de ces choses n’existe chez eux. Et cela se produit vraisemblablement d’une manière ou d’une autre. En effet, lorsque les hommes ont sans mesure abondance de nourriture et de boisson du fait d’un excès d’opulence, et que leur ventre engraisse beaucoup, leur intellect s’épaissit et leur pensée s’exalte, leur âme s’alourdit et tombe dans les passions de l’erreur de l’ignorance. Mais s’il arrive un de ces accidents qui ont été dits précédemment, moins les hommes se soucient de leur ventre et moins ils servent leurs désirs, et autant qu’ils peuvent, ils poursuivent la tempérance et la crainte de Dieu, et ils excellent et sont avantagés dans leur manière (d’être) autant qu’il est possible, encore plus lorsqu’ils sont pris au piège par ces choses que lorsqu’ils s’adonnent aux plaisirs. Quelles sont donc ces choses qui sont déclarées provenir du Mal, selon le discours de celui-ci ? Sontce celles qui, même si elles affligent la sensation, sont néanmoins

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la Matière » qui n’existe pas mais de la manière susdite, à cause de quoi imaginerions-nous un principe du Mal pour les guerres et n’accuserons-nous pas seulement l’intention injuste de ceux qui s’en servent ? Car ce qui survient, que l’on pourrait imputer à la providence de Dieu, est juste non seulement du fait de la guerre, mais cela a été démontré de toute manière et universellement, par ce qui précède, comme bon par nature – non seulement comme non mauvaisa –, de sorte qu’il faut accuser la guerre, et non pas la mort qui survient, elle qui est utile, mais l’intention de ceux qui s’en servent – et surtout s’ils le font de façon injuste –, ce dont n’est pas responsable celui qui veille sur ce qui nous concerne.

Les catastrophes naturelles 24  Mais il y a encore une autre espèce de faits que l’insupportable fou met en cause, « les tremblements de terre, les pestes et les famines dues aux pénuries, aux sauterelles et à d’autres malheurs semblables, en tant que cela proviendrait également du principe contraire.  » Mais il est clair pour tous que, dans les grandes joies et les grands bonheurs, tous les hommes, excepté un petit nombre, ont le plus souvent coutume de relâcher leur pensée, de se soumettre à leurs passions et de n’avoir aucun souvenir de la vertu ni des labeurs de la piété. Et, d’une certaine façon, cela se produit naturellement. Car à chaque fois que la satiété de nourriture et de boissons est sans mesure pour les hommes en raison d’une grande abondance, à mesure que le ventre engraisse, l’intellect s’épaissit, le raisonnement devient indolent et l’âme alourdie se livre à des passions irrationnelles. Mais s’il arrive quelque malheur parmi ceux qui ont été énumérés, moins les hommes se préoccupent de leur ventre et moins ils sont esclaves des plaisirs, ils poursuivent la tempérance et la piété de toutes leurs forces, et ils améliorent leurs mœurs, autant qu’il est possible, lorsqu’ils sont accablés plutôt que lorsqu’ils prospèrent. Que pourrions-nous donc rapprocher du Mal selon Le syriaque (II, 23, 42) ajoute ici : « ce qui est visible pour les sages ». Il peut s’agir d’un commentaire du traducteur plutôt que d’une lacune du grec. a 

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au plus haut point profitables dans leur réalisation ? Et quelles sont celles qui proviennent du Bon ? Sont-ce celles qui relèvent du plaisir mais se trouvent parfois être nuisibles ? Et comment le Mal ne sera-t-il pas estimé être incitatif à la vertu et instructif pour elle plus que le Bon ? À moult reprises, en effet, ceux que la surabondance du repos ne transforme pas en vue de la vertu, les accidents et les chagrins qui surviennent les transforment. Ces rappels sont en effet en tout temps nécessaires aux hommes pour que leur pensée soit en éveil et qu’ils s’échappent et se sauvent d’une grande indolence. Car s’ils se trouvaient dans la surabondance du repos et paraissaient être éloignés d’une grande injustice et agissaient sottement en de petites choses, il y aurait peut-être pour quelqu’un occasion de calomnie (affirmant) que ces choses se produisent de manière inconvenante. Mais si c’est pour l’oubli complet de celui qui donne qu’ils reçoivent la disposition constante (et) sans envie des choses qui sont nécessaires, il est convenable et nécessaire qu’ils soient parfois éveillés au souvenir de Dieu par les accidents et les souffrances, lui dont il nous faut sans cesse et fréquemment confesser la bonté de la providence à notre endroit. Dieu administre donc ces choses en vue de l’admonition des hommes, et ce n’est pas par la passion de quelque colère dont il serait saisi mais par sa providence qu’il apparaît ainsi, à cause de ceux qui ont besoin de correction pour se convertir. Car ce ne serait pas le fait d’une miséricorde excellente et suprême si, par bienveillance, il chérissait et louait les passions humaines et que, parce qu’il ne se mettrait pas en colère, il tolérait que se produise la croissance de celles-ci. Cela serait en effet le contraire de l’amour si, ne voulant pas déroger de cette bienveillance apparente, comme un trompeur, il permettait que les hommes soient complètement renversés et tombent dans la poursuite des maux, mais, selon la raison de l’ordre, il donne aussi les choses bonnes et, également selon la raison de l’ordre, il fait nécessairement venir aussi les choses qui sont estimées être affligeantes. Car un père non plus, s’il frappe un fils qui agit mal, ne sera estimé cruel, mais, tout au contraire, s’il ne le châtiait et ne le convertissait, il semblerait que ce n’est pas selon la modération paternelle qu’il agit. Et le médecin, qui ampute et cautérise la gangrène de l’ulcère, n’est pas non plus cruel, mais dans la mesure où il se soucie de la raison de l’ordre de son art, dans

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le discours de celui-ci ? Ce qui est pénible par la sensation, mais très utile par sa mise en actes ? Et quelles choses pourrions-nous rapprocher du Bien ? Ce qui est agréable, mais parfois très nuisible ? Et comment le Mal ne semblera-t-il pas éduquer plus à la vertu que le Bien ? Souvent, en effet, ceux que l’abondance n’a pas tournés vers le meilleur, quelque chagrin et malheur survenant les ont réformés. Car de temps en temps les hommes ont besoin de tels avertissements en vue de réveiller l’intellect et de le détourner de la facilité excessive. En effet, s’il était possible de les voir, lorsqu’ils sont prospères, s’abstenir du moins des grandes injustices et ne commettre que des fautes mesurées, il serait légitime de porter une accusation en faisant valoir que de telles choses aussi ne se produisent pas avec raison. Mais si c’est pour conduire à un oubli complet de celui qui y pourvoit qu’ils reçoivent l’abondance continue des choses nécessaires, il est nécessaire aussi qu’ils soient parfois réveillés au souvenir de Dieu par des malheurs, lui à qui nous devrions en permanence être reconnaissants de la sollicitude qu’il manifeste envers nous. De sorte que c’est en guise d’avertissement pour les hommes que Dieu dispense de telles choses, sans être soumis à la passion de quelque colère, mais en se réclamant de la sollicitude et de la conversion de ceux qui en ont besoin. En effet, il ne relèverait pas de l’amour le plus élevé et rigoureux pour les hommes de minimiser les passions humaines, sous prétexte de bonté, et de les laisser s’accroître en s’abstenant de les blâmer. Car au contraire ceci ressortit de l’inhumanité, si vraiment en voulant ne pas s’éloigner de la bonté apparente, avec des desseins hostiles il consentait à ce que les hommes sombrent totalement dans l’affaiblissement du mal, je veux dire qu’en fournissant des choses utiles, à juste titre il apporte nécessairement aussi des choses qui sont considérées comme pénibles. Car un père non plus n’est pas inhumain s’il frappe un enfant qui commet une faute ; au contraire donc, s’il ne le menait pas à la conversion, il ne semblerait pas faire preuve de la modération paternelle. Un médecin, en amputant et en cautérisant la gangrène des plaies, n’est pas non plus inhumain, mais dans la mesure où il se réclame de la raison de son art, tout en traitant avec ménagement le malade, il lui

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cette même mesure, parce qu’il a pitié du malade, il lui applique dans les douleurs des remèdes sévères et vifs parce que le malade périrait du fait de l’ulcère mauvais si un remède ne lui était procuré de cette manière, et par des amputations et des cautérisations, s’il est nécessaire qu’elles lui soient appliquées, il guérit et il est en santé. Donc, selon cet exemple, ce sont les hommes plus que Dieu qui se font à eux-mêmes des choses pénibles, eux qui, par leur propre volonté, préparent d’avance et la nécessité et les moments propices pour ces choses par l’entremise de leurs propres passions. En effet, de même que ce n’est pas le médecin qui provoque le moment propice et la nécessité de la cautérisation mais que ce sont l’ulcère et la douleur antécédents qui attirent vers eux et appellent et le médecin et la cautérisation, de même aussi ce sont les passions humaines qui appellent sur elles le soin qui vient d’auprès de Dieu, qui convient à la guérison, et jamais il ne consent aux hommes (de penser) qu’il ne se soucierait en aucun temps de sa créature. Car il a permis aux hommes de choisir selon leur liberté la vertu et les actions bonnes et belles. Et, par l’intermédiaire de ces choses, il a encore soutenu leur faiblesse qui incline vers les passions lorsque, manifestement, de temps en temps, il admoneste, réprimande et corrige, et que, de façon non continue, en tout temps, il provoque des choses dures, afin de ne pas abattre leur liberté par le caractère nécessaire de tristes menaces, et il ne laisse pas non plus débridée et tolérée la véhémence de leur relâchement de peur que ne soit laissée sans guérison la prénotion des choses qui sont dans les passions. Et par ces deux (dispositions), avec une sagesse indicible, il dirige les hommes parce que, lui, il connaît le moment favorable à chacune d’elles. 25  En effet, de temps en temps, apparaissent soit des tremblements de terre, soit un manque de pluie, soit une invasion de sauterelles, et d’un coup ils inclinent tous les hommes à la crainte et (ceux-ci) s’appliquent à la supplication de celui qui peut changer ces choses. Or, si les choses qui sont estimées d’habitude agréables et douces exaltent et enflent le raisonnement et l’intelligence des

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apporte la souffrance des remèdes les plus âcres dans l’idée que le malade serait destiné à mourir de ses plaies, s’il n’était pas soigné de cette façon, mais qu’il sera sauvé, si on applique l’amputation et la cautérisation, le cas échéanta . Par conséquent, selon cet exemple, plutôt que Dieu, ce sont les hommes qui commettent les actes pénibles contre eux-mêmes, eux qui ménagent d’avance le besoin et les occasions – du moins par leur intention propre – par leurs propres passions. Car, de même que ce n’est pas le médecin qui crée l’occasion et le besoin de la cautérisation, mais que c’est la présence de la plaie qui contraint le médecin et exige la cautérisation, de même aussi, ce sont assurément les passions humaines qui provoquent chez Dieu le souci de ce qui tend à la guérison, puisque précisément il ne supporte nullement de ne pas veiller en tout temps, puisqu’ils sont son œuvre propre. Car il a accordé aux hommes d’avoir le libre choix de la vertu et de l’honnêteté. Cependant, ce qui chez nous est fêlé et incline vers les passions, il l’étaye au moyen de ces faits par lesquels parfois il nous réprimande et nous blâme d’une manière manifeste, sans apporter de façon continue des choses trop âcres, afin de ne pas chasser le libre choix par la nécessité du découragement, et sans laisser complètement libre notre penchant pour la facilité, pour ne pas laisser aller, incurables, les prédispositions aux passions, et il dispense l’un et l’autre avec une sagesse indicible en vue de l’utilité des hommes, connaissant le bon moment nécessaire à chacun. 25  Par exemple, on pourrait voir un tremblement de terre ou une pénurie de pluie ou une invasion de sauterelles, à la faveur desquelles on verrait en même temps presque tous les hommes incliner à la crainte et à la prière de celui qui peut éloigner de telles choses. Mais si les choses qui semblent habituellement agréables et utiles rendent indolente la raison humaine, tandis que les L’image du médecin dont les traitements salutaires occasionnent de la souffrance au malade apparaît en 1 Kephalaia, 85, p. 209, 30-210, 19, éd. Polotsky, Böhlig 1940. a 

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hommes, et qu’en revanche les peines et les afflictions les éveillent et les ramènent à une solide crainte de Dieu, comment quelqu’un ne reconnaîtra-t-il et ne dira-t-il pas que les unes sont administrées par Dieu au profit du corps et les autres, au profit de l’âme ? Comment donc appellerait-on des maux les choses qui éveillent les âmes à la crainte de Dieu et à la vertu, choses qui ne sont absolument pas des maux ? Car, même si ces choses apparaissent douloureuses à la sensation de ceux qui les supportent, c’est cependant en vue du secours et de la guérison des hommes qu’elles leur surviennent nécessairement. 26  Donc ce Mani, qui est vraiment fou, ne sait pas qu’en tout lieu il combat contre lui-même. Car, si l’accroissement de la Matière est nuisible, quel est celui qui ne réalisera pas que c’est le contraire de ce qu’il dit qui se produit ? Car celle-ci croît à l’encontre des hommes quand perpétuellement ils se vautrent dans les plaisirs et y demeurent, et, par un esclavage, s’asservissent à leur ventre et à ce qui vient après le ventre. Mais celle-ci diminue surtout du fait des famines, des fléaux et de la peste qui ne lui permettent pas de prospérer et d’avancer librement dans son accroissement. Il conviendrait donc bien davantage, selon son hypothèse, que celui-là appelle ces choses des biens et non des maux. Et ainsi il sera estimé se plaire à une doctrine excellente, si toutefois il n’appelle pas encore des maux ces choses qui relèvent du plaisir, qui, selon son discours, proviendraient d’un autre principe, opposé. Mais les deux sont des biens, qui proviennent d’un Dieu bon. Mais lui, parce qu’il s’est réjoui des péchés en vue de la démonstration de la substance de « ce qui, comme il pense, est le Mal », est attristé par ces choses qui, manifestement, proviennent de Dieu en vue de la correction et de l’amendement, et par lesquelles les hommes sont aidés et s’améliorent, et en de nombreuses occasions quelques-uns sont complètement et parfaitement transformés en vue de l’excellence, et ils accusent la doctrine de l’erreur et montrent qu’elle n’a ni fondement ni assise.

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choses pénibles réveillent et ramènent vers un état d’esprit plus pieux, comment quelqu’un ne dirait-il pas que les premières sont administrées par Dieu pour le bénéfice des corps, tandis que les secondes le sont pour le bénéfice des âmes ? Doit-on donc appeler des maux ce qui réveille les âmes à la piété et à la vertu ? Car même s’ils sont pénibles pour la perception de ceux qui y sont soumis, cependant ils sont infligés nécessairement pour le salut des hommes. 26  Cependant, notre authentique fou ignore qu’il se contredit lui-même de tous côtésa. Car si la croissance de la Matière est nuisible, qui ne pourrait percevoir combien se produit le contraire de ce qu’il dit ? En effet, celle-ci sera accrue contre les hommes qui prospèrent sans interruption et qui s’adonnent à la mollesse, esclaves de leur ventre et de ce qui vient après le ventreb, mais elle sera amoindrie dans la plupart des cas par les famines, les pestes et les morts, qui de cette façon ne permettent pas l’accès qui mène à l’injustice de la croissance. Par conséquent, il serait même naturel d’appeler cela de bonnes choses, selon sa propre hypothèse, plutôt que des maux. Et ainsi, il aurait semblé parvenir à un meilleur raisonnement, s’il n’avait pas nommé encore « maux » les choses agréables en les ramenant à nouveau, par le raisonnement, à d’autres principes contraires. Car les deux sont des biens, parce qu’introduits avec raison par un Dieu bon. Mais lui, se réjouissant du péché en vue de l’affermissement « du Mal qui subsiste », à ce qu’il croit, s’attriste des avertissements efficaces de Dieu, grâce auxquels les hommes, rendus meilleurs, et quelques-uns souvent complètement convertis à l’excellence, révèlent sa doctrine de l’erreur comme tout à fait sans fondement.

L’affirmation selon laquelle Mani se contredit lui-même est récurrente dans la polémique antimanichéenne ; cf., par exemple, Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 21, 3-6, éd. Casey 1931, p. 38 ; 33, 21-22, p. 49 ; 34, 20, p. 51 ; Épiphane, Panarion 66, 32, 3, éd. Holl 1933, p. 72, 15-16. b  L’expression τὰ μετὰ γαστέρα (II, 26, 5) désignant les organes sexuels est fréquemment attestée chez Philon d’Alexandrie (voir l’index de Leisegang 1926, p. 149b). a 

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27  Or, en plus de toutes ces choses, pour celles qui sont d’habitude communément accordées par Dieu à tous les hommes, s’il ne leur survenait pas même un empêchement, les hommes attribueraient leur dispensation au cours de quelque nature qui serait immuable et, les recevant, ils ne confesseraient pas plus la bonté de celui qui les donne qu’ils ne les demanderaient s’ils les avaient . Donc, de temps en temps, ils sont quelque peu privés pour qu’ils demandent, et ils reçoivent à nouveau pour qu’ils confessent la bonté du dispensateur et qu’ils sachent que c’est bien lui qui donne ces choses et non une autre nature, en dehors de Dieu, sans discernement ni changement, qui les leur dispense. Mais Dieu veut que les hommes reconnaissent la bonté qui vient de lui afin qu’ils soient dignes de recevoir ce qui provient d’auprès de lui, et non parce qu’il tire de ceux-ci quelque profit. Il veut en outre que ceuxci lui demandent des biens afin que, les recevant de lui, ils aient le sentiment de sa dispensation. Car il se réjouit de donner ces choses qui proviennent d’auprès de lui, mais il se réjouit davantage lorsqu’il les donne à ceux qui en sont dignes, comme si, en effet, la miséricorde était de cette manière méprisée si elle ne se produisait pas pour ceux qui en sont conscients, mais que, comme il convient, elle apparaissait davantage si, en plus de ce qu’ils obtiennent, ceux qui reçoivent honorent les bienfaiteurs plus que tout. 28  Mais encore, si des cités tombent à cause de l’impiété qui est grande et abondante, comme (cela) s’est produit il y a peu, dans les jours de celui qui a grandement incité à l’impiété et ravivé le souvenir de l’erreur de l’idolâtrie, le péché est détruit et l’erreur contre Dieu amoindrie, et rien ne se produit qui soit plus que la mort qui est selon la nature, et la correction qui provient de Dieu et la conver-

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Valeur pédagogique des inégalités apparentes 27  En plus de tout cela, s’il ne survenait jamais aucun empêchement des choses qui sont habituellement données en présent par Dieu à tous les hommes en commun, c’est à la fécondité de quelque nature immuable que les hommes auraient attribué l’approvisionnement de ces choses et, en recevant ces présents, ils n’auraient pas rendu grâce à celui qui en fait don, ni ne les auraient demandés s’ils ne les avaient pasa. Donc, ils en sont parfois privés pour un court instant, afin qu’ils les demandent, et ils les reçoivent à nouveau, pour rendre grâce à celui qui les fournit, sachant que c’est lui qui les offre et non quelque autre nature, étrangère à Dieu, sans discernement et immuable, qui les fournit. Et Dieu veut que les hommes lui en sachent gré, afin qu’ils soient plus dignes de les recevoir de lui, et non pas afin de récolter quelque fruit pour lui-même. Et il veut que ceux-ci demandent des biens, afin qu’en les recevant ils aient la perception de celui qui les fournit. Car il se réjouit de donner ce qui vient de lui-même, mais il se réjouit davantage de donner à ceux qui en sont dignes, comme si sa philanthropie était en quelque sorte méprisée si elle ne s’adressait pas à des hommes qui en ont une bonne perception, mais qu’elle apparaissait très raisonnable si, au-delà du fait de recevoir, ceux qui reçoivent considéraient comme au-dessus de tout celui qui dispense. 28  Et si des villes tombent du fait de l’impiété croissante, comme cela s’est précisément produit tout récemment sous le règne de celui qui fut par trop impie et rappela l’erreur des idolesb, le péché est détruit et l’erreur contre Dieu diminuée, mais il ne survient rien de plus que la mort selon la nature et les a  Le syriaque (II, 27, 6), que nous corrigeons, ainsi que la tradition grecque (sauf B qui corrige, voir l’apparat à II, 27, 6), affirment ici le contraire. Il s’agit sûrement d’une faute ancienne, remontant au début de la tradition manuscrite grecque. b  Titus fait vraisemblablement allusion au tremblement de terre qui détruisit Nicomédie et Nicée le 2 décembre 362 et qui est signalé par Ammien Marcellin (Histoire XXII, 13, 5, éd. Fontaine, Frézouls, Berger 1996, p. 130). Titus évite de nommer directement l’empereur Julien (361-363) mais le désigne plutôt par une périphrase négative qui évoque l’épithète, traditionnelle en milieu chrétien, d’« Apostat ».

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sion ne sont absolument pas mauvaises mais au contraire, elles sont bonnes à la manière d’un remède, et cela seul est mauvais si, de l’économie secourable de Dieu, nous disons qu’elle est mauvaise et (la) blasphémons. En effet, celui qui blâme l’engendrement des hommes comme s’« il était accroissement de la Matière », celui-là, si, de la mort répétée de la multitude, il dit qu’elle est mauvaise, semblera-t-il avoir en lui une intelligence d’homme parce qu’il forge et dit des choses qui lui sont grandement adverses ? Mais ni l’engendrement des hommes n’est mauvais, puisqu’il produit en tout temps vie et renouvellement pour une race mortelle et ajoute à la création ceux qui viennent à l’existence, ni la mort, non plus, n’est mauvaise, même si elle survient fréquemment pour plusieurs (à la fois), parce que ce n’est pas en vue d’un tort qu’elle a été imposée par Dieu aux hommes mais c’est en vue d’un secours excellent qu’elle a été décrétée pour les justes et pour les injustes. Car ce qui, parfois, survient à chacun naturellement, la même chose, si elle survient massivement pour plusieurs (à la fois), arrive conformément à la nature et ce n’est rien de plus, mais tout ceci, plus que ce qui survient à chacun de temps en temps, signifie grandement la providence de l’administrateur d’autant qu’en cela, il n’y a pas même un seul indice que s’y trouve condamnation des pécheurs, et ceci, par l’effroi (provoqué par) la colère apparente, aide ceux qui meurent de la manière de ce qui a été dit précédemment, et convertit et instruit ceux qui survivent. 29  Mais si quelqu’un dit que, étant donné que de nombreuses choses comme celles-là se produisent à de multiples reprises, la vie des hommes est pour ainsi dire liée et mêlée à ces mêmes péchés, il me semble qu’il arrive ceci à un tel homme  : comme si quelqu’un, voyant des poissons dans les lacs et les océans, pensait que l’art de la pêche est vain, parce que ceux qui sont pêchés ne sont pas visibles et que sont visibles ceux qui nagent dans la mer, ou comme si quelqu’un, voyant de nombreux malades, pensait que l’art de la médecine n’accomplit rien. En effet, alors que de nombreuses personnes sont aidées en vue de la crainte de Dieu et de la vertu par les choses terrifiantes que Dieu produit parfois dans son économie, celui qui aime les accusations renie cette (occasion) de conversion et de correction, et il fait des reproches au sujet de l’obstination et de l’émulation de la plupart dans les péchés, alors

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effets de l’amendement venant de Dieu ne sont en rien un mal. Au contraire, c’est donc en quelque sorte un bien sous la forme d’un remède, et seul est un mal le fait de blâmer l’économie divine alors qu’elle est utile. Car celui qui calomnie la procréation parce qu’« elle favorise la croissance de la Matière », celui-là, en disant du mal d’une mort massive, semblerait-il avoir une intelligence d’homme, vu qu’il forge des choses qui le contredisent lui-même ? Mais ni la procréation n’est mauvaise, elle qui produit la perpétuité pour le genre mortel et qui ajoute à la création ceux qui viennent à l’existence, ni la mort, même si elle survient souvent massivement, n’est néfaste, puisqu’elle n’est pas instituée par Dieu pour un châtiment contre les hommes, mais décrétée pour l’utilité la plus haute en faveur des justes comme des injustes. Ce qui arrive à chacun à son tour de façon naturelle, si cela se produit massivement pour de nombreuses personnes, cela survient selon la nature et rien de plus, mais cela témoigne de la part de l’administrateur d’une sollicitude plus grande que pour un individu, d’autant plus que le premier cas ne comporte aucun indice de condamnation des pécheurs, tandis que le deuxième, par une indignation apparente, procure, de la façon dite plus tôt, des bienfaits à ceux qui meurent et convertit ceux qui survivent. 29  Et si quelqu’un, puisque de telles choses se produisent souvent et en grand nombre, démontre que la vie humaine reste imbriquée dans les mêmes injustices, un tel homme me semble éprouver quelque chose de semblable à quelqu’un qui, voyant les poissons dans les lacs et dans la mer, penserait que l’art de la pêche est sans effet, parce qu’il ne voit pas les poissons qui ont été pris, mais qu’il regarde ceux qui nagent dans l’eau, ou à quelqu’un qui, voyant de nombreuses personnes malades, tiendrait pour rien l’action de la médecine. Car alors que beaucoup reçoivent des bienfaits en vue de la piété et de la vertu, à cause desquelles Dieu dispense parfois des choses effrayantes, celui qui aime la querelle leur refuse leur valeur de redressement, mais reproche à la plupart d’entre eux leur émulationa En rendant τὸ φιλονεῖκον (II, 29, 10-11) par ‫( ܚܪܝܢܐ‬II, 29, 12), le traducteur syriaque n’a pas vu le double sens du terme grec, « qui aime la dispute » ou « qui rivalise ». a 

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que, voici, nous-mêmes disons que ce n’est pas par contrainte que ces choses agissent sur de nombreuses (personnes), mais que ce sont des choses qui détournent et convertissent loin des péchés ceux qui ont du discernement. Voilà pourquoi elles arrivent soudainement, pour peu (de temps), et cessent aussitôt, de sorte que ce n’est pas par contrainte qu’elles agissent, mais c’est par la persuasion qu’elles convertissent. Mais les événements habituels sont aussitôt administrés pour mettre à l’épreuve la volonté de ceux qui sont convertis et transformés de sorte que la faiblesse de ceux qui ont du discernement conserve seulement le de l’exemple que ces choses comportent au lieu de leurs traces. Mais disons plutôt ceci : si, des choses pareilles se produisant, ceux qui les perçoivent sont peu nombreux et faibles en nombre, comment la pensée des hommes ne grandirait-elle pas et ne croîtrait-elle pas davantage dans le mal, si la correction et la conversion ne survenaient pas par ces choses ? Et même si personne ne tirait profit de ces choses – ce qu’il est sot de dire –, il vaudrait mieux que les hommes soient repris, (eux) qui, sinon de cette manière, ne sont ni soumis ni convertis, et que Dieu ne soit blâmé pour cause de négligence, parce qu’il n’userait pas de la , car c’est d’un tel argument que nous devons user à l’encontre de ceux qui ne comprennent pas. Car il est manifeste pour ceux qui ont du discernement que non seulement la crainte en conduit quelques-uns à la transformation propre à une parfaite excellence, mais aussi que, secrètement, (pour) plusieurs, elle diminue et amoindrit leur ardeur et leur audace dans l’injustice.

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30  Mais venons-en donc aussi au discours qui concerne les créatures qui sont incriminées en vain par cet imposteur. Tout d’abord, interrogeons-nous au sujet des ténèbres et de la nuit à propos desquelles, surtout, il dit qu’elles sont mauvaises, lui qui est ténèbres dans son intellect. En effet, les ténèbres qui sont dans la nuit, celles qui sont visibles, cet être vain imagine qu’« elles proviennent de ces ténèbres-là », et il prend sur lui de dire qu’elles sont le signe de celles qui ne sont pas, lui qui d’aucune façon ne connaît

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pour le péché. Cependant, pas même nous ne disons que de telles choses ont un effet contraignant pour la plupart,  mais qu’elles sont propres à détourner du péché ceux qui ont de bons sentiments. Ainsi donc, amenées pour peu de temps, ces choses cessent rapidement, pour qu’elles ne contraignent pas par la force plus qu’elles ne font changer par la persuasion. Et, à nouveau, les événements habituels sont administrés pour implanter, chez ceux qui se sont convertis, le bien-fondé de leur intention, afin que ceux qui ont de bons sentiments aient seulement le souvenir des exemples au lieu de la trace de leur propre faiblesse. Il faut plutôt dire que si, même lorsque de telles choses se produisent, ceux qui changent sont en petit nombre et faciles à compter, comment le raisonnement des hommes ne céderait-il pas à une méchanceté consommée, si la dissuasion par de telles choses n’existait pas ? Mais même si personne ne retirait un avantage de là – ce qu’il est sot de dire –, il serait préférable de blâmer les hommes parce qu’ils ne cèdent pas même de cette manière, plutôt que de prétexter que Dieu est cause de négligence parce qu’il ne fait plus preuve de sollicitude. C’est cet argument qu’il faut utiliser contre ceux qui ne comprennent pas. Car il est clair pour ceux qui ont de bons sentiments que non seulement la crainte en mène quelques-uns à une conversion parfaite vers le meilleur, mais encore que, pour les autres, elle diminue secrètement l’élan et l’audace vers l’injustice.

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Les créatures et leur raison d’être : nuit et ténèbres, et leurs analogues, vérité et mensonge 30  Venons-en donc désormais aussi au discours qui concerne la création, faussement mise en accusation par le trompeur, et tout d’abord examinons de près les ténèbres et la nuit, ce qu’il décrie particulièrement, tout enténébré qu’il est dans son intelligence. Car les ténèbres qui se manifestent dans la nuit, Mani les prend comme «  preuve de ces Ténèbres  » dont il imagine qu’elles existent en tant qu’être alors qu’elles n’existent pas, lui qui ne voit ni ne conçoit absolument rien mais, comme un

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ni ne voit absolument rien, mais, comme un aveugle, achoppe sur les réalités. Et il prononce (le mot) ténèbres comme s’il frissonnait d’horreur et comme s’il n’avait pas besoin non plus de la raison pour témoigner en faveur de sa doctrine mensongère, comme si « à partir de cela, il prenait le nom d’une chose » qui est haïssable. 31  Quant à nous, disons donc que cela est appelé « ténèbres » mais n’existe pas dans la substance de l’être, mais vient et survient à chaque jour, et passe et s’en va comme conséquence de ce qui existe selon le mode, comme le mal. Car elles n’existent pas du tout par leur création, dans la substance de l’être, mais elles sont l’ombre du monde qui a été créé. En effet, de la même manière que l’homme est engendré pour lui-même mais que son ombre est le corollaire de l’opacité de son corps et que jamais elle n’est estimée avoir été formée avec lui mais qu’elle vient et survient, et passe et s’en va selon la position de son corps et selon le passage de la lumière sur lui, ainsi aussi la nuit et les ténèbres, parce que le monde est corporel, en sont seulement le corollaire, et ce n’est pas selon le mode propre à la créature, selon l’être et selon la substance, qu’elles ont été formées. En effet, lorsque le soleil achève sa course, qui prend place durant le jour, et qu’il retourne à son propre lieu de retraite, c’est comme par nécessité que tout l’intérieur du monde est couvert d’ombre, et se trouve dans l’ombre parce que ce qui l’éclairait se trouve à l’extérieur parce que Dieu le veut ainsi, mais pour quelles raisons (cela arrive), nous le dirons sous peu. En effet, c’est ainsi aussi que, pendant le jour, la hauteur des corps opaques projette son ombre du côté qui est opposé à la position de la lumière, et l’ombre migre en même temps que la lumière vers le côté qui lui est opposé. Et là où il y a du soleil jusqu’au milieu du jour, après le milieu du jour, il y a de l’ombre, et là où était l’ombre avant le milieu du jour, il y a du soleil par la suite. Et l’ombre est ombre durant le jour et absolument pas ténèbres, car ce qui entoure est ouvert de toute part et à ces lieux dans lesquels se trouve l’ombre il donne de participer à l’éclat de la lumière. Mais si tu fermes hermétiquement n’importe quelle maison de manière à ne laisser ne serait-ce qu’une ouverture étroite pour la lumière, tu produis en elle l’équivalent de la nuit au beau milieu du jour. Il en va donc ainsi aussi pour les nuits du fait que le soleil se retire en ses

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aveugle, se heurte aux réalités. Il dit « ténèbres » et, pour ainsi dire, frissonne d’horreur, dans l’idée qu’il n’a même pas besoin d’un raisonnement pour démontrer sa propre doctrine mensongère, étant donné qu’il prend le nom de quelque chose qui serait blâmable en soi. 31  Il faut donc dire que cela est, de fait, appelé « ténèbres », cependant qu’elles ne subsistent pas selon l’être, mais surviennent et disparaissent chaque jour parce qu’elles sont une conséquence et qu’elles existent à la manière de l’ombrea. Car elles n’ont nullement été créées pour subsister dans l’être, mais elles sont une ombre du monde créé. Car l’homme est engendré pour lui-même, et l’ombre l’accompagne en proportion du volume de son corps, et elle ne pourrait nullement sembler avoir été établie en même temps que lui, mais elle survient en rapport avec la position du corps et le cours de la lumière. Ainsi donc, aussi bien la nuit que les ténèbres – du fait que l’univers est de toute évidence corporel – ne sont que des conséquences, elles n’ont pas été façonnées comme des êtres essentiels à la façon d’un objet créé. Car lorsque le soleil achève sa course journalière, retournant vers ses propres quartiers, il est nécessaire que toutes les parties à l’intérieur du monde se trouvent dans l’ombre, puisque ce qui illumine se trouve à l’extérieur, ainsi que Dieu l’a voulu pour des raisons que nous expliquerons sous peu autant que possible. De même aussi, pendant le jour, les choses qui font saillie parmi les masses corporelles projettent leurs ombres vers la partie opposée de la position de la lumière et l’ombre se déplace en même temps que la lumière en sens inverse. Et là où il y a du soleil jusqu’à midi, après midi il y a de l’ombre. Et là où est l’ombre après midi, le soleil arrive après celle-ci. Et, pendant le jour, l’ombre est ombre et nullement ténèbres, puisque ce qui entoure, ouvert de partout, fournit aux lieux qui se trouvent dans l’ombre, la participation à l’éclat (de la lumière). Donc, si on fermait complètement une maison afin de ne laisser à la lumière elle-même pas même un interstice pour entrer, on ferait la nuit même en plein midi. C’est ce qui arrive donc aussi la nuit, lorsque Le syriaque (II, 31, 4 : ‫ )ܐܝܟ ܒܝܫܬܐ‬a manifestement lu ici κακίας τρόπον au lieu de σκιᾶς τρόπον (II, 31, 3). a 

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quartiers. La nuit est donc privation de lumière. Or quelqu’un apprendra manifestement ce qui se produit s’il sait et comprend que le soleil existe et subsiste aussi pendant la nuit, lorsqu’il se trouve quelque part, mais que, pendant le jour, les ténèbres n’existent pas du tout, mais sont complètement détruites et anéanties. Donc, la substance et l’être de la lumière existent, mais l’être des ténèbres n’existe absolument pas. 32  Or, comprenons en vérité combien la nuit est nécessaire et recherchée parce qu’elle est d’abord le repos commun à tous les hommes. Car le sommeil qui se produit aussi pendant le jour révèle et montre davantage que la nuit est nécessaire et recherchée, dont la durée et le temps, si grands soient-ils, ne suffisent pas à procurer le repos aux sens des hommes. Mais tous ne participent pas également au sommeil pendant le jour, mais la mesure du repos de la nuit est également commune pour tout homme, puisqu’il n’y a pas en elle d’inégalité en regard de l’avantage pour la vie humaine, ce qui ne témoigne pas peu de l’équité provenant du créateur, qui est relative à l’unique genre des hommes. 33  En outre, si, constamment, en tout temps, le jour existait sans que l’espace à lui imparti n’ait de terme, le temps ne pourrait être calculé parce qu’il ne serait ni découpé ni partagé en parties. Mais la coupure, à chaque jour, et la division du temps selon ses parties font que celui-ci peut être calculé et, sans la connaissance ni la distinction du temps, la vie des hommes seraient comme sans raison ni intelligence dans la plupart des choses. Et il y a ceci encore qui est plus grave, (à savoir) que la jouissance de la lumière n’existerait pas si les ténèbres n’étaient pas établies à ses côtés sous la forme susdite de la nuit. Car une lumière corporelle continuelle, qui ne passerait pas, ne serait pas non plus reconnue être lumière. En effet, c’est par sa différence d’avec les ténèbres qu’elle a été nommée lumière et qu’elle existe, et elle ne serait pas admirable non plus dans sa création, en tant qu’elle est visible, si ce qui lui a été apparemment opposé ne le montrait. Et donc, en de nombreuses choses, reconnaissons la bonté de la sagesse universelle du créateur en ce qui concerne la nuit, mais surtout parce qu’il a instauré en nous à la fois la perception de la lumière et sa jouissance, qui ne serait pas autrement connue exister.

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le soleil est arrivé en ses quartiers propres ; par conséquent, la nuit serait une privation de lumière. On comprendrait plus clairement ce qui se produit, si on concevait que, dans la nuit, le soleil persiste et subsiste quelque part, alors que pendant le jour, les ténèbres ne subsistent nulle part, mais sont complètement dissoutes et disparaissent. De sorte qu’existe l’être de la lumière, mais nullement celui des ténèbres. 32  Cependant, il faut examiner combien la nuit est nécessaire. Elle est d’abord un repos commun à tous. En effet, le sommeil pendant le jour démontre plutôt la nécessité de la nuit, dont la durée, si grande soit-elle, n’est pas suffisante pour procurer aux hommes le repos pour les sens. Et la participation au sommeil pendant le jour n’est pas égale pour tous, tandis que ce qui est dans la nuit est commun et à égalité pour tous, vu que la mesure du repos n’a pas d’inégalité en regard des avantages de la vie qu’on mène, ce qui ne témoigne pas moins de l’équité du créateur dans la mesure où elle s’exerce pour un genre unique, celui des hommes. 33  Ensuite, si le jour existait de façon continue sans intervalle de temps délimité, le temps ne serait pas mesuré, puisqu’il ne serait pas découpé en parties,  mais c’est le découpage du temps par jour qui permet de le dénombrer selon ces parties, et sans la perception du temps la vie pour les hommes serait dépourvue de raison dans la plupart des choses. Et ce qui est pire, la jouissance de la lumière n’existerait pas, si n’existaient pas parallèlement des ténèbres nocturnes, de la manière susdite. En effet, une lumière corporelle ininterrompue ne serait même pas reconnue être lumière. Car la lumière a été nommée et existe en fonction d’une distinction par rapport aux ténèbres. Donc la lumière ne serait pas quelque chose d’admirable comme l’est une création visible, si l’établissement de ce qui semble être opposé ne la démontrait. Par conséquent, au sujet de la nuit, il faut rendre grâce au créateur à la sagesse accomplie pour beaucoup d’autres choses, mais en particulier parce qu’il instaure (en nous) la perception et la jouissance de la lumière, dont autrement on ne pourrait reconnaître qu’elle existe.

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34  À partir de cela, on s’étonnera et on s’émerveillera de la sagesse ineffable de Dieu, de ce que, alors que toutes ces choses et (d’autres) encore qui sont plus nombreuses que celles-là, nécessaires et utiles, échoient aux hommes du fait des ténèbres, en vérité, cependant, puisque les ténèbres existent à la fois par le nom et par la réalité, il ne les a pas établies pour qu’elles existent selon l’être, mais c’est sous (le mode de) l’accident qu’il les a faites, afin qu’elles se produisent et disparaissent pour paraître comme ce qui existe, à cause des choses qui ont été dites et à cause de nombreuses autres qui les concernent, et à nouveau comme ce qui n’existe pas, pour que son créateur ne soit pas du tout blâmé. La nuit est donc irréprochable et admirable en toute manière par son utilité. 35  Or, ils disent : « Le brigand accomplit des méfaits pendant la nuit ». Et en quoi cela touche-t-il la nuit ? Car s’il ne se pouvait que ceux qui le veulent accomplissent des méfaits aussi pendant le jour, il serait convenable de jeter le blâme sur le temps de la nuit. Mais parce que celui qui agit attend le moment opportun pour son action mauvaise, qu’il tombe en plein jour ou de nuit, nous blâmerons la volonté de celui qui agit et non le moment, mais en fait tout malfaiteur, s’il obéissait à la nuit, dormirait sur ses deux oreilles, car c’est cela seulement qu’elle permet. 36  Mais, après cela, observons comment paraissent opposés à égalité, l’un à l’autre, lumière et ténèbres, vérité et mensonge. En effet, ce qu’est la lumière pour le corps, ainsi l’est la vérité pour l’âme, et ce que sont les ténèbres pour les yeux, ainsi le sont l’ignorance et le mensonge pour l’intelligence. En effet, l’homme n’est rien d’autre qu’âme et corps, et c’est de Dieu qu’il a les ressources pour les deux, car par son corps il jouit de la lumière corporelle et par son âme, de la vérité qui (se trouve) dans la connaissance. Mais, de même que les ténèbres n’existent pas selon l’être et qu’il leur est permis seulement de survenir ainsi que nous l’avons montré, de la même manière aussi

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34  Mais on serait frappé devant l’indicible sagesse de Dieu, parce qu’alors que de tels avantages et beaucoup d’autres encore aussi nécessaires qu’utiles arrivent aux hommes grâce aux ténèbres, cependant, dès lors qu’existaient et le nom et la réalité des ténèbres, il n’a pas créé celles-ci selon l’être, mais il a fait en sorte qu’elles se produisent et disparaissent, afin que, dans la mesure où elles sont, elles fournissent les choses susdites et plus encore, et que, dans la mesure où elles ne sont pas, elles ne constituent en rien une calomnie envers le créateur. Ainsi donc, la nuit est irréprochable, mais aussi admirable en toute chose pour son utilité. 35  Mais ils disent que « le brigand commet son méfait pendant la nuit  »a. Et qu’est-ce que cela a à voir avec la nuit  ? Car s’il n’était pas possible que ceux qui le veulent commettent leurs méfaits aussi pendant le jour, il faudrait blâmer le temps de la nuit. Mais puisque celui qui agit attend le bon moment pour son méfait, que ce soit durant le jour ou durant la nuit qu’il tombe, c’est l’intention de celui qui agit et non pas le moment qu’il faut accuser. Sauf que, si du moins il obéissait à la nuit, tout malfaisant dormirait bel et bien, car c’est cela, et cela seulement, qu’elle prescrit. 36  Il faut donc examiner en outre comment la lumière et les ténèbres, la vérité et le mensonge semblent s’opposer l’un à l’autre de façon analogique. Car ce que la lumière est pour le corps, la vérité l’est pour l’âme, et ce que les ténèbres sont pour les yeux, l’ignorance et le mensonge le sont pour la pensée. Car l’homme n’étant rien d’autre qu’une âme et un corpsb, recevant de Dieu les ressources pour chacun des deux, il jouit de la lumière corporelle L’irruption à la faveur de la nuit des brigands (λῄστης) et des magiciens ou des empoisonneurs (φαρμακός) est mentionnée comme le sixième méfait qu’apporte la nuit au monde en 1 Kephalaia 65, p. 161, 11-14, éd. Polotsky, Böhlig 1940 ; cf. Psaumes des errants 146, p. 146, 24, éd. Allberry 1938, où c’est le corps qui est qualifié de « demeure des brigands » (voir le commentaire de Villey 1994, p. 249250) ; Psaumes à Jésus 248, p. 70, 1-2, éd. Allberry 1938 : « la demeure des brigands, qui est le corps de mort, sur lequel chaque homme a pleuré » (trad. Villey, p. 249). b  Cette affirmation prend le contre-pied du Ier Alcibiade de Platon, selon lequel « l’âme est l’homme même (ἡ ψυχή ἐστι ἄνθρωπος) » (130c 3) ; cf., sur ce thème et sa postérité antique, Pépin 1971, p. 53-203. a 

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le mensonge ne provient pas de quelque être qui existerait dans la substance, ce qu’il appelle « principe non venu à l’existence », allant et venant, mais il n’est pas non plus quelque être qui existerait dans la substance et dans la vie, mais il lui est seulement accordé d’être par la pensée, de survenir et de disparaître à la manière des ténèbres, et cela est grandement utile et nécessaire. Car si la pensée et le stratagème du mensonge n’étaient permis, le choix de la vérité serait chez les hommes sans procès ni examen, et c’est en vain aussi qu’elle serait nommée – si (toutefois) elle était nommée –, si les stratagèmes et la pensée du mensonge n’étaient permis. Et personne non plus ne serait amoureux de la vérité si (le mensonge) ne pouvait provenir de lui et s’il n’avait pas le pouvoir d’imaginer le mensonge. Mais je ne dis pas cela comme si le mensonge était plus acceptable que la vérité, mais parce qu’il n’est pas imaginable que le choix de la vérité existe si ne l’accompagnait la faculté de mentir. Car il convient à celui qui est véridique que cela aussi provienne de lui et soit en son pouvoir, (à savoir) de mentir, afin que, s’en détournant et s’en éloignant, il soit véridique. C’est par cela, en effet, que sont à la disposition des hommes à la fois le choix et l’estime du vrai, parce qu’ils ont le pouvoir de mentir, tout comme la position des ténèbres éveille la sensation pour qu’elle perçoive la lumière. Et donc, comme la lumière luit dans les ténèbres (Jn 1, 5) – car elle les dissout et les annule par sa venue parce qu’elles n’existent pas du tout en substance –, ainsi aussi la vérité par sa victoire, du fait qu’elle vainc le mensonge, le convainc de n’exister d’aucune façon et absolument pas, mais par l’habileté et au moyen de la puissance de la pensée, (celui-ci) manifeste son propre choix. Car comment quelqu’un choisirait-il le vrai s’il n’était pas aussi de son fait de pouvoir choisir son contraire ? 37  Si donc il était possible que quelqu’un démontre que les ténèbres existent selon l’être et selon la substance, et qu’elles ne font pas seulement que survenir et disparaître, ainsi que nous l’avons dit, l’être du mensonge serait posé aussi. Mais s’il ne peut, ni lui ni un autre, montrer que ces ténèbres sont indissolubles, elles qui, selon le mode et la manière de l’ombre, et existent et s’évanouissent, et encore qu’il y a aussi de la lumière dans la nuit et qu’il n’y a pas de ténèbres durant le jour, il est évident que le mensonge, qui est comme elles, n’existe pas non plus à la manière de l’être, mais

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par le corps et de la vérité intelligible par l’âme. Et de même que les ténèbres n’existent pas selon l’être, mais qu’il leur est seulement donné de survenir, comme il a été démontré, de la même façon aussi le mensonge n’existe pas à partir de quelque être subsistant, que celui-là appelle « principe inengendré », et il n’est pas non plus un être subsistant et vivant, mais il lui a seulement été donné d’exister par la pensée et de survenir et de disparaître, semblablement aux ténèbres, et ceci de façon tout à fait utile et nécessaire. Car, si l’idée du mensonge n’était pas permise, le choix de la vérité se ferait sans procès ni examen parmi les hommes, et c’est en vain aussi qu’elle serait nommée – si encore elle était nommée –, si le mensonge n’était concédé à la pensée. Personne ne serait en effet épris de vérité, s’il n’avait pas aussi en lui l’idée du mensonge. Je ne dis pas que le mensonge serait préférable à la vérité, mais que le choix de la vérité semblerait ne pas exister si la faculté de mentir n’était pas à disposition. Ceci est donc du ressort des gens épris de vérité, non pas de la vérité elle-mêmea. Car il faut que celui qui dit la vérité puisse avoir par lui-même également la possibilité de mentir, et c’est en s’en abstenant qu’il dit la vérité. Donc, le fait de pouvoir mentir procure aux hommes la préférence de la vérité, de même que la position des ténèbres éveille la perception de la lumière. De même, donc, que la lumière brille dans les ténèbres (Jn 1, 5) – elle les dissout en effet en survenant, vu qu’elles n’existent pas selon l’être  –, ainsi aussi la vérité, l’emportant sur le mensonge, prouve que celui-ci n’existe pas du tout, lui qui s’insinue dans l’esprit par la puissance de la réflexion, en vue de son propre choix. Car comment pourrait-on choisir la vérité, si on n’avait pas aussi en son propre pouvoir le choix du contraire ? 37  Si donc il était possible de prouver que les ténèbres existent selon l’être, et qu’elles ne font pas seulement survenir et disparaître, comme il a été dit, l’être du mensonge serait également établi. Si, en revanche, ni celui-là ni un autre ne peut montrer que ces ténèbres sont indissolubles, puisqu’elles existent selon le mode de l’ombre – de sorte que la lumière existe aussi dans la nuit, mais que les ténèbres n’existent pas le jour –, il est évident que le a 

Cette phrase (II, 36, 23) est absente du syriaque.

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qu’il lui est seulement permis d’exister par la pensée en vue du choix de la vérité. Mais puisque la lumière est selon l’être et selon la substance, manifestement, donc, la vérité, elle aussi, sera reconnue exister selon l’être, en sorte que leur ressemblance et leur similitude soient exactement sauvegardées. Or, qu’est-ce qui empêche de penser au sujet de Dieu qu’il est la vérité et de le nommer (en conséquence) ? Car si Dieu est lumière – mais lumière intelligible, car il n’est pas lumière visible –, il est évident qu’il est vérité. Car la lumière intelligible n’est rien d’autre en dehors de la vérité, c’està-dire que, puisque Dieu est lumière et vérité, ce n’est pas par faiblesse qu’il fuit le mensonge – car il sait et ne ment pas –, mais tout en sachant, ce n’est pas par faiblesse qu’il évite le mensonge et s’en écarte, mais parce qu’il ne veut jamais mentir. Mais s’il ne le peut pas non plus – car il ne convient pas de le dire –, c’est parce que jamais non plus il ne le veut. Car ceux à qui il arrive à la fois de vouloir et de ne pas vouloir selon des modes différents, ceuxlà, le fait de pouvoir les caractérise aussi à bon droit. Mais en ce qui concerne Dieu, parce qu’il ne lui arrive jamais par accident de vouloir, reconnaissons-lui en effet cela, de ne pouvoir, de la manière suivante : parce qu’il ne veut jamais et non parce qu’il ne peut selon le mode de la faiblesse et de la déficience. Car ce qui est créature est lié et enchaîné par sa nature – je parle de la lumière corporelle – et ce n’est pas de façon inconvenante qu’il est dit que ce n’est pas par elle-même que la lumière est ce qu’elle est mais par celui qui l’a faite ; mais le fait de penser que le créateur serait soumis à la nécessité de sa nature est grandement inconvenant, comme de penser que ne proviendrait pas de lui non plus le fait de dire vrai, mais que, de par sa nature, il y serait conduit par la nécessité, alors que, justement, il est seulement ce qu’il est. Mais à ceux qu’il a créés, il impose que, selon leur nature, par nécessité, ils soient ce qu’ils sont mais lui, personne ne lui impose cela, d’être vérité par nécessité. Donc, celui qui a établi les natures est supérieur à la nature et s’élève au-dessus d’elle, et il est libre aussi par rapport à la nécessité de la nature. C’est ainsi, en effet, que nous confessons qu’en vérité il est bon. Donc, en raison des choses qui

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mensonge qui lui est analogue ne subsiste en rien non plus à la manière d’un être, mais que, nécessairement, il lui est permis de venir à l’existence seulement selon le mode de la pensée, en vue du choix de la vérité. Mais puisque la lumière subsiste selon l’être, on pourrait dès lors penser clairement que la vérité subsiste elle aussi selon l’être, afin que la justesse de l’analogie soit préservée. Et qu’est-ce qui empêche de considérer et de pensera que Dieu est la vérité en soi ? Car si Dieu est lumière – lumière intelligible et non pas lumière visible, bien sûr –, il est évident qu’il est vérité. Car la lumière intelligible n’est rien d’autre que la vérité. Mais ce n’est toutefois pas par impuissance que Dieu, qui se trouve être à la fois lumière et vérité en soi, s’abstient du mensonge, mais parce que jamais il ne veut mentir. S’il ne le peut pas – car il n’est pas absurde de le direb  –, c’est précisément parce que jamais il n’arrive qu’il le veuille. Car ceux à qui il arrive de vouloir et de ne pas vouloir selon un mode différent, à ceux-là il a été attribué à bon droit aussi de pouvoir. Mais dans le cas de Dieu, puisque le vouloir ne lui arrive jamais par accident, il faut lui reconnaître le fait de ne pas pouvoir, mais d’une telle façon que c’est à cause du fait de ne jamais vouloir, non du fait de ne pas pouvoir selon le mode de la faiblesse et de l’impuissance. Car il n’est pas déraisonnable de dire que la créature est entravée par la nature – je veux dire certes la lumière corporelle  –, étant donné qu’elle n’a pas en son pouvoir d’être lumière, mais que c’est au pouvoir de celui qui l’a faite ; mais il est tout à fait inconvenant de considérer que le créateur est soumis à une nécessité de nature, dans l’idée qu’il ne semble pas en son pouvoir de dire la vérité, mais qu’il semble contraint par la nature, quand justement il est seulement ce qu’il est, tandis qu’en ceux qu’il a créés, il a placé le fait d’être ce qu’ils sont par nature et nécessité, alors qu’à lui, personne n’a imposé le fait d’être par nécessité la vérité. Donc, celui qui a créé les natures est au-dessus de la nature, et lui-même est libre de la nécessité de la nature. Car c’est ainsi qu’on reconnaîtra qu’il est véritablement bon. Donc, par ce Le syriaque ‫( ܢܫܡܗ‬II, 37, 15) suppose ὀνομάζειν au lieu de νομίζειν (II, 37, 13). Le grec (II, 37, 18 : οὐ γὰρ ἄτοπον εἰπεῖν) affirme ici le contraire du syriaque (II, 37, 23). a 

b 

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ont été dites, le mensonge même n’existe pas, car est menteur celui qui ment. En effet, c’est à partir de l’opération qu’il est appelé, et non celui (le) commet, à partir de ce qui n’existe pas. Car le mensonge n’existe pas avant celui qui le conçoit et, de la même façon aussi, les ténèbres n’ont pas été créées selon la substance, mais elles s’infiltrent parce qu’elles sont l’ombre de ce monde tout entier. Cependant, à la vérité, les ténèbres, non seulement il leur est permis d’accomplir leur course, mais aussi il y a en elles un grand bienfait. Or la pensée du mensonge met en lumière le choix de la vérité pour les hommes ; mais si (le mensonge) est plus estimé que la vérité, c’est grandement dommageable et ce, à bon droit. Car le mensonge, les hommes le conçoivent, mais les ténèbres corporelles sont établies par Dieu. À  cause de quoi il convient, du fait que nous avons la connaissance, de fuir celui-là et celles-ci, de ne pas les blâmer parce qu’elles ont été établies par Dieu de façon nécessaire.

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38  Mais cet inventeur d’un nouveau blasphème contre Dieu outrage non seulement celui-ci, mais aussi les animaux et les reptiles, ceux à qui la nature sauvage échoit de la part du créateur, et manifestement, comme un ennemi qui blâmerait tout, il se met en mouvement contre toutes les créatures, mais notre discours réfutera aussi le stupide blasphème de ce trompeur à propos de ces choses. En effet, il blâme tous les quadrupèdes et les reptiles, et il me semble qu’il ressemble (à ceci) : c’est comme s’il était un serviteur aimant les fautes, qui serait grandement mauvais et à qui agréeraient toutes ces autres choses qui sont dans la maison de son maître,  mais qui haïrait et blâmerait le fouet de la correction, même si celle-ci ne se manifestait que par endroit, mais qui, par le fait même de la haïr, montrerait lui-même qu’elle existe et est à disposition de façon nécessaire. Car les hommes, qui sont facilement (portés) vers l’erreur contre Dieu, s’ils n’avaient pas dans la création quelque chose de visible qui soit digne de crainte, se

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qui a été dit, il n’existe pas de mensonge en soi, mais c’est celui qui ment qui est menteur. Car le mensonge est nommé d’après celui qui le commet, mais non pas celui qui le commet d’après de ce qui n’existe pas. En effet, le mensonge ne saurait exister avant celui qui le conçoit et, semblablement, les ténèbres n’ont pas été créées, mais elles s’introduisent furtivement, étant l’ombre de ce tout, excepté dans la mesure où les ténèbres ont non seulement reçu la possibilité d’accomplir leur course, mais qu’elles le font aussi de façon très utile, alors que la conception du mensonge fait clairement voir chez les hommes le choix de la vérité, mais quand elle est préférée à la vérité elle est certes très nuisible, et ce tout à fait naturellement. Car le mensonge est conçu par les hommes, tandis que les ténèbres corporelles existent du fait de Dieu. C’est pourquoi il faut fuir l’un, lorsqu’on y songe, mais ne pas insulter les autres, parce qu’elles existent de façon nécessaire du fait du créateur.

Les animaux sauvages 38  Ce n’est pas seulement en cela que l’inventeur de ce blasphème tout à fait vide de sensa contre Dieu se montre insultant, mais aussi à l’égard des animaux qui ont reçu en partage du créateur une nature sauvage, lui qui s’élance clairement contre les créatures à la façon d’un ennemi qui se plaît à tout accuser, mais notre discours mettra à nu le blasphème insensé de ce trompeur dans ces choses-là aussib. Car en accusant toutes les bêtes sauvages, quadrupèdes comme reptiles, il me semble qu’il éprouve quelque chose de semblable à un serviteur qui, parce qu’il aime le péché et qu’il est très mauvais, accepterait tout le reste de son maître sans réclamer, mais haïrait et calomnierait même jusqu’à la vue du fouet, démontrant, par le fait même de le haïr, la nécessité de la présence du fouet. Car les hommes, parce qu’ils sont facilement Il semble que le traducteur syriaque (II, 38, 1) ait lu ici une forme de καινός plutôt que de κενός (confusion résultant probablement d’un iotacisme). b  Cf. la réponse d’Augustin à l’objection manichéenne tirée des bêtes sauvages et dangereuses dans le De Genesi contra manichaeos 1, 16, 25-26, éd. Monat, Dulaey, Scopello, Bouton-Touboulic 2004, p. 219-218 ; cf. De Genesi ad litteram 3, 15, 24, éd. Agaësse, Solignac 1972, p. 248-251. a 

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sépareraient et s’éloigneraient bien davantage de Dieu par leur volonté, et ce n’est pas à bon droit qu’ils seraient blâmés parce qu’ils n’auraient été ni éveillés ni troublés par quelque chose de visible. Car même si nous avons cette liberté, par notre nature, de choisir l’excellence selon notre volonté, cependant, à cause de notre indolence qui (réside) dans les plaisirs, nous tombons facilement dans l’erreur. Il y a donc nécessairement de nombreuses choses qui, par la crainte, éveillent à Dieu notre propre intelligence, de même que sont aussi très nombreuses les choses qui, par la bienveillance et la réception des jouissances des biens, l’éveillent à la confession de la bonté du créateur. En effet, par ces deux choses, nous sommes instruits et éduqués, tant par celles dont nous jouissons, comme les plaisirs, que par celles par lesquelles nous nous convertissons, comme les objets de crainte. 39  Ce qui est sauvage est donc redoutable par sa nature et n’est ni mauvais ni cruel. En effet, la méchanceté et la cruauté sont des passions de l’intelligence, mais l’impulsion de la nature qui a été ainsi établie est éloignée de tout reproche. Mais Dieu, qui ménage les hommes, les a faits de telle sorte que, par la crainte qui provient de ces (êtres) sauvages et sans raison, leur intelligence raisonnable poursuive les choses bonnes et belles, et il n’y a en eux pas même une seule chose mauvaise. En effet, ce qui ne sait pas ce qu’il est, comment peut-il être blâmé en ce qu’il est ? Mais ce n’est pas de moindre façon qu’au sujet de ces choses aussi, le discours de ce fou de Mani, qu’il forge au sujet du Mal – lequel il appelle « principe qui n’est pas venu à l’existence » – sera réfuté. Car il n’a donné à celui-ci ni l’intellect ni la connaissance de sa (propre) malice, afin qu’il ne se trouve pas non plus avoir la perception du Bon, car il apparaîtrait ainsi ne pas être le Mal. En effet, la connaissance du Bon est le témoignage d’une nature qui n’est pas mauvaise, et en la posant sans intellect et privée de connaissance, il lui enlève aussi la connaissance même de ce qu’elle est. En effet, si elle perçoit

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enclins à l’oubli de Dieu, s’ils ne trouvaient rien dans la création qui inspirât manifestement la peur, se seraient écartés bien plus de Dieu par (leur) intention, et n’auraient pas été rendus responsables à juste titre, dans la mesure où ils n’auraient été avertis par aucune des réalités visibles. Car si la liberté en vue du choix du meilleur nous est bien inhérente par nature, cependant par facilité nous tombons aisément dans l’oubli. Donc, les éléments qui, par crainte, éveillent à Dieu notre raisonnement sont nécessairement nombreux, de même qu’à l’inverse sont très nombreux ceux qui le conduisent à la reconnaissance de la grâce du créateur par la bienveillance et la jouissance des biens. Car nous sommes éduqués par les uns et par les autres, aussi bien par ceux dont nous jouissons, parce qu’ils sont agréablesa, que par ceux par lesquels nous nous convertissons, comme par l’intermédiaire de choses effrayantes. 39  Certes, ce qui est sauvage par nature est effrayant, non pas méchantb. Car la méchanceté et la malice sont des affections du raisonnement, mais l’impulsion naturelle, qui a été créée comme telle, est exempte de tout blâme. Mais Dieu, parce qu’il traite avec ménagement les hommes, a fait en sorte que nous poursuivions, par crainte des êtres non raisonnables, le raisonnable qui est le propre de l’honnêteté ; or, il n’y a rien de mal en ces êtres. Car comment peut être mauvais ce qui ne sait pas ce qu’il est ? De sorte qu’ainsi aussi, pour Manic, son discours sur le Mal lui-même, qu’il nomme « principe non engendré » après l’avoir imaginé, n’en est pas moins lui aussi réfuté. En effet, il ne lui attribue pas le raisonnement et la connaissance du mal, afin que l’on ne trouve pas qu’il a aussi la perception du bien. Car, ainsi, on démontrerait qu’il n’est pas le Mal. En effet, la connaissance du bien est le témoignage d’une nature qui n’est pas mauvaise, mais, en la définissant comme irraisonnée et privée de connaissance, il la prive de la connaissance ̈ (II, 38, 25), que donne le manuscrit et qui rend (ὡς) ἡδέων Le syriaque ‫ܢܚܬܐ‬ (II, 38, 23), ne peut être que le pluriel de ‫ܢܚܬܐ‬, « vêtement » ; il faut sans doute ̈ corriger en ‫ܢܝܚܬܐ‬. b  Cf. Jean de Césarée, Adversus manichaeos homilia II 16, 243-258, éd. M. Richard dans Richard, Aubineau 1977, p. 99 : « Que personne, donc, n’erre en appelant des maux au sens propre (κυρίως κακά) les choses nuisibles (τὰ κακωτικά) ». c  Le syriaque (II, 39, 9 : « ce fou de Mani ») surtraduit. a 

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et connaît sa (propre) malice, elle percevra constamment aussi la bonté de celui qui lui est opposé. Car elle se trouvera quant à elle dans la connaissance de la perception de la malice aussi bien que dans la connaissance de la proximité du Bon, si bien que, si le contraire n’est ni évident ni connu, son contraire non plus n’est ni évident ni connu. Car tout contraire est témoin de son contraire par la connaissance de la distinction, mais, sans connaissance, aucune de ces choses n’est manifeste à son compagnon. Si donc aussi le Mal ne se connaît pas lui-même ni ne poursuit sa malice par la connaissance, le Mal n’existe pas non plus, et c’est en vain qu’il est blâmé en quoi que ce soit car il ne sait pas qu’elle se trouve en lui, puisqu’il est libre de la connaissance de sa (propre) malice. Car un fou qui, soit par un accès de fièvre, soit par un autre accident, ne sait pas ce qu’il fait, nous avons tous l’habitude de lui pardonner, mais en fait nous inclinons davantage à l’indulgence et à la miséricorde à son endroit et nous le libérons du mal, lui qui frappe vainement, et qui, s’il trouvait une épée, tuerait aussi. Ainsi, cela est évident à tout homme, à la fois cette distinction et ce jugement commun, et ceci s’accorde avec la nature, que de ne nommer ni appeler mauvais ce qui ne sait pas ce qu’il fait. Si donc ni ce qui connaît le Bon n’est appelé mauvais ni ce qui ne connaît pas ce qu’il est n’est estimé être mauvais, le Mal non plus n’existe pas, parce que, d’une part, celui-là ne l’établit même pas et parce que, d’autre part, il l’établit dans l’erreur et en dehors de la réflexion commune. 40  Ainsi, pas même un seul des animaux et des reptiles sauvages n’est mauvais, eux qui sont privés de l’intellect et du discernement, mais c’est l’homme qui, par des mœurs mauvaises, est mauvais et, par la connaissance, accomplit les choses qu’il connaît parfaitement. Car l’ajout de la connaissance qui (se trouve) dans la nature amène le blâme du mal, qui organise (les choses) à l’avance et, par elle, ce qui est accompli est évident et connu, mais la privation de la connaissance détruit aussi la cause. Et ainsi, parce que l’homme connaît les deux, à la fois la vertu et le mal, à partir de ce qu’il choisit – parce que la connaissance précède le discernement et le choix –, il est appelé à partir de cela ; mais avant de connaître,

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même de ce qu’elle est elle-même. Car si elle perçoit et sait quand elle agit mal, elle percevra tout à fait le contraire quand elle agit bien. Car ce qui est mauvais est pris en flagrant délit par le raisonnement grâce à la perception et à la mise en parallèle du bien, de sorte que, si (l’un) est évident, le contraire sera complètement évident. Car tout contraire est réfutation de son contraire, assurément par la connaissance et par le jugement, mais sans connaissance aucun des deux n’est évident pour l’autre. Si donc le Mal s’ignore lui-même et ne recherche pas par le raisonnement ce qui est mauvais, il ne saurait être le Mal, et c’est en vain qu’on l’accuserait. Or, (Mani) reconnaît que le Mal est privé du raisonnement. Par exemple, à celui qui, pris de frénésie dans le cas de fièvre ou de quelque autre malheur, ne sait pas ce qu’il fait, nous sommes tous habitués à pardonner ; bien plus, nous sommes enclins même à la compassion, exemptant du mal celui qui frappe vainement, mais qui, s’il trouvait une épée, en viendrait même à tuer. Ainsi est-il évident pour tous – et c’est là un jugement commun et une conséquence de la nature – de ne pas nommer « Mal » ce qui ne sait pas ce qu’il fait. Donc, si ni même ce qui a la connaissance ne peut nécessairement être appelé le Bien, ni non plus ce qui n’a pas la connaissance de ce qu’il est lui-même ne peut (de ce fait) sembler être le Mal, l’un parce que (Mani) lui-même ne le pose pas (ainsi), l’autre, parce qu’il le définit en le posant de façon erronée et en dehors de l’opinion communea, 40  dès lors, aucune bête sauvage n’est mauvaise, puisque privée de raisonnement, mais c’est l’homme aux mauvaises mœurs qui serait mauvais, lui qui recherche par le raisonnement ce que précisément il n’ignore absolument pas. Car l’ajout du raisonnement naturel entraîne le grief du mal, puisqu’il est évident qu’il organise à l’avance ce qui est accompli, mais la privation de la connaissance est privation du blâme. Ainsi donc, parce que l’homme connaît les deux, la vertu et le mal, en fonction de ce qu’il choisit – car la connaissance précède le choix – il tire son Le syriaque est ici (II, 39, 35-39) assez différent du grec (II, 39, 29-33), et il est difficile, considérant la syntaxe de la phrase syriaque, de rapprocher les deux versions l’une de l’autre. a 

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quand il est un petit enfant, il n’est pas appelé non plus selon aucun de ces extrêmes. Il est donc évident de toute part qu’aussi bien le mal que la vertu sont estimés par la connaissance et la faculté de choisir qui suit la connaissance. Donc les animaux et les reptiles qui n’ont pas en eux de connaissance ne sont pas mauvais ni ne proviennent du Mal. C’est pourquoi en effet, s’il est ainsi, le Mal non plus n’existe pas. 41  Or il apparaît autrement, de nombreuses fois, que même la chose la plus nuisible chez les serpents – je parle du venin –, les scrupuleux la prennent comme remède, et par le mélange des choses qui peuvent combattre avec elle, elle dissout et purifie parfois même les pires souffrances et douleurs, et la chair même des reptiles, mélangée à d’autres plantes et éléments, est un remède excellent pour le corps ; de même aussi pour les autres animaux et reptiles, certaines parties d’entre eux, soit les membres soit le sang, par eux-mêmes, de nombreuses fois, aident et guérissent les malades. Comment alors proviendraient du Mal ces choses qui parfois, en leurs parties, sont aussi un secours ? Donc, toutes ces choses semblent être utiles seulement à cause des hommes, et elles ne sont appelées ni des biens ni des maux puisque c’est seulement de la crainte qu’elles produisent nécessairement chez les hommes, afin qu’ils se tournent vers l’excellence, et les choses qui en elles sont inutiles retiennent et empêchent l’oisiveté des hommes. En effet, elles sont posées comme le fouet de la correction qui est visible dans la maison afin de produire la crainte chez ses habitants et ses serviteurs, laquelle reste inutilisée si personne de ceux qui sont dans la maison, n’agit sottement.

Digression : même lorsqu’il punit et châtie, Dieu exerce sa providence envers les hommes 42  Mais s’il est possible de voir aussi qu’aucune de ces choses ne refrène les méchants, admirons la patience du maître qui supporte leur méchanceté, mais reconnaissons comme quelque chose de non insignifiant le fouet de la correction qui est placé à disposition. Mais si (se produit) l’inverse, si les bons aussi sont saisis par elles, sachons que son maître a pitié aussi du bon qui agit sottement

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nom ; mais avant de connaître, encore petit enfant, il n’est appelé aucun des deux extrêmes. Il est donc de partout évident que c’est par le raisonnement et par le choix qui suit la connaissance que nous évaluons le mal et la vertu. Donc, les bêtes sauvages qui ne participent pas au raisonnement ne sauraient être mauvaises ni produites à partir du Mal, puisque même s’il était tel, il ne saurait être le Mal. 41  D’ailleurs, on peut voir souvent que même la chose la plus nuisible chez les serpents, je veux dire le venin, est utilisée en guise de traitement par les médecins les plus rigoureux et que, par le mélange avec des substances capables de combattre, elle purifie jusqu’aux plus terribles des maladies, et que leurs chairs mêmes, par l’union avec d’autres espèces et plantes, rendent un remède excellent pour les corps, et de même aussi pour (celles) des autres bêtes sauvages. Car certaines parties, ainsi que les membres et le sang, par eux-mêmes, font souvent du bien aux malades. Comment donc ces éléments qui sont aussi partiellement utiles pourraient-ils provenir du Mal ? Donc toutes ces choses, il faut les penser comme utiles seulement à cause des hommes et ne les nommer ni bonnes ni mauvaises, puisqu’elles ne font qu’amener par nécessité la crainte aux hommes en vue de la conversion au meilleur, et ce qu’il y a d’inutile en eux est un obstacle à la paresse chez les hommes. Car ces (animaux) sont comme un fouet exposé dans la maison en vue de susciter la crainte chez les serviteurs, au cas où quelqu’un serait oisif ou que quelqu’un de la maisonnée commettrait une faute.

Digression : même lorsqu’il punit et châtie, Dieu exerce sa providence envers les hommes 42  S’il est possible de voir des méchants n’être en rien affectés par ces choses, admire la tolérance du maître, mais il ne faut pas avoir moins de considération pour le fouet qui est à portée de main. Au contraire, si d’honnêtes gens tombaient sur ces choses, il faut savoir que le maître, en vue de son amendement, traiterait avec ménagement le bon qui a commis une faute, mais non pas celui qui est un cas tout à fait désespéré. Car l’un commet des

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afin de le convertir, et non de celui qui est complètement répudié et au sujet de qui il désespère. Car l’un accomplit sottement des choses pour lesquelles il y a guérison, mais l’autre est réservé en vue d’une punition qui est sans remède. En effet, nous trouvons en abondance consignés dans les livres saints de nombreux exemples comme ceux-là. Car Dieu se soucie grandement de l’homme, en raison de quoi il a établi de toute manière auprès de lui ces choses qui l’agitent et l’éveillent à la crainte, de sorte que pas même son sommeil ne soit délivré d’une violente affliction, mais celui-ci aussi est empêché par de tels cauchemars et, comme un dard, elle pique et excite et éveille sa pensée et son intellect. Nombreuses sont ces choses qui, de façon admirable, soulagent la maladie de l’humanité en vue du souvenir de Dieu. Car, par ces choses dont il souffre corporellement, (l’homme) est délivré des passions de l’âme, et par celles qu’il pourrait ressentir, même s’il ne les ressent pas, il est converti à la crainte. Et l’homme tombe nécessairement et est saisi par les passions humaines afin de fuir ce qui seul en vérité est cruelle passion, qui est le péché. Car celui qui est sans douleur est sans correction ni châtiment, et celui qui est sans châtiment lorsqu’il pèche est tout à fait corrompu ; si, en effet, alors que toutes ces choses sont disposées et proches en vue de la crainte, les hommes sont presque toujours malades de l’absence de crainte, comment pourraient-ils se comprendre les uns les autres si aucun objet de crainte n’était suspendu devant leurs yeux ? Car la maladie aussi adoucit et amollit un intellect endurci, et de nombreuses fois, le danger du naufrage du bateau, quand il survenait, a transformé la façon mensongère du marchand. Et encore, la pauvreté a abaissé et humilié celui qui s’était exalté dans l’abondance, et les privations d’enfants ont assagi et corrigé celui qui se serait enorgueilli à cause des enfants. Mais si (cela) ne l’a pas assagi ni corrigé, l’exemple fut pour ceux qui comprennent. Ces enfants n’ont cependant subi absolument aucun dommage mais ont plutôt été aidés puisqu’ils ont échappé à l’éducation et aux mœurs de mauvais parents, et la cupidité de ceux-ci a été brisée. Et encore si, pour d’autres, qui sont bien, les enfants meurent, soit comme s’ils devaient devenir indignes de ceux qui les ont engendrés, de peur qu’une image et un mémorial mauvais ne soient dressés pour les bons, soit que, s’ils devaient être

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fautes guérissables, tandis que l’autre est réservé pour une punition sans remède. En effet, nous pourrions voir de tels exemples en très grand nombre, relatés dans les divines Écrituresa. Dieu se soucie donc tout à fait de l’homme  ; c’est pourquoi il lui met à disposition, de diverses façons, des choses qui l’incitent à la crainte afin que pas même son sommeil ne soit débarrassé de l’embarras continuel (de ces choses), mais aussi afin que celui-là, entravé par certains monstres, pique le raisonnement à la manière d’un aiguillon. Et certes nombreuses sont les choses qui aident admirablement la faiblesse humaine en vue du souvenir de Dieu. Car par les maux dont il souffre corporellement, il est affranchi des affections de l’âme et par les maux dont il pourrait souffrir, même s’il n’en souffre pas, il est converti à la crainte. Et l’homme tombe nécessairement dans des souffrances corporelles, afin qu’il échappe à l’affection la plus pénible et la seule véritable, le péché. Car l’insensibilité non châtiée et le péché impuni corrompent tout à fait ; si, en effet, alors que tant de choses sont disposées en vue de la peur, les hommes souffrent la plupart du temps d’absence de crainte, comment pourraient-ils donc vivre les uns avec les autresb si aucun objet de crainte n’était dressé devant leurs yeux ? C’est pourquoi la maladie aussi adoucit une disposition trop inflexible, et souvent un naufrage survenu a changé les manières parjures des marchands ou encore la pauvreté a renversé celui qui était élevé par la richesse, la privation d’enfants a rendu sage celui qui prospérait grâce à ses enfants. Mais si cela ne les a pas rendus plus sages, cela a fourni un exemple pour ceux qui le comprennent. Et les enfants n’ont subi absolument aucun dommage, au contraire ils ont reçu des bienfaits, libérés de la conduite de parents sans valeur, et les méfaits de la cupidité sont percés à jour. En revanche, (les enfants) d’autres personnes bien disposées meurent, que ce soit parce qu’ils sont voués à devenir indignes de leurs géniteurs, pour éviter qu’ils se dressent comme un mauvais mémorial pour de bons (parents), ou parce que, même s’ils se trouvent être bons, ils deviendront a  Comme le note N. A. Pedersen (2004, p. 158, n. 1), cette référence aux Écritures est trop générale pour qu’on puisse renvoyer à des passages précis. b  Le syriaque ‫( ܢܬܒܝܢܘܢ‬II, 42, 26) a apparemment compris συνεῖναι (II, 42, 23) comme l’infinitif de συνίημι.

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bons, de peur qu’ayant beaucoup grandi, ils ne deviennent mauvais du fait d’un changement, ils sont aidés en cela qu’ils ne persistent pas (dans l’existence) à l’encontre d’eux-mêmes, parce que Dieu, dans sa prescience, administre toutes choses. 43  Mais, fort nécessairement, les craintes sont convenables, ainsi que les nombreuses causes de toutes sortes et sans limite dans leur multitude, celles que Dieu administre et dispense. Et les mêmes (effets) surviennent en de nombreuses occasions par des causes diverses de toutes sortes. L’un est malade, qui est corrigé à cause de ses péchés, un autre qui, à cause de sa vertu, sera encore plus exercé à la patience, et un autre qui sera repris à cause de l’excès de sa malice. Et le même événement fortuit existe par de nombreuses causes de toutes sortes : l’un tombe et est abaissé loin de la richesse par laquelle il s’était conduit de façon non correcte, un autre, parce qu’il n’a pas bien usé de la clémence de Dieu, un autre s’exerce à la vertu par la pauvreté et un autre, par sa propre volonté, rejette loin de lui le poids de la possession afin de ne pas être entravé dans la vertu, et personne ne peut facilement saisir avec exactitude chacune des choses que Dieu administre dans sa clémence pour les hommes. Mais le peu qui en est saisi est un témoignage afin que soit cru ce qui n’est pas saisi. Car aussi certaines de ces choses, il les rend manifestes et claires aux hommes afin qu’elles soient comme une sorte d’escalier pour ceux qui les comprennent, pour qu’ils en usent et s’élèvent vers lui, mais il en cache de nombreuses (autres) de manière à ce qu’elles ne soient connues afin de ne pas devenir, contre lui-même, maîtres de leur incrédulité à son égard. En effet, il ne convient pas non plus d’exiger la démonstration de chacune de ces choses qui proviennent de Dieu, sinon, une telle connaissance serait bien pire que l’ignorance, car à cause de cela, l’intellect serait sous le coup de la crainte du fait de (les) avoir apprises, et d’aucune des choses que Dieu administre il ne serait plus autrement admis qu’il l’administre selon la justice. Car la foi en Dieu et cet assentiment sont excellents, en sorte que, même quand la connaissance ne voit pas les choses qui sont accomplies, elle ait confiance en la droiture et la justice de l’administrateur, parce que le fait qu’en toutes choses nous nous rapprocherions de lui par des démonstrations serait davantage incroyance manifeste que foi. Car beaucoup d’amis ne ta-

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sans valeur du fait d’un changement, s’ils continuent à grandir davantage ; (les uns et les autres) reçoivent un bienfait parce qu’ils ne persistent pas (dans l’existence) à l’encontre de leur intérêt, par la prescience de Dieu qui administre toutes chosesa. 43  Et les craintes sont certes tout à fait nécessaires, et les causes des choses que Dieu administre sont variées et infinies en nombre. Et les mêmes effets se produisent souvent du fait de motifs variés. L’un qui est malade à cause de ses péchés est amené à se convertir, un autre qui l’est à cause de la vertu s’exerce davantage en vue du martyre, un autre qui l’est à cause d’un excès de malice est convaincu (d’être coupable). Et les causes d’un même événement fortuit sont variées. L’un est renversé de sa richesse parce qu’il ne l’a pas bien utilisée, un autre parce qu’il a mal utilisé la clémence de Dieu, un autre parce qu’il s’exerce par pauvreté à la vertu, un autre repousse de plein gré le poids des richesses pour ne pas être entravé en vue de la vertu. Et on ne saurait constater facilement, dans le détail, la justesse des choses que Dieu administre en ménageant les hommes. Les rares choses que l’on comprend deviennent un témoignage de celles que l’on ne comprend pas. Car les unes, lui-même les manifeste clairement aux hommes, de sorte qu’ils puissent avoir d’une certaine façon un moyen de monter vers lui grâce à ce qu’ils saisissent, mais la plupart, il les cache par l’obscurité afin de ne pas devenir le maître de leur incrédulité à son égard. Car il ne conviendrait pas de réclamer de Dieu la démonstration de chacune des choses qui se produisent, puisque une telle connaissance est assurément plus pénible que l’ignorance, étant donné que l’intellect serait troublé par ce qu’il apprendrait, et qu’autrement il n’accueillerait dans la perspective d’une juste économie rien de ce que Dieu administre. Préférables sont la foi et la bonne disposition envers Dieu et, sans comprendre le sens des choses accomplies, d’avoir confiance dans la droiture de celui qui administre, puisque le fait d’être toujours et partout persuadé par des démonstrations serait incrédulité manifeste plutôt que foi. Beaucoup ne se mêlent On retrouve ici le thème de l’embarras des enfants, développé, entre autres, dans les Actes de Thomas (12, 2 ; Poirier, Tissot 1997, p. 1341). a 

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lonnent ni ne questionnent ceux qu’ils aiment, afin d’achever sans questionnement dans leur société et leur intimité une amitié pure à leur endroit, parce qu’ils seraient facilement blâmés pour leur méfiance, si jamais ils démontraient leur confiance à leur endroit (seulement) après la mise à l’épreuve. (Il en va) de même aussi pour Dieu, qui désire que nous soyons davantage ainsi à son égard : ce n’est pas toute l’action de sa providence et de son économie à notre endroit qu’il découvre et qu’il montre – car il désire davantage que nous croyions en lui et non que nous ne croyions pas en lui –, ce qui signifie aussi qu’il ne cache pas non plus toute son économie, mais qu’à travers un petit nombre d’exemples, il soutient en quelque sorte notre intelligence. Donc, ceux-là qui sont fermes dans leur volonté, qui craignent Dieu, les saisissent immédiatement, en conservent en tout temps le souvenir et demeurent à la manière d’une bonne terre qui a reçu la semence, et ils prospèrent dans les bonnes choses. Mais ceux-là dont l’intelligence s’est trouvée enfouie sous l’abondance du poids qui (réside) dans l’habitude des péchés, ou sous la présomption d’autres fictions opposées à Dieu, comme ces choses que Mani aussi a proférées, lesquelles se trouvent aussi chez d’autres, leur intelligence est ballottée et la perception et le secours qui (proviennent) des exemples s’éloignent d’eux. Mais que cela s’ajoute à ce qui a été dit au sujet de la providence universelle du Dieu universel.

Les animaux et les plantes vénéneuses 44  Or, c’était ce que nous recherchions dans notre discours au sujet de tous les animaux, et il est apparu que, selon les réflexions (conformes) à la nature, ils ne sont pas mauvais et que ne (provient) pas non plus du Mal ce qu’ils sont, et que fort excellemment ils sont utiles aux hommes afin de produire chez eux la crainte. Car si toutes ces (bêtes) qui (sont) dans la création étaient seulement agréables et remplies de gaieté, et s’il n’y avait absolument rien qui inspirât doucement la crainte, l’homme paraîtrait être éduqué de façon mauvaise et élevé à l’absence de crainte. Mais il y a en ces (bêtes) aussi l’ornement de la variété, et même à ce qui est objet de terreur, de la beauté est mêlée. Mais, outre celles-là, il est d’autres (bêtes) qui ni ne conviennent à la subsistance des hommes ni ne

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pas non plus des affaires de leurs amis véritables, attribuant le caractère véritable de (leur) intimité à ce qui n’est pas examiné, dans l’idée qu’ils seraient facilement accusés de manque de confiance si jamais ils ne leur offraient leur assurance qu’après la mise à l’épreuve. Comme précisément Dieu veut surtout que nous soyons disposés ainsi envers lui, il n’indique pas clairement toute mise en action de sa providence – car il veut que nous ayons foi en lui – et, pour autant, ne la cache pas tout entière non plus, mais en quelque sorte soutient notre intellect par quelques exemples. Ceux qui ont de bonnes intentions et qui sont très pieux, dès qu’ils perçoivent (cela), en conservent le souvenir pour toujours en y restant fidèles, florissant en vue du beau à la façon d’une bonne terre qui reçoit des semences. Mais ceux dont l’intellect est accablé sous l’énorme poids de l’habitude des péchés ou par l’opinion préconçue d’autres fictions contre Dieu – comme celles que Mani lui-même a produites et qu’on pourrait trouver chez d’autres – sont frappés dans leur faculté de penser et repoussent la perception et l’utilité des exemples. Que cela soit ajouté au sujet de la providence universelle du Dieu de toutes chosesa.

Les animaux et les plantes vénéneuses 44  L’objet de notre étude concernait toutes les bêtes sauvages et il a été montré par les raisonnements conformes à la nature qu’elles ne sont ni mauvaises ni issues de quelque malice, mais qu’elles sont tout à fait utiles aux hommes pour susciter la crainte. Car si toutes (les bêtes sauvages) qui sont dans la création étaient seulement agréables et remplies de gaieté, et s’il n’y avait absolument rien qui effrayât ne fût-ce qu’à petite dose, les hommes sembleraient être fâcheusement menés à l’absence de crainte. Mais ces (bêtes-là) aussi ont l’ornement de la variété et leur belle apparence est mêlée de terrifiant. Par exemple, il y a a 

Cette remarque clôt la digression des chap. 42-43 sur la providence.

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procurent la couverture des vêtements ni non plus sont sauvages et terrifiantes, mais qui complètent seulement la diversité des choses dans le monde. Et il est évident que tous les animaux apprivoisés et sauvages, ainsi que ceux qui sont entre les deux, se soumettent et demeurent sous le pouvoir créateur et la volonté d’un seul, et ils sont éloignés du fait de se détruire les uns les autres parce qu’ils sont armés de la surabondance variée des biens de toutes sortes. En effet, certains d’entre eux possèdent une force invincible, et ceux qui sont faibles, du fait de la vélocité de leur nature, se procurent à eux-mêmes le salut ; d’autres sont armés autrement, et ceux qui semblent être sans armes ont d’une autre manière quelque moyen de se préserver ; en effet, soit la nature de l’oiseau leur échoit, soit ils se cachent sous la terre. Or c’est ainsi que le créateur, par le biais de la diversité, pourvoit abondamment à l’ornement du monde, mais pour les (animaux) qui ne sont pas égaux en ressources, il distribue à tous le secours de manière à ce que pas même une seule espèce parmi ceux-ci ne soit livrée à la faiblesse de sa nature et périsse. Et c’est ainsi aussi que, contre les changements des saisons, ils se couvrent de revêtements de poils drus qui (poussent) d’eux-mêmes et de peaux dures qui suffisent à empêcher et à repousser les dommages de l’hiver et de la chaleur, et ils sont faits de manière à dormir sur le sol et à se reposer facilement, au point qu’on pense qu’il y a sous eux un lit qui provient d’eux-mêmes. Et à certains il a été imparti d’engendrer peu, soit parce qu’ils ne sont pas chassés aisément, soit parce que leur temps (de vie) est long, mais ceux qui sont capturés facilement et livrés à l’usage de tous les jours tiennent bon et sont préservés par une grande prolifération. Et, en outre, une dispensation qui n’est pas envieuse prépare pour chacun d’entre eux et pour tous d’autres moyens de subsistance. Ainsi, en effet, pour les plantes qui paraissent mortelles, pas même l’une d’entre elles n’est nuisible par sa nature. Car ce qui nuit à une espèce secourt l’autre. Or la même (plante), comment peut-elle être à la fois nuisible et secourable par sa nature ? Mais la différence des espèces qui en usent exige une disposition variée en ces choses de tout genre afin qu’aussi chez les êtres sans raison, soit visible une trace de raison par la loi du créateur. En effet, il n’en est pas même un parmi ces êtres qui soit ignorant de ce qui

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aussi, à côté de celles-là, d’autres (bêtes), qui ne sont ni propres à nourrir les hommes ni à leur fournir la couverture des vêtements ni, en fait, ne sont sauvages ni cruelles, mais qui complètent seulement la diversité du monde. Et il est évident qu’absolument tous les animaux, domestiques comme sauvages, ainsi que ceux qui sont entre les deux, demeurent soumis au pouvoir créateur et au dessein d’un seul, fuyant la destruction mutuelle et dotés de divers moyens de protection. Car les uns possèdent une force invincible, d’autres, plus faibles, se procurent leur salut par la rapidité de leur nature, et d’autres encore sont armés chacun à leur manière, et ceux qui semblent être sans armes ont leur sécurité assurée par quelque autre stratagème ; en effet, soit ils ont reçu une nature ailée, soit ils demeurent cachés sous terre. Ainsi le créateur a réalisé l’ornement du monde par la diversité et, rendant égal ce qui est différent, il distribue la sécurité à tous, de sorte qu’aucune espèce parmi ceux-ci ne soit détruite, trahie par la faiblesse de sa nature. C’est ainsi aussi que (ces bêtes) sont recouvertes, en vue des saisons, par des protections spontanées, poils drus et peaux dures, capables de repousser les atteintes de l’hiver et de la chaleur ardente, et rendant plus aisés le coucher et le repos sur le sol, de sorte qu’un lit naturel semble être placé en-dessous d’eux. Et les uns ont une descendance peu nombreuse parce qu’ils sont soit difficiles à attraper, soit dotés d’une longue vie, et les autres, faciles à prendre et livrés à l’utilisation quotidienne, subsistent et sont sauvés grâce à une nombreuse descendance. Chacun en son temps a sa propre nourriture et l’approvisionnement est disponible sans réserve pour tous. C’est en effet ainsi qu’aucune des plantes qui sont considérées comme mortelles n’est fatale par nature. Car ce qui est nuisible pour une espèce mais utile pour une autre, comment cela pourrait-il être à la fois fatal et salutaire par nature ? La différence des espèces qui en usent exige la diversité dans leur disposition à l’endroit de celles-ci, pour que, même chez ceux qui sont dépourvus de raison, une trace de la raison soit manifestée par la loi du créateur. Car aucun de ces (animaux) n’ignore ce qui lui est propre ni, du fait de sa nature irraisonnable et sauvage, ne se procure comme nourriture ce qui lui est mortel, mais chacun se porte vers ce qui

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lui convient ni qui, parce que ce sont des animaux et que leur nature est sans raison, prendrait comme une nourriture soutenante quoi que ce soit de mortel, mais chacun d’entre eux s’approche de ce qui est à son profit et (lui tient lieu) de nourriture. Mais si toutes les racines et toutes les pousses convenaient à tous, la loi du créateur apparaîtrait piètrement, laquelle ne prévaudrait pas non plus chez ceux qui sont sans raison. Mais le fait que, lorsqu’elle est placée devant eux, la même chose est nuisible pour quelques-uns et utile pour d’autres proclame manifestement au sujet de la sagesse universelle que, même chez ceux qui sont sans raison, existe dans leur nature le discernement des aliments placés devant eux, car, si cela n’était pas dans leur nature, c’est à bon droit que quelqu’un blâmerait les choses nuisibles comme provenant du Mal. Or, si le discernement de leur utilité se trouve déjà aussi chez les animaux du fait de leur nature, et si chacun d’entre eux choisit et cueille ce qui lui convient, manifestement toutes les racines et les pousses sont utiles, même si elles ne le sont pas à tous. Et c’est de façon variée qu’elles sont proposées à ceux qui sont variés en tous genres.

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45  Donc, de cette façon aussi, que soit contenue et abolie l’accusation de Mani le fou qui accuse les plantes dites mortelles, lui qui a imaginé de porter le blâme contre toute chose. Car c’est ainsi aussi qu’il ment au sujet du fer et du feu, mais en ces choses aussi, il fait le contraire de ce qu’il veut. En effet, alors qu’il accuse la Matière – qu’il a inventée en vain dans sa folie –, il apparaît à nouveau comme son patron et celui qui plaide en sa faveur, parce que les choses qui détruisent la Matière, il les hait comme des maux. Car le fer et le feu sont semés sur la terre par le créateur, mais ils ont été découverts par la connaissance de l’homme du fait de la

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lui est utile. En effet, si toute plante et racine se trouvait convenir à tous, il serait moins manifeste que la loi du créateur vaut même chez ceux qui sont dépourvus de raisona. Et le fait qu’une seule et même chose mise à disposition soit nuisible pour les uns et salutaire pour les autres proclame comme plus manifeste la sagesse qui se trouve en tout, à savoir que, même chez les êtres dépourvus de raison, le discernement des choses mises à disposition pour la nourriture est quelque chose de naturel, et si le discernement n’était pas naturellement en chacun, c’est à bon droit que quelqu’un aurait accusé les choses nuisibles en disant qu’elles proviennent du Mal. Mais si le discernement naturel chez les animaux prédétermine le choix et que chacun choisit ce qui lui est propre, de toute évidence chaque plante et chaque racine est utile – même si ce n’est pas à tous – et ce qui se trouve être diversement disposé est divers.

Fer, feu et autres instruments de mort 45  Il faut donc effacer de cette façon aussi l’accusation portée par Manib contre les plantes dites mortelles, lui qui s’est montré prompt à tout calomnier. En effet, il calomnie ainsi aussi le fer et le feu, en faisant, même dans ces choses, le contraire de ce qu’il veut. Car tout en accusant la Matière qu’il imagine en vain exister, il s’avance au contraire comme son défenseur et son avocatc, détestant ce qui consume la Matière comme s’il s’agissait de choses mauvaises. Mais le fer et le feu ont été répandus sur terre par le créateur a  Augustin justifie autrement la raison d’être des plantes vénéneuses en disant qu’« elles ont été créées pour le châtiment ou la mise à l’épreuve des mortels ; et tout cela à cause du péché, car c’est à la suite du péché que nous sommes devenus mortels » (De Genesi contra manichaeos 1, 13, 19, éd. Monat, Dulaey, Scopello, Bouton-Touboulic 2004, p. 200-203). b  Le syriaque (II, 45, 2 : « Mani le fou ») surtraduit. c  Cf. Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 31, 29-30, éd. Casey 1931, p. 47 : les manichéens sont avocats (συνήγοροι) du diable et accusateurs (κατήγοροι) de Dieu.

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permission de Dieu. En effet, sans ces choses, la vie des hommes serait tout à fait ruinée. Car même s’ils ont été estimés nuisibles par Mani, du fait qu’ils détruisent les corps qui tombent sous leur empire, ils se trouvent être beaucoup plus utiles et secourables en raison de leur utilité, nécessaire et recherchée en toute chose. Mais si, alors qu’ils étaient cachés dans la création, c’est la connaissance de l’homme qui les a trouvés dès le début, de qui établirons-nous qu’est cette connaissance qui les a trouvés ? Est-ce que par hasard elle proviendrait de la Matière mauvaise qui est sans connaissance, selon ce que celui-ci a dit qu’elle est, ou du Bon ? Mais il est évident que la sagesse de la connaissance est bonne et qu’elle est un don du Bon. Mais sur qui le fer a-t-il jamais bondi de lui-même, lui qui est voué seulement à l’utilité de la connaissance et qui sert à tous les arts et leur convient ? Mais « l’homme tue par lui ». Et pourquoi cette méchanceté de l’art de celui qui s’en sert est-elle attribuée à l’instrument, de sorte que, si celui qui en use de cette façon n’existait pas, le fer ne serait pas estimé être mauvais ? Car, si le meurtrier veut accomplir un meurtre, mais qu’il échoue par rapport à sa réalisation, n’est-il pas évident que la volonté a accompli le forfait et que le fer est innocent ? Ainsi donc, même s’il agit, ce n’est pas le fer qui est la cause, mais celui qui s’est servi du fer à mauvais escient. Et s’il frappe avec une pièce de bois ou lance une pierre ou étrangle de ses propres mains, il appelle encore cela des maux. Et toute chose est grandement blâmable auprès de Mani le fou et il ne blâme pas ce qui en vérité est la cause qui existe (vraiment), c’est-àdire l’intellect. Car toutes ces choses qui ont été mentionnées avec le fer ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais elles sont conduites et tirées vers ce que veut celui qui les utilise, et c’est seulement comme instrument qu’elles sont proposées à celui qui les utilise et qu’elles lui servent, choses qui, si elles n’étaient pas livrées aux hommes, l’homme n’exercerait pas un tel art ni n’aurait les multiples utilités qui en proviennent sans envie. Et qui plus est, il ne pourrait être ni éprouvé ni examiné en fait de vertu. En effet, parce qu’il n’aurait pas les instruments qui lui sont proposés et mis à sa

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et ont été trouvés par le raisonnement de l’homme selon la dispensation de Dieu. En effet, sans ceux-ci, la vie est complètement diminuée pour les hommes. Car s’ils sont considérés par Mani comme nuisibles parce qu’ils détruisent les corps qui y sont exposés, ils apparaîtront de beaucoup plus utiles et salutaires par leur utilisation nécessaire en toute chose. Mais s’ils existent de façon cachée dans la création et que c’est le raisonnement de l’homme qui les a découverts au début, au compte de qui doit être porté le raisonnement qui les a découverts ? Est-ce au Mal et à la Matière, qui n’ont pas la connaissance selon celui-ci, ou au Bon ? Mais il est clair que la sagesse du raisonnement est un bien et un cadeau du Bon. Mais sur qui le fer a-t-il jamais bondi spontanément, lui qui a été soumis uniquement à l’utilisation du raisonnement et qui est au service de tout savoir-faire ? Mais, dit-il, « c’est par son intermédiaire que l’homme tue » ; et (dès lors) c’est la pratique perverse de son utilisateur qui est reportée sur l’outil, de sorte que, s’il n’y avait pas celui qui l’utilise de cette façon, le fer ne semblerait pas être mauvais. Car si le meurtrier voulait commettre un meurtre, mais échouait dans l’action, ne serait-il pas clair que l’intention a accompli l’acte, mais que le fer n’est pas responsable ? Ainsi, même s’il agit, ce n’est pas le fer qui est responsable, mais celui qui a utilisé d’une façon non conforme à la raison la capacité qu’a le fer de couper. Et s’il frappe avec du bois ou bat avec une pierre ou étrangle de ses propres mains, à nouveau il nommera cela aussi des maux. Et, pour Mania, tout est davantage responsable que ce qui est véritablement responsable, à savoir le raisonnement volontaire. Car toutes les choses qui ont été mentionnées avec le fer ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais elles sont menées vers ce que pourrait vouloir l’utilisateur, disponibles à la façon d’outils et au service de celui qui les utilise, alors que précisément, si elles n’avaient pas été confiées à l’homme, il n’aurait pas à ce point mené à terme les techniques ni n’aurait eu les nombreuxb usages qui en proviennent. Et qui plus est, il ne se serait pas du tout exercé en vue de la vertu. Le syriaque (II, 45, 33 : « Mani le fou ») surtraduit. Le syriaque a rendu ἀφθόνους (II, 45, 37), utilisé ici au sens de « abondants », « nombreux », par « sans envie » (II, 45, 40 : ‫)ܕܐܠ ܚܣܡ‬, ce qui est le sens le plus habituel de l’adjectif dans les textes chrétiens ; cf. Lampe 1961, p. 1474b, s. v. φθόνος. a 

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disposition, qui peuvent être tirés à la réalisation de la vertu aussi bien qu’à celle du mal, il n’aurait pas de lui-même et par lui-même la révérence pour la vertu, et par là il apparaîtrait davantage lésé et subirait un dommage, et il déchoirait de cette grande victoire s’il apparaissait qu’il ne s’est pas approché des actes mauvais précisément à cause de cela, qu’il ne possédait pas ce par quoi il les aurait accomplis. Car celui qui n’accomplit absolument rien est inactif et sans gloire. « Mais vois », comme il a dit, « ce qui survient ». Mais qu’y a-t-il qui survienne de plus que ce qui existe de façon nécessaire ? Car la mort, ce n’est pas par le meurtrier qu’elle a été découverte, mais c’est par le créateur qu’elle a été décrétée. Mais si quelqu’un a souci de réprouver le fer, le bois, la pierre, le feu, l’eau et les choses pareilles comme malfaisants, et s’il omet leur principe, à savoir que ce sont des instruments, et blâme seulement ce qui survient par eux – je veux dire la mort –, qu’il prouve et montre auparavant que ce n’est pas à bon droit ni convenablement qu’elle a été décrétée par le créateur, et alors, à la fin, qu’il appelle maux ces choses qui aident le Mauvais. Mais si la mort ne peut par personne être démontrée mauvaise, mais qu’elle est au contraire secourable, ainsi que nous l’avons montré en plusieurs (occasions), comment n’est-il pas superflu et vain d’accuser les choses par lesquelles la mort se produit, comme des choses qui seraient mauvaises de par leur nature, alors qu’elles ne connaissent pas ce contre quoi elles sont mues par d’autres, à qui elles ont été livrées, et qu’elles sont exemptes de tout blâme, parce qu’il convient de blâmer seulement l’homme qui les meut quand il ne le faut pas ? 46  Ainsi donc, en vérité, il est apparu qu’il n’est rien parmi les choses qui sont dans la création qui soit mauvais. Mais c’est seulement la connaissance et l’intellect de l’homme qui reçoivent nécessairement ce pouvoir, et il arrive qu’il pèche et qu’il soit incriminé par ses péchés seulement parce qu’il a honoré ce qui est haïssable et mauvais. Mais il ne peut innover en rien contre la nature et il n’est pas non plus en son pouvoir de faire que quelque chose d’en haut devienne quelque chose d’en bas, si ce n’est seulement qu’il accomplit les choses qui sont selon la nature, même s’il est accusé de les faire non à bon droit, comme le meurtre qui opère la mort selon la nature et ne fait rien de plus en dehors de ce qui

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Car, par le fait de ne pas avoir à disposition les outils qui peuvent mener vers la réalisation de la vertu comme du mal, il n’aurait pas eu en son pouvoir la préférence pour la vertu, de sorte qu’il semblerait être lésé au plus haut point et être déchu d’une très grande considération, si c’était vraiment pour cette raison qu’il semblait ne pas toucher à la malfaisance, parce qu’il n’avait pas en suffisance ce par quoi il aurait pu le faire. Car ce qui est complètement irréalisable est stérile et sans gloire. « Mais regarde », pourraient-ils dire, « ce qui en résulte ». Or, rien de plus que le nécessaire ne survient. Car la mort n’a pas été découverte par l’intermédiaire d’un meurtrier, mais elle a été fixée par le décret du créateur, et si du moins quelqu’un s’empresse de démontrer que le fer, le bois, la pierre, le feu, l’eau et leurs semblables sont malfaisants, ayant laissé tomber le principe des outils, que celui-là en vienne à réfuter seulement ce qui en résulte – je veux dire la mort – et à montrer que celle-ci a été fixée par le créateur sans suivre la raison, et ainsi, en dernier lieu, qu’il en vienne à appeler maux les choses qui l’emportenta à mauvais escient ! Mais si personne ne peut démontrer que la mort est mauvaise et qu’au contraire, donc – comme il a été montré à l’aide de nombreux arguments – elle se trouve être vraiment utile, comment n’est-il pas superflu d’accuser d’être mauvais par nature ce par quoi peut se produire la mort, parce que ces choses ne savent pas pourquoi elles sont mises en mouvement par un autre à qui elles ont été livrées et qu’elles sont privées de toute responsabilité, alors qu’il faudrait accuser seulement l’homme qui les met en mouvement, lorsque cela ne convient pas ? 46  Car ainsi il a été démontré en vérité qu’aucune des choses dans la création n’est mauvaise, mais que seul le raisonnement humain, qui en reçoit nécessairement la capacité, pèche parfois, qu’il est convaincu de pécher seulement parce qu’il a préféré le pire, qu’il ne peut en rien innover contre la nature, et qu’il n’est pas en son pouvoir de faire que les choses d’en haut soient en bas, mais qu’il agit seulement selon la nature même s’il est accusé d’agir contre la raison, tout comme un meurtre produit la mort, qui est selon la Le syriaque (II, 45, 58) a apparemment lu une forme de συναίρω au lieu de συναιρέω (II, 45, 53), et κακόν au lieu de κακῶς. a 

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est dans la nature, si ce n’est qu’il reprend celui qui l’accomplit. Et encore l’adultère et les autres choses comme celles-ci sont sujets à l’accusation seulement parce que l’intellect en fait usage de façon inconvenante, mais il ne peut en aucune façon innover contre la nature décrétée par le créateur, de sorte la limite et l’ordre de celui qui a créé la nature sont et demeurent sans changement, sans être transgressés. Or c’est par les choses qui sont selon la nature que les péchés se déploient sans introduire aucune innovation, si ce n’est seulement qu’ils convainquent celui qui les commet de pécher par sa propre volonté, parce qu’autrement, il ne pourrait remporter la victoire si ce qui est contraire n’était aussi en son pouvoir, car c’est en y échappant par sa volonté qu’il acquiert la vertu et y demeure. C’est donc une œuvre de folie et d’erreur capitale que d’accuser en vain le fer, le bois et les autres choses pareilles et non celui-là seulement qui en use non à bon droit. 47  Mais si quelqu’un cherche pour quelle raison l’homme est tué, il sera à nouveau dit ce qui a été dit à de nombreuses reprises : à cause de quoi, tout simplement, l’homme meurt-il donc ? Car si cela apparaissait mauvais, c’est à bon droit que sa cause reviendrait contre celui qui l’a décrétée. Mais si la mort n’est pas mauvaise, que soit seule mise en question la permissivité de celui qui conduit les affaires des hommes par sa providence, à savoir en raison de quoi l’homme, sous la modalité du meurtre, tombe sur la mort qui n’est pas mauvaise par sa nature, et celle-ci sera trouvée survenir selon de nombreuses causes de toutes sortes qui sont telles qu’il serait vain pour nous de les dénombrer, car la même chose arrive aussi bien au juste qu’à l’injuste par des causes variées, ni pour le juste en vue de sa perdition ni pour l’injuste en vue de son châtiment. Car ce qui existe selon la nature n’est pas châtiment mais (survient) en vue d’un exemple ou de l’empêchement de maux plus grands, et les causes sont nombreuses pour lesquelles Dieu consent à ce que l’homme soit tué. Or il est évident que rien de plus ne survient que ce qui est décrété selon la nature. Car même si les accidents sont variés, soit de la fièvre ou de l’abondance sans mesure, ou au contraire de la faim, ou du froid, ou de la chaleur, ou des amas de terre ou de pierres, ou de l’épée, ou par le feu, ou par l’eau, parmi toutes ces choses, une seule (et unique) est cependant celle qui survient et ar-

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nature, ne faisant rien de plus que ce qui est selon la nature si ce n’est qu’il blâme celui qui l’a commis. À leur tour, l’adultère et les choses semblables sont objets d’accusation, seulement à cause du caractère déraisonnable du raisonnement, mais ils ne peuvent absolument en rien innover contre la nature, qui est déterminée par le créateur, de sorte qu’est et demeure inviolable la loi de celui qui a créé la nature, et que les péchés sont en quelque sorte ourdis dans les choses mêmes de la nature, sans apporter quelque nouveauté si ce n’est le fait qu’ils révèlent que seul celui qui commet (ces choses) pèche de son plein gré, dans la mesure où il ne pourrait autrement agir correctement s’il n’avait pas aussi en lui-même la capacité du contraire, auquel il a le moyen d’échapper de son plein gré en vue de l’acquisition de la vertu. C’est donc un acte de la plus haute folie que d’accuser en vain le fer, le bois ou quelqu’une des autres réalités et non celui qui les utilise à l’encontre de la raison. 47  Mais si on cherche à savoir à cause de quoi l’homme est tué, on dira à nouveau ce qui a souvent été dit, à savoir pourquoi, de façon générale, l’homme meurt, ce à propos de quoi, précisément, si l’on démontrait que cela est mauvais, l’accusation se retournerait à bon droit contre celui qui l’a décrétée. Mais si la mort n’est pas un mal, il faut examiner à fond seulement le consentement de celui qui a prévu les choses qui nous concernent, pourquoi l’homme, sous le mode du meurtre, tombe à l’improviste sur la mort qui n’est pas un mal selon la nature, et on trouverait sûrement qu’elle survient selon des causes nombreuses et variées qu’il serait superflu de dénombrer ; car la même chose survient à un juste et un injuste selon une cause différente, et non pas au juste en vue de lui nuire, ni à l’injuste en vue de le châtier. En effet, ce qui est selon la nature ne saurait être une punition, mais (survient) en vue d’un exemple ou d’un empêchement des maux incurables, et nombreuses sont les causes du fait que Dieu permet qu’un homme soit tué. Il est cependant manifeste que rien de plus ne se produit que ce qui a été établi selon la nature. Car même si ce qui concerne les circonstances était différent, fièvre et satiété sans mesure ou, au contraire, faim, froid et chaleur, éboulis et lapidation, épée, fer et eau, dans toutes ces choses, il n’y a cependant qu’une seule et même conséquence. Que

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rive. Et quelle est-elle, sinon celle qui, par le créateur, a été décidée de façon belle et convenable en ce qui concerne toute notre race ?

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48  Ainsi donc, il apparaît aussi de différentes autres façons qu’il n’est rien dans la création qui soit mauvais, rien non plus de l’économie divine qui soit blâmable, mais que toute chose est venue à l’existence et a été créée du fait d’une ineffable sagesse digne de louanges, et est administrée par une providence ineffable, de sorte qu’il ne te soit pas aisé de parvenir à la connaissance des choses bonnes et de celles qui semblent affligeantes. Car il ne convenait pas non plus, à ce qu’il semble, que les signes et les indices de la sagesse de Dieu soient saisis en ce qui concerne toutes choses, ni que cette connaissance cachée qui est insaisissable et ineffable en toutes choses soit mise à nu devant les hommes, alors que même un homme, roi ou chef, a parfois nombre de réflexions et de désirs qui restent cachés afin qu’il ne soit pas manifeste pour quelle raison ni pourquoi est accompli ce qui est accompli. Ce n’est donc pas un sujet d’étonnement si les hommes ne peuvent comprendre la raison régissant toute l’économie de Dieu, eux à qui il convient, sans grand examen, d’être soumis et silencieux, et de ne résister aucunement à l’ineffable économie cachée. En effet, en de nombreuses occasions, l’artisan non plus, (qu’il s’occupe) de charpenterie, de construction de navires ou de forge, lui qui est compétent, parce que nous le respectons, nous ne le mettons à l’épreuve quand il accomplit chacune de ces choses qu’il connaît, mais nous faisons confiance à l’expérience et nous attendons de voir l’œuvre, et il se peut que parfois, même s’il lui arrivait de faillir (à son art), nous, nous ne nous en apercevrions pas. Que dirons-nous donc au sujet de la sagesse de Dieu qui est supérieure à toute connaissance et la surpasse, elle dont il convient de nous étonner, de l’admirer et de l’honorer, soit que nous la connaissions et la saisissions, soit que nous ne la connaissions ni ne la saisissions ? 49  Mais si quelqu’un, parce qu’il ne comprend pas la raison qui concerne la plupart des choses qui proviennent de Dieu, est abattu et tombe dans la mauvaise pensée de l’erreur contre Dieu, celui-là est plus misérable que tout et se trouve grandement dépourvu d’in-

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pourrait-ce être ? C’est ce qui a été fixé par le créateur, de façon belle et convenable, pour toute l’humanité.

Tout a une raison d’être dans l’économie divine 48  Ainsi donc, et selon de nombreuses autres façons, on pourrait montrer qu’aucune des choses dans la création n’est mauvaise et qu’il n’y a vraiment rien de l’économie divine qui soit à calomnier, mais que tout existe par une sagesse indicible et est administré par une providence indicible. De sorte qu’il ne serait pas facile de comprendre le sens des choses qui existent du fait de Dieu, qu’elles apparaissent être utiles ou au contraire pénibles. Car il ne fallait pas – à ce qu’il semble – que soient accessibles à tous les indices de la sagesse de Dieu et que le sens indicible et insaisissable soit complètement à nu pour les hommes, puisque la plupart des réflexions mêmes d’un homme, fût-il roi ou chef, sont parfois cachées, de sorte que ce qui est fait demeure caché quant à la raison pour laquelle cela est fait. Ce n’est donc pas un prodige si les hommes ne saisissent pas la raison de tout le gouvernement de Dieu, eux à qui il convient de se tenir loin de l’indiscrétion, de vivre en paix et de ne pas s’élever du tout contre le gouvernement indicible. Car souvent, nous ne nous ingérons pas dans les affaires des autres, en respectant le technicien expert en charpenterie, en construction de navires ou dans l’art de forger, puisque chacun fait ce qui lui est familier, mais, confiants en leur compétence, nous attendons de voir l’œuvre ; et il arrive parfois que nous ne remarquions pas qu’ils ont fait des fautes. Alors, que pourrions-nous dire de la sagesse de Dieu qui est au-dessus de tout intellect, elle qu’il convient que nous admirions et que nous honorions, que nous la comprenions ou que nous ne la comprenions pas ? 49  Mais si quelqu’un, à cause du fait qu’il ne comprend pas la raison de la plupart des choses qui existent du fait de Dieu, tombait dans des opinions absurdes contre Dieu, un tel homme serait très misérable et tout à fait insensé, étant donné qu’il se ser-

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telligence car il use de l’aveuglement de son ignorance comme d’un guide, à l’instar de ce Mani, qui a imaginé une folie violente et dure contre ceux qui lui obéissent, lui qui, parce qu’il n’a pas compris de quelle manière nos affaires humaines sont administrées, a forgé et énoncé le principe du Mal, second (et) sans commencement, de manière à (les) faire achopper aux choses qui sont supérieures et que les choses qui sont en bas, il ne leur permette pas de les connaître, car il forge toutes ces choses contre le Dieu universel et blasphème contre lui, choses par lesquelles il proclame sa bonté et sa patience parce qu’il supporte sa méchanceté. En effet, il a partagé les choses de Dieu et établi la plupart d’entre elles à partir du Mal qui n’existe pas, de sorte qu’en tout il blasphème absolument contre le créateur, (lui) qui dit que les choses (bien) constituées qui existent du fait de Dieu se trouvent dans la composition et dans le mélange du Mal.

Les quatre éléments et la doctrine de Mani sur le soleil 50  Que dit-il maintenant au sujet du principe des corps ? En effet, elles sont au nombre de quatre, ces choses qu’on a l’habitude d’appeler les quatre éléments, eux qui sont contraires les uns aux autres et grandement opposés, et aucun d’entre eux ne peut rien accomplir seul, de lui-même et par lui-même. En effet, que serait le sec sans l’humide ? Ou que serait le chaud sans le froid ? Si donc le mélange parfait de ces opposés produit et réalise les corps, lesquels parmi ces quatre (éléments) établira-t-il qu’ils sont du Mal et lesquels sont du Bon ? Car si, en toutes choses, il a imaginé et énoncé le mélange du Bon et du Mauvais, il partagera nécessairement en deux ces quatre (éléments) et ceux-ci, soit il les séparera de façon égale, soit il les séparera à trois contre un. Mais n’importe lequel d’entre eux dont il établira qu’il est du Bon se trouvera quant à lui être aussi celui qui, de lui-même et par lui-même, peut nuire et blesser. Car il n’y a aucun de ces quatre (éléments) qui, non mélangé, ne soit nocif, de sorte qu’aussi, ce qui, dans leur mélange, est en excès est la cause de la corruption du corps, comme disent ceux qui sont versés en ces choses. Si donc le chaud, de lui-même et par lui-même, est brû-

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virait de l’aveuglement de sa propre pensée comme d’un guide, tout comme Mani, qui a imaginé la folie la plus insupportable contre ceux qui lui obéissent ; puisqu’il n’a pas compris de quelle façon les choses qui nous concernent sont administrées, il a forgé un deuxième principe, sans principe, celui du Mal, de sorte qu’il achoppe sur les choses d’en haut et qu’il ne lui a pas été accordé de comprendre celles d’en bas, façonnant contre le Dieu de l’univers des idées telles qu’elles proclament sa patience supérieure. Car il a divisé les choses de Dieu et a attribué la plupart au Mal qui n’existe pas, blasphémant de toutes les façons contre le créateur, en disant que les beaux ouvrages de Dieu sont composés à partir du Mal.

Les quatre éléments et la doctrine de Mani sur le soleil 50  Que pourrait-il donc dire au sujet des principes des corps ? Ils sont en effet au nombre de quatre, qu’on a l’habitude d’appeler aussi les quatre élémentsa, qui précisément se trouvent être contraires les uns aux autres et exactement opposés, et aucun de ceux-ci ne peut accomplir quelque chose de lui-même. Car que serait le sec sans l’humide ? Ou que serait le chaud sans le froid ? Si donc c’est la réunion des contraires qui produit le corps, lesquels des quatre celui-là attribuera-t-il au Mal  ? Ou lesquels au Bon  ? Car s’il imagine un mélange du Bon et du Mauvais dans tout, il est tout à fait nécessaire de diviser les quatre en deux et donc soit de les distinguer à égalité soit de les séparer trois contre un. Cependant, ce que l’on attribuerait au Bon, on trouverait que cela peut nuire par lui-même. Car aucun des quatre éléments, quand il est non mélangé, n’est non plus exempt de danger. Par exemple, même dans le mélange, l’excès devient cause de ruine pour le corps, a  La théorie des quatre éléments était très répandue dans l’Antiquité. D’après Aristote (Métaphysique Α 4, 985a 29-b 2), Empédocle fut le premier à reconnaître les quatre éléments ; pour les qualités des éléments, voir Aristote, De la génération et la corruption II, 3. Sur les quatre éléments dans la controverse antimanichéenne, cf. Augustin, De moribus 1, 8, 13, éd. Roland-Gosselin 1949, p. 274-275.

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lant, et le froid est refroidissant, et de même le sec est desséchant, et l’humide rend humide, lequel de ces (éléments) cet imposteur établit-il qu’il est de Dieu ? Car le corps tout entier est en lui-même, selon ce qu’il est convenable (d’affirmer), un mélange de ces (éléments), grâce à quoi il est composé et tient dans la substance, et ceux dont provient le mélange, il n’est pas possible à aucun d’entre eux d’exister (tout seul), une fois mélangé. Et donc il n’y a pas de raison à propos de cela que (Mani) partage chacun de ces éléments entre les deux principes opposés et qu’il imagine le mélange de chacun d’entre eux. Car quelle composition ce trompeur peut-il inventer pour le sec ? De même, quel mélange pour le feu, lui qui n’est pas mélangé ? Ou quel amalgame pour le froid, lui qui est tout entier froid ? Et semblablement aussi pour l’humide. Car ceux-là sont manifestement sous une seule forme et ils existent sans être divisés. Donc de chacun de ceux-là la substance ne tient pas par lui-même ni pour lui-même, mais ils ont les uns avec les autres le fait d’exister. 51  Il délire donc d’une grande et violente folie lorsqu’il dit au sujet du feu que « quelque chose de lui appartient au Bon et quelque chose au Mal », et il est nécessairement contraint de faire cela aussi au sujet des autres éléments et de séparer ceux qui n’admettent pas la séparation. En effet, le sec tout entier est sec dans sa totalité et cette sécheresse est pure et simple et elle est d’une unique forme seulement, et le froid non plus ne peut en venir à l’idée de la séparation parce qu’il est un et pur et simple dans sa totalité. Et ainsi aussi pour l’humide et le chaud. Qu’est-ce donc qui, du feu, serait du Bon et qu’est-ce qui, au contraire, serait du Mal, alors qu’il n’admet pas non plus la séparation parce qu’il n’a pas non plus admis le mélange puisqu’il est par lui-même sans mélange ? Car le corps qui est mélangé est aussi divisible comme par la pensée, mais l’élément qui n’est pas mélangé, comment quelqu’un peut-il penser qu’il est mélangé et composé de ce qui lui est opposé ? Et de même, quel opposé peut-on imaginer pour le feu qui n’est pas mélangé ? Si donc chacun d’entre eux est en sa totalité nuisible de lui-même et par lui-même, aucun d’entre eux, selon le discours de ce fou, ne convient non plus au Bon ni ne lui est approprié, mais tous seront établis (être) du Mal et il n’existera pas de corps qui soient un composé des deux, ce qui est étranger à l’hypothèse de Mani.

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comme disent les experts de ces choses. Donc, si le chaud brûle de lui-même, que le froid rafraîchit, le sec assèche, l’humide inonde, lequel de ceux-ci le trompeur imputera-t-il à Dieu ? Il est en effet naturel que le corps tout entier ait lui-même un mélange de ces éléments par lesquels il est formé et subsiste, mais il n’est pas possible qu’aucun d’eux n’existe en dehors du mélange des éléments à partir desquels le mélange est fait. De sorte que (Mani) n’a pas raison de répartir chacun de ces éléments insécables en deux principes contraires et d’introduire le mélange de chacun d’eux. Car quelle composition le trompeur concevra-t-il pour le sec ? Quel mélange pour le feu non mélangé ? Ou quel assemblage pour le froid qui se trouve être complètement froid ? Et de même aussi pour l’humide. Car ces choses sont clairement simples et indivisibles, de sorte que chacune d’elles ne pourrait pas même subsister par elle-même, mais elles partagent les unes avec les autres le fait d’exister. 51  Ainsi donc il souffre d’une pénible folie, quand il affirme que, « du feu, d’un côté quelque chose relève du Bon, et de l’autre quelque chose du Mauvais ». Et il lui est absolument nécessaire de faire cela également au sujet des qualités des éléments et de diviser ceux qui n’admettent pas la division. Car le sec est complètement sec et le sec en soi est simple et d’une seule sorte. Et le froid, qui ne peut pas même accéder à l’idée d’une division, se trouve un être complètement un et simple. Il en est de même certes pour l’humide et le chaud. Quelle partie du feu relèvera donc du Bon  ? Et quelle partie, au contraire, relèvera du Mauvais, alors qu’il n’admet pas de division, puisqu’il n’a certes pas non plus admis de mélange, étant non mélangé  ? Car le corps, étant un, se divise également du moins par la pensée, tandis que l’élément non mélangé, comment pourrait-on penser qu’il est composé à partir d’opposés ? Quelle contradiction quelqu’un peut-il constater dans le feu non mélangé ? Si donc chacun d’eux est complètement dangereux en lui-même, aucun d’eux, selon le discours de Mania, ne conviendra au Bon, mais tous seront attribués au Mauvais, et il n’y aura pas de corps composés de l’un et de l’autre, contrairement à l’hypothèse de Mani. a 

Le syriaque (II, 51, 18) a probablement lu μανέντος.

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52  Mais comment cela est-il imaginé par lui, que « du feu il y a quelque chose qui guérit et soigne » – ce qui proviendrait du Bon – et que « de lui quelque chose est destructeur et dévastateur  » –  ce qui proviendrait du Mal  –, si ce n’est qu’il invente et énonce follement le mélange des corps à partir du Bon et du Mauvais ? Car du fait qu’il pense cela, il est contraint de donner en partage au Bon (quelque chose) de ces quatre éléments, lesquels il veut intègres, sans être divisés, comme ils le sont par leur nature, et il paraîtra avouer que provient de Dieu aussi ce qui n’est pas mélangé, qui de lui-même et par lui-même est nuisible. Mais ce stupide sans intelligence divise la nature du feu qui n’est pas divisible, et il dit qu’autre est la partie de lui qui est thérapeutique et autre sa partie brûlante, et le barbare ne comprend pas que la séparation réside dans l’usage et non dans la nature du feu. Car la proximité sans mesure du feu est nuisible, mais son éloignement dans la mesure produit une participation utile, et d’ailleurs, la capacité même de brûler propre au feu est seule nécessaire et exigée parce que le feu est précisément cela. En effet, celui-ci amollit et fait fondre les choses qui sont nécessairement approchées de lui en vue de l’utilité, en sorte que le feu n’est rien d’autre que la capacité de brûler et rien d’autre que cela n’est nécessaire et exigé. Mais lui outrage en vain le feu parce qu’il est ingrat au plus haut point envers les bienfaits qui proviennent d’auprès du créateur universel. 53  Mais si quelqu’un pose que les quatre éléments appartiennent au Mal, comment eux qui sont opposés paraîtraient-ils provenir d’une seule nature ? Car si le chaud provient de celui-ci, le froid de l’autre côté, ou à l’inverse, autrement, il en est de même aussi pour l’autre paire et donc le mélange des éléments ne subsiste pas non plus selon une pareille fable. Et s’il attribue à un dessein du Mal l’assemblage des quatre (éléments) et leur découverte, le Mal se trouve quant à lui être très grandement doué de sagesse, lui qui ne possède ni connaissance ni réflexion, de sorte que la puissance créatrice conçoive même pour lui une grande admiration s’il a connu sous quelle forme le corps peut subsister.

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52  Mais comment une «  part du feu  » lui semblera-t-elle « bénéfique, dans la mesure où elle provient du bien », et une autre part « destructrice et consumante, dans la mesure où elle provient du Mauvais  », à moins qu’il n’ait la folie d’imaginer pour les corps aussi un mélange du Bien et du Mal ? Selon cette pensée, il sera contraint d’attribuera au Bon une partie des quatre éléments dont il voudrait précisément qu’ils soient entiers et indivisibles, comme ils le sont par nature, et il apparaîtra admettre que de Dieu aussi provient ce qui est à la fois non mélangé et nuisible en soi. Et l’insensé divise l’indivisible nature du feu, disant qu’en lui il y a une partie bénéfique et une partie consumante, le barbare ne comprenant pas que la séparation se fait dans l’usage du feu, mais pas dans sa nature. Car la proximité excessive de celui-ci est une menace, mais la distance mesurée apporte une participation sûre, cette capacité de consumer étant d’ailleurs la seule nécessaire, puisque c’est cela qu’est le feu. Car celui-ci assouplit et amollit les choses qui en sont approchées par nécessité pour en faire usage, de sorte que le feu n’est rien d’autre que sa capacité de consumer, et que ce qui (en lui) est nécessaire n’est rien d’autre que cela. Mais (Mani) outrage en vain le feu, étant tout à fait ingrat envers les bienfaits qui proviennent du créateur de l’univers. 53  Et si quelqu’un posait que les quatre éléments se rattachent, selon celui-là, au Mal, comment pourraient-ils sembler relever d’une seule nature, alors qu’ils sont justement opposés ? Car s’il est vrai que le chaud provient d’un principe, le froid de l’autre, ou inversement, alors il en est ainsi aussi de l’autre paire, de sorte que le mélange des corps aussi serait sans fondement selon une telle hypothèse. S’il attribuait à la pensée du Mal l’invention des quatre éléments en vue de leur mise en place, le Mal qui ne possède ni la connaissance ni l’intelligence, apparaîtra éminemment sage, au point d’emporter même la plus grande admiration du créateur, si tant est qu’il a compris de quelle façon (le corps) peut subsister. Le traducteur syriaque (II, 52, 5-6) a pris le verbe ἀπονεῖμαι (II, 52, 5) dans le sens de « séparer, diviser » plutôt que dans celui d’« attribuer à », qu’il a ici. a 

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54  Mais puisqu’il glorifie le soleil et dit qu’il n’est pas – comme il pense – dans le mélange du Mal, procédons aussi au sujet du soleil par amour de la vérité et voyons (ce qu’il en est). Il se trouve en effet provenir quant à lui d’un seul des quatre éléments, je veux dire de l’essence chaude. Car il ne nuit pas à ceux qui sont établis sous lui, mais il les réchauffe seulement et leur vient en aide parce qu’il est très éloigné, mais ceux dont il s’approche beaucoup, il les brûle et il rend cette terre sans fruit. Voici en effet qu’au cours de l’été, dans sa descente sans mélange sur la terre, au milieu du jour, il la réchauffe de telle sorte que son sol semble être comme un fer brûlant sous les pieds de ceux qui la foulent pieds nus. Or, en de nombreuses occasions aussi, en raison de la flamme du soleil, des hommes sont tombés et ont été consumés par sa grande chaleur parce qu’ils n’ont rien trouvé à proximité pour se soulager. Et il noircit aussi les corps et les brûle, et il accomplit manifestement l’action du feu mais en fait il est lui-même générateur de feu si quelqu’un approche face à lui de l’eau dans un récipient de verre. Car la force du rayon du soleil est concentrée par la limpidité et la transparence de l’eau ainsi que du verre, et il en ressort de manière resserrée, et s’il approche quelque chose par lequel le feu prend facilement, à l’instant même il engendre le feu et persuade clairement

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54  Et puisqu’il vénère le soleil et qu’il le déclare – comme il l’a supposé – «  non mélangé avec le Mal  », voyons ce qu’il en est aussi du soleil, par amour de la véritéa. En effet, il apparaîtra comme relevant d’un seul des quatre éléments, je veux dire de l’être du chaud. Car il ne nuit pas aux choses qui sont en dessous, mais les réchauffe seulement et les aide dans la mesure où il en est très éloigné. Mais celles dont il s’approche plus, il les consume et rend stérile une telle terre. Par exemple aussi, à la saison de l’été, s’élançant sans mélange sur la terre aux alentours de midi, il la chauffe à tel point que le sol semble avoir été jeté comme un fer brûlant sous ceux qui marchent pieds nus. Souvent aussi des hommes, tombés sous le feu du soleil, ont été consumés par l’abondance de chaleur, n’ayant pas trouvé tout près de quoi atténuer la chaleur. Il noircit les corps et les brûle profondément, accomplissant manifestement les propriétés du feu. Qui plus est, il est luimême capable d’engendrer du feu, si quelqu’un place face à lui de l’eau dans un récipient de verre. En effet, lorsque la force du rayon héliaque se concentre sous l’effet de la transparence de l’eau et du verre, qu’elle est envoyée vers un point étroit et qu’elle entre en contact avec de la matière qui peut facilement s’enflammer, elle a  La vénération du soleil et de la lune, « les grands luminaires », est mentionnée comme « la première œuvre du catéchuménat » dans 1 Kephalaia 80, p. 80, 1, éd. Polotsky, Böhlig 1940 ; P. Kellis Gr. 98 (Prière des émanations) I, 59-69. éd. Gardner dans Gardner 2007, p. 121 : « Je vénère et je glorifie les grands luminaires, le soleil et la lune, et les puissances vertueuses qui sont en eux ». Voir le témoignage d’Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 5, éd. Brinkmann 1895, p. 7, 27-28, 1 ; 7, p. 11, 17-18 (« les seuls parmi les dieux que les manichéens font profession d’honorer »), avec le commentaire de Villey 1985 ; cf. aussi Simplicius, Commentaire sur le Manuel d’Épictète 27 (XXXV), 99-100, éd. Hadot 1996, p. 323 (trad. p. 139) ; Augustin, Contra Fortunatum 3, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 136-137 (prière face au soleil) ; Contra epistulam fundamenti 2, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 392-393 ; De Genesi contra manichaeos 1, 3, 6, éd. Monat, Dulaey, Scopello, Bouton-Touboulic 2004, p. 170-171 ; Contra Faustum 14, 11, éd. Zycha 1891, p. 411-412 ; ibid., 20, 1, p. 535-536 (Faustus justifie l’adoration du soleil) et 20, 6, p. 540-541 ; Léon le Grand, Sermon 34 (15 Dolle), 4, éd. et trad. Leclercq, Dolle 1964, p. 248-249 (= Schipper, Van Oort 2001, p. 36-37) : « ils apprennent à honorer le Christ dans le soleil et la lune » ; Jean l’orthodoxe, Disputatio cum manichaeo 4552, 210-233, éd. M. Aubineau dans Richard, Aubineau 1977, p. 123-124 :« Pourquoi adorez-vous le soleil ? ». En IV, 19, 12-13, Titus revient sur la divinisation du soleil par les manichéens.

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celui qui ne veut pas discuter à tout prix que le soleil existe sous la forme du feu et qu’il est la première des œuvres lumineuses de la création, parce qu’aussi la nature du feu se trouve être plus subtile que toutes choses. Car tous les autres éléments se portent vers le bas et seul le feu saute sur les choses qui brûlent et en toute chose sa course est vers le haut parce qu’il est léger par sa subtilité, et même il convainc l’air d’être (plus) dense en ce qu’il le dépasse de sorte qu’il apparaisse aussi plus léger que celui-ci à cause de sa parenté avec le soleil. Donc Mani, qui déifie le soleil comme « étant de la nature du Bon », se trouve à introduire le Bon sous la forme du feu, mais en fait comme ce qui est manifestement tel. Car le soleil, parce qu’il est de l’être du chaud, diffère du feu par sa position, mais par son action, il accomplirait la même chose, n’était-ce que la mesure de la distance de son éloignement préservait les choses qui sont placées face à lui de la violence de son atteinte. Cependant, pour tous les êtres vivants et pour les plantes, il serait aussi estimé nuisible, si d’autres (choses) salutaires n’avaient été disposées en même temps que lui par le créateur, par lesquelles est procurée une aide à l’encontre du soleil, aussi bien pour nous que pour les autres êtres vivants. Or ces choses sont les caches et les abris, et de même aussi l’approvisionnement en eau et le souffle du vent viennent en aide aux plantes. Donc, ceux aussi qui ont posé un cinquième élément qui serait le soleil combattent contre les évidences, et lui, ce fou de Mani, qui délire et blasphème péniblement contre le créateur universel, qu’on ne lui fasse absolument pas confiance, lorsqu’il compare le soleil à Dieu et dit que celui-là existe à partir de son être. Car toute chose visible, parce qu’elle est un corps, est par sa nature le contraire de ce qui est invisible et incorporel, dont elle est l’œuvre, et son œuvre excellemment admirable, mais elle n’a absolument aucune ressemblance de nature avec le créateur.

Du soleil à ce qui en dépend 55  Donc, toutes les choses impies que cet imposteur a placées dans ses livres, c’est une tâche immense de les dénombrer. Car il

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engendre à la fois le feu et convainc clairement celui qui ne tient pas à tout prix à discuter que le soleil est une espèce de feu, et qu’il est le premier des brillants ouvrages de la création, puisqu’aussi on trouvera que la nature du feu est plus subtile que toute autre chose. Car alors que tous les autres éléments sont portés vers le bas, le feu seul saute sur les combustibles, et son trajet porte toujours vers le haut, lui qui est rendu léger par sa subtilité et qui démontre que l’air lui-même est le plus lourd des deux par le fait qu’il le dépasse, de sorte qu’il apparaît également plus subtil que celui-ci par sa parenté avec le soleil. Donc Mani, divinisant le soleil comme « s’il relevait de la nature du Bon », risque de représenter le Bon sous une forme ignée, et bien plus, d’en faire quelque chose de tel. Car le soleil, relevant de l’être du chaud, diffère du feu par sa position, mais par son activité il fait la même chose, si ce n’est que la mesure de l’intervalle a tenu éloigné de sa très forte agression ce qui est placé près de lui. Cependant, il aurait été considéré comme une menace pour tous les êtres, animaux et plantes, si le créateur n’avait pas fabriqué, en même temps que lui, en vue d’un secours, d’autres choses par lesquelles nous disposons de protection face au soleil, nous et les autres êtres vivants. Ce sont des refuges et des abris et, pour les végétaux, des approvisionnements d’eau et des souffles de vents. Aussi, que ceux qui définissent que le soleil est un cinquième élément ne viennent pas disputera contre ce qui est évident, et qu’ainsi l’insupportable fou lui-même, qui blasphème le créateur de l’univers, ne soit absolument pas cru, lorsqu’il compare le soleil à Dieu et qu’il dit que ce dernier vient de son être. Car tout ce que l’on peut voir – étant donné que cela se trouve être un corps – s’oppose par nature à l’invisible et à l’incorporel, dont cela peut être l’œuvre, et même une œuvre tout à fait admirable, mais avec lequel il ne peut y avoir aucune ressemblance de nature.

Du soleil à ce qui en dépend 55  Donc, tout ce que le trompeur a inclus d’impie dans ses propres traités, ce serait une vaste entreprise de l’énumérer : déa 

Le syriaque prend ici (II, 54, 41-42) le contre-pied du grec (II, 54, 41).

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outrage toutes les choses qui existent sous prétexte que ce sont des maux, et les fruits qui proviennent de la terre, il les blâme tous ensemble en tant qu’« ils sont la nourriture de la Matière » et il admire grandement le soleil et il dit qu’il provient tout entier du Bon. Et les choses qu’il fait croître par sa chaleur, les plantes et les semences, il n’a pas honte de les outrager cruellement, elles qui ne subsisteraient pas du tout sans le soleil qui est de Dieu. En effet, de même que le soleil ne serait utile en rien si la dispensation des pluies n’irriguait les plantes et que le souffle des vents ne les agitait en vue de (leur porter) secours, de même aussi la pluie et ces autres choses ne seraient d’aucun secours sans le soleil, et c’est pourquoi celui-là, ici aussi, se combat puissamment lui-même parce qu’il accuse cruellement de malice les fruits qui proviennent de la terre, qui croissent grâce au soleil qu’il admire et honore grandement.

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56  Or, il dit au sujet des pluies que «  ce sont des débordements », et il montre que « ce sont la sueur des archontes de la Matière qui, dans leur désir, sont pris de délire pour la puissance du Bon et ainsi se fatiguent, peinent et transpirent », et il essaie de montrer aussi leur caractère superflu et qu’elles ne sont pas nécessaires – comme il le pense – du fait que « les pluies sont à la fois sur les mers et sur le désert qui n’est pas ensemencé », comme quelqu’un qui sort pour élaborer soigneusement un calcul contre Dieu qui, « en vain et avec prodigalité, gaspille les ressources de la richesse des eaux », selon sa folie et son extrême sottise, et ce qui est bon et convenable pour Dieu ne lui apparaît pas, dans la pensée que, si Dieu était pauvre en eau, ce serait avec soin et selon la mesure de son utilité qu’il réaliserait la dispensation de celle-ci, mais parce qu’il est riche – à un point tel que personne ne peut le dire –, il montre en cette sienne disposition qu’il n’est pas envieux puisqu’il irrigue aussi la mer d’où l’eau, par le moyen des nuages, s’élève dans l’air. Quant au désert et à ce qui n’est pas semé, ils sont nécessairement arrosés en vue de l’approvisionnement des sources et pour ceux qui parfois passent près d’elles, de sorte qu’aussi ils trouvent pour eux des étangs et des plans d’eau pour leur usage. Et

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nigrant absolument tous les êtres en les traitant de mauvais, il calomnie en même temps aussi les fruits qui proviennent de la terre en alléguant qu’« ils font croître la Matière ». Et il admire à l’excès « le soleil » et définit qu’« il provient du Bon », comme il dit, mais les plantes et les semences, que celui-ci nourrit en les réchauffant, il n’a pas honte de les blâmer amèrement, elles qui ne subsisteraient nullement sans le soleil, qui provient de Dieu. De même, en effet, que le soleil ne servirait à rien, si les approvisionnements des pluies n’arrosaient pas les plantes et si les souffles des vents utiles ne les agitaient pas, de même aussi les pluies et le reste ne serviraient à rien sans le soleil. Dès lors, même sur ce point, celui-ci se contredit fortement lui-même, accusant amèrement de malice les fruits de la terre, alors qu’ils grandissent grâce au soleil, qu’il admire et honore tout à fait.

Les pluies : du désir chez les archontes 56  Et, disant que «  les pluies sont des débordements  » et définissant qu’« elles sont les sueurs des archontes de la Matière qui sont épris d’amour pour les puissances du Bon et qui ainsi se fatiguent  »a, il essaie de démontrer leur caractère superflu et vain – comme lui-même le croit – en ce que « la mer aussi bien que le désert non ensemencé sont mouillés de pluie  », comme quelqu’un qui, en raisonneur pointilleux, s’avance contre Dieu en prétendant que « c’est en vain et de façon prodigue qu’il dépense les ressources des eaux », ne voyant pas, à cause de sa très grande folie, ce qui convient à Dieu dans la pensée que si Dieu était pauvre en eau, il en rendrait le don précis et à la mesure de son utilisation ; mais puisqu’il en est riche – et autant que personne ne saurait le dire –, c’est cette abondance même de ressources que montre le fait d’arroser par les nuages aussi la mer, à partir de laquelle il amène les eaux dans les airs. Mais la terre déserte et non ensemencée reçoit nécessairement de l’eau de pluie en vue d’apCf. Acta Archelai 9, 3, éd. Beeson 1906, p. 14, 6-10 ; Épiphane, Panarion 66, 21, 8, éd. Holl 1933, p. 49, 21-50, 1 ; 66, 27, 3, p. 62, 1-5 ; 66, 33, 3, p. 73, 4-9 ; voir supra, I, 17. a 

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en aucune manière, d’ordinaire, Dieu ne laisse la terre sans pluie parce que, du seul fait de l’ardeur du soleil, elle brûlerait ; car soit par les rivières, soit par la pluie, (la terre) entière jouit de l’humidité grâce à Dieu. Si, donc, la pluie ne se produit pas, c’est avec facilité que lui et ses disciples blasphèment, et si la pluie se produit, il ne cesse de blâmer Dieu en vain et de parler contre lui. Et même s’ils prennent le pain dans leurs mains, ils maudissent tout d’abord, eux qui sont ses disciples de blasphème, et ainsi ces ingrats se rassasient et s’emplissent, et jouissant des créatures moins que quiconque pas même en quoi que ce soit, seule leur langue est aiguisée contre la créature, mais en fait contre son créateur, et comme de méchants ennemis de Dieu, ils reçoivent les choses qui (proviennent) de Dieu, et ils jettent le blâme et profèrent des insultes contre le fait même qu’ils ont besoin des choses créées. Ils méprisent l’engendrement des enfants et veulent que leur union se produise sans cela, eux qui sont les esclaves non de la succession (des générations) ni de la reproduction qui, dans la loi, ont été décrétées de façon nécessaire par Dieu,  mais de leur désir. Et, en toute chose, ils sont constamment les ennemis de la vertu vraie et pure et de la crainte de Dieu, et alors qu’ils blâment la vie perpétuelle du genre humain et veulent que la course de sa nature s’immobilise et s’arrête, ils légifèrent pour Dieu et s’irritent et blâment la bonté de Dieu en vertu de laquelle il supporte leur malice et leur blasphème, alors que c’est précisément pour cette raison que, par la nature, est instillé dans le corps le désir de l’union (sexuelle), de sorte qu’insensiblement, presque de façon nécessaire, par le mouvement de la nature, les animaux s’acheminent vers la réalisation de la succession

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provisionner les sources, et aussi parfois pour ceux qui font route, afin qu’eux aussi puissent trouver des réserves d’eau. Et, de toute façon (Dieu) n’a pas décrété que d’ordinaire la terre privée d’eau soit seulement brûlée par le soleil ; car, que ce soit par des fleuves ou par des pluies, toute la terre jouit de l’humidité du fait de Dieu. Donc, s’il ne pleut pas, notre homme et ses disciples sont prompts au blasphème, et s’il pleut, ils ne s’abstiennent pas d’accuser et de calomnier Dieu en vain. Et même s’ils prennent du pain dans leurs mains, les disciples du blasphème commencent par maudirea et c’est ainsi que nos ingrats se rassasient et, ne profitant pas moins de la création que toute autre personne, ils sont les seuls à aiguiser leur langue contre elle, ou plutôt contre celui qui l’a faite ; et c’est en très grands ennemis de Dieu qu’ils prennent part aux biens provenant de Dieu, et en s’indignant précisément contre le fait même de se trouver dans le besoin des choses qui proviennent de la créationb. Outrageant la procréation d’enfants, que leurs unions sexuelles se produisent pour eux sans celle-ci, alors qu’ils sont de fait esclaves de la nécessaire succession qui a été décrétée par Dieu, mais non du plaisir, étant sous tout rapport ennemis de la véritable et authentique vertu et de la piété, comme s’ils accusaient l’éternité du genre humain et comme s’ils voulaient que la course de la nature s’arrête là quelque part, légiférant pour Dieu et s’indignant contre la bonté par laquelle il se montre patient envers leur blasphèmec. C’est toutefois pour cette raison que quelque désir naturel de l’union sexuelle est instillé dans les Voir les Acta Archelai 10, 6, éd. Beeson 1906, p. 16, 14-17, 4 ; Cyrille de Jérusalem, Catéchèse ad illuminandos 6, 32, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 200-202 ; Épiphane, Panarion 66, 28, 7, éd. Holl 1933, p. 65, 4-9 ; cf. Pedersen 1996, p. 279-280. b  Sur cette phrase (II, 56, 22-29), voir Allberry 1940, p. 130, n. 2. c  Sur le refus de la procréation chez les manichéens, voir Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 4, éd. Brinkmann 1895, p. 7, 21-22 ; 25, p. 37, 1-12, avec le commentaire de Villey 1985. Cf. Augustin, De moribus 2, 18, 65, éd. Roland-Gosselin 1949, p. 350-351, et 2, 19, 72, p. 360-361 ; Contra Faustum 20, 23, éd. Zycha 1891, p. 567, 3-4 (les auditeurs manichéens ont des enfants bien malgré eux) ; 22, 30, p. 624, 16-21 (la perversa lex des manichéens interdit la procréation et prescrit plutôt le coitus interruptus) ; 30, 6, p. 754, 27-755, 5. Pour les sources directes, voir Hūyadagmān (U 71), 70, éd. Clark 2013, p. 264 : « All the Saints are void of birth and death, | And the killing devil of Impermanence will not attack and hurt them : | They do not commit adultery and have no dirty pregnancy. | How a 

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(des générations) et de la reproduction par la sagesse admirable du créateur qui a établi cela aussi. En effet, parce que les douleurs de l’enfantement sont pénibles pour les femmes, que l’éducation de ceux qui sont engendrés est pénible aussi bien pour les hommes que pour les femmes et que, d’autre part, la reproduction et la succession (des générations) sont nécessaires et grandement exigées, le désir est mû naturellement et il mène comme par un mode de contrainte, mais l’intellect et la connaissance semblent, plus que le désir, accomplir de façon pieuse et juste la succession et la reproduction, et le désir du corps n’est pas blâmable s’il procède selon la connaissance et selon la loi de celui qui l’a fait. Mais ceux qui, en tout temps, se délectent en leur désir, haïssent les fruits qui en proviennent (et) qui sont inévitablement recherchés, et ils préconisent à celles qui fautent et tombent à l’encontre de leur promesse de perdre leur fœtus par un artifice et de le rejeter, et de ne point attendre les douleurs et l’enfantement qui (viennent) en leur temps, puisque « cela seul est haïssable et mauvais », parce qu’ils sont les ennemis de la nature, mais en fait de celui qui a créé la nature, et qu’ils ont appris une grande folie contre toutes choses.

Génération et engendrement : du désir chez les humains

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57  Et «  pourquoi, disent-ils, le désir de l’union (sexuelle) se trouve-t-il dans le corps ? » Et comment se pourrait-il que la beauté de la chasteté apparaisse chez certains parmi les hommes, à moins qu’ils ne soient provoqués à partir de leur nature et qu’ils ne vainquent par leur connaissance et leur volonté ? Et d’où viendrait pour les femmes la virginité, et pour les hommes, le fait de ne pas faire l’expérience de l’union (sexuelle) ni de la connaître, ce qui est plus excellent que la chasteté commune, s’ils ne possédaient dans leur intelligence et dans leur volonté l’amour de la sainteté et de l’honnêteté (des mœurs), par lequel ils combattent naturellement et apparaissent victorieux, eux

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corps de sorte que les animaux sont portés presque par la nécessité des mouvements de la nature vers l’accomplissement de la succession (des générations), le créateur ayant établi cela aussi dans son extraordinaire sagesse. Car puisque les douleurs de l’enfantement sont pénibles aux femmes et que le fait d’élever des rejetons est pénible aussi bien pour les hommes que pour les femmes, mais que les successions (des générations) sont d’une absolue nécessité, l’appétit meut naturellement et d’une certaine façon contraint, tandis que le raisonnement accepte pieusement que la succession soit rendue plus utile que le plaisir. Et le plaisir des corps est innocent, si du moins il obéit au raisonnement et à la loi de celui qui l’a fait. Mais ceux qui jouissent souvent du plaisir détestent nécessairement l’œuvre qui en dérive et prescrivent aux femmes qui commettent une faute en dépit de leur promesse de perdre et de rejeter les conceptions par des pratiques magiques et de ne pas attendre les enfantements jusqu’au terme, dans l’idée que « c’est la seule chose qui soit terrible et pénible », parce qu’ils sont incités à l’inimitié envers la nature, ou plutôt contre celui qui l’a créée, et qu’ils ont appris la folie contre cet universa.

Génération et engendrement : du désir chez les humains 57  Et «  pour quelle raison, disent-ils, le désir des unions sexuelles se trouve-t-il dans les corps ? » Comment la beauté de la tempérance, même partielle, existerait-elle chez les hommes, si l’excitation n’était pas d’un côté dans la nature,  mais d’un autre côté retenue par le raisonnable  ? Où serait la virginité chez les femmes ou le célibat chez les hommes, qui surpasse en renommée la tempérance commune, si le raisonnement n’avait pas aussi une attirance pour la sainteté, lequel, en luttant selon la nature, révécan it be said they have mundane love ? » ; Hymnaire chinois 333, éd. Tsui Chi 1943, p. 207 (= Schmidt-Glintzer 1987, p. 51). a  Cf. Augustin, Contra Faustum 22, 80, éd. Zycha 1891, p. 683, 7-12 : les manichéens préfèrent que les prostituées demeurent dans leur état plutôt que de se marier et avoir des enfants, car elles prennent alors des précautions pour ne pas devenir enceintes (ne gravidae fiant) et évitent ainsi d’enchaîner leur dieu (ut deum ipsorum non ligaret).

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qui réfrènent et vainquent bellement le désir qui leur est connaturel, non en vue du mépris de la nature mais en vue de l’exercice de la patience, de l’honnêteté (des mœurs) et de la sainteté ? 58  Ainsi, alors que nous nous délectons des nourritures et de la boisson et que nous ne jouissons pas d’un plaisir blâmable – car cela aussi est naturel –, nous nous exerçons néanmoins par le jeûne et nous ne méditons pas contre la nature quelque chose qui est au-dessus de la nature, mais nous aimons la tempérance et par l’abaissement, nous supplions Dieu, et il ne serait pas possible que nous soyons dans l’exercice du jeûne si la faim ne se trouvait pas dans notre corps. Donc, en tout lieu, le désir procure à la fois l’usage qui (se trouve) dans la mesure ainsi que la victoire et la louange qui (se trouvent) dans l’abstinence selon (nos) capacités. Car ce n’est pas l’usage des choses qui sont selon la nature mais le mépris de cellesci qui produit le péché. En effet, le vin, (pris) avec modération, est utile mais la malice de l’ivresse s’introduit par le biais du péché. Et, de la même façon, l’usage de la nourriture, mesuré, selon la nature, n’est pas blâmable, mais l’avidité, par l’excès qui n’est pas convenable, est convaincue (d’être coupable). Ainsi aussi pour le désir de l’union (sexuelle) : son usage qui est selon la loi, qui connaît aussi la modération est absolument non blâmable, mais celui qui est hors de la loi et immodéré attire le blâme qui est inhérent à la débauche. 59  Donc, ni Mani ni ses disciples n’ont rien vu ni compris par la connaissance et par l’intelligence et ils emportent toute chose dans (sa) folie et la déshonorent dans l’idée que « tout désir est mauvais », (désir) dont la mesure, selon la loi, n’est pas blâmable et dont la privation, autant qu’il se peut, est triomphe étonnant de la vertu. Car si, par la privation et la renonciation à celui-ci, quelqu’un est glorifié auprès de Dieu, ce n’est pas d’une façon mauvaise que se trouve en son pouvoir ce dont la privation est le triomphe achevé de la vertu. Ce serait, en effet, un grand dommage s’il n’en avait pas le pouvoir parce qu’il ne pourrait paraître bon par la renonciation et la privation. Car, sauf à ne pas faire le mal opposé qu’il est en son pouvoir de faire, il n’est pas possible non plus qu’il paraisse avoir accompli le bien, son opposé, comme nous l’avons montré à de nombreuses reprises.

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lera comme victorieux ceux qui font violence de belle façon au désir naturel, non pour outrager la nature, mais pour exercer la constance et la sainteté. 58  C’est de cette façon que nous nous délectons des nourritures et des boissons, en jouissant d’un plaisir non blâmable – car celui-là aussi est naturel –, et cependant nous nous exerçons continuellement par des jeûnes, non pas en pratiquant contre la nature ce qui est au-delà de la nature, mais en recherchant la constance et en nous rendant Dieu favorable par notre abaissement. Et nous ne poursuivrions pas la pratique du jeûne, si la faim n’était pas inhérente au corps. À tout point de vue, l’appétit procure donc la bonne considération à la fois de l’usage modéré et de l’abstention selon ses capacités. Car ce n’est pas l’usage des choses naturelles qui produit le péché. En effet, la juste quantité de vin peut être salutaire, mais le caractère mauvais de l’ivresse est introduit par l’absence de modération. De même aussi, l’usage de la nourriture, bien mesuré selon la nature, est innocent, mais la gloutonnerie est convaincue d’être déraisonnable par ce qui outrepasse la mesure. Il en va de même aussi de l’appétit des unions sexuelles : leur usage selon la loi et connaissant les justes mesures est tout à fait irréprochable, mais leur usage contraire à la loi et démesuré entraîne l’accusation de licence. 59  Donc, ni Mani, ni ceux qui se réclament de lui n’ont compris quoi que ce soit en faisant preuve de raisonnement ; mais, emportant tout dans leur folie, ils ont tout bafoué dans l’idée que « tout désir est mauvais », désir dont l’usage modéré selon la loi est innocent et dont l’abstention selon ses capacités constitue aussi la reconnaissance d’une vertu admirable. Car si quelqu’un qui pratique l’abstention est digne de louange auprès de Dieu, ce n’est pas d’une mauvaise façon que se trouve à la disposition de sa puissance ce dont l’abstention est le triomphe d’une vertu parfaite. En effet, ce serait un dommage, si la (vertu) la plus élevée n’était pas à sa disposition, puisqu’il ne lui serait pas possible de se révéler bon par l’abstention. Car, en dehors du fait de ne pas faire le contraire, c’est-à-dire le mal, alors qu’il est possible de le faire, il n’est pas possible de sembler avoir fait son contraire, c’est-à-dire le bien, comme nous l’avons souvent montré.

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De l’âme dans les pierres …

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60  Mais Mani outrage à la fois le Bon et la vertu, et blâme la puissance et la liberté, et il n’a pas honte, en outre, de dire au sujet des pierres qu’« il y a en elles une âme », et au sujet de toute chose – et de celles qui sont manifestement inanimées –, il imagine qu’« il y a en elle une âme », de sorte qu’« à partir de cette puissance (du bien) qui est retenue » même jusque dans les pierres, il abaisse tout ce qui est honoré chez lui à l’outrage et à l’infamie, au point de dire que la nature du Bon est liée aussi aux pierres inanimées. Qu’il soutienne que ces choses sont ainsi, est-il plus grand signe de folie que celui-là ? Si, en effet, ce qui fut envoyé par le Bon est retenu aussi dans les pierres, alors le Mal a vaincu puisque ce qui était venu pour l’enchaîner fut au contraire enchaîné à lui. Et il fait signe et démonstration de « l’âme qui est dans les pierres et dans les (morceaux de) bois », du bruit, dans l’air, de la pierre et de la branche, comme si jamais il entendait provenant d’eux des sons distincts (et) articulés. Or, il y a aussi chez nous une réflexion et un discours de l’âme qui ne sont pas du tout audibles, mais ce qui est audible l’est par la pulsation de l’air qui se produit par le biais d’un instrument corporel, ce qui, sans mouvement raisonnable, se retrouve aussi chez les animaux non raisonnables lorsqu’ils émettent un son non distinct quant à l’articulation parce qu’ils sont privés de raison. C’est donc le propre de tout corps qui existe, même s’il est inanimé, de produire un son lorsqu’il frappe l’air. Ce qui est incorporel ne fait pas retentir, en effet, des choses audibles par la voix, car ce qui n’a pas d’instrument pour frapper ne frappe pas l’air, sinon les puissances incorporelles aussi sembleront être inanimées, parce que rien d’audible ne vient de chez eux jusque chez nous. Donc, ce dont il conviendrait qu’il fasse le signe et la démonstration des choses qui sont complètement inanimées, parce que nécessairement elles frappent l’air – car cela est

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De l’âme dans les pierres … 60  Mais Mani méprise le bon et la vertu, blâmant la puissance et la liberté. Il n’a pas honte de dire que « même les pierres sont animées » et de penser que « toutes les choses sont animées » – même celles qui sont clairement inaniméesa –, de sorte qu’à partir de cette puissance du Bon retenue jusque dans les pierres, il amène ce qui est honoré chez eux vers l’outrage et l’indignité au point d’affirmer que la nature du Bon est enchaînée même dans les pierres inanimées. Soutenir que ces choses sont telles, de quelle folie pourrait-on dire que c’est l’indice ? Car si ce qui fut envoyé par le Bon est retenu même dans les pierres, alors le Mal a déjà vaincu, puisque ce qui était survenu pour entraver a au contraire été entravé. Et il prend comme preuve de l’âme des pierres et des (morceaux de) bois le bruit que font, dans l’air, la pierre et la branche, comme s’il avait jamais entendu de leur part une voix articulée.  Mais il y a aussi en nous le raisonnement et le discours de l’âme, qui ne sont nullement audiblesb, alors que quelque chose est audible lorsque l’air est frappé par un instrument corporel, ce que précisément, en dehors du mouvement de la raison, on pourrait trouver aussi chez les animaux non raisonnables, eux qui émettent des sons, mais non articulés, puisqu’ils se trouvent privés de raison. De sorte qu’il est propre à tout corps, même s’il est inanimé, de produire le son par un frappement contre l’airc. Ce qui est incorporel ne saurait en effet faire retentir des sons audibles, car il ne frappe pas l’air, étant donné qu’il est privé d’un organe qui frappe, puisque les puissances incorporelles sembleront inanimées, vu que rien d’audible qui provienne d’eux n’arrive à nous. Donc, ce qu’il faudrait précisément prendre comme indice des êtres complètement inanimés, étant donné qu’ils font nécessairement du bruit en frappant l’air Cette incise est omise par le syriaque (II, 60, 4), sans doute à cause d’un saut du même au même de ἔμψυχα (II, 60, 3-4) à ἄψυχα (4). À propos de l’âme des choses « inanimées », voir le Sermon de l’âme 47, éd. Sundermann 1997, p. 78-79 (et la note ad loc., p. 119), où il est question des âmes des arbres et des plantes. b  Sur le discours intérieur, voir Panaccio 1999 et Poirier 2001. c  Définition classique du son ou de la voix ; cf. Aetii Placita IV, 19-20, éd. Diels 1965, p. 407-410. a 

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le propre seulement du corps et non de l’âme –, il le prend comme signe et démonstration du fait d’être animé.

… et dans les animaux non domestiques …

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61  De là, il blâme à nouveau très lourdement ceux qui abattent les quadrupèdes et les oiseaux, ces êtres dans lesquels se trouve ce qui est utile à l’alimentation des hommes, dans l’idée que « cette puissance qui (provient) du Bon est leur âme et » qu’« elle est retenue (en eux) », comme quelqu’un qui se préoccuperait d’outrager complètement en toutes choses celui qu’il appelle le Bon. Mais demandons-lui par la permission de qui ces mêmes êtres ont été livrés depuis le début pour la nourriture des hommes. Est-ce par le Mal comme en vue du mépris du Bon ? Mais il ne se pouvait pas que ce qui ne possède pas la connaissance machinât toute cette affaire ; car « il n’est pas non plus le créateur », mais « le créateur » – selon ce qu’il dit –, « c’est Dieu », lui qui aussi « a envoyé une puissance à partir de sa propre nature en vue de l’amendement et de la mise en ordre de la Matière ». Il est donc apparu que tous les animaux existent par la volonté du créateur, à la fois ceux qui conviennent à l’alimentation des hommes et ceux qui ne lui conviennent pas. Nul autre ne permet que ces mêmes êtres soient une nourriture pour les hommes si ce n’est celui qui les a faits. Car la nature ne reconnaîtrait pas du tout non plus ce qui lui est utile, si celui qui l’a faite n’avait légiféré ainsi ; aussi, voilà pourquoi ils sont tels dans leur nature qu’ils engendrent abondamment afin que jamais leur usage ne fasse défaut. Et autant certains d’entre eux se dépensent davantage dans l’usage, d’autant plus ils ont des naissances nombreuses. Certains d’entre eux ne font que nourrir les hommes et certains donnent aussi de quoi se vêtir, d’autres procurent une autre utilité parce que, selon leur nature, ils ont été établis par le créateur pour le service des hommes, en raison de quoi aussi ils sont soumis. Aussi, ceux qui sont grands par leur corps obéissent aisément, ceux qui se trouvent dans les airs sont par l’habilité de la connaissance et ceux qui sont dans

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– car ceci est le propre d’un corps seulement, non pas d’une âme –, ceci, il l’a pris comme signe de la présence d’une âme.

… et dans les animaux non domestiques … 61  De là, donc, il accuse lourdement ceux qui abattent les quadrupèdes et les volatiles, qui ont une utilité nutritive pour les hommes, dans la pensée que « cette puissance du Bon anime ceuxci aussi et est retenue en eux », comme s’il s’appliquait à outrager complètement celui que, soi-disant, il appelle Bona. Il faut dès lors se demander par la permission de qui ces êtres ont été dès le début livrés aux hommes pour leur nourritureb. Est-ce par celle du Mal, dans l’idée d’outrager le Bon  ? Cependant, celui-là n’aurait pas conçu une telle affaire puisqu’il ne possède pas la connaissance ; car « (le Mal) ne saurait être un autre créateur et il n’est pas non plus, à ce qu’il dit, le Dieu qui a créé et qui a émis la puissance provenant de sa propre nature en vue de l’amendement de la Matière ». Donc tous les animaux ont subsisté ensemble, selon la volonté du créateur, aussi bien ceux qui sont appropriés aux hommes pour leur nourriture que ceux qui ne le sont pas. Par conséquent, personne d’autre que celui qui les a faits n’a permis qu’ils soient une nourriture pour les hommes. En effet, la nature n’aurait pas du tout reconnu ce qui est utile à elle-même, si celui qui l’a faite ne l’avait pas décrété ainsi. Ainsi, ces (animaux) sont aussi une richesse par nature, étant donné que leur utilisation n’est jamais intermittente. Et plus certains d’entre eux sont consommés dans l’usage, plus ils sont prolifiques. Et les uns ne font que nourrir les hommes, les autres les habillent également, et chacun fournit un usage différent, eux qui par nature sont disposés comme des esclaves au service de l’homme par celui qui les a créés. Par conséquent, (lui) sont soumis même les animaux imposants par leur masse, qui cèdent facilement, ainsi que ceux qui sont dans l’air, qu’on attrape grâce à la technique qui procède du raisonnement, et ceux qui sont dans a  Cf. Augustin, Contra Adimantum 12, 1, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 268-269 (« nos manichéens sont très préoccupés du sort des âmes animales ») ; Contra Faustum 20, 17, éd. Zycha 1891, p. 557, 2-9. b  Cf. Gn 1, 29-30.

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les eaux remontent, et surtout tous ceux qui procurent de l’utilité aux hommes. Et il est ainsi évident que ce ne sont pas les hommes qui ont soumis par la contrainte les animaux non raisonnables en dehors de la volonté de leur créateur, mais que c’est la loi de celui qui les a créés qui les leur a soumis.

… et domestiques

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62  Mais Mani dira qu’« il n’est pas juste non plus que le bœuf soit soumis au laboureur pour la culture de la terre, afin que l’âme, qui a été envoyée par le Bon, ne paraisse grandement travailler dans la servitude ». Mais comment le travail de la terre pourrait-il subsister ? Comment la race des hommes se maintiendrait-elle sans nourriture ? Et c’est ainsi qu’en dehors des pensées communes Mani, fou en toute chose, a forgé toute chose contre la création. En effet, les animaux domestiques existent selon leur nature en vue de l’asservissement à l’homme et ils sont livrés à l’usage de celui-ci, et les (bêtes) sauvages aussi, selon une autre forme de raison, existent en vue de l’asservissement, outre le motif qui a été dit, dans la mesure où l’homme vainc par la connaissance et retient tous les animaux sans raison. Or, par la permission de Dieu, par de nombreuses causes de tout genre, non seulement le lion, qui est un animal puissant, ou un autre animal semblable ou un reptile l’emporte sur l’homme, le moucheron aussi ou une autre bestiole de celles qui sont petites en effet le domine, mais en fait la nature sauvage aussi est nécessaire et convient aux hommes autrement, pour des raisons différentes, de la manière qui a été dite, pour le spectacle et parfois aussi pour l’épreuve.

Conclusion : Sympathie et harmonie universelles (63-66) 63  Mais puisque le fait que nous parlions et nous opposions à lui contre chacune des choses qu’il débite et forge semblera (vaine) agitation, que celui qui possède le discernement observe,

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les eaux, qu’on fait remonter, et plus encore ceux qui, précisément, procurent ce qui est utile aux hommes. Ainsi, il est clair que ce ne sont pas les hommes qui, pour eux-mêmes, ont fait violence, contre la volonté du créateur, aux animaux privés de raison, mais que c’est la loi de celui qui les a créés qui les leur a soumis.

… et domestiques 62  Mais Mani pourrait dire qu’« il n’est pas non plus pieux qu’un bœuf soit voué au labour de la terre, de peur que l’âme envoyée par le Bon ne semble également être tout à fait asservie »a. Et comment l’agriculture subsisterait-elle  ? Comment la race des hommes continuerait-elle à se perpétuer  ? Ainsi, c’est hors des opinions communes que celui qui est totalement fou a forgé toutes ces choses contre la création. Car les animaux domestiques se trouvent être par nature esclaves de l’homme et sont voués à l’utilité de celui-ci, mais sont esclaves également, pour une autre raison, les animaux non domestiques, outre le motif qui a été dit, si bien que l’homme l’emporte par la raison sur tous les êtres privés de raison. Avec la permission de Dieu, pour des raisons variées, non seulement le lion, la bête sauvage la plus puissante, ou quelque autre bête ou reptile du même genre, aurait pu dominer l’homme, mais même le moustique ou quelque autre des plus infimes animaux aurait pu le surpasser. Sauf que, par ailleurs, pour des raisons différentes, la nature des bêtes sauvages est aussi nécessaire pour les hommes, de la manière susdite, en vue du spectacle et parfois aussi en vue de l’épreuve.

Conclusion : Sympathie et harmonie universelles (63-66) 63  Mais puisque le fait de discourir et de riposter contre chacune des choses que celui-là débite et forge apparaîtrait comme du radotage, il faut que celui qui possède l’intelligence observe, Sur la souffrance du bœuf, voir Tardieu 2012 (à propos de Psaumes de Thomas 20, éd. Allberry 1938, p. 206-207). a 

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même sans discours, comment par une seule parole toutes choses sont agencées et comment la seule loi du créateur prévaut en toute chose, et qu’il n’est rien, dans les choses qui existent, qui se combatte et que pas même un soupçon de guerre ou de discorde n’est visible chez les créatures, mais qu’elles sont toutes en paix les unes avec les autres – hormis l’homme qui commet le péché –, comme si elles recevaient d’un seul un mot d’ordre de paix et de calme, de celui de qui elles reçoivent aussi d’exister depuis le commencement. En effet, les cieux aussi s’accordent aux choses qui sont sur la terre, (eux) qui font pleuvoir lorsque le temps l’exige et en revanche retiennent leurs pluies lorsque seule la chaleur est requise pour que les fruits parviennent à maturité. En outre, le soleil, par son changement (de position) qui (se déroule) selon la loi de son créateur, réalise les moments et les temps sans jamais modifier ses cycles, et il montre en tous (ceux-ci) un ordre unique et non transgressé, et c’est seulement par sa position qu’il diffère, et un seul et même accord des choses d’en haut avec celles d’en bas apparaît avec exactitude. Et la nuit est demeurée sans querelle avec le jour tout ce temps qui est depuis toujours, et ce n’est pas par une course sans ordre qu’elle se livre au jour mais par la sagesse du créateur, par des accroissements et des diminutions qui sont dans la mesure, et ceux-ci non plus ne sont pas parfois autrement, mais le temps de l’accroissement est manifeste et est tout aussi manifeste le temps de la diminution. En outre aussi, le soleil n’est pas chagrin en se livrant à la nuit, ni non plus il ne pense que la loi du créateur lui est un outrage, mais à la façon des bons serviteurs, lorsqu’il a achevé sans relâche sa course diurne, il s’en va où la loi l’oblige à aller et, avec empressement, il se cache jusqu’à ce que la nuit ait reçu son propre temps. Et que dira-t-on au sujet de la terre et de la mer, comment chacune d’elles est circonscrite

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même en dehors du discours, comment l’ensemble des réalités a été agencé par la parole d’un seul, comment une seule et même loi du créateur domine en toute chose, comment rien, parmi les êtres, ne se combat et comment non plus n’apparaît aucun indice de guerre ou de dissentiment parmi les créatures, mais comment elles vivent toutes en paix les unes avec les autres – car c’est l’homme qui pèche  –, comme si elles avaient reçu d’un seul le mot d’ordre de la paix et de la tranquillité, lui dont elles ont aussi reçu, au début, le fait d’êtrea. Car le ciel est en accord avec les choses qui sont sur terre, en faisant pleuvoir quand l’occasion le réclame et, au contraire, en retenant la pluie quand il faut que les plantes soient menées à maturité par la seule chaleur. Et le soleil, en changeant de position, produit les saisons selon la loi de celui qui l’a fait, ne les intervertissant jamais, mais montrant que leur ordre est un et est inviolable. Et certes la différence subsiste dans la nature, mais unique et identique apparaît en toute exactitude l’accord des choses d’en haut et de celles d’en bas. Et la nuit est demeurée éternellement sans se révolter contre le jour, conservant la succession face au jour, non par un mouvement irraisonné,  mais par la sagesse du créateur, (nuit) mesurée par des additions et des retranchements et par ceux-là non pas à chaque fois d’une façon différente, mais le moment opportun pour l’addition est manifeste, et manifeste aussi est le moment pour le retranchement. Et inversement, le soleil ne s’offusque pas de la succession de la nuit ni ne considère la loi du créateur comme un outrage, mais, à la façon d’un bon serviteur, après avoir terminé la course du jour sans reprendre haleine, il se retire là où la loi le lui impose, se cachant avec empressement, afin que la nuit reçoive sa propre mesure. Que pourrait-on dire de la terre et de la mer, comment chacune des deux est délimitée par quelque borne et qu’aucune des deux ne

Titus s’accorde avec la thèse stoïcienne de la sympathie ou de l’harmonie cosmique universelle ; cf. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres 7, 140, 1158-1160 : « Dans le monde, il n’y a aucun vide : c’est un corps unifié. Ceci est rendu nécessaire par la communauté de souffle et de tension (σύμπνοιαν καὶ συντονίαν) qui unit les corps célestes aux corps terrestres » (éd. Dorandi 2013, p. 556 ; trad. R. Goulet dans Goulet-Cazé 1999, p. 873). a 

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et retenue dans ses frontières, et aucune d’elles ne ravit même la mesure d’un seul empan à sa compagne. Il arrive parfois que la mer apparaisse gonflée par ses flots et elle est empêchée par la loi de dépasser (ses limites) ; et quand elle est poussée vers la terre par des vents violents, par crainte de la loi, elle revient vers l’arrière, sans qu’un rempart d’acier ne l’aide à ne pas s’écouler sur la terre et à ne pas désobéir à son créateur, mais la parole de son créateur suffit à la terre comme secours contre la mer et le sable la retient, mais en fait c’est la loi qui retient et la violence du vent extérieur et l’écoulement des eaux, de sorte que rien de la terre n’est inondé et que les créatures sont des amies comme des sœurs les unes pour les autres, et montrent qu’en vérité leur créateur est unique. 64  Et qui a jamais vu dans le ciel une étoile qui se soit soulevée contre une étoile, sa compagne, ou sur terre, une espèce d’animaux qui ait combattu contre une autre espèce au point d’éliminer celleci ou, au contraire, être éliminée par elle ? Mais même pour ceux qui, isolément, vont les uns contre les autres, pour ceux-là aussi, par la loi de la sagesse du créateur, ce dont ils surabondent est destiné à l’usage, eux dont ces deux choses sont au profit des hommes, aussi bien le fait qu’ils existent que la ressource de leur usage. 65  Mais encore, si quelqu’un se porte par son discours vers le principe des corps et considère les quatre éléments, eux qui, dans leur caractère contraire, se mélangent en vue d’un accord, il s’étonnera particulièrement du consensus propre aux êtres dans la pensée que c’est comme à partir d’un seul et unique (principe) qu’ils possèdent le fait d’exister. Car le caractère contraire de ceux-ci est la cause de leur amitié et le fait que leur nature combatte l’une contre l’autre est la cause de leur paix suprême, eux qui, étant quatre par le nombre, sont un par le mélange, c’est-à-dire qu’ils ont besoin les uns des autres du fait qu’ils existent et, en raison même de leur caractère contraire, ils s’aident les uns les autres, se cachent les uns dans les autres et se manifestent les uns par l’intermédiaire des autres. Et

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réclame à l’autre la mesure d’un empana. Or, il est possible de voir la mer gonflée par les flots, mais empêchée de déborder par la loi, et poussée contre la terre par des vents violents, mais courbée vers l’arrière par crainte de la loi, sans qu’un mur inébranlable ne l’aide à ne pas se répandre contre la terre et à ne pas désobéir à celui-là même qui l’a faite, mais la parole de celui qui l’a faite suffit à être pour la terre un rempart contre la mer, et le sable la contient, mais c’est surtout la loi qui retient aussi bien la violence des vents extérieurs que l’écoulement des eaux, de sorte qu’aucune partie de la terre n’est submergée et que les créatures sont amies comme des sœurs les unes pour les autres, chacune enregistrant en vérité le créateur comme uniqueb. 64  Car qui a jamais rapporté que, dans le ciel, une étoile s’est soulevée contre une étoilec, et que, sur terre, des animaux se sont battus contre une autre race, au point d’anéantir celle-ci ou au contraire d’être anéantis ? Mais même pour ceux qui s’attaquent l’un l’autre, il a été fixé par la sagesse du créateur qu’ils dépensent leurs excédents, eux dont l’existence et l’usage sont l’un et l’autre au service des hommes. 65  Mais si quelqu’un, par la raison, allait également vers les principes mêmes des corps et s’il observait les quatre éléments, mélangés par leur caractère contraire en vue d’une harmonie, il serait davantage frappé quant à l’harmonie des êtres dans la pensée qu’ils détiennent l’être à vrai dire à partir d’un seul et unique principe. Car pour ceux-ci le caractère contraire est l’origine de l’amitié, et le côté belliqueux de leur nature est pour eux cause de la plus haute paix : ceux-ci sont certes quatre par le nombre, mais un en s’assemblant, et ils ont plutôt besoin les uns des autres pour être, ils se secourent les uns les autres précisément par leur caractère contraire, se cachent les uns dans les autres et se manifestent Cf. Jb 38, 8 ; Jr 5, 22 ; Ps 103(104), 6-9 ; Ps 148, 6. Développement semblable sur l’harmonie dans la nature (la mer freinée par le sable), qui contredit le dogme manichéen, dans Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 176, 15-24. c  Même argument chez Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 13, éd. Brinkmann 1895, p. 19, 21-20, 10, avec le commentaire de Villey 1985, p. 262-263. a 

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c’est peu de dire que le chaud n’a pas été refroidi par le froid ni supprimé par l’humide, ni le sec non plus consumé par le feu ni qu’il n’a vacillé sous l’effet de l’humide. Ils sont en effet la constitution les uns des autres et habitent de façon admirable les uns chez les autres ; et tu penseras que tu as vu seulement le feu, mais il n’existe pas en dehors de l’humide et du sec dont il se nourrit et à partir desquels il éclaire, en sorte que les autres aussi existent les uns dans les autres, (eux) dont le caractère contraire apparaît seulement au toucher, et ainsi ils sont amis les uns des autres de sorte que pas même un seul (soupçon de) discorde ne paraît exister chez eux, et ceux-là aussi proclament par leur silence la sagesse indicible de l’étant unique qui les a créés, dont ils proviennent (et) par qui ils ont été mélangés. En effet, le corps n’existe pas seulement à partir d’un seul élément simple (pris) parmi ceux-ci, car c’est par le mélange que le corps subsiste. Mais quel mélange existe-t-il du sec tout seul ? Et quel de l’humide, s’il existe de lui-même et pour lui-même ? La diversité est donc exigée et convenable pour le mélange d’un seul corps. Or le caractère contraire de ces (éléments) était aussi grandement nécessaire et recherché, eux qui se hâtent en vue du seul accord pour l’étonnement et l’admiration à l’endroit de leur créateur, eux qui n’ont pas d’abord été établis d’eux-mêmes et pour eux-mêmes puis mélangés, mais ont été tout à la fois établis et mélangés, car ils ont reçu leur existence les uns avec les autres, et dès l’heure où ils existèrent, ils ont été distingués par les sens. En effet, dans la constitution du corps, la raison de la connaissance a distingué par les sens ces choses qui sont jointes et unies. Et donc le caractère contraire de celles-ci fut trouvé à la fin par les sens du corps qui est venu à l’existence, lui qui a été mélangé à partir d’eux, sans qu’ils l’aient précédé pour exister mais qui ont reçu de conserve avec lui le fait d’exister. 66  Qui donc pourra s’extasier, comme ils en seraient dignes, de la puissance du créateur et de la concorde et de l’accord des êtres qui existent, comment ils se trouvent tous sans combat et dans la paix, fors l’impiété de l’homme ? Donc la création toute entière subsiste alors que son propre mouvement est mû selon l’ordre et qu’immuable, elle garde la loi qui lui est imposée, (celle) de celui qui l’a faite. Et qui est celui, s’il est sain quant aux sens de son âme, qui choisira par lui-même, alors que les choses sont ainsi et

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les uns à travers les autres. C’est donc peu dire que le chaud n’est pas refroidi par le froid ni affaibli par l’humide, et le sec n’est pas consumé par le feu ni submergé par l’humide. Car ils sont le fondement les uns des autres et ils cohabitent admirablement les uns avec les autres. Et le feu te semblerait être seul, cependant il n’existe pas sans l’humide et le sec, par lesquels il est nourri de façon à briller, de même que les autres existent aussi les uns dans les autres, laissant apparaître leur caractère contraire seulement au toucher, mais s’aimant tellement qu’ils semblent n’avoir pas la moindre discordance. Et ceux-ci, même silencieux, proclament l’indicible sagesse du seul inengendré, par qui aussi ils ont été mélangés après avoir été créés. Car un corps ne pourrait exister à partir d’un seul et simple élément. En effet, c’est par le mélange qu’un corps subsistera. Or, quel mélange peut-il y avoir du sec et seulement du sec ? Quel mélange de l’humide, s’il existe pour lui seul ? Donc la diversité est nécessaire pour le mélange d’un seul corps, et nécessaire est leur caractère contraire, lui qui, pour susciter l’admiration du créateur, presse vers l’unité ces (éléments) qui n’ont pas d’abord existé de façon isolée et qui se sont ainsi réunis, ayant pris leur origine les uns avec les autres, et qui, une fois venus à l’être ensemble, ont été distingués par les sens. Car une fois qu’un corps subsiste, le discours et l’intellect distinguent par la perception les éléments reliés, de sorte que leur caractère contraire a été saisi ultérieurement par la perception du corps qui existait, qui a été mélangé à partir d’eux, qui ne l’ont pas précédé pour exister, mais qui ont pris l’existence de conserve avec lui.

66  Qui pourrait admirer à sa juste valeur la puissance du créateur et l’harmonie des créatures, combien tout est sans combat et pacifique, excepté du moins l’injustice des hommes ? Donc la création tout entière subsistait, mettant en branle son mouvement propre et régulier, mais conservant immuable la loi qui lui a été imposée par celui qui l’a faite. Et qui, si ses perceptions de l’âme sont saines, alors que ces choses et d’autres encore innombrables, qui dépassent tout intellect, sont ainsi

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d’autres encore, innombrables, supérieures et élevées, dépassant toute connaissance, de forger par son discours un autre principe et de le dresser en opposition au seul et unique étant et Dieu  ? En effet, il est superflu de forger comme dans un rêve un autre principe harmonieux et immuable parce que celui-là suffit seul à toute chose, mais d’en imaginer un, opposé et contraire, cela est folie consommée, alors que toute chose existe dans l’accord et la concorde, a été ornée par la diversité et montre la sagesse de son auteur, sa bonté, sa splendeur ainsi que sa sévérité, car toute bonté sans mélange est tout à fait nuisible et désordonnée, mais la sévérité et la dureté, d’elles-mêmes et pour elles-mêmes, coupées de la bonté, sont proches de la barbarie et de la cruauté. Mais les deux ensemble instruisent et réjouissent, flattent et inspirent la crainte, promettent des bienfaits tout en menaçant de choses à craindre, élargissent l’espoir des dons tout en montrant les périls du châtiment, pour que l’intelligence et la connaissance de ceux qui vivent sur la terre et s’y exercent ne sombrent dans l’indolence du plaisir selon une négligence sans mesure ni ne soient hébétés et aveuglés par des craintes continuelles, mais soient éduqués et élevés par les deux avec mesure dans la crainte de Dieu et dans la vertu. Est achevé le deuxième discours contre les manichéens.

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disposées, choisirait de forger un autre principe par la raison et d’ériger celui-ci en face du seul Dieu inengendré ? Car il est superflu d’imaginer en rêve un principe qui serait en harmonie avec lui et tout à fait semblable, alors qu’un seul suffit, et il est complètement fou de conjecturer un (principe) contraire, alors que l’univers est en harmonie et orné par la diversité, et qu’il manifeste grâce à la sagesse de celui qui l’a fait le bon et le calme en même temps que la sévérité, de sorte que, d’une part, toute bonté sans mélange est tout à fait nuisible et irraisonnée, et que, d’autre part, la sévérité et l’austérité en elle-même, dépourvues de bonté, tendent vers la cruauté et l’inhumanité. Mais chacune des deux instruit et réjouit, charme et effraie, promet la bonté et menace de choses effrayantes, propose l’espoir de dons et expose le danger de punitions, pour que le raisonnement de ceux qui vivent sur terre ne soit pas submergé par la vanité des choses agréables selon une facilité sans mesure ni ne soit frappé de stupeur par la crainte ininterrompue des peurs, mais que, par l’un et l’autre, de façon mesurée, il soit conduit vers la crainte et la vertu.

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Introduction (1-3) 1  Or donc, ce qui a été dit précédemment, aussi bien à partir de leurs propres choses que des notions communes, mettra peutêtre en garde l’intelligence de chacun, même de ceux qui sont à l’extérieur de l’Église, de manière à ce qu’ils n’admettent ni ne reçoivent aucunement le blasphème de Mani qui est fou, à l’encontre du créateur ; mais puisqu’il a ourdi une autre , cruelle et mauvaise, contre ceux qui sont de l’Église, alors qu’il mène de force des paroles tirées des Écritures saintes à la suite de son discours de mensonge, c’est désormais le moment que nous mettions aussi en mouvement contre lui une réfutation tirée des divines Écritures en vue de l’avertissement de ceux qui croient en elles et qui, parfois, sont trompés par les interprétations folles qui (proviennent) des disciples de celui-là, lesquelles n’ont jamais aucune (force de) persuasion. En effet, de toutes les manières, il machine l’enrichissement de son erreur, avec l’aide de Satan, et il tente de la soutenir auprès des Grecs païens, sans détruire ni renverser leurs propres (opinions) mais en étendant et en exaltant leurs modestes maux par la grandeur de l’impiété, et il enseigne la ruse mauvaise des coutumes du paganisme par ces choses que, sans cesse, il admet toutes et avec lesquelles il s’accorde comme si (cela) était dit en accord avec l’opi-

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TROISIÈME DISCOURS

Introduction (1-3) 1  Ce qui a donc été dit plus haut, fondé sur les faits eux-mêmes et les notions communes, saurait peut-être affermir l’intellect de tous, même de ceux qui sont en dehors de l’Église, de sorte qu’ils n’admettent aucunement le blasphème de Mania contre le créateur de l’univers ; mais puisqu’il a instigué une autre chasse, terrible et pénible, contre les membres de l’Église, faisant violence à certaines paroles des Écritures saintes dans le sens de son discours mensonger, il est désormais temps de mettre en mouvement contre lui-même les réfutations tirées des divines Écritures pour l’affermissement des croyants, qui sont parfois trompés par les adeptes de celui-ci, au moyen d’exégèses étranges et tout à fait invraisemblables. En effet, c’est en usant de multiples façons de l’erreur qu’il a imaginée avec l’assistance du diable qu’il entreprend de la consolider. Auprès des Grecs, d’une part, sans renverser les opinions de ceux-ci, mais en élevant les plus petits maux vers une plus grande enflure d’impiété, il instaure un hellénisme plus malinb par (ces choses) auxquelles il ajoute le développement de ses propres fictions en constituant pour ainsi dire un Le syriaque (III, 1, 4 : « Mani qui est fou ») surtraduit. Pour Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 33, 6-8, éd. Casey 1931, p. 49, le récit manichéen l’emporte par le ridicule sur le « mythe hellénique ». a 

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nion (portant sur) les maux, et il introduit et propose l’addition de sa propre fiction en vue de l’enseignement de l’erreur. Mais, auprès des chrétiens, il fait profession de recevoir ce qui est des chrétiens et par la persuasion (venant) du nom du Christ ainsi que des paroles des Écritures, et aussi sous apparence d’humilité, il cache à l’intérieur le loup – ce que lui-même est – (mais) à l’extérieur il revêt la peau de la brebis et devient pour le troupeau un (astre) errant, et ainsi, il lèse et blesse ceux qui sont faibles en connaissance. Et parce qu’il s’est proposé cela, de mendier et d’introduire une impiété nouvelle, aussi bien à partir de lui-même qu’à partir d’un autre, afin que plus personne parmi ceux qui ont appris le Christ (Ep 4, 20) n’ose ne fût-ce que soulever des questions au sujet de la nouveauté des maux qui ont été mendiés par lui, il s’est appelé lui-même « Paraclet » et par l’usage d’un nom qui est non seulement plus haut et plus élevé que les hommes mais aussi que les anges, il couvre sa tromperie, si bien que, du fait de l’honneur et de la gloire du nom, ceux qui sont autrement sans intelligence reçoivent sans discernement les choses qui sont dites par lui. Et, parfois, c’est même en tant qu’apôtre de Jésus-Christ qu’il met par écrit son impiété dans des

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énoncé valable pour tout, sous couvert de conformité d’opinion avec ses doctrines mauvaises et erronéesa. Auprès des chrétiens, d’autre part, recherchant soi-disant ce qui est propre aux chrétiens et, avec la force de persuasion du nom du Christ et des paroles de l’Écriture et sous une apparence de modération, abritant à l’intérieur le loup – ce qu’il est lui-même  –, mais revêtant à l’extérieur la toison de la brebisb, il se fait pour le petit troupeau la tromperie d’un astre, et c’est ainsi alors qu’il lèse ceux qui sont moins intelligents. Et voilà que, s’étant proposé de collecter une impiété tout à fait nouvelle de son propre fonds et chez les autres, afin que personne, parmi ceux qui reconnaissent le Christ (Eph. 4, 20), ne puisse même entreprendre d’examiner à fond la nouveauté des mauvaises choses qui ont été collectées par lui, il s’est nommé lui-même «  Paraclet  »c, couvrant son caractère trompeur par l’usage d’un nom non seulement supérieur à l’homme, mais aussi à l’ange, afin que, par la crédibilité de l’appellation, ceux qui sont par ailleurs aussi sans intelligence reçoivent sans discernement ses dires. Et parfois même, c’est en tant qu’apôtre

a  Cf. Épiphane, Panarion 66, 88, 3, éd. Holl 1933, p. 21-22 : « païen avec les païens (μετὰ ἑλλήνων ἕλλην) ». Alexandre de Lycopolis, Contre la doctrine de Mani 4, éd. Brinkmann 1895, p. 8, 5-9, 5, note que « les manichéens les plus cultivés » font appel à la mythologie et à la philosophie grecques (voir le commentaire de Villey 1985, p. 190-197). L’expression tautologique du syriaque (l. 13) : « Grecs païens » ̈ ‫)ܝܘܢܝܐ‬ ̈ montre que le traducteur a voulu indiquer clairement qu’il s’agit ici (‫ܚܢܦܐ‬ des Grecs non comme peuple mais comme non chrétiens (« hellènes »). b  Pour l’image du loup revêtu de la peau de la brebis, voir Mt 7, 15 ; ce verset est cité par Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 1, 8-10, éd. Casey 1931, p. 29, et commenté en 3, 5-22, p. 30 ; cf. Codex Thevestinus B, col. 3 (55), 6-10, éd. Stein 2004, p. 60-61 ; Augustin, Contra Felicem manichaeum 1, 16, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 682-683 ; Jean de Césarée, Adversus manichaeos homilia I 17, 275-276, éd. M. Richard dans Richard, Aubineau 1977, p. 92. c  Voir Psaumes du Bêma 220, p. 3, 21 (« le Paraclet, Mani »), éd. Wurst 1996, p. 26, ainsi que l’index de Allberry 1938, p. 46*, s. v. Paraclete (plus de 60 occurrences) ; Acta Archelai 15, 3, éd. Beeson 1906, p. 24, 3-4 : « Car je suis, moi, le Paraclet, qui fus prédit comme devant être envoyé par Jésus ». En 1 Kephalaia 1, p. 14, 21-15, 24, éd. Polotsky, Böhlig 1940, le Paraclet n’est pas identifié à Mani mais plutôt à son double céleste, le σύζυγος de la vie grecque de Mani du codex manichéen de Cologne (p. 17, 7-24, 15, éd. Koenen, Römer 1988, p. 10-16).

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lettres à l’intention des barbares, lui qui est barbare et par sa race et par sa pensée. Mais nous parlerons de ces choses en dernier lieu. 2  Or, parmi les Écritures, celles qui sont de l’Ancien Testament, la Loi et les Prophètes, il les pose (comme) provenant du Mal, qui a été (ainsi) appelé par lui, mais les Évangiles et le reste de l’enseignement du Nouveau Testament, il a dit qu’« ils ont été donnés », selon ce qu’il croit, « par le Bon ». Et ces (écrits)-là non plus « ne sont pas en toutes choses purs de ce qui est opposé », ainsi que le dit et s’en vante l’inventeur du blasphème, car « il y a en eux, comme dans quelque mélange, de nombreuses choses provenant de » ce qui est appelé par lui « Matière, et il faut que ces choses soient enlevées et que, dans ces (écrits), soient laissées seulement les choses qui sont estimées provenir du parti du Bon ». Et ce fou, qui n’est même pas en possession de lui-même, a eu l’audace de faire la correction des Écritures saintes – et c’est surtout à cause de cela qu’il a osé estimer être le Paraclet – et il en a supprimé de nombreuses choses, mais

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de Jésus-Christa qu’il envoie par lettreb son impiété aux barbares de race, lui qui est barbare et de race et de penséec. Nous parlerons de cela plus tard. 2  Il attribue les plus anciennes des Écritures, la Loi et les Prophètes, à ce qu’il appelle le Mald, mais il dit que « les Évangiles et les autres enseignements du Nouveau Testament ont été donnés par le Bon »e, comme il le croit, mais même ceux-ci, l’inventeur du blasphème soutient qu’ils « ne sont pas absolument purs du Dieu opposé », comme il dit, mais qu’« il existe dans ceux-ci aussi, comme selon quelque mélange, de nombreuses choses de » ce qu’il appelle «  Matière, et qu’il faut, après les avoir élaguées, conserver seulement pour elles-mêmes celles qu’il impute à la partie du Bon ». Ainsi, entreprenant de son propre chef la correctionf, à ce qu’il croit, des Écritures saintes, et ayant de ce fait surtout l’audace

a  D’après la vie grecque de Mani du codex de Cologne, celui-ci ouvrait « l’Évangile de sa très sainte espérance » par ces mots : « Moi, Mannichaios [sic], apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, le Père de la vérité » (éd. Koenen, Römer 1988, p. 44), formulation qui est un pastiche des incipit de plusieurs lettres de Paul (surtout de 2 Corinthiens, Éphésiens, Colossiens et 2 Timothée) ; cf. IV, 2 et 3. Voir aussi les Acta Archelai 5, 1 et 15, 1 (éd. Beeson 1906, p. 5, 22, 25, et 23, 17-18) ; Épiphane, Panarion 66, 6, 1, éd. Holl 1933, p. 25, 14 ; Augustin, Contra Faustum 13, 4, éd. Zycha 1891, p. 381, 4-5 : « Toutes ses lettres commencent cependant ainsi : “Mani, apôtre de Jésus-Christ” » ; Contra epistulam fundamenti 5, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 398-399 (= Stein 2002, p. 18). Pour les sources manichéennes, on peut citer l’Epistula ad Menoch 1, éd. Stein 1998, p. 12. b  Les œuvres de Mani comprenaient un recueil de ses lettres, dont Ibn al-Nadim (Fihrist 9, 1, Flügel 1862, 103-104 ; Dodge 1970, p. 799-800) nous a conservé les suscriptions de sept d’entre elles (cf. Alfaric 1919, p. 68-75 ; Tardieu 1997, p. 60) ; pour un état de la question, voir Wurst 2005, p. 253-258, et Gardner 2001. Les lettres conservées dans les P. Kellis Copt. 53 et 54 ont été éditées dans Gardner, Funk 2007. Titus mentionne à nouveau les lettres de Mani en IV, 44 et 102. c  Sur la barbarie de Mani, voir supra, I, 2, p. 81, n. a. d  Cf. Augustin, Contra Faustum 4, 1, éd. Zycha 1891, p. 268 ; 8, 1, p. 305-306 ; 32, 1-7, p. 760-766 (synthèse de la position de Faustus sur l’Ancien Testament). e  Cf. Épiphane, Panarion 66, 42, 1, éd. Holl 1933, p. 78, 30-33 et 74, 1, p. 114, 31115, 3, qui cite Mani disant que les deux Testaments ne peuvent provenir d’un même maître et d’un même Dieu. f  Cf. Acta Archelai 5, 2, où Mani affirme « avoir été envoyé pour le redressement (πρὸς ἐπανόρθωσιν) du genre humain » (éd. Beeson 1906, p. 6. 5).

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il en a laissé un peu provenant du Nouveau Testament, ces choses qui, dans leur amour, désirent et reconnaissent s’accorder aux paroles apparentées qui ont été supprimées. Et il a pensé avoir établi cela en toute assurance parce qu’il a laissé seulement les choses qui peuvent être tirées de force vers celles qu’il a forgées dans sa folie, mais, en rien moins, ces choses aussi dénoncent clairement sa folie sans mesure, ce qu’en leur lieu, quand Dieu nous l’accordera, nous montrerons clairement par notre discours. 3  Mais montrons d’abord combien follement il construit son blasphème contre les anciennes Écritures saintes, lui qui s’est accordé en cela avec de méchants hommes antérieurs à lui qui ont été proscrits et rejetés par l’Église, et qu’il surpasse tous par son impiété. Si donc, comme les Grecs païens qui ne croient absolument pas aux récits des Écritures, celui-là aussi était ainsi incroyant et disait que les choses qui y sont écrites, ne se sont pas produites du tout ou se sont produites comme par hasard, nous non plus ne nous mettrions pas en mouvement contre lui au sujet de ces choses, ni lui non plus n’aurait à supporter une grande réfutation du fait de ces choses. Mais puisque lui aussi reconnaît au sujet de ces choses qu’elles se sont réellement produites en vérité, mais qu’il dit que la cause en est le Mal qui n’existe pas, aussi approchons-nous maintenant et démontrons comment il pose que les grandes actions et les étonnants prodiges proviennent du Mal blâmé par lui, et qu’il ne comprend pas – parce qu’il est aveugle quant à l’intelligence – l’admirable administration du Dieu créateur de toutes choses qui se trouve (consignée) dans le récit des Écritures.

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de paraître être Paracleta, il exclut la plupart des choses, tout en ayant conservé quelques éléments du Nouveau Testament qui réclament l’accord des paroles apparentéesb. Il croit s’être revêtu de toute assurance pour avoir conservé les seules choses qui peuvent être tirées vers ce qu’il imagine monstrueusement, mais même ces choses-là ne dévoilent en rien moins clairement sa folie démesurée, comme notre discours, quand il y parviendra, le montrera clairement avec l’aide de Dieu. 3  Mais d’abord, il faut montrer combien est privé de raison le blasphème qu’il porte contre les Écritures saintes plus anciennes, s’étant accordé en cela avec de mauvaises gens d’un temps plus reculé que le sien et qui ont été bannies de l’Église, mais l’emportant sur tous ceux-là par son impiété. Si donc, de même que les Grecs ne croient absolument pas aux récits des Écritures, de la même manière cet homme-là aussi, dans son incrédulité, affirmait que les choses relatées là-même ne s’étaient pas produites du tout ou ne se sont produites que par hasard, nous ne nous mettrions pas en mouvement contre lui à ce sujet, ni lui n’aurait pas eu à subir plus ample réfutation à cause de cela. Mais puisqu’il leur reconnaît la vérité de s’être réellement produites, et qu’il dit que le Mal qui n’existe pas est cause de ces choses, venons-en maintenant à démontrer comment il attribue les grandes actions et les plus grands prodiges au Mal qu’il calomnie, sans comprendre – comme évidemment il est aveugle dans son raisonnement – les dispositions extraordinaires, dans les récits, (de l’économie) de Dieu, le créateur de l’univers. a  Cf. Épiphane, Panarion 66, 12, 6, éd. Holl 1933, p. 34, 2-3 (ἔλεγε δὲ ἑαυτὸν ὁ Μάνης εἶναι τὸ πνεῦμα τὸ παράκλητον, καὶ ποτὲ μὲν ἀπόστολον φάσκει ἑαυτὸν Χριστοῦ) ; Augustin, Contra epistulam fundamenti 6-7, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 403-409 ; sur le thème de Mani-Paraclet dans les sources manichéennes directes, voir Nagel 1974, Sundermann 1988 et Decret 1995. b  Cf. Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 36, 13-22, éd. Casey 1931, p. 53 : tout en affectant de le respecter, les manichéens substituent au corpus de l’Évangile (τὸ σῶμα τοῦ εὐαγγελίου) un autre corpus scripturaire (ἕτερον σῶμα γραμμάτων) ; ce faisant, ils ont, plus que les païens, déshonoré l’Évangile. Cf. Léon le Grand, Sermon 34 (15 Dolle), 4, éd. et trad. Leclercq, Dolle 1964, p. 246-247 (= Schipper, Van Oort 2001, p. 34-35) : « ils ont supprimé (dans l’Ancien et le Nouveau Testament) certains passages, et en ont ajouté d’autres ».

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4  Or il dit, dans ses propres mots, soit lui soit quelqu’un d’autre des siens, en composant le chapitre (intitulé) « Au sujet du premier modelage de l’homme » : 5  «  Parce qu’en effet les archontes surent que, par l’enlèvement de cette partie de Lumière qui, en une seule fois, de quelque manière, était tombée sur eux, la mort viendrait rapidement sur eux, ils imaginèrent la descente de l’âme dans le corps en cherchant à faire que, jamais plus, elle ne courre vers le haut et que, si elle remontait, elle soit trouvée indigne par l’interdiction de làhaut, parce qu’elle serait captive de la souillure du corps ». Et il a dit encore peu après : « C’est pourquoi chacun des archontes de la Matière, selon la façon que nous avons dite précédemment, à cause du mouvement qui se produisit et à cause de celui qui était d’abord apparu en vue du salut de l’âme et lorsque les portes eurent d’abord été ouvertes, dans leur effroi, malgré eux, chacun d’eux envoya la puissance qui était en lui, et il se forma lui-même en vue de la capture de l’âme et façonna sa ressemblance sur la

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La Genèse (4-36) La création du monde, à l’usage de l’homme 4  Celui-ci, ou quelque autre de ses adeptes, dit, mot à mot même, dans le chapitre intitulé « Au sujet du premier modelage de l’homme »a : 5  « Lorsqu’en effet les archontes ont compris que, dès que serait enlevée la part de lumière qui tombait sur eux en une seule fois, rapidement la mort viendrait sur eux, ils ont imaginé la descente de l’âme dans les corps, cherchant à ce qu’elle ne remonte en aucune manière, et à ce que, si elle remontait, elle ne se trouve plus digne du sort de là-haut, puisqu’elle était retenue par la souillure de la chair. » Et peu après : « C’est pourquoi chacun d’eux, dit-il, c’est-à-dire des archontes de la Matière, selon la façon que nous avons dite auparavant, à cause du mouvement survenu et de celui qui était apparu d’abord en vue du rachat de l’âme, une fois la porte ouverte, ayant malgré lui, sous le coup de l’effroi, envoyé la puissance qui était en lui, se forma lui-même en vue de la capture a  Τὸ κεφάλαιον (III, 4, 2), ‫ܪܝܫܐ‬, ibid. Cette indication sert à introduire le compte rendu que Titus donne, en III, 5, de la formation d’Adam. Le titre donné par Titus et surtout le fait qu’il le présente comme étant un κεφάλαιον ont attiré l’attention des futurs éditeurs des Kephalaia coptes, qui ont tout naturellement pensé que Titus pouvait avoir eu accès à une version grecque du même ouvrage manichéen (Schmidt, Polotsky 1933, p. 18, n. 4 : « Man könnte hier ein Zitat aus unsern Κεφάλαια vermuten »). Dans l’édition qui a suivi, Alexander Böhlig se demande si Titus ne visait pas le kephalaion 55 de la collection de Berlin, qui porte justement comme titre « Au sujet de la formation d’Adam » (« Ist dieses Kapitel beim Titus von Bostra gemeint ? », Polotsky, Böhlig 1940, p. 133, note ad loc.). À la lecture comparée du Contre les manichéens III, 5 et du kephalaion 55, il est clair que Titus ne renvoie pas à ce texte, mais il est non moins clair qu’il fait référence de manière précise à un titre ou à une section – un « chapitre » – d’un ouvrage qu’il cite ou dont il tire ses informations pour le compte rendu qui suit de la formation d’Adam. Mais ce qui est tout aussi remarquable dans ce cas, c’est que Titus dit à la fois reprendre fidèlement sa source (πρὸς λέξιν) et être dans le doute quant à savoir si celle-ci est de Mani lui-même ou de l’un de ses disciples (ἐκεῖνος ἢ ἕτερός τις τῶν ἀπ᾿ ἐκείνου). Si, pour le titre du kephalaion, on peut penser que Titus reproduit littéralement sa source (ἐπιγράψας τὸ κεφάλαιον), le πρὸς λέξιν ne signifie pas nécessairement qu’il cite à la lettre pour la suite mais plutôt que tout ce qu’il rapporte se trouve dans sa source.

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terre, pour que les âmes en soient difficilement arrachées à cause de la contrainte de l’appât de l’erreur. Et leur premier modelage est Adam, instrument du désir, appât pour les âmes qui viennent d’en haut et machination pour que celles-ci tombent dans le corps ». 6  Examinons donc, tout d’abord, de quelle grande sagesse il témoigne à l’endroit de ceux qu’il pense être les archontes de la Matière – elle qu’il blâme d’être « parfaite ignorance » –, « qui, afin de ne pas être coupés de cette Lumière qui leur avait été mélangée, ont imaginé, par le biais du corps, la descente de l’âme chez eux et qui ne lui permettent plus de courir et de retourner là-haut, mais qui, si elle courait là-haut, serait trouvée indigne de ceux de là-haut, parce qu’elle s’est souillée dans le corps », si bien que le Bon ne peut complètement sauver, dans la totalité de son intégrité, l’âme qui provient de lui, parce qu’elle est vaincue par la machination des archontes de la Matière. Mais de dire encore quelque chose au sujet de cela, peut-être est-ce ridicule. Puisqu’il a dit qu’« Adam est le premier modelage des archontes de la Matière, instrument du désir et appât pour les âmes d’en haut  », jusqu’à maintenant, cependant, nous avons appris qu’il a dit ouvertement que « l’homme a été façonné par la Matière », elle qui n’existe pas, lui qui, en tout lieu, donne à la Matière et au Mal la plus grande (part) et l’honneur, et affecte de la blâmer, et maintenant, il dit même à son sujet qu’« elle a fait l’homme », lui qui est le roi et le chef de tous les animaux, ceux qui sont dans le corps et dans le monde corporel, parce que lui seul parmi eux est raisonnable et admirable par les raisonnements de sa nature, ses habiletés et ses projets. 7  Étant aussi dans le doute au sujet du monde entier, à savoir  : «  Pourquoi est-il venu à l’existence  ?  », et s’enhardissant à montrer au sujet de l’homme qu’« il n’est pas un modelage de Dieu », il remue également sans intelligence d’autres (questions) et dit : « Comment Dieu donnait-il le commandement à Adam ? Car de deux choses l’une : ou bien il savait qu’il le transgresserait et ce n’est pas seulement en vain qu’il le lui a donné mais il est devenu aussi la cause de la désobéissance ; ou bien il ne le savait pas – et il est invraisemblable que Dieu tombe sous (le coup de)

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de l’âme et façonna son image sur terre dont il a contraint les âmes charmées à ne pas pouvoir facilement se libérer. Et leur premier modelage est Adam, instrument du désir et appât pour les âmes d’en haut et machination pour les faire tomber dans des corpsa. » 6  Il faut donc examiner d’abord quelle sagesse il atteste à ceux qu’il croit être les archontes de la Matière – qu’il dénigre complètement en l’accusant d’ignorance –, au point que, pour qu’ils ne soient pas privés de la lumière qui s’est mêlée à eux, qui ont imaginé la descente de l’âme en eux par la chair, sans la laisser remonter à nouveau et, même si elle remontait, en la faisant paraître indigne de ceux de là-haut, parce que souillée par la chair, si bien qu’il est absolument impossible pour le Bon de sauver dans son intégralité l’âme qui provient de lui, puisqu’elle est vaincue par les machinations des archontes de la Matière. Et même parler encore de ces choses, comment ne serait-ce pas ridicule ? Quand il a dit que « le premier modelage des archontes de la Matière est Adam, instrument de désir et appât pour les âmes d’en haut », et que jusqu’à maintenant nous avons appris qu’il dit clairement que « l’homme a été façonné à partir de la Matière » qui n’existe pas, lui qui attribue partout la plus grande part à la Matière et au Mal, en affectant de la calomnier, voilà maintenant qu’il dit qu’« elle a fait l’homme », le plus royal et le plus souverain de tous les êtres vivants qui sont dans le monde corporel, étant donné qu’il se trouve seul doué de raison et admirable aussi bien par le raisonnement de sa nature que par ses occupations. 7  Alors qu’il soulève aussi au sujet du monde entier la questionb : « En vue de quoi est-il venu à l’être ? », et qu’il entreprend de montrer au sujet de l’homme qu’« il n’est pas un modelage de Dieu », il met en branle d’autres choses aussi de façon insensée : « Et comment, dit-il, Dieu a-t-il aussi donné un commandement à Adam ? Car de deux choses l’une : soit il savait qu’il transgresserait et il ne (le) lui a pas seulement donné en vain, mais il en Cf. Épiphane, Panarion 66, 26, 3, éd. Holl 1933, p. 58, 6-59, 2. Sur le thème de l’appât, voir supra, I, 17, p. 109, n. d. b  Sur le développement qui va de III, 7 à 23, voir Nagel 1966. a 

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l’ignorance – et le commandement a été donné par le Mal », selon ce qu’il pense, « en vue d’une fraude (aux dépens) de l’homme et non par quelqu’un d’autre, et l’homme fut grandement aidé et libéré par sa désobéissance, par le conseil du serpent, lui qui est un ange du Bon », selon ce qu’il dit. « Car il était aveugle et lorsqu’il eut goûté de ce qui lui était interdit par le commandement, il se vit lui-même nu et il utilisa une couverture qu’il avait trouvée, et il connut et le bien et le mal. Et ainsi fut-il au plus haut point aidé parce qu’il transgressa le commandement de celui qui l’avait façonné par fraude. Et comment », selon ce qu’il dit, « cela convient-il à Dieu de dire : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal. Et maintenant peut-être étendra-t-il la main et prendra-t-il de l’arbre de vie, et en mangera et vivra pour toujours (Gn 3, 22) ? Si en effet », selon ce qu’il dit, « il avait été possible qu’il ne perdît pas son immortalité, celui-là est un envieux qui a expulsé l’homme du paradis et l’a privé de la participation à l’arbre de la vie car, en en recevant (quelque chose), il aurait pu en tout temps, pour toujours, être immortel ». Et, également, il fait aussi grief du meurtre d’Abel et, également aussi, lorsqu’il en vient au déluge, il objecte qu’« il ne serait pas venu du Bon à l’encontre de son modelage ». Et encore, il allègue aussi l’incendie de Sodome et il dit que « cela aussi est une œuvre de ce principe qui est opposé », à qui il impute toutes ces choses. Et encore il ne laisse pas non plus sans blâme la polygamie des justes, pas plus que toutes ces choses qui se sont produites à l’encontre des Égyptiens, il ne les éloigne de l’accusation dans l’idée qu’« elles démontraient une grande sauvagerie et dureté à l’encontre des Égyptiens et un penchant inconvenant en faveur des Hébreux, et que le Bon ne leur aurait pas ordonné de demander aux Égyptiens des vases d’or et d’argent (cf. Ex 12, 35), et que c’est par la tromperie d’une requête qu’il les aurait faits maîtres de ce qui ne leur appartenait pas ». Et en plus de tout cela, même le feu qui apparut sur la montagne, (quelqu’un) comme lui suppose que même aucune raison ne manque en vue d’un reproche à son endroit, (pas moins que pour) Moïse qui dit clairement que Dieu est un feu dévorant

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est aussi la cause, soit il est nécessaire de dire que, s’il ne le savait pas, Dieu a été frappé d’ignorancea, de sorte que le commandement a (bel et bien) été donné, mais en vue d’un complot contre l’homme, de la part du Mal, comme il croit, et de personne d’autre et que l’homme a été très grandement aidé et libéré, persuadé par le conseil du serpent », qu’il définit être un ange du Bienb. « Car il était aveugle, dit-il, mais après avoir goûté ce qui était défendu, il vit qu’il était nu, se servit d’une couverture qu’il avait trouvée, et il connut et le bien et le mal. Ainsi fut-il aidé au plus haut point, lui qui avait enfreint l’ordre de celui qui l’avait façonné de manière insidieuse. Comment, dit-il, conviendrait-il à Dieu de dire : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal. Et maintenant il ne faut pas qu’il étende la main, qu’il prenne de l’arbre de la vie, qu’il en mange et vive pour toujours (Gn 3, 22) ? Car s’il était possible de recevoir l’immortalité, alors envieux serait celui qui a chassé l’homme du paradis et qui lui ferme la participation à l’arbre de la vie, dont le partage lui aurait permis d’avoir l’immortalité pour toujours ». Et il a aussi fait grief du meurtre d’Abel et, s’en prenant au déluge, il objecte qu’«  il n’aurait pas été infligé par le Bon contre ses créatures ». Et encore, il brandira aussi la conflagration de Sodome en affirmant que « celle-ci est l’œuvre du principe opposé », au compte de qui évidemment il imputera tout cela. Et encore, il ne laissera pas non plus sans reproche la grande prolificité des justes, ni n’épargnera la calomnie à tout ce qui s’est produit en Égypte, dans l’idée que « cela montre bien une grande inhumanité et dureté contre les Égyptiens, et une partialité non raisonnable à l’égard des Hébreux, de sorte que ce ne serait pas sur l’ordre du Bon qu’ils ont demandé aux Égyptiens des objets d’argent et d’or (cf. Ex 12, 35), mais que c’est par tromperie qu’ils se sont établis eux-mêmes comme maîtres de l’usage des biens d’autrui ». En outre, même le feu qui est apparu sur la montagne ne lui semblera pas non plus manquer d’argument en vue de la calomnie, même si Moïse affirme clairement que Dieu est Le syriaque a ici (III, 7, 7-8) une incise, sans doute une correction dogmatique imputable au traducteur. b  Voir dans le même sens les Psaumes à Jésus 248, p. 57, 7-10, éd. Allberry 1938. a 

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(Dt 4, 24). Avec ce (feu) qui est apparu, il prend aussi cette parole pour la démonstration de son reproche. 8  Donc, parce qu’en toutes ces choses et en d’autres qui leur sont semblables, il prétend montrer que l’Ancien Testament est opposé au Nouveau, lui qui n’est pas capable de comprendre une seule chose et qui, par la malice de sa volonté, est privé de discernement et de réflexion, à l’instar de ceux qui, avant lui, ont fait cette même chose, il se sert en dernier lieu de ce qui provient du Nouveau (Testament), de ces seules choses qu’il a laissées parmi de nombreuses, parce qu’il pense qu’elles témoignent de ce qu’il a dit. Et il dit en sa propre faveur que ce n’est pas en vain qu’il a également osé rejeter de nombreuses choses du Nouveau Testament. 9  Donc nombreuses sont, à ce qu’on dit, les folles inepties de celui-là, (elles) qui sont une très grande multitude. Mais ses disciples se sont appliqués à cacher ses livres et jamais ils ne les produisent ouvertement en public et il est évident que c’est de lui qu’ils en ont reçu l’ordre, ce pourquoi il est clairement blâmable parce qu’il n’ose pas révéler et montrer les choses qu’il a imaginées. En effet, le mensonge aime à se cacher et à tromper sans être perçu, et à s’insinuer dans les âmes, mais la vérité est proclamée avec assurance, ouvertement. Mais eux se cachent, parce qu’ils ont honte de leur tromperie, avant d’être saisis par ceux qui s’apprêtent à juger ces choses qui ont été écrites par eux. Quant à nous, même si nous prenions en nos mains ce qui est appelé le «  trésor  » de sa fo-

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un feu dévorant (Dt 4, 24). En plus (du feu) qui apparaît, il prendra aussi cette parole en vue d’étayer sa calomnie. 8  Outre cela et d’autres choses du même genre, il entreprendra d’exposer des contradictions de l’Ancien face au Nouveau Testament, alors qu’il n’est aucunement capable de suivre un raisonnement, mais privé de l’intelligence par la méchanceté de sa pensée à l’instar de ceux qui ont fait cette même chose avant lui, il tirera parti en dernier lieu des éléments qui proviennent du Nouveau Testament, qu’il a conservés, seuls parmi de nombreux éléments, parce qu’il pense qu’ils lui rendent témoignage de ce qu’il dit. Et il plaidera en sa propre faveur que ce n’est pas sans raison qu’il a osé rejeter également la majeure partie du Nouveau Testament. 9  À ce qu’on dit, les inepties de celui-là sont assurément nombreuses et tout à fait infinies. Mais ses adeptes se sont efforcés de cacher les livres de celui-ci et de ne jamais les produire en public pour ceux qui le veulent, sur son ordre, à l’évidence, lui qui, par conséquent, est clairement blâmable parce qu’il n’ose pas dire en toute franchise ce qu’il a imaginéa. C’est que le mensonge aime à passer inaperçu, à tromper sans vergogne et à s’insinuer dans les âmes, alors que la vérité aime à être proclamée ouvertement avec résolution. Mais eux les cachent, parce qu’ils ont honte devant ceux qui, avant de succomber à leur magie, s’apprêtent à juger leurs écrits. Nous, de toute façon, même si nous avions eu en nos mains le soi-disant « trésor » de sa folieb, après avoir fourni une Cf. Augustin, De moribus 1, 30, 61, éd. Roland-Gosselin 1949, p. 222-223 : « Au surplus, peut-on tolérer que les manichéens nous défendent de croire à des Livres très connus et déjà entre les mains de tous, et nous commandent de croire aux livres qu’eux-mêmes produisent ? S’il faut douter d’une écriture, n’est-ce pas plutôt de celle qui n’a pas mérité d’être diffusée, ou qui a pu sous un nom d’emprunt se faire totalement menteuse ? » b  Un ouvrage intitulé « Le Trésor de la vie » figure en deuxième place dans toutes les listes des écrits de Mani : voir 1 Kephalaia, Introduction, p. 5, 23-24 (θησαυρός), éd. Polotsky, Böhlig 1940 ; Homélies, p. 25, 2, éd. Pedersen 2006 ; p. 94, 19 ; Psautier II, p. 46, 23 et 139, 60, éd. Allberry 1938 ; Cyrille de Jérusalem, Catéchèse ad illuminandos 6, 22, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 186. Cf. Alfaric 1919, p. 4348 ; Tardieu 1997, p. 47-53 ; Wurst 2005, p. 250-253. Le Trésor abordait des thèmes qui sont présents dans le Contre les manichéens, comme celui des archontes mâles et femelles (cf. II, 56, et le fragment du Trésor cité par Augustin, De natura boni II, 44, éd. et trad. Roland-Gosselin 1949, p. 496-500 ; cf. Fox, Sheldon, Lieu 2010, p. 4-5). a 

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lie, nous offririons continûment une défense sur des (points) peu nombreux, ceux qui sont nécessaires, et nous n’empêcherions pas tout son bavardage, que, comme un idiot, il rabâche sans fin. Car il est évident que, lorsque les plus importantes et les plus connues des choses qui sont agitées en tout lieu reçoivent la réfutation du discours, elles entraînent nécessairement avec elles les plus petites. 10  Donc il n’y a aucune autre cause de la naissance du monde – c’est en effet sa première aporie – si ce n’est la bonté du créateur. Par sa nature, en effet, il est créateur et il ne prend pas conseil ni n’apprend par l’expérience ni ne crée par la nécessité de sa nature, mais c’est en tant que bon qu’il fait du bien aux choses qui viennent à l’existence, elles dont il n’a aucunement besoin, mais aux (êtres) qui n’existent pas, par bonté il donne d’être et d’être bien. Car ce qui n’est pas, s’il ne lui échoit d’être, comment la bonté serait-elle en lui, en quelque chose qui n’est pas ? Mais si n’existe pas ce en quoi sera la bonté, où sera la bonté du bon ? En effet, ce n’est pas quand il est tourné en lui-même, de lui-même et vers lui-même qu’il peut être ce qu’il est appelé mais lorsqu’il pourvoit aux autres ce qui est de sa nature et l’accomplit. Si donc il est de la nature propre du bon d’aider et de témoigner de la bonté mais que ne se trouve pas ce qui reçoit l’aide provenant de lui, le bon est sans effet. Il est donc créateur et ce ne sont pas les choses (créées) qui l’aident et lui témoignent de la bonté mais (lui) à ceux qui viennent à l’existence. Car il est parfait et il est tel qu’il ne manque de rien et pas même d’être vu et connu par l’intermédiaire des choses qu’il fait. Mais les choses qui viennent à l’existence, s’il n’y avait pour elles celui qui les fait, ne seraient pas. Donc, puisque le bon existe, il est tout à fait nécessaire qu’existent ceux dans lesquels sera la bonté. Donc, en tant que bon et bon indicible et ne cessant jamais de témoigner de la bonté, lui, Dieu, crée et agit. Car quelle bonté plus grande que celle-là y aurait-il pour ceux qui sont venus à l’existence que le fait d’exister à partir de rien ? Ce qui indique la puissance indicible du créateur en même temps que sa bonté, car aucune matière ne lui fut nécessaire pour accomplir sa volonté, comme l’homme, non plus qu’il ne cessa d’être bon, sans activité, car ce n’était non plus possible.

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justification sur les (points) peu nombreux et nécessaires, nous ne l’aurions pas du tout empêché de délirer infiniment par ses autres inepties. Car il est clair que les choses les plus importantes et en tous points manifestes parmi celles qui sont discutées, quand elles font l’objet d’un discours raisonné, entraînent d’elles-mêmes par nécessité aussi les plus petites. 10  Donc la cause de la naissance du monde n’est rien d’autre – car c’est là la première des questions – que la bonté de celui qui l’a créé. En effet, il est par nature créateur, car il n’a rien à calculer ou à apprendre par l’expérience, et ce n’est pas par nécessité de la nature qu’il crée, mais c’est en tant que bon qu’il fait du bien aux créatures, dont il n’a absolument pas besoin, mais à ceux qui n’existent pas, par bienfaisance, il fournit l’être et le fait d’être bien. Comment quelqu’une des choses qui n’existent pas recevrait-elle le fait d’être bien, si elle n’avait pas le fait d’être ? Comment quelque chose qui n’est pas recevrait-il un bienfait ? Et s’il n’existait pas quelque chose qui reçût un bienfait, où serait la bonté de celui qui donne ce bienfait ? Car ce n’est pas en étant tourné sur lui-même qu’il pourrait être ce qu’il est appelé, mais c’est en procurant aux autres ce qui lui est propre par nature qu’il le met en acte. De sorte que, si le fait d’être utile est par nature le propre du bien, mais qu’il n’y avait pas quelque chose qui bénéficiât de son utilité, le bien serait réduit à l’inaction. Il a donc créé, non pas par bienveillance pour lui-même, mais pour ceux qui existent. Car ce qui est parfait est tel aussi qu’il ne manque de rien et qu’il n’est vu ni reconnu si ce n’est par ce qu’il fait. Mais les créatures, si elles n’avaient pas celui qui (les) fait, ne seraient pas. Donc, puisque le bon existe, il est tout à fait nécessaire qu’il y ait des choses qui reçoivent les bienfaits. Et donc, comme il est bon, Dieu fait indiciblement bien le bien, et il crée sans se retenir d’aucune façon de faire des bienfaits. Car quel plus grand bienfait peut-il y avoir pour ceux qui sont venus à l’existence que le fait d’être à partir de ce qui n’est pas ? Ce qui démontre en même temps l’indicible puissance et la bonté de celui qui a créé, étant donné qu’il n’a pas besoin de la matière, comme l’homme, pour achever son propre dessein, et qu’il ne produit pas d’activités sans être bon, puisqu’une chose telle n’est pas possible.

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11  Pour ceux qui sont dans le doute (quant à savoir) « comment, à partir de rien, est ce qui est », ce n’est pas maintenant le moment d’en parler, si ce n’est seulement pour dire que Dieu, en tant que bon, a donné d’être à ceux qui sont venus à l’existence. Et comme il est sage, plus élevé et plus haut que toutes pensées, il a complètement et parfaitement agencé tout ce qui est venu à l’existence et, par le biais de la variété (de ces êtres), il leur a également ajusté leur ornement. Donc tout ce qui est venu à l’existence, dans son ensemble, a été appelé en vérité « monde orné », d’un nom digne non de ces choses – car ce ne sont pas elles-mêmes qui se sont ornées – mais de celui qui les a faites, parce qu’aussi c’est lui qu’elles désignent. Les choses qui sont dans le ciel sont donc manifestement selon leur ordre et manifestement aussi, toutes celles qui sont sur la terre. Mais à qui conviendrait l’usage de ces choses si l’homme n’existait pas, sans qui Mani le fou ne blâmerait quoi que ce soit des choses qui existent ? Car il ne retient non plus aucune des choses qui sont dans le ciel comme agissant sottement mais il les honore au plus haut point dans l’idée que « le soleil et les autres (astres) conviennent à la partie du Bon », selon ce qu’il pense. Mais il ne blâmerait pas non plus la terre et la mer s’il laissait un tant soit peu de côté son grand amour du blâme. Car quelle offense trouvera-t-on chez eux ? Ainsi, toutes les choses, celles qui sont dans le ciel et celles qui sont sur la terre, échoueraient toutes ensemble à être estimées avoir de l’utilité et exister nécessairement si l’homme n’existait pas. La partie principale du monde est donc l’homme pour qui le soleil, sur l’ordre de celui qui l’a créé, fait le jour, la lune partage les temps et les étoiles enseignent les routes de la terre et de la mer, en plus de cet agrément qu’ils donnent aux (hommes), comme les floraisons désirables des fleurs du ciel. 12  La sottise impie de la folie de Mani apparaît donc davantage en cela aussi si Dieu préparait ces choses utiles et nécessaires, selon ce qu’il dit, (à savoir) le soleil et la lune ainsi que les étoiles, mais que la Matière introduisait par l’intermédiaire des archontes celui qui s’en servirait, lorsqu’elle façonne Adam, de sorte que le Bon se trouverait sembler faire en vain tant le soleil que le reste des autres (astres), si les archontes de la Matière ne s’étaient trouvés à

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11  Pour ceux qui se demandent comment (les êtres) pourraient exister à partir de ce qui n’existe pas, le moment n’est pas venu d’en parler, si ce n’est pour dire que Dieu, qui est bon, a donné l’être en partage à ce qui n’existe pas. Parce qu’il est sage au-delà de toute pensée, il a agencé chacun des êtres et leur a fourni le bon ordre tout en le variant. C’est donc au sens propre que les êtres dans leur ensemble ont été appelés « monde », d’un nom digne non pas d’eux-mêmes, certes, car ils ne se sont pas ordonnés eux-mêmes, mais de celui qui les a faits, lui qu’ils désignent aussi. Donc manifestes sont ceux des êtres qui ont été placés dans le ciel et manifestes aussi tous ceux qui sont sur la terre. Mais à qui conviendrait l’usage de ces choses, si, justement, l’homme n’existait pas, sans qui, à vrai dire, Mania n’aurait rien à reprocher aux êtres  ? Car il n’attaque rien de ce qui est dans le ciel en l’accusant de pécher ; il vénère donc plutôt ces choses, dans l’idée que « le soleil et les autres (astres) se rattachent à la partie du Bon », comme il l’a supposé. Mais il n’adresserait pas non plus de reproches à la terre et à la mer, si du moins il laissait un tant soit peu de côté son bon amour du blâme. Car quelle offense pourrait-on détecter parmi ces choses ? Mais ces choses, tant dans le ciel que sur la terre, échoueraient toutes ensemble à paraître utiles et, par conséquent, nécessaires à exister, si du moins l’homme n’existait pas. Ainsi donc, la partie maîtresse du monde serait l’homme, pour qui le soleil fait le jour sur l’ordre du créateur, la lune délimite les temps et les astres servent de guide pour les routes de la terre et de la mer, en plus du charme qu’ils lui procurent, à l’instar des charmantes pousses saisonnières de la floraison céleste. 12  Le caractère insensé de l’impiété de Mani se manifeste donc clairement là aussi, si vraiment Dieu préparait les choses utiles et nécessaires – d’après celui-là  –, le soleil, la lune et les astres, mais que la Matière introduisait, en façonnant Adam par l’intermédiaire de ses propres archontes, celui qui s’en servirait, de sorte que le Bon risquerait de sembler avoir produit en vain le soleil et le reste, si du moins les archontes de la Matière ne s’étaient a 

Le syriaque (III, 11, 13 : « Mani le fou ») surtraduit.

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avoir façonné l’homme. Ou bien il semblera avoir travaillé dans la servitude pour le Mal en cela qu’il a préparé tout ce qui était nécessaire et convenable pour le modelage de celui-ci. Car ces choses seraient à jamais inutiles et existeraient en vain si celui à qui elles serviraient n’existait pas nécessairement.

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13  La création tout entière a donc été d’abord disposée et c’est alors que l’homme y fait son entrée, comme ce qui est préparé en vue de l’usage des choses qui ont été faites à l’avance, puisque Dieu dit  : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent (Gn 1, 26) sur tous les êtres non raisonnables, ceux que l’Écriture énumère selon leur espèce. L’homme a donc été établi par Dieu chef et administrateur de tous les animaux, lui, (être) raisonnable, de ceux qui sont privés de raison, lui qui se conduit avec sagesse et discernement, de ceux qui sont liés par la nécessité de la nature, lui dont la nature est aussi comme la raison de la nature. Il est donc en son pouvoir, la plupart du temps, de se servir des choses de sa nature et de ne pas s’en servir. En effet, qu’il engendre des enfants et n’en engendre pas, cela est complètement en son pouvoir, car il peut empêcher et retenir l’action de la nature. Quant au fait de s’alimenter et de dormir, même s’il ne peut complètement le surmonter, cependant, la plupart du temps, tant qu’il le veut, il s’en prive par l’exercice de l’endurance et par le pouvoir de la raison, et cela donc aussi de manière à céder à l’usage de la nature et à n’être pas conduit par la nécessité de la nature, comme ceux qui sont privés de raison, mais, par la connaissance, à remettre ce dont il a besoin comme à quelque autre après (avoir fait preuve) d’endurance selon ses capacités. Il apparaît que l’homme s’est vu confier non seulement le pouvoir et la prééminence sur les êtres sans raison puisqu’aussi il en possède l’usage, mais aussi qu’il a encore le pouvoir sur lui-même. En effet, la raison de sa nature se tient comme un prince, par son pouvoir, au-dessus de sa nature comme quelqu’un qui, de lui-même et en lui-même, peut être soit le pilote soit le cocher de lui-même, s’il use de la raison qui est dans sa nature. Aussi est-ce pourquoi l’Écriture

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pas trouvés à avoir façonné l’homme. Ou bien (le Bon) semble être esclave du Mal, parce qu’il aurait préparé toutes les choses nécessaires pour la création de celui-ci. Car ces choses seraient en tout oisives et vaines, si celui qui était destiné à les utiliser n’existait pas nécessairement aussitôt.

La création de l’homme à l’image de Dieu 13  Et, d’abord, la création tout entière est mise en place, et ainsi l’homme est introduit en quelque sorte pour l’usage immédiat de ce qui a été créé avant et qui a été créé à cause de lui, puisque Dieu dit précisément  : Faisons l’homme selon notre image et selon notre ressemblance, et qu’ils commandent (Gn 1, 26) aux êtres sans raison, que l’Écriture énumère espèce par espèce. L’homme a donc été établi par Dieu comme chef de tous les êtres, l’être doué de raison à la tête des êtres sans raison, celui qui se comporte avec intelligence à la tête de ceux qui sont liés par une nécessité de nature, celui qui a sa propre nature pour ainsi dire au-dessus de la raison de la nature. Car, la plupart du temps, il est en son pouvoir de se servir ou non des choses qui relèvent de la nature. En effet, il tient complètement en son pouvoir la puissance d’engendrer des enfants et de ne pas le faire, car il est capable de suspendre l’action de la nature. Quant au fait de se nourrir et de dormir, même s’il ne peut pas en être absolument maître, il peut cependant s’en abstenir autant que possible par l’exercice de l’endurance et par la puissance de la raison, de sorte qu’il cherche à céder à la nature et à l’utilisation de la nature par nécessité, comme les êtres sans raison, mais que, par raisonnement, il confie le besoin, pour ainsi dire, à une autre bête de somme, après avoir fait preuve d’endurance selon ses capacités. L’homme s’est donc vu confier le commandement non seulement sur les êtres dépourvus de raison, puisqu’il en a certes acquis l’usage, mais encore sur lui-même. En effet, sa raison, qui est conforme à la nature, préside à la nature, de sorte qu’il peut être soit pilote soit aussi cocher de lui-même, s’il utilise la raison qui est selon la nature. C’est pourquoi aussi il est reconnu par l’Écriture avoir été fait selon l’image de Dieu par la disposition de sa

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dit qu’il a été créé à la ressemblance de Dieu à cause de sa prééminence, de son caractère raisonnable et de la liberté de sa nature. Il n’est donc pas esclave de la nécessité de la nature à la manière de ceux qui sont privés de raison, mais, par la raison de sa nature, il est libre et il possède la prééminence sur ceux qui sont privés de raison, auprès de qui il conserve et montre la ressemblance de Dieu.

Le commandement et la désobéissance 14  Voilà donc pourquoi les (êtres) qui sont privés de raison n’ont pas été jugés dignes du commandement et de l’avertissement, car ils n’ont pas non plus la raison qui est réceptrice du commandement. Mais celui qui a été établi chef et gouverneur de ceux qui sont privés de raison est honoré surtout et d’abord par le commandement, grâce à la participation à la raison, qui est à la ressemblance de Dieu. Car l’honneur de celui qui a été fait est d’être de quelque manière en communion de raison avec celui qui l’a fait. Or le commandement et l’avertissement de la raison introduisent une participation de celui qui façonne avec celui qui est façonné par lui. En effet, celui qui reçoit le commandement connaît, autant qu’il le peut, Dieu qui commande, et celui qui donne le commandement révèle la connaissance de lui-même à la mesure de la nature de celui qui reçoit le commandement, dont il est même dit être le modelage de ses mains à cause du caractère honorable de sa formation. Car, même si le récit de l’Écriture dit qu’il prit de la poussière de la terre et forma l’homme (Gn 2, 7), selon la manière d’être visible des choses, il a montré l’activité (divine) qui est invisible. Car le tout est action de la volonté et non formation du modelage des mains, mais, à la vérité, qu’il ait été appelé modelage de ses mains, c’est en vue de l’honneur de sa nature, puisque ce qui est à l’image de Dieu ne l’est pas en raison de la ressemblance de la nature – en effet, il n’est même pas possible de dire à quel point il est dépourvu et inférieur (par rapport à cela) –, mais l’est en raison de la forme et de la ressemblance de la prééminence, du pouvoir et de la liberté.

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nature à commander, à raisonner et à être libre. Il n’est certes pas réduit en servitude par nécessité de nature à la façon des êtres sans raison, mais, par la raison de la nature, il agit librement tout en possédant le pouvoir sur les êtres sans raison, auprès desquels il conserve l’empreinte de Dieu.

Le commandement et la désobéissance 14  De là, il s’ensuit évidemment que les êtres sans raison ne sont pas jugés dignes du commandementa ; car ils n’ont pas la capacité de recevoir le commandement, à savoir la raison. Mais celui qui a reçu l’ordre de commander aux êtres sans raison à cause de sa participation à la raison selon l’image de Dieu est honoré surtout et avant tout par le commandement. Car c’est un honneur pour celui qui est venu à l’existence d’être en quelque sorte en communauté de raison avec celui qui l’a fait. Et le commandement et le précepte entraînent une communauté de raison de celui qui a façonné avec celui qui a été façonné. Car celui qui reçoit le commandement connaîtra, autant qu’il lui est possible, Dieu qui commande, et celui qui le donne révélera la connaissance de lui-même à la mesure de la nature de celui qui reçoit le commandement, des mains mêmes de qui il dit être l’œuvre en raison du caractère honorable de sa formation. Car même si le récit dit : ayant pris de la poussière de la terre, il en façonna l’homme (Gn 2, 7), c’est bien le caractère invisible de l’activité (divine) qui est tout à fait évident par la manière d’être visible des choses. Car le tout existe par la mise en acte de la volonté (de Dieu), mais ce n’est pas par l’ouvrage de ses mains que la fabrication existe, sauf qu’elle est appelée ouvrage de ses mains en vue d’honorer la nature, puisque le fait d’être à l’image de Dieu n’existe pas en vue d’une imitation de la nature – en effet il n’est pas même possible de dire combien il en est éloigné –, mais c’est en vue du signe distinctif du commandement et de l’état de liberté qu’il existe.

a 

C’est-à-dire celui que reçut Adam en Gn 2, 16-17.

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15  Celui-là reçoit donc, le premier, le commandement. Car, par sa connaissance, il devançait le commandement de devoir obéir à celui qui l’avait façonné, mais c’est pour la mise à l’épreuve de sa connaissance et de sa liberté qu’en addition, il reçoit le commandement. De même que, s’il est quelqu’un qui possède dans son âme la contemplation et la science d’un art quel qu’il soit, soit de la médecine, soit de la charpenterie, et qu’il est conduit et en vient à la (mise en) acte et en œuvre de cette science qu’il possède dans sa pensée, de peur que ce qu’il a appris et connaît ne soit en vain dans son âme, de la même manière aussi l’homme n’est pas achevé seulement par sa liberté d’obéir et de ne pas obéir mais aussi, doté de la connaissance des deux et par le biais du commandement, il en vient à la (mise en) acte de ces biens excellents qui sont dans sa nature. Car, à l’évidence, le commandement le libère de la nécessité et l’obéissance l’instruit. Dieu, donc, lui qui commandait, savait ce qui arriverait, mais il n’a pas supprimé et annulé la liberté de celui qui avait été fait et n’a pas non plus passé le commandement sous silence en vue de l’anéantissement de celui qui se trouvait dans la liberté, parce qu’il lui a semblé beau, dès le commencement, que l’homme soit ainsi à la ressemblance de Dieu, ce qui est digne de celui qui l’a fait. Car le silence sur le commandement (aurait été) l’abolition de l’obéissance. Mais, peut-être, quelqu’un dira-t-il : « Vois combien la désobéissance a nui à l’homme, elle qui n’échappait pas à celui qui avait commandé le commandement » ? (Quant à savoir) si elle a nui ou non du fait de la punition qu’elle a entraînée, nous en parlerons peu après. Mais, pour ce qui est de maintenant, sa liberté a grandement aidé celui-là en vue de l’excellence des mœurs qui s’ensuivit. En effet, s’il n’avait pas reçu le commandement, il n’aurait pas eu non plus l’obéissance ni le pouvoir de la vertu en vue du triomphe et de la victoire. Et il n’aurait pas songé non plus à obéir s’il n’avait eu aussi le pouvoir de ne pas obéir. C’est en effet parce que le commandement lui a été donné qu’après l’avoir reçu, l’assurance en vue de l’excellence des mœurs qui s’ensuivit lui fut ajoutée par la désobéissance, parce qu’il fit l’expérience de ce qui lui était nuisible, et sa désobéissance devint, par la mise à l’épreuve, maîtresse de son obéissance, puisqu’en effet, celui qui n’a (rien) éprouvé ni connu ne peut d’avance obéir jusqu’à la mise en acte, à moins qu’il ne reçoive

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15  C’est donc celui-ci qui reçoit en premier le commandement. Car il a devancé par la connaissance le commandement de devoir obéir à celui qui l’a créé, mais il reçoit de surcroît le commandement à titre d’exercice de sa nature et de son libre arbitre. De même que quelqu’un, possédant déjà en son âme les règles de quelque art, que ce soit la médecine ou la charpenterie, est mené à la mise en acte des règles qui sont dans sa pensée, pour éviter d’avoir en vain dans son âme ces choses qu’il se trouve connaître, de même assurément l’homme, n’étant pas tout entier voué au seul libre choix de l’obéissance et de la désobéissance, mais doté de la connaissance des deux, est mené par le commandement vers la mise en acte des biens avantageux qui sont dans la nature. Car, à l’évidence, le commandement l’affranchit de la nécessité et l’obéissance le conduit. Dieu qui donnait le commandement savait ce qui surviendrait, mais il n’a pas pour autant privé du libre arbitre celui qui était venu à l’existence et il ne tait pas non plus le commandement en vue d’annuler le libre arbitre, parce qu’il lui a semblé bon dès le début que l’homme soit ainsi à l’image de Dieu, d’une façon digne de celui qui l’a fait. Car le silence sur le commandement aurait été l’annulation de l’obéissance. Mais, dès lors, quelqu’un pourrait dire que la désobéissance, que ne pouvait ignorer celui qui donnait l’ordre, a nui à l’homme. Quant à savoir si elle a vraiment nui ou non à cause de la punition qui s’ensuivit, nous en parlerons un peu plus tard. Pour l’heure, la liberté lui a été extrêmement utile en vue de la vertu qui s’ensuit. Car s’il n’avait pas reçu le commandement, il n’aurait pas désobéia, ni n’aurait eu la capacité de la vertu en vue de la bonne considération. Mais il n’aurait pas même songé à obéir s’il n’avait pas eu la capacité de désobéir grâce au don du commandement, qu’il a accueilli et qui lui a donné, s’il désobéissait, un accès sûr à la vertu qui s’ensuit, pour avoir fait l’expérience de ce qui nuit. Et la désobéissance devient maîtresse d’obéissance par l’expérience, puisqu’il n’était pas même possible de la part de l’inexpérimenté de recevoir à l’avance l’obéissance pour sa mise en acte. Mais que (l’obéissance) lui ait été fournie par les exemples d’autrui ou a 

Le syriaque affirme ici (III, 15, 25) le contraire de ce que dit le grec (III, 15, 22).

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(cela) par l’exemple des autres ou que (cela) ne lui soit ajouté par sa propre expérience, car l’assurance qu’il acquiert du fait de la désobéissance vient après l’expérience de la désobéissance, soit celle de la personne elle-même, soit celle des autres, comme c’est par l’exemple (que s’acquiert) semblablement toute vertu. 16  Quelqu’un, donc, dira peut-être : « La volonté de a été vaincue par la désobéissance de celui qui a reçu le commandement ». Mais en aucun moment et en aucune manière elle n’a été vaincue mais, au contraire même, elle a été accomplie. Car, par le fait d’avoir mis en garde par le commandement et de ne pas avoir de quelque manière mené (l’homme) par nécessité, il manifeste et montre qu’il voulait qu’il puisse aussi ne pas obéir afin que soit également en lui et de lui le fait d’obéir, selon la manière de la liberté de sa nature. Donc, la première désobéissance de l’homme traduit la volonté de celui qui l’a fait. 17  « Pourquoi donc a-t-il voulu que celui-là désobéisse ? » Or il a voulu ceci : qu’il ait la puissance de désobéir afin que, par son obéissance, il soit célébré. En effet, même s’il l’a d’avance humilié et amoindri, parce que la désobéissance n’est pas du fait de celui qui a commandé, cependant il n’a pas non plus tout à fait empêché et retenu la louange et l’honneur de celui qui, par sa liberté, est encore destiné à vivre dans la vertu. Donc aussi, il a plutôt excité vers elle, qu’il lui a parfaitement amenée. Car celui qui a éprouvé en acte qu’il peut accomplir les deux, apprend de lui-même et par lui-même à choisir ce qui est meilleur, car l’épreuve qui est devant lui, qui existe bien nécessairement, lui montre sa liberté ainsi que le pouvoir de sa nature. Car l’inexpérience et l’ignorance de la dés­obéissance seraient absolument pour lui nécessité de nature, mais l’expérience du contraire, qui expose la puissance de la nature, devient maîtresse du contraire, qui est l’obéissance. Car lorsque l’homme eut désobéi, il n’a pas non plus péri sur le coup ni ne s’est rendu incurable. Car celui qui l’a fait aurait ainsi paru faillir à sa propre volonté, mais il est seulement repris pour qu’il prenne conscience de son pouvoir et que la liberté de sa nature soit déclarée. Et il ne reçoit pas non plus à nouveau, sur le champ, un autre commandement et une autre loi d’après lesquels se conduire. Il sait en effet qu’il a dans sa nature le discernement et la connais-

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qu’elle lui soit venue de sa propre expérience – car l’assurance provenant de la désobéissance étaita celle même qui vient après l’expérience de la désobéissance, soit de la sienne, soit de celle des autres, comme par un exemple –, de toute façon il obtiendrait à bon droit la vertu. 16  Quelqu’un pourrait donc dire : « La volonté de celui qui a commandé a été vaincue par la désobéissance de celui qui a reçu le commandement ». Elle n’a nullement été vaincue, mais elle a été au contraire accomplie. Car le fait d’avoir ordonné et de n’avoir pas en sus contraint en quelque façon, a fait voir clairement qu’il a voulu que l’homme puisse aussi désobéir, afin qu’il soit également capable d’obéir à la façon de quelqu’un qui est libre par nature. De sorte que la première désobéissance de l’homme créé a traduit la volonté de celui qui l’a fait. 17  Pourquoi donc a-t-il voulu qu’il désobéisse ? Il a donc voulu qu’il ait la capacité de la désobéissance, afin qu’il soit estimé en raison de son obéissance. Mais s’il l’a reçu d’avance, le discrédit de la désobéissance ne revient pas à celui qui avait commandé. Néanmoins ce dernier n’a nullement tenu la bonne renommée à l’écart de la vertu pour celui qui est libre et qui vivra encore. Et même, plutôt, il (l’) a poussé vers elle, qu’il (lui) a également parfaitement amenée. Car celui qui a fait l’expérience, par la mise en acte, qu’il peut les deux, apprend de lui-même à choisir le meilleur par l’expérience, l’obstacle quasi nécessaire lui démontrant son libre-choix et la capacité de sa nature. En effet, l’inexpérience et l’ignorance complète de la désobéissance seraient une nécessité de nature, mais l’expérience qui, au contraire, expose la capacité de sa nature devient maîtresse en vue du contraire, l’obéissance. Car l’homme, pas même après avoir désobéi, n’est alors mort sur le coup ou ne s’est attiré des maux incurables. Ainsi, en effet, celui qui a créé aurait semblé s’écarter de sa propre volonté. Il est seulement repris en vue de la prise de conscience de sa capacité et de la compréhension de son état libre selon sa nature. Et il continue à vivre sans même avoir reçu à nouveau d’autres commandements et a 

Le syriaque (III, 15, 35) a manifestement lu ἧν au lieu de ἦν (III, 15, 31).

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sance des choses à faire et de celles à ne pas faire. Et lorsqu’il le reprend, celui qui l’a façonné ne lui conseille pas non plus de se repentir. Car la guérison n’était pas nécessaire pour cette action parce que celui qui n’avait pas obéi ne restait plus là, à l’endroit où il avait désobéi, de sorte qu’il doive se garder désormais de ce dont il s’était approché à tort, mais il a pris le commencement de la vie qui venait après et de (sa) conduite, parce qu’il avait fait l’expérience de sa propre liberté. 18  Mais quelqu’un dira peut-être : « Vois combien la désobéissance a lésé celui-là, (elle) qui l’a fait mortel au lieu d’immortel, l’a expulsé d’un paradis toujours verdoyant et l’a amené sur une terre à cultiver et source de peine ». Contre ces choses, nous dirons clairement – car, cela aussi, j’ai promis peu auparavant que j’en parlerais – qu’au commencement, Dieu a fait l’homme bon par la bonté du fait d’exister et il a fait celui-ci libre par sa nature afin qu’il choisisse la vertu aussi bien que le mal, et en même temps il l’a disposé dans un corps afin que, pareillement, il habite dans un monde corporel. Il veut qu’il soit en son propre pouvoir de choisir la vie ou la mort, et ce n’est pas sans raison qu’il a posé contre lui la sentence de la mort, mais il l’a décrétée pour celui-ci à cause de la désobéissance, qu’il connaissait manifestement d’avance, et il a fait cela d’une manière nécessaire et très effrayante. En effet, parce qu’il n’est pas possible que l’homme soit absolument sans péché, lui qui est en puissance de vertu et de mal – car celui qui l’a fait n’exige pas cela non plus –, la liberté de celui qui est venu à l’existence atteste plutôt qu’il a également le pouvoir de pécher, ce qui est pour lui le seul moyen de produire des actions de justice, ainsi qu’il a été dit de nombreuses fois. La mort comporte donc une appréhension de punition, mais elle est, pour l’homme, un admirable et grand

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loi. Il a compris en effet qu’il avait dans sa nature la connaissance des choses à faire et à ne pas faire. Celui qui l’a façonné, pas même quand il le reprend, ne lui conseille de se repentir. Car ce qui avait été fait n’avait pas besoin de traitement, puisque, à la vérité, celui qui a désobéi n’est pas resté là même où aussi il a désobéi, de sorte qu’il doit se garder désormais de ce qu’il a touché contre la raison, et que, suite à cela, il a pris la direction de sa viea et de son mode de vie après avoir fait l’expérience de sa propre liberté. 18  Mais vois, pourrait dire quelqu’un, combien la désobéissance a lésé celui-ci, elle qui l’a rendu mortel au lieu d’immortel, qui l’a chassé du paradis toujours vertb, qui l’a conduit vers la terre arable et source de peine. Certes, face à cela, il faut dire clairement – car j’ai annoncé que je parlerais brièvement de cela aussi –, que Dieu, en tant que bon, ayant créé l’homme dès le début en vue du bienfait d’exister, a fait celui-ci libre quant à la nature en vue de la vertu et du mal, mais en même temps équipé à l’évidence d’un corps afin qu’il habite un monde corporel. Il a voulu que celui-ci soit mortel. Cependant, ce n’est pas sans raison qu’il a produit contre lui le terme de la mort, mais il a fixé celui-ci à cause de sa désobéissance, qu’il connaissait par avance clairement, en faisant cela de manière nécessaire et tout à fait effrayante. Car, étant donné qu’il n’est pas possible que l’homme, qui est dans la capacité de la vertu et du mal, soit absolument sans péché – car celui qui l’a créé ne le réclame même pas –, et que le caractère libre de celui qui est venu à l’existence atteste plutôt le fait qu’il lui est possible de pécher, ce qui, précisément, devient aussi pour lui le seul et unique garant de la pratique de la justice, comme cela a souvent été dit, d’une part, la mort comporte un soupçon de punition, mais elle comporte aussi, d’autre part, un bienfait admirable et extraordia  La formulation du syriaque, en III, 17, 26-27 : « il a pris le commencement de la vie », résulte d’une mauvaise traduction de ἀρχὴν (III, 17, 25). b  La forme ‫( ܪܘܙ‬III, 18, 2) que donne le manuscrit peut être interprétée comme un parfait pe‘al, ainsi que le fait d’ailleurs le Thesaurus (Payne Smith 1901, col. 3846) : semper hilarius fuit propter paradisum. Mais le verbe personnel ‫ܐܦܩܬܗ‬ qui suit (ibid.) interdit de voir en ‫ ܪܘܙ‬une forme personnelle, et le grec ἀειθαλοῦς (III, 18, 2-3) va dans le même sens. Il faut dès lors interpréter ‫ ܪܘܙ‬comme un participe pe‘al et corriger en ‫ܪܘܙ‬, « qui est toujours verdoyant ».

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bienfait de la part de Dieu. Et quel est-il ? Même si (cela) a été dit auparavant dans un autre endroit de notre discours lorsque c’était utile, (Dieu) a amené celle-ci afin que celui qui a été saisi par l’habitude des mœurs des péchés ne vive pas non plus pour toujours, immortel, dans les maux qui sont dans sa volonté, et d’autant plus s’il n’y a pas pour lui quelque menace subséquente à la mort, ni non plus que celui qui s’adonne aux combats de la vertu ne supporte pour toujours, sans trêve, la sueur et la peine, mais que les deux, par un grand et très haut bienfait, reçoivent le terme de leur existence. 19  Mais, à la vérité, parce qu’il a le nom de mort, même si c’est un grand et admirable bienfait, il a permis que l’homme soit pour lui-même la cause celle-ci, non pour qu’il ne paraisse pas l’avoir créé mortel, mais pour qu’il (en) prenne la cause à partir de lui-même, qui est libre, (et) qu’aussi, en ces choses où il semble le punir, il apparaisse en vérité bienfaiteur. Mais ce n’est pas à cause de cela qu’il semble que la désobéissance de l’homme lui soit agréable, du fait qu’il veut qu’il soit en son pouvoir de choisir la mort, mais parce que celle-ci lui procure de la part de Dieu ce qui lui est nécessaire et convenable, alors qu’il avait besoin aussi de cette sollicitude afin qu’ayant reçu un tel commencement, un terme lui échoie aussi. Car s’il était possible que tous soient sans péché dans (cette) vie mais qu’ils réussissent en cela par le labeur et l’exercice, même ainsi la mort, qui procure le repos du labeur de la vertu, serait nécessairement requise. Mais si nous reconnaissons que la vertu est acquise seulement par le labeur et l’exercice, comment tous parviendraient-ils ensemble au terme qui se trouve dans la victoire, puisque leur liberté implique nécessairement, pour ceux qui se sont proposé de cheminer seulement par des triomphes et des victoires, le pouvoir de cheminer ainsi par des routes variées, de toutes sortes, en vue du triomphe de la victoire ? 20  Si donc, aussi, celui qui a désobéi a été transféré au labeur de l’agriculture, aux soucis et à la sueur, dans une variété de métiers qui sont nécessaires, accueille, quant à toi, à partir des choses qui sont écrites, la visée de la prescience de celui qui l’a façonné.

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naire qui vient de Dieu pour l’homme. Quel bienfait que celui-là, cela a déjà été dit aussi dans ce qui précède selon une autre visée du discours, à savoir que ni celui qui est porté dès l’origine à la pratique des péchés ne vive à jamais dans la malice de son intention, immortel, et d’autant plus si rien de ce qui suit après la mort ne le menace, ni que celui qui s’exerce au combat de la vertu ne supporte à jamais une sueur ininterrompue, mais que l’un et l’autre reçoivent la fin de la vie par un bienfait très grand et des plus élevés. 19  Cependant, puisque (le bienfait) a du moins le nom de mort, même si c’est un bienfait très grand et admirable, il a consenti à ce que l’homme lui-même se procure à lui-même la cause de celle-ci, non pas pour ne pas sembler créer un mortel, mais pour prendre la cause auprès de lui-même qui est libre et, même dans les choses où il semble punir, pour se révéler un authentique bienfaiteur. Toutefois, ce n’est pas à cause de cela que la désobéissance de celui-ci paraîtrait agréable à celui qui a voulu que l’homme soit mortel, mais parce qu’elle se procure à ellemême de la part de Dieu ce qui est conséquent et nécessaire, alors qu’elle a certes besoin aussi d’une telle sollicitude, afin que, si elle a reçu le commencement, elle obtienne la fina. Car s’il était possible que tous vivent en dehors du péché et réussissent cela par le labeur et l’exercice, même ainsi la mort serait nécessaire en vue du repos du labeur de la vertu. Mais si, de façon générale, on reconnaît à bon droit que c’est par l’exercice et le labeur que la vertu peut être établieb, comment tous parviendraient-ils en commun à l’accomplissement de la réussite, puisque la condition de liberté comporte nécessairement la capacité de cheminer par des routes diverses vers l’honorabilité de ceux qui se proposent la seule route honorable ? 20  Si donc celui qui a désobéi a été transféré vers les labeurs de l’agriculture et vers les soucis et les sueurs des différents métiers nécessaires, reçois, à partir des écrits eux-mêmes, le dessein a  Pour la fin de cette phrase, le sujet en syriaque (III, 19, 11) est l’homme (masc.), alors qu’en grec (III, 19, 11), il s’agit de la désobéissance (fém.). b  Le traducteur syriaque (III, 19, 16) a manifestement lu un dérivé de κτάομαι et non de κτίζω (III, 19, 15 : κτιστὸν).

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En effet, avant la désobéissance de celui-là, il a dit  : Qu’ils commandent (Gn 1, 26) à tous les êtres privés de raison. Mais comment auraient-ils eu besoin de ce pouvoir sur les êtres privés de raison, s’ils étaient demeurés en tout temps dans le paradis, eux qui étaient exemptés d’en avoir besoin ? Car, dès le début, les êtres privés de raison n’ont pas, eux non plus, fait l’expérience du paradis, ni n’étaient dignes de rester là en tout temps avec l’homme. Mais celui qui a dit cela : Qu’ils commandent (Gn 1, 26), a signifié à ce moment-là la multitude et la plénitude de l’humanité, même s’il était seul. Et celui-là n’a pas connu d’abord celle qui a été façonnée à partir de lui avant qu’il ne sorte vers un lieu extérieur, puisque cela était superflu que de s’appliquer, dans le paradis, à la procréation des enfants, laquelle exista nécessairement pour celui qui était destiné à mourir, en vue de la génération et de la succession. Là donc où il reçoit un lieu approprié et une belle raison de mourir après la désobéissance, là aussi lui échoie le début de la procréation des enfants, de sorte qu’à partir de ces choses, il soit clair et connu que Dieu, dans sa prescience, d’avance prépare et administre toutes choses dans la mesure où il lui semble bon que toute la terre soit remplie (de) l’humanité et non que, seulement, le seul premier (homme) et celle qui provient de lui résident dans le paradis. 21  Car c’est Dieu qui, en lieu et place de bénédiction, a dit ceci avant la désobéissance de l’homme  : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, et commandez aux poissons qui sont dans la mer et aux oiseaux du ciel (Gn 1, 28). Comment donc auraient-ils eu besoin de ces choses, s’ils devaient demeurer toujours, continuellement, dans le paradis ? Et cette (parole) : Voici que je vous ai donné toute herbe dont la semence est semée sur la face de la terre et tout arbre qui a en lui des fruits de sa semence, qui est semé, qu’il soit pour vous nourriture (Gn 1, 29), comment n’indique-t-elle pas que, dès le début, nous avons été façonnés en vue de cette manière de vivre dans laquelle nous nous trouvons ? Et ce n’est pas la désobéissance qui a modifié l’être façonné, comme s’il y avait eu, dès le commencement, une autre économie, mais parce que la désobéissance était manifeste à la prescience de Dieu. Les choses qui convenaient à (celle-ci), il les a d’avance préparées et aménagées parce qu’il savait ce qui, d’une certaine manière, se produirait nécessairement à cause

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de celui qui a créé. Car c’est avant la désobéissance de celui-ci qu’il dit  : et qu’ils commandent (Gn 1, 26) à tous les êtres sans raison. Mais comment auraient-ils eu besoin de commander à tous les êtres sans raison, s’ils étaient restés tout le temps dans le paradis, sans en avoir du moins besoin. Car les êtres sans raison n’ont pas fait eux aussi l’expérience du paradis depuis le tout début ou bien ils n’étaient pas dignes de rester là pour toujours avec l’homme. Mais celui qui dit  : et qu’ils commandent (Gn 1, 26) signifie la plénitude de l’humanité, même s’il n’y avait qu’un seul homme. Celui-ci n’a pas connu celle qui a été façonnée à partir de lui avant de s’en aller vers la contrée extérieure, puisqu’il était superflu dans le paradis de consacrer son loisir à la procréation, elle qui est nécessaire en vue d’une succession pour celui qui est destiné à mourir. Donc, là où le fait de mourir reçoit une place fondée et facilement justifiable après la désobéissance, là aussi ce qui concerne la procréation prend son commencement. De sorte qu’il est clair, à partir de ces choses, que Dieu prépare à l’avance et administre tout de cette manière parce qu’il lui semble bon que la terre soit emplie de l’humanité, et non que le paradis seul soit habité par le seul premier (homme) et celle qui provient de lui. 21  Car Dieu est celui qui dit en lieu et place de bénédiction, avant que l’homme ne désobéisse : Croissez et multipliez-vous, emplissez la terre et dominez-la ; et qu’ils commandent aux poissons de la mer et aux oiseaux du ciel (Gn 1, 28). Mais comment auraient-ils eu besoin de ceux-là s’ils étaient destinés à habiter le paradis d’une manière continue ? Et cette (parole) : Voici que j’ai donné toute herbe propre à être ensemencée, semence portant semence, qui est au-dessus de la terre, et tout arbre qui a en lui-même un fruit de semence propre à être ensemencé, ce sera à vous pour nourriture (Gn 1, 29), comment ne montre-t-elle pas que, dès le début, nous avons été façonnés en vue de cette condition, dans laquelle nous nous trouvons ? Et ce qui concerne la désobéissance de l’être façonné n’a pas rendu autre l’économie dès l’origine, mais l’a rendue autre dès que la désobéissance s’est manifestée à la prescience de Dieu. Mais les choses qui lui sont appropriées sont établies d’avance, puisqu’il sait ce qui arrivera nécessairement en quelque façon à cause de la déso-

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de l’inexpérience de celui qui a transgressé le commandement, mais il a permis ce qui allait arriver afin qu’aussi la désobéissance prenne, par l’expérience, une origine non nuisible en vue d’un avertissement à l’encontre des choses nuisibles et que ceci soit en vue de la condition de l’homme, ce qu’aussi Dieu voulait depuis le commencement, pour qu’avec cela, il soit évident qu’il veut ainsi ce qui est au bénéfice de l’homme, lui à qui a été joint non seulement le labeur de la vertu mais aussi (celui) des métiers, afin qu’il s’approche de celle-là dans le triomphe et qu’il exerce ceux-ci par la sueur de manière à ne pas être poussé à un mal sans guérison par la perpétuité de la vie, ce qui se produit non moins parfois, même si ses labeurs ne cessent pas. 22  Dieu, donc, n’a pas été mené par la contrainte à cause de la dés­obéissance de l’homme, parce qu’il l’a revêtu de mort et parce qu’il l’a écarté du paradis, mais il semble que c’est à partir de sa propre économie que (ces choses) prennent (leurs) causes, ce que, certes, il a voulu ainsi. Mais si Dieu n’a pas été mené par la contrainte, l’homme non plus n’a été lésé ni n’a souffert de dommage lorsqu’il est venu à cette manière de vivre qui avait été d’avance préparée pour lui par Dieu qui l’a fait. Mais l’expérience de la manière de vivre d’une existence excellente était nécessaire et requise parce qu’à partir de là, a cheminé celui qui, par le labeur de la manière de vivre de la vertu et de la crainte de Dieu, négocie son retour là-bas avec un grand honneur. Ce qui, pour celui-là seul, se produisit par la mise à l’épreuve, cela se produit pour nous (et) pour nous tous, par la connaissance. 23  Celui-là, donc, qui formule un doute quant à savoir si Dieu connaissait la désobéissance d’Adam ou non, que la bouche lui soit fermée, car l’économie (divine) existe (bien) de la manière qui a été dite. En effet, à cause de cela, le grief de la désobéissance aussi est très minime, comme il apparaît. Car ce qui n’a pas entraîné non plus contre lui de dommage, cela non plus n’est pas estimé être (l’objet) d’un grand blâme, alors qu’il s’avère que la désobéissance d’Adam fut bien pire pour lui que le châtiment qui est venu sur lui. Mais si le châtiment est sans dommage, examinons pourquoi il a été décrété contre lui. Car c’est surtout à partir d’ici que nous admirerons le soin du récit du livre divin et l’économie. Car Dieu

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béissancea de ­celui qui transgressera, mais qu’il consent à ce que cela se produise, afin qu’à l’encontre de la désobéissance (l’homme) reçoive dès le début par l’expérience la protection préventive contre les choses nuisibles, et afin que ceci même soit en vue de la condition de l’homme, ce que Dieu a voulu depuis le début, en même temps qu’il fut devenu évident qu’il l’a voulu ainsi de façon utile à l’homme, lui à qui il a joint non seulement le labeur de la vertu, mais aussi celui des métiers, afin qu’il poursuive celle-ci de façon honorable, et qu’en accomplissant ceux-là avec sueur, il n’aille pas échouer par une inaction continue contre un mal incurable, ce qui se produit néanmoins parfois même si les labeurs eux-mêmes ne cessent pas. 22  (Dieu) n’a donc pas été contraint, à cause des choses que l’homme a faites en désobéissant, à le livrer à la mort et à l’exclure du paradis, mais il lui a semblé bon de prendre auprès de lui les amorces de l’économie divine  ; c’est certes ainsi qu’il l’a voulu. Mais si Dieu n’a pas été contraint, l’homme n’a pas non plus été lésé, lui qui en était venu à ce point de sa condition, qui avait aussi été préparée pour lui de la part de Dieu qui l’a créé, mais l’expérience du genre de vie plus beau était nécessaire pour celui qui, à partir de là, s’est élancé pour se procurer, à travers les labeurs de la vertu et de la piété, le chemin du retour vers là-bas avec un honneur plus grand encore. Et ce qui, pour un seul, fut la mise à l’épreuve, cela fut la connaissance pour tous. 23  Donc, celui qui soulève la question si Dieu connaissait ou non la désobéissance d’Adamb, qu’il se taise, car (Dieu) y a pourvu de la façon dite. À cause de cela aussi, on pourrait montrer que le grief même de la désobéissance est lui aussi tout à fait mesuré. Car ce qui n’a même pas apporté de dommage, ne saurait pas non plus être considéré comme un grief lourd. Cependant, le fait de la désobéissance a été pour ainsi dire complètement déprécié comme un mal pour Adam à partir de la punition qui y a été apportée. Mais si a  Le syriaque (III, 21, 14) a lu διὰ τὴν ἀπειρίαν au lieu de διὰ τὴν ἀπείθειαν (III, 21, 15). b  Cf. Pseudo-Augustin, Contra venena serpentum manichaeorum 1a, éd. Dolbeau 2000, p. 248 (= Stein 2002, p. 46, fragm. 14) : « Si Dieu savait que l’homme allait pécher, pourquoi plaçait-il une pierre d’achoppement dans le paradis ? »

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a déterminé un seul arbre parmi ceux qui étaient dans le paradis afin que l’homme qui était venu à l’existence s’en garde et ne s’en approche pas, et non afin qu’il ne s’en approche pas en tant que mauvais, mais afin qu’il exerce la liberté de sa nature. En effet, il n’y avait rien de nuisible dans le paradis mais le commandement de ne pas s’approcher d’un seul de ces (arbres) qui étaient là était en vue de l’exercice de la liberté de celui qui avait été façonné. Il l’appelle donc l’arbre pour connaître le bien et le mal (Gn 2, 17), non parce qu’il était instruit des deux mais, par le commandement de ne pas s’(en) approcher, cela était établi seulement en vue de la démonstration du fait que l’homme connaissait le bien ainsi que le mal. Car toutes les autres choses étaient placées devant lui sans (être objet de) crainte et n’étaient pas non plus interdites à Adam jusqu’à la sentence, et elles n’attestaient pas le fait qu’il connaissait le bien ainsi que le mal, mais lui seul fut appelé l’arbre pour connaître le bien et le mal, sur lequel le commandement avait été imposé à la manière d’une loi. C’est en effet par là, par le biais de la loi qu’il avait reçue qu’il est apparu clairement qu’il connaissait le bien et le mal. Tout commandement est en effet donné à celui qui connaît les deux et la connaissance est donc antérieure au commandement comme l’œil à la vision des choses qui sont visibles. Il n’y avait donc dans le commandement que le seul exercice de l’obéissance et non le danger du péché. Car quel espace pour le péché Adam avait-il, lui qui n’avait pas prétexte de vol et à la disposition de qui ne se trouvait aucun prétexte d’adultère ou de meurtre ou de témoignage mensonger ou de calomnie ? Voilà pourquoi Dieu ne lui interdit aucune chose comme celles-là ni ne lui formule (à leur endroit) de commandement, non seulement parce qu’en ces lieu et temps, il n’avait aucune appétence vers des choses comme celles-là mais aussi parce qu’il n’avait pas besoin d’obéir. Car avait été d’avance posée dans sa nature la connaissance du fait que, même s’il en avait l’occasion, il ne fallait pas qu’il fasse des choses comme celles-là, puisque l’arbre même à propos duquel le commandement avait été imposé témoignait de ce qu’il connaissait le bien ainsi que le mal, du fait qu’il avait été ainsi appelé. 24  Or, il s’exerçait seulement par le moyen de la nourriture car il avait seulement besoin de celle-ci, et dès lors, pour tout homme, sa mise à l’épreuve et son exercice sont toujours seulement ce dont il a

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la punition n’entraîne aucun dommage, il faudrait examiner en vue de quoi elle a été fixée. Car c’est de là surtout que nous admirerons l’exactitude et l’économie du récit divin. Dieu a déterminé un seul arbre parmi les arbres du paradis en vue de la garde et de l’abstention pour l’homme qui était venu à l’existence, non pas afin qu’il s’en abstienne en tant que mauvais, mais afin qu’il mette en acte le caractère libre de sa nature. Car il n’y avait certes rien de nuisible dans le paradis, mais le décret de l’abstention d’une seule des choses qui existaient (était) en vue de l’exercice de la liberté de celui qui a été façonné. Il le nomme donc l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2, 17), non pas parce que celui-ci était ce qui connaît les deux, mais parce que cela avait été établi seulement en raison de l’ordre de l’abstention, comme preuve du fait que l’homme connaît le bien et le mal. Car tout le reste qui se trouvait là en accès libre et non pas interdit à Adam jusqu’à la sentence n’attestait pas que lui-même connaissait le bien et le mal, mais celui-là seulement était nommé l’arbre de la connaissance du bien et du mal, sur lequel ce qui concerne le commandement avait été décrété. Car après l’avoir reçu en son pouvoir par le commandement, il devint évident qu’il connaissait le bien et le mal. Car tout ordre serait pour ainsi dire donné à quelqu’un qui connaît les deux, de sorte que la connaissance a précédé le commandement de même que l’œil existe pour la vision de ce qui est vu. Le commandement visait donc seulement l’exercice de l’obéissance, et non le danger du péché. Car quel espace pour le péché Adam avait-il aussi, le vol n’étant pas à sa disposition, et n’ayant pas d’occasion pour l’adultère, le meurtre, le faux témoignage et le dénigrement ? C’est pourquoi donc Dieu ne lui interdit aucune de ces choses, non seulement parce qu’il n’a pas en ce lieu et temps une inclination à de telles choses, mais encore parce qu’il n’a pas besoin d’obéir. En effet, c’est par nature que la connaissance du fait de ne pas devoir le faire lui avait été imposée, même s’il avait l’occasion de faire de telles choses, puisque même l’arbre, sur lequel portait le commandement, témoignait qu’il connaissait le bon et le mauvais, du fait qu’il était ainsi nommé. 24  Mais il s’exerce seulement par le moyen de la nourriture, car il avait besoin seulement de celle-ci, de sorte que, pour tout homme, à tout point de vue, seul le besoin est une mise à l’épreuve

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besoin. Il s’exerce donc par le moyen de la nourriture, bien que celleci n’ait toutefois pas été corruptrice par sa nature ni n’ait entraîné la mort, car il n’y avait pas quelque chose comme cela dans le paradis, mais c’est parce qu’il fallait qu’il obéisse à celui qui l’avait façonné en quelqu’une des choses placées devant lui, qu’il lui ordonne soit de s’en approcher et d’en prendre, soit de ne pas s’en approcher. Car, à l’instant même où il en a goûté, il n’est pas tombé ni n’a été anéanti mais il a seulement su en son for intérieur qu’il n’avait pas obéi au commandement ni non plus il n’était aveugle et a recouvré la vue. En effet, la femme vit l’arbre, qu’il était beau pour les yeux et désirable à manger (Gn 3, 6). Donc, si, avant d’en goûter, il l’a vu, il n’était pas aveugle, et si son fruit était beau pour la vue et désirable, l’arbre n’était aucunement mauvais et c’est seulement leur désobéissance qui fut blâmée. Ainsi, nous pouvons voir que les mêmes actions sont soit accomplies soit interdites, selon la différence du but de la promesse provenant de la volonté de chacun. En effet, une chose dont il est permis qu’elle soit faite, si quelqu’un promet, à cause de l’amour de la tempérance, de ne pas la faire, il s’interdit désormais le pouvoir de la faire, et ce n’est donc pas l’action qui est examinée, à savoir comment elle est par ellemême et en elle-même, mais la volonté de celui qui a promis, parce qu’il a introduit dans l’action une autre qualité par le but de sa promesse. . Le fait, donc, de goûter de l’arbre avait en lui une qualité d’action interdite et blâmable, et le commandement qui interdit ce qui est permis prépare et aménage le combat pour celui qui le reçoit. Or, les deux ont vu leur nudité, ils se sont vus et ils ont eu honte après leur désobéissance. En effet, qu’y a-t-il d’étonnant si celui qui n’a pas fait l’expérience des maux considère la nudité de manière indifférente mais que l’expérience de la désobéissance expulse de lui la pureté qui n’a pas fait l’expérience des maux et introduit en lui la honte ? Ce n’est donc pas lorsqu’ils ont mangé qu’ils ont vu, eux qui avant de manger voyaient, mais ils ont déposé loin d’eux l’inexpérience des maux et l’indifférence lorsqu’ils ont transgressé le commandement. 25  Or ce (passage)  : Les yeux des deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7) (s’explique) parce que tout

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et un exercice. Et il s’exerce par le moyen de la nourriture, non pas parce que celle-ci est funeste par nature ni qu’elle apporte la mort, car une telle chose n’existait pas non plus dans le paradis, mais étant donné qu’il lui fallait obéir au créateur relativement à quelqu’une des choses mises à sa disposition, qu’il lui donne l’ordre d’en prendre ou de s’en abstenir. Aussitôt après y avoir goûté, il ne fut pas non plus anéanti pour être tombé, mais il prit conscience d’avoir désobéi de son seul fait, et il n’a pas retrouvé la vue comme s’il avait été aveugle. En effet, dit (l’Écriture), la femme vit que l’arbre était beau en vue de la nourriture et qu’il était agréable à voir pour les yeux (Gn 3, 6). C’est pourquoi aussi, s’il l’a vu avant de le goûter, il n’était pas aveugle, et si le fruit était beau et agréable à voir, il ne faut absolument pas blâmer l’arbre, mais reconnaître seulement leur désobéissance. Ainsi, on verrait que les mêmes actions sont prescrites et interdites à cause de la différence de la visée, en rapport avec la promesse de l’intention de chacun. En effet, ce qu’il est permis de faire, si quelqu’un, s’appropriant la fermeté, promet de ne pas le faire, il se ferme désormais la possibilité de le faire. Et l’action n’est plus dès lors examinée en elle-même, quant à sa nature exacte, mais c’est l’intention de celui qui a promis, en introduisant une autre qualité dans l’action, par le propre but de sa promesse. Il en est donc ainsi aussi au sujet d’Adama : ce n’est pas le fait de goûter à l’arbre qui avait une qualité d’action blâmable, mais le commandement qui fournit l’occasion du combat parce qu’il empêche que cela soit permis à celui qui le reçoit. Mais si le couple a vu sa nudité et qu’il a eu honte après la désobéissance, qu’y a-t-il d’étonnant si l’inexpérience du mal rendait la nudité indifférente mais que l’expérience de la désobéissance, en chassant l’innocence, introduisit la honte ? Ils n’ont donc pas retrouvé la vue après y avoir touché, eux qui voyaient aussi avant d’y avoir touché, mais ils ont déposé l’inexpérience du mal et l’indifférence parce qu’ils avaient transgressé le commandement. 25  Et le passage : Les yeux des deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7) (s’explique) puisque tout œil est dans la Le syriaque présente ici (III, 24, 23) une lacune par rapport au grec correspondant à : οὕτω δὴ καὶ ἐπὶ τοῦ Ἀδὰμ οὐχ (III, 24, 21). a 

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œil qui existe a la capacité naturelle d’être mu par la pensée vers ce qu’il voit. Car il n’a pas en lui-même la connaissance et le jugement de sorte que moult fois, lorsque notre pensée est retenue par d’autres choses, comme des aveugles, nous passons parfois à côté de celui dont nous sommes même très familiers et lorsque nous sommes pris en faute, nous nous en remettons pour notre défense au prétexte de la préoccupation de la pensée. Ainsi aussi le couple fut mis en mouvement vers la vue par la perception de la connaissance. Car cela : Ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7) est dit à cause du jugement de la connaissance et non de la perception par la vue. Car, sans voir, ils pouvaient connaître leur nudité. En effet, là où il n’y avait pas de couverture, ils n’avaient pas besoin de la vue pour connaître qu’ils n’étaient pas couverts. Car cela : Ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7), signifie aussi une révélation qui se produisit dans la pensée et non la vision par les yeux. 26  Mais quelqu’un pourra dire cela aussi, qu’avant leur dés­ obéissance, parce qu’il n’y avait pas pour eux d’occasion pour la génération des enfants, la vigilance par rapport à la nudité n’avait pas été donnée à leur couple par Dieu, mais qu’ils se comportaient comme s’ils étaient incorporels car les dispositions corporelles n’avaient pas eu jusque-là d’occasions (de s’exercer). Parce que la désobéissance se produisit de quelque manière, vraisemblablement par inexpérience, qu’elle entraîna la mortalité et qu’à cause de la mortalité, s’introduisirent, comme il convient, la succession (des générations) et la procréation, la pudeur de l’un à l’endroit de l’autre leur fut donc donnée par Dieu, lorsqu’à la fin ils connurent la différence de leurs formes, qui avait été prévue par celui qui les avait façonnés, en vue de la procréation et de la succession (des générations), qui sont convenables et nécessaires. 27  Donc, lorsque (Dieu) eut conduit à lui la femme, Adam dit : Ceci est l’os de mes os et la chair de ma chair  ; celle-ci sera appelée femme parce qu’elle est prise de l’homme (Gn 2, 23). Il est évident qu’il nomma ce qu’il avait vu parce qu’il voyait et n’était pas du tout aveugle. Et lorsqu’il eut prophétisé (ces) quelques (mots), le récit dit : Les deux étaient nus, Adam et sa femme, et ils n’avaient pas honte (Gn 2, 25). Car s’ils ne se voyaient pas l’un l’autre, comment cela (se faisait-il) qu’ils n’avaient pas honte ? Comment, en effet, ce-

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condition naturelle d’être éveillé par le raisonnement vers ce qu’il regarde. Car lui-même n’a pas d’intelligence en lui-même, de sorte que, la pensée s’occupant souvent d’autres choses, à la façon d’un aveugle, nous passons parfois à côté de quelqu’un qui (nous) est même tout à fait familier et quand nous sommes interpelés, nous nous défendons en attribuant la cause à l’occupation du raisonnement. De la même façon aussi, le couple a été éveillé à la vue par la perception de l’intellect. Car cela : et ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7) a été dit en regard du don du raisonnement, non de la vue. Car ils pouvaient connaître leur nudité même s’ils ne la voyaient pas. En effet, là où il n’y avait pas de couverture, il n’y avait pas besoin de la vue pour connaître ce qui n’était pas couvert. Aussi cela : ils connurent qu’ils étaient nus (Gn 3, 7) signifie la révélation survenue au raisonnement, non pas le recouvrement de la vue survenu pour les yeux. 26  Mais quelqu’un pourrait dire aussi ceci, à savoir que, avant la désobéissance, puisque les choses de la procréation n’avaient pas de place, l’attention prêtée à la nudité n’avait pas été accordée au couple par Dieu, mais qu’ils passaient leur vie comme s’ils étaient non charnels, à n’avoir pas encore d’occasion de disposition charnelle. Mais puisque la désobéissance, étant survenue d’une certaine manière, vraisemblablement du fait de l’inexpérience, entraînait la mortalité, et qu’à cause de la mortalité, elle conduisait vraisemblablement aussi à la succession des générations, la pudeur réciproque leur a dès lors été accordée par Dieu. Ils comprirent plus tard la différence de leurs formes, qui avait été préméditée par celui qui les a façonnés, en vue de la nécessité de la succession. 27  Alors, une fois que la femme eut été conduite vers lui, Adam dit : Maintenant ceci est l’os de mes os et la chair de ma chair ; celleci sera appelée femme, parce qu’elle a été tirée de son homme (Gn 2, 23). Il est évident qu’il a nommé ce qu’il voyait, parce qu’il voyait et n’était absolument pas aveugle. Et après qu’il eut prophétisé ces quelques mots, le récit ajoute : Et les deux étaient nus, Adam et sa femme, et ils n’avaient pas honte (Gn 2, 25). Car comment celui qui ne voit pas pourrait-il avoir honte de ce qu’il ne regarde pas ? Ils

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lui qui ne voit pas aurait-il honte de ce qu’il ne voit pas ? Ils voyaient donc mais il n’y avait pas d’occasion de pudeur. Donc, lorsqu’Adam eut été repris pour sa désobéissance et qu’il se défendit parce qu’il s’était caché – car il avait eu peur parce qu’il était nu (Gn 3, 10) –, Dieu lui dit : Qui t’a révélé que tu es nu ? – et il n’a pas dit : « Qui a fait que tu voies ? » – Voici que du seul arbre dont je t’avais commandé de ne pas manger, de lui tu as mangé (Gn 3, 11), afin qu’à partir de cela, il soit évident que personne n’a parlé avec lui ou ne lui a indiqué que la nudité était une honte mais que ce sont eux qui, d’eux-mêmes et par eux-mêmes, ont connu la pudeur, comme en son temps, parce que, désormais, ils se voyaient l’un l’autre selon des dispositions corporelles, d’où ils sont transférés vers la terre à partir de laquelle ils avaient été façonnés au commencement. Et ce n’est pas par jalousie que Dieu leur a refusé l’usage de l’arbre de la vie, selon le doute (soulevé par) les disciples de Mani le fou, mais parce qu’il n’était pas expédient pour eux qu’ils vivent immortellement dans une grande disposition péchés, à cause de la liberté de leur nature. Aussi, de peur que leurs péchés ne deviennent immortels comme eux, Dieu leur a refusé, à leur avantage, l’usage de ce qui aurait produit en eux l’immortalité, parce qu’il parut beau que l’homme soit mortel. 28  Cette (parole) qui fut dite par Dieu : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous pour connaître le bien et le mal (Gn 3, 22) signifie le façonnage de sa nature qui (se produisit) au commencement, et non (le fait) qu’il aurait crû par sa désobéissance jusqu’à la connaissance du bien et du mal. Car le récit a dit d’abord : Dieu fit l’homme et à l’image de Dieu il le fit (Gn 1, 27). Or, celui qui a été façonné à l’image de Dieu, il est évident que la connaissance avait été préalablement déposée dans sa nature et que c’est comme à quelqu’un qui connaissait que Dieu a commandé les choses qui convenaient à son exercice. De là aussi le fait que la femme répond au serpent avec connaissance, lui que louent ceux qui sont de Mani le fou, et elle témoigne de la connaissance du commandement, mais elle a cédé à la tromperie. Car elle fut distraite et abusée par un discours trompeur, en tant qu’elle participait à la raison et à la connaissance. Or, comment serait loué avec vraisemblance celui qui conseille à la femme de ne pas obéir au commandement en

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voyaient donc, mais il n’y avait pas d’occasion de pudeur. Quand donc Adam fut convaincu d’avoir désobéi et qu’il essayait de se défendre en se cachant, car il avait peur, parce qu’il était nu (Gn 3, 10), Dieu lui dit : Qui t’a annoncé que tu étais nu – et il ne dit pas : « Qui a fait en sorte que tu recouvres la vue » –, si tu n’as pas mangé de ce seul arbre dont je t’ai ordonné de ne pas manger ? (Gn 3, 11). Dès lors, étant donné que personne n’a conversé avec eux ni ne leur a indiqué que l’état de nudité leur était inconvenant, il est clair que la pudeur arriva spontanément comme en temps opportun, à eux qui se regardaient désormais l’un l’autre selon une disposition plus corporelle, d’où aussi ils sont déplacés vers la terre, à partir de laquelle aussi ils avaient été façonnés au début, non parce que Dieu leur ferme par jalousie l’usage de l’arbre de la vie, selon la question soulevée par les adeptes de Mania, mais parce qu’il était inutile que vive pour l’immortalité celui qui a une grande propension au péché à cause du caractère libre de sa nature. Afin que ce qui provenait du péché ne soit pas rendu immortel en même temps que lui, Dieu écarte utilement l’usage de ce qui produit l’immortalité, ayant à bon escient jugé bon que l’homme soit mortel. 28  La parole  : Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous pour connaître le bien et le mal (Gn 3, 22), dite par Dieu, signifie le façonnage de la nature dès le début, et non que lui-même a progressé par la désobéissance jusqu’à la connaissance de la vertu et du mal. Car le récit a dit préalablement : Et Dieu fit l’homme, selon l’image de Dieu il le fit (Gn 1, 27). Celui qui a été façonné selon l’image de Dieu, il est évident qu’il avait la connaissance déposée dans sa nature et que c’est à lui, en tant qu’il sait, que Dieu ordonne les choses qui conviennent à l’exercice. C’est de là que la femme aussi répond au serpent en connaissance de cause, ce que célèbrent les adeptes de Manib, dans la mesure où elle atteste la connaissance du commandement, mais elle cède à la ruse. Car elle est abusée par un discours trompeur, dans la mesure où elle a part à la raison et à la connaissance. Comment louerait-on à bon droit celui qui a conseila  b 

Le syriaque (III, 27, 22) surtraduit. Même chose en III, 28, 11.

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mentant et en disant : Vous ne mourrez pas de mort (Gn 3, 4) ? Car au sujet de ceux qui sont précisément et toujours destinés à mourir, celui qui dit : Vous ne mourrez certainement pas (Gn 3, 4) est un menteur, comme Mani le fou, mais que nous (en) disions davantage au sujet de ces choses qui sont évidentes, peut-être est-ce superflu. 29  Mais si quelqu’un disait au sujet de cet arbre dont il a été dit qu’Adam en a mangé et qu’il a été blâmé, qu’il était tel qu’il produisît tout à fait en eux la connaissance du bien et du mal, peut-être ne dirait-il pas quelque chose d’inconvenant puisque l’homme est venu à l’existence libre, raisonnable et connaissant la force du commandement de celui qui l’a façonné mais qu’à la vérité il n’a pas reçu dès le début toute la connaissance de la vertu et du mal mais que, d’une manière pure, par les dispositions de l’âme, il a tout d’abord reçu de Dieu au paradis une existence calme, sans souci, qui était moins parfaite, et par la manducation il est venu à la connaissance parfaite. Car qu’y a-t-il d’inconvenant s’il y a un arbre comme celui-là dans le paradis, qui produit la connaissance du bien et du mal ? Et quoi encore s’il a permis que la désobéissance, dont il était connu d’avance par Dieu qu’elle serait ainsi et qu’elle adviendrait à l’homme, se produise afin que le labeur de la connaissance soit plus grand, en vue d’un bénéfice, pour le de quelque chose de meilleur ? En effet, celui qui a donné préséance à la connaissance, dit l’Écriture par après, accroîtra la souffrance (Qo 1, 18b), et ce fut utilement un accroissement en vue de la connaissance et de la distinction des choses qui peuvent être accomplies et de celles qui sont contraires. Donc celui qui a conseillé de ne pas obéir au commandement n’est pas peu méchant, non seulement parce qu’il ment, ce qui est toujours étranger à une volonté honnête, mais aussi à cause d’un conseil trompeur. Car il a ainsi conçu son conseil comme s’il l’avait pensé nuisible, mais l’économie de Dieu lui a échappé et il ne l’a pas connue, selon ce qui est dit de la grande économie de Dieu qui (viendrait) plus tard  : S’ils (l’)avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire (1 Co 2, 8). En effet, de nombreuses fois, Dieu se sert de l’audace du Mauvais pour la réalisation de sa volonté, comme nous le dirons à la fin et produirons aussi les faits (montrant) de quelle manière le Mauvais est également ainsi, et, selon ce qui est possible, par notre discours, nous (l’)établirons

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lé à la femme de désobéir en mentant et en disant : Vous ne mourrez pas de mort (Gn 3, 4) ? Car au sujet de ceux qui sont inévitablement destinés à mourir,  : Vous ne mourrez pas de mort (Gn 3, 4) serait un menteur, semblablement à Mania. Car il est superflu d’insister plus longtemps au sujet de choses qui sont dès lors évidentes. 29  Mais si quelqu’un disait que l’arbre susmentionné, auquel on reproche à Adam d’avoir goûté, était tel qu’il produisait vraiment la connaissance du bien et du mal, il ne dirait peut-être rien d’absurde, dans le sens que l’homme, qui est venu à l’existence libre, doué de raison et connaissant la force du commandement de celui qui l’a façonné, n’avait certes pas reçu dès le début la complète connaissance du bien et du mal, mais que, ayant d’abord reçu de Dieu, par la disposition pure de l’âme, une existence parfaite plus paisibleb au paradis, il avait été guidé vers une connaissance parfaite par le fait d’y avoir goûté. Qu’y aurait-il, en effet, d’absurde s’il y avait dans le paradis un arbre tel qu’il était capable de produire la connaissance du bien et du mal  ? Et quoi d’absurde encore, si la désobéissance même, dont Dieu savait d’avance qu’étant telle, elle surviendrait à l’homme, Dieu la lui avait concédée de sorte que le labeur de la connaissance soit, pour son avantage, plus grand en vue du choix du  meilleur ? En effet, l’Écriture dit par la suite : Celui qui accroît la connaissance accroîtra la douleur (Qo 1, 18b), une croissance logique en vue de la connaissance des contraires qui peuvent être faits. Car celui qui a conseillé de désobéir n’en serait pas moins méchant, non seulement pour avoir menti, ce qui est tout à fait étranger à un comportement civilisé, mais aussi pour avoir dispensé par un avis insidieux un conseil qui était, comme il le pensait, nuisible. Car ils ignoraient ce qui a été dit par Dieu selon l’économie au sujet de la plus grande économie de Dieu, à venir plus tard : Car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire (1 Co 2, 8). Car souvent Dieu a utilisé l’entreprise du mauvais en vue de la réalisation de sa propre volonté, comme plus tard nous le Le syriaque surtraduit en III, 28, 19. Le syriaque ‫( ܕܐܠ ܨܒܘ‬III, 29, 7-8), littéralement « sans chose », d’où « sans souci », qui traduit ici ἀπραγμονέστερον (III, 29, 7), est un bel exemple de traduction servile. a 

b 

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de façon persuasive  ; car, à partir de cela, il est convenable qu’à cause du premier homme, celui-là reçoive la malédiction de la part de Dieu, à cause du but de son conseil qui était trompeur, à ce qu’il pense. Il voulait en effet tromper, c’est pourquoi il s’est entretenu avec la femme comme (avec un être) maniable et inerte. Mais si Dieu s’est approché aussi du couple comme avec colère, ce fut nécessairement comme en vue de la démonstration de la sévérité. Car la désobéissance n’est pas moins un simple (acte) même si elle comporte quelque manœuvre de l’économie divine, mais ce n’est rien de plus que ce qui fut visible, selon la nature, dans la femme comme dans l’homme. Ainsi donc, de cette façon, celui qui n’aime pas du tout la querelle mais qui aime plutôt Dieu, saisira et comprendra les choses qui concernent le premier homme et celles qui sont dites là.

Le meurtre d’Abel 292

30  Quant à Mani et à ceux qui proviennent de lui, ils ont posé sur eux-mêmes les ténèbres de l’erreur et, bien plus encore, ils ont fait que celles-ci s’accroissent à leurs dépens, car, par le biais de choses qui ne sont pas évidentes et qui nécessitent une ample interprétation et une connaissance provenant de Dieu, ils ont cru pouvoir affermir la vraisemblance de leurs blasphèmes. C’est donc avec une pensée erronée qu’ils lisent les Écritures et blâment Dieu également à propos du meurtre d’Abel alors qu’en fait il l’a réprimandé, a dévoilé l’acte et l’a puni de multiples façons, car Caïn, lui qui, à cause de sa jalousie, a soumis son âme à des maux, n’a en rien nui à son frèrea. En effet, si celui qui a tué par ruse avait été acquitté sur cela, qu’ils disent pareillement ce qu’ils veulent, mais s’il l’a réprimandé et a déployé contre lui un séisme et un feu violents et continuels qui l’enferment dans une grande et suprême malédiction, comment n’est-il pas bon, celui qui a haï et rejeté ce qui a été accompli méchamment ? Et « pourquoi Caïn tue-til ? », comme il a dit, « d’où cela lui est-il venu ? » Si bien que, si l’Écriture n’avait pas parlé dans l’amour de la vérité mais que c’est a 

Gn 4, 1-24.

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dirons et produirons les faits, en ajoutant à notre discours, autant que nous le pouvons, de quelle façon aussi le mauvais est tel ; par conséquent, c’est à bon droit que celui-ci supporte aussi, à propos du premier homme, la malédiction de la part de Dieu à cause du but propre, comme il le pensait, du conseil qui était insidieux. Il s’est donc proposé de tromper ; c’est pourquoi aussi il s’est entretenu avec la femme en tant qu’elle est plus facile à manipuler. Mais si Dieu s’est tourné aussi vers le couple avec une plus grande indignation, c’est dans la mesure où il est contraint de manifester sa sévérité – car le fait de la désobéissance n’est pas moins un simple (acte), même s’il contient quelque manœuvre de l’économie divine – et pour l’homme et la femme, il n’a rien décidé de plus que ce qui est selon la nature. C’est donc ainsi, d’une telle façon, que celui qui n’aime absolument pas la querelle, mais qui aime plutôt Dieu, pourrait discuter à partir du premier homme et du sens qui s’y trouve.

Le meurtre d’Abel 30  À la vérité, Mani et ses adeptes, après s’être entourés euxmêmes de ténèbres trompeuses, ont rendu celles-ci encore plus grandes contre eux-mêmes à cause de points obscurs et nécessitant une combien grande intelligence et interprétation provenant de Dieu, croyant pouvoir affermir les propres conjectures de leur blasphèmea. ***

a  En III, 30, 5, où s’interrompt le texte du Contre les manichéens dans le Vatopedinus 236 (f. 95v, 20-26), après τῆς βλασφημίας βεβαιοῦν et sans marque de rupture, le manuscrit porte (de la même main) le texte suivant : « mais les insensés se sont trompés, après avoir erré loin de la vérité et s’être approchés des ténèbres, dont ils deviendront les héritiers, ayant cueilli les dignes fruits de ce qu’ils ont osé. Mais qu’à nous Dieu accorde d’être gardés loin de la tempête et sans être touchés par leur abomination et leur très maligne hérésie, ainsi que par (celle) de tous les autres qui se sont insurgés contre la gloire de Dieu, trompés eux aussi par le fourbe dessein du serpent, comme Ève autrefois » (texte grec dans notre édition, p. xxiv-xxv). Il s’agit très vraisemblablement de la note d’un copiste, soucieux de mener à terme un traité qui finissait d’une manière abrupte ou dont il ne pouvait plus lire la suite sur son modèle. Les thèmes et les termes de cet ajout sont appelés par les premières lignes du chapitre 30 par lesquelles se termine le Contre les manichéens dans le Vatopedinus (III, 30, 1-5).

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un autre qui avait porté accusation, quiconque aurait réprimandé serait manifestement libéré de toute accusation, parce qu’il aurait haï l’actea. 31  Qu’il soit dit, cependant, qu’à cause de la réalité évidente de la jalousie et de l’envie qui se trouvèrent, pour Caïn, dans sa volonté, du fait de la présentation de son offrande qui fut rejetée, il n’est pas du tout empêché par Dieu, contre son gré, de (commettre) le meurtre perfide de son frère, alors qu’il pouvait l’en empêcher, mais (c’était) pour que, par le couple des premiers frères, cette disposition soit donnée, à savoir qu’il est convenable que les justes supportent humblement les vexations et les tourments qui leur viennent du fait des impies. Caïn a donc introduit dans son âme la pensée du meurtre par le biais de sa jalousie mais Dieu a donné la disposition de la permission pour que la possession de la justice et de la probité se réalise par l’épreuve, pour que les justes ne veuillent pas du tout s’en détourner même si les méchants amènent sur eux la mort par le fer. Mais quel dommage a donc subi Abel le juste parce qu’il a été tué, lui pour qui le retour vers le lieu d’où son père avait chu s’est rapidement réalisé ? Car s’il a souffert un dommage parce qu’il est sorti du paradis, celui-là a été grandement avantagé parce qu’il a reçu le paradis. Mais il fallait aussi, de quelque autre manière, que le juste s’approchât d’abord de la mort, qui est une grande grâce pour les hommes de la part de Dieu. Mais, avant de souffrir, Adam aussi vit nécessairement qu’en recevant par un autre un avant-goût du châtiment de Dieu, il apprendrait également par l’expérience le châtiment et se garderait du péché dans l’espérance et l’attente de la fin. En effet, il aurait également été possible qu’Abel mourût autrement, même s’il n’avait pas été tué par un meurtre perfide, mais la mort qui (se produit) dans l’endurance des tourments et des vexations est préférable pour le juste en vue de la disposition et de la règle d’une justice (plus) grande, et en vue de la manifestation et de l’exemple pour ceux qui veulent endurer cela à cause de la crainte de Dieu et à cause de la justice.

a 

Accompli par Caïn.

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Le déluge 32  Mais si ceux contre qui notre discours est dirigé accusent aussi le délugea d’être mauvais, dans la mesure où «  il est effrayant », ils font le contraire de la fiction de Mani. Si la Matière qu’ils imaginent a précipitamment détruit l’humanité par la venue des eaux, cette affaire, selon leur fiction, accomplit en effet un bienfait pour eux, car ils disent que (le déluge) a été accompli par les archontes du Mauvais, comme ils les imaginent, et ils ne reconnaissent pas que, par le fait même, ils glorifient ceux-ci par la haine des maux et introduisent (l’idée) et disent que le Mal est haïsseur des maux. Lorsqu’en effet les hommes perpétraient une grande débauche et que le plaisir de la transgression de la loi et de l’iniquité avait cours en ce temps-là, à cause de quoi Dieu a dit  : Mon esprit ne demeurera pas sur ces hommes parce qu’ils sont chair (Gn 6, 3), comment celui qui lave le mal de la débauche par les eaux sera-t-il supposé être mauvais ? Si, en effet, celui-ci apparaît avoir haï le plaisir et le désir qui sont hors la loi, comment est-il possible de penser qu’il est mauvais ? Mais il dit que «  cette action est effrayante  » alors qu’il est manifeste que ce qui est arrivé est au contraire miséricorde. Cela aurait été en effet une grande sauvagerie qu’il n’effraie ni ne restreigne aucunement ceux qui corrompaient leur nature dans une débauche effrénée et un désir immodéré, et ainsi, les disciples de Mani et qui que ce soit critiqueraient bien davantage à bon droit, parce que Dieu serait la cause de la corruption de ceux qui sont dans la débauche parce qu’il ne veut pas châtier. Car si tous ceux qui sont destinés à mourir, chacun selon leur nature, il les efface précipitamment avec toute leur race, ainsi que leurs péchés, en vue de la démonstration de la crainte, comment ne serait-il pas (considéré) comme un juge sage en tout son agir, puisque ce n’est pas précipitamment qu’il a amené la punition par le moyen des eaux, mais qu’il a décrété d’abord un délai fixé à cent vingt ansb, pendant lesquels Gn 6-8. Sur les 120 ans de la prédication de Noé, tradition bien attestée dans le judaïsme et le christianisme ancien, voir Ginzberg 1997, p. 113 et 287, n. 19. a 

b 

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l’arche fut construite, pour (produire) la capacité de la conversion de ceux qui voyaient et entendaient ? Il a justifié auparavant sa sentence et ensuite, parce que l’habitude des péchés l’avait emporté sur la crainte de la menace, c’est alors que vint aussi la réalisation de celle-ci et il en avait aussi fixé d’avance le délai. Mais un homme chaste et juste fut laissé comme levain de vie pour notre race, avec ses fils bien-aimés, ce qui ne fut pas moins la démonstration du témoignage qu’était bon et juste celui qui avait châtié ceux qui périssaient à cause de leurs désirs immodérés, car s’il restreignit et supprima ceux qui étaient débauchés, il aima et préserva le juste qui était resté chaste. C’est en effet ainsi que sont la démonstration et l’exemple d’un juge juste et bon, et aucunement, selon la fiction de ce fou, des archontes de la Matière, elle qui n’existe pas. 33  Car ce que Dieu a dit : Mon esprit ne demeurera pas sur ces hommes qui sont chair (Gn 6, 3), comme quelqu’un qui condamne la chair, elle que ceux-là aussi blâment sans intelligence, il leur faudrait, selon leur folle hypothèse, se saisir de cette parole comme si elle avait été dite par le Bon, mais ceux-là ne savent que faire, car, alors que les deux choses sont siennes, ils louent peut-être la parole et méprisent l’action. Mais s’ils reçoivent la parole de celui qui a dit qu’ils sont chair, ce n’est cependant pas d’une manière excellente qu’ils pensent à son sujet qu’il a parlé correctement, car ce n’est pas la chair qu’il a condamnée, qui, d’elle-même et par elle-même, ne peut rien accomplir, mais le fait qu’en toutes choses (les hommes) avaient obscurci leur intelligence et qu’(en) toutes choses, ils satisfaisaient et réjouissaient leur chair par les désirs, et qu’ils ne l’ont pas du tout administrée à son avantage, mais lui ont laissé libre cours pour qu’elle s’abatte et tombe comme du haut d’un rocher, et ont échangé leurs réflexions pour les passions du corps. Mais si nous considérons encore les passions du désir qui retiennent les hommes captifs, ne pensons donc pas que le châtiment est venu sur eux en vain, si tant est qu’il nous faille l’appeler châtiment et non grande providence de Dieu. Il a su en effet que l’excellence et la modération se seraient tout à fait éteintes chez les hommes si cette démonstration n’avait pas été utilement et nécessairement placée devant eux. Mais encore, par

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un homme juste, notre race a été renouvelée et cela est évident que, par celui-là, un très grand avantage a été procuré par Dieu aux hommes qui (viendraient) après lui et surtout à ceux de ce temps-là, chez qui la passion était encore nouvelle et jeune. Mais si (cela) n’était pas arrivé, Dieu n’aurait pas fait non plus ce qu’il lui fallait (faire).

Sodome 34  Ce mien discours (vaut) aussi au sujet des Sodomitesa de peur que, si nous parlions au sujet de quelque chose de semblable en ces (mêmes) termes, nous ne fatiguions et dégoûtions celui qui lit. En tout lieu, en effet, quand l’intelligence s’incline et tombe très loin des réflexions de sa nature, et est renversée dans sa volonté par des mœurs mauvaises, sous l’emprise des passions, au point que sa nature soit corrompue, Dieu, lui qui a souci des hommes, empêche et rend inefficaces les choses qui sont accomplies de manière inconvenante et, par avance, aide ceux qui ont auparavant été retenus par des mœurs vicieuses (et) inconvenantes, parce que, dans (sa) bonté, il procure une fin soudaine et rapide à leur mauvaise manière de vivre. Et ainsi aussi, il reprend et châtie ceux qui (viendront) après par cette démonstration et les quelques-uns qui le veulent, il les instruit et les éduque à sa crainte, et à ceux qui n’obéissent pas, il ne donne pas non plus un prétexte d’excuse convenable en vue de la justification de leurs actions. Là, donc, où les choses qui sont accomplies par la volonté de ceux qui les font sont des (actes) de guérison et que ce n’est pas par la domination d’une corruption inconvenante qu’ils sont tombés, il les instruits autrement par sa providence qui les concerne et leur permet de vivre et d’user de la procréation et de la génération, et il les fait échapper aux maux et s’en délivrer d’une autre manière, celle qui leur convient.

a 

Gn 18-19.

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La tour de Babel

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35  En effet, ceux qui, après le déluge, furent les inventeurs de la toura, qui conçurent une œuvre de leurs mains et une montée vers le ciel pour l’atteindre, et qui prospérèrent beaucoup dans leur audace, ne sont pas effacés par le châtiment. Leur présomption était en effet inintelligente, mais ce n’est pas par les passions des désirs qu’ils ont corrompu leur nature. Mais dans la sagesse de celui qui se souciait d’eux, ils furent aidés par le châtiment qu’ils ont reçu, car chacun d’entre eux est apparu à son compagnon dans une autre langue et ils renoncèrent à l’harmonie et à la concorde de leur langage, ce qui fut à leur grand dam, et ils devinrent tous, chacun d’entre eux, pères de peuples qui, forcément, reçurent la distinction de l’un avec l’autre par la connaissance d’une langue différente qui avait été donnée par Dieu à chacun d’eux, car, du fait qu’ils ne partageaient plus une seule (et même) langue, il se produisit pour eux tous une séparation et, ainsi seulement, ils reçurent le châtiment, dans la mesure où ils ne jouirent plus du commerce des uns avec les autres, (commerce) dont ils n’avaient pas usé avec justice, et ils furent grandement secourus par les choses qui (se sont produites) après. Ainsi donc, Dieu, dans sa sagesse, secourt et sauve en tout lieu, même par le biais des événements par lesquels il châtie et, dans sa bonté, il retourne même l’audace et la présomption de ceux qui pèchent, aussi bien les leurs que celles de ceux qui (viendront) après, selon son économie. 36  Or Mani, s’il semble mettre au compte du Mal qui a été imaginé par lui ces choses-là et celles qui sont pareilles, parle en sa faveur et s’en occupe avec force, parce qu’il semble attribuer à celui qui n’existe pas cette merveilleuse économie comme si « elle provenait de lui », et ce serait préférable pour (le Mal) si (Mani) était clairement son messager et s’il témoignait en plus à son sujet de ces choses relevant de la vertu, plutôt que de donner à penser qu’il méprise celui-ci et l’appelle « Mal ». Et en tout lieu, dans ses précédents discours, il lui attribue ce qui est de la puissance et ce qui est de la sagesse ! a 

Gn 11, 1-9.

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L’Exode (37-47) Les plaies infligées à l’Égypte 37  Or que peut-il dire au sujet de ces prodiges qui (se produisirent) en Égypte entre les deux, Moïse et Pharaona, eux qui se dressaient l’un contre l’autre par leur volonté et non par la puissance de leurs actions ? Car Moïse était plus grand et plus élevé que Pharaon au point qu’il soit estimé être son dieub. Lequel de ces (personnages) a-t-il dit qu’il a été envoyé par l’un ou l’autre de ces deux principes qui ont été nommés par lui ? Est-ce à propos de Pharaon (qu’il dira) qu’il provient du Bon ? Car ilc attribue aussi l’Ancien Testament à l’archonte de la Matière, lui qui ressemble en toutes choses à Pharaon par sa pensée. De même, en effet, qu’il disait : Je ne connais pas le Seigneur (Ex 5, 2), ainsi, celui-là aussi, par le biais des choses qu’il a forgées, parle de manière impie et il est trouvé coupable de ne connaître aucunement le Seigneur, lorsque, par impiété, il attribue au Mal ces actions merveilleuses qui sont de lui, dans la mesure où, avec Pharaon, il est furieux à cause de la libération des Hébreux qui (se produisit) selon la justice. Donc, ou bien, parce qu’il réduisait en esclavage ces hommes libres par impiété et fut enclin à une grande dureté d’intelligence, Pharaon sera estimé, selon le discours de celui-là, appartenir au Bon, ou bien, si rien de tel n’est dit par le fou, il sera forcément nécessaire que Moïse soit le serviteur de Dieu. Car c’est ainsi aussi qu’il en est véritablement, non selon la folie de celui-là mais selon la disposition de la crainte de Dieu, car il n’y a rien en lui qui soit en accord avec un être opposé qui semble combattre contre Dieu. Si donc Moïse appartient à Dieu, c’est manifestement Dieu qui a amené les plaies sur les Égyptiens, non à cause d’une colère inconvenante mais en vue de l’enseignement et de l’éducation dans la crainte de Dieu d’une race libre que les Égyptiens avaient très cruellement réduite en esclavage. Cf. Ex 7, 8-13.22 ; 8, 14 ; 9, 11. Cf. Ex 7, 1. c  Sc. Mani. a 

b 

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38  Que fera donc ici Mani ? Est-ce qu’il prendra les deux partis et les attribuera à la Matière, dans sa grande libéralité, comme il l’est toujours à son endroit ? Et de quelle manière ces choses se combattent grandement les unes les autres seront-elles estimées provenir d’un seul parti, comme celui-là l’a dit ? Car ce n’est pas par un stratagème du Bon, comme vraisemblablement quelqu’un dirait ici, que la Matière s’est tourmentée d’elle-même et par ellemême. Mais, à la vérité, soit que celui-là ose dire cela, (à savoir) que le meurtre, la mort, la pestilence, le changement de l’eau en sang, la venue de la grêle, la sortie de la vermine de tout genrea semblent avoir été provoqués par un dessein et un plan du Bon contre les hommes, soit que, au sujet de ces choses, il ne se souciait même pas d’une seule (d’entre elles) mais que c’était la Matière qui, d’elle-même et par elle-même, s’était mise en mouvement contre elle-même, comment, elle qui a imaginé, par le biais de ses archontes, « un appât pour les âmes qui sont de là-haut par la fabrication du corps », ainsi que l’écrit le livre de celui-là ou de l’un des siens, a-t-elle comploté tout cela contre le Bon, cela encore lui a échappé et elle n’a pas reconnu combien gravement elle se perdait et se corrompait elle-même. Mais qui est celui qui se levait en faveur du parti de Moïse ? Car si les deux partis avaient reçu ensemble des plaies qui soient semblables, peut-être que, selon la folie de celui-là, cette idée que la Matière agissait contre elle-même de (son propre) chef aurait quelque (force de) persuasion. Mais si, alors que les Égyptiens étaient frappés par les plaies, les Hébreux étaient complètement préservés, sans dommage ni coup, qui est-ce qui se levait en faveur du camp des Hébreux avec toute cette sagesse et la sollicitude de la providence ? Était-ce le Mal ou, comme ils ont l’habitude de le dire comme des sots, les archontes de celui-ci ? Dès lors le Mal sera reconnu aussi préserver et détruire, garder et nuire, secourir et infliger des dommages. Et il est évident que, dans la mesure où il connaît distinctement les deux, il semble accomplir convenablement ces choses parce qu’il se comporte selon un dessein parfait et qu’il connaît la justice, à cause de quoi les Hébreux, soit en tant qu’ils étaient les siens, soit en tant qu’ils étaient opprimés d’une manière impie, il a 

Cf. Ex 7, 14-11, 10.

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les a épargnés, et les Égyptiens, soit en tant qu’ils n’étaient pas les siens, soit en tant qu’ils opprimaient d’une manière impie, il ne les a pas épargnés. Mais s’il a (la capacité) d’épargner, il aura aussi la pitié, il aura aussi l’amour, il aura aussi la miséricorde et où sera le principe de la malice, qui « ne participe même en une seule chose à la réflexion et à la connaissance » ? Si la Matière a épargné les Hébreux et s’est agitée contre les Égyptiens, et, à ce qu’il semble, a démontré une grande diligence (dans l’exercice) de son pouvoir en vue de la libération des Hébreux, qui (se produisit) selon la justice, tout cela apparaîtra non seulement secourable mais également juste. 39  Mais si nous attribuons toute l’affaire à la confusion et au hasard désordonné de la Matière, dans la mesure où elle ne connaît absolument rien des choses qu’elle accomplit, les archontes de la Matière ne seront plus dès lors considérés faire quelque chose de mal ni être mal disposés en intention à l’encontre des hommes. 40  Néanmoins, cherchons encore de quelle manière une providence attentive et parfaite se réalisa à l’endroit des Hébreux, de sorte que pas même pour un seul de leurs animaux non raisonnablesa – encore moins un homme –, on n’en arrivât au point où une plaie ou un accident malencontreux les touchât. Qui est-ce qui, comme un rempart, gardait soigneusement des plaies qui (s’abattaient) sur les Égyptiens le parti des Hébreux tout à fait sans perte ni dommage ? Car celles-ci ne signifient pas confusion et hasard inconvenant, mais providence attentive et sage en toutes choses. En effet, alors que les Hébreux se trouvaient au cœur de l’Égypte et y habitaient, comment quelqu’un pensera-t-il que c’est par un hasard désordonné qu’il faisait jour pour eux et nuit pour les Égyptiensb ? Et encore, alors que le cours d’eau était le même, comment quelqu’un supposera-t-il que c’est par un accident quelconque ou dans une confusion sans ordre que la nature de l’eau fut préservée pour eux et que, pour les Égyptiens, sa couleur aussi bien que son aspect furent changés en sangc  ? Car si les sources avaient été distinctes, la rupEx 9, 6 ; 11, 7. Ex 10, 21-28. c  Ex 7, 14-25. a 

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ture de l’approvisionnement aurait donné lieu de (supposer) qu’elle se produisait (normalement) plutôt que ces choses arrivaient du fait d’une providence attentive et sage. Mais comment celle-ci n’est-elle pas évidente et (comment) un soin attentif n’est-il pas très visible en cela qu’alors que le cours d’eau était un et le même, pour les Égyptiens il était du sang et pour les Hébreux, de l’eau, son aspect étant conservé conformément à sa nature, et de même aussi dans toutes les plaies jusqu’au meurtre de leurs premiers-nésa, si bien que pas même un seul des premiers-nés des Hébreux n’est tombé – peutêtre aussi que (l’un ou l’autre) mourait autrement –, si la sagesse et l’attention de celui qui avait soin d’eux n’avaient gardé les Hébreux parfaitement sans dommage ? 41  Et comment encore ces choses qui se produisirent en ce temps-là ont-elles été décrétées par la confusion et le hasard dés­ ordonné de la Matière, alors que Moïse, par sa prièreb, provoquait les plaies et les faisait disparaitre, de sorte qu’au moment même où il priait, à sa parole, se mettent en branle aussi bien l’action de la plaie qui s’en venait qu’à rebours, la cessation de ce qu’elle faisait ? Mais quand Pharaon résistait, il lui disait la menace avant qu’il en soit ainsi et à sa prière, à l’heure même, il faisait que la menace vînt. Et lorsque Pharaon s’était repenti et avait confessé, il lui prédisait, comme par un pacte, le repos et la libération, et par la prière, à l’heure même, il mettait un terme à la plaie. Et ce ne fut pas une seule fois ou deux mais jusqu’à la dixième des plaies qu’il montra comme cela l’exemple de la puissance. Que ce n’est pas sans providence ni par un hasard désordonné que ces choses se produisirent, je pense que même Mani le fou ne pourra le nier. 42  Mais qui était celui que Moïse priait et qui accomplissait de telles choses contre les Égyptiens ? Le Mal, en effet, qui n’écoutait pas la prière pour le salut et la libération de ceux qui avaient été injustement réduits à l’esclavage par contrainte ? Quel est celui qui ne le dirac ? Du reste, même les magiciens qui étaient contre Moïse firent manifestement en sorte que paraisse la puissance de Ex 12, 29-36. Cf., par exemple, Ex 8, 4-9. c  Passage difficile (III, 42, 5). On attendrait : « Quel est celui qui le dira ? ». À moins de construire ainsi : « Quel est en effet celui qui ne dira que c’était le a 

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celui qui agissait par Moïse. Car, par le procédé de la sorcellerie, ils imitèrent Moïse jusqu’au quatrième prodigea mais, parce que, pour la suite, ils cessèrent complètement la compétition, car leur sorcellerie avait été dénoncée, à la fin ils confessèrent que le doigt de Dieu (Ex 8, 15) était auprès de Moïse et les magiciens qui servaient des esprits mauvais déclarèrent ouvertement qu’ils avaient compris que c’était Dieu qui, par Moïse, accomplissait des prodiges. Or Mani, lui qui est bien pire que les magiciens, outrage et méprise celui qui accomplissait ces prodiges par l’intermédiaire de Moïse. Dès lors, parce que Moïse aussi invoquait quelque puissance vivante et les magiciens en suppliaient quelque autre – car ni Moïse ni les magiciens n’accomplissaient rien par leurs propres mains mais invoquaient une puissance  –, à propos de laquelle d’entre elles dira-t-on qu’il s’agit du Bon ? Or, comment n’est-il pas évident que les magiciens invoquaient la puissance des mauvais démons et recevaient d’eux la réalisation de la contrefaçon, que Dieu permettait et laissait manifestement faire, afin que, par la personne de ceux qui lui étaient opposés et la comparaison avec ceux qui agissaient par la magie, Moïse ne semble pas du tout accomplir d’une pareille manière, quelle qu’elle soit, les choses qui apparaissaient  ? En effet, parce qu’ils se dressèrent contre lui et furent considérés à partir des choses qu’ils firent comme lui mais que dans de nombreuses et grandes choses ils échouèrent complètement, il apparaissait que le mode des choses qui étaient venues à l’existence était autre pour ceux-là et autre pour Moïse, lorsque ceux-là, pour justifier la faiblesse de leur puissance, furent manifestement contraints de témoigner au sujet de Moïse que son action n’était pas imitable et dirent : C’est le doigt de Dieu (Ex 8, 15). 43  Mais si les disciples de Mani disent que la substance des mauvais démons, ceux qui obéissaient aux magiciens, relève de leur Matière, dès lors il est apparu à (celle-ci) que Moïse était le prophète de Dieu. Mais d’où sont les démons et qu’ils ne proviennent Mal, qui n’écoutait pas la prière pour le salut et la libération de ceux qui avaient été injustement réduits à l’esclavage par contrainte ? » a  En fait, c’est lors du troisième fléau (Ex 8, 14-15) que les magiciens renoncèrent à lutter contre Moïse et reconnurent qu’il était « le doigt de Dieu » (Ex 8, 15).

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pas d’un autre principe, nous le dirons en temps opportun lorsque le discours se sera mû avec profit à l’encontre de Satan. 44  Donc, peu importe le parti de ces deux principes qu’il introduit auquel Mani voudra attribuer Moïse ainsi que les magiciens, sa fable, complètement réduite à néant et ruinée des deux côtés, sera convaincue d’être sans fondement. Et comment osera-til dire que les magiciens proviennent du Bon, même si ses disciples eux-mêmes, des myriades de fois, font bon accueil aux magiciensa, alors que ceux qui s’opposèrent à lui reconnurent ouvertement que le doigt de Dieu (Ex 8, 15) était avec Moïse ? 45  Mais en outre, pensera-t-il encore que Moïse provient de ce principe opposé, selon ce qu’il a dit ? Mais comment aide-t-il et libère-t-il ce qui lui appartient et accomplit-il de toutes les manières des prodiges, et obéit-il à la prière d’un homme juste ? Et cela (encore), (comment) montre-t-il de la pitié et de la miséricorde envers ceux qui lui appartiennent  ? Choses dont pas même une seule ne lui convient en quoi que ce soit, selon l’hypothèse de celui-là, qui n’a ni fondement ni assise. Car, d’aucun des deux côtés, il n’y a lieu que soient imaginés le trouble, la confusion et l’activité désordonnée, même si ceux qui proviennent de Mani ne sont pas honteux devant un tel zèle, le soin, la sagesse, le partage des plaies, la distinction jusqu’au moindre individu entre ceux qui souffraient et étaient châtiés, et ceux qui ne souffraient pas, selon les prédictions de Moïse qui, jusqu’au plus petit détail, portaient sur chacune des plaies, comme nous l’avons dit précédemment. Donc, que nous montrions en de nombreuses choses, contre Mani, qu’à égalité des deux côtés, son discours ne tient pas, est pour nous tout à fait superflu et inutile. Car nous ne promettons pas non plus de convaincre ceux qui sont de lui, mais, en autant que cela dépend de nous, (nous voulons) que personne ne soit trompé à leur suiteb.

Même si le recours à la magie et aux magiciens semblent avoir été interdit aux manichéens, les sources indirectes les accusent néanmoins de s’adonner à la sorcellerie et à la magie (voir Scopello 1997, p. 193-194 = Scopello 2005, p. 252-253). b  Titus affirme ici que son objectif n’est pas de convertir les manichéens, ce à quoi il semble renoncer, mais plutôt d’éviter qu’ils ne fassent davantage d’adeptes ; cf., dans le même sens, IV, 112, 1-6. a 

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Dépouillement des Égyptiens et traversée de la mer Rouge 46  Or, les Hébreux reçurent de Moïse l’ordre que chacun d’entre eux demande à son voisin égyptien des vases faits d’or et d’argenta, et ainsi ils sortirentb, afin que par ces choses aussi, la justice soit accomplie, de sorte qu’ils reçoivent leur salaire pour leur servitude et le labeur qu’ils avaient accomplis pour les Égyptiens. Or, Mani osera-t-il imputer au Mal la traversée des Hébreux par la mer ? Est-ce le Mal qui a retenu et fait se dresser des deux côtés la nature fluide comme (quelque chose de) solide, qui a aménagé un passage à sec dans les eaux pour les hommes et a procuré aux Hébreux un passage pour qu’ils traversent, mais qui, contre les Égyptiens, a fait revenir sur eux les eaux comme s’il était en colèrec  ? Pourquoi donc  ? Était-ce parce qu’ils adoraient les magiciens et les reptiles, le serpent et le crocodile, et aussi, avec eux, le faucon et la colombe, le loup et la brebis ? La Matière est donc, à ce qu’il semble, la vengeresse de la crainte de Dieu. Et le cantique de Moïsed que ses proches composèrent et dirent après le passage (de la mer) ? Mais pourquoi dis-je  : «  ses proches  »e, alors que c’est la sœur de celui-ci, Miryam, une femme, et non quelqu’un d’autre, qui le composaf ? Si ce n’avait été une grâce de Dieu, comment aurait-elle Ex 11, 2-3 et 12, 35-36. D’après Épiphane, Panarion 70, 3, éd. Holl 1933, p. 111, 14-15, et 71, 1, p. 112, 11-13, Mani tirait argument de l’épisode du dépouillement des Égyptiens ; cf. Augustin, Contra Faustum 22, 71, éd. Zycha 1891, p. 668-669. b  Ex 12, 37. c  Ex 14, 15-31. d  Ex 15, 1-18. e  Pour le terme ‫ܙܕܩܐ‬, zādqā’, affinis, propinquus, on ajoutera ce passage de Titus aux seuls témoignages lexicographiques que cite le Thesaurus syriacus (Payne Smith 1879, col. 1085). f  D’après Ex 15, 1, c’est d’abord Moïse et les fils d’Israël qui chantent à Dieu un cantique (ᾠδὴν), suivis, en 15, 20-21, par Miryam et toutes les femmes qui sortent « avec tambourins et danses », et Miryam entonne pour elles ce qui correspond au premier verset du cantique de Moïse. Une partie de la tradition juive a vu dans le texte biblique que, tout comme Moïse avait entonné un chant pour les hommes, Miryam l’avait fait pour les femmes ; ainsi dans la Mekhilta de-Rabbi Ishmael, Shirata X, 89-91, éd. Lauterbach 1933, p. 83, et chez Philon, qui écrit que les Hébreux « firent sur le rivage deux chœurs, l’un d’hommes, l’autre de femmes, et ils se mirent à chanter à Dieu des hymnes d’action de grâce ; Moïse entonnait du côté des hommes, et sa sœur du côté des femmes, car c’étaient eux les chefs de chœur » a 

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pu dire clairement : Loue le Seigneur, le magnifique, car il s’est glorieusement glorifié (Ex 15, 21), elle qui n’était pas du Seigneur, selon ce qu’a dit celui-là mais, au contraire, de la Matière ? Aurait-elle glorifié le Seigneur et l’aurait-elle nommé « Seigneur », alors que la Matière avait vaincu ? Et s’agissait-il de la puissance de la Matière, alors que le cantique était au nom du Seigneur, lui qui avait été vaincu ? Mais comment le Mal accomplit-il toutes ces choses à propos desquelles, si seulement nous confessons la justice d’un juge juste et bon, ces exploits seront manifestes ?

Nuée et lumière, la manne, le don de la loi à Moïse

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47  Et comment encore, par l’action du Mal, la jouissance de la lumière était-elle d’elle-même prodiguée aux hommes pendant la nuit et comment, pendant le jour, (le Mal) les rafraîchissait-il face à l’ardeur du soleil et les réconfortait-il par la protection d’une nuéea  ? Il est donc reconnu en conséquence avoir pitié et accomplir des prodiges, même si quelqu’un suppose qu’il s’agit de la Matière ? Et encore : le Mal fait aussi pleuvoir le pain non depuis la terre mais du cielb, et il change la loi de la nature qui existait depuis le commencement et fournit aux corps ce qui leur est nécessaire (De vita Mosis I, 180, éd. et trad. Arnaldez, Mondésert, Pouilloux, Savinel 1967, p. 112-113) et que, « parmi les hommes, c’était le prophète Moïse qui entonnait les chants et parmi les femmes la prophétesse Miryam » (De vita contemplativa 87, éd. et trad. Daumas, Miquel 1963, p. 144-145). Titus va cependant plus loin en affirmant que Miryam aurait été le seul auteur du cantique « et personne d’autre ». Il rejoint ainsi le Midrash Rabba sur le Deutéronome (12, éd. Lieberman 1964, p. 107, 1-2 : « Ainsi, lorsque le Saint-Béni-Soit-Il guerroya sur la mer, Myriam dit un chant ; elle fut alors dénommée prophétesse »), qui suggère que Miryam fut désignée dans le texte de l’Exode (15, 20) comme une « prophétesse » parce qu’elle entonna le chant sur la mer. Les auteurs de ce texte, des Sages judéens du iiie siècle pour ce midrash dont la compilation finale date du ive siècle, considèrent ainsi Miryam comme l’auteur exclusif du chant de la Mer, sans même évoquer Moïse. Une telle interprétation cherchait peut-être à expliquer une incongruité du texte massorétique d’Ex 15, 21, qui porte : « Et Miryam répondit pour/à eux (et non elles) » (difficulté signalée par Hirsch 1966, p. 202, dont la solution accommodatrice n’est cependant pas convaincante). On ne sait par quel intermédiaire Titus aurait connu et repris cette tradition. a  Ex 13, 21 ; cf. Ps 104(105), 39. b  Ex 16, 4 ; cf. Ps 77(78), 24.

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non depuis la terre mais du ciel, alors que, voici, « en haut, toute chose », selon ce qu’a dit Mani, « est pure ». C’est donc du parti de ceux qui sont purs que la Matière faisait descendre le pain ! Ô la folie de celui-là et de ceux qui pensent qu’il leur faut lui obéir ! Or, pendant quarante ans, le Mal retient un si grand peuple dans le désert, il le corrige et lui apprend la loi et l’excellence en toutes belles choses, et l’instruit de toutes bonnes choses. Et comment est-ce le Mal qui, partout, conseille et enseigne la justice, et ne permet pas que quelqu’un nuise à son prochain ? Et lorsque Moïse, pendant quarante jours, à deux reprises, a jeûné et ramené la loia, de qui était-elle ? Cela fut-il le fait de la Matière, d’écrire sur des pierres de sa propre écritureb : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même (Dt 6, 5 ; Lv 19, 18), et : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne feras pas de témoignage mensonger (Ex 20, 13.15-16) ? Si, en effet, Moïse avait décrété et fixé la loi de son propre chef, il se pourrait que nous pensions, selon le discours de celui-là, qu’il a ordonné et dit des choses semblables parce qu’il y avait en lui aussi quelque chose du Bon. Mais s’il est resté quarante jours sans nourriture, ce qu’il n’appartenait pas à la nature de l’humanité de supporter mais était l’œuvre de la providence de Dieu, et si, lorsqu’il était sur la montagne, il recevait manifestement la loi, ce n’est pas lui qui l’écrivit à partir de sa propre pensée. Et qui est celui qui mit en ses mains les dix paroles ? En effet, la puissance qui les a transmises à Moïse n’était pas composée d’une union du Bon et du Mauvais et l’on reconnut par-là, à partir de la forme des paroles, laquelle elle étaitc. Mais peut-être ces paroles sont-elles belles et bonnes, et que celui qui a fixé la loi n’est pas bon ? Et comment cela se peut-il ? Si donc il est bon, il est le même partout, lui qui a prodigué et donné l’Ancien Testament de la loi et des prophètes, car il n’est pas plus vraisemblable que Moïse soit envoyé tantôt par le Bon, tantôt par le Mauvais. Car, comme je l’ai dit auparavant, Moïse eût-il fixé la loi de son propre fond, on pourrait dire qu’il est Cf. Ex 24, 18 ; 34, 28 ; Dt 9, 9.25. Cf. Ex 31, 18 ; 34, 1 ; Dt 9, 10 ; 10, 2 ; cependant, d’après Ex 34, 27-28, c’est Moïse qui écrit pour le Seigneur les paroles (ῥήματα) sur les tablettes. c  C’est-à-dire : les dix paroles étant bonnes, elles ne pouvaient émaner que d’un Dieu bon et non d’un mélange du Bon et du Mauvais. a 

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vraisemblable qu’elle provienne du mélange du Bon et du Mauvais, et qu’en certains endroits, il dit ces choses et en d’autres endroits, leur contraire. Mais si c’est quelque puissance qui lui transmettait les tables, qu’une recherche soit diligentée à son sujet et au sujet de sa naturea. Que soit alors recherché quelle était cette puissance, si elle était bonne ou au contraire mauvaise. Mais à partir des choses écritesb, il apparaît qu’elle était très bonne, car elle est plus élevée aussi que toute sagesse et force – et ce n’est pas par Moïse qu’elle est exaltée car il ne dit rien qui vient de lui-même, mais la législation tout entière, le récit et les prodiges qu’elle accomplissait là, c’était manifestement par l’intermédiaire de Moïse (qu’elle les accomplissait) –, elle qui aussi annonce d’avance à Moïse, avant qu’il ne descende vers le peuple, que le peuple avait transgressé et s’était fondu une idolec, et qui a haï l’action, mais qui aussi, à la fin, les a punis pour leur avantage et pour le salut et le profit commun tant de ceux qui restèrent que de ceux qui moururent. Si donc, comme il ressort du récit et de ce qui a été disposé dans la loi, la puissance que servait Moïse apparaît bonne et tout à fait digne de crainte, comment la loi est-elle blâmée comme si elle avait été donnée par le Mal ? Car aucune des choses qui y sont dites ou faites n’indique rien si ce n’est la bonté la plus excellente.

Les prescriptions relatives aux sacrifices (48-60) Leur valeur pédagogique et la nécessité d’un culte corporel 48  Mais parce qu’ils ne sont pas familiers avec la doctrine concernant les sacrifices ni ne la connaissent, ils pensent au sujet de l’économie de ceux-ci qu’elle est mauvaise. Car ce n’est pas le besoin de Dieu que satisfont ceux qui (les) offrent, mais ils pensent que, d’une certaine manière, par ce service, cela leur convient à a  La traduction de ce passage est conjecturale : ‫ܒܥܬܐ ܗܝ ܕܥܠܘܗܝ ܘܥܠ ܟܝܢܗ ܕܝܠܗ‬ ‫( ܬܬܒܛܠ ܠܗ‬III, 47, 42-43) ; littéralement : « qu’une recherche lui (sc. Moïse ?) soit confiée à son sujet et au sujet de sa nature ». b  Sc. dans l’Ancien Testament plutôt que par Mani ou les manichéens. c  Cf. Ex 32, 7-8.

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eux-mêmes. Or, c’est la volonté de ceux qui, dans la crainte de Dieu, offrent (les sacrifices) que Dieu lui-même a reçu, et non l’offrande. En effet, voici qu’il a rejeté sur le champ l’intention du sacrifice de Caïn, parce qu’ila était davantage dans le mépris que dans l’honneur, et il a confondu celui-là au sujet de son partageb, parce qu’il avait agi de façon impie et qu’il s’était honoré lui-même plus que Dieu et avait offert des choses qui étaient méprisables et avait gardé pour lui-même celles qui étaient excellentes. Il agréait ainsi seulement l’intention qui était dans la justice, et il agréait ce qui, de quelque manière, était (fait) par amour pour lui. Car on ne trouve nulle part de commandement donné par Dieu aux justes d’autrefois d’offrir des sacrifices mais c’est par leur propre volonté que ces anciens offrirent les prémices de ce qu’ils avaient, et ils bénéficièrent de l’accueil de la part de Dieu, comme il se devait. Mais si Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, donne manifestement un commandement au sujet des sacrificesc, c’est bien plus de sa miséricorde, qui se trouve dans une législation comme celle-là, que le juste s’étonnera, car c’est pour ceux qui ont pensé qu’il était tout à fait impossible de le servir autrement qu’il a manifesté une telle condescendance et s’est humilié au point d’être estimé avoir besoin de ce dont il n’a pas besoin et recevoir ce qui ne lui est pas nécessaire. Car pour ceux qui avaient grandi en Égypte, selon la coutume de là-bas, il voulut seulement changer non pas la forme du culte de ceux qui ne pouvaient s’élever aux réalités intelligibles, mais leur intention, afin qu’ils offrent des sacrifices à celui à qui il convenait (d’en offrir). Mais s’ils reçurent l’ordre de sacrifier ces choses mêmes qu’ils avaient adorées en Égypte par impiété, qu’il soit établi que cela était quelque moyen pour les libérer de leur coutume d’impiété. Or, par ce qui a été dit auparavant, nous avons montré que ces mêmes choses sont venues à l’existence du fait de Dieu de façon nécessaire, dès le commencement, en vue des nécesSc. le sacrifice. Cf. Gn 4, 7 LXX : « οὐκ, ἐὰν ὀρθῶς προσενέγκῃς, ὀρθῶς δὲ μὴ διέλῃς, ἥμαρτες; – Si tu as présenté correctement, mais partagé non correctement, n’as-tu pas péché ? » (trad. Harl 1986, p. 114 ; voir la note ad loc. : « Ce verset est particulièrement difficile »). c  Cf. Ex 29, 10-28.36-46. a 

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sités de la subsistance et d’autres usages pour les hommes. Mais ila explique autrement aussi les raisons pour lesquelles ils reçurent à leur propos l’ordre de sacrifier en tout lieu, dont Dieu faisait un mémorial de lui-même pour l’avantage et le salut de ceux qui étaient instruits. Car si, d’eux-mêmes, ils avaient pu se souvenir de Dieu, il aurait suffi qu’ils plaisent à Dieu par la volonté de l’intention qui provenait d’eux, mais parce qu’ils avaient une forte tendance à l’erreur (pour ce qui est) de la crainte de Dieu, un culte corporel leur était aussi absolument nécessaire pour le souvenir de Dieu. 49  Or, il fallait encore d’une autre manière que ce ne soit pas d’un seul coup, au commencement de l’enseignement de ces choses, qu’à des non parfaits soient données des instructions parfaites, mais qu’ils avancent sur la route par la force de l’enseignement, depuis les petites choses jusqu’aux plus grandes et depuis les premières jusqu’à celles qui viennent ensuite. Car pour ceux qui étaient apparus n’avoir même pas saisi les choses qui étaient très petites à cause de leur volonté qui n’était pas bonne, au point que les récits des Écritures les reprennent ouvertement, comment convenait-il qu’au moment même où ils sortirent d’Égypte, ils commencent par des mœurs parfaites qui reposent sur la contemplation de la connaissance ? Car une telle forme d’enseignement et de législation serait considérée être égoïste, parce qu’elle sauvegarde le grand honneur de la législation plutôt que le profit de ceux qui sont instruits et éduqués. Or, parce que, dans le cours de la longueur du temps, ils ne voulaient pas quitter l’habitude du péché mais qu’ils pensèrent de leur propre gré, parce qu’ils étaient volontairement injustes, laver leur méchanceté par des sacrifices grossiers, il leur était donc ajouté, par l’enseignement et par la fatigue d’un long temps d’incroyance et d’absence d’amour, quelque apparence d’obéissance, qui puisse (plus) facilement prêter l’oreille à l’enseignement parfait.

a 

Sc. Moïse ?

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Témoignages prophétiques sur les sacrifices 50  Or il nous est possible dès lors d’examiner ce que Dieu a déclaré, par l’intermédiaire des prophètes, au sujet des sacrifices, à l’adresse des Juifs injustes. 51  Par Isaïe, il a dit en effet : Que m’importe l’abondance de vos sacrifices ? dit le Seigneur. Je suis repu des offrandes de béliers et de la graisse des (animaux) engraissés, et je ne me suis pas plu dans le sang des taureaux, des agneaux et des chevreaux. Lorsque vous venez voir mon visage, qui demande ces choses de vos mains ? Ne continuez pas à fouler mes parvis pour apporter de vaines offrandes, c’est pour moi une odeur répugnante (Is 1, 11-13). 52  Et encore par le même prophète, il a dit : Celui qui immole un taureau est comme celui qui tue un homme, celui qui sacrifie un agneau, comme celui qui tue un chien, celui qui offre de l’encens, comme celui qui bénit les idoles (Is 66, 3). 53  Et encore par le même que celui-là, en un autre passage, il a dit : Ce n’est pas moi que tu as appelé, Jacob, car je t’ai appelé, Israël ; tu ne m’as pas amené les brebis de tes holocaustes, et tu ne m’as pas honoré par tes sacrifices ; je ne t’ai pas asservi par les offrandes et je ne t’ai pas fatigué pour de l’encens ; tu ne m’as pas acheté pour de l’argent un bâton aromatique et tu ne m’as pas enivré de la graisse de tes sacrifices, mais tu m’as asservi par tes péchés et tu m’as fatigué par ton iniquité (Is 43, 22-24). 54  Et par Osée le prophète, il dit ceci : Mon jugement sortira comme la lumière parce que je veux la bonté et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes pacifiques (Os 6, 5-6). 55  Et encore par Amos, un autre prophète, il a dit  : Si vous m’amenez vos sacrifices pacifiques, je ne les recevrai pas (Am 5, 22). Et encore, il a dit peu après : Est-ce que vous m’avez offert des sacrifices et des offrandes dans le désert, maison d’Israël ? (Am 5, 25). 56  Et en plus de cela, Michée a dit aussi : Avec quoi me présenterai-je au Seigneur et me rendrai-je agréable au Dieu très-haut ? Me présenterai-je devant lui avec des holocaustes pacifiques et des veaux de l’année ? Le Seigneur ne veut pas des milliers de béliers ni

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des myriades de la foule des génissesa. Si je donne mon premier-né, c’est une iniquité pour moi, et les fruits de mon ventre, c’est un péché pour mon âme. Je t’ai montré, homme, ce qui est utile, ce que Dieu exige de toi : que tu aimes le jugement, que tu accomplisses la justice et que tu sois prêt à aller à la suite de ton Dieu (Mi 6, 6-8). 57  Et par Jérémie il a encore dit : Ainsi a parlé le Seigneur, le puissant Dieu d’Israël : « Ils ont ajouté leurs offrandes à leurs oblationsb, ils ont mangé de la viande, alors que je n’ai pas parlé à leurs pères et ne leur ai pas donné d’ordre au jour où je les fis monter de la terre d’Égypte, ni au sujet des holocaustes pacifiques ni au sujet des sacrifices, mais je leur ai ordonné cette parole : “Écoutez ma voix et je serai pour vous un dieu et vous, vous serez pour moi un peuple” » (Jr 7, 21-23). 58  Et il nous est encore possible de connaître de nombreux autres passages alors qu’il accuse par l’intermédiaire de celui-cic.

Témoignage de David, le psalmiste 59  Et par David le psalmiste, comme par sa propre personned, il est dit : Les sacrifices et les offrandes, tu n’en as pas voulus, mais tu m’as ouvert les oreilles, et les holocaustes pacifiques pour les péchés, tu n’en as pas demandés (Ps 39 (40), 7). Et encore : Écoute, mon peuple, et je te parlerai, Israël, je témoignerai à ton sujet. C’est moi, Dieu, ton Dieu. Je ne te reprendrai pas à propos de tes sacrifices et tes oblations sont devant moi en tout temps. Je ne prendrai pas de ta maison ̈ a  « La foule des génisses » (Mi 6, 7), ‫ܕܡܘܫܚܐ‬ ‫ܚܝܐܠ‬,̇ (III, 56, 4). On a ici le texte de la Peshitta, là où la Septante donne : « μυριάσιν χειμάρρων πιόνων – des myriades de chèvres grasses » ; sur la leçon propre au syriaque, voir la note ad loc. dans Kiraz, Bali, Walter, Greenberg 2012, p. xl. b  Contrairement à la Septante et à la Peshitta, la version syriaque du Contre les manichéens donne toute la citation à la 3e personne et non à la 2e, ce qui oblige à interpréter les verbes comme des parfaits de la 3e pl., et non comme des impératifs, contrairement à ce que fait Nix 1901, p. 15. c  Je comprends ainsi cette phrase un peu sibylline : « il nous est encore possible d’indiquer de nombreux autres passages dans lesquels Dieu accuse par l’intermédiaire de Jérémie ». d  Sc. Dieu, ‫( ܐܝܟ ܕܡܢ ܦܪܨܘܦܗ‬III, 59, 1-2), c’est-à-dire comme si Dieu parlait lui-même en personne, par l’instrument qu’est le psalmiste.

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des taureaux ni de tes troupeaux, des chevreaux, parce que sont à moi tous les animaux des champs et toutes les bêtes qui sont dans les montagnes et les taureaux, et je connais tous les oiseaux du ciel et les animaux des champs sont à moi. Si j’ai faim, je ne te le dirai pas parce que toute la terre habitable, dans sa plénitude, est à moi. Je ne mange pas la chair des veaux et je ne bois pas le sang des chevreaux. Sacrifie à Dieu l’action de grâces et accomplis pour le Très-Haut tes vœux (Ps 49 (50), 7-14). Et en un autre endroit, par après, il a dit : Parce que tu n’as pas voulu de sacrifices ni n’as été réconcilié par des holocaustes pacifiques, les sacrifices pour Dieu, c’est un esprit humilié et Dieu ne rejette pas un cœur brisé (Ps 50 (51), 18-19).

Les sacrifices, preuve de la condescendance de Dieu 60  Ainsi donc Dieu rejette ouvertement les sacrifices, mais à cause de la faiblesse des Juifs, il a montré de la condescendance dès le commencement et il sembla comme (les) accepter afin que, par le biais de ces choses dans lesquelles ils trouvèrent plaisir, il les attirât jusqu’à lui et élevât l’intelligence de ces hommes. Mais les disciples de Mani ne peuvent dire que ceux aussi par lesquels Dieu a dit ces choses et rejeté les sacrifices, ne sont pas de l’Ancien Testament. Car c’est de lui qu’ils sont, et leur race et leur manière de vivre, et c’est le même esprit qui a agi aussi en eux, celui qui fut aussi en Moïse. Dès lors, il est évident que Dieu, au temps de Moïse, a considéré son économie de telle manière qu’elle fût seulement en faveur de ceux qui apprenaient, et il a donné à penser qu’il acceptait ces choses qui étaient offertes à cause de son abondante miséricorde en vue de sa louange, selon sa volonté, comme celui qui rapetisse sa nature et ne détourne pas (les yeux) de ceux qui, dans l’intelligence de la foi, ne sont pas capables de la connaissance de la nature incorporelle ni ne les méprise, pour faire qu’en aucune manière ils n’abandonnent son souvenir constant, eux qui ne pouvaient garder celui-ci si ce n’est en étant requis (d’offrir) quelque chose de dense et de corporel par le biais des choses qu’ils accomplissaient par la permission de la loi, selon leur bon plaisir, dans la mesure où ils pouvaient apprendre l’amour de Dieu et être instruits.

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Justification de l’économie divine à l’égard des Juifs (61-67) La raison d’être de l’économie divine

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61  Or, c’est au sujet des sacrifices que ces choses ont été dites. Mais les Juifs avaient aussi, d’une autre manière, pareille économie en beaucoup de choses et dans l’ordre entier de l’Ancien Testament, afin que ces choses, par le biais de figures, affermissent l’intelligence des sages en vue des réalités qui sont connues par elles pour qu’aussi, comme par du lait, (Dieu) instruise et éduque par les choses visibles ceux qui étaient encore des enfants par leur intelligence, et par ce qui, à partir d’elles, est reconnu comme une nourriture parfaite et fortea en vue de la félicité de ceux qui sont sains et accomplis dans leur intelligence par la foi et l’amour. Mais, à la vérité, il fallait que ces choses aussi qui ont été données comme en figures, en types et en mystères avant que ne se lève la traditionb et que ne soit explicitée clairement la manière qui convient et qui est adaptée au culte et à la connaissance de Dieu, soient constamment conservées sans être transgressées. Car il n’appartient pas à ceux pour qui la loi a été instituée de changer les choses qui ont été décrétées pour eux, mais cela appartient à celui qui institue la loi de faire occasionnellement une addition législative, comme il convient, aux choses qui sont déterminées, ce qui sera dit clairement dans les (développements) qui suivent. Mais si quelques-uns étaient occasionnellement dans la connaissance et la justice, et toléraient la déficience de commandements qui leur étaient inférieurs, ceux-làc comblaient par leur foi ce qu’il y avait pour eux de déficient dans la législation sans être en rien déficients quant à leur triomphe dans l’observance des commandements corporels. L’amour de la crainte de Dieu est en effet nécessaire car, c’est Cf. 1 Co 3, 2. ‫( ܡܫܠܡܢܘܬܐ‬III, 61, 11) : il s’agit sans doute de la tradition interprétative chrétienne qui devait faire apparaître la vérité cachée sous les figures, les types et les mystères de l’Ancien Testament. On attendrait ici « perfection » (cf. Nix 1901, p. 17 : « Vollkommenheit »), mais le terme syriaque n’a pas ce sens (voir Payne Smith 1901, col. 4193-4194). c  C’est-à-dire « ceux pour qui la loi a été instituée ». a 

b 

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lorsque cet (amour) se trouvait en eux pour avoir été abondamment reçu qu’ils furent tels qu’ils ne méprisèrent pas non plus les petites choses dans leur pitié pour la multitude à cause de laquelle il leur était nécessaire aussi de les observer fermement et de ne les abolir aucunement avant le temps qui convient, de sorte que de tels gens soient considérés avoir été exaltés pour leur amour pour le législateur et non être inférieurs en regard de ceux pour qui la loi avait été établie ; et ils observèrent les choses les plus faciles parmi celles qui avaient été ordonnées, ce qui était aussi nécessairement avantageux pour eux, puisque cela leur advenait en vue de la perfection de leur justice, eux qui excellèrent par leur foi et dépassèrent ceux-là, afin qu’ayant donné à la multitude un exemple dans l’observance et la garde de choses comme celles-là, ils deviennent parfaits. Or, ainsi étaient les prophètes par l’intermédiaire desquels Dieu exposa doucement les choses que nous avons alléguées précédemment en faveur de l’abolition des sacrifices et, avant eux, Moïse, par l’intermédiaire de qui Dieu établit la loi pour les Juifs, qui était, dès le début, par son amour et par sa foi, juste et droit auprès de Dieu. Or les lois qu’il a établies, (aucune)a d’entre elles ne valait en quoi que ce soit pour lui-même, car il n’en avait pas besoin, lui qui était juste avant la loi, mais elles étaient nécessairement convenables pour la multitude. C’est lui qui, le premier, observa les choses qu’il ordonna, comme ainsi aussi, autrefois, Élie qui, en un autre temps, sacrifia, même s’il n’écrit jamais à ce sujet. Car, par sa foi, il était au-dessus de ces raisons pour lesquelles il convenait qu’on sacrifiât. À vrai dire, cependant, il sacrifia pour la confusion des prêtres de Baal et des Sidoniens, afin qu’apparût par comparaison où était le Dieu de véritéb. Oui, il était nécessaire que ceux-là qui, à cause de leur incroyance, étaient privés de connaissance, fussent entraînés par une démonstration corporelle, comme par la main, vers le récit divin. En effet, c’est ainsi aussi qu’un feu qui (brûlait de) lui-même était envoyé afin d’agréer les sacrifices et d’élever leurs yeux vers la foi en Dieu, lui qui est invisiblec. a  Le syriaque (III, 61, 41-42) est ici très elliptique ; faut-il suppléer : ‫ܐܦܐܠ ܚܕܐ‬ ‫ܡܢܗܘܢ‬ ? b  Cf. 3 R 18, 20-40. c  Cf. 3 R 18, 38-39.

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62  Or, sur la montagne, dans le désert, le feu flamboyant apparaissait à tout le peuple. Et la crainte de la fumée et des coups de tonnerre était profitablement envoyée sur ceux qui voyaient parce qu’ils n’inclinaient pas du tout vers la crainte par les paroles et par l’enseignement à moins que quelque chose de terrifiant ne leur saute aux yeux par l’intermédiaire des choses visibles. Car Dieu n’était pas un feu visible, pas plus que ce qui a été dit par Moïse : Ton Dieu est un feu dévorant (Dt 4, 24) ne disait que l’être de Dieu est du feu. Mais, d’une manière admirable, il ajoute aussi au sujet de ce feu qui était visible ce qui a été dita, en vue de l’effroi de ceux qui, au-delà de la vision de leurs yeux, n’acceptaient rien d’intelligible qui aurait existé et subsisté, sauf ce qu’ils voyaient de leurs yeux et (percevaient) par leur audition en vue de (procurer) l’effroi, de sorte que leur instruction fût comme celle des enfants.

La polygamie des justes de l’Ancien Testament 63  Ainsi donc, dans le récit de l’Ancien Testament, il arrive que de nombreuses choses apparaissent parfois, soit comme si l’économie en faveur de ceux qui apprennent s’humiliait grandement avec eux, soit comme si elles étaient déterminées nécessairement. Parfois aussi, comme par des mystères et des types, est indiqué d’avance ce qui doit se produire et il y a dans ces choses aussi une autre significationb pour ceux qui les reçoivent. Mais aussi parmi elles, évidemment par une concession de Dieu, certaines étaient accomplies en ce temps-là par les justes comme sans discernement, choses qui, aujourd’hui, sont mises au compte des péchés. Mais, en ce temps-là, en vue de l’affermissement des choses qui étaient fixées, ils en avaient nécessairement la permission, comme ce qui concernait les anciens qui pouvaient prendre plusieurs femmesc, parce qu’ils n’(en) étaient aucunement empêchés par la Ceci renvoie peut-être à la finale du verset de Dt 4, 24 : « κύριος ὁ θεός σου πῦρ καταναλίσκον ἐστίν, θεὸς ζηλωτής – Le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant, un Dieu jaloux ». b  Littéralement « une autre parole (‫)ܡܠܬܐ ܐܚܪܬܐ‬ » (III, 63, 6). c  Les manichéens tiraient argument de la polygamie des justes, cf. Epistula ad Menoch 4, éd. Stein 1998, p. 20. a 

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loi – il n’y avait pas encore de législateur. Mais, en ce temps-là, il était permis par Dieu qu’en vue de l’augmentation de l’engendrement des enfants, les justes et les gens droits soient rendus plus féconds, eux à qui, en raison de l’honneur, il fut donné par Dieu de devenir et aussi d’être nommés pères des peuples (Gn 17, 4.5). En effet, alors qu’il était nécessaire que la terre soit remplie d’habitants, comment n’était-il pas au plus haut point convenable que ceux-là qui, par leur manière d’être et leur comportement, étaient des êtres libres, soient féconds quant à l’engendrement de (ceux) qui (provenaient) d’eux, de même qu’à partir d’un bon arbre, dans un espace de terrain dégagé, on sème et repique de nombreuses plantes, si bien que deux choses se produisent par là, l’honneur pour les géniteurs, qui sont appelés pères des peuples (Gn 17, 4.5), et une bonne éducation pour ceux qui sont engendrés par eux ? Mais si quelqu’un trouve, selon le récit de l’Ancien Testament, que cela aussi fut grandement en la faveur de ceux qui eurent des relations de mauvaise manière, ce que j’ai dit apparaît avoir été beaucoup plus convenable, (à savoir) que ceux qui vivaient dans la crainte de Dieu se multiplient par un engendrement fécond s’il fallait que, constamment, à partir des deux (sexes), la terre habitée, sur laquelle existent, du fait de Dieu, des peuples de toute race, soit ce qu’elle est appelée. Mais parce que cette terre habitée a désormais reçu la mesure de ses habitants, selon ses dimensions, par un supplément à la loi fut aisément introduite une mesure dans l’union matrimonialea.

Le mariage entre frères et sœurs pour les enfants d’Adam et Ève 64  Mais si, maintenant, nous voyons encore que, les mêmes choses, à certains il est permis de les faire et à d’autres cela n’est absolument pas permis, comme le fait de prendre femmes selon la loi et (pour celles-ci) d’être à des maris – ce qui est exempt de péché Augustin (Contra Faustum 22, 47, éd. Zycha 1891, p. 639, 4-22) évoque également un changement des mœurs et des lois (aliter se habentibus iam moribus et legibus) pour justifier le fait que la polygamie permise aux patriarches ne le soit plus. a 

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selon la loi commune de la nature qui a été donnée par Dieu, et, sauf pour ce fou, est au pouvoir de tout homme – mais que, pour ceux qui ont fait vœu de sainteté, en revanche, cela ne leur est pas permis, eux dont le vœu dépasse la nature commune et a dépassé la loi – il dépasse ce qui est dans la loi –, comment nous étonnerons-nous si, pour les anciens justes, la polygamie, qui n’était pas interdite dans la loi ni rejetée par la nature, était éloignée de (tout) reproche, même si, pour ceux de longtemps après, elle fut placée sous (le signe de) la culpabilité par un supplément à la loi qui (advint) en son temps ? Dès lors fut introduite une mesure dans l’union matrimoniale. Mais que dirons-nous au sujet du mariage entre frères et sœurs dont nous pensons que ceux qui étaient nés d’Adam usèrent par nécessité ? En effet, même si quelqu’un pense que le pouvoir sur cela ne s’écoule ni ne passe jusqu’à la multitude (qui vint) par après, il n’y avait cependant aucune échappatoire à celaa pour ceux qui étaient nés du premier (homme), parce que c’était absolument nécessaire et comme sans distinction (morale) ; or, c’est comme quelque chose de nécessaire qu’ils acceptèrent cela. En vérité, cependant, ce qui était non seulement permis en ce temps-là, mais qu’ils avaient accepté aussi comme quelque chose de nécessaire, cela, dans les générations qui suivirent, fut estimé à bon droit transgresser la loi, à cause de l’abondance de l’engendrement qui avait multiplié les générations. De même, en effet, que, si quelqu’un qui possède une seule vigne ne consentait pas à la soumettre à la taille et à l’émondage, réduirait et rapetisserait celle-ci au point de diminuer davantage les fruits et les grappes qui en proviennent, mais s’il transplante et replante de nombreux rejets, au lieu d’une seule (vigne) en fera plusieurs et la terre bien dégagée se remplira de plants de vigne, avec confiance, de façon empressée, il applique la taille et l’émondage aux sarments, parce que, dès lors, il ne manque pas de fruits qui en proviennent à cause de l’abondance des rejets qui ont été transplantés.

̇ ‫( ܐܠ ܗܘܐ‬III, 64, 18-19), voir le TheSur la construction ‫ܠܗܢܘܢ ܡܦܩ ܡܢ ܗܕܐ‬ saurus syriacus (Payne Smith 1901, col. 2426 in fine) : « non erat illis egressus, effugium ex hoc ». a 

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65  Ainsi donc, reconnaissons comment ces anciens, parce qu’ils étaient très purs et très vertueux, tinrent en estime l’abondance de l’engendrement des enfants à cause de la faiblesse de leur race, mais (que), pour ceux qui (vinrent) bien plus tard, l’excellence honorable du mariage en vue de la procréation introduisit la chasteté, comme en son temps, parce que ce qui était nécessaire, qui se trouvait dans la licence du pouvoir (accordé) aux anciens, avait cessé et avait disparu.

Mani ne comprend rien à tout cela parce qu’il est trop barbare 66  Or, ce Mani, tout en ayant dit bien haut qu’il méprise le corps, ne considère pas ces choses par sa connaissance, mais, comme un esclave du corps, il a admis, sans connaissance ni intelligence, qu’aussi bien la justice que l’injustice, les biens que les maux proviennent de luia. Et je dirai qu’il faudrait qu’il comprenne comment, pour chacune des actions, c’est l’intention de ceux qui les accomplissent qui distingue sa forme, comme le fait que nous nous sustentions, qui relève de la nature et est commun à tous les hommes, et qu’en cela nous échappons parfaitement au blâmeb. Mais que cela ne soit pas estimé être complètement exempt de faute, selon les jours, c’est en raison de la prédisposition occasionnelle de la volonté et de l’originec de chacun, ce qui a été dit à plusieurs reprises dans ce qui précèded. Mais il ne saisit pas la connaissance de ces choses parce qu’il est très barbare, à savoir que, tout comme il est nécessaire que nous fournissions aux corps des nourritures qui sont adaptées à leur stature, de même aussi faut-il que les enseignements qui conviennent à la dignité des âmes leur soient offerts pour leur avantage. Car à ceux qui sont tout juste Sc. du corps. La forme ‫ ܥܕܘܠܝܐ‬qui nous avons ici (III, 66, 8) n’est pas attestée dans le Thesaurus syriacus (Payne Smith 1901, col. 2810), mais elle est répertoriée par Brockelmann 1928, p. 512b (= Sokoloff 2009, p. 1070a), qui la traduit par vituperatio en citant le Contre les manichéens II, 3, 17 et 58, 2. c  Et non « de la promesse », comme traduit Nix (p. 21 : Versprechen), en lisant ‫ ܫܘܕܝܐ‬au lieu de ‫( ܫܘܪܝܐ‬III, 66, 10). d  Cf. III, 24, 15-23. a 

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nés, quel est celui qui tendra du pain ? Et à ceux qui sont désormais solides dans leur corps, quel est celui qui offrira encore le lait de leur mère ? Car, pour les deux, ces deux choses, non (offertes) en leur temps, sont toujours dommageables et destructrices, mais, (offertes) en leur temps, elles sont toujours utiles et salutaires. Ou bien comment celui qui est fiévreux et celui qui est tout à fait en santé peuvent-ils recevoir des nourritures égales et semblables ? 67  Ce trompeur ne sait donc aucunement que, pour les Juifs, eux qui étaient nés et avaient grandi en Égypte, il semble qu’une doctrine parfaite eût été tout à fait superflue et inutile en vue de l’enseignement et qu’il ne convenait pas qu’ayant été instruits pendant un long temps, à la fin ils se soient imaginés par là avoir reçu un enseignement par contrainte, tout comme on proposerait une nourriture contre leur gré à ceux qui ne peuvent pas du tout la recevoir. Mais il faut pareillement que celui qui enseigne et parle, voie et dise ce qui convient à ceux qui ont tout juste accédé à l’enseignement, afin que ni lui ne se répande comme (s’il parlait) dans l’air, ni ceux qui écoutent ne deviennent non réceptifs à son enseignement.

Exposé hérésiologique (68-74) Mani, Marcion, Basilide et Valentin

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68  Donc, ce barbare qui est grandement fou n’a pas compris ces choses et combien d’autres pareilles, qui s’accordent avec l’économie soigneuse de Dieu, et il a essayé de montrer que l’Ancien Testament s’oppose au Nouveau, afin que, par le fait de montrer qu’« il n’y a pas un seul et même auteur pour les deux », il semble qu’il y ait place pour sa fiction impie et qu’il persuade ceux qui sont sans intelligence que la loi ancienne provient du Mal et qu’elle a été établie par les archontes de celui-ci, ce qu’avant lui d’autres aussi, auxquels il s’est joint, avaient fait dans leur audacea. À propos des hérétiques prédécesseurs de Mani, cf. Acta Archelai 41, 8, éd. Beeson 1906, p. 61, 2-6 ; Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 39-40, a 

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Marcion, en effet, ce n’est pas au Mal mais « au juste, un autre en dehors du Bon »a, comme il a dit, qu’il attribue l’Ancien Testament, mais c’est par erreur et grandement par impiété qu’il a pensé cela. À la vérité, cependant, il était rempli de crainte (respectueuse) devant la force de la justice des commandements qui y sont (contenus). Quant à Basilide, celui dont proviennent ceux qui sont appelés gnostiques, lui aussi a osé « attribuer l’Ancien Testament au Mal »b. C’est de celui-là, qui lui est antérieur, dont Mani s’est séparé seulement au sujet de la forme de la création, mais pour le reste, les deux ont parlé unanimement de deux principes. Mais outre ceux-là, Valentin et d’autres encore qui se divisent les uns contre les autres et contre ceux dont on a précédemment parlé, sur certains des autres points, s’accordèrent à ces choses qui ont été dites précédemment, et ils blâmèrent particulièrement l’Ancien Testament et le considérèrent comme mauvais, et ils dressèrent les uns contre les autres quelques éléments sous prétexte qu’ils sont en désaccord avec le Nouveau, parce qu’ils estimèrent qu’ils démontraient manifestement la contrariétéc. Maintenant, ce chapitre qui porte sur cet argument est énoncé contre tous ceux, pris ensemble, qui ont méprisé les premiers commandements.

éd. Casey 1931, p. 56-59 (Valentin et Marcion). a  La proposition que Titus attribue à Marcion correspond à la 7e antithèse marcionite d’après Harnack 1924, p. 262*-264* ; cf. Clément d’Alexandrie, Stromate II, viii, 39, 2 : τί τοίνυν τὸν νόμον βούλονται (sc. les disciples de Marcion) ; κακὸν μὲν οὖν οὐ φήσουσι, δίκαιον δέ, διαστέλλοντες τὸ ἀγαθὸν τοῦ δικαίου (éd. Stählin, Früchtel 1960, p. 133, 28-29). b  L’affirmation selon laquelle Basilide serait l’ancêtre des gnostiques ne se trouve que dans la Chronique d’Eusèbe, dans la version de Jérôme : « Basilides haeresiarches in Alexandria commoratur. A quo gnostici » (éd. Helm 1984, p. 201, 2-3) ; le témoignage de Titus interdit d’y voir une invention de Jérôme (contra Löhr 1996, p. 36). En ce qui concerne l’attribution par Basilide de l’Ancien Testament au Mauvais, rien, dans les sources connues, ne confirme l’assertion de Titus. Les Acta Archelai 67, 4-68, 5, éd. Beeson 1906, p. 96, 10-98, 13, comportent une notice développée sur Basilide. c  En attribuant à Valentin et à « d’autres encore qui se divisent les uns contre les autres » un même rejet de l’Ancien Testament, Titus opère une simplification certaine ; en ce qui concerne les valentiniens et en particulier Ptolémée, voir Quispel 1966, p. 11-44.

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Les contradictions doctrinales chez les chrétiens et chez les « Grecs païens »

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69  Mais avant que nous produisions les paroles (de l’Écriture) par lesquelles tous les hérétiques supposèrent cette séparation des (Écritures) anciennes d’avec les nouvelles, cette première chose doit nécessairement être dite aussi contre les Grecs païens, même si nous semblerons nous écarter un peu de l’argument qui nous est proposé. Ceux-là, quand nous leur avons dit et montré que les doctrines des Grecs païens ne tiennent pas à cause de l’affrontement des sectes qu’ils ont établies chez eux, cherchent aussitôt à nous réduire au silence (en disant) que « chez vous aussi, il y a de nombreuses divisions  », ce qui se produit par le biais des hérétiques dont on a précédemment parléa. Mais sans discernement, en ignorant quelles sont la différence et le caractère étranger de ces choses par rapport à nous, dans leur maladie, ils nous insultent vainement par ces choses et ils tournent contre nous la réfutation dont ils font l’objet, ce qui est blâme contre blâme et non plaidoyer. En effet, (chez) les Grecs païens, tous les philosophes, à cause des honneurs semblables (qui leur sont rendus), sortent les uns contre les autres, Grecs contre Grecs, et tous ensemble, également, en tant que Grecs païens, sont honorés chez eux et renommés, et par les enseignements (mêmes) par lesquels ils se combattent les uns les autres, la louange leur échoit manifestement à égalité les uns auprès des autres, si bien que, quand quelqu’un honore l’enseignement de l’un d’entre eux comme vrai, il n’ose absolument pas à un autre d’entre eux à cause de l’opinion des Grecs et de la gloire qui se trouve dans la philosophie ; et il est évident qu’il se comporte avec quelque inclination, comme sans discernement, selon que lui a plu le parti de Créonb ou de quelqu’un d’autre et Titus cherche ici à parer l’objection que les païens pouvaient – et devaient sans doute – tirer des divisions qui faisaient rage à son époque entre les chrétiens sur les questions de théologie trinitaire. b  ‫ܩܪܐܘܢ‬, QR’WN (III, 69, 23) ; Payne Smith 1901, col. 3720 : « nom. viri, forte Creon ». On ne connaît pas de philosophe ayant porté ce nom, à moins qu’il ne s’agisse d’une déformation du nom d’Aristocréon, un logicien, le neveu et le disciple du stoïcien Chrysippe (voir Follet 1989). a 

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parmi tous il en choisit un seul, ce à partir de quoi ils seront tous considérés à bon droit dire vraisemblablement quelque chose qui n’a pas de base et ne tient pas. En effet, parce qu’aucun ne l’emporte sur tous les autres par la conviction de l’enseignement – ils sont en effet, à égalité, tous grecs et philosophesa –, il est absolument nécessaire que leur pensée et leur conviction soient divisées, et la contradiction des choses qui sont équivalentes, qui entraîne le renversement parfait et la destruction de leur conviction, est réfutation d’eux tous, dans la mesure où tous les Grecs leur accordent à tous l’égalité dans la philosophie. Car dans leur discours, ils ont épuisé toute leur force dans les choses capitales (qu’ils ont dites) les uns contre les autres. Et chacun d’entre eux a de quelque manière retourné contre lui-même la puissance qui est dans leurs livres, en ce qu’il a dressé contre elle, à égalité, son compagnon et a souffert de lui, à proportion égale, ce qu’il lui a fait.

Les hérétiques, pires que les païens 70  Or, les hérétiques ont été immédiatement et sur le champ proscrits et rejetés du cens du christianisme et de l’Église, parce qu’ils ont été trouvés coupables de nouveauté de doctrines étrangères. De ce fait, parce que les Écritures divines retiennent manifestement et contraignent l’audace de ceux-là, ils ont été obligés, par ces choses qu’ils ont pensé avoir inventées, d’amputer la plus grande partie de celles-là, parce qu’ils ne (pouvaient) avoir les deux choses, d’être à la fois considérés instruits par les Écritures et de dire ce qu’ils veulent, mais c’est nécessairement l’une de ces deux choses : ou ils méprisent les Écritures au point de n’être plus du tout appelés chrétiens, ou ils abandonnent leur doctrine. Car absolument jamais l’Église catholique ne nomme maître pour elle-

Cf. Justin, Apologie I 7, 3 : « De même que ceux qui, chez les Grecs, ont soutenu les doctrines qui leur plaisaient, fussent-elles contradictoires entre elles, se voient désigner toujours et partout du seul nom de philosophes, de même ceux qui se sont manifestés chez les barbares et se sont acquis la réputation de sages possèdent une dénomination commune qui sert à les désigner : ils sont tous appelés chrétiens » (éd. et trad. Munier 2006, p. 142-143). a 

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même un hommea, si ce n’est le Christ de Dieu, qui est le Dieu monogène, qui a parlé dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Et par là, manifestement, sans conteste, il est visible que, par l’intermédiaire de pasteurs qui sont continûment sincères et et finalement aussi, par l’intermédiaire de pêcheurs qui avaient reçu l’Esprit de sainteté, il a présenté les hauts faits de la gloire de son Père en même temps que, par des paroles simples, ses propres enseignements, qu’ils ne pouvaient – à ce qu’il semble, ils n’étaient pas non plus très instruits – connaître ni comprendre. À plus forte raison des hommes qui, non seulement, ne connaissaient pas de livres mais n’étaient pas non plus familiers de la culture commune, parleront-ils à voix haute et oseront-ils écrire sans dissimulation, du fait de leur grande sincérité et de la pureté des mœurs de leurs habitudes de vie ! Et c’est ainsi que, soigneusement, l’Église leur obéira comme au Christ qu’elle a pour seul maître par l’intermédiaire des Écritures saintes et non un être humain quelconque. 71  Or, tous ceux contre lesquels (porte) notre discours se sont posés en étrangers aux Écritures par leurs doctrines pointilleuses, car ils ont méprisé les Écritures et les ont diversement mutilées et effacées parce qu’aussi ils ont espéré annuler la réfutation dirigée contre eux. À partir de leur propre intelligence et de leur industrie, comme des Grecs païens, ils ont introduit les enseignements nouveaux de l’impiété de sorte que ceux qui leur obéissent ne soient plus appelés chrétiens mais le soient à partir d’eux, comme les manichéens contre qui nous parlons maintenant, et les marcionites (qui sont appelés) d’après Marcion et les valentiniens d’après Valentinb. Mais, jamais, l’Église catholique tout entière, qui, depuis le commencement, par l’intermédiaire de ceux par qui le Christ a parlé, s’est implantée et s’est affermie par toute la terre habitée, ne consent en aucune manière à les appeler et à les nommer chrétiens, mais elle pense à leur sujet qu’ils sont parfaitement étrangers, non Allusion probable à l’injonction de Mt 23, 8. L’argument selon lequel les hérétiques tirent leur nom du fondateur de leur système remonte à Justin (Dialogue 35, 6, éd. Bobichon 2003, p. 270-273) ; voir à ce sujet Le Boulluec 1985, p. 40-41. Le même procédé est invoqué in bonam partem par Mani en 1 Kephalaia 105, p. 259, 12-13, éd. Böhlig 1966 : « Voici qu’on appelle de mon nom les hommes qui m’aiment ». a 

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seulement comme des païens mais plus que des païens, si bien que les doctrines de la vérité et de la crainte de Dieu se trouvent seulement dans l’Église, dans des Écritures non mutilées et non oblitérées, dont aucune partie n’est corrompue et qui, sans combat, manifestement, sans contestation, unanimement, sont préservées pour tous les hommes dans l’exactitude, par toute la terre habitée, pour ceux qui ont de l’instruction et pour les incultes. 72  Mais eux ont composé et écrit pour eux-mêmes des doctrines étrangères et ils ont été tout à fait rejetés et exclus du compte et du cens de l’Église, de sorte qu’ils n’aient même pas part au nom du christianisme, de l’avis commun de tous les chrétiens, parce que ce n’est pas contre un homme, que ce soit contre un seul ou contre plusieurs, qu’ils ont forgé leur nouveauté – car leur union dans le combat ne leur interdisait pas du tout la participation à une appellation commune, comme aussi chez les païens, les philosophes sont tous appelés aussi Grecs –, mais c’est contre le Christ, Parole de Dieu, qu’ils ont innové au point qu’ils déchurent de la communion avec lui et aussi de son appellation. 73  Mais si quelqu’un nous méprise à cause du débat de maintenant et de longtemps, et de la division qu’il y a dans l’Église catholiquea, qu’il apprenne que ce n’est pas sur la question de savoir si ces réalités existent ou non dans les hypostasesb que cette division s’est produite chez nous, mais, alors que nous confessons ces réalités et ces hypostases conformément au décret des Écritures auxquelles nous croyons tous également, nous divergeons cependant sur la manière de (comprendre) à leur sujet comment quelque chose de ces (réalités) est dans l’hypostase car une recherche comme celle-là advient par le grand orgueil de ceux qui, dès le commencement, usèrent de perfidie. Car il est tout autant possible aussi d’être accomplis dans la crainte de Dieu sans tenter d’entreprendre une recherche au sujet de ces choses, d’approcher simplement les Écritures divines et d’accepter qu’existent les choses qui a  Augustin (Contra Faustum 13, 12, éd. Zycha 1891, p. 391-392) reconnaît pareillement l’embarras que cause au polémiste antimanichéen l’existence de dissensions et d’hérésies au sein même de l’Église. b  Le syriaque ‫ܩܢܘܡܐ‬, dans ce chapitre, semble bien rendre le grec ὑπόστασις (Payne Smith 1901, col. 3667).

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sont en vérité dans l’hypostasea. Mais (quant à savoir) comment elles sont, à cause de (notre) bassesse et de la crainte de Dieu, ne le recherchons aucunement, ce pourquoi, nous, nous ne supportons pas davantage une opinion mesquine et vile pour porter une accusation contre le seul qui est, et à juste titre nous enrageons et nous répudions ceux qui ont innové dans une recherche comme celle-là, car ce n’est pas comme des chercheurs qu’ils la suscitent, mais ils l’enseignent comme des espions et, par le biais des paroles des Écritures qui sont davantage (sujettes) au doute et qui ne témoignent pas en leur faveur, ils professent une opinion mesquine et pauvre pour une partie des choses auxquelles nous croyons également de façon générale. Maintenant, ces réalités ne sont ni moins que ce qu’elles sont ni plus, mais elles sont crues pour elles-mêmes par tous, également, d’une façon générale, et tous, nous confessons unanimement un seul principe sans commencement. Et nous n’avons pas d’affrontement au sujet des doctrines, mais (sur) cette seule chose essentielle, qui porte sur la question de savoir à quel point il convient que nous honorions le Fils, sur ce sujet, il est évident qu’il n’en va pas sans tempête ni danger pour ceux qui diminuent la mesure de son honneur, car, comme de juste, celleci est pour nous incompréhensibilité. Sienne est en effet cette parole : Afin que quiconque honore le Fils comme il honore le Père (Jn Titus de Bostra doit faire allusion ici aux dissensions qui sévissaient alors dans les Églises de l’Empire d’Orient entre nicéens, homoousiens et ariens ou arianisants. On ne sait rien de précis sur les positions de Titus en matière de théologie trinitaire sinon qu’il participa au synode réuni à Antioche en 363 pour régler les séquelles de l’arianisme et qu’il signa le βιβλίον adressé à l’empereur Jovien au terme du synode (voir Socrate de Constantinople, Histoire ecclésiastique III, 25, éd. et trad. Périchon, Maraval 2005, p. 352-359 ; cf. Clavis Patrum Graecorum 8595). Comme le note Sickenberger (Sickenberger 1901, p. 4 ; cf. Pedersen 2004, p. 142-143), on ne peut tirer trop de choses d’une signature ni porter au crédit de Titus certaines formulations semi-ariennes de la déclaration finale du synode, qui interprétait le ὁμοούσιος comme « signifiant que le Fils a été engendré de la substance du Père et qu’il est semblable au Père selon la substance (ὅμοιος κατ’ οὐσίαν τῷ Πατρί) ». Titus ne paraît pas avoir eu autrement une activité dogmatique importante ni avoir été dérangé dans la possession de son siège épiscopal, contrairement à plusieurs de ses collègues évêques. Quant à la christologie de Titus, elle s’exprime surtout, comme le note Solignac (1991, col. 1004), dans son commentaire de la confession du Père par le Fils en Lc 10, 21-22, conservé dans les scolies éditées par Sickenberger (1901, p. 193-196 ; trad. dans Lavoie, Poirier, Schmidt 2008, p. 272-275). a 

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5, 23). En cela donc qu’il existe, nous sommes d’accord. Donc, tout comme l’honneur du Père n’est saisi par personne, de même, non plus, celui du Fils n’est saisi. Car Jésus le Christ est Seigneur à la gloire de Dieu, son Père (Ph 2, 11), ce à cause de quoi il n’est pas inconvenant que nous blâmions ceux-là. 74  Or, ces hérétiques qui sont totalement en dehors de l’Église, dont font partie aussi ceux contre lesquels est dirigé notre livre, ont forgé ces principes qui n’existent pas et des choses nouvelles, à leur gré, et ils ne sont absolument pas, en aucun moment, chrétiens. Donc rien ne nuit à la concorde de l’Église catholique, car les innovations de ceux-là (servent) à la confirmation du témoignage de sa vérité. En effet, l’honneur de chacun de ceux-là et (celui) des Écritures saintes contre lesquelles ils s’élèvent ne sont pas égaux. Et il est dès lors évident par tout ce qui a été dit précédemment que le christianisme est le soin diligent et la garde appliqués aux Écritures saintes jusqu’au (moindre) trait d’une seule lettre. Or, ceux-là qui osent suspecter les Écritures et qui, pour un passage ou l’autre, (osent) aussi bien retrancher et effacer qu’ajouter ce qui est contraire, se sont manifestement excommuniés et éloignés euxmêmes du christianisme, car ils ne mènent pas un combat contre un homme, comme les philosophes des Grecs les uns contre les autres, mais contre Dieu, qui a conversé avec les hommes par l’intermédiaire des Écritures saintes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Mais (avec) ces (considérations), nous nous sommes nécessairement écartés de l’intention de notre discours qui était aisément disposée devant nous et, par de nombreuses choses, par amour pour la vérité, nous avons parlé tout autant contre les Grecs païens, qui nous méprisent vainement à cause des hérétiques, au point de penser qu’ils nous réfutent, nous aussi, de la même manière que les philosophes qui, chez eux, se divisent.

L’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament (75-79) 75  Mais nous nous sommes écartés vers cela parce qu’il faut aussi que nous parlions à égalité, comme en commun, contre tous les hérétiques qui déclarent le législateur de l’Ancien (Testament)

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étranger à Dieu et, sur ce seul point capital, nous les réfuterons et montrerons que c’est un seul et même Dieu qui a dicté l’Ancien Testament ainsi que le Nouveau. Eux-mêmes, même s’ils se sont gravement divisés les uns contre les autres au sujet du principe et au sujet des points capitaux, cependant, à partir de là, ils ont parlé unanimement parce qu’ils se sont emprunté le mensonge les uns aux autres, parce qu’une seule de ces choses leur importe, de déclarer mauvais et de blâmer le récit ancien des Écritures, dans l’idée qu’« il n’est pas en harmonie avec le Nouveau Testament », et qu’ils y lisent que « notre Sauveur a dit : Il a été dit aux anciens : “Tu ne commettras pas d’adultère”, mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme et la désire, a commis l’adultère avec elle dans son cœur (Mt 5, 27-28), et encore  : Vous avez entendu qu’il a été dit : “Tu ne jureras pas de serment de fausseté, mais tu acquitteras le serment à son seigneur”, mais moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, mais que votre parole soit “oui”, “oui” et “non”, “non” (Mt 5, 33.34.37) ». Or, dans toutes ces (paroles), quelqu’un pourrait dire qu’il y a différence et variation, mais il n’y a pas du tout en elles de combat et de contradiction. À propos, donc, de la différence, qui est à ce point dénué d’intelligence qu’il ne comprendra pas qu’il y a là augmentation et addition, et non abrogation des premières (dispositions) ? Car il n’a pas dit : « Il a été dit : “Tu ne commettras pas d’adultère”, mais moi, je vous dis  : “Commettez l’adultère” », car ce serait ainsi manifestement le contraire et il semblerait détourner radicalement les premières (dispositions) vers le mal et les renversera. Mais celui qui supprime et abolit l’intention de l’action par une additionb, est un adjuvant et non un ennemi de ces premières (dispositions). Et combien de choses comme celles qui suiventc, dont il parle en bref, introduit-ild et met-il en place, qui relèvent d’une excellence exacte et parfaite ! Et au sujet de la nécessaire excellence du Nouveau Testament, il témoigne que le Christ qui consentait à venir est venu pour parfaire ce qui était déa  Cf. Augustin, Contra Faustum 19, 20, éd. Zycha 1891, p. 518-519 : le Christ n’a pas aboli la loi, mais l’a complétée en y ajoutant (haec addendo Christus impleret). b  Voir Mt 5, 27-28, sur l’adultère dans le cœur. c  Dans le chapitre 5 de Matthieu. d  Sc. le Sauveur.

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ficient dans l’Ancien. Or c’est par nécessité que la déficience dans celui-ci fut permise à cause de la faiblesse de ceux à qui la loi avait été imposée, comme il a été dit et qu’il le sera encorea. Donc la déficience de ce dont une partie, préalablement décrétée, est belle, montre manifestement qu’ilb est bon ; en effet, ce qui lui est ajouté en vue de (sa) perfection est un bien pour celui-ci et, de même, la partie préalablement décrétée est de même nature que celle avec laquelle elle est unie dans l’harmonie, et elle en fait une seule (et même chose), parfaite, complète et achevéec. Mais si le premier (testament) aussi est bon, c’est un seul et même bon qui envoie et aussi mène à la perfection. 76  Mais, diront-ils, « que veut-il dire quand il a dit : Il a été dit : “Œil pour œil et dent pour dent”, mais moi, je vous dis : “Ne résistez pas au méchant, mais à celui qui te frappe sur la joue, offrelui l’autre ? (Mt 5, 38.39). Car ces choses ne sont pas distinction mais il y a en elles démonstration du contraire, dans la mesure où la parole de l’Ancien (Testament) conseille la violence et celle du Nouveau enseigne l’humilité. Et celle qui, pareillement, ordonne que l’on résiste à la contrainte de l’injustice, celle-là commande que l’on guérisse la malice par la bonté ». Donc en cela, pour parler brièvement, quelqu’un s’étonnera grandement aussi bien de l’économie miséricordieuse de Dieu, qui est dans l’Ancien (Testament), que du zèle et de la vigilance de la longanimité qui est dans le Nouveaud. Car tant ces réalités que ces paroles proviennent d’un seul (être). Mais Dieu parle de façon utile selon les mœurs des auditeurs et ce n’est pas contre lui-même qu’il est et qu’il combat, mais, en des temps différents, il a accomplie ce qui est opportun et convenable selon la diversité des manières de vivre des hommes.

Voir, par exemple, III, 60, 1-2. Sc. l’Ancien Testament. c  Titus veut dire ici que les dispositions que le Christ, dans le Sermon sur la montagne, ajoute à la loi ancienne, ne sont pas en contradiction avec celle-ci. d  Sur l’opposition entre Ex 21, 24 et Mt 5, 38-39, voir Augustin, Contra Adimantum 2, 2, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 250-251. e  En dépit des seyōmē sur ‫( ̈ܡܠܝ‬III, 76, 16), cette forme doit être interprétée comme une 3e personne sing. du parfait du pa‘el (cf. Payne Smith 1901, col. 2121). a 

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77  En effet, observons encore les mœurs des anciens pour qui la loi a été établie. Car s’il en avait été ainsi qu’ils pussent supporter humblement, par l’excellence de leur foi, les injures et les affronts de ceux qui les méprisent, la loi serait dure, et le remède n’aurait pas été à la mesure de l’ulcère. Mais parce que Dieu connaissait l’insolence de ceux pour qui la loi fut établie, dans une abondante miséricorde, il a établi la loi et ordonné que celui qui se comporte avec violence soit puni en proportion afin qu’il y ait de la mesure en regard de ces choses affligeantes qu’ils provoquent les uns contre les autres et qu’ils ne soient pas, jusqu’à la mort, mus les uns contre les autres par une colère sans mesure à cause d’une petite vexation. Dès lors, par là, il décrète et ordonne selon l’égalité, il empêche et abolit l’inégalité. Mais aussi, de quelque autre manière, la sentence retenait depuis le commencement celui qui commettait l’iniquité avec violence. Car la loi du « œil pour œil »a, l’a-t-il établie afin de capturer en vue de la punition, comme avec un filet, celui qui commet l’iniquité avec violence ou pour que, dès le commencement, ils ne commettent pas d’iniquité avec violence ? En effet, celui qui montre d’avance et indique la punition empêche le péché, et celui qui dit d’avance la menace annule la mise en œuvre de la punition parce que, d’avance, il en bloque la cause. Dès lors, c’est par une très grande miséricorde que le législateur à la fois terrifie par la parole et retient par l’action, grâce à un exemple, ceux qui lui sont soumis et lui obéissent, loin de l’abondance de la violence de l’iniquité. Car comment ne serait pas bon celui qui, parce qu’il ne veut pas que les hommes se comportent les uns envers les autres de façon injurieuse, s’occupe de la maladie de ceux qui, facilement, commettent violemment l’iniquité et prédit ce qui va leur arriver et ce que souffrent ceux qui agissent ainsi, afin que, dès le commencement, ils n’agissent plus (ainsi) ? Car si, en ce temps-là, il leur avait transmis une longanimité parfaite et les enseignements de l’endurance du mal, et leur avait dit, à eux qui étaient très rudes par leurs manières : Qui te frappe sur la joue, offre-lui l’autre (Mt 5, 39), quel est celui qui n’aurait pas accueilli cette licence sans crainte de punition comme la capacité a 

Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21 ; cf. Mt 5, 38.

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d’une violente abondance d’iniquité, et quel est celui qui n’aurait pas voulu davantage agir que pâtir ? Et cela aurait été plutôt un enseignement dur et sauvage, dans lequel il y aurait eu, de façon intempestive, longanimité et incitation à l’iniquité mauvaise. 78  Donc, parce que ceux qui, dans le Nouveau (Testament), étaient instruits, étaient d’abord des élus parmi tous ceux qui avaient été élus en raison du triomphe de la vertu et qu’ils étaient de plus de purs zélateurs de la longanimité et pouvaient entendre des enseignements parfaits et achevés, ils furent honorés par la perfection des commandements, car, en souffrant et en supportant, ils montraient leur force contre ceux qui agissaient (mal) à leur encontre. Dès lors, ces choses ne sont pas opposées ni se combattent (l’une l’autre), mais elles existent selon les différences des mœurs, de manière convenable, et c’est un seul qui a enseigné les deux. Là, en effet, il a agi avec miséricorde, par le biais de la conversion qui est dans la crainte, mais ici il a mené à la perfection la mise à l’épreuve de la longanimité par le biais de l’endurance des maux. Dès lors, les deux sont bons, aussi bien le fait que, à cause de sa miséricorde, il a restreint, par la crainte de la punition imminente, la violence de l’iniquité de ceux qui auraient facilement commis l’iniquité s’ils n’avaient eu quelque chose comme cela, que le fait qu’il a enseigné la longanimité à ceux qui se sont auparavant appliqués et exercés à l’humilité. Et ce ne sont aucunement là des commandements opposés et qui se combattent (l’un l’autre) mais c’est une économie qui distingue ces choses, selon les mœurs de ceux qui furent instruits. 79  Car (les commandements) seraient manifestement opposés si les uns étaient continuellement nuisibles et les autres parfaitement utiles. Mais s’il y a dans les deux un profit différent pour ceux qui les ont reçus, aucun d’entre eux ne sera non plus blâmé et accusé mais, dans les deux cas, nous admirerons celui qui a adapté l’enseignement qui convient selon les mœurs et a donné à ceux qui étaient imparfaits les choses imparfaites mais a gardé les grandes choses pour ceux qui étaient parfaits. Mais afin que nous voyions clairement la différence de ces choses, comprenons comment est imposée aux Juifs une loi en fonction de l’état du genre de vie de l’ordre du monde, et (comment) ils reçurent les lois d’un com-

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portement mondain afin qu’ils ne se causent pas de tort ni ne se comportent avec violence les uns contre les autres, et cette loi était comme celle du total affermissement d’un comportement mondain de justice et de crainte de Dieu, selon la capacité de ceux-là, mais aux chrétiens furent imposées des lois en vue de l’exercice de la vertu. Ceux-là reçurent des dispositions qui étaient en vue de la vie ici-bas, qui est dans l’harmonie des mœurs, mais pour ceux-ci, l’exercice de la patience et de la vaillance en vue de la vie à venir a été porté à (sa) perfection. Voilà pourquoi ceux-là reçurent les promesses de la terre et ils en eurent la possession, mais ceux-ci ont les promesses du ciel. Mais comment ont-ils les promesses du ciel ? De même qu’il fut fidèle envers les anciens par (son) action et qu’il a accompli ses promesses qui étaient (contenues) dans les paroles, ainsi lui-même sera fidèle dans l’accomplissement de ces grandes choses qu’il a promises une seconde fois. Ceux-là, en effet, à cause de leur incroyance en ce que des choses invisibles (pouvaient) tenir lieu de punition, vengeaient l’injustice et la transgression de la loi commises à leur endroit par un châtiment (procuré) par un glaive visible, mais ceux-ci, à cause de leur perfection dans la foi (et) dans la crainte, ce sont des choses à venir, le feu et la géhenne, qui les ont menacés. Car il n’était pas convenable ni, pour ceux-là, de leur imposer de fuir les maux par la menace de la crainte des choses à venir – car ceux qui ne croyaient pas aux choses qui étaient dites dans la mesure où elles n’étaient pas visibles estimaient que tout l’enseignement était (objet) de ridicule – ni non plus, pour ceux qui étaient dans l’excellence, d’être en revanche présumés se détourner des péchés par la crainte produite à leur encontre par un châtiment visible. Car il y aurait eu pour eux davantage de mépris que d’honneur, si la parole avait été dans une forme d’enseignement comme celle-là. Et il a encore permis à ceux-là de renvoyer leurs épousesa de peur qu’ils ne se vengent d’elles par le meurtre à cause de leur colère incontrôlée  ; il leur a permis cette petite chose afin qu’ils ne commettent pas ce grand mal. Mais ceux-ci reçoivent le commandement de ne pas en venir du tout à cette (extrémité) à leur gré, en dehors du motif d’adultère, parce qu’ils ont a 

Cf. Dt 24, 1-4.

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appris la mansuétude dans le comportement. Là, continûment, tout (effort de) conversion visait ceux qui n’étaient pas éduqués et dont les mœurs étaient très rudes, dans lequel il y avait quelque propédeutique qui, tranquillement, les rapprochait du comportement (propre) à la foi. Mais ici, le maître a proposé simplement des commandements comme pour des hommes qui sont dans un état de vertu. Là encore apparaît aussi le mystère du culte par l’intermédiaire de figures, mais ici, c’est simplement par l’intermédiaire de la vérité, de sorte que le sang du salut est aussi bien là qu’ici, mais là, c’est celui des animaux sans raison et ici, celui du Verbe de Dieu qui a pris corps. Mais sans le salut du sang, ni pour eux ni pour nous, il n’est de rédemption. Là encore, il y a la circoncision du corps, mais ici, la circoncision du cœura, parce que, pour eux aussi, il y avait la Jérusalem qui est sur la terre, mais pour nous, pour nous-mêmes, il y a des mœurs qui sont dans la cité qui est dans les cieux.

Un exemple d’exégèse manichéenne : les péchés commis par les justes de l’Ancien Testament (80-87) Le cas de David 80  Mais parce que ceux de la maison de Mani comparent, à ce qu’il semble, d’autres (lieux) tirés de l’Ancien Testament au Nouveau dans la mesure où ils pensent qu’« ils ne s’accordent pas », à partir de petites choses nous donnerons aux savants un spécimen de réfutation de la folie de ceux-là et nous montrerons la différence parce qu’aussi bien ils cachent leurs livres et ne les donnent pas à ceux qui peuvent les examiner et réprouver les inepties de leur folieb. Mais ils semblent proposer aussi les fautes des justesc, dans Cf. Rm 2, 29 ; Jr 4, 4. Titus reprend le poncif hérésiologique selon lequel l’erreur aime à se cacher. Cette accusation figure déjà en I, 17, mais en syriaque seulement (l. 50-51). c  Sur l’argument tiré des péchés des justes de l’Ancien comme du Nouveau Testament, voir Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 25, 1-11, éd. Casey 1931, p. 41 ; pour David et Pierre, ibid., 50, 1-8, p. 71. a 

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l’Ancien Testament, aux ennemis qui, comme eux, parlent non contre ceux qui les ont commises – car leur malice serait (alors) moindre – mais contre les Écritures elles-mêmes, selon l’habitude de leur folie, parce qu’il aurait justement fallu qu’à cause de cela, ils s’étonnassent davantage de la manière dont, en tout lieu, (Dieu) montre le visage de la vérité et dont il ne consentit ni ne supporta, par quelque bonté de complaisance, de couvrir ce qui avait été accompli, si quelqu’un des justes en quelque endroit avait fauté, alors qu’il n’y aurait eu personne d’autre à porter une accusation si l’Écriture n’avait pas formulé de blâme. Mais, dans les deux (cas), Dieu aide ceux qui lisent, lui qui proclama en type et en exemple, les triomphes de la crainte de Dieu chez les hommes justes et qui, là où quelqu’un de ceux-là fautait, lui disait ce qu’il en était, en vue de la retenue et de l’éloignement des péchés. Mais ceux-là parlent contre Dieu à cause de ces choses en lesquelles les hommes pèchent, eux à qui il faudrait, à partir de cela, voir plutôt la patience de celui qui supporte les maux et pas du tout imputer au Mauvais l’économie qui est dans les Écritures saintes. Car comment cela (se peutil) que les mêmes blâment le même pour la malice et le ridiculisent parce qu’il supporte ceux qui pèchent ? Mais la longanimité du Dieu de l’univers est sans mesure et incompréhensible, elle qui est visible aussi à partir du récit des Écritures, mais davantage à partir du blasphème de ceux qui sont contre lui, qu’il supporte et envers qui il montre de la longanimité en ces choses par lesquelles ils osent ouvertement le blasphémer et le mépriser. 81  Prenons donc comme exemple un seul péché d’un juste parmi les anciens, et exposons soigneusement, selon notre capacité, l’économie qui se trouve dans la justice de Dieu, et laissons le reste pour ceux qui peuvent comprendre afin qu’à des choses semblables, ils comparent celles qui leur sont semblablesa. Plus que tous, ceux-là ont l’habitude de blâmer le bienheureux David pour «  avoir manifestement commis l’adultère et arrangé le meurtre du mari de la femme »b. Mais à quel point il s’est illustré par sa Le péché de David fait également l’objet d’un développement circonstancié de la part d’Augustin, Contra Faustum 22, 66-67, éd. Zycha 1891, p. 661-664. b  Cf. 2 R 11. a 

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foi, ils ne veulent même pas le lire ni ne tolèrent non plus de comprendre, par l’intermédiaire des récits, à quel point il aimait Dieu ; et ils considèrent cette seule chose et ils accusent Dieu, lui qui, à cause de sa miséricorde insurpassable et infinie, place comme sur une balance, les uns contre les autres, aussi bien les hauts faits des hommes que les péchés, et si les choses bonnes se trouvent être plus lourdes, même ainsi il ne laisse sans guérison les choses qui ont été accomplies injustement, mais, à la vérité, à cause des petites choses, ne méprise ni ne rejette les plus nombreuses. Si donc David avait péché et s’il ne l’avait repris et si un procès devant un juge n’avait même eu lieua, comme nous avons l’habitude de le faire pour des hommes justes, nous trouverions à blâmer en cela non pas la méchanceté mais une miséricorde démesurée. Mais si, au moment même où le péché fut commis à l’encontre de l’habitude du juste, Dieu, au même moment, a en même temps repris le prophète par l’intermédiaire d’un prophète et en même temps aussi manifesté et dit le caractère caché du péché et, lorsque David eut été touché dans sa pensée et se fut repenti complètement et parfaitement, n’a pas moins châtié celui-ci par de grands revers et par des afflictions, qu’il a permis qu’ils viennent sur lui, comment ne faudra-t-il pas davantage, aussi pour les disciples de Mani le fou, à partir de l’affaire de David, éprouver un sentiment de crainte respectueuse devant la justice de Dieu en même temps que sa bonté, et ne pas, à cause du péché d’un homme qui a été repris, préparer et aiguiser leur langue contre Dieu, lui qui, à cause de sa bonté, s’est montré longanime envers le repentir de celui qui était tombé et qui, à cause de sa justice, (lui) b son action par des afflictions venant de l’extérieur ? Car Dieu sait quelle volonté accueille d’elle-même la guérison procurée par le repentir et laquelle, au contraire, sans prendre conscience par elle-même de ses péchés, va vers d’autres péchés qui leur sont pareils. À cause, donc, de la grandeur sans mesure de sa miséricorde, il concède sans jalousie le repentir aux volontés qui sont disposées à la guérison, c’est-àTitus fait probablement allusion ici aux reproches faits à David par Nathan, en 2 R 12, 1-15. b  Cod. ‫( ܕܟܕ‬III, 81, 31), leg. ‫ܕܟܪ‬. a 

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dire qu’il les aide aussi en vue de cela par le biais des afflictions qu’il amène sur elles. Mais ceux qui fautent sans repentir, eux non plus il ne s’empresse pas de les priver de la licence et de la capacité du péché mais il leur accorde de plein gré un répit en vue d’un repentir. Mais en vérité, dans sa prescience, il laisse la volonté de ceux-là dans une désespérance sans reproche comme sans apaisement, c’est-à-dire qu’ils n’acceptent même pas d’être frappés de componction à cause de leurs péchés. 82  Or il savait de David combien abondantes étaient sa justice et la dignité et la grandeur de sa crainte et de son amour envers lui, et il n’était pas juste, à cause d’une seule blessure, de permettre que ce parfait, comme un corps tout entier intact, soit corrompu, ce pourquoi il a guéri cette partie aussi, et il l’a possédé à nouveau, tout entier sain. 83  Or, au sujet du jugement de Dieu qui se produisit à propos de ce juste, quelqu’un qui ne se hâte pas de se laisser troubler dira ces choses et de très nombreuses (autres) qui sont comme celles-là. 84  Or, pourquoi ne parle-t-on pas de David en s’étonnant davantage à son sujet de son repentir que de sa justice première ? Car, lorsqu’un homme qui était roi eut été repris par un homme qui paraissait inférieur, à l’instant même, il s’est abaissé de son rang et s’est prosterné, et il a incliné son esprit jusqu’à terre, devint contrit dans sa réflexion et épancha son âme pour avouer. Il ne dormait pas la nuit ni ne se souciait (de quoi que ce soit) le jour. L’éclat de la royauté ne l’attira pas et le pouvoir de la principauté ne le retint pas, mais cela seul, à tout moment : verser des larmes, supplier Dieu et rechercher le pardon de son péchéa. Or, ce que je vais dire est excellent et spécialement vrai, (à savoir) qu’il a plus aidé par ce récit ceux qui (devaient venir) après lui, par le fait qu’il a péché une seule fois, que par les (actes) de justice qu’il a accomplis de nombreuses fois, car il devint un exemple et un modèle pour qu’ils avouent leurs péchés et se repentent en vue de la vie à venir, afin que personne qui pèche ne désespère de lui-même du fait qu’il a devant lui le remède de la guérison, l’aveu et le repentir, par l’exemple de David, lui qui, dans toute sa psalmodie, sans cesse et a 

Cf. 2 R 12, 13-17.

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sans interruption, a chanté son péché devant ses ennemis jusqu’à la fina. Et il est évident, à partir de ses paroles, que ce n’est pas sans larmes qu’il a parlé, car, à cause de celles-ci, même celui qui les lit ne peut supporter de les lire sans larmes. Celui, donc, dont les paroles entraînent les autres aux larmes, comment celui-là n’était-il pas disposé à pleurer celuib qui les avait dites ? 85  Maintenant, il n’est pas juste non plus que, selon l’audace de ceux qui (se réclament) de Mani le fou, ce bienheureux soit appelé adultère du fait d’une seule action. Car de même que personne n’est appelé archer à partir d’un seul tir qui touche la cible davantage par accident et non du fait de la technique, ni un autre, médecin du fait d’une seule guérison qui, sans art, lui a réussi, de même non plus celui qui, comme saisi de force, a fauté une seule fois ne sera nommé d’après ce péché surtout quand cette action a été plus soigneusement effacée que commise. Voilà pourquoi, aussi, on s’étonnera grandement, au sujet de ce bienheureux, de la manière dont il est tombé et encore plus du fait qu’il s’est relevé rapidement, et non du fait qu’il est tombé. Car pour celui qui triomphe par habitude, ce n’est en rien un sujet d’étonnement s’il ne tombe pas devant son adversaire, et s’il tombe, il n’est pas évident qu’il se relèvera. Mais celui qui a été laissé sur le carreau après l’habitude de la victoire, quand il s’assure à nouveau la victoire avec habileté et grande force, parce qu’il a fortement résisté dans son combat, celui-là est admirable et excellent parce qu’il a supporté une défaite plus que lorsqu’il vainquait par habitude, et il a davantage fait montre d’un combat (digne) d’une admirable émulation et d’émerveillement. 86  Ainsi donc, ceux qu’il convient d’admirer, ceux-là les blâment et ils calomnient vainement de nombreux autres justes, parce qu’ils ne comprennent pas les choses qui sont écrites à leur sujet. On peut mentionner le Ps 50 (51) et les psaumes que la tradition occidentale désignera comme pénitentiels, en plus du Ps 50 (51), les psaumes 6, 31 (32), 37 (38), 101 (102), 129 (130) et 142 (143). b  C’est-à-dire David, auteur des paroles des Psaumes, pleurant sur lui-même. La traduction retenue par Nix (1901, p. 35) : « par celui qui avait dit cela » (durch jenen, der dies sagte) semble moins heureuse ; dans ce cas, il s’agirait du prophète Nathan (2 R 12, 1-15). a 

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Or, si nous entreprenions de produire un discours vrai à propos de chacun d’entre eux, sans doute importunerions-nous les lecteurs.

La punition des péchés jusqu’à la troisième et la quatrième génération 87  Mais s’ils proposent aussi le jugement écrit par Moïse comme cruel et comme injuste, et blâment la loi qui menace de rétribution les péchés des pères sur la troisième et sur la quatrième générationa, à nouveau ils ne comprennent pas combien (grande) est la miséricorde qui est cachée dans cette parole. Le fait, en effet, qu’on n’ait pas tiré vengeance des anciens qui avaient péché et transgressé la loi mais qu’il laisse du temps, dans la patience et la longanimité, en vue du repentir, aussi bien à ceux-ci qu’à ceux qui (proviendraient) d’eux et commence le châtiment à partir de la troisième (génération), cela a proclamé l’abondance de la miséricorde. Car il est évident que ceux-ci n’auraient pas été soumis à l’épreuve du châtiment s’ils n’avaient été les successeurs et les imitateurs de leurs pères dans l’iniquité et la transgression de la loi. Et à partir de cela, il est évident que c’est à cause d’eux-mêmes qu’ils sont punis et non à cause de la malice de leurs parents. Mais ils sont punis afin que l’héritage des maux ne continue pas à l’excès par une succession prolongée et le (seul) nom du châtiment, (prononcé) en vue de l’effroi, freinait nécessairement l’ardeur des parents pour les péchés. Donc ce jugement comporte utilement de l’effroi dans les paroles, mais dans les faits, c’est une grande et parfaite miséricorde qui apparaît bel et bien. Et de là, la loi est très bonne et le législateur, miséricordieux, parce qu’il a commencé par des lignes et des lettres, et amène doucement vers l’enseignement de la crainte de Dieu, et il ne pousse pas au désespoir ceux qui ne sont pas éduqués, mais à ceux qui sont parfaits, il donne mystérieusement la perfection sans jalousie. En effet, il n’était pas nécessaire, lorsqu’on avait reçu une gifle, qu’on en donne une en retour et si on avait été blessé à l’œil, qu’on blesse également. Car, sous le régime de la mansuétude, il leur était permis de faire toutes a 

Cf. Ex 20, 5 ; 34, 7 ; Nb 14, 18 ; Dt 5, 9.

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choses comme celles-là. C’était en effet une concession qui s’imposait, comme à l’endroit de ceux qui auraient été dans la maladie et non la contrainte de la loi, et il leur était permis de transgresser la loi. Car la loi n’est pas imposée aux justes (1 Tm 1, 9) de même que, pour ceux dont le corps est sain, la préparation des médicaments de la médecine est inutile.

Conclusion 88  Il est donc fou, et fou et stupide au plus haut point, le blasphème de tous les hérétiques qui, à la façon des chiens, furent pris de rage contre l’Ancien Testament et aussi contre leur Seigneur. Car, sans le récit des Écritures anciennes et de la prophétie, l’enseignement du Nouveau Testament n’a pas de cohésiona. Car c’est là que les prophètes indiquent d’avance la venue du Christ et se préparent aussi dans l’espérance de la venue de celui qu’ils attendent, le héraut de l’enseignement céleste qui est dans l’Évangile. Mais non moins que par ces choses-là que par celles qui vont suivre, ceux contre qui notre discours est (dirigé) seront convaincus d’être des étrangers. Est achevé le troisième discours contre les manichéens.

Cf. Épiphane, Panarion, 66, 43, 1, éd. Holl 1933, p. 80, 12-16 (« l’Ancien Testament rend témoignage au Sauveur et le Sauveur reconnaît l’Ancien Testament »). a 

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QUATRIÈME DISCOURS CONTRE LES MANICHÉENS

Introduction (1-3) 1  Or, après les arguments que, selon notre capacité, nous avons répétés en bref comme en résumé en faveur de l’Ancien Testament et en faveur de l’économie divine et admirable qui s’y trouve et (qui) toujours est de Dieu, pour ceux qui, en raison de leur conditiona, peuvent comprendre – car, pour ceux qui saisissent facilement, il n’est pas besoin de nombreuses paroles au sujet de choses qui sont à ce point évidentes –, le moment est désormais venu que, par le discours, nous délivrions et sauvions de la folie de celui-là le Nouveau Testament aussi, qui supporte préjudices et reproches de la part de Mani le fou, et que nous montrions qu’il y est parfaitement étranger. En effet, il a habilement osé mépriser surtout celui-ci dans la simulation de sa foi en lui, plus que le récit de l’Ancien Testament qu’il a tout entier complètement attribué aux archontes de la Matière (ainsi) appelée par lui. Car, de ce dernier, il a laissé sain et complet le corps entier tant de ses faits que de ses paroles, et il a montré le bénéfice de son inimitié contre les livres divins, lui qui est en tout point étranger à la vérité. Mais il a en toute chose corrompu le Nouveau Testament et, comme pour un corps, il l’a

a 

Littéralement « de leur mesure ».

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découpé membre par membre, il en a effacé de nombreuses chosesa et en a choisi pour lui-même de petites, et il a montré que sa foi en lui était plus nuisible que son incroyance par rapport à l’Ancien Testament. Mais, à la vérité, par les choses mêmes du Nouveau (Testament) qu’il a choisiesb, qui sont minimes et dont il a usé par violence pour la confirmation de sa propre invention, il est possible que même par elles apparaisse clairement son audace à l’encontre de Dieu. Car ces choses ne recherchent pas seulement dans leur affection (mutuelle) le compagnonnage et l’accord de celles qui ont été méchamment effacées et enlevées par folie, mais elles indiquent et montrent aussi une réfutation évidente de cette audace. 2  Il n’avait donc aucunement besoin non plus du Nouveau (Testament). En effet, pourquoi le menteur aurait-il eu besoin de paroles véritables ou comment aurait-il usé d’enseignements fictifs sans fondement et de détails qu’il veut choisir dans les livres divins si sa pensée et sa ruse en vue de son erreur n’avaient été autresc ? En effet, parce qu’il a imaginé d’exiger de l’Église des brebis (comme) nourriture toute prête, il a pensé, ce trompeur, s’imposer à lui-même le nom du vrai pasteurd et il s’appelle lui-même dans ses livres « Apôtre du Christ » et « Paraclet »e, afin que le nom adorable de la vérité lui soit une aide en vue du rapt des brebis douées de raison. Pour qu’à son gré, il tende et pose ses filets également contre les Grecs païens, il déserte les chrétiens comme s’ils leur étaient étrangers, et il recourt autrement à la ruse en vue de sa tromperie et leur montre qu’il s’accorde grandement avec eux et (qu’il est) des leurs, comme aussi, dans la tromperie, il montre envers l’Église une (fausse) apparence. a  Cf. Augustin, De moribus 1, 9, 14, éd. Roland-Gosselin 1949, p. 156-157 : « Ces textes (qui sont effacés du Nouveau Testament), les manichéens ont coutume de dire qu’ils ont été insérés par des corrupteurs de l’Écriture » ; Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 36, 13-22, éd. Casey 1931, p. 53 (cité supra, III, 2, p. 297, n. b). b  Cela signifie que Titus ne recourra qu’aux paroles du Nouveau Testament que les manichéens admettent. c  Cf. Augustin, Contra Faustum 22, 13, éd. Zycha 1891, p. 600, 9-11 (« l’Ancien Testament qu’ils calomnient méchamment … le Nouveau qu’ils reçoivent pour tromper les ignorants »). d  Cf. Jn 10, 11. e  Sur ces titres, voir supra, III, 1, p. 293, n. c, et p. 295, n. a.

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Le nom de « Christ » (3-11)

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3  Puisque, donc, il recourt à la ruse d’abord en ce qui concerne le nom en tout endroit où il écrit : « Mani, apôtre de Jésus-Christ », considérons comment aussi ce seul nom détruit et annule complètement toute son hypothèse. En effet, le nom du Christ en même temps que sa personnef, ce n’est pas le Nouveau Testament, avec lequel celui-là feint et simule de s’accorderg, qui les a prédits. Mais, à la vérité, aucun de ses disciples non plus n’aurait été cru, qui aurait imposé un tel nom à notre Sauveur ou se serait (ainsi) appelé luimême, mais depuis toujours et dès les origines, par des figures et des mystères, et dans la prophétie, l’Ancien Testament a révélé d’avance le nomh. Par conséquent, le Christ non plus ne s’est pas ainsi proclamé lui-même ouvertement sous ce nom, car il n’était pas convenable qu’il fût désigné davantage par le nom que par l’intermédiaire des faits eux-mêmes. Mais les Juifs qui, depuis le commencement, l’attendaient, le reconnurent et le nommèrent par leur foi dans les faits et, à partir de l’ancienne prophétie, ils lui conférèrent un nom véritable. Car le soleil non plus, quand il se lève, ne se nomme lui-même « soleil », mais il suffit, une fois qu’il a paru, qu’il soit nommé par ceux qui le voient. Donc, ce nom, qui fut véritablement imposé et proclamé dans l’Ancien (Testament), précède aussi la venue de celui que devaient espérer ceux qui attendaient la venue de celui qui serait ainsi nommé. Donc, si seulement il reçoit le nom du Christ comme honorable et véritable, tout un chacun trouvera que l’Ancien Testament tout entier s’accorde manifestement avec le Nouveau et il dira que la loi est maître véritable et disciple du Christ, en tant que pédagogue et instructeuri, et il offrira le maître au disciple Ou : « son hypostase » (IV, 3, 4 : ‫)ܩܢܘܡܗ‬. Cf. Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 36, 10-13, éd. Casey 1931, p. 53 : les manichéens feignent d’honorer les Évangiles pour s’approprier le nom de Jésus. h  Cf. Augustin, Contra Faustum 12, 5, éd. Zycha 1891, p. 333-334 ; 13, 1, p. 377379 ; 13, 2, p. 379 (le nom de « Christ » ne se trouve que chez les « prophètes hébreux »). i  Cf. Ga 3, 24 ; Sérapion de Thmuis, Contre les manichéens 39, 29-30, éd. Casey 1931, p. 53 : « si (les manichéens) avaient connu l’Évangile, ils n’auraient pas méconnu la loi » ; de même, ibid., 37, 1-3, p. 54 : « Bien qu’ils reçoivent l’Évangile, f 

g 

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qui est instruit. Quant à la signification du nom et au discours qui le concerne, d’ici peu, selon notre capacité, nous les exposerons. 4  Or, disons ce qui nous est maintenant proposé, (à savoir) que Mani, qui blâme l’ancienne prophétie, s’accordera avec lui-même s’il fuit aussi le nom du Christ, car celui-ci fut connu par elle avant même qu’il ne vînt. Ainsi, en effet, tout en se vêtant d’une peau de brebis, il se montrera être un loupa et contre ceux qui proviennent de l’Église, il n’aura aucune (force de) tromperie, de sorte que pas même un seul d’entre eux ne voudra absolument incliner vers lui son entendement, comme pas davantage vers l’un des philosophes païens qui sont chez les Grecs. Ou bien s’il loue le nom, qu’il loue aussi le livre dont il provient, celui dans lequel apparaissent un seul créateur de toutes choses et un seul principe de ces choses qui, par lui, d’une manière belle et sage, sont venues à l’existence à partir de rien, elles qui, toutes, ont été dites très belles par leur créateurb, c’està-dire, si, contrairement à son habitude, Mani ne rougit pas d’oser affirmer que « les archontes de la Matière » ont proclamé par la prophétie la venue du Christ et prédit son nom afin qu’« après l’avènement des faits ils produisent une foi de mensonge comme si la prophétie provenait de Dieu » ; cette échappatoire est cependant pour lui pire que l’accusation dont il fait l’objet. Car s’ils prédisent, il est évident qu’aussi il y a en eux une prescience divine parce qu’ils indiquent d’avance ce qu’à la fin, par la suite, fera le Bon, comme le dit celui-là, et ils paraissent avoir proclamé d’avance la vérité. En d’autres termes, ils furent également les messagers de la foi et les hérauts du Christ et les adjuvants du salut de ceux qui croient en lui, de sorte à aider plus qu’à nuire, ce qui est discordant avec l’hypothèse que celui-là a proposée et parfaitement étranger à celle-ci. 5  Mais s’il dit que l’Ancien (Testament) aussi est de quelque manière associé au Bon, c’est alors la bonne occasion pour lui d’en effacer aussi quelque partie et non de le rejeter et de le repousser tout entier. Autrement, par cette affirmation, il semblera que la totalité (de l’Ancien Testament) sera attribuée à Dieu et que toutes les choses ils ne reçoivent pas la loi, ni ne reçoivent complètement intact (ὁλόκληρον) le saint Évangile ; en effet, ils prendraient aussi la loi s’ils accueillaient intact l’Évangile ». a  Cf. Mt 7, 15. b  Cf. Gn 1, 31.

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qui y ont été accomplies selon la loi qui fut (donnée) par l’intermédiaire de Moïse lui seront imputées. En effet, dans celle-ci, sont appelés « Christ » et le prêtre et le roi du peuple des Juifsa. Or, tout ce qui était accompli était accompli en accord avec ceux-ci et avec leur agrément, et en dehors d’eux absolument rien ne se produisait. Aussi est-il donc ainsi nécessaire que toute la législation qui fut imposée soit considérée comme venant de Dieu, si seulement quelqu’un reçoit le nom de Christ. Car l’onction au moyen d’aromates qui a été par la loi et par la parole de Dieu, par l’intermédiaire de Moïseb, était le signe de l’institution des deux, et du grand-prêtre et du roi, lorsqu’ils reçurent celui-ci quand ils le demandèrentc. Or, celle-ci était le type et la figure de ce qui allait venir, car la principauté du peuple des Juifs était partagée entre la grand-prêtrise et la royauté. Mais lorsque se produisit l’avènement des faits, la ressemblance et la figure de ce qui devait arriver furent accomplies parce que, dans un unique Véritable, c’est-à-dire le Christ, les deux devaient se réunir. Car c’est lui qui, dès avant le monde, est le roi ainsi que le grandprêtre auprès de son Père en faveur de tous ceux qui en recevaient la ressemblance. Chez les Juifs étaient appelés « Christs » ceux qui avaient part à l’onction de la grand-prêtrise. Donc, à partir de ce moment, en type et en prophétie, avait cours et prévalait l’onction, et sans elle non plus personne ne devenait ni grand-prêtre ni roi. 6  En outre, ceux qui étaient asservis étaient appelés « Juifs » et non « chrétiens » parce que c’était un mystère et un type qui prévalaient alors, qui étaient préparés et arrangés en vue de la vérité. Car était l’un des douze chefs de tribu ; or, il avait été fixé qu’il régnerait sur ses frèresd et il n’était jamais permis qu’on institue des rois (provenant) d’un autre groupe mais seulement de cette tribu. Donc, à partir de ce Juda qui régnait, les Juifs furent (ainsi) appelés en ce temps-là. Mais celui qui se levait en tant que roi, ce n’est pas seulement à cause de son origine qu’il était tout simplement jugé digne de la royauté – car ils étaient nombreux à provenir de lui – a  Cf. entre autres Lv 4, 5.16 (le prêtre) ; 1 R 2, 35 (le roi) ; 26, 9 (Saül) ; Ps 2, 2 (le roi). b  Cf. Ex 30, 22-33. c  1 R 8, 5-22. d  Cf. Gn 49, 8-10.

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mais s’il avait eu part à l’onction et l’avait reçue, et dès lors, ce type et ce mystère étaient plus sublimes et plus élévés que la race. Mais quand fut venue la vérité dont ce qui avait eu cours chez les Juifs était le type et le mystère, Juda cessa (l’exercice) de sa principautéa, selon la prédiction du père commun des douze (tribus)b, et à sa place s’introduisirent l’autorité et la principauté du Christ, l’intelligible à la place du visible et le céleste à la place du terrestre. Et ainsi les Juifs aussi, par la réception et le partage d’un nom (plus) excellent, ont été appelés « chrétiens »c, non pas en vue du blâme et de la réfutation de l’appellation ancienne mais, parce qu’ils avaient reçu celle qui est plus élevée et plus excellente, et y avaient pris part, selon l’espérance des prophètes d’autrefois, eux qui leur avaient prédit et clairement annoncé d’avance que mon peuple sera appelé d’un nom nouveau qui sera béni par toute la terre (Is 62, 2  ; 65, 16). Il est manifestement nouveau parce qu’il (apparaît) en même temps que le Nouveau Testament. En effet, quand celui qui régnait eut été remplacé, lui d’après qui il convenait que soient appelés aussi ceux qui étaient sous (sa) royauté, ils changèrent également leur appellation. Mais le nom n’était pas nouveau, lui qui avait autorité sur ceux-là comme en des symboles afin que toutes choses soient conservées en vue de la vérité. 7  Ainsi, nous n’avons pas d’autre sujet de dispute contre les Juifs si ce n’est au sujet du Christ qui est venu, lui qui est estimé chez eux depuis le début devoir venird, qu’ils attendent même jusqu’à maintenant, qu’ils nomment par son nom et dont ils pensent erronément qu’il n’est pas encore venu. Contre ceux-là, c’est à partir des Écritures auxquelles ils croient touse, de la législation ancienne et des démonstrations tirées des faits que nous ferons une réfutation par notre discours. a  Cf. Augustin, Contra Faustum 22, 85, éd. Zycha 1891, p. 688-690 (le Christ est venu au moment où cessait la royauté de Juda). b  Cf. Gn 49, 10 ; sur l’interprétation christologique de ce verset, voir Harl 1986, p. 308, note ad loc. c  Cf. Ac 11, 26. d  Nonobstant la ponctuation de ‫ܐܬܐ‬ ܼ (IV, 7, 3) dans le manuscrit, qui est celle d’un parfait, force est de traduire le verbe comme un participe à nuance modale ou future. e  Ou : communément, de façon générale (IV, 7, 5 : ‫)ܠܓܘܐ‬.

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8  Mais que diront ceux de la maison de Mani le fou, qui méprisent l’Écriture et reçoivent de l’Écriture même, comme divin et honorable, le nom excellent et sublime au point que le même écrive : « Mani, apôtre de Jésus-Christ » ? Or le nom de Jésus se traduit par sauveura et il est resté en hébreu dans le Nouveau (Testament), comme aussi (pour) d’autres choses par lesquelles il est clairement évident que le discours de l’Ancien et du Nouveau (Testaments) partage une fraternité mutuelle et un seul (et même) genre. Ainsi donc aussi, le trompeur est réfuté par la seule appellation. En effet, l’Ancien (Testament) tout entier nomme « Christ » non seulement celui qui est oint dans la ressemblance et le mystère, mais aussi celui que le mystère qui était accompli (signifiait), si (du moins) quelqu’un s’applique, lit et rassemble les témoignages, ce qui pour nous n’est pas une lourde tâche. 9  Or, il est nécessaire que nous disions et la cause et la raison qui valent pour le nom du Christ, avec lequel Mani n’a pas la moindre chose en commun. L’onction d’huile est le signe de l’exercice du combat et de la lutte de l’athlète. En effet, personne ne se dévêt devant son adversaire sans huile ni ne vient au combat sans onction. Parce que, donc, ceux qui sont des craignant-Dieu ont assumé le combat contre les désirs de la nature en échange de l’excellence divine et persévèrent jusqu’au sang dans la crainte de Dieu, contre ceux qui s’apprêtent à les persécuter – car le combat de la crainte de Dieu est plus grand que tout –, ils ont besoin non d’une huile corporelle mais de (l’huile) intelligible de l’Esprit de sainteté parce qu’aussi bien leur combat est intelligible et intellectif, dont l’huile corporelle du sacerdoce est le symbole, dont ils sont tout à la fois jugés dignes et auquel ils prennent part afin de descendre au combat et ils sont oints comme pour le combat. Voilà pourquoi seul, en vérité, leur roi par excellence, en tant qu’archétype, n’a pas été appelé « Christ » par accident  mais il a été oint par son propre Père dans l’Esprit de sainteté et la puissance (Ac 10, 38), comme le dit l’Écriture, et il a supporté le premier la persécution pour tout homme et le combat dans la souffrance pour le salut. Mais aussi a-t-il encore supporté (d’être) le type du labeur et de la lutte pour la vertu, même si ce n’était pas a 

Cf. Mt 1, 21.

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pour lui-même – car il n’en avait pas besoin – mais à cause de tous les autres et il devint un modèle pour la vie humaine, afin que tous ceux qui le regardent, par la participation aux combats qui les oppressent et l’acceptation de ceux-ci, deviennent participants de son nom et soient appelés « chrétiens oints »a. Et désormais le nom du Christ signifie sainteté, persécution jusqu’au sang à cause de la vérité de la crainte de Dieu et combat, et le chrétien est un combattant et un athlète pour la crainte de Dieu en même temps que pour la vertu dans la communion et dans l’onction de l’Esprit de sainteté. Et c’est cela qu’indique aussi le bienheureux Paul et il dit : Leur combat n’est pas contre la chair et le sang (Ep 6, 12)b et la suite. 10  Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le fou  ? Car, tout d’abord, même s’il ne le reconnaît pas ouvertement, il montre que l’exercice de la vertu est inutile parce qu’il introduit le principe du Mal invaincu. « Celui dans lequel, comme il dit, se trouve une surabondance de celui-ci dans le mélange vivantc, même s’il le veut, est incapable du soin de la vertu de sorte qu’un exercice comme celui-là ne lui est même pas nécessaire ». Mais « celui dans lequel, au contraire, se trouve une surabondance du Bon, même sans labeur, sera amoureux de la vertu », et pour les deux, l’onction du combat est inutile, puisqu’aucun d’eux ne peut en venir à de telles luttes et à ces combats, et, dès lors aussi, le nomd est inutile pour ceux qui, au lieu du labeur, introduisent la nature de la nécessité. 11  Ne dit-il pas aussi, comme dans un rêve, que « nous devons tenir jusqu’à la mort contre ceux qui se dressent contre la vérité de la crainte de Dieu  »  ? En quoi donc ce Nom lui est-il autrement nécessaire, qui enseigne qu’il faut que nous soyons persécutés jusqu’à la mort et que nous nous oignionse contre les ruses des persécuteurs ? En effet, le discours de celui-là enseigne qu’« il faut a  ̈ ‫ )ܟ̈ܪܣܛܝܢܐ‬est peut-être imputable au traCette tautologie (IV, 9, 27 : ‫ܡܫܝܚܝܐ‬ ducteur syriaque. b  Avec une variante accommodatrice (« leur » au lieu de « votre », selon la Peshitta, ou de « notre », selon le grec). c  Ou : « du vivant ». La ponctuation du manuscrit ne permet pas de lire « de la vie », comme le fait Nix (1901, p. 7). d  Sc. du Christ. e  Cf. 2 Co 1, 21 ; Ep 6, 10-17.

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également que nous sacrifiions et que nous nous adaptions à toutes choses », et à ce propos il fait violence à la parole de l’apôtre qui dit : Avec tous je suis devenu tout afin de les faire tous abonder (1 Co 9, 22). En d’autres termes, cette (parole) est superflue, (selon laquelle) « nous devons combattre jusqu’à la mort contre ceux qui nous ordonnent de sacrifier aux mauvais démons et aux idoles ». Aussi, à partir de cela, est-il désormais évident, une fois que la signification de ce nom a été expliquée, que Mani se retrouve complètement étranger au Christ, par qui il a dit et écrit avoir été envoyé. En effet, à partir de ce qui est visible nous est indiqué dans la ressemblance ce qui est intelligible, et à partir de l’onction corporelle, l’incorporelle ; même si l’intelligible est antérieur en vérité et en puissance, ce qui est oint est néanmoins aussi à sa ressemblance. Dès lors, ni chez les Juifs n’y a-t-il la perfection dans l’onction corporelle sans l’intelligible, ni celle de l’Évangile n’admet-elle que son symbole soit rejeté, parce qu’aussi bien celui qui méprise l’image du roi est renvoyé manifestement devant le roi et l’(accusation d’)insolence est imminentea. C’est pour cette raison également que le Christ a fait son apparition chez les Juifs, là où se trouvait aussi l’image de sa royauté, qui avait été révélée d’avance par la prophétie.

Mani, l’Évangile et le Paraclet (12-17) 12  Parce que, donc, ce trompeur a résolu de dire que la création de Dieu, qui est racontée par l’Ancien Testament, est mauvaise, toutes les choses qu’il a trouvées dites dans le Nouveau à la louange de celle-ci – c’est-à-dire à la louange de celui qui l’a faite –, il les a effacées et rejetées, tout comme ceux qui, avant lui, ont osé pareille chose, à cela près qu’il a manifestement avoué que cela devait se produire par lui : « Je suis venu », en effet, « et j’ai été envoyé afin de corriger et de purifier les Évangiles parce qu’il y a en eux de ce qui provient du mélange », comme il dit, « du Mal »b. a  Même si l’onction de l’Évangile est la véritable, on ne peut pour autant rejeter sa préfiguration dans l’Ancien Testament. b  Sur la thèse manichéenne de la falsification du Nouveau Testament, cf. Augustin, Contra Faustum 22, 15, éd. Zycha 1891, p. 603 ; 11, 1, p. 313-314 (falsification

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Mais considérons et voyons aussi ce qu’avec ruse il raconte dans son audace, ainsi que la folie et le non-sens sans limite de ceux qui lui obéissent. Il a dit en effet qu’« il a été envoyé par le Christ » et il affirme mensongèrement qu’« il est son envoyé et son Paraclet »a. Mais de quel Christ ? Il est évident que c’est celui de chez les Juifs. En effet, il n’y en a pas d’autre qui se soit manifesté et soit apparu, dont aussi la naissance dans un corps se produisit au temps du règne d’Auguste, et la passion et l’ascension au ciel se produisirent dans la dix-huitième année de Tibère, à partir de qui, jusqu’à Dèce, celui qui persécuta durement l’Église, se sont écoulés deux cents treize ansb, et jusque-là Mani n’avait pas du tout été connu. Mais à partir de quoi cela est-il évident et connu ? C’est moi qui le dis : Origène, le maître en même temps que le prêtre de l’Église, vécut jusqu’à Dèce et il n’a fait aucune mention de Mani, alors qu’il n’a négligé pas même une seule des hérésies qui (ont surgi) contre l’Église catholique sans parler contre ellec. Dès lors, des lettres de Paul) ; on trouvera dans Tardieu 1987 une étude d’ensemble des principes de l’exégèse manichéenne du Nouveau Testament. a  Cf. Épiphane, Panarion 66, 61, 1, éd. Holl 1933, p. 98, 6-8. b  Selon ces indications, les évènements entourant la passion du Christ se seraient produits en mars-avril 32 (18e année de Tibère) ; si on ajoute 213, on aboutit à 245, alors que la persécution de Dèce eut lieu en 250-251. De pareilles considérations chronologiques apparaissent également dans les Acta Archelai 31, 7-8, éd. Beeson 1906, p. 44, 17-24 ; Éphrem, Contre Mani, éd. Mitchell, Bevan, Burkitt 1921, p. 209, 11-13 (= Reeves 1997, p. 264-265). D’après Épiphane (Panarion 66, 19, 9, éd. Holl 1933, p. 44, 16-17 ; 59, 1, p. 96, 5 ; 78, 1, p. 119, 7-9), Mani se serait fait connaître au temps d’Aurélien (270-275) et de Probus (276-282) ; Cyrille de Jérusalem situe également Mani par rapport à Probus (Catéchèse ad illuminandos 6, 20, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 182). c  Sur l’appréciation d’Origène par Titus, voir Pedersen 2004, p. 153 et n. 117. Comme le fait remarquer Pedersen, Origène est le seul théologien chrétien à être mentionné dans le Contre les manichéens. Aucun ouvrage Contre les hérésies n’est attesté parmi les œuvres authentiques conservées d’Origène. Il se peut que Titus pense ici au De recta in Deum fide ou Adamantius (éd. Van de Sande Bakhuyzen 1901) ou, plus probablement, à la Réfutation de toutes les hérésies du Pseudo-Hippolyte (éd. Wendland 1916), deux ouvrages attribués à Origène dès l’Antiquité ; cf., là-dessus, Pedersen 2004, p. 153-154. Pour sa part, Augustin (Contra Faustum 13, 4, éd. Zycha 1891, p. 381, 3-4) réplique à Faustus que l’hérésie manichéenne est postérieure à Tertullien et à Cyprien ; en 28, 2, p. 740, 2-4, Augustin demande s’il faut croire l’évangéliste Mathieu, qui s’était attaché au Christ, ou « je ne sais quel Perse qui est né si longtemps après lui » ; même chose en 28, 4, p. 741, 21-23 : « Qui

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Mani est postérieur à celui-cia. Or il a dit qu’il est venu en vue de la correction et de la purification des paroles de notre Sauveur. Quelle raison y a-t-il donc à de tels retards, délais et négligences (au pluriel) de sorte que ces paroles ne furent pas purifiées sur le champ si elles avaient besoin de quelque purification et restauration ? Mais comment n’a-t-ilb pas fait en sorte dès le début que ces choses soient dites sans mélange du Mal, comme l’a dit celui-là, et sans variation ? Car c’est sans variation que l’Ancien Testament est apparu être, mais il restait dans la déficience à cause de la faiblesse des Juifs et en vue de la perfection. Mais ce qui a été établi d’avance n’est pas pire que ce dont il était déficient mais, en tant que lui étant apparenté, il exigeait que cela lui soit ajouté. 13  Or, celui-là a dit qu’« il y avait des paroles provenant du Mal parmi celles que les Apôtres ont dites au sujet du Christ ». Et encore il blâme le fait que Dieu, comme celui-là l’a dit, « a souffert violence de la part du Mal, parce que les choses qu’il ne voulait pas ont été dites à son sujet ». Le Christ a-t-il laissé son enseignement se corrompre et devenir impur après sa venue, tout au long de ces années ? S’est-il choisi en vain des disciples et leur a-t-il aussi promis en vain de leur envoyer l’Esprit de sainteté aussitôt après son ascension et l’a-t-il (en vain) appelé « Paraclet » ? Si, en effet, celui-ci, comme il l’affirme mensongèrement dans sa folie, est le Paraclet, celui que le Christ a promis à ses disciples, il a manifestement menti lorsqu’il leur a fait sa promesse : Voici, je vous enverrai un Paraclet (Jn 16, 7). Mais comment, si les disciples n’ont pas reçu l’Esprit de sainteté, ont-ils vaincu une portion si importante de toute la terre habitée, qui (était) dans l’impiété de l’erreur des idoles, du culte des mauvais démons, de l’ivresse et de toute débauche au point qu’ils ont renforcé et affermi dans la crainte de Dieu ces hommes qui étaient donc croira je ne sais quel échappé de Perse (nescio cui ex transverso de Perside) venu plus de deux cents ans plus tard ? » (trad. M. Charpentier, dans Péronne, Écalle, Vincent, Charpentier, Barreau 1870, p. 282). a  Contrairement à Titus, Épiphane énumère Origène parmi ceux qui ont combattu Mani : Panarion 66, 21, 3 (éd. Holl 1933, p. 49, 1) : Ὠριγένει δέ, ὡς ἀκήκοα. Comme le fait remarquer Holl (ibid., note ad loc.), il se peut qu’Épiphane fasse lui aussi référence au dialogue Adamantius ou De recta fide, transmis sous le nom d’Origène. b  Sc. Dieu ou le Sauveur, mentionné dans les lignes précédentes.

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auparavant paralysés et affaiblis par les plaisirs ? Et comment aussi accomplissaient-ils des signes et des prodiges si l’Esprit de sainteté ne leur avait pas été envoyé selon la promesse de notre Sauveur ? Mais s’il a été envoyé, il est évident – car ils n’auraient pas eu toute cette puissance contre les esprits mauvais ni toute cette assurance contre les foules de sages, car ils étaient des hommes simples dans le monde – qu’ils ont parlé par l’Esprit de sainteté et qu’ils n’avaient pas besoin de correction ni de purification, comme il l’a dit. 14  Mais le Paraclet que le Christ a promis d’envoyer, ce n’est pas selon ce qui est dans quelque manifestation corporelle, comme celui-làa, qu’il est venu, ni pour se conduire et se comporter corporellement à sa façon, selon ses manières d’être avec les hommes. Cela, en effet, n’était pas nécessaire parce qu’avait été établie par notre Sauveur la mesure parfaite de l’ordre de la vertu, selon une autre économie, mais en entrant et en demeurant dans les âmes de ceux qui croient en lui, et bien qu’invisible, il leur procure par son exhortation le témoignage de la venue du Christ avec d’autres (actes de) puissance. 15  Mais ce Mani, homme trompeur qui est charnel et esclave d’une vaine espéranceb, comment pense-t-il qu’il est l’intelligible et invisible Esprit de sainteté  ? Et nous, si nous disons que le Christ est venu dans un corps, ils disent que « cette chose est une a  Sc. le Christ, venu corporellement (à moins qu’il ne s’agisse ironiquement de Mani). b  Parmi les autodésignations du manichéisme, celle d’« Église » (ἐκκλησία) a probablement été la plus répandue (voir à ce sujet Coyle 2004, p. 225). Elle n’apparaît cependant pas dans le Contre les manichéens. Titus recourt plutôt à celle d’« espérance ». On relève en effet chez lui plusieurs occurrences, essentiellement dans le livre IV, d’un emploi manifestement ironique et polémique du terme « espérance » (ἐλπίς, ‫ )ܣܒܪܐ‬pour désigner la doctrine ou les croyances de ses adversaires : I, 37, 13 ; 40, 4 ; IV, 15, 2 ; 40, 2 ; 72, 8 ; 86, 3.17 ; 89, 5 ; 100, 16-17 grec = 19-20 syr. ; 110, 3-4 ; 114, 16-17. Pour une attestation parmi d’autres des termes « Église » et « espérance » dans les sources manichéennes directes, voir le 1 Kephalaia 151 : « Celui qui a élu son Église en Occident, son Église n’a pas atteint l’Orient. Celui qui a élu son Église en Orient, son élection n’est pas arrivée en Occident, de sorte qu’il y en a certains parmi eux dont le nom n’a pas été révélé dans d’autres villes. Mais mon espérance à moi, il est prévu qu’elle aille en Occident et qu’elle parvienne aussi en Orient […] Mon Église à moi, il est prévu qu’elle aille dans toutes les villes et que sa bonne nouvelle atteigne tout pays » (éd. Funk 2000, p. 371, 6-14.17-19).

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honte » et que « cela ne fut pas »a, et ils croient que le Paraclet est un homme, comme si notre Sauveur n’avait pas été capable par son humanité de dissoudre et d’anéantir l’erreur, et de donner aux hommes un salut parfait et complet. 16  Mais s’ils reconnaissent que Mani le fou est un homme parmi de nombreux (autres) et qu’il a enseigné par la réception du Paraclet de vérité, il est en tout premier lieu manifeste que ce n’est pas lui le Paraclet. En effet, celui qui reçoit quelque chose n’est pas ce qu’il est estimé recevoir, de la même façon que notre œil non plus n’est pas la lumière parce qu’il reçoit la lumière, et celui qui se nomme lui-même « Paraclet » ment. Mais encore, s’il a reçu un esprit, lequel est-ce ? Celui que les disciples du Christ ont reçu ? Mais comment est-il séparé d’eux et est-il contre eux sur ces points capitaux, lorsqu’il rejette tout leur enseignement sauf pour des détails ? Car en toutes ces choses, il ne s’agit pas d’un homme en tant que telb ni non plus d’un homme ordinaire ni a fortiori de l’Esprit de sainteté, mais il est évident qu’il a manifestement reçu quelque autre esprit, impur, et qu’il a déliré à l’encontre de l’enseignement des bienheureux apôtres et par luic a osé calomnier leurs paroles par l’ajout d’un autre principe, opposé à l’unique principe qui est au plus haut point manifeste ainsi qu’à la création du Dieu qui a (autorité) sur tout et encore à sa providence universelle, et en plus de cela, (opposé) aussi à son gouvernement et à ses secours en notre faveur qui ont été donnés par l’intermédiaire des Écritures anciennes en vue de l’acquisition de ce qui vient du Dieu universel. De même aussi, la génération des hommes, la naissance du Christ dans un corpsd et tout ce qui concerne sa conduite, sa passion, sa résurrection et tout le reste, il n’a rien laissé intact, en proportion de ce qu’il a trouvé parmi les choses que les bienheureux ont auparavant écrites, enseignées et dites dans a  Dans 1 Kephalaia 1, p. 12, 24, éd. Polotsky, Böhlig 1940, Mani affirme que Jésus est venu « sans corps » ; cf. Nagel 2012, p. 1047. ݁ ‫( ܐܠ ܓܝܪ‬IV, 16, 10-11), le b  Tournure peu claire : ‫ܗܘܐ ܐܢܫ ̣ܗܘ ܠܘܩܒܠ ܢܦܫܗ‬ syriaque traduit peut-être le grec καθ’ἑαυτόν. La traduction de Nix (1901, p. 10): « niemand in so grossen Dinge », nous paraît difficile à justifier. c  Sc. l’esprit impur. d  Sur le refus par Faustus des généalogies de Matthieu et de Luc, au profit des récits de Marc et de Jean, et de la naissance du Christ d’une femme, voir Augustin, Contra Faustum 2, 2, éd. Zycha 1891, p. 253-254 ; 3, 1, p. 261-262.

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l’Esprit de sainteté mais, comme les cochons, il a foulé aux pieds les perles de l’Évangilea et il prétend faussement : « J’ai été envoyé par le Christ », lui qui a d’avance disposé et restauré la création par ses véritables disciples, et qui a opéré des prodiges de par le monde entier par des pêcheurs, de sorte que, avant que les ancêtres de celui-làb n’eussent été engendrés, la terre entière avait produit pour Dieu des fruits de crainte de Dieu et offert à Dieu des martyrs qui ne peuvent être dénombrés, qui, en faveur de leur vérité, ont été vaillants et ont triomphé, et avait possédé en tout lieu des Églises prospères, la virginité, la tempérance et la sainteté, de sorte que les traces et les dons de l’Esprit de sainteté sont clairement manifestes en elles. 17  D’où donc est venu à celui-ci l’idée d’affirmer de telles faussetés ? Et qui a-t-il eu comme maître d’une folie comme celle-là ? Or, parmi les hommes, il n’y a absolument personne (qui puisse être le maître d’une telle folie) si ce n’est Satan et les mauvais démons, les aides de celui-ci, à cause de leur jalousie à l’encontre des hommes qui ont appris Jésusc ou encore qui apprennent que Dieu a manifestement permis cela pour la mise à l’épreuve des croyants selon la prédiction de notre Sauveur : L’homme ennemi a semé de l’ivraie dans la semence bonne et pure (Mt 13, 25), (lui) qui a dit ces choses : Jusqu’à la maturation des fruits, que les fruits croissent avec la bonne semence, car il ne convient pas que ceux-là soient arrachés de peur qu’avec eux aussi quelque (plant) des (semences) éprouvées et pures ne soit endommagé (Mt 13, 30.29). Mais, lors de la récolte, se produit une séparation et ceux-là tombent dans le feu et les grains de blé sont amassés dans les greniers. Et encore, selon la parole de l’Apôtre, qui a dit : Il y a des disputes parmi vous afin que ceux qui, chez vous, sont éprouvés soient connus (1 Co 11, 19). Et il a encore dit : De l’homme hérétique dont la pensée est dans le doute, abstiens-toi après une (seule) correction, car tu sais qu’il est attiré par la dispute, qu’il pèche et qu’il se condamne luimême (Tt 3, 10-11). C’est ainsi qu’est au plus haut point celui contre qui nous parlons. En effet, il a forgé le mélange des choses qui (proCf. Mt 7, 6. ̈ ̈ IV, 16, 28 : ‫ܕܐܒܗܝܗܘܢ ܕܗܢܐ‬ ‫ܐܒܗܐ‬, litt. : « les pères de leurs pères de celui-là » ; cf. IV, 102, 34. c  Cf. Ep 4, 20. a 

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viennent) de deux (principes) opposés, luia en qui rien n’est mélangé de la vérité tout entière et (qui) est éloigné de tout enseignement véritable. Cet homme-là échafaude la fausseté de ses paroles et il est considéré à bon droit comme un mendiant de maux et un collectionneur de mensonges. Car il n’y a rien qui soit chez les autres très méchamment dit qu’il ne s’approprie comme une belle découverte.

Digression doxographique : les véritables sources de Mani (18-21) 346

18  Car bien qu’il ait dit qu’il est le Paraclet et qu’il est venu pour cela, révéler aux hommes les choses qui n’ont été ni dites ni écrites par personne, sur cela aussi il contrefait le témoignage de l’Apôtre, lequel (témoignage dit) : Nous connaissons peu (de choses) de beaucoup et nous prophétisons peu de beaucoup mais quand sera venue la perfection, ce qui est peu sera aboli (1 Co 13, 9-10)b. Et il dit que c’est lui qui accomplit la perfection et il n’(en) rougit pas, car jamais il ne produit même une seule fable de son propre fonds mais il rassemble les mauvaises (choses) qui sont dispersées chez les autres et il confectionne un seul et unique poison de mort à partir de nombreux poisons. 19  En effet, Xénophon écrit que « les sages des Perses ont pensé dès le début à deux principes opposés  »c, de telle sorte que, de là aussi, celui-ci a un voisinage avec la barbarie. Et Aristote a invoqué la Matière et a imposé ce nom non à quelque principe vivant, comme Sc. Mani. Passage allégué fréquemment : voir Acta Archelai 15, 3, éd. Beeson 1906, p. 24, 3-7, et 41, 2-3, p. 60, 9-17 ; Augustin, Contra Faustum 32, 17, éd. Zycha 1891, p. 777, 22-778, 4 ; Contra Felicem 1, 9, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 664 ; Épiphane, Panarion 66, 61, 2, éd. Holl 1933, p. 98, 8-11. c  Si on ne lit rien de tel chez Xénophon (cf. Clemen 1920, p. 16-22), on trouve cependant chez d’autres auteurs grecs des affirmations du dualisme perse ou zoroastrien, comme chez Plutarque (De Iside et Osiride 46, 369D) ou chez Diogène Laërce, qui rapporte une information qu’il semble attribuer à Aristote ou à son disciple, Eudème de Rhodes : « Il y a selon eux [sc. les mages des Perses] deux principes (δύο κατ᾿ αὐτοὺς εἶναι ἀρχάς), un bon démon et un mauvais démon » (Vies et doctrines des philosophes illustres I, 8, 89-90, éd. Dorandi 2013, p. 10 ; trad. Goulet-Cazé 1999, p. 70) ; le témoignage d’Eudème est repris par Damascius, Traité des premiers principes, Ruelle I, 322 (éd. Westerink, Combès 1991, p. 165, 17-21). a 

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le (principe) de celui-là qui a utilisé et introduit un nom étranger qui ne lui est pas propre, mais, en concordance avec le nom, il a nommé Matière ce qui n’est pas vivant et ne possède pas de mouvement par lui-mêmea. Mais celui-ci change l’usage d’un nom menteur pour (celui de) Mal, et il n’est pas seulement ingrat dans son larcinb mais il est aussi un méchant larron au point de transformer en vue d’une fraude quelque chose qui ne lui appartient pas. Quant à Platon, grandement dans l’erreur, il a enseigné par une affirmation claire la transmigration des âmesc. Et encore le fait qu’ils invoquent le soleil comme un dieu n’en est pas moins la coutume surtout des barbares, mais il en va tout autant aussi pour tous les Grecs païens qui, sans discernement et sans intelligence, s’y adonnentd, et il est commun à tous de se fier au destin et à l’horoscope, comme dirait quelqu’un : « Eux dont les âmes les consument, aussi bien autrefois que jusqu’à maintenant »e. 20  Viens, toi, ô Paraclet de mensonge, dis-nous quel enseignement nouveau tu as introduit dans le monde habité, et comment tu as pu, toi seul, imaginer un mensonge qui n’a pas été dit par les anciens, eux qui se sont avérés être bien meilleurs que toi en fait d’erreurs, celles que, toi, par la suite, tu as posées comme si elles étaient les tiennes. Il ne te faut donc pas non plus te glorifier dans ton mensonge, car tu apparais être le disciple ingrat des Grecs aussi bien que Sur la matière aristotélicienne dénuée de vie et de mouvement, voir Métaphysique Λ 1070 a 1-2, Κ 1060 a 20-21 ; De la génération et la corruption 335 b 29-35. Sévère d’Antioche, Homélie cathédrale 123, éd. Brière 1960, p. 178, 1, attribue à Platon la thèse de la matière éternelle. b  Cf. Cyrille de Jérusalem, Catéchèse ad illuminandos 6, 21, éd. Reischl, Rupp 1848, p. 184 (Mani a pillé les erreurs des autres pour se les approprier). c  Pour la transmigration des âmes chez Platon, les exposés principaux sont : Phèdre 248a-249b ; Gorgias 523a-527a ; Phédon 107d-115a ; République X 614a-621d ; Timée 90e-92c. Épiphane attribue pareillement à Mani l’enseignement de la transmigration des âmes, à la suite de Platon et de Zénon (Panarion 66, 55, 1, éd. Holl 1933 p. 91, 12-14). La transmigration ou métempsychose est explicitement mentionnée dans les sources manichéennes ; voir 1 Kephalaia 2, p. 21, 31 (μεταγγισμός), éd. Polotsky, Böhlig 1940 ; 90, p. 223, 30 ; 99, p. 249-251, éd. Böhlig 1966 ; Homélies, p. 27, 5-7, éd. Pedersen 2006 ; P. Kellis Gr. 98, 110 (μετενσωμάτωσις), éd. I. Gardner dans Gardner 2007, p. 123. Pour la polémique antimanichéenne d’Augustin, voir la note complémentaire 33 dans Agaësse, Solignac 1972, p. 706-710. d  Sur la divinisation du soleil chez les Grecs, voir Parker 1996 ; chez les manichéens, voir supra, II, 54, p. 265, n. a. e  Citation non identifiée, à moins qu’il ne s’agisse d’un proverbe. a 

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des barbares, et c’est en vain que tu t’appliques le nom du Christ et que tu transformes cette appellation en erreur contre toi-mêmea. 21  Mais peut-être est-il possible, chez tous ceux qui sont tombés loin de Dieu, que, parmi les choses qu’ils ont enseignées, il s’en trouve un petit nombre qui soient dites en accord avec la vérité, choses qui, même si elles sont dites en visant juste, ne procurent à ceux qui les disent aucun secours en vue de la crainte de Dieu, car une erreur, quelle qu’elle soit, qui porte sur Dieu est d’autant plus néfaste et elle ne (saurait être) secourable même s’il s’y trouve un peu de vérité. En effet, une telle connaissance est un objet de terreur, parce que ce n’est pas par Dieu qu’elle a été donnée mais c’est une invention de l’intelligence humaine. Quant à celui-là, il est un instrument du calomniateur, Satan, et il a constitué une collection de mensonges et n’a mêlé à ses discours absolument aucune vérité, et il a pris soin, de toutes les mauvaises choses qui ont été dites par d’autres, d’en faire de nouvelles par des discours mensongers et par sa propre fiction. Car il a ainsi été considéré comme l’inventeur de nouveautés et de choses qui n’avaient pas été dites auparavant, parce qu’on trouvera particulièrement chez lui l’erreur de l’idolâtrie des dieux multiples plus que chez les païens, car il écrit ouvertement dans ses livres : « J’adore ces dieux et ceux qui sont très nombreux et ne peuvent être dénombrés »b. Et il énumère des noms étrangers et barbares, et il sera considéré différent des païens par le seul discours sur des noms nouveaux mais, par l’abondance de ceux qui sont sans vergogne adorés par lui, cet homme est un maître de paganisme.

À propos de cette dernière phrase, le Thesaurus syriacus note : quid velit nescio (Payne Smith 1901, col. 4053), en lisant ‫( ܡܫܓܢܝܬܐ‬IV, 20, 9) avec De Lagarde (1859b, p. 138, 26), alors que le manuscrit porte ‫ܡܫܓܢܝܬ‬, qu’il faut interpréter comme ‫ܡܫܓܐ ܐܢ̄ܬ‬. b  Cf. Augustin, Contra Adimantum 11, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 260-261 : « Il plaît (aux manichéens) qu’on adore plusieurs dieux […] leur secte compte et vénère une famille de dieux extrêmement nombreux » ; d’après Augustin (ibid., 13, 1, p., 278-281), les manichéens se montrent favorables aux idoles par tactique, pour se concilier la bienveillance des païens ; voir aussi Contra Faustum 20, 5, éd. Zycha 1891, p. 538-540 (les manichéens, pires que les païens). L’accusation de polythéisme porté à l’encontre de Mani et de ses disciples revient en IV, 41, 6-7. a 

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Mani et l’économie charnelle du Sauveur (22-44) 22  Mais pour en revenir à ce qui nous est proposé, nous dirons ceci, qu’il produit tout d’abord, à partir de l’Évangile, la naissance du Christ dans un corps, c’est-à-dire le principe de sa venue vers nousa. En d’autres termes, par le corps, il méprise son créateur et il dit que celui-là n’est pas du tout l’œuvre de Dieu et non moins que cela, il abroge aussi la parole de la prophétie au sujet de notre Sauveur, qui avait prédit que le Christ naîtrait de la semence de Davidb. Et il soulève cette question qui est ancienne chez nous, qui a été aussi depuis longtemps rabâchée et, à vrai dire, comme s’il pensait qu’elle lui serait nécessairement utile. Il dit en effet : « Comment le prophète peut-il être considéré comme étant dans le vrai lorsqu’il dit que le Christ naîtra de la semence de David, alors que Marie n’était pas de cette race et que Joseph n’est pas le père de Jésus, si Marie a conçu dans sa virginité ? »c C’est manifestement en faveur des Juifs qu’il combat contre la vérité par l’intermédiaire du récit de l’Écriture. Et ce n’est nullement un sujet d’étonnement si les justesd de Mani ne comprennent pas cela, car, même si la manière dont la prophétie accomplit la vérité est claire et manifeste, néanmoins ils ne croient pas à la venue du Christ dans un corps, parce qu’en vain ils blâment et considèrent comme mauvaise toute la création de Dieu. Car si c’était seulement au sujet du récit de l’Écriture concernant la race qu’ils exprimaient des doutes, comme les Juifs, mais ne mettaient pas en branle quelque autre (attaque) sévère contre la vérité, la résolution de cette question guérirait leur incroyance. Mais maintenant, a  Les Acta Archelai (54, 10-55, 7, éd. Beeson 1906, p. 80, 15-81, 25) font également état des objections manichéennes à la naissance charnelle de Jésus. b  Cf. 2 R 7, 12 ; Ps 88 (89), 4-5 ; 131 (132), 11 ; Jr 23, 5 ; Lc 1, 32 ; Jn 7, 42 ; Rm 1, 3 ; 2 Tm 2, 8. c  Une objection semblable est formulée par Faustus (Augustin, Contra Faustum 23, 3, éd. Zycha 1891, p. 709) et par Fortunatus (Augustin, Contra Fortunatum 19, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 160). ̈ d  IV, 22, 15 : ‫ܙܕܝܩܘܗܝ‬, δίκαιοι, « justes » (et non Freunde, comme traduit Nix 1901, p. 14), une désignation des élus manichéens, voir Clackson, Hunter, Lieu, Vermes 1998, p. 3b ; cf. 1 Kephalaia 140, 6-7 : « le juste (δίκαιος) pieux qui est parfait » (éd. Funk 1999, p. 343) ; Sermon de la grande guerre, p. 38, 15-16, éd. Pedersen 2006 : « (Notre Seigneur) a rendu ses justes et ses vierges semblables aux anges ».

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dans leur malice, ils tirent profit de ce point capital et, en ce qui les concerne, ils ont accru la controverse des Juifs. Quant à nous, nous avons parlé dans ce qui précède au sujet du corps qui est vainement blâmé et insulté par Mani le fou, et nous en parlerons encore. 23  Or, au sujet du récit de l’Écriture concernant la race de David, dans lequel, par la prophétie, la royauté est attribuée au Christ et restaurée pour luia, nous dirons, non à ceux qui sont pris d’une maladie sans guérison mais à ceux qui sont comme nous, que le même prophète a prédit les deux (choses), à la fois que la Vierge concevrait Dieu-avec-nousb, c’est-à-dire le Christ, et que ce n’est pas d’une autre provenance qu’il serait dans le corps sinon de David, comme du sceptre de la tige de Jesséc. Comment les deux sont-ils donc confirmés  ? Si, en effet, l’Écriture avait l’habitude d’indiquer la race par les mères, quelqu’un pourrait à bon droit demander si la race de Marie accomplissait la parole du prophète. Mais pour que Marie soit, elle aussi, considérée être de David, la chose n’est pas pertinente. Si celle-ci, seule parmi les femmes de ce temps-là, est considérée comme figurant dans le cours de la succession des générationsd, il n’en est pas moins évident que le discours qui la concerne est en quelque sorte autre, car (quant à savoir) si Marie est de la tribu du sacerdoce, cela sera présumé à partir de ce dont témoigne Gabriel au sujet de sa parenté avec Élisabeth, la femme du grand-prêtree, lequel, comme il est vraisemblable, parce qu’il n’était pas du commun, n’avait pas pris femme en dehors de sa tribu, selon la loi. En vérité, seul Joseph sera de David, car c’est ce qu’indique le rang selon le récit qui est dans la généalogie des évangélistes Matthieu et Luc, qui ont composé ce discoursf. 24  Maintenant, parce qu’il fallait que le Christ vienne, qu’il revête notre corps pour nous et qu’il soit ainsi Dieu-avec-nous,

Lc 1, 32. Is 7, 14 ; cf. Mt 1, 23. c  Is 11, 1. d  Marie n’est pas la seule femme à figurer dans la liste des ancêtres du Christ – du moins si l’on suit la généalogie de Matthieu – mais la seule de sa génération. e  Lc 1, 36. f  Mt 1, 16 ; Lc 3, 23. a 

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car il fut appelé Emmanuela – donc non selon la loi de la nature commune mais au-dessus de celle-ci, en tant que maître de celleci, qui ne lui était en rien soumis, car la nature est soumise à son créateur et non le créateur soumis à la nature –, la vierge fut donc approchée pour ce service et, sous le type du mari, Joseph, lui qui était de David, épousa celle-ci et c’est seulement jusqu’au type et à l’époux que la prophétie fait parvenir sa parole en vue de la vérité et non, en effet, jusqu’à la réalité de la semence, car (Isaïe) a prédit à son sujet qu’il serait engendré sans la semence d’un homme, par cette (parole) : Voici, la vierge est enceinte (Is 7, 14). Comment donc provient de la semence de David celui qui est engendré sans semence ? En effet, la race de David a demeuré jusqu’à Joseph, qui a épousé la vierge, et cette économie fut convenablement accomplie par le créateur sans la semence, et la naissance du Christ se produisit dans un corps qui, selon le type, provenait d’un homme, à cause de la vérité de la prophétie et de la race, mais qui, en vérité et en réalité, était de l’Esprit de sainteté. La prophétie s’est donc avérée vraie aussi au sujet de la vierge et elle n’a pas menti non plus au sujet de la race, grâce au type (réalisé) par l’intermédiaire de Joseph, de sorte que celui qui vint à l’existence procédât nécessairement de la vierge parce qu’il ne convenait pas que ce qui est grand – je parle du fait de provenir de la vierge – et non ce qui est petit soit achevé dans l’exactitude de la race jusqu’à la réalité mêmeb. En effet, cela a trouvé typologiquement une issue spirituelle digne et convenable par le biais des épousailles. Quant au fait que ce soit d’une vierge, comment cela aurait-il pu être réalisé autrement – et cela était grandement nécessaire en vue de l’économie – sinon par le fait que l’homme ne prit pas part à la conception ? Car le créateur n’est ni le serviteur ni le sujet de sa création, mais c’est de manière typologique, comme aussi pour de nombreuses autres choses, qu’il mentionne la race, non pour recevoir la noblesse de David mais Mt 1, 23. Le sens de cette phrase nous échappe. Grand par la naissance virginale, le Christ est néanmoins pleinement (en toute réalité) de la race de David qui lui vient par Joseph. Autre traduction possible (cf. Nix) : « parce qu’il ne convenait pas que ce qui est grand dise/ait dit : “Je suis ce qui provient de la Vierge” – et qu’il ne s’accorde pas à ce qui est petit selon l’exactitude de la race jusqu’à la réalité même ». a 

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pour empêcher la succession de celui-ci par l’abolition de la royauté corporelle, en parfait accord avec la prophétie de Jacoba. Si donc la race a été dispensée au sujet de notre Sauveur non en vue de la démonstration de la noblesse – il n’(en) avait pas besoin – mais afin que celle-cib soit finalement interrompue, tout cela se produisit par l’intermédiaire de Joseph, lui qui était le dernier par le rang et le lignage. Mais de manière typologique et mystérique, dans la mesure où c’était convenable, il fut seulement l’intermédiaire de celui qui fut engendré. Car ce fut une gloire pour David que sa race se terminât par le Christ et non que le Christ fût engendré de David. 25  Or, parce que le même devait également abolir, avec la royauté corporelle, le sacerdoce et mettre fin aussi à la race de David comme (à celle) de Juda, par l’intermédiaire de qui aussi bien la royauté intelligible que le sacerdoce furent introduits, il divise son économie et unit en elle les deux tribus, celle de la royauté qui était de Judac, Joseph, et celle du sacerdoce qui était de Lévid, par l’intermédiaire de Mariee, afin qu’aussi il élève la royauté jusqu’à lui et transforme le sacerdoce en une réalité spirituelle parce qu’il avait uni les deux en lui. Car le même, comme nous l’avons dit dans ce qui précède, est grand-prêtre et roi de la création, aussi bien corporelle qu’intelligible, selon la prophétie de David lui-même, qui a dit à son sujet, comme venant de la personne de son Père : Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédek (Ps 109 (110), 4). Parce que, là, il signifie aussi la royauté, le même prophète a dit : Le Seigneur a envoyé de Sion le sceptre de ta force (Ps 109 (110), 2). Or, « le sceptre » manifeste en un mystère la lance de la royauté et lorsqu’il dit « de ta force », c’est parce que ce n’est pas après coup qu’il a acquis la royauté, mais il la possédait par sa nature, et non seulement cela, mais aussi proclamait-il en Cf. Gn 49, 10. Sc. la race. c  Cf. Gn 49, 8 ; Mt 2, 6. d  Cf. Nb 1, 49 ; 3, 5 ; 18, 21. e  Faustus (Augustin, Contra Faustum 23, 4, éd. Zycha 1891, p. 709-710) tire argument du fait que Marie était de la tribu de Lévi et non de celle de Juda pour conclure que Jésus ne saurait être le fils de David puisque Joseph n’est pas son père, « à moins, dit-il, qu’on ne rapproche à ce point sa mère de Joseph qu’il soit prouvé qu’elle fût ou sa fille ou son épouse ». a 

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même temps sa nature. Et là encore, il dit, venant de la personne de son Père : Dans la splendeur de la sainteté, du sein, dès le commencement, jeune homme, je t’ai engendré (Ps 109 (110), 3). Et par une parole choisie, il signifie la naissance incorporelle, même si l’intelligence ni des hommes ni des anges ne lui correspond ni ne l’approche, à savoir qu’il est son Fils authentique et bien-aimé, qui provient de lui en vérité et selon la nature, et qui n’est pas venu à l’existence de l’extérieur, tout comme furent constituées les choses qui vinrent à l’existence par lui à partir de rien. Mais là encore, il ne néglige pas non plus ce qui a trait à sa passion, lorsqu’il dit : Du torrent, sur la route, il boira ; c’est pourquoi il relèvera la tête (Ps 109 (110), 7). Car à cause de cela aussi, Dieu l’a élevé, non pour un ajout de louange mais pour la manifestation de ce qui était à lui par sa nature, qui était caché depuis le commencement. Ainsi, par ces quelques mots, le bienheureux prophète David a manifesté et illustré, dans la mesure du possible, aussi bien sa nature, à savoir comment il est fils issu du Père, que sa royauté et son sacerdoce ainsi que l’économie tant de sa passion que de sa résurrection, et enfin aussi son jugement, lorsqu’il dit : Il jugera les nations (Ps 109 (110), 6). 26  Or, même si nous avons considéré ces choses en vue de (leur) interprétation un peu plus que (ce qu’exigeait) la nécessité du sujet qui nous est proposé, cependant, nous ne recevrons ni les Juifs qui se trouvent manifestement à l’avant-scène de la controverse, ni ceux qui (se réclament) de Mani, ni aucun des hérétiques qui ont accusé faussement l’Ancien (Testament) parce qu’ils ont osé maudire de manière impie le créateur de toutes choses et l’artisan du corps. 27  En effet, ceux contre qui est principalement (dirigé) notre discours blâment manifestement une chose à la place de l’autrea du fait de la grandeur de leur ignorance. Car s’ils considèrent le péché comme mauvais et le blâment, ce n’est pas comme s’ils le haïssaient mais c’est en vue d’une démonstration. Et tout à fait sans intelligence, ce n’est pas l’âme, elle qui agit, qu’ils blâment mais le corps par l’intermédiaire duquel elle agit, d’où il découle nécessairement que les actions de vertu aussi soient imputables à celui-ci parce que a 

En d’autres termes : ils se trompent de cible.

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c’est également par l’intermédiaire de celui-ci qu’elles existent. Or, il ne nous faut absolument pas blâmer les instruments mais il convient (de le faire) en ce qui concerne l’artisan, pour les deux, le bien autant que le mal, d’autant plus quand il apparaît qu’il s’agit d’un artisan très habile de par sa nature mais qui, par négligence et mépris de ce qu’il devait (faire), se trouve à pécher et à agir de manière déraisonnable. Car s’il avait reçu de Dieu un instrument qui le conduirait par contrainte au péché et qui ne serait pas du tout adapté à la pratique qui est selon l’art de la vertu, nous blâmerions le créateur. Mais si ce qui lui est confié est mené facilement là où il veut, il faut penser que cela n’est cause d’aucune chose, qu’il serve à de bonnes ou à de mauvaises. Car, de par sa nature, il est exclu de la puissance mais il accomplit un service pour celui à qui il est livré, même s’il a, de par sa nature, quelque excitation vers les désirs, ce qui est nécessaire aussi à cause de la procréation, et si aussi, d’une autre manière, il est parfois cause d’une grande victoire quand l’intelligence incline à l’exercice de la sainteté. Et (il en va ainsi) des autres choses qui, elles aussi, sont tout à fait inoffensives, si l’intelligence, qui, de par sa nature, a pouvoir sur elles, en use avec mesure. Mais aussi, à de nombreuses reprises dans ce qui précède, nous avons dit, au sujet du corps entier des hommes, qu’il est nécessairement tel, parce qu’il a été créé par la sagesse de Dieu. 28  Mais parce qu’ils blâment ce même corps et, tout particulièrement, disent au sujet du Fils de Dieu que « nous ne devons absolument pas tolérer de dire qu’il est venu en lui », il est nécessaire que nous ne négligions pas non plus cette partie de l’exposé. En effet, si ce n’est pas lui qui l’a formé, qu’ils ne disent pas qu’il est mauvais – car il n’est pas mauvais – mais qu’il lui est étranger. Mais s’il est l’artisan du corps, il n’a pas honte de se revêtir de son ouvrage mais il lui fait plutôt honneur, parce qu’il le prend auprès de lui et il livre par là à tout homme l’ordre de sa conduite. Car ce qui est une aide pour l’âme dans l’agir en vue de la vertu n’est pas mauvais. En effet, l’homme ne possèderait ni chasteté ni justice ni aucune autre partie de la vertu si ce n’était du fait du corps et de l’inclination de celui-ci, lorsqu’il est mu vers le contraire de ce qui est dans sa nature ; il fournit à l’âme, par le fait qu’elle le tire vers ce qui est contraire, des occasions de vertu et, dès lors, le corps est l’ami de

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l’âme, non seulement parce qu’il lui est connaturel mais aussi parce qu’il lui donne la victoire par sa manière d’être. En effet, il ne lui fait pas tort quand il est mu vers le désir, mais il l’aide parce qu’il est saisi et retenu par elle, car le fait que celui-ci soit saisi par l’âme n’est rien d’autre que la vertu. Il lui est en effet attribué ainsi et le corps n’a pas de puissance de par sa nature. Et pareillement, s’il est dirigé de belle façon, il apparaît être utile et agréable à l’âme parce qu’il remplit la fonctiona d’un instrument, ainsi que nous avons dit précédemment qu’en tout ce que l’intelligence veut, il l’aide. 29  Donc, parce qu’il est apparu de cette manière que le corps est beau, n’attribuons cet instrument d’un grand art à rien d’autre qu’à la sagesse de celui qui est en vérité l’artisan et le créateur, Dieu. Car si le Mal existait, il n’aurait pu non plus découvrir un tel arrangement du corps, car (alors) le Mal posséderait au plus haut point la sagesse. En conséquence, ce Mal-là n’a absolument ni connaissance ni intelligence, mais le Bien possède sagesse et raison en tout ce qu’il fait. 30  Or, celui-là est l’avocat du Malb qui n’existe absolument pas selon l’être et la substance, et non seulement témoigne-t-il de son propre chef à son sujet qu’il existe selon l’être, mais aussi lui attribue-t-il une sagesse grande et élevée de sorte qu’il réfute puissamment sa propre erreurc. Maintenant, les deux, le corps comme l’âme, sont l’œuvre de Dieu mais parce que l’âme, par sa négligence, a erré et s’est troublée, l’intervention de celui qui a fait l’homme lui fut nécessaire. Ainsi aussi les prophètes ont prédit que celui qui avait façonné l’homme viendrait et que son créateur revêtirait son ouvrage, d’une part, en le visitant, d’autre part, en honorant le tout dans la partie. En effet, ce qui devait servir à son économie exigea la ressemblance avec ceux à cause de qui il vint, car il est venu ainsi et non autrement. En effet, parce qu’il était autrement dans sa nature – et il était vraiment très élevé et exalté –, il ne pouvait être avec ce qui était en tout très inférieur au point de lui apparaître dans sa nature à lui. Car il veut au plus haut point, en tant que bon, persuader les hommes, être vu par eux et chercher leur salut, et non se comLittéralement, « le lieu » (IV, 28, 22 : ‫)ܕܘܟܬܐ‬. Cf. supra, II, 45, p. 249, n. c. c  Littéralement « l’erreur de son âme ». a 

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porter avec violence sans venir (chez eux). Ainsi donc, le Christ, lui qui, avant les mondes, est fils de Dieu, a revêtu le corps des hommes parce qu’il vint chez les hommes. Et d’une femme – et non d’une autre provenance alors qu’il le pouvait –, il se façonne celui-ci pour lui-même afin d’honorer grandement sa créature, elle qui existait depuis le commencement, et non pour donner à ceux-là un juste prétexte de dire les choses qu’ils disent, (à savoir) que « l’homme n’est pas sa créature ». Mais c’est d’une vierge qu’il a revêtu un corps afin de devenir un homme, non comme un homme mais comme un dieu-homme. Car il existe aussi une nature purea selon la loi de son créateur, mais lui, il est venu d’une manière supérieure à la nature chez ceux qui (en) avaient besoin, parce qu’il fut dans un corps, à leur ressemblance, mais ce n’est pas à leur ressemblance qu’il est venu. Mais prenons et accueillons son économie et ne méprisons pas la victoire et la gloire qui (sont venues) par la vierge. 31  Mais si ces impurs ne supportent pas de reconnaître saintement la Vierge sainte, il est possible, par un exemple – lequel n’est certes pas nécessaire à l’utilité de notre discours mais est vraiment adapté à leur folie et à leur manque de discernement – de les réfuter. Considérons en effet le soleil, dont les rayons tombent partoutb, qui assèche l’humidité sans que lui ne devienne humide, qui anéantit la puanteur et ne participe pas à la puanteurc. Or, si lui, qui est créature, est ainsi, que dirons-nous donc au sujet du créateur – bien que cet exemple soit superflu en ce qui me concerne ? Car ce n’est pas vers quelque chose d’impur qu’est venu le créateur, (lui) qui est venu vers sa propre créature, et la vierge qui, en plus de la sainteté de sa virginité, a été aussi grandement sanctifiée par l’Esprit de sainteté, n’était pas non plus un endroit qui n’aurait pas été convenable et approprié pour la sagesse qui est dans l’économie en faveur des hommes. 32  Or, les Grecs païens ne croient pas à ce qui est hors de la nature, parce qu’« il n’est pas possible qu’une vierge conçoive ». Celle des anges ? Littéralement « (le soleil) qui tombe partout ». c  Image bien attestée, par exemple dans les Enseignements de Silvanos : « Le soleil, en effet, (brille) en tout lieu impur, et n’en est pas souillé » (NH VII, 101, 31-32, trad. Janssens, Mahé 2007, p. 1202 ; voir les parallèles mentionnés en note). a 

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Mais, en ce qui nous concerne, notre discours n’est pas maintenant (dirigé) contre ceux-là. À la vérité, comme nous réfléchissons au sujet du maître de la nature et au sujet du créateur de celle-ci, il est tout à fait superflu de rechercher ce qui est selon la nature. Car le créateur n’est pas soumis à l’ordre et à la limite de la nature qui lui appartienta, car il lui est toujours plus facile de changer celle-là comme il le veut que de la faire alors qu’elle n’existe pas, même si, pour Dieu, il n’est rien qui soit plus facile ou plus difficile qu’une autre chose, car tout subsiste par sa volonté. Mais ceux-là tantôt blâment la nature comme des ennemis de son créateur et tantôt encore maudissent le créateur et le blâment sous prétexte de l’impureté du corps humain. 33  Mani a donc dit que « la manifestation de notre Sauveur fut comme dans une illusion et dans une apparence et non en vérité », et il est tombé avec une grande véhémence dans un précipice avec les hérétiques qui l’ont précédéb. Voilà pourquoi, entre autres choses, tout ce qui, dans l’Évangile, rend témoignage à la vérité du corps de notre Sauveur, il l’a englouti et anéanti, et il a aménagé dans les Écritures des espaces et de nombreuses distinctions, non petites, et aussi, des parties de celles-ci qui sont très éloignées les unes des autres, il les a jointes par leur contexte, lui qui est très audacieux dans son impiété, alors que, pourtant, au huitième jour, non seulement notre Seigneur est offert selon la loi, alors qu’il est un petit enfant, mais il est aussi circoncisc avec les brebis, lui le pasteur, parce qu’il veut être considéré comme un agneau au sein du troupeau, et il a rendu témoignage au sujet de son origine en vue de l’accomplissement de l’antique prophétie, afin de combiner et de joindre les deux testaments à l’unique foi de la crainte de Dieu. 34  Or, celui-làd a dit : « C’est seulement pour qu’il soit considéré (tel), qu’il est apparu, et ce n’est pas en vérité qu’il est apparu dans un corps », alors que, pourtant, Jean, qui, à de nombreuses C’est-à-dire non pas la nature qui est la sienne propre, mais celle qui est la sienne parce qu’il l’a créée. b  Sur le docétisme manichéen, bien attesté dans les sources directes ou indirectes, voir Rose 1979, p. 120-128. c  Cf. Lc 2, 21-24. d  Sc. Mani. a 

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reprisesa, a professé croire en lui, a dit : Le Verbe est devenu corps et il a habité chez nous, et nous avons vu sa gloire comme la gloire d’un monogène qui (vient) du Père, qui est plein d’esprit et de vérité (Jn 1, 14). Et il a encore témoigné qu’il a non seulement vu Jésus lorsqu’il était avec ses disciples et a marché avec eux mais aussi qu’il a mangé avec eux, et qu’il fut invité au banquet (des noces) et n’a pas refusé d’y aller mais aussi qu’il a changé l’eau en vinb et, sous le prétexte de la gestion de la pénurie de vin, a témoigné qu’il était le même qui, chaque année, par un miracle, opère cela dans les plants de vignec. 35  Mais si quelqu’un (des disciples) de celui-là rétorque que « ce qu’a dit l’Évangéliste : Le Verbe est devenu corps (Jn 1, 14), il l’a dit par participation à la Matière », celle qui (existe) chez eux, et tout autant pour les choses pareilles qui, à cause de cela, « ont été enlevées et effacées » par Mani, et que le fait que notre Seigneur soit apparu et ait marché avec les hommes ne témoigne aucunement au sujet du corps, car « il serait possible qu’en ces choses aussi, il soit considéré (être tel) et ne le soit pas en vérité », comme aussi les anges qui ont mangé avec Abrahamd, est-ce qu’aussi ce vin qui (provenait) de l’eau exista seulement en imagination et non en vérité, (ce vin) que buvaient manifestement ceux qui avaient été invités avec lui (à la noce)e  ? En réalité et en vérité, il aurait alors été un imposteur, qui donnait à penser qu’il accomplissait le contraire, si ce n’est pas en vérité mais pour tromper la vision des yeux, comme dans un rêve, qu’il faisait ce miracle. Mais s’il a Il y a peut-être ici une allusion à 1 Jn 1, 1-3; 5, 1-10. Jn 2, 1-11. c  En faisant que, chaque année, la vigne produise du vin par transformation de l’eau. Titus est peut-être ici le témoin de la reprise chrétienne – par identification de Dionysos au Christ – d’une tradition qui attribue au dieu grec l’invention du vin à partir de l’« eau » du raisin ; cf. Achille Tatius, Leucippé et Clitophon II, 2, 5-6 : « Dionysos répondit [à Icarios] : “Ceci est l’eau d’un fruit, ceci est le sang d’une grappe.” Le dieu mène le bouvier vers la vigne et, ayant pris l’une des grappes, comme il la pressait tout en montrant la vigne : “Ceci est l’eau, dit-il, cela est la source.” C’est donc ainsi que le vin parvint chez les hommes, aux dires des Tyriens » (éd. et trad. Garnaud 1991, p. 33). d  Cf. Gn 18. e  Cf. Jn 2, 2. a 

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vraiment changé l’eau en vin, ce qui se produisit relève de la chair et du corps, et le corps n’a aucunement été méprisé par celui qui est allé à la noce, et il a honoré la procréation des enfantsa et produit du vin par un miracle. 36  Mais s’il dit que c’est volontairement que Jean a menti, forgé ce qui est contraire et imputé à son maître ce qui ne s’est pas produit du tout, dès lors pas même une seule des choses qu’il a écrites ne devra être crue, selon le discours de celui-là. Car celui qui affirme faussement une seule chose et la forge volontairement, n’est digne d’être cru en aucune autre. Car s’ils disent que les évangélistes ont parlé par quelque tromperie provenant du mélange du Mal qui (existe) chez Mani, et que ce n’est pas du tout du fait de leur volonté qu’en dehors de la vérité, ils ont proféré quelques mensonges, l’accusation de cette faute n’est pas imputable à leur volonté, mais cette source relève de la nature opposée, comme ils le pensent. Mais si ce n’est pas contre leur gré qu’ils ont failli mais que, de plein gré, ils ont forgé et raconté comme existantes des choses qu’ils savaient manifestement ne pas exister du tout, ils seront à juste titre saisis sous l’accusation d’être des hommes méchants, très habiles dans le mal, et il ne fallait pas non plus qu’ils soient crus dans les autres choses, alors que, pourtant, le bienheureux Jean, vers qui ils semblent particulièrement regarder, a raconté que notre Seigneur a aussi lavé les pieds des disciplesb, au nombre desquels il était – et il est évident qu’il a aussi fait l’expérience de la sensation du toucher corporel de celui qui l’a lavé –, et encore qu’il a reposé sur la poitrine de notre Seigneurc et, par la proximité de sa tête, a ressenti la densité de la chair de celui sur la poitrine duquel il reposait et, ce qui est plus important, qu’aussi après sa résurrection, alors que Thomas n’avait pas cru qu’il était le même, notre Seigneur s’offrit à être examiné par le toucher des mains et lui ordonna d’introduire sa main dans la blessure qui était dans son côté et de considérer aussi les traces des clous qui étaient dans

En honorant le mariage par sa présence aux noces de Cana, cf. Jn 2, 1-11. Cf. Jn 13, 1-17. c  Cf. Jn 13, 23-25. a 

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ses mainsa. Si donc aussi, après sa résurrection, le corps de notre Seigneur fut manifestement (offert) à la perception sensible des hommes et au toucher des mainsb, que dirons-nous devant sa passion ? Ou bien, est-ce qu’en plus de toutes ces choses, Jean ment, ainsi que tous ses compagnons, qui ont dit qu’ils avaient vu notre Seigneur fixé au boisc  ? Car quelle illusion ou quelle imagination admettra une chose comme celle-là, ou comment son corps a-t-il été considéré suspendu en imagination seulement ? Mais si Jean a transformé toutes ces choses sans qu’elles se soient produites dans l’ordre selon lequel elles se produisirent et qu’elles n’aient pas du tout été accomplies, et qu’il les a forgées comme un malfaisant, comment est-il un évangéliste ? Comment son évangile a-t-il rasséréné le monde entier  ? Comment a-t-il célébré son tombeau à l’encontre des démons avec toute cette grâce ? Car s’il a calomnié notre Sauveur lorsqu’il a dit qu’il a été suspendu à la croix et (en) toutes ces autres choses que nous avons dites à partir de luid, il n’est pas son disciple et il n’est pas digne non plus d’être cru, pas même dans les plus petites choses. Dès lors, qu’ils n’admettent absolument pas celui-là, qu’ils ne tirent par violence rien de ce qu’il a dit vers leur impiété et qu’ils prennent refuge seulement chez Mani le fou. 37  Or, Luc aussi, qui l’avait entendu des apôtres, a écrit qu’alors qu’ils croyaient à son sujet, après sa résurrection, voir comme en apparence celui qui leur était apparu, notre Seigneur leur rétorqua et dit : Touchez et voyez qu’un démon n’a ni corps ni os (Lc 24, 39)e. Quel est donc (le disciple) de celui qui est un mauvais a  Cf. Jn 20, 24-29. Le témoignage de Thomas est également invoqué par Augustin, Contra Faustum 16, 8, éd. Zycha 1891, p. 446-447 ; 16, 33, p. 482 ; 29, 2, p. 744, 26-745, 3. b  Cf. Lc 24, 39. c  Cf. Jn 19, 25-26. d  Sc. Jean. e  Titus – ou, du moins, la version syriaque du Contre les manichéens – connaît ce verset sous la forme attestée pour la première fois par Ignace d’Antioche, Smyrniotes 3, 1, 2 : ψηλαφήσατέ με καὶ ἴδετε, ὅτι οὐκ εἰμι δαιμόνιον ἀσώματον (sur cette variante, voir Resch 1906, p. 96-98). D’après W. L. Petersen, il s’agirait d’une leçon « diatessarique » (2005, p. 103) ; mais comme elle apparaît chez Ignace, elle est à tout le moins pré-diatessarique.

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démon qui osera dire, alors que toutes ces choses et de nombreuses autres pareilles sont consignées dans l’Évangile, que les disciples ont volontairement écrit de façon mensongère ? Donc, tout ce en quoi ils ont erré, comme « du fait de la volonté de la Matière, non par leur volonté propre », ce que ceux-là disent comme par plaisanterie, cette erreur se trouve dans un discours de propos hallucinatoires et non selon ce qui s’est passé et est apparu, et leur récit est mensonger. 38  Or, toutes ces choses dont ceux dont nous avons rappelé les noms ont dit que notre Seigneur les a faites, eux qui n’ont rien mis de l’avant à partir de leur propre réflexion mais ont composé leur discours sur ces choses, au sujet de leur auteur, dans la mesure où ils ont vu ces choses qui ont existé, si ces choses furent ainsi qu’ils les ont écrites, (alors) le témoignage en faveur du corps de notre Seigneur est manifeste. Mais s’ils ont menti volontairement, ce n’est pas l’erreur de la Matière, comme le disent ceux-là, dont il s’agit ici mais de la mise en accusation de leur volonté et ils méritent la haine plutôt que l’honneur et la gloire. 39  Or, en ce qui concerne notre Sauveur, il apparaît en tout lieu qu’il faisait tout son discours en faveur des âmes, en vue de l’enseignement de la crainte de Dieu et de la vertu, et non moins que cela, il montra aussi la guérison du corps. Comment donc se serait-il soucié des corps s’il avait su que ceux-ci sont une créature du Mal ? Au contraire, en effet, il s’en est soucié comme s’ils étaient son bien propre et sa créature, et il les a purifiés de maladies et de douleurs de tout genre. Quant à Lazare, lui qui s’était complètement dévêtu du corps, à nouveau il lui a fait revêtir celui-ci et l’a relevé d’entre les mortsa. Et lui qui faisait des miracles dans le corps et par ceux-ci lui procurait des secours, montra par ces œuvres sa pitié pour euxb et il vint vers les hommes en messager de la vie éternelle et du royaume des cieux.

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Jn 11, 1-44. Sc. les corps.

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Add. 14,532 et Add. 14,538 Et qu’y-a-t-il d’étonnant s’il promet la vie seulement aux âmes, qui possèdent évidemment une immortalité de nature, si le corps aussi, qui est corruptible, ne se trouve avec l’âme dans l’incorruptibilité et cela, très justement  ? Car il n’est pas beau que celui qui a peiné avec l’âme en vue des (biens) les meilleurs ne se réjouisse avec celle-ci dans la victoire.

Add. 12,150 Mais qu’y aurait-il eu d’étonnant s’il avait promis la vie seulement aux âmes, dont il est évident que leur nature n’est pas mortelle, s’il n’arrivait pas aussi au corps, qui est corruptible, de devenir incorruptible avec l’âme  ? Et cela est au plus haut point convenable car (pour) celui qui a peiné avec l’âme dans la vertu, il ne serait pas convenable qu’il ne se réjouisse avec elle dans les victoires.

40  Voyons donc et comprenons combien de maux Mani a apportés, rassemblés et projetés dans sa mauvaise espérancea. Car il a forgé contre Dieu, qui lui seul est sans commencement, un principe sans commencement et qui n’est pas venu à l’être, un étant qui n’est pas venu à l’être et tel que «  toujours il est troublé et toujours il provoque la guerre et se dresse contre Dieu », de sorte qu’il n’est pas possible que Dieu soit en paix ne serait-ce qu’un court laps de temps. Mais comment le Christ sera-t-il considéré avoir parlé avec justesse à ses disciples au sujet de la paix lorsqu’il a dit : Je vous donne la paix, la mienne, et la quiétude, la mienne, je vous la laisse (Jn 14, 27) ? Si lui, en effet, selon le discours impie de Mani, demeure depuis toujours avec son Père alors que le Mal combat contre lui, comment a-t-il pu promettre à ses disciples de leur laisser la quiétude et la paix, lui qui ne les avait pas ? 41  Or, celui-là a osé dresser le Mal contre Dieu, au point de dire qu’il a avec lui l’égalité d’être, de puissance et de vie. Mais nous détestons aussi bien l’erreur des païens qui ont honoré les mauvais démons de manière impie et les ont appelés des dieux, a  Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b.

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non que, depuis le commencement, ils soient non existants selon la substance mais existent tout en étant mauvais. Or, celui-là – outre la maladie des païens, car il invoque plusieurs dieuxa – pose aussi ce qui n’existe absolument pas à égalité avec Dieu, qui existe, et il affirme encore mensongèrement au sujet de Dieu une faiblesse et une grande déficience, (lui) qui non seulement « n’a pu anéantir le Mal » mais aussi « a été contraint par lui de façonner le monde », sans qu’il l’eût voulu, et de faire des créatures qui donnent au Mal un ornement et sont pour elles-mêmes un dommage. Pourtant, pourquoi ce qui ne tire aucun profit du fait qu’il existe avait-il besoin d’exister depuis le commencement  ? Car s’il a été trompé et s’est trouvé lésé parce qu’il était venu à l’existence, il aurait été aidé s’il n’avait pas existé. Mais comment cela appartient-il au Bon qu’afin de se libérer de la guerre, par la génération du monde, lui-même et ceux qui lui appartiennent, il crée cependant celui-ci pour la perte des (êtres) qui étaient venus à l’existence par lui  ? Car s’il n’avait pas en vue quelque chose qui fût seulement secourable pour ceux qui étaient venus à l’existence, ce radoteur est bien davantage ami de lui-même qu’ami du Bien, et (il est) comme celui qui occasionne de la détresse à ceux qui lui appartiennent (et) montrent de l’endurance pour un Dieu vaincu, qui ne peut absolument pas se lever en faveur de ce qui lui appartient et est conduit par contrainte, contre sa volonté, au point que non seulement il accomplisse toutes choses mais aussi les subisse, que l’âme qui est envoyée d’auprès de lui soit emprisonnée sous (bonne) garde et dans des liens, et que les princes et les archontes de la Matière complotent violemment contre lui la fabrication du corps et lui proposent celui-ci comme un objet de désir trompeurb afin que ce qui est envoyé par la nature et l’être de Dieu soit sans cesse attrapé comme un poisson. 42  En outre, il blasphème encore contre le gouvernement divin universel et il abroge toute la crainte des hommes parce qu’il blâme la crainte comme mauvaise, elle qui est nécessaire, qui proCf. supra, IV, 21, 12-21. Littéralement « un désir (ou un plaisir) d’erreur » (IV, 41, 26-27) ; il s’agit peut-être ici de la métaphore de l’appât trompeur ; cf. supra, I, 17, p. 109, n. d a 

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vient de la providence du gouvernement de Dieu, ainsi que toutes les autres choses qui se trouvent dans le gouvernement divin et outre ces choses, il méprise, moque et insulte même les pluies, les éclairs et les coups de tonnerre. 43  Ô le considérable et grand blasphème, et la folie de celui qui déraisonne contre Dieu ! Ô les fables qui n’ont ni fondement ni assise, et les fictions barbares ! Car, en plus de toutes ces choses, il méprise la création et, non moins que quiconque, il reçoit de celle-ci des choses agréables, lui qui est enclin et disposé à l’ingratitude, et envieux, lui qui ne se rassasie pas de son désir et se réjouit et s’amuse, et n’a pas honte de blasphémer, et tout à la fois se délecte et méprise, s’émerveille de face et blasphème par la langue, et tout à la fois se fait aller les dentsa et, par sa langue, méprise ce qu’il mange, et qui, « à cause de la Matière », ne blâme pas ses abus qui sont dans une impudicité hors la loi, dit du mal de la génération des enfants et la blâme, et tient le péché pour une négligence pardonnable mais déconsidère et méprise la loi de Dieu. En effet, tout comme il voit des épines produites par un arbre, de la même manière il considère, lui qui est sans intelligence, l’agir mauvais des hommes, et il ne sait pas combien est grande la différenceb ou s’il le sait, il le cache, car (l’arbre) ne peut pas ne pas être ainsi. Il est en effet ainsi en vue de l’usage, mais (l’homme) peut ne pas faire cela, et il est en son propre pouvoir de se procurer à lui-même ce qui est commode et ce qui est mal. Mais celui-là introduit la nécessité et expulse l’espérance de la conversion afin que personne, avant le jugement, ne prenne l’initiative de se condamner lui-même à son propre avantage. Car il est ainsi en tout temps l’ami des adolescents et des jeunes parce qu’en plus des autres (choses) et aussi de ses histoiresc, ils se réjouissent de la licence de pécher et, sans bride a  Traduction littérale de l’expression imagée du syriaque (IV, 43, 8), qui signifie que les manichéens mangent avec appétit la nourriture matérielle qu’on leur offre tout en la méprisant par leur discours. b  Entre l’arbre, qui produit des épines du simple fait de sa nature, et l’être humain, dont l’agir mauvais dépend de son libre arbitre. c  Le sens de cette incise et son lien avec le contexte ne sont pas clairs ; peut-être faut-il comprendre : « et en plus de ces autres choses, il y a aussi ses histoires (ou ses fables) ».

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qui les retienne, comme des poulains, ils courent impétueusement vers les plaisirs, eux dont la pâleur est contrefaitea et pour l’audace desquels le péché et le mépris contre la création divine sont faciles. Et la corruption de l’apparence de la couleur, qui éclate par sa nature, ilb en use habilement comme de quelque chose de beauc, et outre le seul fait qu’il se cache, il n’est aucune des actions qui sont prohibées qu’ilsd n’aient osée. Or, leur apparence extérieure est celle des philosophes mais leur agir est celui des Chaldéense perdus et des magiciens en ce qui concerne les choses qu’ils cachent, mais c’est un ingrat pour celles qui sont connues. Ils veulent en effet connaître ce dont il ne leur est pas permis de dire que nous les connaissons, mais ils seront convaincus de ne pas connaître ce que, plus que tout, il leur serait avantageux de connaître. Et que dira-t-on de leur conduite sans noblesse, sauf qu’elle leur a été transmise par l’inventeur de l’erreur, qui a en vérité conseillé à ceux qui, en raison de leur opulence, pouvaient leur donner et leur faire miséricordef, de mépriser les pauvres, mais qui leur ordonne de tout donner à ceux qui sont très dépourvus et nécessiteux et qui Il s’agit ici non des jeunes gens dont il vient d’être question mais des manichéens et, plus spécifiquement, des élus manichéens ; cf. Léon le Grand, Sermon 34 (15 Dolle), 5, éd. et trad. Leclercq, Dolle 1964, p. 250-251 (= Schipper, Van Oort 2001, p. 36-37) : « Que personne ne se laisse tromper par leurs exigences dans le choix des aliments, par la malpropreté de leurs vêtements, par la pâleur de leurs visages (vultuumque palloribus) » ; Marc le Diacre, Vie de Porphyre, évêque de Gaza 88, éd. Grégoire, Kugener 1930, p. 68-69 (« jeunes et beaux, mais tous pâles »), cf. Scopello 1997, p. 190, et commentaire, p. 205 (= Scopello 2005, p. 243 et 281) ; Augustin, De utilitate credendi 18, 36, éd. Pegon, Madec 1982, p. 298-299 (« ces hommes au corps exténué, mais à l’esprit épais »). b  Sc. Mani. c  Il y a sans doute ici une allusion ironique à l’art de la calligraphie et de l’enluminure en honneur chez les manichéens ; cf. Augustin, Contra Faustum 13, 6, éd. Zycha 1891, p. 384, 12-14 (tam multi et tam grandes et tam pretiosi codices uestri), et 13, 18, p. 400, 10-11 (omnes illas membranas elegantesque tecturas decoris pellibus exquisitas). L’appréciation d’Augustin a été amplement confirmée par les manuscrits manichéens découverts en Asie centrale et en Égypte ; sur la calligraphie et l’art du livre chez les manichéens, voir Klimkeit 1982, Gulácsi 2001 et Tubach 2000. d  Sc. les manichéens; passage du singulier au pluriel (IV, 43, 28). e  Sur les diverses acceptions que revêt le terme « chaldéen » dans le monde grec, voir Poirier 2006, p. 768-771. f  Sur l’interdiction de faire miséricorde à des non-manichéens, voir Augustin, De moribus II, xvi, 53 (éd. Roland-Gosselin 1949, p. 332-333). a 

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ont accueilli les principes du blasphème contre Dieu, eux dont le nom semble pura mais dont le comportement est impur et plein de toute dissimulation et d’hypocrisie ? 44  Mais encore, si quelqu’un voit la ruse de Mani le fou et la facilité (qu’il a) à corrompre l’Évangile, il le détestera particulièrement en ces choses-là, plus qu’en celles qui ont été dites. Car il nie la venue de notre Sauveur mais, comme pour l’apparence, il la confesse en vue de la tromperie de ceux qui croient dans le Christ et il a l’audace d’entreprendre de montrer que l’économie de sa venue est vaine et il dit que le labeur de la parole de son enseignement n’a rien réalisé. Car « que fera la parole à la Matière, qui est un étant  ?  » Dès lors, toute parole qui existe est nécessairement vaine parce qu’« elle ne peut vaincre le Mal, un étant qui n’est pas venu à l’existence ». Et lui, alors qu’il reconnaît un principe opposé invincible, introduit aussi une parole d’enseignement, et manifestement il combat contre lui-même. Et il déchire les paroles de notre Sauveur en paroles (plus) petites et les mutile toutes, et il prolonge son bavardage jusqu’à une prolixité sans fin. Outre toutes ces choses, il accuse de mensonge le récit de l’Évangile et il dit que « notre Seigneur est apparu seulement en illusion », qu’« il n’a rien accompli en vérité » et qu’« il fut estimé souffrir comme en imagination et non en vérité ». Et par quelque artifice de calomniateur, c’est-à-dire par un jeu parfaitement sans intelligence, il élabore toute chose en une verbeuse impudence, il emprunte et coud (les uns avec les autres)b de nombreuses paroles et des discours désordonnés, et il les joint et les arrange les uns avec les autresc, et il écrit dans ses livres des psaumesd sans fin et, à Il ne semble pas que les manichéens se soient désignés eux-mêmes comme « les purs » mais, d’après Théodore bar Konai, les membres du groupe baptiste aü quel appartenait le père de Mani se désignaient ainsi (‫)ܡܢܩܕܐ‬ ; texte et traduction dans Pognon 1898, p. 125, 13 et 182, 3. b  ‫( ܫܐܠ ܘܡܚܝܛ ̈ܡܐܠ‬IV, 44, 20), sur cette expression, voir le Thesaurus syriacus, col. 1220 : « de plagiario », et 4004 : « de furto literario ». c  Le Thesaurus syriacus (col. 1369) explique ainsi ce membre de phrase (IV, 44, 20-21) : « haec inter se disposuit, ita ut ejus verba esse videantur, quum reapse ab aliis scriptoribus surripuit ». d  Ce passage (IV, 44, 21) est le seul du Contre les manichéens où des « psaumes » de Mani soient mentionnés. Le terme syriaque ‫ ܙܡܝܪܬܐ‬peut rendre ψαλμός, à côté a 

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partir d’eux et à leur sujet, il allonge par de très inutiles détails des lettres démesurées. Au sujet, donc, de ses autres paroles vides, de son impudence sans fin et encore de sa tradition corrompue et de ses artifices à l’encontre de ceux qui entrent (chez lui) et se laissent conduire par lui, (choses) par lesquelles les siens ont l’habitude de les attirer et de les saisir de sorte que celui qui, (ne serait-ce qu’)une seule fois, a été saisi par eux dans la tromperie ne puisse aucunement les déserter, il ne nous appartient même pas d’en parler ni, non plus, méritent-elles que nous écrivions là-contrea.

Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire en appui à la thèse des deux principes (45-49) Les deux maîtres (Matthieu 6, 24 ; Luc 16, 13) 45  Produisons donc et expliquons quelques (passages) du Nouveau Testament parmi ceux qu’il malmène et tire vers son impiété afin que, par de menus (exemples), nous donnions un avantgoût et montrions combien il est étranger aux Écritures saintes. En effet, tout de suite et en premier lieu, il se sert de cette (parole) : Vous ne pouvez servir deux maîtres (Mt 6, 24a), et il dit que, « parce qu’il nomme deux seigneuries, il reconnaît deux principes », et, des choses qui viennent ensuite, il passe sous silence ceci : Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon (Mt 6, 24b). Cet autre (passage) nomme en effet une passion, celle de son intelligence, et il n’indique pas un second principe, alors qu’à vrai dire, s’il existait deux principes, il n’aurait pas dit : Vous ne pouvez servir deux maîtres de ᾆσμα et de ᾠδή, même si le terme qui est utilisé pour les psaumes bibliques est plutôt ‫ܡܙܡܘܪܐ‬. Les Psaumes (ou « Psaumes et Prières » ou encore « Hymnes ») figurent dans les listes canoniques des écrits de Mani (voir Wurst 2005, p. 242 et 263-264). La seconde partie d’un Psautier manichéen copte a été publiée (Allberry 1938), mais la première n’est toujours accessible qu’en fac-similé (Giversen 1988). Il existe aussi des hymnaires chinois (Tsui Chi 1943 ; Schmidt-Glintzer 1987, p. 1267) et iraniens (Durkin-Meisterernst, Morano 2010 ; Durkin-Meisterernst 2014). a  Les mœurs et la tactique missionnaire des manichéens n’intéressent manifestement pas Titus, même s’il semble les connaître.

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(Mt 6, 24a), et s’ila le dit, il ment, car il serait nécessaire qu’ils les servent par contrainteb. Mais parce qu’il y a, selon la nature, un seul seigneur, Dieu, toutefois, en ce qui nous concerne, à de nombreuses reprises nous faisons dominer sur nous des passions qui relèvent de notre volonté et surtout l’amour de l’argent qu’il indique ici par l’appellation de Mammon. Et en disant : « Vous ne pouvez », il leur rétorque qu’il nous est possible de nous libérer de la passion de l’amour de l’argent. Car c’est ainsi aussi que l’Apôtre a dit : Que le péché ne domine pas sur vous (Rm 6, 12). En effet, ce que l’homme vainc, par cela aussi il est asservic. Car les notions communes connaissent aussi l’usage d’une conception comme celle-là, (à savoir) que les passions de l’âme s’imposent à elle justement comme des seigneurs. Et nous avons l’habitude de dire qu’un tel est asservi par le vin et qu’un tel, la colère règne sur lui. Et ce n’est pas que la passion provienne de quelque principe sans commencement, mais l’homme s’asservit lui-même à celle-ci, lui à qui il est à nouveau possible de s’en libérer. Ainsi aussi, en effet, la parole vainc, l’admonition humilie, la pudeur transforme et la crainte convertit. 46  Or, les disciples et les compagnons de Mani usent nécessairement pour ainsi dire d’une illusion en paroles en vue de la construction de toute cette impiété. Vois, en effet, ce que fait celui qui les mène vers la ruine. Car les paroles des Écritures saintes, qui montrent et indiquent – et il n’est pas possible que soit affirmé (quoi que ce soit) à leur encontre – qu’il n’y a qu’un seul principe sans commencement, il les prend et les efface. Et celles qui sont dites au sujet d’autres doctrines ou d’autres choses, il a osé les tirer de force vers quelque chose d’autre, comme ce qu’a dit Jean : Toute chose fut par lui et sans lui rien non plus ne fut (Jn 1, 3) ; et encore (ce que) l’Apôtre a dit : Unique est Dieu, le Père de qui est toute chose, et unique le Seigneur Jésus Christ, par qui est toute chose (1 Co 8, Sc. Mani. Le sens de cette phrase n’est pas clair. Titus veut peut-être dire que, si Mani affirme que les deux maîtres désignent les deux principes inengendrés, le Bien et le Mal, on serait alors dans l’obligation de les servir l’un et l’autre parce qu’ils seraient également principes. c  C’est-à-dire (IV, 45, 20-21) : « par cela aussi il peut être asservi ». a 

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6), ces (paroles) seront « prises et effacées ». Mais cette (parole) : Vous ne pouvez servir deux maîtres (Mt 6, 24a), il en use comme d’un enseignement qui indique deux principes, alors que, pourtant, cela n’a pas été dit dans un discours au sujet de Dieu, ni n’a énoncé un enseignement au sujet de Dieu, mais a été proposé en vue de la correction des habitudes et des mœurs afin que nous ne servions que Dieu seul et nous abstenions de la passion de l’amour de l’argent. Mais partout les paroles de ce (discours) sont liées les unes aux autres par leur sujet. Parce que celui-ci est (proposé) avec simplicité, l’intelligence qui les considère est nécessairement tirée de temps à autre vers d’autres choses, et particulièrement chez ceux qui sont infidèles à l’endroit de la vérité.

Les deux arbres (Luc 6, 43-46) 47  Mais en outre, il produit aussi cette parole tirée de l’Évangile : Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits ni, non plus, un mauvais arbre produire de bons fruits ; tout arbre qui existe est reconnu à ses fruits (Lc 6, 43-44)a. Ici aussi, par une méchante habileté ou par une folie sans intelligence, il prend une parole qui porte sur les mœurs et les habitudes pour un enseignement sur deux natures opposées l’une à l’autre. Car notre Seigneur explique clairement cette parabole par ce qui suit et il dit : Un homme bon tire de bonnes choses des bons trésors qui sont dans son cœur, et un homme mauvais tire de mauvaises choses des mauvais trésors qui sont dans son cœur, car la bouche parle de la surabondance du cœur (Lc 6, 45). Manifestement, il nomme le cœur « trésor » à cause de la liberté de la volonté et non d’un principe, et il ne blâme rien d’autre. Car si quelque chose s’écoulait de quelque principe sans commencement, il dirait « mauvais trésor des maux » ce principe sans commencement et non le cœur, dans la mesure où (celui-ci) est manifestement un réceptacle (des maux) et que ce n’est pas de lui que ceux-ci proviennent. Mais si le trésor du mal n’est pas aila  Sur l’exégèse manichéenne de cette parabole, voir Coyle 2008. Cf. 1 Kephalaia 2, p. 16-23, éd. Polotsky, Böhlig 1940 ; Acta Archelai 5, 4, éd. Beeson 1906, p. 7, 4-6 ; Épiphane, Panarion 66, 62, 1-3, éd. Holl 1933, p. 99, 23-100, 6 ; Augustin, Contra Felicem manichaeum 2, 2, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 704-705.

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leurs que dans le seul cœur, (alors) là où se trouve le trésor, là aussi est le commencement du mal, qui est dans le stratagème de la volonté et non dans quelque principe sans commencement. 48  Or, (notre Seigneur) prend ici aussi le discours à partir des choses qui sont dans la nature en vue de la réfutation des choses qui sont dans la volonté pour la réalisation de la démonstration du discours, parce que c’est quelque chose de simple et qui est, de soi, clair dès qu’il affecte un tant soit un peu l’audition et l’intelligence de ceux qui sont instruits. Et dans ce qui est tiré du témoignage des choses qui sont dans la nature – dans lesquelles il y a beaucoup de choses contraires à ce qui est dit (par Mani) –, il y a de nombreuses démonstrations, et (cela) est grandement approprié (à) éveiller l’auditeur. Car la différence des arbres est une nécessité relevant de la nature, à cause de laquelle ils ne peuvent être différemment, selon le momenta, de ce qu’ils sont naturellement. Mais dans le cas des hommes, leur volonté est ce à cause de quoi ils reçoivent aussi une transformation variée de toute sorte. Afin, donc, que soit évidente la façon par laquelle il nous faut éprouver ceux qui s’approchent de nous, il propose leurs fruits en vue de la mise à l’épreuve de leur volonté, de même qu’en un autre endroit il dit  : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits (Mt 7, 16.20). 49  Mais considérons aussi d’une autre manière le soin et l’exactitude de ces paroles. Au sujet de l’arbre mauvais, il dit en effet qu’il ne peut donner de beaux fruits, et le contraire, que le bon ne peut en donner de mauvais. Mais au sujet de l’homme mauvais, il dit que, des trésors de son cœur, il fait sortir de et il ne dit pas qu’il ne peut (en) faire sortir de , pour ne pas déterminer et lier la volonté par la nature,  mais, sans artifice, il dit quelque chose qui arrive du fait de la volonté, car il peut, avec la transformation de sa méchanceté, transformer aussi ses fruits. Et c’est ainsi aussi que Jean le Baptiste dit : Tout arbre qui ne fait pas de fruit sera coupé et tombera dans le feu (Mt 3, 10), et il transpose cela aux hommes, c’est-à-dire, afin de (leur) faire honte davantage mais, par la menace, il ne fait rien d’autre que a 

Littéralement « en un autre temps » (‫ܒܙܒܢ ܐܚܪܢ‬, IV, 48, 9).

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de les transformer par la crainte, parce qu’en effet, ce jugement ne serait non plus juste s’il condamnait ceux qui ne produisent pas de fruits de vertu à cause de la déficience de leur nature. Car l’arbre qui ne fait pas de bons fruits, ce n’est pas sous le coup d’une condamnation qu’il tombe dans le feu mais pour un usage nécessaire aux hommes, ce qui est, de manière appropriée, la cause pour laquelle il a cette nature. Mais l’homme, quel usage ou quoi (d’autre) réalise-t-il quand il tombe dans le feu si ce n’est, seulement (et) nécessairement, pour lui-même, pour la condamnation de la négligence qui est dans la volonté, à cause de laquelle, à bon droit et de manière appropriée, il est nécessairement menacé à son avantage pour qu’il se transforme ? Mais, à la fin aussi, il sera à juste titre puni s’il compte pour rien la crainte de la menace. Il est donc possible que, même par de petites choses qui auront été expliquées conformément à la vérité, devienne évidente soit la folie sans intelligence soit la méchante ruse de Mani (dirigée) contre les Écritures saintes.

Spécimens de l’exégèse manichéenne néotestamentaire établissant que le monde est mauvais (50-56) La haine du monde à l’endroit des disciples 50  Parce qu’aussi il blâme et met à mal les créatures, et en outre pousse l’audace jusqu’à oser tirer à son profit le témoignage de l’Évangile, produisons donc et citons les (textes) dont il se sert à cette fin. Car il introduit aussi ce que notre Seigneur a dit à ses disciples : Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant (Jn 15, 18), et : Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est sien, mais parce que vous n’êtes pas du monde mais que, moi, je vous ai choisis hors du monde, pour cette raison le monde vous hait (Jn 15, 19). « Vois, a-t-il dit, les choses qu’il dit au sujet du monde, combien il est étranger et opposé, et encore plus par ces (paroles) qu’il a dites à un autre endroit : Et le monde les a haïs parce qu’ils n’étaient pas du monde, de même que, moi, je ne suis pas du monde (Jn 17, 14).

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Comment donc, a-t-il dit, le monde serait-il beau, lui qu’il a complètement renié ? »

Comment faut-il entendre le terme « monde » ? 51  Or, il collectionne ces (témoignages) et ceux qui sont pareils à la manière d’un aveugle et il ne sait pas ce qu’il fait. En effet, dans ces (passages), ce ne sont pas les créatures que notre Seigneur appelle « monde », car aucune d’entre elles ne l’a haï, ni lui ni ses disciples. En effet, les justes autant que les impies ont à égalité, d’une manière différente, le partage de celles-ci. Et aussi, elles ont toutes obéi à notre Seigneur, à son commandement. Quel monde l’a-t-il donc haï, lui ou ses disciples ? Est-ce le soleil, qui s’est enfui pour ne pas voir sa passiona ? Ou les étoiles parmi lesquelles exulte l’étoile qui a annoncé en son temps son étrange naissance d’une manière étrangement contraire à son habitudeb  ? Ou bien la mer qui, à son commandement, fut aussitôt transformée en tranquillité et se retrouva dans le calme, avec le ventc ? Et la terre, comment n’a-t-elle pas montré son adoration à son égard, elle qui a produit les cinq pains grâce auxquels notre Seigneur a nourri cinq mille hommesd  ? Mais la manière dont le monde s’est soulevé contre notre Sauveur est évidente même pour Mani, non pas celui qui est habité mais l’homme qui y habite, parce qu’aussi bien tout homme a l’habitude de nommer « villes » non les édifices mais les habitants. Et on dit qu’« il a plu à la ville », que « la ville a approuvé et a commandé », que « la ville a aimé » ou, au contraire, que « la ville a haï son chef ». D’ordinaire, nous tous, ce sont les hommes que nous disons et désignons pareillement. Si donc ceux qui habitent le monde ont haï notre Seigneur, ce n’est pas le monde des créatures que nous blâmerons mais la volonté de ceux qui y habitent, car c’est à leur sujet que notre Seigneur a parlé. 52  C’est donc d’une manière manifeste qu’en plus des choses qui ont été dites, il produit et ajoute (ceci) : Souvenez-vous des paCf. Mt 27, 45 ; Mc 15, 33 ; Lc 23, 44. Cf. Mt 2, 11-12. c  Mt 8, 23-27 ; Mc 4, 35-41 ; Lc 8, 22-25. d  Mt 14, 13-21 ; Mc 6, 30-44 ; Lc 9, 10-17. a 

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roles que je vous ai dites : aucun serviteur n’est plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi et s’ils ont gardé mes paroles, ils garderont aussi les vôtres (Jn 15, 20). C’est manifestement au sujet des hommes, eux qui n’ont pas cru en lui, qu’il a parlé et il prépare l’intelligence de ceux qui sont instruits à l’endurance dans la persécution. Et ainsi, (par) le monde, il dit et désigne les hommes et non la créationa. 53  Et dans un autre endroit il a dit aux Juifs : Le monde ne peut vous haïr mais il me hait parce que je rends témoignage à son sujet que ses œuvres sont mauvaises (Jn 7, 7), manifestement celles des hommes et non celles des autres créatures, (paroles) par lesquelles nous pouvons voir aussi l’exactitude des choses qui sont dites. Il désigne en effet de façon convenable, sous le nom de monde, ceux qui y habitent. Et il dit : Il me hait parce que je rends témoignage à son sujet (Jn 7, 7), et il ne dit pas qu’il est mauvais comme au sujet de ce qui ne (peut être) transformé, mais que ses œuvres sont mauvaises (Jn 7, 7). Car il blâme les actions et il ne rejette pas la conversion. Il est en effet manifeste et reconnu qu’il de ceux vers qui il vient afin que, alors qu’au début il supportait leur haine, à la fin il les convertisse à l’amour à son égard, ce qui, manifestement, ne se produisit pas (même) après un long délai. Car s’il les avait blâmés comme ne pouvant se convertir, ou bien parce qu’ils auraient été d’eux-mêmes incurables, ce qui se produit chez quelques-uns, ou bien parce qu’ils auraient émané d’un principe opposé, selon le discours du fou, pourquoi, ne fût-ce qu’au commencementb, viendrait-il chez eux et pourquoi aussi supporterait-il en vain, volontairement, l’insulte de leur haine ? Mais tout cela lui importait à cause du salut de ceux qui l’ont haï, si bien qu’il dit ces (paroles) au sujet de ses disciples, sous la forme d’une prière adressée à son Père : Moi, je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs parce qu’ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde (Jn 17, 14). Et il ajoute par après : Ce n’est pas pour que tu les retires du monde que je prie, mais pour que tu les gardes du Mauvais Même interprétation chez Épiphane, Panarion 66, 67, 5, éd. Holl 1933, p. 107, 26-108, 2. b  Le sens de cette incise (IV, 53, 16-17, ‫ )ܐܦܢ ܡܢ ܫܘܪܝܐ‬nous échappe. a 

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(Jn 17, 15). Car il ne fallait pas non plus que les médecinsa soient enlevés aux malades parce que c’est pour cela même que, dès le début, ils avaient été choisis. Mais si ce monde des hommes avait été objet de désespérance et réprouvé, il aurait prié pour qu’ils soient libérés de ce monde sans valeur. Mais maintenant, il veut qu’ils demeurent dans le monde parce qu’il n’existe même pas un seul principe opposé et qu’il ne possède même pas une parcelle en lui. Mais, tout en demeurant (dans le monde), il dit qu’ils doivent être gardés du Mauvais par Dieu afin qu’étant en santé, ils guérissent les malades. 54  Or, qui est le Mauvais, nous le dirons sous peu. Car il est maintenant apparu que notre Seigneur aime à l’évidence à ce point le monde parce qu’il est venu vers lui et qu’il ne veut pas que ses disciples en soient retirés afin qu’en y demeurant, ils guérissent ceux qui en ont besoin. Et il envoie aussi ceux-ci comme des brebis au milieu des loupsb, non pour qu’ils soient mis en pièces mais pour qu’ils apaisent les loups. Ils ne sont donc pas étrangers au monde par leur nature mais par leur seule volonté. Car, par leur nature, ils sont comme ceux qui les persécutent mais par leur volonté, ils en diffèrent et manifestent de la patience pour convertir ceux qui les persécutent. C’est ainsi que sont étrangers au monde ceux qui ont été choisis depuis le monde. Car comme sont les prémices, il est évident qu’ainsi aussi sera toute la pâtec. Il est désormais évident qu’en tous les endroits où notre Seigneur blâme le monde, il réprimande les hommes et ceux qui sont mauvais du fait de leur volonté et non de leur nature, et qui ne sont pas non plus sortis de quelque principe opposé. Il est donc venu pour cela, pour sauver ceux qui seront guéris dans leur volonté et non changés dans leur nature. 55  Mais qu’y a-t-il d’étonnant si, dans l’Évangile, il parle de cette façon au sujet de l’humanité alors que, dès le commencement, lors de la création, il a dit : Mon esprit n’habitera pas dans ces hommes parce qu’ils sont chair (Gn 6, 3) et : le penchant de l’homme est sérieusement disposé au mal depuis son enfance (Gn 6, 5 ; 8, 21) ? ̈ ‫ܐܣܘܬܐ‬ (IV, 53, 25), qu’on pourrait aussi bien traduire par « remèdes », mais le sens serait moins bon. b  Cf. Mt 10, 16 ; Lc 10, 3. c  Cf. Rm 11, 16. a 

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Et il nomme penchant au lieu de volonté ce à cause de quoi il les a blâmés dès le commencement, car il ne les aurait pas réprimandés du tout s’ils avaient été conduits à des actions mauvaises par quelque nécessité. 56  Dans ce qui précède, nous avons dit que l’homme a été formé par Dieu nécessairement de cette façon et que le choix du péché lui est facile et très accessible, mais que l’accomplissement de la vertu est ardu et difficile. Qu’il soit maintenant ajouté à ce qui a été dit que, parce que les a de la crainte de Dieu et de la vertu sont grands, il y a nécessairement du labeur pour les hommes en vue de cela, et que (ce labeur) n’est pas en proportion des biens qu’ils espèrent et attendent. Mais à la vérité, ilb donne convenablement une cause pour la jouissance qu’on en tire. Car, quoique Dieu soit bon, il ne veut pas donner ses biens sans discernement ni examen, afin que la bonté ne soit aucunement blâmée de manière inconvenante, mais il donne de très grandes choses en échange de petites. En outre aussi, la réception des dons qui proviennent de Dieu, si elle se produit pour les hommes dans un sentiment de raison et de connaissance, elle leur est évidemment un avantage, mais si elle se produit sans raison ni connaissance, elle ne sera même pas considérée comme quelque chose par les hommes. Si donc nous les recevons dans un sentiment de raison, de sorte que la connaissance soit aussi pour nous commentatrice et interprète de leurs délices, par la raison aussi, nous acquerrons donc pour nous-mêmes ce qui est digne et grandement approprié pour nous. Car ces choses dont le profit se révèle et s’éclaire par la raison, personne n’en est digne sans la raison. Mais si, par la raison, il nous est ajouté d’être dignes de ces (dons), c’est que nous sommes conduits par notre volonté. Car une fois que la raison est entrée, contrainte, sort, hasard ou adversité, tout cela sort comme de juste. En effet, le fait que nous soyons venus à l’être alors que nous n’existions pas ne relève pas du soin de ceux qui sont (eux-mêmes) venus à l’être, car, d’une manière commune et égale, cela nous appartient à tous, justes comme impies, du fait ̇ Le manuscrit porte ‫̈ܪܫܢܝܗ‬, litt. : « les princes » (IV, 56, 5), ce que Nix 1901 (p. 34) traduit par « die Geschenke », sens qui n’est pas attesté par les dictionnaires, d’où notre correction en ‫̈ܪܝܫܝܬܐ‬, « prémices » ou « commencements ». b  Sc. Dieu. a 

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du créateur, mais une fois venus à l’être, il faut que nous possédions la raison et la connaissance, et que nous-mêmes acquérions ce qui est digne de notre créateur, et cela nous est ajouté dans la difficulté. Car ce dont la découverte est facile, son mépris est également facile. Et on rassemblera facilement de nombreuses choses comme celleslà et on montrera qu’il ne fallait pas que l’homme raisonnable soit façonné autrement par le Bon à partir de la terre afin d’être un habitant du monde corporel, si ce n’est de cette manière-là.

Le Mauvais dont parle l’Écriture (57-85) Le Mauvais dans les textes de l’Écriture : sa nature et son action 57  Or, les partisans de Mani le fou exigent de nous un exposé au sujet de Satan le calomniateur, dont notre Seigneur a prié son Père que ses disciples soient gardésa, (et) au sujet duquel notre discours a promis, il y a peu, de donner une réponseb. Au sujet de cela, ils nous avancent aussi une autre réplique de notre Sauveur, en particulier ce qu’il dit : Maintenant c’est le jugement de ce monde, maintenant l’archonte de ce monde est jeté dehors (Jn 12, 31). Et par ces (paroles), ils introduisent la représentation de quelque principe opposé : « Voici qu’il reconnaît quelque archonte de ce monde, qui est un autre en dehors de Dieu »c. Mais à partir des mêmes paroles, nous saisirons la vérité de ce qui a été dit. 58  Tout d’abord, considérons et comprenons encore de quel monde il l’appelle l’archonte mauvais : est-ce des autres créatures ou proprement de la seule humanité ? Car toutes les créatures ont leur ordre propre et jamais elles ne s’en sont écartées, et elles ne reçoivent aucun dommage de la part du Mauvais de manière à transgresser la loi de leur créateur, et elles n’ont aucunement non plus en leur pouvoir leur (propre) mobilité, mais elles sont retenues par Jn 17, 15. En IV, 54. c  Cf. Épiphane, Panarion 66, 66, 1, éd. Holl 1933, p. 106, 8-15. a 

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le décret de leur créateur et depuis toujours, en tout temps, elles s’y tiennent et elles proclament par là l’arrangement et l’ordre de Dieu. Aussi la parole de l’Écriture dit-elle qu’à son commandement le soleil et la lune se lèvent, et non par eux-mêmesa. 59  Mais si c’est des hommes, eux qui vivent dans le monde, qu’il est dit être l’archonte mauvais, il l’est non pas d’eux tous mais de ceux qui sont avec lui, à la ressemblance de sa propre manière d’être, comme nous avons manifestement montré dans (notre) discours, par le biais de nombreux (arguments), que l’on doit ainsi penser. Or, notre Seigneur, lorsqu’il converse avec son Père au sujet des disciples, dit : Je ne prie pas pour que tu les retires du monde mais pour que tu les gardes du Mauvais (Jn 17, 15), pour qu’ainsi quelqu’un puisse être sauvé du Mauvais s’il vient vers Dieu. Encore plus important que le fait qu’il ne soit aucunement en pouvoir de contrainte sur lui est ce qu’il a dit : Maintenant l’archonte de ce monde est jeté dehors (Jn 12, 31). Car s’il est jeté dehors, il n’est pas non plus un étant ni non plus n’a de pouvoir de par sa nature, mais c’est par son audace mauvaise qu’il a ourdi cela. Et Jean le Baptiste a prédit de quelle manière il est jeté dehors : Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29). Par cette seule (parole), il a indiqué de nombreuses choses, à savoir que ce qui est enlevé avait été mis en place par l’industrie de ceux qui ont péché et non par la nature, et n’était pas accompli d’une manière immuable, mais leur agir indique que ce sont les hommes eux-mêmes qui pèchent et encore que, par l’intermédiaire du péché, le Mauvais introduit par la tromperie son pouvoir à l’encontre des hommes, Dieu l’ayant permis pour les raisons que, nous, nous dirons. Donc, si le péché est enlevé, la puissance aussi de celui qui a autorité par l’erreur a été rejetée. Et de quelle manière elle a été jetée dehors, ce n’est pas dans un lieu, mais par la destruction du pouvoir de sa tyrannie, lorsque l’idolâtrie et l’erreur sont vaincuesb, que le culte tout entier des mauvais démons est méprisé, que

Cf. Lettre de Jérémie 59 ; Ha 3, 11. Littéralement « sont recouvertes » (‫ܡܬܟܣܐ‬, IV, 59, 25) ; cf. Payne Smith 1879, col. 1781. a 

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le jugement du péché qui prévalait dans le monde a lieu et que l’archonte du péché du monde est jeté dehors. 60  La conversion de la (terre) habitée de tous les Romains et des barbares vers la vertu et leur retournement vers la crainte de Dieu témoignent donc de sa promesse et de la réprobation de celui-làa et c’est aussi la réprimande du fait qu’il s’était approprié du pouvoir sur le monde. Car (l’archonte) ne se serait pas rendu à l’enseignement d’hommes pêcheurs et faibles s’il avait été estimé avoir par sa nature quelque puissance ou être. Le Mauvais s’est donc rendu et a été vaincu par des hommes petits par leur nombre, incultes par leur discours, humbles par leurs origines, si misérables et pauvrement vêtus qu’il ne s’y est plus aventuré. Il n’est pas non plus un étant, et un pouvoir qui a été facilement ébranlé et rejeté de son assise et de sa racine n’est pas non plus stable dans sa nature. Donc, tout comme ceux contre lesquels il a usé d’artifice ont subi du tort de leur plein gré et non à cause de leur nature mais ont erré par la prédisposition de leur volonté, de la même manière aussi celui qui les a trompés a imaginé contre les hommes une erreur de son plein gré, à cause de sa malice, car le Mauvais est mauvais. Or, la malice est une passion de l’intelligence, une affliction ou une fièvre, qui possède une véhémence nocive à l’encontre de ceux contre lesquels elle se met en mouvement. Voilà pourquoi il n’est aucun (être) qui soit mauvais par sa nature car, s’il sait ce qu’il fait de son plein gré, il n’est pas mauvais, et s’il ne le sait pas, il n’est aucunement mauvais. Comment quelqu’un peut-il être mauvais sans savoir ce qu’il fait, si (tant est que) la malice nécessite quelque habileté et ruse et tromperie, pour qu’il puisse à moult reprises dissimuler ce en quoi il fait du tort sous l’aspect d’un adjuvant afin d’être imperceptiblement accueilli et détruire ? Mais où placera-t-ilb la ruse, la tromperie et l’erreur si ce n’est seulement chez celui qui est mauvais car il n’y a aucune place pour elles dans l’intelligence et la pensée du Bon ? Si donc le méchant est continûment perfide et trompeur, et capable de se dissimuler et de se cacher, dans son audace, en ces choses par lesquelles il ruse et fait du a  b 

Sc. l’archonte. Sc. Mani.

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tort, il est évident qu’il se connaît, lui-même et celui qu’il trompe, et il connaît aussi ce qui est utile et ce qui est nuisible, et le bien et le mal. Mais il agit frauduleusement en se donnant de la peine, ouvertement ou secrètement, à cause de rien d’autre sinon parce qu’il se venge, soit comme s’il avait été contraint à l’impiété, soit comme s’il était sous le coup de la jalousie à l’endroit de celui qui est meilleur que lui. Car que nous l’attaquions à cause du désir de l’argent n’a pas de place en regard de ce qui nous est proposé ni n’en est prochea. 61  Il est donc évident que ce Mauvais contre qui est (dirigé) notre discours n’a pas subi de préjudice de la part des hommes mais qu’à cause de sa jalousie, il a tendu contre eux les filets de sa tromperie, des désirs et de toute l’erreur qui est contre Dieu, afin que les hommes qui vivent dans le corps ne soient pas victorieux devant Dieu plus que lui et ne le confondent durement. Si donc c’est à cause de sa jalousie qu’il est devenu ennemi, en sachant que ce qui est meilleur est meilleur que lui, et en connaissant ce qui est en vérité bienheureux et bon, parce qu’à cause de cela, il est jaloux de ceux qui peuvent l’accueillir et y participer, il est évident qu’il est mauvais par sa volonté et non par sa nature. 62  Le Mauvais n’existe donc pas dans quelque être mauvais mais il est grandement déterminé à ne pas recevoir volontairement de changement. Aussi trompe-t-il ainsi davantage et il ne mène pas par la contrainte, car il ne lui appartient pas de mener par la contrainte parce qu’il n’a pas non plus reçu de Dieu la permission en vue de cela. Mais par le fait qu’il trompe, il est manifestement reconnu qu’en cela non plus, il n’est pas sous le coup de la contrainte du fait de sa nature. 63  Il est donc évident que celui-là est venu à l’existence beau selon sa nature, du fait de Dieu, et qu’il est devenu mauvais par un changement, selon sa volonté. Parce qu’en effet aucun des êtres raisonnables n’est lié par la contrainte de la nature mais que tous ont reçu de Dieu l’honneur de la liberté afin d’offrir ainsi, de leur plein gré, leur adoration à leur créateur, ils tiennent donc Titus semble admettre que Mani (ou le principe mauvais) ne peut être accusé sous ce grief et qu’il faut donc chercher autre chose. a 

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de Dieu le fait d’être, mais le fait d’être tel ou tel, ils le tiennent d’eux-mêmes. Et que cela qui est selon la nature soit beau en tant qu’œuvre de Dieu, entendons-le de notre Sauveur qui dit : J’ai vu Satan qui est tombé du ciel comme l’éclair (Lc 10, 18). Or, celui qui, par son aspect, est comparé à l’éclair est constamment lumineux et beau selon sa nature. Et on trouve aussi chez Job que les anges vinrent se tenir devant Dieu et que Satan aussi se tint au milieu d’eux et vint comme l’un de leur congénère par sa nature, mais qu’il était différent d’eux par sa volontéa. Mais aussi lorsque Dieu l’interrogea, il écouta selon sa capacité celui qui est invisible et lui répondit, et il n’était pas différent des anges par sa nature et son origine, et ne se soustrayait pas non plus à la soumission à celui qui l’a fait. Mais par la longanimité qui est dans la du juge, il persiste dans sa méchanceté mais il ne lui échappe pas par quel aboutissement et par quelle fin sa malice sera freinée et annulée. 64  Et aussitôt les démons disaient à notre Seigneur : Es-tu venu avant le temps pour meb  ? (Mt 8, 29) Et ils savaient qu’ils étaient tourmentés mais c’est à propos du moment qu’ils regimbent car il n’est pas celui (qu’ils veulent). Mais ils disaient aussi ceci : Nous savons qui tu es, que tu es le Saint de Dieu (Mc 1, 24 ; Lc 4, 34). Et par là aussi ils indiquaient que ce n’était pas par quelque ignorance ou par la malice de la nature qu’ils étaient mauvais. Ils connurent donc le Bon, qu’ils n’auraient pu connaître s’ils n’avaient été beaux par leur nature et ce n’est pas comme un principe, quelque étant opposé, qu’ils le servaient et qu’ils s’étaient détournés de l’obéissance qui lui était due (pour se tourner) vers celui auquel ils n’étaient pas soumis par leur nature. Car nous pouvons voir qu’ils étaient non seulement effrayés et troublés par le commandement de notre Seigneur mais qu’ils prenaient aussitôt la fuite et étaient expulsés, et désertaient à son commandement leur habitation et leurs lieux de longue date. Ces démons, donc, qui ont reconnu notre Seigneur, ont parlé avec lui, lui ont Cf. Jb 1, 6. On attendrait « pour nous tourmenter », mais le manuscrit (IV, 64, 2) a clairement le suffixe de la 1ère personne du singulier. a 

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obéi et ont été expulsés par lui, comment seraient-ils considérés avec vraisemblance s’accorder à un principe (qui serait) quelque étant opposé  ? Car, par l’intermédiaire de toutes ces choses, ils sont manifestement apparus être sous le pouvoir de celui qui est, lui seul, l’unique étant, Dieu, et ils concèdenta la punition de la malice qui est dans leur volonté, qu’aussi ils ont manifestement reconnu attendre. 65  Mais aussi le chef de ceux-là, Satan le calomniateur, dans l’Évangile, tente notre Seigneurb avant d’avoir su avec exactitude s’il était celui dont on pensait qu’il viendrait, selon l’antique prophétie, et il parla avec lui. Et il passe un long temps avec notre Seigneur, il lui adresse la parole et reçoit de lui (une réponse), et il rappelle les paroles de Dieu et produit, à partir de l’Ancien Testament, des témoignages en reconnaissant, contre Mani le fou, qu’ils sont des paroles divines. Mais, par tromperie, ce séducteur promet aussi à notre Seigneur, de façon mensongère, des choses sur lesquelles il n’a pas de pouvoir. Ainsi donc, cette conversation ainsi que le fait qu’il peut approcher le Fils de Dieu et parler avec lui, confessent et témoignent au sujet de la nature même de Satan, et prouve et montre qu’il est mauvais par sa volonté. 66  Mais encore, ce nom de calomniateur qui est dans l’Écriture indique aussi, à propos de sa nature, qu’elle est éloignée de la malice mais que sa volonté est perfide. En effet, celui-là a osé calomnier l’homme auprès de Dieu et il procure à l’homme une certaine inimitié envers son créateur par les choses qu’il conseille. Et il fut appelé calomniateur à partir de son activité, du fait qu’il a introduit une volonté trompeuse parce que, de plein gré, il fut jaloux par sa connaissance et sa réflexion, de sorte que quelque être opposé (et) mauvais n’apparaîtra aucunement (ni) jamais être en lutte contre Dieu comme un étant. Et celui-là n’accomplit absolument rien à moins que Dieu ne le permette. Mais, contre son gré, il lui est concédé par son créateur d’être un adjuvant en vue de l’économie qui est en faveur des hommes, en plus de beaucoup d’autres Littéralement « ils donnent » (IV, 64, 20), ce qui a peu de sens. C’est-à-dire : « ils concèdent la punition (qu’ils reçoivent) … ». b  Cf. Mt 4, 1-11 ; Mc 1, 12-13 ; Lc 4, 1-13. a 

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paroles qui le concernent. Car l’homme raisonnable avait nécessairement besoin d’un adversaire en vue des victoires de ses combats. En effet, celui-là le jalouse depuis lors jusqu’à maintenant, à cause de Dieu, mais Dieu le lui permit parce que, dans sa prescience, il connaît l’issue de l’affaire. Et l’homme supporte son exercice et son épreuve, et son combat est (sujet) d’étonnement, parce que Dieu a manifestement disposé le combat (pour savoir) si l’homme vaincrait dans le corps celui qui est dépourvu d’un corps. Car s’il n’était arrivé de cette façon que le calomniateur reçoive de Dieu une telle permission, les hommes subiraient un grand dommage parce qu’ils seraient privés de celui qui les éprouve et les exerce en vue des victoires. En effet, toutes les choses qu’il ne convient pas à Dieu de provoquer par lui-même en vue de l’exercice de ceux qui sont vaillants dans leurs âmes, ces mêmes choses le Mauvais les provoque et, contre son gré, il apparaît être l’adjuvant de ceux qui sont exercés par lui afin que se réalise l’admirable économie de Dieu. Car, contre son gré, le Mauvais sert la volonté de Dieu dans les victoires des hommes. 67  Ainsi Dieu n’excite pas lui-même à la persécution à l’encontre de ses fidèlesa l’intelligence de tyrans qui ont d’eux-mêmes choisi cela pour eux-mêmes, car il ne lui convient pas non plus d’agir comme ceux-ci (même) pour la victoire des autres, mais c’est le Mauvais qui, par des causes qui sont dans la volonté de leur propre liberté, enflamme et excite ceux qui peuvent persécuter, et il en a couronné beaucoup par la confession et le témoignage, et les a envoyés à Dieu qui a décidé le combat. Or, Dieu l’a permis parce qu’il a connu le profit de l’issue des affaires. Mais que dirons-nous ? Car si le Mauvais n’avait provoqué encore plus l’envie délibérée des Juifs à l’encontre de notre Seigneur qui, volontairement, s’est livré lui-même à leur volontéb, comment le monde entier jouirait-il du salut qui provient de lui ? Il faut donc savoir que le Mauvais ne forme pas le principe de l’audace dans l’intelligence et la réflexion – car il ne le peut pas  –, mais il enflamme et exa  b 

17-18.

Littéralement « ses craignants » (IV, 67, 3). Cf. Lc 23, 25, d’après Ortiz de Urbina 1967, p. 193, § 2479 ; cf. surtout Jn 10,

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cite l’impétuosité qui est dans la volonté et, contre son gré, il sert l’économie de Dieu et ne mérite aucune reconnaissance à cause de l’issue des affaires mises en place par lui parce qu’elles sont un adjuvant dans l’économie de Dieu, car il est malfaisant, et Dieu, d’une manière admirable, use à merveille de sa malice en vue de la dispensation de grandes choses. 68  À cause de cela, donc, il n’apparaît pas non plus qu’il incombe à Dieu de le corriger, parce que sa méchanceté a en luimême son origine, car il ne manque pas à Dieu d’autres moyens qui lui convenaient, par lesquels seraient exercés à sa crainte et à la vertu ceux qui s’en remettent à lui. Mais l’admirable économie de Dieu, sage en toute chose, concernant le calomniateur consiste en cela qu’il a permis au Mauvais d’être ainsi à son gré, alors qu’il pouvait aussi, dès le commencement, le retenir et l’arrêter. Mais il use admirablement de la malice de celui-ci en vue de la démonstration de sa bonté. 69  Mais si quelqu’un voit la multitude des hommes qui sont vaincus, blâme l’économie et en dit du mal, qu’il apprenne que beaucoup ni ne succombent dans les combats dès le commencement ni ne se dressent contre luia dès le début et ne demeurent indemnes, et, à la fin, ne peuvent tenir contre l’artifice du calomniateur, mais, par leur propre volonté, en viennent à des actes d’impiété, même sans le conseil de celui-là. Pour beaucoup, en effet, dont la volonté n’est pas éprouvée, l’excitation de la nature suffit pour les amener aux désirs en vue du blâme de leur volonté (disposée) à tout péché parce que, même sans le Mauvais, ils ne consentent pas du tout aux bonnes choses. Et cela n’est pas non plus une chose juste de luib imputer les péchés de ceux qui ont été saisis dès le début dans des mœurs mauvaises. 70  Mais même ceux qui sont adultes dans la crainte de Dieu, le Mauvais les attaque à cause de sa jalousie et il agit frauduleusement à leur endroit dans l’espoir d’une victoire, et il exerce et éprouve leur volonté. Mais Dieu permet cela afin qu’aussi grâce à leur endurance face aux pulsions qui sont dans leur propre naa  b 

Sc. le Mauvais. Sc. le Mauvais.

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ture et grâce à leur vigilance face aux ruses du Mauvais, par les deux, tous ceux qui sont zélés pour la crainte de Dieu apparaissent comme des athlètes victorieux. Car grandes et dignes de Dieu sont les récompenses, les victoires et les couronnes qui sont réservées à ceux qui, à cause de celle-làa, sont à bon droit descendus (dans l’arène) en vue de grands combats pour les mériter. Et ce n’est pas un petit sujet d’étonnement que celui qui concerne ceux qui vainquent, non plus qu’est injuste l’économie qui concerne ceux qui, dès le début, ne se sont pas livrés au combat. Car ce qui concerne ceux qui ont été zélés pour le profit en regard de leur âme, le calomniateur – ce qui dépasse tout discours humain – et ceux qui (ont souffert) du dommage parce qu’ils n’ont pas voulu combattre pour les bonnes choses ou ont très méchamment voulu succomber, laissons cela au juge, car, qu’il décide et décrète ce qu’il lui plaît au sujet de ces choses, cela n’est pas notre affaire. Mais si, à cause de la multitude qui succombe, il arrivait que le petit nombre non plus ne vainque, la justice de l’économie serait détruite si, à cause des autres qui, dès le commencement, n’ont pas voulu combattre, ceux aussi qui le veulent et se réjouissent dans le combat en soient privésb. Car en tout temps et depuis le commencement, les vouloirs de chacun sont manifestes pour Dieu et il n’a absolument pas besoin d’une mise à l’épreuve pour observer chacun et apprendre (à le connaître). Mais il a permis au Mauvais d’attaquer les justes en vue de l’exercice et de l’épreuve des actions d’endurance afin que non seulement leurs vouloirs soient manifestes à sa prescience mais qu’aussi ils triomphent et croissent par l’action même, et que, par leur persévérance dans les œuvres, ils montrent que ce n’est pas pour ainsi dire par favoritisme qu’il les aime. 71  Car tout comme ce n’est pas par la (seule) connaissance théorique de son art que le médecin est renommé et honoré mais par la pratique, de même aussi le juste apparaîtra honorable non seulement par sa volonté mais aussi, nécessairement, par la mise à l’épreuve de sa persévérance. Et telle est toujours la seule justice et vertu, à savoir que, par la persévérance, nous soyons sous le coup a  b 

Sc. la crainte de Dieu. C’est-à-dire privés du combat ou des dons précédemment mentionnés.

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de la mise à l’épreuve en vue de l’exercice et d’une complète expérience des tentations du fait des choses qui nous sont connaturelles et de celles qui nous viennent de l’extérieur. 72  C’est donc ainsi que le Mauvais se comporte à l’endroit des hommes, et il continue ainsi autrement, avant sa condamnation, parce que, tout en (le) sachant, il est encore sous le coup de la condamnation, (mais) il endurera une grande ignominie lorsque les craignant-Dieu seront victorieux contre lui et qu’ils seront couronnés. Car cette lutte et ce combat de l’homme contre un tel ennemi ne sont pas comparables. En effet, celui-là ne reçoit aucune louange de la part de ceux qui sont ses partisans mais qui sont seulement pour lui des partenaires en vue d’un réconfort dans sa mauvaise espérancea, mais il est grandement méprisé et réprimandé par ceux qui le vainquent parce que, tout en étant des hommes et en combattant contre lui dans le corps, ils le vainquent. 73  Mais outre les choses qui ont été dites, si, dès le début, il avait été supprimé et avait reçu le châtiment de son insolence, où serait la longanimité de Dieu et où serait sa tolérance en vue d’une grande et profonde réprimande ? Et comment aussi ne serait-il pas considéré pouvoir accomplir quelque chose de grand parce que (le Mauvais) aurait soudainement été anéanti ? Voilà en effet ce qui est grand, que, tout en demeurant (dans l’existence), il soit réprouvé et que, tout en étant malfaisant, il apparaisse contre son gré être utile. Et ce n’est pas comme (étant) quelque chose de terrifiant qu’il serait rapidement sorti du gouvernement universel et qu’il en aurait été expulsé ou que, par quelque artifice, il aurait été enchaîné, comme s’il avait pu quelque chose contre Dieu, mais comme un mauvais, moqué et ridiculisé par les puissances intelligibles, vaincu par les hommes justes dans tous les combats et confondu par leur volonté et par l’aide qu’ils reçoivent de Dieu. Et c’est à cause d’eux qu’aussi, de quelque autre manière, il demeure (dans l’existence), réservé pour le châtiment au moment fixé pour lui. 74  Or, le mode de sa rébellion n’est pas caché à qui peut le comprendre. Car même s’il est libéré de tout désir corporel, car il Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. a 

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est sans corps, il n’y a rien d’étonnant si, pour avoir, par son intelligence, espéré quelque chose pour lui-même et s’être exalté, il a été renversé et est tombé. Car le désir illégitime de l’espérance qui est hors de la nature a l’habitude de priver aussi des choses naturelles. En effet, les Écritures divines livrent une réflexion comme celle-là afin que nous y réfléchissions. Or, il nous est possible, à partir des choses mêmes qu’il a accomplies jusqu’à maintenant, de voir et de comprendre que son amour du pouvoir et son entêtement sont sans mesure. Car il s’est efforcé d’être adoré à la place de Dieu par ceux qu’il a diversement trompés de toutes les manières. Il a ouvertement avoué sa passion à notre Sauveur et il lui a dit : Je te donnerai toutes ces choses si tu te prosternes et m’adores (Mt 4, 9). Et c’est ainsi qu’il afflige les martyrs et les confesseurs de l’Église, et il s’accroche à eux pour son propre honneur comme antidieu, ce dont me semble aussi souffrir ce Mani qui, antichrista, ose attirer à lui ceux qu’il trompe. Parce qu’en effet, il est le disciple de Satan, le calomniateur, il a été saisi par une maladie semblable à la sienne, lui qui est contre le Christ comme aussi celui-là fut dès le commencement contre Dieu. 75  Le calomniateur Satan est donc tombé dans cette maladie dès le commencement par sa volonté et il a été privé de la grâce de Dieu et de la dispensation sans déficience de la nourriture intelligible qui est en vue de la jouissance de l’adoration et de la crainte de son créateur, en quoi se trouvent et sont nourris dans leur intellect tous les êtres intelligibles de manière à persévérer dans le service et l’adoration qui sont de toujours incessants, et dans la jouissance qui provient de Dieu. Et il est tombé dans une malice sans mesure de sorte qu’à cause du caractère détestable et de l’opprobre de sa passion, il n’y a pas renoncéb volontairement ; voilà pourquoi il cherche à ravir les belles choses qui se trouvent dans l’intelligence des hommes et surtout la connaissance de Dieu. Mais parce qu’il sait que l’âme n’en vient pas facilement à l’impiété et à l’erreur à l’encontre de Dieu si elle n’a pas d’abord été submergée par « Antidieu » (IV, 74, 16 : ‫)ܚܠܦ ܐܠܗܐ‬, « antichrist » (17 : ‫)ܚܠܦ ܡܫܝܚܐ‬ ; le syriaque traduit ἀντίθεος et ἀντίχριστος (cf. Lampe 1961, p. 153b et 160a-162a). b  Litt. : « il n’en a eu de cesse » (IV, 74, 29). a 

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les passions corporelles, il devient un adjuvant en vue des maux qui sont du fait de la volonté et par de petites choses, il élabore ce qui est plus grand, à savoir l’impiété et l’erreur à l’encontre de Dieu. Et il ne mène pas l’homme par contrainte, mais il use d’une espèce de conseil en vue de choses comme celles-là. Et c’est ainsi qu’il fut aussi appelé archonte du monde comme aussi dieu des nationsa, ce qu’il n’est pas. Car l’usage des noms est de nombreuses fois institué par l’opinion de ceux qui se trompent comme aussi de ceux qui trompent. Car l’archonte de ce monde – comme il a usé de ruse pour être estimé l’être – et du péché qui est accompli chez les hommes n’aurait jamais non plus aucune efficace si Dieu ne l’avait permis. Mais, d’une façon nécessaire, parce qu’il le lui concède, par des moyens variés de toutes sortes, il prépare un stade et un combat pour le craignant-Dieu et il cherche en toutes choses à imiter Dieu, ce qu’aussi maintenant il fait par l’intermédiaire de Mani le fou et des autres hérétiques, et il combat contre le Christ par le nom du Christ, à ce qu’il croit. Et Dieu permet nécessairement cela pour que soient ainsi manifestés ceux qui sont éprouvés dans leur volonté. 76  Mais à la fin aussi, il se rend semblable à la venue de notre Sauveur par laquelle il est apparu comme un homme, comme l’Ancien Testament l’avait prédit ainsi que le Nouveau. En effet, parce qu’il a vu la venue du Christ dans un corps, (venue) qui le condamna car elle fut sans contrainte – en effet, elle n’aurait pas été quelque chose de grand si elle s’était réalisée par contrainte – mais qui, par une disposition de sagesse, détruisit sa rébellion et convertit à la connaissance de la vérité toute la (terre) habitée, à la fin aussi, dans sa jalousie de cette victoire, en vue de la tromperie, il exigea pour lui-même, de tout homme, une adoration manifeste et la reconnaissance. Mais il ne parvient pas à tromper la multitude. Le Christ viendra à nouveau et l’enverra au lieu de châtiment préparé pour lui et pour ceux qui pensent comme lui, par le seul fait de la révélation de sa divinité, ce que nous enseignent manifestement les paroles de l’Apôtre. Mais maintenant il se prépare pour sa consolation les compagnons qu’il peut, qui, aisément, de leur a 

Cf. Jn 12, 31 ; 14, 30 ; 16, 11 ; Ez 38, 2.

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propre gré, sont disposés à cela comme lui aussi l’est depuis le commencement. Et il apparaîtra encore comme leur propre accusateur à propos de ces choses, comme au temps où vécut notre Sauveur et qu’il a dit ceci : L’archonte de ce monde est venu et il n’a rien en moi (Jn 14, 30). Et il manifeste qu’il a fait cela à l’encontre de chacun des justes alors qu’il blâme et réprouve les choses par lesquelles chacun d’entre eux a péché, afin de tirer ceux qui sont capturés vers le lot de sa perdition. 77  Mais Dieu ne donne pas à celui-là le pouvoir de mener la volonté par la contrainte, mais il prépare pour les hommes des combats afin qu’ils soient, par le pouvoir de leur volonté, vigilants et fermes contre celui-là. Mais encore, même pour ceux qui sont moins en mesure de combattre contre lui, il ne permet aucunement à celui-ci de leur imposer quelque chose de plus lourd et de plus difficile que ce dont ils sont capables, selon ce qui est dit : Dieu peut ne pas vous laisser être tentés en une chose pour laquelle vous ne trouverez pas la force (1 Co 10, 13). Mais aussi, il empêche encore les combats qui ne surviennent pas au moment appropriéa, avant que l’âme ne se soit parfaitement équipée par la foi. Et la preuve en est la parole de notre Seigneur qui a dit à Simon Pierre : Voici que Satan vous a demandés afin de vous passer au crible comme le froment, et moi, j’ai prié pour toi afin que ta foi ne soit pas insuffisante (Lc 22, 31-32). Il est donc évident que c’est Dieu qui a fixé le combat, quand et à quelle fréquence chacun s’adonne au combat et y est mis à l’épreuve, et Satan n’a plus aucun pouvoir en vue d’une ruse comme celle-là. Car il veut amener sa tentation contre chacun plus que sa force (ne le permet), et les attaquer lorsque cela ne convient pas, quand leur intelligence n’est pas prête. Mais le juste jugeb retient aussi bien ses durs coups que sa venue intempestive, et dès lors aussi, ceux qui tombent et sont entraînés à la faiblesse, ce n’est pas parce qu’il les a combattus plus que leur force (ne le permettait) qu’ils sont tombés, mais pour qu’ainsi ils soient nécessairement convaincus qu’ils n’avaient dans leur âme rien d’ami de la vertu de la crainte de Dieu. Mais à la vérité, si un homme qui a a  b 

Littéralement « pas en leur temps » (IV, 77, 8-9). Cf. 2 Tm 4, 8.

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été victorieux en de nombreuses choses et pense à son propre sujet quelque chose de grand et s’exalte, et qui, évidemment à cause de cela, soit capturé parce qu’il aura été livré à l’échec dans le combat afin de faire l’expérience, dans l’action, de sa faiblesse et de sa déficience, qu’il apprenne, pour les choses aussi dans lesquelles il a été auparavant vainqueur, à en attribuer la cause à Dieu dans l’humilité de l’intelligence, et qu’une seule blessure le libère d’une grande maladie. Car c’est un plus grand mal pour quelqu’un de s’exalter même dans de grandes victoires que de pécher à cause de la faiblesse de sa volonté, étant donné qu’il n’est qu’un homme. 78  À celui-là donc, notre Seigneur a proposé en modèle un meilleur ordre de tentation et il fut tenté par Satan avant que (celui-ci) ne reconnaisse clairement qui il était, et autant qu’il voulut, il fit preuve de longanimité à son endroit. Et quand il eut achevé cet ordre qu’il avait fixé, il lui dit : Passe derrière moi, Satan (Mt 4, 10)a, et, en tant que maître en autorité, il a repris par là le mauvais serviteur qui est sous le coup de la servitude envers son maître. Qui donc osera penser, à propos d’une telle soumission et servitude, et d’une telle autorité et d’une économie si admirable, que Satan est un principe opposé, sans commencement, qui se dresse contre Dieu ?

Qui fut le maître de Satan dans sa révolte ? 79  Mais, dans leur embarras, ceux de ce fou de Mani disent : « Qui a été le maître pour cette rébellion ? » Ou : « Qui a amené et jeté dans son intelligence toute cette malice ? »b Or, un tel embarras est honnête chez ceux qui n’ont pas été auparavant saisis par l’erreur de Mani, mais chez ceux contre qui est dirigé notre discours, il est exprimé davantage dans l’aveuglement et dans l’erreur, et non dans la connaissance. Mais néanmoins, il est peut-être nécessaire que nous répondions à ce qui a été soulevé. a  Leçon (« derrière moi ») de la Vetus Syra (Curetonienne) et autres témoins, par contamination avec Mt 16, 23. b  Cf. l’objection manichéenne citée par Augustin, De Genesi contra manichaeos 2, 28, 42, éd. Monat, Dulaey, Scopello, Bouton-Touboulic 2004, p. 378-379 : « Qui a fait le diable ? »

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80  En effet, tous les êtres doués de raison et d’intelligence – et avec eux aussi, l’homme qui a été créé parmi eux – ont dans leur nature l’amour de l’honneur, car, par le désir du triomphe et de la louange orientés vers Dieu, nous nous disposonsa à l’exercice et au labeur. Et c’est une bonne chose qu’espèrent et attendent ceux qui s’exercent à la crainte de Dieu et à la vertu, afin que nous méritions auprès de Dieu les dons, les couronnes et les triomphes célestes et glorieux qui surpassent notre connaissance, ce que Paul a dit clairement : Les souffrances de ce temps sont sans mesure par rapport à la gloire qui doit se révéler en nous (Rm 8, 18), et sans l’espérance de la bonne louange, absolument aucune des belles choses n’est préparée. Tous les êtres raisonnables ont donc dans leur nature cette belle chose, l’amour du triomphe et de la louange en regard de Dieu, qui les stimule au courage et à la persévérance dans le service et l’adoration de Dieu. Celui-là, donc, qui est humble dans sa volonté use, en vue de la vertu, du grand bien qui est dans sa nature, et il ne transgresse en rien non plus la loi de la nature à cause du désir qui est implanté en lui et il ne négocie pas de louange pour lui-même par des stratagèmes déshonorants, mais, par l’amour envers Dieu, son service et son adoration continuelle, et par l’humilité de son intelligence, il chemine vers la bonne louange. Mais celui qui, sans instruction et sans expérience du bien, se hâte vers ce qui a été dit a, par la déficience de la volonté bonne, déserté la route qui est estimée conduire vers Dieu grâce à l’humilité, et il imagine d’autres voies, blâme la bonne semence de la nature et la rend mauvaise par une mauvaise agriculture. 81  Ainsi donc aussi, de nombreuses personnes sont diversement ruinées en raison de la vaine gloire et tombent, et ils troquent le vrai pour le mensonger et l’humain, et alors qu’ils veulent être louangés, ils sont au contraire privés de la louange parce qu’ils ont usé de manière inconvenante de ce qui est dans leur nature. Or, notre Seigneur a scellé par sa parole la forme de cet empressement et il a dit : Celui qui s’élève sera humilié et celui qui s’humilie sera élevé (Mt 23, 12 ; cf. Lc 14, 11). Littéralement « nous nous dénudons » (IV, 80, 4 : ‫)ܡܫܬܠܚܝܢ‬, grec γυμνάζειν ; bel exemple de fausse traduction de la part du syriaque (cf. Payne Smith 1901, col. 4173). a 

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82  Ainsi donc, le calomniateur aussi, qui n’était pas calomniateur dès le début, a usé de manière inconvenante du désir de sa nature et, par malice, il est tombé dans la privation de louange parce qu’il s’est élevé lui-même, et ce n’est pas d’un autre qu’il a appris cette rébellion ni non plus n’était-il incapable d’accomplir par lui-même cette machination. Il y avait en effet en lui une semence qui, selon sa nature, était bonne, dont il a usé de manière inconvenante. Il avait en effet pouvoir là-dessus et l’intelligence de tous les êtres raisonnables est libre de cultiver la semence qui est dans leur nature, mais l’usage inconvenant des choses qui sont dans la nature cause partout des péchés. Si donc l’orgueil du calomniateur, qui se trouvait dans sa volonté, avait été occasionné par une petite malice, son affaire eût ainsi été moins grave, mais s’il a dévié par un désir de louange à l’encontre de Dieu qui l’a fait, s’il s’est révolté et veut être adoré, considérons et voyons combien grande est l’audace de sa révolte. 83  Mais tous les êtres raisonnables ont aussi, de manière différente, dans leur nature la connaissance de tout ce qui est de la vertu et de ce qui est du mal, de la pauvreté en intelligencea et de l’orgueil, de l’humilité et de la superbe, et de toutes ces choses qui sont dites être contraires les unes aux autres. Afin que leur connaissance et leur capacité leur procure, par leur volonté, le choix de la vertu qui leur a été donné par un bon créateur, la liberté, qui est à l’image de celui qui les a faits, orne tous les êtres raisonnables qui sont venus à l’existence. Car celui à qui est déniée la capacité est privé du triomphe et, comme un être sans raison, il est mené par contrainte et il n’adore ni ne sert comme un être raisonnable. Et cela n’aurait pas été le fait d’un être bon que les êtres raisonnables soient constitués par lui de cette façon parce qu’ils n’auraient pas non plus paru être des êtres raisonnables. 84  Ainsi donc, le calomniateur a achoppé du fait de son orgueil et s’est révolté, et sa nature n’a pas été changée. Car il ne lui appartenait pas de changer l’œuvre de Dieu mais il a tourné son intelligence vers le mal pour lequel il avait licence. Car sa nature Il ne faut sans doute pas voir ici une allusion à Mt 5, 3 (οἱ πτωχοὶ τῷ πνεύματι) ̈ ou ‫( ܒܪܘܚ‬voir Kiraz 1996, ad loc.). où les versions syriaques ont ‫ܡܣܟܢܐ ܒܪܘܚܗܘܢ‬ a 

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est belle parce qu’elle est l’œuvre de Dieu, mais sa volonté a reçu un changement volontaire. Parce qu’en effet il avait été fait dès le commencement beau dans son être, sa nature, en revanche, n’était ni bonne ni mauvaise, car le bon réside dans la préférencea pour la connaissance chez les seuls êtres raisonnables, qui ont été créés, et le mauvais, au contraire, est ourdi par ce que fabrique l’intelligence selon le pouvoir qui est dans la nature de la liberté, du fait de la bonté sans jalousie du créateur. Donc les contraires s’ajoutent par la suite dans l’être et la nature de ceux-là, laquelle est belle et n’est pas appelée d’après l’un de ces (contraires). Donc ce qui est beau dans son être l’est comme par sa forme et son apparence, mais ce qui est bon l’est par le choix des choses qui sont véritablement utiles. Et nous pouvons voir aussi l’Écriture qui dit : Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici que c’était très beau (Gn 1, 31), manifestement dans son être, dit-il. Car la bonté s’ajoute par le choix de l’intelligence à ceux dans lesquels se trouve l’intelligence. Elle dit en effet : L’homme bon tire de bonnes choses des bons trésors de son cœur (Mt 12, 35 ; Lc 6, 45). « Le cœur » a signifié le principe et le gouvernement de l’intelligence et «  le bien  » a montré non ce qui est dans l’être mais dans l’activité ou la raison. Car l’être ne sort pas du cœur mais l’être fait sortir et manifeste dans l’intelligence et dans le cœur le fruit qu’il choisit et qu’il aime. En effet, on voit aussi des hommes qui sont très éminents dans la condition de leur être mais qui sont très grandement différents les uns des autres par la qualité de leur volonté, de sorte que quiconque les rencontre dans leur inactivité, lorsqu’ils ne font rien, ne les distinguera (les uns des autres) à cause de la forme de leur condition, alors qu’il y a en eux une différence sise dans leur volonté, et une mise à l’épreuve sera nécessaire pour qu’il reconnaisse la forme qui se trouve subséquemment dans le caractère de chacun d’eux. Ainsi donc, la vision ne voit qu’une seule chose, la belle forme de toute chose, je veux dire l’œuvre de Dieu. Mais ce n’est que dans le seul fruit de la volonté que gît la différence. Voilà pourquoi, si nous nous interrogeons au sujet de ceux qui sont bons selon l’essence, Dieu seulement apparaitra être (tel). C’est en effet ainsi aussi que notre Sauveur a dit : Il n’y a pas de bon a 

Le syriaque ‫( ܡܝܩܪܢܘܬܐ‬IV, 84, 8) doit rendre le grec προτίμησις.

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si ce n’est Dieu seul (Mt 19, 17 ; Mc 10, 18 ; Lc 18, 19), du fait que sa bonté n’admet absolument aucun changement. Et est bon comme lui celui aussi qui a dit cela au sujet de son Père, parce qu’il procède de lui. Et le prophète a dit également au sujet de l’Esprit de sainteté : Que ton bon esprit me conduise sur une terre pure (Ps 142 (143), 10). Mais tout ce qui existe par après est appelé « bon » par le labeur et la volonté de l’intelligence et non par nature.

Satan n’est pas un principe opposé à Dieu par nature 85  Donc, ces choses ont été dites par nous selon notre capacité à cause du sujet (en discussion) parce que nous avons été contraints de retourner contre le calomniateur un discours qui s’accorde avec les Écritures saintes, à partir desquelles nous avons la dispensation de la connaissance de la vérité afin que nous montrions que, de même que celui-là n’est pas mauvais dans sa nature, il n’est pas non plus un principe sans commencement qui combat contre Dieu ni qu’il n’est, depuis toujours jusqu’à la fin, réservé pour la nuisance mais (qu’il l’est), d’une façon nécessaire, pour le secours de ceux qui, par son intermédiaire, sont exercés et entraînés à la crainte de Dieu et à la vertu. À moins que quelqu’un de ceux qui sont des nôtres ait parlé ou parlera par la suite avec (plus) d’assurance, nous démontreronsa les mêmes choses pour la réfutation de celui qui a déraisonné en tout contre Dieu, (à savoir) que le calomniateur n’est pas un principe opposé à Dieu qui, par sa nature, combattrait contre lui. Car celui qui aime la vérité n’est pas .

Les paroles de Paul invoquées par Mani (86-95) La connaissance parfaite (1 Corinthiens 13, 9-10) réservée au monde à venir 86  Mais produisons aussi les (paroles) de l’Apôtre, toutes celles que ce mauvais tire vers son opinion par contrainte, et délivrons-les a 

Ou : il démontrera (IV, 85, 10).

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par notre discours de sa mauvaise espérancea. Tout d’abord, en effet, il justifie son audace contre les Écritures saintes et, au sujet de son discours étranger (fait) de ces fables qui l’encerclent, il avoue et dit que « Paul a dit qu’il sait peu de choses de beaucoup et qu’il a prophétisé sur peu de choses de beaucoup, et que, quand la perfection sera venueb, ce qui est peu (de choses) sera aboli. Donc, parce qu’il parle par mon intermédiaire, la perfection s’est introduite par mon propre intermédiaire et aussi ce qui est peu de choses est rétabli et purifié ». Or, ceux qui sont de son parti me semblent raisonner à leur gré, s’ils ne comprennent pas que le bienheureux Paul affirme la connaissance parfaite pour le monde à venir. Car si la connaissance parfaite avait été ajoutée maintenant à ceux qui sont encore dans le corps, qu’auraient-ils de plus quand ils recevraient la béatitude qu’ils attendent ? Car il n’y a pour les hommes aucune béatitude sauf la connaissance parfaite dans la mesure de leur capacitéc. Mais ceux qui, à cause de la mauvaise espéranced de l’erreur et de l’impiété de Mani le fou, ont été privés aussi de ce peu, pensent avoir reçu la perfection. Mais l’Apôtre Paul a dit : Maintenant, nous voyons comme dans un miroir, manifestement parce que nous sommes dans un corps, mais alors, face à face (1 Co 13, 12), parce que nous rencontrerons la vérité de Dieu sans l’épaisseur corporelle de sorte que ni maintenant nous n’errons ni alors nous ne connaîtrons de manière déficiente, selon la mesure de nos capacités, alors qu’il se trouve que ce qui est de peu (de choses) non seulement n’aura pas été aboli, mais aussi aura prévalu à suffisance dans tout l’univers. Mais celui qui s’est dit lui-même la perfection, qui est en vérité mensonge absolu, est méprisé par toute l’Église de Dieu et par tous ceux qui ont en eux l’intelligence. Si donc ce peu (de choses) n’a pas été aboli, il est évident, comme l’a dit l’Apôtre, que la perfection n’est pas encore venue. Et ainsi aussi sont réfutés ceux qui diffament la parole. Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. b  Cf. 1 Co 13, 9-10. c  Cette expression (‫ܟܡܐ ܡܫܟܚܝܢ‬, IV, 86, 16) évoque le κατὰ τὸ δυνατόν du Théétète (176b 1-2). d  Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. a 

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Paul et l’attitude face aux persécutions 87  Or, quand ils conseillent de ne point assumer du tout les périls de la persécution mais de sacrifier et d’accomplir tout ce que leur commandent les païens, ils se servent d’une autre parole de l’Apôtre, qui dit : Pour tous je suis devenu tout afin de les sauver tous (1 Co 9, 22), comme si quelqu’un promettait la guérison et s’avançait pour guérir les malades, et était lui-même pris d’une maladie incurable et devait mourir avant tous (les autres). Car tout le soin de l’enseignement de notre Sauveur consiste en ce qu’il nous faut lutter jusqu’à la mort pour la vraie crainte de Dieu. Si donc ceux qui enseignent sont toujours prêts à se convertir à (l’opinion de) leurs persécuteurs, quand seront-ils convertis par ceux qui errent en ce qui concerne la crainte de Dieua ? Mais il est évident que la volonté d’impiété – car celui qui (professe) ces choses est ainsi – se sert toujours de choses salutaires en vue du dommage et de la destruction, contrairement à ce qu’a dit Paul : Ceux qui aiment Dieu, il les aide en toutes choses en vue des biens (Rm 8, 28). 88  Il indique donc une autre chose par cette parole. En effet, parce qu’il s’opposait aux Juifs à partir de l’enseignement des Juifs, il proposait à ceux qui étaient sous la loi des preuves à partir de la loi au sujet du Christ, mais à l’endroit des païens qui sont sans loib, il mélangeait (des paroles) tirées des poètes de chez les Grecs, comme ce qu’il a dit : Nous sommes de la race (Ac 17, 28), en vue de l’abolition de l’erreur du paganisme, et encore : L’un de leurs prophètes a dit à leur sujet (Tt 1, 12). Donc, parce qu’à partir des choses qu’il disait à chacun d’eux, il offrait à tout homme la parole de la crainte de Dieu dont il avait le souci, il a dit : Pour tous je suis devenu tout afin de les faire tous abonder (1 Co 9, 22). Car s’il avait fui le péril de la persécution et s’était détourné, personne n’aurait prêté attention à ses paroles mais on se serait plutôt empressé d’imiter son action. Et comment, à la fin (de sa vie), sa tête aurait-elle été coupée par Néron et serait-il devenu l’ornement et le sceau de la ̇ ‫ܠܗܢܘܢ‬ ̇ ‫( ܠܗܘܢ‬IV, 87, 10) : « par ceux qui errent » ; le sens de ce membre ‫ܕܛܥܝܢ‬ de phrase n’est pas clair pour nous, à moins qu’il ne faille lire, contre le manuscrit, ̇ « ceux qui s’appliquent ». ‫ܕܛܢܝܢ‬, b  Cf. Rm 2, 14, d’après Aland, Juckel 1991, p. 106-107. a 

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métropole des Romains ? Car ceux-là ne veulent pas être dans le péril pour le mensonge, mais ceux qui ont mérité la grâce de la vérité par l’intermédiaire de l’Esprit saint, livrent également leur corps à la persécution afin de conserver pour eux ce qui est capital, leur confession qui a pour objet Jésus. 89  Mais quand ils disent : « Nous sommes des élusa », ils produisent cette (parole) de l’Évangile : Beaucoup sont appelés et peu sont élus (Mt 20, 16  ; 22, 14), et ils apparaissent, en cela encore, comme d’admirables zélateurs de la folie de leur maître. Car avant l’élection véritable dont notre Seigneur a prédit qu’il la réaliserait lors de son second avènement, ceux-là sont (d’ores et déjà) apparus être tout à fait des élus pour l’impiété, hors de l’espérance véritableb.

La loi et son utilité 90  Outre ces choses, ils disent encore : « Que dites-vous au sujet de cela, à savoir que l’Apôtre s’est manifestement écrié : Je vois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de mon intelligence ; elle me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres (Rm 7, 23). Vois, disent-ils, comment il reconnaît l’opposition et la contrariété qui est en nous du fait du mélange du Bon et du Mauvais »c. Mais ils brandissent ces choses et lancent des flèches contre eux-mêmes. Car auparavant, l’Apôtre loue la loi et dit d’abord : Car je me réjouis dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur (Rm 7, 22). Si donc il nomme la loi « loi de Dieu », comment le blasphème de Mani contre la loi s’installera-t-il ? Mais encore, si les lois de Dieu et celles de la Matière sont opposées, pour̈ Les « élus » (IV, 89, 1 : ‫ܓܒܝܐ‬, ἐκλεκτοί, electi) désignent, au-dessus des auditeurs, la plus élevée des deux classes de l’Église manichéenne (cf. Tardieu 1997, p. 73-74) ; cf. Épiphane, Panarion, 66, 53, 1, éd. Holl 1933, p. 89, 19-21 (οἱ ἐκλεκτοὶ αὐτῶν καλούμενοι). b  Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. c  Cf. Pseudo-Augustin, Contra venena serpentum manichaeorum 2a, éd. Dolbeau 2000, p. 249 (= Stein 2002, p. 46, fragm. 15), où, après avoir cité Rm 7, 23, le manichéen demande : « Il y a donc dans l’homme une loi mauvaise. Or d’où provient-elle si elle n’a pas été créée par Dieu ? » a 

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quoi le Bon suscite-t-il en vain un combat à égalité du Mauvais contre lui-même  ? Car un combat à égalité est un affrontement auquel il n’y a pas de fin ; en effet, même après de grands efforts et une grande fatigue, ceux qui sont opposés ne peuvent atteindre la tranquillité. Et quelle loi de péché la Matière a-t-elle imposée, (elle) qui ne connaît rien ? Mais ils fabulent en accord avec ce qui est pareil à leur folie ou, comme des aveugles, ils tâtent et ne reconnaissent (rien). Car comment peuvent-ils adhérer à la contemplationa et à la compréhension des Écritures divines, (eux) qui sont pleins du bavardage d’une vraie folie ? 91  Or, ce que le bienheureux Apôtre vise par le biais des (paroles) qui nous ont été proposées est ainsi. Son discours était en effet (dirigé) vers les Juifs qui disputaient en dehors de (toute) mesure en faveur de la loi afin d’anéantir la foi. Or, il veut admirablement leur faire honte afin qu’ils se haussent et s’élèvent vers quelque chose de meilleur que les commandements de la loi – je veux dire vers la foi. Mais afin que cela soit manifestement reconnu, la loi fut donnée aux Juifs parce que la foi en Dieu n’était pas en eux. Car c’est plutôt la foi qui est établie (comme) loi et ce n’est pas la loi qui lui est imposée et, d’elle-même, elle trouve ce qui plaît à Dieu et ne l’apprend pas de l’extérieur. Syriaque Or la foi qui est en Dieu est connaissance de Dieu par l’intermédiaire des créatures visibles et des notions naturelles, avec l’amour pour lui et l’assentiment dirigés vers lui, selon la connaissance de la vertu et du mal qui est dans la nature, (connaissance) qui plaît à Dieu (Hb 11, 5).

Grec (e Sacris Parallelis) La foi selon Dieu est connaissance de Dieu, par l’intermédiaire de la création visible et des notions naturelles, avec bienveillance et amour envers lui, selon la science naturelle de la vertu et du mal, qui plaît à Dieu (Hb 11, 5).

‫( ܚܙܬܐ‬IV, 90, 20), qui rend, entres autres (Payne Smith 1879, col. 1236), θεωρία, terme qui renvoie peut-être à l’exégèse antiochienne (cf. Lilla 1990). a 

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92  Ceux donc qui, submergés par la prédominance des désirs, par les péchés qui sont dans leur volonté, ne laissent pas de place en eux pour la foi, ont besoin d’apprendre de l’extérieur ce que savent d’eux-mêmes et par eux-mêmes ceux qui possèdent la foi en Dieu. En vérité, lorsque ceux qui sont ainsi entendent les commandements concernant la connaissance de Dieu et la vertu, si, par l’intermédiaire de ce qu’ils entendent, ils ne sont dans l’amour envers celui qui a commandé ces choses parfaites en vue de leur secours et qu’un peu de foi et d’amour envers lui ne les tirent et ne les saisissent, ils apprennent, par les choses dont ils sont instruits, à déraisonner et à pécher lorsqu’ils entendent les commandements de la loi, qu’ils méprisent de manière à ce qu’ils n’existent (plus), mais ils ne voudront plus guère quitter la satisfaction des péchés. Car la parole qui est entendue de l’extérieur sans l’intelligence qui accompagne la passion et l’amour pour les choses qui sont enseignées, est en tout temps destinée à être sans efficace plutôt que d’être un adjuvant, car c’est sans doute ce qui a été dit par le prophète : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas non plus (Is 7, 9)a. Donc, lorsque les Juifs étaient dans cette disposition, la loi leur a été donnée comme à ceux qui ne croient pas, car la loi n’est pas imposée aux justes (1 Tm 1, 9). De plus, parce qu’il n’y avait en eux ni foi ni amour envers Dieu, ils sont demeurés dans l’ignorance et dans l’iniquité. Car la foi engendre la justice et l’amour de Dieu, parce que, quand celle-ci est éloignée, les commandements en vue de la vertu s’affaiblissent. 93  En quoi donc, dira peut-être quelqu’un, la loi a-t-elle aidé et été avantageuse si elle n’a pas détourné du mal ceux qui ont été éduqués par elle ? Mais celle-ci a procuré l’aide de ce bien premier en préparant d’avance ceux qui étaient mauvais ; elle a en effet dénoncé le péché qui était caché, car ce qui a été dénoncé et rendu manifeste s’est trouvé dans l’espérance du changement parce que la souffrance du corps, aussi longtemps qu’elle est cachée, n’est aucunement enlevée, mais quand elle a été rendue manifeste, un soin opportun lui est appliqué. Ainsi donc, la longue habitude Verset maintes fois cité, notamment par Augustin, entre autres en Contra Faustum 12, 46, éd. Zycha 1891, p. 375, 2 ; cf. TeSelle 1996-2002. a 

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des péchés du temps passé s’éloignait des sens de la connaissance parce qu’elle était submergée par les désirs, parce qu’en raison de la malice de l’intelligence, elle ne pouvait plus prendre conscience des maux qu’elle accomplissait. Mais elle ne savait pas non plus que c’étaient des maux parce qu’elle avait été saisie par l’habitude au point de pervertir l’idée même des choses naturelles. Mais la loi qui a été imposée a éveillé la connaissance et l’intellect, et elle a éveillé également les sens naturels, afin qu’à partir de maintenant, ilsa s’avancent vers le discernement naturel des choses qui les concernent et s’en approchent, qu’ils les voient et qu’ainsi aussi ils reconnaissent ce qu’est la vertu et ce qu’est le mal. Ainsi donc, par l’imposition de la loi, ilb anticipait pour ceux qui sont insensibles un grand secours et un avantage primordial, ce à cause de quoi ilc a dit : La loi est entrée pour augmenter le péché (Rm 5, 20a), non pour qu’il devînt (plus) abondant par l’accroissement et le poidsd, mais pour que soit révélé ce qui était caché. Mais où le péché abonda, là la grâce surabonda (Rm 5, 20b), car le lieu de l’ulcère qui a été mis à jour a été trouvé et ainsi aussi sera guéri ce qui a été mis à jour. Et on n’aurait pas non plus reconnu que c’était (le fait de) la grâce si elle avait d’abord remis les péchés, même un grand nombre de fois, si ceux-ci n’avaient été auparavant réprouvés par la loi. Il était donc nécessaire que la loi précédât la grâce afin qu’elle expose d’abord le don propre à la grâce. Le profit provenant de la loi est donc tout entier comme cela. Mais parce que les Juifs étaient en tout temps sans la foi, ils étaient instruits, également en tout temps, par la législation et jamais ils ne s’approchèrent du choix de la vérité. Vois donc ce que fait le bienheureux Paul en cet endroit de l’Écriture qui est posé devant nous : il assume par son discours le rôle d’un homme qui, sans la foi, vit sous la loi. Parce qu’il sait désormais, par les commandements qui viennent de l’extérieur, que l’impiété Sc. la connaissance et l’intelligence. Les verbes syriaques ne s’accordent qu’avec le seul féminin singulier ‫( ܐܝܕܥܬܐ‬IV, 93, 15). b  Sc. Dieu, à moins qu’il ne s’agisse de Paul. c  Sc. Paul. d  Il faut voir dans ‫( ܡܛܐܠ‬IV, 93, 23), avec Nix 1901 (Gewicht, ad loc.) et Brockelmann 1928, p. 425b (= Sokoloff 2009, p. 747b), qui cite ce passage, un dérivé de ‫ ܢܛܠ‬et non de ‫ܛܠ‬, « in umbraculo, = clam, secreto » (Payne Smith 1879, col. 1470). a 

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et la transgression de la loi sont mauvaises mais, par la préconceptiona de l’habitude, ne consent pas à quitter le péché, il dit : Je sais en effet que la loi est spirituelle, mais moi, je suis corporel (Rm 7, 14). Mais qui est ce « moi » ? Ce n’est pas Paul, celui qui a écrit, mais celui dont il a écrit qu’il est sous la loi et qu’il est encore vendu au péché (Rm 7, 14). Or, il appelle ici « vente » l’habitude et la préconception. Car la vente n’est pas le fait de la nature mais une chose qui s’introduit bel et bien (par après). Car je ne fais pas ce que je veux – mais qu’est-ce cela ? C’est ce que la loi ordonne – mais je fais ce que je hais (Rm 7, 15)b – ce qui est ce que la loi rejette –, et alors je (le) déteste parce que j’ai appris par la loi que c’est mauvais, mais je (le) fais parce que je suis vaincu par l’habitude. Mais si je fais ce que je ne veux pas, je dis au sujet de la loi qu’elle est belle (Rm 7, 16). Car si je ne veux vraiment pas, je dirai que je pèche, parce qu’à la remorque du péché, je m’accorde ouvertement avec la loi comme avec quelque chose (visant) l’excellence et l’utilité. Mais maintenant, ce n’est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi (Rm 7, 17), car il est d’une longue durée et, comme ce qui réclame sa place et parce qu’il s’est fixé en moi par une vieille habitude, il vainc l’enseignement extérieur de la loi qui s’oppose à lui. Car il n’est pas vraisemblable qu’on guérisse de l’extérieur, que de l’intérieur on abroge et renverse, à moins qu’une autre passion, bonne et (venant) de l’intérieur, ne désire et grandisse par la foi et chasse de sa demeure l’habitude antécédente du péché. 94  Il ajoute encore par la suite : Je me réjouis dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur (Rm 7, 22), c’est-à-dire : « Je m’accorde à elle et je choisis les mêmes choses (qu’elle), et ses commandements me sont agréables dans mon intelligence ». Car celui-là est l’homme intérieur qui a été éduqué. Dès lors, pour ce qui concerne la vertu et le mal, il en va dans la mesure où nous connaissons et non où nous choisissons. Mais parce que, sans la foi, je connais l’utilité de la loi, je suis cependant vaincu par l’habitude du péché. Car je vois une autre loi dans mes membres, qui lutte contre la loi de Syr. ‫( ̣ܩܘܕܡܐ‬IV, 93, 38), terme qui doit traduire πρόληψις. Rm 7, 15 est également cité par l’adversaire manichéen dans le Pseudo-Augustin, Contra venena serpentum manichaeorum 4a, éd. Dolbeau 2000, p. 250 (= Stein 2002, p. 48, fragm. 17), qui demande ensuite : « Où est donc le libre-arbitre ? » a 

b 

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mon intelligence (Rm 7, 23). Dès lors, je suis sain dans mon intelligence, mais je suis malade dans ma préconception. Or, il dit dans mes membres à cause de la corporéité du désir et du péché ; et il dit qui lutte et me tient captif (Rm 7, 23), car quand j’ai perçu que les commandements de la loi sont beaux, je suis à nouveau conduit à l’esclavage et je me soumets à la loi du péché. Car l’habitude qui a prévalu et s’est fixée pendant un long temps est plus puissante que toute loi qui existe. Et il dit dans mes membres (Rm 7, 23) parce que c’est par eux qu’existe la réalisation du péché et non de l’extérieur, car ila ne fait qu’exciter et ne mène pas par contrainte. Mais parce qu’il a prévalu pendant un long temps, il n’est en rien différent d’une contrainte. C’est donc de belle façon qu’il ajoute par la suite : Je suis un homme misérable (Rm 7, 24). Qui est ce « Je » ? Ce n’est pas celui qui dit : J’ai couru un grand combat et j’ai accompli ma course et j’ai gardé ma foi ; désormais m’est réservée la couronne de justice que mon Seigneur me donnera en ce jour (2 Tm 4, 7-8). Et qui est celui-là sinon celui qui travaille au service de la loi sans la foi, afin de faire honte aux Juifs pour qu’ils en viennent à la foi de l’Évangile et ne soient pas en tout temps, comme des enfants, sous la législation ? Je suis, dit-il, un homme misérable (Rm 7, 24), car les commandements de la loi prévalent parfois durement sur un être misérable, et il désire les accomplir. Mais, parfois, il est tiré vers sa vieille préconception qui est dans les péchés corporels. Et je n’ai pas ce que je seraib, car je connais de belle façon et je n’agis nullement (en conséquence). Qui donc me délivrera de ce corps de mort ? (Rm 7, 24), car, à moins que ne se lève en moi une forte bonté, le corps, par l’intermédiaire des passions corporelles, prépare pour moi, par ma préconception, la mort de la condamnation, selon la nature. Et il l’appelle corps de mort (Rm 7, 24), non à cause de cette mort commune, mais de celle qui est du fait de la condamnation, en guise de menace si les (circonstances) de péché demeurent. Or, il dit : Qui me délivrera de ce corps ? (Rm a  Sc. le péché ? Mais ‫( ܚܛܝܬܐ‬IV, 94, 17) est du féminin et ‫( ̇ܡܓܪܓ‬ibid.) du masculin. b  Ou : « Je ne maîtrise pas ce que je suis » (‫ܠܝܬ ܠܝ ܡܢܐܐܗܘܐ‬, IV, 94, 29-30) ? En tout cas, la traduction de Nix 1901 : « Ich weiß nicht, was ich bin » (p. 57) est périphrastique, pour dire le moins.

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7, 24), non pour vivre sur la terre sans le corps, ce qui n’est pas possible, car ce n’est pas contre la création de la nature qu’il regimbe, mais pour se dépouiller de l’habitude du péché qui est par l’intermédiaire du corps et pour être libéré non du corps – car comment l’être de ce avec quoi il vit – mais de ce par l’intermédiaire de quoi domine ce qui est autre chose en dehors de la créature, qui s’est introduit par l’habitude et par la préconception, dont il peut être délivré, parce qu’il sait que cela est susceptible de guérison. Parce que ce n’est pas par la nature qu’ila a prévalu mais par un choix mauvais, il dit : Qui me délivrera ? (Rm 7, 24). Il est de quelque manière possible qu’il soit délivré s’il dit  : «  Si un grand bien chasse le mal qui avait précédé »b. Qui donc me délivrera (Rm 7, 24), si ce n’est la grâce de Dieu qui est en notre Seigneur Jésus Christ, afin qu’il confesse la grâce du Nouveau Testament, en quelque sorte à l’encontre des Juifs qui n’ont pas encore cru au Christ. Comment donc et de quelle manière a-t-il confessé la grâce ? Il est évident que c’était afin de ressentir la grâce qui est par le Christ. Car il fut pour moi un maître de foi, au lieu du commandement de la loi, et il m’a fait et m’a préparé afin que je sois pour moi-même un législateur, et je suis au-dessus des commandements et je n’ai pas besoin d’obéir comme les Juifs, mais je promulgue la loi pour les autres, comme Moïse, et je n’obéis pas non plus de l’extérieur, et parce que je suis désobéissant, je suis condamné, mais de l’intérieur, j’engendre et j’enfante une bonne intelligence et je deviens juste comme Abraham. Car, en ce qui me concerne, ces choses, la foi et l’amour de Dieu qui m’ont été ajoutés avec la bonne intelligence qui s’accorde avec lui, je les ai (comme) des biens précieux et rares. 95  Et il ajoute par la suite : Il n’y a aucune condamnation pour ceux qui, dans le Christ Jésus, ne se conduisent pas selon ce qui est dans la chair (Rm 8, 1). Car, par la foi et l’amour de Dieu, ils ont vaincu et expulsé ce qui les retenait dans les passions du corps. Il dit en effet : La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus nous a libérés (Rm 8, 2). Et quelle est la loi de l’Esprit ? Ce n’est pas celle a  b 

Sc. le péché. Agraphon paulinien ou création de Titus (IV, 94, 46-47) ?

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qui, par l’audition, est envoyée à l’intérieur mais (celle qui) est et siège dans le cœur par la foi, selon ce qui a été prédit à propos de ceux qui croient dans le Christ : Je mettrai ma loi dans leur cœur (Jr 31, 33). Or, il nous a libérés, dit-il, de la loi du péché (Rm 8, 2) et non de ce qui avait été établi par Dieu, ce en quoi il se réjouit et dont il s’émerveille, et ce n’est pas cela qu’il appelle loi du péché, mais ce au sujet de quoi il dit : Mais je vois une autre loi dans mes membres, qui lutte avec la loi de mon intelligence et qui me tient captif de la loi du péché qui est dans mes membres (Rm 7, 23). En effet, comme une loi, ainsi que je l’ai dit auparavant, l’habitude régnait par les péchés corporels dans les membres du corps, dont il a dit que le Christ l’a libéré par la foi, car il était malheureux et ne pouvait se conduire selon la perfection de la loi de Dieu, car il était privé de la foi et de l’amour pour lui. Et il ajoute par la suite une explication au sujet de toutes ces choses et il dit : Car parce que la loi était impuissante parce qu’elle était faible du fait du corps (Rm 8, 3). Et comment la loi était-elle faible du fait du corps ? Parce qu’elle ne changeait pas les incitations de celui-ci, car elle n’avait pas la foi, parce que ceux qui étaient instruits ne pouvaient recevoir davantage. Donc, parce que la loi était impuissante car elle était faible du fait du corps, Dieu a envoyé son Fils sous la ressemblance d’un corps de péché (Rm 8, 3). En effet, parce qu’il a pris un corps mais l’a gardé sans péché, à cause de cela (il dit) : sous la ressemblance, et non simplement : « dans un corps de péché ». Et il dit : Ainsi il a vaincu le péché (Rm 8, 3). Et désormais sa communion avec nous a fait mourir les passions corporelles par la foi. Et il dit qu’il nous faut désormais progresser et nous élever de la loi à la foi, de Moïse au vrai Jésusa, de Juda au Christ, de l’Écriture à l’Esprit, de sorte que nous ne soyons pas menés par la contrainte, comme par un frein, sans l’amour pour Dieu ni la foi, en demeurant sous les commandements légaux. Car il est possible, dit-il, que, si nous aimons Dieu, nous n’ayons plus besoin des lois. Comment donc aimerons-nous ? Si nous croyons à l’Évangile et apprenons comment Dieu a envoyé son Fils auprès de nous sous la ressemblance ‫( ܫܪܪܐ ܝܫܘܥ‬IV, 95, 33), jeu de mot courant sur Jésus/Josué ; cf. Origène, Homélies sur Josué I (éd. et trad. Jaubert 1960, p. 94-115). a 

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d’un corps de péché, si nous l’aimons et surtout si nous brûlons d’amour pour lui et l’aimons, et mourons pour lui et, à cause de son amour, ne ménageons pas non plus le corps de notre nature, encore moins pour n’importe quel désir passager. C’est donc ainsi que le bienheureux Apôtre a parlé avec soin contre les Juifs.

Transition 96  Or, Mani, par le biais de ces mystèresa, élabore une erreur évidente. Quant à nous, si nous devions interpréter une à une les choses que, de façon erronée, les disciples de Mani tirent des Écritures divines à leur profit, nous aurions besoin d’un autre ouvrage. Voilà pourquoi nous expliquerons, parmi les choses qui sont très nécessaires, une ou deux affirmations dans lesquelles ils se réfugient, (mais) non selon la vérité, et ainsi croirons-nous avoir réfuté à suffisance, par l’exemple de ces choses, leur agir mauvais en ce qui concerne les autres choses.

La résurrection chez Paul (97-101) 400

97  Car quel est celui qui ne s’étonnera pas quand il aura appris ce dont ils tirent profit sans vergogne d’un autre passage de l’Apôtre ? Car Paul, de toute son âme, prolonge beaucoup son discours au sujet de la résurrection des morts, et par de nombreux témoignages et des exemples, il affermit la foi en la résurrection de tous les hommes et dit que tout le labeur de la vertu et de la crainte de Dieu est tout à fait vain si cet enseignement de la revivification des morts n’est pas vraib. À cause d’une petite chose qu’ils ont Ou des interprétations allégoriques (‫ܐ̈ܪܙܐ‬, IV, 96, 1). Un ouvrage de Mani, intitulé Le Livre des Mystères, figure dans les listes canoniques de ses écrits (voir Wurst 2005, p. 242 et 258-261), mais aucun fragment n’en a été transmis. Ibn al-Nadim (cité ibid., p. 259-260) en a toutefois reproduit la liste des chapitres. Même si le terme ‫ ̈ܪܐܙܐ‬ou ‫ ܐ̈ܪܙܐ‬rend bien le grec μυστήρια, il est difficile de voir ici une allusion à l’écrit de Mani. b  Cf. 1 Co 15, 14. a 

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trouvée dans les paroles sur ce sujet, pour laquelle il y a un doute, ils ont abrogé tout ce long discours et ils se sont réservé seulement deux motsa par lesquels il y a doute et qui ont besoin d’interprétation. Ils disent que « l’Apôtre a décrété et dit : Or, je dis cela, mes frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, non plus que la corruption n’héritera de l’incorruptible (1 Co 15, 50) ». Syriaque « Donc, disent-ils, il n’y a pas de résurrection des morts  ». Et ils ne prêtent même pas attention par leur intelligence aux choses qui ont été dites de multiples (façons) avant cellesci ni ne s’attachent à celles qui ont été dites après, mais comme des hommes malhonnêtes dans la répartition des choses, ils choisissent ce qui leur est préférable pour l’opinion de leur impiété et non pour la justice.

Grec (e Sacris Parallelis) « Il n’y a donc pas, disent-ils, de résurrection des morts  ». Et ils ne prêtent attention ni aux choses dites plus haut de multiples (façons) ni ne suivent avec attention celles qui ont été ajoutées par la suite, mais comme des gens tout à fait injustes dans le partage des choses, ils choisissent ce qui leur agrée pour asseoir la pensée de leur propre impiété et non ce qui est juste.

98  Or, l’Apôtre dit auparavant : Donc, soit moi, soit eux, ainsi avons-nous prêché et ainsi avez-vous cru. Mais si le Christ a été proclamé être ressuscité d’entre les morts, comment certains d’entre vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? (1 Co 15, 11-12) Et encore : Si c’est en cette vie seulement que nous avons cru

Les deux mots en question sont la chair et le sang, dont l’interprétation a très tôt posé problème comme le montre le long développement que leur consacre Irénée de Lyon (Adversus haereses V, 9-14). Épiphane, Panarion 66, 87, 1-6, éd. Holl 1933, p. 130, 12-131, 4, témoigne de l’importance attachée par Mani à 1 Co 15, 50. Voir aussi Augustin, Contra Adimantum 12, 4, éd. Jolivet, Jourjon 1961, p. 272275. a 

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au Christa, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes, car maintenant, voilà que le Christ est ressuscité d’entre les morts et il est devenu prémices de ceux qui dorment. De même, en effet, que par un homme la mort est advenue, c’est aussi par un homme qu’adviendra la revivification des morts. De même, en effet, que nous mourons tous en Adam, de même nous vivrons tous dans le Christ, mais chacun comme il sera trouvé, les prémices, le Christ, et ensuite ceux qui seront dans le Christ au moment de sa venue, et alors (ce sera) la fin (1 Co 15, 19-24). Et outre cela, il dit ensuite, par des exemples, comme à l’encontre de l’interrogation de ceux qui ne croient pas : Quelqu’un dira : « Comment les morts ressuscitent-ils et dans quel corps reviendront-ils ? » (1 Co 15, 35) Et comme s’il répondait à ce fou, il dit aussi : Ô toi, stupide, la semence que tu sèmes, si elle ne meurt pas, elle ne vit pas, et ce que tu sèmes n’est pas comme ce qui sera engendré dans sa plante mais un grain nu de blé ou ce qui reste du froment, et c’est Dieu qui lui donne corps comme il veut (1 Co 15, 36-38). Et par ces exemples, qui se produisent à chaque jour, il éveille l’intelligence de ceux qui doutent vers le sentiment que, par la puissance de Dieu, toute chose lui est facile. 99  Alors, parce qu’à juste titre il est objecté à ce discours  : «  Est-ce que ceux qui ressusciteront seront encore pris par les mêmes passions corporelles, par des désirs, des souffrances, des plaisirs et des sujets de tristesse, s’ils reçoivent le même corps ? », de belle façon, donc, et admirablement, en ce qu’il joint au discours ce discours opposé, il guérit et procure la santé par la vérité, lorsqu’il dit ceci : Je dis, frères, que la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, non plus que la corruption n’héritera de l’incorruptible (1 Co 15, 50).

Littéralement : « Si nous sommes dans cette vie seulement alors que nous croyons au Christ » (IV, 98, 4-5), traduction servile du parfait périphrastique grec ἠλπικότες ἐσμέν. a 

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Syriaque Comment donc dit-il (que) le corps ressuscitera si la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu (1 Co 15, 50)  ? Le corps ne sera pas à nouveau dans les passions quand le corps aura ressuscité, comme il dit, ni la masse corporelle ne vivra à nouveau dans les passions (générées) par le sang, ce à cause de quoi il introduit par après l’explication claire de cette aporie : Ceci est un mystère : tous nous ressusciterons mais nous ne serons pas tous transformés (1 Co 15, 51). Dès lors, il y aura changement pour ceux qui vivent pour une condition meilleure de la chair, et c’est un corps qui nous sera donné par une transformation et non plus désormais la chair et le sang liés à la maladie des passions. Car tout ce qui est corporel n’est pas toujours également chair. En effet, le soleil, la lune et tout l’ordre des cieux sont tous des corps et ils ne sont aucunement chair. C’est quelque forme comme cellelà, dit-il, que recevra notre corps lorsqu’il ressuscitera de manière à ce que les âmes des saints habitent dans leurs

Grec (e Sacris Parallelis) Comment donc, dis-tu, le corps ressuscitera-t-il si la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu (1 Co 15, 50)  ? La chair ressuscitée, dit l’Apôtre, n’est pas soumise aux passions, et le corps lourd ne vit pas non plus à nouveau avec les passions. Voilà pourquoi il ajoute l’interprétation claire de l’objet du doute : Voici que je vous dis un mystère : nous ne nous endormirons pas tous, mais tous nous serons changés (1 Co 15, 51). De sorte que nous qui serons sauvés subirons une transformation pour quelque meilleure condition des corps et ce sera un corps qui nous sera donné par une transformation, mais non plus la chair et le sang liés à la faiblesse des passions. Car ce n’est pas tout ce qui est corps qui est nécessairement chair. Certes, le soleil, la lune et la totalité du chœur céleste sont tous des corps mais nullement chair. Le corps ressuscité recevra, dit-il, une certaine forme de sorte que les âmes des saints cohabiteront désormais avec un corps, mais qui n’aura plus besoin de nourriture

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corps. Dès lors, ila n’aura plus besoin de nourriture corporelle ni ne tombera sous le coup des désirs, des douleurs et des souffrances, mais bien plutôt il s’accordera avec l’âme en toute adoration et service divin, et il ne lui sera plus en aucune manière opposé lorsque cesseront les combats parce que l’âme aura passé vers le repos par le commandement de Dieu. 100  Parce que, par ces choses, il a éclairé tout son discours, il explique aussi le mode de la résurrection et il dit : Comme en un clin d’œil, lors de la dernière (sonnerie de) trompette, les morts se relèveront incorruptibles et nous, nous serons transformés. Car ce qui est corruptible doit revêtir l’incorruptible, et ce qui meurt, revêtir ce qui ne meurt pas (1Co 15, 52-53). Si donc ce qui est corruptible revêt l’incorruptible, cela est dans la vérité : La corruption n’héritera pas de ce qui n’est pas corruptible (1 Co 15, 50). Car si quelqu’un disait cela, (à savoir) que la chair ressuscitera et vivra à nouveau avec les passions qui lui

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charnelle ni ne sera soumis aux plaisirs, aux chagrins et aux souffrances mais qui sera parfaitement bien accordé à l’âme en vue de tout culte divin, lorsqu’auront cessé les combats et que l’âme se sera retirée dans le repos par une décision de Dieu.

100  Au sujet de ces choses, il clarifie tout le discours et explique le mode de la résurrection, en disant qu’il faut que cet être corruptible revête l’incorruptibilité et que cet être mortel revête l’immortalité (1 Co 15, 53). Si donc cet être corruptible revêt l’incorruptibilité, la parole serait vraie : La corruption n’héritera pas de l’incorruptibilité (1 Co 15, 50). Car si quelqu’un a dit cela, (à savoir) que la chair vivra à nouveau en ressuscitant avec les passions naturelles, souffrant les mêmes choses et les accomplissant de concert avec l’âme, le discours serait sans comporter de bonne espérance. Mais si cela reçoit une transformation vers

Sc. notre corps.

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sont connaturelles, et qu’elle éprouvera et accomplira les mêmes choses avec l’âme, cela serait un discours qui serait sans bonne espérancea. Mais si cela reçoit cette transformation : une dignité excellente et bienheureuse, ce qu’il indique par un argument et il dit : Ce qui est corruptible doit revêtir l’incorruptible (1 Co 15, 53), à juste titre, l’instrument qui a peiné avec elle est rendu à l’âme et ce n’est plus pour la déficience, le labeur et la b mais pour que les âmes de ceux qui vivent soient dans la béatitude, (elles) qui recevront (à nouveau) les corps qui leur sont connaturels et qui ne seront pas remplis de pesanteur, de ce qui est terrestre et de désir charnel, comme au commencement, en ce temps où cela était approprié afin qu’ilsc triomphent dans les combats de la vertu.

une meilleure et bienheureuse condition, ce qu’il signifie par un argument en disant  : Car il faut que cet être corruptible revête l’incorruptibilité et que cet être mortel revête l’immortalité (1 Co 15, 53), la restitution à l’âme de l’instrument qui a peiné avec elle est alors juste, non plus exposé à la peine et au labeur avec celleci mais pour que les âmes des sauvés soient bienheureuses, en recouvrant le corps qui leur est connaturel, et non plus appesanti, terrestre et chargé de désir charnel, comme au commencement, ce qui précisément convenait au combat de la vertu pour acquérir par ces choses de la considération.

Ainsi donc, par de nombreux (arguments), l’Apôtre illustre l’enseignement au sujet de la résurrection et introduit le discours de la béatitude qui est (fondée) sur elle. Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. b  Il faut manifestement lire ici (IV, 100, 29), avec Nix 1901 (p. 61), ‫ ܐܠܘܬܐ‬au lieu ‫ܠܠܘܬܐ‬, « folie », leçon attestée par le manuscrit ; correction confirmée par le texte grec des Sacra Parallela (ἐπίπονος, IV, 100, 27). c  Sc. les hommes. a 

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101  Mais ceux-là errent au contraire, et par des paroles qui sont prononcées au sujet de la résurrection, ils nient la résurrection. Ou bien ils décrètent la faiblesse à l’endroit de Dieu, selon leur habitude – car ils font cela par le biais de toute la fable de leurs discours et, en tout lieu, ils donnent l’avantage au Mal qui n’existe pas –, Syriaque ou bien ils lui imposent l’injustice, si le corps qui a peiné avec l’âme dans le genre de vie d’ici-bas ne lui est pas rendu et ne se réjouit pas avec elle dans les dons et les victoires.

Grec (e Sacris Parallelis) (Ce serait) en effet une injustice, si le corps qui a peiné avec l’âme dans cette existence ne lui était restitué pour jouir avec elle du prix de la lutte.

Autres paroles de Paul (102-109)

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102  Mais parce que l’Apôtre fournit aussi de nombreuses choses, en d’autres endroits de ses lettres, comme un prétexte pour l’opinion de ceux-là au sujet du calomniateur, lorsqu’il dit que (celui-ci) jouit d’une permission de la part de Dieu à cause de sa merveilleuse économiea, selon ce qui a été dit, et (qu’il rapporte) d’autres sujets d’étonnement qu’il a contemplés par son intelligenceb, il a compris et saisi le sens de ces paroles, (à savoir) qu’elles n’indiquent pas du tout quelque autre principe, un étant sans commencement, mais, au contraire, qu’ilc est sous la domination de Dieu et qu’il attend la sentence qui lui convient et que c’est selon notre volonté propre que celui-là semble accomplir quelque chose et en être capable, selon ce qu’il dit  : Vous aussi qui étiez morts par vos fautes et vos péchés, ceux dans lesquels vous viviez auparavant selon le cours de ce monde et selon le prince de l’autorité de l’air et de l’esprit, lui qui est maintenant à l’œuvre dans les fils désobéissants, parmi lesquels nous tous aussi, nous nous conduisions Cf. ( ?) 2 Co 12, 7. Cf. 2 Co 12, 1-6. c  Sc. le calomniateur. a 

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autrefois selon les désirs de notre chair et faisions la volonté de notre corps et de nos pensées (Ep 2, 1-3). Comment, en effet, n’est-il pas évident que celui qui appelle morts ceux qui étaient dans les péchés des fautes, annule la contrainte de tout principe opposé ? En effet, la faute de la chute est celle de celui qui se tenait debout et qui a chuté à cause de la négligence, car la faute de la chute n’est pas le fait de celui qui jamais ne se tenait debout. Et il ajoute : par vos péchés (Ep 2, 1), et il blâme ceux dont ce sont les propres péchés. Car ils n’auraient pas été blâmés depuis le commencement s’ils avaient fait ces choses du fait de quelque contrainte. Or, quelle est la chose la plus contraignantea qu’un principe, qu’un étant ? Et il ajoute ensuite : dans lesquels vous viviez autrefois (Ep 2, 2), et il indique la conversion de leur volonté, alors que Mani, en ce temps-là, n’était pas encore apparu dans le monde, pas même en songe. Car de deux choses l’une. Ou bien, en effet, ces éléments de connaissance ont été réservés pour celui-là, selon la folie de sa tromperie, et le témoignage de l’Apôtre au sujet de ceux qui, en ce temps-là, se sont repentis et convertis de manière à se séparer de l’erreur, est complètement annulé, ou bien ces éléments de guérison furent suffisants pour ceux qui se sont convertis à Dieu par l’enseignement de l’Apôtre, et son discours était manifestement aussi parfait que possible, avant même que les ancêtresb de celui-là n’existassent. Et l’Apôtre dit de belle façon : dans lesquels vous viviez autrefois selon le cours de ce monde (Ep 2, 2), car c’est dans ce monde que les éléments de l’erreur ont une occasion (favorable), mais ils cessent en même temps que les combats, qui cessent en même temps que le monde. Et il dit : selon le prince de l’autorité de l’air (Ep 2, 2), car il est le prince de ceux qui, par leur volonté, se sont inclinés vers les péchés, et il est l’adjuvant de ceux-là. Mais l’autorité de l’air, parce qu’elle n’est ni en haut ni en bas, n’a aucune seigneurie ou royauté. Et il n’est pas non plus, en aucune façon, maître de la création ni de notre volonté, à moins que nous le voulions. Parmi lesquels nous tous aussi, nous conduisions autrefois (Ep 2, 3). Mais vois comment a  Nous interprétons ‫( ܩܛܝܪܐ‬IV, 102, 24), comme s’il s’agissait d’une forme féminine mise pour un neutre ou comme si le féminin résultait de l’attraction de ‫ ܪܫܢܘܬܐ‬qui suit. b  Littéralement « les pères des pères » (IV, 102, 34) ; cf. IV, 16, 28.

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aussi il introduit sa propre participation à la repentance, avec les autres, de sorte que le péché n’est aucunement fixé quelque part et que partout, c’est la volonté et non le principe qui est blâmé, mais il désigne le calomniateur comme un adjuvant qui enflamme l’inclination aux péchés, qui est le fait de la volonté. 103  Car qu’est-ce qui l’aurait empêché de dire ouvertement et de décréter clairement qu’il n’est pas prince de l’autorité de l’air mais prince de tous les mondes, selon la fable de celui-là, même si elle est très confuse ? Mais il indique clairement aussi que celui-làa agit mauvaisement par sa volonté et qu’il n’est pas mauvais par la contrainte de sa nature, et, en ce qui nous concerne, que nous anticipons par notre volonté, de notre propre fond, ce que lui veut, de manière à ce que nous péchions, et alors, à la fin, il est aussi pour nous un adjuvant. 104  Et il dit qu’il est maintenant à l’œuvre en ceux qui sont désobéissants (Ep 2, 2). Or, la désobéissance est tout rejet, par la volonté, des choses qui ont été dites correctement. Car celui qui ne peut (accomplir) ce qui va à l’encontre des choses qui ont été dites, comment l’accusation de désobéissance le touchera-t-elle  ? Et il ajoute ensuite : Parmi lesquels nous tous aussi, nous conduisions autrefois, selon les désirs de notre chair, lorsque nous faisions la volonté de nos corps et de nos pensées, et (que) nous étions des fils de la colère (Ep 2, 3). Vois donc comment il blâme ceux qui font la volonté du corps et non le corps, entre les mains desquels se trouve le gouvernement des mouvements qui sont dans la nature de celui-ci. Or, nous faisions la volonté de notre corps et de nos pensées (Ep 2, 3). Par l’intermédiaire du corps, il a indiqué ceux qui font et par l’intermédiaire des pensées, il a montré ceux qui (agissent) selon la volonté de leur liberté, en dehors de toute contrainte. Et il dit que nous étions fils de la colère (Ep 2, 3), non de la Matière (considérée comme) un étant mais de la colère, parce que nous accomplissions des choses qui étaient dignes de colère. Et il dit : Si nous étions fils de la colère (Ep 2, 3), afin d’indiquer la volonté au sens propre qui est ainsi, selon l’usage de l’habitude commune. Et ainsi blâme-t-il ouvertement ces choses qui, toutes, procèdent de la volonté, ainsi a 

Sc. le prince de l’autorité de l’air.

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qu’il l’écrit aux mêmes (destinataires), après plusieurs (choses)  : Donc, que personne ne vous trompe par des paroles vides, car c’est à cause de telles (choses) que la colère de Dieu vient sur les hommes qui n’obéissent pas (Ep 5, 6), et il dit à nouveau : fils de la désobéissance (Ep 2, 2) et non d’un principe sans commencement. Donc, ne soyez pas pour eux des associés, car vous étiez ténèbres mais maintenant, vous êtes lumière en notre Seigneur (Ep 5, 7-8). Car, s’il nommait selon l’être et non selon leur volonté ce qu’il (nomme) soit mal soit prince de l’autorité de l’air et de l’esprit, comment les mêmes sontils tantôt ténèbres et tantôt autre chose, (c’est-à-dire) lumière  ? Car s’ils étaient tantôt ténèbres – ce que celui-là pose faussement, d’une manière vide, car ils n’existent pas – mais qu’ils sont devenus lumière en notre Seigneur, alors les ténèbres ont été changées en lumière. Mais il est évident que toutes les Écritures prennent le nom des êtres raisonnables à partir de similitudes, comme aussi notre Seigneur a dit à Pierre : Bienheureux es-tu Simon, fils de Jonas, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé (cela), mais mon Père qui est dans le ciel (Mt 16, 17). Et lorsque, peu après, (Pierre) dit quelque chose (qui relève) de l’incroyance, il a dit au même : Passe derrière moi, Satan (Mt 16, 23), et c’est à partir de la propriété de ses paroles qu’il nomme celui que, peu avant, il donnait pour bienheureux. 105  Or, nous aussi, nous avons l’habitude, quand quelqu’un nous demande : « Qu’est-ce que l’homme ? », de donner, dans la mesure du possible, une seule notion pour tout l’homme afin de déterminer, au sujet de la nature de celui-ci, ce qu’il est. Mais si on nous demande comment est tel homme, nous désignons, à partir de sa forme (caractéristique), ce que nous pensons à son sujet, grâce à l’expérience, dans la mesure où nous le connaissons. De même (en va-t-il) aussi de ceux à qui l’Apôtre a écrit, qui étaient parfois ténèbres, non par leur substance – car les ténèbres n’ont pas du tout de substance – mais par leur volonté, à cause de l’ignorance relativement à la vérité de Dieu, qui provenait de leur négligence. Mais ils sont devenus lumière et ils n’ont pas été changés en la nature de la lumière, mais ils ont grandi et se sont élevés vers la connaissance de la vérité. Et comme aussi le bienheureux Simon Pierre a été appelé Satan à cause d’une parole d’incrédulité, alors qu’il ne l’était pas, de la même manière aussi il désigne comme

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mauvais et dit (mauvais) à la fois l’homme et le calomniateur, non selon leur substance, mais c’est à partir de la forme de leur volonté qu’il les nomme, de sorte qu’un Mal qui, par sa nature, serait opposé à Dieu n’existe absolument pas mais que ce sont les volontés qui, nécessairement, imaginent et introduisent ce qui est opposé. 106  Mais ils se précipitent aussi sur cette parole qu’il dit : Leur combat n’est pas contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les autorités et les maîtres du monde de ces ténèbres, et contre les esprits mauvais qui sont sous le ciel (Ep 6, 12). Par ces (paroles) du bienheureux Apôtre, (celui-ci) prépare ceux qui sont oints en vue des combats de la crainte de Dieu pour qu’ils soient grandement dans la force, à cause de quoi il a dit précédemment : Désormais fortifiez-vous dans notre Seigneur et dans la force de sa puissance, et revêtez l’armure de Dieu afin que vous soyez capables de tenir devant les artifices du Mauvais (Ep 6, 10-11). Et après ces (paroles), il dit : Leur combat n’est pas contre la chair et le sang (Ep 6, 12). Si donc le Mauvais vient par des artifices et choisit le moment opportun pour sa fourberie et se donne par ruse l’aspect d’un puissant pour que soit facilement caché ce qui est accompli par lui, comment le Mauvais ne réalise-t-il pas sa venue avec intelligence et réflexion ? Mais s’il sait qu’il trompe, qu’il étend le mal et y adhère, ce qu’aussi nous avons dit dans ce qui précède, il vient manifestement, dans sa jalousie à l’endroit de ce qui est excellent, vers ce qu’il sait être excellent ; et il ne peut (faire) que cela se produisea, à cause de sa grande méchanceté, ce à cause de quoi sa substance n’est manifestement blâmée en aucune façon. Car s’il était mauvais dans son être et dans sa nature, il ne saurait ni ce qu’il est ni que son opposé est meilleur que lui. 107  Donc, parce qu’au sujet de l’habileté et des artifices de son audace en matière de perfidie et de dommage, ilb affirme que personne ne doit penser qu’il puisse s’opposer à lui par la seule vigilance humaine, il dit : Revêtez l’armure de Dieu (Ep 6, 11), en clair, la foi, la crainte et l’adoration par l’Esprit de sainteté. Car ce n’est pas en usant d’une armure corporelle que l’homme échappea  b 

Littéralement « soit à lui » (IV, 106, 16). Sc. Paul.

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ra à ses perfidies. Mais il considère contre qui est le combat pour que personne ne croie – comme, (par exemple), quelqu’un qui serait dans la solitude – qu’il n’a pas d’ennemi, qu’il se montre très confiant et ne soit saisi et vaincu. Et il énumère les principautés, les autorités et les maîtres du monde de ces ténèbresa, parce que le calomniateur s’arrange aussi à la ressemblance de ces entités d’enhaut, par l’intermédiaire de ceux qui se sont révoltés avec lui, car il est évident qu’il s’est associé à de nombreux (autres) et qu’il fut le chef de la révolte. Car qui penserait que, seul, de lui-même et par lui-même, il peut quelque chose ? Car de même que, comme presque toute l’humanité s’était révoltée, Dieu s’est montré longanime tout ce temps, depuis toujours, de même aussi il supporte alors avec longanimité le calomniateur et ceux qui sont avec lui, à cause de lui-même et à cause de l’économie dont il a été question. 108  Les hommes ont donc reçu la grâce et le pardon parce qu’ils sont dans un corps et qu’ils sont tombés comme par erreur. Mais (les manichéens) se sont détournés de la grâce et sont passés à la révolte primordiale et ont fait en eux-mêmes la démonstration de la longanimité de Dieu. Car ils se sont séparés eux-mêmes de Dieu, et non Dieu d’eux. Et (Paul) appelle ceux-là maîtres du monde (Ep 6, 12), non du ciel ni de la terre ni des eaux ni du feu ni (ne dit-il) qu’ils dominent quelque chose d’autre mais seulement ces ténèbres (Ep 6, 12). Et quelles sont ces ténèbres ? Il désigne (ainsi) comme par un exemple l’ignorance qui prévalait chez les hommes. C’est donc par cette ignorance qui se répandait dans le monde entier qu’ils dominent sur les hommes, qu’ils ont été appelés maîtres du monde (Ep 6, 12) et que, comme en vertu d’un commandement, ils sont apparus afin que la crainte et la vigilance s’installent chez les hommes et qu’ils trouvent refuge auprès de Dieu. Et lorsqu’il dit : Qui sont sous le ciel (Ep 6, 12)b ou, comme certains lisent  : Qui sont dans le cielc, c’est pour montrer qu’ils ne sont pas étrangers à la création de Dieu. En effet, alors qu’ils Cf. Ep 6, 12. Leçon (IV, 108, 14) de la Peshitta, du sahidique (éd. Horner), de l’éthiopien et de l’arménien (voir Horner 1920, p. 256, apparat ad loc.), apparemment non attestée en grec d’après Aland, Aland, Karavidopoulos, Martini, Metzger 2012. c  Leçon majoritaire (ἐν). a 

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sont à l’intérieur, dans l’orbe de la création, ils se détournent et se révoltent contre Dieu. Et il est nécessairement très longanime, comme envers des brigands (qui sont) contre la loi, et ils sont sous un seul principe, comme tous les autresa. Mais que ceux qui sont de Mani ne s’appuient non plus sur cette parole de l’Apôtre, qui dit : Ceux dont le dieu de ce monde a aveuglé l’intellect afin qu’ils ne croient pas, pour que ne se lève pas la lumière de l’Évangile dans leur cœur (2 Co 4, 4). Or, certains des nôtres lisent en dernier le premier (élément)b et attribuent à Dieu d’être ainsi contre ceux qui sont réprouvés par lui à cause de la grandeur du zèle de leur malice. Mais, parce qu’en ce qui me concerne, la forme de l’interprétation de cette parole me semble vraie telle qu’elle est – ce n’est cependant pas quelque chose d’étonnant si quelque entité de ce monde est appelée dieu, que beaucoup servent, parce que leurs intelligences s’accordent avec elle, comme si elle était le prince de ce monde, si, en effet, l’Apôtre, en un autre endroit, mentionne ceux dont le ventre est leur dieu et leur gloire, leur honte (Ph 3, 19) –, qu’y a-t-il de surprenant s’il appelle dieu de ce monde (2 Co 4, 4) le calomniateurc ? Et notre Sauveur aussi l’appelle prince du monde (Jn 12, 31 ; 16, 11), comme aussi l’Écriture ancienne dit dieux des nations (Ps 95 (96), 5) à propos de ceux qui n’en sont aucunement mais qui les contraignent à penser qu’ils le sont. 109  Donc ces (passages) qui sont violemment malmenés par eux, dans la mesure où ils le peuvent, à cause de l’impudence de leur impiété, ont été, dans la mesure du possible, interprétés par nous selon la pensée de l’Apôtre. Mais aussi tous leurs pareils qui ont été laissés de côté et qui sont restés (sans être touchés par nous), qu’ils soient traités avec eux de la même manière, selon la pensée des Écritures saintes. C’est-à-dire sous l’autorité d’un seul Dieu. Littéralement « lisent le dernier premier – ‫ܐܚܪܝܬܐ ܩܕܡܝܬܐ‬ » (IV, 108, 2324), ce que le Thesaurus (Payne Smith 1879, col. 127) interprète comme une traduction du grec ὕστερον πρότερον ; sur ce procédé rhétorique et son application à l’exégèse de 2 Co 4, 4, voir Poirier 2015. c  Contrairement à Titus, Épiphane, Panarion 66, 68, 9, éd. Holl 1933, p. 109, 12-17, comprend le « dieu de ce monde » du seul Dieu chrétien, le créateur et le Père de Jésus-Christ. a 

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Conclusion du livre IV (110-111) 110  Si donc quelqu’un lit, sans présumer (de son interprétation), tout le corpus de l’enseignement de l’Évangile et des Apôtres, non seulement il ne trouvera même pas un seul endroit qui s’accorde en quoi que ce soit avec l’espérance d’impiétéa manichéens, mais (il y trouvera) aussi des preuves constantes et des paroles claires de ce qu’il n’y a qu’un seul principe sur toutes choses, qu’une économie bienheureuse et droite préside à toutes choses, que la longanimité de Dieu est (sujet d’)admiration, que le jugement céleste est terrible et que n’existe nulle part même le simple nom de la Matière ou d’un principe mauvais, opposé (et) subsistant. 111  Or, ce qui est écrit dans la Genèse, que la terre était tohou wabohou (Gn 1, 2), est pris en vain par ceux de Mani (comme preuve) que la terre est un étant, parce qu’elle était (bel et bien) venue à l’existence, car l’Écriture commence par dire : Au commencement Dieu fit le ciel et la terre (Gn 1, 1). Celle-là, donc, qui était, était venue à l’existence alors que ne lui avait pas encore été ajoutée cette formation, ce à cause de quoi Mani, l’homonyme de la folieb, fuit tout l’Ancien Testament dans lequel se trouve une puissante et grande preuve du principe unique et (dans lequel) ne se trouve manifestement rien au sujet de la révolte du calomniateur. Mais il abroge et efface de nombreuses choses du Nouveau Testament, et le peu qui en a été expliqué et leurs pareilles, il les a laissées en vue de l’introduction de la nouveauté de son impiété, parce qu’il a pensé trouver par là quelque chose, alors que, par la prescience des Écritures, il avait déjà été réfuté et rejeté, car notre Seigneur a prédit que l’homme ennemi a semé de l’ivraie parmi la bonne semence (Mt 13, 25), et que le bienheureux Paul a ajouté : Garde-toi, après un avertissement, de l’homme hérétique, dont l’intelligence est partagée, car tu sais que celui-là est querelleur, qu’il pèche et qu’il se condamne lui-même (Tt 3, 10-11). Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. b  Voir supra, I, 1, p. 77, n. a. a 

469

411

LIVRE IV

Conclusion de l’ouvrage (112-116) 412

112  Car ce n’est même pas dans l’espoir de pouvoir convertir ceux-là, qui sont sévèrement ensorcelés et dont l’intelligence s’est évanouie et est réduite à riena, que je me suis livré au labeur de cette composition, mais afin de mettre en garde contre la corruption et la ruse de ceux-là ceux qui sont fermes et vigilants et pour qu’ils les fuient plus que ceux qui adorent les idoles, (eux) à propos de qui l’apôtre Paul a clairement prophétisé en un autre endroit, et il dit : Or, l’Esprit dit clairement que, dans les derniers temps, les hommes quitteront la foi et se précipiteront à la suite des esprits trompeurs et de l’enseignement des démons, dans la dissimulation des paroles mensongères de ceux qui sont marqués dans leur conscience, qui s’abstiennent du mariage et abandonnent les aliments que Dieu a créés pour l’usage et l’action de grâces pour ceux qui croient et connaissent la vérité, parce que toutes les créatures de Dieu sont belles et qu’il n’y a rien en elles de méprisable, et b elles sont reçues avec action de grâces, car elles sont sanctifiées par la parole de Dieu et par l’action de grâces (1 Tm 4, 1-5). 113  C’est ainsi, en effet, que la grâce, par l’entremise de l’Apôtre, a exactement proclamé d’avance ces choses et aussi décrit d’avance, en (toute) vérité, leur dissimulation ainsi que le mensonge de leurs discours, le fait qu’ils sont marqués dans leur conscience, ce qu’ils disent contre le mariage et aussi contre les aliments, et elle a ainsi dénoncé d’avance, avant leur temps, leur maladie. 114  Or, le Christ, le sauveur universel, a manifestement promis une seule Église qui se lèverait sur toute la terre habitée, ce à cause de quoi aussi il a correctement nommé celle-ci « catholique ». Et il habite en elle comme sous un voile nuptialc, elle seule à qui il a prédit qu’il la prendrait pour lui et à qui il a donné tous ses signes caractéristiques pour que personne n’errât avec une étrangère qui tromperait par la mention de son nom et abuserait ceux dont l’intelliCf. supra, III, 45, p. 348, n. b. Au lieu de la conjonction ‫ܘ‬, le sens exigerait ici (IV, 112, 14), comme dans la Peshitta, un ‫ܐܢ‬. c  Ou : « comme dans une fiancée » ; cf. Ep 5, 26. a 

b 

470

LIVRE IV

gence est déficiente. Et il dit : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église et les verrous du Shéol ne prévaudront pas contre elle (Mt 16, 18). Or, il appelle verrous du Shéol tout ce par quoi allaient entrer dans la mort de la confession ceux qui avaient réalisé dans leur âme une parfaite vaillance pour la crainte de Dieu. Il appelle ainsi le glaive, le feu, l’eau et toutes les formes de tourments. En effet, les choses par lesquelles l’homme entre tout à coup, soudainement, dans la mort sont comme les portes et les verrous de celle-ci. Dès lors, là où il y a de lourds verrous à cause de la confession et à cause du témoignage, là est manifestement l’Église du Christ. Mais ceux qui pensent qu’il est superflu de mourir pour leur mauvaise espérancea, sont toujours et parfaitement étrangers au Christ et à son Église. 115  Mais aussi, on trouvera encore d’autres signes au sujet de l’Église véritable dans cette prédiction de notre Seigneur. Il interroge en effet ses disciples et leur dit : Les hommes, qui disent-ils qu’est le Fils de l’homme ? (Mt 16, 13). Dès lors, tous ceux qui nient qu’il est en vérité le Fils de l’homme, qui vint à l’existence par le corps, ne sont pas l’Église du Christ. Et peu après, lorsque Simon lui dit : Tu es le Christ (Mt 16, 16), il lui répondit : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église (Mt 16, 18). Sur laquelle ? Sur cette foi : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16, 16), et non comme Mani le fou a dit à son sujet : « Le Christ est le cinquième élément »b, selon l’usage du nom, et non selon l’exactitude de la chose en même temps que de l’enseignement, de sorte que, ainsi qu’il le dit, « le Bon a envoyé à plusieurs reprises un autre et un autre ». 116  Ceux donc chez qui on ne confesse pas l’unique Fils de Dieu, Jésus, le Christ, selon ce que (Pierre) a dit : Tu es le Christ (Mt 16, 16), selon ce que cette prédication avait reçu au sujet d’un seul, en accord avec l’ancienne prophétie, et ainsi depuis lors et encore a  Reprise ironique de l’appellation par laquelle Mani désignait son Église et son message, cf. supra, IV, 15, p. 395, n. b. b  Sur cette affirmation que Titus attribue à Mani, voir Dubois, Poirier 2012. Contrairement à ce que nous avons fait dans cet article, il ne faut pas corriger ici (IV, 116, 5) le texte en supprimant la négation dans ‫ܕܐܠ ܗܘܐ‬, car le syriaque décalque le grec, où le verbe ἀρνέομαι gouverne une complétive négative, comme 1 Jn 2, 22 : τίς ἐστιν ὁ ψεύστης εἰ μὴ ὁ ἀρνούμενος ὅτι Ἰησοῦς οὐκ ἐστιν ὁ Χριστός, ce que le syriaque rend par ‫ܐܝܢܐ ܕܟܦܪ ܕܝܫܘܥ ܐܠ ̱ܗܘܐ ܡܫܝܚܐ‬.

471

413

414

LIVRE IV

dès avant, dès le commencement, chez ceux-là, donc, ne se trouve pas l’Église du Christ, elle qui connaît le Christ, le Fils unique de Dieu dès avant les mondes, qui a été nommé par l’Ancien Testament et a été proclamé avant qu’il ne vienne dans un corps. Sont achevés les quatre discours de Titus contre les manichéens, qui ont été traduits du grec en araméena.

a 

C’est-à-dire en syriaque ; cf. supra, I, 17, p. 113, n. c.

472

INDEX

INDEX SCRIPTURAIRE

L’index ne porte que sur les deux traductions du Contre les manichéens. Les références renvoient aux pages du livre. Jusqu’à la page 337, les numéros impairs renvoient à la traduction du texte grec et les numéros pairs, à la traduction de la version syriaque ; à partir de la page 338, tous les numéros de page renvoient à la seule traduction de la version syriaque. Si une citation court sur deux pages, seul le numéro de la page où elle commence est indiqué. Lorsqu’un texte est cité plus d’une fois sur une même page, le numéro de celle-ci n’est noté qu’une seule fois. L’astérisque (*) précédant un numéro de page signale une allusion à un passage ou à un épisode biblique et non une citation ; dans ce cas, la référence est habituellement indiquée en note. Comme le Contre les manichéens ne contient qu’une seule citation d’une source non scripturaire, nous la signalons ici : il s’agit du proverbe cité en I, 1, 17-18, p. 76 et 77 (voir p. 79, n. a). 2, 23 2, 25 3, 4 3, 6 3, 7 3, 10 3, 11 3, 22 4, 1-24 4, 7 6, 3

Genèse 1, 1 469 1, 2 469 1, 26 *178, *179, 310, 311, 322, 323 1, 27 332, 333 1, 28 322, 323 1, 29 322, 323 1, 31 *387, 444 2, 7 312, 313 2, 16-17 *313 2, 17 326, 327

475

330, 331 330, 331 334, 335 328, 329 328, 329, 330, 331 332, 333 332, 333 302, 303, 332, 333 *336 *353 339, 340, 426

Index scripturaire

6, 5 6-8 8, 21 11, 1-9 17, 4 17, 5 18 18-19 49, 8 49, 8-10 49, 10 Exode 5, 2 7, 1 7, 8-13 7, 14-11, 10 7, 14-25 7, 22 8, 4-9 8, 14 8, 14-15 8, 15 9, 6 9, 11 10, 21-28 11, 2-3 11, 7 12, 29-36 12, 35 12, 35-36 12, 37 13, 21 14, 15-31 15, 1-18 15, 20-21 15, 21 16, 4 20, 5 20, 13 20, 15-16 21, 24 24, 18 29, 10-28 29, 36-46 30, 22-33

426 *339 426 *342 361 361 *410 *341 *404 *388 *389, *404 343 *343 *343 *344 *345 *343 *346 *343 *347 347, 348 *345 *343 *345 *349 *345 *346 *302, 303 *349 *349 *350 *349 *349 *349 350 *350 *382 351 351 *373, *374 *351 *353 *353 *388

31, 18 32, 7-8 34, 1 34, 7 34, 28

*351 *352 *351 *382 *351

Lévitique 4, 5 4, 16 19, 18 24, 20

*388 *388 351 *374

Nombres 1, 49 3, 5 14, 18 18, 21

*404 *404 *382 *404

Deutéronome 4, 24 5, 9 6, 5 9, 9 9, 10 9, 25 10, 2 19, 21 24, 1-4 1 Règnes (1 Samuel) 2, 35 8, 5-22 26, 9

*388 *388 *388

2 Règnes (2 Samuel) 7, 12 11 12, 1-15 12, 13-17

*401 *378 *379, *381 *380

3 Règnes (1 Rois) 18, 20-40 18, 38-39 Job

476

302, 303, 360 *382 351 *351 *351 *351 *351 *374 *376

1, 6

*359 *359 *432

Index scripturaire

Psaumes (numérotation des LXX) 2, 2 *388 6 *381 31 (32) *381 37 (38) *381 39 (40), 7 356 49 (50), 7-14 356 50 (51) *381 50 (51), 18-19 357 77 (78), 24 *350 88 (89), 4-5 *401 95 (96), 5 468 101 (102) *381 104 (105), 39 *350 109 (110), 2 404 109 (110), 3 405 109 (110), 4 404 109 (110), 6 405 109 (110), 7 405 129 (130) *381 131 (132), 11 *401 142 (143) *381 142 (143), 10 445 Qohéleth (Ecclésiaste) 1, 18b Isaïe 1, 11-13 7, 9 7, 14 11, 1 43, 22-24 62, 2 65, 16 66, 3

355 450 *402, 403 *402 355 389 389 355 *377 356 *401 455

Lettre de Jérémie 59

*429

*439

Osée 6, 5-6

355

Amos 5, 22 5, 25

355 355

Michée 6, 6-8

355

Habacuc 3, 11

*429

Évangile selon Matthieu 1, 16 *402 1, 21 *390 1, 23 *402, *403 2, 6 *404 2, 11-12 *424 3, 10 422 4, 1-11 *433 4, 9 438 4, 10 441 5, 27-28 372 5, 33 372 5, 34 372 5, 37 372 5, 38 373, *374 5, 39 373, 374 6, 24a 419, 421 6,24b419 7, 6 *397 7, 15 *293, *387 7, 16 422 7, 20 422 8, 23-27 *424 8, 29 432 10, 16 *426 12, 35 444 13, 25 397, 469 13, 29 397 13, 30 397 14, 13-21 *424 16, 13 471

334, 335

Jérémie 4, 4 7, 21-23 23, 5 31, 33

Ézéchiel 38, 2

477

Index scripturaire

16, 16 16, 17 16, 18 16, 23 19, 17 20, 16 22, 14 23, 12 27, 45 Évangile selon Marc 1, 12-13 1, 24 4, 35-41 6, 30-44 10, 18 15, 33

7, 42 10, 11 10, 17-18 11, 1-44 12, 31 13, 1-17 13, 23-25 14, 27 14, 30 15, 18 15, 19 15, 20 16, 7 16, 11 17, 14 17, 15 19, 25-26 20, 24-29 23, 44

471 465 471 *441, 465 444 448 448 442 *424 *433 432 *424 *424 444 *424

Évangile selon Luc 1, 32 1, 36 2, 21-24 3, 23 4, 1-13 4, 34 6, 43-44 6, 45 8, 22-25 9, 10-17 10, 3 10, 18 14, 11 18, 19 22, 31-32 23, 25 24, 39

*401, *402 *402 *409 *402 *433 432 421 421, 444 *424 *424 *426 432 *442 444 440 *434 412

Évangile selon Jean 1, 3 1, 5 1, 14 1, 29 2, 1-11 2, 2 5, 23 7, 7

420 228, 229 410 429 *410, *411 *410 370 425

*401 *385 *434 *413 428, 429, *439, 468 *411 *411 414 *439, 440 423 423 424 394 *439, 468 423, 425 425, *428, 429 *412 *412 *424

Actes des Apôtres 10, 38 11, 26 17, 28

390 *389 447

Épître aux Romains 1, 3 *401 2, 14 *447 2, 29 *377 5, 20a 451 5, 20b 451 6, 12 420 7, 14 452 7, 15 452 7, 16 452 7, 17 452 7, 22 448, 452 7, 23 448, 452, 453, 455 7, 24 453, 454 8, 1 454 8, 2 454, 455 8, 3 455 8, 18 442 8, 28 447 11, 16 *426

478

Index scripturaire

5, 26 6, 10-11 6, 10-17 6, 11 6, 12

1re épître aux Corinthiens 2, 8 334, 335 3, 2 *358 8, 6 420 9, 22 392, 447 10, 13 440 11, 19 397 13, 9-10 398, *446 13, 12 446 15, 11-12 457 15, 14 *456 15, 19-24 457 15, 35 458 15, 36-38 458 15, 50 457, 458, 459, 460 15, 51 459 15, 52-53 460 15, 53 460, 461 2e épître aux Corinthiens  1, 21 4, 4 12, 1-6 12, 7

*295 *391 468 *462 *462

Épître aux Galates 3, 24

*386

Épître aux Philippiens 2, 11 3, 19

371 468

Épître aux Colossiens 

*295

1re épître à Timothée 1, 9 4, 1-5 4, 7 6, 10

383, 450 470 *112, *113 *140, *141

2e épître à Timothée  2, 8 4, 7-8 4, 8

*295 *401 453 *440

Épître à Tite 1, 12 3, 10-11

Épître aux Éphésiens  *295 2, 1 463 2, 1-3 462 2, 2 463, 464, 465 2, 3 463, 464 4, 20 292, 293, *397 5, 6 465 5, 7-8 465

*470 466 *391 466 391, 466, 467

447 397, 469

Épître aux Hébreux 11, 5

449

1ère épître de Jean 1, 1-3 5, 1-10

*410 *410

Citation non identifiée 454

479

INDEX DES NOMS PROPRES

L’index répertorie tous les noms propres et apparentés. Il ne porte que sur les deux traductions du Contre les manichéens, à l’exclusion des titres et sous-titres, et de l’annotation. Les références renvoient aux pages du livre. Lorsqu’un nom apparaît plus d’une fois sur une même page, le numéro de celle-ci n’est noté qu’une seule fois. Jusqu’à la page 337, les numéros impairs renvoient à la traduction du texte grec et les numéros pairs, à la traduction de la version syriaque ; à partir de la page 338, tous les numéros de page renvoient à la seule traduction de la version syriaque. Caïn : 336, 338, 353 Chaldéen : 417 Christ : 292, 293, 295, 368, 369, 371, 372, 383, 385, 386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 400, 401, 402, 403, 404, 408, 414, 418, 420, 438, 439, 447, 454, 455, 457, 458, 470, 471, 472 Créon : 366

Abel : 302, 303, 336, 338 Abraham : 410, 454 Adam : 300, 301, 302, 303, 308, 309, 324, 325, 326, 327, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 338, 362, 458 Amos : 355 Antichrist : 438 Antidieu : 438 Araméen : 112, 472 Aristote : 398 Auguste : 393

David : 356, 378, 379, 380, 401, 402, 403, 404, 405 Dèce : 393

Baal : 359 Barbare : 76, 77, 80, 81, 96, 97, 98, 99, 128, 129, 134, 135, 158, 159, 198, 199, 262, 263, 294, 295, 363, 364, 399, 400, 416, 430 Basilide : 365

Égypte : 303, 343, 345, 353, 354, 356, 364 Égyptien : 302, 303, 343, 344, 345, 346, 349

481

Index des noms propres

Élie : 359 Élisabeth : 402 Emmanuel : 403

Lazare : 413 Lévi : 404 Luc : 402, 412

Fou (Le ‒, surnom donné à Mani) : 76, 88, 89, 94, 98, 118, 120, 122, 124, 125, 130, 132, 140, 144, 152, 153, 154, 156, 160, 164, 184, 190, 196, 197, 206, 208, 209, 214, 215, 234, 248, 250, 260, 266, 267, 280, 281, 290, 294, 308, 332, 334, 340, 343, 346, 362, 364, 379, 381, 384, 390, 391, 396, 402, 412, 418, 425, 428, 433, 439, 441, 446, 458, 471

Mammon : 419, 420 Mani : 76, 77, 88, 89, 95, 98, 99, 106, 107, 108, 122, 123, 124, 136, 138, 139, 142, 143, 146, 147, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 161, 162, 163,164, 165, 180, 181, 184, 185, 196, 206, 207, 208, 214, 221, 234, 235, 237, 244, 245, 248, 249, 250, 251, 258, 259, 260, 261, 263, 266, 267, 274, 275, 276, 277, 280, 281, 290, 291, 308, 309, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 339, 342, 344, 346, 347, 348, 349, 351, 357, 363, 365, 377, 379, 381, 384, 386, 387, 390, 392, 393, 394, 395, 396, 401, 402, 405, 409, 410, 411, 412, 414, 418, 420, 422, 423, 424, 428, 433, 438, 439, 441, 446, 448, 456, 463, 468, 469, 471 Manichéen : 76, 77, 160, 162, 288, 290, 368, 383, 384, 469, 472 Marcion : 365, 368 Marcionite : 368 Marie (mère de Jésus) : 401, 402, 404 Matthieu : 402 Melchisédek : 404 Michée : 355 Miryam (sœur de Moïse) : 349 Moïse : 302, 303, 343, 344, 346, 347, 348, 349, 351, 352, 353, 357, 359, 360, 382, 388, 454, 455

Gabriel : 402 Grec : 290, 291, 296, 297, 366, 367, 368, 369, 371, 385, 387, 399, 408, 447, 472 Hébreu : 302, 303, 343, 344, 345, 346, 349, 390 Isaïe : 355, 403 Israël : 355, 356 Jacob : 355, 404 Jean : 409, 411, 412, 420 Jean le Baptiste : 422, 429 Jérémie : 356 Jérusalem : 377 Jessé : 402 Jésus : 292, 295, 371, 386, 390, 397, 401, 410, 420, 448, 454, 455 (= Josué), 471 Job : 432 Jonas : 465 Joseph (époux de Marie) : 401, 402, 403, 404 Josué («vrai Jésus») : 455 Juda : 388, 389, 404, 455 Juif : 355, 357, 358, 359, 364, 375, 386, 388, 389, 392, 393, 394, 401, 402, 405, 425, 434, 447, 449, 450, 451, 453, 454, 456

Néron : 447 Osée : 355 Origène : 393 Paraclet : 292, 293, 294, 297, 385, 393, 394, 395, 396, 398, 399 Paul : 391, 442, 446, 447, 451, 452, 456, 467, 469, 470

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Index des noms propres

Romain : 430, 448

voir aussi Pierre et Simon Pierre Simon Pierre : 440, 465 voir aussi Simon et Pierre. Sion 404 Sodome : 302, 303 Sodomite : 341 Syrien : 113

Satan : 290, 348, 397, 400, 428, 432, 433, 438, 440, 441, 445, 465 Shéol : 471 Sidonien : 359 Simon : 465, 471

Thomas : 411 Tibère : 393 Valentin : 365, 368 Valentinien : 368 Xénophon : 398

Perse : 398 Pharaon : 343, 346 Pierre : 465, 471 voir aussi Simon et Simon Pierre Platon : 399

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