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AELRED DE RIEVAULX SERMONS
CORPVS CHRISTIANORVM IN TRANSLATION
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CORPVS CHRISTIANORVM Continuatio Mediaeualis II C
AELREDI RIEVALLENSIS OPERA OMNIA 4
SERMONES LXXXV-CLXXXII COLLECTIO RADINGENSIS
Recensvit Gaetano RACITI Monachus AUREAEUALLENSIS
TURNHOUT
FHG
AELRED DE RIEVAULX SERMONS La collection de Reading (sermons 85 à 182) Volume 1 Introduction Sermons 85 à 133
Introduction par Xavier MORALES,
traduction et notes par Gaëtane de BRIEY (†) et Gaetano RACITI
H
F
©2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
D/2015/0095/74 ISBN 978-2-503-55206-4 (2 volumes) Printed on acid-free paper.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction 9 Esquisse biographique 9 L’œuvre littéraire 12 Les collections de sermons 14 La collection de Reading 15 Aelred exégète et prédicateur 19 La tâche de l’abbé 19 La structure d’un sermon 20 Les sources : Aelred lecteur 23 Un dossier marial 25 Aelred à Westminster 26 Aelred et les juifs 27 Le bestiaire symbolique 30 Les vertus d’un bon prédicateur 32 Bibliographie 33 Sources primaires 33 Sources secondaires 42 Sermons 45 Sermon 85 Pour l’Avent 47 Sermon 86 Pour l’Avent 53 Sermon 87 Pour l’Avent 62 Sermon 88 Pour la nativité du Seigneur 68 Sermon 89 Pour la nativité du Seigneur 70 Sermon 90 Pour la nativité du Seigneur 76 Sermon 91 Pour la nativité du Seigneur 83 Sermon 92 Pour la nativité du Seigneur 85
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Table des matières
Sermon 93 Pour la nativité du Seigneur Sermon 94 Pour la circoncision du Seigneur Sermon 95 Pour la circoncision du Seigneur Sermon 96 Pour la circoncision du Seigneur Sermon 97 Pour la vigile de la nativité du Seigneur Sermon 98 Pour la circoncision du Seigneur Sermon 99 Pour l’Épiphanie du Seigneur Sermon 100 Pour l’Épiphanie du Seigneur Sermon 101 Pour la Présentation du Seigneur Sermon 102 Pour la Purification de sainte Marie Sermon 103 Pour le Carême Sermon 104 Pour le Carême Sermon 105 Pour le Carême Sermon 106 Pour la fête de la Chaire de saint Pierre Sermon 107 Pour le quatrième dimanche de Carême Sermon 108 Pour le Vendredi Saint Sermon 109 Pour la Cène du Seigneur Sermon 110 Pour l’Épiphanie du Seigneur Sermon 111 Pour la Présentation du Seigneur Sermon 112 Pour la fête de la Chaire de saint Pierre Sermon 113 Pour la fête de la Chaire de saint Pierre Sermon 114 Pour la fête de saint Benoît Sermon 115 Pour la fête de saint Benoît Sermon 116 Pour la fête de saint Benoît Sermon 117 Pour la fête de saint Benoît Sermon 118 Pour l’Annonciation du Seigneur Sermon 119 Pour l’Annonciation du Seigneur Sermon 120 Pour le jour de Pâques Sermon 121 Pour le jour de Pâques Sermon 122 Pour le saint jour de Pâques Sermon 123 Pour l’Ascension du Seigneur Sermon 124 Pour l’Ascension du Seigneur Sermon 125 Pour l’Ascension du Seigneur Sermon 126 Pour le jour de la Pentecôte Sermon 127 Pour le jour de la Pentecôte Sermon 128 Pour le jour de la Pentecôte Sermon 129 Pour le jour de la Pentecôte Sermon 130 Pour la solennité de la Sainte Trinité Sermon 131 Pour la solennité de la Sainte Trinité Sermon 132 Pour la solennité de la Sainte Trinité
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92 99 106 113 121 126 132 135 142 152 160 166 172 181 187 196 206 214 224 228 238 246 255 267 277 284 297 306 311 325 336 347 366 376 384 391 401 407 414 426
Table des matières
Sermon 133 Pour le jour de la Pentecôte Sermon 134 Pour la naissance de saint Jean-Baptiste Sermon 135 Pour la solennité des apôtres Pierre et Paul Sermon 136 Pour la solennité des apôtres Pierre et Paul Sermon 137 Pour la naissance de saint Jean-Baptiste Sermon 138 Pour la naissance de saint Jean-Baptiste Sermon 139 Pour la fête des saints apôtres Pierre et Paul Sermon 140 Pour la fête de saint Benoît Sermon 141 Pour la fête de saint Benoît Sermon 142 Pour l’octave de la fête des saints apôtres Pierre et Paul Sermon 143 À des Abbés Sermon 144 À des Abbés Sermon 145 Pour le martyre de saint Jean-Baptiste Sermon 146 Pour la fête de saint Benoît Sermon 147 Pour la fête de saint Benoît Sermon 148 Pour la fête des saintes reliques Sermon 149 Pour la fête de sainte Marie Madeleine Sermon 150 Pour la fête de sainte Marie Madeleine Sermon 151 Pour la fête de saint-Pierre-aux-liens Sermon 152 Pour la Chaire de saint Pierre Sermon 153 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 154 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 155 Pour l’Annonciation de Marie Sermon 156 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 157 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 158 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 159 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 160 Pour la fête de l’archange saint Michel Sermon 161 Pour la Conception de sainte Marie Sermon 162 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 163 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 164 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 165 Pour l’Annonciation du Seigneur Sermon 166 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 167 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 168 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 169 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 170 Pour la fête de saint Édouard Sermon 171 Pour la fête de saint Édouard
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435 443 451 458 470 479 487 495 505 515 526 535 545 551 558 570 578 586 594 598 603 611 622 627 638 649 657 669 676 684 692 697 701 706 715 722 729 736 745
Table des matières
Sermon 172 Pour la naissance de saint Édouard à la Vie Sermon 173 Pour la fête de saint Martin Sermon 174 Pour la fête de sainte Catherine Sermon 175 Pour la fête de saint André Sermon 176 Pour la fête de saint Vincent Sermon 177 Pour la fête de saint Vincent Sermon 178 Pour la fête de saint Grégoire Sermon 179 À des moniales, pour le deuxième vendredi après Pâques Sermon 180 Pour la fête de tous les saints Sermon 181 Pour la fête de tous les saints Sermon 182 Pour la fête de tous les saints Index Index scripturaire Index des sources non-bibliques Index des noms propres Index thématique
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753 765 772 782 792 800 811 819 830 838 845 855 875 879 883
INTRODUCTION
Esquisse biographique Aelred1 est né en 1110 à Hexham, en Northumbrie, à la frontière entre l’Angleterre et l’Écosse, dans une famille de culture saxonne et celtique, ce dont son nom porte témoignage. Signe d’un changement d’époque, dans le double sillage de la réforme grégorienne et de l’accession de la dynastie normande au trône d’Angleterre, le père d’Aelred, Eilaf, prêtre de l’église de Hexham, fut touché de plein fouet par le remplacement du traditionnel clergé marié anglo-saxon par un clergé célibataire ou régulier de tradition plus continentale (1114). Dans ces circonstances, Eilaf, qui espérait vraisemblablement léguer sa charge curiale à son fils aîné, dut lui trouver une autre orientation et, après un premier cycle d’études, probablement à l’école cathédrale de Durham, il envoya Aelred à la cour du nouveau roi d’Écosse, David Ier, à Roxburgh (vers 1124). Là, en compagnie des deux fils du roi, Henri et Waldef, Aelred reçut une éducation soignée, à l’issue de laquelle David lui confia la fonction, assez mal connue, de dispensator, sénéchal ou surintendant général du royaume, chargé de l’administration des biens royaux. Pour cette esquisse historique, je me sers de la récente biographie de P.A. Burton, Aelred de Rievaulx (1110-1167), De l’homme éclaté à l’être unifié, Essai de biographie existentielle et spirituelle, Paris, Le Cerf, 2010. Walter Daniel, le propre secrétaire d’Aelred, est l’auteur d’une Lamentation pour la mort d’Aelred, d’une Vie d’Aelred et d’une Lettre à Maurice revenant sur certains points de cette Vie. 1
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Introduction
Entre-temps, Bernard de Clairvaux avait envoyé son propre secrétaire, Guillaume, d’origine anglaise, à la tête d’un groupe de moines pour fonder l’abbaye de Rievaulx, au bord de la Rie, dans le Yorkshire, près de la frontière écossaise (5 mars 1132). Le domaine avait été offert par Walter Espec, un noble saxon rallié à la cause du roi d’ascendance normande, Henri Ier Beaucler. Walter Espec fut aussi l’instigateur de la fondation d’un autre monastère cistercien, Wardon, dans son Bedfordshire natal (1135). Or vers 1134, le roi David d’Écosse confia à Aelred une mission de confiance auprès de Thurstan, l’archevêque d’York, figure de la réforme grégorienne en Grande-Bretagne. L’intervention de Thurstan dans la vie du futur moine de Rievaulx n’est pas anodine : non seulement Thurstan a favorisé, et peut-être même souhaité, la fondation de Rievaulx dans son archidiocèse, mais son nom est aussi lié à la fondation du monastère de Fountains, en décembre 1132, peu après affilié à l’ordre cistercien. C’est au retour de ce voyage à York qu’Aelred rencontre Walter Espec, le fondateur de Rievaulx, visite l’abbaye et décide d’y entrer sur le champ, vraisemblablement convaincu d’y trouver la réponse à ses questions existentielles. La jeune recrue est confiée par Dom Guillaume au maître des novices, Simon, lui aussi ancien moine de Clairvaux : la formation d’Aelred fut donc marquée du sceau claravalien – on ne sera donc pas étonné que bientôt, Bernard, le célèbre abbé de la maison mère, lui enjoigne d’être en quelque sorte son porte-parole en composant le Miroir de la charité, véritable directoire spirituel de la réforme cistercienne. À Rievaulx comme à la cour d’Écosse, Aelred gagna rapidement la confiance de son supérieur, au point que Dom Guillaume l’envoya à Rome en 1140 dans le cadre de l’affaire de la succession de Thurstan sur le siège d’York, qui aboutirait en 1147 à l’élection de Henri Murdac, abbé de Fountains. Au cours de ce voyage, Aelred fit peut-être halte à Clairvaux où il put rencontrer le futur commanditaire du Miroir. À son retour, il fut nommé maître des novices, une charge dont le Miroir se fait précisément l’écho. En 1143, Guillaume de Rievaulx met un Aelred d’à peine trente ans et quelque à la tête du groupe des fondateurs du monastère de
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Introduction
Revesby, dans le Lincolnshire. Aelred en sera l’abbé durant quatre ans, jusqu’à son élection comme troisième abbé de Rievaulx, en 1147. L’abbatiat d’Aelred à Rievaulx constitue l’âge d’or de la communauté, dont le nombre de religieux aura quasiment doublé pendant les vingt années de son gouvernement. À sa mort, le 12 janvier 1167, l’abbaye comptait environ cent quarante moines et cinq cents convers. 1153 est une année décisive dans l’histoire d’Angleterre et dans la vie d’Aelred. Cette année-là meurent Walter Espec, le fondateur de Rievaulx, et David d’Écosse, le premier protecteur d’Aelred, ainsi que Bernard de Clairvaux et Eugène III, le premier pape cistercien. Une génération s’en va. Mais surtout le traité de Wallingford (été 1153) met fin au long et effroyable conflit de succession ouvert par la mort du roi Henri Ier Beauclerc († 1135) : Étienne de Blois, qui meurt l’année suivante, laisse le trône au jeune Henri II Plantagenêt, figure de réconciliation nationale entre les dynasties anglo-saxonne et normande. Durant son abbatiat à Revesby, Aelred avait déjà été invité par l’évêque de Lincoln à participer à des synodes diocésains. Mais à partir de 1153, Aelred entre sur la scène politique, par la publication de ses premiers traités historiques. Même s’il s’était plutôt rangé, avec, entre autres, Walter Espec, dans le parti d’Étienne de Blois, contre son ancien protecteur David d’Écosse apparenté à Henri II, Aelred se rallie pleinement au Plantagenêt auquel il rappelle son insertion dans une symbolique Généalogie des rois d’Angleterre et propose le modèle de la Vie d’Édouard le Confesseur. Chaque année, de 1163 à sa mort, Aelred sera chargé de prononcer le sermon pour la fête de la translation des reliques du saint roi à l’abbaye de Westminster. La dédicace de la série des Sermons sur les fardeaux à Gilbert Foliot, moine clunisien devenu évêque de Londres en 1163, atteste qu’Aelred appartient au cercle des prélats les plus influents d’Angleterre, même s’il est mort trop tôt pour prendre position dans l’affaire Thomas Becket, ouverte par l’opposition de l’archevêque de Cantorbéry à la politique ecclésiastique d’Henri II, à partir de la fin de 1163. Son influence s’étend aussi à l’Écosse voisine : probablement lors des visites régulières à son abbaye fille de Dundrennan, Aelred intervient dans la pacification de la région du Galloway.
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Introduction
Vers 1157, le chapitre général de l’ordre cistercien autorise Aelred, souffrant d’arthrite, à manger et dormir à l’infirmerie. Aelred fait alors construire une cabane attenant à l’infirmerie, où il vivra désormais, en retrait partiel de la vie communautaire, tout en continuant d’assumer sa charge de gouvernement et en recevant volontiers les frères. Sa dernière année de vie est marquée par de lourdes souffrances : il meurt à 57 ans, vraisemblablement d’un cancer du carrefour aéro-digestif2. Preuve de l’influence littéraire et spirituelle qu’Aelred a exercée en Grande-Bretagne, le Speculum novitii d’Étienne, abbé du monastère cistercien de Salley dans le Yorkshire, entre 1223 et 1234, cite l’œuvre de l’abbé de Rievaulx parmi les livres dont la lecture est chaudement recommandée aux recrues monastiques3. Dès 1191, Rievaulx obtint du pape Célestin III la béatification de son ancien abbé. En 1476, le chapitre général de l’ordre cistercien, voyant que le culte du bienheureux Aelred était de plus en plus en honneur à cause de nouveaux miracles, autorisa les monastères à célébrer sa fête, le 12 janvier. Quant à la communauté de Rievaulx, elle disparut en 1538, touchée, comme les autres communautés monastiques anglaises, par l’ordre de dissolution prononcé par le roi Henri VIII devenu, par l’Acte de suprématie de 1534, « l’unique chef suprême sur terre de l’Église d’Angleterre ».
L’œuvre littéraire Bien qu’Aelred se présente souvent comme un homme sans lettres (par exemple au début du sermon 115 de la collection de Reading), il n’en a pas moins commencé très tôt sa carrière littéraire, alors même qu’il n’était pas abbé, sous l’égide de nul autre que Bernard de Clairvaux. Le Miroir de la charité4 (Speculum caP.-A. Burton, Aelred de Rievaulx, p. 137, n. 68. E. Mikkers, « Un ‘Speculum novitii’ inédit d’Etienne de Salley », Collectanea ordinis cisterciensium reformatorum VIII (1946), p. 17-68, en l’occurrence, c. xvi, l. 513, p. 59. 4 La datation du Miroir est liée à celle du traité sur Le Précepte et la Dispense de Bernard, dans le sillage duquel il se place. Or Pierre le Vénérable semble avoir lu le 2 3
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Introduction
ritatis 1142-1143), son œuvre maîtresse, est à la fois une apologie de la rigueur des observances cisterciennes, un manuel de formation à la vie monastique et un traité d’anthropologie spirituelle qu’Aelred approfondira dans ses dialogues sur L’Amitié spirituelle (De spiritali amicitia, commencé après l’élection d’Aelred à Rievaulx, achevé après la mort de l’anti-pape Victor IV en 1164) et sur L’Âme (De anima, inachevé à la mort d’Aelred). À ces traités, on doit ajouter deux ouvrages de spiritualité : La vie de recluse (De institutione inclusarum) qui est plus qu’une règle, un véritable petit directoire de la vie solitaire, et l’opuscule Quand Jésus eut douze ans qui initie à la méditation de l’Écriture à partir de l’exemple de l’épisode rapporté en Lc 2,41-52 (De Iesu puero duodenni, composé avant l’aggravation de l’état de santé d’Aelred en 1157). La très belle Prière pastorale (Oratio pastoralis) date vraisemblablement de la maturité de l’abbé de Rievaulx, et on a parfois voulu lui attribuer le poème Iesu dulcis memoria5. Ce n’est plus à l’ordre monastique mais au monde séculier et surtout, à la nouvelle dynastie Plantagenêt que s’adressent les ouvrages historiques : La Bataille de l’Étendard (De bello Standardii, vers 1153-1154), la Lamentation pour la mort du roi David d’Écosse (De sancto rege Scotorum Dauid, décédé le 24 mai 1153), la Généalogie des rois d’Angleterre (De genealogia regum Anglorum, composée dans l’intervalle entre l’accord de Wallingford et l’intronisation de Henri II, 1153-1154) et surtout la Vie de saint Édouard le Confesseur (Vita sancti Eduardi regis confessoris), commandée par Laurent, l’abbé de Westminster, pour l’occasion de la translation des reliques du saint roi, le 13 octobre 1163. À ces ouvrages plus politiques, on doit ajouter des œuvres hagiographiques : la Vie de saint Ninian (Vita sancti Niniani 1154), Les saints de l’Église de Hexham (De sanctis ecclesiae Hagulstadensis 1155), La religieuse de Watton (De sanctimoniali de Watton, vers 1163-1165).
Précepte avant son voyage en Espagne du début de 1142. 5 Ch. Dumont, « L’hymne Dulcis Jesu memoria : le Jubilus serait-il d’Aelred de Rievaulx ? Notes sur l’auteur », Collectanea Cisterciensia 55 (1993), p. 233-238. Les premiers mots du sermon 85 de la collection de Reading encouragent à prendre au sérieux cette attribution.
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Introduction
Walter Daniel, le biographe d’Aelred, mentionne aussi une abondante correspondance dont nous n’avons malheureusement rien conservé6.
Les collections de sermons Aelred ne fut pas seulement un des grands écrivains anglais du xii siècle, il fut aussi un prédicateur renommé7. « Sa parole était comme de la cire, dont coulait une science au goût de miel », dit de lui Gilbert de Hoyland, son contemporain et abbé du monastère cistercien de Swineshead dans le Lincolnshire8. De cette prédication, seule la collection de 31 sermons sur les fardeaux d’Isaïe, composée à partir du sermon 47 pour l’Avent, était destinée à la publication (Homiliae de oneribus propheticis Isaiae, après l’élection de Gilbert Foliot à l’évêché de Londres en 1163). Les autres collections qui nous sont parvenues rassemblent des sermons de longueurs et de styles très divers : tantôt, il s’agit de la transcription (reportatio) de sermons pris en notes par les tachygraphes tels qu’ils ont été prononcés par Aelred, soit au chapitre de Rievaulx, soit en dehors de son monastère ; tantôt, les sermons ont un degré d’achèvement littéraire qui laisse croire qu’ils ont été écrits par Aelred lui-même. Dans le cas d’une quinzaine de sermons, nous disposons même de deux voire trois rédactions différentes qui permettent de surprendre le travail de réécriture. e
6 Walter Daniel, Vie de saint Aelred de Rievaulx, au chapitre 32 consacré à l’œuvre littéraire d’Aelred, dans Walter Daniel, La vie d’Aelred, abbé de Rievaulx, (Pain de Cîteaux 19), Oka, Abbaye Notre-Dame-du-Lac, 2003, p. 115. 7 Et imité : Odon de Cantorbéry († 1200) et Geoffroy d’Auxerre (secrétaire de saint Bernard, lui-même un temps abbé de Clairvaux) ont réemployé des passages des S. 146, 147, 151, 152 pour le premier, et 86 et 178 pour le deuxième dans leurs propres œuvres. 8 À l’imitation de la lamentation sur son frère Gérard, par laquelle Bernard de Clairvaux avait interrompu la série des Sermons sur le Cantique, Gilbert interrompt son Sermon 40 sur le Cantique pour un chaleureux éloge funèbre de l’abbé de Rievaulx (Gilbert de Hoyland, Sermon 40,4-7, dans Sermons sur le Cantique des Cantiques, t. II, Sermons 21 à 47, [Pain de Cîteaux 7], Oka, Abbaye NotreDame-du-Lac, 1994, ici, 40,4, p. 285).
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Introduction
Gaetano Raciti, dans un article programmatique9, a proposé la distinction entre rédaction « post-orale », issue de la prise de notes des tachygraphes, et rédaction « pré-écrite » : dans ce dernier cas, les sermons « ont été rédigés antérieurement à leur éventuelle utilisation au cours d’une célébration liturgique à Rievaulx ou ailleurs10. » Les deux collections de Clairvaux (sermons 1-28 et 29-46) contiendraient des rédactions « post-orales », tandis que la collection de Durham (sermons 47-78) transmet parfois une rédaction alternative plus « écrite », ce qui est aussi le cas du sermon transmis dans les mélanges de Matthieu de Rievaulx (sermon 79) et des quatre sermons transcrits dans le sermonnaire de Lincoln (sermons 80 à 84).
La collection de Reading Les sermons de la collection de Reading sont-ils plutôt « postoraux » ou « pré-écrits » ? Gaetano Raciti considère qu’il s’agit vraisemblablement de sermons « pré-écrits ». Selon lui, on pourrait même supposer que « l’exemplaire à partir duquel a été constitué le recueil de Reading, était – selon toute vraisemblance – un manuscrit de Rievaulx, copie directe d’un dossier autographe où, dans les dernières années de sa vie, Aelred a entremêlé passages d’auteurs anciens ou contemporains et une suite de ses propres sermons pour des fêtes liturgiques et diverses autres circonstances11 » – « en fonction surtout de ses prédications hors de son propre monastère12 ». Une note en première page du manuscrit de Reading nous apprend que le livre, propriété de la bibliothèque de Cluny, y avait été apporté par Hugues, abbé de Reading, lorsqu’il fut élu abbé de Cluny en 1199. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque Nationale de France : Nouv. acq. lat. 294.
G. Raciti, « Deux collections de sermons de saint Aelred – une centaine d’inédits – découvertes dans les fonds de Cluny et de Clairvaux », Collectanea Cisterciensia 45 (1983), p. 165-184, ici p. 174. 10 G. Raciti, CCCM II C, p. xiii-xiv. 11 G. Raciti, CCCM II C, p. viii. 12 G. Raciti, « Deux collections… », p. 169. 9
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Introduction
Les 187 feuillets contiennent 95 sermons, sans nom d’auteur ni titres, ni la table des matières (capitula) que l’on trouve habituellement en tête de tels recueils, ce qui en confirme le caractère de dossier privé. Les pièces sont classées dans l’ordre de l’année liturgique, mêlant le temporal et le sanctoral, avec quelques emplacements anormaux sur lesquels je reviendrai plus bas. À plusieurs reprises, la série des sermons est interrompue par des extraits, toujours anonymes et sans titre, d’œuvres de Bernard de Clairvaux, de Grégoire le Grand et de Hugues de Saint-Victor, peut-être des citations qu’Aelred avait l’intention d’exploiter dans l’une ou l’autre de ses prédications13. Une petite liste insérée aux folios 128va et 129ra donne les incipit et explicit de 4 sermons de la collection, les sermons 129, 156, 155 et 139. Enfin, une lacune dans la source que recopie le manuscrit de Reading, entre les folios 5v et 6r, a provoqué la « disparition de 2 ou trois sermons entiers ainsi que celle d’environ les trois premiers quarts du sermon 8814 ». 9 sermons de la collection de Reading se retrouvent dans d’autres collections, avec quelques variantes : les sermons 114, 117, 122, 123, 137, 138, 139, 156 et 158 correspondent respectivement aux sermons 37, 8, 40, 13, 44, 14, 18, 20 et 83. La comparaison entre les deux séries permet d’affiner l’hypothèse formulée par Gaetano Raciti. La série 37,8, 40 etc. (appelons-la série I) ressortit nettement à un style oral, avec des adresses aux auditeurs plus nombreuses, et très proche de la langue vernaculaire (plutôt du moyen français que du moyen anglais) dans l’ordre des mots et dans l’ajout de déterminants, de pronoms de rappel, de conjonctions de coordination. La série 114, 117, 122 etc. (série II) est écrite dans un style plus ramassé et plus châtié. Gaetano Raciti avait déjà remarqué une telle différence dans un autre cas de double rédaction15, et en tirait la conclusion que l’une des deux versions (S. 57), « synthétique, 13
ding.
Cependant, aucune de ces citations ne se retrouve dans les sermons de Rea-
G. Raciti, CCCM II C, p. ix. Dans « Une allocution familière de S. Aelred conservée dans les mélanges de Matthieu de Rievaulx », Collectanea Cisterciensia 47 (1985), p. 267-280, Gaetano Raciti compare entre eux le sermon 57 de la collection de Durham et le sermon 79 transmis par Matthieu de Rievaulx. 14 15
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Introduction
limpide et élégante16 », transmettait le brouillon « pré-écrit » en vue de la prédication, tandis que la version longue (S. 79) transmettait le sermon tel qu’il avait été ensuite effectivement prononcé et pris en notes par les tachygraphes17. Pour ma part, je voudrais proposer de considérer la série II comme la « mise au net » des notes prises sur le vif, en vue de la conservation du sermon dans le « dossier » personnel d’Aelred, aux côtés des sermons « préécrits », prêts pour une autre occasion. La collection de Reading constituerait donc en quelque sorte une première étape vers l’établissement d’un recueil de sermons mis au propre. Je me contenterai de trois exemples caractéristiques : 1. Passons en revue les divergences entre le début du sermon 156 et le passage correspondant du sermon 20 : Le sermon 20 ajoute au sermon 156 des déterminants ( fastidium, à la première ligne), des pronoms ( pascit, un peu plus loin), des conjonctions de coordination ( sicut inter omnes sanctos) qui rendent l’exposé plus facile à suivre à l’oral, mais qui sont redondants à l’écrit. Le sermon 156 préfère placer le verbe conjugué en fin de proposition, ce qui donne une allure plus latine à la phrase : Magnum gaudium habuit (156,3), alors que le sermon 20 place le verbe en deuxième position, comme en français et en anglais : habuit magnum gaudium. Et deux phrases plus loin, le sermon 156,3 place l’auxiliaire après le participe passé : Et quia multum contristata fuerat, alors que le sermon 20 suit l’ordre des mots des langues modernes : Et quia multum fuerat contristata. Le sermon 20 ajoute des détails pathétiques et des adjectifs affectifs : plusieurs lignes redondantes du sermon 20 sont omises au sermon 156,4, l. 38 (quomodo sugit ubera). Le sermon 20 parle du fils de Marie comme de « son très doux fils […] son très cher fils ». En S. 156,5, Aelred a supprimé le premier adjectif. G. Raciti, « Une allocution familière… », p. 271. Pour être plus précis, au moment de mettre au propre le sermon 57, Aelred a substitué à l’exorde d’origine (57,1) celui du sermon 64, lui aussi révisé. Gaetano Raciti fait l’hypothèse exactement inverse. 16 17
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Bref, le sermon 20 adopte un style oral parfois exubérant, avec un latin très proche de la langue vernaculaire. Le sermon 156 supprime le superflu et replace les mots dans l’ordre idiomatique du latin. 2. Dans le sermon 13,18, on lit : Bethania est unum castellum et est positum in monte Oliveti. Dans le passage correspondant du sermon 123,12, Aelred a écrit : Bethania castrum est, positum in monte Oliveti. Dans la version du sermon 13, la construction de la phrase est très simple : deux propositions indépendantes sont coordonnées par un et. L’ordre des mots dans les deux propositions suit celui des langues modernes, avec la copule en deuxième position. L’emploi de unum comme équivalent de l’article indéfini est un calque du français un. Enfin, le mot castellum, qu’on peut effectivement lire en Lc 10,38, ressemble beaucoup au français « château ». Dans la version du sermon 123, la deuxième proposition du sermon 13 est subordonnée, en apposition à la première. L’ordre des mots est plus idiomatique du latin, avec la copule en dernière position, après l’attribut. Enfin, castellum a été remplacé par un mot plus châtié, castrum. 3. Une comparaison entre le sermon 117 de la collection de Reading et le sermon 8 de la première collection de Clairvaux ne laisse apparaître que deux endroits variants : Aelred a adapté le sermon 8, initialement adressé aux moines de Rievaulx, à un auditoire d’abbés bénédictins ou cisterciens, en ajoutant, à l’entame du sermon 117, la formule de politesse « Votre Charité » et en remplaçant la fin originale (S. 8,19) par un paragraphe faisant allusion à « des prélats, c’est-à-dire des évêques et des abbés » (à comparer à S. 144,22, explicitement adressé « à des abbés »). Dans le sillage de cette hypothèse, on peut justifier l’emplacement désordonné du sermon 139 : il forme avec les deux sermons qui le précèdent (S. 137 et 138) un groupe de sermons « mis au net » à partir d’une rédaction « post-orale » pré-existante.
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Aelred exégète et prédicateur La tâche de l’abbé Le coutumier cistercien énumère les 16 jours de grande fête auxquels l’abbé du monastère est tenu de prononcer un sermon18 : premier dimanche de l’Avent, Noël, Épiphanie, Purification de Marie, Saint Benoît, Annonciation, Rameaux, Pâques, Ascension, Pentecôte, Saint Jean-Baptiste, Saints Pierre et Paul, Assomption, Nativité de Marie, Toussaint, Dédicace de l’église. Après la première messe (matutinale, car en ce jour de fête, il y aura une deuxième messe plus tard dans la matinée), toute la communauté se réunit dans la salle du chapitre pour écouter le sermon. Exceptionnellement, aux frères profès qui prennent normalement part à la réunion quotidienne, s’ajoutent les novices et les frères convers (laici, Aelred y fait allusion en S. 115,3) : tandis que les profès occupent les gradins qui entourent la pièce, deux grandes baies permettent aux autres auditeurs d’entendre le sermon depuis le cloître. Le recueil de sermons de Guerric d’Igny respecte ce programme. Mais la collection de Reading nous montre qu’Aelred n’a pas prêché qu’aux « fêtes de sermon », ni seulement aux moines de Rievaulx. Les sermons 143 et 144 ont probablement été adressés à des abbés, et ce doit aussi être le cas du sermon 117. Le sermon 179 est adressé à des moniales19. Je reviendrai plus bas sur les trois sermons pour la fête de saint Édouard le Confesseur, prononcés en 18 La liste des fêtes dites « fêtes de sermon » est donnée par les Ecclesiastica Officia 67,3 ; voir D. Croisselet et Pl. Vernet, Les Ecclesiastica Officia cisterciens du xiième siècle. Texte latin selon les manuscrits édités de Trente 1711, Ljubljana 31 et Dijon 114. Version française. Annexe liturgique, notes, index et tables, (La documentation cistercienne, vol. 22), Reiningue 1989, p. 190-191. 19 Pourquoi Aelred consacre-t-il un sermon à la mémoire de Catherine d’Alexandrie (S. 174), qui n’entra dans le calendrier cistercien qu’en 1207 ? Selon l’hypothèse séduisante de M. A. Mayeski, « The Right Occasion for the Words : Situating Aelred’s Homily on Saint Katherine », Cistercian Studies Quarterly 33 (1998), p. 45-60, le sermon 174 aurait été prononcé après la cérémonie de consécration d’une vierge, au moment de son entrée en réclusion. Cependant Aelred s’adresse à des hommes : imitemur, fratres, gloriosam uirginem istam (S. 174,22), ce qui laisse le mystère entier.
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l’abbaye de Westminster (S. 170, 171, 172, auxquels il faut encore ajouter le S. 148, lui aussi prononcé à Westminster à l’occasion de la commémoraison de toutes les saintes reliques conservées dans le trésor de l’abbaye, le 16 juillet).
La structure d’un sermon La plupart des sermons d’Aelred consistent dans le commentaire d’un verset ou d’un passage de l’Écriture, notamment ceux que propose la liturgie du jour. C’est en quelque sorte à une lectio divina publique qu’assistent les auditeurs : l’abbé fait savourer à ses frères la profondeur des significations contenues dans la lettre du texte, leur offrant ainsi un banquet de fête. Le sermon s’ouvre souvent par un préambule, parfois une simple protestation d’humilité de l’orateur (comme en S. 115,1-3 ou en S. 132,1-2, où Aelred remploie une page d’Origène qui n’a aucun rapport avec le thème de son propre sermon !), plus souvent une présentation de la fête du jour (comme en S. 85,1 ou en S. 86,1-2). Le commentaire lui-même résulte de l’utilisation de trois grands procédés interprétatifs20 :
1.
La segmentation
Le verset ou le passage à commenter est découpé en éléments de sens qui sont abordés à la suite les uns des autres. On en trouve un exemple simple dans le S. 132. Le passage à commenter est : Dieu se fit voir à Abraham dans la vallée de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente dans la chaleur du jour. Lorsqu’il eut levé les yeux, trois hommes lui apparurent se tenant près de lui (Gn 18,1-2). 20 La technique interprétative d’Aelred est finement analysée par P.-A. Burton, « Un art de lire les Écritures selon Aelred de Rievaulx », Collectanea Cisterciensia 73 (2011), p. 244-278. Voir aussi P.-A. Burton, « Aelred de Rievaulx, prédicateur. De la « visée » à la « vision » ou l’art d’apprendre à toujours regarder avec « les yeux dans la tête », dans Aelred de Rievaulx, Sermons pour l’année, 3, deuxième collection de Clairvaux. Sermons 29 à 46, (Pain de Cîteaux 18), Oka, Abbaye Notre-Dame-du-Lac, 2002, p. 7-31 et l’étude des Homélies sur les fardeaux d’Isaïe dans P.-A. Burton, Aelred de Rievaulx, p. 545-565.
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Ce qui donne, après segmentation, le plan suivant : « Dans la vallée » S. 132, § 3 « de Mambré » § 4a « assis à l’entrée de sa tente » §§ 4b-9 « se fit voir » §§ 10-11 « Dieu » §§ 12-13 « dans la chaleur du jour » § 14a « trois hommes lui apparurent » § 14b
« Abraham » et récapitulation §§ 15-17
2.
La fragmentation
Les segments du texte à interpréter sont à leur tour soumis à des distinctions successives, des « fragmentations21 », qui forment des arborescences logiques : Le sermon 140 commente Is 26,7 : « Le chemin du juste est droit, droit est le sentier du juste pour y marcher. » L’analyse stylistique de la répétition (§§ 1-2) pointe vers une distinction entre deux « justices » : une justice « par nature » et une justice « par grâce ». On prévoit donc que le sermon comprendra deux grandes parties. En réalité, Aelred n’aborde qu’à peine la deuxième partie sur la justice par grâce, dont la rectitude est rapprochée de la Règle de saint Benoît dont c’est justement la fête (§ 16) ! Après avoir donné quelques définitions patristiques de la justice, Aelred segmente la première partie du sermon en deux temps : d’une part, « le juste » par nature est interprété du Christ, qui est la justice en soi (§§ 4-8) ; d’autre part, « le chemin » du juste est encore le Christ, qui est « le chemin, la vérité, la vie » (§§ 9-15). La première subdivision donne l’occasion d’une digression de théologie trinitaire où la fragmentation bat son plein : les trois attributs essentiels de Dieu que sont la puissance, la sagesse et la bonté, sont appropriés aux trois personnes de la Trinité, contre lesquelles correspondent trois genres de péché : par fragilité, par ignorance, par malice. La fragilité est encore divisée selon l’alterJ’emprunte le concept à P.-A. Burton, « Un art de lire les Écritures selon Aelred de Rievaulx », p. 252. 21
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native : « par faiblesse de la nature » ou « par ramollissement de l’esprit » ; l’ignorance est spécifiée « par accident » ou « par négligence ». La subdivision consacrée au « chemin du juste » par nature, n’est pas moins complexe. Aelred y distingue le « chemin » étroit de la vie religieuse de la « route » large de la vie dans le monde. Sur cette route, on trouve les deux commandements de l’amour, les trois ordres de fidèles dans l’Église, les quatre évangiles et ainsi de suite jusqu’aux dix commandements. On peut être en dehors de la route (les non-croyants), à côté de la route (les croyants sans comprendre), déviant de la route (les hérétiques), enfin couchés, assis, debout, marchant ou courant sur la route, c’est-à-dire tournés vers les désirs terrestres, mêlant de bonnes et de mauvaises actions, accomplissant de bonnes œuvres mais sans aveu de ses fautes passées, avec l’aveu de ces fautes, et enfin, parfaitement convertis…
3.
L’interprétation morale
Chacun des segments à interpréter est soumis à une « transposition22 » du sens littéral vers un sens spirituel. Or, des trois dimensions du sens spirituel classiquement explorées par la tradition exégétique, à savoir la christologique, l’anagogique et la tropologique, Aelred privilégie presque exclusivement la troisième : les segments à interpréter doivent être transposés vers la vie morale individuelle de chaque auditeur – de chaque moine de Rievaulx. C’est que pour Aelred, prédication et correction fraternelle vont de pair. De ce point de vue, pas un sermon de la collection que l’on va lire n’échappe à la règle : tous, d’une manière ou d’une autre, poursuivent clairement un but d’édification morale et attirent l’attention sur telle ou telle vertu à imiter23. Je ne donnerai qu’un exemple. Le sermon 115 médite sur la vocation d’Abraham. Puisque le sermon est prononcé en la fête de saint Benoît, l’appel d’Abraham à quitter son pays est d’abord J’emprunte encore ce concept à P.-A. Burton, « Un art de lire les Écritures selon Aelred de Rievaulx », p. 248. 23 P.-A. Burton, « Aelred de Rievaulx, prédicateur », p. 13. 22
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brièvement appliqué à la vie de Benoît (§§ 4-8a). Mais toute la suite du sermon (§§ 12b-28) transpose l’aventure d’Abraham à chacun de « nous », les moines auditeurs d’Aelred. La sortie du pays des Chaldéens signifie le mouvement de quitter le monde pour entrer au monastère, et la terre promise figure le Royaume de Dieu, que les moines atteindront après la longue marche dans le désert de l’ascèse.
Les sources : Aelred lecteur Comme le révèle un simple coup d’œil à l’index des auteurs cités, Aelred est avant tout un lecteur assidu des commentaires scripturaires patristiques : Grégoire le Grand est sans conteste l’auteur le plus cité, avec Augustin (en particulier les Enarrationes in psalmos), Origène24, ainsi que Bède le Vénérable. Mais Aelred lit aussi la littérature de son siècle : outre qu’il adapte des homélies de Geoffroy Babion (sermons 100, 102, 103 et 104 ainsi que 164), il cite plusieurs traités de Hugues de Saint-Victor († 1141), en particulier sa grande somme théologique, le De Sacramentis25. Cependant, les incursions d’Aelred dans la théologie dogmatique sont assez rares pour que nous nous y attardions quelque peu. Bernard de Clairvaux n’a pas prononcé de sermon pour la fête de la Trinité. Cette fête ne reçoit un office propre (historia) qu’à partir du chapitre général de 117526. Le chapitre général de Voir L. Brésard, « Aelred de Rievaulx et Origène », dans Recherches et tradition. Mélanges patristiques offerts à Henri Crouzel, s. j., A. Dupleix dir., (Théologie historique 88), Paris 1992, p. 21-46. Le catalogue de la bibliothèque de Rievaulx au xiiie s. édité par A. Hoste, Bibliotheca aelrediana. A survey of the manuscripts, old catalogues, editions and studies concerning St. Aelred of Rievaulx, Steenbrugge 1962, p. 149-175, mentionne un « Origène sur l’Ancien Testament en deux volumes » (n. 50-51). 25 La familiarité d’Aelred avec l’œuvre de Hugues de Saint-Victor est précoce : on trouve déjà une longue citation du traité sur La méditation (De meditatione iii, 6-7) à la fin du Miroir de la charité (III, xxxvi, 97). Le catalogue de la bibliothèque de Rievaulx cité à la note précédente mentionne un « Hugues, De Sacramentis en deux volumes » (n. 86-87). 26 Chr. Waddell ed., Twelfth-Century Statutes from the Cistercian General Chapter. Latin Text with English Notes and Commentary, (Studia et Documenta, volume XII), Cîteaux : Commentarii cistercienses, Brecht 2002, p. 657. 24
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1230 spécifie qu’elle fait partie des grandes fêtes à « trois lampes » (comme celles du chapitre 67 des Ecclesiastica Officia cisterciens) : elle devrait donc être l’occasion d’un sermon au chapitre, mais l’abbé en est dispensé propter difficultatem materiae27. Aelred ne s’est pas découragé et a recouru, entre autres, à un passage où le grand théologien victorin propose ce que la tradition scolastique appellera une appropriation des attributs de l’essence divine à chacune des personnes de la Trinité : la puissance correspond au Père, la sagesse correspond au Fils, la bonté correspond à l’Esprit28 (S. 131,20 ; voir un autre exemple d’appropriation en S. 159,11). Aelred révèle toute sa maîtrise de la théologie dogmatique dans un passage encore plus technique, tout à fait inattendu dans un sermon pour la fête de saint Benoît (S. 140,4-5). Les auditeurs y apprennent que, d’une part, les attributs de Dieu (tels que sa justice) ne sont pas des accidents mais coïncident avec l’essence elle-même ; que, d’autre part, ces attributs essentiels sont communs aux trois personnes, mais qu’on ne peut pas les employer au pluriel : le Père est justice, le Fils est justice, l’Esprit est justice, mais il n’y a pas trois justices en Dieu29. Enfin, comme nous l’avons déjà lu au sermon 131, les attributs essentiels sont appropriables aux personnes. Aelred n’emploie pas encore le vocabulaire technique de « l’appropriation30 » mais parle d’une « spécialisation » : « certains (attributs essentiels) sont parfois dits spécialement (specialiter) » de telle personne. Mais l’auteur contemporain auquel Aelred est le plus redevable est évidemment Bernard de Clairvaux. Je n’en donnerai qu’un seul indice, repéré sur la première page de la collection de Reading : l’exorde du sermon 85 se conclut sur la citation quasi littérale d’un très fameux passage des sermons sur le Cantique des cantiques (SCt 15,6) ! Et le même sermon, ainsi que le suivant, font expressément référence à l’enseignement bernardin (Adv V, 1) sur les trois J.-M. Canivez, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, II, Ab anno 1221 ad annum 1261, (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, fasc. 10), Louvain 1934, p. 84. 28 Cette triade avait déjà été exposée dans le sermon 67,5. 29 Voir Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 39, a. 3. 30 Voir Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 39, a. 8. 27
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avènements du Seigneur31 (S. 85,8-10 et S. 86,1.16 et 21). Dans le sermon 86,17, Aelred s’appuie comme Bernard (Adv V, 2) sur Jn 14,23 pour donner un fondement scripturaire à cet enseignement original qu’il ne modifie qu’en interchangeant la numérotation des avènements : alors que Bernard appelait « l’avènement intermédiaire » le « troisième », Aelred l’appelle le « deuxième ». Autre preuve de l’attachement d’Aelred à la lignée claravalienne : le sermon 150 exploite la fameuse Brevis Commentatio où Guillaume de Saint-Thierry a consigné le résultat de ses échanges avec son ami Bernard au temps où, tous les deux malades à l’infirmerie de Clairvaux, le cistercien avait proposé au bénédictin les prémices de ce que serait la série des Sermons sur le Cantique des cantiques32. Enfin, Aelred se cite parfois lui-même, comme c’est explicitement le cas au sermon 178,6, où Aelred rappelle à son auditoire l’idée centrale de son sermon 19 pour l’Assomption (première collection de Clairvaux) : qu’ici-bas, la vie contemplative (Marie de Béthanie) et la vie active (sa sœur Marthe) ne peuvent être séparées. Preuve qu’Aelred créditait ses moines d’une attention soutenue et d’une excellente mémoire, ou bien que la reportatio en était facilement accessible…
Un dossier marial Les sermons 158 à 169, insérés entre les sermons pour l’Assomption (15 août) et les sermons pour saint Édouard le Confesseur (13 octobre), forment une séquence singulière. L’ordre liturgique n’est pas exactement respecté : après deux sermons pour le 8 septembre (Nativité de Marie, S. 158 et 159) et un sermon pour le 29 septembre (saint Michel, S. 160), on passe à un sermon pour Sur les 9 sermons pour l’Avent que nous possédons désormais, les sermons 85 et 86 de la collection de Reading et le sermon 80 du sermonnaire de Lincoln exposent la doctrine bernardine des trois avènements, alors que les sermons 1, 2, 31, 32, 47 et 87 ne parlent que de deux avènements. 32 Voir P. Verdeyen, « Commentaire bref sur le Cantique. Un document exceptionnel », Collectanea Cisterciensia 74 (2012), p. 179-193 et l’édition critique en CCCM 87, p. 135-196. 31
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le 8 décembre (Conception de Marie, S. 161) qui aurait trouvé meilleure place après le sermon pour le 30 novembre (saint André, S. 165) puis à un groupe de sermons mariaux en désordre (S. 162169). Comment expliquer ces entorses à l’année liturgique ? Les sermons 158 à 169 ont deux autres points communs : d’une part, ils ne contiennent pas ou très peu d’allusions à l’auditoire, et adoptent un style sec et resserré, sans effets oratoires ; d’autre part, les sermons 159, 160, et 164 à 169 contiennent de très nombreuses et longues citations d’auteurs du début du xiie siècle (Geoffroy Babion au sermon 164, Pseudo-Bruno le chartreux et Yves de Chartres au sermon 165, Hugues de Saint-Victor aux sermons 159 et 166, 167, 168 ; les sermons 160 et 169 se contentent de quelques citations patristiques). Notons enfin que le sermon 163 est la suite du sermon 162. Tous ces indices portent à supposer que l’ensemble 158-169 forme un dossier de sermons préparés en vue d’une prédication, autour de la thématique mariale : le sermon 158 est une mise au net du sermon 83 « post-oral », tandis que les sermons suivants sont « pré-écrits », prêts à servir à l’occasion. Les sermons 149 et 150 (pour sainte Marie-Madeleine, 22 juin) ainsi que 175 (saint André, 30 novembre), eux aussi dépourvus d’effets oratoires ou de références à un auditoire et composés de nombreuses et longues citations d’auteurs patristiques, sont certainement à ranger dans cette même classe des sermons « préécrits ».
Aelred à Westminster Les sermons 170, 171 et 172 ont été prononcés à l’abbaye de Westminster (voir 170,15 ; 171,6 ; 172,27) à l’occasion de la fête de saint Édouard le Confesseur. Le roi Édouard d’Angleterre († 5 janvier 1066) a été canonisé le 7 février 1161. Dans le sillage de cette canonisation, à l’indéniable dimension politique, puisqu’elle contribuait à asseoir la légitimité du jeune roi Henri II Plantagenêt, Laurent, abbé du monastère de Westminster où est inhumé Édouard le Confesseur qui en avait été en quelque sorte le refondateur, passa commande à Aelred, son proche parent, d’une nouvelle
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Vie, qui fut remise au roi Henri II Plantagenêt lors de la cérémonie de translation des reliques d’Édouard, le 13 octobre 1163. Le même Laurent de Westminster demanda à Aelred un commentaire de Lc 11,33 : « Personne n’allume une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien plutôt sur le lampadaire » qui était « destiné à être lu durant les Vigiles le jour de sa fête33 ». Or les sermons 170, 171 et 172, qui n’ont pu être prononcés qu’après la canonisation du 7 février 1161, sont placés dans la collection de Reading juste avant le sermon pour la fête de saint Martin (S. 173 pour le 11 novembre), ce qui suggère qu’ils sont destinés, non au dies natalis d’Édouard, le 5 janvier34, mais à l’anniversaire de la translation des reliques, le 13 octobre. Puisque Aelred est mort le 12 janvier 1167, il reste donc exactement trois dates auxquelles les trois sermons ont pu être prononcés à Westminster, le 13 octobre 1164, le 13 octobre 1165 et le 13 octobre 1166. Aelred aurait donc été régulièrement réinvité à Westminster après la grande cérémonie de 1163. Les circonstances spéciales dans lesquelles ces trois sermons ont été prononcés expliquent leur caractère très écrit, avec des recherches de style (homéotéleutes, tricola etc.) : Aelred parle pour le beau monde…
Aelred et les juifs35 Les lecteurs modernes seront sans doute choqués de lire plusieurs fois sous la plume d’Aelred l’expression perfidi Iudaei, celle-là même que le pape Jean XXIII ordonna de supprimer de la prière universelle du Vendredi saint en 1959. Première remarque : l’expression signifie littéralement que les juifs ne croient pas en Jé33 Walter Daniel, Vie de saint Aelred de Rievaulx 32,7, p. 115. Ce sermon, prononcé le 13 octobre 1163, aurait été identifié par P. Jackson, « In translacione sancti Edwardi Confessoris. The Lost Sermon by Aelred of Rievaulx ? », Cistercian Studies Quarterly 40 (2005), p. 45-82. 34 Même si on lit en S. 170,20 : « Aujourd’hui, il est passé de la mort à la vie ». 35 Sur ce thème, voir J. R. Sommerfeldt, Aelred of Rievaulx, On Love and Order in the World and the Church, 2006, « Aelred on Jews and Heretics », p. 161 et suivantes.
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sus-Christ, ce qui est un truisme. D’ailleurs, l’adjectif, chez Aelred, est souvent accompagné de increduli (par exemple 98,3), qui possède le même sens : « non-croyants ». Il est vrai qu’en 160,8, les perfidi Iudaei qui désignent les juifs qui ont participé au procès de Jésus, sont désignés comme les satellites du Diable – une manière pour le moins offensante de déceler l’action décisive de celui qui se cache derrière les protagonistes de la Passion. Pour autant, la façon dont Aelred présente les juifs dans ses sermons correspond en tout point à ce qu’on peut lire chez d’autres prédicateurs de la même époque36, et à ce qu’on peut lire chez les Pères de l’Église37. Pour bien comprendre cette façon de représenter les juifs, il faut garder deux choses à l’esprit. 1. Il faut distinguer : a. les « juifs » comme construction littéraire douée d’une fonction argumentative à l’intérieur du discours homilétique. C’est de cette construction littéraire qu’il est question dans ce paragraphe. b. les Hébreux comme personnages de l’histoire que raconte l’Ancien Testament, qui peuvent faire l’objet de jugements favorables ou défavorables, selon les circonstances de l’intrigue (voir S. 109). c. les juifs réels, contemporains d’Aelred. Or rappelons qu’au moins deux grands abbés cisterciens ont témoigné de sentiments positifs à l’égard de ces juifs réels : Étienne, troisième abbé de Cîteaux, a eu recours à « des juifs versés dans les Écritures » pour corriger le texte de la Bible à partir de l’original hébreu38 (vers 1109) ; Bernard de Clairvaux a jugé
Par exemple le cistercien Guerric d’Igny (†1157) : « Malheur à toi, Judée incroyante, ingrate et impie […] Jésus est issu de la Synagogue, mais il a été reçu par l’Église » (Deuxième sermon pour la Nativité 1, [Sources Chrétiennes 166], p. 176, l. 11.13-14), et quelques lignes plus loin : « l’incroyance (perfidia) des juifs » (p. 178, l. 36). 37 Voir G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au moyen âge, Paris, Le Cerf, 1990, surtout p. 386-405 : « La polémique de l’exégèse de la Bible » et p. 475481 : « L’inintelligence de l’Écriture ». 38 Étienne alias Harding, Préface de la Bible de Cîteaux 3, trad. fr., Origines cisterciennes. Les plus anciens textes, Paris, Le Cerf, 1998, p. 137-143. 36
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sévèrement les pogroms suscités dans le sillage de l’appel à la deuxième croisade39 (vers 1147). 2. Les « juifs » en tant que construction littéraire interviennent principalement dans deux contextes qu’Aelred reçoit de la tradition : a. La théologie de l’histoire inaugurée par le Nouveau Testament, notamment en Ga 4,22, qu’Aelred commente dans le sermon 107. Aelred, reprenant l’opposition entre les deux fils d’Abraham, Ismaël né de l’esclave et Isaac né de la femme libre, oppose « le peuple ancien, réprouvé à bon droit » pour n’avoir pas cru au Christ et « l’Église venue des non-juifs ». C’est cette même grille d’interprétation qui est appliquée à Is 21,11-12 dans le sermon 97,6-10, à la faveur de l’opposition entre Seir et Duma : d’un côté « le rejet des juifs », chargé du péché d’avoir gardé le « silence » (Duma, selon l’étymologie empruntée à Jérôme), de l’autre, « l’appel des non-juifs », les « poilus » (Seir) dont les poils représentent les nombreux péchés remis par la miséricorde de Dieu. Et encore, dans le sermon 110,1-2, les bergers et les mages qui se succèdent à Bethléem pour adorer le Christ nouveau-né représentent respectivement les juifs et les nonjuifs – les seconds succédant aux premiers qui sont restés aveugles devant le Christ. b. Les juifs aveugles sont incapables de lire correctement les Écritures, car ils s’arrêtent au sens littéral, alors que les chrétiens pénètrent jusqu’au sens spirituel, soit allégorique (allegorice, mystice), soit moral (moraliter) : « ils sont sots et charnels, ils ne lisent rien selon le sens spirituel, mais tout charnellement, selon la lettre » (118,12 ; voir S. 107,5). Dans le S. 98, Aelred reprend presque littéralement un long passage d’Origène (Homélie 3 sur la Genèse 4-7) expliciteVoir par exemple, P. Aubé, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, Fayard, 2003, p. 512-516 ; et les lettres 363 et 365 de saint Bernard présentant les juifs comme « les témoins de notre rédemption » (363,6) et rappelant que l’Église triomphe davantage des juifs en les convertissant qu’en les passant au fil de l’épée (365,2), dans S. Bernardi Opera vol. VIII, ed. J. Leclercq et H. Rochais, Rome 1977, p. 311-317 et 320-322. 39
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Introduction
ment polémique : Origène-Aelred imagine que les juifs reprochent aux chrétiens de « s’échapper dans l’allégorie » et répond à ce reproche par une démonstration en bonne et due forme de la validité de l’interprétation spirituelle de la Bible. L’enjeu n’est donc pas d’abord racial mais exégétique !
Le bestiaire symbolique À recenser le nombre d’animaux petits ou grands qui peuplent ses sermons, on peut se demander si Aelred n’avait pas la zoologie pour passion. Rien ne permet de confirmer qu’Aelred ait été un méticuleux observateur scientifique ou amusé de la faune qui entourait le monastère de Rievaulx. Les descriptions d’animaux sont avant tout empruntées à la tradition littéraire qui court d’Aristote à Isidore de Séville en passant par Pline l’Ancien et qui regroupe en « bestiaires40 » des notices zoologiques qui « parlent des espèces animales non pas tant pour les décrire telles qu’elles sont, encore moins pour les étudier de manière savante, que pour en faire des supports de significations morales et religieuses41. » Les vingt-cinq et quelque animaux décrits par Aelred au long de ses sermons interviennent tous dans un même contexte : une notice zoologique est appelée par la mention d’un animal dans le verset scripturaire qu’Aelred est en train de commenter. Cette notice est fragmentée en éléments minimaux, dont chacun fait Aelred avait peut-être accès au livre XII des Étymologies d’Isidore de Séville (†636), compilation de notices zoologiques classiques, puisqu’on trouve un exemplaire de l’encyclopédie du Sévillan dans la bibliothèque de Rievaulx au xiiie s. (n. 77-78). En revanche, le catalogue ne mentionne pas le livre VIII du De rerum naturis et verborum proprietatibus et de mystica rerum significatione, autrement intitulé De universo, de Raban Maur (†856), où les notices sont accompagnées d’interprétations allégoriques. C’est qu’Aelred s’inspire surtout des grands commentaires d’Augustin ou de Grégoire le Grand qui furent les véhicules de ces notices zoologiques. 41 M. Pastoureau, Bestiaires du Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 2011, p. 11, dont le livre abondamment illustré s’appuie entre autres sur l’étude de J Voisenet, Bêtes et Hommes dans le monde médiéval, Le bestiaire des clercs du ve au xiie siècle, Turnhout 2000, en particulier le chap. X, p. 353-370 : « « Un outil pédagogique au service d’un ordre moral ». 40
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l’objet d’une interprétation allégorique. Autrement dit, la notice zoologique subit le même traitement que l’Écriture : le livre de la nature est parole de Dieu à l’homme au même titre que le livre de la révélation. Le grand sermon 124 pour l’Ascension est parmi les plus riches en animaux, à commencer par la petite parabole de l’aigle et de la tortue (124,2) et les « aigles victorieuses » de l’étendard du Ressuscité (124,442). À la faveur des deux passereaux de Lv 14,5-7 et du pélican, du hibou et du passereau solitaire de Ps 101,78, Aelred procède tour à tour à une interprétation christologique (124,20-22) puis morale43 (124,23-27) des « propriétés » naturelles de ces volatiles. Il est clair que son but n’est pas de donner une conférence d’histoire naturelle à ses moines, mais de les exhorter aux vertus et de les détourner des vices que ces animaux symbolisent. Un des sermons les plus déroutants d’Aelred est celui qu’il consacre à la fête de la Circoncision du Christ (S. 94), où il se propose modestement de ne commenter qu’un unique verset de psaume tout à fait inattendu44 : « La pierre est un refuge pour les hérissons » (Ps 103,18b). Là encore, Aelred procède méthodiquement : après avoir donné une petite notice sur les propriétés des hérissons, il en reprend les éléments pour leur donner une interprétation allégorique : l’humble pécheur, hérissé des épines de ses péchés, vient chercher refuge auprès de la pierre qu’est le Christ (S. 94,12). Aelred se souvient certainement du commentaire d’Augustin45 ou de celui de Grégoire le Grand46, voire de la
Ce passage reprend S. 65,1-3, qui ne parle cependant pas d’ « aigles » mais seulement d’ « étendards ». 43 À comparer au commentaire du même passage dans l’homélie 28 Sur les fardeaux 5-17. 44 La fête de la Circoncision était un véritable « jour des fous ». « Ce jour-là donne lieu dans les églises à des scènes ridicules et fort peu religieuses » (S. 95,1). Voir Jacques Heers, Fête des fous et carnavals au Moyen Âge, Paris, Fayard, 1983. Gageons qu’Aelred, pour une fois, se fait complice de la fête. 45 Augustin, Enarratio in Ps 103, sermon 3,18. 46 Grégoire le Grand, Homélie sur Ézéchiel, IX, 31. 42
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Dixième Conférence de Jean Cassien47, et a sans doute lu les lignes de Guillaume de Saint-Thierry48 et de Bernard de Clairvaux49. Qu’Aelred ne soit pas le seul à employer les animaux pour dire les vices et les vertus des hommes, on en a une preuve flagrante dans le sermon 102, qui est la transcription à peine adaptée d’un sermon de son quasi contemporain Geoffroy Babion, contenant un traitement allégorique de l’opposition entre la colombe et la tourterelle50 (S. 102,6-15).
Les vertus d’un bon prédicateur À plusieurs reprises, Aelred rappelle que s’il parle, ce n’est pas pour tirer gloire d’une technique rhétorique qu’il n’a d’ailleurs pas apprise, mais par obéissance à la charge qui lui a été confiée et pour l’édification de ses moines51. Aussi la première des trois vertus exigées du prédicateur est-elle la sagesse, avant l’éloquence et l’honnêteté de la vie. On voudrait ajouter : l’humilité. Car Aelred s’acquitte de son devoir avec humilité : jamais il ne cherche à utiliser le sermon pour y exposer ses idées. Toujours, il se contente de suivre l’Écriture pas à pas, même si c’est pour en donner une interprétation qui nous paraît, à huit siècles de distance, par trop exubérante. En comparaison d’un Bernard qui, tout en « parlant Bible », prend de la hauteur par rapport à la parole qu’il commente, Aelred est avant tout un commentateur du texte qu’il savoure mot à mot. Car telle est la nourriture de choix dont il veut régaler le palais de ses frères aux jours de fête.
Jean Cassien, Conférences, X, 11. Guillaume de Saint-Thierry, La contemplation de Dieu 3. 49 Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique 61,3. 50 Aelred reprend le même symbolisme dans le sermon 111,3-7=S. 33,42-46. 51 Voir S. 115,1-2 ; 124,1-3 ; 129,1-5 ; 132,1-2 ; 138,1. 47 48
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Note sur la traduction : Chaque sermon est précédé de quelques phrases d’introduction, et ponctué d’intertitres, qui sont le fait du traducteur. L’identification des sources littéraires a été réduite par rapport à l’édition du texte latin CC CM, 2C. La pagination de cette édition de référence est indiqué dans la marge.
SERMONS
SERMON 85 POUR L’AVENT
Une antienne liturgique ouvre une méditation sur le sens du temps de l’Avent. Le sermon développe alors le thème bernardin du triple avènement.
Le grand prophète vient 1. Voici que viendra le grand prophète, et il renouvellera la face de la terrea. Nous devons être assidus à célébrer avec intensité l’avènement du Seigneur, mes frères, et nous réjouir de son permanent essor. En effet, ce dont on retire de nombreux et incessants bienfaits doit faire l’objet d’un continuel souvenir. Pas de dégoût pour une chose bonneb ! Le souvenir du Rédempteur doit être « miel pour notre bouche, mélodie pour nos oreilles, chant de joie pour notre cœurc. » 2. Tout le chemin que nous avons à parcourir en pèlerins est marqué par la douleur et l’affliction, par la tentation et la tribulation, par l’amertume et l’inquiétude. Aucune stabilité dans la vie humaine, aucune béatitude dans les réalités passagères. Tout ce qui a du charme pour un temps devient lassant. Dans le plaisir charnel et la satisfaction des passions humaines, on trouve de la souffrance Antienne pour l’Avent ; cf. Lc 7,16 et Ps 103,30. Cf. Aelred, Sermons 75,1 ; 182,13. c Bernard de Clairvaux, Homélies sur le Cantique des Cantiques 15,6. a
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et de l’affliction spirituelle. Quel que soit le moyen employé pour secourir celui qui est fatigué, c’est en cela même que la fatigue revient. 3. Et je n’ai rien dit sur le fait que tout homme naît en ce monde pour mourir ensuite. Tous, nous sommes certains de mourir, et de notre propre mort nous ne savons rien. Que l’homme dorme ou qu’il veille, qu’il mange ou qu’il boive, qu’il soit triste ou joyeux, qu’il fasse absolument n’importe quoi, il court vers la mort et sa fin approche de jour en jour, d’heure en heure, d’un moment à l’autre. Que faut-il donc faire en une si grande misère, en un si grand malheur, en une situation aussi pénible ? S’affliger bien entendu, et pleurer, ainsi que prier sans cesse (cf. 1 Th 5,17) afin que vienne notre Sauveur, qu’il nous arrache à cette misère et qu’il nous fasse sortir de cette Égypte (cf. Ex 3,10) – en laquelle nous sommes si misérablement accablés – et qu’il nous rende notre héritage. 4. Ne craignez donc pas, n’ayez pas peur : vous qui manquez de courage, soyez réconfortésa, car il est proche le Jour du Seigneur (Is 13,6). Non pas ce jour de ténèbres et d’obscurité (cf. So 1,15), terrible pour toute chair, mais le jour heureux, le jour de joie, le jour désiré, le jour de la naissance du Christ. Voici qu’il est proche : que vienne le grand prophète, et il renouvellera la face de la terreb. Grand était Moïse, grand était Élisée, grands étaient aussi les autres à qui il fut donné de comprendre les secrets desseins de Dieu (cf. Mt 13,11), mais aucun n’est comparable à Celui qui viendra très prochainement. Ceux-là étaient grands en tant qu’hommes, Celui-ci le sera en tant que Dieu. Tous ceux qui, selon la chair, ont précédé ce prophète ont reçu de sa plénitude (cf. Jn 1,16). Et Celui qui est venu après eux a été fait avant eux (cf. Jn 1,15).
La face de la terre 5. Il viendra le grand prophète, et il renouvellera la face de la terrec. La terre est devenue vieille et s’est corrompue dans ce qu’a Antienne pour l’Avent. Antienne et répons pour l’Avent ; cf. Lc 7,16 et Ps 103,30. c Antienne pour l’Avent ; cf. Lc 7,16 et Ps 103,30. a
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fait Adam, à qui il est dit en raison du péché : Maudite soit la terre à cause de toi. Quand tu l’auras travaillée, elle ne donnera pas ses fruits, mais elle fera germer pour toi épines et chardonsa. Ce grand prophète renouvellera la face de la terre. La face d’une chose, c’est la partie antérieure et plus élevée. Qu’est-ce donc que l’on désigne par ‘ face de la terre’, si ce n’est l’homme qui est fait de terre, ou plutôt qui est terre comme le lui a dit le Seigneur : Tu es terre et à la terre tu retourneras (Gn 3,19) ? Cette face de la terre, le prophète qui va venir la renouvellera, car il détruira la cédule de l’antique malédictionb, et il renouvellera son peuple par une nouvelle bénédiction. C’est Lui aussi qui regarde la terre et la fait trembler, il touche les montagnes et elles fument (Ps 103,32). 6. Le mot ‘terre’ désigne les riches et les avares, qui aspirent aux choses terrestresc. Par les ‘montagnes’ sont évoqués les gens hautains et imbus d’eux-mêmes, qui se préfèrent à tous et méprisent les autres, et qui, en raison de leur excessive superbe, ne savent pas s’humilier, convoitant plus l’honneur que la vertu. Mais le Seigneur regarde la terre et la fait trembler (Ps 103,32) : que ce soit par la prédication, par une pensée secrète, par le coup de fouet d’une réprimande, ou par une grâce de réconfort, il incline de tels hommes à l’humilité, à la miséricorde, à la charité ; et ils se détachent d’eux-mêmes au point de n’être plus ce qu’ils étaient auparavant : le Seigneur les regardant, ils se dépouillent de l’homme ancien avec ses agissements et se revêtent de l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité (Ep 4,22.24 et Col 3,9). Voilà comment ce prophète renouvellera la face de la terred : il ôtera de l’homme le cœur de terre et de pierre et créera en lui un cœur de chair (cf. Ez 11,19), pour qu’il connaisse Dieu, le craigne et l’aime.
Gn 4,12 et 3,17‑18 vg. Cf. Col 2,14 ; Ga 3,13 ; Gn 3,17. c Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 8,1 ; Sermon 181,9. d Cf. antienne pour l’Avent ; cf. Ps 103,30. a
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Du sein du Père vers celui de la Vierge 7. Voici que viendra le grand prophètea, car il sortira de son lieu saint, il viendra pour sauver son peupleb. Il descendra du sein du Père dans le giron de la Vierge, non pour être séparé du Père mais pour que, tout entier dans le sein du Père (cf. Jn 1,18) et tout entier dans le giron de la Vierge, il opère le salut de son peuple au milieu de la terrec. Le lieu du Sauveur, c’est le giron de la bienheureuse Vierge Marie, en qui il a reposé durant neuf mois. De ce lieu, le Seigneur sortira comme l’époux de sa chambre nuptiale, il viendra dans le monde pour sauver son peupled. Si donc nous avons besoin d’être sauvés, si notre exil est amer, si notre patrie (cf. He 11,14) – la Jérusalem d’en haut (cf. Ga 4,26) à laquelle nous aspirons – est douce, accueillons dans la joie le Sauveur qui viente. Car il ne vient pas sans rien, mais il apporte avec lui le salaire (cf. Is 62,11).
Le triple avènement
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8. En son premier avènement, il porte trois choses avec lui : la lumière, la foi et la liberté. Il a apporté la lumière, car il est luimême la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (Jn 1,9). Avant la venue de ce prophète, le genre humain tout entier était dans les ténèbres et l’ombre de la mort (Lc 1,79). Mais lui, il a éclairé nos ténèbres, il a purifié nos erreurs et il nous a rappelés à la connaissance du Créateur. Il nous a apporté la foi en nous éclairant ; nous avons dès lors reçu la connaissance de la sainte Trinité et nous sommes devenus croyants. Il est celui dont parle Isaïe : Justice sera le pagne de ses reins, et foi la ceinture de ses hanches (Is 11,5). Des incroyants il a fait des croyants, en enseignant ce que nous devons croire. De la sorte, l’homme ayant été éclairé Antienne pour l’Avent ; cf. Lc 7,16. Antienne pour l’Avent ; cf. Mi 1,3 et Mt 1,21. c Cf. Lc 1,68 et Ps 73,12. d Antienne pour l’Avent ; cf. Ps 18,6 ; Jn 3,17 et Mt 1,21. e Cf. oraison pour l’Avent. a
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et fortifié dans la foi, il lui a donné la liberté en lui enlevant le joug du démon dont il était accablé. Car tous nous fûmes jadis des fils de la colèrea, mais, par lui, nous sommes devenus fils de la justice, fils de la miséricorde, fils de la grâce, afin que nous ne soyons plus asservis au péché (cf. Rm 6,6) comme auparavant mais que, rendus libres (cf. Jn 8,36), nous obéissions à Dieu. 9. Dans son second avènement, qui est intermédiaire entre le premier et le dernier, il nous apporte pareillement trois choses : le rejet du monde, l’amour de la vérité, la contemplation de l’éternité. De fait, à celui vers qui le Sauveur daigne venir par sa présence tout intime il donne, par une secrète inspiration, de mépriser le monde, d’aimer la vérité, de contempler les réalités éternelles. 10. Dans son troisième avènement, quand viendra ouvertement le Seigneur qui fait justice (cf. Ps 93,1), il apportera avec lui deux choses, la vie et la mort : la vie pour les élus, la mort pour les réprouvés, la société avec Dieu pour les saints et la compagnie du démon pour ceux qui sont sans foi. À propos de cet avènement on lit : Voici que je viens et j’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il aura fait (Ap 22,12). Et David : Dieu a dit une chose, il y a deux choses que j’ai entendues. Ceci : que la force est à Dieu, et à toi, Seigneur, la miséricorde. Et ceci : que tu rends à chacun selon ce qu’il a fait (Ps 61,12‑13). Il viendra sûrement le Dieu des dieux, le Seigneur (cf. Ps 49,1), oui il viendra infliger en colère la punition (cf. Si 12,4 vg), livrant les réprouvés au feu éternel et accueillant les élus dans la vie éternelle (cf. Mt 25,41.46). Que de frayeur, que d’affliction, que d’angoisse, que de larmes, que de sanglots en ce jour-là ! Jour de colère que ce jour-là, jour d’affliction et de difficulté (So 1,15).
Pour que ce soit un jour d’allégresse 11. Pour qu’en ce jour-là il ne nous trouve pas remplis de crainte, accueillons donc l’avènement du Rédempteur d’un cœur empressé. Afin de voir en toute assurance le Juge, attendons dans la joie le a
Cf. Ep 2,3 et Rm 9,22‑23.
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Sauveura. Si notre conscience est pure, si nous préparons nos âmes durant cet Avent, Celui qui va naître pour nous (cf. Is 9,6) nous fortifiera en lui-même ; et, au jour du jugement, il n’y aura pas pour nous de confusion, mais gloire et allégresse. Ce jour-là, de même qu’il est pour les réprouvés jour de confusion et d’angoisse (cf. So 1,15), de même il est pour les élus jour de joie et de récompense, jour d’allégresse et de gloire. Alors cesseront et disparaîtront nos labeurs et douleurs, et se lèveront pour nous de nouvelles joies, des joies qui demeureront à jamais. En ce jour-là, nous recevrons le salaire de nos labeurs (cf. Sg 10,17) : la vie éternelle qui est préparée pour ceux qui aiment non pas le monde mais Dieu. Accueillons donc avec ardeur le Rédempteur qui vient, afin de voir en toute assurance le Juge, notre Seigneur Jésus-Christb. À lui soient l’honneur et la puissance (cf. 1 Tm 6,16) pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. oraison pour l’Avent ; cf. Aelred, Sermon 1,6. Cf. oraison pour l’Avent.
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SERMON 86 POUR L’AVENT
L’épisode biblique du prophète Élisée se rendant auprès d’un enfant mort (2 R 4,26‑35) symbolise la venue du Christ auprès du genre humain. Le commentaire allégorique du sermon s’épanouit en méditation sur le thème bernardin du triple avènement.
Trois semaines pour signifier le triple avènement 1. C’est à bon droit que nous célébrons l’avènement du Seigneur durant trois semaines, pour signifier en elles son triple avènementa : le premier, humble et caché ; le second, imprévisible ; le troisième, manifeste. La semaine désigne l’entièreté du tempsb. Il n’est pas étonnant que nous célébrions l’avènement du Seigneur durant l’entièreté du temps. Si les prophètes et les autres croyants ont attendu avec un si grand désir son premier avènement dont ils avaient entendu parlerc, combien plus devons-nous nous réjouir – car comme nous l’avons entendu, ainsi nous l’avons vu (Ps 47,9) –, attendant l’avènement (cf. Tt 2,13) manifeste, quand il viendra de façon manifeste (Ps 49,3), et que toute chair verra le salut de Dieu (Lc 3,6). Cf. Aelred, Sermons 80,6‑7 ; 85,8‑10. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 33,1. c Cf. Aelred, Sermons 1,1‑2 et 22‑23 ; 34,3‑4 ; 180,4. a
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2. Car les bienfaits de Dieu ne sont pas comme ceux du monde : attendre ceux-ci, c’est se tourmenter ; les avoir acquis, c’est éprouver un bien maigre réconfort, et de courte durée. Par contre, les bienfaits de Dieu procurent la joie quand on les attend, et une joie parfaite quand on les a obtenus. Demandez, est-il dit, afin que votre joie soit parfaite (Jn 16,24). L’avènement du Seigneur est dès lors à désirer au plus haut point, ainsi qu’il est écrit : Mon peuple sera suspendu à mon retour (Os 11,7 vg).
L’enfant mort
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Si cet homme, prophète puissant en œuvres et en paroles (Lc 24,19), nous a tant apporté qu’il réchauffa le cœur d’un enfanta, que sera-ce quand les yeux de celui-ci se seront ouvertsb ? L’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, ce n’est pas monté au cœur de l’homme (1 Co 2,9). 3. Une mère affectionnée vint en aide à son enfant mort. Elle se démena pour conduire le prophète jusqu’à lui, et le jeune serviteur du prophète accourut à sa rencontre (cf. 2 R 4,20…26). L’enfant mort, c’est le genre humainc, enfant par l’âge et par le jugement (cf. 1 Co 14,20). Par l’âge, puisqu’ils défaillirent très tôt, ils périrent à cause de leur iniquité (Ps 72,19), ils furent chassés et ne purent se tenir debout (Ps. 35,13), ils furent vite devancés ; nous avons dès lors besoin d’être vite devancés par les miséricordes de Dieu (Ps 78,8). Il était enfant par le jugement puisque comme un enfant qui manque de sagesse, il avait ajouté foi aux suggestions de l’ennemi. Quoi d’étonnant à ce que le serpent, le plus rusé de tous les animaux (cf. Gn 3,1), ait facilement trompé l’être humain récemment formé ? Quoi d’étonnant à ce qu’une main hostile ait pu effacer sans difficulté le sceau qui venait d’être apposé ?
Cf. 2 R 4,34 et Lc 24,32. Cf. 2 R 4,35 et Lc 24,31. c Cf. Aelred, Sermon 89,6 ; cf. Augustin, Sermon 26,11 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 9,40,63. a
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4. Nous ne savons s’ils tinrent debout, fût-ce un seul jour, ou si peut-être, à cause de cela, Dieu cessa ses œuvres (cf. Gn 2,2), parce qu’il se repentit d’avoir créé l’homme (Gn 6,6‑7). Si celui-ci était resté debout, Dieu l’aurait formé encore plus pleinement. Nous tenons pour certain qu’ils furent vite devancés et que très tôt ils défaillirent (Ps 72,19).
Les ruses de l’ennemi Il n’est pas étonnant que l’ennemi ait trompé ces novices, moins accoutumés à l’Ordre, car il tente chaque jour ceux qui ont déjà passé cinquante ans dans une vie de conversion, leur présentant ce qu’ils auraient pu faire ou ce qu’ils avaient fait avant leur conversiona. 5. Oui, il attaque de front pour que nous projetions de commettre le mal ; de côté, pour que nous l’accomplissions effectivement ; par-derrière, pour que nous ressassions les choses passéesb. Heureux celui à qui il n’ose pas apparaître de front, qu’il n’ose pas prendre d’assaut sur le côté mais qu’il suit seulement par-derrière, de sorte que cet homme-là puisse dire : Ils m’ont souvent assiégé et ils n’ont vraiment rien pu contre moi. Sur mon dos ont labouré les pécheurs, allongeant leur iniquité (Ps 128,2‑3), non la mienne. Nos premiers parents, il les a attaqués de front, il les a vaincus et ils sont morts. C’est exactement ce qui leur fut dit : Le jour où vous en mangerez, vous mourrez certainement. Pas du tout, répondit l’ennemi, vous ne mourrez pas (Gn 2,17 et 3,4). Mais, comme il est écrit : Tes ennemis te mentiront (Ps 65,3) ; sans rien craindre, l’iniquité s’est menti à elle-mêmec.
La mère de l’enfant et le bâton du jeune serviteur 6. La mère de cet enfant, c’est la divine clémence, qui d’abord l’engendra. De fait, ce n’est pas par nécessité mais par seule bonCf. Aelred, Sermon 9,36‑37. Cf. Bernard de Clairvaux, Sermons divers 82,2. c Dn 13,55 et Ps 26,12. a
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té que nous sommes créés. Puis elle amena le prophète pour qu’il ressuscite l’enfant, car ce n’est pas à partir des œuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais par sa seule miséricorde qu’il nous a sauvés (Tt 3,5). Le jeune serviteur accourut en disant : Tout va-t-il bien pour ton mari et ton enfant (2 R 4,26) ? Bien, dit-elle. Car c’est justice, nous payons nos actes (Lc 23,41). Il n’est pas injuste que meure celui qui a mérité la mort. Elle s’approcha et lui saisit les pieds (2 R 4,27), et ne le lâcha pas avant qu’il ne viennea . 7. Le jeune serviteur les avait précédés avec le bâton et le posa sur le visage de l’enfant, mais il n’y eut ni voix ni sensation (2 R 4,31). Le jeune serviteur avec le bâton, c’est Moïse avec la Loib. Si quelqu’un te fait face, tu ne le salueras pas, et si quelqu’un te salue, tu ne lui répondras pas (2 R 4,29). La Loi ne saluait pas celui qui lui faisait face, car si quelqu’un rendait vaine la Loi de Moïse, il était impitoyablement mis à mort sur la déposition de deux ou trois témoins (He 10,28). Elle ne répondait pas à celui qui saluait, car à celui qui lui était soumis elle ne payait pas de retour le digne fruit (cf. Mt 3,8) d’un si grand labeur, puisqu’elle n’amenait personne à la perfection (cf. He 7,19). 8. Enfin, il posa le bâton sur le visage de l’enfant, mais il n’y eut ni voix ni sensation (2 R 4,31). La Loi n’était pas donnée pour pouvoir communiquer la vie (Ga 3,21)c. Elle était sur le visage, du moment que les gens jugeaient d’après l’apparence extérieure, mais non pas d’après ce qui était dans le cœur (cf. 1 S 16,7) pour en recevoir quelque grâce spirituelle. Dès lors, il n’y avait ni voix ni sensation. Il n’y avait pas de sensation, qui leur aurait fait ressentir leurs maux pour les déplorer, ou les bienfaits de Dieu pour s’en réjouir ; et il n’y avait pas de voix pour la confession des péchés ou la louange.
Cf. 2 R 4,30 et Ct 3,4. Cf. Aelred, Sermon 89,8. c Cf. Augustin, Sermon 26,11 ; Commentaire sur les psaumes, Ps 70,I,19. a
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Application à la vie monastique 9. Autre interprétation : le jeune homme avec le bâton, c’est Moïse avec la baguette qui fendit la mera et opéra des prodiges devant Pharaon. Il jeta la baguette à terre et elle se transforma en serpent, et il le prit par la queue et elle redevint une baguette (Ex 4,3‑4). Si nous jetons à terre la baguette en méprisant et en foulant aux pieds les commandements de la Loi, elle se change pour nous en serpent qui nous mord ; mais si nous attrapons sa queue en venant à résipiscence au moins vers la fin, et en commuant les mauvais commencements en une fin meilleure, elle se transforme de nouveau pour nous en baguette d’équité et de justiceb. 10. C’est pourquoi cette même Loi prescrit de racheter le premier-né de l’âne par une brebis (cf. Ex 34,20). Si nous avons vécu d’une manière déréglée, stupide, sauvage, nos premiers-nés étaient ceux d’un âne. Si, par la suite, nous vivons avec simplicité, dans la patience et en portant du fruit, non pas tant pour nous-mêmes que pour les autres – comme la brebis qui vit non pour elle-même mais pour les autres – alors nous rachetons le premier-né de l’âne par une brebisc.
Le premier avènement 11. La femme a précédé et le prophète a suivi (cf. 2 R 4,30), car miséricorde et vérité précèdent sa face (cf. Ps 88,15) ; mais, en cette affaire, la vérité étant tenue en suspens, la miséricorde marchait devant lui. Il ferma la porte sur lui et l’enfant (2 R 4,33), parce que peu de gens ont eu l’intelligence de son avènement. C’est pourquoi Jean dit : Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses chaussures (Lc 3,16). Qui est celui-là, disent-ils, qui va jusqu’à remettre les
Cf. Ps 135,13 ; Ex 14,16. Cf. Ex 4,4 et He 1,8. c Cf. Aelred, Sermon 149,11 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 27,18,38. a
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péchés (Lc 7,49) ? Et encore : S’ils avaient su, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire (1 Co 2,8). 12. Il se replia sur l’enfant, posa ses mains sur celles de l’enfant, et sa bouche sur celle de l’enfant (2 R 4,34). Là où le prophète dit : il se replia, l’Apôtre dit : il s’anéantit. Il s’est en effet tout entier contracté jusqu’à notre forme (Ph 2,7), à l’exception du péché et de l’ignorance. Et parce que j’ai été réduit à rien et que je ne savais rien (Ps 72,22), il a voulu être comme réduit à rien ; il a été fait péché pour nous, sur le boisa. Que rendrai-je au Seigneur pour tout le bien qu’il m’a fait (Ps 115,12) ? Il a daigné non seulement naître pour moi, mais encore supporter l’exiguïté d’une étable, les faiblesses du jeune âge, les rigueurs de la pauvreté, et finalement mourir pour moi. Qu’aurait-il dû faire de plus pour moi qu’il n’ait faitb ? Personne n’a eu de plus grand amour (Jn 15,13).
Les mains, la bouche, les yeux 12
13. Il posa ses mains sur celles de l’enfant (2 R 4,34), car il y a loin entre ses œuvres et les nôtres : un homme pécheur ne peut accomplir ces signes (Jn 9,16). Et sa bouche sur celle de l’enfant : il a parlé bien autrement que nousc. De là vient qu’il est écrit : Jamais homme n’a parlé comme cet homme (Jn 7,46). Et ses yeux sur les siens : Dieu voit d’une façon et nous d’une autre (cf. 1 S 16,7). C’est pourquoi lorsqu’un docteur de la Loi lui posait la question : Qui est mon prochain ? Jésus reprit : Un homme… (Lc 10,29‑30). Lui regarde le ciel, nous la terre. Celui qui est de la terre parle de façon terrestre ; celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous (Jn 3,31). 14. Puissent nos yeux être toujours sous les siens, selon ce qui est dit : Mes yeux sont toujours vers le Seigneur (Ps 24,15). Puissions-nous voir Celui qui nous voit, et comme les yeux d’une servante vers la main de sa maîtresse, qu’ainsi nos yeux soient vers le Cf. 2 Co 5,21 et Ga 3,13. Cf. Aelred, Sermons 31,2 ; 57,12 ; 79,12; cf. Is 5,4. c Cf. Augustin, Sermons 26,11 ; 136,6 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 9,40,63. a
b
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Seigneur jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié (Ps 122,2). Il est Celui qui nous voit, dis-je, car ses yeux se tournent vers les nations (Ps 65,7), pour voir s’il y a quelqu’un de sensé, un qui cherche Dieu (Ps 13,2). Si au lieu d’être sensés nous sommes insouciants, il nous regarde quand même, car les yeux du Seigneur observent les bons et les méchants (Pr 15,3). Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles pour leurs prières ; mais la face du Seigneur est sur les malfaisants, pour ôter de la terre leur mémoire (Ps 33,16‑17). 15. Puisse notre bouche être sous la sienne (cf. 2 R 4,34), afin que l’offrande de notre bouche lui soit agréable (cf. Ps 118,108) ; et que sa parole serve d’exemple à la nôtre afin que, comme lui, nous ne parlions qu’en termes profitables et constructifs. Puissent nos actions être sous les siennes afin que, comme il est venu faire la volonté de son Père (cf. Jn 6,38), de même nous aussi nous fassions sa volonté ; et de même qu’il a opéré en nous beaucoup de bonnes choses, qu’ainsi nous aussi, selon nos possibilités, nous opérions le bien à l’égard de tous (Ga 6,10).
L’avènement intermédiaire 16. Le fait de marcher de long en large dans la maison (cf. 2 R 4,35) désigne l’avènement intermédiaire, lorsqu’il vient en insufflant son Esprit à qui il veut, autant qu’il veut et où il veut (Jn 3,8) : à celui qui psalmodie au chœur, à celui qui est assis dans le cloître, à celui qui va à son travail. C’est ainsi en effet qu’il est apparu à Marie Madeleine veillant au tombeau (cf. Jn 20,11‑17) ; ou bien à ceux qui étaient assis au cénacle comme dans un cloître, et à qui est apparu l’Esprit Saint (cf. Ac 2,1‑4) ; ou encore à ceux qui se rendaient à Emmaüs comme à leur occupation (cf. Lc 24,13‑31). C’est pourquoi nous disons : Montre-moi, Seigneur, le chemin que je dois prendre (Ps 142,8). 17. De cet avènementa il dit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure (Jn 14,23). Les pieds par lesquels il vient vers a
Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon pour l’Avent 5,2.
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nous, ce sont la miséricorde et la vérité. En effet, tous les chemins du Seigneur sont miséricorde et vérité (cf. Ps 24,10). Les pieds par lesquels nous nous hâtons vers lui, ce sont la crainte et l’espérance. La demeure où il habite, c’est la charité.
Critères de discernement 18. Veux-tu savoir s’il est venu vers toi ? Vois si la vérité du jugement t’a inspiré de la crainte et si, toi qui n’as pas fait le bien, tu crains d’avoir à endurer des maux, en réfléchissant : ‘Quel mal ai-je commis et combien, quel bien ai-je omis et combien, quel châtiment m’attend et quelle en sera la mesure ? Là, ce sera la mort éternelle, le déclin interminable, la fin sans limitea. Aux enfers, qui te louerait (Ps 6,6) ? Quel profit a mon sang si je descends dans la corruption (Ps 29,10) ?’ Tandis que tu réfléchis ainsi, tu mets un piedb en mouvement. 19. Mais tu es encore loin, comme lui-même est loin de toi, quand il vient avec le pied du jugement. Mais si, l’esprit renouvelé, ne t’appuyant plus sur ta propre justice, tu espères en sa bonté et en sa miséricorde – disant avec Job le saint : Quand bien même il me tuerait, j’espérerais en lui (Jb 13,15) –, tu t’approches déjà de lui, et lui de toi par la miséricorde. Il penche déjà son oreille pour t’écouter, parce que tu as dit : Je suis pauvre et malheureux (Ps 85,1). Ton salut est déjà plus proche qu’au moment où tu as craint (cf. Rm 13,11). 20. Et veux-tu savoir s’il fait sa demeure chez toi (cf. Jn 14,23) ? Écoute l’Apôtre, son familier et son bien-aimé : Dieu est charité, et qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui (1 Jn 4,16). Si tu as été enraciné et fondé dans la charité (cf. Ep 3,17) de sorte que ni la mort ni la vie ni le présent ni l’avenir ne puissent te séparer de la charité qui est dans le Christ Jésus (Rm 8,38‑39),
a b
Cf. Aelred, Sermons 112,22 ; 128,15 ; 180,3. Celui de la crainte : voir fin du paragraphe 17.
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alors sois sûr qu’il demeure chez toi. Oui, là où est la charité, là est Dieua.
Dans l’attente du troisième avènement 21. S’il a tant apporté dans son premier avènement que nous soyons justifiés, et, dans le second, que nous soyons sauvés en espérance (cf. Rm 8,24), que sera-ce dans le troisième quand nous serons effectivement sauvés, pour que notre joie soit parfaiteb ? S’il apporte une promesse telle qu’elle dépasse tout désir de ce monde (cf. Tt 2,12), que ne donnera la manifestation de ce qui est promisc ? Grande joie, certes, depuis que le Verbe fait chair (Jn 1,14) est luimême avec nous ; mais bien plus grande joied lorsque nous deviendrons un seul esprit avec lui (cf. 1 Co 6,17). Cette joie surpassera toute pensée et toute intelligence (cf. Ph 4,7), car l’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, ce n’est pas monté au cœur de l’homme (1 Co 2,9). Daigne nous l’accorder celui qui vit et règne, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
Répons pour le Mandatum ; cf. 1 Jn 4,16. Cf. Jn 16,24 ; 1 Jn 1,4. c Cf. Aelred, Sermons 1,5 ; 80,30. d Cf. Aelred, Sermons 20,4 ; 100,13 ; 116,20 ; 181,3. a
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SERMON 87 POUR L’AVENT
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Voici un commentaire systématique d’un verset cité souvent par notre auteur (Tite 2,12‑13) : vivre dans la sobriété, la justice et la piété est une manière de marcher dans les voies du Sauveur qui vint en ce monde pour nous libérer des forces du mal.
L’amant des vertus 1. Vivons en ce monde dans la sobriété, la justice et la piété, attendant la bienheureuse espérance et l’avènement de la gloire du grand Dieu (Tt 2,12‑13). Le Christ notre Sauveur, dont nous célébrons l’avènement et dont nous attendons la naissance prochaine, aime et récompense les vertusa. C’est lui le roi de gloire, Dieu Sabaoth, Seigneur des armées, Dieu des vertus (Ps 23,10), qui descendit en Égypte pour voir la misère de son peuple et le délivrer (cf. Ex 3,7‑8). Lui, amant des vertus, est venu en ce monde pour neutraliser les vices et anéantir les péchés, pour triompher du démon, instigateur et accusateur (cf. Ap 12,10) des vices, et pour délivrer l’être humain de son pouvoir et de sa cruelle empriseb. 2. Nos cœurs ont à se réjouir de l’avènement d’un si grand prince (cf. Dn 12,1), car c’est lui le libérateur de nos âmes, c’est lui a b
Cf. Aelred, Sermons 107,14 ; 130,2. Cf. Aelred, Sermons 112,13 ; 172,3.
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le chef et le sauveur d’Israël, le grand prophète qui est venu dans le monde pour renouveler la face de la terrea. Son avènement, les patriarches le préfiguraient, les prophètes l’annonçaient, tous les élus l’attendaient depuis le commencement du monde. Grand était l’abattement qui pesait sur tout le genre humain, voilà pourquoi grand a dû être pour tous le désir de son avènement. 3. Pour nous, il est venu du sein du Père dans le giron de la Viergeb, et il s’humilia, prenant forme d’esclave (Ph 2,7‑8). Humilions-nous donc, nous aussi, sous sa puissante main, afin qu’il nous élève au temps de sa visite (1 P 5,6). Marchons dans ses voies (cf. Ps 127,1), car ses voies sont saintes (cf. Ap 15,3). Toutes les vertus nous sont nécessaires pour imiter le Sauveur, mais principalement ces trois-ci : la sobriété, la piété et la justice (cf. Tt 2,12). La sobriété s’applique à nous-mêmes, la piété à Dieu, la justice au prochainc.
Dans la sobriété 4. Vivons en ce monde dans la sobriété (Tt 2,12). La sobriété, c’est la norme de la vie, la beauté de l’âme, la gardienne de la discipline, la suppression des vices, la nourricière des vertus, la santé du corps, le salut de l’esprit. Vivons dans la sobriété, afin de ne dévier ni à droite ni à gauche (cf. 2 R 22,2), car la sobriété tient une place médiane et, au milieu, tu marcheras en toute sécurité. Vivons dans la sobriété, afin de n’être ni brisés par les adversités ni exaltés par les succès. Vivons dans la sobriété, afin de ne pas outrepasser la mesure de l’espérance et de ne pas succomber sous l’effet de la crainte. Qui outrepasse la mesure de l’espérance tombe dans la présomption. 5. La plupart du temps, en effet, l’insensé qui aime sa propre chair s’enhardit à pécher lorsqu’il considère la grandeur de la miséricorde (cf. Ps 105,7) de Dieu ; il se fait une espérance à sa mesure, disant en son cœur : ‘Je ferai ce que je désire, je nourrirai ma chair de délices et j’assouvirai ses convoitises, et, à la dernière minute, Antienne pour l’Avent ; cf. Lc 7,16 ; Jn 6,14 ; Ps 103,30. Cf. Aelred, Sermons 85,7 ; 99,5 ; 154,13. c Cf. Aelred, Sermon 31,23. a
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je ferai pénitence. Le Seigneur est bon, quelle que soit l’heure où je reviendrai vers lui il me pardonnera (cf. Si 5,5‑7).’ Une délibération de ce genre est trompeuse et dangereusea. Il est parfaitement insensé d’accumuler les péchés au nom de l’espérance. Oui, le Seigneur est bon, mais il n’en est pas moins juste. De même que, par miséricorde, il récompense les élus, ainsi, par justice, il punit les réprouvés. Il n’y a point de paix pour les impies, dit le Seigneur (Is 48,22). Car lorsqu’ils auront dit ‘Paix ! Paix !’ tout à coup fondra sur eux le malheur b. De même que la présomption est dangereuse, ainsi le désespoir ne l’est pas moins, qui naît sous le poids du péché et par une crainte excessive.
Méfaits du désespoir
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6. Il arrive souvent qu’un homme, considérant ses péchés et ses transgressions, prend sa vie en horreur en réfléchissant à tout ce mal ; craignant de manière excessive la colère de Dieu et se jugeant indigne de sa miséricorde, il tient sa vie pour méprisable, faisant des choses qui sont malvenues, désirant même, s’il était possible, se cacher loin de la face de Dieuc. C’est probablement une telle crainte qu’eut Adam après le péché, quand il se cacha (cf. Gn 3,8), comme il est écrit : Seigneur, j’ai entendu ta voix et j’ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché (Gn 3,10). Cette crainte génératrice de désespoir s’empara de Caïn après le meurtre d’Abel son frère, et c’est pourquoi il dit : Mon iniquité est trop grande pour mériter le pardon (Gn 4,13 vg). 7. Vivons donc dans la sobriété (Tt 2,12), afin de ne tomber dans aucun de ces périls. Vivons dans la sobriété, de peur que nos corps ne s’appesantissent dans la débauche et l’ivrognerie (Lc 21,34) ou qu’ils ne défaillent par une abstinence excessive. Vivons dans la sobriété, afin de ramener à de justes proportionsd tout ce qui est superflu. Cf. Aelred, Sermon 144,13. Cf. 1 Th 5,3 et Jr 6,14. c Cf. Aelred, Sermon 24,26. d Littéralement : à la forme de l’égalité. a
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Dans la piété 8. Il nous est également commandé de vivre en ce monde dans la piété (Tt 2,12), afin de révérer Dieu par toute notre vie, de le craindre et de l’aimer plus que tout. C’est en effet de toute son âme, de tout son esprit et de toutes ses forces qu’il faut aimer Dieu (cf. Mc 12,20), qui a fait toutes choses. La piété la plus haute, c’est le culte de Dieu. De fait, le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu (Ps 110,10). Et encore : Crains Dieu et observe ses commandements ; c’est là tout l’homme (Pr 12,13). Vivons dans la piété, afin de compatir les uns aux autres (cf. 1 P 3,8 et Jn 13,35), de porter les fardeaux les uns des autres et d’accomplir ainsi la loi du Christ (Ga 6,2).
Dans la justice 9. Vivons dans la justice, afin de rendre à chacun ce qui lui revienta, selon le précepte du Seigneur : À César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22,21). Nous devons à Dieu le corps et l’âme, puisqu’il a créé l’un et l’autre, il a racheté l’un et l’autre, il glorifiera l’un et l’autre. Dans la foi et la dilection du Christ, nous devons au prochain l’amour et la déférence. Ainsi donc, il vit dans la justice celui qui aime Dieu autant qu’il peut, et qui ne fait au prochain rien de ce qu’il abhorre pour lui-même (cf. Mt 7,12). Qui persécute son frère sans raison ne vit pas dans la justice mais dans l’injustice. Qui murmure contre ses supérieurs, qui méprise les plus jeunes et jalouse les plus âgés ne vit pas dans la justice. Bref, il vit dans la justice celui qui toujours s’humilie devant Dieu et accorde à ses frères tout le bien qu’il peut. Que chacun regarde comment il vit. Qui vit dans la justice, la sobriété et la piété (Tt 2,12) vit avec bonheur et est destiné d’avance à la vie.
Cf. Aelred, Miroir de la charité, I,91 et 96‑97 ; Sermon 31,27‑28 ; cf. Cicéron De finibus bonorum et malorum 5,23,65. a
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Bienheureuse espérance
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10. Attendant la bienheureuse espérance (Tt 2,13). Cette espérance bienheureuse, c’est la récompense éternelle. Cette bienheureuse espérance, saint Paul la présente ainsi : Nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ qui transfigurera notre pauvre corps pour le conformer à son corps de gloire (Ph 3,20‑21). Voici en quoi consiste la bienheureuse espérance : notre corps corruptible (cf. Sg 9,15), qui a été semé dans la corruption, ressuscitera dans l’incorruptibilité ; qui a été semé dans la mortalité ressuscitera dans l’immortalité ; qui a été semé dans l’ignominie ressuscitera dans la gloirea. Car lorsque le Christ sera manifesté, lui qui est notre espérance, alors nous aussi nous serons manifestés dans la gloire (cf. Col 3,4), cohéritiers de son royaume et y participantb.
L’avènement du grand Dieu 11. Le texte continue : Et l’avènement de la gloire du grand Dieu (Tt 2,13). Le premier avènement du Christ fut selon la chair, quand il est né sur la terre d’une mère sans l’intervention d’un père, puisque sa mère est toujours restée viergec. Cet avènement, nous le célébrons présentement : il est le début et la cause de toute l’œuvre du salut. Mais ce n’est sans doute pas cet avènement que l’Apôtre appelle l’avènement de la gloire du grand Dieu. Car ce n’est pas en vue de la gloire que le Christ est venu dans le monde, mais en vue des outrages, des injures et des opprobres, en vue des coups et des blessures, en vue de la souffrance, de la croix, de la mort. Par contre, il y aura un avènement de la gloire du grand Dieu, quand le Seigneur viendra de façon manifeste (Ps 49,3) juger les vivants et les morts (1 P 4,5), quand le Christ apparaîtra sur les nuées du ciel (Mt 24,30), quand l’œil le verra avec grande puissance et majesté (cf. Lc
1 Co 15,42‑43 ; cf. Ha 2,16. Cf. Rm 8,17 et 2 P 1,4. c Cf. Aelred, Sermon 95,1 ; 109,3 etc. a
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21,27), quand il jugera les hommes avec justice au dernier jour, lui qui a été injustement jugé par les hommes. 12. Alors, ce sera l’avènement de la gloire du grand Dieu (Tt 2,13). Grand et terrible (cf. Ps 88,8), il apparaîtra aux yeux de tous, lui qui était vu petit et méprisable aux yeux des Juifsa. Alors, il sera grandement glorifié, quand il sera manifesté à toute chair (cf. Lc 3,6), car il est le Rédempteur, le Sauveur, le Juge de tous, Roi des rois et Seigneur des seigneurs (Ap 19,16). Il est le juste Juge (2 Tm 4,8), rendant à chacun selon ses œuvresb : aux bons, de bonnes choses ; aux mauvais, de mauvaises ; aux bons, la vie ; aux mauvais, la mort. 13. Vivons donc en ce monde dans la sobriété, la justice et la piété, attendant la bienheureuse espérance (Tt 2,12‑13) de la béatitude éternelle que nous recevrons au jour du jugement, lorsque notre Juge et Rédempteur nous dira : Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous depuis l’origine du monde (Mt 25,34). Daigne nous l’accorder le Christ Sauveur, à qui soit la gloire…
a b
Cf. Aelred, Sermons 30,19 ; 31,31. Cf. Ps 61,13 ; Pr 24,29.
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SERMON 88 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Fragment final d’un sermon qui a sans doute été long, puisque l’auteur regrette de ne pouvoir s’étendre davantage sur le sujet de la fête.
À Bethléem de Juda Le début manque, un cahier du manuscrit ayant été perdu. 1. … à Bethléem de Judée (Mt 2,5) car il était de la tribu de Juda Celui dont le patriarche Jacob avait prédit l’avènement lorsqu’il bénissait ses fils : Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à la venue de celui qui doit être envoyé (Gn 49,10). Voici une solide objection adressée aux Juifs qui nient que le Messie soit venu. De fait, ou bien cette prophétie se révélera fausse, ou bien il faut nécessairement que le Christ soit déjà venu. Les Juifs, en effet, n’ont pas de roi ou de chef issu de la descendance de Juda, et ils n’en eurent pas quand le Christ est né, puisqu’on raconte qu’il est né au temps d’Hérode (Mt 2,1), roi étrangera qui régna à ce moment sur la Judée. Qu’ils reconnaissent donc avec nous que Jésus est bien le Messie, le chef d’Israëlb. 2. C’est beau qu’il naisse à Bethléem, non pas celle qui est en terre de Zabulon (cf. Jos19,15‑16), mais celle qui est en terre de Le lien entre le règne d’Hérode et la prophétie de Gn 49,10 est fréquemment établi au Moyen Âge ; cf. Guillaume de Bourges, Livre des guerres du Seigneur XXIX,1. b Cf. Augustin, La cité de Dieu 18,45 ; cf. Jérôme, Sur Osée 1,3. a
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Sermon 88
Juda, qui est appelée Éphrata et à propos de laquelle Michée a prophétisé : Et toi, Bethléem Éphrata, tu n’es certes pas le moindre des clans de Juda, c’est de toi que sortira celui qui doit régner sur Israël ; ses origines remontent au temps jadis, aux jours antiques (Mi 5,1). Bethléem se traduit par ‘maison du Paina’. C’est donc bien à propos que le Christ naît en elle, lui qui est le pain vivant descendu du ciel (Jn 6,41), la nourriture des anges et des hommes (cf. Ps 77,25), l’arbre qui est au milieu du paradis (cf. Gn 2,9) : celui qui mangera dignement de son fruit ne mourra jamaisb. C’est pourquoi il dit de lui-même : Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle (Jn 6,54).
Naissance spirituelle 3. Il est vie éternelle (cf. 1 Jn 5,20) l’enfant qui est né pour nous corporellementc, le Christ ; mais puisse-t-il naître en nous spirituellement ! Il naît en nous spirituellement tantôt par une inspiration, tantôt par une prédication, tantôt par la lecture, tantôt par la prière, tantôt par la méditation, tantôt par une activité extérieured. À propos de la naissance de cet enfant, heureux et béni, il y aurait beaucoup de choses à dire si le temps le permettait ; mais puisqu’il se fait courte, laissons-en de côté et n’en disons pas davantage. 4. Préparons donc à notre Sauveur une demeure en nos cœursf, puisqu’il est né pour nous (Is 9,5) et qu’il désire régner en nous, Emmanuel, Dieu avec nous (cf. Mt 1,23), Fils de Dieu et fils de la Vierge Marie, qui nous sauvera de nos péchés (cf. Mt 1,21) et se déclarera pour nous devant son Père (cf. Mt 10,32) afin de faire de nous les héritiers de Dieu et les cohéritiers du Christ (Rm 8,17). Par le même Christ notre Seigneur, qui vit et est glorifié avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen. Jérôme, Lettres 108,10. Cf. Gn 3,3 ; Jn 11,26 et 1 Co 11,27. c Cf. Is 9,5 et Col 2,9. d Cf. Aelred, Sermon 85,6. e Cf. Aelred, Sermons 1,46 ; 3,39,10,32 ; 33,5 ; 34,31 etc. f Cf. Aelred, Sermon 34,30 ; cf. Jn 14,23. a
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SERMON 89 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
L’épître de la messe du jour de Noël offre l’occasion de déployer une fresque d’ensemble du dessein de salut. Seule la venue d’Élisée en personne, symbolisant le Christ, Dieu-sauveur, peut apporter au genre humain la libération promise par Dieu.
Les grâces de Dieu 1. La grâce de Dieu notre sauveur est apparue pour tous les hommes (Tt 2,11). Les grâces de Dieu sont nombreuses car, comme le dit l’Apôtre, il y a diversité de grâces, mais c’est le même Seigneur (1 Co 12,4‑5). La grâce est un don gratuitement offerta. Puis donc que tous les biens accordés par le Seigneur à ses créatures sont des présents de Dieu, il est évident que ses grâces sont aussi nombreuses que les biens qui viennent de lui. Lors donc que les grâces de Dieu sont innombrables, dans la sainte Écriture trois grâces principales se trouvent diversifiées et distinctes : la grâce de création, la grâce d’aide ou d’enseignement, et la grâce de rédemption. Par la première, nous sommes créés ; par la seconde, nous sommes éduqués et instruits si nous avons mal vécu ; par la troisième, nous sommes libérés lorsque nous étions inscrits sur Cf. Aelred, Sermon 131,10 ; cf. Augustin, Sur la grâce et le libre arbitre 21,43 ; Sermon 144,1 ; Commentaire sur l’Évangile de Jean 3,9. a
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Sermon 89
une cédule de morta. La première est générale et commune à toute créature. La seconde concerne seulement les humains, mais pas tous. La troisième est commune à tous les humains (cf. Tt 2,11) de manière générale. 2. La première est commune à toute créature parce que Dieu, dans son incommensurable libéralité, a formé de rien toute créature, alors qu’elle n’était pas ; et, sans qu’aucun mérite ait précédé, il a assigné à chaque créature une nature propre, selon son espèce (cf. Gn 1,21). La seconde concerne seulement les humains, mais non pas tous. Car, après que l’être humain se fut éloigné du culte rendu à son Dieu, après qu’il se fut écarté du chemin du salut qui lui est propre, Dieu a choisi un homme du milieu de son peuple, non pas tout homme mais un seul.
Abraham 3. Comme il est écrit, c’est à Abraham en effet que le Seigneur a adressé cette parole : Sors de ton pays… (Gn 12,1). Le Seigneur a choisi Abraham, il l’a fortifié par la foi, il l’a rendu heureux par la dilection, il se l’est attaché par des préceptes, et il a justifié sa descendance par une loi. Grande grâce pour l’homme dévoyé d’avoir été reconduit sur sa voie, d’avoir été ramené de l’erreur au chemin de vérité, d’avoir été stimulé à passer de la servitude à l’égard des idoles au culte du Dieu tout-puissantb. 4. Cette grâce était certes appropriée, mais non pas suffisante. Oui, sous l’effet de cette grâce, Abraham s’est efforcé de subvenir à lui-même en mettant sa foi en Dieu, en se justifiant lui-même autant que possible, en obtempérant aux préceptes de son Dieu. Malgré cela, il n’était pas parfait au point de suffire à son propre salut sans l’aide d’autrui. De nombreux prophètes et d’autres justes ont voulu se garder purs et immaculés sous la Loi, mais puisqu’il ne s’en est trouvé aucun en qui il n’y avait pas quelque chose dont il ne pouvait être délivré, tous avaient besoin a b
Cf. Aelred, Sermon 131,11 ; Miroir de la charité 1,14 ; cf. Col 2,14. Cf. Aelred, Sermon 175,14.
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de secours pour être sauvés. La Loi, en effet, n’a amené personne à la perfection (He 7,19), comme il est écrit, mais pour beaucoup elle paraissait plutôt augmenter les péchés que les pardonner. Elle condamnait les transgresseurs et les prévaricateurs, elle ne les absolvait pas.
La Shunamite captive 5. En cette misère, en ce malheurc, en cette oppression, la Shunamite allait chercher secours auprès d’Élisée, le suppliant de venir ressusciter son fils. Élisée, ayant compassion de la douleur et des larmes de la Shunamite, envoie son jeune serviteur avec le bâton, afin de ressusciter le fils de la Shunamite. Mais la femme pleine de sagesse ne lâcha pas Élisée jusqu’à ce qu’il ressuscite son fils (cf. 2 R 4,25‑30). 6. Élisée se traduit par ‘Dieu, mon sauveur’ ; Shunamite, ‘captived ’. Le fils défunt de cette Shunamite, c’est le genre humain, qui est mort suite à la prévarication de son premier parente. Cette Shunamite, c’est la communauté de tous les croyants depuis Abel le justef jusqu’à l’avènement du Christ. Elle est appelée ‘Shunamite’, c’est-à-dire captive, parce que, durant sa pérégrination, elle était tristement opprimée sous le joug de la captivité, soumise à la férule de Pharaon, qui faisait mettre à mort les enfants mâles (cf. Ex 1,22), en aussi grand nombre qu’il put. 7. Cette communauté des justes ne s’accordait pas avec les impies dans des œuvres mauvaises ; cependant elle partageait en quelque sorte le joug des impies. Car elle descendait aux enfers. C’est là que descendait Noé, homme juste (Gn 6,9), se sauvant luimême avec ses fils et les épouses de ses fils (cf. Gn 6,18), eu égard à sa justice. C’est là aussi que descendaient Abraham, Isaac, Jacob et tous les justes qui vivaient avant la Loi et sous la Loi, à l’exception Cf. Aelred, Sermon 85,3. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 42 ; cf. Bède le Vénérable, In canticum 4,6,12. e Cf. Aelred, Sermon 6,3 ; cf. Augustin Sermon 26,11. f Cf. Aelred, Sermons 1,47 ; 2,31. c
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d’Hénoch et d’Élie (cf. Gn 5,24 et 2 R 2,11), qui furent merveilleusement enlevés, l’un avant la Loi et l’autre après elle.
La Loi et les prophètes 8. Voyant son fils mourir ainsi chaque jour (cf. 1 Co 15,31), la Shunamite allait chercher secours auprès d’Élisée, un secours unique. En clair, elle allait chercher secours auprès d’Élisée, Dieu sauveura, car elle répandait sans relâche ses prières devant Dieu pour qu’il ait compassion des afflictions dues à la mort de ses fils. Finalement, Élisée eut pitié de la Shunamite et envoya son jeune serviteur avec le bâton (cf. 2 R 4,29), c’est-à-dire Moïse avec la Loi. Mais le bâton ayant été posé sur l’enfant, celui-ci ne reprit pas vieb (cf. 2 R 4,31), car la Loi n’était pas capable de ressusciter ou de communiquer la vie (cf. Ga 3,21), mais elle blâmait les coupables et les frappait de coups. 9. Après la Loi, ilc envoya encore les prophètes, pour effrayer l’homme par des menaces, le détournant ainsi de ses péchés, et pour l’inciter, par des caresses et des promesses, à l’amour de Dieu et au culte de la justice. Mais même ainsi l’enfant ne ressuscita pas, parce qu’il n’y avait en lui ni voix ni sensation (2 R 4,31). Il n’y avait ni voix, pour confesser ses péchés ou proclamer les louanges de Dieu comme il convenait ; ni sensation, pour se connaître soi-même et témoigner une juste gratitude pour les bienfaits de Dieu. 10. La Loi ayant été donnée et les prophètes envoyés, la sage Shunamite ne lâcha pas Élisée (cf. 2 R 4,30), mais elle le tint par le cœur, elle le tint par la promesse, elle le tint par l’espérance, elle le tint par la prière. Elle le tint par la promesse, car, après que l’homme fut tombé, afin qu’il n’aille pas ensuite s’enfoncer dans le désespoir et qu’il ne périsse entièrement, le bon et tendre Seigneur Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 42. Cf. Aelred, Sermon 86,7‑8 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 70,I,19 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 9,40,63. c Dieu, symbolisé par Élisée. a
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promit à son peuple, dans la Loi et les prophètes, une délivrancea. Consolée par l’espérance de cette promesse, la Shunamite, notre mère captive (cf. Ga 4,25‑26), ne lâchait à aucun prix Élisée, mais elle le suppliait sans relâche afin que, par lui-même – et non par un ange ou un prophète, parce que ni l’un ni l’autre ne pouvait la libérer –, il vienne lui-même ressusciter son fils mortb. Avec quelle sollicitude, quelle ardeur, cette Shunamite cria vers le Seigneur, même avant la Loi, cela nous est montré dans les fils de Jacob accablés en Égypte, à propos desquels on lit ceci : Dans leurs angoisses, les fils d’Israël ont crié vers toi, Seigneur, et tu leur as envoyé un sauveur (cf. Is 19,20). C’est ce que nous voyons aujourd’hui s’être accomplic.
Le Sauveur vient à nous 25
11. Aujourd’hui, en effet, le Rédempteur nous est envoyé (cf. Ac 7,35). Aujourd’hui, Élisée – Dieu notre sauveurd – vient à nous, sortant du sein virginal comme l’époux de sa chambre nuptialee ; à sa naissance, est donnée par les anges gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volontéf. C’est lui notre paix (Ep 2,14), il nous a réconciliés avec son Père, il nous a réconciliés avec Dieu, il nous a réconciliés avec l’ange. Voici que, comme l’un de nous (Gn 3,22), notre Élisée habite parmi nous (cf. Nb 35,35 ; Jn 1,14). Préparons-lui une demeure, comme le fit la Shunamite avisée. Apportons-lui une table et une lampe (2 R 4,10), à l’étage supérieur, dans la partie haute de notre demeure, dans notre esprit, dans notre cœur, dans notre âme.
Cf. Bède le Vénérable, In canticum 4,6,12 ; cf. Ps 110,9. Cf. Aelred, Sermon 119,7. c Cf. Aelred, Sermons 15,39 ; 20,13 ; 119,3 etc. d Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 42. e Cf. Aelred, Sermons 50,2 ; 159,6 ; Homélies sur les fardeaux 20,2 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 18,I,6 ; Commentaire sur l’Évangile de Jean 8,4 ; cf. Ps 18,6. f Lc 2,14, d’après une antienne pour la nativité du Seigneur. a
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12. Élisée – Dieu notre sauveura – est né aujourd’hui pour nousb, afin de nous communiquer la vie, afin de nous ressusciter. C’est la grâce que nous avons évoquée au début de notre sermon, cette grâcec à propos de laquelle le bienheureux Paul écrit à Tite : La grâce de notre sauveur est apparue pour tous les hommes (Tt 2,11). Oui, pour tous les hommes, car indispensable à tous les hommes est la grâce du sauveur, qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10), Jésus Christ notre Seigneur, à qui soient la puissance et la domination pour tous les siècles des siècles. Amen (cf. 1 P 4,11).
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 42. Cf. Lc 2,11 ; Is 9,5. c Cf. Aelred, Sermons 9,3 ; 112,14. a
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Le texte biblique ici présenté est habituellement appliqué au Christ. Aelred, lui-même l’a commenté en ce sens dans les sermons 22,83 et 158. Mais, par accomodation, la liturgie et la tradition chrétiennes l’ont également appliqué à la Vierge Marie. Les images bibliques se succèdent pour évoquer à la fois l’élan intérieur et la Vierge Marie qui nous rassasiera de ses fruits.
Entrée en matière 1. Venez à moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruitsa (Si 24,19). Parole brève, mais complèteb. Car en cette parole, vous avez le chemin, la manière, le point d’aboutissement. Le point d’aboutissement, c’est le contentement. La manière, c’est le désir. Le chemin, afin qu’avec célérité et en traversant vous tendiez au point d’aboutissement que vous désirez. Elle indique le chemin lorsqu’elle dit : Venez à moi. Elle propose la manière lorsqu’elle dit : Vous tous qui me désirez. Elle promet le point d’aboutissement lorsqu’elle dit : Et rassasiez-vous de mes fruits. Ces trois réalités sont la traversée, l’attirance, le terme : traverser sans s’attarder en Generationes est pris ici dans le sens actif : ce que quelqu’un engendre ou ‘produit’. b Consummans. a
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chemin, être attiré par un véhément désir, toucher au terme en étant pleinement content. 2. Venez à moi… (Si 24,19). Ces paroles, comme vous le savez, sont des paroles de Dieu, des paroles de la Sagesse, mais elles sont appliquées à sa mère Marie. Eh quoi ? Serait-il malvenu que la mère du Verbe s’applique à elle-même les paroles du Fils ? Celle de qui est sorti le Très Haut ne peut-elle se servir avec raison des paroles de la Sagesse, qui est issue de la bouche du Très Haut (cf. Si 24,3) ? Venez à moi, dit-elle. 3. Déjà, vous êtes venus de cœur, vous êtes venus par votre zèle, vous êtes venus en esprit et avec une oreille attentive. S’il en est ainsi, ou plutôt puisqu’il en est ainsi, puisque vous êtes venus jusqu’à moi le cœur libre et l’esprit allègrea, venez avec moi. Allons ensemble, allons (cf. Lc 2,15) avec grande avidité et ardent désir vers le lieu de la tente admirable, jusqu’au temple de Dieu (Ps 41,5), vers le lieu de cette tente que l’époux a dressée pour lui-même sur le soleil (cf. Ps 18,5‑6). Ô que je serais heureuse si, grâce à ma parole, votre âme se liquéfiait, s’épanchait et allait avec un débordement de tendresse vers le lieu de la tente admirable ! J’ai épanché mon âme en moi, dit-elle, car je viendrai (Ps 41,5).
La lie et les reliquats 4. Un liquide épanché passe aisément là où il est transvasé. Figé, glacé, pétrifié par le froid, il résiste. Retenu par le poids de sa masseb, il ne sait pas courir, il ne sait pas faire une traversée, il ne sait pas se transvaser d’un récipient dans l’autre, mais il repose sur sa lie, ainsi qu’il est écrit de Moab : Fertile fut Moab depuis sa jeunesse, et il reposa sur sa lie. Il n’est pas transvasé d’un récipient dans l’autre ; voilà pourquoi son goût lui resta, et sa saveur n’a pas changé (Jr 48,11). 5. Il est vrai que, chez beaucoup, nous percevons encore la saveur de leur ancienne vie, et, dans leur façon de vivre, un goût plus amer qu’au début de leur conversion. Grande est la fertilité de ce a b
Cf. Aelred, Sermons 51,8 ; 77,24. Cf. Aelred, Sermons 18,5 ; 69,9‑10.
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que, par engendrement, nous avons hérité de notre pèrea selon la chair. Épanchons cela, non en nous-mêmes mais hors de nous. Ne reposons pas sur cette lie (cf. Jr 48,11), ne reposons pas sur ces reliquats, ces reliquats de vie selon la chairb. Car la lie se pose sur les reliquats. Même si un délicieux liquide est versé sur cette lie et ces reliquats de comportements charnels, il ne peut pas faire entrer de douceur sans mélange, il introduit une saveur aigre. Si tu vois un frère qui n’a rien changé de ses impatiences d’antan, de son arrogance, de sa vantardise, de l’exubérance de ses propos, de l’insolence de ses réponses, si tu le sens encore irascible, agité, oisif, endormi, murmurateur, détracteurc, ne te semble-t-il pas qu’il reçoit son goût de la lie de Moab (cf. Jr 48,11) ?
Moyens d’éviter la corruption
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6. Il est digne de la plus grande compassion celui qui ne repose pas sur cette lie, mais qui se met en peine et qui fait tout son effort pour s’arracher à la lie boueuse (cf. Ps 39,3) ; qui considère ce bourbier comme un lieu de misères, qui épanche loin de lui ce que Moab a engendré en lui en l’avouant et en le délaissant, qui transvase ses pensées et ses attachements d’un récipient dans l’autre (cf. Jr 48,11) : de celui qui contenait la lie à celui qui est pur, c’est-à-dire consacré à un usage meilleur et plus serein. Les us de la Règle, les paroles de l’Écriture, les compassions du Seigneur, la récompense promise sont comme des récipients en lesquels nos pensées et nos affections sont préservées de la corruption. Afin que ton esprit demeure de cette manière non corrompu dans les vases, épanche loin de toi la mauvaise corruption de ce qui avait d’abord été produit en toi, afin qu’un peu de lie ne corrompe pas tout le breuvaged. Ce que Moab a produit, que cela s’éloigne et ne D’après Jérôme (Livre sur les noms hébreux 8), Moab signifie « venant du père » ; cf. Aelred, Sermon 47,16‑18. b Il s’agit des convoitises mauvaises que les humains se transmettent de père en fils ; cf. Aelred, Miroir de la charité, I,85. c Cf. Règle de saint Benoît 4,37.39‑40. d Littéralement : toute la masse ; cf. 1 Co 5,6. a
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revienne pas, pour que viennent à toi les fruits dont il est dit : Et rassasiez-vous de mes fruits (Si 24,19).
Venir, non pas passer au-delà 7. Venez. Dans la mesure où c’est une bonne exhortation, épanche ton âme en toi-même, comme dit le psalmiste, afin qu’ainsi tu puisses faire la traversée. J’ai épanché mon âme en moi, dit-il (Ps 41,5). Je me suis répandu moi-même en un immense désir de traverser, ce qui veut dire que je me suis épanché à l’intérieur. Car toute cette gloire vient de l’intérieur (cf. Ps 44,14 vg), et elle n’est pas tournée vers des choses extérieures qu’il faudrait atteindre. J’ai épanché mon âme, mais, en la maintenant en moimême, je l’ai épanchée vers Dieu. Du fait qu’elle ne s’épanche pas en dehors d’elle-même, elle est plus aisément épanchée au-dessus d’elle-même. Ainsi épanchée, satisfaite à l’intérieur d’elle-même et tendue vers au-dessus d’elle-mêmea, l’âme traverse avec une certaine impétuosité vers le lieu de la tente admirable (Ps 41,5). 8. Venez à moi (Si 24,19), est-il dit. Non pas : ‘passez au-delà’. Il y a des réalités qu’il faut traverser, d’autres qui permettent d’aller au-delà, d’autres qu’on ne peut dépasser et à partir desquelles il n’y a plus de traversée à faire. Les premières sont pour nous des obstacles, les secondes des véhicules, les troisièmes des demeures de repos et de lumière. Traversez celles qui nous filent entre les doigtsb. Ces choses transitoires sont instables et ne peuvent être retenues. Ces choses transitoires sont séduisantes ; d’ordinaire, elles nous accaparent et ralentissent notre marche. Traversez-les, ne cherchez pas à vous en emparer, ne les touchez pas, ne les regardez pas. Soyez des ‘passants’, soyez des Hébreuxc. Soyez des ‘passants’, non des résidents. Les résidents de Seïr et les Philistins, le Seigneur les a en aversion (cf. Si
Cf. Aelred, Sermons 33,34 ; 43,28‑29 ; Miroir de la charité, II,28. Littéralement : qui nous traversent et ne stationnent pas. c D’après Jérôme (Livre sur les noms hébreux 35), Hébreu signifie « celui qui passe, qui traverse ». a
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50,25‑26) : ils sont hautains et relâchés, mal intentionnés et implacables.
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9. De fait, que symbolise Séïr – qui se traduit par ‘couvert de poilsa’ – sinon ceux qui vont leur chemin, rêches et toujours armés jusqu’aux dents ? À quiconque s’approche d’eux, ils décochent comme des pointes d’épines provenant de la rugosité de leur disposition d’esprit. Celui donc qui habite en Séïr n’habite pas à l’abri de Dieu mais dans la haine du Très Hautb. Traverse donc Séïr, n’y habite pas. Traverse le pays des Philistins, c’est-à-dire de ‘ceux qui tombent par la boissonc’. Cette chute par la boisson désigne toute espèce d’excès, le relâchement d’une vie débridée, l’ébriété d’un esprit dissolu. 10. Ceux qui sont en Séïr se gonflent souvent d’orgueil en raison de la rigueur de leur manière de vivre. Les Philistins – comme faibles et pas très sûrs d’eux, mais méprisables aux yeux de tous – tombent partout à cause de leur outrecuidance ainsi que de leur manière de vivre. Car il y a une certaine ébriété qui consiste à s’infatuer des nombreuses connaissances que l’on possède et que l’on s’imagine détenir par soi-même. En toutes ses paroles, actions et attitudes, un tel homme fait étalage de lui-même et se répand au-delà des bornes de la modestie ; par sa présomption sans mesure, il laisse partout les empreintes de son esprit dominé par l’ébriété. Celui-là tombe, à juste titre : à cause du poids de son esprit boursouflé, il n’a pas la force d’atteindre les sublimités dont il cherche obstinément à se saisir. Traverse ces montagnes (cf. Si 50,26) ne veuille pas y habiter, habite à Sichem.
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 10. Cf. Ps 90,1 et Si 50,25. c D’après Jérôme (Livre sur les noms hébreux 6), Philistin signifie « tombant par la boisson ». a
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Habiter à Sichem 11. Car il y a une troisième nation, pour laquelle le Seigneur n’a pas d’aversion : c’est le peuple fou qui habite à Sichem (Si 50,25‑26). À l’ébriété des connaissances, oppose la folie. Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes (1 Co 1,25). Qui sont ces gens fous sinon ceux qui savent ne pas faire étalage d’eux-mêmes, ni se glorifier, ni se parer de l’estime et de la faveur des hommes par quelque habile tromperie ? Oppose Sichem à Séïr. Apprends à avoir des épaules – ce que signifie le mot ‘Sichema’ –, c’est-à-dire à être soumis, à supporter le fardeau fraternel – le poids du jour et sa chaleur b –, pas seulement pour un moment, mais apprends à demeurer, à habiter à Sichem. Avec Abraham, tu feras la traversée de Sichem à Bersabée, jusqu’au puitsc du rassasiement, jusqu’au puits où tu es invité quand il t’est dit : Venez à moi (Si 24,19). 12. Pourquoi tendre vers ailleurs ? Qu’avez-vous à lanterner, à rester indolents, à convoiter des choses nuisibles et à me désirer si nonchalamment ? Venez plutôt jusqu’à moi, vous qui me désirez avec ardeur (Si 24,19), vous qui avez l’expérience, vous qui avez commencé à goûter, vous qui êtes sous le charme de ce que vous avez déjà savouré, vous que les premières saveurs affriandent. Eh quoi, frères ? De si douces, de si pressantes invitations n’enchantent-elles pas vos cœurs ? Ne vous enflamment-elles pas, ne vous galvanisent-elles pas, ne vous entraînent-elles pas à faire venir au lieu de la tente admirable (Ps 41,5) ?
Exhortation finale 13. Ô frères, l’immense gloire de cette demeure est totalement inestimable. Combien merveilleux est ce temple, en chasteté, en intégrité, en humilité, plus merveilleux encore en fécondité. Seigneur Jésus, j’ai aimé la beauté de ta maison et le lieu du séjour Jérôme, Livre sur les noms hébreux 10. Mt 20,12 ; cf. Ga 6,2. c Cf. Gn 12,6 et 26,32‑33. a
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de ta gloire (Ps 25,8). C’est pourquoi j’irai partout à la ronde et je présenterai un sacrifice d’ovation (cf. Ps 26,6), j’énoncerai ses merveilles (cf. Ps 9,2) avec un intense élan d’amour. La myrrhe, l’aloès et le daphné (Ps 44,9) coulent de cette demeure d’ivoirea, demeure chaste et sans convoitise charnelle. Je ne sais quelles délices me ravissent et génèrent en moi un désir plein de douceur. Quant à vous, je sais que ce dont vous avez l’expérience génère en vous ce désir. 14. Par conséquent, venez à elle, vous qui la désirez avec ardeur, et rassasiez-vous de ses fruits (Si 24,19). Ses fruits ne sont là pour un temps, mais ils tiennent bon pour l’éternité (cf. Qo 1,4). Avec ardeur venons donc jusqu’à elle, afin qu’en elle et par elle nous ayons la vie éternelle. Par les mérites et les prières de sa très tendre mère, que notre Seigneur Jésus Christ daigne nous l’accorder, lui qui, dans les cieux, vient du Père sans l’intervention d’une mère, et qui, sur la terre, vient d’une mère sans l’intervention d’un pèreb. Il règne avec bonheur : à lui soient la force et la puissance (cf. Jude 25) pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Aelred, Sermon 75,6. Cf. Aelred, Sermon 87,11.
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SERMON 91 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Voici un début de sermon qui reprend certains thèmes du précédent, notamment celui des fruitsa de la Vierge Marie. Mais le verset d’Écriture choisi ici par notre auteur n’a pas été commenté par lui ailleurs ; on ne peut donc que regretter la mutilation du texte.
1. Moi, je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance (Si 24,18 vg). La Sagesse de Dieu, qui se déploie d’une extrémité à l’autre et dispose toutes choses avec force et douceur (Sg 8,1), se rend témoignage à elle-même en toute vérité : Moi, je suis la mère du bel amour. Ces paroles peuvent également être appliquées à Marieb, mère sainte, mère chaste, mère de miséricorde, mère du Seigneur, mère de Celui dont il est dit qu’il est Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu (cf. 1 Co 1,24). C’est elle la mère du bel amour, de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance. Ces fruits qui sont les siens tiennent bon pour l’éternitéc (cf. Qo 1,4). Ils comblent et ils surabondent. 2. Veux-tu reconnaître qu’ils tiennent bon ? Le fruit de la dilection tient bon, parce que la charité ne passe jamais (1 Co 13,8). Le fruit de la crainte tient bon, parce que la crainte chaste demeure pour les siècles des sièclesd. Le fruit de la connaissance tient bon, Cf. Aelred, Sermon 90,1, note 1. Cf. Aelred, Sermon 90,2. c Cf. Aelred, Sermon 90,14. d Ps 18,10 vg ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 18,I,10. a
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parce que la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ (Jn 17,3), Celui qu’a engendré pour nous Marie, la Vierge sans tache. 3. Veux-tu apprendre comment ces fruits rassasient ? À propos de la surabondance de la charité, on lit qu’elle surpasse toute intelligence (cf. Ph 4,7). Au sujet de la crainte, que rien ne manque à ceux qui craignent Dieua. À propos de la connaissance, ce qu’on lit dans un psaume peut être compris comme s’y rapportant : Je serai rassasié quand apparaîtra ta gloire (Ps 16,15 vg). 4. Entraîne-nous donc à ta suite (cf. Ct 1,4), bienheureuse Vierge. Fais-nous courir à tes désirs (cf. Si 24,19), toi qui as engendré pour nous le Seigneur Jésus dont il est dit que son parfum est très suave et qu’il est tout entier désirb. Pour nous, tu es devenue la mère du bel amour, de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance (Si 24,18 vg), en celui en qui ces fruits tiennent pour toujours et surabondent toujours. Puisses-tu obtenir et puisse-t-il accorder… La suite manque.
a b
Ps 33,10, tel que cité par saint Augustin. Cf. Ct 5,16, selon une ancienne version.
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SERMON 92 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Une nouvelle fois, le Père Abbé aurait préféré se taire, pour laisser parler le mystère célébré. Mais il estime pourtant de son devoir d’exhorter ses frères à la reconnaissance envers Dieu pour la paix véritable et définitive, descendue du ciel en ce jour.
Paix et joie 1. Aujourd’hui pour nous descend du ciel la paix véritable, aujourd’hui dans le monde entier les cieux font couler le miela. Aujourd’hui pour nous descend du ciel la paix véritable : nous avons dès lors à vous exhorter à toutes sortes de bien. Mais nous ne suffisons pas à tout, et d’ailleurs je ne pense pas que vous ayez grand besoin de notre exhortation. Car ce jour en tant que tel tient lieu d’exhortationb. Son charme ravit nos esprits et les tient fixés sur lui. Mais pour ne pas manquer au sermon d’usage, prenons occasion du thème proposé pour signaler deux biens. Et il ne fait pas de doute qu’en ces deux biens sont contenus tous les biens : d’une part ce que Dieu nous fait voir, d’autre part ce qu’il réclame de nous.
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Mellifluus. Répons pour la fête de Noël. Cf. Aelred, Sermons 10,1 ; 24,1 ; 39,1.
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Sermon 92
2. Ces deux réalités sont la paix qui descend du ciel, et la joie pleine de reconnaissance qui déborde du cœur des saints. Oui, les âmes des justes, telles des cieux, font aujourd’hui couler le miela. Qui ne s’épancherait tout entier en joie et gratitude, alors que du ciel descend aujourd’hui vers nous la paix véritable ? Il a un cœur de glace celui que n’enchantent pas les délices de ce jour. Imitons, mes frères, l’empressement des saints, qui sont devenus comme des cieux qui font couler le miel, et honorons la paix qui descend vers nous. Face à un tel don, quel empressement ne doit-on pas avoir ! Tels sont les deux biens qui renferment tous les autres : le bien accordé et l’empressement rendu. C’est dit brièvement, de manière générale ; voyons maintenant cela en détail.
Trois genres de paix
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3. Aujourd’hui pour nous descend du ciel la paix véritableb. Voulez-vous entendre combien le don de la paix est un bien ? Je ne vous renvoie pas tout de suite aux témoignages de l’Écriture. Vous avez votre conscience, incontestable et plus immédiate. Qu’elle vous apprenne à quel point le don de la paix est un bien, dans la mesure où vous comprenez combien l’absence de paix est un mal. De fait, qu’est-ce qui vous rend grincheux, agités et inquiets, si ce n’est l’absence de paix ? Qu’est-ce qui nous chasse totalement de l’Ordre ou nous fait décamper de notre lieu propre si ce n’est que nous avons l’habitude de nous plaindre souvent de ne pouvoir vivre en paix sous l’autorité de tel ou tel ou avec tels ou tels ? C’est donc la paix qui nous rassemble dans l’Ordre, qui nous affermit et nous encourage. Recherchez et accueillez la paix, celle qui descend aujourd’hui du ciel. 4. Toute paix ne vient pas du ciel. Il y a en effet une paix qui vient des enfers, une paix qui vient du monde, et une paix qui vient du ciel. La paix qui vient des enfers, c’est une sorte d’harmonieuse entente avec les vices et l’iniquité. La paix qui vient du monde, a b
Cf. répons pour la fête de Noël. Répons pour la fête de Noël.
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Sermon 92
c’est la tranquillité au milieu des richesses et d’un bonheur béata. La paix qui vient du ciel, c’est une paisible possession de vertus et de grâces. La première paix est fort mauvaise, la seconde est dangereuse, la troisième est très sûre. À propos de la première paix, on lit ceci : Quand un homme fort et bien armé garde son palais, tout ce qu’il possède est dans la paix (Lc 11,21). À propos de la seconde : Ce n’est pas comme le monde donne la paix que moi je vous la donne. À propos de la troisième : Je vous donne ma paix, c’est la paix que je vous laisse (Jn 14,27). À propos des deux premières, il semble qu’on peut dire : Paix ! Paix ! et il n’y a pas de paix (Jr 6,14). Jésus n’est pas venu apporter ces paix-là, mais les jeter dehorsb.
La paix qui vient du démon 5. Avant que Lui, le plus fort ne survienne, l’homme fort et bien armé – l’antique serpent (Ap 12,9), l’adversaire du genre humain (cf. 1 P 5,8) – a gardé son palais – le monde présent qui gît au pouvoir du Mauvais (1 Jn 5,19) –, possédant toutes choses dans la paix (Lc 11,21‑22). Il possédait alors le monde dans la paix par l’idolâtrie, quand personne ne bataillait contre l’erreur, quand personne n’opposait de résistance, quand personne ne prenait sa revanche. Et maintenant encore il possède un paisible palais dans le cœur de certains, quand il va et vient dans le cœur par des pensées impures et pernicieuses et que personne ne fait des remarques, personne ne les dévoile, personne ne les condamne ; quand nul ne l’empêche de posséder son cœur mais qu’il se promène de long en large dans son espritc, en toute liberté, et que nul ne le tient en bride, au moins partiellement, ou ne l’expulse totalementd. 6. Car s’il n’a pas la possibilité d’agir à sa guise comme dans un palais, il se cache comme dans un coin. Et s’il ne peut posséder tranquillement le tout, il jette le trouble, il harcèle, il s’avance Felicitas. Cf. Mt 10,34 et 13,48. c Cf. Aelred, Sermon 55,5. d Cf. Aelred, Miroir de la charité, II,3. a
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jusqu’à nos frontièresa. Bien désagréable est cet assaut, mais le combat vaut pourtant mieux que la paix qui vient de lui. Sa paix, c’est la haine, la colère, l’envie, l’ivresse et l’aliénation mentale. Car il poursuit pernicieusement ceux surtout avec qui il semble être en paix. Celui qu’il possède présentement dans une certaine paix et une mauvaise sécurité, il le fait périr en le séduisant, et il l’entraîne avec lui vers les tourments éternels. Voilà comment la paix du démon n’est pas paix (cf. Jr 6,14) mais mauvaise séduction et éternelle perdition. 7. Qu’ils disent donc, les malheureux, qu’ils disent, ceux que le démon a fâcheusement trompés : Nous avons attendu la paix, et rien de bon ; le temps de la guérison, et voici la perturbation (Jr 14,19). Dans la paix du démon, il n’y a que l’horreur des ténèbres (cf. Jb 10,21), l’ombre de la mort (cf. Lc 1,79) et la perturbation de la perdition. Il feint pourtant d’être en paix avec les réprouvés, qu’il ne tourmente donc pas par des malheurs et de mauvaises suggestions puisque, selon ses fantaisies, il les pousse à toutes sortes d’actions ignominieuses et criminelles. Mieux vaut donc le combat que la paix qui vient de lui. Comme il est écrit : Il y aura la paix lorsque Assur sera venu sur notre terre et qu’il aura piétiné à l’intérieur de nos frontières (Mi 5,4‑5).
Le Christ, le plus fort 8. Lorsqu’il sera venu, est-il dit, et qu’il aura piétiné ; et l’on prend soin de préciser : à l’intérieur de nos frontières (Mi 5,5). Même quand sera venu Assur, ‘celui qui dirigeb’, l’ennemi qui dirige des traits enflammés (cf. Ep 6,16), même quand il sera venu, qu’il ne parvienne pas sur notre terre. Même s’il attaque nos frontières, qu’il ne s’y installe pas ; même s’il foule notre sol, qu’il ne le piétine pas. Celui qui foule le sol ne s’appuie pas sur lui d’un pas assuré, stable : il ressemble à celui qui essaye de tenter autrui. (Le démon) foule le sol lorsqu’il laisse les empreintes des mauvaises a b
Voir ci-dessous, paragraphes 7‑8. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 2.
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suggestions. Il piétine ceux que, par le consentement au plaisir, il souille souvent avec la boue des vices et ceux que, par la mauvaise habitude, il enfonce dans la fosse des péchésa. 9. Mais le Christ, notre Paix, qui fit la paix entre Dieu et l’homme (cf. Ep 2,14‑16), chasse Assur hors de nos frontières et le repousse loin d’elles. Il chasse le possesseur, il repousse l’envahisseur. Certes, dit le Seigneur, ce que j’ai imaginé adviendra, ce que j’ai décidé s’accomplira : écraser Assur sur ma terre, et le piétiner sur mes montagnes (Is 14,24‑25). Vous voyez qu’il ne repousse pas seulement Satan mais qu’il l’écrase aussi sous nos pieds (cf. Rm 16,20), et il l’écrase sur sa propre terre, il le piétine sur ses montagnes. 10. Sur ma terre et sur mes montagnes (Is 14,25), est-il dit, à savoir sur ces montagnes qui sont au Seigneur, qui ne sont pas celles des vices, qui ne sont pas celles des démons, qui ne sont pas celles de l’homme fort qui a gardé son palais dans la paix. Et voici pourquoi elles ne sont plus à lui : un plus fort est survenu (cf. Lc 11,21‑22) qui a perturbé cette paix (cf. Jr 14,19), qui a démoli le palais du démon et a expulsé celui-ci en dehors des bornes afin d’établir la paix à nos frontièresb.
Prince de la paix 11. C’est lui l’enfant qui est né aujourd’hui pour nous, à qui l’on donne le nom de Dieu-fort et Prince-de-la-paix (Is 9,6). C’est un Prince, dis-je, et tout à la fois celui qui perfectionne et la perfection même. Il est Prince, lorsqu’il nous rend endurants face aux vices. Il est celui qui perfectionne, lorsqu’il nous rend libres des richesses à convoiter, lorsqu’il nous apprend à nous méfier de la paix qu’elles nous offrent, afin que nous ne soumettions pas notre cœur aux richesses quand elles s’accroissent, et que nous n’allions pas non plus nous attacher à elles (cf. Ps 61,11). C’est trop peu dire. Nous avons à nous y opposer. Nous n’avons pas seulement à repousser les a b
Cf. Aelred, Sermon 72,10 ; Homélies sur les fardeaux 5,8. Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 19,22 ; cf. Ps 147,14 et Mi 5,5.
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richesses de ce monde parce qu’elles sont moins nécessaires, mais à les redouter et à les fuir parce qu’elles sont sans consistancea. (Le Christ) est lui-même la perfection de la paix, lorsqu’il nous donne part aux vertus par un pacte perpétuel et reçu pour ainsi dire en héritage. Car sa paix n’aura pas de fin (Is 9,7).
Justice, paix et gloire
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12. Voici que je fais couler vers eux, dit-il, comme un fleuve de paix. Magnifique libéralité, qui est comparée à un fleuve : elle est sans fin en raison de sa pérennité, elle est comme un fleuve en raison de son abondance. Je fais couler vers eux, dit-il, comme un fleuve de paix et comme un torrent de gloireb. Voilà pourquoi on proclame : Gloire à Dieu au plus haut des cieuxc. Il fait d’abord couler comme un fleuve de paix, et ensuite comme un torrent de gloire. Soyez donc de ces montagnes, de celles sur lesquelles Assur est brisé et piétiné (cf. Is 14,25), afin de recevoir la paix véritable qui descend aujourd’hui du cield. 13. Oui, les montagnes reçoivent la paix, et les collines la justice (cf. Ps 71,3). Justice et paix s’embrassent (Ps 84,11) dans le Christ Seigneur. Car même si, auparavant aussi, il y avait la paix, elle était fausse parce qu’elle n’était pas associée à la justice. Mais à présent, dans les jours du Seigneur, se lèvent justice et abondance de paix (cf. Ps 71,7). Voyez l’ordre des termes. Ici, il est dit que se lèvent justice et abondance de paix. Ailleurs, on mentionne d’abord un fleuve de paix, puis un torrent de gloire (cf. Is 66,12). Suivez cette gradation : la justice, la paix, la gloire. Aujourd’hui donc descend du ciel vers nous la paix véritable, ou plutôt la justice, une abondance de paix, un torrent de gloire.
Cf. Aelred, Sermon 95,8. Is 66,12, d’après une ancienne version. c Répons pour la fête de Noël, d’après Lc 2,14. d Répons pour la fête de Noël. a
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La terre et les cieux 14. Là où tant de bonnes choses affluent gracieusement du ciel pour nous, qui ne se répandrait tout entier en cris de liesse et de louange ? En face de cet enfant qui est né aujourd’hui pour nousa, qui n’éclaterait tout entier en cris de joie ? La terre s’ébranla, est-il dit, et les cieux fondirent en face du Seigneur (Ps 67,9). La terre, paresseuse comme elle est, lourde comme elle est, la terre en somme qui est ce qu’elle est, c’est à peine si elle se meut ; elle s’émeut cependant sous l’emprise de l’émotion religieuse. Mais ceux qui sont plus parfaits, ceux qui ne sont pas de terre mais qui sont des spirituels, fondent comme les cieux et se liquéfient en ineffables transports de joie ; ils font couler le mielb en présence de l’enfant qui est né pour nous, lui en qui la paix véritable descend pour nous du cielc. 15. Et que cette paix règne dans vos cœurs (Col 3,15), avec abondance et sans fin, puisque cette paix n’a pas de fin (cf. Is 9,7). Soyez donc patients, paisibles et pacifiques, afin de mériter d’obtenir le bonheur de la paix éternelle. Que l’enfant né aujourd’hui pour nous, le Seigneur Jésus Christ, daigne l’accorder à nous et à vous, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
Cf. Is 9,6 et Lc 2,11. Melliflui ; voir note 1. c Répons pour la fête de Noël ; cf. Is 9,6 ; Ps 67,9 ; Lc 2,11. a
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SERMON 93 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
La célébration liturgique des mystères de la foi permet de voir plus clairement que les contemporains du Christa, parce que la signification des événements historiques, re-présentés dans la liturgie, est mieux perçue. L’homme n’y est pas spectateur de faits bruts, mais récepteur de la grâce contenue dans le mystère célébré. C’est pourquoi Aelred invite ses frères à se rendre à Bethléem par l’imagination pour goûter et voir, en préconisant la méthode de ‘composition de lieu’ qu’il avait déjà développée ailleursb. Cela lui offre l’occasion d’esquisser (paragraphes 8 à 11) un petit traité des sens spirituels, plus précisément deux d’entre eux : le goût et la vision.
La ferveur des bergers et la nôtre 1. Les bergers se disaient l’un à l’autre… (Lc 2,15). La voix et la vue de l’Ange avaient tout à fait enflammé les cœurs des bergers, et pourtant ils se stimulent et s’échauffent en s’exhortant les uns les autres. Oui, comme le dit Salomon, le fer s’aiguise par le fer, et l’homme s’affine au contact de son ami (Pr 27,17). Nous donc, frères, à l’exemple des saints bergers, incitons-nous les uns les autres par des hymnes, des prières, l’entrain de la voix et la gaieté du visage, Cf. Aelred, Sermons 3,38 ; 11,3. Cf. Ph. Nouzille, Expérience de Dieu et théologie monastique au xiième siècle (étude sur les sermons d’A. de Rievaulx), Cerf, 1999, p. 137‑151. a
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nous qui y sommes également conviés par les mystères de cette fête et les exemples d’en haut. Allons nous aussi voir cette grande visiona, contempler le Verbe que le Seigneur nous montre (Lc 2,15). 2. Je n’ai nulle intention de vous asséner maintenant un sermon moralisateur, et je ne le crois pas nécessaire. Comme je vous connais, le mystère de ce jour a entièrement attiré à lui vos âmes et ne vous permet pas de penser à quelque chose d’autreb. Et certes il n’est rien de plus doux, rien de plus utile à quoi vous puissiez penser, ni rien de plus merveilleux. Au reste, Celui qui est né est appelé l’Admirable (cf. Is 9,5). D’ailleurs, les bergers eux aussi, en entendant ces choses, sont tout remplis d’admiration, tout remplis d’enthousiasme et d’émotion, et, dans la ferveur de leur désir, ils se hâtent d’aller voir l’extraordinaire clarté qui s’est levée sur ceux qui résidaient dans les ténèbres et l’ombre de la mort (Lc 1,79). 3. Oui vraiment, frères, il ne convient pas que notre ardeur en soit trouvée plus tiède, alors que pour nous le mystère du Verbe incarné resplendit plus clairement. Devant eux, il vagissait dans une crèche ; tandis que devant nous il est plein de vigueur au cielc. Ces heureux bergers coururent, assoiffés de voir le Sauveur dans la chair. Quant à nous, si nous avons connu le Christ selon la chair, désormais nous ne le connaissons plus ainsi (2 Co 5,16). Car désormais le Christ Seigneur est Esprit devant notre faced. L’attente de la bienheureuse espérance soutenait leur empressement ; sa réalisation doit entretenir le nôtre. À nous il est montré quelque chose de plus admirable et de plus divin que ce qu’ils ont pressentie. 4. La lumière s’est levée pour nous. En proportion de l’immensité de cette lumière qui s’est levée, la joie (cf. Ps 96,11) a suivi. L’ange nous annonce une grande joie, parce qu’un Sauveur nous est né aujourd’hui, qui est le Christ Seigneur (Lc 2,10‑11). Il est rempli de grâce et de vérité, Celui de la plénitude duquel nous avons tous reçu (cf. Jn 1,14‑16) : de la plénitude de vérité, la lumière ; de la plénitude de grâce, la joie. Il est lui-même celui qui promulgue Cf. Lc 2,15 et Ex 3,3 ; Cf. Aelred, Sermon 30,3‑5. Cf. Aelred, Sermon 92,1. c Cf. Aelred, Sermon 20,4 ; Homélies sur les fardeaux 2,19. d Lm 4,20 (d’après la version de la Septante). e Cf. Aelred, Sermon 1,29 ; 9,6. a
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la Loi, celui qui donne la grâce (cf. Jn 1,17), éclairant par la vérité, se répandant en nous par la charité. Lui qui promulgue la Loi, il est bien celui qui donne la bénédiction. Par conséquent, allons de vertu en vertu pour voir le Dieu des dieux en Sion (cf. Ps 83,7‑8 vg). Mais voyons-le d’abord à Bethléem. Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce Verbe (Lc 2,15 vg).
Aller à Bethléem par l’imagination 5. Je ne vous invite pas à faire de la lecture. Envisagez simplement le lieu où est né le Sauveur, le Christ Seigneur (Lc 2,11). Je vous demande d’aller là-bas par l’imagination. C’est là que le Seigneur Dieu nous a aujourd’hui illuminés. Aussi, organisez ce jour solennel (cf. Ps 117,27 vg) de façon à vous rendre à de multiples reprises jusqu’au sein de la crèche sacrée. Ô bienheureuse Bethléem ! De si nombreux cœurs de saints viennent sans cesse vers toi à cette heure ! Tant de saints désirs viennent et reviennent te visiter en masse de tous les endroits de la surface terrestre ! Que de charmantes méditations vont et viennent vers toi en se pressant, en s’agglutinant ! Toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement la moindre (Mi 5,1) aujourd’hui au milieu de tant et de si ferventes professions de foi, et de si tendres louanges. 6. Eh quoi, mes frères ? N’est-ce pas un magnifique spectacle que de se représenter en peinture dans son âme un tel ralliement, de voir par l’imagination les foules des cœurs courir vers Bethléem, les rassemblements de clergé et de peuple, de moines et de vierges aller en esprit à Bethléem ? Spectacle vraiment superbe à regardera : les armées célestes et terrestres qui, depuis le ciel et la terre, convergent vers la crèche du Sauveur. Dieu a incliné ses cieux à lui et il est descendu (cf. Ps 17,10). Et comment toute la cour céleste ne s’inclinerait-elle pas avec lui, ou plutôt vers lui ? Lorsque je serai élevé de terre, dit-il, j’attirerai tout à moi (Jn 12,32). Bien plutôt,
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Cf. Aelred, Sermons 16,4 ; 155,5 ; 170,17 etc.
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bon Jésusa, c’est humilié jusqu’à terre que tu attires tout à toi. Dès ta naissance elle-même, tous se tournent vers toi et te regardent. 7. Ô étonnante compagnie : les animaux sans raison et les armées bienheureuses se retrouvent ensemble à la crèche du Sauveur ! Admirable est Dieu dans les saints (Ps 67,36 vg), mais n’est-il pas bien plus admirable encore en ces bêtes de somme ? Ô crèche pleine de richesses ! Mon âme, qui te donnera des ailes de colombe (Ps 54,7) pour aussitôt, d’un coup d’aile spirituel tout simple, t’envoler vers cette crèche et y refaire tes forces ? Elle est assurément bienheureuse la bête de somme qui demeure en cette crèche, qui est liée à elle par des liens d’amour (cf. Os 11,4), qui peut dire : Je suis devenu comme une bête de somme devant toi, et je suis toujours avec toi (Ps 72,23). Ira-t-elle mugir, ira-t-elle murmurer lorsqu’elle aura à se tenir devant cette crèche remplie de monde ? Allez donc jusqu’à Bethléem, frères, et voyez ce Verbe qui a été fait b.
Le goût et la vision 8. Ce nom de lieu n’est pas dénué de sens symboliquec. Bethléem signifie ‘maison du paind ’. Oui, c’est à bon droit qu’est appelé Bethléem, c’est-à-dire ‘maison du pain’, ce lieu où est né le Verbe qui est issu de la bouche du Très Haut (cf. Si 24,3) ; c’est en lui seul que l’homme vit (cf. Mt 4,4), et non seulement l’homme, mais l’ange et l’homme (cf. Ps 77,25). Et voyez combien à propos les bergers s’invitent d’abord à la maison du pain, ensuite à la vision du Verbe (cf. Lc 2,15). Nous sommes invités dans ce même ordre par le psaume : Goûtez et voyez combien le Seigneur est suave (Ps 33,9). Voyez comment de part et d’autre le goût est placé avant la vision. Ce qui précède est plus important. 9. Le goût appartient à la saveur, la vision à la connaissance. Et n’est-elle pas sèche et en quelque sorte aveugle, bien qu’élevée a Cette appellation est fréquente chez Aelred : voir par exemple La vie de recluse 31 ; Quand Jésus eut 12 ans 1,3 et 2,15. b Lc 2,15 vg ; Cf. Aelred, Sermon 30,4. c Cf. Aelred, Sermons 47,42 ; 111,2 etc. d Jérôme, Lettres 108,10.
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et subtile, la connaissance dont tu ne sens pas la douceur, ni ne perçois la suavité, ni n’éprouves la grâce ? Ce sont les deux réalités qui parachèvent pour ainsi dire la pratique de la contemplation : la saveur et la connaissance, la vérité et la grâce, la lumière et la joie ; et sans l’une et l’autre – à savoir, la suavité et la sérénité –, la pratique de la contemplation est soit sans consistance soit incomplète. Allons donc jusqu’à Bethléem, afin de goûter et de voir le Verbe qui a été fait (Lc 2,15). Verbe serein, Verbe suave, Verbe qui est lumière et rosée.
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10. Oui, il est dit dans le livre prophétique : Ta rosée est une rosée de lumière (Is 26,19). Elle fait l’un et l’autre : irriguer et rayonner, éclairer et féconder. Dans les gouttes de cette rosée, il y a rosée de lumière et lumière de rosée. Et il y a de la rosée sans lumière, et de la lumière sans rosée. Car il y a rosée de lumière quand, à partir de la vérité perçue, jaillit une certaine douceur et suavité de grâce. Et il y a lumière de rosée quand la suavité de la douceur d’abord éprouvée donne sérénité à l’esprit dans la lumière de la vérité. Et il y a rosée sans lumière quand la suavité réjouit beaucoup l’esprit, mais qu’une connaissance pénétrante ne l’éclaire pourtant guère. Et il y a lumière sans rosée quand la connaissance est bien présente, mais sèche et aride, non irriguée par la rosée de la délectation. 11. À la première situation se rapporte ce qui est dit : La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour le cœur droit (Ps 96,11). À la deuxième : Goûtez et voyez combien le Seigneur est suave (Ps 33,9). À la troisième : Les cieux seront obscurcis par la rosée (Dt 33,28 vg). Donne à entendre qu’elle possède la quatrième celle qui supplie son pèrea : Tu m’as donné une terre située au midi – proche du soleil, terre de lumière. Tu m’as donné une terre située au midi, mais aride – certes bonne puisque située au midi, mais peu agréable puisqu’aride. Dès lors, je t’en prie, ajoutes-y une terre irriguée (Jos 15,19). Il s’agit de Aksa, fille de Caleb (Jos 15,19). Cf. Aelred, Sermon 74,29 ; cf. Grégoire le Grand, Dialogues 3,34,4‑5. a
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Exhortation finale 12. Oui, malheureux celui dont l’âme est entièrement privée de rosée et de lumière, tout à la fois sèche et aveugle, surtout en la fête solennelle où les cieux ont fait couler le miela, où les cieux ont répandu la rosée d’en haut et distillé la douceur b, où s’est levé le Soleil de justice avec le salut sous ses ailes (Ml 3,20 vg). En une telle célébration solennelle et dans une telle affluence de saints en liesse, je vous en prie, qu’il n’y ait dans l’âme aucun reste d’aridité ni d’âpres ténèbres, mais que la lumière et la joie nous envahissent pleinement. Que les froidures de l’âme endurcie se dissolvent au lever du véritable Soleil. Que la splendeur de la vérité et le charme de la grâce remplissent ce jour depuis la veille du matin jusqu’à la nuit (Ps 129,6 vg), du moment que nous voyons la gloire du Fils unique du Père, le Verbe plein de grâce et de véritéc. 13. Où pourrions-nous séjourner avec plus d’agrément ? Que pourrions-nous méditer de plus doux et de plus assuré ? C’est être en effet agréablement en sûreté que de demeurer à Bethléem de Juda (cf. Mt 2,1), dans la maison du paind et de la confession (de louange). Bethléem me sert le bon pain, tant qu’on me dit chaque jour qu’en elle naît aujourd’hui mon Dieue. Juda signifie ‘confessionf ’, Bethléem ‘pain’ : l’un rassasie, l’autre fait entendre des chants de louange. Que mon âme regorge de la moelle de ce pain (cf. Ps 62,6), et que ma bouche dise ses louanges (cf. Ps 144,21). Il naît aujourd’hui à Bethléem de Juda, le Sauveur qui est le Christ Seigneurg. 14. Méditons ces réalités, soyons là, allons au lieu du gîte admirable, jusqu’à la crèche du Seigneurh, afin que, fortifiés par ce pain (cf. 1 R 19,8), nous passions promptement de la crèche au palais du Mellifluus. Répons pour la fête de Noël. Antienne et répons pour l’Avent ; cf. Is 45,8 et Jl 3,18. c Jn 1,14 ; cf. Lc 2,15. d Cf. Jérôme, Lettres 108,10. e Cf. Ps 41,4 et Lc 2,11. f Jérôme, Livre sur les noms hébreux 7. g Lc 2,11 et Mt 2,1. h Cf. Ps 41,5 et Lc 2,7.15. a
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ciel, où réside la lumière à jamais durable (cf. Si 24,6 vg), l’intégrité sans corruption, la santé sans infirmité, la vie sans mort. Que daigne nous l’accorder, par son Fils unique, le Père des lumières et le Dieu de toute consolationa, qui vit et règne avec ce même Fils et l’Esprit Saint pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Jc 1,17 et 2 Co 1,3.
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SERMON 94 POUR LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR
Au Moyen Âge, la fête des Fous avait pour objet d’honorer l’âne qui porta Jésus lors de son entrée à Jérusalem. Elle se célébrait le jour de la Circoncision en janvier, et donnait lieu à des manifestations populaires extravagantes. Ces divertissements, sans rapport avec le sens profond de la fête, avaient ordinairement l’église pour théâtre et les ecclésiastiques pour acteurs. Ils existaient également dans les monastères. Le sermon rappelle opportunément que la véritable joie naît du salut apporté par le Christ. Il est la pierre grâce à laquelle s’accomplit notre double circoncision : dans l’âme et la chair. La fête d’ici-bas annonce celle du huitième jour, qui sera sans fin.
Maison de deuil, maison de joie 1. La pierre est un refuge pour les hérissons (Ps 103,18 vg). Le sujet que nous proposons est concis, pour qu’une prolixité de paroles n’aille pas engendrer l’ennui dans des esprits tout absorbés par la joie du jour présenta . Oui, ce jour est solennel et joyeux. Mais il célèbre mal le sabbat celui qui est vide de choses a
Cf. Aelred, Sermons 136,4 ; 170,18 etc.
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bonnes à écouter et à faire. Et il faut éviter qu’une tristesse mortelle n’engloutisse la présente joie, qu’une jouissance éphémère n’engendre une damnation éternelle, que l’ennemi en embuscade n’entraîne soudain aux supplices les âmes dissipées en de vaines réjouissances. De là vient que le très sage Salomon, voulant préserver l’âme humaine des joies stupides, disait : Mieux vaut aller vers une maison de deuil que vers une maison de festin (Qo 7,3 vg). 2. Nous pouvons communément entendre cela de la maison en laquelle naît le Christ, en laquelle il est circoncis, en laquelle le Fils est chaque jour immoléa au Père et offert quotidiennement à Dieu pour nous. Cette maison est une maison de deuil (cf. Qo 7,3), mais c’est pourtant une maison de joie, une maison de bonheur, une maison d’allégresse. Dans cette maison, c’est-à-dire dans l’Église, ne va pas chercher un aliment charnel et périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle (cf. Jn 6,27). Dans cette maison, ne sont pas apportés aux convives des mets charnels, mais des mets spirituels, qui revigorent l’âme plutôt que le corps. Dans cette maison, le corps est offert en sacrifice, la chair est broyée, l’esprit est fortifié ; les vices sont réprimés, les vertus se lèvent et sont accueillies avec empressement. 3. Mieux vaut donc aller vers une maison de deuil, c’est-à-dire vers la sainte Église – en laquelle les fidèles versent des pleurs du genre de ceux que le Seigneur recommande dans l’Évangile : Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (Mt 5,5) – que d’aller vers une maison de festin (Qo 7,3), c’est-à-dire vers la synagogue des infidèles, là où il y a emportements, disputes, dissensions (cf. Ga 5,20), contestations ; en laquelle aussi la coupe d’or de Babylone (cf. Jr 51,7) enivre le cœur des réprouvés. Dans la maison de deuil, dans l’Église, certains pleurent sur les méfaits commis, d’autres sur les châtiments à venir, d’autres parce qu’ils sont éloignés des joies promisesb.
a b
Cf. Aelred, Sermons 3,40 ; 74,58 ; 118,26 ; 120,6 ; 121,14 etc. Cf. Aelred, Sermon 144,10.
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Sermon 94
La pierre de la circoncision 4. Ce jour dont il est question est un jour solennel et plein de joie. Réjouissons-nous en lui (cf. Ps 117,24 vg), frères. Il ne faut absolument pas que la tristesse réside en ceux pour qui le salut se trouve en Dieu, et l’espérance dans le Royaume des Cieux. Que les païens soient dans la tristesse. Que les Juifs pleurent. Que les pécheurs se lamentent sans arrêt. Mais que les justes se réjouissent (cf. Ps 31,11). Ceux qui apprécient les choses de la terre peuvent bien se réjouir en des réalités fragiles et périssables ; alors nous, qui avons l’espérance d’une si grande gloire et qui attendons l’éternité, pourquoi ne devrions-nous pas nous glorifier avec d’immenses transports de joiea ? De là vient que l’Apôtre nous recommande : Soyez toujours joyeux, priez sans cesse, en toutes occasions rendez grâces (1 Th 5,16‑18). 5. Soyons joyeux et réjouissons-nous dans le Seigneur, parce qu’aujourd’hui le Christ est circoncis pour nous et à notre place. Il est la pierre (cf. 1 Co 10,4) grâce à laquelle est éloignée de nous la corruption de vétusté et de mort. De cette pierre le psalmiste dit : Sur la pierre, tu m’as élevé (Ps 60,3). Et : Il a établi mes pieds sur la pierre (Ps 39,3). Et Salomon dit : Il est impossible de découvrir les traces du serpent sur la pierre (Pr 30,18‑19 vg). C’est sur cette pierre qu’est édifiée l’Église (cf. Mt 16,18). C’est au moyen de ce couteau de pierre que se pratique notre circoncision (cf. Jos 5,2). 6. Il a été circoncis le huitième jour (cf. Lc 2,21), de même il est ressuscité le huitième jour – c’est-à-dire le dimanche –, après avoir déposé notre vétusté, à savoir le châtiment qu’il a pris sur lui et par lequel il a ôté notre châtiment et notre faute. Car il a opposé la lumière de son unique mort aux ténèbres de notre double mortb. C’est ce qu’indique le fait qu’il a été étendu dans le tombeau durant un jour et deux nuits. 7. Et circoncis dans la chair, il nous circoncit dans l’âme et la chair. D’abord dans l’âme, ensuite dans la chair. Heureux qui a part à la première résurrection, car la seconde mort n’aura pas de pouvoir sur lui (Ap 20,6). Ici-bas, grâce au Christ, nous déposons a b
Cf. Aelred, Sermon 25,6. Cf. Aelred, Sermons 5,7 ; 109,9.
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Sermon 94
les souillures de la première naissance ; et, au huitième jour universel, la corruption de la mortalitéa.
La jeunesse de l’aigle 45
8. La circoncision enlevait la tache de la faute originelle, signifiant que toute vétusté serait enlevée grâce au Christb. Celui-ci alors reçut son nom propre, que l’ange avait auparavant indiqué (cf. Lc 2,21), et un nom était pareillement donné aux autres le jour où ils étaient circoncis ; de même ici-bas, nous devenons enfants de Dieuc de manière inchoative (cf. 1 Co 13,9), mais là-haut nous serons pleinement héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (Rm 8,17), car nous parviendrons à la mesure de la plénitude de l’âge du Christ (Ep 4,13). C’est pourquoi Salomon dit : Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse (Qo 11,9). Et le psalmiste : Ta jeunesse se renouvellera comme l’aigle (Ps 102,5). 9. Analogie symboliqued. L’aigle accablé de vieillesse a un bec qui est devenu démesurément recourbé ; on dit qu’il ne parvient pas à ouvrir son gosier et à prendre de la nourriture. C’est pourquoi il dépérit. Mais par une sorte d’ingéniosité naturelle, il lime son bec en le frottant contre la pierre et revient vers la nourriture ; et ainsi, il retrouve sa jeunesse. Ainsi également ce qui nous entrave – à savoir, la vétusté du péché –, la pierre, c’est-à-dire le Christ (cf. 1 Co 10,4), l’enlève et le fait disparaître, afin que nous soyons renouvelés en lui, nous qui oublions de manger notre pain (cf. Ps 101) du fait que la vétusté a fermé notre bouche. Que nos petits, c’est-à-dire nos mouvements déréglés, soient donc brisés contre cette pierree ; ayant déposé notre vétusté, c’est-à-dire la corruption de la mortalité, lors du huitième jour véritable, nous louerons Dieu sans fin. Cf. Aelred, Sermon 12,29‑30. Cf. Aelred, Sermons 5,5 ; 95,10 ; 96,8. c Cf. 1 Jn 3,2 ; Rm 8,16. d Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 102,9. e Cf. Ps 136,9 ; voir Règle de saint Benoît Prologue, 28 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 136,21. a
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Les deux circoncisions 10. Les secondes Vêpres de cette fête sont célébrées avec plus d’éclat et sont plus longues, parce que l’autre solennité ne connaît pas de fin. Le vêtement nouveau symbolise la beauté du corps ; la splendeur des luminaires symbolise la clarté du monde à venira ; le renversement de l’ordreb symbolise le fait que des premiers seront derniers (Mt 20,16) : ici-bas, heureux ; là-haut, malheureux. L’année nouvelle symbolise la nouveauté radicale. C’est pourquoi Isaïe dit : Il arrivera de mois en mois, de sabbat en sabbat (Is 66,23). Et : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle (Is 65,17). Et le Seigneur : Voici que je fais toutes choses nouvelles (Ap 21,5). Nouveau roi, nouveau troupeau, nouvelle loi, toutes choses sont nouvelles. Et dans le Cantique du Deutéronome : Là, ils immoleront des victimes de justice (Dt 33,19 vg). 11. Ce bienfait est signifié par le fait que le peuple d’Israël est circoncis une seconde fois (cf. Jos 5,2). La première circoncision a lieu en Égypte, c’est-à-dire en ce monde. La seconde à Gilgal – qui se traduit par ‘révélationc’ –, c’est-à-dire au ciel, là où Dieu se révélera aux siens. À ce moment-là, il a été dit : Aujourd’hui, j’ai ôté de vous l’opprobre de l’Égypte (Jos 5,9). Le péché est premièrement enlevé afin qu’il ne domine pas (cf. Rm 6,14) ; et en second lieu, afin qu’il n’existe plus du tout. Et cela, après avoir franchi le Jourdain, c’est-à-dire le fleuve de la mort. Et alors ils célébrèrent la Pâque (cf. Jos 5,10), c’est-à-dire le passage du monde au ciel. Une telle circoncision se pratique avec cette pierre. Cette pierre est un refuge pour les hérissons (Ps 103,18 vg).
Les épines du hérisson 12. Le hérisson est un petit animal, se faufilant par terre, couvert d’épines, se préparant lui-même sa nourriture, marquant de Voir Sermon 25,2.4. Allusion à la ‘fête des Fous’, qui consistait à inverser les rôles. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 35. a
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ses épines le fruit à mettre de côtéa. Et il symbolise l’humble pécheur cherchant refuge dans le Christ humbleb. C’est pourquoi dans le Cantique des cantiques on dit : Dans les trous de la pierre, dans le creux du mur d’enclos (Ct 2,14). Il se faufile humblement. Il ne s’élève pas à telle hauteur, d’où il pourrait dégringoler. Les épines des péchés, il ne les dissimule pas, et plus il les examine attentivement, plus il s’en humilie. Il travaille à recueillir le fruit des bonnes œuvres. Il mange de la cendre comme du pain (cf. Ps 101,10), il se tourmente au souvenir de ses péchés, il se satisfait des larmes de pénitence et de componction comme d’une boisson (cf. Ps 101,10), de peur que les épines ne produisent un buisson (cf. Ps 57,10 vg), c’est-à-dire la mort éternelle. 13. Voilà pourquoi la demeure est faite en bois d’acacia (cf. Ex 25,10) – semblable à de l’aubépine –, mais qui a d’abord été nettoyé et travaillé. En raison de ce que cela doit également symboliser, les couvertures sont faites en poils de chèvre (cf. Ex 26,7), qui sont piquants et rugueux. Et ces couvertures symbolisent les pénitents. Et elles sont onze (cf. Ex 36,14), car les pénitents se reprochent l’ensemble de leur transgression, ils ne présument pas de leur justicec et disent : Nous sommes des serviteurs quelconques (Lc 17,10). Et cette parole du publicain : Dieu, aie pitié du pécheur que je suis (Lc 18,13). Pour de telles gens, le Christ est un refuge (cf. Ps 103,18) et une tour forte (cf. Ps 60,4), ne permettant pas qu’ils soient tentés au-delà de leurs forces (cf. 1 Co 10,13). Dans le présent, il est un refuge de protection ; dans le futur, un refuge de sécurité.
Circoncision spirituelle 14. Si nous voulons avoir ce refuge, soyons circoncis non pas charnellement mais spirituellementd. Circoncisons nos yeux afin qu’ils ne voient pas les vanités (cf. Ps 118,37), nos oreilles afin Détails donnés par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle (8,56,133). Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 103, III,18. c Cf. Bède le Vénérable, De tabernaculo 1‑2. d Cf. Aelred, Sermons 98,3 ; 96,6. a
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qu’elles n’entendent pas les médisances, notre langue afin qu’elle ne dise pas de choses vaines ou vulgairesa, nos mains afin qu’elles ne ravissent pas les biens d’autrui mais qu’elles donnent généreusement les leurs (cf. Pr 11,24 vg), nos pieds afin qu’ils ne courent pas vers le mal. Qu’une surveillance soit exercée sur tous nos membres. Que notre cœur retranche les mauvaises pensées. 15. Cette circoncision, pratiquons-la dans l’attente de pouvoir parvenir à la véritable et complète félicité que l’on ne peut rejoindre qu’en étant circoncis de la manière qui a été dite. Détournons-nous donc des vices et des péchés, en résistant au démon et à ses suggestionsb, afin qu’avec le Christ – qui est aujourd’hui circoncis pour nous – nous puissions régner avec bonheur dans les cieux. Que daigne nous l’accorder notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Ep 5,4 ; cf. Règle de saint Benoît 6,8. Cf. Aelred, Sermon 43,19.
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SERMON 95 POUR LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR
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Ce sermon est une sorte de compilation de divers « morceaux choisis », mais il se déroule de manière harmonieuse. Vient d’abord un rappel des pratiques païennes liées à la fête des Fous ; puis il est exposé le véritable sens chrétien de la célébration de l’octave de Noël.
Traditions païennes du nouvel an 1. Quand vint le huitième jour, où l’on devait circoncire l’enfant, on lui donna le nom de Jésus (Lc 2,21). Au sujet de la naissance du Seigneur – selon laquelle, d’une mère sans pèrea est né dans le temps un enfant, qui était dès le commencement le Verbe auprès du Pèreb –, nous avons tout récemment dit quelque chose ; à présent, parlons brièvement de sa circoncision. En considération surtout du fait que peu de gens font attention au sens caché de cette fêtec et que beaucoup dédaignent même de s’en enquérir, parce qu’en ce jour ils voient que dans les églises il se fait des actions grotesques et très peu religieusesd. Cf. Aelred, Sermons 87,11 ; 90,14. Répons pour la fête de Noël ; cf. Is 9,6 ; Jn 1,1. c Cf. Aelred, Sermon 39,1 ; 93,1. d Cf. Aelred, Sermon 3,15‑16 ; voir aussi l’introduction au Sermon 94 et la note b p. 103. a
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2. Quant à nous « marchons sur des chemins de piété et des sentiers de vérité (cf. Ba 4,13 vg) avec une foi fervente, et ainsi gardons-nous de nous égarer dans l’erreur et les illusions diaboliques. Ceux qui espèrent vivre en compagnie des anges n’ont pas à se complaire dans les tromperies des démons. Quelle entente en effet entre le Christ et Béliar ? Quel accord entre le temple de Dieu et les idoles (2 Co 6,15‑16) ? Celui qui veut devenir temple de Dieu, qu’il évite soigneusement de poursuivre des choses vaines et inutiles : il risquerait alors de ne plus être temple de Dieu, mais de devenir une demeure de ténèbres, un repaire de démons (cf. Ap 18,2). 3. Insensées sont toutes les réalités qui, par la tromperie du démon, n’ont pas en elles la vérité de Dieu (cf. Rm 1,25). C’est pourquoi grave et presque incurable est la maladie de ceux qui, trompés par la suave frénésie des pratiques superstitieuses, perdent la tête sous des apparences de santé. Ce n’est nullement être en bonne santé que de dire des choses impies et méprisables, d’aimer les vanités et de poursuivre des mensonges (cf. Ps 4,3). 4. Il y a des gens qui appellent ‘nouvel an’ le premier janvier : ils courent après de vains horoscopes. Évaluant l’état de leur vie d’après des signes aléatoires donnés par des bêtes ou des oiseaux, ils scrutent l’année à venir. Et pourtant, la connaissance des choses à venir ne se trouve qu’auprès de Dieu, et l’autorité de la Loi interdit ces choses en disant : Vous ne consulterez pas les augures (Lv 19,26). Bien dignes de pitié sont les hommes qui, fortement entraînés par les erreurs des païens, observent des jours, des mois, des saisons et des années. C’est pourquoi l’Apôtre émet cette plainte à leur sujet : Je crains de m’être inutilement fatigué pour vous (Ga 4,10‑11).
Célébration chrétienne de l’octave de Noël 5. En cet enfant, dont nous célébrons aujourd’hui l’octave de la nativité (cf. Lc 2,21), il n’y a rien de vain, rien de superstitieux. Ayons donc horreur des vanités, fuyons les pratiques erronées,
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détournons-nous des impiétésa. » Certains se rendent bien compte qu’en ce jour se font des énormités, mais elles ne se produisent pas d’après des règles établies et sont bien plutôt des abus. Car cette solennité a, comme aussi les autres, son propre sens caché ; c’est ce que nous allons montrer dans ce qui suit.
Pourquoi la circoncision du Christ ?
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6. « La circoncision décrétée par la Loi, le Fils de Dieu l’a aujourd’hui reçue dans la chair, lui qui est né dans le monde sans aucune souillure de corruption et qui est venu dans la ressemblance de la chair de péché, et non pas dans une chair de péchéb. » « Du fait qu’il était vrai homme, il reçut à cause de nous ce qui appartient à l’homme, excepté le péché (cf. He 4,15). Car il ne reçut pas sa chair d’une semence d’homme, mais c’est par la puissance du Saint-Esprit que la Vierge a conçu (cf. Lc 1,35) et enfanté son fils premier né (Lc 2,7). Il est appelé premier né parce que, de manière indicible, dès avant les temps et avant toute créature, aussi bien dans le ciel que sur la terre, il obtient toute primauté (cf. Col 1,18) ou commencement. Aujourd’hui, est circoncis Jésus enfant (cf. Lc 2,21) que, selon sa nature divine, on ne peut ni voir ni toucherc. » 7. Si peut-être quelqu’un demande pourquoi le Christ est circoncis, alors qu’il est sans péché puisqu’il doit racheter Israël – c’est-à-dire tous les élus qui croiraient en lui –, nous lui répondrons brièvement. « Jésus n’est pas venu abolir la Loi mais l’accomplir (Mt 5,17), pour n’être pas dissemblables des patriarches dont il était issu selon la chair (cf. Rm 9,5). Mais ce que ceux-là ont effectué dans la chair, le Christ enseigne à le pratiquer dans l’esprit. Qu’est-ce en effet que la circoncision du Christ sinon notre chastetéd ? » La faisant voir en lui-même, il la propose à notre Pseudo-Maxime, Homélies 16. Bède le Vénérable, Homélies 1,11 ; cf. Rm 8,3. c Pseudo-Augustin, Sermon Mai 112,1. d Pseudo-Augustin, Sermon Mai 112,2. a
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imitation, en sorte que nous soyons chastes de corps et d’esprit. Aussi saint Paul donne-t-il cet avertissement : Que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas (1 Co 7,29). Et le Seigneur : Il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume de Dieu (Mt 19,12).
Son sens caché 8. Celui qui se dit disciple du Christ doit se conduire lui aussi comme le Christ s’est conduit (cf. 1 Jn 2,6). Le Christ s’est fait obéissant au Père jusqu’à la mort (cf. Ph 2,8), pour que nous aussi nous obéissions à nos supérieurs, eu égard au Christ. Il n’a pas accompli les désirs de la chair, afin que nous ne marchions pas selon la chair mais par l’Esprita. Il n’a pas amassé de trésors sur la terre (cf. Mt 6,19), afin que nous n’attachions pas notre cœur aux richesses quand elles s’accroissentb, mais bien plutôt que nous les méprisions en vue de la béatitude à venir, disant avec le bienheureux Job : Nu, je suis sorti du sein de ma mère ; nu, il me faudra aller en terre (Jb 1,21). 9. « Voilà quel est le sens caché de la circoncision du Christ : que nous retranchions de nous-mêmes tout ce qui s’est glissé de superflu dans notre cœur et notre corps, et que nous le circoncisions, nous dépouillant du vieil homme avec ses agissements, celui qui va se corrompant au fil des convoitises décevantesc. Retranchons de nous-mêmes la colère, le blasphème, la fornication et toute impureté (cf. Ga 5,19‑20). Et revêtons l’homme nouveau, c’est-à-dire le Christ, qui se renouvelle de jour en jourd. Lui qui a reçu pour nous la circoncision et qui a accompli dans son agir tout ce qu’il a enseigné, comme il est écrit de lui : Ce que Jésus a fait et enseigné (Ac 1,1)e. » Il a d’abord fait puis enseigné. Cf. Ga 5,16 et Rm 8,4. Cf. Aelred, Sermon 92,11 ; cf. Ps 61,11. c Col 3,9 et Ep 4,22. d Cf. Rm 13,14 et 2 Co 4,16. e Pseudo-Augustin, Sermon Mai 112,3‑4. a
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Circoncision et baptême 10. La circoncision désigne la purification des péchés. Dans la Loi, elle était un remède salutaire contre le péché originel ; ce qui y correspond dans l’Évangile, c’est le baptême, à ceci près que nos pères du temps de la circoncision ne pouvaient entrer au paradis avant que ne vienne l’Enfant qui est aujourd’hui circoncis (cf. Lc 2,21), celui qui avait donné la Loi et qui changerait la malédiction en bénédiction. 11. Grande est la clémence et la bonté du Créateur. « En aucun temps sa miséricorde n’a manqué. Depuis le commencement du monde, en effet, avant le temps où fut donnée la circoncision, ou bien sous la circoncision, ceux qui avaient plu à Dieu, de quelque nation qu’ils soient, avaient soin de se libérer eux-mêmes des liens de la première faute, par des offrandes sacrificielles et la vertu de la foi ; sans la foi, en effet, il est impossible de plaire à Dieu (He 11,6)a. » Ce que nous voyons comme désormais accompli, les élus (ayant vécu) depuis le commencement du monde espéraient que cela s’accomplirait à partir du Christ et en luib. 12. « Le Fils de Dieu est donc venu dans la chair (cf. 1 Jn 4,2), lui qu’attendaient les élus depuis les origines du mondec, et puisqu’il a été conçu par la puissance du Saint-Esprit (cf. Lc 1,35), il n’était nullement contaminé par la faute d’Adam. Pourtant, il se soumit miséricordieusement à l’une et l’autre forme de purification : le huitième jour après sa naissance, il est circoncis par ses parents (cf. Lc 2,21) ; et à l’âge de trente ans, il est baptisé par Jean (cf. Lc 3,21‑23). Lui qui n’eut absolument pas besoin de purification, il assuma tous les genres de purification prévus par la Loi et l’Évangile.
Circoncisions spirituelles 13. Si donc nous désirons obtenir la récompense de la suprême circoncision et de la plus belle des rénovations, ayons soin de nous Bède le Vénérable, Homélies 1,11. Cf. Aelred, Sermons 1,22 ; 20,13 ; 89,10 etc. c Cf. Aelred, Sermon 7,3. a
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soumettre pour l’instant au remède de la première circoncision et rénovation, qui se fait chaque jour par la mise en pratique des vertusa. » Considérons que la circoncision ne doit pas seulement se réaliser dans l’organe masculin, mais, selon l’avertissement de l’Apôtre, purifions-nous de toute tache et de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu (2 Co 7,1). 14. Certains, incirconcis de cœur et d’oreilles, résistent aux appels de l’Esprit Saint. Étienne, le premier martyr, leur réplique : Nuques raides, incirconcis de cœur et d’oreilles, vous avez toujours résisté à l’Esprit Saint (Ac 7,51). « De même qu’il y a une circoncision des cœurs et des oreilles, ainsi il y en a une de tous les sens de l’homme intérieur et extérieurb. » Celui qui a des yeux altiers (cf. Pr 6,17) et ouverts à ce qu’il n’est pas permis de regarder, celui-là a des yeux incirconcis. Incirconcis d’oreilles sont ceux qui n’écoutent pas les paroles de Dieu (cf. Jn 8,47), qui bouchent leurs oreilles pour ne pas entendre les saints avertissements. Le psalmiste les blâme : Leur fureur est semblable à celle d’un serpent, à celle d’un aspic sourd qui se bouche les oreilles (Ps 57,5). 15. L’aspic est donc un genre de serpent. « Le charmeur de serpents l’enchante pour le faire sortir de sa caverne ténébreuse. Mais lui, il aime ses ténèbres dont il s’enveloppe pour se cacher, et il ne veut pas sortir ; pour ne pas entendre les voix par lesquelles il se sent contraint (à sortir), il presse contre terre l’une de ses oreilles, tandis qu’à l’aide de sa queue il bouche l’autre. Autant qu’il le peut, il évite ainsi (d’entendre) ces voix et ne sort pas à l’appel de l’enchanteur. Ils sont semblables à lui ceux qui n’écoutent pas la parole de Dieu, qui non seulement ne la mettent pas en pratique mais aussi ne veulent absolument pas l’entendre afin de ne pas la mettre en pratiquec. » Les oreilles de ces gens-là sont incirconcises. 16. Incirconcis de langue et de mains sont ceux dont la langue dit la fourberie, le mensonge, le faux témoignage, la médisance et le blasphème ; dont les mains commettent l’iniquité, le vol, la Bède le Vénérable, Homélies 1,11. Bède le Vénérable, Homélies 1,11. c Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 57,7. a
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rapine et l’homicide. Ceux qui sont esclaves de la gourmandise, qui ont pour dieu leur ventre (cf. Ph 3,19), ceux-là ont leur sens du goût incirconcis. Le prophète les apostrophe ainsi : Malheur à vous qui êtes puissants à boire le vin, et vaillants à mélanger des boissons enivrantes (Is 5,22). 17. Inutile de poursuivre dans le détail. Incirconcis de tous leurs membres sont ceux qui sont enclins et prompts à pécher, nonchalants et paresseux à vivre selon le bien. Retranchons donc toute l’excroissance démesurée des vices, afin que, circoncis de cœur et de corps, nous vivions éternellement avec le Christ qui est aujourd’hui circoncis. À lui soient l’honneur et la puissance (cf. 1 Tm 6,16) pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 96 POUR LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR
Alors qu’il n’avait nul besoin de purification, le Seigneur a voulu être circoncis le huitième jour, conformément à la Loi. De même, en vue du huitième jour qu’est la résurrection bienheureuse, nous avons à circoncire spirituellement chacun de nos membres. C’est ainsi que nous entrerons véritablement dans l’alliance de Dieu.
Obéissance du Sauveur 1. Le mâle dont la chair n’aura pas été circoncise, sa vie sera retranchée du milieu de son peuple, parce qu’il aura rendu vaine mon alliance (Gn 17,14). De même que chacun des actes que le Seigneur a accomplis dans la chair nous apporte des bienfaits, de même l’ensemble des solennités qui le concernent amènent à se réjouir dans l’admirationa. Lors de sa naissance, sont apparues la bonté et l’humanité de Dieu notre Sauveur (Tt 3,4). Aujourd’hui, c’est sa merveilleuse obéissance qui nous est montrée. 2. Alors qu’il n’avait nul besoin de purification légale – lui qui n’avait aucun péché, ni originel ni délibéré –, il a pourtant voulu se soumettre aux prescriptions de la Loib ; et l’obéissance qu’il a b
Cf. Aelred, Sermon 60,1‑2. Cf. 2 Co 5,21 ; 1 P 2,22 ; cf. Aelred, Sermons 42,12 ; 50,30.
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prêcha en paroles à l’âge adulte, il la fit voir également par son exemple dès son berceau, parce qu’il n’est pas venu abolir la Loi mais l’accomplir (Mt 5,17). On dit aussi : Assume la loi que tu as promulguée toi-mêmea. Pourtant Celui qui, en droit, n’était pas soumis à la Loi – de fait, le Seigneur et l’Auteur de la Loi n’est pas tenu par celle-ci, car la loi est édictée par l’entremise du roi – voulut cependant être circoncis selon la Loi, principalement, comme dit l’Apôtre, parce qu’il fut ministre des circoncis (cf. Rm 15,8) ; voilà pourquoi il ne devait pas dès le début abolir la circoncision.
Le huitième jour
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3. La circoncision avait lieu le huitième jour, au moyen d’un couteau de silex, et un nom était alors attribué à l’enfantb. « Le huitième jour est le jour du Seigneur, le jour de la résurrection, après qu’il eut pénétré dans les enfers, emmenant les captifs (cf. Ep 4,8‑9). Le huitième jour symbolise le nouveau Testament et la plénitude des temps à venir. Jésus est circoncis le huitième jour (cf. Lc 2,21). Huit étant un chiffre parfait, le huitième jour symbolise toute la plénitudec. » 4. De fait, il y a six âges du monde, durant lesquels s’écoulent les temps de la vie présente. Le septième âge, après cette vie, est intermédiaire entre la vie présente et la vie future que nous espérons pour après le jour du jugement. En cet âge reposent les âmes fidèles déjà trépassées, attendant et désirant le huitième âge, c’està-dire la résurrection. « En effet, le huitième âge est le jour de la résurrection éternellement bienheureuse, en laquelle resplendira la gloire véritable. Le corps qui se corrompt n’appesantit désormais plus l’âme, et la demeure terrestre n’alourdit désormais plus l’esprit aux mille pensées (cf. Sg 9,15), mais le corps désormais incorruptible réjouit l’âme, et la demeure céleste élève l’homme tout entier, attaché à la vision du Créateurd. » Cf. Isidore de Séville, Sentences 3,51,1‑2. Cf. Lv 12,3 ; Jos 5,2 ; Lc 2,21. c Pseudo-Augustin, Sermon Mai 112,7. d Bède le Vénérable, Homélies 1,11. a
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5. Cette véritable et complète circoncision n’est pas pour cette vie. Qui en effet, au sein d’une génération égarée et pervertie (Ph 2,15), est à ce point circoncis en sa chair et en son esprit qu’il n’adhère à rien de fautif en son âme ou en son corps ? Personne n’est pur du péché, pas même l’enfant dont la vie sur terre n’est que d’un joura. Au huitième jour, c’est-à-dire à la résurrection, notre circoncision sera parfaite, et notre prépuce – à savoir, l’ensemble des vices – sera retranché de nous, selon ce que dit le prophète : Dans les derniers jours, le Seigneur circoncira ton cœur et ta chair b, afin que circoncis tout à la fois dans le cœur et dans la chair, et purifiés de toute tache de péché, nous parvenions avec bonheur – une fois le jugement dernier accompli – à la béatitude du Royaume des Cieux pour voir à jamais la face du Créateur.
Notre circoncision 6. Afin de mériter cette parfaite circoncision, gardons d’ici là notre cœur en toute vigilance (cf. Pr 4,23), détournant nos yeux afin qu’ils ne voient pas la vanité (cf. Ps 118,37), entourant nos oreilles d’une haie d’épines (cf. Si 28,28 vg) afin qu’elles n’entendent pas les médisances, mettant un frein à notre langue (cf. Jc 1,26) afin de ne pas tenir des propos déplacés et vains ; disons avec le prophète : Tant qu’il y aura une haleine de vie en moi et un souffle de Dieu dans mes narines, mes lèvres ne diront rien d’injuste, et ma langue ne murmurera pas de mensonge (Jb 27,3‑4). Telle est la véritable circoncision qui plaît à Dieu. 7. La circoncision se pratiquait au moyen d’un couteau de silexc, parce que, par la foi au Christ (cf. Ac 15,9) qui est appelé ‘pierre’ (cf. 1 Co 10,4), les cœurs des élus sont purifiés non seulement par la circoncision ou le baptême, mais également par la sainte réception de son Corps et de son Sang ainsi que par beaucoup d’autres sacrements. Jb 14,4 (d’après la version de la Septante). Dt 30,6 (d’après la version utilisée par le Pseudo-Augustin). c Cf. Aelred, Sermon 94,5. a
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Le nom nouveau 8. L’enfant ayant été circoncis, un nom propre lui était attribué par ses parents, le huitième joura ; c’est-à-dire qu’un nom nouveaub nous sera donné au jour de la résurrection, selon cet oracle d’Isaïe : Et il appellera ses serviteurs d’un autre nom (Is 65,15). À présent nous sommes appelés mortels, et nous le sommes (cf. 1 Jn 3,1) ; alors, nous serons immortels. Maintenant, malheureux ; alors, bienheureux. Maintenant, pécheurs ; alors, justes. Actuellement, on nous appelle fils des hommes ; mais lors de notre huitième jour, nous serons appelés fils de Dieu, selon ce mot du psalmiste : Moi, j’ai dit : Vous êtes des dieux et des fils du Très Haut, vous tous (Ps 81,6).
Circoncision, signe de l’alliance
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9. Le mâle dont la chair n’aura pas été circoncise, sa vie sera retranchée du milieu de son peuple (Gn 17,14). Le mâle est n’importe qui de fort et de courageux qui combat virilement les guerres de son Dieu (cf. 1 S 18,17). Par contre, celui qui est relâché et qui se comporte négligemment, on ne doit pas l’appeler mâle mais efféminé. Puis donc que la tache, dont notre nature a été atteinte, s’est répandue dans tout le genre humain par des parties du corps au service de la convoitise, il est prescrit de couper le prépuce de chair dans l’organe masculin. Aussi, après que la circoncision eut été donnée comme antidote au péché originel, celui auquel, avant la Loi ou sous la Loi, on n’aurait pas apporté le secours de ce remède salutaire, sa vie lui sera retranchée du milieu de son peuple, c’est-àdire de la compagnie des saints, parce qu’au paradis nos premiers parents ont rendu vaine l’alliance du Seigneur (cf. Gn 17,14), en consentant au serpent. 10. Mais pourquoi « le Dieu tout-puissant qui gouverne le ciel et la terre, quand il voulut établir son alliance avec un homme saint, fitil consister l’essentiel d’une si grande affaire dans le retranchement a b
Cf. Aelred, Sermon 94,8. Cf. Is 62,2 ; Ap 2,17.
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Sermon 96
d’un prépuce chez cet homme et ceux de sa race à venira ? » Car le Seigneur a ainsi parlé à Abraham : Voici l’alliance que tu garderas entre moi et toi, et ta postérité après toi : tout mâle parmi vous sera circoncis, et vous circoncirez la chair de votre prépuce (Gn 17,10‑11).
Circoncision spirituelle 11. Nous qui sommes attachés non pas tant au sens littéral mais bien davantage au sens spirituel (cf. Rm 2,29), « nous disons que, de même que beaucoup de choses se produisaient en figure (cf. 1 Co 10,11) et en image de la réalité à venir, de même cette circoncision charnelle était une figure de la circoncision spirituelle qu’il était convenable que le Dieu de majesté (cf. Ps 28,3) donnât en précepte aux mortels. C’est pourquoi saint Paul, docteur des nations dans la foi et la vérité (1 Tm 2,7), enseigne l’Église du Christ sur le mystère de la circoncision en disant : Prenez garde à la mutilation – il parle des Juifs qui se mutilent dans la chair –, car c’est nous, dit-il, qui sommes la circoncision, nous qui servons Dieu en esprit et ne mettons pas notre confiance dans la chair (Ph 3,2‑3). 12. Nous, peuple de Dieu qu’il s’est acquis, peuple chargé d’annoncer les merveilles du Seigneur (cf. 1 P 2,9‑10), nous recevons la circoncision, non pas seulement dans le prépuce de notre chair mais également dans nos oreilles, sur nos lèvres, dans notre cœur, sur nos pieds et nos mains, et absolument dans tous nos membresb.
Circoncision des oreilles 13. Que nos oreilles soient donc circoncises, en ne se prêtant pas à la voix des détracteurs, en n’écoutant pas les paroles injurieuses et outrageantes, en se fermant aux fausses accusations, aux irritations et aux mensongesc. Qu’elles soient bouchées et fermées, pour Origène, Homélies sur la Genèse 3,4. Cf. Aelred, Sermon 50,31. c Cf. Aelred, Sermon 98,3.6. a
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ne pas entendre les propos sanguinaires (cf. Is 33,15), qu’elles ne s’ouvrent pas aux éclats de voix impudents et ignobles, et qu’elles se détournent de tout ce qu’il est inconvenant d’écouter. Telle est la circoncision des oreilles que le Seigneur réclamait de ses auditeurs quand il disait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende (Mt 13,9). Personne ne peut, avec des oreilles incirconcises (cf. Ac 7,51) et impures, entendre les paroles saintes et pures de la Sagessea. »
Circoncision des lèvres 58
14. Qu’il y ait une circoncision des lèvres, Moïse le montre clairement quand il répond à Dieu en disant : Seigneur, cherches-en un autre pour l’envoyer. Car moi je suis incirconcis des lèvres (Ex 4,13 et 6,30 vg). « Il est incirconcis des lèvres celui qui dénigre les gens de bien, qui se complaît dans les bêtises et les grossièretés (cf. Ep 5,4), qui provoque des litiges et avance des calomnies, qui dit des paroles vaines, inconvenantes, mondaines, blasphématoires, impudiques, effrontées, et tout ce qui est indigne d’un chrétien. Mais celui qui maintient sa bouche éloignée de tout cela et règle ses discours avec jugement (cf. Ps 111,5), qui tient sa langue, s’abstient des bavardages et maîtrise ses paroles, celui-là passe avec raison pour être circoncis des lèvres. Au contraire, ceux qui profèrent hautement l’iniquité et dont la langue accapare le ciel (cf. Ps 72,8‑9) – comme le font les hérétiques – sont à considérer comme des gens incirconcis et impurs des lèvres. Mais ils sont circoncis des lèvres, ceux qui disent la Parole de Dieu et exposent une doctrine étayée par les règles évangéliques et apostoliques. Voilà la manière dont la circoncision des lèvres est mise en œuvre dans l’Église du Christ.
Circoncision de la chair 15. Voyons comment on doit recevoir la circoncision de la chair. Le membre où se trouve le prépuce est l’organe masculin a
Origène, Homélies sur la Genèse 3,4‑5.
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qui, selon la nature, sert au coït et à l’engendrement. Incirconcis dans la chair est donc celui qui se jette dans toute sorte de luxure et qui, s’adonnant en tous sens à des unions illégitimes, se laisse emporter sans frein dans les gouffres de la passiona. » Mais celui qui arrête les mouvements importuns de la chair et qui – s’il est marié – ne connaît pas d’autre femme que son épouse légitime et ne s’approche d’elle qu’aux époques qui conviennent, par motif de procréation, celui-là est circoncis dans la chair. 16. Les anachorètes, les moines et les ermites, ainsi que les autres fidèlesb instruits par l’Évangile du Christ, non seulement s’abstiennent des unions illégitimes et perverses, mais également repoussent et chassent au loin comme des serpents venimeux les attaches impures et impudiques, gardant la véritable circoncision et l’alliance de Dieu (cf. Gn 17,14) dans leur chair. Et ce n’est pas seulement la circoncision de la chair qui est gardée par les saints mais encore celle du cœur. « Si quelqu’un brûle de désirs licencieux et de basses concupiscences, commet l’adultère dans son cœur (cf. Mt 5,28), retient dans son esprit des pensées hérétiques et élabore des assertions blasphématoires opposées à la connaissance du Christ (cf. 2 Co 10,5), il est incirconcis de cœur (cf. Ez 44,9).
Circoncision de tous les membres 17. De même qu’il faut être circoncis des oreilles, des lèvres, du cœur et du prépuce de chair, de même doivent être circoncis nos mains, nos pieds, nos yeux, notre sens du goût, de l’odorat et du toucher, ainsi que chacun des membres en particulier, afin d’être un homme de Dieu accompli (2 Tm 3,17). Les mains doivent être circoncises pour s’abstenir des meurtres, des larcins, des vols. Les pieds doivent être circoncis, afin qu’ils ne s’avancent pas sur un chemin de perdition (cf. Sg 5,7), qu’ils n’entrent pas dans le conseil des méchants (cf. Ps 1,1) et qu’ils n’aient pas hâte de verser le sang (cf. Is 59,7). Puissions-nous circoncire nos yeux, afin a b
Origène, Homélies sur la Genèse 3,5‑6. Littéralement : parfaits.
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qu’ils ne s’ouvrent pas pour regarder des choses défendues, qu’ils ne convoitent pas le bien d’autrui, et qu’un regard indiscret ne se promène sur une femme pour la désirer (cf. Mt 5,28). 18. Celui qui a pour dieu son ventre (cf. Ph 3,19), qui est esclave des jouissances de la gourmandise et des convoitises charnelles, celui-là a le sens du goût incirconcis. Mais celui qui, soit qu’il mange soit qu’il boive, mange et boit pour la gloire de Dieu, comme le demande l’Apôtrea », et qui ne s’alourdit pas dans la débauche et l’ivrognerie (cf. Lc 21,34), par sa voracité, celui-là a le sens du goût circoncis. 19. « C’est ainsi qu’il faut dire que, lorsque chacun des membres sont appliqués aux fonctions voulues par Dieu, ils sont circoncis ; lorsqu’au contraire ils transgressent par leurs débordements les lois établies et données par Dieu, ils sont tenus pour incirconcis. C’est pourquoi saint Paul dit : Auparavant vous aviez mis vos membres au service du désordre qui ne mène qu’au désordre ; de la même manière mettez-les à présent au service de la justice qui mène à la sainteté (Rm 6,19). Quand nos membres étaient au service du désordre, ils n’étaient pas circoncis et il n’y avait pas en nous l’alliance de Dieu (cf. Gn 17,14). Mais après que nous avons commencé à nous mettre au service de la justice en vue de la sainteté, la promesse faite à Abraham s’est accomplie en nous. C’est là le signe de la véritable foi, qui contient le pacte d’une alliance éternelle entre Dieu et l’hommeb. » 20. Voilà quelle circoncision notre Rédempteur nous recommande aujourd’hui, afin que, comme Lui-même est circoncis dans la chair en notre faveur alors qu’il n’avait nul besoin de purificationc, nous-mêmes – qui commettons bien des écarts (cf. Jc 3,2) – nous soyons spirituellement circoncis en chacun de nos membres, ainsi qu’il a été précisé ; en sorte que, circoncis et purifiés, nous possédions la vie éternelle avec Jésus enfant aujourd’hui circoncis. Que daigne nous l’accorder l’Enfant circoncis, le Roi des anges et des hommes, Jésus Christ notre Seigneur qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen. Origène, Homélies sur la Genèse 3,6 ; cf. 1 Co 10,31. Origène, Homélies sur la Genèse 3,6 ; cf. Gn 17,10‑11. c Voir paragraphe 2. a
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SERMON 97 POUR LA VIGILE DE LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
La venue du Christ en notre chair, qui instaure le temps de la grâce, est accueillie avec joie et reconnaissance par les nations païennes ; tandis que le peuple fidèle du temps de la Loi demeure à l’écart, loin de la lumière de la foi en celui qui avait été annoncé par ses prophètes.
Juda et Jérusalem 1. Ô Juda et Jérusalem, ne craignez pas ; demain vous sortirez (2 Ch 20,17), et vous verrez la majesté du Seigneur en vousa. La totalité du temps vécu par l’humanité s’articule en trois : le premier a été le temps avant la Loi, le deuxième sous la Loi, le troisième – en lequel nous sommes – est appelé temps de la grâceb. Examinons de quelle manière nos mots du début peuvent s’appliquer aux pères qui se trouvaient sous la Loi et à nous qui sommes appelés les hommes de la grâce. 2. Ô Juda et Jérusalem, ne craignez pas (2 Ch 20,17). Juda se traduit par ‘confession’, Jérusalem par ‘vision de paixc’. Même si la Loi ne pouvait amener personne à la perfection (cf. He 7,19), Répons pour la vigile de Noël. Cf. Aelred, Miroir de la charité I,91 ; Sermons 120,2 ; 124,20. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 7 et 50. a
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les pères de l’ancienne alliance attendaient la même rédemption que celle que nous avons déjà obtenuea. Cela n’était absolument pas possible sans qu’il y ait confession des péchés et des louanges divinesb, ainsi que désir de fixer du regard la paix d’en haut. Juda et Jérusalem méritèrent donc bien leur nom, la première en raison de la confession de sa faute, l’autre en raison du désir de la paix éternelle. 3. La parole prophétique s’adresse à ceux que l’on avertit ainsi : Juda et Jérusalem, ne craignez pas (2 Ch 20,17). C’est comme si elle disait : Si pour l’instant, à cause de la désobéissance des premiers parents, vous êtes devenus pleins de crainte en descendant aux enfers, ne craignez pas, car demain vous sortirezc, ce qui veut dire qu’au temps de la grâce la divine bonté vous visitera (cf. Lc 1,68), pour vous faire sortir avec elle en vous retirant puissamment des verrous infernaux.
La libération est pour demain
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4. C’est surtout pour cela que le Seigneur voulut se relever de la mort le troisième jour : puisqu’il y a trois temps, comme nous l’avons dit, au temps de la grâce l’être humain est retiré de la gueule du perfide ennemi plus prudemment que puissammentd. C’est le jour de demain, en lequel tous les élus ont perçu le secours de la grâce divine, ayant été délivrés des liens par lesquels le diable impie les tenait enchaînés depuis très longtemps. Et vous verrez la majesté du Seigneur au-dessus de vouse. Ils ont vu la majesté du Seigneur lorsqu’ils ont obtenu de voir le Christ descendant aux enfers (cf. 1 P 3,19) afin d’en retirer tous les saints qui y étaient retenus.
Cf. Aelred, Sermon 50,14. Cf. Aelred, Sermons 89,9 ; 140,14. c Répons pour la vigile de Noël ; cf. 2 Ch 20,17. d Comme notre auteur le dit au Sermon 61,10, la puissance de Dieu se cache dans une faiblesse apparente pour mieux tromper l’ennemi. e Répons pour la vigile de Noël. a
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Sermon 97
5. Si nous voulons rapporter à nous-mêmes les paroles précitées, voici leur interprétation. Juda et Jérusalem, ne craignez pas (2 Ch 20,17). C’est comme si on disait ouvertement : Ne craignez pas la violence du démon qui vous a longtemps asservis à son joug perfide, car demain vous sortirez, ce qui veut dire que demain, jour de la nativité du Seigneur vous échapperez, libres, à sa férule. Et vous verrez la majesté du Seigneur au-dessus de vousa. La majesté du Seigneur est apparue au-dessus de nous lorsque Celui qui, en sa nature, demeure invisible avec le Père a voulu être visible en la nôtre ; Celui qui est immortel est devenu mortel ; Celui qui était insaisissable est, par sa seule grâce, saisib.
Fardeau de Duma 6. Sur ce qui est célébré, les prophètes ont beaucoup parlé en un sens spirituel. Mais Isaïe plus que les autres, nous recommandant d’honorer les joies de ce jour, a traité en plusieurs endroits de la vocation des nations païennes et du rejet des Juifs. Ceux-là, Dieu les sauve par sa seule miséricorde, tandis que les Juifs sont tenus à l’écart parce que sa justice l’exige. Voyons donc ce que dit Isaïe à ce propos : Fardeau de Duma. On me crie de Séïr : Veilleur, qu’en est-il de la nuit ? Veilleur, qu’en est-il de la nuit ? Et le veilleur dit : Le matin est venu, et la nuit ; si vous cherchez, cherchez ; convertissez-vous et venez (Is 21,11‑12). 7. Duma se traduit par ‘silencec’. Duma désigne l’orgueilleux peuple des Juifs à propos duquel Dieu reste silencieux quand il juge qu’aucun ou peu d’entre eux n’est digne d’être appelé par Lui ; et eux restent silencieux à propos de Dieu quand ils l’outragent en rejetant le Fils. Le fardeau de Duma est donc bien un fardeau, et un fardeau pénible. Quoi de plus pesant en effet que le péché ? Oui, chargés du lourd bagage de leur incroyance, les Juifs pleins de
Répons pour la vigile de Noël. Cf. Léon le grand, Traité 22,2 ; cf. Aelred, Sermons 63,9 ; 99,4 ; 111,2 etc. c Jérôme, Sur Isaïe 5,114. a
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malice portent avec eux le joug de leur condamnation. Car celui qui ne croit pas est déjà condamné (Jn 3,18).
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8. On me crie de Séïr (Is 21,11). Séïr se traduit par ‘hérissé’ ou ‘velua’. Par Séïr, on comprend le peuple des nations qui est hérissé de péchés. De même que le poil, quoique provenant de la chair, « s’avance pourtant hors de la chairb », ainsi le péché : bien qu’il trouve son origine dans notre faiblesse, il est cependant contre nature. Les Juifs se souciant peu du salut et refusant carrément de parler du Fils de Dieu, les nations crièrent tout à la fois de cœur et de bouche vers le Seigneur, afin d’obtenir les bienfaits désirés du salut : Veilleur, qu’en est-il de la nuit ? Veilleur, qu’en est-il de la nuit (Is 21,11) ? Comprenant que ce veilleur est celui dont parle le psalmiste : Si le Seigneur ne veille sur la ville, c’est en vain que la garde veille (Ps 126,1) 9. Plein d’admiration pour le dessein providentiel concernant l’humanité du Christ, le peuple des nations le questionne avec foi : Veilleur, qu’en est-il de la nuit ? Veilleur, qu’en est-il de la nuit (Is 21,11) ? Il semble dire : sans ton entremise, toute la vigilance humaine n’a que peu d’utilité ou absolument aucune ; toi donc, pour quel motif daignes-tu naître si humblement de nuit, c’est-à-dire dans une chair de péché (cf. Rm 8,3) – bien que sans union charnelle ? La nuit représente le péché : si quelqu’un marche la nuit, il bute (Jn 11,10), de même celui qui se trouve dans les ténèbres des péchés trébuche facilement car il ne perçoit pas le chemin. Poser par deux fois la question : Veilleur, qu’en est-il de la nuit ? revient, me semble-t-il, à ceci : comme il avait déjà cherché à s’informer au sujet de la naissance du Christ, une seconde interrogation vise à connaître le sens de sa vie : pourquoi Celui qui a voulu naître
Jérôme, Sur Isaïe 7,26 ; cf. Aelred, Sermon 26,29. Hugues de Saint-Victor, De amori sponsi ad sponsam (PL 176, 990 D) ; cf. Aelred, Sermon 56,9. a
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d’une ascendance pécheresse a-t-il daigné en outre vivre parmi les pécheurs ? 10. Le veilleur répond : Le matin est venu, et la nuit (Is 21,11). C’est ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : Moi je suis venu dans le monde pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles (Jn 9,39). Tel est le motif ou la raison de la naissance du Christ et de sa vie : il est venu pour que les Juifs – qui se glorifiaient d’avoir l’intelligence de la Loi et revendiquaient la connaissance de l’unique Dieu – soient convaincus de ne pas connaître Dieu et d’ignorer la Loi. Le matin est venu, et la nuit parce qu’avec la naissance du Christ le peuple des nations reçut la lumière de la foi tandis que la nuit de l’incroyance sacrilège s’étendit sur les Juifsa.
Chercher sans relâche 11. La suite du texte : Si vous cherchez, cherchez ; convertissez-vous et venez (Is 21,12). Ceux qui désirent trouver Dieu de manière salutaire ne doivent jamais se donner du bon temps, ne doivent jamais se tenir en repos. De là vient que le psalmiste recommande ceci : Recherchez sa face sans relâche (Ps 104,4). Qui est celui qui cherche le Seigneur de manière salutaire ? Celui qui s’adonne avec constance aux œuvres bonnes. Si vous cherchez, cherchez, ce qui veut dire : si vous vous consacrez au bien à faire, ne vous tenez jamais en repos jusqu’à ce que vous parveniez au lieu où il ne sera plus nécessaire d’agir. Convertissez-vous et venez (Is 21,11‑12). Celui qui s’applique à venir vers le Seigneur doit d’abord passer par une conversion. Il doit en effet se détourner des habitudes mauvaises, d’un comportement dévoyé pour que, marchant dans la droiture (cf. Mi 2,7), il parvienne à son Créateur. Que daigne nous l’accorder le Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, qui vit et règne pour tous les siècles des siècles. Amen.
Cf. Jérôme, Sur Isaïe 7,26 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 6,19 et 16,59 ; cf. Aelred, Sermons 20,23 ; 110,5 ; 124,21. a
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SERMON 98 POUR LA CIRCONCISION DU SEIGNEUR
La circoncision, signe d’alliance entre Dieu et son peuple, nous pouvons nous aussi l’assumer authentiquement en mortifiant nos membres terrestres. Sous la forme d’une sorte de dialogue entre la tradition juive et la nouveauté chrétienne, ce sermon plaide en faveur de l’interprétation spirituelle de la loi divine.
L’exemple du Seigneur 1. Aucun étranger incirconcis de cœur et incirconcis de corps n’entrera dans mon sanctuaire (Ez 44,9). « Dans la circoncision du Seigneur, nous trouvons quoi aimer, quoi admirer, quoi imiter. En elle se manifeste le grand bienfait de la faveur divine (cf. 1 Tm 3,16), et nous en rendons grâce. En elle est caché aussi et enfermé quelque chose que nous avons à accomplir en nous. Le Seigneur est venu non seulement afin de nous racheter en versant son sang (cf. He 9,22), mais encore pour nous enseigner par ses paroles et nous instruire par ses exemples. À l’âge adulte, il a donné des témoignages évidents de patience, d’humilité et surtout de charité (cf. Col 3,14) ; durant son enfance, il nous a offert des exemples
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sous le voile de symbolesa ». Lui, le médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm 2,5), qui n’est pas venu abolir la Loi mais l’accomplir (Mt 5,17), nous a miséricordieusement fait voir aujourd’hui en luimême la circoncision qu’il nous avait autrefois recommandée par le prophète Ézéchiel qui disait : Aucun étranger incirconcis de cœur et incirconcis de corps n’entrera dans mon sanctuaire.
Le questionnement juif 2. Les Juifs nous questionnent sur le sujet, voulant, par le témoignage de ce prophète, nous astreindre à la circoncision physique du prépuce. ‘Voici, affirment-ils, que le Seigneur dit par le prophète : Aucun étranger incirconcis de cœur et incirconcis de corps n’entrera dans mon sanctuaire (Ez 44,9). Dès lors, vous chrétiens, puisque vous êtes des étrangers et que vous ne faites pas partie de la descendance des Juifs à qui appartient la circoncision, vous n’entrerez pas dans le sanctuaire de Dieu – bien que vous soyez circoncis de cœur – parce que vous n’êtes pas circoncis dans la chair. Voici que le prophète – mieux, le Seigneur par le prophète – désigne l’une et l’autre circoncision, celle de la chair et celle du cœur. Il ne vous est donc pas permis d’avoir recours à l’allégorie, puisque les deux espèces de circoncision sont exigéesb.’
Le charnel et le spirituel 3. Qu’allons-nous donc répondre à cela, frères ? N’entrerons-nous pas dans le sanctuaire de Dieu parce que nous n’avons pas le signe de la circoncision dans le prépuce ? Ou bien serons-nous à ce point pressés et enfermés par les arguments des Juifs infidèles que nous ne trouvions pas de quoi répondre ? Eh bien non, peuple a Bernard de Clairvaux, Sermon pour la Circoncision 3,1 ; cf. 1 Co 10,11 ; cf. Aelred, Sermon 96,2. b Cf. Origène, Homélies sur la Genèse 3,4‑5 ; cf. Aelred, Sermon 182,3 ; Homélies sur les fardeaux 3,21.
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incrédule (cf. Mt 17,17), peuple à la nuque raide (cf. Ex 32,9), Juifs incrédules et infidèles, nous ne sommes pas incirconcis dans notre chair – comme vous le vociférez – du fait que nous conservons le prépuce. En réalité, nous sommes circoncis, non pas charnellement mais spirituellement, dans l’organe masculin, aux mains et aux pieds, dans les oreilles, sur les lèvres et dans tous les autres membresa. 4. Mais vous, Juifs trompeurs et menteurs, comprenant la Loi de manière charnelle vous retranchez le prépuce mais vous êtes incirconcis d’oreilles. « C’est pourquoi le prophète Jérémie objecte ceci, à votre grande honte : Ce peuple est incirconcis d’oreilles (Jr 6,10). En entendant cela, pourquoi n’avez-vous pas saisi le fer et coupé vos oreilles ? Par l’intermédiaire du prophète, peuple insensé et dénué de sagesse (Dt 32,6), tu es blâmé par Dieu d’avoir les oreilles incirconcises. Il ne t’est pas permis d’avoir recours à nos allégoriesb, par lesquelles nous interprétons de manière spirituelle les préceptes de la Loi. Pourquoi donc arrêter de circoncire ? Coupe tes oreilles, retranche les membres que Dieu a créés pour l’utilité des sens, le bon état et la commodité du corpsc. » 5. Dans l’Exode, nous lisons que Moïse répondit à Dieu : Seigneur, cherche quelqu’un d’autre à envoyer. Car moi, je suis incirconcis des lèvres (Ex 4,10‑13). Ainsi, Moïse le grand prophète (cf. Lc 7,16) et votre chef se juge indigne d’être envoyé à Pharaon afin de lui parler de votre liberté, pour la bonne raison qu’il est incirconcis des lèvres. Puis donc que vous approuvez la circoncision charnelle, ô Juifs, passez le couteau de silex (cf. Jos 5,2) sur vos lèvres « et découpez la parure de la bouche, puisque tel est le sens qu’il vous plaît de donner aux divines Lettres. Si, par contre, vous êtes bien forcés de ramener la circoncision du cœur, des lèvres et des oreilles à une allégorie et à une compréhension spirituelle, pourquoi protester contre nous de ce que nous comprenions la circoncision du prépuce en un sens allégorique et figuré ?
Cf. Aelred, Sermons 95,13 ; 96,9. Cf. paragraphe 2. c Origène, Homélies sur la Genèse 3,5. a
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La circoncision des chrétiens 6. Laissant de côté les Juifs incrédules et infidèles qui ont des oreilles et n’entendent pas, des yeux et ne voient pas (Ps 134,16‑17), revenons au peuple chrétien, que Dieu s’est acquis, peuple choisi pour annoncer les merveilles du Seigneur. Vous donc, frères aimés, qui êtes le peuple de Dieu (1 P 2,9‑10), choisi et aimé par Lui, recevez la digne circoncision de la Parole de Dieu dans votre cœur, dans vos oreilles, sur vos lèvres et dans le prépuce de votre chair ainsi que dans tous vos membresa », pour que, retranchant toute superfluité et irrégularité et tout ce qui s’avère contraire aux préceptes divins, vous puissiez entrer, circoncis de cœur et de corps, dans le sanctuaire de Dieub.
Le couteau de silex 7. Cette circoncision, Josué l’a donnée au peuple de Dieu pour la pratiquer avec des couteaux de silex (cf. Jos 5,2). Par le couteau de silex – au moyen duquel les Hébreux sont circoncis – est désignée la parole de Dieu, vivante et efficace, plus acérée qu’aucun glaive à deux tranchants, pénétrant jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles ; et elle démêle les sentiments et les pensées du cœur (He 4,12). Le voilà le glaive dont le Seigneur dit dans l’Évangile : Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive (Mt 10,34). Comment le genre humain peutil retrancher les irrégularités et les passions si ce n’est au moyen de ce glaive de silex à double tranchant ? Telle est la circoncision spirituelle que « le Seigneur a prescrite à Abraham en disant : La circoncision et mon alliance seront dans ta chairc. Si notre vie est si bien ordonnée en tous nos membres que tous nos mouvements se règlent sur les lois de Dieu, l’alliance de Dieu sera dans notre chaird. » Origène, Homélies sur la Genèse 3,5 ; cf. Aelred, Sermon 96,12. Cf. Ez 44,9, tel que cité par Origène ; cf. Aelred, Sermons 95,17 ; 159,20 etc. c Gn 17,13, tel que cité par Origène. d Origène, Homélies sur la Genèse 3,6. a
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Il a été circoncis pour nous
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8. Pour que l’alliance du Père soit dans notre chair (cf. Gn 17,13), le Fils a été aujourd’hui circoncis pour nous, « lui dont nous avons vu la gloire, la gloire comme d’un Fils unique issu du Père (Jn 1,14), la gloire d’une miséricorde, la gloire procédant du cœur du Père et manifestant un élan d’amour tout paternel. Si cette gloire n’était pas apparue, nous serions tous dans la misère. Car, comme le dit l’Apôtre, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu (Rm 3,23). Et dans un autre passage : Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ (Ga 6,14). Que pourrait-il y avoir de plus glorieux pour nous que d’avoir tant de valeur aux yeux de Dieu ? 9. Il est mort pour les impies (Rm 5,6) que nous sommes. Voilà tout ce qu’il a fait et pour qui. Puissions-nous donc ne pas être trouvés en possession de l’esprit de ce monde, mais de l’Esprit qui vient de Dieu (1 Co 2,12). Ne devenez pas comme le cheval et le mulet (Ps 31,9), mais comme cette bonne bête qui dit : Je suis devenu comme une bête de somme auprès de toi (Ps 72,22). De telles bêtes reconnaissent leur possesseur et la crèche de leur Seigneur (cf. Is 1,3), là où leur est déposé un fourrage très tendre, Celui qui est le pain des anges en personne (cf. Ps 77,25) : Il est le pain vivant (Jn 6,41) dont l’homme doit vivrea. »
Avoir son alliance dans notre chair 10. Que sa circoncision et son alliance se réalisent donc dans notre chair (cf. Gn 17,13), afin que nous vivions par lui, en lui et avec lui. « Comment l’alliance du Christ se réalisera-t-elle dans notre chair ? Quand j’aurai fait mourir mes membres terrestres (cf. Col 3,5), j’aurai son alliance dans ma chair (cf. Gn 17,13). Si, après avoir livré nos membres au service du désordre qui mène au désordre, nous les convertissons maintenant et les mettons au service de la justice en vue de la sainteté (Rm 6,19), nous montrons que a
Bernard de Clairvaux, Sermon pour la Circoncision 3,2.
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Sermon 98
l’alliance du Christ est bien dans notre chair. Je fais voir que son alliance est dans ma chair si je peux dire avec saint Paul : Je suis crucifié avec le Christ ; si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi (Ga 2,20). Et si je porte en mon corps les stigmates de mon Seigneur Jésus Christ (Ga 6,17). Il montrait en vérité que l’alliance de Dieu était dans sa chair, celui qui disait : Qui nous séparera de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus ? La tribulation, l’angoisse, le péril, le glaive (Rm 8,35) ? 11. Si nous confessons le Seigneur Jésus seulement en paroles et ne faisons pas voir que son alliance est dans notre chair (cf. Gn 17,13), nous serons perçus comme nous comportant à la manière des Juifs, qui s’imaginent confesser Dieu par la seule marque de la circoncision, tandis qu’ils le renient par leurs actes. Croyons donc de cœur, confessons de bouche (cf. Rm 10,9‑10), confirmons par des œuvres que l’alliance de Dieu est dans notre chair, afin que les hommes, voyant nos bonnes œuvres, glorifient notre Père qui est dans les cieuxa. » Que par son Fils unique circoncis aujourd’hui dans la chair, il nous conduise tous aux joies éternelles. Amen.
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Origène, Homélies sur la Genèse 3,7 ; cf. Mt 5,16.
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SERMON 99 POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR
Ce début de sermon souligne avec émerveillement l’admirable union des contraires en la personne du Seigneur qui devient l’Époux de l’Église des élus.
Époux de l’Église 1. Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son céleste Épouxa. Ces glorieuses paroles, mes frères, nous annoncent le commencement de notre salut, et elles expriment le motif et le sens caché de cette grande solennité. Regardons attentivement qui est cet Époux, comme il est tout à la fois grand et petit, riche et pauvre. 2. Qui donc est cet Époux ? Le Fils unique de Dieu (cf. Jn 1,14), la Puissance et la Sagesse du Père (cf. 1 Co 1,24), égal et consubstantiel à Celui qui l’a engendréb, Dieu avant tous les siècles (cf. Tt 1,2), homme qui a commencé à être dans le temps. Cet Époux n’est pas terrestre mais céleste, il ne recherche pas ce qui est de la terre, il ne convoite pas ce qui est charnel. Entièrement spirituel et divin est ce qu’il fait et dit. Car il est écrit de lui : Celui qui est de la terre parle en terrestre, celui qui vient du ciel est au-dessus de tous (Jn 3,31). Le premier homme, issu de la terre, est terrestre ; le second, qui a b
Antienne pour l’Épiphanie du Seigneur. Cf. Jn 5,18 ; He 1,3.
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Sermon 99
vient du ciel, est céleste (1 Co 15,47) : le premier est psychique, le second est spirituel (cf. 1 Co 15,46).
Si grand et si petit 3. En vertu de sa divinité, il est incorporel, immortel, invisible, insaisissable. En vertu de sa divinité, il est incorporel, car il n’est caractérisé ni par un lieu ni par un temps ; immortel, car en sa divinité, il ne peut ni mourir ni changer ; invisible – comme il l’a dit à Moïse : L’homme ne peut me voir et demeurer en vie (Ex 33,20) –, car aussi longtemps que quelqu’un est en son corps, il ne peut voir la substance de la divinité ; insaisissable, car personne ne saisit pleinement la majesté divine. 4. Qui dira comme est grand Celui dont la grandeur est sans mesure (cf. Ps 144,3) ? Comme il est grand celui qui crée toutes choses, qui maintient et gouverne tout ! Mais comme il est petit celui qui est abaissé un peu au-dessous des anges (He 2,7), celui qui est contenu dans le sein de la Vierge, celui qui est porté dans les bras de Siméon (cf. Lc 2,28) ! Voyez le mystère : l’Insaisissable est saisia, l’Invisible est vu, l’Immortel meurt ! Quelles sont ses richesses ? Au commencement était le Verbe (Jn 1,1). Quelle est sa pauvreté ? Le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14). Quelles richesses ? Tout ce qu’a le Père est à moi (Jn 16,15). Quelle pauvreté ? Il naît dans une étable, il est couché dans une mangeoire, il est enveloppé de simples langesb. 5. Un tel Seigneur, si grand, a daigné se faire Épouxc. Venant du sein du Père (cf. Jn 1,18), il est descendu dans le sein de la Vierge, d’où il est sorti comme l’époux de sa chambre nuptiale (Ps 18,6). La sainte Église des élus est appelée son épouse : elle a reçu comme bague de fiançailles la foi, elle a été rachetée par le sang de l’Époux et elle a été gratifiée de la dot qu’est l’Esprit Saint. Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son céleste Épouxd. Cf. Aelred, Sermons 24,36 ; 97,5. Cf. Lc 2,7 ; cf. Aelred, Sermons 30,12 ; 65,3. c Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 8,4 ; Aelred, Sermons 9,16 ; 50,2 ; 85,7 ; 154,13 ; 155,6 etc. d Antienne pour l’Épiphanie du Seigneur. a
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Sermon 99
6. Nous étions séparés de Dieu à cause de l’orgueil et de la désobéissance du premier homme, nous sommes réunis à lui grâce à l’humilité et à l’obéissance du second hommea. Ce qui l’a fait naître et vivre parmi nous, ce furent l’humilité et l’obéissance. Il fut baptisé en vue de recommander une plus grande humilité. Qui fut baptisé et par qui ? Le Seigneur par un serviteur, le Roi par un soldat, le Créateur par une créature, le Sauveur par quelqu’un à sauver. Sans égal est cette humilité. Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son céleste Épouxb.
a b
cf. Rm 5,19 ; 1 Co 15,47. Antienne pour l’Épiphanie du Seigneur.
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SERMON 100 POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR
Ce texte s’inspire largement de l’œuvre homilétique de Geoffroy Babion, archevêque de Bordeaux, mort en 1158. Les trois manifestations du Seigneur y sont présentées, avant d’en donner une interprétation symbolique. Puis, à partir du paragraphe 10 et jusqu’à la fin, il est question du baptême du Christ, grâce auquel nous sommes justifiés et serons glorifiés.
1. Notre Rédempteur « s’est montré aux hommes par trois faits révélateurs. Aujourd’hui, il est adoré à Bethléem par les Mages (cf. Mt 2,1‑11). Aujourd’hui, il est baptisé par Jean dans le Jourdain (cf. Mt 3,13‑17). Aujourd’hui, aux noces de Cana en Galilée il manifesta son extraordinaire puissance par le changement de l’eau en vin (cf. Jn 2,1‑11). Les trois manifestations se produisirent ce même jour en des années différentes. La première eut lieu durant la première année de la vie du Christ, la seconde durant la trentième année, la troisième durant l’année qui suivit cette dernière.
Première épiphanie 2. Aujourd’hui, par l’apparition d’une nouvelle étoile, le Sauveur fit connaître sa naissance à trois Mages habitant en Chaldée. Les Mages en effet, bons connaisseurs des astres et voyant une nouvelle étoile, comprirent, grâce à l’expérience liée à leur métier,
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qu’un nouveau roi était né. Par une inspiration divine, ils vinrent à Jérusalem et se rendirent chez Hérode en cherchant l’enfant dont ils avaient vu l’étoile en Orient, affirmant qu’il est le roi des Juifs (cf. Mt 2,1‑2.9). 3. Hérode – qui était d’origine étrangère et possédait injustement la royauté grâce à l’appui des Romainsa –, songeait secrètement à faire mourir l’enfant, craignant que la royautéb » ne lui soit enlevée. Il recommanda frauduleusement aux Mages de se renseigner exactement sur l’enfant, feignant de vouloir aller l’adorer. En repartant, les Mages suivirent l’étoile qui les devança jusqu’à ce qu’ils arrivent au logis où se trouvait l’enfant (cf. Mt 2,9‑11). L’adorant, « ils lui offrirent, selon la coutume des Perses, des cadeaux en rapport avec le mystère : de l’or, de l’encens et de la myrrhe (cf. Mt 2,11). Par l’or, ils proclament qu’il est roi ; par l’encens, ils annoncent en figure qu’il est Dieu et prêtre ; par la myrrhe, ils indiquent qu’il est mortel. Voilà pour la première épiphanie.
Deuxième et troisième manifestation 4. Durant sa trentième année, (le Seigneur) vint vers Jean, qui baptisait non pas en vue de la rémission des péchés mais en vue de préparer le baptême du Christc, afin que les hommes ne répugnent pas au baptême du Sauveur. Exempt de péché, il vint demander le baptême afin de sanctifier les eaux. Une fois qu’il fut baptisé, les cieux s’ouvrirent, et Jean vit l’Esprit Saint descendre sur lui sous la forme d’une colombe, et la voix du Père se fit entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu (cf. Mt 3,16‑17). C’était la seconde manifestation. L’année suivante, il fut invité à des noces ; le vin venant à manquer, il ordonna de remplir six cuves d’eau, et il changea l’eau en vin. Tel fut le premier des signes (cf. Jn 2,2‑11). a Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 75,1 ; cf. Bède le Vénérable, Sur saint Luc 1,5 ; cf. Aelred, Sermon 88,1. b Geoffroy Babion, Sermon pour l’Épiphanie (PL 171). c Cf. Mt 3,13 ; Lc 3,23 ; Mc 1,4 ; Ac 2,38.
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5. Par ces trois faits, le Christ s’est manifesté au monde, et en chacun d’eux il est apparu comme étant Dieu. Par les Mages, il est adoré comme Dieu. Par la voix du Père, il est déclaré Fils de Dieu. Par l’eau changée en vin lors des noces, sa puissance divine est annoncée. De là vient que cette solennité est appelée ‘Théophanie’, ce qui veut dire ‘manifestation divinea’, car en elles toutes le Christ est apparu comme étant Dieub. » Ceci a été dit de cette solennité au sens historique. Passons maintenant au sens allégorique.
Interprétation symbolique 6. Le Seigneur étant né, une nouvelle étoile apparut : elle symbolisait la lumière se levant dans les ténèbres pour le peuple qui marchait dans la région de l’ombre de la mortc. Car notre Rédempteur est la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde (Jn 1,9). Il est apparu aux nations, parce qu’elles devaient accueillir la lumière de la foi, selon ce qui est écrit : Le peuple des nations qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière (Is 9,1). « Les Mages se rendant chez Hérode perdirent l’étoile, parce que Hérode désigne le démon ; quiconque se rend chez lui est privé de la lumière céleste ; mais celui qui le délaisse reçoit la véritable lumière qu’il avait perdue. Le logis où se trouvait l’enfant désigne l’Église. Dans l’Église, le Christ est trouvé et adoré. Une fois le Christ trouvé, nous apprenons par les cadeaux des Mages ce que nous avons à lui offrir. 7. Ils lui offrent la myrrhe. La myrrhe est habituellement appliquée sur les corps des défunts pour que les vers ne s’y mettent pas ; la saveur amère de la myrrhe les tue. En ayant donc accès à l’Église, nous avons à mortifier notre chair avec ses passions et ses convoitises (Ga 5,24), afin que les vers des péchés ne prennent pas naissance. Les vices ayant été étouffés, la prière est nécessaire ; elle est signi-
Cf. Rufin, Sur l’Épiphanie 3,2. Geoffroy Babion, Sermon pour l’Épiphanie (PL 171). c Cf. Ps 111,4 ; Lc 1,79. a
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fiée par l’encensa, d’après le psalmiste : Que ma prière s’élève comme l’encens devant ta face (Ps 140,2). Viennent ensuite les œuvres de charité, désignées par l’or. De même en effet que l’or a plus de valeur que tous les autres métaux, ainsi la charité surpasse les autres vertusb. Car elle est la loi dans sa plénitude (Rm 13,10). Cette triade est nécessaire à ceux qui cherchent Jésus : la pénitence, figurée par la myrrhe ; la prière, figurée par l’encens ; et la charité, figurée par l’or.
Le baptême et les noces de Cana
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8. Dans la seconde manifestation sont montrés les mystères de notre salut. Tandis qu’il est baptisé, le Christ montre en lui-même ce qui est conféré aux baptisés. Quand quelqu’un est régénéré dans le baptême, toute la Trinité est à l’œuvre. C’est pourquoi la Trinité tout entière s’est manifestée au moment où le Christ fut baptisé : le Fils était présent dans le Christ, l’Esprit se révéla dans la colombe, et le Père dans la voixc. L’Esprit apparut dans la colombe car c’est un oiseau simple. Par cet oiseau, il voulut figurer l’innocence qui est conférée à ceux qui sont régénérés. La parole du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu (Mt 3,17) signifie que les baptisés deviennent enfants de Dieu (cf. Jn 1,12) et que ceux qui d’abord lui déplaisaient commencent à lui plaired. Le fait que les cieux se soient ouverts (cf. Mt 3,16) signifie que le ciel, qui d’abord était fermé à cause du péché, est ouvert aux baptisés. 9. Les noces (cf. Jn 2,1), en lesquelles il s’est manifesté pour la troisième fois, signifient l’union du Christ et de l’Église : l’eau y est changée en vin tandis que l’Évangile prend la place de la Loi. L’ancienne loi est comparée à de l’eau car elle n’enflammait pas d’amour pour Dieu ceux qui lui étaient soumis. L’Évangile, c’est du vin car, par le souffle de l’Esprit Saint, il rend les fidèles brûlants d’amour pour Dieu. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 10,6. Cf. Aelred, Sermon 75,25 ; Homélies sur les fardeaux 11,5. c Cf. Mt 3,16‑17 ; cf. Aelred, Sermon 31,14. d Cf. Aelred, Sermon 118,4. a
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Baptême du Christ 10. Ce jour est consacré à de bien grands mystères. D’une certaine manière, cette fête est plus grande que la solennité de la Nativité. De là vient que le bienheureux Augustin a dit : “Plus grande est la seconde naissance que la premièrea.” La première naissance est charnelle, la seconde spirituelle. Par conséquent, de même que l’âme a une plus grande dignité que la chair, la naissance de l’âme est plus digne d’être honorée que celle de la chair. Le baptême, régénération des âmes, a reçu aujourd’hui son origine. Par notre naissance, nous entrons dans le monde ; par notre régénération, le ciel nous est ouvertb. » 11. Diverses sont les raisons pour lesquelles le Christ fut baptisé, mais trois d’entre elles sont fondamentales et principales : « la première est d’accomplir toute humilité ; la seconde, de consacrer par son propre baptême le baptême de Jean ; la troisième, de signaler la venue de l’Esprit Saint dans le bain baptismal des croyantsc. » 12. Après le baptême du Seigneur, les cieux se sont ouverts et l’Esprit Saint descendit sur lui comme une colombed. « Les cieux se sont ouverts pour lui afin que soit affermie notre foi : les portes du Royaume des Cieux nous sont ouvertes par le mystère du saint baptême. Dans la colombe, qui est un oiseau simple, est apparu l’Esprit Saint, afin de faire voir la simplicité de sa nature et inciter ceux en qui il demeuree à la simplicité, à l’innocence et à la pureté. Puisque nous avons fait mention de la colombe, considérons sa nature afin que, par cet exemple de particulière innocence, nous prenions les moyens de vivre de manière plus irréprochablef. » La colombe est sans fiel, et nous-mêmes devons être exempts de toute amertume de méchanceté ainsi que du fiel du péchég, si nous désirons avoir en nous le Saint-Esprit. Pseudo-Augustin, Sermon 135,2. Geoffroy Babion, Sermon pour l’Épiphanie (PL 171). c Jérôme, Sur saint Matthieu 1,3,13. d Répons pour l’Épiphanie du Seigneur ; cf. Mt 3,16. e Cf. 1 Co 3,16 ; 2 Tm 1,14. f Bède le Vénérable, Homélies 1,12. g Cf. Ac 8,23 ; cf. Aelred, Sermon 33,43. a
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Justification et glorification 76
13. Par le baptême du Christ, nous recevons la justification et la glorification, en lesquelles consiste notre salut. La justification en est le commencement ; la glorification, l’accomplissement. En celle-là, le labeur ; en celle-ci, le fruit du labeur (cf. Jc 1,12). La justification se fait par la foi, la glorification aura lieu par la visiona. Ce que sera la mesure de cette glorification dans la vie future, l’entendement humain ne peut le saisir. À son propos il est écrit que l’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, et ce n’est pas monté au cœur de l’homme (1 Co 2,9)b. Pour l’instant donc, ne parlons pas de cette glorification, car cela dépasse nos capacités, mais disons quelque chose en vue de l’édificationc, au sujet de la justification qui a lieu maintenant. 14. Au dire de l’Apôtre, elle est ce par quoi se fait le passage vers la glorification : Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Rm 8,30). Oui, personne ne pourra obtenir la glorification si la justification n’a précédé, puisque celle-ci est mérite et celle-là récompense. Le Seigneur enseigna cela dans l’Évangile lorsqu’il annonçait le Royaume de Dieu à ses disciples (cf. Lc 4,43) ; il leur présenta en premier lieu la justice : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux (Mt 5,20). De même que Dieu se montre à ses élus en ce royaume de béatitude en vue de leur glorification, ainsi aussi il se montre à eux sur ce chemin d’exil en vue de leur justification, de sorte que Celui qui les glorifiera par la vision les justifie d’abord par la foi (cf. 2 Co 5,7). 15. Quiconque désire être justifié doit se tenir éloigné des actions mauvaises, des désirs charnelsd et des soucis du monde. Et il doit également s’adonner à l’aumône, aux jeûnes, à la prière. C’est ainsi en effet que s’accomplit toute justification (cf. Rm Cf. 2 Co 5,7 ; cf. Aelred, Sermon 31,11 ; Homélies sur les fardeaux 26,15. Cf. Aelred, Sermons 41,9 ; 86,21 ; 115,28 ; 116,20 ; 181,3. c Cf. Ep 4,29 vg ; cf. Aelred, Sermon 57,20. d Cf. Jc 3,16 ; 1 P 2,11. a
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Sermon 100
8,4) : en se tenant éloigné des vices défendus et en s’exerçant fidèlement au bien prescrit, opposer aux actions mauvaises les œuvres de miséricorde. Ajouter à cela les jeûnes pour contrecarrer les désirs charnels. Vient ensuite le culte de Dieu au lieu des soucis du monde. 16. Si dès lors, après le baptême, nous avons vécu de manière à être justifiésa, nous parviendrons à la glorification de la béatitude éternelle. Que daigne nous l’accorder le Père tout-puissant qui révéla en ce jour son Fils unique aux nations grâce à l’étoile qui les conduisaitb. À lui, ainsi qu’au Père et à l’Esprit, puissance, honneur et domination pour les siècles des siècles. Amen.
a b
In iustificationem. Cf. oraison pour l’Épiphanie ; cf. Mt 2,2.
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SERMON 101 POUR LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR
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Après une réflexion sur le cierge remis à chacun lors de la procession liturgique, l’auteur parle de l’offrande du pauvre qu’il convient de présenter au Seigneur. Puis il revient à l’antienne liturgique qu’il se proposait de commenter, et développe le sens symbolique du mot ‘Sion’ qui peut être compris comme étant la Synagogue, l’Église ou l’âme chrétienne.
Le cierge allumé 1. Orne ta chambre, Sion et reçois le Roi-Messie qu’une vierge a conçu et qu’une vierge a enfantéa. Ce luminaire, que nous tenons en main une fois par an selon la coutume afin de l’offrir à Dieu, a une triple signification. Premièrement, que nous soyons illuminés par la lumière de la vraie foi. Deuxièmement, que nous pratiquions les œuvres lumineuses des vertus. Troisièmement, que nous gardions fermement l’espérance assurée du fruit de la récompense. Oui, ces trois réalités sont exprimées en figure par notre luminaire : la véritable foi, les œuvres saintes, les bienfaits de la récompense future. a
Antienne et répons pour la fête de la Purification de Marie.
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Sermon 101
2. La cire et la flamme de feu représentent les deux natures dans le Christ : la divinité et l’humanité. Le feu symbolise la divinité, la cire symbolise la chair. Le feu illumine et brûle. La divinité illumine tout homme venant en ce monde (Jn 1,9), et la flamme de la charité brûle les impulsions charnellesa. Comme il est écrit : Dans le feu de la jalousie du Seigneur, toute chair sera dévorée (So 1,18). Le cierge en cire vierge représente la chair immaculée du Christ qui, pour convier à l’amour de la chasteté tous ceux qui croiraient en lui dans la suite des temps, monta au ciel par sa propre puissance. Il est écrit que Hénoch – « qui a été engendré par son père et qui a lui-même engendré par la voie ordinaire de la nature » – fut transporté. Élie – « qui a bien été engendré de même, mais qui n’a pas engendré – fut enlevé dans un char de feub. » L’un et l’autre durent compter sur un appui extérieur, mais la chair du Christ monta aux cieux par sa propre puissancec. Elle n’eut pas besoin d’être soulevée, car aucun poids de péché ne l’avait alourdie. Telle est notre foi : croire qu’il y a, en une seule personne, deux natures, divine et humaine, de même que nous voyons la cire et la flamme de feu former une seule réalité. Elle est cette pierre qu’est Pierre, sur laquelle est fondée l’Église du Christ (cf. Mt 16,18) : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16).
Les œuvres et la récompense future 3. Le luminaire représente nos œuvres : de même que cette lumière brille en nos mains, ainsi la charité de Dieu doit luire dans nos comportements, selon cette parole : Que votre lumière brille devant les hommes ; alors, voyant ce que vous faites, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5,16). 4. Dans ce luminaire il faut également évaluer les bienfaits de la récompense future, le moment où, avec des lampes allumées, a Cf. Aelred, Miroir de la charité, II,39 ; Sermons 105,15 ; 134,8 ; Homélies sur les fardeaux 5,12. b Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,6. c Cf. Aelred, Sermons 13,11 ; 124,38.
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Sermon 101
nous irons à la rencontre de l’Époux qui vient, et nous entrerons avec lui dans la salle des noces, si du moins nous avons été trouvés prudents et en possession de l’huile de la charité dans les vases de nos cœursa. Alors en vérité nous ne serons pas confondus lorsque nous nous adresserons à nos ennemis sur le pas de la porte (cf. Ps 126,5 vg) – je veux dire à la sortie de la vie présente –, quand les esprits mauvais qui nous tendent sans cesse des embûches se dresseront aussitôt contre tous, les bons et les méchants : contre les bons, en tramant encore à ce moment-là quelque mal, par jalousie ; contre les méchants, en déployant la rigueur de leur implacable malice. De là vient que dans l’antiquité les jugements se rendaient aux portes de la ville (cf. Za 8,16), car, à la sortie de la vie, comme nous l’avons dit, le démon a coutume de se dresser même devant ceux qui ont atteint une haute perfection, comme le bienheureux Martin et bien d’autres. Heureux celui qui ne sera pas confondu à une telle porte, celui à qui il pourra être dit en toute vérité : Le méchant n’habitera pas près de toi (Ps 5,6), mais ceux qui t’ont haï s’enfuiront loin de ta face (Nb 10,35).
L’offrande du pauvre 5. En vue d’obtenir cela, elle n’est pas médiocre l’offrande présentée aujourd’hui avec Jésus le Pauvre : un couple de tourterelles et deux petites colombes (cf. Lc 2,24), à savoir la vertu de chasteté et la perfection de la double charité, qui est désignée par les deux petites colombes en raison de leur réelle simplicité qui est un effet de la charité. Que ces deux vertus soient ton offrande, et tu seras en sécurité. On peut se procurer cette offrande à un prix abordable, à condition que tu sois pauvre, car, comme il est écrit, « cette offrande était celle des pauvresb. » On ne dit pas qu’elle était celle des riches, celle des puissants de ce monde, car, de même que la chasteté est pour eux difficile, ainsi leur charité est faible ou nulle. Elle était « celle des pauvres », est-il dit, c’est-à-dire de ceux qui, a b
Cf. Mt 25,1‑10 ; cf. Aelred, Sermon 73,3. Bède le Vénérable, Homélies 1,18 ; cf. Lv 12,6‑8.
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possédant tout, sont comme n’ayant rien (cf. 2 Co 6,10), selon cette parole : Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux (Mt 5,3). C’est pourquoi le bienheureux Martin, qui avait toujours été pauvre et modeste, pourvu de vertus, s’abîmait dans le Christ de tout son élan intérieura. Sur le pas de la porte de la mort, voyant le démon se dresser près de lui, il lui dit : « Que fais-tu ici, bête sanguinaire ? En moi, tu ne trouveras rien de répréhensibleb. » 6. C’est affreux de déshonorer par les souillures des vices cette chair que nous tenons de notre genre humain, elle que le Christ porta en lui-même et à qui il conféra une si haute valeur, au point que le Créateur de la chair s’est fait chair (cf. Jn 1,14). Dès lors, si nous négligeons d’en prendre soin, si nous ne craignons pas les tourments dus aux impuretés de la chair, ayons au moins du respect envers Lui, le Créateur, le Père, le Rédempteur. Et le devoir de la charité bien ordonnée exige que celui qui aime Dieu aime aussi son frère (1 Jn 4,21), Autrement on est reconnu avoir manqué de charité envers Dieu, car Dieu s’est fait homme et l’homme Dieu. Mais revenons à notre propos.
L’Écriture et la croix 7. Orne ta chambre, Sionc. Sion se traduit par ‘poste de guetd’. Dans les régions d’outre-mer, on a l’habitude de mettre des postes de guet à l’extrémité des vignese, c’est-à-dire qu’une roue est dressée sur un poteau et un guetteur se tient dessus, qui observe loin et large ; il veille attentivement à ce que n’entre pas dans la vigne celui qui porterait préjudice à son maîtref. Cette roue, c’est l’Écriture sainteg ; le Antienne et répons pour la fête de saint Martin ; cf. Bernard de Clairvaux, Sur le psaume 90, 7,2. b Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, lettre 3,16 ; cf. Aelred, Sermon 173,11. c Antienne et répons pour la fête de la Purification de Marie. d Jérôme, Livre sur les noms hébreux 39. e Allusion aux vignobles français, puisque Rievaulx se trouve en Angleterre. f Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 11,4 ; cf. Aelred, Sermons 32,4 et 45,37. g Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 6,2 ; cf. Aelred, Sermon 2,2. a
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poteau soutenant la roue, c’est la croix du Christ, sur laquelle s’appuie toute la divine Écriture. Comme le dit le prophète, la stature et la hauteur et l’apparence de cette roue font peur (Ez 1,18 vg). 8. On parle de la stature de la roue (cf. Ez 1,18), parce que, quels que soient ton état de vie, ta dignité et ta condition, ce que tu dois être t’est précisé dans la sainte Écriture par des sentences sûresa. Si tu es grand prêtre, par exemple, ta stature est d’être, comme dit l’Apôtre, saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs (He 7,26), non seulement par la grandeur de tes mérites mais par une saine doctrine (cf. Tt 1,9), afin de savoir quand, comment et à partir de quelles sources tu parleras au peuple de Dieu pour l’instruire et le blâmer (cf. 2 Tm 3,15‑16), lorsque ce sera nécessaire. Si tu es prêtre, grande est pareillement ta dignité, mais non moindre ton labeur. Ta stature est d’insister à temps et à contretemps (cf. 2 Tm 4,2) et de te montrer toi-même irréprochable en toutes choses, chaste, sobre, juste, ni buveur, ni arrogant, ni batailleur, ni grand mangeurb ; en outre, lorsque le loup survient (cf. Jn 10,12), tu dois faire face et t’exposer toi-même comme un rempart en faveur de la maison d’Israëlc. 9. Si tu es clerc, ta stature est d’être ce que ton nom signifie. ‘Cleros’, mot grec, se traduit en latin par ‘héritage’ ou ‘sortd ’. Sont tels ceux que le Seigneur a choisis pour son propre héritage (Ps 134,4) ; ou bien ceux qui relèvent du sort très avantageux du Seigneur. À leur sujet, un psaume dit : Le sort m’est échu d’une manière très avantageuse (Ps 15,6). Il te revient donc de t’appliquer plus que les autres à faire le bien, et de confirmer ton nom par des actes. Enfin, si tu es abbé, prieur, simple moine ou quelles que soient ta profession ou ta dignité, ta stature propre et adéquate est dans cette roue à laquelle tu dois te conformer pour ne pas dépasser la lignee de ta profession. 10. Il y a aussi la hauteur de la roue : elle concerne les seuls élus parce que là brille avec une bien évidente clarté ce qu’est la hauteur et la grandeur des justes, de quelle manière ils vivent éternellement, Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 6,18. Cf. Règle de saint Benoît 4,34‑36 ; cf. 1 Tm 3,2 ; Tt 1,7‑8. c Cf. Ez 13,5 ; Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 14,2. d Cf. Jérôme, Lettres 52,5. e Cf. Aelred, Miroir de la charité, II,33. a
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et que leur récompense est auprès du Seigneur (Sg 5,16). Par exemple, si tu es chaste, voici quelle est ta hauteur : ceux qui vivent chastement sont, d’après l’Apôtre, un temple du Saint-Esprit (1 Co 6,19). Si tu es humble et patient, écoute le prophète : L’Esprit du Seigneur repose sur les humbles et les patientsa. De même dans la mesure où tu auras été doux, miséricordieux, pacifique, grande est assurément la hauteur de ta gloire, comme on le lit : Heureux les doux car ils posséderont la terre (Mt 5,4). Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde (Mt 5,7). Heureux les pacifiques car ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9). Enfin, quel que soit ton mérite, si tu as aussi donné un verre d’eau fraîche en son nom, tu ne perdras pas ta récompense (cf. Mc 9,41), car aucun bien n’est laissé sans récompense, comme au contraire aucun mal ne reste impuni.
Le guetteur 11. Le guetteur de la roue (cf. Ez 1,18), c’est tout responsable d’Église, qui a le devoir de monter en haut et de regarder plus loin et plus librement. Il lui est dit : Monte sur une montagne élevée, toi qui annonces la bonne nouvelle à Sion (Is 40,9). Il doit se tenir au-dessus, non en dessous ; il ne doit pas se tenir en dessous comme un esclave, mais au-dessus comme un maître. Dès lors, il ne suffit pas qu’il accomplisse en paroles et en actes tout ce qui relève de la Loi (cf. Dt 32,46) et qu’il s’étudie non pas tant à être le premier par le prestige de l’autorité qu’à être utileb par l’exemple des vertus ; mais il faut encore qu’il sache, par une saine doctrine (cf. Tt 1,9) tirer de son trésor du neuf et de l’ancienc. Autrement comment un « prédicateur muetd » – qui détruirait par le silence tout ce qu’il aurait édifié par l’exemple – pourrait-il donner de la voix ?
Is 66,2, d’après la version de la Septante. Cf. Règle de saint Benoît 64,8. c Mt 13,52 ; cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 11,4. d Grégoire le Grand, Règle Pastorale 2,4. a
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La vigne du Seigneur et ses ennemis
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12. Cette vigne, c’est l’Église, que le Seigneur a transférée d’Égypte, d’un endroit d’horreur et de vaste solitude (cf. Dt 32,10), pour la planter dans le lieu très solide que lui-même a façonné (cf. Ex 15,17). Les renards, le loup et le sanglier des forêts sont chaque jour à l’affût contre cette vigne. Les renards font des ravages, le loup emporte, le sanglier démolit touta. Le renard est un animal sournois : son corps est roux, sa gorge seule est blanche. Ainsi les paroles de l’hérétique et de celui qui est faussement bon dans l’Église sont blanches en surface, mais leurs œuvres sont pleines de sang (cf. Is 1,15). Les renards sont à attraperb, comme l’ordonne l’Écriture : Attrapez les renards, les petits renards ravageurs de vignes (Ct 2,15). Contre le loup, il faut crier en redoublant d’effort, selon cette parole : Crie, ne cesse point, élève fortement la voix (Is 58,1). Au sanglier – qui démolit tout – il faut résister en ne craignant pas de l’affronter, même au risque de sa vie, suivant en cela les traces (cf. 1 P 2,21) de Celui qui a donné sa vie pour ses brebis (Jn 10,11). Mauvais est le renard, plus mauvais est le loup, pire que tout est le sanglier. Mauvaise, la chose qui rôde dans les ténèbres ; plus mauvaise, la flèche qui vole de jour ; pire que tout, le démon de midi (cf. Ps 90,6).
La chambre de Sion 13. Orne ta chambre, Sionc, est-il dit. La chambre est la pièce de logement située assez loin de la cour : c’est là que se donnent les conseils, que se découvrent les secrets et que se font les échanges intimes. La chambre doit être ornée surtout à l’arrivée des riches ou des princes de la terre, ou lors des principales solennités de l’année. Cf. Ps 79,14 ; Ct 2,15 ; Jn 10,12. Cf. Aelred, Sermon 68,19‑20 ; cf. Jérôme, Sur Ézéchiel 4,13 ; cf. Bède le Vénérable, Sur le Cantique 2,2,15. c Antienne et répons pour la fête de la Purification de Marie. a
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14. Sion, comme il a été dita, se traduit par ‘poste de guet’, et désigne la Synagogue qui, en la personne des patriarches et des prophètesb, guettait la venue du Christ et la prophétisait. Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais (Is 64,1), dit l’un d’entre eux. Et un autre : Seigneur, incline tes cieux et descends (Ps 143,5) ! Cet avertissement lui est donné en premier, afin qu’elle se pare ellemême et qu’elle soit prête à aller à la rencontre du Seigneurc, elle qui fut son peuple particulier (cf. Dt 7,6), la race choisie, le sacerdoce royal (1 P 2,9), où il habitait comme en une chambre bien à lui, selon ce mot du prophète : J’habiterai en eux et je marcherai au milieu d’eux (2 Co 6,16). Mais parce que l’aveuglement atteignit une grande partie d’Israël (Rm 11,25), non seulement ils refusèrent de tendre l’oreille pour bien écouter, mais ils exaspérèrent le Dieu très haut et l’irritèrent assez souvent par leurs fautesd. 15. Cela peut aussi être appliqué à la sainte Église, appelée Sion parce qu’elle contemple fidèlement la gloire du Seigneur (cf. 2 Co 3,18) révélée par l’action de l’Esprit, elle qui a obéi à l’avertissement dès qu’elle l’a entendue. C’est pourquoi, déjà parée par les diverses et exquises couleurs des vertus, assurée de la récompense, elle attend la venue de l’Époux avec la lampe allumée de la parfaite charitéf. 16. Toute âme fidèle également est exhortée par ces mots à se parer de vertus et de beauté morale ; elle aussi est appelée Siong , car elle médite assidûment la loi du Seigneur, jour et nuit (Ps 1,2), et ses yeux sont toujours sur le Seigneur (Ps 24,15) ; il lui est dit d’être sainte d’esprit et de corps (cf. 1 Co 7,34) et de briller aux yeux des hommes par le charme des vertus de telle sorte que soit glorifié le Père qui est dans les cieux (cf. Mt 5,16), parce qu’elle est la chambre du Seigneur, là où il repose en secret et s’étend à midih, Au paragraphe 7. Cf. Aelred, Sermons 1,15.24 et 50,19‑22. c Cf. Ap 21,2 et Am 4,12. d Cf. Ps 77,56 ; Ps 105,29.43. e Cf. Ps 17,45 ; cf. Règle de saint Benoît 5,5 ; cf. Aelred, Sermon 50,32. f Cf. Mt 25,4‑10 ; 1 Jn 4,18. g Cf. antienne et répons pour la fête de la Purification de Marie. h Cf. Ct 1,7 ; cf. Aelred, Sermon 57,21. a
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selon cette parole : L’âme du juste est le siège de la sagessea. C’est pour cela qu’elle doit être sainte et digne d’honneur, et être parée des quatre couleurs des rideaux avec lesquels il était jadis ordonné dans la Loi de faire la Tente du Seigneur, à savoir le fin lin retors, la pourpre, l’écarlate deux fois teinte et la couleur d’hyacinthe (cf. Ex 26,1).
Ornements de la chambre
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17. Par le lin fin retors, qui est de couleur blanche, on comprend la mortification de la chair, qui est retorse, c’est-à-dire pénible ; ou bien le lin fin est retors parce que la mortification doit être reportéeb du corps à l’esprit. Oui, il ne suffit pas de priver le corps de ce qui n’est pas licite, il faut mettre un frein aux mauvaises et déshonnêtes pensées du cœurc. Et parce qu’il est insuffisant de bien agir si l’on ne sait pas supporter avec égalité d’âme les maux d’autrui, il faut aussi se procurer de la pourpre, qui est reconnue être de couleur rouge : elle indique la patience, qui est une vertu royale parce qu’elle fait en sorte que chacun sache posséder, c’est-à-dire régird, son corps dans la sainteté (1 Th 4,4). C’est pourquoi nous trouvons cette parole : Vous posséderez vos âmes par la patience (Lc 21,19). 18. Par l’écarlate deux fois teinte, on comprend la charité parfaite (cf. 1 Jn 4,18), car le double objet et le double aspect de la charité, amour de Dieu et du prochaine, n’est pas une médiocre parure. L’écarlate deux fois teinte perd difficilement sa couleur, et la charité parfaite, au dire de l’Apôtre, ne passe jamais (1 Co 13,8). Pr 12,23 d’après la version de la Septante. Littéralement : retordue. c Cf. Grégoire le Grand, Règle Pastorale 2,3 ; cf. Bède le Vénérable, De tabernaculo 2. d Regere : ce qui explique que la patience est une vertu « royale » (regia) ; cf. Grégoire le Grand, Règle Pastorale 2,3 ; Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 35,4 ; cf. Aelred, Sermon 136,8. e Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 2, 4,3 ; cf. Bède le Vénérable, De tabernaculo 2. a
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L’hyacinthe, qui a une couleur céleste, désigne la tension vers le ciel : en tout bien que nous fassions, nous devons tendre à ne plaire qu’à Dieu seula. Mortifier notre chair, être patients, faire en sorte que la charité de Dieu soit répandue dans nos cœurs (Rm 5,5), aimer nos ennemis (cf. Mt 5,44), afin qu’en tout cela nous plaisions à Dieu et recevions la récompense céleste (cf. Mt 6,1) : voilà à quoi nous avons à nous appliquer avec soin. Que le Père tout-puissant daigne nous l’accorder, lui qui vit et règne avec le Fils et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 11,1.
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Après avoir amorcé une réflexion sur divers thèmes relatifs à la fête liturgique, l’auteur développe longuement le symbolisme lié aux sept caractéristiques de la colombe.
Le vieillard porte l’Enfant 1. Le vieillard portait l’enfant, et l’enfant guidait le vieillard, cet enfant qu’une vierge a conçu, qu’une vierge a enfantéa. Merveilleuses sont ces réalités qu’il faut avoir amoureusement et fréquemment présentes à l’esprit. On n’a jamais ouï dire (Jn 9,32) qu’une vierge ait conçu et enfanté, à l’exception de celle-cib. Elle fut la première à être telle, et il n’en apparut pas d’autre sur la terre. Et le plus admirable n’est pas que le vieillard portait l’enfant mais que l’enfant guidait le vieillard. Le propre des enfants est d’être guidé non de guider, d’être nourri non de nourrir, d’être porté non de porter. Voici que, l’ordre étant inversé, toutes choses sont nouvelles : un enfant nourrit ses nourriciers, guide un vieillard, porte celui qui le porte. Répons pour la Purification de Marie. Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon sur le Missus est 1,7 ; cf. Aelred, Sermon 161,4. a
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2. Qu’il est grand cet enfant, qu’il est admirable, comme il faut l’annoncer cet enfant qu’une vierge a conçu, qu’une vierge a enfanté, dont la naissance est incomparable ! À l’occasion de celle-ci, pour susciter l’admiration, la femme stérile enfante (cf. Lc 1,36), le muet parle (cf. Lc 1,64), Élisabeth prophétise (cf. Lc 1,41‑42), le mage adore (cf. Mt 2,10), celui qui est enclos dans le sein exulte (cf. Lc 1,44), une veuve loue (cf. Lc 2,37‑38), un homme juste attend (cf. Lc 2,25). Ton attente a reçu son fruit (cf. Lc 2,28), vieillard Siméon, homme juste, la joie de ton cœur est parfaite (cf. Jn 3,29). Voici qu’à présent tes yeux ont vu le salut de Dieu, la lumière qu’a préparée le Seigneur pour éclairer les nations et la gloire de son peuple (cf. Lc 2,30‑32). Le vieillard porte l’enfant, l’homme juste porte Celui qui justifie l’impie (cf. Rm 4,5), celui qui va être sauvé porte le Sauveur, le serviteur porte le Seigneur, la créature porte le Créateur.
Ardent désir de Siméon 3. Siméon était un homme juste et pieux – juste par ses actes, pieux par sa réserve –, sur qui reposait l’Esprit Saint (Lc 2,25). Par une révélation très sûre, il apprit qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Seigneur dans la chair (cf. Lc 2,26). Combien impatiente était cette attente, combien ardent était son désir, combien fréquentes devant la face du Très Haut (cf. Si 39,5) étaient la prière et les larmes de ce vieillard afin d’obtenir de voir le Rédempteur en sa chair ! Bien des rois et des prophètes ont désiré voir Celui qu’il a vu, et ne l’ont pas vu (Lc 10,24). 4. Les saints et les élus, pour qui vivre c’est le Christ et mourir représente un gain (Ph 1,21), ne désirent pas moins contempler la divinité du Sauveur que Siméon ne souhaitait porter ses regards sur sa présence de chair. C’est pourquoi le Docteur des nations (cf. 1 Tm 2,7) s’écriait en soupirant : J’aspire à m’en aller et à être avec le Christ (Ph 1,23). Et le psalmiste dit, au nom des élus remplis de désir : Je n’ai de pain que mes larmes, de jour et de nuit ; quand irai-je paraître devant la face de Dieu (Ps 41,3‑4) ? Puisse-t-il
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s’allumer et brûler toujours en nous ce saint désira, pour que nous aspirions à nous en aller et à être avec le Christ !
Cire d’abeille 5. Préparons-nous à accueillir le Seigneur, car même si nous ne le porterons pas aujourd’hui « dans sa réalité concrète, ce sera pourtant, par la foi, dans sa représentation symboliqueb. » En nos cierges, nous portons le Christ d’une manière figurée. « Le luminaire sur la cire désigne le Christ né de la Vierge. » C’est lui, la véritable lumière éclairant ceux qui étaient dans les ténèbres et l’ombre de la mortc. « La cire désigne la virginité de la bienheureuse Marie. La petite abeille, qui produit la cire, procrée sans accouplement et demeure vierge, car les abeilles naissent à partir du miel. » Belle trouvaille que de figurer la virginité par la cire.
Colombe et tourterelle 6. Si nous portons Jésus dans sa représentation symbolique, avec ses parents offrons à Dieu une colombe et une tourterelle (cf. Lc 2,22‑24). La colombe, qui est exempte de fiel, indique la simplicité que nous devons avoir. La tourterelle est éprise de chasteté. Il offre une colombe celui qui vit dans l’innocence, n’offensant personne, ne sécrétant aucun fiel de haine en son esprit. L’homme marié qui vit chastement avec son épouse, ne commettant pas d’adultère, ou bien l’homme qui n’a pas d’épouse et qui se garde des souillures de la luxure, de tels hommes sont reconnus offrir une tourterelle. Le pécheur, pourvu qu’il fasse pénitence, n’est pas frustré de cette offrande d’oiseaux. Car l’un et l’autre oiseau émet un chant qui est un a Cf. Aelred, Sermons 24,44 ; 50,21 ; Cf. Ambroise Autpert, Sermon pour la Purification de Marie 6. b Dans le présent sermon, tous les passages marqués par des guillemets sont tirés de Geoffroy Babion, Sermon pour la Purification de la Vierge Marie. c Cf. Jn 1,9 et Lc 1,79.
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gémissement, et désigne dès lors les pleurs des pénitents. Le pécheur est comparé à une colombe ou à une tourterelle quand, se reconnaissant pécheur, il déplore ses péchés pour en recevoir le pardon. 7. « Ces deux oiseaux sont l’expression de la forme que doit avoir notre vie. Les créatures de Dieu ne nous sont pas seulement données en nourriture mais aussi en exemple. Oui, le Docteur céleste nous instruit quotidiennement » par bien des enseignements. « En ces oiseaux, les justes découvrent ce qu’ils ont à imiter, et les pécheurs apprennent ce qu’ils ont à faire. La colombe, plus particulièrement, nous donne forme : par ses sept caractéristiques, elle nous enseigne sept vertus. La colombe est exempte de fiel, elle ne vit pas de cadavre ni de ver, elle se nourrit de semences, elle choisit les meilleures grainesa, elle émet un chant qui est un gémissement, elle nourrit les petits des autres, elle demeure au-dessus des eaux afin d’apercevoir l’ombre de l’oiseau de proie qui arrive et de pouvoir ainsi lui échapper, elle fait son nid dans le creux des rochers (cf. Ct 2,14). En tout cela, nous avons à imiter cet oiseau. »
Les sept vertus de la colombe 8. Nous devons être exempts de fiel afin que reste loin de nos cœurs toute amertume de haine et de rancœur. « Car la haine est un vice si funeste que, si on l’avait dans son cœur, elle priverait de la récompense même le martyre. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien (1 Co 13,3). Aucune offrande n’est agréée de Dieu si la haine est maintenue dans le cœur. C’est pourquoi le Seigneur dit : Si tu présentes ton offrande à l’autel et que tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère (Mt 5,23‑24). Aucune rémission des péchés n’est accordée si la haine n’est pas chassée du cœur. C’est pourquoi l’Évangile dit : Si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs péchés, votre Père céleste ne pardonnera pas non plus les vôtres (Mt 6,14‑15). La haine repousse Dieu loin de a
Cf. Aelred, Sermon 33,43.
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l’âme, selon cette parole : La Sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante (Sg 1,4). Imitons donc la colombe de manière à ne pas être corrompus par le fiel de la haine. 9. La colombe ne mange ni cadavre ni ver. De la même manière, l’homme ne doit pas se complaire dans les œuvres mortes (cf. He 9,14) ; qu’il s’applique à éviter les vers d’une mauvaise conscience, qui rongent l’âme. Les cadavres, ce sont les péchés ; le ver, c’est une mauvaise conscience, conséquence du péché, qui sans cesse accuse l’homme. L’être humain n’oserait pas paraître devant ses semblables si ceux-ci lui disaient ce que sa propre conscience lui reproche. Il faut éviter les péchés, parce que le salaire du péché, c’est la mort (Rm 6,23) éternelle. Il faut éviter les péchés, parce qu’ils sont un foyer d’infection et qu’ils engendrent la honte. De là vient qu’il est écrit : Les bêtes de somme ont pourri sur leur fumier (Jl 1,17). Et David dit à propos des pécheurs : Que les impies rougissent et qu’ils soient précipités dans l’enfer (Ps 30,18). 10. De même que la colombe se nourrit de semences et choisit les meilleures graines, ainsi le juste doit se rassasier des paroles du Seigneur. De même qu’il y a en l’homme deux réalités, le corps et l’âme, ainsi a-t-il besoin de deux nourritures : une nourriture corporelle qui nourrit le corps, et la semence de la Parole de Dieu (cf. Lc 8,11) qui revigore l’âme. Parce que nous sommes en chemin, nous avons besoin d’un viatique. Dès lors, dans la prière du Seigneur nous demandons le pain quotidien en criant vers le Père : Donne-nous notre pain quotidien aujourd’hui (Lc 11,3), c’est-àdire en la vie présente. Le Seigneur donne ce pain en abondance à qui il veut, afin que ses serviteurs ne défaillent pas en chemin (cf. Mt 15,32). Il défaille en chemin celui à qui est retiré l’aliment de la prédication ou qui le prend en dégoût quand il est présenté. Car il n’appartient pas à Dieu celui qui refuse la Parole de Dieu. C’est pourquoi le Seigneur dit : Qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu ; si vous n’écoutez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu (Jn 8,47). Nous avons à choisir les meilleures graines, comme la colombe, afin que notre esprit soit toujours tendu vers les préceptes du Seigneur, supérieurs (à tout). 11. La colombe doit être imitée en ce qu’elle nourrit les petits des autres. Par là est désignée la vertu de miséricorde selon laquelle
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il est prescrit à l’homme d’aimer autrui quand il est dit : Donne à quiconque te demande (Lc 6,30). Et le Seigneur dit dans l’Évangile : Soyez miséricordieux, parce que votre Père céleste est miséricordieuxa. Et en un autre endroit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous (Mt 5,46) ? Autrui doit donc être aimé à cause de Dieu. Il faut aussi aimer ses parents. En effet, Celui qui a dit : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent (Mt 5,44) est le même qui a dit : Honore ton père et ta mère (Mt 15,4). En tout humain, l’homme doit reconnaître sa propre nature et se mettre à son niveau par compassionb. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Qui est faible sans que je sois faible (2 Co 11,29) ? Et le Seigneur dit par le prophète : Lorsque tu verras quelqu’un nu, couvre-le, et ne méprise pas ta propre chair (Is 58,7).
L’Écriture, remède contre les tentations 12. La colombe demeure près des cours d’eau (cf. Ct 5,12) pour que, apercevant l’ombre de l’oiseau de proie qui arrive, elle puisse lui échapper. Nous avons un ennemi spirituel, volant dans les airs, qui rôde sans cesse cherchant qui dévorer (1 P 5,8). Il n’habite pas parmi nous, mais n’est pas non plus très éloigné de nous. S’il habitait toujours sur la terre, c’est à peine si quelqu’un pourrait échapper à ses pièges. Il habite dans les airs. C’est pourquoi les démons sont appelés puissances de l’air (Ep 2,2). Plus ils sont invisibles, plus ils sont à considérer comme redoutables. Nous voyons leur ombre sur l’eau, car nous apprenons dans l’Écriture à discerner les traits de leurs machinationsc. Fuyons donc vers l’Écriture chaque fois que nous sentons la tentation que suggère l’ennemi. S’il persuade de commettre l’adultère, l’Écriture est à portée de main pour enseigner : Tu ne commettras pas d’adultère (Ex 20,14). S’il suggère le vol, l’Écriture s’interpose : Tu ne voleras pas (Rm 13,9). S’il présente la colère, l’Écriture dit : Qui se met en colère contre son frère Cf. Lc 6,36 et Mt 5,48. Cf. Aelred, Amitié spirituelle 3,107 ; Sermons 11,34 ; 75,22 ; 112,13 etc. c Cf. Aelred, Vie de recluse 20. a
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sera soumis au jugement (Mt 5,22). S’il exhorte à mentir, l’Écriture annonce le châtiment : Tu feras périr ceux qui profèrent le mensonge (Ps 5,7). Que l’âme fidèle se tienne près de ce genre de cours d’eau pour apercevoir d’avance l’arrivée de l’ennemi en embuscadea.
Les larmes
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13. La colombe émet un chant qui est un gémissement. Nous, qui sommes pécheurs, nous avons à imiter en cela la colombe, en changeant notre joie en larmes (cf. Jc 4,9). Oui, comme dit le Seigneur, heureux vous qui pleurez maintenant car vous rirez (Lc 6,21). Malheur à vous qui riez maintenant, car vous pleurerez (Lc 6,25). Marie (Madeleine) lava ses péchés par ses larmes (cf. Lc 7,38‑48). Pierre pleura amèrement (cf. Mt 26,75) après son péché et obtint le pardon. Les larmes lavent les péchés en second lieu après le baptême. Ce n’est pas seulement pour nous-mêmes mais également en raison des misères de notre prochain que les larmes doivent être répandues. C’est ainsi que le Christ, qui n’avait en lui-même aucune raison de pleurer, pleura sur Lazare (cf. Jn 11,35), et il pleura sur Jérusalem (cf. Lc 19,41). Si le Seigneur éprouva de la douleur pour les hommes, pourquoi nous, les miséreux, n’aurions-nous pas compassion d’autrui ? Le prophète dit : Chaque nuit je pleurerai sur mon lit, j’arroserai ma couche de mes larmes (Ps 6,7). On appelle ‘nuits’ le péché, et ‘lit’ la conscience ; en elle l’homme repose si elle est bonne, en elle il est tourmenté et incommodé – tel un malade – si elle est mauvaise.
Le creux du rocher 14. La colombe fait son nid dans le creux des rochers (cf. Ct 2,14). Le creux des rochers, ce sont les plaies du Christ d’où s’écoule le sang, prix de notre rédemption (cf. 1 P 1,18‑19). L’anfracCf. Origène, Homélies sur le Lévitique 3,8 ; cf. Bède le Vénérable, Homélies 1,12. a
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Sermon 102
tuosité, c’est le côté ouvert d’où proviennent les deux ‘sacrements’ de notre salut – le sang et l’eau (cf. Jn 19,34) –, l’un en vue de notre rédemption, l’autre en vue de notre régénération. 15. Si en tout cela nous imitons la colombe, ce qui est arrivé en figure dans le temps passé nous allons l’accomplir aujourd’hui spirituellement. Suivons les traces (cf. 1 P 2,21) de la bienheureuse Vierge Marie, qui s’est montrée en esprit telle qu’elle était préfigurée symboliquement. 16. Prions la bienheureuse Reine, remède du monde, porte du ciel, espérance des miséreux, réconfort des pécheurs, pour qu’elle nous rende agréables aux yeux de son Fils présenté au temple, et nous accorde la paix perçue par le vieillard Siméon lorsqu’il a dit : Maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix, car mes yeux ont vu ton salut (Lc 2,29‑30), Jésus Christa », Seigneur des Juifs et des païens, qui vit et règne éternellement avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
a
Geoffroy Babion, Sermon pour la Purification de la Vierge Marie.
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SERMON 103 POUR LE CARÊME
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Le Carême est un temps de combat plus incisif contre le monde et ses convoitises. Le démon attaque de multiples façons, mais le Seigneur Jésus lui-même l’a vaincu par la puissance de la Parole de Dieu.
Le monde rend ennemi de Dieu 1. « N’ayez pas l’amour de ce monde, ni de ce qui est dans le monde. Tout ce qu’il y a dans le monde est convoitise charnelle, convoitise du regard et orgueil de la vie (1 Jn 2,15‑16). Il existe un ennemi spirituel qui aveugle le genre humain, attire à de faux biens et, par les jouissances charnelles, éloigne de l’amour pour le royaume céleste. Il s’appelle ‘monde’, mais il n’est pas digne de ce nom car il ne rend pas pursa mais impurs. Il défigure les âmes saintes marquées à l’image de Dieub », et les entache des souillures des péchésc. « Personne ne s’asservit au démon sans aimer le monde, mais précisément par le fait qu’il aime le monde dont il est le Prince (cf. Jn 12,31). En latin le substantif mundus désigne le monde, et le même mot pris comme adjectif signifie « pur, net, propre ». b Cf. Gn 1,26‑27 ; dans le présent sermon, tous les passages marqués par des guillemets sont tirés de Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême. c Cf. Aelred, Miroir de la charité, I,86 ; Amitié spirituelle, I,36 ; Sermons 31,19 ; 136,7 etc. a
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Sermon 103
2. Le monde rend donc ennemis de Dieu (cf. Jc 4,4) et soumet à l’emprise du démon. C’est pourquoi saint Jean dit dans sa lettre : N’ayez pas l’amour de ce monde, ni de ce qui est dans le monde. (1 Jn 2,15). De quelles manières le monde attire les humains et les plonge en profondeur dans les vices, le bienheureux évangéliste Jean le montre clairement : Tout ce qu’il y a dans le monde est convoitise charnelle, convoitise du regard et orgueil de la vie (1 Jn 2,16). » Voyons cela en détail.
Convoitise de la chair 3. « Nous appelons jouissances charnelles celles que la chair convoite par une impulsion coupable : tels la gloutonnerie, l’ivresse, la luxure, le sommeil exagéré, le rire vain. Puis donc que la chair nous est plus proche, c’est d’abord par les vices de la chair que le monde s’approche de nous, et beaucoup de gens sont tombés par eux : Adam par la gourmandise (cf. Gn 3,6), Loth par l’ivresse (cf. Gn 19,32‑35), Salomon par la luxure (cf. 1 R 11,1‑4). 4. Nous devons aller à l’encontre de la gloutonnerie par l’abstinence. La gloutonnerie est la cause et le commencement de notre captivité. Elle est l’aliment et le stimulant de plaisirs indignes. D’elle proviennent le désir sensuel, la somnolence, et elle est la cause de nombreuses faiblesses. Elle épuise les réserves pécuniaires, engendrant la honte chez les gens riches. 5. Que dirai-je de l’ivresse ? Elle enlève la faculté de jugement, elle débilite le corps. D’elle il est écrit : Le vin bu en grande quantité produit l’irritation et la colère, et beaucoup de ruines (Si 31,38). Un buveur ne sera jamais riche. Le vin et les femmes font apostasier les sages (Si 19,1‑2). C’est pourquoi l’Apôtre dit : Ne vous enivrez pas, car le vin porte à la débauche (Ep 5,18). 6. Il n’y a pas de vice charnel plus déshonorant et plus funeste que la luxure. Ceux qui s’y livrent sont comparés à des bêtes de somme pourrissant sur leur fumier. C’est ce qu’a dit le prophète : Les bêtes de somme ont pourri sur leur fumier (Jl 1,17). Et Salomon : La femme qui se prostitue est comme du fumier (Si 9,10). La luxure
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Sermon 103
souille et perd le corps et l’âme. C’est pourquoi Salomon dit : Ne donne pas ton âme à des prostituées, de peur que tu ne te perdes, toi et ton héritage (Si 9,6). Le fornicateur ne perd pas seulement son argent mais son âme, qui est bien plus précieuse que l’argent. 7. La paresse et la torpeur sont des jouissances charnelles, que Salomon blâme en disant : Jusqu’à quand, paresseux, dormiras-tu ? Quand sortiras-tu de ton sommeil ? Tu dormiras un peu, tu sommeilleras un peu (Pr 6,9‑10). 8. Du rire il est dit : Le rire, je l’ai regardé comme une erreur ; et à la joie, j’ai dit : Pourquoi te séduis-tu inutilement ? (Qo 2,2) Et : Le rire sera mêlé de douleur, et le deuil occupera les extrémités de la joie (Pr 14,13). Et le Seigneur dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez (Lc 6,25). Nous ne lisons pas que le Seigneur ait ri, mais il est reconnu qu’il a pleuré sur Lazare (cf. Jn 11,35) et sur la ville de Jérusalem (cf. Lc 19,41). Nous naissons et nous vivons au milieu des malheurs, c’est pourquoi il faut davantage pleurer que rire. Quand un enfant naît, il ne rit pas mais il pleure, pour bien montrer qu’il est né dans le malheur. Les fils d’Adam sont nés pour le labeur (cf. Jb 5,7) et la douleur, selon ce qui est écrit : Un joug pesant est sur les fils d’Adam, depuis le jour de la sortie du sein de leur mère jusqu’au jour de la sépulture dans la mère de tous (Si 40,1). Voilà qui est dit brièvement à propos de la convoitise charnelle, le premier piège du monde.
Convoitise du regard
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9. Le second piège est appelé par Jean convoitise du regard (cf. 1 Jn 2,16). L’appétit des choses extérieures – or, argent, ou n’importe quelle possession – est appelé convoitise du regard parce que le désir de ces choses est conduit à l’intérieur de l’âme par les yeux. Le démon attire beaucoup de gens par l’attrait des réalités extérieures sans même les attaquer par les désirs de la chair. Dieu ne s’irrite pas de ce que sa créature soit aimée, mais de ce qu’elle lui soit préférée. Qu’admires-tu dans la créature ? Tu admires sa beauté ? Le Créateur est bien plus beau. Si donc tu aimes la créa-
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Sermon 103
ture parce qu’elle est belle, aime davantage le Créateur parce qu’il est bien plus beau. La créature a beau avoir de la valeur, le Créateur en a bien davantage. Dieu s’indigne donc de ce que soit plus aimé ce qui a moins de valeur que lui, qui a bien plus de valeur que toute créature et qui va jusqu’à conférer de la valeur à la créature. Comme dit Salomon, les richesses seront sans profit au jour de la colère, mais la justice délivrera de la mort (Pr 11,4). Il appelle jour de la colère le moment où, à la fin des temps, sera puni le mépris dont il a été l’objeta. » Quoi de plus vain et de plus sot que de mettre son espérance dans l’argent et non pas en Dieub !
Orgueil de la vie 10. « Le troisième filet du monde, c’est l’orgueil de la vie (cf. 1 Jn 2,16). Lorsque le démon ne parvient pas à subjuguer un homme juste par la convoitise charnelle ou par la convoitise du regard, il percute cette perfection morale au moyen du javelot de l’orgueil. Ce vice est le propre du démon. C’est en effet par l’orgueil que le démon est tombé du ciel (cf. Is 14,12). Il n’est pas tombé par suite d’adultère, de vol, de fornication ou de rapine, mais par l’orgueil, dont la compagne est l’envie (cf. Sg 2,24). C’est pourquoi le démon envie l’homme debout, et il s’efforce de le séduire par tous les moyens possibles. Le premier de tous les vices, c’est l’orgueil, ainsi qu’il est écrit : Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil (Si 1,15).
Exemple du Seigneur 11. Le Seigneur a bien voulu être lui-même tenté par ces trois filets du monde, afin de nous donner le courage de lutter et l’espérance de vaincre. Il jeûna, à l’encontre de la gourmandise qui est le commencement de notre captivité et l’aiguillon de nombreuses a b
Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême. Cf. Ps 51,9 ; cf. Aelred, Sermons 9,35 ; 60,27 ; 62,11.
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fautes. Il jeûna au désert afin de montrer à ceux qui veulent se renoncer qu’ils ont à fuir le tumulte du monde. Lorsque le Seigneur eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim, et le tentateur s’approcha (Mt 4,2‑3). Le Seigneur pouvait le rejeter loin de lui, mais il a préféré être tenté et vaincre, afin d’enseigner à dominer les tentations. 12. Le démon s’est d’abord approché de lui par la convoitise de la chair, en commençant par la gourmandise, quand il lui dit : Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3). À l’encontre de ce javelot de l’ennemi, il opposa le bouclier de son autorité en disant : L’homme ne vit pas seulement de pain (Mt 4,4). Ensuite, d’après Luc, il le tenta par la convoitise des choses extérieures (cf. Lc 4,5‑7), lui montrant tous les royaumes du monde en disant : Tout cela, je te le donnerai, si tombant à mes pieds tu m’adores (Mt 4,8‑9). Ce trait de l’ennemi, le Christ le mit en pièces par le glaive de la Parole de Dieu (cf. Ep 6,17), en disant avec autorité : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras (Mt 4,10). Enfin, il l’attaqua par l’orgueil. Il le plaça sur le faîte du temple, et le persuada de se jeter en bas (cf. Lc 4,9). À quoi (le Seigneur) répondit en lui barrant le passage par les Écritures : Retire-toi, Satan. Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieua. L’ennemi étant ainsi totalement vaincu, des anges s’approchèrent, et ils le servaient (Mt 4,11).
Combattre et vaincre 13. Ce temps de renoncement est donc institué pour nous, afin qu’à l’exemple du Seigneur, nous combattions courageusement l’adversaireb et le vainquions par l’autorité de l’Écriturec. Il n’y a pas de moment où l’ennemi ne tente davantage que durant ce temps de renoncement. La gourmandise se déchaîne davantage lorsqu’elle est domptée. Le désir charnel s’enflamme quand on Mt 4,10 ; Lc 4,12 ; Dt 6,16. Cf. Aelred, Sermons 54,35 ; 112,13 ; 115,26 etc. c Expression qui revient fréquemment chez notre auteur : cf. Miroir de la charité, II,47 ; Sermons 13,5 ; 55,13. a
b
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Sermon 103
lui résiste. Les pulsions des convoitises augmentent quand on va à l’encontre. En ce temps donc, que celui qui est en bonne santé prenne garde d’être blessé ; que celui qui est blessé cherche à être guéri ; que le pécheur écoute le prophète : Convertis-toi à Dieu et quitte tes péchés ; loue Dieu pendant que tu jouis de la vie et de la santé (Si 17,21 et 27). Car celui qui fait pénitence lorsqu’il est malade et va mourir ne s’en va pas en sécuritéa. » 14. Ainsi donc, tant que nous en avons l’occasion (cf. Ga 6,10), condamnons nos péchés, de peur que le Christ ne nous condamne et que notre adversaire ne trouve en nous de quoi nous accuserb. Notre Sauveur a consacré en lui-même ce temps du jeûne : qu’il nous insuffle la grâce de la pénitence et l’amendement de notre vie, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême. Cf. 1 P 5,8 ; Ap 12,10.
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SERMON 104 POUR LE CARÊME
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Après avoir commenté les divers éléments de la prophétie d’Isaïe, l’auteur présente le Carême comme un temps favorable pour s’approcher du Médecin et recevoir la guérison.
Secouer sa poussière 1. « Secoue ta poussière, relève-toi, assieds-toi, Jérusalem ; romps les chaînes de ton cou, fille de Sion captive (Is 52,2). Voilà avec quelle douceur, avec quelle tendresse, l’Époux céleste désire se réconcilier l’Église. En bon père, il exhorte au salut sa fille, qui fut pendant longtemps couchée dans la poussière, qui demeura longtemps enchaînée en captivité. C’est pourquoi il l’avertit par le prophète de se lever de la poussière, de rompre les chaînes, de sortir de captivité. 2. La poussière, c’est l’humaine fragilité qu’aucune force n’affermit. La poussière, ce sont aussi les richesses temporelles, qui passent et s’envolent comme à la face du vent (cf. Is 17,13). C’est dans cette poussière que les pauvres humains cherchent la béatitude et ne la trouvent pas. Cette poussière-là enlève la vue, car la convoitise des richesses temporelles aveugle les esprits. C’est pourquoi le Seigneur dit par la bouche d’Isaïe : Jérusalem, vision de paixa, mon Église, secoue ta poussière (Is 52,2), c’est-à-dire les souillures de a
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 50.
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Sermon 104
ton inclination charnelle et de la vanité des réalités temporelles. Car ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu (Rm 8,8), comme dit l’Apôtre. Et à propos des richesses, le Seigneur dit : Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent (Mt 6,24), c’est-à-dire les richesses. Secouons donc la poussière des vices, la poussière des convoitises mondaines. Nous ne pouvons pas nous lever tant que nous sommes alourdis par la poussière.
Se relever 3. Les péchés alourdissent l’âme, l’alourdissent aussi les désirs transitoires. Ceux qui sont alourdis s’enfoncent. C’est en vain que s’efforcent de se lever ceux qui sont chargés. Rejetons loin de nous nos fardeaux – nos péchés – afin de nous lever. Les pécheurs sont comparés à une pierre et à du plomb : tant qu’ils vivent en cette mer – le monde présent –, ils se dirigent vers l’abîme comme une pierre et comme du plomb (cf. Ex 15,5.10). C’est pourquoi le prophète Zacharie déclare à propos de l’iniquité : L’iniquité est assise sur une masse de plomb (cf. Za 5,7‑8). À propos des pécheurs, Moïse dit : Les abîmes les recouvrent, ils s’y enfoncèrent en profondeur comme une pierre (Ex 15,5). Et il dit à propos des méchants : Ils ont été submergés comme du plomb sous la violence des eaux (Ex 15,10). Le bienheureux Pierre avait sans doute un je-ne-sais-quoi de plomb quand le Seigneur l’appela sur les eaux. Car il commença à enfoncer (cf. Mt 14,29‑30) parce que sa foi était grevée par le poids du doute. C’est pourquoi le Seigneur lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Mt 14,31)
S’asseoir 4. Secoue donc ta poussière, Jérusalem, lève-toi et assieds-toi (Is 52,2). Nous avons à nous asseoir, non pas à nous dresser par orgueil, ni à gésir sur des décombres ; c’est ce que dit David : Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions (Ps 136,1).
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Sermon 104
Ce qui veut dire : Au-dessus des réalités éphémères et transitoires de ce mondea, non pas amalgamés à elles mais en les foulant au pied, nous devons nous asseoir dans le repentir et en pleurant tous nos péchés.
Rompre les chaînes
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5. Romps les chaînes de ton cou (Is 52,2). Dans la première création, l’homme a été façonné libre, mais par la suite il s’est vendu au démon. La monnaie du démon par laquelle il a acquis les humains, ce sont les péchés. C’est pourquoi l’Apôtre dit au nom du pécheur : Moi je suis un être de chair, vendu au péché (Rm 7,14). Le démon a trompé l’être humain en lui promettant ce dont il n’a pu s’acquitter ; il lui avait parlé ainsi : Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal (Gn 3,5). L’homme a obéi, mangea le fruit défendu (cf. Gn 3,6) et ne reçut en retour rien d’autre que le péché. C’est ainsi qu’il a été vendu pour rien (cf. Is 52,3). Après que l’homme se soit livré, le démon acquéreur lui mit des chaînes au coub. » Les chaînes, ce sont les péchés. Le malheureux pécheur accumule péché sur péché (cf. Is 30,1). Pour pécher plus librement, l’homme tue, il commet le vol. « Avec l’argent volé, il se livre à des parties de plaisir, à des beuveries (cf. Rm 13,13) et à des désirs déréglés. L’âme tristement consciente de ces méfaits devient toujours plus encline à les commettre tous. 6. Ainsi le pécheur, joignant péché à péché, fabrique une grande corde et traîne derrière lui une longue queue. C’est ce qui fait dire à Isaïe : Malheur à vous qui tirez l’iniquité avec les cordes de la vanité, et le péché comme les chaînes d’un chariot (Is 5,18) ! Ce sont les cordes par lesquelles, à la fin, les pécheurs seront ligotés (cf. Mt 22,13). C’est pourquoi il est écrit : Chacun est enchaîné par les cordes de ses péchés (Pr 5,22). Avec de telles cordes les démons font des lacets pour prendre les humains, selon ce que dit le psalmiste : Ils ont tendu des cordes en lacets, le long du chemin ils ont a b
Cf. Aelred, Sermons 48,10 ; 77,18 ; 176,17 ; 182,12 etc. Cf. Is 52,2 ; Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême.
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Sermon 104
posé devant moi une pierre d’achoppement (Ps 139,6). Il y a pour nous une route et un chemin vers la patrie céleste, mais des oiseleurs malveillants ont posé un lacet le long du chemin : ils retirent ceux qu’ils peuvent du chemin de la vie et les amènent dans l’impasse de la mort. 7. Romps les chaînes de ton cou, fille de Sion captive (Is 52,2). Romps-les par la pénitence, romps-les par la satisfaction. Retire ton cou du joug du démon et soumets-toi au joug du Christ, dont le joug est doux et le fardeau léger (Mt 11,30). Sors de ta prison. Une rançon a été payée pour toi. L’ennemi ne peut te retenir davantage, si tu as la volonté de sortir. Romps la corde à tes trousses, de peur que le démon n’ait de quoi t’entraîner.
Être racheté par le sang de l’Agneau 8. Vous avez été vendus pour rien, et vous serez rachetés sans argent (Is 52,3). C’est comme si le Seigneur disait : ‘Vous ne méritiez pas que je vous rachète parce que vous vous êtes vendus au démon pour rien, pour du néant, et pourtant je vous rachèterai, non pas avec de l’argent, car l’argent du monde entier ne suffirait pas à vous racheter, mais au prix de mon sang (cf. Mt 27,6).’ C’est pourquoi saint Pierre dit : Ce n’est point par des choses corruptibles, argent ou or, que vous avez été rachetés de votre vaine conduite, mais par le sang de l’Agneau sans tache (1 P 1,18‑19). 9. Écoutez comment le Seigneur invite son épouse au salut. Vous êtes vous-mêmes cette épouse rachetée par le sang de l’Agneau (cf. 1 P 1,19). Vous êtes ceux qui gisent dans la poussière et à qui il est dit : ‘Levez-vous.’ Vous êtes ces captifs à qui il est commandé de sortir (cf. Is 52,2). Nous étions ligotés par les chaînes des péchés et aveuglés par la poussière des richesses. Tournons-nous pourtant vers le Seigneur, car c’est lui qui délie les enchaînés et rend la vue aux aveugles (Ps 145,7‑8). Voici maintenant le temps (cf. 2 Co 6,2) de recevoir le remède. Venez vers le médecin, le remède est prêt. Voulez-vous savoir quel est ce remède ? Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien (Is 1,16‑17). Ces deux choses
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Sermon 104
suffisent au salut. Celui qui veut être guéri, qu’il prenne ces deux breuvages médicinaux. Le médecin véritable a institué ce temps pour notre guérison (cf. Jr 14,19) et notre amendementa.
Quarante jours 100
10. Quarante jours conviennent à ceux qui font pénitence. C’est le laps de temps que le Seigneur a déterminé pour les pécheurs de Ninive, afin qu’ils fassent pénitence. Encore quarante jours, dit Jonas, et Ninive sera détruite (Jon 3,4). Ce nombre de jours est institué pour le jeûne et la prière. Moïse en effet jeûna durant quarante jours (cf. Ex 34,28), et de même Élie (cf. 1 R 19,8). Ce nombre de jours, le Christ le consacra par son jeûneb. » Nous donc, qui en d’autres temps étions endormis et paresseuxc, en ce temps-ci sortons de notre engourdissement. 11. Si nous gisions autrefois, accablés par les vices, c’est l’heure désormais de nous relever de notre sommeil (Rm 13,11). Celui qui se trouve au milieu des péchés, qui demeure dans les ténèbres et ne voit pas sa laideur morale, qu’il vienne à la lumière, afin de rougir de son indignité. La luxure, l’ivrognerie, les bouffonneries, le mensonge, le parjure, l’homicide, la médisance, les rivalités et n’importe quelle turpitude charnelle sont des œuvres de ténèbres. Rejetons-les toutes, pour nous conduire avec dignité en plein jour (cf. Rm 13,12‑13). « Nous sommes du jour, nous qui avons accueilli le Christ. Celui qui marche nu durant le jour ne se conduit pas avec dignité. Prenons donc les vêtements des vertus, afin de ne pas paraître nus devant la face du Seigneurd.
Cf. Aelred, Sermon 103,14. Cf. Mt 4,2 ; Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême ; cf. Aelred, La vie de recluse 11 ; Sermons 52,2 ; 77,5 ; 103,14 ; 105,1 etc. c Cf. Règle de saint Benoît 4,37‑38. d Cf. 2 Co 5,3 ; Ap 16,15 ; Si 35,4. a
b
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Sermon 104
Le jour du Seigneur 12. Oui, le Jour du Seigneur viendra comme un voleur en pleine nuit (1 Th 5,2). Le Jour du Seigneur, c’est la mort de chacun. Ce jour est appelé ‘jour du salut’ et ‘jour de perdition’, selon la diversité des mérites de chacun. L’un et l’autre jour approchent. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Le salut est maintenant plus près de nous qu’au temps où nous avons cru (Rm 13,11). Et Moïse : Le jour de la perdition est tout près, et les temps se hâtent d’arriver (Dt 32,35). C’est comme s’il disait : N’allez pas vous fier à la vie, car le jour de la perdition est tout proche. Si quelqu’un vit longtemps, qu’il ne se fie pourtant pas à cette longue durée, car tous les temps se hâtent d’arriver, ce qui veut dire qu’ils passent et ne seront plusa. » Au jour de la punition, le Seigneur menace de châtiment ses ennemis en disant : Je punirai en retour mes ennemis, et à ceux qui me haïssent j’accorderai leur rétribution (Dt 32,41). 13. Cherchons-le donc tant qu’il peut être trouvé (cf. Is 55,6). Il est prêt à punir dans l’avenir, mais maintenant il est prompt à prendre en pitié (cf. Is 55,7). Dès lors, afin d’obtenir le pardon et de trouver miséricorde promptement et aisément, cherchons Dieu avec plus d’attention et de zèle durant ce temps de jeûne sacré, par une véritable conversion, une confession pure et une digne satisfaction. Que Dieu daigne nous l’accorder, Père, Fils et Saint Esprit. Amen.
a
Geoffroy Babion, Sermon pour le Carême.
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SERMON 105 POUR LE CARÊME
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Vibrant plaidoyer en faveur du jeûne quadragésimal, ce sermon en montre les multiples avantages. Une première partie (paragraphes 1 à 6) présente quatre bienfaits à retirer de cette pratique, qui s’origine dans la Loi et a été consacrée par le Christ. Une deuxième partie présente trois autres fruits du jeûne, d’après une prophétie de Malachie. Le texte continue avec le commentaire allégorique d’un verset du psaume 65, qui donne l’occasion de montrer que le jeûne doit être accompagné des autres éléments de la vie chrétienne. Vient enfin une réflexion sur le thème de la pénitence, empruntée au De sacramentis de Hugues de Saint-Victor.
Les fruits du jeûne 1. Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut (2 Co 6,2). Ces quarante jours sont appelés temps favorable et sont déclarés jour du salut parce que, en ces jours, le Seigneur purifie et sanctifie son Église par le jeûne. Le jeûne quadragésimal a été instituéa par les saints Pères afin que tout ce en quoi nous avons failli durant le reste de l’annéeb soit, en cette sainte observance, entièrement pardonné et purifié par le jeûne. Le jeûne a tiré son origine a b
Cf. Aelred, Sermons 1,5 ; 9,2 ; 26,3 ; 37,1 etc. Cf. Règle de saint Benoît 49,3.
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de la Loi, il a été attesté par les prophètes et consacré par le Christa. Afin d’embrasser le jeûne avec plus d’amour, regardons plus attentivement quels en sont les fruits. Grâce au jeûne, les péchés sont remis, la connaissance des Écritures est accordée, nos poursuivants sont dominés, les tentations sont vaincues. Les fruits du jeûne sont : la rémission des péchés, la connaissance des Écritures, la délivrance de la main des persécuteurs, l’affranchissement des tentations.
L’intelligence des Écritures 2. Moïse jeûna durant quarante jours et quarante nuits (cf. Dt 9,9‑11), afin de mériter de recevoir la Loi. Et le jeûne lui valut d’avoir accès auprès de Dieu et de le voir face à face (cf. Dt 5,4). Qu’il aime donc le jeûne celui qui désire s’approcher de Dieu. Après un jeûne de quarante jours, Moïse reçut les tables écrites du doigt de Dieu (Dt 9,10). À son exemple, si nous aimons la science véritable, si nous désirons recevoir la loi de Dieu et la comprendre, préparons nos esprits en observant saintement le jeûne. Bien que nous n’ayons pas la présomption de scruter les mystères cachés et profonds de la divinité, nous devons pourtant – afin de parvenir à la connaissance de Dieu – nous préparer nous-mêmes et nous exercer, autant que possible, afin que, contemplant Dieu ici-bas comme en un miroir et en énigme (cf. 1 Co 13,12), nous puissions dans le futur le voir face à face. 3. Ainsi donc, que personne ne s’assoupisse. N’allons pas dire : ‘Il nous suffit de croire simplement ; ce n’est pas à nous de sonder les réalités cachées et profondes des Écritures.’ Ce sont les négligents et les paresseux qui ont l’habitude de rouler parfois ces pensées et d’autres du même genre, plus par insouciance et par paresse que par motif d’humilité, ne prêtant pas attention à ce qui est écrit : Ignorant, il est ignoré (cf. 1 Co 14,38). Aux négligents et aux oisifs, qui délaissent la sagesse par torpeur et insouciance, le Seigneur adresse des paroles de reproche : Puisque tu as rejeté la science, je te chasserai de mon sanctuaire afin que tu n’exerces plus le sacerdoce a
Cf. Aelred, La vie de recluse 11 ; Sermons 52,2 ; 77,5 ; 103,14 ; 104,10.
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pour moi (Os 4,6). Bref, en vue d’obtenir la connaissance de Dieu et de recevoir l’intelligence des Écritures, le jeûne est nécessaire.
La rémission des péchés 4. Que par le jeûne soit accordée la rémission des péchés, nous le voyons clairement chez les Ninivites repentants. Alors qu’ils étaient pécheurs et que, par le prophète, le Seigneur avait menacé de les faire mourir et de détruire la ville, ils cherchèrent refuge dans la pénitence et, par le jeûne, se réconcilièrent avec Dieu. Le roi sage et sachant éviter le danger, avait quitté sa parure royale, s’était assis sur la cendre et mortifiait sa chair par le jeûne. Il prescrivit un jeûne non seulement pour les humains mais aussi pour les bêtes, et par le moyen du jeûne ils crièrent vers Dieu avec force (cf. Jon 3,4‑10). C’est ainsi que, par le jeûne, les Ninivites échappèrent à la destruction de la ville et au danger de mort.
La délivrance et la victoire 5. Que par le jeûne nous soyons délivrés de la main de nos persécuteurs, nous l’apprenons clairement en Élie le prophète : fuyant loin de Jézabel qui avait fait massacrer les prophètes du Seigneur (cf. 1 R 18,4), restauré d’une nourriture frugale par un ange, il jeûna durant quarante jours et quarante nuits et, soutenu par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb, où il mérita d’entendre Dieu (cf. 1 R 19,8‑9). David, remarquable parmi les prophètes, afin d’obtenir du secours dans la nécessité, chercha refuge, rempli d’angoisse, dans le jeûne et le cilice. C’est pourquoi il dit : J’humiliais mon âme par le jeûne (Ps 34,13). Et ailleurs : J’ai pris pour vêtement un cilice (Ps 68,12). 6. Le Christ lui aussi, roi et Seigneur des prophètes, auteur et consécrateur du jeûne, jeûna durant quarante jours et quarante nuits avant d’être tenté par le démon (cf. Mt 4,1‑2), afin d’enseigner que l’Adversaire est dominé par le jeûne. Le Seigneur nous a
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laissé un exemple (cf. 1 P 2,21) afin que, si nous voulons être parfaitement victorieux du démon, du monde et de la chair, nous cherchions refuge dans les armes du jeûne par lesquelles le démon est jugulé, le monde vaincu, et tout attrait charnel aboli.
La dîme 7. Le triple fruit du jeûne, le Seigneur l’expose en peu de mots par le prophète Malachie : Apportez en offrande toute votre dîme dans mon cellier, et je vous ouvrirai les écluses du ciel, je répandrai sur vous la bénédiction en surabondance et je réprouverai en votre faveur celui qui vous dévore (Ml 3,10‑11). 8. Par le mot ‘dîme’, on comprend ce temps de jeûne qui représente la dixième partie de l’ensemble de l’année. Par la dîme sont expiés les péchés du peuple : ainsi, durant ce temps qui est la dixième partie de l’année, toutes les fautes commises durant l’année écoulée doivent être pardonnées et purifiéesa. Bien peu religieux est celui qui, durant ce temps, ne se montre pas plus religieux. Apporter en offrande toute la dîme dans le cellier du Seigneur (cf. Ml 3,10), c’est, durant l’entièreté de ce jeûne – que l’on dit être la dixième partie de l’année –, s’adonner plus que d’habitude aux œuvres bonnes, prêter une attention plus soutenue aux psaumes, aux hymnes et aux cantiques spirituels (cf. Ep 5,19), s’adonner principalement aux jeûnes et aux prières, ne faire offense à personne mais disposer nos actes, nos pensées et nos paroles selon le bon plaisir de Celui qui a le pouvoir d’ouvrir pour nous les écluses du ciel (cf. Ml 3,10), lui qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n’ouvre (Ap 3,7).
Les écluses du ciel 9. Les écluses du ciel (cf. Ml 3,10), ce sont les prophètes et les apôtres, puisque c’est par eux qu’est rendue accessible l’entrée dans a
Voir paragraphe 1 ; cf. Règle de saint Benoît 49,3.
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le Royaume des Cieux. Il est nécessaire que ces écluses soient ouvertes, car obscurs et ténébreux sont les prophètes, selon cette parole : Eau ténébreuse dans les nuées du ciel (Ps 17,12)a, ce qui signifie : parole obscure chez les prophètes. Lorsque le Seigneur ouvre pour nous ces écluses, en éclairant notre jugement et nos intelligences par l’effet de la connaissance en vue de nous amener à croire à ce qu’ont dit les prophètes et les apôtres, il montre comment les chérubins se regardent, les visages tournés l’un vers l’autre (cf. Ex 25,20), ce qui signifie : comment le nouveau Testament se réfère à l’ancien en sorte que ce qui est prophétisé et promis en celui-ci est corroboré et manifesté en celui-là, ce que nous avons entendu chez les prophètes, nous le voyons chez les apôtres.
La bénédiction 10. Et je répandrai sur vous la bénédiction en surabondance (Ml 3,10). La bénédiction exprime le don du Saint-Esprit, par qui s’opère la rémission des péchés. De même en effet que le plus horrible péché est celui qui est commis contre l’Esprit Saint (cf. Mt 12,31‑32), de même sans le Saint-Esprit il n’y a aucune rémission de péché. Il répand la bénédiction en surabondance, parce que Dieu se prête à arrêter tout notre mal (cf. Jl 2,13 vg). Il y eut surabondance de bénédiction quand il nous réconcilia dans son sang alors que nous étions ennemis (cf. Rm 5,9‑10). Il y eut surabondance de bénédiction quand, sur la croix, il intercéda en faveur de ses persécuteurs en disant : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font (Lc 23,34).
La réprobation 11. Et je réprouverai en votre faveur celui qui (vous) dévore (Ml 3,11). Celui qui dévore, c’est celui qui, au dire de l’apôtre, rôde chera
Cf. Aelred, Sermons 69,6 ; 161,7‑8 ; Homélies sur les fardeaux 3,18.
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chant qui dévorer (1 P 5,8). C’est lui que Dieu réprouve en notre faveur lorsqu’il nous accorde la grâce de pouvoir éteindre tous les traits enflammés du Mauvais (Ep 6,16) et de rendre faible et inopérant le démon lui-même. 12. Le premier fruit de notre jeûne se trouve donc dans l’ouverture des écluses du ciel, le second dans la bénédiction, le troisième dans la réprobation. Quand le Seigneur ouvre les écluses du ciel, il accorde la connaissance ; quand il bénit, il prend pitié ; quand il réprouve en notre faveur celui qui dévore (cf. Ml 3,10‑11), il fait de nous, par sa grâce, des hommes forts, capables de vaincre le démon. C’est pourquoi, par le jeûne et la mortification de la chair, nous recevons d’être victorieux de la chair, nous obtenons la rémission des péchés, nous dominons nos poursuivants, nous vainquons les tentations.
Jeûner de bon cœur 13. Aimons donc le jeûne parce que, comme dit Salomon, celui qui nourrit délicatement son esclave le trouvera rebelle (Pr 29,21). Notre esclave, c’est notre chair, qui doit toujours obéir et non pas commander. Il nourrit délicatement cet esclave celui qui, par l’abondance de nourriture et de boisson, engraisse la convoitise de la chair. Celui qui la nourrit ainsi la trouvera rebelle et indomptable, il ne parviendra pas à la réduire en esclavagea. Puis donc que la chair est orgueilleuse et qu’elle convoite contre l’esprit (cf. Ga 5,17), elle doit être mortifiée et humiliée par le jeûne. 14. Offrons enfin au Seigneur des jeûnes volontaires et non pas contraints. Car celui qui jeûne en étant contraint et forcé ne mérite que peu ou pas du tout de récompense auprès du Seigneur. De fait, ne sont agréés de Dieu que les jeûnes qui sont faits avec une volonté empressée et un fervent don de soi.
a
Cf. Bède le Vénérable, Sur les Proverbes¸ 3,29,21.
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Charité 15. Tels sont les sacrifices que le psalmiste promet d’offrir à Dieu : Je t’offrirai des holocaustes de moelle avec la fumée des béliers, je t’offrirai des bœufs avec des boucs (Ps 65,15). Les holocaustes de moelle sont les jeûnes qui procèdent de la charité. La moelle, qui est la graisse de l’os, désigne la charité. On appelle holocauste un sacrifice qui est totalement embrasé par le feu. Quand on offrait un holocauste, tout était entièrement brûlé, la chair avec les os, et la moelle engraissait tout le sacrifice de telle sorte qu’un parfum très suave s’en dégageait. De la même manière, tout sacrifice que nous offrons à Dieu doit être embrasé par la charité, afin que tout ce qu’il y a de charnel en nous et toute convoitise charnelle soient brûlés au feu de la charité et qu’il en émane un parfum de très suave dilection pour Dieu et le prochain.
Prière des saints 16. Je t’offrirai des holocaustes de moelle avec la fumée des béliers (Ps 65,15), c’est-à-dire la prière des saints. Nous devons offrir cette fumée (cf. Ap 8,3‑4) à Dieu dans tous nos sacrifices, parce que, en n’importe quel sacrifice et dans le culte que nous lui rendons, nous devons recourir aux suffrages des saints, afin qu’ils intercèdent pour nous de manière à ce que notre sacrifice soit agrééa.
Les œuvres bonnes 17. Je t’offrirai des bœufs avec des boucs (Ps 65,15). Les bœufs désignent les œuvres bonnes que nous devons sans cesse pratiquer. De fait, nos sacrifices – à savoir les jeûnes – sont agréables à Dieu dans la mesure où ils sont étayés par les œuvres bonnes. Et nous
a
Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 65,18‑20.
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cherchons utilement refuge dans les suffrages des saints dans la mesure où nous avons à cœur d’imiter leurs œuvres.
L’esprit de pénitence 18. Je t’offrirai des bœufs avec des boucs (Ps 65,15). Les boucs désignent la pénitence, que nous devons sans cesse offrir à Dieu pour nos péchés. Quels que soient nos progrès dans les œuvres bonnes, nous devons toujours considérer que nous avons été et que nous sommes pécheurs. Dès lors, en tout ce que nous lui sacrifions nous devons offrir à Dieu notre pénitence, afin de faire toujours pénitence pour le bien que nous avons omis et le mal que nous avons commis. 19. « Autre est la pénitence intérieure, autre la pénitence extérieure. La pénitence extérieure est dans la mortification de la chair, la pénitence intérieure dans la contrition du cœur. Par la pénitence extérieure est châtiée la faute que constitue l’œuvre mauvaise ; par la pénitence intérieure est amendée la faute que constitue le mauvais vouloir. La mesure de l’amendement doit être évaluée d’après l’importance du péché. C’est pourquoi Jean (Baptiste) disait : Produisez des fruits qui soient dignes de la pénitence (Lc 3,8). Autre est le fruit de la pénitence, autre est la pénitence elle-même, comme autre est l’arbre, autre le fruit de l’arbre. La pénitence, c’est la douleur pour le péché passé. Quand tu t’affliges d’avoir fait ce qui est mal, quand tu désapprouves et condamnes tes méfaits, tu as la pénitence. Quand d’autre part, la réparation s’ensuivant, tu les punis et les corriges, tu produis un fruit de pénitence. Si ce que tu as fait te déplaît, tu fais pénitence ; si tu punis et venges ce que tu as fait, tu produis un fruit de pénitence. La pénitence, c’est la désapprobation d’un fait ; le fruit de la pénitence, c’est l’amendement du péché. Puis donc que la mesure de la pénitence doit être évaluée d’après la mesure du péchéa, il faut produire des fruits qui soient dignes de la pénitence. Si dans l’amendement l’affliction est moindre que ne fut le plaisir trouvé dans la faute, ce n’est pas un fruit digne de ta pénitence. a
Cf. Aelred, Miroir de la charité, III,79.
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La réparation
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20. Tu me rétorqueras peut-être : ‘Comment puis-je savoir à quel moment ma pénitence est suffisante ?’ Tu ne peux pas le savoir, il te faut donc toujours faire pénitence. Mais tu peux faire réparation, tu ne parviendras jamais à le faire trop. Mieux vaut faire plus que moins. C’est pourquoi sois attentif à faire réparation. Donne-toi de la peine, applique-toi à faire cesser tes fautes, à rendre ton zèle incessant. Mais, pour que la conscience pécheresse reçoive consolation, la manière et la mesure de la pénitence extérieure sont précisées ; de la sorte, une fois qu’elle a été atteinte et accomplie, tu commenceras à avoir confiance et, par une sorte de sainte hardiesse d’espérance en la divine miséricorde, tu oseras croire au pardon et à la rémission de tes péchés, d’autant plus réellement que sincère a été l’accomplissement de la pénitence enjointea. » 21. Puis donc que ce sont maintenant des jours de pénitence, faisons dès à présent pénitence, de la manière que nous venons de dire. Ainsi, par une confession pure et une véritable pénitence, nous obtiendrons un pardon total et mériterons la gloire éternelle. Que le Dieu tout-puissant daigne nous l’accorder, Père, Fils et Saint Esprit, lui qui vit et règne pour tous les siècles des siècles. Amen
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Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 2,14,2.
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SERMON 106 POUR LA FÊTE DE LA CHAIRE DE SAINT PIERRE
Les clefs du Royaume des cieux, confiées aux pasteurs, sont constituées de l’autorité et du discernement. Elles doivent rester jointes par la courroie de la miséricorde et du jugement, dont l’extrémité est attachée à la tablette de bois qu’est la croix du Christ. Quant à la chaire, qui donne son nom à la fête du jour, ses divers aspects sont passés en revue et présentés d’après leur symbolisme.
Origine de la fête 1. La fête de la Chaire de saint Pierre est accueillie avec ferveur par les fidèles, et célébrée avec joie. Surtout dans l’Église de Rome. Là cette solennité appelée ‘Chaire’ est honorée comme l’une des principales fêtes de l’année. Voyons donc pourquoi cette fête est appelée ‘Chaire’, quelle est cette chaire, ce qu’elle confère et ce qui lui est conféré. Oui, une chose est ce qu’elle confère, une autre ce qui lui est conféré. Une chose est ce qu’elle donne, une autre ce qu’elle requiert. Une chose est ce qu’elle exhibe, une autre ce qu’elle exige. Elle donne la dignité, elle requiert le discernement. 2. Cette solennité reçoit donc le nom de ‘Chaire’, parce qu’aujourd’hui le bienheureux apôtre Pierre, à la demande du peuple, monta en chaire dans la ville d’Antioche où il instruisait le peuple
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et l’absolvait de ses péchés. Transférée par la suite à Rome, cette chaire est l’objet d’une telle vénération qu’aucun souverain pontife n’est reconnu disposer de ses pleins pouvoirs avant de s’y être assis. Cette chaire confère l’autorité, elle requiert le discernement. Personne en effet ne doit monter sur cette chaire s’il n’est pas prudent, s’il n’est pas apte à gagner les âmesa, afin de pouvoir tirer de son trésor du neuf et de l’ancien (Mt 13,52), en ayant la capacité de discerner entre le bien et le mal (cf. 1 R 3,9) pour savoir qui il doit lier et qui il doit absoudre.
Autorité et discernement
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3. Tout pontife doit posséder ce discernement, c’est ce qu’enseigne le pasteur des âmes (cf. 1 P 2,25) et notre souverain pontife, le bienheureux apôtre Pierre, lors de l’installation de saint Clément. Tandis qu’il le pressait de s’asseoir sur cette chaire, il s’exprima en ces termes : « Je te donne ce que m’a transmis le Seigneur, le pouvoir de lier et de délier, en sorte que tout ce que tu auras décidé sur la terre sera également décidé dans les cieux (cf. Mt 16,19). Oui, tu lieras ce qui doit être lié et tu délieras ce qu’il convient de délierb. » 4. Cette chaire accorde donc l’autorité, comme il a été ditc, et elle requiert le discernement. L’autorité fait paraître la valeur, le discernement augmente le crédit. L’autorité fait que l’on est respecté, le discernement fait que l’on est estimé. Telles sont les clefs du Royaume des Cieux (Mt 16,19), qui ont été données à saint Pierre et, en Pierre, aux autres pasteurs. Un pasteur expérimenté doit faire tenir ensemble ces clés, afin qu’elles soient jointes, de la même manière qu’un sage intendant, pour ne pas perdre les clefs de son cellier, a l’habitude de les lier avec une double courroie dont les extrémités sont fixées à un morceau de bois.
Cf. Règle de saint Benoît 58,6. Épitre de Clément à Jacques, dans la traduction latine de Rufin 2,4. c Au paragraphe 2. a
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Miséricorde et jugement 5. La double courroie, c’est la miséricorde et le jugement. Parce que miséricorde et jugement marchent devant ta face (Ps 88,15), Seigneur. Tous les chemins du Seigneur sont miséricorde et vérité (Ps 24,10). Et miséricorde et jugement je chanterai pour toi, Seigneur (Ps 100,1). Pas l’une sans l’autre, mais l’une et l’autre ensemblea. La vérité sans la miséricorde est sévérité. La miséricorde sans la vérité est relâchement. La justice sans la miséricorde est trop virulente. La miséricorde sans la justice est trop molle. La justice sans la miséricorde ne laisse rien passer. La miséricorde sans la justice laisse tout faire. Aucune ne doit donc aller sans l’autre ; mais elles doivent être jointes pour que la miséricorde tempère la rigueur de la justice et que celle-ci à son tour donne consistance à la douceur de la miséricorde.
Arbre de vie 6. Les extrémités de cette courroie doivent être fixées dans du bois. Bien sûr, dans le bois de l’arbreb de vie qui se trouvait au milieu du paradis (cf. Gn 2,9) : celui qui mange dignement de son fruit, ne meurt pasc. C’est l’Arbre de vie que les Juifs ont fixé à l’arbre de mort ; mais en réalité, l’arbre de mort a été changé en arbre de vie. Oui, la croix qui était préparée en vue du châtiment de beaucoup, le Christ l’a convertie en remède et en salut universel. Les mauvais, sans s’en rendre compte, en faisant ce qui est mauvais, ont œuvré au bien contre leur gré. Ce qu’ils tramaient avec une détestable et furieuse cruauté en vue de la mort d’un seul homme, Dieu, dans sa bienfaisante et très douce bonté, l’a disposé en vue de la rédemption et de la vie de tout le genre humain. 7. À cet arbre – c’est-à-dire au Christ, qui est l’Arbre de vie car il est Voie, Vérité et Vie (cf. Jn 14,6) – doivent être fixées les Cf. Aelred, Sermons 35,3 ; 61,5 ; 113,17. Lignum : bois ou arbre. c Cf. Gn 3,3 ; 1 Co 11,27 ; Jn 6,50 ; cf. Aelred, Sermons 57,2 ; 88,2. a
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extrémités de notre courroie, afin que toute notre vie prenne appui sur le Christ, que dans tous nos jugements, au début et à la fin, nous imitions le Christ Juge, nous pensions au Christ présent et scrutant nos œuvres. C’est assurément ainsi que les évêques et les autres pasteurs de l’Église doivent référer leurs œuvres au Seigneur Christ, afin de toujours puiser en lui leur début et de trouver en lui leur fin, en songeant qu’ils auront à lui rendre compte de toutes leurs œuvres et de tous leurs jugementsa.
La chaire épiscopale 8. Cette chaire épiscopale dont nous parlons est ouverte en sa partie antérieure, fermée à l’arrière, à moitié fermée sur les côtés, posée sur quatre colonnes. Elle est ouverte par-devant, car nous devons être attentifs à ce qui est devant nous, c’est-à-dire à ce qui concerne la vie à venir, afin de désirer sans cesse ce qui demeure immuablement, d’y penser sans cesse, d’y aspirer inlassablement. Car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir (He 13,14). C’est pourquoi nous devons être tendus vers ce qui est à venir (cf. Ph 3,13). 9. À l’arrière, elle est fermée parce que nous devons fermer les yeux de notre esprit à ce que nous avons abandonné pour le Christ (cf. Mt 19,27), afin de ne pas songer aux affaires du monde mais à celles de Dieu (cf. 1 Co 7,34). À la vérité, il doit y avoir un mur entre nous et le monde – la crainte du châtiment et l’amour de la récompense – afin que, en raison de la crainte du châtiment ou de l’amour de la gloire, nous ne courions plus après ce à quoi nous avions renoncé. En effet, quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu (Lc 9,62). « Si celui qui laboure a regardé en arrière, il tracera un sillon qui n’est pas droit et ne vaut rien, ou bien il blessera les pattes des bœufsb. » 10. Sur les côtés, elle est à moitié fermée : elle n’est donc ni entièrement fermée, ni entièrement ouverte. Par là est signifiée a b
Cf. Règle de saint Benoît 3,11. Pseudo-Maxime, Homélies 16.
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la manière dont les pasteurs de l’Église doivent se comporter au milieu des succès et des revers : ni trop se réjouir des succès, ni s’affliger outre mesure des revers, n’être ni exalté par les succès ni brisé par les reversa. 11. Cette chaire est carrée, puisque le cœur des évêques doit être solidement accroché afin que, comme une pierre bien équarrie – qui se maintient fermement, de quelque côté qu’elle tombe –, ils ne se laissent pas facilement déstabiliser. C’est pourquoi il est commandé que l’édifice préparé pour le Seigneur soit fait de pierres équarries (cf. 1 R 5,31), car le cœur des saints – qui sont les édifices et les temples de Dieu – doit être fermement fixé en Christ pour ne pas être comme un roseau agité par le vent (cf. Mt 11,7) qui se tourne de tous côtés : ballottés entre le oui et le non, voulant et ne voulant pas, tantôt ordonnant une chose et tantôt l’interdisant, tantôt permettant une chose et tantôt retirant la permissionb. C’est là le fait de faux pasteurs, manquant de discernement.
Les quatre colonnes 12. La chaire est posée sur quatre colonnes, car il y a quatre vertus cardinales sur lesquelles s’appuient toutes les autres vertus : la prudence, la tempérance, la force et la justicec. La vie des prêtres doit être ornée, parée et fortifiée par ces vertus. Ou bien les quatre colonnes sont les quatre évangiles qui rapportent les événements de la vie du Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même (1 Tm 2,5). Les pasteurs de l’Église doivent prendre appui sur eux afin de disposer toutes leurs œuvres d’après l’exemple du Pasteur souverain et parfait, et de conformer autant que possible leur vie à sa manière de vivre. 13. C’est en effet ainsi qu’ils seront fermes et forts, ne redoutant pas de s’écrouler d’un côté ou de l’autre : parés de vertus, ils seront également soutenus dans leur foi et leur amour pour Cf. Aelred, Sermons 113,12 ; 141,4. Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 29,4‑5. c Cf. Aelred, Sermon 113,11. a
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le Christ. Dévoués à Dieu, agréables aux hommes, utiles à euxmêmes. Ils seront utiles à eux-mêmes par une intention pure et un saint désir, ils contribueront au progrès de leurs subordonnés par le bon exemple. Ils seront utiles à eux-mêmes en menant une vie droite, ils contribueront au progrès de leurs subordonnés en les instruisant et en les exhortanta. 14. Cette chaire réclame de tels pasteurs, puisque tel était notre pasteur, le bienheureux apôtre Pierre, bon et prudent, qui monta aujourd’hui sur cette chaire et dont nous vénérons aujourd’hui la Chaire, en mémoire de lui. Lui-même met pour nous en valeur les colonnes de cette chaire. Car il nous prêche les quatre vertus susdites – prudence, tempérance, force et justice – non seulement par ses exhortations mais aussi par sa manière de vivre. Oui, il nous recommande la prudence dans la prédication, la tempérance dans la manière de vivre, la force dans la foi, la justice dans le jugement. De fait, il était paisible et réservé, prudent et tempérant, fort dans la foi, juste dans le jugement. 15. Il prenait toujours appui sur les quatre colonnes de sa chaire, à savoir sur les quatre Évangiles, rehaussant sa prédication et son enseignement par les préceptes évangéliques, mettant toute sa vie en harmonie avec celle du Sauveur – autant qu’il est possible à un être humain – et conformant sa manière de vivre à la sienneb ; il reçut de lui les clefs du Royaume des Cieux en sorte que tout ce qu’il déciderait sur terre soit décidé dans les cieux (Mt 16,19). Par ce pouvoir qui lui a donc été confié, que notre bon pasteur et protecteur nous absolve de nos péchés, par la miséricorde de Jésus Christ notre Sauveurc à qui appartiennent l’honneur et la gloire avec le Père et le Saint-Esprit pour tous les siècles des siècles (cf. Rm 16,27). Amen.
Cf. Aelred, Sermons 113,11 ; 154,14 etc. Cf. Aelred, Sermon 175,24. c Cf. Aelred, Sermons 171,3 ; 175,22. a
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SERMON 107 POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME
Le sermon chante le dessein de salut universel mis en œuvre par Dieu. C’est une méditation sur les événements décisifs de la vie d’Abraham et des membres de sa famille, dans leur portée symbolique.
Hymne à la miséricorde 1. Abraham eut deux fils, l’un de la femme libre, l’autre de l’esclave (Ga 4,22). Il faut vénérer et proclamer la miséricorde et la grâce du Créateur, qui veut que personne ne périsse (cf. 2 P 3,9) mais que tous soient sauvés (cf. 1 Tm 2,4) ; ouvrant à tous le giron de sa bonté, il a choisi ce qu’il y a de vil et de méprisé dans le monde pour confondre ce qu’il y a de fort, afin que nul ne présume de sa propre vertu (cf. 1 Co 1,27‑29) – car ce ne sont pas nos mérites mais sa seule miséricorde qui fait de nous des sauvés (cf. Tt 3,5) ; notre mère, longtemps stérile, il l’a enrichie d’une bonne et généreuse progéniture (cf. Ga 4,26‑27). 2. Notre mère, c’est l’Église rassemblée de toutes les nations : elle fut stérile et méprisée durant presque tout le temps de son adolescence. Elle était stérile car c’est à peine si elle a enfanté quelqu’un qui ait cherché à imiter son Créateur et à l’adorer. Elle était méprisée parce que, esclave du péché (cf. Jn 8,34), vouée à des œuvres mortes
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(cf. He 9,14), enveloppée des ténèbres de ses fautesa, elle adorait la pierre et le bois (cf. Ez 20,32) ; ayant, par un aveuglement coupable, abandonné le Créateur, elle rendait un culte à la créature (cf. Rm 1,25). Pour que la stérile ne périsse pas sans progéniture et ne soit pas éternellement condamnée dans son infidélité, la divine bonté regarda avec clémence cette délaissée et la tourna miséricordieusement vers la foi par la prédication des apôtres. Dès qu’elle entendit les paroles de vie (cf. Ac 5,20), oubliant son peuple et la maison de son père (cf. Ps 44,11) – selon le précepte de l’Esprit Saint dans le livre des psaumes –, elle délaissa immédiatement son ancien genre de vie charnel (cf. Ep 4,22) ; elle fut facile à convaincre, prête à croire, prompte à obéir, empressée à satisfaire pour ses péchés passés. 3. Oui, elle doit être glorifiée et exaltée l’admirable et ineffable clémence de Dieu, qui enleva miséricordieusement la honte de la servitude et de la stérilité de notre mère abandonnéeb. Nous qui sommes assurément fils de l’adoption (cf. Ga 4,5), fils de la grâce, fils de l’Église, nous avons à nous réjouir avec notre mère qui, d’ennemie qu’elle était, a été magnifiquement faite amie ; stérile elle a été rendue féconde, esclave elle est devenue libre, servante elle est devenue souveraine. Réjouissons-nous de la gloire de notre mère à qui aujourd’hui par toute la terre on chante avec éclat et jubilation : Réjouis-toi, stérile qui n’as pas enfanté ; éclate en cris de joie et d’allégresse, toi qui n’as pas connu les douleurs, car plus nombreux sont les fils de l’abandonnée que les fils de l’épouse (Is 54,1). Ce qui veut dire que plus nombreux sont les fils de l’Église rassemblée de toutes les nations – qui, par grâce, a conçu en sa vieillesse (cf. Lc 1,36) – que les fils de l’épouse, à savoir la Synagogue qui, dès l’âge le plus tendre, fut liée maritalement par le lien de la Loi.
Ismaël 4. Abraham eut deux fils (Ga 4,22), Ismaël et Isaac. Ismaël, le fils de l’esclave ; Isaac, le fils de la femme libre. Ismaël est né selon a b
Cf. Aelred, Sermons 9,7 ; 60,5 ; 153,3 ; 161,7 ; Homélies sur les fardeaux 22,14. Cf. Gn 30,23 et Ga 4,26‑27.
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la chair, Isaac en vertu de la promesse (cf. Ga 4,22‑23). La signification symbolique de ces deux fils d’Abraham, l’Apôtre l’évoque en disant qu’il y a là une allégorie, ajoutant qu’ils se réfèrent aux deux alliances (cf. Ga 4,24), à savoir l’ancienne et la nouvelle. 5. Ismaël, le premier-né d’Abraham, désigne le peuple juif, qui est premier-né par appel, non par dignité. Car ce peuple ancien, à juste titre réprouvé, vaincu par sa convoitise charnelle, vendit son droit d’aînesse (cf. Gn 25,31‑33) de façon à n’être plus déclaré l’aîné mais le plus jeune. Ismaël se traduit par ‘action d’entendrea’. Cette signification est attribuée avec à propos au peuple ancien, peuple à la nuque raide (cf. Ex 32,9) qui vit selon la chair, apprécie les choses de façon charnelle, comprend de manière charnelle les mystères spirituels. Il entend la Loi et ne l’observe pas, parce que ce peuple charnel écoute les préceptes mais ne les met pas en pratique (cf. Jc 1,23). Voilà pourquoi la Loi ne l’a pas absous mais accusé. Ismaël est né de l’esclave (cf. Ga 4,23) car le peuple hébreu qu’il désigne était retenu en servitude au pays de Pharaon, et jusqu’à maintenant il est étouffé par le joug littéral de la Loi. Qui est sous la Loi est soumis à l’esclavage (cf. Ga 5,1). Il a un poids sur sa tête, ne détruisant pas le péché mais le faisant voirb. Ismaël est né selon la chair (Ga 4,23), puisque ce premier peuple rendait un culte à Dieu en vue des attraits de ce monde, en raison des biens temporels, terrestres et charnels.
Isaac 6. Isaac, le fils de la femme libre, né en vertu de la promesse (Ga 4,23), désigne le nouveau peuple, le peuple chrétien, peuple choisi, agréable à Dieu. Ce peuple est né d’une mère stérile, car il provient de la masse des pécheurs, des nations ne connaissant pas Dieu (cf. Ga 4,8), d’une souche qui, dans les premiers temps, n’a donné ni fleur ni fruit ; mais il est miséricordieusement choisi, transformé de gloire en gloire, de la gloire de l’appel à celle de la justificationc. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 7. Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 3,2. c Cf. 2 Co 3,18 ; Rm 8,30. a
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7. Il n’est pas né de la chair mais en vertu de la promesse (cf. Ga 4,23). Car ce ne sont pas la chair et le sang qui lui ont révélé le Christ, Fils de Dieu (cf. Mt 16,16‑17) – en qui il est rené par grâce –, mais l’Esprit Saint, qui lui a inspiré de croire. Ce n’est pas en vertu de biens charnels et temporels que le peuple des païens – qui, comme Isaac, est fils de la promesse (cf. Ga 4,28) – est soumis à Dieu, selon ce que le Père dit au Fils dans un psaume : Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, pour domaine les extrémités de la terre (Ps 2,8) ; mais c’est par amour des biens éternels qu’il se comporte en toute obéissance – manifestée à Dieu avec empressement – et qu’il accomplit toutes sortes de bien dans la foi et l’amour de Dieu, afin de mériter d’entrer dans la terre de la promesse et l’héritage du bonheur éternel. 8. C’est à juste titre qu’il est présenté comme étant né non de l’esclave mais de la femme libre (cf. Ga 4,23), car nous ne sommes pas fils de l’esclavage mais de la liberté, de cette liberté dont le Christ nous a enrichis. Nous ne sommes pas les enfants d’une esclave mais nous sommes ceux de la femme libre (Ga 4,31), non pas fils de la Synagogue mais fils de l’Église. Nous ne sommes plus sujets de la Loi, mais sujets de la grâce (Rm 6,14). Quiconque est sujet de la Loi est esclave. Par contre, comme le dit le bienheureux Augustin : « Celui qui accomplit la Loi n’est pas sujet de la Loi mais avec la Loia. » Celui donc qui est sujet de la Loi est esclave, car tout homme qui commet le péché est esclave du péché (Jn 8,34). Or, puisque le peuple des païens ne parvenait pas à accomplir la Loi par ses propres forces, il demandait humblement le secours d’un sauveur. Voilà pourquoi Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour racheter ceux qui étaient sous la Loib, c’est-à-dire pour sauver les humbles, les malades, les faibles, afin que nous ne vivions pas sous la Loi comme des esclaves, mais sous la grâce (cf. Rm 6,14) comme des héritiers libres. En ce sens, nous ne sommes pas fils de l’esclave mais de la femme libre, de la liberté par laquelle le Christ nous a libérés (Ga 4,31 vg). Isaac se traduit par ‘rirec’ ; ce qui est référé avec Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 3,2. Jn 3,17 et Ga 4,5. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 76.
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raison au nouveau peuple, car la conversion des païens fait la joie des anges (cf. Lc 15,10).
Abraham, préfiguration du Christ 9. Abraham – qui veut dire père d’une multitude de peuples (Gn 17,4) – est une préfiguration du Christ, père de tous les croyants. Qu’il soit sorti de son pays et de sa parenté, sur l’ordre de Dieu (cf. Gn 12,1), symbolise le fait que le Christ, par la volonté et le dessein du Père, devait passer vers les nations païennes par l’entremise de saints prédicateurs (cf. Ac 13,46). Abraham séjourne en un pays étranger (cf. He 11,9) parce que le Christ demeure pour toujours, par la foi, dans un peuple étranger – à savoir, dans l’Église rassemblée de toutes les nations –, et y agit avec bonté. Ainsi le psalmiste, au nom du Christ, dit de l’Église : Un peuple que je n’ai pas connu m’a été assujetti ; il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu ma voix (Ps 17,45). Le Christ a fait sa demeure (cf. Jn 14,23) en ce peuple et s’y repose paisiblement. À ce propos, le psalmiste, en son nom, dit de l’Église : C’est ici mon repos à tout jamais ; j’y habiterai puisque je l’ai choisie (Ps 131,14). Là – c’est-à-dire dans l’Église que je me suis fiancée –, j’habiterai à tout jamais, c’est-à-dire pour l’éternité. À présent par la foi, dans le futur par la claire vision (cf. 2 Co 5,7). 10. Abraham engendra deux fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre (Ga 4,22). Il préfigura le Christ qui engendra spirituellement deux peuples : le peuple juif symbolisé par Ismaël, que Agar – à savoir la loi ancienne – lui donna ; le peuple païen symbolisé par Isaac, que Sara – c’est-à-dire la loi évangélique – lui donna.
Agar et Sara 11. Agar se traduit par ‘éloignementa’. Car la loi ancienne, comprise selon la chair, a éloigné l’ancien peuple. En ce sens, le prophète a
Glose traditionnelle de Ga 4,24.
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dit : Je t’ai plantée comme un cep de choix, ô ma vigne. Comment t’estu changée en cep amer d’une vigne étrangèrea ? Et le psalmiste dit : Des fils étrangers m’ont menti, des fils étrangers sont tombés dans la vieillesse et n’ont plus marché dans leurs voies (Ps 17,46). 12. Sara se traduit par ‘princesseb’. On a bien raison de rapporter ce mot à la nouvelle loi, car la loi évangélique assume le rôle princier sur l’ensemble de l’univers terrestre. Son éminente supériorité l’emporte sur toutes les lois. Car c’est une loi sans tache qui convertit les âmes (Ps 18,8 vg), une loi sainte, une loi bonne, une loi agréable à Dieu et agréée des anges. C’est Sara, notre mère (cf. Ga 4,26), la mère de tous les croyants, qui a conçu dans sa vieillesse (cf. Lc 1,36) et enfanté un nombre incalculable de fils. Aussi Isaïe dit-il de l’Église : Ils diront à tes oreilles, les fils que tu avais perdus : le lieu où nous sommes est trop étroit pour nous ; fais-nous une place pour pouvoir y demeurer. Et tu diras dans ton cœur : Qui m’a engendré ceux-ci, alors que je me savais veuve et sans enfants ? Car moi j’étais abandonnée et seule. Mais ceux-ci où étaient-ils ? Qui les a nourris pour moic ? 13. Elle est l’Église constituée de ceux qui étaient morts dans leurs péchés, servant la créature au lieu du Créateur (cf. Rm 1,25), adorant des pierres (cf. Ez 20,32) et sacrifiant à des démons (Ba 4,7). Parmi eux, une foule innombrable s’est convertie à la foi par l’action des apôtres et de leurs successeurs. Et ce que dit l’évangile s’est accompli : Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume de leur Père ; tandis que les enfants du royaume – à savoir les Juifs – seront jetés dehorsd.
Abraham 14. Jusqu’ici nous avons dit quelques mots sur le sens allégorique des noms d’Abraham, Sara, Isaac, Agar et Ismaël. Suivant Jr 2,22, d’après la version de la Septante. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 72. c Is 49,20‑21, d’après la version citée par saint Augustin (Commentaire sur les psaumes, Ps 112,8). d Mt 8,11‑12 ; cf. Mt 13,43 et Jn 12,31. a
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l’interprétation spirituelle, nous pouvons considérer qu’Abraham représente tout fidèle, car il est le premier chemin des croyants. Lui, qui vit trois anges et n’en adora qu’un seul (cf. Gn 18,2), nous a en effet introduit dans la foi en la Trinité et en l’Unitéa. Abraham est le père d’une multitude de peuples (Gn 17,4). Et tout fidèle doit être père d’une multitude de vertus, afin de plaire par ses œuvres bonnes à son Créateur qui aime et récompense les vertusb. Sur l’ordre de Dieu, Abraham sortit de son pays et de sa parenté (cf. Gn 12,1), parce que tout fidèle doit sortir de sa conduite charnelle, en laquelle il se glorifiait en vain et à tort. Elle est l’Égypte, terre d’affliction, où le peuple de Dieu était affligé, servant Pharaon dans des ouvrages d’argile et de briques (cf. Ex 1,13‑14). Nous devons sortir de cette Égypte, pour ne pas y mourir et que nos corps ne soient pas ensevelis dans les tombeaux des Égyptiens, qui sont empoisonnés et remplis de serpents, pleins de vers qui ne meurent pas (cf. Is 66,24), remplis de douleurs et d’angoisses. 15. Abraham a une épouse et une concubine. Il s’unit à l’une et à l’autre, et reçoit une descendance de l’une et de l’autre : de la femme libre, un héritier ; de l’esclave, un fils mais non un héritier (cf. Ga 4,30). L’esclave est chassée avec son fils (cf. Gn 21,10), la femme libre est respectée avec son fils, et elle règne en maîtresse dans la maison. C’est ce que nous devons faire, car si nous sommes les enfants d’Abraham, nous avons à imiter les œuvres d’Abraham (cf. Jn 8,39). Chacun de nous a une épouse et une concubine, une femme libre et une esclave, un héritier et un esclave. L’esclave, c’est notre chair ; la femme libre, c’est notre âme. L’esclave est en dispute contre la femme libre, et la femme libre murmure contre l’esclave, car la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Ga 5,17). Chacun de nous éprouve souvent en lui-même cette résistance, cette lutte, ce conflit entre la chair et l’esprit.
a b
Cf. Aelred, Sermon 132,14 ; Homélies sur les fardeaux 2,4. Cf. Aelred, Sermons 87,1 ; 154,12 etc.
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Agar et Ismaël 16. Agar est une esclave orgueilleuse. Si nous nous unissons à elle, si nous dormons avec elle, si nous nous plaisons à ses embrassements, elle nous éloignera du chemin de Dieu, parce que Agar se traduit par ‘éloignementa’. Elle enfante pour nous Ismaël, car elle vivifie et nourrit en nous la convoitise charnelle, qui est figurée par Ismaël. Ismaël se traduit par ‘action d’entendreb’ : il est exact de rapporter ce mot à la convoitise de la chair. Car la convoitise de la chair a des oreilles sans cesse levées vers les suggestions du serpent ; elle l’écoute volontiers pour manger du fruit de l’arbre défendu, elle est prompte à consentir aux vices et à obéir aux conseils impurs (cf. Gn 3,4‑6).
Sara et Isaac
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17. L’âme, qui est figurée par Sara, est libre (cf. Ga 4,26). C’est elle qu’il faut aimer. C’est elle que nous devons écouter. Elle chasse l’esclave et son fils (cf. Gn 21,10), puisqu’elle dompte la chair et éteint ses appétits. Sara se traduit par ‘princessec’. Et l’âme est la partie princière de nous-mêmes, une réalité invisible, une réalité spirituelle, façonnée à l’image du Créateur (cf. Gn 1,27). Elle foule aux pieds les réalités temporelles et terrestres, elle cherche naturellement à atteindre les biens éternels et immuables. Dans sa vieillesse (cf. Lc 1,36) elle enfante Isaac, qui se traduit par ‘rired ’. Cela convient bien à l’âme. Oui, si nous avons vécu en conformité avec elle, si nous avons acquiescé à ses conseils, dans la vieillesse elle enfante Isaac, c’est-à-dire qu’à la fin elle enfantera une joie sans limite, la joie des anges (cf. Lc 15,10), une joie qui demeurera sans fin. 18. Elle dit à son époux : Chasse l’esclave et son fils – car elle supplie Dieu que la chair soit foulée aux pieds et que ses convoitises Voir paragraphe 11. Voir paragraphe 5. c Voir paragraphe 12. d Voir paragraphe 8. a
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s’éteignent –, le fils de l’esclave n’héritera pas avec le fils de la femme libre (Ga 4,30) – car le désir de la chair périra tandis que le désir de l’esprit demeurera. La convoitise de la chair est un chemin de condamnation qui va vers la mort, tandis que la convoitise de l’esprit est un chemin d’amendement qui va vers la viea. Imitons donc Abraham en chassant l’esclave et son fils, en domptant la chair et en éteignant ses convoitises, en nous laissant mener par l’Esprit (cf. Ga 5,16), afin d’être en compagnie des esprits célestes. Grâce à notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
a
Cf. Ga 5,17 et Mt 7,14.
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Un sermon pour le Vendredi saint n’est pas habituel chez un auteur cistercien. Mais la collection de Reading nous a conservé également divers témoignages de la prédication d’Aelred hors de Rievaulx. S’inspirant des commentaires d’Origène sur le Lévitique d’une part, et sur le livre de Josué d’autre part, notre auteur se livre à une méditation sur l’œuvre de rédemption opérée par la croix.
Le pauvre… 1. Ô mort, je serai ta mort ; enfer, je serai ta morsurea (Os 13,14). Ces événements avaient été jadis annoncés d’avance par le prophète – mieux : par l’Esprit Saint s’exprimant dans le prophèteb – à propos du Christ, et aujourd’hui ils s’accomplissent dans le Christc. Ô mort, je serai ta mort. Cette voix est la voix de la Vie, la voix du Médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm 2,5), la voix de Celui qui a aujourd’hui délivré le pauvre de la main du puissant, le pauvre sans recours (Ps 71,12). 2. Ce pauvre, c’est le genre humain soumis au pouvoir de l’ennemi, tout entier malade et languissant, corrompu dans la faute Antienne pour le Samedi Saint. Cf. Aelred, Sermon 98,2 ; 182,3 ; Homélies sur les fardeaux 3,21. c Cf. Aelred, Sermons 1,22.29 ; 89,10 etc. a
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d’Adam. Pauvre, n’ayant pas les richesses des vertus, il dépérissait dans le gouffre des vices. Pauvre, parce que tout le genre humain descendait aux enfers. Personne, juste ou injuste, n’était monté après cette vie vers les lieux étoilés, parce que le péché de désobéissance refoulait tous les hommes, bons et mauvais, élus et réprouvés, vers les sombres lieux des ténèbres. Dans cette misère, dans ce malheur, dans toute cette pénible situation, il n’y avait pas de recours pour ce pauvrea. « Non, aucune vertu, aucun homme juste, aucun ange » ne pouvait délivrer le pauvre de la main du puissant (cf. Ps 71,12), l’homme du démon ; « ce n’est pas la force du démon qui l’a rendu puissant pour s’assujettir l’homme et le retenir en captivité, mais les péchés de l’hommeb. » Le démon en effet n’aurait eu aucun pouvoir sur l’être humain si celui-ci ne lui avait conféré ce pouvoir en lui donnant son consentement dans le péché.
…a reçu aide 3. Puis donc qu’il n’y avait pas d’autre recours, le Christ, notre roi et notre grand-prêtre, a aujourd’hui sauvé sur sa croix les fils de pauvres et humilié leur calomniateur (cf. Ps 74,4), je veux dire le démon qui calomniait tous les hommes, bons et méchants (cf. Ap 12,10), par le péché auquel il avait entraîné nos premiers parents. Mais comment le démon était-il en mesure de soumettre à son pouvoir le Christ, qu’il n’a jamais pu entraîner à quelque péché que ce soit ? Celui donc qui, dans toute notre nature, fut le seul à être sans péché, débarrassa notre nature du péché. Celui qui était le seul à être né d’une femme sans l’intervention d’un homme libère aujourd’hui le pauvre de la main du puissant (cf. Ps 71,12). Celui qui était le seul à ne rien devoir à l’enfer y descendit miséricordieusement, le verrouilla pour nous et rouvrit le paradis. 4. « Qui d’autre en effet pouvait écarter le glaive de feu tournoyant, placé pour garder l’arbre de vie et les portes du paradis ? Quelle autre sentinelle avait la force de détourner les Chérubins a b
Cf. Aelred, Sermons 85,3 ; 89,5. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 71,14.
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de leur garde incessante (cf. Gn 3,24), sinon Celui-là seul à qui tout pouvoir a été donné au ciel et sur la terre (Mt 28,18) ? De même que personne d’autre ne pouvait faire cela, ainsi personne d’autre ne put vaincre totalement les Principautés et les Puissances des ténèbres (cf. Ep 6,12), sinon Celui-là seul qui disait : Ayez confiance : j’ai vaincu le monde (Jn 16,33), j’ai vaincu le démon, j’ai triomphé de tous les princes des ténèbres. Oui, il les a traînés avec puissance dans son cortège, triomphant d’eux par lui-même (cf. Col 2,15), comme le dit le bienheureux Paula. »
La mort est anéantie 5. Ô mort, je serai ta mort ; enfer, je serai ta morsure (Os 13,14). Il a mordu l’enfer car, descendant dans l’enfer, il en a, avec miséricorde, retiré certains, et il y en a, avec justice, laissé d’autres. Il a mordu, car il en enleva une partie et y laissa une autre. Ô mort, je serai ta mort. Il a totalement fait périr la mortb. Alors qu’il ne devait rien à la mort – puisqu’il n’a pas commis de faute et qu’il ne s’est pas trouvé de fourberie dans sa bouche (1 P 2,22) –, mourant aujourd’hui sur la croix, non à cause de ses péchés – inexistants (cf. 1 Jn 3,5) –, mais en raison des nôtres – nombreux et graves –, il a éteint notre mort, de sorte que quiconque croit en lui et manifeste sa foi par des œuvres bonnes ne goûtera jamais la mort (Jn 8,52), cette mort qui est préparée pour le démon et ses anges (cf. Mt 25,41). Oui, la Vie est aujourd’hui morte sur le bois, et l’empire de la mort est dissous.
Souffrances du Christ 6. Qui donc est grand comme le Seigneur Jésus, admirable en sa force, terrible et digne de louange, accomplissant des merveillesc ? Il Origène, Homélies sur le Lévitique 9,5. Cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 12,11. c Cf. Ex 15,11 et Ps 76,14‑15. a
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a accompli une œuvre merveilleuse lorsqu’il a créé l’être humain, mais il l’a accomplie aisément. Il a dit : ‘Que l’homme soit fait’, et l’homme fut faita. Mais, pour parler à la manière humaine (cf. Ga 3,15), je dirais qu’il a davantage peiné pour racheter l’homme. Pour que l’homme soit racheté, le Créateur de l’homme s’est fait homme. Dans la véritable chair qui est la nôtre, il a enduré la faim, la soif et les autres pénuries que nous éprouvons à cause de notre faiblesse. Il a pris sur lui toutes nos faiblesses, à l’exception du péché (cf. He 4,15) et de l’ignorance. Il a en outre supporté de la part des Juifs d’être saisi, ligoté, tourné en dérision, frappé, couvert de crachats, amené chez Pilate et flagellé par les soldats, couronné d’épines, suspendu au bois, transpercé d’un coup de lance, mis en croix en ayant les pieds et les mains percés de clous, abreuvé d’un mélange de vinaigre et de fiel. Tout cela, mon Seigneur l’a enduré pour moi, lui, le Fils unique de Dieu, la Sagesse du Père, le Roi des hommes et des anges, le Seigneur et Créateur de toutes les créatures. 7. Qui serait à ce point endurci pour ne pas pleurer chaque fois qu’il fait revenir à sa mémoire la Passion de notre Seigneur, pour ne pas compatir à notre Seigneur Jésus Christ, qui a souffert cela pour nous et pour tout son peuple ? Les Juifs, à la nuque raide (cf. Ex 32,9) et sans miséricorde, n’avaient aucune compassion pour le Christ en toute cette affliction. Mais pour aggraver encore son tourment, ils hochaient la tête devant sa croix en disant : Ah ! lui qui détruit le temple et le rebâtit en trois jours (Mt 27,39‑40) ! Certes toutes ces choses, que notre Seigneur endure miséricordieusement pour nous en ce jour, nous arrachent des larmes de compassion ; pourtant, à cause du fruit de salut que nous avons obtenu grâce à cette passion du Seigneur, la raison nous persuade d’être dans la joie plutôt que dans l’affliction.
Jour de propitiation 8. Oui, cette passion du Seigneur est destruction de la mort et renouvellement de la vie. C’est elle qui a pour nous fermé l’enfer a
Cf. Ps 32,9 et Gn 1,26.
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et ouvert le paradis. Elle nous a séparés du démon et unis à Dieu. Elle a assuré la paix entre Dieu et l’homme. C’est pourquoi aujourd’hui est un jour de renouvellement car, en ce jour, Dieu s’est rendu propice aux hommes par la croix de son Fils unique. Car c’était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde (2 Co 5,19). Le Christ, notre roi et prêtre, a aujourd’hui fait la paix, par le sang de sa croix, avec tout ce qui est dans les cieux ou sur la terrea. 9. « Dans la Loi, il est prescrit à tout le peuple d’humilier son âme au jour de propitiation (cf. Lv 23,27‑28). De quelle manière nous devons humilier notre âme, le Seigneur lui-même nous l’apprendb » : Viendront des jours où l’Époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront (Mt 9,15). Humilions donc nos âmes en ce jour de propitiation, par les pratiques d’ascèse et le jeûne, car aujourd’hui le Christ s’est humilié, se faisant pour nous obéissant au Père jusqu’à la mort de la croixc. Aujourd’hui, notre adversaire a été vaincu. Aujourd’hui, le chef de la famille de l’impie a été frappé (Ha 3,13 vg). Aujourd’hui, le roi de Aï a été suspendu à un bois double (cf. Jos 8,29).
La prise de Aï 10. Nous lisons dans le livre de Josué que les fils d’Israël, après avoir fait s’effondrer de Jéricho, s’avancèrent pour assiéger la ville de Aï. Les habitants de Aï sont sortis et semblaient d’abord vaincre et abattre les Israélites, parce que ceux-ci avaient dérobé ce qui avait été voué à l’anathème à Jéricho. Mais lorsque le mal eut été ôté du milieu d’eux, Josué, réconforté par le Seigneur, partagea l’armée en deux camps : l’un se posterait en embuscade, tandis que l’autre simulerait la fuite. Tout étant ainsi combiné, le roi de Aï lança tout son peuple au combat contre eux. « Lorsqu’ils furent arrivés à l’endroit convenu, Josué s’étant retourné donna le signal : les embusqués surgirent et frappèrent l’ennemi Col 1,20, d’après la version citée par Origène (Sur le Lévitique 9,5). Origène, Homélies sur le Lévitique 9,5. c Ph 2,8 ; cf. antienne pour la Semaine Sainte. a
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par-derrière. C’est ainsi que les derniers avec les premiers, ayant complètement encerclé les ennemis, les massacrèrent tous, se saisirent du roi de Aï et le pendirent à un bois doublea. » 11. Toutes ces choses nous instruisent et nous enseignent. « Nous fûmes d’abord vaincus, et les habitants de Aï tuèrent plusieurs d’entre nous. Aï se traduit par ‘chaos’. Chaos est le lieu ou plutôt la demeure des puissances ennemies dont le prince est le roi de Aï, c’est-à-dire le démonb », qui est roi sur tous les fils de l’orgueil (Jb 41,26). Il est aujourd’hui suspendu à un bois double (cf. Jos 8,29). « Le bois double, c’est la croix du Christ, car elle comporte un double aspect. Sur elle en effet le Fils de Dieu est crucifié de manière visible, mais, invisiblement, c’est le démon qui y a été cloué avec ses principautés et ses puissances. Pour que ce que je vous dis ne vous paraisse pas insolite, écoutez ce que déclare à ce sujet l’apôtre Paul : Ce qui nous était contraire, il l’a fait disparaître en le clouant à sa croix ; il a dépouillé les principautés et les puissances et les a livrées en spectacle, triomphant d’elles sur le bois de sa croixc » (Col 2,14‑15).
Le bois double 12. « Comme nous l’avons dit, il y a donc un double aspect à la croix du Seigneur. L’un est celui dont parle l’apôtre Pierre : le Christ crucifié nous a laissé un modèle (cf. 1 P 2,21). L’autre fait de la croix un trophée de la victoire sur le démon, car en elle celui-ci a été crucifié et on a triomphé de luid. » Mais on peut se poser la question : si sur la croix du Christ le démon a été vaincu, « pourquoi prévaut-il encore avec tant de force sur les serviteurs de Dieu, au point que le bienheureux Pierre lui-même nous met très prudemment en garde et nous demande de veiller car notre adversaire, le démon, rôde sans cesse comme un lion rugissant, cherchant qui Origène, Homélies sur Josué 8,1 ; cf. Jos 7,1‑8,29 Origène, Homélies sur Josué 8,2. c Origène, Homélies sur Josué 8,3. d Origène, Homélies sur Josué 8,3 ; cf. Col 2,15. a
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dévorer (1 P 5,8)a ? » Que votre charité prête attention pour voir comment cela est possible. 13. « L’avènement du Christ est double. L’un s’est déjà accompli dans l’humilité, et nous espérons l’autre dans la gloire. Le premier avènement du Christ est appelé par la sainte Écriture, dans une expression de sens spirituel, une ombre du second avènement qui, lui, est à venir, dans la gloire. Aussi le prophète dit-il : Le souffle de notre face, le Christ Seigneur, à l’ombre duquel nous vivons parmi les nations (Lm 4,20 vg). Par là, nous comprenons que ce premier avènement nous donne l’ombre de beaucoup de choses, que le second avènement amènera à leur perfection et à leur plein accomplissement. Aussi le bienheureux Paul dit-il : Il nous a ressuscités avec lui et nous a fait asseoir ensemble dans les cieux (Ep 2,6). Pourtant nous voyons bien que les croyants ne sont pas encore ressuscités ni assis dans les cieux. Mais c’est l’ombre de ces biens qu’ils possèdent actuellement par la foi : par la pensée et l’espérance, nous nous dégageons des choses terrestres et des œuvres mortes (cf. He 6,1) et nous élevons notre cœur vers les réalités célestes et éternelles. Toutes ces choses auront leur accomplissement lors du second avènement : ce dont nous avons maintenant la possession anticipée par la foi et l’espérance, nous le saisirons alors dans sa réalité effective. De même, nous devons comprendre au sujet du démon qu’il a été vaincu et crucifié, mais pour ceux qui ont été crucifiés avec le Christ. Pour tous ceux qui croient et pour tous les peuples aussi, il ne sera crucifié que lorsque s’accomplira la parole de l’Apôtre : De même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés dans le Christ (1 Co 15,22)b. »
Jésus est avec nous dans les combats 14. Dans la mesure où, d’ici là, nous aurons courageusement lutté, frères, Jésus se retournant fera signe aux embusqués de surgir a b
Origène, Homélies sur Josué 8,4. Cf. Origène, Homélies sur Josué 8,4.
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Sermon 108
et de frapper les ennemis par-derrièrea. Notre Sauveur en effet ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces (cf. 1 Co 10,13). Car il est avec nous quand nous sommes en butte à la poursuite des démons, si du moins nous résistons autant que nous le pouvons à leurs suggestions mauvaises. Et il fait signe aux embusqués de surgir : il ordonne aux saints anges – qui se trouvent toujours en sa présence – de venir à notre secours et de frapper nos ennemisb. « À propos de ces aides, l’Apôtre dit : Ne sont-ils pas tous des esprits chargés d’une fonction, envoyés pour le service de ceux qui doivent avoir en héritage le salut (He 1,14) ? Ceux-là, comme placés en embuscade, viennent à notre aide d’une façon inespérée : nous voyant en butte à la poursuite des démons, ils se lèvent contre ceux qui nous assaillent et les massacrent tous en les frappant par-derrièrec. » 15. Oui, Jésus est avec nous quand nous sommes en butte à la poursuite des démons, si du moins nous fuyons loin de leurs armées, loin de la foule des vices. Car il se plaît à être avec ceux qui fuient la haine, qui fuient le vol, qui fuient l’homicide. « Ce n’est qu’en fuyant que nous les vaincrons. Dans cette fuite se trouve la vertu parfaite. Cette fuite, le bienheureux Paul nous la recommande : Fuyez la fornication, dit-il (1 Co 6,18). Tous ceux qui veulent vivre chastement dans le Christ (cf. 2 Tm 3,12) doivent fuir cet esprit pervers. Cette fuite donne le salut. Cette fuite convient à la vertu, elle mène à la félicité. Et il ne faut pas seulement fuir l’esprit de fornication mais, de même qu’il est dit : Fuyez la fornication, comprenons qu’il nous est dit aussi : ‘Fuyez la colère, fuyez la jalousie, fuyez l’avarice, fuyez la médisance, fuyez la contestation, fuyez les paroles insensées, fuyez les paroles vaines’. Je ne sais pourtant pas si l’un de nous fuit tout cela, je ne sais si l’un de nous s’en éloigned. » Il est assurément parfait celui qui ne pèche point en paroles (Jc 3,2).
Voir paragraphe 10. Cf. Aelred, Sermon 26,6 ; Homélies sur les fardeaux 5,4‑5 ; 12,17. c Origène, Homélies sur Josué 8,6. d Origène, Homélies sur Josué 8,6. a
b
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Sermon 108
Issue de la bataille
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16. Telle est l’armée du roi de Aï, c’est-à-dire du démon. Tous les vices, toutes les fautes, tous les péchés collaborent (cf. Rm 8,28) avec lui contre nous en vue du mal. Cette armée, Jésus apprend à ses soldats à la vaincre en fuyant. C’est sans doute pour cela qu’il dit : S’ils vous ont poursuivis dans une ville, fuyez dans une autre (Mt 10,23). Notre Sauveur veut que nous les fuyions, il veut que nous nous éloignions des maux de ce genre. Et s’il nous voit résister courageusement au démon et fuir l’armée du roi de Aï – à savoir les vices et les péchés –, il ordonne à ses armées – c’est-à-dire aux saints anges – de surgir de leur embuscade pour nous venir en aide à l’improviste, en sortant de leur cachette, et pour frapper plus rudement nos adversaires par-derrièrea. C’est ainsi que les uns et les autres, les fidèles et les saints anges qui leur viennent en aide, ayant encerclé la troupe des démons, les renversent et en sont vainqueurs ; et en dernier lieu ils suspendent le roi de Aï à un bois double (cf. Jos 8,29) car ils triomphent du démon sur la croix du Christ. C’est ce qui s’est réalisé aujourd’hui. 17. Oui, aujourd’hui sur la croix du Christ, le démon a été vaincu et enchaîné. Aujourd’hui sur la croix, le Christ est véritablement mort pour nous, afin qu’au jour du jugement le chrétien ne craigne pas le démon. « Alors disparaîtra Satan, car il n’y aura plus de mort (Ap 21,4) ni de péché. Voulez-vous recevoir également confirmation de cela par des textes sacrés ? Écoutez l’Apôtre : Sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci : Nous les vivants, nous qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. Au signal donné, à la voix de l’archange, au son de la trompette divine, le Seigneur luimême descendra du ciel, et les morts unis au Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui serons encore là, nous serons emportés avec eux sur les nuées du ciel, à la rencontre du Christ. Ainsi nous serons pour toujours avec le Seigneur (1 Th 4,15‑16). Il dit enfin : Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort (1 Co 15,26).
a
Cf. Origène, Homélies sur Josué 8,6.
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Sermon 108
La mort sera véritablement détruite quand ce qui est mortel sera absorbé par la viea » (cf. 2 Co 5,4). 18. « Alors, personne ne commettra plus de fautes, et le péché ne régnera plus en tel ou tel (cf. Rm 6,12), lorsque le démon et ses anges seront livrés au feu éternel (cf. Mt 25,41) et que le Seigneur Jésus Christ, siégeant comme roi et comme juge, dira à ses soldats, vainqueurs du démon dans les deux campsb : Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé par mon Pèrec » (Mt 25,34). Alors, aux rois et aux princes de la terre apparaîtra, plein de gloire et de majesté, celui qui est aujourd’hui tourné en dérision et méprisé par Hérode, Pilate et les Juifs sans foi en lui. Alors, celui qui est aujourd’hui jugé injustement par une foule juive incrédule et irréfléchie jugera avec justice tous les fils de Benjamin. Alors, après avoir vaincu et condamné tous les ennemis des fils d’Israël, Jésus, notre chef et notre roi, accompagné de toute son armée – les anges et tous les élus humains – avec une ineffable joie et une immense majesté montera vers la Jérusalem d’en haut, vers la gloire du Père, pour qu’il règne en nous toujours et que nous vivions en lui à jamais. Que notre Sauveur Jésus Christ daigne nous l’accorder, lui qui pour nous s’est fait obéissant au Père jusqu’à la mort de la croixd. À lui, action de grâces, honneur et puissance, avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles. Amen (Ap 7,12).
Origène, Homélies sur Josué 8,4. Voir paragraphe 10 et début du paragraphe 17. c Origène, Homélies sur Josué 8,5. d Ph 2,8 ; cf. antienne pour la Semaine Sainte. a
b
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SERMON 109 POUR LA CÈNE DU SEIGNEUR
129
Le nouvel Adam nous a donné le commandement nouveau de l’amour mutuel : les paragraphes 12 à 15 précisent le sens et le contenu de celui-ci. Le Christ est aussi le bon pasteur qui a enduré la mort pour nous sauver.
Les deux Adam 1. Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 13,34). L’Homme nouveau donne des préceptes nouveaux. Le nouvel Adam propose de nouveaux exemples. Il y a deux Adam, l’ancien et le nouveau (cf. 1 Co 15,45) : l’Adam qui a trébuché et failli, et l’Adam droit et inébranlable. L’Adam qui est chair et qui donne son consentement à la chair, à l’encontre du précepte divin ; et l’Adam qui est tout autant chair mais qui ne concède rien à la chair à l’encontre de ce qui est raisonnable. L’Adam, homme et rien qu’un homme ; et l’Adam, homme et plus qu’un homme, puisqu’il est Dieu et homme. L’Adam esclave, et l’Adam Seigneur. L’Adam qui déçoit, et l’Adam qui instruit. L’Adam qui condamne, et l’Adam qui sauve. L’Adam qui obstrue le paradis et ouvre l’enfer, et l’Adam qui ferme l’enfer et rouvre le paradisa. L’Adam, maître de mort en vue de la mort ; et l’Adam, maître de vie en vue de la vie (cf. 2 Co 2,16). a
Cf. Aelred, Sermon 108,3.
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Sermon 109
2. Car le second Adam, le Seigneur Jésus Christ, est voie, vérité et vie (Jn 14,6) : voie par l’exemple, vérité par la promesse, vie par la récompense. Il est voie par l’exemple, car tout ce qu’il a enseigné il l’a confirmé en lui-même par des œuvres bonnesa. Il est voie par l’exemple, car toute sa manière de vivre, depuis son entrée dans le monde jusqu’à son retour au Père, est règle de beauté morale, éducation aux vertus, réforme des mœurs, voie droite vers le ciel. Il est vérité en ce qu’il a promis, car, vivant dans la chair, il est le seul à n’avoir commis aucun péché, et il ne s’est pas trouvé de mensonge dans sa bouche (1 P 2,22), mais tout ce qu’il a promis à ceux qui le suivent et obéissent à ses préceptes, il l’effectuera. Il est vie par la récompense car, de même qu’en cet exil il est consolation de ceux qui pleurent, repos de ceux qui peinent, force de ceux qui luttent, ainsi dans le Royaume, sera-t-il action de grâce, gloire et bonheur éternel des saints. 3. L’ancien Adam a été créé par la divine sagesse du limon de la terre (cf. Gn 2,7), sans père ni mère. Le nouvel Adam n’a pas été créé mais engendré du Père sans mère, d’une mère sans pèreb. Le nouvel Adam est le créateur de l’ancien Adam et de ses fils, et de toutes les créatures. 4. Le premier Adam est appelé ‘ancien’ pour trois raisons. Il est ancien pour une raison chronologique : il a été créé dans les premiers temps. Il est ancien en raison du péché : là où il y a péché, il y a corruption, vétusté (cf. Rm 6,6), imperfection. Et le premier Adam est encore appelé ‘ancien’ en raison de sa défection. En effet, à partir du moment où, à cause de sa désobéissance, il a été rejeté du paradis dans cette vallée de larmes (cf. Ps 83,7), de multiples maux lui sont arrivés : pensées mauvaises dans le cœur et nombreuses infirmités dans le corps, qui l’ont rendu invalide et l’ont réduit en poussière (cf. Gn 3,19). Avant le péché, il était plein de santé et de force, mais en péchant il a contracté une maladie mortelle et nous a tous affaiblis.
a b
Cf. Aelred, Sermon 95,9. Cf. Aelred, Sermons 87,11 ; 90,14 ; 95,1 ; 155,4 ; 161,4 etc.
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Sermon 109
L’amour du Christ 5. Le second Adam, le Christ, est appelé ‘nouveau’ parce que, en assumant une chair, il est apparu au monde dans les derniers temps. Oui, c’est pour nous qui touchons à la fin des temps (1 Co 10,11) que le Rédempteur est né. Il est appelé ‘nouveau’ du fait que l’on n’a rien trouvé en lui de la vétusté d’Adam ; il n’y a eu et il n’a pu y avoir en lui aucune mauvaise disposition, aucune corruption. Il est appelé ‘nouveau’ parce qu’il corrige toutes choses, il restaure et renouvelle tout, selon son propre témoignage : Voici que je fais toutes choses nouvelles (Ap 21,5). Moi donc, l’Homme nouveau, je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 13,34). Voyons alors quel fut cet amour qui est le sien : comment il nous a aimés, avec quelle affection, dans quel but, pour quelle raison. 6. Son amour à notre égard fut incomparable, car ce n’est pas en réponse à des mérites de notre part mais par sa seule bonté et sa bienveillance qu’il nous a tant aimés, au point de se soumettre luimême à la mort en notre faveur. Il nous a en effet rachetés, non pas par des pierres précieuses, de l’argent ou de l’or – qui sont considérés comme les métaux les plus précieux –, mais par son saint et glorieux sang (cf. 1 P 1,18‑19). Et en ce jour il nous a livré sa chair à manger et son sang à boirea. Le bon pasteur a donné sa vie pour ses brebis (Jn 10,11), le juste pour des pécheurs (cf. 1 P 3,18), le Seigneur pour ses serviteurs, le Créateur pour ses créatures, le Christ pour nous.
Situation de la créature déchue 7. Quant à nous, avant la venue du Christ – qui a assumé une chair en laquelle il est apparu au monde dans le temps –, nous poursuivions le mensonge en ayant tenu pour rien la vérité (cf. Rm 1,25). Ignorant le Créateur, nous imitions le séducteur, nous écartant de la voie vers un lieu sans chemin (cf. Ps 106,40), du bien vers a
Cf. Mt 26,26‑27 et 1 Co 11,23.
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le mal, de mal en pire, de pire en pis : de la suggestion au consentement, du consentement à la délectation, de la délectation à l’accomplissement de choses interdites, et de là à la mort. Nous étions donc misérablement tombés du lieu de délices (cf. Gn 2,10) dans la vallée de larmes (cf. Ps 83,7), du paradis dans le monde, du monde dans l’enfer. 8. C’est ainsi que le malheureux être humain, avant la venue de son Rédempteur, était errant et vagabond sur la terre (Gn 4,12), s’avançant en trébuchant dans l’infidélité et l’erreur. Il était errant car, n’ayant ni fermeté, ni constance, ni demeure assurée, il approchait chaque jour de la mort (cf. 1 Co 15,31) et de l’enfer. Et il était vagabond parce que, se détournant des commandements du Seigneur (cf. Ps 118,21), il s’éloignait sans cesse de la face de son Créateur par ses œuvres mauvaises, suivant en cela son premier père qui disait au Seigneur dans le paradis : J’ai entendu ta voix au milieu du paradis, Seigneur ; j’ai eu peur et je me suis caché parce que je suis nu (Gn 3,10 vg). Nous tous assurément, nous étions nus ; dénués de vertus, couverts et accablés de vices et de péchés, nous nous cachions dangereusement de la face de notre Dieu (cf. Gn 3,8) par des œuvres de ténèbres (cf. Rm 13,12).
Le bon Pasteur et les brebis 9. Le bon pasteur, Jésus-Christ ami des hommes, vint donc chercher la brebis errante, et l’ayant trouvée il la chargea sur ses épaules sacréesa. Il prit sur lui les faiblesses de notre chair, et par son unique mort il nous a délivrés de notre double mortb. Il se défit de sa tunique et accepta d’être dépouillé de ses vêtements pour nous revêtir de vertus. Devant Pilate, il se tint nu en présence des Juifs, afin de nous rendre heureux devant son Père en présence des anges (cf. Ps 137,1). Il descendit aux enfers pour nous en faire sortir. Il monta au ciel sous les yeux de ses disciples (cf. Ac 1,9) pour nous emmener avec lui vers les cieux, par la foi. Voilà comment notre a b
Cf. Ps 118,176 ; Lc 15,4‑5 ; cf. Règle de saint Benoît 27,8‑9. Cf. Aelred, Sermons 12,29‑30 ; 94,6.
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Seigneur a aimé. En de tels sentiments, par de telles actions, le pasteur a donné sa vie pour ses brebis (Jn 10,11). 10. Si donc nous sommes des brebis et non pas des boucs, nous avons un pasteur qui nous séparera des boucs et nous placera à sa droite (cf. Mt 25,32‑33). Si nous sommes de bons fils, nous avons un bon père. Que fait un bon père pour un bon fils ? Il lui livre tout ce qu’il possède (cf. 1 Co 15,27‑28). Il s’est livré lui-même pour nous, que pourrait-il donc nous refuser (cf. Rm 8,32) ? Qu’y a-t-il de plus précieux que lui ? Que refuserait-il à ceux pour qui il s’est offert lui-même ? D’abord, il nous a créés à son image et à sa ressemblance (cf. Gn 1,26‑27) ; pécheurs et perdus, il nous a formés de nouveau ; ayant restauré notre forme, il a fait en sorte que nous soyons ses héritiers dans les cieux. Que devait-il faire de plus pour nous qu’il n’a pas fait (cf. Is 5,4) ? Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jn 15,13). Cet amour parfait, notre Rédempteur nous en a montré en lui-même la valeur (cf. 1 Jn 2,5), se livrant pour nous aux mains des pécheurs et endurant le supplice de la croix.
S’aimer les uns les autres 11. Si donc, quelqu’un me sert, qu’il me suive (Jn 12,26). Moi, le Seigneur et le Maître (Jn 13,14), qui suis le chemin vers la vie (cf. Jn 14,6), je fais voir en moi-même ce que doit être en vous l’amour. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 13,34). Nous donc, frères, aimons tout d’abord Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces, et ensuite notre prochain comme nous-mêmes (cf. Mt 22,37‑39). En ces deux préceptes consiste le parfait accomplissement de la Loi et des Prophètesa. Aime ton prochain comme toi-même, ne lui faisant pas ce que tu ne veux pas qu’on te fasseb. Aime ton prochain comme toi-même, lui souhaitant les biens que tu désires pour toi (cf. Mt 7,12). Aime ton prochain comme toi-même, en partageant avec lui tes biens à l’imia b
Cf. Mt 22,40 ; Rm 13,10. Cf. Règle de saint Benoît 61,14 ; cf. Tb 4,16 vg.
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tation des disciples de Jésus qui n’avaient qu’un cœur et qu’une âme, et tout en commun (Ac 4,32). 12. Le prophète Ézéchiel parlant des animaux sacrés évoque pour nous cette forme accomplie de dilection : Et les ailes de l’un étaient jointes aux ailes de l’autre (Ez 1,9). « Parce que toute la force, toute la sagesse de chacun – par lesquelles ils devancent le reste des humains –, viennent se joindre à celles de l’autre dans la paix et l’union des âmes. Car la sagesse qui vient d’en haut est tout d’abord pure, puis pacifique (Jc 3,17). Aussi le Seigneur dit-il aux saints : Ayez du sel en vous-mêmes, et ayez la paix entre vous (Mc 9,50). Les ailes des saints se joignent donc de l’un à l’autre, parce que leur force et leur sagesse s’allient dans la paix de la charité et de la concorde. 13. Par contre, les ailes des réprouvés sont disjointes de l’un à l’autre (cf. Ez 1,9), parce qu’il n’y a en eux ni charité, ni concorde, ni compassion. Il n’y a aucun accord entre eux, sinon le fait d’être mauvaisa. » Il n’y a point de paix pour les impies, dit le Seigneur (Is 48,22), parce qu’il n’y a pas de communion d’amour fraternel. L’un persécute l’autre, le plus grand opprime le plus petit, le plus petit envie le plus grand, et les égaux se dénigrent les uns les autresb. Ces gens-là ne gardent pas le commandement de Dieu (cf. Jn 13,34) ; aussi encourent-ils la malédiction et n’ont-ils ni paix ni dilection. 14. Quant à nous qui imitons le Christ, qui tenons du Christ notre nom de chrétiens, appliquons-nous à joindre nos ailes les unes aux autres (cf. Ez 1,9), à porter les fardeaux les uns des autres (cf. Ga 6,2), à subvenir aux besoins les uns des autres (cf. Rm 12,13), à partager avec nos frères nos vertus et tous les biens qui sont nôtres. Tel est en effet le précepte du Seigneur : nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés (cf. Jn 15,12).
a b
Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 3,15. Cf. Aelred, Sermons 87,9 ; 175,5.
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Vers les réalités éternelles
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15. Voilà qui est dit sur la manière dont il nous a aimés. Voyons en quel but il nous a aimésa. Bien sûr, il nous a aimés en vue de faire de nous les cohéritiers (cf. Rm 8,17) des biens éternels. Il ne nous a pas aimés en vue de réalités périssables et passagères, lui qui est précisément venu dans le monde pour réduire l’amour que nous leur vouons, et pour allumer en nous le feu (cf. Lc 12,49) des désirs célestes. Il est celui qui a opéré le salut au milieu de son peupleb pour nous soulever des profondeurs vers les hauteurs, des choses terrestres aux célestes, des réalités temporelles aux éternelles. Aimons-nous donc les uns les autres en vue de ce pour quoi le Christ nous a aimés : que chacun, autant qu’il le peut, en priant, en agissant et en exhortant, élève son frère avec lui vers les réalités célestes. 16. Nous sommes sur le chemin qui conduit à la patrie. Par notre profession et nos vœux, nous sommes sortis d’Égypte. Ne regardons pas en arrière vers les souvenirs fantaisistes d’Égypte, ne désirons pas nous asseoir près des marmites de viande (cf. Ex 16,3), et, avec les Hébreux insensés, « ne retournons pas de cœur dans l’Égyptec dont nous sommes sortis de corps. Qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas apte au Royaume de Dieu (Lc 9,62). Mettre la main à la charrue, c’est, avec le soc de la componction, ouvrir la terre de son cœur pour qu’elle porte des fruits. Mais regarder derrière la charrue, c’est, après s’être mis à cette œuvre bonne, retourner au mal qu’on avait laissé. C’est pourquoi en Ézéchiel il est dit à propos des saints qu’ils ne se retournaient pas lorsqu’ils marchaient, mais chacun allait droit devant soi (Ez 1,9). Devant nous, il y a les réalités éternelles ; derrière nous, les temporelles. C’est pourquoi saint Paul disait : Oubliant ce qui est en arrière et lancé vers l’avant, je cours pour remporter le prix selon l’appel d’en haut (Ph 3,13‑14). Les saints marchent donc droit devant eux, car ce qu’ils ont quitté pour Dieu, ils n’ont pas la Voir paragraphe 5. Ps 73,12 ; cf. Lc 1,68. c Cf. Ac 7,39 ; Nb 14,3‑4. a
b
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moindre envie d’y regarder à nouveau, mais ils engagent toujours le pas de l’œuvre bonne en direction des réalités éternelles qu’ils contemplenta. » 17. Quant à nous, oubliant ce qui est en arrière et lancés vers l’avant (cf. Ph 3,13), soulevons-nous nous-mêmes, et avec nous ceux que nous pouvons, vers le royaume céleste. Ainsi, nous aimant les uns les autres (cf. Jn 13,34), nous obtiendrons ensemble les biens éternelsb, grâce à notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit l’honneur et la puissance (cf. 1 Tm 6,16) pour tous les siècles des siècles. Amen.
Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 3,16‑17 ; cf. Aelred, sermon 76,26‑27. b Cf. Règle de saint Benoît 72,12. a
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SERMON 110 POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR
Le Sauveur s’est révélé aux Juifs, en la personne des bergers. Puis la venue des Mages à Bethléem a préfiguré la conversion des nations païennes. L’oracle de Balaama s’est parfaitement accompli. Les présents spirituels à offrir au divin Enfant sont la foi, la charité, l’espérance et la chasteté ; ou encore les prières des saints et leur amour pour l’humanité et la divinité du Christ.
Le Sauveur vient pour tous 1. De l’Orient, des mages sont venus à Bethléem de Juda pour adorer le Seigneurb. Votre dilection a appris, frères très chers, qu’avant la venue du Seigneur, tout le genre humain était partagé en deux, les circoncis et les incirconcis (cf. Col 3,11), les Juifs et les païens. Les Juifs étaient appelés le peuple particulier de Dieu (cf. Dt 7,6) en raison du culte rendu au Dieu unique, en raison du bienfait de la Loi reçue de Dieu, et à cause du rôle remarquable joué par les patriarches et les prophètes, leurs congénères. Tous cependant ont eu besoin de la miséricorde de Dieu. Même en ne tenant pas compte de la contagion du premier péché qui avait infecté le genre humain tout entier, la malice humaine s’était rendue a b
Nb 24,17‑18. Antienne pour l’Épiphanie ; cf. Mt 2,1.
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Sermon 110
coupable en bien des choses qui auraient justifié une condamnation. 2. Les Juifs, devenus les prévaricateurs de la Loi reçue, au lieu de l’accomplir s’étaient laissés aller, d’un cœur obstiné, à de tels agissements si peu sensés, qu’à cause d’eux le nom de Dieu est insulté chez les païens (cf. Rm 2,24), comme le déplore le prophète (cf. Is 52,5). Quant aux païens, errant loin de la connaissance de Dieu et se corrompant eux-mêmes au gré de leurs désirs changeants, ils étaient même devenus la proie du culte immonde des idoles. Dieu eut pitié d’eux tous : ayant reconnu que tous avaient besoin de sa miséricorde, c’est par une admirable bonté qu’il projeta de venir en aide à tous.
Il se révèle aux Juifs et aux païens 3. C’est ainsi que le Fils de Dieu fut envoyé aux brebis perdues de la maison de Jacob (cf. Mt 15,24) ; mais puisqu’il avait d’autres brebis qui n’étaient pas de cette bergerie (cf. Jn 10,16), Celui qui était venu dans le monde pour le salut (cf. Jn 3,17) de l’un et l’autre peuple, dévoila dès sa naissance les secrets de sa volonté concernant les deux peuples. Ainsi, la nuit où l’Époux céleste, sorti du sein virginal, pénétra dans ce bas-monde, la naissance du Sauveur fut dévoilée aux bergers juifs par l’entremise de l’ange annonciateur, tandis qu’une lumière resplendissait au-dessus d’eux. 4. Douze jours plus tard, des païens venus d’Orient, précédés par une étoile d’une prodigieuse clarté, parvinrent jusqu’au berceau du roi nouveau-né et, apportant des présents mystiquesa, ils consacrèrent au Seigneur les prémices des nations païennes. Se révélant donc de nuit aux Juifsb, il signifia qu’il était venu en vue de leur salut ; de la même manière aussi, manifestant en ce jour sa présence aux nations païennes et recevant leurs dons, il loua par un geste d’évidente bienveillance, l’empressement futur des païens à son égard. a b
Cf. Mt 2,1‑2.9‑11. Lors de sa naissance, la nuit de Noël.
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Sermon 110
Gratuité du don de Dieu 5. Mais il faut prêter spécialement attention à ceci : c’est de nuit qu’il fit connaître aux Juifs son avènement à ses débuts. Mais on ne lit pas qu’il ait reçu de leur part un quelconque sacrifice, parce que la nuit de l’incroyancea avait fait irruption dans leur esprit. Car le sacrifice mystique que les pères d’autrefois avaient l’habitude d’offrir comme culte spirituel ne pouvait plus être agréé de Dieu, puisque le temple, l’autel et les autres choses saintes avaient été souillés par un peuple étranger. 6. De fait, Hérode, exerçant son pouvoir sur le peuple des Juifs, avait perturbé dans leurs fonctions sacerdotales les prêtres de la descendance d’Aaron qui offraient légitimement le sacrifice, et, ayant accepté de l’argent, il y avait – à l’encontre des dispositions de la Loi – introduit des personnes qui n’en étaient pas dignesb. L’oracle d’Osée s’est dès lors très clairement accompli : Parce que toi, tu as rejeté la science, moi aussi je te rejetterai, en sorte que tu n’exerces plus le sacerdoce pour moi (Os 4,6). Et ceci d’Isaïe : Les holocaustes de béliers, et la graisse des animaux gras, et le sang des veaux, des agneaux et des boucs, je n’en ai point voulu (Is 1,11). C’est pourquoi aussi l’évangile qui est lu aujourd’hui parle assez clairement de leur aveuglement, d’après ce que rapporte l’évangéliste Matthieu : Lorsque Jésus fut né… (Mt 2,1).
Aveuglement des Juifs 7. Chose étonnante ! On annonce que le roi des habitants de Jérusalem est né, et cette Jérusalem se trouble avec Hérode. Le roi ayant demandé où devait naître le Christ, ils indiquèrent, d’après les dires du prophète, le lieu de sa naissance (cf. Mt 2,2‑6) ; et pourtant ils se mirent d’accord pour persécuter leur roi. Étonnant aveuglement des esprits ! Si ce n’est pas le Christ qui est né, pourquoi redoutez-vous qu’il règne ? Et si c’est le Christ, ou mieux a b
Cf. Aelred, Sermons 20,23 ; 73,14 ; 97,10 ; 124,21. Cf. Raban Maur, Commentaire sur le premier livre des Macchabées 16.
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parce que c’est le Christ, pourquoi ne renoncez-vous pas à le persécuter ? Vous avez suffisamment appris par la Loi que le Christ demeure éternellement (Jn 12,34). Assurément aveuglés, comme le Seigneur vous le reproche, vous n’aviez pas été capables d’entendre de vos oreilles, ni de voir de vos yeux ni de comprendre par votre cœur ; le Seigneur l’a dit par Isaïe : Écoutez et ne comprenez pas, voyez la vision et ne discernez pas. Aveugle le cœur de ce peuple, rends ses oreilles sourdes et ferme ses yeux, de peur qu’il n’entende de ses oreilles, qu’il ne voie de ses yeux, qu’il ne comprenne de cœur et qu’il ne se convertisse pour que je le guérisse (Is 6,9‑10).
La lumière a brillé sur les païens 8. Les Juifs étant aveuglés par leur mauvaise disposition, endurcis par un juste jugement de Dieu, la lumière céleste a brillé sur les esprits des païens. De leurs prémices, l’évangéliste dit : Jésus était né à Bethléem de Juda, aux temps du roi Hérode. Or, voici que des mages vinrent d’Orient (Mt 2,1). C’est bien dit que viennent d’Orient ceux qui se rendaient en hâte vers le véritable Orient, dont le prophète dit : Voici l’homme, Orient est son nom (Za 6,12 vg). Il est beau que viennent d’Orient ceux que le Soleil de justice (cf. Ma 4,2), dès son lever, a daigné illuminer par la lumière de sa grâce. 9. Où est, demandent-ils, le roi des Juifs qui vient de naître (Mt 2,2) ? Ces hommes n’avaient-ils rien compris d’autre à propos de cet enfant que le fait qu’il serait le futur roi des Juifs ? Des hommes si souvent dominés, si souvent emmenés en captivité par d’autres, presque toujours méprisés et foulés aux pieds par leurs voisins, avaient-ils tant de valeur que des rois, exerçant leur pouvoir dans les extrêmes régions d’Orient, se hâtent avec une telle ferveur, un tel dévouement, un tel empressement pour adorer leur roi qui vient de naître ? On rapporte qu’à la naissance du Seigneur, une étoile leur était aussitôt apparue et leur avait fait connaître la naissance du nouveau roi. Alors, montant prestement sur leurs dromadaires,
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ils se mirent en route avec un grand désir et, en treizea jours à peine, ils parvinrent au berceau du Christ. Admirable empressement ! La grâce de Dieu leur révélait quelque chose de grand à propos de cet enfant, et Celui qui fit voir extérieurement à leurs yeux de chair une étoile étincelante dévoila intérieurement aux yeux de leur cœur ses mystères cachés.
L’étoile et la statue
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10. Balaam, fils de Béor, avait prophétisé en milieu païen : Une étoile issue de Jacob se lèvera, et d’Israël un rameau s’élèvera ; il détruira les chefs de Moab et anéantira les fils de Seth, et l’Idumée sera sa possession (Nb 24,17‑18 vg). Dans l’apparition de cette étoile, messagère de la divine naissance, les mages eurent la perspicacité de saisir que cette prophétie s’était réalisée, et ils s’estimèrent en devoir d’aller chercher en Israël le chef qui venait de naître, objet de la prophétie. Si l’on interprète de manière symbolique cette prophétie, l’étoile issue de Jacob désigne Marie, la très sainte Mère de Dieu, soit en raison de la clarté spirituelle dont elle mérita d’être illuminée, soit en raison du sens du nom lui-même. Car ‘Marie’ se traduit par ‘étoile de la merb’. Le Fils de cette Vierge a détruit les chefs de Moab et anéanti les fils de Seth, et l’Idumée est devenue sa possession. 11. C’est lui la pierre qui se détacha de la montagne sans que main l’eût touchée : il vint frapper la statue d’une étonnante hauteur, la fracassa et la mit en pièces (Dn 2,34). Ce que Daniel entendait par la statue, cela même Balaam l’entendait par les chefs de Moab et les fils de Seth (cf. Nb 24,17), à savoir les royaumes des peuples païens : leur orgueil ayant été détruit et brisé, notre Roi les soumit par son admirable puissance, selon ce que dit le psalmiste : Tu les gouverneras avec un sceptre de fer, et tu les détruiras comme vase de potier (Ps 2,9). a
12,1. b
Du 25 décembre au 6 janvier ; cf. Isidore de Séville, Livre des étymologies Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 14.
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Moab, Seth et l’Idumée 12. Par les chefs de Moab et les fils de Seth (cf. Nb 24,17), il n’est pas incongru de comprendre le peuple des Juifs. De fait, Moab se traduit par ‘du pèrea’. Et le Seigneur dit aux Juifs : Vous êtes du père, le démon (Jn 8,44). Seth signifie ‘résurrectionb’. Les Juifs sont à bon droit appelés fils de la résurrection (Lc 20,36) : les autres peuples ne connaissant pas Dieu et ne comprenant pas ses promesses, les Juifs étaient les seuls à se glorifier de l’espérance de la résurrection. Le Seigneur a percuté les chefs de Moab et anéanti les fils de Seth (cf. Nb 24,17) par son juste jugement : soit littéralement en leur envoyant l’armée romaine, soit spirituellement selon ce que dit Isaïe : Voici que le Dominateur, le Seigneur des armées, enlèvera de Juda et de Jérusalem le robuste et le fort … (Is 3,1). 13. Et il fit de l’Idumée sa possession (cf. Nb 24,18). Les rameaux naturels ayant été retranchés de l’olivier franc, y est greffé à leur place l’olivier sauvage (cf. Rm 11,24). Idumée, qui se traduit par ‘terrestre’ ou ‘sanguinairec’, désigne le peuple païen qui, avant la venue du Seigneur, n’avait de goût que pour les choses de la terre (cf. Ph 3,19) ; en raison de cette passion, chacun était sans cesse assoiffé du sang d’autrui. Il fit donc de l’Idumée sa possession, comme le Père le lui propose dans un psaume : Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage etc. (Ps 2,8).
Rappel des faits 14. Ce n’est donc pas sans raison que, prêtant attention à ces choses, nos ancêtres dans la foi croient qu’un tel enfant il fallait l’adorer et l’honorer par de symboliques présents. Quand les mages furent sortis de Jérusalem, l’étoile se mit à les précéder avançant dans la direction de Bethléem tandis qu’eux fixaient sur elle leur regard. Et, en éclairant d’un rayon de sa lumière le petit Jérôme, Livre sur les noms hébreux 8 ; cf. Aelred, Sermon 161,10‑11. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 10. c Pseudo-Jérôme, Sur le psaume 59. a
b
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logis du Seigneur, elle indiqua avec pleine évidence qui était à y chercher (cf. Mt 2,9‑10). 15. Entrant dans la maison, les mages trouvèrent l’enfant avec Marie, sa mère (Mt 2,11). Songez à la beauté, à la grâce, à la splendeur qui apparurent sur le visage de ce très doux Enfant ; dès le premier coup d’œil, les rois, ayant déposé leur royale prestance, ne rougissent pas de l’adorer en une attitude d’humilitéa : des rois adorent un tout-petit, des riches adorent un pauvre, des gens marqués d’un raffinement impérial adorent un enfant enveloppé de vulgaires langesb. Je pense que la divinité, cachée dans son corps, transparaissait sur son visage humain. Si je ne me trompe, c’est ainsi que, pour ceux qu’il a voulus et quand il l’a voulu, il apparaissait jusque dans la chair comme le plus apprécié et le plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3). Mais disons maintenant quelque chose sur tout cela, d’après le sens symbolique.
Les nations conduites par la foi 16. C’est une interprétation largement partagée chez les Pères de l’Église que ces mages préfigurent les nations païennes qui, venues de loin, n’ont pas cessé, maintenant encore, de lui apporter des présents spirituels. Oui, elles viennent de loin : de l’idolâtrie au culte du Dieu unique, de la luxure au fruit d’une très joyeuse chasteté, de l’avarice au détachement du monde, de l’envie et de la haine à la douceur de la dilection fraternellec. D’où ce mot d’Isaïe : Tes fils viennent de loin (Is 60,4). 17. L’étoile qui conduisit les mages jusqu’au Christ, c’est la foi qui précède la compréhension, selon ce qui est écrit : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pasd. Et ailleurs : Il a purifié leurs cœurs par la foi (Ac 15,9). Et dans l’Évangile : Heureux les cœurs Littéralement : les nuques étant soumises. Cf. Aelred, Quand Jésus eut douze ans 1,5 et 2,12 ; La vie de recluse 30. c Cf. Aelred, Miroir de la charité 3,7 et 12 ; Sermon 55,3. d Is 7,9, d’après la version de la Septante. a
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purs car ils verront Dieu (Mt 5,8). Il faut que le cœur soit purifié par la foi et qu’ainsi Dieu soit vu avec une joie extrême. Considérons maintenant par quels présents l’Enfant est honoré par les mages, et de la sorte déduisons ceux que nous devons offrir à notre tour.
Or et encens 18. Ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11). En ces trois présents, est figurée la foi des nations qui vénère dans le Christ Jésus sa divinité, son humanité et son pouvoir royal. Dans le nombre trois on peut aussi percevoir la foi en la Trinité : de même qu’il y a une unique nature, une égale majesté, de même chacune des Personnes a ce qui lui est proprea. Mais puisque l’Apôtre recommande d’avoir une foi qui opère par la charité (Ga 5,6), de même que nous avons rapporté ces présents à la foi, rapportons-les aussi aux œuvres. Les démons croient, certes, et ils tremblent (Jc 2,19), mais c’est pour leur perte parce qu’ils n’aiment pas. 19. Parmi les œuvres tient le premier rang la charité qui procède d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte (1 Tm 1,5). De même que l’or est le meilleur de tous les métaux, ainsi la charité est la plus éminente de toutes les vertusb. Si donc quelqu’un, par le feu de la charité, a fait disparaître la rouillec de la haine et de l’envie, qu’il ne doute pas d’avoir offert au Seigneur de l’or très pur. L’encens, dont la fumée tend toujours vers le ciel, désigne la sublimité de notre espérance. À propos de ces présents, Isaïe dit : Tous ceux de Saba viendront, apportant de l’or et de l’encens (Is 60,6). Saba se traduit par ‘captivitéd ’. Et le Seigneur dit dans l’Évangile : Tout homme qui commet le péché est esclave du péché (Jn 8,34). Quelle bien triste captivité ! Mais le Christ nous a arCf. Préface de la fête de la Trinité. Cf. Aelred Sermons 75,25 ; 100,7 ; Homélies sur les fardeaux 11,5. c Cf. Aelred Sermons 37,22 ; 126,5 ; 182,2. d Jérôme, Livre sur les noms hébreux 51. a
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rachés à cette captivité, il nous a rachetés et nous a introduits dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8,21). Libérés de cette captivité, offrons de l’or à notre libérateur pour que, passés au feu de l’amour divin, nous paraissions devant sa face (cf. He 9,24), parfaitement purs. Offrons de l’encens, pour garder jusqu’au bout l’assurance et la gloire de l’espérance (He 3,6) ; en elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide, pénétrant par-delà la voile, là où le Christ est entré pour nous en précurseur (He 6,19‑20).
Myrrhe 141
20. Offrons de la myrrhe – dont le corps du Seigneur a été oint, comme nous le lisons (cf. Jn 19,39‑40) –, pour que, morts avec le Christ (cf. 2 Tm 2,11), nous cessions de vivre pour ce monde. C’est bien à propos que la myrrhe, qui préserve de la dégradation les corps morts, met en évidence l’excellence de la chasteté, qui embaume les corps mortels pour éviter qu’ils ne se décomposent sur leur propre fumier. Ainsi, ensevelis avec le corps vierge du Sauveur et munis du présent de la chasteté, nous pourrons être conformés à son corps de gloirea lors de la résurrection finale des fidèles. Par contre, il est dit de certains : Les animaux ont pourri sur leur fumier (Jl 1,17 vg). Ces mots désignent ceux qui sont corrompus par les souillures de la luxureb. Car la débauche est un péché contre le corps lui-même (1 Co 6,18). Si nous avions à parler du mal de cette impureté à des séculiers qui devraient en être retirés, nous aurions à montrer qu’il n’y a rien de plus avilissant, rien de plus déshonnête, rien en quoi l’humanité elle-même n’éprouve davantage de honte. Laissant cela de côté, revenons à ce qui nous concerne.
a b
Cf. Rm 6,4 et Ph 3,21. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 10,6 ; Morales sur Job 24,8,15.
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Offrandes des saints 21. Dans le Cantique, il est dit au sujet de l’Époux : Sa tête est d’or pur (Ct 5,11). Et l’Apôtre dit : La tête du Christ, c’est Dieu (1 Co 11,3). De même que la myrrhe peut symboliser l’humanité du Christ, de même également l’or sa divinitéa. L’encens – qui est placé au milieu, entre les deux – peut désigner les prières des saintsb. Oui, tandis que les saints trouvent leur joie dans de saintes méditations, leur prière se déploie en un délicieux sentiment d’amour : soit elle étreint l’humanité de son Sauveur, soit, en répandant son âme au-dessus d’elle-mêmec, elle soupire vers sa divinité. 22. Tandis que les saints, devenus imitateurs spirituels de ces mages, offrent à leur roi le parfum d’encens d’une salutaire prière, ils n’oublient pas le sacrifice spirituel d’or et de myrrhe en étant passionnés d’amour pour sa divinité et son humanité. Offrons donc avec empressement ce sacrifice, et pour cela prions le Père tout-puissant : qu’il répande en nos cœurs l’éclatante lumière qu’il insuffla dans l’esprit de ces trois mages, Jésus notre Seigneur, qui vit et règne avec lui et l’Esprit Saint pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
10,6.
cf. Bède le Vénérable, In canticum 3,5,11 ; cf. Aelred, Sermon 57,21‑24. Cf. Ps 140,2 et Ap 8,3‑4 ; cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile
Cf. Ps 41,5 ; cf. Aelred, Sermons 33,34 ; 43,29‑30 ; 90,7 ; Miroir de la charité 2,28 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 41,8. c
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SERMON 111 POUR LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR
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Devenir nous-mêmes offrande spirituelle pour le Seigneur, c’est imiter la colombe et la tourterelle pour vivre sans reproche devant Dieu et les hommes. Enseignement bref mais précieux pour une vie communautaire.
Dieu et homme 1. Ils portèrent Jésus à Jérusalem pour le présenter au Seigneur (Lc 2,22). Sacrés et très profonds sont les mystères de cette solennitéa . Oui, aujourd’hui est offert dans le temple celui en l’honneur duquel le temple a été construit. Aujourd’hui est offert dans le temple celui à qui sont offertes toutes choses dans le temple. Aujourd’hui est offert dans le temple le bâtisseur de la cité en laquelle est né Celui dont parle le psalmiste : Est-ce qu’on ne dira pas de Sion : tel homme est né en elle, et le TrèsHaut lui-même l’a fondée (Ps 86,5) ? La venue du Christ dans le temple, le prophète Malachie l’avait prophétisée depuis longtemps : Soudain viendra dans son temple le Dominateur que vous cherchez et l’Ange de l’alliance que vous désirez. Voici qu’il a
Cf. Aelred, Sermon 155,7.
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Sermon 111
vient, dit le Seigneur des armées. Et qui pourra penser au jour de sa venue, et qui en soutiendra la vue (Ml 3,1‑2) ? 2. Certes, si nous songeons à sa divinité, nul ne peut penser au jour de sa venue (Ml 3,2). Sa génération, qui la racontera (Is 53,8 vg) ? Dieu lui-même, né de Dieu avant tous les siècles, ineffablement engendré par le Père, il demeure pour toujours sans changement ni variation. Et qui soutiendra la vue du Dieu invisible, insaisissable, au-delà de toute appréciation, lui devant qui tremblent les anges et qu’adorent toutes les armées des cieux ? Lui, si grand en sa propre nature, est pour nous devenu tout petit en notre nature à nousa. C’est en cette nature-ci qu’est aujourd’hui amené à Jérusalem, par ses parents, le roi lui-même de Jérusalem : il porte ceux par qui il est porté, il régit toutes choses, il soutient tout, il contient tout. C’est lui corporellement que ses parents portèrent pour le présenter au Seigneur et offrir en sacrifice, selon ce qui est écrit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes (Lc 2,22‑24). Cette oblation du Christ ne manque pas de mystèreb.
La colombe 3. En ces oiseaux sont mis en lumière pour nous de nombreux et bien grands enseignements sacrés. En l’un nous est montré comment nous devons nous comporter en public devant nos frères. En l’autre nous est montré comment nous devons nous comporter en secret devant notre Dieu. La colombe vit habituellement parmi les humains, la tourterelle dans le désert. Mais comme il serait fort long d’exposer tout ce qui peut être dit à propos de ces oiseaux, voyons seulement trois choses, pour l’instant, à propos de la nature de l’un et l’autre. 4. La colombe n’a pas de fiel, elle choisit les meilleures graines, elle a l’habitude de voler en groupe, c’est-à-dire en compagnie
a b
Cf. Aelred, Sermons 95,6 ; 97,5 ; 99,3‑4 ; cf. Léon le Grand, Traité 22,2. Cf. Aelred, Sermons 47,42 ; 93,8 etc.
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d’autresa. Tels sont les trois points que nous devons spirituellement préserver entre nous. Car celui qui vit en communauté doit ne pas avoir de fiel, c’est-à-dire éviter de manifester quelque amertume dans ses paroles ou ses actes. Tout ce qu’il fait doit avoir une certaine saveur de charité et être un signe de sa douceur intérieure. 5. Il doit également choisir les meilleures graines. Il en est qui, voyant que d’autres se comportent de manière plus relâchée, plus négligente ou plus puérile, prennent aussitôt exemple sur eux et les imitent. Quand on leur fait remarquer leurs négligences, ils rétorquent : ‘D’autres ne font-ils pas la même chose ?’ Ceux-là ne sont pas des colombes, ils ne choisissent pas les meilleures graines ; c’est pourquoi ils ne peuvent entrer dans le sanctuaire (cf. Lv 12,4). Mais ceux qui imitent la colombe choisissent les meilleures graines : ils imitent ceux qu’ils voient se comporter en communauté plus saintement et avec plus de maturité. 6. Il doit aussi voler en groupe, c’est-à-dire en compagnie d’autres. Celui qui aime toujours la singularité et ne cherche jamais à être avec les autres, mais s’efforce sans cesse d’agir selon sa volonté propre, celui-là ne vole pas en groupe. Par contre, celui qui se tient toujours en compagnie des autres et qui suit, autant qu’il le peut, la marche générale de la communauté, vole en groupe et est une colombe. Telles sont les trois qualités qui font de nous des êtres sans reproche devant les hommesb.
La tourterelle
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7. Voyons dans la tourterelle les trois qualités qui nous rendent sans reproche devant Dieu. La tourterelle habite dans la solitude ; elle symbolise le détachement par rapport à la gloire de ce monde – que nous devons avoir en nous-mêmes, c’est-à-dire dans notre cœur, là où Dieu seul nous voit. Le fait qu’elle ne souhaite jamais avoir qu’un seul compagnonc symbolise l’amour pur et parfait que Cf. Aelred, Sermon 67,23. Cf. Ph 2,15 et Rm 12,17. c Cf. Aelred, Sermon 45,21 ; cf. Bède le Vénérable, Homélies 1,18. a
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Sermon 111
nous devons réserver à notre Époux Jésus Christ, pour ne jamais faire alliance avec le démon adultère par quelque vice que ce soit. Le fait qu’elle aime et cultive la chasteté nous apprend à éviter autant que nous le pouvons toutes les séductions de la chair et les souillures cachées que Dieu seul voita. 8. Si nous nous attachons soigneusement aux vertus mentionnées, que ces oiseaux nous font voir par leurs caractéristiques, nous deviendrons une offrande spirituelle pour le Christ. Que le Père tout-puissant daigne nous l’accorder, à qui soit l’honneur et la puissance avec son Fils coéternel et l’Esprit Saint, pour tous les siècles des siècles. Amen.
a
Pour tout ce passage, cf. Aelred, Sermon 33,42‑46.
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SERMON 112 POUR LA FÊTE DE LA CHAIRE DE SAINT PIERRE
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Le pêcheur de Galilée est devenu pasteur universel. Son ministère s’exerce en faveur des âmes, qui sont tout à la fois poissons spirituels et brebis du Christ. Il les nourrit du lait de la divine sagesse que l’on trouve dans ses écrits.
Grandeur de Pierre 1. Tu es le pasteur des brebis, le prince des apôtres, c’est à toi qu’ont été remises les clés du Royaume des Cieuxa. Immense et vraiment remarquable est la supériorité de cet ami de Dieu, la dignité du bienheureux apôtre Pierre, notre protecteur, à qui a été confié le pouvoir de lier et de délier (cf. Mt 16,19) non pas les corps, qui se corrompent et sont réduits en poussièreb, mais les âmes, réalités spirituelles, réalités qui ne peuvent jamais cesser d’exister une fois qu’elles ont commencé à être. C’est elles que Pierre lie ou délie, non à la manière humaine de lier des réalités matérielles, par des liens qui peuvent être noués ou dénoués, mais en liant spirituellement des réalités spirituelles ; il lie de telle sorte que les liens de Pierre ne a b
Antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Mt 16,19 ; Jn 21,17. Cf. Sg 9,15 et Ps 103,29.
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Sermon 112
soient dénoués par aucun effort, par aucune habileté, par aucun savoir-faire, mais sur ordre du Christ, ou de Pierre lui-même. 2. Cependant pourquoi dire : ‘sur ordre du Christ’ ? Puisqu’il est établi que nul de ceux que Pierre a décidé devoir être liés n’est délié sur ordre du Christ. Pierre, le prince des apôtres, par une dignité spéciale et une prérogative particulière, est quelqu’un d’intime à son Seigneur : il a le pouvoir d’être présent aux secrets desseins du Seigneur son Dieu et il connaît la volonté du souverain Roi. Dès lors, il ne délie rien de ce qui doit être justement lié, et il ne lie pas ce qui doit être miséricordieusement déliéa. Voyons donc d’où vient à ce saint homme tant de discernement, une si grande dignité, une supériorité si remarquable. Est-ce de ses mérites ou de la grâce du Sauveur ? 3. Si nous considérons la foi de cet homme, son zèle et son comportement, et si nous regardons attentivement la sainteté de toute sa vie, nous serons assurément convaincus que ses mérites sont grands. Mais bien plus élevée, bien plus estimable, bien plus éminente est en lui la grâce du Sauveur. Oui, qu’a donc Pierre qu’il n’ait reçu (cf. 1 Co 4,7) ? N’en déplaise pas à ce bon pasteur que nous disions, à l’honneur du Christ, ce que fut Pierre avant sa conversion et ce qu’il est devenu une fois converti au Christ.
Ravisseur de poissons, pasteur d’âmes 4. Disons en peu de mots qu’avant sa conversion il était un pauvre ravisseurb de poissons, adonné à la pose des filets durant la nuit, non pour ravir frauduleusement quelque chose à quelqu’un mais, selon ce qu’exigeait son métier, pour appâter les poissons dans des filets dissimulés. De ravisseur de poissons, il est devenu gardien, pasteur des âmes (cf. 1 P 2,25). Heureux changementc, où la cruauté se mue en douceur, le labeur en repos, la servitude en pouvoir suprême. Ce changement est l’œuvre de la droite du Très Haut Cf. Aelred, Sermon 113,2. Raptor. c Cf. Aelred, Sermons 44,17 ; 113,4. a
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Sermon 112
(Ps 76,11), qui exalte ce qui est humble (cf. Lc 1,52), fortifie ce qui est faible, affaibli ce qui est fort. Il est dit à ce sage : Mon ami, monte plus haut (Lc 14,10). Il a été appelé d’un lieu tout ordinaire, une barque de pêcheur, et il est aujourd’hui placé sur la chaire du souverain pontifea. Il s’est humilié sous la puissante main de Dieu (cf. 1 P 5,6). Aussi mérita-t-il d’être exalté, comme c’était annoncé dans un psaume, peut-être à son sujet : Qu’ils l’exaltent dans l’assemblée du peuple, et qu’ils le louent dans la chaire des anciens (Ps 106,32). 5. Regardons si, en cette dignité qui est la sienne, il a gardé quelque chose de ce qu’il avait autrefois abandonné avec sa barque. Qu’un ravisseur de poissons ait été établi pasteur d’âmes, cela comporte en effet une secrète dimension symbolique. Qu’a-t-il abandonné sur la mer ? Une barque, des filets (cf. Mt 4,18‑20), des cordes et des hameçons. Tout cela il l’abandonna matériellement à la voix d’une simple injonction. Mais tout cela il le garde spirituellement selon le précepte du Sauveur.
L’attirail du pêcheur 6. L’embarcation qu’il abandonna symbolise l’Église, dont il reçut la charge pastorale. Les filets, au moyen desquels il accomplit spirituellement ce qu’il faisait autrefois, sont au nombre de deux : l’œuvre de la grâce dans l’exercice des vertus, et la finesse d’un discours constitué par l’entrelacement de textes des divines Écritures. Au moyen de ces filets, il prend et retient le genre humain tout entier. En ce sens, parler de filets fait allusion à des moyens de ne pas laisser filer en s’enfuyantb. Il tourne ces filets sur les âmes en un mouvement circulaire adroit, et ramène vers sa barque des hommes de toutes conditions, tels des poissons de toutes sortes. 7. Les cordes, par lesquelles la barque est attachée pour que, ballottée par les flots, elle ne chavire pas, désignent les préceptes de l’Église qui sont donnés à tous d’une manière générale – comme celui-ci : À moins de renaître de l’eau et de l’Esprit, nul ne pourra entrer dans le a b
Cf. Aelred, Sermon 113,1. Cf. Isidore de Séville, Livre des étymologies 19,5,1.
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Royaume des Cieux (Jn 3,5), et d’autres semblables – et sans lesquels, sous le régime de la loi évangélique, personne ne peut être sauvé. 8. Les hameçons, par lesquels les poissons sont accrochés et capturés, désignent des préceptes plus élevés, utiles à tous mais non pas donnés à tous. L’un d’eux est celui-ci : Celui qui veut être parfait, qu’il se mette en route, qu’il vende tout ce qu’il possède et qu’il me suive (cf. Mt 19,21). Et un autre : Celui qui veut être mon disciple, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive (cf. Mt 16,24). Et d’autres semblables à ceux-ci, par lesquels nous sommes exhortés à ne pas emprunter les chemins d’une conduite charnelle. Par lesquels également, lorsque nous sommes accrochés par les hameçons comme des poissons, nous mourons au péché, nous mourons au monde, nous mourons aux agréments, nous mourons aux plaisirs des sensa.
Pêche spirituelle 9. Tel un gardien et un pilote, Pierre tient la barre de cette embarcation pourvue d’outillages spirituels, et il veille à ce qu’elle ne soit pas engloutie par les flots tumultueux de cette mer orageuse, et que, en proie aux fréquents soubresauts de ce monde, pleine d’amertume, pleine de tromperie et de mensonge, elle n’en arrive à heurter des écueils cachés, à s’y briser et à se fracasser. Selon la pratique habituelle, notre pêcheur travaille activement à retirer un profit sur cette grande et vaste mer (cf. Ps 103,25). Car il envoie continuellement dans les diverses provinces ses prédateurs, les saints prédicateurs, qui détruisent les vices, sèment et enracinent les vertus ; il leur ordonne de ramasser et d’amener à son navire – la sainte Église – les humains de toutes sortes, en les dépouillant tous de leurs possessions et manières d’agir propres. Bouleversant et détruisant en chacun les réalités anciennes, il en enseigne des nouvelles et en institue des inaccoutumées. 10. Aussi le prince des apôtres, non seulement sur le lac de Gennésareth où il travaillait autrefois en pêchant (cf. Lc 5,1‑3), mais Cf. Origène, Homélies sur Jérémie, homélie latine 12,1 ; cf. Aelred, Sermon 175,16. a
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aussi sur toute la surface de la terre, ce ne sont plus des poissons mais des hommes qu’il pêche adroitement, s’appliquant à restaurer en eux l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu (Ep 4,24). Il soigne les blessures de ceux qu’il a pris, de façon à ramener à l’intégrité tout ce qui était corrompu ou difforme en eux, et à le parer d’une justice nouvelle.
Tout à tous
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11. S’étant fait tout à tous, il porte sur son sein les agneauxa, c’est-à-dire les plus faibles, afin qu’ils ne manquent jamais d’entrailles maternelles, leur témoignant en toutes circonstances son affectueuse tendresse et leur distribuant, autant qu’il le peut, tout ce qu’il juge leur être nécessaire. Quant aux brebis, c’est-à-dire les plus forts, il les entoure de ses bras de peur que, sortant de leur enclos, elles ne soient livrées à la merci des loups et des lions. Souvent en effet ceux qui sont moins dominés par les vices sont prêts à sortir d’eux-mêmes, c’est-à-dire à présumer de leurs forces. Ceux-là, Pierre les entoure d’attention, réprimant leur orgueil et leur montrant la voie de l’humilité, de peur qu’ils ne tombent dans les filets de ceux qui tendent des embuscades et ne deviennent la proie des ennemis. 12. Les parfaits, il les prend par la main et les conduit par des chemins que parfois ils désirent, parfois ils redoutent, se souvenant de la parole de son Seigneur : Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais là où tu voulais ; quand tu seras devenu vieux, un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas (Jn 21,18). Les parfaits, il les convainc de faire ce que d’évidence lui-même a fait. Car il leur enseigne à se charger chaque jour de la croix du Christ (cf. Lc 9,23), à mortifier la chair par les veilles, les jeûnes (cf. 2 Co 6,5) et diverses pratiques pénibles ; à lutter sans relâche contre la volonté propre ; à s’engager sur le chemin rude et resserré (cf. Mt 7,14) que le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ (1 Tm 2,5) a montré aux humains en disant : Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé (Jn 6,38). a
Cf. 1 Co 9,22 ; Nb 11,12 et Is 40,11.
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Pasteur prudent 13. C’est ainsi que le prudent pasteur règle toutes choses avec discernement, se met avec une tendre compassion au niveaua des faibles et des infirmes, ne leur commandant rien de laborieux, rien de lourd, rien d’autre que ce qu’ils peuvent porter, en sorte que, pour tous, le joug du Seigneur soit suave et son fardeau léger (cf. Mt 11,30). Aux plus forts et aux parfaits il enjoint davantage, leur montrant le chemin rude et resserré qui mène à la vie (cf. Mt 7,14), afin qu’ils progressent de vertu en vertu (cf. Ps 83,8). Il leur commande de supporter les adversités, de lutter avec ardeur contre les ennemis proches et lointains, contre les vices de la chair et de l’âme, contre les princes des ténèbres (cf. Ep 6,12) – instigateurs et accusateurs (cf. Ap 12,10) des vicesb –, afin qu’en hommes forts et en athlètes vigoureux se livrant courageusement aux guerres du Seigneur (cf. 1 S 18,17), ils se mettent en peine pour eux-mêmes et pour leurs frères plus jeunes et plus faiblesc. 14. Ce gérant fidèle que le Seigneur a établi sur les gens de sa maison (cf. Lc 12,42) distribue ainsi toutes choses à tous selon ce qu’il sait leur convenird. C’est donc à juste titre que lui est attribué ce que nous avons placé en tête de notre sermone : Tu es le pasteur des brebis, le prince des apôtres, c’est à toi qu’ont été remises les clés du Royaume des Cieuxf. 15. C’est bien un pasteur, ce n’est pas un mercenaire qui, à l’arrivée du loup, abandonne les brebis et s’enfuit ; c’est un vrai pasteur, qui prend la défense de ses brebis, qui les aime, qui pour elles donne sa vie (cf. Jn 10,11‑12) aux lions et aux ours. Afin de conduire son troupeau vers les pâturages éternels, il assuma volontiers pour les brebis les menaces des monarques et des princes, la rage et les invectives, les coups et les blessures, et enfin la croixg, laissant ainsi un Cf. Aelred, Sermons 102,12 ; 142,13‑14. Cf. Aelred, Sermons 87,1 ; 160,12 ; 172,3 ; Homélies sur les fardeaux,13,19. c Cf. Aelred, Sermons 96,9 ; 143,20 ; 160,1 ; 171,12 ; 173,10 ; 175,22 ; 176,21 etc. d Cf. Règle de saint Benoît 64,14 ; cf. Aelred, Sermon 113,13 ; cf. Si 37,28. e Cf. Aelred, Sermons 9,3 ; 89,12. f Antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Mt 16,19 ; Jn 21,17. g Cf. Aelred, Sermons 113,7 ; 176,20. a
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modèle (cf. 1 P 2,21) à ses fils. Puisqu’il n’a pas refusé lui-même de mourir pour le troupeau qui lui était confié, ainsi ils n’hésiteraient pas, en cas de nécessité, à mourir pour le Christa qui a daigné mourir véritablement pour Pierre lui-même et pour tout son peuple.
Le Christ, bon pasteur
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16. Le médiateur entre Dieu et les hommes est le bon pasteurb, faisant paître Pierre pour que celui-ci puisse faire paître le troupeau qui lui est confié. Bon pasteur est celui-là seul qui a dit de lui-même : Je suis le bon pasteur (Jn 10,11). Lui seul est bon, non par un don fortuit, mais il est seul bon par nature, lui dont le propre est d’être bon, car il lui est impossible de ne pas être bon, lui dont découlent tous les biens (cf. Jc 1,17). Lui seul est bon, parce que personne n’est bon (cf. Lc 18,19), sinon notre Seigneur Jésus Christ seulc, qui a donné sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10,11), afin de purifier les impurs par son propre sangd, de justifier les pécheurs par sa sainte Passion, de donner la vie aux morts par sa mort (cf. Rm 5,6‑9). Par la grâce de ce souverain Pasteur, Pierre est devenu bon pasteur (cf. Jn 21,17), il nourrit ses brebis du lait de son sein, en proposant à tout le monde l’exemple d’une conduite sainte.
Nourriture des brebis 17. Les unes, il les nourrit par le lait de la sobriété et de la force. Il leur dit : Soyez sobres et veillez, car votre partie adverse, le diable, tel un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi (1 P 5,8‑9). D’autres, il les nourrit par le lait de l’humilité. Il leur dit : Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, pour Cf. Aelred, Sermon 113,6. Cf. 1 Tm 2,5 et Jn 10,11. c Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 14,1 ; cf. Aelred, Sermon 113,3. d Cf. He 9,22 et Ap 1,5. a
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qu’il vous élève au temps de sa visite (1 P 5,6). D’autres, il les nourrit par le lait de la foi et de la ferveur intérieure, d’autres encore par celui de l’espérance et de la charité. À quoi bon m’étendre davantage ? Aussi nombreuses que ses vertus sont les capacités des seins de Pierre, d’où les brebis – à savoir les âmes fidèles – ont pu tirer le lait de la divine sagesse, qui enseigne les décrets de Dieu (cf. Sg 8,4). C’est à bon escient qu’il est dit à celui qui veille ainsi sur son troupeaua, à celui qui fait ainsi paître les brebis : Tu es le pasteur des brebisb.
Lait et laine 18. Les brebis, ce sont les âmes des fidèles obéissant au Christ dans la foi et une charité sans feinte (cf. 2 Co 6,6). Elles sont avec raison comparées à des brebis, car elles sont soumises à leurs pasteurs, humbles et douces, fournissant lait et laine. Elles fournissent du lait car, en vivant bien et en prônant ce qui est juste et saint, elles montrent à tous le chemin des décrets de Dieuc, qui sont la nourriture des âmes, revigorent les faibles de peur qu’ils ne défaillent, affermissent les forts afin qu’ils progressent de plus en plus. Elles fournissent de la laine parce qu’elles sont remplies de compassion les unes envers les autres, se protégeant l’une l’autre contre les risques de l’hiver et de la disette. Tandis qu’elles portent les fardeaux les unes des autres, pour accomplir la loi de Dieu (cf. Ga 6,2), chacune procure à l’autre de la laine – à savoir une affection pleine de charité –, dont est tissé le vêtement du salut qui fait la fierté de l’épouse du Christ : Je me réjouis d’une grande joie dans le Seigneur, dit-elle, et mon âme exultera en mon Dieu, car il m’a revêtue du vêtement du salut, et il m’a drapée dans le manteau de l’allégresse (Is 61,10).
Cf. Lc 2,8 et Jn 21,17. Antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Jn 21,17. c Cf. Ba 3,37 et Sg 8,4. a
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Le pouvoir des clés
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19. Tu es le pasteur des brebis, le prince des apôtresa. On appelle ‘prince’ celui qui obtient comme une prééminenceb. Il a certes reçu la prééminence quand le Seigneur lui a dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église (Mt 16,18). La Vérité a décidé qu’aurait la primauté sur tous celui qui, le premier de tous, ou plutôt le seul au nom de tous, proféra sans hésiter une parfaite confession de foi (cf. Mt 16,16). 20. À toi sont remises les clés du Royaume des Cieuxc : le pouvoir de lier et de délier (cf. Mt 16,19), ainsi que la dignité de juger. Au moyen de ces clés, il écarte du royaume ceux qu’il veut, et y introduit ceux qu’il veut. Au moyen de ces clés, il ouvre la porte du Royaume des Cieux à ceux qu’il veut, et il la ferme à ceux qu’il veut, pour qu’ils restent éternellement dehors avec les vierges insensées (cf. Mt 25,10‑12). Les clés du Royaume des Cieux peuvent également évoquer pour nous les enseignements de la divine prédication, par lesquels sont dévoilés les mystères secrets du Royaume des Cieux, et par lesquels sont mis à découvert les desseins divins. Ces clés sont assurément données à saint Pierre, puisqu’il est appelé prince de ceux dont il est dit : Leurs langues sont devenues les clés des cieuxd.
Pierre ou le démon 21. C’est ainsi que Pierre est pasteur des brebis, c’est-à-dire des âmes fidèles. Le démon est pasteur des boucs (cf. Mt 25,32), c’està-dire des âmes infidèles. Pierre aime ses brebis et prend leur défense. Le démon est jaloux de ses boucs et les tue. Pierre nourrit ses brebis de chasteté, de charité et de toutes les fleurs des vertus. Le démon nourrit ses boucs d’infidélité, d’envie, de luxure et de Antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Jn 21,17. Cf. Isidore de Séville, Livre des étymologies 9,3,21. c Antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Mt 16,19. d Antienne pour l’octave de la fête des apôtres Pierre et Paul. a
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toute la débauche des vices. Pierre fait monter ses brebis au ciel, pour qu’elles soient rassasiées d’un bonheur éternel. Le démon précipite ses boucs en enfer, pour qu’ils soient éternellement livrés aux tourments. 22. Malheur aux infidèles qui ont pour pasteur le démon ! Comme des brebis mises en enfer : la mort les mène paître (Ps 48,15). Elles meurent toujours et jamais ne défaillenta. Que tout homme se hâte donc de briser les liens du démon, de se défaire du joug de ce prince inique, de ce pasteur adultère, pour que soit loin de nous le pasteur de la mort. Soyons humbles et doux sous la houlette de Pierre, afin qu’il nous conduise aux pâturages de la vie, aux pâturages de la lumière, aux pâturages du repos, aux pâturages de l’éternelle félicité. Puissions-nous mériter d’y parvenir, grâce au Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Aelred, Sermons 128,15 ; 180,3 ; Homélies sur les fardeaux 13,4.
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SERMON 113 POUR LA FÊTE DE LA CHAIRE DE SAINT PIERRE
Le sermon ne semble pas s’adresser à une communauté monastique, mais plutôt à une assemblée d’abbés et surtout d’évêques, à l’occasion d’une consécration épiscopale ou, peut-être mieux, à l’occasion du transfert d’un évêque à un siège épiscopal beaucoup plus important que celui qu’il occupait auparavant (voir en particulier le paragraphe 5 de ce sermon). Ce fut le cas de Gilbert Foliot en 1163. Aussi le sermon se déroule-t-il tout entier dans une confrontation entre les figures du bon et du mauvais pasteur : celui-ci poussé par la vanité, l’orgueil et les avantages personnels, et celui-là agissant dans l’humilité, le désir du bien d’autrui, et acceptant l’éventualité de donner sa vie par amour de ses brebis, à l’exemple du Christ, seul vrai et bon pasteur au sens plénier.
Pierre et le Christ 1. Qu’ils l’exaltent à l’assemblée du peuple, et le chantent dans la chaire des anciens (Ps 106,32). Le bonheur, la liberté et la récompense qu’il y a lorsqu’on porte humblement le joug, saint Pierre nous le montre clairement aujourd’hui lui qui, d’un lieu tout
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Sermon 113
ordinaire, une modeste embarcation de pêcheura, monta sur la chaire de souverain pontife. Oui, afin d’exercer publiquement la charge qu’il avait reçue comme en secret de la part du Seigneur, il monte aujourd’hui sur un trône sublime, pour s’asseoir en compagnie des princes et occuper un trône de gloire (1 S 2,8). Presque en secret – en présence d’un petit nombre de disciples –, le Seigneur lui confia le soin des âmes quand il lui dit : Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16,19). 2. Cette dignité reçue du Sauveur, saint Pierre l’exerce avec prudence, ne déliant rien de ce qu’il doit avec raison lier, et ne liant pas ce qui doit être miséricordieusement déliéb. Que les gens l’exaltent donc à l’assemblée du peuple, et qu’ils le chantent dans la chaire des anciens (Ps 106,32). Non pas dans la chaire des scribes et des pharisiens (cf. Mt 23,2) qui, tout en lisant la Loi, méconnaissent le Christ, pourtant annoncé dans la Loi (cf. Jn 5,39) ; mais dans la chaire des patriarches et des prophètes qui, considérant Dieu par l’œil de la divine contemplation, l’œil spirituel, annoncent le Christ aux peuples et aux nationsc. 3. Qu’ils l’exaltent à l’assemblée du peuple (Ps 106,32). Ce petit verset s’applique en propre au souverain et parfait Pasteur qui donna sa vie pour ses brebis (Jn 10,11), qui est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire en répandant son propre sang, nous ayant acquis une libération définitive (He 9,12) ; qui, par son sang, (cf. Rm 5,9) à rendu juste l’impie et a délivré le monde de la mort éternelle. Celui-là seul doit particulièrement être loué par tous, lui qui seul nous a tous sauvés par sa mort. Lui seul doit être exalté dans la chaire des anciens (cf. Ps 106,32), lui qui seul est au-dessus de tous (cf. Jn 3,31) et qui, montant au plus haut des cieux (cf. Ep 4,10), siège dans la gloire de Dieu, afin que nous-mêmes, membres de son Corps (cf. Ep 5,30), en montant après lui, nous puissions régner éternellement avec Luid. Ce pontife souverain doit être loué non pour une Cf. Aelred, Sermon 112,4. Cf. Aelred, Sermon 112,2. c Cf. Pseudo-Jérôme, Sur le psaume 106. d Cf. Aelred, Sermons 153,13 ; 154,7 ; 181,2. a
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raison fortuite, mais à cause de sa propre miséricorde et bonté. Comme il a voulu que saint Pierre soit son cohéritier (cf. Rm 8,17), ainsi il a également voulu qu’il soit le souverain vicaire de son ministère de telle sorte que ce qui est dit du Christ – en vertu de sa propre puissance et de la bonté qu’il possède par nature – soit miséricordieusement attribué à Pierre par la grâce du Christ.
Servir, c’est régner 4. Aujourd’hui donc, par disposition de la divine clémence, celui qui attrapait les poissons est fait pasteur d’âmesa. Aujourd’hui le pêcheur est exalté dans la chaire des anciens (Ps 106,32), pour régner sur les rois, les monarques et les princes de la terre. Qui aurait pu présumer cela de Pierre en le voyant sur le lac de Gennésareth, tout occupé à son métier de pêcheur (cf. Lc 5,1‑3) ? Qui aurait pu penser qu’un pêcheur deviendrait tellement grand que des rois, des monarques et des princes s’abaisseraient devant luib et désireraient obtenir la faveur d’un pêcheur comme s’il s’agissait d’un seigneur ? 5. Que votre Charité évalue le bonheur qu’il y a à servir ce roi, lui qui élève ses serviteurs au-dessus des princes et des rois : le servir, c’est régnerc. Plus est humble l’homme qu’il trouve dévoué à son service, plus haut il le place dans son royaume. Que la noblesse chrétienne ne rougisse pas d’avoir un pasteur humble, un pauvre qui devient riche, un petit qui devient grand, un homme de basse condition qui est élevé. Que l’Église se réjouisse d’avoir aujourd’hui reçu un nouveau pontifed, un prince judicieux, un pasteur zélé. Que toute âme fidèle complimente ce pasteur qui est nôtre, et qu’elle s’exclame avec allégresse : Qu’ils l’exaltent à l’assemblée du peuple, et qu’ils le chantent dans la chaire des anciens (Ps 106,32). Cf. Aelred, Sermon 112,4 ; cf. 1 P 2,25. Cf. Aelred, Sermon 15,4. c D’une oraison liturgique ; cf. Aelred, Sermons 170,8 ; 181,1. d Un second pontife, après le Christ. a
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Ambition ou humilité ? 6. Ce n’est pas par ambition de dominer que saint Pierre monta aujourd’hui sur la chaire pontificale, mais par vif désir d’être utile. Il ne reçut pas cette dignité pour commander aux autres avec superbe, mais, au besoin, pour mourir par dévouement pour ses brebisa. Que nul donc ne reçoive le soin des âmes s’il est rigoureux ou orgueilleux, ou s’il manque de discernement, puisque notre nouveau pontife, par sa conduite pleine de bonté, donne à tous ses successeurs un exemple de douceur, d’humilité, de miséricorde, de discrétion. Celui qui reçoit ainsi le pontificat à la manière dont notre pontife le reçut reçoit une bonne chose, profitable à lui-même et aux autres. 7. Mais qu’il reçoive la dignité en ne refusant pas les abaissements, qu’il désire la chaire en ne craignant pas les chaînes, qu’il monte sur le trône en ne redoutant pas le cachot. Tout cela saint Pierre le proclame devant nous : alors qu’il était pasteur des brebis et prince des apôtresb, il fut enchaîné et envoyé en prison par l’impie Hérode (cf. Ac 12,4) ; après cela, afin de rendre témoignage à la vérité (cf. Jn 18,37) et de nous laisser un modèle (cf. 1 P 2,21) de patience, il supporta patiemment les outrages et les affronts, les coups et les blessures et finalement la croix et la mort infligées par Néron, prince cruel.
Chaire de pestilence 8. Cette chaire visible, sur laquelle monte le pasteur de l’Église, désigne deux chaires sur lesquelles tout fils de l’Église doit spirituellement monter. Car les chaires sont au nombre de trois, deux pour les fidèles, et la troisième est préparée pour les infidèles : une chaire de justice, une chaire de miséricorde et une chaire de pestilence (cf. Ps 1,1 vg). 9. La chaire de pestilence, c’est l’amour de la vaine gloire. L’ange apostat fabriqua cette chaire et s’y dressa lorsqu’il s’enfla d’arrogance et que, dans son orgueil, il se déchaîna de façon absurde : Je monterai à a b
Cf. Jn 10,11 ; cf. Aelred, Sermon 112,15. D’une antienne pour la fête de la Chaire de saint Pierre ; cf. Jn 21,17.
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la hauteur des nuages, je siégerai du côté de l’aquilon, je serai semblable au Très Hauta. Les pieds de cette chaire sont la convoitise, l’avarice, la fraude et la violenceb. « La peste est une maladie qui se répand au loin, attaquant tous les humains ou presquec. » Et quelle est cette maladie qui se répand au loin sinon la convoitise ? C’est le premier pied de cette chaire. Cette maladie se répand au loin, attaquant tous les humains ou presque, non seulement les princes de la terre, mais aussi – ce qui est bien plus regrettable – les princes de l’Église. 10. En ces jours, c’est à peine si l’on trouve un pontife, un abbé, ou même un prieur, voire même un simple moine « qui soit libre du désir de dominer et qui ne recherche pas la gloire humained. » De fait, le cœur de beaucoup est enseveli sous l’or et l’argent, et on trouve rarement une personne qui détache ses mains de tout présent (cf. Is 33,15) et dise : ‘Que me suffise ce que j’ai.’ Les faux pasteurs de l’Église, dont les mains sont tendues vers les présents, sont toujours en train de murmurer avec les enfants insensés d’Israël. Rien ne leur suffit, ils n’ont jamais assez. Ils ne sont pas en tête des brebis pour les faire paître, mais bien davantage pour se repaître d’elles, ne souhaitant rien d’autre que le lait et la laine. Ces gens-là ne sont jamais en paix, car ils sont assis sur une chaire de pestilence (cf. Ps 1,1), cupides, avares, séducteurs, ravisseurs, boursouflés, troublés, turbulents, querelleurse.
Chaire de justice 11. La chaire de justice, c’est le judicieux contrôle de l’Église. Cette chaire comporte quatre piedsf : la prudence, la tempérance, la force, la judicieuse punition. La prudence est le premier pied de cette chaire, car il faut tout d’abord que le pasteur d’âmes se garde prudemment en toutes ses voies, afin d’être utile à lui-même, zélé Is 14,14, d’après la Septante. Cf. Aelred, Sermon 55,9. c Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 1,1. d Ibidem. e Cf. Aelred, Sermons 148,2 ; 181,12. f Cf. Aelred, Sermon 106,12. a
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envers Dieu, juste envers son prochain. La prudence lui est nécessaire pour pouvoir tirer de son trésor du neuf et de l’ancien (Mt 13,52), en étant circonspect pour les choses présentes, prévoyant pour l’avenir. La tempérance est le second pied de cette chaire, afin d’agir sans excèsa, n’être ni trop sévère ni trop relâché, ne pas aller à l’encontre de la justice en déliant ce qui doit être lié, ni à l’encontre de la miséricorde en liant ce qui doit être déliéb. 12. Le troisième pied est la force, pour n’être ni exalté par les succès ni brisé par les revers, pour ne pas pervertir un jugement par crainte des richesc, ni consentir aux vices des subordonnés en vue d’avantages matériels. Car quiconque consent au vice d’autrui alors qu’il pourrait y porter remède se rendra coupable de son iniquité à laquelle il a consenti. C’est ainsi que Éli, grand-prêtre de Silo, mourut misérablement pour n’avoir pas corrigé comme il l’aurait fallu ses fils, dont la mauvaise réputation était pourtant parvenue à ses oreilles ; ses fils périrent aussi, et toute sa maison fut anéantied. La force est donc nécessaire aux pasteurs pour ne pas consentir au conseil des impies (cf. Ps 1,1) en raison d’intérêts temporels, et ne pas devenir gardiens de porcs, de pasteurs de brebis qu’ils étaient. Gardien de porcs est celui qui favorise les pécheurs, qui marche par des chemins de chair, en engraissant les corps, comme si c’étaient des porcs, avec le son et la lie du désir charnel. 13. Le quatrième pied de cette chaire est une judicieuse punition. Tout pasteur d’âme doit exercer la discipline avec miséricorde : dans ses corrections, qu’il ne soit ni inquiet ni excessif, qu’il ne brise pas les vases tandis qu’il cherche inconsidérément à racler la rouille. Il ne doit pas broyer le roseau froissé, c’est-à-dire rejeter le frère plus faible ou le décourager en le châtiant, mais il doit tempérer toutes choses selon ce qu’il sait être avantageux à touse. La chaire de justice s’appuie donc sur ces quatre pieds. Ces
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55,28.
Térence, Andria 1,1 ; cf. Règle de saint Benoît 64,12 ; cf. Aelred, Sermon
Cf. Aelred, Sermon 112,2. Cf. Règle de saint Benoît 53,15. d Cf. 1 S 2,22‑25 et 4,17‑20. e Cf. Règle de saint Benoît 64,12‑19 ; cf. Aelred, Sermon 112,14. b c
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quatre vertus que sont la prudence, la tempérance, la force et une judicieuse punition sont nécessaires à tous les pasteurs.
Chaire de miséricorde 14. La chaire de miséricorde, c’est une bonté compatissante dans la dilection fraternelle. Quels sont les pieds de cette chaire, le Seigneur lui-même le montre dans l’Évangile : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger et vous m’avez accueilli (Mt 25,35). De cette chaire et de ses degrés, il faudrait parler plus longuement, si le temps le permettaita ; mais puisque l’heure est avancée, nous remettons cela à plus tard, en formulant une affectueuse exhortation à tous les pasteurs de l’Église pour qu’ils montent avec saint Pierre sur cette chaire de justice et de miséricorde.
Témoignage de la conscience
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15. Personne ne monte sur elles, s’il n’est Pierre, c’est-à-dire ferme dans la foi et vrai dans la charité. Nous qui sommes ses ouailles, montons spirituellement sur ces chaires dont on a parlé, et n’importe lequel d’entre nous sera Pierre, ferme dans la foi, car ce nom se réfère à la pierre (cf. Mt 16,18) en raison de la fermeté de la foi et de la perfection d’une sincère dilection. C’est ainsi que nous deviendrons pasteurs et gardiens des âmes (cf. 1 P 2,25), nourrissant nos âmes de vertus, et revigorant celles des autres par le bon exempleb ; repoussant de nos âmes les pensées mauvaises et les plaisirs illicites, retirant nos pieds du chemin de chair, possédant le témoignage d’une bonne conscience (cf. 2 Co 1,12), une conscience pure, une conscience sainte. 16. Seuls ceux qui possèdent une bonne conscience se glorifient véritablement en ce monde, selon ce mot de saint Paul : Ce qui fait ma gloire, c’est le témoignage de ma conscience (2 Co 1,12). Rien a b
Cf. Aelred, Sermons 34,31 ; 74,7 ; 88,3 etc. Cf. Aelred, Sermon 18,13.
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Sermon 113
n’est plus difficile à garder qu’une bonne conscience, mais rien n’est plus parfait. En elle comme en un miroir, le juste examine attentivement ses voies, et, avec discernement, il se laisse entrevoir, ainsi que ses œuvres, selon l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu (Ep 4,24). David eut cette vigilance, à savoir une conscience pure et immaculée ; s’examinant lui-même, il dit : Mon âme à tout moment entre mes mains (Ps 118,109).
Le roi David 17. Ce roi sublime et humble, juste et bon, nous apprend la manière de monter sur cette chaire de justice et de miséricorde ; étant monté sur l’une et l’autre, il dit au Seigneur : Miséricorde et jugement je chanterai pour toi, Seigneur (Ps 100,1). Non pas la miséricorde sans le jugement, ni le jugement sans la miséricorde, mais l’une et l’autre ensemble : miséricorde et jugement je chanterai pour toi, Seigneur. Les chaires de la miséricorde et du jugement sont collatérales et conjointes, et personne ne doit monter sur l’une sans monter sur l’autre, de peur que la justice sans la miséricorde ne se change en cruauté, ou que la miséricorde sans jugement ne se change en relâchement irréfléchia. C’est pourquoi le psalmiste dit à propos du souverain Juge : Miséricorde et vérité marchent devant ta face (Ps 88,15). Et encore : Tous les chemins du Seigneur sont miséricorde et vérité (Ps 24,10). Et encore : Miséricorde et vérité, le Seigneur les aime (Ps 83,12 vg). 18. Vous donc, pasteurs d’âmes, à qui le Seigneur a confié la charge de son personnel (Mt 24,45), chantez miséricorde et justice au Seigneur (cf. Ps 100,1) : jugeant équitablement votre peuple de peur que la justice ne soit comme éclipsée par la miséricorde ; faisant paître le troupeau avec bonté pour qu’agissant dans le discernement de la miséricorde et du jugement, vous méritiez de parvenir au Christ, juste juge (cf. 2 Tm 4,8) et bon pasteur, par les mérites de saint Pierre, le Pontife souverain. Que Jésus Christ daigne nous l’accorder, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen. a
Cf. Aelred, Sermons 2,21‑22 ; 106,5.
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SERMON 114 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
Ce texte constitue une autre rédaction du sermon 37, duquel il est littérairement très proche. La célébration des fêtes de saints incite à la conversion, ranime l’espérance et soutient la persévérance. Ils étaient aussi faibles que chacun de nous, mais ils ont pris les moyens de choisir les désirs de l’Esprit. Saint Benoît a vécu selon l’Esprit et, par sa Règle, il a enseigné à faire de même.
Quel est le but des fêtes ? 1. Les fêtes de saints, que nous célébrons fréquemment, doivent nous faire croître vers le salut. Car c’est bien pour cela qu’elles ont été instituées. De fait, quel avantage y a-t-il pour les saints que nous fassions leur éloge et que nous fassions mémoire d’euxa ? Voyons donc en vue de quelle utilité il a été établi de célébrer leurs fêtes. Tout homme vit bien ou mal. Ces célébrations doivent être profitables à l’un et l’autre genre d’hommes. 2. Lorsque nous célébrons ces fêtes, celui qui vit mal doit en concevoir de la honte ou de la crainte. Quiconque agit mal se comporte ainsi soit parce qu’il est faible et ne parvient pas à résister a
Cf. Aelred, Sermons 25,4 ; 176,16.
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Sermon 114
à ses envies, soit parce qu’il est dévoyé, aimant le mal et détestant le bien. Celui qui est faible, qu’a-t-il comme excuse lorsqu’il pèche ? Il prend prétexte de sa faiblesse : ‘Les désirs de la chair me contraignent, je ne puis dominer les envies de la chair.’
Saint Benoît, un homme comme toi et moi 3. Voici qu’aujourd’hui nous célébrons la fête de notre Père Benoît. Que fut saint Benoît ? Sans aucun doute, un homme comme toi et moi, comme n’importe qui d’autre. Un homme de chair comme toi et moi, de la même pâte que toi. Pourquoi donc a-t-il été capable, et toi ne l’es-tu pas ? Alors qu’il n’était encore qu’un enfant tendre et délicata, il abandonna le monde, il s’éloigna de ses parents. Et toi, qui es déjà grand et fort, tu rêves encore au monde, tu soupires encore après tes parents. Tu prétextes que tu subis de pénibles tentations, alors que lui a été lourdement tenté. Autant il a vaillamment résisté, autant toi tu te laisses mollement aller. 4. Quiconque en est là, qu’il éprouve une grande honte de voir un enfant s’emparer en quelque sorte du Royaume des Cieux avec une telle violence (cf. Mt 11,12), alors que lui-même cherche encore les petites douceurs et les plaisirs. Celui qui est tiède, qu’il rougisse en considérant l’ardeur du bienheureux Benoît. S’il est impatient, qu’il rougisse en entendant parler de la patience de saint Benoît. S’il est orgueilleux, qu’il rougisse en apprenant son humilité. S’il est glouton, qu’il rougisse en considérant sa frugalité.
La chair et l’esprit 5. ‘Mais, dira quelqu’un, comment pourrai-je dominer mes désirs ?’ Comment saint Benoît les a-t-il dominés ? Assurément, en faisant ce que recommande l’Apôtre : Marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair (Ga 5,16). Ainsi donc, frères, a
Cf. Aelred, Miroir de la charité, I,100.
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Sermon 114
marchons par l’Esprit et nous n’accomplirons pas les désirs de la chair, et ils ne domineront pas sur nous. Que signifie marcher par l’Esprit ? C’est vivre selon l’Esprit (cf. Ga 5,25). Or, l’Esprit a ses désirs à lui et ses conseils, tandis que la chair a les siens. À mon avis, là où il est dit : Marchez par l’Esprit, nous ne devons pas comprendre qu’il s’agit de notre esprit, mais bien de l’Esprit Saint qui produit en nous les bons désirs. 6. Les bons désirs, ce sont ceux dont il parle ensuite : Le fruit de l’Esprit est charité, joie, patience (Ga 5,22), et les autres qui suivent. Les désirs de la chair, ce sont ceux dont il dit : Les œuvres de la chair sont évidentes : fornication, impureté, impudicité, luxure (Ga 5,19), et autres vices qu’il énumère à cet endroit. Quand nous désirons la charité, la chasteté, la paix et le reste, cela vient de l’Esprit Saint. Quand le cœur est enchaîné par diverses envies qui le poussent vers les mauvais désirs qu’il ressent en lui-même – fornication, impureté, impudicité et autres maux –, cela vient de la chair. Qui ne ressent en lui-même ces deux genres de désirs ? 7. Il est dès lors nécessaire que nous tenions conseil, afin de ne pas accomplir ces mauvais désirs. Si la chair parvient à nous faire accomplir ses désirs à elle, elle remporte la victoire. Si l’Esprit fait en sorte que nous accomplissions ses désirs à lui, alors c’est lui qui remporte la victoire. La chair nous prodigue donc ses conseils afin de nous entraîner vers les mauvais désirs. L’Esprit de son côté s’efforce de nous entraîner vers ses désirs à lui. Si nous suivons les conseils de l’Esprit, nous marchons par l’Esprit, et nous n’accomplissons pas les désirs de la chair (cf. Ga 5,16). Si nous suivons les conseils de la chair, nous marchons par la chair et nous n’accomplissons pas les désirs de l’Esprit, mais les convoitises de la chair.
Les conseils la chair 8. Voyons ce qu’il en est des conseils de la chair. Le désir de la chair, c’est la fornication. Afin de nous entraîner vers ce désir, elle conseille l’oisiveté, le bavardage ; elle conseille des attitudes d’intimité avec les femmes et d’entretenir avec elles des conversations,
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Sermon 114
de laisser errer nos yeux çà et là afin que se présente à nous quelque image qui puisse être l’objet de notre convoitisea, par laquelle le désir de la fornication en viendrait à exercer sur nous son emprise. Le désir de la chair, c’est également l’impureté. Afin de nous amener à assouvir ce désir, elle nous conseille de rechercher des mets délicats et d’en manger jusqu’à satiété ; elle conseille de céder à la somnolence, à la paresse, à un lit douillet, à des vêtements moelleux. Tout cela entraîne vers l’impureté.
Les conseils l’Esprit 9. À l’encontre de ces désirs de la chair, il y a les désirs de l’Esprit : la chasteté et la pureté. Afin que nous n’accomplissions pas les vices de la chair dont il a été question, l’Esprit nous conseille de n’être jamais oisifs, jamais enclins à la divagation, jamais instables, jamais dissipés en bavardages, mais toujours orientés vers quelque œuvre bonne ; d’être sérieux et pondérés, d’aimer le silence et le calme. Il conseille d’éviter d’entretenir avec les femmes une intimité et des conversations, qui nourrissent d’ordinaire les désirs impurs. Il conseille de mortifier nos membresb par le renoncement, les veilles, les travaux, afin de garder notre cœur dans de bonnes méditations, dans la prière, dans la componction et la dévotion.
Jalousie ou charité ? 10. Celui donc qui suit le conseil de la chair accomplira les désirs de la chair. Mais celui qui se conforme au conseil de l’Esprit surmontera les désirs de la chair. Le désir de la chair, c’est encore la jalousie et la haine. Pour entraîner l’homme vers ces désirs, (la chair) lui conseille de suivre sa volonté propre, d’aimer fréquenter les supérieurs, d’aimer être appelé aux réunions du Conseil, à Cf. Aelred, Miroir de la charité, III,38 ; Sermon 43,27 ; cf. Grégoire le Grand, Dialogues 2,2,1. b Cf. Col 3,5 et 2 Co 6,5. a
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Sermon 114
l’administration et à l’organisation de la maison où il habitea. Quiconque suit ce conseil accomplit aussitôt les désirs de la chair et se met à jalouser celui qui obtient ces (prérogatives). À l’encontre de ce désir de la chair, il y a le désir de l’Esprit : la charité. Le conseil de l’Esprit, grâce auquel nous pouvons vaincre celui-là et aimer celui-ci, c’est de ne rien aimer en ce monde, de toujours rechercher le bien d’autrui autant que le nôtre, d’éviter de s’ingérer dans toutes ces affaires. Ainsi donc, frères, marchons par l’Esprit (cf. Ga 5,16), suivons les conseils de l’Esprit.
Saint Benoît face à la tentation 162
11. Voyez saint Benoît face à cette tentation. D’une part, la chair lui suggérait son désir à elle, la fornication ; d’autre part, l’Esprit lui suggérait son désir à lui, la chasteté. Afin de pouvoir l’entraîner vers son désir à elle, la chair lui conseilla d’aller dans le monde vers je ne sais quelle femme. Afin de l’entraîner vers son désir à lui, l’Esprit lui conseilla de se jeter dans les épines et les chardons, et de vaincre ainsi par la douleur de la chair le désir de la chairb. Entre ces deux désirs et ces deux conseils, il a fluctué un bon moment ; mais il a choisi le conseil de l’Esprit et, marchant par l’Esprit, il n’a pas accompli les désirs de la chair (cf. Ga 5,16).
Méditer sur la vie de saint Benoît 12. Ainsi donc, quiconque est encore vaincu par les désirs de la chair doit éprouver une grande honte en considérant le bienheureux Benoît et sa vertu. Quant à celui qui est méchant au point d’aimer le mal lui-même, qu’il considère les labeurs et les tentations que Benoît a supportés : en voyant combien le Seigneur a tourmenté par des travaux et des épreuves celui qui a aimé et pratiqué le bien, qu’il se rende compte de ce qui attend celui qui aime le mal. a b
Cf. Aelred, Sermon 6,30. Cf. grégoire le grand, Dialogues 2,2,1‑2.
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13. Saint Pierre l’a dit : Voici le temps du jugement : il va commencer par la famille de Dieu. Or si cela débute par nous, comment finiront-ils ceux qui refusent d’obéir à l’Évangile de Dieu (1 P 4,17) ? Si ceux qui sont la maison de Dieu, en qui Dieu habite, n’entrent dans le Royaume des Cieux que par de grandes tribulations (cf. Ac 14,22), où iront ceux qui offensent sciemment Dieu chaque jour et n’en éprouvent cependant aucun remords ? Si le juste est sauvé à grand-peine, où donc se retrouvera l’homme pécheur et impie (1 P 4,18) ? Assurément, ils entendront la terrible sentence : Éloignez-vous de moi, maudits (Mt 25,41). 14. Voyez quel profit même les pécheurs peuvent trouver dans les fêtes des saints, s’ils considèrent la vie et les comportements de ceux-ci. Si (quelqu’un) est tiède, qu’il en conçoive de la honte et, par cette honte, qu’il retrouve la vraie chaleur des vertus. S’il est froid et méchant, qu’il en conçoive de la crainte et, par cette crainte, qu’il monte de la froideur de l’iniquité à la chaleur de la charité. En outre, ceux qui sont bons et vivent bien peuvent, par les fêtes des saints, progresser en espérance et en amour. En voyant qu’ils pratiquent eux-mêmes ce que les saints ont pratiqué, par quoi ils sont parvenus à la sainteté, ils peuvent avoir grand espoir de progresser eux aussi par ces pratiques et de parvenir à la saintetéa.
La Règle de saint Benoît 15. Voici que nous avons considéré la façon dont saint Benoît a marché par l’Esprit et, dès lors, n’a pas accompli les désirs de la chair (cf. Ga 5,16). Ce que lui-même a fait, il l’a enseigné aux autres ; et le conseil de l’Esprit qu’il a lui-même suivi, il nous l’a recommandé. Oui, que proclame sa Règle sinon ce que dit l’Apôtre : Marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair (Ga 5,16) ? Que sont en effet les jeûnes, les travaux, les veilles que nous tenons de sa Règle, sinon des conseils de l’Esprit Saint par lesquels nous pouvons réprimer les désirs de la chair et accomplir
a
Cf. Aelred, Sermon 26,4.
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les désirs de l’Esprit ? C’est une grande sécurité, frères, que de suivre les conseils de l’Esprit, cela engendre une grande espérance. 16. À n’en pas douter, c’est l’Esprit Saint qui a institué cette Règle par l’intermédiaire du bienheureux Benoît. Dès lors, celui qui observe cette Règle, celui qui imite sa vie, est certain de suivre le conseil de l’Esprit Saint. Or, celui qui suit le conseil de l’Esprit Saint marche certainement par l’Esprit. Et celui qui marche par l’Esprit foule aux pieds les désirs de la chair. Marchez donc par l’Esprit, car la chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la chair (Ga 5,17). Si vous suivez le conseil de l’Esprit, vous n’accomplirez pas les convoitises de la chair.
Saint Benoît, père, guide, maître
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17. Nous avons à considérer ceci : de combien de vices et de périls n’avons-nous pas été arrachés grâce à la doctrine de notre Père, qui n’a pas seulement vécu pour lui-même en ce monde mais aussi pour nous ; et par cette considération, nous devons être embrasés d’amour pour Celui qui nous a donné un tel père, qui nous a dotés d’un tel guide, d’un tel maître. Nous devons considérer la gloire que notre Seigneur lui a conférée et, à partir de la gloire qu’il a sur terre, penser à celle qu’il a au ciel, et ainsi aimer de tout notre cœur et désirer de tout notre esprit (cf. Mc 12,30) Celui qui prépare de tels biens (cf. 1 Co 2,9) pour ceux qui Le serventa. 18. Tel est le profit qu’il y a à célébrer ces fêtes. Celui qui, vivant mal, considère celui qui a bien vécu, ne peut avoir aucune excuse ; craignant d’être condamné, il est incité à faire pénitence. Celui qui, vivant bien, considère à quelle gloire est parvenu le saint qui est fêté, en conçoit une grande espérance de son salut. Considérant également que l’être humain ne peut rien par lui-même, il se met à aimer avec plus d’ardeur Celui qui opère ces choses en ses serviteurs. C’est dans ce but, c’est en vue de ce profit que nous célébrons aujourd’hui la fête de notre Père Benoît.
a
Cf. Aelred, Sermon 26,4.
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Sermon 114
Saint Benoît, un charbon ardent 19. Qu’est-ce en effet que saint Benoît sinon comme une sorte de charbon ardent (cf. Ez 1,13), brûlant devant Dieu sur l’autel céleste ? Que sommes-nous nous-mêmes sinon comme des charbons encore froids, qui ne sentent pas encore le merveilleux feu de l’amour divin dont lui-même brûle ? Ainsi donc, frères, joignons-nous à lui : considérons la ferveur de sa vie, la charité de son cœur, et soyons-en enflammés, embrasés. Nous ne pouvons certainement pas mieux et plus parfaitement vaincre la convoitise de la chair qu’en y appliquant le feu de la charité. Car qu’est-ce que la convoitise de la chair qui convoite contre l’Esprita sinon une sorte de rouille de l’âme ? Par conséquent, appliquons-y le feu.
Le feu de la tribulation et le feu de l’amour 20. Personne ne peut être sauvé, si ce n’est par le feu (cf. 1 Co 3,15). Or, il y a le feu de la tribulation et le feu de l’amour. L’un et l’autre feu font disparaître la rouille de l’âme. David a été purifié par le feu de la tribulation, Marie Madeleine par le feu de l’amour. À son propos le Seigneur dit : Ses nombreux péchés lui ont été remis parce qu’elle a beaucoup aimé (Lc 7,47). Mais ils ont été également l’un et l’autre purifiés, me semble-t-il, et par le feu de la tribulation et par celui de l’amour. Car la force de l’amour était grande en David pour dire : Je t’aime, Seigneur (Ps 17,2). Et il y eut un grand feu de tribulation dans le repentir de Marie Madeleine. Si donc nous voulons vraiment être purifiés, recourons à l’un et l’autre : supportons patiemment le feu de la tribulation, et autant que nous le pouvons, brûlons de l’autreb. 21. Le feu de la tribulation est un début, le feu de l’amour un accomplissement. Par l’un, on parvient à l’autre. Car la tribulation produit la patience, la patience la valeur éprouvée, la valeur éprouvée l’espérance. Et l’espérance ne trompe pas puisque l’amour a b
Cf. 1 Jn 2,16 ; Ga 5,17. Cf. Aelred, Sermon 180,15.
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de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rm 5,3‑5). Daigne notre Seigneur Jésus Christ nous faire avancer vers cet accomplissement, lui qui vit et règne avec le Père et le même Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 115 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
Comme Abraham, saint Benoît a quitté son pays, sa parenté et la maison de son père. À sa suite, les moines sont invités à faire de même, de manière symbolique. À travers les tentations que saint Benoît a rencontrées, il a été préparé par Dieu à ses responsabilités futures, comme ce fut le cas pour Moïse et saint Pierre.
Protestation d’humilité 1. J’ai le devoir de vous parler, frères très chers, et il n’est pas étonnant que je sois embarrassé, moi qui vois votre savoir et mon ignorance. Plusieurs d’entre vous sont bien formés au savoir séculier tout autant que spirituel, tandis que moi j’ai très peu goûté à l’un et à l’autrea. Je vois d’autre part que vous avez une bonne faconde, tandis que moi je ne suis pas éloquent, non seulement depuis hier et avant-hier, mais depuis mon enfance j’ai une langue pesante et malhabile (cf. Ex 4,10) ; dès lors, le peu que je perçois, je ne parviens pas à l’exprimer comme il le faudrait. Et par-dessus tout cela, vous ornez la maison de Dieu d’or, d’argent et de pierres précieuses, à savoir les vertus les plus hautes ; et moi, je ne parviens pas même à offrir des poils de chèvreb. a b
Cf. Aelred, Sermons 30,1 ; 64,1 ; 79,1 ; 124,1 ; 129,1 etc. Cf. Ex 35,5‑6 ; Cf. Aelred, Sermon 42,1‑2.
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Sermon 115
2. Et pourtant vous savez qu’il me revient de vous parler, en vertu de la charge qui m’a été attribuée ; c’est donc une nécessité qui m’incombe (1 Co 9,16)a. Mais quelqu’un peut sans doute me reprocher d’avoir consenti à cette charge, moi qui ne sais pas accomplir les tâches qui relèvent d’elle. Si pourtant je fais ce qui m’est enjoint, selon ce que je sais faire, je ne pense pas que quelqu’un doive me le reprocher, car c’est une grande chose que l’obéissance. Ainsi donc, en vous parlant je ne le fais pas pour vous apprendre quelque chose mais pour m’acquitter de ce qui me revient et de ce qui relève des coutumes de notre Ordreb.
Aimer, c’est obéir
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3. Les convers désirent probablement entendre aujourd’hui quelque chose en l’honneur de notre Père Benoît. Mais que pouvons-nous dire en son honneur, sinon que vous l’honoriez et l’aimiez en suivant son exemple et en accomplissant ses préceptes ? Vous ne pouvez d’aucune manière montrer que vous aimez quelqu’un si vous ne faites pas de bon cœur ce qu’il ordonne. Le Seigneur dit à ce propos dans l’Évangile : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole (Jn 14,23). Que vous vous adonniez aux veilles, aux jeûnes, au travail, que vous observiez l’obéissance selon sa Règle, et que vous fassiez n’importe quoi d’autre conformément à notre Ordre, tout cela contribue à la louange du bienheureux Benoîtc. Par conséquent, vous le louez bien mieux par vos œuvres que moi par mon sermon.
Benoît, nouvel Abraham 4. Abraham a été loué d’avoir fait ce que Dieu lui avait prescrit : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père (Gn 12,1). Ce Cf. Aelred, Sermons 49,1 ; 71,1 ; 74,15 ; Homélies sur les fardeaux 1,10. Cf. Aelred, Sermons 15,1 ; 124,3. c Cf. Aelred, Sermons 18,4 ; 27,22 ; 174,1.
a
b
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Sermon 115
précepte, saint Benoît l’a courageusement accompli. Tandis qu’il était encore enfant, il avait été placé à Rome pour étudier. Mais il se rendit compte que cette vie pouvait être un grand prétexte pour l’éloigner de Dieu. Comme si le Seigneur lui avait dit : Quitte ton pays, saint Benoît partit donc, ne sachant où il allait (He 11,8), ainsi que le dit l’Apôtre à propos d’Abraham. C’est pourquoi saint Grégoire dit joliment de lui : « Il se retira, savamment ignorant et sagement incultea. » Il était ignorant du fait de son âge, et cependant il alla savamment du fait de sa force d’âme. C’est pourquoi ce qu’a dit un sage lui convient parfaitement : La vieillesse honorable n’est pas celle que donnent de longs jours (Sg 4,8). 5. Le fait que saint Grégoire ait écrit sa vie contribue à sa louange. Le Seigneur a peut-être prévu d’avoir, pour relater ses œuvres, un écrivain d’une telle grandeur, d’une telle science, d’une telle autorité, parce que ses œuvres étaient si nombreuses et si admirables que si un homme de moindre autorité les avait relatées, on ne l’aurait pas facilement cru. Et il était juste qu’il fasse connaître par une autorité de grand prestige celui que tant d’hommes de bien devaient suivre. 6. Après avoir abandonné sa famille, (Benoît) commença à opérer des signes miraculeux : par ses prières il rendit intact à sa nourrice un récipient qu’elle avait briséb. Heureux signe qu’un récipient brisé ait été réparé : plus tard, beaucoup de gens ayant perdu leur intégrité première à cause des désirs charnels et des autres vices seraient purifiés grâce à ses soins et à sa prière. Après ce miracle, il quitta complètement son pays et devint tellement inconnu des humains qu’il ignorait le jour de Pâquesc. 7. Abraham étant sorti de son pays, le Seigneur lui fit cette promesse : Je ferai de toi un grand peuple (Gn 12,2). Il fit cela aussi pour le bienheureux Benoît. Oui, après qu’il eut cessé de fréquenter les humains, il devint père de moines innombrables. De même qu’Abraham est assurément le père de tous ceux qui suivent sa foi (cf. Ga 3,7), ainsi le bienheureux Benoît est fait père de tous ceux a Grégoire le Grand, Dialogues 2, Prol. 1 ; cf. Aelred, Miroir de la charité, I,100. b Cf. Grégoire le Grand, Dialogues II,1,1‑2. c Cf. Grégoire le Grand, Dialogues II,1,7.
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qui suivent l’exemple de sa vie. C’est ainsi qu’il peut bien lui être dit ce qui a été dit à Abraham : Regarde le ciel et compte les étoiles, si tu le peux. Ainsi sera ta postérité (Gn 15,5). Tous ceux qui suivent l’exemple de Benoît peuvent être comparés à des étoiles, car ils offrent à ce monde une admirable lumière (cf. 1 P 2,9). C’est à de tels êtres que l’Apôtre dit : Afin que vous soyez irréprochables au milieu d’une génération égarée et pervertie où vous brillez comme les astres dans l’univers (Ph 2,15).
Benoît, nouveau Moïse 8. À l’instar de Jérémie, le bienheureux Benoît s’asseyait solitaire et silencieux, et s’élevait au-dessus de lui-même (cf. Lm 3,28). De même qu’autrefois déjà le Seigneur instruisit d’abord Moïse dans un désert caché et en fit ensuite un chef pour son peuple, ainsi le Seigneur voulut montrer ses secrets à saint Benoît, par son Esprit Saint, et en faire ensuite un chef spirituel pour son peuple. On peut également appliquer au bienheureux Benoît ce qui arriva à Moïse, avant que le Seigneur n’en fît un chef pour Israël : sa chair apparut lépreuse, et ensuite saine (cf. Ex 4,6‑7). De fait, quand le Seigneur instruisit spirituellement saint Benoît, une lèpre spirituelle apparut dans sa chair. 9. Oui, un jour le démon – selon ce qu’en avait disposé le Seigneur – vint à lui sous l’apparence d’un oiseau, et aussitôt, au souvenir d’une certaine femme, il ressentit si fortement la tentation de la chair qu’il était sur le point de se décider à retourner dans le mondea. Telle est la lèpre que le Seigneur voulut qu’il ait dans sa chair. Mais pourquoi voulut-il cela, frères ? Ô quelle est grande la miséricorde de Jésus, sa providence à l’égard de notre faiblesse ! Il permit que ressente en lui-même une si grande faiblesse celui qui, par la suite, devait avoir tant de gens faibles sous sa houletteb. Du fait qu’il a lui-même souffert et qu’il a été tenté, il a appris à avoir de la compassionc envers ceux qui étaient tentés. Cf. Grégoire le Grand, Dialogues II,2,1. Cf. Aelred, Sermon 18,9. c Cf. He 2,18 ; 4,15 et 5,8. a
b
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Benoît, nouveau Pierre 10. Ô bon Jésus, que te rendrai-je pour tout ce que tu m’as accordé (cf. Ps 115,12) ? Pierre a confessé pour moi : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16). Pierre a renié (cf. Mt 26,70) pour moi ce Fils du Dieu vivant. Oui, pour moi misérable, pour moi ton membre faible. Ton membre très solide a été rendu faible afin que, si moi-même je venais à être tenté, je ne désespère pas, mais que je sache me relever. Quoi d’étonnant à cela, frères, puisque notre Seigneur lui-même s’est fait faible pour nous : n’ayant pourtant pas eu une chair de péché, il eut cependant une chair semblable à celle du péché (cf. Rm 8,3), et bien qu’il n’ait jamais commis le péché (cf. 1 P 2,22), il est pourtant mort à cause du péché. Tout Fils de Dieu qu’il était, il apprit de ce qu’il souffrit l’obéissance (He 5,8). De même Pierre, après (son) péché, sentit combien la miséricorde de Dieu lui était nécessaire et, par la suite, il sut mieux avoir compassion d’autrui. 11. Notre Seigneur a regardé Pierre, et il a été guéri par la componction (cf. Lc 22,61‑62). De même, il a regardé le bienheureux Benoît, et il a été aussitôt délivré de sa lèpre, de la tentation de la chair, par la douleur physique. Car lorsqu’il sentit que la passion de la chair et la jouissance physique l’entraînaient au péché, il se jeta aussitôt dans les épines, les ronces et les orties, et par la douleur qu’il éprouva il mit en fuite cette passion mauvaise et cette jouissancea. Nous voyons donc que nous ne pouvons vaincre les tentations de la chair en badinant et en vivant agréablement. Quiconque a été pris dans les souillures de la chair par une mauvaise habitude ne peut être guéri que par une grande contrition du cœur, une rigoureuse ascèseb et une prière assidue. Qui veut vaincre les passions de la chair, tout en vivant dans les délices, ne fait que se flatter et se bercer d’illusionsc.
a Cf. Grégoire le Grand, Dialogues II,2,2 ; cf. Aelred, Sermons 37,13 ; 114,11. b Littéralement : grande destruction de la chair. c Cf. Aelred, La vie de recluse 17.
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Sortir de son pays
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12. Du fait que, grâce au secours divin, il avait ainsi courageusement résisté à cette première tentation, Benoît connut par la suite un tel apaisement de la chair qu’il ne ressentit jamais plus la tentation de fornicationa. Imitons-le en résistant aux jouissances illicites. Quittons notre pays, notre parenté et la maison de notre père, pour qu’il fasse de nous un grand peuple (cf. Gn 12,1‑2). Aussi longtemps qu’Abraham fut sur sa terre parmi les Chaldéens, le Seigneur ne voulut pas lui montrer ses secrets, mais il lui enjoignit de sortir de son pays et de sa parenté. Nous aussi, nous étions parmi les Chaldéens. Chaldéens se traduit par ‘ceux qui rendent captifs’ ou ‘presque démonsb’. Ceux qui rendent captifs, ce sont les démons, qui ont l’habitude de conduire la malheureuse âme en captivité. Presque démons sont les hommes qui adoptent les habitudes du démon : parce qu’ils sont mauvais, ils veulent que tous soient tels et ils entraînent au péché tous ceux qu’ils peuvent. Nous étions parmi de tels hommes, et peut-être que tel ou tel d’entre nous l’était lui-même. Quand nous étions parmi eux, la grâce de Dieu nous a visités (cf. Lc 1,78), nous enjoignant de sortir de notre pays, de notre parenté et de la maison de notre père. 13. Voyons ce que signifie sortir de notre pays. Notre pays, c’est le monde, que nous avons à quitter et à rejeter loin de notre amour. C’est ce que dit saint Jean : N’aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde (1 Jn 2,15). Nous ne pouvons sortir physiquement de ce monde, mais nous pouvons le quitter, c’est-à-dire ne pas l’aimer. Or, tel ou tel s’imagine que ne pas aimer le monde, c’est n’avoir cure de retourner vers le monde séculier. Mais le monde, autrement dit l’amour que nous avons pour lui, ici même nous tend souvent des pièges. Écoutons en quoi consistent les choses qui sont dans le monde et que nous devons haïr. L’apôtre le dit ensuite : Tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie (1 Jn 2,16). C’est cela que nous devons haïr. C’est de là que nous devons sortirc. Cf. Grégoire le Grand, Dialogues II,2,3. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 2,6. c Cf. Aelred, Sermon 74,55. a
b
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Convoitise de la chair 14. La convoitise de la chair consiste à céder à l’impureté, à rechercher les boissons et les mets raffinés, à aimer l’inertie indolente. Cette convoitise de la chair, nous devons la haïr. Certes, nous ne pouvons éviter de la ressentir en nous-mêmes, mais nous devons la haïr et l’affaiblir autant que nous le pouvons, afin que se réalise à notre sujet ce que dit l’Apôtre : Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel. Ne faites pas de vos membres des armes d’injustice au service du péché (Rm 6,12‑13). 15. Si parfois nous ressentons la convoitise d’une nourriture meilleure que celle que nous avons, soyons sur nos gardes, ne murmurons pas, veillons sur notre langue, ne parlons pas de cela ; ainsi, cette convoitise ne sera pas pour nous source de danger mais matière à récompense car alors, nous marchons selon l’Esprit et non selon la chair (Rm 8,4). Pareillement, lorsque nous ressentons du désagrément venant de notre chair, veillons sur nos membres. Car, comme le dit saint Augustin : « Retiens tes mains, retiens tes pieds, retiens ce qui est au plus haut, retiens ce qui est au plus bas, que fait la passion déréglée ? À coup sûr, elle s’épuisea. » Si un feu ardent est recouvert, si personne ne l’alimente, il brûle et s’épuise. De même le feu de la convoitise : si on l’empêche de bouillonner au dehors et que les membres sont retenus pour éviter que la sensualité ne l’accroisse, sans aucun doute il s’épuiseb. 16. Ainsi donc, la chair a beau frémir, elle a beau s’enflammer, elle a beau bouillonner, il n’y a absolument pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus (Rm 8,1), qui ne marchent pas selon la chair mais selon l’Esprit (Rm 8,4), à savoir ceux qui veillent sur leurs membres pour les empêcher de faire ce que la chair suggère, mais qui mortifient par l’Esprit les œuvres de la chair (cf. Rm 8,13). Par contre, aussitôt que quelqu’un consent à la convoitise qu’il ressent en lui-même – la gourmandise ou une autre passion –, et qu’il se met à murmurer et à critiquer parce qu’il n’a pas telles nourritures qu’il convoite, il est encore dans a b
Augustin, Sermon 128,10,12. Cf. Augustin, Sermon 128,11,13.
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son pays, c’est-à-dire dans sa chair. Et ceux qui sont dans la chair, comme dit l’Apôtre, ne peuvent plaire à Dieu (Rm 8,8).
Les serpents brûlants et le serpent d’airain
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17. C’est pourquoi, frères, gardons-nous de désirer les nourritures d’Égypte que nous avons abandonnées, et de murmurer contre le Seigneur qui nous enverrait des serpents brûlants (cf. Nb 21,5‑6). Les serpents brûlants, ce sont les aiguillons enflammés de la chair : oui, par eux il a coutume de châtier ceux qui suivent les convoitises de la chair et sont, comme dit l’Apôtre, plus amis de la volupté que de Dieu (2 Tm 3,4). Ils ne peuvent en aucune manière être sauvés, à moins que ne soit élevé pour eux un serpent d’airain qu’ils puissent voir et suivrea. 18. C’était un serpent d’airain, non un véritable serpent mais une ressemblance de serpentb, de même que la chair qui a été élevée (cf. Jn 3,14) pour nous ne fut pas une chair de péché – qui devint telle par l’entremise du serpent – mais une véritable chair sans péché, et cependant une chair semblable à celle du péché (cf. Rm 8,3). Quiconque veut être délivré des serpents brûlants, qu’il regarde donc le Crucifié, qu’il crie vers le Crucifié, qu’il aime le Crucifié, qu’il imite le Crucifié, afin de pouvoir dire avec Paul : Je suis crucifié avec le Christ (Ga 2,19). Qu’il prenne sa croix et qu’il le suive (cf. Lc 9,23) : que par la crainte de Dieu – qui doit être croix du Christ – il refrène sans cesse toutes les convoitises de la chair.
Convoitise des yeux 19. Vient ensuite la convoitise des yeux (1 Jn 2,16). À elle se rapportent toutes les formes de curiosité : écouter volontiers les bruits qui courent, prendre plaisir à relever la manière de vivre d’autrui, ses comportements, ses paroles ; porter un jugement sur tous et a b
Ce serpent préfigure le Crucifié (voir paragraphe suivant). Cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,18.
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Sermon 115
dénigrer tout le monde ; prendre toujours en mauvaise part ce qu’on voit faire ou ce qu’on entend dire par un frère ; convoiter des parures qui ne conviennent pas, rechercher les vêtements les plus beaux et les plus élégants, aimer avoir des choses en propre ; prendre en dégoût ce qui est commun à tous, être toujours porté à se singulariser ; tourner volontiers les yeux vers des choses qu’il est vain de regarder, tendre l’oreille à tout propos, et autres choses du même genre. Certaines de ces choses ont de l’importance, d’autres semblent bénignes. Mais il nous faut sortir de tout cela et, comme nous l’avons dit plus haut, ne pas suivre ce qui paraît beau pour les yeux, agréable à entendre pour les oreilles, plaisant à dénigrer pour la langue ; suivons bien plutôt l’Esprit, afin que ces (convoitises) ne règnent plus en nous (cf. Rm 6,12) mais qu’elles soient affaiblies.
Orgueil de la vie 20. Vient ensuite l’orgueil de la vie (1 Jn 2,16). Nous devons plus que tout sortir de là. À lui se rapportent les réactions indignées, le mépris des frères, l’infraction des coutumes de l’Ordre ; il incite à toujours s’enorgueillir, à convoiter les honneurs, à envier ceux qui ont des dignités et des charges, à toujours manifester un esprit amer au milieu des autres et à ne jamais satisfaire de bon cœur à l’obéissancea. 21. Toutes ces choses font partie de notre pays – la chair – dont nous devons sortir. À travers tout cela, nous pouvons vérifier si nous sommes bien sortis de notre terre, si nous avons suivi l’exemple du bienheureux Benoît. C’est de ces diverses manières qu’il est, lui, sorti de sa terre, comme nous l’avons montré plus haut. Nous avons à faire sans cesse effort pour que ces convoitises soient affaiblies en nous, car plus nous nous serons éloignés d’elles et en serons sortis, plus nous nous serons approchés de Dieu et de la terre à laquelle il nous invite. Mais nous devons également sortir de notre parenté (cf. Gn 12,1).
a
Cf. Règle de saint Benoît 5,16.
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Sermon 115
Sortir de sa parenté
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22. Notre parenté, ce sont les mauvaises habitudes, où nous nous sommes nourris et qui ont grandi avec nous. Les concupiscences dont il a été question, nous ne pouvons les éviter qu’en sortant des habitudes où nous étions jusque-là. C’est pourquoi nous avons à prendre de nouvelles habitudes, qui seront pour nous comme des moyens pour aller vers la terre que le Seigneur nous a promise. Ce sont les coutumes de notre Ordre, que nous avons à garder avec grand soin ; par elles, nous perdrons les mauvaises habitudes que nous avions auparavant, dont le Seigneur nous commande de sortir. 23. Par ‘parenté’ nous pouvons aussi comprendre les affections charnelles que nous avions dans le monde à l’égard de nos père et mère, nos parents et amis : il faut absolument que nous en sortions et, dans la mesure où elles nous entravent, que nous les chassions de notre mémoire, comme dit le Seigneur dans l’Évangile : Qui vient à moi sans haïr son père et sa mère ne peut être mon disciple (Lc 14,26). Il nous reste encore à sortir de la maison de notre père (cf. Gn 12,1).
Les deux maisons 24. Nous trouvons dans la sainte Écriture deux maisons et deux pères. L’un auquel nous disons : Notre Père (Mt 6,9). L’autre à propos duquel le Seigneur dit aux Juifs, dans l’Évangile : Vous venez du démon, qui est votre père (Jn 8,44). De même qu’il est le maître de tous ceux qui le servent, ainsi il est le père de tous ceux qui l’imitenta. Nul ne peut entrer dans la maison de Dieu s’il n’est sorti de celle du démon. Nous étions dans sa maison lorsque nous l’imitions. Quand nous sortons de sa maison, nous est recommandée toute perfection. Car tout ce qui se rapporte au démon, nous devons non seulement l’abandonner mais aussi en sortir, c’està-dire retirer notre esprit et notre mémoire de toutes les réalités charnelles, afin qu’aucune poussière ne reste dans les yeux de notre a
Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 24,5.
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cœur, qui nous empêcherait de voir la bienheureuse terre que le Seigneur a promis de nous montrera. 25. N’allons pas croire que le Seigneur a promis à Abraham des réalités uniquement terrestres. À propos d’Abraham et de ses héritiers, l’Apôtre dit : Ils attendaient la cité pourvue de fondations, celle dont Dieu est l’architecte et le bâtisseur (He 11,10). C’est cette terre que le Seigneur a montrée à tous ceux qui sont sortis de ces lieux dont nous avons parlé, qui sont aptes à passer dans le lieu de la tente admirable, jusqu’à la maison de Dieu, parmi les chants d’exultation et de louange, et les cris de joie des convives (Ps 41,5). C’est elle qu’il a montrée à Paul qui fut enlevé jusqu’au troisième ciel et qui entendit des paroles inexprimables qu’il n’est pas permis à l’homme de redire (2 Co 12,2‑4). C’est pourquoi, sorti de sa terre et de sa parenté (cf. Gn 12,1), il s’écrie : Nous, nous sommes citoyens des cieux (Ph 3,20).
Béatitude éternelle 26. Cette terre est celle dont ont été rejetés les Cananéens et les Perizzites (cf. Ex 33,2) spirituels, les anges apostats, c’est-à-dire les démonsb. En cette terre le Seigneur introduit les fils de l’Israël spirituel, ceux qui sont sous la conduite de Jésus, non pas le fils de Nûn (cf. Jos 1,1) mais le Fils de Dieu. Ceux qu’il introduit là combattent courageusement contre ces nations exécrables et les chassent de leur terre, c’est-à-dire de leur esprit. En cette terre, le bienheureux Benoît est aujourd’hui entré, car il a bien lutté. Telle est la récompense que le Seigneur montre à ses soldats pour que, lorsqu’ils sont en quelque tentation, peine ou combat contre les vices, ils regardent toujours vers cette récompensec et qu’en la contemplant, ils supportent tout avec patience. 27. De la béatitude qu’il y a en cette terre, nul n’est à même de parler. Là, les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume Cf. Gn 12,1 ; cf. Aelred, Sermons 46,3‑4 ; 74,55. Cf. Origène, Homélies sur l’Exode 6,8. c Cf. Aelred, Sermon 17,20. a
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de leur Père (Mt 13,43), car nos corps auront la clarté du soleil, une ineffable beauté, une invincible force, une vie éternelle, une santé sans faille, la rapidité de l’âme, aucun manque de vêtement ou de nourriture, car ils ne souffriront ni de la faim ni de la soif, et le soleil ne les accablera pas (Ap 7,16), ni le froid ni la chaleur. La chair ne résistera aucunement à l’esprit, ni par faiblesse ni par convoitise ; par conséquent ils n’auront aucune crainte de pécher. L’esprit sera toujours dans la joie, la tranquillité, la douceur de l’amour de Dieu, car Dieu sera dans leurs yeux, dans leurs cœurs : lui-même sera tout en tous puisqu’ils le verront tel qu’il esta. 28. Avons-nous dit la manière dont se présente la béatitude de cette terre ? Non, évidemment ! Car l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, ce n’est pas monté au cœur de l’homme (1 Co 2,9). Si nous ne pouvons imaginer cette béatitude, encore moins pouvons-nous l’exprimerb. Ce sera entièrement ce que nous avons dit, et cependant, en comparaison de ce qu’elle est, nous n’en avons rien dit. Pour posséder cette félicité, les martyrs ont supporté d’être brûlés par le feu, dévorés par des bêtes, mis à mort par d’incroyables supplices. En vue de cette gloire, notre Père Benoît a surmonté les tentations de la chair et les embûches du démon : il a enduré patiemment les jeûnes, les veilles (cf. 2 Co 6,5) et les travaux. Afin que nous puissions le rejoindre, qu’il daigne nous aider de ses saintes prières, pour que, de même que nous l’avons choisi comme guide et protecteur sur la terre, nous méritions de l’avoir comme intercesseur au ciel auprès de notre Seigneur Jésus-Christ. Lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
Cf. 1 Co 15,28 et 1 Jn 3,2. Cf. Aelred, Sermons 30,22 ; 41,8‑9 ; 181,3.
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SERMON 116 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
Ce sermon est une hymne à la miséricorde de Dieu. À n’en pas douter, Aelred y expose ce qu’il a vécu par expérience, en tant que moine et en tant qu’abbé : la manière dont Dieu attire les humains sur ses chemins à lui, la vérité et la sagesse.
Pères et mères 1. Notre Seigneur prescrit par l’intermédiaire de Moïse : Honore ton père et ta mère (Dt 5,16). Il est évidemment bon, frères, d’honorer les parents qui nous ont engendrés selon la chair, aussi longtemps que nous étions avec eux. Mais notre Seigneur nous enjoint de quitter ces parents afin de pouvoir le suivre. Vous avez souvent entendu parler de la manière dont le Seigneur appela quelqu’un et lui dit : Suis-moi. Et lui, parce qu’il se rappela du précepte : Honore ton père, répondit : Seigneur laisse-moi d’abord aller enterrer mon père (Mt 8,21). Vous savez ce que le Seigneur répondit : Laisse les morts enterrer leurs morts (Lc 9,59). Par conséquent, si nous comprenons ce précepte comme se rapportant aux parents selon la chair, il s’adresse à ceux qui sont dans le monde et vivent encore ces réalités temporelles. Car à ceux que le Seigneur a appelés hors du monde, il n’est pas permis de regarder vers leur père ou mère. Mais considérons plus soigneusement ce précepte et la vertu qu’il recèle.
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Sermon 116
2. Honore ton père et ta mère, est-il dit, afin d’avoir longue vie sur la terre (Ex 20,12). Un grand nombre de ceux qui honorèrent père et mère sont morts jeunes, et beaucoup de ceux qui méprisèrent père et mère vécurent longtemps. Il nous faut donc comprendre de manière spirituelle ces notions de père et mère, de longévité et de terre. Certes, nous avons à nous séparer pour Dieu de nos père et mère selon la chair, et nous ne devons pas convoiter cette terre sur laquelle nous sommes dans la misère et l’esclavage. Et vivre longtemps ici-bas doit plutôt nous être un fardeau qu’un plaisir. Mais nous avons un père et une mère spirituels, qu’il nous faut honorer si nous voulons vivre longtemps sur la terre. Paul ne fut-il pas le père de ceux à qui il disait : Dans le Christ Jésus, c’est moi qui vous ai engendrés par l’Évangile (1 Co 4,15) ? Et nous, qui nous a engendrés dans le Christ Jésus, si ce n’est saint Benoît dont nous célébrons aujourd’hui la fêtea ?
Notre Père saint Benoît
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3. Il nous a sans aucun doute engendrés : par sa doctrine nous sommes nés dans le Christ, et nous sommes devenus comme des enfants afin de pouvoir entrer dans le Royaume des Cieux (cf. Mt 18,3). C’est donc lui que nous devons honorer. De quelle manière ? Bien davantage par des faits que par des paroles. L’évangéliste Jean dit : Rien n’est pour moi une plus grande faveur que d’apprendre que mes enfants marchent dans la vérité (3 Jn 4 vg). Et le Sage dit : La gloire du père, c’est un fils sage (Pr 10,1). Ne voyez-vous pas à présent comment vous devez louer votre Père et l’honorer ? Si nous marchons dans la vérité et la sagesse, toute notre vie est à la gloire de notre Pèreb. Quelle sera la gloire de saint Benoît au jour du jugement, lorsqu’il conduira devant Dieu toute la multitude des frères qui, par sa compagnie et son enseignement, ont été libérés de la compagnie du démon et adjoints à celle de Dieu ? Quiconque vit de telle façon qu’au jour du jugement il puisse faire partie de la a b
Cf. Aelred, Sermons 6,1 ; 7,1. Cf. Aelred, Sermons 27,22 ; 44,20 ; 115,3.
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Sermon 116
famille grâce à laquelle saint Benoît sera honoré devant Dieu, les anges et les humains, celui-là honore son Père Benoît. C’est ce que fait tout homme qui marche dans la vérité et la sagesse. 4. La vérité concerne l’aveu des péchés ; la sagesse, la pratique des œuvres bonnes. C’est pourquoi le prophète présente ces deux préceptes : Renonce au mal et fais le bien (Ps 36,27). Si l’on voit quelqu’un accomplir des œuvres bonnes, elles lui servent de peu s’il ne se détourne des mauvaises. De là vient que le Seigneur, dans son admirable miséricorde, nous retire d’abord de nos méfaits et nous remplit ensuite de ses biens. Et il accomplit cela selon trois modes d’action : une secrète inspiration, l’exemple et l’enseignement d’autrui, ou quelque chose d’incontournablea.
Les trois modes d’action du Seigneur 5. Le Seigneur agit par une secrète inspirationb lorsqu’il fait pénétrer dans le cœur de quelqu’un sa crainte et la haine du péché, et l’amène ainsi à l’aveu. C’est de cette manière qu’il opéra en Marie Madeleine : considérant les blessures de son âme, elle se mit à éprouver de la haine pour ses péchés, elle vint ainsi vers le Médecin, et elle pleura sans arrêt, jusqu’à ce que, dans son ineffable bonté, le Seigneur lui ait remis tous ses péchés (cf. Lc 7,37‑48). À propos de ce qu’il opéra en elle, le Seigneur dit dans l’Évangile : Personne ne peut venir à moi, à moins que mon Père ne l’ait attiré (Jn 6,44). 6. Le Seigneur agit par les exemples d’autrui, lorsque quelqu’un considère de quelle manière un autre, après de nombreux péchés, a trouvé miséricorde devant Dieu. De là, il en retire espérance et confiance et il en arrive ainsi à l’aveu de ses péchés. Qu’ils sont nombreux les pécheurs qui se sont tournés vers le repentir grâce à l’exemple de cette Marie ! Beaucoup à l’exemple de David, beaucoup à l’exemple de Pierre, ont même été délivrés du désespoir. Pareillement, nombreux sont ceux qui, grâce à l’enseignement et aux admonestations d’autrui, ont renoncé à leurs méfaits. Nous a b
Necessitas ; cf. Cassien, Conférences 3,4. Cf. Aelred, Sermon 85,9.
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faisons de même grâce à l’enseignement et aux admonestations de notre Père saint Benoît. 7. Quant au troisième mode d’action du Seigneur, il s’agit d’une réalité incontournable et contraignante que le Seigneur met en place à l’encontre de beaucoup. C’est ainsi qu’il est dit dans l’Évangile : Force-les à entrer (Lc 14,23). Le Seigneur permet que les hommes rencontrent quelque chose d’incontournable au milieu de leurs plaisirs, ou bien il leur envoie quelque infirmité corporelle ; par là, il les pousse d’une certaine façon à abandonner leurs méfaits et à se tourner vers le bien. À propos de cette manière de faire, le Seigneur dit par le prophète : Je vais obstruer ton chemin avec des ronces, je l’entourerai d’une barrière, et tu ne trouveras plus tes sentiers (Os 2,8).
Le chemin de l’obéissance 8. La nature humaine, de même que la nature angélique, a été créée pour jouir de Dieu, et pour que l’une comme l’autre participent à son éternité et à sa charité. Dès l’origine, il donna à l’être humain une part de sa béatitude, et il lui enseigna le chemin par lequel, s’il le gardait, il parviendrait à sa plénitude. Ce chemin, c’était l’obéissance, l’accomplissement de la divine volonté et non de la sienne propre. Oui, en cela consiste la véritable obéissance : suivre non pas sa propre volonté mais celle d’un autre, et cela à cause de Dieu. Si l’humanité ne s’était pas dévoyée en s’écartant de ce chemin, elle se serait élevée de cette part de béatitude – en laquelle elle avait été créée – jusqu’à sa perfection. Le démon montra à l’homme cette béatitude en sa perfection quand il dit : Vous serez comme des dieux (Gn 3,5). Telle est la véritable béatitude de l’être humain : par participation à Dieu, devenir en quelque sorte Dieu. Mais vers cette béatitude Dieu a indiqué une route précise, le démon une autre : Dieu l’obéissance, le démon la désobéissance. 9. L’homme s’est éloigné du chemin que Dieu lui a montré, et il s’est engagé sur le chemin montré par le démon. Sur ce chemin, les humains marchent encore, et par ce chemin ils aspirent à
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parvenir à ce qu’a promis le démon, à savoir la béatitude. Qu’est-ce que la béatitude sinon le contentement extrême ? C’est vers elle que tendent tous les humains. Oui, en vue de quoi cherchent-ils les plaisirs et les charmes de cette vie, et aussi les richesses et les honneurs, si ce n’est pour posséder tellement que leur esprit en vienne à dire en quelque sorte : ‘Cela suffita’ ? Mais ce chemin n’est pas droit. C’est le chemin qu’a montré le démon menteur (cf. Jn 8,44), et non pas le Dieu véridique. Pour que l’homme parvienne donc un jour à ce à quoi il aspire naturellement, il est nécessaire qu’il se détourne de ce chemin. Ce chemin est celui par lequel le plus jeune fils s’éloigna de son père et dissipa dès lors tous ses biens avec des femmes de mauvaise vie (cf. Lc 15,13…30). Mais puisque ce chemin-là est rempli de charmes et de plaisirs temporels, il est bien difficile pour les humains de s’en détourner.
Divine pédagogie 10. Voyant que l’âme, destinée par lui à la vie, s’avance avec délices sur ce chemin et cherche de toute manière à éviter le chemin raboteux qui conduit à la vie (Mt 7,14), Dieu, admirablement miséricordieux, lui adresse des reproches et lui dit : Voilà que je vais obstruer ton chemin avec des ronces (Os 2,8). Il dit bien : Ton chemin. Car ce n’est pas le chemin de Dieu mais celui de l’homme, un chemin qui consiste dans les charmes de cette vie. L’homme ne tient pas ce chemin de Dieu mais de lui-même. C’est pourquoi Dieu lui dit : Voilà que je vais obstruer ton chemin avec des ronces (Os 2,8). Le dévoyé se réjouit, il court sur ce chemin, il bondit et, s’il ne tient qu’à lui, il ne revient pas en arrière avant de parvenir au terme de ce chemin. Ce terme, c’est la damnation éternelle. Mais le Seigneur miséricordieux place sur ce chemin des ronces qui écorchent les pieds de l’homme. De ces ronces il fait une sorte de haie sur ce chemin : l’homme veut la traverser, il est écorché, et il tombe en arrièreb. a b
Cf. Aelred, Miroir de la charité, I, 62‑63 ; Sermon 90,1. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 36,9.
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11. Prenons un exemple, celui du plus jeune fils dont nous venons de parlera ; pensons à la façon dont il exultait, dont il bondissait, dont il courait sur le chemin – non celui de son père, mais le sien –, quand il vivait avec les femmes de mauvaise vie dans la débauche, l’ivrognerie et les plaisirs (cf. Lc 15,13…30). Le Seigneur fit devant lui une haie de ronces : une famine survint en ce pays, et il commença à se trouver dans la misère (Lc 15,14). Il voulut passer à travers la haie de ronces quand il alla nourrir les cochons et souhaitait se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons (Lc 15,15‑16), mais il n’y réussit pas. Voyez de quelle manière le Seigneur accomplit ce qu’il a promis par le prophète : Voilà que je vais obstruer ton chemin avec des ronces (Os 2,8). Il fait cela à l’égard de ceux qui s’adonnent tant qu’ils peuvent aux plaisirs de cette vie. Il leur fait éprouver certaines amertumes, afin qu’ils ne puissent pas assouvir leurs envies. Et je l’entourerai d’une barrière, dit-il. Il place des ronces à l’encontre de l’appétit de plaisir, et une barrière à l’encontre de l’appétit des honneurs. La barrière est faite avec des pierres : elle désigne les difficultés que rencontrent souvent ceux qui sont tendus vers les honneurs de cette vie.
Les sentiers et les amants 179
12. Et il ne retrouvera plus ses sentiers (Os 2,8). Dieu, plein de miséricorde, fait en sorte que ceux qui sont esclaves des plaisirs et convoitent les honneurs ne puissent plus retrouver leurs sentiersb. Un sentier, c’est un chemin étroit mais assez court. Qu’y a-t-il de plus étroit que le fait de devenir esclave d’un autre homme, de vivre jour et nuit dans la crainte, les fatigues et de grands soucis ? C’est pourtant ce sentier-là que beaucoup recherchent. Ils veulent servir les rois et autres riches personnages, en de grandes souffrances et fatigues, afin de pouvoir parvenir par ce sentier à leur chemin à eux : les plaisirs et les richesses du monde. Ainsi l’âme Au paragraphe 9. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 36,9 ; Morales sur Job 34,2,3 ; cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 21,9. a
b
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Sermon 116
– que Dieu s’est réservée par avance – cherche la plupart du temps ces sentiers-là, mais Dieu ne permet pas qu’elle les trouve. Car bien souvent, ces gens trouvent colères, haines et persécutions là où ils espéraient des honneurs. 13. Elle poursuivra ses amants et ne les atteindra pas (Os 2,9). Amants de l’âme sont les bons anges ou les mauvais anges. Si l’âme vit dans la chasteté, la bonté et l’humilité, les bons anges l’aiment et sont près d’elles. Mais si elle s’adonne à la sensualité, à l’orgueil et aux convoitises, les démons se réjouissent en elle et l’aident tant qu’ils peuvent à assouvir son appétit de plaisir. Mais puisque tout le pouvoir des mauvais anges est dans la main de Dieu (cf. Si 10,4), le Seigneur parfois ne permet pas qu’ils portent secours de cette manière, même si les méchants les appellent. Voilà ce que signifient ces mots : Elle poursuivra ses amants et ne les atteindra pasa.
Le retour 14. Alors elle dit : Je vais retourner (Os 2,9). Lorsque cette âme s’aperçoit qu’elle ne peut d’aucune manière assouvir son désir – ni par le chemin qu’elle a tenu, ni par le sentier qu’elle a pris, ni par ses amants qu’elle a appelés à l’aide –, alors elle est bien forcée de revenir à elle, de considérer où elle fut autrefois et ce qu’elle fut, comment elle fut fiancée à Dieu par le baptême – et là elle fut purifiée de tous ses péchés –, comment elle fut associée aux anges et concitoyenne des saints, quelle espérance elle avait du Royaume des Cieux, quelle assurance dans une bonne conscience, quel réconfort en la divine miséricorde. Elle considère qu’elle a perdu tout cela, et qu’elle a commis de nombreux méfaits, et qu’à cause d’eux elle ne peut éviter la fatigue et la souffrance et qu’elle est contrainte à passer vers des méfaits pires encoreb. Alors elle dit : Je vais retourner. C’est bien la voix du plus jeune fils dont nous venons de parler. Il dit : Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici je meurs de faim ! Je me lèverai et j’irai chez a b
Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 36,9. Cf. Jérôme, Sur Osée 1,2,6‑7.
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mon père (Lc 15,17‑18) ! De même celle-ci : Je vais retourner chez mon premier mari, car j’étais plus heureuse alors que maintenant (Os 2,7). Le premier mari, c’est le Christ ; le second, c’est le démon. Avec le premier, elle connut des fatigues en la vie présente mais elle attendait le repos dans les cieux. Avec le second, elle éprouvait fatigues et souffrances, et elle s’attendait à une damnation éternelle. Elle était donc plus heureuse alors que maintenant.
Marcher dans la vérité et la sagesse 15. Par ces trois modes d’actiona, notre Seigneur nous conduit vers la vérité, c’est-à-dire vers l’aveu de nos péchés. Mais c’est trop peu d’être conduits vers la vérité, encore faut-il que nous marchions dans la vérité (cf. 3 Jn 4 vg). Comme nous l’avons ditb, nous honorons notre Père dans la mesure où nous marchons dans la vérité. Marcher dans la vérité, c’est progresser dans l’aveu. Progresser dans l’aveu, c’est progresser dans la connaissance de soi et l’humilité au point de parvenir à ce degré d’aveu où chacun se croit et s’avoue être plus vil que les autresc. C’est ce que nous enseigne et nous conseille saint Benoît. Et si nous suivons cela, nous l’honorons assurément et lui-même sera honoré par nous au jour du jugement. 16. Nous avons encore à marcher dans la sagesse, c’est-à-dire à y progresser. Toute notre sagesse tient uniquement dans la charité. D’elle en effet dépend tout ce qu’il y a dans la Loi et les Prophètes (Mt 22,40). Cette sagesse, notre Seigneur nous l’a particulièrement enseignée quand il a dit : Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres (Jn 15,17). Pour faire bref, je dis donc ceci : celui qui, eu égard à ses péchés, persiste dans l’aveu et demeure en paix et charité avec ses frères, celui-là marche dans la vérité et la sagesse ; il honore son Père Benoît parce qu’il garde son
Voir paragraphe 4. Au paragraphe 3. c Cf. Règle de saint Benoît 7,51. a
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enseignement et qu’il vit de manière à être en sa compagnie au jour du jugement.
Notre mère, la communauté 17. Nous avons également à honorer notre mère (cf. Ex 20,12). Notre mère est cette communauté. Elle est une bonne mère : en elle nous sommes nés, en elle nous sommes nourris, par la peine qu’elle se donne nous faisons des progrès. Telle une mère attentionnée, elle porte les faibles, elle donne du lait aux petits, elle instruit les ignorants, elle reprend les inquietsa. Elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie, elle pleure avec ceux qui pleurent (cf. Rm 12,15), elle instruit et fait avancer chacun à son propre rythme. Mais comment honorons-nous cette mère ? En suivant les bonnes habitudes de cette communauté, en la préservant de toute cause de chuteb, en cherchant sans cesse à ce qu’elle s’améliore, nous honorons assurément notre mère. Voilà pourquoi, au dehors et au-dedans, nous devons veiller sur nous-mêmes afin d’éviter que ne surgisse par nous une cause de chute pour cette communauté. 18. Car celui qui fait affront à sa mère devra être mis à mort (cf. Ex 21,17). Voyez ce que le Seigneur déclare : Celui qui entraîne la chute d’un seul de ces petits, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes et qu’on l’engloutisse en pleine mer (Mt 18,6). Si c’est un grand péché et s’il déplaît tellement à Dieu, et si mérite un tel châtiment celui qui entraîne la chute d’un seul tout petit du Christ, combien grave est le péché d’entraîner la chute de toute une communauté, où se trouvent de nombreux serviteurs du Christ ! Qu’ils soient dans la crainte ceux qui, à la face de toute une communauté, n’hésitent pas à semer le désordrec, à se comporter d’une façon ridicule, à répondre insolemment, à nourrir des querelles.
Cf. 1 Co 3,1‑2 ; 1 Th 5,14. Scandalum. c Cf. Aelred, Sermon 47,23 ; cf. Règle de saint Benoît 3,6 ; 6,8. a
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Longue vie sur la terre des vivants
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19. Honorons donc père et mère, et voyons quelle récompense nous avons à espérer de cela. Honore ton père et ta mère, est-il dit, afin d’avoir longue vie sur la terre (Ex 20,12). Qui peut avoir longue vie sur cette terre, ou qu’y a-t-il de grandiose à avoir longue vie sur terre ? Le saint roi Josias, qui plut tellement à Dieu, ne reçut pas du Seigneur la faveur d’une longue vie sur cette terre ; bien plutôt le Seigneur lui promit comme un grand bienfait de mourir vite pour ne pas voir les maux qui abondaient sur cette terre (cf. 2 Ch 34,28). Jean-Baptiste n’a-t-il pas accompli ce précepte : Honore ton père et ta mère ? Et pourtant il ne vécut pas longtemps sur cette terre. Mais il y a la terre dont parle David : Ma part sur la terre des vivants (Ps 141,6). Et encore : Je plairai au Seigneur dans la région des vivants (Ps 114,9 vg). Sur cette terre, dans cette région, c’est une grande chose que d’avoir longue vie. C’est la terre au sujet de laquelle le Seigneur dit : Heureux les doux car ils posséderont la terre (Mt 5,4). Cette longue vie, c’est l’éternitéa. 20. Si donc nous honorons notre Père Benoît, gardant ses préceptes et ses institutions, et si nous honorons notre mère de manière à ne pas être une cause de chute pour la communauté, nous aurons longue vie dans la patrie céleste, dans la félicité bienheureuse, dans l’allégresse éternelle. Là, seront joie sans chagrin, santé sans infirmité, force sans défaillance, sécurité sans crainte. Là, seront paix sans trouble, charité sans jalousie, honneur sans malheur. Là sera un si grand bonheur qu’on ne peut l’exprimer ou l’imaginerb. Ce que l’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme (1 Co 2,9). Par les mérites de notre Père saint Benoît, daigne notre Seigneur Jésus Christ nous y conduire, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
Cf. Aelred, Sermons 9,26 ; 58,7 ; 60,19 etc. Cf. Aelred, Sermons 30,22 ; 41,8‑9 ; 86,21 ; 100,13 ; 115,28 ; 181,3 etc.
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SERMON 117 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
Nouveau Moïse, saint Benoît fait construire à ses disciples la Tente de la rencontre, et institue pour eux des villes de refuge. Autre rédaction du sermon 8, très peu différent de celui-ci. Seul le court paragraphe 16, le dernier du sermon, est original.
Benoît, nouveau Moïse 1. Votre Charité a souvent entendu dire, frères très chers, que le bienheureux Moïse, après avoir fait sortir d’Égypte les enfants d’Israël, construisit une Tente dans le désert, grâce aux offrandes des fils d’Israël. Les uns offraient de l’or, les autres de l’argent ou des pierres précieuses, d’autres encore des choses (cf. Ex 35,20‑29) qu’il n’est pas nécessaire de rappeler maintenant. Mais il faut surtout remarquer, comme le dit l’Apôtre, combien ce que leur arrivait avait une portée symbolique (1 Co 10,11). 2. Nous étions dans une sorte d’Égypte spirituelle quand nous vivions selon le monde. Or, Égypte veut dire ‘ténèbresa’. Les fautes, les péchés et l’obstination intérieure qui les accompagne sont d’épaisses ténèbres (cf. Ex 10,21), en lesquelles nous nous trouvions jadis. Nous-mêmes y avons pris part et sommes devenus ténèbres, a
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 73.
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comme l’atteste l’Apôtre : Jadis vous étiez ténèbres. Or, afin que nous soyons lumière dans le Seigneur (Ep 5,8), celui-ci nous a donné un législateur, saint Benoît dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Grâce à son savoir et à son ingéniosité, nous traversons le désert de ce monde pour arriver dans la terre, non pas celle que désiraient les fils d’Israël selon la chair, mais celle que le prophète espérait en esprit quand il disait : Je crois que je verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants (Ps 26,13).
La Tente de la rencontre
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3. Rempli de l’esprit de Moïse et « plein de l’esprit de tous les justesa », il construitb cette Tente spirituelle au moyen des offrandes des enfants d’Israël. Dans la Règle, en effet, brille l’or du bienheureux Augustin, l’argent de Jérôme, la pourpre deux fois teinte de Grégoire, mais aussi les sentences des saints Pères, telles des pierres précieuses ; ensemble, ils ornent cet édifice du ciel (cf. Ex 35,5‑9). Vous-mêmes, frères, vous êtes la Tente de Dieu, vous êtes le Temple du Seigneur, comme dit l’Apôtre : Vous êtes le temple de Dieu, et l’Esprit Saint habite en vous (1 Co 3,16). Temple parce qu’il régnera en vous pour toujours. Tente parce qu’il chemine encore en vous, qu’il a faim en vous, qu’il a soif en vous (cf. Mt 25,35‑40). Cette Tente est encore portée par le ministère des lévites (cf. Dt 10,8). Mais les uns la portent sur leurs propres épaules, les autres avec l’aide de bœufs et de chariots.
Différentes façons de porter la Tente 4. Ils portent la Tente, ceux qui accomplissent avec soin le précepte de notre Moïse. Ils supportent patiemment les infirmiGrégoire le Grand, Dialogues 2,8,8. Au Sermon 8, le verbe est au passé. Ici notre auteur dit en somme que la Règle est toujours en train de construire la Tente de la rencontre, grâce à sa valeur permanente. a
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tés corporelles et spirituelles, « ils s’obéissent à l’envi les uns aux autresa. » C’est ainsi qu’ils portent sur leurs épaules : ne comptant sur l’aide d’aucun avantage terrestre, ils prennent au sérieux ce qui suit dans le même paragraphe : « Qu’ils ne préfèrent absolument rien au Christb. » 5. Ils portent (la Tente), mais non sur leurs propres épaules, ceux qui gardent les observances de la Règle tout en espérant obtenir par là quelque chose d’éphémère : des dignités, des charges honorifiques ou autres choses du même genre. Leur espoir est comme des chariots qui les aideraient : qu’il vienne à être frustré, et ils déposent la Tente et s’en vont. Le chariot, en effet, représente les honneurs temporelsc. 6. D’autres portent (la Tente) avec l’aide des bœufs, c’est-à-dire des supérieurs. Car ils veulent être sans cesse adulés par leurs supérieurs et recevoir des marques de faveur tangibles. Dès lors, s’il leur arrive d’entendre de leur part une parole dure, ils sont comme privés d’aide et, ou bien ils abandonnent complètement la Tente, ou bien ils la portent en murmurant. C’est d’eux que l’Apôtre dit : Viendra un temps où ils ne supporteront plus la saine doctrine mais, au gré de leurs désirs et l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres en grand nombre (2 Tm 4,3). L’oreille les démangeant, estil dit. Tout comme les adultères recherchent la démangeaison du désir passionnel, ces gens cherchent celle de l’adulationd.
Comment construire la Tente 7. Voilà, frères, de quelle manière souffre la Tente, portée à travers le désert de ce monde, jusqu’à son entrée dans la terre de la promesse. Alors, la Tente deviendra Temple et sera consacrée par le véritable Salomon durant sept jours et encore sept jours (cf. 1 R 8,65), c’est-à-dire par un double repos, une double perfection, lorsque Règle de saint Benoît 72,5‑6. Règle de saint Benoît 72,11. c Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 19,8. d Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 97,4. a
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deux robes seront données à chacun, l’immortalité pour le corps et l’âmea. Mais pour le moment, frères très chers, si nous sommes fils spirituels d’Israël, si nous sommes spirituellement sortis de la terre d’Égypte, faisons chacun des offrandes pour la construction de cette Tente, que chacun donne de ce qu’il a en abondance. 8. Car chacun a reçu de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là (1 Co 7,7). L’un peut offrir davantage de travail, l’autre davantage de veilles, l’un peut offrir plus de jeûnes, l’autre plus de prière, ou plus de lecture, ou plus de méditation. Puisse donc être érigée une seule Tente à partir de toutes les offrandes (cf. Gn 35,29) afin que, selon le précepte de notre législateur, « personne ne dise ou ne présume que quelque chose lui appartient, mais que tout soit commun à tousb. » Ce qu’il ne faut pas comprendre seulement à propos des coules et des tuniques, mais bien plus encore à propos des vertus et des dons spirituels.
Mise en commun des dons spirituels 9. Que personne donc ne se glorifie d’une grâce accordée par Dieu comme si elle lui était particulière, que personne ne jalouse son frère à cause d’une grâce comme si elle était son bien propre. Mais que chacun regarde ce qui est à lui comme étant à tous ses frères, et qu’il n’hésite pas à considérer comme sien ce qui est à son frère. Certes, le Dieu tout-puissant peut élever à la perfection, en un instant, qui il veut, et accorder toutes les vertus à chacun. Mais, selon un miséricordieux dessein, il agit envers nous de telle sorte que chacun ait besoin des autres : ce que l’on n’a pas en soi-même on le trouve chez autrui, afin que l’humilité soit préservée, que la charité augmente et que l’unité soit manifestée. Chaque élément est à tous, et tout est à chacun. Ainsi, on recueille avec profit le fruit des vertus, du moment que l’on garde l’humilité en considérant sa propre faiblessec. a Cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job, préface 10,20 ; cf. Bède le Vénérable, Sur l’Apocalypse 1, 7. b Règle de saint Benoît 33,6 ; cf. Ac 4,32 ; cf. Aelred, Sermon 124,29‑30. c Cf. Aelred, Sermon 26,45 ; Miroir de la charité, II,43 et III,27 ; Amitié spirituelle, III,78‑79 ; Dialogue sur l’âme, III,47.
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10. Que les convers ne se plaignent donc pas de psalmodier et de veiller moins que les moines. Que les moines ne se plaignent pas de travailler moins que les frères convers. Car, je l’affirme en toute vérité, ce que chacun fait est le bien de tous, et ce que tous font est le bien de chacun. De même que les membres d’un unique corps n’ont pas tous la même fonction, de même – comme le dit l’Apôtre : À plusieurs nous ne formons qu’un seul Corps dans le Christ et, chacun pour sa part, nous sommes membres les uns des autres (Rm 12,5) – que le faible dise : ‘je suis fort’. Car de même qu’un autre trouve en lui la patience dans la faiblesse, ainsi lui trouve dans un autre la vigueur de la forcea. 11. Veillons donc à ce que des mouches agonisantes ne viennent pas gâter la suavité de l’huile (cf. Qo 10,1). La suavité de l’huile, c’est la douceur de la dilection fraternelle que gâtent les mouches agonisantes que sont la convoitise, la jalousie, le soupçon. En effet, personne n’aime à la perfection s’il convoite quelque chose en ce mondeb. De la convoitise naît la jalousie : ce que l’on convoite pour soi, on le jalouse chez l’autre ; et notre esprit a toujours tendance à soupçonner le mal chez celui qu’il jalouse. Mais à présent, comparons ce que l’ancien Moïse a institué avec ce qu’a établi le nouveau.
Les villes de refuge 12. Moïse a institué six villes de refuge pour les enfants d’Israël, trois en dehors de la terre de la promesse et trois en elle, pour que celui qui avait commis un homicide sans le vouloir s’y réfugie et ait la vie sauve (cf. Nb 35,11‑15). Il y a un homicide physique et un homicide spirituel. Car le péché est la mort de l’âme. Et le pire des homicides est de se tuer soi-même par le vice ou de tuer autrui par le mauvais exemple. Aussi longtemps que les fils d’Israël étaient en Égypte, ils n’avaient pas de villes de refuge, non parce qu’ils ne tuaient pas mais parce qu’ils le faisaient plus par orgueil que par Cf. Aelred, Sermon 26,46‑47. Cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 18,43,68 ; cf. Bernard de Clairvaux, Homélies sur le Cantique des Cantiques 44,5. a
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ignorance. Nous aussi, quand nous nous trouvions dans l’Égypte spirituelle nous péchions, non seulement parce que nous étions faibles mais parce que nous étions org ueilleux et que cela nous plaisait de pécher. Voilà pourquoi il n’y avait pas pour nous de villes de refuge. Maintenant encore, bien que sortis d’Égypte, nous péchons. Car nous commettons tous bien des écarts (Jc 3,2). Mais il y a une différence entre pécher par faiblesse ou par ignorance ou par orgueil. Aussi longtemps que quelqu’un gît orgueilleusement en quelque péché, même s’il semble être sorti d’Égypte, une ville de refuge ne lui sera pourtant d’aucun secours. Comme le dit l’Apôtre : Si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus aucun sacrifice pour le péché (He 10,26).
Exercices corporels et spirituels
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13. Il me semble que ces six villes peuvent symboliser les six exercices fondamentauxa qui ont été institués pour nous. Trois de ces exercices sont corporels : les travaux, les veilles, les jeûnes. Ils s’adressent spécialement à ceux qui sont encore attirés par les passions de la chair, et qui sont encore comme en dehors de la terre de la promesse. Ils ne peuvent pas dire : Notre vie est dans le ciel (Ph 3,20). Trois autres exercices sont spirituels : la lecture, la prière, la méditation. Ils s’adressent spécialement à ceux qui, étant venus à bout des passions, sont remplis d’attrait pour les vertus, goûtant dans ces villes combien le Seigneur est doux (Ps 33,9), ce qui est le fruit de la terre de la promesse. 14. Vers ces villes nous allons chercher refuge à cause de ceux qui nous poursuivent pour homicide. Qui sont-ils ? Le démon ou la convoitise elle-même. Voilà pourquoi l’apôtre Jacques dit : Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre (Jc 1,14). Car plus on pèche, plus la convoitise du péché augmente. Écoute Paul redouter fortement cet ennemi : Je vois une autre loi, dit-il (Rm 7,23). Écoute-le se réfugier dans ces villes : Je traite durement mon corps (1 Co 9,27). Comment ? Par les travaux, par les veilles, a
Cf. Aelred, Miroir de la charité, III,81.
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par les jeûnes (2 Co 6,5). Écoute Pierre nous inciter à aller dans ces villes : Soyez sobres… (1 P 5,8).
Rester dans une ville jusqu’à la mort du grand prêtre 15. Il est dit dans la Loi que le coupable aille se réfugier dans l’une de ces villes (cf. Jos 20,3‑4) ; cela a dû être prescrit de telle manière que l’on puisse accomplir cela à la lettre, mais il faut bien constater que personne ne trouve dans tous ces exercices une grâce identique. Il doit donc chercher refuge en celui où il trouvera une grâce plus abondante. Réfléchissons maintenant à la prescription qui est faite de ne pas quitter ces villes avant la mort du grand prêtre (cf. Nb 35,28). Qui est notre grand prêtre sinon le Seigneur Jésus Christ (cf. He 4,14) ? Il faut donc se tenir aux travaux, aux jeûnes, aux veilles (cf. 2 Co 6,5) jusqu’à ce que soient mortifiés nos membres qui sont sur la terre (cf. Col 3,5), jusqu’à ce que nous portions en notre chair la mort de Jésus (cf. 2 Co 4,10) afin de pouvoir dire avec l’Apôtre : Je suis cloué à la croix avec le Christ (Ga 2,19). Et ceci : Je porte en ma chair les marques de souffrance du Seigneur Jésus (Ga 6,17). Mais puisqu’il est écrit : Chantez au Seigneur sur la cithare, sur la cithare (Ps 97,5), c’est-à-dire sur une double cithare, c’est qu’il y a une mortification la chair et une mortification de l’esprit. Il faut donc se tenir aux exercices spirituels afin que, comme la chair meurt aux passions mauvaises, ainsi l’esprit meure aux pensées perverses. 16. Alors, chaque fois que le Bien-Aimé sera venu frapper à la porte en disant : Ouvre-moia, qu’il n’hésite pas à sortir. C’est ce que nous voyons chez les bons prélats, les évêques et les abbés, qui, après les jouissances spirituelles, sont contraints de penser aux choses matérielles et passagères. Mais puisque nous avons abondamment peiné à vous adresser la parole, cherchons refuge dans le port de la prière comme en une ville très sûre. Par les mérites de notre Père Benoît, prions Dieu de nous faire traverser les réalités temporelles de manière à ne pas laisser échapper les éternelles. Par le Christ notre Seigneur. Amen. a
Cf. Ap 3,20 et Ct 5,2.
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SERMON 118 POUR L’ANNONCIATION DU SEIGNEUR
À grands traits, dans un style simple et discursif, ce sermon reprend de façon rapide et synthétique la plupart des thèmes présents dans les autres sermons relatifs à cette fête, si chère à l’auteur.
État de nature 1. Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14). Deux considérations sont très nécessaires à quiconque désire progresser en Dieu : penser à ce qu’il fut et à ce qu’il est encore par lui-même et de par sa nature, et penser à ce qu’il espère être de par la miséricorde de Dieu. De là naissent le mépris de soi-même et l’amour de Dieu, l’humilité et la charité. 2. Qui en effet peut estimer que quelque chose de grand vienne de lui, s’il regarde bien ce qu’il est par lui-même, ce qu’il est de par sa nature ? Je ne parle pas de cette nature selon laquelle l’être humain est créé bon, mais de celle par laquelle, s’étant volontairement séparé de Dieu et étant devenu mauvais, il a naturellement engendré des êtres mauvais. Que sommes-nous de par cette nature si ce n’est des fils de colère, des fils de perdition, des fils de discorde,
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des fils de la géhennea ? C’est pourquoi l’Apôtre dit : Nous étions par nature des fils de colère comme les autres (Ep 2,3). À cette réalité inévitable nous avons ajouté de nombreux maux lorsque, comme dit l’Apôtre, nous étions morts à cause de nos fautes et de nos péchés, quand nous vivions suivant les convoitises de notre chair, cédant aux caprices de notre chair et de nos raisonnementsb. 3. Et qui peut, sans éprouver de douleur, se rappeler ce que nous sommes encore de par cette nature et du fait de nos habitudes ? Car c’est de là que viennent les faiblesses du corps, ses dérèglements et ses passions, au point qu’on ne dit pas seulement qu’il est destiné à mourir mais aussi qu’il est déjà mort, selon ce mot de l’Apôtre : Le corps est certes mort en raison du péché (Rm 8,10). Et le corps qui est corrompu appesantit l’âme (Sg 9,15). C’est pourquoi nous avons un incessant besoin de crier vers le Seigneur : Qui me délivrera de ce corps de mort (Rm 7,24) ? C’est de cette nature que proviennent tous les troubles de l’âme. « À partir là – dit quelqu’un –, ils se réjouissent, ils désirent, ils craignent et ils s’affligentc. »
Espérance et miséricorde 4. Voyons à présent ce que nous sommes et espérons être de par la miséricorde de Dieu. Nous qui étions d’abord des fils de colère (cf. Ep 2,3), nous sommes devenus, grâce à elle, des fils de Dieu (cf. 1 Jn 3,1), d’après ce que dit l’évangéliste Jean : À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu (Jn 1,12). Nous qui étions dans le royaume du démon, il nous a transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé (Col 1,13). 5. Ce que nous sommes et ce que nous espérons être, l’Apôtre le montre en quelques mots : Dieu qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ ; avec lui il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux (Ep 2,4‑6). Dès maintenant Cf. Jn 17,12 ; Jr 15,10 ; Mt 23,15. Ep 2,1‑3, selon la version de la Vulgate transmise par le codex Amiatinus. c Virgile, Énéide 6,733 ; cf. Aelred, Dialogue sur l’âme, III,36. a
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nous revivons avec le Christ, et nous sommes ressuscités avec lui de cette première résurrection dont parle l’Apocalypse : Heureux ceux qui ont part à la première résurrection (Ap 20,6). À son propos le Seigneur dit : L’heure vient, et c’est maintenant, où les morts entendront… (Jn 5,25). C’est la résurrection de l’âme, qui s’opère chaque jour dans l’Église par le baptême et la pénitence. Quant à ce que dit l’Apôtre – Dieu nous a fait asseoir avec le Christ dans les cieux (Ep 2,6) –, cela ne se réalise pas encore dans le concret mais bien en espérance. Car nous l’espérons de la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi il dit ailleurs : C’est en espérance que nous avons été sauvés (Rm 8,24).
Humilité et amour
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6. Ces deux considérations nous sont très nécessaires. La première, pour que nous soyons toujours humbles et que, considérant notre bassesse, nous ne cédions pas à l’orgueil, mais que nous nous conformions à ce que dit l’Apôtre : Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut (Ph 2,12). Dès lors, par une très miséricordieuse disposition, le Seigneur a voulu que la faiblesse demeure – bien que la faute soit effacée par le baptême et les autres sacrements de l’Église. C’est pourquoi, même si, selon l’esprit, nous prenons plaisir à la loi de Dieu, nous voyons cependant une autre loi (cf. Rm 7,22‑23). Alors, si parfois nous voulons nous monter la tête avec orgueil, contraints par notre propre faiblesse nous revenons à nous-mêmes pour être ainsi rendus humbles. 7. Afin que la seconde considération soit également toujours en nos cœurs – grâce à laquelle l’amour de Dieu grandit et se développe en nous –, les choses que Dieu a faites pour nous sont rendues présentes dans l’Églisea. C’est ainsi que nous fêtons sa nativité, sa résurrection et d’autres réalités, pour que, stimulés par cette mise en présenceb et nous rappelant ses bienfaits, nous l’en aimions plus
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Cf. Aelred, Sermons 9,1‑2 ; 60,1‑2. Repraesentatio.
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ardemment. Or, la fête de ce jour est le commencement de toutes les autres, car c’est le début de notre salut qui est rappeléa.
Le commencement des fêtes 8. Aujourd’hui en effet, celui qui était promis depuis le commencement du monde, qui était annoncé par tous les prophètes et attendu par tous les justes, celui qui n’a jamais cessé d’être a commencé à exister ; et par le fait qu’il a connu un commencement parmi les humains, il a fait connaître le commencement de tout notre salut. Dès lors, pour que nous puissions nous réjouir davantage de sa venue vers la terre, voyons comment Isaïe a annoncé d’avance les modalités de cet avènement : Voici que la Vierge concevra (Is 7,14). Par ces mots, il fait clairement comprendre la double nature de notre Seigneur. Beaucoup avant lui ont prophétisé l’avènement du Seigneur, les uns en parole, les autres en figure ; mais personne n’a montré aussi clairement que lui dans ce passage les modalités de sa naissance : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14). 9. Il dit qu’il sera fils d’homme, en affirmant : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils (Is 7,14). Bien que soit admirable le fait qu’une vierge, sans relation avec un homme, ait enfanté (cf. Mt 1,18), bien que cela dépasse la nature humaine et que ce soit donc proprement divin, pourtant, puisqu’il s’agit d’une vierge, il ne fait aucun doute que son fils n’a pu être qu’un homme véritable. Mais une vierge qui enfante, c’est plus que ce qu’admet la nature humaineb. Et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14). Emmanuel se traduit par ‘Dieu avec nous’ (cf. Mt 1,23). Avec tout homme, quel qu’il soit, il est le fils de la Vierge, avec eux tous il est Dieu. Oui, ce fils de la Vierge est parfaitement Dieu. Isaïe dit donc : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14).
a b
Cf. Aelred, Sermons 38,2 ; 58,1 ; 59,1 ; 99,1 ; 155,1. Cf. Aelred, Sermon 57,10.
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Sermon 118
Faits historiques, gestes prophétiques
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10. Cette prophétie est énoncée à l’adresse de l’exécrable roi Achaz qui régnait à Jérusalem au temps où Raçôn, roi de Syrie, monta avec Pequah, fils de Remalyahu, roi d’Israël (Is 7,1), pour combattre Jérusalem. Cette histoire est racontée dans le livre des Rois (cf. 2 R 16,1‑9). Mais ces faits ne sont pas seulement historiques, ce sont également des gestes prophétiquesa ; c’est pourquoi le prophète fait allusion à ce récit dans sa prophétie. Je n’ai pas assez de talent pour faire un exposé sur cette histoire et montrer ce que signifie Raçôn, roi de Syrie et Pequah, fils de Remalyahu, à propos desquels il est dit à Achaz : Veille à te tenir en repos, ne crains pas, et que ton cœur ne tremble pas à cause de ces deux bouts de tisons fumants (Is 7,4). 11. Je pense que s’il n’y avait un sens symbolique de grande portée, le Seigneur n’aurait pas envoyé son saint prophète à un roi si impie et si infâme, n’ayant aucune foi en Dieu, et il ne lui aurait pas montré des mystères aussi grands que ceux contenus dans la suite de cette prophétie. Car n’ayant pas voulu croire le prophète quant au fait qu’il ne fallait pas craindre ces deux rois, il lui fut dit : Demande pour toi un signe au Seigneur ton Dieu, dans les profondeurs de l’enfer ou dans les hauteurs de là-haut (Is 7,11). Mais comme il refusait de le demander – non par humilité mais en raison de son incrédulité –, le prophète ajouta : C’est donc le Seigneur lui-même qui vous donnera un signe. Voici que la Vierge concevra (Is 7,14).
Sens littéral et sens symbolique 12. Ô grande profondeur ! Des signes aussi grands et inouïs devaient-ils être demandés et donnés à cause de l’asservissement de cette cité terrestre ? Pour croire que cette cité sanguinaire allait être délivrée, fallait-il demander un signe au Seigneur Dieu, dans les profondeurs de l’enfer ou dans les hauteurs de là-haut (Is 7,11) ? Les malheureux Juifs, qui ont un voile sur leur cœur (cf. 2 Co 3,15), peuvent bien croire cela ; et comme ils sont insanes et charnels, ils a
Cf. Aelred, Sermon 57,8‑9.
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n’entendent rien selon le sens spirituel mais ils interprètent tout matériellement, selon la lettre. En eux s’accomplit ce que le Seigneur a dit à ce prophète, avant que celui-ci ne rapporte ces prophéties : Rend aveugle le cœur de ce peuple (Is 6,10). Aussitôt après cela, il raconte la fameuse histoire prophétique, puis il ajoute cette prophétie très claire : Voici que la Vierge concevra (Is 7,14). 13. Voyons comment, selon l’ordre du Seigneur, Isaïe aveugla les Juifs. Tout en disant quelque chose qui aurait pu ouvrir leurs yeux pour reconnaître le Christ, il en ajouta d’autres qui auraient pu déjà être comprises selon la lettre, en un sens historique ; or, butant sur celles-ci comme des aveugles contre la pierre d’achoppement (cf. Rm 9,32‑33), et ayant toujours un penchant pour les réalités charnelles, ils pensèrent qu’était exprimé selon un sens historique ce qui était clairement dit à propos du Christ. C’est pourquoi le psalmiste dit : Que leur table soit un piège (Ps 68,23). Cette Écriture dont ils auraient pu s’alimenter spirituellement et être nourris en vue d’une foi sincère en Christ, ils l’ont comprise matériellement ; ils y ont par conséquent trouvé la cause de leur aveuglement (cf. Rm 11,7‑10).
Les signes 14. Mais laissant de côté leur œil aveuglé et retors, recourbé vers les réalités terrestres et sans valeur, élevons-nous vers les réalités spirituelles en écoutant ce que dit l’Apôtre : Goûtez les choses d’en haut, non celles de la terre (Col 3,2), et croyons que vraiment ces choses leur arrivaient en figure (1 Co 10,11). Pour ma part, je considère mes voies (cf. Jb 31,4), et je n’ose donc pas faire un exposé sur cette histoire : que signifie Raçôn et Pequah, pourquoi on parle de tisons fumants, que sont les boutsa que le Seigneur prescrit de ne pas craindre, que sont enfin la Syrie, Damas et le fils de Tabéelb ? Je pense pourtant que le Seigneur n’aurait jamais donné de tels
a b
Littéralement : queues. Cf. Is 7,1‑9 ; voir paragraphe 10.
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signes merveilleuxa à cause de ce fameux roi impie et de l’asservissement de cette cité pécheresse. 15. Mais cet asservissement de la Jérusalem terrestre désignait peut-être celui qui pesait sur la cité que le Seigneur fit depuis le commencement. Et cela seulement pour cette partie d’elle qui était tombée dans une vie malheureuse à cause du péché du premier hommeb. Par conséquent, en vue de signifier la délivrance de cette cité, ces signes sont annoncés d’avance et montrés dès ce moment. Bien que le Juif n’ait pas voulu croire à ces signes très appropriés, le monde entier, lui, y a dès ce moment ajouté foi. C’est peut-être pourquoi l’incrédulité d’Achaz désignait celle des Juifs qui, ne considérant que l’humanité du Seigneur, ne crurent pas qu’il pouvait racheter le genre humain tout entier. 16. En ce sens il est dit à Achaz : Demande pour toi un signe (Is 7,11). Ici sont clairement prophétisées la descente du Seigneur aux enfers, et sa montée au ciel. Prête attention à ce signe ; ajoutes-y foi. Reconnais en ce signe celui-là même qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10) celui qui libère le genre humain tout entier. Il descendit dans les profondeurs de l’enfer (Is 7,11), pour en retirer les siens. Il pénétra dans les hauteurs du ciel (cf. Ep 4,10) afin d’introduire les siens dans le cielc. David dit à ce propos : Montant dans les hauteurs (Ps 67,19). Mais puisque ce misérable ne voulut pas demander ce signe (cf. Is 7,12) et que les pauvres Juifs ne croient pas qu’un homme puisse avoir un tel pouvoir, le prophète ajouta : C’est donc le Seigneur lui-même qui vous donnera un signe (Is 7,14).
Conception virginale 194
17. Voici que la Vierge concevra (Is 7,14). Par ce signe, croyez qu’il délivrera de l’asservissement du démon sa ville sainte de JéVoir paragraphes 11 et 12. Allusion au thème de la Jérusalem céleste qui, avant le premier péché, comprenait aussi les humains, créés justement pour remplacer les anges déchus. c Cf. Jérôme, Sur Isaïe 3,13 ; cf. Aelred, Sermon 125,1‑2. a
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rusalem (cf. Ap 21,2), à savoir l’Église, car il ne sera pas comme les autres hommes (cf. Lc 18,11). De fait, bien qu’il soit né de la race d’Adam, il n’est pourtant pas né du péché d’Adam. Car voici que la Vierge concevra et elle enfantera un fils. C’est donc un homme véritable puisqu’il est vraiment fils d’homme ; mais c’est plus qu’un homme puisqu’il est le fils d’une Vierge. Voici, dit-il, que la Vierge concevra. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il ait vécu sans concupiscence, lui qui est né sans elle ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que l’enfer n’ait pu le retenir, lui que le péché n’a pu surprendre ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que ce corps – qui n’a pas brisé le sceau de la virginité – ait pénétré dans le ciela ? 18. C’est donc très consciemment et de manière intentionnelle que le prophète a dit : Voici que la Vierge concevra et enfantera (Is 7,14). Car Celui qu’elle a conçu sans jouissance charnelle, elle l’a assurément enfanté sans que sa virginité en ait été altéréeb. Mais qui donc a pu être ainsi conçu et naître de cette manière ? Écoute ton prophète, pauvre Juif : Et il sera appelé Emmanuel, dit-il, c’est-à-dire Dieu avec nousc. Comment donc pourraient-ils douter d’être libérés du démon ceux avec qui Dieu est ? 19. Cette conception et cet enfantement dignes d’admiration, que le prophète annonça comme devant arriver, l’évangéliste Luc en parle comme étant accomplid. C’est pourquoi il dit : L’ange Gabriel fut envoyé à une Vierge (Lc 1,26). C’est bien la Vierge dont Isaïe a dit : Voici que la Vierge concevra (Is 7,14). Elle habitait à Nazareth, qui se traduit par ‘fleure’ : c’est fort bien dit. Elle habitait à juste titre dans une fleur, celle qui gardait en son corps la très belle fleur de la virginité. Oui, elle habitait dans une fleur celle qui, exhalant le parfum des fleurs des vertus, disait à son fils – qui était aussi son époux –, dans le Cantique des cantiques : Que tu es beau mon bien-aimé, et ravissant ; notre petit lit est fleuri (Ct 1,16).
Cf. Aelred, Sermon 101,2. Cf. Aelred, Sermon 161,4 etc. c Is 7,14 et Mt 1,23. d Cf. Aelred, Sermon 57,3. e Jérôme, Livre sur les noms hébreux 62. a
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Le petit lit fleuri 195
20. Qu’est-ce que ce petit lit (cf. Ct 1,16) ? C’est évidemment celui où l’Époux céleste, le roi unique, Dieu Fils de Dieu a accueilli sa très belle épouse, la nature humaine. Lui qui est sorti du plus haut des cieux (cf. Ps 18,7) mais ne s’en est jamais éloigné. Lui qui procède du sein du Père sans pourtant qu’il y ait division entre eux. Il a uni à lui, par un lien d’admirable unité, cette épouse très bellea – à savoir la nature humaine non souillée ni corrompue –, afin que, les propriétés de l’une et l’autre nature étant sauves – sans que l’une amoindrisse l’autre ni que celle-ci ne se transforme en cellelà, sans qu’il y ait un quelconque mélange entre elles –, il y ait une seule et même Personne en deux natures, celle de Dieu qui assume et celle de l’homme qui est assumé. 21. Notre petit lit est fleuri (Ct 1,16). Fleuri en effet, (le petit lit) en lequel cette très belle fleur exhala la divine odeur depuis son céleste paradis, sur lequel le lis de la virginité commença à donner son fruit, quand la grâce de la fécondité a laissé intacte la rose de la pudeurb. Car la Vierge, dont parle le prophète, habitait à Nazareth comme le précise l’évangéliste (cf. Lc 1,26‑27). Mais il est également très pertinent qu’ait voulu être conçu et nourri à Nazareth Celui qui a dit : Je suis la fleur des champs et le lis des vallées (Ct 2,1).
Vie cachée 22. L’ange entra chez la Vierge et lui dit : Je te salue, Marie, comblée de grâcec. La bienheureuse Marie n’a pas été trouvée sur une place de marché ni dans un lieu public. Car la Vierge très sainte évitait la foule, de peur que la vue de quelque réalité toute mondaine ne blesse la grande pudeur de ses yeux. Elle était donc entrée dans sa chambre et, porte fermée, elle priait son Père dans le a Cf. Aelred, Sermon 85,7 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps. 18/1,7,12‑13. b Cf. Aelred, Sermon 74,2. c Lc 1,28 ; cf. antienne et répons de l’Annonciation.
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secret (cf. Mt 6,6). Là, il lui était doux de s’entretenir seule à seul avec Dieu, et de ruminer quelque passage scripturairea à la manière d’un animal très pur. 23. C’est pourquoi Isaïe, d’après le texte hébreu, ne parle pas simplement d’une ‘vierge’, mais d’une vierge qui serait cachée. Car là où nous disons ‘vierge’, le texte hébreu a le mot ‘alma’, par lequel est signifiée non seulement sa virginité mais également sa manière de vivre dans le secretb. Oui, elle était vierge et cachée, celle que le Seigneur cacha au secret de sa chambre (cf. Ps 26,5) et qu’il protégea à l’ombre de sa main (cf. Is 49,2), pour que le démon ne puisse s’approcher d’elle ou qu’un feu de convoitise mauvaise ne la brûle. 24. À son exemple, si nous voulons qu’un ange vienne vers nous, aimons à nous tenir cachés. Entrons dans notre chambre pour, porte fermée, prier notre Père qui voit dans le secret (cf. Mt 6,6). Notre chambre, c’est le lieu caché de notre conscience. C’est là que nous devons entrer, de peur que notre cœur ne soit tendu vers les réalités extérieures et n’oublie celles qui sont intérieures. Nous devons fermer notre portec – à savoir le porche par où les pensées vaines et stupides veulent entrer – de peur que n’entre dans notre demeure l’étranger qui vint vers le bienheureux David ; pour le sustenter, celui-ci vola la brebis de son prochain (cf. 2 S 12,4). Oui, si notre cœur est fermé au péché, il est ouvert à Dieu.
L’Église et chaque âme 25. Ce qui s’est réalisé corporellement en la bienheureuse Marie se produit spirituellement dans l’Église et en chaque âme sainte. L’Église est assurément vierge, elle qui garde la foi dans son intégrité. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge chaste à présenter au Christ (2 Co 11,2). Est vierge également toute âme sainte que le démon n’a pas corrompue par une mauvaise suggestion, à l’exemple d’Ève que le Cf. Aelred, Sermons 9,18 ; 59,9‑10. Cf. Jérôme, Sur Isaïe 3,16. c Cf. Aelred, Sermons 9,39 ; 60,30. a
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serpent séduisit par sa fourberie (2 Co 11,3). Elle conçoit le Christ dans son cœur par la foi et l’amour (cf. Ep 3,17). Elle enfante le Christ dans le cœur d’autrui par ses bonnes exhortations. Elle circoncit le Christ parce qu’elle croit et comprend qu’il est étranger à toute influence pernicieuse. Dans le temple, elle entoure le Christ des bras d’un saint amour, et dans son cœur elle le porte en présence du Père (cf. Lc 2,22‑28). 26. De même, dans la sainte Église, le Christ est conçu dans le cœur des fidèles par l’entendement. En elle, le Christ circoncis est offert à Dieu le Père parce que, déjà dépouillé de toute mortalité et placé à la droite du Père, il est immolé chaque jour sur le saint autel dans la sainte Églisea. Là, il nourrit les siens d’un aliment spirituel et il se nourrit de leur merveilleuse dilection. C’est pourquoi Isaïe dit : Beurre et miel il mangera afin de savoir rejeter le mal et choisir le bien (Is 7,15). Il mangera, c’est-à-dire qu’il fera manger les siens.
Tête et Corps 27. Cette façon de parler se trouve à de nombreux endroits dans la sainte Écriture. C’est ainsi que le Seigneur dit : Maintenant, j’ai connu (Gn 22,12), c’est-à-dire j’ai fait connaître. Et le Seigneur nous met à l’épreuve pour savoir (Is 7,15), c’est-à-dire pour nous faire savoirb. L’Écriture a également l’habitude de parler du Seigneur et de l’Église comme d’une seule réalité, en sorte que la première partie de la phrase se rapporte au Seigneur, et la dernière à l’Église. C’est ainsi qu’il est dit par le prophète : Il m’a mis, comme à un époux, une couronne sur la tête, et il a paré l’épouse de pierreries (Is 61,10). Ici, dans un unique verset, un seul parle et se désigne comme époux et épouse, parce que la Tête et le Corps, c’est l’unique Christc. D’après ce principe d’interprétation, après qu’Isaïe a dit à propos de notre Seigneur, notre Tête : Voici que la Cf. Aelred, Sermons 3,40 ; 33,37 ; 94,2 ; 121,13‑14 etc. Cf. Aelred, Sermon 57,25 ; cf. Augustin, Sermon 2,5. c Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 74,4 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job, préface 6,14. a
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Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14), il ajoute aussitôt au sujet du Corps de cette Tête : Beurre et miel il mangera (Is 7,14‑15).
Beurre et miel 28. Le beurre, c’est la crème que l’on recueille à partir du lait. Je pense à l’instant que, tandis que je parle, ce lait entre dans votre cœur. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Comme à de petits enfants dans le Christ, c’est du lait que je vous ai donné à boire, non de la nourriture solide (1 Co 3,1‑2). De ce lait, l’âme sainte recueille pour ellemême une sorte de crème spirituelle – la componction, la dévotion, l’effusion de larmes –, pour s’en nourrir avec délectation. Le bienheureux David désirait cette crème : Comme de graisse et de crème (se gorgera mon âme) (Ps 62,6). 29. Le miel, caché dans l’alvéole, symbolise la divinité du Christ, cachée dans la chair, dont se nourrit la mémoire des parfaits dans l’Église pour en être revigorés. Le Christ notre Seigneur se plaît tout autant à l’attachement des petits enfants qui se nourrissent de la mémoire de son humanité qu’à la méditation des parfaits qui sont revigorés par la contemplation de sa divinité. Quant à lui, il trouve son plaisir dans les deux, et il les agrège volontiers à son Corpsa. Voilà pourquoi il est exact de dire que : Beurre et miel il mangera (Is 7,15). Et cette prophétie peut donc être comprise non seulement à propos de son Corps – l’Église ou chaque âme sainte – mais aussi à propos de Lui qui en est la Tête.
Discernement 30. Le texte poursuit : Afin de savoir rejeter le mal et choisir le bien (Is 7,15). C’est pour que nous sachions rejeter le mal et choisir le bien qu’il nous fait croire avec amour en son humanité et en sa a
Cf. Aelred, Sermons 11,35‑36 ; 57,23‑24 ; 90,3.
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divinité. Tout ce qui concorde avec cette foi est un bien et est choisi par ceux qui gardent cette foi agissant par la charité (cf. Ga 5,6). Et tout ce qui est contraire à cette foi est un mal et est rejeté par eux. Les philosophes avaient beaucoup de pensées vraies sur Dieu, mais il s’y mêlait beaucoup d’erreurs. Parce qu’ils n’avaient pas la foi en Christ, ils ne savaient pas rejeter le mal et choisir le bien, c’est-à-dire faire le tri entre les pensées vraies et les fausses. Cette science nous est très nécessaire pour qu’en toutes nos pensées et actions, nous rejetions ce qui se présente de mal et choisissions ce qu’il y a de bon, afin de mériter de parvenir à Celui qui est souverainement bon. Que Celui qui a pris aujourd’hui sur lui notre faiblesse (cf. Mt 8,17) nous l’accorde dans sa bonté. À lui honneur et gloire avec le Père et le Saint-Esprit pour tous les siècles des siècles (cf. Rm 16,27). Amen.
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SERMON 119 POUR L’ANNONCIATION DU SEIGNEUR
Dieu s’est mis en route vers l’humanité en s’incarnant jusqu’à en assumer toutes les faiblesses. Ce mystère de l’incarnation du Verbe est ici médité à partir d’un verset du Cantique des cantiques (Ct 4,6). Le sermon évoque divers titres attribués à la Vierge Marie, dont plusieurs s’enracinent dans des images bibliques.
Le messager de Dieu 1. L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu (Lc 1,26). Salomon a joliment dit : De l’eau fraîche pour une âme assoiffée, tel est un bon messager venant d’une terre lointaine (Pr 25,25). C’est vraiment d’une terre lointaine que ce messager est aujourd’hui envoyé. De la terre des vivants (cf. Ps 26,13), du trône de Dieu (cf. Mt 5,34), de tes demeures, Seigneur de l’univers (cf. Ps 83,2). Ô Dieu, comme elle est lointaine, comme elle est étrangère et inconnue cette terre, pour ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la morta, pour ceux qui habitent dans la région de dissemblanceb ! Et qui est a Cf. Ps 106,10 ; cf. Is 9,2 ; cf. Lc 15,13 ; cf. Guerric d’Igny, Sermon pour l’Avent 2,1. b Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 7,11 ; Quand Jésus eut 12 ans 1,3 ; Sermons 131,7 ; 153,5 ; 172,15 ; 181,7.
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ce bon messager qui vient de si loin, par qui est-il envoyé et qu’annonce-t-il ? C’est par Dieu que fut envoyé l’ange Gabriel. Voyez la personne qui envoie et celle qui est envoyée. Dieu envoie, l’ange est envoyé. En vue de quoi est-il envoyé sinon pour annoncer la venue de Celui qui est fort et vaillant, le Seigneur vaillant au combat (Ps 23,8) ? Gabriel se traduit par ‘force de Dieua’. 2. Avec grande allégresse, frères très chers, accueillons donc ce bon messager, et préparons-nous à recevoir dignement Celui dont il annonce la venue, notre Seigneur et Sauveur. Comme il est écrit : Prépare-toi, Israël, à rencontrer le Seigneur, car il vientb. En vue de quoi vient-il ? Pour nous visiter dans la paix, effectuer la rédemption de son peuple, opérer le salut au milieu de la terrec. Il vient, dis-je, chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10). Aujourd’hui est descendu du ciel le Fils unique de Dieu, envoyé du trône du Pèred, pour accomplir et réaliser en vérité ce grand, ce divin, ce secret et antique dessein qu’Isaïe vit autrefois dans l’Esprit divin et qu’il demanda au Seigneur Dieu de réaliser au temps voulu : Seigneur mon Dieu, je t’honorerai et je louerai ton vénérable nom ; toi qui fais des choses merveilleuses, que ton antique dessein se réalisee.
Le dessein de Dieu 3. À ton avis, quel est ce dessein, si grand, si utile, si nécessaire, dont le prophète demande l’accomplissement avec un tel désir ? Consultons Salomon, au cas où il aurait eu connaissance de ce dessein, ou plutôt parce qu’il en a eu connaissance. Oui, il l’a connu et ne s’est pas tu à son sujet. Dans le Cantique des cantiques, s’exprimant au nom du Verbe de Dieu comme s’il était en train de délibérer et de réfléchir sur un projet en vue de restaurer le genre humain et sur la manière d’accomplir ce que nous voyons aujourd’hui avec joie comme étant accompli, Salomon dit : J’irai, Jérôme, Livre sur les noms hébreux 64 ; cf. Aelred, Sermons 57,6 ; 155,8. Antienne pour l’Avent ; cf. Am 4,12. c Cf. Lc 1,68.78‑79 et Ps 73,12. d Cf. Symbole de Nicée-Constantinople et Hymne Pange lingua. e Is 25,1, d’après la Septante. a
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moi, à la montagne de la myrrhe, aux collines du Liban, et je parlerai à mon épousea. 4. J’irai, dit-il. Où vas-tu aller Seigneur mon Dieu, toi qui dis : J’irai (Ct 4,6) ? D’où viendras-tu, et vers où passeras-tu puisque tu es partout présent ? Tu remplis le ciel et la terre (cf. Jr 23,24), et tu dis : J’irai, comme si tu allais passer d’un lieu à un autreb ? Comprenez, frères, comprenez cette mise en route de Dieu. Et déjà vous l’avez comprise et vous avez reçu le fruit de ce parcours, vous qui tenez par la foi ce qui est écrit : Le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14). Le Verbe qui se fait chair, voilà la mise en route de Dieuc. Le Verbe qui descend du sein du Père vers le giron de la Vierge mère, voilà la mise en route de Dieu.
La route du Verbe 5. Rappelez-vous l’évangile de la Samaritaine, que vous avez récemment entendu proclamer à l’églised. Vous avez entendu parler de cette route parcourue par le Verbe de Dieu, là où il est écrit : Jésus, fatigué par la route, s’était assis au bord du puits (Jn 4,6). Comment se peut-il que Jésus soit fatigué, lui « par qui les fatigués refont leurs forcese. » Comment est-il fatigué celui qui, sans aucun labeur ni fatigue, a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent (Ex 20,11). Car tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait (Jn 1,3). Comment est-il fatigué, celui par qui nous refaisons nos forces après la fatigue et qui a dit : Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos (Mt 11,28) ? Comment la Puissance de Dieu (cf. 1 Co 1,24) a-t-elle pu être fatiguée ? Pourtant, Jésus est fatigué par la route. Par quelle route ? Celle de l’humanité, celle de l’incarnation, celle Antienne liturgique ; cf. Ct 4,6. Cf. Aelred, Sermon 47,1 ; Homélies sur les fardeaux 5,15. c Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 15,7 ; cf. Aelred, Sermons 85,7 ; 87,3 ; 99,5 ; 154,13. d Jn 4,5‑42. Cet épisode était lu à la messe du vendredi de la troisième semaine de Carême qui tombait le 20 mars cette année-là (1159 ou 1164). e Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 15,6. a
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d’avoir assumé la faiblesse de notre chair. Oui, alors qu’en luimême il était immortel, impassible, infatigable, en assumant notre chair par sa seule grâce il s’est rendu dépendant de nos souffrances, de nos misères et de nos faiblessesa. Car il a vraiment enduré nos souffrances et porté nos douleurs (Is 53,4). 6. Et dans l’évangile de férie qui est proclamé aujourd’hui dans l’Église, il est écrit à propos de ce parcours du Verbe de Dieu : Sur son passage, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance (Jn 9,1)b. Jésus qui passe et le Verbe de Dieu qui se met en route, c’est la même chose : cela signifie assumer la chair. Mais il est plus expressif de dire : Jésus, sur son passage, que de dire : ‘Jésus, s’en allant’. Qu’est-ce, en effet, sur son passage sinon assumer notre état de passagers ? Cet aveugle de naissance, c’est le genre humain qui a été réduit à la cécité par notre premier père. Ainsi donc, sur son passage, il vit non pas ce qu’il n’aurait pas vu auparavant, mais il vit quand il déploya sa miséricorde, il vit quand il vint nous éclairer, il vit assurément quand il nous fit voir.
Terre bénie 7. Le Verbe de Dieu prenait donc des dispositions pour venir de cette manière, lorsqu’il disait : J’irai, moi, à la montagne de la myrrhe (Ct 4,6)c. Ce n’est pas insignifiantd qu’il précise : Moi. C’est en soulignant l’implication personnelle qu’il est dit : Moi. Tout ce qui a été fait sur cette route tourne spécialement à la louange et à la gloire du Fils de Dieu. Car c’est par lui-même, et non par un ange ni par une autre créaturee, qu’il a daigné opérer notre salut au milieu de la terre (cf. Ps 73,12), une terre sainte (cf. Ex 3,5), une terre bénie. Quelle terre ? Le sein de la Vierge immaculée, de la Vierge bénie, elle que son fils béni a comblée de sa bénédiction dans le ciel (cf. Ep 1,3), comme cela lui a été aujourd’hui annoncé par l’ange : Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 15,6‑7. Lecture de la messe du mercredi de la 4ème semaine de Carême. c Voir paragraphe 3. d Cf. Aelred, Sermons 47,42 ; 93,8 ; 111,2 ; 126,11 ; 145,11 ; 174,15 etc. e Cf. Aelred, Sermon 89,10. a
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Je te salue, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre toutes les femmes (Lc 1,28.42). 8. De cette bénédiction, il est écrit dans un psaume : Tu as béni ta terre, Seigneur (Ps 84,2). Et vois s’il ne s’agirait pas de la terre de la promesse, que le Seigneur promit de donner à nos pères, terre où ruissellent le lait et le miel (Dt 6,3). En l’honneur de la Vierge, nous avons coutume de chanter : Tes lèvres distillent le miel vierge, sainte Mère de Dieu, le miel et le lait sont sous ta langue (Ct 4,11). C’est elle le jardin fermé (Ct 4,12), le paradis de délicesa, le champ fertile que Dieu a béni (cf. Gn 27,27). C’est elle l’héritage des serviteurs de Dieu, la terre sainte (cf. Ex 3,5) en laquelle notre véritable Josué nous introduit aujourd’hui pour y habiter lui-même, et nous avec Lui. Car nous tous qui habitons en toi, sainte Mère de Dieub, nous sommes tous dans la joie.
Montagne fertile 9. Nous pensons donc que notre souveraine bénie, mère de notre Seigneur, est désignée par la montagne de la myrrhe ; dès lors, dire que le Verbe de Dieu se met en route vers la montagne de la myrrhe (Ct 4,6), c’est dire qu’il assume la chair à partir de la Vierge et en elle. Et c’est à juste titre qu’elle est appelée montagne de la myrrhe. Montagne parce que, ayant laissé en dessous d’elle et complètement foulé aux pieds les désirs de la chair, elle s’était élevée vers les hauteurs par la fine pointe de la contemplation et, au moyen des pierres des saintes vertus, elle avait érigé en elle une sorte de grande montagne, sur laquelle elle monta elle-même pour mériter de recevoir la Loi de Dieuc, ou plutôt pour mériter de concevoir le Seigneur même de la Loi. Puis donc que, par le mérite de sa vie, elle s’approchait des réalités célestes, c’est à bon droit qu’elle est appelée ‘montagne’.
Cf. Aelred, Sermon 39,2. Antienne pour l’Annonciation ; cf. Ps 86,7 vg. c Répons du 4ème dimanche de Carême ; cf. Ex 24,12. a
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10. Cette montagne est celle de Dieu, une montagne fertile (Ps 67,16)a, remplie de toute la fertilité et de l’abondance des grâces spirituelles. Montagne d’où se répandent les aromates des saintes vertus, d’où se lève la lumière indéfectible de la bonté, d’où s’écoule la très douce huile de miséricordeb qui surpasse toute espèce de remède en vue de guérir les blessures des âmes pécheresses. Cette montagne est le mont Sion sur lequel descend la rosée de l’Hermon (Ps 132,3) puisque, dans le sein de la bienheureuse Vierge – désignée par le mont Sion – descend le Fils de Dieu, eau vive grâce à laquelle se fait le pardon des péchés (cf. Za 13,1).
Rosée de l’Hermon
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11. C’est à juste titre que le Verbe incarné est comparé à une rosée, c’est-à-dire à de l’eau en petites gouttelettes, et non simplement à de l’eau. Qu’est-ce donc que l’eau en petites gouttelettes, sinon le Verbe qui s’est anéanti (cf. Ph 2,7), qui s’est rapetissé pour nous ? Le Verbe, grand en lui-même mais abrégé en notre faveur. Je pense que c’est le Verbe abrégé dont parle le prophète : Le Seigneur réalisera sur terre un Verbe abrégéc. Voilà pourquoi la bienheureuse Vierge est appelée montagne. Voyons maintenant pourquoi il est question de myrrhed.
Montagne de la myrrhe 12. La myrrhe est une substance amère, et symbolise la mortification de la chaire. La bienheureuse Marie est donc fort bien appelée montagne de la myrrhe (cf. Ct 4,6) : grâce à la puissance de l’Esprit Saint survenant en elle et à l’action du Très Haut qui Cf. Aelred, Sermon 13,22. Cf. Aelred, Sermons 12,16 ; 64,26. c Is 10,23 selon une ancienne version latine. d Voir paragraphe 9. e Cf. Aelred, Sermon 4,36 ; cf. Bède le Vénérable, Sur le Cantique 3,4,6. a
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la prit sous son ombrea, elle avait tellement bien mortifié et complètement éteint en elle tous les mouvements et les attraits de la chair que, vierge chaste de corps et d’esprit, elle mérita de concevoir un homme sans l’intervention d’un homme et que, vierge avant l’enfantement, elle le demeura dans l’enfantement et après celui-cib. Ou bien encore, elle est appelée montagne de la myrrhe parce que la chair que le Fils unique de Dieu assuma aujourd’hui à partir d’elle devint myrrhe, c’est-à-dire ‘amèrec’, en raison des nombreuses amertumes qu’il y supporta depuis le jour où, enfant dans la crèche, il poussa son premier cri, jusqu’au jour où, homme parfait (cf. Ep 4,13) sur la croix, il rendit l’esprit (Mt 27,50). C’est pourquoi le Verbe, s’apprêtant à venir dans la chair, dit avec à propos : J’irai, moi, à la montagne de la myrrhe (Ct 4,6).
Collines du Liban 13. Et la suite : Et aux collines du Liban (Ct 4,6)d. Si donc la glorieuse Vierge est perçue comme montagne de la myrrhe, nous pouvons à bon droit assimiler les collines du Liban à la totalité des élus, parce que, en comparaison de cette montagne élevée, ils sont appelés collines, c’est-à-dire de loin inférieurs par le rang, la dignité et la sainteté ; et pas seulement ‘collines’ mais collines du Liban, c’est-à-dire collines de blancheure. De fait, tous tant qu’ils sont – patriarches, prophètes ou n’importe lequel des élus – tous ceux qui reçoivent l’héritage du salut (cf. He 1,14), ont été blanchis, ce qui veut dire qu’ils sont purifiés de leurs péchés, justifiés et sanctifiés grâce à Marie. Car elle est la porte par laquelle est entré le salut destiné à tous. Elle est l’aurore de la lumière éternelle (Sg 7,26), par qui nous a visités l’Astre d’en haut (Lc 1,78) ; de qui est né le Soleil de justice, le Christ notre Dieuf. Cf. Lc 1,35 ; Sermons 45,36 ; 59,21 ; 167,1 etc. Cf. Aelred, Sermons 153,12 ; 155,4 ; 159,4 ; 161,4 etc. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 70. d Voir paragraphe 3. e Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 103,3,15. f Antienne pour la nativité de Marie ; cf. Ml 3,20. a
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Montagnes et collines 14. Il me paraît que ceci est en consonance avec un autre passage du Cantique des cantiques à propos de l’Époux qui vient : Voici qu’il vient en grimpant sur les montagnes, en sautant par-dessus les collines (Ct 2,8). Et les montagnes sont ici à prendre dans le même sens que la montagne de la myrrhe plus haut : il s’agit de la bienheureuse Vierge Marie qui est certes appelée montagne de Dieu (Ps 67,16) en raison de la totalité des vertus – une montagne de perfection est érigée en elle à partir de l’accumulation de vertus –, mais également ‘montagnes’ au pluriel, car chacune des vertus en Marie est en soi une montagne et une grande montagne. 15. Qu’est-ce en effet que la virginité de Marie sinon une montagne ? Virginité singulière, virginité incomparable. Et que dire de son humilité en raison de laquelle toutes les générations la diront bienheureuse (Lc 1,48) ? Regardez chacune de ses vertus : tout ce qui embellit le comportement et la vie de Marie est sublime, céleste, divin, parce que sa fondation est sur les saintes montagnes (Ps 86,1). Mais revenons à notre propos. 16. L’Époux est dit arriver en sautant par-dessus les collines, car elles sont moins élevées, en grimpant sur les montagnes (Ct 2,8), qui sont plus élevées, allant plus vite et plus promptement à la rencontre de celui qui vient. Qu’est-ce que cela signifie sinon que Dieu, dispensateur de grâces, atteint toutes les autres âmes des élus par divers dons de grâce proportionnés à chacun et comme en sautant rapidement par-dessus, distribuant à chacun comme il le veut (1 Co 12,11). Par contre, en venant dans la bienheureuse Vierge, le tout-puissant Fils de Dieu apporta et déversa toute la plénitude des grâces, à la manière d’un fleuve impétueux se précipitant en elle. Et lui, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2,3) et de toute grâce, il passa lui-même en elle. C’est bien ce qu’on lit dans un psaume : L’impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu ; le Très Haut a sanctifié sa demeure (Ps 45,5).
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Sermon 119
Litanie de la Vierge 17. Ne vous laissez pas troubler par la variété des mots, lorsque vous entendez parler tour à tour de cité de Dieu (Ps 45,5), de temple, ou de demeure de Dieu. Les mots sont variés, mais la réalité est la même. Oui, la bienheureuse Vierge Marie est bien le temple de Dieu, elle est le trône de Dieu, elle est la cité de Dieu. Elle est la demeure de Dieu, ayant reçu et conçu en elle et d’elle le Fils de Dieu. Elle est le sanctuaire de l’Esprit Saint et la porte du Royaume des Cieuxa. Elle est notre mère et notre médiatriceb ; elle est, après Dieu, notre unique espérance. 18. Bénie soit cette reine élevée concevant aujourd’hui le Roi qui dépouille les enfers ; par elle, il nous est aujourd’hui donné pour que notre Dieu, notre Créateur, soit pareillement aussi notre frère. Oui, il est notre frère, de la même chair que nous (Gn 37,27), Celui qui est aujourd’hui revêtu de notre chair en son sein. Vénérons donc et glorifions de tout notre cœur, de toutes nos forces, de tout notre zèle, cette souveraine, notre avocatec, cette mère de miséricorde et le très sûr refuge des pécheurs. Recommandons-lui nos âmes et nos corps afin qu’elle-même nous recommande à son filsd, et ayons souvent à la bouche la très douce salutation angélique : Je te salue, Marie, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni (Lc 1,28.42), Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
Antienne pour la nativité de Marie. Cf. Aelred, Sermons 45,3 ; 58,26 ; 153,4. c Cf. Aelred, Sermons 20,36 ; 45,43. d Cf. Aelred, Sermon 161,14. a
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SERMON 120 POUR LE JOUR DE PÂQUES
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Participer au Corps et au Sang du Christ, c’est entrer personnellement dans le temps de la grâce. Cette participation se réalise par la foi et par les sacrements.
Trois périodes du monde 1. Dans la Loi, il a été prescrit d’immoler un agneau et de le consommer, le quatorzième jour du premier mois, au coucher du soleil, et de se nourrir ensuite de pains azymes durant sept joursa. Vous avez souvent entendu parler de l’immolation de l’agneau, ainsi que de la manière dont il était mis à mort et consommé ; ce n’est d’ailleurs pas le moment de parler de tout cela. Mais il faut dire quelque chose des sept jours qui suivent. L’immolation de cet agneau désigne la passion de notre Seigneur Jésus Christb, le véritable Agneau dont Jean a dit : Voici l’Agneau de Dieu (Jn 1,29). Après cette immolation, suivent sept jours, jusqu’au jour du jugement. Voyons pourquoi tout ce temps est désigné par sept joursc. 2. Nous savons, d’après ce que précise la sainte Écriture, qu’il y a trois sortes de temps : le temps avant la Loi, le temps sous la Loi, Cf. Ex 12,3‑19 ; Cf. Aelred, Sermon 12,1. Cf. Aelred, Sermons 11,11‑17 ; 121,2‑3. c Cf. Aelred, Sermons 33,15 ; 86,1. a
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le temps sous la grâce. Le premier temps va jusqu’à Moïse, le second de Moïse à l’avènement du Seigneur, le troisième de là jusqu’à la fin du monde. Le premier temps était comme l’enfance du monde, le second comme sa jeunesse, le troisième comme sa vieillessea. Dans l’enfance, l’être humain ne se sert pas de sa raison et ne peut accueillir une loi, mais il suit seulement l’attrait sensible. Voilà pourquoi il ne convoite que les choses qui lui plaisent, même si elles sont nuisibles et méprisables ; il n’évite que les choses qu’il ressent comme pénibles, même si elles sont avantageuses. Dans la jeunesse, il se sert de sa raison, il peut accueillir une loi et savoir ce qu’il faut faire et ne pas faireb.
La loi 3. Durant le premier temps – comme dans l’enfance du monde –, l’homme s’était laissé à ne suivre que lui-même, c’est-àdire sa propre convoitise sensible, et aucune loi ne lui a défendu de commettre le mal. Ensuite, pour que l’homme n’ait pas d’excuse et ne dise : ‘J’ai ignoré la volonté de Dieu, et donc je ne l’ai pas faite’, la Loi lui a été donnée et ce qui est juste a été montré à l’homme, afin qu’il sache ce qu’il devait faire ou repousser ; des châtiments ont été annoncés et établis par lesquels les transgresseurs de la Loi seraient punis. C’est ainsi que l’Apôtre dit : La mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse (Rm 5,14). Oui, elle a régné, car le péché – appelé ici mort – n’était réprouvé par aucune loi, et il n’était sanctionné par aucun châtiment déterminé. Mais si, à ce moment-là, le Seigneur avait donné la grâce d’accomplir la Loi – avant que l’homme ne fasse l’expérience de ce qu’il pouvait par lui-même –, l’homme aurait pensé qu’il l’accomplissait par ses propres forces. Il s’en serait enorgueilli, et en s’enorgueillissant il aurait péri. Le Seigneur donna donc la Loi par l’intermédiaire de son serviteur, et il se réserva pour lui-même la grâce. Car il nous accorda celle-ci quand il vint en personne. À ce moment commença le temps de la grâce. Cf. Aelred, Sermons 97,1 ; 124,20 ; 143,13 ; Homélies sur les fardeaux 25,5 ; cf. Augustin, Lettres 55,5. b Cf. Aelred, Sermon 43,8‑9. a
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Sermon 120
La grâce 4. Cette grâce est celle par laquelle nous nous détournons des vices et des péchés, non par crainte d’un châtiment temporel – comme ceux qui étaient sous la Loi –, mais par la charité et l’amour de la justice. Cet amour est celui qui triomphe parfaitement des vices et donne d’acquérir les vertus. Cet amour a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rm 5,5). Puis donc que cet amour vient de l’Esprit Saint, ce temps de la grâce est marqué du chiffre sept. Le chiffre sept se rapporte à l’Esprit Saint en raison des sept dons de ce même Esprit, qui sont bien connus. Pour chacun de nous, ce temps de la grâce commence lorsque nous sommes rendus participants de la chair et du sang du véritable Agneau.
La foi et le sacrement
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5. Nous devons manger la chair de cet Agneau et boire son sang de deux manières : par la foi et par le sacrement. Mais cette foi qui agit par la charité (Ga 5,6), afin d’être fils de la grâce. Si donc nous demeurons avec persévérance dans la foi qui se manifeste par des œuvres bonnes, il ne fait pas de doute que nous mangeons la chair de l’Agneau et que nous buvons son sang parce que, de cette manière, nous lui sommes incorporés, nous devenons ses membres et une seule réalité en Lui. De là vient que le bienheureux Augustin a dit : « Pourquoi prépares-tu tes dents et ton ventre ? Crois, et tu as mangéa. » Seuls les bons mangent de cette manière le corps du Christ et boivent son sang. C’est pourquoi si, pour une raison quelconque, ils sont empêchés de recevoir le sacrement, cela ne leur porte pas préjudice, parce qu’ils sont véritablement dans le Corps du Christ, et ils sont son Corps et ses membres. C’est de cette manducation spirituelle, je pense, que le Seigneur a dit : Qui mange ma chair et boit mon sang (Jn 6,56). Oui, dis-je, il mange véritablement le Christ, celui qui le reçoit en son âme par la foi et la charité : comme le corps est nourri par les aliments, son âme est a
Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 25,12.
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Sermon 120
sustentée, alimentée, nourrie par la participation au Christ, et elle est fortifiée en vue de toutes sortes de biensa.
Le sacrement du corps et du sang du Christ 6. Le sacrement de cette réalité admirable et aimable, il l’a constitué à partir de son propre corps et de son sang. Par là il a montré également la grandeur de la réalité elle-même, dont le sacrement est déjà d’une telle excellence qu’elle est au-dessus de toute l’appréciation dont est capable l’esprit humain : le corps et le sang du Seigneur que nous recevons en vérité sous les apparences du pain et du vin. Les bons et les méchants le reçoivent. Les méchants, pour leur perte. Les bons, pour leur salut puisque, par ces sacrements s’affermit leur participation à son Esprit. Cet admirable et ineffable sacrement a été institué pour que la Passion du Seigneur soit sans cesse renouvelée en notre mémoire, que cet incomparable sacrifice soit quotidiennement offert pour les péchésb, que la faiblesse de notre corps tout autant que de notre âme soit vivifiée par cet aliment sacré et que la puissance du démon soit réduite à néant par la puissance du sacrement. Ainsi donc, ceux qui se nourrissent de la chair de cet Agneau doivent éliminer le levain de leurs maisons et célébrer la fête des Azymes (cf. Ex 12,19‑20.46).
Le vieux levain 7. Le levain désigne la vieillesse ; les azymes, la pureté et la nouveauté. Il y a du pain avec du levain et du pain sans levain. Le pain est ce qui nous revigore. Ce qui nous revigore, c’est la sainte Écriture. Les Juifs avaient du pain, mais ils le mangeaient avec du levain. Leur pain, c’était la loi de Dieu ; le levain, les observances matérielles. C’est pourquoi, après l’immolation du véritable Agneau qui enlève les péchés du monde (Jn 1,29), nous devons éliminer le a b
Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 26,18. Cf. Aelred, Sermons 34,4 ; 94,2 ; 118,26 ; 121,14 etc.
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Sermon 120
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levain – c’est-à-dire les observances purement matérielles – et manger des pains azymes (cf. Ex 12,15), c’est-à-dire comprendre toute la Loi de manière spirituelle. 8. Avant l’immolation d’un tel Agneau, ceux qui étaient Juifs servaient Dieu ; mais ce service n’était pas sans levain, puisqu’ils attendaient de mériter ainsi la récompense d’un bonheur terrestrea. Retranchons donc le vieux levain (cf. 1 Co 5,7) – toute visée corrompue et purement extérieure et matérielle –, et servons Dieu en comptant uniquement sur la récompense céleste. Ils mangeaient aussi avec du levain ceux qui, méconnaissant la justice de Dieu (cf. Rm 10,3), s’enflaient de leurs propres mérites. Retranchons donc le vieux levain de manière à laisser de côté la boursouflure de l’orgueilb et à nous mettre au service du Seigneur avec un humble empressement. Le vieux levain c’est également le péché originel qui, à la manière d’un levain, fait fermenter toute la pâte (cf. 1 Co 5,6) du genre humain. Mais puisque nous sommes purifiés de ce levain grâce à l’immolation de l’Agneau véritable, il nous faut persévérer en cette purification et ainsi manger des pains azymes durant sept jours (cf. Ex 12,15), c’est-à-dire durant tout le temps de la grâce. 9. Ainsi donc, frères très chers, éliminons tout ce qui est vieux, tout ce qui est purement extérieur et matériel, tout ce qui est inspiré par l’orgueil et la vanité, tout ce qui est propre au comportement du mondec. Selon la recommandation de l’Apôtre, vivons dans la droiture et la vérité (cf. 1 Co 5,8), afin de pouvoir être participants de la résurrection du Seigneur, avec l’aide de notre Seigneur Jésus Christ lui-même, à qui soit l’honneur et la gloire pour tous les siècles des siècles. Amen (cf. Rm 16,27).
À savoir, l’entrée dans la terre de Canaan. Cf. Aelred, Sermon 11,14. c Cf. Aelred, Sermon 121,32‑33. a
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SERMON 121 POUR LE JOUR DE PÂQUES
Les trois principales fêtes juives – Pâque, les Tentes, les Semaines – sont présentées dans la perspective de leur portée symbolique, par rapport à la vie chrétienne. La plus grande partie du sermon est relative à la manducation de l’Agneau.
Les fêtes juives 1. Nous célébrons aujourd’hui la glorieuse fête que non seulement les chrétiens mais également les Juifs appellent la Pâque. Cette fête a son commencement dans l’Ancien Testament. Il convient donc de voir selon quelle portée symbolique elle était observée, afin de connaître la manière dont elle s’accomplit dans la fête qui est nôtrea. Pâque signifie ‘passage’ (cf. Ex 12,11). L’Apôtre dit : Indépendamment de la Loi, Dieu a manifesté sa justice : la loi et les prophètes en sont témoins (Rm 3,21). Nous comprenons par là que toutes les réalités de notre foi ayant une portée symbolique sont signifiées et prophétisées dans l’ancienne Alliance. Mais les plus éminentes sont plus souvent mises en évidence, et avec plus de soin. 2. Si nombreuses que soient les fêtes célébrées par les Juifs, il y en a trois cependant qu’ils célèbrent avec une plus intense ferveur, a
Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 50,2.
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Sermon 121
car elles ont été établies par une plus prestigieuse autorité : la solennité des Azymes que, comme eux, nous appelons Pâque ; la solennité des Tentes, ainsi appelée car durant cette fête ils n’habitaient pas dans leurs maisons mais sous des tentes ; et la solennité des Semaines, quand ils offraient au Seigneur un sacrifice à partir de la nouvelle récolte. Au sujet de ces trois fêtes, le Seigneur prescrit aux enfants d’Israël : Trois fois par an, tout mâle paraîtra devant la face du Seigneur ton Dieu (Dt 16,16). Le fait qu’il n’est pas ici question de la gent féminine mais de la gent masculine n’est pas dénué de sensa : les êtres faibles et qui manquent de vigueur ne peuvent saisir les enjeux sacrés de ces fêtes, mais seulement les êtres doués de force, solides, sans rien de moub. Bref, en raison de la fête de ce jour, nous devons parler aujourd’hui de la solennité des Azymes. Disons cependant en peu de mots ce que signifient les deux autres.
La fête des Tentes
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3. La solennité des Azymes, durant laquelle les enfants d’Israël avaient coutume de bannir le levain et de manger du pain azyme, désigne la pureté qu’il nous faut avoir. Quant à la solennité des Tentes, elle indique que nous devons vivre en ce monde comme n’ayant ni habitation ni demeure mais comme étant sous des tentes, afin de pouvoir dire avec le prophète : Étranger je suis sur la terre (Ps 118,19). Voyons comment nous devons célébrer cette fête et y paraître devant le Seigneur (cf. Dt 16,16). Quand les Juifs selon la chair célébraient une fête, ils se rendaient libres et ne vaquaient à aucune occupation, mais ils offraient des sacrifices et sonnaient de la trompette (cf. Nb 10,10). C’est ce qu’il nous faut faire de manière spirituelle. 4. Lorsque quelqu’un considère l’exil de sa vie, combien il est loin de sa patrie – le paradis – et combien il est loin de Jésus Christ Cf. Aelred, Sermons 33,9 ; 96,9 etc. Le lecteur moderne sera sans doute étonné de ce qui est dit ici, et pourrait mal comprendre. Mais il n’est pas question de misogynie ou de machisme : notre auteur ne fait que donner une interprétation d’ordre éthico-spirituel à un fait sociologique. a
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Sermon 121
notre Seigneur (cf. 2 Co 5,6), lorsqu’il considère les misères de cette vie et retire son cœur des préoccupations de ce monde et des œuvres serviles – les péchés –, alors il célèbre comme il faut la fête des Tentes et se rend libre beaucoup mieux que les Juifs. Il offre au Seigneur un sacrifice durant la fête des Tentes quand, à partir de la considération de l’exil de sa vie, il fond en larmes et offre le sacrifice exprimé par David : Le sacrifice pour Dieu, c’est un esprit brisé (Ps 50,19). Alors, sa prière, comme un son de trompette (cf. Jos 6,5), s’élève vers le Seigneur, qui lui dira ce qu’il a dit à Moïse : Pourquoi cries-tu vers moi (Ex 14,15)a ?
La fête des Semaines 5. Au sujet de la solennité des Semaines, il est écrit : Tu commenceras à compter sept semaines à partir du jour où la faucille aura commencé à couper les épis (Dt 16,9). Sept semaines, cela fait sept fois sept jours. Le chiffre sept symbolise le repos, car il est écrit que Dieu, le septième jour, se reposa de ses œuvres (Gn 2,2). En signe de cela fut institué le sabbat (cf. Ex 20,11), que les Juifs observaient. De ce sabbat il est dit : Tu n’y feras aucune œuvre servile (Nb 28,18). L’œuvre servile, c’est le péché ; dès lors l’affranchissement des Juifs à l’égard des œuvres terrestres désigne l’affranchissement que nous devons opérer à l’égard des péchés pour accomplir ce que recommande le prophète : Rendez-vous libres et voyez (Ps 45,11). Le fait que sept soit multiplié par sept désigne ce sabbat, ce repos, qu’il y aura dans la vision et la douceur de Dieu, lorsque nous verrons Dieu face à faceb. 6. Qui veut célébrer la fête des Semaines doit compter sept semaines à partir du jour où l’on commence à envoyer la faucille couper les épis (cf. Dt 16,9). Nos épis, ce sont les fruits de nos œuvres. Quand nous accomplissons le bien, nous semons. Quand nous récoltons le fruit de nos œuvres, nous moissonnons. Aussi Cf. Aelred, Sermons 130,9 ; 172,10 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 22,17,43. b Cf. 1 Co 13,12 et 1 Jn 3,2. a
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Sermon 121
l’Apôtre dit-il : Ne nous lassons pas de semer le bien (Ga 6,9). Les fils d’Israël selon l’esprit – qui sont sortis d’Égypte, ont traversé la mer Rouge et sont déjà dans la Terre promise (cf. He 11,9), qui peuvent dire avec l’Apôtre : Notre vie est dans les cieux (Ph 3,20) –, ceux-là ont commencé, en cette vie même, à envoyer la faucille dans les épis, c’est-à-dire à recevoir quelques fruits de leurs labeurs. 7. Car il leur arrive d’ordinaire en cette vie de ressentir parfois de la part du Seigneur une grande douceur. Mais s’ils veulent célébrer la fête des Semaines, ils doivent compter sept semaines (cf. Dt 16,9), ce qui veut dire ceci : à partir de la douceur et du repos qu’ils ressentent de la part du Seigneur et en Lui, qu’ils considèrent avec les yeux du cœur combien grande sera la douceur qu’ils éprouveront auprès du Seigneur, lorsque ce corps corruptible ne pourra plus appesantir l’âme (cf. Sg 9,15) et la faire déchoir de la contemplation de Dieu. Lorsqu’il sera devenu tout entier spirituel et sans aucune défaillance, alors pour toujours il pourra posséder ce bonheur. Lorsqu’il y pense, il oublie le monde entier à cause de cette douceur et de cette contemplation. 8. C’est là se rendre libre durant la solennité des Semaines car, par cette contemplation, il commence à aimer le Christ ; et les œuvres bonnes qu’auparavant il avait l’habitude d’accomplir contraint par la crainte, il les accomplit par amour de la douceur de Dieua. C’est là présenter une offrande volontaire durant la solennité des Semaines, (cf. Dt 16,10) et pouvoir dire avec le prophète : De grand cœur je t’offrirai le sacrifice (Ps 53,8). Quand l’esprit se met à ruminer ces pensées en son cœur et se plaît en elles, alors il se réjouit en présence du Seigneur son Dieu (cf. Dt 16,11 vg) grâce aux biens que lui a donnés le Seigneur son Dieu. Et si par ces pensées il est touché de componction, prie et verse des larmes, alors, sans aucun doute, sa prière monte vers le ciel comme un son de trompette (cf. Jos 6,5).
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Cf. Règle de saint Benoît 7,68‑69.
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Sermon 121
La fête de la Pâque 9. Puisque nous avons mentionné ces fêtes, nous en avons dit un petit mota. Maintenant, parlons de cette fête que, comme les Juifs, nous appelons Pâque. Pâque signifie ‘passage’ (cf. Ex 12,11). Les Juifs selon la chair ne comprennent rien d’autre que ceci : lors de cette fête, ils passèrent de l’assujettissement aux Égyptiens à la liberté ; l’ange qui frappa l’Égypte passa parmi eux sans les frapper car leurs maisons étaient marquées du sang de l’agneau, qu’ils immolaient selon le précepte du Seigneur (cf. Ex 12,12‑13) ; après quoi, ils passèrent à travers la mer Rouge où Pharaon fut englouti (cf. Ex 15,4) ; en raison de leur grande hâte, ils ne purent manger que des pains azymes (cf. Ex 12,39). Laissons les Juifs à leur compréhension tronquée, et voyons la signification spirituelle de tout celab. 10. Comme nous le lisons dans le récit, les enfants d’Israël étaient assujettis à Pharaon en Égypte, et le Seigneur envoya vers lui son serviteur Moïse (cf. Ps 104,26), pour qu’il les laisse partir, mais il refusa et les tyrannisa encore davantage ; c’est pourquoi le Seigneur frappa l’Égypte de multiples manières. Enfin, lorsqu’il voulut les délivrer totalement et faire périr tous les premiers-nés qui étaient en Égypte, il prescrivit ceci au peuple par l’intermédiaire de Moïse : Le dix de ce mois, que chacun prenne un agneau par famille, et l’assemblée entière des fils d’Israël l’immolera le quatorzième jour de ce mois vers le soir (Ex 12,3…6). 11. Pharaon représente le démon ; les enfants d’Israël, le peuple du Seigneur qu’il prédestina en vue de son œuvre. Mais à cause du péché d’Adam, tous étaient sous le pouvoir du démon. Un seul Agneau fut cependant choisi : grâce à sa mort, nous sommes tous délivrés du pouvoir du démon. C’est l’Agneau que le bienheureux Jean-Baptiste désigna : Voici l’Agneau de Dieu (Jn 1,29).
Cf. Aelred, Sermon 92,2 etc. Cf. Aelred, Sermon 12,2 ; cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 55,1. a
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Sermon 121
Immolation de l’agneau
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12. Mais que signifie le précepte selon lequel on devait le prendre le dixième jour et l’immoler le quatorzième jour (cf. Ex 12,3…6) ? La Loi fut donnée en dix commandements : aussi devons-nous comprendre que le chiffre dix la désigne. En ajoutant quatre, on obtient quatorze : ce chiffre désigne l’Évangile, constitué de quatre livres. Cet Agneau est pris le dixième jour et immolé le quatorzième : il était en effet prophétisé dans la Loi qu’il devrait mourir ; et l’Évangile raconte comment il fut mis à mort. 13. L’assemblée entière des fils d’Israël l’immolera (Ex 12,6) : cela symbolisait le fait que les Juifs devaient, à la fin des temps, mettre à mort le Christ, l’Agneau véritable. Nous aussi, qui sommes fils spirituels d’Israël, nous devons immoler cet Agneau en présence de Dieu le Père, c’est-à-dire faire mémoire de sa passion dans la foi et l’oblation de son corps et de son sang, afin d’obtenir d’être protégés de l’Exterminateur (cf. Ex 12,23), c’est-à-dire du démon. Bien que le Christ ait été offert une seule fois (cf. He 9,28) sur la croix pour nous libérer de l’Égypte – c’est-à-dire des ténèbres du péchéa et de l’assujettissement au démon –, bien que le démon lui-même ait été chassé loin de nous, il rôde pourtant encore comme un lion, cherchant qui dévorer (1 P 5,8). 14. Tant que nous sommes en cette vie, nous commettons tous bien des écarts (Jc 3,2) ; nous avons dès lors besoin que l’Agneau lui-même soit spirituellement immolé chaque jour pour nos péchés, nous avons besoin de faire sans cesse mémoire de sa passionb, nous avons besoin que les portes de nos maisons soient marquées de son sang. Là où l’Exterminateur ne trouve pas le sang de cet Agneau (cf. Ex 12,23), il donne libre cours à sa cruauté. C’est pourquoi Moïse prescrivit ceci : On prendra du sang de l’agneau et on en mettra sur les deux montants et le linteau des portes des maisons où ils habitent (Ex 12,7).
a b
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 73. Cf. Aelred, Sermon 34,4.
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Sermon 121
L’agneau et la croix 15. Il est prescrit que le sang de cet agneau soit mis sur les quatre côtés de la porte ; cela symbolise les quatre axes de la croix du Christ, aspergée de son sang. L’agneau doit se trouver dans la maison, et la croix sur la porte, car le Christ lui-même doit habiter dans notre cœur par la foi (cf. Ep 3,17), et la confession de foi doit être sur nos lèvres. Car la foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut (cf. Rm 10,10). Nous devons avoir la croix sur notre porte et au vu de tous : ne pas rougir de Jésus crucifiéa mais plutôt porter son étendard sur notre front, et dire avec l’Apôtre : Pour moi, que jamais je ne me glorifie (sinon dans la croix) (Ga 6,14). 16. L’agneau doit se trouver dans la maison et la croix sur la porte pour cette autre raison : de même que nous avons la foi du Christ en notre cœur, ainsi devons-nous avoir sa croix en nos œuvresb, pour faire mourir en nous ce qui appartient encore à la terre (cf. Col 3,5). Voyons quelle foi nous devons avoir en cet Agneau car, de même qu’il a été prescrit de manger cet agneau-là, de même il nous a été commandé de croire en cet Agneau-ci. L’homme en effet vit de nourriture et, selon le mot du prophète : Le juste vit de la foi (Rm 1,17). C’est pourquoi il est écrit à propos de l’agneau : Vous dévorerez la tête avec les pieds et les entrailles (Ex 12,9).
La tête, les pieds et les entrailles 17. Par le mot tête, nous devons comprendre la divinité de notre Seigneur Jésus Christ – l’Apôtre dit en effet : La tête du Christ, c’est Dieu (1 Co 11,3) –, et par les pieds, son humanité. Celui donc qui veut manger cet Agneau, selon le précepte du Seigneur, doit dévorer la tête et les pieds. ‘Dévorer’, est-il dit, car nous devons écouter avec grande avidité ce qui concerne le Christ, et le retenir en notre mémoire à la manière d’une nourriture dans l’estomac. Nous devons donc d’abord croire qu’il est vrai Dieu, un avec a b
Cf. Rm 1,16 et 1 Co 2,2. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 22,7.
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Sermon 121
son Père qui l’a engendré avant toutes choses. Et il est aussi vrai homme, vraiment fils d’homme, né d’une mère vierge. Celui qui croit qu’il est vrai homme et ne veut pas croire qu’il est vrai Dieu, celui-là mange les pieds et non la têtea. Pareillement, celui qui pense qu’il est Dieu et ne croit pas qu’il est vrai homme, celui-là mange la tête mais laisse de côté les pieds. 18. Quant à nous qui gardons la vraie foi, mangeons non seulement la tête et les pieds mais également les entrailles. Les entrailles sont dans le corps. Le Corps de notre Agneau, c’est l’Église, comme l’affirme l’Apôtre : Et le Corps qui est l’Église (cf. Col 1,24). Les entrailles de ce Corps, c’est la portée mystique des sacrements de l’Église : dans le baptême, la rémission des péchés ; dans le pain et le vin, la consécration du corps et du sang du Christ ; dans l’onction d’huile, l’accueil du Saint-Esprit. Telles des entrailles, ces réalités sont cachées dans le Corps de l’Agneau, c’est-à-dire du Christ, parce que nul ne peut comprendre à la perfection comment elles agissent invisiblement. Nous devons croire à tout cela, sans quoi nous ne pouvons être sauvés.
Croire et comprendre
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19. Il est encore prescrit à propos de cet agneau : Vous n’en garderez rien pour le lendemain matin (Ex 12,10). Le lendemain matin désigne le jour du jugement, lorsque tout ce qui est caché commencera à devenir manifeste. C’est pourquoi le prophète dit : Je me présenterai dès le matin devant toi (Ps 5,4). Nous ne devons rien réserver de tout cela jusqu’au lendemain matin, c’est-à-dire que nous ne devons pas attendre de comprendre à la perfection toutes ces réalités avant d’y croire, car cela ne sera possible qu’en ce matin dont nous venons de parler. Il faut donc d’abord croire, puis comprendre. Aussi est-il écrit : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pasb. Voilà pourquoi il est prescrit au sujet (de l’agneau) : Ce qui en resterait, vous le brûlerez au feu (Ex 12,10). Ce que nous a b
Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 22,8. Is 7,9, d’après la version de la Septante.
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Sermon 121
ne pouvons comprendre, nous devons le croire et confier au feu divin, c’est-à-dire au jugement de l’Esprit Saint, la compréhension de la réalité signifiéea.
Le rôtissage au feu 20. L’Écriture prescrit encore ceci au sujet de cet agneau : N’en mangez rien cru ou bouilli à l’eau, mais mangez-le seulement rôti au feu (Ex 12,9). Le rôtissage de cet agneau au feu symbolise la passion du Christ. Aussi est-il dit dans un psaume : Il s’est desséché comme un tesson (Ps 21,16). Il y eut des hérétiques, appelés manichéens, qui disaient que notre Seigneur n’avait pas vraiment souffert sa passion, mais ils qualifiaient de représentation imaginaire tout ce qui s’était passé. Ceux-là disaient qu’ils mangeaient l’agneau, puisqu’ils affirmaient croire dans le Christ ; mais ils ne voulaient pas manger l’agneau rôti, car ils ne voulaient pas croire qu’il avait véritablement souffert. 21. Le feu désigne l’admirable charité selon laquelle le véritable Agneau voulut mourir pour nous. Mais il y eut des gens dévoyés qui confessaient qu’il était vraiment mort, non à cause de l’amour dont il nous a aimés (cf. Ep 2,4), mais parce qu’il fallait bien qu’il meure, comme si les Juifs l’avaient crucifié à contrecœur. Ceux-là ne mangent pas l’agneau rôti au feu, mais bouilli à l’eau (cf. Ex 12,9). L’eau désigne le peuple des Juifs. Dès lors, pour désigner ceux qui crucifièrent le Seigneur, Jacob dit à son fils Ruben : Tu t’es répandu comme l’eau ; tu ne croîtras pas, parce que tu es monté sur le lit de ton père et que tu as souillé sa couche (Gn 49,4). 22. Nous donc, croyons fermement à tout cela, et accédons ainsi à la chair de l’Agneau, qui nous est aujourd’hui présenté. De même en effet que l’ancien peuple immolait et mangeait cet agneau-là en signe de la passion future du Christ, ainsi nousmêmes – non par manière de signe mais en vérité – devons-nous immoler sur l’autel mystique le véritable Agneau et, en mémoire de sa passion réalisée, manger sa chair en vérité, comme lui-même a
Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 22,8.
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Sermon 121
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l’a prescrit en disant : Faites cela en mémoire de moi (Lc 22,19). La foi sans les œuvres est morte (Jc 2,20). Aussi nous faut-il savoir comment doivent être ceux qui ont à manger cet Agneau. On ajoute donc : Vous ceindrez vos reins, vous aurez des sandales aux pieds, tenant un bâton à la main (Ex 12,11).
Les reins ceints 23. Les reins sont le siège des passions sensuelles. Celui donc qui voudrait manger cet Agneau, non pour sa condamnation mais en vue du salut, devra ceindre ses reins, c’est-à-dire retenir les pulsions et les suggestions de ses passions. Car il est écrit : Si quelqu’un d’impur s’approche, il mourra certainement (cf. Lv 22,3). Les Juifs, qui avaient coutume de sacrifier des chairs de boucs et de jeunes taureaux (cf. He 9,12) ne pouvaient les manger qu’en étant purs, c’est-à-dire exempts de toute souillure causée par la passion sensuelle. À combien plus forte raison faut-il que nous soyons purs, nous qui nous avons accès au véritable sacrifice, qui recevons en vérité le corps du véritable Agneau qui enlève les péchés du monde (Jn 1,29) et qui buvons son sang en véritéa ! C’est à bon droit qu’il nous est dit, à nous qui avons accès à la manducation du véritable Agneau : Vous ceindrez vos reins (Ex 12,11). Celui qui ne veut pas brider le laisser-aller de la chair ne doit pas accéder à cette nourriture spirituelle. Cette sainte chair n’a en elle aucune corruption (cf. Ac 2,31) ; aussi n’y a-t-il rien de plus contraire à cette nourriture spirituelle que la corruption charnelleb.
Les sandales aux pieds 24. Le texte poursuit : Vous aurez des sandales aux pieds (Ex 12,11). Comme dit le psalmiste, nous avons à marcher sur la vipère et le scorpion (Ps 90,13), et le Seigneur donna à ses disciples le poua b
Cf. Aelred, Sermon 120,7. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 22,9.
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Sermon 121
voir d’écraser aux pieds serpents et scorpions (Lc 10,19). Il est par conséquent nécessaire que nous protégions nos pieds par des sandales. Car si nous avancions pieds nus sur le chemin où le serpent épie notre talon (cf. Gn 3,15), il pourrait nous mordre. 25. Voyons ce que sont ces pieds que nous avons à protéger. Ce sont assurément ceux par lesquels nous nous approchons ou nous nous éloignons de Dieua. Comment pourrions-nous, avec les pieds de notre corps, nous éloigner de Lui qui est tout entier partout ? Ces pieds, ce sont nos désirs. Lorsque nos désirs s’approchent de la terre et des œuvres terrestres, nous nous éloignons de Dieu. Par contre, lorsque nous les tenons à l’écart des réalités temporelles, nous nous approchons de Dieu. Mais puisque le Seigneur mit de l’eau dans un bassin et lava nos piedsb des souillures contractées au contact de la terre, nous avons à les protéger de peur qu’ils ne soient à nouveau souillés. 26. Les sandales, qui sont faites de peaux d’animaux morts, ce sont les exemples des saints qui ont quitté cette vie. Nous devons protéger nos pieds par leurs exemples, c’est-à-dire orienter vers Dieu tous nos désirs, à leur exemplec. C’est une bonne chose de retrancher d’abord la passion sensuelle, puis de protéger ses pieds, car chacun doit veiller à n’admettre aucune impureté dans sa chair, puis à purifier ses désirs de toute souillure terrestre (cf. 2 Co 7,1), afin de pouvoir dignement manger la Pâque du Seigneur.
Le bâton à la main 27. Mais puisque les âmes que la passion sensuelle ne peut salir sont ordinairement assaillies par l’orgueil, l’Écriture ajoute : Tenant un bâton à la main (Ex 12,11). Ceux qui se sentent faibles ont coutume de prendre des bâtons pour se soutenir. Ceux donc qui se confient en leur propre vertu et se glorifient de leurs propres forces ne sont pas en communion avec la chair de cet Agneau. Mais ceux Cf. Aelred, Miroir de la charité I,23 ; Sermon 64,18‑19. Cf. Jn 13,5 ; cf. Aelred, Sermon 64,18‑19. c Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 22,9 a
b
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qui ont bien conscience de leur propre faiblesse et de leur incessant besoin du secours divin, ceux qui ne s’appuient pas sur eux-mêmes mais sur leur Seigneur en disant : Ton bâton et ta houlette sont là qui me consolent (Ps 22,4), ceux-là mangent convenablement la chair de l’Agneau. 28. Et vous mangerez en toute hâte (Ex 12,11), est-il dit. Cette hâte peut désigner la gaieté de cœur et l’empressement spirituel. Car Dieu aime qui donne avec gaieté de cœur (2 Co 9,7). Tout notre agir doit être empreint de gaieté et d’empressement spirituel, afin que nous puissions dire avec le prophète : Je cours sur la voie de tes commandements (Ps 118,32).
Le chevreau
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29. Le texte ajoute : Conformément à ce rite, vous prendrez aussi un chevreau (Ex 12,5 vg). Il n’est rien dit d’autre au sujet de ce chevreau que de le prendre conformément au rite selon lequel on devait recevoir l’agneau. D’où il me paraît notamment que dans l’offrande de l’agneau est signifié d’une certaine manière ce que le Christ est devenu pour nous. Pour nous il est devenu Agneau véritable, Agneau immaculé, sans tache, séparé des pécheurs, élevé plus haut que les cieux (He 7,26). Pour nous il est devenu victime sainte, victime pure, victime immaculée, victime offerte pour le péché ; c’est une telle victime qui, sur l’autel de la croix, a pris le péché du monde entiera. Cet Agneau demeure pour nous la victime qui nous sauve, immolée mystiquement sur l’autel par les mains des fidèles. Et puisque nous péchons quotidiennement, Dieu est quotidiennement apaisé par cet Agneau de propitiationb. 30. Sa chair, nous la recevons en réfection spirituelle, son sang répandu revigore notre âme. L’hysope de notre petitesse est trempée dans ce sang, et notre maison est protégée par une quadruple aspersion (cf. Ex 12,22), parce que l’homme tout entier – constitué à partir des quatre éléments – est sanctifié par la foi en cette aspersion, a b
Oraison pour la messe de la Sainte Croix. Cf. 1 Jn 2,2 ; cf. Aelred, Sermon 120,6.
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Sermon 121
et l’Exterminateur (cf. Ex 12,23) est mis en fuite par la puissance de cet Agneau. Nous ceignons nos reins par la chasteté, nous protégeons nos pieds par l’empressement spirituel, nous tenons en main un bâton par la considération de notre faiblesse (cf. Ex 12,11). Les Juifs – qui n’ont pas mis à mort notre Seigneur comme un agneau mais qui, comme un chevreau, l’ont immolé parmi les pécheurs – ont célébré matériellement ces réalités à notre avantage.
Pains azymes et laitues sauvages 31. Le texte poursuit : Cette nuit-là, vous mangerez des pains azymes avec des laitues sauvages (Ex 12,8). Ô Juifs, si vous mangiez des pains azymes pour vous remettre en mémoirea la hâte avec laquelle vous êtes sortis d’Égypte, pourquoi Dieu a-t-il pris la peine de vous donner des instructions à propos des laitues sauvages ? Voyons ce que cela veut dire. 32. La Parole de Dieu est un pain, les paroles des prophètes sont des pains. Ces pains, les Juifs les avaient – puisqu’ils avaient la Loi, les prophètes, les psaumes (cf. Lc 24,44) –, mais ils les mangeaient avec de la boue, c’est-à-dire avec les observances matérielles. Ces pains, ils les mangeaient avec le ferment de l’orgueil, ignorant la justice de Dieu, voulant établir la leur (Rm 10,3). Débarrassons-nous du vieux levain (1 Co 5,7). Le vieux levain, c’est évidemment l’orgueilb. Un peu de levain corrompt toute la pâte (1 Co 5,6). Rejetons ce levain qui corrompt et enfle. Rejetons la boue, c’est-àdire la compréhension matérielle du texte, selon la lettre ; et, dans la foi en Jésus Christ, célébrons la fête avec du pain non fermenté : la droiture et la vérité (1 Co 5,8). 33. Nourrissons-nous de la méditation des saintes Écritures, qui sont des azymes de droiture et de vérité (1 Co 5,8), en lesquelles il n’y a rien qui ne soit pur et vraic. Mais tout cela avec des laitues sauvages (cf. Ex 12,8). Les laitues sauvages signifient un mode de Cf. Aelred, Sermons 2,5 ; 24,1. Cf. Aelred, Sermon 11,14. c Cf. Aelred, Sermon 120,7‑8. a
b
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Sermon 121
vie austère, dans les jeûnes, les veilles, les travaux (cf. 2 Co 6,5). Qui veut se nourrir des saintes Écritures et jouir de la sagesse de Dieu ne doit pas vivre mollement mais s’astreindre à une voie étroite (cf. Mt 7,14). Car, comme le dit le bienheureux Job : La sagesse ne demeure pas dans la terre de ceux qui vivent dans les délices (Jb 28,13 vg).
Vie présente et vie future 34. Ces choses s’accomplissent en cette nuit (cf. Ex 12,8). Par comparaison avec la vie en laquelle toutes choses seront manifestées dans la lumière, la vie présente est une nuit. En cette nuit l’Agneau dont nous parlons est immolé, en cette nuit il est mangé dans le sacrement du corps et du sang du Christ et grâce à la foi dont vit le juste (Rm 1,17) en cette vie. Lors donc que ce jour à venir sera arrivé, ce sacrifice cessera d’être offert comme il l’est à présent. Alors, nous ne serons plus dans la nécessité de lire les Écritures ou de mortifier notre corps. Alors, nous n’aurons qu’une seule et unique occupation : goûter et voir combien le Seigneur est bona, et prendre plaisir à le louer. 35. Mais, puisque nous parlons déjà depuis longtempsb, plaçons devant les yeux de notre cœur la passion et la résurrection du Christ ainsi que tous les bienfaits qu’il nous a accordés par elles ; en cette fête, paraissons devant la face du Seigneur notre Dieu en lui rendant grâce pour tous ses bienfaits et en le suppliant d’obtenir d’être crucifiés pour lui dans la vie présente, et glorifiés dans la vie future. Qu’il daigne l’accorder, lui qui vit et règne, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
Cf. Ps 45,11 vg et Lm 3,25. Cf. Aelred, Sermon 31,32 ; Homélies sur les fardeaux 16,17.
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SERMON 122 POUR LE SAINT JOUR DE PÂQUES
Nouvelle mouture de thèmes déjà présentés dans le sermon 40, ce sermon pour le jour de Pâques insiste encore davantage sur le parallélisme entre, d’une part, les passions intérieures subies par l’homme pécheur et, d’autre part, les souffrances physiques volontairement assumées par le Rédempteur. Dieu voulut participer aux misères humaines afin que l’homme devienne participant de sa jubilation.
Dessein rédempteur 1. Celui qui sait considérer à bon escient en quelle misère nous sommes tombés à cause de l’ancien Adam peut parfaitement comprendre ce que nous avons recouvré grâce au nouvel Adama. De même, celui qui a reconnu combien est grand et admirable ce que Dieu a enduré en faveur de l’homme peut comprendre à quel point l’être humain s’était éloigné de la véritable béatitude. Adam, quand il fut au paradis, fut heureux en son corps et en son âme ; mais après qu’il eût délaissé le dessein de Dieu et suivi celui du démon, il devint malheureux en son corps et en son âme. 2. Afin de le ramener vers ce qu’il avait perdu, Dieu, au nom de la bonté qui lui est propre, voulut devenir participant de sa misère, afin de le rendre participant de sa jubilation. Il assuma notre a
Cf. Rm 5,14 ; 1 Co 15,45.
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Sermon 122
misère en (son) corps au dehors, et, grâce à cela, il nous attira vers sa béatitude au dedans. Puis donc qu’il voulut la misère pour son corps en raison de la misère de notre âme et de notre corps, il se plut à subir, selon le même ordre, des misères en ce corps par lequel nous avions subi des misères dans l’âme. La plus grande misère de notre corps, c’était la mort ; et la plus grande misère de notre âme, c’était la haine du bien et l’amour du mal. 3. Notre Seigneur voulut assurément nous ramener à la vie de notre corps par sa résurrection, et à la vie de notre âme par sa mort. C’est pourquoi il voulut mourir à cause de nos péchés (cf. Rm 4,25) – d’où provenait la mort de notre âme –, mais selon le même ordre par lequel nous étions arrivés à cette mort de notre âme. Par conséquent, il voulut subir visiblement dans le corps ce que nous avions secrètement subi dans l’âme. Considérons donc le déroulement de la passiona qu’il a endurée dans le corps (cf. 1 P 2,24), et nous verrons comment sa passion corporelle fut un remède spirituel pour les passions que nous avions subies dans l’âme.
Le baiser et les chaînes
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4. En premier lieu, Judas (le) livra par un baiser (cf. Lc 22,48). Lui, il voulut être livré car l’ancien Adam avait été livré. Le démon livra Adam, non par sa puissance mais par la ruse (cf. Gn 3,1) et par un baiser. Le baiser est signe de paix et d’amourb, et le démon feignit d’avoir en lui-même la paix et l’amour à l’égard de l’homme. Pourquoi, dit-il, vous est-il prescrit de ne pas manger du fruit de cet arbre ? Et la femme répondit : De peur que nous en venions à mourir (Gn 3,1‑3). Non, dit-il, vous ne mourrez pas, mais vous serez comme des dieux (Gn 3,4‑5). L’amour semble être ce pourquoi il les instruit de la façon de pouvoir être comme des dieux. Mais ce baiser était trompeur, et il les livra par ce baiser, il ne les fit pas avancer. Goûtez, et vous serez comme des dieux (Gn 3,5). Sur les lèvres, c’était un baiser ; mais dans le cœur, un poison. a b
Ordo passionis ; cf. Aelred, Sermon 40,2‑3. Cf. Aelred, Amitié spirituelle, II,24.
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Sermon 122
5. Après le baiser que le Seigneur reçut de Judas, il fut ligoté. Qui ligota Adam après ce baiser ? La convoitise de cette pomme. Le démon attira d’abord Ève comme par un baiser quand il lui fit cette promesse : Vous serez comme des dieux. Mais ensuite, comme dit l’Écriture, elle vit que l’arbre était séduisant à voir et bon à manger (Gn 3,6). Après cela, sa propre convoitise la menait si bien, la ligotait si bien qu’elle ne pouvait en aucune manière s’en défaire, même si elle n’avait rien espéré en obtenir pour elle-même. 6. Adam à son tour fut ligoté quand, après le péché, il ressentit ses membres (cf. Rm 7,23) enchaînés par la convoitise. Il était ligoté par les cordes des péchés et les plus mauvaises passionsa. Sa convoitise était ligotée parce qu’il avait perdu la liberté qu’il possédait auparavant d’où il aurait pu dire : Ma conscience ne me reproche rien (1 Co 4,4). Telles sont les chaînes par lesquelles toute la descendance d’Adam a été ligotée. Aussi lit-on dans un psaume : Les liens des pécheurs m’ont tout enveloppé (Ps 118,61).
Expulsion et aveuglement 7. Après avoir été ligoté, notre Seigneur fut conduit à la maison de Caïphe (cf. Mt 26,57), qui était le prince de ces méchants. Le démon est le prince de tous les mauvais, le prince du monde dont le Seigneur dit : Voici maintenant que le monde est jugé ; voici maintenant que le prince du monde va être jeté dehors (Jn 12,31). S’il est bien le prince du monde, alors le monde est comme sa maison. Voilà pourquoi, après qu’Adam eût été livré et ligoté, il fut expulsé loin des délices du paradis et conduit vers les vanités et les misères de ce monde (cf. Gn 3,23‑24). C’est précisément dans la maison que les serviteurs voilèrent la face du Seigneur, et qu’ils le frappaient de coups et se moquaient de lui en disant : Prophétise (Lc 22,64). 8. Oh si nous pouvions comprendre de quelle manière l’être humain avait sa face intérieure (cf. Rm 7,22) voilée ! Tant qu’il était au paradis, obéissant à son Créateur, il contemplait à face libre la gloire de Dieu (cf. 2 Co 3,18), car il avait intérieurement a
Cf. Aelred, Sermons 35,5 ; 61,8 ; Homélies sur les fardeaux 18,4.
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Sermon 122
des yeux clairs : la raison et l’amour. Il était heureux tant qu’il tenait ces yeux ouverts à la lumière qui divinisea. Mais lorsqu’il ouvrit les yeux extérieurs pour regarder ce que Dieu avait interdit, sa face s’est évidemment voilée, et ses yeux se sont aveuglés. Aussitôt, les serviteurs de Caïphe – les esprits mauvais, les vices et les péchés – voilèrent ses yeux par deux bandeauxb. Un œil – la raison – a été voilé par l’ignorance, l’autre – l’amour – a été voilé par la convoitise. La raison n’a pas pu comprendre et rechercher la vérité, à cause de l’ignorance ; ni l’amour embrasser la justice, à cause de la convoitise. 9. Ils le frappaient de coups par l’erreur, la crainte et la douleur. La crainte frappait de coups en évoquant les maux qui pouvaient lui arriver. La douleur frappait de coups quand il éprouvait ces mêmes maux. Ô Adam, prophétise maintenant (cf. Lc 22,64) ! Prophétiser, c’est avoir connaissance des choses à venir. Cela appartient en propre à Dieu. Adam voulut être semblable à Dieu, posséder le don de prophétie, avoir connaissance du bien et du mal. Dès lors, quand il le chassa du paradis après l’avoir revêtu de la tunique de peaux (cf. Gn 3,21‑24), le Seigneur lui dit : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous, connaissant le bien et le mal (Gn 3,22). Moquerie que ce prophétise ! Autrement dit : ‘Où est-elle à présent ta divinité ? Montre-la, prophétise !’
Tiraillements et flagellation 10. Après cela, Caïphe le livra à Pilate, Pilate à Hérode, et celui-ci le renvoya à Pilate (cf. Lc 23,1‑11). Ainsi de l’être humain après qu’il eût été expulsé loin du Seigneur, que sa face eût été voilée, qu’il eût été livré aux esprits immondes et aux passions avilissantes ; après que l’esprit d’impureté l’eût poussé à la fornication et à un comportement honteux, l’esprit d’avarice le prenait sous sa coupe et le poussait vers les fraudes, les vols, les rapines. Et lorsque tel démon s’était rassasié de l’avoir tourné en dérision, un autre le a b
Cf. Règle de saint Benoît Prologue, 9. Cf. Aelred, Sermon 40,4‑6.
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Sermon 122
prenait sous sa coupe et se jouait de lui. Ainsi était le malheureux être humain : parce qu’il avait délaissé la grâce du Seigneur, les démons le tiraillaient à leur guise. 11. Le Seigneur a été flagellé (cf. Jn 19,1) parce qu’il voulut, par la flagellation corporelle, nous libérer des fouets spirituels. Les Égyptiens frappaient de coups les enfants d’Israël (cf. Ex 5,14), parce que les esprits impurs fouettaient le genre humain et ceux qui faisaient partie des enfants d’Israël, c’est-à-dire l’assemblée céleste qui voit Dieu face à face (cf. Gn 32,31). Ils frappaient par les tourments et les angoisses de cette vie, au moyen des fouets tels que la colère, la jalousie, la fureur, la haine, l’indignation. Ô combien sont terribles et pénibles ces fouets ! Les Égyptiens frappaient de coups les enfants d’Israël jusqu’à ce qu’ils célèbrent la Pâque. Mais dès que l’agneau fut tué et que son sang fut répandu, les Égyptiens cessèrent de frapper les enfants d’Israël. Ne craignons donc plus les fouets de Pharaon, c’est-à-dire du démon. Notre Agneau a été frappé pour nous, et par les coups de fouet qu’il a reçus il nous a libérés des fouets.
Couronnement d’épines, fiel et vinaigre 12. Le Seigneur a été flagellé, il a été couronné d’épines (cf. Jn 19,2). Les épines symbolisent les péchés, la couronne symbolise la gloire. Voulez-vous savoir comment l’être humain a été couronné d’épines ? Songez à la façon dont il se glorifiait en ses péchés. Qu’est-ce en effet qu’être couronné d’épines sinon se glorifier de ses péchés, exulter et rechercher l’honneur à cause d’euxa ? Puisse cette perversité ne plus exister chez les humains ! Mais le pire est que beaucoup, dans la mesure même où ils sont plus infâmes, plus cruels et plus prompts à commettre toutes sortes de mal, se rengorgent et se glorifient davantage. Ceux-là sont ingrats à l’égard des épines de Jésus. 13. Mais l’être humain avait beau se vanter de telles choses et exulter, il buvait pourtant souvent du fiel et du vinaigre (cf. Mt a
Cf. Aelred, Sermon 40,7.
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Sermon 122
27,34). Sa nourriture et sa boisson étaient mêlées de fiel et de vinaigre. La nourriture, à l’extérieur en quelque sorte, c’est toute espèce de plaisir de la chair ; la boisson, c’est la joie à l’intérieur. Mais tout son plaisir et sa joie étaient mêlés d’amertume et de misèrea.
Crucifixion, mort et ensevelissement
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14. Enfin, le Seigneur a été crucifié, est mort et a été enseveli. Arbre sec et stérile, celui auquel l’être humain était attaché par les pieds et les mains. L’arbre, c’était pour ainsi dire l’humaine nature qui engendrait tous les humains comme des sortes de rameaux. Tant que cet arbre était au paradis, il était verdoyant et portait du fruit. Mais vint le serpent et, par son venin, il corrompit la racine, et l’arbre se dessécha. À cette corruption, l’homme était livré. Par cette corruption, il était attaché par les mains et les pieds de façon à ne pouvoir ni agir correctement ni garder le droit chemin. Notre Seigneur, lui, en ayant ses mains et ses pieds attachés délia les nôtres de sorte que nous puissions dire avec le prophète : Tu as brisé mes chaînes, je t’offrirai le sacrifice de louange (Ps 115,16). 15. Enfin, l’homme est mort. Lorsqu’il pécha, il fut blessé ; mais tant qu’il connut sa blessure et confessait son péché, il y avait en lui une certaine quantité de péché. Par contre, quand il devint si impudent et contempteur de sa vie qu’il ne voulut plus reconnaître son péché ni le confesser, il est mort. La confession est inconnue du mort comme de celui qui n’est pas (Si 17,28). Lorsqu’il est tombé dans la désespérance, il a été ensevelib.
Résurrection 16. Voyez dans quel bel ordre notre Dieu nous a rachetés : ce que nous avions subi dans l’âme, lui l’a subi dans le corps ; vers la résurrection – à laquelle il a amené son corps –, il a assurément a b
Cf. Aelred, Sermon 44,3. Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 22,9 ; Sermon 180,3.
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amené notre âme. De même qu’il est mort avec nous, ainsi nous sommes ressuscités avec lui. C’est pourquoi faisons ce que dit l’Apôtre : Si vous êtes ressuscités avec le Christa … (Col 3,1). 17. D’abord, nous sommes ressuscités avec Lui dans le baptême, parce que c’est là que nous étions morts avec le Christ, comme dit l’Apôtre : Nous avons en effet été ensevelis avec lui (Rm 6,4). Mais après cette résurrection-là, nous sommes à nouveau morts en notre âme en raison des vices et des péchésb. Nous avons donc eu besoin de mourir avec le Christ, comme par une autre mort, et ainsi ressusciter. Je vois que cela s’est réalisé en vousc. 18. Je vois en vous la flagellation du Christ, la mort du Christ, l’ensevelissement du Christ. Vous êtes flagellés pour le Christ par les tentations. Vous êtes morts avec le Christ par les tribulations, les jeûnes et les travaux. Vous êtes en quelque sorte ensevelis avec le Christ par le silence, enfermés dans un cloître comme dans une espèce de tombeau. Vous qui dans le corps supportez ces choses pour le Christ, vous êtes dans l’âme ressuscités avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut (Col 3,1). Mais puisque ceux qui participent à cette résurrection ne sont pas tous au même degré de perfection, voyons comment chacun à sa mesure doit rechercher les réalités d’en haut.
La recherche des commençants 19. Il y a des commençants, il y a des progressants et il y a des parfaits. Les commençants, qui sont récemment arrivésd du monde, sont encore fort harcelés par les désirs charnels (cf. 1 P 2,11). Les progressants, qui ont déjà obtenu un peu de répit de la part des vices charnels, sont pourtant encore exposés aux violents assauts des vices spirituels. Nous appelons vices charnels la fornication, la luxure, la gloutonnerie, l’ébriété et autres choses semCf. Aelred, Sermon 40,8‑9. Cf. Aelred, Sermon 56,4. c Cf. Aelred, Sermon 40,10‑20. d Cf. Règle de saint Benoît 58,1. a
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blables. Ces vices assaillent d’habitude en premier lieu l’homme quand il quitte le monde. Si, par la suite, il se met à progresser en vertu, aussitôt ce sont les vices spirituels qui commencent à l’assaillir, l’orgueil et la vaine gloire. 20. Il est nécessaire que les commençants – déjà ressuscités avec le Christ par la confession – recherchent les réalités d’en haut (cf. Col 3,1). Les vertus sont d’en haut parce que tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières (Jc 1,17). Les vices sont d’en bas parce que tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie (1 Jn 2,16). La chasteté est d’en haut, parce qu’elle se rapporte au ciel ; le désir déréglé est d’en bas, parce qu’il se rapporte à l’enfer. Le mépris du monde est d’en haut, car celui qui méprise le monde lui est supérieur, tandis que celui qui aime le monde lui est assujetti parce que l’amour de Dieu n’est pas en lui (cf. 1 Jn 2,15). L’amour des réalités temporelles est d’en bas, dans le luxe des vêtements, dans l’accumulation d’or et d’argent. L’abstinence est d’en haut, parce qu’elle élève l’esprit vers les réalités célestes ; la gloutonnerie est d’en bas, parce qu’elle entraîne l’esprit vers le ventre.
La recherche des progressants 21. Ceux donc qui sont des commençants doivent toujours dédaigner les choses d’en bas, c’est-à-dire les vices et les péchés, et avoir toujours devant les yeux de l’esprit les vertus, qui sont d’en haut. Quant à ceux qui ont déjà progressé dans les vertus, s’ils sont tentés par l’orgueil, qu’ils voient pourquoi ils s’enorgueillissent. Si c’est à cause des vertus qu’ils possèdent, qu’ils sachent que ce ne sont déjà plus des vertus. Des vertus orgueilleuses, en effet, ne sont pas des vertusa. Ceux donc qui s’enorgueillissent sont d’en bas et non d’en haut. Car s’ils s’enorgueillissent, ou bien ils cherchent à être loués par autrui, ou bien ils se glorifient en eux-mêmes : l’une et l’autre attitudes sont d’en bas, non d’en haut. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne a
Cf. Aelred, Amitié spirituelle, I,63.
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l’avais pas reçu (1 Co 4,7) ? Par conséquent, si ces progressants sont déjà ressuscités avec le Christ – non seulement par la foi mais aussi par les œuvres bonnes –, qu’ils recherchent les réalités d’en haut, afin d’accomplir ce que dit l’Apôtre : Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur (1 Co 1,31).
La recherche des parfaits 22. Quant à ceux qui ont déjà si bien progressé vers la perfection qu’ils répriment en eux-mêmes toute tentation des vices et gardent une humble opinion d’eux-mêmes dans la pratique d’œuvres bonnes et parfaites, qu’ils montent plus haut (cf. Lc 14,10), vers leur cœur profond (cf. Ps 63,7) et qu’ils recherchent les réalités d’en haut (cf. Col 3,1). Qu’ils ne s’en tiennent pas là, mais qu’ils tendent vers des réalités toujours plus hautes. Qu’ils commencent à se dégager intérieurementa de toutes les préoccupations terrestres, qu’ils ferment les yeux à ces réalités visibles et les oreilles aux choses futilesb. Qu’ils s’appliquent à passer au-delà de toute créature afin qu’ils puissent voir le Roi dans sa beauté (cf. Is 33,17) et goûter combien il est bon, combien il est doux (cf. Ps 33,9), combien Dieu est glorieux en ses saintsc.
Chercher et savourer 23. Que les commençants tendent donc vers les vertus, les progressants vers l’humilité, les parfaits vers la contemplation ; et ainsi s’accomplira ce que dit l’Apôtre : Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut. Et ce qui suit : Savourez les choses d’en haut, non pas celles qui sont sur la terre (Col 3,1‑2). Quelle différence y a-t-il entre savourer et chercher ? Une énorme différence ! Puisse la vérité avoir de la saveur pour tous ceux qui Litt. « élever son cœur de… ». Littéralement : choses vaines qui se font entendre. c Cf. Ps 67,36 ; cf. Aelred, Dialogue sur l’âme, III,9. a
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cherchent cette vérité ! Comme nous le lisons, tous les enfants d’Israël recueillaient la manne, mais elle n’avait pas la même saveur pour tous (cf. Sg 16,20‑21). De nos jours, nombreux sont ceux qui cherchent la vérité et la trouvent, et pourtant cette vérité n’a pas de saveur pour eux. 24. Beaucoup lisent les Évangiles et les Prophètes, ils cherchent et ils aiment beaucoup la vérité des pensées exprimées, mais elle n’a pas de saveur pour eux quand ils l’ont trouvée. En effet, si la douceur intérieure de la vérité qui se trouve dans les Écritures avait de la saveur pour eux, ils ne vivraient certainement pas d’une manière si désordonnée et corrompue. Beaucoup disent également : ‘Ô si je savais où je pourrais servir le Christ dans une vie authentiquement religieuse, personne ne me délogerait de là.’ Et quand ils ont trouvé la pure vie évangélique, elle n’a pas de saveur pour eux, mais la douceur du monde en a pour eux bien davantage. 25. C’est ainsi que les enfants d’Israël désiraient beaucoup sortir d’Égypte, abandonner l’esclavage imposé par Pharaon, et sacrifier à Dieu dans le déserta. Mais, après être arrivés au désert, avoir vu les miracles et les signes que le Seigneur avait accomplis devant eux et avoir goûté la manne céleste, ils se mirent à trouver plus de saveur dans la nourriture d’Égypte : ils désiraient les marmites de viande (cf. Ex 16,3) et prenaient la manne en dégoût (cf. Nb 11,6). Si donc vous avez cherché la vérité, c’est peu de chose. Oui, c’est bien peu d’avoir cherché les réalités d’en haut et de ne pas savourer les réalités d’en haut (Col 3,2).
Recueillir la saveur de la vérité 26. Savourez, c’est-à-dire ruminez souvent, songez fréquemment à l’excellence de la vérité, à l’assurance que l’on trouve dans la pureté, au bonheur qu’il y a à servir Dieu. Songez à cela, et comptez pour rien tout ce que la chair pourrait vous suggérer. Suivez la raison et, à partir des douceurs terrestres et passagères, évaluez ce que sont les réalités célestes et éternelles. Par une fréquente a
Cf. Ex 8,23 ; cf. Aelred, Sermon 6,11‑12.
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méditation, recueillez ainsi non seulement la connaissance mais aussi la saveur de la vérité. 27. Ainsi, pourvu que nous soyons ressuscités et que nous nous élevions de terre par l’intention de notre esprit et le zèle de notre amour, nous serons vraiment participants de la résurrection du Seigneur. Mais puisque notre effort est bien peu de chose si la grâce de Dieu ne nous vient également en aide, implorons sa douce miséricorde afin qu’il nous donne de vouloir et de pouvoir chercher les réalités d’en haut (cf. Col 3,1‑2) jusqu’à ce que nous méritions d’atteindre à cette gloire vers laquelle Jésus Christ notre Seigneur est monté en premier. À lui soit l’honneur et la puissance (cf. 1 Tim 6,16) avec le Père et l’Esprit Saint pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 123 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
Ce sermon est une reprise du sermon 13, en des termes quasi identiques. Fondé sur les récits évangéliques, il développe les divers thèmes liés à la fête du jour.
Glorification de l’homme 1. Pendant un certain temps déjà, nous avons rendu présente la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ, et la période durant laquelle il demeura en ce monde après sa résurrection. Aujourd’hui, nous célébrons le jour où il nous a ouvertement montré que tout ce qu’il a fait et souffert en ce monde avait comme but de nous conduire de la mort – en laquelle nous étions tombés par Adam – jusqu’à la vie véritable, et de nous faire monter de cet exil à notre patrie, c’est-à-dire au ciel. Car il est mort à cause de nos péchés, il est ressuscité pour notre justification (Rm 4,25) et il est monté au ciel pour notre glorification. 2. Par sa mort, nous recevons la rémission des péchés (cf. Ep 1,7), par la foi en sa résurrection, nous sommes justifiés. Les Juifs et les païens, qui n’avaient pas la foi, savaient qu’il était mort, mais ils ne voulaient pas croire en sa résurrection, parce qu’ils ne pouvaient la voir. Notre foi, au contraire, mérite la justification et attend une grande récompense, parce que nous croyons en une réalité que
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nous n’avons pas pu voir. C’est ainsi que le Seigneur dit à Thomas : Parce que tu as vu (Jn 20,29). Or, cette béatitude que nous attendons, il a voulu nous la montrer aujourd’hui en lui-même montant au ciel, afin que nous soyons certains, nous qui sommes ses membres, de monter là où il est monté, lui qui est notre Tête. 3. C’est pourquoi, frères très chers, nous devons célébrer ce jour avec une grande joie, parce qu’en ce jour nous est montrée une telle glorification de l’homme qu’il ne saurait y en avoir de plus grande. Aujourd’hui, notre nature – qui fut à ce point pervertie et avilie qu’elle fut mise sur le même pied que les animaux sans raison (cf. Ps 48,21) – a été tellement exaltée en notre Seigneur Jésus Christ qu’elle a toute créature en dessous d’elle et que les anges l’adorent au-dessus d’eux.
Les quarante jours 4. Comme vous l’avez souvent entendu, notre Seigneur, après sa résurrection, voulut demeurer corporellement en ce monde durant quarante jours (cf. Ac 1,3), pour plusieurs raisons. Oui, il voulut affirmer sa résurrection et montrer de bien des manières qu’il était vraiment ressuscité d’entre les morts, selon la chair. Aussi a-til mangé et bu avec ses disciples (cf. Ac 10,41), et il leur a clairement montré ses blessures. Et lorsque Thomas refusa de croire que les apôtres l’avaient vu, il leur permit de toucher ses plaies, celles de son côté et de ses mains (cf. Jn 20,27). Il voulut réconforter par sa présence corporelle ses disciples, attristés outre mesure par sa passion et presque désespérés, et il voulut leur prouver par l’autorité des Écritures qu’il lui fallait mourir et ressusciter. De plus, il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures (Lc 24,45). 5. Avant la passion et la résurrection, il jeûna (cf. Mt 4,2) durant une période aussi longue que celle où il voulut être corporellement avec ses disciples après la résurrection (cf. Ac 1,3). Par son jeûne, il nous a recommandé la mortification corporelle que nous devons endurer en cette vie. Par la présence corporelle qu’il manifesta aux siens après sa résurrection, nous pouvons percevoir
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combien sa douce présence nous réconfortera après notre propre résurrection. Mais l’une et l’autre réalité sont mises en lumière durant le même nombre de jours, car le réconfort que nous recevrons dans la vie future sera à la mesure de ce que, durant cette vie, nous souffrons pour le Christ.
Les signes
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6. En outre, notre Seigneur voulut, après sa résurrection, attirer notre attention sur ces grands mystères au moyen de certains signes visibles. Durant ces jours, il apparut à ses disciples en train de pêcher et, sur son ordre, ils tirèrent sur le rivage un filet rempli de cent cinquante-trois gros poissons (Jn 21,11), où est signifiée la béatitude de ceux qui seront présentés au Seigneur par les serviteurs du Christ, lors de la résurrection futurea. Et le repas qu’il voulut prendre avec ses disciples symbolise celui où nous mangerons et boirons à sa table dans son royaume (cf. Lc 22,30). 7. Durant ces jours, tandis qu’il était encore sur terre, il donna à ses disciples l’Esprit Saint (cf. Jn 20,22) que, par la suite, il envoya du ciel. Le fait qu’il leur fit par deux fois le don du même Esprit Saint attire notre attention sur le double amour pour Dieu et pour le prochain. En outre, le chiffre de quarante jours est également le signe de profonds mystères. Mais vous, qui êtes habitués à lire les commentaires des Pères saints, vous n’avez pas besoin d’entendre beaucoup de choses là-dessus. Quant aux esprits plus simples, il est probable qu’ils préféreraient entendre autre chose. C’est pourquoi je ne veux pas en dire davantage pour l’instant.
Reproches et réconfort 8. Après avoir donc accompli tout ce pourquoi il voulut vivre sur terre durant cette période, il leur apparut en ce jour, mangea a
Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 122,7.
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avec eux et monta au ciel, comme le dit Luc dans les Actes des Apôtres : Au cours d’un repas qu’il partageait avec eux, il leur enjoignit… (Ac 1,4). Ô combien heureux ceux qui étaient à ce repas ! Pourtant, le Seigneur leur reprocha leur incrédulité (Mc 16,14). Il était souvent apparu à ses disciples après sa résurrection, il avait mangé et bu avec eux. Mais en cette apparition-ci, lorsqu’il voulut monter au ciel, beaucoup, je pense, ne l’avaient pas encore vu et ils doutaient quelque peu. C’est pourquoi le Seigneur leur fit des reproches. C’est joliment dit : d’une part il les réconforta, de l’autre il leur fit des reproches. Et c’est au moment où il leur fit les plus vifs reproches qu’il leur promit l’Esprit Saint. Comme il est écrit : Il leur enjoignit de ne pas s’éloigner de Jérusalem mais d’attendre ce qui était promis (Ac 1,4‑5).
Élie et Élisée 9. Nous lisons dans le Livre des Rois que, lorsqu’Élie fut enlevé dans un char de feu, il abandonna son manteau à Élisée et l’esprit d’Élie fut doublé en Élisée (cf. 2 R 2,9‑15). Élie symbolise notre Seigneur ; Élisée, les apôtres et les disciples du Seigneur. L’enlèvement d’Élie au ciel symbolise l’ascension du Seigneura. Mais comme Élie n’était qu’un homme, il eut besoin de l’aide de quelqu’un d’autre. Notre Seigneur par contre, qui était vrai Dieu, monta au ciel par sa propre puissance. Le manteau d’Élie symbolisait la sainte Égliseb, comme l’a dit le patriarche Jacob à propos de notre Seigneur : Il lavera son vêtement dans le vin, son manteau dans le sang des raisins (Gn 49,11). Car c’est par son propre sang qu’il purifia la sainte Églisec. Quand Élie monta sur un char, il abandonna son manteau à Élisée (cf. 2 R 2,13). Et quand le Seigneur monta au ciel, il confia l’Église à ses disciples. Il leur dit en effet : Allez dans le monde entier, prêchez l’Évangile à toute créature (Mc 16,15), c’est-à-dire Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon pour l’Ascension 3,5. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,5 ; cf. Aelred, Sermons 101,2 ; 124,38 ; 126,9. c Cf. Pseudo-Origène, Homélies sur la Genèse 17,8. a
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au genre humain tout entier, Juifs et païens, savants et ignorants (cf. Rm 1,14), riches et pauvres qui, à eux tous, constituent la sainte Églisea. 10. Mais que signifie le fait que l’esprit d’Élie a été doublé en Élisée (cf. 2 R 2,9) ? Le Seigneur dit quelque part : Celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes (Jn 14,12). Notre Seigneur fit par lui-même beaucoup de choses tandis qu’il était corporellement sur terre ; pourtant, après être monté au ciel, il en fit d’une certaine manière beaucoup plus par l’intermédiaire des apôtres et des autres disciples. Par lui-même, il n’a converti que peu de Juifs ; par les apôtres, c’est le monde presque tout entier qu’il a amené à croire en luib. Beaucoup de malades ont été guéris en touchant la frange de son manteau (cf. Mt 14,36), mais il est encore plus remarquable qu’il en ait libéré davantage de leurs infirmités par la seule ombre de Pierre (cf. Ac 5,15). C’est ainsi qu’on peut dire que l’esprit d’Élie a été doublé en Élisée. Élisée vint au Jourdain, il frappa le fleuve qui ne se divisa pas. Mais dès qu’il prononça le nom d’Élie en disant : Où est le Dieu d’Élie maintenant ? (2 R 2,14), les eaux se séparèrent. Il en est de même pour les apôtres : bien qu’ils semblent avoir fait davantage que ce que le Seigneur fit par lui-même sur terre, ils ne l’ont pourtant pas fait en leur propre nom et par leur propre pouvoir – comme notre Seigneur – mais au nom de leur Maître et par sa puissance. 11. On peut également comprendre ainsi le fait que l’esprit d’Élie a été doublé en Élisée après son enlèvement (cf. 2 R 2,9) : l’Esprit de Dieu, qui était dans les apôtres avant l’Ascension, a été doublé en eux après celle-ci, parce qu’ils possédèrent une plus grande grâce après son ascension qu’ils n’en eurent auparavant. On peut encore comprendre autrement la double grâce qu’Élisée a, dit-on, possédée : les apôtres ont reçu à deux reprises l’Esprit de notre Élie, c’est-à-dire de notre Seigneur Jésus Christ, à savoir l’Esprit Saint. D’abord sur terre, lorsqu’il leur apparut, souffla sur Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,2. Cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,15 ; cf. Bernard de Clairvaux, Sermon pour l’Ascension 3,5. a
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eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint (Jn 20,22). Ensuite du ciel lorsque leur apparurent des langues qu’on eût dites de feu qui se divisèrent et se posèrent sur chacun d’eux (Ac 2,3).
Vers Béthanie 12. Quand fut terminé leur doux repas, il les mena dehors vers Béthanie (Lc 24,50), comme dit l’évangéliste. Béthanie est un village situé au flanc du mont des Oliviers et se traduit par ‘maison de l’obéissancea’. Belle signification : d’abord, il mangea avec eux ; puis, il les mena dehors vers Béthanie. Il rend vraiment obéissants ceux qu’il a coutume de revigorer par une nourriture spirituelle. Nous ne devons pas non plus laisser de côté ce qui est dit : Il les mena dehors. Car celui qui monte véritablement à Béthanie, c’est celui que le Seigneur mène dehors. D’abord hors du monde, quand il le rend tel qu’il n’aime ni le monde ni ce qui est dans le monde (cf. 1 Jn 2,15). Hors de ses mauvaises habitudes aussi, lorsque d’un homme débauché, impatient ou orgueilleux il fait un homme chaste, pacifique et humble. Et encore il le mène dehors, c’est-àdire hors de sa volonté propre, en sorte qu’il ait toujours en son cœur cette parole du Seigneur : Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m’a envoyé (Jn 6,38). Celui que le Seigneur mène ainsi dehors, il le conduit à Béthanie, celle qui est sur la montagne, et pas sur n’importe quelle montagne mais sur le mont des Oliviers. 13. Il y a une Béthanie dans la vallée. Béthanie, comme nous l’avons ditb, se traduit par ‘maison de l’obéissance’ et désigne le cœur obéissant aux commandements de Dieu. La maison de l’obéissance se trouve dans la vallée quand quelqu’un se montre obéissant en vue d’obtenir quelque avantage terrestre. Par ailleurs, de même qu’il y a de bonnes montagnes – au sujet desquelles il est écrit : J’ai levé les yeux vers les montagnes (Ps 120,1) –, ainsi il y a de mauvaises montagnes, telle la montagne de l’orgueil sur laquelle a b
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 60. Au paragraphe précédent.
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s’assied celui qui ne voit rien que de sublime, celui qui est le roi de tous les enfants de l’orgueil (Jb 41,26). Sur cette montagne, certains ont leur Béthanie, c’est-à-dire leur cœur, qui semble être une maison d’obéissance : quoiqu’ils fassent, ils le font pour être louangés par les hommes (cf. Mt 23,5). Ce n’est pas à cette Béthanie que conduit Jésus, le maître de l’humilité, mais à celle qui est située sur le mont des Oliviers, où se trouve la fertilité de l’huile. Car la montagne de Dieu est une montagne fertile (Ps 67,16). 14. Le mont des Oliviers désigne la charité, puisqu’elle l’emporte sur les autres vertus. Sur ce mont abonde l’huile spirituelle qui guérit les blessures de nos âmes et nous fait connaître la lumière de la vérité. Il est dans la nature de l’huile, si on la verse dans d’autres liquides, de surnager au-dessus de tous. Et l’Apôtre, après avoir parlé des autres vertus, en passant à la charitéa commence par dire : Je vais vous montrer une voie encore beaucoup plus excellente (1 Co 12,31). C’est pourquoi, frères très chers, si nous voulons voir Jésus avec des yeux spirituels et parvenir grâce à lui jusqu’au ciel, nous devons sortir du monde, en esprit et par la contemplation. Nous devons également, si nous le pouvons, dégager notre cœur des sens charnels et prendre les « armes glorieuses de l’obéissanceb. » Et nous ne devons pas placer la récompense de notre obéissance dans les vallées, c’est-à-dire dans des choses terrestres et basses, ni sur la montagne de l’orgueil, de peur que le Seigneur ne dise à notre sujet : En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense (Mt 6,2). Notre obéissance doit être sur la montagne de l’huile, la montagne de la charité, afin que, quoique nous fassions, nous le fassions pour l’amour de Dieu.
La bénédiction 15. Il les mena dehors vers Béthanie et, levant les mains, il les bénissait (Lc 24,50). Ô combien heureux ceux qui firent partie de ce groupe, ceux qui méritèrent d’être bénis par ces mains-là ! Et, a b
Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 6,20. Règle de saint Benoît Prologue, 3.
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levant les mains, il les bénissait. Voyez quel héritage nous a laissé notre Seigneur quand il a quitté ce monde : ni or ni argent ni quelque possession terrestre, mais sa bénédiction. Et pour que nous ne soyons pas trop attristés de ce qu’il se soit corporellement éloigné de nous, écoutons d’après un autre évangéliste ce qu’il leur a dit : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20). Comment donc s’est-il éloigné de nous ? Selon sa présence corporelle, évidemment. Selon sa divinité, il est toujours avec nousa. Selon sa tendre providence, il est toujours à nos côtés. 16. Et tandis qu’il les bénissait, voici qu’il s’éloigna d’eux et fut emporté au ciel (Lc 24,51). Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? C’est Dieu qui justifie. Qui donc condamnera ? Le Christ Jésus, qui est mort et ressuscité pour nous, qui, assis à la droite de Dieu, intercède pour nous (Rm 8,31.33‑34) ? Par conséquent, frères bien-aimés, nous devons résister vaillamment au démon et à ses embûches, et avoir grande espérance en notre Seigneur Jésus Christ. Comment pourraient-ils périr ceux pour qui le Christ prie, ceux pour qui il présente au regard du Père les blessures qu’il a endurées pour nous ? C’est pourquoi notre espérance doit être ferme, en lui.
Élévation des mains 17. Nous lisons dans l’ancien Testament que lorsque les enfants d’Israël furent sortis d’Égypte, Amalec, peuple barbare, vint se battre contre eux. Mais Moïse envoya l’armée contre eux, et luimême gravit la montagne afin de prier (cf. Mt 14,23) pour eux, et il éleva les mains vers le Seigneur en leur faveur. Lorsqu’il tenait les mains levées, les enfants d’Israël étaient vainqueurs. Par contre, lorsqu’il laissait retomber les mains, Amalec avait le dessus (cf. Ex 17,8‑11). À votre avis, pourquoi l’élévation de ses mains dispensait-elle une si grande grâce ? Dieu fait d’habitude plus attention à l’élan de l’âme qu’à l’attitude du corps. Cette élévation de ses a
Cf. Aelred, Sermons 45,21 ; 60,1 ; Homélies sur les fardeaux 12,1.
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mains avait pourtant une telle efficacité que les ennemis des enfants d’Israël étaient incapables de leur résister. 18. Si cette élévation des mains avait une telle puissance, c’est parce qu’elle désignait l’élévation des mains de Celui qui a dit dans un psaume : Élévation de mes mains, sacrifice du soir (Ps 140,2). C’est parce que, au soir du monde, ses très douces mains ont été étendues sur la croix et le sacrifice du soir a été offert, qui enlève les péchés du monde entier (cf. Jn 1,29). L’élévation des mains de Moïse désignait donc la passion de notre Seigneur Jésus Christ, qui gravit la montagne pour prier (Mt 14,23), car il monte au ciel vers le Pèrea et lui présente la passion qu’il a supportée pour nous. 19. Et nous, tant que nous sommes confrontés à la misère de cette vie – qui est une épreuve sur terre (cf. Jb 7,1), tant que nous avons à combattre contre les principautés et les puissances, contre les régisseurs de ce monde de ténèbres et contre les esprits du Mal répandus dans l’air (Ep 6,12), il est nécessaire que notre Seigneur garde ses mains élevées en nous, c’est-à-dire que le constant souvenir de sa Passion demeure en notre esprit. Tenons ceci pour certain : tant que le souvenir de sa Passion sera en notre cœur, tant que notre espérance sera dirigée vers là où le Christ intercède pour nous à la droite du Pèreb, l’Amalec spirituel – c’est-à-dire le démon – ne pourra pas être victorieux. Veillons donc, frères, à ce que cet élan intérieur et ce souvenir ne s’attiédissent en nous par négligence, car nous serions aussitôt défaillants, notre ennemi aurait le dessus et nous accablerait.
Allégresse et tristesse 20. Notre Seigneur est aujourd’hui monté vers le Père, sous les yeux émerveillés des disciples, tout à la fois remplis d’allégresse et profondément attristés. Ils étaient remplis d’allégresse d’avoir mis leur espérance en Celui qui fut doté d’une telle puissance qu’il put pénétrer dans le ciel par sa propre force. Ils étaient remplis a b
Cf. Jn 3,13 et 20,17. Cf. Rm 8,34 et Col 3,1.
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d’allégresse, sachant que, là même où il est monté, ils seraient eux aussi, comme il l’avait demandé au Père avant sa Passion : Je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi (Jn 17,24). Ils étaient remplis d’allégresse parce que l’orgueil des Juifs était confondu et qu’ils voyaient monter au ciel celui-là même que les Juifs, blasphémant et hochant la tête près de la croix, jugeaient incapable de descendre de la croix (cf. Mt 27,39‑42). Ils étaient remplis d’allégresse à la pensée de recevoir bientôt l’Esprit Saint, selon la promesse du Seigneur, et d’être fortifiés dans toutes les épreuves par sa présence réconfortante. De plus, ils étaient remplis d’allégresse en voyant des anges vêtus de blanc qui disaient : Hommes de Galilée… (Ac 1,10‑11). C’est à juste titre qu’ils sont appelés Galiléens, c’est-à-dire ‘ceux qui émigrenta’, eux qui passaient des observances matérielles de la Loi aux réalités spirituelles. Avant la passion du Seigneur, ils avaient entendu : Ne prenez pas le chemin des païens (Mt 10,5). Maintenant, c’est à une sorte d’émigration qu’ils sont conviés : Allez dans le monde entier (Mc 16,15). 21. Malgré l’allégresse dont ils étaient remplis pour toutes les raisons que nous avons dites, il y avait cependant en eux une grande tristesse à cause de son éloignement tout récent. Car sa présence corporelle leur était très agréable et ils y trouvaient beaucoup de joie. Aussi ne pouvaient-ils sans tristesse perdre celui qu’ils avaient eu parmi eux avec tant de joie. Ils faisaient assurément ce qu’ils pouvaient : ils regardaient le ciel où il était monté, suivant au moins du regard celui qu’ils aimaient. Et des anges leur dirent : Hommes de Galilée… Bien grand réconfort : Il reviendra de la même manière (Ac 1,11). Comment cela ? Dans la même chair, sous la même forme, avec les mêmes blessures et les mêmes cicatrices emmenées avec lui jusqu’au ciel. Oui, ils verront celui qu’ils ont transpercé (Za 12,10). Ils verront la face qu’ils ont voilée (cf. Lc 22,64). Ils verront celui devant qui ils hochaient la tête avec mépris (cf. Mt 27,39).
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Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 64.
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Dieu viendra de façon manifeste 22. Nous aussi, bien-aimés, nous verrons le Seigneur pauvre que nous suivons pauvres, mais il ne sera ni pauvre ni voilé ni caché ni silencieux, Notre Dieu viendra de façon manifeste (Ps 49,3). Il fut caché pour les Juifs qui lui voilaient la face. Il garda le silence devant les Pharisiens qui blasphémaient. Mais notre Dieu viendra de façon manifeste. Et nous, frères, écoutons sans crainte ceux qui blasphèment, supportons patiemment ceux qui persécutent, taisons-nous devant les humiliations. Notre Dieu viendra de façon manifeste. Afin d’adhérer à lui de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces (Mc 12,30), gardons à l’esprit cette unique pensée : qui est notre Tête et où est notre Tête (cf. Col 1,18). Vivons comme doivent vivre les membres de cette Tête, en gardant notre esprit non pas ici-bas – où se trouve la part inférieure de nous-mêmes –, mais là-haut – où notre Tête est montée en ce jour. En suppliant Dieu le Père tout-puissant : qu’il daigne nous accorder sa grâce afin que toute notre joie soit de tendre vers ce lieu où se trouve avec lui Celui qui nous fait vivrea, Jésus Christ notre Seigneur qui vit et règne, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Substantia.
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SERMON 124 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
Tant par sa longueur que par son contenu, ce sermon est un petit traité théologico-monastique. La complémentarité entre les deux Testaments est mise en relief par l’entrelacement de plusieurs thèmes bibliques. L’unité du mystère du Christ y est soulignée : passion, résurrection, ascension forment une seule et même réalité, à laquelle le moine est appelé à participer. La dernière section du sermon (paragraphe 28 à 37) développe une très belle allégorie de la tunique du véritable Joseph, mise en relation avec celle dont parle saint Jean (Jn 19,23). Elle est multicolore, offrant à chacun la possibilité d’exercer son charisme propre au service de l’ensemble. Elle est tissée tout d’une pièce, invitant à vivre en communion dans l’unité de l’Esprit. Et l’unicité de la tunique se réfère au mystère même de Dieu qui est paix et charité.
La tortue et le vautour 1. Votre Sainteté sait bien qu’il n’est pas dans mon talent d’orner mes sermons de recherches philosophiques et de fleurs cicéroniennesa. Mais cela nous convient, car notre profession, c’est la
Cf. Aelred, Sermons 30,1 ; 63,1 ; 79,1 ; 115,1 ; 129,1 ; Homélies sur les fardeaux 1,10 etc. a
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croix du Christa. De même que notre nourriture et notre habillement, notre assiduité aux travaux et aux veilles ainsi que les autres exercices de l’homme extérieur dépeignent la croix du Christ et manifestent la pauvreté des apôtres, de même il est certes préférable que nos sermons aient la saveur de la croix, manifestent la simplicité, exhalent le parfum de la pauvreté. Il serait incongru qu’une voix d’orateur jaillisse de notre tenue de pêcheurb. Mais je ne vois pas bien quelle manière de parler je dois adopter. 2. Ceux qui s’adressent publiquement à d’autres font d’habitude plus particulièrement attention à deux objectifs : dénoncer les vices et exhorter aux vertusc. Mais en ce qui vous concerne, l’un me paraît superflu, l’autre présomptueux. Il est évidemment superflu de dénoncer les vices là où il n’y en a aucun, ou bien, s’il y en a l’un ou l’autre, ils sont tels qu’ils ne nécessitent pas d’être blâmés de la part d’autrui. Quant à vous inciter par mes paroles à consentir aux vertus, je le considère vraiment trop présomptueux et je me résous difficilement à le faired. Il me semblerait être pareil à une tortue qui encouragerait à voler un vautour affamé, surtout si celui-ci connaît dans quel endroit un cadavre pourrait lui servir de pâture et apaiser sa faim. Même si la tortue se tait, même si elle demeure embourbée et paresseuse, où que soit le cadavre, là se rassembleront aussi les vautours (Mt 24,28). 3. Quoi donc ? Vais-je me taire ? Cela me sécuriserait davantage, si du moins il était sécurisant de ne pas obéir ! Malheur à moi ! Je ne sais pas parler, et je n’ose pas me tairee. Il serait plus sécurisant de s’asseoir solitaire et de se taire (cf. Lm 3,28) et, le bruit extérieur s’étant apaisé, de se livrer à quelque activité tout intérieure et de se développer tant soit peu soi-même en écoutant autrui, plutôt que de dissiper présomptueusement sa maigre récolte en parlant avec arrogance et en se glorifiant effrontément en soi-même. Mais puisqu’il me faut suivre la volonté d’autrui et non Cf. Aelred, Miroir de la charité II,3 ; Sermons 10,28‑29 ; 22,3‑4 etc. Cf. Aelred, Miroir de la charité, Lettre de saint Bernard 2 ; Sermon 64,1 ; cf. Augustin, Sermon 43,6 ; cf. Jérôme, Sur les psaumes, Ps 143,15. c Cf. Aelred, Sermon 80,1. d Cf. Aelred, Sermon 66,1. e Cf. Aelred, Sermon 71,1. a
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la mienne – à moins de faire mienne la volonté d’autrui –, je dirai quelque chose, non sur le mode de l’enseignement mais plutôt sur celui de l’échangea. Je crois, il est vrai, que ce dont je vais vous parler, vous ne l’ignorez pas ; mais je pense qu’il est quand même agréable de se l’entendre redire par autrui.
Les deux épouses de Jacob 4. Comme vous le savez, notre empereur a accompli sa tâche : il a vaincu l’ennemi, il a arraché les siens à son emprise. Aujourd’hui, il a regagné sa cité avec les signes de sa victoire. De là cette fête, de là cette louange qui se répand. Voilà pourquoi le ciel et la terre se renvoient en écho l’exultation des anges et les cris de triomphe des hommes. Les anges se réjouissent, eux qui retrouvent leur Seigneur. Les hommes se réjouissent, eux qui envoient devant eux leur Têteb. Ceux-là retrouvent leur Maître, ceux-ci envoient devant eux leur Sauveur. Aujourd’hui, le véritable Jacob – ‘celui qui supplantec’ vraiment –, que le Père envoya en Mésopotamie pour y chercher une épouse, retourne vers son Père. Il était descendu pour prendre une épouse, il remonte accompagné de deuxd. 5. Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 15,24), dit-il. Il affirme n’avoir été envoyé qu’aux Juifs, car c’est plus spécialement à eux qu’avait été faite la promesse relative au Christ. Après l’étreinte de la chassieuse Léa, il aima beaucoup Rachel la stérile à laquelle s’adresse le prophète Isaïe en disant : Réjouis-toi, stérile, toi qui n’as pas enfanté (Is 54,1). Notre Jacob s’est acquis ces deux épouses en cette Mésopotamie : une Église provenant des Juifs, l’autre des nations païennes. L’une avait les yeux chassieux (cf. Gn 29,17) et le corps débordant d’embonpoint ; tendue vers les réalités charnelles, elle ne savait rien rechercher de spirituel. L’autre était ‘brebis’ en raison de sa Cf. Aelred, Sermon 115,2. Cf. Aelred, Sermons 13,3 ; 65,1‑2 ; 125,1. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 7. d Cf. Gn 29,15‑30 et 32,8‑9. a
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simplicité, et ‘vue essentiellea’ en raison du regard intérieur de son esprit ; on dit que, rejetant tout ce qui est charnel, elle ne médite que les réalités spirituelles. De plus, après avoir été longtemps stérile, Rachel enfanta Joseph, dont le nom se traduit par ‘accroissementb ’. Le prophète fait allusion à cette étymologie quand il dit : Elle se multipliera, celle qui avait été délaissée au milieu de la terre (Is 6,12 vg).
Homme et Dieu 6. Jacob entra pauvre en Mésopotamie, mais il en ressortit richec. Et notre Jacob entrant dans le monde ne trouva pas de place à l’hôtellerie ; c’est pourquoi ils le couchèrent dans une mangeoire (cf. Lc 2,7). Aujourd’hui pourtant, il remonte grandement enrichi, au témoignage du psalmiste qui dit : Montant sur la hauteur, il a capturé la captivité, il a reçu des dons chez les hommes (Ps. 67,19). S’appuyant sur son autorité, l’Apôtre changea ces derniers mots en disant : Il a donné des dons aux hommes (Ep 4,8). Le prophète : Il a reçu des dons chez les hommes. L’Apôtre : Il a donné des dons aux hommes. C’est magnifiquement bien dit ! 7. Le prophète, précédant l’incarnation du Seigneur et ne prêtant attention qu’à la nature du Verbe – en laquelle il est égal au Père –, voulut mettre l’accent sur sa nature humaine – qui n’était pas encore, elle était à venir – en tant qu’elle est plus cachée. L’Apôtre, après cette incarnation du Seigneur – qui était à présent manifeste pour tous – voulut manifester plutôt la puissance de la divinité – en laquelle il est égal au Père –, dont beaucoup doutaient encore. Le prophète dit donc : Il a reçu des dons chez les hommes (Ps. 67,19). Et l’Apôtre : Il a donné des dons aux hommes (Ep 4,8). Ces deux affirmations, de l’Apôtre et du prophète, étant donc reliées l’une à l’autre, nous comprenons les deux natures de Jérôme, Livre sur les noms hébreux 9. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 78. c Cf. Aelred, Sermon 65,3. a
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notre unique Médiateur (cf. 1 Tm 2,5) : la nature humaine, en laquelle il a reçu des dons chez les hommes, comme un homme au milieu des hommes ; la nature divine, en laquelle il a donné des dons aux hommes, en tant que Dieu au-dessus des hommesa.
De la Passion à l’Ascension 8. Ces paroles de Jacob conviennent assurément à notre Seigneur : N’ayant que mon bâton, j’ai passé le Jourdain – autrement dit, j’étais seul –, et maintenant je reviens avec deux camps (Gn 32,11). Jourdain se traduit par ‘descenteb’ ; par là est exprimé le cours de notre mortalité, c’est-à-dire de notre descente, car nous sommes descendus de Jérusalem à Jéricho et nous sommes tombés sur des brigands (cf. Lc 10,30). N’ayant que mon bâton… Seul lors de la Passion, Jésus est avec deux camps lors de l’Ascension. Mais comment a-t-il traversé cette descente ? Quand a-t-il traversé ? Sur quoi a-t-il traversé. Au Seigneur, l’issue de la mort (Ps 67,21), est-il dit. Par la mort, il a traversé la mort. Endurant la mort, il a vaincu la mort. 9. Mais pourquoi avec un bâton, sinon parce que sur le bois ? Voilà le bâton dont s’arma David pour terrasser le Philistin et ôter l’opprobre d’Israël (cf. 1 S 17,36 vg). Suis-je un chien pour que tu viennes vers moi avec un bâton (1 S 17,43), dit le Philistin. Et nous, armés de ce bâton, ne craignons pas les aboiements des chiens spirituels que sont les esprits impurs, empêchons-les de nous nuire, interdisons-leur d’approcher. Ce bâton, c’est le bois de la croix sur lequel notre Jacob traversa le Jourdainc, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix (Ph 2,8). Il était seul lors de la Passion, jusqu’à être renié par Pierre et abandonné par le disciple qu’il aimaitd. Mais voici qu’il revient avec deux camps (cf. Gn 32,11). Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 67,25. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 64 ; cf. Aelred, Sermon 65,4. c Cf. Aelred, Sermon 65,8. d Cf. Mt 26,56.69‑75. a
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Les anges
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10. Lorsque le Sauveur montait, des anges se présentèrent pour rendre hommage à sa divinité, des hommes se présentèrent pour témoigner de sa résurrection. C’est ainsi que de nombreux corps de saints qui dormaient dans la mort ressuscitèrent (Mt 27,52). Les anges ne se présentèrent pas pour lui offrir de l’aide, mais pour lui rendre hommage en tant qu’il est leur roia. Nous entendons leur voix dans un psaume : Ouvrez les portes (Ps 23,7). Et ceux qui accueillirent l’arrivée du Seigneur avec une merveilleuse ardeur dirent en guise de réponse : Qui est ce roi de gloire (Ps 23,8) ? Isaïe exprime leur question en ces termes : Qui est celui qui vient d’Édomb ? 11. Ce sont les anges qui vinrent à la rencontre de Jacob après qu’il se fut séparé de Laban (cf. Gn 32,2), qui chercha auprès de lui ses idoles sans les trouver (cf. Gn 31,30‑35). Qui est ce Laban sinon le démonc qui, dans le Christ, alla rechercher les traces de péchés ? Mais que lui dit Jacob ? As-tu trouvé chez moi quelque chose de ce qui est à toi (Gn 31,37) ? Et le Christ : Voici qu’il vient le prince de ce monde, et il n’a rien en moi qui puisse lui donner prise (Jn 14,30). Quant à Jacob, il poursuivit le chemin qu’il avait pris, et des anges de Dieu vinrent à sa rencontre (Gn 32,2 vg). Veux-tu connaître le chemin de notre Jacob ? Il s’en va jusqu’où le ciel s’achève (Ps 18,7 vg). Et voici que des anges de Dieu vinrent à sa rencontre. Qui est celui qui vient d’Édom (Is 63,1) ?
Édom 12. Voici comment Dieu monte parmi l’acclamation (Ps 46,6). En chœurs alternés, la cité céleste chante les mystères de la majesté du Seigneur en même temps que ceux de son humilité. Les uns confessent la puissance de sa divinité, les autres admirent le mystère Cf. Aelred, Sermon 65,9. Is 63,1 ; cf. Jérôme, Sur Isaïe 17,24. c Cf. Aelred, Sermon 9,36.
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de sa passion. Ceux-là proclamèrent l’ascension du Roi de gloire, ceux-ci furent stupéfaits de la descente du Roi de gloire (cf. Ps 23,8). ‘Au Roi de gloire, dirent-ils, convient une habitation céleste. Pourquoi a-t-il été couvert par l’ombre d’une chair humaine, pourquoi a-t-il reçu tant de blessures, pourquoi ses membres ont-ils été ainsi mis en pièces ? Qui est-il donc celui qui vient d’Édom (Is 63,1) ?’ 13. Édom se traduit par ‘terrestre’ ou ‘sanguinairea’. Le Créateur des cieux est monté tel un habitant de la terre (cf. Gn 21,34 vg), l’Immortel a emporté dans les demeures d’en haut les indices de mort. Pourquoi cela ? N’étant pas pécheur, il a reçu le châtiment des pécheurs. Lui seul, sans être contaminé par aucune souillure, monta du lieu où abonde le péché (cf. Rm 5,20), où abonde l’iniquité (cf. Mt 24,12), où abonde le sang dont un homme incomparable demande à être affranchi : Affranchis-moi du sang (Ps 50,16). Qui est celui qui vient d’Édom ? Et de quelle manière vient-il ? Il vient de Bosra, les vêtements imprégnés (Is 63,1). Pourquoi vous étonner ? Un unique passereau est mis à mort, et le malheureux lépreux est purifié (cf. Lv 14,2‑5). Et voici que ce passereau spirituel, imprégné de son propre sang, monte en volant librement.
Le lépreux 14. Prêtez l’oreille au grand mystère (cf. Ep 5,32). Il est prescrit dans la loi de Moïse que, lorsqu’un lépreux devait être purifié, deux passereaux seraient offerts au prêtre (cf. Lv 14,4). Et tu ordonneras, est-il dit, d’immoler l’un dans un vase d’argile au-dessus des eaux vives. Quant à l’autre, encore vivant, il sera plongé avec le bois de cèdre, l’hysope et l’écarlate dans le sang du passereau immolé, et le lépreux sera aspergé sept fois. Une fois qu’il sera purifié, le passereau vivant sera relâché pour qu’il s’envole dans la campagne (Lv 14,5‑7). Si l’on prend cela du point de vue de la lettre qui tue, qu’y a-t-il de plus abject que ce précepte ? Mais si c’est dans le sens de l’esprit qui vivifie (cf. 2 Co 3,6), qu’y a-t-il de plus doux ? Pénétrons, si vous le voulez, à l’intérieur de ce mystère caché. Cherchons ici Celui qui a a
Cf. Jérôme, Sur Isaïe 17,24.
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dit : Scrutez les Écritures, ce sont elles (qui me rendent témoignage) (Jn 5,39). Cherchons à savoir qui est ce lépreux pour qui est préparée une telle médication. 15. Je crois que ce lépreux est celui qui, placé autrefois dans le jardin du paradis et gratifié tout à la fois de l’amitié et des visites des armées célestes, laissa la lèpre du péché le gagner après que le serpent venimeux eut soufflé sur lui (cf. Gn 3,1‑6). Contaminé par elle, il fut chassé du jardin (cf. Gn 3,23‑24) ; seule, cette purification pouvait l’y rappeler. Mais qui est ce passereau dont le sang nettoya les taches intérieures de l’âme, guérit ses blessures, effaça ses cicatrices, dont le toucher calma les affreuses tumeurs et redonna à l’âme son teint d’autrefois ? Il peut sembler indigne de notre Seigneur Jésus Christ que je dise qu’il est appelé passereau. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il admette le nom de passereau, lui qui prit celui de poulea ? Jérusalem, Jérusalem, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière d’une poule (Mt 23,37). Il est veau pour le prêtre, bélier pour le prince, brebis pour l’innocent, chevreau pour le pécheur, agneau pour le pur, passereau pour le lépreux. 16. Celui-ci est l’orgueilleux lépreux Syrien qui, non sans difficulté et sur ordre du prophète, descendit du char de l’orgueil. Grand à ses propres yeux parce qu’orgueilleux, il était nécessaire qu’il soit secouru par ce tout petit oiseau, c’est-à-dire par l’humilité du Christ. Pour que ce lépreux orgueilleux soit purifié, cet humble passereau est donc immolé. Mais de quelle manière ? Dans un vase d’argile (Lv 14,5). Paul a très bien dit cela : Ce trésor, nous le portons dans un vase d’argile (2 Co 4,7). Par vase d’argile est exprimée la fragilité humaine. En notre Médiateur, il y a deux natures : la nature divine, selon laquelle au commencement était le Verbe (Jn 1,1) ; et la nature humaine, selon laquelle le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14). Selon un symbolisme approprié, qu’est-ce que le Verbe, sinon de l’or ; et qu’est-ce que la chair, sinon un vase d’argile ? Ce passereau est mis à mort, mais dans un vase d’argile, parce que, comme dit l’Apôtre, il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant de par la puissance de Dieu (2 Co 13,4). a
Cf. Aelred, Sermon 75,20.
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Les deux passereaux 17. Pourquoi dans les eaux vives (Lv 14,5), sinon pour que les eaux produisent des animaux rampants et des oiseaux au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel (Gn 1,20) ? Les eaux vives, ce sont les eaux baptismales, dans lesquelles le lépreux est purifié, l’aveugle éclairé, le mort rendu à la vie. De là proviennent comme des animaux rampant sur la terre, à savoir ceux qui s’attachent à des œuvres terrestres. D’autres sont comme des oiseaux qui déploient des ailes plus libres et volent au-dessus du monde entier au point de pouvoir dire avec l’Apôtre : Notre vie est dans les cieux (Ph 3,20). Ce passereau est donc immolé dans les eaux vives, afin que les eaux soient rougies par son sang, à l’instar de celles de la mer Rouge, et qu’il fasse passer les Israélites vers le repos et emporte les Égyptiens dans leur ruine. Car de son côté ont coulé le sang et l’eau (cf. Jn 19,34) : le sang de la rédemption, l’eau du baptême. 18. On y ajoute du bois de cèdre, de l’hysope et de l’écarlate (Lv 14,6). Dans le bois de cèdre qui est imputrescible, comprends que la chair du Christ n’a pas vu la corruption (cf. Ac 2,31). Dans l’hysope qui guérit la tumeur du poumon, comprends l’humilitéa par laquelle il s’humilia lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix (Ph 2,8). Dans l’écarlate, comprends que sa passion n’a pas été motivée par la nécessité mais par la charité. Car il nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous (Ep 5,2). Le Tout-Puissant pouvait secourir le genre humain de la manière qu’il voulait ; mais parce que Dieu est charité (1 Jn 4,8), il plaisait à la Charité de faire des œuvres de charité. Aussi a-t-il choisi la manière de s’engager qui manifesterait plus clairement sa dilection aux siens. Il n’y a pas de plus grande dilection… (Jn 15,13). 19. Par ailleurs, le bélier qu’Abraham immola préfigure la passion du Seigneur ; et en Isaac qui fut offert mais échappa vivant au glaive même (cf. Gn 22,9‑13) est montrée par avance la résurrection du Seigneur. Pareillement aussi, le passereau immolé symbolise la passion du Seigneur, et le passereau vivant (cf. Lv 14,5‑6) est un signe de la résurrection qui suit aussitôt. Le lépreux en question a
Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 50,1.
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est donc purifié par tout cela : l’eau du baptême, le sang de la rédemption, la foi en la résurrection du Seigneur. Disons un mot de l’envol du passereau vivant, puisqu’il préfigure de façon très appropriée l’ascension du Seigneur.
Pélican en sa passion
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20. On lit dans un psaume : Je suis devenu semblable au pélican qui habite la solitude, je suis devenu comme un hibou dans sa demeure ; j’ai veillé et je suis devenu comme un passereau qui se tient seul sur un toit (Ps 101,7‑8). Nous ne nous sommes donc pas appropriés effrontément cette signification du passereau pour vous la présenter comme venant de nous. Il dit en effet luimême : Je suis devenu semblable au pélican. On raconte que le pélican est un oiseau de telle nature que d’abord il tue ses petits, puis il se lamente sur eux ; et enfin, en troisième lieu, il les fait revivre en répandant son propre sanga. Tel est le Christ. Regardons Adam et toute sa descendance, que l’Écriture appelle fils de Dieu (cf. Ps 81,6) : la justice de Dieu l’exigeant, il fut chassé du paradis, condamné à l’exil, voué à la mort (cf. Gn 3,19‑24). Considère maintenant le premier jour comme précédant la Loi, le deuxième comme étant sous la Loi, le troisième comme étant sous la grâceb. La loi naturelle, telle un premier jour, a d’abord rempli d’effroi le pécheur ; puis, la loi écrite l’a condamné. Aucune des deux n’a fait revivre Adam qui était mort. Vient le troisième jour, et le lépreux est purifié, le malade guéri, le mort rendu à la vie. Comment cela ? Jésus eut faim, il eut soif, il pleurac. Enfin, ayant répandu son propre sang, il rappela à la vie celui que d’abord il avait voué à la mort.
a Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 28,8 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 101, Sermon 1,8 ; cf. Isidore de Séville, Livre des étymologies 12,7. b Cf. Aelred, Miroir de la charité, I,91 ; Sermons 97,1 ; 120,2 ; Homélies sur les fardeaux 25,5. c Cf. Mt 4,2 ; Jn 11,35 et 19,28.
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Hibou en sa résurrection 21. Je suis devenu comme un hibou (Ps 101,7), est-il dit. Alors que les autres oiseaux se tiennent cachés, le hibou ne tremble pas d’effroi face aux ténèbres de la nuit ; tandis que les autres prennent leur sommeil, lui cherche sa nourriturea. Ainsi le Christ dans sa passion. Il a été pris de nuit, ligoté de nuit, raillé de nuit. La nuit de l’incroyanceb avait recouvert l’esprit des humains, la nuit de l’infidélité avait pris possession du cœur des Juifs. Ils voilèrent à leur détriment la face du Soleil. Ils dérobèrent à leur vue la clarté de ce visage de lumière (cf. Mc 14,65). En cette nuit, les spirituels, comme des oiseaux du ciel, se tenaient cachés, vaincus par la crainte ; accablés par un profond sommeil, ils s’entendent dire : Veillez et priez (Mt 26,41). Mais lorsque Jésus s’éloigna, ils se rendormirent. Car leurs yeux étaient lourds de sommeil (Mt 26,43). Mais Jésus, à l’instar du hibou, supporta seul jusqu’au bout les ténèbres de la persécution ; les siens s’étant assoupis, il s’occupa de leur procurer le salut, telle une délicieuse nourriture. Il fut donc pélican en sa passion et il veilla, tel un hibou, en sa résurrection. Et voici qu’il est devenu comme un passereau (cf. Ps 101,7‑8) en son ascensionc.
Passereau en son ascension 22. Après avoir accompli sa tâche du jour, le passereau s’envole jusqu’au palais de l’empereur ; il est pour nous l’image de celui qui, ayant accompli sa passion comme son labeur du jour, monta par sa propre puissanced jusqu’au trône du Père. Voilà pourquoi il est solitaire (Ps 101,8), car nul n’est monté au ciel hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel (Jn 3,13). Voilà pourquoi il est solitaire, car, seul grand prêtre, il est entré une fois pour toutes Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 101, Sermon 1,8 ; cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 28,9. b Cf. Aelred, Sermons 73,14 ; 97,10 ; 110,5. c Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 101, Sermon 1,8. d Cf. Aelred, Sermons 13,11 ; 101,2 ; 123,9 ; cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,5. a
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dans le sanctuaire, avec son propre sang, ayant acquis une rédemption éternelle (He 9,7.12 ). Ce n’est pas contraire au fait que nous ayons dita qu’il est monté avec deux camps (cf. Gn 32,11), car nul ne monte à moins d’être un avec Celui qui, avec tous ses membres, est le seul à monter. Taché par son propre sang, il est monté pour présenter les cicatrices de ses blessures devant la face du Père et, tel un prêtre très miséricordieux, pour intercéder sans cesse en notre faveur (He 7,25), au prix de son sang, qu’il répandit une fois pour toutes en notre faveurb. Regardant vers ce mystère, les anges disent : Qui est celui qui vient d’Édom, de Bosra, les vêtements imprégnés (Is 63,1) ? Et aussitôt, faisant référence par leur langage symbolique à la splendeur de sa tunique – qu’il avait purifiée par son propre sang –, ils ajoutent : Celui-ci est magnifique dans sa tunique (Is 63,1).
Les deux passereaux de l’âme
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23. Mais avant d’examiner cela plus à fond, il faut parler de ces passereaux selon les principes de l’interprétation tropologique. Chacun de nous, sans reconnaissance à l’égard de la première purification reçue dans le sacrement du baptême, a contracté une lèpre spirituelle en se livrant aux convoitises de la chair (cf. Ep 2,3) et du monde. Si nous voulons en être plus parfaitement libérés, présentons en sacrifice spirituel les deux passereaux de notre âme. Elle est en effet emportée de-ci delà par un double élan, charnel et spirituel, comme par le vol emplumé de deux oiseaux : par l’un se livrant à la méditation des réalités célestes, par l’autre se laissant engloutir avec impétuosité passionnelle dans les convoitises terrestres. Afin de purifier la lèpre intérieure, que l’un des passereaux soit donc immolé : que l’élan charnel soit mis à mort, et qu’il le soit en ce vase d’argile que nous portonsc. Notre chair ayant été crucifiée avec ses passions et ses désirs (cf. Ga 5,24), que, sous l’émotion poignante suscitée par le Sauveur crucifié, l’abondance Aux paragraphes 8‑9. Cf. He 7,24‑25 et 9,12.24‑25. c Cf. Lv 14,5 et 2 Co 4,7. a
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des larmes – qui jaillissent comme du sang de notre âme – en aspergeant (cf. Lv 14,7) celle-ci purifie la souillure de la lèpre. 24. Que l’on y ajoute du bois de cèdre et de l’hysope, sans oublier l’écarlate (cf. Lv 14,6). Le cèdre, en tant que bois imputrescible, évoque le charme de la chasteté par laquelle notre chair est conservée en une sorte d’incorruptibilité céleste pour éviter que les souillures des désirs déréglés ne la corrompent. L’humilité a les mêmes propriétés que l’hysope : elle ôte par sa vertu la tumeur du poumon spirituel, c’est-à-dire l’orgueil, et elle élimine la dureté du cœur. Car l’hysope pousse sur la pierre : par sa racine elle pénètre la dureté de celle-ci, et elle apaise tout à la fois la tumeur et la douleur du poumona. L’écarlate présente les caractères du feu. Que désigne-t-elle sinon la ferveur de la charité par laquelle l’âme s’embrase du feu spirituel que notre Seigneur envoya sur la terre et qu’il veut voir brûler avec impétuosité (cf. Lc 12,49). 25. Une fois l’élan charnel mis à mort – lui qui abaisse l’âme vers les réalités inférieures –, l’autre passereau – à savoir l’élan spirituel – est envoyé par ces vertusb vers les réalités supérieures ; et, débarrassé de la glu charnelle, il s’élève par un effort de tout l’être vers le lieu où l’unique Passereau s’est aujourd’hui envoléc. À l’homme qui progresse ainsi, la parole du prophète s’applique parfaitement : Je suis devenu semblable au pélican qui habite la solitude, je suis devenu comme un hibou dans sa demeure ; j’ai veillé et je suis devenu comme un passereau qui se tient seul sur un toit (Ps 101,7‑8).
Comment devenir pélican et hibou 26. Nous avons signaléd deux caractéristiques du pélican : il tue ses petits et les rend à la vie par son propre sang et son gémissement. Combien souvent il m’arrive subrepticement de tuer mes petits ! Que sont nos petits sinon nos œuvres ? Le passereau s’est Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 50,1. La chasteté, l’humilité et la charité dont il vient d’être question. c Cf. Lv 14,7 et Ps 101,8. d Au paragraphe 20. a
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trouvé une maison, et la tourterelle un nid pour y placer ses petits (Ps 83,4). Parmi ceux qui progressent, quel est celui qui n’a jamais tué ses bonnes œuvres par le glaive de la vanité ? Heureux cependant s’il les rend à la vie par un gémissement salutaire et par le sang de son âme, c’est-à-dire par une grâce de componctiona. Il devient assurément semblable au pélican qui habite la solitude (Ps 101,7) : se retirant souvent dans le tréfonds de son cœur, évitant les assemblées de sang (cf. Ps 15,4) et la foule des cités, entrant dans sa chambre en fermant la porte, il prie son Père dans le secret (cf. Mt 6,6) ; sondant chacun de ses actes et de ses pensées, il pleure chaque nuit sur son lit (cf. Ps 6,7) afin que ce qui, dans ses actes, était obscurci par la nuit d’une intention moins droite, après avoir été lavé par un fleuve de larmes, revête la naturelle beauté des vertus. À lui convient parfaitement ce que dit le prophète : Sous l’emprise de ta main j’étais assis seul, parce que tu m’as rempli de menaces (Jr 15,17). 27. Quiconque s’est habitué à ce genre d’exercices monte plus haut, vers la ressemblance du hibou, en cette nuit que traversent les bêtes de la forêt (cf. Ps 103,20) : il établit sa demeure dans les Écritures, où il accourt par son élan intellectuel et où il se nourrit par son élan affectif. Ainsi, sortant des ténèbres de l’ignorance et de la nuit de l’infidélité, et s’éveillant à la vraie lumièreb, son âme, mue par la grâce, monte là où le Christ notre Tête a aujourd’hui précédé. Il volera par les ailes de la contemplation, imprégné du sang du passereau immolé (cf. Lv 14,7) et portant les marques de la croix du Christ (cf. Ga 6,17), signe de sa mort, sceau inviolable de la passion du Seigneur. À lui aussi ces mots peuvent dès lors être appliqués de manière appropriée : Qui est celui qui vient d’Édom, de Bosra, les vêtements imprégnés (Is 63,1) ?
La magnifique tunique tissée tout d’une pièce 28. Et Isaïe ajoute au nom des anges : Celui-ci est magnifique dans sa tunique (Is 63,1). Qu’est-ce que cette tunique en laquelle a b
Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 28,8. Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 28,9.
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est décrit le plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3), quelle est sa beauté, quelle est son élégance ? Peut-être est-ce la tunique de Joseph, descendant jusqu’aux talons et multicolore (cf. Gn 37,23 vg), ou bien celle dont il est question dans l’Évangile, sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas (Jn 19,23) ? Mieux, c’est cellelà tout autant que celle-ci, car l’une et l’autre ne font qu’une. Qui nous la montrera pour que, saisis par sa beauté, nous ayons nous aussi la joie de dire : Celui-ci est magnifique dans sa tunique ? 29. Serait-ce celle que je me félicite d’avoir déjà trouvée ? ‘Voici, Père saint, la voici en avant de moi. Vois si c’est la tunique de ton fils, ou non (Gn 37,32). Reconnais, Père, l’empreinte de sa croix, la marque non négligeable de son humilité, le signe de sa singulière obéissance. N’est-ce pas, Seigneur, celle que tu as faite pour ton très doux fils, particulièrement bon et saint, particulièrement aimé et choisi ? Vois, Père, comme elle est multicolore, comme elle est belle par sa remarquable diversitéa.’ Elle est empourprée du sang d’agneau du véritable Joseph, elle flamboie de sa charité, elle étincelle de sa chastetéb. À l’un est donnée une parole de sagesse, à un autre une parole de science, à un autre la foi ; à un tel le discernement des esprits, à tel autre le don des langues, à tel autre le don de les interpréter (1 Co 12,8‑10). C’est ainsi que l’un se donne davantage de peine dans les travaux, un autre se fatigue davantage dans les veilles, un autre est plus fervent dans la prière, un autre plus assidu à la lecturec. L’un est plus souvent baigné de larmes, l’autre s’enrichit par la méditation assidue des Écritures. Celui-ci s’abaisse avec une admirable humilité, celui-là se cache davantage sous le silence. L’un gagne tous les cœurs par une incomparable bonté, l’autre resplendit du charme de la sagesse. 30. Bon Jésus, quelle place un pécheur reçoit-il dans cette magnifique tunique qui est la tienne ? Perdant vite patience, obéissant nonchalamment, somnolent durant les veilles, paresseux au travail, prompt à parler, peu enclin à écouter. Eh, quoi ? Serai-je exclu de ta tunique, sans pouvoir y prendre part ? Loin de là, mon Cf. Bernard de Clairvaux, Apologie 3,5. Cf. Aelred, Sermon 42,1. c Cf. Aelred, Sermon 8,9. a
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Seigneur ! Je me souviens qu’elle est sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas (Jn 19,23). Qu’est-ce à dire ? Appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4,3). Si moimême et ceux qui me ressemblent ne pouvons égaler les mérites d’autrui, nous pouvons aimer ces mérites qui sont les leurs. Aussi, mes très chers, gardons envers tous les autres l’unité dans l’Esprit, la charité fraternelle : grâce à elle, et à elle seule, ce qui est à chacun est à tous, et ce qui est à tous est à chacuna. Personne n’est empêché d’avoir part à cette tunique à moins de le vouloir, car personne ne lui est uni sans le vouloir. Paix aux hommes dont la volonté est bonne (Lc 2,14). Et où se trouve-t-elle cette paix sinon dans la tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas ? 31. Unique est ma colombe (Ct 6,9), unique est ma tunique. Dans les hommes et les femmes, dans tous les âges, tous les ordres, toutes les professions, unique est ma colombe, unique est ma tunique. Bien qu’elle soit multicolore en raison de la diversité des couleurs, bien que les récompenses soient variées en raison de la dissemblance des mérites, unique est cependant ma colombe, unique est ma tuniqueb. Elle descend jusqu’aux talons (cf. Gn 37,23 vg), car depuis le premier juste jusqu’au dernier, du plus petit au plus grand (Jr 31,34), depuis la frange touchée par celle qui souffrait d’une perte de sang (cf. Mt 9,20) jusqu’au col du vêtement imprégné du parfum qui en descend (cf. Ps 132,2). Tout comme est unique ma colombe, ainsi unique est ma tunique descendant jusqu’aux talons.
Ascèse monastique, tunique du Christ 32. Voici, mes frères, la tunique de Joseph. Le Père la reconnaît. Il affirme sans hésitation : ‘Elle est bien la tunique de mon fils (Gn 37,33). Voici la marque de sa mort, le signe de sa passion.’ Où cela, Seigneur ? Serait-ce en des habits brodés d’or (cf. Ps 44,10), des fourrures mouchetées, des mets nombreux, des boissons variées ? Cf. Aelred, Miroir de la charité II,43 ; Sermons 8,10‑11 ; 26,47 ; cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 32,8. b Cf. Bernard de Clairvaux, Apologie 3,6. a
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Est-ce là, Seigneur, qu’est la mort de ton Fils ? Là où se trouvent un tel raffinement dans les vêtements, une telle surabondance dans la nourriture et la boisson ? Est-ce là qu’est la croix du Christ ? Là où se trouvent des écuries fastueuses, des vaisselles de luxe, des armées de vassaux pour le service ? Il n’y a là aucun vestige de la croix. La mort du Christ ne reçoit aucun avantage de tout cela. Que nul ne s’abuse (1 Co 3,18), frères. Dans la croix du Christ, il n’y a rien de moelleux, rien de délicata. Celui par contre qui aura participé aux souffrances du Christ appartient à sa tunique et ne sera pas frustré de la gloire du Christ. Oui, si nous souffrons avec lui, avec lui nous régneronsb. 33. En vous le Père reconnaît la tunique de son Fils. En vous qui avez un vêtement à bon marché, une nourriture sobre, une boisson qui vient de la source, un sommeil raccourci par la lecture, un travail dans la sueur. En vous dont sont crucifiés la langue pour qu’elle ne parle pas, le pied pour qu’il ne s’écarte pas des chemins des pères (cf. Pr 22,28), la main pour qu’elle ne fasse rien de son propre chef. En vous dont l’obéissance mortifie la volonté, l’humilité mortifie la vanité. En vous dont la patience mutuelle nourrit la charité fraternelle. Je viens de faire allusion à des réalités extérieures. En tout cela, l’homme extérieur est mis à découvert par la mortification de la croix. Au reste, ce qui est caché, Dieu seul le remarque, encore que la mortification extérieure soit un indice majeur de renouvellement intérieur (cf. Ep 4,23).
Tunique indivisible, à posséder ensemble 34. C’est pourquoi, mes frères, ne déchirons pas la tunique de Joseph et ne tirons pas au sort qui l’aura (cf. Jn 19,24). Les soldats qui ont crucifié le Christ n’ont certes pas mis en lambeaux sa tunique, mais ils ont pourtant tiré au sort qui l’aura. Quant à nous, ne faisons ni l’un ni l’autre. La tunique indivisible n’a pas permis sa mise en lambeaux. Puisqu’elle est unique, elle n’a pas admis a b
Cf. Aelred, Sermon 10,29 ; Miroir de la charité II,9. Cf. 2 Co 1,7 ; Rm 8,17 ; 2 Tm 2,12.
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de devenir plurielle. Ils n’ont donc pas mis en lambeaux ce qui est indivisible ; cependant, comme ils ne pouvaient la posséder à plusieurs, ils ont cherché à savoir qui devait la posséder. Quant à nous, ne la mettons pas en lambeaux, puisqu’elle est indivisible, et ne nous séparons pas les uns des autres, afin de posséder tous ensemble celle qui est indivisible. Ne cherchons pas non plus à la posséder chacun pour soi seul, à l’exclusion d’autrui, mais que chacun la possède en soi-même et en autrui. 35. Certains cependant – même s’ils ne sont pas parmi nous – déchirent, pour autant qu’ils le peuvent, la tunique de Joseph par des médisances, des murmures, des dissensions, en introduisant la division dans l’unité fraternelle. Qui peut dire à quel point c’est un mal, combien détestable, combien abominable ? Il y a six choses que hait le Seigneur, et la septième, son âme la déteste : celui qui sème la discorde entre des frères (Pr 6,16.19). La discorde atteint Dieu luimême, parce que Dieu est paix. La division atteint Dieu, parce que Dieu est unité. La dissension atteint Dieu, parce que Dieu est charité (1 Jn 4,8). 36. Je dirais qu’ils sont pires que ceux qui ont crucifié le Christ, eux qui mettent en lambeaux la tunique spirituelle du Seigneur, alors que ceux-là n’ont pas voulu mettre en lambeaux sa tunique matérielle. Au reste, le Sauveur lui-même l’a dit : À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à la dilection que vous aurez les uns pour les autres (Jn 13,35). Qu’est-ce donc que la dilection mutuelle sinon l’enseigne qui fait reconnaître les armées du Christ ? C’est l’étendard de notre empereur, pour précéder ses troupes, protéger les faibles, inspirer la terreur aux ennemis. Mais celui qui, pour autant qu’il le peut, jette à terre l’étendard du roi expose ses troupes elles-mêmes à être dépouillées et mises en pièces par tous. 37. En outre, certains envient cette tunique chez les autres et cherchent à se l’arroger : ils se glorifient en considérant exceptionnelles leurs propres vertus et jugent que rien de ce qu’ils pourraient avoir en commun avec les autres n’est digne d’élogea. Tel était le pharisien qui, possédant en quelque sorte la tunique de Joseph dans les jeûnes, les veilles, les aumônes et les prières se gloa
Cf. Aelred, Sermon 8,10.
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rifiait non de ce qu’il était tel mais de ce qu’il était seul à l’être : Je te rends grâce, mon Dieu, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes (Lc 18,11). Mais tout cela est vain. Les premiers, essayant de mettre en lambeaux une réalité indivisible, en arrivent bien plutôt à se diviser. Les seconds, qui dédaignent de la posséder avec les autres en sont totalement frustrés. Oui, il est bien juste de dire : Celui-ci est magnifique dans sa tunique (Is 63,1).
Monter avec le Christ 38. La suite : S’avançant dans la plénitude de sa force (Is 63,1). Hénoch marcha avec le Seigneur (Gn 5,24), Élie fut enlevé dans un char de feua. L’un et l’autre avaient besoin du secours d’autrui. Seul, Jésus est dans la plénitude de sa force, lui, le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant au combat (Ps 23,8). Dans la plénitude de sa force, il triompha du démon, il dépouilla les enfers, il pénétra aujourd’hui dans le ciel. Suivons-le nous aussi, frères, suivons-le avec ferveur, en nous hâtant : que la terre perde sa valeurb, que la chair perde son attrait, que l’âme fervente s’épanouisse dans la fine fleur du don de soi et la surabondance de la charité. Si nous sommes morts avec le Christ, avec lui nous ressusciterons (cf. 2 Tm 2,11), avec lui nous monterons. Que tout notre désir se trouve là où notre Tête règne au-dessus de toutc. À lui honneur et souveraineté (1 Tm 6,16) pour tous les siècles des siècles. Amen.
a Cf. 2 R 2,11 ; voir Sermons 13,11 ; 101,2 ; Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,6. b Cf. Aelred, Sermon 52,8. c Cf. Aelred, Sermon 13,38.
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SERMON 125 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
L’ascension du Seigneur, salut du peuple chrétien, est une remontée après une longue descente figurée par les dix degrés sur le cadran solaire d’Ézéchias (cf. 2 R 20,9). La maladie mortelle, dont chacun de nous est atteint, est guérie par la venue du Fils de Dieu qui, descendant par-delà les neuf chœurs d’anges, s’est fait homme. Il a entendu nos prières et vu nos larmes ; qu’il daigne donc nous accorder quinze années de vie, c’est-à-dire l’entrée dans la vie bienheureuse.
Signe de notre salut 1. Quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi (Jn 14,3). Que soit rempli de joie et d’allégresse quiconque goûte les choses d’en haut et les recherche (cf. Col 3,1‑2), parce que là où est la Tête, là un jour sera le Corpsa. Soyez donc remplis de joie en cette gloire qui est la sienne, mes bien-aimés, réjouissez-vous en cette espérance qui est la vôtre. L’ascension du Sauveur est le signe de notre salut. Signe assurément bon, signe efficace, signe indéfectible. Rappelons-nous : le Seigneur proposait autrefois au roi Achaz un double signe, mais il n’en demanda aucun des deuxb. Son fils Ézéchias ne fit pas ainsi. a b
Cf. Aelred, Sermons 13,3 ; 124,4. Cf. Aelred, Sermon 118,16.
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Placé devant un même choix, il ne chercha pas d’excuse en se dérobant. 2. Il avait été dit au premier de demander au Seigneur un signe dans les profondeurs de l’enfer ou dans les hauteurs de là-haut (Is 7,11). Au second aussi a été présentée une semblable alternative par cette parole d’Isaïe : Veux-tu que l’ombre avance de dix degrés, ou qu’elle recule du même nombre de degrés (2 R 20,9) ? L’ombre avance et croît lorsque le soleil décline ; elle recule lorsqu’il monte. Ainsi donc, le roi Achaz ne voulut pas tenter Dieu, ou plutôt être mis à l’épreuve par Dieu, il ne voulut pas obéir (cf. Is 7,12). Ézéchias, tout en ayant foi en l’une et l’autre possibilité, préfère cependant la remontée (cf. 2 R 20,9). Car n’importe quel Juif, même impie, croit facilement que le Soleil de justice est descendu, mais il s’étonne qu’il soit remonté des enfers. Le Soleil de miséricorde se couche pour les mauvais, mais il ne se lève pas pour eux, en sorte qu’ils diront au dernier jour : ‘Le Soleil de justice ne s’est pas levé pour nous.’ Puisse-t-il par contre se lever pour nous qui craignons Dieu (cf. Ml 3,20) et, en signe de notre salut, retourner par les mêmes degrés qu’il est descendu !
Maladie mortelle 3. De même en effet qu’Ézéchias tomba malade (cf. 2 R 20,1), nous tous également nous tombons malades dès que nous commençons à vivre, et déjà dans le sein maternel. Dès le début de notre conception viciée, une maladie inguérissable apparaît aussitôt en nous. Pour reprendre les choses de plus haut, précisons que dès le moment où nous avons goûté au fruit de l’arbre défendu et où, en la personne de nos premiers parents, nous avons absorbé de la bouche du serpent – cette bouche mauvaise conseillère – le venin de la désobéissance, nous sommes irrémédiablement tombés malades (cf. Gn 3,1‑6). Plusieurs pourtant font entre-temps semblant de rien. Car personne désormais ne pourra plus vraiment l’ignorer. Même si à quelqu’un reste cachée la cause de cette maladie incurable et l’origine de ce mal, il ne peut ignorer qu’il est
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mortel. C’est pourquoi, jusqu’à un certain point et pour un court laps de temps, il soulage les désagréments de son mal-être par de nombreux antidotes provisoires – nourriture, boisson, excitants, sommeil –, mais il ne peut le guérir complètement ni éviter que son mal ne vienne sans cesse l’importuner de plus belle et que, tous les remèdes s’avérant finalement inefficaces, celui-ci ne fasse périr le malheureux. 4. Puis donc que nous masquons la réalité plus que nous ne l’ignorons, la parole divine nous avertit. Dur message (cf. 1 R 14,6) certes, mais sûr et certain, qui vient de celui dont les blessures valent mieux que les baisers trompeurs (cf. Pr 27,6) de celui qui disait : Pas du tout, vous ne mourrez pas (Gn 3,4). Quant au sage roi, qu’a-t-il fait à l’annonce de la sombre sentence de mort, que lit-on ? Car le prophète lui a dit : Tu vas mourir, tu ne vivras pas (2 R 20,1). Ezéchias a-t-il imité ceux qui semblent dire – par leurs actions plus que par leurs paroles : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons (1 Co 15,32) ? Certainement pas ! Mais il se tourna vers le mur et versa d’abondantes larmes (2 R 20,2‑3).
Se tourner vers le mur 5. Selon le sens littéral, soit il se tourna vers le temple, contigu au palais royal : c’est pourquoi il entendit, comme en réponse à son désir, qu’il y monterait trois jours plus tard (cf. 2 R 20,8) ; soit il chercha comme il put un coin caché pour prier, afin que celui qui voit dans le secret (cf. Mt 6,6) puisse voir ses larmes. Selon le sens spirituel par contre, il s’agit du mur de séparation, celui des inimitiés, qu’est venu détruire en lui-même (cf. Ep 2,14) celui qui a porté nos péchés en son corps sur le bois (1 P 2,24), puisque nos péchés nous séparent de Dieu. 6. Toi donc, souviens-toi de tes fins dernières (Si 7,36), afin de ne pas pécher. Bien plus, ne t’estime pas en sécurité pour avoir expié le péché, mais pense que tu vas mourir. Heureuse l’âme qui, au moment de cette nécessité dernière, a la capacité de présenter avec confiance aux yeux divins ce (qu’Ézéchias) disait : ‘De grâce,
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Seigneur, souviens-toi que j’ai marché devant toi avec un cœur parfait et que j’ai fait ce qui est bien à tes yeux (2 R 20,3). Que ma justice ne soit pas en oubli auprès de toi, de mes iniquités ne te souviens pas. Moi, j’ai tourné ma face vers le mur (cf. 2 R 20,2) ; toi, détourne la tienne. Détourne ta face de mes fautes ; car mon iniquité, moi, je la connais, mon péché est toujours devant moi (Ps 50,11.5 ).’ Par la suite en effet, (Ézéchias) dit dans son cantique : Tu as rejeté derrière ton dos tous mes péchés (Is 38,17).
Prière et larmes 7. Le Seigneur a eu compassion de celui qui le priait ainsi, et par le même prophète il lui a envoyé des paroles de réconfort : J’ai entendu ta prière, dit-il, j’ai vu tes larmes (2 R 20,5). Vous voyez combien la prière est une réalité efficace, combien les larmes du suppliant sont des légats rapides et fidèles ! Depuis les joues (cf. Si 35,15), elles montent vers le ciel, et le Très Haut ne les dédaigne pas. Que ne pourront ces larmes qui ont ainsi changé l’oracle prophétique, qui ont infléchi la sentence divine avec une telle rapidité ? Isaïe n’était pas encore sorti de la cour centrale que déjà la prière d’Ézéchias avait pénétré les cieuxa. 8. Nous aussi, mes frères, tournons-nous vers le mur (cf. 2 R 20,2), pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ; et si les mérites à présenter pour qu’il se souvienne de nous ne suffisent pas, insistons en versant des larmes, appliquons-nous d’autant plus à la prière. D’ailleurs, si nous faisons bien attention, il ne lui est pas dit : ‘J’ai entendu parler de ta perfection, je me suis souvenu de ta justice’, mais : J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes (2 R 20,5). Lui, il fut entendu parce qu’il était juste ; toi aussi, du moment que tu persévères, tu seras entendu. La parole divine que vous avez lue n’est pas : ‘Dieu n’entend pas les pécheurs.’ Bien au contraire, comme il l’atteste lui-même, il est venu appeler les pécheurs (cf. Mt 9,13). Et toi, tu craindrais de l’invoquer ? Pourquoi appelle-t-il si ce
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Cf. 2 R 20,4 et Si 35,17.
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n’est pour être entendu ? Ne vas donc pas penser qu’il ne veut pas entendre, alors qu’il désire tant être entendu. 9. J’ai entendu ta prière, dit-il, j’ai vu tes larmes (2 R 20,5). C’est une chose avantageuse que la grâce des larmes, puisque Dieu les voit et qu’il se rappelle les avoir vues. Malheureux que je suis : ma terre au midi est sèche et ne donne aucune source à celui qui la demande (cf. Jos 15,19) ! Peut-être est-ce parce que je ne suis pas assez assis sur mon ânea, que je ne soupire pas (cf. Jos 15,18 vg), que mes rugissements ne sont pas comme les eaux qui débordent (Jb 3,24). Qui donnera à ma tête de l’eau et à mes yeux une fontaine de larmes (Jr 9,1 vg) ? Autrement je crains que, lorsque Dieu essuiera toute larme des yeux des saints (cf. Ap 7,17), ne trouvant pas de larme à essuyer sur mes yeux, sa sainte main si douce ne passe outre. Je crains qu’il n’ajoute pas quinze années à ma vie, moi dont il n’aurait pas entendu la prière ni vu les larmes (cf. 2 R 20,5‑6).
Les quinze années 10. Je pense en effet que ces quinze années (cf. 2 R 20,6) désignent opportunément la vie bienheureuse : elle seule est l’âge où l’entendement est vraiment développé, l’âge de raison non seulement pour un temps mais pour l’éternité. D’ici là notre vie est infantile : nous agissons comme des enfants, nous jugeons comme des enfants ; nous tous, tant que nous sommes, nous disposons à peine d’une connaissance partielle et encore bien exiguë (cf. 1 Co 13,9‑11). Au reste, comme dit Jean, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3,2). Assurément, parce que, d’après Paul, aussi longtemps qu’il est un enfant, l’héritier ne diffère en rien d’un esclave, agissant dans la soumission aux tuteurs et aux intendants (Ga 4,1‑2). 11. Par contre, celui dont la prière est entendue se voit promettre ces quinze années (cf. 2 R 20,6), l’âge légal, une vie qui n’est plus du tout infantile, dont l’Apôtre dit : Alors, nous parviendrons Cf. Grégoire le Grand, Dialogues 3,34,2‑5 : « Axa est assise sur son âne quand l’âme gouverne les mouvements non raisonnés de sa chair. ». a
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tous à l’état d’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ (Ep 4,13). Ce jour est le troisième, celui où nous monterons au temple du Seigneur, comme il est dit au sujet d’Ézéchias (cf. 2 R 20,5). Car le premier jour est celui du labeur en cette vie. Le second est celui du repos après la mort. Le troisième est celui du bonheur après la résurrection. Ce qui fait dire au prophète : Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous ressuscitera, et nous vivrons en sa présence (Os 6,2). Sans nul doute, dans son temple, là où tous diront : gloire ! (cf. Ps 28,9)
Les dix degrés 12. Grande promesse, certes, mais non moins grand signe. De fait, le soleil remonta de dix degrés par lesquels il était déjà descendu (Is 38,8). Il faut donc rechercher quels sont ces dix degrés par lesquels il est descendu et monté. Car celui qui est descendu est le même qui est aussi monté, afin de remplir toutes choses (Ep 4,10), comme l’atteste l’Apôtre. Peut-être est-il permis de conjecturer que les dix ordres de créature raisonnable sont désignés du nom de degrés : neuf pour les anges, et un pour les humains. Pour comprendre comment il est vraiment descendu et retourné par ces mêmes degrés, il est nécessaire de faire une recherche plus poussée. Qu’il soit descendu et remonté est en effet déjà manifeste pour tous les fidèles. 13. Oui, le Seigneur Sabaoth, d’autant supérieur à tous que le nom de Fils qu’il possédait était incomparable (cf. He 1,4), s’est anéanti lui-même (Ph 2,7) au point d’être perçu non seulement comme inférieur aux anges (cf. He 2,9) mais comme la honte du genre humain et le rebut du peuple (Ps 21,7). Ne l’a-t-on pas vu descendre en dessous des hommes lorsqu’il est allé jusqu’au fond des enfers ? C’est pourquoi, comme l’a dit quelqu’un, « il n’était pas étonnant que les ténèbres règnent dans les hauteurs, puisque le Soleil était descendu aux enfersa ». Mais il n’était pas possible qu’il soit retenu par eux (cf. Ac 2,24), il en est revenu et remonté. Il est a
Maxime de Turin, Sermon 53,3.
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remonté d’où il était descendu. Car il ne s’est arrêté ni parmi les humains, ni en l’un quelconque des ordres des anges. Il paraît où commence le ciel, et il s’en va jusqu’où le ciel s’achève (Ps 18,7). Il est passé et il a traversé, montant et descendant, il s’est élancé comme un géant pour courir sa carrière, sautant sur les montagnes, franchissant les collinesa.
Séraphins, Chérubins et Trônes
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14. La montagne la plus haute est cet ordre suprême qui porte le nom de ‘Séraphin’. C’est à bon droit qu’on a vu le Soleil de justice (cf. Ml 3,20) atteindre ce degré lorsqu’il descendit. Il était rempli d’un zèle jaloux (cf. 1 R 19,10) pour la gloire du Père, le salut des hommes, la beauté de la maison de Dieub. On dit que Séraphin signifie ‘ardent’ ou ‘brûlantc’. Et nous savons qui a dit : Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il brûle (Lc 12,49). Il descendit quand il dissimula son zèle enflammé, il le retint et ne le montra pas mais dispensa d’abord la salutaire rosée de la patience. 15. Si Chérubin signifie ‘plénitude de connaissanced ’, personne évidemment n’en fut autant rempli que celui qui posséda tous les trésors de la sagesse et de la connaissance ; mais ils étaient cachés en lui, comme dit l’Apôtre (cf. Col 2,3). Il est assurément passé au-delà, il a également franchi cet ordre quand il lui a plu de sauver les croyants par la folie du message (1 Co 1,21), de sorte que l’Apôtre ne craint pas de dire que ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes (1 Co 1,25). 16. Ce qui distingue les ‘Trônes’, c’est qu’ils sont revêtus d’une dignité judiciaire. Si on dit que sont ajoutés à leur nombre les saints, en qui le Seigneur siège comme sur son trône, combien davantage, même de ce point de vue, le Seigneur les dépasse tous en Ps 18,6 et Ct 2,8. Cf. Ps 25,8 et Jn 2,17. c Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 34,10. d Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 34,10. a
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examinant les faits et gestes des autres, lui à qui le Père a remis tout le jugement (Jn 5,22) ! Et pourtant il est passé au-delà de ce degré, car il n’est pas venu pour juger mais pour être jugé et donner sa vie pour la multitude (cf. Mt 20,28).
Dominations, Principautés, Puissances 17. En outre, ceux qui sont tellement au-dessus de toutes les passions et de tous les vices qu’ils sont appelés dieux parmi les hommes, au titre même de leur pureté, sont considérés comme appartenant au nombre des ‘Dominations’. Là-dessus vient aussitôt à l’esprit cette parole évangélique : (La loi) appelle ‘ dieux’ ceux à qui s’adressait la parole de Dieu ; or à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites : ‘Tu blasphèmes’ pour avoir dit : ‘Je suis Fils de Dieu’ (Jn 10,35‑36). Assurément, il est Seigneur des Dominations (cf. Dt 10,17) celui à qui il est dit : Domine au milieu de tes ennemis (Ps 109,2). Mais il est descendu, prenant condition d’esclave (Ph 2,7), et non à la manière des rois des nations qui font sentir leur domination (Lc 22,15). Cependant, comme il le dit lui-même aux disciples, ils faisaient bien de l’appeler Maître et Seigneura, car il l’était vraiment (cf. Jn 13,13). 18. Ils reçoivent leur lot dans le rang des ‘Principautés’ ceux qui règnent sur des bons, même meilleurs qu’eux, leurs frères les élus. Le Seigneur et le Maître (cf. Jn 13,14) est également descendu de ce degré, non seulement lorsqu’il fut baptisé par Jean (cf. Mt 3,13), mais surtout lorsqu’il descendit à Nazareth et qu’il était soumis à ses parents (cf. Lc 2,51). 19. Nous lisons que sont appelés ‘Puissances’ ceux à l’autorité desquels les forces adverses sont soumises, ceux qui ont aussi le pouvoir de mettre un frein aux tentations qu’elles infligent aux hommes. Ils avaient reconnu que cela ne faisait pas défaut au Christ ceux qui disaient qu’il commandait avec puissance même aux esprits, et que ceux-ci lui obéissaient (cf. Mc 1,27). Mais en réalité on l’a vu descendre également de cette puissance, lorsqu’il a
Dominus : dominateur.
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supporta d’être emporté et placé sur le faîte du temple (cf. Mt 4,5), qu’il fut tenté par trois fois et n’exerça aucune puissance.
Vertus, archanges, anges
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20. Ils sont pareillement appelés ‘Vertus’ ceux qui opèrent miracles et signes (cf. Ac 5,12). On lit aussi à propos du Christ qu’une vertu sortait de lui et les guérissait tous (Lc 6,19). Mais il était descendu lorsqu’il ne pouvait accomplir de nombreuses ‘vertus’ (cf. Mt 7,22) parmi certaines gens, non qu’il en fût incapable, mais en raison de leur incrédulité. 21. L’Archange annonce des choses sublimes, et le Seigneur Jésus fut l’Ange du grand Conseila. Tout ce que j’ai appris de mon Père, dit-il, je vous l’ai fait connaître (Jn 15,15). Et encore : Nul n’a jamais vu Dieu, mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître (Jn 1,18). Or, il descendit jusqu’à annoncer des choses minimes, habituellement réservées aux anges, comme la mort de Lazare qu’il révéla aux apôtres (cf. Jn 11,14‑15) ; ou à propos du fils du centurion qui fut guéri à l’heure même qu’il avait indiquée (cf. Jn 4,53) ; ou à propos de la destruction de Jérusalem qui eut lieu comme il l’avait annoncée (cf. Lc 19,44). 22. Enfin, il s’est abaissé au-dessous des anges (He 2,9), vrai Fils de l’homme et homme véritable. Et c’est le dixième degré. Tout comme il descendit par lui, en pénétrant dans les régions inférieures de la terre (cf. Ep 4,9), ainsi l’ombre s’est abaissée de dix degrés pendant que le soleil baissait. Ce ne serait pas encore là quelque chose de grand, s’il n’était remonté par les mêmes degrés et si l’ombre n’avait décru au lieu de croître (cf. 2 R 20,10). 23. Oui, il fallait que le Christ souffre sa passion, qu’il ressuscite d’entre les morts pour entrer dans sa gloire (Lc 24,26.46). Autrement, à quoi cela nous aurait servi que le Fils de l’homme – si cela avait été possible – soit demeuré dans le sein de la terre (cf. Mt 12,40) sans revenir vivant du ventre de l’enfer, comme Jonas du ventre de la baleine (cf. Jon 2,3) ? Réjouissons-nous donc de toute a
Is 9,6 d’après la version de la Septante.
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Sermon 125
manière, puisque l’ascension du Sauveur est le signe de notre salut, le triomphe du Christ et le salut du peuple chrétien. Il ne fait pas de doute que tous les degrés par lesquels il est descendu, il les a aussi franchis en remontant. Parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il s’est humilié, se faisant obéissant jusqu’à la mort de la croix, le Père l’a exalté de telle sorte que, à son nom, tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Père (Ph 2,7‑11), avec ce même Père et l’Esprit Saint, un seul Dieu béni au-dessus de tout pour les siècles des siècles (Rm 9,5).
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SERMON 126 POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
La manière dont les apôtres se sont préparés à la venue de l’Esprit, et la transformation que celui-ci a opérée en eux, sont un enseignement pour notre vie.
Rassemblés pour recevoir l’Esprit 1. Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte, tous les disciples étaient en un même lieua. Quand je considèreb en moi-même et que j’évalue l’immensité et la nouveauté de la joie spirituelle que l’Esprit Saint a aujourd’hui apportée aux disciples de Jésus réunis tous ensemble, il me plaît de m’exclamer avec le prophète : Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’habiter tous ensemble (Ps 132,1) ! Je dirais si j’osais, ou plutôt j’ose et je dis avec assurancec que l’Esprit Saint ne serait pas descendu aujourd’hui sur les disciples s’il ne les avait pas trouvés réunis tous ensemble, c’est-à-dire unis dans la charité. Ils n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule âme (Ac 4,32), ils méritèrent donc d’être confortés par la consolation
Ac 2,1 ; cf. antienne et répons pour la Pentecôte. Cf. Aelred, Sermons 31,1 ; 35,1. c Cf. Aelred, Sermons 20,32 ; 30,6 ; 75,40 etc.
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du Paraclet (cf. Jn 16,7). Aussi est-il écrit : Il les a trouvés accordés dans la charité, et la sainteté divine les a inondés de sa lumièrea. 2. Nous donc, frères, si nous pouvons dire – ou plutôt parce que nous pouvons dire en vérité : ‘Le Christ nous a rassemblés pour le glorifier’ –, disons aujourd’hui avec confiance et assurance : ‘Seigneur, emplis nos âmes de l’Esprit Saintb.’ Chantons avec confiance cette hymne joyeuse pour invoquer la grâce de l’Esprit Saint : ‘Viens, Esprit créateur, visite les âmes des tiensc.’ Et chantons avec assurance, car l’Esprit Saint nous visitera aujourd’hui et il viendra au-devant de notre invocation, bien mieux dans notre propre invocation, car souvent, par miséricorde, il vient même sans avoir été appelé.
Le sujet du sermon 3. Mais il me plaît de prêter une attention plus soutenue à ce que furent les apôtres avant la venue de l’Esprit Saint, à ce que, par sa présence ils sont devenus, à la manière dont ils se sont préparés à recevoir sa grâce ; afin que nous puissions tirer profit de leurs progrès et qu’à leur exemple nous préparions nos cœurs à devenir des réceptacles pursd où l’Esprit Saint daignera habiter.
La rémission des péchés 4. Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte (Ac 2,1). Le jour où l’Esprit Saint descendit sur les apôtres, c’est le cinquantième après celui de la Résurrection. De là vient le nom de ‘pentecôte’, qui signifie ‘cinquantième’. De fait, là où les Grecs parlent de ‘pentecôte’, nous disons ‘cinquante’. Que l’Esprit Saint ait été
Répons pour la Pentecôte. Antienne pour le Jeudi Saint. c Hymne de Pentecôte. d Cf. répons pour la Pentecôte. a
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donné le cinquantième jour n’est pas sans portée spirituellea. De même en effet que, dans l’ancienne Alliance, c’est cinquante jours après l’immolation de l’agneau pascal que la Loi fut donnée aux fils d’Israël sur le mont Sinaï, de même c’est cinquante jours après le jour où le Christ notre véritable pâque, a été immolé (cf. 1 Co 5,7) que la loi spirituelle (cf. Rm 7,14), c’est-à-dire la grâce de l’Esprit Saint, a été donnée aux véritables fils d’Israël, les disciples de Jésus, sur la montagne, c’est-à-dire sur un lieu élevé, au cénacleb. 5. Dans l’ancienne Alliance, la cinquantième année était celle de la rémission : on l’appelle le jubilé (cf. Lv 25,10‑11). De même, à présent aussi le cinquantième jour est celui de la rémission, en vertu de la grâce de l’Esprit Saint par qui s’opère la rémission des péchés (cf. Jn 20,22‑23). Effectivement, l’Esprit Saint, descendant aujourd’hui sur les apôtres, consuma en eux toute la rouille des péchés par le feu de son amour ; de plus, d’une manière multiple et admirable il répandit en eux divers dons de ses charismesc, les réconfortant dans la charité et les conduisant vers la vérité tout entièred. Voilà ce que l’Esprit Saint les fit devenir. Mais il faut voir également ce qu’ils étaient avant d’être devenus tels.
Faiblesses des apôtres 262
6. Si nous considérons ce qu’ils étaient lors de la résurrection, depuis le jour de Pâques jusqu’à celui de l’Ascension, nous les trouvons faibles et manquant de fermeté, surtout dans la foi. De fait, lorsque leur Seigneur et Maître (cf. Jn 13,13) fut ressuscité d’entre les morts, comme il le leur avait annoncé d’avance avant sa passion, et qu’avec de nombreuses preuves il s’était montré à eux vivant, selon le témoignage de l’Écriture, en leur apparaissant et en leur parlant du Royaume de Dieu (Ac 1,3), eux cependant, manquant de Cf. Aelred, Sermon 129,6. Cf. Léon le Grand, Traité 75,1 ; cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,17 ; cf. Aelred, Sermons 129,9 ; 133,4. c Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,5 ; cf. Aelred, Sermons 133,12 ; 182,2 etc. d Cf. Jn 16,13 ; oraison pour l’Octave de Pentecôte. a
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fermeté et n’ayant aucune foi ou bien peu (cf. Mt 6,30), pensaient voir un fantôme ou un esprita. Et si d’aventure, grâce à d’indéniables preuves de sa résurrection, ils le croyaient vraiment ressuscité, ce n’était que de manière hésitante et indécise. Je dirais qu’ils croyaient et ne croyaient pasb. Et ne pensez pas que je vous exprime une opinion personnelle. Écoutez ce qu’atteste Marc dans l’Évangile, lorsqu’il dit : Tandis que les onze disciples étaient à table (il leur reprocha leur incrédulité) (Mc 16,14). 7. Il y avait également chez eux une autre faiblesse et imperfection : ils ne savaient pas encore beaucoup penser aux réalités célestes. Ils ne connaissaient que le Jésus terrestre, tel qu’il vivait habituellement parmi eux. Le Jésus ‘céleste’, ils ne l’avaient pas encore connu, parce qu’ils n’avaient pas appris à le connaître par l’expérience. C’est pourquoi il est dit à Marie Madeleine : Ne me touche pas, je ne suis pas encore monté vers le Père (Jn 20,17).
Chemin suivi 8. Cela montre clairement à quel point faiblesse et imperfection étaient en eux avant la venue de l’Esprit Saint. Et ce qui a été dit plus haut montre la grande fermeté et la perfection qu’ils retirèrent de sa venue. Il reste donc à voir par quel chemin, de quelle manière, par quel processus ils obtinrent de passer de cette faiblesse à cette fermeté, de cette imperfection à cette perfection. Cela apparaîtra plus aisément si nous prêtons attention au processus de montée, au retournement qui s’opéra en eux depuis le jour de l’Ascension jusqu’à celui de la Pentecôte. 9. Le Sauveur mena ses disciples dehors, vers Béthanie, et, tandis qu’il les bénissait, il monta au ciel. Quant à eux, ils revinrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient dans le Templec, se livrant aux jeûnes et aux prières (cf. Lc 2,37). Voilà comment progressèrent à partir de l’Ascension ceux qui auparavant doutaient de Cf. Mc 6,49 et Lc 24,37. cf. Aelred, Sermon 127,7. c Lc 24,50‑53 ; cf. Jn 3,13 ; répons pour l’Ascension. a
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la Résurrection. Ayant vu l’ascension de leur Seigneur, non seulement ils eurent foi en sa résurrection d’entre les morts, mais aussi ils connurent le vrai Dieu, qu’ils avaient nettement vu pénétrer dans les hauteurs du ciel sans aucune aide extérieure mais par sa seule puissance divine, sans être entravé par le poids du corpsa. Mais il est à remarquer que leur progrès consista en ceci : après l’Ascension, dans le temple, se livrant jour et nuit aux jeûnes et aux prières (cf. Lc 2,37), ils attendaient ardemment la bienheureuse espérance et l’avènement de la gloire (cf. Tt 2,13) de l’Esprit Saint. Et en ces jours, leur nombre – qui était incomplet durant tout le temps écoulé depuis la Résurrection – fut rétabli et ramené de onze à douze, selon la suggestion du bienheureux Pierre et sous sa direction (cf. Ac 1,15‑26), afin que l’on puisse dire en toute vérité : Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte, tous les disciples étaient en un même lieub. Avant cela en effet, ils n’étaient pas tous là puisqu’il en manquait un.
Les trois situations des fidèles 10. Voilà, frères, il ne faut pas écouter ces détails d’une oreille indifférente. Car ils sont très instructifs – si du moins il y avait quelqu’un capable de vous en montrer le sens (cf. Lc 24,32) –, d’autant plus que toute la vie des apôtres, leur comportement nous instruit et donne forme à notre viec. Nous vous avons présenté les disciples de Jésus en trois situations bien différentes. Car nous les avons montrés faibles dans la foi et imparfaits, lors de la Résurrection ; progressant non seulement dans la foi mais également dans leur comportement, lors de l’Ascension ; parfaits et affermis tout ensemble dans la foi, la charité et la vérité, lors de la Pentecôte. Ces trois situations concernant donc les apôtres désignent trois situations en lesquelles se trouvent les fidèles dans l’Église : ceux qui a Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 29,5 ; cf. Aelred, Sermons 13,32 ; 101,2. b Ac 2,1 ; cf. antienne et répons pour la Pentecôte. c Cf. Aelred, Sermon 132,2.
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sont faibles et qui ont failli, ceux qui se corrigent et progressent, ceux qui sont amendés et parfaits. 11. Les apôtres sont d’abord faibles dans la foi : voyez en eux les pécheurs et ceux qui vivent dans l’Église de manière répréhensible. Ceux qui pèchent, que sont-ils sinon des êtres faibles dans la foi, confessant Dieu de bouche mais le reniant par leurs œuvres ? Leur foi n’est pas simplement faible mais vraiment morte, comme dit l’Écriture : La foi sans les œuvres est morte (Jc 2,26). Et c’est à juste titre que les pécheurs sont signifiés par les onze disciples, car tout péché a rapport au chiffre onze. De fait, quiconque en péchant passe au-delà des préceptes du Décalogue tombe aussitôt sur le chiffre onzea. D’ailleurs, il n’est pas vide de sens qu’ils soient signifiés par les onze convives allongés à table (cf. Mc 16,14). C’est mauvais d’être onze, mais c’est bien pire d’être onze ensemble et allongés à table. Qu’est-ce en effet qu’être onze convives si ce n’est être allongés sur le chiffre onze, c’est-à-dire s’abandonner à la transgression et aux péchés, par une quelconque mauvaise habitude, et s’y repaître sans vouloir se relever ? 12. Mais il ne faut pas désespérer de telles personnes, parce que Jésus apparut aux onze disciples qui étaient à table (Mc 16,14). C’est vers de telles personnes que daigne venir le Sauveur, qui n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (Mt 9,13). Et que fait Jésus lorsqu’il vient vers de tels êtres ? Il leur reproche leur incrédulité et leur dureté de cœur (Mc 16,14 vg). En faisant des reproches et en avertissant, il touche leurs cœurs et les transperce de regret et de repentir. Et il les conduit dehors, c’est-à-dire qu’il les retire de l’abîme des vices et les ramène à l’espérance du pardon. Et où les conduit-il ? Vers Béthanie (cf. Lc 24,50), c’est-à-dire vers la maison de l’obéissanceb, afin que, par l’obéissance, ils se corrigent des fautes commises par désobéissance et mépris des commandements de Dieu. Et il monta au ciel (Lc 24,51) devant eux, c’est-à-dire qu’il entraîne vers les réalités célestes leurs cœurs et leur intention profonde, qui étaient auparavant rivés à la terre. Et eux, remplis de Cf. Aelred, Sermon 83,6 ; cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 32,15,27. b Jérôme, Livre sur les noms hébreux 60 ; cf. aelred, Sermon 123,12. a
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joie spirituelle, vont à Jérusalem (cf. Lc 24,52), c’est-à-dire vers la vision de paixa et la tranquillité de l’esprit qui proviennent d’une conscience pure et nette. Et ils se livraient aux jeûnes et aux prières (cf. Lc 2,37). Cela a rapport aux œuvres d’amendement. Voilà de quelle manière on monte du premier état à l’état intermédiaire, par la grâce qui nous visiteb.
De onze à douze
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13. Eux aussi, selon la suggestion de Pierre, passent du chiffre onze au chiffre douzec, c’est-à-dire des vices aux vertus, de l’imperfection à la perfectiond. Qui est ce Pierre sinon les bons bergers et les bons supérieurs dans l’Église, qui veillent sans cesse au progrès et au perfectionnement de ceux dont ils ont la charge ? Ou bien, selon l’interprétation morale, Pierre ramenant les frères au chiffre parfait, c’est la faculté de jugement dans l’être humain : d’elle procèdent toujours les desseins qui sont bons, saints et salutaires ; elle entraîne vers la perfection toutes les paroles, pensées et œuvres – qui sont comme ses frères. Ainsi, quoiqu’on dise, quoiqu’on pense, quoiqu’on fasse, tout pourra être orienté vers Dieu et fait à cause de Lui. 14. Il est à noter que tout l’amendement de ces gens qui sont dans l’état intermédiaire s’achève en dix jours. Par l’observation de la loi de Dieu – désignée par le nombre dix en raison du décalogue –, non seulement nous nous amendons du mal commis mais aussi, par la valeur de notre vie, nous progressons chaque jour et nous allons de vertu en vertu (cf. Ps 83,8 vg) pour être enfin aptes à aller vers et à parvenir au troisième degré de la perfection, le plus élevé, où ne se trouvent que les parfaits, les plus élevés, ceux qui sont remplis de l’Esprit.
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 50. Cf. Aelred, Miroir de la charité II,22‑32. c Voir paragraphe 9. d cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 32,15,27. a
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15. Lorsque, par grâce, nous serons parvenus à cet état – les jours de la Pentecôte étant accomplis en nous, c’est-à-dire nos péchés ayant été pardonnés –, l’Esprit Saint Paraclet (cf. Jn 16,7) viendra à nous selon la promesse du Père (cf. Ac 1,4). Et, comme sur les apôtres, il descendra sur nous dans des langues de feu. Il descendra, pour qu’intérieurement nous brûlions du zèle de la charité ; sous la forme de langues, pour que, dans le comportement extérieur, par l’exemple d’une bonne conduite – telle une prédication en langues –, nous incitions autrui à vivre selon le bien et à mériter de recevoir la grâce du Saint-Esprit (cf. Ac 2,1‑4). Que ce même Esprit Saint Paraclet daigne nous conduire à cet état de perfection, lui qui vit et est glorifié avec le Père et le Fils, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 127 POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
L’Église, assemblée des disciples du Christ, est chargée d’annoncer en toutes les langues les merveilles de Dieu. Pour ce faire, les apôtres ont reçu les dons de l’Esprit. Il est descendu sur eux sous la forme de feu afin de mettre symboliquement en lumière la portée spirituelle de l’événement.
Aujourd’hui 1. Soudain, vint du ciel le bruit de l’Esprit impétueux qui arrivait ; et il remplit toute la maison où ils se tenaient assisa. Si nous considéronsb avec dévotion ce qui est aujourd’hui annoncé, si nous prêtons soigneusement attention à la venue et à l’action du Saint-Esprit, qui aujourd’hui éclaire, instruit et fortifie les cœurs des disciples, rien de plus approprié, rien de mieux adapté, rien de plus aisé ne se présente à nousc que l’exclamation de l’éminent héraut (cf. 1 Tm 2,7) : Quelle profondeur dans la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins, impénétrables
Ac 2,2 vg ; antienne pour la Pentecôte. Cf. Aelred, Sermon 126,1 etc. c Cf. Aelred, Sermons 130,1 ; 170,10. a
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Sermon 127
(Rm 11,33). Nouveaux, admirables, insaisissables sont les mystères de cette sainte solennitéa. 2. Aujourd’hui, Dieu invisible est apparu aux hommes de manière visible. Aujourd’hui, l’Esprit Saint – qui selon sa nature propre est invisible, immense, insaisissableb –, sous une forme corporelle (cf. Lc 3,22), par une soudaine irruption de la divinité, descendit sur les apôtres en des langues de feu (cf. Ac 2,3). Aujourd’hui, la promesse du Christ (cf. Ac 1,4‑5) s’est accomplie, l’infidélité est supprimée, la foi se fortifie ; les affligés sont réconfortés, les timides sont affermis, les infirmes sont guéris, les imparfaits sont menés à leur accomplissement ; des gens quelconques et sans instruction (cf. Ac 4,13) s’adressent à tous avec une précision parfaite. Oui, il n’y a ni langage ni discours où leur voix ne soit pas comprise (Ps 18,4). Tout cela est advenu alors.
Dans toutes les langues 3. Parmi les apôtres – qui étaient Galiléens et n’avaient appris qu’une seule langue –, on entendait des voix et des discours en toutes les langues et tous les dialectes de toutes les nations. La foule des habitants de Jérusalem fut remplie de crainte et d’admiration devant cette œuvre de l’Esprit Saint (cf. Ac 2,7). On lit en effet qu’il y avait dans cette ville des Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel (Ac 2,5). Au bruit qui se répandit – c’està-dire l’annonce que les apôtres parlaient en toutes les langues –, une foule de gens s’assembla autour des apôtres et toute cette multitude était dans la stupéfaction parce que chacun entendait les apôtres parler sa propre langue (Ac 2,6) : l’Hébreu en hébreu, le Grec en grec, le Latin en latin, et de même pour chacune de toutes les langues qui sont sous le ciel. 4. Nous ne lisons pas que cela soit arrivé à quelque autre peuple, mais seulement à ce peuple nouveau, que le médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, le Christ Jésus (1 Tm 2,5) a a b
Cf. Aelred, Sermon 128,11. Cf. Léon le Grand, Traité 22,2.
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Sermon 127
particulièrement choisi et que l’Esprit Saint a spécialement baptisé. Tel est le peuple incomparablement heureux (cf. Ps 143,15), choisi par le Fils de Dieu et baptisé par l’Esprit Saint, comme ce même Fils de Dieu l’avait auparavant annoncé : Jean a baptisé avec de l’eau ; vous, vous serez baptisés par l’Esprit Saint sous peu de jours (Ac 1,5). Ce sont eux les fils de l’adoption (cf. Rm 8,15) dont parle le prophète : À la place de tes pères sont nés tes fils ; tu feras d’eux des princes sur toute la terre (Ps 44,17). Il convient donc que parlent toutes les langues ceux qui sont établis princes sur toute la terre.
Rappel des faits 5. Soudain, vint du ciel un bruit (Ac 2,2). C’est à juste titre qu’il se fit un bruit venant du ciel, tandis que l’Esprit Saint descendait sur les apôtres, parce qu’il les a visités, il a illuminé d’une grâce ineffable les cœurs de ceux dont la voix devait être entendue sur toute la surface de la terre. C’est d’eux en effet qu’il est écrit : Leur voix s’est répandue sur toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde (Ps 18,5). 6. Soudain, vint du ciel le bruit de l’Esprit impétueux qui arrivait (Ac 2,2 vg). Comment allons-nous comprendre cela ? Comment pouvons-nous dire que l’Esprit Saint est impétueux, lui qui est partout paisible, partout tranquille, jamais mobile, jamais sujet au changement ? Mais ici on l’appelle impétueux, non de par sa nature mais en raison du caractère de son action, car c’est en faisant soudainement irruption et en agissant impétueusement qu’il descendit sur les disciples, et il remplit leurs cœurs d’une telle abondance de connaissance divine qu’en un instant (cf. 1 Co 15,52) il leur enseigna toutes les langues. 7. Et il remplit toute la maison où ils se tenaient assis (Ac 2,2). Si nous voulions nous attacher au sens littéral, la maison où les disciples étaient assis, c’était le cénacle au sujet duquel il est écrit : Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte, tous les disciples étaient ensemble au cénaclec. Dans cette maison, Jésus trouva ses c
Ac 2,1 et 1,13.
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disciples assis, occupés à manger, et il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru en ceux qui l’avaient vu ressuscité (Mc 16,14 vg) d’entre les morts. Dans cette maison, ils étaient assis, car ils n’étaient ni parfaitement croyants ni tout à fait non croyantsa. Celui qui est assis tient une position médiane entre le fait d’être couché et la station debout. Ils étaient assis, car ils étaient faibles dans la foi, tièdes dans la charité, sans entrain pour agir, sans audace pour prêcherb.
La maison qu’est l’Église 8. Voyons donc quelle est cette maison au sujet de laquelle l’Écriture dit : (L’Esprit) remplit toute la maison où ils se tenaient assis (Ac 2,2). Cette maison, c’est la sainte Église. Elle est cette sainte demeure dont les portes sont toujours ouvertes (cf. Is 60,11), une vaste demeure dont personne n’est exclu, la demeure de Dieu dont parle le prophète : Je me suis réjoui des paroles qui m’ont été dites : nous irons à la maison du Seigneur (Ps 121,1). Toute cette maison – c’est-à-dire toute l’assemblée des disciples qui formait l’Église primitive – fut remplie du bruit de l’Esprit qui arrivait (Ac 2,2), c’est-à-dire de la grâce de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint descendit sur chacun d’eux sous une forme corporelle (Lc 3,22), et ils furent immédiatement remplis de sa grâce ; et ils commencèrent à dire en diverses langues non pas des fables ou des bagatelles, mais ce que l’Esprit Saint leur donnait d’exprimer (Ac 2,3‑4) : des paroles de vie, le Royaume de Dieu, l’Évangile du Christ.
Les apôtres furent remplis de tous les dons 9. Ils proclamaient aussitôt la doctrine de l’Esprit Saint, les grandes merveilles de Dieu (cf. Ac 2,11), la résurrection de Jésus Christ (cf. Ac 2,24), comme le Christ, leur Seigneur et leur Maître a b
Cf. Aelred, Sermon 126,6. Cf. Aelred, Sermon 140,12.
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(cf. Jn 13,14) le leur avait appris après qu’il fut ressuscité des morts, lorsqu’il leur expliquait les Écritures (cf. Lc 24,32) et dit : Il fallait que le Christ souffre et ressuscite d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son nom la conversion pour le pardon des péchés soit proclamée à toutes les nations (Lc 24,46‑47). Pour que cette prédication soit faite sur toute la surface de la terre, nous lisons que les disciples furent davantage et plus parfaitement remplis de l’Esprit Saint (cf. Ac 2,4) que ceux qui vinrent avant et après eux. Car ce que les autres reçoivent en partage de façon partielle, eux ont eu la chance de le recevoir tout entier intégralement. 10. L’Esprit Saint a l’habitude de partager ses dons (cf. 1 Co 12,4‑6) en les répartissant, comme dit l’Apôtre : Il donne à l’un un esprit de sagesse, à un autre un esprit de science selon ce même Esprit ; à un autre la foi, à un autre le don de guérir, à un autre la diversité des langues, à un autre le don de les interpréter, à un autre la prophétie. Mais tout cela, c’est le seul et même Esprit qui l’opère distribuant ses dons à chacun comme il le veuta. Ces dons, l’Esprit Saint en fait aux autres une simple répartition ; mais si nous prêtons soigneusement attention à la sagesse et à la science des apôtres, à leur vie et à leur comportement, à leur prédication et à leur action, nous devons bien reconnaître qu’ils ont possédé ces dons de l’Esprit Saint dans leur totalité et non pas de manière partielle. 11. Car ils possédaient la sagesse et la science, eux qui méprisaient les choses de la terre en vue des réalités célestes. Ils honoraient et adoraient l’unique Dieu vivant et vrai, eux qui avaient la connaissance de la Loi, des prophètes et de la divine Écriture. Ils avaient le don de guérir (cf. 1 Co 12,9), eux qui, par leur foi, opéraient des signes et des prodiges (cf. Ac 5,12), et tout ce qu’ils demandaient se réalisait. Ils guérissaient non seulement les corps mais aussi les âmes. Ils rendaient la vue aux aveugles et la faculté d’entendre aux sourds, ils déliaient les paralytiques, purifiaient les lépreux, ressuscitaient les morts. 12. Il est donc juste de dire que l’Esprit remplit toute la maison où ils se tenaient assis (Ac 2,2), c’est-à-dire toute la sainte assemblée a
1 Co 12,8‑11 et Is 11,2.
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des apôtres, où, d’un même cœur (cf. Ac 5,12), ils étaient paisibles dans la foi et la dilection pour Jésus Christ. Là, c’est-à-dire dans cette foi et cette dilection, ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme (cf. Ac 4,32). Telles sont en ce jour les joies d’un genre nouveau. Telles sont les œuvres et les prouesses de l’Esprit Saint.
Le feu 13. Que l’Esprit Saint soit descendu (cf. Lc 3,22) sur les apôtres dans un feu n’est pas sans portée spirituelle. Le feu en effet possède quatre vertus ou propriétés : il est incandescent, il est flamboyant, il vérifie, il consume. Son incandescence lui vient de sa chaleur, son flamboiement lui vient de sa clarté ; sa capacité de vérifier et de consumer lui vient des énergies de sa nature. Lorsqu’une chose est placée près de lui, ou bien elle est vérifiée pour qu’elle apparaisse avec plus de valeur, ou bien elle est consumée pour s’épuiser totalement ; ou bien le feu disparaît avec et à cause de ce qui est près de lui, comme par exemple il s’éteint habituellement et s’épuise par l’eau. 14. C’est donc dans le feu qu’il descendit sur les apôtres, pour montrer que celui en lequel il réside, il le fait brûler d’amour pour Dieu et le prochain. Il descendit sous forme de feu parce que, par la splendeur de sa sainte illumination, il confère la lumière aux anges et aux hommes ; dans sa lumière (cf. Ps 35,10) nous voyons ce qu’il faut faire ; inspirés par lui, nous soupirons vers la lumière véritable (cf. 1 Jn 2,8), la lumière sans déclin où la nuit et les ténèbres ne seront plusa. Il descendit sous forme de feu, parce que lui-même, tel un feu, nous examine, selon ce que nous lisons dans le livre des psaumes : Tu as éprouvé mon cœur la nuit, tu m’as examiné par le feu, et il ne s’est pas trouvé en moi d’iniquité (Ps 16,3). On dit que l’Esprit Saint nous examine, parce qu’il sonde les reins et les cœurs (cf. Ap 2,23), il scrute les cœurs (cf. Pr 24,12), il juge les choses cachées (cf. Si 42,19) ; lui qui pénètre toutes choses, il voit les choses
a
Cf. Ap 22,5 ; 1 Jn 1,5.
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cachéesa ; à lui sont dévoilés les secrets des pensées, en sa présence aucune créature n’est et ne peut être invisibleb. Il descendit également sous forme de feu, parce que, tel un feu, il consume dans ses flammes le bois, le foin, la paille (cf. 1 Co 3,12‑13) et autres choses du même genre ; c’est ainsi qu’il élimine et évacue tous les péchés, et que, dans l’ineffable ardeur de sa bonté, il détruit miséricordieusement par le feu de sa charité les chaînes de toutes les fautesc. 15. Ce feu, Seigneur, allume-le donc sans cesse en nos cœursd, pour que, enflammés et éclairés par lui, nous te contemplions sans cesse en esprit, toi Esprit Saint notre Maître, Créateur de toutes choses ; et que, purifiés par ce feu de toutes les souillures des vices, nous méritions, dans la lumière de ce feu, de parvenir à l’éternelle lumière où règnent le jour ininterrompu et la vie éternelle. Daigne nous l’accorder, Seigneur Dieu, Esprit Saint qui éclaires et récompenses, toi qui vis et es glorifié avec le Père et le Fils, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
Cf. Aelred, Sermon 128,2. Cf. 1 Co 14,25 et He 4,12‑13. c Cf. Aelred, Sermon 33,17 ; Homélies sur les fardeaux 26,33. d Cf. antienne pour la Pentecôte. a
b
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SERMON 128 POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
L’Esprit Saint vient à nous pour nous insuffler l’espérance en la divine miséricorde. Tenons-nous donc debout pour entendre sa voix qui résonne de diverses manières. Et si nous ne parvenons pas à comprendre ses œuvres, demandons humblement au Seigneur Jésus de nous éclairer.
L’Esprit souffle 1. L’Esprit souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va (Jn 3,8). Multiple et variée est l’inspiration de l’Esprit Saint. Il est lui-même la rémission des péchésa, celui qui pardonne les fautes, qui partage les grâces. Il insuffle divers (dons) à ceux qui sont différents : la foi, la dilection, la paix, la chasteté, la concorde, la patience, la constance, et à d’autres encore d’autres dons de grâces, comme il le veut (cf. 1 Co 12,11). L’Esprit souffle où il veut : non pas contraint ni contre son gré, non pas là où il ne veut pas mais là où il veut. De même en effet que toutes choses sont disposées par sa volonté et sa providence, de même il tient toutes choses en son pouvoir. Oui, il est l’artisan de toutes choses, ayant toute efficacité, veillant sur toutes chosesb. a b
D’une oraison liturgique ; cf. Jn 20,22‑23. Répons pour la Pentecôte ; cf. Sg 7,21.23.
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Sermon 128
2. Il veille sur toutes choses : celles du passé, du présent et de l’avenir, non seulement les choses extérieures mais également les réalités intérieures. Car l’homme voit l’apparence, Dieu voit le cœur (cf. 1 S 16,7). L’homme juge suivant des indications extérieures, l’Esprit Saint suivant des indications intérieures. Car il juge les réalités cachéesa, il discerne et examine les pensées. C’est pourquoi David dit : La pensée de l’homme se fera connaître de toi, et les suites de cette pensée célébreront un jour de fête en ton honneur (Ps 75,11 vg). La pensée de l’homme se fait connaître de l’Esprit Saint, car toute notre pensée est à nu et à découvert devant lui (cf. He 4,13). Pour lui, le cœur de l’homme n’a pas de secret, son intention profonde lui est manifeste ; il est celui qui perçoit toutes choses : les corporelles et les spirituelles, les visibles et les invisibles ; pour lui, aucune créature n’est invisible (cf. He 4,13) ; il est celui qui sonde les reins et les cœurs (cf. Ap 2,23) des fils des hommes.
Se tenir debout pour entendre sa voix
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3. Ô combien heureuse, combien favorisée est l’âme qui entend la voix non pas des étrangers (cf. Jn 10,5) mais de l’Esprit Saint (cf. Jn 3,8) qui l’a créée, l’éclaire, la rend bienheureuse ! Qui pourtant se tiendra debout pour entendre cet incomparable artiste, cet admirable maître, cet ineffable artisan ? Le bienheureux Augustin nous montre quand et comment nous entendons sa voix : « Un psaume est chanté, c’est la voix de l’Esprit ; l’Évangile est lu, c’est la voix de l’Esprit ; la parole de Dieu est prêchée, c’est la voix de l’Espritb. » Chaque fois que nous entendons un psaume, une lecture d’évangile ou une sainte prédication, nous entendons la voix de l’Esprit Saint parce que, en tout cela, c’est l’Esprit Saint qui parle. Il ne fait pas de doute que lorsque nous entendons nos frères nous parler au nom de Jésus et proclamer des paroles de vie (cf. Ac 5,20), nous entendons la voix de l’Esprit Saint, car personne ne peut a b
Cf. Si 42,19 ; cf. Aelred, Sermons 127,14 ; 178,3. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 12,5.
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Sermon 128
dire : Jésus est Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint (1 Co 12,3). Et le Seigneur Jésus lui-même dit à propos de tous ses disciples : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous (Mt 10,20). 4. Tenons-nous donc debout, frères bien-aimés, pour entendre sa voix (cf. Jn 3,8), car comme dit le bienheureux Jean-Baptiste, l’ami de l’époux se tient debout et il l’entend, et il est rempli de joie à sa voix (Jn 3,29). L’ami se tient debout. Il ne bouge pas, il ne chancelle pas, il ne tombe pas, il n’est pas gisant, mais il se tient debout. Élie, l’ami de Dieu, se tenait debout, lui qui disait : Il est vivant, le Seigneur en présence de qui je me tiens debout (1 R 17,1). Élisée se tenait debout, Moïse se tenait debout. Ils se tenaient également debout les autres saints qui pratiquèrent la justice (He 11,33) et la vérité devant le Seigneur et devant son peuple (cf. 1 Ch 22,18). 5. Beaucoup se tiennent debout en présence des hommes, alors qu’ils sont gisants en présence de Dieu. Les hypocrites se tiennent debout en présence des hommes, et ils sont gisants en présence de Dieu. Car les hommes les croient saints et religieux, tandis qu’ils sont vains et menteurs ; ils croient que ce sont des brebis, tandis que ce sont des loups rapaces (cf. Mt 7,15), avec une conscience impure et cruelle. Ils tombent ceux qui, menant une vie bonne et sainte, retournent vers des œuvres mauvaises et une vie éhontée. Ils sont gisants, ceux qui collent aux vices, aux péchés et aux désirs charnelsa. 6. Mais les amis se tiennent debout (cf. Jn 3,29), ne déviant ni vers la droite ni vers la gauche (cf. 2 R 22,2) ; ils ne se courbent pas vers la terre, mais ils se tiennent debout, dressés vers le ciel, disposés et prêts à entendre la voix (cf. Jn 3,8) de l’Esprit Saint, pour garder les paroles de Dieu (cf. Ps 118,9). Écoutant volontiers la voix de Dieu, ils sont rendus heureux par l’obéissance à ses préceptes. Heureux, dit le Seigneur, ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent (Lc 11,28). Ceux-là se tiennent debout et ils entendent la voix de l’époux, et ils sont remplis de joie à sa voix (cf. Jn 3,8.29). C’est ainsi que les amis de l’époux deviennent demeure de Dieu a
Cf. Aelred, Sermon 44,11.
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(cf. Jn 14,23) temple de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 6,19). Eux se tiennent debout en présence de Dieu (cf. 1 R 17,1) ; nous aussi, tenons-nous debout avec eux.
Comment entendre 7. Et tu entends sa voix (Jn 3,8). Nous entendons la voix de l’Esprit Saint de diverses manières : tantôt par la lecture ou la contemplation, tantôt par la prédication ou une secrète inspiration, tantôt par les œuvres de la terre ou celles du ciel. C’est ainsi qu’on lit en Ézéchiel que la voix venait parfois d’en dessous du firmament, parfois du firmament, parfois d’au-dessus du firmamenta. La voix vient d’en dessous du firmament lorsque nous admirons la splendeur et la grandeur du Créateur à travers ce qui est sous le firmament : la beauté de l’azur, des oiseaux et de tout ce qu’il y a de magnifique dans le ciel et sur la terre. 8. La voix vient du firmament (cf. Ez 1,22‑26 vg) lorsque, par la contemplation, notre esprit parcourt les réalités célestes, admirant l’éclat des anges, la gloire des patriarches, l’excellence des prophètes, la grandeur des apôtres, la récompense des martyrs, le bonheur des confesseurs, la chaste dilection des vierges et enfin la gloire sans fin et l’éternelle béatitude de tous les saints. Du fait de cette voix venant du firmament, les réalités terrestres et les désirs charnels perdent de leur importance. 9. La voix vient d’au-dessus du firmament (cf. Ez 1,22‑26 vg) vers l’âme lorsque, par une secrète inspiration, l’esprit humain est ravi non seulement jusqu’au troisième ciel (cf. 2 Co 12,2) mais au-dessus de tout le ciel : il y considère et admire l’ineffable et stupéfiante puissance et sagesse du Créateurb – qui a tout créé à partir de rien – ainsi que sa miséricorde, digne de louange et d’admiration : par la mort de son Fils unique, il a relevé l’homme qui avait failli. À partir de cette voix d’au-dessus du firmament, cf. Ez 1,22‑26 vg ; cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 8,12 ; cf. aelred, Sermon 44,15‑18. b Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel 1, 8,15‑16. a
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c’est-à-dire à partir de cette très haute et parfaite contemplation, naît dans l’âme une incompréhensible jouissance de la douceur de Dieu.
Douceur de l’Esprit 10. C’est pourquoi le prophète David – qui en avait quelque peu goûté – s’exclamait plein d’admiration et de louange : Qu’elle est grande, Seigneur, l’abondance de ta douceur, que tu as réservée à ceux qui te craignent (Ps 30,20) ! Vraiment grande, vraiment inestimable et ineffable douceur ! Ce sont peut-être là les secrets que vit le bienheureux Paul, ravi jusqu’au troisième ciel, et dont il n’est pas permis à l’homme de parler (2 Co 12,2‑4). Les mystères de la douceur de Dieu, personne ne peut les exprimer par la langue ni les saisir par la pensée. Ils sont préparés pour ceux qui craignent Dieu. Sur qui reposera mon Esprit, dit le Seigneur, sinon sur l’homme humble, paisible et qui tremble à ma parolea ? Lorsque ce souffle spirituel enivre l’âme de la délicieuse abondance de la douceur de Dieu, alors vient la voix d’au-dessus du firmament (cf. Ez 1,22‑26 vg), car cela vient de et à partir de celui qui a créé l’ensemble du firmament et qui est au-dessus de toute créature. Voilà comment nous entendons la voix de l’Esprit Saint de diverses manières.
D’où vient-il et où va-t-il ? 11. Et tu ne sais ni d’où il vient ni où il va (Jn 3,8). Nous ne savons ni d’où il vient ni où il va, parce que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies insondables (Rm 11,33). D’où vient-il et où va-t-il, lui qui est partout et qui ne manque nulle part ? Comment va-t-il d’un lieu à un autre, lui qui remplit tout lieub ? L’Esprit Saint est immobile et immuable, il n’est sujet ni au mouvement ni au changement ni à la variation. Réfléchissez à tous les genres de a b
Is 66,2, d’après la version de la Septante. Cf. Jr 23,24 ; cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 5,15.
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mutabilité et de variabilité, et vous serez en mesure de comprendre parfaitement qu’on ne trouve en lui rien de ce qu’on peut dire ou énoncer dans un tel domaine. Il n’existe chez lui aucun changement ni l’ombre d’une variation (Jc 1,17). L’Esprit Saint lui-même est Dieu. Dieu ne peut augmenter, parce qu’il est immense ; ni diminuer, parce qu’il est simple ; ni se déplacer, parce qu’il est partout ; ni changer avec le temps, parce qu’il est éternel. Celui donc qui est partout, qui contient tout, qui remplit tout, qui enserre tout, d’où vient-il et où va-t-il ? Admirables sont ses œuvres, étonnantes et tout à fait insaisissablesa !
Exemple de Nicodème 275
12. Admirables sont tes témoignages, Seigneur, aussi mon âme les a-t-elle scrutés (Ps 118,129). Quoi d’étonnant à ce que Nicodème s’étonne (cf. Jn 3,7) et n’arrive pas à comprendre ses œuvres ? Quelle témérité serait-ce de ne pas s’étonner quand on est un enfant par le jugement, un tout-petit en fait d’intelligence, alors que cela a suscité l’étonnement d’un pharisien d’âge mûr ? Et ce n’était pas n’importe quel pharisien, mais Nicodème, qui était un des notables Juifs et un Maître en Israël (Jn 3,1.10). Mais puissions-nous, mes frères, puissions-nous avec son état d’ignorance posséder son humilité et sa prudence ! Il fait voir sa prudence en ce qu’il vint de nuit vers Jésus (Jn 3,2) ; son humilité en ce qu’il interroge avec empressement et intérêt sur ce qu’il ignore. Beaucoup d’hommes, même dans le cloître, quand ils entendent ou lisent quelque chose qu’ils n’arrivent pas à comprendre ne sont pas capables, à cause de leur orgueil, d’interroger sur ce qu’ils ne saisissent pas. De tels hommes, orgueilleux et imbus d’eux-mêmes, sont dès lors toujours dans la nuit, s’obstinant sottement dans les ténèbres de l’ignorance. Qu’est-ce que la nuit, en effet, sinon l’ignorance qui obscurcit et enténèbre l’esprit humain de façon à l’empêcher de saisir ce qui est lu ou entendub ? a b
Cf. Aelred, Sermons 127,1 ; 133,1. Cf. Aelred, Sermon 80,2.
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Sermon 128
13. Nous donc, disciples d’humilité, imitons le sage et humble Nicodème. Allons à Jésus de nuit (cf. Jn 3,2). Quand nous lisons quelque chose que nous ne parvenons pas à comprendre, si nous ne pouvons être renseignés par un homme, allons de nuit – c’està-dire en avouant notre état d’ignorance – vers Jésus, le Maître céleste. Disons-lui humblement avec Nicodème : ‘Rabbi, nous le savons, tu es un Maître qui vient de la part de Dieu ; personne ne peut accomplir les signes que tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui (Jn 3,2). Tu es un Maître céleste, tu sais tout (cf. Jn 21,17) sans avoir été enseigné, et tu enseignes tout sans causer de fatigue. Éclaire mon cœur. Seigneur, apprends-moi tes volontés. Guide-moi au chemin de tes commandements (Ps 118,12.35).’ Si nous allons ainsi à Jésus de nuit – c’est-à-dire si nous avouons humblement notre état d’ignorance – et si nous reconnaissons sa puissance, il nous éclairera et nous donnera l’Esprit Saint qui nous enseignera toute vérité (Jn 16,13). C’est ainsi que confessa sa puissance le sage lépreux qui vint à lui pour lui demander la guérison corporelle : Seigneur, dit-il, si tu le veux, tu peux me purifier. Et le Seigneur lui répondit aussitôt : Je le veux, sois purifié (Mt 8,2‑3). C’est comme s’il disait : ‘Tu confesses ma puissance, je te fais voir ma miséricorde ; tu reconnais mon pouvoir, je te donne la santé. Sois purifié.’ Et nous, si nous avouons nos fautes en honorant sa puissance, il nous purifiera de toute lèpre de péché et nous éclairera par l’Esprit Saint.
Il vient à nous 14. Et nous ne savons ni d’où il vient ni où il va (Jn 3,8). Nous ne savons ni d’où vient ni où va l’Esprit Saint. Même si, en notre présence, il remplit quelqu’un de sa grâce, nous ne sommes cependant pas en mesure de saisir comment il vient ni quand il se retire, car il est invisible de par sa nature. Nous savons cependant et nous affirmons avec assurance qu’il vient fréquemment à nousa. Il vient à nous lorsqu’il insuffle en nous sa dilection, l’amour des vertus et la haine des vices, lorsque, par une secrète inspiration, il nous a
Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 5,15.
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enseigne ce qu’il faut faire ou éviter, lorsqu’il nous entraîne à sa suite afin que nous courions à l’odeur de ses parfums (cf. Ct 1,3 vg), éteignant en nous les désirs charnels et terrestres, allumant en notre âme l’amour des joies spirituelles.
Jugement et miséricorde 15. Il vient également à nous parfois en jugeant, parfois en faisant miséricorde. Il vient à nous en jugeant lorsqu’il nous inspire la terreur du jugement : combien il est redoutable de tomber entre les mains du Dieu vivant (He 10,31), combien il faut redouter et éviter d’être avec le démon et ses anges dans le feu éternel (cf. Mt 25,41), d’être rongé et dévoré des vers qui ne meurent point, d’être tourmenté par des châtiments éternels et de ne jamais cesser d’être dans cet étata, d’être toujours dans la mort et de ne pas en mourir. Lorsqu’il vient ainsi à nous en jugeant, il éteint en nous l’incendie des vices, il repousse les émotions voluptueuses et tous les sentiments charnels. Et par cette terreur du jugement, il nous fait rejeter le mal et choisir le bien (Is 7,15). Il vient à nous en faisant miséricorde quand, après nos forfaits et nos lourdes fautes, de peur que nous ne soyons anéantis par le désespoir, il souffle sur nous la multitude des compassions (cf. Ps 50,3) de Dieu, pour nous réchauffer dans l’espérance et nous inciter ainsi au repentir. L’Esprit Saint est plein de bonté, il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive (Ez 33,11)b. Voilà pourquoi il souffle l’espérance pour (nous) déterminer au repentirc.
L’esprit malin 16. L’esprit malin, par contre, désire la mort de tous les êtres. C’est pourquoi, après les défaillances et les péchés – qu’il a luiCf. Is 66,24 ; cf. Aelred, Sermons 86,18 ; 112,22 ; 180,3. Antienne de Carême. c Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 5,16. a
b
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même inspirés –, il insinue le désespoir pour étouffer le repentir et faire ainsi périr l’impie. C’est ainsi qu’il fit périr Judas le traître. De fait, nous lisons qu’après sa trahison, il fut certes pris de remords mais il n’obtint pas le pardon car il avait perdu l’espérance ; séduit par le démon, il courut vers le piège et là, il mourut doublementa. C’est ainsi que cet abominable homicide (cf. Jn 8,44) en fit périr beaucoup par désespoir. 17. Il arrive fréquemment qu’un homme, après des fautes graves et des actes ignominieux, soit touché de repentir (cf. Mt 27,3) et s’efforce de se relever ; alors, l’esprit malin s’insinue subrepticement pour lui barrer la route, et, par une ruse déguisée en flatterie, il lui dit : ‘Que fais-tu ? Pourquoi te disposer à perdre l’une et l’autre vie ? Considère la multitude de tes péchés, regarde l’effroyable immensité de tes crimes, et constate qu’il n’y a pas pour toi de rémission. Tu ne pourras pas être réconcilié avec ton Créateur. Même si tu te donnais toi-même la mort, tu ne parviendrais pas à expier convenablement. Assouvis donc les désirs de la chair. Jouis des bonnes choses de la vie présente, pour ne pas perdre les biens de l’une et l’autre vie.’
Bonté de Dieu 18. À l’encontre de cette diabolique suggestion, l’Esprit Saint, mettant en nous de bonnes inspirations, nous fait voir des exemples de la bonté et de la bienveillance de Dieu : avec quelle indulgence il accueillit la femme pécheresse dans la maison de Simon, avec quelle puissance il la délivra tout à la fois de ses péchés et des démons (cf. Lc 7,36‑8,2), combien volontiers il exauça le larron sur la croix (cf. Lc 23,42‑43), comment il regarda Pierre après son reniement (cf. Lc 22,61) ; et enfin, combien admirablement, combien miséricordieusement il a racheté et libéré, par le mystère de la croix, le genre humain tout entier qui était infecté par toutes sortes de péchés et de fautes. C’est ainsi que l’Esprit Saint, venant
a
En son corps et en son âme ; cf. Mt 27,3‑5.
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à nous par miséricorde, réduit à rien toute suggestion diabolique : il chasse le désespoir, apporte l’espérance, attise la charité.
Appel à l’espérance
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19. Job, dépouillé de richesses, assis sur le fumier (Jb 2,8), nous incite à cette espérance ; tandis que ses amis lui faisaient des reproches, il dit : Quand bien même mon Seigneur me tuerait, j’espérerais en lui (Jb 13,15)a. Si tous les péchés du monde assaillissent l’un de nous, si le démon se dresse contre nous avec toutes ses ignominies et tous ses artifices pour nous inciter au désespoir, opposons toujours les mots de Job en mettant notre confiance dans la miséricorde du Seigneur : Quand bien même mon Seigneur me tuerait, j’espérerais en lui. L’infamie de la damnation n’a pas lieu pour ceux qui espèrent en Jésus, du moment qu’ils ont foi en lui et dilection. Qui a invoqué Dieu et a été abandonné par lui (cf. Si 2,12 vg) ? C’est en toi, Seigneur que j’ai espéré ; je ne serai pas confondu à jamais (Ps 30,2). Il n’est aucun acte peccamineux que la miséricorde du Christ ne puisse effacer. 20. Mettons donc en lui notre espérance, en étant toujours prêts et empressés à recevoir l’Esprit Saint. Et puisque durant toute notre vie nous avons besoin de son aide et de sa consolation, invoquons sans cesse, par une fervente prière, l’Esprit Saint en personne, notre Maître, afin qu’il nous visite et nous éclaire, qu’il nous fortifie et nous guide en cette vieb, et qu’il nous conduise vers la vie éternelle, où nous glorifierons ce Maître lui-même, éclaireur de nos âmes, ainsi que le Père et le Fils pour tous les siècles des siècles. Amen.
a b
Cf. Aelred, Sermon 86,19. Cf. Aelred, Sermon 133,18.
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SERMON 129 POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
Après avoir précisé les qualités nécessaires à tout prédicateur, Aelred explique pourquoi la solennité de ce jour revêt un caractère sacré, dans l’ancienne Alliance comme dans la nouvelle. Une lecture symbolique du récit de la Genèse, où il est dit que Noé lâcha par trois fois la colombe hors de l’arche, permet de caractériser le triple don de l’Esprit : à ceux qui vécurent avant la Loi, à ceux qui furent sauvés par elle, et aux disciples du Christ, qui ne manqueront jamais de sa présence agissante.
Qualités du prédicateur 1. Aujourd’hui se sont accomplis les jours de la Pentecôte. Aujourd’hui l’Esprit Saint est apparu aux disciples dans le feu, et il leur fit don de charismesa. Le service de la prédication est pour nous fort malaisé et ardu, non parce que nous y trouvons du déplaisir mais parce que nous ne savons pas nous y prendreb. À celui qui prêche la vérité, en effet, trois choses sont nécessaires : la sagesse, l’éloquence et l’honnêteté de vie. 2. La sagesse lui est nécessaire pour avoir de quoi revigorer et réchauffer les auditeurs. Qu’il sache aussi comment et à qui prêcher, a b
Antienne de Pentecôte ; cf. Ac 2,1‑4. Cf. Aelred, Sermons 14,1 ; 30,1 ; 42,1 ; 63,1 ; 79,1 ; 115,1 ; 124,1.
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Sermon 129
et ce que la prédication doit apporter aux auditeurs. Car la Parole de Dieu ne doit pas être présentée à tous de la même manière, et tous ne sont pas dignes qu’on leur découvre le secret de la divine prédication, selon ce que dit le Seigneur : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds (Mt 7,6). Les perles précieuses, ce sont les divines Écritures et la présentation qu’on en fait ; les pourceaux, ce sont les railleurs et les contempteurs des commandements de Dieu. De même en effet que ceux-là sont couverts de boue et de fange, de même ceux-ci sont souillés par la sensualité et les autres vices. Mais parce qu’ils ne veulent être ni repris ni corrigés, Salomon dit très justement à leur sujet : Celui qui instruit un railleur se fait injure à lui-même (Pr 9,7 vg). Du juste, par contre, il est dit : Enseigne un juste, et il se hâtera de recevoir (l’instruction) (Pr 9,9 vg). Il faut donc prêcher d’une manière différente à celui qui est juste et à celui qui ne l’est pas.
Éloquence et honnêteté de vie
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3. À celui qui n’est pas juste il faut présenter les supplices des châtiments éternels, pour qu’il consente par crainte à Celui auquel il dédaignait de consentir par amour. À l’homme juste il faut prêcher la béatitude de la vie éternelle. Cet homme-là doit être nourri de miel, c’est-à-dire de la douceur des Écritures. De même que rien n’est plus doux dans la bouche de l’homme que le miel (cf. Jg 14,18), ainsi rien n’est plus doux dans le cœur du juste que l’amour divin, qui est échauffé et qui grandit dans le cœur humain par la sainte méditation des Écritures (cf. Ps 118,103). En somme, le prédicateur doit avoir soin de présenter des enseignements diversifiés, selon la diversité des cas. Pour ce faire, l’éloquence lui est nécessaire. Car comme l’a dit un sage : « La sagesse sans éloquence est peu profitable. Tandis que l’éloquence sans sagesse non seulement n’est pas profitable, mais elle est même nuisiblea. » Oui, sans sagesse l’éloquence est insipide, ostentatoire, babillarde ; jointe à la sagesse, par contre, elle est très utile et souhaitable. a
Cicéron, De inventione 1,1.
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Sermon 129
4. Est également nécessaire au prédicateur l’honnêteté de vie, de manière à montrer en acte, par une conduite sans reproche, ce qu’il prêche de bouche. C’est un tel prédicateur que veut être le bienheureux Paul : Je châtie mon corps et le réduis en servitude de peur qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé (1 Co 9,27). Assurément, comme le dit le bienheureux Grégoire, « il est de très mauvais aloi de reprocher à autrui ce que l’on réprouve encore en soi-mêmea. » 5. Bref, ces vertus sont nécessaires au prédicateur : sagesse, éloquence, honnêteté de vie. En vue de les acquérir, il faut invoquer la grâce du Saint-Esprit, qui fit aujourd’hui une œuvre merveilleuse dans les disciples de Jésus. Aujourd’hui, comme il a été rappelé précédemment, se sont accomplis les jours de la Pentecôteb.
Précisions diverses 6. Faisons attention à l’étymologie de ce mot. ‘Penta’ en grec, cinq en latin. ‘Costa’, c’est dix. ‘Pentecôte’, c’est donc cinq fois dix ou dix fois cinq. Pentecôte signifie donc cinquantième jourc. La sainte solennité de ce jour est considérée dans la Loi et l’Évangile comme ayant un caractère sacré. 7. « Elle est considérée comme sacrée dans la Loi, parce que, cinquante jours après la spoliation de l’Égypte, la Loi fut donnée à Moïse sur le mont Sinaï, écrite par le doigt de Dieu sur des tables de pierred. La Loi fut donnée sur une montagnee », car tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières (Jc 1,17). Elle fut donnée sur une montagne, car d’en haut viennent toute droiture, toute justice, toute sanctification. La Loi de Dieu fut donnée sur une montagne, car quiconque la scrute et la met en pratique monte des régions inférieures vers les Notre auteur attribue à Grégoire le Grand une sentence proverbiale largement diffusée au 12ème siècle et qui provient en réalité d’Isidore, Sentences 3,32,1. b Cf. antienne de Pentecôte. c Cf. Aelred, Sermons 126,4 ; 133,1. d Cf. Ex 24,12 et 31,18. e Yves de Chartres, Sermon 20. a
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hauteurs, des réalités terrestres et temporelles vers celles qui sont célestes et éternelles, du monde vers Dieua. 8. Elle fut écrite par le doigt de Dieu, car elle fut composée, dictée et transmise par l’Esprit Saint. Que l’Esprit Saint soit appelé ‘Doigt de Dieu’, l’Écriture nous le montre clairement : Toi, le doigt de la droite de Dieub. Elle fut donnée sur des tables de pierre en raison de la rigueur de la Loi ou de l’endurcissement du peuple. Très rigoureuse était la Loi qui prescrivait de donner dent pour dent, œil pour œil, mort pour mort (cf. Ex 21,23‑24). Endurci était le peuple qui voyait des signes et des prodiges (cf. Ps 134,9) de Dieu, dont on n’avait jamais ouï dire (cf. Jn 9,32), et qui pourtant murmura souvent contre le Seigneur et fut parfois prêt à lapider son chef Moïse, serviteur du Seigneur (cf. Ex 17,3‑4). C’est donc une bonne chose que la Loi fut donnée sur des tables de pierre, au peuple hébreu à la nuque raide (cf. Ex 32,9). 9. Dans l’Évangile, cette glorieuse festivité reçoit un caractère sacré, du fait que, cinquante jours après la résurrection du Seigneur, après la spoliation de l’Égypte – c’est-à-dire de l’enfer, région de ténèbresc –, cinquante jours après que le très cruel Pharaon, prince des démonsd, a été vaincu, enchaîné par sa propre corruption, une loi nouvelle nous a été donnée, une loi sainte, la loi évangéliquee : la grâce de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint nous est aujourd’hui donné pour que nous soyons consolés, éclairés, fortifiés. Quelle admirable et précieuse largesse, grandement désirable ! Notre Créateur, notre Rémunérateur, notre Dieu nous est aujourd’hui donné pour que nous demeurions en lui et lui en nous (cf. Jn 15,5).
Le Consolateur 10. Aujourd’hui s’accomplit la promesse du Sauveur : Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour demeurer avec Cf. Aelred, Sermon 133,4. Hymne Veni Creator ; cf. Lc 11,20. c Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 73. d Cf. Aelred, Sermon 56,4 ; 76,4. e Cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,17. a
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vous à jamais (Jn 14,16‑17). L’Esprit Saint est appelé Paraclet, c’està-dire Consolateur, parce qu’il réjouit les affligés, console ceux qui pleurent, guérit les malades, donne du courage aux timorés, fortifie dans la foi ceux qui chancellent, purifie les pécheurs, conduit les hommes du malheur humain à la joie des anges. Voilà comme est puissante, bienfaisante, désirable la consolationa.Ce Paraclet nous est donné, non pour s’éloigner de nous mais pour demeurer avec nous à jamais. Le fait que l’Esprit Saint demeure avec nous pour toujours est évoqué par le lâcher de la colombe hors de l’arche : la troisième fois, elle ne revint plus vers Noé (cf. Gn 8,10‑12).
La Colombe 11. On lit dans la Genèse que Noé lâcha par trois fois la colombe (cf. Gn 8,8‑12). La première fois, comme elle ne trouvait pas d’endroit où poser ses pattes, elle revint vers lui dans l’arche (Gn 8,9). La deuxième fois, elle revint vers lui le soir portant dans son bec un rameau d’olivier au feuillage vert (Gn 8,11). La troisième fois, elle ne revint plus vers lui (Gn 8,12). Voyons dans la colombe l’Esprit Saint, qui apparaît souvent sous la forme d’une colombe (cf. Lc 3,22). En Noé – qui conduisit l’arche sur les flots – voyons ici Dieu le Père qui conduit et protège la sainte Église, établie au milieu des tempêtes du monde, et qui dispose et gouverne toutes choses (cf. Sg 8,1). 12. Noé lâcha la première fois la colombe, lorsque Dieu le Père donna l’Esprit Saint aux hommes d’avant la Loi, tels Abraham et les autres saints patriarches que la sainte Écriture mentionne et évoque comme étant d’avant la Loi. Mais elle ne trouva pas d’endroit où reposer ses pattes (Gn 8,9). De fait, l’iniquité des hommes d’avant la Loi était si grande que non seulement les nations païennes mais aussi les Juifs issus de la descendance d’Abraham refusaient de rendre un culte à Dieu. De la sorte, au temps où naquit Moïse, il y en avait à peine quelques-uns en qui l’Esprit Saint
a
Cf. Aelred, Sermon 133,8.
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daignait habiter. Et il revint pour ainsi dire vers celui par qui il avait été envoyé, lorsqu’il déserta les hommes pécheurs. 13. (Noé) envoya une deuxième fois la colombe, lorsque (Dieu) éclaira Moïse pour qu’il puisse recevoir la Loi, et qu’il remplissait de sa grâce ceux qui observaient les préceptes de la Loi. Le soir (cf. Gn 8,11) désigne le temps où naquit le Christ. Au sujet de ce temps, le Seigneur dit : La Loi et les prophètes jusqu’à Jean-Baptiste (Mt 11,13). Quand l’Évangile commença à être prêché, en effet, la circoncision et plusieurs observances de la Loi cessèrent d’être pratiquées. Nous pouvons admettre que le rameau d’olivier désigne la Loi ; et son feuillage vert désigne ceux qui ont été sauvés par la Loi. La colombe tint dans son bec un rameau d’olivier au feuillage vert (cf. Gn 8,11), lorsque la grâce de l’Esprit Saint rendit à Dieu ceux qu’elle avait sauvés par la Loi. 14. (Noé) lâcha une troisième fois la colombe hors de l’arche, lorsque, après l’ascension de son Fils au ciel, (Dieu) répandit aujourd’hui l’Esprit Saint sur les disciples de Jésus (cf. Ac 2,1‑4), d’une manière admirable et ineffablea. Elle ne revint plus vers l’arche (cf. Gn 8,12), parce que cette stupéfiante et surprenante grâce – donnée aux apôtres et, à travers eux, à nous et à ceux qui viendront après nous – ne s’éloignera plus jamais de nous (cf. Jn 14,16). Tant que nous sommes en cette vie, elle restera toujours avec nous, selon la promesse du Christ : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20). 15. Soyons donc dans la joie et rendons gloire (cf. Ap 19,7) au Père et au Fils, parce que cette Colombe, envoyée jusqu’à nous des cieux, demeurera sensiblementb en nous et avec nous jusqu’au moment où, avec un rameau d’olivier – la véritable paix du saint Évangile – au feuillage vert – nous-mêmes et tous ceux qui obéissent à l’Évangile – dans son bec (cf. Gn 8,11) – c’est-à-dire dans sa puissance de bénédiction, de coopération et de sanctification –, dans le royaume céleste et la gloire éternelle, elle nous remettra à Dieu le Père et à son Fils, avec qui elle partage une unique nature, une égale autorité, un unique et indivisible pouvoir pour tous les siècles des siècles. Amen. a b
Cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 17,11. corporaliter.
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SERMON 130 POUR LA SOLENNITÉ DE LA SAINTE TRINITÉ
Trois verbes de l’antienne propre à cette solennité – invoquer, adorer, louer Dieu – sont tour à tour explicités, pour nous inviter à entrer dans une attitude d’adoration et d’humble gratitude. Ce qui fait de ce sermon davantage une méditation qu’une prédication au sens propre.
Grand est le Seigneur 1. Nous t’invoquons, nous t’adorons, nous te louons, ô bienheureuse Trinitéa. C’est à bon droit que la souveraine et sainte Trinité est vénérée et invoquée par tous les êtres, car elle les crée et les gouverne tous. C’est à bon droit que le Dieu unique est honoré et adoré par tous, lui qui seul a fait toutes choses, lui qui, non à partir d’une matière préexistante mais à partir de rien, a tout créé (cf. 2 M 7,28). Tout ce qui existe par nature est l’œuvre de ses mains ; voilà pourquoi la raison exige que toutes choses le vénèrent. Toi donc, souveraine Trinité, Dieu véritable et éternel, puissent toutes les créatures t’adorer, te louer, te glorifier comme il se doit. Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur ? Qui est semblable à toi, magnifique en sainteté, terrible et digne de louanges a
Antienne pour la fête de la Trinité.
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(Ex 15,11) et accomplissant des signes et des prodiges dans le ciel et sur la terre (Dn 6,27) ? Moi qui suis pécheur et insensé, serviteur inexpérimenté et inutile (cf. Lc 17,10), que dirai-je donc de notre Seigneur, de notre Père, Créateur du ciel et de la terre, des anges et des humains, et de toute créature ? Rien ne me vient à l’esprit avec plus d’à proposa que ce mot du prophète : Grand est notre Seigneur et grande sa puissance ; à sa sagesse il n’est point de mesure (Ps 146,5). 2. Grand est notre Seigneur (Ps 146,5), tout entier partout, partout présent, partout tout-puissant. Très grand, celui qui contient tout, qui remplit tout, qui enserre toutb. Vraiment grand, celui dont les mains tiennent toutes choses, dont les yeux voient tout, les réalités extérieures et intérieures, visibles et invisibles, puisqu’aucune créature n’est et ne peut être invisible devant luic. Où donc, Seigneur Dieu, où irai-je loin de ton Esprit, où fuirai-je loin de ta face ? Si je monte au ciel, tu es là ; si je descends dans l’enfer, tu es présent. Si je prends mes ailes au point du jour, et que j’habite aux extrémités de la mer, là encore ta main me conduira, et ta droite me tiendra (Ps 138,7‑10). Pour tout dire, il est grand le Seigneur notre Dieu, et grande est sa puissance (Ps 146,5). Assurément grande est sa puissance, car c’est lui le Seigneur Sabaoth, le Seigneur des armées, le Seigneur des puissances, qui mène toutes choses à sa perfection, qui rétablit tout, qui modifie tout, qui renouvelle tout. 3. Et à sa sagesse il n’est point de mesure (Ps 146,5). Elle est si grande en effet qu’on ne peut aucunement s’en faire une idée. À sa sagesse il n’est point de mesure, car elle atteint avec force d’une extrémité jusqu’à l’autre et elle dispose tout avec douceur (Sg 8,1). À sa sagesse il n’est point de mesure car ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables (Rm 11,33). Dans la mer tes chemins, Seigneur, et tes sentiers sur les eaux innombrables ; et tes traces ne seront pas connues (Ps 76,20). Qui en effet a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller (Rm 11,34), et l’a instruit (Is 40,13) ? Qui lui enseigna à faire le ciel et la terre, le soleil et la lune, les étoiles, les constellations et toutes les choses qui ont été faites au ciel, sur terre Cf. Aelred, Sermons 127,1 ; 170,10. Cf. Aelred, Sermon 128,11. c Cf. He 4,13 ; cf. Aelred, Sermon 127,14. a
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et dans la mer (cf. Ps 134,6). Certes, il n’a été instruit par personne celui qui fut avant toutes choses, ou mieux celui qui toujours est : en lui il n’y a ni passé ni futur, mais il est dans sa nature d’être immuablement et éternellement. Je suis qui je suis, dit-il. Et : Celui qui est m’a envoyé vers vous (Ex 3,14). Il n’a donc été instruit par personne, lui qui fut avant toutes choses et qui les créa toutes à partir de riena. Bref, il n’est point de mesure à sa sagesse (Ps 146,5) : elle est inénarrable, inestimable et absolument impénétrable.
Un seul Dieu 4. Qu’ils soient donc confondus, tous ceux qui adorent des idoles sculptées et qui se glorifient dans leurs statues (Ps 96,7) ; qui adorent l’ouvrage de leurs mains, disant au bois et à la pierre : Tu es mon Dieub ; qui affabulent et imaginent qu’il y a plusieurs dieux : certains disent qu’ils sont dans les cieux, d’autres pensent sottement qu’ils vivent sur la terre. Que les fidèles, par contre, soient bien éloignés de croire ou de proclamer autre chose que l’unique Dieu : Trinité sainte, Père, Fils et Esprit Saint. Non pas trois dieux, mais un seul Dieu, un seul tout-puissant, un seul éternel, un seul qui possède et gouverne tout. De lui et par lui et en lui sont toutes choses, lui qui fait tout ce qui lui plaît au ciel, sur terre, dans la mer et dans tous les abîmes (Ps 134,6). 5. Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui seul fait des merveilles (Ps 71,18) ! Et qui est ce Dieu qui seul fait des merveilles ? Serait-ce le Père sans le Fils, ou le Fils sans le Père, ou l’Esprit Saint sans le Père et le Fils ? Absolument pas ! Les œuvres de la Trinité sont inséparablesc. De même qu’unique est la divinité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, égale leur gloire, coéternelle leur majesté, de même qu’unique est leur nature, unique leur puissance, unique leur essence, de même sans aucun doute unique et inséparable est leur opération. Tout ce que fait le Père, le Fils le fait (cf. Jn 5,19) ; Voir paragraphe 1. Jr 1,16 et 2,27 ; Ps 30,15. c Cf. Aelred, Sermons 38,6 ; 66,3 ; 67,5 ; 131,11. a
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et ce que fait le Fils, le Père le fait ; et ce que font le Père et le Fils, l’Esprit Saint le fait pareillement et inséparablement. De la même manière, celui qui honore le Père honore le Fils, celui qui honore le Fils honore le Père, et celui qui honore le Père et le Fils honore l’Esprit Saint. De même, celui qui connaît le Père connaît le Fils et vice versa, et il connaît l’Esprit Saint. Aussi le Seigneur dit-il à Philippe : Philippe, qui me voit, voit aussi le Père. Ne sais-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi (Jn 14,9‑10) ?
Prière 6. C’est toi que nous invoquons, Trinité sainte. Nous t’invoquons pour être exaucés, pour être délivrés des mains des ennemis qui nous haïssent et nous persécutent. Nous t’invoquons pour que nous soit rendu notre héritage (cf. Ps 15,5 vg) et que nous soyons introduits dans ton royaume, ou plutôt que nous devenions nous-mêmes ton royaume, et que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel (Mt 6,10). Ce qui signifie : de même que ta volonté est faite dans les saints anges et les hommes parfaits – qui sont ton ciel et ton trône –, de même, que ta volonté soit faite sur la terre, c’est-à-dire en nous qui sommes terre en comparaison d’eux. Cela s’accomplira parfaitement en nous dans la vie future, quand cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité (cf. 1 Co 15,53), quand nous ne serons plus enveloppés de péchés ni attaqués par quelque ennemi. Alors, nous serons semblables aux anges (cf. Lc 20,36) : sans aucune corruption, sans crainte de l’ennemi, sans jamais plus commettre de péché. Nous t’invoquons donc, Trinité sainte, pour être ici-bas purifiés des vices, des péchés et des châtiments.
Invoquer Dieu en vérité 287
7. Qu’est-ce qu’invoquer Dieu ? Appeler Dieu intérieurement, appeler Dieu en soi. Invoque Dieu celui qui l’aime de cœur.
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Invoque Dieu celui qui garde ses commandementsa, afin qu’il demeure en Dieu et Dieu en lui (cf. 1 Jn 4,16), selon la promesse du Fils : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure (Jn 14,23). Invoque Dieu celui qui, au temps de l’épreuve, lui demande de l’aide avec un cœur humble et dans une prière fervente. Invoque également Dieu celui qui ne s’enorgueillit pas dans le succès mais lui rend humblement grâce pour les bienfaits reçus de lui. 8. Beaucoup appellent Dieu mais ne l’invoquent pas : criant de bouche mais se taisant de cœur, ayant une chose à la bouche et une autre dans le cœur. Ils appellent aussi et n’invoquent pas ceux qui s’humilient devant Dieu au temps de l’épreuve et oublient ses bienfaits au temps du succès. C’est ainsi que les fauxfils d’Israël appelaient et n’invoquaient pas, eux dont il est écrit : Aussitôt ils oublièrent les œuvres de Dieu (Ps 105,13). Et : Ils oublièrent le Dieu qui les sauva, qui fit de grandes choses en Égypte, des merveilles en terre de Cham, des choses terrifiantes sur la mer Rouge (Ps 105,21‑22). 9. N’appelons donc pas Dieu, mais invoquons-le, c’est-àdire appelons-le intérieurement, appelons-le en nous pour que lui-même demeure en nous et nous en lui (cf. Jn 14,23). Crions vers lui de cœur plutôt que de bouche. C’est ainsi que Moïse invoquait son Dieu, quand il se taisait peut-être de bouche mais qu’il criait très fort par le désir du cœur. C’est pourquoi il mérita d’entendre le Seigneur lui dire : Pourquoi cries-tu vers moi (Ex 14,15) ? C’est ainsi que Suzanne criait vers son Dieu, lorsque, faussement accusée, elle était conduite à la mort et que le Seigneur la délivra (cf. Dn 13,42‑45). C’est ainsi qu’une femme sage, la mère de Samuel, priait à Silo en présence de Élib, quand ses lèvres remuaient et que personne n’entendait sa voix (cf. 1 S 1,12‑13). Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 74,2. Cf. Grégoire le Grand, Morales sur Job 22,17,43 ; cf. Jérôme, Sur les psaumes, Ps 5,2 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 3,4 ; Ps 137,2 ; Sermon 156,14 ; cf. Aelred, Sermons 172,10 ; 178,3. a
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Adorer Dieu
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10. Nous t’invoquons donc, Trinité sainte, pour être délivrés des péchés et des châtiments. Nous t’adorons. Adore Dieu celui qui croit fermement en lui. Adore Dieu celui qui croit de cœur et de bouche, et proclame que la sainte Trinité n’est pas trois dieux mais un seul Dieu, un seul tout-puissant, un seul éternel, principe de toutes les créatures, de qui toutes choses ont reçu leur commencement par création. Nous t’adorons, Trinité, confessant que le Père est par lui-même, non par un autre ; que le Fils est par le Père seul, non pas fait ou créé, mais engendré ; que le Saint-Esprit, procédant du Père et du Fils, est coéternel et consubstantiel à l’un et à l’autre. 11. Adorons la sainte Trinité, le Père et le Fils et le Saint-Esprit, vénérant le Père dans le Fils et le Fils dans le Père, l’Esprit Saint en l’un et l’autre. Adorons le Père et le Fils et le Saint-Esprit, le créateur, le rédempteur, le rémunérateur. Bien que nous soyons redevables à Dieu de toutes les œuvres de Dieu, nous le sommes par-dessus tout en ces trois œuvres : il nous a créés, il nous a rachetés, il nous récompensera. Il nous a créés et placés dans le paradis, dans un lieu de satisfactions et de délices. Il nous a rachetés et délivrés du péché et du démon. Il nous récompensera et nous donnera dans le royaume la couronne de gloire, la couronne d’immortalité, la couronne de vie éternellea.
Louer de bouche et de cœur 12. Nous t’invoquons donc, nous t’adorons, nous te louons, ô bienheureuse Trinitéb. Nous louons car c’est toi qui nous as faits, et non pas nous-mêmes (cf. Ps 99,3 vg). Nous louons, mais puissions-nous le faire de telle manière que te plaise la louange de notre cœur et de notre bouche ! Puisse notre louange être agréée en ta présence, Seigneur, pour que nous soyons reconnus comme ceux a b
Cf. 1 P 5,4 ; Ap 2,10 ; cf. Aelred, Sermon 131,11‑12. Antienne pour la fête de la Trinité.
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Sermon 130
qui te louent en vérité et que nous partagions le sort des parfaits laudateurs dont l’Écriture dit : Sur tes murailles, Jérusalem, j’ai placé des gardes ; ni le jour ni la nuit, jamais ils ne cesseront de louer le nom du Seigneur (Is 62,6 vg). Celui qui voudra louer ainsi le Seigneur devra préserver sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses (Ps 33,14). 13. Il ne loue pas bien Dieu celui qui hait son frère (cf. 1 Jn 3,15) et le persécute. Il ne loue pas dignement Dieu celui qui a un cantique à la bouche et de la haine dans le cœur. Il ne loue pas parfaitement Dieu celui qui, de bouche, bénit Dieu et, de cœur, dénigre le prochain. Ce sont sans doute ces laudateurs-là que le prophète dénonce : De leur bouche ils bénissaient, et de leur cœur ils maudissaient (Ps 61,5). Ils bénissent de bouche et maudissent de cœur ceux qui ont une chose à la bouche et une autre dans le cœur. Ils bénissent de bouche et maudissent de cœur ceux qui lisent (dans l’Écriture) et prêchent la miséricorde et la charité du Christ tout en prenant plaisir à porter préjudice au prochain. Ils bénissent de bouche et maudissent de cœur ceux qui, par des paroles flatteuses, assurent quelqu’un de leur amitié, tout en entretenant la colère dans leur cœur. 14. Ainsi donc, afin de louer dignement Dieu, abandonnons toute malice, colère, haine, envie et toute intention mauvaise ; soyons résolus et empressés à nous inviter nous-mêmes à la louange, disant avec le prophète : Loue, ô mon âme, le Seigneur ; je louerai le Seigneur ma vie durant, je chanterai mes hymnes pour mon Dieu tant que je vivrai (Ps 145,2). Et encore : Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse en ma bouche (Ps 33,2). Heureux ceux qui louent Dieu de cette façon, car ils peuvent dire en toute assurance : Nous t’invoquons, nous t’adorons, nous te louons, ô bienheureuse Trinitéa, attendant la bienheureuse récompense que le Seigneur donnera aux parfaits laudateurs : la vie et la gloire éternelles. Daigne nous y conduire la Trinité sainte, le seul et véritable Dieu à qui soient l’honneur et la puissance pour tous les siècles des siècles. Amen.
a
Antienne pour la fête de la Trinité.
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SERMON 131 POUR LA SOLENNITÉ DE LA SAINTE TRINITÉ
S’inspirant largement des développements théologiques qui figurent dans le De sacramentis de Hugues de Saint-Victor, ce sermon médite sur l’œuvre de la création, de la rédemption et de la rémunération, où se manifestent la puissance, la sagesse et la bonté de la Trinité.
Grandeur de cette fête 1. La grâce de notre Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec nous tous (2 Co 13,13). Si nous considérons attentivement la dignité de cette sainte solennité, nous l’accueillerons avec grand empressement et vénération. C’est en effet la solennité de Celui-là même en vue duquel toutes les fêtes sont reçues avec vénération. Aux autres solennités, ce sont les saints de Dieu qui sont honorés et vénérés, alors qu’en celle-ci c’est Dieu lui-même. Si donc, comme il est juste, nous avons coutume de nous réjouir lors des solennités de la bienheureuse Vierge Marie ou de n’importe quel saint, c’est avec un particulier empressement et une vénération toute spéciale que nous avons à nous réjouir lors des solennités de Dieu lui-même. Eux sont des serviteurs, lui le Seigneur. Eux sont des intercesseurs, lui Celui qui exauce. Eux sont des créatures, lui le Créateur. Cette
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fête éminente est l’une de celles qui ont été instituées par les Pères catholiques pour être réservées et consacrées à Dieu ; nous devons donc purifier nos consciences afin d’accueillir dignement notre Dieu et Seigneur que nous magnifions et célébrons aujourd’hui d’un cœur fervent.
Dieu un et trine 2. La sainte et souveraine Trinité – que nous vénérons, proclamons et adorons aujourd’hui – crée et gouverne tous les êtresa, elle les rachète et les sauve tous. « Car nous confessons que le Créateur de toutes choses visibles et invisibles est un et trine : un par essence, trine en ses Personnes. L’essence de la déité est une. En cette unique essence, il y a trois Personnes : le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Le Père ne vient pas d’un autre, le Fils vient du Père seul, l’Esprit Saintb » procède de l’un et l’autre, consubstantiel et coéternel à l’un et l’autre, puisqu’unique est l’essence, unique est l’égalité, unique est l’éternité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, en une seule nature, une seule substancec. 3. « Ainsi, par exemple, dans une âme, il y a l’esprit, l’intellect et la joie. L’esprit est par lui-même, l’intellect vient de l’esprit seul, la joie procède de l’esprit et de l’intellect. Et ces trois, quant à la substance, sont une âme unique. De même dans un corps, il y a la structure, la forme et la beauté. Et ces trois dans un seul corps sont un corps uniqued. » Quand je vois ces trois réalités dans un corps quel qu’il soit, je ne dis pas que je vois trois choses mais une seule. Un corps unique en sa structure, sa forme, sa beauté. « Ainsi dans l’une et l’autre nature, c’est-à-dire dans l’âme et le corps, resplendit l’image du Créateur. Dans l’âme, elle est à la ressemblance, tandis que dans le corps, elle est à l’imitation de la ressemblance.
Cf. antienne pour la fête de la Trinité ; cf. Aelred, Sermon 130,1. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,3,31. c Cf. Aelred, Sermon 130,10. d Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,3,31. a
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Voilà donc la manière dont nous confessons Dieu à la fois un dans l’essence et trine dans les Personnesa. »
Opérations de la grâce 4. Invoquons la grâce de la sainte et souveraine Trinité car, sans sa grâce, nous ne pouvons rien, nous ne comprenons rien, nous ne connaissons rien. Que ta grâce, Seigneur, soit avec nous, qu’elle opère avec nous et, afin de nous accorder la récompense, qu’elle demeure toujours avec nous. Que dirai-je de ta grâce, Seigneur Dieu, que dirai-je puisque, en dehors d’elle, je ne peux rien qui soit utile, je ne comprends rien qui soit judicieux, je ne connais rien qui soit salutaire ? Alors que je n’étais pas, la grâce m’a créé ; alors que j’étais perdu, la grâce m’a cherché ; alors que j’étais condamné, la grâce m’a racheté. Lorsque ma chair sera réduite à néant et que moi, poussière et cendre (cf. Gn 18,27), je serai réduit en poussière et en cendre, ta grâce me ressuscitera, elle me donnera structure et forme, et beauté des membres. Mais surtout, ta grâce me ressuscite et me vivifie chaque jour. 5. Car, chaque jour je meurs (1 Co 15,31), puisque le péché est la mort de l’âme, et que moi j’ai été conçu dans les péchés (cf. Ps 50,7 vg), et je suis enveloppé d’iniquités et de péchés quotidiens ; et pourtant ta grâce ne me rejette pas, mais elle me rappelle, elle m’accueille et me rend juste. Bien que, par suite de la faute, un châtiment m’est dû, par miséricorde la grâce est donnée, et par grâce la récompense est promise et sera donnée. Qui parmi les fidèles a invoqué le Dieu miséricordieux et a été abandonné par lui (cf. Si 2,10) ? Proche est le Seigneur de tous ceux qui l’invoquent en vérité (Ps 144,18), parce que tous les chemins du Seigneur sont miséricorde et vérité (Ps 24,10). Et ses compassions sont sur toutes ses œuvres (Ps 144,9). Chaque jour, il éclaire notre cécité. Chaque jour, il corrige nos erreurs. Chaque jour il nous réveille de notre torpeur.
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Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,3,31.
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6. Chaque jour il nous appelle à lui, pour nous revigorer et nous rendre heureux : Venez à moi, vous tous qui peinez et êtes accablés, et moi je vous redonnerai vigueur (Mt 11,28). Ils sont sans doute loin de lui ceux à qui il crie ainsi. Loin de Dieu sont ceux pour qui la croix du Christ est un scandale (cf. 1 Co 1,23), ceux qui rejettent l’obéissance et la discipline, et qui se détournent de la loi et de la charité de Dieu. Ils peinent ceux qui dépensent leur zèle pour des réalités terrestres et passagères, ceux que la convoitise terrestre ne laisse jamais en repos, ceux que l’avarice brûle, que l’ambition tyrannise, que les soucis tourmentent et épuisent. Ils sont accablés ceux qui, avec les infidèles, se mettent sous le joug de l’infidélité, écrasés par les désirs charnels, les fautes et les péchés. Tous ces gens, la grâce du Sauveur les appelle vers le chemin et la vie (cf. Jn 14,6) de diverses manières : soit par des exemples, soit par des menaces, soit par des miracles. Par ailleurs, si nous voulions interpréter autrement cet appel du Seigneur, nous pourrions l’appliquer aux élus et aux hommes parfaits.
Dans la vallée de larmes 7. Notre Seigneur et Rédempteur s’est en quelque sorte éloigné de ses fidèles selon sa présence corporellea, lorsqu’il monta au ciel sous les yeux de ses disciples (cf. Ac 1,9) et qu’il plaça à la droite du Père dans la gloire le corps humain qu’il avait assuméb. Quant à nous, aussi longtemps que nous cheminons dans cette région de dissemblancec, nous sommes loin de lui, harassés par différents genres de choses pénibles. Les uns sont empêtrés dans les affaires temporelles, stressés avec Marthe, et ils s’agitent pour bien des choses (cf. Lc 10,41). Les autres, avec Marie, sont absorbés par les labeurs spirituels, cultivant la vigne du Seigneur Sabaoth (cf. Is 5,7) Cf. Aelred, Sermon 9,1 ; Homélies sur les fardeaux 12,1. Cf. Léon le Grand, Traité 73,3. c Cf. Augustin, Confessions 7,10,16 ; cf. Aelred, Sermons 119,1 ; 172,15 ; 181,7 ; Homélies sur les fardeaux 7,11 etc. a
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dans les jeûnes, les veilles (cf. 2 Co 6,5), la prière et diverses mortificationsa. Chacun cultive son âme à lui, qui est la vigne spirituelle du Seigneur, en laquelle se trouvent les divers ceps des vertus et les divers sarments des grâces. Ou bien ces bons ouvriers cultivent la vigne du Seigneur (cf. Mt 20,1) qu’est la sainte Église par de bons exemples et de saintes exhortations. 8. Même si tous ces gens sont saints, aussi longtemps qu’ils peinent en cette vallée de larmes ils sont accablés, je ne dis pas par le joug du Christ – car il est doux et son fardeau est léger (cf. Mt 11,28‑30) – mais par ce corps corruptible qui appesantit l’âme (cf. Sg 9,15) : ils sont oppressés par la faiblesse, la corruption, la mortalité, tyrannisés par la chair qui lutte contre l’esprit (cf. Ga 5,17) en l’attaquant et en l’asservissant. Tous ces gens peinent fidèlement dans la vigne du Seigneur et ne font pas défection, ils luttent vaillamment et ne sont pas vaincus : une fois accompli le labeur du jour, quand ils recevront leur denier (cf. Mt 20,8‑9), ils entendront la bienfaisante invitation du Seigneur : Venez à moi, vous tous qui peinez et êtes accablés, et moi je vous réconforterai (Mt 11,28). Vous qui avez peiné, venez vous reposer. Vous qui pleuriez, venez vous réjouir. Vous qui étiez affligés par le froid, la soif et la faim (cf. 2 Co 11,27) venez à moi pour que je vous procure le réconfort éternel. 9. Voilà, frères, voilà comme est grande, admirable, bienfaisante la grâce de notre Seigneur Jésus Christ (2 Co 13,13) ! Selon ce que nous avons exposé en commençantb, il donne la vue aux aveugles, il fait revenir ceux qui s’égarent, il ramène ceux qui s’écartent du droit chemin, il arrache les pécheurs au joug du démon, il rend justes et saints les impies et les pécheurs. Et comme nous l’avons ensuite expliquéc, il réconforte ceux qui peinent dans sa vigne, il fortifie et revigore ceux qui luttent, il glorifie et récompense les vainqueurs. Que cette grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit toujours avec nous tous (2 Co 13,13), pour nous éclairer, nous corriger, nous récompenser. Afflictio. À la fin du paragraphe 5. c Au paragraphe 8. a
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Trois formes de grâce 10. La grâce est un don gratuitement offerta. Puis donc que tout bien que nous possédons est un don de Dieu, donné par lui gratuitement – selon ce que dit le Seigneur : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Mt 10,8), et l’apôtre Jacques : Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières (Jc 1,17) –, il est clair que nous tenons de lui de grandes et multiples grâces, puisque ce sont de grandes et de multiples choses qui nous ont été données gratuitement. Avant d’exister qu’avions-nous pu mériter pour qu’il en arrive à nous créer ? Absolument rien puisque nous n’étions rienb ! Qu’avions-nous mérité par la désobéissance sinon un châtiment ? Et lui pourtant nous a fait miséricorde. Lui qui, en raison de la faute, nous devait la mort, il nous donna, par grâce, le Sauveur. Et que pourrions-nous mériter après la vie présente, lorsque nous sera enlevée toute possibilité de faire le bien et que nos corps se décomposeront et pourriront dans leur tombeau ? Pourtant, la très puissante grâce de Dieu nous relèvera de la poussière, nous modèlera et nous rendra semblables à lui dans la gloirec. 11. Par-dessus tous les dons que Dieu, dans sa munificence, nous a accordés, plus que toutes ses autres grâces, il y en a surtout trois qui sont particulièrement rappelées et mises en valeur à notre intention par la sainte Écriture : la grâce qui crée, la grâce qui vient en aide, la grâce qui récompense. La première nous a créés, la seconde nous a rachetés, la troisième nous couronnera. La première nous a donné l’être, la vie et l’intelligence. La seconde nous a accordé la rémission, la liberté et le salut. La troisième nous procurera la béatitude, l’immortalité et la joie de la vie éternelle. La première grâce est rapportée au Père, la seconde au Fils, la troisième à l’Esprit Saintd. En chacune de ces grâces cependant, c’est toute la Trinité qui opère inséparablement, car les œuvres de la Trinité a Cf. Aelred, Sermon 89,1 ; cf. Augustin, Sur la grâce et le libre arbitre 21,43 ; Sermon 144,1. b Cf. Aelred, Sermon 89,2. c Cf. 1 S 2,8 et Ph 3,21. d Cf. Aelred, Sermons 89,1 ; 130,11.
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sont inséparablesa. Puisqu’ils ont une seule nature, une seule volonté, une seule dilection, ils ne peuvent pas avoir des opérations différentes.
Grâce de création 12. La grâce de création est pourtant rapportée au Père, parce qu’il est la source et l’origine de toutes choses : elles tiennent toutes de lui leur commencement. Le Fils, lui, vient du Père seul ; l’Esprit Saint procède de l’un et l’autre ; le Père n’est par nul autre que par lui-mêmeb. Principe sans principe. « Créateur avant toute créature, seul mais non solitaire, parce que sa Sagesse était avec lui éternellement ; elle en qui était éternellement par providence tout ce qui, ayant été fait par lui dans le temps, existe par essence. Il fut seul lorsque, excepté lui, rien n’était ; il ne fut pourtant pas solitaire, car il n’avait pas besoin de la compagnie d’un autre, lui qui s’est toujours suffi à lui-même et à qui rien ne fit jamais défaut. Parce que, comme il a été dit, tout ce qui devait être créé par lui par essence était en lui par providencec. » À lui est rapportée la grâce de création, parce que toute créature vient de lui et que lui-même ne vient d’aucun autre, lui qui est avant tout commencement.
Grâce de rédemption
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13. La grâce de rédemption concerne le Fils, car « celui qui de par sa nature est Fils a été envoyé par le Père afin d’appeler à l’héritage des fils adoptifs et afin de confirmer son consentement à l’égard de la grâce d’adoption. Car des étrangers n’avaient pas à être amenés par le Père à l’héritage sans le consentement du Fils. Au reste, c’est bien le Fils et non le Père qui a été envoyé afin de racheter et de sauver le genre humain, car il ne convenait pas que Cf. Aelred, Sermon 130,5. Voir paragraphe 2 ; cf. Aelred, Sermon 130,10. c Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,3,31. a
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le Père soit envoyé par un autre, lui qui ne venait pas d’un autre. Car s’il avait été envoyé par un autre, il aurait dû venir d’un autre, et celui par qui il aurait été envoyé aurait été comme son principe. Voilà pourquoi il ne fallait pas que le Père soit envoyé, lui qui n’avait pas eu à venir d’un autre. À été envoyé en premier lieu le Fils, lui qui vient du seul Père ; ensuite, l’Esprit Saint qui vient du Père et du Fils. D’abord, est venu le Fils, afin que les hommes soient rendus libres ; ensuite, l’Esprit Saint, afin que les hommes soient rendus heureux. D’abord, le Fils nous a délivrés du mal ; ensuite, l’Esprit Saint nous a incités au bien. Celui-là a enlevé ce qui pesait sur nous, celui-ci a rendu ce que nous avions perdu. 14. La Sagesse est venue afin que l’ennemi soit vaincu par la raison, et afin de revendiquer pour elle sa propre demeure que la malice possédait. Il était juste en effet que celui qui avait vaincu par ruse soit vaincu non par la force mais par la clairvoyance, afin que de la même manière qu’il s’était élevé vainqueur, il soit terrassé vaincu. Le Fils de Dieu est devenu Fils de l’homme afin de faire des hommes les fils de Dieu, et afin que le nom de Fils ne soit pas transféré à une autre personne et qu’il n’y ait pas deux fils dans la Trinité et que les distinctions intratrinitaires ne soient pas brouillées. Car si le Père avait assumé la chair, le Père et le Fils auraient été une même réalité : le Père du Fils qu’il engendra de toute éternité, et le fils de la mère dont il aurait été engendré dans le temps. Par ailleurs, si l’Esprit Saint avait assumé la chair, il y aurait deux fils dans la Trinité : l’un, Fils du Père sans mère ; l’autre, fils d’une mère sans Père. Ainsi donc, pour que le nom immuable de la Trinité ne soit pas morcelé, le Fils seul assuma la chair afin d’être un seul et même Fils de Dieu et Fils de l’homme : Fils de Dieu selon la divinité, engendré par le Père ; Fils de l’homme selon l’humanité, né d’une mère.
Ignorance et convoitise 15. Le Père a donc envoyé en faveur des fils. Le Fils est venu en faveur de ses frères, afin de faire d’eux par adoption des fils de
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Dieua. » Il est donc juste que la grâce de la rédemption soit rapportée au Fils, parce que, vrai Dieu et vrai homme, il a opéré le salut de tous les peuples en son corps sur le boisb. La grâce qui a été donnée par le Christ (cf. Jn 1,17) est parfaite et elle suffit au salut. « Comme il est écrit, la Loi n’a amené personne à la perfection (He 7,19). Elle a pu, certes, instruire l’ignorance, elle n’a pas pu guérir la faiblesse. Or il y avait deux maux en l’homme, d’où ont procédé tous les autres maux humains. L’un a été l’ignorance et l’autre la convoitise : l’ignorance du bien et la convoitise du mal. De l’ignorance provient la faute, de la convoitise le péché. Afin donc que l’homme connaisse son mal, il a été renvoyé tout entier à lui-même. 16. Mais pour qu’il n’en arrive pas à juger que la grâce soit superflue – s’il ne reconnaissait pas auparavant sa faiblesse et sa défaillance –, il y eut le temps de la loi naturelle afin qu’il agisse par luimême, selon sa nature, non qu’il puisse quoi que ce soit par lui-même mais pour qu’il reconnaisse qu’il ne peut rien. La nature laissée à elle-même commença à s’égarer loin de la vérité par ignorance et elle fut convaincue de sa cécité, avant d’être par la suite convaincue de son infidélité. La loi écrite fut donc donnée, pour faire la lumière sur l’ignorance, non pour fortifier la faiblesse. Ainsi, dans la mesure où l’homme a reconnu sa défaillance, il a été aidé ; tandis que là où il a estimé pouvoir tenir par lui-même il a été abandonné. Ayant reçu, grâce à la Loi, la connaissance de la vérité, il commença à s’efforcer de devenir parfait mais, sous la pression de la convoitise, n’ayant pas le secours de la grâce, il ne réussit pas à œuvrer selon la vertu. Il fut donc convaincu de part et d’autre, ne pouvant par lui-même ni reconnaître le vrai ni accomplir le bien. Après cela, il fut séant que soit donnée la grâce qui rendrait la vue à l’aveugle et guérirait le malade, éclairerait l’ignorance et refroidirait la convoitise : elle éclairerait en vue de la connaissance de la vérité, elle enflammerait en vue de l’amour de la vertu. Voilà pourquoi l’Esprit Saint fut donné dans le feu, afin que (l’homme) reçoive la lumière et la flamme : la lumière pour la connaissance, la flamme pour la dilection. a b
Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 2,1,2. Cf. Ps 73,12 et 1 P 2,24.
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La Tête et le Corps 17. De même que l’esprit de l’homme, à partir de la tête, descend pour vivifier les membres, ainsi l’Esprit Saint, de par le Christ, vient aux chrétiens. La Tête, c’est le Christ (cf. Ep 4,15) ; les membres, ce sont les chrétiens. La Tête est unique, les membres sont multiples. En un seul Corps, un seul Esprit : sa plénitude est dans la Tête, sa participation dans les membres. Puisque le Corps est un (cf. 1 Co 12,12) et que l’Esprit est un, celui qui n’est pas dans ce Corps ne peut être vivifié par l’Esprit. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ (cf. Rm 8,9), celui-là n’est pas un de ses membres puisque dans l’unique Corps est l’unique Esprit. Il n’y a rien de mort dans le Corps, rien de vivant en dehors de lui. Par la foi, nous devenons membres de ce Corps, par la dilection nous sommes vivifiés. Par la foi nous recevons l’union, par la dilection nous recevons la vivification. Nous sommes unis à lui par le sacrement de baptême, nous sommes vivifiés par le sacrement du corps et du sang du Christ. Par le baptême, nous devenons membres du Corps du Christ (Ep 6,30), par le sacrement de son corps, nous devenons participants de son action vivificatricea. »
Relèvement de l’homme 18. « La première faute de l’homme fut l’orgueil, qui fut suivie d’un triple châtiment. L’un d’eux est seulement châtiment : c’est la mortalité du corps. Les deux autres sont et châtiments et fautes : l’un est la convoitise de la chair, l’autre l’ignorance de l’esprit. L’homme, frappé d’un tel châtiment – par lequel la faute n’est pas purifiée, mais elle augmente –, s’il n’avait pas été libéré ensuite par la grâce, aurait été amené par le châtiment temporel à descendre jusqu’au châtiment éternel. Afin qu’il ne soit pas trouvé condamnable, au cas où il aurait été jugé aussitôt, son jugement est différé. Et puisque la divine miséricorde l’a d’avance destiné au salut, en ce temps d’attente et de répit elle lui a accordé un espace de a
Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 2,2,1.
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repentance et d’amendement, de telle sorte que, pendant ce délai, il devienne par grâce tel qu’il puisse à la fin être jugé digne du salut non seulement par miséricorde, mais par justice. 19. En ce qui concerne le relèvement de l’homme, il y a trois réalités qui se présentent d’emblée à notre considération : le temps, le lieu, le remède. Le temps, c’est la vie présente depuis le commencement du monde jusqu’à la fin des temps. Le lieu, c’est ce mondeci. Le remède consiste en trois réalités : la foi, les sacrements, les œuvres bonnes. Le temps est long, afin que l’homme ne soit pas pris au dépourvu. Le lieu est âpre, afin que la faute soit châtiée. Le remède est efficace, afin que le malade soit guéria. » Concluons que toute la grâce du relèvement ainsi que la rédemption du genre humain dans son ensemble relève du Fils, qui n’a pas commis le péché (cf. He 2,22) et qui pourtant, en faveur des pécheurs, s’est volontairement livré à la mort (cf. Is 53,12) et les a tous rachetés par sa mort.
Puissance, sagesse, bonté
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20. La grâce de rémunération est rapportée à l’Esprit Saint, parce qu’il est l’Amour mutuel du Père et du Fils, la bonté et la bénignité de l’un et l’autre. « La puissance est donc attribuée au Père, la sagesse au Fils, la bonté ou la bénignité à l’Esprit Saintb. » Tout ce que l’on dit et croit avec exactitude à propos de Dieu se rapporte à ces trois propriétés et s’exprime en elles. Car si tu dis qu’il est fort, incorruptible, invincible, immuable et autres qualificatifs semblables, tout cela relève de la puissance, et la puissance est attribuée au Père. Si tu dis qu’il est prévoyant et observateur, qu’il scrute les réalités cachées et discerne toutes choses, cela relève de la sagesse, et la sagesse est attribuée au Fils. Si tu l’appelles bon et doux, miséricordieux et patient, tout cela relève de la bonté, qui est attribuée à l’Esprit Saint. Et on ne peut rien ajouter d’autre, car tout ce qui est parfait et vrai est contenu en cela. a b
Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,8,1. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,3,26.
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21. Voilà pourquoi ces trois propriétés ont fait connaître l’ineffable Trinité. Et ces trois sont en Dieu une seule chose, et sont le Dieu uniquea. Oui, bien que la puissance soit attribuée au Père, la sagesse au Fils, la bonté ou bénignité à l’Esprit Saint, comme s’il s’agissait d’une caractéristique individuelle particulière, chacune d’elle pourtant est attribuée à chacune des Personnes. Car de même que le Père est puissant, ainsi également le Fils et l’Esprit Saint. Pareillement, de même que le Fils est sage, ainsi également le Père et l’Esprit Saint. Et de même que l’Esprit Saint est bon et plein de bénignité, ainsi le Père l’est également, ainsi que le Fils. Cependant, nous ne confessons pas trois puissants, trois sages ou trois pleins de bonté et de bénignité, mais nous proclamons et adorons un seul puissant, un seul sage, un seul bon et plein de bénignité, Dieu qui a nous a créés et rachetés, et qui nous récompenserab. À lui honneur et souveraineté (1 Tm 6,16) pour tous les siècles des siècles. Amen.
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Cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis 1,2,6. Cf. Aelred, Sermon 140,5.
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Dieu ne visite que ceux qui sont humbles ; à la différence de nos premiers parents, ne laissons pas passer l’ennemi par les trois entrées de notre tente ; nous mériterons dès lors de voir l’unique Dieu dans la chaleur du jour qu’est l’amour du Saint-Esprit. C’est l’expérience spirituelle faite par Abraham au chêne de Mambré.
La semence de la Parole 1. Dieu se fit voir à Abraham dans la vallée de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente dans la chaleur du jour. Lorsqu’il eut levé les yeux, trois hommes lui apparurent se tenant près de lui (Gn 18,1‑2). Les paroles de la Loi de Dieu doivent être écoutées avec un esprit attentif et un cœur bien appliquéa. « Car chaque parole de la divine Écriture est pareille à l’une des semences dont, une fois jetée en terre et reproduite en épi ou toute autre espèce de son genre, la nature est qu’elle prolifère, et avec d’autant plus d’ampleur qu’aux semences un agriculteur expérimenté aura prodigué plus de travail, ou prodigué l’avantage d’une terre plus fertile. Voilà comment, grâce au soin de la culture, une graine minusa
Cf. Aelred, Sermon 90,3.
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cule, comme par exemple une graine de moutarde qui est la plus petite de toutes les semences, dépasse toutes les plantes et devient un arbre au point que les oiseaux du ciel viennent et habitent dans ses branches (Mt 13,31‑32). 2. Ainsi en va-t-il de cette parole divine qu’on vient de nous lire, si elle trouve un jardinier habile et soigneux ; tandis qu’au premier abord, elle paraît minuscule et menue, à peine est-elle bien cultivée et spirituellement traitée, qu’elle prend la taille d’un arbre, s’étale en branches et en ramures. Si bien que peuvent venir les dialecticiens et les rhéteurs de ce monde, si du moins ceux-ci – qui, avec l’éclat sonore des mots comme les oiseaux du ciel avec leurs ailes légères, poursuivent des spéculations hautes, ardues et séduisantes par leurs argumentations – acceptent d’habiter dans ces branches où il n’est point d’élégance de parole, mais un principe de vie. Que ferons-nous donc de ce qui nous a été lu ? Que le Seigneur daigne m’accorder l’art de la culture spirituelle, qu’il me donne l’aptitude à défricher le champ, et une seule parole de ce qu’on a lu pourrait être développée en long et en large – si du moins la capacité des auditeurs le permettait – au point qu’une journée nous suffirait à peine pour en venir à bout. Nous tenterons néanmoins d’en exposer quelque chosea » et de partager avec votre Charité ce que le Seigneur nous aura donnéb.
La vallée de l’humilité 3. Dieu se fit voir à Abraham dans la vallée de Mambré (Gn 18,1). Voilà, frères, voilà en quel lieu demeure Abraham. Il n’habite pas sur une montagne mais dans une vallée, et pas n’importe quelle vallée, mais dans la vallée de Mambré. C’est un lieu agréable et qui convient pour que Dieu y apparaisse. C’est en ce lieu qu’Abraham demeurait. C’est en ce lieu qu’il offrait un festin au Seigneur et aux anges. Une vallée se trouve dans un fond : elle symbolise l’humilité du cœur. Qui habite dans cette vallée se trouve dans un lieu a b
Origène, Homélies sur l’Exode 1,1. Cf. Aelred, Sermon 126,10.
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propice pour être visité par Dieu. Car plus quelqu’un a d’humbles sentiments sur lui-même, plus le Seigneur le récompensera de faveurs meilleures et plus dignesa. Quand un homme s’humilie sous la puissante main de Dieu (cf. 1 P 5,6), il s’élève lui-même pour voir Dieu, ou mieux pour l’accueillir dans les étreintes de son cœur. C’est pour cette raison qu’Abraham demeure dans la vallée de Mambré. 4. « Mambré se traduit par ‘vision’ ou ‘pénétration’. Vois en quel genre de lieu apparaît le Seigneur, où il peut faire un repas. Dans la vallée de Mambré : dans l’humilité, là où sont la vision et la pénétration. La vision et la pénétration d’Abraham ont charmé Dieu. C’est qu’il était doux et humble (cf. Mt 11,29), et pur de cœur, capable de voir Dieu (cf. Mt 5,8). Dans un tel lieu, dans un tel cœur, le Seigneur peut venir faire un repas avec les anges. Après tout, les prophètes étaient appelés des voyantsb. » C’est ainsi que le Seigneur se fit voir à Abraham dans la vallée de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente (Gn 18,1). Fidèle et bienheureux Abraham qui se conduit partout avec prudence et sagesse. Il est assis à l’entrée de sa tente, afin que, tel un homme prudent et bien armé, il soit à même de garder l’entrée de sa maison, fermant ses portes aux ennemis de peur qu’ils n’entrent chez lui et ne le dépouillent de ses biens (cf. Lc 11,21‑22).
Les entrées de la tente 5. La tente, c’est notre corps humain, en lequel est enclose notre âme comme en une tente. Cette tente a trois entrées : les oreilles, les yeux et la bouche. Par ces portes, entrent et sortent les amis et les ennemis. Si nous vivons religieusement, avec droiture, piété et sainteté, ce sont des amis qui entrent chez nous par ces portes, à savoir Dieu et ses anges. C’est pourquoi la Vérité a dit : Si quelqu’un m’aime, il gardera mes paroles, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure (Jn 14,23). Par a b
Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes, Ps 103,2. Origène, Homélies sur la Genèse 4,3 ; cf. 1 S 9,9.
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contre, celui qui vit d’une manière déréglée, insensée, bestiale, ferme ses portes aux amis et les ouvre aux ennemisa, à savoir le démon et ses anges (cf. Mt 25,41). Nul ne peut servir deux maîtres (Mt 6,24). Ou bien il est sage et il vit pour Dieu ; ou bien il est insensé et se soumet au démon. 6. La première porte, nos premiers parents la fermèrent à leur ami, c’est-à-dire à Dieu, et ils l’ouvrirent au démon, leur ennemi, qui leur parla dans le serpent et les incita au mal : Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ? Et la femme : De peur que nous ne mourions. Et le démon dans le serpent : Pas du tout, vous ne mourrez pas. Car Dieu sait que le jour où vous mangerez de cet arbre, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal (Gn 3,1‑5 vg). Ils avaient d’abord entendu Dieu leur dire : Veillez à ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Car le jour où vous en mangerez, vous mourrez certainement (Gn 2,17 vg). La première porte, les oreilles, ils la fermèrent donc à Dieu – aux préceptes duquel ils n’obéirent pas –, et ils l’ouvrirent au démon à l’incitation duquel ils consentirent. 7. La seconde porte, la femme l’ouvrit à l’ennemi lorsque, séduite par la convoitise, elle jeta les yeux sur l’arbre défendu et convoita son fruit. La femme vit que l’arbre était beau à voir et bon à manger ; elle prit de son fruit, en mangea et en donna à son mari (Gn 3,6). C’est également ainsi que David ouvrit cette porte au mal lorsque, se promenant dans son palais royal, il aperçut la femme d’Urie qui se baignait sur sa terrasse ; pris par ses yeux, il l’envoya chercher pour la prendre dans sa maison (cf. 2 S 11,2‑4). C’est ainsi que lui qui était un roi juste et saint devint adultère, et après avoir commis l’adultère, il perpétra l’homicide. 8. La troisième porte, la bouche, nos premiers parents l’ouvrirent à l’ennemi, quand, à l’encontre du précepte du Seigneur, sur la suggestion du démon, ils mangèrent de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2,17). De là découlent pour nous labeurs et douleurs, faiblesses et angoisses, maladies et langueurs, corruption et mort, toute notre misère. a
Cf. Aelred, Sermons 86,9 ; 149,11.
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Sermon 132
L’obéissance d’Abraham
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9. Voilà, frères, combien est pénible, combien est rude le châtiment qui fait suite à la faute de désobéissance. L’aliment qui est pris à l’encontre de l’obéissance est vénéneux, il est mortifère. Dans cet aliment, il n’y a pas vitamine mais venin. Cet aliment ne procure pas l’énergie mais l’avarie, il ne sustente pas mais il tue, il ne fait pas progresser mais périr du même coup l’homme intérieur et extérieur, le corps et l’âme. N’imitons donc pas Ève qui consentit au serpent, ni Adam qui acquiesça à sa femme, mais Abraham obéissant à Dieu, assis à l’entrée de sa tente (Gn 18,1). Soyons donc nous aussi assis à l’entrée de notre tente, défendant l’entrée de notre maison (cf. Lc 11,21), fermant nos portes aux ennemis – le démon et ses suppôts – pour qu’ils n’entrent pas chez nous et ne ravissent pas nos trésors : les vertus saintes dont nous devons orner nos âmesa. 10. Dieu se fit voir à Abraham dans la vallée de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente dans la chaleur du jour (Gn 18,1). Aimable est cette vision, pleine de charme et de pertinence, en laquelle Dieu apparaît en vérité, où il se manifeste lui-même (cf. Jn 14,21), où il révèle la douceur de sa présenceb ! Qu’elle est grande, Seigneur, l’abondance de ta douceur, que tu as cachée pour ceux qui te craignent (Ps 30,20) ! Moïse, voyant le Seigneur dans un buisson, ne voulut pas rester au lieu où il se tenait mais, s’étant aussitôt mis en marche, il dit : J’irai et je verrai cette grande vision (Ex 3,3). Et tandis qu’il approchait du buisson, il entendit le Seigneur lui demander de retirer ses sandales (cf. Gn 3,5). 11. Ainsi en va-t-il également pour nous. Si nous aspirons à voir la grande vision (cf. Ex 3,3) que vit Abraham, si nous désirons voir la gloire de la majesté de Dieu, nous ne pouvons pas rester en notre lieu, nous ne pouvons pas nous complaire dans les œuvres de la chair, nous ne pouvons pas rester dans nos mœurs dépravées. Il nous faut sortir des pensées mauvaises, des désirs mauvais, des œuvres corrompues et défendues. C’est ce qui est dit à Abraham : a b
Cf. Aelred, Sermon 171,12. Cf. Aelred, Sermons 123,5 ; 128,9 etc.
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Sors de ton pays et de ta parenté, et va dans la terre que je te montrerai (Gn 12,1). Retirons donc nos sandales, afin de sortir des œuvres de ce monde et des désirs charnels, et d’être prêts et disponibles pour ce qui se rapporte à Dieua.
Un seul Dieu en trois Personnes 12. Dieu se fit voir à Abraham (Gn 18,1). Dieu ou Seigneur est un nom de magnificence, un nom de puissance, comme il le dit luimême : Seigneur est mon nom (Jr 16,21). Et le prophète dit de lui : Seigneur tout-puissant est son nom (Ex 15,3). Il est juste de l’appeler ‘Seigneur Dieu’ : il domine sur tout, il a toutes choses en vue et il inspire de la crainte à tous. De même qu’il y a un seul Dieu, un seul nom, ainsi il y a une seule puissance de la Trinité. Assurément le Seigneur dit : Allez, baptisez les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19). Au nom, dit-il au singulier et non pas au plurielb, car, selon ce qu’il affirme, le Père et Lui sont un (cf. Jn 10,30). 13. Nous disons donc que Dieu est un, et nous ne séparons pas de Lui le Fils, comme le font les païens ; nous ne nions pas – comme le font les Juifs – qu’il est né du Père avant le temps et qu’ensuite il a été enfanté d’une Vierge ; nous ne confondons pas le Père et le Verbe comme le fait Sabellius, au point d’affirmer que le Père et le Fils sont une seule et même réalité ; nous ne mettons pas en discussion, comme Photin, la conception virginale du Fils ; nous ne croyons pas, comme Arius, en des puissances multiples et dissemblables, mais nous confessons un seul Dieu, comme il est écrit : Écoute, Israël, ton Dieu est le Dieu unique (Dt 6,4). Et le Seigneur dit : Le Père et moi, nous sommes un (Jn 10,30). Un dit-il, pour ne pas séparer leur puissancec. Nous sommes, ajoute-t-il, afin que nous connaissions le Père et le Fils, et que nous ayons foi en ceci : le Père saint a engendré le Fils saint et ils sont un non par confusion mais par unité de nature. Nous disons donc qu’il y a Cf. Aelred, Sermon 128,6. Cf. Augustin, Commentaire sur l’Évangile de Jean 6,9. c Cf. Isidore de Séville, Livre des étymologies 8,5,37. a
b
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un seul Dieu – et non pas deux ou trois dieux –, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, en sorte que dans la parfaitea Trinité il y a tout à la fois plénitude de divinité et unité de puissance.
La chaleur du jour 14. Dieu se fit donc voir à Abraham dans la vallée de Mambré, tandis qu’il était assis à l’entrée de sa tente dans la chaleur du jour (Gn 18,1). La chaleur du jour, c’est l’amour du Saint-Esprit. Il n’est pas malvenu de dire que l’Esprit Saint est ‘jour’, puisqu’il illumine tout ce qui est dans le ciel et sur la terreb. Car il est l’artisan de toutes choses, possédant toute force, veillant sur toutc. Demeurant en cette chaleur du jour, c’est-à-dire dans l’amour du Saint-Esprit, Abraham leva les yeux : faisant peu de cas des biens temporels et terrestres dont il regorgeait, il soupirait vers les réalités célestes. Et trois hommes lui apparurent se tenant près de lui (Gn 18,2) car, dans la mesure où cela lui avait été donné d’en haut, il comprit le mystère de la Trinité. Il en vit trois et en adora un : bien que lui fût dévoilée la connaissance du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, il n’adora pas trois dieux ou je ne sais quels trois, mais le seul Dieu vivant et vrai : un dans sa nature, un dans sa puissance, un dans sa gloired.
Comment imiter Abraham ? 15. Imitons donc Abraham, car il est considéré comme père des croyants (Rm 4,11). Et comment l’imiterons-nous ? Je l’exposerai brièvement. Celui qui, selon le précepte de saint Pierre, s’humilie Cet adjectif souligne la plénitude autonome de l’être de chacune des Personnes et de la Trinité comme telle. b Cf. Bède le Vénérable, Sur la Genèse 4,18,1. c Antienne de Pentecôte. d Cf. Bède le Vénérable, Sur la Genèse 4,18,2 ; cf. Aelred, Homélies sur les fardeaux 2,4. a
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sous la puissante main de Dieu afin d’être élevé au jour de la visite (1 P 5,6), celui qui est constamment attentif à la loi du Seigneur, celui-là habite dans la vallée de Mambré (cf. Gn 18,1), dans l’humilité, là où sont la vision et la pénétrationa. Celui qui pose une garde à sa bouche et une porte à ses lèvres (cf. Ps 140,3) pour ne pas dire de mensonge, pour ne pas faire de médisance, pour ne pas prononcer de blasphème, pour ne pas se livrer à la gourmandise – afin que son cœur ne s’appesantisse pas dans la débauche et l’ivrognerie (cf. Lc 21,34) –, celui-là ferme sa porte à ses ennemis. Celui qui détourne ses yeux pour ne pas voir les vanités (cf. Ps 118,37), pour ne pas regarder une femme en vue de la désirer (cf. Mt 5,28), celui qui maintient ses penchants à bonne distance de la convoitise des yeux, de la convoitise de la chair et de l’orgueil de la vie (cf. 1 Jn 2,16) ; celui qui bouche ses oreilles afin de ne pas entendre des paroles de sang (Is 33,15) et, autant qu’il en a la capacité, maintient ses sens loin de ce qui est défendu et illicite en sorte qu’il ne dise ni ne voie ni n’entende ce qu’il lui est défendu de dire, voir et entendre, celui-là est assis à l’entrée de sa tente (cf. Gn 18,1), protégeant l’entrée de sa maison et veillant son trésor (cf. Lc 11,21), gardant pure sa tenteb. 16. Celui qui aime Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces (Lc 10,27), et ne préfère rien à l’amour du Christc, celui qui attribue à Dieu et non à soi tout ce qu’il y a de bien en luid, disant avec le prophète : Tu as opéré en nous toutes nos œuvres (Is 26,12), et encore : Non pas à nous, Seigneur, mais à ton nom donne la gloire (Ps 113,1), celui-là est dans la chaleur du jour (cf. Gn 18,1), c’est-à-dire dans l’amour du Saint-Esprit. Celui qui possède les biens terrestres et transitoires non pour y chercher son plaisir mais seulement pour en faire usage, celui qui n’amasse pas de trésors sur la terre (cf. Mt 6,19) mais recherche sans cesse les choses d’en haut (cf. Col 3,1), celui-là, reposant dans la chaleur du jour, lève les yeux (cf. Gn 18,1‑2). Celui qui médite jour et nuit sur la loi du Seigneur et qui, autant qu’il le peut, contemple en lui-même l’image de son Voir paragraphe 4. Cf. Aelred, Sermons 94,14 ; 96,18‑19. c Cf. Règle de saint Benoît 4,21. d Cf. Règle de saint Benoît 4,42. a
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Créateur en ayant toujours à l’esprit que Dieu est présent à ses pensées et à ses actesa, à celui-là apparaissent trois hommes – à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit – se tenant près de lui (cf. Gn 18,2) ou mieux demeurant en lui (cf. Jn 14,23) et le réconfortant dans ses angoisses et ses tribulations (cf. 2 Co 6,4). Celui qui confesse que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu et que l’Esprit Saint est Dieu, tout en ne disant pas qu’il y a trois dieux mais un seul, celui-là en voit trois et en adore unb. Il en voit trois, car il vénère la sainte et souveraine Trinité ; et il en adore un, car il confesse un seul Dieu. 17. Celui qui croit de cette manière et qui fait la volonté de son Dieu – car la foi sans les œuvres est morte (Jc 2,20) – en cette vie imite Abraham et, après cette vie, reposera dans le sein d’Abraham (cf. Lc 16,22). Celui-là parviendra avec bonheur à la bienheureuse vision qu’Abraham mérita de voir, lorsque, après cette vie, il verra Dieu face à face (cf. Gn 32,31) avec les saints anges de Dieu. Nous donc, afin de mériter de voir la gloire de la majesté de Dieu, vénérons aujourd’hui, confessons, invoquons et adorons le Père, le Fils et l’Esprit Saint, non pas trois dieux mais un seul Dieu et Seigneur, au nom de qui nous sommes baptisés (cf. Mt 28,19), le créateur et le guide de toutes les créatures. À lui la gloire et la puissance pour tous les siècles des siècles. Amen (cf. 1 P 4,11).
a b
Cf. Règle de saint Benoît 7,14. Voir paragraphe 14.
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SERMON 133 POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE
Le Père a envoyé deux Paraclets, le Fils et l’Esprit. De même que la Loi fut autrefois promulguée sur le mont Sinaï, ainsi l’Esprit Saint est aujourd’hui donné aux disciples réunis au Cénacle. Il les a remplis de ses dons et fera de même pour nous.
L’Esprit est descendu dans le feu 1. L’Esprit du Seigneur a rempli l’univers et ce qui contient tout ; il connaît tout ce qui se dit (Sg 1,7 vg.)a. Grand est le Seigneur, et hautement louable (Ps 47,2), car grandes et très louables sont toutes ses œuvres. Vraiment grandes, vraiment admirables sont les œuvres de Dieu, nouvelles et étonnantesb les œuvres de notre grand et souverain Artisan, les œuvres du Saint-Esprit qui agit aujourd’hui à Jérusalem dans les disciples de Jésus. Aujourd’hui, d’une manière neuve et jamais entendue, tandis qu’un bruit venait du ciel, le Saint-Esprit descendit en des langues de feu sur les disciples réunis au cénacle. Aujourd’hui se sont accomplis les jours de la Pentecôte (cf. Ac 2,1‑3). D’après son étymologie, le mot ‘pentecôte’ désigne le
a b
Répons de Pentecôte. Cf. Aelred, Sermons 127,1 ; 128,11.
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cinquantième jour. C’est le jour le plus sacré et le plus célébré dans la Loi et l’Évangilea. 2. Dans la Loi, ce jour a un caractère sacré car « les fils d’Israël, libérés de la maison de servitude par l’immolation de l’agneau pascal afin d’aller vers la terre de la promesse, parvinrent au mont Sinaï. Le cinquantième jour après l’immolation de l’agneau, le Seigneur descendit dans le feu sur la montagne, au son du cor ; il leur donna à voix haute la loi du décalogue (cf. Ex 19‑20) et, en mémorial de sa promulgation, il établit que chaque année, en ce jour-là, il lui serait offert sur l’autel une oblation nouvelle prélevée sur les récoltes de l’année en cours, deux parts de pain à titre de prémices (cf. Lv 23,15‑17). 3. Le cinquantième jour après la mise à mort de l’agneau, la Loi fut donnée tandis que le Seigneur descendait dans le feu sur la montagne ; pareillement, le cinquantième jour après la résurrection de notre Seigneur et Rédempteur, la grâce du Saint-Esprit fut donnéeb », tandis que l’Esprit Saint descendait sur les apôtres dans des langues de feu. « L’Esprit Saint, apparaissant à l’extérieur dans le feu visible, répandit invisiblement dans le cœur des apôtres la lumière de la connaissance et y alluma le feu d’une charité inextinguiblec. » Comme le dit saint Grégoire, « des langues de feu ayant apparu à l’extérieur, les cœurs en furent enflammés à l’intérieur. Ayant accueilli Dieu dans la vision du feu, ils furent suavement embrasés d’amour. Car l’Esprit Saint en personne est amourd. »
Sur la hauteur 4. La Loi fut donnée sur la montagne, la grâce du Saint-Esprit au cénacle, afin que la situation de l’un et l’autre lieux exprime « la sublimité des commandements de Dieu et l’élévation des dons célestes. S’il demeure attaché à ses plus bas désirs, nul a Cf. Aelred, Sermons 126,4 ; 129,5‑6 ; cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,16‑17. b Bède le Vénérable, Homélies 2,17. c Bède le Vénérable, Homélies 2,17. d Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,1.
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ne peut obtempérer aux commandements divins ni être digne des dons d’en haut. Il est donc bon que la Loi est donnée là où se trouve le sommet de la montagne, et que la grâce de l’Esprit Saint est donnée au lieu le plus élevé du cénaclea. » Quiconque accueille et observe la loi de Dieu, quiconque est digne de la grâce du Saint-Esprit ne gît pas dans les sombres fonds des fosses du plaisir, mais il s’élève de vertu en vertu (cf. Ps 83,8), il progresse des réalités plus petites vers de plus grandes, des bas-fonds vers les hauteurs, des choses terrestres et temporelles vers les réalités célestes et éternelles, de la mort à la vie, du monde à Dieub. 5. La perfection des disciples est exprimée par le fait qu’ils « étaient tous présents au cénacle lorsqu’ils recevaient l’Esprit Saint. Alors que pour montrer la faiblesse de cœur des Hébreux, lorsque le Seigneur leur transmit la Loi sur le mont Sinaï, un petit nombre d’anciens seulement avait gravi en partie la montagne. Le reste du peuple se tenait à distance de la montagne. Seul Moïse monta jusqu’au sommet de la montagne, là où le Seigneur resplendissait dans le feu et les ténèbres, parce que les profonds et hauts secrets de la Loi ne peuvent être saisis et gardés que par un petit nombre de parfaits. Là où la grâce du Saint-Esprit est aujourd’hui donnée pour comprendre d’une manière plus élevée et accomplir d’une manière plus parfaite ce que dit le saint Évangilec », tous les disciples montèrent ensemble au cénacle, et l’Esprit Saint descendit sur eux, leur accordant ses charismes. Car aujourd’hui se sont accomplis les jours de la Pentecôte (cf. Ac 2,1‑3), et la promesse du Sauveur s’est réalisée : Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet pour demeurer avec vous à jamais (Jn 14,16).
Les deux Paraclets 6. Le Père nous a donné un premier Paraclet quand, ému de pitié par la misère humaine – la plénitude du temps étant arrivée –, Bède le Vénérable, Homélies 2,17. Cf. Aelred, Sermons 126,14 ; 129,7. c Bède le Vénérable, Homélies 2,17. a
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il envoya son Fils dans le mondea pour libérer le genre humain de ses péchés et l’arracher au pouvoir du démon. Ce Paraclet, les disciples l’avaient demeurant dans la chair : ils étaient encouragés par sa présence, instruits par son enseignement, fortifiés dans la foi par ses miracles, ils avaient l’habitude d’être éclairés et réconfortés par la force de sa prédication et sa sainte vieb. 7. Le Père donna une seconde fois un Paraclet lorsqu’il répandit aujourd’hui sur les fils adoptifs l’Esprit Saint qui procède de Lui et du Fils. Et comme l’explique Bède le Vénérable, « l’Esprit Saint est à bon droit appelé Paraclet, car il élève les cœurs des fidèles et les revigore par les désirs de la vie céleste, en sorte qu’au milieu des adversités de ce monde ils ne défaillent pas. C’est pourquoi il est dit de l’Église primitive : Elle s’édifiait et vivait dans la crainte du Seigneur, et elle était comblée de la consolation du Saint-Esprit (Ac 9,31)c. » 8. L’expression grecque ‘paraclet’ se traduit en latin par ‘avocat’ ou ‘consolateur’. C’est pourquoi, comme dit saint Grégoire, « il est appelé ‘avocat’, car il intervient auprès de la justice du Père en raison de l’égarement des pécheurs. Bien qu’il soit de même nature que le Père et le Fils, on affirme qu’il supplie en faveur des pécheurs parce qu’il rend suppliants ceux qu’il remplit. On dit aussi qu’il intercède pour nous en des gémissements ineffables (Rm 8,26)d » car, en vue de supplier Dieu pour les péchés, surgissent en nous, par son inspiration, des sentiments de componction, des gémissements, des soupirs et de très bienfaisantes larmes. « Ce même Esprit est appelé ‘consolateur’ car, en affermissant l’espérance du pardon chez ceux qui sont affligés d’avoir commis le péché, il relève l’esprit abattu de tristessee. » Il convient donc qu’il soit appelé ‘consolateur’ puisqu’il guérit les cœurs contrits, il relève ceux qui sont tombés, il console ceux qui sont tristes, il remet en forme ceux qui sont broyés, il rappelle ceux qui errent, il corrige
Cf. Ga 4,4 et Jn 3,17. Cf. Bède le Vénérable, Homélies 2,17. c Bède le Vénérable, Homélies 2,17. d Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,3. e Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,3. a
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ceux qui ont failli, il récompense d’un bonheur éternel ceux qui progressent dans la foi et persévèrent dans la charitéa. 9. Le premier Paraclet, « le Verbe incarné, demeure et se retire : il demeure selon la divinité, il se retire selon l’humanitéb. » « Après sa résurrection, le Sauveur montant au ciel se sépara des disciples quant à sa présence corporelle ; mais par la présence de sa divine majesté il ne les quitta jamaisc. » Aujourd’hui nous est donné une seconde fois un Paraclet, à savoir le Saint-Esprit, « afin qu’il demeure avec nous à jamais (cf. Jn 14,16). Il demeure avec nous à jamais parce que, dans la vie présente, il ne cesse de nous éclairer intérieurement, de manière invisible, et que, dans la vie future, il nous introduira à contempler l’éclat de la divine majestéd. »
L’Esprit a rempli l’univers 10. Ce Paraclet, l’Esprit Saint, a aujourd’hui rempli l’univers (cf. Sg 1,7) parce qu’il a rempli ceux dont il est dit : Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé (Mc 16,15‑16). Il a aujourd’hui rempli l’univers, c’est-à-dire l’Église primitive appelée à s’étendre à l’univers entier. Il a rempli l’univers, parce qu’il a rempli ceux dont la voix allait s’entendre jusqu’aux confins de la terre. Le psalmiste dit à leur sujet : Leur voix s’est répandue sur toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins de l’univers (Ps 18,5). 11. Là où la Loi était donnée « au milieu des flammes de feu et des éclairs étincelants, retentissaient le fracas des éclairs et le son de la trompee » (cf. Ex 19,16). Tandis qu’au cénacle, où la grâce de l’Esprit Saint était donnée « en même temps que la vision de langues de feu, vint du ciel un bruit tel que celui d’un vent violent (cf. Ac 2,2). Pendant que la Loi et la grâce étaient l’une et l’autre données, Cf. Aelred, Sermon 129,10. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,2. c Bède le Vénérable, Homélies 2,17. d Bède le Vénérable, Homélies 2,17. e Bède le Vénérable, Homélies 2,17. a
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un bruit était entendu au dehorsa. » Mais là où était donnée la grâce du Saint-Esprit, « en même temps qu’on entendait un bruit il y eut la puissance du don céleste, qui au-dedans sans bruit instruisait le cœur des disciplesb. » Du ciel il se fit un bruit (cf. Ac 2,2), tandis que l’Esprit Saint survenait au cénacle, car il venait éclairer ceux dont la voix de la prédication allait s’entendre sur toute la surface de la terre. Du ciel il se fit un bruit, car toute leur prédication avait le goût des réalités célestes. Tout leur dessein était soit d’annoncer ces réalités célestes, soit d’enseigner la façon de parvenir jusqu’à elles.
Les largesses de l’Esprit 12. Aujourd’hui l’Esprit Saint vient sur les disciples de Jésus, mais il ne vient pas en étant inopérant et démuni : ses charismes sont avec lui. Voici que je viens, dit le Seigneur, et mes largesses sont avec moi (Ap 22,12). Les largesses de l’Esprit Saint – qui enrichissent aujourd’hui le cœur des disciples –, ce sont la rémission des péchés, l’anéantissement de la faute et l’infusion de la grâce. Aujourd’hui, les disciples ont été baptisés dans l’Esprit Saint, selon ce qu’avait promis le Rédempteur avec l’Ascension : Jean a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours (Ac 1,5). Dans le baptême de Jean il n’y avait pas de rémission des péchés, mais bien dans le baptême de l’Esprit Saint. Quiconque est baptisé en Lui est purifié de tous ses péchés. Concluons-en et soyons certains que, l’Esprit étant aujourd’hui descendu sur les disciples, ils ont reçu la rémission de tous leurs péchésc. Car l’Esprit très pur ne pouvait pas habiter en eux autrement que s’ils étaient purs et saints. Le très sage Artisan a d’abord purifié les vases – le cœur des disciples – puis il a répandu les dons de ses grâces. 13. C’est ainsi qu’il agit en toute âme qu’il a choisie pour y habiter. Il la purifie d’abord des vices et des péchés, car la Sagesse n’entrera pas dans une âme mal disposée et n’habitera pas dans un Bède le Vénérable, Homélies 2,17. Bède le Vénérable, Homélies 2,17. c Cf. Aelred, Sermons 126,5. a
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corps soumis aux péchés (Sg 1,4). C’est pourquoi il opère d’abord une purification dans l’âme, puis il l’embellit et la remplit de ses charismes, les vertus saintes. Peut-être descendit-il sur les apôtres dans le feu, parce que, comme fond la cire en face du feu (Ps 67,3), ainsi toute la rouille du péché se détachait et disparaissait devant la face de l’Esprit Saint survenant (au cénacle cf. Ac 2,2), lui qui a rempli aujourd’hui tout l’univers (cf. Sg 1,7), à savoir les disciples de Jésus par lesquels l’univers entier a été rempli d’un enseignement saint et très salutairea.
L’Esprit a rempli le Christ et ses disciples 14. Il a également rempli ce qui contient tout (Sg 1,7). Qu’estce qui contient tout ? La Sagesse du Père (cf. 1 Co 1,24), elle qui atteint avec force d’une extrémité jusqu’à l’autre et qui dispose tout avec douceur (Sg 8,1). Le Verbe incarné contient tout par sa divinité. Mais, en son humanité, notre Rédempteur était soumis à Marie et à Joseph (cf. Lc 2,51). Et bien que, selon sa divinité, il soit égal au Père et à l’Esprit Saint, cependant, selon son humanité, l’Esprit Saint l’a rempli. Car lui, notre Rédempteur, il recevait, en tant qu’homme, des accroissements de sagesse, d’âge et de grâce. Il croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes (Lc 2,52). 15. Bref, l’Esprit du Seigneur remplit la terre, et comme il contient tout, tout, il connaît tout ce qui se dit (Sg 1,7 vg)b et possède tout le talent de la prédication. Il est celui qui insuffle les vertus, répartit les grâces, opère les miracles qui se font sur la terre, et les signes et prodiges que l’on contemple dans le ciel (cf. Ac 2,19). Il est en effet l’artisan de toutes choses, ayant toute puissance, veillant sur tout (Sg 7,21.23). C’est lui qui a aujourd’hui rempli les disciples de Jésus de ses charismes.
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Cf. Aelred, Sermons 126,5 ; 149,7 ; 182,2. Répons de Pentecôte.
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Exhortation finale
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16. Pour qu’il nous remplisse donc pareillement, voyons de quelle manière les disciples se préparèrent à recevoir les charismes du Saint-Esprit, et, à la mesure de notre petitesse, imitons les apôtres. Car, si nous serons leurs imitateurs, nous deviendrons participants des dons du Saint-Esprit (cf. He 6,4). Après l’ascension du Seigneur, ils revinrent à Jérusalem et ils étaient chaque jour dans le Temple (cf. Lc 24,52‑53), s’appliquant à de saintes méditations et supplications ; et ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme (cf. Ac 4,32) dans le consentement au bien, dans une sainte religion, une foi véritable et une parfaite charité. Pour autant que nous devenions tels, l’Esprit Saint nous visitera et nous remplira de ses dons. 17. Voyant Jésus monter au ciel, ils revinrent à Jérusalem, remplis d’une grande joie (Lc 24,52). Jérusalem se traduit par ‘vision de paixa’. Nous donc, qui voyons le Seigneur Jésus déjà remonté au ciel, retournons avec joie à Jérusalem. Allons vers la vision de paix, habitons dans la douceur du repos, ayant de la charité les uns pour les autres, car il a choisi la paix pour son lieu (Ps 75,2 vg). Le lieu de qui ? Du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, évidemment ! Là où se trouvent paix, vérité et charité, là, sans le moindre doute, est Dieu. 18. Appliquons-nous aux saintes méditations, oraisons et supplications, car c’est par de tels sacrifices que nous sommes en paix avec Dieu (cf. He 13,16) et que nous sommes réconciliés à l’Esprit Saint. N’ayons qu’un cœur et qu’une âme (cf. Ac 4,32) dans une foi véritable et une charité sincère. Et puisque nous ne tenons tout cela que de l’Esprit Saint qui l’inspire et le donne, invoquons notre Seigneur l’Esprit Saint : qu’il nous visite, nous éclaireb et opère en nous sa volonté. Que par son aide et son action, nous méritions de parvenir à la vie éternelle. Que l’Esprit Saint, notre créateur et notre guidec, daigne nous l’accorder, lui qui vit et est glorifié avec le Père et le Fils, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 50. Cf. Aelred, Sermon 128,20. c Cf. Aelred, Sermon 132,17. a
b
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SERMON 134 POUR LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Sermon sur l’obéissance. Seul le feu de l’amour divin, en remplissant le cœur de joie, d’humilité et de confiance, rend possible une réalisation plénière et authentique d’une joyeuse obéissance.
Qu’est-ce que la profession d’obéissance ? 1. Vers tout ce vers quoi je t’enverrai, tu iras : ne crains pasa. Qui d’entre nous peut se glorifier que cela se soit accompli en sa personne ? Et qui d’entre nous peut ne pas être dans la crainte du fait qu’il a promis cela ? Ce n’est pas de moi qu’il est écrit : Vers tout ce vers quoi que je t’enverrai, tu iras. Mais c’est moi qui ai écrit et promis d’aller vers tout ce vers quoi mon Seigneur m’enverra. Tels sont mes vœux, ceux que j’ai personnellement exprimés, ceux que mes lèvres ont clairement prononcés (cf. Ps 65,13‑14). C’est ainsi que moi, c’est ainsi que chacun de nous s’est engagé à une obéissance sans réserve. Qu’est-ce que la profession d’obéissance sinon la promesse solennelle d’aller vers tout ce vers quoi le Seigneur m’envoie ? Oui, Seigneur mon Dieu, je me suis lié par ces paroles,
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Antienne pour la naissance de Jean-Baptiste ; cf. Jr 1,7‑8.
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Sermon 134
en présence de nombreux témoins (cf. 1 Tm 6,12), je me suis engagé par ces vœuxa. 2. Si je voulais les renier, ma bouche me condamnerait (cf. Jb 9,20), car j’ai proclamé par ma langue (cf. Ps 38,4) : ‘Vers tout ce vers quoi tu m’enverras, j’irai.’ Si je les ratifie, ma main me viendra en aide, car je l’ai amenée à ma bouche. Le paresseux, quant à lui, cache sa main sous son aisselle, et ne la ramène pas à sa bouche (Pr 19,24) afin d’accomplir par ses œuvres ce qu’il a promis par sa bouche. N’entre pas en jugement avec tes serviteurs (cf. Ps 142,2) à propos de cette imperfection. Que dis-je, imperfection ? C’est une faute de faire un vœu et de ne pas s’en acquitter (cf. Qo 5,3‑4). Je sais que c’est à contrecœur, contraint et forcé, que tu entres en jugement avec tes serviteurs, Seigneur. Je sais quand tu n’y entres pas : oui, bien sûr, lorsque nous n’y entrons pas nous-mêmes. Enlevons au Seigneur son jugement à lui, par une sorte de jugement préalable que nous portons sur nous-mêmes.
Examen de conscience
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3. Voyons ce que nous avons promis au Seigneur, voyons ce que nous avons négligé, voyons si notre main a accompli ce que nos lèvres ont clairement prononcé (cf. Ps 65,13‑14). Et qu’est-ce que tes lèvres ont clairement prononcé, si ce n’est que tu irais vers tout ce vers quoi le Seigneur t’enverrait ? Vois si tu es allé vers tout. Vois si les austérités, les abjections ne t’ont pas détourné de la mise à exécution de cette recommandation ? Lors de ta profession, tu n’as rien excepté. Examine si quelque chose t’a échappé dans la mise à exécution. Combien de gens aujourd’hui ont abandonné leur état de vie du seul fait qu’ils ne se sont pas maintenus dans l’obéissance recommandée par le Seigneur lorsqu’il dit : Vers tout ce vers quoi je t’enverrai, tu iras (Jr 1,7). C’est pourquoi ruine et misère sont sur leurs chemins, car la voie de la paix et de l’obéissance, ils ne l’ont pas connue (Rm 3,16‑17).
a
Cf. Règle de saint Benoît 58,17‑23.
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Sermon 134
4. L’écriture dit : Ils mangent du fruit de leurs errements, selon l’expression de Salomon, et ils se rassasient de leurs propres conseils (Pr 1,31). C’est bien dit : ils se rassasient. Car de telles gens, après s’être échappés de l’Ordre, deviennent errants et instables, ballottés par leurs propres conseils dont ils recueillent l’âpre goût de la déprime et non le goût fruité de la liesse. Ils subissent tous ces désagréments parce qu’ils marchent dans des voies qui ne sont pas bonnes (cf. Is 65,2) : ils vont là où ils veulent eux-mêmes et non là où ils sont envoyésa. Par ailleurs, il y en a aussi qui n’abandonnent pas l’Ordre par une résiliation notoire de leur profession religieuse, mais, tout en y demeurant – en apparence seulement –, ils obtempèrent lorsqu’on leur enjoint ce qui leur plaît, et ils refusent d’obéir lorsque cela leur déplaît. Or le seul modèle de la véritable obéissance est d’aller vers tout ce vers quoi tu es envoyé (cf. Jr 1,7).
Obéissance sans compromis 5. Que signifie ‘vers tout’ ? Vers les choses dures et contrariantes, vers les choses âpres et rebutantesb. Vers tout ce vers quoi tu es envoyé, et non là où tu es envoyé par ta volonté propre. Vers tout ce vers quoi tu es envoyé, et non là où tu vas par toi-même. Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des brigands (Jn 10,8). Tous ceux, est-il dit, qui sont venus d’eux-mêmes, non pas ceux qui ont été envoyés par moi. Écoutez, frères, et comprenez la force de l’obéissance, ou plutôt sa vérité. Ce n’est pas la tâche extérieure qui donne la mesure de l’obéissance, mais la motivation intérieure. Car il faut prendre davantage en considération l’autorité de celui qui commande que la nature de la tâche. Si tu choisis de faire des choses utiles, c’est de la prévoyance ; si tu obtempères à celui qui commande, c’est de l’obéissance. Ainsi en est-il de Jérémie, ainsi en est-il de Jean (le Baptiste). Voyez vers quelles malédictions (à proférer) ils ont été envoyés, comment l’un et l’autre ont subi la persécution de la part d’un roi inique. Le premier a été torturé a b
Cf. Sermons 37,10 ; 43,25‑27 ; Homélies sur les fardeaux 11,14. Cf. Règle de saint Benoît 58,8.
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Sermon 134
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(cf. Jr 38,4‑13), le second décapité dans la prison (cf. Mc 6,25‑28). Pourquoi cela sinon parce qu’ils sont allés vers tout ce vers quoi ils ont été envoyés, ils ont proféré toutes les paroles qui leur étaient commandées. 6. Vers tout ce vers quoi je t’enverrai, tu iras : ne crains pasa. Il a présenté le modèle de l’obéissance, il en a également ajouté la raison. Le modèle de l’obéissance, c’est de ne rien excepter ; la raison de sa mise en pratique, c’est d’aimer. Voilà pourquoi il dit : Ne crains pas. Lorsqu’il a rejeté la crainte, il engage à l’amour. La crainte est indolente et glacée, l’amour est vif et ardent. Et que dit saint Benoît à propos de l’obéissance ? Elle ne « sera bien reçue de Dieu et agréable aux hommes que si l’ordre est exécuté sans tiédeur, sans lenteur, sans hésitationb. » Tiédeur, lenteur, hésitation se rapportent donc à la crainte ; ferveur, empressement, confiance se rapportent à l’amour. Mais d’où vient, Seigneur, chez tes prophètes, la force de cet amour enflammé, sinon du fait que d’en haut tu envoies dans leurs os (cf. Lm 1,13) un feu capable de les former, capable de dissiper les froideurs de la crainte ? Jérémie avait dit cela à son propos ; celui qui est pour nous aussi bien un autre Jérémie qu’un autre Élie aurait pu dire également la même chose de lui-même.
Ardeur de la charité 7. D’ailleurs, la loi de son Dieu était dans son cœur (cf. Ps 36,31), une loi de feu ; quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez aux œuvres (cf. Jn 10,38), même si en sa personne Jean constitue un témoignage plus grand que les œuvres (cf. Jn 5,36). Le Seigneur Jésus, sachant ce qu’il avait mis dans le cœur de Jean, dit lui-même : Jean était la lampe qui brûle et qui luit (Jn 5,35). Et puisqu’il était le précurseur du Seigneur, nous pouvons quant à nous lui appliquer ce verset du psaume : Un feu marchera devant lui, et autour de lui une tempête violente (Ps 96,3 et 49,3), celle de la génération a b
Antienne pour la naissance de Jean-Baptiste ; cf. Jr 1,7‑8. Règle de saint Benoît 5,14.
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du peuple infidèle et de la foule sans pitié, qui voulait se réjouir, ne fût-ce qu’un moment, non pas à son ardeur mais à sa lumière (cf. Jn 5,35). Or la lumière de la connaissance, grâce à l’ardeur de la charité de l’Esprit Saint, réjouit, certes, mais aussi elle enflamme. En ce sens, pour faire comprendre que la connaissance en Jean n’enflait pas mais édifiait (cf. 1 Co 8,1), il dit à son propos qu’il luisait, mais en précisant d’abord qu’il brûlait. 8. Bonne est donc l’ardeur de la charité, dissipant tout à la fois la crainte et l’enflure. La bonne ardeur de la charité était en lui : elle fit fondre et extirpa de lui toute opiniâtreté, convoitise charnelle, avarice, colère, envie, rivalité, médisance. Et, pour conclure brièvement : toute difformité et perversité. La bonne ardeur de la charité était en lui : elle le rendit plein de flamme. Comment un homme mal assuré et démuni ne craindrait-il pas d’être envoyé vers des réalités si âpres ; et comment ne s’enflerait-il pas d’annoncer des choses aussi élevées ? D’autres ont également reçu le don de prophétie (cf. 1 Co 12,10), mais lui est plus qu’un prophète (cf. Lc 7,26).
Luire pour l’Époux et l’épouse 9. Car il est appelé voix (cf. Mt 3,3) et prophète : il a préparé le chemin à la venue du Seigneur, il l’a désigné du doigt quand il fut présenta. Il a plongé la tête sacrée dans les eaux du Jourdain. Il s’est acquitté de la fonction de baptiseur à l’égard du Seigneur qui, l’ayant baptisé dans l’Esprit et le feu (cf. Mt 3,11) en avait fait une lampe qui brûle et qui luitb. Oui, il brûlait et luisait, non pour lui-même mais pour l’Époux dont il était l’ami (cf. Jn 3,29) et le paranymphe. Et il luisait aussi, non pour lui-même mais pour l’épouse. Car il avait reconnu qu’il avait reçu l’Esprit non pour un étalage de sa propre vantardise et vanité, mais dans l’intérêt des frères. Cf. antienne pour la naissance de Jean-Baptiste ; cf. Jn 1,29‑31. Cf. Jn 5,35 ; Aelred veut faire entendre que Jean, avant de baptiser le Christ par l’eau, avait été baptisé par lui dans l’Esprit. a
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Sermon 134
10. Chacun reçoit la manifestation de l’Esprit en vue de l’intérêt commun (cf. 1 Co 12,7). Autrement, comment sera-t-il l’ami de l’Époux (cf. Jn 3,29) celui qui n’aime pas luire pour l’Époux mais pour lui-même ? Et comment sera-t-il également l’ami de l’épouse, s’il ne cherche pas à lui être profitable en y mettant du sien, mais à se faire valoir lui-même en profitant d’elle ? Il n’est l’ami ni de l’Époux ni de l’épouse celui qui cherche sa propre gloire (Jn 7,18). Il ne cherche pas franchement celui qui cherche en cachette. Plus tard, quelqu’un en prendra soin et rendra justicea. Guéris-nous, Seigneur, de cette passion qui vole et qui revient ; et d’en haut envoie dans la moelle de nos os un feu (cf. Lm 1,13) qui, en s’embrasant, puisse dissiper la fumée d’une telle enflure.
Ni enflure ni crainte
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11. Bienheureux Jean : au milieu de dons aussi élevés, il ne regarda personne de haut (cf. 1 Tm 6,17), il ne se prévalut de rien, et il mérita d’être appelé lampe qui brûle et qui luit (Jn 5,35). Avec assurance, il luisait par sa parole à l’extérieur, prévenu à l’intérieur par le feu de l’amour. Mauvais revirement que de luire à l’extérieur et d’enfumer à l’intérieur. Il offre bien mais il en fait mal la répartition. Il offre bien mais il récupère et soustrait à Dieu son esprit, qui luit en fonction d’autrui. Combien de fois nous enorgueillissons-nous du moindre bien (que nous faisons) ? Jean, l’ami de l’Époux (cf. Jn 3,29), rempli de zèle pour lui et qui lui fut fidèle dans toute sa maison (cf. He 3,5), bien que jouissant d’un exceptionnel prestige et ayant une conduite d’une qualité rare, rendu solide par l’amour, ne connut pas la vantardise, il ignora tout autant l’enflure que la crainte. 12. Il ne craignit, durant tout le cours de sa vie, ni une fin obscure et injuste, ni la mort donnée par dérision. Car en raison de reproches fondés et profitables, il attira sur lui la haine des princes, et en prison il fut puni de la peine capitale. C’est ainsi, Seigneur, que ton saint ne craignit pas les paroles des bourreaux ; mais, au a
Cf. Jn 8,50 ; cf. Bernard de Clairvaux, Sur le psaume 90, Sermon 6,3.
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service de tes commandements, il alla vers tout ce vers quoi tu l’avais envoyé (cf. Jr 1,7‑8), et il prononça toutes les paroles que tu lui avais commandées. Il ne craignit pas les menaces des hommes, mais son cœur redouta bien davantage tes paroles (cf. Ps 118,161), ou plutôt il fut enflammé par elles.
Langue de feu 13. Tu lui as donné, Seigneur, une langue de feu, le langage de qui se laisse instruire, pour instruire à son tour (cf. Ps 104,22 vg), et savoir discerner qui soutenir par une parole de réconfort (cf. Is 50,4), qui fustiger par des reproches acerbes, qui appeler engeance de vipères (Lc 3,7), à qui dire : Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère (Mc 6,18) ; à qui apprendre à se contenter de sa solde (cf. Lc 3,14), qui convier à produire des fruits dignes du repentir (cf. Lc 3,8), chez qui arrêter l’enflure d’être de la race d’Abraham ; qui élever à partir de la dureté des pierres jusqu’à la belle espérance des enfants de Dieu : Des pierres que voici, disait-il, Dieu a le pouvoir de faire surgir des enfants d’Abraham (Lc 3,8). Il est donc à juste titre la lampe qui brûle et qui luit (Jn 5,35) : par sa détermination, par sa vie, par sa parole, il corrigea, dirigea, réprima, encouragea d’après les diverses dispositions de chacun de ses auditeurs.
Silence et écoute 14. Réjouissons-nous, frères, et exultons à sa lumière (cf. Jn 5,35) : et, en imitant son obéissance, allons non pas seulement vers certaines choses, mais vers tout (ce vers quoi le Seigneur nous envoie) (cf. Jr 1,7), non pas vers les choses qui plaisent mais vers les choses âpresa, non pas pour un moment (cf. Jn 5,35), comme les Juifs, mais jusqu’à la mort (cf. Ph 2,8). Et s’il ne t’est pas commandé de donner à autrui un enseignement doctrinal, si tu n’es a
Cf. Règle de saint Benoît 58,8.
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pas envoyé vers la parole mais vers le silence, fais ce vers quoi tu es envoyé. N’outrepasse pas les limites de ce qui t’est commandé, parce que toi aussi tu es pareillement envoyé pour parler. D’autres sont envoyés pour s’exprimer par la parole, toi tu es envoyé pour t’exprimer par le silencea. Comment ne parlerait-il pas à travers toi le silence plein de réserve par lequel la sainteté de la vie religieuse est mise en valeur et proclamée en toi ? Silence, démarche, manière d’être, attitudes, tous les aspects de cette vie d’effacement mettent Dieu en valeur à travers toi , et te font valoir en Dieu ; et toi, tu crois te taire ? 15. David a dit : Tous mes os proclament : Seigneur, qui est comme toi (Ps 34,10) ? Ce qu’il appelle ‘les os’, toi prends-le dans le sens d’œuvres vigoureuses, d’œuvres variées et pourtant bien assemblées pour former le seul corps unifié et intact de cette vie sainte. Parle et exhorte ainsi, et tu seras efficacement équipé. C’est ainsi que tu diras avec profit toutes les choses que le Seigneur t’aura commandées. Et si tu es envoyé, ne te tais pas. Pense que tu es en même temps envoyé pour écouter. Il t’est dit tout à la fois : ‘ne te tais pas’ et ‘écoute’. Prête donc l’oreille et écoute ce que dit en toi, ce que dit contre toi, ce que dit à l’encontre de ton comportement celui qui, de par Dieu, est devenu pour toi comme un dieu. Accorde-toi avec ton adversaire pendant que tu es en chemin (Mt 5,25), afin qu’au lieu de te condamner, il te recommande au juge ; afin qu’il ne te livre pas comme un coupable mais bien plutôt, comme le royaume, qu’il te remette à Dieu le Père (cf. 1 Co 15,24). 16. En imitant cette obéissance et cette écoute inconditionnelles, qu’aucune crainte ne vous fasse reculer ; mais, dans votre empressement à obéir, quand vous aurez tout accompli, dites : Nous sommes des serviteurs quelconques ; nous n’avons fait que notre devoir (Lc 17,10). Le Seigneur Jésus Christ, se faisant pour nous obéissant au Père jusqu’à la mort (cf. Ph 2,8), alla joyeusement vers tout ce vers quoi il était envoyé ; par les mérites et les prières de son bienheureux précurseur, qu’il nous conduise donc par la voie de l’obéissance jusqu’au royaume de la vie. Amen. À propos de son ami Simon, Aelred écrit : Son silence même me parlait (Miroir de la charité, I,107). a
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SERMON 135 POUR LA SOLENNITÉ DES APÔTRES PIERRE ET PAUL
Malgré certaines différences de personnalité, les deux apôtres, qui sont célébrés en une même fête, rayonnent d’une grandeur respective équivalente.
Grandeur des deux apôtres 1. Saül et Jonathan, aimables et beaux dans leur vie, même dans la mort n’ont pas été séparés : plus rapides que des aigles, plus forts que des lions (2 S 1,23). L’importance de la solennité de ce jour, nous n’avons ni la capacité de l’exposer ni la possibilité de ne pas en convenir. Car cette solennité est immense et remarquable, à la mesure de la grandeur et de la splendeur de ceux dont c’est la fête. Si nous avions à célébrer la solennité de l’un d’entre eux seulement, Pierre ou Paul, nous ne serions même pas capables d’en louer un seul. Que dirons-nous donc, alors que nous célébrons la fête solennelle d’apôtres d’une telle envergurea ? Nous en sommes beaucoup moins à la hauteur. Pourtant, à l’instar de cette femme dévouée qui a offert deux piécettes (cf. Mc 12,42), et de cette autre personne qui a généreusement donné un verre d’eau fraîche
a
Cf. Sermon 25,1.
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Sermon 135
(cf. Mt 10,42), faisons ce que nous pouvons, offrons ce que nous savons. 2. Mais que dirons-nous ? Lequel des deux allons-nous préférer ? Je ne sais. Grand est l’apôtre Pierre, grand aussi Paul. Paul n’est pas moindre que Pierre, et peut-être même qu’il est plus grand que lui. Pierre est le docteur des circoncis, Paul est le docteur des incirconcis. Pasteur de l’Église est Pierre, et pasteur de l’Église est Paul. Pierre a rempli la Judée de l’Évangile du Christ (cf. Ac 10,37). Paul a rempli de l’Évangile du Christ le monde entier, depuis Jérusalem jusqu’à l’Illyrie (cf. Mc 16,15 et Rm 15,19). Plus grand est ce dernier. Pierre est le Prince des apôtres. Paul est le vase d’élection (cf. Ac 9,15). Il semble cependant que Pierre l’emporte sur trois points : la fermeté de la foi, le prestige de l’autorité, la puissance des miracles opérés.
Fermeté de la foi de Pierre
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3. La fermeté de la foi de Pierre est partout proclamée, partout mise en avant. Lorsque le Seigneur s’enquérait de ce que les hommes disaient de lui, les autres (apôtres) étaient comme hésitants et tous ensemble se taisaienta ; mais (Pierre), tel un serviteur et un maître de la véritable foi , dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16). Et que reçut-il comme réponse du Seigneur ? Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église (Mt 16,18) ; ce qui veut dire : sur la fermeté de la foi que tu confesses, sera fondée l’Église universelle. La foi de Pierre est partout présente. Quand bien même elle a vacillé, elle s’est relevée plus solide (cf. Lc 22,31‑32). Par la foi, il a marché sur les eaux (cf. Mt 14,29), par la foi il a fait bien d’autres choses.
Prestige de son autorité et puissance de ses miracles 4. Pierre l’emporte (sur Paul) par le prestige de son autorité. À distance, en effet, il eut connaissance, dans l’Esprit, de la fraude a
Contacere est un néologisme.
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Sermon 135
d’Ananie et de Saphire, et, par la prérogative de son autorité, d’une seule parole il infligea le châtiment de la mort (cf. Ac 5,1‑11). Pour signifier ce pouvoir, le Seigneur lui donna les clefs du Royaume des Cieux et lui accorda le pouvoir de lier et délier (cf. Mt 16,19). Il l’emporte par la puissance des miracles. Oui, qui a opéré autant de prodiges que Pierre ? Il est celui dont l’ombre a guéri des infirmes (cf. Ac 5,15), dont la prière a rendu la santé à un paralytique (cf. Ac 9,33‑34), dont la parole a ressuscité un mort (cf. Ac 9,40), celui qui a le pouvoir de fermer et d’ouvrir le ciel (cf. Mt 16,19). Qui donc est semblable à lui ? Paul, à mon avis.
Les deux apôtres sont aussi grands l’un que l’autre 5. La foi de Pierre était la foi de Paul ; le pouvoir de Pierre était le pouvoir de Paul ; les miracles de Pierre étaient les miracles de Paul. Oui, ce n’est pas au seul Pierre que le Seigneur a dit : Les œuvres que je fais, vous les ferez aussi, et vous en ferez même de plus grandes (Jn 14,12). Tout ce qui est attribué à Pierre est donc accordé à Paul. Nous trouvons que Pierre a dit et fait beaucoup de choses en présence de Paul, qui s’est tu et n’a rien fait. Pourquoi cela ? L’humilité de Paul, comme sa discrétion, était telle qu’il estima que le plus jeune devait s’effacer devant un plus âgé, le vase d’élection (cf. Ac 9,15) devant le Prince (des apôtres). Pourtant ce que Pierre a fait en présence de Paul, celui-ci l’a également fait avec Pierre, grâce à leur communion dans la foi. Nous avons dit que Pierre semble être supérieur à Paul sur trois points, de même aussi Paul semble l’emporter sur Pierre en trois domaines : la science, les peinesa, la manière de vivre.
Science de Paul 6. Il l’emporte par la science, comme il le dit lui-même dans une lettre : Je vais dire une folie ! Moi plus qu’eux. Je ne vaux peut-être pas Labor peut être pris en un sens passif ou un sens actif. Dans la suite du Sermon, il sera précisé s’il s’agit d’une peine endurée, ou de la peine que l’on se donne. a
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Sermon 135
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grand-chose pour la parole, mais pour la science, c’est différent (2 Co 11,23 et 6). Ce n’est pas dans un âge avancé, mais c’est dans sa jeunesse que Paul est ravi jusqu’au troisième ciel (cf. 2 Co 2‑4). Que personne donc ne regarde les jeunes avec mépris ! Voyez Salomon : c’est à l’âge de douze ans qu’il obtint la royauté (cf. 1 R 1,28‑30). Car Dieu est capable de faire d’un jeune ce qu’il fait d’un vieillard. Daniel, qui était un jeune homme ou plutôt un enfant, jugea des anciens (cf. Dn 13,45‑62). Joseph encore jeune interpréta au roi ses visions et délivra l’Égypte de la peste et de la famine (cf. Gn 41,25‑57). Paul n’avait pas encore atteint l’âge de cinquante-trois ans, limite fixée pour la garde des vases du Seigneur. Il n’avait pas encore servi durant toute la période entre ses vingt-cinq ans et cette cinquante-troisième année (cf. Nb 8,24‑26). Mais c’est dès le début de son ministère apostolique, dans sa jeunesse qu’il fut fait gardien des vases du Christ que sont les âmes saintes. Paul encore jeune fut ravi jusqu’au troisième ciel.
Les trois cieux 7. Par ‘trois cieux’, il entend sans doute se référer au ciel des anges, à celui des archanges, et à celui de la Trinité. Ou bien les trois ‘cieux’ sont à prendre au sens de trois genres de vision, comme le propose Augustina : vision corporelle, vision spirituelle, vision intelligible. Il y a vision corporelle quand, au moyen des organes corporels, sont aperçues des réalités d’ordre matériel. Il y a vision spirituelle quand l’âme ou l’esprit est ravi et qu’il voit, en songe ou en vision, des images corporelles de réalités d’ordre matériel. La vision intelligible est cette puissance de l’esprit par laquelle il comprend ce qui est vu par vision spirituelle. Ou encore les « trois cieux » représentent l’interprétation selon les sens historique, symbolique et moral. C’est vers la sublime perfection de ces cieux que Paul fut ravi. Il fut ravi jusqu’au paradis, et il y entendit des paroles qu’il n’est pas permis à l’homme de redire (2 Co 12,4). Nul ne reçut jamais autant de révélations que Paul, ni Pierre Augustin, De la genèse au sens littéral 12,12.24.34 ; voir aussi Aelred, Dialogue sur l’âme 3,9‑10 ; Homélies sur les fardeaux 2,2. a
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Sermon 135
ni André. C’est pourquoi il dit ailleurs : Pour que l’excellence de ces révélations ne m’enorgueillisse pas (2 Co 12,7)…
Souffrances de Paul 8. Paul l’emporte (sur Pierre) pour ce qui est des souffrances, comme il en témoigne lui-même : Davantage de peines endurées, emprisonnements plus fréquents, coups innombrables ; souvent j’ai été à la mort. Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouets (2 Co 11,23‑24). Il était établi que tout humain qui serait jugé transgresseur de la Loi serait frappé de quarante coups (cf. Dt 25,2‑3), à moins que le bourreau ne veuille en réduire le nombre. Or, l’hostilité des Juifs sévit à tel point contre Paul que les cinq fois où il fut jugé transgresseur, il reçut les quarante coups et jamais le bourreau ne lui fit grâce, si ce n’est d’un unique coup. Petite miséricorde, grand châtiment ! 9. Et l’Apôtre ajoute encore ceci à propos de ses souffrances : Trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai été un jour et une nuit dans l’abîme de la mer ; dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers du désert, dangers de la ville, dangers des faux frères (2 Co 11,25‑26) et en beaucoup d’autres circonstances. Qui a été trouvé semblable à lui pour ce qui est des souffrances ? Il a donc surpassé Pierre et tous les autres dans les peines endurées, comme il le dit lui-même : J’ai peiné plus que tous (1 Co 15,10). Et : J’estime que je n’ai rien fait de moins que les grands apôtres (2 Co 11,5). Et encore : C’était à vous de me recommander. Je n’ai rien fait de moins que ceux qui sont ‘archiapôtres’. Car bien que je ne sois rien, les traits distinctifs de mon apostolat ont été réalisés chez vous : endurance totale, signes, prodiges et miracles (2 Co 12,11‑12).
Science de Pierre et Paul 10. Il est donc pareil à Pierre, semblable à André, égal à Jean. S’il a peiné plus que tous (cf. 1 Co 15,10), ainsi qu’il l’atteste lui-même, et si chacun sera rétribué d’après la peine qu’il se sera donnée
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Sermon 135
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(cf. Mt 16,27) – quand aura lieu ce qui est écrit : ‘Voici l’homme et ses œuvresa’ – Paul ne recevra pas moins que les autres, lui qui a peiné plus qu’eux. Que dirons-nous donc ? Paul aurait-il davantage de mérite et de gloire que Pierre ? Loin de nous de dire pareille chose ! Même si la science de Paul fut sans doute plus grande, cela ne lui vaut pas un accroissement de mérite ou de gloire parce que, au regard de Dieu, un ignorant ingénu a parfois plus de valeur qu’un philosophe très instruit. Car la science n’augmente pas toujours le mérite, mais souvent elle le diminue. C’est pourquoi Salomon dit : Celui qui augmente sa science augmente son tourment (Qo 1,18). Et l’Apôtre : La science enfle, la charité édifie (1 Co 8,1). 11. Pierre eut autant de science qu’il en eut besoin. Paul en eut davantage – si c’était vraiment davantage –, car il en eut besoin pour davantage de personnes : il avait à être écouté par davantage de monde. Ce ne fut pas en vue d’un accroissement de mérite mais en raison d’un commandement du Seigneur – que Pierre aurait accueilli si cela lui avait été enjoint. De même, s’il est question de la science que donne le monde, il n’est rien. Si par contre, il est question de la science des choses célestes, Pierre eut cette science-là – aucune n’est meilleure, nulle n’est plus grande –, lui dont la sagesse était le Christ, dont la science était le Fils de Dieu. C’est également cette science-là, et non pas une autre, dont Paul fait profession en disant : Je ne veux rien savoir parmi vous, sinon le Christ, et le Christ crucifié (1 Co 2,2). Si Paul n’a rien su d’autre que le Christ, ni plus que le Christ, et que Pierre a lui aussi connu le même Christ, Paul n’a pas eu plus de science que Pierre. Pierre et Paul sont donc égaux en fait de science, parce qu’ils sont pareils dans le Christ qui est toute leur science.
Souffrances de Pierre et Paul 12. Pour ce qui est des souffrances, Pierre et Paul sont équivalents. Car bien que Pierre n’ait pas enduré physiquement autant de coups et d’agressions, il a cependant souffert en esprit, car il a eu compassion de celui qui souffre : c’est une souffrance parfois plus a
Cf. Is 62,11, d’après la version de la Septante.
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Sermon 135
grande et plus intense. Celui qui souffre en esprit et par son vouloir profond, on peut dire de lui en toute vérité qu’il souffre. Ainsi, on dit de saint Pierre qu’il abandonna ce qu’il n’a en fait jamais possédé, car il abandonna la volonté de posséder. Voici, dit-il, que nous avons tout quitté pour te suivre (Mt 19,27). Et à l’adresse de Marie ayant souffert avec son fils en croix, il est dit : Et toi-même, un glaive transpercera ton âme (Lc 2,35). Il y a en effet deux sortes de martyres et de souffrances : l’une d’esprit et l’autre de corps. La souffrance en esprit n’est pas moindre que la souffrance de corps. Pierre et Paul sont donc égaux pour ce qui est des souffrances. Pareillement on peut en conclure qu’il y a aussi pour eux équivalence de peines endurées.
Manière de vivre de Pierre et Paul 13. Pour ce qui est de la manière de vivre, par contre, il semble que Paul surpasse Pierre, puisqu’il le dit répréhensible (cf. Ga 2,11). Or celui qui réprimande est plus grand que celui qui est réprimandé, si celui-ci l’est avec raison et si le premier s’efforce de redresser équitablement, comme il se doit. Mais le point sur lequel Pierre a été réprimandé n’avait pas entaché sa manière de vivre et n’avait pas comporté un péché. Car cela ne concernait pas ce qui n’est pas permis mais ce qui ne convient pas. C’est pourquoi saint Jérôme dit que Paul réprimanda Pierre au sujet d’une simulation, qui n’en était pas une véritable, mais un ménagement de circonstancea. Pierre et Paul sont donc égaux pour ce qui est de leur manière de vivre. Car le blâme de Paul ne porte pas préjudice à la manière de vivre de Pierre. « Oui, on ne sait pas lequel faire passer en premier. Je pense qu’ils sont égaux en mérites et en gloire eux qu’un même jour, un unique lieu, un unique persécuteur ont honoré de la gloire du martyre, ainsi qu’il est écrit : Le jour est considéré comme l’expression de leur mérite, le lieu comme l’expression de leur gloire, le persécuteur comme celle de leur courageb. » Par leurs prières et leurs mérites, puissions-nous leur être unis dans les cieux, nous qui nous réjouissons aujourd’hui sur terre de leur victoire. Amen. a b
Voir Augustin, Lettres 75,4 et 82,4. Maxime de Turin, Sermon 1,2.
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SERMON 136 POUR LA SOLENNITÉ DES APÔTRES PIERRE ET PAUL
De nombreux animaux sont cités dans ce texte : colombe, aigle, lion, vautour, coq, bête sauvage. Plusieurs d’entre eux symbolisent le Christ ou l’homme spirituel que nous devons devenir à l’exemple des saints apôtres. Les caractéristiques de l’aigle et du lion, en particulier, sont présentées comme des modèles à imiter, en les comprenant de façon symbolique.
Saül et Jonathan : Pierre et Paul 325
1. Saül et Jonathan, aimables et charmants durant leur vie, sont demeurés inséparables dans leur mort même (2 S 1,23). Dans l’ancien Testament, c’est-à-dire dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes (cf. Lc 24,44), dans les livres des Rois et des Juges, bien des choses ont une signification symbolique non seulement en référence au Christ mais également en référence aux apôtres. Par Saül, le plus ancien, c’est Pierre qui est représenté ; par Jonathan, le plus jeune, c’est Paul. Pierre est identifié au père ; Paul, au fils. Bien qu’il ne s’agisse pas de génération charnelle, Paul était en effet, par régénération spirituelle, fils de Pierre, car il fut baptisé par l’Église dont le pasteur et le chef était Pierre.
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Sermon 136
2. Saül tient parfois le rôle du Christ, parfois celui du démon ou bien celui des apôtres ou encore celui des Juifs. Saül se traduit par ‘réclaméa’ et désigne tout élu que le Fils demande au Père, comme dit le psalmiste : Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage (Ps 2,8). Pierre est plus particulièrement demandé non seulement par le Seigneur mais également par le démon, comme le dit la Vérité en personne : Voici que Satan vous a réclamé pour vous cribler comme du froment (Lc 22,31). 3. Quant à Jonathan, qui se traduit par ‘don de la colombeb ’, il désigne Paul. Il était bien le don de la colombe, car, tandis qu’il avait des lettres qui l’autorisaient à enchaîner et à mettre à mort tous ceux qui invoquaient le nom du Seigneur, le Christ lui apparut sur le chemin (cf. Ac 9,2‑14) ; et, après lui avoir ôté la lumière de la méchanceté, il lui donna la lumière de la connaissance et les dons de l’Esprit : sagesse et intelligence, conseil et force, science et piété, et esprit de crainte du Seigneur (cf. Is 11,2). Il terrassa Saul et mit Paul debout. Voilà le don de la colombe.
Interprétation symbolique 4. Saül et Jonathan aimables et charmants (2 S 1,23). Cinq valeurs leur sont ici attribuées, qui mettent particulièrement en relief la grandeur des saints apôtres Pierre et Paul. La charité, quand on dit qu’ils étaient aimables. La chasteté, quand on dit qu’ils étaient charmants. La constance, lorsqu’on dit qu’ils ne furent pas séparés dans la mort. La contemplation, lorsqu’on précise qu’ils étaient plus rapides que des aigles. La persévérance, quand on ajoute qu’ils étaient plus vaillants que des lions (2 S 1,23). Bien que nous puissions parler assez longuement de chacune d’elle, parcourons-les brièvement.
a b
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 14. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 33.
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Sermon 136
Charité 326
5. La charité se répartit en amour pour Dieu et en amour pour le prochain (cf. Mt 22,37‑39). Il y a un commencement, un progrès, une perfection de la charité. En premier lieu, Dieu doit être aimé plus que nous-mêmes. En deuxième lieu, nous devons nous aimer nous-mêmes plus que notre parenté et nos prochesa. En troisième lieu, notre parenté et nos proches plus que les autres amis. En quatrième lieu, nos amis plus que ceux qui nous sont étrangers, ni amis ni ennemis. En cinquième lieu, ceux qui nous sont étrangers plus que ceux qui nous sont ennemis. En sixième lieu, nos ennemis. Aimer des amis est meilleur qu’aimer des ennemis, mais il est plus vertueux et plus parfait d’aimer les ennemis que les amis. Peu de gens font ceci, tandis que beaucoup font cela. Mais comment garder cet ordre dans la charité, alors qu’il nous est prescrit d’aimer tous nos prochains autant que nous-mêmes (cf. Mc 12,31) ? 6. L’ordre cité doit donc être gardé dans la charité, et il faut aimer n’importe qui comme nous-mêmes. Pourtant, nous devons nous aimer nous-mêmes plus que nos ennemis ou amis, mais eux comme nous-mêmes. ‘Comme’ est un adverbe qui indique la similitude, non la quantitéb. Car nous aimons tout le monde comme nous-mêmes, lorsque nous aspirons pour tous au bien que nous désirons pour nous-mêmes. Nous pouvons cependant aspirer aux mêmes biens pour nous-mêmes et pour les autres, bien que davantage pour nous-mêmes que pour les autres. Car rien n’empêche que les mêmes biens arrivent à diverses personnes de diverses manières. Mais comme il en est beaucoup qui font passer l’amour charnel avant l’amour spirituel, une telle possibilité est écartée de Pierre et Paul par la formule : aimables et charmants durant leur vie (2 S 1,23), c’est-à-dire dans le Christ qui était leur propre vie, ainsi que Paul le dit : Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un gain (Ph 1,21). Et le Seigneur lui-même : Je suis la Voie, la Vérité et la Vie (Jn 14,6).
a b
Il se pourrait qu’Aelred suive ici une source (non identifiée). Voir Miroir de la charité, III,100.
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Sermon 136
Chasteté 7. L’expression ‘charmants’ (cf. 2 S 1,23) est à comprendre dans le sens de pureté. Elle comporte deux aspects : que nous soyons chastes de corps et d’esprit. Car c’est en vain qu’il a un corps chaste celui qui a un esprit souillé. Cette vertu est d’autant plus nécessaire à tous que, sans elle, aucune autre vertu n’est profitable. Si quelqu’un met une boisson saine dans un récipient sale, le convive invité pince les narines et refuse la boisson ou le mets. De la même manière, notre Seigneur souhaite être rassasié par nos œuvres bonnes ; si nous les avons offertes dans des corps impurs, il dédaigne nos plats et nos mets. Oui, sans pureté, toutes nos œuvres bonnes – qui paraissent bonnes – sont souillées, comme il est écrit : Tout est pur pour les purs, mais pour ceux qui sont souillés… (Tt 1,15), et la suite. Or, la pureté est à garder non seulement par la chasteté, mais également dans les mains, sur la langue, dans les yeux et dans tous les membres. C’est pourquoi l’Écriture dit : En tout temps, que tes vêtements soient blancs (Qo 9,8). Tes vêtements, est-il dit, et non ‘ton vêtement’. Ce que fut la pureté des apôtres Pierre et Paul, nous ne sommes pas capables de l’exposer. Ils conservèrent toujours la pureté, ils la prêchèrent sans cesse, ils dénoncèrent sans relâche les impurs, ils recommandèrent chaudement les vierges. Lis leurs écrits et tu y trouveras cela.
Constance 8. Ensuite : Dans la mort ils sont demeurés inséparables (2 S 1,23). Voilà la constance. C’est une vertu royale, symbolisée par la pourprea ; il nous est commandé d’offrir celle-ci dans la Tente du Seigneur (cf. Ex 26,1), c’est-à-dire de garder la constance dans notre corps, qui est sa tente (cf. 1 Co 6,19). Le fruit de la constance, l’Écriture ne le cache pas. Dans un psaume, on lit : La constance des pauvres ne périra pas à jamais (Ps 9,19). Et le Seigneur dans a
Cf. Sermon 101,17.
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Sermon 136
l’Évangile : Vous posséderez vos âmes par la constance (Lc 21,19). Et Jacques : La constance accomplit une œuvre parfaite (Jc 1,4 vg). De là vient que Salomon dit encore : Mieux vaut un homme qui a de la constance qu’un homme valeureux (Pr 16,32). Et : Malheur à ceux qui ont perdu l’endurance (Si 2,14) ! Que dirons-nous de la constance de ces apôtres ? Ils ont accueilli avec empressement la mort pour le Christ, désirant s’en aller et être avec le Christ (Ph 1,23). Et même après de nombreux tourments, ils ont remporté la victoire, l’un par la croix, l’autre par le glaive.
Contemplation
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9. On les dit plus rapides que des aigles et plus vaillants que des lions (2 S 1,23). Sont ainsi mises en évidence la contemplation et la persévérance. Par l’aigle en effet est parfois désigné le Christ, de même que par les quatre fameux animaux spirituels (cf. Ez 1,5). Et aussi par un oiseau, comme dans ce passage de Job : L’oiseau en ignore le sentier, et l’œil du vautour ne l’aperçoit pas (Jb 28,7). Par les aigles sont désignés les hommes spirituels. À leur propos la Vérité dit : Là où sera le corps, là aussi se rassembleront les aigles (Mt 24,28). Et le bienheureux Job : Sur ton ordre l’aigle s’élèvera, et il placera son nid sur les hauteurs (Jb 39,27). Et le Seigneur dans la Loi : Vous avez vu ce que j’ai fait aux Égyptiens, et comment je vous ai portés sur des ailes d’aigles et je vous ai pris pour moi (Ex 19,4). On dit ici ‘aigles’ en référence à Moïse et Aaron qui s’élevèrent par la contemplation vers les réalités d’en haut, ou bien on appelle ‘aigles’ l’enseignement des deux Testaments. 10. C’est à bon droit que l’homme spirituel est assimilé à un aigle. Celui en effet qui connaît les caractéristiques de l’aigle pourra le constater. Car l’aigle vole plus vite et plus haut que les autres oiseaux. Quand il a vieilli, il s’approche du soleil jusqu’à ce que ses vieilles plumes soient brûlées par la chaleur du soleil ; quand elles sont tombées, les nouvelles commencent à pousser, et ainsi l’aigle rajeunit. De plus, quand il a pris une réfection, il peut pendant longtemps s’abstenir de nourriture, et il en a l’habitude. Il fait la
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Sermon 136
chasse au vautour, l’attrape et le mange. Il fixe du regard les rayons du soleil sans que ses yeux en soient éblouis. Qu’est-ce que cela sinon les caractéristiques d’un homme spirituel ? Il vole plus vite par l’obéissance, plus haut par la prière et la méditation sainte. Il s’approche du Soleil et se défait de sa vétusté par la confession. Il s’abstient de nourriture par la sobriété. Par l’aumône il poursuit le vautour, c’est-à-dire le démon. Par la contemplation il porte ses regards sur les rayons du vrai Soleil.
Déviances monastiques 11. Par conséquent, celui qui obéit à contrecœur, avec lenteur, paresse ou en murmuranta, ne vole pas vite : ce n’est pas un aigle. Celui qui n’est pas appliqué à la prière et à la lecture – par l’une il a le moyen de s’entretenir avec Dieu, et par l’autre c’est Dieu qui a le moyen de s’entretenir avec lui – ne vole pas haut : ce n’est pas un aigle. Celui qui fait peu de cas des fautes minimes – ce que Salomon déconseille en disant : « Mon fils, tu as évité les fautes graves, mais prends garde qu’un monceau de sable ne t’écraseb » ; et ailleurs l’Écriture dit : Qui sous-estime les petites choses, peu à peu déchoit (Si 19,1) – et par là même néglige la confession, celui-là ne se débarrasse pas de ses vieilles plumes : ce n’est pas un aigle. Celui qui mange avant l’heure fixéec, ou bien apprête ses aliments plus souvent ou d’une autre manière que les autres, n’est pas un aigle. Celui qui ne fait pas la chasse au démon par l’aumône n’attrape pas le vautour et n’est donc pas un aigle. Celui qui n’aime pas la contemplation mais le vagabondage des penséesd ne fixe pas les yeux sur les rayons du Soleil : ce n’est pas un aigle.
Cf. Règle de saint Benoît 5,14. Cet adage, souvent cité au 12ème siècle, est sans doute inspiré de saint Augustin (Commentaire sur les psaumes 39,22 ; Commentaire sur l’Évangile de Jean 12,14). c Cf. Règle de saint Benoît 43,18. d Cf. Sermon 43,24‑27. a
b
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Sermon 136
Persévérance
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12. À quel point ces privilèges sont gardés par les saints apôtres Pierre et Paul, leurs œuvres en témoignent plus que nos paroles ne peuvent l’attester. Car nous sommes incapables de dire combien ils ont embrassé par la persévérance non seulement ces vertus-ci mais également beaucoup d’autres. C’est pourquoi on ajoute : plus vaillants que des lions (2 S 1,23). La persévérance est en effet le couronnement de toutes les œuvres bonnes. Rien ne sert de commencer si on ne va pas jusqu’au bout (cf. Lc 14,30). Il en est beaucoup qui se mettent à bien agir et qui ne persévèrent pas. La persévérance moissonne et rassemble tout le bien que quelqu’un a accompli, selon la parole du Seigneur qui dit : Celui qui moissonne reçoit une récompense (Jn 4,36). Et : Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé (Mt 10,22). C’est la force des saints, dont le psalmiste dit : Ma force, je la garderai pour toi (Ps 58,10). C’était celle des saints apôtres dont nous avons dit qu’ils étaient plus vaillants que des lions. 13. Lorsque le lion a goûté plus de viande qu’il n’en avait besoin et qu’il est poursuivi par un chasseur et une meute de chiens, il a d’instinct l’habitude de retirer de sa gueule, au moyen de ses griffes, les chairs dévorées. Il fait preuve d’une grande clémence. Il épargne ceux qui sont renversés à terre, il sévit contre les hommes qui résistent, il est touché de miséricorde devant les femmes et les enfants. Son courage se situe dans la poitrine et sa fermeté dans la tête. Il craint les chants des coqs et les fracas des roues, mais plus encore les brandons enflammés. Lorsqu’il chasse une proie, il délimite le terrain à la manière d’un cercle, la queue baissée à terre ; ensuite, pour ne craindre aucune bête sauvage, il se frappe lui-même avec sa queue ; puis il émet un terrible rugissement, et ainsi en toute sécurité il attaque n’importe quelle proiea .
Ces détails, dus à Pline le Jeune dans son Histoire Naturelle, seront repris de manière symbolique dans les paragraphes suivants. a
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Sermon 136
Qualités de l’homme spirituel 14. Le lion représente parfois le Christ, parfois le démon, parfois l’un des parfaits, parfois les impies, comme nous le savons par des exemples. Telles sont les caractéristiques d’un homme spirituel et courageux. Quand il a goûté les chairs plus que de raison, il les retire de sa bouche au moyen de ses ongles, ce qui veut dire ceci : quand il est tombé dans une conduite charnelle, il s’efforce de la rejeter de toute manière par les reproches qu’il se fait et par le renoncement, de peur d’être capturé par les ennemis malveillants qui le poursuivent. 15. On dit que le lion est d’une grande clémence ; c’est ainsi que l’homme spirituel doit être. Telle est en effet la vertu qui a fait descendre le Fils de Dieu du ciel vers la terre. À ce propos, le Seigneur lui-même répondit à Pierre qui l’interrogeait pour savoir si la faute serait remise sept fois à celui qui demande grâce : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois (Mt 18,22). Il épargne ceux qui sont renversés à terre, il sévit plus durement contre les hommes qui résistent, selon cette parole : Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles (Jc 4,6). Et il est dit d’Achab qui s’était humilié : As-tu vu comme Achab s’est humilié devant moi ? C’est pourquoi je ne ferai pas venir le malheur durant ses jours (1 R 21,29). De Sennachérib qui se rebellait et résistait, il est dit : À qui as-tu fait des reproches, contre qui as-tu levé ta nuque, n’est-ce pas contre le Saint d’Israël (2 R 19,22). À cause de cela, je passerai un anneau à tes narines et un mors à tes lèvres, et je te ramènerai par la voie par laquelle tu es venu (2 R 19,28). 16. Il manifeste de la miséricorde envers les faibles et les innocents, selon cette parole : Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (Mt 5,7). Et encore : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice (Mt 9,13). Il possède son courage dans la poitrine, puisqu’il a toujours à l’esprit et dans son désir profond celui qui est Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu (cf. 1 Co 1,24). C’est en ce sens qu’il est commandé, par un droit perpétuel, de réserver à l’usage du prêtre la poitrine de l’animal offert en sacrifice (cf. Ex 29,27‑28). Il possède la fermeté dans sa tête, ce qui veut dire qu’il
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Sermon 136
a une foi solide, accompagnée d’espérance et d’amour, dans le Christ qui est la Tête de tous les croyants, comme dit l’Apôtre : La tête de la femme, c’est l’homme ; la tête de l’homme, c’est le Christ ; la tête du Christ, c’est Dieu (1 Co 11,3).
Ce que redoute le lion
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17. Il craint les chants des coqs. C’est un bon coq que le Christ, comme dit Ambroise : « Au chant du coq, l’espoir revient. » Et : « Le coq relève les gisants, le coq dénonce les renégatsa . » Le bon lion le craint, selon ce que dit le prophète : La crainte du Seigneur, rempart des saints b. Les bons coqs, ce sont les prêtres. L’homme spirituel les craint, les révère et les vénère. Il ne repousse pas leur réprimande, mais il l’accepte dans la crainte et le désir de faire amende honorable. Les mauvais coqs, ce sont les démons, qui ne cessent de susurrer le mal aux oreilles des saints, et ceux-ci ont à craindre qu’ils ne jettent en nous de mauvaises semences. Mauvais coqs sont les détracteurs, les flagorneurs, les murmurateurs. Ceux-là sont des agents des démons. Tous ceuxlà, maîtres et agents, le lion spirituel les poursuit d’une haine implacable. 18. Les fracas des roues, ce sont les voies des impies. L’homme spirituel craint d’aller sur ces voies, et même d’entendre parler les impies ou de les voir. Mais il craint plus encore les brandons enflammés. On comprend par là les peines de l’enfer, comme dit le bienheureux Job : Ils passeront des chaleurs des brandons enflammés aux froidures des neiges (Jb 24,19 vg). La rotation des roues désigne la façon de marcher des impies, selon ce que dit un psaume : Les impies tournent en rondc. Il y a aussi d’autres roues qui, elles, sont prises en bonne part.
D’une hymne liturgique. Pr 10,29, d’après la version de la Septante. c Ps 11,9 vg ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 11,9 ; Bernard de Clairvaux, Sur le psaume 90, Sermon 12,1. a
b
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Sermon 136
Méthode de combat 19. Quand le lion s’applique à chasser une proie, il délimite le terrain, sa queue baissée à terre, de telle manière que les bêtes sauvages enfermées dans le cercle n’osent pas en sortir, et que celles du dehors n’osent pas y entrer. Les bêtes sauvages représentent les suggestions et les pensées mauvaises : lorsque le lion spirituel s’efforce de les anéantir, il délimite le terrain à la manière d’un cercle au moyen de sa queue. La queue est la partie postérieure d’un corps, et désigne les dernières œuvres auxquelles le démon tend toujours des embûches. Il ne se soucie pas de ce que tu as été auparavant, du moment que tu finisses par lui appartenir. Comme il est écrit : Lui tendra des embûches à son talona . Nous devons donc faire un cercle au moyen de notre queue, c’est-à-dire par nos dernières œuvres, et y prendre les bêtes féroces. 20. Le cercle, c’est la vie du juste et son bon comportement, sans aucune saillie d’orgueil ni angle de duplicité. Ce cercle, nous avons à le faire par l’interconnexion des vertus les unes aux autres, selon ce mot de Grégoire : « Une vertu sans l’autre est très peu de chose, ou elle n’est rien du tout. À quoi peut servir une virginité superbe ou une humilité souilléeb ? » Il est donc juste d’assimiler un bon comportement à un cercle, car le cercle n’a ni commencement ni fin ; mais partout où tu le veux, tu peux marquer son début ou sa fin. Ainsi, une bonne manière de vivre n’a pas de limite au bien agir ; mais partout où tu l’aperçois, tu trouves le début de ce qui est à bien vivre et la fin de ce qui est à parachever. Si on laisse des bêtes sauvages pénétrer à l’intérieur de ce cercle, elles y demeurent encloses : les mauvaises pensées n’en sortent pas, mais elles sont capturées et meurent là-dedans.
a Gn 3,15 : le talon de la femme signifie la fin de l’œuvre bonne de même que la dernière étape d’une vie, auxquelles précisément s’attaque le démon ; cf. Bède le Vénérable, Sur la Genèse 1,3,15. b Grégoire le Grand, Morales sur Job 21,3,6.
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Sermon 136
Le cercle des vertus
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21. Si un certain orgueil vient à s’insinuer dans la pensée, il ne peut passer à l’acte. Car à l’intérieur du cercle l’humilité s’y oppose et dit : ‘Moi présente, tu ne sortiras pas ; tu mourras ici dedans.’ Si l’avarice se glisse dans la pensée, elle ne peut déboucher dans l’action. Car dans le cercle des vertus la générosité lui tient tête et dit : ‘Tu ne sortiras pas ; tu mourras ici dedans.’ Si l’impureté souille l’âme par l’une ou l’autre suggestion, elle aussi est empêchée de passer à l’acte. Car la chasteté est présente dans le cercle et dit : ‘C’est en vain que tu déploies tes efforts, tentation ennemie. Moi, je résiste. Moi, je suis plus forte. Moi, je l’emporte sur toi. Ce n’est pas par moi que tu sortiras, tu demeureras prisonnière ici dedans.’ Et remarque la même chose à propos des autres (vices). De la même manière, les vices – qui sont des bêtes féroces –, s’ils ne sont pas admis auparavant dans la pensée, ne peuvent pas s’introduire par le cercle des vertus. Celles-ci résistent, elles ne supportent pas de livrer passage aux vices. 22. Ayant délimité le terrain avec sa queue, le lion se frappe luimême avec sa queue pour ne craindre aucune bête sauvage. Le lion spirituel, lui, se frappe avec sa queue lorsqu’un homme spirituel, prenant conscience de ses œuvres moins parfaites, moins saintes, se juge lui-même, se condamne lui-même, s’accuse lui-même devant le souverain Juge, se proclame pécheur, se déclare pauvre et malheureux. Celui qui s’accuse ainsi, dans la contrition de son cœur, par la sincère et pure confession de sa bouche, devant Dieu et celui qui en tient la place, fera entièrement disparaître les suggestions des démons et les nuisibles subreptions des pensées. Cela étant, après que les vertus aient été conjointes, après que chacun se soit jugé et accusé soi-même, toute pensée, toute tentation, dès qu’elle apparaîtra, sera aussitôt mise en déroute, réduite à néant et dissoute. Celle qui est enfermée à l’intérieur ne pourra pas sortir, celle qui est à l’extérieur ne saura pas entrer, mais il en tombera mille à ses côtés et dix mille à sa droite (Ps 90,7). Un seul en met mille en fuite, et deux, dix mille (Dt 32,30). Ainsi également, l’homme spirituel, tel le lion, le plus vaillant des animaux, n’aura à redouter aucune intrusion.
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Sermon 136
Et nous ? 23. Et nous, frères, nous qui proclamons bien haut les éloges de ces apôtres – tous deux non seulement comparés à des aigles et à des lions mais célébrés aussi comme plus rapides que des aigles et plus forts que des lions –, nous qui avons leur enseignement, nous qui lisons souvent leur vie, selon nos moyens essayons de leur ressembler, imitons leurs exemples, attachons-nous à leurs vertus. Oui, il honore véritablement leur fête celui qui imite leurs œuvresa. Les glorieux princes, Pierre et Paul, unis dans la fermeté de la foi et la sincérité de la charité, sont demeurés inséparables dans leur mort même (2 S 1,23). Afin donc de vivre éternellement avec eux, persévérons dans une authentique charité. Que notre Seigneur Jésus Christ daigne nous l’accorder, lui qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.
a
Cf. Sermons 18,4 ; 23,15 ; 27,22 etc.
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SERMON 137 POUR LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Ce sermon reprend quasi textuellement le sermon 44, mais avec une tonalité particulière.
Joyeux dans l’espérance 334
1. Toutes les fêtes des saints, telles qu’elles ont été établies dans l’Église, nous devons les célébrer avec joie et dévotion, mais surtout celles qui tirent leur autorité de l’Évangile et pas seulement des Pères qui les ont instituéesa. La fête de saint Jean-Baptiste s’appuie sur l’autorité de l’Évangile. Ainsi l’ange dit : Et beaucoup se réjouiront de sa naissance (Lc 1,14). Ils sont ceux-là, nombreux, dont le Seigneur a dit : Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume de Dieu (Mt 8,11). Puis donc que nous sommes de leur nombre, réjouissons-nous de la naissance de saint Jean. 2. Que notre joie cependant ne soit pas placée dans les choses qui font habituellement la joie des gens du monde : les vêtements de prix, les nourritures recherchées, et toutes sortes de choses vaines. Ces choses sont toutes à l’extérieur, et ces gens-là sortent a
Cf. Sermons 105,1 : 131,1 etc.
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Sermon 137
en dehors d’eux-mêmes, ils soignent le corps qui est à l’extérieur et ils négligent l’âme qui est à l’intérieura. Or, notre gloire et notre joie doivent être à l’intérieur, car l’âme requiert de nous davantage de soin que la chair. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience (2 Co 1,12). Il est également nécessaire que, d’une certaine manière, notre joie ne soit pas sans mélange, comme dit le même Apôtre : Soi-disant tristes, nous sommes pourtant toujours joyeux (2 Co 6,10). Qui pourrait en cette vie posséder la joie parfaite ? Le corps nous alourdit (cf. Sg 9,15), le démon nous tourmente, la tentation nous trouble. Nous avons pourtant grande joie dans l’espérance que nous avons dans le Seigneur, par qui nous serons délivrés de ces maux et nous parviendrons à la joie parfaite
Tristesse dans les tribulations 3. À propos de cette tristesse et de cette joie, le Seigneur nous donne une comparaison : Lorsqu’une femme enfante, dit-il, elle est dans la tristesse (Jn 16,21). Cette femme symbolise l’âme qui enfante des fils spirituels, dont le prophète dit : Tes fils, comme de jeunes plants d’olivier (Ps 127,3). Les fils, ce sont les œuvres bonnes. Ainsi donc, de même que, lorsqu’une femme enfante, elle est dans la tristesse en raison de la douleur qu’elle éprouve, mais qu’elle est dans la joie en raison de l’espérance qu’elle a d’enfanter, de même nous aussi, nous sommes dans la tristesse dans cet enfantement spirituel à cause des inquiétudes et des tentations – car sans eux nous ne pouvons pas accomplir d’œuvres bonnes –, mais nous devons être dans la joie à cause de l’espérance de la béatitude que nous aurons grâce aux œuvres bonnes que nous accomplissons actuellement dans la tristesseb. 4. Nous devons par conséquent non seulement nous réjouir de la récompense que nous attendons en échange de ces afflictions, Sur ce thème intérieur-extérieur, voir La vie de recluse 25 et Sermons 9,39 ; 25,5‑6 ; 26,15 ; 59,7 etc. b Cf. Homélies sur les fardeaux 9,7. a
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mais également d’être trouvés par là dignes d’endurer quelque peine pour notre Seigneur, et de pouvoir ainsi lui rendre quelque chose en échange des peines qu’il a endurées pour nous, comme il est écrit au sujet des apôtres : En sortant du Conseil, les disciples étaient tout joyeux (Ac 5,41). Oui, frères, je ne sais si quelqu’un peut posséder dans sa conscience cette joie dont nous parlons, sans voir qu’il a enduré quelque chose pour le Seigneur. Lors des fêtes des saints, nous pouvons donc nous réjouir dans la mesure où nous voyons que nous suivons l’exemple de leur foi, de leur conduite et des peines qu’ils ont supportées pour le Seigneur.
Jean-Baptiste et nous 5. Regardons maintenant la vie et la conduite de cet homme dont nous célébrons aujourd’hui la fête et, dans la mesure où notre vie est en accord avec la sienne, réjouissons-nous. Il s’était enfui au désert (cf. Ps 54,8), car il n’a pas voulu vivre parmi les gens du monde. Il était habillé de poils de chameau, car il ne se souciait pas de vêtements luxueux et moelleux. Il mangeait des sauterelles et du miel sauvage (Mc 1,4‑6), car il ne recherchait pas les mets gras et raffinés. Remarquez qu’il vivait dans l’éloignement du monde, qu’il avait des vêtements rugueux ainsi qu’une nourriture grossière et réduite. Je pense que vous constatez avec joie que notre vie concorde largement avec la sienne. Vous êtes éloignés du monde, vous vous habillez de vêtements grossiers, vous vous nourrissez de mets âpres au goût. N’est-il donc pas juste que vous participiez à sa joie, vous qui imitez sa vie ?
D’où venait la joie de Jean-Baptiste ? 6. Mais d’où venait sa joie ? Sa joie ne put venir de ces réalités tout extérieures, puisqu’il ne trouvait en elles que labeurs et austérités. Tous l’admiraient et le louaient de ce qu’il vivait de cette façon. Était-ce peut-être de cela qu’il se réjouissait ? Beaucoup ré-
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agissent ainsi. Ils ne se réjouissent pas d’avoir bien agi, mais d’être grandement loués. Tel ne fut pas le bienheureux Jean. Car s’il avait été tel, n’aurait-il pas accepté les louanges des hommes qui le prenaient pour le Christ (cf. Lc 3,15) ? Mais lui-même les dissuadait de croire cela, lorsqu’il disait : Celui que vous pensez que je suis, je ne le suis pas (Ac 13,25). Vous voyez bien qu’il ne trouvait manifestement pas sa joie dans la louange humaine ! Mais alors, d’où lui venait sa joie ? Qu’il nous le dise lui-même, qu’il nous montre luimême ce que nous devons désirer. 7. Celui qui a l’épouse, c’est l’époux, dit-il ; quant à l’ami de l’époux, il se tient debout, il l’entend et il est ravi de joie à la voix de l’époux (Jn 3,29). Le Christ, il l’a appelé époux. Mais de qui est-il l’époux ? De l’âme, évidemment ! Qui peut faire de l’âme de l’homme son épouse sinon notre Seigneur ? Qui peut s’unir l’âme humaine, faire un avec elle et la faire participer à sa joie et à sa douceur, sinon le Christ ? Ainsi donc, il dit : Celui qui a l’épouse, c’est l’époux. Et saint Jean, qu’était-il ? Écoute ce qu’il était : L’ami de l’époux. Grand est ce Jean qui est l’ami de Jésus Christ ! Qui pourrait être plus grand que l’ami du Christ ? Il a des serviteurs, il a des amis (cf. Jn 15,15). Que peut-il avoir de plus ? Certainement pas de maître ni de père. Absolument personne ne peut être plus grand que son ami. Oui, parmi ceux qui sont nés de la femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste (Mt 11,11).
L’ami de l’époux 8. L’ami de l’époux se tient debout (Jn 3,29). Il ne se déplace pas, il ne chancelle pas, il n’est pas allongé par terre, mais il se tient debout. Voilà pourquoi l’un des amis de l’époux dit : Il est vivant, le Seigneur en présence de qui je me tiens debout (1 R 17,1). Heureux celui qui se tient debout en présence du Seigneur. Nombreux sont ceux qui se tiennent debout en présence des hommes, mais qui demeurent allongés à terre en présence du Seigneur. Quant à l’ami, il se tient debout. Il tombe, celui qui passe d’une vie bonne à une vie mauvaise. Il est allongé par terre, celui qui colle aux vices,
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aux péchés et aux désirs charnels. Mais l’ami de l’époux se tient debout : il garde la voie droite, il ne dévie ni à droite ni à gauche (cf. Is 30,21), il ne se courbe pas vers la terre. Tel fut ce bienheureux homme (cf. Ps 1,1). Il ne vola pas vers les hauteurs, il ne déclina pas vers les profondeurs, voilà pourquoi il se tint debout. 9. Il voulut voler vers les hauteurs, celui qui a dit : Je placerai mon trône du côté de l’aquilon, et je serai semblable au Très Haut (Is 14,14 vg). On incitait Jean à voler quand on lui demandait : Es-tu le Christ (cf. Jn 1,19) ? Il ne voulut pas voler mais se tenir debout à la place où le Seigneur l’avait mis. Je ne suis pas le Christ (Jn 1,20), dit-il. Ô combien malheureux est Adam, lui qui ne voulut pas se tenir à la place où son Seigneur l’avait mis, mais voulut voler et être comme Dieu (cf. Gn 3,5) ! Il ne voulut pas être ami mais égal. Aussi, d’ami devint-il vil esclave. Jean, lui, eut la possibilité d’être pris pour le Christ et ne le voulut pas. Aussi, d’esclave devint-il ami.
Différentes manières d’entendre l’époux 10. L’ami se tient debout et il l’entend (Jn 3,29). Heureux qui peut entendre l’époux ! Seule l’âme qui est épouse peut le faire. Certains l’entendent en tant que roi, d’autres en tant que juge, d’autres en tant que maître. Mais l’ami de l’époux, celui dont l’âme est amie et épouse du Christ, celui-là l’entend en tant qu’époux. Adam l’entendit se promener dans le paradis ; il l’entendit comme son juge, il eut donc peur et se cacha (cf. Gn 3,8‑10). Il l’entendit en tant que roi celui qui a dit : Tu es mon Roi (Ps 43,5). Moïse l’entendit en tant que maître quand il lui fut dit : Va, et fais tout selon l’exemple que je t’ai montré sur la montagne (Ex 25,40). L’âme qui peut dire : J’entendrai ce que dit en moi le Seigneur Dieu (Ps 84,9) l’entend comme époux. L’ami de l’époux se tient debout là où il l’entend, et il est ravi de joie à la voix de l’époux (Jn 3,29). Ô combien intérieure est cette joie ! Toute sa gloire vient du dedans (Ps 44,14). C’est là au-dedansa, c’est là qu’il se réjouit à la voix de l’époux. a
Cf. Sermon 64,14.
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11. De même que vous avez constaté que vous participez aux austérités supportées par saint Jeana, de même voyez comment vous participez à sa joie – celle qui est au-dedans, non à l’extérieur –, vous qui avez l’habitude d’entendre la voix de l’époux au-dedans et de vous réjouir à sa voix (cf. Jn 3,29). D’où viennent souvent vos larmes, vos soupirs, sinon du fait que vous entendez au-dedans je ne sais quoi de doux, je ne sais quoi de délectable ? Comme vous le lisez en Ézéchiel, une voix secrète vient parfois à l’âme, et elle vient soit d’en dessous du firmament, soit du firmament, soit d’au-dessus du firmament (cf. Ez 1,22‑25).
Comment le Seigneur parle à l’âme 12. Parfois le Seigneur fait sentir à l’âme quelque chose de sa douceur en lui faisant considérer la beauté de sa création, et considérer de la sorte combien est beau Celui qui a créé de si belles chosesb. Mais c’est la voix qui est sous le firmament. La créature spirituelle que le Seigneur a faite est elle-même un firmament et elle est appelée ‘ciel’ (cf. Gn 1,8) en raison de l’unicité, et parfois ‘cieux’ en raison de la multiplicité. Considérez quelle grande joie naît dans l’âme quand elle peut voir avec quelle miséricorde, avec quelle douceur notre Seigneur est admirablement à l’œuvre dans les cieux, dans ce firmament. 13. Comme l’âme est dans la joie quand elle considère que des pêcheurs (cf. Mt 4,18) sont chefs du monde entier, quand elle voit un publicain être évangéliste (cf. Mt 9,9), des ravisseurs (cf. Ac 8,3) être changés en prédicateursc ! Et qu’en est-il lorsque le Seigneur lui met devant les yeux l’immense miséricorde avec laquelle il a œuvré en elle ? Quand celui qui jadis était débauché, adonné au vin, colérique et orgueilleux, voit qu’il est désormais devenu chaste, sobre, patient et humble ? Qui est celui à qui le Seigneur dit cela dans le cœur et montre une telle miséricorde qui ne se Cf. paragraphe 5. Voir grégoire le grand, Homélies sur Ézéchiel 1,8,14. c Cf. Sermon 71,3. a
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réjouirait pas de cette voix de l’époux (cf. Jn 3,29) ? C’est la voix qui vient du firmament.
Le Seigneur illumine l’âme de sa présence 14. D’autre part, quand le Seigneur illumine cette âme de sa présence et lui révèle ses secrets d’une manière admirable – tantôt à propos des Écritures, ou de la joie du ciel, de sa douceur, de ses mystères ou de ses desseins – alors l’âme entend la voix d’au-dessus du firmament, parce que ce n’est ni par l’intermédiaire d’une créature du monde, ni par un homme, ni par un ange, mais par sa propre présence qu’il fait entendre à l’âme ce qu’il lui plaîta. C’est de cette manière que Paul a entendu les mystères de l’Évangile, lui qui dit : Non de la part des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme (Ga 1,1). Et encore : L’Évangile que j’ai annoncé n’est pas de moi, et je ne l’ai pas reçu d’un homme (Ga 1,11‑12).
La joie de l’ami de l’époux
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15. Sans aucun doute, c’est bien une telle voix que cet ami de l’époux a entendue. Et il l’a entendue très tôt. Dans le sein de sa mère il a entendu la voix de l’époux (cf. Jn 3,29). C’est pourquoi il s’en est réjoui, comme l’a dit sa mère à la bienheureuse Marie : Dès que ta parole de salutation a retenti à mes oreilles, l’enfant a exulté dans mon sein (Lc 1,44). Remarquez-le, frères, quelle joie n’a-t-il pas eue dans son cœur quand il l’a vu, quand il l’a touché de ses mains, quand il a vu le Saint-Esprit descendre sur lui comme une colombe, quand il a entendu la voix du Père venant du cielb, lui qui a déjà éprouvé une si grande joie dans le lieu resserré du sein maternel ! Quelle joie n’a-t-il pas eue quand il a vu et éprouvé tout cela au-dehors, et qu’il a entendu au-dedans les raisons de toutes ces choses ! a b
Cf. Sermon 128,7‑9 ; voir grégoire le grand, Homélies sur Ézéchiel 1,8,16. Cf. Mt 3,16‑17 et Lc 3,22.
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Le messager qui prépare le chemin 16. Puissions-nous éprouver cette joie à l’intérieur de nousmêmes ! Nous nous réjouissons de manière juste et bonne de sa naissance si nous imitons son genre de vie. Louez-le donc ! Comment cela ? Que votre vie soit sa louange. Nous montrons véritablement qu’il doit être loué, si nous choisissons de vivre comme il a lui-même vécua. Et c’est à bon escient. Il ne fait pas de doute que nous pouvons suivre en toute sécurité celui que notre Seigneur appelle son ange. Voici, dit-il, que j’envoie mon ange qui préparera le chemin devant ta face (Ml 3,1). Cela a été dit de lui par le prophète, avant qu’il ne soit né. Car le Seigneur dit dans l’Évangile que cela fut écrit de lui (cf. Mt 11,10). (Jean) a été envoyé avant notre Seigneur, comme l’aurore avant le soleil. C’est l’aurore avant laquelle il ne fut pas possible à Jacob d’obtenir la bénédiction du Seigneur (cf. Gn 32,27). 17. Vous avez entendu comment Jacob a lutté toute la nuit avec l’ange. Quand l’aurore se leva, l’ange voulut s’éloigner de lui. Et Jacob lui dit : Je ne te lâcherai pas avant que tu ne m’aies béni. Et aussitôt il le bénit (Gn 32,27.30). Le genre humain tout entier fut soumis à la malédiction. Jacob symbolise les Pères saints qui vécurent avant l’incarnation du Seigneur et qui, par leurs larmes, leurs prières et leur conduite irréprochable, voulaient forcer notre Seigneur à prendre chair, lui qui supprimerait la malédiction et donnerait la bénédiction. Eu égard au grand désir qu’ils avaient, ils étaient impatients. Mais lui, il attendait le temps que lui-même avait prévu de concert avec le Père. C’est entre autres cela que symbolisait cette lutte. Et que dit le Seigneur ? Voici que j’envoie mon ange qui préparera le chemin devant toi. C’est comme si l’ange disait à Jacob : ‘Il viendra aussitôt (Ml 3,1). Pourquoi me forces-tu à te bénir ? Il faut d’abord que se lève l’aurore, et aussitôt après je bénirai.’
a
Cf. Sermons 18,4 ; 27,22 ; 45,39 etc.
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L’aurore qui précède le soleil 18. Lorsque cette lutte eut lieu, c’était la nuit (cf. Gn 32,23‑25). C’était la nuit aussi longtemps que subsista la malédiction, aussi longtemps que le démon – qui était vraiment une nuit – régnait sur le monde. Enfin se leva l’aurore avant le soleil : ce prophète avant le Seigneur prépara le chemin (cf. Is 40,3) du soleil, comme dit l’Évangile. Il n’était pas la lumière, c’est-à-dire qu’il n’était pas la pleine clarté du soleil. De même que l’aurore n’est pas le soleil, mais une sorte de témoin de la proximité du lever du soleil, de même le bienheureux Jean n’était pas la lumière, mais il rendait témoignage à la lumière (Jn 1,8). Aussitôt après que cet ange fut envoyé (cf. Ml 3,1), après que l’aurore eut apparu (cf. Gn 32,25), le soleil se leva et mit entièrement en fuite les ténèbres, et Jacob reçut la bénédiction (cf. Gn 32,30).
Exhortation finale 19. Il me semble que ce n’est pas seulement alors mais encore maintenant que cet ange prépare un chemina au Seigneur ; car du fait qu’en suivant son exemple, vous mortifiez vos membres (cf. Col 3,5) et vous vous appliquez à la sobriété et aux austérités de cette vie, il ne fait pas de doute qu’est préparé le chemin par lequel notre Seigneur veut venir jusqu’à nos cœursb, afin que nous puissions, tels de vrais amis de l’époux, entendre à l’intérieur de nous-mêmes la voix de notre Seigneur Jésus Christ et nous réjouir à sa voix (cf. Jn 3,29). 20. Alors, frères, restons avec une grande ferveur sur ce chemin que cet ami de Jésus a préparé par son exemple, afin que, ayant eu part à ses austérités, nous puissions participer à la joie intérieure qu’il a connue. Et qu’ainsi nous arrivions à la félicité parfaite et définitive à laquelle il est parvenu par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ. À lui honneur et gloire pour les siècles des siècles (cf. Rm 16,27). Amen. a b
Cf. Ml 3,1 ; Is 40,3 ; Mt 3,3. Cf. origène, Homélies sur Luc 4,6.
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SERMON 138 POUR LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Pour bien saisir ce texte, il sera sans doute bon de se référer au sermon 14, qu’il reprend presque textuellement mais en l’abrégeant notablement par endroits. Car il se déroule à un rythme soutenu, dans un style elliptique fait d’un jaillissement continu d’allusions bibliques à peine esquissées, qui s’appellent et se répondent les unes les autres, s’enchaînent et s’articulent en une sorte de mosaïque multicolore.
Un langage d’édification 1. Celui qui présente à autrui la Parole de Dieu ne doit pas viser à faire étalage de sa science mais chercher le moyen d’édifier ses auditeursa. Aussi doit-il adapter son discours aux dispositions de ceux qui l’écoutent, condescendre avec patience à ceux qui sont intellectuellement plus faibles et s’abaisser avec, pour ainsi dire, une prévenance toute maternelle jusqu’aux balbutiements d’un langage d’enfant. Je pense cependant à Zacharie, père de ce saint homme dont nous célébrons aujourd’hui la fête : quand il voulut prononcer le nom de Jean, du simple fait d’exprimer ce nom il devint parfaitement éloquent de muet qu’il était auparavant (cf. Lc a
Voir Sermon 80,1 ; cf. 1 Co 8,1.
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1,63‑64). Nous aussi, nous mettant à parler de Jean, nous ne serons peut-être pas tout à fait muets.
À propos de Jean-Baptiste
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2. Mais que dire de lui, que dirons-nous à sa louange ? Avant même de naître, il est loué par une voix qui fait autorité, celle d’un ange ; et, par une grâce ineffable, il est devenu dès le sein maternel une très digne demeure de l’Esprit Saint (cf. Ep 2,22). Il ne faut pas non plus passer sous silence le fait qu’un prêtre est choisi pour être son père (cf. Lc 1,5), que sa naissance est annoncée au Temple, et qu’un ange indique le nom qui lui est donné (cf. Lc 1,8‑13). Et l’heure n’est pas sans importance : c’était en effet à l’heure de l’encens (cf. Lc 1,10). 3. Nous aussi, frères, puissions-nous être de ces prêtres à qui l’apôtre Pierre dit : Vous êtes un peuple élu, une royauté de prêtres (1 P 2,9). Puisse notre cœur devenir un temple de Dieu, comme dit l’Apôtre : Le temple de Dieu est sacré, et ce temple c’est vous (1 Co 3,17). L’heure de l’encens (cf. Lc 1,10) est sans doute celle d’une salutaire componction, quand notre prière s’élève comme un encens devant la face de Dieu (cf. Ps 140,2) et que nous apparaîtra un ange (cf. Lc 1,11), un messager de la grâce divine. Car Jean signifie ‘grâce de Dieua’. 4. Il convenait qu’à la recommandation de l’Ange (cf. Lc 1,13) lui soit donné un tel nom : encore dans le sein maternel (cf. Lc 1,41‑42), il reconnut l’ineffable grâce par laquelle le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14), il désigna du doigt ce même Verbe fait chairb (cf. Jn 1,29‑36) et, admirable prédicateur de la grâce de Dieu, il ouvrit par sa parole le chemin vers le royaume céleste aux publicains et aux prostituées (cf. Mt 21,32), faisant une certaine violence à la pureté du ciel par leur conversion. Aussi le Seigneur dit-il dans l’Évangile : Depuis les jours de Jean, le Royaume des Cieux subit la violence (Mt 11,12). Avant les jours de Jean, il ne subissait assurément pas Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 69. Correction de l’édition critique : ipsum uerbum carnem factum au lieu de ipsum uerbum caro factum (lignes 30‑31). a
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de violence. Car jusque-là le chérubin avec son glaive tournoyant (cf. Gn 3,24) repoussait de l’entrée du paradis le malheureux Adam se cachant sous des feuilles de figuier (cf. Gn 3,7) et, d’une certaine manière, il réduisait à rien l’effort de celui qui faisait violence. 5. Les sept femmes subissaient encore leur déshonneur : elles se nourrissaient de leur propre pain, s’habillaient de leurs propres vêtements (cf. Is 4,1), mais tournant en rond, cherchant et ne trouvant pas (cf. Ct 5,6) celui que toutes prendraient pour elles. Celle-ci avait bien pris tel homme, et celle-là tel autre, mais toutes ensemble n’avaient trouvé personne qui enlèverait le déshonneur de toutes, jusqu’à ce que vienne le seul homme, l’unique, l’incomparable. Car il fut d’une manière unique jusqu’à ce qu’il passe (cf. Ps 140,10 vg). Oui, c’est le seul homme qu’une femme ait entouré (cf. Jr 31,22). Son épouse, c’est-à-dire la chair humaine – que, par un admirable dessein, la divinité a épousée dans le sein virginal – demeura longtemps stérile dans les autres fils d’Adam, mais, dans le Seigneur fait homme, elle enfanta sept fois (cf. 1 S 2,5), car toute grâce spirituelle habita merveilleusement dans le Seigneur lui-même, elle y habita corporellement (cf. Col 2,9).
Pain et vêtements de l’Esprit Saint 6. Cet homme unique, les sept femmes – à savoir les sept grâces ne manquant ni de pain ni de vêtement – le prirent toutes ensemble (cf. Is 4,1). Quelle est la nourriture de l’Esprit Saint ? Le Seigneur dit dans l’Évangile : Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père (Jn 4,34). L’Esprit Saint se plaît à inspirer cette volontéa. Ses vêtements, ce sont les saints : dans leur cœur, le feu divin est d’habitude nourri et comme réchauffé. Aussi est-il dit : De tous ceux-là tu te vêtiras comme d’un vêtement (Is 49,18 vg). Ces vêtements, ils les revêtaient déjà avant les jours de Jean, ils se nourrissaient avec plaisir de ce pain (cf. Is 4,1). La grâce de l’Esprit Saint opérant en Le Sermon 14,8 est plus explicite : « La nourriture du Fils est de faire la volonté du Père. C’est donc aussi la nourriture de l’Esprit Saint. Il trouve sa joie dans cette nourriture qui consiste à inspirer aux êtres humains de faire la volonté du Père. » a
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eux, ils resplendissaient les uns de l’esprit de sagesse, les autres de l’esprit d’intelligence ou encore de l’esprit de conseil, de force, de piété, de science ou de crainte (cf. Is 11,2‑3). 7. Quel déshonneur l’Esprit Saint avait-il donc à subir en ces sept femmes (cf. Is 4,1) ? Il conférait la justice à l’être humain, mais il ne donnait pas la récompense de la justice. Quelle est en effet la récompense de la justice ? Le Royaume des Cieux. La violence de la justice exigeait donc pour elle le Royaume des Cieux (cf. Mt 11,12), mais celui-ci n’admettait pas cette violence avant que ne vienne celui qui a enlevé le déshonneura. Et à ceux qui obtiennent justice pour eux-mêmes par une certaine violence – c’est-à-dire en crucifiant leur chair avec ses vices et ses convoitises (cf. Ga 5,24) – il a ouvert l’entrée du paradis après avoir écarté le chérubin et son glaive tournoyant (cf. Gn 3,24).
Le chérubin et le glaive tournoyant 8. Mais que veut dire : Que ton nom soit invoqué sur nous (Is 4,1) ? Que cet homme Jésus soit sagesse, qu’il soit intelligence, conseil, force, science, piété, crainte (cf. Is 11,2‑3). Car il est également écrit : Tu es notre crainte (cf. Gn 31,42 vg). Que la Sagesse (cf. 1 Co 1,24) écarte le chérubin et son glaive tournoyant (cf. Gn 3,24). Ce chérubin, à mon avis, c’est la divine justice qui retenait loin du paradis l’être humain orgueilleux et désobéissant, jusqu’à ce que l’humilité et l’obéissance fassent contrepoids à son orgueil et à sa désobéissance. C’est notre Jésus qui s’en est acquitté, et la justice qui repousse a fait place à la justice qui accueille. 9. Mais qu’était ce glaive tournoyant (cf. Gn 3,24) ? J’entends le Seigneur parler de glaive, dans l’Évangile : Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive (Mt 10,34). Il a donc voulu signifier par le mot glaive quelque chose de contraire à la paix. Et qu’y a-t-il d’aussi contraire à la paix que la discorde ? Ce ‘glaive’, me semblet-il, désigne la discorde qui, par le péché du premier homme, s’est établie entre Dieu et l’être humain, entre la nature angélique a
Cf. Sermon 58,28‑29.
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et la nature humaine, entre la créature céleste et la créature terrestre. Ce glaive est qualifié de ‘tournoyant’ parce qu’il serait un jour écarté, par la grâce de Dieu. Le véritable Salomon est en effet venu, le vrai Pacifiquea. Par le sang de sa croix, il a fait la paix avec les créatures du ciel et celles de la terre (Col 1,20). Et puisque c’est depuis les jours de Jean que cette admirable grâce commença à être proclamée, c’est aussi depuis les jours de Jean que le Royaume des Cieux subit la violence et que les violents s’en emparent (Mt 11,12).
Le Royaume de Dieu 10. Le Royaume des Cieux est compris comme pureté de cœur : nous ne pourrons y parvenir qu’en nous faisant une certaine violence. À propos de ce royaume, le Seigneur dit : Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous (Lc 17,21). Et l’Apôtre : Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson, mais il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint (Rm 14,17). Ce royaume, le même apôtre s’efforçait de s’en emparer par une certaine violence. C’est pourquoi il dit : Je meurtris mon corps et je le réduis en esclavage, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé (1 Co 9,27). Cette violence, Jean le premier nous l’a enseignée dans l’Évangile, d’abord par l’exemple de sa vie, ensuite par la parole de sa prédication, disant : Produisez de dignes fruits de pénitence (Lc 3,8). 11. Nous produisons de dignes fruits de pénitence (cf. Lc 3,8) lorsque nous faisons servir nos membres à la justice et à la sanctification, de la même manière que nous les avions fait servir à l’injustice et à l’iniquité (cf. Rm 6,19), afin que le péché ne règne plus dans notre corps mortel (Rm 6,12), mais que ce soit la justice, la paix et la joie dans l’Esprit Saint, c’est-à-dire le règne de Dieu (Rm 14,17). Nous produisons de dignes fruits de pénitence lorsque, rejetant les œuvres de la chair (cf. Ga 5,19) – par lesquelles le démon règne dans l’homme –, nous labourons avec violence la terre de notre cœur au moyen du soc de la componction afin que les fruits de l’Esprit y abondent : charité, joie, paix (Ga 5,22) et les autres que 1’Apôtre a
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 63.
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énumère. À l’aide de quelle force on parvient à ces fruits, le même apôtre l’indique au verset suivant : Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (Ga 5,24).
S’envoler vers le désert
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12. Jean ne nous montre-t-il pas le même exemple ? Dès son enfance, craignant d’être souillé par les vilenies des foules bruyantes, il s’envola vers la solitude du désert (cf. Ps 54,7‑8) comme une très chaste tourterelle, ayant emprunté des ailes de pureté et d’innocence, montrant ainsi que le premier pas vers le royaume céleste est le mépris du monde. Car celui qui aime le monde, la charité du Père n’est pas en lui (1 Jn 2,15). Or, là où n’est pas la charité, le Royaume de Dieu ne peut certainement pas se trouver. C’est donc à bon droit qu’il est dit de Jean : Il demeura dans le désert jusqu’au jour de sa manifestation (Lc 1,80). 13. Et nous, frères, si nous désirons vivement que le Royaume de Dieu advienne en nous (cf. Lc 17,21), passons d’un coup d’aile vers le désert spirituel. Que notre cœur soit une terre déserte, sans chemin et sans eau (Ps 62,2), afin qu’en elle apparaisse le Seigneur et qu’il y établisse son royaume. Que cette terre soit déserte, loin des préoccupations de ce monde, afin que le monde soit crucifié pour nous et nous pour le monde (cf. Ga 6,14). Qu’elle soit sans chemin pour les animaux spirituels, à savoir les esprits impurs, de peur qu’ils ne disent à notre âme : Courbe-toi, que nous passions (Is 51,23). Qu’elle soit sans eau, privée du ruissellement des plaisirs nuisibles, afin que notre âme passe au travers de l’eau qui est sans consistancea.
Se faire violence 14. Que dirai-je à présent du mépris de sa propre chair ? L’Évangile dit : Il avait un vêtement en poils de chameau (Mt 3,4). Voilà a
Cf. Ps 123,5 et 68,3.
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Sermon 138
bien en quels vêtements s’avance le soldat du Christ. Par sa tenue même, cet homme me semble clamer : Malheur à moi, mon exil se prolonge (Ps 119,5 vg). Et ceci : Je suis un étranger sur la terre. Je ne suis qu’un hôte chez toi, un passant comme tous mes pèresa. C’est avec des poils de chameau que l’on fait un cilice, la tenue des pénitents. Il a donc d’abord montré par l’exemple ce qu’il a ensuite exprimé par la parole : Faites pénitence car le Royaume des Cieux est proche (Mt 3,2). Écoutons maintenant quelle était son admirable abstinence : Sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage (Mt 3,4). Par sa tenue il foulait aux pieds la mollesse, et par cette nourriture il réprimait la gloutonnerie. 15. C’est avec cette violence-là que l’on s’empare du Royaume des Cieux. C’est cette violence qu’il subit depuis les jours de Jean (cf. Mt 11,12). Depuis lors, en effet, il n’y a pas pour nous de combat contre les Cananéens et les Périzzites en vue de prendre possession de leur royaume terrestre par la force, mais contre les ennemis bien plus opiniâtres que sont les passions de la chair, afin que, les ayant chassées du réceptacle de nos cœurs, nous préparions un temple et un royaume pour le véritable Salomon, dans la terre de notre cœur, en crucifiant notre chair avec ses vices et ses convoitises (cf. Ga 5,24).
Ne pas être ennemi de la croix du Christ 16. Ils avaient négligé de prendre possession du Royaume des Cieux avec cette violence-là ceux dont Paul disait : Il en est beaucoup, je vous l’ai dit souvent et je le redis maintenant en pleurant, qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ (Ph 3,18). Il les désigne quand il ajoute : Ils ont pour Dieu leur ventre et ils mettent leur gloire dans leur honte (Ph 3,19). Voilà ce que veut dire être ennemi de la croix du Christ : rechercher la gloutonnerie pour le ventre et la mollesse pour la chair. Par ces mots il a nommé les deux vices auxquels la quasi-totalité du monde a tendu les mains : la gourmandise et le désir sensuel. Si l’on y ajoute l’orgueil et l’avaa
Ps 118,19 et 38,13.
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Sermon 138
rice, on a les quatre roues au moyen desquelles le démon pénètre dans la presque totalité du monde.
Être chaste 17. Au reste, nous laissons à vos méditations ce qui concerne le vol céleste des sauterelles et la douceur du miel spirituel, car nous avons suffisamment prolongé ce sermon. Nous avons omis de parler de la ceinture de peaux (cf. Mt 3,4), symbole de la vertu de chasteté, qui atteint son sommet dans la pureté de cœur. Certes, les autres vertus sans elle, comme elle sans les autres, ne servent à rien ou à fort peu, il est cependant plus supportable d’être momentanément privé de n’importe quelle autre vertu plutôt que de celle-là. 18. Parmi toutes les vertus, la chasteté brille d’un privilège spécial : non seulement elle a rapport, comme les autres vertus, à la qualité d’âme mais elle fait passer la chair corruptible à un certain état de non-corruption, lui faisant goûter par avance quelque chose de la douceur de la résurrection future où l’on ne prend ni femme ni mari, mais où l’on sera comme les anges de Dieu (Mt 22,30). Parmi toutes les vertus, elle mérite la participation à la vie des anges, l’accès auprès de l’Esprit Saint et l’intime étreinte du plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3). 19. Jean portait une ceinture de peaux autour des reins (Mt 3,4). Il a donc mis en pratique, avec beaucoup de zèle, la perfection de l’Évangile, avant même de l’avoir entendu. Que Dieu tout-puissant daigne nous faire marcher par le chemin qu’il nous a montré, afin qu’en suivant les exhortations d’un tel Précurseura nous parvenions en toute sécurité à celui qu’il a annoncé, notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec Dieu le Père dans l’unité du Saint-Esprit pour tous les siècles des siècles. Amen.
a
Cf. oraison pour la Vigile de la Nativité de saint Jean-Baptiste.
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SERMON 139 POUR LA FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL
Ce texte reprend presque textuellement le sermon 18, avec la même rigueur dans la présentation des thèmes développés. Deux versets de psaumes, en particulier, servent de point d’appui : après les prophètes, les apôtres sont des guides pour toute la terre (cf. psaume 44,17), et Dieu en a fait des colonnes qu’il a affermies (cf. psaume 74,4).
À la place des prophètes, les apôtres 1. Parmi tous les martyrs et les apôtres de notre Seigneur Jésus Christ, les deux dont nous célébrons aujourd’hui la fête jouissent visiblement d’une dignité unique. C’est bien à eux que le Seigneur a tout particulièrement confié la sainte Église, disant à l’un : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux (Mt 16,18‑19). Et en même temps, le Seigneur a fait de Paul l’égal de Pierre, comme il le dit lui-même : Celui qui a agi en Pierre pour faire de lui un apôtre a également agi en moi (Ga 2,8). 2. Ce sont eux que le Seigneur a promis à la sainte Église, disant : À la place de tes pères, te sont nés des fils (Ps 44,17). Les Pères de la sainte Église, ce sont les saints patriarches et prophètes, qui les premiers ont enseigné la loi de Dieu et prophétisé la venue de notre
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Sermon 139
Seigneur. Mais, avant la venue du Seigneur, à cause des péchés du peuple il a cessé d’y avoir des prophètes. Le Seigneur est alors venu et, à la place des prophètes, il a choisi les saints apôtres, et ce que dit le prophète s’est accompli : À la place de tes pères, te sont nés des fils. Voyez comment il montre que la dignité des apôtres surpasse celle des prophètes. Alors que les prophètes ont été les princes d’un seul peuple, dans une seule nation, dans une seule partie du monde, le psaume dit à propos des apôtres : Tu en feras des princes sur toute la terre (Ps 44,17).
Toute la terre
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3. Quelle est la terre sur laquelle ne s’étendent pas leur dignité et leur pouvoir ? Rois, comtes, riches et pauvres, tous louent et glorifient aujourd’hui ces amis de Dieu, nos pères et nos princes. Louons-les nous aussi, et préparons-nous à être tels que nous puissions dignement les louer. Nous les louerons dignement si nous nous appliquons à imiter leur viea. Imitons leur force, leur vie sainte et leur comportement irréprochable. Grande était leur force, puisqu’ils sont les colonnes que le Seigneur a affermies. D’eux le prophète dit : La terre s’est liquéfiée et tous ceux qui habitent en elle ; moi j’ai affermi ses colonnes (Ps 74,4). 4. Avant que notre Seigneur ne vienne sur terre, toute la terre était gelée et durcie. Elle était gelée, car elle n’avait pas la moindre chaleur de charité, elle était dans le froid de l’iniquité (cf. Mt 24,12). Elle était durcie, quand il n’y avait aucun attendrissement de bonté et de bienveillance. Mais le Seigneur est venu, il a apporté le feu sur la terre pour dissiper ce froid. De ce feu il dit : Je suis venu apporter le feu sur la terre et que puis-je vouloir sinon qu’il brûle (Lc 12,49) ? Ce feu a dissipé le froid de notre terre, et la terre a commencé à se liquéfier et à se répandre en larmesb. 5. Mais que signifie ces mots : Tous ceux qui habitent en elle (Ps 74,4) ? Tous, frères, se sont liquéfiés. Mais les uns, à la manière a b
Voir Sermons 23,15 ; 27,22 ; 45,39 etc. Voir Sermon 69,9‑10.
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Sermon 139
de celle qui dit dans le Cantique : Mon âme s’est liquéfiée (Ct 5,6). Les autres, à la manière de ce que dit le prophète : Comme la cire s’écoule en face du feu, et la suite (Ps 67,3). Les uns se sont liquéfiés par la pénitence, les autres par l’envie. Nous pouvons comprendre le mot terre comme désignant la sainte Église. Elle s’est liquéfiée en présence de notre Seigneur, et tous ceux qui habitent en elle à la manière dont il faut habiter dans l’Église, c’est-à-dire dans la vraie foi et la charité, ceux-là se sont assurément tous liquéfiés au feu de l’amour divin.
Colonnes de l’Église 6. Moi, j’ai affermi ses colonnes (Ps 74,4). Les colonnes de cette terre, ce sont les saints apôtres, et surtout les deux dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Ce sont eux les colonnes (cf. Ga 2,9) qui soutiennent l’Église par leurs prières, par leur enseignement, par l’exemple de leur patience. Ces colonnes, notre Seigneur les a affermies. Ils étaient d’abord très fragiles et bien incapables de se soutenir et de soutenir les autres. Et ce fut par un profond dessein du Seigneur. Car, s’ils avaient toujours été forts, on aurait pu croire qu’ils tenaient cette force d’eux-mêmes. Aussi le Seigneur a-t-il voulu d’abord montrer ce qu’ils étaient par eux-mêmes, et ensuite les affermir, afin que tous sachent que toute leur force venait de Dieu. De même, puisqu’ils devaient être des pères pour l’Église et des médecins pour guérir les malades, ils ont d’abord ressenti la faiblesse en eux-mêmes afin de savoir compatir aux faiblesses d’autruia. Le Seigneur a donc affermi les colonnes de la terre, c’est-à-dire de la sainte Église.
Pierre affermi par sa triple confession d’amour 7. Elle était bien faible cette colonne, je veux dire Pierre, si la simple voix d’une seule servante la jeta par terre (cf. Mt a
Cf. He 4,15 ; voir Sermon 56,6.
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Sermon 139
26,69‑70). Le Seigneur l’a ensuite affermie. D’abord quand il l’interrogea par trois fois : Pierre, m’aimes-tu ? (Jn 21,15). Car de même que le fait d’avoir renié trois fois avait d’une certaine manière amoindri en lui l’amour pour notre Seigneur – aussi la colonne s’était-elle effondrée et brisée – ainsi, par le fait de confesser par trois fois son amour, la colonne a-t-elle été affermie. Dès lors, à Pierre répondant : Je t’aime, le Seigneur dit aussitôt : Pais mes brebis (Jn 21,16). C’est comme s’il disait : ‘L’amour que tu as pour moi, montre-le en faisant paître mes brebis.’ C’est à tort qu’il prétend aimer Dieu celui qui ne veut pas faire paître ses brebis.
Faire paître par la parole et l’exemple 8. Mais quelqu’un peut rétorquer : ‘En quoi cela nous regardet-il ? Cela concerne les évêques, les abbés, les prêtres, ceux qui ont charge d’âme.’ Cela les concerne, et nous aussi. Il y a deux manières de faire paître les brebis du Christ : par la parole et par l’exemple. Nombreux dans l’Église sont les prélats qui font paître les brebis du Christ par la parole ; mais parce qu’ils vivent mal, ils les feraient mieux paître s’ils se taisaient ou bien s’ils s’éloignaient d’eux physiquement, s’ils leur donnaient l’exemple de l’humilité, de la pauvreté, du renoncement, de la chasteté et des autres vertus. Celui-là pourtant fait mieux qui fait l’un et l’autre. Mais celui qui en est incapable, il est préférable qu’il fasse paître par l’exemple plutôt que par la parole. Celui qui fait paître seulement par la parole est utile à ses auditeurs mais guère à lui-même ; celui qui le fait par l’exemple est utile à lui-même tout autant qu’à ses auditeurs. Bref, si vous aimez le Seigneur, vivez de manière à faire paître les brebis du Christ par votre exemple, comme dit le Seigneur : Que vos œuvres brillent devant les hommes (Mt 5,16).
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Sermon 139
Nourrir les vertus en soi-même et chez les autres 9. Notre Seigneur possède en chaque âme sainte des brebis : ce sont les vertusa. Il faut que quiconque aime le Christ les fasse paître. Nous faisons paître ces brebis quand nous accomplissons des œuvres qui font grandir ces vertus en nous. Chacun de nous doit également les faire paître en autrui. C’est ce que nous faisons quand nous nous comportons devant nos frères de manière à ce que, par notre exemple, grandissent leur charité, leur joie, leur humilité et leur patience. 10. Comment faire paître l’humilité en mon frère si j’ai été orgueilleux devant lui, si je parle, réponds et marche avec superbe ? Comment faire paître l’obéissance en mon frère s’il m’a vu contester et désobéir ? Comment faire paître sa patience si moi-même je murmure, je me mets en colère, je parle avec dureté ? Celui qui agit ainsi devant son frère ne fait pas paître en lui les brebis du Christ mais, à la mesure de ses moyens, il détruit et tue parce qu’il le scandalise. Or celui qui scandalise son frère pèche contre lui. Et celui qui pèche contre son frère pèche contre le Christ (cf. 1 Co 8,12). Si donc vous aimez le Christ, faites paître ses brebis (cf. Jn 21,17), donnant le bon exemple à vos frères, et vous serez en harmonie avec la colonne que l’amour du Christ a affermie (cf. Ps 74,4).
Paul affermi par la charité 11. Après cet affermissement, quand le Saint-Esprit a été envoyé, cette colonne, saint Pierre, est alors devenue si forte que ni les fouets ni les pierres ni les menaces ni finalement la mort ne purent la faire bouger de place. L’autre colonne, saint Paul, fut d’abord bien faible. La faiblesse de l’âme, ce sont les péchés. Écoutez combien il fut faible : Je fus d’abord un blasphémateur (1 Tm 1,13). De même quand il a été terrassé, rendu aveugle et conduit ainsi dans la ville, quand Ananie vint vers lui et l’instruisit (cf. Ac 9,10‑19), il était bien faible. Mais écoute combien il fut ensuite fort : J’en ai l’assurance, ni la mort ni a
Voir Sermon 3,18.
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Sermon 139
la vie ni les anges ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu (Rm 8,38‑39). 12. Ainsi donc, frères, toute force véritable est dans la charité. Aussi est-il écrit : L’amour est fort comme la mort (Ct 8,6). Que fait la mort dans l’homme ? Elle éteint tous les vices et toutes les passions mauvaises, elle clôt les yeux et rend tout le corps insensible en sorte que seul l’esprit vive. C’est aussi ce que fait la charité. Elle éteint le désir sensuel, elle fait disparaître la colère, elle fait tomber l’orgueil et chasse tous les vices. Elle clôt les yeux pour les empêcher d’être curieux, et elle éteint si bien tous les sens charnels que l’homme peut dire avec Paul : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2,20). Il ne vit pas, car la charité fait mourir en lui ce qu’il avait en propre. Mais le Christ vit en lui, car seul l’amour du Christ a de la vigueur en lui. Imitons donc la force de ces colonnes.
Sainteté de l’un et l’autre
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13. À présent, que pouvons-nous dire de la sainteté de ces Pères ? Toute la sainteté se trouve dans la pureté de cœur et le témoignage d’une bonne conscience (cf. 2 Co 1,12). C’est le mépris du monde qui fait la pureté de cœur. Car toute l’impureté du cœur vient de l’amour du monde. L’amour du monde souille le cœur. Voilà pourquoi celui qui méprise parfaitement le monde n’a dans le cœur aucune souillure. Le bon témoignage de la conscience a une double origine : l’œuvre bonne et l’intention droite. Celui qui ne fait pas le bien ne peut avoir une bonne conscience. Celui qui accomplit des œuvres dignes d’éloges par amour des louanges, ou pour obtenir quelque avantage temporel, ne peut avoir une bonne conscience. 14. Qui a plus parfaitement méprisé le monde que celui qui a dit au Seigneur : Voici que nous avons tout quitté et que nous t’avons suivi (Mt 19,27) ? Quel bon témoignage a eu de sa propre conscience celui qui a dit avec assurance : Tu sais Seigneur, que je t’aime (Jn 21,15‑17) ! Paul a pareillement méprisé parfaitement le monde, lui qui a considéré comme balayures toutes les choses de la chair (cf. Ph 3,8). De ses œuvres, il dit lui-même : J’ai travaillé plus
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qu’eux tous (1 Co 15,10). J’ai combattu le bon combat (2 Tm 4,7). Du témoignage de sa bonne conscience, il dit : Ma fierté, c’est le témoignage de ma conscience (2 Co 1,12).
Imiter leur persévérance 15. Ainsi donc, imitons ces Pères saints. Appliquons-nous à accomplir des choses bonnes, à mépriser le monde, à avoir une bonne conscience, afin de pouvoir parvenir en leur compagnie. Imitons leur bonne persévérance. Même si un homme se met promptement à servir Dieu, cela ne lui sert de rien s’il abandonne, fût-ce peu avant la mort, le bien qu’il a entrepris. Et si un homme qui a vécu longtemps dans le mal a persévéré peu de temps dans une bonne conduite, il sera sauvé. Persévérer n’est rien d’autre que de finir louablement sa vie. On ne chante les louanges qu’à la fina. Notre salut ne consiste que dans la persévérance. De cette persévérance, nul ne doit être assuré avant sa mort. Aussi, travaillez à votre salut avec crainte et tremblement (Ph 2,12). 16. Plus un homme supporte d’épreuves et de souffrances au service de Dieu, plus sa persévérance est digne d’éloges. C’est pourquoi on doit beaucoup louer ces saints, qui ont tant enduré pour le Christ et qui cependant ont tenu bon. Ce n’est pas merveille de persévérer avec le Christ dans la joie, la prospérité, la paix. Mais c’est une grande chose d’être frappé, lapidé, souffleté pour le Christ et, au milieu de tout cela, de tenir bon ; d’être outragé et d’intercéder, d’être maudit et de bénir, de souffrir persécution et d’endurer, d’être comme l’ordure de ce monde (1 Co 4,12‑13) et de s’en glorifier.
Persévérance de Paul 17. De quelle manière louer la persévérance de Paul qui s’est maintenue en pareilles épreuves ? Il était presque toujours en pria
Expression proverbiale assez courante au xiie siècle.
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son ou dans les chaînes, dans la faim, le froid, la nuditéa ; il n’a pas murmuré, mais il se complaisait à endurer de telles choses : Je me complais dans les outrages, dans les épreuves, dans les angoisses pour le Christ (2 Co 12,10). Et pour finir, il a aujourd’hui porté la persévérance à son comble en acceptant volontiers pour le Christ d’avoir la tête tranchée.
Persévérance de Pierre 18. Que dire de la persévérance de Pierre ? N’aurait-il rien enduré d’autre pour le Christ, il suffirait qu’il ait été aujourd’hui crucifié pour lui, laissant à tous l’exemple de la patience et d’une heureuse persévérance. Il est très significatif qu’il n’ait pas voulu être crucifié comme notre Seigneur, mais qu’il fit en sorte d’avoir les pieds en l’air et la tête en basb. Il sut où était celui qu’il aimait, celui qu’il désirait, celui vers qui il soupirait. Où, sinon au ciel ? Il fit en sorte d’avoir les pieds en haut, pour montrer que, par ce martyre, il irait vers le Seigneur. Cette croix était comme un chemin. 19. Oui, frères, la croix est un chemin vers le ciel, et il n’y en a pas d’autre. Ayons donc devant les yeux la vie et la mort de ces saints, et songeons à leur récompense. Si nous imitons ici bas leur martyre et leur genre de vie, nous parviendrons en leur compagnie. Par leurs mérites, que notre Seigneur Jésus-Christ nous l’accorde, lui qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.
Cf. 2 Co 6,5 ; Ph 1,7 ; 2 Co 11,27. Cf. Martyre de saint Pierre apôtre 37‑38, Écrits apocryphes chrétiens, vol. 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1997, p. 1110‑1111. a
b
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SERMON 140 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
De saint Benoît, il n’est question qu’au dernier paragraphe de ce plaisant sermon où se retrouve le style didactique et analytique propre à Aelred. D’abord des précisions sur la notion de justice et de juste. Ensuite des développements à propos de trois mots similaires : le sentier est celui du Juste qu’est le Christ ; le chemin est celui des justifiés ; la voie, où l’on peut marcher à plusieurs de front, est faite pour les laïcs dans le monde. Certains s’y tiennent couchés, assis ou debout et doivent y marcher. D’autres, tel saint Benoît, y courent.
Sentier et chemin 1. Le sentier du juste est droit, droit est le chemin du juste pour aller de l’avant (Is 26,7). Le sentier et le chemin, c’est la même chose ; il semble donc que ces paroles répètent deux fois la même chose. Ce n’est pourtant pas sans un motif important qu’a lieu cette répétition, comme aussi dans beaucoup d’autres exemples. Habituellement, le fait d’insister sur des mots veut dire quelque chose, parfois indiquer la joie, ou bien exprimer la douleur, la colère, le relâchement, la louange ou le blâme. S’il était loisible, nous pourrions proposer des exemples de tout cela. Le fait d’insister sur des mots vise en outre à faire comprendre quelque difficulté ou à rappeler quelque avantage. De là cette sentence : « Lire une
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Sermon 140
lecture déjà lue est agréable, la reprendre dix fois plaira encorea. » Le même motif peut également être envisagé ici.
Juste par nature et juste par grâce 2. En outre, ceux qui écrivent ou qui enseignent ont l’habitude de répéter plusieurs fois la même chose, pour y faire quelque ajout, comme c’est encore le cas ici. De fait, après avoir dit d’abord : Le sentier du juste est droit, et par conséquent : droit est le chemin du juste – ce qui semble vouloir dire la même chose –, on ajoute : pour aller de l’avant (Is 26,7). Ou alors on veut dire autre chose ici et là, parce que le même mot ‘juste’ désigne tantôt une réalité, tantôt une autre. D’une part, celui qui est juste par nature et de luimême ; d’autre part, celui qui est devenu juste par grâce. De ce fait, il existe, à proprement parler, deux types de juste et deux sortes de sentier du juste, bien qu’à la rigueur on ne puisse pas dire différentes des réalités signifiées ainsi d’une manière différente. Disons donc qui est juste par nature et qui l’est par grâce, quel est le sentier de l’un et le chemin de l’autre, et comment il faut marcher sur l’un et sur l’autre, après avoir d’abord précisé qui est juste et ce qu’est la justice.
Justice
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3. Comme dit Augustin, « est juste, celui qui, en paroles et en actes, par sa connaissance et son comportement, rend à chacun ce qui lui revientb. » Comme dit Anselme, « la justice – quelle qu’elle soit, grande ou petite – est la droiture de la volonté, maintenue pour elle-mêmec. » Ou bien elle peut être définie ainsi : « La justice est l’équité faisant droit à chacun selon sa dignitéd. » Elle Expression proverbiale assez courante au xiie siècle. Cf. Augustin, la Trinité 8,6,9. c Cf. Anselme, De concordia 1,6. d Rhétorique à Hérennius 3,2, 3. a
b
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est encore définie de plusieurs autres manières par diverses personnes. Et bien que la justice soit ainsi définie de façon multiple par de nombreuses personnes, notre justice pourtant – qui est parfaite – demeure indéfinissable et indescriptible. Alors qu’une définition est une description exacte d’une réalité, il n’est jamais arrivé à personne de décrire parfaitement et exactement ce qu’il n’est jamais arrivé à personne de connaître parfaitement. Selon l’Apôtre, en effet, notre justice, c’est le Christ (cf. 1 Co 1,30). De lui, Job dit : Il est plus haut que le ciel, plus profond que l’abîme (Jb 11,8). Et le Seigneur dit : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds (Is 66,1). Il est effectivement celui qui, se tenant sur la terre et atteignant le ciel, remplit toutes chosesa.
Le Christ, notre justice 4. Le Christ est donc juste par nature. Tous les autres justes, si tant est qu’ils le soient, le sont par sa grâce. Car il n’y a pas d’enfant de la femme qui soit pur devant ses yeux, comme dit Job (cf. Jb 25,4‑5). Et encore : Ceux qui le servent ne sont pas stables, et il trouve du dérèglement jusque dans ses anges (Jb 4,18 vg). Au reste, lorsqu’on dit de Dieu qu’il est justice ou vertu ou quelque chose de ce genre, ce n’est pas à comprendre au sens d’un sentiment ou d’une qualité, mais il s’agit de l’essence même, de la majesté, de la grandeur de la divinité. Ainsi, lorsque le Christ est appelé vertu (cf. 1 Co 1,24), ce n’est pas à comprendre au sens de l’une des vertus, mais il s’agit de l’essence du Fils, par laquelle le Père opère tout (cf. 1 Co 2,6) ; et lorsqu’il est appelé sagesse, ce n’est pas une qualité qui lui est attribuée, mais il s’agit de la substance du Fils, par laquelle il dispose toutes choses (cf. Sg 8,1). Car, comme dit Augustin, « au ciel aucune vertu n’est active, si ce n’est une seule et souveraine vertu : aimer ce que tu vois et retirer un grand bonheur de ce que tu aimesb. » 5. Le Christ est donc appelé juste par lui-même et en personne, parce qu’il est sa propre justice, le Père est justice, l’Esprit Saint est a b
Cf. Sg 18,16 et Ep 4,10. Cf. Augustin, De genesi ad litteram 12,26.
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Sermon 140
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justice ; il n’y a pourtant pas trois justices mais une seule. Pareillement pour la sagesse, la puissance, la bonté, la majesté et tout le reste. Bien qu’elles soient communes à toute la Trinité, certaines pourtant sont parfois dites spécialement à propos du Fils, ou à propos du Père, ou à propos de l’Esprit Saint. Le Père est spécialement appelé puissance, le Fils sagesse, l’Esprit Saint bontéa. C’est pourquoi on dit que pécher contre le Père, c’est le faire par fragilité, comme s’opposant à la puissance ; pécher contre le Fils, c’est le faire par ignorance, comme s’opposant à la sagesse ; pécher contre l’Esprit Saint, c’est le faire par méchanceté, comme s’opposant à la bonté. La fragilité et l’ignorance ont besoin d’un remède accessible. Mais la méchanceté ne sera pardonnée ni ici-bas ni dans le monde à venir (cf. Mt 12,32).
Fragilité, ignorance, méchanceté 6. La fragilité se subdivise en deux, et de même l’ignorance. Car autre est la fragilité qui provient d’une faiblesse naturelle, autre celle qui est due à un ramollissement spirituel : la première est excusable, la seconde est condamnable. De même l’ignorance : l’une vient du hasard, l’autre de la négligence. Si elle est due à un hasard, elle est pardonnable ; si elle est due à une négligence, elle est punissable. « Le hasard est une issue inopinée, en raison d’un concours de circonstances, dans un domaine où l’on poursuit un autre butb. » Par contre, du négligent il est dit : Maudit soit celui qui accomplit négligemment l’œuvre de Dieu (Jr 48,10). En troisième lieu vient la méchanceté, maladie incurable, peste mortifère, formidable poison qui enfle l’âme jusqu’à la faire pourrir. C’est là ce très mauvais démon qui ne peut être chassé par aucun autre moyen que par le jeûne et la prière (Mc 9,28). Et il est étonnant qu’il n’y ait personne débordant de méchanceté qui ne s’estime généreux et n’usurpe le nom de celui dont il méprise les œuvres. a b
Cf. Sermons 67,5 ; 131,21. Boèce, La consolation de la philosophie 5,1, 18.
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7. Fuyons, frères très chers, la compagnie de tels êtres, comme dit le Seigneur à propos de la révolte de Coré, Dathan et Abiron : Fuyez loin des tentes de ces hommes méchants (Nb 16,26). Pourquoi ? Parce, d’après le psalmiste, avec un homme excellent, tu seras excellent ; et avec un méchant tu agiras selon sa méchanceté (Ps 17,27). Oui, qui touche de la poix en sera souillé (Si 13,1). Et à propos de ce qu’ils ont reçu en retour le psalmiste dit : La terre s’est ouverte et elle a englouti Dathan ; et elle a couvert la bande d’Abiron (Ps 105,17). Ce qui leur est arrivé dans leur corps se produit dans l’âmea de tout méchant. C’est ainsi qu’au livre des Rois il est écrit : Si vous persévérez dans la méchanceté, et vous et votre roi vous périrez ensemble (1 S 12,25). Et encore le psalmiste : Le Seigneur leur rendra leur iniquité et il les anéantira par leur propre méchanceté (Ps 93,23).
Le sentier du juste 8. Mais notre juste à nous peut même changer la méchanceté en bienveillance puisqu’il est celui qui justifie l’impie (cf. Rm 4,5). Oui, il est le juste justifiant (cf. Rm 3,26) ; les autres justes sont seulement justifiés (cf. Rm 3,24). À ses yeux pourtant nul n’est juste. Aussi Job dit-il : Si je veux me justifier, ma propre bouche me condamnera (Jb 9,20). Voyons donc quel est le sentier de ce juste – qui l’est par nature –, et quel est le chemin de celui qui est juste selon la grâce. 9. Le sentier du juste (cf. Is 26,7), c’est le Christ. Il est le sentier, il est la voie (cf. Jn 14,6). La voie pour les gens du monde, le sentier pour les religieux. Sur un sentier, on n’avance que l’un derrière l’autre. Sur une voie, on peut avancer à plusieurs ensemble, sur une voie on peut mener les chariots. Il y a aussi la voie large et spacieuse, qui conduit à la mort (cf. Mt 7,13) : c’est la voie du démon. Tandis que la voie du Christ, c’est la manière bonne de vivre des laïcs dans le monde, le sentier du Christ c’est la manière de vivre plus escarpée des religieux. L’une et l’autre conduisent à la a
Cf. Règle de saint Benoît 57,5‑6.
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vie éternelle (cf. Mt 7,14), parce que la voie et le sentier tendent au même but ; mais on y parvient plus rapidement par le sentier que par la voie, parce qu’un sentier passe par des raccourcis et à travers des endroits abrupts, alors qu’une voie se déploie à travers des endroits plats et qu’elle contourne les montagnes.
La voie du Christ
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10. Sont deux à marcher ensemble sur cette route, les fidèles qui ont en eux l’amour de Dieu et du prochain. Trois à marcher de front, les trois ordres dans l’Église. Quatre, ceux qui se conforment à la doctrine de l’évangile. Cinq, les pénitentsa ; six, ceux qui sont engagés dans l’action ; sept, ceux qui ont reçu par le baptême la grâce de l’Esprit ; huit, ceux qui ont atteint la béatitude ; neuf – qui est un nombre au carré –, ceux qui sont patients ; dix, ceux qui gardent la loi du décalogue. Les chariots et les portefaix s’avançant sur la voie désignent ceux qui sont alourdis par les soucis temporels et les affaires du monde. Les détours des montagnes sont les dommages subis dans la vie séculière. Quant au sentier, où l’on n’avance qu’un à la fois, il convient aux hommes de contemplation, qui ne cherchent que Dieu seul, qui entreprennent une route très ardue. 11. Certains se tiennent loin hors de la voie, tels ceux qui n’ont pas la foi ; d’autres se tiennent au bord de la voie, tels ceux qui ont une foi sans intelligence. Ainsi est-il dit : Un aveugle était assis au bord de la voie (Lc 18,35). D’autres encore sont bien sur la voie, mais certains d’entre eux s’en écartent ou la traversent. Il y en a qui sont couchés sur la voie, d’autres assis, d’autres debout ; les uns y marchent, les autres y courent. La voie, c’est le Christ, comme lui-même l’a dit : Je suis la voie, la vérité, la vie (Jn 14,6). Il est par où on va, il est où on vab. Il est lui-même la voie qui par lui-même mène à lui-même. Il est la voie qui conduit, la vérité qui instruit, la vie qui justifie. Il est le principe par qui, de qui, en qui sont toutes a b
Sans doute en raison des cinq sens corporels qu’ils s’efforcent de maîtriser. Cf. Augustin, Homélies sur l’Évangile de saint Jean 13,4.
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choses. Il est le centre absolu, il est le terme accompli. Il est le principe de la conversion, le terme non de l’anéantissement mais de l’accomplissement. Comme dit Augustin, « si tu veux venir vers la vérité, tiens-toi sur la voie. » Si tu veux avoir la vie, tiens-toi sur la voie et fais la vérité. « Veux-tu marcher ? Je suis la voie. Veux-tu échapper à l’erreur ? Je suis la vérité. Veux-tu ne pas mourir ? Je suis la viea. »
Couché ou assis 12. Sur cette voie, comme nous l’avons dit, certains s’engagent mais la quittent aussitôt et passent de l’autre côté. Garde-toi de ces gens-là car ils sont pervertis et machinent le mal. Ce sont les hérétiques dont il est écrit : Après une première et une seconde admonition, évite l’homme hérétique, sachant qu’un tel homme est perverti (Tt 3,10‑11). Certains restent couchés sur cette voie. Celui qui est couché s’étale par terre de tout son corps. Ce sont ceux qui appliquent leur esprit, leur attention, leur volonté, en même temps que leur corps, aux plaisirs terrestres et aux désirs charnelsb ; dans la mesure où ils ont la foi, ils sont sur la voie, mais ils ne parviennent pas à atteindre le but. D’autres sont assis. Celui qui est assis est en partie dressé vers le haut et en partie pressé vers le basc. Ce sont ceux qui accomplissent beaucoup d’œuvres bonnes, mais, parce qu’ils en font pareillement beaucoup de mauvaises et recherchent les réalités terrestres, ils ne parviennent pas au but projeté. 13. Que se lèvent donc ceux-ci comme ceux-là. Aussi le psalmiste dit-il : Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez un pain de douleur (Ps 126,2). Et ailleurs il est dit : Lève-toi, toi qui dors, relève-toi d’entre les morts (Ep 5,14). Et encore dans le livre des Juges : Lève-toi, lève-toi, Débora, lève-toi, lève-toi, et dis un cantique. Lève-toi, Baraq, et saisis tes ennemis, fils d’Abinoam (Jg 5,12). Lazare demeura couché dans le tombeau durant quatre jours, Jn 14,26 ; cf. Augustin, Homélies sur l’Évangile de saint Jean 22,8. Cf. Sermons 44,11 ; 48,6. c Cf. Sermon 127,7. a
b
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et il sentait déjà mauvais (cf. Jn 11,39) ; de même ici quelqu’un est couché dans la dureté de cœur comme dans un tombeau, depuis quatre jours – c’est-à-dire par la pensée, la délectation, le passage à l’acte et l’habitudea –, dégageant la mauvaise odeur du désespoir. Lazare, viens dehors, dit le Seigneur. Et ensuite aux disciples : Déliez-le et laissez-le aller (Jn 11,43‑44). Après que se soit levé celui qui est couché ou assis, il doit aller. C’est pourquoi le Seigneur dit encore dans l’Évangile : Lève-toi, prends ton grabat et marche (Jn 5,8). Ce qui veut dire : relève-toi de tes péchés, porte ton prochainb et loue le Seigneur ton Dieu.
Se tenir debout et marcher 14. D’autres sont debout : ils délaissent toutes les œuvres mauvaises, mais ils ne confessent pas les péchés qu’ils ont commis, c’est pourquoi ils ne parviennent pas au but. Se tenir debout est à prendre en beaucoup de cas dans le sens de la persévérance. Comme : Vous qui êtes debout dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu (Ps 133,1). Et le Seigneur dit à Ézéchiel : Fils d’homme, lève-toi et tiens-toi debout sur tes pieds (Ez 2,1). Et David dit : Il a dressé mes pieds sur le roc (Ps 39,3). Et le Seigneur dit à Moïse : Que le peuple retourne à ses tentes ; mais toi, tiens-toi debout ici avec moi (Dt 5,30‑31). Et ailleurs il est dit : Jérusalem, lèvetoi, tiens-toi debout sur la hauteur et regarde (Ba 5,5). Se tenir debout est donc une bonne chose, mais cela ne suffit pas, il faut aussi marcher ; ce qui signifie que la renonciation aux péchés ne suffit pas, si la confession relative au passé ne s’ensuit. Aussi Paul dit-il : La foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut (Rm 10,10). D’autres marchent, c’est-à-dire qu’ils font une confession convenable, reconnaissant leurs péchés et louant Dieuc. C’est ainsi que le Seigneur dit dans l’Évangile : Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent (Jn 12,35). Ce sont les divers échelons du péché : cf. Sermon 63,27‑28. Cf. Augustin, Homélies sur l’Évangile de saint Jean 17,9. c Cf. Sermon 97,2. a
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Courir 15. D’autres courent : ils aspirent vivement au sommet de la vie chrétienne. Ils doivent se hâter pour ne pas être empêchés par un retard et être tirés en arrière. Aussi un sage dit-il : « À ceux qui étaient prêts, il a toujours été nuisible de différera. » À propos de cette course, l’Apôtre dit : Courez donc de manière à saisir (1 Co 9,24). Qui doit courir a besoin d’aller dégagé et déchargé. C’est pourquoi l’Apôtre dit de même : Celui qui se dispose à lutter se prive de tout (1 Co 9,25). Que signifie se priver de tout sinon aimer la pauvreté volontaire ? Mais on rencontre rarement quelqu’un qui n’a rien et ne désire rien avoir. Ils doivent courir ceux qui se convertissent au Seigneur. C’est pourquoi saint Jérôme dit : « Hâte-toi, je t’en prie. Ta barque est encore attachée au rivage ; coupe le câble, plutôt que de le dénouerb » Que celui qui se convertit au Seigneur ne soit pas retardé par quelque empêchement venant du monde ou par une convoitise qui l’enchaîne. Qui n’a pas la foi est retenu et souillé par la fange du bourbier (cf. 2 P 2,22). Pour ceux qui entreprennent un parcours de conversion, il s’agit de courir. Ceux qui marchent ou qui courent trébuchent parfois et tombent. Certains d’entre eux en tombant trouvent la mort ; d’autres, quoique blessés, se relèvent et effectuent le parcours plus vite qu’à l’accoutumée. Parmi ceux qui s’engagent à la conversion, certains tombent dans la tentation et succombent, d’autres deviennent plus forts du fait de leur chute.
Saint Benoît 16. Ainsi donc, le sentier du juste – c’est-à-dire du Christ, qui est juste par nature et en personne – est droit. Droit est également le chemin de celui qui est juste (cf. Is 26,7) par grâce, tel saint Benoît. Sur ce chemin ne se trouve aucun détour, comme il l’enseigne dans sa Règle en un langage clair. Lui, Benoît, s’est engagé en une a b
Lucain, Pharsale 1,281. Jérôme, Lettres 53,11.
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Sermon 140
course rapide sur la voie du Seigneur lorsqu’il a abandonné son patrimoine et tout ce qu’il a pu avoir dans le monde, pour s’enfuir au désert. Là, il a progressé dans la mesure où non seulement il a offert son âme au Seigneur, mais qu’il en a aussi livré au Seigneur beaucoup d’autres qui avaient été trompées par le démon. Et qu’il nous unisse, nous et nos âmes, à notre même Seigneur Jésus Christ. Amen.
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SERMON 141 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
La garde du cœur est un thème cher au monachisme. Pour y parvenir, il faut exercer une vigilance incessante. L’importance de l’humilité est également soulignée dans les paragraphes 7 à 9. L’esprit de l’homme est comparé à un maître de maison attentif à la défendre contre les incursions étrangères. Sur ce sujet on pourra se référer utilement au sermon 32 qui développait plus longuement ce qui est dit ici au paragraphe 3. Le thème de la voie, étroite ou large, amène à celui de l’arbre qui porte de bons ou mauvais fruits (paragraphes 10‑13). Puis l’auteur reprend de larges extraits d’une homélie d’Origène sur l’Exode, pour en arriver finalement à montrer que saint Benoît a vécu cette vigilance du cœur, en vue de produire des œuvres bonnes.
La garde du cœur 1. En toute vigilance, applique-toi à la garde de ton cœur, car c’est de là que procède la vie (Pr 4,23). Le conseil, mieux la recommandation du sage est de s’appliquer en toute vigilance à la garde du cœur. La raison pour laquelle le cœur doit être gardé avec tant de zèle, tant de soin, tant de vigilance, il nous la donne en disant : Car c’est de là que procède la vie. Il y a le cœur dépravé (cf. Pr 11,20) et le cœur fidèle, le cœur qui contemple Dieu et le cœur qui regarde vers le démon, le cœur d’où procèdent d’honnêtes et saintes pensées
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Sermon 141
et le cœur d’où sortent des pensées mauvaises et perverses. Comment la vie procèderait-elle d’un cœur mauvais et pervers, qui ne médite que la tromperie, le mensonge et le faux témoignage ? Ce n’est pas la vie qui procède du cœur dont le Seigneur dit dans l’Évangile : Du cœur proviennent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, blasphèmes (Mt 15,19). Du cœur dont proviennent ces choses ne procède pas le bien mais le mal, non pas la vie mais la mort et la perdition éternelle. 2. Que veut donc dire : En toute vigilance, applique-toi à la garde de ton cœur, car c’est de là que procède la vie (Pr 4,23) ? Ne va pas comprendre : de lui – c’est-à-dire du cœur – procède la vie, comme si le cœur pouvait donner la vie à l’homme qui aurait été dépravé. Mais en toute vigilance, applique-toi à la garde de ton cœur, car c’est de là – c’est-à-dire du fait que tu t’appliques en toute vigilance à la garde de ton cœur – que tu prépares pour toi la vie. Oui, c’est de cette vigilance que procède la vie. Si donc tu désires la vie éternellea, en toute vigilance, applique-toi à la garde de ton cœur, afin qu’aucune voie d’accès ne soit ouverte, par laquelle l’adversaire pourrait entrer dans ton cœur. Car si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il aurait veillé pour ne pas laisser percer les murs de sa maison (Lc 12,39).
Le maître de maison
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3. Ce maître de maison peut être compris comme étant notre esprit, dont la maisonnée est faite des pensées, des mouvements de l’âme, des sentiments ainsi que des actions intérieures. Il y aurait trop de laisser-aller dans cette maisonnée si le maître ne la maintenait par la rigueur. Si ce maître de maison – notre esprit – en arrivait à relâcher sa sollicitude, qui pourrait dire à quel point les pensées, les yeux, la langue, les oreilles et tout le reste deviendraient arrogants ! La maison, c’est la conscience en laquelle habite ce père de famille y rassemblant les trésors des vertus. Il n’y a pas qu’un seul voleur, mais plusieurs, parce que chaque vice tend un piège à a
Cf. Règle de saint Benoît 4,46.
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Sermon 141
chacune des vertus. Cependant, le voleur est principalement compris comme étant le démon ; pour s’opposer à lui, le maître de maison – s’il a été attentif, protégeant sa maisonnée avec une solide vigilance – a placé la prudence sur la première voie d’accès, pour qu’elle discerne qui doit être évité ou désiré, chassé de la maison ou accueilli en elle. À côté d’elle doit se trouver la force pour repousser énergiquement les ennemis qui surviennent. Au milieu, que soit placée la justice pour rendre à chacun ce qui lui revienta. Et parce qu’il ignore à quelle heure viendra le voleur, qu’il craigne à toute heure. Ainsi donc, pour que le sommeil du péché ne s’y insinue pas, applique-toi en toute vigilance à la garde de ton cœur (Pr 4,23).
La vigilance 4. Mettons dès lors la vigilance devant et derrière, à droite et à gauche, en bas et en haut de notre cœurb. Afin donc de veiller sur un cœur bien fortifié de toutes parts et qui, protégé de partout par les vertus, ne puisse nullement dévier vers ce qui est illicite, mets la vigilance par-devant, afin de ne pas convoiter contre Dieu ce qui est à posséder ; par-derrière, afin de ne pas retourner vers ce qui a été rejeté à cause de Dieu ; à droite, afin de ne pas être exalté par les succès ; à gauche, afin de ne pas être brisé par les adversitésc. 5. Mets la vigilance à droite, afin de ne pas tomber dans le vice de jactance en raison des vertus que Dieu t’a accordées. Car ce vice est préjudiciable et plein de danger, parce qu’il précipite l’âme loin du sommet de la perfection. Ce mal a un double aspect. L’un se situe au début même de la conversion, lorsque ceux qui se sont quelque peu livrés au renoncement ou qui ont fait quelque aumône aux pauvres se préfèrent aux autres et se perçoivent ainsi comme bien supérieurs à ceux qui ont moins renoncé ou à ceux auxquels ils ont fait quelque largessed. L’autre aspect de la jactance a Cf. Cicéron, De finibus bonorum et malorum 5,23,65 ; Cf. Miroir de la charité, I, 91 et 96‑97 ; Sermon 39,16 etc. b Cf. Bernard de Clairvaux, Sermons divers 82,2. c Cf. Sermons 87,4 ; 106,10 ; 113,12. d Cf. Homélies sur les fardeaux 30,6.
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se présente lorsque quelqu’un parvient à une très haute vertu et qu’il n’attribue pas tout cela à Dieu mais à ses propres labeurs et effortsa, et tandis qu’il cherche la gloire venant des hommes (cf. 1 Th 2,6), il perd celle qui vient de Dieu. 6. Mettons donc la vigilance à notre droite, afin d’éviter le vice de jactance dans les champs des vertus, pour ne pas risquer d’encourir la même chute que le démon. Mettons la vigilance à notre gauche, afin qu’un dangereux désespoir ne nous enlace dans les vices et les péchés. Car du désespoir procèdent la mort et la perdition, comme il est écrit : Quand le pécheur est parvenu dans la profondeur du mal, il méprise tout b. Mets la vigilance au-dessus de toi, afin d’éviter l’excès d’espérance ; en dessous de toi, afin de ne pas succomber à la crainte. Tu la gardes devant toi, si tu prévois d’avance le bien à réaliser ; derrière toi, si tu te rappelles le mal commis afin de le sanctionner. À ta droite, si tu es attentif aux œuvres de miséricorde ; à ta gauche, si tu fuis la louange humaine, selon cette parole : Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite (Mt 6,3) ; en accomplissant le bien, ne convoite donc pas la faveur des hommesc. Mets la vigilance au-dessus de toi, afin d’espérer les biens éternels ; en dessous de toi, afin de ne pas craindre l’enfer. Et pour que pas même une petite fissure n’offre un accès à celui qui avec insolence se tient à l’affût, il faut que tu aies soin de placer l’humilité bien en cercle autour de toi.
L’humilité 7. C’est ce qu’on lit en Ézéchiel : Leur corps tout entier était plein d’yeux, autour d’eux quatre (Ez 1,18). Ce qui signifie : le corps tout entier d’eux quatre était plein d’yeux tout autour. Il faut en effet que les hommes saints soient circonspects de tous côtés, pour ne pas s’égarer dans les maux qu’ils fuient, et ne pas se détourner Cf. Sermon 182,10 ; voir Règle de saint Benoît, Prol. 30‑32 ; 4,42. Pr 18,3 vg ; cf. Sermon 40,8 ; Homélies sur les fardeaux 21,7. c Cf. Sermons 175,12 ; 182,9. a
b
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des biens qu’ils s’efforcent d’accomplir. Car souvent le vice prend la fausse apparence de la vertu, et ce qui est erroné cherche à plaire sous le label du correct : l’orgueil est déclaré liberté, la méticulosité est appelée humilité, l’avarice est dénommée économie, la prodigalité reçoit le nom de libéralitéa. Dès lors, que l’humilité véritable, telle une gardienne orbiculaire, veille de tous côtés sur le cœur. Elle doit le faire de quatre côtés : dans un lieu, sur le visage, dans le cœur, sur les lèvres. Tout cela peut être vérifié chez le publicain qui est monté au temple avec le pharisien pour prier (cf. Lc 18,10). 8. Le publicain se tenait à distance. C’est ainsi que l’humilité est signifiée par le lieu, comme il est dit ailleurs : Mets-toi à la dernière place (Lc 14,10). Il n’osait pas lever les yeux vers le ciel (Lc 18,13). Voici l’humilité manifestée sur le visage. À propos des yeux, d’habitude on note plutôt qu’ils s’élèvent, comme dans ces mots : Tu humilieras les yeux des superbes (Ps 17,28). Et : Seigneur, mon cœur ne s’est pas exalté, et mes yeux ne se sont pas élevés (Ps 130,1). Mais l’humilité – manifestée par le lieu et sur le visage – ne vaut pas grand-chose si elle n’est pas également dans le cœur. C’est pourquoi on ajoute : Il se frappait la poitrine (Lc 18,13). Oui, telle est la véritable humilité du cœur – c’est-à-dire la componction et la contrition pour le mal commis dans le passé, avec une foi droite –, signifiée par le fait qu’il se frappe la poitrine. Mais de même que la foi du cœur obtient la justice, ainsi la confession des lèvres obtient le salut (Rm 10,10). C’est pourquoi l’humilité doit se trouver sur les lèvres, elle qui fut sur les lèvres de celui qui a dit : Dieu, aie pitié de moi, pécheur (Lc 18,13). La confession des lèvres doit comporter deux éléments : l’aveu de la culpabilité et la demande de pardon. Car vain est un aveu de culpabilité s’il n’y a pas une demande de pardon. Le publicain demande pardon quand il dit : Dieu, aie pitié de moi. Il s’avoue coupable quand il ajoute : Pécheur. 9. Quand on la manifeste à des supérieurs, l’humilité est satisfaisante ; à des égaux, elle est abondante ; à des inférieurs, elle est débordante. Ce fut celle de Jésus lorsqu’il descendit au baptême de son serviteur. Par conséquent, en toute vigilance, applique-toi à
a
Voir grégoire le grand, Homélies sur Ézéchiel 7,2.
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la garde ton cœur (Pr 4,23), afin de pouvoir imiter celui qui a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29).
Les voies d’accès pour le démon
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10. Entrons par la porte étroite, car large et spacieuse est la voie qui mène à la mort ; mais étroite et resserrée est celle qui conduit à la vie (Mt 7,13‑14). Large est la voie de l’âme lorsqu’elle aura satisfait tous ses désirs ; mais étroite quand elle lutte contre ses propres volontésa. Si donc quelqu’un estime avoir renoncé au monde et aux œuvres du démon, il ne suffit pas qu’il abandonne ses biens, ses propriétés et les autres affaires du monde, mais il doit avoir renoncé également à ses vices et rejeté loin de lui les velléités inutiles et vaines. Celles dont parle l’Apôtre : Les désirs vains et nuisibles qui plongent les hommes dans la ruine (1 Tm 6,9). 11. En toute vigilance, donc, applique-toi à la garde de ton cœur (Pr 4,23), parce que le démon, à travers les vices et les volontés retorses, trouve le moyen d’accéder jusqu’au cœur qui n’est pas muni du rempart des vertus. Car les vices viennent du démon, de même que les vertus viennent de Dieu. Si donc les vices sont dans le cœur, lorsque surviendra leur prince, le démon, ils lui font place en tant que maître des lieux et le font entrer comme dans ce qui lui appartient. Aussi, de pareils cœurs ne peuvent jamais posséder la paix et le repos, mais ils sont toujours troublés, toujours terrorisés, et abattus tantôt par de vaines joies, tantôt par d’inutiles tristesses. Car ils ont à l’intérieur d’eux-mêmes le plus détestable des habitants, que les vices ont fait entrer par l’intermédiaire de leurs passions.
Ouvrir un passage à l’Esprit 12. À l’inverse, le cœur qui renonce véritablement au monde, qui coupe et retranche de lui-même toute forme de vice, qui, muni a
Cf. Règle de saint Benoît 5,11‑12.
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de remparts de tous côtés, ne laisse au démon aucune voie d’accès par laquelle il entrerait chez lui, mais qui retient l’irascibilité, réprime la colère, fuit le mensonge, abhorre la jalousie, ne supporte pas de jeter le discrédit sur son prochain ni même de ressentir ou de soupçonner du mal à son sujet, qui estime siennes les joies de son frère et regarde comme sienne sa tristesse (cf. Rm 12,15), un cœur qui accomplit cela et d’autres choses semblables ouvre un passage à l’Esprit Saint pour qu’il entre chez lui. Quand il sera entré et l’aura rempli de lumière, alors la joie, l’allégresse, la charité, la patience, la bonté et tous les autres fruits de l’Esprit (cf. Ga 5,22) y jailliront sans cesse. 13. C’est ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. C’est aux fruits que l’on connaît un arbre (Mt 7,18‑20). Et c’est aux œuvres que l’on éprouve le cœur. En toute vigilance, donc, applique-toi à la garde de ton cœur (Pr 4,23). Et pour qu’aucune voie d’accès ne soit ouverte par laquelle l’ennemi rusé pourrait entrer en ton cœur, lorsque tu as accompli de bonnes choses ne va pas les divulguer avec jactance sur la place publique, comme font les hypocrites afin d’être loués par les hommes, mais cherche plutôt à ce qu’elles soient cachées, de peur qu’à cause de la faveur des hommes tu ne perdes la récompense promise par Dieu (cf. Mt 6,2).
L’enfant né chez les Hébreux 14. L’Écriture rapporte qu’une personne de la tribu de Lévi engendra un enfant mâle ; elle vit que l’enfant était beau et le cacha pendant trois mois (cf. Ex 2,1‑2). Sache comprendre intelligemment ce qui t’est présentéa, dit Salomon. Pharaon, roi d’Égypte, avait donné cet ordre à son peuple : Tout enfant mâle qui naîtra aux Hébreux, jetez-le dans le fleuve ; toute fille, laissez-la vivre (Ex 1,22). 15. « Dans la sainte Écriture, la femme symbolise la chair et les affections charnelles ; tandis que l’homme représente la perception rationnelle et l’intuition spirituelle. Cette perception a
Pr 23,1, cité par Origène, Homélies sur l’Exode 2,3.
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rationnelle, apte à goûter les réalités célestes, à comprendre Dieu et à chercher ce qui est d’en haut (cf. Col 3,1), voilà ce que hait Pharaon, roi d’Égypte – qui symbolise le démon, prince de ce monde (cf. Jn 16,11) – : il souhaite que cela soit mort et anéantia. » C’est pourquoi il donne cet ordre : Tout enfant mâle qui naîtra aux Hébreux, jetez-le dans le fleuve ; toute fille, laissez-la vivre (Ex 1,22). “Le démon souhaite en effet que vive tout ce qui relève de la chair et concerne la matière corporelle ; et non seulement vive, mais s’accroisse et se développe. Car il veut que tous goûtent les choses charnelles, désirent les temporelles, cherchent ce qui est sur terre (cf. Col 3,2). C’est cela laisser vivre toute fille.
Interprétation symbolique 16. Or il veut que périsse tout enfant mâle, parce que le démon souhaite que « nul ne lève les yeux au ciel, que nul ne cherche d’où il est venu ici-bas, que nul ne se rappelle la patrie du paradis. Quand donc tu verras des hommes passer leur vie dans les plaisirs et les délices, baigner dans la luxure, s’adonner aux banquets, au vin, aux festins, aux débauches et aux impudicités, sache qu’en eux le roi d’Égypte tue les mâles et laisse vivre les filles. Mais quand tu verras quelqu’un se tourner vers Dieu, lever en haut les yeux, chercher les réalités durables et éternelles, contempler les réalités célestes, haïr les délices, aimer la continence, fuir la luxure, se détourner des vices et cultiver les vertus, celui-là, Pharaon veut sa mort parce que c’est un homme, un mâle (cf. Ex 1,22), il le poursuit, le persécute, emploie mille ruses pour le combattre. Le roi d’Égypte hait de tels hommes, il ne les laisse pas vivre en Égypte. Voilà pourquoi en ce monde les serviteurs de Dieu et tous ceux qui cherchent Dieu souffrent persécution (cf. 2 Tm 3,12), ils sont exposés au dédain et aux insultes, saturés d’outrages, harcelés par divers et multiples préjudices, parce que Pharaon les haitb. »
a b
Cf. Origène, Homélies sur l’Exode 2,1. Cf. Origène, Homélies sur l’Exode 2,1.
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17. « Les Égyptiens, à qui Pharaon a donné des ordres, laissent vivre les filles, car ils nourrissent exclusivement les vices et les plaisirs ; ils haïssent les mâles, car ils pourchassent et combattent les vertus. Et maintenant encore les Égyptiens – c’est-à-dire les esprits du mal – sont aux aguets : si un enfant mâle vient à naître chez les Hébreux, aussitôt ils le persécutent et le tuent, à moins que les Hébreux ne soient sur leur garde, attentifs à cacher l’enfant mâlea. » Nous sommes les Hébreux, nous ouvrons un ‘passage’ (cf. Nb 9,4 vg) pour le Seigneur chaque fois que nous proclamons avec foi la mort du Christ, par laquelle il est passé du monde au Pèreb. Sur l’ordre de Pharaon, les Égyptiens – c’est-à-dire l’esprit du mal – sont aux aguets contre nous : si un enfant mâle vient à naître chez nous, c’est-à-dire si quelque œuvre bonne a procédé de nous, aussitôt ils nous l’arrachent et l’engloutissent dans les flots. C’est pourquoi le père de Moïse, lorsqu’il a engendré l’enfant mâle et vu qu’il était beau, le cacha pendant trois mois (cf. Ex 2,1‑2). 18. Ne livrons donc pas aux Égyptiens l’enfant mâle, car la divine Écriture nous engage « à ne pas produire en public nos actions bonnes, à ne pas faire montre de notre justice devant les hommes (cf. Mt 6,1), mais à prier le Père dans le secret, porte fermée (cf. Mt 6,6) et à faire en sorte que notre main gauche ignore ce que fait notre main droite (cf. Mt 6,3). Car si ce n’est pas dans le secret, les Égyptiens vont faire irruption, s’en emparer, le jeter dans le fleuve, le plonger dans les vagues et les flots. Si je fais l’aumône, puisque c’est une œuvre de Dieu je mets au monde un enfant mâle. Mais si je la fais pour qu’elle soit connue des hommes, si je recherche leur louange, si je ne cache pas mon aumône, elle devient la proie des Égyptiens et elle est engloutie dans le fleuve. C’est pourquoi, vous qui écoutez ces choses, veillez à ne pas faire montre de votre justice devant les hommes pour être vus pas eux (Mt 6,1), mais pour connaître le sens de la vie, les principes de la morale, les combats de la foi et de la vertuc. »
Cf. Origène, Homélies sur l’Exode 2,3. Cf. Jn 13,1 ; cf. Sermon 61,2‑3. c Cf. Origène, Homélies sur l’Exode 2,3. a
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Exemple de Benoît
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19. Que chacun fasse ce que nous avons proposé au début du sermon : En toute vigilance, applique-toi à la garde de ton cœur, car c’est de là que procède la vie (Pr 4,23). Ce à quoi s’est adonné avec constance le glorieux confesseur du Seigneura, Benoît, aux louanges duquel nous nous attachons aujourd’hui. Alors même qu’il abondait en œuvres de perfection, ne voulant pas plaire aux hommes mais à Dieu, il quitta sa région et sa parenté, évita les lieux connus et agités, vécut longtemps solitaire dans un ermitageb, s’exerçant à la maîtrise de son corps par les jeûnes et les veilles, ne se contentant pas de résister aux vices et aux péchés mais allant jusqu’à vaincre courageusement et vaillamment leur instigateur, le démon et tous ses satellites. 20. À juste titre donc s’appelle-t-il Benoît celui que le Seigneur a béni de toutes sortes de bénédictions célestes (cf. Ep 1,3), celui à qui le Seigneur avait conféré toute la plénitude des grâces spirituelles (cf. Ep 3,19). Si tu considères en lui la grâce de charité, tu ne pourras en présenter la surabondance en peu de mots. Si tu es attentif à son humilité, tu reconnaîtras qu’il dépasse de loin tous les autres en ce don. Et si tu regardes encore sa patience, sa bonté, sa douceur (cf. Ga 5,22‑23), il l’emporte à chaque fois, de sorte que tu ne sais absolument pas à qui il pourrait être comparé. Le Seigneur lui avait conféré un si grand don de sagesse et de science que l’on croirait qu’avant lui aucun des Pères qui l’ont précédé n’a pénétré à ce point dans les vastes salles de la totalité du savoir. 21. Admis dans l’intimité de la sagesse de Dieu, il éclaira de sa profonde connaissance et il rehaussa de sa beauté morale tous ceux à qui il a été donné de jouir de sa compagnie sur terre : il établit la façon de vivre des moines et nous laisse une Règle. Dans la mesure où nous aurons vécu en la suivant, nous parviendrons sans aucun doute à la vie éternelle. Par les mérites et les prières de notre glorieux protecteur, que Dieu – Père, Fils et Esprit Saint – daigne nous y conduire. Amen. a b
Cf. Sermons 170,19 ; 171,14 etc. Cf. Grégoire le Grand, Dialogues 2, Prol., 1 ; 1,3.
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SERMON 142 POUR L’OCTAVE DE LA FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL
Le texte biblique placé en tête du sermon est un capitule propre à l’octave de la fête des saints Pierre et Paul. C’est ce qui permet de conjecturer l’occasion liturgique en vue de laquelle il a été composé. Et on peut penser qu’il a été prêché devant une assemblée de prêtres, ou en tout cas de pasteurs (évêques et abbés), à cause du long développement relatif à 1 Chron. 13, qui semble constituer le thème central du sermona.
Préambule 1. Voici des hommes de miséricorde dont la justice n’a pas été oubliée b. Lorsqu’on montre quelque chose, l’on s’adresse tantôt à l’œil du cœur, tantôt à l’œil du corps. L’on s’adresse à l’œil du cœur quand ce dont il s’agit n’est pas présenté à l’œil extérieur mais à l’intellect, et quand on parle d’une chose absente comme si elle était présente. L’on s’adresse à l’œil du corps quand des objets matériels sont placés sous les yeux corporels. Et il n’y a pas moyen de montrer quelque chose à l’œil du corps sans que Cf. G. Raciti, L’option préférentielle pour les faibles, Collectanea, 1993, tome 55, p. 190‑195. b Si 44,10, d’après la version de la Septante. a
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Sermon 142
la réalité en question soit présente. Mais il n’en va pas de même dans la sainte Écriture. 2. La divine Écriture parle souvent de choses absentes comme si elles étaient présentes. Et quand rien n’a précédé d’où on pourrait savoir de quoi il s’agit, un mot survient comme à l’improviste, relatif à ce qui n’a pas été antérieurement présenté. Comme par exemple : Ses fondements sont sur les montagnes saintes (Ps 86,1), alors qu’avant cela rien n’a été émis à propos des montagnes. Et chez les prophètes : Et il s’est fait (Ez 1,1), alors que rien n’a précédé pour montrer ce qui s’est fait. Et ici, à propos des hommes dont nous célébrons aujourd’hui la solennité, il est dit : Voici des hommes de miséricorde (Si 44,10), alors que, dans ce qui précède, rien n’a été dit à propos des hommes de miséricorde. Car avant d’exprimer ce dont ils vont parler, les saints y réfléchissent d’avance et le roulent fréquemment en leur esprit. Et ainsi, ils relient leur propos à leur réflexion préalable comme si celle-ci avait été déjà exprimée. Nous l’avons montré dans les exemples ci-dessusa.
Hommes de miséricorde
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3. Voici des hommes de miséricorde (Si 44,10). Le mot ‘hommes’ est parfois pris en mauvaise part, parfois en bonne partb. En mauvaise part, comme par exemple : Délivre-moi des ouvriers d’iniquité, et des hommes de sang sauve-moi (Ps 58,3). Et : Les hommes de sang et de fraude n’atteindront pas la moitié de leurs jours (Ps 54,24). Et ceci de Salomon : Les hommes impies ont dit : Tuons le justec. Le mot ‘hommes’ est pris en bonne part lorsqu’on dit : Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder le ciel (Ac 1,11) ? Et : Voici que deux hommes en vêtements blancs se tinrent près d’eux (Ac 1,10). Et ici à propos des hommes que nous magnifions aujourd’hui : Voici des hommes de miséricorde. Oui, ils sont appelés a Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 86,2 ; grégoire le grand, Homélies sur Ézéchiel 2,2. b Cf. Sermon 74,9. c Cf. Sg 2,20 ; répons du dimanche des Rameaux.
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hommes de miséricorde, parce qu’on a agi miséricordieusement envers eux, et aussi bien parce qu’eux-mêmes se sont comportés miséricordieusement envers autrui. 4. On a agi miséricordieusement envers eux, puisque le tout de la miséricorde consiste en ceci : ceux qui se sont montrés saints ont méprisé la gloire du monde et sont parvenus à la gloire du Royaume des Cieux. De fait, qui pourrait devenir saint sans la grâce du Saint-Esprit ? Les souffrances de cette vie ne sont pas à comparer à l’incorruptibilité future, à l’ineffable béatitude, à l’indicible gloire (cf. Rm 8,18) à laquelle sont déjà parvenus les saints que nous glorifions aujourd’hui. C’est donc à bon droit que sont appelés hommes de miséricorde (cf. Si 44,10) ceux envers qui le Seigneur a agi tellement miséricordieusement que, vivant pour toujours, ils sont héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (Rm 8,17). 5. Ils sont aussi appelés hommes de miséricorde parce qu’ils ont témoigné de la miséricorde aux autres, nourrissant les pauvres, faisant de larges aumônes, amendant et corrigeant les péchés du prochain et sauvant les âmes de leurs frères. La véritable miséricorde ne se contente pas de soutenir et de nourrir le corps par des aliments matériels, mais elle revigore et sauve l’âme par des enseignements spirituels. Voici donc des hommes de miséricorde (Si 44,10). Ils se sont rappelés du précepte du Seigneur : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (Lc 6,36) et, de même qu’on a agi miséricordieusement envers eux, de même ils se sont comportés miséricordieusement envers autrui, prenant sur leur avoir pour accorder aux corps des biens matériels et procurant diligemment aux esprits des biens spirituels. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (Mt 5,7). C’est elle que nos saints protecteurs ont déjà obtenue, régnant avec bonheur dans les cieux et triomphant glorieusement sur terre.
Bon ou mauvais zèle 6. Voici des hommes de miséricorde (Si 44,10). Le mot ‘homme’ signifie la force d’âme et le bon zèle qu’ont les hommes de
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miséricorde pour punir les péchés en eux-mêmes et chez les autres. Grâce à cette force d’âme et à ce bon zèle, les saints foulent aux pieds les biens de la terre et aspirent à ceux du ciel, ne se laissent pas abattre par l’adversité ni exalter par la prospérité. Chez certains, ce bon zèle est zèle mauvais et force inique. Il s’agit de ceux dont l’Écriture dit : Ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science (Rm 10,2). Ce zèle qui n’est pas selon la science est un zèle mauvais parce qu’il n’est pas judicieux. Mais ce zèle mauvais est parfois caché, parfois manifeste. 7. Il est caché en ceux qui persécutent insidieusement leurs frères, dénigrant leur prochain en cachette. Ceux-là, le psalmiste les reprend en s’adressant à eux au singulier : Qui dénigre en secret son prochain, celui-là je le poursuivrai (Ps 100,5). Ceux qui dénigrent leur prochain en cachette et en secret imitent le fils de perdition dont le psalmiste dit : Il est assis en embuscade avec les riches, dans des lieux cachés, pour faire périr l’innocent (Ps 9,29, vg). Le zèle inique est manifeste en ceux qui sévissent contre les élus de façon manifeste, tourmentant les serviteurs de Dieu par des rivalités, des invectives et de multiples préjudices, suivant l’exemple de l’ennemi du genre humain dont saint Pierre dit : Votre adversaire, le démon, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5,8). 8. Quand le lion rugit, il ne cherche pas à être caché mais manifeste. Car s’il rugit, c’est pour effrayer ceux qu’il veut attaquer. Pareillement, quand les rois et les princes de la terre – en qui était un zèle inique – se rassemblèrent contre le Seigneur et son Christ (cf. Ps 2,2), ils se jetaient sur les serviteurs de Dieu, tels des lions rugissants, avec rage et grand fracas, par des invectives et des menaces, afin de les détourner de leur religion et de les soumettre aux idoles. Chez ces gens, qui sévissaient si manifestement contre des innocents, la force mauvaise et le zèle inique étaient manifestes. Chez les saints, la force d’âme est vertu et bon zèle ; chez les méchants, il est clair qu’elle est vice et zèle mauvais.
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Vraie et fausse justice 9. Les hommes de miséricorde (cf. Si 44,10) ont force d’âme et bon zèle. C’est donc à juste titre qu’ils sont appelés « hommes », parce qu’ils sont vraiment justes et qu’ils se montrent miséricordieux. “La vraie justice est compatissante, parce que ceux qui sont vraiment justes se montrent miséricordieux. Oui, même s’ils s’indignent contre les pécheurs, c’est pourtant sans indignation ; ils s’acharnent contre eux, mais c’est par amour ; car même si, dans leur zèle, ils multiplient au-dehors les reproches, ils gardent au-dedans la douceur de la charité. Ils ne se mettent pas au-dessus de ceux qu’ils corrigent mais bien souvent ils considèrent comme meilleurs ceux qu’ils réprimandent. Et ainsi ils conduisent miséricordieusement leurs inférieurs par la discipline, et se gardent euxmêmes par l’humilité, parce qu’ils n’ont pas une force inique mais un zèle saint et une force bonne. 10. Par contre, ceux qui s’enorgueillissent d’une fausse justice méprisent tous les autres ; ils n’ont aucune compassion des frères faibles pour se placer à leur niveau, parce que la fausse justice est dédaigneuse, tandis que la vraie justice est compatissantea.” En eux la force d’âme n’est pas vertu mais vice, et leur zèle est inique. Ils regardent les autres de haut parce qu’ils sont capables de jeûner, de veiller et de prier plus qu’eux. Ceux-là suivent l’exemple d’Uzza qui, lorsque l’arche du Seigneur s’était penchée à cause des bœufs qui se cabraient, étendit la main pour redresser l’arche, et le Seigneur le frappa sur place et il mourut à l’instant même (cf. 2 S 6,6‑7).
Une séquence biblique 11. On lit dans le livre des Rois que, lorsque David voulut ramener l’arche du Seigneur à Jérusalem, et que lui-même et ceux qui étaient avec lui approchèrent de Chidon, Uzza – qui, avec ses frères, menait le chariot – étendit la main pour soutenir l’arche. En a
Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 34,2.
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effet, l’un des bœufs, en folâtrant, l’avait fait un peu pencher. Irrité contre Uzza, le Seigneur le frappa parce qu’il avait touché l’arche, et il mourut là devant le Seigneur (1 Ch 13,7‑10 vg). 12. L’arche de l’alliance – où se trouvaient la manne, le bâton d’Aaron et les tables de l’alliance (cf. He 9,4) – désigne les supérieurs et les pasteurs de l’Église, chez qui doivent se trouver la manne du réconfort, le bâton de la correction et les tables de l’instruction, afin qu’ils soient experts en l’un et l’autre Testament et qu’ils aient d’où tirer le nouveau et l’anciena. Les bœufs désignent les sujets et les inférieurs, qui parfois s’avancent par le droit chemin, sans dévier ni à droite ni à gauche (cf. Pr 4,27), parfois font des écarts et, en se cabrant, font pencher l’arche. Uzza désigne ceux qui, se glorifiant de leurs propres forces, méprisent les autres et n’ont aucune compassion des frères faibles pour se placer à leur niveau
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13. L’arche se penche à cause des bœufs qui se cabrent, car un pasteur judicieux a miséricordieusement pitié de ceux qui commettent des fautes par faiblesse naturelle ; il se conforme à tous de la façon qu’il sait convenir à chacun. En effet, tout le monde ne doit pas être contraint par la même rigueur de discipline. Car de même que nous avons des visages différents, ainsi nous avons des caractères multiples et variés. L’un est corrigé par des menaces, l’autre par des encouragements. Celui-ci est à réprimander par des paroles, celui-là par des coups de bâton. L’un doit être mâté par des châtiments corporels, un autre doit être mortifié par des jeûnes. Il faut effrayer celui-ci par l’évocation des peines de l’enfer, réconforter celui-là par les attrayantes promesses de la vie éternelleb. 14. C’est pourquoi un pasteur judicieux ne contraint pas tout le monde à une même rigueur, mais tel un sage médecinc, il soigne Cf. Mt 13,52 ; voir Règle de saint Benoît 64,9. Cf. Règle de saint Benoît 2,27‑31. c Cf. Règle de saint Benoît 27,2 ; 28,2. a
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les maladies de tous en présentant à chacun ce qui lui convient. C’est donc bien à propos qu’il est dit : L’un des bœufs, en folâtrant, avait fait un peu pencher l’arche (1 Ch 13,9). Le bœuf qui folâtre, c’est le frère indiscipliné et inconstant qui, accablé par la faiblesse naturelle, ne supporte pas la rigueur de la discipline régulière. L’arche penche un peu vers lui, parce que le supérieur et pasteur miséricordieux se place miséricordieusement au niveau de celui qui a commis des fautes par faiblesse naturelle, sachant que la compassion d’une tendresse fraternelle est due à celui pour qui le Christ a souffert (cf. Rm 14,15).
Uzza, le robuste 15. Mais Uzza étendit la main pour soutenir l’arche (1 Ch 13,9), car celui qui manque de tendresse fraternelle, qui est robuste dans les jeûnes, les veilles, les travaux (cf. 2 Co 6,5), qui est sûr de ses propres forces et qui regarde de haut le bœuf qui folâtre, c’est-àdire le frère faible et inconstant, celui-là ne se place nullement au niveau du frère faible, par motif de tendresse fraternelle, et ne supporte pas qu’à cause d’un bœuf qui folâtre l’arche soit penchée, mais il empêche autant qu’il peut le pasteur bienveillant de se placer au niveau du frère faible. Et il étend la main pour soutenir l’arche, parce qu’il s’efforce avec application et finauderie d’obtenir que le supérieur réprime sans miséricorde les folâtres et les inconstants qui commettent des fautes par faiblesse naturelle, et qu’il le fasse non seulement par des reproches mais par des invectives, des menaces et des coups de bâton. 16. C’est pourquoi Uzza se traduit par ‘robuste’, car ceux qui manquent d’entrailles de tendresse et qui sont forts dans la rigueur de la discipline possèdent une force d’âme qui n’est pas bienveillante mais mauvaise, et un zèle inique avec lequel ils sévissent sans discrétion et sans miséricorde contre les frères faibles. Par conséquent, ce qu’Uzza a subi dans son corps, ils le subissent dans leur âme. Qu’a subi Uzza ? Tandis qu’il soutenait l’arche, il fut frappé par le Seigneur et à l’instant même il mourut, là devant
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lui (cf. 1 Ch 13,9‑10). Le Seigneur frappe celui qui fait fi de la tendresse fraternelle. Oui, le Seigneur le frappe par cette sentence qui dit : Les puissants seront puissamment accablés de tourments (Sg 6,6). Le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde (Jc 2,13). Si, au jugement de Dieu, nul n’est sauvé que par miséricorde, il est clair que périra au jugement futur celui qui vit sans miséricorde dans la vie présente.
Une justice qui n’est pas oubliée 17. Mais les hommes de miséricorde, que nous magnifions aujourd’hui sur terre, ont vécu avec justice et miséricorde ; c’est pourquoi ils règnent véritablement et heureusement dans les cieux, eux dont la justice n’a pas été oubliée (Si 44,10). Il y a une justice qui est effacée par l’oubli, et une justice qui demeure dans la mémoire. Malheureux et digne de pitié est celui dont la justice est effacée par l’oubli. Mais bienheureux est celui dont la justice demeure dans la mémoire. Le juste sera en mémoire éternelle, il ne craindra pas d’annonce de malheur (Ps 111,6‑7). C’est une annonce de malheur qu’entendront les réprouvés : Allez, maudits, dans le feu éternel (Mt 25,41). 18. Cette annonce, le juste ne la craindra pas (cf. Ps 111,7), car, placé à la droite de Dieu, il sera à l’abri de toute forme de châtiment et de l’assaut des ennemis. Place-moi près de toi, dit Job, et personne ne combattra contre moi (Jb 17,3 vg). Placé près de toi je ne craindrai aucun adversaire, dans la mesure où j’aurai trouvé grâce. Ainsi donc, le juste ne craindra pas d’annonce de malheur (Ps 111,7), mais il attendra avec un immense désir et un grand amour l’annonce de bonheur qu’entendront les élus : Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du mondea. 19. Dès lors, afin d’entendre avec les élus cette douce invitation du Seigneur, imitons les hommes de miséricorde (cf. Si 44,10). Veillons à ce que notre justice ne soit pas oubliée (cf. Si 44,10) mais a
Mt 25,34 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 111,5.
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plutôt qu’elle demeure dans la mémoire. Que notre justice ne soit ni vénale, ni passagère, ni tièdea. La première est celle des hypocrites, la seconde est celle de ceux qui commencent et ne persévèrent pas, la troisième est celle des négligents. La justice vénale est ignorée, la justice passagère est oubliée, la justice tiède est vomie.
Justice vénale 20. La justice vénale – qui est celle est hypocrites – est ignorée, parce que les hypocrites sont ignorés du Seigneur comme le sont des étrangers. Les hypocrites brillent au-dehors et sont comme des sépulcres blanchis qui, au-dedans, sont pleins d’ossements de morts (cf. Mt 23,27) ; ils aspirent davantage à être appelés saints et à ne pas l’être, qu’à l’être et à ne pas être appelés telsb ; ils aiment à recevoir des salutations sur les places publiques et les premiers sièges dans les synagogues (Mt 23,6‑7) ; ils placent toute leur réputation sur les lèvres des hommes. À la fin, ces gens crieront avec les vierges insensées : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Et le Seigneur leur dira : Amen, je vous le dis, je ne vous connais pas (Mt 25,11‑12). Leur justice est vénale parce qu’ils vendent à vil prix tout le bien qu’ils font. Ils n’accomplissent pas leurs œuvres bonnes pour que Dieu soit glorifié mais pour qu’eux-mêmes soient davantage loués par les hommes. Aussi le Seigneur dit-il à leur sujet : Ils ont reçu leur récompense (Mt 6,2). Pour les vaniteux, la récompense s’évanouit. C’est bien ainsi que la justice vénale est ignorée.
Justice passagère 21. La justice passagère ou momentanée est oubliée. Car quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu (Lc 9,62). La couronne est promise non pas à ceux qui commencent mais à ceux qui persévèrent. Ceux qui a b
Cf. Bernard de Clairvaux, Sermon pour les apôtres Pierre et Paul 3,6. Cf. Règle de saint Benoît 4,62.
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s’éloignent du mal et peu après regardent vers lui imitent la femme de Lot. S’étant éloignée de Sodome, aux cris poussés par les habitants de la ville elle regarda en arrière et ne parvint pas en dehors du territoire de Sodome, mais elle demeura sur le chemin et fut changée en colonne de sel (cf. Gn 19,26). Si donc quelqu’un sort de Sodome ou Gomorrhe, qu’il ne regarde pas vers ces villes, mais qu’il désire la terre promise. Qui commence bien puis s’éloigne du bon chemin est comme un chien retournant à son vomissement ou comme une truie à peine lavée qui se roule dans le bourbier (cf. 2 P 2,22). La justice d’un pareil homme ne reçoit pas une récompense mais elle encourt un châtimenta. Car la justice passagère est oubliée, comme l’a dit le Seigneur par le prophète : Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité, selon toutes les abominations que l’impie a coutume de commettre, on ne se rappellera pas toute la justice qu’il a pratiquée ; dans la prévarication en laquelle il a prévariqué, et dans le péché par lequel il a péché, il mourra (Ez 18,24 vg).
Justice tiède 22. La justice tiède est vomie, parce que celui qui est tiède et négligent, celui qui se comporte avec relâchement et sans énergie, le Seigneur détourne les yeux de lui. Aussi est-il dit dans l’Apocalypse : Plût à Dieu que tu fusses chaud ou froid ! Mais puisque tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche (Ap 3,15‑16). La bouche du Seigneur désigne les élus en qui et par qui Dieu parle. C’est ainsi que le Seigneur dit dans l’Évangile : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous (Mt 10,20). De cette bouche le Seigneur va vomir celui qui est tiède : par ses dons et les charismes dont il enrichit les élus, il repousse dans la vie présente celui qui est relâché, sans énergie et qui se comporte avec tiédeur, et, dans la vie future, il l’exclura de la compagnie des saints, lorsqu’à la fin, par l’intermédiaire des saints anges, il séparera les boucs d’avec les agneaux (cf. Mt 25,32). a
cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 83,3.
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23. Que notre justice ne soit donc pas vénale, parce que la justice vénale – qui est celle des hypocrites – est ignorée. Pour qu’elle ne soit ni vénale ni ignorée, que notre justice soit vraie, et que dans nos œuvres bonnes nous ne cherchions pas notre gloire mais celle de Dieu. Qu’elle ne soit pas non plus passagère ou momentanée, mais poursuivons avec persévérance le bien que nous avons commencé sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Que notre justice ne soit pas tiède mais ardente afin que, brûlants de charité, nous soyons unis dans les cieux à ceux que nous glorifions aujourd’hui sur terre par des acclamations. Que, par les mérites et les prières de tous les saints dont la justice n’a pas été oubliéea, le Dieu tout-puissant daigne nous l’accorder, lui qui est Père, Fils et Esprit Saint. Amen.
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Si 44,10, d’après la version de la Septante.
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SERMON 143 À DES ABBÉS
Adressé à un auditoire de pasteurs, ce sermon présente une interprétation symbolique d’un épisode biblique peu connu. Il y est surtout question du combat mené par le Christ contre le démon. À sa suite et à son exemple, les pasteurs ont à se montrer valeureux pour préparer leurs frères en vue de la résurrection, victoire définitive sur les forces du mal.
Introduction 376
1. David dit à Amasa : Convoque-moi tous les hommes de Juda pour le troisième jour, et toi, sois présent. Il s’en alla appeler ceux de Juda, et il tarda au-delà du délai que lui avait fixé le roi. Et David dit à Abishaï : Prends les serviteurs de ton maître et poursuis Sheba fils de Bikri, de peur qu’il n’atteigne des villes fortifiées et ne nous échappe. Les hommes de Joab sortirent avec Abishaï et tous les preux sortirent de Jérusalem pour poursuivre Sheba fils de Bikri. Ils étaient près de la grande pierre qui est à Gabaon quand Amasa acourut à leur rencontre. Or Joab était vêtu d’une tenue étroite, qui lui était juste sur le corps, et par-dessus il était ceint d’un glaive attaché à ses reins dans son fourreau, et fait de manière qu’il pouvait par un léger mouvement sortir et frapper. Joab dit à Amasa : Salut, mon frère. Et de la main droite, il saisit le menton d’Amasa comme pour l’embras-
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Sermon 143
ser. Or Amasa ne prenait pas garde au glaive qu’avait Joab. Celui-ci le frappa dans le côté et répandit ses entrailles à terre (2 S 20,4‑10). 2. La divine Écriture nous recommande, lorsqu’il nous arrive d’être invités au repas d’un riche, de tendre diligemment la main vers les mets. Le repas de ce riche, c’est le texte saint des Écritures. Dans ce repas nous sont apportés des aliments variés et de grand prix, pour la réfection non pas du corps mais de l’esprit. Tendons diligemment la main vers les mets, pour recueillir quelque chose des paroles citées plus haut, paroles divines et spirituelles, en vue d’une meilleure compréhension et de la réfection des âmes.
Le troisième jour 3. David, qui se traduit par « d’une main fortea », désigne le Christ. Amasa, qui tarde au-delà du délai que lui avait fixé le roi (2 S 20,5), désigne le supérieur tiède et négligent qui exécute l’ordre de son Seigneur avec une humeur chagrine et en maugréant. Le roi qui lui prescrit de convoquer tous les hommes de Juda pour le troisième jour et d’être lui-même prêt (cf. 2 S 20,4), c’est évidemment le Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs (Ap 19,16). Juda, qui se traduit par « confessantb », désigne les fidèles qui confessent et vénèrent le Dieu unique et vrai. Le Christ ordonne de les convoquer, c’est-à-dire de les appeler ensemble, afin qu’ils se mettent ensemble, qu’ils demeurent ensemble et qu’ils parviennent avec bonheur à Celui qui est l’Un et le Très-Haut. 4. Il ordonne de les convoquer pour le troisième jour (cf. 2 S 20,4). Le troisième jour, c’est le jour de la Résurrection, parce que le Christ est ressuscité des morts le troisième jour (cf. 1 Co 15,4). De ce jour le prophète dit : Après deux jours le Seigneur nous rendra la vie, et le troisième jour il nous ressuscitera, et nous vivrons en sa présence (Os 6,2). David ordonne à Amasa de convoquer tous les hommes de Juda pour le troisième jour, parce que le Christ prescrit à chaque supérieur de convoquer et d’instruire les fidèles a b
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 68. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 78.
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qui adorent et confessent Dieu, afin qu’ils se préparent en vue du troisième jour, le jour de la résurrection, lors duquel ils rendront compte de ce qu’ils auront fait, et chacun recevra ce qu’il aura mérité, soit en bien soit en mala. 5. Le roi prescrit à Amasa d’être présent en personne le troisième jour (cf. 2 S 20,4), ce qui veut dire qu’un supérieur, en instruisant les autres, doit se préparer lui-même en vue du troisième jour, le jour de la résurrection, lors duquel il rendra compte non seulement pour lui-même mais également pour ceux qui dépendent de luib ; qu’il soit toujours présent à lui-même – disant avec le prophète : Mon âme est toujours entre mes mains (Ps 118,109) –, et qu’il soit prêt afin que, lorsque le Seigneur viendra et frappera à sa porte, il le trouve occupé à veillerc.
Le supérieur négligent 6. Amasa s’en alla et n’appela pas les hommes de Juda ; il ne vint pas selon le délai que lui avait fixé le roi (cf. 2 R 20,5). Car un supérieur négligent et tiède, qui agit nonchalamment, n’instruit pas comme il le devrait les fidèles dont il a la charge, et il ne se prépare pas lui-même en vue du troisième jour, pour mériter de s’entendre dire en ce jour-là : C’est bien, serviteur bon et fidèle ; parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup : entre dans la joie de ton Seigneur (Mt 25,21). C’est pourquoi, au troisième jour, au jour du jugement dernier, il sera privé de l’honneur promis et exclu de la gloire des saints. C’est ce qu’exige le juste jugement de Dieu, et les décrets stipulent que, si un pasteur a été négligent dans les choses intérieures et extérieures et que, par suite de son indolence, il n’exécute pas les commandements de son Dieu, il sera déchu de son rang et la charge pastorale lui sera retirée, pour que lui succède un pasteur sage et prudent qui soit plein de sollicitude pour son troupeau. Cf. Rm 14,12 et 2 Co 5,10. Cf. He 13,17 ; voir Règle de saint Benoît 2,38. c Cf. Ap 3,20 et Lc 12,36‑37. a
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7. Amasa ayant tardé et le délai convenu étant dépassé, le roi dit à Abishaï : Prends les serviteurs de ton maître et poursuis Sheba fils de Bikri, de peur qu’il n’atteigne des villes fortifiées et ne nous échappe (2 R 20,6). Abishaï désigne l’homme sage et courageux qui est capable et digne d’être à la tête du peuple de Dieu. Amasa ayant été, par suite de son indolence, privé de l’honneur promis – ce qui veut dire : un pasteur négligent et tiède ayant été écarté de la dignité pastorale –, David prescrit à Abishaï de prendre les serviteurs de son maître, parce que le Christ pourvoit son troupeau d’un pasteur prudent et solide, afin qu’il soit le chef et le prince de sa milice pour poursuivre Sheba fils de Bikri.
Le démon 8. Sheba fils de Bikri, un homme de Belial – qui leva la main contre David, sonnant du cor et disant : Nous n’avons pas de part sur David, nous n’avons pas d’héritage sur le fils de Jessé (2 S 20,1.21) – désigne le démon qui, dès le début de la création, s’éleva contre David, c’est-à-dire contre son Créateur. Par son orgueil il a comme sonné du cor lorsque, en présence des anges, il disait avec enflure et présomption : Je monterai sur la hauteur des nuées, j’établirai mon siège du côté de l’aquilon, et je serai semblable au Très-Haut (Is 14,13‑14)a. 9. Sheba ne voulut pas être en dessous de David, mais il persuada les fils d’Israël de se séparer du roi et de le suivre (cf. 2 S 20,2). De même, le démon ne voulut pas être en dessous de Dieu, mais comme Dieu, en disant : Je serai semblable au Très-Haut (Is 14,14). Et il persuada les fils d’Israël – à savoir les anges qui, avant la chute, jouissaient avec bonheur de la vision de Dieu – de se séparer du roi, leur créateur et maître, et de le suivre. Il dit aux siens : Nous n’avons pas de part sur David, nous n’avons pas d’héritage sur le fils de Jessé (2 S 20,1). Il n’y a pour nous aucune part avec le Christ, aucune association avec lui (cf. 2 Co 6,14‑15). Il n’y a pas non plus d’héritage pour nous sur le Fils de Dieu. Nous désespérons. Nos a
D’après la version de la Septante.
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péchés l’exigeant, nous sommes voués à la mort éternelle. Il n’y a pour nous aucune part d’héritage dans les cieux. 10. Ce Sheba – c’est-à-dire notre adversaire, l’antique serpenta – a sonné du cor (cf. 2 S 20,1) au paradis afin de persuader les fils d’Israël, nos premiers parents, de s’éloigner de leur roi qui avait mis en leur pouvoir le paradis et tous ses arbres, excepté l’arbre de la connaissance du bien et du mal (cf. Gn 2,16‑17). Au paradis, Sheba sonna d’un cor de tromperie, disant à la femme : « Pourquoi Dieu vous a-t-il prescrit de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (cf. Gn 3,1) ? » La femme lui répondit : De peur que nous ne mourions (Gn 3,3). Et le séducteur reprit : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas. Mais Dieu sait que le jour où vous mangerez de cet arbre, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal (Gn 3,4‑5). 11. De la même manière que Sheba ne voulut pas être soumis à David, mais qu’il persuada les fils d’Israël de se séparer du roi et de le suivre (cf. 2 S 20,2), ainsi le démon ne voulut pas être soumis à Dieu, mais être comme Dieu, et il persuada les hommes de convoiter en vain ce que lui-même avait présomptueusement convoité, à savoir : être comme des dieux (cf. Gn 3,5). C’est pourquoi, de même que le démon fut déchu du ciel (cf. Is 14,12) en raison de son orgueil et de sa vaine gloire, de même l’homme, sous l’influence du démon, a été expulsé du paradis (cf. Gn 3,24) en raison de sa désobéissance et de son illicite convoitise.
Le pasteur valeureux 12. Le roi David envoya Abishaï, et avec lui les preux de l’armée, afin de poursuivre Sheba fils de Bikri (cf. 2 S 20,6). À cet endroit, David désigne Dieu. Abishaï est la figure d’un homme solide et prudent qui conduit les autres selon le projet et l’ordre de Dieu, veillant avec prudence sur lui-même et gouvernant avec sagesse le peuple dont il a la charge. Avec les serviteurs de son maître, a
Cf. 1 P 5,8 et Ap 12,9.
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il poursuit Sheba, c’est-à-dire le démon, renonçant à l’adversaire et à ses pompes, combattant vaillamment les guerres de son Dieu (cf. 1 S 18,17), maîtrisant la chair, réprimant les vices, se détournant des péchés. 13. Avec Abishaï, tous les preux de Jérusalem sortirent pour poursuivre Sheba fils de Bikri (2 S 20,7). Jérusalem, ville sainte – cité dont il est dit : Des choses glorieuses sont dites à ton sujet, cité de Dieu (Ps 86,3) –, en partie règne déjà avec bonheur dans les cieux où il y a la vision de paixa et gloire parfaite du bonheur ; en partie elle est encore en pèlerinage sur la terre où il y a misère, lutte continuelle contre Sheba, c’est-à-dire contre le démon qui fourbit toujours de nouvelles armes contre les fidèles et ne cesse d’attaquer Abishaï et les serviteurs de David. David a envoyé beaucoup de gens à sa poursuite : certains avant la Loi, d’autres au temps de la Loi, le plus grand nombre au temps de la grâceb.
Défaite du démon 14. Mais Sheba fils de Bikri n’a pu être pris que grâce au conseil d’une femme fort sage qui, de la ville, parla à Joab : N’est-ce pas moi qui réponds la vérité en Israël (2 S 20,19 vg) ? Cette femme remplie de sagesse symbolise le Christ, Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu (cf. 1 Co 1,24) : par son conseil et avec son aide, Sheba est pris et sa tête est tranchée (cf. 2 S 20,22). La tête du démon, c’est l’intention mauvaise de l’adversaire, que toujours il aiguise et dresse contre nous. Nous tranchons cette tête chaque fois que, avec l’aide et le conseil de la Sagesse de Dieu, nous brisons contre la pierre, c’est-à-dire contre le Christ, toute suggestion diaboliquec et nous les rendons sans effet.
Selon l’étymologie de Jérusalem : cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 50. Cf. Sermons 97,1 ; 120,2 etc. c Cf. Ps 136,9 ; 1 Co 10,4 ; voir Règle de saint Benoît, Prol 28 ; 4,50. a
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15. David envoya Abishaï à la poursuite de Sheba (cf. 2 S 20,7). Sheba désigne le démon, et se traduit par « étant sorti, il vinta ». Étant sorti de la gloire céleste par l’orgueil et la vaine convoitise, le démon vint dans la misère et la captivité de la damnation éternelle. David – c’est-à-dire Dieu le Père – envoya Abishaï – c’est-àdire son Fils –, à la poursuite de Sheba – c’est-à-dire le démon –, afin que le genre humain – détourné de Dieu par la tromperie et la suggestion mauvaise de Sheba – soit ramené vers David, c’est-àdire vers Dieu son créateur. 16. Notre Abishaï, le Christ chef de l’armée de David, vint et trouva Sheba – c’est-à-dire le démon –, fort et bien armé, gardant son palais, et tout ce qu’il possédait était comme en sûreté. Survint un plus fort, Abishaï, le Christ, Seigneur des puissances et chef de toute l’armée de Dieub. Il engagea la lutte contre Sheba, fort et bien armé, c’est-à-dire contre le démon : triomphant de lui par sa force bien plus puissante, il le chassa de son palais (cf. Lc 11,21‑22) – c’est-à-dire du monde qui était au pouvoir du Mauvais (cf. 1 Jn 5,19) – sur lequel, jusqu’à la venue du Sauveur, Sheba exerçait son pouvoir dans une fausse paix, et tout ce qu’il possédait était comme en sûreté, parce que le prince de ce monde (cf. Jn 14,30), le démon s’était installé dans le cœur des infidèles sans aucune opposition. 17. Ayant triomphé du démon et l’ayant chassé de son palais, notre Abishaï lui a enlevé l’armure en laquelle Sheba mettait sa confiance, et il a distribué tout ce qu’il lui a pris (cf. Lc 11,22). L’armure de Sheba, c’est-à-dire du démon, ce sont ruses, esprits du mal, suggestions mauvaises, que le sage et prudent Abishaï a entièrement enlevés, parce que le Christ a rendu sans effet et réduit à néant toute l’astuce du démon, sa ruse et sa suggestion mauvaise. Les dépouilles de Sheba, ce sont les hommes trompés par le démon, eux que le Christ vainqueur a distribués, emmenant captive une multitude de captifs, répandant ses dons sur les hommes, établissant les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes, ou bien encore évangélistes ou pasteurs (cf. Ep 4,8.11). a b
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 40. Cf. Ps 23,10 ; Jos 5,14.
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Les preux de Jérusalem 18. Abishaï, c’est-à-dire le Christ, prince de l’armée de Dieu (cf. Jos 5,14), qui, sur l’ordre du Père, poursuit Sheba fils de Bikri, ne veut pas avoir dans son escorte et son armée quelqu’un de tiède et de peureux mais tous des hommes forts et vaillants à la guerre, selon ce qui est écrit : Avec Abishaï, tous les preux de Jérusalem sortirent (2 S 20,7). Les preux de Jérusalem, cité de Dieu, ce sont les patriarches, les apôtres, les martyrs et les confesseurs, les saintes vierges, les ermites et les moines, qui sortent tous avec Abishaï, c’est-à-dire avec le Christ, imitant l’obéissance du Christ, l’humilité, la patience, la douceur, la constance et la bontéa du Christ. Telles sont les armes des preux sortant de Jérusalem avec Abishaï. 19. Ne sortent pas avec lui les tièdes et les peureux, ne sortent pas avec lui les relâchés, les indolents et les mousb, mais tous les preux. Les relâchés, ce sont les folâtres, les inconstants, les indisciplinésc, qui courent impulsivement de tous côtés comme des fous. Les indolents, ce sont les gens charnels et sensuels, voués aux jouissances et aux satisfactions immédiates, qui sont attachés aux désirs de la chair, servent leur ventre au lieu de rendre un culte à Dieud, et usent mal des biens qui passent. Les mous, ce sont les voluptueux, enivrés de la lie de leur débauche, qui se consument dans le fossé de la turpitude et de la perdition. Ceux-là ne sortent pas avec Abishaï, prince de l’armée de David, mais s’éloignant du roi ils suivent Sheba, c’est-à-dire le démon, pour être enfermés avec lui dans la cité de la damnation et la prison de la mort.
Les hommes de Joab 20. Avec Abishaï sortent tous les preux de Jérusalem. Les hommes de Joab sortirent avec lui à la poursuite de Sheba (2 S 20,7). Cf. Ga 5,22‑23 et 1 Tm 6,11. Cf. Sermon 33,6.8. c Cf. Sermon 142,14. d Cf. Ga 5,16 ; Rm 16,18. a
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Voilà le changement de la droite du Très haut (Ps 76,11), car c’est assurément une œuvre divine que la sortie des hommes de Joab avec Abishaï. Le nom de Joab est parfois pris en bonne part, parfois en mauvaise. Qu’il combatte vaillamment dans les guerres de son Seigneur (cf. 1 S 18,17) et maintienne la victoire de son roi, il symbolise alors les élus et principalement les apôtres qui ont courageusement lutté contre l’adversaire du genre humain, recherchant – en toutes leurs œuvres et leurs actes de vertus – non pas leur propre gloire (cf. 1 Th 2,6) mais celle de Dieu. Mais qu’il fasse insidieusement périr Abner et Amasaa, deux hommes meilleurs que lui, et il symbolise alors le démon, qui opprime les justes, tend des embûches aux innocents, séduit les justes qu’il peut. 21. Les hommes de ce Joab, ce sont les païens, les hérétiques, les Juifs et tous les réprouvés, parmi lesquels la bonté de Dieu en appelle beaucoup de l’erreur à la vérité, des ténèbres à la lumière, de l’incrédulité à la foib. Hommes de Joab, ils deviennent hommes de David, entrant et sortant selon l’ordre du roi, poursuivant vaillamment Sheba, c’est-à-dire le démon, qu’ils servaient quand ils n’avaient pas la foi. 22. Rejetons donc les œuvres de ténèbres, mes frères, et revêtons les armes de lumière (Rm 13,12) afin que, renonçant à Joab, c’est-àdire à l’adversaire des justes, nous recevions au jour du jugement l’allégresse du bonheur éternel, quand notre roi nous récompensera avec les élus. Que le puissant guerrier (cf. Is 42,13), partout vainqueur, daigne nous l’accorder, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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Cf. 2 S 3,27 et 20,10. Cf. Jc 5,19‑20 ; Ac 26,18 ; Jn 20,27.
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SERMON 144 À DES ABBÉS
Ce sermon se présente comme la suite du précédent. Dans cette perspective il s’ouvre par une longue introduction s’inspirant d’une homélie d’Origène sur la Genèse. De même qu’Isaac déblaya les puits creusés jadis par les serviteurs de son père, ainsi le Christ vient accomplir la Loi et les prophètes en creusant les nouveaux puits que sont les écrits du nouveau Testament. Après eux, tout prédicateur est chargé lui aussi de creuser des puits, c’est-à-dire de chercher le sens spirituel des textes bibliques.
Les puits remplis de terre 1. Alors que Joab et Abishaï, avec les preux – qui sortirent de Jérusalem à la poursuite de Sheba, fils de Bikri – étaient près de la grande pierre qui est à Gabaon, Amasa accourut à leur rencontre (2 S 20,7‑8). « Isaac, après que le Seigneur l’eut béni et qu’il fut devenu tout à fait grand, entreprit une œuvre importante. Il se mit en effet à creuser les puits qu’avaient creusés ses serviteurs au temps de son père Abraham, mais que les Philistins avaient bouchés et remplis de terrea. » 2. « Les Philistins détestent les eaux, ils aiment la terre. Isaac aime les eaux, il est toujours à la recherche de puits, il déblaye les anciens, il en ouvre de nouveaux. Isaac, qui s’est offert en victime a
Cf. Origène, Homélies sur la Genèse 13,1 ; cf. Gn 26,12‑18.
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pour nous (cf. Ep 5,2), notre Sauveur, veut avant tout creuser les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son Père. Il veut renouveler les puits de la Loi et des prophètes, remplis de terre par les Philistins. 3. Quels sont ceux qui remplissent de terre les puits ? Ceux certainement qui donnent à la Loi un sens terrestre et charnel et lui refusent un sens spirituel et mystique, en sorte qu’ils ne s’y abreuvent pas et ne permettent pas aux autres de le faire. Écoute notre Isaac, le Seigneur Jésus Christ, disant dans l’Évangile : Malheur à vous, scribes et Pharisiens, parce que vous avez enlevé la clé de la science ; vous-mêmes n’êtes pas entrés et vous n’avez pas permis de le faire à ceux qui le voulaient (Lc 11,52). Les voilà ceux qui ont rempli de terre les puits qu’avaient creusés les serviteurs d’Abraham ; ils enseignent la Loi charnellement et ils souillent les eaux du Saint-Esprit ; ils possèdent des puits, non pour en tirer de l’eau mais pour y jeter de la terre.
Isaac creuse de nouveaux puits
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4. Isaac, c’est-à-dire notre Sauveur, entreprend de creuser les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son Père. Serviteur de son Père était Moïse, qui avait creusé le puits de la Loi. Serviteurs de son Père étaient David et Salomon, ainsi que les prophètes et tous ceux qui avaient écrit les livres de l’Ancien Testament, que l’incrédulité des Juifs avait rempli d’une interprétation terrestre et grossière. Isaac voulut purifier les anciens puits en montrant que tout ce qu’avaient dit la Loi et les prophètes, ils l’avaient dit de lui (cf. Lc 24,27), et les Juifs lui cherchèrent querelle (cf. Gn 26,21). Et comme il ne veut pas se trouver avec ceux qui ne veulent pas d’eau dans leurs puits mais de la terre, il leur dit : Voici que votre maison vous est laissée déserte (Mt 23,38). 5. Isaac creusa donc de nouveaux puits, ou plutôt ce sont ses serviteurs qui creusent. Serviteurs de notre Isaac sont Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ses serviteurs, Pierre, André, Jacques et tous les autres puisatiers du nouveau Testament. Mais pour ces puits aussi
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se disputent ceux qui n’apprécient que les choses de la terre (cf. Ph 3,19), qui ne supportent pas que l’on découvre du nouveau ni que l’on purifie l’ancien. Ils s’opposent aux puits évangéliques, ils sont les adversaires des puits apostoliques. Et parce qu’ils s’opposent à tout, se querellent à propos de tout, il leur est dit : Puisque vous vous êtes rendus indignes de la grâce de Dieu, désormais nous irons vers les païensa. » 6. Isaac creusa donc un troisième puits, et il l’appela du nom d’Étendue, disant : Maintenant, le Seigneur nous a mis au large et nous a fait croître sur la terre (Gn 26,22). Isaac a été véritablement mis au large et son nom a grandi sur toute la terre quand il a porté à son plein effet en nous la connaissance de la Trinité. Car Dieu n’était d’abord connu qu’en Judée, et son nom n’était invoqué qu’en Israël (cf. Ps 75,2). Mais maintenant leur bruit s’est répandu par toute la terre, et leurs paroles se sont fait entendre jusqu’aux extrémités du monde (Ps 18,5). Se répandant en effet dans le monde entier, les serviteurs d’Isaac y ont creusé des puits et ont montré l’eau vive (cf. Gn 26,19) à tous en baptisant toutes les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (Mt 28,19).
Le prédicateur est un puisatier 7. « Chacun d’entre nous qui administre la parole de Dieu creuse un puits et cherche l’eau vive dont il puisse revigorer ses auditeurs. Et nous, si nous sommes serviteurs d’Isaac, aimons les puits et les sources d’eau vive, éloignons-nous des querelleurs et des calomniateurs et laissons-les à la terre qu’ils aiment. Ne cessons jamais de creuser des puits d’eau vive. Et en exposant tantôt de l’ancien, tantôt du nouveau, rendons-nous semblables à ce scribe de l’évangile dont le Seigneur a dit : Il tire de son trésor du neuf et de l’ancien (Mt 13,52). 8. Toute terre contient des eaux, mais celui qui est Philistin et n’apprécie que les choses de la terre (cf. Ph 3,19) ne sait pas, en a
Cf. Ac 13,45‑46 ; voir Origène, Homélies sur la Genèse 13,2.
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toute terre, découvrir de l’eau ; il ne sait pas déceler en toute âme la raison et l’image de Dieu, il ne sait pas qu’il peut y découvrir la foi, la piété, le sens religieux. À quoi te sert l’instruction si tu ne sais pas t’en servir, et la parole si tu ne sais pas parler (cf. Jr 1,6) ? Mais les serviteurs d’Isaac creusent, en toute terre, des puits d’eau vive, ils annoncent à toute âme la parole de Dieu et ils en recueillent du fruita. » Avec les serviteurs d’Isaac, creusons nous aussi pour trouver l’eau vive, c’est-à-dire le sens spirituel du présent passage.
La pierre à Gabaon 9. Alors que Joab et Abishaï, avec les preux qui étaient sortis de Jérusalem, étaient près de la grande pierre qui est à Gabaon, Amasa accourut à leur rencontre (2 S 20,7‑8). La grande pierre à Gabaon désigne le Christ, qui est la pierre angulaire (cf. 1 P 2,6) dont le prophète dit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l’angle (Ps 117,22). C’est le rocher ferme et solide dont saint Paul dit : Ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ (1 Co 10,4). Il est la pierre détachée de la montagne sans que main l’eût touchée, qui frappa la statue aux pieds d’argile qu’avait vue Nabuchodonosor, brisa la statue et la mit en pièces. Mais la pierre grandit en une grande montagne et elle remplit toute la terre (Dn 2,34‑35). Voilà combien cette pierre est grande. 10. Cette pierre est à Gabaon. Gabaon, qui se traduit par ‘colline du plus haut’ ou ‘colline de tristesseb ’, désigne l’Église. C’est bien dit car, même si l’Église tend toujours vers ce qui est plus haut, elle persévère dans l’humilité. L’Église est appelée ‘colline de tristesse’, parce qu’en elle les pénitents versent continuellement des larmes à cause de leurs péchés ; et les parfaits, parce qu’ils sont encore loin du royaume, gémissent doucementc. À Gabaon, Cf. Origène, Homélies sur la Genèse 13,3. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 27 et 28. c Cf. Sermon 94,2‑3. a
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il y a la grande pierre : le Christ demeure dans l’Église, comme le Fils de la Vierge l’avait lui-même promis à la primitive Église : Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20). 11. Près de cette grande pierre se tiennent tous les preux qui, sur l’ordre de David, sortent de Jérusalem avec Abishaï, à la poursuite de Sheba fils de Bikri (cf. 2 S 20,7), car le pasteur que Dieu leur a député, tous les fidèles le suivent à la poursuite du démon en combattant contre les vices et les péchés. Ils se tiennent tous près du Christ qui promet aux siens : Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Mt 18,20).
Amasa et Joab 12. Et Amasa accourut à leur rencontre (2 S 20,8). Amasa ne sort pas de Jérusalem avec les preux, mais il accourt vers eux à Gabaon. Celui qui, par indolence et paresse d’esprit, se conduit négligemment ne se prépare à combattre contre Sheba, c’est-àdire contre le démon, mais, à Gabaon, il accourt vers ceux qui sont prêts au combat. Car par rapport à ceux qui sont solidement religieux et qui se conduisent vaillamment, est situé tout à fait du côté opposé celui qui est relâché et négligent, qui, par paresse, refuse de combattre, aspirant aux choses terrestres et passagères, et s’attachant aux désirs de la chair (cf. Ga 5,16). C’est lui que Joab salue, car le démon aime un tel homme et il l’encourage. 13. La salutation de Joab est la fausse et fallacieuse action persuasive de l’adversaire, par laquelle il séduit le cœur des réprouvés. Oui, afin de pousser les réprouvés aux péchés et aux forfaits, il use de séduction en promettant un plus long temps de vie, et comme s’il s’adressait à un ami, en le trompant il le flatte : ‘Pourquoi refuses-tu d’accomplir ce que la chair désire ? Vois quelle douceur, quelle suavité, quelle délicieuse jouissance il y a dans le plaisir de la chair. Pourquoi hésiter, pourquoi craindre ? Dieu n’a jamais dédaigné quelqu’un qui se repent et avoue. Tire profit
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des délices de la chair tant que tu es dans la fleur de l’âge ; dans la vieillesse, tu feras pénitence. Le repentir n’arrive jamais trop tard.’ Le démon qui par tromperie fait miroiter cela et d’autres choses semblables, c’est Joab disant à Amasa : Salut, mon frère (2 S 20,9).
Le menton d’Amasa
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14. Et, de la main droite, Joab saisit le menton d’Amasa comme pour l’embrasser (2 S 20,9). De la main droite Joab prend le menton d’Amasa, parce que le démon récompense par des biens temporels et passagers l’impie et le réprouvé, comme pour l’embrasser. L’amitié du démon n’est pas vraie, elle est feinte. De fait, il vient en aide dans le présent pour livrer au châtiment dans le futur. Il tient le menton d’Amasa de la main droite, parce que le démon coopère (cf. Rm 8,28) avec l’impie et le réprouvé en vue du mal. C’est pourquoi les impies et ceux qui sont en dehors de la grâce ont des biens temporels et passagers en abondance, ils regorgent de richesses et de délices. Les serviteurs du Seigneur, au contraire, durant la vie présente sont accablés de tourments et de peines. Aussi le Seigneur dit-il à propos des siens : Vous allez pleurer et vous lamenter, le monde se réjouira (Jn 16,20). 15. Par ce terme de ‘monde’ sont désignés les réprouvés ; le psalmiste dit à leur sujet : « De la peine des hommes ils sont absents, et avec les justes ils ne seront pas frappés (Ps 72,5). Ils se rétablissent aussitôt de leur infirmité et de leurs plaies, tandis que les hommes justes sont criblés d’épreuves. C’est pour cela que l’orgueil les a tenus, ils se sont couverts de leur iniquité et de leur impiété (Ps 72,6). Par leur bonheur prétentieux ils sont excités à multiplier leur iniquité. Leur iniquité est comme jaillie de leur graisse (Ps 72,7). Dans l’embonpoint des richesses, ayant oublié la justice, l’iniquité est sortie d’eux. De cet embonpoint Moïse dit : Jacob s’est engraissé et il a regimbé (Dt 32,15). Ils se sont livrés à la passion de leur cœur (Ps 72,7), pour faire leur propre volonté et
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non celle de Dieua. » Joab prend le menton de ces gens-là (cf. 2 S 20,9), parce que le démon coopère (cf. Rm 8,28) avec les réprouvés pour le mal, leur venant en aide dans le présent, les livrant au châtiment dans le futur.
La tenue étroite et le glaive 16. Joab était vêtu d’une tenue étroite, qui lui était juste sur le corps (2 S 20,8). Le démon est prompt et prêt à combattre contre les élus. Toujours il rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5,8). Sa tenue, c’est l’envie. Le démon a revêtu cette tenue, qui lui était juste sur le corps, parce que l’envie ceint et enveloppe le démon lui-même et tous ses membres. Cette tenue est étroite parce que, de même que la charité dilate et réjouit le cœur des élus, ainsi l’envie rétrécit et contracte le cœur des réprouvés. Sur cette tenue il est ceint d’un glaive attaché à ses reins dans son fourreau (2 S 20,8). Il est exact que sur la tenue du démon, c’est-à-dire par-dessus l’envie, il y a un glaive attaché à ses reins dans son fourreau. Car c’est par l’envie du démon que la mort est entrée dans le monde (Sg 2,24). 17. Son glaive, c’est la suggestion mauvaise et perverse, par laquelle il suggère toujours à ceux qu’il peut, bons et méchants, de mauvaises choses, jamais des bonnes. Ce glaive est attaché à ses reins (cf. 2 S 20,8). Les reins sont à hauteur de l’organe masculin, là où la suggestion du démon exerce au premier chef sa force. De fait, par la pulsion sexuelle, il attaque fortement non seulement les réprouvés mais également les hommes religieux. Le glaive de Joab est présenté comme étant dans le fourreau, parce que la suggestion du démon pénètre dans le cœur des réprouvés qui sont toujours prêts et prompts pour ce vers quoi les convie l’adversaire. L’esprit des réprouvés, c’est le fourreau du démon, dans lequel pend son glaive, à savoir la suggestion mauvaise. De ce fourreau, c’est-à-dire de l’âme des réprouvés, sortent les disputes, la fornication, l’adultère, la colère, les rivalités, les homicides. Ces choses corrompent le corps et tuent l’âme. a
Pseudo-Jérôme, Bref commentaire du Psaume 72 (PL 26, 1030C).
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La blessure au côté 18. Amasa ne prenait pas garde au glaive qu’avait Joab (2 S 20,10). Car celui qui est tiède et négligent, qui accueille facilement la suggestion du démon, ne fait pas attention et ne considère pas la funeste échéance de la mort éternelle que lui prépare l’adversaire. Et Joab frappa Amasa dans le côté et répandit ses entrailles à terre, et il tomba mort (2 S 20,10). Malheur à l’homme que Joab frappe dans le côté ! Qui est blessé dans le côté désespère de conserver la vie. La blessure au côté, c’est le péché mortel. L’âme qui, par le glaive de Joab, c’est-à-dire par une suggestion du démon, est atteinte d’une blessure au côté, c’est-à-dire d’un péché mortel, tombe morte et toutes ses entrailles se répandent à terre. 19. Nos entrailles ce sont une âme purifiée, une volonté sainte, une pensée droite, le désir des réalités éternelles, une intention pure, l’amour des vertus. Tout cela est répandu à terre si l’âme est blessée par un péché mortel. L’infidèle ou le réprouvé, qui est écrasé par les péchés mortels, ne lève pas la tête vers le ciel, ne songe pas aux choses de Dieu afin de considérer les réalités célestes, mais, alourdi par la masse de ses péchés, il est toujours courbé vers la terre, ou plutôt il est tout entier changé en terre, tout entier devenu terre. Il ne s’attache qu’aux réalités charnelles, il ne songe qu’aux réalités terrestres et passagères. Celui-là, couvert de sang, gît au milieu de la voie (2 S 20,12).
Le gisant au milieu de la voie 20. Notre voie, c’est l’observance régulière, qui nous stimule et nous conduit au chœur, dans le cloître, au Chapitre et dans chacun des lieux réguliers. C’est sur cette voie que gît, mort, couvert du sang, celui qui est enroulé dans les péchés mortels, souillé par les vices comme par du sang. Parce qu’il est maintenant blessé dans le côté, il hait la discipline et rejette les paroles de Dieu derrière son dos (cf. Ps 49,17) ; il exècre la rigueur de l’Ordre, il
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prend le cloître en horreur – comme s’il était un cachot – et le regarde comme une prison, il fuit le chœur, il s’esquive aux heures de l’Office. 21. À cause de lui, les passants s’arrêtent (2 S 20,12). Qui sont les passants ? Les fidèles qui sont véritablement appelés Hébreuxa, disant de bouche et de cœur avec l’Apôtre : Nous n’avons pas ici bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir (He 13,14) ; ils courent allègrement sur les voies du Seigneur afin d’obtenir dans la joie le prix attaché aux promesses du Christ. Ils s’arrêtent pourtant parfois à cause de Amasa gisant au milieu de la voie, couvert de sang (cf. 2 S 20,12), parce qu’un frère qui n’est pas en harmonie avec lui-même et avec les autres est une entrave et un obstacle pour les frères fervents.
Réaction du pasteur sage 22. Voyant que le peuple s’arrêtait pour voir Amasa couvert de sang, un homme le poussa dans un champ et le recouvrit d’un vêtement, afin que les passants ne s’arrêtent pas à cause de lui (2 S 20,12). C’est ce que fait le pasteur sage et judicieux quand il voit quelqu’un à l’esprit engourdi, indiscipliné et inconstant. « De peur qu’une brebis malade ne souille tout le troupeaub », il le pousse dans un champ, hors de la voie – c’est-à-dire vers une occupation extérieure, à l’écart de l’observance claustrale –, le recouvrant d’un vêtement – ce qui veut dire lui confiant quelque obédience dans des charges extérieures, grâce à laquelle il évite l’oisiveté qui est ennemie de l’âmec. 23. Frères, ne soyons donc pas inconstants, négligents et tièdes, de peur que ne nous arrive ce qui est arrivé au tiède Amasa qui, à cause de sa négligence et son indolence, n’a pas accompli l’ordre du roi, et voilà pourquoi il a misérablement succombé. Sortons a D’après saint Jérôme (Livre sur les noms hébreux 35), Hébreux se traduit par ‘ceux qui passent’. b Règle de saint Benoît 28,8. c Cf. Règle de saint Benoît 48,1.
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allègrement avec les preux de Jérusalem, combattant vaillamment avec Abishaï contre Sheba (cf. 2 S 20,7), c’est-à-dire contre le démon, résistant en tout au démon et à ses suppôts afin qu’avec les preux qui entrent et sortent fidèlement selon l’ordre du roi, nous puissions être récompensés par David, après la victoire, et recevions la couronne de la vie éternelle. Que daigne nous l’accorder notre roi David à la main forte, qui, par sa vaillance, rendit captif Sheba, autrement dit le démon, et le vainquit avec un courage admirable. À lui est la victoire, l’honneur et la puissance pour les siècles éternels. Amen.
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SERMON 145 POUR LE MARTYRE DE SAINT JEAN‑BAPTISTE
Une antienne pour la fête de la décollation de Jean-Baptiste sert de fil conducteur à ce sermon. Il y est beaucoup question d’Hérode, symbole du démon. Celui-ci nous « décapite » sans cesse de bien des manières, afin de nous éloigner de notre Tête, le Christ. Mais la victoire obtenue par la croix nous libère des forces du mal et nous indique la conduite à tenir dans les combats de cette vie.
Hérode 1. Le roi impie envoya un odieux serviteur et lui ordonna de trancher la tête de Jean dans la prisona. Odieux et abominable orgueil des impies, cruauté des méchants, impudence des réprouvés, qui oppriment les serviteurs de Dieu, les tourmentent et les mettent à mort. Hérode, roi impie, cruel persécuteur, suppôt du démon, ami des vices, ennemi des vertus, ordonna de trancher la tête de Jean dans la prison. Bien qu’on le dise contristé à cause du serment et des convives (Mc 6,26), ce n’est pourtant pas à contrecœur mais de son plein gré qu’il a fait périr Jean ; il l’aurait volontiers fait disparaître plus tôt s’il n’avait craint le peuple qui vénérait Jean comme un prophète (cf. Mt 14,5). a
Antienne pour la décollation de Jean-Baptiste ; cf. Mc 6,27.
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2. C’est pourquoi saint Bède dit à propos de ce méchant Hérode : « Esprit artificieux, agent meurtrier, il faisait montre de tristesse sur son visage alors qu’il était plein de joie en lui-mêmea. » Et Flavius Josèphe traitant avec éloge de Jean-Baptiste au livre dixhuit des « Antiquités » mentionne entre autres ceci : « Hérode a fait périr cet homme très bon qui recommandait aux Juifs de s’adonner à la vertu, de cultiver la justice, de garder la piété envers Dieu et, par le baptême, de converger vers l’unité. Et ce baptême aurait été agréable à Dieu s’il était non seulement reçu pour laver les péchés, mais s’il était également mis au service de la chasteté du corps et de la justice et purification de l’âme. Hérode, ayant vu que beaucoup de gens affluaient vers lui, craignit que le pouvoir qu’il avait sur eux n’excitât une sédition populaire en son royaume ; et sur ce seul soupçon, Jean, enchaîné à Macheronte, est décapitéb. » 3. Nous en concluons dès lors que Hérode ne fut pas attristé mais bien plutôt rempli de joie lorsqu’il eut trouvé une raison apparemment valable pour faire périr Jean. De même que son père, Hérode le Grand, sous le règne duquel naquit le Christ, a fait périr les innocents afin de supprimer tout à la fois le Christ et les innocents (cf. Mt 2,16), de peur qu’il ne prenne sa place dans le royaume, ainsi ce Hérode le Jeune, fils odieux imitant un père abominable, a tué le précurseur du Seigneur de peur que, par son action persuasive, son royaume ne soit transmis à un autre. L’un et l’autre Hérode, le Grand et le Jeune , désignent le démon. Celui-ci fait tout pour empêcher le Christ d’établir son règne sur son domaine, c’est-à-dire sur les hommes qu’il tient en son pouvoir.
Un odieux serviteur 4. Hérode se traduit par ‘de fourrure’ ou ‘qui change de peauc’. Un tel nom convient bien au démon en raison des divers artifices Bède le Vénérable, Sur saint Marc 2,6,26. Rufin, Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée 1,11,4‑6, citant Flavius Josèphe, Antiquités juives, livre 18,5, 2. c Jérôme, Livre sur les noms hébreux 64. a
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et des multiples tromperies par lesquelles il exerce contre nous sa virulence. Car il est loup rapace (cf. Mt 7,15), lion rugissant qui cherche toujours quelqu’un à dévorer (cf. 1 P 5,8), Léviathan (cf. Is 27,1) assis en embuscade, pour faire périr en cachette l’innocent (Ps 9,29, vg), serpent plus rusé que tous les animaux (Gn 3,1), marteau du monde entier (Jr 50,23). Ce Hérode symbolique envoie chaque jour un odieux serviteur trancher la tête de Jean dans la prisona. Jean se traduit par ‘grâce de Dieu’ ou ‘celui en qui est la grâceb’. Or, quiconque a en lui de quoi être sauvé – ce qui est un don et une grâce de Dieu – peut être appelé Jean. Hérode est jaloux de cet homme-là et il envoie contre lui un odieux serviteur trancher sa tête. 5. Serviteur odieux est l’esprit de fornication, l’esprit de blasphème, l’esprit de dispute et de colère, l’esprit de contestation et d’âpreté au gain. Et qu’ajouterai-je encore ? Autant il y a d’instigateurs au malc, autant il y a d’odieux serviteurs d’Hérode qui tous souhaitent trancher la tête de Jean, c’est-à-dire séparer le Christ – Vie et Têted de tous les fidèles – de ses membres. Mais après que le sang du Christ a été répandu (cf. Mc 14,24), nos ennemis ont perdu leur performance. Alors, ils n’engagent plus le combat contre nous au grand jour, mais ils nous attaquent en prison (cf. Mc 6,27), c’est-à-dire en cachette. Ils sont devenus des voleurs, enveloppés dans d’épaisses ténèbres, ils se tiennent peureux à l’affût et, tels des voleurs, ils subtilisent furtivement nos trésors, ces ustensiles précieux que sont les vertus.
Grandeur et misères de l’être humain 6. Grande est notre valeur, elle doit être vantée plus que tout ce qu’on peut louer de plus élevé. Après Dieu et les anges rien n’est plus précieux que l’être humain, pour qui le sang du Christ a été Antienne pour la décollation de Jean-Baptiste ; cf. Mc 6,27. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 69. c Cf. Ga 5,20 ; Sermon 54,8 ; Homélies sur les fardeaux 12,13. d Cf. Jn 14,6 et Ep 4,15‑16. a
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répandu, à qui sont promis et seront donnés les royaumes éternels, dans la mesure où il aura fait le bien avec persévérance. Mais que nul ne s’abuse, que nul n’aille penser qu’il courra vers la patrie du paradis en parcourant de tendres prairiesa. Nous sommes entourés par d’importantes troupes d’ennemis, il y a partout des forces hostiles, la chair est faible et sera réduite en cendres. Aussi se fourvoie-t-il, et grandement, celui qui s’imagine pouvoir être juste en ce monde sans rencontrer la persécution. Selon la parole de saint Paul, en effet, tous ceux qui veulent vivre dans le Christ avec piété subiront la persécution (2 Tm 3,12). 7. Dans notre misère et notre malheur, dans cet exil qui est le nôtre, nous sommes assiégés par une double rangée d’ennemis. D’un côté, Hérode avec ses serviteurs nous attaque par des flèches ; de l’autre côté, notre propre chair nous inquiète de tout près. Les très nombreux satellites des démons, les armées innombrables des vices assiègent nos places fortes. Il n’y aurait pour nous aucune échappatoire, aucun moyen de résister, si le Christ notre Seigneur ne combattait pour nous et avec nous. Il est notre refuge, notre force, notre victoire, et il sera notre couronne après le combat. Lui, le premier, a combattu et vaincu, afin que nous puissions combattre et vaincre. C’est pourquoi l’Écriture sainte nous incite à combattre en disant : Battez-vous contre l’antique Serpent, car personne ne recevra la couronne à moins d’avoir lutté suivant les règlesb.
Le fourmilion 8. Hérode, c’est-à-dire notre antique adversaire, avant l’incarnation du Christ avait pris sous son joug presque le monde entier. Mais après que l’Agneau – qui a enlevé nos péchés – a été offert sur la croix, la force de l’ennemi est devenue faible et l’adversaire ne peut plus rien contre nous, à moins que nous ne lui donnions notre consentement. Avec ceux qui consentent, il est fort comme un lion ; avec ceux qui résistent, il est faible comme une fourmi. a b
Cf. Virgile, Georgica 2,384. Cf. Ap 12,7‑9 et 2 Tm 2,5.
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C’est pourquoi, dans la sainte Écriture, ce même adversaire est appelé fourmilion, c’est-à-dire lion des fourmisa. 9. En effet, le mot grec ‘myrmim’ se traduit en latin par ‘fourmi’, et ‘coleon’ se traduit par ‘lion’ ; ‘myrmicoleon’, c’est donc ‘lion des fourmis’, fourmilion. Ou pour le dire avec plus de précision, il est tout à la fois fourmi et lion. « De fait, autant il est fort avec ceux qui consentent, autant il est impuissant avec ceux qui résistent. Le fourmilion est une bestiole qui se cache sous la poussière et tue les fourmis porteuses de vivres. De même, l’ange apostat, rejeté des cieux vers la terre (cf. Ap 12,7‑9), assaille sur le chemin de l’action les consciences des croyants qui se préparent une réfection d’œuvres bonnesb » et il les séduit. Mais il n’a ni épouvanté ni séduit Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste précurseur du Christ 10. Pour ne pas tricher avec la vérité, il a dédaigné le très cruel Hérode, brigand à l’égard des nobles, ravageur à l’égard de ses pairs, pillard à l’égard de ses familiers, bourreau du peuple, meurtrier de ses enfants, qui a enivré de sang la terre sainte. Jean ne lui proclamait que les exigences de la justice, de la Loi, de l’affermissement non de la haine mais de l’amour, en lui disant : Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère Philippe (Mc 6,17‑18). Par là Jean a mécontenté Hérode, parce que celui qui blâme les coupables encourt la haine. À cause d’une sainte et salutaire exhortation, Hérode a fait décapiter Jean, maître de vie, modèle de sainteté, emblème de pureté, exemple de virginité. Celui qui était le plus grand des hommes (cf. Mt 11,11), l’égal des anges, l’aboutissement de la Loi, la voix des apôtres, le silence des prophètes (cf. Mt 11,13), a été livré à une adultère et décapité à la demande d’une petite danseuse. Voilà pour le sens littéral du texte. 11. Hérode – qui a fait décapiter Jean – symbolise le peuple des Juifs, qui a persécuté jusqu’à la mort le Christ, Tête des prophètes. a b
Jb 4,11, d’après la version de la Septante. Grégoire le Grand, Morales sur Job 5,22,43.
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Ce n’est pas pour rien que le Christ, afin de racheter le monde, est élevé (cf. Jn 3,14) sur la croix : tandis que son précurseur, rendant témoignage à la vérité (cf. Jn 1,7), a la tête tranchée, que Jean est décapité parce qu’il se retrouve diminué dans l’opinion des hommes – qui pensaient qu’il était le Christ – une fois reconnu qu’il avait été un homme et non le Christ (cf. Jn 3,28) ; le Christ, lui, est élevé sur la croix parce qu’on avait pensé qu’était un simple homme Celui que toute l’Église confesse désormais comme étant homme et Dieu. « Par un dessein divin, ses souffrances se sont accomplies selon un ordre varié et divers temps. 12. De même en effet que, le Christ devant naître, prêcher et baptiser, Jean lui rendit témoignage en naissant, en prêchant et en baptisant, ainsi également il désigna celui qui allait souffrir en souffrant lui-mêmea. » Jean est assurément décapité parce que, dans l’esprit des gens, il se trouve diminué, car celui que l’on prenait pour le Christ est reconnu pour avoir été un prophète et le précurseur du Christ. « Le Christ exalté sur la croix, ayant la tête dirigée vers le ciel, étend les mains au-dessus de la terre afin d’indiquer qu’il est le Seigneur du ciel et que toute la terre lui est soumise. Le soubassement de sa croix pénétrait les entrailles de la terre, afin de faire savoir que le royaume des enfers est transpercé et détruit par sa passionb. » 13. Humilions-nous donc avec Jean, jeûnant et suppliant assidûment. Ne dédaignons pas d’être abaissés aux yeux des hommes, afin que, dans le Christ et avec Jean, nous puissions être élevés dans les cieux en présence des anges de Dieu. Amen.
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Bède le Vénérable, Homélies 2,23. Bède le Vénérable, Homélies 2,23.
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SERMON 146 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
La place occupée par ce sermon et le suivant semble signifier que leur contexte liturgique est celui de la “Translation de saint Benoît” (le transfert de son corps à Fleury-sur-Loire), fête célébrée le 11 juillet. Signalons que Odon de Cantorbéry (qui fut prieur de la célèbre abbaye bénédictine et mourut en 1200), a fait siens ces deux textes d’Aelred et les a intégrés dans sa propre collection de sermons, à l’aide de légers aménagements rédactionnels et de quelques développements personnels. Il a procédé de même avec les sermons 151 et 152. Le texte évangélique consacré à cette fête donne matière à une interprétation symbolique du nom de Simon-Pierre et à un bel enseignement sur la vie monastique.
Le monde monastique 1. Simon-Pierre dit à Jésus : Voici que nous avons tout quitté et nous t’avons suivi (Mt 19,27). La proclamation de cet évangile est spécialement réservée à la solennité de saint Benoît, célébrée aujourd’hui. Montrons donc combien il est sensé de faire ainsi, et de quelle manière particulière cet évangile convient à sa personne et à son Ordre. Qu’ils écoutent, les responsables de communauté et ceux dont ils ont la charge, et qu’ils sachent que cet évangile les concerne.
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2. Que cet évangile concerne d’une manière spéciale les moines, le double nom de celui qui interroge le montre bien. Il s’appelle Simon-Pierre celui qui dans le récit pose cette question. Simon se traduit par ‘obéissanta’. Pierre, en langue grecque, se traduit par ‘ferme’ en latin, et par ‘connaissant’ en hébreub. Que désigne ce Simon-Pierre – c’est-à-dire l’être obéissant, ferme et connaissant –, sinon le monde des moines ? La marque distinctive de leur profession, c’est l’obéissance ; et ils doivent non seulement obéir mais, pour pouvoir rester fermes grâce à une conduite intègre, ils sont aussi conviés à reconnaître dans leur discernement quelle est la valeur propre de cette obéissance. 3. D’autre part, puisque Simon-Pierre a été le premier pasteur de l’Église, il faut comprendre par ce nom les responsables de communauté. Ceux-ci doivent d’abord faire preuve d’obéissance envers Dieu, et ensuite l’exiger de la part de ceux dont ils ont la charge. C’est pourquoi il convient qu’ils soient fermes dans l’obéissance et bons connaisseurs, de manière à pouvoir instruire par la parole ceux dont ils ont la charge et les affermir par l’exemple. Alors on sera en mesure de reconnaître que la fermeté de l’obéissance des disciples et leur discernement découlent l’une de l’agir, l’autre de l’enseignement de leurs supérieurs. Ce qu’ils accomplissent comme il faut si, en quittant pour le Christ le monde et ce qui est du monde et en suivant le Christ par une parfaite charité, ils s’appliquent à inciter leurs disciples au même mépris du monde et au même amour des réalités célestes par des exemples de vie sainte et des paroles relevant d’une saine doctrine.
Vie de saint Benoît 4. Tel a été notre bienheureux Père Benoît dont nous célébrons aujourd’hui la fête sur terre, tandis que lui-même jubile dans les cieux avec les anges. Si quelqu’un ignorant ses œuvres désire les Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 71. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 65 ; cf. Bède le Vénérable, Sur saint Luc 2,6,14. a
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connaître – celles par lesquelles il s’est montré obéissant à Dieu et il a affermi l’obéissance de ses disciples –, qu’il lise sa Vie écrite par saint Grégoirea, et il le trouvera disant à Jésus, plus par ses actes que par sa parole : Voici que nous avons tout quitté et nous t’avons suivi (Mt 19,27). Il y trouvera de quelle manière il a obéi à Jésus qui a dit : Si quelqu’un n’a pas renoncé à tout ce qu’il possède, il ne peut être mon disciple (Lc 14,33), et à quel point, renonçant parfaitement au monde, il a quitté toutes les choses du monde. 5. Il est par exemple écrit dans sa Vie : « alors qu’il aurait pu encore user librement du monde, il méprisa comme poussière la mondanité en fleur ». C’est pourquoi, « ayant laissé la maison et les biens de son père, il se mit en quête d’une façon de se comporter saintementb ». Il demeura ferme dans l’obéissance : une fois engagé sur ce chemin, tant dans la solitude que dans le monastère, il y persévéra par la sainteté. Tout absorbé par la flamme du divin amour, attiré à l’odeur des parfums du Christ, il courut après lui (cf. Ct 1,3) jusqu’au ciel. Là, établi dans la lumière par laquelle toutes choses ont été faites, il mérita de voir en dessous de lui le monde qu’il avait parfaitement quitté. C’est pourquoi il a pu dire à Jésus en toute vérité : Voici que nous avons tout quitté et nous t’avons suivi. Qu’y aura-t-il donc pour nous ? (Mt 19,27) Nous avons quitté par l’humilité, nous t’avons suivi par la charité. Que nous donneras-tu donc dans la félicité éternelle ?
L’échelle de l’humilité 6. Pour que nous nous appliquions à suivre le Christ par l’humilité, il nous a proposé dans sa Règle douze degrés d’humilitéc. Le premier, c’est la crainte du Seigneur qui préserve du péché. Le deuxième degré, c’est le renoncement à la volonté propre. Le troisième : le choix de la volonté d’autrui, c’est-à-dire l’obéissance. Le quatrième : dans cette obéissance, embrasser avec patience les Grégoire le Grand, Dialogues 2. Cf. Grégoire le Grand, Dialogues 2, Prol.1. c Règle de saint Benoît, chapître 7.
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choses dures et âpres. Le cinquième : l’aveu des fautes. Le sixième : le mépris du monde, « en sorte que le moine soit satisfait de tout ce qu’il y a de vil et de basa ». Le septième : le mépris de soi, de manière à se juger toujours moins bon que les autres. Le huitième degré consiste à garder la règle commune. Le neuvième : la retenue dans les paroles, c’est-à-dire le silence, qui est le culte de la justice (Is 32,17 vg). Le dixième degré, c’est l’esprit de sérieux en vertu duquel « on n’est pas enclin à rireb ». Le onzième : la gravité dans les paroles et la manière d’être. Le douzième : l’incessant souvenir des fautes de sorte que, se reconnaissant « coupable à toute heurec », on s’estime déjà être comme présent au redoutable jugement de Dieu. Tel est le propos d’humilité que saint Benoît a consigné par écrit.
Douze degrés d’orgueil 7. À ces degrés d’humilité sont opposés douze degrés d’orgueild. Le premier, c’est l’oubli des fautes ; accompagné de la curiosité, il incite l’homme à laisser ses yeux et ses autres sens errer çà et là. Le deuxième degré d’orgueil – la légèreté dans les paroles et la manière d’être – se remarque par des paroles inconsidérément remplies de tristesse ou de satisfaction. Le troisième, c’est une sotte joie de l’âme qui se traduit par la facilité à rire. Le quatrième, c’est l’abondance de paroles : compagne de la jactance, elle se répand en bavardages incessants. Le cinquième, c’est la singularité qui affectionne de faire étalage de ce qui est accompli en privé. Le sixième, c’est l’amour de soi : joint à l’arrogance, il incline à se juger meilleur que les autres. Le septième, c’est l’amour du monde à qui jamais rien ne suffit. Le huitième degré consiste à prendre la défense de ses fautes. Le neuvième : l’impatience. Le dixième : la désobéissance, suivie de la révolte. Le onzième, c’est l’amour de sa volonté propre, en laquelle se trouve la liberté de pécher. Le Règle de saint Benoît 7,49. Règle de saint Benoît 7,60. c Règle de saint Benoît 7,64. d Cf. Bernard de Clairvaux, Traité des degrés de l’humilité et de l’orgueil. a
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douzième, c’est l’impudence par laquelle on en arrive à l’habitude de pécher. Lorsque le pécheur est arrivé à ce bas-fond, en descendant les degrés d’orgueil énumérés, il méprise tout (cf. Pr 18,3 vg). 8. À ces degrés d’orgueil ils opposent une forte résistance ceux qui peuvent dire à Jésus en toute vérité : Voici que nous avons tout quitté et nous t’avons suivi (Mt 19,27). Ceux-là pourront avec confiance entendre dire : Quiconque aura quitté une maison, un père, une mère, des fils, des filles ou des champs, à cause de mon Nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle (Mt 19,29).
Tout quitter 9. Notre maison, c’est le monde : nous y habitons comme en une demeure, tant que nous sommes ainsi retenus, en esprit et de corps, dans ses vanités. Le père de cette maison – que nous devons assurément quitter –, c’est celui que l’on appelle prince du monde (cf. Jn 14,30), c’est-à-dire le démon, dont, par la faute, nous étions tous les fils, comme dit l’Apôtre : Par nature, nous étions tous fils de la colère (Ep 2,3). Notre mère, c’est la convoitise, en laquelle nous sommes tous engendrés. Nos frères et sœurs, ce sont les mauvaises inclinations, ou bien selon l’esprit – elles peuvent alors être appelées ‘frères’ –, ou bien selon la chair – elles reçoivent alors le nom de ‘sœurs’. C’est en effet la convoitise qui a engendré en nous ces deux genres d’inclinations, selon l’esprit et selon la chair. Notre épouse désigne la sensualité : en son étreinte nous engendrons des œuvres qui en sont comme les fils et les filles. Par le mot ‘champs’ nous devons comprendre toutes les richesses en général, les possessions terrestres et les dignités. 10. Tout cela, le Seigneur lui-même l’a exprimé en peu de mots en disant à Abraham : Sors de ta terre, de ta parenté et de la maison de ton père (Gn 12,1). La terre désigne toutes les réalités terrestres que l’on possède à l’extérieur. La parenté – père et mère, frère et sœur – représente tous les vices, tant charnels que spirituels, qui sont toujours à nos côtés par une sorte de parenté naturelle. La maison paternelle indique le monde, que le démon, par
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une multitude de méfaits, semble gouverner comme un père de famille. Il est commandé à Abraham de sortir en premier lieu de sa terre, puis de sa parenté, et ensuite de sa maison.
Sortir de sa terre, de sa parenté, de sa maison 399
11. Pour parvenir à la terre des vivants que le Seigneur va nous indiquera, commençant par sortir comme de notre terre, nous avons à quitter toutes les réalités extérieures que nous possédons sur la terre. En deuxième lieu, parce que ce n’est pas l’habit qui fait le moineb mais la vertu, nous devons – comme en sortant de notre parenté – nous appliquer à maintenir à distance de l’entrée du cloître tous les vices antérieurs qui tendent à nous suivre à la manière d’une parenté. Car s’ils entraient avec nous au monastère, nous risquerions de vivre coupablement dans notre ancienne parenté, non comme des moines mais comme des gens du monde, ou même en étant pires que les gens du monde. En troisième lieu, afin d’être parfaits, après être sortis de la maison paternellec, nous avons à passer en esprit au-delà de ce monde et de tout ce qui est du monde ; nous avons à nous considérer en ce monde comme retenus malgré nous en une prison, désirant chaque jour être dégagés de toute entrave pour être avec le Christ (cf. Ph 1,23) ; nous avons à vivre sans dépendre de la chair tout en étant dans la chair ; bien qu’enchaînés en ce monde par notre corps, cependant par notre esprit libre nous avons à habiter dans les cieux, afin de pouvoir dire avec Paul : Notre vie est dans les cieux (Ph 3,20).
Pour le nom de Jésus 12. Mais revenons aux paroles de l’Évangile. Quiconque, dit le Seigneur, aura quitté une maison, un père, une mère, des fils, des Cf. Ps 26,13 et Gn 12,1. Expression proverbiale déjà courante au xiie siècle. c Cf. Sermon 74,55. a
b
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Sermon 146
filles, à cause de mon Nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle (Mt 19,29). Il est manifeste que ceux qui viennent au monastère n’y courent pas tous à cause du nom de Jésus. Car beaucoup dans le monastère ne sont pas en quête du salut de leur âme – que ce nom de Jésus signifie – mais des honneurs ecclésiastiques. Et ceux qui semblent tout abandonner dans le monde par motif religieux manifestent qu’ils désirent bien plus de choses au monastère par ambition, de sorte que, par quelque subterfuge, ils y trouvent les charges honorifiques qu’ils n’avaient pas dans le monde. 13. Le Christ montre qu’il ne faut pas rechercher la vie claustrale pour un tel motif, mais il précise qu’il faut quitter les réalités du monde seulement à cause de son Nom – c’est-à-dire par amour du salut éternel. Dans la mesure où les responsables de communauté et ceux dont ils ont la charge se seront comportés selon la Règle de saint Benoît, imitant son humilité et s’attachant à la charitéa dont il a fait preuve, ils recevront de ce même Jésus Christ la bénédiction d’un bonheur éternel. Que, par les mérites et les prières de notre Père Benoît, notre Seigneur Jésus Christ daigne nous l’accorder, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
a
Voir fin du paragraphe 5.
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400
SERMON 147 POUR LA FÊTE DE SAINT BENOÎT
Selon la promesse faite à Abraham, tous les humains sont bénis dans le Christ. Cette bénédiction est reçue au baptême et, si elle n’a pu être gardée fidèlement, elle peut être recouvrée lors de la profession monastique. La Règle de saint Benoît, en effet, reprend tout l’enseignement déjà contenu dans l’Évangile.
Béni de toutes bénédictions 401
1. Le Seigneur lui a donné la bénédiction de tous les humains, et il a fait reposer son alliance sur sa têtea. Il semble bien qu’après le Christ, cette bénédiction revient à saint Benoît. Le Christ notre grand prêtre (cf. He 9,11) – qui siège en roi éternel, qui nous accorde vaillance et bénit son peuple dans la paix (cf. Ps 28,10‑11) –, au moment où il consacrait comme abbé sur l’ensemble du monde monastique le bienheureux Benoît venu pour sa bénédiction abbatiale, l’a béni d’une manière à ce point singulière qu’en plus de la bénédiction réservée à un abbé, il a également conféré à lui seul les grâces de l’ensemble des bénédictions ; à tous les autres il n’en accorde qu’une à chacunb.
a b
Antienne et répons du Commun d’un Confesseur ; cf. Si 44,23. Cf. 1 Co 12,11 ; Sermon 45,35.
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Sermon 147
2. D’après l’Apôtre, à l’un est donnée une parole de sagesse, à tel autre une parole de science selon le même Esprit, à un autre la foi dans ce même Esprit, à tel autre le don de guérir, à un autre la puissance des miracles, à tel autre la prophétie, à un autre le discernement des esprits, à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. Tout cela, c’est le seul et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à chacun comme il le veut (1 Co 12,8‑11). Ce sont les bénédictions écrites dans le livre du grand prêtre par le doigt de Dieu (cf. Dt 9,10), c’est-à-dire par l’opération de l’Esprit Saint. Il y a encore d’autres bénédictions, innombrables, écrites dans ce même livre, qu’il a toutes prononcées sur la tête de Benoît en lisant du début à la fin tout le livre de bénédictions. C’est pourquoi saint Grégoire s’est écrié plein d’allégresse : « Benoît, l’homme du Seigneur fut rempli de l’esprit de tous les justesa. »
Bénédiction promise aux baptisés 3. Unique est la bénédiction selon laquelle il a été promis à Abraham que tous les humains seraient bénis. En ta descendance, dit le Seigneur s’adressant à Abraham, seront bénis tous les humains (Gn 22,18). Ce que Paul présente ainsi : L’Écriture n’a pas dit : ‘en tes descendants’, comme s’ils étaient plusieurs ; mais elle n’en désigne qu’un : ‘en ta descendance’, c’est-à-dire le Christ (Ga 3,16). Il est promis à la nature humaine – livrée à la mort du fait de la malédiction encourue par nos premiers parents – qu’elle serait bénie dans le Christ afin de pouvoir revenir à la vie. C’est pourquoi il est appelé Jésus, c’est-à-dire Sauveurb. Cette bénédiction, les baptisés la reçoivent du Christ et parviennent par elle au salut, s’ils la gardent intacte après le baptême en vivant dans la droiture. 4. Mais resserré est le chemin qui conduit à la vie, et il en est peu qui s’avancent par lui (Mt 7,14) ; voyant donc que la plus grande partie des baptisés, en s’éloignant de ce chemin, ne parvient pas, tant soit peu, à garder la bénédiction donnée par lui, le Christ a a b
Grégoire le Grand, Dialogues 2,8,8. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 77.
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Sermon 147
établi comme son représentant le saint abbé Benoît, qu’il a consacré dès son enfance pour être « béni de grâce et de noma. » Il est celui que Dieu le Père a béni de toutes sortes de bénédictions spirituelles aux cieux dans le Christ, pour être saint et immaculé en sa présence dans l’amour (Ep 1,3‑4).
Le baptême et l’état monastique
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5. Le Christ lui a donné la bénédiction de tous les humainsb, afin qu’unique soit la bénédiction du baptême et de l’état monastique. Cependant, la bénédiction du baptême – si elle est gardée comme il faut – suffit au salut, sans l’état monastique. Tandis que la bénédiction de l’état monastique n’accorde rien, si ce n’est à ceux qui sont baptisés dans le Christ. Grande pourtant, et très recommandable est la bénédiction liée à l’état monastique, selon le témoignage d’un saint qui a dit : « Le même Esprit que j’ai vu sur le baptistère, je l’ai vu sur la coulec. » Unique est la profession que fait le chrétien qui va recevoir le baptême, et celle que fait le moine qui va recevoir la coule. 6. Le chrétien promet de renoncer à Satan, à ses pompes et à toutes ses œuvres. Le moine promet la conversion de vie et la stabilité en vue d’obéir à Dieud. Le moine ne promet pas autre chose que ce qu’avait promis le chrétien, mais il reprend la même profession qu’il n’a pas pu garder dans le monde et il a confiance de pouvoir mieux y parvenir sous la Règle de saint Benoît. Pour cette raison, la bénédiction de tous les humainse, que Dieu le Père a donnée au Christ, celui-ci l’a lui-même transmise à saint Benoît afin que par cette même bénédiction par laquelle sont bénis ceux qui viennent au baptême du Christ soient pareillement bénis tous ceux qui veulent militer sous la Règle de saint Benoîtf. Grégoire le Grand, Dialogues 2, Prol. 1. Antienne et répons du commun d’un confesseur. c Vie des Pères 6, Verba seniorum 1,9. d Cf. Règle de saint Benoît 58,17 ; Miroir de la charité 3,89‑90. e Antienne et répons du commun d’un confesseur. f Cf. Règle de saint Benoît 58,10 et 1,2. Voir Bernard de Clairvaux, Du précepte et de la dispense 54. a
b
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L’Évangile et la Règle 7. Lorsque Dieu faisait reposer son alliance sur la têtea de Benoît, il prescrivit – en raison de la curiosité humaine qui toujours s’attache plus volontiers à ce qui est nouveau – de recouvrir son livre, l’Évangile, avec une nouvelle couverture, afin d’inciter plus facilement les amateurs de nouveautés à lire sa propre Règle comme s’il s’agissait d’une nouvelle lecture d’un livre nouveaub. Saint Benoît fit surtout cela en échangeant très opportunément les trois mots qui résument tout l’Évangile contre les trois mots qui constituent le résumé de toute la Règle monastique. De même en effet que toute la vigueur de l’Évangile consiste dans la foi, l’espérance et la charité (cf. 1 Co 13,13), de même toute la discipline régulière du monastère réside dans l’humilité, la patience et l’obéissance. Ces trois-ci sont à bon droit proposées pour que, par elles, ces trois-là ne soient d’aucune manière mises de côté. 8. Car l’humilité s’accorde à la foi, la patience à l’espérance, l’obéissance à la charité. De même en effet que la foi est le fondement des réalités que l’on espère (He 11,1), ainsi l’humilité est le fondement de toutes les vertusc. Tout ce qui ne procède pas de la foi est péché (Rm 14,23). Et tout ce qui n’est pas fondé sur l’humilité est vicié. Que la patience soit associée à l’espérance, saint Paul l’atteste en disant : Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience (Rm 8,25). Que l’obéissance soit sœur de la charité, personne de sensé n’en doute. L’obéissance est toujours prête à agir, et la charité est la foi qui passe dans les actes, comme dit Paul : La foi opère par la charité (Ga 5,6). Et saint Grégoire dit : « La charité n’est jamais oisive. Car, si elle est là, elle fait de grandes chosesd. »
Antienne et répons du commun d’un confesseur ; cf. Si 44,23. Cf. Homélies sur les fardeaux 1,6. c Cf. La vie de recluse 24. d Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 30,2 ; cf. Miroir de la charité, II,49. a
b
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Chercher refuge au monastère 9. C’est ainsi que le Seigneur a donné à saint Benoît la bénédiction de tous les humainsa. Partout où est accueillie la foi au Christ, là aussi se répand le renom des moines. Car des hommes et des femmes de tout âge, de toute condition, de toute race, accourent vers la Règle de saint Benoît pour recevoir par elle la bénédiction du salut éternel. Ils cherchent refuge au monastère, en suivant les règles établies par saint Benoît, afin de s’y prémunir plus sûrement contre les tentations qu’ils ne peuvent éviter en restant dans le monde. Cela a été préfiguré, me semble-t-il, dans le premier combat que David livra contre les Philistins, après qu’il eut été oint sur Israël afin de régner. David ne voulut pas attendre dans le camp les ennemis arrivant contre lui, mais, pour être plus en sûreté, il chercha refuge dans la place forte où il obtint la victoire sur ses ennemis après avoir consulté le Seigneur. 10. C’est ce que dit l’histoire : Les Philistins, ayant appris que David avait été oint comme roi sur Israël, montèrent tous pour le chercher. Lorsque David l’eut appris, il descendit dans la forteresse. Les Philistins arrivèrent et se répandirent dans la vallée de Rephaïm. David consulta le Seigneur en disant : ‘Monterai-je contre les Philistins, et les livreras-tu entre mes mains ?’ Le Seigneur répondit : ‘Monte, parce qu’en les livrant je mettrai les Philistins en ta main.’ David vint donc à Baal-Péraçim, et il les y battit en disant : ‘Le Seigneur a dispersé mes ennemis devant moi, comme se dispersent les eaux’ (2 S 5,17‑20). Considérons de quelle manière ce qui est historiquement raconté du retournement de ces gens, compris en un sens spirituel se rapporte à la conversion des moines.
L’onction de l’Esprit 405
11. David se traduit par ‘d’une main forte’ et ‘désirable à voirb’. Et qui est le véritable David sinon le Christ, qui a été promis et est a b
Cf. antienne et répons du commun d’un confesseur. Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 68.
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né de la lignée de David selon la chair (Rm 1,3) ? Il a véritablement une main forte Celui qui triompha du fort, bien armé, en étant bien plus forta, le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant au combat (Ps 23,8). Il est vraiment désirable à voir, puisqu’il est le plus beau des enfants des hommes, celui que les anges aspirent à regarder b. Sous une tête aussi pleine de vigueur et d’aussi belle apparence, il ne doit pas y avoir de membres défaillants et disgracieux. De fait, chaque fidèle – qui se sait membre du Christ (cf. 1 Co 12,27) – doit être fort pour combattre contre les vices ; et il doit apparaître désirable aux yeux du Seigneur en se parant lui-même de vertus. 12. Israël se traduit par ‘l’homme qui voit Dieuc’ ; puisqu’Israël est reconnu avoir été le peuple de Dieu, l’ensemble des vertus spirituelles représente comme un peuple de Dieu. Celui qui s’exerce aux vertus devient un homme qui voit Dieu et est compté parmi le peuple de Dieu (cf. 1 P 2,10). David est oint comme roi sur Israël (cf. 2 S 5,17) lorsque, au baptême, chacun des fidèles est consacré par l’onction de l’Esprit Saint en vue de régner sur le peuple du Seigneur. C’est pourquoi l’apôtre Pierre dit : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis pour annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1 P 2,9). 13. Le fidèle fait voir qu’il est oint roi sur Israël (cf. 2 S 5,17) lorsque, considérant savoureusement en lui-même quelle gloire et quelle grâce il a reçues au baptême, et comment il l’avait conservée après le baptême, il se propose d’amender sa vie ; et en vue de se régir lui-même, il met en place dans la maison de son cœur, selon les divers services, toute une nombreuse famille de vertus. Et puisque cette volonté de s’amender ne peut se réaliser en l’homme sans l’onction de l’Esprit (cf. 1 Jn 2,20), c’est avec raison que – lorsque il commence à réfléchir en lui-même à ce sujet – on peut considérer qu’il est comme oint roi sur Israëld.
Cf. Lc 11,21‑22 ; voir Sermons 35,4 ; 57,6‑7 ; 143,16‑17. Ps 44,3 et 1 P 1,12 ; voir Sermons 24,46 ; 26,28 ; 46,16 ; 59,3. c Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 13. d Cf. Sermons 1,16‑17 ; 28,12 ; Homélies sur les fardeaux 18,16. a
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Les Philistins à Rephaïm
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14. Ce qu’ayant appris, les Philistins indignés montèrent tous pour le chercher (2 S 5,17). Philistin se traduit par ‘tombant sous la boissona’. Ce sont les esprits mauvaisb que le démon leur maître a enivré d’un breuvage d’orgueil. Et parce qu’ils étaient ivres, ils n’avaient pas pu trouver les marches de la montée, mais ils tombèrent, le démon s’écroulant le premier, lui qui était monté par l’orgueil en disant : Je monterai sur la hauteur des nues et je siégerai sur le mont de l’alliance (Is 14,13‑14 vg) contre le Seigneur. Tous ceux qui l’ont suivi vers les hauteurs, enivrés du breuvage de l’orgueil, ont été précipités dans les enfers et confondus dans leur chute. 15. Les Philistins, apprenant que David avait été oint roi sur Israël, montèrent tous pour le chercher (2 S 5,17). Apprenant que tel fidèle forme le projet de vivre honnêtement dans le monde, avec l’aide de la grâce du Saint-Esprit, et que, comme un roi, il associe au royaume de sa demeure intérieure toute une famille de vertus, les esprits mauvais, indignés de son bon propos, s’insurgent contre lui et, en vue de le faire tomber, conspirent tous ensemble par toutes sortes de tentations. 16. Et la suite : Ils arrivèrent et se répandirent dans la vallée de Rephaïm (2 S 5,18). Qu’est-ce que ce Rephaïm dans la vallée duquel les Philistins se répandent, rassemblés pour le combat contre David ? Rephaïm se traduit par ‘géantc’. C’est le géant de grande et immense stature (cf. Ba 3,26) qui, en se confiant dans la grandeur de sa taille (cf. Jb 23,6 vg), dit : Je monterai et je serai semblable au Très Haut (Is 14,14). Sa vallée, c’est la chair de l’être humain que, avant la venue du Christ, il tenait tranquillement en sa possession, comme quelqu’un de fort et de bien armé (cf. Lc 11,21). 17. Deux sont les constituants de l’être humain : l’esprit et la chair. L’un, comme étant supérieur, est comparé à une montagne ; l’autre, comme étant inférieur, est assimilé à une vallée. Avant la venue du Christ, Rephaïm avait en sa possession l’être humain Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 6. Cf. Homélies sur les fardeaux 21,23. c Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 9. a
b
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tout entier ; il le perdit après son avènement, grâce à la victoire de la croix. Malgré cela, puisqu’il lui est plus facile de faire retour vers la chair, chaque fois qu’il s’efforce par des tentations d’envahir son ancienne possession, c’est à juste titre que la chair, gardant encore son vieux surnom, peut être appelée vallée de Rephaïm (cf. 2 S 5,18).
Les esprits mauvais 18. Dans cette vallée, les Philistins se rassemblent et se répandent contre David, parce que les esprits mauvais avec une armée de vices vont marcher contre celui qui, en esprit, monte dans les hauteurs ; le livrant aux tentations par le moyen de la fragilité de la chair, c’est en toute sécurité qu’ils fixent dans la vallée l’emplacement de leur camp. On dit qu’ils sont répandus dans cette vallée (cf. 2 S 5,18), ce qui signifie qu’ils sont extrêmement nombreux. Car chacun des chefs de l’armée s’empare pour lui-même de l’un des membres, où, ayant rangé ses troupes, il part à l’attaque. 19. L’esprit de superbe fixe sa tente dans le cœur, et autour de lui ses plus mauvais familiers : l’esprit de vaine gloire, l’esprit d’envie, l’esprit de colère, l’esprit de rancune et de haine, l’esprit de malice et de perversité (cf. 1 Co 5,8). Un lieu spécial lui étant ainsi accordé, chacun des autres esprits se choisit un lieu qui lui convient dans les autres membres : dans les yeux l’esprit de curiosité, sur les papilles l’esprit de gourmandise, sur la langue l’esprit de malédiction, de détraction, de mensonge, de bavardage, de vantardise, de verbiage creux ; l’esprit de rapacité dans les mains ; porté à courir çà et là, l’esprit de vagabondage s’établit dans les pieds ; l’esprit de fornication dans les reins. 20. De même aussi les autres esprits, occupant tous les autres membres humains, remplissent de leurs armées toute la vallée de la faible chair (cf. Mt 26,41), afin de frapper d’une très grande frayeur David, roi d’Israël, c’est-à-dire tout fidèle qui se propose de s’élever vers le sommet des vertus. C’est pourquoi David lui-même déplore l’offensive générale de ses ennemis en disant : Tout le jour je marchais accablé de tristesse (Ps 37,7). Et il incrimine particulièrement
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l’esprit de fornication, parce que c’est surtout lui qui règne dans le monde : Mes reins ont été remplis d’illusions (Ps 37,8). Et ne pouvant détailler l’armée répandue à travers toute la vallée de sa chair, qui est l’armée innombrable des autres vices, il les déplore tous en bloc et dit : Il n’y a rien de sain dans ma chair (Ps 37,8).
Au monastère : confession et profession 408
21. Encerclé par une telle armée de vices, que lui reste-t-il à faire sinon fuir le monde et chercher refuge dans un monastère, à l’exemple de David qui, venant du camp, se réfugia dans la forteresse (cf. 2 S 5,17) ? David estima qu’il se sauverait plus sûrement en se retirant dans une place forte qu’en s’exposant sans défense aux ennemis dans le camp. De même, quiconque a un jugement sain, voyant qu’il ne peut être en sécurité dans le monde à cause des flots de tentations se ruant sur lui – car il est difficile de rester au milieu du feu sans brûler –, qu’il accoure vers un monastère comme vers une forteresse pour y retrouver la bénédiction qu’il avait reçue au baptême et qu’il avait ensuite laissé s’étioler en vivant mal ; cette bénédiction, qu’il en retrouve la forme première par sa conversion, et qu’il la garde ensuite fermement en vivant selon la Règle. 22. Dès qu’il s’y sera retiré, qu’il consulte le Seigneur en disant : ‘Monterai-je contre les Philistins, et les livreras-tu entre mes mains ?’ (2 S 5,19). Il fait une telle demande au Seigneur lorsqu’il réfléchit avec soin à l’intime de lui-même sur son intention de se confessera et faire profession. C’est assurément ainsi qu’il entendra le Seigneur lui répondre : Monte, parce qu’en les livrant je mettrai les Philistins en ta main (2 S 5,19). C’est comme s’il disait : ‘Aussi longtemps que tu n’auras pas avoué les péchés que tu as commis dans le monde, tant que tu ne te seras pas engagé à garder la Règle qui t’est proposée, tu demeures encore dans la vallée, assiégé par les vices. Pareillement, tu ne pourras pas Rappelons qu’à l’époque la profession monastique était précédée d’une confession générale de grande importance. a
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dominer les Philistins qui sont dans la vallée. Si tu veux dominer ceux qui rangent l’armée en ligne de bataille contre toi, en contrebas dans la vallée, toi, monte plus haut (cf. Lc 14,10). Sors de la vallée en maîtrisant la chair. Monte sur la montagne en suivant la raison. Fais ta confession, fais ta profession, car c’est ainsi que tu verras la vengeance infligée à tes ennemis (cf. Jr 11,20).’ 23. David vint donc à Baal-Péraçim, et il les y battit en disant : ‘Le Seigneur a dispersé mes ennemis devant moi, comme se dispersent les eaux’ (2 S 5,20). La réponse de Dieu t’ayant procuré une grande assurance, balayant toute hésitation (cf. Jc 1,6) confessetoi de manière intégrale, engage-toi par une profession définitive. Ayant reçu le pardon de tes fautes, rendu ferme grâce à la Règle, tu mériteras de voir, Dieu aidant, la dispersion de tous tes ennemis, c’est-à-dire de tes vices. 24. Baal-Péraçim se traduit par ‘ayant pouvoir de dispersion’ ; c’est le lieu où David a battu ses ennemis (cf. 2 S 5,20). Au témoignage de l’Écriture, ce lieu a reçu un tel nom évocateur parce que le Seigneur avait dispersé les ennemis de David devant lui. Ce nom désigne la profession monastique, qui a un très grand pouvoir de dispersion ; de fait, lorsqu’un novice arrive à la profession après une bonne confession, le Seigneur disperse devant lui tous les vices qui lui étaient auparavant hostiles, en les éloignant de lui. 25. Lors de la profession, les vices sont dispersés loin du novice aussi facilement que se dispersent les eaux (2 S 5,20). De même en effet que la dispersion des eaux se fait facilement grâce à la fluidité de celles-ci, de même la rémission des péchés (cf. Ac 13,38) est tout aussi facilement accordée à celui qui se confesse comme il convient. Et de la même manière que de l’eau contenue dans un récipient est dispersée sans difficulté goutte à goutte et répandue petit à petit, ainsi, la conspiration des esprits mauvais ayant été dissoute, la virulence des vices est ramenée à rien devant un moine ferme dans sa profession, accompagnée de sa confession.
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Les pensées mauvaises
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26. Et les Philistins abandonnèrent sur place leurs idoles (2 S 5,21). Ce sont les représentations des pensées mondaines qui, après la confession et la profession, s’infiltrent souvent. Car bien que (les moines) soient victorieux grâce à la confession et à la profession, tous les vices étant écartés, souvent pourtant ils subissent en leur esprit des images mentales qui, telles les idoles abandonnées par les Philistins vaincus, accablent leur imagination du souvenir des fautes antérieuresa. Mais il ne faut pas les redouter non plus car, comme il est écrit : David et ses hommes les enlevèrent (2 S 5,21). 27. Le véritable David – le Christ à la main forteb, qui opère dans les saints à la fois le vouloir et le faire au profit de son bienveillant dessein (Ph 2,13) – promet la liberté et le parfait affranchissement de tout ce qu’il y a de mauvais, autant dans les pensées que dans les actes, en disant : Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres (Jn 8,36). Stimulés par cette promesse et devenus assurés, les saints crient vers Dieu en toute confiance : De tout mal délivre-nous, Seigneurc. Et ils prient en particulier pour qu’il daigne ôter les mauvaises pensées qui sont comme les idoles des Philistins abandonnées derrière eux (cf. 2 S 5,21) : Des mauvaises pensées, délivre-nous, Seigneurd. 28. Les hommes de ce David, ce sont tous ceux qui se conduisent courageusement dans le combat contre les vices. Le premier David, figure du second, les exhorte à cela en disant : Conduisez-vous courageusement et réconfortez-vous, vous tous qui espérez dans le Seigneur (Ps 30,25). Et Paul les définit clairement en disant : Ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises (Ga 5,24). Ce sont les moines qui ne se glorifient en rien si ce n’est dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour eux et d’eux un crucifié pour le monde (Ga 6,14). Cf. Sermon 9,36. Voir paragraphe 11 ; cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 68. c Refrain repris dans la litanie des saints. d Oraison liturgique. a
b
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Sermon 147
29. David et ses hommes enlèvent les idoles des Philistins (cf. 2 S 5,21), parce que quiconque se conduit courageusement au service du Christ et a confiance en lui est délivré par lui non seulement des œuvres et des désirs mauvais, mais aussi des pensées mauvaises. Que, par les mérites et les prières de saint Benoît, notre Seigneur et Roi Jésus Christ écarte de nous les ennemis et nous conduise à la vie éternelle, lui qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 148 POUR LA FÊTE DES SAINTES RELIQUES
La fête liturgique de toutes les reliques qui se trouvaient dans une église était célébrée à des dates diverses. À Westminster elle était célébrée le 16 juillet. Ce qui correspondrait bien à la place où le sermon d’Aelred se trouve dans le manuscrit. Un verset du psaume 149, choisi comme graduel (psaume responsorial) de la fête des saintes reliques, sert d’entrée en matière. Puis l’auteur recourt à de nombreux extraits d’une homélie d’Origène sur le livre de Jérémie pour inciter à fuir Babylone et à s’engager sur la voie du salut par le baptême et la pratique des vertus. Et le sermon se termine par une évocation des saints dont les reliques sont gardées dans l’église où il est prononcé.
Cantique nouveau 411
1. Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu de leur repos (Ps 149,5 vg). Après la naissance du Seigneur à Bethléem, avec l’ange qui apparut aux bergers il y eut une troupe nombreuse de l’armée céleste qui louait Dieu et disait : ‘Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.’ (Lc 2,13‑14). Voici, mes frères, le cantique nouveau (cf. Ps 149,1) : le cantique de la gloire, le cantique des anges,
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Sermon 148
le cantique des saints, qui tressaillent dans la gloire et dont l’allégresse éclate dans le lieu de leur repos, la louange de Dieu dans leur bouche (Ps 149,5‑6). Tous les bons anges, les patriarches et les prophètes, les apôtres et tous les saints chantent sans cesse ce cantique. Tous ensemble, d’un cœur unanime, ils s’attachent à la paix, ils aiment la paix, ils proclament la paix, ils cultivent la paix et la chantent. L’Esprit Saint dans un psaume nous invite à chanter ce cantique au Seigneur : Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles (Ps 97,1). Il a fait des merveilles en modérant sa colère, en faisant disparaître la discorde, réconciliant (cf. 2 Co 5,19) Dieu et l’homme, faisant la paix (cf. Ep 2,15) entre les anges et les hommes, afin que les réalités terrestres soient associées à celles des cieux. 2. Ne savent ni ne peuvent chanter les cantiques de ces merveilles les fils de discorde, les fils de colère, les fils de querelle et de dissension, qui sèment la discorde entre les frèresa, qui, bouffis d’orgueil, brouillons, bouillonnants de colère et trublions, n’obéissent pas à l’abbé, ne témoignent pas de respect au prieur, n’ont pas confiance dans les frères, sont ingrats envers Dieu, odieux aux hommes, perturbateurs de la paix fraternelle. Ces gens-là ne chantent pas le cantique du Seigneur mais celui du démon. Ils ne chantent pas un cantique de gloire, mais un cantique de querelle, le cantique de Caïn qui tua son frère (cf. Gn 4,8) : c’est ce qu’ils font chaque jour spirituellement par la jalousie, la colère et la détraction, tendant des embûches à leurs frères et tramant du mal contre eux. Ils n’ont pas la louange de Dieu dans leur bouche (Ps 149,6), mais c’est la colère, les querelles, les blasphèmes, la tromperie et le mensonge qu’ils ont sur leurs lèvres (cf. Col 3,8‑9). Oui, ils n’ont pas connu le chemin de la paix et la crainte de Dieu n’est pas devant leurs yeux (Ps 13,3 vg). Ceux-là ne tressailliront pas dans la gloire, mais ils seront attristés dans le châtiment. Leur allégresse n’éclatera pas dans le lieu de leur repos (Ps 149,5), mais ils seront tourmentés dans leurs tombeaux, c’est-à-dire dans les enfers, où Satan et ses suppôts seront consumés par le feu, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents (cf. Mt 8,12). a
Cf. Ga 5,20 ; Ep 2,3 ; Jr 15,10 ; Pr 6,19.
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Sermon 148
Imiter les saints 3. Mais les saints, dont les reliques sont gardées dans nos églises et dans toutes les églises, eux que nous vénérons aujourd’hui avec ferveur, chantaient continuellement le cantique du Seigneur (cf. Ps 136,4), le cantique de la paix. Car ils n’avaient qu’un seul cœur dans la maison du Seigneur (cf. Ac 4,32), c’était des hommes à l’esprit tranquille et de bonne volonté (cf. Lc 2,14). Suivons ces saints, nos protecteurs, qui ont marché avant nous vers la gloire ; appliquons-nous à maintenir notre esprit dans la tranquillité et la paix. Nous ne célébrerons avec fruit les fêtes des saints que si nous imitons leur comportement, leur vie, leur conduitea. Celui qui aime l’autodiscipline, l’obéissance, la douceur, la patience, la maîtrise de soi, la sobriété, l’humilité et la chasteté ; celui qui aime Dieu plus que tout et son prochain comme lui-même (cf. Mc 12,33), celui-là imite ceux dont les reliques sont gardées dans nos églises. Celui-là partage le sort de ceux qui tressaillent déjà dans la gloire et dont l’allégresse éclate dans le lieu de leur repos (cf. Ps 149,5 vg). Car bien qu’il soit, de corps, en exil sur terre (cf. 2 Co 5,6), il vit dans les cieux, grâce à sa volonté bonne.
Lieux de l’âme 4. « De même que notre corps réside dans un lieu de la terre, de même notre âme, selon son état, se trouve dans un lieu qui porte le même nom qu’un pays. De même que, par notre corps, nous sommes en Angleterre, en Gaule ou en Égypte ou dans quelque autre lieu de la terre, de même on dit que telle âme est à Babylone, telle autre en Égypte, telle autre à Jérusalem ou dans quelque lieu semblable. On reconnaît qu’une âme est à Babylone quand elle est troubléeb, perturbée, quand, la paix l’ayant quittée, elle endure les assauts des passions, quand le tumulte du mal gronde autour Cf. Sermons 174,1 ; 176,16 etc. D’après saint Jérôme (Livre sur les noms hébreux 3), Babylone se traduit par ‘trouble’. a
b
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Sermon 148
d’elle. À cette âme s’adresse la parole du prophète : Fuyez de Babylone et sauvez à nouveau chacun votre âme (Jr 51,6). Celui qui est à Babylone peut à peine être sauvé. 5. À Babylone, les instruments qui accompagnent les hymnes à Dieu sont laissés sans emploi. Aussi est-il dit par le prophète : Près des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré en nous souvenant de Sion ; aux saules, au milieu d’elle, nous avons pendu nos instruments (Ps 136,1‑2). Tant que nous sommes à Babylone, nos instruments sont pendus aux saules des fleuves de Babylone. Mais si nous venons à Jérusalem, lieu de la vision de paixa, les instruments, qui auparavant pendaient sans être employés, sont pris en main et nous jouons sans cesse de la cithare, et il n’est pas un moment où nous ne louions Dieu grâce aux instruments que nous tenons en main. Celui qui est pécheur, écrasé par le poids de crimes très lourds, demeure à Babylone. De même que les pécheurs sont à Babylone, de même, en sens contraire, les justes sont en Judée ou à Jérusalemb.
Fuir du milieu de Babylone 6. C’est pourquoi à ceux qui sont à Babylone, la parole de Dieu ordonne : Fuyez du milieu de Babylone (Jr 51,6), ni peu à peu, ni à petits pas, mais rapidement et en courant ; car c’est cela ‘fuir’. Tous ceux qui ont l’âme troublée par la passion des différents vices, cette parole s’adresse à eux : Fuyez du milieu de Babylone. Celui qui est profondément plongé dans de nombreux et très graves péchés, celui-là habite au milieu de Babylone. Mais celui qui, quittant peu à peu le mal et tournant sa nature vers des biens meilleurs, se met désormais à désirer les vertus, celui-là, bien qu’il se soit enfui du milieu de Babylone, ne s’est pourtant pas encore totalement éloigné d’elle », mais il habite encore comme aux frontières de Babylone.
a b
Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 50. Cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,1.
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7. « Autre chose est de résider au milieu de Babylone, de telle manière qu’il y ait de tous côtés la même distance et que l’on habite ainsi en son centre comme au milieu du cœur d’un être vivant. De même en effet que, dans l’évangile selon Luc, le milieu de la terre est appelé cœur de la terrea », ainsi on dit qu’habitent au milieu de Babylone les pécheurs qui sont entourés de partout par les fautes, les vices et les péchés. « À ces gens-là il n’est pas dit : ‘Sortez du milieu de Babylone’ – ce qui peut se faire peu à peu –, mais : Fuyez du milieu de Babyloneb, c’est-à-dire : ‘Fuyez en toute hâte et rapidité du milieu de Babylone – autrement dit de l’abîme des vices –, détournez-vous promptement de l’habitacle de perdition. Et sauvez à nouveau chacun votre âme (Jr 51,6).’
Sauver à nouveau son âme 8. Il ne nous suffit pas de fuir du milieu de Babylone, c’est-àdire de nous détourner promptement des vices ; après avoir fui Babylone, nous devons nous appliquer aux vertus. C’est pourquoi le psalmiste dit : Détourne-toi du mal et fais le bien (Ps 36,27). Et le Seigneur dit dans la Loi : Tu ne paraîtras pas devant moi les mains vides (Ex 23,15). Il apparaît les mains vides celui qui est dépourvu de vertus. Voilà pourquoi après qu’il ait été dit : Fuyez du milieu de Babylone, on ajoute aussitôt : Et sauvez à nouveau chacun votre âme (Jr 51,6). Notre âme a été sauvée par l’effusion du sang du Christ, qui a été répandu pour la rémission des péchés (cf. Mt 26,28). Et l’âme humaine est sauvée dans le baptême, en lequel les péchés sont remis. Mais puisque, après le baptême, nous commettons tous bien des écarts (Jc 3,2), nous avons besoin de sauver à nouveau nos âmes. 9. Dans le baptême, comme nous l’avons dit, nous avons reçu la justification et le salut de l’âme ; « déchus ensuite de ce salut à cause des péchés, nous sommes descendus à Babylone, c’est-à-dire dans la confusion des vices. Voilà pourquoi il faut que chacun de a b
L’expression ne se trouve que dans Mt 12,40. Aelred suit l’erreur d’Origène. Jr 51,6 ; cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,2.
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nous sauve à nouveau son âme, pour que nous commencions à posséder par la grâce ce que nous avons perdu par la faute. C’est pourquoi saint Pierre dit : Nous obtiendrons l’objet de la foi : le salut des âmes. Sur ce salut ont porté les investigations et les recherches des prophètes, qui ont prophétisé sur notre grâce (1 P 1,9‑10). Il nous appartient assurément de fuir de Babylone, et il est en notre pouvoir de relever en nous ce qui s’est écrouléa » et de sauver à nouveau notre âme par la pénitence, par la confession, par une digne satisfaction. Ceux qui sauvent à nouveau leur âme de cette manière deviendront saints, tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu de leur repos (Ps 149,5 vg).
Gloire des saints et gloire des insensés 10. Grande est la gloire des saints ! « Il n’est personne qui n’aime la gloire. Mais la gloire des insensés, que l’on appelle gloire populaire, exerce une séduction trompeuse : celui qui s’éprend des louanges des hommes futiles veut vivre de façon à être louangé par les hommes, quels qu’ils soient et de quelle que manière qu’ils le fassent. Les hommes devenus comme insensés, vides à l’intérieur, bouffis à l’extérieur, perdent dès lors ce qu’ils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des histrionsb », à des beaux esprits et à des flagorneurs, pour l’amour de la vaine gloire et la faveur d’hommes stupides. Non seulement ils n’écoutent pas les pauvres mais ils vont jusqu’à les mépriser, ne prêtant pas attention à cette terrible parole du Seigneur, dont il frappe les réprouvés : J’étais nu et vous ne m’avez pas vêtu. Ce que vous n’avez pas fait à l’un des petits qui sont à moi, à moi non plus vous ne l’avez pas fait (Mt 25,23‑25). 11. Mais les saints, par leurs œuvres, agissent bien, non à cause des hommes mais pour Dieu ; de quelle manière ils exulteront dans la véritable et éternelle gloire, il n’est pas en notre pouvoir de l’exprimer. Ils tressailliront dans la gloire éternellement, et leur allégresse éclatera dans le lieu de leur repos (Ps 149,5). Le psalmiste a b
Cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,3. Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 149,10.
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ne dit pas que les saints exulteront dans les théâtres ou les amphithéâtres, ni dans les cirques ou dans les balivernes et les choses vaines de ce monde, mais dans le lieu de leur repos. « Qu’est-ce à dire : dans le lieu de leur repos ? Dans leur cœur. Écoute Paul tressaillir dans le lieu de son repos, c’est-à-dire dans son cœur : Notre gloire, la voici, c’est le témoignage de notre conscience (2 Co 1,12). Il est cependant à craindre que tel homme ne se complaise en luimême, et qu’il ne se glorifie avec orgueil de sa propre conscience. Oui, nous devons tressaillir avec crainte (cf. Ps 2,11), car le don de Dieu (cf. Ep 2,8) qui nous fait tressaillir ne vient pas de notre propre mérite. Il en est beaucoup qui se complaisent en eux-mêmes et se croient justes ; contre eux, voici une page d’Écriture qui dit : Qui se glorifiera d’avoir un cœur pur ? Ou qui se glorifiera d’être exempt de tout péchéa ? » 12. Puis donc que nous commettons tous bien des écarts (Jc 3,2), nous devons être toujours circonspects afin de ne pas honteusement désespérer par suite de nos fautes et de ne pas nous enorgueillir sottement de notre justice. « Il est une certaine manière de nous glorifier dans notre conscience : c’est quand l’un de nous reconnaît que sa joie est pure, que son espérance est assurée, que sa charité est sans feinteb. » Le Christ nous la montre véritable et parfaite, lui dont la charité fut si grande qu’il est mort pour des serviteurs et que, sur la croix, il a prié pour ses ennemis (cf. Lc 23,34).
Ceux qui sont vénérés en ce jour 416
13. Nous vénérons aujourd’hui ce Saint des saints, le Roi et le Seigneur de tous : bien qu’il soit, en notre nature, tout entier au ciel, siégeant à la droite du Père, intercédant pour nous (cf. Rm 8,34), son Corps est pourtant rendu présent chaque jour en notre églisec. La Reine des cieux, souveraine des anges et des hommes nous recommande la véritable humilité : elle était si élevée qu’elle put être mère Pr 20,9 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 149,11. Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 149,11. c Cf. Sermons 3,40 ; 34,4 ; 118,26 ; 120,6 ; 121,14.29 etc. a
b
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Sermon 148
et vierge, et pourtant elle ne l’imputa pas à elle-même mais à Dieu en disant : Mon âme magnifie le Seigneur, parce qu’il a regardé l’humilité de sa servante. C’est pourquoi toutes les générations me diront bienheureuse (Lc 1,46‑48). La solennité de ce jour est également consacrée à Notre-Dame, Mère de miséricorde. Car bien que son corps demeure intact dans un lieu et d’une manière connus du Seigneur, nous possédons pourtant quelque chose de précieux parmi nos reliques, une mèche de ses cheveux ou un morceau de ses vêtements. 14. Le disciple que Jésus aimait, choisi vierge par le Seigneur et aimé plus que les autres, à qui le Christ sur la croix a confié sa mère viergea revendique à bon droit cette solennité pour lui-même ; car, parmi nos précieuses reliques, nous espérons que vous avez souvent embrassé l’anneau qu’il rendit au saint roi Édouardb. Le prince des apôtres, pasteur de l’Église, notre principal protecteur, saint Pierre apôtre, dont la confession de foi affermit et fortifie toute l’Église dans le monde entier (cf. Mt 16,16‑19), est loin d’être mis à l’écart de la solennité de ce jour : l’église où nous nous trouvons est consacrée en son honneur, et elle est largement dotée de ses précieuses reliques. L’éminent confesseur du Seigneur, Édouard, fondateur de cette église, vierge avant le mariage, vierge dans le mariage et persévérant dans la virginité après son mariagec, fait pour nous de ce jour un jour solennel, car nous contemplons avec bonheur son corps vierge qui demeure chez nous dans son intégritéd. 15. C’est pour cette raison que les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les saintes vierges, dont des reliques sont gardées chez nous, sont aujourd’hui vénérés par nous avec ferveur. Appliquons-nous donc à imiter les saints dont nous vénérons aujourd’hui les reliques, tressaillant dans le lieu de notre repos (cf. Ps 149,5), c’est-à-dire dans nos cœurs, grâce à une bonne conscience, afin de pourvoir leur être unis dans la vie future par une véritable gloire. Que daigne nous l’accorder le Saint des saints, le Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen. Jn 21,7 ; cf. antiennes liturgiques pour la fête de saint Jean. Cf. Sermon 170,14. c Cf. Sermons 171,6 et 9 ; 170,11. d Cf. Sermons 171,11 ; 45,12. a
b
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SERMON 149 POUR LA FÊTE DE SAINTE MARIE MADELEINE
Marie Madeleine a été remise en paix par son Sauveur, à qui elle a manifesté son repentir par ses larmes, ses baisers et toute son attitude. Son exemple peut être suivi en ce qu’elle a imité le gémissement de la colombe et non le cri du corbeau, lequel symbolise ceux qui renvoient toujours à plus tard le moment de leur conversiona.
Va en paix 418
1. Ta foi t’a sauvée ; va en paix (Lc 7,50). L’auteur et le rémunérateur de la paix, le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ, homme lui-même (1 Tm 2,5), qui a fait la paix entre Dieu et l’homme, remet en paix la femme pécheresse qu’il délivre de ses péchés. Lui-même nous laisse aller dans la paix (cf. Lc 2,29) quand il nous absout de nos péchés. Telle est la véritable paix : être un homme pur du péché et servir la justice (cf. Rm 6,19). Ils sont privés de cette paix tous ceux qui sont accablés de fautes. C’est pourquoi il est écrit : Il n’y a pas de paix pour les méchants, dit le Seigneur (Is 57,21). Comment peut-on dire que sont en paix ceux qui sont continuellement agités par le trouble et le tiraillement des a
Par onomatopée, car » demain » en latin se dit cras.
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Sermon 149
vices, qui sont constamment enivrés de la coupe d’or de Babylone (cf. Jr 51,7) ?
La coupe d’or 2. La coupe d’or de Babylone enivre toute la terre (Jr 51,7). Nous pouvons comprendre la coupe d’or de Babylone comme étant la convoitise charnelle. Elle est sans doute appelée coupe d’or parce que, de même que l’or est accueilli avec une plus grande complaisance que les autres métaux, ainsi la convoitise charnelle est reçue avec plus d’intensité affective par les êtres charnels. Il est aisé d’évaluer la manière dont cette coupe a enivré toute la terre si nous en considérons les genres de boisson. Nous sommes enivrés de cette coupe du fait de la colère ou de la tristesse, ou en raison de la vaine gloire, de la luxure, de l’avarice et des diverses influences des passions. Cette coupe de Babylone enivre toute la terre, parce que toute la terre est pleine de péchés. 3. Les pécheurs sont désignés du nom de ‘terre’, eux qui se complaisent sans retenue dans les réalités terrestres. Mais le juste, bien qu’il soit sur la terre, refuse tant qu’il peut d’être enivré de cette coupe, car sa vie est dans les cieux (cf. Ph 3,20). Toute la terre est enivrée de cette coupe, parce que tout pécheur – qui est à juste titre désigné du nom de ‘terre’ – se complaît davantage dans les vices que dans les vertus. C’est pourquoi il est dit à l’homme pécheur : Tu es terre et tu iras en terrea. Au juste, par contre, on peut opportunément dire : ‘Tu es ciel et tu iras au ciel’, parce qu’il porte l’image du céleste (cf. 1 Co 15,49). Ainsi donc, pour conclure brièvement, la coupe d’or de Babylone enivre toute la terre (Jr 51,7), parce que tant que nous sommes terre, c’est-à-dire tant que nous aspirons sans retenue aux occupations terrestres, nous sommes enivrés du vin de la convoitise charnelleb. 4. « Quand quelqu’un prend du vin ordinaire au-delà de sa soif et plus que de raison, nous voyons le corps branlant d’un a b
Gen 3,19, d’après la version citée par Origène. Cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,8‑9.
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Sermon 149
homme ivre, les pieds qui vacillent, les tempes et la tête alourdies, la bouche défaite, la langue empâtée, les mots entrecoupés sur des lèvres serrées. De la même manière, nous voyons comment ceux qui boivent à la coupe d’or de Babylone sont vacillants, comment leur marche est instable, leurs pensées fluctuantes, leur esprit affaibli, ils ne se tiennent à rien de solide mais sont toujours agités par des troubles. » Ces gens n’habitent pas dans une demeure de paix, mais dans les désordres de l’ébranlement. « C’est pourquoi, l’Écriture dit de Caïn après qu’il eut péché : Caïn sortit de la présence de Dieu, et il habita dans la terre de Naïd en face d’Edena. Naïd se traduit par ‘ébranlement’. Celui qui abandonne Dieu et perd la faculté de penser à Dieu, celui-là habite dans la terre de Naïd, c’est-à-dire qu’il vit dans le désordre d’un cœur mauvais et dans l’ébranlement de l’espritb. »
Marie Madeleine
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5. Marie Madeleine a habité dans cette terre de Naïd, quand elle se trouvait dans le désordre d’un cœur mauvais et dans l’ébranlement de l’esprit ; quand, impudique, elle vacillait de mal en mal, de péché en péché, d’iniquité en iniquité ; quand elle était enivrée de la coupe d’or de Babylone (cf. Jr 51,7), servant les désirs de la chair en vivant dans la débauche. Après avoir appris que le Seigneur Jésus était venu dans la maison de Simon, elle dédaigna aussitôt le royaume du monde et toute sa parure, se jetant aux pieds du Sauveur, baignant de larmes les pieds du Seigneur et les essuyant de ses cheveux (cf. Lc 7,44). Alors soudain Babylone est tombée et elle a été broyée (Jr 51,8) en son cœur. 6. « Que chacun de nous s’examine lui-même pour savoir si Babylone est déjà tombée en nous. Dans le cœur de celui où la ville de désordrec n’est pas tombée, le Christ n’est pas encore venu en son esprit. Car lorsqu’il vient, Babylone – c’est-à-dire tout le Gen 4,16, d’après la version citée par Origène. Cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,10. c Selon l’étymologie de Babylone. a
b
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Sermon 149
désordre des vices – d’habitude s’écroule. » Imitons Marie, figure exemplaire du pardon divina, hâtons-nous vers Jésus, « en recourant à la protection de la prière et en demandant que Jésus vienne dans nos cœurs : qu’il broie Babylone, qu’il fasse s’écrouler toute sa malice et qu’il rebâtisse à sa place, dans la faculté directrice de notre cœurb, Jérusalem ville sainte de Dieuc », cité de paix, afin que chacun de nous mérite d’entendre le Seigneur lui dire : Ta foi t’a sauvé ; va en paix (Lc 7,50). 7. Malgré nos péchés, ne craignons pas de nous hâter vers Jésus, car il est il est plein de bonté et de clémence, longanime et prodigue de miséricorde (Ps 102,8). Il est blasphémé par les impies, et il fait lever son soleil sur les bons et les méchants (Mt 5,45). Marie Madeleine était une malheureuse pécheresse, de fâcheuse réputation ; le Seigneur a pourtant fait lever sur elle son soleil. Le Seigneur a fait briller sur elle le Soleil de justice (cf. Ml 3,20) en vue de l’amener au repentir ; il a enlevé et dissipé en elle toute la rouille des péchés. Voyez comme est grande la miséricorde du Seigneur. 8. « De toutes parts, il nous appelle à nous repentir et à nous corriger. Il nous appelle au repentir en nous accordant le temps de vivre et de nous repentir. Il nous appelle tantôt par des bienfaits, tantôt par le fouet du châtiment, tantôt par sa consolante miséricorde, car il est longanime et riche en miséricorde (Ps 102,8). Mais nous devons néanmoins le craindre grandement de peur que, faisant un mauvais usage de la longue miséricorde de Dieu, nous n’amassions contre nous ce que dit l’Apôtre : la colère au jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu (Rm 2,5). C’est pourquoi il dit de même : Méprises-tu les richesses de sa bonté et de sa longanimité ? Ignores-tu que la patience de Dieu te pousse au repentird ? »
Cf. Sermon 150,3 et 10. Terme stoïcien qui désigne la raison. c Cf. Origène, Sur Jérémie, homélie latine 2,11. d Rm 2,4 ; cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 102,16. a
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Sermon 149
Le corbeau et la colombe
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9. Toute iniquité lui déplaît. Les fautes ne lui plaisent pas ; du fait de sa miséricorde, pourtant, il attend nos œuvres bonnes. Sa longanimité nous épargnant, il nous appelle au repentir. Ne tardons pas à revenir à lui, de peur que le cri du corbeau ne résonne en nous : ‘cras, cras, demain, demain. Aujourd’hui je demeure dans la sensualité et la convoitise de ma chair, demain je m’éloignerai de mes désirs.’ Lorsque le jour de demain sera venu, puisque la jouissance charnelle me plaît davantage que la mortification corporelle, il se peut que je pense encore : ‘Ce n’est pas aujourd’hui le dernier jour ; je demeure tel durant tout le jour, demain je serai autre.’ Ceux qui retardent ainsi leur conversion de lendemain en lendemain, la mort fond soudain sur eux et ils sont subitement emportés vers le châtiment, eux qui tardent à suivre le Christ vers la gloire. Le corbeau a été envoyé une seule fois hors de l’arche et n’y est pas revenu. De même les réprouvés sont envoyés une seule fois hors de cette vie, et ne retournent pas vers l’arche, c’est-à-dire vers l’Église, en laquelle est donnée à tous la possibilité de se repentir, de confesser ses fautes et de satisfaire pour elles. 10. « Le Seigneur ne cherche pas la remise à plus tard dans le cri du corbeau mais la confession dans le gémissement de la colombea. » Car quiconque confesse humblement son péché, en étant prêt à obéir à Dieu, où qu’il soit envoyé – c’est-à-dire quelles que soient les occupations extérieures à lui confiées – revient toujours avec un saint empressement vers l’arche, c’est-à-dire vers la sainte Église. Mais celui qui est dur de cœur, une fois envoyé hors de l’arche en étant englué dans les occupations extérieures, ne revient pas vers l’arche – c’est-à-dire vers la vie austère des saints – mais il retarde sans cesse sa conversion, selon la dureté de son cœur ; par son impénitence, il amasse contre lui un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres (Rm 2,5).
a
Cf. Augustin, Commentaire sur les psaumes 102,16.
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Sermon 149
L’âne et la brebis 11. Repassant cela dans son cœur, sainte Marie Madeleine n’a pas apporté de retard à une bonne conversion, mais elle a veillé à ce qu’un mauvais début finisse bien. Dès qu’elle apprit que Jésus était venu dans la maison de Simon (cf. Lc 7,37), selon le précepte de la Loi elle s’appliqua à échanger le premier-né de l’âne pour une brebis. Tu échangeras le premier-né de l’âne pour une brebis (Ex 13,13), est-il dit. Si nous vivons d’une manière déréglée, stupide, bestiale, nos premiers-nés sont d’un âne. Si, par la suite, nous vivons avec retenue, sagesse, piété, patience et en portant du fruit, non seulement pour nous mais aussi pour les autres – comme la brebis qui vit non seulement pour elle-même mais pour les autres –, nous rachetons le premier-né de l’âne par une brebisa. Ah ! que cette femme a vécu de manière stupide, déréglée, comme une bête, nuisant à elle-même et à beaucoup !
Les présents, signes du repentir 12. Elle avait été accablée d’une lourde masse de péchés ; l’évangéliste saint Marc avait dit que sept démons furent chassés d’elle. Et saint Grégoire, en commentant ce passage de l’Évangile, dit de cette heureuse pécheresse : « Marie eut sept démons, elle fut remplie de tous les vicesb. » Examinant toutefois en son cœur les souillures des péchés, elle eut la sagesse de se hâter vers la source de la miséricorde pour y être lavée. Heureuse d’avoir été purifiée à cette source, elle s’en éloigna en entendant ces mots du Seigneur, source de miséricorde : Ta foi t’a sauvée ; va en paix (Lc 7,50). Puisqu’elle avait été accablée de nombreux péchés, elle ne voulait pas venir vers Jésus les mains vides. Elle apporta avec elle des présents de choix : la foi, l’espérance et la charité ; le parfum, le baiser et l’effusion de larmes (cf. Lc 7,37‑38). Comme dit saint Grégoire, « autant
a b
Grégoire le Grand, Morales sur Job 27,18,38. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 33,1.
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Sermon 149
elle eut de charmes en elle-même, autant elle trouva d’offrandes venant d’ellea. » 13. D’abord tendue vers ce qui est défendu, elle avait couvert son corps de parfums en raison de leur bonne odeur. À présent, de manière avisée, elle offrait cela à Dieu. En répandant des larmes sur les pieds du Seigneur, elle purifiait les yeux par lesquels elle avait regardé les réalités terrestres. Elle se réjouissait de déparer par des larmes la chevelure qu’elle avait souvent peignée pour accentuer la beauté de son visage en l’enroulant à la manière d’une pelote de laine. Dans la maison de Simon, elle remodelait judicieusement, par le repentir et une sainte confession, la bouche par laquelle elle se répandait sottement en sottises et impudicités dans les banquets et les chœurs de danseb. Voyez comme est grande la faute et grand le repentir de Marie Madeleine, combien pernicieux son appétit de plaisir, combien salutaire le redressement de sa conduite. Aimons donc non la faute mais le repentir de cette heureuse pécheresse, imitons non sa sensualité mais sa ferveur intérieure. Cherchons le Seigneur là où Marie l’a trouvé.
L’obéissance et la foi 423
14. Elle ne l’a pas trouvé sur la place publique ni sur les marchésc, mais dans la maison de Simon. Simon se traduit par ‘obéissantd ’ ; Jésus signifie ‘Sauveur’ ou ‘salutairee’. Si donc quelqu’un désire le véritable salut, qu’il s’applique à garder l’obéissance, parce que le Christ – qui est le véritable salut – dit de lui-même : Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m’a envoyé, le Père (Jn 6,38‑39). Et l’Apôtre dit du Christ lui-même : Le Christ s’est fait obéissant au Père jusqu’à la mort (Ph 2,8). Venant vers Jésus, faisons bien attention à ce que nous devons offrir. Que Marie nous instruise. Cette femme avisée avait appris que sans la foi, il est impossible de plaire à Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 33,2. Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 33,2. c Cf. Sermon 20,10 etc. d Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 71. e Cf. Jérôme, Livre sur les noms hébreux 13. a
b
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Sermon 149
Dieu (He 11,6) ; voilà pourquoi, elle offrit à Dieu, en tout premier lieu, le présent de sa foi : elle crût que Jésus est le Fils de Dieu, elle crût qu’il est venu dans le monde pour enlever les péchés du monde (cf. Jn 1,29), elle crût qu’il veut et peut délivrer les pécheurs de leurs péchés, par la foi. Par cette foi, elle obtint le salut.
L’espérance et l’amour 15. Combien grande fut la foi de Marie, le Seigneur le fait voir dans ce qu’il lui donne en retour : Ta foi t’a sauvée, va en paix (Lc 7,50). Dans cette foi, elle offrit à Dieu l’espérance, parce que par la foi qu’elle avait, elle espérait obtenir de Dieu la rémission des péchés. Elle offrit aussi l’amour, par lequel opère la foi (cf. Ga 5,6). Car elle a aimé par-dessus tout Jésus, dont elle reçut la rémission des péchés. Combien grand fut l’amour de cette bienheureuse pécheresse, le Seigneur lui-même le montre en disant à Simon : C’est pourquoi je te le dis, ses nombreux péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé (Lc 7,47). Après cela elle offrit son repentir. À quel point elle se repentit de ses péchés dans son cœur, on le voit par les larmes qui la purifient. 16. Offrant ces présents à Dieu, elle se prosterna aux pieds du Rédempteur : après avoir reçu le pardon, elle marcha fidèlement dans les voies du Seigneur. C’est par les pieds que l’on parcourt les routes. Nous donc, nous nous prosternons aux pieds du Christ quand nous marchons loyalement dans ses voies. Celui qui est disciple du Christ doit se conduire lui aussi de la manière dont le Christ s’est conduit (1 Jn 2,6). Au reste, il se prosterne aux pieds du Rédempteur celui qui imite fidèlement le chemin suivi par luia. Avec Marie, prosternons-nous aux pieds du Sauveur, par notre ferveur spirituelle, lui offrant des présents de choix : la foi, l’espérance, l’amour véritable, le repentir et la confession, afin qu’avec la bienheureuse Marie nous recevions du Christ la rémission des péchés et la paix éternelle. Par les mérites et les prières de Marie Madeleine, daigne le Seigneur Jésus nous l’accorder, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen. a
Cf. Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile 33,5.
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SERMON 150 POUR LA FÊTE DE SAINTE MARIE MADELEINE
En la pécheresse pardonnée, nous avons un exemple de la longanimité de Dieu et de la promptitude avec laquelle il pardonne à ceux qui se repentent. Ce n’est qu’en regardant vers les réalités ultimes que l’on peut choisir de devenir véritablement ‘homme’ et non ‘bête de somme’. Les derniers paragraphes sont consacrés à une méditation sur les parfums sur les pieds, sur la tête et sur tout le corps : symboles de la contrition, de la dévotion et de la compassion.
Joie au ciel et sur la terre 425
1. L’Apôtre nous exhorte à pleurer avec ceux qui pleurent et nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie (Rm 12,15). Puis donc qu’il y a aujourd’hui de la joie dans les cieux (cf. Lc 15,7) ainsi qu’une commune allégresse humaine sur la terre, nous avons nous aussi à exulter et à nous réjouir en Christ. La raison d’exulter aujourd’hui est simple pour les habitants des cieux, et double pour ceux de la terre. Les cieux n’ont plus à se réjouir de la conversion d’une pécheresse mais de la joyeuse entrée au ciel de celle qui aime le Christ. Réjouissons-nous également, soyons remplis d’un double sentiment de joie, reconnaissant dans le Seigneur deux preuves de sa bonté
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Sermon 150
foncière : il attend patiemment le pécheur, et il accueille avec indulgence celui qui se repent. Une savoureuse douceur abonde dans le pécheur, et elle est double : car le Seigneur Jésus l’a attendu avec longanimité, et il lui a accordé (le pardon) avec facilité.
Longanimité 2. Au sujet de sa longanimité, on lit ceci : Méprises-tu ses richesses de bonté, de patience et de longanimité ? Et encore : Ignores-tu que sa bonté te pousse au repentir (Rm 2,4) ? Oui, il retient longuement la parole de condamnation à l’encontre de celui qui méprise, afin de montrer un jour la grâce du pardon en celui qui se repent. Car il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vivea. À propos de sa facilité à pardonner, on lit ceci : À peine le pécheur aura poussé des gémissements, s’il exprime un vrai repentir, il recevra un véritable pardon (cf. Ez 18,21‑22) C’est pourquoi le prophète dit : Que l’impie abandonne sa voie, et l’homme inique ses pensées, et qu’il revienne au Seigneur, et il aura pitié de lui ; et à notre Dieu car il est large en pardon (Is 55,7). David a fort bien saisi l’une et l’autre en disant brièvement : Le Seigneur est longanime et prodigue de miséricorde (Ps 102,8). 3. Un exemple de sa longanimité et de sa très grande facilité à accorder le pardon est proposé en la bienheureuse Marie Madeleine qui était une pécheresse connue, de très mauvais renom. Comme nous l’avons appris par l’Évangile selon Luc, ayant entendu dire que Jésus était à table dans la maison de Simon, elle n’eut pas honte devant les convives ; les cheveux dénoués, les larmes aux yeux, elle se prosterna à ses pieds en vue de recevoir le pardon de ses fautes (cf. Lc 7,36‑38). Indicible et merveilleuse miséricorde du Sauveur. « Il ne se dérobe pas au lépreux, il n’évite pas l’impur, afin d’effacer les souillures du genre humain. La femme entra dans la maison de Simon. Elle n’aurait pu être guérie autrement que par la venue du Christ sur terre. Ez 33,11, selon la version d’un répons de Carême ; cf. Règle de saint Benoît Prologue, 36‑38. a
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Sermon 150
Matthieu et Luc 4. Cette femme est une figure de l’âme ou de l’Église. Matthieu fait entrer cette femmea qui verse un parfum sur la tête de Jésus (cf. Mt 26,6‑7). C’est peut-être pour cela qu’il n’a pas voulu l’appeler pécheresse. Car, selon Luc, la pécheresse a répandu le parfum sur les pieds de Jésus (cf. Lc 37‑38). Et pour ne pas laisser croire que les évangélistes se contredisent – l’un disant que la femme a versé le parfum sur la tête, l’autre sur les pieds –, on peut résoudre la question par une différence de mérite et de temps. Car l’âme ou l’Église ne change pas de personnalité, mais elle change quant au progrès. L’âme fidèle qui s’approche de Dieu, non pas noire de péchés mais filialement dévouée à la Parole de Dieu, et qui a l’assurance d’une chasteté sans tache, s’élève vers la tête même du Christ et répand l’odeur de ses mérites. Car la vie des justes, qui exhale une bonne odeur, honore Dieub. » 5. Oui, le juste qui obéit autant qu’il peut aux commandements de Dieu court à son odeur (cf. Ct 1,3). Le Christ a ses chars, sur lesquels il transporte les élus. Et le démon a ses chars, par lesquels il fait tomber les réprouvés.
Les chars de Dieu
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6. « Les chars de Dieu, ce sont le char de la maîtrise de soi, le char de l’innocence, le char de la sagesse. Le char de la maîtrise de soi a deux roues : la prière et l’entraînement. Le coursier qui tire ce char, c’est la ferveur intérieure. Le soldat du Christ monté sur ce coursier, c’est le mépris de soi, sur la selle de la pureté avec le mors de l’autodiscipline ; l’éperon, c’est la crainte de Dieu. Le char de l’innocence a deux roues : l’humilité de celui qui refuse de s’imposer, la douceur de celui qui veut se soumettre. Ce char est tiré par un coursier fort et doux, l’amour de la paix. Le cavalier assis sur ce coursier, c’est le mépris du monde, sur la selle de la bienveillance. Le mors, c’est le zèle pour la vérité ; l’éperon, Correction de l’édition critique : Hanc mulierem inducit Matthaeus au lieu de Hanc mulierem inducit Matthaeum (ligne 36). b Cf. 2 Co 2,15 ; cf. Ambroise, Sur saint Luc 6,13‑14. a
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Sermon 150
c’est l’amour de Dieu et du prochain. Le char de la sagesse a deux roues : la prudence et la simplicité. Le coursier tirant ce char, c’est la force ; le cocher assis sur la selle de la vigilance, c’est l’amour de Dieu ; le mors, c’est la modestie ; l’éperon, c’est le zèle pour la justice.
Les chars du démon 7. Le démon, pareillement, possède trois chars au moyen desquels il parcourt le monde entier (cf. Jb 1,7). Le premier char est la luxure ; le second, la superbe ; le troisième, la ruse. Le char de la luxure a deux roues : la gloutonnerie et la nonchalance. Ce char est tiré par un coursier mal dressé (cf. Si 30,8) : l’impulsivité de la chair. Sur lui est assis, comme un soldat sur son cheval, l’amour de soi sur la selle de la sensualité. Le mors de ce coursier, c’est la disette. L’éperon, par lequel le coursier est talonné, c’est le désir déréglé. Le char de la superbe a deux roues : la présomption et la témérité. Le coursier qui tire ce char, c’est l’appétit de vaine gloire. Sur lui est assis l’amour du monde, sur la selle de la flatterie. Il a un mors, l’avarice, et un éperon, l’envie. Le char de la ruse a deux roues : la simulation et la dissimulation. Le coursier tirant ce char, c’est la malveillance. Le soldat assis dessus, c’est le goût du mal, sur la selle de la tromperie. Le mors, c’est la tergiversation ; l’éperon, c’est la colèrea. »
La pécheresse 8. La pécheresse de mauvais renom dans la ville était autrefois portée par ces chars démoniaques. Après son entrée dans la maison de Simon, tandis qu’elle se prosternait aux pieds de Jésus, elle descendit aussitôt du char de la luxure pour monter sur celui de la chasteté. Elle se détourna du char de la superbe pour suivre celui de l’humilité du Christ. Elle renonça au char de la ruse pour être allègrement portée par le char de l’innocence, courant en toute pureté et dévotion à l’odeur des parfums du Christ (cf. Ct 1,3). a
Cf. Guillaume de saint-thierry, Brevis commentatio 23.
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Sermon 150
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Courons avec cette pécheresse à l’odeur des parfums de Dieu, car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir (He 13,14).
Homme ou bête ? 9. Ne nous enorgueillissons pas de ce qui a été dit de nous : L’homme a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieua. Nous avons déshonoré et troublé en nous l’image du Créateur, par le péché ; la vie de l’homme est dès lors devenue semblable à celle de la bête de sommeb, mais la fin de l’un n’est pas semblable à celle de l’autre. Car l’homme meurt dans le temps présent pour être, dans le futur, soit maudit dans l’affliction soit béni dans la gloire. Mais la bête de somme meurt dans le temps présent pour disparaître totalement dans le futur. Nous nous nourrissons tous d’un même pain matériel au réfectoire, et d’un même pain spirituel à l’autel ; mais nous allons nous séparer à la sortie de cette salle du Chapitre, de même que nous aurons à être séparés lors de notre mort (cf. Qo 3,19‑21). Et ce qui est plus pénible, c’est que nous ignorons qui est digne d’amour ou de haine (cf. Qo 9,1). 10. Puissions-nous réfléchir à ces choses ! Puissent-ils avoir de la sagesse, dit Moïse, puissent-ils comprendre et voir d’avance les réalités dernières (Dt 32,29 vg). Qu’ils comprennent que les récompenses sont réservées à ceux qui font le bien, et qu’ils voient d’avance les réalités dernières, c’est-à-dire les châtiments préparés pour ceux qui font le mal. Il y a des animaux qui fendent leur sabot (cf. Dt 14,6‑8). Le sabot est à l’extrémité du corps : il symbolise nos réalités dernières. Ils fendent leur sabot ceux qui songent à la manière dont ils quitteront cette vie et au lieu où ils seront placés, à droite ou à gauche. Bref, fendre le sabot, c’est voir d’avance les réalités dernières. Parce que Marie a fait cela avec clairvoyance, elle a changé un mauvais début en une bonne fin. Imitons donc Marie, figure exemplaire du pardon divinc. Gn 1,26 et 9,6. Cf. Ps 48,13 ; voir Sermons 13,4 ; 67,14‑16 ; Dialogue sur l’âme 2,20 ; Homélies sur les fardeaux 1,2. c Cf. paragraphe 3. a
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Sermon 150
Les pieds et la tête 11. « Celui qui n’a pas encore renoncé à ses péchés, qu’il vienne, qu’il adore et qu’il se prosterne devant Jésus qui l’a fait (cf. Ps 94,6), afin de pouvoir arriver au moins à ses pieds. Il ne peut venir à la tête. Car le pécheur doit aller vers les pieds, et le juste vers la tête. Marie prit du parfum avec elle. Toi aussi, après le péché offre le repentir. Partout où tu entendras le nom du Christ, accours à lui. Quel que soit celui dans la demeure intérieure duquel tu sauras que le Seigneur Jésus est entré, toi aussi hâte-toi d’entrer. Quand tu auras trouvé la sagesse ou la justice reposant au-dedans de quelqu’un, accours à ses pieds, c’est-à-dire cherche la partie inférieure de la sagesse. Ne dédaigne pas les pieds. La femme toucha la frange de son vêtement et fut guérie (cf. Mt 9,20‑22). Avoue tes péchés avec larmes afin que la Justice céleste puisse dire de toi : De ses larmes elle m’a arrosé les pieds et les a essuyés avec ses cheveux (Lc 7,44). 12. Bonnes larmes, capables non seulement de laver notre péché, mais d’arroser les pas du Verbe céleste, afin que ses démarches en nous prospèrent. Bonnes larmes où se trouve non seulement la rédemption des pécheurs, mais aussi la nourriture des justes. Car un juste a dit : Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit (Ps 41,4). Déploie aussi tes cheveux. Il est dit de quelqu’un qu’aussi longtemps qu’il avait ses cheveux, il ne pouvait être vaincu (cf. Jg 16,17). De plus, il ne convient pas qu’une femme prie en ayant les cheveux coupés (cf. 1 Co 11,5). Que l’homme ait donc des cheveux pour envelopper les pieds du Christ, pour essuyer de ses boucles – sa beauté et sa parure – les pieds de la Sagesse. Elle n’est pas d’un mérite banal cette femme dont la Sagesse dit : Depuis que je suis entré dans ta maison, elle n’a cessé de baiser mes pieds (Lc 7,45). Heureux qui peut oindre d’huile les pieds de Jésus, mais plus heureuse celle qui les a enduits de parfum. Ayant rassemblé le charme de nombreuses fleurs, elle répand des odeurs suaves et variéesa. » 13. Heureuse et bienheureuse est donc Marie qui a mérité d’oindre non seulement les pieds de Jésus, mais également sa tête et a
Cf. Ambroise, Sur saint Luc 6,16‑21.
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Sermon 150
tout son corps. Marie de Magdala, dit l’évangéliste, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre Jésus (Mc 16,1). Les parfums avec lesquels la bienheureuse Marie a oint Jésus sont au nombre de trois. Avec le premier parfum, elle a oint les pieds, avec le second la tête, avec le troisième tout le corps. Le premier parfum est celui de la contrition ; le deuxième, celui de la dévotion ; le troisième, celui de la compassion. Le premier parfum cause une douleur ; le second calme la douleur ; le troisième chasse la maladie.
Les parfums 430
14. « L’âme prise au filet de nombreuses fautes se compose le parfum de la contrition lorsqu’elle se met à réfléchir sur ses voies (cf. Ps 118,59) : elle rassemble, elle concentre, elle broie dans le mortier de la conscience les multiples et divers genres de ses péchés ; et dans la marmite d’un cœur brûlant, elle les fait cuire tous ensemble au feu du repentir et de la douleur, afin de pouvoir dire avec le prophète : Mon cœur s’est échauffé au-dedans de moi, et un feu s’est allumé durant ma méditation (Ps 38,4). Tel est le sacrifice par lequel l’âme pécheresse doit purifier les prémices de sa conversion. Car le premier sacrifice, c’est un esprit brisé (Ps 50,19). Aussi longtemps que, pauvre et indigente, elle n’a pas de quoi composer pour elle-même quelque chose de meilleur et de plus précieux, qu’elle ne néglige pas de préparer en attendant ce parfum, quoique fait d’ingrédients sans valeur. Car Dieu ne méprise pas le cœur contrit et humilié (Ps 50,19). Que lit-on à propos du parfum ? La maison, est-il dit, a été remplie de l’odeur du parfum (Jn 12,3). Une onction de ce genre n’est pas du tout à mépriser ni à considérer comme vile, puisque son odeur non seulement incite les humains à se corriger mais aussi invite les anges à exulter (cf. Lc 15,10). 15. Il y a un autre parfum, d’autant plus précieux qu’il est composé d’ingrédients meilleurs. Notre terre ne produit pas les aromates de ce parfum, mais nous les rassemblons de loin et des confins du monde (cf. Pr 31,10 vg). Ce parfum se compose des bienfaits divins accordés au genre humain. Car tout don excellent, toute donation
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Sermon 150
parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières (Jc 1,17). Heureux qui s’applique à recueillir avec soin ces aromates et à les repasser sous les yeux de son esprit avec action de grâces. De plus, dans la mesure où ces aromates auront été écrasés et broyés par le pilon de fréquentes méditations dans le petit vase de notre cœur, et ensuite cuits ensemble au feu d’un saint désir et enrichis par une huile d’allégresse (cf. Ps 44,8), ce parfum sera de loin plus précieux et plus excellent que le premier. Il suffit pour le prouver de citer le témoignage de celui qui a dit : Le sacrifice de louange m’honorera (Ps 49,23). 16. Du premier parfum, il est dit que Dieu ne le méprise pas (cf. Ps 50,19). De celui-ci il est dit qu’il honorera Dieu (cf. Ps 49,23), c’est pourquoi il est bien davantage recommandé. Dès lors, ce dernier est mis sur la tête, et l’autre sur les pieds. Si, dans le Christ, la tête doit est référée à la divinité – d’après le témoignage de Paul qui dit : La tête du Christ, c’est Dieu (1 Co 11,3) –, celui qui rend grâces oint sans aucun doute la tête parce qu’il touche Dieu et non pas l’homme. Bien que toute notre espérance repose sur l’hommeDieu, ce n’est pourtant pas parce qu’il est homme mais parce qu’il est Dieu. C’est pourquoi l’un des parfums est présenté aux pieds, l’autre à la Tête, Dieu. L’humiliation d’un cœur contrit convient à l’humilité de la chair, et la glorification à la majestéa. » 17. « Il y a un autre parfum, qui l’emporte de loin sur les deux précités : on l’appelle parfum de la compassion car il est fait des besoins des pauvres, des angoisses des opprimés, des troubles de ceux qui sont tristes, de toutes les détresses de tous les miséreux. Ces ingrédients semblent méprisables, mais le parfum qui en résulte est supérieur à tous les aromates (cf. Ct 4,10). De fait, il a une vertu curative. Car heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricordeb. » Daigne nous l’accorder le miséricordieux et très bon Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
a b
Cf. Bernard de Clairvaux, Homélies sur le Cantique 10,4‑8. Mt 5,7 ; cf. Bernard de Clairvaux, Homélies sur le Cantique 12,1.
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SERMON 151 POUR LA FÊTE DE SAINT‑PIERRE‑AUX‑LIENS
Cette fête, célébrée le 1er août, rappelle la délivrance miraculeuse de l’Apôtre d’après ce qu’en disent les Actes (Ac 12,1‑19). La tradition rapporte que les fidèles se firent un devoir de recueillir les chaînes de son emprisonnement et les conservèrent avec un religieux respect. Plus tard, on recueillit aussi avec soin les deux chaînes portées à Rome par le chef des Apôtres. Elles sont aujourd’hui vénérées dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens. Notre auteur rapporte l’épisode des Actes, en lui conférant une interprétation symbolique. Et Odon de Cantorbéry a repris intégralement ce texte dans son propre sermon pour la même fête.
Lecture symbolique 432
1. Pierre se traduit par ‘connaissanta’. C’est l’âme qui a, par la foi, l’intelligence de Dieu. Pierre est retenu dans un cachot aussi longtemps que l’homme dans son corps chemine loin du Seigneur, attaché par deux chaînes (Ac 12,5‑6), c’est-à-dire enlacé par le double lien des vices de la chair et de l’esprit. Il est livré à quatre escouades de quatre soldats (cf. Ac 12,4), tandis qu’il subit a
Jérôme, Livre sur les noms hébreux 65.
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Sermon 151
les entraves dues aux quatre éléments, aux quatre dimensions, aux quatre directions, aux quatre saisons. Un ange le visite et remplit le cachot de lumière (cf. Ac 12,7), quand la grâce du Christ – qui est l’Ange du grand Conseila – illumine intérieurement l’âme humaine divinement inspirée et lui envoie pour la servir un esprit angélique (cf. He 1,14) qui l’instruit de ce qu’il faut faire en toutes choses 2. Pierre est frappé au côté (cf. Ac 12,7), lorsqu’ici-bas il est reproché au fidèle sa continuelle nonchalance et qu’ainsi il en est réveillé, selon le mot de l’Apôtre : Éveille-toi, toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminerab. Sur l’ordre de l’ange, Pierre se prépare à sortir du cachot : l’âme déjà relevée d’entre les morts et rendue à la vie, déjà illuminée par une inspiration intérieure, sur l’injonction du Seigneur se hâte de sortir du corps. Que fait-elle ? Elle se chausse d’humilité, elle se ceint de chasteté, elle se revêt de la tenue de noces (cf. Mt 22,11), le manteau de la charité. Aussitôt les chaînes lui tombent des mains (Ac 12,7). Car dès qu’elle aura commencé à se parer des œuvres de charité, tous les liens de perversité sont déliés. 3. Sortant du cachot elle suit l’ange (cf. Ac 12,9), car après s’être écartée de la servitude du péché qu’elle subissait dans le corps, elle suit en toutes choses le Christ qui marche en avant. Pierre ne se rendait pas compte que ce fut vrai, mais il se figurait avoir une vision (Ac 12,9). Aussi longtemps que l’homme séjourne dans un corps, il chemine dans la foi, non dans la claire vision (cf. 2 Co 5,6‑7) ; il voit dans un miroir et comme en énigme, pas encore dans la réalité de la vision face à face (cf. 1 Co 13,12).
La porte en fer 4. Franchissant une première barrière, puis une seconde, ils arrivèrent à la porte en fer qui donne sur la ville ; elle s’ouvrit d’ellemême devant eux (Ac 12,10). C’est bien une porte en fer la très a b
Introït de la messe de la Nativité ; cf. Is 9,5. Ep 5,14 ; cf. Sermon 48,6.
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Sermon 151
incontournable mort, qui introduit dans la cité d’en haut, la Jérusalem célestea, les hommes justes qui la franchissent. La première et la seconde barrière, qu’il faut franchir avant d’arriver à la porte, ce sont les péchés de volonté et de nécessité, ou une double crainte, l’une provenant de la conscience de (ses) péchés, l’autre de la vue des esprits mauvais. Celui qui, en compagnie de la grâce, les aura franchies, ne sera pas confondu lorsqu’il parlera avec ses ennemis à la porte (Ps 126,5 vg), du fait qu’est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints (Ps 115,15 vg). Bien que cette porte soit en fer, elle s’ouvre d’elle-même pour les saints, car (la mort) est accueillie de bon cœur et sans crainte, avec facilité et joie par ceux qui désirent s’en aller et être avec le Christ (Ph 1,23). C’est pourquoi David dit : Ils passeront dans le fleuve à pied sec, c’est-à-dire qu’ils traverseront facilement la mort, parce que là, c’est-à-dire dans la terre promise, le fleuve de la mort ayant été dépassé, ils trouveront leur joie en lui (Ps 65,6), c’est-à-dire dans le Christ notre guide.
La maison de Marie
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5. Après qu’ils se soient avancés jusqu’au bout du bourg, l’ange le quitta (Ac 12,10). Le bourg qui se présente en premier après la porte, c’est le paradis, où n’importe quel saint entrera après la mort temporelle. Là, l’ange s’éloigne de lui, parce que celui que le chœur des saints accueille dans son assemblée n’a plus besoin du ministère d’un ange. Là, Pierre est accueilli dans la maison de Marie, où une servante nommée Rhodé – qui se traduit par ‘rose’ – vient au-devant de lui (cf. Ac 12,12‑13). 6. Nous savons que lorsque notre demeure terrestre aura été détruite, nous aurons une maison qui est l’œuvre de Dieu, qui n’est pas faite de main d’homme mais qui est éternelle dans les cieux (2 Co 5,1), où règne Marie la mère du Christ, où, avec grande allégresse, l’Église – qui est vierge par l’intégrité de la foi, et rose en raison du sang du Christ – qui nous a précédés viendra au-devant de nous qui arrivons. Alors, en réalisant ce que le Seigneur a fait a
Cf. He 12,22 ; cf. Sermon 72,27.
596
Sermon 151
pour son âme (cf. Ps 65,16), chacun, dans une grande allégresse de cœur, s’écriera avec Pierre, à la louange du Christ : Maintenant je sais réellement que le Seigneur a envoyé son ange et m’a arraché aux mains d’Hérode et au sort que me souhaitait le peuple juif a, c’est-àdire le démon et ses anges.
a
Ac 12,11 ; introït de la messe pour la fête des saints apôtres Pierre et Paul.
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SERMON 152 POUR LA CHAIRE DE SAINT PIERRE
Ce sermon propose une interprétation symbolique des deux premiers versets de la première lettre de saint Pierre. Dans le manuscrit, le texte du sermon d’Aelred s’arrête brusquement au milieu du paragraphe 5. Pour l’édition critique du Corpus Christianorum, la suite, mise entre crochets, a été ajoutée à partir du sermon d’Odon de Canterbury qui reproduit de très près celui d’Aelred.
Adresse 435
1. Pierre, apôtre de Jésus Christ, aux étrangers de la Dispersion, du Pont, de Galatie, de Cappadoce, d’Asie et de Bithynie, élus selon la prescience de Dieu le Père, dans la sanctification de l’Esprit, pour obéir à Jésus Christ et être aspergés de son sang : à vous grâce et paix en abondance (1 P 1,1‑2). Saint Pierre m’étonne, et j’ai presque envie de dire de lui ce que les Juifs ont dit du Seigneur : Comment connaît-il les lettres alors qu’il n’a pas étudié (Jn 7,15) ? Voilà qu’un illettré (cf. Ac 4,13), un pêcheur et non un orateura, formé sur un petit bateau et non dans une école, entrelace finement ses mots au début de sa lettre. a
Cf. Sermon 64,1.
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Sermon 152
2. D’après l’histoire, il envoie cette lettre de réconfort à ceux qui étaient venus au judaïsme en provenance des cinq lieux cités plus haut ; ayant par la suite accueilli la foi grâce à la prédication des apôtres, et ayant été dispersés loin de Jérusalem – en raison de cette même foi – au temps de la persécution, ils étaient revenus dans leur région d’origine. Au sens allégorique, il s’adresse aux cinq vierges de l’Église, qui étaient d’abord insensées puis sont devenues sages (cf. Mt 25,2), les mêmes noms ayant été retenus. Le nom de la première d’entre elle est ‘Pont, qui se traduit par ‘se détournanta’ ; celui de la deuxième est ‘Galatie’, qui veut dire ‘transféréeb’ ; celui de la troisième est ‘Cappadoce’, c’est-à-dire ‘affranchissant pour le Seigneurc’ ; celui de la quatrième est ‘Asie’, qui signifie ‘s’élevantd ’ ; celui de la cinquième est ‘Bithynie’, c’està-dire ‘incapablee’.
Les dix vierges 3. L’insensée du premier nom se détourne de Dieu par sa pensée, comme il est écrit : Les pensées tortueuses séparent de Dieu (Sg 1,3). Mais celle qui est sage se détourne du démon, comme il est écrit : Qu’il s’éloigne de l’iniquité celui qui invoque le nom du Seigneur (2 Tm 2,19). L’insensée du deuxième nom est amenée au mal par son agir ; il lui est dit : Éloignez-vous de moi vous tous qui commettez l’iniquité (Ps 6,9). Mais celle qui est sage se transporte vers le bien ; il lui est dit : Discernant ce qui plaît à Dieu, ne prenez aucune part aux œuvres stériles des ténèbres (Ep 5,10‑11). 4. L’insensée du troisième nom, par le mauvais exemple et une doctrine pernicieuse, affranchit du Seigneur, c’est-à-dire dérobe les autres au Seigneur, L’insensée du quatrième nom s’élève contre Dieu du fait de sa propre sottise. Le psalmiste dit contre elle : J’ai dit aux hommes iniques : n’élevez pas votre front, n’allez pas prononcer d’iniquité contre Dieu (Ps 74,5‑6). Mais celle qui est sage, au milieu de ses occupations se dirige toujours vers la contemplation des réalités célestes par son intention, selon ce qui lui est dit par l’Apôtre : Recherchez les choses d’en haut, là où est le Christ, assis à la droite de Dieu (Col 3,1). 5. L’insensée du cinquième nom, en raison de sa désespérance, est désormais incapable de toute œuvre bonne, comme dit l’Apôtre : Ayant perdu tout espoir, ils se sont livrés à la débauche, s’adonnant à l’impureté (Ep 4,19 vg). Mais celle qui est sage, dans la mesure où elle fait des progrès vers les réalités célestes, prouve qu’elle est d’autant moins capable dans le domaine des réalités terrestres, parce que le monde est crucifié pour elle et elle l’est pour le monde (cf. Ga 6,14). Par ailleurs, le mot ‘Bithynie’, appliqué à une vierge sage, se traduit aussi par ‘jeune fille’ ou bien ‘fille