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French Pages [758]
HERMANN DE REUN SERMONS
CORPVS CHRISTIANORVM IN TRANSLATION
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CORPVS CHRISTIANORVM Continuatio Mediaeualis LXIV
HERMANNI DE RVNA O. Cist. SERMONES FESTIVALES E CODICE RVNENSI EDIDIT Edmvndvs MIKKERS MONACHVS ACHELENSIS IVVAMEN PRAESTANTIBVS Iosepho THEUWS ET Rolando DEMEULENAERE
TURNHOUT
FHG
HERMANN DE REUN SERMONS
Introduction, traduction et notes par Pierre-Yves EMERY, frère de Taizé
H
F
©2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
D/2015/0095/144 ISBN 978-2-503-55145-6 e-ISBN 978-2-503-56342-8 DOI 10.1484/M.CCT-EB.5.105911 Printed on acid-free paper.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction 9 Le lieu 9 L’auteur 9 L’œuvre 10 Liste des auteurs longuement cités dans ce volume
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Éléments de bibliographie
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Sermons 21 Sermon 1 Pour la nativité du Seigneur 23 Sermon 2 Pour la Purification de sainte Marie 27 Sermon 3 Sermon pour l’Épiphanie 31 Sermon 4 Pour l’Épiphanie 38 Sermon 5 Sermon pour la Purification 45 Sermon 6 Comme ci-dessus 51 Sermon 7 Pour la Purification 55 Sermon 8 Comme ci-dessus 62 Sermon 9 Pour la Purification 68 Sermon 10 Pour la Purification 74 Sermon 11 Sermon pour l’Annonciation de sainte Marie 80 Sermon 12 Pour la fête de Benoît, abbé 86 Sermon 13 Pour la fête de saint Benoît 92 Sermon 14 Pour la fête de saint Benoît 98 Sermon 15 Pour le jour des Rameaux 107 Sermon 16 Pour le jour des Rameaux 112 Sermon 17 Pour Pâques 119 Sermon 18 Sermon pour le jour des Rameaux 125 Sermon 19 Comme ci-dessus 130
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Table des matières
Sermon 20 Pour le jour des Rameaux Sermon 21 Pour les Rameaux Sermon 22 Pour les Rameaux Sermon 23 Sermon pour la Pâque Sermon 24 Sermon pour la Pâque Sermon 25 Sermon pour la Pâque Sermon 26 De même, pour la Pâque Sermon 27 De même, sermon pour la Pâque Sermon 28 Sermon pour l’Ascension Sermon 29 De même, sermon pour l’Ascension Sermon 30 Sermon pour le saint jour de la Pentecôte Sermon 31 Sermon pour le même jour Sermon 32 Sermon pour la Pentecôte Sermon 33 Pour la Pentecôte Sermon 34 Pour la Pentecôte Sermon 35 Sermon pour la Pentecôte Sermon 36 Pour la Pentecôte Sermon 37 Pour la fête de saint Jean Baptiste Sermon 38 Jean Baptiste Sermon 39 Saint Jean Baptiste Sermon 40 Comme ci-dessus Sermon 41 Pour la nativité de saint Jean Baptiste Sermon 42 Sermon pour la naissance (au ciel) des apôtres Pierre et Paul Sermon 43 Pour la fête de Pierre et Paul Sermon 44 Comme ci-dessus Sermon 45 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 46 Pour l’Assomption Sermon 47 Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon 48 Pour l’Assomption Sermon 49 Pour l’Assomption Sermon 50 Sermon pour la Nativité de sainte Marie Sermon 51 Sermon pour la fête de tous les saints Sermon 52 Pour l’Avent du Seigneur au commencement de l’an du Seigneur 1172 Sermon 53 Sermon pour la Nativité du Seigneur Sermon 54 Sermon pour l’Épiphanie du Seigneur Sermon 55 Sermon pour la purification de sainte Marie Sermon 56 Sermon pour la sainte Pâque Sermon 57 Même sujet
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134 139 143 149 156 161 165 169 176 180 188 196 203 208 214 219 223 230 237 247 252 257 264 273 283 289 296 303 311 317 326 335 345 353 360 368 374 381
Table des matières
Sermon 58 Sermon 59 Sermon 60 Sermon 61 Sermon 62 Sermon 63 Sermon 64 Sermon 65 Sermon 66 Sermon 67 Sermon 68 Sermon 69 Sermon 70 Sermon 71 Sermon 72 Sermon 73 Sermon 74 Sermon 75 Sermon 76 Sermon 77 Sermon 78 Sermon 79 Sermon 80 Sermon 81 Sermon 82 Sermon 83 Sermon 84 Sermon 85 Sermon 86 Sermon 87 Sermon 88 Sermon 89 Sermon 90 Sermon 91 Sermon 92 Sermon 93 Sermon 94 Sermon 95 Sermon 96 Sermon 97
Sermon pour l’Ascension Pour l’Ascension du Seigneur De même, pour l’Ascension Pour l’Ascension Pour l’Ascension du Seigneur Sermon sur l’Avent du Seigneur Même sujet Comme ci-dessus De l’Avent Même sujet Sermon sur l’Avent Pour l’Avent De l’Avent Pour l’Avent Comme ci-dessus Sur la Nativité du Seigneur Pour la Nativité Pour la Nativité du Seigneur Pour le jour natal du Seigneur Pour la Nativité Pour l’Épiphanie Sermon pour la Nativité du Seigneur Pour l’Épiphanie du Seigneur Sermon pour la Nativité du Seigneur Pour l’apparition (épiphanie) du Seigneur Pour la Pâque Pour l’Ascension du Seigneur Sermon pour la Pentecôte En la fête de saint Jean Baptiste Pour l’Assomption de sainte Marie Sermon sur l’Avent du Seigneur Pour l’Avent Sermon pour la Nativité du Seigneur Pour la purification de sainte Marie Pour les Rameaux Sermon pour le jour de la Pâque Pour le saint jour de la Pentecôte En la fête de Jean Baptiste Pour la fête de Jean Baptiste Pour l’Assomption de sainte Marie
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386 393 400 406 412 415 420 425 431 436 443 449 453 459 463 468 474 478 482 486 492 499 507 514 522 529 538 545 554 561 573 580 586 594 602 609 618 628 636 641
Table des matières
Sermon 98 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 99 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 100 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 101 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 102 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 103 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 104 Pour la Nativité de sainte Marie Sermon 105 Pour la fête de tous les saints Sermon 106 Pour la fête de tous les saints Sermon 107 Pour le jour de tous les saints Sermon 108 Sermon pour la fête de tous les saints
646 652 659 666 672 677 684 690 697 703 708
Index 715 Index scripturaire 717 Index des sources non‑bibliques 737 Index thématique 744
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INTRODUCTION
Commençons par reconnaître notre dette à l’égard de l’introduction qu’E. Mikkers a donnée à son édition critique de l’œuvre d’Hermann, qui sert de base à la présente traduction.
Le lieu Reun ou Rein (en latin Runa), le monastère dont faisait partie Hermann se situait tout à fait à l’est de l’Empire romain germanique – à l’est de l’Autriche actuelle, dans la province de Styrie, près de la ville de Graz. Ce monastère appartenait à la lignée de Morimond, la quatrième fille de Cîteaux, fondée en même temps que Clairvaux, en 1115. Morimond avait fondé Ebrac, en Allemagne, et Ebrac a fondé Reun en 1129, sur l’initiative ou avec l’aide du Margrave Léopold Le Fort.
L’auteur Quant à Hermann, on ne sait rien de précis à son sujet, sinon qu’il a été chargé de ce ministère de prédication auprès de sa communauté. Comme son sermon 53 est à dater de 1172, on peut situer son œuvre entre 1170 et 1180 environ. Son nom apparaît dans des documents de Reun, laissant supposer qu’il avait la charge du scriptorium et de la bibliothèque. En tout cas il montre une très
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Introduction
vaste connaissance non seulement des Pères et des auteurs du haut moyen-âge, mais aussi d’auteurs récents ou même contemporains, comme saint Bernard et Pierre Lombard, dont on se demande si Hermann n’a pas bénéficié de son enseignement avant d’entrer dans la vie monastique. Hermann serait-il peut-être ce moine qui, au nom de son abbé, aurait appartenu un temps à l’entourage d’Alexandre III comme conseiller spirituel, lors du schisme de ce dernier avec l’empereur Frédéric Barberousse, Reun s’étant solidarisé avec Alexandre ? En outre on peut se demander s’il n’a pas été l’abbé de son monastère entre deux abbatiats connus, ceux de Gerlac (mort en 1165) et d’Ortwinus (mort probablement en 1189). La vacance qui les sépare aurait ainsi son explication. Par ailleurs s’expliquerait aussi le ministère de prédicateur qu’Hermann remplit auprès de ses frères.
L’œuvre À part quelques sermons, son œuvre – cet ensemble de 108 sermons – était restée inédite jusqu’à ce qu’E. Mikkers en offre, en 1986, une édition critique et très documentée. On n’en connaît qu’un codex, du xiie siècle, rédigé avec grand soin par un seul et même scribe, dont le travail ne nécessite que peu de corrections. Ils étaient prononcés au chapitre, comme des conférences spirituelles après l’heure de prime, selon la coutume cistercienne. L’œuvre laisse apparaître quatre séries de sermons : La première série, qui fait l’objet de ce premier volume, comprend 51 sermons, qui vont de Noël à la Toussaint. À part deux inversions entre des sermons pour la Purification et l’Épiphanie, et des sermons pour les Rameaux et Pâques, ils se suivent. Ils se limitent aux fêtes, mais peuvent être nombreux pour certaines d’entre elles : jusqu’à sept pour la Purification, sept pour le Pentecôte, cinq pour les Rameaux, pour Pâques, pour l’Assomption… Cela laisse penser que l’auteur a rassemblé des sermons dispersés sur plusieurs années.
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Introduction
La deuxième série comprend les sermons 52 à 62, qui vont de l’Avent à l’Ascension ; à cette dernière sont consacrés cinq sermons. La troisième série, les sermons 63 à 87, court de l’Avent à l’Assomption, avec dix sermons sur l’Avent, sept sur Noël, trois sur l’Épiphanie. Enfin la quatrième série, les sermons 88 à 108, court de l’Avent à la Toussaint, dont sept sermons sur la Nativité de Marie et quatre sur la Toussaint. Une des caractéristiques importantes de ces sermons, c’est d’être tissés pour la plupart de citations des Pères comme Ambroise, Augustin, Grégoire le Grand ; d’auteurs du haut moyenâge comme Bède le Vénérable ou Paschase Radbert, ou récents comme Rupert de Deutz ou Radulfe de Cantorbery… Nombreux sont les emprunts de détail, mais l’auteur cite aussi de très larges extraits. Ce sont ceux-ci seulement que nous signalons en notes ; pour plus de détails on se reportera à l’édition critique. Avec E. Mikkers on s’étonnera que cette manière de faire n’aboutisse pas à une sorte de florilège comme il en existait à l’époque, mais à une œuvre intégrée et unifiée. Hermann emprunte quelquefois à un seul auteur, mais plus généralement à plusieurs, en choisissant des passages, compilant, résumant, en fonction du contexte, sans donner nullement l’impression d’un caléidoscope. Si l’on n’est pas averti, on ne s’aperçoit pas de ce travail de tissage. Le secret de cette unification pourrait bien être l’Écriture, à laquelle tous se réfèrent, que tous commentent et qui s’avère le critère du choix des citations. Il est encore une autre raison de s’étonner et d’admirer : l’auteur peut aligner jusqu’à sept sermons pour la même fête sans se répéter. Dans chaque sermon son commentaire sait demeurer partiel, se concentrer sur un thème, se fixer sur un aspect de la fête, se limiter à une partie du récit biblique, avec le souci d’en tirer des leçons spirituelles ou morales bien déterminées pour l’édification de sa communauté. Car son but n’est pas seulement d’instruire sur la fête, mais plus encore de tirer de celle-ci ce qui peut conduire à la sainteté dans l’amour.
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Introduction
* Peut-on parler d’un style à propos de ces sermons ? Certes ils sont rédigés avec soin, mais ils empruntent à beaucoup d’auteurs qui, en principe, ont chacun leur style propre, bien que cela ne retienne guère l’attention. Le style d’Hermann – dans la mesure où l’on peut penser que, de certaines séquences, il est l’auteur – comporte de très longues phrases construites savamment et souvent complexes. La traduction d’ailleurs ne le laisse guère paraître, car elle est obligée de les couper pour juxtaposer les propositions qui, en latin, s’enchaînent. Quant au contenu, nous avons remarqué plus haut que ces sermons entendent appliquer les enseignements des grandes fêtes chrétiennes – mieux : les mystères de la foi – à la vie chrétienne et monastique des auditeurs. Force est de noter qu’ils reviennent régulièrement aux grands thèmes du salut : la rédemption, la repentance, la conversion. Mais c’est en général le cas aussi des autres auteurs cisterciens, et plus largement des auteurs du moyen âge. Il s‘agit de s’arracher au péché pour entre dans la sanctification, laquelle est envisagée comme un chemin, un enchaînement de degrés. Cela mobilise très fort l’intelligence et la volonté, et à travers elle l’affectivité. Celles-ci, dans la même mesure, doivent se garder de l’orgueil qui oublie facilement que tout vient toujours de la grâce. C’est même là un point sur lequel ces sermons reviennent très souvent : plus on insiste sur la responsabilité de l’être humain, plus on risque de le centrer sur lui-même. * Cet accent sur le salut et la rédemption engage l’auteur dans de larges développements sur l’incarnation du Verbe et sur la préparation de celle-ci chez les prophètes de la première alliance ; et par conséquent sur les deux natures du Christ, sur son extrême humilité de serviteur, en tension avec sa gloire de Fils éternel, et sur la Vierge Marie, préparée par Dieu depuis toujours dans la sainteté pour recevoir dignement en elle ce Fils, et pour être reçue plus tard par lui près de lui. Le Verbe fait chair, et devenu serviteur, rejoint
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ainsi notre humanité pour la rassembler en lui et la représenter devant le Père. Et c’est pour qu’elle le rejoigne dans la victoire de sa résurrection, et donc dans sa vie divine. L’incarnation est la condition qui fonde l’œuvre du salut. Cette œuvre ne découle pas seulement de l’immense amour de Dieu, elle met aussi en jeu son sens aigu de la justice et de l’équité. Dieu a créé l’homme responsable de sa vie, et de ce fait l’homme est responsable de sa situation de péché qui lui mérite la mort. L’œuvre du salut entend sauvegarder cette responsabilité, la justifier et la sauver. C’est en tant que notre frère en humanité et comme le Tête de son corps, l’humanité, que le Christ affronte cette conséquence et ce salaire du péché qu’est la mort. Il en prend en quelque sorte la responsabilité, mais indûment puisqu’il est sans péché. Or c’est ainsi qu’il nous dégage en toute justice de cet enchaînement et que notre mort peut devenir passage en lui et avec lui vers la vie. L’homme est rétabli dans sa vraie responsabilité et sauvé de celui qui l’a amené à pécher, le diable. Mais à la condition expresse pour lui de reconnaître sa responsabilité dans le péché, de la confesser, de se tourner vers le Christ et d’accueillir résolument la vie de son Sauveur pour en vivre. C’est même à l’égard du diable que Dieu se révèle équitable. L’homme, en se vendant au péché, est devenu la possession légitime du diable. Mais en recevant dans la mort l’homme Jésus, sur lequel il n’a pas de droit puisque celui-ci est sans péché, le diable perd son droit sur l’humanité. En prenant dans ses filets, sans le savoir, le Fils de Dieu, il est pris par lui et promis à la perdition. À vrai dire, cette théorie un peu mythique est quasiment abandonnée de nos jours et elle ne revient pas souvent dans ces sermons. Quant à la personne de l’Esprit Saint, c’est à partir du thème de la sanctification que celui-ci est présenté et compris. Il déploie au long des temps chez les croyants ce qui s’est accompli dans le Christ. Il se révèle en même temps feu qui consume les fautes et feu qui allume l’amour dans les cœurs. Par avance il nous donne de percevoir quelque chose de la plénitude à venir. Il est par excellence le lien entre notre présent et notre avenir, la présence et la puissance de l’avenir dans le présent.
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Ce disant, nous n’avons absolument pas résumé tous ces sermons, qui rayonnent en beaucoup de thèmes très divers, mais nous pensons avoir dégagé les idées principales qui les sous-tendent. * Le lecteur actuel sera peut-être décontenancé et même déçu de trouver souvent dans ces sermons une compréhension pessimiste et tragique de la vie sur la terre, un sens aigu de la corruption, du péché, du jugement, du risque de la mort éternelle. Mais il faut reconnaître que cela consonne avec beaucoup de paroles de Jésus, avec certaines exigences maximalistes de l’évangile et avec nombre de passages des épîtres de saint Paul. D’autre part notre auteur et ses sources savent tout autant s’enthousiasmer pour les promesses de Dieu, la délivrance à venir, les secours actuels du Seigneur, sa présence dans le cœur du croyant. Ils se montrent capables – sans y perdre l’équilibre – de tenir ensemble l’extrême tragique et l’extrême bonheur, la peine du présent et l’allégresse qui attend le fidèle, ils entendent la parole de Dieu dans toute son amplitude et ses contrastes ; ils la comprennent d’ailleurs littéralement, tout en en donnant une interprétation symbolique. Les voici donc moins enclins que les chrétiens actuels à faire des choix, et à n’en retenir que ce qui leur convient, ce qui ne les scandalise pas, ce qui va dans le sens des idées et surtout de la sensibilité de ce temps. Avec le risque que leur joie soit plus limitée, plus terne, moins étonnée et moins admirative. En nous rappelant ces extrêmes dont nous venons de parler, en nous promenant entre ces contrastes, ces sermons ne nous rendent-ils pas un sérieux service ? Remarquons encore ceci : dans ces sermons l’appel à « mépriser » revient souvent : mépriser soi-même, la chair, le monde. Évitons de donner à ce verbe la connotation de dédain qu’il a en français. En latin il sous-entend plutôt une relativisation au service d’un choix positif. La chair et le monde, comme chez saint Paul, quand leur sens est négatif, désignent ce qu’il y a de mauvais dans l’homme ; le monde, dans ce sens, ne qualifie pas la création ; quand son sens est négatif, il dénonce les réalités d’ici-bas en tant qu’elles prennent la place de Dieu dans les préoccupations et le
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Introduction
cœur de l’homme. Au contraire, le monde comme création s’entend très positivement au titre de symbole de la nouvelle création : le Royaume. Ainsi ces termes, et nombre d’autres, sont à entendre spirituellement, comme lorsque Jésus appelle à se haïr soi-même ou à se renier. Dans leur violence, ces termes expriment la violence du sursaut de la foi. Ce qui est à mépriser ou à haïr, ce n’est pas sa propre personne, ni le monde comme création, ni la chair comme créature, mais la convoitise égocentrique et aliénante que ce langage entend condamner, en vue de la vraie liberté de l’être humain. * Les titres des sermons, dans leur diversité, proviennent du manuscrit. Les sous-titres ont été insérés par le traducteur pour faciliter la lecture. Les lettres vg qui figurent dans certaines références bibliques indiquent que cette citation de l’Écriture, telle qu’elle est traduite, différente du texte de nos traductions modernes, provient de la Vulgate, la traduction de saint Jérôme, lue tout au long du MoyenÂge.
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LISTE DES AUTEURS LONGUEMENT CITÉS DANS CE VOLUME
Ambroise de Milan, ive siècle Augustin, ive-ve siècle. Jérome, ive siècle. Léon le Grand, ve siècle. Grégoire le Grand, vie siècle Ambroise Autpert, moine bénédictin, abbé de saint Vincent de Volturne, env. 730‒784. Bède le Vénérable, moine, lettré anglo-saxon, docteur de l’Eglise, 672‒735. Bernard de Clairvaux, 1090‒1153. Césaire d’Arles, moine de Lérins, puis évêque d’Arles, env. 470‒542. Claude de Turin, évêque de cette ville, 780‒827. Fulbert, évêque de Chartres, savant de grande renommée, 960‒1028. Geoffroy Babion, écolâtre et prédicateur, puis archevêque de Bordeaux, mort en 1158. Gilbert de Hoyland, abbé anglais, mort vers 1147. Honorius d’Autun, moine et théologien, mort en 1151. Hugues de Saint-Victor, philosophe et théologien à Paris, 1096‒1141. Isidore, évêque de Séville, au savoir encyclopédique, env. 560‒636. Maxime, évêque de Turin, 380‒465. Paschase Radbert, théologien, abbé de Corbie, env. 790‒865. Pierre Lombard, théologien à Paris, env. 1110‒1160. Radulfe de Cantobery, archevêque, mort en 1248. Rhaban Maur, archevêque de Mayence, théologien réputé, 780‒856. Rupert de Deutz, théologien liégeois, env. 1075‒1129. Smaragde, moine, abbé de St Mihiel, mort vers 840.
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ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
Hermannus de Runa, Sermones festivales – ed. E. Mikkers, J. Theuws, R. Demeulenaere (Corpus Christianorum Continuatio Mediaeualis, 64), Turnhout : 1986. Beneder, E., ‘Abt Hermann von Rein’, Cistercienser Chronik 75 (1968), p. 2‒11 ; 65‒78 ; 187‒189. Brouette, E., ‘Hermann de Reun’, in Dictionnaires des auteurs cisterciens, Rochefort : 1975‒1979, t. viii, p. 363. Faust, U., ‘Monastische Spiritualität in Österreichischen Klostern des 12. Jahrhunderts’, in Spiritualität heute und gestern (Analecta Cartusiana, 35, 1‒4), Salzburg : 1982‒1984, t. iii, p. 120 ss. Grill, L., ‘Hermann von Rein (auch Reun), Zisterzienser, Prediger, 2. Hälfte 12. Jahrhundert’, in Neue Deutsche Biographie, Berlin : 1969, t. viii, p. 650. Mikkers, E., ‘Hermann de Reun’, Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris : 1969, t. vii a, p. 298. Offermann, B., Lexikon für Theologie und Kirche, 2ième éd., Freiburg im Breisgau : 1960, t. v, col. 251 s. Schneyer, J. B., ‘Repertorium der lateinischen Sermones für die Zeit von 1150‒1350’, in Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, Münster : 1970, t. xliii/2, p. 687 ss. Schönbach, A. E., ‘Über Hermann von Reun’, in Sitzungsberichte der Kaiserlichen Academie der Wissenchaften in Wien, Philosoph-historische Klasse, Wien : 1905, t. cl, iv, p. 1‒50. Weiss, A., Handschriften der Stifts-Bibliotheke zu Reun, Wien : 1891, p. 56.
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SERMONS
SERMON 1 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
L’ange dit aux bergers : « Ne craignez pas. Voici, je vous annonce une grande joie, qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui ans la cité de David un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un enfant emmaillotté dans une crèche ». Et soudain se joignit à l’ange une grande troupe de l’armée céleste louant Dieu et disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 10–14).
Une bonne nouvelle pour tous 1. Cette sainte et vénérable solennité de la naissance du Seigneur, il convient, frères très chers, de l’honorer avec l’empressement d’une humble ferveur chrétienne, car elle est si exceptionnelle que le jour seul ne suffit pas à la célébrer, elle réclame aussi le temps de la nuit ; elle n’illumine pas seulement la terre, mais elle remplit aussi le ciel ; et à la différence de toutes les fêtes des saints, qui sont instituées selon le désir et la volonté des humains, celle-là commence chez les anges avant de passer chez les humains. La lecture du saint récit évangélique nous le fait savoir en effet : un ange du ciel apparut aux bergers, environné d’une grande et éclatante lumière, qui les remplit d’une terreur humaine, mais il les exhorte à ne pas craindre. Il les assure que la naissance du Fils
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de Dieu dans la chair est une joie qui concerne le monde entier : Voici, je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple. Et ce n’est pasa seulement au peuple juif, qui comptait beaucoup de rebelles, mais à tout le peuple des croyants, de toutes tribus, nations et langues rassemblées dans l’unique Église du Christ, qu’il annonce cette joie grande et éternelle. Il est heureux que l’ange apparaisse à des bergers vigilants et que la clarté de Dieu les enveloppe, car ils ont mérité plus que quiconque de voir s’ouvrir à leurs yeux les réalités d’en haut, eux qui marchent avec sollicitude à la tête des troupeaux des croyants. La raison d’une si grande joie, l’ange la leur découvre aussi : Un Sauveur aujourd’hui vous est né, le Christ Seigneur dans la cité de David. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un enfant emmaillotté et couché dans une crèche. Nombreuses sont les louanges des anges et les témoignages des évangélistes pour nous pénétrer de l’enfance du Sauveur, afin d’enfoncer profondément dans nos cœurs cette certitude : c’est pour nous qu’elle s’est réalisée. Car il s’est abaissé en raison de nos péchés, il a été blessé en raison de nos iniquités (Is 53, 5), finalement il est mort b pour nos fautes et ressuscité pour nos justifications (Rm 8, 10), afin que, justifiés par la foi, nous ayons la paix avec Dieu (Rm 5, 1). Ce signe de la paix, un prophète avait proposé autrefois au roi Achab de le demander à son Seigneur Dieu soit en haut dans les hauteurs, soit en bas dans les lieux inférieurs (Is 7, 10 s). Mais dans son impiété le roi refusa, ne croyant pas, le malheureux, que dans ce signe des hauteurs les réalités d’en haut se réconcilieraient dans la paix, tandis que par la descente du Seigneur pour leur salut les lieux inférieurs recevraient, eux aussi, le signe de la paix, non sans que, de ce fait, les esprits d’en haut, lors de son retour dans les cieux, eussent part à une suavité éternelle. Heureux par conséquent Syméon dont la vieillesse a bénéficié d’une généreuse miséricorde : il a exulté de voir le signe qu’il désirait, et que beaucoup de justes et de prophètes ont souhaité voir mais a D’ici à la note suivante, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I. b D’ici à la note suivante, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 2, 8.
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n’ont pas vu ; il l’a vu, lui, et s’est réjoui (Jn 8, 56). Après avoir reçu le signe de la paix, c’est dans la paix qu’il a pu repartir, non sans avoir auparavant affirmé ouvertement que la naissance de Jésus serait un signe de contradiction (Lc 2, 34). C’est tout à fait ce qui s’est passé.
Le signe de la paix, signe de contradiction 2. La contradiction réside dans ce signe de la paix qui s’est levé pour ceux qui haïssent la paix (Ps 119, 7), car la paix est pour les hommes de bonne volonté, alors que pour les hommes de mauvaise volonté elle s’avère rocher de scandale et pierre d’achoppement (1 P 2, 8). Voilà pourquoi Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec lui (Mt 2, 3). Effectivement le Verbe est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu (Jn 1, 11). Heureux parmi les siens ces bergers passant la nuit à veiller et qui ont été jugés dignes de voir ce signe. Déjà alors ce signe se cachait aux sages et aux prudents pour se révéler aux tout petits (Mt 11, 25). Hérode a voulu le voir, mais comme il n’était pas de bonne volonté, il ne l’a pas obtenu. Car le signe de la paix n’était que pour les hommes de bonne volonté. À Hérode et à ses semblables ne sera donné que le signe du prophète Jonas (Mt 12, 39). Tandis qu’aux bergers l’ange dit : ce signe est pour vous, pour vous les humbles, pour vous les obéissants, pour vous qui ne formez pas de grands desseins (Rm 12, 16), pour vous qui veillez et méditez jour et nuit dans la loi de Dieu (Ps 1, 2). Ce signe est pour vous, leur dit-il. Lequel ? Celui que les anges promettaient, que les prophètes avaient annoncé, celui que le Seigneur a réalisé maintenant. Il nous l’a manifesté : dans ce signe les incrédules reçoivent la foi, les craintifs l’espérance, les parfaits la sécurité. Ce signe est donc pour vous. Le signe de quoi ? Du pardon, de la grâce, de la paix – cette paix qui n’aura pas de fin (Is 9, 6). Voici donc ce signe : Vous trouverez un petit enfant emmaillotté et couché dans une crèche. On remarquera attentivementa que le D’ici à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I. a
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Sermon 1
signe donné est celui du Sauveur naissant, d’un enfant enveloppé non de pourpre mais de pauvres langes, et qui est à trouver non sur une couche ornée d’or mais dans une crèche. Cela signifie qu’il s’est revêtu pour nous d’un vêtement non tellement d’humilité et de mortalité, mais de pauvreté, car de riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour nous afin de nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9). Alors qu’il était le Seigneur des cieux il s’est fait pauvre sur la terre afin d’enseigner aux habitants de la terre à acquérir le Royaume par l’esprit de pauvreté (Mt 5, 3).
Petit enfant né dans la pauvreté pour notre salut 3. Que rendrai-je au Seigneur en retour de tout ce qu’il m’a donné ? (Ps 115, 12). Lui qui est au dessus de toute louange (Si 43, 33 vg), il est né petit enfant pour nous afin que nous puissions devenir des hommes parfaits. Lui qui tisse le monde entier d’ornements variés, il est enveloppé de vulgaires langes pour que nous puissions recevoir la plus belle robea ; lui par qui tout a été fait, ses mains et ses pieds sont enserrés dans un petit berceau pour que nos mains s’avèrent aptes aux bonnes œuvres et que nos pieds se dirigent dans la voie de la paix ; lui dont le ciel est le trône, il est contenu dans l’étroitesse d’une crèche rude pour nous dilater dans les joies du Royaume céleste ; lui, le pain des anges (Ps 77, 25), est couché dans une crèche pour nous restaurer comme les saints animaux par le froment de sa chair ; lui qui siège à la droite du Père a besoin d’un pied-à-terreb pour nous préparer des demeures dans la maison de son Père (Jn 14, 2). Enfin il ne naît pas dans la maison de ses parents mais en chemin, lui qui, de par sa divinité, demeure immuable à titre de vérité et de vie, s’est fait, par la mystère de son incarnation, le chemin (Jn 14, 6) par lequel il nous conduirait à la Patrie, là où nous pourrions jouir de la vérité et de la paix, lui Jésus le Christ.
a b
stola prima : Lc 15, 22. diversorium.
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SERMON 2 POUR LA PURIFICATION DE SAINTE MARIE
Purification et offrande 1. La solennité de la Purificationa que nous célébrons aujourd’hui, frères très chers, a pour origine cette loi prescrite par Dieu à Moïse : la femme qui met au monde un enfant mâle qu’elle a conçu avec son mari l’offrira au Seigneur dans le temple avec des sacrifices le quarantième jour après sa naissance (Ex 12, 1–8). Ce jour était nommé : jour de la Purification et de l’Offrande. Toutes les autres femmes, souillées et pécheresses, accomplissaient ce rite par nécessité, alors que la bienheureuse Vierge Marie, qui était pure et sans tache, n’avait pas besoin d’une purification légale. Cependant, se soumettant à la loi par humilité et obéissance, elle offrit en ce jour son fils dans le temple avec des sacrifices ; or cette présentations s’avéra glorieuse et hors du commun. Averti par l’Esprit, le saint prophète Syméon accourut, et comme on le lit dans l’Évangile : il reçut l’enfant dans ses bras et bénit Dieu en disant : Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole… (Lc 2, 28s)
a
D’ici à la note suivante, cf. Fulbert de Chartres, Sermones 4.
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Sermon 2
Du vieil homme à l’homme nouveau : s’en aller en paix
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2. Sublimea est la grandeur du Seigneur, mais son humilité n’est pas moindre, puisque Celui que le ciel et la terre ne peuvent contenir repose tout entier dans les bras d’un vieillard. Et c’est symboliquement que Syméon reçoit le Christ, le vieillard l’enfant, pour nous enseigner à nous dépouiller du vieil homme qui va se corrompant avec ses actions, et alors, renouvelés dans notre esprit, à revêtir l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité (Ep 4, 22ss) – lesquelles se rapportent à la tâche de l’homme nouveau qui doit les pratiquer de cœur, de bouche et d’actes. Dans les termes par lesquels Syméon a béni Dieu – Maintenant, Seigneur, tu laisses s’en aller ton serviteur – nous pouvons percevoir, non seulement chez les justes du Nouveau, mais de l’Ancien Testament, l’espérance de la vie à venir (cf. Tt 1, 2) et le désir de voir leur corps se détruire (cf. Ph 1, 23). Plus encore : après avoir choisi le chemin de la paix et avoir déposé le fardeau de leur vie terrestre, ils ne doutaient pas de trouver dans le sein d’Abraham (cf. Lc 16, 22) le repos perpétuel. Car au bienheureux Abrahamb lui-même cette promesse a été faite : Toi, tu t’en iras en paix vers tes pères (Gn 15, 15). Qui donc s’en va en paix ? Sinon celui qui a la paix, la paix qui surpasse toute intelligence (Ph 4, 7) et qui garde le cœur de qui la possède. Qui est-il celui qui s’en va de ce monde dans la paix, sinon l’être qui comprend que Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde (1 Co 5, 19) ? Il n’est en rien ennemi ou adversaire de Dieu, mais il a accueilli toute paix et toute concorde dans ses bonnes œuvres. Ainsi s’en va-t-il en paix rejoindre les saints pères, comme aussi le Père et Seigneur des patriarches, et Jésus dont il est dit : mieux vaut se dissoudre et être avec le Christ (Ph 1, 23).
D’ici à la note suivante, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I. b D’ici à la note suivante, cf. Jérôme, Originis in Lucam homeliae 15. a
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Sermon 2
Pour la chute et le relèvement de beaucoup À ce proposa le bienheureux Syméon adresse à la mère de l’enfant ces paroles qu’il faut entendre avec une grande crainte : Voici, cet enfant est destiné à la ruine et au relèvement de beaucoup, comme un signe en butte à la contradiction (Lc 2, 34). Effectivement, pour leur relèvement ou leur résurrection il est la lumière des nations et la gloire du peuple d’Israël (Lc 2, 32). Il le dit bien : Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi vivra (Jn 11, 25) ; et pour la ruine de certains, car il s’avère une pierre d’achoppement, un rocher qui fait tomber (1 P 2, 8) pour ceux qui offensent sa parole, faute de croire en elle. 3. Ce n’est pas seulement en lui-même, mais aussi dans ses prédicateurs qu’il est destiné à la ruine et au relèvement de beaucoup – l’Apôtre l’atteste : Nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ envers ceux qui sont sauvés et envers ceux qui périssent (2 Co 2, 15). Celui qui écoute la parole que prêche le Christ en ses docteurs et qui le suit en l’aimant, resurgit grâce à la bonne odeur et se trouve sauvé ; celui qui, en le haïssant, refuse de le suivre, se corrompt en raison de cette même odeur et meurt. Le signe en butte à la contradiction, nous l’entendons comme la foi en la croix du Seigneur, à laquelle d’abord beaucoup de Juifs et de païens ont contredit. Et aujourd’hui plus nombreux encore – ce qui est plus grave – les faux frères qui y contredisent tout en faisant profession de le suivre ; ils le persécutent gravement par leurs actions dépravées : Ils professent connaître Dieu mais le renient par leurs actes (Tt 1, 16).
Le glaive de la passion 4. Quant à toi, dit encore Syméon, un glaive te transpercera l’âme (Lc 2, 35). Comme on ne lit nulle part que la bienheureuse Marie soit sortie de cette vie frappée d’un glaive, il reste à comD’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 4, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I. a
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Sermon 2
prendre cela de la passion du Christ, laquelle a infligé à son âme une violente blessure et qui est désignée sous le nom de « glaive ». Car, même si elle ne doutait pas que le Christ souffrait volontairement et que bientôt il ressusciterait, il n’empêche que Marie n’a pas pu, sans éprouver une vive douleur, voir crucifié le fils issu de sa chair. Par ailleurs, jusqu’à maintenant et jusqu’à la consommation du monde présent, l’âme de l’Église ne cesse d’être transpercée par le glaive très violent de la persécution lorsque, en gémissant, elle constate que le signe de la foi est contredit par les pervers : alors que beaucoup, en écoutant la parole de Dieu, ressuscitent avec le Christ, nombreux aussi sont ceux qui s’écroulent par incrédulité. Quant à nous, frères, qui croyons et adorons notre Seigneur Jésus le Christ, vrai Dieu et vrai homme, célébrons la mémoire de la Présentation du Seigneur au temple, embellissant la fête de ce jour par des louanges offertes à Dieu et des œuvres humblement ferventes. Présentons aussi notre offrande dans un élan de ferveur en signifiant par la lumière des cierges la divinité du Christ et par leur cire sa chair virginale. Et prions en même temps sa très pieuse mère de bien vouloir rendre agréables à son fils nos personnes et nos dons. Ainsi, par sa grâce, brûlés au feu de la foi et de l’amour, et illuminés par l’Esprit Saint, puissions-nous nous présenter avec des esprits purifiés dans le temple de sa gloire. Veuille nous l’accorder ce même Seigneur, Jésus Christ.
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SERMON 3 SERMON POUR L’ÉPIPHANIE
1. Elle s’est manifestée la bonté, l’humanité de Dieu notre Sauveur, non en raison des œuvres de justice que nous aurions faites (Tt 3, 4s). La théophanie que nous célébrons en ce jour, frères très chers, se traduit comme « apparition de Dieu ». Béni et humain, notre Sauveur s’est révélé en ce jour au monde par sa chair. Son ample clémence nous a sauvés dans l’espérance du salut à venir, non en raison des œuvres de justice que nous aurions faites – car nous n’avons rien fait de bien – mais en raison de sa miséricorde (Tt 3, 5). Oui, il nous a sauvés par le bain de la régénération, c’est-à-dire par le baptême dans lequel, une fois déposé le vieil homme, le nouveau est engendré (cf. Ep 4, 22ss) – le bain de la rénovation dans l’Esprit Saint (Tt 3, 5). Car quotidiennement et de plus en plus nous sommes renouvelés par l’Esprit qu’il a répandu en nous (Tt 3, 6) en vue de la rémission de tous les péchés et l’abondance des vertus. Cette très salutaire rénovation, un événement symbolique l’avait précédée autrefois, à savoir la purification de Naaman le Syrien (2 R 5, 1ss). La force que ce dernier, sur le conseil du prophète, a ressentie dans son corps, sur l’ordre du Christ, le peuple entier des élus l’a éprouvée dans son âme.
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Sermon 3
Sous l’éclairage de la guérison de Naaman
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2. Pour faire apparaître cela avec plus d’évidence scrutons aussi rigoureusement que brièvement, selon l’ordre des événements et leur réseau subtil, l’intelligence qui s’y cache intérieurement. Et expliquons aussi attentivement que nous le donnera le Christ comment le récit s’adapte à la parabole proposée. Naaman, chef de l’armée du roi de Syrie, un homme considéré et riche, était lépreuxa. Il avait dans sa maison une jeune fille de la terre d’Israël. Naaman se traduit par « éclat » ou « éclatant », et ce nom désigne les amateurs de ce monde, puissants et éminents à leurs propres yeux, possesseurs d’une quantité de biens, glorieux par leurs titres familiaux, élevés en tant que notables, bien nantis en blé, en vin, en huile (cf. Ps 4, 8). Les lépreux, par ailleurs, par une grande diversité de méfaits, se montrent particulièrement enclins aux vices, prêts aux crimes, coutumiers des injures. Cependant, puisque est venu le temps d’avoir pitié (Ps 101, 14), le temps de les visiter (Jr 46, 21), ils reçoivent le conseil d’une jeune fille. Celle-ci représente la grâce ou la sagesse de Dieu, elle est vierge par son intégrité et servante engagée à l’égard de tous. Aussi est-il dit : La sagesse crie sur les places : Jusques à quand, enfants, aimerez-vous ce qui est de l’enfant (Pr 1, 20 et 22). Et plus loin : C’est un don de qualité que je vous offrirai (Pr 4, 2). Or cette servante si empressée, cette jeune fille, donne ce conseil à Naaman le lépreux, le type même de ceux qui chérissent le monde : Va en Samarie auprès du prophète Élisée, et il te guérira de ta lèpre (2 R 5, 3). Samarie se traduit par « la garde »b. Va en Samarie, retourne à ta garde, veille sur tes actes. C’est aux bergers veillant sur leur troupeau que sont offertes la vision et la parole de l’ange (cf. Lc 2, 8–9 ; 13).
a À partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe 6 l’auteur s’inspire littéralement d’une sentence de saint Bernard : saint Bernard de Clairvaux, Sententiae III, 88. b custodia.
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Sermon 3
Revenir au Christ dans l’humilité 3. « Connais-toi toi-même »a. Pécheurs, revenez à votre cœur (Is 46, 8). Non, il ne va pas en Samarie, celui qui, négligeant ses propres affaires, s’occupe d’affaires étrangères. Sur le conseil de la jeune fille, Naaman s’est rendu à la maison d’Élisée et a frappé à la porte. Élisée se traduit par « salut du Seigneur »b. Il s’agit de Jésus, Sauveur du monde, qui a sauvé son peuple de ses péchés (Mt 1, 21). Le prophète en parle en ces termes : Ton salut, Seigneur, m’a redressé (Ps 68, 30). Et le Sauveur dit de lui-même : C’est moi le salut du peuple (Ps 34, 3). Sa maison, ce sont les saintes Écritures ou les personnes religieuses dans lesquelles il habite par sa grâce. La porte représente la pénitence par laquelle on entre chez lui et lui chez nous. Aussi est-il dit : Te parlant encore, je dirai : me voici (1 R 1, 14). Et : Revenez à moi et je reviendrai à vous (Ml 3, 7). Nous nous sommes détournés de lui et lui s’est détourné de nous. Revenons à lui, et lui reviendra à nous. Élisée, assis sur son siège, envoya à Naaman son serviteur avec cette consigne : Va, descends au Jourdain, baigne-toi sept fois et tu seras purifié (2 R 5, 10). Notre Élisée enlevé loin de nous dans le ciel, siège corporellement à la droite du Père ; il ne se révèle pas maintenant mais il envoie son serviteur. Ce serviteur est l’Esprit Saint, car il suscite des serviteurs – savoir quant à la perversité des tout petits ; ou encore : le serviteur est la sainte Écriture en raison de la pureté et de la chasteté de sa parole. Ce serviteur dit : Descends de la Syrie vers la conformité au Christ, qui est l’humilité. Le titre d’honneur du diable, c’est l’orgueil, celui du Christ l’humilié. De cette exigencec il s’est proposé comme l’enseignant : Ce n’est pas vers les oracles des prophètes ni vers les énigmes de la loi que je vous envoie, mais apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Je me propose à vous en tant que miroir. Or l’humilité extérieure a peu de valeur, Oracle de Delphes. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 42, CCSL 72, p. 111, 4. c disciplina. a
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à moins de se présenter intérieurement comme la véritable obéissance. Elle exige de toi ces trois choses : que l’humilité siège dans ton cœur, que la patience se maintienne dans ta bouche, que la persévérance ait sa place dans ton action. Les termes aussi s’accordent entre eux : Descends vers le Jourdain, car le Jourdain se traduit par « descente »a, et cela pour une bonne raison : c’est ce fleuve que le Seigneur a spécialement choisi pour y être baptisé. De fait, quoi de plus extraordinaire dans ces flots, sinon que la Trinité elle-même s’y révèle dans une présence évidente ? Le Père s’est fait entendre, l’Esprit Saint s’est fait voir et le Fils en ce jour-là a été baptisé.
Accueillir les exigences de l’évangile 4. Lave-toi sept fois, autrement dit en perfection. Indigné Naaman répondit : Est-ce que les fleuves de Damas, l’Abana et la Pharphar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël pour m’y baigner et me purifier ? (2 R 5, 10). Damas se traduit par « buvant le sang »b : il s’agit de ce monde qui, au calice sanglant du péché, s’enivrent avec délices de notre mort éternelle. Quant aux Pharphar, il se traduit par « taupe »c et signifie l’avidité des chefs terrestres qui ont déterminé leurs yeux à se pencher vers la terre (Ps 16, 11 vg). Abana se traduit par « ses pierres »d, signifiant tous les hommes importants de l’Église ou de ce monde qui recherchent les honneurs et refusent l’humilité. À ceux qui nous disent de mépriser les réalités visibles, ils répondent chaque jour : Ne vaut-il pas mieux posséder des richesses, manger joyeusement des mets recherchés, reposer sur une couche molle, aller et venir à son gré a Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 7 et 64, CCSL 72, p. 67, 20 et p. 140, 27. b Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 41, CCSL 72, p. 110, 19s. c Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 45, CCSL 72 p. 115, 22. d Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 44, CCSL 72 p. 114, 11.
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et jouir des honneurs, que de passer nos jours dans les afflictions ? Ce qui revient à dire : Est-ce que les fleuves Abana et Pharphar ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Ceux qui l’accompagnent pressent Naaman : Si le prophète t’avait prescrit quelque chose de difficile, tu l’aurais certainement fait. Combien plus s’il te dit : Baigne-toi et tu seras purifié (2 R 5, 13). Nos accompagnateurs, ce sont les anges, commis à notre sauvegarde, et ce sont les hommes religieux. Ils nous disent : S’il t’était prescrit ce qui dépasse vos possibilités, tu devrais bien le faire. Et ils nous proposent la croix de Pierre, le glaive de Paul, le chevalet de Vincent, le gril de Laurent. Notre chameau lui-même – le Christ – à travers le trou de l’aiguille (Mt 19, 24) a passé le resserrement de la passion. Cela, si nous le considérons, et s’il nous est demandé quelque chose de considérable, nous ne devons pas nous récuser, car les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer avec la gloire à venir (Rm 8, 18). Et quelle grande chose ! Dans la première création Dieu m’a donné à moi-même, dans la régénération il m’a redonné à moi-même et il s’est donné à moi. Que ferai-je en échange d’un tel don ? en échange du si grand prix qu’il a payé pour moi ?
Sept bains de purification 5. Sur leur conseil, Naaman descendit et se baigna sept fois dans le Jourdain (2 R 5, 14). Au nombre de sept sont les bains : un bain hors du corps, un bain autour du corps, un bain dans le corps, un double bain concernant la langue, un double bain concernant l’esprit. Hors du corps, c’est le renoncement aux richesses et aux possessions, lesquelles sont hors du corps car elles n’y adhèrent pas et ne font pas partie de son être. Autour du corps, c’est le mépris envers les vêtements précieux : s’ils ne représentent pas un péché, l’Apôtre ne dirait pas : Point de vêtements précieux (1 Tm 2, 9). En outre, s’il n’était pas louable d’user de vêtements quelconques, nous n’aurions pas tant de témoignages du Christ concernant les vils vêtements de Jean et d’Elie (cf. Mt 11, 7). Le troisième bain,
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Sermon 3
dans le corps, c’est la mortification des membres, où le corps est châtié. À ce propos le mot de saint Paul : Je châtie mon corps (1 Co 9, 27). Le double bain concernant la langue consiste à se garder de se vanter dans le succès si Dieu donne la prospérité matérielle et spirituelle, est à se garder d’exprimer de l’impatience dans l’adversité. Les deux bains concernant l’esprit : renoncer à sa volonté propre et ne pas présumer de ses propres projets. Renoncer à sa volonté propre de telle manière que celui qui garde le silence dans le succès et l’adversité, ne s’attache pas, par devers soi, à sa volonté propre, devenant ainsi conforme au diable. Car de même que Dieu s’est voulu l’unique principe de tout, celui qui impose sa volonté propre au lieu de la soumettre à Dieu s’érige en un autre principe. Il s’agit de ne pas présumer de son propre projet mais de faire passer le projet commun avant ses idées personnelles.
Le Christ : exemple et grâce du salut 11
6. Ces sept bains se sont réalisés dans le Christ. Le bain hors du corps, car, de riche qu’il était il s’est fait pauvre pour nous (2 Co 8, 9). Le bain autour du corps, car, à sa naissance, il fut déposé dans une crèche et enveloppé de vulgaires langes. Le bain dans le corps, car il a jeûné et passé des nuits en prière (cf. Lc 6, 12). Le double bain concernant la langue, car il n’a commis de faute ni dans le succès, fuyant quand on voulait le faire roi (Jn 6, 15), ni dans l’adversité, car il gardé le silence comme une brebis devant le tondeur (Is 53, 7). Le bain concernant le cœur puisqu’il n’est pas venu pour faire sa volonté mais celle de son Père (cf. Jn 5, 30) ; et il a fait passer le projet du Père avant le conseil de Pierre qui lui disait : Jamais de la vie, cela ne t’arrivera (Mt 16, 22). De même, à Joseph et Marie qui lui demandaient : Mon fils, pourquoi nous as-tu fait cela ? Il répondit : Je me dois aux affaires de mon Père. Et malgré cela il leur était soumis (Lc 2, 49s). 7. Et la chair de Naaman redevint comme celle d’un petit enfant (2 R 5, 14), c’est-à-dire à la ressemblance du Christ, dont il est dit :
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Un enfant nous est néa. Adam a perdu son état de créature, son innocence et son immortalité. Ces trois qualités, cet enfant nous les a redonnées, lui qui pour nous s’est fait Fils de l’homme en vue de nous ramener à l’adoption de fils de Dieu. Innocent, il a durement souffert pour recréer en nous l’innocence en laquelle nous avions été créés. La mort vaincue, pour nous redonner la certitude d’avoir retrouvé la gloire et l’immortalité perdues par le péché, il est ressuscité, Jésus le Christ, notre Dieu.
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Is 9, 5 et Introït de la messe de Noël.
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SERMON 4 POUR L’ÉPIPHANIE a
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L’or, la myrrhe et l’encens 1. Comme Jésus était né à Bethléem, des mages vinrent d’orient adorer le Seigneur (Mt 2, 1s). Car ils avaient vu une grande étoile, dont ils avaient lu chez un prophète : Une étoile issue de Jacob se lèvera, et un sceptre se dressera, issu d’Israël (Nb 24, 17). Et encore : De Jacob sortira Celui qui dominera et fera paître les restes des cités (Nb 24, 19). Comprenant que Celui-là serait l’auteur du salut des hommes, ils ne l’ont pas seulement adoré avec vénération, mais, en manifestant le mystère de la foi, ils l’ont aussi honoré par des présents spirituels : par l’or ils ont désigné le pouvoir royal, par l’offrande de l’encens sa divinité adorable, par la myrrhe la vérité de l’humanité assumée dans ses souffrances pour nous et de son ensevelissement en notre faveur. Ces trois donsb paraissaient peut-être nécessaires, selon le sens littéral, en fonction du lieu et du temps : la grande valeur de l’or en raison de sa pauvreté, l’onguent de la myrrhe en raison de la fragilité habituelle d’un corps d’enfant, le parfum de l’encens en raison de l’état sordide de l’étable. Mais à notre tour, frères, puisque cela est déjà du passé, offrons à ce même Seigneur, notre Dieu et notre À partir du paragraphe 2 et presque jusqu’à la fin, l’auteur s’inspire littéralement de passages d’œuvres de saint Bernard. b Cf. Bernard de Clairvaux, Sententiae I, 15. a
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Sermon 4
Roi, des dons qui lui plaisent : l’onction de la myrrhe dans cette communion qu’est la vie commune, l’encens dans l’odeur suave de la bonne réputation, la splendeur de l’or dans la pureté de la conscience. De la sorte, nous ne rechercherons ni la grâce familière d’un comportement de service, ni la vaine gloire d’un renom de louange, mais toujours l’honneur de Dieu et l’utilité des frères.
Libéralité et puissance d’une naissance humble et pauvre 2. Et puisque nous avons appris qu’il est né à Bethléema il s’impose que nous allions à Bethléem (comme l’ont dit les bergers – cf. Lc 2, 15) afin de voir le Verbe qui pour nous s’est fait chair (Jn 1, 13). Que cette bourgade soit pauvre, qu’elle soit la plus petite des villes de Juda (Mt 2, 6), cela n’a rien d’inconvenant pour Celui qui, de riche, s’est fait pauvre (2 Co 8, 9) pour nous. Seigneur très grand et hautement louable (Ps 47, 2), il est né pour nous petit enfant (Is 9, 7). Il disait : Heureux les pauvres, car le Royaume des cieux est à eux (Mt 5, 3). Et de même : À moins de vous convertir et de devenir comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux (Mt 18, 3). C’est pourquoi aussi il a choisi une étable et une crèche, autrement dit une maison d’argile (Jb 4, 19) et une écurie pour faire savoir que c’est lui qui relève le pauvre du fumier (Ps 112, 7) et qui sauve les humains et le bétail (Ps 35, 7). Considère la libéralitéb que cela constitue : non pas à Jérusalem, la cité royale, mais à Bethléem, le moindre des clans de Juda (Mt 2, 5). O Bethléem, si petite, mais dès lors magnifiée par le Seigneur. Il t’a magnifiée, lui qui s’est fait homme en toi. Réjouis-toi, Bethléem, qu’on chante dans toutes tes rues un alléluia festif (Tb 13, 23). Quelle est la cité – si elle l’osait – qui ne t’envierait cette étable et la gloire de cette crèche ? Partout on dira de toi des choses glorieuses, cité de Dieu (Ps 86, 3), partout on psalmodiera : Un homme est né en elle (Ps 86, 5), et lui-même l’a fondée, le Très Haut.
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Cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 6, 7. Cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 1, 4–6.
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Ce n’est pas en vain qu’il est précisé : de Juda¸ puisqu’elle nous annonce la promesse faite à nos pères (Ac 13, 32). Non, le sceptre ne sera pas enlevé à Juda, ni le chef de sa lignée, jusqu’à ce que vienne Celui qui doit être envoyé et qui s’avérera l’attente des nations (Gn 49, 10). Car le salut certes vient des Juifs (Jn 4, 22), mais il s’étendra jusqu’aux limites de la terre. Juda, tes frères te loueront, ta main reposera sur le crâne de tes ennemis (Gn 49, 8). Or nous ne lisons nulle part que cette prophétie se soit réalisée à propos de ce Juda-là, mais nous la voyons accomplie dans le Christ. Il est lui le lion de la tribu de Juda (Ap 5, 5), à propos duquel il est ajouté : Juda est un jeune lion ; vers ta proie, mon fils, tu es monté (Gn 49, 9). Quel grand prédateur qu’est le Christ : Avant de savoir nommer père et mère, il a pillé le butin de Samarie (Is 8, 4). Oui, un grand prédateur qui, en montant, a emmené captive la captivité, non pas cependant qu’il ait enlevé quoi que ce soit ; au contraire, c’est lui qui a donné des dons aux hommes (Ep 4, 8).
Confesser le Christ
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3. Ces prophéties, et d’autres semblables, ont été accomplies dans le Christ ; elles avaient été prédites, et ces paroles : Il est né à Bethléem de Juda nous le remettent en mémoire. Il est donc hors de question de se demander si, de Bethléem, il peut venir quelque chose de bon (Jn 1, 46). En ce qui nous concerne nous avons ainsi appris comment honorer Celui qui est né à Bethléem de Juda. Or Bethléema se traduit par « maison du pain »b et Juda par « confession »c. Puissions-nous à notre tour trouver Bethléem de Juda, pour que le Christ daigne naître en nous, et puissions nous nous entendre dire : Pour vous qui craignez Dieu s’est levé le soleil de justice (Ml 4, 2). Et, selon un prophète : Juda devint sa sanctification (Ps 113, 2), Cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 6. Cf. Isidore de Séville, Etymologiae 15, 1, 23. c Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 7, CCSL 72, p. 67, 19. a
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Sermon 4
de sorte que tout soit lavé dans la confession ; et l’on verra que la maison du pain se rapporte magnifiquement à la manifestation du Seigneur aujourd’hui. Tels sont les vrais confesseurs, confessant le Seigneur non seulement de bouche mais de tout leur être et entièrement. Ils ont revêtu la confession comme un vêtement (cf. Ps 103, 15) – mieux : tout leur être confesse le Seigneur. Rien de commun avec ceux qui professent connaître le Seigneur, mais qui le renient en réalité par leur conduite (Tt 1, 16). La vraie confession implique que toutes nos œuvres soient les siennes et le confessent.
Une double confession : pénitence et louange 4. Que votre confession soit jumelée comme un double vêtement : la confession de vos péchés et celle de la louange de Dieu. Vous serez alors de véritables Juifs si toute votre vie vous confesse comme pécheurs, dignes des plus grands châtiments, et si elle confesse Dieu comme le bien suprême : pour des péchés légers et passagers, il accorde des récompenses éternelles que vous n’avez pas méritées. Quiconque ne désire pas ardemment la pénitence semble dire par ses actes qu’il n’en a pas besoin ; si bien que, du fait qu’il ne confesse pas sa faute, il ne peut présenter à Dieu de pénitence ni, du même coup, confesser la bonté de Dieu. Que Judaa, par conséquent, soit ta justification, revêts la confession et l’éclat (Ps 103, 1) : cette robe que le Seigneur apprécie le plus chez ses serviteurs. Avec brièveté l’Apôtre te recommande l’une et l’autre : La foi du cœur obtient la justice, la confession des lèvres le salut (Rm 10, 10). Oui, la justice dans le cœur, c’est le pain dans la maison, car la justice est le pain, et heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (Mt 5, 6). Que la justice réside dans le cœur, cette justice qui vient de la foi (Rm 10, 6). Elle seule possède la gloire auprès de Dieu. Et que la confession soit sur les lèvres pour le salut. Alors déjà, en toute certitude, reçois Celui qui est né à Bethléem de Juda (Mt 2, 1).
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Cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 1, 6.
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Comment serait-il prêta à accueillir un tel hôte, celui qui affirme : Dans ma maison il n’y a pas de pain (Is 3, 7) ? Son cœur est prêt à espérer dans le Seigneur, dit un prophète : aucun doute, il parle ici du juste, en disant : Son cœur est affermi, il ne chancellera pas (Ps 11, 8). De fait, un cœur n’est pas prêt s’il n’est pas affermi. Non, il n’est pas prêt, mais sec et exsangue, le cœur de celui qui a oublié de manger son pain (Ps 101, 5). Mais il est prêt et ferme pour garder les commandements de la vie, celui qui a oublié ce qui est en arrière et se tend vers l’avant (Ph 3, 13).
Que faut-il oublier et fuir ? 5. Vous voyez, frères, combien un certain oubli est à fuir et un autre à désirer. Ce n’est pas la totalité de Manassé qui a traversé le Jourdain, ni sa totalité qui a choisi de demeurer en deçà (cf. Dt 32, 33). Tel a oublié le Seigneur son Créateur (cf. Dt 32, 18), tel autre le garde devant lui toujours (Ps 15, 8), ayant oublié son peuple et la maison de son père (Ps 44, 11). L’un oublie les réalités célestes, l’autre celles qui sont sur la terre, celui-ci le présent, le premier l’avenir ; l’un ce qui se voit, l’autre ce qui ne paraît pas (2 Co 4, 18), et finalement l’un ses propres intérêts, l’autre ceux du Christ (Ph 2, 21). L’un et l’autre constituent Manassé, l’un et l’autre se montrent oublieux, mais l’un de Jérusalem (cf. Ps 136, 5), l’autre de Babylone ; l’un de ce qui encombre, et le voici prêt, l’autre plus encore de ce qui lui convient et ne lui convient pas d’oublier, aussi n’est-il pas prêt à voir se révéler la gloire du Seigneur. Il ne se montre pas la maison du pain, dans laquelle le Seigneur se lève ; non, il n’est pas Manassé celui-là, à qui doit apparaître le Maître qui régit Israël, siégeant au dessus des chérubins. Resplendis, lui diton, devant Ephraïm, Benjamin et Manassé (Ps 79, 1s). Ils sont trois à être sauvés, ceux-là qu’un autre prophète a nommés Noé, Da-
D’ici et presque jusqu’à la fin du sermon, saint Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 1, 6 ; 6, 8–10. a
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niel et Joba et qui sont aussi identifiés aux trois bergers auxquels la grâce a concédé de voir le Verbe devenu chair pour nous.
Les trois ordres dans l’Église et leur offrande 6. Voyons si ceux-là ne seraient pas les trois mages qui viennent aujourd’hui non seulement de l’orient mais aussi de l’occident en vue de s’attabler avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux (Mt 8, 11). Il ne semblera peut-être pas déplacé de rapporter à Ephraïm, qui signifie « fructification »b, l’offrande de l’encens, car offrir l’encens revient en propre à ceux que Dieu a établis pour qu’ils aillent et portent du fruit (Jn 15, 16), autrement dit aux évêques de l’Église. Quant à Benjamin, qui se traduit par « fils de la droite »c, il offre forcément l’or, c’est-à-dire les biens de ce monde, de telle manière que, peuple fidèle placé à la droite du Juge, il mérite de s’entendre dire : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mt 25, 35). Enfin Manassé, s’il a bien voulu être celui à qui Dieu apparaîtd, il offre la myrrhe de la mortification, laquelle, à mon avis, est requise spirituellement de notre profession monastique. Cela pour éviter que nous nous identifiions à cette partie de la tribu de Manassé restée en deçà du Jourdain, mais qu’au contraire nous oubliions ce qui est en arrière pour tendre de toute notre attention vers l’avant.
a Ce sont traditionnellement les types du pasteur, du moine et du laïc ; on les retrouvera dans le paragraphe suivant. b Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 5, CCSL 72, p. 65, 26. c Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3, CCSL 72, p. 62, 24. d Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 8, CCSL 72, p. 69, 27, Manassé : « oubli, oublieux, nécessité » .
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Vivre du Christ dans la maison du pain
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7. Revenons maintenant au Verbe qui s’est fait chair parmi nous. Là où se trouve la parole (le Verbe) du Seigneur le pain ne manque pas, qui affermit le cœur (Ps 103, 15), comme le dit un prophète : Affermis-moi par ta parole (Ps 118, 28). Car c’est de la parole qui sort de la bouche de Dieu que l’homme vit : il vit dans le Christ (Rm 6, 11) et le Christ vit en lui (Ga 2, 20). C’est là que celui-ci se lève, là qu’il apparaît, et il n’aime pas le cœur chancelant et vacillant, mais le cœur ferme et stable. Si l’on murmure, hésite, titube, si l’on projette de se rouler à nouveau dans la boue, de revenir à son vomissement (2 P 2, 20), de déserter ses vœux, d’abandonner son engagement, non, on n’est pas Bethléem, on n’est pas la maison du pain. Seule le faim, la male faim, force à descendre en Égypte (Gn 12, 10), à paître les cochons, à désirer se nourrir de leurs caroubes, parce qu’on a quitté la maison du pain dans laquelle – on le sait – même les salariés ont du pain en abondance (Lc 15, 15ss). Non, le Christ ne naît pas dans un cœur de cette sorte, auquel manque la force de la foi – le pain de la vie (Jn 6, 35). L’Écriture en témoigne : Le juste vit de la foi (Rm 1, 17), car la véritable vie de l’âme, qu’est le Seigneur lui-même, n’habite pour le moment dans nos cœur que par la foi (Ep 3, 17). Sinon comment Jésus naîtrait-il, comment la salut du Seigneur se révélerait-il, puisque est vraie et certaine cette affirmation : seul celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé (Mt 10, 22). Effectivement, un tel homme n’appartient pas au Fils de Dieu, dont l’Esprit ne repose que sur un être humble, paisible et qui tremble à ses paroles (Is 66, 2). Il n’y a pas d’accord possible entre l’éternité et une pareille instabilité, entre Celui qui est et celui qui ne demeure jamais dans le même état (Jb 14, 2). Par conséquent, frères très chers, autant qu’il nous est possible, demeurons stables dans notre saint propos, que Dieu aime. Quelles que soient son imperfection, sa négligence, sa tiédeur, il ne court pas en vain celui qui, par sa persévérance ici-bas, parviendra à la palme de l’achèvement, grâce au secours de Jésus le Christ, notre Seigneur.
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SERMON 5 SERMON POUR LA PURIFICATION
Porter le Christ 1. Aujourd’hui, très chers, nous rappelons avec la vénération qui lui est due ce jour où notre Seigneur Jésus Christ, l’Agneau sans tache, dont le sang purifie les fautes du monde entier, est introduit dans le temple en même temps que sa mère très pure pour être purifié par les offrandes prescrites par la loi. C’est à cette occasion aussi que l’on fait mémoire du vieillard Syméon (Lc 2, 28) : sur une révélation de l’Esprit il porta dans ses bras le vrai Dieu et reconnu homme, et il fut honoré d’une révélation prophétique. Or en tout ce qui se passait là matériellement il a recherché notre salut, mais aussi notre connaissance, car il convient de penser que rien n’est vide de sens dans ce mystère, à savoir que l’unique et même Sauveura, Marie le porte en son sein, Joseph sur ses épaules pour se rendre en Égypte, et Syméon dans ses bras. Ils représentent les trois ordres des élus : Marie les prédicateurs, Joseph les continents, Syméon les croyants adonnés aux bonnes œuvres. De fait, évangéliser c’est comme engendrer le Christ chez les autres, ou plutôt les engendrer pour lui. Tel est le cas du bienheureux Paul, qui disait : Mes petits enfants, que j’engendre à nouveau jusqu’à ce que le Christ prenne forme en Cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis 51, jusqu’à la fin de ce paragraphe. a
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vous (Ga 4, 19). Mais de ceux qui se fatiguent à peiner pour le Christ, qui endurent la persécution pour la justice (Mt 5, 10), qui ne causent aucun mal à personne mais supportent patiemment le mal que leur font les autres, on peut dire à bon droit qu’ils le portent sur leurs épaules. D’eux il est dit par la Vérité ellemême : Qui veut venir derrière moi, qu’il se renie lui-même, porte sa croix et me suive (Mt 16, 24). Et s’il se trouve quelqu’un pour apporter du pain à qui a faim, pour offrir à boire à qui a soif, pour multiplier avec sollicitude les œuvres de miséricorde envers qui en a besoin, ne paraît-il pas porter le Christ dans ses bras ? À son sujet le Christ dira au jour du jugement : Tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 40).
Purification et circoncision : repentance et renoncement
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2. Pourquoi disons-nous que la bienheureuse Marie est purifiée ? Pourquoi disons-nous que Jésus lui-même est circoncis ? De fait, elle n’a pas plus besoin d’une purification que lui de la circoncision. C’est donc pour nous qu’il est circoncis et qu’elle est purifiée, présentant un exemple aux pénitents pour que d’abord, en nous abstenant des vices, nous soyons circoncis par cette abstinence, et qu’ensuite nous soyons purifiés par la pénitence des fautes commises, et profondément touchés par l’amour de Dieu ; enfin que nous soyons lavés par nos larmes des taches quotidiennes d’une vie humaine que l’on ne peut absolument pas traverser sans commettre des fautes. Comme le dit le bienheureux Grégoirea, nous sommes dans une profonde repentance en nous-mêmes si nous pensons aux actes des pères qui nous ont précédés, et qu’en considérant leur gloire notre vie se découvre à nos yeux dans tout ce qu’elle a de sordide. Nous sommes profondément repentants lorsque nous scrutons attentivement les préceptes de Dieu en nous
Cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem I, 17, 10 dans les lignes suivantes. a
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efforçant de progresser par eux, dont nous savons déjà que d’autres y ont marché. Voilà pourquoi il est écrit de Moïse : Il disposa le bassin de bronze dans lequel se laveraient Aaron et ses fils en entrant dans le sanctuaire (Ex 40, 30s) – bassin qu’il avait confectionné avec les miroirs des femmes qui faisaient le service à l’entrée de la tente (Ex 38, 8). Oui, Moïse disposa ce bassin de bronze dans lequel les prêtres devaient se laver pour entrer dans le sanctuaire, car la loi de Dieu nous prescrit d’abord de nous laver par une profonde repentance pour que nos impuretés ne pénètrent pas indignement dans cette pureté que sont les secrets de Dieu. Il est heureux que ce bassin – comme il est dit – soit confectionné à partir des miroirs des femmes qui se tenaient à la porte de la tente. Ces miroirs, ce sont les préceptes de Dieu dans lesquels les saintes âmes se regardent et où elles surprennent les taches repoussantes qui ont pu se glisser en elles. Elles corrigent les fautes des pensées et s’efforcent de se refaire un visage selon l’image qui leur est rendue, car leur attention envers les préceptes du Seigneur leur fait connaître ce qui en elles plaît ou déplaît à l’Homme céleste. Tant qu’elles sont dans cette vie il leur est absolument impossible d’entrer dans la tente éternelle. Pourtant des femmes se tiennent à cette porte : ce sont les saintes âmes, certes encore alourdies par leur faiblesse, et qui cependant, dans un amour continuel, observent l’entrée de cet accès à l’éternité. Moïse donc confectionne à partir des miroirs de ces femmes le bassin pour les prêtres, car la loi s’offre comme un bain de repentance pour les taches que sont nos péchés, puisqu’elle nous présente ces préceptes célestes à regarder, et par lesquels les âmes saintes ont plu à l’Époux d’en haut. Si nous fixons sur eux notre attention nous voyons les taches affectant notre image intérieure ; et voyant ces taches, nous sommes saisis profondément par la douleur de la repentance ; alors, saisis de la sorte, nous voici comme lavés dans ce bassin fait des miroirs de ces femmes.
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Le lieu de ce bain de purification, le prophète Ézéchiel le désigne, lui aussi : C’est là qu’ils lavaient l’holocauste (Ez 40, 38)a. Effectivement, ceux qui, par la foi et une sainte conduite de leur vie, se sont offerts au Seigneur, sont devenus pour lui un holocauste. Car même s’ils ont beaucoup à souffrir de leur chair corruptible, et si, dans sa propreté, leur cœur est encore souillé par des pensées sordides, ils en reviennent chaque jour aux larmes et s’affligent dans des pleurs continuels. Ils considèrent en effet les dits et les faits des saints pères et, en s’estimant indignes, ils lavent l’holocauste. Il en est donc qui ont donné de ce qu’ils avaient de meilleur, mais qui souffrent de quelque faute due à leur faiblesse ; lorsqu’ils découvrent dans les paroles des pères et des docteurs dans quelle grande faute ils gisent, se reconnaissant dans les lamentations de la pénitence et s’y livrant, alors effectivement ils lavent l’holocauste.
Holocauste 3. Il faut savoirb qu’il existe une différence entre sacrifice et holocauste : tout holocauste est un sacrifice, mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Le sacrifice ne concerne qu’une partie de l’animal, tandis que dans l’holocauste on avait l’habitude de l’offrir en totalité, si bien qu’en latin holocauste signifie « brûlé tout entier ». Réfléchissons donc à ce qu’est un sacrifice et à ce que représente un holocauste. Lorsqu’on voue à Dieu une chose mais pas une autre, c’est un sacrifice. Mais lorsqu’on voue à Dieu tout ce qu’on a, tout ce qu’on vit, tout ce qu’on goûte, c’est un holocauste. Certains demeurent encore attachés au monde par la pensée, et pourtant, de ce qu’ils possèdent, ils offrent une aide à ceux qui sont dans le besoin et ils se hâtent de défendre les opprimés : par le bien qu’ils font ils offrent un sacrifice, car par leur action ils immolent quelque chose à Dieu et se réservent quelque chose pour a Cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II, 8, 14–15 jusqu’à la fin de ce paragraphe. b Cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II, 8, 16 jusqu’à la fin du paragraphe 3.
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eux-mêmes. Il en est d’autres qui ne se réservent rien pour euxmêmes, mais leur esprit, leur langue, leur vie et les biens qu’ils ont reçus, ils l’immolent à Dieu. Qu’offrent-ils sinon un holocauste – mieux : ils se font eux-mêmes holocauste. Le peuple d’Israël présenta un premier sacrifice en Égypte et un deuxième dans le désert. Quiconque dont l’esprit demeure encore de ce monde et fait cependant quelque chose de bien, offre un sacrifice en Égypte. Mais celui qui a délaissé le monde présent et fait le bien qui est en son pouvoir, celui-là, comme s’il avait déjà abandonné l’Égypte, offre un sacrifice dans le désert ; repoussant le crépitement des désirs charnels, dans le repos de son esprit et dans la solitude, il immole à Dieu tout son agir.
Pas d’holocauste sans les larmes de la repentance 4. Mais il faut que nous le sachions : il en est qui ont délaissé tout ce qui est du monde et ont offert tout ce qu’ils possèdent. Pourtant, malgré tout le bien qu’ils accomplissent, ils ne manifestent aucune profonde repentance ; le bien qu’ils font est un holocauste. Mais parce qu’ils ne savent ni pleurer ni se juger euxmêmes, et que l’amour ne les brûle pas jusqu’aux larmes, leur holocauste ne s’avère pas parfait. Aussi est-il dit par le palmiste : Qu’il se rappelle tous tes sacrifices, ton holocauste, qu’il lui semble gras (Ps 19, 4). Or la bonne œuvre ne constitue qu’un holocauste sec si les larmes de la prière ne s’y répandent pas. Au contraire, l’holocauste est gras quand ce qu’on réalise d’un cœur humble est aussi irrigué par les larmes. Nous devons nous appliquer à délaisser absolument le mal, comme aussi le bien que par nous-mêmes nous suffisons à faire ; et dans le bien que nous faisons, à nous laisser profondément poindre par l’amour de la lumière éternelle. L’amour de la lumière lui-même dissipe les ténèbres de notre cœur pour qu’avec plus de finesse nous puissions discerner le mal et le bien que nous faisons, et éviter que le mal se mêle au bien. Examinons donc quel est notre agir, quelle réflexion le prépare et quelle intention le dirige ; et
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lorsque nous découvrons qu’à notre bonne action se mêle quelque perversité ou quelque plaisir dépravé, revenons aux larmes, lavons l’holocauste. Portons le regard de notre foi sur le monde entier et remarquons combien de pécheurs, jour et nuit, se lavent par leur lamentation à la source de la miséricorde ; et combien d’entre eux, après les ténèbres, reviennent à la lumière. Courons avec de tels hommes pour passer des ténèbres de la mort à l’eau de la vie. Considérons à quel point nous péchons chaque jour et, pour nous montrer purs après les fautes, revenons aux larmes, lavons l’holocauste. Qu’en vue de cela nous soit présente la grâce de notre Rédempteur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 6 COMME CI-DESSUS
La procession de la fête 1. En raison du manque de temps le sermon doit être bref. Or la procession que nous célébrons donnerait une large occasion d’en dire beaucoup, mais elle empêche plus que tout de le faire. Aussi, pour qu’elle ne se déroule pas sans qu’on n’en dise rien, il nous plaît d’en toucher quelques mots brièvement. Nous avançons deux par deuxa. C’est ainsi que, pour valoriser l’amour fraternel et la vie commune, le Sauveur – nous le lisons – a envoyé ses disciples en mission (Mc 6, 7). Il troublerait l’ordre, celui qui s’arrangerait pour avancer en solitaire, et ce n’est pas à lui seul qu’il nuirait, mais il importunerait les autres. Ceux qui se marginalisent n’ont de vie que charnelle et se montrent dépourvus d’esprit (Jude 19), sans aucun souci de conserver l’unité par le lien de la paix (Ep 4, 3). Comme il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 2, 18), de même n’est-il pas permis de se présenter les mains vides devant le Seigneur (Ex 23, 15). C’est pourquoi nous tenons en mains des cierges, car nos œuvres doivent être réalisées avec ferveur et dans le désir du cœur pour que ne se mette pas à nous vomir comme tièdes (cf. Ap 3, 16). Celui dont il est affirmé qu’il est venu jeter un feu sur Cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Purificatione S. Mariae 2, 2, jusque vers la fin du paragraphe 1. a
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la terre (Lc 12, 49). Cet ordre strictement respecté, dès maintenant votre fraternité se construira grâce à l’effet de cette célébration. 2. Aujourd’hui s’est illuminé pour nous le jour célébré par l’offrande du Seigneur. Aujourd’hui est présenté au Créateur le plus haut fruit de la terre (Is 4, 2), aujourd’hui des mains virginales apportent à Dieu l’offrande d’apaisement (cf. Nb 5, 8). Mais cette offrande semble bien facile puisqu’il suffit de la présenter au Seigneur pour la racheter et la remplacer aussitôt par des oiseaux. Le jour viendra cependant où ce ne sera plus dans le temple ni entre les bras de Syméon que le Fils sera offert, mais hors de la ville (Hé 13, 12) entre les bras de la croix. Il ne sera plus alors racheté par un sang étranger, mais il rachètera les autres par son propre sang, car c’est à titre de rédemption que Dieu le Père l’a envoyé à son peuple (Ps 110, 9). Dans cette offrande-là la mère n’a pas d’agneau à présenter, aussi offre-t-elle pour son fils une paire de tourterelle ou deux jeunes colombes (Lc 2, 24). Dans cette offrande-ci le Fils luimême, par la main des injustes, s’immole lui-même à son Père, en agneau immaculé. Lui qui avait pris la condition de serviteur (Ph 2, 7), il a manifesté en lui cette servitude par la forme qu’a prise son offrande. En obéissant au Père jusqu’à la mort (Ph 2, 8), il montre comment nous saurons parvenir à la dignité de fils de Dieu. Il n’est pas facile pour qui demeure encore serviteur de disposer d’un agneau sans tache et d’un an (cf. Nb 6, 14). Comme holocauste à offrir au Seigneur, c’est déjà important de pouvoir offrir une tourterelle ou une colombe au titre d’une pauvre petite âme, à cours de moyens et d’une obéissance tiède. Oui, pour qui sert encore Dieu dans la crainte et qui l’aime moins qu’il ne le craint, il paraît suffisant, tant qu’il peut pleurer et gémir, de satisfaire pour ses péchés passés par un cierge, tels les plaintes et les gémissements d’une colombe. Mais celui qui pourra, sans y contredire intérieurement, déposer le fardeau des œuvres terrestres, supporter de bon gré n’importe quelle tribulation sans haine contre ses persécuteurs, et demeurer dans une paix et une tranquillité intérieures quels que soient ses tourments, assurément, dans le cas d’un tel homme, c’est un agneau qu’il offre en sacrifice au Seigneur. Dans cette offrande il se montre fils puisqu’il aura imité ainsi Celui qui est Fils par na-
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ture ; il sera devenu fils par grâce, car le Fils s’est offert pour notre salut, et non par nécessité. Pour nous il a offert ce qu’il avait de plus précieux, une offrande qui n’aurait pu être plus précieuse. Quant à nous, frères, faisons donc ce que nous pouvons, offrons-lui le meilleur de ce que nous avons, c’est-à-dire nous-mêmes, avec le plus grand empressement spirituela, de peur d’être réprouvés comme Caïn si, en offrant bien, nous partageons malb. 3. Au nombre de trois sont les sacrifices que doivent offrir non seulement ceux qui entrent comme constructeurs des murs du temple, mais aussi ceux qui se donnent du mal pour demeurer en union avec le Christ et converger vers la Jérusalem d’en haut. Ces trois sacrifices : celui d’une conduite et d’une contrition pieuses ; celui d’un agir digne de Dieu ; celui de la louange et de la jubilation. Il est dit du premier : Sacrifice pour Dieu qu’un esprit brisé (Ps 50, 19). Il consiste dans l’amertume intérieure et la pénitence extérieure. Du deuxième il est parlé comme du sacrifice de la justice qui apaise (Ps 50, 21) – Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur (Ps 4, 6). Du troisième il est dit : Le sacrifice de la louange m’honorera (Ps 49, 2), et Heureux le peuple qui connaît la jubilation (Ps 88, 16). Et encore : Heureux les habitants de ta maison, dans les siècles des siècles ils te loueront (Ps 83, 5). De ces trois sacrifices le Seigneur ne se soucie pas à moins qu’ils ne soient de moelle et de graisse. Le sacrifice de la contrition implique cette crème qu’est l’humilité, consistant en trois choses : considérer, chacun, l’ampleur de son imperfection dans son rapport avec le Seigneur – il est dit à ce sujet : Que je sache ce qui me manque (Ps 38, 5). En deuxième lieu considérer qu’on n’a rien en propre, comme le rappelle Paul : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? (1 Co 4, 7). Cela quant à l’humilité envers les inférieurs. De fait, s’il avait en lui quelque chose en tant qu’il est homme, les autres l’auraient aussi. Enfin considérer qu’on n’a rien en cette vie que l’on ne pourrait perdre. Ce genre-ci d’humilité s’acquiert en pensant à ceux qui d’abord furent bons, a Cf. saint Bernard de Clairvaux, Sententiae III, 84, pour la plus grande partie du paragraphe 3. b S’agirait-il de partager en deux les animaux pour les offrir en sacrifice, comme Abram (cf. Gn 15, 10) ?
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comme Adam, qui perdit le paradis, ou comme Salomon, qui erra après s’être montré d’une si grande sagesse. Le sacrifice de la justice et de l’action exige l’huile du discernement, le sacrifice de la louange requiert le baume de l’empressement fervent. Ces différents sacrifices souffrent chacun de vices qui s’opposent à eux. Au sacrifice de la contrition s’oppose l’absinthe de la colère, au sacrifice de l’action le vinaigre de la confusion, au sacrifice de la louange le venin de l’adulation et le fiel de l’ingratitude. Heureux qui, pour chaque don de la grâce, rend grâce à Celui qui possède toutes les grâces. Envers lui, pour les dons reçus ne nous montrons pas ingrats ; nous réservons ainsi en nous un lieu de grâce pour obtenir de recevoir des dons plus grands. C’est pourquoi, frères très chers, humilions-nous de plus en plus sous la puissante main du Très Haut (1 P 5, 6) et, avec le plus grand soin, tenons à grande distance ce très mauvais vice qu’est l’ingratitude. Adonnés de tout notre être à l’action de grâce, concilions-nous la grâce de notre Seigneur : elle seule peut sauver nos âmes (Jc 1, 21). Non seulement de mots et de langue, mais en actes et en vérité (1 Jn 3, 18), montrons-nous sans ingratitude, Ce ne sont pas en effet des paroles de grâce mais des actions de grâce qu’attend de nous le Seigneur notre Dieu.
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SERMON 7 POUR LA PURIFICATION
L’incarnation salutaire 1. L’auteur de la rédemption des humains, le Fils unique du Dieu vivant, qui demeure toujours inséparablement auprès du Père, a daigné assumer un homme parfait. Alors qu’il était Dieu, il s’est anéanti lui-même (Ph 2, 7), né d’une femme (Ga 4, 4), de sorte que demeuranta ce qu’il était dans la puissance divine, il a revêtu la véritable faiblesse de la nature humaine, qu’il n’avait pas, et il a passé par toutes les sanctions que prévoit symboliquement la loi. Ainsi, afin de valoriser pour nous, par un exemple hors du commun, la nécessaire vertu de l’obéissance, il est né sous la loi (Ga 4, 4) bien que lui-même ne dût quoi que ce soit à la loi, lui notre Maître unique, l’unique Législateur et Juge. Mais c’était pour assister de sa miséricorde ceux qui, sous la loi, n’en pouvaient porter le poids. À cette condition servile il les arracherait et les ramènerait par sa grâce et sa générosité à l’adoption des fils. Issu d’abord du sein de sa sainte mère, le huitième jour il fut dédié par ses parents moyennant le signe de la circoncision. Puis le trente-troisième jour (cf. Lv 12, 2ss), c’est-à-dire aujourd’hui, le Seigneur du temple n’a pas refusé d’être offert en sacrifice du salut. Et pour lui, frères, est offert le sacrifice de la purification, alors qu’il est venu pour purifier les souillures de tous les humains. De a
Cf. Bède le Vénérable, Homeliae I, 11.
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fait, il n’est pas venu abolir la loi, mais l’accomplir (Mt 5, 17), et par tous ses actes, d’une certaine manière, redonner forme à notre vie. Ainsi a-t-il voulu être circoncis le huitième jour, et être présenté au temple le quarantième jour. Il montre par là que si, dans l’espérance de la résurrection (souvent figurée dans la sainte Écriture par le nombre huit), nous avons retranché en nous tous les vices et les souillures de la chair et de l’esprit (2 Co 7, 1) ; et si nous avons traversé les tourments et les peines de cette vie mortelle (que symbolise le nombre quarante) nous nous présenterons aux regards de la Majesté divine avec le sacrifice de nos bonnes œuvres dans le temple de l’éternité.
Jésus, exemple de pauvreté et d’humilité 2. Et parce qu’il nous instruisait sur la pauvreté, il avait proposé en tout lieu l’exemple de cette pauvreté. D’une vierge pauvre, le Fils est né dans un lieu d’humilité, enveloppé de vulgaires langes, placé dans une crèche quelconque, n’ayant pas en ce monde d’endroit où reposer la tête (Mt 8, 20), il a souffert quantité d’opprobres, il est mort d’une mort honteuse dans un lieu très fréquenté, il offre à tous le modèle de la pauvreté, de l’humilité et du mépris des réalités présentes. C’est ainsia qu’il a préféré qu’on offre pour lui un couple de tourterelles ou deux petites colombes (Lc 2, 24) – un sacrifice de pauvres – plutôt qu’un agneau, qui représenterait un sacrifice de riches. Ces deux oiseaux symbolisent les deux sortes de pénitents : la tourterelle gémit habituellement solitaire, tandis que la colombe émet ses gémissements en compagnie des autres. Aussi la tourterelle représente-t-elle ceux qui pleurent en cachette ce qu’ils ont commis en secret, et la colombe ceux qui font pénitence publiquement de ce qu’ils ont commis au grand jour. En ces deux oiseaux le juste trouve donc ce qu’il doit imiter, ils enseignent au pécheur ce qu’il doit faire.
a
Cf. Bède le Vénérable, Homeliae I, 18.
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Sermon 7
Les sept vertus de la colombe Mais la colombe, plus particulièrement, nous informe des sept vertus dont elle fournit l’exemple : le fiel lui manquea, elle ne vit pas de cadavres ni de vermine, mais de semences, elle choisit les meilleurs grains ; elle a pour chant son gémissement, elle nourrit souvent des poussins qui ne sont pas les siens, elle se tient au dessus des eaux pour voir l’ombre de l’épervier survenant et l’éviter ainsi, elle a pour nid les trous du rocher et les fentes de la muraille (Ct 2, 14). En tout cela, frères, voilà un oiseau à imiter.
Point de haine 3. Effectivement, toute amertume de fiel doit rester étrangère à nos cœurs. Il n’est pas de pire vice que la haine ; aussi longtemps qu’elle habite un cœur – tant d’exemples de l’Écriture le confirment – aucune offrande ne la rachète, aucun martyre ne l’expie, aucun pardon ne lui est donné. La haine exclut Dieu de l’esprit, conformément à cette parole : La sagesse n’habite pas une âme malveillante (Sg 1, 4). Imitons donc la colombe en cela : soyons exempts de tout fiel.
Renoncer au péché 4. En outre la colombe ne mange ni cadavre ni vers. Ainsi l’homme n’a pas à se délecter des œuvres mortes. Les cadavres représentent les péchés, et les vers la mauvaise conscience, laquelle a pour origine les péchés, et toujours elle condamne l’homme en l’accusant. Les péchés sont donc à éviter par l’homme pour que sa mauvaise conscience ne le punisse pas. Oui, dis-je, les péchés sont à éviter, car ils génèrent une puanteur et une rougeur telles qu’un
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Cf. Bède le Vénérable, Homeliae I, 12.
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Sermon 7
homme n’ose plus se montrer au regard des hommes si ceux-ci se disent que sa conscience lui fait obstacle quotidiennement.
Se nourrir des paroles de Dieu 5. Par ailleurs la colombe se nourrit de semences et choisit les grains les meilleurs. C’est ainsi que le juste doit se nourrir abondamment des paroles du Seigneur. Celui-ci dit en effet : L’homme ne vit pas de pain seulement (Mt 4, 4). De même que l’homme est fait de deux substances, le corps et l’âme, deux nourritures lui sont nécessaires : l’une matérielle pour le corps, et la semence de la parole qui restaure l’âme. Dans la pérégrination où nous nous trouvons nous avons besoin de provisions de route : ce pain que nous demandons chaque jour dans l’oraison dominicale : Donne-nous aujourd’hui le pain quotidien (Mt 6, 11) destiné à la vie présente, et que le Seigneur donne à tous. Prenons soin toutefois de ne pas le prendre en dégoût. Et par ailleurs nous devons choisir les meilleurs grains, car l’âme doit toujours se tendre vers les préceptes les plus essentiels.
L’attention au prochain 6. Il est encore une autre vertu de la colombe qui s’avère digne d’imitationa. Elle nourrit des poussins qui ne sont pas tous les siens, ce qui exprime la vertu de la miséricorde dans laquelle l’homme est tenu d’aimer autrui à cause de Dieu. En tout homme l’homme doit reconnaître sa nature, et lorsqu’il le voit souffrir, il aura à soupirer de compassion, à l’exemple de l’Apôtre qui dit : Qui est faible que je ne sois faible (2 Co 11, 29).
a
de 8.
Cf. Bède le Vénérable, Homeliae I, 12 pour les paragraphes 6, 7 et le début
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Sermon 7
Détecter la tentation 7. La cinquième vertu de la colombe est admirable : celle-ci habite près d’une eau courante (cf. Ct 5, 12 vg) pour éviter la venue de l’épervier en voyant son ombre. Quoi de meilleur que de la suivre ? Nous avons un ennemi spirituel volant à travers les airs ; il rôde tout autour, cherchant qui dévorer (1 P 5, 8). Ce n’est pas qu’il habite entièrement parmi nous, ni qu’il soit très éloigné de nous, aussi nul ne doit se sentir en sécurité : la guerre est proche. De fait il habite dans les airs, et plus il s’avère invisible plus il est à redouter. Mais nous voyons son ombre dans l’eau, car dans l’Écriture nous apprenons des exemples de ses ruses. Fuyons donc vers l’Écriture chaque fois que nous percevons sa tentation pleine de ruse. Tout ce qui peut être illicite, tout ce qui est vicié, le Pervers le suggère ; à la parole de Dieu il oppose des principes contraires. Que l’âme fidèle se tienne le long d’un tel courant d’eau pour détecter l’arrivée des embûches de l’ennemi.
Gémir sur la vanité d’ici-bas 8. La colombe a pour chant son gémissement ; nous l’imitons en changeant la joie en larmes. Heureux en effet, dit le Seigneur, ceux qui pleurent maintenant, car ils riront (Lc 6, 21). Et au contraire : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez (Lc 6, 25). De ses larmes Marie (de Magdala) a lavé ses péchés, Pierre a pleuré amèrement après sa faute, et il a obtenu le pardon. Pour laver, les larmes viennent en second lieu, après le baptême. Et ce n’est pas seulement pour nous-mêmes, mais pour nos prochains malheureux qu’elles sont répandues, cela à la manière du Christ, en qui rien ne justifiait une plainte et qui a pourtant pleuré sur Lazare (Jn 11, 35) et sur Jérusalem (Lc 19, 42). Si donc le Seigneur s’est lamenté sur les hommes, nous qui sommes si misérables, ne compatirons-nous pas les uns envers les autres ? Elle est vraiment ample la raison de ces plaintes si nous ne nous dissimu-
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Sermon 7
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lons pasa combien brève est notre vie (Sg 15, 9), combien glissant le chemin (Ps 34, 6), combien incertaine la mort. Pensons-y : c’est en pleurant que nous sommes entrés en cette vie, avec douleur que nous la traversons, dans le deuil que nous en sortirons en considérant attentivement combien d’amertumes s’y mêlent. Et s’il se rencontre sur le chemin de cette vie quelque chose de doux et d’heureux pour nous faire illusion, combien s’avère fallacieux, suspect, instable et transitoire ce qu’engendre l’amour du monde, tout ce qui promet un aspect avantageux et une beauté d’ici-bas. Il est certains maux avec lesquels nous naissons et dont nous sommes libérés au cours du temps par la grâce cachée de Dieu ou par une mise en œuvre manifeste. Mais il en est d’autres en cette vie qui s’avancent avec nous et ne nous quittent pas avant la mort. En outre il est certains maux qui grandissent pour nous avant le temps ; puis le temps passant, ils disparaissent. Il en est que nous contractons après la naissance et que nous n’évacuons pas avant la mort. Mais qui pourrait énumérer tous les maux de cette vie ? Sans parler de tous ceux qui pèsent généralement sur tous les humains, quels sont ceux que nous estimons des dangers secrets particuliers dont chacun est conscient pour lui-même ? Que chacun, s’il le veut, passe en revue tout le mal qu’il a commis depuis le commencement de sa vie, et tout le mal qu’il a enduré, qu’il place devant son regard tout son passé et les jours de sa vie : que d’efforts vains, que de sueur inutile, que de résultats fallacieux au bout d’efforts considérables sans trouver le moindre repos malgré de longues démarches ; qu’il reconnaisse ainsi le jugement qu’il peut porter sur cette vie. Considérant les tribulations de cette existence et toute la suavité et la douceur qui caractériseront la Patrie, qu’il soit attentif à mesurer et ce qu’il a trouvé et ce qu’il a perdu ; qu’il regarde où il gît, d’où il est tombé ; et que cette comparaison lui fasse comprendre toute la plainte qu’il doit élever dans cet exil. Voilà la raison qui fait dire à Salomon : Qui augmente son savoir augmente sa douleur (Qo 1, 18). Oui, plus l’homme comprend son malheur, plus il soupire et gémit. Hugues de Saint-Victor, De modo orandi I, jusqu’à la fin du paragraphe 8. a
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Sermon 7
Le sang et l’eau, les sacrements 9. Ceci dit concernant l’imitation des gémissements de la colombe, examinons ce qu’elle nous donne encore à imiter dans la dernière forme que prend activement sa vertu. Elle a pour nid les trous du rocher et les fentes de la muraille (Ct 2, 14). Le rochera de l’Église, c’est le Christ (1 Co 10, 4), et les fentes du rocher les blessures du Christ, d’où a jailli le sang, prix de notre rédemption. Une caverne s’est ouverte dans son côté, d’où coulent les deux sacrements de notre salut, le sang et l’eau (Jn 19, 34), l’un pour la rédemption, l’autre pour la régénération. Voilà pourquoi nous qui recevons le salut par le Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus le Christ (1 Tm 2, 5), à lui notre Rédempteur nous avons à rendre grâce, car par son sang, par ses blessures, nous sommes rachetés.
L’exemple de la Vierge Avec application suivons les traces de sa bienheureuse mère dans le temple de Dieu, l’Église, en offrant une tourterelle en même temps qu’une colombe : dans la tourterelle la chasteté, dans la colombe la simplicité de l’innocence. Car la colombe, telle qu’elle apparaissait extérieurement dans l’oblation symbolique, se manifestait de la même manière aussi bien dans l’esprit que dans l’action. Prions instamment cette bienheureuse Reine du monde : elle seule a enfanté le véritable remède aux maladies du genre humain. Par le privilège d’une grâce exceptionnelle elle a mérité d’être la porte du ciel, l’entrée du paradis, l’espoir des malheureux, la consolation des pénitents. Son fils, qu’elle a présenté aujourd’hui dans le temple, puisse-t-elle l’apaiser à notre endroit. Et cette paix que le bienheureux vieillard a su comprendre et dans laquelle il a demandé de pouvoir s’en aller (Lc 2, 29), oui, cette paix, qu’elle nous salut de Dieu, notre Seigneur Jésus le Christ.
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Cf. Bède le Vénérable, Homeliae I, 12 et 18.
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SERMON 8 COMME CI-DESSUS
Un sacrifice de pauvres pour le Christ pauvre 1. Notre Dieu et Sauveur, frères très chers, a voulu en ce jour, selon la loi de Moïse, être apporté au temple avec des offrandes par sa mère perpétuellement vierge, et que soit donné pour lui le sacrifice des pauvres. Il est dit en effet dans la loi que, pour un enfant mâle le quarantième jour, et pour une fille le huitième jour, serait offert en holocauste un agneau sans tache âgé d’un an, ou une tourterelle et une petite colombe en sacrifice pour le péché (cf. Nb 6, 14). Mais celui qui, par pauvreté, n’aurait pas la possibilité d’offrir un agneau, offrirait deux tourterelles ou deux jeunes colombes, l’une en holocauste, l’autre pour le péché (Lv 12, 8). Ce sacrifice, Dieu a voulu qu’on l’offre pour lui parce qu’il s’est fait pauvre en vue de nous enrichir (2 Co 8, 9) ici-bas par la foi et l’abondance des bonnes œuvres, et là haut par l’héritage d’une récompense céleste et perpétuelle.
Le Christ Sauveur et modèle O quelle bonté, ô quelle compassion ! C’est jusque là que le Fils de Dieu a supporté de s’humilier. Par de telles actions, et d’autres du même genre, le Christ a réalisé notre rédemption ; par une telle intercession il s’est interposé comme Médiateur de Dieu et des
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Sermon 8
hommes (1 Tm 2, 5). Voilà comment il a voulu accomplir la loi (Mt 5, 17) pour nous libérer, nous les transgresseurs de la loi (Jc 2, 11) : par son obéissance il délierait notre désobéissance, par son observance de la loi il supprimerait notre transgression. Tout ce qu’il a fait en vivant parmi les humains a pour but notre enseignement, notre salut. D’abord circoncis, il est ensuite, après plusieurs jours, emmené avec des offrandes à Jérusalem pour y être présenté au Seigneur. Il fait savoir ainsi que nul, à moins d’être circoncis de ses vices, n’est digne d’être regardé par le Seigneur. Le psalmiste le dit : Le pervers n’habite pas auprès de Dieu, les injustes ne demeureront pas devant ses yeux (Ps 5, 6). Toute l’Église, à la fin du monde, se dégagera d’abord, par la résurrection, de cette ruine qu’est la corruption terrestre ; puis elle montera dans la Jérusalem céleste pour y régner perpétuellement, recommandée par l’offrande des bonnes œuvres. Si donc quelqu’un, dans la vie présente, a procréé soit des œuvres fortes, qu’on qualifie de masculines, soit des œuvres faibles, que l’on qualifie de féminines, c’est pour qu’elles puissent être consacrées au Seigneur selon le précepte de la loi : une brebis d’innocence, ou encore une tourterelle ou une colombe, à la manière dont ces oiseaux ont pour chant leur gémissement et qui figurent les gémissements de la profonde repentance et les larmes de l’humilité. De fait, nous avons grand besoin de bonnes larmes, car nous ne savons finalement pas comment nous finirons.
Tourterelle et colombe : deux genres de repentance 2. De deux sortes s’avère la profonde repentancea : soit qu’en nous souvenant des supplices encourus par les méchants nous soyons dans la crainte ; soit qu’en désirant ardemment les réalités du ciel nous gémissions fortement de ce que celles-ci soient différées et éloignées. Voilà pourquoi il est prescrit d’offrir deux petits volatiles, l’un en holocauste quand nous sommes enflammés par l’amour des réalités du ciel, l’autre en sacrifice pour le péché lorsque a
cumpunctio.
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Sermon 8
la douleur de la pénitence nous saisit en raison du mal commis. En d’autres termes : prier et supplier, portes closes, le Père dans le secret (Mt 6, 6), c’est offrir une tourterelle ; et glorifier Dieu avec la ferveur d’un empressement intime, c’est porter en quelque sorte une colombe sur l’autel. Et puisque l’une et l’autre de ces offrandes sont accueillies par Dieu, et puisque, si l’on y réfléchit, l’un et l’autre de ces oiseaux ont été offerts pour le Seigneur, cela signifie que l’Église se trouve purifiée soit par les prières communes figurées par les colombes, soit par les prières privées, exprimées par les tourterelles.
Tourterelle et colombe : double précepte de l’amour 3. S’il a voulu à cet effet des tourterelles et des colombes, c’est pour nous enseigner à observer les deux préceptes de l’amour et faire savoir qu’aucun sacrifice n’est acceptable à moins qu’on aime Dieu et le prochain. Qui veut revêtira là-haut la double robeb doublera ici-bas son offrande. Qui dédaigne de le faire sera broyé sous une double contrition. Pour une double offrande on recevra une double robe. Pour la robe du corps qu’on offre le sacrifice de l’action bonne, pour la robe de l’esprit le sacrifice de l’humble empressement spirituel.
L’offrande de l’esclave, du salarié, du fils Au milieu de tout cela on remarquera que, selon l’enseignement donné par la loi, autre est l’offrande des princes, autre celle des prêtres, autre encore celle des pauvres. De même, en ce temps de la grâce, la signification diffère entre l’offrande du fils, celle du salarié, celle de l’esclave. Diverses sont ces conditions, différente l’oblation. Car l’option nous est laissée, et elle le demeure dans notre élection, soit de traverser vers la liberté des fils, soit de rester D’ici à la fin du paragraphe 4, nombreux emprunts à Hugues de Saint-Victor, Miscellanea IV, 43. b prima. a
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dans la soumission des salariés, soit plutôt de servir dans la condition des esclaves. Le choix que l’on fait détermine l’offrande. Celle du fils, qui est la principale et la plus agréée par Dieu, le psalmiste la désigne expressément : Apportez au Seigneur, fils de Dieu, apportez des petits de béliers (Ps 28, 1). En d’autres termes : si vous êtes des fils, agissez avec libéralité, et si vous désirez être des fils, il vous faut agir avec libéralité pour ne pas vous présenter devant Dieu les mains vides. Apportez au Seigneur non pas n’importe quoi, mais à titre de fils des petits de béliers. Et ces petits que sont-ils, sinon des agneaux ? Par conséquent si quelqu’un est conduit comme un agneau à l’abattoir, ou comme un agneau qui, devant les tondeurs, se tait et n’ouvre pas la bouche (Is 53, 7), celui-là assurément est à mettre au nombre des fils : il offre au Seigneur les petits de béliers. Quant à celui qui demeure encore esclave, qui aime Dieu moins qu’il ne le craint, on considérera déjà comme extraordinaire qu’il puisse offrir une tourterelle ou une colombe, c’est-à-dire satisfaire par ses plaintes et ses gémissements pour ses fautes passées. Et le salarié, lui, bien que d’abord il immole sur l’autel le bouc des jouissances dépravées et impudentes, qu’il ne perde pas sa récompense. Cependant on ne parvient pas facilement à mettre la main sur un agneau d’un an pour l’offrir au Seigneur. C’est là en effet l’offrande propre aux fils, qui supportent toute tribulation de bon gré, sans haine pour les persécuteurs ; ils gardent la paix intérieure et la tranquillité du cœur au milieu des tourments : tel est le sacrifice de l’agneau qu’ils placent sur l’autel du Seigneur. Heureux, en effet, les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9). L’esclave se contente, par terreur de la géhenne, de faire pénitence pour le mal commis ; le salarié se borne à s’abstenir du mal en raison de la récompense ; pour le fils c’est encore trop peu de vouer son âme à la mort pour le Seigneur.
Au sacrifice du Christ que réponde le nôtre 4. On se plaît, en tout cela, à considérer que le Fils unique luimême a pris pour nous la condition du serviteur, dans laquelle il
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serait ensuite immolé comme un agneau. Il nous provoque ainsi vers les hauteurs et nous console de notre bassesse. Dans la première oblation offerte aujourd’hui pour lui par ses parents selon les ordonnances légales, il a voulu rejoindre la condition des serviteurs (Ph 2, 7), de manière à réchauffer l’espérance de ceux qui passent, avec des lamentations, à travers de mauvais passages. Il est vrai que, par l’oblation suivante, il s’attache ceux qui, par une imitation volontaire, se trouvent exposés à supporter innocemment toutes sortes de souffrances : telle une offrande d’agneau, ils attestent avoir revêtu des sentiments de fils. Par contre on ne trouve pas que le salarié célèbre une offrande pour lui-même, car il n’avait nullement formé le projet de réprimer, en les domptant, les débauches de la chair ; de tout ce qu’il possède et reconnaît pour sien, il n’avait pas de quoi mériter par la suite. Mais si nous y sommes attentifs : puisque, apparaissant dans la ressemblance même de la chair (Rm 8, 3), le Christ endure la mort pour expier par son sang les péchés des humains, c’est aussi l’immolation du bouc – la victime du salarié – que nous reconnaissons en lui. Or par un tel exemple il nous instruit : si ce qu’il n’a pas dérobé (cf. Ps 68, 5) il ne refuse pas de s’en acquitter sous les fouets, les crachats, les gifles, les coups, et finalement la crucifixion, combien plus l’homme, pour les fautes qu’il a commises de par sa volonté et ses actes, doit-il s’en affliger par la contrition du cœur et du corps. Et le Fils unique, qui est dans le sein du Père (Jn 1, 18), revendiquant tout ce qui est sien selon le droit naturel, n’a pas voulu être consumé, sinon par la passion et la mort ; or c’était pour se voir couronné de gloire et d’honneur (Ps 8, 6) par le Père ; comment alors l’homme, devenu volontairement étranger à Dieu, osera-t-il aspirer à sa communion et à sa gloire, sinon en prenant grand soin d’imiter la passion du Christ, tout au moins par la mise à mort des vices de sa chair ? Ainsi donc, par son obéissance à la volonté du Père, le Fils a enduré la croix, s’offrant comme un agneau sans tache en sacrifice d’odeur de suavité (Ep 5, 2). Et en vertu de cela il a été compté parmi les injustes (Is 53, 12) par ceux qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient (Lc 23, 34). Or ce sont nos péchés qu’il a portés dans son corps (1 P
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2, 24), c’est comme un bouc qu’il a été immolé. De fait, puisqu’il nous était impossible d’accéder à sa plénitude, c’est pour nous qu’il a voulu que profite tout le mérite d’une œuvre aussi juste.
Nous ne nous appartenons pas 5. Aux esclaves revient de faire pénitence, aux salariés de s’abstenir du mal, aux fils convient la patience. Qu’ils s’efforcent donc d’apporter avec eux les agneaux de la patience et de la douceur, ceux qui aspirent dans l’espérance à l’adoption des fils de Dieu. Par conséquent, portant aujourd’hui dans nos mains des cierges allumés, suivons la croix qui nous précède : agissons avec sincérité, dans des œuvres de lumière et la ferveur de l’esprit, marchons selon la croix du Christ, gardons constamment devant nos yeux la passion du Christ, tout en méditant la dette qui nous oblige à l’égard de notre Rédempteur pour tout ce qu’il a souffert à notre intention, et écoutant le bienheureux Pierre nous dire : Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces (1 P 2, 21). Quand donc l’assaut de la chair vicieuse nous sollicite, ayons conscience que nous n’appartenons pas à nous mêmes, mais à Celui qui nous rachetés par son sang pour que nous soyons à lui (Ap 5, 9). L’apôtre Paul en témoigne : Vous avez été rachetés à grand prix, glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1 Co 6, 20). Glorifier Dieu dans son corps c’est, par une vie bonne et sainte, prendre soin de faire naître de la gloire pour son Créateur. Et porter Dieu dans son corps c’est disposer son corps à obéir à Dieu et ne rien faire de contraire à ses préceptes. En vue de mériter cela, faisons appel aujourd’hui aux prières et au secours de la sainte Mère de Dieu. Par Celui que cette Vierge a conçu, mis au monde, allaité, lui l’auteur du salut, notre Seigneur Jésus le Christ.
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SERMON 9 POUR LA PURIFICATION
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De l’Annonciation à la Purification : un même mystère 1. La fête de ce joura, très chers, si nous y prêtons une attention soutenue, ne diffère pas, quant à l’élan de l’empressement spirituel, des célébrations de la Nativité du Seigneur, de sa circoncision, de son Épiphanie. Et la solennité de cette fête-ci n’est pas moindre que toutes celles-là. La lecture de l’Évangile le montre par des preuves évidentes. Car aujourd’hui, quarante jours s’étant écoulés depuis sa nativité, le Seigneur est présenté dans le temple par ses parents conformément à la loi ; aujourd’hui il est reçu par saint Syméon et offert au Père avec de saintes oblations ; aujourd’hui il est déclaré publiquement rédemption d’Israël par ceux qui l’attendaient, Syméon et Anne. O quel pieux spectacle dont seuls les êtres pieux éprouvent les délices. Se tient là la Vierge et Mère non pas de n’importe qui, mais de Dieu. Le petit enfant de la Vierge est reçu, lui dont le monde entier ne saurait englober l’immensité. Les prophètes accourent, de l’un et l’autre sexe, ils prophétisent de cet enfant la divine majesté que l’Esprit leur a fait reconnaître. Pour cet enfant est offerte l’oblation légale : elle ne purifie pas des péchés, mais annonce le mystère.
Dans la presque totalité de ce sermon l’auteur s’inspire de Ambroise Autpert, Sermo in Purificatione S. Mariae 1–5. a
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Sermon 9
Voilà ce que l’évangéliste Luc, qui rédige l’histoire de vérité concernant l’incarnation du Christ, raconte en suivant l’ordre des événements : après son annonciation par l’ange, sa nativité annoncée par les voix des anges, sa circoncision le huitième jour dans la maison de ses parents. À la suite de quoi il écrit : Quand furent accomplis les jours de la Purification de sa mère, selon la loi de Moïse, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit : Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur (Lc 2, 22s). Tous les fidèles ont contracté une tache depuis leur naissance, à l’exception, il est vrai, de la mère du Rédempteur, laquelle, sans l’intervention de la convoitise humaine et sans aucune corruption de la chair, vierge, a enfanté en demeurant vierge sans fin, du fait que même l’enfant mâle né d’elle n’a pas ouvert son sein. L’évangéliste indique que cela s’est réalisé selon la coutume de la loi, fermant ainsi aux impies le mystère de l’incarnation du Seigneur et soumettant sa mère à l’observation de la loi. Qu’on ne s’étonne pas si la mère se conforme à la loi que le Fils n’est pas venu abolir, mais accomplir (Mt 5, 17). Elle savait en effet le mode de sa conception, le but de son enfantement, et qui était Celui qu’elle avait mis au monde. En observant la loi commune, elle a attendu le jour de la Purification, elle a tenu secrète la gloire du Fils.
Le mystère de l’incarnation tenu caché 2. C’est aussi pourquoi, lorsqu’il était âgé de douze ans et qu’elle le trouve dans le temple au milieu des docteurs de la loi, elle le nomme fils de Joseph, disant : Mon fils, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi nous te cherchons angoissés (Lc 2, 48). Or sans le moindre doute elle savait qu’elle l’avait conçu sans la participation de Joseph et qu’elle l’avait enfanté sans corruption de sa virginité. Mais pourquoi cache-t-elle le mystère de cette conception et de cette naissance ? Serait-ce qu’elle est jalouse des autres, alors que, portant l’enfant au temple, elle le confie aux mains d’un saint vieillard ? Non, bien sûr, mais, remplie de l’Esprit de prophé-
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tie, elle évitait de dévoiler aux impies la rédemption du monde qui devait se réaliser par lui. Elle savait, pleine de grâce et inspirée par l’Esprit de Dieu, que si les princes de ce monde l’avaient connu (cf. 1 Co 2, 8), jamais ils ne l’auraient crucifié pour notre salut. Ainsi donc la bienheureuse Vierge, en tant qu’elle observe la loi, offre au temple Celui qu’elle a enfanté, de manière à ne pas révéler à tous, mais à quelques-uns seulement, qui est Celui qu’elle a engendré, et quelle est sa grandeur. Qu’apparaisse pour le moment l’humble pierre qui, sans l’aide d’une main, s’est détachée de cette montagne qu’est le peuple d’Israël – autrement dit qui est né sans la participation d’un mari. Ainsi sera-t-il réprouvé par les responsables, scribes et pharisiens, qui interprètent la loi de manière littéralea pour ce peuple, jusqu’à ce que, par la résurrection et l’ascension, cette pierre grandisse pour devenir une grande montagne et remplir la terre entière de la foi en son nom (Dn 2, 34s).
La Vierge devant son petit enfant qui est son Dieu
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3. O qu’il est petit, ô qu’il est grand, Celui que la Vierge a enfanté ! Petit quant à l’humanité, grand quant à la divinité, petit dans le royaume des Juifs, grand dans l’empire des nations. Mais dans le royaume des juifs ce n’est pas par tous qu’il est considéré comme petit. Car celle qui l’a engendré dans la chair a grandi comme une tige à partir du peuple d’Israël. Comme une tige, en effet, issue de la racine de Jessé (Is 11, 1), elle s’est élevée, elle a fleuri par son vœu de virginité, et comme le bâtonb d’Aaron, en concevant grâce au Saint Esprit, elle s’est couverte de feuilles (Nb 17, 8) et a produit un fruit : Dieu fait homme. Plus que tous, elle a reconnu l’immensité de Celui qu’elle voyait né d’elle si petit ; aussi, pas de doute, dans l’enfant qu’elle a engendré elle a adoré le Dieu tout puissant, elle a tremblé en adorant Celui que pourtant, en le reconnaissant son fils selon l’humanité, elle a allaité, réchauffé, nourri.
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carnaliter. C’est ici le même terme de virga traduit ci-dessus par « tige ».
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Qui parmi les humains pourrait concevoir en son esprit des abaissements de ce genre, en voyant Celui qui d’une part est né si petit enfant, et qui d’autre part remplit le ciel et la terre ? D’une part créé, d’autre part Créateur, faible et très puissant, il faut le nourrir et il nourrit, il ne parle pas et il enseigne les anges. Alors qu’elle porte en ses mains le même Fils de Dieu et Fils de l’homme, d’une part elle l’adore comme son Seigneur, d’autre part elle l’embrasse comme son petit enfant. Qui ne resterait muet de stupéfaction devant un tel miracle ineffable ? La jeune femme engendre le Créateur, le sien et celui de tous ; elle nourrit Celui qui se fait sa nourriture et celle de tous ; elle porte au temple Celui qui porte l’univers. O quel spectacle étonnant, qui stupéfie non seulement la nature humaine, mais celle des anges. Vers lui, frères très chers, élevez les yeux de votre foi, vers lui rassemblez les élans de votre humble ferveur. Recevez là le Christ qui pour vous s’est humilié dans la chair, et adorez-le dans l’extrême hauteur de sa divinité. Embrassez l’enfant, mais prenez conscience de l’Immense ; aimez l’humble mais craignez le Sublime.
Le Christ offert et reçu dans l’Église 4. Dès lors, bien-aimés, si l’on cherche une signification symbolique au fait que le Rédempteur a voulu être apporté, par sa mère et ses parents, de sa propre cité de Jérusalem dans le temple du Seigneur, nous découvrons que sa très glorieuse Mère et Vierge, avec ses proches, sont une figure de cette Église qui, issue de la Judée, a cru dans les apôtres. C’est pourquoi sa Mère et ses proches ont apporté notre Rédempteur de Nazareth à Jérusalem, au temple du Seigneur, car la primitive Église, dans les apôtres, ayant été repoussée par les Juifs, a transmis aux nations la connaissance de l’incarnation. Cette Église issue des Juifs comme des nations est nommée avec justesse Jérusalem, c’est-à-dire « vision de paix »a. Elle s’avère Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 9s, etc. a
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le temple dont Paul dit aux fidèles : Le temple de Dieu, c’est vous (1 Co 3, 17). C’est dans cette cité et dans ce temps que le Christ offert par les apôtres est reçu par les fidèles dont le psalmiste parle au Dieu Père en ces termes : Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple (Ps 47, 10) autrement dit au milieu de l’Église, laquelle est son temple.
Les symboles de la tourterelle et de la colombe
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5. La raison pour laquelle le Christ est conduit par ses parents à la sainte cité et au temple s’éclaire par ce qui suit : pour présenter l’offrande prescrite dans la loi du Seigneur : une paire de tourterelle ou deux petites colombesa. À vrai dire il était prescrit que si peut-être quelqu’un ne disposait pas d’un agneau il offrirait à Dieu une paire de tourterelle ou deux petites colombes comme oblation pour son fils, sans préciser par avance si ce serait l’une ou l’autre de ces oblations. Mais parce que l’une et l’autre symbolisent les mystères du Christ et de l’Église, il faut croire que la Mère du Seigneur a trouvé bon d’offrir l’une et l’autre en sacrifice. Car dans l’oblation de ces oiseaux était préfigurée l’oblation immolée le soir pour le salut du monde – il s’agit donc de la passion du Seigneur, par laquelle nous avons été réconciliés avec Dieu. De cette offrande Paul dit au fidèles : Marchez dans l’amour comme le Christ aussi s’est livré lui-même pour nous en offrande de suave odeur (Ep 5, 2). Et puisque tous les élus sont membres du Christ (Ep 5, 30), cette offrande des oiseaux signifie aussi la mortification des élus, auxquels le même apôtre dit : Je vous exhorte par la miséricorde de Dieu à offrir vos corps en oblation vivante, sainte, agréable à Dieu (Rm 12, 1). Mais nulle oblation de mortification ne peut être agréable chez qui n’existerait pas la chasteté d’une foi authentique et la concorde d’un amour authentique. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que le sacrifice offert symboliquement est décrit comme une offrande de tourterelles et de colombes. Car chez la tourterelle se trouve la chasteté, et la colombe a
Lc 2, 24 ; Lv 12, 6.
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illustre l’amour au sein de la vie commune. La tourterelle garde à son conjoint un amour sans tache et la colombe ne déserte pas l’unité de toutes celles qui habitent avec elle. Toute âme fidèle devient une tourterelle véritablement spirituelle si, par la ferme réalisation des bonnes œuvres, elle conserve la foi et l’amour auxquels elle se sait unie par le lien d’une sainte profession religieuse ; et si elle répudie l’amour contraire, celui du monde, comme la souillure de la fornication. Par ailleurs cette âme sera aussi véritablement une colombe digne d’être sacrifiée à Dieu si elle demeure patiemment, jusqu’à la fin, dans une sainte communion fraternelle, et si elle persiste avec une fermeté inébranlable au milieu des scandales que sont les tentations. Qu’ainsi les convoitises de ce monde ne corrompent pas dans son cœur la chasteté de l’amour pour Dieu, et que l’unité qu’est la paix fraternelle ne soit pas détruite par une amère dissension. Car à notre tour, bien-aimés, avec la bienheureuse Marie, aujourd’hui dans ce temple visible nous ferons l’offrande de ce même Seigneur sous la figure des cierges allumés. Par la médiation de Marie nous supplierons la bonté sans pareille du Seigneur pour que dans le temple de l’éternité il nous présente à lui-même purs de toute souillure de la chair et de l’esprit (2 Co 7, 1) et rayonnants de la lumière du Saint Esprit.
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SERMON 10 POUR LA PURIFICATION
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Dans la suite des mystères de l’incarnation 1. Parmi toutes les célébrations solennelles de la religion chrétienne, frères très chers, la fête de ce jour brille d’une dignité loin d’être banale. Notre mère l’Église, au vu de tout ce que la Divinité a réalisé par un homme, considère cela comme nécessaire à notre salut ; aussi désire-t-elle se montrer sans ingratitude face à chacun des bienfaits de Dieu. Après avoir célébré la nativité du Seigneur, sa circoncision et la fête de sa manifestation pour faire ensuite mémoire de sa vénérable présentation au temple, elle l’a reçu pour le célébrer avec l’élan de la joie la plus grande, et en ce jour la Vierge mère l’a présenté une fois pour toutes, lui l’auteur du salut, avec les offrandes prescrites par la loi. Et la foule des croyants, sous l’image de cierges enflammés signifiant la double nature divine et humaine, a l’habitude de le présenter toujours avec un fidèle élan spirituel en ce jour proche du tournant de l’annéea. Il n’y a là rien de vain, rien d’inutile pour le salut, même si, comme on le croit, cela s’est réalisé dans l’enfance du Sauveur. Au contraire, tout y est plein de grâce, d’enseignement, de miséricorde. Car cet enfant est né pour nous – pour notre salut – le Fils nous a été donné (Is 9, 6), et bien sûr pour que nous l’imitions. a
Lequel tombait probablement au début de janvier.
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Sermon 10
Par sa naissance il s’est associé à la nature humaine pour que, dès lors, l’être humain ose aspirer à la divinité. Par sa naissance virginale il n’a contracté de sa mise au monde aucune souillure ni quoi que ce soit que la circoncision devrait purifier en lui. Et le huitième jour (cf. Lv 12, 3), pour accomplir la loi, il a été circoncis et a voulu être orné du nom de Jésus (Lc 2, 11), qui se traduit par « sauveur » ou « salut »a . Il faisait savoir ainsi tacitement que, à moins d’imiter les souffrances du Christ en s’efforçant de couper court à ce superflu que sont les vices de la chair, on ne saurait participer au salut que Jésus a réalisé au milieu de la terre (Ps 73, 12).
L’or, l’encens et la myrrhe 2. Pour manifester qu’il était venu sauver les nations, peu de jours après sa circoncision, au jour de l’Épiphanie, il a conduit trois mages d’orient, par le signe d’un astre nouveau, à l’adorer et à lui offrir pour l’honorer des présents symboliquesb : l’or pour représenter en tout lieu son pouvoir royal, l’encens pour adorer en lui la divinité, la myrrhe pour signifier en lui l’humanité mortelle qui serait ensevelie. Il désire maintenant que des présents dignes de sa majesté lui soient offerts par ceux qui, véritablement, désirent passer jusqu’à lui : au lieu de l’or la pureté de la conscience, au lieu de l’encens la douceur de l’élan spirituel, au lieu de la myrrhe la mise à mort des désirs charnels qui font la guerre à l’âme (1 P 2, 11).
Jésus offert par Syméon Enfin, pour accomplir tous les décrets de la loi dans leur ordre, le quarantième jour après sa naissance – c’est-à-dire aujourd’hui – Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 18, CCSL 72, p. 82, 26. b mysticis. a
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notre Rédempteura a voulu être apporté au temple du Seigneur par sa mère et ses parents issus de Jérusalem, sa propre ville, et se faire remettre entre les mains du saint vieillard Syméon. C’est alors que devait être proclamé l’esprit avisé de la très glorieuse Vierge, prise réellement dans le souffle du seul Esprit de la vérité. C’est pour offrir le Fils qu’elle vient ; conservant l’humilité de sa nature, elle l’a remis, pour l’offrir, aux mains du prophète ; elle n’ignorait pas qui était ce dernier, entre les mains duquel elle remettait l’hommeDieu pour qu’il le consacrât par un sacrifice. Elle présente donc au prophète le Seigneur des prophètes, elle présente l’Unique à l’unique – bien plus : l’Unique pour tous, elle qui a enfanté pour tous ce Sauveur. Pourtant elle a fait savoir qu’en ce moment du temps, Syméon était le seul qui l’offrirait dignement. Divinement illuminée – nous le croyons – elle savait, de lui, qu’il avait reçu de l’Esprit Saint l’assurance de ne pas voir la mort avant d’avoir vu l’Oint du Seigneur (Lc 2, 26). Avec quel grand désir cet homme attendait la fidèle promesse du Saint Esprit : voir dans la chair le Rédempteur ! Nombreux dans les temps anciens ceux qui brûlèrent d’un semblable désir ; le Seigneur l’atteste, lui qui dit à ses disciples : Nombreux sont les rois et les prophètes qui ont voulu voir ce que vous voyez, entendre ce que vous entendez (Lc 10, 24). Mais Syméon est le seul d’entre eux à obtenir cela, étant apparu le dernier à la plénitude des temps (cf. Ga 4, 4). Pourtant si les saints qui lui succèdent manifestent avec une vigilance empressée un même désir, et si pour eux vivre c’est le Christ et mourir est un gain (Ph 1, 21), nous découvrons alors chez eux un amour aussi tourmenté de voir la divinité de ce Sauveur, que chez celui-ci la convoitise de connaître la chair. Aussi Paul affirme-t-il : J’ai le désir de disparaître et d’être avec le Christ (Ph 1, 23). Et de même le psalmiste, au nom de l’Église s’exprime en ces termes : Mon âme a soif du Dieu vivant, quand viendrai-je et paraîtrai-je devant lui ? (Ps 41, 3).
D’ici à la fin du paragraphe, cf. Ambroise Autpert, Sermo in Purificatione S. Mariae 4. a
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La mort et le désir de voir le Christ Dans l’unique Syméon nous reconnaissons la figure de tous les autres élus qui maintenant sont justifiés par la foi et sa mise en œuvre, tout en demeurant dans la crainte quant à l’incertitude de leur jugement futur, sans manquer d’être attentifs à la consolation à venir. L’Esprit Saint – on le sait – leur est intérieur, comme le dit l’Apôtre : L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5). Et, s’adressant aux fidèles : Vos corps sont le temple de l’Esprit Saint que vous tenez de Dieu (1 Co 6, 19). Tous ceux qui ont reçu la réponse de l’Esprit Saint ne verront pas la mort avant d’avoir vu l’Oint du Seigneur, car dans cette vie encore corruptible, la grâce de l’Esprit Saint le leur révélant, et les yeux de leur foi s’ouvrant, ils voient Celui qui a promis d’être avec eux jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Ils ne le voient plus comme un petit enfant, mais dans l’immensité de sa divinité. Ceux-là aussi habitent à Jérusalem, et ils viennent en esprit au temple où le Christ est introduit, car ils aspirent par désir à la vision de la paix d’en haut, afin de pouvoir être le temple dans lequel le Christ daigne habiter (2 Co 6, 16), et ils se perçoivent régis par l’Esprit Saint.
La mort m’est un gain 3. Ce passage de l’Évangilea raconte, à propos de ce vieillard vénérable, que lorsque, par ses parents, l’enfant Jésus est introduit dans le temple, il le reçoit, lui, dans ses bras en disant : Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur s’en aller dans la paix (Lc 2, 29). Le voici donc retenu dans cette vie par une sorte de nécessité, et ce juste alors demande qu’on le laisse aller, comme s’il se hâtait de quitter des liens pour gagner la liberté. Il y a en effet des liens qui sont comme les nécessités du corps, lequel est plus pesant ; il y a en outre les liens des tentations, qui nous étreignent et nous emmènent captifs d’une sorte de loi du péché (cf. Rm 8, 2). a
Pour ce paragraphe, cf. Ambroise de Milan, De bono mortis, 2, 5–6.
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C’est pourquoi David, le saint, se montrait pressé d’échapper à ce lieu d’errance : Je suis un étranger devant toi et j’erre sur la terre comme tous mes pères (Ps 38, 13). À titre d’errant, Syméon se hâtait vers la Patrie commune à tous les saints, demandant, pour la souillure dont il faisait mémoire, que lui soient remis ses péchés avant de quitter cette vie. Car celui qui n’a pas reçu la rémission de ses péchés ici-bas ne l’obtiendra pas non plus là haut. Aussi dit-il : Pardonne-moi, que je trouve le rafraîchissement avant que je m’en aille et ne sois plus (Ps 38, 14). Pourquoi désirons-nous à ce point cette vie dans laquelle, plus on y reste longtemps, plus on se sent écrasé par le fardeau du péché ? Nul jour pour nous ne passe sans péché, ce qui amène l’Apôtre à déclarer : Pour moi vivre c’est le Christ, et la mort m’est un gain (Ph 1, 21) – la première proposition se référant au besoin de vivre, la deuxième à l’utilité de la mort. Comme si le serviteur ne refusait pas de se complaire dans la vie, et comme si le sage embrassait ce gain qu’est la mort. Ce gain, c’est d’échapper à l’accroissement du péché, de fuir le pire et de passer vers le meilleur. Le Christ que nous servons, est donc la vie. Et lui-même constitue le gain de la mort puisque, par celle-ci, nous passons vers lui pour reposer en lui.
Trois genres de mort 4. Il faut notera à ce propos qu’il y a trois genres de mort. La première, la mort du péché, dont il est écrit : L’âme qui aura péché, c’est elle qui mourra (Ez 18, 14), car par le péché on se sépare de Dieu, qui constitue la véritable vie de l’âme. Autre est la mort spirituelle, quand on meurt au péché et qu’on vit pour Dieu (Ga 2, 19), ainsi que le dit l’Apôtre : Nous avons été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême (Rm 6, 4). Par la troisième de ces morts nous achevons le cours de cette vie, et c’est la séparation de l’âme et du corps. Nous remarquons donc que la première est Pour la première partie de ce paragraphe, cf. Ambroise de Milan, De bono mortis 2, 3. a
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mauvaise puisqu’on y meurt en raison du péché ; la deuxième est bonne puisque celui qui sera mort se trouve affranchi du péché (Rm 6, 7). La troisième mort se tient à mi-chemin : elle paraît bonne au juste, tout en étant redoutée de la plupart, puisqu’elle délie tout le monde et n’en délecte que quelques-uns. Mais cela tient beaucoup moins à un vice que serait la mort, qu’à notre faiblesse, car nous sommes captifs de la jouissance du corps et de la délectation de cette vie, dans laquelle pourtant on rencontre plus d’amertume que de bonheur. Les saints et les sages, eux, gémissent devant la longueur de cette errance, estimant bien meilleur de disparaître et d’être avec le Christ (Ph 1, 23).
S’en aller en paix Syméon lui-même, s’il demande de s’en aller dans la paix, c’est parce qu’il attendait le Christ, aussi ajoute-t-il : Car mes yeux ont vu ton salut (Lc 2, 50). C’est comme s’il disait : Tu m’as retenu longtemps, fatigué par une longue attente ; enfin je vois Celui que j’ai attendu. Dès lors tu me libères des scandales de la vie humaine et me laisses aller dans la paix. Tu me laisses aller dans la paix car, selon ta promesse, par le mystère du Verbe incarné, j’ai obtenu d’être réconcilié avec toia. Tu me laisses aller dans la paix, car je le vois, la paix et notre paix c’est lui, qui des deux n’en a fait qu’une (cf. Ep 2, 14). À l’exemple de ce bienheureux vieillard, nous aussi, très chers, recevons en quelque sorte dans nos bras l’enfant Jésus en ce temple qu’est la sainte Église, et représentons dans toutes nos conduites et nos actions cette forme d’humilité qui est celle du Christ. Prions assidûment pour qu’il nous absolve du scandale du péché, et que, réconciliés dans la paix par les souffrances célestes de son amour, nous puissions déjà approcher de la vision de son salut, qui est le Christ Jésus. Que le Dieu de toute grâce, le Père des miséricordes (2 Co 1, 3), nous y conduise par ce même Christ Seigneur, qui vit et règne avec lui. a
Cf. Préface de Noël.
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SERMON 11 SERMON POUR L’ANNONCIATION DE SAINTE MARIE
L’Annonciation : début de tous les mystères chrétiens 1. Ce jour, frères très chers, compte parmi les principales fêtes, car, pour la foi, la totalité de toute la religion chrétienne a reçu là son commencement. En ce jour le monde a été créé, et en ce jour il a été restauré – lit-on – par le sang du Christ. C’est en ce jour, et à l’heure même où le premier homme a été créé dans le paradis, que le Fils de Dieu – l’homme nouveau (Ep 2, 15) – a été conçu dans le sein de la Vierge. Elle constitue, elle, le paradis des pommiers (Ct 4, 13), la source des jardins (Ct 4, 15), car en elle a surgi l’arbre de la vie (Gn 2, 9), d’elle a jailli la source de la sagesse (Si 1, 5) où affluaient toutes les délices, et en elle étaient cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2, 3). On rapporte aussi qu’à l’heure où Adam mangea de l’arbre interdit, le Christ, suspendu à la croix, a bu le vinaigre mêlé de fiel, et qu’à l’heure où Dieu chassa l’homme du paradis le Christ y introduisit le brigand. Tout cela – croit-on – s’est accompli en ce jour-là, aussi la bienheureuse Vierge, en qui et par qui cela s’est réalisé, est magnifiée aujourd’hui à travers la terre entière par toute l’Église comme celle qui donne corpsa au salut.
a
materia.
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Sermon 11
En ce jour-làa les montagnes ont dégoutté de douceur et les collines ont ruisselé de lait et de miel (Jl 3, 18), quand des cieux descendit la rosée, que les nuées firent pleuvoir le juste, quand la terre s’ouvrit, faisant germer le Sauveur (Is 45, 8), sur qui ruissela des cieux toute la plénitude de la divinité (Col 2, 9), au point que, de cette plénitude, nous avons tous reçu (Jn 1, 16), car sans elle nous ne sommes qu’une terre aride. Ce mystère, ce grand miracle, Isaïe l’avait exposé : Un rameau sortira de la souche de Jessé, une fleur montera de sa racine (Is 11, 1). Il voulait faire comprendre que le rameau est la Vierge, et la fleur l’enfant qu’elle met au monde. De fait, qu’a désigné d’avance le bâton d’Aaron, qui a fleuri sans eau, sinon la bienheureuse Vierge elle-même (cf. Ex 7, 12). En outre ce bâton a dévoré celui des magiciens et écrasé l’orgueil des Égyptiens. Par la suite il a germé, fleuri, fructifié sans être planté dans la terre ni vivifié par l’humidité de celle-ci. Mais, par une puissance céleste venue d’en haut, il dépassa l’usage de la nature : ainsi cette Vierge très sainte a détruit toute erreur hérétique et jeté à terre l’orgueil du diable – vierge avant de concevoir, vierge en enfantant, vierge après avoir enfanté.
L’élection de Marie 2. Voici donc la plus belle des femmes (Ct 1, 7), que le Seigneur des puissances lui-même s’était choisie, lui que les anges désirent fixer du regard (1 P 1, 12). Il l’avait aimée et avait convoité sa beauté. Il avait fait en sorte qu’elle en soit avertie longtemps auparavant par son ancêtre David, qui lui dit : Écoute, ma fille, et tends l’oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père (Ps 44, 11). Et à cette condition le Roi désirera ta beauté (Ps 44, 12). Elle a écouté et elle a cru, elle a vu et compris. Elle a tendu l’oreille à l’obéissance et son cœur à la discipline. Elle a oublié son peuple et la maison de son père, car elle ne s’est souciée ni d’accroître son peuple par la succession d’une descendance, ni d’abandonner l’héritage de son À partir d’ici et jusque près de la fin du sermon, l’auteur cite largement Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 1, 2, 3 passim. a
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père. Tout ce qui paraissait comme l’honneur de son peuple, tout ce qui pouvait provenir de la maison de son père, elle s’en est débarrassée afin de gagner le Christ (Ph 3, 8). Elle n’a pas oublié son intention de virginité, elle n’a pas violé son vœu, quand elle a accepté le Christ pour son fils. Car le Créateur des hommes, pour devenir homme, naîtrait d’une femme qu’il a dû choisir entre toutes – bien plus : l’établir comme mère, elle dont il savait qu’elle lui conviendrait et lui plairait. Aussi l’a-t-il voulue vierge pour procéder d’elle immaculé et pur des taches de tous. Il l’a voulue aussi humble pour naître d’elle doux et humble de cœur (Mt 11, 29) et pour se montrer à l’égard de tous l’exemple nécessaire et très salutaire du salut. Ainsi cette Vierge royale, ornée des gemmes des vertus, resplendissant de l’éclat aussi bien de l’esprit que du corps, connue dans les cieux pour son aspect et sa beauté, a frappé le regard des citoyens du ciel, si bien qu’elle a amené l’esprit du Roi à s’incliner dans son désir d’elle, et qu’elle a attiré jusqu’à elle, du haut des cieux, un envoyé céleste. C’est ce qu’aujourd’hui nous mande le saint évangéliste : L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu à une vierge (Lc 1, 26) – oui, par le Très-Haut à une humble, par le Seigneur à la servante, par le Créateur à la créature.
L’entrée de l’ange auprès de Marie 3. Et l’ange entra chez elle et dit : Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi (Lc 1, 27). Où est-il entré pour la rejoindre ? Nous le croyons : dans le sanctuaire pudique de sa chambre, où peut-être, porte close, elle priait son Père dans le secret (cf. Mt 6, 6). Les anges ont l’habitude de se tenir auprès des priants, se plaisant en ceux qu’ils voient lever des mains pures dans la prière (1 Tm 2, 8) ; ils se réjouissant d’offrir à Dieu l’holocauste de bonne odeur qu’est le saint élan de leur cœur. À quel point les prières de Marie ont plu au Très-Haut, l’ange l’indique en entrant chez elle pour la saluer avec tant de vénération. N’allons pas soupçonner
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que l’ange aurait trouvé verrouillée la porte de la Vierge ; certes, elle avait fait vœu de fuir la fréquentation des humains et d’éviter les conversations pour que ne soit pas troublé le silence de sa prière et pour ne pas être tentée dans la continence de sa chasteté. C’est pourquoi cette vierge très avisée avait fermé sur elle son habitation, et si l’ange a pu s’avancer jusqu’à elle, aucun humain n’y trouvait un accès aisé.
Virginité et humilité L’ange entra chez elle et dit : Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit comblée de grâce puisque le Seigneur était avec elle. Il lui donna de tenir la grâce de la virginité et d’acquérir la gloire de la fécondité : il lui avait inspiré un vœu de virginité avant d’être mère et l’avait dotée du mérite de l’humilité. Ainsi celle qui concevrait et enfanterait le Saint des saints serait sainte de corps par cette intégrité, et d’esprit par l’humilité. L’une et l’autre de ces vertus – virginité et humilité – s’avèrent dignes de louange, mais l’humilité se montre plus nécessaire que la virginité : celle-ci fait l’objet d’un conseil, celle-là d’un commandement. À l’une tu es invité, ô homme ; envers l’autre tu es obligé. De la virginité il est dit : Comprenne qui pourra (Mt 19, 12), et de l’humilité il est précisé : À moins de devenir comme ce petit enfant, on n’entrera pas dans le Royaume des cieux (Mt 18, 3). Sans la virginité tu peux être sauvé, sans l’humilité c’est impossible. Sur qui reposera mon esprit, sinon sur l’être humble et paisible ? (Is 66, 2). Cela, il l’a dit de l’humble, non de celui qui garde la virginité. Si Marie ne s’était pas avérée humble, l’Esprit Saint n’aurait pas reposé sur elle. Par conséquent, pour qu’elle conçoive du Saint Esprit, elle dit bien qu’il a regardé l’humilité de sa servante (Lc 1, 35) plutôt que sa virginité. Si elle a plu par sa virginité, c’est grâce à son humilité qu’elle a conçu.
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L’incroyable abaissement de Dieu 4. Grâce à l’une et à l’autre de ces vertus, Marie, avec audace, nomme Dieu, lui le Seigneur des anges, son fils, disant : Mon fils pourquoi nous as-tu fait cela ? (Lc 2, 48). Ainsi Dieu ne dédaigne pas d’être nommé ce qu’il a daigné devenir. Que Dieu obéisse à une femme, quelle humilité sans exemple ! Qu’une femme ait autorité sur Dieu, quelle sublimité sans pareille ! Apprends, homme, à obéir ; apprends, terre, à te soumettre ; apprends, poussière, à obtempérer. De ton Créateur l’évangéliste dit : Et il leur était soumis (Lc 2, 51) – à qui ? Sans nul doute à Marie et Joseph. Rougis, cendre orgueilleuse ! Dieu s’humilie, et toi, tu t’exaltes. Oui, dis-je : Dieu, à qui les anges sont soumis, à qui obéissent Principautés et Puissances (cf. Ep 1, 21), le voici qui se soumet à des humains, alors que toi, tu projettes de dominer sur les humains, te situant ainsi au dessus de ton Créateur ? Aussi souvent que l’homme désire commander à des hommes, aussi souvent il s’efforce de précéder son Dieu. De celui-ci il est dit : Il leur était soumis. Si, comme homme, tu ne daignes pas imiter un autre homme, il ne sera certainement pas indigne de toi de suivre ton Créateur. Si tu ne peux le suivre partout où il ira (Ap 14, 4), daigne au moins le suivre où il est descendu pour toi. Autrement dit : si tu ne peux t’avancer sur le sentier de la virginité, suis du moins Dieu sur le chemin très sûr, par sa rectitude, de l’humilité. De même, si certains se sont écartés des vierges sans pouvoir suivre l’Agneau partout où il ira, qu’ils ne dédaignent pas de descendre vers sa douceur, lui qui restait muet devant le tondeur, muet devant celui qui le tuait (Is 53, 7). Choisir de le suivre dans l’humilité, c’est un parti plus salutaire que celui de l’orgueilleux voulant le suivre dans la virginité, car la satisfaction qu’offre l’humble le purifie de sa souillure, tandis que l’orgueilleux souille sa pureté. Marie se montre donc incomparablement heureuse puisque ne lui manquent ni la virginité ni l’humilité : en elle le mérite de l’une et l’autre de ces vertus s’est trouvé honoré par la fécondité de son enfantement divin. Ainsi donc, nous tous les humains, vénérons l’intégrité de la chair dans la chair incorruptible, admirons dans la Vierge la fé-
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condité, imitons l’humilité de la Mère de Dieu. Que les saints anges aussi, avec nous, honorent la Mère de leur Roi, eux qui adorent l’enfant de notre Vierge, leur Roi et le nôtre, le restaurateur de notre race et le fondateur de leur cité, Jésus le Christ notre Seigneur, à qui reviennent tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.
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SERMON 12 POUR LA FÊTE DE BENOÎT, ABBÉ
Benoît qui a tout quitté pour Dieu 1. Il est juste et bon pour nous, frères très chers, de célébrer avec un élan de cœur plein de joie le passage de notre saint et bienheureux Père Benoît au règne des astresa. Car de lui, comme d’une source lumineuse, a coulé une suavité de grâces spirituelles, et des mérites de sa vie a débordé tout ce qu’on peut voir de force et de grâce dans le peuple de Dieu. Comme le rappelle, dans le récit de sa vie, le bienheureux pape Grégoireb, la grâce de Dieu a prévenu dès son enfance cette fleur du monde, bien qu’aride, lorsque, par amour du Royaume éternel, Benoît a méprisé la maison et les biens de son père. Seul, il a pénétré dans des lieux déserts et dompté courageusement les tentations des jouissances charnelles qui l’infestaient. Ainsi ce que le Seigneur a dit à Abraham, nous lisons que lui, Benoît, l’a parfaitement réalisé : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père (Gn 12, 1). Quitter son pays c’est laisser les biens terrestres que l’on possède. Quitter sa parenté c’est renoncer à tout ce qui, en nous et hors de nous, est né des vices. Quitter la maison de son père c’est tout mépriser à cause de Dieu, et ainsi se renona Les astres sont Abraham et Elie. Bientôt dans ce sermon Benoît fera place à Abraham, puis surtout, pour la plus grande partie du sermon, à Elie dans sa fuite loin de Jézabel – Elie vu comme un type de la pénitence puis de la tension vers la sainteté. b Grégoire le Grand, Dialogorum liber II, Prol. 1. et 1, 3.
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cer soi-même. Voilà ce qui, dans la conduite de notre Père vénéré, brille pour nous comme dans un miroir. Et il est très adéquat, si vraiment nous sommes ses fils, de nous efforcer d’imiter ce que nous venons de considérer : à savoir, à cause de Dieu, abandonner d’abord nos biens, et ensuite de nous délaisser de nous-mêmes. La maison de notre père c’est notre cœur, où notre Père habite en nous (cf. Ep 3, 17). Notre premier père fut le diable en fonction de notre naissance, par quoi nous sommes nés pécheurs. Notre second père est Dieu, en fonction de notre naissance, par quoi nous sommes renés à la justice. Or l’un et l’autre de ces pères entend habiter en ses fils, le diable dans les fils de la colère (cf. Ep 2, 3), Dieu dans les fils de la grâce.
Abraham, type de Benoît 2. Lorsque nous étions à Ur des Chaldéens, dans le feu et l’incendie des démons – à savoir la convoitise et la délectation des réalités terrestres – notre cœur a été la maison du diable, car celui-ci habite en nous, et nous fûmes tous fils de Béor, lui dont il est dit qu’il habite « dans une peau »a. Il ne peut habiter que dans une peau, ce père-là, car il aime les cœurs charnels, il ne repose qu’en ceux qui goûtent ce qui est de la chair (Rm 8, 5) et qui marchent selon la chair. Cette peau constitue la maison de notre premier père, dont il nous est commandé de sortir en renonçant aux mauvais désirs.
Elie, type de Benoît Cette peau représente aussi Jézabel : avec Elie nous devons la fuir très soigneusement. Il est effectivement écrit qu’Elie, par peur de Jézabel, s’enfuit loin de sa présence et partit au désert (1 R 10, 3). in pelle : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3, CCSL 72, p. 62, 25. a
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Jézabel se traduit par « flux de sang »a et désigne la convoitise charnelle qui tue les prophète et supprime les sages en les tenant par divers vices sous son pouvoir très rusé, mais très infâme et pernicieux. C’est pourquoi Elie – c’est-à-dire quiconque tend à la perfection – craignant pour lui de rester dans le pays, s’enfuit à Bersabée, qui se traduit par « sept puits » ou par « puits de la satiété »b. Il s’agit là de la vie religieuse qui déborde de la grâce septiforme de l’Esprit Saint, d’où lui viennent les préceptes de la doctrine ou les flots coulant à satiété : l’enseignement élémentaire, comme du lait pour les ignorants, et pour les doctes une nourriture solide (1 Co 3, 2).
Elie pénitent Il laissa là son jeune serviteur – les actes puérils et les péchés qui font chanceler les enfants – et il alla où le portait sa volonté (1 R 19, 3s), ce qui signifie la délibération de quiconque veut racheter ses péchés, qui cherche un genre de vie adéquat et finalement s’enfonce dans le désert, autrement dit qui quitte le monde, durant un jour de chemin (1 R 19, 3s). 3. Au nombre de trois sont les jours au long desquels cheminent ceux qui sacrifieront au Seigneur, car tout ce que nous offrons doit l’être au nom de la sainte Trinité. Le premier jour, c’est commencer ; le deuxième, faire ; le troisième, parfaire et persévérer. Ou encore : le premier jour, c’est s’éloigner du mal ; le deuxième, faire le bien ; le troisième habiter et demeurer dans le siècle du siècle. De ces trois jours il est dit dans l’Évangile : Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira (Mt 7, 7). Elie, parce qu’il symbolise la pénitence, ne marcha qu’un seul jour, aussi s’assit-il comme pour méditer.
a fluxus vanus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 42, CCSL 72, p. 111, 11. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3, CCSL 72, p. 62, 20.
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Trois saveurs du péché Il faut remarquer que les souvenirs du péché sont au nombre de trois : le premier plaît et délecte de ce qui est mal ; le deuxième irrite par le tourment et la componction qu’il entraîne, il est utile ; le troisième se montre glorieux, il s’avère celui des parfaits.Le souvenir du péché est un plaisir quand l’homme est saisi par le désir et la délectation de pécher, quand il repense aux marmites des Égyptiens (Ex 16, 3), se souvenant de la suavité des délices qu’il a connues alors, et combien pénible fut le chemin où il s’est vu attaqué et poursuivi. Le deuxième souvenir est qualifié de tourment et de componction quand on se rappelle combien sordide et infâme fut la vie qu’on a menée, cela non pour y revenir, mais pour s’en lamenter comme il convient, et se tenir toujours en présence de soi. Aussi est-il dit : Mon péché est toujours devant moi (Ps 50, 5). Tout cela à la manière de quelqu’un qui renouvelle son champ : il coupe les buissons, mais non pas pour les enlever du champ ; au contraire, il les y étend et y met le feu pour que le champ se prête mieux aux semailles et fructifie, conformément à cette parole : Mon cœur a brûlé en moi, et ma méditation l’enflammera (Ps 38, 4). Le troisième souvenir du péché est glorieux : quand un homme revient par sa méditation sur ce qu’il fut, repense à la grâce qui l’a libéré du gouffre de la misère et de la vase du bourbier (Ps 39, 3) et rend grâce à Dieu, disant : Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire (Ps 113, 9). Avec les Israélites libérés de la servitude d’Égypte il chante, plein de reconnaissance : Nous chanterons pour le Seigneur car il est magnifique en sa gloire (Ex 15, 1) ; et avec Zacharie : Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, car il a visité et racheté son peuple (Lc 1, 89).
Le chemin d’Elie au désert 4. Elie donc – c’est-à-dire tout pécheur – a marché un jour de chemin, se souvenant du passé dans une profonde repentance et s’asseyant à l’ombre d’un genêt, un arbre humble et épineux, qui
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signifie la profonde repentance et l’amertume de la pénitence. Puis il s’endormit par lassitude et tristesse, insensible au monde et comme mort, tellement le dégoûtait sa vie passée. Ce qui l’amène à dire : Prends mon âme (1 R 19, 4), c’est-à-dire sa vie naturelle. Or celui qui s’endort ainsi est réveillé par l’ange du grand conseil qui lui dit : Lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera (Ep 5, 14). Aussi est-il écrit : Voici que l’ange du Seigneur le toucha, lui disant : Lève-toi et mange (1 R 19, 5). Ce toucher affecte l’âme, non le corps ; l’esprit, non la chair ; l’homme intérieur, non l’homme extérieur. De la sorte, véritablement, chaque pénitent est touché intérieurement lorsque, par l’abondance d’une componction intérieure, il est conduit jusqu’à l’affliction de la chair.
Pain et eau
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C’est ce qu’exprime la suite du récit : Et voici que près de sa tête se trouvait un pain cuit sous la cendre et une cruche d’eau (1 R 19, 6). Un pain cuit sous la cendre, sur lequel il faut souffler pour le nettoyer, signifie l’âpreté de la nourriture dont usent les pénitents, comme le dit David : La cendre était le pain que je mangeais (Ps 101, 10). Quant à la cruche d’eau, elle signifie les larmes de la repentance, une eau qui lave et refait les forces. Cette repentance, le vase en représente la mesure : à la mesure de la faute sera celle de la peinea, ainsi qu’il est dit : Tu nous donneras une boisson de larmes à pleine mesure (Ps 79, 6). Mes yeux ruisselleront de larmes (Ps 118, 136). Elie mangea et but, puis il se rendormit (1 R 19, 6) dans la paix et une paisible tranquillité de l’esprit, lesquelles, à la suite de la contrition du cœur et la macération du corps, ont été pénétrées par l’esprit du pardon. Puis à nouveau l’ange revint et le toucha, disant : Lève-toi (1 R 19, 7), autrement dit : élève-toi vers les réalités d’en haut, qui sont à espérer ; et mange ce que tu as goûté par avance de la douceur intérieure. Ce qu’il mangera n’est pas précisé, car le goût de cette douceur demeure indicible – davantage : inconnaissable ; on peut l’acquérir, mais il est impossible de l’évaluer. a
Regula S. Benedicti 24, 1.
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5. Pour lui le chemin reste long – oui, l’amour est sans mesure, au point d’avoir incliné Dieu vers cette vallée de larmes (Ps 83, 7) pour s’y anéantir. Grande est la perfection qui a élevé l’homme jusqu’à la droite de Dieu. Celui qui s’est avancé sur ce chemin d’un pied assuré peut dire : Nous avons passé par le feu et par l’eau (Ps 65, 12) – autrement dit par les échecs et les succès.
Trois sortes de pains Il faut remarquer qu’il est parlé du pain de trois manières : le pain purgatif, plein d’amertume, que mangent les commençants et qui est symbolisé par le pain cuit sous la cendre dont s’est nourri Elie. Puis le pain consolateur plein de douceur, dont il est dit : À la mesure des nombreuses douleurs de mon cœur tes consolations ont réjoui mon âme (Ps 93, 19). S’en nourrissent les progressants, et il est symbolisé par celui qu’a mangé Elie la seconde fois. Enfin le pain solitaire, plein de force, car l’amour s’avère robuste et parfait : grâce à sa force Elie a marché quarante jours et quarante nuits (1 R 19, 8). Par la complémentarité du Décalogue et des quatre Évangiles il s’est donc converti à la vie monastique ou à l’érémitisme, signifié par la montagne de Dieu, l’Horeb (1 R 19, 8). Horeb se traduit pas « sècheresse »a et constitue par conséquent le contraire de Jézabel : au flux des désirs charnels s’oppose le vœu desséchant de la sainteté. Nous avons donc à passer dans le pays que Dieu, avec Abraham, nous a montré : pays de la vision, où Dieu sera vu face à face (Gn 32, 31), pays où entre aujourd’hui notre saint Père Benoît, glorieux et illustre, lui que le Seigneur a conduit par des voies droites et à qui il a montré le Royaume de Dieu (Sg 10, 10). En vue de le rejoindre – ses mérites intervenant pour nous – veuille nous conduire Celui qui est le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6), Jésus le Christ, notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 14, CCSL 72, p. 77, 18. a
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Benoît parmi les saints 1. Ce jour, frères très chers, a rendu son exultation reçue du passage de notre bienheureux Père Benoît dans le paradis. Car cette translation l’emmena des abîmes de la boue jusqu’aux palais du Royaume céleste, elle lui donna place parmi les premiers personnages éminents de ce règne le plus haut. Tout ce qu’il avait abandonné en ce monde en s’efforçant d’atteindre la perfection et de tendre vers l’amour de Dieu, il l’a reçu au centuple (cf. Mt 19, 29). Ainsi est-il monté au sommet de la puissance judiciaire. S’il est permis de le dire – la foi étant sauve – il a été mis au nombre des saints, et à bon droit il n’est pas moins estimable qu’aucun d’eux, ces saints que concerne ce passage de l’Évangile où Pierre pose la question : Voici nous avons tout quitté et nous t’avons suivi ; qu’en sera-t-il de nous ? Et le Seigneur de répondre : Amen, je vous le dis à vous qui avez tout quitté et m’avez suivi : Vous siègerez sur douze trônes – entendons : sur les douze tribus d’Israël (Mt 10, 27s).
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Sermon 13
Le sort différencié des élus et des réprouvés Comme l’écrit le bienheureux pape Grégoirea : lors du jugement se présentent deux groupes, les élus et les réprouvés, et chacun de ces groupes comporte deux ordres : les uns sont jugés et périssent, les autres ne sont pas jugés et périssent. Certains sont jugés et sont sauvés, les autres encore ne sont pas jugés et participent au Royaume. Sont jugés et périssent ceux à qui le Seigneur déclare : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire (Mt 25, 42), etc. Il leur est dit précédemment : Allez-vous-en, maudits au feu éternel préparé pour le diable et ses anges (Mt 25, 41). Certains n’ont pas été jugés lors du jugement dernier et périssent, eux dont le prophète déclare : Ils ne ressuscitent pas, les impies, lors du jugement (Ps 1, 5). Le Seigneur en parle en ces termes : Qui ne croit pas est déjà jugé (Jn 3, 18). Or, en réalité, tous les infidèles ressuscitent, mais en vue du tourment, non du jugement. De fait, ceux qui n’ont même pas gardé les mystèresb de la foi n’entendront pas la réprimande du Juge lors du jugement dernier. Ils ne sont pas dignes de percevoir ses paroles qui les condamnent, eux qui n’auront pas voulu conserver, au moins verbalement, une vénération à son égard. Par ailleurs, ceux qui tiennent pour certaine la profession de la foi sans pour autant présenter la mise en œuvre de cette profession, seront condamnés à la perdition, mais du moins ils entendront les paroles du Juge puisqu’ils ont retenu les paroles de la foi. Pour ce qui est des élus, les uns sont jugés et sauvés, eux qui ont couvert de larmes les taches de leur vie, rachetant ensuite par leurs bonnes œuvres leurs fautes passées : tout ce qu’ils ont fait autrefois d’illicite ils l’ont recouvert aux yeux du Juge suprême en multipliant les aumônes. Placés à sa droite, ils l’entendent leur dire : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez À partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe 3 l’auteur puise abondamment dans Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXVI passim. b sacramenta. a
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donné à boire (Mt 25, 35). À quoi s’ajoute ce qu’il vient de dire : Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde (Mt 25, 34).
Les parfaits au delà de la loi 2. D’autres encore ne sont pas jugés et ils règnent : par la vertu de leur perfection ils transcendent les préceptes de la loi ; ils ne se contentent absolument pas d’accomplir ce que la loi de Dieu prescrit à tous, mais par un désir plus éminent ils aspirent à présenter plus que ce qu’ils ont pu entendre des préceptes dans leur généralité. Par la voix du Seigneur il leur est dit : Vous qui avez tout laissé pour me suivre, lorsque le Fils de l’homme siégera sur son trône vous siégerez vous aussi sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël (Mt 19, 28). C’est d’eux aussi qu’un prophète parle en ces termes : Le Seigneur viendra pour le jugement avec les anciens de son peuple (Is 3, 14). Et Salomon, lorsqu’il parle de l’Époux et de l’Église, ajoute : Noble, son mari se tiendra aux portes lorsqu’il siégera avec les anciens du pays (Pr 31, 23). Ceux-là ne comparaissent pas au jugement dernier et ils règnent, car, avec leur Créateur, ils interviennent aussi à titre de juges. Délaissant tout, ils ont agi avec un élan de foi plus rapide que ce qu’ils ont entendu de prescrit en général. Effectivement, autre ce qui est prescrit à tous d’une manière générale, autre ce qui est commandé en particulier aux parfaits ; tout comme est particulier ce que le jeune homme riche s’est entendu dire : Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi (Mt 19, 21). Ceux-là ne relèvent pas d’un jugement général, car par leur vie ils ont dépasséa les préceptes généraux. Ainsi : de même que ne sont pas jugés et périssent ceux qui, affermis dans leur mauvaise foi, méprisent d’accomplir la loi ; de même, sans être jugés, règnent ceux qui, assurés dans la piété, progressent au delà des préceptes de la loi divine. Plus ils sont méprisés a
Littéralement « vaincre ».
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par ce monde pour leur foi, plus ils grandissent vers le plus haut sommet de la puissance lorsqu’ils reçoivent leur siège.
Les saints sont rois 3. C’est ainsi que, à propos du Seigneur, il est écrit dans le livre du bienheureux Job : Il installe les rois sur leur trône à jamais (Jb 36, 7). Il convient que les saints reçoivent le titre de rois selon le témoignage de l’Écriture sainte, car, poussés par toutes sortes de mouvements de la chair, tantôt ils modèrent l’appétit de la luxure, tantôt ils tempèrent l’ardeur de l’avarice, ou encore ils rabaissent la gloire de l’élévation, rejetant la suggestion de l’envie, éteignant le feu de la colère. Ils sont donc rois, ceux qui ne consentent ni ne succombent aux pressions de leurs tentations, mais qui savent les dominer en les régissant et en leur résistant. C’est pourquoi, grâce à ce pouvoir, ils passent à la possession de la rétribution ; en toute justice on dit d’eux : Il installe les rois sur leur trône à jamais. En se dominant eux-même ils se fatiguent temporairement, mais dans le ciel ils sont installés sur leur trône à jamais, tandis qu’ici-bas ils reçoivent le pouvoir de juger dignement autrui dans la mesure où ils savent ne pas s’épargner eux-mêmes indignement. Aussi est-il dit dans un psaume : Qu’il donne de transformer la justice en jugement (Ps 93, 15). Changer la justice en jugement c’est vivre maintenant de manière juste et irrépréhensible, et obtenir le pouvoir de juger. Voilà bien ce que dit le Seigneur dans l’Apocalypse de Jean : Au vainqueur je donnerai de prendre place avec moi sur mon trône, comme moi j’ai vaincu le diable et je siège avec mon Père sur son trône (Ap 3, 21). Vainqueur, le Seigneur affirme avoir pris place avec son Père sur son trône car, après le combat de la passion et la palme de la résurrection, il a fait savoir plus clairement à tous qu’il était égal au Père. Pour nous, siéger sur le trône du Fils c’est juger par la puissance de ce même Fils, car nous recevons de sa force l’autorité du jugement du fait que nous résidons sur son trône.
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Qu’on dise donc : Il installe les rois sur leur trône à jamais, à condition d’ajouter : Et c’est là qu’ils sont exaltés (Jb 36, 7) – comme si, à notre intention, il faisait savoir : ici-bas ils sont abaissés, là haut ils sont exaltés. Car pour les saints ce lieu-ci est un lieu d’abaissement afin que celui-là soit un lieu d’élévation. Aussi est-il écrit ailleurs : Tu nous as humiliés dans ce lieu d’affliction (Ps 43, 20). Ce lieu d’affliction, c’est la vie présente. Ceux qui tendent vers la vie éternelle se méprisent eux-mêmes en ce temps dans le lieu de l’affliction, pour alors se voir exaltés véritablement dans le lieu de la joie
Benoît, modèle et intercesseur
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4. Tout cela notre vénérable Père, dont nous célébrons en ce jour la fête, l’a compris avec sagesse dès son âge tendre ; il a méprisé la fleur du monde, préférant endurer des maux plutôt que de favoriser pour lui les agréments, et choisissant de se fatiguer dans les peines plutôt que de s’élever dans les marques de faveur. Qui possédera plus glorieusement que lui la vie éternelle ? En raison de celaa, bien-aimés, jouissons de ce que ce très salutaire docteur a institué, avec le plus grand soin mettons nos conduites et nos actes en accord avec son enseignement. Car aussi chastement et sobrement que s’organise la vie selon notre vœu, elle se couvre d’une certaine poussière inhérente à notre existence terrestre ; et l’éclat des esprits créés à l’image de Dieu n’est pas tellement à l’abri de la fumée suscitée par toute la vanité. Qu’aucune souillure ne puisse l’obscurcir, et qu’il ne soit pas toujours nécessaire de les expier par la médecine de la pénitence. Et même si notre conscience ne peut se rendre compte de l’une ou l’autre de ces choses, on n’échappe pas pour autant aux yeux de Dieu : d’un seul regard ils voient tout au plus intime des cœurs ; à ce regard se dévoilent non seulement les actes et les pensées, mais ce qu’on fera et ce qu’on pensera. À ce savoir du souverain Juge, à ce regard qui doit faire trembler, tout ce qui demeure caché est accessible, tout secret est à déa
Pour les lignes qui suivent, cf. Léon le Grand, Tractatus 43, 3.
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couvert, et l’obscurité s’éclaire ; ce qui est muet se met à répondre, le silence se met à confesser, l’esprit sans voix à s’exprimer. De ce Juge qui suscite un tel effroi, faisons approcher, pour le rendre propice, le Père et le protecteur très particulier de notre profession monastique. Que tout ce qui est nécessaire à notre salut, et que nos mérites sont incapables d’atteindre, nous puissions l’obtenir grâce à son intervention. Avec le secours de notre Seigneur Jésus le Christ qui, avec le Père et l’Esprit Saint, vit et règne, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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Benoît et Élisée 1. Nous célébrons en ce jour, frères très chers, la fête de notre saint Père Benoît : saint, glorieux et aimé de Dieu, lui que le Seigneur et Sauveur de tous a orné d’innombrables mérites de vertus. Même s’il en fait un ornement qui s’étend à l’Église universelle, toutefois pour nous il l’a consacré comme notre protecteur particulier, nous qui avons entrepris de vivre selon le propos qu’il a institué. Aussi ne semble-t-il pas inadéquat qu’il endosse en sa personne ce qui fut dit par l’Apôtre : Vous êtes notre gloire comme vous la nôtre lors du jour du Christ (2 Co 1, 14). Dès sa petite enfance il a méprisé la fleur du monde et les biens de la maison de son père, s’efforçant de plaire à Dieu seul et de s’attacher au biena. Ce n’est pas le langage de la persuasion humaine qui l’a instruit, mais la grâce plus efficace de l’Esprit septiforme qui l’y a incité en le prévenant. Celui-ci l’a élevé à travers les progrès quotidiens de ses mérites vers la gloire des miracles et les dons de la prophétie, au point qu’on l’a considéré comme rempli de l’esprit de tous les justes. Car, sans nous arrêter à plusieurs miracles, que le récit de sa vie manifeste d’égale valeur à ceux des saints qui l’ont précédé, il y a celui du fils décédé d’un paysan : pour pouvoir le ressusciter, ce vénérable Père fléchit les genoux et se coucha de a
Cf. Grégoire le Grand, Dialogorum liber II, Prol. 1.
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tout son long sur le corps de l’enfant ; puis, les mains tendues vers le ciel, il se répandit en prière devant le Seigneura. Voilà qui rappelle tout à fait la manière dont Élisée s’y est pris pour ressusciter le fils de la Sunamite. Cela sera plus manifeste si l’on rappelle le texte même de l’histoire sainte et si l’on montre à quel point concorde la puissance de l’un et de l’autre – Élisée et Benoît. Un jour qu’Élisée passait à Sunem une femme de qualité qui vivait là l’invita à manger. Chaque fois qu’il passait par ce lieu il se rendait chez elle pour manger (2 R 4, 8) – et toute la suite jusqu’à cette phrase : L’enfant bailla sept fois et ouvrir les yeux (2 R 4, 35). Cette histoire nous l’avons citée, bien-aimés, pour que la ressemblance des faits nous assure que l’esprit d’Élisée abonde aussi dans notre bienheureux Père, dont nous vénérons en ce jour, avec un solennel élan de ferveur, le passage au ciel.
Interprétation allégorique de la résurrection opérée par Élisée 2. Tout ce qui s’est exprimé au temps des prophètes véhiculait une certaine image des réalités à venir. L’Apôtre le dit : Tout ce qui leur arrivait en figure a été écrit pour notre instruction (1 Co 10, 11). Aussi devons-nous non seulement nous réjouir de la nouveauté extérieure de ce miracle, mais aussi scruter avec soin ce que cet acte comporte intérieurement de mystère et ce qu’il apporte d’édification. Cette femme qui a reçu le prophète et lui a offert l’hospitalité peut bien suggérer l’origine du peuple d’Israël, du temps des patriarches. Par conséquent, tout comme cette femme reçut le prophète Élisée, elle a obtenu d’offrir l’hospitalité au Seigneur des prophètes. À cette femme qui n’avait pas d’enfant, le prophète fit cette promesse : En ce temps-là et à cette même heure, si Dieu te conserve la vie, tu seras enceinte d’un fils. Elle lui répondit : Non, je ne demande rien, mon seigneur, homme de Dieu, ne trompe pas a
Cf. Grégoire le Grand, Dialogorum liber II, Prol. 2.
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ta servante. – La femme conçut et enfanta un fils le jour et à l’heure qu’avait annoncés Élisée (2 R 4, 16s). Par la suite, l’enfant ayant grandi, il fut atteint, lors de la moisson, d’un mal de tête, et vers midi il mourut. C’est ainsi, oui ainsi que le peuple d’Israël fut engendré de la chair des patriarches selon la promesse de Dieu. Après avoir grandi en Égypte, il fut conduit par Moïse au désert Dans le feu et la tempête il avait entendu la voix du Seigneur quand il dut être éclairé par la lumière de la connaissance. Mais bientôt, revenant en esprit au culte des idoles, il mourut. Élisée dit à Giézi, son serviteur : Ceins tes reins, prends en main mon bâton, étends-le au dessus du visage de l’enfant (2 R 4, 29). Le serviteura, envoyé par Élisée avec son bâton, ne ressuscita pas luimême l’enfant ; mais Élisée vint, il s’étendit et se rassembla sur les membres du mort ; puis il déambula ici ou là avant de venir souffler sept fois dans la bouche du mort, et par le ministère de la compassion il le ranima aussitôt et le ramena à la lumière. Quelle signification donner à cela ? Sinon que Dieu, le Créateur du genre humain, se lamenta comme de la mort d’un enfant, lorsque, avec pitié, il vit que nous nous étions éteints sous les javelots de l’iniquité. Par Moïse il apporta la terreur de la loi, et c’est comme s’il envoyait son bâtonb par son serviteur. Par la loi Dieu tenait son bâton lorsqu’il disait : si quelqu’un agit comme ceci ou cela il mourra de mort (Ex 21, 10s). De la mort du péché, la crainte ne réussit pas à nous ressusciter, mais la grâce respirant la mansuétude nous releva et nous remit en vie. Ainsi donc la venue du serviteur muni du bâton ne réussit pas à ressusciter le mort, car, comme Paul l’atteste : La loi n’a rien conduit à la perfection (Hé 7, 10). Alors Dieu vint lui-même, et sur le cadavre il s’étendit humblement et se rassembla pour coïncider avec les membres du mort. Effectivement, alors qu’il existait dans la condition de Dieu, il s’anéantit, prenant la condition du serviteur – et la suite, jusqu’à : Il s’est comporté comme un homme (Ph 2, 6s).
À partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe, cf. Claude de Turin, Commentarius in libros Regum IV, passim. b virga, et non baculum comme ci dessus. a
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Le Seigneur a déambulé ici ou là, car il appela la Judée jusqu’à ses populations lointaines. Sur le mort il souffla sept fois, car, mettant en œuvre le don de Dieu, il insuffla la grâce de l’Esprit septiforme en ceux qui gisent dans la mort du péché. Il mit ses yeux sur ceux de l’enfant, sa bouche sur la sienne, ses mains sur les siennes, et bientôt l’enfant bailla sept fois pour se redresser vivant. Ainsi celui que le bâton de la terreur n’a pu ressusciter, l’homme, par l’Esprit d’amour, l’a ramené à la vie. 3. Ce n’est pas peu de chosea ce que la force de la confiance offre au peuple des fidèles. Car ce grand prophète (Lc 7, 15), puissant en œuvres et en paroles (Lc 24, 19), descendit de la très haute montagne des cieux et daigna, dans sa miséricorde pour ce mort, visiter ce peuple qui n’est que poussière et cendre (Gn 18, 27). Il s’est incliné vers le gisant, il s’est contracté pour coïncider avec ce petit, il lui a donné en partage la lumière de ses yeux ; d’un baiser de sa propre bouche il a délié sa bouche muette, et par le toucher de ses mains il a fortifié ses mains défaillantes. Cela en une seule fois il l’a offert à toute l’humanité ; et chaque jour nous le percevons actif en chacun de nous, accordant à notre cœur la lumière et l’intelligence, à notre bouche la parole qui édifie, à nos mains l’œuvre de justice. Il donne de percevoir avec foi, de parler utilement, d’œuvrer efficacement. C’est là un filin triple, difficile à rompre (Qo 4, 12), pour extraire les âmes de la puissance du diable et les entraîner à la suite du Christ vers le règne des cieux – cela si tu perçois avec justesse, si tu parles dignement et que tu le confirmes par ta vie. De ses yeux il a touché les nôtres, ornant le front de l’homme intérieur par ces clairs luminaires que sont la foi et l’intelligence. À notre bouche il a joint la sienne, imprimant sur le mort le sceau de la paix. Alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5, 8), il nous a réconciliés avec Dieu, nous qui étions morts à la justice. Il a posé ses mains sur les nôtres, leur donnant l’exemple des bonnes œuvres, la règle de l’obéissance. L’enfant, est-il dit, bailla sept fois (2 R 4, 35). Il lui aurait suffi, pour manifester la gloire du miracle, de bailler une seule fois ; À partir d’ici et jusque près de la fin du sermon, l’auteur se réfère à Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 16, 2–13 passim. a
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mais, dans sa multiplicité, le nombre sept nous signale un mystère. Si nous sommes attentifs à ce très grand corps privé de souffle qu’est le genre humain, nous voyons en tout lieu l’Église, ce corps qui a reçu la vie du prophète, étendu sur lui. Il a baillé sept fois parce que, sept fois le jour, il a l’habitude de proclamer la louange du Seigneur (Ps 118, 164). Il est encore d’autres baillements : sept expériences sans lesquelles n’est ni vrai ni sûr le salut de l’esprit revenu à la vie : quatre d’entre elles concernent le sens de la profonde repentance, et trois se rapportent à l’expression de la confession.
Deux hontes, deux craintes 4. À chacun de trouver en totalité le sens de la vie, pour autant qu’il ressente sa conscience mordue par une quadruple et profonde repentance : une double honte, une double crainte. Jérémie le saint n’observe-t-il pas ce nombre de quatre dans la plainte qu’il élève ? Et nous donc, retenons dans notre lamentation cette même forme que le prophète : pensons Dieu comme notre Créateur, pensons-le comme Père, pensons-le comme Bienfaiteur, pensons-le comme Seigneur. Accusés de tout, nous nous plaignons en détail. À la dernière et à la première de ces appellations de Dieu que réponde notre crainte, à celles qui sont au centre la honte.
La honte face à la bonté de Dieu Le Père n’est pas à craindre puisque précisément il est Père : il a en propre de faire miséricorde et d’épargner. S’il frappe ce n’est pas avec un bâton, et lorsqu’il frappe, il guérit. Quand il frappe c’est pour corriger, jamais pour se venger. Lorsque nous estimons avoir offensé le Père, cela entraîne assurément la honte, mais cela ne nous terrifie pas. Il nous faut avoir honte d’avoir agi d’une manière indigne de notre race, d’avoir vécu en dégénérés envers un tel Père, de n’avoir pas rougi de préférer des réalités vaines et caduques – dont la fin est la mort – à l’amour du Père éternel et à
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son honneur. Or même s’il n’était pas Père, il nous couvrirait de bienfaits, pour ne rien dire de ses autres innombrables grâces. Cela en fournissant la nourriture à ce corps et l’usage du temps, et en dispensant par dessus tout le sang de son Fils unique pour nous racheter, nous qui sommes adoptés et rachetés. Toutefois que notre âme rougisse de honte et se désole, car même si lui, le véritable Bienfaiteur, donne tout en abondance, il ne convient pas de revendiquer ni d’élever des reproches, et pas non plus de se montrer ingrat et sans mémoire. Que nous fasse honte l’ingratitude. Et au cas où notre dureté de cœur serait si grande que cette double honte nous resterait étrangère, qu’alors se dresse la crainte.
La crainte face à l’autorité de Dieu 5. Écartons quelque peu ces aimables appellations de Bienfaiteur et de Père, et que notre esprit se tourne vers des titres plus austères. Car si on lit : Père de miséricorde et Dieu de toute consolation (2 Co 1, 3), on lit aussi : Seigneur, Dieu des vengeances (Ps 93, 1), Dieu Juge juste (Ps 7, 12), fort, terrible dans ses conseils concernant les fils des hommes (Ps 65, 5). En effet, c’est en raison de lui-même qu’il a fait toutes choses (Ps 16, 4), comme en témoigne l’Écriture. Si donc il défend pour nous ce qui est nôtre et le conserve, pensons-nous qu’il ne réclame pas de nous quelquefois d’honorer sa prééminence ? Pourquoi l’impie a-t-il irrité Dieu ? Il dit en effet dans son cœur : Il ne recherchera pas (Ps 9, 34). Et qu’est-ce que dire en son cœur : Il ne recherchera pas, sinon craindre que précisément il ne recherche ? Or il réclamera jusqu’au dernier sou (cf. Mt 5, 26). Il recherchera auprès du racheté le service, l’honneur et la gloire – oui, de celui qu’il a modelé. Il est vrai que comme Père il ne s’en préoccupe pas, et que, Bienfaiteur, il ignore cela ; mais ce n’est pas le cas du Seigneur et du Créateur. Et s’il ménage le fils, il n’épargne pas la créature, il n’épargne pas le mauvais serviteur. Pensons à ce que représente de redoutable et d’affreux le fait de mépriser notre Créateur et celui de tous, d’offenser le Seigneur de majesté. Or il relève de la majesté d’être crainte, c’est le propre du
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Seigneur d’être craint – et surtout de cette majesté-là, de ce Seigneur-là. Voici Celui qui est à redouter : celui qui, après avoir tué le corps a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne (Lc 12, 5). Je redoute la géhenne, je redoute le visage du Juge ; les puissances angéliques aussi doivent faire trembler. Je tremble face à la colère du Tout Puissant, je tremble devant les dents des bêtes infernales, le ventre de l’enfer, le ver qui ronge, le feu torrentiel. Les ténèbres extérieures (Mt 8, 12) me font horreur. Qui donnera à ma tête de l’eau et à mes yeux une source de larmes ? (Jr 9, 1s), pour que par les pleurs je prévienne les pleurs et les grincements de dents. Qui se trouve dans ces dispositions a sans nul doute maîtrisé sa sensibilité et, dans une double honte et cette non moins double crainte, a baillé à quatre reprises.
Une confession humble, pure ou simple… 6. Les trois élémentsa qui restent, il les ajoutera, les tirant de la confession, et l’on ne dira plus qu’il n’a ni voix ni intelligence. Tout ce qui mord sa conscience, qu’il le confesse humblement, avec pureté et confianceb. D’abord humblement, car il existe une confession orgueilleuse par laquelle certains, après avoir revêtu l’aspect extérieurc de la sainteté, se vantent impudemment – dans un esprit encore de ce monde – du mal qu’ils ont commis dans le passé ; ils exultent à le rappeler. Et non seulement cela, mais nous pouvons aussi dévoiler en nous ce qui s’avère déshonnête et ignoble dans le dessein non pas d’être humbles, mais de faire penser que nous le sommes. Car le véritable humble veut qu’on le tienne pour vil, il ne souhaite pas qu’on le tienne pour humble du fait qu’il apparaît infâme. Une telle confession, qui recherche l’apparence de l’humilité, n’est pas une vertu : non seulement elle n’obtient pas le pardon, mais elle provoque la colère.
Cf. ci dessus, à la fin du paragraphe 5. fidelis traduit ici par « confiant » en raison du contexte. c habitus. a
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Ensuite, que la confession soit simple. Qu’elle ne se plaise pas à excuser l’intention, qui échappe aux humains si elle se veut une accusation. Dans ce cas ce n’est pas une confession mais une auto-défense ; elle n’apaise pas, elle provoque. En fin de compte qu’on n’allège pas la faute, qui est grave, ce qui démontrerait de l’ingratitude. Plus on diminue la faute, plus on amoindrit aussi la gloire de Celui qui pardonne et l’on repousse son pardon ; on rabaisse le don du Donateur. Par ailleurs ne te mets pas à l’ombre de la faute d’un autre, puisque personne ne t’y force malgré toi : pense à l’exemple du premier homme, qui n’a pas avoué sa faute ni recherché le pardon. Pas de doute, il s’est joint aux reproches faits à sa femme. Il s’agit bien d’une sorte d’excuse quand tu te défends en accusant un autre. C’est ce que David nomme des paroles de perversité pour excuser le péché (Ps 140, 4) – en désirant que le cœur ne s’y infléchisse pas. Et à bon droit, certes. Car il pèche contre son âme celui qui s’excuse et qui ainsi rejette loin de lui le remède du pardon ; de sa propre bouche il ferme la porte à la vie et de ses lèvres, comme d’une pointe, il se transperce lui-même.
… et confiante 7. Il importe finalement, pour que la confession soit confiante, que cette nécessité-ci s’ajoute de toute manière aux deux qualités précédentes. De fait, a-t-il été utile pour Saül d’avoir confessé son péché en réponse aux reproches de Samuel (1 S 15, 30) ? Aucun doute, cette confession, qui plaida coupable, n’a pas diminué la faute. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas procédé de la foi, mais du méprisa. Comment donc le Dieu fidèle et l’humble Maître dédaignerait une confession humble et confiante, lui dont la promesse fiable fait habituellement grâce aux humbles ? Il n’aurait abso-
Le mépris, d’après le contexte, n’est pas celui qu’éprouverait Saül, mais celui qu’il suppose de la part de Dieu ; or c’est bien là une manière de mépriser la grâce de Dieu. a
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lument pas pu ne pas s’apaiser si l’humilité qui s’exprime par la bouche du croyant avait ses racines dans le cœur. Judas, qui a livré le Seigneur, et Caïn le fratricide, ont confessé leur crime, mais ils n’ont pas fait confiance. L’un dit : J’ai péché, livrant le sang du juste (Mt 27, 4), et l’autre : Trop grande est mon iniquité pour obtenir le pardon (Gn 4, 13). Véridique est leur confession, mais sans confiance ; elle ne leur sert de rien. Pour qu’elle soit véritablement confiante, il faut que tu confesses dans l’espérance, que tu ne te défies pas de la miséricorde et que, par toi et dans ta bouche, tu ne vises pas à te justifier, mais à te condamner. Ces trois conditions de la confession, jointes aux quatre qui précèdent, constituent ensemble le septénaire de la profonde repentance. Dès lors qu’on s’est ainsi profondément repenti et qu’on s’est ainsi confessé, on se reconnaîtra certainement débiteur pour sa propre vie et son existence envers Celui qui a pu et voulu réaliser de si grandes choses : il ressuscite véritablement les morts et leur redonne la vie, mais par la suite il ne rend pas vain le bâton dont il nous avait d’abord menacés. Dès maintenant tournons nos vœux vers notre bienheureux Père dont nous célébrons en ce jour, avec les puissances d’en haut, le passage vers les récompenses du ciel, et que nous honorons à notre mesure par des louanges festives. Prions en même temps, et demandons que, grâce à son intervention, nous qui, par nousmêmes sommes faibles en tout, recevions la puissance et la force de courir avec persévérance sur le chemin des commandements de Dieu – avec son secours…
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SERMON 15 POUR LE JOUR DES RAMEAUX
La passion, exemple d’humilité, de patience, d’obéissance 1. La passion de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ nous est rendue présente en ce jour dans la lecture et dans la procession par laquelle nous suivons la croix. Nous la célébrons solennellement pour que, par un élan fervent qui revient chaque année, notre mémoire en soit plus joyeusement rafraîchie et que notre foi s’exprime plus clairement. Aussi est-il adéquat, au sujet de la passion du Seigneur, qu’une prédication s’adresse à votre charité, une prédication que lui-même nous aura donnée. Car, pour notre salut, notre Seigneur, par ce qu’il a souffert de la part de ses ennemis, nous a fourni un exemple de patience, de sorte que, par lui, nous ne refusions d’endurer rien de ce qu’il daigné endurer. Lui-même, dans sa chair mortelle, n’a rien enduré par nécessité, mais il a tout affronté volontairement, et ce n’est nullement par la passion qu’il est parvenu à la plénitude de son mérite. Il a pourtant voulu souffrir et mourir. Ainsi sa passion et sa mort seraient pour nous un exemple et une cause : l’exemple de la vertu et de l’humilité, la cause de la gloire et de la liberté ; l’exemple d’une obéissance à Dieu jusqu’à la mort, la cause d’une liberté et d’un bonheur inamissibles. En supportant la mort et la passion il nous a mérité l’entrée au paradis et la rédemption qui libère du péché, de
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la peine et du diablea. Par sa mort voici ce que nous avons reçu : la résurrection et l’adoption dans la gloire des fils de Dieu, puisque, en mourant, il est devenu le sacrifice de notre libération.
Libérés du péché par la mort du Christ
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2. Comment, par sa mort, nous a-t-il rachetés au diable, au péché, et nous a-t-il ouvert un accès à la gloire ? Dans le mystère de son conseil, Dieu avait décidé, après le péché, de ne pas introduire l’homme dans le paradis, autrement dit de ne pas l’admettre à la contemplation de Dieu, à moins que dans un des hommes se manifeste une si grande humilité qu’elle pourrait valoir pour tous, à la manière dont, dans le premier homme, l’orgueil avait été si grand qu’il fit le malheur de tous les siens. Mais non, il ne s’est pas trouvé parmi les hommes quelqu’un capable de remplir cette condition, sinon le lion de Juda, qui ouvrit le livre et en brisa les sceaux (Ap 5, 5), accomplissant toute justice (Mt 3, 15), c’est-à-dire l’humilité la plus extrême, telle qu’il ne peut s’en présenter de plus grande. Tous les autres s’avéraient des débiteurs et c’est à peine si à chacun pouvaient suffire sa vertu et son humilité. Par conséquent nul d’entre eux ne pouvait offrir un sacrifice qui suffise à notre réconciliation. Mais le Christ fut l’homme adéquat et le sacrifice parfait, son humilité pour goûter la mort se montre beaucoup plus grande que l’orgueil d’Adam pour jouir coupablement du fruit défendu. Si donc son orgueil entraîna la ruine de tous en le chassant du paradis et en en fermant à tous la porte, à combien plus forte raison l’humilité du Christ, par laquelle il goûta la mort, fut capable de réaliser le décret de Dieu et d’ouvrir à tous le Royaume des cieux. Oui, si grave était notre péché que nous ne pouvions être sauvés à moins que le Fils unique de Dieu ne meure pour nous, qui sommes débiteurs de la mort. Non, il n’aurait pu nous sauver autrement que par sa mort ; il ne pouvait, par un autre sacrifice, nous donner Même si ce n’est pas dans cet ordre, cette phrase fixe le plan des développements qui suivent. a
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accès au Royaume et se faire notre salut, sinon par sa mort de Fils unique, dont l’humilité et la patience furent telles que, par son mérite, s’ouvrirait pour les croyants l’accès au Royaume des cieux. Ainsi donc grande est la faveur qui nous est octroyée dans la mort du Fils unique pour qu’il nous soit permis de revenir dans la Patrie – et qui plus est : de recevoir la rédemption qui nous libère, on l’a dit, du diable, du péché et de la peine. Du diable donc, et du péché, nous sommes libérés par la mort du Christ, car, comme le dit l’Apôtre : Par son sang nous sommes justifiés (Rm 5, 9). Et puisque justifiés, libérés du péché, nous sommes aussi libérés du diable, qui nous tenait dans les liens du péché. Or si nous sommes délivrés des péchés c’est que, comme le dit encore l’Apôtre, l’immense amour de Dieu envers nous s’est manifesté en ce qu’il a livré (Rm 8, 32) son Fils à la mort pour nous, pécheurs (Rm 5, 8).
Libérés du diable 3. Par ce gage qui nous est révélé d’une si grande dilection envers nous, nous sommes motivés et enflammés à aimer Dieu qui a tant fait pour nous ; par conséquent nous sommes justifiés car, libérés des péchés, nous voici devenus des justes. Ainsi la mort du Christ nous justifie en éveillant l’amour dans nos cœurs (Rm 5, 5), et par la foi en sa mort nous sommes purifiés de nos péchés, lui que Dieu a exposé comme instrument de propitiation par la foi en son sang (Rm 3, 25). C’est ainsi qu’autrefois ceux qui regardaient le serpent d’airain élevé sur le bois se trouvaient guéris des morsures des serpents (Nb 21, 8s). Si donc nous portons un regard de droiture sur Celui qui pour nous est suspendu au bois (Ga 3, 13), nous sommes libérés des liens du diable pour qu’après cette vie il ne trouve plus rien à punir en nous. Par sa mort, dans un unique et très véritable sacrifice, le Christ a éteint ce qu’il y avait de faute en nous, en raison desquelles le diable nous détenait en vue des supplices destinés à nous laver ; de la sorte, en cette vie, il ne pourrait l’emporter sur nous par ses tentations. Il est vrai, en effet, qu’après la mort du Christ, il nous
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tente par les moyens qu’il utilisait auparavant, mais il lui est impossible de vaincre comme il le pouvait auparavant. C’est ainsi que Pierre, avant la mort du Christ, l’a renié, terrifié par la parole d’une servante (Lc 22, 56s) ; mais après la mort du Christ il n’a cessé, conduit devant les rois et les gouverneurs, de le confesser (Mt 10, 18). Pourquoi ? Parce qu’un plus fort, le Christ, est venu dans la maison du fort – notre cœur, habité par le diable ; il a lié le fort (Mt 11, 29), l’empêchant de séduire les fidèles, pour que la tentation qui lui est encore concédée ne soit pas suivie d’effets. C’est ainsi que, dans le sang du Christ qui délie ce qui retient captif, les rachetés sont vainqueurs des convoitises invisibles, et même des Puissances de l’air, nos ennemis (Ep 2, 2). Le diablea ne trouva rien dans le Christ de quoi le faire mourir, mais conformément à la volonté de Dieu (cf. Jn 5, 30), le Christ a voulu mourir, lui qui n’avait aucune raison de mourir à cause du péché. C’est par obéissance, et en raison de la justice, qu’il a goûté le mort par laquelle il nous a rachetés de la servitude du diable. Nous étions tombés au pouvoir du Prince de ce monde qui a séduit Adam, il en fait son serviteur et nous a pris pour nous posséder comme des esclaves. Mais est venu le Rédempteur qui a vaincu le Trompeur. Il lui a tendu ce piège qu’est sa croix, où il a disposé comme appât sa chair. Le diable a répandu le sang de Celui qui ne lui devait rien, et s’est ainsi privé de la possession d’un débiteur, car ce qui lui permettait de nous tenir, le sang du Rédempteur l’a détruit. Il nous tenait en effet par les liens des péchés à titre de chaînes de captifs. Le Christ est venu, il a enchaîné le fort par les liens de sa passion, il est entré dans sa maison – leur cœur – où le diable habitait. Les récipients que ce dernier avait remplis d’amertume en nous arrachant et en nous faisant siens, le plus fort en a répandu l’amertume et les a remplis de douceur, rachetant les pécheurs de leurs péchés par sa mort et les ramenant à l’adoption des fils de Dieu.
D’ici et jusqu’à la fin du paragraphe, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Hebraeos 2. a
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Libérés de la peine déjà et pas encore 4. Par voie de conséquence nous avons déterminé le troisième des effets de la mort du Christ : il nous a libérés de la peine, de la peine temporelle et de la peine éternelle. En supprimant la dette éternelle il nous en a libérés absolument en ce monde et dans l’avenir, lorsque le dernier ennemi – la mort – sera détruit (1 Co 15, 26). Car nous attendons encore la rédemption de notre corps (Rm 8, 23). Concernant l’âme, nous sommes déjà rachetés en partie, mais non pas totalement de la faute ni de la peine, ni absolument de la faute. De fait nous n’en sommes pas rachetés de telle manière qu’elle n’existerait plus, mais qu’elle ne nous domine pas. Bien que chacun soit justifiéa, il lui reste, tant qu’il est dans ce corps, à pouvoir se montrer éprouvé et à s’améliorer. Qui ne progresse pas régresse, et qui n’a rien acquis n’a rien non plus à perdre. Il nous faut donc courir par les pas de la foi, les œuvres de la piété, l’amour de la justice pour que, en célébrant spirituellement le jour de notre rédemption, ce ne soit pas avec le vieux levain de la perversité et de la méchanceté, mais avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité (1 Co 5, 8), de manière à obtenir de participer à la résurrection du Christ, lui qui vit avec et règne le Père…
a
D’ici et jusqu’à la fin du sermon, cf. Léon le Grand, Tractatus 59, 8.
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SERMON 16 POUR LE JOUR DES RAMEAUX
L’entrée de Jésus lors des Rameaux : le salut 1. Toute la postérité du premier homme s’écroulait ensemble, marquée d’une unique blessure, et aucun mérite des saints ne pouvait la soustraire à cette condition de la mortalité. Alors vint du ciel un médecin unique qui anima d’un souffle de vie spirituelle l’homme modelé à partir du limon de la terre, pour restituer à sa dignité perdue notre nature rejetée de la citadelle d’éternité. Il était son Créateur, il serait son recréateur, orientant son conseil vers ce but : user davantage de la justice de la raison que de la puissance pour détruire la condamnation venant du diable. Cette œuvre de la restauration humaine, il ne pouvait la réaliser qu’en souffrant la mort. Or, exempt de toute faute, il n’était astreint pour aucune raison à subir la mort et n’était redevable à aucune puissance étrangère qui le forcerait à mourir. Mais il jugea adéquat d’avoir à souffrir et il accourut de son propre chef en ce jour vers le lieu de sa passion. De fait, la lecture du saint Évangile l’atteste : Comme il approchait de Jérusalem et parvenait au mont des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, leur disant : Allez au village qui est en face… (Mt 21, 1s). Souvent Jésus est venu à Jérusalem, mais jamais en recourant au service de bêtes de sommes, ni en organisant autour de lui une ornementation de rameaux, ni en excitant les esprits dans le
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peuple en vue d’une louange pleine de respect de sa divinité – sinon maintenant qu’il est monté en vue de souffrir la passion. Si donc il est entré, entouré d’une gloire telle qu’elle susciterait encore davantage la jalousie de ses adversaires, c’est que le temps de la passion était arrivé, non que la mort le pressât, mais lui la forçait à se dresser contre lui. Quand les Juifs voulurent tuer le Christ ils ne pouvaient mettre la main sur luia, et quand il s’engagea sur les pas de la mort ils ne purent la lui épargner. Par conséquent, si le Christ les provoqua, faut-il en déduire qu’il les rendait innocents de sa mort ? Point du tout. Il les excita non pas à faire ce qu’ils n’auraient pas voulu auparavant, mais à aller jusqu’au bout de ce qu’ils voulaient auparavant : le pouvoir leur en était donné, sans y pousser leur volonté.
Allégorie du récit biblique : Juifs et païens 2. Voilà pourquoi, cinq jours avant d’entrer dans sa passion, il se rendit au lieu de cette passion, suggérant par là, de manière évidente, que s’il se soumettait à la passion, ce n’était pas malgré lui, mais de son plein gré. Il a voulu venir sur un âne, se faire appeler Roi et recevoir la louange d’une foule. Il faisait savoir ainsi qu’il était ce Christ dont la prophétie d’autrefois avait révélé la venue : cette prophétie que les scribes et les pharisiens, même s’ils la lisaient, n’avaient su comprendre, aveuglés par leur jalousie. Quant à nous, choqués par leur aveuglement impie, suivons plutôt l’élan de ceux qui ont loué le Seigneur, et scrutons allégoriquementb son cheminement dans un exposé spirituel, comme il convient. L’ânesse et son ânon, sur lesquels il était assis en venant à Jérusalem, représentent les simples de cœur de l’un et l’autre peuple : les Juifs et les païens. En les gouvernant par la foi et l’amour il les garde par son pouvoir des actes coupables et les
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Mt 21, 46 ; Jn 10, 39. mysticum.
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conduit vers les hauteurs à la vision de la paix. Jérusalem en effet se traduit par « vision de la paix »a. Pour se procurer ces bêtes de somme il envoya deux apôtres, car c’est par deux commandements généraux que le genre humain se trouve délivré de ses liens, à savoir : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, et ton prochain comme toi-même (Lc 10, 27). Par ces deux commandements tout péché est chassé et toute justice accomplie. À moins qu’on ne s’arrête à ces deux autres : Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, ne le fais pas aux autres (Tb 4, 16), et Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le aussi pour eux (Mt 7, 12). Vous trouverez, leur dit-il, une ânesse attachée, et son ânon avec elle. Détachez-la et amenez-la moi (Mt 21, 2). L’un et l’autre peupleb se trouvaient entourés par les liens des péchés et avaient besoin d’une délivrance divine, l’un de la loi qu’il avait reçue mais dont il avait mal usé, l’autre qui ne l’avait jamais reçue et demeurait sous le péché.
Un Roi doux et humble
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3. Et si quelqu’un vous dit quelque chose, dites : Le Seigneur en a besoin, et il les renverra aussitôt (Mt 21, 4). Même si quelqu’un tentait peut-être de s’opposer à ce que les pécheurs soient délivrés des liens du diable, et à ce qu’ils soient conduits vers Dieu par la confession de la foi, il ne pourrait pas cependant faire obstacle au salut de ceux que Dieu a prédestinés à la vie éternelle. À cela s’applique le témoignage du prophète pour faire apparaître que le Seigneur a accompli tout ce qui était écrit de lui : Dites à la fille de Sion : voici que ton Roi vient à toi, doux, monté sur une ânesse et son ânon, petit d’une bête de somme (Mt 21, 5). La fille de Sion, c’est l’Église des croyants, en rapport avec la Jérusalem d’en a Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 9. b D’ici et jusqu’à la fin du paragraphe 4, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 3 passim.
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haut, qui est notre mère à tous (Ga 4, 26). Son Roi est doux, il n’a pas l’habitude d’offrir aux violents mais aux doux, autrement dit aux humbles, le pays de la paix, le règne du ciel. Il leur dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes (Mt 11, 29). Il est assis sur une ânesse et un ânon, petit d’une bête somme, car il repose dans le cœur des humbles, des paisibles, qui tremblent à ses paroles (Is 66, 2). Les disciples lui amenèrent l’ânesse et l’ânon, ils y déposèrent leurs vêtements et firent asseoir dessus le Seigneur (Mt 21, 7). C’est comme s’il n’avait voulu monter aucun animal nu, ce par quoi il signifie symboliquement ceci : à moins de s’orner des œuvres de justice, signifiées par les vêtements des disciples, on ne peut avoir le Seigneur pour conducteur. C’est au contraire le péché qui règne alors dans le corps mortel de cet homme en vue d’obéir à ses convoitises (Rm 6, 12).
Les rameaux : les exemples des saints 4. Alors des foules nombreuses étendirent leurs vêtements sur le chemin (Mt 21, 8). Cette foule nombreuse symbolise les innombrables martyrs qui ont donné leur corps, enveloppe de leur âme, pour le Seigneur, de manière à offrir aux élus qui les suivent un sentier aplani pour vivre avec droiture. D’autres coupaient aux arbres des rameaux et en jonchaient le chemin (Mt 21, 8). Les rameaux signifient les exemples laissés par les pères qui nous précèdent. Et quiconque déploie en exemples de droiture, dans la foi et les comportements, ce qu’ont dit et fait les prophètes, les apôtres et tous les autres saints, coupent des rameaux aux arbres. Par ceux-ci s’aplanit le chemin de l’âne qui porte le Seigneur, car c’est extraire ainsi des livres des saints des citations qui édifient le cœur des simples voués au Christ, pour qu’ils n’aillent pas errer hors du chemin de la vérité. Or les foules qui précédaient et celles qui suivaient criaient : Hosanna au Fils de David (Mt 21, 9). Unique était le cri de confession et de louange exaltant le Seigneur, aussi bien de la part de ceux qui
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précédaient que de ceux qui suivaient. Car identique est la foi de ceux qui, avant l’incarnation du Seigneur, se sont montrés éprouvés. Certains traduisent hosanna par « gloire », d’autres par « rédemption », d’autres encore par « salut »a. Car la gloire est due et la rédemption appartient à Celui qui rachète tous les humains et les sauve par l’effusion de son précieux sang.
Jésus venu au nom du Père 69
5. Bénib soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21, 9). Oui, le Christ est venu au nom de Dieu le Père, car en tout ce qu’il a dit et fait il eut le souci de proclamer la gloire du Père et de le glorifier auprès des humains. Ce qui se trouve repris dans la conclusion de cette parole : Hosanna au plus haut des cieux – ce qui signifie le « salut » – annonce la venue du Seigneur dans la chair non seulement sur la terre pour le salut du genre humain, mais aussi pour les anges dans le ciel. Car en nous rachetant et en nous ramenant vers la hauteur, il complète aussi leur nombre diminué par la chute de Satanc. C’est donc à juste titre que l’on chante : Hosanna au plus haut des cieux à la louange de Celui dont toute l’incarnation avait pour but et s’est organisée en vue de réaliser la gloire de la Patrie céleste. Il s’avère par conséquent indispensable pour nous, mes frères, de tendre vers cette Patrie de tout l’élan de notre esprit. Souvenons-nous que, même si le chemin se montre étroit par lequel on y entre, heureuse est la demeure vers laquelle nous nous hâtons. Plus heureux assurément l’âpre chemin qui conduit au Royaume que le voie agréable et aplanie qui mène au supplice (Mt 7, 13). Plus heureuse aussi la maîtrise de la chair en ce temps en vue d’obtenir
salvifica : Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 29. b D’ici jusque près de la fin du paragraphe 7, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 3. c Il est traditionnel depuis les Pères de considérer que les justes comblent, dans l’édifice qu’est l’Église du ciel, les places vides laissées par les anges déchus. a
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la joie éternelle, plutôt que de payer d’une punition éternelle la débauche qui n’aura duré que peu de temps.
La fête de pâques : joie ou confusion ? 6. Avec l’aide du Seigneur, voici que nous avons accompli la majeure partie du jeûne du carême. Pour chacun sa conscience en témoigne : plus on se souvient de s’être étroitement abandonné au Seigneur durant ces jours saints, plus on attend avec grande joie le saint temps de la résurrection du Seigneur. Et si quelqu’un se voit peut-être encore accusé par sa conscience trop peu amendée, nul ne peut mettre en doute que c’est craintif et tremblant qu’il attend l’arrivée d’une si grande solennité. Pourtant, qu’un homme de cette espèce ne doute pas du salut et que, dans la confusion où le jettent le nombre et l’énormité de ses fautes, il ne tombe pas dans l’abîme de la désespérance, selon cette parole de Salomon : Parvenu au plus profond du mal, il méprise (Pr 18, 3). Mais qu’il prenne attentivement conscience de ceci : si le temps de la fête solennelle où l’on se réjouit de la résurrection de notre Créateur remplit de joie les chastes ou de crainte et de confusion les impurs, à combien plus forte raison sera-ce le cas lors du jugement sévère où l’on célébrera la résurrection générale de tous. En entendant la sentence du Juge, la conscience pure des uns se réjouira, hors de peine, et la mauvaise conscience des autres, en les accusant, les condamnera à jamais.
Redoubler d’ardeur 7. Ainsi donc, frères très aimés, que tous ceux qui, dès le début du carême, ceints des armes de la maîtrise de soi, se sont mis à combattre l’orgueilleux Tentateur, prennent grand soin de ne pas abandonner ce qu’ils ont commencé, avant d’avoir vaincu l’ennemi et de se confier au service des anges. Mais que celui qui, jusqu’à maintenant, n’a pas revêtu l’armure des vertus, s’y mette dès au-
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jourd’hui : aujourd’hui qu’il s’engage dans les œuvres de la foi avec les foules des croyants. Qu’il implore la bonté de Celui qui, en venant au nom du Père, a apporté au monde la bénédiction ; et qu’en proclamant : Hosanna au plus haut des cieux, il demande instamment d’être sauvé dans la Patrie d’en haut. Qu’il étende ses vêtements sur le chemin, autrement dit que dans le présent il humilie les membres de son corps pour que Dieu les exalte dans l’avenir, qu’il se souvienne de cette parole de David : Ils exulteront, les os humiliés (Ps 50, 10). Qu’il coupe aux arbres des rameaux et en jonche le chemin – autrement dit que soigneusement il rappelle à sa mémoire les écrits des saints. Ils affermissent en effet ceux qui sont debout pour qu’ils ne tombent pas (1 Co 10, 12), ils exhortent ceux qui sont tombés pour qu’ils ne demeurent pas à terre plus longtemps ; ceux qui se relèvent, ils les instruisent pour les exercer aux vertus ; ceux qui s’exercent aux vertus, ils les élèvent pour qu’ils espèrent les récompenses dans le ciel ; et ceux qui sont en route ils les protègent pour qu’ils ne se heurtent pas à la pierre d’achoppement ou au rocher qui fait tomber (1 P 2, 8). C’est ainsi que, avec tous les autres croyants, on suit les traces du Rédempteur et que, dans une juste pureté de l’esprit, on vénère les mystères de la passion et de la résurrection. Ces mystères, Jésus Christ a daigné les offrir à tous les élus, ses membres, à titre de remèdes pour leurs blessures, en même temps que de prémices de la joie du ciel – lui notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint…
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SERMON 17 POUR PÂQUES
La nuit et le jour de Pâques 1. La plus sainte et la plus célèbres de toutes les célébrations, frères très chers, c’est la solennité de la joie pascale, consacrée à la résurrection de notre Seigneur et Sauveur Jésus le Christ. Par sa sainteté elle ne fait pas seulement la gloire de ce jour, mais par la clarté de sa sanctification elle irradie déjà les ténèbres de la nuit dernière. C’est pourquoia, faisant à juste titre mémoire, cette nuit, de notre rédemption, nous avons tenu pour Dieu de dignes vigiles par des prières, comme aussi par des lectures qui nous racontaient les grâces reçues, et nous avons pris soin de les écouter. Puis nous avons célébré la messe en immolant à nouveau à Dieu, au profit de notre salut, le corps et le sang précieux et très saints de notre Agneau, par qui nous avons été délivrés de nos péchés. Très justement, dis-je, nous avons passé la nuit à veiller et à chanter des hymnes pour l’amour de Celui qui, par amour de nous, a voulu s’endormir dans notre mort et s’en réveiller. Comme le dit l’Apôtre : Il est mort pour nos fautes et ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25). Il montre ainsi que, au moment même où il est mort sur la croix, il ressuscitait d’entre les morts. C’est aux environs de la neuvième heure, comme le jour déclinait déjà et comme s’avançait le soir, qu’il a porté à son accomplisa
D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 7.
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sement le mystère de sa très glorieuse passion ; il fait comprendre ainsi avec évidence que s’il a enduré la croix, c’est pour enlever les fautes par lesquelles nous sommes tombés de la lumière et de l’amour de Dieu dans la nuit et l’errance d’ici-bas. Et il est ressuscité au matin du premier jour de la semaine – qu’on appelle « jour du Seigneur » ou dimanche – manifestant qu’il nous conduira, ressuscités, de la mort de l’âme à la lumière du bonheur perpétuel. Voilà pourquoi, frères très chers, comme nous avons célébré cette nuit illuminée par la grâce essentielle de la résurrection du Seigneur, il est indispensable de célébrer en ce dimanche les fêtes pascales avec une conscience pure et sobre, en nous adonnant à des louanges portées par un digne élan de ferveur.
L’ange annonciateur du Ressuscité
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2. Écoutons le bienheureux évangéliste qui, par des témoignages véridiques, prouve la vérité de la résurrection du Seigneur et suscite la joie de notre célébration non seulement par ce qu’affirme la parole de l’ange, mais aussi par la lumière qu’apporte le récit : L’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s’assit. Son aspect était celui de l’éclair, ses vêtements étaient blancs comme la neige… (Mt 28, 2s). En venant l’ange s’acquitte de son devoir : le service du Seigneur. En roulant la pierre il n’a pas pour but d’ouvrir pour que sorte le Seigneur, mais en vue d’indiquer aux hommes que cette sortie est déjà accomplie. À juste titre il se présente assis, en tant que héraut de la résurrection, pour signifier que le Christ, vainqueur du Responsable de la mort, est monté sur le siège d’un règne éternel. Oui, l’ange siégeait sur la pierre qu’il avait roulée et qui fermait l’entrée du tombeau, pour faire savoir que les barres bloquant les enfers ont été vaincues et privées de leur force. Aussi tous ceux que le Christ y trouverait et y reconnaîtrait comme siens, il les soulèverait jusqu’à la lumière et au repos du paradis – selon cet oracle prophétique : Pour toi aussi, par le sang de l’alliance, j’ai fait sortir tes captifs de la fosse où il n’y a pas d’eau (Za 9, 11).
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L’aspect de l’ange était celui de l’éclair et ses vêtements étaient blancs comme la neige pour signifier que Celui dont il annonçait la gloire de sa résurrection se révélait terrible pour condamner les réprouvés et bienveillant pour réconforter les élus. Comme indice de ce discernement de Dieu, l’ange lui-même, par son apparition, terrifie les impies qui gardaient le tombeau et, comme des morts, les jette à terre, tandis qu’il réconforte d’une consolation pleine de bonté les femmes très pieuses venues visiter le tombeau. Sachant qu’elles étaient en quête de Jésus, il leur annonce qu’il est ressuscité. Et aussitôt il leur enjoint de proclamer la joie de sa résurrection, les chargeant ainsi d’un ministère plein d’honneur et d’allégresse. Quelle joie pour ces femmes, averties par la parole de l’ange, de pouvoir annoncer au monde le triomphe de la résurrection. Mais combien plus grande la joie pour les âmes des hommes et des femmes – autant qu’ils seront au jour du jugement – frappés de peur et dignes de punition : oui, secourus par la grâce du ciel ils auront alors obtenu de triompher de la mort et d’entrer dans la joie de la bienheureuse résurrection.
Le Ressuscité à la rencontre des disciples 3. Les disciples accourent, et Jésus vient à leur rencontre pour leur annoncer la bonne nouvelle ; il les salue en se montrant le chemin des vertus pour les commençants, afin qu’ils puissent parvenir au salut et y courir avec son aide. Or elles s’approchèrent et étreignirent ses pieds (Mt 28, 8). Il leur permit de tenir ses pieds pour leur montrer sa chair véritable et leur faire savoir que des mortels peuvent le toucher. Allez, leur dit-il, allez annoncer à mes frères d’avoir à se rendre en Galilée ; là ils le verront (Mt 29, 10). O quelle merveilleuse bonté du Sauveur, quelle admirable bienveillance ! Avant sa passion il avait daigné les appeler disciples, et quelquefois serviteurs ; mais après sa résurrection il les nomme ses frères. Il les dresse ainsi, eux aussi, vers la couronne immortelle qu’ils ont à se promettre et à espérer, cette couronne que lui, Jésus, avait déjà reçue en ressuscitant.
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Passer, traverser En prédisant qu’ils le verraient en Galilée il a enseigné symboliquement ce qui s’est accompli en lui et ce qui s’accomplirait en nous. Car la Galilée se traduit par « transmigration »a. C’est très bien qu’il se fasse voir des disciples en Galilée, lui qui déjà est passé de la mort à la vie, de la corruption à l’incorruptibilité (1 Co 15, 42), de la peine à la gloire. Or nous aussi, par la joie de la résurrection, nous pourrons jouir de cela un jour, si maintenant nous avons à cœur de passer de la corruption des vices aux œuvres des vertus. Par conséquent il nous faut courir avec le plus grand zèle, mes frères, et puisque nous célébrons solennellement la résurrection de notre Seigneur et Sauveur, nous avons à passer par les continuels progrès des bonnes œuvres pour contempler son élévation. D’autant que la pâque que nous célébrons se traduit par « passage »b. De la sorte nous honorons vraiment et fructueusement les fêtes pascales si, par un très salutaire passage, nous émigrons du diable vers le Christ et de l’instabilité de ce monde au Royaume très solidement fondé. Oui, nous passons vers le Dieu qui ne passe pas, de manière à ne pas passer avec ce monde passager C’est bien pourquoi la première pâque que le peuple de Dieu a célébrée le fut par l’immolation et la consommation de l’agneau pascal (Ex 12, 4ss) quand, fuyant l’Égypte ils ont traversé la Mer Rouge. La délivrance physique de ce peuple symbolise assurément notre délivrance spirituelle, qui s’est accomplie cette nuit par la résurrection du Seigneur d’entre les morts. Les Égyptiens, oppresseurs physiquec de ce peuple, figurent les armes plus dures encore des débauches spirituelles qui oppriment le genre humain soumis à une domination impie. Or, par sa venue, l’Agneau immaculé a daigné être immolé pour nous : il a donné son sang pour prix
Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 64, CCSL 72, p. 140, 25. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 64, CCSL 72, p. 140, 21s. c D’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 4. cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 7. a
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de notre salut, et par sa mort, qu’il a accueillie en ce temps, il a condamné à jamais l’empire de la mort.
L’agneau contre le lion L’Agneau tué dans son innocence a vaincu avec puissance les forces du lion qui l’avaient tué. L’Agneau qui a enlevé les péchés du monde (Jn 1, 29) a écrasé le lion qui a apporté le péché au monde. L’Agneau, qui refait nos forces par la libation de son corps et de son sang pour que nous ne périssions pas, tue par la flèche d’une perdition éternelle le lion qui rôde autour de nous en rugissant (1 P 5, 8). L’Agneau a marqué nos fronts du signe de sa mort pour rejeter loin de nous les traits mortels de l’Ennemi. C’est ainsi que l’ordre fut donné par la loi de marquer du sang de l’agneau le seuil, les montants et le linteau des portes des maisons où ils mangeaient : cela pour que ces quatre endroits marqués du sang signifient les quatre parties de la croix du Seigneur, par le signe de laquelle nous sommes libérés. Par ces quatre endroits le Christ a chassé l’Adversaire de notre liberté et de notre paix, qui nous tendait ses pièges en secret, comme un lion dans sa tanière (Ps 10, 9). Cette nuit les maisons des croyants avaient été marquées par le sang de l’agneau immolé, et ceux-là avaient mangé sa chair. Ainsi le Seigneur est venu soudain, punissant ceux qui s’étaient exclus du mystère céleste, et rachetant au contraire le peuple qu’il voyait imprégné des mystères du salut. De même notre Seigneur et Rédempteur, en offrant au Père pour nous son corps et son sang, a renversé le pouvoir du diable, menacé l’audace des esprits immondes, brisé les portes de l’enfer. Les élus, qui pourtant se tenaient là au sein du reposa, il les en a arrachés en ressuscitant cette nuit d’entre les morts, et les a conduits vers les joies du Royaume des cieux.
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Ce sont les morts de la première alliance dans leur attente du Christ.
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Se préparer avec vigilance à la résurrection 4. Il ne se contente pas d’emporter ceux qu’ils trouvent dans les enfers, mais à ceux qu’il sait encore dans la chair – à nous en particulier –, à tous ceux dont il prévoit qu’ils seront croyants à la fin des temps, il a procuré un remède de salut par sa mort et sa résurrection. Pour nous, même avant notre création, il a consacré un aliment spirituel de vie par lequel nous serions recréés : le signe de sa victoire, pour nous défendre contre les embûches des ennemis ; il a ouvert le chemin de la vie éternelle, ce chemin que nous suivons. Prévenus par de si nombreux et si grands dons de la grâce, nous nous réjouissons de célébrer chaque année les mystères de la résurrection du Seigneur et de notre relèvement. Par conséquent prenons grand soin, très chers, d’embrasser ces mystères par l’amour intérieur de notre esprit ; conservons-les en les retenant sans cesse par notre vie, en les ruminant par la parole de notre bouche, à la manière des animaux purs, en les repassant maintenant dans les pensées de notre cœur. Et avant tout, soucions-nous de mener activement notre existence de telle manière que nous méritions de regarder avec joie l’événement de notre résurrection. Lorsque retentira la trompette finale en vue de réveiller tout le genre humain et de l’appeler au tribunal du juste Juge, que le sceau de notre Rédempteur, par lequel nous sommes consacrés, nous préserve du sort des réprouvés. Et que la vigilance dans laquelle nous nous préparons à son avènement nous sépare des négligents. Prions avec vigilance le Christ notre pâque, qui a été immolé (1 Co 5, 7), pour qu’il nous donne de prolonger dignement les joies commencées de la célébration pascale, et par là de parvenir aux joies éternelles.
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SERMON 18 SERMON POUR LE JOUR DES RAMEAUX
L’humilité du Christ… 1. Le docteur des païens (1 Tm 2, 7), l’instrument d’élection (Ac 9, 15), pour nous inciter à rechercher la vertu de la véritable humilité, ne nous a pas proposé d’autre exemple que le Seigneur lui-même. Et à juste titre, car Celui-ci est Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus, (1 Tm 2, 5), source et origine de toutes les vertus. Dieu lui a donné l’Esprit sans mesure (Jn 3, 34) ; de cette si grande plénitude il aura voulu puiser pour nous cette unique vertu : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 20). À partir du moment où il a pris sur lui l’humilité, il est parvenu par le chemin de l’humilité jusqu’à la mort de la croix. C’est là que se manifeste au mieux l’éminence de cette vertu, à laquelle correspondent cette action d’hier – la procession – et la lecture de la passion. L’éminent prédicateur ne s’est donc pas donné la peine de prouver la puissance du Christ, mais de proclamer son obéissance et de montrer combien grande est la grâce de son humilité, combien grande la progression qu’il a réalisée. Il dit en effet : Ayez en vous les dispositions qui furent dans le Christ Jésus : de condition divine il n’a pas estimé devoir ravir l’égalité avec Dieu, mais il s’est anéanti lui-même, prenant la condition du serviteur ; devenant
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semblable aux hommes, il s’est comporté comme un homme…(Ph 2, 5ss). Pour évoquer l’indicible humilité de notre Libérateur, il a commencé par dire son indicible sublimité dans sa nature divine. De la même manière le saint évangéliste Jean parlera de l’humilité par laquelle Jésus s’est incliné dans un humble amour jusqu’à laver les pieds de ses disciples (Jn 13, 5ss) ; mais il a pris soin auparavant de faire connaître cette puissance sur toutes choses qu’il avait reçue de Dieu. Il le dit : Jésus sachant que le Père avait tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va à Dieu, se leva de table… (Jn 13, 3s). L’un et l’autre, l’apôtre et l’évangéliste, s’efforcent de persuader que la faiblesse de cette homme humilié est d’autant moins à mépriser – davantage : d’autant plus à vénérer – qu’elle serait élevée par la majesté invaincue de Celui qui s’est humilié de son bon vouloir. Il montrerait ainsi que chez l’homme l’orgueil doit être châtié avec une sévérité d’autant plus grande que même l’exemple d’une telle sublimité n’a pu infléchir la raideur de sa nuque.
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2. Il est une humilitéa due au labeur et à la fatigue, il en est une autre de l’ordre de la vertu et du vœu, à laquelle se tient le juste, quelles que soient les circonstances favorables ou adverses. Aucune peine ne le brise, quel que soit l’incertain du combat, il montre à tous une attitude humble ; loin de s’élever, il s’efforce bien plutôt de minimiser la valeur et la grâce de son œuvre et de son mérite. Écoutons le juste s’humilier : Je suis, dit-il, le moindre des apôtres (1 Co 15, 9). Lui, l’instrument de l’élection de Dieu, lui le docteur des païens, se dit le plus petit, indigne de porter le titre de cette charge. Ce qu’il a manifesté par ses œuvres, il n’en réclame rien pour lui-même, mais l’attribue totalement à la grâce de Dieu. C’est ce qui convient aussi à chacun. Par cette humilité, Abraham, lui, est nommé le père de la foi (cf. Rm 4, 10) : tout en diaD’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Ambroise de Milan, Expositio Psalmi 118 20, 16–21. a
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loguant avec Dieu, il se dit terre et cendre (Gn 18, 25). Le Seigneur lui-même, qui ne recherche pas ses propres intérêts mais ceux d’autrui (1 Co 10, 24), lorsqu’il parlait de la passion de son corps, dit : Moi je suis un ver, non un homme, l’opprobre et l’abjection du peuple (Ps 21, 7). Nous, de même, ne réclamons ni la noblesse de classe ni les richesses, si nous voulons suivre le Christ. Il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur (Ph 2, 7), Il s’est fait pauvre, de riche qu’il était (2 Co 8, 9). Toi, ô homme, ne méprise pas le peuple sous prétexte que tu es noble, ne regarde pas de haut le serviteur sous prétexte que tu es puissant, ne dédaigne pas le pauvre sous prétexte que tu es riche. Serais-tu plus noble, plus puissant, plus riche que le Christ ? Lui, pour toi, s’est abaissé jusqu’à la mort, la mort de la croix (Ph 2, 8) pour abolir ta chute par orgueil, afin que ce que nous avions perdu par la désobéissance du seul Adam, nous le retrouvions par l’obéissance du seul Seigneur Jésus. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au dessus de tout nom… (Ph 2, 9).
En nous rachetant le Christ ne perd rien 3. Considère, ô homme, ce que tu lis, prête attention à ce que tu entends, si tu reçois cela avec des oreilles simples : le Christ a exalté l’humilité, or par cette humilité il ne recherchait pas ce qui était sien mais ce qui était tien ; à ton profit il a racheté ton salut. Comprends cela comme tu veux : il est ton salut ; si tu penses que son humilité profite au Christ, à qui alors ne profitera-t-elle pas ? Si Dieu l’a exalté, qui n’y trouvera sa croissance ? Le Seigneur s’est fait le serviteur de tous et le créateur de tout, et c’est ainsi qu’il a été battu, qu’il a été crucifié, est mort. Mais tout cela – je le vois – ce n’est nullement au détriment de sa divinité, je reconnais le progrès de ses œuvres : lui qui n’avait rien à ajouter à sa puissance, il avait de quoi à ajouter au culte de sa gloire. J’ose l’affirmer, il aurait perdu le gain de son œuvre si son humilité ne l’avait retrouvé. Ainsi nous rachète-t-il, mais c’est aussi pour lui. L’humilité n’entraîne pour lui aucune perte. Lui
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qui s’est anéanti demeure intacta ; il n’a pas considéré devoir ravir l’égalité avec Dieu, mais il a pris la condition de serviteur (Ph 2, 7) à la gloire de Dieu le Père (Ph 2, 11). J’ai reçu Celui que je ne connaissais pas, j’ai appris à connaître Celui que j’ignorais, je confesse Celui que je niais, j’adore Celui qu’auparavant je fuyais. Pour lui je fléchis le genou de mon corps, pour lui je plie le genou de mon esprit.
Associés au Christ 4. Nous te rendons grâce, Seigneur Jésus, de ce que tu nous nous as créés, mais nous reconnaissons plus encore que, en tant qu’homme, tu nous as visités. Oui, les dons de ta visite dépassent ceux de la première création. Tu as commencé par créer les animaux muets, puis tu as honoré ceux que tu visitais en les associant à ta gloire, disant : J’annoncerai ton nom à mes frères (Ps 21, 23). En assumant un corps tu t’es fait notre frère, mais sans cesser d’être le Seigneur. Vraiment plus grande est la grâce de la rédemption que celle de la création. Par celle-ci tu as voué à la mort l’homme sans reconnaissance, par celle-là tu as racheté par ta propre mort l’homme en danger, ainsi qu’il est écrit : Mieux vaut qu’un seul homme meure pour tout le peuple (Jn 18, 14). Des morts, tu en as ressuscité, disant : Détruisez ce temple, en trois jours je le relèverai (Jn 2, 19). Dans ce temple, qui est le corps du Christ, il a étendu à tous le droit à la résurrection. Tu as égalé aux anges les ressuscités, ainsi que tu l’as affirmé : Ceux qui ne se marient pas sont comme les anges dans le ciel (Mt 22, 30). Et finalement tu les as placés à la droite de Dieu sur le trône du Fils de l’homme, comme toi-même tu as daigné le dire : Désormais le Fils de l’homme siégera à la droite de la puissance de Dieu (Lc 22, 69). C’est bien pourquoi l’Apôtre admire les dons de la bonté de Dieu : Dieu riche en miséricorde en raison du grand amour dont il nous a aimés (Ep 2, 4). Tu entends, ô homme, en quoi tu devrais être riche, quelles vertus tu dois posséder : aimer Dieu, le prouver en a
plenus.
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toi-même, imiter les bienfaits de la miséricorde et de l’amour célestes. Et l’Apôtre d’ajouter : Alors que nous étions morts du fait de nos péchés, Dieu nous a fait renaître avec et dans le Christ Jésus, par la grâce de qui vous êtes sauvés ; il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux dans le Christ Jésus (Ep 2, 5s).
Apprendre du Christ l’humilité Oui, dans le Christ la chair est honorée. Lui donc qui siège à la droite de Dieu s’est humilié pour nous. Aussi nous dit-il : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Il n’a pas dit : Apprenez de moi que je suis puissant, mais que je suis humble de cœur, afin que toi, tu l’imites et que tu puisses lui dire : Seigneur j’ai entendu ta voix (Gn 3, 10 vg), j’ai accompli ton commandement. Tu nous as dit d’apprendre de toi l’humilité : nous l’avons apprise non seulement par ta parole, mais par ton action. J’ai fait ce que tu as commandé : Vois mon humilité (Ps 118, 153). Le bon athlète montre ses membres pour prouver la rigueur de son entraînement. Or toi, ô homme, montre l’humilité de ton cœur pour manifester la valeur de ta vertu ; montre aussi les combats que mène ton corps pour pouvoir dire : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi (2 Tm 4, 7), et pour que le Juge spirituel, en voyant cela, puisse te décerner la couronne de la justice, lui qui vit et règne…
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SERMON 19 COMME CI-DESSUS
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La laideur du Crucifié, notre beauté 1. Ce jour, vous le savez, frères, porte le titre de « dimanche des Rameaux » car aujourd’huia des foules munies de rameaux se sont portées à la rencontre du Seigneur et ont accueilli son triomphe avec des louanges (Mt 21, 8–9). Voilà pourquoi nous sommes avertis d’abord de triompher des vices par la modération, puis, avec les palmes de la victoire, d’accueillir le Christ qui vient à nous. Puisque en ce jour nous faisons une procession, allons au devant du Christ avec les enfants. Dans cette procession la croix précède, et nous la suivons, car il nous est recommandé de suivre le Christ crucifié, et nul ne pourra y parvenir à moins d’être crucifié pour le monde avec ses convoitises (Ga 5, 24). Derrière la croix nous avançons en chantant pour manifester qu’en elle nous nous glorifions avec l’Apôtre Paul (Ga 6, 14). De fait, si le Christ a porté sa croix sur ses épaules, c’était pour qu’en elle nous nous glorifiions. Il nous la révèle comme le sceptre de son règne, ce qui entraîne une grande décision de la part des impurs et ce qui constitue un grand mystère pour les croyants. Cet opprobre d’un Christ défiguré, nous n’en rougissons pas, au Pour ce paragraphe et le début du suivant, cf. Honorius d’Autun, Gemma animae III, 72 ; Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Galatas 6 ; Ambroise de Milan, Expositio Psalmi 118 14, 19–20. a
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contraire nous le vénérons et cette enlaidissement du Christ fait notre beautéa. Si lui n’avait pas été défiguré, l’homme n’aurait pas retrouvé la beauté qu’il avait perdue. Défiguré, le Christ pendait à la croix, mais cette laideur était notre beauté. En cette laideur nous nous glorifions, nous en portons le signe sur le front.
Vénérer l’Humilié 2. Non, dis-je, nous n’en rougissons pas, mais avec l’Apôtre, qui dit se glorifier dans la croix, nous nous réjouissons. Il aurait pu dire qu’il se glorifiait dans la sagesse, la puissance, la majesté de Dieu, et il aurait dit vrai. Mais cela n’aurait pas eu autant de grandeur que de se glorifier dans la croix, laquelle attire les insultes des impies et les moqueries des sages de ce monde (cf. 1 Co 1, 23). Heureux celui qui se glorifie plus de l’humilité que de la puissance. La puissance est trompeuse, l’humilité ne déçoit pas. Bonne est l’humilité, car cette vertu trouve sa louange chez le Christ. Je la vénère en lui plus que la création, car nous avons été créés pour la peine, nous avons été rachetés pour le repos. En appelant les peuples à sa miséricorde, il se glorifie de son humilité, disant : J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, mes joues aux soufflets, je n’ai pas détourné mon visage des outrages et des crachats (Is 50, 6).
Se glorifier dans la croix Apprenons de lui, qui a voulu nous enseigner, ce qui nous sera profitable, et il nous dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes (Mt 11, 29). Rien de banal en cela quand il dit : Apprenez ; et il précise : Apprenez de moi. Non, nul ne peut enseigner l’humilité en se montrant lui-même gonflé d’orgueil, si d’un esprit charnel il s’élève par une sagesse humaine. C’est pourquoi à juste titre Paul avait placé sa a
deformitas Christi nos format.
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gloire dans l’humilité de la croix du Christ : Pour moi il est exclu de me glorifier sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ. C’esta comme si on lui demandait : pourquoi te glorifies-tu dans la croix du Christ ? À quoi cela sert-il ? Il répond : par lui le monde est crucifié pour moi afin qu’il ne mette pas la main sur moi, et le monde l’est pour moi (Ga 6, 14) afin que je ne mette pas la main sur lui. Non, dans le monde je ne désire rien, et lui-même ne reconnaît rien en moi qui lui appartienne. Par la croix du Christ les convoitises du monde n’ont pas d’emprise sur moi, et le monde ne s’impose pas à moi. Or il arrive souvent qu’un homme, en esprit, ne tienne pas au monde, mais que le monde l’assujettisse par ses occupations ; ainsi l’homme est mort au monde, mais le monde, vivant, porte sur lui son regard, alors que cet homme, attentif à autre chose, s’efforcet-il de s’arracher à lui pas ses actes. Puis que, de la sorte, Paul ne cherchait pas la gloire du monde et que celle-ci ne le recherchait as, il se glorifie de se voir crucifié pour le monde et de voir le monde crucifié pour lui. Rien de plus glorieux à ses yeux que de pôrtefr l’opprobre du Christ.
En vue de susciter la reconnaissance 3. L’ignominieb de la croix lui est une grâce, lui qui n’est pas sans reconnaissance pour le Crucifié. Car ce n’est pas une chose anodine que de s’être anéanti soi-même jusqu’à la chair, jusqu’à la mort, jusqu’à la croix. Qui pourrait mesurer dignement tout ce que cela représente d’humilité, de mansuétude, de faveur de la part du Seigneur de gloire quand il se revêt de la chair, qu’il est puni de mort, qu’il connaît la honte de la croix ? Le Créateur aurait pu réparer son œuvre sans aucune difficulté, mais il a préféré subir l’injustice pour ne pas redonner à l’homme l’occasion de rea D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Galatas 6. b Pour les lignes qui suivent, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 2, 7.
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Sermon 19
tomber dans ce vice abominable et odieux qu’est l’ingratitude. Assurément il a affronté beaucoup de peines pour que la difficulté de la rédemption fasse de l’homme le débiteur d’un immense amour et le rappelle à l’action de grâce, alors que la facilité de la création l’avait rendu moins empressé à se montrer reconnaissant. Que l’homme s’en souvienne : même s’il a été créé de rien, ce n’est pas pour rien qu’il a été racheté. En six jours Dieu a créé toutes choses, parmi lesquelles l’homme. Mais il ne lui a pas fallu moins de trente ans pour réaliser le salut au milieu de la terre (Ps 73, 12). Quel labeur il a supporté ! Les nécessités de la chair, les tentations de l’ennemi, l’ignominie de la croix, à quoi s’ajoute l’horreur de la mort. C’est ainsi, oui c’est ainsi que tu sauveras hommes et bêtes, Seigneur, comme tu as multiplié tes miséricordes (Ps 35, 7s). Médite cela, frères, avec grande application. Par de tels parfums ranimez vos entrailles. Que les longs tourments et le poids de la contrition, issus de la mémoire de vos péchés, trouvent un adoucissement dans l’onguent qu’est la reconnaissance. Rendons grâce à notre Seigneur et Sauveur qui, par des grâces sans précédent, a guéri les blessés, réconcilié les ennemis, les a rachetés de la captivité, ramenés des ténèbres à la lumière, rappelés de la mort à la vie. Confions-lui humblement notre faiblesse, implorons sa miséricorde. Lui qui nous a prévenus par sa grâce, qu’il veuille non seulement garder, mais augmenter en nous ses dons et ses bienfaits qu’il a daigné nous partager généreusement par la mort de sa passion, lui le Fils unique du Père d’éternité, Jésus Christ notre Seigneur.
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SERMON 20 POUR LE JOUR DES RAMEAUX
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L’humilité du Christ à imiter 1. De tout ce que le Fils de Dieu a réalisé en assumant notre humanité, il n’y a rien qui n’ait pour but de réparer le salut des hommes, soit en y apportant un remède, soit en proposant un exemple. Pourtant c’est dans sa passion que culmine tout particulièrement la réalisation du salut. Là, seul il est libre parmi les morts (Ps 87, 6), il s’acquitte de ce qu’il n’a pas dérobé (Ps 68, 5) ; par la rédemption de l’homme vendu au péché (Rm 7, 14) il en offre le prix en s’offrant lui-même par la mort de la croix ; et par son sang répandu il a effacé la cédule de condamnation (Col 2, 14) que le diable gardait contre nous. En buvant son sang très saint le chœur des rachetés ne forme qu’un corps avec le Christ : ainsi ce grand mystère (Ep 6, 32), signifié d’avance dans la formation de la femme à partir du côté de l’homme (Gn 2, 22s), s’achève – au dire de l’Apôtre – dans l’union du Christ et de l’Église, si bien qu’ils ne forment plus deux mais un en une seule chair (Mt 19, 6). Ce passage qu’on a lu en ce jour semble bien tendre à corroborer cela. L’Apôtre dit en effet aux croyants : Ayez en vous les dispositions qui étaient dans le Christ Jésus (Ph 2, 5)a ; autrement dit : D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Philippenses 2. a
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Sermon 20
reconnaissez en vous par expérience ce qui fut dans le Christ Jésus. Ainsi, de même que le Christ n’a pas recherché son propre profit, mais le nôtre (Ph 2, 4) en assumant la chair et, tout en étant sans péché, en prenant sur lui nos péchés, de même, à notre tour et à son imitation, portons nos fardeaux.
Devenant homme le Christ ne cesse d’être Dieu 2. Lui qui était dans la condition de Dieu… (Ph 2, 6). L’Apôtre montre ici en quoi nous avons à imiter le Christ : par l’humilité. Mais avant d’évoquer l’humilité du Christ, il a affirmé sa hauteur pour que ceux en qui l’abjection trouve place ne dédaignent pas de s’humilier, puisque le Christ, à partir d’une telle hauteur, s’est abaissé. Cette hauteur il la montre en ce que le Christ – je ne dis pas : aurait reçu – mais était dans la condition de Dieu. Or cette pleine égalité avec le Père, il n’a pas estimé devoir la ravir en l’usurpant comme si elle n’avait pas été sienne. C’est ce qu’on fait le diable et l’homme. Non, le Christ n’a pas usurpé l’égalité avec Dieu car il lui était véritablement égal par nature : il se trouvait dans cette égalité en laquelle il est né. Après avoir montré la hauteur du Christ, l’Apôtre passe à son humilité : Il s’est anéanti lui-même, sans pour autant perdre la condition de Dieu, mais en acquérant la condition de serviteur ; il accéda à la condition de serviteur sans s’éloigner de la condition de Dieu. S’anéantir, c’était donc, à partir de l’invisibilité de sa grandeur, se révéler visible par la condition de serviteur qu’il avait acquise. C’est comme d’une dignité qu’il s’est dépouillé en unissant en lui la condition divine et celle du serviteur. Il s’est « fait » selon la condition de serviteur, lui qui n’a pas été « fait » dans la condition divine. Oui, dis-je, il s’est fait à la ressemblance des humains, c’est-à-dire mortel et susceptible de souffrancea, comme les autres hommes par son comportement : il s’est montré dans une existence humaine comme un autre homme. a
passibilis.
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Sermon 20
Jusqu’à la croix 3. La suitea proclame une humilité plus grande encore quand l’Apôtre ajoute : Il s’est humilié – lui-même si élevé – en se faisant obéissant au Père non seulement en supportant injures et oppression, mais jusqu’à la mort (Ph 2, 8). Combien grande s’avère cette humilité ? Le Christ s’est humilité jusqu’à s’incarner, jusqu’à participer de la mortalité humaine, jusqu’à la tentation par le diable, les moqueries du peuple, les crachats et les liens, les gifles et les coups de fouet, et jusqu’à la mort. Et si c’est encore trop peu il faut encore ajouter le genre de cette mort. De fait, non pas n’importe quelle mort, mais celle de la croix, qui se montre la plus ignominieuse. Vois donc que nous avons en cela l’exemple de l’humilité, le remède à l’orgueil. Pourquoi donc, ô homme, te gonfles-tu d’importance ? Pourquoi, peau cadavérique, t’étends-tu ? Pourquoi, sanie puante, t’enfles-tu ? Ton Prince est humble, et toi tu t’élèves ? La Tête s’avère humble, et les membres s’enorgueillissent ? Ah non !
De l’humilité à la gloire 4. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté (Ph 3, 2). L’Apôtre a montré l’humilité du Christ, laquelle s’est révélée au maximum dans la passion ; il se met maintenant à évoquer sa gloire – selon l’homme – qui a pris naissance dans sa résurrection. De fait, pour être glorifié par sa résurrection, le Christ s’est d’abord humilié dans sa passion. L’humilité constitue le mérite de la gloire, et la gloire la récompense de l’humilité. Mais tout cela s’est réalisé dans la condition de serviteur. La gloire, en effet, a toujours existé en lui, et elle le sera dans la condition divine. Ce que mérite l’humilité, et en quelle quantité, l’Apôtre le montre pour que nous y aspirions davantage en piétinant la jactance. Voilà pourquoi – c’est-à-dire parce qu’il a si humblement Pour ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermones 23 ; Augustin, Sermones 304, 3. a
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Sermon 20
souffert en mourant – Dieu le Père l’a exalté en lui accordant l’immortalité et l’absence de souffrancea. Ainsi l’a-t-il exalté dans sa nature humaine, la rendant plus glorieuse lorsqu’il l’a ressuscitée. En cela même la nature divine peut être dite exaltée dans cette manifestation, car elle a commencé à savoir ce qu’elle était, tout comme en assumant l’humilité elle est dite anéantie, parce que n’est pas apparu ce qu’elle était.
Le Christ exalté dans sa nature humaine Et il lui fut donné – à lui, c’est-à-dire à l’homme Christ, par grâce – le nom qui est au-dessus de tout nom, c’est-à-dire le grand honneur d’être appelé Dieu. Cela il le possédait aussi avant la résurrection, mais après celle-ci la chose est devenue évidente, pour que les humains le sachent. On dit que qu’une chose s’est réalisée quand elle vient à la connaissance. Ainsi ce que le Christ avait reçu dès sa conception, on dit que ce lui fut donné après sa résurrection parce qu’alors cela s’est manifesté. C’est donc la conditionb dans laquelle le Christ a été crucifié qui a été exaltée. Et il lui fut donné le nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte que, dans sa condition même de serviteur, il soit nommé Fils unique de Dieu.
Dans sa nature humains le Christ règne universellement 5. Par conséquent, en raison de son obéissance jusqu’à la mort de la croix, à l’homme Christ, mort selon la chair, ressuscitant et montant, Dieu le Père a fait ce don : À son nom tout genou fléchira au ciel, sur la terre et dans les enfers (Ph 2, 10) – autrement les anges, les humains et les démons se soumettront à son autorité. Le Christ, en effet, siège à la droite du Père (Col 3, 1). Cela s’est réalisé après sa résurrection et son ascension. Nous ne le voyons pas impassibilis. D’ici jusque vers la fin du paragraphe 5, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Philippenses 2. a
b
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Sermon 20
encore, mais nous le croyons et nous le lisons. Du fait qu’il était fils de David, il est devenu Seigneur de David (Mt 22, 42s). Car ce qui est né de David a été honoré au point d’être son Seigneur. C’est donc dans la chair qu’il a assumée, dans laquelle il est ressuscité, dans laquelle il est monté au ciel – c’est en elle qu’il siège à la droite du Père : elle a été ainsi honorée, glorifiée et transformée en existence céleste. Le fils de David est aussi son Seigneur, lui qui est en outre le Seigneur du ciel, de la terre et des enfers. Sa majesté, sa divinité, après la croix, la passion et la résurrection, a été manifestée aux humains. Voici enfin la fin de ce passage de l’épître : Et que toute langue – celle des bons comme celle des méchants – confesse – de bon cœur ou contre son gré – que Jésus Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père (Ph 2, 11), égal au Père, de sorte que soit unique la gloire du Père et du Fils. À celle-ci veuille nous conduire le Fils unique du Père, selon la vérité de sa promesse, laquelle est de nous faire voir cette gloire face à face, devenus nous aussi disciples de son humilité et de sa patience : avec le Père il vit et règne dans l’unité de l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 21 POUR LES RAMEAUX
Nous sommes la foule de la procession… 1. Aujourd’hui, bien-aimés, les foules sont accourues au devant du Christ qui se rend au lieu de sa passion. Elles ont vu un homme humble sur un âne, et pourtant elles lui ont témoigné une gloire triomphale en portant des rameaux et en le suivant sur la route. C’est ce dont l’évangéliste témoigne : Beaucoup étendirent leurs vêtements sur la route, d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient entonnèrent des louanges impériales : Hosanna, béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Mc 11, 8–10). Car, par un esprit prophétique, ils ont reconnu en lui le vainqueur du diable et de la mort, et le dispensateur de la vie.
Si nous sommes le palmier… De cette foule, frères très chers, nous sommes aujourd’hui les représentants puisque nous avons en main des rameaux verdoyants et que nous avançons en chantant derrière l’étendard de la sainte croix. De bons représentants, nous le sommes si nous manifestons par notre vie et notre comportement ce que signifie cette verdure que portent nos mains. Le juste, dit le prophète, fleurira comme un palmier (Ps 91, 13). Le palmier signifie la hauteur de l’es-
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Sermon 21
pérance, car il reste beau jusqu’à son extrémité bien qu’il ait son commencement dans la terre. Rude est sa racine dans la terre, belle sa ramure dans le ciel. Notre beautéa se manifestera donc à l’extrémité (du temps). Ayons notre racine vers le haut, car notre racine, c’est le Christ, monté au ciel. À son exemple, celui qui maintenant se montre humble et abaissé vers le sol sera plus tard, au plus haut des cieux, revêtu de cette verdure qu’est la gloire qui ne se flétrit pas (cf. 1 P 5, 4). Lorsque s’en va le soleil, est-ce que le palmier se dessèche ? Viendra le jour du jugement pour que se dessèchent les pécheurs et que verdissent les croyants.
Si nous sommes la monture…
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Il est bon que maintenant nous représentions la procession du Seigneur si, à l’instar de l’âne sur lequel siège le Seigneur, nous avons soin de nous montrer dignes de le porter, siégeant dans nos cœurs ; et cela par cette valeur spirituelle que sont l’humilité et la patience. Ce n’est pas seulement physiquement, comme alors, mais spirituellement maintenant et chaque jour, que notre Seigneur, assis sur son âne, s’avance vers Jérusalem, lorsque, dirigeant l’âne de chacun – à savoir sa monture – il le conduit à la vision de la paix intérieureb. Il siège aussi sur son âne lorsqu’il préside la sainte Église dans tout l’univers et la fait monter vers le désir de la paix d’en haut.
Une seule foi, une seule espérance 2. Beaucoup étendirent leurs vêtements sur la route, car ils maîtrisent leur corps par les privations pour ouvrir un chemin au Christ vers leur esprit, ou pour proposer de bons exemples à ceux qui les suivent. D’autres coupaient des branches aux arbres et en À partir d’ici et jusqu’à la fin du sermon, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II, 5, 2 ; puis II, 4, 19–20. b « Vision de paix » : c’est la traduction du nom de Jérusalem. a
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Sermon 21
jonchaient la route, car, pour l’enseignement de la vérité, ils emportent des termes et des phrases tirés des écrits des Pères et, sur le chemin de Dieu, ils les présentent dans une humble prédication à l’esprit de l’auditeur. C’est ce que, tout indignes que nous soyons, nous faisons nous aussi maintenant. Oui, lorsque nous nous approprions les paroles des Pères dans un sermon d’exhortation, c’est comme si nous coupions des branches aux arbres pour en joncher la route du Seigneur tout puissant. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : Hosanna. Le peuple juif a précédé, les nations ont suivi, et parce que tous les élus – soit ceux qui ont pu se trouver en Judée, soit ceux qui se tiennent maintenant dans l’Église – ont cru ou croient dans le Médiateur de Dieu et des hommes (1 Tm 2, 5), ils crient hosanna, soit qu’ils marchent devant soit qu’ils suivent. Hosanna se traduit par « Sauve-nous »a. C’est de lui, Jésus, que les anciens ont recherché et que ceux du présent recherchent le salut, et ils confessent : Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur, car unique est l’espérance, unique la foi des peuples qui précèdent et de ceux qui suivent. De même que ceux-là ont été sauvés pour avoir vu la passion et la résurrection, de même nous le sommes alors que la passion est du passé, mais la résurrection demeure pour les siècles. Nos anciens ont cru qu’il serait issu du peuple juif ; nous, nous croyons qu’il en est sorti, nous l’aimons et nous sommes enflammés du désir de le contempler face à face (1 Co 13, 12). Voici l’image qu’on trouve dans l’Écriture : les deux murs se rejoignent sur la pierre angulaire (Ep 2, 20) rejetée des bâtisseurs (1 P 2, 6). Il s’agit des Juifs et des païens, ou des anciens et des modernes, dont Celui qui est notre paix, des deux ne fait qu’un (Ep 2, 14) : il rassemble dans la vérité ceux qui conjoignent la foi et l’amour. Rendons grâce à l’Unique qui nous a dévoilé dans sa passion et sa résurrection tous les mystères. Par là il a pris sur lui tous les malheurs de notre faiblesse et manifesté pour nous le bonheur de sa puissance et de sa gloire.
Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 29. a
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Sermon 21
L’œuvre « étrangère » du Christ
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3. Il s’est fait chair (Jn 1, 14) pour nous rendre spirituels. Avec bonté il s’est abaissé pour nous élever, il est sorti pour nous faire entrer, il est apparu visiblement pour nous révéler l’invisible, il a enduré opprobres et dérisions pour nous libérer de l’opprobre éternel, il est mort pour nous vivifier. Aussi rendons grâce à Celui qui vivifie ce qui est mort, et qui, de ce fait, vivifie d’autant plus qu’il est mort. Isaïe a bien contemplé notre salut et sa passion quand il a dit : Pour accomplir son œuvre il en a accompli une autre que la sienne, pour accomplir son œuvre il a accomplit une œuvre étrangère (Is 28, 21). L’œuvre de Dieu, en effet, c’est de rassembler les âmes qu’il a créées et de les rappeler aux joies de la lumière éternelle. Or se faire flageller, couvrir de crachats, être crucifié, mourir, être enseveli, ce n’est pas l’œuvre de Dieu en sa réalité propre, mais l’œuvre de l’homme pécheur, qui a mérité tout cela du fait de son péché. Ce sont nos péchés qu’il a portés en son corps sur le bois (1 P 2, 24). Et lui qui, en sa nature, demeure toujours incompréhensible, a daigné se faire comprendre dans notre nature et subir le fouet, car, à moins de prendre sur lui notre infirmité, il ne nous aurait jamais soulevés jusqu’à la puissance de sa force. Pour accomplir son œuvre il en a accompli une autre que la sienne, pour accomplir son œuvre il a accompli une œuvre qui lui est étrangère, car le Seigneur s’est incarné pour nous rassembler dans la justice, il a daigné pour nous être battu comme un pécheur. Et s’il a accompli une œuvre qui lui était étrangère, c’était pour accomplir la sienne propre, du fait que, faible, il a supporté nos malheurs – nous qui sommes sa création – il nous a conduits à la gloire de sa force, en laquelle il vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint.
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SERMON 22 POUR LES RAMEAUX
Anesse et ânon : Juifs et païens 1. Frères très chers, notre Seigneur et Sauveur, devenu homme, entendait montrer que tous ses actes en vue de la réparation de la nature humaine consonaient avec la vérité de l’Écriture sainte. Ainsi le chemin même par lequel il s’avançait vers la souffrance de la croix – point culminant de notre rédemption – il l’a parcouru aujourd’hui selon l’ordre même que, longtemps auparavant, le prophète Zacharie avait prédit ce parcours. L’évangéliste Matthieu, après avoir décrit comment les disciples ont été envoyés pour amener les deux bêtes de somme, passe immédiatement au témoignage du prophète : Touta cela s’est fait, dit-il, afin d’accomplir cette parole du prophète : Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi vient à toi, plein de douceur, monté sur une ânesse et son petit (Mt 21, 24s). Il est à noter que notre Seigneur, montant vers la mort, laisse à Jérusalem, comme son testament, la grande grâce d’une paix et d’une concorde qui valent pour le monde entier. De fait, en vue du mystère des nations futures, et siégeant sur l’ânesse et son petit, il est entré dans le temple, et c’est ainsi qu’il a conjoint les nations aux Juifs. Le prophète connaissait la perversité des Juifs À partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Opus imperfectum in Matheum 37, 4–5, PG 56, 837 (attribué à Jean Chrysostome). a
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et savait qu’ils allaient s’opposer au Christ montant au temple. Aussi avait-il annoncé d’avance qu’à ce signe ils reconnaîtraient leur roi ; il disait aux Juifs : Voici que ton Roi vient à toi, plein de douceur… C’est-à-dire : Voyez, non pas d’un regard charnel mais dans une intelligence spirituelle, les œuvres de sa puissance ; n’arrêtez pas votre attention à la condition sous laquelle apparaît son corps. Si vous regardez à celle-ci vous serez déçus par sa faiblesse humaine ; au contraire, à considérer son œuvre vous serez sauvés par sa puissance divine. N’agis pas avec orgueil à son égard, ô Judée, mais plutôt avec intelligence : ton Roi vient à toi non pas terrifiant, mais plein de douceur. Si tu uses d’intelligence, il vient à toi – autrement dit il viendra pour te sauver ; sinon il viendra contre toi pour te perdre et t’éliminer du temple de sa sainteté.
Le Christ plein de douceur
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2. Pour reconnaître la douceur de Celui qui vient, considérons l’aspect de cette venue. Il ne siège pas sur un char doré, enveloppé de pourpre précieuse, il ne monte pas un cheval, ne se montre pas ardemment avide de discorde ni amateur de procès, mais il est assis sur l’ânesse de la tranquillité, en ami de la paix. Il n’est pas entouré de glaives splendides, il n’a pas pour ornement des armes terribles, il est entouré de rameaux qui témoignent de la piété. Il vient donc plein de douceur, non pour qu’on le craigne en raison de sa puissance, mais qu’on l’aime en raison de sa mansuétude. Il est assis sur une ânesse et son petit. Physiquement ce serait impossible : on ne peut monter deux animaux en même temps. Mais spirituellement il lui était possible, étant Dieu, de siéger sur les Juifs et sur les païens. Pour lui, monter une bête de somme c’est habiter dans le cœur des humbles. Il le leur dit : Prenez sur vous mon joug et voyez que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Les doux, en effet, doivent porter le Doux, lui le cavalier qui les a appelés non pour les punir de leurs péchés, mais en vue
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Sermon 22
de reposer en eux pour leur douceur. De même que les pécheurs sont les chevaux du diable, de même les saints sont dits chevaux du Christ. Et tout comme le diable, siégeant sur les pécheurs, les chasse par les chemins perdus des péchés, ainsi le Christ, qui règne sur les saints, les conduit par les chemins aplanis des vertus. Par conséquent la monte du diable s’avère perdition, celle du Christ salut.
L’ânon attaché à la vigne 3. Si Jésus a introduit le peuple dans le temple c’était pour conjoindre dans l’unité de la foi les nations à cette Église venue de la foi à partir des Juifs, et pour mener à son accomplissement l’acte prophétique de Jacob bénissant son fils Juda et disant : Il liera son ânon à la vigne (Gn 49, 11). Il s’agit là avec évidence du petit de l’ânesse que montait Jésus. Autrement dit : à la vigne des apôtres, lesquels sont issus des Juifs, il a lié le peuple païen, ce peuple auquel jamais n’avait été imposé le fardeau de la loi. Et à la vigne, ô mon fils, il liera son ânesse (Gn 49, 11), ce qui signifie que le Christ, selon la vérité de la promesse de Dieu, en vertu de la succession charnellea, accomplira tout cela. Lui-même l’a dit : Je suis la vigne véritable (Jn 15, 1). Il est la vigne, il est la grappe, la vigne attachée au bois de la croix, la grappe, du fait que la lance du soldat lui ouvrit le côté et qu’il en coula de l’eau et du sang (Jn 19, 34) : l’eau en vue de laver, le sang à titre de prix. L’eau nous nettoie, le sang nous rachète. À cette vigne il a lié son ânesse sur laquelle il s’est assis – entendons qu’il a attaché étroitement l’Église rassemblée à partir des nations à la vigne qu’est son corps. Pour cela il a usé du lien de l’amour et du nœud de la discipline évangélique, de sorte que, vivant à son imitation, l’Église devienne héritière de Dieu, cohéritière du Christ (Rm 8, 17).
D’ici jusque vers la fin de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, De Templo II ; et Raban Maur, Commentarius in Libros Regum III, 7. a
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Non pas nu Cependant ces montures, pour être dignes de porter le Christ, ne doivent pas être nues, mais couvertes des vêtements des apôtres. Ces vêtements figurent les préceptes de Dieu et la grâce spirituelle. Et de même que la honte de la nudité est couverte par les vêtements, de même les malheurs naturels de la chair sont recouverts par les préceptes et la grâce de Dieu. Car tout homme est non seulement naturellement pécheur, mais tout entier péché, au dire de l’Apôtre : Nous étions par nature fils de la colère comme les autres (Ep 2, 3). C’est pourquoi Adam, dès qu’il se vit nu, autrement dit pécheur, recouvrit sa nudité de feuilles de figuier : les commandements de Dieu. Les disciples ont donc placé leurs vêtements sur l’ânesse et l’ânon lorsqu’ils transmirent aux Juifs et aux païens convertis, pour qu’ils les gardent, les commandements et les grâces, comme ils les avaient eux-même reçus du Christ. Car le Christ n’aurait pas pu demeurer sur eux tous s’il ne les avait vus persévérer dans l’observance de ses commandements et cacher la honte de leur nudité première sous le voile de la sainteté apostolique.
Les vêtements sur la route La foule qui étendait ses vêtements sur la route représentait les croyants venus de la circoncision qui, en voyant le Christ, ont jeté à terre la gloire de la justice qui vient de la loi (Rm 10, 5) comme inutile, parce que celle-ci n’a rien conduit à la perfection (Hé 7, 19). Ils se sont humiliés en se soumettant à la grâce du Christ, car ils ont cru qu’ils seraient justifiés et sauvés par la foi seule, et non pas les œuvres de la loi (Ga 2, 16).
Les rameaux coupés aux arbres Quant à ceux qui coupent des rameaux aux arbres, ce sont les docteurs instruits dans la loi qui ont cru dans le Christ. Des livres
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prophétiques, comme d’arbres toujours verts, qui ne perdent jamais les feuilles de leurs paroles, ils apportaient des exemples vivants et des témoignages vrais concernant le Christ. Comme de rameaux, ils en jonchaient le sol devant les pieds de l’un et l’autre de ces peuples, pour que ceux-ci, grâce à ces exemples, avancent sur la route sans rencontrer d’obstacles jusqu’à ce qu’ils entrent dans le sanctuaire de Dieu.
Les colonnes de Salomon 4. La foule de ceux qui précédaient et de ceux qui suivaient criaient : Hosanna au fils de David (Mt 21, 9) – ce qui évoque les pères de l’ancienne alliance et de la nouvelle : les docteurs, non moins que les foules qui s’attachent à leur foi. Les uns, prophétisant à propos du Christ qui viendrait, criaient : Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21, 9). Les autres, sachant qu’il est venu, ne cessent de le louer et de le bénir, lui qui est venu pour le salut du peuple croyant. L’une et l’autre de ces foules, ceux qui précèdent et ceux qui suivent, symbolisent cette œuvre de Salomon : celui-ci, en effet, a édifié le temple, qui comprend tous les mystères de toute l’Église – celle qui pérégrine actuellement sur la terre, et celle qui par la suite règne dans le ciel. Après quoia il plaça deux colonnes dans le portique du temple. Ayant édifié celle de droite, il lui donna le nom de Jachin, c’est-à-dire « fermeté »b. Et de même il érigea celle de gauche, qu’il appela du nom de Booz, c’est-à-dire « dans la force »c. La colonne de droite représentait ceux qui avaient prédit prophétiquement que le Christ viendrait dans la chair ; la deuxième colonne ceux qui ont annoncé qu’il est venu, rachetant le monde par son sang. Il est adéquat que ces deux colonnes soient qualifiées d’un nom analogue puisque l’une est dite « fermeté » et l’autre « dans D’ici vers la fin de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, De Templo II. Jachin : firmitas, cf. Raban Maur, Commentarius in Libros Regum III, 7, PL 109, 170B. c Booz : Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 31, CCSL 72, p. 99, 25s. a
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la force ». Ainsi l’unique fermeté de la foi et de l’œuvre est-elle démontrée par tous les docteurs, alors que dans notre temps on remarque une indolence qui conduit à se tairea. Cela lorsque plusieurs docteurs ou prêtres veulent être considérés et nommés comme des colonnes de la maison de Dieu, alors qu’il n’y a rien en eux d’une foi ferme pour condamner les pompes de ce monde et désirer les biens invisibles, ni rien d’une force pour corriger, aucune application pour faire comprendre leurs erreurs à ceux dont ils sont responsables. Au contraire il en est dont la vertu est figurée par des colonnes de bronze : les patriarches, les prophètes, et tous les saints d’avant la venue du Christ ; apôtres, martyrs et docteurs d’après son ascension dans les cieux. D’époques différentes, il est vrai, mais illuminés d’un même esprit et affermis par une force invincible, ils ont annoncé d’un même cœur le salut du monde – les uns comme un salut à réaliser, les autres comme un salut accompli. Et d’une seule bouche, les uns et les autres se sont écriés Hosanna, qui se traduit par « Sauve-nous »b, et ils ne cessent de le clamer jusqu’à la fin des temps à Celui qui nous a rachetés et sauvés en répandant son propre sang, notre Seigneur Jésus Christ.
inertia taciturnitatis. Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 29. a
b
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SERMON 23 SERMON POUR LA PÂQUE
La pâque : victoire du jeune lion 1. Glorieuse et salutaire est la célébration de la joie pascale, consacrée d’abord par l’acte de la résurrection du Christ et de notre libération, et ensuite par l’espérance de l’immortalité qui doit nous être donnée par la résurrection. Voilà, de la part des croyants, ce qu’il convient de valoriser avec tout le soin d’une humble ferveur, d’honorer et de proclamer par toutes sortes de louanges. Par le mystère de cette résurrection la mort a été vaincue, la porte de l’enfer brisée, le règne du diable supprimé, et éliminée la reconnaissance de dette (Col 2, 14) que celui-là maintenait contre nous. Les fils de Dieu ont été déliés de leurs chaînes, ils ont été acquis, de perdus qu’ils étaient, la rémission des péchés leur a été offerte, la réconciliation des ennemis a été réalisée, la possibilité a été donnée aux âmes de revenir au ciel, la liberté leur a été rendue, les liens ont été rompus et la captivité supprimée. Ces joies, les anciens pères les ont goûtées par avance, d’une certaine manière, dans l’espérance ; et dans cette certitude ils en proclamaient la mémoire, riche d’une abondante suavité. C’est cette victoire qu’Abraham notre père a vue et dont il s’est réjoui (Jn 8, 56). C’est elle que le patriarche a prophétisée joyeusement à l’approche de sa mort. Bénissant en effet son fils Juda – de la tribu duquel le Christ a pris chair – Juda dont le nom se traduit
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Sermon 23
par « véritable confesseur »a – Jacob avait vu d’avance que cette chair se déploierait dans la passion et la résurrection célébrées en ce jour. Avec finesse il a exprimé ce triomphe sous le symbole de la force propre au lion : Juda est un jeune lion. Tu es monté, mon fils, pour ravir ta proie. Te reposant, tu t’es couché comme un lion, comme le petit du lion. Qui le fera lever ? (Gn 49, 9). Reconnaissant le Christ en son fils Juda, il en parle au présent. Significativementb il le nomme le petit du lion, car en naissant il s’est fait petit, ainsi qu’il est écrit : Un petit enfant nous est né (Is 9, 6).
Allégorie du lion
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2. Tu es monté vers ta proie, mon fils, autrement dit en montant sur la croix tu as racheté les peuples captifs. Ceux que ce lion avait attaqués en adversaires, toi, en montant tu les lui as arrachés, et, revenant des enfers, tu as emmené les élus qui y étaient retenus captifs. Te reposant, tu t’es couché comme un lion : le Christ s’est réellement couché dans la passion lorsque, inclinant la tête, il remit l’esprit (Jn 19, 30), ou lorsque, déposé dans le sépulcre, il y reposa comme dans un sommeil physique. Dans ce sommeil il fut un lion, car ce n’est pas par nécessité, mais de par sa puissance qu’il a accompli cela, ainsi qu’il l’avait dit : J’ai le pouvoir de donner ma vie, personne ne me la prend, je la donne de moi-même (Jn 10, 18). Comme le petit du lion, il s’est couché, car du fait qu’il est mort, il était aussi né physiquement. Les scientifiques écrivent du lion que, à sa naissance, il dort trois jours et trois nuits, et qu’ensuite le rugissement de son père fait trembler le lieu de ce repos et éveille le lionceau. C’est ce qu’on peut très adéquatement comprendre de la passion et de la mort du Christ qui, durant trois jours et trois nuits dans le tombeau, a pleinement réalisé le sommeil de la mort. Très justement il a reposé comme un lion car, loin de redouter l’âpreté a Juda : laudatio seu confessio : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 7, CCSL 72, p. 67, 19. b D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Isidore de Séville, Quaestiones In Vetus Testamentum. In Genesim 31, 16–20.
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Sermon 23
de la mort, par sa mort il en a vaincu le pouvoir (Hé 2, 14). Et très justement il a reposé comme le petit du lion, puisque le troisième jour il est ressuscité. Aussi est-il ajouté, à propos de sa résurrection : Qui le fera lever ? Cela, nul parmi les humains ne pourra le faire, mais Celui qui est mort de sa propre volonté est aussi ressuscité par sa propre puissance. C’est ce qu’il dit aux Juifs : Détruisez ce temple, en trois jours je le relèverai (Jn 2, 19).
Le manteau du Christ nous rassemble 3. Après avoir décrit la passion et la résurrection, le patriarche a logiquement mentionné le trophée conquis, comme le fruit de ces deux actes qui fondent la rédemption des humains ; il en parle comme d’un mystère, dont il dit peu après : Il lavera sa robe dans le vin (Gn 49, 11). C’est un bonne robe que la chair du Christ : elle a recouvert les péchés de tous, elle a assumé les délits de tous, elle a couvert les erreurs de tous. Oui, une bonne robe qui les a tous revêtus du vêtement de l’allégresse (Jdt 10, 30). Il l’a lavée dans ce vin que, en faveur de la multitude, il a répandu pour la rémission des péchés. Et dans le sang de la grappe il a lavé son manteau (Gn 49, 11) – autrement dit : dans sa passion il a purifié les nations par son sang, lui qui, comme la grappe, était suspendu au bois. Son manteau, ce sont les nations qu’il a étroitement rassemblées en son corps, ainsi qu’il est écrit : Par ma vie, dit le Seigneur, je les revêtirai tous comme d’un manteau (Is 49, 18). Par son sang donc, ce ne sont pas ses péchés à lui – ils n’existaient pas – qu’il a purifiés, mais les fautes que nous avons commises. Tellea est l’œuvre admirable de notre rédemption, la preuve éminente de l’amour de Dieu envers nous, car il séduit notre amour et il l’attire dans le sien, il l’exige avec plus de justice, l’étreint avec plus de force, l’enflamme avec plus de violence : Alors que nous étions ennemis nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de D’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 4, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 20, 2–3. a
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son Fils (Rm 5, 10). Autrement, s’il ne nous avait pas aimés en tant qu’ennemis, il n’aurait pu nous acquérir comme amis.
Douceur, sagesse, force de l’amour Il nous a aimés avec douceur, avec sagesse, avec force. Avec douceur en ce qu’il a revêtu notre chair, avec sagesse parce qu’il s’est gardé de la faute, avec force car il a affronté la mort. En assumant la chair il s’est conformé à l’homme, en évitant la faute il a donné forme au comportement de l’homme, en affrontant la mort il a apaisé Dieu le Père, offensé par l’homme : doux ami, conseiller avisé, puissant secours. À lui, que l’homme se confie en toute assurance, à lui qui veut, qui sait, qui peut le sauver. Il le veut, dis-je ; en s’associant amicalement à la nature humaine, il le sait en raison de la sagesse divine qu’il est en personne, il le peut en raison de la puissance invaincue de la Déité. Il est lui-même puissance de Dieu et sagesse de Dieu (1 Co 1, 24) : en ressuscitant aujourd’hui il a vaincu la mort qui était en tout victorieuse, et il a déjoué par un art très saint le serpent séducteur du genre humain. 4. Apprends du Christ, ô chrétien, comment aimer le Christ, apprends à aimer avec douceur, avec sagesse, avec force. Avec douceur pour ne pas te laisser prendre par la gloire du monde et les jouissances de la chair ; avec sagesse pour ne pas te laisser surprendre par l’esprit du mensonge et de l’erreur ; avec force pour ne pas te détourner de l’amour du Seigneur sous l’oppression des adversités du monde ou la crainte de la mort, car nous sommes spécialement harcelés par ces trois mauxa dans le combat de cette vie. Contre le premier que nous arme la modération, contre le deuxième que nous défende la providence, contre le troisième que nous fortifie la patience et que, par cette dernière, on nous trouve participants du Christ, entés sur lui par une mort et une résurrection semblables aux siennes (Rm 6, 5).
a
La gloire du monde, l’esprit de mensonge, la crainte de la mort (semble-t-il).
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La patience en cette vie Maintenant que progresse l’adversité d’ici-bas, la patience s’avère plus que nécessaire. Quelqu’un désire-t-il se montrer une pierre adéquate pour s’insérer dans la construction de cette maison du ciel ? Grâce à certains outils de fer que sont les exercices spirituels, qu’il se débarrasse, aplani, des aspérités qui le déforment. Que cet homme, blessé extérieurement par diverses contrariétés et purifié de ses erreurs, puisse, devenu ainsi pur, voir le Dieu pur. Rendu apte à orner la cité d’en haut, qu’il reçoive, après la traversée de la vie d’ici-bas, la place que le Seigneur lui a préparée (cf. Jn 14, 2). Nous recevons ici-bas des corps extérieurs pour être trouvés là haut sans reproches.
Allégorie du temple 5. Les caractéristiquesa de ces deux vies trouvent une figure adéquate, pense-t-on, dans la construction du temple de Salomon. Une unique et même demeure est rassemblée étroitement à l’extérieur par des murs qui l’entourent et l’enserrent en un temple unique. Mais à l’intérieur des planches de cèdre différencient la demeure extérieure de celle de l’intérieur. Celle-ci est longue de vingt coudées, l’autre de quarante (1 R 6, 15–17). La première demeureb, dans laquelle entraient sans cesse les prêtres pour accomplir leurs offices, c’est l’Église du présent, où chaque jour, en nous livrant à des œuvres d’humble ferveur, nous offrons au Seigneur les sacrifices de la louange. La demeure intérieure représente la vie qui nous est promise dans les cieux : éloignée de notre existence en cet exil, elle consiste en la présence du suprême Roi, où se célèbrent les fêtes perpétuelles et la joie ininterrompue des bienheureux, anges et humains. Aussi est-ce à propos de cette demeure qu’il est dit : Entre dans la joie de ton Seigneur (Mt 25, 21). a b
status. D’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, De Templo I.
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Les planches de cèdre qui séparent les demeures l’une de l’autre représentent les portes du ciel dont chaque jour nous désirons ardemment l’ouverture et – dans la mesure où le Seigneur nous l’accorde – où nous frappons par l’humble instance de nos prières, jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent et nous permettent d’entrer (cf. Mt 7, 7). Et même s’il ne nous est pas permis de le faire avant la dissolution de notre corps, nous trouvons ouverte la porte de la bonté de Dieu, par laquelle nous introduisons d’avance les parfumes de nos prières, de nos veilles, de nos jeûnes et de toutes nos bonnes œuvres. Il est heureux que la demeure intérieure soit longue de vingt coudées en raison du double amour : celui-ci en cette vie illumine en grande partie l’esprit des élus, mais dans la Patrie il est seul à régner perpétuellement, car les œuvres de toutes les autres vertus auront pris fin. Par ailleurs, depuis les portes, le temple était long de quarante coudées (1 R 6, 17), ce qui symbolise l’Église du présent, comme nous l’avons dit. Oui, à juste titre quarante coudées, ce nombre dont la signification qualifie souvent l’œuvre actuelle des croyants, alors que le nombre de cinquante signifie le repos et la paix à venir. Le nombre de dix, lui, se rapporte aux commandements, dont l’observation conduit à la vie. Et ce même nombre signifie aussi cette vie éternelle que nous désirons et en vue de laquelle nous peinons. Quadrangulaire est ce monde dans lequel nous combattons pour acquérir cette vie-là. Dix multipliés par quatre font un total de quarante. Aussi le peuple libéré de l’Égypte, figurant l’Église du présent, fut-il exercé dans le désert durant quarante ans par toutes sortes d’épreuves (cf. Dt 2, 7). Mais en même temps il reprenait des forces dans le pain du ciel (cf. Ex 16, 35), et c’est ainsi qu’un jour il parvint enfin à la patrie.
Épreuves et réconfort 6. Ce peuple est exercé par des épreuves durant quarante ans en vue d’évoquer les labeurs de l’Église, dans lesquels elle peine à travers le monde entier pour observer la loi du Seigneur. Il est
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Sermon 23
nourri de la manne du ciel en vue de manifester les souffrances que supporte l’Église dans l’espérance du denier céleste, c’est-à-dire de la béatitude éternelle et de s’y trouver allégée, là où ceux qui ont maintenant faim et soif de la justice seront rassasiés (Mt 5, 6). Et c’est ainsi que cette mère Église chante à son Rédempteur : Moi, je marcherai avec justice sous ton regard, je serai rassasiée lorsque se manifestera ta gloire (Ps 16, 15). Par conséquent le peuple de Dieu est également en butte à l’adversité et affermi par la manne pour que se réalise cette parole de l’Apôtre : Joyeux dans l’espérance, patients dans la tribulation (Rm 12, 12). Selon cette même figure, notre Seigneur, avant la mort de sa chair, a jeûné pendant quarante jours (Mt 4, 2), puis quarante jours il a mangé avec ses disciples après la résurrection de sa chair, se montrant à eux par de nombreuses preuves, leur annonçant le Royaume de Dieu et mangeant avec eux (Ac 1, 3s). En jeûnant il a montré en lui-même l’effort qui nous incombe, en mangeant avec ses disciples il nous manifestait son réconfort à notre égard. Jeûnant, c’est comme s’il criait : Attention, que vos cœurs ne s’appesantissent pas dans les excès, les beuveries et les soucis de cette vie (Lc 21, 34). Mangeant et buvant, c’est comme s’il disait : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Et : Vous me reverrez, votre cœur se réjouira et votre joie nul ne vous l’ôtera (Jn 16, 22). Pour le moment, en effet, en faisant route avec le Seigneur, nous jeûnons à l’égard de la vanité du monde, et tout en même temps nous reprenons force dans la promesse à venir. Car il s’agit de ne pas défaillir dans les peines de cette vie jusqu’au jour où, à l’exemple et par la grâce de notre Rédempteur, nous espérons, moyennant la foi, passer par la résurrection de la mort à la vie (Jn 3, 14), de la corruption à l’incorruptibilité (1 Co 15, 53) ; et tout en même temps, moyennant la vue, de recevoir et goûter éternellement les joies sans fin. Il nous en a ouvert l’accès aujourd’hui par sa résurrection, Jésus Christ notre Seigneur.
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Notre résurrection : intérieure et réelle, extérieure et espérée 1. Toutes les célébrations, il est vrai, suscitent une joie spirituelle dans l’esprit des fidèles ; cependant, dans la résurrection du Christ qui nous a illuminés en ce jour, et nos corps et nos cœurs sont dans l’allégresse. Car, par le Christ ressuscitant, notre homme intérieur ressuscite avec lui de la mort du péché et, extérieurement, l’espérance de la résurrection est confirmée par un exemple évident. C’est donc à juste titre que l’on se réjouit pour ces deux raisons. Oui, c’est de deux manières que l’on ressuscite avec le Christ : intérieurement en réalité, extérieurement en espérance. Nous parlons d’une résurrection intérieure réelle en ce qui concerne le péché, qui est la mort de l’âme ; il s’agit d’une rémission déjà offerte et donnée par la foi opérant la glorification à travers l’amour. Et nous parlons d’une résurrection extérieure en espérance ; elle est indubitable, certifiée par l’exemple de la résurrection du Seigneur, puisque, à partir de la poussière de la terre, elle consistera en la recréation d’un nouvel homme. Ainsi, de ce qui se manifeste dans le présent sourd la ferme attente des réalités à venir. De faita, Dieu a établi un temps pour ses promesses et un temps pour leur accomplissement : le temps de la promesse en cette vie, À partir d’ici, pour ce paragraphe, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 109, 1. a
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Sermon 24
le temps de l’accomplissement après cette vie. Fidèle est Dieu qui s’est fait notre débiteur non pas en recevant quelque chose, mais en nous le promettant. Ce qu’il a promis : le salut éternel et la vie bienheureuse et sans fin avec les anges, un héritage sans flétrissures (1 P 1, 4), la gloire éternelle, la douceur de son visage, la demeure de la sanctification dans les cieux ; enfin, du fait de la résurrection des morts, l’absence de crainte d’avoir à mourir. Oui, dis-je, il a promis aux hommes la divinisationa, aux mortels l’immortalité, aux pécheurs la sanctification, aux corrompus la gloire. Tout ce qu’il a promis à ceux qui en sont indignes, il l’a promis non comme une récompense rendue à leurs œuvres, mais comme une grâce gratuite. Car, quelle que soit la justice que vit l’homme, dans la mesure où il le peut, cette justice ne relève pas d’un mérite humain mais d’un don de Dieu. De fait, nul ne vit avec justice à moins d’avoir été rendu juste par Celui qui jamais ne peut être injuste. De même qu’un luminaire ne s’allume pas de lui-même, ainsi l’âme humaine ne se fournit pas à elle-même la lumière, mais elle crie à Dieu : C’est toi, Seigneur, qui allumeras ma lampe (Ps 17, 29), afin qu’après avoir reçu la lumière de l’œuvre bonne on puisse atteindre à la lumière de la rétribution éternelle. Celle-ci, le Seigneur – par Jean dans l’Apocalypse – promet, sous l’appellation de l’étoile du matin (Ap 2, 28), qu’il la donnera à ceux qui ont vaincu les désirs de la chair et les tentations des démons.
Le Christ : étoile du matin et chemin 2. Spirituellement l’étoile du matin se comprend comme le Christ qui, aujourd’hui, en surgissant d’entre les morts, a mis en fuite les ténèbres de ce monde et rempli la monde entier de la lumière de la foi, irradiant de son éclat les ténèbres de notre mortalité. Après sa mort, vivant, il est devenu l’étoile du matin : en nous donnant en lui-même l’exemple de la résurrection, il nous a indiqué quelle étoile était à suivre. Oui, il a promis de donner aux vainqueurs l’étoile du matin, c’est-à-dire de s’offrir lui-même avec a
divinitatem.
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la gloire de la résurrection à venir, quand il reformera notre corps pour le configurer à son corps de gloire (Ph 3, 21). Alors sa résurrection resplendissant, et les ténèbres de la mortalité se retirant, il révèlera à tous les élus le jour parfait de l’éternité. Cependanta, frères, alors qu’aux pécheurs qui demeurent dans leur péché le Royaume des cieux n’est pas promis, à ceux qui ont été libérés du péché et qui servent la justice, Dieu a promis qu’il leur ferait voir l’incroyable, les délivrant de cette mortalité, de la corruption, de l’abjection, de la faiblesse, de la poussière et de la cendre, afin de faire des humains les égaux des anges de Dieu. Pour la foi en lui il a établi comme médiateur non pas quelque prince, quelque ange, quelque archange, mais son Fils unique. C’est lui qui, par ce chemin, nous conduirait à ce but qu’il a promis et qu’il manifesterait et offrirait par son Fils. C’était trop peu pour Dieu de faire de son Fils celui qui montrerait le chemin, il en a fait le chemin même par lequel, sous sa direction, nous irions à Dieu.
Ressusciter avec et pour le Christ
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3. Voilà pourquoib le Fils unique de Dieu est venu vers les humains, il a assumé l’homme, il est mort, ressuscité, monté au ciel, il siège à la droite de Dieu. Il a promis que nous viendrions à lui, c’est-à-dire à cette ineffable et bienheureuse immortalité, à cette égalité avec les anges, à un bonheur dont nous nous étions longtemps éloignés. Le Fils étant tout en haut, nous gisions tout en bas, désespérés et malades, sans espoir de salut. Aussi nous a été envoyé le médecin que ne connaissait pas le malade. De fait, s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire (1 Co 2, 9). Or voici ce que valut au malade le médicament : le malade a tué le médecin. Le médecinc est venu pour visiter le malade, il a été tué pour le guérir. Effectivement, mes frères, avant sa passion Cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 109, 2. Cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 109, 3. c D’ici jusque dans les débuts du paragraphe 4, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 101, s. 2, 7. a
b
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et sa résurrection le Christ n’était pas connu de son peuple. Davantage : crucifié, on ne savait pas, en raison de sa faiblesse, qui il était, jusqu’à ce qu’en ressuscitant il apparût dans sa force (2 Co 13, 4). Après sa résurrection il a appelé l’Église sur toute la terre, lui non plus faible sur la croix, mais fort dans le ciel. Point de louange pour la foi des chrétiens s’ils croient le Christ mort, mais louange s’ils le croient ressuscité et s’ils espèrent aussi ressusciter par lui. L’Apôtre nous en assure : Si tu crois dans ton cœur que Jésus Christ est Seigneur, et si ta bouche confesse que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé (Rm 10, 9). Et il faut bien que ce qui a précédé pour la Tête soit suivi dans les membres. Le prophète Osée le dit : Après deux jours il nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera, et nous vivrons en sa présence (Os 6, 3)a. Car la manière dont notre Seigneur Jésus Christ, en ressuscitant des morts le troisième jour, nous vivifiera et nous ressuscitera en lui : cela nous l’avons entendu et nous nous sommes réjouis.
Comment rendre au Christ le bienfait de sa résurrection 4. Mais il est très juste que nous lui rendions son bienfait et que, à la manière dont nous sommes ressuscités en lui le troisième jour, nous le fassions ressusciter en nous, nous qui par lui et pour lui ressuscitons le troisième jour. Aucun doute : il veut être payé de retour par nous, lui qui le premier a voulu nous dispenser sa grâce. À la manière dont il a voulu disposer de trois jours pour réaliser en lui et par lui notre salut, de même il nous a donné trois jours pour réaliser en nous par lui notre salut. Ses jours à lui furent extérieurs, les nôtres sont à chercher intérieurement. Nous disposons donc de trois jours intérieurs à nous, par lesquels notre âme est illuminée. Au premier de ces jours se rapporte la mort, au deuxième la sépulture, au troisième la résurrection. Le premier s’avère crainte, le deuxième vérité, le troisième amour. Le jour de la crainte est ceD’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon VII, 27. a
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lui de la puissance : jour du Père. Le jour de la vérité est celui de la sagesse : jour du Fils. Le jour de l’amour est celui de la bonté : jour de l’Esprit Saint. Lorsque la toute puissance de Dieu, considérée avec admiration, réveille notre cœur, c’est le jour du Père. Lorsque la sagesse de Dieu, envisagée sérieusement, illumine notre cœur de la connaissance de la vérité, ce jour est le Fils. Et quand la bonté de Dieu, fixée d’un regard attentif, enflamme notre cœur, c’est le jour de l’Esprit Saint. La puissance terrifie, la sagesse illumine, la bonté réjouit. Au jour de la puissance nous mourons par la crainte ; au jour de la sagesse nous sommes ensevelis à l’écart du vacarme de ce monde dans la contemplation de la vérité ; au jour de la bonté nous ressuscitons par l’amour et le désir des biens éternels. C’est ainsi que le Christ est mort le sixième jour, le septième il gisait dans le sépulcre, le huitième il est ressuscité. Cela d’abord pour que, de la même manière, sa puissance, lors de son jour, nous tue par la crainte, en nous extrayant de nos désirs charnels. Ensuite, pour qu’en son jour, la sagesse nous ensevelisse intérieurement dans le secret de la contemplation. Enfin pour que la bonté, en son jour, nous fasse surgir par le désir de l’amour de Dieu. Ainsi le sixième jour est voué à la peine, le septième au repos, le huitième à la résurrection. Voilà la première résurrection (Ap 20, 5), la résurrection intérieure : celui qui y sera admis n’aura plus à souffrir de la seconde mort (Ap 2, 11), la mort éternelle. Davantage : après cette résurrection qu’est l’œuvre bonne il recevra la résurrection de l’incorruptibilité éternelle. Celle-ci, le Christ l’a révélée en lui à titre d’exemple pour nous, ensuite de quoi il nous l’a promise à titre de récompense – lui le Fils unique de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur, mort pour nous mais ressuscité et vivant pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 25 SERMON POUR LA PÂQUE
Mon Rédempteur est vivant 1. Cette brillante solennité de la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ, frères très chers, peut sans conteste se nommer la solennité des solennités, la fête des fêtes. Par elle nous avons été rachetés et sommes passés de la mort à la vie (1 Jn 3, 14), des ténèbres à la lumière, de la peine à la gloire. À juste titre on la nomme la Pâque, qui se traduit par « passage ». Celle-ci faisait l’objet des vœux de tous les saints depuis l’origine, ils la recherchaient avec soupirs et lamentations, et ils avaient la conviction que par elle ils retrouveraient l’héritage du paradis, perdu par la faute des premiers parents. À cette résurrection un témoin très fiable, le bienheureux Job, apporte ce témoignage : Je saisa que mon Rédempteur est vivant (Jb 19, 25) – et c’est comme s’il criait à pleine voix : Tous les infidèles l’ont su flagellé, tourné en dérision, giflé, couronné d’épines, couvert de crachats, crucifié, mis à mort. Mais moi, d’une foi assurée, je le crois vivant après sa mort, et d’une voix libre je déclare : Mon Rédempteur est vivant, lui qui était tombé aux mains des iniques. Le prophète Osée proclame cet avenir : Il nous fera revivre après deux jours, le troisième jour il nous relèvera (Os 6, 3), car c’est vrai : D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XIV, 54–58. a
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Sermon 25
la résurrection que notre Rédempteur, en ce jour, a réalisée en lui, il la réalisera un jour en nous. Ce qu’il a montré en lui, il nous l’a promis, car ses membres suivent la gloire de leur Tête. Notre Rédempteur a enduré la mort pour nous enlever la crainte de mourir, il a manifesté la résurrection pour susciter en nous la confiance de pouvoir ressusciter. C’est pourquoi cette mort, il n’a pas voulu qu’elle dure plus de trois jours car, s’il l’eût prolongée, elle eût produit en nous une désespérance complète. Cela, un prophète l’a bien dit de lui : Au torrent il boira en chemin, c’est pourquoi il redressera la tête (Ps 109, 7). C’est comme si, de ce fleuve qu’est notre corruption, il n’avait pas jugé bon d’y boire dans la maison, mais en chemin, car il n’a pas rencontré la mort incidemment, mais pendant trois jours ; et il n’y est pas demeuré comme nous jusqu’à la fin du monde.
Notre résurrection à venir 102
2. En ressuscitant le troisième jour il montre ce qui s’ensuit pour son corps qu’est l’Église. Effectivement il a montré par l’exemple ce qu’il a promis comme récompense, si bien que, comme les croyants le savent ressuscité, ils espèrent pour eux-mêmes à la fin du monde cette récompense que sera la résurrection. Alors que, par la mort de la chair, nous demeurons dans la poussière jusqu’à la fin du monde, lui le troisième jour a reverdi de l’aridité de la mort et il a manifesté la puissance de sa divinité par la rénovation de sa chair. C’est ce que montre bien Moïse en disposant les douze bâtons sur l’autel (cf. Nb 17, 1–8). Car le sacerdoce d’Aaron, qui relevait de la tribu de Lévi, était méprisé, et l’on n’estimerait pas valables les holocaustes qu’il offrirait. C’est pourquoi il a été prescrit de disposer sur l’autel douze bâtons, selon les douze tribus d’Israël. Or voici que seul le bâton de Lévi se mit à verdir, révélant la puissance qui se trouvait dans le sacerdoce d’Aaron (cf. Nb 17, 16ss). Que nous fait savoir ce signe, sinon que nous tous qui serons couchés dans la mort jusqu’à la fin du monde, nous demeurerons comme les autres
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Sermon 25
des bâtons dans l’aridité ? Mais le bâton de Lévi a porté une fleur, car le corps de notre Seigneur – lui notre prêtre véritable – a fait irruption comme fleur de la résurrection. À cette fleur on reconnaît à juste titre le sacerdoce d’Aaron car, par cette gloire de la résurrection, notre Rédempteur, issu des tribus de Juda et de Lévi, se révèle pour nous un intercesseur. Voilà donc que déjà le bâton d’Aaron, après l’aridité, a fleuri, alors que les bâtons des autres tribus demeuraient dans l’aridité. Car s’il est vrai que le corps du Seigneur, après sa mort, est vivant, nos corps par contre sont encore privés de la gloire de la résurrection jusqu’à la fin du monde.
Première et seconde résurrections 3. Il faut savoir que, du fait des deux natures de l’unique Fils de Dieu – sa divinité et son humanité – Dieu le Père a prévu deux résurrections du genre humain, celle des âmes et celle des corps. Les âmesa, en effet, connaissent leur propre mort dans l’impureté et les péchés, à la manière dont sont morts ceux dont le Seigneur dit : Laisse les morts ensevelir leurs morts (Lc 9, 60) – c’est-à-dire à la manière dont les morts en leur âme ensevelissent ceux qui sont morts en leur corps. Il y a mort de l’âme quand Dieu l’abandonne en raison de la grandeur de ses péchés ; et il y a mort du corps lorsque l’âme l’abandonne. Du fait de ces deux genres de morts nous disons que les ressuscités connaissent deux résurrections. Pour le moment c’est des âmes, dans l’Église, que le Verbe de Dieu opère la résurrection quand, par la grâce de Dieu, vivantes, elles resurgissent de la mort de l’iniquité : C’est la première résurrection (Ap 20, 5) ; alors que ceux qui connaissent la seconde, celle du corps à la fin du monde, ressusciteront avec bonheur pour la vie éternelle. Ils ressuscitent
Dans ce paragraphe l’auteur se réfère à divers passages de saint Augustin : Augustin, De ciuitate Dei, 20, 6 ; 22, 20 ; Tractatus in Ioannis euangelium 19, 16 ; 15, 16 ; Enchiridion, 23, 91. a
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maintenant dans l’esprita par le Verbe, le Fils de Dieu ; ils ressusciteront alors dans la chair par le Verbe qui s’est fait chair (Jn 1, 14), le Fils de l’homme. Les corps des saints ressusciteront sans aucune faute, sans la moindre difformité ; en eux la rapidité sera aussi grande que la félicité. Oui, d’eux seront supprimés toute faiblesse, toute difformité, toute corruption, tout manque, toute indigence, et quoi que ce soit d’autre qui ne convienne pas au règne du Roi suprême – ce règne où les fils de la résurrection et de la promesse seront les égaux des anges. Ce sont donc les âmes que maintenant Dieu, par le Verbe, Fils de Dieu, ressuscite pour qu’elles vivent dans le Christ. Les corps, il les ressuscitera par le même Fils de l’homme à la fin du monde pour qu’ils vivent éternellement avec le Christ. Le Père ne viendra pas lui-même juger les vivants et les morts, il a remis tout le jugement au Fils (Jn 5, 22). Les impies regarderont à Celui qu’ils ont transpercé (Jn 19, 37). C’est ce regard sur le Transpercé qui sera leur juge, lui qui se tenait au dessus du juge ; jugé iniquement, il jugera avec justiceb. Le Juge apparaîtra tel qu’il puisse être vu par ceux qu’il couronnera et par ceux qu’il condamnera. Ce qu’on verra, c’est la condition du serviteur, la condition divine demeurant cachée : il n’est permis qu’aux justes de la voir, à titre de récompense éternelle de la béatitude. Cette participation à la vision bienheureuse – pour que nous obtenions d’y atteindre – veuille nous l’accorder le Fils unique de Dieu, le Seigneur lui-même et notre Rédempteur. À lui, comme au Père et au Saint Esprit tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. Amen.
in mente. Nous comprenons que le jugement consiste à se juger soi-même face au Crucifié, et que ce dernier, à titre de Juge, ne fait ensuite qu’entériner avec justice ce jugement. a
b
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SERMON 26 DE MÊME, POUR LA PÂQUE
La pâque comme mémorial 1. Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle puisque vous êtes des azymes, car le Christ notre pâque a été immolé (1 Co 5, 7). La pâque a été célébrée aux confins de l’Égypte alors que nos pères, encore sous le pouvoir de pharaon, déploraient l’injustice de leur misérable servitude. Puis, après leur libération, ils célébrèrent à nouveau la pâque dans le pays de la promesse : la première fois comme un avertissement, et par la suite comme un mémorial. Si donc on demande à un Hébreu pourquoi la pâque a été célébrée en Égypte, il répondra : Parce que nous étions encore soumis aux rois de l’Égypte par les liens de la servitude. Cet agneau a libéré le peuple de nos pères, cet agneau l’a appelé à la liberté, cet agneau, pour que nous puissions passer hors d’Égypte, a solidifié les profondeurs de la mer. Par conséquent toutes les fois que nous célébrons la pâque nous devons nous souvenir de l’ancienne servitude et de la liberté nouvelle, de ce que nous étions et de ce que nous avons reçu. On ne peut en effet pleinement comprendre ce qu’on a reçu, à moins de se rappeler ce qu’on était auparavant. La loi est annonciatrice du Christ. Les préceptes de la loi apportent l’espérance concernant l’avenir. Et tel est le commandement du Seigneur : Observe le mois du renouveau et tu célébreras la pâque pour le Seigneur ton Dieu ; dans le lieu que le Seigneur aura choisi tu l’immoleras, le soir au coucher du soleil, comme au temps où tu sortis d’Égypte (Dt 16, 1–8).
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Une intelligence spirituelle de la loi
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2. Les commandements de Dieu contiennent donc les indices de la rédemption à venir. Quoi de plus heureux que le salut, quoi de plus précieux que la résurrection ? Oui, dis-je, qui parmi les justes ne désirerait ardemment être réconforté par la mort du Christ et participer à sa résurrection ? Il nous importe davantage d’être rachetés que créés. Lors de notre naissance nous ne sentons rien, maintenant c’est volontairement que nous sommes sauvés. À quoi sert la loia pour celui qui n’en sait pas le but, qui en ignore le mystère, qui n’en connaît pas les secretsb ? Pour les Juifs l’agneau est immolé en vue de la célébration de la pâque. Pour nous, c’est en vue de la rédemption du monde qu’est immolé le Fils unique de Dieu, né de la Vierge. Quelle utilité pour les Juifs d’enduire leurs maisons et leurs portes du sang de l’agneau ? Aucune, car même les arbres et les rochers ne peuvent leur être d’aucun secours. C’est pour nous que tout mystère révèle son utilité, nous qui croyons, par la grâce spirituelle, avoir à repousser avec horreur l’idée d’ensanglanter nos maisons du sang du bétail et de tremper nos bouches de ce sang. Au contraire nous consacrons nos corps au mystère de la croix du Seigneur et nous sanctifions les paroles de notre bouche en confessant la mort de notre Seigneur Jésus Christ. C’est la foi du cœur qui obtient la justice, la confession des lèvres le salut (Rm 10, 10). Quelle utilité pour les Hébreux de percer l’oreille d’un serviteur avec un poinçon, comme aussi d’être circoncis physiquement ? Ils ne comprennent pas en profondeur ce que règle la loi. Ce sont là des signes, non la vérité. Celui-là montre de l’intelligence, qui châtie son corps d’une circoncision spirituelle pour purifier ses lèvres de toute impureté. Celui-là montre de l’intelligence, qui transcende par la vigueur de l’esprit le poinçon et l’oreille. Cette âme qu’a transpercée le glaive pour en révéler les secrets du cœur (Lc 2, 35), le Christ la relève par le don d’une liberté perpétuelle. Et D’ici jusqu’à la moitié du paragraphe 4, cf. Ambroise de Milan, Expositio Psalmi 118 13, 6–7. b sacramenta. a
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pour examiner et conserver les paroles et tout ce qu’on a reçu par l’oreille de la vertu, il le sanctifie par le mystère spirituel. 3. Le Juif a l’habitude de se confectionner chaque année des azymes, mais sans se savoir lui-même levain de la perversité. Au contraire, celui qui comprend ce qu’il est se purifie du vieux levain pour devenir la pâte nouvelle de la vérité. C’est au Juif que ces choses sont dites, c’est le chrétien qui les entend ; celui qui perce son oreille d’un poinçon en retire une oreille blessée qui l’empêche d’entendre. Ce n’est pas du poinçon de la loi mais de la sottise qu’il aura ensanglanté son oreille. Pour entendre ce qui lui est révélé spirituellement, le voilà qui a perforé son oreille avec du fer, il préfère se confier à du fer qu’à la parole. Ainsi est-il serf, ne méritant pas d’être libre. La grâce de l’accomplissement des temps ne lui est d’aucun secours, car il ne reçoit pas la plénitude du temps (Ga 4, 4), quand le Fils a été envoyé pour le salut. Le Fils est venu pour la rédemption, né sous la loi, né d’une vierge (Ga 4, 4), vainqueur de la mort et donateur de la résurrection. La blessure demeure donc pour qui le Christ n’est pas ressuscité. O blessure qu’on ne peut guérir à moins de laisser de côté le poinçon et de se munir de l’épée, celle que, pour le nom du Christ, on ne refuse pas, et par laquelle on fait la différence entre le physique et le spirituel, entre l’ombre et la vérité. Qu’on s’empare donc de l’épée à deux tranchants, la parole de Dieu (Hé 4, 12), et que, de la bouche de Dieu on apprenne à comprendre le commandement du Seigneur prescrit dans la loi : il n’appelle pas à l’observance d’une célébration terrestre, mais il offre des remèdes salutaires et éternels par cette potion qu’est la grâce spirituelle.
Méditer spirituellement la loi 4. Tout au long du jour, ô âme, médite la loi. Il ne s’agit pas pour toi de la parcourir superficiellement, ou momentanément. Si tu veux acheter un champ ou vendre une maison, tu t’y appliques avec prudence. Tu t’enquiers avec soin de ce qui est vrai ; et pour ne pas te tromper en quoi que ce soit tu ne te fies pas à toi seul.
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Or maintenant c’est toi-même que tu dois acheter : discute de ton prix, considère ce que tu es, le nom que tu portes et ce que tu as à acquérir : non pas de l’or, ni de l’argent, ni des colliers de pierres précieuses, mais le Christ Jésus, pour qui on ne peut s’acquitter d’aucune somme, ni lui apporter aucun ornement. Adjoins-toi comme conseillers Moïse, Isaïe, Jérémie, Pierre, Paul, Jean, et même ce grand conseiller qu’est Jésus, Fils de Dieu, en vue d’acquérir le Père. C’est avec eux qu’il faut traiter, avec eux qu’il faut discuter tout le jour. Que ton âme ne se confie pas à des séductions de ce monde, de peur d’oublier – à Dieu ne plaise – que le Seigneur Jésus, l’Agneau de Dieu, sacrifice pour le monde, nous a délivrés des nœuds de lourdes fautes. Par elles ce très terrible pharaon, prince non seulement de l’Égypte mais de ce monde, nous tenait enchaînés sous les liens d’une dure servitude. N’oublions jamais ces misères. Lorsque nous serons parvenus à ce véritable pays de la promesse, la région des vivants, souvenons-nous de tout ce que nous a fait subir ce dur pharaon, ce que nous avons enduré en cet exil. À ces maux nous avons enfin été arrachés par Celui qui a capturé le perturbateur de tous. Rendons grâce à Celui qui nous en a arrachés, Jésus Christ, notre Seigneur.
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SERMON 27 DE MÊME, SERMON POUR LA PÂQUE
Se préparer dès maintenant à l’avenir promis 1. Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et réjouissons-nous (Ps 117, 24). La méditationa de notre vie présente doit se faire dans la louange de Dieu, car l’exultation de notre vie à venir sera louange de Dieu. Et personne ne peut se rendre apte à la vie à venir sans s’y exercer dès maintenant. Maintenant donc nous louons Dieu et le prions. La louange suppose la joie, la prière le gémissement. Une promesse nous est faite dont nous ne tenons pas encore la réalisation. Et parce que véridique est Celui qui a promis, nous nous réjouissons en espérance. Pourtant nous n’en tenons pas la réalisation, aussi gémissons-nous de désir. Il nous est bon de persévérer dans le désir jusqu’à ce que vienne l’accomplissement de la promesse, que passe le gémissement et que lui succède la seule louange. En raison de ces deux temps, l’un étant actuel, celui des tribulations et des épreuves de cette vie, l’autre qui se déroule dans une sécurité et une exultation perpétuelle, la célébration de ces deux temps a été instituée pour nous : avant la pâque, après la pâque. Ce qui précède la pâque représente la tribulation dans laquelle nous nous situons maintenant. Mais ce que nous commençons de D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 148, 1–2. a
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vivre à partir de ce jour de pâque représente la béatitude que nous connaîtrons alors. Par conséquent exerçons-nous en ce temps-ci par les jeûnes et les prières ; et nous nous livrerons en ce temps-là aux louanges en abandonnant les jeûnes. Voilà en effet l’alléluia que nous ne cesserons de chanter durant cinquante jours et qui se traduit par « Louez le Seigneur »a. Par ailleurs ce temps d’avant la résurrection est aussi celui qui suit la résurrection du Seigneur, par quoi est symbolisée la vie future que nous ne tenons pas encore. De fait, ce qui nous est figuré après la résurrection du Seigneur, nous ne le tiendrons qu’après notre propre résurrection. Dans notre Tête l’un et l’autre de ces temps nous sont représentés, l’un et l’autre nous sont démontrés. La passion du Seigneur nous représente la vie actuelle, celle de la nécessité, parce qu’il nous faut encore peiner, connaître la tribulation et finalement mourir. Mais la résurrection et la glorification illustrent pour nous la vie que nous recevrons lorsqu’il sera venu rétribuer les mérites de ce que l’on aura mérité : le mal pour le mal, le bien pour le bien. Effectivement tous les pervers peuvent chanter avec nous alléluia, et même s’ils persévèrent dans leur perversité, leurs lèvres peuvent prononcer le cantique de notre vie à venir. Mais cette vie elle-même ils ne pourront la recevoir car ils n’auront pas voulu méditer sur l’avenir avant qu’il n’advienne.
L’alléuia, une louange de toute la vie 2. Maintenant, frères, nous vous exhortons à louer Dieu. C’est cela que nous disons tous quand nous proclamons alléluia, louez le Seigneur. Mais louez-le de tout votre être : que non seulement votre langue et votre voix louent Dieu, mais votre conscience, votre vie, vos faits et gestes. En effet, nous louons quand nous nous rassemblons en Église, mais lorsque nous nous éloignons c’est comme si nous cessions de le louer. Oui, nous cessons de louer Dieu quand Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 80, CCSL 72, p. 159, 13. a
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nous nous détournons de la justice et de ce qui lui plaît. Or si nous ne nous détournons jamais d’une vie bonne, même si notre langue se tait, notre vie proclame, et les oreilles de Dieu sont proches de notre cœur. Car de même que nos oreilles sont proches de notre voix, celles de Dieu sont proches de notre cœur. Et de même que nos oreilles sont proches de notre voix, celles de Dieu sont attentives à nos pensées. Il ne peut se faire, en effet, que Celui qui entretient de bonnes pensées produise des actes mauvais. Les actes procèdent des pensées. Nul ne peut faire quoi que ce soit ni même mouvoir ses membres dans ce but, si d’abord ne précède l’ordre de la pensée, comme de celle qui siège et commande dans le cœur. Si celui qui commande ordonne le bien, les actes sont bons ; si, mauvais, il ordonne le mal, les actes sont mauvais. Lorsque c’est le Christ qui siège là, que peut-il ordonner, sinon le bien ? Mais lorsque c’est le diable qui possède ce cœur, que peut-il ordonner, sinon le mal ? Dieu a voulu se tenir dans notre capacité de décision : pour qui préparons-nous ce lieu, Dieu ou le diable ? Une fois ce lieu préparé, celui qui le possède commandera. Par conséquent, frères, lorsque vous prononcez alléluia, ne soyez pas seulement attentifs au son ; lorsque vous louez Dieu, que ce soit de tout votre être : la voix chante, la vie chante, les actes chantent. Et s’il demeure encore un gémissement, une tribulation, une tentation, tout cela – espérons-le – passera, et au jour qui doit venir nous louerons Dieu sans arrière-penséea.
Notre prédestination 3. Pour le moment cependant nous nous trouvons dans la misère de cette vie, aussib est-il nécessaire que nous aspirions à la vie éternelle et bienheureuse en commençant par condamner nos péchés, puis en menant une vie de bien, de manière après cela à obtenir la vie éternelle. Selon le projet de sa justice et de sa bonté a b
defectus. Pour ce paragraphe, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos 150, 3.
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très secrètes, ceux qu’il a prédestinés, Dieu les a aussi appelés, ceux qu’il a appelés il les a aussi justifiés, ceux qu’il a justifiés il les a aussi glorifiés (Rm 8, 30). Notre prédestination ne vient pas de nous, elle réside dans le secret de la prescience de Dieu. Les trois autres actes dépendent de nous : l’appel, la justification, la glorification. Nous sommes appelés par la prédication de la pénitence, selon l’Evangile que le Seigneur a commencé de proclamer : Faites pénitence car le Royaume des cieux s’est approché (Mt 4, 17). Nous sommes justifiés par le renouvellement de la miséricorde et la crainte du jugement. Appelés, nous renonçons au diable par la pénitence pour ne pas rester sous son joug. Justifiés, nous sommes guéris par la miséricorde pour ne pas avoir à craindre le jugement. Glorifiés, nous passons à la vie éternelle où nous louons Dieu sans fin. À cela paraît bien se rapporter cette parole du Seigneur : Voici que je chasse des démons et j’accomplis des guérisons aujourd’hui, et le troisième jour je suis consommé (Lc 13, 32). C’est aussi ce qu’il révèle dans les trois jours de sa passion, de sa dormition, de son réveil. Crucifié il a été enseveli et il est ressuscité, sur la croix il triomphé des Puissances et des Principautés (Ep 1, 21). Dans le sépulcre il a reposé, par sa résurrection il a exulté. La pénitence tourmente, la justice apaise, la vie éternelle glorifie.
La ferveur entourant la pâque 4. Les fêtes pascales que nous célébrons, bien-aimés, ce n’est pas seulement au temps de la grâce qu’elles sont entourées d’une extrême vénération ; elles l’étaient aussi autrefois sous la loi. C’est pourquoi il nous faut réaliser combien cette fête réclame de tous les chrétiens une humble ferveur. Pour la célébrer, ceux-là, qui se montrent le plus humblement fervents, servent à travers les observances charnelles l’exemplaire et l’ombre de la vérité, laquelle actuellement a été manifestée par l’évangile. Car nous lisons dans le Livre d’Esdras que, revenusa de la captivité de Babylone, les fils À partir d’ici et presque jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, In Ezram et Neemiam II. a
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de l’exil dans la maison de Dieu réédifiée et consacrée, ont célébré la pâque le quatorze jour du premier mois. Les prêtres furent purifiés, de même les lévites comme un seul homme – tous purs en vue de célébrer la pâque pour tous les fils de l’exil, pour leurs frères prêtres et pour eux-mêmes (Esd 6, 19s). Quelle importance y a-t-il à se référer à l’histoire de la pâque célébrée après l’édification de la maison du Seigneur, sinon pour rappeler que les fils de l’exil ont achevé avec une humble ferveur l’édification du temple qu’ils avaient entreprise. Les prêtres et les lévites étaient plusieurs milliers, et cependant ils furent tous purifiés pour immoler la pâque. Dans cette vie, quelle plus grande perfection que l’unité d’une multitude purifiée ? Cela non pas dans une diversité d’intentions mais, comme l’écrit Luc de la primitive Église du Nouveau Testament, ils ne formaient qu’un cœur et une âme (Ac 4, 32) dans la vraie foi et l’amour en Dieu. C’est donc par tous les fils d’Israël, auxquels s’étaient joints ceux qui avaient rompu avec l’impureté des nations du pays, qu’on célébra la pâque (Esd 6, 21). Il faut remarquer que par les nations du pays l’auteur entend ceux qui servaient l’impureté, et qu’au contraire il qualifie de nations du ciel ceux qui s’en sont séparés pour servir le Seigneur dans l’unité et la chasteté, et qui d’un cœur sincère ont célébré ces solennités. On ne trouve nulle part ailleurs, de la part du peuple d’Israël, une si grande ferveur ; mais celle-ci est due aux châtiments de Dieu, lorsque ses fils, pour leurs péchés, ont été livrés à des ennemis qui les ont affligés et de qui ils ont subi l’adversité. En se détournant des péchés par la pénitence, et grâce à cette dernière et à la conversion, ils ont été libérés des ennemis et rappelés à leur propre patrie. Il nous arrive très souvent d’en voir qui, en péchant par eux-mêmes ou par d’autres, ont profané le temple de leur corps et sont devenus de ce fait captifs du diable. Or les voici qui, par la pénitence, reviennent au Seigneur. Par une application plus grande que celle dont ils avaient l’habitude, ils s’adonnent péniblement aux bonnes œuvres, préparant ainsi en eux-mêmes une demeure pour Celui qui les conduit. Il est facile, en se tournant vers la foi et la connaissance de la vérité, de renoncer au diable et de confesser le Dieu vivant et vrai.
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Facile en recevant les sacrements du Christ pour la rémission des péchés, de devenir son temple et, avec l’accompagnement de la grâce, de conserver l’innocence reçue de sa vie. Mais grande est la peine de celui qui, après avoir reçu les sacrements de la foi, méprise cette première dignité en péchant. Car il n’est pas facile pour lui de connaître à nouveau le redressement réalisé par l’eau du baptême. Une faute devenue coutumière ne peut être effacée que par le labeur d’une longue pénitence, de larmes qui coulent largement, d’une stricte modération. À cet effort pour se corriger répugne l’habitude des fautes, d’autant plus difficile à surmonter que l’on possède une terre – son cœur – vide de vertus depuis longtemps.
La pâque, passage à la vie véritable
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5. Après la réédification et la dédicace de la maison du Seigneur, la célébration de la pâque est commémorée afin d’introduire spirituellement en nous ce sommet de toute perfection qui consiste à surmonter les convoitises du monde et toutes ses séductions, en méditant avec une intention absolue d’entrer dans une autre vie. Pâque se traduit en effet par « passage », ce terme issu du fait que les fils d’Israël, par l’immolation de l’agneau ont passé de la servitude de l’Égypte aux joies de la liberté ; ou encore du fait que l’agneau immaculé lui-même – le Seigneur immaculé – a passé de ce monde au Père. Cela nous l’imitons à notre tour lorsque, des plus petits plaisirs, nous passons en quête des biens du ciel, ce que nous accomplissons en vérité lorsque, dégagés de ce corps de chair, nous entrons dans le Royaume du ciel. À cette signification correspond très bien la solennité des azymes qu’ils ont célébrée durant sept jours dans la joie (Esd 6, 23). Cette solennité, comment devons-nous la célébrer spirituellement ? L’Apôtre l’enseigne en ces termes : Célébrons la fête non pas avec du vieux levain, ni un levain de malice et de perversité, mais avec des azymes de pureté et de vérité (1 Co 5, 8). Elle doit être par nous célébrée durant sept jours, car c’est tout au long du temps de ce monde qu’elle doit durer dans la pureté et la vérité –
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davantage : avec l’offrande de toutes les bonnes œuvres, et la vie offerte en holocauste. Car notre Seigneur, au temps de la pâque, après avoir goûté passagèrement la mort, a remporté la victoire par la puissance éternelle de la résurrection. C’est alors adéquatement que la célébration de la pâque introduit la gloire de la résurrection à venir, lorsque tous les élus, rendus purs par la chair de l’Agneau – c’est-à-dire de Dieu et de notre Seigneur Jésus Christ – n’auront plus besoin de croire dans les sacrements, mais en voyant en réalité et en vérité, ils seront restaurés. C’est pourquoi dans cette pâque du passage des fils, qui procède symboliquement de notre véritable pâque, tous sont purifiés, tous comme un seul homme affluent, car alors véritablement l’Agneau enlève les péchés du monde (Jn 1, 29). Et comme le dit l’Apôtre Jean : Le sang de Jésus Christ, son Fils, nous purifie de tout péché (1 Jn 1, 7). C’est alors que s’établira la véritable unité, où Dieu sera tout en tous (1 Co 15, 28). Alors on célébrera la véritable solennité des azymes, quand ne demeurera parmi les élus aucun ferment de perversité ; tous, dans la vérité et la sincérité, s’attacheront à la vision de Dieu. Cela non durant quelques jours de ce monde, mais au jour unique de la vie éternelle dans les parvis du Seigneur (Ps 83, 11) – ce jour qui se révèle meilleur que mille dans la lumière de l’Esprit Saint, dont le prophète nous recommande la grâce septiforme (Is 11, 2s) Ils ont célébré la solennité des azymes durant sept jours dans la joie, car le Seigneur leur Dieu les avait rejoints (Esd 6, 22s). Voilà la plus grande joie des justes en ce monde et dans le monde à venir, voilà l’œuvre parfaite de l’Église, lorsque ceux qui sont venus dans le monde avec le péché de la première transgression, sont sauvés, purifiés par les sacrements de la foi ; ou encore lorsque ceux qui, en péchant, ont corrompu la foi qu’ils avaient reçue, sont venus à résipiscence par la pénitence. Les uns et les autres, par le même et unique Sauveur, le Roi véritable et le véritable Prêtre, en célébrant cette heureuse pâque, passent de ce monde au Père, de la mort à la vie (Ap 3, 14), avec le secours de notre Seigneur Jésus Christ.
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SERMON 28 SERMON POUR L’ASCENSION
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L’Ascension, aboutissement de toutes les fêtes du Christ 1. Aujourd’hui, frères très chers, voici pour nous la fête très heureuse de l’ascension ; aujourd’hui est détruite la captivité du genre humain. Voici le jour où fut restaurée la ruine survenue aux anges, où la milice céleste s’est réjouie de voir les humains y prendre part. Voici cette festivité qui marque, d’une certaine manière, la fin de toutes les autres et sans laquelle elles perdraient leur raison d’être. De fait, si le Christ n’était pas monté au ciel, sa nativité serait vaine, sa passion sans fruit, sa résurrection inutile. Le Dieu de toute miséricorde a racheté l’homme en se faisant homme, il a détruit notre mort par sa mort, il a restitué notre immortalité par sa résurrection et, pas son ascension, célébrée aujourd’hui, il nous a ouvert accès à sa gloire céleste. Ce qui est advenua sur la croix du Christ, dans sa sépulture, sa résurrection le troisième jour, il le réalise par son ascension d’aujourd’hui dans le ciel pour siéger à la droite du Père, de manière à configurer à ces événements la vie chrétienne qu’on mène ici-bas. Car, en raison de sa croix, il a été dit : Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair (Ga 5, 24) – c’est-à-dire se sont macérés en combattant – leur chair avec ses vices et les convoitises de ses désirs charnels (Ga 5, 24). En raison de sa sépulture et de sa résurrection a
D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Augustin, Enchiridion 14, 53.
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Sermon 28
il est dit : Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous marchions en nouveauté de vie (Rm 6, 4). En raison de son ascension dans le ciel où il siège à la droite du Père, il nous a été dit : Recherchez les réalités d’en haut, là où le Christ siège à la droite du Père, goûtez à ce qui est d’en haut, non à ce qui est sur la terre (Col 3, 1s).
Une préfiguration de la destinée chrétienne 2. Prêtons attentiona aux différentes choses qui peuvent être dites ou réalisées à ce sujet, et regardons comment la vie chrétienne s’y trouve préfigurée. Le Christ qui avait vécu en « vieil homme » parce qu’il avait contracté du premier homme la vétusté, non selon la faute mais selon la peine, finit par déposer cette vétusté que sont la faim, la soif et toutes les choses semblables, pour endurer la douleur de la croix ; il aurait ainsi sur la croix les membres distendus, fixés par des clous, dans l’impossibilité de bouger pour retrouver leurs premiers mouvements. Ensuite, mis au sépulcre, il s’est reposé, soustrait aux regards par lesquels on exige que nous déposions, en gémissant dans la douleur de la pénitence, la vétusté et donc l’habitude des péchés : que nous ayons les membres fixés par les clous de la maîtrise et de la justice pour ne pas en revenir aux péchés du début. De cela il nous faut nous reposer si parfaitement que nous n’ayons à ce sujet ni regard ni souvenir. Cela concorde avec notre humble ferveur, comme le dit le bienheureux Augustin, pour que nous, qui connaissons la passion du Crucifié, nous mettions en croix les voluptés charnelles. Sur cette croix le chrétien doit s’attacher par toute sa vie et toujours à l’image du Christ, crucifié par les clous – entendons les préceptes de la justice. Cette image de la mort garantira l’image de la résurrection pour que, ressuscitant par les bonnes œuvres, nous marchions en nouveauté de vie (Rm 6, 4), montant de vertu en vertu jusqu’à la droite de Pour la première partie de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Romanos 6 ; Ad Galatas 5. a
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Dieu, qui se tient comme le Dieu des dieux (Ps 83, 8), tel que nous méritons de le voir. Sur la croix se tient la douleur des confesseurs, dans le sépulcre le repos des pardonnés, dans la résurrection la vie des justes, dans l’ascension le progrès des parfaits ; enfin, à siéger à la droite de Dieu, on connaîtra la gloire des bienheureux, dont chacun, selon la grandeur éternelle de ses mérites, recevra en récompense le bonheur. Cela le Seigneur lui-même dans l’évangile le faisait savoir : Dans la maison du Père il y a beaucoup de demeures (Jn 14, 2). Mais en elles nul ne ressentira le manque de quelque joie ou bonheur que ce soit, car chacun trouvera sa pleine satisfaction de ce qu’il recevra.
Ce que sera le repos éternel
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3. Dans ce repos de la suprême béatitude, que feront les saints ? Le psalmiste l’expose en ces termes : Heureux les habitants de ta maison, dans les siècles des siècles ils te loueront (Ps 83, 5). Et le Seigneur lui-même dans l’Evangile l’explique plus clairement encore : Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu (Mt 5, 8). Voilà, sans aucun trouble, cette paix bienheureuse de Dieu qui surpasse toute intelligence (Ph 4, 7) et dans laquelle le Dieu des dieux sera vu en Sion (Ps 83, 8) – c’est-à-dire dans la contemplation d’un repos perpétuela. Tous les membres du corps incorruptibleb, que maintenant nous voyons répartis par nécessité en divers services, seront utilisés aux louanges de Dieu, car il ne subsistera plus aucun besoin de peiner, aucune gêne causée par l’indigence, mais une sécurité pleine et assurée, une félicité éternelle, une joie sans défaillance. O quelle jouissance lorsque ne subsistera aucun mal et ne manquera aucun bien. On sera entièrement disponible aux louanges
a Sion : specula seu speculator : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 39, CCSL 72, p. 108, 25, etc. b Pour une grande partie de ce paragraphe, cf. Augustin, De ciuitate Dei 22, 30.
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Sermon 28
de Dieu, qui sera tout le bien en tous, un seul amour en tous, une unique concorde de tous. Véritable honneur, qui ne sera pas refusé à qui en est digne, ni décerné à qui en est indigne ; n’y parviendra personne d’indigne, n’en sera écarté personne de digne. Véritable paix où nul ne souffre rien de contraire ni de sa part à lui, ni de la part d’autrui. La récompense de la vertu sera Celui qui a donné la vertu et s’est donné lui-même, promettant ainsi qu’il n’y aurait rien de meilleur ni de plus grand ; il sera une heureuse plénitude pour tous. C’est ce que le prophète inspiré par l’Esprit Saint avait vu d’avance en formulant ce souhait : Que je sois rassasié lorsque se manifestera ta gloire (Ps 16, 15 vg). Alors Dieu sera lui-même la communiona des saints, la jouissance des bienheureux, tout ce qu’ils peuvent désirer honnêtement : le salut et la vie, les vivres et l’abondance, l’honneur et la gloire, le bonheur éternel et l’éternité bienheureuse. Il sera luimême la perfection de nos désirs, lui qui sera vu sans interruption, aimé sans lassitude, loué sans fatigue. Alors se réalisera la véritable immortalité, où nul ne pourra plus mourir. La première condition de l’homme consistait à pouvoir ne pas mourir ; mais il lui est arrivé, en raison de la peine du péché, de ne pas pouvoir ne pas mourir. Se trouve dans la félicité cette troisième condition : ne pas pouvoir mourir. La capacité de décision de la volonté s’avérera alors pleinement libre, par laquelle il fut donné à l’homme de pouvoir ne pas pécher, mais il lui sera encore plus heureux de ne pouvoir pécher. Le sabbat de l’éternel repos se révélera le jour de tous les saints. Dieu lui-même se fera voir là, lui qui est aimé, et lui qui est aimé sera loué sans fin. Voilà donc, frères, ce dont nous avons soif, car suprêmement en ce jour le grand Prêtre suprêmeb, montant, est entré pour nous en précurseur dans le saint des saints ; il est monté pour prendre place à la droite de la gloire du Père afin d’affermir l’espérance de ses membres, et pour que l’humilité du troupeau suive jusqu’où l’a précédé, comme il le croit, son Pasteur, notre Seigneur Jésus Christ. a b
societas. Cf. Hé 6, 20 ; 9, 25.
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SERMON 29 DE MÊME, SERMON POUR L’ASCENSION
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Comment monter à l’exemple du Christ 1. Notre Seigneur Jésus Christ, frères bien-aimés, en montant aujourd’hui dans les lieux célestes – quelle joie d’y penser et d’en parler – nous a restitué un droit : le droit de monter pareillement avec lui, et que nous avions perdu depuis notre premier parent. Par l’exemplaire de son humilité il nous a enseigné comment nous devions monter de l’abîme des vices vers les hauteurs des vertus. Car l’homme est tombéa en descendant les trois degrés de la ruine. Le premier : la présomption de la volonté propre ; le deuxième : l’abus des jouissances charnelles ; le troisième : la poursuite des réalités de ce monde. Cette même voie par laquelle on est descendu, il faut la remonter par les mêmes degrés, mais en ordre inverse. Le premier : renoncer au monde ; le deuxième : mortifier la chair ; le troisième : chasser la volonté propre. Ce sont là les trois jours par lesquels nous revenons au Christ. Ainsi Moïse : Nous irons trois jours de chemin dans le désert pour sacrifier au Seigneur notre Dieu (Ex 3, 18). Selon ce que nous venons de citerb, il y a un certain accès à Dieu, et un certain retrait de Pour les lignes qui suivent, Cf. Bernard de Clairvaux, Sententiae III, 95. À partir d’ici et jusque dans les premières lignes du paragraphe 2, cf. Hugues de Saint-Victor, Miscellanea I, 142. a
b
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Sermon 29
l’âme par rapport à Dieu. Pour celui qui s’en va, le chemin traverse la nuit ; pour celui qui revient, il passe par le jour. Autant de nuits pour se retirer, autant de jours pour revenir. Pour celui qui se retire, le chemin de nuit passe par l’orgueil ; c’est ainsi qu’il déserte Dieu. Le chemin de la deuxième nuit passe par la convoitise ; on aspire ainsi à autre chose qu’à Dieu. Le chemin de la troisième nuit passe par l’obstination ; on s’appuie sur d’autres réalités, hors de Dieu. Dans l’orgueil se tient la vanité, dans la convoitise la délectation, dans l’obstination le consentement. Par l’orgueil, en s’éloignant de Dieu on vient à soi pour reposer en soi. Par la convoitise on descend au dessous de soi-même pour reposer dans la chair. Par l’obstination on est entraîné hors de soi pour reposer dans l’aspect charnel des réalités visibles et demeurer dans la délectation. En premier lieu on va pour se glorifier de sa vertu, en deuxième lieu pour se délecter de ses vices, en troisième lieu pour se consoler dans les réalités passagères. En premier lieu : Maudit est l’homme qui se confie en l’homme ; en deuxième lieu : l’homme qui fait de la chair son appui (Jr 17, 5) ; en troisième lieu : l’homme qui a placé son espoir dans l’abondance de ses richesses et qui a prévalu par sa vanité (Ps 51, 9).
Revenir en tuant tous les ennemis 2. Pour celui qui revient, voici le chemin du premier jour : l’âme convertit son attention de ce qui est hors d’elle-même vers ce qu’elle est elle-même. Et voici le chemin du deuxième jour : de ce qu’elle est, l’âme est conduite vers ce qu’elle doit être. Et voici le chemin du troisième jour : de sa perception de la lumière, l’âme est enlevée vers la source de la lumière. Le premier retour se fait des réalités étrangères aux siennes propres ; le deuxième du mal au bien ; le troisième de l’exercice de la vertu à la perception de sa douceur intérieure et éternelle. Mais dans le cas de ceux qui renoncent au monde et se tournent vers le Christ, voici ce qui a été proposé pour ceux qui reviennent avec ordre : d’abord une confession pure, selon la foi. Ce qui
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Sermon 29
amène l’Apôtre à dire : Elle est fiablea cette parole et digne d’être accueillie sans réserve : le Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs (1 Tm 1, 15). C’est un autre pécheur, au cœur vrai et à la parole fiable, qui confesse ses péchés en ces termes : Heureux celui dont les iniquités sont pardonnées (Ps 31, 1). Il en est d’autres qui s’excusent, et à propos desquels le Seigneur par son prophète dit : J’ai fait pleuvoir sur une ville, et non pas sur une autre (Am 4, 7). Autrement dit : l’âme spirituellement empressée, transpercée par la parole de l’enseignement, je l’ai irriguée ; et j’ai laissé dans son péché celle qui se présente dure et obstinée. Certains par ailleurs ne confessent qu’une part de leurs péchés : cette part-ci a reçu la pluie de la parole qui enseigne et qui confesse ; l’autre part demeure sans pluie. Dieu a prescrit aux fils d’Israël en entrant dans le pays de la promesse de tuer tous les ennemis : Ceux qui resteraient seraient pour toi comme des clous dans les yeux, des lances dans les côtes (Nb 33, 55). Par la confession sortons d’Égypte – du monde – et pénétrons dans le pays de la promesse, la Patrie céleste, pourvu que nous mettions à mort tous les vices jusqu’au dernier. Ceux qui subsisteraient seraient des clous dans nos yeux, des lances dans nos côtes – c’est-à-dire une entrave pour la bonne intention ou un tourment dans la conscience, si bien que par là les plus grands efforts des vertus seraient anéantis, alors qu’elles devraient au contraire protéger comme des côtes ce qui est faible et intérieur.
La même voie en sens inverse 3. Mais il est important de connaître la route et de savoir de quel viatique user. Il faut passer à travers Jéricho, c’est-à-dire par le défaut de cette vie. Jéricho se traduit en effet par « lune »b ; et comme la lune apparaît tantôt creuse, tantôt pleine, ainsi les uns sont pauvres, les autres riches. Cette Jéricho symbolique comporte fidelis. Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 9. a
b
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sept remparts, dont le premier est l’orgueil, l’acédie et tous les vices qui l’accompagnent ; le deuxième l’envie, le troisième la colère, le quatrième la tristesse, le cinquième l’avarice, unique, avec tous les vices et les péchés qui l’accompagnent. Mais il en est encore deux de physiques : la voracité et la luxure. Il est prescrit de mettre à mort tout cela chez ceux qui veulent entrer et parvenir dans le pays de la promesse. Car on n’y entrera pas à moins de traverser Jéricho en prenant le sens inverse. Ainsi l’orgueil détruit devient l’entrée de l’humilité ; et il en va de même de l’envie pour l’amour, de la colère pour la patience, de l’avarice pour la générosité, de la voracité pour la sobriété, de la luxure pour la chasteté. Telle est donc la voie par laquelle nous tendons vers la Patrie céleste.
Le viatique Le viatique est le corps et le sang du Seigneur. S’en trouver dépourvu non seulement ne permet pas de parvenir à destination, mais en détourne. Or certains les mendient, et ils ne leur sont pas donnés. Comme le dit Salomon : En raison du froid le paresseux refuse de labourer ; l’été venu il mendiera, et personne ne lui donnera rien (Pr 20, 4). En raison de ce monde le réprouvé refuse de s’adonner aux œuvres bonnes ; venue la clarté du dernier jour, il mendiera comme une piécette le salut éternel, et personne ne lui donnera rien. L’hiver est à comprendre comme le monde présent : L’iniquité y abonde, et dès lors l’amour se refroidit (Mt 24, 12). L’été représente le jour du jugement, où les élus, comme de bons agriculteurs, moissonnent un bonheur perpétuel qui leur est rendu par notre Seigneur Jésus Christ. Celui-cia se propose en commun à tous les fidèles comme la récompense de l’œuvre, le salaire du travail, le guide sur le chemin, la couronne du combat, lui qui s’est relevé de la terre et aujourd’hui a pénétré les cieux, qui est venu très bas sans quitter le hauteur, lui le très haut et le très bas, très haut en majesté, très bas en compassion. Il est très haut afin d’enD’ici jusque vers la fin du sermon, cf. Hugues de Saint-Victor, De Arca Noe morali II, 7–8 ; III, 8 ; II, 8. a
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Sermon 29
traîner le désir, très bas pour fournir son secours. En bas au milieu de nous, très haut au dessus de nous. En bas dans ce qu’il a reçu de nous, en haut dans ce qu’il nous a proposé.
Chute et relèvement d’Adam
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4. Cette maison du Seigneur a été préparée au sommet d’une montagne où affluent toutes les nations (Is 2, 2), et les fidèles y montent des quatre parties du monde. Les uns montent de la chaleur de l’orient, d’autres de la chaleur de l’occident, d’entres encore du froid de l’orient, d’autres enfin du froid de l’occident. La chaleur orientale représente la ferveur spirituelle, la chaleur occidentale la convoitise de la chair, le froid oriental l’enflure de l’orgueil, le froid occidental la cécité de l’ignorance. Dans la chaleur orientale l’homme a été créé et aussitôt il fut placé dans le jardin d’Éden, au midi de l’orient. Mais il a passé vers le froid de l’orient quand il s’est constitué participant de celui qui le premier a déclaré qu’il prendra place sur le siège de l’aquilon (Is 14, 13)a. Il est ensuite tombé dans la chaleur de l’occident quand, après le péché, il trouva une autre loi dans ses membres, en lutte contre la loi de l’esprit (Rm 7, 23). C’est alors qu’il s’est écroulé dans le froid de l’occident quand, frappé par la cécité de l’ignorance, il se mit à oublier de manger le pain du ciel (Ps 101, 5). Dans la chaleur de l’orient se place le principe de la nature bonne, dans le froid oriental le commencement de la faute, dans la chaleur et le froid de l’occident la peine de l’âme et du corps. Dans la chaleur de l’orient, en hauteur, l’homme a été créé. Dans le froid de l’orient il a voulu orgueilleusement s’élever, et par conséquent dans la chaleur et le froid occidentaux il s’est effondré jusqu’à terre. Mais grâce au Médiateur de Dieu et des hommes (cf. 1 Tm 2, 5), le Seigneur Jésus Christ, les uns déjà viennent d’orient et d’autres d’occident pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob Il s’agit du diable, dont la chute, selon la tradition, était la conséquence de son orgueil : lui, la première des créatures, a voulu s’élever jusqu’à prendre la place du Fils de Dieu. a
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Sermon 29
dans le Royaume des cieux (Mt 8, 11). Déjà on crie à l’aquilon pour qu’il donne et au vent du sud pour qu’il ne retienne pas les fils de Dieu (Ct 4, 16).
Tous montent vers le Roi 5. Effectivement le Christ Jésus est vrai Dieu et vrai homme, et dans son humanité il se présente comme exemple. De par son humilité, et de la faiblesse qu’il a assumée, il réprime notre orgueil et illumine notre cécité. De par la puissance de sa gloire, il repaît nos âmes d’une nourriture invisible et, par l’ombre de l’Esprit Saint, il protège nos cœurs de la chaleur brûlante des vices. Il est donc devenu pour nous l’arbre de vie (Gn 2, 9) et le livre de vie (Si 24, 32 vg) : l’arbre parce qu’il nourrit et ombrage, le livre parce qu’il reprend et enseigne. Il reprend ceux qui s’élèvent, il illumine les aveugles, il nourrit les affamés, il ombrage ceux qui souffrent de la chaleur. Qu’ils écoutent les reproches, ceux qui s’élèvent, et qu’ils s’humilient. Qu’ils écoutent, les aveugles, et qu’ils soient spirituellement illuminés par l’enseignement. Que ceux que brûle la chaleur des vices recherchent cette ombre pour s’y rafraîchir. Que ceux qui ont faim et soif de la justice se hâtent de venir ici pour se rassasier. Que personne ne s’excuse. Tout homme trouve un remède adéquat à sa maladie là où un espace est offert aux méchants pour se corriger, aux bons pour s’améliorer. Montons, toute affaire cessante, montons allègres, montons joyeux, car nous irons à la maison du Seigneur (Ps 121, 1). Montons à la fête de la Patrie d’en haut, tribus d’Israël, pour confesser le nom du Seigneur dans les tours de Jérusalem (Ps 121, 4). Levons les yeux et voyons les sentiers pourpres tracés au flanc des montagnes éternelles, et les collines dirigées vers le haut jusqu’aux portes de Jérusalem. C’est là que l’étendard de la croix, en brillant dans une très haute lumière rose, terrifie les ennemis et affermit les amis. Les portes de la ville sont ouvertes et sur ses places se fait entendre la voix de ceux qui chantent : Alléluia.
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En montant tu verras là de nombreux peuples munis de palmes, de tous peuples, nations et langues (cf. Ap 5, 9), les uns fulgurant d’un vêtement rose, d’autres brillant d’un vêtement blanc, d’autres encore resplendissants de vêtements violets – autant d’ornements de fêtes. Grand et innombrable, le peuple qui s’est préparé pour le jour du Seigneur. Le Roi lui-même se tient tout en haut, où il nous invite ; abaissé il nous aide. Les paresseux sont réveillés, les timides affermis, les faibles fortifiés, les courageux rendus encore plus courageux. Tout âge, tout sexe, toute condition accourent de toutes les parties du monde et montent à l’envi, avec alacrité et joie, pour voir le Roi dans sa beauté (Is 33, 17). Tous et chacun désirent, au jour d’une si grande fête, apparaître eux-mêmes en fête.
Les degrés vers le ciel 120
6. Mais il nous faut voir par quels degrés on monte vers le ciel, pour que la peine de cet itinéraire ne terrifie personne, puisqu’on se délecte de la récompense promise. Se présentent ici les degrés pourpres de la montéea, car lorsqu’on les monte avec peine mais que l’amour les recouvre, la peine même de la montée en est allégée, en même temps qu’est fortifiée la faiblesse de celui qui monte. À juste titre, car l’amour est semblable au vin. Ceux qu’il enivre, le vin les rend hilares, audacieux, forts, oublieux, et d’une certaine manière insensibles. Ainsi l’amour, en purifiant la conscience, remplit de rire l’esprit, puis le rend audacieux quand la conscience purifiée fait naître une confiance. En outre l’amour augmente les forces car, comme le dit l’Écriture : Il est fort comme un lion (Jg 14, 18), celui qui a mis sa confiance dans la Seigneur. De fait la conscience pure ne peut être vaincue par aucun adversaire : en ne cessant de compter intérieurement sur le secours de Dieu, elle méprise toute adversité extérieure et elle en triomphe aisément. L’amour fait naître aussi l’oubli, car lorsque toute l’intention de l’âme entraîne celle-ci vers le désir des réalités éternelles, ce qui Sur ce thème, cf. Gilbert de Hoyland, Sermones in Cantica Canticorum 17, 5. Empourprés parce que marqués par le sang du Christ dont on suit les pas. a
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Sermon 29
est passager sort complètement de la mémoire. L’amour en outre rend insensible en remplissant entièrement l’esprit d’une douceur intérieure, celui-ci ne ressent quasiment pas et méprise tout ce qui, de l’extérieur, lui vient d’amer. Ainsi l’amour fortifie l’esprit des élus pour escalader les degrés de la béatitude en le dotant d’une confiance, d’une force insurpassable et d’une constance qu’elle rend en quelque sorte insensible. Le premier degré s’élève du froid de l’orient, c’est-à-dire de ce gonflement qu’est l’orgueil, car il faut d’abord que le premier pécheur resurgisse par l’obéissance puisque c’est par la désobéissance qu’il s’est jeté dans la faute. Le deuxième degré s’élève de la chaleur occidentale, car il s’avère nécessaire, en deuxième lieu, de piétiner les vices de la chair, de manière à ne pas marcher selon nos désirs, mais de mortifier nos membres qui sont sur la terre (Col 3, 5) pour ne pas continuer à servir le péché (Rm 6, 6). Le troisième degré s’élève du froid de l’occident car, lorsque déjà nous aurons éteint en nous les élans charnels par la modération et l’exercice de la maîtrise de soi, nous pourrons alors vaquer librement à la méditation et à l’enseignement des divines Écritures. Que par l’ardeur de la lecture et de la méditation l’œil de notre esprit se laisse à nouveau illuminer. Comme le dit le psalmiste : Éloignez-vous de moi, méchants, je scruterai les commandements de mon Dieu (Ps 118, 115). Le quatrième degré s’élève de la chaleur de l’orient, où nous progressons du bien vers le mieux, car nous ne pouvons parvenir à la perfection à moins de nous appliquer sans interruption à grandir dans le bien que nous mettons en pratique. Qu’en reconnaissant les actes et les paroles de notre Seigneur Jésus Christ, comme aussi les préceptes qu’il a commandés, nous méritions aussi d’avoir part à ce qu’il a promis. Qu’ainsi, en croissant dans la connaissance de la vérité et l’amour de la vertu, nous devenions spirituellement conformes au Christ et parvenions à la mesure de sa plénitude (Ep 4, 13) – grâce au don et au secours de Celui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 30 SERMON POUR LE SAINT JOUR DE LA PENTECÔTE
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L’Esprit et le mystère du Christ 1. Vous avez célébré comme il convient, avec un empressement festif, les jours de la résurrection du Seigneur et de son ascension ; et ce jour d’hui ne doit pas être accueilli avec une moindre vénération. Il a brillé, lui, cinquantième jour après que le Christ fût ressuscité. En grec il porte le nom de Pentecôte, ce jour où notre Seigneur Jésus Christ avait promis l’Esprit Saint à ses disciples, avant sa passion, puis après sa résurrection, et le jour de son ascension ; et où il accomplit la vérité de cette promesse. Cet Esprit Sainta, dans des langues de feu (Ac 2, 3), souffla sur le cœur des apôtres, leur inspirant tout ce qu’ils avaient à savoir du Christ. Il révélait ainsi aux mortels, dans une claire lumière, qu’est égal au Père, avant tous les siècles, le Dieu qui s’est fait homme, semblable à nous, à la fin des temps. Né de la Vierge sans péché, il a vécu dans le monde quand et comme il l’a voulu ; par la mort il a passé de ce monde et en ressuscitant il a vraiment détruit la mort. Sa véritable chair, dans laquelle il a souffert et est ressuscité, il l’a élevée et établie à la droite de la gloire de Dieu. Tous les écrits des prophètes lui rendent ce témoignage : la confession de son nom doit s’étendre jusqu’aux limites de la terre, et tous les mystères de a
Pour les lignes qui suivent, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 16.
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Sermon 30
la foi chrétienne ont été dévoilés aux disciples par le témoignage de l’Esprit Saint.
L’Esprit, connaissance et force des apôtres Avant sa venue les disciples s’avéraient trop incapables de comprendre les secrets de la sublimité divine, trop faibles aussi pour supporter l’adversité due à la dépravation humaine. Mais l’Esprit survenant, avec l’augmentation de la connaissance de Dieu, la constance leur a été donnée de manière à surmonter la persécution des hommes. L’Esprit lui-même a illuminé leur cœur de la connaissance de la vérité et les éleva jusqu’au sommet de la vertu pour qu’ils enseignassent ce qu’ils savaient. Aussi estce avec raison que chez Isaïe il porte le nom d’esprit de force et d’esprit de science (Is 11, 2). Il est en effet esprit de science car par lui nous savons comment agir et penser droitement. Il est aussi esprit de force car par lui nous recevons de quoi accomplir le bien que nous avons appris à connaître, et de quoi ne pas nous laisser repousser du bien que nous avons reçu. Par lui encorea un si grand amour est allumé dans le cœur des disciples que, rejetant toute crainte charnelle, ils ont proclamé avec constance dans sa réalité la résurrection de Celui que, tout tremblant, ils avaient fui au temps de sa passion. Aussi est-il écrit : Tout remplis du Saint Esprit ils annonçaient la parole de Dieu avec assurance (Ac 4, 31). Ce même Esprit, le Seigneur lui-même le fait connaître dans la lecture du saint Évangile de ce jour comme Paraclet (Jn 14, 26), c’est-à-dire consolateur. Et de fait, le cœur des disciples, que le départ de Jésus avait abattus, sa venue les consolerait, les recréerait. Or pour chacun des fidèles abattus de tristesse en raison des péchés commis, ou peinant ensemble dans l’affliction de ce monde, il leur inspire l’espérance du pardon et de la miséricorde du ciel et introduit ainsi dans leur esprit les joies de la cité d’en haut par le D’ici et jusqu’à la fin du paragraphe 1 et les premières lignes du paragraphe 2, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 11. a
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Sermon 30
don de son souffle. Les détournant des jouissances présentes, il les enflamme de désirs pour le Royaume promis dans les cieux, et il les réjouit en révélant en eux un esprit dégagé sûrement de l’angoisse due à la tristesse.
Complémentarité du carême et de la Pentecôte
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2. Ainsi le Saint Esprit a déployé plus pleinement sa puissance chez les apôtres, et il ne cesse d’œuvrer chaque jour en tous les élus selon la capacité de chacun, en les touchant brièvement. C’est pourquoi en cette solennité de la Cinquantaine que nous achevons aujourd’hui, il nous plaît maintenant de parler plus subtilement de cette puissance de l’Esprit. De même quea, par l’observance des jeûnes, nous avons conduit le carême jusqu’à l’irruption des solennités pascales, de même, ces dernières prenant fin, nous avons conduit jusqu’au bout la célébration de la Cinquantaine, non sans y discerner un mystère déterminé. Car la sainte Église, en certains de ses membres, peine encore sur la terre en vue du repos éternel ; mais en certains autres elle règne déjà dans le ciel, toute peine ayant pris fin. En mémoire de l’une et de l’autre de ces existences nos pères ont établi adéquatement deux sortes de solennités religieuses. D’abord le carême, serrant de près le temps de la résurrection du Seigneur et des joies pascales. Cela pour nous remettre plus souvent en mémoire que, par les peines et les renoncements, les veilles et les prières, et tout ce que l’Apôtre rappelle sous le nom d’armes de la justice (Rm 6, 13), nous devons atteindre les récompenses de la vie éternelle. Et par ailleurs ils ont voulu que la Cinquantaine commence dès le jour de la résurrection et soit célébrée bien plutôt dans la joie et les louanges de Dieu, pour que, par ces fêtes de chaque année nous soyons exhortés avec plus de douceur au désir d’obtenir les fêtes qui ne sont pas annuelles mais continuelles, et non pas terrestres mais célestes. Il s’agit de monter toujours, de tenir un a
Pour la fin de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 16.
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Sermon 30
dessein bien arrêté, car ce n’est pas dans le temps de cette mortalité mais dans l’éternité de la future incorruptibilité qu’il nous faut rechercher le vrai bonheur et trouver la véritable solennité. Là, toutes langues cessant (cf. 1 Co 13, 8), on vivra dans la totale vision et la parfaite louange de Dieu, comme le prophète le disait aussi bien du cœur que de la chair, en exultant dans le Dieu vivant : Heureux les habitants de ta maison, dans les siècles des siècles ils te loueront (Ps 83, 5). 3. Cette double célébrationa – carême et Cinquantaine – ce n’est pas l’autorité d’un homme mais celle de notre Seigneur et Sauveur lui-même qui l’a prescrite. Le carême, en ce qu’il a jeûné nuit et jour dans le désert durant quarante jours et qu’il a bénéficié du service des anges pour déjouer les ruses du Tentateur (Mt 4, 1–11). Là il nous a enseignés par son exemple, car nous devons éviter par l’ascèse de la chair les machinations de l’Adversaire spirituel et parvenir à la communion des anges. Et par ailleurs il nous a révélé les joies de la Cinquantaine pour que nous les conservions en lui. Effectivement, après sa résurrection il s’est présenté vivant à ses disciples, leur apparaissant, les entretenant du Royaume de Dieu, mangeant avec eux (Ac 1, 3s). Par la fréquence de ses visites il fit pour eux de ce temps un temps de joie et de fête. Or, montant au ciel, il n’a aucunement supprimé la douceur jusque là de sa présence, il l’a bien plutôt augmentée par le don promis de l’Esprit Saint (cf. par ex. Jn 14, 16) lorsque, en les bénissant, il monta en fut emporté vers le ciel (Lc 24, 51) le quarantième jour de sa résurrection, tout récemment célébré. Bientôt les apôtres, comme nous l’avons rappelé, s’en retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient constamment dans le temple, louant et bénissant Dieu (Lc 24, 52s). Par cette joie, ces louanges et ces bénédictions ils attendaient la venue de l’Esprit Saint jusqu’au jour de la Cinquantaine – dont nous avons dit que les Grecs la nomment Pentecôte – et ils ont enseigné que la joie de cette solennité devait être maintenue jusque là.
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Pour ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 14.
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Sermon 30
L’octave de Pentecôte
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4. C’est donca à juste titre que, par ce nombre de cinquante jours, nous vénérons en image l’état de notre future béatitude, cela en relâchant les jeûnes, en chantant alléluia, en priant debout – autant de présages très adéquats du repos perpétuel, de notre résurrection et de la louange. Mais ce n’est pas immédiatement, une fois passé le cinquantième jour, que nous plions le genou pour prier ; car durant une semaine nous nous tenons debout devant Dieu dans la supplication, chaque jour nous faisons résonner l’alléluia ; que nul ne pense agir ainsi sans discernement, car le mystère lui en fournit une raison pleinement convaincante. En effet l’Esprit Saint est grâce septiforme, aussi la solennité de sa venue est-elle justement célébrée pendant sept jours par la louange et la célébration de messes. La prise de distance à l’égard des jeûnes se répète parce que nous devons faire confiance à l’exemple venu des apôtres : ayant reçu l’Esprit Saint, ils jouissaient d’autant plus parfaitement d’une nouvelle suavité, née des dons célestes, que se retirait plus profondément de leur esprit le souvenir des délices terrestres. Recréés par l’Esprit Saint, ils détournaient leur esprit de toutes les jouissances de ce monde, et en particulier des nourritures d’ici-bas ; plus que d’un aliment matériel, leur âme se réjouissait de faire mémoire de la Patrie céleste en s’adonnant à des prières et à des larmes salutaires. En outre, nous référant au bienheureux Luc à propos de ces trois mille hommes qui, le jour de la Pentecôte, ont cru à la prédication de Pierre (Ac 2, 1), nous savons combien ils se sont contentés d’une nourriture peu abondante, combien ils ont mené sur la terre une existence sobre et toute céleste. Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, la communion, la fraction du pain et les prières (Ac 2, 42). Chaque jour, d’un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le temple, rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur
Pour ce paragraphe et les premières lignes du paragraphe suivant, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 16. a
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nourriture dans l’exultation et la simplicité du cœur, louant Dieu tous ensemble (Ac 2, 64s). Avec leur exemple il est nécessaire de faire concorder notre existence et nos conduites. Car le magistère de la vie parfaite consiste à imiter toujours les actes de la primitive Église et à garder jusqu’à la fin cette forme de vie, telle qu’elle a été proposée clairement par les apôtres eux-mêmes dès les commencements de la foi. Il n’y a pas à en douter : c’est en suivant maintenant leurs traces que nous parviendrons dans l’avenir à leurs récompenses.
S’apprêter à recevoir l’Esprit Saint 5. Persévérons donc nous aussi dans l’enseignement des saints, qui enseignent en apprenant et en s’exerçant par des actes. Appliquons-nous à des prières assidues, efforçons-nous de nous montrer dignes de la fraction du pain du Seigneur. D’un seul cœur fréquentons l’église aux heures des offices. Accordons à notre corps la nourriture de manière à réjouir plutôt l’intimité de notre esprit par la mémoire du pain de vie. Gardons en tout la simplicité du cœur, car c’est par la seule intention de la rétribution d’en haut qu’on fait le bien. Et, ce qui convient surtout à la présente fête, chantons des hymnes à la louange de Dieu en faisant consoner en nous la voix et l’esprita. Voici en effet la seule louange de notre part qui soit agréable à notre Dieu : que nos actes ne combattent pas ce que chante notre bouche, et lorsque nos lèvres proclament l’alléluia, que nous protégions des pensées honteuses et perverses la chasteté du cœur. À cette seule condition notre louange sera suave : si notre délectation n’est pas dans des choses caduques de la terre, mais dans le Seigneur. Voilà pourquoi, bien-aimés, puisque nous vénérons la fête du don du Saint Esprit, prenons grand soin de conserver d’un cœur sincère devant les yeux de notre décision intérieure ce que nous accomplissons extérieurement. Remettons-nous en méa
Cf. Regula S. Benedicti 19, 7.
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moirea que notre Seigneur et Sauveur a promis qu’il enverrait à ses disciples la grâce de l’Esprit Saint, et c’est aujourd’hui qu’il l’a envoyée. Gardons-nous en toute vigilance de contrister par des pensées dévoyées l’Esprit Saint de Dieu, en qui nous avons été scellés pour le jour de la rédemption (Ep 4, 30). Il est écrit en effet : L’Esprit de la discipline fuira la fourberie et se dérobera aux pensées sans intelligence (Sg 1, 5). Aussi, avec prévoyance, le psalmiste, lorsqu’il s’enflammerait du désir de recevoir cet Esprit, désirerait auparavant disposer de l’hospitalité d’un cœur pur, dans laquelle il pourrait le recevoir. Voilà la manière dont il rechercherait l’entrée en lui d’un si grand hôte, disant : Dieu, crée en moi un cœur pur, renouvelle au fond de moi un esprit droit (Ps 50, 12). Il a commencé par prier pour que se crée en lui un cœur pur, puis pour que se renouvelle au fond de lui un esprit droit, car il savait que l’esprit droit ne peut trouver à siéger dans un cœur impur. 6. Retenons d’un cœur empressé ce que le Seigneur dit de cet Esprit : Lorsqu’il sera venu il convaincra le monde au sujet du péché, de la justice et du jugement (Jn 16, 8). Gardons-nous de chercher vers le bas, méditant ce qui a trait au monde, car le monde passera avec sa convoitise (1 Jn 2, 17) ; que notre vie, bien plutôt, se trouve dans les cieux avec les apôtres (Ph 3, 20). Pour ne pas être convaincus du péché de l’incrédulité exerçons-nous à pratiquer ce que nous croyons. Car sans les œuvres la foi est morte (Jc 2, 20). Pour ne pas être jugés un jour plus sévèrement que les justes, imitons leur conduite et leur vie avec le secours du Seigneur et dans les limites de notre faiblesse. Et pour ne pas être condamnés avec le Prince de ce monde résistons-lui fermes, dans la foi (1 P 5, 9), et il fuira loin de nous (Jc 4, 7). Disons la vérité de notre cœur, qu’il n’y ait point de ruse sur notre langue (Ps 14, 2s), afin que l’Esprit de vérité, en répandant de plus en plus l’amour dans nos cœur (Rm 5, 5) nous conduise dans la connaissance de la vérité tout entière (Jn 16, 13).
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II, 11.
À partir d’ici et jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homeliae
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7. Pour que la grâce de cet Esprit soit présente à tous nos actes, implorons son secours. Prions pour que ce bon Esprit nous soit donné du ciel par le Père, et disons, chacun et tous ensemble : Que ton bon Esprit nous conduise par une voie droite (Ps 142, 10). Aux apôtres aujourd’hui, en survenant du ciel, il a apporté le don des joies célestes ; de même, qu’il découvre ces dons à nos esprits, et, dans sa bonté, qu’il nous enflamme à le chercher. Cela avec l’aide de Celui qui, selon son habitude, promet l’Esprit et le donne à ses fidèles, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de ce même Esprit Saint.
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SERMON 31 SERMON POUR LE MÊME JOUR
L’Esprit consumant 1. Célébrant aujourd’hui la fête du don de l’Esprit Saint, frères très chers, il s’impose à nous de dire, concernant son œuvre divine, quelque chose de nécessaire à l’édification. Car nous avons à tenir caché dans les trésors de notre âme ce qu’offre de permanent et de perpétuel la plénitude de cette source éternelle. Acceptons alors d’oublier ce qui ce qui passe et disparaît : ce qui, à présent, ne fait que tromper les yeux et séduire le regard en le flattant pour sa perte et sa mort. Voilà pourquoi aujourd’hui l’Esprit Saint descendit sur les apôtres en des langues de feu et se posa sur chacun d’eux (Ac 2, 3). S’il apparut dans le feu c’est pour signifier la purification, dont l’Écriture divine indique qu’elle s’opère par le feu, lorsqu’elle dit, parlant au nom de Dieu : Je te purifierai par le feu (Is 1, 25). Et à propos de Dieu : Notre Dieu est un feu consumant (Dt 4, 24). Or ce qu’il consume – à n’en pas douter – ce n’est pas la nature que lui-même a créée, mais la perversité que la nature, comme sa corruption, a découverte dans son vice, et tout ce qu’elle a imaginé d’indigne de l’œuvre de Dieu en adhérant à la perversité. Il est dit de ces langues qu’elles se sont divisées, cela en raison de la diversité de la grâce, laquelle se divise et se dispense à l’égard de chacun en fonction de la foi. Il est dit aussi de la flamme qu’elle se posa, car elle relève de la puissance royale, et c’est aussi en vue de montrer qu’elle trouve son repos dans les saints.
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Il enseigne toute la vérité 2. C’est à trois reprisesa que l’Esprit Saint a été donné aux apôtres. D’abord obscurément ensuite manifestement, en troisième lieu de manière plus évidente encore. Obscurément avant la passion, quand leur est donnée la grâce des guérisons (cf. 1 Co 12, 9) ; manifestement après la résurrection quand Jésus a soufflé sur leur visage, en disant : Recevez l’Esprit (Jn 20, 22). Et de manière plus évidente après l’ascension, en ce jour-ci, quand, dans un bruit soudain, il vint du ciel en des langues de feu (Ac 2, 2) sur cent vingt personnes croyantes (cf. Ac 1, 15). Alors, enflammés intérieurement d’un amour exceptionnel, et instruits plus parfaitement de tout ce que des mortels devaient percevoir de la connaissance de la divinité, ils se mirent à parler selon ce que le Seigneur Jésus Christ lui-même avait promis concernant la venue du Saint Esprit : Lorsqu’il sera venu, cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute la vérité et vous annoncera ce qui est à venir (Jn 16, 13). Il est certain, en effet, que, l’Esprit venant d’en haut, ils ont atteint à une connaissance beaucoup plus grande de la vérité que celle que, charnels, ils avaient pu recevoir auparavant, aussi ont-ils été enflammés d’un plus grand désir de combattre pour la vérité. L’Esprit Saint enseignera donc aux élus toute la vérité en répandant dans leur cœur toute la connaissance de la vérité (cf. Rm 5, 5) ; enseignés intérieurement par son magistère, ils progressent de vertu en vertu (Ps 83, 8) et sont rendus dignes de parvenir à la vie. En celle-ci leur apparaît l’éclat éternel de la vérité suprême et de la véritable sublimité, c’est-à-dire la contemplation de leur Créateur. En advenant, le même Esprit annonce ce qui est à venir lorsqu’il nous remet en mémoire les joies de la Patrie céleste et lorsqu’il nous fait connaître par le don de son inspiration ces fêtes de la cité d’en haut. Il nous annonce ce qui est à venir lorsque, en nous détachant des jouissances présentes, il nous enflamme de désirs pour le Royaume promis dans les cieux.
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Pour ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 11.
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Le secours du « bon » Esprit 3. Cet Esprit est bona, lui que le Seigneur a promis de la part du Père à ceux qui le demandent (Lc 11, 13), car si nous désirons parvenir à la foi, à l’espérance et à l’amour, et à tous les biens du ciel, cela ne nous est pas accordé autrement que par le don de l’Esprit Saint. Et nous qui, par nous-mêmes, sommes mauvais, nous ne pouvons être rendus bons sinon en recevant la grâce du bon Esprit. De là ce qui est dit de cet Esprit en Isaïe : Esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, esprit de crainte du Seigneur (Is 11, 2s). Et ailleurs il est nommé : Esprit de dilection et de paix (2 Tm 1, 7), esprit de grâce et de prière (Za 12, 10). Car tout ce que nous possédons de véritablement bon, tout ce que nous faisons de bon, nous le recueillons de ce même Esprit. C’est ce que comprend le prophète lorsqu’il est en quête de la pureté de cœur : Dieu, crée en moi un cœur pur, et qu’il ajoute aussitôt : Renouvelle au fond de moi un esprit droit (Ps 50, 12). Car si l’Esprit du Seigneur, dans sa droiture, remplit notre intériorité, le cœur alors en nous s’avère pur, ce qu’il n’est pas de lui-même. Alors qu’il convoitait de progresser dans le bien, il avait dit : Seigneur, vers toi je me suis enfui, enseigne-moi à faire ta volonté (Ps 142, 9s). Voilà l’ordre et la succession qu’il doit suivre, et il le montre aussitôt en ajoutant : Ton bon Esprit me conduira sur une voie droite (Ps 142, 9s). Attachons-nous à ses traces dans la mesure de nos possibilités, frères très chers, et, selon les enseignements de notre Sauveur, demandons au Dieu Père de nous conduire par la grâce de son Esprit sur la voie de la foi agissant par l’amour (Ga 5, 6). Pour pouvoir obtenir ce que nous souhaitons, efforçons-nous de vivre de manière à ne pas nous montrer indignes d’un tel Père, mais de rendre dignes à son regard non seulement nos paroles et nos actes, mais les secrets même de nos cœurs.
Pour la plus grande partie de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 14. a
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L’Esprit et la garde de nos pensées 4. Et nous qui invoquons la venue en nous de l’Esprit Saint aujourd’hui, rejetons de l’intime de notre âme tout ce dont il a horreur. Dans le templea de notre cœur que ne trouvent place ni le virus de la haine ni la rouille de l’envie ; que ne pousse pas la racine de quelque parole honteuse ou outrageante, que ne naisse pas quelque méditation visant un acte pernicieux. Non, mais souvenons-nous de cette menace du Seigneur : Je viendrai rassembler leurs actes et leurs pensées (Is 66, 18). Jetons donc au dehors les ordures des vices, en vue d’orner dans notre cœur une demeure telle que l’Esprit daigne s’y établir comme hôte, lui qu’on ne saurait éviter à titre de juge et d’inspecteur. Il faut savoir qu’il se présente trois sortes de pensées : les unes empoisonnent l’esprit par une réflexion que remplit la volonté de pécher. Les deuxièmes mettent l’esprit sens dessus dessous par la délectation du péché, sans pour autant l’entraîner jusqu’au consentement à ce péché. Les troisièmes, par un mouvement naturel, parcourent l’esprit non tellement pour l’engager à commettre le mal, mais pour le détourner du bien qu’il devrait projeter, cela à la manière dont les images des choses que nous savons avoir faites ou dites et que nous rappelons inutilement à notre mémoire. Leur souvenir fréquent et leur effronterie importune, celle des mouches, ont pour habitude de voler tout autour des yeux de notre cœur et de troubler son attention spirituelle, plutôt que de l’aveugler. Tous ces genres de mauvaises pensées, Salomon nous exhorte à les réprimer : Avec une parfaite vigilance, garde ton cœur, car de lui procède la vie (Pr 4, 23). Soyons attentifs à suivre ses avertissements : si déjà nous consentons dans notre âme à commettre un actes réprouvé, aussitôt effaçons-le par la confessions et des fruits dignes de la repentance (Lc 3, 8). Si nous nous sentons tentés par la jouissance du péché, chassons cette jouissance coupable par des prières et des larmes fréquentes, et par le fréquent souvenir d’une amertume continuelle. Et si, à nous seuls, nous nous voyons incaD’ici pour la presque totalité de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 12. a
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pables de la chasser, recourons au secours des saints ; que ce que nous ne pouvons pas par nos propres forces, nous y parvenions grâce à leur intercession. Mais il nous demeure impossible de nous débarrasser complètement des pensées inutiles ; alors mêlons-y autant que possible de bonnes pensées, et surtout chassons celles-là par la méditation de la parole de Dieu, à l’exemple du psalmiste : Combien j’ai aimé ta loi, Seigneur, tout le jour elle fait ma méditation (Ps 118, 97). Cependant puisque l’application humaine, aussi grande soitelle, ne s’en sort aucunement sans l’aide d’en haut, implorons par des vœux incessants la clémence du Saint Esprit pour qu’il réalise en nous la pureté de cœur et la capacité de bien agir. C’est lui, l’Esprit qui vient en aide à notre faiblesse – pour autant que nous demandions en priant comme il faut. Alors, comme l’atteste l’Apôtrea, l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables (Rm 8, 26). Qu’il nous donne de demander et de gémir, tant en vue de cet exil que par désir de la Patrie céleste.
L’Esprit et l’amour 5. Si l’Esprit gémit, ce n’est pas comme s’il manquait de quelque chose ou se trouvait à l’étroit, mais parce qu’il nous exhorte à prier lorsque nous gémissons. Et en nous exhortant à le faire, lui-même est dit le faire, lui qui nous fait demander et nous inspire le vif désir d’interpeller et de gémir. De fait, répandu en nous par l’Esprit Saint, c’est l’amour qui gémit et qui prie ; et l’Esprit ne saurait lui fermer ses oreilles puisque lui-même nous l’a donné. L’amour s’avère donc la source la plus proche et la plus unique des biens, à laquelle l’étranger n’a pas de part. Les étrangers, ce sont tous ceux qui n’aiment pas Dieu, et la source même est l’Esprit Saint, que les mauvais ne peuvent recevoir. Quant à l’amour, nul ne peut simultanément le posséder et se montrer mauvais. En est-on privé, c’est en vain qu’on possède D’ici et pour la plus grande partie du paragraphe 5, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli, Ad Romanos, 8 ; 1 Co 12 ; Rm 5. a
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tout le reste. S’il est présent, on a tout ce qui est nécessaire au salut. Se met-on à le posséder, on aura aussi l’Esprit ; si on ne le possède pas, on restera sans l’Esprit. Et de même que le corps sans l’âme est mort, de même l’âme sans l’amour sera considérée comme morte. Lui seul, l’amour, fait la différence entre les fils du Royaume et les fils de la perdition. Il est d’autres dons qui sont offerts par l’Esprit, mais sans l’amour ils ne servent à rien. À moins que l’Esprit ne soit imparti à chacun au point de lui donner d’aimer Dieu et le prochain, de le transplanter de la gauche à la droite, non, on ne passera pas la porte du ciel avec les vierges sages (Mt 25, 1ss). C’est donc l’amour seul qui donne accès à Dieu, lui seul qui nous ouvre l’entrée du Royaume éternel. Demandons-le à Celui qui donne le bon Esprit à ceux qui le lui demandent (Lc 11, 13), demandons-lea en priant instamment, recherchons-le en vivant pieusement, frappons avec persévérance jusqu’à la fin (Mt 10, 22). Point ne suffit, en effet, de prier Dieu en paroles si nous ne nous mettons pas en peine de la manière de vivre qui rend digne de recevoir ce que nous demandons. Le Seigneur lui-même l’atteste : Ce n’est pas quiconque me dit Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le Royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux (Mt 7, 21). Et point ne sert de bien commencer si l’on ne se soucie pas de conduire fermement jusqu’au bout ce qu’on a bien commencé. Car bien mieux vaudrait ne pas connaître la voie de la justice, qu’après l’avoir connue de revenir en arrière (2 P 2, 21).
Demander l’Esprit 6. Il en découle, mes frères, qu’il nous faut demander avec empressement et prier sans interruption (1 Th 5, 17) ; prosternons-nous devant Dieu et pleurons en la présence du Seigneur qui nous a faits (Ps 94, 6). Et pour obtenir d’être exaucés, voyons avec soin comment il veut que nous vivions, et ce qu’il a ordonné de faire, lui qui nous a faits. Recherchons le Seigneur et soyons affermis, recherD’ici et pour la plus grande partie du paragraphe 6, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 14. a
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chons sa face toujours (Ps 104, 4). Et pour mériter de le trouver et de le voir, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit (2 Co 7, 1), car seuls les chastes de cœur peuvent être soulevés jusqu’aux cieux au jour de la résurrection, seuls les purs de cœur sauront voir la gloire de la majesté de Dieu. Par désir infatigable de la béatitude éternelle, frappons aux oreilles de notre Créateur plein de bonté, n’abandonnons pas ce qui est commencé avant que lui nous ouvre, nous arrachant à la prison de cette mortalité, et que nous obtenions de passer la porte de la Patrie céleste. Il n’y a pas à en douter : demandant ainsi nous recevons, cherchant ainsi nous trouvons, frappant ainsi il nous sera ouvert (Mt 7, 8), car la vérité ne saurait faillir à ses promesses. Quant à l’Esprit consolateur et qui sanctifie les fidèles, nous nous souvenons de l’avoir déjà nommé Esprit de grâce et de prière (Za 12, 10) : c’est lui qui répand le désir de prier, lui qui, avec bonté, donne largement l’efficacité de la grâce pour laquelle on a prié. Soyons donc attentifs à prier pour qu’aujourd’hui, où ce bon précepteur et cette lumière est descendu sur les apôtres dans des langues de feu, il vienne aussi sur nous d’en haut, tel un feu. En brûlant en nous ce qui provient de la faute, qu’il le réduise à rien ; qu’il purifie ce qui provient de la nature, qu’il affermisse et rende parfait ce qui provient de la grâce. Qu’il chasse la paresse de notre torpeur, qu’il enflamme en nous la ferveur de sa dilection, et qu’en outre, par ce gage du salut et ces arrhes de la béatitude à venir, il nous rende certains des promesses concernant les cieux. Avec Dieu le Père et son Fils unique, notre Seigneur Jésus Christ, il vit et est glorifié, Dieu pour les siècles des siècles infinis. Amen.
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SERMON 32 SERMON POUR LA PENTECÔTE
Tout est accompli 1. L’esprit du Seigneur remplit la surface de la terre, lui qui contient tout, il sait toute parole (Sg 1, 7). Procédant éternellement du Père et du Fils, l’Esprit a été envoyé pour distribuer efficacement ses dons. Il est venu soudain le jour de la Pentecôte en répandant ses grâces, comme nous le célébrons aujourd’hui. Il est venu sur cent vingt personnes rassemblées (Ac 1, 15), parmi lesquelles tous les apôtres, auxquels il est apparu, comme il est écrit : Sous la forme de langues de feu il se posa sur chacun d’eux et tous furent alors remplis de l’Esprit Saint (Ac 2, 3s). Quoi d’étonnant si l’Esprit du Seigneur a pu remplir le cœur d’hommes, lui qui remplit la surface de la terre ? Ou encore quoi d’étonnant s’il enseigne tout puisqu’il contient tout ? Cet Esprit, en effet, quand il se répand par grâce dans un cœur humain, tout comme il contient en lui-même la vérité de tout, il réalise ainsi la connaissance de tous, lesquels se mettent en quelque sorte à être tout en lui. Comme il a tout reçu en lui, il l’a aussi donné. En ce jour d’huia donc s’est réalisé ce que le Seigneur, lors de sa passion, avait prédit : Tout est accompli (Jn 19, 30). Or avant que l’Esprit Saint ne vienne au cœur de l’homme on n’aurait pu dire : Tout est accompli. C’est pourquoi tout ce qui a été réalisé dans la a
D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Hugues de Saint-Victor, Miscellanea I.
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Sermon 32
nativité, la passion, la résurrection et l’ascension de Jésus Christ, comme aussi tout ce que le Verbe incarné a accompli visiblement, c’était pour la recréation des humains, afin que l’homme reçoive à nouveau son bien – ce bien en vue duquel il a été créé, sans lequel rien ne lui sert et avec lequel rien ne lui manque. Voilà pourquoi en cela se trouve accompli ce pourquoi tout a été fait.
Les vraies joies
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2. Car la grappe de la chair avait été portée au pressoir de la croix, elle laissa couler le moût de la divinité. Pour préparer les réceptacles que sont les cœurs, elle voulut que le vin nouveau fût versé dans des outres neuves (Mt 9, 17). Il s’agissait d’abord que les cœurs fussent purifiés pour qu’ils ne polluassent pas ce qu’on y verserait, ensuite qu’ils soient fermés par un lien pour ne pas en laisser perdre le contenu : purifiés de la joie due à l’iniquité, liés contre la joie de la vanité. De fait nulle joie n’aurait pu venir, à moins que d’abord le mal ne laissât la place. La joie due à l’iniquité s’avère une mauvaise joie, comme aussi la joie de la vanité. La joie de l’iniquité a pollué la nature, la joie de la vanité a dissipé la grâce. La joie de l’iniquité, c’est d’aimer le péché, la joie de la vanité d’aimer le transitoire. Rejette donc ce qui est mal pour pouvoir recevoir le bien ; mets fin à la vanité pour te remplir de la douceur. L’Esprit Saint est joie, il est amour. Rejette donc l’esprit du monde et l’esprit du diable pour accueillir l’Esprit de Dieu. C’est l’esprit du diable qui organise la joie de l’iniquité, et l’esprit du monde la joie de la vanité. Et ce sont de mauvaises joies car l’une comporte une faute, et l’autre représente l’occasion d’une faute. L’Esprit de Dieu est venu lorsque furent chassés les esprits du mal, il entre alors dans cet habitacle qu’est le cœur et y suscite sa joie, non pas à la manière de l’esprit du monde ni de l’esprit du diable, mais une joie bonne, un amour bon ; et ensuite la joie du bonheur dans laquelle on s’exalte en passant du précepte de la justice à sa récompense. La joie de la vérité s’oppose à celle de l’iniquité, et la joie du bonheur à celle de la vanité. Les bonnes joies
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Sermon 32
chassent les mauvaises, et lorsque celles-là se mettent à remplir le cœur, l’homme alors reconnaît que les premières joies ne furent pas véritables, car elles n’auraient pu être pleines dans la joie de l’iniquité, ni se montrer permanentes dans la joie de la vanité. Or c’est maintenant que les vraies joies sont advenues, pleines et éternelles, comme le Sauveur l’a promis : Que votre joie soit pleine, et votre joie, nul ne vous la ravira (Jn 16, 24).
Amour de Dieu, amour du monde 3. La joiea donc est amour, et l’amour est joie ; et une bonne joie s’avère un bon amour, de même une mauvaise un mauvais amour. Il est un amour de Dieu, un amour du monde et un amour du péché. Certains, en effet, aiment Dieu seul, comme de parfaits spirituels. D’autres, avec Dieu, aiment autre chose en plus de Dieu, mais ils n’ont rien contre Dieu. D’autres enfin aiment certaines chose contre Dieu, car l’amour de Dieu ne peut résider dans leur cœur là où ne se manifeste ni le seul amour de ceux qui n’aiment que Dieu, ni l’amour éminent de ceux qui aiment aussi quelque chose d’autre que Dieu, mais pas contre Dieu. Dans cet amour où, avec Dieu, on aime aussi autre chose, la joie est celle de la vanité. Et dans cet amour où l’on aime autre chose contre Dieu, la joie est celle de l’iniquité. Dans le premier de ces cas l’amour du monde s’avère infection ; dans le deuxième cas l’amour du péché s’avère pollution. Or le monde passe avec sa convoitise (1 Jn 2, 17), mais la parole de Dieu demeure pour l’éternité (Is 40, 8), comme l’Esprit lui-même. Et qui croit en sa parole et possède son Esprit, celui-là demeure pour l’éternité. Car qui se montre instable en raison de la joie de l’iniquité, et qui s’attache de manière instable en raison de la joie de la vanité, celui-là ne peut ni demeurer pour l’éternité ni voir la vraie joie, car celle-ci se montre fausse de par l’iniquité, et transitoire de par la vanité. Mais celui qui possède l’Esprit demeurant en lui connaît la vraie
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Pour tout ce paragraphe, cf. Hugues de Saint-Victor, Miscellanea I.
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joie, pleine et éternelle, car il aime Celui qui demeure, il s’attache à lui de manière stable et il possède le bien pleinement accompli. Ce bien en sa totalité consiste pour l’homme à connaître et à aimer son Créateur. C’est pourquoi aujourd’hui les langues de feu sont données aux apôtres pour que, dans les langues de feu, réside la connaissance de la vérité, et dans le feu l’amour de la vertu. Dans la langue, en effet, est la parole, dans le feu la flamme. Or la parole se rapporte à la connaissance, et le feu à l’amour. Ainsi la parole vient avec le feu, et la sagesse avec l’amour, pour qu’ils s’éclairent et s’enflamment mutuellement, contre l’ignorance et contre la convoitise. Ces dons ne peuvent venir sinon pour ceux qui sont assemblés dans l’unité et soulevés vers les réalités d’en haut – assemblés par un commun consentement et soulevés par le désir, assemblés par l’amour du prochain et soulevés par l’amour de Dieu.
Invoquer l’Esprit 4. Quant à nous qui voulons recevoir de tels dons, soyons tels : aimons Dieu de tout notre cœur ; aimons aussi notre prochain comme nous-mêmes (Mt 22, 37). D’un pied sûra, nous faisons route sur la terre si d’un esprit intègre nous aimons Dieu et le prochain. Car on n’aime pas vraiment Dieu en excluant le prochain, ni le prochain en excluant Dieu. Voilà pourquoi l’Esprit Saint est donné d’abord sur la terre par le Seigneur, et ensuite on lit qu’il a été envoyé du ciel. Sur la terre l’Esprit est donné pour qu’on aime le prochain, et du ciel il est envoyé pour qu’on aime Dieu. Un titre à posséder Dieu : voilà ce qu’est donc l’Esprit. Par lui l’amour est répandu dans nos cœurs (Rm 5, 5). Voilà ce qui montre que nous appartenons au peuple du Fils de Dieu. L’Esprit Saint distribue les grâces (Ac 2, 4), il juge les pensées et les intentions du cœur (cf. Hé A, 12), il révèle les secrets de Dieu. À ceux dont les demandes sont dignes de lui, il offre le pieux désir de le supplier ; et c’est auprès Pour les quelques lignes suivantes, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia II, 30, 10. a
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de lui, attentif aux vœux pieux, qu’on en obtient un rapide exaucement. C’est lui qui inspire aux pécheurs de faire pénitence et qui remet les péchés des pénitents. C’est lui qui rappelle ceux qui se détournent, qui justifie ensuite la conduite plus sainte des convertis, et qui pour finir les couronne de gloire et d’honneur dans les demeures éternelles. Par des vœux et des prières, invoquons donc sa venue jusqu’à nous – ou plutôt en nous ; implorons le Père des lumières (Jc 1, 17) de nous le donner, lui qui donne le bon Esprit à ceux qui le lui demandent (Lc 11, 13) – grâce au secours de notre Seigneur Jésus Christ.
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SERMON 33 POUR LA PENTECÔTE
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Pâques – Pentecôte : une même joie 1. La fêtea vénérable d’aujourd’hui, bien-aimés, sur toute la surface de la terre, c’est la venue du Saint Esprit qui l’a consacrée, lui qui, cinquante jours après la résurrection du Seigneur, a envahi les apôtres et le peuple des croyants, comme on l’espérait. Oui, on l’espérait, car le Seigneur avait promis que l’Esprit viendrait, non en vue de se mettre pour la première fois à habiter les saints, mais en vue d’enflammer avec plus de ferveur les cœurs consacrés et de les inonder plus amplement. Il accumulait ainsi ses dons non pas comme s’il commençait de le faire, ni comme s’il était nouveau dans cette œuvre, mais comme très riche en largesses. Il s’ensuit que ce vénérable jour de la Pentecôte, nous ne le célébrons pas avec une joie moindre que celle de la sainte pâque, telle qu’elle nous a occupés. Nous avons parcouru les observances de cette solennité-là avec le même élan spirituel qu’en accomplissant la célébration de cette fête-ci. Nous avons alors, comme maintenant, célébré des vigiles le samedi, nous avons rempli la nuit avec des psaumes, des cantiques spirituels, des vœux et des prières : il s’impose donc que des célébrations semPour ce paragraphe 1, cf. d’abord Léon le Grand, Tractatus 77, 1. Puis Maxime de Turin, Sermones 40, 1–3. Enfin Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXVIII, 1, 2. a
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blables engendrent une joie pareille. Alors nous avons reçu le Sauveur ressuscitant des enfers ; maintenant nous attendons du ciel l’Esprit Saint. Alors, pour ressusciter, le Sauveur a ouvert le tartare ; maintenant le Paraclet a dévérouillé le ciel en vue de régner. En tout cela Dieu a en vue le salut des humains, lui qui, avant de regagner le ciel, a fait cette promesse à ses disciples : Lorsque je serai monté, je prierai le Père et il vous enverra un autre Paraclet pour qu’il soit avec vous éternellement, lui l’Esprit de vérité (Jn 14, 16s). Il faut donc croire que le Christ est parvenu jusqu’au Père pour que nous constations que le Paraclet est descendu sur les apôtres. La lecture de ce jour l’atteste : Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte, il se fit soudain du ciel un bruit, tel un violent coup de vent qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Leur apparurent alors des langues comme de feu, et il s’en posa une sur chacun d’eux (Ac 2, 1–3). Par le feu le Seigneur est apparu, certes, mais par lui-même il suscite une parole. Car Dieu n’était pas le feu ni le bruit, mais par ce qu’il déclencha extérieurement il signifia ce qu’il accomplissait intérieurement. Il rendit les disciples enflammés de zèle et enseignés intérieurement, alors que, au dehors, il manifesta les langues de feu, de sorte que leurs corps ressentent le feu et le bruit, mais que, par un feu invisible et une voix inaudible, leurs cœurs soient enseignés.
De la terreur à la douceur 2. Double est l’efficience de cet Esprit, comme l’exprime un verset du bienheureux Job : Il entendraa sa voix avec terreur, et la sonorité qui sort de sa boucle (Jb 37, 2). Par la terreur de la voix se comprend la force de l’effroi et par la sonorité de sa bouche la douceur de la consolation, car ceux que l’Esprit investit, il les terrifie d’abord à partir de son action sur la terre, pour ensuite les consoler Pour ce paragraphe 2, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXVII, 17, 33–34. a
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par l’espérance des cieux, si bien qu’ils se réjouissent d’autant plus en se confiant en ses promesses, qu’ils avaient commencé à redouter en concevant d’abord ses seuls tourments. Ainsi donc la voix de Dieu s’entend d’abord dans la terreur pour se transformer par la suite en douceur, car d’abord elle nous châtie par la crainte d’un jugement rigoureux, pour bientôt rétablir ceux qu’elle a châtiés par la consolation de la douceur d’en haut. La sonorité sort de la bouche du Seigneur, car son Esprit, venant par le Fils, brise la surdité de notre insensibilité, à la manière dont la bouche du Seigneur, d’une seule parole, s’exprime ainsi : Il recevra de mon bien et vous l’annoncera (Jn 16, 14). Et après sa résurrection, en se révélant à ses disciples, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint Esprit ; ceux à qui vous remettrez leurs péchés ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez ils leur seront retenus (Jn 20, 22s). Voilà comment la terreur des convertis se change en puissance, car en punissant eux-mêmes leurs péchés par la pénitence ils s’élèvent jusqu’à exercer le jugement : ce que, par la suite ils ont reçu de Dieu, d’abord ils l’avaient redouté de Dieu. S’ils deviennent des juges, c’est qu’ils ont craint parfaitement le jugement d’en haut. Et ils entreprennent de remettre les péchés d’autrui parce que d’abord ils n’ont pas eu peur de retenir les leurs.
La violence de la repentance 3. Prenant la mesure de la force propre à cet Esprit le psalmiste disait : Par un vent violent tu briseras les vaisseaux de Tharcis (Ps 47, 8). Tharcis signifie « exploration de la joie »a . Or nous le savonsb, ceux qui poursuivent les plaisirs de ce monde explorent pour eux-mêmes les joies d’ici-bas. Mais Dieu tout puissant, par un vent violent, brise les vaisseaux de Tharcis, car les esprits des a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 47, CCSL 72, p. 118, 26. b Pour ce paragraphe 3, cf. d’abord Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem fragm. XIV. Puis, du même auteur Moralia in Iob IV, 19, 35.
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hommes charnels, qui d’abord errent sur les flots de ce monde, la venue de l’Esprit les afflige par la tristesse de la pénitence pour que, contrits et détournés de l’orgueil, ils gisent salutairement dans l’humilité. Eux qui se tenaient d’abord sur la mer de ce monde, les flots de leurs succès les élevaient vers les hauteurs de la vanité. Mais lorsque l’Esprit violent de la pénitence occupe l’âme, il bouleverse en elle toute exploration d’une joie répréhensible pour que dès lors rien ne lui plaise, sinon de pleurer, rien sinon d’attendre ce qui peut l’effrayer. Car ils placent devant leurs yeux d’une part la rigueur du jugement, d’autre part ce que mérite la faute. L’âme voit qu’elle est digne du supplice si la bonté de Celui qui épargne venait à cesser. Par les lamentations actuelles elle a l’habitude de s’arracher à la punition éternelle. Voilà pourquoi le vent violent brise les vaisseaux de Tharcis lorsque la force puissante d’une profonde repentance brise d’une salutaire terreur nos âmes vouées à ce monde comme à une mer. Sous ce vent les vaisseaux gisent, brisés, car la peine, qui paraissait devoir être méprisée par les humains, la voici grandement honorée par eux. Ceux qui, auparavant, avaient accoutumés de commettre le mal et s’en réjouissaient ensuite, ne craignent même plus d’être affligés pour le bien qu’ils font. C’est ainsi que, après avoir reçu l’Esprit Saint, il est dit des apôtres : Ils s’en allèrent du grand conseil tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus (Ac 5, 41). Concernant cet Esprit du Fils unique, Paul de son côté dit aux croyants : Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour en revenir à la crainte, mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils, en lequel nous crions : Abba, Père (Rm 8, 15). Les Juifs autrefois, du temps de leurs pères, avaient reçu un esprit de servitude dans la crainte, c’est-à-dire la loi dictée et écrite par l’Esprit Saint, dont l’observance les forçait malgré eux à la crainte d’un châtiment dont elle les menaçait en ces terme : Si quelqu’un fait ceci ou cela, il mourra de mort (Ex 21, 12. 15. 17).
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Les deux craintes
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4. L’Esprit de la libertéa ou de l’adoption des fils est aujourd’hui envoyé du ciel sur les croyants ; par lui, et par les dons qu’il dispense, ils deviennent fils de Dieu. Par la miséricorde de Dieu leur est donnée la foi qui œuvre par l’amour (Ga 5, 6) et non par la peur : non pas en redoutant la punition mais en aimant la justice. Ainsi entendent-ils l’Apôtre leur dire : Vous avez reçu l’Esprit d’adoption ou d’élection des fils de Dieu, qui vous a appelés de la part de Dieu à la liberté pour que vous ne serviez plus Dieu dans une crainte servile, mais par amour, et dans la crainte des fils ; par elle le bon fils sert son père en craignant de l’offenser. L’unique Esprit suscite les deux craintes : l’une située dans l’amour, la crainte chaste ; l’autre, qui ne se situe pas dans l’amour, la crainte servile dans laquelle, même si on fait le bien, on ne le fait pas bien. Personne, si c’est à contre cœur, ne le fait bien, même si c’est le bien qu’il fait. Ces deux craintes ont pour effets deux genres de serviteurs. Il y a le serviteur qui est le fils : il craint le Seigneur et honore le Père. Ainsi le Seigneur dit par Malachie : Si je suis Seigneur, où est la crainte de moi ? Si je suis Père, où est l’honneur qui m’est dû ? (Ml 1, 6). Et il y a d’autre part le serviteur qui redoute la punition et n’aime pas la justice. Le Seigneur a donc donné l’Esprit d’adoption. Par lui, enseignés et illuminés, issus des deux peuples rassemblés dans l’Église, nous nous écrions : Abba, Père. Si nous n’avions pas reçu l’Esprit au moment du baptême, nous n’oserions absolument pas nommer Père le Dieu tout puissant, notre Créateur, en disant dans l’oraison dominicale : Notre Père qui es aux cieux (Mt 6, 9) – ce qu’aucun infidèle ne se permettrait de dire. L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit – en le faisant reconnaître à notre âme – que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8, 16), pour autant que, pardonnés, nous fassions le bien.
Pour ce paragraphe 4, et jusque près de la fin du sermon, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Romanos 8. a
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Sermon 33
L’Esprit d’unité 5. C’est dans l’Église que s’opère la rémission des péchés en l’Esprit Saint. De lui viennent la communion et l’unité, lesquelles font de nous le corps unique de l’unique Fils de Dieu. L’unité, en effet, nous rassemble, elle que l’amour réalise. Et l’amour, d’où vient-il, sinon de l’Esprit Saint ? Par conséquent l’Esprit qui vivifie les membres, ne rend vivants que ceux qu’il anime dans le corps. C’est ainsi que l’esprit de l’homme ne vivifie pas un membre qu’il trouverait séparé du corps (cf. 1 Co 6, 15). Voilà qui est dit pour que nous aimions l’unité et redoutions la séparation. Rien ne doit faire trembler le chrétien, sinon d’être séparé du corps du Christ. C’est en vue de cette communion que, en ce jour, l’Esprit Saint est descendu sur les hommes rassemblés dans l’unité ; ils sont de toutes langues, aussi est-ce par les langues que s’organise la communion du genre humain. L’Esprit Saint leur rend donc témoignage qu’ils sont enfants de Dieu lorsque, par son don, il apparaît parmi eux comme le signe du Père. Voici qui n’est pas peu de chose, ni chose légère. Si, en effet, nous sommes enfants de Dieu, nous sommes donc aussi ses héritiers (Rm 8, 17), autrement dit nous serons participants de sa gloire. De même que luimême, Dieu, s’est révélé immortel et incorruptible, nous serons, nous aussi, rendus immortels, incorruptibles et sans changements, puisque avec lui nous régnerons, secourus par la grâce de notre Sauveur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint pour les siècles.
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SERMON 34 POUR LA PENTECÔTE
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Le nombre cinquante 1. Grande, bien-aimés, est la fête de ce jour ; elle est à recevoir dans un élan de totale vénération. En elle les apôtres ont reçu l’Esprit Saint, elle avait été annoncée par les prophètes et symbolisée dans la loi en des figures et des énigmes. Car, de même que, cinquante jours après l’immolation de l’agneau et la célébration de la pâque, la loi fut donnée à Moïse, de même cinquante jours après la passion et la résurrection du Seigneur – que cette pâque figurait – fut donnée la grâce de l’Esprit Saint, descendant sur les apôtres. Avec eux se tenaient des hommes au nombre de cent vingt (Ac 1, 15) ; et par les langues différentes des croyants le monde tout entier fut rempli de la prédication évangélique. Ce n’est pas sans un grand mystèrea que ce nombre de cinquante a été respecté par le don de la loi et par celui de la grâce. Par ce nombre est signifiée la perpétuité du repos à venir ; en lui le décalogue est promulgué et la grâce du Saint Esprit est donnée aux hommes, de manière à révéler ouvertement que quiconque accomplit les commandements de la loi de Dieu, grâce au secours de l’Esprit, tend assurément vers le vrai repos. Car la loi ordonne d’appeler la cinquantième année un « jubilé » (Lv 25, 8ss) – qui signifie D’ici jusqu’à la moitié du paragraphe 2, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 17. a
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Sermon 34
« remettant » ou « changé »a – où le peuple se repose de toute activité, toutes les dettes sont supprimées, les esclaves retrouvent la liberté, l’année même s’avère plus éminente que les autres par de plus grandes festivités et les louanges de Dieu. C’est à bon droit que par ce nombre est signifiée la tranquillité de la paix suprême, car, comme le dit l’Apôtre : Au son de la trompette finale les morts ressusciteront incorruptibles (1 Co 15, 52). D’ailleurs lors du jubilé, on sonnait de la trompette, ce qui fait dire à l’Apôtre : Lors de la trompette finale nous serons transformés en gloire (1 Co 15, 52). Alors cesseront toutes les peines de ce monde, seront remises les dettes si pénibles de toutes les fautes, pour faire place à la seule vision contemplative de Dieu ; tout le peuple se réjouira pour l’éternité quand s’accomplira cet ordre hautement désirable du Seigneur et Sauveur : Soyez libresb et voyez que je suis Dieu (Ps 45, 11).
Le sabbat, figure du repos éternel 2. Ainsi donc le nombre cinquante se montre apte à signifier le repos intérieur, car il se compose de sept fois sept et se complète par une unité. D’après la loi le peuple travaille six jours et se repose le septième ; il lui est enjoint de labourer et de moissonner pendant six années, et la septième de se reposer, car le Seigneur a achevé en six jours la création du monde, et le septième il se reposa de son œuvre (Gn 2, 2). Par tous ces mystères nous sommes avertis : ceux qui en ce temps – lequel se compose de six âgesc – s’adonnent à de bonnes œuvres pour le Seigneur, sont conduits par le Seigneur jusqu’au sabbat à venir, le repos éternel. Que l’on parcoure sept jours ou sept années, on aboutit soit à la Pentecôte, soit au jubilé. Voilà signifiée la multiple abondance de ce repos offert aux élus en suprême récompense, et dont l’Apôtre dit : Ce que l’œil n’a pas vu, a dimittens sive mutatus, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 17, CCSL 122, p. 308, l. 281s. b vacate. c À ce propos, cf. Augustin, De Genesi contra Manichaeos I, 23.
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ni l’oreille entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, et que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9). Au reste, que ce soit le cinquantième jour ou la cinquantième année – laquelle surpasse les sept fois sept semaines et donnait lieu à une vénérable célébration plus grande que toutes les autres – voilà figuré le temps de la résurrection future, le temps de ce repos dont jouissent les âmes des élus, à quoi s’ajoutera la gloire des corps. Or combien il est bon que la grâce du Saint Esprit soit décrite comme septiforme par le prophète : Esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, que complètera l’esprit de crainte du Seigneur (Is 11, 2s). Car c’est en y aspirant que l’on parvient au repos, et en le percevant pleinement qu’on le possédera en vérité. Il s’agit là de ce sabbat dont la vénération est requise très particulièrement par le troisième commandement de la loi, et que le Seigneur ordonne en ces termes : Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier (Ex 20, 8). Par le dona de ce sabbat nous est promis le repos éternel, et dans son mystère Dieu sera décrit comme ayant sanctifié le septième jour. Lors des autres jours la sanctification des œuvres n’est pas mentionnée, ni lors du sabbat, où il est dit seulement : Il se reposa (Gn 2, 2). Par conséquent ce commandement se rapporte à l’Esprit Saint aussi bien en raison du terme même de sanctification, que parce que le repos éternel concerne le don de l’Esprit Saint. Il est dit à ce propos : Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Durant six jours tu travailleras et feras tout ton ouvrage ; le septième jour est le sabbat du Seigneur ton Dieu, tu ne feras en ce jour-là aucun ouvrage (Ex 20, 8s.). Dans l’ouvrage des six jours se trouve contenu en six âges l’actionb de Dieu en ce monde, tandis que le repos du septième jour manifeste le temps de ce bienheureux Royaume où, après les bonnes œuvres de cette vie, nous est promis le repos éternel. Ainsi en tout ce que nous faisons en raison du repos du monde à venir, nous observons véritablement le sabbat.
D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe 2, cf. Isidore de Séville, Quaestiones In Vetus Testamentum. In Exodum 29, 4. b operatio. a
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Sermon 34
Du Sinaï à la Pentecôte 3. Il faut remarquer ceci : aussi bien Moïse pour recevoir la loi, que les apôtres avec les croyants pour attendre spirituellement la venue du Saint Esprit, sont montés, l’un et les autres, du bas vers la hauteur : Moïse sur la montagne du Sinaï (Ex 24, 9), les apôtres au cénacle de Sion (Ac 1, 13). Qu’est-elle d’autre, cette montéea, sinon la hauteur de notre contemplation, dans laquelle nous montons pour nous trouver soulevés de manière à voir ce qui est au delà de notre faiblesse ? Mais dans cette contemplation le Seigneur descend car, aux saints qui progressent beaucoup, il découvre à leur perception une petite part de lui-même. De la loi donnée ici il est dit qu’elle est écrite par le doigt de Dieu (Ex 31, 28), et dans l’Évangile le Seigneur dit de l’Esprit Saint : C’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons (Lc 11, 20). Là – au pied du Sinaï – tout le peuple assiste à ces bruits et ces lumières, à la montagne fumante, aux coups de tonnerre et à la foudre, à la clameur perçante des trompettes (Ex 20, 18). Or les bruits et les tonnerres se comprennent comme la clameur des prédicateurs, les lumières comme l’éclat des miracles, et le son des trompettes comme la puissante prédication des saints. Tout cela s’est accompli par la venue du Christ et de l’Esprit Saint, quand les disciples, dans la variété des langues, tonnèrent par des préceptes et des signes. Sinaï se traduit par « rouge »b et représente l’Église, dans laquelle le Seigneur lui-même parle à Moïse. Pour donner la loi, le Seigneur est descendu dans le feu et la fumée, signifiant par là que, s’il illumine les croyants par la clarté dans laquelle il se montre à eux, il obscurcit les yeux des incroyants par la fumée de l’erreur. Qu’on le voie dans l’obscurité, cela signifie que les impies – lesquels ne goûtent que les réalités de la terre (Ph 3, 19) – obscurcis et aveuglés par les ténèbres de la perversité, ne l’ont pas reconnu quand il descendait, c’est-à-dire lorsque il naisa D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Isidore de Séville, Quaestiones In Vetus Testamentum. In Exodum 27, 1 et Quaestiones In Vetus Testamentum. In Exodum 28, 2–4. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 15, CCSL 72, p. 77, 1.
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sait dans l’humilité. Quant à nous, frères très chers, la grâce de cette divine illumination qui, en ce jour, a brillé sur les apôtres, a reflué jusqu’à nous ; aussi répondons sans cesse à notre Illuminateur dans l’action de grâce par des œuvres dignes de sa lumière, de telle manière que, après les ténèbres de la mortalité, nous méritions d’être reçus par lui dans les joies de la lumière éternelle.
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SERMON 35 SERMON POUR LA PENTECÔTE
L’Esprit, un feu 1. Des langues comme de feu qui se partagèrent, apparurent aux apôtres et il s’en posa une sur chacun d’eux (Ac 2, 3). Les jours qui sont consacrés à ceux de la résurrection du Seigneur et de son ascension, frères très chers, nous les avons célébrés. Aujourd’hui nous célébrons celui de la Pentecôte, à savoir le cinquantième depuis le jour où le Christ est ressuscité des morts. En ce cinquantième jour notre Seigneur Jésus Christ a envoyé sur ses disciples l’Esprit Saint Paraclet, accomplissant ainsi ce qu’il avait promis longtemps avant le temps de sa passion : Je suis venu jeter un feu sur la terre, et que veux-je sinon qu’il s’allume ? (Lc 12, 49). Il parlea de la ferveur de l’Esprit comme d’un feu qui illumine les secrets du cœur et, par des mouvements incessants, le pousse vers les hauteurs. Il brûle, comme des buissons d’épines (Hé 6, 8), les vices de la convoitise charnelle, il améliore en les éprouvant les récipients d’or de la maison du Seigneur (cf. 2 Tm 2, 20), il consume le bois, le foin, la paille (1 Co 3, 12). Envoyé soudain sur la terre, il avait, en répandant sa lumière, fécondé le plus intime de ces cent vingt lampes (cf. Ac 1, 15) qu’il a trouvées dans la citadelle de Sion – à savoir les âmes des croyants. Pour ce paragraphe, références à Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio IV ; et à Augustin, Enarrationes in Psalmos 96, 7. a
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Sermon 35
Des hommes se sont enflammés en croyant au Christ, ils ont reçu la flamme de l’amour. Voilà pourquoi cet Esprit Saint, lorsqu’il fut envoyé sur les apôtres, leur apparut de cette manière : sous la forme de langues comme de feu qui se partagèrent, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Enflammés par ce feu ils s’en allèrent à travers le monde et, comme le dit le psalmiste, ils se mirent à enflammer et brûler tout autour les ennemis (Ps 96, 3). Qu’ainsi l’amour consume en ces derniers ce en quoi ils persécutaient le Christ (cf. Jn 5, 16) et qu’il purifie leur foi dans le Christ.
Le feu du sacrifice 147
2. Le feua qui consume la faute et purifie la nature, selon ce qu’expose Ambroise, ce feu sacré l’a symbolisé, lui que nos pères, les prêtres qui étaient au service de Dieu tout puissant, prirent sur l’autel pour le cacher secrètement dans une vallée (2 M 1, 19) pour que rien ne le contamine, et que le sang des défunts ne l’éteigne pas. Par la suite, quand il plut à Dieu de restaurer le temple en Judée et de redonner vie aux rites établis à Jérusalem par la loi, le roi des Perses dirigea le prêtre Néhémie, par la grâce de ce roi, sur Jérusalem. Néhémie emmenait avec lui les neveux de ces prêtres qui, au moment de quitter le sol de la patrie, avaient caché le feu sacré pour qu’il ne périsse pas. Envoyés pour le rechercher, ils ne trouvèrent pas le feu, mais une eau épaisse. Ils la portèrent au prêtre Néhémie qui ordonna d’en asperger le bois, et aussitôt embrasé, un grand brasier consuma les victimes et les holocaustes placés sur l’autel (2 M 1, 21s). Il s’agit de ce feu qui tomba sur le sacrifice de Moïse et le consuma selon qu’il est écrit : Le feu venu du Seigneur consuma tous les holocaustes placés sur l’autel (Lv 9, 24). C’est par ce feu qu’il fallait offrir le sacrifice. Ainsi en est-il des fils d’Aaron qui voulurent user d’un feu étranger ; à nouveau le feu vint du Seigneur et les
Pour ce paragraphe, cf. Ambroise de Milan, De Officiis ministeriorum III, 17, 99s. a
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Sermon 35
consuma, de telle sorte que, morts, ils furent jetés hors du camp (Lv 10, 1ss). À cet exemple, beaucoup paraissent avoir connu une mort semblable pour avoir allumé un feu étranger : tels sont ceux qui, au mépris de la tradition de Dieu, ont embrasé dans leur cœur un sacrifice au feu de la convoitise du corps et du monde ; ils se sont permis d’approcher de l’autel qui ne reçoit que le feu dont le Seigneur dit : Je suis venu jeter un feu sur la terre (Lc 12, 49). De ce feu le Seigneur Jésus ne cesse de nous enflammer pour illuminer notre intelligence, afin que nous ne brûlions pas dans les vices. Jean le dit bien dans l’Évangile : Voici Celui qui baptise dans l’Esprit et le feu (Jn 1, 33).
Feu et eau 3. Ce feu s’avère la figure de l’Esprit qui, le dixième jour après l’ascension du Seigneur, descendrait et remettrait les péchés de tous ceux dont, à la manière d’un feu, il aurait enflammé l’âme et l’intelligence croyante. C’est ce qui fait dire à Jérémie dans les Lamentations, au nom de toute l’Église : Du haut du ciel il a envoyé un feu dans mes os et m’a enseigné (Lm 1, 13) – autrement dit : du ciel il a envoyé l’Esprit Saint pour que soient affermies les forces des vertus et pour que soit enseignée par Dieu l’Église, ou toute âme élue. Que celle-ci ne continue pas à chercher les jouissances du monde, cela afin d’aimer chastement, de craindre chastement et de rougir des vices au service desquels elle s’était engagée. Elle s’abstient de ce qui n’est pas permis, elle convertit en larmes le luxe du plaisir et la convoitise. Plus grande est la plainte du chagrin qui la remplit, plus vraie est sa confession d’avoir erré dans divers désirs. Mais comme dans les Actes des apôtresa, lorsque l’Esprit Saint était descendu sur les apôtres et tous ceux qui attendaient
À partir d’ici et jusque près de la fin du paragraphe, cf. Ambroise de Milan, De Officiis ministeriorum III, 18, 102–107. a
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Sermon 35
les promesses de Dieu, ainsi l’âme se remplit d’une vapeur, tout comme on pensait les apôtres pleins de vin doux (Ac 2, 13). Quel sens donner au fait qu’un feu comprenne de l’eau et que l’eau stimule le feu ? Sinon que la grâce spirituelle brûle à travers le feu, et par l’eau lave les péchés. Effectivement elle lave les péchés et les brûle. Ce qui fait dire à l’Apôtre : Ce que vaut l’œuvre de chacun, le feu en fera la preuve (1 Co 3, 13). Ce feu reste donc caché au temps de la captivité, où règne la faute. Il est promis au temps de la liberté, et il est vrai qu’il s’est changé sous la forme de l’eau, et pourtant le feu a gardé sa nature en vue de consumer le sacrifice. Rien d’étonnant à cela puisque Dieu a dit : Je suis un feu consumant (Dt 4, 24). Et ailleurs : Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive (Jr 2, 13). Le Seigneur Jésus lui-même enflamme, tel un feu, le cœur de ceux qui l’écoutent, comme la source le rafraîchit. Elie, à une troisième reprise, arrosa d’eau son sacrifice, et l’eau coulait tout autour de l’autel. Il invoqua, et le feu du Seigneur tomba et consuma l’holocauste (1 R 18, 34ss). Cette offrande, ô homme, sans te préoccuper des détails, considère-la en toi. La vapeur de l’Esprit Saint descend et paraît te brûler lorsqu’elle consume tes péchés. Ne crains donc pas ce feu sous ton toit. Malheur à toi si ta tente n’en est pas brûlée, car si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne lui appartient pas (Rm 8, 9). Cet Esprit d’amour est un titre à posséder Dieu. Pour le posséder constamment, que nous en fasse le don le Verbe même de Dieu, Jésus Christ.
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SERMON 36 POUR LA PENTECÔTE
Pâques et Pentecôte : des fêtes de même importance 1. Le dernier jour de la fête, Jésus debout s’écriait : Quelqu’un a-t-il soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son ventre. Il disait cela de l’Esprit que recevraient ceux qui croyaient en lui. L’Esprit en effet n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié (Jn 7, 37ss). La très sainte festivité du présent jour, bien-aimés, est reçue par toute l’Église avec une vénération toute proche de celle de la solennité pascale. De fait la célébration de l’une et de l’autre, on le sait, revêt assurément un prestige qui leur vient non seulement de l’Évangile et des Actes des apôtres, mais aussi de la loi et des prophètes. Car la première est préfigure dans l’immolation de l’agneau, la seconde dans le don de la loi. Et il s’est écoulé autant de jours entre la manducation de l’agneau et le don de la loi au peuple d’Israël sur le mont Sinaï, qu’il s’en est passé entre le dimanche de la résurrection et aujourd’hui, où l’Esprit est tombé sur les apôtres et la foule des croyants. La première des ces fêtes, Osée l’avait annoncée d’avance : Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous ressuscitera (Os 6, 3). La deuxième de ces fêtes, c’est le prophète Joël qui la voit d’avance et dit au nom du Seigneur : Je répandrai de mon Esprit sur toute chair (Jl 2, 28). La résurrection du Seigneur, le prophète la proclame comme à venir, et l’Évangile
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comme réalisée – cela dans une parfaite concordance. Quant à l’Esprit Saint, le Seigneur lui-même, avant sa passion comme après sa résurrection, annonce qu’il sera envoyé aux disciples. C’est ce que dit la lecture faite hier : Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, l’Esprit de vérité (Jn 14, 16). Et dans la lecture d’aujourd’hui : Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui vous enseignera tout (Jn 7, 37). En outre le même saint évangéliste Jean rapportait ci-dessus dans son Évangile : Le dernier jour de la fête, Jésus se tenait debout… 2. Il est donc juste que la fête de ce jour, recommandée par tant d’autorités si importantes, soit célébrée avec le zèle d’un grand élan spirituel, puisqu’elle est consacrée spécialement à la venue du Saint Esprit. C’est lui, l’Esprit, en qui réside toute grâce des dons ; lui qui à tous, comme il l’entend, distribue les dons de sa grâce. Sa puissance, en chacun, se répartit selon sa volonté, lui leur donateur ; et cependant c’est le même et unique Esprit qui agit (cf. 1 Co 12, 4ss). Il a parlé par les prophètes. Et par lui aussi les apôtres ont rendu témoignage au Christ sans craindre les pouvoirs séculiers, car c’est lui qui parlait en eux, comme le Seigneur l’a promis : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous (Mt 10, 20). En lui tous les croyants trouvent la rémission des péchés, soit par le baptême, soit aussi par la pénitence. On le qualifie d’amour de Dieu, on le nomme Paraclet (Jn 14, 26), c’est-à-dire Consolateur, car véritablement, en distribuant aux croyants les dons des sacrements, il répand dans leur âme la consolation. C’est pourquoi, en toute rectitude, l’Esprit Saint est Dieu, tout en étant appelé le don de Dieu (Jn 4, 10). Ce don ne peut proprement se comprendre que comme l’amour, lequel est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint (Rm 5, 5). Par l’amour Dieu habite en nous, et sans l’amour aucune autre vertu ou bonne œuvre ne conduit jusqu’à Dieu. À cette sourcea de tous les biens le Seigneur Christ nous invite, et cela non pas même en parlant, mais en criant, pour que vienne celui qui a soif (Jn 7, 37). Avons-nous soif ? Écoutons et venons ; non À partir d’ici et jusqu’au début du paragraphe 4, cf. Augustin, Tractatus in Ioannis euangelium 28 et 32. a
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pas avec nos pieds, mais avec nos élans affectifs. Il nous crie donc, le Seigneur : Quelqu’un a-t-il soif ? Qu’il vienne à moi et qu’il boive celui qui croit en moi – comme le dit l’Écriture – des fleuves d’eau vive couleront de son ventre. En quoi cela consiste-t-il ? L’Évangile l’enseigne dans la suite immédiate : Il disait cela de l’Esprit que recevraient ceux qui croyaient en lui (Jn 7, 37ss).
Pèlerins sous des tentes 3. Il ne s’agit pas de passer négligemment sur ce temps que relatera l’évangéliste, ce temps où il prit la peine, avant que le Seigneur ne parlât, de préciser les circonstances : le dernier jour de la grande fête, à savoir la fête des tentes. Des tentes, car le peuple libéré de l’Égypte et en marche à travers le désert vers la terre de la promesse, a habité sous des tentes. Qu’est-ce là ? Faisons-y attention, nous aussi, qui sommes membres du Christ, grâce à sa bonté et sans mérite de notre part. Oui, dis-je, faisons-y attention, frères : nous aussi avons été conduits hors d’Égypte où nous servions, en la personne de pharaon, le diable. Là nous accomplissions un travail de boue dans nos désirs terrestres et nous y peinions beaucoup.
Venir et boire De fait, c’est comme à des fabricants de briques que le Christ nous a crié : Venez à moi, vous tous qui peinez (Mt 11, 28). Nous avons été conduits à travers le baptême comme à travers la Mer Rouge, rouge car consacrée par le sang du Christ, et une fois morts tous les ennemis qui nous poursuivaient – c’est-à-dire tous nos péchés effacés – nous avons traversé. Pour le moment donc, avant de parvenir à la Patrie promise – au Royaume éternel – nous sommes sous des tentes dans le désert. On se tient en effet sous des tentes si on se comprend dans le monde à titre de pèlerins (Hé 11, 13). Et se comprendre comme pèlerins, c’est se voir soupirant vers la Patrie. Reconnaissons donc que notre chemin passe par la solitude et le
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désert, autrement dit par ce monde où l’âme croyante traverse une terre sans route et sans eau (Ps 62, 2). Si nous avons soif c’est pour être rassasiés : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (Mt 5, 6). Le Seigneur crie donc pour que nous venions et buvions, si nous sommes assoiffés intérieurement. Et il affirme que, lorsque nous aurons bu, des fleuves d’eau vive couleront de notre ventre. Le ventre, chez l’homme intérieur, c’est la conscience du cœur. Abreuvée, la conscience purifiée revit ; puisant à la source même, elle s’avère une source. Or qu’est-ce que cette source ou ce fleuve qui coule du ventre de l’homme intérieur ? – La bienveillance par laquelle on veut épauler le prochain. Car si elle pense que ce qu’elle boit suffise à elle seule, l’eau ne coule pas de son ventre. Mais si elle se hâte d’épauler le prochain, elle ne se dessèche pas, car elle coule. Voyons maintenant ce qu’est cette eau, ce qu’ils boivent, ceux qui croient dans le Seigneur. De fait, si nous croyons et buvons, chacun doit reconnaître en lui-même s’il boit, et s’il vit de ce qu’il boit.
Quand l’Esprit est-il donné ?
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4. L’évangéliste vient d’exposer d’où le Seigneur criait, à quelle boisson il invitait, à qui il offrait à boire. Cela il le disait de l’Esprit que recevraient ceux qui croiraient en lui. Car l’Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. Pour quelle raison le Seigneur Jésus avait-il décidé de ne pas donner l’Esprit Saint avant d’avoir été glorifié ? Comme nous l’avons dit précédemment avant de chercher : comment n’y aurait-il pas encore d’Esprit chez des hommes saints, alors que, du Seigneur né tout récemment, on a lu que Syméon, dans l’Esprit, ainsi qu’Anne la prophétesse, l’ont reconnu. Jean de même l’a reconnu, qui l’a baptisé (Mt 3, 13). C’est rempli de l’Esprit Saint que Zacharie s’est exprimé abondamment à son sujet (Lc 1, 67ss), c’est l’Esprit Saint que Marie a reçu en vue de concevoir le Seigneur (Lc 1, 35). Nous avons bien d’autres indices qui prouvent que l’Esprit Saint avait
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précédé le moment où le Seigneur serait glorifié par la résurrection de sa chair. D’ailleurs les prophètes n’avaient pas un autre Esprit, eux qui ont annoncé d’avance la venue du Christ. Mais d’une certaine manière le don de l’Esprit était encore à venir, car il n’était absolument pas encore apparu, comme il est dit de lui. Nulle part nous ne lisons qu’auparavant des hommes assemblés, ayant reçu l’Esprit Saint, se soient mis à parler dans toutes les langues des nations (Ac 2, 4). C’est après sa résurrection, quand Jésus apparut à ses disciples, qu’il leur dit pour la première fois : Recevez l’Esprit Saint (Jn 20, 22). C’est à ce propos qu’il est précisé : L’Esprit n’avait pas encore été donné car Jésus n’avait pas encore été glorifié. Et il souffla sur eux, lui qui de son souffle avait vivifié le premier homme (Gn 2, 7) et l’avait tiré du limon, lui signifiant d’être ; il souffla sur eux pour qu’ils renonçassent à leur boue et à leurs œuvres boueuses. C’est donc d’abord après sa résurrection – l’Évangile la nomme sa glorification – que le Seigneur donna l’Esprit Saint à ses disciples. Après être demeuré avec eux durant quarante jours, comme le montre le Livre des Actes, il monta au ciel sous leurs yeux, conduits par cette vue. À partir de là, dix jours s’étant écoulés, c’est le jour de la Pentecôte, événement dont nous célébrons la mémoire, qu’il a envoyé d’en haut l’Esprit Saint. L’ayant reçu, ils en furent remplis, tous rassemblés en un seul lieu, et ils se mirent à parler dans les langues de toutes les nations. Cela signifiait déjà que l’Église, en croissant à travers toutes les nations, parlerait dans les langues d’elles toutes.
Un double amour, un seul Esprit Par le faita que l’Esprit Saint a été donné deux fois, les deux préceptes de l’amour sont mis en valeur. Il y a en effet deux préceptes de l’amour, mais un seul amour, de même que le même Esprit a été donné deux fois. Il n’y a pas un amour dont on aime le prochain À partir d’ici et jusqu’aux premières lignes du paragraphe 5, cf. Augustin, Sermones 265. a
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et un autre dont on aime Dieu. Sur la terre l’Esprit est donné pour qu’on aime le prochain, et du ciel il est donné pour qu’on aime Dieu. Bien qu’autre soit Dieu, autre le prochain, c’est pourtant d’un unique amour qu’on aime Dieu et le prochain. Que celui qui aime véritablement aime Dieu pour lui-même, et le prochain comme soi-même. 5. Sur la terre le Christ donne l’Esprit, mais c’est du ciel qu’il l’a donné. Quant à cet amour, on ne le garde que dans l’unité de l’Église du Christ. Nona, ils ne le gardent pas ceux qui se séparent de l’intégrité de la paix fraternelle. Et puisque l’amour dépend de l’Esprit Saint, quel sens donner au fait que le Seigneur n’a pas voulu le donner, sinon après sa résurrection ? C’est pour que notre amour s’enflamme dans sa résurrection, qu’il se sépare de l’amour du monde et se mette à courir tout entier vers Dieu. Ici-bas nous naissons, ici-bas nous mourons, mais ici n’est pas le lieu de l’amour : par l’amour nous avons à émigrer, par l’amour nous avons à habiter au plus haut. Voilà l’amour dont nous aimons Dieu. N’ayons d’autre pensée durant cette pérégrination de notre vie, sinon qu’ici-bas nous n’y serons pas toujours et qu’en vivant bien nous avons à préparer le lieu que nous ne quitterons plus jamais. De fait notre Seigneur Jésus Christ, après être ressuscité, ne meurt plus, la mort n’a plus de pouvoir sur lui, comme le dit l’Apôtre (Rm 6, 9). Voilà ce que nous avons à aimer : si nous croyons en Celui qui est ressuscité, il nous donnera non pas ce qu’aiment ici-bas les hommes qui n’aiment pas Dieu, et qui aiment l’ici-bas d’autant plus qu’ils aiment moins Dieu ; or on aime d’autant moins l’icibas qu’on aime Dieu davantage. Mais voyons ce qu’il nous a promis : non pas des richesses terrestres et temporaires, et pas non plus des honneurs et du pouvoir en ce monde ; nous voyons en effet que tout cela est donné aussi aux méchants pour qu’ils ne pèsent pas trop sur les bons. En outre il ne donne pas la santé du corps – non pas que lui-même ne la donne pas, mais parce que nous voyons que même au bétail il ne donne pas une longue vie. Que signifie « long » quand cela doit finir un D’ici jusque près de la fin du sermon, cf. Augustin, Tractatus in Ioannis euangelium 32, 9. a
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jour ? Il ne nous a pas tellement promis à nous, les croyants, une longue vie et une vieillesse décrépite ; c’est ce que tout le monde souhaite avant que cela n’arrive. Puis tous murmurent contre cela une fois que c’est arrivé. Ce n’est pas non plus la beauté du corps qu’il a promise, elle que ruine la maladie physique, comme aussi la vieillesse elle-même, que pourtant l’on souhaitait. Non, tout cela il ne nous l’a pas promis, lui qui dit : Qui croit en moi, qu’il vienne et qu’il boive. De son ventre couleront des fleuves d’eau vive (Jn 37, 37s). C’est la vie éternelle qu’il a promise, où nous n’aurons rien à craindre, rien qui nous trouble, rien qui nous force à émigrer, ou à mourir ; ni à pleurer un prédécesseur, ni à espérer un successeur. Voilà donc ce qu’il a promis à nous qui l’aimons et brûlons de l’amour de l’Esprit Saint. Il n’a pas voulu donner l’Esprit lui-même à moins d’être glorifié, pour nous montrer dans son corps la vie que maintenant nous ne possédons pas, mais que nous espérons. Pour rejoindre cette vie dans sa réalité, qu’il daigne y adapter nos âmes par sa lumière, Celui qui aujourd’hui, pas sa puissance invisible, a illuminé les cœurs des croyants, lui l’Esprit Saint, vrai Dieu coéternel et égal au Père et au Fils, et qui demeure pour les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 37 POUR LA FÊTE DE SAINT JEAN BAPTISTE
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Jean Baptiste précurseur avant sa naissance 1. La solennité d’aujourd’huia, la naissance du précurseur du Seigneur, est célébrée à juste titre par la sainte Église avec un grand empressement festif. Si grande est la sublimité de ce saint que rien de plus sublime, sans doute, n’a jamais pu dépasser à ce point la nature humaine. Effectivement le Seigneur lui-même avait dit que, parmi les humains nés de femmes, il ne s’en était pas trouvé de plus grand, ajoutant aussitôt : Mais le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui (Mt 11, 11). Il laisse ainsi entendre que lui-même, qui dans sa naissance humaine est postérieur à Jean, dépasse le plus haut sommet du Royaume des cieux. Mais l’ange, lors de la naissance de Jean, avait déclaré sa grandeur multiforme aux yeux du Seigneur : Il ne boira ni vin ni alcool fort et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère (Lc 1, 15). Ainsi remplirait-il sa fonction de précurseur à l’égard du Seigneur, alors qu’il était encore dans le sein de sa mère ; il ne pouvait pas encore parler, mais se réjouir. C’est ce que rapporte l’Évangile : Comme la bienheureuse Mère de Dieu entrait et saluait Elisabeth, l’enfant de celle-ci exulta de joie dans son sein (Lc 1, 41). a
Pour les lignes qui suivent, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 20 et 19.
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Elisabetha ne fit d’abord qu’entendre la voix de Marie, mais l’enfant perçut sa grâce. Elisabeth ne perçut que la venue de Marie, l’enfant celle du Seigneur ; la femme celle de la femme, le gage celle du Gageb. Celles-là parlent de la grâce, ceux-ci la réalisent intérieurement. Et, en raison de ce double miracle, les mères prophétisent par l’esprit de leurs enfants. L’enfant exulta de joie, sa mère en fut remplie. La mère ne le fut pas avant l’enfant, mais c’est lui, rempli de l’Esprit Saint, qui en remplit aussi sa mère. L’esprit de Jean exulta, et de Jean exultant, Elisabeth fut remplie. 2. Nous venons d’entendre parler de la joie de l’enfant à naître, écoutons ce qu’il en est de sa fonction de précurseur. Jean vint dans le désert prêchant et disant : Faites pénitence car le Royaume des cieux s’approchera (Mt 3, 2). Jean est dit venir dans le désert, car ceux qu’il exhorte à la pénitence se trouvaient désertés par Dieu. Et s’il leur prescrit de faire pénitence, ce n’est pas pour les effrayer mais pour les attirer au Seigneur. Il les attire en leur promettant la forme que prend la réconciliation : car le Royaume des cieux s’approchera. C’est comme s’il disait : le règne de la vie s’approchera. O quelle admirable bonté : aucun intervalle entre la pénitence et le Royaume des cieux. Faisons donc pénitence pour nos fautes, et aussitôt s’ouvre à nous le Royaume des cieux. C’est bien ce que dit le bienheureux prophète : Mettez fin à vos perversités, apprenez à faire le bien (Is 1, 16). C’est en effet la jalousie du diable qui a introduit le péché dans le monde (Sg 2, 24), et par le péché la mort (Rm 5, 12). Par la sagesse de la bonté d’en haut il est conseillé aux malheureux mortels d’avoir d’abord, par le remède de la pénitence, à se détourner de la contagion même du péché ; alors, une fois écartée la domination de la mort, le bonheur de la vie nous sera rendu. Qu’est-ce en effet que le péché, sinon un venin ? Oui, le venin de l’antique serpent ; l’âme malheureuse, en se laissant prendre à l’amour d’une perverse douceur, encourt l’horrible amertume de la mort éternelle. De fait, l’âme qui a péché, c’est elle qui mourra (Ez 18, 4). Voilà pourquoi le médecin céleste D’ici à la fin du paragraphe, cf. Ambroise de Milan, Expositio euangelii secundum Lucam II, 23. b pignus pignoris. a
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nous a prescrit le premier antidote, celui de la pénitence, qui expulserait de l’intérieur de l’âme le virus du péché et qui rendrait ainsi l’homme guéri à la joie de la vie éternelle. 3. Écoutons-le donc nous crier par la voix de son précurseur : Produisez des fruits dignes de la pénitence (Lc 3, 8). Dignes de la pénitence, les fruits le sont chez celui qui servait le péché et qui, dès lors, agit au contraire du péché. Il faisait le contraire de la volonté de Dieu et se met à agir au contraire du diable, non seulement en corrigeant le mal par la pénitence, mais en engageant toute son attention à faire le bien. Il nous faut savoira que le bien en nous, l’antique Ennemi l’attaque de trois manières. Une conduite de droiture devant les hommes, il la corrompt par le regard du juge intérieur. Quelquefois, dans l’œuvre bonne, il en pollue l’intention. D’autres fois il n’y parvient pas, mais il s’oppose en cours de route à l’action ellemême. D’autres fois encore il ne s’en prend ni à l’intention ni au cours de l’action, mais il en fausse le but. Il pollue l’intention de l’œuvre bonne car, lorsqu’il remarque des cœurs humains faciles à tromper, il ajoute à leurs désirs celui d’une renommée passagère ; ainsi, dans le bien qu’ils font, ils dérivent, par un détournement de l’intention, vers le désir des réalités d’ici-bas. Dans cette perspective un prophète, s’adressant à la Judée, dit ceci à toute âme prise au piège d’une misérable intention : Ils sont devenus ses ennemis dans leur tête (Lm 1, 5 vg). Et c’est comme s’il disait : lorsqu’on n’entreprend pas une bonne action dans une bonne intention, les esprits adverses en dominent le projet dès le commencement ; ils possèdent cette âme d’autant plus totalement qu’ils la tiennent en prenant l’initiative. Mais lorsqu’il ne parvient pas à vicier l’intention, il pose ses pièges sur la route de telle sorte que, dans sa bonne action même, le cœur dérive vers le vice : après avoir entrepris ce qu’il se proposait, il poursuit son action tout autrement par rapport à son commencement. Il arrive souvent, en effet, que, rencontrant la louange humaine, l’esprit de celui qui agit en est modifié : il y D’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 6, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob I, 36, 51–55. a
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prend plaisir, se relâche et se sent rappelé intimement par l’appétit de la récompense. En outre, souvent, à la mise en œuvre de notre justice, la colère s’y joint par-dessous et, en troublant exagérément l’esprit, blesse tout le salut qu’est le repos intérieur. Souvent aussi la tristesse alourdit le cœur, et ce que l’esprit a commencé dans une bonne intention se trouve voilé par l’affliction. Souvent encore une allégresse immodérée s’ajoute à l’œuvre bonne, réclamant de l’esprit, plus qu’il ne convient, une gaîté qui enlève à cette action tout le poids de la gravité.
Un exemple de cette dérivation 4. Car, même pour ceux qui commencent bien, le psalmiste avait découvert des pièges sur le chemin ; rempli d’un esprit prophétique il déclarait : Sur le chemin où j’avançais, ils m’avaient caché des pièges (Ps 141, 4). Cela, avec raison et subtilité, Jérémie le suggère : il s’est efforcé de rapporter des gestes extérieurs qui reflètent ce qui se passe à l’intérieur ; il a donc raconté : Des hommes arrivèrent de Sichem, Silo et Samarie au nombre de quatre-vingts, la barbe rasée, les vêtements déchirés, marqués d’incisions, ils avaient en mains des offrandes et de l’encens pour les présenter dans la maison du Seigneur. Ismaël, fils de Nathan, sortit de Maspha à leur rencontre, avançant en pleurant. Les ayant rejoints, il leur dit : Venez chez Godolias, fils d’Aïcha. Quand ils eurent pénétré dans la cité, il les mit tous à mort (Jr 41, 5–7). Se raser la barbe, c’est renoncer à mettre sa confiance dans ses propres forces ; déchirer ses vêtements, c’est ne pas s’épargner à soi-même des lacérations. Ils viennent pour présenter dans la maison du Seigneur encens et offrandes, promettant d’offrir à Dieu en sacrifice leur prière avec leurs œuvres. Cependant, s’ils ne savent pas s’observer eux-mêmes soigneusement au cours de leur empressement spirituel, Ismaël, fils de Nathan, vient à leur rencontre : oui ; quelque esprit pervers, à l’exemple de son chef Satan, dans l’erreur de l’orgueil, se présente à eux à titre de piège. De lui il est dit très à propos : Il s’avançait en pleurant, car, pour parvenir, en
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les frappant, à interrompre leur dévotion, il se cache lui-même sous le voile de la vertu, il fait mine de s’accorder avec eux et, admis en toute confiance à l’intérieur de leur cœur, il tue ce qui se cache en eux de vertu. Il promet de les mener vers de plus hauts sommets, aussi leur dit-il : Venez chez Godolias, fis d’Aïcha, et en leur promettant de plus grandes choses, il leur en enlève de plus petites. Ainsi est-il juste de dire : Quand ils eurent pénétré dans la cité, il les mit à mort. Ce sont donc des hommes venus au milieu de la cité pour faire offrande à Dieu, qu’il met à mort. Car les esprits offerts à Dieu dans des œuvres divines, s’ils ne se gardent pas avec la plus extrême attention de l’Ennemi qui se dérobe, en portant le sacrifice de l’empressement spirituel, ils y perdent la vie. 5. De la main de cet Ennemi on ne s’évade pas, sinon en recourant à la pénitence. Aussi est-il ajouté très à propos : Dix d’entre ces hommes dirent à Ismaël : ne nous tue pas, car nous avons dans les champs des trésors de froment, d’orge, d’huile et de miel. Et il ne les tua pas (Jr 41, 8). Les trésors dans les champs, voilà ce qu’est la pénitence, laquelle, du fait qu’elle ne se voit pas, se trouve enfouie au fond de la terre du cœur. Ceux qui possèdent de tels trésors dans leurs champs sont conservés, car ceux qui, de leur faute d’imprudence, reviennent à la lamentation, ne meurent pas captifs. Mais lorsque l’antique Ennemi ni ne frappe à l’origine de l’intention, ni n’intervient dans le cours de l’action, il tend alors à la fin des pièges plus dangereux. Celui qu’il assiège plus inutilement et qui demeure seul, il le considère comme d’autant plus à tromper. Ces pièges réservés pour la fin, le prophète les avait aperçus quand il disait : Ils épieront mon talon (Ps 55, 7). Le talon s’avère en effet la fin du corps : que signifie-t-il donc, sinon le terme de l’action ? Qu’il s’agisse des esprits pervers ou des hommes mauvais adonnés à l’orgueil, ils épient le talon lorsqu’ils désirent empêcher la fin de l’action bonne. Voilà pourquoi il est dit à ce même serpent : La femme épiera ta tête et toi son talon (cf. Gn 3, 15). Épier la tête du serpent c’est observer le commencement de sa suggestion ; celui-là, lorsqu’il échoue au commencement, entreprend de frapper le talon, car même s’il ne frappe pas de sa suggestion la première intention, il entend tromper.
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Veiller à la pureté d’intention 6. Tout notre salut, frères, consiste en ces trois éléments : la pureté de l’intention, le déroulement de l’action bonne, la persévérance jusqu’à l’achèvement parfait. De toutes nos forces il s’agit donc d’examiner clairement le cours de l’œuvre : coule-t-il pur de la source de la pensée ? Avec tout le soin possible il faut garder l’œil du cœur de la poussière de la perversité de peur que, s’il se montre droit dans l’action aux yeux des hommes, il soit vicié en lui-même par une intention dépravée. Prenons soin, lorsque nous sommes vainqueurs du mal, de ne pas nous laisser submerger par un bien déréglé : qu’on n’aille pas favoriser l’éphémère, se laisser prendre au manque de prudence ; qu’on n’aille pas, par l’erreur, abandonner le chemin, ni par lassitude perdre le mérite de la peine qu’on s’est donnée antérieurement. Et puisque dans le désert de ce monde nous marchons parmi des esprits pervers comme parmi des serpents venimeux qui épient notre talon, il nous est nécessaire de trouver une défense dans les exemples des Pères qui nous précèdent, ces exemples qui sont comme des chaussures dont ont besoin les pieds de nos actes.
À l’exemple des saints Ce bienheureux Jean, dont la naissance fait aujourd’hui notre joie, est dit envoyé par Dieu pour tourner le cœur des pères vers les fils (Lc 1, 17). Cela se réalise en nous d’autant plus si, suivant leurs exhortations, nous enseignons à faire nôtres la même foi et le même amour dont nous savons que les saints anciens les possédaient en Dieu. Puisqu’il est avéréa qu’ils y ont entrés, nous aussi soupirons vers ces mêmes joies de la paix d’en haut ; et pour mériter d’y entrer à notre tour nous nous efforçons de nous exercer sur la terre à la vie du ciel. À leur exemple nous n’attribuons à nos mérites aucun bien que nous pourrions faire ou éprouver, mais nous regardons en tout à la grâce de notre Créateur, car il est Dieu, c’est lui a
D’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 19.
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– et non pas nous – qui nous a faits (Ps 99, 3) pour que nous soyons non seulement des humains, mais des saints et des bienheureux. Si nous recherchons d’un cœur pur et infatigable les dons de sa grâce, puisse-t-il lui-même, selon les promesses faites à nos pères, se montrer bienveillant envers toutes nos iniquités et rassasier de bonheur notre désir. Ce n’est pas par les œuvres de justice que nous aurions pu réaliser, qu’il nous couronne de la vie éternelle, mais dans sa compassion et sa miséricorde, que lui-même nous a données, lui qui vit avec Dieu le Père dans l’unité de l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 38 JEAN BAPTISTE
Le précurseur 1. Il y eut un homme envoyé par Dieu, son nom était Jean. Il vint pour un témoignage : témoigner de la lumière afin que tous crussent par lui (Jn 1, 6s). Comme le Fils de Dieu devait venir lors de la plénitude du temps pour la rédemption du genre humain, un homme de grand mérite fut envoyé devant lui pour préparer le cœur des hommes à écouter bientôt, lorsqu’elle apparaîtra, la sagesse même de Dieu, et pour voir le soleil de justice (Ml 4, 2), recouvert de la nuée de son corps. Cet homme, c’est le bienheureux Jean, dont nous célébrons aujourd’hui solennellement la naissance en mystère, signalée d’avance par l’oracle d’un ange (Lc 1, 11ss). Nous la célébrons pour que tous croient à la lumière, elle qu’on ne savait pas encore voir dans le Seigneur Jésus Christ. Celui-ci témoigne de lui-même en ces termes : Je suis la lumière du monde (Jn 8, 12). L’admirable naissance du précurseur du Seigneur a été suivie d’une vie très sainte, à tel point que Jean, absent des œuvres de ce monde, ne s’adonnait en esprit qu’à une quête et des désirs célestes. Il enseignait les foules rassemblées vers lui à s’abstenir d’actes mauvais, à expier par la pénitence et la foi et à se consacrer au Christ. Le temps de la propitiation de Dieu était imminent, où l’accès au Royaume des cieux s’ouvrirait à tous ceux qui le rechercheraient pieusement.
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De fait, la prédication de Jean, comme le rapporte l’évangéliste Matthieu, commence pas ces mots : Vint Jean Baptiste prêchant dans le désert : Faites pénitence car le Royaume des cieux est advenu (Mt 3, 1s). Jean se traduit pas « grâce de Dieu » ou « celui en qui réside la grâce de Dieu »a . Ce nom lui a été imposé par le Seigneur, car véritablement la grâce de Dieu l’habita, ce que nous avons souvent entendu de la part de l’Évangile. « Baptiste » est un terme grec qui signifie « le laveur », dérivé du terme bapto, laver. Ce titre fut ajouté à son nom lorsqu’il vint, envoyé par le Seigneur. Il précèdera ce dernier, avait-il été dit à Zacharie (Lc 1, 17). Et Zacharie dit à son fils : Et toi, petit enfant, on t’appellera prophète du Très Haut, tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer le chemin (Lc 1, 76). Nul doute que le bienheureux Jean avait compris cela, à peine âgé de huit jours, puisque, avant même de naître, il avait perçu la voix de la bienheureuse Marie et avait exulté dans le sein de sa mère (cf. Lc 1, 41).
Éloge de la pénitence 2. Faites pénitence, dit-il, car le Royaume des cieux est advenu (Mt 3, 2). Personne avant Jean n’avait proclamé cela, mais on ne promettait à ceux qui gardaient les préceptes de la loi qu’une longue vie et l’abondance des biens terrestres ; et non, comme le dit le prédicateur de la justice : l’accès au Royaume des cieux s’est approché. Le héraut du Seigneur est honoré par le Seigneur, car le premier il annonce ce qu’aucun prophète ancien avant lui n’avait annoncé – à savoir que le chemin de la vie, fermé au premier homme par le péché, serait bientôt ouvert à nouveau par le Christ. Il rappelle les filsb pour qu’ils regagnent par la pénitence le lieu d’où leur ancêtre avait été chassé par la faute. Oui, ce que a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 69, CCSL 72, p. 146, 16. b D’ici aux premières lignes du paragraphe 3, cf. Ps. Jean Chrysostome, Sermo de Poenitentia.
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ferme le péché, la pénitence le rouvre. Et le lieu d’où la colère avait précipité au loin, la bonté y rappelle. Quiconque ne fait pas maintenant pénitence demeurera nu dans l’ombre de la nuit, mais qui craint Dieu est illuminé par la pénitence. C’est elle, en effet, qui guérit l’homme contrit, qui ramène à la joie souriante l’homme triste et qui, de la mort, rappelle la vie. Elle rénove le mérite de l’homme, redonne forme à sa confiance et le remplit d’une grâce plus abondante, parce que, grâce à la miséricorde de Dieu, elle dénoue les péchés et ouvre à nouveau le paradis. Par elle aussi le Christ nous signifie qu’on peut s’approprier le Royaume des cieux, disant : Faites pénitence, car il s’approchera, le Royaume des cieux (Mt 4, 17). De même Jean Baptiste, le précurseur prépare le chemin ; né aujourd’hui, et rempli de l’Esprit Saint, il crie : Portez des fruits dignes de la pénitence, car le Royaume des cieux est là (Lc 3, 8). La véritable pénitence, c’est de se lamenter en raison des péchés, mais aussi d’éviter d’avoir à s’en lamenter. La saveur de la pénitence, c’est le jeûne pour le péché, quand un homme a atteint l’abstinence parfaite, surmontant continuellement la convoitise d’une voracité contraignante et la sensualité d’une gourmandise persuasive. La pénitence, c’est de réduire le sommeil, de le vaincre et de veiller pour Dieu. La pénitence parfaite oblige le pécheur à tout supporter de bon gré. À qui le frappe il tend l’autre joue (Mt 5, 39), châtié il rend grâce, provoqué il se tait, irrité il n’est que douceur. Envers un supérieur il s’abaisse, envers un inférieur il se place au dessous de lui. C’est dans son cœur qu’est sa contrition, sur ses lèvres sa confession, dans son action une totale humilité. Voilà la parfaite et fructueuse pénitence ; un tel pénitent, Dieu le protège.
Maîtrise de la parole 3. La pénitence s’avère donc la maîtrise des vertus, la mère de la miséricorde. Elle rejette l’amour de l’argent, a horreur de la luxure,
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fuit la fureur, affermit l’amour, organise la conduite, hait la perversité, chasse l’envie, foule aux pieds l’orgueil. Elle maîtrise la languea de peur que, si l’esprit dispersé par un bavardage où se multiplient les paroles, se répand hors du secret de son attention intime, il ne puisse revenir intérieurement à la connaissance de soi. Aux blessures de l’Ennemi plein de ruse il se présente alors tout entier, celui qui ne s’enferme point derrière un rempart de silence. Ainsi est-il écrit : Comme une ville ouverte, sans murailles pour l’entourer, tel est l’homme qui, en parlant, ne sait maîtriser son esprit (Pr 25, 28). Aucun mur de silence ne le protège, la cité de son esprit s’ouvre aux traits de l’Ennemi, lequel s’en rend vainqueur sans peine dans la mesure même où, vaincue, elle combat contre elle-même au moyen d’une multitude de paroles. Cela amène Salomon à dire à nouveau : Abondance de paroles ne saurait être sans péché (Pr 10, 10). Et Isaïe : Le culte de la justice, c’est le silence (Is 30, 17). Il indique par là que la justice de l’esprit se trouve ravagée quand elle ne se préserve pas d’une parole immodérée. De là cette remarque de Jacques : Si quelqu’un s’estime religieux alors qu’il ne refrène pas sa langue et trompe son propre cœur, sa religion est vaine (Jc 1, 26). Car même s’il paraît réaliser par ses actes les commandements de Dieu qu’il a appris, mais sans mettre un frein à sa langue, ni se garder des médisances, des mensonges, des blasphèmes, des sottises – tout cela par quoi il a l’habitude de pécher – c’est en vain qu’il se vante de la justice de ses œuvres. À quoi le même apôtre ajoute : Que tout homme soit prompt à parler, lent à prendre la parole (Jc 1, 19). Et le même continue par cette définition du vice de la langue : C’est un mal sans repos, elle est pleine d’un venin mortel (Jc 3, 8). En négligeant les paroles sans importance nous parvenons à celles qui nuisent. On commence par se plaire à parler des autres, pour ensuite mordre par des détractions la vie de ceux dont on parle ; et pour finir on se laisse aller à des injures ouvertes. Ainsi sont semés les aiguillons de la colère ; des rixes éclatent, allumant D’ici jusqu’à la moitié du paragraphe 4, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob VII, 37, 57–59. a
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la haine sur les visages, et la paix des cœurs s’éteint. Salomon a bien raison de remarquer : Qui laisse couler l’eau prend la tête des querelleurs (Pr 17, 14). Laisser l’eau couler, c’est lâcher la langue dans un flot de paroles. Qui donc laisse couler l’eau prend la tête des querelleurs, car, à moins de refréner sa langue on brise la concorde.
Maîtriser sa langue 4. Par le silence la paix est nourrie ; et à partir de l’annonce du Kushite, David est conservé, il n’a pas à mourir (cf. 2 Sm 18, 31). Ce Kushite, comme il est écrit, était ami de David, or Kushite se traduit par silencea. Mais comment aimait-il David ? Je me suis tu et, humilié, j’ai gardé le silence sur le bien (Ps 38, 3). Voilà en effet comment le juste aime le fruit du silence, jusqu’à garder le silence sur certains biensb. C’est ainsi qu’aime le Kushite, de manière à poser le silence sur ses lèvres et à le garder, pour ne pas parler à moins d’en recevoir la permissionc. Pose, Seigneur, une garde sur ma bouche – est-il dit – et sur la porte de mes lèvres tout autour (Ps 140, 3). Il parle de porte, non de mur. De fait, poser un mur c’est évidemment refuser l’invitation à parler. Mais placer une porte c’est la fermer ou l’ouvrir en fonction du temps et du lieu. Car il y a un temps – et un lieu – pour parler ou se taire (Qo 3, 7). À l’heure fixée, on ouvre la bouche dans le cloître pour la lecture, au chapitre pour la confession, dans l’église pour la prière. On la ferme aux bavardages dans le cloître, aux excuses dans le chapitre, aux vaines modulations dans l’église. Cette porte se ferme plus souvent aux frères nouvellement convertis, aux tièdes, aux pervertis. Elle s’ouvre cependant pour eux autant de fois que l’exigent les besoins du corps, l’enseignement sur l’ordre monastique, l’édification de a « Silence » cf. Rufin, Commentarius in Psalmos 7, PL 21, 668 ; Augustin, Enarrationes in Psalmos 7, 1. Plutôt que de celle du Kushite (2 Sm 18, 31ss), il s’agit de l’attitude d’Ahimaaç devant David (2 Sm 18, 28ss). b Il s’agit de bonnes nouvelles, mais qui ne plairont pas toutes à David. c licentia.
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l’esprit. On peut appeler cette porte « licence de parler ». Elle s’ouvre ou se ferme lorsque cette permission est donnée ou refusée. Or il en est qui, dans le cloître, s’associent non pour lire ou garder le silence, mais pour se passer le temps en rumeurs et curiosité. Ils ne respectent jamais et nulle part les temps et les lieux pour parler et se taire, mais instables et oisifs, ils invitent par des signes tantôt les uns tantôt les autres pour des racontars. Regarde-lesa marcher dehors, se rassembler à l’écart, s’asseoir et bientôt laisser aller leur langue agressive dans des chuchotements détestables. Ils entreprennent en toute familiarité de critiquer, ils sont unanimes pour médire, ils s’accordent pour fomenter la discorde. Ils lient des amitiés nourries d’inimitiés, et c’est dans un même élan de méchanceté qu’ils s’entendent pour tenir leur odieuse réunion. Hérode et Pilate, autrefois n’ont aucunement agi autrement : d’eux l’Évangile rapporte qu’ils sont devenus amis ce jour-là (Lc 23, 12) – le jour de la passion du Seigneur. Certain se rassemblent dans l’unité non pas pour manger le repas du Seigneur (1Co 11, 20), mais pour manger et boire la coupe des démons (1 Co 10, 20). C’est lorsque les langues suscitent le virus de la perdition, que les autres reçoivent volontiers la mort qui entre par leurs oreilles. Voilà comment, selon le prophète, la mort entre par nos fenêtres (Jr 9, 20) : lorsque les oreilles et la bouche nous démangent (cf. 2 Tm 4, 3) et que nous nous efforçons de nous offrir mutuellement la coupe mortelle de la médisance. Que notre âme ne se rende pas à l’assemblée des médisants (cf. Ps 1, 1), car Dieu hait ceux qui s’y adonnent, comme le dit l’Apôtre : Les détracteurs sont haïs de Dieu (Rm 1, 30). Ce jugement, écoute comment Dieu le confirme dans un psaume : Qui dénigre son prochain, celui-là je le poursuis (Ps 100, 5). Rien d’étonnant puisque c’est là le principal vice connu pour combattre plus que tous les autres l’amour, qui est Dieu (1 Jn 4, 8), et le persécute, comme nous pouvons le déduire des citations qui précèdent. QuiD’ici et pour une grande partie du paragraphe 4, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 24, 3–5. a
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conque médit se révèle, lui le premier, vide d’amour. D’ailleurs quelle autre intention a-t-il, en médisant, sinon d’attirer sur celui dont il a parlé méchamment, la haine et le mépris de la part de ceux à qui s’adressent ses médisances ? Il frappe et blesse l’amour chez tous ceux qui entendent sa langue médisante. Et pour ce qui est de lui, il tue en lui complètement l’amour, et l’éteint. D’autant que ce sont aussi tous les absents auxquels il s’efforce de faire parvenir cette parole, qui vole peut-être par l’intermédiaire des présents. 5. Vous voyez combien il est facile, pour une parole qui court rapidement d’atteindre une immense multitude d’âmes par la corruption de cette perversité. C’est pourquoi, de tels individus, l’Esprit prophétique dit : Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume, et leurs pieds sont rapides à répandre le sang (Ps 13, 3 vg). Oui, aussi rapides que rapide court la parole (Ps 147, 15). On est seul à parler, on profère une unique parole, pourtant en un seul instant elle pénètre une multitude d’oreilles et elle tue autant d’âmes. Le cœur rempli du fiel de l’envie ne peut que répandre l’amertume par cet instrument qu’est la langue. Le Seigneur le dit en effet : De l’abondance du cœur la bouche parle (Lc 6, 45). Elles sont diverses les espèces de cette peste : les uns vomissent simplement et sans façons le venin tel qu’il est arrivé dans leur bouche ; d’autres s’efforcent de voiler, par quelque apparence d’un respect simulé, la perversion conçue dans leur cœur, comme s’ils ne pouvaient la retenir. Regarde-les commencer par de profonds soupirs, avec une sorte de gravité et de lenteur, le visage triste, les sourcils affaissés, pour sortir d’une voix lamentable leur malédiction. Ils s’avèrent d’autant plus persuasifs, que – chez ceux qui les écoutent – on les croit proférer cela à contre cœur, dans un esprit désolé et d’autant plus pervers. Je me désole à l’extrême, dit-il, pour celui que j’aime, mais je n’ai jamais pu le corriger de cela. – Et un autre : Cela m’avait bien été découvert, et jamais par moi on ne l’aurait su. Mais puisque la chose a été révélée par un autre, je ne puis nier la vérité. Oui, la chose est vraie. Et il ajoute : C’est un grand dommage : il a tant
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de qualités par ailleurs, mais en cela – à vrai dire – il est absolument inexcusable. Après cette brève mise en garde contre un vice si détestable, prenons la mesure de la punition qui menace les flots de mots dans lesquels nous péchons par des paroles nocives, si déjà d’une parole simplement oiseuse nous aurons à rendre compte (Mt 12, 36). Il y a parole oiseuse quand celle-ci ne peut se justifier d’une nécessité ni prétendre à une pieuse utilité. En tout autre domainea une sentence de l’Évangile nous terrifie grandement si nous avons la foi ; ceux qu’elle ne terrifie pas n’ont pas la foi. Et parce qu’elle ne les terrifie pas ils se veulent en sécurité ; ils ne savent pas séparer et distinguer le temps de la crainte et celui de la sécurité. Qu’il craigne donc, celui qui mène maintenant sa vie-ci avec pour butb de pouvoir atteindre en cette vie-là la sécurité sans fin. Voilà donc ce que doit être notre manière de craindre.
Dompter sa langue
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6. Qui ne craindrait Celui qui, en ces termes, dit la vérité : Dire à son frère « crétin », c’est être passible de la géhenne de feu (Mt 5, 22). Aucun humain ne peut dompter sa langue (Jc 3, 8). On dompte une bête féroce, on ne dompte pas sa langue. On dompte un lion, on ne refrène pas sa parole. On dompte autre que soi, on ne se dompte pas soi-même. On dompte ce qu’on craignait, et pour se dompter soi-même, on ne craint pas ce qu’on devrait craindre. Que ferons-nous frères ? Si personne n’est capable de dompter sa langue il n’y a plus qu’à se réfugier près du Seigneur qui, lui, domptera notre langue. Aucune bête domptée par les hommes ne se dompte elle-même. Ainsi l’homme ne se dompte pas lui-même. Pour dompter un cheval, un bœuf, un chameau, un éléphant, un lion, un aspic, c’est D’ici et jusque près de la fin du paragraphe 7, cf. Augustin, Sermones 55, 1–4 ; puis Sermon 109, 3–4. b cum fine. a
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un homme qu’on requiert. Qu’on requière donc Dieu pour dompter l’homme. En lui est notre espérance, à lui soumettons-nous, demandons-lui sa miséricorde. En lui plaçons notre espérance jusqu’à ce que nous soyons domptés complètement – autrement dit : jusqu’à ce que nous soyons rendus parfaits, supportons le dompteur. Écoutons le Seigneur en nous-mêmes et agissons selon ce qu’il commande.
S’accorder avec la parole de Dieu 7. Accorde-toi avec ton adversaire tant que tu es en chemin, de peur qu’on ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison (Mt 5, 25). Qui est cet adversaire ? Serait-ce le diable, avec lequel le chrétien devrait s’accorder ? Au grand jamais ! Cherchons donc quel est cet adversaire avec lequel nous devons nous accorder pour qu’il ne nous livre pas au juge, et le juge au garde. Recherchons-le et accordons-nous avec lui. Si tu pèches, ton adversaire s’avère la parole de Dieu. Tu te plais à errer, elle te dit : non. Tu te plais à critiquer et à bavarder, elle te dit : non. Tu te plais à t’occuper de babioles, la parole de Dieu encore te dit : non. Quels que soient les péchés par lesquels nous prétendons faire notre volonté propre, elle nous dit : non. Elle est donc l’adversaire de notre volonté propre. O quel bon adversaire, quel utile adversaire ! Il ne recherche pas notre volonté, mais notre utilité. Il est notre adversaire tant que nous le sommes pour nous-mêmes. Tant que tu es pour toi ton ennemi, tu as pour ennemie la parole de Dieu. Mais sois pour toi un ami en renonçant à faire ce qu’elle te montre comme nuisible pour toi, et tu t’accordes avec elle. Si nous nous accordons avec elle, si nous lui donnons notre consentement, au bout du chemin nous n’aurons à craindre ni le juge, ni le garde, ni la prison. Quand donc finit le chemin ? – Quand finit la vie. De fait, cette vie-ci est qualifiée de chemin. Marchons-y, vivre ici, c’est retrancher. Non, les années ne viennent pas à nous, elles nous quittent bien plutôt. De fait, elle ne viennent par pour rester, mais en pas-
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sant par nous elles nous usent et nous rendent de moins en moins forts. Que ferons-nous donc avec notre adversaire ? – Un accord avec lui. Tu ne sais pas quand ta vie doit finir ; mais lorsqu’elle aura pris fin, resteront le juge, le garde et la prison. Pourtant si nous avons gardé à l’égard de notre adversaire une volonté bonne, si nous nous sommes accordés avec lui, au lieu d’un juge nous trouverons le Père, au lieu d’un garde cruel l’ange qui emporte dans le sein d’Abraham (cf. Lc 16, 22), au lieu de la prison le paradis. Quant à la joie d’entrer dans ce paradis, le vénérable Jean Baptiste, lui le premier, a annoncé au monde Celui par qui on y entrerait, le premier aussi il a montré du doigt le Sauveur du monde. Pour nous obtenir cela, qu’il offre ses prières, avec le secours de Jésus Christ le Seigneur.
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Prophète du Christ 1. Parmi les enfants nés de femmes il ne s’en est pas levé de plus grand que le Baptiste…(Mt 11, 11). Ce n’est donc pas sans raison qu’aujourd’hui l’Église, par toute la terre, célèbre dans une très joyeuse fête l’origine, la naissance du vénérable Jean Baptiste, lui qui, en témoin très fidèle, a annoncé au monde stupéfait que les joies éternelles rejoignaient les mortels. Il témoignait du fait que les prédictions des prophètes d’avant le Christ sont réalisées. Les récompenses du Royaume des cieux, eux les avaient recouvertes d’ombre par des figures, des énigmes et le voile de promesses matérielles. Mais Jean Baptiste a annoncé clairement que, dans la lumière même, elles s’étaient approchées des pénitents, et que le réalisateur de notre salut, le Seigneur Jésus Christ, était arrivé. Par la parole vive, et du doigt, il l’a montré, disant : Voici l’agneau de Dieu, voici Celui qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29). C’est pourquoi, à juste titre, le Seigneur atteste à son sujet qu’il est plus qu’un prophète (Mt 11, 9). Davantage encore, il nie que, parmi les enfants nés de femmes, il en soit un plus grand que Jean Baptiste. Comme l’ange l’avait annoncé d’avance, celui-ci est né miraculeusement, et contre toute espérance, d’un homme avancé en âge et d’une femme stérile, et âgée elle aussi. L’Évangile atteste que, jusqu’au jour où il s’est montré à Israël, il est demeuré dans le
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désert (Mt 3, 1s). C’est enfin, au temps marquéa par Dieu – selon l’évangéliste Matthieu – qu’il est venu, prêchant dans le désert de Judée en ces termes : Faites pénitence, car le Royaume des cieux s’est approché. – Dans le désert de Judée : car il avait été prophétisé à cette dernière : Voici que votre maison vous sera laissée déserte (Mt 23, 38). Et de fait, aux jours de Jean la Judée était en grande partie déserte, c’est-à-dire abandonnée de Dieu en raison des transgressions de la loi. Le Royaume des cieux s’est approché, dit-il, car Celui-là s’approchait, qui a ouvert l’accès à ce Royaume. Ou encore il annonçait l’Église à venir, qui très souvent dans les Écritures porte ce nom de Royaume des cieux (cf. Hé 12, 23). En effet, Jean, selon ce que dit Isaïe le prophète, est la voix de Celui qui crie dans le désert. Il est appelé « voix », car la parole précède ; et « celui qui crie dans le désert », c’est le Seigneur, qui s’exprime à travers lui, disant : Préparez le chemin du Seigneur b. Voilà pourquoi la voix précédait la parole pour étendre jusqu’à notre cœur le chemin du Seigneur par la foi que suscite la prédication.
Le chemin du Seigneur 2. Rendez droits vos sentiers. Vers qui vient le Seigneur, celui-là rend droits ses sentiers pour qu’aucun obstacle ne barre le chemin au Seigneur qui accourt. Son chemin est paix, son chemin est humilité, son chemin est amour, comme aussi toutes les œuvres des vertus par lesquelles, dans son amour pour un cœur pur, il se réjouit de trouver domicile dans l’âme humaine. Ces chemins, Salomon, dans la louange de la sagesse, en fait l’éloge : Les chemins de sa vie sont beaux, et tous ses sentiers sont pacifiques (Pr 3, 17). Beaux en raison de l’innocence de ses œuvres, pacifiques en raison du repos qu’ils apportent à l’esprit.
D’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 2, cf. Ps. Bède le Vénérable, In Matthaei euangelium expositio, I, 3. b Is 40, 3 ; Mt 3, 3. a
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Mais hélas, nos ruines si agréables rendent raboteux les chemins bien plats de Dieu. Dans une présomption obstinéea, nous l’avons méprisé, lui par qui, détournés pourtant de lui, nous sommes soutenus. Or l’Écriture, avec évidence en témoigne : Si nous marchions par des chemins droits nous trouverions légers les sentiers de la justice (Pr 2, 20). Pour nous, dis-je, c’est manifeste : les chemins droits et légers du Seigneur, nous les hérissons d’obstacles par les cailloux durs des désirs tordus de ce monde. Nous désertons la route royale empierrée par les apôtres et les prophètes, commune à tous les saints ; comme des insensés nous délaissons la route aplanie par les pas du Seigneur pour suivre des sentiers détournés et encombrés par les broussailles des divertissements de ce monde. Epines et pièges sur les chemins détournés, dit l’Écriture, qui craint le Seigneur s’en éloigne (Pr 22, 5). En effet, comme le remarque un proverbe de Salomon : Les chemins des désœuvrés sont couverts d’épines, mais ceux des forts sont fréquentés et dégagés (Pr 15, 19). Ainsi, déviant de la voie royale, on ne parviendra pas à cette cité métropole où notre course doit toujours se diriger sans détour. C’est ce que l’Ecclésiaste dit expressément : Le travail des insensés les accable, eux qui ne savent pas aller à la ville (Qo 10, 15), à savoir cette Jérusalem céleste, qui est notre mère à tous (Ga 4, 26). Quiconque renonce véritablement à ce monde prendra sur lui le joug du Christ (Mt 11, 29) et sera enseigné par lui, exercé quotidiennement par les injures, car il est doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Cet homme demeurera sans broncher dans toutes les tentations, et tout coopérera à son bien (Rm 8, 28). De fait comme le proclame le prophète Abdias : Les paroles de Dieu sont bonnes pour qui marche avec droiture (Mi 2, 7). Et encore : Les chemins du Seigneur sont droits, les justes y marcheront, les transgresseurs y trébucheront (Os 14, 10). Par conséquent, selon la vraie tradition du Seigneur, la voie royale est suave et légère, même si on la ressent comme dure et âpre. Les croyants le servent pieusement et fidèlement lorsque – comme on l’a dit – ils prennent sur eux le joug du Seigneur, et qu’ils ont a
D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Jean Cassien, Collationes, 24, 24–25.
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appris combien Celui-ci est doux et humble de cœur. Déjà ils ont comme déposé le fardeau des souffrances terrestre et ils ont trouvé, grâce au secours du Seigneur, non pas la peine mais le repos pour leur âme. Jérémie le prophète en a témoigné : Arrêtez-vous sur les routes et regardez, renseignez-vous sur les chemins de jadis : quelle était la voie du bien ? Alors marchez-y et vous trouverez la fraîcheur pour vos âmes (Jr 6, 16). Selon l’enseignement du bienheureux Jean Baptiste, de tortueuses ces routes deviendront droites, et de raboteuses, planes (Lc 3, 5), et, au goût, ils verront combien le Seigneur est doux, tout en entendant le Christ proclamer dans l’Évangile : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau, et je referai vos forces (Mt 11, 28). Une fois déposé le poids des vices, ils comprennent ce qui suit : Mon joug est suave et mon fardeau léger. Le chemin du Seigneur comporte donc une fraîcheur, pourvu qu’on se tienne à sa loi. 3. En vue de préparer ces chemins pour le Seigneur, nous sommes exhortés par ce même bienheureux Jean : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu (Mt 3, 3). Or le chemin du Seigneur se dirige vers le cœur lorsque la parole de vérité est entendue avec désir et qu’on obéit à ses préceptes. Vénérable par sa très humble obéissance, le Baptiste occupe ici le premier rang puisque en lui-même, par sa manière de manger et de se vêtir, il présentait cette forme de pénitence par laquelle sont punis les péchés. Il portaita en effet –comme l’atteste l’Évangile – un vêtement de poil de chameau : par l’austérité de ce vêtement il montrait que la pénitence qu’il prêchait implique un cilice. Il portait en outre une ceinture de cuir autour des reins : une telle ceinture montre que les pénitents doivent réaliser la mortification de la chair et refréner la luxure. Sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage (Mt 3, 4). La sauterelle tient lieu ici de doigt : bonne à manger, et d’un vol rapide qui retombe aussitôt. Elle montre ainsi que l’enseignement de Jean est bon pour ceux qui obéissent et le mettent en pratique, mais il doit prendre fin dès que vient l’enseignement Pour les quelques lignes qui suivent, cf. Ps. Bède le Vénérable, In Matthaei euangelium expositio, I, 3. a
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plus éminent du Christ. Pour le miel sauvage les feuilles des arbres s’avèrent d’une merveilleuse douceur, car l’enseignement de Jean se montre d’une très grande douceur. Il convenait d’ailleurs que sa naissance d’ordre spirituel soit suivie d’une vie admirable, et que celui qui reprocherait aux hommes leur mal ne connaisse lui, dans sa pénitence, aucune jouissance, ni dans le vêtement ni dans la nourriture. En méditant cela, bien-aimés, soyez très attentifs à la vénération et à l’élan d’admiration que nous devons avoir pour lui. Son honneur c’est d’avoir été prophétisé par l’Esprit Saint, promis par un ange, pleinement reconnu par le Christ et consacré par la gloire perpétuelle de sa mort. Cherchons donc, très chers, à avoir pour avocat, face à notre Juge, un serviteur aussi éminent et aussi admirable, donné d’en haut – cela avec le secours de notre Seigneur Jésus Christ.
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Diminuer pour que lui grandisse 1. Par une grande mise en œuvre, frères très chers, Dieu a voulu racheter le genre humain, et par un admirable exemple d’humilité diriger son Fils unique vers cette œuvre de notre libération. Alors qu’au cours des temps il avait été annoncé d’avance et était attendu, voici qu’enfin, au moment de venir, il envoya devant lui un homme, Jean. Celui-ci naîtrait lorsque les jours se mettraient à raccourcir, tandis que le Sauveur est né lorsque les jours commencent à s’allonger. Ainsi a été préfiguré ce que dirait Jean lui-même : Il faut qu’il croisse et que moi je diminue (Jn 3, 30). De fait la vie humaine doit disparaître en elle-même et progresser dans le Christ afin que celui qui vit ne vive plus pour luimême mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour tous (2 Co 5, 15). Que chacun de nous dise ce que reconnaît l’Apôtre : Je vis, non pas moi, mais le Christ en moi (Ga 2, 20). La lumièrea avait décru sur la pression des ténèbres lorsque les Juifs offraient des sacrifices conformément à la loi et aux prophéties ; c’est dans cette lumière que Jean Baptiste a été conçu et qu’il est né. Ces sacrifices qui étaient offerts auparavant pour les péchés du peuple devaient dès lors cesser quand naîtrait Jean baptiste. Son mystère avait valu D’ici à la fin du paragraphe, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I. a
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Sermon 40
à Zacharie son père, prêtre des Juifs, de devenir muet parce qu’il n’avait pas cru à cette naissance. Car le Seigneur était venu, prêtre unique, pour, de son agneau – son propre corps immolé – offrir à Dieu le sacrifice pour les péchés de tous.
Le Prince et le soldat 2. Jean a donc été envoyé en avant comme précurseur. En annonçant le premier avènement du Christ et en promettant aux pénitents la proximité du Royaume des cieux, il attirait au Seigneur tous ceux qu’il pouvait ; et en annonçant la colère à venir lors du deuxième avènement il effrayait ses ennemis. Fort est le Prince, fort aussi le soldait, ils venaient accomplir de fortes choses. Ainsi avaient-ils la « force de Dieu » – l’ange Gabriela – pour messager. Le soldat est né, et beaucoup se sont réjouis de sa naissance (Lc 1, 14) ; il leur annoncerait la bonne nouvelle : la venue, inouïe jusque là, du Royaume des cieux. Mais à la naissance du Seigneur c’est une grande joie pour tout le peuple (Lc 2, 10) dont nous lisons l’annonce, car Jean est venu annoncer le salut à la multitude, tandis que Jésus est venu le donner à tous ceux qui le voulaient. Quant à nous, frères, de la naissance d’un si grand précurseur, avec beaucoup et parmi beaucoup, nous nous réjouissons. Et nous honorons par de dignes éloges le messager des messagers, le témoin des témoignages, le premier des témoins, lui qui, encore dans les entrailles de sa mère, avait annoncé la venue du Christ (Lc 1, 41). C’est lui aussi qui a entendu, parmi les flots du Jourdain la voix du Père tonnant du ciel ; il a vu l’Esprit Saint physiquement tomber du ciel sur le Christ (Mt 3, 13). Grâce à sa vertu unique il a entendu de ses oreilles le Père, reçu le Fils dans ses mains, perçu de ses yeux, un instant, l’Esprit Saint. C’estb lui, dis-je, qui a orné sa vie de ses saintes prédications, et de ses œuvres la prédication de la vie.
Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 64, CCSL 72, p. 140, 24. b Sur quelques lignes cf. Geoffroy Babion, Sermones 34. a
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Jean, exemple d’humilité
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3. Jean portait un vêtement de poil de chameau, avec une ceinture autour des reins ; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage (Mt 3, 4). C’est pourquoi dans un si grand prédicateur nous pouvons repérer un exemple pour notre vie. Puisqu’il est entouré d’âpres peines pour la dompter, il façonne sa chair ; en ceignant ses reins d’une ceinture il recommande la chasteté. En prêchant à autrui il peine, et il nous invite à rechercher le salut de nos frères. En fuyant au désert il nous exhorte à sortir du monde. Enfin, par un exemple exceptionnel, il nous suggère la vertu de l’humilité, lui qui avait été annoncé par un angea et s’était trouvé rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ; avant même de naître il avait, dans son ministère de précurseur, perçu la venue du Seigneur. Ensuite de quoi, devenu un jeune homme, alors qu’il méprisait le monde et cultivait l’érémitisme, il se montra dans une tenue négligée et dans une exceptionnelle abstinence. Il fut un prédicateur remarquable, le baptiseur du Christ, rouge par le martyre, blanc par la virginité. Après le Fils de la Vierge et de la Mère vierge, il est élu entre des milliers. Tandis que le peuple le tenait pour le Christ en le voyant si grand, lui, loin de ravir pour soi une gloire usurpée, choisit de rester fermement en lui-même – mieux : dans le Christ au dessus de lui. Il confessa, il ne nia pas, il confessa : Non, je ne suis pas le Christ (Jn 1, 20). Ainsi, pour avoir humblement confessé la vérité, il atteignit un degré plus parfait d’humilité. Il affirme en effet : Un plus fort vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales (Lc 3, 16). À comprendre cela simplement, la bienheureuse humilité se révèle suffisamment. Et dans une interprétation spirituelle, ce dont il se déclare indigne, c’est d’ouvrir et de découvrir le mystère de l’incarnation du Seigneur. Par conséquent, parmi les enfants nés de femmes il ne s’en est pas trouvé de plus humble que Jean (Mt 11, 11). Il a donc caché en toute sécurité le riche trésor de ses vertus dans la fosse de l’humiD’ici à la fin du paragraphe cf. Ps. Bernard de Clairvaux, Tractatus de statu uirtutum I, 12. a
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lité. Qu’est donc en effet l’humilité sinon une fosse souterraine, dans laquelle le trésor des vertus se trouve caché très sûrement. Là le cambrioleur ne fait pas irruption avec violence, les voleurs ne percent ni ne dérobent (Mt 6, 19).
L’humilité 4. Or l’humilitéa se montre soit suffisante, soit abondante, soit surabondante. Suffisante quand on se soumet à un supérieur et qu’on ne se préfère pas à un égal. Abondante quand on se soumet à un égal et qu’on ne se préfère pas à un inférieur. Surabondante quand on se soumet même à un inférieur. Par ailleurs l’orgueil est le vice dans lequel, aveuglé, on se plaît à soi-même et, en cela, on déplaît à Dieu et aux hommes. Au contraire l’humilité est la vertu par laquelle on se déplaît à soi-même, en plaisant du même coup à Dieu et aux hommes. De ce fait l’humilité intervient la première quand on se défait de ses possessions. Suivent six autres vertus : deux de l’ordre de la voix, deux de l’ordre du corps, deux de l’ordre du cœur. Quant à la voix : l’homme humble répond pacifiquement à une parole d’impatience et humblement à une parole de vanterie. Quant au corps : lorsqu’on recherche l’utile dans le mode de vie et la mortification dans la chair. Quant au cœur : lorsqu’on fait passer l’opinion commune avant la sienne propre, et lorsqu’on se soumet à une autorité plutôt qu’à sa volonté propre. Par conséquent l’humilité est le mur du cœur contre les tentations invisibles, et l’avant-mur contre les ennuis extérieurs. On décrit l’humilité comme une tour forte face à l’ennemi (Ps 60, 4), car, de même que dans une ville la tour en constitue la beauté et la défense, de même l’humilité représente la beauté et la défense du cœur. Il est heureux de donner à l’humilité le nom de tour ; plus elle descend très bas devant les hommes, plus elle monte au plus haut devant Dieu. Car l’ami de Dieu monte, selon qu’il est écrit : Mon ami, monte plus haut (Lc 14, 10). Ain-
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Cf. Ps. Bernard de Clairvaux, Tractatus de statu uirtutum I, 3–5.
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si donc, sans le moindre doute, l’humble monte, et en aucun cas l’humilité ne connaît de chute. Voilà pourquoi Jean, dont nous célébrons la fête, affirme qu’il est l’ami de l’Époux, car il se tient là et il l’écoute (Jn 3, 29). Il se tient là car il ne tombe pas ; il ne saurait tomber puisque, par le mépris qu’il a de sa propre excellence, il est fondé solidement sur ce mépris qu’est l’humilité. De cette stabilité de l’humilité, rien parmi la diversité des choses n’a pu le faire pencher. Le Seigneura lui-même nie qu’il s’avère un roseau agité par le vent ou un homme en habits délicats, mais il affirme au contraire qu’il est plus qu’un prophète (Lc 7, 25s). Car Celui que les prophètes avaient annoncé d’avance, Jean a mérité de le voir, de le tenir et de le désigner au monde perdu comme Celui qui vient à lui comme Sauveur, notre Seigneur Jésus Christ.
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Cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia I, 6, 5.
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SERMON 41 POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN BAPTISTE
1. Zacharie étant entré dans le temple du Seigneur, l’ange Gabriel lui apparut debout à la droite de l’autel de l’encens. À cette vue Zacharie fut troublé – et la suite, jusqu’à : beaucoup se réjouiront de sa naissance (Lc 1, 11–14). Concernant cette glorieuse naissance du vénérable Baptiste, en rassemblant à son sujet les saintes paroles de l’Évangile, nous pouvons remarquer qu’il a été divinementa choisi pour naître d’un couple âgé depuis longtemps, et sans enfants. Ainsi Jean serait pour eux gratuitement un don de la grâce, et la stupeur suscitée par d’autres miracles le désignerait comme futur prophète. Sa noblesse ne lui venait pas seulement de ses parents, mais de ses ancêtres fort importants, d’une puissance non pas de ce monde, mais religieuse. C’est comme par droit héréditaire qu’il prêcherait la foi répandue en lui : la foi en la venue du Christ. Voilà pourquoi les événements entourant sa naissance, qui sont racontés simplement selon la confiance de la foi, contiennent aussi en eux-mêmes, avec finesse, l’indication et la figure d’événements à venir.
Ce sermon se réfère principalement à des passages tirés de Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio I ; Homeliae II, 19 et 23 In Marci euangelium expositio I. a
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Sermon 41
Le sens prophétique de l’événement
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2. Il y a d’abord le fait que Zacharie son père entre dans le temple ; en cela on reconnaît symboliquement que le sacerdoce, au travers de la lecture, consiste à avoir une parole sainte, comme l’est en toute vérité le sanctuaire du ciel, et à y entrer par l’intelligence. La foule du peuple prie au dehors, car elle ne peut pénétrer les mystères, aussi doit-elle se tenir humblement attentive aux instructions des docteurs. En faisant brûler l’encens sur l’autel, Zacharie apprend la naissance prochaine de Jean. De fait, les docteurs, enflammés par la lecture de la parole de Dieu, repèrent dans la moelle intérieure de la lettre, comme si elle devait sortir du sein d’Elisabeth, la grâce de Dieu qui viendrait par le Christ. Cela par des anges, car la loi fut édictée par des anges avec l’entremise du Médiateur (Ga 3, 19). L’ange du Seigneur apparut debout à la droite de l’autel de l’encens (Lc 1, 11). Les anges viennent à nous, exerçant extérieurement une mission, sans jamais pour autant que cesse intérieurement leur regard de contemplation. Ils sont envoyés par Dieu car, où qu’ils aillent, ils courent à l’intérieur de Celui qui est partout. Les anges sont dits « apparaître », car on ne peut les voir d’avance ; il est en leur pouvoir de se montrer quand ils le veulent, et de ne pas apparaître quand ils ne le veulent pas. C’est avec à propos que l’ange apparut à la droite de l’autel : il annonçait ainsi la venue du véritable Prêtre, le mystère du sacrifice universel et la joie du don céleste. De même en effet que la gauche signifie les réalités présentes, la droite souvent promet les biens à venir, et même éternels, conformément à cet éloge de la Sagesse : En sa droite longueur de jours, en sa gauche des richesses (Pr 3, 16).
Commentaire verset par verset du récit évangélique 3. À cette vue Zacharie fut troublé et la crainte fondit sur lui (Lc 1, 12). De même que c’est un défaut humain d’être terrifié, de même c’est le propre de la bonté de l’ange de rassurer gentiment
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Sermon 41
celui que trouble son apparition. Au contraire les démons, s’ils perçoivent que leur présence terrifie, frappent d’une horreur plus grande encore. Ta supplication a été exaucée (Lc 1, 13). Celle-ci visait la rédemption du peuple, non sa propre descendance, pour laquelle il ne pouvait avoir d’espérance. Mais parce que le salut du peuple se réaliserait par le Christ, ce qui est annoncé à Zacharie, c’est le fils qui doit lui naître : en prêchant la pénitence il préparerait pour le Sauveur un peuple croyant. Ton épouse Elisabeth enfantera pour toi un fils que tu nommeras Jean (Lc 1, 13). Voilà un signe d’une particulière importance : chaque fois qu’un nom est imposé ou modifié par Dieu à un homme. C’est ainsi qu’Abram, qui serait le père d’une multitude de nations, s’est appelé Abraham (Gn 17, 5). Et Jacob, parce qu’il a vu Dieu, a mérité de se nommer Israël (Gn 32, 28ss). Jean se traduit par « grâce de Dieu » ou « celui en qui réside la grâce »a. C’est ainsi qu’est déclaré à ses parents, mais aussi à Jean lui-même, que la grâce du Christ est donnée – à Jean, qui doit être rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère. Il sera pour toi joie et exultation, et beaucoup se réjouiront de sa naissance (Lc 1, 15). Joie pour l’esprit, exultation pour le rire du corps. Lors de la naissance du précurseur beaucoup se réjouissent, lors de la naissance du Seigneur s’annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple (Lc 2, 10), car dans un cas le salut est annoncé à beaucoup, dans l’autre il est donné à tous. Il sera grand devant le Seigneur, il ne boira ni vin ni alcool fort et sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère (Lc 1, 15). C’est le fait d’une grande vertu de prêcher dans le désert en avant du Seigneur, de mépriser les jouissances terrestres, d’être décapité pour la vérité (Mt 14, 11). L’alcool fort désigne pour les Hébreux toute boisson susceptible d’enivrer, confectionnées à partir de pommes, de divers fruits, ou de quelque autre matièreb. D’après la loi des nazirs il s’agissait de s’abstenir en tout temps de vin et d’alcool. a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 69 et 76, CCSL 72, p. 146, 16s. et p. 155, 19s. b Cf. Isidore de Séville, Etymologiae 20, 3, 16 ; Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 24.
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Jean, Samson, Jérémie, comme toujours les nazirs, c’est-à-dire les saints, s’en abstiennent absolument. Il s’impose en effet, pour qui désire être rempli du vin doux du Saint Esprita, de s’abstenir de toute boisson fermentée – et encore, outre cette vertu, c’est dès le sein que Jean sera rempli de l’Esprit Saint. Il convertira beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu (Lc 1, 16). Il les convertit au Seigneur en leur donnant le baptême dans la foi en Celui qui doit venir. 4. Il marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Elie (Lc 1, 17). Il est dit venir d’abord, dans l’esprit d’Elie, et puisque celui-ci devra venir à titre de héraut du Juge, Jean a été fait héraut du Rédempteur. Même vertu pour les deux : tous deux dans le désert, tous deux sobres dans leur nourriture, tous deux mal vêtus, tous deux souffrant de la déraison d’un roi. L’un divisa les eaux du Jourdain (2 R 2, 8) pour rechercher le ciel, l’autre en tourna beaucoup vers le bain de la purification où l’on recherche le ciel. Il viendra pour tourner le cœur des pères vers les fils (2 R 2, 8), ce qui signifie répandre dans les peuples, par la prédication, le savoir spirituel des anciens saints. Et ramener les incrédules à la prudence des justes. Celle-ci consiste à ne pas fonder sa justice sur les œuvres de la loi, mais à attendre le salut de la foi, de manière à accomplir les commandements de la loi, bien que proposés par la loi, tout en sachant par grâce qu’on sera sauvé par le Christ. Le juste, en effet, vit de la foi (Rm 1, 17). Pour préparer au Seigneur un peuple parfait (Lc 1, 17). Avec ces mots de l’ange consonent ceux de ce père qui s’adresse ainsi à son fils : Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut, tu marcheras devant la face du Seigneur (Lc 1, 76). Lui-même – Jean – requis plus tard de dire qui il est, répondit : Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieub. La route du Seigneur, par laquelle Celui-ci descend vers nous et nous montons vers lui, ce sont la foi, la pénitence, l’amour. Les sentiers ce sont les intentions droites, si elles s’élèvent pures vers Dieu. Mais elles s’infléchissent si, ce qui a b
Ac 2, 13 ; Ep 5, 18. Jn 1, 23s. ; Lc 3, 4.
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est à faire, nous l’accomplissons en vue des réalités terrestres, et non à cause de Dieu. Jean prépare des voies droites en proclamant un baptême de pénitence pour la rédemption des péchés (Lc 3, 3), disant : Faites pénitence car le Royaume s’est approché (Mt 3, 2). Se repentir c’est se désoler du mal commis, ce que réalisent l’amour de Dieu et la haine du péché. Mais faire pénitence, c’est satisfaire pour les péchés. Que le Royaume des cieux s’approche, cela signifie que dans les lieux célestes règnent par le Christ l’humilité et l’obéissance, tout comme la mort s’est approchée du fait de la transgression d’Adam et de son orgueil.
Austérité de Jean Baptiste 5. Jean portait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins. Sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage (Mt 4, 3). Son lieu s’avère la solitude et son activité la méditation. Il proclame la pénitence par laquelle on revient de l’erreur ; elle consiste à se retirer du péché et, après ce dernier, à déclarer la pudeur d’y mettre fin. De poil de chameau au lieu de laine, son vêtement est l’indice d’une austérité, et la ceinture de cuir celui d’un refus de la luxure. Elie était porteur d’une telle ceinture, faite de peau animale desséchée. Pour Jean, autour de ses reins, elle signifie la mortification de la luxure. Il mangeait des sauterelles et du miel sauvage, car il convient à un habitant de la solitude de ne pas rechercher des délices, mais de s’en tenir à la nécessité. Un vêtement vil et rude, fait de poil de chameau ou de quelque dépouille d’animal, signifie le cœur humble et contrit (Ps 50, 19) du pénitent. La ceinture nous exhorte, en tout ministère, à être ceints de la volonté du Christ. Les sauterelles, fugaces, choisies comme nourriture, nous représentent, nous qui, soulevés en quelque sorte par des sauts physiques, étions d’une volonté errante, avec des œuvres inutiles, des paroles plaintives, pérégrinant au long de notre séjour terrestre. Maintenant, au
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contraire, nous avons été choisis comme aliments des saints et rassasiement des prophètes, en même temps qu’on nous offrira cette très suave nourriture qu’est le miel sauvage ; celui-ci ne provient pas des ruches de la loi, mais de nous comme de ces troncs d’arbres sauvages que sont les nations.
Le plus grand Puisque Jean s’est présenté parmi les hommes dans un style de vie si rigoureux, c’est à juste titre que le Seigneur lui-même l’a estimé supérieur à tous les humains. Car après tant de choses qu’il avait dites aux foules à sa louange, il les résume dans cette suprême vertu : Parmi les enfants nés de femmes il ne s’est pas trouvé de prophète plus grand que Jean Baptiste (Lc 7, 28). Il s’agit ici de ceux qui sont nés d’une union charnelle ; car, né d’une vierge, il n’en pas de plus grand que Jésus. Aucune comparaison entre Jean et le Fils de Dieu. Mais le plus petit dans le Royaume est plus grand que lui, Jean (Lc 7, 28). Parmi les hommes et les anges, Jean est le plus grand, mais lui qui est un ange sur la terre, est le plus petit des anges qui servent Seigneur dans le ciel. De même, quiconque est déjà avec le Seigneur est plus grand que celui qui combat sur la terre.
La violence pour le Royaume À propos de Jean il est encore ajouté : Depuis les jours de Jean Baptiste jusqu’à maintenant le Royaume de Dieu souffre violence, ce sont les violents qui s’en emparent (Mt 11, 12). Oui, c’est une grande violence pour ceux qui sont nés sur la terre de rechercher le ciel et de posséder par la vertu ce que nous ne tenons pas par nature. Quiconque préfère le Royaume de Dieu aux biens de la terre agit en cela avec violence : il met en œuvre toutes ses forces pour enfin y parvenir. Les violents, eux qui se font violence pour s’en emparer, sont ceux qui forcent leur nature pour ne pas s’enfoncer dans la terre, mais se dresser vers les réalités d’en haut. « S’emparer »,
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c’est en quelque sorte acquérir ce que possèdent les anges, sur quoi nous n’avons aucun droit. Il est dit que le Royaume des cieux souffre violence, car la gloire due au peuple d’Israël depuis leurs pères, annoncée par les prophètes, offerte par le Christ, est prise d’assaut et enlevée par la foi des nations. Cela lorsque, par la pénitence prêchée par Jean elles se remettent à vivre et accèdent à la Patrie céleste comme dans un lieu étranger. C’est avoir ainsi pour secours le Médiateur de Dieu et des hommes, notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 42 SERMON POUR LA NAISSANCE (AU CIEL) DES APÔTRES PIERRE ET PAUL
Tout au service du Christ 1. Précieuse est au regard du Seigneur la mort de ses saints (Ps 115, 15). Si cette parole du psaume trouve son vrai sens à propos de tous les saints, combien plus encore à propos des principaux d’entre eux : les saints apôtres Pierre et Paul, dont nous célébrons aujourd’hui avec joie le jour natal de leur martyre. Aucun croyant n’hésite à penser que leur mort fut précieuse auprès de Dieu dans la mesure même où leur vie fut fructueuse. À tous deux s’applique parfaitement ce que l’apôtre Paul, exultant, affirme de sa propre personne : Le Christ sera glorifié en moi, soit que je meure, soit que je vive (Ph 1, 20). Assurément leur vie fut à la gloire du Christ, car ce qu’ils vivaient dans la chair, ils le consacraient uniquement au profit du Seigneur. Leur ministèrea, le Seigneur de tous – comme on l’avait dit d’avance – en a usé pour illuminer le cœur des nations. Par Pierre d’abord, il a montré que celles-ci étaient admises et associées à sa grâce ; ensuite il a choisi Paul en vue de la vocation des nations, lui donnant ce titre par son Esprit. À propos des deux nous savons cela affirmé avec évidence dans les Actes des apôtres. Il est raconté D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Césaire d'Arles, Sermones, 126, 1 et 69, 5. a
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Sermon 42
du bienheureux Pierre qu’aux environs de la sixième heure il monta sur la terrasse, et comme il avait faim il voulut se restaurer. Pendant que ses disciples lui préparaient à manger il tomba en extase. Il vit un objet semblable à une grande nappe de lin nouée aux quatre coins. S’y trouvaient tous les quadrupèdes et les serpents de la terre. Et une voix du ciel se fit entendre : Pierre, immole et mange ! Mais lui de répondre : Seigneur, tu le sais, je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et la voix alors : Ce que Dieu a purifié, ne le dis pas souillé. Cela se répéta par trois fois, puis l’objet fut remporté au ciel (Ac 10, 9–16). La signification de cela, nous désirons la faire entendre brièvement aux oreilles de votre Charité. Mais je vous en prie, frères, que ce ne soit pas inutilement que vous entendiez ces choses : tenez-les, ruminez-les pour vous en repaître ; que ne ressorte pas de votre bouche ce qui est confié maintenant à votre mémoire. Car la mémoire de l’homme est semblable au ventre du bétail. Vous le savez, les animaux qui ne ruminent pas sont considérés comme impurs, ceux qui ruminent sont purs (Lv 11, 3s). Et tous ceux qui ont un sabot fendu sont à référer au discernement de ce qui se trouve à droite ou à gauche. La rumination concerne donc ceux qui, par la suite, repensent à ce qu’ils ont entendu et retenu. Car pour l’instant, ce que nous mangeons nous l’envoyons dans la mémoire comme dans un ventre. Mais que fait le bétail lorsqu’il rumine ? – Ce qui, de la crèche a été jeté dans le ventre et s’y tient, a été rappelé dans la bouche et y repose avec douceur. Je vous ai dit cela pour vous recommander de ne pas vous comporter en animaux impurs. Si vous recevez cela dans votre ventre sans le ruminer par la suite, toute la douceur s’en va. Et vous n’en tirez aucun profit puisque, une fois disparue, la douceur ne vous revient pas à la bouche.
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Animaux purs et impurs
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2. Écoutez encore, frères, ce qui est dit expressément et ouvertement : tous les animauxa que les Juifs ont l’interdiction de manger sont signes – et comme il est dit : ombres des réalités à venir (Col 2, 17). Il est écrit en effet à leur sujet qu’on mangera ceux qui ruminent et dont le sabot est fendu, et qu’on ne mangera pas ceux qui manquent de ces caractéristiques. Or ces derniers représentent des hommes qui n’appartiennent pas à la communauté des saints, car les sabots fendus concernent les manières de se conduire et la rumination se rapporte à la sagesse. Pourquoi les sabots fendus se réfèrent-ils aux manières de se conduire ? Parce qu’on y glisse difficilement : glisser, en effet, est signe de péché. Et comment la rumination se rapporte-t-elle à la sagesse de la doctrine ? L’Écriture le dit : Un trésor désirable repose dans la bouche du juste. Tant que l’homme oublieux avale (Pr 21, 20) ce qu’il a entendu au lieu de le goûter dans sa bouche, cela est enseveli dans l’oubli. Qui médite la loi de Dieu jour et nuit (Ps 1, 2), c’est comme s’il ruminait et comme si le palais de son cœur jouissait de la saveur de la parole. Ainsi donc ce qui est prescrit aux Juifs ne signifie-t-il pas que, dans le cas de l’Église de Dieu, du corps du Christ, de la grâce et de la communauté des saints, cela se rapporte aux auditeurs négligents, ou qui se conduisent mal, ou sont repris par tel ou tel vice ? Il en est de même de tous les préceptes du même type, qui sont les ombres des significations pour les temps à venir. Car, après la venue de la lumière du monde, notre Seigneur Jésus Christ, on ne lit ces préceptes que pour l’intelligence spirituelle qu’ils offrent, et non en vue de les observer. Licence est donnée aux chrétiens non pas de s’abstenir de certaines choses au nom d’une vaine observance, mais de manger avec modération en bénissant Dieu avec actions de grâce. Peut-être est-il donc dit à Pierre : Immole et mange, pour qu’il ne se plie plus à une observance, sans que pour autant il lui soit commandé de s’empiffrer avec une repoussante voracité.
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Pour les paragraphes 2–4, cf. Augustin, Sermones 149, 4–10.
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La signification spirituelle de la nappe 3. Pour nous faire comprendre que cela est montré en figure, il y avait dans la nappe des serpents. Pouvait-on manger des serpents ? Qu’est-ce alors que cela doit signifier ? D’abord Pierre, le bienheureux apôtre de tous, se montre comme la figure de l’Église catholique, ainsi que de nombreux passages de l’Écriture le laissent voir. S’il monte sur la terrasse, cela signifie que l’Église s’élèvera des réalités terrestres sur la hauteur, qu’elle tiendra son cœur en haut, selon cette parole de l’Apôtre Paul : Notre existence se trouve dans les cieux (Ph 3, 20). Que Pierre ait éprouvé la faim, cela signifie que l’Église est affamée du salut des nations. Les quatre coins de la nappe, auxquels se rapportaient les quatre parties de la terre et dans lesquelles l’évangile du Christ est annoncé, paraissent illustrer toute l’étendue au travers de laquelle l’Église catholique se répand. Par conséquent quiconque veut se rendre dans une seule des parties et se sépare de l’ensemble au nom de quelque hérésie ne se réfère pas aux quatre sacrements. Si cela n’est pas en rapport avec la vision de Pierre, alors ce n’est pas non plus en rapport avec les clés qui lui ont été confiées. Ainsi, par ses quatre coins, la nappe s’abaissa, car des quatre vents, Dieu, à la fin, rassemblera tous les saints, lui qui, pour le moment, déploie la foi évangélique sur tous les justes aux quatre points cardinaux du monde. Que par trois fois la nappe se soit abaissée, cela signifie que, par une triple immersion, toutes les nations sont baptisées dans la foi en la Trinité. Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit les croyants sont rénovés pour appartenir à la communauté et à la communion des saints. Les quatre coins selon lesquels la nappe se nouait figurent les quatre parties de la surface de la terre sur lesquelles se répand l’Église, et le triple abaissement de la nappe le mystère de la Trinité. Et voici ce qu’exprime le nombre douze des apôtres : quatre multipliés par trois font douze. Du moment qu’à travers les quatre parties de la terre le mystère de la sainte Trinité serait annoncé par les douze apôtres, les quatre coins de la nappe se sont abaissés du ciel par trois fois.
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4. Les animaux qui se trouvaient dans la nappe préfiguraient toutes les nations, lesquelles étaient impures du fait de leurs erreurs, de leurs superstitions, de leurs convoitises, avant que ne vienne le Christ ; sa venue les a purifiées en remettant leurs péchés. Pourquoi, après la rémission de leurs péchés, ne seraient-elles pas reçues dans le corps du Christ, qui est l’Église de Dieu, personnifiée par Pierre ? Voilà en effet la raison pour laquelle il est dit à Pierre : Immole et mange – et cela signifie que l’Église catholique tuerait et mangerait tous ceux qui croient dans le Christ, autrement dit qu’elle tuerait en eux l’incroyance pour insérer en eux la foi. Personne, en effet, ne peut croire dans le Christ sans d’abord mourir à l’incroyance, ce qui s’opère selon ce que dit l’Apôtre : Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu (Col 3, 3). De même que ceux qui se retirent de la vérité de la foi sont dévorés tout vifs par la mort, ainsi ceux qui viennent au Christ meurent au présent pour vivre dans le futur. Ils sont perdus pour le diable et acquis pour le Christ. Si donc Pierre personnifiait l’Église et celle-ci le corps du Christ, qu’il reçoive en lui, à titre de nourriture, les nations déjà purifiées et auxquelles les péchés sont remis. C’est pourquoi Corneille lui envoya une délégation – Corneille, un païens, avec les païens qui se tenaient avec lui, et dont les aumônes, acceptées par Dieu, les avaient purifiés (cf. Ac 10, 1s.). D’une certaine manière, il leur restait, telle une nourriture pure, à s’incorporer à l’Église, corps du Christ. Pierre craignait de transmettre l’évangile aux non-Juifs, car les croyants issus de la circoncision interdisaient aux apôtres de transmettre la foi chrétienne aux incirconcis, disant que ceux-ci ne devaient pas participer à l’évangile à moins de recevoir la circoncision héritée de leurs pères. Cette nappe emporta l’hésitation de Pierre. Après cette vision il fut averti d’avoir à descendre et à aller avec les envoyés de Corneille ; il y alla. De fait, Corneille et ceux qui se tenaient avec lui étaient figurés par ces animaux apparus dans la nappe, et pourtant Dieu les avait déjà purifiés en recevant leurs aumônes. Ils étaient à tuer et à manger, autrement dit ils auraient
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à mettre à mort en eux leur vie antérieure, dans laquelle ils ne connaissaient pas le Christ, et à passer dans son corps comme dans la vie nouvelle de cette communauté qu’est l’Église. Car Pierre, en arrivant chez eux, leur avait rapporté brièvement la vision qu’il avait eue. Il dit en effet : Vous le savez, il est interdit à un Juif de frayer avec des étrangers, mais Dieu m’a montré qu’aucun humain ne doit être dit souillé et impur (Ac 10, 28). C’est ce que Dieu a révélé lorsque cette voix se fit entendre : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas impur (Ac 11, 9). On demandera peut-être pourquoi la nappe où se trouvaient les animaux était de lin. Ce n’est pas sans raison. Nous savons que le lin n’est pas attaqué par la mite, laquelle dévore les autres tissus. De la sorte celui qui veut appartenir à l’Église doit exclure de son cœur la corruption des mauvaises concupiscences et, de manière incorruptible, tenir ferme dans la foi pour ne pas se laisser pénétrer par les mauvaises pensées, telles des mites. Cela si on veut appartenir aux sacrements de celui qui figure l’Église.
Combattre le lion et le dragon 5. Voilà pourquoi, frères, nous honorons solennellement, en ces sommités de l’Église, les couronnes triomphantes que, à leur mort, ils ont mérité de recevoir à leur entrée dans le Royaume des cieux. Et ce faisant nous déployons de grands efforts, en imitant leur combat, pour parvenir à participer à leur gloire. Ils détiennent en effet, par leur combat, les conditions de notre paix – ce combat que le bienheureux Apôtre décrit en ces termes : Notre lutte n’est pas contre la chair et le sang, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde, contre les esprits mauvais qui sont dans les cieux (Ep 6, 12). Dès le débuta l’Église a combattu le diable, maintenant encore elle le combat, et jamais durant sa vie elle ne cesse ce combat.
D’ici jusqu’aux trois quarts du paragraphe 6, cf. Augustin, Sermones 69, 1–4. a
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Or le diable a été nommé lion et dragona – lion en raison de ses assauts, dragon en raison de sa ruse ; le lion s’irrite ouvertement, le dragon tend ses pièges en cachette. Dans ses premiers temps, d’abord ceux des apôtres, ensuite ceux des martyrs, l’Église a combattu le lion ; et maintenant, dans tous les élus, elle combat le dragon. Aussi, pour pouvoir, avec le secours de Dieu, triompher du lion et du dragon, gardons sous les yeux, avec grande crainte et tremblement, cet avertissement de l’apôtre Pierre : Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5, 8). Quant au dragon, Paul, son co-apôtre, nous prévient pour que nous nous en gardions avec un soin extrême : Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge chaste à présenter au Christ. Mais ma crainte c’est que, à l’exemple d’Ève, séduite par la ruse du serpent, vos pensées ne se corrompent en s’éloignant de la simplicité qui est dans le Christ (2 Co 11, 2s). Lors donc que contre nous s’élèvera publiquement une tribulation, sachons y discerner la rage et la fureur du lion. Et quand les mauvaises convoitises, par une séduction rusée, nous attirent vers la cupidité ou la luxure, reconnaissons là les insinuations du dragon. Si donc nous désirons fidèlement garder une foi droite, soyons forts dans l’adversité contre la fureur du lion. Et si nous désirons conserver la virginité intacte de l’âme, repérons autant que possible les tentations du dragon pour ne pas être pris de court : ne permettons pas au serpent de corrompre nos cinq sens, qui sont en nous comme cinq vierges. Tout ce qui est beau à voire, tout ce qui flatte l’oreille et charme le goût, tout ce qui plaît à l’odorat et qui est doux au toucher : en tout cela, si nous manquons de vigilance, nous permettons aux mauvaises concupiscences, en rampant, de violer l’intégrité de notre âme. Se réalise alors en nous ce que dit le prophète : La mort est entrée par vos fenêtres (Jr 9, 21). Car, par ces cinq sens, comme par autant d’ouvertures, ce sont ou la vie ou la mort qui pénètrent dans notre âme.
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Ac 12, 3–9 ; 1 P 5, 8.
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Comme des vierges sages 6. Avec le secours de Dieu, faisons partie des cinq vierges sages (Mt 25, 4), dont nous lisons dans l’Évangile qu’elles ont emporté de l’huile dans leurs lampes. Et autant que possible, prenons garde de ne pas nous trouver parmi les vierges folles qui, se félicitant de la seule intégrité de leur corps, ont perdu la virginité de l’âme en laissant se corrompre leurs cinq sens : elles n’ont pas emporté de l’huile avec elles. Il leur est dit : Allez en acheter pour vous chez les marchands (Mt 25, 9). Tous les flatteurs vendent de l’huile. Elles sont donc qualifiées de « folles » parce qu’elles recherchent à l’extérieur une louange qu’elles n’ont pas à l’intérieur d’elles-mêmes. Aussi n’emportent-elles pas de l’huile avec elles : la louange qu’elles attendaient d’autrui, elles ne voulaient pas l’avoir dans leur conscience. Que leur répondent les vierges sages : Il n’y en aurait pas suffisamment pour nous et pour vous (Mt 25, 9).
La seule louange : celle de la conscience De même l’Apôtre : Bien plus, je ne me juge pas moi-même (1 Co 4, 3). Si donc notre conscience tremble à l’idée d’être examinée lors du jugement de Dieu, bien qu’elle s’estime droite ; si elle craint de ne pas sortir de son trésor la règle de la justice ; et si elle redoute de ne pas être estimée juste, alors qu’elle le paraissait – à combien plus forte raison devons-nous, très chers, nous garder des jugements d’autrui, soit en bien, soit en mal. Ne nous réjouissons pas trop quand on nous loue, ne nous attristons pas davantage quand on nous blâme ; une louange fausse ne saurait nous couronner, ni un blâme faux nous condamner. Tant que nous vivons ici-bas nous ne pouvons nous juger nousmêmes. Je ne dis pas que nous le serons demain mais que nous le serons aujourd’hui. Nous devons d’autant moins nous laisser émouvoir par les jugements d’autrui, que c’est notre conscience qui témoigne à notre égard. Oui, notre conscience doit être notre gloire (cf. 1 Co 1, 12). Au contraire, si nous nous élevons de par
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les louanges des hommes, ou si nous nous effondrons de par leur blâme, voilà la preuve évidente que nous n’avons pas placé notre gloire dans notre conscience, mais dans la bouche d’autrui. Qui n’aspire pas à la louange ni ne ressent la critique, s’il voit quelqu’un s’enfler vainement d’une louange, il s’enflamme d’autant plus violemment d’injures contre ce dernier. Voilà donc, bien-aimés, les armes offensives et défensives de la justice (2 Co 6, 7), par lesquelles nous, comme de saints guerriers et des chefs triomphants dans leur combat, nous affrontons les férocités du lion et les astuces du dragon. Oui, nous prenons soin de nous prémunir contre les terreurs et les caresses de ce monde, contre les dents des détracteurs et la langue des adulateurs. Cela est tout particulièrement nécessaire au milieu des tentations et des tribulations quotidiennes de l’Église, car elle vit parmi les tentations, elle grandit parmi les tentations, parmi les tentations elle dure et parvient ainsi au but. Mais une fois qu’elle y sera parvenue, le repos succédera à la peine, la tentation disparaîtra, la bénédiction demeurera éternellement. Pour qu’à cette dernière nous méritions nous aussi de parvenir, puissent les mérites glorieux de ces très saints apôtres nous l’obtenir de la part de Jésus Christ, notre Seigneur : à lui honneur et pouvoir avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles.
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SERMON 43 POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL
1. Il est digne et juste, frères très chers, que tous les fidèles, avec le zèle spirituel d’une sainte dévotion, honorent ces hommes très vénérés dans toutes les Églises, chefs de la foi, maîtres des fidèles, les premiers dans le sénat des apôtres : Pierre et Paul. Ils ont annoncé dans un même et unique Esprit le mystère du Royaume des cieux ; et le même jour ils ont consacré leur enseignement par l’offrande de leur sang et de leur mort dans une très puissante passion. Par la grâce prévenante du Christ, ce jour de leur mort est devenu celui de leur naissance, la fin de leur vie leur a donné le commencement de vivre ; pour eux l’incorruptibilité a succédé à la corruption, ce qu’ils ont souffert dans le présent a été compensé par un gain perpétuel. Ils savaient très certainement que la mort comporte un certain poids d’horreur pour la fragilité de la nature humaine ; pourtant ils attendaient d’un grand désir la récompense de leur peines et l’entrée dans l’éternité. De leurs yeux réjouis ils la voyaient toute proche, comme il est permis de le déduire de leurs paroles et de leurs écrits. De fait, le bienheureux Pierre, envisageant l’imminence de son décès, s’écrie comme dans un élan de joie : J’en ai la certitude, l’abandon de ma tente est proche, comme d’ailleurs notre Seigneur Jésus Christ me l’a manifesté (2 P 1, 14).
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Nous usons habituellementa d’une tente en voyage ou à la guerre, aussi est-il juste que les fidèles, tant qu’ils demeurent en ce corps, en exil loin du Seigneur (2 Co 5, 6), affirment résider dans ces tentes, avec elles ils parcourent le chemin de cette vie et mènent un combat contre les adversaires de la vérité. Il est très beau que Pierre ne parle pas de son trépas comme d’une mort mais comme d’un abandon de sa tente. Car c’est bien ainsi que les parfaits serviteurs de Dieu se dégagent des liens de la chair, à la manière de voyageurs qui ont achevé leur voyage et qui échangent leur tente contre leur propre maison ; à la manière aussi de soldats qui, après avoir mis en fuite ou renversé à terre l’ennemi, regagnent leur patrie. Ils ne connaissent qu’une seule demeure dans les cieux, une seule cité, une seule patrie, ainsi qu’en parle l’apôtre Paul : Nous savons que si notre demeure terrestre vient à être détruite, nous avons un édifice qui est l’œuvre de Dieu, une maison qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans les cieux (2 Co 5, 1). Lui aussi, comme le bienheureux Pierre, désire que s’accélère la déposition de sa tente : J’ai le désir de me dissoudre et d’être avec le Christ, ce qui serait bien préférable (Ph 1, 23) – me dissoudreb, c’est-à-dire me dégager de ces liens qui m’entravent pour être très personnellement avec le Christ. C’est, quant à moi, de loin préférable ; mais quant à l’amour qui ne recherche pas son intérêt (1 Co 13, 5), je désire comme meilleur pour moi, demeurer dans la chair ; c’est nécessaire pour vous, non pour moi ; mais je ne refuse pas ce qui vous est nécessaire.
La mort supportée, la mort désirée 2. Il est des hommes imparfaits qui meurent avec patience, il en est de parfaits qui vivent avec patience. Celui qui désire encore la vie d’ici-bas, lorsqu’arrive le jour de sa mort, il la supporte avec a D’ici jusque près de la fin du paragraphe, cf. Bède le Vénérable, In epistulasVII catholicas, 2Petri 1, 13–14. b D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli. Ad Philippenses 1 ; puis 2 ad Timotheum 4.
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patience. Il lutte contre lui-même pour suivre la volonté de Dieu et agir selon ce que Dieu a choisi, plutôt que selon un choix de sa volonté humaine. Son désir de la vie présente devient une lutte avec la mort, et cet homme mobilise la patience et la force pour mourir d’une âme égale. Celui-là meurt avec patience. Par contre, celui qui, comme l’Apôtre, désire se dissoudre et vivre avec le Christ (Ph 1, 23) ne meurt pas avec patience, mais il vit avec patience et meurt avec bonheur. C’est pourquoi ce même apôtre, qui vivait avec patience et n’aimait pas la vie dans la chair, exultait violemment à l’approche de sa passion et se glorifiait en disant : J’ai combattu le bon combat, j’ai gardé la foi. Au reste, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice (2 Tm 4, 7s). Comment a-t-il pu affirmer cela, alors qu’il lui restait à affronter le si grand choc de sa passion et un si grave et pénible combat ? C’est qu’il ne dit pas cela comme allant de soi, mais dans la fermeté de l’espérance : de la victoire future de son combat et de l’accomplissement de sa course il est déjà sûr et certain, grâce à l’Esprit Saint qui déjà lui avait révélé sa passion. Aussi présume-t-il de l’avenir et en parle-t-il comme si c’était arrivé.
L’exemple des apôtres 3. Ainsi donc les bienheureux apôtres Pierre et Paul préviennent leur passion en exultant. Ce faisant, ils proposent aux croyants, par leur exemple, une grande preuve de mépris envers la vie présente et d’une soif envers la vie à venir. Car si grand est leur bonheur que la grâce de cette mort, due pourtant à la cruauté des persécuteurs, ils ne la considèrent pas comme un tourment, mais comme un gain. Le bienheureux Paul, en parlant aux fidèles, lorsqu’il leur montrait avec quel ardent désir, avec quel soupir il aspirait à être avec le Christ, ajouta : Mais demeurer dans la chair est nécessaire à cause de vous (Ph 1, 24). Il faut penser la même chose en ce qui concerne le bienheureux Pierre : la passion de la croix, que lui a prédite le Seigneura, a été ajournée pour lui donner plus a
Cf. Jn 21, 18s. et 13, 36.
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de temps en vue de paître le troupeau du Christ, et pour qu’il remporte le fruit de sa passion avec la palme du martyre dans le Royaume des cieux.
Le dialogue entre Jésus et Pierre Voilà pourquoi le Seigneur lui-même, dans le but de lui faire savoir de quelle mort il glorifierait Dieu (Jn 21, 19), a commencé par le questionner : Pierre, m’aimes-tu ? Et lui de répondre : Seigneur, tu sais que je t’aime. – Pais mes brebis (Jn 21, 15). Cela une première, une deuxième et une troisième fois, au point de contrister Pierre. Pour la troisième fois il lui posa la question, comme si Pierre n’avait en vue que la conscience du renégat et non la foi du confesseur. Jésus le connaissait, il le connaissait toujours, même quand Pierre ne se connaissait pas lui-même. Non, il ne se connaissait pas lorsqu’il affirma : Je serai avec toi jusqu’à la mort (cf. Jn 13, 37). Il ne savait pas à quel point il était faible et malade, mais le Seigneur est médecin. Pierre prétendait disposer de forces qu’il n’avait pas. Jésus, touchant le fond de son cœur, lui disait qu’il le renierait trois fois (Mt 26, 34). Cela s’est réalisé comme le médecin l’avait prédit, non pas comme le présumait le malade. Après sa résurrection le Seigneur l’a donc questionné, non qu’il ignorât dans quel esprit il confesserait l’amour du Christ, mais pour que, par une triple confession de cet amour, il effaçât la triple négation due à sa peur. Le Seigneur demanda donc à Pierre : Pierre, m’aimes-tu ? Comme s’il lui demandait : Que me donneras-tu, quelle preuve m’offriras-tu de ton amour ? Qu’offrira-t-il au Seigneur ressuscité, monté au ciel et siégeant à la droite du Père ? C’est comme si Jésus disait : voici ce que tu me donneras, voici ce dont tu m’assureras que tu m’aimes : Pais mes brebis (Jn 21, 16). Tu entreras par la porte et non par un autre endroit (cf. Jn 10, 2s.). Qui est-il, celui qui entre par la porte ? – Celui qui entre par le Christ. Qui est-il, celui-là ? – Celui qui imite la passion, qui reconnaît l’humilité du Christ. Puisque Dieu s’est fait homme (Jn 1, 14) pour nous, qu’on se reconnaisse homme, homme et non Dieu. Celui qui veut paraître
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Dieu alors qu’il est homme n’imite pas Celui qui, alors qu’il était Dieu, s’est fait homme. À toi il n’est pas dit : sois moins que tu es, mais reconnais ce que tu es ; reconnais-toi faible, reconnais-toi homme, reconnais-toi pécheur ; reconnais que Celui-là te justifie, car tu es souillé. Que dans la confession se manifeste la souillure de ton cœur, alors tu appartiendras au troupeau du Christ, car la confession des péchés invite le médecin à guérir – tandis que celui qui dit : Je suis en bonne santé, autrement dit : Je suis juste, ne recherche pas de médecin.
Bons et mauvais bergers 4. Connais-toi toi-même, dis-je, pour que là où l’Époux, dans le Cantique des cantiques, exhorte l’épouse à être attentive à la connaissance de soi, cette flèche d’une terrible menace ne se dirige pas contre toi : Si tu t’ignores, ô belle entre les femmes, sors sur les traces des troupeaux et mène paître tes boucs près des tentes des bergers (Ct 1, 8). À Pierre il est dit : Pais mes agneaux (Jn 21, 15), lui qui s’ignore lui-même, c’est-à-dire qu’à l’occasion de la charge qu’il a reçue il oublie ses maux passés, il abuse de son autorité en vue d’un faste orgueilleux, il recherche dans le soin des âmes davantage à réaliser ses désirs qu’à gagner des âmes au Seigneur. Il lui est dit alors : Mène paître tes boucs. Non pas qu’il lui soit commandé de le faire, mais il lui est indiqué qu’il le fait, cela dans le but de le terrifier pour qu’il cesse de le faire. Si tu t’ignoresa, sors du sanctuaire (2 Ch 26, 18), autrement dit de ton cœur, d’où tu avais l’habitude de puiser les sens secrets et sacrés de la vérité et de la sagesse, et occupe-toi plutôt de conduire les affaire de ce monde et de charmer les sens de ta chair. Ces boucs, qui signifient les péchés et sont à placer à gauche lors du jugement (Mt 25, 33), on les interprète comme les sens errants et impudents du corps, par lesquels le péché est entré dans l’âme, D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 35, 2–3. a
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comme la mort par les fenêtres (Jr 9, 21). À cela convient bien la suite du verset : près des tentes des bergers. En effet, ce ne sont pas les agneaux qu’on mène paître, comme ci-dessus, mais les boucs près des tentes des bergers. À vrai dire, les bergers – les vrais bergers comme ceux dont nous vénérons la mémoire dans la fête de ce jour – même s’ils ont des tentes de terre et sur la terre, à savoir leur corps – en ces jours où maintenant ils servent, ils n’ont pas l’habitude faire paître à partir de la terre, mais du ciel, les troupeaux du Seigneur. Car à ceux-ci ils n’annoncent pas leur propre volonté, mais celle du Seigneur. Quant aux boucs, qui représentent les sens du corps, ils ne recherchent pas les réalités du ciel, mais ils se saisissent, près des tentes des bergers, de tous les biens de ce monde, lesquels représentent la région des corps. Aussi en sont-ils moins à combler leurs désirs qu’à les irriter. Ils tendent à obéir à la chair, à satisfaire leur voracité et leur ventre, à mendier à travers la terre entière en vue d’apaiser leur curiosité toujours affamée.
La connaissance et l’ignorance de soi et de Dieu
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5. Mais l’âme de chaque croyants est qualifiée d’épouse du Christ, aussi devons-nous, par ces mots du verset, avertir d’un danger commun non seulement ceux qui président, mais nous tous. Nous avons donc à nous demander quelle est cette ignorance à propos de laquelle l’Époux terrifie l’épouse par le terrible coup de tonnerre de sa menace, et de nous enquérir de la connaissance, qui en est l’opposé. Parmi tous les autres, il est deux genres de connaissance sur lesquels doit porter spécialement notre enquête ; sans eux nous ne sommes pas sauvés. Et quelles sont par ailleurs les deux ignorances à fuir : avec elles nous ne sommes pas sauvés. Ce sont la connaissance et l’ignorance de soi et de Dieu. Car de la connaissance de nous-mêmes naissent en nous la crainte de Dieu et l’humilité, et de la connaissance de Dieu l’es-
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pérance et l’amour. Au contraire, l’ignorance de soi engendre en nous la fausse sécurité et l’élévation orgueilleuse, et l’ignorance de Dieu le mépris et la désespérance. En effeta, si l’ignorance de Dieu nous investit, comment espérer en lui, que nous ignorons ? Et s’il s’agit de l’ignorance de nous, comment nous montrer humbles en pensant que nous sommes quelque chose, alors que nous ne sommes rien (Ga 6, 3) ? Nous le savons : ni les orgueilleux ni les désespérés n’ont de part ni de participation au sort des saints. À l’évidence donc, avec quel soin et quelle application nous avons à chasser ces deux ignorances, dont l’une engendre le commencement du péché, et l’autre sa consommation. De même en effet que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (Ps 110, 10), de même l’orgueil s’avère le commencement de tout péché (Si 10, 10). Et de même que l’amour du Seigneur réclame la perfection de la sagesse, ainsi la désespérance représente la consommation de la perversité. Et tout comme de la connaissance de soi vient en l’homme la crainte de Dieu, et de la connaissance de Dieu l’amour, ainsi, au contraire, de l’ignorance de soi provient l’orgueil, et de l’ignorance de Dieu la désespérance. Si l’ignorance de soi engendre l’orgueil, c’est que ta pensée, trompée et trompeuse, te ment en te faisant meilleur que tu n’es. Voilà ce qu’est l’orgueil, et voilà le commencement de tout péché, puisque tu es plus grand à tes yeux qu’auprès de Dieu en vérité. Et voilà pourquoi, du premier qui a péché de ce grand péché – je parle du diable – il a été dit : Il ne s’est pas tenu dans la vérité, il est menteur dès l’origine (Jn 8, 44). Il ne fut pas dans la vérité ce qu’il était dans sa pensée. Et s’il s’était écarté de la vérité en se croyant moindre et inférieur que ne l’estimait la vérité ? Aucun doute, son ignorance l’eût excusé, et on ne l’eût pas tenu pour orgueilleux, son iniquité lui eût moins attiré la haine que son humilité, peutêtre, lui eût valu la grâce.
D’ici à la fin du paragraphe 6, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 37, 5–7. a
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La dernière place
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6. Si Dieu tenait chacun de nous dans un état fixe, nous nous connaîtrions clairement, nous n’aurions pas à nous faire de nous une idée supérieure ou inférieure à ce que nous serions, nous acquiescerions en tout à la vérité. Mais parce qu’il a fait des ténèbres sa retraite (Ps 17, 12) et que sa parole nous demeure cachée (cf. Lc 18, 34), nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine (Qo 9, 2). Plus justement et plus sûrement, sans doute, nous avons choisi la dernière place (Lc 14, 10), d’où, avec honneur, nous serons ensuite conduits plus haut. Ce qui vaut mieux que de nous octroyer une place plus élevée et d’avoir bientôt à la céder à contre cœur. Tu ne risques rien tant que tu t’humilies, tant que tu te tiens pour plus inférieur que tu n’es. Au contraire, grand et affreux est le péril si tu t’élèves le moins du monde et si, dans une unique pensée, tu te mets en avant, pour peu que la vérité te considère comme égal, ou même supérieur. Si tu passes par une porte dont le linteau est très bas, dans la mesure où tu t’inclines tu ne t’y heurtes pas ; mais dans le cas où tu dépasses la mesure de la porte, serait-ce d’un doigt, tu t’y heurtes violemment la tête. Ainsi en est-il de ton âme : l’humiliation, aussi grande soit-elle, n’est pas à craindre ; ce qui est à redouter, c’est l’élévation qu’on se permet, si petite soit-elle. Par conséquent, ô homme, ne te compare pas aux plus grands, ni d’ailleurs aux plus petits, mais à personne. Qu’en sais-tu, ô homme, si celui que peut-être tu considères comme le dernier, le plus misérable, dont la vie très criminelle et singulièrement puante te fait horreur et te semble donc méprisable – que sais-tu s’il ne te devancera pas, toi qui as l’assurance de vivre déjà avec force dans la sobriété, la justice, la piété (Tt 2, 12) et qui précèdes les plus criminels ? Et s’il allait devenir meilleur que toi par un changement en lui, grâce à la droite du Très Haut ? Et s’il l’était déjà en Dieu ? Voilà pourquoi le Seigneur n’a pas voulu que nous choisissions une place moyenne, ni l’avant-dernière, ni l’une des dernières, mais – dit-il – occupe la dernière place, pour que toi seul sois le
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dernier de tous. Je ne dis pas de ne te préférer à personne, mais de ne pas prétendre te comparer à quiconque. Que de mal provient de notre ignorance de nous-mêmes ! Car l’orgueil s’avère le péché du diable et l’origine de tout péché.
L’ignorance de Dieu 7. Qu’est-ce qu’engendre l’ignorance de Dieua ? Ainsi que nous l’avons déjà dit : la désespérance. Comment s’impose-t-elle ? Nous l’avons aussi déjà dit. Quelqu’un peut-être, revenant à lui-même et se déplaisant de tout le mal qu’il a commis, pensera à se repentir et à revenir de sa voie mauvaise, de son comportement charnel. Mais s’il ignore combien Dieu est bon, tendre, doux et large en pardon, son raisonnement charnel ne le critiquera-t-il pas en disant : Que fais-tu ? (Is 45, 18) Veux-tu perdre cette vie-ci avec celle de l’avenir ? Tes péchés sont très grands et extrêmement nombreux ; tu ne suffiras pas à satisfaire pour tant et tant de fautes, même si tu t’arrachais la peau. Pour cela ta chair est trop tendre, ta vie trop délicate, il te serait difficile de vaincre tes habitudes. Au nom de ces raisons, et d’autres, désespéré, il renoncera à son salut, ignorant dans sa misère combien facilement la bonté toute puissante, qui veut que personne ne périsse (1 Tm 2, 4), balaiera tous ces raisonnements. Il s’ensuit que l’impénitence est la faute la plus grave, un blasphème irréparable. Oui, l’iniquité se ment à elle-même (Ps 26, 12 vg) en imaginant rigoureux et sévère Celui qui est bon ; dur et implacable Celui qui est miséricordieux ; cruel et terrifiant Celui qui est aimable. Un tel homme, accablé d’une trop profonde tristesse, se laissera absorber et emporter dans les profondeurs, si bien que déjà il ne reçoit plus de consolation. Il est écrit en effet : Le pécheur, lorsqu’il a atteint la profondeur du péché, méprise (Pr 18, 3 vg). Ou alors, se cachant la réalité, et se berçant d’un faux espoir, il se rappelle et revient, contre toute raison, vers le monde pour jouir et trouver ses délices en tous ses biens, autant Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 38, 1–2. a
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qu’il lui est permis. Lors donc qu’on dira : paix et sécurité, surviendra soudain pour eux la perdition, comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper (1 Th 5, 3). Voilà comment de l’ignorance de Dieu vient la consommation de la perversité universelle, qu’est la désespérance. Pourquoi cette crainte, malheureux ? Pourquoi ce peu de foi (Mt 8, 26) ? Parce qu’il ne voudrait pas remettre les péchés ? Mais il les a cloués de ses mains sur la croix (Col 2, 14). Ou encore parce que vous vous trouvéz assujettis et enchaînés à l’habitude du péché ? Mais le Seigneur délie les enchaînés (Ps 145, 7). Ou peut-être, irrité par la grandeur et le nombre des forfaits, hésiterait-il à y mettre la main ? Mais où le péché a abondé, la grâce, de manière habituelle, a surabondé (Rm 5, 20). Les ténèbres de cette double ignorance, depuis la première chute, n’ont fait que s’épaissir en idolâtrie sur le genre humain, les fils d’Adam. Mais, par la miséricorde de Dieu, ces deux luminaires que sont Pierre et Paul, les principaux apôtres, ont été envoyés. Nous les honorons aujourd’hui par des louanges festives pour leur triomphe dans le martyre. Par leur enseignement ils ont répandu dans le cœur des humains la lumière de la foi et de la connaissance de Dieu. Avec quel respect, fait d’humilité et de bonnes œuvres, devaient-ils se soumettre à Dieu : ils l’ont prouvé en parlant et en écrivant, et finalement en offrant pour lui leur vie dans la mort. Puissions-nous obtenir d’être conduits par les rayons de ces luminaires ici-bas dans les œuvres de la justice, et un jour jusque dans la béatitude. Que par leurs prières la Lumière même du monde daigne nous l’obtenir, elle le Soleil de justice, Jésus le Christ.
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SERMON 44 COMME CI-DESSUS
Pierre à Rome 1. Jésus dit à Pierrea : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? – Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime (Jn 21, 15). Des fêtes de tous les saints, mes bien-aimés, le monde entier est partie prenante, comme l’élan d’une foi unique l’exige. Tout ce dont on fait mémoire, de ce qui est accompli pour le salut de tous, est célébré partout dans une joie commune. Cependant la fête d’aujourd’hui, outre cette vénération qui mobilise toute la terre, doit fait l’objet d’une exultation particulière et propre à la ville de Rome ; c’est là qu’eut lieu le passage en Dieu des premiers parmi les apôtres, là qu’il faut s’en réjouir particulièrement au jour de leur martyre. Voilà les hommes par qui l’évangile du Christ a resplendi dans cette ville. De maîtresse de l’erreur, elle est devenue disciple de la vérité. À cette ville le bienheureux Pierre n’a pas craint de venir, alors que Paul, qui partage sa gloire était encore occupé à organiser des Églises. Pierre est entré dans cette forêt pleine de bêtes grondantes et dans cet océan aux profondeurs tempétueuses, se montrant alors plus ferme que lorsqu’il s’était avancé, marchant sur les eaux (cf. Mt 14, 29s.). Il ne redoute pas cette maîtresse du monde, D’ici jusque vers les dernières lignes de ce paragraphe, cf. Léon le Grand, Tractatus 82, 1 et 4. a
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Sermon 44
Rome, alors qu’il avait tremblé en présence de la servante du grand prêtre dans la maison de Caïphe (cf. Mt 26, 69s.). Car la puissance de l’amour, en lui, avait surmonté les raisons de ses craintes. En vérité, il avait déjà reçu l’élan d’un amour intrépide quand la profession de son amour pour le Seigneur s’était trouvée mystérieusement affermie par la triple interrogation de Celui-ci, commea nous l’a fait savoir ce saint passage de l’Évangile que nous venons de lire. Ainsi la conscience du bienheureux Pierre se montre d’accord pour manifester d’une manière générale cette vertu d’une dilection devenue parfaite.
Un amour ardent mais modeste
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2. Parfaite est la dilection par laquelle nous avons à aimer Dieu de tout notre cœur et de toute notre force, et notre prochain comme nous-même (Mc 12, 30s). L’une sans l’autre ne saurait être parfaite : impossible vraiment d’aimer Dieu sans le prochain ni d’aimer le prochain sans Dieu. Que cet amour ne puisse être vécu sans l’aspiration à la grâce divine, le Seigneur, tacitement, le laisse entendre quand, interrogeant Pierre à ce propos, il le nomme, comme nulle part ailleurs : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Car Simon signifie « obéissant » et Jean « grâce de Dieu »b. Voilà pourquoi le premier des apôtres, questionné sur son amour, est nommé Simon, fils de Jean, c’est-à-dire « obéissant à la grâce de Dieu ». Qu’ainsi soit montré ouvertement à tous que cette obéissance, plus grande que celle de tous les autres aux commandements du Seigneur, et que cet amour plus ardent dont Pierre l’entoure, n’émanent pas d’un mérite humain mais d’un don divin. Remarquons cependant avec quelle réserve Pierre témoigne de son amour : en effet, lorsque le Seigneur lui demande s’il l’aime a
sim.
D’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homeliae II, 22 pas-
Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 71, CCSL 72, p. 148, 4. b
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plus que les autres, il n’ose pas répondre : Tu sais que je t’aime plus que ceux-là, mais il s’exprime avec modestie et avec simplicité : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Ce qui revient à dire : Tu sais toi, mieux que moi, que je t’aime d’un cœur intègre ; la mesure dans laquelle les autres t’aiment, je l’ignore, mais à toi tout t’est connu. Que cette réponse prudente règle notre manière de parler et de penser, pour qu’à cet exemple nous apprenions à moins présumer de la pureté de notre conscience, et à moins juger témérairement des secrets de la conscience des frères, en particulier dans les cas qui nous échappent et où nous ne pouvons savoir quelle intensité ou quelle nécessité les motive. Effectivement, Pierre n’ose se prononcer en rien sur les secrets du cœur de ses frères, mais seulement sur l’intégrité de son propre amour. À Jésus qui le questionne, il témoigne à nouveau : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. O quelle conscience heureuse et pure, celle qui ne craint pas, face à son Créateur aux yeux de qui tout est à nu et à découvert (Hé 4, 13) d’affirmer : Seigneur, tu sais que je t’aime. Quelle âme chaste et sainte, celle qui ne doute pas que sa pensée est à découvert au Seigneur ! Elle sait absolument qu’elle ne pense rien qu’il n’approuve.
Paître le troupeau du Christ 3. Il est heureux, par conséquent, que les cœurs des saints soient comparés à des coupes d’or, au dire de Jean : Les anciens tenaient chacun une cithare et une coupe pleine de parfums, qui sont les prières des saints (Ap 5, 8). De fait, les parfums des coupes représentent les prières des saints, car tout ce que font et disent de bien ceux qui servent Dieu dans une intention pure, tout cela pour eux remplit le rôle de la prière en exprimant aux yeux de Dieu l’élan de ferveur de leur esprit. L’Apôtre ne pense pas autrement lorsqu’il prescrit : Priez sans cesse (1 Th 5, 17). Nous ne pouvons accomplir cela à moins de diriger, par un don de Dieu, tous nos actes, nos paroles, nos penses et même nos silences – et tout cela tempéré par le respect de la crainte – à l’avantage de notre salut.
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Dans sa bonté prévenante le Seigneur demande une troisième fois à Pierre s’il l’aime, pour qu’il défasse par une triple confession les liens qui le tenaient captif du fait de son triple reniement. Par une disposition prévenante aussi envers celui qui confesse une troisième fois son amour, il lui confie de paître ses brebis. Il convenait en effet que Pierre, autant de fois qu’il a titubé dans la foi envers ce Pasteur, reçoive, autant de fois que cette foi est rénovée, l’ordre de prendre soin des membres de ce Pasteur. Paître les brebis du Christ c’est affermir ceux qui croient en lui pour que leur foi ne défaille pas (Lc 22, 32) et c’est se donner constamment de la peine pour qu’au contraire ils progressent de plus en plus dans la foi. Les secours terrestres s’avèrent nécessaires aussi ; pour que ceux qui leur sont confiés n’en manquent pas, le guide aura à s’en préoccuper avec soin : à leur fournir des exemples de vertus, conjoints avec la parole de la prédication. Il lui faudra dénoncer ceux qui peut-être s’en prennent à leurs avantages spirituels et communautaires, à s’opposer autant qu’il le peut à leurs violences, comme aussi, envers ceux dont il est responsable et qui ont pu errer, à les reprendre, en suivant l’injonction du psalmiste : Que le juste corrige avec miséricorde (Ps 141, 5), mais qu’il blâme sans amollir les cœurs par l’huile d’une complaisance funeste. Car celui qui néglige de corriger autant qu’il le faut les errements de ceux qui lui sont confiés et de soigner les blessures des pécheurs, de quel front se permet-il de se compter parmi les bergers des brebis du Christ ?
Une vie et une mort à la gloire de Dieu 4. À cet ordre de paître ses brebis le Seigneur a bientôt ajouté pour ce premier berger l’annonce du triomphe de sa passion : Amen, amen, je te le dis : Lorsque tu étais jeune tu te ceignais toimême et tu allais où tu voulais ; une fois devenu vieux tu étendras les mains, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas (Jn 21, 19). Étendre les mains : voilà qui laisse entendre la position de ses membres, par quoi il s’adapterait à la croix. Qu’un autre le cei-
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gne : voilà qui fait deviner les liens par lesquels le persécuteur l’emmènerait. Le conduire là où il ne voudrait pas : voilà qui indique l’âpreté de sa mort et des souffrances dont sa faiblesse physique avait en horreur et que sa fermeté spirituelle se réjouissait d’avoir à supporter pour le Seigneur, avec tout ce que cela comporte. En effet, il ne cherchait pas à accomplir sa volonté mais la volonté de Celui qui l’a envoyé : le Christ. De quel amour il l’aimait : il l’a prouvé par son combat jusqu’à la mort pour la vie de ses petits. Afin que ceux-ci puissent être sauvés de corps et d’âme lui-même a supporté dans la forte constance de son âme tous les tourments que l’adversaire s’est plu à lui infliger. Cela, l’évangéliste aussi le laisse entendre quand il dit : Jésus, en parlant ainsi, signifiait de quelle mort Pierre glorifierait Dieu (Jn 21, 19). Oui, Pierre a glorifié Dieu par sa mort quand il a montré à tous combien Dieu devait être vénéré et aimé. Il leur en a donné la preuve quand, face au choix de la croix, il préféra subir le tourment de celle-ci plutôt que de mettre fin à la prédication du Verbe venu du ciel. On remarquera qu’il n’a pas seulement glorifié Dieu par sa mort, mais aussi par sa vie et par ses souffrances qui ont précédé sa mort. Il a glorifié Dieu par sa vie, lui qui, en tout ce qu’il a réalisé, n’a pas recherché sa volonté propre, mais la volonté et la louange de son Créateur. Il l’a aussi glorifié par ses souffrances, lui qu’aucune pression des persécuteurs n’a pu détourner de l’obéissance délibérée que lui proposait un amour venu d’en haut.
Paul aussi, et les autres apôtres 5. Mais avec la mémoire du bienheureux Pierre, nous célébrons de même aujourd’hui le jour natal de Paul, son compagnon d’apostolat. Voyons donc, frères très chers, si lui aussi a glorifié Dieu par sa vie, sa mort et ses souffrances. Oui, il l’a glorifié, comme l’atteste Luc qui, dans la plus grande partie du Livres des Actes des apôtres, décrit les combats et les labeurs de Paul pour le Christ. Lui-même d’ailleurs en témoigne : dans ses écrits, ses quatorze épîtres, il n’a fait que répandre la bonne odeur du Christ
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(2 Co 2, 5). Tout ce qu’on peut y lire révèle ou bien les secrets de la foi, ou bien le fruit des bonnes œuvres. Ou encore il promet les joies du Royaume céleste, ou il raconte les tribulations qu’il a affrontées en prêchant tout cela. Il évoque en outre, au milieu de ces tribulations, les consolations reçues, et dans une exhortation il laisse entendre plus généralement les persécutions qui ne peuvent manquer à tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ (2 Tm 3, 12). Il témoigne de ce que sa vie a largement glorifié Dieu lorsque, dans les chaînes et à l’approche de sa passion, il propose, dans une des épîtres à Timothée, l’exemple de son comportement : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi (2 Tm 4, 7). Il montrait comment Dieu serait glorifié quand il a commencé par dire : Déjà je suis immolé, le moment de ma dissolution est arrivé (2 Tm 4, 6). Ainsi donc Paul a glorifié Dieu, tout comme les autres apôtres aussi l’ont glorifié, car ils aimaient le Christ d’un cœur pur, et dans une intention sincère ils ont pris soin des brebis du Christ. Ce qui est dit à Pierre : Pais mes brebis (Jn 21, 17) l’est aussi à tous. Les autres apôtres étaient ce qu’était Pierre : sans nul doute les bergers de l’unique troupeau du Christ. Quant à leurs successeurs, certains par leur mort, tous par leur vie, ont glorifié leur Créateur. Et ce n’est pas seulement le cas des plus grands luminaires de l’Église, mais le reste des élus, en foule, chacun en son temps, ils ont glorifié Dieu par leur vie ou par leur mort. Frères, il importe qu’à notre tour nous suivions leurs traces en notre temps, organisant et dirigeant notre vie selon leur bon exemple, et persistant jusqu’à la mort dans la droiture de vie qui nous est proposée. Puissions-nous être associés à leur manière de vivre et participer à leur récompense, grâce au secours de Celui qui nous a commandé d’agir ainsi et nous a promis de se faire notre rémunérateur, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité.
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SERMON 45 POUR L’ASSOMPTION DE SAINTE MARIE a
Le castel 1. Jésus entra dans un castelb et une femme du nom de Marthe l’accueillit dans sa maison. Là aussi était Marie… (Lc 10, 38s). Dans l’Écriture sainte une chose unique et un terme unique revêtent des significations différentes, comme par exemple lion, feu, bouc, eau, ou même soleil, et beaucoup d’autres. Il y a en effet le lion de la tribu de Juda (Ap 5, 5) et le lion qui rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5, 8) ; il y a le bouc émissaire qui a porté nos péchés (Lv 16, 20s) et le bouc placé à gauche, qui est condamné (Mt 25, 33) ; il y a le feu que le Seigneur a jeté sur la terre et qu’il veut voir brûler (Lc 12, 49) et le feu qui tombe sur les impies pour qu’ils ne voient pas le soleil (Ps 57, 9 vg) ; il y a l’eau des fleuves qui coule du ventre des croyants (Jn 7, 38) et l’eau dont le flux n’a pas à nous submerger (Ps 68, 16) ; il y a le soleil de justice, qui nous illumine (Ml 4, 2) et le soleil qui n’a pas à nous brûler au long du jour (Ps 120, 6).
a Pour l’ensemble du sermon, cf. Radulphe de Cantorbéry, Homelia in Assumptione S. Mariae, dans l’Homéliaire de Paul Diacre. b Dans le Nouveau Testament le village se traduit en latin par castellum, que l’auteur ici comprend au sens de château-fort.
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Il est vrai que « castel » peut-être entendu en mauvaise part, comme par exemple : Allez dans le castel qui est contre vousa, où le sens du terme est évident ; il y a d’autre part ce castel où Jésus est entré, que nous comprenons symboliquement – étant sauve la règle de l’Écriture – comme la Vierge unique et sans tache, la mère de ce même Jésus. On entend par « castel » une tour et une muraille d’enceinte, qui toutes deux se défendent mutuellement : l’ennemi, par la muraille, est retenu loin de la forteresse, et par celle-ci le voici éloigné de la muraille. Il n’est pas inadéquat de comparer la Vierge Marie à un castel de ce genre. Sa virginité d’esprit et de corps est comme une muraille qui la défend de toute part, si bien qu’aucun élan de sensualité n’y trouve accès, et aucune corruption ne corrompt sa sensibilité. Or l’orgueil attaque habituellement la virginité puisque la sensualité ne le peut pas. C’est pourquoi se dresse dans cette Vierge la tour de l’humilité qui repousse tout orgueil loin de la muraille de la virginité. Et puisque l’orgueil ne peut s’attaquer à l’humilité, c’est la sensualité qui le fait habituellement ; mais la muraille de la virginité repousse toute sensualité. Voilà comment la muraille de la virginité et la tour de l’humilité se défendent l’une l’autre, de sorte que jamais dans l’humble Vierge ne se trouve de virginité orgueilleuse ni d’humilité souillée ; en elle demeurent toujours une virginité d’humilité et une humilité de virginité.
Témoignages concernant cette virginité et cette humilité 2. Ce qui vient d’être dit est si vrai que la foi chrétienne ne peut rien croire de plus vrai. Proposons néanmoins quelques témoignages, dans l’Évangile, de cette humilité et de cette virginité. Lorsqu’un fils est promis par l’ange à Marie, elle répond : Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme (Lc 1, 34). Si, à une vierge fiancée qui se dispose à se marier, il était dit : Tu auras un fils, elle ne s’en étonnerait pas ni ne demanderait comment cela se fera, car elle se Cf. Mt 21, 2 : contra vos, que l’auteur comprend littéralement, au lieu de « en face de vous ». a
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saurait fiancée et bientôt mariée, et elle espérerait être enceinte de par son mari selon l’usage de la nature. Quant à Marie, ce n’est pas à tort qu’elle s’est étonnée en se demandant comment se réaliserait ce qui lui était promis, puisque, fiancée, elle savait que jamais pourtant elle ne se marierait ni ne connaîtrait un homme. Voilà pour la virginité. Pour ce qui est de son humilité, voici ce qu’il faut en dire : lorsque l’ange la salue, choisie à titre de Mère de Dieu, et qu’il lui enseigne comment cela se fera, étant sauve sa virginité, il la proclame bénie entre toutes les femmes (Lc 1, 42), et elle de répondre : Je suis la servante du Seigneur (Lc 1, 38). Et ailleurs : Il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante (Lc 1, 48). O sublime Vierge, Mère de Dieu ! O humble mère, servante de Dieu ! Comment pourrait-elle être plus élevée ? Et comment pourrait-elle se reconnaître plus humble ?
Ce castel où entre Jésus 3. Certains pensent que ce castel est celui de Magdala, d’où Marie Madeleine tirerait son nom. Si la chose est vraie, elle s’avère proche de notre interprétation. Magdal, en effet, signifie « la tour »b, comparée à l’humilité. Mais ici ce nom ne figure pas, et nous ne devons pas entériner cette allégation sans discussion. Un castel singulier : telle fut la Vierge Marie. Encore que beaucoup d’autres femmes disposent de la muraille de la virginité et de la tour de l’humilité, autrement dit soient vierges et humbles, il n’en reste pas moins qu’elles ne peuvent, demeurant vierges, être mères et enfanter des fils. Seule celle-là l’a fait. Ainsi ce castel-là s’avère d’un unique mérite, car unique est cette mère et cette vierge, ce qu’aucune autre n’a pu ni ne pourra être. Et même en concédant qu’une femme serait mère et vierge – encore que ce soit impossible – la Vierge Marie demeurerait unique, car elle a enfanté le Fils unique de Dieu. Unique est le Fils du Père unique, ainsi est-il l’unique de cette a C’est le nom de Migdol qui est ici en cause ; cf. Ex 14, 2 ; Nb 33, 7 ; Jr 44, 1. – Magdal : magnitudo vel turris : Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 58, CCSL 72, p. 132, 8. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 21.
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unique mère. À supposer qu’une vierge enfante, aucune ne mettrait au monde un fils tel que celui-là, ou un autre qui lui serait semblable. Il y a donc un certain castel où Jésus est entré. Mais la porte par laquelle il est entré, c’est la foi. Car Marie a cru parfaites de la part de Dieu les paroles prononcées par l’ange, comme le dit Elisabeth (Lc, 1, 45). Et Jésus n’est pas entré dans ce castel en le violant : Jésus sauvea, il ne viole pas. Il consolide ce qui est brisé, il ne brise pas ce qui est solide. Tel son nom, telle son œuvre.
Marthe et Marie 4. Et une femme du nom de Marthe l’accueillit ; elle avait une sœur du nom de Marie (Lc 10, 38). Ces deux femmes, comme nos pères saints nous l’ont pleinement exposé, représentent deux états de vie, Marthe la vie active, Marie la vie contemplative. Celle-là travaille pour offrir à ceux qui en ont besoin tous les services de l’humilité ; celle-ci reste disponible et voit que Dieu est. Cellelà s’occupe des réalités extérieures, celle-ci contemple les réalités intérieures. De même que la Mère de Dieu est unique, de même le fruit de ces deux vies, symbolisées par ces sœurs, est unique dans l’Église. Jamais, en quelques personnes ou plutôt en toutes, Marthe ne s’est comportée autrement ; jamais non plus Marie ne s’est montrée autre que disponible pour la contemplation. Jamais l’une et l’autre n’ont manqué à ce qui est propre à chacune. En parlant ainsi de Marthe et de Marie, je me réfère à ce qu’elles symbolisent.
La Vierge Marie, une sorte de Marthe Mais voyons maintenant en quoi consiste l’action de cette Marthe, puis faisons-nous une idée de la contemplation de cette Marie. Et pour réaliser cela plus facilement, rassemblons ce que les autres opèrent par Marthe, et ce que Marie accomplit. Les uns a
C’est la traduction du nom de Jésus.
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reçoivent un hôte dans leur maison, celle-cia ne reçoit que le propre Fils de Dieu, qui n’avait pas un lieu où reposer la tête (Mt 8, 20) ; elle ne le reçoit pas dans sa maison mais dans son cœur. Les autres couvrent quelqu’un de nu d’un vêtement changeant et corruptible, fait d’un tissu quelconque ; celle-ci a accueilli le Verbe de Dieu dans sa virginité et, dans l’unité de sa personne, sa chair, elle qui demeurera immuable et incorruptible. Les autres restaurent d’une nourriture et d’une boisson matérielles quiconque a faim et soif ; celle-ci, à l’égard de l’homme-Dieu, indigent selon son humanité, l’a restauré non seulement de nourritures et de boissons extérieures, mais de son lait. Parcourons brièvement les six œuvres de miséricorde que Dieu considère faites pour lui quand elles concernent l’un de ces petits (Mt 25, 40). Celle-ci, elle, n’a pas reçu l’un de ces petits, mais cet hôte suprême qu’est le Fils de Dieu ; nu, elle l’a enveloppé de sa chair, comme aussi de langes ; affamé et assoiffé, elle l’a nourri et abreuvé de lait ; dans sa faiblesse, elle l’a visité non seulement comme enfant, mais comme gisant, allant jusqu’à le baigner, le réchauffer, le frictionner, et cela fréquemment, si bien qu’à juste titre on peut dire d’elle : Marthe s’adonnait aux multiples soins du service (Lc 10, 40). Une fois Jésus arrêté, crucifié, et comme emprisonné, elle lui demeura présente : comme il est écrit, Marie, la mère de Jésus, se tenait au pied de la croix (Jn 19, 25). En tout cela elle se montrait troublée et soucieuse lorsqu’elle fuyait en Égypte loin de la présence d’Hérode, lequel persécutait un tel fils au point de tuer beaucoup d’enfants dont l’âge lui paraissait suspect (Mt 2, 13–18). Elle se montrait bouleversée lorsqu’elle comprenait que les Juifs complotaient et entreprenaient de tuer son fils. Son trouble atteignit un point ultime – et comme l’a dit Siméon – un glaive a transpercé son âme (Lc 2, 35), quand elle vit son fils arrêté, enchaîné, flagellé, conspué, couronné d’épines, moqué, giflé, mis à mort et enseveli. Il était alors très juste de lui dire : Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour beaucoup de choses (Lc 10, 42). Personne ne doute que la bienheureuse Marie aurait voulu L’auteur délibérément crée ici un suspens ; il faudra deviner par la suite de qui il parle. a
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libérer son fils de toute tribulation et trouver elle-même de l’aide de la part de la divinité qu’elle savait intérieure à son fils. De la contemplation qui constitue la part de Marie, Marthe se plaint : sa sœur la laisse seule pour accomplir le service, aussi réclame-t-elle son aide (Lc 10, 40). Telle est la part de Marthe.
La bonne part de Marie choisie par la Vierge Marie
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5. Pour ce qui est de la part de Marie, qui est déclarée comme la meilleure, combien et comment s’est-elle réalisée dans la Vierge Marie ? Qui le dira comme il convient ? La part de Marthe, qui s’est révélée bien meilleure dans la bienheureuse Marie, n’est pourtant pas louée par le Seigneur, il s’est contenté de ne pas la blâmer. Quelle n’est pas alors la part la meilleure qu’a choisie Marie, louée par Jésus, et qui ne lui sera pas enlevée (Lc 10, 42) ? O quelle grande abondance de douceur de la part de Dieu dans la bienheureuse Vierge quand l’Esprit Saint vint sur elle et la couvrit de son ombre (Lc 1, 35), et qu’elle conçut de ce même Esprit. Et que ne goûtait-elle pas de par Dieu, elle qui était cachée la Sagesse de Dieu, et dans ses entrailles son corps s’y adaptait ? Le Christ – dit l’Apôtre – est puissance de Dieu (1 Co 1, 24) ; et en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Col 2, 3). En Marie est le Christ, et du même coup la puissance et la sagesse de Dieu : tous les trésors de la sagesse et de la connaissance reposent en elle. Elle ne se tint pas seulement aux pieds mais à la tête du Seigneur (cf. Jn 20, 12), de sa bouche elle apprenait sa parole. Toutes les paroles des anges, des bergers, des mages, non moins que celles de son fils, elle les conservait dans son cœur (Lc 2, 19). Jamais personne n’a goûté autant qu’elle combien le Seigneur est bon (Ps 33, 9), elle qui s’enivre de l’abondance de sa maison et s’abreuve au torrent de ses délices (Ps 35, 9). Rien d’étonnant si, auprès d’elle – mieux : en elle – se trouvait la source de la vie (Ps 35, 10), d’où coule la perfection si grande de l’une et l’autre vie. De beaucoup de choses Marthe était occupée, d’une seule Marie se délectait, car une seule est nécessaire (Lc 10, 42). Le grand
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nombre de choses est enlevé, une seule demeure. De manière unique la Vierge Marie a accompli la part de Marthe, et de manière unique elle a choisi la meilleure part, celle de Marie. Mais la part de Marthe lui est enlevée. Elle n’aura plus à se faire du souci au service du Seigneur comme enfant, lui que tous les anges de Dieu servent comme Seigneur. Elle ne sera plus jamais troublée en fuyant en Égypte loin de la présence d’Hérode, car le Christ est monté au ciel, et Hérode descendu en enfer loin de la présence du Christ. Elle ne sera jamais plus bouleversée par tout ce que les Juifs ont fomenté contre son fils, lui à qui toutes choses sont soumises (1 Co 15, 27). Jamais plus le fils de Marie ne sera flagellé par les Juifs ou les soldats, ni tué, car le Christ ressuscité ne meurt plus, la mort n’a plus de pouvoir sur lui (Rm 6, 9). Ainsi donc la part de Marthe lui sera enlevée, mais pour son bien ; et la part de Marie s’accomplira pour elle parfaitement, car elle ne lui sera pas enlevée. Elle a été exaltée au dessus des chœurs des anges, pour son bonheur son désir est accompli (Ps 102, 5 vg), elle voit Dieu face à face (1 Co 13, 12), tel qu’il est est, et elle se réjouit avec son fils pour l’éternité. Voilà la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée ; puissions-nous obtenir de participer à ses mérites et à ses prières par Jésus Christ son fils, qui vit et règne avec Dieu le Père.
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L’assomption de Marie : œuvre de son Fils 1. L’assomption de la Mère de Dieu, frères très chers, comparée à toutes les fêtes où nous faisons mémoire d’elle au cours du cycle de l’année – je pense à sa nativité, à sa purification, à l’annonciation – nous avons l’habitude de la célébrer dans un plus grand élan de ferveur spirituelle. Car en réalité, dans toutes les autres fêtes nous vénérons seulement les débuts de notre salut, tandis que dans celle-ci, avec le progrès de notre salut, nous nous réjouissons manifestement du repos de la Vierge, de sa glorification, non moins que de l’accroissement de la cité d’en haut. La fête de ce jour, exultante, n’est pas seulement le fait des humains, mais des citoyens de la cour du ciel. Au Roi des anges lui-même l’exaltation de sa mère apporte une exultation toute particulière. Alors qu’il est accoutumé à conduire ses saints – moyennant le ministère des anges – à la grandeur et à la gloire, pour conduire sa mère il quitte le siège de sa majesté – s’il est effectivement permis de parler en termes humains d’une réalité ineffable. Au moment où elle quitte le monde, lui, s’exilant, s’avance avec la foule des troupes célestes, pour la soulever plus haut que toute sublimité des puissances et se l’associer à la droite du Père. Aussi apparaît-elle chanter avec le psalmiste, dans l’action de grâce et la louange, la manière dont s’est déroulée son
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assomption : Tu m’as tenue par la main droite, par ta volonté tu m’as conduite et avec gloire tu m’as élevée (Ps 72, 24). Précieuse aux yeux du Seigneur est la mort des autres saints (Ps 115, 15), mais celle de sa mère s’avère délectable et joyeuse, car il sait que seule elle était restée pour prendre soin de lui, qui est né de sa chair. Plus est brûlant son amour pour tous les saints, plus encore est violent son désir de la voir, ce désir avec lequel il réclamait sa présence et s’organisait pour briser le treillis de sa chair, reprenant en quelque sorte la plainte de l’épouse dans le Cantique : Le voici qui se tient derrière la paroi (Ct 2, 9). Ce corps de morta, il entend le nommer une paroi qui, pour le moment, nous cache le visage de cet Époux céleste et nous barre l’accès à sa présence tellement désirable. En vérité, proche est le Seigneur (Ph 4, 5) de ses saints et de ses élus, même lorsqu’il semble lointain, mais il ne l’est pas de manière égale pour tous, si bien que, peut-être, on puisse dire que lui-même se tient derrière la paroi. Mais, de toutes manières, de la Mère de Dieu il était proche, elle qui n’était séparée de ses embrassements que par cette seule paroi : la seule obligation d’une mort destinée à détruire ce corps. C’est pourquoi elle souhaitait se dissoudre (Ph 1, 23), et une fois la paroi brisée par le milieu, rejoindre Celui dont elle savait qu’il se tenait derrière la paroi.
Une seule paroi entre nous et Jésus ? 2. D’ailleursb, même de l’âme de Paul le Bien-aimé ne se tenait pas éloigné : pour voir Celui-ci et l’embrasser ne faisait obstacle qu’une seule paroi : la loi du péché (Rm 7, 28), la convoitise de la chair (1 Jn 2, 16), que l’Apôtre supportait, implantée dans ses membres sans en bouger ; tant qu’il demeurait dans la chair il ne pouvait s’en débarrasser. Aussi criait-il son désir : Qui me délivrera a D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 56, 3–4. b D’ici jusqu’aux première lignes du paragraphe 3, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 56, 5–6.
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de ce corps de mort ? (Rm 7, 24), sachant qu’alors il parviendrait aussitôt à la délivrance par ce gain qu’est la mort (Ph 1, 21). Mais qui est semblable à Paul, lui qui entre temps n’a pas consenti à cette convoitise pour obéir au péché (Rm 6, 16) ? Il le savait : consentir au péché c’est se heurter, par ce consentement dépravé et interdit, à une autre paroi. Dans ce cas on ne peut se glorifier de ce que l’Époux se tienne derrière la paroi, quand déjà s’interposent non pas une paroi, mais plusieurs. On le pourra beaucoup moins encore si le consentement va jusqu’à sa réalisation : une troisième paroi dès lors empêche d’accéder à l’Époux, à savoir l’acte qu’est le péché lui-même. Qu’arrivera-t-il alors si le péché est devenu une habitude, une habitude qui entraîne aussi bien un mépris ? Si tu t’en vas de la sorte, n’est-ce pas mille fois que tu pourras te faire dévorer par ceux qui, en rugissant, s’y préparent (Si 51, 4), avant que tu puisses parvenir à l’Époux, dont te sépare non plus une paroi, mais une quantité de parois ? La première, celle de la convoitise ; la deuxième, celle du consentement ; la troisième, celle du passage à l’acte ; la quatrième, celle de l’habitude, la cinquième celle du mépris. Que chacun donc prenne soin de résister de toutes ses forces à la première convoitise pour ne pas en arriver au consentement. Tout ce qui crée des parois disparaît alors, et plus rien n’empêche l’Époux de s’approcher, sinon la seule paroi du corps. Celle-ci, sur la légère poussée de la mort, s’effondre alors pour qu’on se hâte vers l’Époux. Minime dès lors l’obstacle qui demeure : ce passage naturel et inévitable, beaucoup plus souhaitable qu’il n’est terrifiant. 3. Mais ceux qui interposent par leurs vices autant de parois qui les éloignent de l’Époux ont à craindre de devoir s’en aller et à redouter l’entrée du port, sachant que la mort des pécheurs est la pire (Ps 33, 22). Comment ne serait-elle pas la pire, là où ne subsiste pas la moindre vie ? Demeurenta pour eux l’horreur de la fin, la douleur dans le passage, la honte face à la gloire du grand Dieu.
Pour les quelques lignes suivantes, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis, 28, 5–6. a
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D’où nous vient cette négligence, mes frères ? D’où cette dangereuse tiédeur ? D’où cette maudite sécurité ? Pourquoi nous abusons-nous nous-mêmes (1 Jn 1, 8) ? Serait-ce peut-être que déjà nous nous sommes enrichis et que déjà nous régnons (1 Co 4, 8) ? N’est-ce pasa d’horribles esprits qui obstruent la porte de notre maison ? Leurs faces monstrueuses n’attendent-elles pas notre sortie ? Qu’en est-il effectivement de nous ? Vais-je aller en sécurité si le Seigneur ne veille sur ma sortie (Ps 120, 8) ? Hélas, je serai la risée des démons qui m’interceptent si ne m’assiste pas Celui qui rachète et qui sauve.
Souviens-toi de ta fin 4. Voilà pourquoi, frères, l’Écriture nous avertit salutairement : souvenons-nous de notre fin (Si 7, 40) pour que nous ne péchions pas. Oui, de notre fin souvenons-nous, et non de notre commencement, ni du milieu de notre vie, car le Seigneur jugera les confins de la terre (1 Sm 2, 10), et, comme le dit Salomon : Qu’il tombeb au sud ou au nord, l’arbre restera là où il est (Qo 11, 3). Le sud, chaleur et douceur, reçoit en général un sens positif dans l’Écriture sainte, mais du nord se déploie tout le mal (Jr 1, 14). Au reste, les humains sont comme les arbres que, d’après l’Évangile, quelqu’un voyait (Mc 8, 24). Coupé, l’arbre tombe dans la mort, et là où il tombe il y reste, car Dieu te jugera là où il t’aura trouvé – oui, là, de manière immuable et sans retour. Que l’arbre regarde là où il tombera : Une fois couché il n’aura plus de lever (Ps 40, 9), ni d’occasion pour se tourner, changer ce qui est, se convertir. De quel côté tombera l’arbre ? Si tu veux le savoir, regarde ses branches. Là où la ramure s’avère plus nombreuse et plus lourde, c’est de ce côté qu’il tombera, n’en doute pas, si toutefois on le coupe. Nos branches, ce sont nos désirs par lesquels nous nous a D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 56, 5. b D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis, 85.
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étendons vers le sud s’ils sont spirituels, vers le nord s’ils sont charnels. Lesquels l’emportent ? Le corps, au milieu, l’indique, car les désirs les plus forts entraînent avec eux le corps. De fait, notre corps se situe entre l’esprit qu’il doit servir, et les désirs charnels qui font la guerre à l’âme (1 P 2, 11), ou encore les puissances des ténèbres (Col 1, 13) ; il se présente aussi comme une bête de somme entre le voleur et le paysan. Quelles que soient les menaces de celui-là, quelle que soit son insistance, si l’animal ne se laisse pas emmener, le paysan sans armes est vainqueur du brigand cuirassé. De même autant sévit le Pervers, autant le tourmentent ses désirs dépravés ; mais si l’âme revendique comme sa possession ce vase qu’est son corps, si elle retient ses membres et ses sens loin du péché, il faut croire qu’elle a vaincu, ainsi que le dit l’Apôtre : Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel (Rm 6, 12). Et ailleurs : De même que vous avez offert vos membres comme armes d’injustice pour obéir au péché, de même offrez-les pour servir la justice en vue de la sanctification (Rm 6, 19). 5. Absolumenta utile et nécessaire est le souvenir de la fin, mes frères, et rien ne s’offrira de plus efficace pour réprimer en nous l’impudence des vices, toute élévation du regard, et finalement l’insolence des comportements, si nous nous remémorons ce que représenteront l’horreur, la douleur et la honte. Car il nous faudra passer par le feu, et le feu éprouvera la valeur de l’œuvre de chacun (1 Co 3, 13). Là, notre or se changera en scories, l’impureté de tous se révélera ; là tout ce que nous nous passons sans y prêter attention, tout ce que nous couvrons en nous flattant, tout ce que nous négligeons en le dissimulant, sera consumé par l’immense tourment d’une flamme vengeresse, car la Vérité en personne, au temps marqué (Ps 74, 3), manifestera les justices dont, pour le moment, nous méprisons le don. Que valent toutes nos justices, sinon du linge souillé auquel elles sont comparées (Is 64, 5). Quelle honte, quelle confusion alors, après tant de bienfaits, quand il faudra paraître si tièdes, si imparfaits, si vides en présence du Seigneur notre Dieu ! Adam fuyait pour se cacher de lui après avoir goûté un seul Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis, 28, 6–7. a
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fruit défendu ; quelle figure ferons-nous alors après tant de forfaits, tant de perfidie ? Heureuse dès lors l’âme à ce point brûlée dans la vie présente au feu de la pénitence et lavée par ses larmes, qu’elle peut en toute confiance s’adresser en ces termes à ses ennemis postés à sa porte : « Pourquoi te tiens-tu ici, bête sanglante ? En moi, maudit, tu ne trouveras rien »a. Plus heureux encore celui dont l’œuvre n’aura pas été consumée, car elle était bâtie sur l’or, l’argent, les pierres précieuses (1 Co 3, 12), c’est-à-dire sur les actes indestructibles des vertus, comme l’examen l’aura prouvé. Enfin tout à fait heureux, sans le moindre nuage de confusion, celui qui, à visage totalement découvert, en contemplant la gloire du Seigneur, sera transformé en cette même image (2 Co 3, 18), devenant semblable à Celui qu’il verra tel qu’il est.
L’intercession de Marie 6. Cette très heureuse transformation, cette similitude, cette vision unique du face à face, plus que tous les saints, cette très sainte Vierge et Mère du Sauveur en a reçu le privilège en ce jour de son assomption. Alors qu’elle vivait encore sur la terre et qu’il lui restait comme seul obstacle la paroi de sa mortalité, le Bien-aimé avait l’habitude de se faire voir d’elle par les fenêtres et les treillis, lui offrant les douceurs de ses très fréquentes apparitions dans des extases spirituelles. Cela jusqu’à ce qu’enfin aujourd’hui, l’obstacle de la paroi s’étant brisé, le Bien-aimé arrive, accompagné de toutes la cour céleste. Appuyée sur son bras, il l’a transportée dans les palais du ciel. C’est cette même gloire de l’épouse que Salomon a contemplée et qu’il proclame avec une grande admiration : Quelle est celle-ci qui monte du désert, débordant de délices, appuyée sur son Bien-aimé ? (Ct 2, 9)
Ce sont les dernières paroles de saint Martin mourant, elles s’adressent au diable. Cf. Sulpice Sévère, Epistulae 3, 16. Cette lettre complète, du même auteur, la Vie de saint Martin. a
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O quel honneur, quelle puissance unique il y a à s’appuyer ainsi sur Celui que les puissances angéliques s’honorent de contempler. De quelles délices déborde-t-elle, sinon de l’ample rédemption du genre humain, cette rédemption dont elle voit la réalisation à travers le fruit de son ventre, et elle en sourit d’une joie toujours nouvelle et ineffable ? Il est juste de dire qu’elle déborde de délices car ses entrailles de miséricorde en elle abondent tellement d’amour pour le salut des humains, que, de multiples manières, elle réconcilie avec son fils ceux qui l’invoquent, les arrachant à leurs péchés et à l’abîme de perdition. Par conséquent pour toute tentation, pour toute tribulation, pour tout besoin, quelle qu’en soit la forme, invoquons Marie, trouvons refuge en elle, et espérons qu’elle soit la protection de notre fragilité. Tout ce qui s’accomplit divinement en elle tend à notre rétablissement, aussi faut-il croire que son assomption aujourd’hui réalise cela pour nous. C’est dans ce but, ô Père des miséricordes, Seigneur, que tu l’as transférée de ce monde afin qu’elle intercède en toute confiance pour nos péchés auprès de son fils, Jésus Christ, notre Seigneur, qui vit et règne avec toi et l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 47 POUR L’ASSOMPTION DE SAINTE MARIE
L’accueil réciproque de Marie et de Jésus 1. Reine du ciel, la maîtresse du monde – de nom, de mérite comme aussi d’action – Marie ne saurait être comparée à toutes les autres vierges, et ce ne sont plus seulement les vierges, mais tous les saints que sa grandeur dépasse dans la gloire. De même la fête d’aujourd’hui surpasse les fêtes de tous les saints. Marie fait non seulement l’admiration des humains, mais elle suscite la vénération des puissances angéliques dans son assomption, elle qui, par la singulière excellence de ses mérites, dépasse la dignité des anges. Quellea est la pureté angélique qui oserait se comparer à cette virginité digne d’être le sanctuaire de l’Esprit Saint – davantage : le lieu d’habitation de toute la Trinité ? Si nous estimons la valeur des choses à leur rareté, Marie est la première à se proposer de mener sur la terre une vie angélique, au dessus de tous. Dans la mesure où sur la terre elle a acquis une grâce exceptionnelle, elle obtient dans le ciel la gloire principale. De faitb, Celui qui venait dans le castel de ce monde, c’est elle a Sur quelques lignes, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 4, 6. b D’ici jusque vers la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 1, 3–4.
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Sermon 47
d’abord qui l’a accueilli, si bien qu’aujourd’hui où elle entre dans la sainte cité, elle a obtenu d’être accueillie par lui. Mais qui saurait estimer avec quel honneur, avec quelle gloire, avec quelle exultation ? Il n’y a pas dans le monde de lieu plus digne que le temple de ce sein virginal dans lequel Marie a reçu le Fils de Dieu, ni dans le ciel de lieu plus digne que le trône royal où le fils de Marie a élevé celle-ci. Heureux vraiment, heureux plus que tout ce double accueil réciproque, ineffable et dépassant toute imagination. Oui, heureuse est Marie, et mille fois heureuse, aussi bien lorsqu’elle reçoit le Sauveur que lorsqu’elle est reçue par lui. Heureuse la femme qui n’en est plus à accueillir les explorateurs de Jéricho, les envoyés de Josué (Jésus) (Jos 2), mais qui a mérité bien davantage de recevoir le véritable Jésus, le Fils de Dieu. Heureuse la femme dont le Sauveur a trouvé la maison nettoyée et purifiée (Mt 12, 44), mais non pas vide – au contraire : comblée de grâce (Lc 1, 28).
La reconstruction du castel
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2. C’est pourquoia aujourd’hui on lit dans l’Église le passage de l’Évangile dans lequel on comprend que la femme bénie entre toutes les femmes (Lc 1, 42) a reçu le Sauveur ; ainsi celle que nous célébrons est estimée en raison de cet accueil – ou plutôt reconnue inestimable en raison de cette gloire inestimable. Les termes de ce passage fournissent une ample matière – dans l’unité qui nous rassemble – pour participer dans la bienveillance à ce qui nous aura été donné d’en haut. Qu’ainsi dans la célébration solennelle d’une si grande Vierge non seulement soit excité l’élan de notre empressement, mais encore que notre conduite y trouve à progresser. Jésus entra dans un castel, dit l’évangéliste. Ce que notre Seigneurb et Sauveur a daigné faire visiblement en un lieu et un temps a Pour cet alinéa, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 2, 1. b Pour les deux alinéas suivants, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 5, 1–2.
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Sermon 47
donné, il le réalise invisiblement chaque jour partout sur la terre dans le cœur des élus. Ce castel, qu’est-il d’autre que le cœur humain ? Avant que le Seigneur ne vienne à lui il est entouré par les fossés de la convoitise, fermé par la muraille de l’obstination, et dans son espace intérieur se dresse la tour de Babel (Gn 11). Mais dès que le Christ le visite et y entre le castel est démoli, et à sa place s’en construit un autre, nouveau, beau et spirituel. Au lieu des fossés de l’avidité se déploie le vaste espace du désir, pour qu’à l’arrivée de l’Époux l’esprit aspire aux réalités du ciel avec un désir beaucoup plus grand que la jalousie avec laquelle il veillait précédemment sur celles de la terre. Ensuite sont bâtis la muraille de la maîtrise de soi et l’avant-mur de la patience. Cette construction s’élève sur le fondement de la foi et elle grandit par la dilection pour le prochain jusqu’à l’amour pour Dieu. Car telle est la véritable vertu de la maîtrise : quand dans l’unité de la foi, vivant avec les prochains dans la concorde, nous nous abstenons des péchés non par terreur des supplices ou par appétit de la louange humaine, mais pour ce seul motif : l’amour de Dieu. La maîtrise, en effet, s’avère incapable de résister aux coups redoutables et puissants du tentateur sans la protection de la grâce de Dieu. C’est pourquoi l’avant-mur de la patience est édifié par devant : il ne s’agit pas que le diable trouve un accès facile pour assaillir la maîtrise de soi. Ceux-là donc qui, sous la protection de Dieu, vivent avec le souci de se maîtriser, peuvent vraiment s’écrier avec l’Apôtre : Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, le péril, le glaive ? (Rm 8, 35) Maisa depuis cette muraille de la maîtrise il faut entrer par les portes de la justice là où, avec l’aide du Christ, on construit cette tour évangélique. Par celle-ci les saints, le cœur humilié, montent au ciel. Car ce n’est pas par leur propre vertu, mais avec le secours de la grâce qu’ils montent de la vallée des larmes – telle est l’humilité de la vie présente – dans le but de voir le Dieu des dieux en
Pour la fin de ce paragraphe et le début du suivant, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 5, 3–4. a
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Sion (Ps 83, 7). Voilà la récompense, le fruit de notre labeur : la vision se Dieu.
L’action prépare la contemplation 211
3. Il faut le savoir, pour accomplir cela nous recevons de Dieu une triple grâce : l’une par laquelle nous nous convertissons, une autre par laquelle nous sommes aidés dans les tentations, la troisième par laquelle nous sommes récompensés. La première nous invite, par elle nous sommes appelés ; la deuxième nous entraîne, par elle nous sommes justifiés ; la troisième accomplit, par elle nous sommes glorifiés. Quand Jésus entrea dans ce castel, les sœurs Marthe et Marie – l’action et la perception de l’intelligence – le reçoivent. Mais quelle signification donner à ce fait : quand il entre c’est Marthe qui le reçoit, lui parle, le sert, alors que Marie, assise à ses pieds a le cœur suspendu à sa parole ? N’est-ce pas que l’action bonne est première, et qu’ensuite vient la contemplation ? Désire-t-on parvenir à la vision de Dieu ? Il est nécessaire de s’y exercer d’abords soigneusement par le moyen des œuvres bonnes. Aussi est-il écrit : Mon fils, si tu convoites la sagesse, garde la justice, et Dieu te la prodiguera (Si 1, 26). Et dans un psaume : Par tes préceptes j’ai acquis l’intelligence (Ps 118, 14). Ailleurs encore : Par la foi il a purifié leur cœur (Ac 15, 9) – la foi œuvrant par l’amour (Ga 5, 6). Marthe, en agissant, représente celui qui fait le bien ; Marie, elle, symbolise la contemplation en demeurant assise, en se taisant, sans même répondre quand on l’interpelle. De toute l’intensité de son esprit, elle n’a d’attention que pour le Verbe de Dieu et pour la seule grâce qu’elle aime, celle de la connaissance de Dieu. Repoussant toute autre chose, elle puise profondément en elle, rendue comme insensible aux réalités extérieures et emportée intérieurement avec un grand bonheur pour contempler les joies de son
D’ici jusqu’à la moitié du paragraphe 4, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 5, 4, 6–7. a
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Seigneur. Sans doute est-ce elle qui parle ainsi dans le Cantique : Je dors, mais mon cœur veille (Ct 5, 2). 4. C’est de deux manières que Marthe accueille le Seigneur, elle lui prépare une double collation, car c’est aussi de deux manières qu’elle l’avait rejeté. Oui, dans notre agir il y a deux perversions qui nous privent de Dieu : le vice et le forfait. Le vice, disons-nous, quand nous péchons contre nous-mêmes, le forfait quand le péché atteint le prochain. De même, il y a deux attitudes qui nous rendent à Dieu : la maîtrise et la bienveillance, de manière à soigner les contraires par les contraires. C’est bien ce que dit l’Écriture : Comme vous avez engagé vos membres au service de l’impureté et de l’iniquité pour commettre l’iniquité, de même, maintenant, engagez-les à la disposition de la justice en vue de la sanctification (Rm 6, 19). C’est donc à préparer ces aliments que s’occupe Marthe. Elle se plaint à propos de sa sœur de ce qu’elle ne l’aide pas – sans d’ailleurs diriger ses reproches vers elle, mais vers le Seigneur, disant : Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour faire le service ? (Lc, 10, 40). Ne nous étonnons pas si nous voyons murmurer contre son frère quelqu’un qui se dépense à faire le bien, car c’est ce que nous lisons, dans l’Évangile, du comportement de Marthe envers Marie. Par contre, que Marie se mette un jour à murmurer contre Marthe par désir de prendre part à son action : non, cela nous ne le trouvons nulle part. C’est bien de la sagesse qu’il est écrit : Qui réduit son activité la recevra (Si 38, 25). Voilà pourquoi Marie demeure assise, immobile, refusant d’interrompre sa tranquillité silencieuse pour ne pas perdre l’heureuse saveur de la contemplation. D’autant plus qu’elle entend intérieurement le Seigneur lui dire : Rendez-vous libresa et voyez que je suis Dieu (Ps 45, 11). L’une se plaignait, l’autre se taisait ; écoutons la réponse du Seigneur en faveur de Marie : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour beaucoup de choses. Pour beaucoup de choses, oui, tu t’agites, en préparant pour toi la maîtrise intérieure et pour le prochain les vacate. Pour la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 5, 9. a
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soins qui lui sont nécessaires. Effectivement, pour acquérir cette maîtrise tu t’inquiètes de veiller, de jeûner, de traiter durement ton corps (1 Co 9, 27). Pour servir autrui tu te mets à l’ouvrage afin d’avoir de quoi subvenir aux besoins de celui qui souffre. Oui, tu te troubles et t’inquiètes pour beaucoup de choses, pourtant une seule s’avère nécessaire (Lc 10, 42). En effet, à moins d’accomplir ton œuvre dans l’unité, Dieu, qui est est un (Ga 3, 20), ne pourra l’agréer. Notre Dieu, puisque il est un et toujours le même, parfait en lui-même, n’éprouve nul besoin ; cependant en lui demeure une bienveillance envers nous, et de cette bienveillance son amour vient en nous. Par conséquent nous devons, chacun de nous, être un pour soi par l’intégrité de la vertu, et un avec le prochain par ce lien qu’est la dilection (cf. Col 3, 14). Parlant d’imiter Dieu dans son amour, l’apôtre Jean nous exhorte : Car tel est Celui-là, tels aussi nous sommes en ce monde (1 Jn 4, 17).
Unité avec soi-même
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5. Or ce lien d’unitéa, dont nous avons dit que chacun doit le réaliser avec soi-même, il rencontre trois obstacles : l’excès d’assurance, le manque de courage, la légèretéb. D’une assurance excessive, ceux qui s’estiment capables de faire ce dont ils sont incapables et qui présument de ce qui n’est pas en leur possession. À l’opposé ceux qui manquent de courage. Quant aux êtres légers, inconsistants, ils se laissent ballotter à tout vent de doctrine (Ep 4, 14). Ce qui leur plaisait à l’instant leur déplaît maintenant, et ce qu’ils choisissent maintenant, ils le désapprouveront tout à l’heure. À l’excès l’assurance il faut opposer la conscience de notre propre fragilité, c’est elle qui repousse le mieux la présomption si odieuse. Contre le manque de courage il s’agir de faire confiance à la puissance de Dieu. Ainsi, ce dont tu te constates incapable Pour la totalité de ce paragraphe, Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 5, 12–13. b nimietas, pusillanimitas, levitas. a
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par tes propres forces, tu pourras l’accomplir avec son aide, et tu pourras dire avec l’Apôtre : Je puis tout en Celui qui me fortifie (Ph 4, 13). À l’encontre de la légèreté il faut recourir aux conseils d’un ancien pour éviter de se laisser entraîner par des doctrines diverses et étrangères (Hé 13, 9) et pour mettre en pratique cette prescription de la loi divine : Interroge ton père et il te l’apprendra, tes anciens et ils te le diront (Dt 32, 7). Voilà pour l’unité à conserver avec soi-même.
Unité avec autrui Quant à celle qui est à mettre en œuvre à l’égard du prochain, elle dispose de deux moyens de réalisation : la dilection qui nous tend vers autrui, l’accueil qu’en retour nous réservons à son élan d’affection. Ces deux moyens se heurtent à l’obstinationa et au soupçon. L’obstination ne nous permet pas d’accéder au cœur d’autrui, et le soupçon nous retient de croire à l’amour d’autrui. Par conséquent, obstinés en nous-mêmes, nous n’aimons pas notre prochain, et soupçonneux, nous ne pensons pas en être aimés, si bien que l’unité avec lui est rendue impossible. À cette double maladie le double remède de l’amour : celui qui ne recherche pas son intérêt (1 Co 13, 5), et celui qui croit tout (1 Co 13, 7). Que l’obstiné pratique un amour qui ne recherche pas son intérêt et qu’il aime autrui ; que le soupçonneux acquière un amour qui croit tout de manière à croire, sans en douter, à l’amour des autres.
La meilleure part : vierge et mère 6. Mais laissons libre cours aux louanges, car ce jour ne devrait être consacré qu’à des chants de fête, et ce passage de l’Évangile trouver sa fin dans cette unique et éminente Marie. C’est la meil-
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Dans le sens d’un égocentrisme opiniâtre.
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leure parta qu’elle a choisie – Qui ? – Marie. La meilleure, oui, car il y a une bonne fécondité de la femme mariée, mais la meilleure, c’est la chasteté virginale. Davantage : la meilleure c’est la fécondité virginale ou la virginité féconde. Tel est le privilège de Marie, il ne sera pas donné à une autre (Is 42, 8) car il ne lui sera pas ôté (Lc 10, 42). Il ne convenait pas, en effet, à une vierge d’avoir un autre fils, ni à Dieu une autre mère. Vers cette sourceb de la miséricorde que notre âme assoiffée se hâte donc ; à cette accumulation de bonté que notre misère recoure avec la plus grande insistance. En ce jour de fête et de joie tes humbles serviteurs invoquent dans la louange ce très doux nom de Marie : que par toi, Reine clémente, Jésus le Christ leur accorde les dons de sa grâce, lui ton Fils, notre Seigneur qui est, au dessus de tout, Dieu béni pour les siècles des siècles.
a Pour quelques lignes, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 4, 5. b Pour la fin du sermon, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Assumptione S. Mariae 4, 9.
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SERMON 48 POUR L’ASSOMPTION
Qui est-elle, celle-ci ? 1. La fêtea de ce jour, frères très chers, doit être célébrée par tous les fidèles avec la louange du plus extrême empressement, car l’assomption de la Vierge glorieuse et sans tache brille de tous ses feux. C’est ainsi qu’elle a mérité d’être exaltée au dessus de tous les ordres des dignités célestes et, dans le palais du ciel, de partager avec le Christ le trône du Père de majesté. Le Seigneur est né d’elle et, Sauveur, il l’a précédée dans son ascension vers le ciel, lui préparant dans les demeures éthérées un lieu d’immortalité où il l’introduirait aujourd’hui. Voilà la célébration véritable du présent jour où, glorieuse entre toutes les filles de la Jérusalem céleste, et belle plus qu’elles toutes, elle est parvenue au secret de la chambre nuptiale dans l’éther ; charmée elle a reposé entre les bras de son Époux, qui est aussi son fils. Cela, en vérité, Salomon l’avait vu d’avance en esprit, avec un regard plein d’admiration, et il a préféré le proclamer au travers d’une question : Qui est-elle, celle-ci qui monte à travers le désert, débordant de délices et appuyée sur son Bien-aimé ? (Ct 8, 5). Et dans le même Cantique, comme s’il parlait au nom des citoyens d’en haut qui suivraient avec admiration la montée de cette Vierge, il Pour ce premier paragraphe, cf. Paschase Radbert, De Assumptione S. Mariae Virginis VII et VIII. a
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demande : Qui est-elle celle-ci, qui monte à travers le désert, telle une colonne de fumée issue d’aromates, de la myrrhe et de l’encens ? (Ct 3, 6). Ils s’étonnent, ces personnages éminents de la cour céleste et ils demeurent stupéfaits de cette nouveauté insolite qui vient du monde, car ce dernier, en raison de la stérilité de ses vertus et de la pénurie de ses grâces spirituelles, n’est pas à tort qualifié de désert : comment peut-il monter de lui une personne si remplie de toutes grâces, dont se répand le parfum ? Et c’est bien telle une colonne de fumée qui monte, car le Saint Esprit est venu sur elle, et dans toute la subtilité d’une intelligence spirituelle, brûlant d’un humble amour par désir d’une très fervente charité, elle se consume pour le Seigneur en un holocauste d’une très suave odeur. Issue d’aromates, est-il dit, car elle était remplie des multiples pigments des vertus, et il émanait d’elle l’odeur d’une renommée très suave même pour les esprits des anges. Oui, elle montait du désert de ce monde, telle le rameau issu un jour de la racine de Jessé (Is 11, 1).
Comme une colonne 2. Et voici la suitea, très adéquate : telle une colonne de fumée issue d’aromates, de la myrrhe et de l’encens. Il est dit qu’elle monte, afin de montrer par là que, principalement du fait de ce parfum d’humilité, elle a été accueillie auprès de Dieu. Qu’est-elle cette fumée, sinon un esprit de larmes ? Qu’est-elle cette poussière, sinon la conscience d’une grande humilité ? À vrai dire, aux yeux de Marie, cette véritable humilité ne lui semble qu’une fumée de bois sec et de tisons qui se consument, et une poussière de terre, que le vent disperse. Mais au regard de Dieu, c’est la poudre que l’Esprit Saint – ce parfumeur – confectionne à partir du meilleur encens, qui s’avère la suavité de l’Esprit, et à partir de la myrrhe la plus fine, qui s’avère la mortification et l’incorruptibilité de la chair. Il s’en élève la fumée de la plus pure ferveur, digne de monter jusqu’aux yeux et aux narines du Créateur. Pour les trois-quarts de ce paragraphe, cf. Rupert de Deutz, In Canticum Canticorum III. a
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Sermon 48
Telle une colonne de fumée : la Mère du Verbe de Dieu, Marie la Vierge, fait monter jusqu’au Très Haut son parfum suave. Telle, elle monte à travers le désert dans un esprit très solitaire, un esprit qui, plus que chez l’ensemble des humains, se veut attentif à l’amour et au désir de Dieu seul. Quelle heureuse exclamation vraiment, quelle juste admiration : Qui est-elle, celle-ci qui monte… ? Elle apparaît certes comme particulièrement ajustée au privilège de la Mère Vierge. Cependant, dans une perspective plus générale des conduites humaines, il n’est pas inadéquat de présenter la Vierge comme un modèle d’édification en pensant soit à l’Église universelle soit à une âme fidèle tendue vers la perfection ; celles-ci, en s’arrachant à ce monde par de saintes prières et un amour ardent, montent du désert qu’elles désertent.
Une fumée d’aromates… 3. Et à juste titrea il est précisé : telle une colonne de fumée issue d’aromates. La fumée en général naît d’un feu, et il est dit par le psalmiste : Que ma prière se dirige comme un encens vers ton regard, Seigneur (Ps 140, 2). La fumée en général fait couler des larmes, c’est pourquoi la fumée issue d’aromates signifie la profonde repentance exprimée dans la prière et produite par les vertus de l’amour. Cette prière cependant est semblable à une colonne de fumée : visant les seules réalités célestes, elle s’avance toute droite et, grâce à un effort terrestre, ne se recourbe pas en vue de saisir ce qui relève de la terre et du temps. Il faut remarquer qu’elle est qualifiée de mince et non d’épaisseb, car, pour le moment, dans l’ardeur de la repentance, la force de l’amour se montre d’une telle subtilité que même l’esprit qui a mérité d’être illuminé ne peut la saisir.
Pour ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II. b non virga sed virgula. a
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… d’encens et de myrrhe Il est précisé avec bonheur : d’encens et de myrrhe. L’encens, selon la loi de Dieu, est offert en sacrifice à Dieu ; et par la myrrhe les cadavres sont embaumés pour éviter que les vers ne les corrompent. Ainsi encens et myrrhe sont offerts en sacrifice par ceux qui répriment la chair pour que les vices de la corruption ne les dominent pas, et ils brûlent le sacrifice de l’amour en parfum devant Dieu. Pour ce qui est de la myrrhe, ils traitent durement leur corps et, ce faisant, ils le gardent des vices. Quant à l’encens, ils aiment la vision de Dieu et pour y parvenir ils s’enflamment intérieurement, s’efforçant sans cesse de progresser dans les vertus.
La poudre des pigments Aussi est-il ajouté dans le texte : et de toute poudre de pigments (Ct 3, 6). Or la poudre des pigments signifie la vertu de l’œuvre bonne. Il faut remarquer que les vertus de la bonne œuvre ne sont pas présentées comme des pigments, mais comme une poudre. Quelles que soient les bonnes œuvres, nous les offrons à Dieu avec leur parfum. Mais lorsque nous revenons sur le bien que nous avons pu faire pour qu’il n’y reste rien de mauvais, nous nous concentrons sur cet effort, et c’est alors comme si nous en faisions une poudre, de manière à enflammer plus subtilement notre prière par le discernement et l’amour.
Marie couronnée 4. Mais jamais les pigments d’aucune autre âme que celle de la bienheureuse Vierge – dont ce sermon célèbre l’assomption – n’ont pu embaumer à ce point : vers la fragrance de son parfum toute la Jérusalem, joyeuse, s’est précipitée. Le Fils lui-même, son Époux, s’en est délecté, aussi l’invite-t-il à s’associer au rayonnement qui est sans cesse le sien auprès du Père. Viens du Liban, épouse, lui
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dit-il, viens du Liban, viens, tu seras couronnée (Ct 4, 8). Oui, elle est venue du Liban, qui se traduit par « blancheur »a, la sainte Mère de Dieu, lorsque – comme nous l’avons célébrée hier – elle a émigré de son corps blanc, de son corps virginal. Couronnée, elle est venue des montagnes, c’est-à-dire des royaumes de ce monde, et cette couronne est devenue le salut de tous ceux qui croient en Jésus Christ, lui, le fruit de son sein. C’est ainsi, oui, c’est ainsi qu’elle est couronnée en vue d’être nommée dans le ciel la reine des saints, et sur la terre la reine des royaumes, et par conséquent la reine des cieux, possédant de droit tout le royaume de son Fils.
Que viennent aussi l’Église et l’âme fidèle De mêmeb sont venues au Seigneur l’Église et l’âme sainte, non seulement lorsque, appelées hors de leur corps, elles reçoivent la récompense d’une rémunération perpétuelle, mais aussi dans ce monde ; car plus elles progressent dans les bonnes œuvres, plus elles parviennent, comme par des pas, vers Celui qui est extraordinairement bon. Mais lorsqu’elles auront mérité, libérées des liens de la chair, de voir sa face, c’est alors que, sans le moindre doute, elles accèdent au grand bonheur. Le Seigneur regarde donc l’épouse qui se tient au Liban et il l’exhorte à venir à lui. Car lorsqu’il aura vu l’âme fidèle, blanche de par ses bonnes œuvres, lui offrir l’encens d’une pure prière, se délectant de ses efforts spirituels et poussé par son inspiration, il l’enflamme pour qu’elle poursuive ce qu’elle a commencé. En troisième lieu il ordonne à l’épouse de venir du Liban car il réclame de ses élus le progrès d’une triple amélioration : une pureté dans l’action, une parole qui vise au salut, la pureté de la pensée. Ou encore il lui dit : Viens du Liban, épouse, viens du Liban, viens – comme s’il disait : viens par la meilleure conduite possible à laquelle tu t’exerces en vivant dans ton corps ; viens, dépouillée Cf. Jérôme, Commentarius in Isaiam prophetam, IX, XCXIX, PL 24, 335. Pour les lignes qui suivent, cf. Bède le Vénérable, In Cantica Canticorum III, 4, 8. a
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de ton corps, pour t’emparer de la vie éternelle de l’âme ; viens, en ton corps nouvellement reçu, pour jouir de la plénitude de la béatitude dans la joie de la résurrection.
Marie dans la gloire Cette plénitude des joies du ciel, plus que tous les saints en ce jour-là, la Mère de Dieu – on le croit – les a reçues : à ses funéraillesa les anges la servent et l’ensemble de la cour céleste chante sa joie. Il est permis d’en être assuré : le Sauveur de tous, lui-même, en grande fête accourut vers sa mère, et plein de joie il l’a placée avec lui sur son trône. Auprès d’elle nous aussi, très chers, trouvons refuge en toute confiance ; rendons-lui les vœux de nos prières et l’offrande de nos louanges puisque nous la voyons commander aux assemblées des anges, et obtenons, grâce à sa faveur, d’avoir quelque part à la joie de son règne. Daigne nous en faire la grâce Celui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
Pour quelques lignes, cf. Paschase Radbert, De Assumptione S. Mariae Virginis, VIII, 48. a
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SERMON 49 POUR L’ASSOMPTION
Marie emmenée par son fils 1. Nous célébrons aujourd’hui, très chers, la solennité au cours de laquelle la Mère du Rédempteur, selon la loi commune à l’humanité, a fait l’expérience de la mort corporelle. Mais elle n’a pas éprouvé les misères de la mort : à travers une paisible dissolution de son corps, elle se trouve associée à Celui qu’elle a engendré. Au delà de toutes les demeures des Puissances d’en haut, par le privilège d’une grâce exceptionnelle, il la conduit jusqu’au secret même de la lumière inaccessible. Lui en effet, à l’égard de chaque saint quittant son corps, a l’habitude, dans sa bonté, de se faire proche de lui, selon ce qu’il a dit du disciple bien-aimé : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne (Jn 21, 22). À combien plus forte raison – est-il nécessaire de le dire ? – pour l’élévation de sa mère il faut croire qu’il est accouru encore plus allègrement que d’habitude, sans confier ce service à aucun des anges ou des archanges. Il est parvenu jusqu’à elle, se sachant né de son sein, et lorsqu’elle fut libérée des liens de la chair, il l’a emportée, comme serrée entre ses bras, jusqu’au trône du palais céleste. Ainsi pouvait se réaliser cette exclamation d’admiration : Qui est-elle celle-ci qui monte du désert – il peut s’agir de ce monde ou du corps incorruptible – appuyée sur son Bien-aimé ? (Ct 8, 5). Par similitude, nous parlons du désert comme d’un corps intact, car dans le désert on ne laboure, ni ne sème, ni ne cultive en vue
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d’un usage humain. De même la Vierge, pour engendrer son fils, demeure étrangère à tout acte d’un mari. À ce sujet le Bien-aimé lui-même, comme s’il parlait personnellement dans ce livre qu’est le Cantique, affirme : Moi, je suis la fleur des champs (Ct 2, 1), c’està-dire le fils de l’intégrité virginale. Aujourd’hui donc, la Vierge sans tache qui a choisi la suprême manière de plaire à Dieu sur la terre comme aucune femme précédemment, a atteint la perfection de la sainte virginité. Elle a pris fortement place dans la plus haute demeure des hauteurs, celle de la Divinité elle-même. Instruite dans le monde par la seule onction du Saint-Esprit, et gardée de toute convoitise méprisable, elle s’attache de corps et d’esprit à Dieu seul ; elle a pour guides Dieu lui-même et son Fils, en vue de participer aux joies des délices immortelles.
Marthe l’action, Marie la contemplation
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2. Heureuse vraiment, et heureuse d’une part et de l’autre, elle qui a choisi ici bas la meilleure part, et là haut en a perçu la récompense – la meilleure part qui ne lui est pas ôtée, et ne le sera pas – à savoir ici-bas la dignité de l’incorruptibilité, et là haut la sublimité d’une place près de Dieu. Heureuse vraiment, et glorieuse, elle qui a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas ôtée (Lc 10, 40). Car c’est ainsi que se termine très adéquatement la louange qu’aujourd’hui lui voue le saint Évangile, alors que le reste du récit, compris symboliquement, se tourne vers le progrès des saints en général. Chez les deux femmesa dont on fait mémoire ici, Marthe et Marie, l’une s’absorbait dans les multiples soins du service, l’autre était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole (Lc 10, 39s). Leurs deux vies nous sont recommandées ; en elles le Dieu tout puissant entend qu’elles s’exercent dans l’existence d’ici-bas : la vie active et la vie contemplative. Celle-là consiste à fournir de pain celui qui a faim, à enseigner par la parole celui qui ignore la sagesse, D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II, passim. a
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à corriger celui qui se trompe, à ramener le prochain orgueilleux sur le chemin de l’humilité, à soigner les malades, à dispenser à chacun ce qui lui est nécessaire et à prévoir la subsistance de ceux qui nous sont confiés. La vie contemplative, elle, consiste à garder en soi, dans une totale attention, l’amour de Dieu et du prochain, mais à s’abstenir de toute action extérieure, à s’attacher au seul désir du Créateur, de manière à ne se plaire plus à aucune action terrestre, mais, en piétinant tout souci, à brûler du désir de voir la face de son Créateur. Ainsi cette vie qui a appris avec peine à porter le poids de la chair corruptible et à passer par toutes sortes de désirs, la voici qui s’insère dans les chœurs des anges et se réjouit dans une incorruptibilité éternelle de se trouver en présence de Dieu. L’une et l’autre de ces vies, le prophète Ézéchiel les a brièvement caractérisées lorsqu’il décrit ce qu’il a vu : Dans la main de l’homme un jonc de six coudées plus une palme (Ez 40, 5). Par les six coudées il signifie la vie active, car Dieu a accompli toute son œuvre en six jours. Quant à la palme qui s’ajoute aux six coudées et qui esquisse la septième, ce n’est pourtant pas une coudée. La vie active est donc signifiée par les six coudées, et la vie contemplative par la palme, car nous pouvons saisir celle-là par un acte parfait, alors qu’à celle-ci nous nous y efforçons péniblement, et c’est à peine si nous pouvons y parvenir tant soit peu. Dans la palme – ou la paume – la main et les doigts sont tendus, mais une palme c’est trop peu pour atteindre la mesure d’une coudée. Car quel que soit l’amour dont brûle l’âme, quelle que soit la force dans laquelle elle est tendue vers Dieu, quelle que soit l’acuité de la pensée qu’elle dirige vers Dieu, ce qu’elle aime, elle ne le voit pas parfaitement, elle commence seulement à le voir. C’est bien ce qu’affirme un prédicateur très puissant : Nous voyons pour le moment dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. Maintenant je ne connais qu’en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu (1 Co 13, 12). Concernant la septième coudée, nous ne disposons que d’une palme, car en cette vie nous ne goûtons que le seul commencement de la vie contemplative. Telle est la part que Marie a choisie, et qui ne lui sera pas ôtée. À vrai dire la part de Marthe ne lui est pas
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ôtée, mais celle de Marie fait l’objet d’une louange. Il n’est pas dit, en effet, que Marie a choisi la bonne part, mais la meilleurea, pour indiquer que celle de Marthe est bonne. Si la part de Marie est la meilleure c’est qu’il est ajouté : Elle ne lui sera pas ôtée. De fait, la vie active meurt avec le corps. Qui donc dans la Patrie éternelle fournit du pain à l’affamé, là où personne n’a faim ? Qui donne à boire à l’assoiffé, là où personne n’a soif ? Qui ensevelit les morts, là où personne ne meurt ? Avec le monde présent la vie active est supprimée, tandis que la vie contemplative ne fait que commencer ici-bas pour atteindre la perfection dans la Patrie céleste. Le feu de l’amour, qui commence à s’enflammer ici-bas, brûlera plus amplement lorsqu’on verra Celui qu’on aime. Par conséquent la vie contemplative n’est pas ôtée, car c’est lorsque la lumière du monde présent est abolie que celle-là s’accomplit parfaitement.
Trois genres de considération 3. Et puisque nous parlons de la contemplation il faut savoir que celle-ci s’avère de trois sortes : la première, celle des commençants ; la deuxième, celle des progressants ; la troisième, celle des parfaits. La première consiste dans la considération des créatures, lorsque l’on pense à la manière dont le ciel, la terre, la mer, par un bienfait du Créateur, se mettent au service de l’utilité des humains. La deuxième consiste dans la considération des conduites de la vie, lorsque chacun examine attentivement ses paroles, ses actes, ses pensées, se demandant s’ils sont bons ou mauvais, s’ils méritent rémunération ou punition, car il s’agit de ne pas se jeter dans le feu les yeux fermés. Il en est en effet, dans les communautés, des frères qui s’ignorent eux-mêmes : pour eux la clôture représente une prison, l’amour une chaîne, la continence une entrave, la lecture une abomination, le loisir contemplatif un ennui, le silence une réaliC’est effectivement le cas dans la Vulgate, mais pas dans le texte grec, qui la qualifie seulement de « bonne ». a
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té amère, la méditation une désespérance. Pour prier Dieu ils se révèlent des brutes et des muets, tout juste capables de s’occuper des bœufs et des moutons. Ils se lamentent des pertes matérielles et gémissent, mais la ruine des vertus, ils ne s’en attristent pas ni ne la ressentent. Dans la recherche de la profonde repentance des larmes ils se montrent grossiers et ignorants, mais pour raconter des plaisanteries, les voici pleins de faconde et d’enjouement. Durant la psalmodie ils ronflent et sommeillent, durant les lectures ils prennent leurs distances et critiquent. Ils ignorent qu’ils sont tels ; ils aiment le monde, soupirent par désirs de la chair. De leur ignorance naît leur assurance, de leur convoitise envers le monde la légèreté, du désir de la chair le souci du superflu et l’anxiété du cœur. Leur assurance les rend tièdes, leur légèreté errants, leur souci divisés. L’assurance les rend vides et tièdes, la légèreté les précipite tête baissée et les amollit, les soucis nuisibles les troublent et les inquiètent. De tous ces maux l’ignorance de soi est la cause, et elle laisse clairement voir combien est grande la nécessité de ce genre de contemplation, dont nous avons dit qu’il concerne la considération des conduites.
Le combat de la contemplation 4. Vient ensuite la troisième sorte de considération : la contemplation du Créateur de tout – plus difficile que les deux autres d’autant qu’elle se révèle plus subtile et plus sublime. De fait la première se situe hors de nous, la deuxième entre nous, la troisième au dessus de nous, d’autant plus insaisissable qu’elle s’avère plus éloignée de notre intellect. Pour en saisir cependant tant soit peu quelque chose il faut une grande concentrationa de l’esprit. Celui-ci va s’efforcer de traverser tout ce qui se voit de matériel, s’élever vers les réalités célestes, tendre vers ce qui est spirituel et chercher à surmonter les ténèbres de la cécité qui s’opposent à tout cela.
D’ici jusqu’au début du paragraphe 5, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II. a
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Une histoire sainte nous en propose une bonne illustration : celle qui raconte la bienheureuse lutte de Jacob avec l’ange. Comme il revenait vers ses propres parents il trouva l’ange en chemin et soutint avec lui un grand combat (Gn 32, 25ss). Dans la lutte il trouve son adversaire tantôt supérieur à lui, tantôt inférieur. L’ange désigne Dieu, et Jacob, dans sa lutte avec l’ange, représente l’âme de quiconque s’adonne à la contemplation, car l’âme qui s’efforce de contempler Dieu se trouve dans une sorte de combat où tantôt elle l’emporte car elle goûte quelque chose de la lumière divine dans ce qu’elle en comprend et en ressent ; et tantôt elle succombe, empêchée qu’elle est de goûter la vérité. C’est comme si l’ange était vaincu quand Dieu est perçu par l’intelligence intime. Mais il faut remarquer que, vaincu, ce même ange a touché le nerf de la cuisse de Jacob et l’a aussitôt froissé, si bien que, pour un temps, Jacob s’est mis à boiter d’un pied. Effectivement le Dieu tout puissant, lorsque déjà il est connu par le désir et l’intellect, dessèche en nous toute jouissance de la chair. D’abord, nous avançant sur nos deux pieds, nous paraissions chercher Dieu tout en tenant au monde ; mais, après avoir connu la suavité intime, il nous reste un pied sain tandis que l’autre se met à boiter, car l’amour du monde s’étant affaibli, seul l’amour de Dieu en nous se montre plein de force. Si donc nous l’emportons sur l’ange, nous boitons d’un pied du fait que grandissent en nous le désir et l’amour de Dieu et que diminue la force de la chair. Quiconque boite d’un pied s’appuie sur le pied qu’il a de sain, et celui en qui le désir terrestre déjà s’est desséché prend appui de toutes ses forces sur le pied de l’amour de Dieu. Et sur ce pied-ci il tient ferme, car le pied de l’amour du monde, qu’il avait l’habitude de poser à terre, il le soulève maintenant, distant au dessus de la terre.
La vérité de l’humilité 5. Nous donc, si nous revenons à nos propres parents, c’est-àdire à nos pères spirituels, saisissons l’ange en chemin, pour perce-
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voir Dieu dans sa suavité intime. La vie contemplative se montre en effet d’une très appréciable douceur, elle qui ravit l’âme au dessus d’elle-même, lui ouvre les cieux et lui montre la nécessité de mépriser les choses de la terre. Aux yeux de l’esprit elle dévoile les réalités spirituelles et lui cache les réalités corporelles. En nous découvrant la hauteur de la Majesté elle nous fait connaître plus véritablement la bassesse de notre condition, ce qui suscite en nous l’élan de la vraie humilité. Or l’humilité est la vertu de l’âme qui méprise sa propre excellence, et l’homme ainsi se tient en toute vérité pour rien. Afin d’accéder à une humilité vraie et parfaite trois choses sont nécessaires : d’abord connaître ce qui nous manque ; ensuite comprendre avec sagesse que, ce qu’on a, on ne le tient pas de soimême ; en troisième lieu discerner sagement que, ayant reçu ce qu’on n’a pas, on peut le perdre. Par la première de ces considérations on se conçoit imparfait ; par la deuxième on perçoit qu’on n’a rien en propre ; par la troisième on redoute la ruine, car c’est bien la chute que l’on mérite, eu égard à nos premiers parents et aux anges tombés du ciel. La première considération supprime de notre terre la bête méchante (cf. Jr 12, 9), à savoir la torpeur de la négligence ; la deuxième vient à bout de l’épée dévorante (cf. Jr 12, 12), à savoir l’envie ; la troisième donne de reposer en paix, sans terreur ; elle tranquillise et apaise le secret de la conscience. La première considération fournit la plus belle robe (Lc 15, 22), le vêtement de l’innocence ; la deuxième met aux pieds les sandales, la gloire de la pureté ; la troisième passe au doigt l’anneau, la splendeur de la justice. De l’humilité de l’esprit émane l’abaissement volontaire, et de la grâce l’élévation de l’esprit, c’est-à-dire le parfait mépris envers la mort terrestre et un amour fixé dans le désir de Dieu. Cela commence par le souvenir des débuts de la vie, cela grandit quand on repense à ce milieu qu’est le présent, et cela conduit à la perfection quand on fait mémoire des réalités dernières. Les débuts, ce furent les désirs de la chair, que nous avons déployés au pays d’Égypte ; au milieu sont les fouets des tribulations que nous avons endurées dans les vastes espaces du désert ; les réalités dernières ce sont les dons que nous recevrons après la sortie de cet exil. Les débuts en-
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traînent pour nous la honte ; ce qui est au milieu, la douleur ; les réalités dernières, le tremblement. Effectivement je me souviens d’où je suis venu et j’en rougis de honte ; je reviens en esprit à ce que j’ai enduré, et je gémis ; je repense dans mon cœur au lieu où j’irai, et tout entier je tremble.
Se laisser enseigner par cette assomption 6. Par conséquent, frères, en nous remémorant sans cesse notre fin, délaissons tout ce qui est de la terre pour que l’Adversaire, lorsqu’il sera venu, ne trouve en nous rien de ce qui est à lui. Efforçons-nous d’atteindre ce qui est éternel, volons vers ce qui est divin sur les ailes de la dilection, les rémiges de l’amour. Car chaque âmea est invitée à se dilater par l’amour, à s’élever par la connaissance, et plus elle s’exalte au dessus d’elle-même, plus elle tend, autour d’elle, à l’amour du prochain. Voulant signifier cela, l’homme qui, chez le prophète Ézéchiel, est présenté comme une image du Rédempteur, mesura avec un jonc la largeur de l’édifice, tout comme sa hauteur (Ez 40, 5). Maintenant, ce qu’il mesure ce sont les conduites humaines, ce qu’il pèse ce sont les œuvres, ce qu’il considère ce sont les pensées, pour ensuite, sans fin, s’acquitter de leur rétribution. Car cet édifice que Dieu habite est fait de la nature des anges comme de celle des humains, l’une et l’autre constituant sa largeur et sa hauteur, l’une descendant jusqu’à terre, l’autre demeurant dans les hauteurs. Mais l’une et l’autre sont mesurées par le même jonc, car l’humilité des humains les conduira un jour jusqu’à l’égalité avec les anges. Aussi est-il écrit : On ne prendra ni femme ni mari, mais on sera comme des anges de Dieu dans le ciel (Mt 22, 30). Et dans le même sens il est dit par Jean : La mesure de l’homme, qui est celle de l’ange (Ap 21, 17). Car c’est à cette hauteur de gloire que l’homme est conduit, là où les anges se louent, solidement établis.
D’ici et presque jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem II. a
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La largeur de l’édifice est aussi grande que sa hauteur, car tous les élus y travaillent maintenant ici-bas, aussi longtemps qu’ils ne seront pas les égaux des esprits bienheureux. Quant à nous, entre hauteur et largeur, revenons à notre esprit et du fond de notre cœur aimons Dieu, aimons aussi notre prochain. Dilatons-nous dans l’élan de l’amour pour nous exalter dans la gloire de cette élévation. Par l’amour souffrons avec le prochain de manière à nous unir à Dieu par la connaissance. Approchons-nous des plus petits de nos frères afin de devenir les égaux des anges dans le ciel. En vue d’accomplir cela, en vue de l’obtenir, nous avons le secours de la très puissante Mère de Dieu elle-même, qui a mené et enseigné sur la terre une vie angélique. De la sorte, grâce à son ministère, l’homme, en s’abstenant des séductions du monde, méditerait pour le moment ce qu’il recevra plus tard dans la rémunération. Celle-ci, le Fils unique, Dieu et homme, l’a manifestée en élevant aujourd’hui un être purement humain au delà de la dignité des anges. Ainsi apprendrions-nous à ne pas nous défier de cette possibilité pour nous d’être conformés un jour à ces bienheureux esprits – grâce au secours de Celui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint dans les siècles des siècles.
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Une naissance que le Fils sanctifie par avance 1. Aujourd’hui nous célébrons la nativité de la très pure Mère de Dieu, frères très chers, comme salutaire pour tous les siècles. Même si cette nativité n’a pas de fondement manifeste dans les livres saints, la raison illuminée des fidèles considère qu’il est très juste qu’à sa naissance Marie soit honorée dignement par des louanges festives. Engendrant le Saint des saints, elle naissait sans nul doute élue d’avance, et elle ne pouvait recevoir de lui rien de moins – au contraire : beaucoup plus, de toute manière. Car lui a mérité de s’entendre dire par la voix de Dieu : Avant de te former au ventre maternel je t’ai connu, et avant que tu sois sorti du sein je t’ai sanctifié (Jr 1, 5). Ou encore à son sujet cette prédiction dont témoigne un ange : Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère (Lc 1, 15). Réjouissons-nousa donc tous de la naissance de celle qui non seulement apporte aux terriens la gloire d’une existence angélique, mais qui apporte Dieu au monde. Joyeux et exultant d’un tel don, Isaïe disait : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit par Dieu avec nous D’ici aux premières lignes du paragraphe 2, cf. Ambroise de Milan, Liber de institutione Virginis 5 et 8. a
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(Is 7, 14). D’où vient ce don ? De la terre ? Non, du ciel, comme un récipient (cf. Ac 9, 15) par lequel le Christ descendrait, qu’il a choisi et qu’il a consacré à titre de temple de la pudeur. C’est pourquoi aussi Marie trouve ce nom de « Seigneur » (cf. Lc 1, 43), que Dieu lui prescrit. Elle est cette porte qui, selon le prophète Ézéchiel, est apparut dans l’édifice de la cité, le Seigneur lui disant : Cette porte sera fermée et ne s’ouvrira pas, personne n’y passera, car le Seigneur Dieu d’Israël la franchira et elle demeurera fermée (Ez 44, 2). Elle constituait une bonne porte, Marie, une porte fermée car elle demeurait vierge. Le Christ a passé par elle, mais sans l’ouvrir. Cette porte regardait vers l’orient (Ez 44, 1), car elle a répandu la vraie lumière, elle a engendré le soleil levanta et a enfanté le soleil de justice (Ml 4, 2).
Marie, trône du Christ 2. Marie était la porte en laquelle le Christ prit place corporellement, et par laquelle il sortit ; aussi est-elle appelée non seulement la porte, mais le trône. Le trône – dis-je – où il était convenu que n’y siégerait pas n’importe qui, mais le Prince, lorsqu’il lui crie : « Viens, mon élue, et j’établirai en toi mon trône »b. Le Fils éternel du Père éternel, avec le Père, crée toute chose ; pour lui, dans sa puissance, dire c’est faire. En l’appelant pour qu’elle vienne, il crée la Mère dont il naîtrait, et il lui donne de naître. Dans le secret du conseil divin il lui commande, en naissant, de s’avancer vers l’œuvre à laquelle elle avait été destinée dès avant la création du monde. En elle il a disposé son trône, en elle il a établi la primauté de toute vertu et de toute grâce, par quoi Dieu trouve son plaisir dans la créature douée de raison. À propos de cette figure du Christ qu’est Salomon, ce trône autrefois a existé d’avance – un trône dont la louange est si grande dans l’histoire divine qu’il en est dit : On n’a rien fait de semblable dans tous les royaumes (1 R 10, 20). Or c’est bien vrai, car il n’est a b
« Le soleil levant » traduit oriens : Lc 1, 78. Cf. Commun des vierges, 4me antienne de laude au Bréviaire monastique.
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rien dans toute la création qui puisse s’équiparer à l’excellence de la Vierge Mère. Le roi Salomon – est-il dit – fit un grand trône d’ivoire et le revêtit d’or fin, avec six degrés pour y monter (1 R 10, 18s). À la place de la blancheur de l’ivoire Marie possède celle de la virginité immaculée. Et la voici revêtue de l’or jaune, c’est-àdire rayonnant, cela du fait qu’elle est née de la Divinité. Quoi de plus grand que celle dont les entrailles ont enveloppé Celui dont la grandeur n’a pas de limite (Ps 144, 3) ? Il faut cependant la croire grande non de quelque énormité corporelle, mais de la dignité incomparable de ses mérites. Les six degrés par lesquels on accède à ce trône figurent les six âges de ce monde ; de part et d’autre des six degrés se tiennent douze lionceaux d’or (1 R 10, 20), car du commencement à la fin du monde, comme ceux-ci n’ont pas manqué, ainsi ne manquent pas des humains doués d’une prescience éclairée, et robustes d’une foi apostolique. Ceux-là annonceraient comme à venir le mystère de la sagesse de Dieu incarnée dans la Vierge, ou en garantiraient avec constance la réalité. Voilà la raison pour laquelle toutes les générations ne cesseront de la dire bienheureuse (Lc 1, 48).
Pauvreté, chasteté, amour 3. Tout ce qui précède a été rassemblé pour honorer ce jour de fête ; qu’il nous plaise alors maintenant de développer cette matière pour en tirer quelque chose qui édifie nos conduites. Le roi Salomon – dit l’Écriture – fit un grand trône d’ivoire. À l’instar de toutes les œuvres de Salomon, comme le temple, le palais royal, ces constructions, comprises spirituellement, proposent une figure de l’Église universelle. Ainsi les diverses particularités de ce trône, interprétées dans un sens moral, s’appliquent à la profession de ceux qui, ayant renoncé au monde, ont décidé de suivre le Christ dans une pauvreté volontaire. Puisque ils n’entretiennent aucun désir pour ce qui relève de ce monde et qu’ils reposent dans le seul amour du Créateur, ne portent-ils pas, à la manière d’un trône, Dieu dans sa préséance ? Siéger, c’est en général se tenir en
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repos. Et puisque, en lui-même, Dieu est toujours en repos, d’une certaine manière alors il repose en nous lorsque, dans notre fatigue d’avoir à lutter contre tant de tentations, il nous regarde finalement avec bonté et nous rétablit en un délectable repos, dans la mémoire que nous faisons de lui. De ce trône, selon le récit, nul autre que Salomon n’en est le constructeur, lui qui se révèle notre paix (Ep 2, 14). En venant dans la chair il nous enseigne par son exemple à mépriser tous les biens de ce monde, lui qui, de toutes manières, fut pauvre en ce monde, où il n’avait même pas où reposer la tête (Mt 8, 20). De quelle matière ce trône est-il fait ? D’ivoire. Or l’ivoire est un os d’éléphant, un animal très chaste, de sang froid, qui figure pour nous la continence de notre chasteté. C’est elle avant tout que doivent garder tous ceux qui désirent être le trône du Roi pacifiquea. Telle est la vertu qui seule tire de l’impur une semence pure (Jb 14, 4), d’un ennemi un familier, de l’homme un ange. Ce vaseb pour le moment fragile que nous portons, la chasteté le tient et le maintient – selon l’exhortation de l’Apôtre – dans la sanctification (1 Th 4, 4), à la manière dont le baume aromatique garde les cadavres de la corruption. Intacte, elle retient et resserre les sens et les membres pour éviter qu’ils ne se dissolvent dans les vices, ne se corrompent dans les désirs, ne se putréfient dans les jouissances de la chair, mais fassent preuve en eux de la blancheur et de la fermeté de l’ivoire. Cependant, aussi haute que se présente la chasteté, sans l’amour elle se montre dépourvue de prix et de mérite. C’est pourquoi il est ajouté aussitôt : Ce trône d’ivoire, il le revêtit d’un or très fin. Par l’or, le plus prestigieux des métaux, c’est l’amour qui est symbolisé ; il règne sur toutes les vertus, et sans lui rien d’aussi grand qu’on voudra n’est reconnu comme bon, mais se voit repoussé comme petit. La chasteté sans l’amour s’avère une lampe sans huile, une lampe qui n’éclaire pas ; enlevé l’amour, la chasteté ne plaît pas. Mais ô qu’elle est belle – dit la sagesse – le chaste engendrement avec amour (Sg 4, 1 vg). a b
et 9.
« Pacifique » est la traduction du nom de Salomon. D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Epistulae 42, 8
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La vertu du silence
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4. Deux bras se tenaient de part et d’autre du siège (1 R 10, 19). Par ces deux brasa sont figurées les observances propres à une communauté de religieux, comme aussi et surtout la nécessaire tranquillité, à savoir le silence et le travail manuel. En outre deux lions se tenaient à côté de chaque bras (1 R 10, 19) ; ils représentent les jugements de la sainte autorité de l’un et l’autre Testament approuvant ceux qui s’efforcent à la concorde par ces deux observances, ou condamnant ceux qui les méprisent. La vertub de ceux qui gardent le silence reçoit un magnifique éloge chez le prophète Isaïe : Le culte de la justice, c’est le silence (Is 32, 17 vg). Il indique par là que la justice de l’esprit est ravagée quand il ne s’abstient pas d’une parole sans mesure. Dans le même sens Salomon affirme : Qui hait le bavardage éteint la perversité (Si 19, 5). Et encore : Qui veille sur sa bouche garde son âme (Pr 13, 3). Qui modère ses lèvres se montre très avisé (Pr 10, 19). Par contre ceux qui s’adonnent à la multiplicité des paroles sont atteints de plein fouet par cette forte sentence de l’apôtre Jacques : Si quelqu’un s’estime religieux sans mettre un frein à sa langue et en trompant son cœur, sa religion est vaine (Jc 1, 26). En plein accord avec cette sentence un père s’exprime ainsi : « Un moine qui ne retient pas sa langue au moment de la colère ne pourra jamais maîtriser ses passions ». « Un frère disait à un saint ancien : Je désire garder mon cœur. Celui-là lui répondit : Comment pourrons-nous garder notre cœur si notre langue ne dispose pas d’une porte qui se ferme ? »c. De fait le débordement de la langue fait jaillir les aiguillons de la colère, suscite les rixes, éteint la paix des cœurs. Combien de maux ne trouvent-ils pas leur remède dans la garde du silence !
a « Bras » ou accoudoirs. Le latin dit « mains », ce qui, dans la suite, sera mieux en rapport avec le travail manuel. b D’ici à la fin du paragraphe, cf. Smaragde, Diadema monachorum, 39. c Cf. Smaragde, Diadema monachorum, 39.
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Le travail manuel 5. Le travail manuel ne s’attire pas une mince louange dans les Écritures. Au dire du psalmiste : Du labeur de tes mains tu te nourriras, heureux es-tu, à toi le bonheur (Ps 127, 2). Au contraire il est dit de l’oisiveté qu’elle est est ennemie de l’âmea. Et selon cette parole du sage : L’oisiveté enseigne une quantité de maux (Si 33, 28). Ce vice de l’oisiveté, le très sage Salomon le dénonce en ces termes : Qui poursuit l’oisiveté sera rassasié d’indigence (Pr 28, 19) – qu’elle soit visible ou invisible, car il est inévitable qu’un oisif se trouve enveloppé de vices et étranger à la contemplation de Dieu ou aux richesses spirituelles, autrement aux vertus de l’âme. Le saint apôtre Paul en reprend certains : Ils ne travaillent pas du tout et se mêlent de tout (2 Th 3, 11). Comme par un rugissement de lion il leur annonce : qui ne travaille pas ne mangera pas non plus (2 Th 3, 10). Les anciens Pères se montrent d’accord avec cette sentence : Un moine qui travaille ou se convertit n’est frappé que par un seul démon, un moine oisif est la proie d’esprits innombrables, il ne peut tenir en place ni atteindre jamais le sommet de la perfection. Ces deux bras maintiennent la construction de notre trône, et ils crient – nous l’avons dit – par la voix des lions spirituels. Le principal d’entre eux s’exprime en leur nom et donne ce commandement : que l’on travaille en silence pour manger son pain.
Le risque de se chercher soi-même 6. Continuons à lire la suite de l’histoire : Le sommet du trône était arrondi par derrière (1 R 10, 19 vg). Le sommet du trône dont il est question ici ce sont les évêques et ceux qui exercent un ministère parmi nousb. La nécessité de remplir une charge les place en hauteur, mais, comme par derrière, leur fréquente implication dans les affaires terrestres les tire en bas. Tout ce qui relève de ce monde se situe derrière nous, tout ce qui est éternel devant nous, a b
Regula S. Benedicti 48, 1. praelati et officiales nostri.
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ainsi que le dit Paul : Oubliant ce qui est en arrière et tendus vers l’avant (Ph 3, 13). La partie antérieure du trône ce sont ceux qui, dégagés de l’administration des affaires, sont libres pour attendre en silence le salut de Dieu (Lm 3, 26), et pour goûter et voir combien le Seigneur est bon (Ps 33, 9). Et ils voient le visage du Roi pacifique, mais pour le moment comme dans un miroir et en énigme (1 Co 12, 13). La partie postérieure du trône ce sont ceux auxquels l’obéissance enjoint de s’occuper des réalités extérieures. Cependant, pour qu’ils puissent aussi avoir part à ce qui est antérieur, grande est la peine qu’ils doivent déployer afin d’être trouvés arrondis en arrière. Pour que quelque chose soit arrondi il faut le polir de sorte qu’il ne lui reste rien de rugueux, rien d’anguleux. Loin de ces gens-là l’aspérité de la colère, loin d’eux ce que peut avoir d’anguleux la recherche de soia ! Qu’ils soient donc arrondis de toutes parts, que dans l’exercice du ministère ils ne recherchent rien pour eux-mêmes, mais qu’ils se dépensent au service et pour l’utilité commune des frères, dans l’intention simple de l’amour. Que parmi eux on ne trouve pas ceux qui désolent l’Apôtre : Ils recherchent leurs propres intérêts, non ceux du Christ (Ph 2, 21) ; et pour ainsi dire, ceux dont on ne cherche pas à égaliser la rotondité, mais à redoubler l’angle. La propriété comporte sa recherche de soi. Là où il y a recherche de soi il a angle, et là où il y a angle il y a ténèbres ; là où il y a ténèbres il y a des impuretés et de la puanteur, car tels sont ceux qui font monter notre odeur puante en présence de Pharaon et de ses serviteurs (Ex 5, 21 vg). De fait, lorsque les conduites désordonnées des moines sont justement dénoncées par les séculiers, la valeur de notre vie religieuse est lourdement grevée par les vices de ces moines. O quelle agréable rotondité le plus remarquable des docteurs avait su polir grâce à la lame de l’amour, lui qui invitait tous les autres à l’imiter : Ne soyez en scandale ni aux juifs, ni aux païens, ni à l’Église du Christ, tout comme moi je m’efforce de plaire à tous, ne recherchant pas mon propre intérêt, mais celui du plus grand nombre afin qu’ils soient sauvés (1 Co 10, 32s). À partir de a
D’après le contexte, c’est le sens que semble avoir ici le terme de singularitas.
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quoi il est donné de remarquer que l’amour fait la communauté, or là où il y a communauté il y a rotondité, et où il y a rotondité il y a lumière ; où il y a lumière là est la sincérité, et par là même la suavité de la bonne opinion qui répand son parfum.
Les six degrés 7. Jusqu’à présent nous nous sommes occupés des parties hautes du trône ; regardons maintenant les degrés par lesquels on y accède : six degrés (1 R 10, 19). Que le premier soit pour nous le monde et tout ce qui est dans le monde, et qu’il soit à délaisser. Le deuxième : le souci de la chair dans ses convoitises, dont il faut s’abstenir. Le troisième : l’appétit de la volonté propre, à soumettre à l’autorité d’un ancien. Ensuite, si nous méditons sur ce qui est saint – car les pensées perverses séparent de Dieu – nous gravissons le quatrième. Habituons notre langue à bien parler : c’est atteindre ainsi le cinquième degré. Pour qu’en nous la décision de persévérer soit ferme, fixons-nous dès lors sur le sixième degré.
L’humilité Les douze lionceaux d’or qui se tiennent de part et d’autre de chaque degré, considérons-les en sorte que, quel que soit notre progrès en comparaison de la pureté et de la vertu apostoliques et de tous ceux qui ont reçu d’eux l’exemple de la perfection, nous prenions conscience que nous n’avons rien fait, que nous ne sommes rien. Et, dans cette humilité, mettons-nous à monter sur le marche-pied du trône, qui lui aussi est d’or, selon la description. Par lui est figurée la perfection de l’humilité, laquelle se situe toujours en bas, au jugement de Celui qui regarde les humbles (Ps 112, 6), même si, à titre de reine des vertus, elle se situe toujours au plus haut. Nous avons montré dans la manière dont s’organise le trône spirituel qu’il se compose de la diversité des vertus. Après cette
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description il s’impose de lui joindre la dignité de l’humilité, qui est introduite par l’éclat de l’or, afin de montrer qu’elle éclaire tout ce qui apparaît comme vertueux. En même temps on se rappelle aussi ce que dit le Sage : L’homme ne peut tout avoir (Si 17, 29). Et encore : Non, il n’est pas de juste sur la terre qui fasse le bien sans jamais pécher (Qo 7, 21). Ce qui par ailleurs manque à ce dernier, l’humilité le compense. Car en véritéa, devant ce regard pénétrant, scrutant les secrets, qui peut se glorifier d’avoir le cœur pur ? Seule le peut assurément celle qui n’a pas l’habitude de se glorifier, qui ne sait pas présumer de soi, qui n’a pas coutume de s’imposer : l’humilité ; seule elle saura trouver grâce aux yeux de la divine bonté. Dieu, en effet, résiste aux orgueilleux, mais aux humbles il donne sa grâce (Jc 4, 6). La Majesté ne méprise pas dans notre genre humain un cœur brisé et humilié (Ps 50, 19), elle qui, par humilité, n’a pas dédaigné d’assumer un corps et qui eut pour mère la Vierge. Elle a voulu que celle-ci ne manquât d’aucune vertu, mais, comme elle le confesse elle-même, cette Majesté n’a regardé qu’à la seule humilité de sa servante (Lc 1, 48). En tournant vers cette Vierge les élans de nos vœux, implorons-la donc : par sa médiation nous avons échappé à la sentence de malédiction dont nous héritons ; et de même, que par sa prière pour nous nous recevions à jamais la grâce de la bénédiction promise. Dieu veuille nous l’accorder.
D’ici jusqu’à la fin de l’alinéa, cf. Bernard de Clairvaux, Epistulae, 42, 24. a
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SERMON 51 SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS
Vraiment tous les saints 1. L’honneur de la fête de ce jour, pour tous les saints, consiste en une mémoire générale. Les saints pères, en l’instituant, avaient une intentions précise – puisque un prophète nous ordonne de louer le Seigneur dans ses saints (Ps 150, 1) – ils entendaient que la dévotion des chrétiens n’oublie les saints d’aucun temps et d’aucun ordre, mais qu’elle s’acquitte des vœux de louange dus à Celui qui dispense largement le don de la sainteté. Cette célébration embrasse certes ceux que, baptisés dans sa mort et nourris au sacrement de sa passion, le Saint des saints a sanctifiés de toute faute. Mais la célébration s’étend aussi à ceux que leur observance de la sainte et juste loi a sanctifiés et justifiés. En outre ce jour n’est pas consacré seulement à ceux dont le témoignage de l’Écriture divine nous fait savoir qu’ils ont plu à Dieu, mais aussi à ceux dont nous croyons que le mérite de leurs vertus a plu à Dieu même s’ils nous demeurent inconnus. Ainsi ceux qui, au dire de Job, comme un avorton caché, n’ont pas subsisté (Jb 3, 16) ; car si, au temps de leur vie, ils ont brillé par une foi et des œuvres dignes de Dieu, aucun document écrit crédible ne nous le fait connaître. Oui, dis-je, c’est à tous les saints, à tous les saints placés sous l’alliance de la vie éternelle, à tous en commun, que la solennité
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Sermon 51
de ce jour est dédiée. Car, comme l’atteste le vase d’élection (Ac 9, 15) à propos de l’alliance : Ferme et stable est ce sceau : le Seigneur connaît les siens, et quiconque invoque son nom échappe à l’iniquité (2 Tm 2, 19). Ce sceau, assurément, s’avère celui dont l’apôtre Jean, dans l’Apocalypse, affirme que sont marqués sur leur front les serviteurs de notre Dieu (Ap 7, 3s). Ils émanent de toute tribu des fils d’Israël. Or dans l’interprétation des noms des douze fils d’Israël, ces noms, tels qu’ils sont commentés, signifient les actes de justice dont l’observance permet à un homme d’aspirer à la société et au nombre des saints. Voilà la raison pour laquelle, dans ce livrea, ces noms ne sont pas selon l’ordre de naissance des patriarches, mais en fonction d’une progression de leurs vertus. Par exemple le quatrième par la naissance dans l’histoire occupe ici la première place ; le premier là est ici le deuxième ; le deuxième là est ici le septième, et ainsi de suite pour les autres. Les permutations de l’ordre historique montrent que l’énumération des fils d’Israël relève d’une raison spirituelle plutôt que charnelle. De même, à propos de leur géniteur, sous ce nom d’« Israël » n’imaginons pas un père selon la chair, mais l’auteur d’une descendance spirituelle.
Les patriarches dessinent un cheminement spirituel Juda, Ruben Gad, Asher 233
2. Israël se traduit par « l’homme voyant Dieu »b. Posons donc qu’Israël représente l’intelligence rationnelle d’un homme dont les fils sont d’une pensée pure et simple. Le premier d’entre eux est Juda, c’est-à-dire la ferme confession de la vraie foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (Hé 11, 6). Juda se traduit Celui de la Genèse, ch. 49, où les noms des patriarches sont interprétés de manière symbolique. Sur cette symbolique l’auteur ici en déploie une autre, qui dessine l’itinéraire spirituel de la conversion, et où apparaissent plusieurs des Béatitudes lues dans l’Évangile de la fête. b vir videns Deum : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 13, CCSL 72, p. 75, 21. a
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effectivement par « confessant »a. De sa descendance est né le Christ, fondement de la foi et montagne des vertus ; à partir de lui les pères de la foi, à savoir les apôtres, ont reçu le nom de chrétiens (Ac 11, 26). Leur fermeté dans la foi et leur constance spirituelle n’ont cédé devant aucun péril, elles n’ont été fatiguées et désespérées par aucune injure. Mais parce que la foi sans les œuvres est vaine (Jc 2, 20), on pose en deuxième lieu Ruben, dont le nom se traduit par « voyant le fils »b, c’est-à-dire la bonne œuvre. Or l’œuvre, pour pouvoir s’avérer vraiment bonne, doit être envisagée, c’est-à-dire scrutée, sous trois angles : elle doit se montrer pure, éprouvée et durable – pure d’intention, éprouvée par l’institution, durable par la persévérance. Qu’elle soit la pure action du corps, de telle sorte que Dieu seul soit la raison de celui qui agit, autrement dit qu’on n’ait d’autre appétit que de plaire à Dieu et d’être utile au prochain en raison de Dieu. Que l’œuvre soit aussi éprouvée pour ne pas émaner d’une invention ou d’une présomption de notre volonté propre, mais qu’elle soit fondée sur la règle de l’autorité de Dieu ou sur l’injonction d’un ancien. Enfin que l’œuvre se révèle durable : qu’on ne fasse pas défection avant la fin de l’ouvrage par dégoût de sa durée, mais qu’on se montre d’autant plus fervent que la fin approche, avec l’attente de la rétribution ; qu’on repasse alors dans son esprit cette affirmation de David : Je dis : Maintenant je commence, elle est changée la droite du Très Haut (Ps 76, 11). Mais parce que l’importunité de la tentation vient trop vite faire obstacle au progrès de l’œuvre bonne, après Ruben posons Gad, qui se traduit par « ceint »c. Telle est en effet la bénédiction que Jacob donne à son fils Gad : Ceint et bien armé, Gad combattra devant le Seigneur (Gn 49, 19). Il commence par ceindre ses reins pour ensuite combattre plus fermement. Gad d’ailleurs se ceint aussi pour restreindre par la discipline le relâchement des sens. confitens : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 74, CCSL 72, p. 152, 15. b videns filium : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 9, CCSL 72, p. 71, 28. c accinctus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 13 CCSL 72, p. 75, 13. a
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C’est alors qu’il mène son combat devant le Seigneur quand, par la mortification de la chair, il met à mort les désirs charnels. Aussi grands que se présentent les ravages des ennemis, bientôt cette armée ennemie, celle des vices, est mise en fuite quand les sens du corps sont ramenés de leur errance et resserrés par la garde de la discipline, tandis que l’appétit charnel de la jouissance se voit freiné et ceinturé par l’abstinence. Par conséquent que l’élan de notre dilection soit pour nous-mêmes étroitement limité, qu’il se montre pur envers le prochain et tout dévoué à Dieu. Ainsi c’est en raison de Dieu que nous avons à nous aimer nous-mêmes et le prochain, et pour aucune autre raison que Dieu. La béatitude de cet amour persévérant est promise pour toujours. Voilà pourquoi Asher prend la suite de Gad, Asher qui se traduit par « heureux »a. Et l’ensemble du passage de l’Évangile lu aujourd’huib s’accorde avec ce nom : Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux, heureux les doux car ils hériteront la terre (Mt 5, 3s) – et la suite. La béatitude constitue le bien suprême aux yeux de la raison naturelle, la perfection qui rassemble tous les biens ; celui qui y sera parvenu ne pourra plus rien désirer d’autre par la suite.
Nephthali 3. Le cinquième des fils de « celui qui voit Dieu »c se trouve être Nephthali, dont le nom se traduit par « cerf envoyé dehors »d. Le cerf est un animal pur qui rumine et dont le sabot est fendu. Rapide dans la course il fait des bonds prodigieux. D’une nature agile et mobile il franchit les bourbiers, les fossés, les buissons épineux. On dit, chez les naturalistes, que, plus que toutes les bêtes, il exulte au lever de l’aurore. beatus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3, CCSL 72, p. 61, 7. b Les Béatitudes en saint Matthieu étaient et sont toujours l’Évangile de la Toussaint. c C’est la traduction du nom d’Israël (ou Jacob) : cf. ci-dessus au paragraphe 2. d cervus emissus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 80, CCSL 72, p. 160, 30. a
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Comment qualifier mieux que par le cerf l’homme fervent d’esprit et attentif à Dieu ? Oui, à juste titre. Car le cerf rumine, c’est-à-dire qu’il rappelle à sa bouche la nourriture ingérée, comme l’homme de bonne espérance le fourrage qui le refait spirituellement : il ne cesse de méditer jour et nuit les paroles divines qu’il a lues ou entendues. Le cerf a le sabot divisé : il différencie les vertus spirituelles des vices. Rapide dans la course, le cerf fait des bonds prodigieux : l’homme de Dieu, avec constance, bondit dans son cœur de la lecture à la méditation, de la méditation à l’humble ferveur, de celle-ci à la prière, de la prière à l’œuvre bonne. Le cerf franchit les bourbiers : ainsi l’élu méprise et maudit tout genre d’immondices. Le cerf franchit les fossés : l’élu les ambitions aveugles du monde déchu. Le cerf franchit les buissons épineux : l’élu méprise les cupidités impures qui déchirent comme des épines. Le cerf, plus que toutes les bêtes, se réjouit du lever de l’aurore : l’homme de vertu, plus que toute prière, demande à Dieu une seule chose : habiter la maison du Seigneur tous les jours de sa vie (Ps 26, 4).
Manassé, Siméon 4. Lui succède un sixième fils, Manassé, qui se traduit par « oubli »a, et cet oubli entraîne le rejet intelligent des nuisances et des inconvenances. Double est l’oubli : il porte sur les réalités terrestres et sur les réalités éternelles. L’un est mauvais, l’autre bon. L’homme qui, pris tout entier dans les convoitises des réalités d’ici-bas en vue des délices de la chair, oublie les réalités éternelles, considère cela comme son bien suprême. Un tel oubli est mauvais. Au contraire, l’homme qui, à l’exemple de Paul, a mis en oubli ce qui est en arrière, tout tendu qu’il est vers l’avant (Ph 3, 13) en raison de la gloire qu’il aime, un tel oubli est bienheureux ; il considère les joies de ce temps et les délices de cette vie comme indignes de mémoire.
oblivio : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 19, CCSL 72, p. 82, 6. a
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Mais pour que cet élan affectif qui tourne l’homme vers le haut ne s’écoule pas au contraire vers le bas, la force de l’âme s’avère indispensable. Elle se rapporte à Siméon, septième descendant de « celui qui voit Dieu » ; son nom se traduit par « exaucement de la tristesse »a. Toute tristesse ne se voit pas exaucée. De même qu’il y a une joie déplacée, il y a une tristesse inutile. Quelqu’un a-til perdu le plaisir lié à son corps, le voilà triste. Il a crié sa tristesse au Seigneur, qui ne l’a pas exaucé. Pourquoi ? Parce que celui-ci ne requiert pas le plaisir terrestre de notre corps, mais le salut éternel de notre âme, lui qui nous a donné l’un et l’autre. Avons-nous perdu la délectation de l’âme, c’est-à-dire la délectation des vertus ? Notre tristesse alors crie vers le Seigneur, et il nous exaucera : en nous rendant la joie de son salut il nous affermira aussi dans un esprit magnanimeb. Trouve ta joie dans le Seigneur et il t’accordera les demandes de ton cœur (Ps 36, 4). De ton cœur, est-il dit, non de ta chair, qui toujours demande la jouissance d’ici-bas. Or il est bon qu’une tristesse accompagne la force de l’âme car le cœur des sages se tient là où est la tristesse, et le cœur des insensés là où est la joie (Qo 7, 5 vg). Et de même : Pour le cœur qui connaît l’amertume de l’âme, nul étranger ne se mêlera à sa joie (Pr 14, 10).
Lévi, Issachar, Zabulon 5. La huitième naissance est celle de Lévi, dont le nom se traduit par « pris »c. Multiples sont les occasions d’être pris, il en est deux principales : l’une bonne, l’autre mauvaise. L’Esprit m’enleva et me prit, dit le prophète Ézéchiel (Ez 3, 14) : voilà la bonne prise. Au contraire Dieu prit Adam et le renvoya du paradis de jouissance pour qu’il travaille la terre (Gn 3, 23). Qui veut être élevé, qui veut être pris pour avoir part au repos éternel doit entrer dans sa chambre (Mt 6, 6), aimer le secret d’une bonne conscience, clore sur soi la porte et fermer d’un sceau l’accès de son cœur pour a Tristitiae exauditio : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 10, CCSL 72, p. 72, 30. b Spiritu principali : Ps 50, 10. c assumptus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 8, CCSL 72, p. 68, 7.
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que n’y entrent ni la diable, ni le monde, ni le désir charnel – le diable par l’orgueil, le monde par l’ambition, le désir charnel par la jouissance. Qu’il fuie les vices, qu’il fuie les scélératesses en raison desquels les vicieux et les scélérats ont péri et périront ; et il sera l’unique des lévites, l’unique « pris » en vue d’hériter du salut éternel. En conséquence le neuvième dans l’ordre des naissances spirituelles, c’est Issachar, dont le nom se traduit par « récompense »a. Mais quelle récompense, et de qui ? La récompense festive, la récompense qu’est la vie éternelle du cœur contrit et humilié (Ps 50, 19), qui attend la consolation de Dieu. Car heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés (Mt 5, 5). Mais pour le moment, tant que cela est différé, il s’agit non seulement de se réjouir dans l’espérance, mais d’être patient dans la tribulation (Rm 12, 12) et de maîtriser les séductions du monde. C’est ce qui se trouve signifié par le dixième des fils de « celui qui voit Dieu », Zabulon, dont le nom se traduit par « demeure de la force »b. On reconnaît ici la vertu de la maîtrise de soi : elle rassemble ce qui est dispersé et garde ce qui est rassemblé. Un grand trésor nécessite une grande vigilance. Car le voleur se tient aux aguets pour creuser et s’en emparer. De cette vigilance ont besoin ceux qui, engagés dans la vigne du Seigneur, ont enduré le poids du jour et de la chaleur (Mt 20, 12). En cette vertu de la maîtrise il s’est vu obligé de se réfugier, celui qui affirmait : Dieu notre refuge et notre force (Ps 45, 2). Il ne dit pas que notre refuge se trouve dans la jouissance du corps, ni dans une joie inepte, ni dans les bouffonneries, ni dans les propos stupides, ni dans quelque occasion de s’évader, mais en Dieu, qui jamais et nulle part, ne peut être aimé sans qu’on le possède. Ce qui fait dire à Salomon : C’est une tour forte que le nom du Seigneur (Pr 18, 10) ; le juste s’y réfugiera et sera sauvé.
a merces : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 7, CCSL 72, p. 67, 19. b habitaculum fortitudinis : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 11, CCSL 72, p. 73, 29.
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Joseph et Benjamin 6. Le onzième et le plus aimé des fils d’Israël s’inscrit ici, c’est Joseph, dont le nom se traduit par « augmentation »a. Celle-ci est en rapport étroit avec la méditation quotidienne de la mort, nourriture et fourrage de l’humilité, laquelle est le fondement et la gardienne de toutes les vertus. Car c’est une immense augmentation des vertus que de garder sans cesse la mort devant les yeuxb. L’assiduité de cette méditation enseigne à l’homme à penser non à ce qu’il a, mais à ce qu’il est. Qu’est donc l’homme, en effet, si tu y prêtes attention, sinon un ver, une chose faible, sans défense, encline au péché, au point que la poix chaude vient s’y coller (cf. Si 18, 1) ? Si donc tu pratiques cette méditation, si en tout temps demeure au fond de toi la mémoire de la mort, jamais tu ne pécheras d’un péché qui va à la mort (cf. 1 Jn 5, 16). Le douzième des fils de l’Israël spirituel se nomme Benjamin, qui se traduit par « fils de la droite »c. Par « la droite » on entend généralement la bonne œuvre, en conséquence de quoi ceux qui s’adonnent aux bonnes œuvres sont placés à droite lors du jugement (Mt 25, 33). Par « fils de la droite » on peut comprendre la contemplation de Dieu, car, selon l’ordre rationnel, l’œil du cœur d’abord expie en s’exerçant à bien agir, afin d’être capables de regarder les réalités célestes et invisibles. Heureux, en effet, les cœurs purs, ils verront Dieu (Mt 5, 8). Tels sont la fin et l’achèvement de toutes les vertus, telle est l’acquisition de tout ce qui est désirable : voir sans cesse et posséder Celui que les anges désirent contempler sans interruption (1 P 1, 12), et dont le soleil et la lune admirent la beautéd.
augmentatio : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 7, CCSL 72, p. 67, 20. b Regula S. Benedicti 4, 47. c filius dexterae : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3, CCSL 72, p. 62, 24. d Pour la fête de sainte Agnès, répons du troisième nocturne. a
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Que les saints intercèdent 7. C’est en vue de cette vision, fin suprême de toute béatitude et de tout bien, que tous les saints dont nous faisons mémoire aujourd’hui ont piétiné avec mépris tout ce qui passe avec le temps. Ils se sont efforcés par amour de Dieu de crucifier leur chair avec ses vices et ses convoitises (Ga 5, 24) ; et nombreux sont ceux qui ont exposé cette chair aux tourments, aux tortures et à la mort même. Aussi se tiennent-ils maintenant devant le trône, couronnés de gloire et d’honneur (Hé 2, 7) pour être parés d’un plus ample éclat par la résurrection de leur corps et conformés à jamais à la gloire du corps du Christ. Associés à nous par leur nature, qu’ils daignent nous obtenir de participer à leurs mérites en implorant pour nous la clémence et la miséricorde du Sauveur, Jésus Christ notre Seigneur.
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Commence ici la deuxième série des sermons : comprenant les sermons 52 à 62, elle va de l’Avent à l’Ascension
SERMON 52 POUR L’AVENT DU SEIGNEUR AU COMMENCEMENT DE L’AN DU SEIGNEUR 1172
Ceux qui sont morts avant de voir ce qu’ils attendaient 1. Ce temps qui précède le jour de la naissance du Seigneur, ce temps que nous entamons depuis aujourd’hui, une solennelle coutume le nomme « avent » – ou advenue – du Seigneur. D’une certaine manière il représente l’état du temps au cours duquel les pères anciens, soit avant le don de la loi, soit sous la loi, servaient Dieu fidèlement. Sans douter de la vérité de Celui qui tient ses promesses, ils attendaient patiemment ces promesses concernant l’incarnation du Christ et la rédemption du genre humain. Cependant, dans le désir de retrouver la Patrie dont ils pleuraient d’être exilés depuis longtemps, ils souhaitaient de leur vœux et à grands cris que ces promesse reçoivent une rapide réalisation. Ces oracles des prophètes, que ces jours nous revisitons en les lisant, quelle est leur proclamation, sinon la voix de ceux qui désirent le salut et qui, en le désirant, gémissent : ce salut qui réaliserait la venue du Christ et qu’ils ont saluée de loin (Hé 11, 13) de leurs vœux heureux. En même temps il apparaît bien que nous avons à rougir de la trop grande tiédeur de notre paresse, nous qui persistons jusqu’à la présence de cette grâce avec un cœur froid ; c’est à peine si, par moments, nous sommes touchés par quelque étincelle ténue de
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dévotion. Cette grâce encore absente, et longtemps après qu’elle est venue, nous savons que ceux-là, brûlant de désirs, l’ont invitée à venir, alors que nous, languissant de dégoût, nous ne la désirons pas anxieusement. Pourtant nous voyons régner dans la gloire de sa majesté Celui que ceux-là désiraient tellement voir peiner dans les souffrances pour accomplir, dans la faiblesse de notre corps, l’œuvre de notre salut. Cela, le prophète Isaïe en donne la preuve lorsque, au nom d’eux tous, il s’exprime, un pour tous, en ces termes : Sans beauté ni éclat, nous l’avons considéré comme le derniers des humains, homme de douleur, familier de la souffrance (Is 53, 2s). Heureux aussi Job qui, au nom de tous ceux-là, manifeste en lui-même de quel désir ils étaient tous saisis. Le voici comme affligéa de ne pouvoir voir Celui qu’il aime, parce qu’il est enlevé au monde avant que se révèle le salut du monde. Aussi annonce-t-il d’avance d’une voix plaintive : Mes jours ont passés, plus rapides qu’un coureur, ils se sont enfuis sans voir le bonheur (Jb 9, 25). Effectivement tous les élus qui ont vécu avant la venue du Rédempteur, parce qu’ils ont entendu parler de lui ou parce qu’ils l’ont annoncé par leur parole, furent dans le monde comme des coureurs. Mais parce qu’ils prévoient leur mort avant le temps attendu de la rédemption, ils se désolent de passer bien vite dans leur course. Ils gémissent sur leurs jours trop brefs, car leur vie ne s’étend pas jusqu’à pouvoir voir la lumière du Rédempteur. Aussi est-il justement dit d’eux : Ils se sont enfuis sans voir le bonheur. Pourtant tout ce que Dieu a fait est très bon (Gn 1, 31), encore que ce bien soit principalement la bonté en laquelle tout a été créé bon. Car la Vérité dans l’Évangile dit : Nul n’est bon, sinon Dieu seul (Lc 18, 19). Puisque les jours des pères anciens ont pris fin avant que Dieu ne se révèle au monde, il est fort juste de dire en ces jourslà : Il se sont enfuis sans voir le bonheur – autrement dit ils se sont évadés avant le temps attendu, ceux qui n’ont pu parvenir à la manifestation de la rédemption.
D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXXIX, 29, 45–30, 46. a
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Visions de la nuit, du jour, de la lumière 2. Les témoignages d’un tel désir sont nombreux dans les pages du saint livre. Dès les temps antiques on voit que des hommes saints n’ont pas manqué, qui espéraient la venue du Seigneur et y aspiraient. Dans le cas de certains d’entre eux, pour ne pas succomber à l’ennui d’une longue attente, leur piété – dont la vision était renvoyée à plus tard – les soulevait entre temps grâce à certaines révélations ; ce qui se réaliserait matériellement au temps marqué, ils le montraient par des visions imagées. C’est ainsi que Daniel, l’homme de désirs (Dn 9, 23) – comme il mérite de s’entendre nommer par l’ange – soulevé par l’esprit, s’écriait : Je contemplais dans les visions de la nuit, et voici, venant sur les nuées du ciel, comme un fils d’homme… (Dn 7, 13). Ainsi donc l’homme de désirsa, réprimant des mouvements irrationnels, dirigeait les regards de son esprit sur le Fils unique du Dieu Père comme sur le Fils de l’homme, dont il admirait la venue dans le monde et la désirait de tout son cœur. Il contemplait dans les visions de la nuit, non dans celles du jour. Il y a effectivement trois degrés de visions : celle de la nuit, celle du jour, celle de la lumière. La vision nocturne est d’avant la grâce, celle du jour sous la grâce, celle de la lumière dans la gloire. Dans la vision de la nuit regardaient les patriarches et les prophètes ; un psaume en dit ceci : Tu as parlé en visions à tes saints et tu as dit : J’ai placé mon secours dans un puissant (Ps 88, 20 vg). Ils l’ont vu, les saints prophètes et patriarches, ce secours des hommes dans le puissant, c’est-à-dire dans le Christ, qui est puissance et sagesse de Dieu (1 Co 1, 24). Mais ils l’ont vu dans la vision de la nuit, autrement dans une intelligence obscure et nuageuse. C’est aux apôtres qu’a été offerte la vision du jour, mais pas celle de la lumière, car la vérité leur a bien été découverte, mais enrobéeb ; la Divinité s’est révélée, mais dans la nuée, elle leur apparut voilée et cachée dans une chair mortelle. D’une parole de feu elle a résonné dans leur cœur et de son doigt elle y a inscrit la a b
D’ici jusqu’aux trois-quarts de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, I. calceata : litt. « chaussée ».
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loi nouvelle. Emmanuel s’est fait voir d’eux sur la terre et il a vécu avec eux – Emmanuel, Dieu avec nous (Mc 1, 23), vivant avec nous, participant à ce que nous sommes, dans une chair semblable à celle du péché (Rm 8, 3). Il dit par Ézéchiel : J’habiterai parmi eux, et parmi eux je cheminerai ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuplea. C’est pour l’avenir que se manifestera la vision de la lumière, les courroies de sandales seront dénouées (cf. Mc 1, 7), autrement dit la mort disparaîtra, et la vérité paraîtra dans sa beauté. Ce sera alors le jour unique dont témoigne Zacharie : Le Seigneur le connaît : plus de jour ni de nuit (Za 14, 7), mais seulement la lumière, car ce sera l’achèvement et la fin de tout, en particulier de l’alternance du jour et de la nuit. La lumière brillera dans sa continuité, supprimant la vision de la nuit et celle du jour. La prophétie cessera, le savoir sera détruit (1 Co 13, 8), et lui succédera la vision de la lumière. Sur cette vision se concentre l’attention des élus, et par amour d’elle ils repoussent non seulement ce qui n’est pas permis, mais ils se dégoûtent même de ce qui est permis et concédé. Ils n’accordent à leur corps que le nécessaire. Purifiant leur esprit de la boue de toutes les jouissances charnelles, ils refont leurs forces dans des prières assidues et de saintes méditations. Ils se montrent certains de voir alors cette clarté avec d’autant plus de pénétration qu’ils auront vécu avec davantage de pureté. Cela, le psalmiste le laisse entendre : Dieu, je t’ai présenté ma vie, tu as placé mes larmes en ta présence (Ps 55, 6 vg). C’est comme s’il disait : Je t’ai offert mon activité et tu as illuminé ma contemplation.
Trois vies à annoncer à Dieu 3. Il y a trois vies : celle de la nature, celle du dérèglement, celle de la grâce ; la vie de la nature, par laquelle l’homme respire ; la vie du dérèglement, qui donne vigueur au péché ; la vie de la grâce, par laquelle le Christ vit dans notre cœur. La vie de la nature, nous la recevons de la bonté spontanée du Créateur ; la vie du dérèglea
Lv 26, 12 ; Ez 36, 28.
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ment, nous y tombons de notre propre volonté sur la suggestion de l’Ennemi ; la vie de la grâce, nous la recevons de la miséricorde gratuite du Rédempteur. Par conséquent deux d’entre elles émanent de Dieu, celle de la nature et celle de la grâce ; la troisième de l’homme, celle du dérèglement. Toutes trois doivent être annoncées à Dieu, car à lui se rapporte le bien qu’il octroie, et à lui nous devons confesser le mal que nous avons fait. La vie de la nature, il l’annonce à Dieu, celui qui, tant par l’usage quotidien de son existence que par l’offrande de son service, fait retentir les louanges que la créature doit au Créateur. C’est lui qui nous a faits (Ps 99, 3), et non pas nous ; de même estce lui qui est notre pasteur et qui nous gouverne, et non pas nous. Quant à la vie de dérèglement, il l’annonce à Dieu celui qui n’impute ses fautes ni à la fatalité, ni au diable, ni au monde, ni à Dieu, mais s’en accuse. Ainsi Paul : Moi qui fus d’abord un blasphémateur et un persécuteur, je ne suis pas digne de porter le titre d’apôtre car j’ai persécuté l’Église de Dieu (1 Tm 1, 13). Cette vie-ci, nous devons l’annoncer à Dieu non pas pour l’instruire de ce qu’il ne saurait pas, mais pour qu’en nous montrant à lui enchaînés, nous soyons déliés par sa miséricorde.
Les qualités de la confession 4. Toute confession n’est pas précieuse aux yeux du Seigneur (Ps 115, 15) ; elle l’est à condition que chacun orne de beauté sa confession pour qu’elle resplendisse et que, resplendissante, elle plaise. Car à moins de resplendir elle ne pourra plaire. Qu’elle se compose de pureté, d’un caractère personnela et de nudité. Je le répète : la confession doit être pure, personnelle, nue. Pure, c’està-dire qu’elle doit viser la quête du salut, s’exprimer en des paroles simples émanant du cœur pénitent, d’une manière directe, sans recourir vainement à l’art de bien parler. Personnelle en ce sens que chacun, en s’accusant soi-même, recherche l’absolution de son péché sans se donner la peine de manifester le péché d’un a
proprietas.
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autre. Nous disons cela parce que certains, en s’approchant pour se confesser, se montrent doués d’une immense bonté, d’une surabondance d’amour fraternel ! C’est alors trop peu pour eux de confesser leurs propres péchés s’ils ne condamnent pas aussi les fautes de leurs frères. Je l’aime beaucoup – dit-on dans ce cas – aussi je me désole de ce qu’il soit tel. Car en tout il est exceptionnel, mais sur ce point il s’avère vraiment très gravement coupable et digne d’une correction. O quel souci des hommes, et combien vain en ce domaine ! Laissant de côté ton mort, tu es venu pleurer le mien ; puisse ta plainte devenir mienne, et puissé-je ainsi échapper aussi bien à la douleur de la pénitence qu’à la honte de la confession ! Mais maintenant, en ce qui me concerne, tu fatigues vainement les gueules qui aboient ; et en ce qui te concerne, à toi de voir. Pour ma part, sans me préoccuper de ton amour ou de son faux – semblant, j’ouvre en la manifestant la blessure dont ma conscience est mordue – je l’ouvre sinon plus pleinement que toi, du moins peut-être plus purement. 5. La confession enfin doit être nue, comme une expressions claire du péché, pour que la quantité du remède soit proportionnée à la mesure de la faute, que le cataplasme de la satisfaction soit adapté à la blessure et que la pénitence imposée s’accorde avec le type du délit. L’humilité de notre confession plaît à Dieu lorsque, par elle, nous exposons les tribulations de notre cœur et trouvons aussitôt un Dieu qui écoute. Il n’est pas, en effet, de plus grande tribulation que la conscience de la faute. Car là, même si on s’y efforce, il n’y pas moyen de fuir, fatigué, harcelé, injurié. Or pourtant c’est là que Dieu se montre secourable en remettant les péchés. Et la plupart du temps là où le péché a abondé, il fait abonder la grâce (Rm 5, 20), lui qui, en sa bonté, nous secourt dans les tribulations, lesquelles nous ont trop bien trouvés. Or c’est une chose de trouver la tribulation, une autre d’être trouvé par elle. Il trouve la tribulation celui qui, sans personne pour l’avertir, se plaint et gémit en considérant sa faute. J’ai trouvé la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom du Seigneur (Ps 114, 4). Au contraire il est trouvé par les tribulations, celui qui, exhorté par un autre, est point par ses péchés et s’humilie en vue
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de satisfaire. Dans l’une et l’autre tribulation, celle que nous trouvons et celle qui nous trouve, il nous faut fuir vers Dieu en priant pour qu’il nous remette ce que notre conscience redoute et qu’il y ajoute ce que la prière n’ose présumer de lui : à savoir qu’il nous donne, étant morts à une vie indigne, de vivre une vie de grâce. Celle-ci reçue, nous devons aussi l’annoncer à Dieu, autrement dit l’attribuer à sa bonté. Pour nous, dont l’existence indigne auparavant, s’opposait à la Majesté, il ne s’agit pas que maintenant on nous trouve sans reconnaissance pour sa bonté. Ainsi, contre tout gonflement d’arrogance (Est 16, 12 vg) qui surgit habituellement de la mise en place des vertus, que cette parole de l’Apôtre s’empare de notre esprit : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? (1 Co 4, 7).
Rapporter à Dieu toute grâce 6. À la grâce il ne faut pas seulement attribuer le pardon des péchés, mais aussi et bien plus encore la garde de l’innocence. Et à juste titre. Car qu’est-ce que l’homme pour que, né de la femme, il soit sans tache et se montre pur ? Ou encore : qu’est l’homme en lui-même, sans Dieu pour le diriger, sinon un chef inconsidéré ? Par conséquent écoutons tous pareillement ce conseil salutaire de l’Apôtre : Avec crainte et tremblement travaillez à votre salut. C’est Dieu en effet qui opère en nous et le vouloir et l’opération même, pour accomplir son bienveillant dessein (Ph 2, 12s). Personne, quel que soit le jugement qu’il porte sur sa pureté, ne peut avoir d’assurance en cette vie qui toute entière est tentation, et où l’on peut devenir de pire le meilleur et de meilleur le pire. Qu’on ne se permette pas de s’élever au dessus d’un autre, qui émerge de quelque profondeur du mal ou se remet de quelque peste de péchés ; on le saura soigné par le même médecin dont on peut se promettre d’être sinon guéri, en tout cas moins malade. Qu’on se réjouisse au contraire de voir un autre dégagé des liens du péché par ce Libérateur, dont on voit bien que la grâce n’est pas impliquée dans les mêmes nœuds. C’est ainsi, oui c’est ainsi que la vie de la grâce,
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partagée en commun, est à bon droit rapportée à Dieu, et que l’on garde, dans l’attention vigilante de l’humilité, le don de la grâce, qui du même coup s’amplifie.
L’incarnation
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Le même et unique Sauveur est gloire pour les saints et pardon pour les pécheurs. Il règne éternellement en égalité avec le Père, et un prophète de Dieu le voit venir chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19 10), venir sur les nuées du ciel (Dn 7, 13). Il s’agit du Verbe céleste dans la chair, qu’il n’apporte pas avec lui du ciel, mais qu’il reçoit, sans la contagion du péché, dans le sein de la Vierge. Il s’avança jusqu’à l’Ancien des jours et fut conduit en sa présence (ibid.). Car s’il est devenu inférieur au Père du fait de son humanité, il est reconnu comme étant son égal en sa divinité. Par la volonté du Père, de même qu’il est né dans le sein de la Vierge, de même il a été offert par les Juifs sur la croix. Le Père lui a donné le pouvoir, le règne et l’honneur, aussi doit-il être honoré comme le Père. Son pouvoir est un pouvoir éternel qui ne lui sera pas enlevé (Dn 7, 14). Il est vrai que dans la mort, momentanément, il paraissait lui avoir été enlevé, mais une fois ressuscité des morts, la mort n’aura plus de pouvoir sur lui (Rm 6, 9). Quant à son Royaume – la communion des élus, qui vraiment constituent son Royaume – il régnera sur eux en toute vérité et félicité lorsque Dieu sera tout en tout (1 Co 15, 28). Il ne sera corrompu ni par les réprouvés venus se mêler aux justes, ni par les troubles provoqués par les scandales, ni par la chute des pécheurs. Que ce même Jésus Christ, le Seigneur, nous accorde d’être comptés dans sa communion.
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SERMON 53 SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Le Fils, incarné pour avoir des frères 1. Aujourd’hui, frères bien-aimés, nous célébrons le jour où le Fils unique de Dieu n’a pas dédaigné, en y participant, d’assumer notre nature. Ce grand mystère de la bonté (Ép 3, 3), caché avant tous les siècles (Rm 16, 25), s’est manifesté dans notre chair. Le monde n’aurait pu faire aucune expérience plus grande de la bonté de Dieu que celle-là : pour se réconcilier les fils de la colère (Ép 2, 3), Dieu le Père a voulu que le Fils même de son amour revêtît une chair semblable à celle du péché (Rm 8, 3) pour transformer ainsi les fils de perdition en fils d’adoption. Voicia en effet comment nous avons reçu l’adoption : Celui-là, né Fils unique de la divinité du Père, paru dans notre nature, né d’une femme (Ga 4, 4), s’est fait par grâce premier-né d’une multitude de frères (Rm 8, 29). Né du Père il ne pouvait avoir des frères, car Dieu n’a engendré qu’un Fils coéternel à lui. Né d’une mère vierge, car lui-même est unique parmi les créatures, il a autant de frères que de participants à la grâce. Il est, lui, Fils par nature ; nous, nous sommes fils de Dieu par un bienfait et une faveur de sa part. Nous sommes une créature qu’il n’a pas engendrée mais
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D’ici et pour quelques lignes, cf. Pierre Lombard, Sermo, 6.
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créée ; et il nous a adoptés pour faire de nous, à notre mesure, les frères du Christ.
Le fourrage du bœuf et de l’âne
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La présence d’une grâce aussi inestimable s’offre comme la réfection de quelque fourrage vital dont chaque élu, issu aussi bien des nations que d’Israël, s’est nourri. Le bienheureux Job, considérait cela dans un esprit prophétique : L’onagre mugit-il lorsqu’il a de l’herbe ? ou le bœuf devant une crèche pleine de foin ? (Jb 5, 6). Par l’onagrea, qui est un âne sauvage, il désigne le peuple issu des païens, par le bœuf le peuple juif. Car celui-ci errait hors de l’étable de sa discipline dans les champs de ses jouissances, mais ici il est enfermé et soumis au joug de l’observance de la loi. Cette herbe donc, fourrage de l’onagre et foin du bœuf, est celle que fait croître aujourd’hui l’incarnation de notre Créateur : par elle se rassasient de l’aliment de vie les fidèles issus aussi bien des nations que des juifs. Un prophète a dit en effet : Toute chair est du foin (Is 40, 6). Aussi le Créateur de l’univers, assumant la chair de notre nature, a voulu se faire foin pour que cette chair ne demeure pas perpétuellement du foin. Si Dieu, en effet, s’est revêtu d’une chair mortelle, c’était pour que l’homme ne soit pas soumis, comme il le mérite, à la corruption perpétuelle d’une vie charnelle. L’onagre trouve donc de l’herbe lorsque le peuple des païens reçoit la grâce de l’incarnation divine. Et le bœuf ne trouve pas sa crèche vide lorsque, au peuple juif, la loi révèle la chair de Celui qu’il a prophétisé en l’attendant longtemps. Voilà pourquoi le Seigneur, à sa naissance, a été déposé aujourd’hui dans une crèche afin de signifier que ces saints animaux, après avoir jeûné longtemps, se sont trouvés près de la loi et rassasiés du foin de son incarnation. De fait, le nouveau-né a empli la crèche, lui qui s’est offert lui-même aux esprits des mortels, disant : D’ici et pour une vingtaine de lignes, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, VII, 7, 7. a
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Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 57). La figure de cette crèche, on la reconnaît maintenant dans le saint autel, là où le même Seigneur qui, de par sa divinité est le pain des anges (cf. Ps 77, 25), se fait, de par notre humanité, le foin des animaux rationnels. Le bœuf, un animal pur, illustre l’innocence de ceux qui font le bien ; et l’âne, que la loi range parmi les animaux impurs, figure la conscience de ceux qui sont tombés. L’un et l’autre cependant se trouvent originaires du lieu sacré, l’un et l’autre sont nourris du fourrage qui ne se flétrit pas, autrement dit des sacrements célestes. Celui-là refait ses forces dans le déploiement des vertus, celui-ci dans l’expiation de la honte, et leur réfection est la même. Il s’avère pourtant nécessaire ici que le bœuf reconnaisse son possesseur et l’âne la crèche de son maître (Is 1, 3), celui-là reconnaissant le don qui lui est fait, pour qu’il ne se glorifie pas de ce qu’il a, comme s’il ne l’avait pas reçu ; et celui-ci pour qu’il se souvienne que, du lieu d’horreur où il se trouvait, il en a été emmené. Que celui-là entende ce qui lui est dit : Ne t’enorgueillis pas, mais crains (Rm 11, 20) ; et celui-ci : Regarde tes voies dans la vallée, rends-toi compte de ce que tu as fait (Jr 2, 23). Que le bœuf, dis-je, reconnaisse son possesseur, si tant est qu’il a été voué à une innocence perpétuelle et s’est soumis en tout au joug du Seigneur des hauteurs ; il s’est exercé continuellement avec courage dans l’œuvre du Seigneur, car il n’est pas allé au conseil des impies, ne s’est pas tenu sur le chemin des pécheurs (Ps 1, 1), ne s’est pas égaré dans dédale des vices. Qu’il comprenne, à l’intime du cœur et dans la foi, que cela n’est pas dû à la décision de sa volonté, à la vigilance de son esprit, aux ressources de son intelligence, mais bien plutôt à la grâce, à la protection et à la garde de son possesseur, à qui il chante assidûment : Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain travaillent les bâtisseurs, si le Seigneur ne garde la ville, en vain veillent les gardiens (Ps 126, 1). Car si le Christ ne possède cet homme et qu’en le possédant il ne préside à sa vie, alors, quelle que soit l’endurance avec laquelle l’homme en question supporte le joug, quelle que soit la force avec laquelle il tire la charrue de la parole à travers les champs de son esprit, quelle que soit la science du discernement qui partage son sabot, il sera comme le bœuf conduit
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au sacrifice (Jb 7, 22). Autrement dit, il se montrera insensé face au péché ; et comme la vache rétive (Os 4, 16), Ephraïm s’effondrera, lui dont le nom se traduit par « qui porte fruit »a, lui qui se confie dans sa force, sûr que mon nom l’habitera pour toujours (cf. 2 Ch. 33, 4). 2. Ainsi donc que celui qui se glorifie ne se glorifie pas en luimême mais dans le Seigneur, et, revenu de sa captivité de Babylone, qu’il demeure non pas dans les maisons séductrices de ses présomptions, mais dans la protection du Dieu du ciel (Ps 90, 1 vg). Quant à l’âne qui, après avoir suivi n’importe quels chemins glissants d’une vie sordide, a été admis dans l’étable de la religion à manger le foin céleste, qu’il reconnaisse lui aussi la crèche de son maître. Cela signifie : comprendre soigneusement que, pour la Majesté créatrice, la cause ou la raison de naître dans la chair ne fut pas autre que celle décrite par Paul : Le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs (1Tm 1, 15). Car les crèches sont entourées – on le sait – par des branchages qui se sont infléchis de manières diverses. Et l’on se souvient que Dieu enfant a été adéquatement déposé dans une crèche. Or, parmi les hommes dont est constituée la série des générations, il n’en est aucun qui, du fait du péché originel ou par un péché actuel, ne se soit détourné de la règle de la justice d’en haut. Aussi a-t-il été dit en toute vérité que le Christ est venu en raison des pécheurs, naissant de pécheurs, pour effacer les péchés. Que l’âne donc reconnaisse la crèche de son maître, autrement dit que le pécheur aime la miséricorde de Celui qui le justifie, s’étant corrigé de la liberté nuisible de sa volonté propre. Autrefois il était dit à cet obstiné : Depuis le début tu as brisé mon joug, rompu mes liens et tu as dit : Non je ne servirai pas (Jr 2, 20). Or dès lors assujetti par les liens de la crainte et de l’espérance, qu’il persévère dans les exigences du Christ en écoutant l’Apôtre lui dire : De même que vous avez offert vos membres comme esclaves à l’impureté et à l’iniquité, de même offrez-les au service de la justice pour vous sanctifier (Rm 6, 19). Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 5, CCSL 72, p. 65, 26. a
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Pour nous 3. Voici les grandes œuvres de la sagesse de Dieu incarnée : les justes, revenant de leur propre glorification, obtiennent la justification, tout en percevant qu’ils peuvent mépriser la condamnation. Par conséquent, que le grand Dieu soit magnifié en commun par tous ceux qu’il a magnifiés en s’étant fait petit. Un enfant pour nous est né, un fils nous a été donné (Is 9, 6). Oui, dis-je : c’est pour nous, non pour lui, qui, avant les temps, est né beaucoup plus noblement du Père ; point n’était besoin pour lui de naître encore d’une mère dans le temps. Ce n’est pas non plus pour les anges : le possédant dans sa grandeur, ils n’avaient pas besoin qu’il se fît petit. Oui, c’est pour nous qu’il est né et qu’il a été donné. Dès lors, pour Celui qui est né de nous et qui nous a été donné, agissons dans la perspective en vue de laquelle il est né et a été donné. Usons de ce qui est nôtre en vue de notre utilité. De par le Sauveur travaillons à notre salut. Voici ce petit enfant placé au milieu. O enfant qui désires des enfants ! O petit enfant quant au mal, mais non quant à la sagesse ! Appliquons-nous à devenir comme ce petit enfant, apprenons de lui, car il est doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Que le grand Dieu ne se soit pas fait en vain homme petit, qu’il ne soit pas mort pour rien, qu’il n’ait pas été crucifié en pure perte. Apprenons de lui son humilité, imitons sa mansuétude, embrassons son amour, prenons part à ses souffrances, lavons-nous dans son sang (cf. Ap 1, 5), offrons-le en propitiation pour nos péchés (1 Jn 2, 2), car c’est dans ce but qu’il est né et qu’il nous a été donné.
Les colonnes de feu et de nuée 4. C’est luia l’ange du grand conseilb qui précédait les fils d’Israël lors de la sortie d’Égypte, les accompagnant par une colonne de nuée le jour, une colonne de feu la nuit (Ex 13, 21). Ces deux a b
Dans ce paragraphe quelques emprunts à Pierre Lombard, Sermo, 6. Cf. l’introït de la messe du jour de Noël.
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colonnes constituent les deux dimensionsa de cet ange : l’une de Dieu, l’autre de l’homme, l’une du Seigneur, l’autre du serviteur. La colonne de nuée représente la dimension de la montée humaine ; de jour, c’est-à-dire au temps de la grâce, elle nous précède et nous guide vers la terre de la promesse. Le Médiateur de Dieu et des hommes, homme lui-même (1 Tm 2, 5), c’est en effet le Christ, qui nous a précédés de jour, lorsqu’il a fondé en lui-même un exemple afin que nous suivions ses traces (1 P 2, 21). Toute son œuvre s’avère notre instruction, lui qui par ses actes et ses paroles nous a prescrit une loi pour cheminer et courir vers la Patrie. Dans la nuée de sa chair il nous a enseigné à rejeter l’impiété et les désirs de ce monde pour vivre en ce monde dans la sobriété quant à nousmêmes, dans la justice quant au prochain, dans la piété quant à Dieu (Tt 2, 12). De la sorte nous avons à entendre ses commandements non point passagèrement, mais en vue de les mettre en pratique. De même en effet que les serviteurs qui servent des maîtres sont constamment attentifs à leur visage pour se hâter d’écouter ce qu’ils prescrivent et s’efforcer de le réaliser, de même les esprits des justes se tiennent attentivement face au Dieu tout puissant ; ils considèrent l’Écriture comme sa propre bouche car par celle-là Dieu dit tout ce qu’il veut. Or ils sont d’autant plus en accord avec sa volonté qu’ils la reconnaissent dans sa parole. Que ses paroles donc ne se bornent pas à traverser leurs oreilles, mais qu’elles se fixent dans leur cœur et s’y déploient dans une fréquente méditation ; c’est bien ce que nous avons entendu dans l’Évangile d’aujourd’hui à propos de la Mère du Verbe éternel : Marie conservait toutes ces paroles, elle les conservait dans son cœur (Lc 2, 51). De cette méditation, qu’un feu flambe en nous (Ps 38, 4), ce feu que le Seigneur est venu jeter sur la terre et dont il veut qu’il brûle (Lc 12, 49). À son ardeur que se dessèche ce qui en nous se montre vicieusement humide, à son éclat que s’illumine ce qui en nous s’avère obscurci par l’ignorance, à sa chaleur que s’enflamme ce qu’en nous la négligence rend tiède.
a
forma.
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Sermon 53
À juste titre donc il est dit qu’un ange puissant, dans la colonne de feu, a précédé de nuit les fils d’Israël. La colonne de feu est la forme que prend la Divinité, car Dieu est un feu consumant (Dt 4, 24). Comme le feu purifie l’or de ses impuretés, ainsi brûle-t-il les vices de notre nature et, par la puissance de Dieu, il rompt dans les élus les liens des péchés. Ce feu, Isaïe en parle en ces termes : Oracle du Seigneur dont le feu est en Sion et la fournaise à Jérusalem (Is 31, 9). En Sion : autrement dit, dans la contemplationa de l’Église actuelle l’amour est comme un feu. Mais dans la Jérusalem d’en haut, autrement dit dans la « vision de la paix »b, ce sera une fournaise et une flamme. Là brûlera l’amour, là il s’enflammera, puisque on aimera Dieu de tout son cœur et de tout son esprit (Mc 12, 33). Pour le moment nous ne connaissons qu’en partie, nous n’aimons qu’en partie, mais lorsque sera venue la perfection, ce qui n’est que partiel disparaîtra (1 Co 13, 9s). Alors, élevés par l’ange du grand conseil jusque’aux trônes royaux et à la cour céleste, nous nous attacherons à la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence (Ph 4, 7), voyant face à face (1 Co 13, 12) le Roi dans sa beauté (Is 33, 17), nous qui aujourd’hui l’avons reçu naissant dans le corps de notre misère.
a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 39, CCSL 72, p. 108, 25. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 9s.
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SERMON 54 SERMON POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR
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Le sens de la fête 1. La solennitéa de ce jour, parmi toutes les fêtes du Seigneur, est loin d’occuper une petite place dans la vénération et l’exultation ; et, par la foi, dans le cœur des fidèles elle se déploie tout particulièrement. On la désigne comme le jour de l’Épiphanie, c’est-à-dire de la manifestation ou de l’apparitionb, car aujourd’hui le Fils de l’homme a été glorifié et s’est révélé Fils de Dieu. Le jour même où il est né, une troupe nombreuse d’anges l’avait fait connaître aux bergers comme Sauveur et Christ Seigneur. Aujourd’hui c’est aux nations qu’il est apparu en tant que Dieu dans l’apparition d’un astre nouveau ; aujourd’hui aussi il s’est révélé au Baptiste comme Fils de Dieu (Mt 3, 13ss) ; aujourd’hui encore il s’est manifesté lors d’une noce en changeant l’eau en vin (Jn 2, 1ss). Du fait de ces démonstrations de puissance, ce jour resplendissant a été décrété par les saints Pères jour de fête solennelle. Cependant la première raison de cette vénération et de cette célébration, c’est, à l’indication de la vraie lumière par un astre nouveau, la venue de trois mages, arrivés par le même chemin et derrière le même signe, pour adorer le Christ et lui offrir des présents symboliques. a b
Pour les paragraphes 1–3, cf. Pierre Lombard, Sermo, 7. Cf. Isidore de Séville, Etymologiae, 6, 8, 6.
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Sermon 54
Soyez donc très attentifs, frères, afin de remarquer et de poser la question : qui sont venus, et à combien, et avec quel guide ? Comme aussi d’où venaient-ils, où se rendaient-ils, qu’ont-ils offert ? Sont venus des rois, sont venus des mages, ils étaient trois, mais accompagnés d’une suite nombreuse. C’étaient des mages, non pas à titre d’auteurs de maléfices, mais de philosophes chaldéens. Par conséquent c’étaient des rois spirituels, en ce sens qu’ils régnaient par la raison sur leurs membres et les mouvements de leur âme, qu’ils munissaient leur cœur de tours de garde, qu’ils plaçaient leur cœur dans la puissance (cf. Ps 47, 14 vg), c’est-à-dire dans l’amour, de manière à offrir non seulement l’apparence de la piété, mais sa mise en œuvrea. À ce sujet l’Écriture remarque : Le cœur des rois est dans la main de Dieu, qui le tournera là où il le voudra (Pr 21, 1). Ils viennent donc, ces rois, et ils viennent à trois, car dans le Christ la Trinité devait être adorée par eux, et en eux les nations étaient désignées d’avance pour venir au Christ.
La lumière de la foi 2. Mais comment viennent-ils ? Conduits par une étoile. Elle représente l’illumination de la foi, qui est le commencement du bien ; par celle-ci Dieu existe en nous et nous rend en quelque manière participants de sa nature (2 P 1, 4). Tel est le fondement (1 Co 3, 11) placé dans le cœur des fidèles et que personne ne peut modifier. Oui, la foi agissant par l’amour (Ga 5, 6) est placée comme le fondement, aussi ne permet-elle à personne de périr. L’étoile ne brille ni ne conduit si la foi n’agit pas par l’amour. La foi sans les œuvres est morte (Jc 2, 20). Dans ce cas l’étoile est sans lumière, la foi sans action. Mais la nouvelle étoile, annonciatrice d’une naissance nouvelle, brillait d’une splendeur admirable, car la foi qui pratique le bien à l’égard de tous (Ga 6, 10) illumine l’esprit des fidèles par la clarté des vertus en repoussant les ténèbres des vices. Elle a
virtus.
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Sermon 54
leur montre le chemin par où aller et la Patrie où aller – à savoir le Christ, qui est le chemin par où on va, la vérité et la vie où l’on va (Jn 14, 6). Telle est la voie royale sur laquelle il est prescrit aux fils d’Israël d’avancer sans dériver ni à gauche ni à droitea. De fait il leur a été donné de connaître Dieu, aussi doivent-ils suivre le Christ. De ce chemin de rectitude, que ni la droite de la prospérité ni la gauche de l’adversité ne les détourne, mais que, à travers le feu de la brûlante tribulation et l’eau de la délectation dissolvante, ils passent jusqu’au lieu du rafraîchissement, la demeure du paradis. Voilà donc la voie la meilleure, celle qu’indique l’étoile, à savoir le Christ, qui se révèle par son exemple le chemin, par sa promesse la vérité, par la récompense la vie – le chemin selon l’humilité de son humanité, la vérité et la vie selon la hauteur de sa divinité. Ces mystères, l’étoile les a dévoilés davantage, par elle les mages ont été illuminés pour savoir où aller, et par où.
L’or, l’encens et la myrrhe 3. Voyons aussi ce qu’ils ont offert. Ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens, de la myrrhe (Mt 2, 11). L’or : ce qu’on offre habituellement en tribut à un roi, et qui laisse deviner la puissance de ce nouveau-né. L’encens : ce qu’on présente en sacrifice à Dieu, et qui montre son essence divine. La myrrhe : ce par quoi on embaume les corps des morts, signifiant sa nature mortelle. Ainsi sont affirmées de trois manières : la puissance royale, la majesté divine, la mortalité humaine, dont nous croyons et proclamons qu’elles furent dans le Christ. Alors que déjà il règne dans le ciel, nous l’honorons et adorons non par des présents symboliques ni par des dons tenus en main, mais par l’or, l’encens et la myrrhe issus du cellier du cœur.
a
Nb 20, 17 ; 21, 22.
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L’or De fait nous offrons l’or à Dieu quand nous resplendissons de la lumière de la sagesse, cette sagesse dont, par l’intermédiaire de Job, Dieu dit à l’homme : Voici, la sagesse consiste en la crainte de Dieu, et l’intelligence est de s’éloigner du mal (Jb 28, 28). C’est comme s’il disait ouvertement : Reviens à toi, ô homme, scrute les secrets de ton cœur. Si tu te surprends à craindre Dieu, sois certain d’être auprès de toi-même, car tu te montres ainsi rempli de sagesse. Aussi est-il dit par le psalmiste : Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu (Ps 110, 10). De fait, la sagesse se met à pénétrer le cœur lorsque la peur du jugement dernier le trouble. Mais parce que celui-là comprend véritablement la crainte de Dieu, qui se garde de tout acte dépravé, le texte de Job ajoute à juste titre : l’intelligence est de s’éloigner du mal. Nous offrons l’or quand, poussés par les tribulations, nous ne défaillons pas grâce à la patience. De même que l’or est travaillé à coups de marteau, ainsi l’âme fidèle est entraînée vers le mieux par la patience dans la tribulation. La tribulation est comme le marteau, le progrès ce quelle produit. Ainsi Paul : La tribulation produit la patience (Rm 5, 3), et la patience, dit l’apôtre Jacques, une œuvre parfaite (Jc 1, 4).
L’encens 4. C’est aussi l’encens que nous offrons à Dieu lorsque, brûlant intérieurement d’amour pour lui, nous nous efforçons de lui plaire par le zèle d’une prière empressée et sincère, dont il est dit : Que ma prière se dirige comme l’encens vers ta présence (Ps 140, 2). Et dans l’Apocalypse il est écrit : Que la fumée de l’encens, issue des prières des saints, monte de la main de l’ange devant Dieu (Ap 8, 4). Voilà pourquoia nous croyons que les anges se tiennent auprès des priants pour offrir à Dieu les prières et les vœux des humains lorsqu’ils s’examinent en vue de lever des mains pures, sans colère ni D’ici à la fin du paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 7, 4. a
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dispute (1 Tm 2, 8). Car les anges sont envoyés en service pour nous qui avons hérité du salut (Hé 1, 14). Ils portent vers les lieux très hauts notre humble ferveur et nous en rapportent la grâce. Ainsi l’ange dit à Tobit : Lorsque tu priais avec larmes et ensevelissais les morts, moi, j’ai porté ta prière à Dieu (Tb 12, 12). Les saints anges ont l’habitude de se mêler à ceux qui psalmodient d’une manière digne. Cela, le psalmiste le déclare : Les princes marchaient devant, unis à ceux qui chantaient (Ps 67, 26 vg). Et en raison de cela il disait : Je te chanterai en présence des anges (Ps 137, 1). Touchés par l’ardeur empressée de la psalmodie, ils se délectent de prendre part à nos fêtes ; par contre ils ont en abomination les somnolants et les insensés, et le cas échéant ils se retirent avec indignation, de telle manière que chacun de ceux-là doive dire en gémissant : Ceux qui se tenaient à mes côtés se sont éloignés, ils me faisaient violence ceux qui en voulaient à mon âme (Ps 37, 12s). Pas de doute, si les bons esprits se sont éloignés de nous, qui soutiendra l’assaut des pervers ? C’est pourquoi soyez attentifs à nos princes lorsque vous vous tenez dans la prière ou la psalmodie ; montrez-vous respectueux et disciplinés, et glorifiez Dieu, car vos anges voient chaque jour le visage du Père (Mt 18, 10), et c’est par eux que l’offrande de notre encens est présentée à la cour céleste en odeur de suavité.
La myrrhe 5. La myrrhe enfin, nous la tirons de l’arche de notre cœur lorsque nous réprimons l’insolence de la chair par une existence rigoureuse. Cette myrrhe, l’épouse dans le Cantique des cantiques, en parle en ces termes : Mes mains ruissellent de la myrrhe de première qualitéa (Ct 5, 5). Cette myrrhe, c’est la mortification en vue de la gloire céleste. Ou, dans un autre sens qui convient aussi, cette myrrhe peut se comprendre comme la passion du Seigneur, laquelle est vraiment « première », car elle l’emporte en dignité sur toute souffrance. Elle s’avère la cause, le fruit et la gloire de tous a
Myrrha prima.
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les martyrs. Concernant la passion du Christ, si toute affliction, quelle qu’elle soit, ne procède pas de son imitation, on tiendra cette affliction pour une punition des fautes ou une présomption de vanité, non comme un mérite de vertu. Nos mains donc ruissellent de cette myrrhe lorsque nos actions, en mortifiant les convoitises de la chair, imitent en quelque sorte la passion du Seigneur. Nous offrons ainsi la myrrhe au Seigneur lorsque, à la ressemblance de la croix du Christ, nous coupons court, en le crucifiant, au penchant de notre volonté propre ; et comme le veau du Liban, dont un psaume fait mention, nous diminuons (Ps 28, 6 vg). En véritéa, ce veau vient tout seul du Liban, de la montagne ombreuse et touffue, car il est sorti du ciel (Ps 18, 7 vg). Comment a-t-il diminué ? En beaucoup de sens, dont ce n’est pas le moment de parler en détail (Hé 9, 5) ; il en est un seul qui convient à ce temps, nous en parlons en fonction de ce que Jésus dit de lui-même : Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé, le Père (Jn 6, 38s). Lui, le Seigneur n’a pas voulu faire sa volonté, et l’homme prétend imposer la sienne ? Son Père, c’est son supérieur. Le Christ a pour but de réaliser la volonté de son Père, toi, efforce-toi de réaliser celle de ton supérieur. Tel est le veau que nous devons diminuer en holocauste au Seigneur. Rien n’exhale pour Dieu de parfum plus suave que si le veau de la volonté propre est immolé par le Seigneur.
Volonté propre ou volonté selon Dieu 6. Il y a une différence à être ou du Liban ou du Carmel. Les uns sont des veaux qui pâturent au sommet du Liban, les autres se nourrissent dans les pâturages du Carmel. Ils nourrissent le veau du Carmel ceux qui n’abandonnent pas leur volonté propre jusque dans les réalités charnelles. Ils nourrissent les veaux du Liban, ceux qui engagent leur volonté dans les efforts spirituels. Celui-ci recherche des nourritures plus agréables que les autres ; D’ici et pour une grande partie du paragraphe 6, cf. Hugues de Saint-Victor, Miscellanea, IV, 45. a
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Sermon 54
il engraisse son veau avec le foin du Carmel. Celui-là, se voulant modéré, dédaigne de manger ce que mangent les autres : il nourrit son veau dans les pâturages du Liban. Celui-ci désire peut-être des habits moelleux, celui-là se contente d’un vêtement grossier. L’un et l’autre cherchent des pâturages pour leur veau : celui-ci au Carmel, celui-là au Liban. En fin de compte, tout ce dont il s’agit, en fait de vêtements moelleux et de mollesse de la chair, se rapporte avec évidence au Carmel, car celui-ci se traduit par « mou » et « tendre »a. Au contraire, tout ce qui, en vue de la sainteté, s’élève insolemment au dessus de l’ordre institué et du conseil du supérieur, est à mettre au compte des animaux du Liban, celui se traduisant par « blanchissement »b. Mais malheur à ceux qui se confient dans le veau de Samarie (Os 8, 5), ceux qui suivent avec le plus grand soin leur volonté propre. Vous étiez venus en Judée, pourquoi êtes vous descendus à Samarie, protégeant et excusant votre volonté propre ? Venant d’abord du monde, ils condamnaient ceux qui se confient dans leur volonté propre ; maintenant, abandonnant cette première ferveur, ils recherchent et protègent leur volonté propre. Voilà comment, de Judéens, ils sont devenus des Samaritains ! En Judée le veau de la volonté propre est immolé au Seigneur, à Samarie ils l’ont adoré à la place de Dieu. Si tu te tiens en Judée, tu immoles le veau en sacrifice au Seigneur ; si tu te tiens à Samarie, tu sers ton veau de toutes tes forces. Si dans tes désirs tu prends soin de ta chair, tu nourris de foin ton veau, or toute chair est du foin, et toute sa gloire comme fleur de foin (Is 40, 6). C’est de réaliser tes désirs que tu te glorifies. Non, ta glorification n’est pas bonne. Ne vaut-il pas beaucoup mieux, et surtout n’est-il pas beaucoup plus juste que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (1 Co 1, 13) ? Ne savez-vous pas que cette gloire consiste dans le témoignage de votre conscience (2 Co 1, 12) ? Mais, Seigneur, ils ont échangé leur gloire pour l’image d’un veau, d’un ruminant (Ps 105, 20). a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 26, CCSL 72, p. 92, 7. b Cf. Jérôme, Liban « blanchissement », Commentarius in Isaiam prophetam IX, 33, PL 24, 335.
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Sermon 54
7. Par conséquent, frères très aimés, reconnaissons l’honneur qui nous est fait : à savoir que dans notre première condition, étant donné le privilège de la raison, qui nous est donnée à l’image de Dieu, nous avons été créés par Dieu comme une noble créature. Et à nouveau, par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint (Tt 3, 5), nous avons été recréés comme une créature nouvelle dans le Christ (2 Co 5, 17). Cela, une fois qu’a été rejetée la ressemblance avec les animaux, laquelle s’avance toujours vers le bas, et supprimée aussi la vétusté de l’homme transgresseur, lequel, alors qu’il était à l’honneur, n’a pas compris. Il a été ainsi comparé à du bétail insensé et il est devenu semblable à lui (Ps 48, 13). Nous n’aspirons pas aux réalités terrestres et passagères, sachant que le monde passe avec sa convoitise (1 Jn 2, 17). Comme le dit Salomon : Dieu a fait l’homme droit (Qo 7, 30), le regard de son esprit étant rectifié et conduit par la lumière d’en haut, qui a illuminé l’esprit des trois mages. Tendons alors, par les pas des bonnes œuvres et d’un saint désir – comme vers Bethléem de Judée – vers les demeures de la cité d’en haut, la véritable « maison du pain »a. C’est là qu’est réservée aux élus la réfection d’un rassasiement éternel, aux convives parmi les cris de l’exultation et au son de la confession (Ps 41, 5 vg). Pour que nous puissions réclamer le droit de cité, efforçons-nous entre temps d’apaiser le Roi par des présents qui lui soient agréables : l’or, l’encens et la myrrhe – autrement dit supportons infatigablement le labeur et le service du Christ, offrons-lui les prières d’une humble ferveur dans une incorruptibilité paisible et un esprit modeste. Lorsque le temps sera venu de parvenir aux noces, puissions-nous ne pas nous trouver assis aux portes à mendier comme des étrangers et des hôtes du dehors. Puissions-nous au contraire, à titre de concitoyens des saints et de familiers de la maison de Dieu (Ép 2, 19), entrer par droit héréditaire pour posséder les tentes éternelles, accueillis lors du joyeux avènement du Roi et de tous les citoyens d’en haut. Qu’il daigne lui-même nous l’accorder, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles. a
Cf. Jérôme, Epistola 108, 9, PL 22, 885.
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SERMON 55 SERMON POUR LA PURIFICATION DE SAINTE MARIE
Le Verbe devenu homme 1. La Puissance et la Sagesse (1 Co 1, 24) du Père d’éternité, le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme (1 Tm 2, 5) Christ Jésus est apparu dans la chair pour réaliser le salut au milieu de la terre (Ps 73, 12). Cela non seulement en ce qu’il a fait par luimême, en ce qu’il a enseigné et ce pourquoi il a souffert en vue de notre salut ; mais aussi, dans un saint enseignement, pour donner forme à notre vie par ce que d’autres ont fait en lui et pour lui, conformément aux principes de la loi ancienne. Bien que doté d’un corps d’enfant, il était en effet la Sagesse qui atteint d’une extrémité du monde à l’autre et qui dispose tout avec douceur (Sg 8, 1). C’est pourquoi, alors qu’il était encore enfermé dans le sein maternel, il a préféré – en raison de la plénitude de la vérité et de la grâce – que l’oracle prophétique l’appelle un « homme » : Le Seigneur fera du nouveau sur la terre, la femme entourera non un bébé, non un enfant, mais un homme (Jr 31, 22). Celle-ci donc, autour de lui, est quasiment la nécessité imposée par la loi, mais c’est lui qui, intérieurement, disposait de tout par sa puissance. Quant à nous, ce que nous devons en recueillir pour notre édification nous est communiqué assidûment par la bouche des docteurs.
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Sermon 55
La circoncision Voici en effet Celui que l’on sait circoncis le huitième jour après sa naissance : il est amené au temple et se montre purifié à titre d’offrande selon la loi (Lc 2, 21ss). S’il a pris sur lui ces obligations légales, ce n’est pas pour qu’elles lui servent d’expiation, mais au contraire pour en libérer ceux qu’elles tenaient en esclavage, de même que s’il a affronté la mort, c’était pour nous en libérer (Rm 8, 2). Il a donc enduré le sacrement de la circoncision en vue d’accomplir pour nous la circoncision charnelle et spirituelle qui doit être maintenue non tellement dans l’homme extérieur mais dans l’homme intérieur (cf. Rm 2, 28s.) ; et non sur une seule partie du corps, comme cette circoncision physique, mais en chacun de nos membres. Que ceux-ci cessent de s’avérer des armes d’injustice au service du péché pour être offerts à Dieu comme des armes de justice (Rm 8, 13). C’est notre cœur qu’il faut circoncire de manière à ne pas méditer le mal et la nuisance, ni laisser nos yeux voir la vanité (Ps 118, 37). Ne prêtons pas nos oreilles aux inanités du monde ni aux paroles médisantes ; ne charmons pas nos narines par des odeurs immondes, n’utilisons pas notre langue et nos lèvres pour des paroles de perversité, ne brisons pas avec légèreté le recueillement religieux, ne délaissons pas la règle du silence. Circoncisons aussi nos pieds de toute course désordonnée et de toute vaine errance ; retenons nos mains de contacter ce qui est défendu, qu’elles ne se mettent pas au service du voleur. Voilà la vraie et salutaire circoncision : par elle l’homme intérieur est vivifié, par elle nous nous dépouillons du vieil homme et de ses agissements et revêtons le nouveau (Col 3, 9s). Si présentement nous sommes ceinturés de tant de vices, dans la résurrection à venir nous serons dégagés de toute corruption de châtiments et de fautes, lorsque notre jeunesse se renouvellera comme l’aigle (Ps 102, 5) et que nous entrerons dans le temple de l’éternité avec les présents de nos bonnes œuvres pour contempler à jamais dans sa beauté la Majesté divine.
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Sermon 55
Tourterelle et colombe 2. La figure de ce roi nous est manifestée par le Seigneur qui, après avoir reçu le signe de la circoncision, fut conduit trente-trois jours après – c’est-à-dire aujourd’hui – dans le temple ; il paraît devant Dieu avec l’offrande des obligations légales. Car, à sa place on a offert au Seigneur une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes (Lc 2, 24). Cette offrande n’est pas tellement l’indice d’une pauvreté que l’occasion de nous faire comprendre en quoi consiste l’apaisement de la volonté de Dieu. Ainsi nous est-il enseigné que nous ne pouvons plaire à Dieu sinon par une conduite pudique et pacifique. Cela est recueilli de ces mêmes oiseaux, car la tourterelle est un oiseau très pudique, qui se limite toujours à un unique conjoint et demeure seul à perpétuité si peut-être ce dernier a péri. Quant à la colombe, c’est un animal simple et étranger à une perversité fielleuse. Son bec ne déchire rien, et elle ne se nourrit pas d’une bête crevée. De la sorte, très justement, la tourterelle symbolise la pureté de la chasteté, et la colombe la concorde dans l’innocence. De ces deux vertus l’apôtre Paul affirme qu’aucune ne peut sans l’autre suffire au salut ; il l’écrit aux Hébreux : Poursuivez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur (Hé 12, 14). Ces deux oiseaux ont l’habitude d’émettre un gémissement en fait de chant. De la paire de l’un ou de l’autre il est prescrit d’offrir l’une pour le péché et l’autre en holocauste. Un double élan de repentance nous est ainsi montré : l’un point le cœur en considérant avec horreur notre propre iniquité, l’autre en désirant une plus ample sainteté. Celui-là redoute le mal qu’il a commis, celui-ci gémit en considérant le bien qu’il n’a pas encore reçu. Celui-là est saisi d’une peur considérable, celui-ci soupire vers un très grand amour, le premier pour ne pas être emporté par les tourments, le second parce qu’il n’a pas encore été élevé à la joie. Voilà donc ce qu’est être saisi soit par la crainte de ceux qui commencent, soit par l’amour parfait.
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Doubles pleurs : de repentance et de désir 3. Les deux sortes de profonde repentance se trouvent exprimées par le psalmiste : Il séparera la Mer Rouge en deux parts (Ps 135, 13). Qu’est-ce que la Mer Rouge, sinon l’amertume de la pénitence ? Elle demeure comme indivise par celui qui se sait gémir du fait de la seule peur de la damnation. Mais la mer se partage quand la profonde repentance se divise. L’amertume du cœur se dédouble quand on fait alterner les larmes de la repentance tantôt en pleurant le mal que l’on craint, tantôt en soupirant vers le bien que l’on convoite. Tristesse et tremblement en considérant le mal, voilà la muraille de gauche ; tristesse en contemplant et en attendant le bien, voilà la muraille de droite. Parlant des fils d’Israël, Moïse le dit : Les eaux formèrent pour eux une muraille à gauche et une muraille à droite (Ex 14, 29). Par l’une nous excluons la convoitise, par l’autre nous évitons la négligence. À attendre la récompense on tend vers le mérite, à mériter la punition on glisse avec inquiétude vers la faute. Il faut le savoir cependant : la repentance due à la crainte est première dans le temps, la dignité lui est postérieure. C’est après une quantité de larmes de pénitence qu’enfin on se voit ramener à l’espérance du pardon. Et quelquefois c’est à peine, après de multiples soupirs, pleurs et gémissements indicibles, que l’on retrouve la certitude du bonheur. Or une fois conquise la confiance dans les biens éternels, nous gémissons dans un désir impatient beaucoup plus amplement et plus anxieusement que nous ne l’avons fait d’abord dans la crainte du mal – cela lorsque nous désirons disparaître pour être avec le Christ (Ph 1, 23) dans la certitude de la couronne de justice qui nous est réservée (2 Tm 4, 8). Voilà comment le bienheureux vieillard Siméon avait reçu de l’Esprit Saint l’assurance qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur (Lc 2, 26). C’est après les longues attentes d’un saint désir qu’il a enfin vu Celui qu’il avait désiré et qu’il a reçu et porté dans ses bras Celui qu’il aimait. Maintenant, dit-il, tu laisses ton serviteur s’en aller dans la paix (Lc 2, 28). Nul doute par ailleurs que ce vieillard, dans les larmes et les soupirs, avait désiré voir le Sauveur venir dans l’humilité de son corps, mais de ce
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désir le texte ne parle pas. Car ce n’est pas aux oreilles des hommes, mais à Dieu seul, qu’il disait cela. Et Dieu, qui exauce le désir du pauvre, lui a répondu dans l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Lorsqu’une telle promesse a été exaucée et qu’on en a reçu comme les arrhes, on brûle beaucoup plus violemment de passer là où l’on pourra voir le Seigneur rayonnant dans la gloire de sa majesté, et affirmer, le cœur brûlant quand éclate la parole sacrée : Maintenant – après que j’ai vu le Rédempteur – tu laisses, Seigneur, s’en aller ton serviteur vers la mort de la chair ; pour le voir, tu me retenais dans cette vie, cela selon ta parole, c’est-à-dire selon ta promesse. Tu me laisses aller dans la paix, dis-je, car ta paix, je l’ai vue ; tu me laisses aller pour que je ne voie pas la mort éternelle puisque j’ai vu la vie éternelle.
Offrir à Dieu gloire et honneur 4. Quant à nous, frères, accueillons l’exemple de cet heureux vieillard en croyant et en aimant. Et, comme dans nos bras, portons dans nos actes, en l’imitant, le Verbe dans la chair, Dieu dans l’homme. Pour symboliser la chose, à partir d’une tradition venue des pères et devenue une coutume de l’Église, portons en nos mains les cierges allumés et reçus dans le temple, et là, ensuite, offrons-les. Mais ayons soin de rejoindre par une vertu intérieure le geste que nous accomplissons extérieurement et visiblement. Que soit en nous, comme une flamme qui toujours tend vers le haut, l’humble ferveur de notre esprit. Et comme est la pureté de cette cire irréprochable, telle soit notre conduite parmi les humains. Dans l’offrande de pareilles vertus, ne recherchons pas notre propre gloire, mais celle du Seigneur. En tout ce que nous faisons de bien, désirons sa louange, non pas la nôtre : voilà ce que nous offrirons comme des cierges dans le temple. Ayons le souci d’agir de manière à ce que Dieu soit glorifié, qu’il soir honoré, comme nous y exhorte le psalmiste : Rapportez au Seigneur gloire et honneur (Ps 28, 2). Par les louanges que Dieu soit
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glorifié, par les œuvres qu’il soit honoré. Si donc nos prochains, en les voyant, louent nos bonnes œuvres, qu’ils s’efforcent de faire pareil ; si, les voyant, ils admirent et imitent ce qu’ils admirent, il n’y a pas à en douter : nous offrons à Dieu gloire et honneur. À propos des bons il nous est dit : Rapportez au Seigneur gloire et honneur ; à propos des méchants : Rapportez-lui la gloire de son nom (ibid.). Si les méchants refusent d’imiter nos bonnes œuvres, que du moins il n’y trouvent pas de quoi élever à bon droit des critiques, car il ne faudrait pas que, contre le précepte du Seigneur, le nom de Dieu soit blasphémé parmi les nations (Rm 2, 24). Qu’au contraire la discipline du Seigneur soit louée grâce à notre conduite, de la part de ceux qui ne la reçoivent pas avec bonne volonté. Voilà ce que sera offrir la gloire de son nom. En agissant ainsi et en recherchant en tout la gloire du Seigneur, nous serons, à titre de bons et fidèles serviteurs, glorifiés en retour par lui. Alors, au jour de notre mort, nous pourrons, avec Siméon le juste, nous en aller en paix, et nous passerons de la servitude de la corruption à la liberté glorieuse des enfants de Dieu (Rm 8, 21), par Jésus Christ notre Seigneur.
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SERMON 56 SERMON POUR LA SAINTE PÂQUE
Célébrer de manière fructueuse 1. La fête très éminente de la pâque tire son autorité conjointement de la loi et de l’évangile, car elle se recommandait des pères libérés autrefois du joug de la servitude d’Égypte en mangeant ou en immolant l’agneau (Ex 12, 15ss), et pour nous elle se fonde sur le triomphe de la résurrection ; elle est considérée comme surpassant toutes les fêtes de toute l’année parce qu’elle réjouit en commun tous les familiers de la foi. Cependant elle ne porte de fruit que pour ceux qui l’observent légitimement en comprenant son sens. Pâque signifie en effet « passage » ou « progression », et ceux-là célèbrent justement les fêtes pascales qui passent des vices aux vertus et qui progressent de vertu en vertu. Parmi les périls de cette vie mortelle ils se portent, par la mémoire d’un fervent désir, vers les joies de la cité d’en haut. Épanchant sur eux leur âme (Ps 41, 5), ils passent par l’élan d’une pensée ininterrompue vers le lieu de la tente admirable jusqu’à la maison de Dieu (ibid.). Si l’on considère l’état de cette vie-là, dont nous avons reçu les prémices dans la résurrection du Christ, qu’en sera-t-il lorsque la mort aura été engloutie dans la victoire et que cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, que cet être mortel aura revêtu l’immortalité (1 Co 15, 53s) ? Tout ce qui, de la nature humaine, avait alors péri du fait de la chute du premier homme, sera restitué dans son intégralité.
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O vraiment bienheureux passage : autant cela dépasse notre intellect, autant nous le célébrons dans la pâque du Seigneur, en fonction de ce qu’annonce le psalmiste : Nous avons établi un jour pour le Seigneur (Ps 117, 23 vg). Cette fête pascale, commémorons-la, même si c’est en un temps limité, de manière à en méditer la substance durant tout le temps de notre vie. Quant à ceux-là – je parle des hommes de ce monde – chez qui ces jours suscitent une impatience sans vergogne, c’est bien moins pour eux la résurrection que la fin des jeûnes dont il s’agit dans cette solennité vécue de manière tout extérieure. Cela dans le luxe des vêtements, le raffinement des festins, la frivolité des jeux, les jouissances infamantes auxquels ces saintes festivités donnent lieu, comme autant d’occasions de se réjouir dans la chair. Les jours du carême s’étant interrompus, on reprend et on retrouve les actes dépravés : on ne parlera pas à ce sujet de passage ou de traversée, mais de retombée. De telles gens ne cueillent aucunement les fruits de la pâque du Seigneur ; au contraire, en semant dans la chair ils moissonnent de la chair la corruption (Ga 6, 8).
Un repas de vertus 2. Mais frères, pour vous, la raison d’exulter doit se trouver dans l’œuvre de la rédemption accomplie par le Christ. Aujourd’hui, par sa résurrection d’entre les morts, nous avons été libérés de la servitude de la corruption pour passer à l’état de fils adoptifs (Rm 8, 21). Célébrons donc la pâque du Seigneur non dans l’abus des réalités corruptibles, mais dans un élan affectif plein de joie. Que les œuvres issues de notre justification soient pour nous un vêtement solennel devant Celui qui est ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25), et participons dignement à la table de la fête. Cette tablea se comprend de trois manières : comme le sacrement de l’eucharistie, comme les dits et faits du Seigneur luimême et comme l’enseignement de la sainte Écriture. Par là l’être humain, en effet, est largement nourri d’une réfection abondante a
D’ici à la fin du paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 18.
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et céleste, conformément à cette parole : Rassasions-nous des biens de ta maison (Ps 64, 5). À cette table du ciel, ce Riche (cf. 2 Co 8, 9), dont les richesse sont inestimables, nous a proposé des mets royaux, délicats et meilleurs que le miel, qu’un rayon de miel (Ps 18, 11) : les plats de l’humilité, de la paix, de l’amour, de l’obéissance, de la persévérance.
L’humilité Le premier des mets de ce festin est l’humilité, laquelle se présente sous trois formes. La première, où l’on se soumet à un plus grand et où l’on ne passe pas avant un égal : on la qualifie de suffisante. La deuxième, où on se soumet à un égal et où l’on ne passe pas avant un plus petit : on la qualifie d’abondante. La troisième, où on se soumet même à un plus petit : on la qualifie d’achevée ou de parfaite. Cette humilité-ci, le Riche l’a réalisée : il n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de la multitude (Mt 20, 28). À la vertu de l’humilité il nous provoque par sa parole et son exemple. Par sa parole lorsque ce maître exceptionnel dit : Apprenez de moi non pas parce que je suis le Fils de Dieu, non pas parce que je suis le Roi des rois, non pas parce que je suis coéternel au Père et tout puissant, mais parce que je suis doux (Mt 11, 29). Par son exemple, non seulement lorsqu’il s’est anéanti lui-même, prenant la condition de serviteur (Ph 2, 7), mais lorsque, dans cet office de serviteur, il s’est abaissé jusqu’à laver les pieds de ses disciples (Jn 13, 5). Ce mets céleste, mangeons-le à la table du Riche de telle manière que, rejetant l’élévation orgueilleuse du regard, nous trouvions dans le plat de l’humilité la conformation au Christ, rendant au Riche ce que nous avons reçu à sa table. La véritable humilité se reconnaît à cette triple preuve : une apparence extérieure vile, le mépris intime de soi, le renoncement à la volonté propre.
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La paix 3. Le deuxième plata est celui de la paix, que ce Riche recommande des deux mêmes manières : par la parole et par l’exemple en actes. Par la parole, en disant : Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu (Mt 5, 9). Et ailleurs : Ayez du sel en vous-mêmes, soyez en paix entre vous (Mc 9, 50). Par son exemple, car lui-même a pacifié les réalités de la terre et celles du ciel par son sang (Col 1, 20). Ainsi l’Apôtre : Il est notre paix, lui qui des deux n’en fait qu’un (Ép 2, 14). Et le prophète Isaïe : Il donnera paix sur paix (cf. Is 26, 12) – oui, la paix de l’immortalité et de la glorification sur la paix de la réconciliation. Comme le dit le Seigneur : Ma paix, je vous la donne, ma paix je vous la laisse (Jn 14, 27) – je la donne à ceux qui sont parvenus au but, je la laisse à ceux qui sont encore en chemin. De ce plat de la paix sur la table du Riche – lequel, maudit, ne maudissait pas (1 P 2, 23) – mangeons en gardant triplement la paix : envers nous-mêmes, envers Dieu, envers le prochain. Voici en effet comment la vertu de la paix s’accomplit en nous-mêmes : si nous avons pitié de notre âme (Si 30, 24 vg). Qui se montre mauvais pour soi-même, pour qui serait-il bon ? (Si 14, 5). Qui s’avère son propre ennemi, de qui sera-t-il l’ami ? Que la paix commence à partir de nous pour que nous forcions nos ennemis intérieurs – c’est-à-dire les mouvements de la chair, laquelle lutte et folâtre – à se soumettre à l’autorité de la raison. Pour figurer la chose, nous lisons que les fils d’Israël, lors de la célébration de la pâque, ont reçu l’ordre de manger l’agneau en ayant les reins ceints (Ex 12, 11). Il importait en effet qu’en célébrant la fête de l’incorruptibilité, ils ne soient eux-mêmes soumis à la corruption d’aucun vice. Envers Dieu ayons aussi la paix : les dons qu’il nous fait, ne les attribuons pas à nos mérites mais à sa grâce, et ne recherchons pas notre gloire mais la sienne. Et ayons encore la paix envers le prochain, en évitant de faire à autrui ce que nous ne voulons pas qu’on nous fasse, mais au contraire en faisant aux autres ce que nos
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Pour les paragraphes 3 à 5, cf. Pierre Lombard, Sermo, 18.
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attendons d’euxa. Et lorsque nous aurons fait tout le bien possible, disons : Nous sommes des serviteurs sans mérite, nous n’avons fait que notre devoir (Lc 17, 11).
L’amour, à la mesure de celui du Christ
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4. À ce plat succède celui de l’amour, que le Riche nous a proposé dans ce festin. Il nous en persuade par la force de son œuvre et la grâce de son enseignement. La preuve que Dieu nous aime c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous (Rm 5, 8). Il ne pouvait rien nous offrir de meilleur, rien de plus éminent. Il a en effet donné sa vie non pas tellement pour ses amis, c’est-à-dire les justes qui l’étaient déjà, mais pour ses ennemis, c’est-à-dire les impies, afin que, ainsi justifiés, il les transforme en amis, au point d’affermir nos pas dans ses sentiers (Ps 16, 5). Et comme il illustre par son œuvre l’éminence de l’amour, de même par sa parole il pose à nouveau sur la table le même plat, disant : Je vous donne un commandement nouveau ; et voici mon précepte : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 12, 13). Quel ordre salutaire et plein de bonté que de nous prescrire un amour mutuel à l’image de son amour à lui : oui, il nous a aimés de telle manière que nous soyons fils de Dieu et que nous ayons la vie. Tout être humain doit être aimé ou en Dieu ou en raison de Dieu, autrement dit ou parce qu’il est juste, ou pour qu’il le devienne. C’est la nature de l’être humain qui est à aimer, mais l’iniquité ne le doit pas : elle est à persécuter pour que, changée en bien, elle prenne fin, ou bien que, sous la pression, elle perde son pouvoir de nuisance. Selon l’amour ordonné il est quatre types d’êtres que nous avons à aimer : l’un, qui nous est supérieur, Dieu ; un autre que nous sommes, c’est-à-dire nous-mêmes ; un troisième, qui est à proximité, le prochain ; un quatrième, qui nous est inférieur : notre corps. Cependant nous devons aimer davantage l’âme du prochain que notre corps, car sur elle a été imprimée cette dignité qu’est l’image de Dieu et la capacité du suprême bonheur. Et voici la a
Tb 4, 16 ; Mt 7, 12.
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mesure de cet amour : dans l’âme du prochain brille pour nous comme en un miroir la personne du Sauveur : pour nous racheter de la mort perpétuelle il a exposé son corps à la mort, et pour entretenir la vie sans fin de nos âmes et de nos corps il a établi que son corps nous serait un aliment. Voilà comment il a aimé nos âmes plus que son corps. Recevons donc à la table du Riche ce plat de l’amour, qui, comme le pain, fortifie le corps de l’homme, et comme le vin l’affermit et le réjouit (Ps 103, 15).
L’obéissance 5. Vient ensuite le plat de l’obéissance, l’Apôtre nous la recommande en disant : Obéissez à vos supérieurs (Hé 12, 17). Et de même : Que toute âme soit soumise à l’autorité (Rm 1, 13). Et par Samuel il est dit : Un péché de sorcellerie, voilà la rébellion ; un crime d’idolâtrie, voilà le refus d’acquiescer (1 Sm 15, 23). Puisque la désobéissance accroît le mal, on peut comprendre combien l’obéissance est un bien. Pour nous intimer le zèle avec lequel nous avons à garder cette dernière, le Christ s’est fait obéissant au Père pour nous jusqu’à la mort – non pas n’importe laquelle, mais la mort de la croix (Ph 2, 8) dans toute son ignominie. Grand est le mal de la désobéissance : par elle l’ange fut précipité du ciel et l’homme mérita d’être exclu du paradis. Au contraire, par l’obéissance il mérite de monter et d’être associé aux anges, selon cette parole d’un psaume : Il tire le pauvre de la poussière pour lui faire place parmi les princes de son peuple (Ps 112, 7) – à savoir les anges. Au contraire, on lit cette menace de Dieu lui-même chez un prophète : Non, point de demeure dans ma maison pour l’orgueilleux (Ps 100, 7), car l’orgueil donne naissance à la désobéissance.
La persévérance 6. Reste le dernier des plats énumérés, que le Riche pose pour finir, comme il convient : à savoir la persévérance. De même, en
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effet, que, à la table d’un riche, après toutes espèces de mets délicieux, on apporte en dernier lieu une tisanea au pouvoir digestif, dont le goût fait passer salutairement la saturation et évite qu’une nausée conduise à vomir – de même, à la table spirituelle dont nous avons parlé, après tous les plats des vertus, on apporte le dernier mets : la persévérance. Seule elle a cet effet salutaire et vital pour cet estomac qu’est l’esprit et pour toute la vertu qu’il a ingérée. La récompense promise au commencement des vertus, c’est la persévérance. Qu’elle vienne à défaillir : plus on aura accumulé de vertus, plus sera sévère la ruine, si on abandonne. L’apôtre Pierre l’atteste : Mieux aurait valu pour eux de ne pas connaître la voie de la vérité, qu’après l’avoir connue, de se détourner du saint commandement qui leur avait été transmis (2 P 2, 21). C’est comme si – pour en rester à l’image des plats – il disait de quelqu’un : mieux aurait valu pour lui de demeurer dans le jeûne et la faim, que, chargé de toute la nourriture qu’on voudra, la rejeter dans le tourment d’une indigestion. Par conséquent, bien-aimés, puisque tous nos espoirs consistent à poursuivre et à achever notre course jusqu’à la fin, si nous avons acquis quelque chose en peinant au service du Seigneur, conservons-le en persistant et en progressant dans le lieu de notre vocation. Qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé (Mt 10, 22). Et le Seigneur jugera non pas les commencements, ni le milieu, mais les extrémités de la terre (1 Sm 2, 10). C’est de lui que l’Évangile affirme : Comme il avait aimé les siens quand il était dans le monde, il les aima jusqu’au bout (Jn 13, 1). Qu’ainsi notre amour pour lui persévère jusqu’au bout, et que sans fin Jésus Christ le récompense en nous.
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coctio.
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SERMON 57 MÊME SUJET
Un échange d’amour 1. Bien aimésa, de toutes les solennités chrétiennes, nous n’ignorons pas que le mystère pascal est la principale, car ce dernier justifie et illumine tout être humain, qu’il arrache au pouvoir des ténèbres et transporte dans le Royaume du Fils de Dieu (Col 1, 13). Il entraîne ses désirs à travers la nouveauté de la vie et il éteint les convoitises de la chair. Cette fête représente pour nous, dans le cycle de l’année, les joies de la résurrection du Seigneur ; elle affermit ainsi la certitude concernant notre propre résurrection, un jour. Tous ceux qui croient dans le Christ et renaissent dans l’Esprit Saint sont, avec et par le Christ, associés à sa passion et à l’éternité de sa résurrection. L’Apôtre le dit en effet : Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu – et la suite du verset jusqu’à dans la gloire (Col 3, 3s). Par conséquent il célèbre légitimement et solennellement la fête pascale, celui qui, rejetant le levain de la vieille perversité, se nourrit des azymes de pureté et de vérité (1 Co 5, 8). Devenu dans le Christ une créature nouvelle (2 Co 5, 17), il s’enivre et se repaît du Seigneur lui-même. Il ne vit plus dans la solidarité du premier, mais dans celle du second Adam (1 Co 15, 45), étant devenu membre Pour la première moitié de ce paragraphe, cf. Léon le Grand, divers extraits des Tractatus 47, 63, 69. a
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du corps du Christ (1 Co 12, 27). Celui-ci, alors qu’il était dans la condition de Dieu, a daigné revêtir la condition du serviteur (Ph 2, 6s). Il n’en va pas autrement de notre participation au corps et au sang du Christ : nous passons dans ce à quoi nous communions. Et du fait que, en lui, nous sommes morts, ensevelis et ressuscités, nous le portons en tout dans l’esprit et la chair. Aussi faut-il que nous mourions au monde en vue de ressusciter en Dieu. Oui, il nous faut mourir aux convoitises de la chair et vivre dans les désirs spirituels. Il nous faut – dis-je – nous soumettre à Dieu d’une volonté indéfectible, de manière à ne plus suivre notre volonté propre et nos choix, mais au contraire reconnaître ce qui plaît à Dieu et nous conformer à l’exemple de Celui qui, pour boire le calice présenté par les Juifs, n’a pas accompli sa volonté, mais celle du Père (Mt 26, 39). Il veut recevoir notre amour en échange du sien, lui qui a souffert pour nous, car, en ce qui le concerne, il n’avait aucune raison de souffrir. Il a pris sur lui notre tristesse pour nous partager sa joie ; sur nos pas il est descendu vers le tourment de la mort pour, sur ses pas, nous rappeler à la vie. À titre de vrai homme il a voulu endurer la douleur afin, à titre de vrai Dieu, de vaincre la tristesse et la mort. Dans sa chair il a fait périr nos péchés pour abolir par le deuil de son âme le deuil de la nôtre. Puisque, pour notre salut, notre Seigneur et Sauveur a daigné supporter la souffrance de la croix, nous devons garder sans cesse devant nos yeux la grâce d’une telle rédemption et obéir fidèlement à tous ses préceptes.
Préparer la pâque 2. On croit avec raison que le Seigneur a voulu nous signifier quelque chose en tout ce qu’il a fait ou supporté. Effectivement, pour célébrer la pâque, lorsqu’il dit à ses disciples : Allez à la ville chez un tel (Mt 26, 18), il a choisi un hôte favorable au pauvre, lui qui pour nous s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9). Il nous enseigne par là que si vraiment nous voulons célébrer la pâque – le passage – si vraiment nous désirons passer
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des vices à des œuvres de vertus, ne recherchons pas d’amples maisons, ni les richesses de ce monde, ni les honneurs terrestres ; au contraire il s’agit de vivre humblement dans la pauvreté, en se contentant du vivre et du vêtement.
Porteur d’amphore Aux disciplesa qui préparent la pâque, c’est un homme portant une amphore d’eau (Lc 22, 10) qu’ils rencontrent. C’est montrer ainsi que le mystère de la pâque est parfaitement célébré en vue de l’offrande du monde entier : cette offrande dans laquelle le Christ lui-même s’est donné et a été crucifié pour notre salut à tous. L’amphore signifie la pleine mesure, le bain dans l’eau de la grâce spirituelle. Dans cette pleine mesure est prescrite la rémission de tous les péchés. Quant à ce porteur d’eau il fait comprendre que le désir de recevoir la grâce spirituelle implique de considérer tous les gains terrestres comme des déchets méprisables (Ph 3, 8) pour pouvoir préparer un hôte digne du Seigneur. 3. Nous venons de dire ce qu’a fait le Seigneur quant au lieu où il célébrerait la pâque. Soyons attentifs maintenant à la manière dont il l’a célébrée. Jésus prit du pain, dit la bénédiction et le leur donna en disant : Prenez et mangez, ceci est mon corps. Il fit de même pour le calice, après le repas, en disant : Ceci est le calice de mon sang versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés (Mt 26, 26ss). Il procéda ainsi pour montrer le passage des choses anciennes aux nouvelles : ce qui était figuré dans la chair et le sang de l’agneau, et que l’on offrait selon la loi (Ex 12, 5ss). Il révéla que ces sacrements s’accompliraient en lui-même. Ainsi seraient purifiées les fautes du monde entier. Il nous accorderait dans le sacrement de son corps et de son sang, sous la figure du pain et du vin, de pouvoir recevoir le pardon des péchés (Mt 26, 28). Il révéla que lui-même serait immolé chaque jour sur l’autel, toutes les fois que dans la sainte Église le pain rompu et le vin sont Pour la première moitié de ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, In Lucae euangelium expositio, V. a
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offerts et reçus sur l’autel en sacrifice. Aussi dit-il : Toutes les fois que vous ferez cela, vous le ferez en mémoire de moi (1 Co 11, 25). Car il a enseigné qu’il demeurerait en nous et nous en lui, comme il l’a dit ailleurs : Demeurez en moi et moi en vous (Jn 15, 4). Et encore : Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 56). Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment un breuvage (Jn 6, 55). Et à nouveau : Qui mange mon corps et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour (Jn 6, 54). Car je suis le pain vivant, moi qui suis descendu du ciel (Jn 6, 51). En affirmant : Ceci est mon corps, c’est comme s’il disait : Que cette offrande, qui est vôtre, ne soit ni un agneau, ni un veau, ni un bouc, ni un taureau, mais seulement du pain et du vin. Car dans la passion, si je livre ma chair pour le salut et la rédemption du monde, et que je répands mon sang en rémission pour la multitude, ce n’est pas pour tout le monde, mais pour ceux qui croiront en moi et voudront suivre mes pas. Par conséquent le pain que je vous prescris de prendre sans cesse dans mon sacrifice, croyez qu’il vous apporte la rémission des péchés. Non, il n’échappe pas à la faim qu’est la mort éternelle, celui qui aura mangé ce pain indignement (1 Co 11, 29) ; pas plus qu’il n’a éteint la soif qu’est le feu éternel, celui qui participe indignement aux mystères du Seigneur. Celui donc qui a la volonté de participer dignement à ces sacrements doit se rappeler cette admonition du prophète Isaïe : Lavez-vous, purifiez-vous, enlevez de ma vue le mal de vos pensées, cessez d’agir avec perversité, apprenez à faire le bien (Is 1, 16). Autrement dit, que de toute manière il se montre pur et chaste de corps et de cœur, celui qui désire recevoir le corps et le sang sacrés du Seigneur à titre de remède pour son âme et de secours en vue de la vie éternelle. Car par son corps et son sang c’est lui, le Christ, qui nous a rachetés : qu’il efface nos péchés, nous rassasie de sa grâce spirituelle et nous conduise à la vie éternelle. 4. Frères, le Christ Seigneur, dans sa passion, a été abreuvé de vinaigre (Mt 27, 48) pour abolir l’amertume de la corruption qui nous attire depuis Adam, et pour nous redonner la douceur de
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l’immortalité. Aussi humectonsa nos vices qui se sont durcis de par l’incurie de l’esprit et du corps. Ou plutôt répandons-lesb dans la confession en les diluant par la pénitence, avec larmes et gémissements, et, par le vin de son sang versé pour nous, retrouvonsc une intégrité céleste et sans corruption. Nous bien-aimésd, pour qui le Seigneur Jésus Christ n’est ni scandale ni folie, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu (1 Co 1, 23s) – nous, dis-je, qui sommes de la descendance d’Abraham et non d’une race engendrée dans la servitude (Jn 8, 33), mais qui sommes renés dans la liberté : pour nous l’agneau véritable et sans tache, le Christ a été immolé (1 Co 5, 7), nous délivrant à main forte et à bras étendu (Ga 4, 31) de l’oppression et de la domination égyptiennes. Embrassons donc l’admirable sacrement de la pâque qui nous sauve, et soyons reformés à l’image de Celui qui s’est conformé à notre déformation. Dressons-nous vers lui qui, de la poussière de notre abjection, a fait son corps de gloire. Et pour mériter de devenir participants de sa résurrection, accordons-nous à son humilité et à sa patience. Nous avons reçu le service armée du grand nom, la discipline de la grande profession. Pour les sectateurs du Christ il n’est pas permis de s’éloigner de la voie royale ; et il n’est pas digne, pour que ceux qui tendent vers l’éternité, de s’occuper des réalités terrestres. Puisque nous avons été rachetés par le sang précieux du Christ (1 P 1, 18), glorifions-nous et portons le Seigneur dans notre corps (1 Co 6, 20 vg) pour obtenir de parvenir aux joies éternelles qu’il a préparées pour les fidèles dans sa résurrection. Qu’il daigne nous en faire le don, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
perfundamus. effundamus. c refundatur. d D’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Léon le Grand, Tractatus, 53, 3. e Militia. a
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Il emmène captive la captivité 1. Le Christ montant dans la hauteur a emmené captive la captivité et donné des dons aux hommes (Ép 4, 8). La solennité de ce jour, frères très chers, l’Église entière à travers le monde est accoutumée à la célébrer parmi les principaux mystères de notre rédemption. Notre Seigneur et Sauveur, dans l’humanité qu’il avait assumée, a tout mis en place pour réaliser la recréation de l’homme perdu ; et ce tout, il l’a achevé en s’élevant aujourd’hui dans les cieux. À y regarder de près, on repère que l’homme a plus largement reçu de la grâce de cette libération qu’il n’avait perdu par sa faute et son péché. Du paradis heureux et si agréable où il se trouvait auparavant, il en avait été chassé vers une existence terrestre pour avoir violé le commandement céleste. Or voici que le Seigneur, dès lors, l’a élevé en lui par delà la hauteur des cieux. L’excellence de cette célébration, non moins que son efficacité, les paroles des prophètes et des apôtres nous les proclament. C’est ce que dit l’un d’eux, parlant dans ce même esprit : Montant dans la hauteur, il a emmené captive la captivité. Ceux que le diable avait capturés loin du paradis et dont il avait fait la propriété du monde et de l’enfer, le Christa, en s’élevant dans la hauteur, les a capturés D’ici aux premières lignes du paragraphe 2, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli, Ad Ephesios, 4. a
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à nouveau en leur redonnant leur place et leur dignité. C’est pourquoi, de ces hommes, l’Écriture avait parlé comme d’une captivité, car ils étaient captifs du diable ; et elle les présente comme la captivité du Christ, afin que soit bienheureuse cette captivité. Les humains, en effet, peuvent être pris en vue de leur bien. Aussi est-il dit à Pierre : Ce sont des hommes que tu prendras (Lc 5, 10). On les dit donc capturés car ils sont mis sous le joug léger du Christ (Mt 11, 30), libérés du péché et devenus serviteurs de la justice. Et il a donné des dons aux hommes. C’est bien connu : notre Seigneur Jésus Christ, après sa résurrection, est monté au ciel en ce jour ; et dix jours plus tard il a donné aux croyants l’Esprit Saint. Ils se mirent alors à parler dans toutes les langues (Ac 2, 3s). Dans un psaume on lit cependant : Tu as reçu des dons dans les hommes (Ps 67, 19 vg). Tandis que le bienheureux Paul, avec son autorité apostolique, a préféré dire : Il a donné des dons aux hommes. Or les deux choses son vraies : il a donné aux hommes et il a reçu dans les hommes. Il a donné aux hommes en tant que Tête à ses membres ; et il a reçu dans les hommes, lui-même étant dans ses membres. Et l’Apôtre de poursuivre : Qu’il soit monté, qu’est-ce à dire, sinon qu’il est aussi descendu ? (Ép 4, 9). De fait on n’aurait pas pu le dire monter, sinon parce que d’abord il est descendu. Il est donc d’abord descendu jusque dans les parties inférieures de la terre (Ép 4, 8), c’est-à-dire dans les enfers, d’où il a emmené la captivité qu’il en a retirée, et où ils étaient tenus pour des accusés de par une sentence de condamnation.
La course de la biche 2. Cette sentence n’a pu viser le Sauveur puisqu’il était sans péché. Celui donc qui est descendu aux enfers, c’est aussi le même qui est monté au plus haut des cieux, Dieu et homme, Christ Jésus, pour accomplir tout ce qui est écrit dans la loi et les prophètes. Et c’est notamment ce que chante l’épouse dans le Cantique en désignant le triomphe de l’ascension du Seigneur comme si elle l’y exhortait : Fuis mon Bien-aimé, sois semblable à la biche et au faon
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des cerfs (Ct 8, 14). Il a fui en effet, le Bien-aimé, après s’être adressé à son épouse et sœur, car après avoir accompli la rédemption il est retourné au ciel. En opérant ces deux mouvements de descente du ciel pour notre salut, puis ensuite de remontée au ciel, ila réalise adéquatement la comparaison avec la biche et le faon des cerfs, ce genre d’animaux se montrant rapide à courir et agile à sauter. Le psalmiste dit en effet de lui : Sorti du plus haut des cieux, sa course atteint jusqu’à leur plus haut sommet (Ps 18, 7).
Le regard de la biche
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D’ailleurs la biche ne dispose pas seulement de la vitesse à la course, elle se distingue aussi par l’acuité du regard. Et l’on remarque la perspicacité de ce même Seigneur venant pour le jugement, si bien que, à ses disciples qui le suivent de leur fervent regard dans son ascension, les anges disent : Hommes galiléens, pourquoi restez-vous ici à regarder vers le ciel. Ce Jésus, qui vous a été enlevé au ciel, il viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller au ciel (Ac 1, 11). Par conséquent quiconque désire la venue du Sauveur doit redouter l’acuité de son jugement, les yeux de la biche, et craindre Celui qui parle ainsi par un prophète : En ce jour-là je fouillerai Jérusalem avec des lampes (So 1, 12). D’un regard aigu, son œil ne laisse rien qui ne soit scruté : il scrutera les reins et le cœur (Ps 7, 10), la pensée même de l’homme se confessera à lui (Ps 74, 11 vg). Quelle assurance reste-t-il pour Babylone, si même Jérusalem demeure ainsi fouillée ? On voit dans ce verset que le prophète a désigné sous le nom de Jérusalem ceux qui, en ce monde, mènent une vie religieuse en imitant de toutes leurs forces la conduite de cette Jérusalem d’en haut. Cela au contraire de ceux qui sont de Babylone, ravageant la vie par le désordre de leurs vices et de leurs crimes ; leurs péchés sont manifestes avant même tout jugement (1 Tm 5, 24), ils n’ont pas besoin d’être scrutés, mais punis. Au contraire, pour nous qui D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 55, 1 ; puis 2–4. a
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apparaissons moines et habitants de Jérusalem, nos péchés sont cachés à l’ombre du nom et de l’habit des religieux. Aussi nécessitent-ils d’être fouillés dans un subtil discernement et sous l’effet des lampes, afin d’être comme amenés des ténèbres à la lumière. Nous pouvons tirer quelque chose de ce psaumea pour confirmer ce qui est dit de la fouille de Jérusalem : Lorsque j’en aurai fixé le temps, je jugerai, moi, les justices (Ps 74, 3 vg). Ce sont sans nul doute les voies des justes et leurs actes qu’il dit vouloir scruter et examiner. Il y a fort à craindre que, lorsqu’il sera venu dans ce but, beaucoup de nos justices, sous ce subtil examen, apparaissent comme autant de péchés. Une chose est sûre cependant : Si nous nous sommes jugés nous-mêmes, nous ne serons pas jugés (1 Co 11, 31). C’est là un bon jugement, qui nous soustrait au sévère jugement de Dieu et nous en préserve. Au reste, quelle horreur de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hé 10, 31). Aussi nous faut-il souhaiter nous présenter déjà jugés face au visage de sa colère, et non plus passibles du jugement. L’homme spirituel juge de tout et n’est jugé par personne (1 Co 2, 15). Nous jugerons donc le mal commis, nous jugerons le bien accompli. Le mal en ayant soin de le corriger par des actes meilleurs, de le dissoudre dans les larmes, de le punir par les jeûnes et les autres labeurs d’une sainte discipline. Quant au bien, nous en prendrons conscience humblement et, selon le précepte du Seigneur, nous nous considérerons comme des serviteurs sans mérite, qui n’ont fait que leur devoir (Lc 17, 10) – pour autant qu’ils l’aient fait. Prenons garde de ne pas confondre le blé avec l’ivraie et de ne pas présenter le grain avec la paille. Scrutons nous-mêmes nos voies et nos efforts, si bien que Celui qui fouillera Israël avec des lampes ne trouve rien en nous qui n’ait été fouillé et examiné. En effet, il ne jugera pas deux fois la même cause. Heureux celui à qui il a été donné de poursuivre toutes ses fautes jusqu’à la transparence, de manière à n’avoir rien à craindre du regard de la biche ni à rougir en rien à la lumière des lampes. Il est donc nécessaire de redouter maintenant, tant qu’il en est encore temps, le regard de cet enquêteur, de craindre cet examinateur caché, lui que, pour l’acuité de son regard, l’épouse a comparé à la biche. a
Le psaume 74.
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Les fuites du Christ et ses retours
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3. Cette parolea de l’épouse peut aussi, et sans inconvénient, se comprendre de la condition quotidienne qui est celle de la sainte Église. Le Bien-aimé fuit l’épouse avec laquelle il s’entretenait lorsque, à l’âme attentive à bien agir, il enlève momentanément la grâce des vertus qu’habituellement il lui dispensait. On encore lorsqu’il la soumet aux tempêtes des tentations pour la forcer à dire en toute vérité : Jusques à quand, Seigneur, m’oublieras-tu, jusqu’à la fin ? Jusques à quand vas-tu me cacher ta face ? (Ps 12, 1). Il est comparé à la biche et au faon des cerfs qui apparaissent sur les montagnes des aromates (Ct 8, 14) lorsqu’il jugera à nouveau opportun, en lui accordant la lumière de sa protection, soit de supprimer les assauts périlleux des tentations, soit de lui redonner les dons habituels des vertus dont il semblait l’avoir privée. Nous ne pensons pas ici nécessairement aux grands charismes des plus grands : la grâce, par exemple, de guérir les malades, de ressusciter les morts, d’expulser les démons, de connaître avec certitude les réalités spirituelles, de jouir de la contemplation lumineuse des joies du ciel – tout cela qui n’existe constamment que chez les membres les plus exceptionnels de l’Église. Mais n’en doutons pas : dans notre pauvreté il nous est offert quelquefois de pouvoir nous adonner à la douceur de la prière, de répandre des larmes soit dans la conscience de notre péché, soit dans le désir de la Patrie céleste, ou encore de résister à l’attaque des tentations. Ainsi arrive-t-il que, malgré beaucoup d’efforts, nous ne puissions disposer de ces biens ; et, à nouveau quelquefois, avec moins d’efforts, que nous en disposions largement. De quoi s’agit-il sinon de ceci : tantôt le Bien-aimé s’enfuit, et tantôt il visite à nouveau notre esprit. Dans les deux cas cela émane d’une bonté prévoyante : soit que, par le don de la grâce, nous croissions et progressions dans les vertus ; soit que, lorsque la grâce nous est enlevée, nous apprenions à garder la vertu de l’humilité. Il nous retire temporairement l’accomplissement désiré de la verCette parole : Fuis, mon Bien-aimé. – D’ici aux premières lignes du paragraphe 4, cf. Bède le Vénérable, In Cantica Canticorum V, 8, 14. a
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tu pour que, une fois qu’il nous est rendu, nous nous montrions d’une plus grande ardeur. Il nous rend ce qu’il nous avait repris pour que notre âme, ainsi exercée par un fréquent renouvellement, tende plus ardemment vers les réalités du ciel. En disant donc : Fuis, mon Bien-aimé, elle n’exprime pas un souhait, mais plutôt, en vue de jouir de sa volonté, elle se souvient de sa propre condition : de fait, pour le moment et en ce lieu de sa pérégrination, elle ne peut le voir continuellement.
Vivre le grand désir de la vie du ciel 4. En ajoutant qu’il est comparable à la biche et au faon des cerfs sur les montagnes des aromates, elle poursuit sa phrase par un très fort souhait et une supplication. Elle sait en effet que pour elle le plus grand bonheur dans sa vie présente – où la vision ne peut être continue – ce sera du moins d’être consolée par la fréquente visite du Seigneur. Or ce bonheur n’est concédé qu’à ceux qui, en méprisant les infimes convoitises et en désirant les joies célestes, mériteront le nom de montagne des aromates. Car une fois expurgée la puanteur des vices, les voici remplis de l’odeur des vertus spirituelles, disant avec l’Apôtre : Notre existence est dans le ciel (Ph 3, 20 vg) ; et : Nous sommes la bonne odeur du Christ (2 Co 2, 15). Opportunément la fin du Cantique sacré fait ainsi mention de l’ascension du Seigneur ; en celle-ci tout le déroulement de l’incarnation, dont traitaient les parties antérieures de ce cantique, trouve son achèvement. L’Apôtre l’atteste dans cette parole citée plus haut : Le Christ est descendu du ciel, puis monté au dessus de tous les cieux afin de remplir tout (Ép 4, 10). Nous donc, très chers, usons spirituellement de cette même parole qui est celle de l’épouse fidèle – à savoir de l’Église universelle dont nous sommes fils : implorons avec application ce même Rédempteur puisque, apparaissant dans la chair, il a daigné nous donner les préceptes et les dons de la vie céleste. Puis, après avoir accompli la sainte mission qui lui avait été confiée, il est retourné aujourd’hui dans les hauteurs pour prendre place à la droite du
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Père. Il ne nous enlève pas la lumière de sa fréquente visite, mais il nous rappelle sa manière d’agir : même s’il demeure corporellement dans les cieux et qu’il ne regagne pas des demeures humaines, il nous prodigue cependant la protection fréquente de sa présence divine. Il accomplit ainsi, pour le réconfort des croyants, ce que, au moment de monter au ciel, il affirma en dernier lieu : Voici, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles (Mt 28, 20). Pour autant que, guidés par lui, nous marchions constamment sur ses traces, puissions-nous parvenir avec son aide là où il est monté, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 59 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
La Patrie céleste 1. La désirable et glorieuse solennité de ce jour, frères très chers, il convient de l’honorer par de dignes louanges avec toute notre humble ferveur. Voici que notre Seigneur et Rédempteur, pour certifier la foi, affermir l’espérance et confirmer l’amour des disciples et de tous les croyants, a pénétré les cieux par son ascension visible (Ac 1, 9). Il visait non seulement à faire d’eux des témoins véridiques de l’ascension qu’ils avaient vue, mais aussi à leur montrer vers quoi diriger leur attention en recherchant et en espérant la fin de leurs peines et la récompense de leurs œuvres. Telles sont les glorieuses célébrations de ce jour, telles sont les joies indicibles qui, à la vue de l’ascension du Seigneur, s’ouvrent pour tout le genre humain. Ainsi l’homme né sur la terrea et condamné loin de la Patrie céleste comme l’exigent ses mérites, est non seulement ramené à sa condition première, mais exalté glorieusement, si bien qu’ayant perdu le paradis, il reçoit le ciel. Non seulement il n’est plus considéré comme redevable de ses dettes, mais après sa faute les dons croissent et s’accumulent pour lui. Il avait méprisé Dieu, le voici son imitateur, et s’il revient pour por-
D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXVII, 14, 15 passim. a
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ter les fruits de la pénitence (Mt 3, 8), c’est dans la hauteur qu’il va monter pour contempler l’intime lumière. Quel cœur ne bondirait d’admiration devant une telle bonté ? Quelle torpeur ne demeurerait stupéfaite en considérant une pareille élévation ? Et à juste titre. Car c’est de la Patrie céleste que nous parlons ; nous avons entendu que les armées des anges y résident dans une lumière éclatante, que le Créateur de toutes choses la préside, que la joie de cette vision la remplit. Elle a pour véritable héritage la lumière qui ne connaît aucun déclin. Nous ramenons alors notre esprit à nous-mêmes : nous réfléchissons aux membres terrestres qui sont les nôtres, nous pensons au fait que nous sommes nés dans les ténèbres, privés des rayons de la lumière intérieure. Notre vie s’avère misérable dans la mesure même où elle se voit vouée aux réalités corporelles, car celles-ci nous éloignent des spirituelles. Cette considération bouleverse notre cœur, tremblant dans cette terrible conscience qu’il a de lui-même ; il désespère de pouvoir jamais devenir citoyen d’une si haute Patrie. De fait, quoi de plus difficile pour l’homme né sur la terre, doté d’un corps terrestre et fragile, d’accéder à la hauteur des cieux et de pénétrer les secrets des esprits d’en haut ?
Il s’est abaissé 2. Mais le Créateur de ces esprits est venu à nous et il s’est même présenté comme un homme au dessous des siens. Comme le dit un prophète à propos de ce Père : Tu l’as abaissé de peu au dessous des anges (Ps 8, 6). Car entre nous et ces esprits il a repéré le scandale d’une vie désaccordée ; aussi, avec une admirable puissance et une bonté plus admirable encore, en créant les hauteurs et en relevant ce qui est en bas, il a conjoint le haut et le bas. Voilà comment il s’est montré inférieur aux anges, et par la force de cet abaissement il nous a rendus égaux aux anges. En mourant il nous a enseigné à ne pas craindre la mort, en ressuscitant à avoir confiance dans la vie et, en montant en ce jour au dessus des cieux, à nous glorifier de cet héritage qu’est la Patrie des cieux.
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En voyant où les précède la Tête, les membres se félicitent de la suivre jusque là. Il est donc heureux d’entendre notre Tête dire : Là où sera le corps, là se rassembleront les aigles (Mt 24, 28 vg). Ce qui a amené Pierre à parler d’un héritage incorruptible, sans souillures ni flétrissures, conservé dans les cieux (1 P 1, 4). Et Paul : Il nous a ressuscités avec lui et fait asseoir dans les cieux (Ép 2, 6). Et à nouveau la Vérité elle-même : Père, je veux que là où je suis, ils y soient avec moi (Jn 17, 24). Mais si nous, qui sommes nés sur la terre, nous sommes à notre tour montés au ciel, pourquoi la Vérité dit-elle encore : Nul n’est monté au ciel sinon Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel (Jn 3, 13) ? Or la raison est évidente : nous tous, nous sommes renés dans la foi en Celui qui, dans un admirable déploiement de bonté, s’est fait la Tête de ses membres ; par conséquent nous existons assurément comme ses membres. Nul donc n’est monté au ciel, sinon Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel. Puisque nous sommes devenus un avec lui, il est venu seul en lui-même et c’est là qu’il est retourné seul en nous. Et Celui qui est toujours dans le ciel monte au ciel chaque jour, car, dans sa divinité, il demeure au dessus de tout, repoussant la multitude des réprouvés, alors qu’en rassemblant sans cesse ses membres, il s’entraîne lui-même chaque jour vers le ciel. Si donc la faiblesse humaine désespère d’elle-même, qu’elle considère le sang du Christ : elle mesure à ce prix combien grande est sa propre valeur. Qu’elle se pense non pas créée, mais recréée. Qu’elle examine soigneusement où sa Tête l’a précédée, et en s’astreignant à ses préceptes pour vivre, qu’elle soit affermie pour regarder à son exemple. Qu’elle considère les cieux, qu’elle espère la Patrie d’en haut, qu’elle se sache l’associée des anges et se réjouisse de leur être supérieure dans sa Tête. Qu’elle soit d’autant plus certaine de posséder la clarté de cette lumière, que maintenant elle foule vraiment aux pieds les ténèbres des vices qui la tourmentaient.
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Le pardon proclamé 3. Mais il me plaîta, dans l’évocation de cette fête importante, de dire aussi brièvement à votre Charité quelque chose issu de la lecture évangélique. On y remarque d’abord que le Seigneur, une fois achevés les mystères de l’incarnation, en ce jour où il est monté sous les yeux de ses disciples, leur ouvrit l’intelligence pour qu’ils comprennent les Écritures (Lc 24, 45). Oui, il leur ouvrit l’intelligence pour qu’ils comprennent ceci : tout ce que dans la chair il a fait et enseigné, les prophètes avaient prédit qu’il le ferait et l’enseignerait. Et il leur dit : Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’on proclamerait en son nom à toutes les nations la pénitence et la rémission des péchés (Lc 24, 47). Ainsi fallait-il que le Christ vînt dans la chair, qu’il souffrît et ressuscitât, car le genre humain n’aurait absolument pas pu être rétabli dans la vie, ni racheté de la mort, ni façonné dans l’espérance de la résurrection, autrement que par cette puissance que sont la passion et la résurrection. Or il est heureux que la prédication de la pénitence et de la rémission des péchés, qui devait être la bonne nouvelle pour les nations souillées par l’idolâtrie et diverses autres graves fautes, ait son point de départ à Jérusalem. Ainsi personne, effrayé par la gravité de ses forfaits, ne douterait d’obtenir le pardon, à condition de porter des fruits dignes de la pénitence (Mt 3, 8), puisqu’on pouvait constater que même Jérusalem, après avoir abreuvé de blasphèmes et crucifié le Fils de Dieu, avait reçu le pardon.
La bénédiction qui accompagne l’ascension 4. De cela vous êtes les témoins, leur dit-il. Et moi je vais envoyer sur vous ce que le Père a promis. La promesse du Père – il le dit – c’est la grâce de l’Esprit (Lc 24, 48). Et concernant l’attente de cette promesse il ajouta : Vous donc, demeurez dans la ville jusqu’à ce que a
D’ici à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homelia, II, 15 passim.
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vous soyez revêtus de la puissance d’en haut (ibid., 49). La puissance survenant d’en haut leur est promise, bien que, auparavant déjà, ils eussent reçu l’Esprit Saint ; mais ils le reçoivent plus pleinement une fois le Christ monté au ciel. Et c’est d’une puissance plus grande qu’ils ont été revêtus lorsque, dix jours après l’enlèvement du Seigneur, ils ont reçu l’Esprit sous forme de langues de feu (Ac 2, 3). Les voici enflammés par lui d’une telle confiance en cette force qu’aucune terreur venant des princes ne pouvait les retenir de parler au nom du Seigneur. Il les emmena ensuite jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit (Lc 24, 50). Car notre Rédempteur est apparu dans la chair pour enlever les péchés (1 Jn 3, 5), ôter ce que méritait la première malédiction, donner aux croyants l’héritage d’une bénédiction perpétuelle. Tout ce qu’il a accompli dans le monde avec rectitude, il l’a conclu par des paroles de bénédiction, montrant ainsi qu’il est Celui dont il est dit : Il donnera en effet la bénédiction, lui qui a donné la loi (Ps 83, 8 vg). Ceux qu’il avait bénis à Béthanie – laquelle se traduit par « maison de l’obéissance »a – il est heureux qu’il les eût emmenés, car le mépris et l’orgueil ont mérité la malédiction, mais l’obéissance la bénédiction. Lui-même, le Seigneur, pour restituer au monde la grâce de la bénédiction que ce dernier avait perdue, s’est fait obéissant au Père jusqu’à la mort (Ph 2, 8). Ceux-là seuls qui, dans la sainte Église, ont le souci d’obéir aux préceptes venus de Dieu reçoivent de lui la bénédiction de la vie céleste. Il advint, pendant qu’il les bénissait, qu’il se sépara d’eux et fut emmené au ciel (Lc 24, 51). Il faut remarquer que, une fois donnée la bénédiction aux disciples, le Sauveur monta au ciel tout en même temps qu’il leur est recommandé d’en faire mémoire. Nous le lisons en effet dans leurs Actes : Il viendra comme vous l’avez vu s’en aller vers le ciel (Ac 1, 10). Voilà pourquoi, très chers, nous avons à nous donner toute la peine possible pour prier et agir, puisque, dans la chair même où le Seigneur est monté, il descendra pour juger. Et comme il s’en est allé en bénissant les apôtres, qu’ainsi, à son retour, il nous rende Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 60 et 61, CCSL 72, p. 135, 26s. et 135, 1. a
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dignes de sa bénédiction – dignes aussi de trouver place parmi ceux qui se tiendront à sa droite et auxquels il dira : Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du Royaume (Mt 25, 34).
Le don de l’Esprit
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5. Les apôtres, ayant adoré, s’en revinrent à Jérusalem en grande joie ; ils se tenaient constamment dans le temple, louant et bénissant Dieu (Lc 24, 52). Toujours, et surtout en ce lieu, frères très chers, il convient de faire mémoire de cette parole du Seigneur où, glorifié dans les disciples, il leur dit : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez (Lc 10, 23). Qui, en effet, peut dire, qui peut penser, comme il convient, avec quelle bienheureuse et profonde repentance ils ont baissé vers le sol leurs yeux par lesquels ils adoraient le Roi du ciel en personne. Une fois vaincue la mortalité que le Christ avait assumée, ils fixaient leurs regards vers le trône de la lumière du Père. Quelles douces larmes ils ont répandues, et de quelle espérance, de quelle allégresse ils brûlaient avant d’entrer dans la Patrie céleste, où ils voyaient leur Dieu et Seigneur emporter déjà la part humaine de sa nature. Fortifiés à juste titre par un tel spectacle, après avoir adoré en ce lieu où s’étaient tenus ses pieds (Ps 131, 7 vg), après avoir arrosé de larmes à profusion les traces qu’il avait laissées à l’instant, ils se hâtèrent de s’en retourner à Jérusalem. Ils avaient reçu la consigne d’y attendre la venue du Saint Esprit (Ac 1, 8) ; et pour se montrer dignes des promesse du ciel, ils se tenaient constamment dans le temples, louant et bénissant Dieu (Lc 24, 53). Ils le savaient en toute certitude : l’Esprit Saint ne daignerait visiter que ceux qu’il aura vus dédiés à la louange et à la bénédiction de Dieu par une longue pratique de la prière. Aussi lit-on d’eux dans leurs Actes : Tous unanimement persévéraient dans la prière (Hé 11, 10). Ce témoignage concernant l’œuvre apostolique doit être imité soigneusement : nous qui avons reçu les promesses du ciel, il nous est prescrit de supplier avec empressement pour en être bénéficiaires, de
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manière à nous rassembler tous dans cette prière et à y persister, en suppliant le Seigneur dans une ferveur unanime. Pas de doute : si nous prions ainsi, le Créateur, dans sa bonté, daignera nous écouter et répandre dans nos cœurs la grâce de son Esprit, ce qui rendra par là même nos yeux bienheureux. Pour tous les croyants, soit pour ceux dont la naissance a précédé le temps de l’incarnation, soit pour ceux qui ont vu le Christ dans la chair et pour nous qui croyons après son ascension, cette promesse de très grande bonté est commune : Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu (Mt 5, 8). 6. Cette gloire de l’ascension du Seigneur, frères très chers, ce sont d’abord des paroles et des gestes des prophètes qui l’ont signifiée ; puis elle s’est accomplie aujourd’hui par notre Médiateur lui-même. Vénérons-le donc avec un total empressement spirituel, de manière à mériter de suivre ses traces à notre tour et de monter jusqu’aux cieux. Pour le moment humilions-nous salutairement en faisant mémoire de cet événement sur la terre, car Salomon le dit bien : L’humiliations vient à la suite de l’orgueil, et la gloire suit l’homme humble d’esprit (Pr 29, 23). Dès lors nous avons appris dans l’ascension du Rédempteur où diriger notre attention. Car voici que dans la montée aux cieux du Médiateur de Dieu et des hommes nous avons reconnu que s’ouvrait pour les humains l’accès à la Patrie céleste. Vers le bonheur perpétuel de cette Patrie hâtons-nous avec un zèle total. Et puisque nous ne pouvons encore y résider corporellement, nous le pouvons toujours par le désir et en esprit. En écoutant la voix du prédicateur d’exception, au lieu de goûter ce qui est de la terre, recherchons les réalités d’en haut, là où le Christ siège à la droite de Dieu (Col 3, 1s). Recherchons le Seigneur et nous serons fortifiés, sans relâche poursuivons sa face (Ps 104, 4). Alors que, paisible, il est monté, c’est terrible qu’il reviendra. Puisse-t-il nous trouver prêts et nous introduire avec lui à la fête de la cité d’en haut, lui le Fils unique de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint.
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Le ciel de la justice, l’enfer de la faute 1. Célébrant aujourd’hui solennellement la montée au ciel de notre Seigneur Jésus Christ, frères très chers, nous devons imiter ce que nous honorons, et monter par l’élan de l’affection là où nous croyons qu’il est monté dans la chair. Que personne, en considérant sa condition mortelle, n’estime comme impossible de monter avec le Christ, car l’apôtre Paul, encore dans son corps mortel, ne doutait pas de franchir cette barrière : Notre existence est dans le ciel (Ph 3, 20). De fait, ceux qui, encore dans la chair, ne désirent et ne recherchent que les réalités célestes, ceux qui s’efforcent de progresser d’un zèle incessant dans les vertus de l’amour, de la miséricorde, de l’humilité, de la patience, de la chasteté, de la sobriété, habitent déjà le ciel d’une certaine manière, et règnent déjà avec le Christ sur les réalités célestes. Cara il y a le ciel de la justice, comme il y a aussi l’enfer de l’iniquité. Plus s’élève celui qui monte vers le ciel, plus il progresse vers la justice. Au contraire : plus il descend du ciel en enfer, plus il se rue de la justice vers l’iniquité. Cette montée et cette descente, le psalmiste les désigne avec évidence lorsqu’il dit à Dieu : Si je monte au ciel, t’y voici ; si je descends en enfer, t’y voilà (Ps 138, 8). Si en effet tu montes vers le ciel D’ici jusqu’au paragraphe 2, premier alinéa, cf. Hugues de Saint-Victor, In Salomonis Ecclesiasten, X. a
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de la justice, tu as avec toi la Sagesse qui t’environne pour que tu ne tombes pas. Et si tu descends dans l’enfer de la faute, la Sagesse y est avec toi ; elle te saisit pour que tu ne lui échappes pas. En haut se tient le Fort, en bas se tient le Fort, invincible partout. En haut se tient le Fort pour préserver du mal ceux qui mettent en lui leur confiance. Au contraire, ceux qui se confient en eux-mêmes, il les précipitera en les abandonnant au mal. Le Fort se tient aussi en bas pour condamner au mal ceux qui le méprisent et pour justifier du mal ceux qui font pénitence. Or tout cela, Dieu le Père le réalise chaque jour dans le secret du cœur de l’homme. Tantôt il le prend en charge par grâce, tantôt il l’abandonne par justice, tantôt il l’épargne avec douceur, tantôt il le punit avec rigueur. Et alors qu’il l’avait pris en charge, il l’abandonne à nouveau, de telle manière qu’il ignore son chemin et qu’il marche en demeurant sur ses gardes tout au long de sa vie. Ainsi, tombant à terre il n’a pas à désespérer ; ni à présumer de ses forces s’il tient debout. S’ils ont accédé au ciel de la justice, qu’ils redoutent la ruine ; s’ils se trouvent dans l’enfer de la faute, qu’ils recherchent la miséricorde. C’est ainsi que la Justice a commencé – la passion de la mort une fois consommée – par descendre en enfer. Elle est y descendue pour donner l’espérance à ceux qu’elle devait libérer, et elle est montée pour montrer le chemin à ceux qu’elle devait glorifier. Cet ordre était nécessaire : en premier lieu, pour la rédemption du monde, le sang du Christ devait couler, puis par sa résurrection, et aujourd’hui par son ascension, la porte du Royaume du ciel s’ouvre aux humains.
L’incarnation du Christ, chemin pour nous vers sa gloire 2. Par conséquent, comme il était avec nous Emmanuel (Mt 1, 23) par la justice qu’il nous avait apportée et par notre misère qu’il avait assumée, il se mit à revenir d’où il était venu afin de vaincre dans l’homme la misère par la justice et – avec justice – de rappeler l’homme de la misère au bonheur. De fait il a tenu la justice et supporté la misère jusqu’à ce qu’il eût vaincu la misère
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et couronné la justice. Il a couru et nous a précédés, souffrant pour nous et nous laissant un exemple afin que nous suivions ses traces (1 P 2, 21). Il nous l’a promis : en montant aujourd’hui dans les cieux il a reçu le pouvoir, si nous souffrons ce qu’il a enduré, de nous donner de régner avec lui (2 Tm 2, 11s) – si nous souffrons pour lui. Voilà donc pourquoi le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14), lui notre Créateur et notre Roi : puisque nous ne pouvions le suivre dans sa gloire, il nous a précédés dans notre humilité ; à partir de nous il a établi un chemin pour que nous parvenions jusque chez lui. Par quel exemple les humains auraient-ils été rendus plus capables de se dresser vers la foi pour participer à la gloire et vers l’espérance pour se promettre la vie éternelle ? Sinon cet exemple par lequel Dieu se ferait connaître en participant à leur humanité et à leur mortalité. Quoi de plus efficace, en vue de supporter l’adversité pour le salut, sinon d’apprendre que leur Créateur, pour leur salut, a enduré de la part des impies d’innombrables opprobres, et qu’il a même subi sa propre condamnation à mort ? Pour quelle raison plus adéquate ont-ils reçu l’espérance de la résurrection, sinon par le souvenir qu’ils gardent d’avoir été, en ses sacrements, purifiés, sanctifiés et rassemblés dans son corps ? Car, dès après avoir pour eux goûté la mort, il leur a fourni l’exemple de sa résurrection d’entre les morts. Comment donc auraient-ils douté, eux ses membres, de recevoir une maison dans le ciel, alors que leur Tête, montée au ciel sous de nombreux regards, leur a montré en les précédant le chemin par lequel ils auraient à le suivre ? Qu’elle est vastea la récompense d’une existence engagée spirituellement ! Qu’il est digne d’honneur le gage du bonheur futur ! Il doit persister pour les fidèles déjà même dans le présent, tout en manifestant les réalités dernières de Celui qui montera aux cieux. À cette occasion il adressa aux apôtres cette parole par laquelle il s’efforçait d’adoucir dans leur cœur la douleur de son éloignement. Il leur disait en effet : Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles (Mt 28, 20). Avec ce témoignage concorde étroitement ce que nous avons lu dans le passage du saint Évangile
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D’ici à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homelia, II, 8.
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de ce jour en saint Marc : Et le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu (Mc 16, 19). De fait, le même Dieu, avec l’homme qu’il a assumé, est au ciel dans l’humanité qu’il avait reçue de la terre, et il demeure avec les saints sur la terre dans sa divinité, dont il emplit aussi bien la terre que le ciel, et il y demeure jusqu’à la consommation des siècles. On peut conclure de cela que, jusqu’à la consommation des siècles, ne manqueront pas dans le monde ceux qui sont dignes de la maison et de la demeure de Dieu. Non, il n’y a pas à en douter : après les combats de ce monde ils demeurent avec le Christ dans le Royaume, ceux qui, combattant en ce monde, ont mérité d’avoir le Christ comme hôte de leur cœur.
Présence du Christ 3. Il faut remarquer cependant que la divine Majesté, présente partout, l’est autrement pour ses élus que pour les réprouvés. Pour ceux-ci elle l’est à titre de puissance dont la nature est incompréhensible ; elle connaît toutes choses, les plus récentes comme les très anciennes, et elle prévoit longtemps d’avance les pensées et les chemins de chacun (Ps 138, 3). Quant aux élus, elle leur est présente selon qu’il est écrit : Proche est le Seigneur des cœurs brisés, il sauve les esprits humbles (Ps 33, 19). Et elle est présente aux réprouvés comme le même psaume l’a exprimé auparavant : Contre les malfaisants le visage du Seigneur pour ôter de la terre leur mémoire (ibid., 17). Il s’avère donc nécessaire que les méchants tremblent toujours de leurs œuvres mauvaises puisque chaque pensée est évidente au regard du Juge sévère. Par contre, des pensées qui se révèlent des œuvres de justice, que se réjouissent les bons, comme aussi de souffrir pour la justice (Mt 5, 10). Car tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28), et jamais sa bonté ne manque à ceux qui se trouvent dans quelque tribulation. Cette présence de sa bonté, ce n’est pas seulement en parole qu’il nous l’a promise, mais il l’a aussi manifestée par des preuves évidentes. En effet, souvent après
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sa résurrection et jusqu’au jour où il a gagné le ciel, il est apparu aux apôtres en les exhortant, en les reprenant et il les a fortifiés par le don de l’Esprit Saint. C’est à dix reprises que le Seigneur est apparu après sa résurrection, comme le rapportent les récits des Évangiles et des Actes des apôtres. Le jour même de sa résurrection, c’est cinq fois qu’il est apparu, comme on peut le lire : d’abord à Marie Madeleine qui pleurait près du tombeau (Jn 20, 11ss) ; puis à cette même Marie et à d’autres femmes du même nom, qui s’en revenaient du tombeau pour annoncer aux disciples ce qu’elles avaient découvert (Mt 28, 1ss). En troisième lieu il est apparu à Pierre (Lc 24, 34), en quatrième lieu à Cléophas et à son compagnons : comme il marchait avec eux vers Emmaüs, c’est à la fraction du pain qu’ils l’ont reconnu (Lc 24, 13ss). En cinquième lieu il est apparu aux apôtres réunis en un même lieu, toutes portes fermées, alors que Thomas était absent (Jn 20, 19ss). La sixième fois, huit jours après, Thomas était avec eux (Jn 20, 26ss). La septième fois il se montra à sept disciples, qui avaient passé toute la nuit à pêcher sans rien prendre (Jn 21, 1ss) ; la huitème fois sur une montagne de Galilée (Mt 28, 16ss). La neuvième fois il apparut aux onze attablés (Mc 16, 14ss), le jour où il monta au ciel, comme nous l’avons entendu dans les lectures d’aujourd’hui. La dixième fois en ce même jour, quand ils le virent non plus sur la terre, mais s’élevant et gagnant les cieux (Ac 1, 9). Et les anges dirent aux disciples : Il reviendra de la même manière dont vous l’avez vu s’élever au ciel (Ac 1, 11). Par les occasions fréquentes de ses apparitions physiques, le Seigneur a voulu montrer que, en tout lieu, il se tenait divinement présent aux désirs des bons.
Il est apparu – il nous sera présent 4. Il est apparu à celles qui pleuraient près du tombeau ; il nous sera présent à nous, qui gémissons pour notre salut au souvenir de son absence. Il venait à la rencontre de celles qui s’en retournaient du tombeau pour proclamer les joies de sa résurrection qu’elles
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avaient reconnues ; il nous sera présent à nous aussi lorsque nous nous réjouissons d’annoncer fidèlement à nos prochains le bonheur que nous avons reconnu. Il est apparu dans la fraction du pain à ceux qui le prenaient pour un pèlerin et qui l’ont invité comme hôte ; il nous sera présent dans la fraction du pain lorsque nous communions, d’une conscience chaste et pure, au sacrement de son corps, le pain vivant. Il est apparu secrètement parmi ceux qui parlaient de sa résurrection (Jn 20, 19) ; il sera avec nous lorsque, désertant pour un temps les œuvres extérieures, nous nous réunissons pour parler de sa grâce. Il est apparu à des pêcheurs et les a aidés de ses bienfaits divins ; il nous sera présent lorsque nous nous occupons des besoins de la vie d’ici-bas dans une intention droite et que nous réclamons d’une prière instante et diligente de nous joindre au secours de sa bonté par nos justes labeurs. Il est apparu aujourd’hui aux disciples attablés ; il nous sera présent lorsque, selon les préceptes des apôtres, soit que nous mangions, soit que nous buvions, et quelle que soit notre action, nous fassions tout pour la gloire de Dieu (1 Co 10, 31). En dernier lieu il est apparu lorsqu’il monta au ciel ; il nous sera présent à nous aussi pour que nous méritions de le suivre au ciel après la mort, et avant la mort d’avoir grand soin de le suivre à Béhanie, d’où il est monté, c’est-à-dire « la maison de l’obéissance »a. Lui-même, en effet, dans le but de monter au ciel, est venu à Béthanie, car, comme le dit l’Apôtre : Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix, c’est pourquoi Dieu l’a exalté (Ph 2, 8s). Nous venons là, nous aussi, si nous faisons ce qu’il commande et si nous prêtons attention à ce qu’il promet. Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai les biens de la vie (Ap 2, 10). Que sa grâce se fasse abondante pour que Celui qui demeure avec nous jusqu’au terme de cette vie nous élève après cette vie afin de nous faire voir avec lui les récompenses de la vie céleste ; en elle il vit et règne avec Dieu le Père dans l’unité de l’Esprit Saint pour tous les siècles des siècles. Amen. C’est la traduction de ce nom de Béthanie, selon Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 60, CCSL 72, p. 135, 26s. a
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Dieu s’est fait connaître 1. Aujourd’huia, frères très chers, la victoire du Christ est accomplie ; aujourd’hui se dressent ses étendards triomphants. Le tartare se lamente de sa spoliation, avec son prince. Et de la remise sur pied du condamné, l’armée céleste se réjouit. Aujourd’hui cette chair qui fut élevée de terre a trouvé place à la droite du Père, supérieure à toute créature, et devant elle se sont inclinées toute Principauté et toute Puissance. Aujourd’hui une voie nouvelle a été inaugurée pour nous, par laquelle nous avons accès à Dieu ; oui, par la chair du Christ s’est ouverte l’entrée du ciel, à travers laquelle nulle chair auparavant n’avait passé. Le Christ a commencé par descendre (Ép 4, 9) pour se faire participant de notre nature ; il est ensuite monté pour nous rendre participants de sa gloire. Il est descendu pour nous élever, il est monté pour nous faire monter avec lui. Il est descendu dans une existence de ce monde, et par ses miracles c’est comme s’il allaitait ses enfants. Puis en montant, il a donné des dons aux hommes (Ép 4, 8), par lesquels ceux-ci ont été enseignés, mais aussi en quelque sorte éduqués par une force virile. Ainsi n’aspireraient-ils plus à le voir dans son corps, mais ils se hâteraient de le suivre d’un désir total là, où il les avait précédés. Déjà ils pourraient dire en toute a
Pour la première moitié de ce paragraphe, cf. Yves de Chartres, Sermo, 19.
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vérité avec l’Apôtre : Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi (2 Co 5, 16).
Que Dieu demeure inconnu En outre ils reprennent à leur compte cette parole symbolique du Cantique de l’Église après l’humilité de la passion, la glorification de la résurrection, l’exaltation de l’ascension si désirée ; dans un grand désir d’avancée spirituelle ils disent : Fuis, mon, Bien-aimé (Ct 8, 14). Ce qui revient à dire : Toi qui, en prenant chair, t’es fait compréhensible, dépasse par ta divinité l’intelligence de notre esprit et en toi-même demeure incompréhensible. Assurément personne ne désirerait voir fuir loin de sa présence Celui qu’il aime ; par conséquent cette fuite, l’Église ou l’âme sainte ne la souhaiterait absolument pas, si elle ne la savait profitable.
La fuite de l’Époux pour qu’on le cherche et le suive 2. Disposant les choses avec amour, Dieu, en rappelant l’être humain de l’aveuglement de son ignorance après le péché, a limité la connaissance qu’il lui donnait de lui, de telle manière qu’il le connaisse, oui, et cependant que Dieu lui demeure toujours caché. Ainsia, dès le commencement, Dieu lui a parlé en peu de mots, rarement, et dans le secret. Par la suite, en apparaissant dans la chair, bien qu’il eût parlé manifestement au monde, c’est cependant à part, en les conduisant sur une montagne, qu’il a manifesté sa gloire à ses disciplesb. Pourquoi donc Dieu parle-t-il toujours en secret, sinon parce qu’il nous appelle au secret ? Et pourquoi en peu de mots, sinon parce qu’il nous rassemble ? Lorsqu’il parle, il se retire comme s’il voulait se cacher. De la sorte il avertit l’esprit a D’ici jusqu’à la première moitié du paragraphe 3, cf. Hugues de Saint-Victor, De Arca Noe morali, IV. b S’agit-il de la Transfiguration (Mt 17, 1ss) ou plutôt de l’Ascension (Mt 28, 16ss) ?
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humain par ce qu’il dit de lui-même, et il l’attire à lui par le fait de fuir en se cachant. Il irrite en effet notre désir pour l’augmenter ; en parlant il anime en nous son amour, et en fuyant il enflamme cet amour pour que nous le suivions. Voilà comment, dans le Cantique des cantiques, l’Époux vient et, se tenant derrière la paroi, il regarde par la fenêtre et à travers le treillis (Ct 2, 9). C’est comme s’il se cachait et ne se cachait pas ; il avance la main par une fente et touche l’épouse, puis doucement, à mi-voix, il l’appelle : Viens mon amie, mon épouse, ma colombe. Voici que l’hiver est passé, la pluie s’en est allée, les fleurs sont apparues sur notre terre, la voix de la tourterelle s’est fait entendre sur notre terre (Ct 2, 10ss). Elle, pour écouter l’Époux, se lève aussitôt, se hâte, ouvre le loquet de la porte ; elle va écarter les bras et se prépare à embrasser Celui qui semble venir. C’est à peine si elle supporte la tension, à peine si elle se retient, à peine si elle peut attendre. Son âme se liquéfie, son cœur est en flammes, ses entrailles s’échauffent, elle exulte, se réjouit, saute d’enthousiasme et se précipite au devant de Celui qui vient. Mais lui, alors qu’elle pense déjà le tenir, se dérobe, et c’est comme si, échappé de ses bras, il s’enfuyait. Qu’est-ce à dire ? Alors qu’elle ne le cherche pas, il la cherche ; alors qu’il ne l’appelle pas, il vient. Alors qu’elle le cherche, il s’éloigne ; alors qu’elle l’appelle, il s’enfuit. S’il ne l’aime pas, pourquoi vient-il ? S’il l’aime, pourquoi la fuit-il ? Or il l’aime, c’est pourquoi il vient ; mais parce que ce n’est pas ici qu’il l’aime, alors il la fuit. Qu’est-ce à dire : ici il ne l’aime pas ? – Oui, dans ce monde, dans ce siècle, sur cette terre, dans cette patrie, dans cet exil ; mais il l’appelle à sa terre à lui, à sa Patrie, puisque un tel amour ne convient pas à la patrie d’ici-bas : le peu d’importance de celle-ci entraînerait une diminution de l’amour qui serait adéquate à cette région-ci. Un heureux amour est en quête d’un lieu agréable. Voilà comment il nous recommande sa terre à lui et loue sa propre Patrie, disant : Les fleurs sont apparues sur notre terre, les vignes en fleur ont répandu leur parfum, la voix de la tourterelle s’est fait entendre sur notre terre. Cela pour que nous convoitions une pareille région, que nous désirions une pareille Patrie, et que
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nous l’y suivions. C’est là qu’il nous aime, là qu’il désire jouir de notre amour, là qu’il attend nos embrassements. Là, il ne fuit pas ceux qui le suivent ; au contraire : il attend ceux qui viennent à lui. Il s’offre donc, alors qu’on ne le cherche pas, pour nous enflammer de l’amour de lui. Mais quand on le cherche il fuit pour nous entraîner à courir après lui. Si lui ne se montrait pas le premier, personne ne l’aimerait, et s’il ne fuyait quand on le cherche, personne ne voudrait le suivre.
En hâte, se laisser entraîner vers la hauteur 3. Les fleurs – dit-il – sont apparues sur notre terre. Non pas dans la « mienne », dit-il, mais dans la nôtre, pour qu’elle nous soit commune, à lui et à nous. C’est comme s’il disait : Je suis auprès de vous un fidèle messager ; j’ai vu ce dont je témoigne, j’ai entendu ce que je dis. Ne craignez pas, soyez sans défiance et sans hésitation. Suivez-moi là d’où je vous appelle, car vous êtes de là d’où je viens, vous n’avez pas ici de cité permanente (Hé 13, 14). C’est d’ailleurs que vous êtes venus, et si vous vous souveniez de votre Patrie, vous n’aimeriez assurément pas vivre à l’étranger. Si donc je suis venu ici-bas, c’est pour vous emmener de là, non pour y demeurer avec vous. D’un lieu secret je crie car je veux seulement vous enseigner, non demeurer. De même je vous appelle de loin, car je me hâte de m’en retourner. Il me suffit de m’être simplement avancé de manière à me faire entendre, et je considérerais comme une perte si je devais parcourir le reste du chemin. Tout retard est grave : Les fleurs sont apparues sur notre terre. Apprenez donc à quel point vous devez vous hâter quand vous me voyez fuir de la sorte. Je ne serais pas venu si je ne vous aimais pas ; et je ne m’enfuirais pas si je ne voulais pas vous attirer derrière moi. Voici donc ce qui maintenant concerne les élus : que leur vie présente soit préparation à leur bonheur à venir, que l’homme situé dans ce malheur mérite de monter vers ce bonheur, tout comme l’homme qui vivait dans ce bonheur a mérité d’en arriver
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à ce malheur. C’est pourquoia lui notre Tête, lorsqu’il se trouvait en bas avec nous, pour que notre intention ne fût pas peut-être de demeurer en bas, est monté au dessus de la Tête vers la Tête pour nous entraîner à sa suite. La Tête du bas c’était le Christ homme dans ce monde, et la Tête tout en haut c’est Dieu le Père dans le ciel. Selon l’Apôtre la Tête de l’Église c’est le Christ (Ép 5, 23), qui a été établi par Dieu, et la Tête du Christ c’est Dieu (1 Co 11, 3). L’Église, pour sa part, comme épouse du Christ, célèbre son Bien-aimé dans le Cantique des cantiques ; après beaucoup de louanges elle ajoute : Sa tête est de l’or le plus fin (Ct 5, 11). Et le Christ, lui, au moment de monter au ciel, dit : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17). Si donc il monte vers Dieu, c’est vers sa Tête qu’il monte, car la Tête du Christ c’est Dieu. Et cette Tête est de l’or le plus fin : nulle rouille ne la dévore, nulle vieillesse n’en vient à bout. La Divinité ne contracte aucune corruption. Ainsi donc notre Tête c’est le Christ. Vers cette Tête levons les yeux, l’Écriture nous y exhorte en ces termes : Si vous êtes ressuscités avec le Christ recherchez les réalités d’en haut, là où le Christ siège à la droite de Dieu. Goûtez les réalités d’en haut, non celles qui sont de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu (Col 3, 1ss). Là où nous sommes morts nous ne devons pas goûter ; et là où nous goûtons nous avons la vie : là où le Christ siège à la droite de Dieu. Si donc nous sommes morts sur la terre, comment goûtons-nous sur la terre ? Qui, une fois mort, garde une sensibilité ? C’est pourquoi aimer ce qui est d’en haut : voilà ce qu’est goûter ce qui est d’en haut. Car l’amour lui-même entraîne là où se tient ce qu’on aime. Tels sont les biens de la Jérusalem céleste, dont l’immensité stupéfie mais ne suffit pas pour contempler dans cette vie la perfection. Le prophète Isaïe exprime ce défaut en une brève confession de foi : L’œil n’a pas vu, toi Dieu excepté, ce que tu as préparé pour ceux qui t’attendent (Is 64, 4). De cela donc ayons faim, de cela ayons soif, cela goûtons-le, car c’est vers cela que le suprême Pontife monte pour nous, en précurD’ici à la fin du sermon, cf. Hugues de Saint-Victor, In Salomonis Ecclesiasten, XII. a
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seur, dans le véritable Saint des saints, c’est-à-dire à la droite de Dieu le Père. Ainsi confirmerait-il l’espérance de ses membres ; et, une fois achevé le temps de notre mortalité, il nous conduirait à la vision manifeste de sa lumière, nous rassasiant de la gloire éternelle de son visage, lui Jésus le Christ, notre Seigneur.
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SERMON 62 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
La foi et la joie affermies 1. Après la bienheureuse et glorieuse résurrection du Seigneur Jésus Christa, bien-aimés, ce quarantième jour, aujourd’hui, marque l’accomplissement des jours saints, délai prévu par une très sainte disposition pour notre enseignement. Car tout au long du temps qui s’est écoulé entre la résurrection et l’ascension du Seigneur la providence de Dieu a pris soin de nous instruire, faisant comprendre aux yeux et au cœur des siens que Jésus Christ est vraiment ressuscité, lui qui véritablement aussi a souffert et est mort. Les bienheureux apôtres et tous les disciples ont tremblé de peur lors de la mort de la croix et se sont montrés d’une foi incertaine lors de la résurrection. Mais ils ont été affermis par la Vérité manifestée, si bien que, lors du départ du Seigneur vers les hauteurs, non seulement aucune tristesse ne s’est emparée d’eux, mais ils furent remplis d’une grande joie (Lc 24, 52). Vraiment grande et ineffable était la raison de leur joie puisque la nature du genre humain est montée au-dessus de toute la dignité des créatures du ciel. Et ceux que le très violent Ennemi avait délogés du bonheur, qui était leur première habitation, voici que le Fils de Dieu les a placés à la droite du Père, faisant d’eux son corps. De fait, aujourd’hui nous ne sommes pas seulement affermis à titre de a
Pour les deux premiers alinéas, cf. Léon le Grand, Tractatus 73, 1 et 4.
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Sermon 62
possesseurs du paradis, mais dans le Christ nous avons pénétré les hauteurs des cieux, recevant par sa grâce ineffable bien davantage que ce que nous avons perdu de par la jalousie du diable. L’ascension du Seigneur constitue donc notre promotion, et là où nous a précédés la gloire de notre Tête, là est appelée notre espérance, qui concerne même notre corps, l’espérance de pouvoir monter avec le Christ au plus haut des cieux. Cependant que personne ne s’élève soudain au plus haut ; posons pour nous certains degrés afin de monter prudemment. Le risque, si nous nous efforcions, d’un bond précipité, d’atteindre le sommet d’une telle sublimité, ce serait d’être bien plutôt rejetés, du fait de notre présomption.
De la vallée des vices à la montagne des vertus 2. D’aborda nous avons à monter de la vallée des vices à la montagne des vertus. Or les vices sont de deux sortes : les uns nuisent à nous-mêmes, les autres au prochain. Les premiers sont qualifiés de turpitude, les autres de perfidieb. Tous ensemble sont dits vallée des larmes (Ps 83, 7), car c’est dans un intense flot de pleurs que doit se lamenter la vie des pécheursc. De la vallée des turpitudes on monte à la montagne de la chasteté. Or triple est la maîtrise de soi : elle concerne les membres, les sens, les pensées. Par la première on modère les actes, par la deuxième on évite… « … les regards, par la troisième on retranche les réactions affectives »d.
Pour cet alinéa, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis 61, 1. flagitia, facinora. c En corrigeant omnis fluvio par omni fletus fluvio, d’après le texte de saint Bernard, que Hermann copie. d Les quelques mots entre guillemets qui terminent la phrase après les points de suspension, sont de saint Bernard. Nous les citons pour que la phrase aille jusqu’au bout. On ignore pourquoi le texte d’Hermann – ou plutôt sa copie – s’arrête soudain alors que son modèle, chez saint Bernard, comprend encore deux alinéas. a
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Commence ici la troisième série des sermons selon leur ordre dans l’année liturgique : elle comprend les sermons 63 à 87 et va de l’Avent à l’Assomption.
SERMON 63 SERMON SUR L’AVENT DU SEIGNEUR
La paix autrefois promise… 1. L’avènement du Seigneura, frères, nous le célébrons pour trois raisons. D’abord nous valorisons d’avance ce temps parce que nous le savons annoncé d’avance par des saints très anciens. En deuxième lieu nous prévenons par nos louanges Celui dont nous n’ignorons pas qu’il viendra auprès de chacun de nous à la fin de notre vie. En troisième lieu nous commémorons ce temps où il viendra comme juge. Voilà pourquoi ces jours de la venue du Seigneur constituent une préparation pour que nous soyons dignes de la solennité à venir et que nous puissions nous réjouir de la naissance de notre Roi éternel. Car ces jours symbolisent ce temps où les pères anciens se préparaient à la venue du Seigneur pour être dignes de la rédemption à venir. Il n’a pas échappéb aux saints, avant même la venue du Sauveur, que Dieu nourrissait à l’égard de la race des mortels des desseins de paix (Jr 29, 11). Il n’aurait pas réalisé une parole sur la terre sans la révéler à ses serviteurs les prophètes (Am 3, 7).
Pour ces quelques lignes, cf. Honorius d’Autun, Gemma animae, III, 1. D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum, 2, 4–5 et 6. a
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Sermon 63
… et impatiemment attendue
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Cependant cette parole était cachée à beaucoup (Lc 18, 34). En ce temps-là la foi se faisait rare sur la terre, et très mince l’espérance de ceux qui attendaient la rédemption d’Israël (Lc 2, 38). Mais ceux qui jouissaient d’une prescience, eux annonçaient la venue du Christ dans la chair, et avec lui la paix. Quelques-uns le disaient : La paix sera sur notre terre lorsqu’il sera venu (Mi 5, 5). Bien plus : par lui – le Christ – ces hommes retrouveraient en toute confiance la grâce de Dieu, et telle qu’ils la recevraient ils l’annonceraient. Pourtant, alors que ceux-ci annonçaient la paix, l’Auteur de la paix tardait à la réaliser, si bien que la foi du peuple vacillait, tant que ne se présentait pas Celui qui rachète et qui sauve (Ps 7, 3). Les humains l’accusaient de retard puisque, annoncé depuis longtemps, il ne venait pas, lui, le Prince de la paix (Is 9, 5), comme il l’avait dit par la bouche des saints, ses prophètes depuis les siècles (Lc 1, 70). Tenant ses promesses pour suspectes, ils réclamaient la venue de la réconciliation promise. Et c’est comme s’ils répondaient à leurs messagers : Jusques à quand tiendrez-vous nos âmes en suspens ? (Jn 10, 24). Autrefois déjà vous nous aviez prédit la paix, et elle n’est pas venue ; vous nous aviez promis le bonheur, et c’est le marasme. Voici que, à maintes reprises et sous maintes formes (Hé 1, 1), les anges ont annoncé à nos pères, et nos pères nous l’ont redit : Paix – or il n’y pas de paix (Jr 6, 14). Si vraiment, comme vous le dites, Dieu a décidé de faire miséricorde, qu’il établisse une alliance de paix (Si 43, 30) pour ne pas rendre inutiles les paroles de vos lèvres (Ps 88, 25). Que Dieu prouve la véracité de ses messagers, si toutefois ce sont ses messagers. Qu’il accomplisse ce qu’ils ont si souvent promis. Qu’il s’anéantisse (Ph 2, 7), qu’il s’humilie, qu’il s’abaisse, Dieu, le Fils de Dieu, qu’il se fasse homme, qu’il se fasse fils de l’homme.
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Sermon 63
Après une longue attente 2. Ainsi la vieille plainte concernant le Verbe qui devait s’incarner exigeait un très saint mystère. Fatiguée par une attente longue et pénible, la foi allait défaillir, et le peuple infidèle, vaincu par la lassitude, murmurerait contre les promesses de Dieu. De là ces prières remplies de plaintes et de murmures : Confie, confie à nouveau ; attends, attends encore ; un peu ici, un peu ici (Is 28, 10 vg). De là aussi ces prières pleines d’anxiété et de piété : Donne satisfaction, Seigneur, à ceux qui espèrent en toi, pour que tes prophètes soient trouvés fidèles (Si 36, 18). Ou encore : Réalise, Seigneur, les annonces que les premiers prophètes ont proclamées en ton nom (ibid. 17). De là encore ces promesses séduisantes et pleines de considération : Voici, le Seigneur paraîtra, il ne mentira pas ; s’il tarde, attends-le, car il viendra et ne tardera pas (Ha 2, 3). Il est proche, si bien que son temps est venu, et ses jours ne s’éloigneront pas (Is 14, 1 vg). Et lui, en personne, fait cette promesse : Voici, je m’incline vers eux comme un fleuve de paix, comme un torrent qui répand largement la gloire des nations (Is 66, 12). Dans ces paroles se révèlent suffisamment la constance des prophètes et le manque de confiance des populations. C’est ainsi que le peuple murmurait et que la foi chancelait, selon cet oracle d’Isaïe : Les messagers de la paix pleurent amèrement (Is 33, 7). Si le Christ se fait attendre, que ne périsse pas de désespoir l’ensemble du genre humain. Alors que l’humanité faible et mortelle soupçonnait d’être méprisée et se défiait de la grâce de Dieu promise depuis si longtemps, des hommes saints, assurés dans leur esprit, optaient pour la certitude de sa présence dans la chair et réclamaient avec une totale insistance, en raison des pusillanimes et des incrédules, le signe de la paix restaurée : « O racine de Jessé (Is 11, 10), toi qui te tiens comme un signe pour les peuples, combien de rois et de prophètes ont désiré te voir, et ne t’ont pas vue »a.
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Antienne du magnificat aux vêpres du 19 décembre.
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Sermon 63
Est-ce bien la naissance du Sauveur qu’on se prépare à célébrer ? 3. Face à cette ardeur du désir chez ces pères, soupirant après la présence du Christ dans la chair, un spirituela, en y pensant, est violemment saisi et confondu en lui-même, car la tiédeur et la torpeur de nos temps misérables lui font honte. Lequel d’entre nous, lors de la manifestation de cette grâce, ressent une joie aussi intense que n’était le désir enflammé chez les saints pères par sa seule promesse ? Voici, ils seront nombreux à se réjouir de sa naissance, dont la célébration est proche – oui, mais sera-ce de sa naissance ? Car maintenant ces malheureux fils d’Adam ont oublié les vraies joies, celles du salut ; ils recherchent bien plutôt les réalités caduques et passagères. C’est au pointb que l’inestimable mémoire de cette faveur de Dieu, ils en font un prétexte pour la chair (Ga 5, 13). S’ils paraissent tellement affairés en ces jours-ci, c’est pour se mettre en quête de vêtements fastueux, pour préparer des mets délicieux – comme si le Christ avait recherché ces choses-là lors de sa naissance, comme s’il était plus dignement accueilli là où on s’affaire pour les lui présenter ; alors qu’au contraire lui-même, par le psalmiste s’exprime ainsi : Avec l’homme au regard orgueilleux et au cœur insatiable, non, je ne veux m’attabler (Ps 100, 5 vg). Mais nous, frères, nous savons nous réjouir déjà de la joie que Dieu donne concernant les réalités de l’esprit, plutôt que celles de la chair, aussi nous ne pouvons qu’exulter. Ouic, réjouissons-nous, car c’est notre Seigneur et notre Roi, Jésus Christ, Fils de Dieu, qui est venu dans sa naissance. Et même s’il est venu dans l’humilité, ce ne peut être en vain qu’il est venu. Il est venu avec le salut, il est venu avec les onguents, il est venu avec la gloire. Non, Jésus n’est pas venu sans le salut, ni le Christ sans l’onction, ni le Fils de Pour quelques lignes, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum, 2, 1. b D’ici à la fin de l’alinéa, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Aduentu Domini, 3, 2. c D’ici à la fin du sermon, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini, 1, 2. a
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Sermon 63
Dieu sans la gloire. Pourquoi, en effet, lui donne-t-on le nom de Jésusa, sinon parce qu’il sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21) ? Ou encore : pourquoi a-t-il voulu être nommé Christ, sinon parce qu’il purifiera de ce joug qu’est la domination du démon grâce à l’huile de la miséricorde de Dieu (Is 10, 27 vg) ? Et pourquoi le Fils de Dieu s’est-il fait homme, sinon pour faire des humains les fils de Dieu ? Reprenez donc souffle, vous les perdus : Jésus est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19, 10). Malades, entrez en convalescence, le Christ est venu, qui guérit les cœurs meurtris (Ps 146, 3) par l’onction de sa miséricorde. Exultez, qui que vous soyez, qui convoitez la grandeur : le Fils de Dieu est descendu jusqu’à vous, il fait de vous les cohéritiers de son Royaume. Frères, voici l’héritier (Mt 21, 38) : accueillons-le avec une humble ferveur et l’héritage sera à nous. C’est ainsi, oui ainsi que notre âme bénira le Seigneur, et tout ce qui est en nous son saint nom, car il s’est fait propitiation pour tous nos péchés, il a guéri toutes nos maladies, il a comblé de biens notre désir (Ps 102, 1s), Jésus Christ, notre Seigneur.
a
Ce nom en hébreu signifie « Dieu sauve ».
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SERMON 64 MÊME SUJET
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Les deux avènements 1. Soyez patients, frères, jusqu’à l’avènement du Seigneur (Jc 5, 7). Il est deux avènementsa du Seigneur, nous les célébrons en y consacrant les jours présents. Votre Fraternité doit distinguer ce que, dans cette observance, vous devez croire de l’avènement passé et ce que vous devez attendre de l’avènement à venir. L’attente des réalités futures doit, par la crainte, vous garder attentifs à l’encontre du mal, et la foi en l’avènement passé, par l’amour, vous affermir sans tiédeur dans le bien. Que Dieu soit venu dans la condition du serviteur pour être jugé, il n’est aucun fidèle pour en douter. De même, dans cette même condition il viendra pour juger : qu’aucun fidèle n’en doute. Le premier avènement fut secret, le second sera manifeste. Dans son premier avènement le Christ a gardé le silence quant au jugement, mais non pas quant au précepte. Maudit, il ne maudissait pas, frappé il ne menaçait pas (1 P 2, 23). Comme un agneau devant les tondeurs il n’a pas ouvert la bouche (Is 53, 7). Dans le second avènement il ne se taira pas, mais rendra à chacun selon ses œuvres (Mt 16, 27). Le premier avènement s’accompagne de douceur et d’humilité, le second de terreur et de majesté. Dans le premier il est venu appeler les impies, dans le second il viendra les condamner. Dans a
Pour tout ce paragraphe, cf. Yves de Chartres, Sermo, 7.
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Sermon 64
le premier il est venu rappeler à lui ceux qui s’étaient détournés, dans le second il viendra glorifier ceux qui se sont convertis. Dans le premier le Christ s’est livré pour les impies à une mort indue, dans le second il livrera les impies à une mort due. Dans le premier il est venu pour nous recréer intérieurement, dans le second il recréera notre corps de misère pour le configurer à son corps de gloire (Ph 3, 21). L’un et l’autre de ces avènements se sont révélés nécessaires à notre recréation ; l’un et l’autre, l’Église a l’habitude de les célébrer par une sainte observance au cours du même temps, de manière à rappeler le commencement du premier bienfait avec action de grâce, et à attendre l’achèvement des bienfaits lors du futur avènement dans un tremblement humblement fervent. Conservons donc la première robe (Lc 15, 22) – celle de l’innocence – et avec elle courons aux noces du Père de famille, de manière à mériter de recevoir aussi l’autre robe, celle de l’immortalité. Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit (2 Co 7, 1), et de toutes nos forces luttons contre le péché qui nous enveloppe (Hé 12, 1). Remportant la victoire en supportant les incommodités de ce monde plutôt qu’en leur résistant, sûrs dans ce combat tenu avec constance et selon les règles (2 Tm 2, 5) de recevoir la couronne qui nous est due pour le jour du Christ (2 Tm 4, 8). C’est ainsi que, dès le début de son épître, le bienheureux Jacques nous exhorte succintement : Soyez patients, frères, jusqu’à l’avènement du Seigneur (Jc 5, 7).
Endurance et patience 2. Après avoir, dans les termes qui précèdent, apostrophé les orgueilleux et les incrédules, Jacques se tourne vers ceux qui sont opprimés par la méchanceté de ces derniers. Il les exhorte à la patience et laisse entendre que le terme de leur oppression est proche : soit que les opprimés soient enlevés par le Seigneur et reçoivent le fruit de leur patience, soit que leurs persécuteurs soient privés de leur pouvoir.
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Sermon 64
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Et il appuie sa recommandation par l’exemple suivant : Voyez, le cultivateur attend le précieux fruit de la terre, supportant patiemment cette attente jusqu’à ce que vienne le fruit hâtif et le fruit tardif (Jc 5, 7). C’est comme s’il disait : Si celui-là, pour le fruit de la terre, attend dans l’espoir que vienne un fruit d’ici-bas, à combien plus forte raison devez-vous supporter toutes les adversités actuelles en vue de pouvoir posséder à jamais le fruit de la récompense céleste. Vous recevez en effet un fruit hâtif, à savoir la vie après la mort, et un fruit tardif, l’incorruption de la chair dans le jugement – ou encore : un fruit hâtif dans les œuvres de la justice, et un fruit tardif dans la rétribution de vos peines, selon cette parole de l’Apôtre : Vous portez du fruit dans la sanctification, et l’aboutissement, c’est la vie éternelle (Rm 6, 22). Et pour que la continuelle remise à plus tard de la consolation n’affaiblisse pas les forces de la patience humaine par le découragement, il reprend son exhortation de tout à l’heure et la redouble : Soyez patients, vous aussi, et affermissez vos cœurs, car la venue du Seigneur sera proche (Jc 5, 8). Ensuite, pour alléger le poids de la peine, si chacun fixe les yeux de son esprit sur sa faute et sur la justice de Dieu, Jacques ajoute : Ne vous plaignez pas les uns des autres (Jc 5, 9), comme si vous aviez mérité de souffrir de plus grandes adversités, alors que tous ces pervers, en commettant de plus grands crimes, paraissent n’avoir rien à affronter. Ne portez pas un jugement de condamnation en vitupérant contre le juste Juge, comme s’il jugeait de manière inique. Voici, dit Jacques, le Juge se tient à la porte (ibid.) pour vous rendre à vous les récompenses de votre patience, et à vos adversaires la peine qu’ils méritent. Il se tient à la porte, soit parce qu’il est proche pour reconnaître tout ce que nous avons supporté, soit parce qu’il viendra bientôt pour rendre à chacun ce qu’il a mérité. Pour qu’alors nous portions plus légèrement les désagréments, il nous rappelle les épreuves qu’ont traversées ceux que nous vénérons, les souffrances des pères qui nous précèdent et celles du Seigneur lui-même. Par de tels exemples il nous avertit pour soutenir de plus en plus la vertu de notre constance, ajoutant : Prenez, frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Voyez, nous proclamons heureux ceux qui ont manifesté de la constance (Jc 5, 10s). Voyez, dit-il, les prophètes
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Sermon 64
qui se sont montrés saints et exempts de fautes, au point que l’Esprit de Dieu par eux révélait ses mystères aux humains : eh bien ils ont connu une fin de vie malheureuse. Ils ont souffert la mort de la part des infidèles, comme ces martyrs que sont Zacharie (2 Ch 24, 22), Urie (2 Sm 11, 17), les Maccabées, et dans le Nouveau Testament Jean Baptiste (Mt 14, 10), Étienne (Ac 7, 59s), Jacques (Ac 12, 2), Zébédée, et d’autres combien nombreux. Ils ne se sont pas plaints d’une telle fin, ils entendaient au contraire la supporter avec longanimité. D’autres ont affronté de pénibles situations, mais patiemment et sans murmurer, comme Noé dans la construction de l’arche durant cent ans, ou Moïse dans le rassemblement et la conduite du peuple durant quarante ans, ou David en exil sans culpabilité de sa part, ou Joseph supportant la tromperie au service de ses frères.
Se laisser saisir par ces exemples 3. Aux uns et aux autres de ces exemplesa, il en ajoute un, ferme et imitable : Vous avez entendu parler de la constance de Job, et vous avez vu la fin du Seigneur (Jc 5, 11). La peine et la patience de Job, vous les connaissez par la lecture : or tout ce qu’il avait perdu de par la tromperie de l’Ennemi, le Seigneur, dans sa miséricorde, le lui a rendu au double (Jb 42, 10). Quant à la mort du Seigneur sur la croix, qu’il a accueillie avec longanimité, en y assistant vous l’avez vue vous-mêmes ; et la gloire de sa résurrection et de son ascension aux cieux, la prédication de l’évangile vous l’a apprise. Car le Seigneur est miséricordieux et compatissant (Jc 5, 11), que ce soit dans le présent pour libérer les siens des tentations et, pour la constance de leur foi, de les glorifier vivants devant les hommes ; ou que ce soit, après leur mort, pour les couronner en secret et ne pas leur enlever la mémoire de louange qu’ils ont méritée de la part des humains.
D’ici jusqu’à la moitié du paragraphe 3, cf. Bède le Vénérable, In epistulas VII catholicas, Iacobi 5, 7ss a
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Sermon 64
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Sachant celaa, très chers, préparons-nous à l’avènement du Juge : ce qu’il trouvera en nous, puisse-t-il ne pas le condamner, mais le couronner. Prévenons son avènement dans la confession, lamentons-nous du mal que nous avons commis, établissons comme juges nos consciences contre nous, car, comme le dit l’Apôtre : Si nous nous jugions nous-mêmes nous ne serions pas jugés (1 Co 11, 31). De fait, le grand Prêtre suprême, qui s’est offert au Père pour nous (Hé 9, 11 et 14), intercède pour nous à la droite du Père ; il réserve encore pour les pécheurs un lieu de pardon ; mais pour ceux qui, après s’être détournés, ne reviennent pas, ce sera alors un lieu de vengeance. Par conséquent, tant que nous en avons le temps (Ga 6, 10), évitons la vengeance en corrigeant notre première vie, recherchons la miséricorde en observant la justice. Au dernier jour qu’il ne siège pas contre nous en Juge sévère, alors que maintenant, en bon Pontife, il intercède pour nous, lui Jésus Christ, notre Seigneur.
a
D’ici jusqu’à la fin du sermon, cf. Yves de Chartres, Sermo, 7.
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SERMON 65 COMME CI-DESSUS
S’arracher au sommeil 1. Frères, sachez-le, c’est l’heure désormais de nous arracher au sommeil (Rm 13, 11). L’observance de ces jours où nous prévenons la naissance du Seigneur, frères très chers, constitue un appel à nous préparer à la solennité à venir. Elle a son origine dans l’imitation des pères anciens, qui se préparaient avec un soin absolu et dans un désir ardent, pour se rendre dignes de la rédemption ; à partir de cette vérité qu’est la promesse de Dieu, ils savaient qu’elle adviendrait un jour. Le Christ, en effet, naîtrait de telle manière que nous nous représenterions sa naissance comme une nouvelle naissance, qui serait pour nous l’objet d’une joie nouvelle. Son premier avènement s’est déjà réalisé dans une grande humilité ; le second, nous l’attendons en gloire. Dans le premier, c’est humble qu’il est venu à nous pour écraser l’orgueil du diable (Rm 16, 20) par son humilité. Dans le second il viendra pour récompenser, par cette sublimité qu’est la dignité des anges, les disciples de son humilité. Il viendra alors pour juger, lui qui est venu pour être jugé ; il viendra pour flageller, lui qui est venu pour être flagellé. Il viendra d’autant plus sévère dans sa justice, qu’il est venu plus humble dans sa miséricorde. Il le dit lui-même : Le Fils de l’homme viendra dans la gloire du Père avec ses anges pour rendre à chacun selon ses œuvres (Mt 16, 27). Face à la si grande terreur du jugement, ce prédicateur éminent qu’est Paul désire nous trouver
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Sermon 65
prêts ; dans les termes de la lecture de ce jour il s’en prend à notre torpeur par une sorte d’importunité salutaire : Sachez-le, c’est l’heure désormais de nous arracher au sommeil. Car le salut est plus proche que lorsque nous avons cru (Rm 13, 11).
Exemples de victoires, exemples de défaites
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2. L’Écriture sainte – ainsi que le dit Grégoirea – place devant les yeux de notre esprit comme un miroir pour qu’apparaisse en elle notre visage intérieur. Là en effet nous le reconnaissons hideux, là nous le reconnaissons beau ; là nous saisissons combien nous progressons, et là aussi combien nous sommes loin du progrès. Elle nous raconte les actes des héros et provoque nos cœurs faibles à les imiter. En nous rappelant leurs faits victorieux, elle affermit nos faibles combats contre les vices. Et leurs paroles ont pour effet que notre esprit tremble d’autant, moins au milieu des conflits, qu’il voit devant lui tant de triomphes chez des hommes forts. Il arrive que non seulement leurs vertus nous touchent, mais aussi que leur chute nous enseigne. À nous de voir dans la victoire des forts ce dont nous devons nous saisir, et dans leurs chutes ce que nous devons redouter. Qu’ainsi la force de plus grands que nous soutienne notre espérance et que la chute de plus grands que nous nous ceinture de cette prudence qu’est l’humilité. Que ces forces, en nous réjouissant, nous soulèvent, et que ces chutes, en suscitant notre crainte, nous rabaissent. Que l’esprit de l’auditeur, enseigné d’une part par la confiance de l’espérance, d’autre part par la crainte née de l’humilité, soit gardé aussi bien de s’enorgueillir par témérité que de s’effondrer dans la peur. Sous la pression de la crainte qu’il ne désespère pas, car l’exemple de la vertu le renforce dans la confiance de l’espérance. En entendant que David, adultère et homicide, a retrouvé par la confession l’esprit de prophétie, toute défiance envers le pardon est enlevée au pécheur. De même, en remarquant que Saul, Pour la première moitié de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, II, 1, 1. a
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Sermon 65
d’abord persécuteur de l’Église et digne pour cela d’une suprême punition, a trouvé la grâce au lieu de la malédiction et la miséricorde au lieu de la condamnation, notre espérance ne s’en trouve pas peu soulevée. Il s’ensuit que, dans l’Église, les épîtres de Paul ont plus d’impact que les autres, et que les psaumes de David sont davantage fréquentés que les autres prophéties. Ce sont là les chiffons qui ont été noués sous les cordes pour tirer Jérémie hors de la citerne (Jr 38, 11ss). L’enseignement des épîtres, associé au témoignage de la loi, de la prophétie et de l’évangile, constitue comme une triple corde passée tout autour du pécheur pour le retirer du cloaque de l’infidélité et de l’ignorance. Celui-là, en s’opposant avec force à ceux qui présument d’eux-mêmes, et en combattant avec prudence et énergie, manifeste le rôle salutaire de l’adversaire. À ce propos le Seigneur dit dans l’Évangile : Accorde-toia avec ton adversaire tant que tu es avec lui en chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison (Mt 5, 25). L’adversaire en chemin, c’est la parole de Dieu, qui contrarie notre condition charnelle en chemin. Il s’en trouve libéré, celui qui se soumet humblement à ses préceptes. Le juge, c’est le Christ (Ac 10, 42) : il livre au garde, c’est-à-dire au diable, celui qui rejette ses paroles. Et le diable le jette en prison, autrement dit en enfer, car en cela consiste son office : tourmenter les âmes en enfer jusqu’au jour du jugement. Ensuite le feu de l’enfer tourmentera aussi bien les démons que les âmes dans leur corps (2 P 2, 4ss).
Trois sens du sommeil 3. N’est-ce pas à ceux qui aiment le sommeil que manifestement s’adresse l’Apôtre ? C’est l’heure désormais de nous arracher au sommeil ? Dans l’Écriture sainteb le sommeil se comprends a Pour la fin de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia, II, 39, 5. b D’ici jusque près de la fin du sermon, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, V, 31, 54–55.
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Sermon 65
de trois manières. Tantôt il figure la mort de la chair, tantôt la torpeur de la négligence, tantôt encore le repos de la vie, après qu’on a foulé aux pieds les réalités terrestres. Oui, sous le nom de sommeil ou de dormition, il s’agit de la mort de la chair, selon cette parole de Paul : Nous ne voulons pas vous laisser ignorer au sujet de ceux qui meurent. Et juste après : Ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui (1 Th 4, 13). Par ailleurs le sommeil désigne la torpeur de la négligence, comme l’atteste ce que nous avons déjà cité de Paul : C’est l’heure de nous arracher au sommeil. Et encore : Éveillez-vous, justes, ne péchez pas (1 Co 15, 34). En outre le sommeil figure le repos de la vie, une fois piétinés les désirs terrestres, comme l’exprime l’épouse dans le Cantique des cantiques : Je dors, mais mon cœur veille (Ct 5, 2). Car une âme sainte, plus elle fait taire le vacarme de la convoitise d’icibas, plus vraiment elle connaît les réalités intérieures. Cela est bien illustré par Jacob dormant en chemin : il posa une pierre sous sa tête et s’endormit : il vit alors les anges monter et descendre (Gn 28, 10s). Dormir en chemin c’est, dans le passage de la vie présente, loin des réalités de ce monde, reposer par amour. Poser la tête sur la pierre, c’est s’attacher au Christ par l’esprit. Voir les anges monter et descendre, c’est contempler les citoyens de la cité du ciel, et percevoir avec quel amour ils montent au dessus d’eux-mêmes pour s’attacher à leur Créateur, ou avec quelle compassion d’amour ils descendent et condescendent à nos faiblesses. Ceux qui ont pris leurs distances à l’égard de l’action de la vie présente mais qu’aucun amour ne tire vers le haut, peuvent dormir, certes, mais ils ne sauraient voir les anges car ils ne se soucient pas de tenir leur tête sur la pierre. C’est la torpeur qui les endort, non le zèle, aussi ne voient-ils rien d’intérieur, car leur tête repose non sur la pierre mais sur le sol. Voici ce qui leur arrive en général : plus ils trouvent de sûreté à s’abstenir d’actions extérieures, plus ils accumulent largement le tumulte des pensées impures.
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Sermon 65
Le vrai repos contemplatif 4. En conséquence, sous la figure de la Judée, le prophète pleure sur l’âme engourdie dans l’oisiveté : Ils l’ont vue, les ennemis, et se sont moqués de ses sabbats (Lm 1, 7 vg). Ainsi les ennemis rient en voyant les sabbats, alors que les esprits pervers entraînent les loisirs vides vers les pensées illicites. De la sorte, pour toute âme imprévoyante, plus elle croit servir Dieu en s’éloignant des actions extérieures, plus elle s’asservit à la tyrannie de ces esprits en s’adonnant aux pensées illicites. Or les élus qui s’endorment loin des actions de ce monde, non pas par torpeur mais par vertu, s’avèrent plus laborieux dans leur sommeil, qu’ils n’ont pu l’être éveillés. En surmontant les activités de ce monde, en les désertant, ils mènent un rude combat contre eux-mêmes pour que leur esprit ne s’engourdisse pas par négligence, qu’il ne se refroidisse pas, en proie à l’oisiveté, dans des désirs immondes, qu’il se mette plus justement à bouillir dans les bons désirs eux-mêmes et, que, sous prétexte de discernement, il ne languisse pas loin de la perfection en s’épargnant lui-même. Voici ce qu’il fait : il renonce radicalement à la convoitise agitée envers ce monde, et dans une vigilance attentive aux vertus, il s’endort par zèle du repos. Il ne se laisse conduire à la contemplation intérieure qu’en se soustrayant soigneusement aux implications de l’action extérieure. C’est bien ce que la Vérité affirme elle-même : Nul ne peut servir deux maîtres (Mt 6, 24). Et Paul de son côté : Nul combattant ne s’encombre des affaires du monde s’il veut donner satisfaction à celui qui l’a engagé (2 Tm 2, 4). Aussi, par un prophète, le Seigneur exhorte-t-il en ces termes : Libérez-vousa et voyez que moi je suis Dieu (Ps 45, 11 vg). Pour que nos ennemis ne trouvent pas à rire du sabbat de notre torpeur, arrachez-vous donc au sommeil, comme nous y exhorte aujourd’hui le bienheureux Apôtre, autrement dit : faites le bien en vous dégageant de la torpeur et de la négligence. Renonçons aux œuvres des ténèbres (Rm 13, 12), à savoir les œuvres mauvaises issues des ténèbres ; elles aiment les ténèbres et y conduisent. Et revêtons a
vacate.
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Sermon 65
les armes de la lumière (ibid.) : ce sont les vertus grâce auxquelles, équipés comme il convient, nous pourrons parvenir à la lumière du perpétuel bonheur, après ces temps où nous nous préparons d’avance à célébrer la naissance de notre Seigneur Jésus Christ. Qu’il veuille nous l’accorder et nous y aider.
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SERMON 66 DE L’AVENT
Le pouvoir limité du diable 1. L’avènement du Seigneur, que nous commençons de célébrer, frères très chers, fait connaître avec évidence l’œuvre de la miséricorde divine libérant l’homme de la puissance de l’antique Ennemi – la puissance avec laquelle celui-ci s’était précipité sur l’homme en l’entourant de ses ruses. Avant l’avènement du Christ le diable était libre. En venant, le Christ a réalisé à son égard ce qui est dit dans l’Évangile : Nul ne peut entrer dans la maison de l’homme fort et disperser ses affaires à moins de l’avoir ligoté au préalable (Mt 12, 29). Les humainsa étaient tenus captifs par le diable et servaient les démons, mais ils ont été libérés de cette captivité. Se vendre, ils l’avaient pu, se racheter, ils en étaient incapables. Commettre le péché, ils l’ont pu, se justifier du péché, par euxmêmes ils en étaient incapables. Le Rédempteurb est venu, il a payé le prix, il a versé son sang ; effaçant la cédule qui nous était contraire (Col 2, 14), il a ligoté le diable. Mais on va dire : s’il l’a ligoté, comment celui-ci garde-t-il tant de pouvoir ? Il est vrai, frères très chers, qu’il garde beaucoup de pouvoir, mais sur les tièdes, les négligents, ceux qui ne craignent pas Dieu en vérité. Lié, il l’est comme un chien enchaîné et incaa b
Pour quelques lignes, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos, 95, 5. Pour la fin de ce paragraphe, cf. Césaire d'Arles, Sermones, 121, 5–6 ; 59, 3.
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Sermon 66
pable de mordre quiconque, sinon celui qui se sera approché de lui avec un aplomb mortifère. Vous voyez déjà, frères, la sottise de cet homme que le chien, pourtant enchaîné, va mordre. Nous, nous ne voulons pas nous en approcher par les jouissances et les convoitises de ce monde, et lui ne peut envisager d’accéder jusqu’à nous. Il peut aboyer, il peut s’agiter, mais mordre, il en est incapable, sinon ceux qui le veulent bien. De fait le diable ne peut nuire en agissant, mais seulement en persuadant ; il n ‘extorque pas notre consentement, il le sollicite. À nous de ne pas nous approcher du diable, et nous l’avons vaincu. Il donne bien ses conseils. Mais avec le secours de Dieu, il nous appartient de choisir ou de refuser ce qu’il aura suggéré.
Le remède : l’humble confession 303
2. Personne cependant, en raison de la faiblesse qui l’enveloppe, ne peut se garder de tout ce qui est illicite, ni par conséquent éviter absolument la morsure de ce chien. Mais la miséricorde de notre Rédempteur, qui veille sur nous, a prévu pour nous un remède. Dans toutes les Écritures divinesa nous sommes utilement et salutairement exhortés à confesser continuellement et humblement nos péchés non seulement à Dieu, mais aussi à ceux qui, en son nom, exercent une autorité dans l’Église. Nous ne pouvons jamais être indemnes des blessures des péchés, de même les médicaments de la confession ne doivent pas manquer. Si Dieu veut que nous confessions nos péchés, ce n’est pas que, autrement, il ne pourrait pas les connaître. Mais le désir du diable, et sa ruse, c’est de nous trouver, devant le tribunal de l’éternel jugement, en train de défendre plutôt que d’accuser nos péchés. Au contraire, notre Dieu, parce qu’il est bon et miséricordieux (Si 2, 13), veut qu’en ce monde nous les confessions de sorte que, dans le siècle à venir, nous ne soyons pas confondus à cause d’eux. De fait, si nous les confessons, il épargne ; si nous les ignorons, il nous ignore. a
Pour la première partie de ce paragraphe, cf. Césaire d'Arles, Sermo, 59, 1.
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Sermon 66
Au premier homme il n’a pas été dit : Confesse tes péchés (Si 4, 31), car il n’avait rien fait qui nécessitât un aveu ; mais il lui a été dit de ne pas pécher. Nous, nous sommes nés mortels en raison du lien du péché, notre misère s’est propagée par héritage de la faiblesse humaine, et il nous a été dit : Avoue tes péchés. Or le serpent avait alors été institué pour que l’homme ne respectât pas ce qui lui avait été dit : Ne pèche pas. De même maintenant il est là pour que l’homme ne respecte pas ce qui lui a été dit : Confesse tes péchés – ce par quoi il les effacerait. De même, en effet, que le serpent a agi de manière à faire tomber celui qui se tenait debout, ainsi agit-il maintenant de telle manière que celui qui est tombé ne se relève pas. Voilà pourquoi, contre les embûches par lesquelles il s’efforce d’empêcher notre retour en nous dissuadant de nous confesser, recevons les très salutaires préceptes. Le diable le sait : nous ne pouvons revenir que par l’humilité, nous qui sommes tombés du fait de l’orgueil. Il a été notre guide vers l’orgueil, suivons maintenant vers l’humilité ce guide qu’est le Christ. Avec une intime contrition de l’esprit, proclamons, par la voix de David : Moi, j’ai dit : Pitié pour moi, Seigneur ; guéris mon âme car j’ai péché contre toi (Ps 40, 5). Regardons-nous donc, et même si nous ne trouvons en nous rien que des péchés, haïssons-les et désirons la justice. Dès lors, en effet, que nous nous sommes mis à haïr les péchés, déjà cette haine commence à nous rendre semblables à Dieu, puisque nous haïssons cela même que Dieu hait. Dès lors que nous nous sommes mis à poursuivre de notre haine nos fautes et à les confesser à Dieu, nous gémissons vers le Seigneur quand les plaisirs illicites nous entraînent et nous conduisent vers ce qui ne nous vaut rien. Alors, en lui confessant nos péchés, nous mériterons de recevoir de lui les délices et la douceur de la justice. Ceux dont l’iniquité d’abord faisait les délices, la justice ensuite se met à les délecter ; que cesse la défense orgueilleuse du péché, que l’humble confession en prenne la succession. Voici la première justice de l’homme : qu’il se punisse du mal, et que Dieu le rende bon par sa miséricorde. Par elle il justifie l’impie (Rm 4, 5), et c’est elle que, par son premier avènement, le Christ Jésus lui-même, Médiateur de Dieu et des hommes (1 Tm 2, 5), a apportée à ses fidèles.
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Sermon 66
Les deux avènements 3. Nous le lisons : il y a deux avènements du Seigneur, le premier dans l’humilité, le second dans l’éclat de la lumière. Du premier il est écrit : C’est un homme, et qui le connaîtra ? (Jr 17, 9). Du second on chantea : Il viendra de manière manifeste notre Dieu, il ne gardera pas le silence (Ps 49, 3) – ce qui signifie qu’il viendra juger les vivants et les morts. Quand il vint pour être jugé, ce fut de manière cachée. Quand il viendra juger, ce sera manifeste. À quel point il était caché, l’Apôtre l’enseigne : S’ils l’avaient reconnu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire (1 Co 2, 8). C’est alors que, interrogé, il garda le silence, comme en témoigne l’Évangile (Mt 26, 63s). Ainsi s’accomplit la prophétie d’Isaïe : Comme une brebis conduite pour être immolée et comme un agneau devant les tondeurs, il resta sans voix, il n’a pas ouvert la bouche (Is 53, 7). Il viendra donc de manière manifeste, et il ne gardera pas le silence. Non, il ne gardera pas le silence pour juger, lui qui garda le silence en étant jugé. Ne résistons pas à son premier avènement en défendant nos péchés, nous n’aurons pas alors à redouter le second. De fait, il viendra et il jugera ceux qui persévèrent dans leurs dérèglements et les ingrats envers la miséricorde qui leur était offerte ; mais il donnera en retour la couronne de justice à ceux qui aiment son avènement (2 Tm 4, 8).
Miséricorde et justice 4. Or en quoi consiste l’amour pour le Christ ? Est-ce craindre qu’il vienne ? Frères, ne rougirons-nous pas ? Aimons donc, et craignons qu’il vienne. Mais l’aimons-nous si nous lui préférons nos péchés ? Par conséquent nous haïrons les péchés et nous l’aimerons lui, qui viendra pour punir les péchés. Oui, il viendra, que nous le voulions ou non. Il viendra même quand nous ne le sau-
D’ici à la fin du sermon, divers emprunts à Augustin, Sermones 17, 1 et 9, 1 ; Enarrationes in Psalmos, 95, 14–15. a
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rons pas, mais s’il nous trouve préparés, il n’y a pas d’inconvénient à ce que nous ne le sachions pas. Quant à nous, frères très chers, pour notre salut Celui-là, qui est Dieu au dessus de tout, a paru comme un homme dans le temps, conçu dans le sein d’une femme et né de son ventre, allaité, porté sur les bras, circoncis ; et pour finir frappé d’un roseau, couvert de crachats, couronné d’épines, crucifié, mort, percé d’une lance – oui nous, dis-je, pour le salut de qui il recherchait tout cela afin de l’endurer, rendons grâce à la miséricorde divine. Et, autant que nous le pouvons, peinons de toutes nos forces : que le si grand bienfait de Dieu ne nous prépare pas un jugement de condamnation, mais une réussite. Lors que sera venu le jour redoutable du jugement et le temps de rendre des comptes, que tout ce que le Seigneur et Sauveur a jugé bon de nous conférer, il le trouve au complet pour le juger. Assurément, il donnera en retour ce qu’il a promis et il redemandera ce qu’il a racheté. Sur ce qu’il a dispensé lors du premier avènement il demandera des comptes lors du second. Bien que nous ayons à compter largement sur la miséricorde, il importe cependant de redouter la justice. Il jugera en effet avec justice ceux qu’il a rachetés avec miséricorde. Nous avons péché depuis si longtemps, et il nous épargne, non par négligence mais dans sa patience. ll n’a rien perdu de sa puissance, mais il nous a réservés pour la pénitence. Craignons donc la justice de Celui dont nous désirons la miséricorde. Il épargne maintenant, en effet, mais il ne se tait pas ; et s’il se tait, il ne se taira pas toujours. Maintenant se manifeste pour nous sa miséricorde, elle qui alors se montrera exigeante avec justice. Au reste, pour ne pas paraître en présence de notre Dieu les mains vides (cf. Si 35, 6) et nous trouver confondus lors de son avènement, écoutons la voix du psalmiste et soyons lui obéissants : Portez des offrandes et entrez dans ses parvis (Ps 95, 8 vg). Les offrandes les plus agréables à Dieu, ce sont la miséricorde, l’humilité, la confession, la paix, l’amour et tous les fruits de l’esprit qu’énumère l’Apôtre. Apportons-les et nous attendrons avec assurance l’avènement du Juge lorsqu’il viendra glorifier ses saints dans la gloire éternelle.
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SERMON 67 MÊME SUJET
Miséricorde et jugement 1. Ces jours qui commencent, frères, et qui courent d’aujourd’hui au jour de la nativité du Seigneur, nous les parcourrons par un effort important de veilles et d’abstinences, et par l’accomplissement de l’œuvre de Dieu. Leur observance met en valeur pour nous les deux avènements du Fils de Dieu, l’un dans lequel il fait miséricorde, l’autre dans lequel il juge. Concernant ces deux avènements, des témoignages adéquats abondent au long de ces jours, entendus dans les chants ou dans les lectures, et issus de la loi, des prophètes, de l’évangile et des écrits des apôtres. À partir de leur enseignement chaque fidèle comprend que l’unique et même Seigneur est miséricordieux dans le premier avènement et qu’il juge dans le second. Se voyant libéré sans aucun mérite de sa part, grâce au sang du Christ, pour une vie nouvelle, qu’il écarte l’orgueil. Et ensuite qu’il prenne garde à la sévérité de l’Examinateur, puisqu’il a expérimenté la bonté de sa venue. Que personne, au nom de la miséricorde de Dieu, ne se flatte d’une impunité, car il y a aussi le jugement. Que personne non plus, venu à de meilleurs sentiments, n’ait en horreur le jugement de Dieu, car la miséricorde de Dieu
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le précède. C’est maintenanta le temps de la miséricorde, ce sera ensuite le temps du jugement. Où est-il le temps de la miséricorde ? Le Seigneur appelle maintenant ceux qui se sont détournés, il remet leurs péchés à ceux qui se convertissent. Il se montre patient envers les pécheurs jusqu’à leur conversion. Toutes les fois où l’on se convertit il oublie le passé et promet l’avenir. Il exhorte les paresseux, console les affligés, enseigne ceux qui instruisent, soutient ceux qui luttent. Il n’abandonne nulle personne dans la peine et qui crie vers lui. Il donne de quoi lui offrir un sacrifice, il fournit de quoi lui plaire. Que le grand temps de la miséricorde ne passe pas, frères, qu’il ne nous échappe pas. Viendra le jugement. La pénitence demeurera, mais infructueuse. Comme il est écrit dans le Livre de la sagesse : Les pénitents se diront entre eux, gémissant dans l’angoisse de leur esprit (Sg 5, 3) : À quoi nous ont servi l’orgueil et la vantardise des richesses ? Qu’est-ce que cela nous a apporté ? Tout a passé comme une ombre (ibid. 8s). Disons maintenant : Tout passe comme une ombre. Oui, disons maintenant avec fruit : Tout passe – pour que n’ayons pas à dire un jour, mais sans fruit : Tout a passé. Il s’agit donc du temps de la miséricorde, il s’agira alors du temps du jugement.
En Dieu miséricorde et jugement sont inséparables 2. Ne pensons pas, frères, que ces deux réalités puissent d’aucune façon se séparer en Dieu. Les humains, eux, quand ils jugent, quelquefois victimes de la miséricorde, ils le font contre le jugement ; et quelquefois, voulant tenir un jugement rigoureux, ils perdent la miséricorde. Mais le Dieu tout puissant ni ne perd dans la bonté de la miséricorde la sévérité du jugement, ni, en jugeant avec sévérité, ne perd la bonté de la miséricorde. Il fait miséricorde, en effet, il considère son image, notre fragilité, notre erreur, notre aveuglement, et il appelle. À ceux qui se retournent vers lui il reD’ici au milieu du paragraphe 2, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos, 32, en. 2, s. 1, 10–11. a
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met leurs péchés, mais il ne les remet pas à ceux qui ne se convertissent pas. Il est donc miséricordieux même pour les injustes. A-t-il pour autant laissé perdre le jugement ? Ou n’aurait-il pas dû juger entre convertis et non convertis ? Comment donc apparaît-il juste en traitant de manière égale le converti et le non converti, en recevant également celui qui confesse et celui qui ment, l’humble et l’orgueilleux ? Dans la miséricorde même, Dieu donc exerce le jugement. Inversement dans le jugement il exerce la miséricorde à l’égard de ceux dont il est dit : Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde (Mt 5, 7). Dieu a donc promis la miséricorde, il a menacé du jugement. Le jugement de Dieu serait-il seulement à redouter, et non pas aussi à aimer ? Oui, il est à redouter par les pervers en raison du châtiment, il est à aimer par les bons en raison de la couronne que le Seigneur donnera en retour en ce jour-là à tous ceux qui aiment son avènement (2 Tm 4, 8). Par conséquent, frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde (cf. Ga 6, 10), ne vivons pas d’illusions, ne nous relâchons pas, ne prétendons pas que Dieu épargne toujours, mais comprenons qu’il épargne dans le but que nous nous corrigions et non pas que nous demeurions dans la perversité. Car à celui qui fait pénitence il promet le pardon, mais au pécheur il ne promet pas de lendemain. Écoutonsa l’apôtre Paul nous exhorter salutairement pour que, en raison du dernier jour, nous veillions (cf. 1 Th 5, 4ss) ; que chacun pense à son dernier jour, de peur que, s’il a peut-être le sentiment ou l’idée que le dernier jour de ce monde est encore lointain, il ne s’endorme jusqu’à son dernier jour.
S’arracher au sommeil des vices 3. Voilà pourquoi l’Apôtre dit, dans la lecture proclamée aujourd’hui : C’est l’heure désormais de nous arracher au sommeil (Rm 13, 11). Ce sommeil dont il veut nous réveiller, il explique peu après en quoi il consiste : Point de ripailles ni de beuveries, point de a
La fin du paragraphe, cf. Augustin, Sermo, 97, 1.
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coucheries ni de débauches, point de querelles ni de jalousies (ibid. 13). Cette triple répartition comprend tous les vices. Deux d’entre eux relèvent de la chair : les humains se laissent surtout prendre à la jouissance – la bouche et la sensualité, auxquelles il leur est d’autant plus difficile de renoncer qu’elles leur valent davantage de délices. Mais leur fin s’avère pleine d’amertume puisque, séduits par une douceur momentanée, ils se noient dans une perdition éternelle. Les autres vices, eux, n’apportent aucun plaisir, mais suscitent une très grande amertume. Ils devraient donc être d’autant plus faciles à éviter qu’ils ne séduisent par aucune jouissance. Par exemple : quel délices l’envieux retire-t-il de son envie alors que, dans le secret de sa conscience, sa jalousie le déchire de ses ongles et que le bonheur d’autrui fait son tourment ? Par ailleurs, quelle récompense reçoit-il de sa haine, sinon d’horribles ténèbres de l’âme et l’horreur d’un esprit troublé ? Le visage et l’âme affligés, par son désir de nuire à autrui il se torture lui-même. Et que rapporte au colérique sa fureur, harcelé qu’il est par les sauvages aiguillons de sa conscience ? Il se détourne de tout conseil, de toute intelligence, si bien que dans sa colère il passe pour dément. Et ainsi de suite : si nous voulons les examiner à partir de leurs indices, nous découvrons autant de tourments de l’âme que de vices. Le médisant souille sa langue, le dénigreur suscite des ulcères dans son cœur, l’orgueilleux se dépouille lui-même de toute grâce de Dieu. Le diable, lorsqu’il détourne l’âme, la vide de sa foi et la prive de la crainte de Dieu. Ainsi, par des passions de ce type il enivre l’esprit et l’obscurcit. C’est ce que dit l’Apôtre : Ceux qui dorment dorment la nuit, ceux qui s’enivrent s’enivrent la nuit ; nous qui sommes du jour, soyons sobres (1 Th 5, 8s). Veillonsa à toute heure en vue de bien vivre ; que le dernier jour ne nous trouve pas impréparés. Tel que chacun sortira de la vie à son dernier jour, tel il se retrouvera au dernier jour de ce monde.
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D’ici à la fin du paragraphe 3, cf. Augustin, Sermo, 97, 1–3.
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Bien user de ce châtiment qu’est la mort
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4. Rien ne viendra au secours de ce que nous n’aurons pas fait, chacun sera aidé par ses propres œuvres, à moins qu’elles ne soient pour lui qu’un fardeau. La valeur d’un mortel tient à sa discipline, non à sa vantardise. De quoi peut se vanter un ver qui mourra demain ? Je le dis à votre Charité, frères : les mortels orgueilleux doivent rougir de confusion face au diable : lui, en effet, s’il est orgueilleux, s’avère du moins immortel, il est esprit. Et si un dernier jour mauvais, un jour de châtiment lui est réservé, il ne subit cependant pas la mort que nous subissons. L’homme a entendu cette sentence : Tu mourras de mort (Gn 2, 17). Qu’il use bien de son châtiment. N’est-ce pas d’être allé vers l’orgueil qu’il a reçu ce châtiment ? Qu’il se reconnaisse mortel et qu’il brise son élévation. Qu’il s’entende dire : Pourquoi t’enorgueillir, toi qui n’es que terre et cendre (Si 10, 9). Même s’il s’enorgueillit, le diable, lui, n’est pas terre et cendre. Ainsi est-il dit dans un psaume : Mais vous, comme des hommes, vous mourrez, comme un seul parmi les princes, vous tomberez (Ps 81, 7). N’êtes-vous pas attentifs au fait que vous êtes mortels et, comme le diable, orgueilleux ? Que l’homme use bien de son châtiment, frères, qu’il en use bien contre son mal, pour progresser vers son bien.
L’incertain de la vie terrestre Qui ignore que ce châtiment, c’est la nécessité pour lui de mourir ? Et ce qui est plus grave : il ne sait pas quand. Le châtiment est certain, l’heure en est incertaine. Et ce châtiment, c’est même la seule chose dont nous soyons certains, parmi les réalités humaines. Que dis-je ? L’enfant a été conçu : peut-être naîtra-t-il, peut être avortera-t-il : c’est incertain. Peut-être grandira-t-il, ou peut-être non ; peut-être vieillira-t-il, peut être non ; peut-être sera-t-il riche, ou peut-être pauvre ; peut-être honoré, ou peut-être humilié. Peutêtre aura-t-il des enfants, peut-être non ; peut-être se mariera-t-il, ou peut-être non. Tout ce qu’on peut énumérer de bon, regarde-le
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aussi en mal. Peut-être sera-t-il malade, ou peut-être non ; peut-être sera-t-il mordu par un serpent, ou peut-être non ; peut-être serat-il dévoré par une bête, ou peut-être non. Regarde à tout ce qui va mal : c’est partout. Peut-être cela arrivera-t-il, ou peut-être non.
Seule la mort est certaine Mais peux-tu dire : peut-être vais-je mourir, ou peut-être non ? Les médecins, quand ils posent leur diagnostique pour connaître la santé ou ce qui va à la mort, comment peuvent-ils affirmer : Il va mourir, il ne s’en tirera pas ? De ce que l’homme est né, il faut dire aussi : Il ne s’en tirera pas. En naissant il commence à être malade ; quand il sera mort il finira d’être malade. Mais il ne sait pas s’il va vers le pire. Cara une maladie perpétuelle habite cette vie, celle de la chair.
La vie présente, une vapeur passagère 5. Vous estimez qu’un homme est malade quand il a de la fièvre et qu’il est en santé quand il a faim ? Oui, en le dit alors en santé. Veux-tu voir combien c’est un mal d’avoir faim ? Renvoie cet homme sans médicament. Or le médicament de la faim, c’est la nourriture, et celui de la soif la boisson. Le médicament de la lassitude c’est le sommeil ; celui de la fatigue à dormir, c’est de veiller. Le médicament de la fatigue à rester assis, c’est de marcher, le médicament de la marche c’est de s’asseoir. Et vois combien le corps humain se montre faible. Cela même que j’ai dit, c’est une aide qu’on reçoit, mais à y persévérer on s’y perd. Affamé tu étais en quête de nourriture : tu refais tes forces ; mais à beaucoup manger tu perds tes forces. Tu étais en quête du secours de la boisson : en buvant à outrance tu suffoques davantage que tu ne brûlais de soif. Tu t’es lassé de marcher et tu veux t’asseoir. Mais reste assis perpétuellement, et vois si dans cette persévérance tu ne perds pas a
D’ici au milieu du paragraphe 5, cf. Césaire d’Arles, Sermo, 21, 7–8.
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tes forces. Quel est ici le salut, Frères ? Tout passera, fragile, tout périra, vain. Combien il est vrai de dire : Qu’est notre vie ? Une vapeur qui paraît un instant (Jc 5, 14). Ce riche de la parabole avait terminé ce malaise délicieux et s’en vint au tourment, alors que le pauvrea en avait fini avec ce malaise et parvint à la santé. Mais ce qu’il a reçu par la suite, il l’avait choisi ici-bas, ce qu’il a moissonné alors, c’est ici qu’il l’a semé (cf. Ga 6, 8). Par conséquent lorsque nous vivons nous devons veiller icibas et choisir ce que nous tiendrons dans l’avenir. N’aimons pas le monde (1 Jn 2, 15) : il écrase ceux qui l’aiment et ne les conduit pas au bonheur. Mieux vaut faire effort pour ne pas s’y laisser prendre, que de redouter de tomber. Voici : le monde tombe, mais que tienne ferme le chrétien, car le Christ, lui, ne tombe pas.
Se préparer à Noël et à l’éternité 6. Ainsi donc, bien-aimés, pour accueillir le jour natal de notre Sauveur dans une très fidèle et humble ferveur, préparons-nous de toutes nos forces et par un saint comportement. De la sorte, si le jour de cette solennité passe, que cette bénédiction, celle de sa sanctification, demeure auprès de nous. Reconnaissons dans une action de grâce où s’engage tout notre cœur que notre Seigneur Jésus Christ, par son avènement, nous apporte une grande espérance, un grand réconfort, une grande grâce. La grâce dont je parle est donnée, ce n’est pas une récompense offerte en retour. Par elle il relève celui qui s’est effondré, par elle il soigne le malade, par elle il couronne le vainqueur. C’est elle la foi, c’est elle la vérité, car si, par un seul homme – Adam – est venue la ruine, par un autre homme est venue la reconstruction. Il est tombé celui qui n’est pas demeuré ferme ; il demeure ferme, Celui qui n’est pas tombé. Venons donc à lui, nous aussi, en croyant, montons par nos bonnes actions en progressant, reconnaissons-le en persévérant, afin de demeurer avec lui en régnant pour l’éternité. Qu’il veuille nous l’accorder, notre Seigneur qui vit et règne à jamais. a
D’ici à la fin de ce paragraphe 5, cf. Augustin, Sermo, 97, 3–4.
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SERMON 68 SERMON SUR L’AVENT
Accueillir Celui qui advient 1. Ces jours qui précèdent la nativité du Seigneur, frères très chers, la coutume de l’Église universelle – comme le sait votre Dilection – leur donne le nom d’ « avent » ou d’avènement du Seigneur, et, par une sorte de privilège, les met à part du reste de l’année. Par ce terme, si vous y faites très attention, notre conscience à tous convient salutairement de ceci : l’annonce de l’avènement d’un prince terrestre mobilise le commun effort des ministres de l’État. Il s’agit pour eux de donner tout leur soin afin de se transporter au lieu où l’on espère sa venue, de parcourir mer et terre en vue de l’opulence des festins royaux, de balayer les appartements, d’étendre les coussins, d’orner les parois, et de recevoir ainsi celui qui vient avec les louanges et tout l’apparat de la gloire. Quant à nous, mesurant leur diligence industrieuse envers un roi de ce monde, avec quelle sollicitude ne devons-nous pas accueillir l’avènement du Roi du ciel et de notre libérateur ! Courons au devant du jour annoncé avec le même empressement que celui que nous les voyons déployer pour des services extérieurs, et préparons-nous à recevoir intérieurement Celui qui habite les cœurs. C’est lui qui, par la voix de la sagesse chez Salomon, affirme : Mes délices c’est d’être avec les fils des hommes (Pr 8, 31). Aussi, chassant de nos cœurs ce par quoi nous savons l’avoir offensé, rassemblons-y les préceptes des Écritures, dont il fait ses délices. Voi-
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là comment nous avons à préparer en nous une demeure qui lui plaise, à l’inviter par nos prières empressées et nos actes de bonté. Alors du pain de vie, qui est la volonté du Père (Jn 4, 34), nous avec lui et lui avec nous, nous ferons nos délices. Celui que le monde, sans le savoir, a reçu, né ce jour-là, comme le premier homme nouveau, à nous de le percevoir, par un accroissement de la grâce spirituelle, comme Celui qui advient et demeure continuellement en nous.
S’arracher au sommeil
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2. À la mise en œuvre de cette préparation salutaire le bienheureux apôtre Paul, si soucieux d’exhorter ses fidèles, nous stimule par la lecture que nous avons faite aujourd’hui : Frères, sachez-le, c’est l’heure désormais de nous arracher au sommeil (Rm 13, 12). La fina de ce monde où nous avons été placés, et le temps de la grâce où nous avons déjà commencé de recevoir l’amour de Dieu, doivent nous instruire précisément dans ce but : ne pas ignorer, savoir que c’est l’heure – autrement dit le temps opportun – de nous arracher au sommeil. Autrement dit de nous arracher à la torpeur, à la négligence, à l’ignorance : tout cela que signifie le sommeil. Maintenant, en effet, le salut est plus proche que lorsque nous avons cru (ibid.). Quel est ce salut ? – La vie éternelle, la joie sans fin, le bonheur perpétuel que les élus posséderont avec les anges. S’il est plus proche maintenant qu’au temps où nous avons cru, c’est que la fin du monde approche, et de ce fait la vie éternelle et le salut se hâtent d’autant. Il est manifeste que, après le baptême, si on agit bien et qu’on s’exerce à l’amour, on se trouve proche de la vie éternelle. Une vie bonne, en effet, s’avère le signe et la cause du salut à venir. Or le baptême conduit au pardon, et une vie bonne à la couronne. a D’ici au deuxième tiers du paragraphe 2, cf. Haymon d’Auxerre (Maître de l’école monastique de St Germain d’Auxerre au ixe siècle), Expositio in Epistulas S. Pauli. Ad Romanos 13., et Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli, Ad Romanos, 13.
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Sermon 68
Ainsi devons-nous nous arracher au sommeil, car la nuit de l’infidélité et de l’ignorance est avancée – elle fut et elle n’est plus ; le jour, lui, qui est le bonheur, s’est approché (Rm 13, 12) par le fait que nous sommes justifiés par la grâce. Effectivement, le vieil homme qui alimente le péché, est mort, et le Soleil de justice (Ml 4, 2), le Christ de qui nous avons appris la vérité de la lumière, a brillé pour que nous sachions comment agir. D’abord, en effet, nous étions dans les ténèbres, ignorants du Christ, mais la lumière s’est levée, et nous avons passé de l’erreur à la vérité. Nous avons donc rejeté les œuvres des ténèbres, à savoir les œuvres mauvaises issues des ténèbres de l’ignorance, et qui aiment les ténèbres et y conduisent. Et nous avons revêtu comme un ornement les armes de la lumière (Rm 13, 12) que sont les vertus, ces armes que réclame la foi. Comme en plein jour, à savoir dans la clarté des vertus, marchons avec honnêteté, sans offenser ni la foi, ni la connaissance. Point de ripailles ni d’ébriété que sont les festins superflus et les beuveries démesurées. Point de coucheries ni d’impudicité – ce sont les paresses des dormeurs et la luxure engendrée par l’abus des boissons. Point non plus de querelles ni de jalousie (Rm 13, 13), comme certains ont l’habitude d’en fomenter entre eux en se mettant en avant. Le plus petit porte envie au plus grand, d’où entre eux querelles et jalousie. Ces deux maladies ont pour mère la superbe, avide de la louange humaine. À celle-ci on ne résiste qu’en recourant souvent au témoignage des livres divins qui inculquent à nos esprits la crainte et l’amour de Dieu. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ (Rm 13, 14) en le tenant en tout pour modèlea ; ainsi ne serez-vous pas contraints de servir la chair. Voilà pourquoi il est ajouté : Et ne vous souciez pas de la chair (ibid.). Il n’est pas question ici de ce qui est nécessaire pour la sustenter, mais des désirs en quête de jouissance ; car il nous est bien nécessaire de manger, de boire, de dormir, de nous vêtir, et rien de cela n’est interdit. Mais il s’agit de ce que désire la misérable chair au delà de ce qui convient. C’est ainsi, comme le dit le
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Forma.
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bienheureux Augustina, que les aliments sont à prendre à la façon des médicaments. La faim et la soif, en effet, sont en quelque sorte des souffrances qui brûlent et tuent comme la fièvre, si les remèdes que sont les aliments ne viennent à leur secours. Parmi l’ensemble des dons de Dieu, ceux-là sont à disposition, car Dieu a promis à ceux qui recherchent son Royaume de leur donner tout cela par surcroît. Mais quand on passe du besoin au bien-être de la satiété, le piège de la convoitise nous est tendu dans ce passage. Et puisque c’est le salut qui doit être la raison de manger, la jouissance s’y ajoute comme une suivante dangereuse. Et souvent elle s’efforce de passer la première pour faire tourner à son profit ce que nécessite la cause de la santé. Souvent aussi on hésite : le souci nécessaire du corps exige-t-il encore un supplément, ou est-ce la convoitise volontaire qui offre largement ses services trompeurs ?
Le débat intérieur en vue de la modération
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3. Cette incertitude enchante la pauvre âme, toute heureuse de ne pas voir clairement ce qui suffit à l’équilibre de la santé et de voiler ainsi d’une ombre une affaire de jouissance – la mesure dans les deux cas n’étant pas la même. Carb ce dont se rassasie le salut s’avère trop peu pour la délectation, et si l’esprit peut se contenter de ce qui lui est nécessaire, sa jouissance reste déçue. Mais souvent, en nous montrant imprudemment compréhensifs par rapport à la nécessité, nous faisons le jeu des désirs ; et lorsque nous nous efforçons de nous opposer immodérément aux désirs, nous aggravons les misères de la nécessité. Par conséquent, comme l’enseigne le bienheureux Grégoire, pour tenir la place forte de la modération, il est nécessaire de tuer non pas la chair, mais les vices de la chair. Il arrive qu’en restreia D’ici à la fin de ce paragraphe, plus les toutes premières lignes du paragraphe 3, cf. Augustin, Confessiones, X, 31, 43s. b D’ici et pour la première moitié du paragraphe 4, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXX, 18, 62s.
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gnant trop la chair, on lui enlève ses forces pour exercer le bien ; elle ne suffit plus à la prière et à la prédication quand on se hâte d’étouffer radicalement les aiguillons des vices. Pour réaliser nos intentions intérieures nous avons un assistant : cet homme qui se situe pour nous extérieurement. Les mouvements qui tendent à le débaucher sont ceux-là mêmes qui se mettent aussi au service de la bonne œuvre. Souvent, en poursuivant cet homme extérieur comme un ennemi, nous tuons le citoyen que nous aimons. Et souvent, en l’épargnant à titre de concitoyen, nous nourrissons l’ennemi qui se prépare à nous combattre. Les mêmes aliments suscitent l’orgueil des vices et font vivre les vertus. En nourrissant une vertu il arrive que l’on augmente les forces des vices. Une restriction sans mesure exténue certes les forces des vices, mais elle prive aussi de souffle la vertu. Aussi est-il nécessaire que notre homme intérieur, à titre d’arbitre équitable, préside entre lui et celui qu’il montre à l’extérieur, pour autant que son homme extérieur soit toujours capable du service qu’il lui doit et jamais ne le contredise orgueilleusement, la tête haute. Pour autant aussi que celui-ci ne change pas d’attitude si quelque suggestion lui est murmurée. Et pourvu enfin que l’homme intérieur le tienne fermement sous sa domination en sorte qu’il formule à peine de dos une sainte réflexion et jamais ne s’oppose de face à une droite délibération.
Le « tout » du Royaume 4. Cela, l’histoire, dans la sainte lecture, nous le signifie lorsqu’elle rappelle qu’Abraham accourut au devant des trois anges, alors que Sara resta derrière l’entrée de la tente. Que nous fait donc savoir Abraham par cette manière d’accourir, sinon que notre esprit, comme un homme, ou comme le maître d’une maison spirituelle – c’est notre intellect – doit, dans la connaissance de la Trinité, dépasser les limites étroites de la chair et sortir comme par la porte d’une habitation très petite. Au contraire, le soin de la chair, comme la femme, ne paraît pas au dehors ; elle rougirait de
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sembler ainsi orgueilleuse. Cachée en quelque sorte derrière le dos de son mari, dans la discrétion de l’esprit, attentive aux seules réalités nécessaires, elle évite absolument de se mettre effrontément à découvert et sait se conduire avec réserve. Ainsi à l’esprit du sage en quête des réalités éternelles doit-il apparaître comme importun de s’occuper de la chair appelée à mourir, importun d’aspirer à quoi que ce soit de matériel au delà de ce qui est dû à la nécessité. Car, venant du ciel, son chef lui montre à revenir à la Patrie par le chemin d’une stricte pauvreté, lui qui, pour nous s’est fait pauvre (2 Co 8, 9) et qui n’avait pas un lieu où reposer la tête (Mt 8, 20), alors que lui appartient la terre et sa plénitude (Ps 23, 1). Le secours qui lui permettra de vivre, il a voulu l’obtenir non de sa propre abondance, mais d’une générosité étrangère. Il ne recherchait pas quelque gloire de ce monde, car il est venu non pas pour une portion seulement, mais pour l’ensemble du genre humain. Aussi disait-il aux Juifs : Vous vous indignez contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier la jour du sabbat (Jn 7, 23). Ce tout ne consistait pas à enrichir cet homme de biens matériels, ni à collectionner pour lui des signes d’un honneur et ou d’une gloire de ce monde – tout cela ne donne pas la plénitude du bonheur et de la grâce. Non, mais c’était d’abord de justifier une âme de son iniquité en lui offrant le pardon ; et ensuite de recréer son corps par la résurrection en vue de l’immortalité, et, à la place du court délai de la vie présente, de lui donner d’atteindre à l’éternité. Voilà ce qu’a réalisé Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne pour les siècles des siècles.
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SERMON 69 POUR L’AVENT
Pourquoi si tard ? 1. Quoi de plus nécessaire pour le genre humain, quoi de plus fructueux pour ce monde, que l’avènement du Sauveur, le Seigneur ? Il est possible d’en déduire qu’après cet avènement il y a plus de sauvés qu’auparavant. Alors, s’il était venu plus tôt, les sauvés auraient été plus nombreux. Que l’homme cependant ne se dresse pas témérairement contre la décision divine, comme pour contester ce qu’il ne peut comprendre ; qu’il ne calomnie pas le Donateur de la miséricorde gratuite. Il relève du pouvoir d’un donateur de décider quand et dans quelle mesure il veut faire miséricorde. Il s’agit en effet de le supplier par des prières pour ce monde, et non pas de le provoquer en le contestant, mais de l’invoquer en agissant bien. Peut-être ne se mettra-t-on pas à critiquer si, pour cette miséricorde, on lui en rend quelques-unes en retour. Fait-on des reproches à un médecin qui dispense gratuitement ses médicaments et ses soins ? Est-ce à bon droit qu’on l’accuserait d’avoir tardé, alors qu’on ne l’avait pas appelé ? Nous parlons ici selon la raison, mais la bonté du Seigneur ne s’arrête pas à la faiblesse humaine. C’est sa nature qu’il suit pour faire miséricorde. Voilà pourquoi il est venu quand il le devait, suivant en cela la raison de sa volonté, et non celle de nos mérites. Car si tu mets dans la balance tes mérites, il ne devait pas venir. Il est donc venu quand il a su qu’il devait porter secours et que
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Sermon 69
son bienfait serait apprécié. Si le besoin rend urgent qu’il anticipe son secours, il sera aussi apprécié. Cependant on ne peut trop bien savoir ce qui pour lui l’emporte. Si, à quelqu’un qui se trouve dans le besoin, tu apportes un secours, il saura, lui, quel bienfait il aura obtenu. Arraché à la tribulation il rendra de plus grandes actions de grâce, comme si on offrait du pain à qui a faim. Par contre, si tu lui offres du pain alors qu’il n’a pas faim, il n’appréciera pas autant. Voilà pourquoi Dieu a agi droitement en ne venant pas plus tôt.
Le déroulement du salut
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2. Il a commencé par envoyer le genre humain agir selon sa volonté divine, non sans témoignage de sa part à lui, le Seigneur. Car, à partir de la création du monde et de ses dons annuels – dont il a décidé de mettre les éléments à la disposition des humains – il a voulu que soit comprise et crainte sa divinité. Et sa connaissance, à partir du premier homme, puis d’Énoch et de Noé, allait se transmettre sur la terre. Mais, en raison d’une certaine langueur du genre humain, la connaissance de Dieu se mit à s’affaiblir entre les hommes, et leurs conduites se modifièrent. Alors Dieu daigna choisir Abraham, en qui la justice de Dieu et les conduites des hommes trouvèrent une forme renouvelée. Or quand la vénération envers lui se mit à vieillir, Dieu, dans la suite, donna par Moïse une loi écrite, qui ne perdrait plus de sa force, mais inspirerait la crainte. Plus grande est la crainte, en effet, là où la vérité est manifeste. Cependant, recevant cette loi, les gens la méprisèrent en refusant de s’y soumettre, et ceux qui l’avaient reçue ne la conservèrent pas. Aussi, mu par sa miséricorde, le Seigneur envoya son Fils qui, pour eux, s’offrirait en détruisant la mort. S’il a donné à tous la rémission des péchés, c’était pour offrir à Dieu son Père ceux qu’il devait justifier. Or il n’aurait pu descendre dans les enfers sans passer par la mort. De fait, l’ordre et la raison exigeaient de lui qu’il fût mort pour passer les portes du tartare. Si quelqu’un veut, dans son pays, surprendre des barbares, il se change et prend leurs ha-
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bits afin de passer pour l’un d’eux et explorer ainsi les moyens de les anéantir. Ainsi advint-il à propos du diable : par le mal il anéantit l’homme pour le maintenir dans la mort. Mais un remède a été trouvé concernant la manière de lui faire perdre ceux qu’il tenait captifs : il fallait s’introduire chez lui ; alors celui qu’il penserait avoir tué en tant qu’homme, il le découvrirait Dieu dans les enfers. Accusé de ce fait, il perdit tous ceux qu’il tenait captifs. C’est ainsi que s’ouvrit le chemin vers le ciel. Voici donc à quoi servit l’avènement du Sauveur : les hommes, sachant de quel péril ils avaient été libérés, offriraient au Sauveur de continuelles actions de grâce. Mais peut-être va-t-on élever une critique : beaucoup, avant et après la loi, sous la pression des péchés, se sont donnés tout entiers à la chair et se montrèrent dignes de demeurer dans le tartare. Mais sans doute s’en trouva-t-il qui, par empressement spirituel et vénération envers le Créateur, bridèrent leur vie en obéissant à la loi de la nature. N’ont-ils pas été, eux aussi, détenus dans les enfers en vue d’expier pour leur vie ? Or si le Sauveur était venu auparavant, après la mort d’Adam, celui-ci une fois libéré – qui fut le premier à pécher – un chemin se serait ouvert pour tous vers le ciel. En conséquence, puisque, sans connaître le Seigneur, ils avaient mené une vie bonne, les défunts auraient été reçus dans le ciel.
Dieu agit selon la justice 3. C’est donc un dommage, si le Christ n’est pas venu avant, alors qu’il ne paraît pas évident que cela soit juste ou injuste. Il arrive pourtant que des dommages soient justes, et il n’est pas licite de s’en plaindre. Le voleur, confondu et condamné selon la loi à payer le quadruple, a-t-il osé s’en plaindre ? C’est pourquoi le dommage subi par le genre humain a eu lieu de manière juste. De ces prémisses il ressort que le Sauveur ne devait pas venir aux origines. En s’écroulant, le diable a renversé l’homme. Or il aurait été injuste de la part de Dieu de résister au diable alors que l’homme avait reçu le commandement. Le diable, en effet, avec sa
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ruse habituelle, a simulé qu’il ignorait ce qui avait été prescrit par Dieu. Et lorsqu’il trouva l’homme instable, il l’a circonvenu en lui promettant, s’ils bravaient l’interdit, de leur assurer la divinité. Le diable alors, une fois l’homme vaincu, triompha ; et l’homme vaincu soumit le genre humain au péché. Voilà pourquoi il aurait été injuste d’enlever violemment au vainqueur ses dépouilles, car ce que Dieu fait, il le fait de manière juste. En outre, l’homme avait âprement péché, donnant son assentiment au diable contre le commandement du Créateur ; ainsi avaitil admis l’idolâtrie à la place de Dieu, en quoi il a péché contre Dieu. C’est la raison pour laquelle Dieu ne devait pas lui venir en aide immédiatement : de fait, l’homme n’avait pas fait pénitence, et la miséricorde n’aurait pas été gratuite puisqu’il ne savait pas ce qu’il méritait. Certes, tout est possible à Dieu, mais il n’agit que conformément à la raison. Et il répugnait de toutes manières à la raison que l’homme, sans être purifié par aucune satisfaction, retrouve le bonheur que, sans y être forcé par une nécessité, il avait perdu. Il ne pouvait, infecté par les ordures de ses crimes, y retourner, alors qu’il y avait été établi sans contagion du vice. Or, expier la faute de l’homme, le mérite d’aucune créature n’en était capable ; aucune n’avait le pouvoir de tomber par ellemême ni de resurgir par elle-même, si bien que le projet de Dieu à l’égard de l’homme semblait avoir totalement échoué. C’est alors que le Fils de Dieu en personne, lui, Dieu, s’est fait homme, de telle manière que le Rédempteur soit celui qui a créé. Pour que l’homme soit libéré de son malheur et que Dieu soit intimement aimé par l’homme, il est apparu, devenu semblable à un homme (Ph 2, 7). L’un et l’autre des sens en lui ont été béatifiés et recréés : l’œil du cœur dans sa divinité et l’œil du corps dans son humanité. Ainsi, soit qu’elle entre, soit qu’elle sorte, la nature créée par lui trouverait en lui un pâturage (Jn 10, 9). À ce pâturage éternellement vert, qu’il daigne, lui, Jésus Christ, qui est aussi le bon Berger, nous conduire comme ses petites brebis.
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SERMON 70 DE L’AVENT
Les deux avènements 1. Nous le croyons, frères très chers : vous n’ignorez pas que ces jours, désignés spécialement sous le noms d’ « avent » du Seigneur, constituent une figure : soit celle du temps où les pères, dans leur vœu et leur désir, attendaient qu’il vienne pour la rédemption du monde ; soit la figure de ce temps où il viendrait rendre à chacun selon ses œuvres lors du jugement (Rm 2, 6), chaque fidèle l’attendant en partie dans la crainte, en partie dans l’amour. Je l’affirme : la vérité de ce double avènement nous est signifiée en ce temps par des paroles de l’un et l’autre Testaments. Lors du premier de ces avènements, le Seigneur est apparu, humble, pour offrir d’avance la miséricorde en vue du salut de l’homme ; lors du second il siégera, terrible, pour réclamer les mérites dus à sa miséricorde offerte gratuitement. La réalisation de notre salut impliquait cette exigence-ci : le monde ne pouvait être réconcilié avec Dieu sinon par la mort de Celui qui ne devait rien à la mort. Cela, l’Apôtre l’atteste aux Hébreux : Sans effusion du sang il n’y a pas de rémission (Hé 9, 22). Le Seigneur est venu une première fois tel qu’il pourrait succomber à la mort. Par conséquent il s’avère le véritable Médiateur, que la secrète miséricorde de Dieu le Père a manifesté et envoyé aux humbles, pour qu’à son exemple ils apprennent, eux aussi, l’humilité. Ainsi le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Jésus
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Christ (1 Tm 2, 5), est apparu parmi les mortels, lui le Juste immortel : mortel avec les humains, juste avec Dieu. Prix de la justice, il est vie et paix ; aussi, par la justice qu’il a en commun avec Dieu, il supprimerait la mort des impies justifiés, cette mort qu’il a voulu avoir en commun avec eux. Il a démontré aux saints des temps anciens qu’ils seraient sauvés par leur foi en sa passion future, tout comme nous par notre foi en sa passion réalisée. Il est donc venua d’abord humble et caché : d’autant plus caché qu’était grande son humilité. Les peuples, en méprisant par orgueil son humilité divine, ont crucifié leur Sauveur et en ont fait un condamné. Mais s’il est venu caché parce que humble, ne viendra-t-il pas ensuite de manière manifeste, parce qu’il est élevé ? Il est dit dans un psaume : Il viendra manifestement, notre Dieu, et ne gardera pas le silence (Ps 49, 3). On ne dirait pas qu’il viendra manifestement s’il n’était pas venu de manière cachée ; et l’on ne dirait pas qu’il ne gardera pas le silence si d’abord il ne l’avait gardé. Il s’est tu pour être jugé, il ne se taira pas lorsqu’il se mettra à juger. D’ailleurs maintenant il se tait quant au jugement, mais non quant au précepte. Veut-on se faire entendre de Dieu ? Que d’abord on l’entende.
Le temps de la patience, la perspective du jugement Or maintenant, en effet, le Christ qui semble se taire, crie en réalité, il crie en exhortant, il se tait en différant le jugement. Aussi humble qu’il est venu au devant des injures, aussi célèbre viendra-til pour la vengeance. Aussi patient qu’il se montre maintenant en supportant les pécheurs, aussi sévère se montrera-t-il pour punir ceux qui méprisent. Il redira ce que dit le psaumeb en énumérant les péchés des pécheurs : Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence (Ps 49, 21). Par contre il est dit : Il viendra et ne gardera pas le silence. Que fera-t-il lorsqu’il ne se taira pas ? Écoute la suite du psaume : Je t’accuserai (ibid.). Je me tais lorsque tu agis, je ne me a b
Pour ces deux alinéas, cf. Augustin, Tractatus in Ioannis euangelium, 4, 1–2. D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Augustin, Sermo, 17, 3–7 passim.
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tairai pas lorsque je jugerai. Comme tu n’y penses pas, et quand tu n’y penseras pas, je t’accuserai et te placerai devant ma face. Pour le moment tu agis mal, et parce que tu ne veux pas te voir, tu critiques les autres, alors que toi, tu ne te regardes pas. Tu accuses les autres, tu ne te préoccupes pas de toi ; tu places les autres devant ton regard, et toi, tu te mets derrière ton dos. Moi, quand je te juge, je te prends de derrière ton dos et te place devant ton regard. Tu méprises pour le moment le temps de la miséricorde, viendra le temps du jugement, comme le dit le psalmiste : Je chanterai pour toi miséricorde et jugement (Ps 100, 1). Non, le temps du jugement n’est pas encore venu, c’est maintenant le temps de la miséricorde. Nous péchons, et tant qu’il y a place pour la pénitence, nous nous corrigeons. La vie n’est pas encore finie, le jour n’est pas encore clos, il n’a pas encore expiré. Que personne ne désespère car, pour les péchés des humains, Dieu a établi dans l’Église le temps d’implorer la miséricorde, le remède quotidien, pour que nous puissions dire : Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (Mt 6, 12). Qu’ainsi, le visage lavé par ces paroles, nous accédions à l’autel ; et que le cœur lavé par ces mêmes paroles, nous communiions au corps et au sang du Christ.
Ne pas laisser passer en vain le temps de la miséricorde 2. Mais voici qui s’avère plus grave : ce remède, les humains le méprisent au point non seulement de ne pas accorder le pardon quand on a péché contre eux, mais ils ne veulent pas même le demander quand eux-mêmes ont péché. C’est contre leur dureté que se dirige cette menace de la sagesse : Si un homme nourrit de la colère contre un autre, comment peut-il demander à Dieu la guérison ? Si lui qui est chair n’a pas de miséricorde pour un homme semblable à lui, comment peut-il prier pour son propre péché, demandant à Dieu de lui être propice ? (Si 28, 3ss). La tentation est entrée en lui, la colère s’y est glissée, l’irascibilité l’a dominé autant qu’elle a pu, si bien que non seulement son cœur est en tumulte, mais
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sa langue vomit injures et péchés. Un péché de ce genre – ô douleur – abonde en ce temps, et on le néglige – bien plus, et c’est vraiment très dangereux : on le défend pour juste. Mais bien que de tels hommes soient morts dans leur âme, l’Apôtre dit encore : Les maudits ne posséderont pas le Royaume de Dieu (1 Co 6, 10). Pourtant notre Médecin est puissant, aussi ne faut-il pas désespérer de ceux-là, mais engager toutes nos forces pour le supplier : qu’il daigne ouvrir les oreilles de leur cœur, lesquelles prouvent qu’elles sont fermées. Quant à nous, nous voici pressés par la nécessité qui nous est confiée de corriger les fautes ; or souvent nous épargnons, même si nous savons devoir parler. Nous sommes réticents à excommunier et à exercer quelque châtiment corporel. Il nous arrive de craindre que les coups fassent plus de mal que de bien à celui qui les reçoit. Mais épargnera-t-il ainsi, gardera-t-il le silence, Celui que nous devons redouter ? Grande assurément est sa sévérité après le jugement, lui dont la miséricorde ineffable, avant le jugement, est offerte. Au reste, ô homme, tant que tu en as le temps, corrige-toi. Dis : j’ai fait le mal, j’ai péché. Non, tu ne mourras pas, si tu le dis. Accuse en toi les méfaits, ne t’épargne pas, ne te pardonne pas. Sois devant toi ce que tu ne veux pas être devant Dieu. Si tu rejettes ton péché derrière toi, Dieu te le ramènera devant tes yeux. Et il te le ramènera quand il ne restera plus aucun fruit pour la pénitence. Ne te sens pas en sécurité du fait que le jour du jugement te semble encore lointain. Si ce jour-là est lointain, ton jour à toi l’est-il aussi ? D’où sais-tu quand il arrivera ? Est-ce que beaucoup d’hommes en santé ne se sont-ils pas endormis, et endormis profondément ? Estce que nous ne portons pas notre morta avec nous dans cette chair ? Fragiles, nous marchons sous tant de menaces quotidiennes. Et si les imprévus nous épargnent, nous ne pouvons pas pour autant vivre longtemps. Toute la vie humaine s’avère brève ; de l’enfance jusqu’à la décrépitude de la vieillesse, elle est tout entière brève, et pour tous le jour de leur mort demeure incertain.
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casus, « la chute ».
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Voilà pourquoi, frères, mettons tout notre soin à ne pas laisser passer vainement le temps qui nous est concédé pour obtenir la miséricorde de Dieu. Gardons-nous absolument de laisser la dureté de notre cœur s’opposer au Médecin céleste qui vient pour notre salut. De fait, autant qu’il est en lui, il est venu soigner un malade. On se tue soi-même à négliger les préceptes du médecin.
Courir vers le pardon 3. Le Sauveur est venu dans le mondea. Pourquoi l’appelle-ton Sauveur du monde, sinon parce qu’il est venu pour le salut du monde ? Le mode de ce salut, quel est-il ? L’ange a expliqué ce terme qui traduit le nom se Jésusb : C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21). Il est venu sans péché et trouve tous les humains dans le péché. S’il est venu, lui, remettre les péchés, c’est que Dieu dispense largement sa bienveillance, mais pour autant que d’abord l’homme confesse ses fautes. La confession de l’homme c’est son humilité, la compassion de Dieu, sa grandeur. Si donc Celui-là est venu pour remettre à l’homme ses péchés, que l’homme reconnaisse sa bassesse, et que Dieu fasse miséricorde. Que l’homme reconnaisse le degré où il se trouve, et cela en vue de glorifier Dieu ; qu’il se confesse à Dieu. Effectivement, le commencement des œuvres bonnes c’est la confession des œuvres mauvaises. Lorsque l’homme commence à se déplaire face à ce qu’il a fait, commencent aussi ses œuvres bonnes, puisqu’il accuse ses œuvres mauvaises. Qui accuse ses péchés et les confesse, déjà il est avec Dieu et s’unit à lui. Il y a comme deux réalités : l’homme et le pécheur. Ce qu’est l’homme, c’est Dieu qui l’a fait ; ce qu’est le pécheur, c’est l’homme qui l’a fait. Que l’homme donc haïsse en lui son œuvre, et qu’il
a Pour l’ensemble du paragraphe, sauf le dernier alinéa, cf. Augustin, Tractatus in Ioaannis euangelium, 12, 12–14. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 13, CCSL 72, p. 76, 28s.
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aime en lui-même l’œuvre de Dieu. Qu’il efface ce qu’il a fait pour que Dieu sauve en lui ce que lui a fait. Par conséquent, tant qu’il est temps courez, mes frères, pour que les ténèbres ne vous surprennent pasa. Veillez en vue de votre salut. Qu’aucun de vous ne se refroidisse dans son amour de Dieu, qu’aucun ne se montre paresseux dans l’œuvre de Dieu, qu’aucun ne se détourne d’une prière continuelle, qu’aucun ne manque à son empressement spirituel. Veillez puisqu’il fait jour, et que le jour brille : le jour, c’est le Christ. Il est prêt à pardonner à ceux qui se reconnaissent en mal de pardonb, et à punir ceux qui se défendent, se vantent de leur justice et se croient quelque chose alors qu’ils ne sont rien (Ga 4, 6). Marchant dans son amour et sa miséricorde, jugeons-nous nous-mêmes à toute heure en présence de Dieu dans une véritable confession, non seulement quant à nos péchés grands et mortels, mais aussi quant à nos fautes quotidiennes, ces petites négligences presque inévitables. Car minuscules, elles sont nombreuses, et elles tuent. Minuscules aussi sont les gouttes d’eau, et elles remplissent un fleuve. Une sentine négligée a autant d’effet qu’un fleuve qui déborde. Par une fente, insensiblement, l’eau s’infiltre, et à la longue, si on ne la puise, elle coule le bateau. Qu’est-ce que la puiser ? Sinon faire le bien, et pour que les péchés ne se dressent pas comme un obstacle, gémir, faire pénitence, confesser, jeûner, pardonner. C’est en tout temps qu’il est en notre pouvoir de nous exercer à cela. Mais en ces jours-ci, où nous nous acheminons vers la célébration de ces mystères que sont la naissance du Seigneur, nous devons tout spécialement nous y engager avec un soin plus attentif. De cette manière – pour autant que cela soit concédé à notre humaine fragilité – puissions-nous, lavés de toute tache de la chair et de l’esprit, pénétrer dignement ces mystères et recevoir, en ce temps et dans l’éternité, le secours de l’âme et du corps, par notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne pour les siècles des siècles.
a b
Cf. Regula S. Benedicti, Prologue, 13. ignoscere se agnoscentibus.
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SERMON 71 POUR L’AVENT
Dieu seul est vraiment juge 1. Qu’on nous considère comme des serviteurs du Christ (1 Co 4, 1). Le serviteur du Christa doit se conduire de telle manière que, à partir de ses attitudes extérieures, visibles, on estime les dispositions de son âme intérieure, qu’on ne voit pas. Qu’il ne puisse être jugé par autrui, ou par lui-même, mais qu’il dise avec le même apôtre : Pour moi il m’importe peu d’être jugé par vous ou par une instance humaine, et même je ne me juge pas moi-même. Mon juge, c’est le Seigneur (1 Co 4, 3s). D’après ces paroles on remarquera que se présentent trois instances de jugement : celle des hommes, la sienne propre, celle de Dieu. Les humains peuvent juger des réalités extérieures, qu’ils perçoivent par les sens du corps ; mais aux réalités intérieures ils n’ont pas accès. Par ailleurs il est écrit : Qui, parmi les hommes, connaît ce qui est de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? (1 Co 2, 11). Ainsi ce qui est intérieur à l’homme, son esprit, qui est en lui, peut en juger. Or le jugement de Dieu sur ces réalités est de loin plus lumineux. L’Apôtre s’avoue incapable d’y échapper ; ce jugement dépasse celui des hommes et celui qu’on porte sur soi-même. Pour tout ce sermon, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis, 32, 1–4. a
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Sermon 71
Le jugement porté par les humains, il le méprisait celui qui disait : Pour moi il m’importe peut d’être jugé par vous ou par une instance humaine. Il ne craignait pas non plus son propre jugement : Je ne me juge pas moi-même, disait-il, même si ma conscience ne me reproche rien. Ne lui restait que le jugement de Dieu : Mon juge, c’est le Seigneur.
Les trois degrés de la tentation et du péché
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2. Chacun, toutefois, autant qu’il le peut, doit se présenter sans reproche devant Dieu et devant les hommes. C’est ce que l’Apôtre dit ailleurs : Nous avons à cœur ce qui est bien, non seulement devant Dieu mais devant les hommes (2 Co 8, 21). Il faut remarquer que de trois manières on a à cœur le bien devant les hommes : par l’attitude, l’action, la parole. L’attitude : qu’elle se garde d’attirer l’attention ; l’action : qu’elle soit sans reproche ; la parole, qu’elle ne se montre pas méprisable. De trois manières aussi devant Dieu : par la pensée, l’élan affectif, l’intention. La pensée doit être sainte ainsi qu’il est écrit : Une sainte réflexion te gardera (Pr 2, 11) ; que l’élan affectif soit pur et l’intention droite. Ces trois réalités se tiennent dans l’âme, où elles ont chacune leur place distincte. La pensée se tient dans la mémoire, l’élan affectif dans la volonté, l’intention dans la raison. Pour que nous percevions plus clairement leur fonction propre, empruntons un exemple aux réalités extérieures. Concernant le corps, si une vilaine couleur n’affecte que sa peau, il en devient certes plus laid, mais rien de sa santé n’en est altéré. Si par contre quelque pourriture ou une tumeur maligne s’y loge, ce n’est déjà plus seulement son aspect qui en souffre, mais sa santé s’en trouve altérée. Et si la maladie s’aggrave et, de la chair, s’étend aux os et aux moelles, on pourra désespérer alors à juste titre de sa vie. Ainsi en va-t-il de l’âme : si la pensée suggère un péché à la mémoire, sans que pour autant l’élan affectif se laisse en rien émou-
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Sermon 71
voir, ni que la volonté y consentea, il en résulte, il est vrai, un enlaidissement en vertu du souvenir du péché dans la mémoire, mais le salut n’est nullement en cause. Par ailleurs, si la volonté se trouve affectée par une sensation de plaisir, mais que la raison persiste encore dans sa rectitude, déjà l’élan affectif cause du tort à la volonté ; l’âme pour autant n’en meurt pas, tant que l’intention droite remplit d’énergie la volonté. Par contre on peut parler de mort quand la raison elle-même, par son intention, s’incline vers le péché ; elle y consent alors. Et d’une telle âme on peut dire : L’âme qui a péché, c’est elle qui mourra (Éz 18, 4). Ces trois degrés dans la progression du mal, David, parlant au nom du pécheur, les déplore, disant au Seigneur : En me chassant du paradis, tu as appesanti sur moi ta main (Ps 37, 3). Et parce que les désirs charnels constituent la peine du péché, il ajoute : Rien de sain dans ma chair loin de la face de ta colère (Ps 37, 4 vg). Déjà la raison demeure sans force : Point de paix dans mes os à cause de mes péchés (Ps 37, 6). Parlant à nouveau de ces degrés, mais au nom du juste, il s’écrie : Je me suis souvenu de Dieu, j’y ai trouvé mon plaisir et je m’y suis exercé (Ps 76, 4) – j’y ai trouvé mon plaisir par la raison.
Poster des gardes aux portes 3. Que la foule nombreuse des pensées, en faisant irruption, ne chasse donc pas Dieu de la mémoire. Elles ont l’habitude en effet, à la manière d’une populace, d’envahir la cour d’entrée de la maison. Qu’on place alors à la porte de la mémoire un gardien qui a pour titre : souvenir de notre profession particulière. Son rôle, lorsque l’esprit se sentira accablé par des pensées indignes, consistera à se réprimander soi-même en disant : « Est-ce là les a Ce schéma est hérité de saint Augustin, mais chez ce dernier la mémoire revêt un sens plus profond : davantage que le souvenir, le terme signifie la présence à soi ; en elle se situe la connaissance. La « volonté » ici est à comprendre comme le lieu des désirs et de l’affectivité. La volonté comme centre de décision et mise en œuvre de l’intention est à situer dans la raison.
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pensées que tu dois faire tiennes, toi qui es prêtre, ou clerc, ou moine ? Celui qui cultive la justice doit-il faire place à quoi que ce soit d’inique ? Convient-il qu’un serviteur du Christ, un homme saisi par l’amour de Dieu, pense à de telles choses, serait-ce un instant ? » Ce disant, par le souvenir de sa profession particulière, il rejette le flot des pensées illicites. De même, à la porte de la volonté, là où se tiennent à leur habitude, telle la domesticité de la maison, les désirs de la chair, qu’on place un portier, qui a pour nom : souvenir de la Patrie céleste. C’est lui qui peut, comme un clou chasse l’autre, mettre en fuite le désir mauvais et accueillir au contraire sans retard Celui qui dit : Voici, je me tiens à la porte et je frappe (Ap 3, 20). Quant à la chambre intime de la raison, il faut y placer un gardien si intraitable qu’il ne fasse d’exception pour personne, mais écarte tout ennemi qui se permettrait de s’introduire ouvertement ou en secret. Son nom : souvenir de la géhenne. À propos des deux autres facultés de l’âme, la mémoire et la volonté, le risque n’est pas aussi intolérable, soit que la mémoire accueille à l’occasion une pensées errante, soit que la volonté accepte un désir impur. Mais ce qui est très grave et excessivement dangereux, c’est que la raison perde jamais sa droiture de détermination.
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SERMON 72 COMME CI-DESSUS
La venue du Christ : joie et promesse 1. Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le répète ; réjouissez-vous (Ph 4, 4). Je saisa, bien-aimés, combien abonde votre tribulation pour le Christ ; puisse abonder aussi par lui votre consolation (2 Co 1, 5s). Car il ne me plaît pas de vous offrir une consolation de ce monde, non, cela ne me plaît pas, car une telle consolation s’avère méprisable et sans aucune utilité. Davantage : elle est absolument à redouter, car elle fait obstacle à l’authentique et salutaire consolation. Voilà pourquoi Celui qui s’offre comme la délectation et la gloire des anges s’est fait lui-même le salut et la consolation des miséreux. Lui qui est grand et très élevé fait le bonheur des citoyens dans sa cité ; devenu pauvre et humble, il fait la grande joie des exilés. Lui qui, au plus haut des cieux, est la gloire du Père, s’est fait paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). Petit, il a été donné aux petits, afin que, grand, il soit donné aux grands. Et ceux que, enfant, il justifie, c’est pour que, grand et glorieux, il les réjouisse et les glorifie par la suite. Voilà pourquoi ce vase d’élection (Ac 9, 15) qu’est Paul, qui avait reçu de ce petit enfant la plénitude (Jn 1, 16) – petit certes, mais comblé de grâce et de vérité Pour tout ce sermon, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 4, 1 ; 8–10. a
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(Jn 1, 14), et en qui habite la plénitude de la divinité (Col 2, 9) – oui, voilà pourquoi Paul laisse jaillir cette bonne parole (Ps 44, 2) que nous avons citée ci-dessus : Réjouissez-vous dans le Seigneur… Réjouissez-vous de sa manifestation, dit-il, et à nouveau de sa promesse, car la réalité déborde de joie, mais l’espérance elle-même déborde de joie. Réjouissez-vous car déjà vous avez reçu les dons de sa main gauche, réjouissez-vous car vous attendez les récompenses de sa droite. Sa gauche est sous ma tête, est-il dit, et sa droite m’étreindra (Ct 2, 6). Effectivement sa gauche soulève et sa droite accueille. Sa gauche soigne et justifie, sa droite étreint et donne le bonheur. En sa gauche les titres à la récompensea, et sa droite contient la récompense. Par conséquent déjà nous tenons sa droite, mais il nous reste nécessaire de crier : Avance ta droite vers l’œuvre de tes mains (Jb 14, 15). Car délices en ta droite jusqu’à la fin (Ps 15, 11). Seigneur, étends vers nous ta droite, et cela nous suffit (Jn 14, 8). Gloire et richesses dans sa maison (Ps 111, 3) – la maison de celui qui craint le Seigneur. Mais dans ta maison, Seigneur, que se trouve-t-il ? Assurément l’action de grâce et les cris de louange (Is 53, 3). Heureux les habitants de ta maison, dans les siècles des siècles ils te loueront (Ps 83, 5).
La paix qui surpasse toute intelligence Ce que l’œil n’a pas vu ni l’oreille entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, voilà ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9). Inaccessible est sa lumière, et sa paix surpasse toute intelligence (Ph 4, 7). Source qui ne sait pas s’élever, mais seulement descendre. Non, l’œil n’a pas vu la lumière inaccessible ; non, l’oreille n’a pas entendu l’annonce de cette paix incompréhensible. Certes, ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix (Rm 10, 15), pourtant leur voix a beau gagner la terre entière, cette paix surpasse toute intelligence ; eux-mêmes n’ont pu saisir sa grandeur ni la transmettre aux oreilles d’autrui. Paul lui-même a
C’est le sens du terme meritum.
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l’affirme : Frères, je ne me flatte pas d’avoir saisi (Ph 3, 13). La foi, assurément, vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient par la parole de Dieu (Rm 10, 17). Or il s’agit bien de la foi, non de la vue (2 Co 5, 7), de la promesse, non de la réalisation même de la paix. Pas de doute, la paix est présente dès maintenant sur la terre pour les hommes de bonne volonté, mais qu’est-elle cette paix en comparaison de cette plénitude suréminente de la paix ? C’est pourquoi le Seigneur s’exprime ainsi : Je vous donne la paix, je vous laisse ma paix (Jn 14, 27). Au vrai, de ma paix qui surpasse toute intelligence et qui est ma paix au delà de la paix, vous n’êtes pas encore capables. Aussi ce que je vous donne, c’est la Patrie de la paix et, pour le moment, ce que je vous laisse c’est le chemin de la paix.
Non-sens de l’orgueil 2. Mais qu’entendons-nous en parlant de ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme ? La source, bien sûr, car elle ne saurait monter. Nous le savons en effet, les sources, par nature, suivent les rives des vallées et dévalent les pentes des montagnes, selon ce qui est écrit : Dans les vallées tu fais surgir les sources, leurs eaux coulent entre les montagnes (Ps 103, 10). Voilà la raison pour laquelle je m’efforce si souvent de persuader votre Charité que Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles (1 P 5, 5). De fait, une source ne peut atteindre un lieu plus élevé que celui d’où elle jaillit. Mais il peut sembler alors que, en vertu de cette loi, l’orgueil n’empêche pas de suive les voies de la grâce. D’autant que, du premier Orgueilleux, celui que l’Écriture considère comme le roi établi sur tous les fils de l’orgueil (Jb 41, 25), nous ne lisons pas qu’il ait dit : Je serai plus élevé, mais : Je serai semblable au Très Haut (Is 14, 14). Cependant l’Apôtre ne ment pas en disant que celui-là s’élève au dessus de tout ce qu’on peut considérer ou adorer sous le nom de Dieu (2 Th 2, 4). L’oreille de l’homme a horreur de cette parole ; puisse de même son esprit avoir horreur de cette idée et de ce désir ! Car je vous l’affirme, celui-là n’est pas le seul à s’élever au des-
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sus de Dieu, c’est le cas de tout orgueilleux. Dieu veut en effet que l’on fasse sa volonté, et l’orgueilleux entend faire la sienne propre. Jusqu’ici on semble à égalité, mais remarque que le rapport n’est pas adéquat. Oui, Dieu veut que l’on fasse sa volonté, mais seulement en ce qu’approuve la raison. L’orgueilleux, lui, entend faire sa volonté aussi bien conformément à la raison que contre elle. Tu le vois, il s’agit d’une élévation, et les flots de la grâce ne parviennent pas jusqu’à ce niveau. Si vous ne vous convertissez pas et ne devenez semblables à de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux (Mt 18, 3).
Se préparer Dès lors prépare des rigoles, aplanis les amas que représentent les pensées terrestres et orgueilleuses, conforme-toi au Fils de l’homme et non au premier homme, car la source de la grâce ne monte pas dans le cœur de l’homme – je veux dire d’un homme charnel et terrestre. Purifie aussi ton œil pour pouvoir regarder la lumière très pure, et incline ton oreille (Ps 44, 11) pour obéir, afin de parvenir un jour au repos sans fin et à la paix qui surpasse la paix. Oui, Dieu est lumière en raison de sa sérénité, il est paix par sa tranquillité, il est source du fait de son jaillissement et de son éternité. Mais quand parviendrons-nous à cela ? Quand me rempliras-tu de joie près de ton visage (Ps 15, 11) ? Nous nous réjouissons en toi car, Soleil levant, tu nous as visités d’en haut (Lc 1, 78). À nouveau et encore nous nous réjouissons dans l’attente de la bienheureuse espérance (Tt 2, 13) lors de ton second avènement. Mais quand donc viendra la plénitude de la joie, non plus dans la mémoire que nous en faisons, mais par la présence même, par la manifestation, et non plus dans l’attente. Que votre douceur soit connue de tous les hommes, dit l’Apôtre, le Seigneur est proche (Ph 4, 5). Il convient en effet que notre propre douceur soit connue à la manière dont la douceur de Dieu s’est fait connaître à tous. Quoi de plus déplacé, si l’homme conscient de sa
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faiblesse se conduit sans retenue, alors que le Seigneur est apparu parmi les hommes avec tant de discrétion ? Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29) afin que votre douceur soit connue de tous.
Le Seigneur est proche 3. Quant à ce qui suit : Le Seigneur est proche, il faut comprendre cela de la droite. Car de la gauche il est dit : Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Proche est le Seigneur, mes frères, n’entretenez aucun souci (Ph 4, 6) : il est proche et bientôt il paraîtra. Ne défaillez pas, ne vous lassez pas (2 Th 3, 13). Cherchez-le tant qu’on peut le trouver, invoquez-le tant qu’il est proche (Is 55, 6), proche de ceux qui l’attendent, qui l’attendent en vérité (Ps 144, 18). Écoute l’épouse chanter que l’Époux se tient là, derrière la paroi (Ct 2, 9). Cette paroi, comprends-la comme ton corps, l’obstacle qui t’empêche encore de voir Celui qui est proche. Le prophète s’exprime ainsi dans un psaume : Fais sortir de prison mon âme pour qu’elle confesse ton nom (Ps 141, 8). Voilà pourquoi Paul désire se dissoudre pour être avec le Christ (Ph 1, 23) et qu’il s’écrie avec douleur : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – La grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7, 24).
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SERMON 73 SUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
La nature humaine : moyen et prix de son salut 1. Dans le mystère de la célébration d’aujourd’hui – si vous y prêtez grande attention – nous reconnaissons que s’y manifestent à nous les inestimables richesses de la bonté de Dieu. En effet cette Majesté créatrice se soumet tout ce qu’elle aura voulu, et pour réparer la ruine de l’homme failli elle semblait pouvoir recourir à de multiples modes d’agir. Or elle a choisi celui qui conviendrait davantage à la cause de la justice et qui éclairerait le mieux la grandeur de son amour pour l’homme. Celui-ci, qui était tombé par lui-même, ne pouvait par lui-même se relever, ni d’ailleurs relever aucune autre créature – et il ne le devait pas non plus. Alors le Dieu créateur lui-même, conduit par son ineffable bonté, lui qui avait créé l’homme entre tout, au dessus de tout, assuma la nature humaine en vue de supprimer la faute de l’homme. Il prit sur lui la misère qui était due à l’homme pour que celui-ci retrouvât la grâce qu’il avait perdue. De la sorte le mode de réalisation ne s’accordait pas seulement à la bonté de Dieu, mais aussi à l’équité. Puisque l’homme avait péri de son propre chef, et non à cause d’un autre, c’est à lui que sont empruntés les matériaux de son salut. Cette même nature qui, donnée par Dieu et opposée à Dieu, lui avait déplu, la voici miséricordieusement assumée par Dieu pour lui plaire. Elle qui l’avait offensé, c’est elle qui doit satisfaire. Par la prévarication du
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premier homme elle avait été vendue au péché (Rm 7, 14) et emmenée dans la servitude de ce dernier. Maintenant que le Fils de Dieu se l’associe, la voici libérée de tout péché, et elle se présente elle-même comme le prix de sa rédemption. À vrai dire la puissance divine de notre Créateur était capable de nous recréer sans assumer notre humanité, mais la faiblesse humaine de ce même Rédempteur ne le pouvait pas sans assumer cette faiblesse, habiter en elle, et sans que sa divinité agisse par elle. C’est bien pourquoi le Verbe s’est fait chair – autrement dit Dieu s’est fait homme – et il a habité parmi nous (Jn 1, 14). Ainsi pourrait-il nous rejoindre par une existence humaine unie à la nôtre, nous instruire par sa parole, nous ouvrir un chemin, entrer en conflit avec notre Ennemi, détruire notre mort en mourant et en ressuscitant. Par sa divinité coéternelle à celle du Père, en nous vivifiant intérieurement, il nous élèverait vers les réalités divines et il nous dispenserait la rémission de nos péchés en même temps que les dons de l’Esprit Saint (Ac 2, 38). Puis, après la perfection des bonnes œuvres, non seulement il nous conduirait pour nous faire voir la gloire de son rayonnement, mais il nous montrerait la nature immuable de sa majesté divine.
Prendre le Christ pour exemple 2. Par conséquent, frères très chers, pour nous, qui faisons mémoire aujourd’hui, comme chaque année, avec une humble ferveur, de la nativité humaine de notre Rédempteur, il importe d’embrasser également sa nature divine aussi bien qu’humaine, non pas chaque année, mais continuellement : divine, par laquelle nous avons été créés alors que nous n’existions pas ; humaine, par laquelle nous avons été recréés. Et si peut-être nous nous souvenons de nous être montrés ingrats en oubliant le bienfait de notre première création, prenons soin, au moins, de nous montrer reconnaissants envers ce don gratuit et plus que nécessaire de notre recréation.
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Efforçons-nous de refléter par notre conduite l’image de son heureux comportement, en vue duquel, principalement, il est venu du ciel sur la terre pour le recréer en nous. C’est ce qu’il a révélé lui-même en disant : Soyez saints, car je suis saint (Lv 11, 44). Méritons d’être le temple de Dieu (1 Co 3, 16s) et de recevoir le Christ habitant dans nos cœurs (Ép 3, 17) – ce qu’il a vivement recherché. Gardons en nous une bonne parole, un bon agir, de bonnes pensées en tout temps, invitons-le en nous, car un cœur humble, chaste et pacifique constitue le lieu de son habitation. Avant tout soyons soucieux de ne jamais oublier ses compassions, dans lesquelles il nous a vivifiés alors que nous étions morts du fait de nos péchés. Pour nous faire parvenir jusqu’à ses plus grandes hauteurs, il est venu se poser sur ce que nous avions de très bas ; non content de se faire homme et de naître humainement, il a voulu naître couché dans une crèche (Lc 2, 7).
Le Verbe s’est fait foin 3. Ceci n’est pas un indice fortuit, ni celui de la seule humilité, mais c’est comme si la Sagesse de Dieu avait voulu prouver, en le réalisant en un homme, l’éloge qui se dégage de cette critique d’un prophète : L’homme, alors qu’il était à l’honneur, n’a pas compris ; il a été comparé à du bétail sans intelligence et il leur est devenu semblable (Ps 48, 13). De quel honneur s’agit-il ? demandes-tua. L’homme habitant dans le paradis, il vivait dans un lieu de jouissance. Il ne ressentait aucun désagrément, aucun manque, soutenu qu’il était par des pommes parfumées et des fleurs (Ct 2, 5), couronné de gloire et d’honneur (Ps 8, 6) et établi sur les œuvres des mains de son Créateur (Ps 8, 6s). Plus encore, il s’élevait par le privilège d’une ressemblance avec Dieu (ibid.). Il avait pour destinée d’être associé à la foule des anges et à toute l’armée céleste. Mais il a échangé cette gloire contre l’image d’un ruminant (Ps 105, 20). Raison pour laquelle le pain des anges (Ps 77, 25) s’est fait D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 35, 3–5. a
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foin dans une crèche et nous est attribué comme à du bétail. Le Verbe s’est fait chair, et au dire du prophète : Toute chair est comme l’herbe (Is 40, 6). Pourtant ce foin ne s’est pas desséché, la fleur n’est pas tombée, car le prophète enchaîne : mais la Parole de Dieu demeure éternellement (ibid., 7). De fait, si la Parole est foin et si elle demeure éternellement, le foin aussi demeure éternellement. Autrement, comment la Parole offrirait-elle la vie éternelle, si elle ne demeurait pas pour l’éternité ? Elle le dit : Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que moi je donne, c’est ma chair pour la vie du monde (Jn 6, 52). Par conséquent la nourriture de l’homme s’est changée en fourrage pour le bétail, l’homme ayant été changé en bétail. Car lui, l’habitant du paradis, le maître de la terre, le citoyen du ciel, la maison de Dieu Sabaoth, le frère des esprits bienheureux, le cohéritier des Puissances célestes, s’est trouvé transformé soudainement, gisant dans une étable en raison de sa faiblesse et affamé de foin en raison de sa ressemblance avec le bétail. Du fait de sa sauvagerie indomptée il a été attaché à une crèche, comme le dit l’Écriture : Contrains-les par la rêne et le mors, ceux qui ne s’approchent pas de toi (Ps 31, 9 vg). Reconnais cependant ton possesseur, ô bœuf ; et toi, âne, la crèche de ton Seigneur (Is 1, 3) pour que tes prophètes soient trouvés véridiques (Si 36, 18), eux qui ont annoncé d’avance les merveilles de Dieu. Reconnais, bétail, Celui que, homme, tu n’as pas reconnu. Adore dans l’étable Celui que tu as fui dans le paradis, honore la crèche de Celui dont tu avais méprisé la seigneurie. Mange ce foin qu’il s’est fait pour toi, toi qui t’étais lassé du pain – du pain des anges (Ps 77, 25).
Associés aux anges 4. Voilà pourquoi, très chers, prenons soin de redire cela souvent et de le retenir toujours dans notre mémoire, comme aussi de payer de retour les grâces d’une si grande faveur à notre égard, nous qui le méritons si peu. Et rapportons de dignes fruits pour la peine et la sueur que cette Majesté a daigné supporter en notre
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faveur dans la chair. Selon sa volonté, fuyons par son amour les jouissances des désirs charnels, méprisons aussi bien les succès en ce monde, que les revers, et de tous nos désirs aspirons à la Patrie céleste que sa naissance nous a rendue commune avec les esprits angéliques. Les saints anges savent que nous leur sommes associés, et ils s’en réjouissent en chantant aujourd’hui l’hymne d’une nouvelle louange. D’eux nous apprenons commenta célébrer les joies de cette très sainte solennité et quelles louanges nous devons proclamer pour le vrai Dieu et Seigneur Jésus Christ. Les anges disent dans leur louange : Gloire à Dieu au plus haut des cieux – là, elle n’a jamais manqué – et paix sur la terre – là elle manque totalement. C’est la paix que souhaitent les anges aux hommes de bonne volonté. Car ceux que, rejetés du bonheur éternel, ils avaient méprisés en raison de leurs péchés, ils ne doutent plus que, rachetés par le Seigneur, ceux-ci les rejoindront dans la joie d’une même demeure céleste.
La bonne volonté
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La bonne volontéb : elle consiste à redouter les malheurs d’autrui comme étant les nôtres, à nous réjouir du succès du prochain comme si c’était notre propre réussite, à considérer les dommages d’autrui comme nôtres, et de même ses avantages ; à aimer l’ami non en fonction du monde mais de Dieu, à supporter l’ennemi en l’aimant, à ne pas faire subir à autrui ce qu’on ne veut pas soimême avoir à souffrir, et ne refuser à personne ce qu’on désire, en toute justice, se voir fournir ; consacrer ses forces aux besoins du prochain, et même vouloir lui être utile au delà de tes forces. Voilà ce que, à toute heure et à tout moment, nous devons mettre en œuvre, et d’autant plus maintenant, où nous célébrons à nouveau, dans une fête annuelle, la nativité de notre Seigneur et Sauveur. En cette fête très spécialement nous sommes exhortés Pour cet alinéa, cf. Bède le Vénérable, Homelia, I, 6. D’ici et jusqu’au dernier alinéa de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia, I, 5, 3. a
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par les anges à lui offrir les vœux de notre bonne volonté ; en cette fête aussi nous avons l’habitude de reprendre avec la plus grande vénération l’hymne même que chantent les anges. Ainsi donc, frères très chers, que cette solennité – qui nous est commune avec les habitants de la terre et ceux du ciel – ne se limite pas à la célébration de ce jour, mais que toute notre existence s’associe étroitement à celle des citoyens des plus hauts cieux (cf. Ph 3, 20). Méditons pour le moment en chemin ce qu’un jour nous recevrons dans la Patrie. Et, autant que possible, accordons maintenant déjà notre cœur à la vie très pure de ces esprits bienheureux, à laquelle nous espérons être alors associés. Purifions-nous, comme dit l’Apôtre, de toute souillure de la chair et de l’esprit (2 Co 7, 1). Qu’alors l’acuité de notre esprit ainsi purifiée, nous méritions de voir aujourd’hui se lever sur le monde le Soleil de justice (Ml 4, 20) rayonnant dans sa force : notre Seigneur Jésus Christ.
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SERMON 74 POUR LA NATIVITÉ
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Le bien, l’utile, l’agréable 1. Exultonsa, frères très chers, lors de cette solennité de la nativité de Jésus Christ, le Fils de Dieu, et réjouissons-nous abondamment en elle. L’utilité du salut, la suavité de l’onction et la majesté du Fils de Dieu viennent l’éclairer, si bien que rien ne lui manque de ce que l’on peut désirer en fait d’avantage, de bonheur et d’honneur. Nos désirs semblent avant tout constitués de trois choses : le bien, l’utile, l’agréable. Voilà tout ce que les hommes convoitent, l’un plus ceci, l’autre plus cela. La plupart se vouent à la quête de la jouissance, au détriment de ce qui est honnête et de ce qui est utile. Certains se concentrent sur le profit, en négligeant aussi bien l’honnêteté que l’agrément. Beaucoup aussi négligent la jouissance et l’utilité pour rechercher seulement et surtout les honneurs. Ces désirs n’ont rien de répréhensible à condition de les chercher là où ils se trouvent réellement.
Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini, 4, 2 et 5, 7. a
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Sermon 74
La naissance éternelle du Verbe 2. Car làa où ils se situent vraiment, ils ne forment qu’une seule et même réalité : le bien suprême, la gloire suprême, l’utilité suprême, la jouissance suprême. Oui, voilà – dans la mesure où nous sommes capables de la percevoir pour le moment – notre attente : la vision de Dieu, qui nous est promise, de telle sorte que Dieu soit tout en tout (1 Co 15, 28) – tout agrément, tout profit, tout honneur. Je le répète : Exultons, tout en ruminant en nous-mêmes et en faisant rejaillir entre nous cette parole suave, chargée de tant de douceur : Pour nous est né mon Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la cité de David (Lc 2, 11). Et qu’on n’aille pas me répondre sans ferveur, sans reconnaissance, sans piété : Cela n’a rien de nouveau, voici tellement longtemps qu’on en a entendu parler, tellement longtemps que cela s’est passé, tellement longtemps que le Christ est né. Car moi, je rétorque : Voici longtemps, certes, et même bien avant. Et l’on ne s’étonnera pas de ces mots : « Voici longtemps et même bien avant » ; ils correspondent à l’expression prophétique : Pour l’éternité et au delà (Ex 15, 18 vg). Le Christ est donc né avant ces temps qui sont les nôtres, mais avant tous les temps. Cependant cette naissance-là a fait des ténèbres son voile (Ps 17, 12), ou plutôt elle habite la lumière inaccessible (1 Tm 6, 16). Elle est cachée dans le cœur du Père, sur une montagne enveloppée d’ombre épaisse (Ha 3, 3). Pour se faire connaître tant soit peu, il est donc né, mais alors c’est dans le temps qu’il est né, né de la chair et dans la chair : Le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14).
Sa naissance dans le temps 3. Pourquoi s’étonnerb cependant si on dit jusqu’à ce jour : Le Christ, Fils de Dieu, est né (Lc 2, 11), alors que depuis longtemps a Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini, 6, 2–3. b Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini, 6, 3–4.
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on disait déjà – et bien sûr c’est de lui qu’ils s’agissait : Un enfant nous est né (Is 9, 6) ? Oui, voici qu’on a commencé d’entendre cette parole – ce Verbe – et aucun des saints ne s’en est jamais lassé. Aussi le premier homme, le père de tous les vivants (cf. Gn 2, 24), a-t-il proclamé ce grand mystère dont l’Apôtre a montré ensuite plus clairement qu’il s’est réalisé dans le Christ et dans l’Église : L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront qu’une seule chaira. Il n’en reste pas moins qu’Abraham, le père de tous les croyants (Rm 4, 11) a exulté à l’idée de voir ce jour ; il l’a vu et s’est réjoui (Jn 8, 56). Sinon comment aurait-il pu ordonner à son serviteur de mettre sa main sous sa cuisse pour prêter serment par le Dieu du ciel (Gn 24, 2s), s’il n’avait pas prévu que le Dieu du ciel naîtrait de cette même cuisse ? Ce projet de son cœur, Dieu l’a révélé à l’homme de son cœur b – David – à qui il a juré la vérité et ne l’en frustrera pas : C’est du fruit de tes entrailles que je mettrai sur ton trône (Ps 131, 11). Voilà pourquoi – comme l’ange l’avait précisé – il naît dans la cité de David (Lc 2, 11) en raison de la vérité de Dieu, pour confirmer les promesses faites aux pères (Rm 15, 8). À maintes reprises et de maintes manières cela a été révélé à tous les prophètes (Hé 1, 1). Par la suite les saints prophètes l’ont vu et entendu. Et leurs mains ont touché le Verbe de vie (1 Jn 1, 1), lui qui disait à chacun d’eux : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez (Lc 10, 23). Enfin cette parole, ce Verbe a été conservé pour nous et confié aux trésors de la foi. Et c’est lui également qui dit : Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu (Jn 20, 29). Voilà notre part (Sg 2, 9) au Verbe de vie. Elle n’est vraiment pas méprisable, car c’est d’elle qu’on vit, par elle qu’on est vainqueur du monde, car le juste vit de la foi (Ga 3, 11), et telle est la victoire qui a triomphé du monde : notre foi (1 Jn 5, 4). C’est elle, la foi, qui, à la manière d’une figure de l’éternité, comprend dans son ampleur immense le passé aussi bien que le présent et l’avenir, de sorte que rien d’elle ne passe, ni ne se perd, ni ne la dépasse. Ep 5, 31 ; Gn 2, 24. C’est là peut-être une parole qu’Adam a proclamée, mais c’est le Créateur qui l’a prononcée ! b Ac 13, 32 citant 1 Sm 13, 14. a
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Croire c’est voir 4. Pourquoia dit-il cependant : Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu ? Comme si croire en lui n’apparaissait pas déjà comme une manière de le voir ! Mais attention : demande-toi à qui et pourquoi cette parole a été prononcée. Elle s’adressait à quelqu’un qu’il s’agissait de reprendre : il croyait ce qu’il avait vu. Effectivement voir et alors se mettre à croire, ce n’est pas la même chose que voir du fait que l’on croit. Dans le cas d’Abraham notre père, comment croire qu’il a vu le jour du Seigneur, sinon en ce sens qu’il l’a vu mentalement ? Dans une humble ferveur il s’est représenté, et dans une foi sans feinte (1 Tm 1, 5) il s’est rappelé ce grands mystère d’une grande piété, qui a été manifesté dans la chair, justifié selon l’esprit, qui est apparu aux anges et fut prêché aux nations, qui a été cru dans le monde et fut enlevé dans la gloire (1 Tm 3, 16).
La nativité du Christ, toujours actuelle Ainsi est toujours nouveau ce qui ne cesse de renouveler les esprits, jamais ne vieillit ce qui ne cesse de porter du fruit et d’échapper à la flétrissure. Voilà ce qui est saint et n’aura pas à voir la corruption (Ps 15, 10). Voilà l’homme nouveau, à jamais à l’abri de toute vétusté : il transfère dans la véritable nouveauté de la vie (Rm 6, 4) même ceux dont tous les os ont vieilli (Ps 31, 3 vg). Telle est la raison – comme vous pouvez le remarquer – pour laquelle la présente et si heureuse proclamation affirme très adéquatement : Aujourd’hui un Sauveur nous est né. De même, en effet, qu’il est immolé chaque jour tant que nous annonçons sa mort (1 Co 11, 26), de même il naît pour nous, en quelque sorte, tant que dans la foi nous rendons présente sa nativité. C’est lui Emmanuel, qui se traduit par : Dieu avec nous (Mt 1, 23). Avec le Père et l’Esprit Saint il vit et règne pour les siècles des siècles.
Pour ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in uigilia Natiuitatis Domini, VI, 5–6. a
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SERMON 75 POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Bienheureux échange 1. Aujourd’hui, bien-aimés, Dieu est né homme en vue de la mortalité. C’était pour que l’homme naisse à l’éternité et retrouve par son obéissance cette dignité que le premier ange avait perdue par son orgueil. Dieu a assumé et s’est uni l’homme pour que ce dernier se joigne à Dieu et se veuille un avec lui. Telle est la joie de ce jour : Dieu est né dans le monde pour que l’homme obtienne le ciel. Voici le jour (Ps 117, 24), dis-je, qui rend l’homme au paradis et qui associe les humains aux anges. Ainsi les saints anges, en voyant Dieu naître homme et en découvrant que les humains deviendraient leurs concitoyens, ont fait entendre ce chant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). Pour l’homme, qui était d’une fragilité terrestre, très grande est la gloire d’avoir trouvé place, grâce au Rédempteur, là d’où était tombé l’ange, dont la nature était très élevée. Que les hommes aient à espérer cette élévation des anges, ce que ceux-ci ont chanté nous l’enseigne : Et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. Seuls, en effet, obtiennent les réalités célestes ceux d’entre eux qui, par leur bonne volonté, guerroient contre les vices et foulent aux pieds les désirs de la chair.
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Sermon 75
Pourquoi est-ce la faiblesse que Dieu assume ? 2. Cette solennité, l’autorité divine l’encourage, car – comme le dit l’Apôtre – Dieu a voulu que, dans les Écritures saintes il soit question de son Fils, issu de la lignée de David selon la chair (Rm 1, 2s). Tout par lui a été fait – comme il est écrit dans l’Évangile – et sans lui rien ne fut (Jn 1, 3). Il a eu pitié de notre faiblesse, laquelle n’est pas son œuvre mais ce que nous avons mérité de par notre volonté. Car Dieu a créé l’homme indestructible (Sg 2, 23) et lui a donné le libre-arbitre de la volonté. L’homme n’aurait pas été très bon (Gn 1, 31), en effet, s’il s’était soumis aux préceptes de Dieu par nécessité et non volontairement. Ainsi donc, c’est notre faiblesse que le Fils de Dieu a daigné prendre sur lui. Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous (Jn 1, 14). Non pas que son éternité eût été changée, mais c’était pour montrer aux yeux changeants des humains cette créature changeante qu’il a prise sur lui dans sa majesté immuable. Ils sont insensés, ceux qui demandent : La sagesse de Dieu ne pouvait-elle pas s’y prendre autrement pour libérer les hommes, sinon en assumant un homme, en naissant d’une femme et en souffrant tout ce que les pécheurs lui ont infligé ? Nous leur répondons : Elle pouvait absolument tout, mais eût-elle agi autrement, elle aurait déplu de toute manière au non-sens des sots. Si sa lumière éternelle n’était pas apparue aux yeux des pécheurs, du moins à leur regard intérieur, elle n’aurait pas pu se faire voir des esprits souillés. Or maintenant qu’il a daigné nous avertir visiblement pour nous préparer aux réalités invisibles, il déplaît aux cupides parce son corps n’était pas en or, aux impudiques parce qu’il est né d’une femme, aux orgueilleux parce qu’il a supporté très patiemment les outrages, aux délicats parce qu’il a été crucifié, aux craintifs parce qu’il est mort. Et tous ceux-là, pour ne pas paraître défendre leurs vices, ce qui leur déplaît, ils ne le disent pas de l’homme, mais du Fils de Dieu. Ils ne comprennent pas ce qu’est l’éternité de Dieu qui a assumé l’homme, ni ce qu’est la créature humaine, rappelée de ses manques de stabilité à sa fermeté première. Cela pour que, enseignés par Dieu, nous apprenions ceci : les faiblesses que nous avons récoltées en péchant, on peut les guérir en agissant droitement.
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Sermon 75
La nature humaine victorieuse 3. Ainsi nous était-il montré à quelle faiblesse l’homme en était arrivé par sa faute et de quelle faiblesse le secours divin l’avait libéré. Le Fils de Dieu a assumé un homme et en lui il a porté ce qui est humain. Car quel orgueil aurait-il pu être guéri si la patience du Fils de Dieu ne l’avait guéri ? Et quelle impiété, sans l’amour du Fils de Dieu ? Et finalement quel manque d’assurance, sinon par la résurrection du Corps ? Que le genre humain dresse son espérance et reconnaisse sa nature ; qu’il voie s’il n’a pas sa place dans les œuvres de Dieu. Renoncez à vous mépriser vous-mêmes, bien-aimés : c’est la nature de l’homme que le Fils de Dieu a endossée, et c’est en elle qu’il fournit aux humains des exemples de vie. Ne redoutez pas les outrages, la croix et la mort, car s’ils étaient nuisibles pour l’homme, l’homme assumé par le Fils de Dieu ne les aurait pas endurés. Voilà l’exhortation déjà prêchée en tout lieu, vénérée en tout lieu, et qui guérit toute âme obéissante. Ils ne relèveraient pas des réalités humaines, tous ces faits réalisés, s’il ne déplaisaient pas aux plus stupides, et si une vaine vantardise ne refusait pas de les imiter : ainsi pourrait-elle être amenée à s’emparer de la vertu. Rougira-t-on d’imiter Celui qui, avant même sa naissance, était appelé Fils du Très Haut (Lc 1, 32) ? Et personne, à travers toutes les nations, ne peut nier qu’il soit nommé Fils de Dieu. Que si c’est là la grande opinion que nous avons de nous-mêmes, daignons imiter Celui qu’on appelle Fils du Très Haut. Et si notre opinion de nous-mêmes est petite, osons du moins imiter les pêcheurs et les publicains qui l’ont imité.
La faiblesse qui sauve 4. O remède conseillé à tous, qui comprime les enflures, recrée tout ce qui est putréfié, garde tout ce qui s’avère nécessaire, retranche tout le superflu, répare tout ce qui est à bout, corrige ce qui est tordu ! Qui s’élève encore contre le Fils de Dieu ? Qui
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Sermon 75
désespère de soi, alors que pour lui le Fils de Dieu s’est voulu tellement humble ? Qui estime la vie heureuse dans ce que le Fils de Dieu nous a appris à mépriser ? Par quelles adversités serait-il vaincu celui qui croit que, dans le Fils de Dieu, la nature humaine est sauvegardée au milieu de si grandes persécutions ? Qui peut penser que le chemin du Royaume de Dieu lui est fermé, alors qu’il sait les publicains et les prostituées imitateurs du Fils de Dieu ? De quelle perversité n’est-il pas dégagé, celui qui regarde et aime les actes et les paroles du Fils de Dieu et se met à suivre le Fils de l’homme en qui le Fils de Dieu nous a fourni tant d’exemples ? Voilà pourquoi la puissance de la divinité, qu’elle possède depuis toujours, a pris sur elle aujourd’hui, en vue de la sauver, la faiblesse de notre humanité, soit qu’elle lui apporte un remède, soit qu’elle lui fournisse un exemple. À partir de l’un et de l’autre de ceux-ci on reconnaîtra l’unique Dispensateur et Auteur du salut éternel, lui notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 76 POUR LE JOUR NATAL DU SEIGNEUR
Le but de l’incarnation 1. Ce joura, frères très chers, parce que le Christ y est né, s’intitule « jour natal du Seigneur ». À chaque reprise du cycle de l’année nous avons l’habitude de le fêter solennellement pour faire mémoire assidûment de l’œuvre de notre rédemption et inciter notre esprit à payer de retour l’amour du Rédempteur. Grande donc est cette solennité de la nativité du Seigneur ; nouvelle et glorieuse est la fête de ce jour : la venue de Dieu vers les humains ; et s’il est venu en un homme c’est que, en lui-même, il ne pouvait être ni vu ni connu des humains. Voilà pourquoi, dis-je, Dieu a envoyé son Fils (Ga 4, 4) pour qu’il se revête de la chair, apparaisse aux humains et guérisse en eux les maladies des péchés grâce au remède de la bienveillance et de la justification. Quel espritb peut comprendre ce mystère ? Quelle langue s’avère capable de raconter cette grâce ? L’iniquité revient à l’innocence, le vieillissement à la nouveauté ; les exclus s’avancent vers l’adoption, les étrangers intègrent l’héritage, les impies se mettent à devenir des justes, les cupides à se montrer généreux, les immodérés à se transformer en chastes, les terrestres à devenir célestes. D’où Pour ce premier alinéa, cf. Isidore de Séville, De ecclesiasticis Officiis, I, 26, 2–3. b D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Léon le Grand, Tractatus, 27, 2–4. a
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vient ce changement, sinon de la droite du Très Haut (Ps 76, 11) ? Car le Fils de Dieu est venu pour détruire les œuvres du diable (1 Jn 3, 8). Il s’est ainsi mêlé à nous et nous à lui, de telle manière que la descente de Dieu vers ce qui est humain entraîne l’homme vers ce qui est divin.
Dieu plus grand que le diable 2. Bien-aimés, par cette miséricorde de Dieu, dont nous sommes incapables d’expliquer la grandeur à notre égard, les chrétiens ont à se garder avec grand soin de se laisser prendre aux ruses du diable et de s’entortiller dans les erreurs auxquelles nous avons renoncé. Car l’antique Ennemi ne cesse, en se transformant en ange de lumière (2 Co 11, 14), de tendre en tout lieu les pièges de ses tentations ; il s’applique sans relâche à corrompre de quelque manière la foi des croyants. Il sait en qui allumer le feu de la cupidité, en qui instiller les jouissances de la gourmandise, à qui proposer les incitations de la luxure, en qui répandre le virus de l’envie. Il sait qui troubler par le chagrin, qui tromper par la joie, qui écraser sous la crainte, qui séduire par la vaine curiosité. Il critique les habitudes de tous et cherche des occasions de nuire là où il aura vu quelqu’un s’occuper avec zèle. Nous savons, il est vrai, ce qu’a dit l’apôtre Jean : Le monde gît au pouvoir du Mauvais (1 Jn 5, 19). Le diable et ses anges s’activent pour suggérer d’innombrables tentations. Leur but est de détourner l’homme qui s’efforce de gagner les réalités d’en haut en le terrifiant par les adversités ou en le corrompant par le succès. Mais Celui qui habite en nous se montre plus grand que celui qui se présente contre nous. Et pour ceux qui sont en paix avec Dieu, pour ceux qui ne cessent de dire au Père : Que ta volonté soit faite (Mt 6, 10), aucune attaque ne peut les vaincre, aucun conflit leur faire du mal. Certes, en nous accusant nous-mêmes dans nos confessions et en refusant le consentement de notre âme aux convoitises de la chair, nous suscitons contre nous l’inimitié de l’auteur du péché. Mais en conservant avec Dieu la paix invincible de sa grâce
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Sermon 76
nous nous affermissons, si bien que non seulement nous nous soumettons à notre Roi par l’obéissance, mais nous nous unissons à son jugement. Car si nous sommes en accord avec lui en voulant ce qu’il veut, en désapprouvant ce qu’il désapprouve, lui-même dès lors se chargera pour nous de toute guerre. C’est lui qui donne de vouloir et qui donnera de pouvoir, pour que nous coopérions à ses œuvres et que nous proclamions dans l’exultation de la foi : Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je peur ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie, de quoi tremblerais-je ? (Ps 26, 1).
La paix avec Dieu
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3. Voilà pourquoia l’Apôtre nous incite à ce bien qu’est la paix en disant : Justifiés par la foi, soyons en paix avec Dieu (Rm 5, 1). Or, bien-aimés, qu’est-ce qu’être en paix avec Dieu, sinon vouloir ce qu’il ordonne et ne pas vouloir ce qu’il interdit ? Les amitiés humaines réclament des esprits qui vont de paire et se ressemblent, et la diversité des comportements ne peut jamais parvenir à une ferme concorde. Alors comment participerait-on à la paix de Dieu si l’on se plaît en ce qui déplaît à Dieu et qu’on aspire à jouir de ce dont on sait qu’on l’offense ? Ce n’est pas là l’esprit des fils de Dieu, et la noblesse de l’adoption n’accepte pas une telle sagesse. Que la race des élus et des rois corresponde à la dignité de leur régénération, qu’on aime ceux que Dieu aime et que personne ne soit en désaccord avec son Créateur. Il ne faudrait pas que Dieu doive dire à nouveau : J’ai engendré des enfants et les ai fait grandir, mais ils m’ont méprisé. Le bœuf reconnaît son possesseur et l’âne la crèche de son maître, mais Israël ne m’a pas reconnu, mon peuple n’a pas compris (Is 1, 2s). Il est grand le mystère de ce don, il excède tout don : Dieu appelle l’homme son fils, et l’homme nomme Dieu son Père. Ces appellations font percevoir et comprendre l’élan d’affection qui atteint une telle hauteur. Car si, dans une progéniture charnelle et une descendance terrestre issue de parents illustres, les vices d’une a
Pour le paragraphe 3, cf. Léon le Grand, Tractatus, 27, 3–5.
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Sermon 76
mauvaise conduite enténèbrent leur descendant, et si une descendance indigne se voit confondue par l’éclat même des ancêtres dont elle descend : alors qui, en raison de son amour du monde, ne craindrait de se voir privé de sa naissance dans le Christ ? Et s’il appartient à la gloire humaine que l’éclat des pères resplendisse dans leur descendance, combien plus grande est la gloire, si ceux qui sont nés de Dieu font resplendir l’image de leur Créateur et manifestent Celui qui les a engendrés. Le Seigneur le dit : Que votre lumière brille devant les hommes pour qu’en voyant vos bonnes œuvres ils exaltent votre Père qui est dans les cieux (Mt 5, 16). Ceux-là donc ne sont nés ni du sang ni de la volonté de la chair, mais de Dieu (Jn 1, 13). Ils offrent au Père la concorde de fils pacifiques, et dans le Premier-né de la nouvelle création (Col 1, 15), venu pour faire non sa volonté mais la volonté de Celui qui l’a envoyé (Jn 6, 38), tous les membres issus de l’adoption s’unissent. Par la grâce de Dieu ils ne sont ni désaccordés ni dissemblables, car Dieu a adopté comme héritiers ceux qui se montrent d’un même sentiment et d’un même amour (Ph 2, 2). C’est lui, en effet, notre paix, qui des deux peuples n’en a fait qu’un (Ép 2, 14). Avant le jour de sa passion il l’a fait savoir à ses disciples : Ma paix, je vous la donne, ma paix, je vous la laisse, laquelle s’avère bien différente de celle du monde, car, dit-il, je vous la donne non comme le monde la donne (Jn 14, 27). Le monde, en effet, a ses amitiés et il met beaucoup de gens d’accord dans un amour pervers. Mais la paix des spirituels vient des hauteurs et conduit vers les hauteurs ; elle n’accepte aucune communion à laquelle se mêleraient les amateurs du monde, mais elle attend de nous que, résistant à tout obstacle, nous nous envolions des jouissances pernicieuses vers les vraies joies de la Patrie céleste. Celles-ci, pour mériter de les éprouver plus tard dans toute leur réalité, appliquons-nous avec constance et fidélité à de saints élans d’affection et aux bonnes œuvres, aidés en cela par la grâce, nous qui sommes nés aujourd’hui dans la chair du Sauveur Jésus Christ notre Seigneur : il vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 77 POUR LA NATIVITÉ
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L’abaissement qui relève 1. Dans la solennité d’aujourd’huia, frères très aimés, nous avons à considérer combien grande est la grâce de notre Rédempteur, combien grande la douceur qu’il étend sur nous (Ps 30, 20). Il est né seul, mais il n’a pas voulu rester seul. Il est descendu sur la terre, où il s’est acquis des frères à qui il pourrait donner le Royaume de son Père. Dieu né de Dieu, il n’a pas voulu demeurer seulement Fils de Dieu, mais il a daigné devenir aussi Fils de l’homme, sans perdre ce qu’il était mais en assumant ce qu’il n’était pas. C’était pour transformer les hommes en fils de Dieu, les rendre cohéritiers de sa gloire, et qu’ils commencent à avoir par grâce ce que lui avait par nature. Il s’est donc rendu participant de notre nature pour nous faire cette largesse de participer à sa grâce. Revêtu de la chair, il nous revêtirait de la force de l’esprit ; il est descendu du ciel pour nous élever de la terre vers le ciel et nous faire don de cette gloire qu’est une liberté perpétuelle. Voici, dis-je, ce qui a motivé sa naissance dans le monde : reconduire le genre humain au don de la paix d’en haut et, en justifiant l’homme, ramener la séparation que les péchés avaient creusée entre Dieu et l’homme à une concorde
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Pour ce premier alinéa, cf. Bède le Vénérable, Homelia, I, 8.
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Sermon 77
unique. Il s’est incliné pour nous relever. Nous étions au dehorsa, loin de Dieu, comme le sont hors du palais royal les prévenus liés de chaînes pour avoir offensé le roi par quelque faute. Celui qui voudrait obtenir pour eux le pardon ne commence pas par les introduire dans le palais du roi, mais il sort, et là, dehors, se met à parler avec eux jusqu’à ce qu’il les ait amenés à se corriger et à se rendre dignes de paraître en présence du roi. C’est ainsi qu’a procédé le Christ. Il est sorti vers nous en assumant la chair et, parlant avec nous, il nous fait connaître les préceptes du Roi. Puis, en nous purifiant de nos péchés et en nous convertissant, en nous tournant vers Dieu, il nous introduit dans le palais royal, comme le meilleur Médiateur. Ainsi sa sortie et son entrée portent ce nom : l’avènement de sa chair.
Suivre les bergers jusqu’à Bethléem 2. Considérons donc la grandeur de Celui qui d’abord sort pour nous enseigner, puis entre pour offrir un sacrifice expiatoire en notre faveur. Combien il est grand, combien il est petit ! Grand dans sa majesté, petit dans son humilité. Il n’aurait pu naître de l’intégrité incorruptible de sa mère s’il n’était pas d’une puissance divine. Mais ceux dont il se fait connaître et qu’il promeut comme prédicateurs d’un si grand mystère, ce ne sont pas les riches de ce monde, ni les sages de ce monde (1 Co 1, 18ss) : il les choisit parmi des bergers gardant leurs troupeaux et il donne ainsi la preuve de la plus grande humilité. Nombreux sont ceux qui, au milieu de cette nuit-là, dormaient profondément sur de molles couches. Seuls ces bergers qui passaient les veilles de la nuit à garder leurs troupeaux furent jugés dignes d’entendre l’hymne de la multitude des anges et d’apprendre, de la bouche de l’ange, inconnus de tous les siècles, les mystères du salut des hommes. Ils surent ainsi non seulement qui était né, mais aussi le lieu de cette naissance. De sorte que bientôt D’ici à la fin du paragraphe, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli,Ad Hebraeos, 1. a
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ils allèrent voir ce qu’ils avaient entendu dire, s’invitant mutuellement, comme le raconte l’Évangile : Passons à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître (Lc 2, 15). Heureuxa et dans la joie, ces bergers se hâtèrent d’aller voir ce qu’ils avaient entendu dire. Et parce qu’ils le cherchaient avec un ardent amour, ils obtinrent aussitôt de trouver le Sauveur dont ils étaient en quête. Mais ce sont aussi les bergers de troupeaux doués d’intelligence, oui, tous les fidèles, qui doivent chercher le Christ avec cette assiduité de l’esprit. Ils le trouveront dans ses paroles et ses actes. Passons, disent-ils, jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé. Passons en pensée, frères très chers, jusqu’à Bethléem, la cité de David. Faisons mémoire dans l’amour de ce qui s’est passé en elle : le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14) ; et célébrons sa nativité par des honneurs dignes de lui. Rejetant les convoitises de la chair, dans un désir total de l’esprit, allons à la Bethléem d’en haut, la maison du painb vivant (Jn 6, 51), qui n’est pas faite de main d’homme et qui est éternelle dans les cieux (2 Co 5, 1). Et rappelons dans l’amour que le Verbe, qui s’est fait chair, est monté là où il siège à la droite de Dieu le Père (Col 3, 1). Suivons-le en y engageant toutes nos forces et, d’un cœur attentif et dans un corps maîtrisé, ayons soin de voir le nouveau-né vagissant dans la crèche, pour mériter de le voir régnant sur le trône du Père. 3. Et allons voir, disent-ils, la parole qui s’est réaliséec – auparavant nous n’aurions pu la voir – ce que le Seigneur a réalisé et qu’il nous a fait connaître (Lc 2, 15). Car ce qu’il a réalisé c’est de s’incarner et de se faire connaître. Ils vinrent alors en hâte et trouvèrent le Seigneur né humainement, enfant couché dans une crèche, avec Marie et Joseph, les serviteurs de sa naissance (ibid. 16). Hâtons-nous à notre tour, frères très chers, non point avec les pas de nos pieds, mais par les avancées de nos bonnes œuvres, pour voir cette humanité glorifiée, rayonnant Pour les paragraphes 2 à 5, cf. Bède le Vénérable, Homelia, I, 7. Cf. Jérôme, Epistola 108, 9, PL 22, 885, etc. c Lc 2, 15 d’après le texte de la Vulgate ; nos traductions modernes lisent : « ce qui est arrivé ». a
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de la gloire du Père et de la sienne, avec ses serviteurs récompensés de leur service. Oui, hâtons-nous, dis-je. Car un tel bonheur n’est pas à chercher avec dégoût et torpeur ; c’est allègrement qu’il nous faut chercher les traces du Christ. Lui-même, en effet, en nous tenant la main, désire favoriser notre course, et sa délectation est de nous entendre lui dire : Entraîne-moi, nous courrons à l’odeur de tes parfums (Ct 1, 3). Grâce aux pas rapides des vertus, suivons-le pour obtenir de parvenir au but. Ne tarde pas à te tourner vers le Seigneur, ne remets pas cela de jour en jour (Si 5, 8). En tout et avant tout prions-le de diriger nos pas selon sa parole pour qu’aucune injustice ne triomphe de nous (Ps 118, 133). Après avoir vu, les bergers reconnurent ce qui leur avait été dit de cet enfant (Lc 2, 17). À notre tour, frères bien-aimés, hâtons-nous de percevoir intérieurement, d’une foi aimante, ce qui nous a été dit de notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme ; adhérons-y avec une dilection totale pour accéder dans le futur, par la vue, à cette parfaite connaissance. C’est elle la seule vraie vie des bienheureux – non seulement des humains mais des anges : voir perpétuellement le visage de leur Créateur.
Avec les bergers assumer une charge pastorale 4. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’admiration de ce que leur disaient les bergers (ibid., 18). Ainsi les bergers ne tinrent pas cachés dans le silence les secrets qu’ils avaient appris divinement, mais ils en firent part à tous ceux qu’ils purent rencontrer. De fait, les pasteurs spirituels de l’Église sont ordonnés tout particulièrement en vue d’annoncer les mystères de la parole de Dieu et d’amener leurs auditeurs à s’émerveiller de ce qu’ils ont appris dans les Écritures. Ce ne sont pas seulement ces pasteurs que sont les évêques, les prêtres et même les responsables des monastères qu’il faut comprendre ici, mais tous les fidèles. Car même s’ils n’ont en charge qu’une petite maison, ils sont à juste titre nommés pasteurs, dans la mesure où ils veillent avec attention sur cette maison. Et tous
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ceux qui ont autorité quotidiennement ne serait-ce que sur un ou deux frères, doivent remplir un office pastoral, car, pour autant qu’ils en ont la capacité, il leur est enjoint de les paître en les nourrissant de la parole. Non, ce n’est pas seulement tel ou tel, mais chacun de vous, frères, qui remplit une charge de pasteur, paît un troupeau spirituel et le garde durant les veilles de la nuit. Cela pour autant que, en rassemblant en lui la multitude des actions bonnes et des pensées pures, il s’efforce de la gouverner avec un juste équilibre et de la nourrir de la parole céleste. Ce qui implique aussi de la défendre avec une vigilance sans défaut contre les ruses des esprits impurs.
Le silence méditatif de Marie Quant à Marie, elle conservait toutes ces paroles, les méditant dans son cœur (ibid., 19). Car attentive aux exigences de sa pudeur virginale, elle gardait les secrets du Christ qu’elle avait appris et ne voulait en faire part à personne. Ces secrets, sans en rien dire, mais avec un esprit en éveil, elle les scrutait très attentivement. Et c’est en comparant ce qu’ils deviendraient – selon ce qu’elle en avait lu – avec ce qu’elle avait déjà vu de leur réalisation, qu’elle les méditait dans son cœur.
Pour toutes les conséquences de l’incarnation, rendre gloire 5. Puis les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé (ibid, 20). Frères, en contemplant ce que le Seigneur a réalisé et avec quel amour il a daigné venir à notre secours, apprenons à notre tour à lui retourner des actions de grâce pour ses bienfaits. Ce n’est encore que pour la connaissance de sa nativité qu’ils s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu. Alors, à plus forte raison, nous qui connaissons l’incarnation dans tout son déroulement et ses conséquences, et
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qui sommes imprégnés de ces mystères, gardons-nous de jamais oublier de proclamer en tout sa gloire et sa louange non seulement en paroles, mais en actes. Car si Dieu est né homme, c’est pour nous recréer par une nouvelle naissance à l’image et à la ressemblance de sa divinité. C’est ainsi qu’il a été baptisé dans l’eau (Mt 3, 13ss) pour que les eaux, en coulant, nous fécondent en nous lavant de tous nos péchés. De même c’est ainsi qu’il a été tenté dans le désert (Mt 4, 1ss) de sorte que sa victoire sur le Tentateur nous vaille, à nous aussi, l’habileté et la force de la victoire. C’est ainsi encore qu’il est mort pour détruire le pouvoir de la mort (Hé 2, 14), puis est ressuscité et monté au ciel pour nous offrir l’espérance et l’exemple de notre propre résurrection d’entre les morts et d’un règne perpétuel dans les cieux. Par chacun de ces mystères, tournons-nous vers la contemplation de ce qu’il a dispensé avec tant de bonté, et glorifions et louons Dieu lui-même et notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 78 POUR L’ÉPIPHANIE
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Les trois signes de l’Épiphanie 1. Le Créateur et Seigneur de l’universa, frères très chers, prenant en secret la condition de serviteur en faveur des serviteurs, est venu dans le monde. Mais aujourd’hui, par trois signes, il a voulu se manifester aux hommes et au monde. C’est pourquoi ce jour porte le nom d’épiphanie, qui se traduit par « apparition » ou « manifestation » du Seigneur. Aujourd’hui une étoile est apparue aux mages et les a conduits pour l’adorer à Bethléem. Aujourd’hui, lors de noces, il s’est illustré en faisant du vin à partir de l’eau. Aujourd’hui encore, baptisé par Jean dans le Jourdain, il a aboli nos péchés. Consacrée par de si grands mystères, dont elle est remplie, cette fête doit être célébrée avec le plus grand élan de ferveur. Car aujourd’hui grande est notre joie en raison de la conversion des païens, dont les prémices en ce jour sont parvenues jusqu’au Christ. Aujourd’hui aussi grande est notre joie en raison de notre naissance qui, en ce jour, a trouvé son commencement dans le baptême, si bien que la fête de ce jour surpasse en quelque sorte la solennité de la nativité.
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Pour cet alinéa, cf. Geoffroy Babion, Sermo, 6.
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Sermon 78
Plus grande que la première, en effet, est notre seconde naissance, comme l’affirme le bienheureux Augustina. La première est charnelle, la seconde spirituelle. En celle-ci le baptême a son commencement, qui constitue la régénération des âmes. Dans cette eau s’est réalisée la mère de nombreux peuples. De même que l’âme a plus de dignité que la chair, ainsi la naissance de l’âme l’emporte sur celle de la chair. Par la première de ces naissances s’opère l’entrée dans le monde, par la seconde est donnée l’entrée dans le ciel. Par la première notre Seigneur Jésus Christ a assumé la faiblesse de notre humanité, par la seconde il nous a donné, purifiés des fautes originelles, de parvenir aux réalités divines.
Le baptême de Jésus 2. Voilà pourquoib le Fils de Dieu est venu en vue d’être baptisé par un homme non pas en raison du besoin anxieux d’être lavé de quelque péché – lui qui n’a pas commis de péché, et il ne s’est pas trouvé de ruse dans sa bouche (1 P 2, 22) – mais en raison de la bienveillante initiative de nous laver de toute contagion de notre péché, car à maintes reprises nous commettons des écarts (Jc 3, 2). Et si nous nous disons sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1, 8). Il est venu pour être baptisé dans les eaux, lui le Créateur des eaux, afin que nous, qui avons été conçus dans le péché et sommes nés dans la faute (Ps 50, 7), nous aspirions au mystère de la seconde naissance, célébré dans l’eau et l’Esprit (Jn 3, 5). Par bonté il a voulu être lavé dans les eaux, lui qui était pur de toutes souillure : ainsi les fidèles apprendraient que nul, sans l’eau du baptême, ne peut exister comme un homme parfaitement juste. Et quand bien même certains vivraient dans l’innocence et la justice, ils ont tous besoin de la régénération vivifiante, puisque Celui qui a été conçu et est né de l’Esprit Saint, a passé – on le sait – par la seconde naissance – ou plutôt il a consacré le bain baptismal. a b
Cf. Ps. Augustin, Sermo, 135, 2. D’ici et jusqu’à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homelia, I, 2.
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Sermon 78
Le premier et le second Adam
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3. Une fois le Seigneur baptisé, les cieux se sont ouverts et l’Esprit Saint est descendu sur lui sous l’aspect d’une colombe (Mt 3, 16). Voilà qui affermit notre foi par le mystère du saint baptême : l’entrée de la Patrie céleste nous est ouverte (2 P 1, 11) et la grâce de l’Esprit Saint nous est offerte (Ac 10, 45). Ne convient-il pas de croire qu’alors les secrets du ciel se sont ouverts au Seigneur, et pourtant sa foi n’était pas moindre au temps où il vivait parmi les hommes (Ba 3, 38) qu’avant et après, quand il demeurait dans le sein du Père et siégeait sur le trône céleste. Ou encore : quand, à l’âge de trente ans, il fut baptisé, n’a-t-il pas reçu les dons de l’Esprit Saint, alors que dès sa conception il se montre toujours rempli de l’Esprit Saint (Mt 1, 20) ? C’est donc pour nous, frères très chers, que ces mystères ont eu lieu, oui c’est pour nous que le Seigneur, par le bain de son corps, a consacré ce bain qu’est le baptême. C’est aussi pour nous qu’après avoir reçu le baptême, il a révélé que s’ouvrait l’accès du ciel et que l’Esprit Saint était donné. Grande et bienvenue s’avère cette opposition : alors que le premier Adam, dans un esprit impur, trompé par le serpent, a perdu les joies du Royaume céleste, le second Adam, glorifié par l’Esprit Saint au travers de la colombe, a rendu accessible l’entrée dans ce même Royaume. La flamme étincelante par laquelle l’ange montait la garde à l’entrée du paradis d’où le premier Adam avait été chassé – cette flamme, le second Adam aujourd’hui, par le bain d’eau de la nouvelle naissance, a révélé qu’elle devait s’éteindre. Ce lieu d’où le premier Adam, avec sa femme, est sorti, vaincu par l’Ennemi, le second Adam, avec son épouse, l’Église des saints, y est retourné, vainqueur de l’Ennemi. Davantage : à ceux qu’il délivrait du péché, le Père du siècle à venir, le Prince de la paix (Is 9, 5), a dispensé les dons de la vie immortelle – des dons bien supérieurs à ceux qu’avait perdus avec sa descendance le père du monde présent, le prince de la discorde, vendu au péché (Rm 7, 14). Cette vie bienheureuse que déserta Adam, cette vie sublime en raison d’une lumière et d’une paix incompréhensibles, et cette vie pure de ce nuage que seraient les soucis et les tourments, elle se
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Sermon 78
trouvait glorifiée par la fréquente vision de Dieu et des anges, et par leurs paroles. Or elle se situait ici-bas sur la terre, encore que la quête des fruits pour s’alimenter ne supposait aucune peine. Mais ce que le Christ nous dispense dans cette citadelle du ciel, c’est une vie sans fin, nourrie bienheureusement par une contemplation de Dieu non pas fréquente, mais continuelle.
De la première à la seconde vie 4. La première vie de l’homme fut immortelle de telle sorte qu’il puisse ne pas mourir s’il demeurait sur ses gardes quant à la séduction et la poussée du péché. Or la seconde vie sera immortelle de telle sorte qu’en elle l’homme ne puisse ni mourir, ni subir aucune tentation du péchéa. Il est bon que l’Esprit conciliateur descende sur le Seigneur sous l’aspect d’un oiseau, d’une colombe qui se montre très simple. Qu’ainsi les fidèles apprennent qu’ils ne peuvent être remplis de cet Esprit à moins de se montrer simples et purs de cœur, et d’entretenir une paix véritable avec leurs frères. De fait, l’Esprit Saint de la rigueur fuira la fourberie ; la sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante et n’habitera pas dans un corps soumis au péché (Sg 1, 5 et 4). Quant à la parole du Père adressée du ciel au sujet du Seigneur : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu (Mt 3, 17), elle est à comprendre en contraste avec l’homme terrestre et laisse entendre que Dieu le Créateur se déplaît en quelque sorte dans le pécheur lorsqu’il dit : Je me repens d’avoir créé l’homme (Gn 6, 7). Le repentir n’a certes aucune place en Dieu, mais c’est là notre manière de parler : nous nous repentons lorsque nous voyons nos actes prendre une direction contraire à nos vœux. Dieu dit se repentir d’avoir créé l’homme quand il le voit dégénérer par le péché, eu égard à la rectitude de la créatureb. Or dans le Fils unique il s’est complu d’une manière toute particulière car il reconnaît que l’homme assumé par le Fils s’est gardé libre à l’égard du péché. a b
Cf. Augustin, De ciuitate Dei, 22, 30, etc. Cf. Augustin, De diuersis questionibus ad Simplicianum, II, 2, 4.
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Vivre son baptême 351
5. Après avoir rappelé ce qui concerne le baptême de notre Sauveur, frères très chers, revenons à nous-mêmes. Car, puisque nous avons entendu recommander l’humilité du Baptisé, prenons soin, par une humble obéissance, de préserver le baptême que nous avons reçu en nous purifiant de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu (2 Co 7, 1). Efforçons-nous soigneusement de ne pas nous fermer à nousmêmes, par des séductions humaines, la porte de la Patrie céleste qui s’est ouverte à nous par les mystères divins. Ce n’est pas pour rien que l’évangéliste Luc le rapporte : après son baptême le Seigneur a prié ; ainsi le ciel s’est ouvert et sont venus l’Esprit et la voix du Père (Lc 3, 21ss). Puis, en accord avec les deux évangélistes Matthieu et Marc, Luc raconte le jeûne auquel le Seigneur s’est livré durant quarante jours dans le désert (Lc 4, 1ss). C’était assurément en vue de nous enseigner par cet exemple : il s’agit, après avoir reçu dans le baptême la rémission des péchés, de nous adonner aux veilles, aux jeûnes (2 Co 6, 5), aux prières (1 Co 7, 5), à tous les fruits de l’Esprit. Il ne faudrait pas que, endormis et trop peu vigilants, nous laissions l’esprit impur, chassé de notre cœur par le baptême, revenir, et en nous trouvant vides de richesses spirituelles, nous enfoncer dans une septuple peste ; l’état final serait pire que le premier (Mt 12, 45). Prenons soin avec attention d’éviter que le feu qui ferme l’accès à la vie ne nous enflamme, stimulé trop fréquemment par nos vices. De fait, le glaive de feu (Gn 3, 24) qui garde la porte de paradis s’est éteint pour chaque fidèle dans l’eau de son baptême, afin qu’on puisse revenir libéré. Mais pour les incroyants ce feu demeure inchangé. Or pour ceux que faussement on appelle fidèles, qui ne sont pas des élus et ne craignent pas, après leur baptême, de se laisser prendre à leurs péchés, ce feu, après s’être éteint, se rallume en quelque sorte. Ils ne méritent pas d’entrer dans le Royaume qu’ils ne recherchent que par feintise et d’un cœur double, avec la dent mensongère du serpent plutôt qu’avec l’œil simple de la colombe (Mt 10, 16). Cet œil, il montre l’aimer beaucoup dans son Église, Celui
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qui s’exprime ainsi dans le Cantique de l’amour : Voici, que tu es belle, mon amie, que tu es belle ; tes yeux, ceux des colombes (Ct 1, 15).
Du déluge au baptême 6. Voilà pourquoi le symbole de la colombe, nous est proposé pour apprendre la simplicité qui plaît à Dieu. Cependant, de toutes les qualités qui peuvent, à partir de sa nature, s’interpréter dans un sens moral, considérons la seule qui convient à la fête de ce jour, à savoir le sens symbolique issu de l’histoire sainte. Le Seigneur, en effet, à titre d’une figure du baptême à venir, a dissous dans l’eau du déluge les péchés du monde à son origine. L’inondation étant à son terme, Noé voulut savoir dans quel état se trouvait la surface de la terre, et il lâcha le corbeau (Gn 8, 7). Celui-ci, en, négligeant de revenir à l’arche, représente ceux qui, lavés pourtant dans l’eau du saint baptême, négligent de déposer, par l’amendement de leur vie, le vêtement tout noir du vieil homme. Pour ne pas avoir mérité d’être rénovés par l’onction de l’Esprit Saint (1 Jn 2, 20), ils se séparent de l’unité de la paix et du repos en suivant leurs désirs inspirés par ce monde. Par la suite Noé lâcha la colombe, et celle-ci revint à lui le soir, portant dans son bec un rameau d’olivier aux feuilles vertes (Gn 8, 11). Celui-ci symbolise l’abondance de l’Esprit Saint qui se répand dans des paroles de vie. De cette plénitude qui repose sur le Christ, un psaume parle en ces termes : Dieu, ton Dieu t’a oint d’une huile d’allégresse plus largement que tes compagnons (Ps 44, 8). Quant au don concédé aux compagnons du Christ, voici ce qu’en dit l’apôtre Jean : Vous avez reçu l’onction qui vient du Saint et vous connaissez tout (1 Jn 2, 20). Par une très belle comparaison, l’ombre consonne avec la lumière. La colombe matérielle rapporte le rameau d’olivier à l’arche lavée par les eaux du déluge, et l’Esprit Saint, sous l’aspect d’une colombe, descend sur le Seigneur baptisé dans l’eau du Jourdain. Quant à nous, membres du Christ et de l’Église, ce ne sont pas seulement les humains présents dans l’arche, mais aussi les ani-
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maux qu’elle contenait, et même les planches dont elle était faite, qui nous représentent, après que nous avons passé dans l’eau régénératrice de ce bain. Dans l’onction du saint chrême nous sommes signés par la grâce de l’Esprit Saint. Qu’il daigne la conserver intacte en nous, Celui qui, par la grâce du baptême, nous a purifiés du péché avec le secours de l’Esprit Saint, et nous a donné la possibilité de passer de fils du diable à l’adoption des fils de Dieu, lui Jésus Christ, notre Seigneur.
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SERMON 79 SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Aujourd’hui… 1. Un enfant nous est né, un Fils nous a été donné, on lui a donné ce nom : Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix… (Is 9, 5) La Nativité de notre Seigneur Jésus Christa, frères très chers, inonde aujourd’hui le monde par la lumière de sa venue. Aujourd’hui le Soleil levant chasse par sa justice (Ml 4, 2) les ténèbres de l’ancienne iniquité. Aujourd’hui, du ciel, Dieu est descendu vers l’homme, se faisant lui-même le chemin par lequel s’ouvrirait pour l’homme sa montée vers Dieu dans le ciel. Aujourd’hui nous avons accueilli le Fils de Dieu né de la Vierge, le Sauveur de tous les croyants ; il serait l’unique et même Dieu issu du Père, et homme issu de sa mère, Dieu caché, homme manifesté. Aujourd’huib la sentence de l’antique malédiction (Gn 3, 17) est écartée et la terre est fécondée par l’abondance d’une très riche et toute récente bénédiction. Oui, jusqu’à maintenant la terre se trouvait sous une parole de malédiction, elle ne portait que des épines et des ronces (ibid., 18) ; mais maintenant – aujourd’hui – Pour cet alinéa, cf. Ps. Augustin, Sermo, 123, 1. Pour cet alinéa et le premier du paragraphe 2, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum, 70, 5. a
b
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Sermon 79
grâce à la bénédiction du Seigneur, la vérité a germé de la terre (Ps 84, 12), comme aussi la précieuse fleur des champs et le lis des vallées (Ct 2, 1). On reconnaît ce lis à son éclat : par lui, dans l’épanouissement de sa fleur, il a éclairé de nuit les bergers. L’Évangile le dit en effet : L’ange du Seigneur se tint près d’eux et la clarté de Dieu les enveloppa (Lc 2, 9). Oui, celle de Dieu, non celle de l’ange, mais l’éclat du lis. L’ange se tenait là, mais le lis brillait de là jusqu’à Bethléem. On reconnaît aussi le lis à son parfum, lequel s’est fait connaître aux mages situés au loin. L’étoile également apparut, mais ces hommes graves que sont les mages ne l’auraient pas suivie si le lis ne les avait entraînés par une sorte de parfum intime.
Les deux natures du Christ
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2. Considérons maintenant la personne de Celui qui affirme dans l’Évangile : Je suis la vérité (Jn 14, 6), et nous verrons à quel point il convient de comparer la vérité avec le lis, et combien celui-ci figure adéquatement les deux natures du Christ. Nous discernons en effet au milieu de la fleur comme de petits point d’or, ceints de la fleur blanche, laquelle est joliment et justement disposée en couronne. Ainsi reconnaissons-nous la divinité dorée dans le Christ, couronnée par la pureté de sa nature humaine.
La raison de l’incarnation Tel est le Christa avec le diadème dont sa mère l’a couronné (Ct 3, 11), elle dont naît aujourd’hui le vrai Dieu et vrai homme. Un psaume l’atteste : La vérité a germé de la terre, la justice a regardé du ciel (Ps 84, 12). La vérité a germé de la terre, le Christ est né d’une femme. La vérité a germé de la terre, le Fils de Dieu a procédé de la chair. Or cette vérité qui a germé de la terre existait avant la terre, et par elle le ciel et la terre ont été créés. Celui-là ne D’ici aux premières lignes du paragraphe 4, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos, 84, 13 et 14. a
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pouvait pas avoir de mère selon sa divinité, lui qui est le Créateur de sa mère. Mais pour que la justice se penche et regarde du ciel, autrement dit pour que la grâce divine justifie les hommes, la vérité est née de la Vierge Marie pour pouvoir offrir le sacrifice de sa passion, le sacrifice de la croix en faveur de ceux qui devaient être justifiés. Or, à moins de nous emprunter une chair mortelle, le Christ n’aurait pu mourir. En effet le Verbe ne meurt pas, la divinité ne meurt pas, elle, la puissance et la sagesse de Dieu (1 Co 1, 24).
La mort et le salut 3. Comment offrirait-il, en victime salutaire, le sacrifice pour le péché sans avoir à mourir ? Or il ne saurait mourir sans avoir revêtu notre chair. Et il n’aurait pas revêtu notre chair si la vérité n’avait germé de la terre. Lorsque nous discernons l’amplitude de nos blessures, bien-aimés, celles-ci ne pouvaient être guéries que par le seul sang du Fils unique. Aussi, considérant tout ce que Dieu a fait pour nous encourager et nous sauver, déployons un soin très attentif pour que ne se trouve pas infructueuse en nous sa parole si vive et efficace (Hé 4, 12), une parole issue non tellement de sa bouche que de son action. Que l’immensité du remède nous amène à percevoir l’énormité du danger, et que nous observions avec une sollicitude d’autant plus grande les préceptes d’un pareil médecin. Sa volonté envers nous tous la voici : à la manière dont lui-même a été extrêmement affligé et humilié pour retrouver en nous la santé perdue, de même, pour la conserver nous avons à fuir tout particulièrement la jouissance de la chair, car la mort est postée à l’entrée du plaisira.
a
Regula S. Benedicti, 7, 24.
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La confession du péché
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Faisons aussi pénitence, car c’est pas elle – il nous l’enseigne – qu’on approche du Royaume de Dieu. Le premier indice de la pénitence c’est la confession des péchés ; par elle, à l’exemple de Celui qui naît aujourd’hui, la vérité en quelque sorte germe de la terre pour que la justice à son tour se penche et regarde du ciel. De fait, l’homme pécheur est terre, il lui a été dit, dans le premier pécheur : Tu es terre et tu retourneras à la terre (Gn 3, 19). Voilà pourquoi la vérité germe de la terre si l’homme confesse ses péchés. Car si, inique, il s’efforce de se justifier lui-même, ce qui en germe, c’est le mensonge plutôt que la vérité. Au contraire, si, inique, il se dit inique, la vérité germe de la terre. Et pour que vous sachiez, frères, que la vérité est en rapport étroit avec la conversion des péchés, l’évangéliste Jean affirme ceci : Si nous disons que nous n’avons pas de péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1, 8). Comment la vérité germe-t-elle de la terre pour que se penche la justice ? Pour le savoir écoutons la suite de cette parole : Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et nous purifier de toute iniquité (ibid., 9). C’est comme si Dieu disait : Épargnons cet homme puisqu’il ne s’est pas épargné lui-même ; pardonnons puisque lui-même se reconnaît tel qu’il esta ; il s’est converti en vue de punir son péché, à mon tour je me tournerai vers lui pour le libérer. Par contre ceux qui défendent leurs péchés entendent le prophète les exhorter : Je n’aurai pas compassion – dit Dieu – de ceux qui commettent l’iniquité (Ps 56, 8). Qui donc est-il celui qui défend ses péchés, sinon celui qui, corrigé de son péché, oppose le mépris d’une nuque raide (Ex 32, 9) ? Par conséquent, si nous recherchons la miséricorde de Dieu, punissons nos péchés. Non, Dieu ne peut faire miséricorde à tous ceux qui commettent l’iniquité, se flattant de leurs péchés ou refusant de les éradiquer. En fin de compte ou c’est l’homme qui punit, ou c’est Dieu. Lorsqu’un homme agit de telle sorte qu’il ne puisse rester impuni, il lui est avantageux de se punir plutôt lui-même. Il fera alors ce qui a
ignoscamus – agnoscit.
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est écrit dans un autre psaume : Préviens sa face par la confession (Ps 94, 2). Avant que Dieu ne fixe son attention pour punir, toi, préviens-le par la confession et en te punissant. Que lui ne trouve pas de quoi te punir puisque, en punissant ton iniquité, tu réalises l’équité. Ainsi Dieu aura pitié de toi parce que tu hais en toi, en vue de lui plaire, ce que lui-même hait. Et en punissant en toi ce qui déplaît à Dieu s’accomplira ce qui est écrit : La vérité a germé de la terre et des cieux la justice a regardé du ciel.
But de l’incarnation 4. Tout cela se comprend adéquatement selon le sens commun que nous avons exposé. Cependant, d’une manière particulière et à proprement parler, c’est à prêcher et à comprendre en plénitude dans le mystère de l’incarnation du Seigneur : lui, par une merveilleuse clémence de sa bonté, s’est incliné aujourd’hui du sein du Père et est né d’un ventre maternel en vue de prendre en charge l’homme. Il était le premier et pour nous il a voulu se faire le tout dernier (Mc 9, 35). Il est descendu et s’est précipité pour tomber au dessous de nous et se rendre inférieur à tous afin de relever tous ceux qui gisent à terre. Celaa, cette étable l’annonce, cette crèche le proclame, ces membres de petit enfant le disent éloquemment, ces larmes et ces vagissements en témoignent. Oui, le Christ pleure, mais non pas selon l’habitude des autres, ni pour la même raison. Eux pleurent en raison d’une souffrance, lui par compassionb. Eux déplorent le joug qui pèse lourdement sur tous les fils d’Adam, lui pleure les péchés des fils d’Adam. Il correspond à ce qu’a dit Salomon : Mieux vaut un enfant pauvre et sage (Qo 4, 13). C’est à ce titre qu’il pleure dans la crèche tout autant que plus tard selon ce qui est dit de lui : À la vue de la ville il pleura sur elle (Lc 19, 41). Il est ce petit enfant dont Isaïe a a
Pour cet alinéa, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Natiuitate Domini
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passio – compassio.
3, 3.
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Sermon 79
contemplé la gloire tout autant que la bonté et dont il dit – comme nous l’avons cité au début de ce sermon : Un enfant nous est né… (Is 9, 5)
Les deux natures du Christ Le terme d’ « enfant » évoque l’âge, celui de « Fils » la plénitude. Il s’est fait homme par sa mère, lui qui est Dieu né du Père, né pour notre salut et donné pour que nous l’imitions. L’unique Fils de Dieu, né du Père et issu de la Vierge, n’est autre que l’unique Fils de Dieu et Fils de l’homme, selon ce que chante ce psaume : L’homme est né en elle, et lui-même, le Très Haut l’a fondéea, homme par son corps, Très Haut par sa puissance. Dieu et homme par sa diversité de natures, mais unique et le même en l’une et l’autre. Une chose est la spécificité des natures, une autre ce qu’il a de commun avec nous ; dans l’une et l’autre il est parfaitement un. Nous n’avons pas à nous étonner que Dieu l’ait fait Seigneur et Christ (Ac 2, 36). Dieu a donc fait Jésus en tant que ce nom lui vient du fait de son corps. Du fait de son corps et de la gloire, autrement dit de l’homme aussi bien que de sa divinité : On lui donnera ce nom : Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père du siècle à venir, Prince de la paix (Is 9, 5).
Six noms résumés en un seul : Jésus Admirable par sa nativité, Conseiller dans sa prédication, Dieu par son action, Fort dans sa passion, Père du siècle à venir par sa résurrection, Prince de la paix dans la béatitude éternelle. Ces nomsb peuvent aussi s’appliquer adéquatement à l’œuvre de notre salut. Il est dit Admirable dans la conversion de notre volonté, laquelle est changement de la droite du Très Haut (Ps Ps 86, 5 : il s’agit de Sion, symbole ici de la Vierge Marie. D’ici jusque vers la fin du paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermones de diuersis, 53, 1–2. a
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Sermon 79
76, 11). Il est nommé ensuite Conseiller dans la révélation de sa volonté quand il révèle aux convertis ce qu’ils ont à suivre. Ainsi Paul, converti, demande : Seigneur, que veux-tu que je fasse ? (Ac 9, 6) Les convertis ont grand besoin de se repentir profondément de leurs fautes passées, dans la rémission desquelles il est nommé Dieu, qui seul peut remettre les péchés. C’est pourquoi, alors que notre Sauveur remet les péchés sur la terre, les Juifs l’accusent de blasphémer comme s’il s’octroyait ce qui appartient à Dieu seul (Mt 9, 3ss). En quatrième lieu il est nommé Fort. Selon une phrase de l’Apôtre, il est inévitable que tous ceux qui veulent vivre dans la piété soient persécutés (2 Tm 3, 12). Mais qui pourrait endurer cela sans l’aide du Christ ? Ainsi David : Si le Seigneur ne m’avait secouru il s’en fallait de peu que mon âme habitât en enfer (Ps 93, 17). Lors donc qu’il nous protège dans la tribulation et qu’il écarte de nous les Puissances de l’air (Ép 2, 2) et les repousse, que peut-on dire de cette œuvre, sinon qu’il est fort ? Ainsi est-il dit : Fort et puissant est le Seigneur, lui le vaillant des combats (Ps 23, 8). En outre notre comportement et notre vie sont à organiser dans le Christ non pas au regard des réalités présentes, mais selon l’espérance des réalités futures. Aussi est-il ajouté en cinquième lieu : Père du siècle à venir, c’est-à-dire Père dans la régénération des corps. Oui, tous nous ressusciterons, mais tous ne seront pas transformés (cf. 1 Co 15, 51) – cela pour différencier la transformation des justes de la résurrection des iniques. Il est alors ajouté en sixième lieu : Prince de la paix. La totale perfection ainsi complétée, il n’y a plus rien à ajouter. C’est elle que, dans l’exultation, chante le psalmiste : Loue le Seigneur, Jérusalem, il a béni en toi tes fils, il a assuré tes frontières dans la paix (Ps 146, 12ss). La puissance de ces six noms, l’ange la rassemble pleinement dans un seul nom lorsqu’il s’adresse à Joseph : Tu lui donneras le nom de Jésus. Il précise la raison du choix de ce nom : C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21). Son peuple ne lui est pas étranger : il sauve de leurs péchés passés ou actuellement menaçants ceux-là seuls que, pour les élire, il a connus d’avance et prédestinés (Rm 8, 29). De leurs péchés passés, il les libère par la grâce de son pardon, et de ceux qui les agressent, par le don de
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Sermon 79
la maîtrise intérieure – des premiers pour qu’ils ne te soient pas imputés, des seconds pour qu’ils ne te dominent pas. Voilà donc détruit le mur d’inimitié (Ép 2, 14) qui nous séparait de notre Dieu, de telle manière que nous ayons la paix avec lui – pour le moment vers Dieu par la justification, et plus tard en Dieu par la vision perpétuelle qui nous sera révélée de sa gloire. Qu’il daigne nous y conduire, lui le Prince de la paix, lui la paix véritable (ibid.), descendue aujourd’hui pour nous du ciel par la Vierge, lui, le Fils unique de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur.
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SERMON 80 POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR
La triple apparition 1. La fête de ce jour, bien-aimés, se recommande à nous par la triple manière dont s’y manifeste le Seigneur. Car, comme nous l’enseigne la vénérable tradition des saints Pères : aujourd’hui, enfant, il a été adoré dans son berceau par les mages ; aujourd’hui aussi il s’est incliné sous les mains du Baptiste pour recevoir le baptême ; aujourd’hui encore, en changeant l’eau en vin, il s’est déclaré par la manifestation d’un signe jusque là inconnu. Lors de la première de ces apparitionsa il s’est fait connaître comme vrai homme, en se montrant, enfant, entre les seins de sa mère. Dans la deuxième le Père a témoigné de lui comme du vrai Fils de Dieu. Dans la troisième il s’est montré comme vrai Dieu puisque, à son commandement, la nature s’est transformée. Par tant de témoignages notre foi aujourd’hui se trouve confirmée, par tant d’indices notre espérance est fortifiée, par tant de torches, pour ainsi dire, notre amour est enflammé. Ils tiennent tous trois cette preuve tellement évidente de la bonté de Dieu, en ce sens qu’il n’a pas voulu seulement descendre sur la terre, mais s’y faire connaître. En raison de cette connaissance, ce jour est tenu pour illustre : jour d’une révélation exceptionnelle. D’ici aux premières lignes du paragraphe 2, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Epiphania Domini 1, 8 ; 4–5. a
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Sermon 80
L’adoration des mages
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2. En premier lieu les mages aujourd’hui sont venus d’orient (Mt 2, 1) en quête du Soleil de justice (Ml 4, 2) qui s’est levé sur le monde et dont on peut lire : Voici un homme, il se nomme Orient (Za 6, 12). Aujourd’hui ils ont adoré l’enfant nouveau de la Vierge. Suivant un astre nouveau qui les conduisait, ils sont entrés dans l’établea et trouvèrent le petit enfant enveloppé de langes, ils n’ont remarqué en lui aucun indice d’une royauté mais une vile et grande pauvreté. En réalité Celui qui les a conduits les a aussi avertis extérieurement par une étoile, les instruisant ainsi dans le secret du cœur. Si bien que l’étable ne les a pas dégoûtés, les langes ne les ont pas offusqués, l’enfant au sein ne les pas scandalisés. Ils se sont avancés, l’ont vénéré à titre de Roi et l’ont adoré en tant que Dieu. Et sans se contenter de l’adorer, ils lui ont offert des présents symboliques, l’or, l’encens et la myrrhe, exprimant ainsi l’estime qu’ils avaient de sa personne et de sa grandeur à titre d’homme, de roi et de Dieu – d’hommeb qui réconcilie, de Dieu qui donne généreusement, de roi qui gouverne. Instruits par leur exemple, avançons-nous pour le célébrer avec déférence, en exprimant cela par l’offrande de ces mêmes présents. À l’homme offrons la myrrhe en portant dans notre chair mortelle sa mortification (2 Co 4, 10), car il s’agit de nous conformer présentement à l’image de son humanité si nous avons l’intention d’être recréés à l’image de sa divinité (1 Co 15, 49), selon laquelle nous avons été créés (Col 3, 10). À Dieu offrons l’encens de la prière en dirigeant celle-ci vers son regard, et que le don de sa grâce nous conforme selon la chair et selon l’esprit à l’image de son Fils (Rm 8, 29). Au roi offrons l’or d’un élan fervent ; selon que notre roi et notre guide nous conduit pas une voie large ou un étroit chemin, que notre élan de ferveur trouve goût et plaisir à sa conduite jusqu’à nous glorifier même dans les tribulations (Rm 5, 3). Nous a Pour les lignes suivantes, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Epiphania Domini 1, 5. b D’ici et jusqu’au premier alinéa du paragraphe 3, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Epiphania Domini 1, 6.
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Sermon 80
saurons que tout – aussi bien les succès que les adversités – concourt au bien (Rm 8, 28). Sans hésiter, par de dignes actions de grâce répondons doublement à cette première apparition du Seigneur.
Le baptême de Jésus 3. Il est encore une autre manifestation que l’on célèbre aujourd’hui, et que nous avons à considérer. En effet, après avoir passé trente ans dans la chair, Celui qui demeure le même en sa divinité – et ses années ne finiront pas (Ps 101, 28) – s’est présenté parmi les foules au baptême de Jean (Mt 3, 13ss). S’il est venu, c’est comme un membre du peuple, alors que lui seul était sans péché. Qui alors l’aurait cru Fils de Dieu ? Qui aurait pensé que cet homme très humilié était le Seigneur de gloire ? À Jean seulement cela n’a pu échapper, lui qui, avant même de naître, a reconnu Celui qui n’avait pas encore été mis au monde par le sein maternel ; il l’a salué par un mouvement de reconnaissance joyeuse (Lc 1, 44). Ainsi, en le voyant maintenant venir à lui, il s’écrie : Voici l’Agneau de Dieu qui prend sur lui le péché du monde (Jn 1, 29). N’empêche que, malgré ce témoignage, Jésus veut se faire baptiser par Jean, lequel, en tremblant, proteste : C’est moi qui devrais être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ? (Mt 3, 14). Quoi d’étonnant si l’homme tremble et s’humilie devant ce Dieu si humble ? Mais le Seigneur de répondre : Laisse faire pour le moment, c’est ainsi qu’il nous faut accomplir toute justice (ibid., 15). Jean, acquiesçant, obéit, il baptisa l’Agneau de Dieu et le lava dans l’eau. C’est nous qui avons été lavés, et non pas lui : c’est nous – nous le savons bien – que les eaux doivent laver. Preuve en est que l’Esprit Saint descend sur lui comme une colombe, preuve en est le témoignage du Père dont la voix se fait entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu (Mt 3, 17). Car lui seul n’a rien qui puisse déplaire au Père, rien qui en lui puisse offenser le regard du Dieu de gloire. Mais ce n’est pas pour lui, c’est pour nous qu’est venue cette voix (Jn 12, 30), cela
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pour nous instruire et nous disposer, nous instruire dans la foi, nous disposer à agir.
Dieu ne peut se plaire qu’en lui-même Dieu dit donc : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu – et c’est comme s’il disaita : Ce qui me plaît, me concernant, se trouve en lui, et non pas hors de lui. Car ce que je suis, il l’est lui-même. En effet, je ne suis pas autre que lui, et hors de lui je ne peux me plaire. Oui, absolument tout ce qui me plaît me plaît en lui et par lui. C’est en lui que je regarde toutes mes œuvres, et je ne pourrais pas ne pas aimer ce que je vois de semblable à lui, que j’aime. Seul n’offense pas mon regard l’être humain qui ne s’éloigne pas de sa ressemblance.
Écoutez-le Si donc vous voulez me plaire, soyez-lui semblables, écoutez-le. Et si peut-être, en agissant mal, vous vous êtes éloignés de cette ressemblance, revenez en l’imitant. C’est en lui qu’est donné le précepte, en lui qu’est donné le conseil : le précepte pour persister, le conseil pour revenir. Puissiez-vous tenir fermement le précepte, mais puisque vous l’avez transgressé, écoutez du moins le conseil. L’ange du grand conseilb vous est envoyé dans ce but-ci : lui qui fut donné pour leur gloire à ceux qui ont été créés, il viendrait comme un remède pour ceux qui sont perdus. Écoutez-le, c’est lui le Créateur, lui le Rédempteur. Lui, Dieu avec moi, vous a créés ; lui, homme avec vous, seul, est venu à vous. C’est lui la référencec, lui la médecine, lui l’exemple, lui le remède. Écoutez-le. Mieux eût valu et il eût été plus heureux de tenir fermement la ressemblance, a D’ici jusque vers la fin du paragraphe, cf. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, VII. b Cf. Introït de la Nativité du Seigneur. c forma.
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mais, dès lors, il ne sera pas moins glorieux de revenir à son imitation. Écoutez-le. Voilà les réalités salutaires qui nous ont été annoncées dans la deuxième apparition du Seigneur.
Cana : trois pleines mesures de crainte 4. Dès lors, on fait aussi mémoire de ce qu’il a réalisé en ce même jour : changer l’eau en vin (Jn 2, 1ss). Car comme le dit l’évêque Maxime, c’est là le secret de notre religiona. D’où et comment ce changement s’opère-t-il pour nous ? Cela est à rechercher très soigneusement. L’eaub est à interpréter comme figurant la crainte, et parce qu’elle s’était refroidie du fait des désirs brûlants de la chair, l’Écriture en dit ceci : La crainte du Seigneur est source de vie (Pr 14, 27). En outre l’âme de l’homme s’avère une cuve. Les trois mesures dont elle est remplie représentent les trois craintes très spécialement nécessaires aux religieux. Il leur appartient non seulement de se tenir loin du mal par la crainte, mais aussi de travailler à leur salut avec crainte et tremblement (Ph 2, 12), et à l’exemple de Job de surveiller tous leurs actes. Au vrai, rien ne nous sert davantage pour gagner, garder et retrouver la grâce que de nous tenir devant Dieu en tout temps loin de tout orgueil et dans la crainte. Heureux l’homme toujours en alarme (Pr 28, 14), sur ses gardes lorsque la grâce lui sourit, comme aussi lorsqu’elle le quitte et lorsqu’elle lui revient. De fait, lorsque la grâce nous est présente, il faut redouter de ne pas agir d’une manière digne d’elle. Et lorsqu’elle nous aura quittés, nous avons à redouter bien plus encore, car sans elle nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5) ; davantage : nous n’avons plus qu’à défaillir, à tomber, à périr. Or lorsqu’elle est revenue et que nous nous l’approprions à nouveau, il s’agir de redouter bien davantage d’avoir à subir sa disparition, car si elle est retranchée, Référence non identifiée. D’ici jusqu’à la citation suivante, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 54, 9 et 12. a
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Sermon 80
cela s’avère beaucoup plus grave que lorsqu’elle fait irruption, selon cette parole de l’Écriture : Te voilà guéri, ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore (Jn 5, 14). Heureux celui dont le cœur est rempli de cette triple crainte. De la sorte il sera une cuve lors du repas du Christ, pleine jusqu’à contenir non pas deux, mais trois mesures. De fait, ce n’est pas une, ni deux, mais trois dont il doit être rempli totalement. Quiconque en tout temps craint Dieu de tout son cœur a rempli la cuve jusqu’en haut. Dieu aime le don sans réserve, le plein élan d’affection, le parfait sacrifice. Que chacun prenne soin, lors des noces éternelles, d’apporter une cuve pleine, pour qu’on puisse dire aussi de lui que l’Esprit l’a rempli de la crainte du Seigneur (Is 11, 3). Qui craint de la sorte ne néglige rien. Et l’on n’est pas rempli de la crainte du Seigneur là où l’on accueille l’orgueil. Il faut en penser autant de tous les autres vices, car nécessairement cette crainte les exclut tous. Par conséquent, si l’on craint pleinement et parfaitement, l’amour donnera aux eaux leur saveur en vue de bénir le Seigneur, car l’amour bannit la crainte (1 Jn 4, 18).
Le bon vin et le moins bon 362
Ainsi, que là où était l’eau il commence à y avoir du vin, et le vin le meilleur de tous les vins. Qu’alorsa celui qui en boit puisse dire à notre Époux : Tout homme sert d’abord le bon vin, et lorsqu’on est ivre, le moins bon. Toi tu as conservé le bon vin jusqu’à maintenant (Jn 2, 10). Oui, tout homme charnel sert d’abord le bon vin, car en commençant par s’en délecter, il en ressent une sorte de fausse douceur. Et lorsqu’il a enivré son âme de ce vin des mauvais désirs, il boit ensuite le moins bon, car l’épine de sa conscience, en survenant, blesse gravement l’âme que, auparavant, il avait délectée faussement. Au contraire notre Époux offre en finale le bon vin ; disposant l’âme à se remplir de la douceur de son amour, il commence par l’affliger amèrement par la piqûre de la tribulation, si D’ici jusqu’à la fin de l’avant-dernier paragraphe, cf. Hugues de Saint-Victor, De Arca Noe morali, I, 1. a
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Sermon 80
bien qu’après avoir goûté à l’amertume, elle consomme plus avidement la coupe très douce de l’amour. Ce premier signe, il l’accomplit en présence de ses disciples, et ils croient en lui. Ainsi le pécheur et pénitent commence à avoir foi en la miséricorde de Dieu ; car, après le long dégoût de l’affliction, il sent son cœur se relever dans le réconfort que lui offre l’Esprit Saint. Nous donc, frères très chers, ce que nous avons reconnu comme une instruction pour nous dans cette troisième apparition du Seigneur, repassons-le soigneusement dans notre mémoire. Pour accepter cela en fonction de nos forces, dirigeons à cet effet tout le zèle de notre intention. Et ayons à cœur de présenter au regard de Dieu toutes nos pensées, comme aussi des actes dignes de lui. Qu’ainsi, lors de sa manifestation dernière, nous ne soyons pas confondus en sa présence. Au contraire, puissions-nous, le visage découvert, accéder à son visage de gloire, le Seigneur lui-même nous y conduisant, lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 81 SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
Un très grand amour 1. En raison du très grand amour dont il nous a aimés (Ép 2, 4), Dieu le Père a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché (Rm 8, 3) pour sauver tous les humains. Les indices multiples de l’amour divin envers le genre humain se manifestent à ceux qui les considèrent avec piété et fidélité. Alors que nous n’existions pas, il nous a créés sans pourtant n’avoir nul besoin de nous. Il nous a mis à la tête de toutes les créatures visibles, nous qu’il a différenciés d’elles par la raison, nous ornant d’une ressemblance à son image (Gn 1, 26). Et il a établi au service de nos besoins et nécessités le ciel, la terre et la mer. Tous ces grands biens sans nombre, il nous les a concédés dans sa bonté gratuite. Mais, de manière incomparablement suréminente, à nous qui étions tombés librement dans la faute et qui demeurions endormis dans la mort du péché et aliénés jusqu’à ignorer le Créateur lui-même, ce n’est pas par quelque homme de grand mérite, ni par un ange ou un archange qu’il nous a apporté le remède du salut, mais par le Fils unique qui lui est coéternel. Voilà donc les joies de la fête d’aujourd’hui qui sont à vénérer. Car Dieu le Père, non pas en raison d’un amour médiocre ou tout juste suffisant, mais du très grand amour dont
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Sermon 81
il nous a aimés, a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché.
À l’image du péché, mais sans péché Certesa non pas une chair de péché, mais semblable à elle parce que susceptible de mourir et de souffrir. Toute chair des homme est chair de péché ; seule la sienne ne l’est pas, car sa mère ne l’a pas conçu dans la convoitise mais par grâce. Il hérite cependant d’une chair semblable à celle du péché car il a eu faim, il a eu soif, il a dormi et il a enduré tous les autres défauts de la chair des humains, jusqu’à la mort. Il est vrai que cette même chair qui est la nôtre n’a pas été faite dans le sein d’une mère comme la nôtre. Dans le sein elle a été sanctifiée et née sans péché, et lui-même, en elle, n’a jamais péché. Dans le châtiment il est semblable à notre chair, non dans la mise en œuvre du péché. Il est donc venu vers le corps immaculé, lui qui a créé la Vierge de laquelle il a choisi de naître. Celle-ci possédait bien la nature du corps, mais point du tout la souillure du péché, issue d’un mouvement de convoitise, d’où elle aurait été pécheresse, car elle a été conçue sans contact de sensualité. Elle a échappé à la cause du péché, et elle n’a pas péché en elle-même. Ainsi sa chair n’était pas chair de péché, car elle n’était pas née d’une jouissance charnelle, tout en étant semblable à cette chair, puisque mortelle et sujette à la souffrance. C’est dans cette similitude que Dieu a envoyé son Fils pour condamner le péché – davantage : le Fils de Dieu a paru dans la similitude de la chair de péché pour détruire le corps ou la chair de péché (Rm 8, 3). Avec la phrase de l’Apôtre, selon laquelle le corps de péché est détruit par le Christ (Rm 6, 6), consonne adéquatement la prophétie de Daniel, où la statue que le roi Nabuchodonosor a vue dans son sommeil est mise en pièces par un pierre qui, sans intervention humaine, s’est détachée de la montagne (Dn 2, 31ss). – Et voilà qui tend proprement à la mise en valeur de D’ici jusqu’au dernier alinéa de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli, Ad Romanos, 8. a
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Sermon 81
la glorieuse célébration de ce jour. Cette statue, faite de diverses matières, figurait dans son unité un corps humain ; brisée par la pierre, elle signifie le corps de péché composé de divers vices et qui doit être détruit par le Christ. Il est raconté que cette statue avait une tête, des bras et tous les membres, jusqu’aux pieds.
La tête d’or du corps de péché : la volonté propre 2. Arrêtons-nous d’abord à la tête. Le commencement du péché, c’est d’apostasier loin de Dieu (Si 10, 12). L’apostasie n’émane que de l’amour de sa propre excellence et du désir d’assouvir sa volonté propre. La volonté propre s’avère donc la cause de l’apostasie. Elle constitue en quelque sorte la tête et le principe du corps de péché. Et de même que de la tête provient toute la sensibilité du corps humain, de la tête du corps de péché – qui est la volonté propre – découle tout l’abus du sens de l’homme extérieur et intérieur. Car, en raison de la volonté propre, la convoitise est tentée de se réaliser, la désobéissance méprise, la souillure est prise de démangeaisons, l’intempérance sort de ses limites, l’infidélité se fait trompeuse. Il est dit de cette tête qu’elle est d’or (Ct 5, 11), lequel, plus que tous les métaux, est resplendissant, cher, précieux. De même la volonté propre, plus que toutes les corruptions tant du corps que de l’esprit, se montre forte contre la citadelle des vertus, plus subtile aussi, plus obstinée pour les combattre. Et plus elle attaque avec force, plus il est difficile de la déloger. Facilement elle méprise ce qui nous est extérieur, elle sommeille au profond de nous, et nous sommes exhortés à lui fermer les portes de notre bouche. Telle est Dalila, sur le sein de laquelle Samson s’est endormi (Jg 16, 19ss). Pendant son sommeil elle lui arrache sept cheveux de la tête ; laissons-en quatre de côté pour le moment ; nous en retiendrons trois : le premier, la sainteté ; le deuxième, la pureté, le troisième, la rectitude. Ceux-ci une fois arrachés, les ennemis, en se précipitant sur Samson, lui extraient les deux yeux : l’action
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Sermon 81
bonne et la contemplation de Dieu. – Voilà ce qui était à dire de la tête d’or du corps de péché ; voyons ce qu’il faut dire ensuite de l’argent dont sont faits sa poitrine et ses bras.
La poitrine du corps de péché 3. Dans la poitrine du corps humain, dit-on, se tiennent les pensées, et les philosophes la nomme le siège des conseils bons et mauvais. Voilà le trésor dont parle le Seigneur dans l’Évangile : L’homme bon, du bon trésor de son cœur, tire du bien, et l’homme mauvais du mal (Mt 12, 35). Par conséquent dans la poitrine du corps de péché se tient le siège de la perversité, le trône d’une pestilence continuelle, la méditation de la ruse quand, si l’opportunité s’en présente, l’élan de la volonté perverse peut s’effectuer dans une action mauvaise.
Les bras, les doigts À la poitrine du corps de péché se rattachent les bras, qui désignent le pouvoir du péché ; il s’agit de la méchanceté sur laquelle elle se fonde et par laquelle elle passe aux actes. Le bras comporte les deux os du coude, puis les deux mains, où les cinq doigts se différencient par leurs noms. Le premier os figure l’absence de la bonté, le deuxième la délibération de la dépravation. Le coude représente le commencement de l’œuvre dépravée, la main sa mise en œuvre, les cinq doigts sont les instruments par lesquels la dépravation passe aux actes. Le pouce figure l’amour envers le monde ; l’index, à vrai dire, veut être reconnu saint avant de l’être ; le médius entend usurper ce qui n’est pas à lui ; l’annulaire proclame ce qu’il ignore et prétend enseigner les autres ; l’auriculaire ne sait rien et refuse de se laisser enseigner. Tous ceux-là sont dits d’argent, car tous s’appuient sur leur propre prudence et sur ce qui leur semble, plutôt que sur les conseils d’autrui.
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Le ventre Le ventre du corps de péché signifie la mollesse inhérente à la débauche, laquelle, au dire du bienheureux Job (Jb 40, 16), constitue la force de notre Adversaire. Dès la naissance elle s’insère à l’intime de l’être. Et notre suprême Ennemi nous persécute gravement dans une guerre intérieure. C’est pourquoi on rapporte que certains des saints ont dit à telle ou telle femme : Éloigne-toi, femme, éloigne-toi. Un petit feu sévit encore. Or ce ventre est dit d’airain en raison de l’image fictive de la sainteté dans laquelle souvent il se dissimule, à la manière dont l’airain prétend à l’aspect de l’or, alors qu’il n’en a pas la valeur.
Les jambes, les pieds Tôt après viennent les jambes, qui sont qualifiées de légèreté. Car à la jouissance se conjoint la légèreté, mère de la sottise, qui ne représente rien de sûr, rien de durable. Elle accourt vers la main de ceux du dehors, car ceux-ci vérifient ce qui est dit à leur sujet : Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis il se leva pour s’amuser (Ex 32, 6). Ne nous est-il pas ainsi insinué que voilà la pire des peste ? Et bien plus qu’insinué. « Sa nourriture », dit le prophète, « est choisie »a. Il s’agit du renard qui ravage la vigne du Seigneur (Ct 2, 15), la maison d’Israël.
Les tentations du moine Il entre dans la clôture du monastère pour exciter les moines – davantage : déjà il s’y cache, comme l’autre Ève qui, sous le figuier, apporte de son fruitier les divers genres de fruits en raison de leur détériorisation afin que, si on ne veut pas de l’un, on se nour-
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Citation non identifiée.
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risse d’un autrea. D’un des moines elle fait un bavard, de l’autre un errant, d’un autre un impatient sans repos, d’un autre encore un incapable de limiter ses pas à la clôture. Celui-ci, elle le repaît de critique, celui-là d’adulation, un autre encore de murmures. Ainsi se conforme-t-elle à tous ses complices et les prépare-t-elle à ne jamais rien faire sans murmurerb. Elle met en avant les limites étroites de la clôture, l’amertume d’un silence continuel, l’âpreté de la nourriture et ce qu’ont de vil les vêtements. Et parce qu’elle fait naître le sentiment d’étroitesse de toute la vie ordinaire, elle amène ses complices à passer de lieu en lieu, d’atelier en atelier. Les voici rassemblés tantôt au chapitre, tantôt au réfectoire, tantôt au chauffoir. Les voici tantôt ici, tantôt là, tantôt partout, tantôt nulle part. Si l’on se veut attentif à la vérité, ces cloîtrés sont plutôt à qualifier de gyrovaguesc, toujours errants, jamais stables, et à travers tout cela ce sont des sarabaïtes, c’est-à-dire des hypocrites, de très mauvais moines. La plupart du temps ils s’abstiennent de changer le mal en bien et à progresser vers le mieux ; au contraire ils régressent de mal en pis. La tiédeurd d’une vie réglée leur est un poids, et la ferveur de l’amour se refroidit. La jouissance leur plaît, la sécurité les trompe et l’habitude les ramène à leur précédent vomissement (Pr 26, 11). On se permet alors de faire un saut téméraire et honteux, ignoble et tout à fait digne d’une entière confusion. Oui, un saut des hauteurs jusque dans l’abîme, du sol ferme dans le fumier, du trône dans l’égout, du ciel dans la boue, du cloître dans le siècle, du paradis en enfer.
Les jambes et les pieds 4. Les jambes, les cuisses, les pieds signifient l’intention de pécher. Ils sont considérés comme de fer ; car, comme celui-ci, en Cf. Regula S. Benedicti, 39, 2. Cf. Regula S. Benedicti, 41, 5. c Cf. Regula S. Benedicti, 1, 10–11. d Pour la fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Super Cantica Canticorum 63, 6. a
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raison de sa dureté, surpasse tous les métaux, de même l’intention à l’égard de toute action, la punit ou la récompense en raison de sa simplicité ou de sa perversité. De là cette parole du Seigneur dans l’Évangile : Si ton œil est simple tout ton corps est dans la lumière ; s’il est mauvais tout ton corps est dans les ténèbres (Mt 6, 22s). Et le bienheureux Ambroise : « Ton action sera telle que se présente ton intention, et c’est ta disposition intérieure qui qualifie ton action de bonne ou de mauvaise »a. Aux jambes se rattachent de tout près les pieds, qui soutiennent et portent le corps. Dans le corps de péché c’est la cupidité qui remplit leur fonction. Cette cupidité comporte deux formes de l’appétit immodéré de posséder : l’amour de l’argent et la convoitise du savoir. Ananias et Saphira, pour avoir convoité de garder une partie de l’argent qu’ils déposaient aux pieds des apôtres, ont expié, étouffés par le diable (Ac 5, 1ss). Quant à Adam, en voulant en savoir plus qu’il ne convenait, il a été chassé du paradis. La cupidité, le Christ personnellement en a totalement triomphé, mais pour ses élus il en a tempéré l’exigence, parce que, il est vrai, sans rien posséder, ils n’auraient pu vivre. Cependant, qu’elle ne règne pas dans votre corps mortel pour obéir à ses convoitises (Rm 6, 12).
La pierre, le Christ 5. Et voici ce qu’on lit chez Daniel : La pierre qui s’est détachée sans intervention humaine a frappé les pieds de la statue et les a réduits en miettes (Dn 2, 34). Cette pierre, c’est le Christ, né aujourd’hui de la Vierge sans l’intervention d’une semence d’homme ; de la masse pécheresse il est sorti sans péché. Cette pierre a frappé les pieds de la statue qu’est le corps de péché, et ils ont été réduits en miettes. Par conséquent le corps de péché ayant péri, que surgisse en nous le corps de justice, et que celle-ci nous rende dignes de son habitation en nous : voilà la perfection de Pour la fin de cette phrase, cf. Ambroise de Milan, De Officiis ministeriorum, I, 30. a
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toutes les vertus et la plénitude de toute action de grâce. Celui qui vient à nous dans une chair semblable à la nôtre nous a affranchis de la domination de la loi du péché (Rm 8, 2), il a été fait pour nous par son Père justice, sanctification et rédemption (1 Co 1, 30), Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 82 POUR L’APPARITION (ÉPIPHANIE) DU SEIGNEUR
Les débuts exemplaires de la vie du Christ 1. Grande est l’utilité qu’on trouve à faire mémoire des événements liés à l’engendrement humain du Sauveur, si nous les recevons dans la foi pour imiter ce que nous vénérons. De fait, dans le déroulement des mystères du Christ ses vertusa sont des grâces, comme aussi les stimulants de ses enseignements, pour que nous suivions par l’exemple de ses actes Celui que nous confessons dans un esprit de foi. Les commencements mêmes dont le Fils de Dieu a bénéficié en naissant de la Vierge sa mère nous engagent à progresser dans l’élan de la ferveur. Lorsqu’il s’est avancéb de la chambre virginale, il a exulté comme un géant de courir sa route (Ps 18, 6 vg) ; par tout le déroulement de son existence il disposait et organisait pour nous un certain chemin de vie. Ainsi à sa suite et par des exemples, comme par certaines traces, il nous conduirait et nous entraînerait par son amour. Ce qui lui fait dire à Pierre et à André : Venez à ma suite (Mt 4, 19). Si, en effet, nous pensons à sa conception ou à sa naissance, nous trouvons en elles non seulement de quoi édifier notre foi, mais envirtus qui pourrait aussi signifier « la puissance ». D’ici à la fin du premier alinéa du paragraphe 2, cf. Guillaume de SaintThierry, In Cantica Canticorum duo priora capita breuis commentatio, 16. a
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Sermon 82
core de quoi l’exercer dans notre comportement. La conception spirituelle en nous consiste en l’intention d’une volonté offerte ; elle se produit dans une âme virginale qui désire plaire à Dieu seul. Quant à la naissance du Seigneur, elle représente en nous les débuts de l’œuvre bonne. La circoncision pour sa part – qu’il n’est pas licite d’opérer de sa propre main – signifie le discernement des maîtres concernant les actes des disciples. Dans cette circoncision on reçoit le nom de Jésus, car l’action du sujet dépend de ce nom de force et de salut, grâce au discernement du maître. Dans l’apparition, les mages et les bergers trouvent toujours la Vierge mère, car toujours une pudeur accompagne la véritable puissance tant auprès des sages que des ignorants. 2. Par ailleurs la purification durant quarante jours représente, durant tout le temps de la vie d’ici-bas, l’amendement incessant de nos fautes quotidiennes, et jusqu’à la fin l’effort de nous exercer à bien agir. La présentation de l’enfant au temple figure, après la fin de cette vie, la présentation de l’œuvre parfaite. Ils sont de deux sortes, persécuteurs et simulateurs, ceux qui apportent l’enfant au temple. Mais ceux-ci mis à part, ce sont les parents qui introduisent dans le temple de Dieu ce qu’ils font de bien. Le vieux Siméon représente l’Ancien des jours (Dn 7, 9), c’est-à-dire le Dieu tout puissant. L’enfant reçu dans les bras représente, dans la main de Dieu, le poids de chaque mérite. En fin de compte, la conception doit être pure, la naissance volontaire, la circoncision faite de discernement, l’apparition réservée, la purification continuelle, l’offrande sainte.
La purification de la profonde repentance Or en ce jour il convient de s’étendre davantage sur la purification et l’offrande ; il nous faut considérer le contenu de ces deux termes. L’ordre adéquat c’est que la purification vienne d’abord car, à moins d’être purifiée, l’offrande ne plaire pas. Après le sacrement du baptême, notre principale purification réside dans les
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larmes de la profonde repentancea, que l’Écriture nomme aussi la seconde régénérationb. La profonde repentancec du cœur gémissant consiste à se tourner vers Dieu par les gémissements et les larmes qui attestent la douleur intérieure. Elle comporte deux niveaux, l’un supérieur, l’autre inférieur. Inférieure, elle élève une plainte pour l’erreur commise ; supérieure, elle soupire après l’amour d’en haut. Ce qui fait dire au sage : une double repentance s’empare du cœur de tous les humains, elle adoucit et suscite les larmes. En publiant le mal qu’il a commis, en quelle quantité, et quel homme il est, chacun se reconnaît et se nomme le plus petit (Jc 6, 15). En soupirant vers la vie, il tend vers le haut, cherchant à atteindre la vie fervente du ciel. Ces deux repentances sont figurées par la source du haut et la source du bas que Caleph a donnée à sa fille Axa. Mon père, accorde-moi une faveur. Tu m’as donné la terre du sud, aride ; aujoutes-y une source. Et il lui donna la source du haut et la source du bas (Jos 15, 19 vg). Axa figure l’âme pénitente, elle soupire dans la vallée des larmes (Ps 83, 7) après le pardon de ses péchés. C’est pourquoi Axa se traduit pas « médicament »d. Elle est loin d’être médiocre, cette médecine par laquelle la mort périt et la vie est restaurée. Caleph, lui, représente la bonté de Dieu, qui veut que personne ne périsse, mais que tous parviennent à la connaissance de la vérité (1 Tm 2, 4). C’est pourquoi Caleph se traduit par « toute bouche »e, en ce sens que tout est soumis à la parole de la bouche de Dieu. Il a dit, et tout a été fait, il a commandé, et tout a été créé (Ps 32, 9). La terre du sud, mais aride, figure les dons de la nature : l’intelligence, la mémoire, la volontéf et les réalités semblables. Il est vrai qu’elles sont très bonnes, mais sans la rosée de la grâce céleste elles s’avèrent arides et sans fruit. La double repentance compunctio. La rénovation de l’Esprit : Tt 3, 5. c D’ici à l’avant-dernier alinéa de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Dialogorum liber III, 34, 3–5. d Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 23, CCSL 72, p. 88, 23. e Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 17, CCSL 72, p. 80, 12. f Les trois dimensions de l’âme pour saint Augustin. a
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est constituée de la source du haut et de celle du bas, on l’a dit, l’une lavant les méfaits de ce monde, l’autre aspirant aux réalités célestes. Cette repentance constitue la vigne dont le vin – comme il est écrit – réjouit Dieu et les hommes (Jg 9, 13).
Le vin de la repentance Le vin de la profonde repentance réjouit Dieu, car la joie est plus grande dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour nonante-neuf anges qui ignorent ce qu’est la pénitence (Lc 15, 7). Et le vin de la profonde repentance réjouit les hommes en irriguant les joues où coulent des ruisseaux de larmes : Dieu, dans sa bienveillance, réjouit alors l’âme. Voilà la raison pour laquelle Salomon dit : Donnez du vin à ceux dont l’âme est dans l’amertume, qu’ils boivent et oublient leur douleur (Pr 31, 6s). Heureuse boisson où l’oubli fait suite à une telle amertume ! C’est là le vin que la loi prescrit d’apporter à la tente du Seigneur et de répandre en sacrifice – autant de fois qu’on en offre un quart de setier (Lv 23, 13). Prenons soin, par ce vin, de répandre notre oblation, si nous voulons que notre offrande ait une saveur qui vraiment plaise à Dieu.
Une quintuple offrande de soi 3. Or notre oblation comprend cinq espèces, car au nombre de cinq sont les réalités qui composent le don requis de chacun de nous : la pensée, la volonté, la délibération, la promesse, le vœu. Le don de la pensée, c’est la sainteté, que nous devons offrir conformément à cette parole : Une pensée sainte te gardera (Pr 2, 11). Et de même : En tout temps que tes vêtements soient blancs (Qo 9, 8), autrement dit : que jamais la sainteté ne manque à ta pensée. Le don de la volonté, c’est la bonté, que nous devons offrir en raison de cette parole : « Rien de plus précieux pour Dieu
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qu’une volonté bonne »a. Et encore : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). Le don de la délibération, c’est la bonne qualité du conseil, que nous devons offrir à Dieu conformément à cette parole : Fais tout avec conseil, et par la suite tu n’auras pas à t’en repentir (Si 32, 19). Le don de l’engagement, c’est la formulation de la promesse, à offrir en raison de cette phrase : En moi, Seigneur, sont les vœux que je t’ai faits, que je te les rende en louange (Ps 55, 12). Et encore : Que j’acquitte pour toi les vœux que prononcèrent mes lèvres (Ps 65, 13).
La dévotion
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Enfin le don du vœu, c’est la dévotion. Pour comprendre le sens de ce terme on le définit de la manière suivante : la dévotion consiste en un esprit de bonté, fort dans l’adversité, humble dans la prospérité, fin dans les deux cas, et qui recherche ardemment aussi bien dans les Écritures que dans les créatures quelle est la volonté de son Créateur. Tout comme la profonde repentance à l’égard du vice, la dévotion – ce qui n’a rien d’absurde – se compare au figuier en raison d’une triple grâce : celle de s’y alimenter et de s’y fortifier. La figue en effet est délicieuse au goût, fortifiante comme nourriture, et elle joue un rôle médicinal : délicieuse dans la bouche, fortifiante pour l’activité, médicinale pour le cœur. De même la dévotion se montre délicieuse, fortifiante et médicinale. Pour qui la dévotion s’avère délicieuse en bouche, elle rassemble ses paroles en vue de la discipline. Pour celui qu’elle fortifie, elle dirige ses actions dans la rectitude. Chez celui dont elle soigne le cœur, elle affermit ses pensées en vue de la pureté. La dévotion excite la raison, illumine la volonté, met en fuite l’oubli. Elle excite la raison, dis-je, pour que celle-ci se garde avec vigilance de l’erreur ; elle illumine la volonté pour que celle-ci combatte l’orgueil ; elle rappelle à l’ordre la mémoire pour que celle-ci chasse au loin l’oubli. La dévotion se révèle la mort des vices, la vie des vertus, la force des combattants, la palme de la a
Référence non identifiée.
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victoire, la raison des commençants, l’échelle des progressants, la récompense des parfaits. La dévotion ressuscite les morts de leurs péchés, guérit les malades, reprend les perdus à leur perdition, inspire l’espérance des désespérés, élève les humbles, habite les esprits pacifiques. Il faut le savoir : de même que la profonde repentance surgit du souvenir des péchés et du désir des réalités éternelles, de même la dévotion procède de la mémoire des bienfaits de Dieu – soit ceux dont chacun fait l’expérience assidûment en lui-même, soit ceux dont l’ensemble des chrétiens se souvient, tels qu’ils sont dispensés dans les mystères de l’incarnation. Entendons ici la nativité, la circoncision, l’apparition, ou encore l’oblation célébrée aujourd’hui pour le Christ conformément à la loi. De toute manière celui qui y prête attention devrait se sentir entraîné dans un grand élan de dévotion.
Le Créateur qui se soumet à la créature Car, à la bien considérer en ces événements, l’humilité se montre incomparable dans la suprême élévation de Dieu, de même que se révèle inimitable sa patience et inestimable son amour. Oui, l’unique Créateur de toutes les créatures a voulu se soumettre à ces mêmes créatures par l’humanité qu’il a assumée. De même, le Législateur, en accomplissant la purification des péchés (Hé 1, 3), n’a pas refusé de se soumettre aux conditions de la loi selon lesquelles ceux que leurs péchés accusent ont l’habitude d’expier ces péchés. Il n’avait en vue en tout cela aucun avantage pour lui-même, mais seulement ce qui promeut notre salut. Il avait pour but de nous relever par son abaissement, nous qu’écrase le joug du péché de par une servitude ancienne, et de nous recréer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8, 21) par l’Esprit d’adoption (idem. 15) et l’espérance de la promesse éternelle. Pour toutes ces grâces offrons-lui les incessantes actions de grâce de notre cœur, de notre bouche, de nos actes. Et avec empressement prions pour qu’il nous rende dignes et capables de lui
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rapporter les fruits de l’ineffable bonté qu’il nous a manifestée. Qu’ainsi nous méritions, grâce à lui, de recevoir les joies de la récompense bienheureuse, lui qui vit et règne avec le Père pour les siècles des siècles.
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SERMON 83 POUR LA PÂQUE
La résurrection qui relève et libère 1. Après avoir célébré avec l’élan de ferveur qui lui est dû la passion du Seigneur, accueillons aujourd’hui, pour les célébrer, les mystères et la glorieuse solennité de sa résurrection. De même qu’alors, comme si le Seigneur souffrait, nous nous sommes revêtus d’une sorte de compassion ; de même, en tant qu’il ressuscite, il importe que nous nous réjouissions avec lui, en le manifestant par des preuves appropriées de joie spirituelle. Car dans ces deux événements nous tenons le gage de l’immortalité qui nous est promise. En mourant il a détruit notre mort, en ressuscitant il a recréé notre vie (2 Tm 1, 10). En mourant il nous a libérés (Jn 8, 36) pour que nous cessions de servir la corruption, en ressuscitant il nous a glorifiés pour que nous commencions à nous montrer fils de la résurrection (Lc 20, 36). Pour nous il est mort, pour nous ressuscité, lui qui, en ce qui le concerne, n’avait pas de raison de mourir ou de ressusciter. En lui le monde est ressuscité, en lui le ciel est ressuscité, en lui la terre est ressuscitée. Il y aura en effet un ciel nouveau et une terre nouvelle (2 P 3, 13). Non, pour lui la résurrection n’était pas nécessaire, car les liens de la mort ne le retenaient pas (Ac 2, 24). Et si, en tant qu’homme, il est mort, il n’en était pas moins libre dans les enfers, comme il le dit dans un psaume : Je suis devenu comme un homme sans secours, libre parmi les morts (Ps 87, 5s. vg).
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Sermon 83
Et bel et bien libre, lui qui pouvait se relever lui-même, comme il le dit dans l’Évangile : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai (Jn 2, 19). Oui, bel et bien libre, lui qui descendait pour relever les autres. Si réellement libre que la masse d’une pierre fort grande fermant le sépulcre ne pouvait lui faire obstacle. La lecture de l’Évangile de ce jour en témoigne : Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates et vinrent pour oindre Jésus. Et tôt le matin, le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau, etc, jusqu’à ces mots : car elle était fort grande (Mc 16, 1–4). Devant la nécessité de rouler cette pierre, un autre évangéliste, Luc, décrit les esprits consternés de ces femmes (Lc 24, 4). Quant à nous, en examinant plus finement la visite des saintes femmes et le service qu’elles rendaient au Seigneur, nous y avons remarqué quelque chose qui se rapporte à l’édification de tous, et nous avons décidé de le faire entendre aux oreilles de votre Charité. Nous nous confions en cela à l’aide de Celui qui invite en ces termes : Ouvre la bouche et je l’emplirai (Ps 80, 11).
Trois onguents 373
2. La si grande solennitéa de la résurrection permet de remarquer combien il serait indigne que la langue de la chair taise en ce jour les louange qui lui sont dues, alors que c’est précisément le jour où la chair du Créateur est ressuscitée. Nous l’avons donc entendu, frères très chers : les saintes femmes qui avaient suivi le Seigneur vinrent au tombeau avec des aromates. Celui que, vivant, elles avaient aimé, elles le servaient encore mort, avec le zèle de la piété. Mais leur initiative signale aussi quelque chose qui est à réaliser dans la sainte Église. Voici ce qu’il faut : écoutons ce qu’elles ont fait et pensons à ce que nous avons à faire en les imitant. Par trois fois dans l’Évangile il se trouve que le Seigneur a bénéficié d’onctions corporelles, et chaque fois on apprécie davantage Pour ce premier alinéa, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia, II, 21, 1–2. a
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la foi de celles qui offrent plutôt que les onctions ou leur parfum : deux fois avant la passion, et une fois aujourd’hui, lors de la résurrection. La première foisa : Marie a oint les pieds du Seigneur et les a essuyés de ses cheveux, alors la maison fut remplie de l’odeur du parfum (Jn 12, 3). La deuxième fois : Une femme apporta un vase d’albâtre contenant un nard de grand prix et le versa sur la tête de Jésus étendu (Mt 26, 7). La troisième fois, aujourd’hui, Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates et vinrent pour oindre Jésus (Mc 16, 1). De manière évidente ces trois onguents signifient en nous trois élans affectifs que Dieu reçoit volontiers : l’élan de la profonde repentance, l’élan de l’humble ferveur, l’élan de la bonté. Le premier surgit de la mémoire des péchés, le deuxième du souvenir des bienfaits du ciel, le troisième de l’attention portée aux misères des prochains. Par le premier sont oints les pieds du Seigneur, par le deuxième sa tête, par le troisième tout le corps, dans une progression qui va du bas vers le haut. Par l’onguent de la profonde repentance Marie de Magdala, qui était pécheresse, oint les pieds de Jésus. Cet onguent n’a rien de quelconque puisqu’il est écrit que la maison fut remplie de l’odeur du parfum (Jn 12, 3). De fait les esprits des gens pieux, qui constituent vraiment la maison du Seigneur, sont remplis de joie en apprenant la conversion d’un pécheur. Rien d’étonnant à cela puisque, jusque dans les cieux, se fait sentir l’odeur suave d’un tel onguent. La Vérité l’atteste : Il y a plus de joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence (Lc 7, 37). Mais aussi précieux soit-il, en comparaison de l’onguent de l’humble ferveur, confectionné à partir de la mémoire des bienfaits de Dieu et dont est ointe la tête du Seigneur, ce premier onguent est considéré comme vil et de nulle valeur. De celui-ci il est dit : Du cœur contrit et humilié Dieu n’a pas de mépris (Ps 50, 19). Du deuxième onguent il est dit : Le sacrifice de la louange m’honorera (Ps 49, 23). Nous en oignons la tête du Christ en rendant grâce à Dieu pour ses dons. Car la tête du Christ, c’est Dieu (Ép 4, 15). On touche donc la divinité du Christ chaque fois que, D’ici au premier alinéa du paragraphe 5, cf. Guillaume de Saint-Thierry, In Cantica Canticorum duo priora capita breuis commentatio, 9–11, 14. a
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pour le louer, on fait mémoire de ses bienfaits à notre égard. Il ne dépend que de la puissance de Dieu de donner ses biens à ceux qui le lui demandent. Mais il est nécessaire de penser plutôt à son humanité qu’à sa divinité lorsque nous nous souvenons non de ses dons, mais de nos péchés. Car cette maladie que sont nos péchés ne pouvait être soignée autrement que si Dieu s’inclinait jusqu’à assumer notre humanité.
Les deux pieds : miséricorde et jugement On sait en effet que dans l’assomption de la chair il a reçu ces deux pieds que sont la miséricorde et le jugement pour que le pécheur, qui n’avait pas accès à la tête, c’est-à-dire à la divinité, trouve accès à ses pieds, c’est-à-dire à son humanité. Si ce pied, que nous nommons miséricorde, n’appartenait pas à l’homme assumé par Jésus, l’apôtre Paul ne dirait pas : En conséquence il a dû se faire en tout semblable à ses frères (Hé 2, 13) pour se montrer miséricordieux. Et si, par ailleurs, le jugement n’appartenait pas à cet homme, lui-même ne dirait pas à son propre sujet : Dieu lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, car il est Fils de l’homme (Jn 5, 27). Voilà pourquoi, aux pieds de l’homme de douleur et familier de la faiblesse – au dire du prophète (Is 53, 3) – il est affirmé que le pécheur ne doute plus d’avoir accès en toute confiance à ces deux pieds.
Le deuxième onguent 3. Maintenant donc nous avançons avec confiance jusqu’au trône de sa grâce. Car nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses (Hé 4, 16 et 15). La pécheresse accède aux pieds ; devenue juste, elle s’approche alors pour oindre la tête. L’onguent de la tête, en comparaison de celui qui concerne les pieds, doit être estimé plus précieux aux yeux de ceux qui les confectionnent. Ces substances ne réclament aucune peine car nous les trouvons dans
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notre territoire. Pécheurs, nous le sommes tous, et nul n’est pur de toute souillure ; il n’est personne qui n’ait largement de quoi se repentir, s’il ne le dissimule pas. Par ailleurs les substances qui composent l’humble ferveur, nous les recevons, elles sont apportées difficilement et de très loin : du paradis de Dieu. De fait l’être humain ne peut rien recevoir qui ne lui soit donné d’en haut (Jn 19, 11). Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières (Jc 1, 17). Or quoi de plus excellent qu’un onguent de cette sorte ? Oui, dis-je, quoi de plus suave pour le sens olfatif enflammé de Dieu que l’élan de cette humble ferveur qui s’exprime en louange et en action de grâce pour les dons reçus du ciel ?
Le troisième onguent Il semble étonnant qu’on puisse trouver un troisième onguent qui serait jugé à juste titre supérieur non seulement à l’un, mais aux deux autres déjà mentionnés. Peut-être trouvons-nous aussi dans la lecture de l’Évangile de ce jour une figure de cet onguent, non sans quelque bonne raison convaincante – comme si, dans cette solennité des solennités, devait être mis en valeur ce qu’on peut considérer comme l’onguent des onguents. Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé – estil dit – achetèrent des aromates. Au premier abord il ressort de ces mots à quelle valeur il s’agit d’estimer cet onguent matériel, puisque, en comparaison de ces aromates, ni l’une des femmes, ni même deux d’entre elles, ne pouvaient suffire. L’une apporte le premier onguent, l’autre le deuxième. En comparaison de cela, elles vinrent à trois et achetèrent ensemble ce qu’elles ne pouvaient acheter chacune ; et c’est ainsi qu’elles viennent oindre Jésus, c’està-dire son corps tout entier. Mais attention : le Christ n’a pas voulu supporter que se perde cet onguent : ne trouvant pas son corps, elle remportèrent tout cet onguent et reçurent l’ordre de présenter à un vivant ce qu’elles avaient préparé pour un mort. C’est ce qu’elles firent en se hâtant
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d’annoncer la joie de la résurrection aux disciples, lesquels, sans nul doute, étaient les membres, et les membres vivants, du Christ. Elles eurent aussi soin d’oindre leurs cœurs tristes non pas avec le remède d’un onguent matériel, mais avec ce qu’il signifiait : le réconfort d’une consolation de bonté. Ces membres, si le Christ ne les avait pas aimés plus que son propre corps crucifié, il n’aurait pas livré celui-ci en vue d’être crucifié pour eux. Il apparaît clairement que ce dernier onguent surpasse les deux autres dans la mesure même où, pour le Christ, il semble préférable que cette onction soit destinée à son corps, qui est l’Église, en vue de la rédemption de laquelle il a voulu se livrer. Cet onguent de la bonté attentive aux malheureux, cette grâce de relever de leurs misères l’âme et le corps des prochains, et par bonté de les consoler, de les exhorter, de les assister activement : voilà qui est plus grand aux yeux de Dieu que de rester, par le seul zèle de la profonde repentance et par l’intention de l’humble ferveur, stérile et inattentif à tout service d’amour fraternel.
L’huile des onguents : l’amour 376
4. Ainsi par le premier onguent nous sommes guéris, par le deuxième purifiés, par le troisième sanctifiés. Mais il s’avère nécessaire que ce dont nous avons parlé – les aromates ou espèces de parfums, qu’on peut aussi nommer onguents – oui, il s’avère nécessaire qu’ils se liquéfient dans une infusion d’huile, sinon ils peuvent se montrer d’une odeur âpre et aride. Dans ce dernier cas les onguents, habituellement, sont incapables d’amollir la dureté, d’adoucir l’âpreté, de guérir les blessures. Cette huile, cette huile d’allégresse (Ps 44, 8), c’est l’amour, répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous a été donné (Rm 5, 5). Par sa douceur les substances très amères de la profonde repentance sont rendues suaves, de telle sorte que le repentant ne soit pas noyé dans une tristesse excessivea et ne meure de désespoir.
a
2 Co 2, 7 ; Regula S. Benedicti, 27, 3.
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Cet amour équilibre aussi celui qui se voue à l’humble ferveur ; il y ajoute le poids d’une salutaire humilité, de peur que cet homme ne s’enorgueillisse de par l’extraordinaire de ses mérites et ne prétende dans cette surabondance qu’il ne chancellera jamais (Ps 14, 5). Il s’indignerait de l’imperfection du prochain, sans aucun sens de sa propre faiblesse. Le même amour néanmoins, par le savoir du discernement, éclaire et enseigne celui qui exhale son parfum par les aromates de l’humble ferveur : qu’il sache procéder avec ordre dans l’action qu’il exerce. En se vouant au corps du Christ qu’il oint, il ne s’agit pas qu’il demeure lui-même privé de la part d’onguent qu’il sert aux autres, mais qu’il soit vigilant et sache ce qu’il doit tant à lui-même qu’au prochain. Oui, dans cette répartition des dons du ciel quelque chose nous revient, qui est nôtre, et quelque chose va au prochain. Si nous laissons perdre ce qui est nôtre, nous voici stupides et vides, et si nous retenons ce qui est au prochain, nous voici fraudeurs. Ce qui est nôtre ? – Ce sans quoi nous ne sommes pas sauvés, autrement dit la foi, l’espérance et l’amour (1 Co 13, 13).
La confection des onguents 5. Ce qui est nôtre, nous n’avons pas à le laisser se perdre, autrement dit se perdre pour autrui. Il faut donc agir de telle manière que se réalise aussi en nous ce qui est sien : que nous soyons guéris, préservés, sauvés. Guéris par l’ascèsea corporelle, préservés par la lecture et la méditation, sauvés par la prière. Que la paresse soit prise au piège de cette ascèse, l’agitation et l’oisiveté combattues par la lecture, la trop grande sécurité par la prière. Ce qui est nôtre, nous pécherions en le laissant se perdre, autrement dit si nous négligions par paresse l’ascèse, par agitation ou oisiveté la lecture, par sécurité excessive la prière. Par contre n’est pas nôtre ce sans quoi nous sommes sauvés, à savoir une parole de sagesse, une parole de profonde connaissanceb (1 Co 12, 8), etc., qu’on peut posséder sans a b
labor. scientia.
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amour, car c’est en lui seul que nous sommes sauvés. Ce qui appartient à autrui, nous n’avons pas à le retenir mais, conformément à l’exigence, à le répandre fidèlement pour l’utilité des prochains. Attention cependant : que ce ne soit pas de manière intempestive, ni présomptueuse, ni infructueuse. Intempestive, c’est-à-dire avant que l’âme et le corps ne soient mûrs ; présomptueuse, c’est-àdire sans en être chargéa ; infructueuse, c’est-à-dire sans grâce. Car il parle sans grâce celui qui ne se montre pas aimable. Dans ce qui différencie les trois onguents dont nous avons parlé, les deux derniers se révèlent d’une telle dignité, d’une telle excellence que notre pauvreté n’ose pas facilement se mettre à les confectionner. Pourtant pour le premier d’entre eux, dont les substances nous sont intérieures, que sa confection ne nous échappe pas : même si nous n’avons pas les moyens de la mener à la perfection, qu’au moins nous ne soyons pas jugés pour avoir négligé le peu qui nous était possible. Au reste, pour susciter en nous la profonde repentance, une triple connaissance de soi s’avère nécessaire : concernant ce que nous avons commis, ce que nous avons mérité, ce que nous avons perdu. Nous avons commis l’iniquité, nous avons mérité la mort, nous avons perdu la gloire. Si nous pressentons la mort, cherchons-en le remède. Si nous pressentons le danger, cherchons du secours et écoutons le conseil. Éveille-toi, toi qui dors, dit l’Apôtre, lève-toi d’entre les morts, et le Christ sera ta lumière (Ép 5, 14). Lève-toi, toi qui es tombé ; pourquoi dors-tu dans ton iniquité ? D’une terre lointaine, toi qui as méprisé Dieu, reviens à ton Père par les pas de la bonté, alors que tu t’en es éloigné par les pas de la dépravation, et dis-lui : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi (Lc 15, 18), autrement dit secrètement et ouvertement, de cœur et d’acte, de corps et de pensée, devant les hommes et devant les anges de Dieu. Ma faute, je la reconnais ; accusé, je désire être réconcilié : Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Indigne d’être glorifié, mais prêt à prendre du service. Traite-moi, je t’en prie, comme un de tes employés (ibid., 19), c’est-à-dire : Incline mon cœur à accomplir ta justice pour une récompensez éternelle (Ps 118, 112). a
sine officio.
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Si c’est là notre manière de nous relever du sommeil de cette mort qu’est l’iniquité, le Christ alors nous illuminera, et la gloire que nous avons avons perdue, il nous la rendra – pour le moment dans la plus belle robe avec un anneau d’or au doigt (Lc 15, 22), et dans l’avenir, où elles seront la parure de l’innocence, par la lumière de la sagesse, la sécurité de l’immortalité, l’éclat de l’éternité, la perpétuité du bonheur. Qu’il daigne nous l’accorder, Celui qui, surgissant d’entre les morts, vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 84 POUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR
L’ascension : une victoire 1. Le mystère de la fête de ce joura, bien-aimés, est reçu par les croyants avec le même empressement spirituel que le jour de Pâques. Le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus (1 Tm 2, 5), Tête de tous les élus et Fils de Dieu, a reçu la nature de l’humanité en descendant du ciel dans le sein de la Vierge. Après avoir accompli dans sa passion le dessein de Dieu, il est ressuscité des morts et s’est élevé au ciel. Au dessus de toute Principauté et Puissance, au dessus de la grandeur de tous les ordres angéliques, il a pris place à la droite du Père. La droite du Père représente le bonheur éternel offert aux saints, tandis que sa gauche représente la misère perpétuelle dans laquelle sont condamnés les impies (Mt 25, 31ss). Ainsi donc le Christ homme est établi à la droite du Père, car il se révèle éternellement bienheureux dans la puissance de sa divinité. L’exemple de la gloire des saints réside dans la résurrection et l’ascension du Sauveur de telle manière que les fidèles connaissent par elles ce qui leur est promis. De cette même manière ils sont élevés au dessus des cieux avec le Christ, comme il le dit lui-même : Père, je veux que là où je suis, ils y soient avec moi (Jn 17, 24), car le corps du Christ aussi, qui est l’Église, se trouvera à cette même a
Pour ces deux premiers alinéas, cf. Bède le Vénérable, Homélia, II, 18.
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droite et dans ce même bonheur. Il est vrai que le corps ne s’y trouve pas encore, mais bien notre espérance. Aussi ce corps, malgré le poids des adversités du présent, se glorifie et s’écrie : Maintenant ma tête s’est élevée au dessus de mes ennemis (Ps 26, 6). Et c’est comme si on disait explicitement : de Celui qui a ressuscité des morts le Christ tué par les Juifs – lui notre Tête – et l’a soustrait aux embûches de tous ses ennemis pour le soulever jusqu’au ciel, j’espère alors que moi aussi, en m’arrachant aux périls actuels, il me joindra à ma Tête dans son Royaume. C’est précisément ce que dit le Seigneur dans le livre de l’Apocalypse : Au vainqueur je donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi après avoir vaincu le diable, je siège avec mon Père sur son trône (Ap 3, 21). Le Christ – comme nous le lisons dans l’Évangile – a vaincu le diable qui l’avait tenté, mais il l’a surmonté, et des anges s’approchèrent pour le servir (Mt 4, 11). Il a vaincu les Juifs qui le livraient à la mort quand, après trois jours, l’ayant vaincue, il est ressuscité pour vivre à jamais. Il siège sur le trône du Père car, montant au ciel, il lui demeure égal, et éternel comme lui, dans l’excellence du même pouvoir judiciaire. Le trône, en effet, siège du juge, désigne le pouvoir judiciairea, les saints y viendront pour juger de concert avec leur Tête. Il le dit : comme moi j’ai vaincu le diable, et j’ai pris place avec mon Père sur le trône. Dans ces paroles il faut considérer avec plus d’attention le fait que, pour prendre place sur le trône, il a affirmé avoir vaincu le diable. Ce qu’auront à vaincre ceux qui veulent siéger avec lui sur le trône, il ne l’exprime pas explicitement, mais il le laisse tacitement entendre. En effet, après la suggestion du péché – et c’est elle seule qu’il avait à vaincre contre le diable – il demeurait bien plus de choses à vaincre en nous. À ce propos lui, qui était venu sans péché dans le monde, ne tolérait aucune contradiction entre sa chair et son esprit. Il a pu être tenté par une suggestion, mais la jouissance du péché n’a pas mordu sur son esprit. Nous, au contraire, issus du péché de la chair, nous venons dans le monde avec du péché et nous portons en nous-mêmes ce qui nous amène à affronter des combats. Aussi est-ce à bon droit qu’avec le prophète a
Cf. Isidore de Séville, Etymologiae, 20, 11, 9.
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nous gémissons en disant : Au dehors l’épée me tue, et chez moi c’est comme la mort (Lm 1, 20).
Six ennemis… 2. Voyons donc la quantité d’attaques ennemies dont nous sommes entourés de toute part, dont la démence nous presse à toute heure au dedans et au dehors, si nous nous laissons aller un instant à la sécurité. Nos adversaires sont au nombre de six, qui tous ont prêté main forte pour nous renverser. Le premier d’entre eux c’est le diable qui, comme un lion rugissant, rôde tout autour, cherchant qui dévorer (1 P 5, 8). Le deuxième c’est le monde immonde, qui gît au pouvoir du Pervers (Jn 5, 19) et dont la gloire est comme fleur d’herbe (1 P 1, 24). Ses jouissances ressemblent à une fumée que le vent disperse, à une vapeur qui paraît un instant (Jc 4, 14). Car le monde passe, et sa convoitise ne durera pas (1 Jn 2, 17). Le troisième ennemi c’est le corps qui se corrompt et appesantit l’âme, cette habitation terrestre qui alourdit l’esprit aux multiples pensées (Sg 9, 15). Le quatrième c’est la convoitise, racine de tous les maux. En la suivant, certains ont erré loin de la foi et se sont asservis à quantité de douleurs (1 Tm 6, 10). Le cinquième c’est l’adversité qui terrifie et qui brise. Le sixième, la prospérité qui charme et séduit.
… et leurs armées respectives
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Eux tous, comme des chefs, disposent chacun d’une armée spirituelle de débauche, avec son camp et ses soldats. Dans l’armée du diable militent trois gloutons qui infestent gravement le genre humain ; ils ont pour noms : l’élévation, la suggestion, la désespérance. L’élévation, voulant régner dans le ciel s’est écroulée sur la terre et, comme elle ignore sur quel chemin elle est tombée, elle ne sait revenir en arrière. Elle avait dit en son cœur : Je monterai
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au dessus des astres du ciel, je placerai mon trône du côté du nord et je serai semblable au Très Haut (Is 14, 13). Il était d’abord Satan, c’est-à- dire l’adversairea, il est devenu ensuite le diable, c’est-à-dire celui qui coule d’en hautb. Il est tombé par orgueil et ne cesse de s’enorgueillir en méprisant l’humilité, si bien qu’il ne trouve jamais l’accès pour remonter de sa chute. La suggestion, elle, en voulant dominer dans le paradis, en a chassé, il est vrai, les habitants, mais elle n’a pas pu tenir longtemps. Il est écrit en effet : Parce que tu as fait cela, tu ramperas sur ton ventre – autrement dit tu reposeras sur tes pensées sordides. Sur ton ventre tu t’avanceras – autrement dit tu auras autorité sur ceux qui aiment les actions du ventre et de la chair. Et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie (Gn 3, 14) – autrement dit tu auras pour compagnons de ta damnation éternelle ceux qui, par cupidité, aspirent aux réalités terrestres. La désespérance, pour sa part, parce que l’espérance a perdu le ciel et n’a pas su retenir les délices du paradis, a obtenu de dominer aux enfers. Avec les anges qui tiennent bon elle n’a pas voulu chanter le cantique de l’affirmationc de la foi ni, dans le paradis, chanter avec l’homme déchu le cantique de la pénitence ; elle chantera alors en enfer le cantique de la désespérance tous les jours de l’éternité. Prenons-y donc garde : que le vent de l’élévation ne nous saisisse pas, que le sifflement du serpent ne nous séduise pas, que le poids de la désespérance ne nous opprime pas, et le diable est vaincu. Dans l’armée du monde militent trois archers qui infestent gravement les fils d’Adam. Ce sont la convoitise de la chair, la convoitise des yeux (1 Jn 2, 16) et l’ambition de ce monde. Pour qui aura aimé cela, l’amour du Père ne sera pas en lui (ibid., 15). Que la volonté propre ne nous possède pas et qu’une perversité étrangère ne nous terrifie pas, car le monde a été vaincu.
a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 43 et 60, CCSL 72, p. 112, 13 ; p. 134, 3s. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 61 et 80, CCSL 72, p. 135, 9 ; p. 160, 16. c confirmatio.
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Dans l’armée du corps militent deux gardes, la débilité et la corruption. La débilité s’oppose à la santé, la corruption à l’intégrité. Ne prive pas ta chair de ce qui lui est nécessaire, ne lui ajoute pas du superflu, car le corps a été vaincu. Dans l’armée de la convoitise militent des chars et des cavaliers en nombre infini. Chacun est tenté par sa propre convoitise (Jc 1, 14). Cet ennemi s’avère invincible tant que notre vie se déroulera sur la terre et notre existence parmi les hommes. Cet ennemi peut être forcé et lié ; mais le vaincre et le tuer, c’est tout à fait impossible. Que pensera de cet adversaire celui qui l’aura combattu longuement et avec empressement ? Écoutons : Marchez par l’esprit et vous ne réaliserez pas les désirs de la chair. Car la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair. Il y a entre eux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez (Ga 5, 16s). Prêtez attention à ces termes, remarquez le mystère. Effectivement il ne dit pas : les désirs de la chair n’habiteront pas en vous, mais : vous ne réaliserez pas les désirs de la chair. Pourquoi a-t-il dit ceci et omis cela ? Il en donne la raison, qui convient suffisamment : La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair, si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez. Cependant qu’a-t-il donc fait alors qu’il ne le voulait pas, et que n’a-t-il pas fait alors qu’il le voulait, ce très docte porte-étendard, ce soldat très entraîné, ce guerrier très puissant ? Il ne voulait pas convoiter, or il a convoité ; il voulait convoiter et pourtant il n’a pas convoité. C’est que la convoitise ne peut absolument pas être vaincue, mais tout juste liée, comme on l’a dit. Mais par quels liens ?
L’esprit de pauvreté 3. – Par la loi de la nature, le zèle dû à l’enseignement, la mise en œuvre de la disciplinea. La loi de la nature supprime le superflu, le zèle dû à l’enseignement recommande le nécessaire, la mise en œuvre de la discipline repousse ce que refuse la nature et assume ce qu’approuve la nature. La nature, au dire du sage, se contente a
lex naturae, studium doctrinae, usus disciplinae.
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Sermon 84
de peu, alors que l’avidité se montre insatiable. Aussi bienheureux celui qui se trouve bien dans la pauvreté. La mise en œuvre de la discipline dirige l’âme vers la vertu et la vertu vers le bonheur. Dès lors la discipline doit être notre commencement, la vertu notre perfection, la récompense de la vertu le bonheur éternel. Dans le camp de la prospérité milite la joie, élan affectif de l’âme qui se réjouit vainement des réalités acquises. Dans le camp de l’adversité milite la tristesse, élan affectif qui se désole de la perte des biens acquis. L’avidité précède la joie et la crainte la tristesse : l’avidité envers ce qui est à acquérir, la joie de ce qui est acquis, la crainte envers ce qui est périssable, la tristesse de ce qui est perdu. L’avidité engendre la crainte, la joie la tristesse. Veux-tu ne pas craindre ? ne convoite pas. Veux-tu ne pas t’attrister ? ne te réjouis pasa. Prenons donc garde de ne pas laisser l’acquisition des biens nous élever vers une joie vaine : c’est ainsi qu’est surmontée la prospérité. Soucions-nous en outre que la perte de nos biens ne nous brise pas dans une tristesse vaine : c’est ainsi qu’est surmontée l’adversité.
Une guerre sans merci 4. Voilà, nous voyons quels sont nos ennemis ; et voilà quelle nécessité nous pousse à mener contre eux une guerre sans interruption. Voilà des ennemis sans alliance possible, une guerre sans paix imaginable. Pour que ces ennemis ne l’emportent pas, on peut certes les soumettre, mais on ne peut absolument pas se les associer. Cette guerre commence dès le premier âge dans l’homme lui-même, et elle ne se termine qu’avec la mort. Dans ce pénible conflit nous avons à nous garder avec une attention ingénieuse de deux choses : se laisser vaincre par la désespérance face à l’importunité des désirs qui nous font la guerre (1 P 2, 11) ; ou au contraire placer la confiance de la victoire en nous-mêmes et non dans la puissance de notre Roi. Il ne s’agit pas, bien sûr, de la joie en général, mais de celle qui s’attache à la prospérité matérielle. a
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C’est lui qui nous a révèlé cette guerre, qui nous a prodigué des secours et qui nous promet les récompenses. Il nous révèle cette guerre en disant : Dans le monde vous aurez des tribulations. Pourtant aussitôt il nous réjouit par l’espérance de son secours : Mais soyez confiants, j’ai vaincu le monde (Jn 16, 33). Les récompenses, il les promet dans des termes que, aujourd’hui, nous vous avons déjà fait entendre : Au vainqueur je donnerai de siéger avec moi sur mon trône (Ap 3, 21). Suprême récompense qui ne peut s’équiparer ni aux peines de cette vie ni aux souffrances de ce temps (Rm 8, 18), si grande est la gloire de ce trône partagé avec lui. Il a daigné nous le promette, qu’il daigne nous y donner part, lui le Clément, le Bienveillant, Jésus Christ, notre Seigneur.
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SERMON 85 SERMON POUR LA PENTECÔTE
Le secours intérieur de l’Esprit 1. L’ascension dans le ciel du Médiateur de Dieu et des hommes, nous en avons célébré le jour il y a peu. Aujourd’hui l’Esprit Saint s’est révélé aux disciples dans des langues de feu, leur offrant la parole de la prédication et allumant en eux le feu de l’amour. À leur sujet l’Écriture dit : Ils étaient tous rassemblés en un même lieu (Ac 2, 1) et dans un même esprit : La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et une âme (Ac 4, 32). S’ils étaient rassemblés ce n’était pas pour vivre voluptueusement, mais pour prier assidûment. C’est à ceux qui prient et vivent dans l’unanimité que l’Esprit Saint est envoyé, non à ceux qui se montrent oisifs et en désaccord. Il est vrai qu’auparavant déjà les apôtres avaient reçu l’Esprit Saint en vue de remettre ou de retenir les péchés d’autrui (Jn 20, 23). Voilà comment une seule personne reçoit le même Esprit de diverses manières. Mais en ce jour-ci l’Esprit Saint est donné principalement, en ce sens que, en ceux qu’il a remplis de sa puissance, il a répandu la plénitude de l’amour et éliminé la crainte servile (1 Jn 4, 18). Avant de le recevoir ce jour-ci, les apôtres s’avéraient timides et tremblants, au point que l’un d’eux, interpellé par une servante, a renié, qu’un autre s’enfuit nu, en abandonnant le drap qui l’enveloppait (Mc 14, 52), et tous avaient fui en laissant Jésus seul. Au contraire, remplis de l’Esprit Saint, ils se mirent à proclamer et à opérer les merveilles de Dieu (Ac 2, 11). Ainsi celui
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qui avait renié Dieu à la voix d’une servante confesserait Jésus avec constance devant Nérona, et celui qui avait fui en abandonnant son drap n’a pas redouté la supplice de l’huile bouillante et n’a pas eu horreur d’un long et dur exilb. En outre tous ceux qui avaient fui en laissant Jésus seul s’en retournaient plus tard du sanhédrin tout joyeux de subir des outrages pour le nom de Jésus (Ac 5, 41). Par conséquent grandes sont les œuvres du Seigneur, et exceptionnelles dans ses volontés (Ps 110, 2 vg) en vue de retrouver et de sauver l’homme. C’est dans ce but que les anges sont envoyés pour un ministère (Hé 1, 14), le Fils pour instruire, l’Esprit pour affermir et confirmer. Voilà la raison pour laquelle, après qu’on a reçu dans le baptême la rémission des péchés, l’Esprit Paraclet nous est transmis dans une onction par la main de l’évêque, à titre de confirmation. Puisque la vie de l’homme sur la terre est tentation (Jb 7, 1), à combattre constamment contre ces tentations notre faiblesse succomberait si, dépourvue de l’assistance de cet Esprit, elle devait, comme sans armes, affronter les ennemis. Avec cela l’Apôtre aussi se montre d’accord, disant : L’Esprit lui-même vient au secours de notre faiblesse (Rm 8, 26). Telle est l’armure de Dieu que ce même docteur éminent nous exhorte à revêtir ; il en décrit chacun des éléments, et il conclut en parlant du glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu (Ép 6, 17). Cette énumération arrive opportunément. En effet, au jour de l’ascension du Seigneur nous avons montré quels étaient nos ennemis et comment ils devaient être vaincusc ; et voici qu’aujourd’hui nous montrons par quelles armes il faut les combattre. Si vous voulez bien vous en souvenir, nous avons proposé de reconnaître six sortes d’ennemis auxquels il convient d’opposer autant d’espèces d’armes. Nous leur adjoignons un septième élément, la victoire et le signe de la victoire, à titre d’arc de triomphe (1 Sm 15, 1 vg). En l’érigeant au dessus de ce septénaire nous y joignons donc l’œuvre septiforme du Saint Esprit (Is 11, 2) qui coopère avec nous. Cf. Jérôme, Adversus Jovinianum, 1, 26. Dans le jeune homme de Mc 14, 52, l’auteur identifie saint Jean. Cf. Tertullien, De praescriptione haeriticorum, XXXVI, 3. c Cf. ci-dessus Sermon 84, 2–4. a
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Des armes 2. Les armes des militaires en ce monde sont les suivantes : le glaive, la lance, le bouclier, les jambières, la cuirasse, le casque. Le glaive frappe l’ennemi de près, la lance l’éloigne, le bouclier couvre le corps contre les blessures, les jambières les jambes, la cuirasse la poitrine, le casque la têtea.
Un triple glaive spirituel Le glaive du combat spirituel, nous le nommons l’enseignement ; il enseigne le soldat du Christ de trois manières et, par là même, le défend de trois manières. Au nombre de trois sont les glaives dont se sert le soldat du Christ : celui de la séparation, celui de l’extermination, celui de la circonspection. Du glaive de la séparation le Seigneur parle en ces termes dans l’Évangile : Je suis venu apporter non pas la paix, mais le glaive. Je suis venu en effet séparer le fils de son père, la fille de sa mère, la belle-mère de sa belle-fille (Mt 10, 34). Du glaive de l’extermination le Seigneur dit aussi, non pas en personne mais par son serviteur : Lorsque j’aurai aiguisé mon glaive fulgurant, ma main se saisira du jugement, je tirerai vengeance de mes ennemis et rétribuerai ceux qui me haïssent. J’enivrerai de sang mes flèches, et mon glaive se repaîtra de chair (Dt 32, 41s). Du glaive de la circonspection il est dit à propos de Salomon : Soixante hommes parmi les preux d’Israël entourent la litière de Salomon, tous ont en main un glaive, et chacun tient une épée contre sa cuisse en raison des craintes de la nuit (Ct 3, 7). Le premier de ces glaives sépare des parents en chassant de nous les affections charnelles ; le deuxième sépare des vices par la victoire en nous sur les passions mortifères ; le troisième réunit les vertus en nourrissant en nous les délectations spirituelles. De ce triple glaive, ceignons-nous par l’esprit de crainte (Is 11, 2) ; en frappant notre mémoire par les terreurs du jugement éternel, il s’en prend à la volonté pour en chasser ce que la chair comporte a
Cf. Isidore de Séville, Etymologiae, 18, 12, 1.
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de vicieux ; il le réprime, et c’est ainsi qu’il rend l’esprit capable de recevoir les délectations spirituelles, une fois expié l’attachement aux vices charnels.
La lance : le double amour La lance du combat spirituel, qui repousse l’adversaire pour l’empêcher de s’approcher, nous la comprenons comme le double amour de Dieu et du prochain. La lance se compose de deux éléments : le bois et le fer : un long bois, un fer aiguisé. De même notre amour doit comprendre deux élans affectifs, l’un pour Dieu, l’autre pour le prochain, comme on l’a dit. Pour le prochain il est long, c’est-à-dire persévérant jusqu’à la mort ; pour Dieu il est aiguisé, pénétrant les réalités subtiles et invisibles, l’éternelle puissance de Dieu et sa divinité. Il faut savoir que l’un et l’autre de ces élans affectifs commencent par la crainte, mais que tous deux éliminent la crainte. C’est ce qui a fait dire à quelqu’un : pénétrant dans l’âme, la crainte y introduit l’amoura. Puis, une fois introduit, l’amour chasse la crainteb. Nous lisons en effet d’une part que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (Ps 110, 10), d’autre part que l’amour parfait bannit la crainte (1 Jn 4, 18). De cette lance, armons-nous par l’esprit de piété (Is 11, 2) : par la douceur de sa bonté il supprime de notre intériorité toute amertume et toute envie, et du même coup il prépare en nous une demeure pour ce double amour dont nous avons parlé.
Le bouclier : la protection divine 3. Le bouclier de la milice spirituelle, splendeur et éclat de toute l’armure, en le protégeant et en le défendant, symbolise celui qui porte la protection divine. Le bouclier est long, étroit en bas, ample a b
Ce « quelqu’un » n’a pas été identifié. Cf. Regula S. Benedicti, 7, 67.
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en haut. Dans ces dimensions réside la protection divine. Celleci est longue, car elle n’a pas de fin. Voici, dit-il, je suis avec vous jusqu’à la consommation du monde (Mt 20, 28). Elle est étroite, mais pour les hommes charnels qui ont pour dieu leur ventre, qui mettent leur gloire dans leur honte et qui n’apprécient que les choses de la terre (Ph 3, 19). D’eux il est dit : Malheur à vous, les riches, vous avez votre consolation (Lc 6, 24), et ils ne recherchent pas la protection de Dieu. Enfin elle est ample pour ceux qui goûtent les réalités célestes, et dont la vie est dans les cieux (ibid., 20). C’est de là qu’ils attendent comme Sauveur notre Seigneur Jésus Christ, qui transformera leur corps de misère pour le conformer à son corps de gloire (ibid., 21). Protégé par ce bouclier, le soldat du Christ ne redoute ni les traits, ni les flèches, ni les épieux, ni les coups de lances, ni le glaive du diable. En tout lieu et en tout temps il se garde d’une pensée dépravée, d’une parole perverse, d’une action inique. Il retourne sans cesse dans son cœur cette phrase de Job : Tant que subsistera un souffle dans mes narines, je ne m’éloignerai pas de l’innocence et ne déserterai pas la justice à laquelle j’ai commencé de me tenir (Dt 27, 3ss). Ce bouclier, il nous sera toujours nécessaire tant que notre vie sera une militance sur la terre (Jb 7, 1). C’est l’esprit de connaissance (Is 11, 2) qui nous le met en main, car, puisque nous avons reçu de lui la véritable connaissance de notre faiblesse, nous sommes avertis de nous placer humblement sous sa protection : sans elle nous ne pouvons rien.
Les jambières : l’oubli des injures 4. Les jambières de la milices spirituelle, qui recouvrent les jambes du corps et celles de la justice, signifient symboliquement l’oubli des injures. De même en effet que les jambes soutiennent toute la masse du corps, ainsi l’oubli des injures soutient tout le poids de toutes les autres vertus. Il ne s’agit pas là d’une vertu quelconque et semblable à toutes les autres. Aussi a-t-on pu dire : le
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souvenir des bienfaits est fragile ; celui des injures, tenace. Et nous lisons que l’un des Pères, à un frère qui l’interrogeait sur ce qu’il fallait faire pour espérer le salut, répondit : si tu peux souffrir et supporter l’injure, voilà qui est grand et dépasse toutes les vertusa. Oui, qui peut porter patiemment le mépris, l’injure et la condamnation sera sauvé. C’est pourquoi Salomon exhorte et instruit en ces termes : Ne te souviens pas des injures de tes concitoyens (Si 10, 6). Et le Seigneur lui-même : Si chacun de vous ne remet pas, il ne vous sera pas remis (Mt 18, 35). Il a été dit aussi : Vide est la vertu que n’affermit pas la patience. Pour l’acquérir, le don de force (Is 11, 2) s’avère absolument nécessaire. Car, en vérité, préférer oublier les injures, ne pas rendre l’outrage et pardonner à qui nous a blessés, voilà qui n’est pas le résultat d’une quelconque fermeté humaine, mais sans aucun doute l’œuvre de la puissance de Dieu. On raconte à propos d’un saint que des païens l’insultaient et se moquaient de lui comme chrétien en lui disant : quelle puissance nous montre ton Christ ? Lui ne s’est rappelé ni les signes ni les prodiges accomplis par le Christ, mais la patience inébranlable qu’il a réalisée en ses disciples par l’esprit de force. Considérant cela comme une œuvre plus divine que tout miracle, ce saint homme leur répondit : ni par vos injures, ni même par d’autres plus graves encore, je ne me laisserai émouvoirb.
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5. La cuirasse de la milice spirituelle, qui recouvre presque tout le corps de la justice, signifie l’action par laquelle on cache. La cuirasse, nous le savons, protège la poitrine, dans laquelle sont cachés les biens intérieurs de l’homme. Cette vertu n’est pas celle de tous, elle qui entend cacher les vertus et qui préfère qu’on soit réellement vertueux plutôt que de vouloir le paraîtrec. Car nombreux Pour ces deux propositions, cf. Smaragde, Diadema monachorum, 70. Les citations qui précèdent n’ont pu être identifiées. c Cf. Regula S. Benedicti, 4, 62. a
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sont ceux qui exposent leur vertu et la dénudent avant le temps. Tel n’est pas le cas de David : Dans mon cœur, dit-il, j’ai caché tes paroles pour ne point pécher contre toi (Ps 118, 11). Dans son cœur il cache les paroles de Dieu, celui qui les reçoit, les retient, puis les recouvre. Que dirons-nous alors en entendant ce que le psalmiste ajoute peu après : De mes lèvres j’ai proclamé tous les jugements de ta bouche (ibid., 13). Ce sont là deux attitudes auxquelles nous devons nous tenir : cacher les paroles pour ne pas pécher, les proclamer pour ne pas pécher, mais en son temps. Le cœur, en tant que nid, s’avère la parole des brebis, la proclamation de cette parole, le petit de la brebis. Que chacun donc protège son nid, soigne sa brebis, nourrisse le petit de cette dernière, expose cette nourriture. Ainsi doit-on recevoir, retenir, cacher, énoncer. Nous péchons si nous ne recevons pas, nous péchons si nous rejetons ce que nous avons reçu, nous péchons si nous énonçons avant le temps ce que nous avons reçu, nous péchons si nous cachons ce qui doit être énoncé. Le premier de ces péchés est celui de la dureté, le deuxième celui de la négligence, le troisième celui de l’orgueil, le quatrième celui de la paresse. Mais nous évitons chacun d’eux par l’équilibre que recèle l’esprit de conseil (Is 11, 2). Son poids nous empêche de nous comporter avec précipitation et nous retient de faire quoi que ce soit inconsidérément ; ainsi nous avons à nous informer de l’ordre dans lequel agir, en tenant compte du lieu, du temps, de la personne.
Le casque : la vénération de Dieu La partie supérieure de notre armure, c’est le casque du salut (Ép 6, 17) ; il recouvre la tête où sont réunis tous les sens du corps. Selon l’Apôtre, la tête de l’homme c’est le Christ, mais la tête du Christ c’est Dieu (1 Co 11, 3). Le casque dont notre tête se trouve protégée, c’est la vénération de la divinité. En raison de cette protection et de toute absence de blessure, il nous est ordonné de nous montrer avisés comme des serpents (Mt 10, 16). Les serpents – c’est connu – exposent tout leur corps aux coups et le mettent en avant
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pour pouvoir conserver leur tête saine et sauvea. Voilà comment il nous faut agir. Tout ce qui en ce monde coule à la manière d’une eau ruissellante, considérons-le comme impur, afin de gagner le Christ seul (Ph 3, 8). En vue de cela nous sommes établis par l’esprit d’intelligence (Is 11, 2), qui illumine en nous notre sens rationnel par le rayon de la connaissance divine. Il nous montre ainsi de quelle vénération nous devons entourer le Créateur dans sa majesté. De même, dans les adversités qu’il nous arrive de subir selon les dispositions du jugement de Dieu, cet esprit ne nous permet pas de détourner en rien notre élan affectif de cette vénération. Ainsi David, affligé par les coups de la rigueur divine, mais retenu par sa vénération du Créateur de se livrer à des plaintes, s’exprime en ces termes : Je me suis tu, je n’ai pas ouvert la bouche, car c’est toi qui m’as créé (Ps 38, 10).
Reprise et résumé 6. Telles sont les armes de notre milice, non pas charnelles mais spirituelles (2 Co 10, 4). Elles nous sont attribuées par l’Esprit : l’esprit de crainte, l’esprit de piété, l’esprit de connaissance, l’esprit de force, l’esprit de conseil, l’esprit d’intelligence (Is 11, 2). Il s’agit du glaive, de la lance, du bouclier, des jambières, de la cuirasse, du casque. Récapitulons brièvement ce que nous en avons dit : on considère dans le glaive un triple enseignement, dans la lance le double amour, dans le bouclier la protection divine, dans les jambières l’oubli des injures, dans la cuirasse la mise à couvert des vertus, dans le casque la consommation du salut. Munis de ces armes, dressons-nous et combattons contre les Philistins – lesquels se traduisent par la « double ruine » ou par « tombant par la coupe »b. La double ruine consiste dans la fragilité de la chair et l’instabilité de l’esprit ; la chute de la coupe se comprend comme l’ivresse de la jouissance. Quiconque aura laissé Cf. Ps. Hugues de Saint-Victor, De bestiis et aliis rebus, III, 53. Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 6, CCSL 72, p. 66, 12s. et 16. a
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ces ennemis le vaincre sera conduit, avec Samson, vers la meule (Jg 16, 21), qui représente la ronde de l’impiété. À moins que, vaincu par le manque de courage, celui-là retourne au monde comme le chien à son vomissement (Pr 26, 11) et que cette errance s’avère pire que la première (Mt 27, 64). Ou encore, s’il reste dans la communauté, privé de la lumière de la connaissance et de la clarté des vertus, il va se montrer sans repos et pesant pour ceux avec lesquels il demeure. Au contraire, celui qui aura combattu avec force et persévérance se dressera à la fin comme les combattants qui ont remporté la victoire et qui passeront sous l’arc de triomphe, signe de la victoire. L’érection de cet arc consiste en la méditation assidue concernant la Patrie céleste, en l’amour envers la vision d’en haut, non moins – il est vrai – qu’en la capacité de goûter par avance, dans ce corps de mort (Rm 7, 21), une certaine douceur à venir. Cela est répandu en nous par l’esprit de sagesse : par lui, une fois la perversité vaincue, la saveur du mal, qui remplissait l’âme, est chassée, tandis que s’introduit en nous la sagesse, qui est le goût du bien. En conséquence, que seul le bien ait pour nous de la saveur, c’est-à-dire que seul nous plaise ce qui est saint, que seul nous réjouisse ce qui est juste – actuellement déjà dans la mise en œuvre de la piété, et par la suite quand nous entrerons en possession du bonheur, et que la sagesse en nous atteindra sa perfection. Celle-là demeure au plus haut des cieux, on ne peut la posséder pleinement ni parfaitement en ce monde ; cela s’accomplira dans le monde à venir, où Dieu sera tout en tous (1 Co 15, 28). De lui aujourd’hui, parmi les apôtres et le peuple des croyants, nous avons reçu les arrhes de l’Esprit Saint (2 Co 1, 22). Pour que nous embrassions cette plénitude, qu’il daigne nous conduire à la sanctification de l’Esprit, Celui qui s’avère la puissance et la sagesse de Dieu le Père (1 Co 1, 24), notre Seigneur Jésus Christ.
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SERMON 86 EN LA FÊTE DE SAINT JEAN BAPTISTE
Admirer les dons reçus par Jean 1. La vénérable nativité du Baptiste, précurseur et héraut du Seigneur, nous la célébrons, frères très chers, avec l’empressement habituel des fidèles. Le saint évangéliste Luc décrit les événements qui l’ont précédée (Lc 1, 5ss) : l’apparition inespérée dans le temple de l’archange Gabriel au prêtre Zacharie et la promesse faite à ce dernier d’un descendant que l’on n’espérait plus. Et parce qu’aux promesses du ciel il n’a pas cru, la revanche sur son incrédulité fut que sa langue se paralysa. L’évangéliste raconte ensuite l’exultation, dans le sein de sa mère, de cet enfant rempli de l’Esprit Saint lors de la salutation de Marie, et comment, au moment de nommer l’enfant venu au monde, la langue de son père se délia. Avertis par le souvenir annuel que suscitent en nous ces lectures et ces cantiques, et instruits par leur écoute assidue, nous ne pouvons ignorer les dons magnifiques et symboliques de la puissance de Dieu attribués au bienheureux Jean par un privilège spécial ; en conséquence ils ne sont pas tant à imiter qu’à admirer. Pourtant nous avons l’intention d’offrir ce sermon comme un service en vue d’annoncer le sens moral de ces événements, dans la mesure toutefois où ils supportent d’être imités par notre fragilité. Il est vrai que nous en avons souvent entendu parler ; cependant,
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Sermon 86
comme le dit un sage : On ne parle jamais trop de ce que l’on n’apprend jamais asseza. Après avoir décrit les merveilles de la nativité de ce jour, l’évangéliste ajoute : L’enfant grandissait et son esprit se fortifiait. Il demeura dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël (Lc 1, 80). Quels étaient sa nourriture et son vêtement ? À ce sujet les autres évangélistes s’expriment avec ensemble : Jean avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins, il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage (Mt 3, 4).
Humilité et grandeur de Jean 2. Dans son âge encore tendre, c’est vrai, il donna la preuve d’une aspiration envers Dieu : dans la maison d’un père saint et d’une mère très religieuse il ressentait cependant un manque quant à la perfection de la vie. Il désira habiter un désert ; à des vêtements sacerdotaux il préféra du poil de chameau et une ceinture de cuir, et il passa des mets délicats de la maison paternelle à une vile nourriture : des sauterelles et du miel sauvage. Le prêtre véritable et légitime de la descendance lévitique est décrit en ces termes, dans la bénédiction qu’autrefois énonça Moïse : Il dit à son père et à sa mère : je ne vous connais pas ; ses frères il les ignore. Ils ne connaissent pas leur fils, ceux qui ont gardé ton alliance et ta loi, Seigneur (Dt 33, 9). C’est pourquoi aussib le Seigneur, en tant que le premier des prêtres, en a donné aux autres l’exemple dans son Évangile, disant : Qui est ma mère, qui sont mes frères ? Ce qui signifie : je ne reconnais pas ma mère, je ne reconnais pas mes frères, j’ignore mes proches. Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique (Mt 12, 48ss). Jean donc, qui avait décidé que Dieu était sa part (Ps 15, 5s.), ne voulait s’occuper de rien sinon de Dieu et ne désirait connaître que la parole de Dieu. À titre de serviteur et de héraut de la parole, il précédait le Verbe, a b
Cf. Regula S. Benedicti, 64, 12 ; Jérôme, Epistola 130, 11. Pour cet alinéa, cf. Ambroise de Milan, De fuga mundi, 2, 7.
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il était la voix qui crie dans le désert (Mt 3, 3). Il fit de lui-même un exilé pour le monde, s’arrachant à la demeure de son père, fuyant les agréments corporels, se passant de domestiques, se séparant de ceux qui lui étaient le plus chers pour demeurer seul, comme Élie, disant : Je suis demeuré moi seul (1 R 19, 10). Mais il n’était pas seul car le Christ était avec lui. Sachant que le Seigneur est bon pour ceux qui tiennent à lui, il s’attachait à lui malgré tous les mépris ; de toute son âme, de tout son cœur, de toute sa force il le recherchait pour se tenir dans sa lumière. Il fuyait la manière ténébreuse de vivre de ce monde pour contempler à visage découvert la gloire du Seigneur (2 Co 3, 18). Il se soustrayait, en les fuyant, aux honneurs de la succession paternelle pour jouir de la joie que sont les délectations d’en haut ; il se privait même de ce qui est licite et de ce qui est nécessaire à cette vie. Il se montra vraiment saint, vraiment grand : Il ne s’en est pas levé de plus grand parmi les enfants des hommes, comme l’atteste le Seigneur lui-même (Mt 11, 11). Car, à Celui qui est né de la Vierge, il s’attacha d’un amour unique et devant lui il s’abaissa dans une humilité exceptionnelle. Lorsqu’on le prenait pour le Christ en raison du sommet auquel atteignit sa sainteté unique, non seulement il nia être le Christ, mais il se déclarait indigne de dénouer la courroie de sa sandale (Lc 3, 15s). S’il s’en était jugé dignea, combien déjà il se serait montré humble ! S’il s’en était déclaré digne il aurait parlé ainsi : Celui qui vient après moi, il existait avant moi ; de lui je suis seulement digne de dénouer la courroie de sa sandale (Jn 1, 27), il se serait grandement humilié. Mais quand il ne s’en disait pas même digne, il était rempli de l’Esprit Saint, lui qui s’est reconnu serviteur du Seigneur ; alors, de serviteur il mérita de devenir son ami. Quel ne fut pas son abaissement ! Et le voici très élevé, car qui s’humilie sera élevé (Lc 14, 11). Jean n’eut pas de plus grand mérite que cette humilité : il aurait pu tromper les gens qui le pensaient le Christ, et passer pour le Christ, si grandes étaient sa grâce et son excellence, même jusqu’à répondre qu’il se tenait pour indigne de remplir les infimes services d’une condition d’esclave. Rien donc de plus humble que lui, et rien de plus élevé. a
Pour quelques lignes, Augustin, Tractatus in Ioannis euangelium, 4, 9.
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Sermon 86
La vertu d’humilité 3. C’est pourquoi, frères, puisque, pour le bienheureux Jean, rempli de toutes les vertus, son suprême mérite – nous l’avons entendu – résidait dans son humilité, nous avons à mettre toute notre vigilance pour la posséder en vérité, étant donné qu’elle correspond spécialement à notre engagement monastique. En effet, par définitiona l’humilité constitue la suprême vertu du moine, tout comme, au contraire, l’orgueil est son vice suprême. Oui, l’orgueil est le vice par lequel l’homme, aveuglé, se plaît à lui-même, alors qu’en cela il déplaît à Dieu et aux hommes. De même que l’humilité est la vertu par laquelle l’homme, illuminé, se déplaît à lui-même, mais assurément plaît à Dieu et aux hommes. Cette vertu de l’humilité est proclamée comme privilégiée parmi les autres vertus, car le Fils unique de Dieu nous en fournit en lui l’exemple, et par elle on évite tous les filets multiformes du Traître. De fait, lorsqu’Antoine vit tous les filets de l’Ennemi tendus devant lui, il se demanda en gémissant qui pourrait bien les éviter ; la réponse, par la voix de Dieu, fut la suivante : seule l’humilitéb. Qui que tu sois qui collectionnes les vertus, mais sans l’humilité, tu es pareil à celui qui porte de la poussière dans le vent. Si tu te veux très élevé en vertu, ne vise pas la hauteurc, et en tout ce que tu feras, tu te montreras très élevé. Ne pense pas que tu as fait grand chose lorsque tu l’as fait, et tu auras tout fait pleinement. Ne corromps pas les fruits de ton labeur. Ne dirige pas ta course à l’aveuglette, de peur que, à force de tours et de détours, tu ne perdes la récompense de ton labeur. Qui s’affirme digne de louange se rend coupable, même si auparavant il se montrait louable. Il est donc nécessaire de conserver l’humilité si elle existe, ou de la poursuivre si elle manque, de telle manière que chacun considère non pas le bien qu’il fait, mais le mal, tant en secret que publiquement. Mais a D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Ps. Bernard de Clairvaux, Tractatus de statu uirtutum, I, 3. b Cf. Apophtegmata Patrum, A 7. c Noli altum sapere (Rm 11, 12).
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qu’il soit attentif chez les autres au bien plutôt qu’au mal, même si le bien n’apparaît pas au dehors ; peut-être se cache-t-il dans le secret – ce qui consiste à apprécier le bien, ou à le supposer. De même il arrive qu’en s’abaissant soi-même on élève autrui ; l’orgueilleux au contraire se montre attentif au bien qu’il fait – si tant est qu’il en fasse – et non au mal si abondant qu’il commet. Et chez les autres il remarque non le bien mais le mal, il le suspecte, même alors qu’il ne s’agit pas d’un arbre mauvais (Mt 7, 18). C’est ainsi qu’en abaissant autrui il s’exalte lui-même. Gardons-nous de parler glorieusement de nous-mêmes, ce qui nous rend haïssables à Dieu et aux hommes. Par conséquent, plus nous faisons de bien moins nous avons à en parler ; il y a plus de mérite dans cette humilité que dans ce que nous aurons pu faire.
Humilité et pauvreté 4. Il faut savoir, de l’humilité, que l’une est suffisante, une autre abondante, une troisième surabondante. Suffisante quand on se soumet à un plus grand et qu’on ne se préfère pas à un égal ; abondante quand on se soumet à un égal et qu’on ne se préfère pas à un plus petit ; surabondante quand on se soumet même à un plus petit. En outre l’humilité se diversifie de sept manières. Il en est une qui consiste à se déposséder matériellement. Quant aux six suivantes, il en est deux dans la voix, deux dans le corps, deux dans le cœur. Deux dans la voix car l’être humble répond pacifiquement à une parole d’impatience et humblement à une parole de vantardise. Deux dans le corps : un vêtement vil, la mortification de la chair. Deux dans le cœur : en faisant passer l’avis commun avant le sien propre, en relativisant sa volonté propre pour la soumettre à l’autorité d’un autre. Car le fondement de l’humilité, c’est la pauvreté qui, elle-même, consiste dans le renoncement aux réalités du monde : qui veut suivre l’humilité et par elle monter vers Dieu ne se met pas à la remorque de ce que le monde présente de plaisant, d’agréable, de délectable, tout cela plein de douleurs et de pleurs.
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La fuite bonne et glorieuse Qu’il monte au dessus du monde, celui qui cherche Dieu, qu’il fuie le monde, qu’il délaisse la terre. On ne peut acquérir ce qui dure toujours à moins de fuir d’abord ce qui est d’ici-bas. C’est ainsi que le Seigneur, voulant s’approcher de Dieu son Père, dit à ses disciples : Levez-vous, partons d’ici (Jn 14, 31). La loi aussia enseigne à fuir le monde et à suivre Dieu : Tu marcheras derrière le Seigneur ton Dieu (Dt 13, 5). Or celui qui fut le premier et le principal à fuir le monde et à s’attacher au désert est né aujourd’hui : c’est Jean, qui crie : Race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère à venir ? (Mt 3, 7) Il s’adressait à ceux qui venaient au baptême de pénitence. Par conséquent la pénitence s’avère une bonne fuite, la grâce de Dieu aussi est une bonne fuite, dans laquelle s’accomplit l’assomption du fugitif. Le désert, quant à lui, représente une bonne fuite : Élie, Élisée, Jean Baptiste s’y sont réfugiés. Ne rougissons donc pas de fuir, nous aussi : glorieuse est cette fuite. Comme en présence d’un serpent, fuis le péché, nous avertit le sage (Si 21, 2). Il est louable de fuir l’ici-bas, de mourir aux désirs du monde et de cacher sa vie en Dieu (Col 3, 3), d’écarter les corruptions, d’ignorer les réalités de ce monde, lequel engendre en nous toutes sortes de douleurs. Il fait le vide lorsqu’il aura empli, et lorsqu’il aura fait le vide il remplit. Tout cela est vain et vide, on n’y trouve aucun résultat solide. Fuyons donc la perversité de ce monde où les jours sont mauvais (Ép 5, 16) et fuyons sans hésitation en vue de parvenir loin du malheur vers le bonheur auquel ne se mêle rien de mal ; loin des réalités incertaines vers ce qui est fidèle et plein de vérité ; loin de la mort vers la vie. Saisissons ce Bien qui pénètre tout (Sg 7, 24), en lui nous vivons (Ac 17, 28), de lui nous dépendons, ce Bien dont tout l’univers nous assure ses biens, ce Bien dépourvu d’iniquité, sans ruse, sans rudesse – avec la grâce, l’empressement fervent, la transparence, l’amour bienveillant et la justice, dans lesquels nous jouiD’ici à l’avant-dernière phrase du paragraphe, cf. Ambroise de Milan, De fuga mundi, 6 et 7 passim. a
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rons d’une paix perpétuelle et d’une tranquillité sans fin. Sur l’intervention de son bien-aimé précurseur et baptiste, veuille nous l’accorder le Fils unique de Dieu, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne pour les siècles des siècles.
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SERMON 87 POUR L’ASSOMPTION DE SAINTE MARIE
Ascension ou assomption ? 1. La fête d’aujourd’hui, celle de la dormition de la Vierge Marie, Mère de Dieu, est vénérée par tout l’univers, elle est commune aux anges et aux humains. Par son incomparable dignité elle surpasse toutes les fêtes des autres saints, ce qui s’exprime dans la diversité même de leurs noms. Leur mort précieuse, par laquelle ils ont déposé le fardeau de la chair corruptible et mérité de passer dans le repos bienheureux des âmes, porte le nom de « jour de naissance »a. Seule la mort de la Vierge est nommée « assomption », aussi est-il permis de penser et de dire que, de corps et d’âmeb, elle a atteint la plénitude de la glorification, et qu’une certaine similitude apparaît entre l’assomption de la Mère et l’ascension du Fils. En vérité, à propos du Sauveur, il est question aussi bien d’une ascension que d’une assomption. Lui-même le dit : Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17). Et par la suite l’évangéliste Marc écrit : Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel (Mc 16, 19). Dans les Actes des apôtres les anges disent aux disciples : Ce Jésus qui vous a été enlevé dans le ciel (Ac 1, 11). Toutefois ce jour-ci est appelé « assomption » et ce a b
natalia. utroque homine.
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Sermon 87
jour-là « ascension » pour différencier spécifiquement le Créateur de la créature. Effectivement le Sauveur est monté au ciel par sa propre vertu et puissance, à titre de Seigneur et de Créateur, accompagné des anges. L’assomption de Marie dans le ciel, elle, fut un don de la grâce, les anges, qui l’accompagnaient et l’aidaient, l’ont soulevée. Cela ne dépendait donc pas de sa nature, mais de la grâce, non de son pouvoir mais de la miséricorde. Pourtant, si nous comparons attentivement l’ascension du Fils et l’assomption de la Mère, la gloire du Fils étant hors de question, la montée en ce jour-ci révèle un éclat qui n’a rien de médiocre. Seuls les anges ont pu accourir au devant du Rédempteur qui montait au ciel. Mais pour sa mère, qui pénétrait dans les palais du ciel, c’est le Fils lui-même, avec toute la cour des anges et des saints, qui accourt solennellement pour la conduire jusqu’au trône où, bienheureusement, elle prend place. Et il lui dit : Tu es toute belle – toute belle car toute déifiée – aucune tache en toi (Ct 4, 7). Venu sur elle, l’Esprit l’a purifiée ; en le sanctifiant, il a préparé son sein pour l’Auteur de la vie que vierge, elle concevrait et que vierge, elle mettrait au monde, demeurant vierge inviolée après cette mise au monde. Car Dieu, de manière incompréhensible, s’est introduit dans son sein et a reçu d’elle la nature humaine.
La Vierge, une forteresse 395
2. Sans inconvénient nous comprenons comme la figure de cette réalité le passage lu aujourd’hui dans l’Évangile : il y est raconté que Jésus entra dans un bourga, et une femme nommée Marthe l’accueillit dans sa maison ; elle avait une sœur du nom de Marie (Lc 10, 38s). Quoi de plus adéquat que de désigner la Vierge Mère comme une forteresse, où a commencé d’entrer le Créateur de toutes choses venu pour sauver ce qui était perdu (Mt 18, 11). Oui, elle se présente comme une forteresse, unique et déifiée grâce castellum, qui traduit « village » dans la Vulgate, mais résonne comme « forteresse » au moyen-âge. a
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Sermon 87
à l’œuvre de Dieu ; une forteresse réservée à l’entrée de Dieu seul. Sous l’aspect de cette forteresse Marie s’est élevée comme la tour de l’humilité ; entourée de toute part par le mur de la virginité, elle demeura ainsi inaccessible à jamais aux corrupteurs de l’esprit et de la chair.
La Vierge : Marthe et Marie Mais elle ne s’avère pas seulement une forteresse, elle est aussi la femme qui reçoit Jésus chez elle, étant encore la maison dans laquelle elle le reçoit, une maison qui n’est pas constituée de murs terrestres, mais offre une très gracieuse et vaste habitation, celle de son sein virginal. À Celui qui est né d’elle elle dispense, comme Marthe, avec un empressement maternel, les services répondant aux besoins humains. De même elle est comme cette Marie assise aux pieds du Seigneur (Lc 10, 39) et qui écoute la parole issue de la bouche de Celui que, de sa chair, elle a fait naître, et qu’elle servait dans les besoins de son corps. Dans une très humble obéissance à ses préceptes elle l’honorait comme son Créateur et le Créateur de toutes choses, et dans l’homme elle adorait Dieu en lui offrant sans interruption le culte dû à sa divine majesté. Ainsi s’est réalisée pour elle la meilleure part (Lc 10, 42), car aujourd’hui la gloire de Dieu s’est transmise à cette noble mère que, de la terre vers la chambre nuptiale éthérée, le Roi de l’univers emporte royalement vers le Royaume des cieux. Elle, la femme qui transcende par sa pureté la nature des anges, a pénétré aujourd’hui au dessus des cieux dans le saint des saints.
Pourquoi Lazare ne figure pas dans ce récit 3. En plus de cette forteresse déifiée qu’est le sein virginal, scellé par cette faveur unique, l’incarnation de la divinité ; en plus aussi de ce bourg matériel où le Seigneur entra un moment pour y être restauré par une femme religieuse, nous pouvons repérer
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Sermon 87
une troisième forteresse, symbolique de notre viea. Le Sauveur y pénètre assidûment par la présence active de sa bonté. S’y trouvent Marthe, Marie, comme aussi Lazare. Or même si celui-ci n’en était peut-être pas absent, ce n’est pas sans raison que l’Évangile de ce jour n’en fait pas mention et le passe sous silence. C’est comme si, selon cette narration où il est question de ce bourg de la suprême sainteté, il ne convenait pas que rien jamais dans ce bourg dût susciter, même légèrement, la nécessité de la pénitence : celle de Lazare ressuscité après quatre jours (Jn 11, 39ss), par qui est figuré le pécheur enseveli sous l’habitude de quelque péché, mais ressuscité un jour par la pénitence, grâce à la grande miséricorde de Dieu. Même le nom de Lazare ne devait pas être mentionné.
Raison, volonté, sensibilité 396
4. Considérons donc l’âme comme une forteresse, ou comme le temple, ou comme une maison, que le Seigneur, par sa grâce, voudrait visiter ou souhaiterait habiter. S’ y trouvent en quelque sorte trois personnes : Marie, Marthe, Lazare. Marthe s’y occupe de beaucoup de choses et travaille ; Marie, toute attentive au Seigneur, prie ; Lazare, de mort, ressuscite. Ces trois personnes signifient trois vertus : la première est la raison, la deuxième la volonté, la troisième la sensibilitéb. En Marie la raison, en Marthe la sensibilité, en Lazare la volonté. La raison, à l’instar du père de famille, préside à la maison ; la volonté obéit, dans le respect envers son mari, le père de famille ; et la sensibilité, à titre de servante, entoure de respect son maître et sa maîtresse. Mais il arrive que la volonté, oublieuse de la raison et se délectant d’être régie par sa volonté propre, succombe, corrompue par une triple maladie : la jouissance, la mauvaise curiosité, la vanité. Voyant la volonté mourir par ces péchés qui la conduisent à se délecter de la mort, la raison se met à s’adonner plus ardemment à sa tâche propre : la méditation, la lecture, la prière, et elle force la sena b
morale. sensualitas.
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sibilité à remplir elle aussi sa tâche : travailler et veiller. Si tout cela est accompli honnêtement avec persévérance, la volonté, qu’elle le veuille ou non, resurgit. Tandis que Marthe peine et que Marie gémit en pleurant, Lazare ressuscite en nous, lui l’ « aidé »a. De cette résurrection on recueille quatre indices : la rectitude dans l’action, la vérité dans la parole, la pureté dans la méditation, l’élévation dans la contemplation. De fait, la rectitude dans l’action et la vérité dans la parole ne suffisent pas, à moins d’être purifiées intérieurement. Nombreux sont ceux qu’on peut repérer dans la vie religieuse – si l’on y regarde de près – dont la droiture de l’action et la vérité de la parole se recommandent par leurs actes et leur vie ; mais leur instabilité brouille leur vie intérieure, alors que le vagabondage de leurs pensées inutiles la trouble. Le prophète les reprend en ces termes : Jusques à quand demeureront en toi des pensées nuisibles ? (Jr 4, 14) Ces pensées, les voici tantôt célestes, tantôt infernales, tantôt monastiques, tantôt séculières, tantôt pleurant, tantôt riant, tantôt paisibles, tantôt irritées, tantôt au courant de tout, tantôt ignorantes même d’elles-mêmes. Les guettant adroitement, l’antique prophète en parle en ces termes : Ils montent jusqu’au ciel, descendent aux abîmes, leur âme se liquéfie dans les malheurs. Ils tournoient et titubent comme un homme ivre, toute leur sagesse est dévorée (Ps 106, 26s). Aussi, de toutes les forces de leurs bras spirituels, il leur faut embrasser la pureté de la méditation. Quiconque l’aura embrassée du fond de son cœur sera sans terreur, car il verra Dieu.
Obstacles et remèdes quant à la pureté de la méditation 5. Mais il faut le savoir, trois choses s’opposent à la pureté de la méditation : l’abîme, la mer, la terre de ceux qui vivent agréablement. L’abîme représente l’ignorance profonde et aveugle de l’esprit qui déclare le bien un mal et le mal un bien ; elle considère adiutus : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 65, CCSL 72, p. 140, 7. a
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dans l’amertume une douceur et dans la douceur une amertume, elle affirme que les ténèbres sont lumière et la lumière ténèbres. D’où cette plainte du Seigneur à travers un prophète : Puisque mon peuple a manqué de la connaissance, il a été conduit captif à Babylone (Is 5, 13). L’abîme déclare : la pureté de la méditation n’est pas en moi ; et de la mer : Non, elle n’est pas avec moi (Jb 28, 14) ; non, elle ne se trouve pas sur la terre de ceux qui vivent agréablement. Or la mer représente la convoitise de la chair, qui se réjouit lorsqu’elle fait le mal et exulte dans la pire des perversités (Pr 2, 14). La mer, on la nomme la mère des eaux, pour la raison que les fleuves se jettent en elle sans qu’elle débordea. Ainsi coulent-ils vers la convoitise de la chair et trouvent-ils en elle leur commencement pour qu’en découle à nouveau tout mouvement d’immondice. Aussi est-il écrit : Si tu accordes à ton âme ses convoitises elle t’entraînera entre les mains de tes ennemis (Si 18, 31). Quant à la terre de ceux qui vivent agréablement, elle comprend trois parties en raison des trois désirs qui la caractérisent : les vêtements superflus, les mets interdits, les unions illicites. Par conséquent : Mon fils, souviens-toi que durant ta vie tu as reçu le bonheur et Lazare le malheur. Maintenant lui est consolé et toi tu es tourmenté (Lc 16, 25). Or il se présente trois remèdes à ce triple obstacle : l’ignorance de l’esprit est combattue par l’illumination de l’intelligence, la convoitise de la chair par le feu de l’empressement fervent, la jouissance de la sensualité par la délectation et l’amour de la vertu. Ces trois remèdes ont pour effet une pensée sainte et la conservation de sa pureté. Une pensée sainte – est-il écrit – te gardera (Pr 2, 11). Et de même : De toute ton attention veille sur ton cœur, car c’est de lui que jaillit la vie (Pr 4, 23). Ce qui fait dire à Ézéchielb, à propos des saints animaux : Leur corps, tout autour, était plein d’yeux (Éz 1, 18). Les corps des animaux sont donc décrits comme remplis d’yeux, car, de tous côtés, l’action des élus se montre cirIsidore de Séville, Etymologiae, 13, 14, 1–3. D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, I, 7, 2. a
b
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conspecte, prévoyant le bien d’un grand désir et se gardant soigneusement du mal. Ils veillent, très attentifs, soit à ne pas commettre le mal pour cette raison qu’ils savent que c’est mal, soit à ne pas le cacher sous l’apparence du bien pour ne pas se mentir à eux-mêmes en prenant les vices pour des vertus.
La garde du cœur 6. Maisa il nous faut savoir que souvent, en faisant attention à certaines choses, nous en négligeons d’autres, et là où nous nous montrons négligents, là nous n’avons pas l’œil. À quoi sert-il que, contre les ruses des ennemis, presque toute la ville soit soigneusement gardée, s’il reste une seule poterne par où entreront les ennemis ? Par exemple, ce pharisien monté au temple pour prier, en faisant valoir son jeûne et en donnant la dîme, rendit grâce à Dieu comme s’il montait la garde tout autour de sa ville. Mais il a manqué d’attention pour une seule poterne, celle de l’orgueil, disant : Je ne suis pas comme les autres hommes, ni comme ce publicain (Lc 18, 12), et c’est par là que l’ennemi a pénétré, là où par négligence lui, le pharisien, a fermé l’œil. Les esprits des bons veillent sur eux-mêmes avec circonspection, et sur leur action ils ouvrent tout autour l’œil de la crainte et de la sollicitude pour ne pas faire le mal ou se dispenser d’accomplir la justice prescrite, ou encore se gonfler d’importance dans leur esprit pour ce qu’ils ont réalisé en plus. Ils pécheraient d’autant plus gravement qu’ils paraîtraient des justes, tout en péchant en secret. Voilà pourquoi il est dit à leur sujet : Leur corps était rempli d’yeux tout autour (Éz 1, 18). De cette garde circonspecte que les saints montent de toute part, le même prophète, parlant à nouveau de l’aspect des animaux célestes, dit : Chacun d’eux avançait droit devant lui (Éz 1, 12). Tout homme juste qui regarde attentivement sa vie et considère avec diligence dans quelle mesure il grandit chaque jour dans le Pour tout ce paragraphe, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, I, 7, 8 ; I, 4, 8–9. a
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bien, ou peut-être dans quelle mesure il décroît quant au bien, celui-là, parce qu’il se place devant lui, avance droit devant lui. Il regarde en effet avec vigilance s’il s’élève ou s’il coule. Au contraire, quiconque néglige de veiller sur sa vie, d’examiner ce qu’il fait, ce qu’il dit, ce qu’il pense, ce qu’il ignore, ce qu’il méprise, celui-là n’avance pas droit devant lui, car il ignore ce qu’il est dans sa conduite et dans ses actes. N’étant pas présent à lui-même, il ne se soucie pas de s’examiner et de se connaître.
Deux poids et deux mesures entre nous et le prochain
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Mais celui-là se place devant lui en sa présence, qui se montre attentif à soi dans ses actes comme si c’était à un autre. Or nombreux sont les péchés que nous commettons, mais par le fait qu’ils ne nous paraissent pas graves, en nous aimant d’un amour égocentrique nous nous flattons nous-mêmes et, les yeux fermés, nous nous trompons nous-mêmes. La conséquence c’est que nous jugerons comme légers nos graves péchés et comme graves les légers péchés d’autrui. Il est écrit en effet : Les humains s’aimeront eux-mêmes (2 Tm 3, 2). Et nous le savons : l’amour égocentrique nous bouche les yeux. Par conséquent ce que nous faisons ne nous paraît pas grave, alors que, en général, ce que fait le prochain nous semble très détestable. Mais pourquoi ce qui nous concerne nous semble-t-il léger, et grave ce qui concerne le prochain ? Sinon parce que nous ne nous regardons pas nous-mêmes comme un prochain, ni le prochain comme nous-mêmes. Si nous nous considérions comme un prochain, notre regard sur nos actes répréhensibles serait sévère. Et en retour, en considérant le prochain comme nousmêmes, jamais son action ne nous paraîtrait intolérable, car il arrive souvent que nous agissions de la même manière sans penser avoir commis l’intolérable envers le prochain. Ce jugement mal réparti dans notre esprit, Moïse s’emploie à le corriger par un précepte de la loi : le devoir de disposer d’une balance et d’un setier justes (Lv 19, 36). Ce qui amène Salomon à ajouter : Poids et poids, mesure et mesure, deux choses abominables
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aux yeux de Dieu (Pr 20, 10). Nous le savons, dans les poids faussés des négotiants, l’un est plus lourd, l’autre plus léger. Car ils usent d’un poids pour eux-mêmes et d’un autre pour le prochain. Ils se préparent à se servir pour le prochain d’un poids plus léger, et d’un plus lourd pour eux-mêmes. Voilà pourquoi tout homme dont la balance pour ce qui concerne le prochain est autre que pour luimême, pratique poids et poids, ce qui est abominable aux yeux de Dieu. Si cet homme aimait son prochain comme soi-même, il l’aimerait aussi comme soi-même dans le bien qu’il fait. Et s’il considérait le prochain comme soi-même, il se jugerait dans le mal comme un prochain.
Avancer droit devant soi 7. Nous devons donc nous regarder comme un autre nousmême et – comme on l’a dit – nous placer devant nous, en imitant constamment les animaux ailés pour ne pas ignorer ce que nous faisons, et donc en avançant droit devant nous. Les pervers eux – nous l’avons dit – n’avancent pas droit devant eux, car ils ne considèrent jamais ce qu’ils font. Pour ne rien dire de ceux du dehors, car les juger n’est pas de notre ressort (1 Co 5, 12), qu’ils sont nombreux actuellement dans la profession religieuse à organiser, par utilité extérieure, une apparence de renoncement au monde. Ils exercent leur chair par des exercices corporels, les jeûnes, les veilles, ils transpirent dans les travaux, mais ils n’inscrivent pas leur conduite dans une discipline vigilante. Enclins à la colère, toujours prêts aux insultes, ils accueillent dans leur âme n’importe quelle turbulence ; de langue, de main et par des gestes indisciplinés, ils sont en scandale pour ceux qui les voient, sans qu’aucune crainte de Dieu ni le moindre respect humain ne les retiennent. Ceux-làa, assurément, n’avancent pas droit devant eux, car s’ils étaient présents à eux-mêmes, tout ce qu’ils font, ils l’auraient prévu avec finesse, ils reconnaîtraient combien les bonnes œuvres sont D’ici aux premières lignes du paragraphe 8, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, I, 4, 10. a
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perdues par des actes mauvais. Ainsi qu’il est écrit : Celui qui a rassemblé son salaire l’a placé dans une bourse percée (Ag 1, 6). Une telle bourse laisse sortir d’un côté ce qu’on y met de l’autre, car les esprits sans discernement ne voient pas comment la récompense acquise par leur bonne œuvre est perdue par une œuvre mauvaise. Par ailleurs tel autre organise sa conduite eu égard à une honnêteté toute extérieure. Pour ne pas se faire critiquer au dehors il se surveille avec vigilance, mais conserve peut-être de la haine contre un prochain. Et puisque il est écrit : Qui hait son frère est un homicide (1 Jn 3, 15), il considère combien il se montre pur au dehors, sans peser soigneusement à quel point il est cruel dans son esprit. Qu’en est-il de lui, sinon qu’il est absent de lui-même et s’avance sans le savoir dans les ténèbres de son cœur ? Un autre encore marche sans querelles dans la communauté de ses frères ; il aime dès lors son prochain dans la pureté de son esprit et, conscient de ses fautes passées, il s’adonne dans ses prières à des lamentations. Mais une fois terminée son heureuse prière, il se réjouit de ce que le monde lui offre, il le recherche et abandonne son âme négligente aux joies d’ici-bas. Il ne se soucie pas de passer de la mesure des larmes à une joie sans mesure ; le résultat c’est qu’il perd, en riant trop, le bien qu’il avait gagné par ses lamentations. Celui-là non plus ne marche pas droit devant lui, car il refuse de considérer les pertes dont il souffre. Il est écrit en effet : Le cœur des sages se tient là où se trouve la tristesse, le cœur des insensés là où règne la joie (Qo 7, 5 vg). 8. Dans tout ce que nous faisons nous devons donc nous examiner soigneusement, intérieurement et extérieurement, pour qu’en imitant les animaux ailés nous soyons présents à nous-mêmes et marchions droit devant nous. En cela surtout consiste la pureté de la méditation, par laquelle – en conséquence – nous accédons à cette hauteur qu’est la contemplation de Dieu. Celle-ci, en quelque sorte, commence lorsquea chacun ne cesse de poser les yeux de son cœur sur sa sortie et ne cesse de méditer sur le temps où il sortira de la vie présente et atteindra les joies éternelles. D’ici à la fin du deuxième alinéa, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, II, 1, 16. a
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De la foi à la vision C’est en vue de cela que Dieu s’est incarné pour nous introduire dans la foi et nous conduire à sa vision. Cela fait dire au psalmiste : Que le Seigneur te garde à ton entrée et à ta sortie (Ps 120, 8). Oui, le Seigneur garde l’âme de chacun lors de son entrée dans la foi et lors de sa sortie vers la vision pour que, entrant dans l’Église, il ne trébuche pas du fait de l’erreur et que, dans son passage de cette vie d’ici-bas à celle de l’éternité, il ne se laisse pas surprendre par l’antique Ennemi. C’est pourquoi le Seigneur lui-même est mort une seule fois pour tous afin de tous les libérer de cette condamnation qu’est la mort amère. Ainsi la mort naturelle des hommes s’est propagée jusqu’à la Mère de Dieu ; mais il est exclu que pour elle la mort soit originelle, comme elle l’est pour nous. Et pourtant elle en a fait l’expérience de manière à accomplir en égalité avec nous la loi de la nature. Cependant le Créateur du monde a entouré sa mort de la gloire et de l’éclat qui convenaient à cette mère dont il avait reçu la réalité de la chair.
La Vierge de bonté et de compassion C’est à juste titre, Vierge des vierges et Reine des cieux, que te diront bienheureuse toutes les générations, car il a fait pour toi de grandes choses Celui dont le nom est saint (Lc 1, 48s). La masse de ta tente terrestre, ô Mère de Dieu, a passé aujourd’hui de ce monde au delà de toute la hauteur des Puissances d’en haut, où le fruit de ton sein t’a élevée. Tous les trésors de la compassion de Dieu sont cachés en toi ; le salut des malheureux passe par tes mains. Que ta bonté, issue de l’infinité des grâces, ô très bénie, se répande sur tes serviteurs qui, avec louange, invoquent ton nom, ou même qu’elle leur apporte le pardon des péchés. Qu’ainsi tous ceux qui sont associés à ta bienheureuse éternité et qui ne le doivent pas à leurs mérites, soient confiés au secours de ton intervention par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprits Saint pour les siècles des siècles.
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Voici la quatrième et dernière série de ces sermons, comprenant les sermons 88 à 108 ; elle s’attarde en particulier sur la naissance de la Vierge et la fête de tous les saints.
SERMON 88 SERMON SUR L’AVENT DU SEIGNEUR
Le sens de l’avent 1. En entrant dans la sainte observance de l’avent, frères très chers, nous pensons opportun de considérer d’abord avec attention, autant que possible, la raison de cette venue, en même temps que le mode de la rédemption de l’humanité. Plus on y prête une attention fine, plus se fait connaître l’affection de Dieu envers nous, lui si admirable quand il établit la justice, et combien plus admirable quand il dispense sa miséricorde. Le péché du premier homme avait nécessité que Dieu fasse justice en le chassant du paradis et en le livrant à diverses souffrances et à la mort temporelle, car son irritation concerne non seulement l’homme vivant, mais aussi l’homme dans la mort. De fait, tous ceux qui passent hors de ce monde descendent en enfer. La justice exigeait qu’il renvoie l’homme de cette manière, mais au milieu de sa colère il s’est souvenu de la misère de l’humanité, et il a montré qu’il supportait difficilement cette perte ; il chercha autant que possible à la réparer. La chute de l’homme troublait d’une certaine manière la paix de l’ange, non qu’elle le détournât de sa contemplation intérieure de la divinité, mais parce que les anges, à l’extérieur, sont députés auprès des hommes, leur prêtant secours pour servir Dieu et résister au diable. L’Apôtre l’atteste : Tous ne sont-ils pas des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent
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hériter du salut ? (Hé 1, 14). À ce ministère, croyons-nous, aucun ange n’échappe, puisque l’Apôtre ne parle pas de quelques-uns, mais affirme que tous en sont chargés. Toutefois le service des anges n’a pas suffi à réaliser la rédemption de l’homme, et c’est pourquoi le Père a envoyé son Fils (Ga 4, 4) en vue d’instruire l’homme dans ses erreurs en le conduisant sur le juste chemin vers la cité où habiter (Ps 106, 4). Le Père lui fit d’autant plus confiance qu’il le chargeait d’un labeur plus violent ; à son égard le Fils se fit obéissant jusqu’à la mort (Ph 2, 8), une mort difficile et honteuse, celle de la croix. Envoyéa à partir de ce secret incompréhensible et indicible de la divine Majesté, il vint dans le monde, se donnant à comprendre et à voir des hommes ; il s’anéantit, prenant la condition du serviteur (Ph 2, 7). Ainsi s’est-il fait voir sur la terre, vivant avec les hommes (Ba 3, 38). S’il est venu dans le monde, ce n’est pas en changeant d’identité, car il était dans le monde et le monde fut par lui (Jn 1, 10), mais c’est en revêtant la chair de manière à se montrer adéquatement, sans changement, aux humains. Elle est donc venue du trône royal (Sg 18, 15), la parole du Père, pour revêtir dans le monde la condition de serviteur.
Le but et le mode de l’incarnation 2. Mais en vue de quoi est-il venu ? Soigner le blessé, ressusciter le mort, guérir le malade. C’est lui le Samaritain qui s’est approché du blessé (Lc 10, 30ss). Celui-ci, descendant de Jérusalem à Jéricho, tomba aux mains de brigands. Un prêtre et un lévite passèrent outre, sans lui apporter de secours. Cela signifie que la loi et le sacerdoce ancien étaient incapables de libérer l’homme blessé par les brigands, autrement dit frappé par les démons. C’est pourquoi le Samaritain, descendant par ce même chemin, s’approcha de lui pour le soigner ; à demi-mort, le blessé avaient entendu qu’il devait l’attendre. D’ici à la fin du paragraphe 2 et pour la moitié du paragraphe 3, cf. Pierre Lombard, Sermo, 2. a
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Le Samaritain, autrement dit le « veilleur »a, c’est le Christ qui, sans dormir ni somnoler, veille sur Israël (Ps 120, 4) et qui dit, en Isaïe : Vers moi on crie de Séir : Veilleur, qu’en est-il de la nuit, qu’en est-il de la nuit ? Le veilleur répond : Le matin vient, puis la nuit. Si vous interrogez, interrogez ; retournez-vous et venez (Is 21, 11s). Séir se traduit par « hérissé » ou « couvert de poils »b, par quoi est signifiée la misère de l’humanité malade, dont s’angoissait l’homme blessé par les brigands. Du lieu d’horreur où il gisait, hérissé par les supplices et couverts des poils de ses vices, il criait au Samaritain quasiment avec l’Apôtre : Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – La grâce de Dieu par Jésus Christ (Rm 7, 24s). C’est comme s’il disait : il n’y a que le Samaritain, autrement dit le véritable veilleur, pour libérer. À lui donc, qui descendait par le même chemin, tenté en tout excepté le péché (Hé 4, 15), parce que solidaire de notre nature et conscient de sa faiblesse, à lui le blessé criait : Veilleur, qu’en est-il de la nuit des vices et de l’ignorance ? Qu’en est-il de la nuit des supplices et de la misère ? Tu es capable de délivrer le pauvre qui est sans aide (Ps 71, 12). Regarde à partir de cette nuit et délivre-moi des brigands qui m’ont saisi et m’ont laissé à demi-mort. J’ai perdu la vie de la grâce, mais non celle de la nature. C’est la vie la meilleure qui est perdue, dont vit mon âme en louant Dieu. La vie bonne s’est corrompue, dont vivait la nature dans l’intégrité. La vie du péché s’y est injectée. Triple en effet s’avère la vie : celle de la grâce, celle de la nature, celle du vice. Rends-moi celle qui est perdue, rétablis celle qui s’est corrompue, écarte celle qui est injectée de vices. Le temps est venu de le faire, à savoir de venir nous libérer, de supprimer le péché et la mort, de restaurer la vie.
a custos : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 66, CCSL 72, p. 142, 3. b Seir : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 10, CCSL 72, p. 72, 27s.
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Le matin, puis la nuit… 3. À grands cris le genre humain implore le Samaritain céleste, sinon par des paroles, du moins par ses besoins, et le Veilleur lui dit : Le matin vient, puis la nuit (Is 21, 12). C’est comme s’il disait par l’Apôtre : La nuit est avancée, le jour s’est approché (Rm 13, 12). Le voici le temps favorable, le voici le jour du salut (2 Co 6, 2), au cours duquel je vous exaucerai et vous aiderai, si vous ne recevez pas en vain la grâce de Dieu (2 Co 6, 1). Réveillez-vous de votre sommeil et de votre négligence et délaissez les œuvres mauvaises : elles viennent des ténèbres et conduisent aux ténèbres extérieures ; et revêtez les armes de la justice (2 Co 6, 7). Armez-vous et ornez-vous des vertus contre les traits enflammés de l’Ennemi (Ép 6, 18) afin de vous montrer dignes d’accueillir le Sauveur que vous attendez. Autrement dit : Revêtez le Seigneur Jésus Christ qui transformera votre corps de misère pour le configurer à son corps de gloire (Ph 3, 21). Son chemin est sans souillure (Ps 17, 31) et sa demeure sans corruption, il n’habite pas dans un corps soumis au péché (Sg 1, 4) et ne repose que sur un être humble, paisible et qui tremble à ses paroles (Ps 66, 2). Rejetez les pierres de cette place qu’est votre cœur, brisez les idoles de votre esprit, revenez à votre cœur, transgresseurs (Ps 46, 8 vg), invoquez le Seigneur et vous le trouverez. Nous, frères, nous nous rassemblons par nécessité en réponse aux voix de ceux dont les infidélités se sont multipliées. Répandus hors de nous-mêmes, nous pérégrinons loin de notre cœur, lequel aurait dû se dilater dans l’amour. Nous nous sommes bâti un mur avec les pierres des offenses de nos frères et les rochers de scandale (1 P 2, 8). Il est écrit : C’est un crime d’idolâtrie que le refus d’acquiescer (1 Sm 15, 23). Or par mépris de l’obéissance nous avons, pour ainsi dire, placé dans notre esprit les idoles de la volonté propre et de la présomption orgueilleuse. Chez nous la maison de prière s’est ainsi transformée en caverne de brigands (Mt 21, 13). L’esprit et la conscience des fidèles auraient dû être le temple et la maison de Dieu (1 Co 3, 16) ; mais quand ils expriment des pensées perverses pour blesser le prochain, à la manière de brigands habitant une caverne, ils ne sont plus une maison de prière mais une caverne de brigands. Délaissant l’innocence et la simplicité de la sainteté, leur
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action est alors contre-nature de manière à pouvoir faire du mal à leurs prochains.
L’habit monastique démenti intérieurement 4. Voilà pourquoia, frères, croyons-le : point ne suffit de nous voir rassemblés dans cette maison de la discipline, à moins que la perfection ouvertement déclarée – plus que vraiment assumée… – condamne en nous nos négligences. Car, selon l’affirmation de l’Écriture, il est requis nécessairement beaucoup de ceux à qui on a confié beaucoup (Lc 12, 48). Est-ce que le secret de cette habitation pourra nous être de quelque utilité quand la perversité exerce en nous son pouvoir tyrannique, quand la colère se déchaîne, quand un regard humain suscite en nous une crainte plus grande que le regard de Dieu, quand, à titre de louables cloîtrés, nous nous croyons hors du monde alors que nous retenons le monde enfermé en nous ? Ainsi, nous qui croyons secourir ce monde de nos prières, c’est plutôt nous qui paraissons presque avoir besoin des intercessions du monde. Quelle utilité si le lieu du repos et de la paix n’est occupé que physiquement, et que l’inquiétude remplit le cœur ? Il nous arrive, ce qui ne convient pas à un spirituel, de nous répandre en procès et en altercations, et de déployer d’énormes efforts par appétit pour de vulgaires objets. Il nous arrive en outre de violer notre profession monastique en transgressant la Règle, sans crainte de commettre ainsi un vol à l’encontre des supérieurs – davantage : de nos âmes – sous le regard de Dieu. Sans nous contenter du nécessaire (1 Tm 6, 8), nous réclamons opiniâtrement, par tiédeur du cœur, une abondance que nous avions abandonnée dans ce monde, ou que peut-être nous n’avions même pas connue dans ce monde. Nous avons parfois l’habitude de nous vanter de nos jeûnes corporels. Pourtant sachez-le, frères, il ne sert à rien d’affliger notre chair par des jeûnes, des veilles, a
sim.
Pour ce paragraphe 4, cf. Eusebius Gallicanus, Homeliae 39, 40, 44 pas-
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des peines, si nous ne corrigeons pas notre esprit, sans souci de ce qui nous est intérieur. À quoi nous sert-il d’affliger ce corps si nous le polluons par les fourberies et le dénigrement qu’exprime notre langue ? Tous nos efforts ne sont-ils pas alors réduits à rien, et notre œuvre ne se dissipe-t-elle pas comme fumée, ombre et cendres d’étoupe ? O que de labeurs sans nombre et interminables périssent soudainement, et que de biens souvent déjà acquis sont arrachés de notre main, du fait que nous avons négligé de garder et d’augmenter ce que nous nous sommes efforcés d’acquérir ! À quoi sert-il, nous l’avons dit, d’affliger notre corps quand notre cœur n’en tire aucun profit ? Voici une situation très dure et très pénible : consacrer un tel effort pour ensuite n’en recueillir aucun fruit. Jeûner, veiller, mais sans rectifier notre conduite, cela revient à planter et à cultiver hors ou autour de la vigne, en laissant celle-ci déserte et inculte, si bien qu’elle fait germer épines et ronces, alors que si elle avait bénéficié d’un cultivateur zélé elle aurait pu porter des fruits magnifiques.
Attendre du Christ le salut, puis la gloire 5. Écoutons plutôt, frères, la vraie vigne et le gardien même de la vigne dont le Père est le vigneron (Jn 15, 1) ; il nous apprend à porter les fruits qui lui plaisent. Suivons la lumière, elle s’est levée sur ceux qui se tiennent dans l’ombre de la mort (Is 9, 1) et elle dirige nos pas sur le chemin de la justice. Sia vous le cherchez, cherchez-le, convertissez-vous et venez (Is 21, 12) – ce qui revient à dire : si vous voulez me chercher, faites-le de tout votre cœur, non pas de mots ni de langue, mais en actes et en vérité (1 Jn 3, 18) ; alors vous me trouverez. Convertissez-vous, éloignez-vous du mal (1 P 3, 11) et venez à moi en faisant le bien. Maintenant le salut est plus près de vous que lorsque vous avez cru (Rm 13, 11), autrement dit lorsque vous avez commencé de croire ; or assurément le salut a été promis autrefois par les prophètes, tout comme, par Isaïe, Dieu dit : Proche est mon Juste, mon Sauveur est sorti (Is 51, 5). Et de même : a
D’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 2.
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Mon salut ne tardera pas ; je mettrai le salut en Sion et en Israël ma gloire (Is 46, 13). Quelle douce et aimable promesse. Car elle est sûre cette parole et digne d’être pleinement accueillie (1 Tm 1, 15). Le Juste et le Sauveur du Père, c’est le Christ ; non pas qu’il justifie et sauve le Père, lui qui, au nom du Père, est venu dans le monde pour sauver les pécheurs (1 Tm 1, 15) – oui, les pécheurs, c’est-à-dire ceux qui confessent leurs péchés, et non pas les justes trop confiants dans leur justice. Il le dit : Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs (Lc 5, 32). Et voici aussi qu’il élève l’esprit des fidèles, car il n’y a auprès de lui ni retard pour la santé ni délai pour le salut. Ce qui fait dire au Père : Mon salut ne s’éloignera pas et l’heure n’en tardera plus (Is 46, 13 vg), elle est fixée de toute éternité. Bien plus : au temps favorable je donnerai en Sion le salut, mais en Israël ma gloire (Is 46, 13). Sion représente donc l’Église actuelle, qui de loin se protège des ruses des ennemis. Elle veille sur son cœur en toute vigilance et pose sur ses lèvres la porte de la continence (Ps 140, 3). Et, selon la traduction du nom de Sion, qui est la « contemplation »a, elle examine de tous côtés sa vie et ses actes. Mais Jérusalem, qui se traduit par « vision de paix »b, représente l’Église du ciel qui jouit de la vision de la paix : la paix qui s’avère complète et parfaite, sans le moindre trouble d’inquiétude. Le Samaritain donc, qui est notre veilleur, se révèle le salut en Sion et la gloire en Jérusalem, car ici-bas il sauve en justifiant et là-haut il glorifie en faisant place à sa droite. Dans sa miséricorde à notre égard qu’il daigne réaliser l’un et l’autre de ces actes, lui qui est notre salut, notre vie et notre rédemption, Jésus Christ, notre Seigneur.
a Sion : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 9s. b Jérusalem : cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 66, CCSL 72, p. 142, 3.
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Se préparer à recevoir l’eucharistie 1. Le poids de ce fardeau, que nous portons comme une obligation de notre ministère, nous avons à y penser en tout temps. Mais ces jours-ci, qui précèdent la naissance du Sauveur, nous avons non seulement à y penser, mais à en parler et en aucune manière à nous taire. De fait, ce jour-là, en recevant le Saint du saint, nous l’accueillerons comme dans un gîte hospitalier. Aussi devons-nous prémunir votre Fraternité pour qu’elle lui prépare une demeure digne de lui. Cela réclame de nous, avant tout, un soin constant pour qu’avec le secours de Dieu, nous accédions, dans une foi totale et une pleine sanctification, aux mystères du ciel et pour qu’ils nous acheminent vers la rémission des péchés et non vers la condamnation au jour du jugement. Car quiconque se sera approché indignement des mystères divins condamne luimême son âme (1 Co 11, 27) puisqu’il refuse de se mortifier en vue de recevoir dans la chambre purifiée de son cœur le Roi du ciel, l’Époux immortel. Redoutant un pareil immense désastre, semblable à un glaive menaçant nos têtes, la nécessité nous incombe, frères, de vous exhorter à ne pas recevoir en vain une si grande grâce (2 Co 6, 1). En effet, ce que nous recevons à cet autel se dit en grec « eucharistie » et dans notre langue « bonne grâce ». Or, puisque le terme de grâce signifie toujours quelque chose de bon, l’ex-
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cellence de ce sacrement nous est par là affirmée non seulement comme une grâce, mais comme une bonne grâce. Par elle nous sommes réconciliés avec Dieu, mais aussi – ce qui l’emporte sur tout genre de grâce – incorporés au Christ. Nous devenons ainsi avec lui – au dire de l’Apôtre – un seul corps et un seul Esprit (Ép 4, 4). Cela en vue – nous le croyons à juste titre – de régner en lui et avec lui comme des membres en communion avec leur Tête, et de siéger avec lui dans les cieux. Par conséquent, plus grande est la grâce conférée à ceux qui reçoivent dignement ce sacrement, plus grave la ruine de ceux qui se permettent d’y participer indignement.
Communier indignement 2. Oui, comme le dit Ambroisea, ils se le permettent indignement ou parce qu’ils sont établis dans des fautes graves, ou parce qu’ils ne sortent pas de leurs péchés légers par la pénitence. Autrement dit : ou relâchés du fait de quelque sécurité, ou négligents, il ne veulent pas se repentir. En effet, dans la luxure ils prennent les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée (1 Co 6, 15) ; par orgueil, ou envie, ou encore par haine des frères, il admettent le crime d’homicide ; ils repoussent témérairement les statuts de l’ordre monastique ou les traditions des saints Pères, ce dont l’Écriture a horreur comme d’un péché de sorcellerie ou d’un crime d’idolâtrie (1 Sm 15, 23). À moins de commencer par faire pénitence et de se purifier en communiant aux sacrements vivifiants, on devient membre de l’antique Ennemi. Tel est celui qui, outrageant l’esprit de la grâce, se voit convaincu à l’exemple de Judas de livrer le Christ non pas aux Juifs étrangers à la foi, mais à leurs membres pécheurs. Or ils nous entendent dire cela, ceux qui peut-être se montrent tels, et ils s’en attristent.
a
Référence non identifiée.
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La responsabilité du pasteur Quant à nous, s’il nous était permis, nous ne voudrions pas prononcer de telles paroles ; bien plus, si le danger n’était pas menaçant, nous préférerions garder le silence. Mais nous sommes terrifiés par le passage de l’Évangile où la Sagesse elle-même menace, lors du jugement, de parler ainsi : Serviteur mauvais et paresseux (Mt 25, 26), toi tu donnerais, et moi j’exigerais ! Il terrifie en outre par le prophète, en la personne duquel il rassemble tous les docteurs, disant : Fils d’homme, je t’ai fait guetteur sur la maison d’Israël. Si je dis au pécheur : Tu mourras, et que toi, tu te tais, lui mourra dans son péché à juste titre, mais c’est à toi que je demanderai compte de son sang (Éz 3, 17). Par ces motsa il fait remarquer à quel point sont liés étroitement les péchés des subordonnés et ceux des responsables. Car le subordonné meurt par sa faute ainsi que le mérite sa perversité, comme s’il n’était pas digne que s’adresse à lui la parole du veilleur, et d’autre part, en raison de son silence, celui qui préside est considéré comme coupable de cette mort. Pensez donc, frères très chers, pensez que, si nous ne sommes pas de dignes pasteurs, c’est aussi par votre faute, puisque nous sommes responsables de vous. Quand vous vous laissez couler dans l’iniquité, bien que nous en soyons responsables, vous n’avez personne pour s’opposer à vous et protester contre vos désirs dépravés. Par conséquent c’est vous-mêmes que vous ménagez, et nous aussi, si vous mettez fin à votre conduite mauvaise. Et de même c’est nous-mêmes que nous ménageons, et vous aussi, si nous ne taisons pas ce qui nous déplaît. Ainsi, dis-je, il convient à votre amour d’obéir à ce que nous vous disons, tout comme il s’impose à nous de ne pas nous taire. Car si nous craignons de vous offenser par notre silence, combien davantage devons-nous redouter l’offense de votre mépris. Et si le péril est grand pour nous de ne pas blâmer les péchés d’autrui, combien s’avère plus risqué pour autrui de ne pas vouloir corriger les siens propres.
D’ici aux premières lignes du paragraphe 3, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, I, 2, 9. a
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Une description du mauvais moine 3. Voilà pourquoi, très chers, comme nous y exhorte quelque part le bienheureux Apôtre : Examinons notre vocation (1 Co 1, 26). De fait, il ne suffit pas que nous ayons choisi le présent lieu, si nous nous présentons ici tels que nous avons pu être dans le monde. Davantage, soyons-en bien certains : à moins de couper court chaque jour à nos tendances vicieuses, prenons garde de ne pas devenir beaucoup plus mauvais que nous ne l’étions quand nous vivions dans le monde – si bien que l’état final serait pire que le premier (Mt 12, 45). Voici que nous avons été appelés à la maîtrise et à la discrétion de la parole, or par le bavardage et l’incontinence de la langue nous dissipons la discipline de l’ordre monastique dans son ensemble et dans ce qu’elle présente de principal. Nous sommes venus n’ayant rien, et sans nous contenter de ce que la vie commune prescrit de mettre à notre disposition ou de ce que le discernement du supérieur concède à la nécessité, par de petites choses que nous possédons en privé et en cachette, hors de l’ordinaire, nous annihilons l’appellation même donnée à notre vie. Nous sommes appelés à la soumission et nous contredisons ceux qui nous commandent. Nous sommes arrivés modestes et paisibles, et nous voici devenus de vraies bêtes sauvages. Si l’on descend d’une famille riche on s’avance avec arrogance ; et si l’on émane d’une famille sans moyens, on fuit le travail et on réclame du repos. Était-on un ouvrier, aussitôt on s’efforce de garder des doigts tendres et délicats. Qui donc, sain d’esprit, ne déplorerait une telle conduite ? Nous avions renoncé au monde, et nous voici à apprécier ce qui est de la terre (Ph 3, 19). C’est à peine si l’on trouve quelqu’un qui, pour Dieu, brise quelquefois sa volonté propre et s’abaisse lui-même en raison de la vie éternelle. Rare est le frère doux et humble, extrêmement rare le frère en paix et fermement stable. Il n’est plus personne qui, à l’imitation du Christ, endure patiemment l’injure, personne qui supporte les mauvais propos. Ils sont tous à contredire, tous à se fâcher rouge, tous à s’enfermer dans la paresse, tous prompts à l’amertume, tous avides de vaine gloire, tous vains et gonflés d’orgueil, tous à s’aimer eux-mêmes.
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Sermon 89
Celui que la perversitéa entraîne de cette manière, celui que la fureur poursuit par les flammes de la colère, celui que l’orgueil dépouille de toute grâce de Dieu, celui que sa langue souille de mensonge et de médisance : celui-là, que fait-il sinon se tromper et se duper lui-même, s’il croit pouvoir être sans autre vertu que le nom de moine, l’habit et son lieu de vie ? et s’il pense que tout au moins ses jeûnes et ses veilles vont le sanctifier ?
Prendre au sérieux la venue du Juge
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4. Par conséquent, très chers, exerçons notre corps à jeûner de manière à purifier notre esprit de ses vices. Ne cessons pas de penser à la venue du Juge : puisse-t-il nous trouver prêts, puisque nul ne peut douter qu’il viendra. Si tu demandes : comment va-t-il venir ? – Ce sera dans ce corps qu’il a assumé pour notre salut, ce corps condamné pour notre absolution, ce corps percé de la lance et des clous pour la guérison de nos blessures. La première sentence s’avérera intolérable : à savoir la présence de ses vénérables cicatrices. Que ferons-nous en ce temps-là, lorsque les flétrissures de nos péchés et les taches de nos débauches seront placées en face des plaies du Seigneur crucifié ? De quel œil, penses-tu, notre rédemption envisagera-t-elle notre perdition ? D’autant plus graves apparaîtront les fautes des hommes que plus grands se montrent les bienfaits de Dieu. Il est à craindre que, lors du jugement, se fasse entendre, à l’égard des instruments d’iniquité (Rm 6, 13), cette parole de la résurrection attestant des traces de la précieuse croix : Mets ton doigt ici et vois mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté (Jn 20, 27). Reconnais alors ce que pour toi – bien plutôt : de ta part, impiété humaine – j’ai enduré : ce sont les traces des clous, salutaires pour les bons, terribles pour les méchants ; jusqu’au jour du jugement elles ne s’effacent pas. D’ici jusque vers la fin du paragraphe 4, cf. Eusebius Gallicanus (dont le nom couvre un ensemble de sermons probablement du 7me siècle), Homelia 39, 1–2 ; 42, 6. a
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Sermon 89
Évocation de la perdition Et après cela quelle suite, sinon cet intervalle séparant les vivants et les morts, les justes et les injustes, ce long espacement d’une effrayante obscurité et d’une infinie profondeur : l’exclusion hors de la nature des vivants, les ténèbres extérieures, la dure séparation loin du doux regard des saints et de la communion des bienheureux. Au contraire le triste rassemblement des misérables, parmi les larmes, les gémissements et les plaintes des gens en deuil, et, devant la Patrie bienheureuse, l’exil de la nuit la plus noire. Qu’il sera sinistre pour les humains de voir Dieu et de le perdre, et de périr sous le regard du Créateur !
Se mobiliser en vue de la fin Ainsi, frères très chers, tant qu’il est temps (Ga 6, 10), rappelons-nous les bienfaits de notre Rédempteur, de manière à mettre sans relâche tous nos efforts, avec le secours de Dieu, pour que ce que nous aura donné le Juge, il le retrouve intégralement lorsqu’il jugera. Car notre espérance repose dans un heureux accomplissement : c’est sur la qualité de sa fin que chacun doit être jugé. Dès lors, autant que possible, montrons-nous stables dans le lieu de notre profession monastique. Quelle qu’ait été sa négligence, quelle qu’ait été sa tiédeur, il n’aura pas couru en vain, celui qui, en persévérant, sera parvenu à la palme de l’accomplissement. Et il ne se verra pas privé de la couronne céleste, celui que le jour de sa mort aura trouvé dans la communion de ceux qui combattent légitimement (2 Tm 2, 5), avec le secours de Celui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 90 SERMON POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR
La naissance du Christ annoncée d’avance 1. Un enfant nous est né, le Fils nous a été donné… (Is 9, 6). Le mystère de la rédemption des humains, le Fils de Dieu, qui l’accomplira, a voulu que le précèdent une quantité de prophéties concernant l’incarnation, dans des paroles non moins que dans des actes des pères anciens. Quant à sa naissance, que nous célébrons aujourd’hui, il a pris soin de la révéler par certains signes, tels que l’œuvre et le mode de cette libération apparaîtraient avec une plus grande évidence, et que l’immensité de la bonté de Dieu à notre égard brillerait d’une lumière plus claire. Annonçant l’enfantement par la Vierge, le psalmiste dit : La vérité est sortie de la terre (Ps 84, 12). Et Isaïe prie et prophétise en ces termes : Envoie, Seigneur, l’agneau en dominateur de la terre à partir de la pierre du désert (Is 16, 1 vg). Et ailleurs il résume tout le mystère de cette nativité en ces quelques mots : Ciel, répands ta rosée, et que d’en haut les nuées fassent tomber la pluie, c’est-à-dire : Que la terre s’entrouvre et fasse germer le Sauveur, et qu’en même temps surgisse dans les cieux la justice (Is 45, 8). Ainsi sont symbolisés par les cieux les anges, par les nuées les prophètes, par la terre la Vierge – cette terre dont Moïse, au commencement de la Genèse, rappelle la dignité et l’intégrité, disant : Il n’y avait pas d’hommes
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pour travailler la terre, mais une source montait de la terre et en irriguait toute la surface (Gn 2, 5s). De fait nul n’a travaillé dans la Vierge, de qui est né le Christ. C’est l’Esprit Saint, signifié dans l’Évangile par les termes de source et d’eau, qui l’a irriguée pour qu’elle puisse concevoir et mettre au monde le Sauveur de tous les croyants. Les cieux ayant répandu leur rosée, les nuées ont fait pleuvoir le Juste. Car, sans les saints anges pour s’interposer et le révéler, les hommes saints n’auraient pu annoncer d’avance et prédire ce secret à rendre public : l’incarnation du Seigneur. 2. La terre s’est entrouverte, autrement dit la conscience de la Vierge s’est ouverte à la foi et à l’obéissance, au point de croire possible pour Dieu l’engendrement virginal prédit par les prophètes, et d’admettre avec vénération que cet engendrement annoncé par l’ange devait se réaliser en elle. Voilà comment la terre, en s’ouvrant, a fait germer le Sauveur, et qu’en même temps a surgi la justice, à savoir Jésus Christ qui a été fait pour nous par Dieu son Père justice, sanctification et rédemption (1 Co 1, 30). C’est à bon droit que ce que nous avons emprunté à divers passages, le psalmiste le résume, faisant comprendre que l’Auteur du salut a agi en raison de la vérité, de la mansuétude, de la justice (Ps 44, 5). Isaïe, pour sa part, a introduit le thème de l’agneau en raison de cette mansuétude.
La juste victoire sur le diable Ainsi donc le Christ a opéré notre salut en ces trois réalités : la vérité, la mansuétude, la justice. Car par la vérité il s’est attaché à Dieu, par la mansuétude il s’est adapté à l’homme jusqu’à endurer la passion et la mort, et par la justice il a achevé l’une et l’autre de ces adaptations : celle de l’homme à Dieu, celle de Dieu à l’homme, en accord avec la raison. Il a donc assumé la mortalité pour faire l’expérience de notre faiblesse et y compatir. Il a réservé la vérité pour le Père afin de se complaire en lui avec plus de bonheur et de révéler plus pleinement le mystère de la rédemption.
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Il se serait présentéa un autre mode possible pour Dieu de réaliser notre rédemption, mais aucun ne se serait mieux accordé à notre misère. C’est ainsi que l’homme, qui s’était écroulé par son orgueil, resurgirait par l’humilité. C’est ainsi aussi que celui qui, par la ruse et la tromperie, s’était soumis l’homme, serait vaincu grâce à un homme par la sagesse et la justice. De même qu’un homme a perdu l’homme, de même un homme le libérerait de la main du diable. Car si ce n’était pas un homme qui avait vaincu le diable, ce ne serait pas avec justice mais avec violence que l’homme serait enlevé, puisqu’il s’était soumis à lui de son plein gré. Mais si un homme triomphe de lui, le diable, comme de juste, perd l’homme, et pour que l’homme en triomphe il est nécessaire que Dieu soit en lui afin que cet homme ne puisse pécher. Si, en effet, l’homme existait par lui-même, ou dans cet homme un ange, il pécherait facilement puisqu’il est évident que ces deux natures, par elles-mêmes, sont tombées. Voilà pourquoi le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois (1 Tm 6, 15), qui a pour nom le Tout Puissant (Ex 15, 3 vg), n’a même pas dédaigné de s’associer à la faiblesse humaine. Dans le grand conseil et la sagesse de Dieu, il a assumé une chair, de sorte que Celui qui était Fils dans la déité de Dieu deviendrait lui-même dans l’homme Fils de l’homme. Il est né selon la vérité de la nature humaine Fils de l’homme, et selon la vérité de la nature divine Fils de Dieu. Dieu a donc engendré, et la Vierge a mis au monde non pas deux, mais le même et unique Fils, à propos de qui nous chantons : Un enfant nous est né, le Fils nous a été donné.
Enfant dans la pureté
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3. Il est grand et très élevé, cet enfant dont la naissance s’avère ineffable, il est grand et élevé entre des milliers, lui dont le Père a dit : Voici mon enfant que j’ai choisi (Mt 12, 18). Cet enfant, pauvre il est vrai, a beaucoup d’enfants qui lui obéissent, en raison desquels lui-même s’est fait enfant et pauvre. Alors qu’il était riche a
D’ici aux premières lignes du paragraphe 4, cf. Pierre Lombard, Sermo, 3.
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auprès du Père, par qui tout a été créé, il s’est fait pour nous enfant pauvre afin qu’en assumant notre pauvreté il nous fasse part de ses richesses (2 Co 8, 9). En s’appauvrissant il a enrichi ses membres des dons célestes. De même donc qu’il s’est fait humble pour nous exalter, il s’est fait pauvre pour nous donner, à nous les pauvres en esprit (Mt 5, 3), le Royaume des cieux ; et il s’est fait enfant pour nous rendre pursa. Il est dit en effet enfant en raison de sa pureté, et lui qui est pur est nommé à bon droit enfant. Il est une pureté de la pensée, une pureté de la parole, une pureté de l’action. Dans le cœur la simplicité, dans la bouche la vérité, dans l’action la sincérité, de sorte que ce que nous méditons soit saint, ce que nous disons soit vrai, et que soit juste ce que nous faisons ; c’est alors que nous devenons vraiment enfants, autrement dit purs véritablement. C’est en raison des enfants de ce type, et pour les libérer de la main du Corrupteur, que le Fils de Dieu s’est fait enfant, participant de l’âme et du corps, et en même temps qu’eux, à la peine, mais non à la faute. De là vient aussi que les prémices des enfants innocents ont été dédiés au Seigneur (Mt 2, 16) ; ils l’ont confessé non en parole mais par leur mort, pour que s’efforcent de se conformer à eux dans la pureté de leur vie tous ceux qui veulent s’offrir à Dieu en un sacrifice qui lui plaise. Souvent, à vrai dire, chez les prophètes le Christ est appelé enfant à cause de ce privilège unique qu’est sa pureté, lui qui n’a pas commis le péché, et il ne s’est pas trouvé de ruse dans sa bouche (1 P 2, 22).
Humilité du Christ, orgueil du diable 4. Par conséquent ceux qui veulent être ses disciples doivent devenir des enfants, car le Seigneur, prenant un enfant, se tint au milieu des disciples, disant : Qui ne s’humiliera pas comme cet enfant n’entrera pas dans le Royaume des cieux (Mt 18, 3). Par ces mots que nous est-il recommandé, sinon de choisir l’humilité et en elle de placer le mérite de la grandeur ? Rien d’étonnant à cela : tout
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Jeu de mots : puer « l’enfant » et purus « pur ».
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le biena qu’on peut posséder, si l’on n’a pas posé pour fondement la véritable humilité, ne peut demeurer stable. D’autre fondement, nul ne peut en poser – dit l’Apôtre – sinon celui qui a été posé : Jésus Christ (1 Co 3, 11). Deux édifices, deux cités sont en construction depuis le commencement du monde : le Christ édifie l’une, le diable l’autre. L’une, c’est l’humble qui l’édifie, l’autre l’orgueilleux. L’un s’abaisse en vue de surgir fermement, l’autre s’élève et, en conséquence, tombe pour son malheur. Dans le chantier du Christ, ceux qui construisent s’élèvent du bas vers le haut ; dans le chantier du diable ils sont précipités du haut vers le bas. Que chacun, frères très chers, veille attentivement sur sa conscience. Si en lui l’orgueil paraît l’emporter, c’est qu’il se construit pour son malheur dans la cité du diable – bien plus : qu’il ne doute pas d’y être précipité à terre. Mais si en lui règne la véritable humilité, il se construit ensemble avec le Christ et se réjouit de s’attacher à lui. Il n’est rien qui différencie les fils de Dieu et les fils du diable, sinon l’humilité et l’orgueil. Qui que tu vois plein d’orgueil, ne doute pas qu’il est fils du diable. Qui que tu remarques plein d’humilité, tu affirmeras en toute assurance qu’il est fils de Dieu. Pour reconnaître que cela est vrai, écoutons l’Écriture : Le commencement de l’apostasie qui éloigne de Dieu, c’est l’orgueil (Si 10, 14). Ce que le diable rejette par orgueil, le Christ le relève par l’humilité, car il a proposé à la blessure de l’orgueil le médicament de l’humilité. Si donc nous voulons éviter ce poison qu’est l’orgueil nous devons constamment puiser l’antidote de l’humilité dans le Seigneur lui-même, qui l’offre à boire. Car de sa plénitude nous avons tous reçu (Jn 1, 16), et il nous l’a particulièrement recommandée : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29).
L’humilité du cœur 5. C’est donc l’humilité, frères très chers, qu’avant tout nous avons à garder ; non pas celle qui se montre quelquefois au deD’ici aux premières lignes du paragraphe 5, cf. Césaire d’Arles, Sermo, 233, 2–4. a
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hors seulement, mais celle qui se garde dans la conscience. Il en est qui, lorsque tout va bien, ont l’habitude de manifester une humilité dans leur parole et dans leur cœur. Mais qu’ils rencontrent le désagrément d’une réprimande ou d’un châtiment, l’orgueil alors, qui se tenait caché dans leur cœur, éclate hors de leur bouche en une parole débridée, une fureur tyrannique, avec arrogance. Pourquoi cela, frères ? Parce que manque à cet homme le fondement de la vraie humilité : l’humilité qu’il laissait espérer extérieurement, il ne l’avait pas dans le cœur. Tel n’est pas le cas de l’enfant qui aujourd’hui nous est né, du Fils qui nous a été donné – à nous pour notre salut, à nous pour que nous l’imitions. Non, tel n’est absolument pas le cas de lui : Insulté, il ne rendait pas l’insulte, souffrant, il ne menaçait pas mais s’en remettait au juste Juge (1 P 2, 2s).
Le sage enfant et le vieux roi insensé C’est de luia que l’Ecclésiaste parle en ces termes : Mieux vaut un enfant sage qu’un vieux roi insensé qui ne sait pas prévoir l’avenir. Car tel sort de prison et des chaînes pour régner, et tel autre est né roi, qui finit dans une totale misère (Qo 4, 13s. vg). Qui donc est ce roi vieux et insensé ? – Celui dont parle le sage enfant en ces termes : Il vient le Prince de ce monde, sur moi il n’a aucun pouvoir (Jn 14, 30). « Prince de ce monde » non parce qu’il serait seigneur du monde créé et son créateur, mais parce qu’il est le prince et le chef de ceux qui aiment les réalités de ce monde. Le voilà ce roi vieux et insensé : roi établi dans le Royaume, c’est-àdire dans les cieux enflammés et créés pour être bientôt remplis d’anges. Parmi ceux-ci il était Lucifer – Porteur de lumière – et les dominait tous. Vieux parce que, comme Job en témoigne, il est le prince des voies de Dieu, créé parmi les toutes premières œuvres de Dieu (Jb 40, 14). Et insensé parce qu’il n’a pas prévu son avenir.
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D’ici à la fin du sermon, cf. Pierre Lombard, Sermo, 3.
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La juste condamnation du diable C’est donca sur ce prince de ce monde que nous sommes tombés, lui qui séduisit Adam et en fit son serviteur. Il se mit à nous posséder comme ses esclaves, mais le Rédempteur est venu et il a vaincu ce séducteur. Or qu’a fait le Rédempteur à celui qui nous tenait prisonniers ? Il a tendu pour lui le piège qu’est sa croix, où il a disposé l’appât de son sang. Car l’insensé a répandu le sang de l’innocent, et il a reçu l’ordre de se retirer de ceux à qui il nuisait. C’est qu’il a porté la main sur Celui sur qui il n’avait aucun droit. Aussi a-t-il perdu en toute justice ceux sur qui il paraissait avoir un droit. Effectivement il ne nous tenait que par les liens de nos péchés : telles étaient les chaînes qui nous tenaient captifs. Mais l’enfant pauvre et sage est venu et il a enchaîné le Fort dans les liens de sa passion. Il a pénétré dans sa maison, c’est-à-dire dans les cœurs où celui-là habitait. Il a arraché les récipients que ce Fort avait remplis d’amertume (Mc 3, 27). L’enfant les lui a pris et, en les faisant siens, il les a vidés de leur amertume et les a remplis de sa douceur. Sage est donc l’enfant qui nous est né, et vraiment bon, lui dont la bonté est sans mesure – et bien meilleur que le roi vieux et insensé qui n’a pas su prévoir l’avenir : cellui-ci, au lieu de se contenter de son bien, s’est permis d’usurper le bien d’un autre et s’est vu dépouiller de son propre bien. Né pour régner, il a été, en raison de son orgueil, précipité dans un profond abîme et finalement privé misérablement du bonheur éternel. Au contraire l’enfant pauvre et sage est hissé hors des chaînes de la prison jusqu’au repos éternel et au règne.
Le but de l’incarnation 6. Il a été fait injustement prisonnier et fut enchaîné par les Juifs. Mais tout cela, en le supportant patiemment selon la volonté du Père, il l’a cloué à la croix (Col 2, 14) ; et en vertu de cette a
Pour cet alinéa, cf. Augustin, Sermones, 130, 2.
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obéissance il a reçu le règne et le nom qui est au dessus de tout nom (Ph 2, 9). Dans la souffrance il est apparu comme faible, mais par la résurrection il s’est révélé Dieu. Jubilons donc et psalmodions avec sagesse puisque que tel est l’enfant qui nous est né et à propos duquel l’ange adresse aux bergers ces paroles : Voici que je vous annonce une grande joie qui sera pour tout le peuple : Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur, dans la cité de David (Lc 2, 10s) – c’est-à-dire Bethléem, qui se traduit par « maison du pain »a, car c’est là qu’est né le pain descendu du ciel, qui donne la vie au monde (Jn 6, 59). Là il a reposé dans la crèche, où paissaient le bœuf et l’âne, car s’il a daigné naître, c’est pour réconcilier avec Dieu les deux peuples (Ép 2, 14)b et les restaurer du pain du ciel.
Jubiler et psalmodier Jubilons en connaissance de cause et psalmodions avec sagesse, car heureux le peuple qui connaît l’acclamation (Ps 88, 16), autrement dit qui comprend le pourquoi et le comment de la jubilation et de la psalmodie. La jubilation est une joie qui ne peut s’exprimer par des mots et pourtant ne peut se retenir de se manifester par des éclats de voix. La psalmodie, elle, consiste à bien agir. Jubilons donc en esprit et psalmodions en actes, préparant ainsi à notre Roi la demeure de nos cœurs en lui offrant l’intégrité de nos actes. Ainsi, que ce même Seigneur, notre Sauveur, qui a pris sur lui la nature de notre faiblesse, nous conduise à partager son éternité, lui le Fils unique de Dieu, qui vit et règne pour les siècles des siècles.
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Grégoire le Grand, Homeliae in Euangelia, I, 8, 1. Israël et les nations.
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SERMON 91 POUR LA PURIFICATION DE SAINTE MARIE
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Annoncé, le Christ entre dans son temple 1. Voici que j’envoie mon ange, il préparera le chemin devant ma face, et soudain entrera dans son temple le Seigneur que vous cherchez, l’Ange de l’alliance que vous désirez (Ml 3, 1). Enseignés par l’inspiration divine, les saints prophètesa nous ont annoncé d’avance le Christ qui s’est fait pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption (1 Co 1, 30). Ils nous ont aussi révélé, parmi d’autres mystères, celui de la fête d’aujourd’hui, à savoir la présentation du Seigneur au temple non comme une énigme, mais attestée clairement et avec évidence. C’est bien le cas chez Malachie, par qui Dieu, le Père des lumières et la lumière lui-même, parle ainsi du Verbe et du précurseur, du Christ et de Jean Baptiste : Voici que j’envoie mon ange devant ma face…(Ml, 3,1). La face du Père c’est le Fils, car celui-ci est l’image du Père (2 Co 4, 4), qui dit de lui-même : Qui me voit voit aussi mon Père (Jn 14, 9). Au devant de cette face, c’est-à-dire de la manifestation du Fils, Dieu a envoyé son ange pour préparer le chemin de sa face, et Jean Baptiste est cet ange, non par nature, mais en raison de la dignité de sa mission. De fait l’ange, en grec, signifie en latin l’ « envoyé ». Il est donc heureux de dire que Jean-Baptiste est un ange, lui qui n’a a
D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Pierre Lombard, Sermo, 8.
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pas seulement annoncé la venue du Christ, mais qui l’a désigné dans sa présence : Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29). Aussi s’impose-t-il d’ajouter : Et soudain entrera dans son temple le Seigneur, que vous cherchez. C’est d’un petit intervalle de temps que le messager précède le Seigneur et Créateur de toutes choses, le Sauveur et le Désiré des nations (Ag 2, 8 vg). Celui-ci a voulu aujourd’hui être offert dans le temple juif avec les offrandes légales, non par besoin pour lui ou sa mère, mais pour notre utilité, car ni le Fils ni la mère n’avaient besoin d’être purifiés par des offrandes. De même il est venu au baptême de Jean non pour en recevoir quelque chose mais pour nous conférer quelque chose. En étant présenté avec les offrandes, il donne forme à notre vie par un exemple nécessaire en nous proposant cet exemple d’humilité en même temps que de pauvreté, il a voulu qu’on offre pour lui un sacrifice non pas de riches mais de pauvres : une paire de tourterelles, deux petites colombes, en lesquelles nous sommes figurés. À vrai dire, le Fils du Roi est riche, lui Dieu auprès de Dieu son Père, par qui tout a été créé. Or il est né de parents pauvres, en une humble étable, emmaillotté de langes et placé dans une vulgaire crèche ; il n’eut pas de lieu où reposer la tête (Lc 9, 58), connut de multiples opprobres et insultes et fut mis à mort en un lieu réputé pour sa honte. C’est ainsi qu’en tout il nous fournit l’exemple de la pauvreté, de l’humilité, du mépris du monde. Pour lui donc on offrit à dessein un oiseau – une tourterelle et une colombe – pour nous faire savoir l’aspect et la forme que devrait avoir notre comportement. De fait, la tourterelle, après la mort de son conjoint, n’en recherche plus d’autre, et la colombe symbolise la simplicité, car chaste et simple doit être la conduite des justes pour offrir à Dieu un sacrifice qui lui agrée.
La tourterelle et la colombe, symboles du Christ 2. Lui, en effet, offre une colombe, car il se garde sans péché pour ne nuire ni à soi ni aux autres ; et il offre une tourterelle car il ne se soucie pas de la chair pour en satisfaire les convoitises (Rm
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13, 14). Or ces deux oiseaux ont pour chant un gémissement ; à bon droit, ils représentent l’un et l’autre la profonde repentance dans les larmes. Il y a deux genres de repentance, soit qu’au souvenir du mal commis nous nous lamentions par crainte des supplices, soit que, brûlant des désirs du ciel, nous répandions les douces larmes de l’amour d’en haut. De même il est commandé d’offrir deux petites colombes (Lv 12, 8), l’une en holocauste quand l’amour s’enflamme, l’autre pour le péché, lorsque nous gémissons eu égard au mal perpétré. Ce n’est donc pas sans raison, ce n’est pas sans la raison d’un mystère très illustre que notre Rédempteur a reçu en lui ces symbolesa ; il s’est soumis à la loi (Ga 4, 4) afin d’établir la loi de la vie en nous libérant de la loi de la mort.
L’accueillir en nous
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Et tout comme il est présenté aujourd’hui dans le temple fait de main d’homme, ainsi l’est-il chaque jour au temple spirituel, dont l’Apôtre affirme : Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous (1 Co 3, 17). Il est venu apportant et augmentant la grâce pour ses fidèles, auxquels il dit : Voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde (Mt 28, 20). Et ailleurs : Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom je suis au milieu d’eux (Mt 18, 20). Purifions donc le temple de notre esprit et recevons le Seigneur qui vient, lui cet enfant que Syméon a béni en l’accueillant comme Seigneur dans ses bras (Lc 2, 28). Et nous, de la table de l’autel, recevons le dignement (cf. 1 Co 11, 27).
À l’offrande du Christ que réponde la nôtre 3. Devenu alors pauvre en notre faveur, il a choisi d’être offert en sacrifice de pauvres ; maintenant, siégeant à la droite de la Majesté dans les hauteurs (Hé 1, 3), il est riche pour tous ceux qui a
sacramenta.
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l’invoquent (Rm 10, 12), et à partir de ses dons il attend de nous le service d’une offrande totale. En effet, lorsqu’on offrait les enfants dans le temple, on avait l’habitude de présenter pour la purification un agneau, des tourterelle et des colombes (Lv 12, 6). Nous par conséquent, lorsque l’enfant est apporté au temple de notre cœur et de notre esprit, offrons avec empressement à la place de l’agneau l’innocence, à la place de la tourterelle la chasteté, à la place de la colombe la simplicité. Tels sont les sacrifices agréés et gratuits (2 Sm 24, 24), tels sont les holocaustes que Dieu accepte en odeur de suavité (Ép 5, 2). Et Salomon de dire : N’offre pas des dons corrompus, le Très Haut ne les recevra pas (Si 35, 14). Ceux-ci ne nous concilient pas la grâce, ils provoquent la colère.
Le risque de la simulation hypocrite Comme, par exemplea, si l’on offre le porc d’impureté à la place de l’agneau d’innocence, ou le merle de la jouissance à la place de la tourterelle de la chasteté, ou encore l’autruche de la simulation à la place de la colombe de la simplicité. Que signifie en effet le porc se roulant dans le bourbier (2 P 2, 22), sinon le pécheur s’en retournant à l’impureté du péché ? Ou le merle voletant, sinon la jouissance qui tente par le moyen de la suggestion ? Ou encore l’autruche dans le désert, sinon une conversion simulée ? Hélas, que de fois le merle de la tentation vient à nous, et c’est bien tard que nous accourons vers les ronces et les orties de la correction. Or, lorsqu’au dire du bienheureux Grégoire, la tentation enflamma le bienheureux Benoît, lui, voyant tout à côté les ronces et les orties touffues, nu, il se jeta dans les pointes des épines et le feu des orties, et par les blessures de sa peau il vint à bout de la blessure de son esprit, il tira la jouissance vers la douleurb. Tel peut accéder à l’autel, qui, lorsqu’il rencontre le merle de la tentation et de la jouissance, accourt, humble, vers l’âpreté D’ici à la la fin du deuxième alinéa du paragraphe 4, cf. Hugues de Fouilloy, De claustro animae, II, 23. b Cf. Grégoire le Grand, Dialogorum liber II, 2, 15. a
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de la correction. Quant à nous, comment osons-nous approcher de l’autel alors que nous portons les plumes de l’autruche dans notre habit religieux, mais, en goûtant les réalités terrestres, restons plantés sur la terre ? Ce qui fait dire au bienheureux Job : L’aile de l’autruche est semblable à celle du héron et du faucon (Jb 39, 13 vg) ; il évoque ainsi quelqu’un qui simule par son habit la vie de quelque père ancien, comme l’autruche laisse croire qu’elle vole, alors que ses pattes ne quittent pas la terre, autrement dit son désir adhère aux réalités terrestres. Et la Vérité elle-même de dire : Ceux-là viennent à vous déguisés en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces (Mt 7, 15). Ainsi, bien que pervers dans leur action, souillés de bouche, impurs de cœur, ils ne redoutent pas de s’avancer pour consacrer ou recevoir le corps du Christ. Nous avançons orgueilleux vers l’humble, irrités vers le doux, cruels vers le miséricordieux, et pourtant l’humble supporte les orgueilleux, le doux les irrités, le miséricordieux les cruels.
La mauvaise et la bonne approche du corps du Seigneur 4. Nous approchons du Seigneur en esclaves, non par amour mais par peur, non par empressement fervent mais par habitude. Nous approchons du Seigneur dont nous avons frappé le serviteur, nous approchons du Père dont nous avons tué le Fils. Nous avons frappé par une parole outrageante, nous avons tué par l’exemple de la perversité, sans redouter le Seigneur ni révérer le Père. Nous demeurons dans la foule des frères, troublant les uns, troublés par d’autres, et pourtant nous approchons du Pacifique. De tels hommes approchent du Christ jusqu’au baiser de paix, alors qu’ils auraient dû d’abord se réconcilier, avant d’approcher du frère qu’ils ont troublé (Mt 5, 24). Quel abus peut s’avérer plus grand et plus grave dans le monastère ou même dans le monde, que d’approcher du sacrifice du corps du Seigneur non seulement sans vénération ni empressement, mais avec colère et dans la contestation ? On dénombre trois genres de sacrifices : le premier, celui du corps du Seigneur ; le deuxième, celui du cœur contrit ; le troi-
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sième, celui de la chair mortifiée. Il faut donc que précède le sacrifice de l’humilité dans l’esprit et de l’affliction dans la chair pour qu’on se montre empressé envers le sacrifice du corps du Seigneur et la communion à ce corps.
Se convertir totalement Nous avons parlé ainsia à votre Charité, frères, pour accomplir notre charge de sollicitude à votre égard, mais puisse ne pas se réaliser parmi nous ce dont, par le prophète Amos, le Seigneur se dit avoir été irrité : J’ai fait pleuvoir sur une ville et non sur une autre. L’une d’entre elles a reçu la pluie, l’autre non, et elle s’est desséchée (Am 4, 7). Lorsqu’un esprit reçoit une sainte exhortation et qu’un autre refuse de l’entendre, le Seigneur fait pleuvoir sur une ville et non sur l’autre. Et lorsqu’on écoute ses prochains et qu’on se corrige d’une partie de ses fautes, en refusant de s’amender de l’autre partie, la même et unique ville reçoit la pluie en partie, et en partie demeure aride : celle qui repousse la pluie de la prédication. Nous en voyons souvent qui, à l’écoute de la parole, surmontent déjà en eux l’impureté de la chair et gardent la chasteté du corps, mais sans pour autant incliner leur âme, comme ils le doivent, vers leurs prochains ; au contraire, il s’élèvent en pensée par la dureté de l’orgueil. En eux une partie a reçu la pluie, car elle porte du fruit, et l’autre partie, qui ne l’a pas reçue, se dessèche ; n’ayant pas reçu pleinement la parole d’exhortation, elle demeure stérile quant aux bonnes œuvres.
La fausse et la vraie conversion 5. Nous en voyons aussi souvent qui semblent profondément repentis depuis leur conversion ; or ils ont changé d’habit, mais non d’âme, en sorte qu’ils ont reçu l’habit monastique, mais sans D’ici aux trois-quarts du paragraphe 5, cf. Grégoire le Grand, Homeliae in Hiezechihelem, I, 10, 8–11 ; I, 10, 23. a
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piétiner les vices du passé : ils s’agitent affreusement et âprement sous les stimulants de la colère ; ils bouillonnent, blessés par la douleur que cause la perversité du prochain, ils s’enorgueillissent de certaines bonnes œuvres qu’ils étalent devant les yeux des hommes, et ils mettent la confiance de leur sainteté extérieurement et exclusivement dans l’habit qu’ils ont reçu. Or il n’y a pas grand mérite pour nous à agir physiquement, mais c’est une grande chose de penser à ce qu’il faut faire en esprit : ne pas s’attacher au monde présent ni à ce qui passe, s’abaisser profondément en esprit devant Dieu et devant le prochain, conserver la patience face aux outrages dont on est l’objet, et dans cette patience repousser hors de son cœur la douleur qu’ils y suscitent, aimer l’ami en Dieu, et, à cause de Dieu, aimer ceux qui se présentent en ennemis, pleurer sur l’affliction du prochain et ne pas se réjouir du mal qui affecte l’ennemi. Telle est, issue de la pluie du ciel, c’est-à-dire de la parole de Dieu, la créature nouvelle que l’Apôtre et docteur des nations (2 Tm, 1, 11), d’un œil vigilant, réclame de ses disciples : S’il se trouve dans le Christ une créature nouvelle, pour elle les choses anciennes ont passé ; et voici, tout est devenu nouveau (2 Co 5, 17). À l’homme ancien il est dit : Ta terre fera germer pour toi épines et ronces (Gn 3, 18). Et par Isaïe le Seigneur menace celui qui fait partie du peuple d’Israël envisagé comme une vigne : À mes nuées je donnerai ordre de ne pas faire tomber sur elle la pluie (Is 5, 6). Car ce qui caractérise cet homme, c’est de rechercher le monde présent, de se hausser spirituellement dans l’orgueil, de manquer complètement de patience, d’entretenir en lui une ruse perverse à propos des blessures venues du prochain, de n’aimer personne d’une manière pure en raison de Dieu, de rendre inimitiés pour inimitiés, de se réjouir des afflictions du prochain. Tout cela, qui dépeint le vieil homme, nous le tirons assurément de la racine de la corruption. Au contraire, nous en voyons qui, de tout leur esprit, prêtent une écoute attentive à la parole sacrée. À partir des paroles du Seigneur, ils reconnaissent combien de fautes ils ont commises, ils se frappent la poitrine dans les larmes, affectés d’un chagrin continuel. Ils ne trouvent de plaisir dans aucun des avantages de ce
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monde, si bien que la vie présente leur est un fardeau, et la lumière elle-même un ennui. C’est à peine s’ils admettent de converser en commun, et ils relâchent difficilement pour leur âme la rigueur de la discipline. Pour l’amour du Créateur ils ne se réjouissent qu’avec affliction et en silence. Leur esprit a reçu de toutes parts la pluie du ciel ; irrigué d’en haut et d’en bas, il est fécond en germes de vertus, une fois arrachées les ronces de l’ancienne malédiction. À l’image de Celui qui est du ciel (1 Co 15, 47), on peut vraiment les dire transformés en la création nouvelle du nouvel homme (Ép 4, 24), car les choses anciennes ont passé, et voici, tout est devenu nouveau (2 Co 5, 17). Bien-aimés, ce véritable et éternel Seigneur, sous le nom de Sagesse, dit, par Salomon, trouver ses délices à vivre avec les enfants des hommes (Pr 8, 31). En conséquence il a été apporté aujourd’hui à l’intérieur du temple matériel, et par la qualité de l’oblation présentée pour lui, il nous montre ce dont nous avons surtout à nous délecter : la sobriété et la pureté. En vivant le contraire de tout cela, gardons-nousa de contrister en nous l’Esprit de Dieu. Selon l’Apôtre (Ép 4, 30), on peut le contrister lorsque, en tant qu’habitant le temple véritable, il se retire de nous en raison de l’odeur repoussante de notre conscience et de notre action. Mais ornons la chambre nuptiale de notre esprit par les courtines de pieuses pensées et les tentures d’une activité sainte, en brillant devant les hommes pour qu’ils glorifient le Père qui est au ciel (Mt 5, 16). Que dans la chambre de notre esprit, comme aussi dans la beauté de la maison et dans ce lieu d’habitation s’organise la demeure du Dieu de gloire. Et une fois terminées les peines de cette vie, qu’il nous accorde la demeure du repos perpétuel, lui, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs (1 Tm 6, 15), Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père pour les siècles des siècles.
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D’ici vers la fin du paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 8.
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SERMON 92 POUR LES RAMEAUX
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Exulter suffisamment 1. Exulte suffisammenta, fille de Jérusalem. Voici que ton Roi vient à toi, juste et Sauveur, pauvre et monté sur une ânesse et le petit d’une ânesse (Za 9, 9 vg). Les filles de Sion et de Jérusalem, c’est l’Église ; elle contemple par la foi et voit en espérance la paix qu’elle verra en réalité dans l’avenir. L’exultation et la jubilation lui sont notifiées en raison du mystère de cette solennité, selon lequel notre Sauveur, monté sur une ânesse, vient à Jérusalem ; il est accueilli avec une immense joie et beaucoup de reconnaissance par des foules. Ce n’est pasb une quelconque exultation que prédit le prophète, mais l’exultation des filles de l’Époux, extrêmement différente de celle des fils de ce monde. Ceux-ci se composent des chefs du peuple, des pharisiens et des scribes. De leur cupidité aveugle le Sagesse de Dieu s’irrite ; elle qualifie son précurseur de lampe qui brûle et qui luit, et elle dit d’eux qu’ils ont voulu se réjouir une heure à sa lumière (Jn 5, 35). Autrement dit ils n’ont recherché dans la prédication de Jean qu’une gloire de ce monde. Ils pensaient que ce dernier était le Christ (Lc 3, 15), et comme ils l’entendaient dire qu’un grand D’ici à la note suivante, cf. Pierre Lombard, Sermo, 16. D’ici à la note suivante, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Zachariam, IV. a
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roi viendrait, ils voulaient déjà voir sous un tel roi le royaume des Juifs, grand et capable de faire trembler tous les autres peuples, mais un royaume temporel et terrestre, car ils n’avaient pas la connaissance, et ce qu’ils désiraient ce n’était pas le royaume du Christ, le règne de Dieu, céleste et éternel. Ils ne voulaient exulter qu’une heure, mais exulter ainsi ce n’est pas exulter suffisamment, une pareille exultation ne suffit pas au vrai bonheur. Toi donc, fille de Sion, repousse la petite exultation de ce monde, exulte suffisamment, c’est-à-dire exulte de cette exultation que t’annonce l’aspect de ton Roi qui vient à toi, un Roi juste, le Roi ton Sauveur. Il est pauvre et monté sur une ânesse et le petit d’une ânesse. Oui, vraiment pauvre, autrement dit doux et humble, comme il le dit lui-même : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29). Vraiment pauvre puisque, en ce monde, sur toute la terre, il ne possède même pas, ni ne veut posséder, de quoi poser le pied (Ac 7, 5).
Son règne ne prend la place d’aucun autre 2. Mais il faut prêter attention au moment où ce pauvre a voulu se faire transporter par ce vil animal. C’est lorsque, à sa venue à Jérusalem, des foules allaient à sa rencontre en portant des rameaux et criant : Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur, lui le Roi d’Israël (Mt 21, 8s). Oui, à ce moment-là déjà il a voulu s’asseoir sur cet animal, attestant par là ce qu’il affirma plus tard : Mon Royaume n’est pas de ce monde (Jn 8, 36). Il répondait ainsi de manière satisfaisante à ceux qui lui tendaient des pièges et le calomniaient en prétendant qu’il se faisait roi au détriment de l’Empire romain (cf. Jn 19, 12). Voilà qui aurait pu les satisfaire s’ils n’avaient pas été des ennemis, le poursuivant d’une forte haine parce que, au lieu d’un grand cheval, ils le voyaient monter un petit âne, entouré non d’armes splendides mais de l’odeur suave des oliviers. Voilà qui le justifiait suffisamment : il entendait ne disputer à quiconque son règne terrestre.
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Que jubilea donc la fille de Sion et qu’exultent les esprits des fidèles puisque nous avons un tel Roi qui, au lieu de s’élever dans le faste, vient à nous ceinturé d’humilité, pauvre, et cependant sage. Il a usé davantage de la sagesse et de la justice que du pouvoir, il a vaincu le tyran et le pilleur des nations, il a libéré l’homme. Ainsi, par un esprit prophétique, au devant de ce triomphateur du diable et de la mort, de ce dispensateur de la vie, qui vient au lieu de sa passion, s’avancèrent des enfants, et même des nouveaux-nés encore à la mamelle, autrement dit des simples et des innocents, et ils chantèrent ces louanges dignes d’un empereur : Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur, lui, le Roi d’Israël.
Vivre symboliquement la procession 3. Aujourd’hui, la gloire de ce triomphe, l’Église la rappelle en célébrant une procession solennelle avec le signe et l’étendard de la croix. Et derrière cet étendard on a en main des rameaux verts et des fleurs avec des palmes, afin de représenter en figure ce que le Christ a accompli spirituellement en acte. Disposons donc de la verdeur d’une foi qui ne se fane pas, des fleurs des vertus qui brillent et du feuillage des bonnes œuvres. Ainsi, dans la simplicité et l’innocence semblables à celles d’enfants, faisons mémoire efficacement de la passion triomphale du Christ en suivant ses traces. Effectivement qui prétend demeurer dans le Christ doit lui-même marcher comme Celui-là a marché (1 Jn 2, 6).
Sortir du camp Quant à la manièreb dont il a marché, le récit de sa passion l’enseigne, où l’on peut lire : Portant sa croix, il sortit vers le lieu nommé Calvaire, où on le crucifia (Jn 19, 17). Cette sortie, l’Apôtre, rempli de l’intelligence du mystère, propose à partir de celui-ci l’image de a b
D’ici à la note suivante, cf. Pierre Lombard, Sermo, 16. D’ici aux trois-quarts du paragraphe 4, cf. Pierre Lombard, Sermo, 18.
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la véritable procession en esprit : Jésus, dit-il, pour purifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte (Hé 12, 13s). Car, pour nous instruire pas son exemple à vivre hors du camp, c’est-à-dire hors des jouissances et des convoitises du corps, il a souffert hors de la porte. La porte de la ville représente les sens du corps, lesquels chez le Christ n’ont commis aucun péché. Nous donc, à son exemple, fermons les portes de nos sens aux séductions du dehors en sortant du camp, autrement dit en sortant des délices physiques. Ce sont là aussi les fenêtres (Jr 9, 20) par lesquelles la mort envahit notre âme, à moins d’y apposer des gardes qui repoussent ce qui nous fait du mal. D’où cette prière d’un prophète : Place, Seigneur, une garde à ma bouche et maîtrise la porte de mes lèvres (Ps 140, 3). De fait si une garde est apposée sur nos lèvres, nos yeux et nos autres sens, le cœur de l’homme ne s’envole pas loin de lui. Sortons donc du camp de la chair pour ne pas nous éloigner de la clôture de notre cœur et des secrets de notre esprit. Selon le conseil du prophète, pécheurs, revenons à notre cœur (Is 46, 8), nous éprouvant nous-mêmes pour discerner dans quelles dispositions il nous est nécessaire, au jour de la cène du Seigneur, d’approcher du mystère de son corps et de son sang, ce mystère qui fait aussi trembler les anges.
Communier dignement 4. Et parce que chacun peut se tâter lui-même et en se tâtant laisser la vérité le séduire – elle qui ne flatte personne – en distinguant, grâce à la parole du Maître des nations (2 Tm 1, 4), ceux qui en sont dignes et ceux qui en sont indignes. Nous avons un autel dont les desservants de la tente n’ont pas le pouvoir de manger (Hé 13, 10), mais dont les corps sont brûlés hors du camp (Hé 13, 11). Sur cet autel céleste est disposé le sacrifice, à savoir le corps et le sang du Seigneur, dont n’ont pas le pouvoir – autrement dit la permission – de manger ceux desservent la tente dans la jouissance du corps, les convoitises de la chair et toutes les œuvres ennemies de
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Dieu. Ils murmurent, critiquent, suscitent des litiges (Rm 1, 29s), se mordent et se dévorent les uns les autres (Ga 5, 15) ; par amour de leur volonté propre ils méprisent les règles de leur profession monastique et les ordres de leur supérieur, ce qui fait aussi injure à Dieu, puisqu’il a dit : Qui vous écoute m’écoute (Lc 10, 16). Pour ces hommes, et leurs semblables, qui se permettent de participer à la cène du Seigneur, ce n’est plus le repas du Seigneur qu’ils mangent (1 Co 11, 20). Au contraire, ont permission de prendre part à cet autel ceux dont les corps sont brûlés hors du camp, c’est-à-dire hors du mode de vie des hommes charnels de ce monde. Enflammés par la ferveur de l’Esprit Saint et le feu de la profonde repentance, ils brûlent tout ce qui en eux s’avère charnel, sordide, débauché, en mettant à mort la chair avec ses vices et ses convoitises (Ga 5, 24). À l’imitation de Celui qui est venu pour accomplir non sa volonté mais celle du Père (Jn 5, 30) et qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort (Ph 2, 8), eux-mêmes fixent en quelque sorte leur volonté à la croix du Christ. Voilà le sacrement le plus sacré de tous, à la communion duquel il s’agit d’accéder toujours avec un très profond empressement spirituela. C’est la manne céleste (Jn 6, 49s), le pain des anges (Ps 77, 24) ; de cette grande nourriture se nourrissent les anges, se rassasient les archanges, et sur elle les Puissances d’en haut désirent fixer leur regard (1 P 1, 12).
S’éprouver et se juger soi-même 5. L’esprit purifié, jugeons-nous nous-mêmes, et alors mangeons de ce pain et buvons de cette coupe car, si à défaut de ce jugement, nous nous permettons de nous approcher, c’est par le Seigneur que nous serons jugés. En effetb, celui qui en use indignement, qui se tient dans les fautes et demeure dans la volonté de devotissime. D’ici à la moitié du paragraphe 5, cf. Pierre Lombard, Collectanea in Epistulas S. Pauli, 1 ad Corinthios, 1, 2. a
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pécher, qui traite ce sacrement sans respect et s’en approche sans attention spirituelle ; il ne discerne pas la dignité mettant à part les espèces des autres aliments, et les prend sans discernement et avec négligence : celui-là – au dire de l’Apôtre – se rend coupable envers le corps et le sang du Seigneur (1 Co 11, 27). Un bien dont on use mal entraîne une souillure, et ce qui est saint s’avère nocif pour les méchants ; les bons y trouvent le salut, les méchants le jugement. Il faut donc se garder grandement de mal recevoir ce qui est bon, car, mal reçu, celui-ci est nocif pour les méchants, alors que les maux supportés avec patience par les bons leur sont un profit. Que chacun donc s’éprouve soi-même en examinant la rectitude de sa foi et en purifiant sa vie dans les lamentations de la pénitence. De la sorte, même si ses péchés sont quotidiens, qu’au moins ils ne mènent pas à la mort (1 Jn 5, 16). Et qu’il pardonne à son frère afin d’accéder à l’autel en disant en toute vérité : Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs (Mt 6, 12). Sinon, en s’y présentant avec un cœur désaccordé, c’est le jugement de sa condamnation qu’il mange en prenant part à ce sacrifice par lequel le monde est réconcilié avec Dieu (2 Co 5, 19). Voilà pourquoi, frères, ces paroles nous exhortent à une précaution de tous les jours. Dès lors tournons-nous vers le Père des lumières (Jc 1, 17), vers le Seigneur tout puissant, et supplions-le du fond de notre être : pour nous permettre de prendre part à ces mystères célestes, qu’il répande sa lumière dans les ténèbres de nos esprits (Lc 1, 79). Puisse-t-il en outre fortifier la faiblesse de notre condition humaine par sa puissance et purifier l’ordure de nos péchés par le châtiment plein de clémence de son Esprit. Puisse-t-il encore nous donner, par l’intercession de la passion du Seigneur, de célébrer le sacrement de notre rédemption avec le zèle d’un empressement si approprié, que nous puissions atteindre à son fruit dans la justification en ce temps et dans la glorification éternelle. De l’Auteur de notre rédemption, seul à l’abri de tout péché et plein de grâce et de vérité (Jn 1, 14), nous disons : Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Jn 12, 1) ; à Celui qui recherche non sa propre volonté mais la gloire du Père, nous crions, en le saluant avec le foule des fidèles : Hosanna – c’est-à-dire : « sauve,
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nous t’en prions »a – au plus haut des cieux (Mc 11, 10). Ainsi, qu’il nous conduise des enfers au ciel, qu’il répare les dommages dus à la ruine des anges, que par un pacte perpétuel il unisse étroitement les réalités de la terre à celles du ciel, lui, notre Seigneur Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, qui vit et règne avec lui pour les siècles des siècles.
Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 62, CCSL 72, p. 137, 29. a
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SERMON 93 SERMON POUR LE JOUR DE LA PÂQUE
Jour exceptionnel 1. Le Christ notre pâque a été immolé, aussi festoyons non avec du vieux levain ni avec le levain de la perversité et de la méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité (1 Co 5, 7s). Cette supériorité exceptionnelle du mystère pascal, les cœurs de tous les fidèles la reçoivent de manière elle aussi exceptionnelle, et ils la célèbrent avec un élan plus festif que toutes les autres solennités. Car ils présument que si le Christ est ressuscité, ceux qui font leur la certitude de leur propre résurrection ont retrouvé le bonheur de l’immortalité plus amplement que celui qu’ils avaient perdu à cause de leur premier parent.
Jour attendu Ce jour, les pères anciens et les prophètes, par une révélation de l’Esprit Saint, le savaient comme à venir, et, de leurs vœux ardents, ils souhaitaient qu’il arrive très rapidement. Dans cette espérance ils y aspiraient tout au long des ennuis de cette vie-ci – davantage : de multiples manières, dans une sorte d’extase bienheureuse, ils étaient ravis en lui et déjà ils exultaient comme s’il était présent.
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Sermon 93
C’est ainsi que le Seigneur lui-même affirme de notre père Abraham : Il a exulté de voir mon jour, il l’a vu et s’est réjoui (Jn 8, 56).
Le voici, resplendissant Rayonnant de l’éclat de ce jour, le psalmiste exhorte tous ceux qui partagent son élection à s’associer aussi à sa joie : Voici le jour qu’a fait le Seigneur, exultons en lui et soyons dans la joie (Ps 117, 24). Ce disant, il ne parle pas d’un jour naturel comme les autres, mesuré par la course du soleil de son lever à son coucher, mais du jour qu’a fait la Lumière de la lumièrea, Source de la lumière et Soleil de justice (Ml 4, 2). Après sa descente dans la mort, du cœur de la terre il est ressuscité pour illuminer non pas les yeux de la chair, mais ceux du cœur. Dès lors, sans aucune interruption due aux ténèbres ou au péché, il a resplendi dans un rayonnement perpétuel. Sa lumière n’a pas atteint seulement les espaces supérieurs de la terre, mais de sa puissance elle a pénétré de ses rayons les enfers eux-mêmes. C’est là que David, comme de sa main tendue, montre ce jour à tous ceux qui, comme lui, se trouvent hériter de la rédemption. Tout joyeux il s’écrie : Voici le jour qu’a fait le Seigneur, exultons en lui et soyons dans la joie.
Dans les abîmes et dans le ciel
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Habacucb semble le désigner lorsque, après avoir évoqué la mort du Seigneur, il a ajouté : L’abîme a donné de la voix, la hauteur a levé les mains (Ha 3, 10). Aussitôt après que le Seigneur a dit : Tout est accompli, et il a transmis l’Esprit (Jn 19, 30), les enfers ont tremblé (cf. Mt 27, 51s.), et le peuple des saints qui se tenait dans ce si profond abîme, a donné de la voix, une voix remplie de larmes : Cf. le Credo de Nicée. D’ici jusque vers la fin de ce paragraphe, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Habacuc, III. a
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par la foi nous l’avons si bien comprise, comme si nous y avions été présents. Cette voix disait : « Tu es advenu toi, le Désirable que nous attendions dans les ténèbres pour qu’il emmène les enchaînés hors de cette nuit et de cette prison ». Puis, à la suite de cette voix sortie de l’abîme, la hauteur a levé les mains, car Celui-là est ressuscité, et, en le voyant, toute la hauteur des cieux, remplie d’une bienheureuse admiration, a applaudi et exulté en dansant. Ainsi donc ce jour, enfermé dans le tombeau, a illuminé les régions des ténèbres et de leurs peines, mais en ressuscitant il a amplement élargi sa clarté resplendissante aux demeures du ciel. C’est pourquoi, lors des vigiles, nous avons entendu lire que de la lumière de ce jour le Christ a embrassé la terre, le ciel et le séjour des mortsa.
Fêter la résurrection 2. Exultons donc et soyons dans une joie festive puisque sur nous est répandue la lumière de cette résurrection à laquelle nous croyons. Car tous ceux qui ont préféré nier plutôt que recevoir cette foi demeurent jusqu’à présent dans les ténèbres. Même s’ils s’avèrent issus d’Israël, ils ne sont pas israélites, et même s’ils sont de la descendance d’Abraham (cf. Jn 8, 33), ils ne sont pas considérés comme appartenant à cette descendance. En dégénérant hors de la foi des pères ils ont perdu les noms }de leurs pères. Le prophète Nahum le fait subtilement savoir. Annonçant les joies de cette fête très célèbre, il ne dit pas : Célèbre, Jacob ou Israël, mais Célèbre tes fêtes, ô Juda, et acquitte-toi de tes vœux (Na 1, 15). Juda se traduit par « confesseur » ou « confessant »b. Célèbrec donc, ô Juda, toi le confesseur de la foi des prophètes et de l’évangile, célèbre tes fêtes et acquitte-toi de tes vœux, c’est-à-dire sois vide d’œuvres mauvaises et persévère dans les œuvres bonnes. Tartar. Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 61, CCSL 72, p. 136, 27–28. c Cité plusieurs fois d’ici jusqu’aux premières lignes du paragraphe 3, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Nahum, II. a
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En célébrant tes fêtes, ô Juda, toi le confesseur de ton injustice, qu’on ne te trouve pas sans reconnaissance envers Celui qui te justifie, souviens-toi de sa grâce.
La mort vaincue
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Qu’il soit lui-même ta fête, lui dont nous avons dit qu’en mourant il a vaincu notre mort et qu’en ressuscitant il a recréé notre vie. C’est pourquoi le prophète dont nous venons de citer l’exhortation poursuit : Car il n’ajoutera pas que Bélial passe en toi : tout entier il est mort (Na 1, 15). Par conséquent, ô vrai confesseur, toi qui marches à la suite de la grâce agissant en toi et de la miséricorde qui te prévient, le Christ, en mourant et en ressuscitant, a pour toi consacré tes fêtes. Bélial, qui se traduit par « sans joug »a, à savoir le diable en révolte contre Dieu depuis le commencement, ne pourra plus passer en toi. Car dès lors il est tout entier mort, non pas qu’il ait entièrement disparu, mais en ce sens que la mort que, par jalousie, il a introduite en ce monde – je veux dire la mort universelle, la double mort tant de l’âme que du corps – est complètement morte. Où donc, et quand Bélial est-il mort ? Où donc est morte la mort qu’il a introduite, si bien qu’on l’appelle lui-même la mort ? – Lorsque le Christ est mort, alors est morte la mort de notre âme, et lorsque le Christ est ressuscité, alors est morte la mort de notre corps.
Une fête intérieure Assurément célébrer cela ne représente pas une vaine fête, et n’est pas vaine non plus la raison de la célébrer. Mais à quoi sert-il de célébrer quelque fête que ce soit extérieurement, si elle ne suscite pas la fête d’une contemplation dans l’esprit ? Aussi, lorsqu’il est dit : Célèbre tes fêtes, ô Juda, interrogeons le psalmiste, et qu’il Belial, rectius, Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 76, CCSL 72, p. 154, 5. a
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nous dise, lui, comment nous devons nous y prendre. – Car la confession de l’homme te confessera, et le reste de ses pensées organisera pour toi un jour de fête (Ps 75, 11 vg). Oui, voilà tes fêtes, ô Juda : que ta réflexion confesse Dieu, et si toute pensée ne peut être festive et brillante, que du moins le reste de la pensée organise un jour de fête. Autrement dit : après l’envahissement des mauvaises pensées, que quelquefois les bonnes réflexions obtiennent une place dans l’esprit, selon cette parole : Tu as péché, tiens-toi tranquille (Si 21, 2)a.
À l’imitation du passage du Christ… 3. Avec la fête de ce jour acquitte-toi de tes vœux, dont le plus important et le meilleur de tous consiste à recevoir la coupe du salut, autrement dit à imiter la mort du Sauveur. Celui-ci, en mourant, a réalisé la paix entre Dieu et les hommes (Rm 5, 1), il en a annoncé la bonne nouvelle et il l’a proclamée par ses prédicateurs envoyés à travers le monde entier. De ces prédicateurs, le plus éminent, exposant le renom et le nom de cette fête, avait dit : Le Christ notre pâque a été immolé, festoyons donc non avec du vieux levain ni un levain de perversité et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité (1 Co 5, 7s). Voilà la pieuse et salutaire exhortation, l’utile conseil, le salutaire remède que l’Apôtre – ou mieux : en lui l’Esprit Saint – nous propose.
… le passage du chrétien Si donc le Christ notre pâque a été immolé – la pâque signifiant le passage – Celui-là, par son immolation, a passé de la mort à l’immortalité, de ce monde au Père (Jn 13, 1). Il convient alors que, d’une certaine manière, nous aussi pour le moment, et puisqu’un même passage nous arrivera un jour, nous nous y préparions par a
quiesce, au sens de : arrête de pécher.
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un passage symbolique. Il s’agit de passer de la perversité à la bonté, du dérèglement à la transparence, de la vétusté à la nouveauté pour accomplir ce que dit l’Apôtre : De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, portons l’image de l’homme céleste (1 Co 15, 49). Le premier Adama fut terrestre, car tiré de la terre, le second est céleste : le Christ venu d’en haut. L’image du terrestre est la vétusté, celle du céleste la nouveauté.
De la vétusté à la nouveauté : du cœur… Triple s’avère la vétusté : du cœur, de la bouche, de l’action. Celle du cœur est double, consistant dans les désirs de la chair et dans ceux du monde. Les désirs de la chair convoitent ce qui se rapporte aux jouissances de la chair en vue de la luxure, des orgies et autres choses semblables. Les désirs du monde consistent à ambitionner ce qui favorise les fastes et l’élévation en vue des dignités, du pouvoir et autres choses de ce type. Des désirs de la chair, voici ce qu’en dit Pierre : Rejetez les désirs charnels qui font la guerre à l’âme (1 P 2, 11). Et Paul de son côté : Marchez par l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair (Ga 5, 16). Quant aux désirs selon le monde, le même Apôtre nous donne cet avertissement : Renoncez à l’impiété et aux convoitises de ce monde pour vivre en ce monde dans la sobriété, la justice, la piété (Tt 2, 12). La sobriété en ce qui nous concerne, la justice à l’égard du prochain, la piété envers Dieu.
…de la bouche… La vétusté de la bouche elle aussi est double : elle consiste dans l’arrogance ou la jactance arrogante, et dans la médisanceb fielleuse. Par l’arrogance nous péchons contre nous-mêmes, par la médisance contre le prochain. Dans l’arrogance nous nous élevons D’ici à la moitié du cinquième alinéa du paragraphe 4, cf. Pierre Lombard, Sermo, 19. b arrogatio – derogatio. a
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nous-mêmes en parlant de nous avec vantardise, par la médisance nous tirons nos frères vers le bas et retournons en mal leurs bonnes actions. Par l’arrogance certains se livrent aux murmures et sèment les discordes entre frères ; par la médisance certains se mettent à déprécier et à nier la bonne conduite d’autrui en la retournant en son contraire. L’Apôtre les qualifie d’ennemis de Dieu (Rm 1, 30). Ces sortes de péchés, le prophète les condamne en disant : Que le Seigneur anéantisse toute lèvre trompeuse, et la langue qui se plaît dans les grandeurs (Ps 11, 4). Celle-ci se rapporte à l’arrogance, les lèvres trompeuses à la médisance. Aussi lit-on dans le cantique d’Anne : Que s’éloigne de votre bouche la vétusté. Et de même : ne multipliez pas les paroles de gloriole hautaine (1 Sm 2, 3 vg). La vétusté se rapporte à la médisance, les paroles de gloriole à l’arrogance.
…de l’action La vétusté de l’action à son tour est double : débauches et forfaits. Les débauches : ce que l’homme commet contre son propre corps, comme si elles s’y situaient naturellement, sous forme de luxures, de gloutonneries, d’ébriété. Les forfaits : le mal que l’on commet contre le prochain : meurtres, injures, rapines et autres choses semblables. Les débauches s’avèrent ce qui nous souille, les forfaits ce qui blesse les prochains. Les débauches – en latin : flagitium – sont bien nommées puisqu’elles brûlent – en latin fragrans – dans le vice, autrement dit elles constituent la tendance de l’âme brûlant d’aboutir au vice. Le forfait – en latin facinus – paraît dériver de l’acte – en latin : factum – nuisible : ce qu’on fait pour repaître sa malveillance en blessant autrui.
Vers une triple nouveauté 4. Voilà donc la vétusté, qui est l’image de l’homme terrestre ; ce sont là les trois jours par lesquels Moïse voulait éloigner les fils d’Israël de pharaon et les conduire dans le désert pour sacrifier à
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notre Dieu (Ex 5, 3). Il nous signifie ainsi – comme trois jours – les trois manières par lesquelles nous devons nous éloigner de l’esprit de pharaon, c’est-à-dire du diable, pour que celui-ci ne nous détienne pas même un seul jour. Et de même que la vétusté est triple, triple aussi la nouveauté, qui est l’image de l’homme céleste : nouveauté du cœur, de la bouche et de l’action.
Du cœur… La nouveauté du cœur se présente comme un double amour, de Dieu mais aussi du prochain ; elle supprime la vétusté du cœur, car elle chasse au loin les désirs de la chair et ceux du monde. De fait, là où règne l’amour de Dieu et du prochain se trouve exclu le règne de la vanité charnelle et de l’ambition selon le monde.
…de la bouche… La nouveauté de la bouche est, elle aussi, double : la confession des péchés et celle de la louange. La première nous accuse, la seconde glorifie Dieu ; la première anéantit l’arrogance, la seconde extermine la médisance. L’une et l’autre se montrent spirituellement empressées, soit dans le cas où l’on se fait à soi-même des reproches, soit dans le cas où on loue Celui qui ne saurait se reprocher aucun péché.
…de l’action dans l’amour La nouveauté de l’action à son tour est double : la continence s’élève contre les débauches et la justice contre les forfaits. Cellelà fait reculer le mal, celle-ci instaure le bien. C’est pourquoi il est écrit : Ce que tu détestes qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui (Tb 4, 16 vg). À partir de là le Seigneur donne ce commandement : Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous,
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Sermon 93
faites-le pour eux (Mt 7, 12). À l’une et à l’autre de ces attitudes l’Apôtre nous exhorte : Ne vous conformez pas à ce monde – ce qui se rapporte à la continence – mais que le renouvellement de votre esprit vous transforme (Rm 12, 2) – ce qui se rapporte à la justice. Par la continence nous sommes débarrassés de la vétusté et par la justice revêtus de la nouveauté. Mais que cette nouveauté de l’action dérive nécessairement de la nouveauté de ce commandement que le Sauveur en personne prescrit à ses disciples : Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 13, 34). S’il dita nouveau le commandement de l’amour, ce n’est pas à référer à tel moment du temps, mais à la mise en œuvre efficace de l’amour. Car le même commandement appartient à l’ancienne alliance, où on lit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toute ta force (Ex 6, 4) et tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lv 19, 8). La nouveauté ne vient pas d’une nouvelle création, mais de l’anéantissement de la vétusté et d’une rénovation de l’image de Dieu, car elle fait des fils de la colère les fils de la grâce, des fils du diable les fils du Christ (1 Jn 3, 10), des fils des ténèbres les fils de la lumière (Ép 5, 8). Si cette nouveauté-là manque, tout ce qu’on peut posséder est vain ; au contraire, si elle est présente on a tout. Elle seule sépare les fils du Royaume des fils de perdition. Et de même que le corps sans l’âme est mort, ainsi l’âme dépourvue d’amour est considérée comme morte. Par conséquent, pour célébrer en toute vérité les fêtes pascales et les solennités de la résurrection du Seigneur, démontrons par l’élan de l’amour que, dans notre âme, nous sommes maintenant déjà ressuscités avec le Christ (Col 3, 1). Qu’ainsi au temps fixé pour la résurrection des corps, nous méritions aussi d’atteindre la bienheureuse immortalité.
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D’ici jusque vers la fin de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 18.
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SERMON 94 POUR LE SAINT JOUR DE LA PENTECÔTE
Double venue de l’Esprit Saint 1. Lorsque furent accomplis les jours de la Pentecôte, tous les disciples étaient rassemblés en un même lieu ; leur apparurent des langues comme de feu, et il s’en posa une sur chacun d’eux (Ac 2, 1ss). La très sainte fête du présent jour, frères très chers, doit être célébrée par les fidèles avec le plus grand empressement de ferveur. En ce jour l’Esprit Saint, alors que Dieu est invisible, a donné les signes visibles de sa venue auprès des humains. Il est descendu d’abord, sous la forme corporelle d’une colombe, sur le Christ baptisé au Jourdain, et Jean Baptiste fut seul à en être témoin. En ce jour-ci, sous la forme d’un feu, il descendit sur la multitude des disciples du Christ en se posant sur chacun d’eux. Cette double manifestation du seul et même Esprit, l’un des prophètes, sous son illumination, l’a connue d’avance ; il ne parlait pas de lui, mais, en quelque sorte, s’adressait à lui : Tu es sorti pour le salut de ton peuple, pour le salut avec ton Christ (Ha 3, 13 vg). Le Fils de Dieu, Dieu invisible, s’est fait homme visible, et avec lui, sorti de cette manière, l’Esprit Saint aussi est sorti, au point de donner le signe visible de sa venue. Oui, il est sorti pour le salut de son peuple avec son Christ, autrement dit pour sauver son peuple avec son Christ, notre Sauveur.
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Sermon 94
Il n’y a rien d’inutilea dans une telle répétition : pour le salut de ton peuple, pour le salut avec ton Christ. À vrai dire, unique est l’Esprit et unique le salut du peuple, mais dans l’Évangile du Christ on lit deux sorties du même Esprit et une double réalisation du même salut. La première sortie, on l’a dit, se réalise sous la forme d’une colombe aux eaux du Jourdain, la seconde au cénacle sur les apôtres dans le feu et par des langues qui se dispersaient. Il faut savoir en outre, de cette double réalisation, que la première consiste dans la rémission des péchés, la seconde dans la répartition des grâces. La première réalisation, la plus nécessaire, a commencé à partir de la passion du Christ. Celui-ci, en effet, en ressuscitant des morts et en se tenant au milieu des disciples, souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint – à savoir pour la rémission des péchés, car voici la suite : Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis (Jn 20, 22). Quant à la répartition des grâces en fonction du salut, elle s’effectua en partie chez certains avant la passion du Christ, de telle manière que ceux-là disposent d’une parole de sagesse, d’une parole de connaissance, de la foi, de la prophétie, de la puissance d’opérer des miracles, du discernement des esprits (1 Co 12, 8–10). Mais après la passion, le jour de la Pentecôte étant arrivé, la grâce se répandit plus abondamment, et la diversité des langues fut donnée en plus ; ainsi ce même salut serait connu de toutes les nations. Par ces langues de feu que l’Esprit Saint révèle extérieurement, les apôtres, avec une ferveur intérieure, devenus forts, sages et éloquents, n’ont eu de cesse d’arracher tout ce qu’il pouvait y avoir d’erreurs et de vices en ce monde. De même ils ont divulgué à quel point la sagesse de ce monde était stupide (1 Co 1, 20) et combien se montrait sacrilège tout ce qui se disait de sacré dans les temples des nations.
D’ici aux premières lignes du paragraphe 2, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Habacuc, III. a
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Sermon 94
Cette double venue en chaque croyant 2. Il faut savoir en outre que cette double venue de l’Esprit Saint s’accomplit individuellement en chaque croyant : celui-ci renaît d’abord de l’eau et de l’Esprit (Jn 3, 5) ; il est ensuite confirmé par l’imposition des mains et l’onction du chrême ; et ainsia, par la communion que crée l’Esprit Saint, le voici incorporé parmi les membres du Christ. L’Esprit Saint est en effet l’Esprit d’adoption des fils (Rm 8, 15), et c’est de lui que dépend la communion par laquelle les croyants sont pareillement incorporés et deviennent l’unique corps du Fils unique de Dieu. L’Esprit répand dans les cœurs l’onguent par lequel ils habitent en frères dans l’unité (Ps 132, 2). Quant à ceux qui, sans cette onction, se réunissent dans l’unité, si leur unité s’avère plus celle des corps que celle des âmes, il ne leur est ni bon ni heureux, mais très mauvais et fort pénible d’habiter tous ensemble. En fait, ils n’habitent pas dans l’unité mais dans le scandale : ils se mettent ensemble pour favoriser le mal de la discorde. Ils se présentent comme un cheval de nature indomptée qui ne tire pas mais entraîne la perturbation. À leur sujet le Sage a cette remarque ironique : Les sentiments du sot sont comme une roue de charrette (Si 33, 5), elle porte le foin, mais ne cesse de murmurer.
Être la demeure de Dieu
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Ceux-là ne sont pas réunis au nom de Jésus ; au contraire, à propos de ceux qui ont l’onction de l’Esprit, la Vérité dit : Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, là je suis au milieu d’eux (Mt 18, 20). Grand est ce qui est offert : au milieu de ceux qui sont réunis en son nom habite le Très Haut, ce que confirme cette promesse certaine que nous avons entendue dans l’Évangile aujourd’hui, venant du Sauveur : Moi et le Père, nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure (Jn 14, 23). Heureux sont-ils, a
D’ici à la moitié de ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 7.
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Sermon 94
ceux à qui il est dit : J’habiterai au milieu d’eux et j’y marcherai (2 Co 6, 16). Grande assurément l’ampleur d’une telle âme, grande en elle la hauteur des mérites puisqu’elle est trouvée digne d’accueillir en elle la présence de Dieu et s’en montre capable. La voici occupée ni par les choses extérieures ni par les soucis de ce monde ; elle ne s’adonne ni aux excès du ventre ni à la luxure, elle ne s’avère ni curieuse de spectacles ni avide de s’y montrer en trouvant là de quoi s’enorgueillir. Vide de tout cela, il convient que cette âme devienne le siège et l’habitation de Dieu. De plus, il s’agit que son cœur rejette absolument la haine, l’envie, la rancœur, car le Seigneur n’entrera pas dans une âme malveillante (Sg 1, 4). En outre il faut qu’elle grandisse et se dilate pour se montrer capable de Dieu. Au reste, son ampleur, c’est son amour, comme le dit l’Apôtre : Dilatez-vous dans l’amour (2 Co 6, 13). La grandeur de chaque âme se mesure à l’amour dont elle fait preuve : grande si elle a beaucoup d’amour, petite si elle en a peu ; et si elle n’en a pas du tout, elle n’est rien. L’Apôtre le dit : Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien (1 Co 13, 2).
Désirer le don le meilleur 3. Ainsi donc, frères, puisque aujourd’hui, sur les apôtres assemblés au nom du Christ avec la foule des croyants, l’Esprit Saint d’en haut est descendu et a répandu ses dons spirituels, désirons, nous aussi, les dons spirituels les meilleurs, de manière à prouver que nous sommes les imitateurs des apôtres. Or le don spirituel qui se présente comme incomparablement le meilleurs, c’est l’amour (1 Co 12, 31). L’Époux, si souvent, a pris soin de l’inculquer à sa nouvelle épouse, lui disant : À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres (Jn 13, 35). Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres (Jn 15, 12). Voici mon commandement : vous aimer les uns les autres (Jn 15, 12). En outre il prie pour qu’ils soient un comme luimême est un avec le Père (Jn 17, 21). Quant à l’apôtre Paul, après
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Sermon 94
avoir énuméré les nombreux et admirables dons de la grâce d’en haut, il nous renvoie à l’amour comme à la voie plus excellente (1 Co 12, 31). Oui, quoi que nous pensions pouvoir lui comparer, l’amour est supérieur au martyre lui-même et à la foi, qui pourtant transporte les montagnes (1 Co 13, 2).
L’Esprit délivre du diable 438
4. Au reste, très chers, soyez en paix avec tous et ne vous blessez pas mutuellement en actes, en paroles ou par quelque signe, car c’est à la paix que Dieu nous a appelés (1 Co 7, 15), et il n’est pas un Dieu de discorde, mais de paix (1 Co 14, 33). C’est à la condition d’être rassemblés dans l’unité que l’on reçoit le don de l’Esprit Saint, car il ne sait reposer que sur un peuple humble et paisible (Is 66, 2). Cela est indiqué expressément par le fait que, sur les disciples rassemblés, il est décrit comme venu se poser sur chacun deux (Ac 2, 3). Ceux-là, qu’il trouve véritablement humbles, il les élève au sommet de l’autorité pour détruire l’orgueil du monde. Voilà qui amène le prophète Habacuc à dire, parlant de l’Esprit et s’adressant à ce même Esprit : Tu es sorti pour le salut de ton peuple, pour le salut avec ton Christ. Comment cela s’est-il passé ? Nous l’avons dit précédemment. Il ajouta aussitôt : Tu as frappé la tête de la maison de l’impie, tu en as mis à nu le fondement jusqu’au cou (Ha 3, 13 vg). Autrement dita : aussi bien ce qui se cachait que ce qui se montrait dans le monde, il l’a soustrait aux inventions diaboliques. La maison de l’impie – c’est-à-dire du diable, qui toujours s’avère impie – c’est le monde, et plus précisément tout ce qui est dans le monde : la convoitise de la chair, des yeux et l’orgueil de la vie (1 Jn 2, 16). Comment interpréter la tête de cette maison, sinon ou bien comme le diable lui-même, le prince de ce monde, ou bien comme le péché originel, qui fut la tête et le principe de ce règne et de cette D’ici à la note suivante, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Habacuc, III. a
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maison. Cette tête, l’Esprit Saint l’a frappée d’une pierre, à savoir par la passion du Christ ; à travers la prédication de l’humilité du Christ il montrait ceci : tout comme l’orgueil du diable est à l’originea de notre perdition, ainsi l’humilité de Dieu s’est trouvée l’instrument de notre rédemption. Notre Ennemi entre tous, créé pourtant, a voulu se montrer élevé au dessus de tout (cf. Is 14, 13ss), tandis que notre Rédempteur, qui demeure grand au dessus de tout, a daigné se faire petit. Aussi était-il venu pour délivrer tous ceux qui se trouvaient sous le joug et la tyrannie de celui-là, les invitant à imiter sa propre liberté : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau, et je vous relèverai. Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 28).
L’orgueil, racine du mal 5. Quelle grande vertu que l’humilité : pour l’enseigner, elle seule, en toute vérité, Celui qui est infiniment grand s’est fait petit jusque dans la passion. C’est à cet effet que le Fils unique de Dieu a pris sur lui la condition de notre faiblesse. De même aussi, lui l’invisible, s’est rendu non seulement visible, mais s’est montré méprisable. De même encore il a supporté les affronts des moqueries, la honte des dérisions, les tourments de la passion, pour enseigner à l’homme, lui le Dieu humble, à ne pas se montrer orgueilleux. Car notre adversaire, l’initiateur de tout le péché, en persuadant les humains de se livrer au péché en raison duquel lui-même était tombé, il leur apportait une mort identique à la sienne, pour qu’ils ne puissent retrouver la vie. Jusqu’à maintenant il ne s’est pas départi de cette détermination. Voilà pourquoi nous devons dire brièvement à quel point cette grande peste qu’est l’orgueil corrompt les esprits humains, à moins qu’on ne lui applique le remède de l’humilité.
D’ici aux premières lignes du paragraphe 7, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXXIV, 23, 47–56 passim. a
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Par l’autorité de l’Écriture, l’orgueil est défini comme la source initiale du péché, la racine des vices. À titre de racine, il s’étend aux régions inférieures, et à partir de là ses rameaux se répandent vers l’extérieur. Ainsi l’orgueil se cache-t-il à l’intérieur, mais à partir de lui les vices bientôt pullulent ouvertement. Ils ne produiraient aucun mal publiquement si l’orgueil n’en possédait pas l’esprit en secret. Posons là, au milieu, le miroir, en quelque sorte, de l’Écriture : il nous renvoie, en l’éclairant, le visage de notre esprit afin que nous puissions voir et reconnaître soit sa laideur dans l’élévation, soit sa beauté dans l’humilité. Il faut savoir que quiconque, dans la captivité de son esprit, aura accueilli en soi la tyrannie de l’orgueil, subit ce premier dommage : l’œil du cœur s’étant fermé, il a perdu l’équité du jugement. De fait, tout ce que les autres font, même en bien, lui déplaît ; seul lui plaît ce qu’il fait, lui, même de dépravé. Les actes d’autrui, toujours il les méprise, tandis qu’il admire tout ce qu’il fait, et quelle que soit son action, il pense qu’il agit tout seul. Chez tous ceux qu’enfle une pensée d’orgueil, la parole devient clameur, le silence amertume, le rire dissolution, la tristesse fureur ; déshonnête est son action, honnêteté l’image qu’il s’en fait, orgueilleuse sa démarche, hargneuses sa manière de répondre. L’esprit de ces gens s’avère toujours prêt à se répandre en outrages, faible pour les endurer, paresseux pour obéir, importun jusqu’à lasser les autres, jamais disposé à faire ce qu’il doit ni à s’en prévaloir, mais toujours prêt à faire ce qu’il ne doit pas et à s’en prévaloir. Pour tout ce qu’il ne désire pas spontanément il ne se laisse fléchir par aucune exhortation. Pour ce qu’il souhaite secrètement, il fait en sorte d’y être comme contraint, et lorsqu’il a mérité de se voir déconsidérer en raison de son désir, il choisit de supporter volontairement cette violence. Voilà ces sortes de germes enracinés dans le cœur de l’orgueilleux ; de leur contraire on pourra déduire avec évidence quels sont l’élan et le fruit de l’humilité.
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Orgueil des supérieurs, orgueil des sujets 6. Mais il faut savoir que cet orgueil dont nous parlons, les uns le tirent des réalités de ce monde, les autres des réalités spirituelles. L’un s’enorgueillit de son or, un autre de son éloquence, l’un de choses infimes et terrestres, un autre de ses hautes vertus célestes. Il s’agit d’une seule et même élévation aux yeux de Dieu, bien que, montant au cœur humain, elle se pare de divers vêtements. Il faut savoir aussi que la tentation diffère, s’il s’agit des responsables ou des sujets. Quant au supérieur, ses pensées lui suggèrent que c’est par le seul mérite de sa vie qu’il est placé au dessus des autres. S’il lui arrive de réussir en quelque domaine, il le présente à son âme avec insistance. Et lorsque s’insinue en son esprit l’idée qu’il a plu extraordinairement à Dieu, ce dont il se persuade facilement, il appelle cela la rétribution même témoignant du pouvoir qui lui a été transmis. Il se dit : si le Dieu tout puissant n’avait pas discerné que tu es le meilleur de tous, il n’aurait pas placé ceux-ci sous ton autorité. Et bientôt son esprit s’élève, lui montrant que ceux-ci sont vils et inutiles. En conséquence la tranquillité de son esprit tourne bientôt en colère : les méprisant tous, il blâme leurs idées et leur vie sans modération ; sa colère s’enfle d’une manière d’autant plus effrénée qu’il considère comme plus indignes de lui ceux qui lui sont confiés. Au contraire, lorsque l’orgueil s’empare du cœur des sujets, ceux-ci sont amenés à considérer leurs actes négligemment et sans profondeur, tandis que par des jugements tacites, ils se font toujours les juges de leur supérieur. Tout en considérant inopportunément ce qu’ils auraient à critiquer en lui, ils n’ont jamais aucune attention pour corriger cela en eux-mêmes. Ils périssent d’autant plus gravement que, détournant d’eux-mêmes leur regard, ils s’effondrent sur le chemin de leur vie. À vrai dire ils se reconnaissent pécheurs, mais sans pour autant – coupables à ce point – se soumettre à une autorité. Et voilà comment, en s’enorgueillissant contre le supérieur, en méprisant ses actes, en dédaignant ses préceptes, ils s’élèvent du même coup contre les décrets du Créateur. En critiquant la vie de leur pasteur,
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ils combattent d’ailleurs aussi la Sagesse elle-même, qui dispose toutes choses. En outre, souvent ils s’opposent effrontément aux paroles de leur supérieur, en appelant cet orgueil une liberté de parole. Mais il arrive que cette effronterie, ils la laissent se tourner vers l’intérieur d’eux-mêmes sans l’extérioriser. Alors eux, dont le bavardage s’arrête à peine, les voici qui se taisent un moment de par la seule amertume de leur rancœur. Mais puisque, habituellement, ils parlent avec malveillance, ils se taisent avec encore plus de malveillance. De fait, lorsque, péchant, ils s’entendent reprendre sur quelque point, indignés, ils s’abstiennent de toute réponse. Ceux-là, par méconnaissance de l’humilité, mère des vertus, même s’ils paraissent bien agir, perdent pourtant le prix de leur labeur. Ce qu’ils édifient grandit sur un sol en ruine : eu égard au poids que supporte la construction de l’humilité, ils ne se préoccupent pas d’en poser le fondement. Ainsi, que les responsables écoutent ce qui a été dit par un sage : Ils t’ont établi pour leur chef ? Ne le prends pas de haut, mais sois parmi eux comme l’un d’eux (Si 32, 1). Quant aux sujets, qu’ils écoutent ceci : Obéissez à vos chefs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte (Hé 13, 17). Ceux qui se glorifient du pouvoir qu’ils ont reçu, qu’ils écoutent ce qui a été dit au riche par la voix d’Abraham : Souviens-toi, mon fils, que tu as reçu tes biens durant ta vie (Lc 16, 25). Ceux qui élèvent des plaintes contre leurs guides spirituels, qu’ils écoutent la réponse de Moïse et d’Aaron au peuple qui murmure : Ce n’est pas contre nous que s’élève votre murmure, mais contre Dieu. Nous, qui sommes-nous ? (Ex 16, 8). Et que tous ensemble écoutent ceci : Dieu résiste aux orgueilleux, c’est aux humbles qu’il donne sa grâce (Jc 4, 6). Que tous écoutent ceci : Pourquoi t’enorgueillir, toi qui n’es que terre et cendre ? (Si 10, 9). Contre la peste de cette maladie, écoutons tout ce qu’enseigne la Vérité maîtresse : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29).
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Sermon 94
Deux règnes 7. Puisque notre Rédempteur règne sur le cœur des humbles et que le diable est dit régir le cœur des orgueilleux, nous reconnaissons que l’orgueil se présente comme le signe évident des réprouvés, et au contraire l’humilité comme celui des élus. Ainsi, comme chacun sait ce dont il dispose en fait soit d’orgueil, soit d’humilité, il découvre sous quel roi il milite. Chacun, en effet, porte en quelque sorte la marque spécifique de son action, par quoi il montre facilement sous l’autorité de quel chef il sert. Ainsi est-il affirmé dans l’Évangile : C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez (Mt 7, 16). Tous les iniques se haussent dans les fastes de l’orgueil en suivant celui qui vise toute hauteur ; ils méprisent tous ceux qu’ils regardent à travers l’enflure de leur cœur, font passer la vie et le mérite de tous après les leurs propres, et considèrent ceux-là comme inférieurs. Au contraire, l’indice propre des élus, c’est de se percevoir toujours inférieurs à ce qu’ils sont en réalité et de s’humilier par rapport à ceux que, par un jugement intérieur, ils ont déjà situés avant et devant eux-mêmes. Or cette humilité les rend dignes de dons spirituels toujours plus grands. La plénitude de ces dons de la grâce, l’Esprit Saint en ce jour l’a répandue chez les premiers membres de l’Église. Ceux que le Christ avait appelés à porter les fardeaux de l’humilité, il les a emportés en lui jusqu’à les associer à sa gloire divine en leur confiant le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés. Qu’il concède aussi à notre humilité d’avoir part à ces dons, lui qui s’est humilié pour nous jusqu’à la mort de la croix, lui la puissance et la sagesse de Dieu (1 Co 1, 24), notre Seigneur Jésus Christ.
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SERMON 95 EN LA FÊTE DE JEAN BAPTISTE
L’ange précurseur 1. Voici, j’envoie mon ange qui préparera la route devant moi (Ml 3, 1). Digne est la raison qui pousse le peuple des croyants à célébrer la naissance du Baptiste, précurseur du Seigneur. Avant qu’elle ne se réalise présentement, cette naissance était annoncée par des oracles prophétiques ; elle est digne par conséquent d’être pleinement accueillie. Isaïe en particulier dirigeait l’attention vers la personne de Jean lorsqu’il disait : Voix qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu (Is 40, 3). Cette présence, la voix de Dieu l’annonçait comme à venir en un temps fixé d’avance, avec la très grande proclamation de ses mérites. En effet, par le prophète Malachie, en promettant la venue du Sauveur, il désignait le précurseur de Celui qui serait homme par nature, mais qui, par la dignité de sa mission et la sainteté de sa vie, apparaîtrait comme au dessus de l’homme. De Jean il est dit : J’envoie non pas mon serviteur, non pas un prophète, ni quelque chose de ce type, mais mon ange qui préparera ta route. En grec l’ange signifie l’envoyé. Et à juste titre celui qui est envoyé annoncer le Juge d’en haut est nommé ange : on préserve ainsi par ce nom la dignité de son action. Il y a tout lieu de qualifier d’ange celui qui, en méprisant les réalités terrestres, affirme que pour lui son existence est dans les cieux (Ph 3, 20). Alors que la loi ou les prophètes promettaient en récompense au
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Sermon 95
peuple charnel l’abondance des biens terrestres, on nomme adéquatement ange celui qui fait retentir cette sorte d’oracle céleste : de ceux qui se repentent, le Royaume de Dieu s’est approché, (Mt 3, 2), alors qu’on n’en avait même pas entendu le nom auparavant.
La violence faite au Royaume Effectivement, lorsquea Jean Baptiste, devançant la grâce du Rédempteur, prêche la repentance afin que le pécheur, mort du fait de ses fautes, vive par sa repentance, le Royaume des cieux souffre violence aux jours de Jean Baptiste. Qu’est-ce en effet que le Royaume des cieux, sinon le lieu des justes ? C’est aux seuls justes que sont dues les récompenses de la Patrie céleste, de sorte que les humbles, les chastes, les doux et les miséricordieux parviennent aux joies d’en haut. Mais lorsque quelqu’un qui s’est gonflé d’orgueil, s’est souillé charnellement, s’est enflammé de colère, a péché par cruauté, revient de ses fautes à la pénitence et reçoit la vie éternelle, c’est à titre de pécheur qu’il entre dans un lieu qui lui est étranger. Ainsi, par l’enseignement de Jean, il arrache le Royaume des cieux en lui faisant violence. Zacharie, l’un des douze prophètes, dans une vision symbolique, parle des quatre quadriges du Seigneur qui se rendent dans diverses parties de la terre – ce n’est d’ailleurs pas le moment de les étudier en détail. Mais de l’un de ces quadriges il disait : Il était attelé de chevaux noirs qui sortaient vers le pays de l’aquilonb. Et les chevaux blancs s’avançaient derrière eux. Quelques lignes plus loin il est rapporté que le Seigneurc a dit : Ceux qui pénètrent dans le pays de l’aquilon ont fait reposer mon esprit sur le pays de l’aquilon (Za 6, 8). En voici le sens : chez ceux qui se sont repentis ou qui se repentent, ce qui signifie sortir vers le pays de l’aquilon, là la peine volontaire de la pénitence, tel un froid hivernal, afflige leur corps. a
IV, 2.
Pour une dizaine de lignes, cf. Raban Maur, Commentarius in Mattheum,
Za 6, 6. C’est la contrée du nord, du froid, de l’affliction. D’ici à la moitié du paragraphe 2, cf. Rupert de Deutz, Commentarius in XII prophetas minores, in Zachariam, II. b c
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Sermon 95
Or, par le fait même qu’ils sont sortis, ils font reposer mon esprit de sa colère, autrement dit ils mettent fin à celle-ci. Dès lors je ne m’irrite plus contre eux, puisqu’ils se sont mis en colère contre eux-mêmes. De même, en effet, que le pécheur, en péchant, irrite le Seigneur, au contraire, par sa pénitence, il fait se reposer l’esprit du Seigneur.
Faire se reposer l’esprit du Seigneur
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2. Si les chevaux noirs, en entrant dans le pays de l’aquilon, font se reposer l’esprit du Seigneur, que penser des chevaux blancs qui s’avancent derrière eux ? Si ceux qui se repentent de leurs méfaits font la joie de Dieu et des anges, selon la parabole des cent brebis dont l’une a été retrouvée (Lc 15, 3ss), qui était perdue, que penser de ceux qui, conscients d’aucun péché, suivent cependant l’itinéraire ou la règle établis pour ceux qui se repentent de leurs fautes ? Ceux-là assurément font non seulement se reposer l’esprit du Seigneur, mais ils lui plaisent grandement. Aux premiers le pardon, à ceux-ci une couronne éternelle. Pour le privilège de cette béatitude, Jean est cité avant tous, lui qui a été conçu à l’annonce d’un ange et qui, dans le sein de sa mère, fut rempli de l’Esprit Saint et sanctifié. Condamnant les convoitises du monde, il préféra mener sa vie dans la vaste étendue d’un âpre désert ; afin de ne pas ressentir les délices du vêtement et de la nourriture, il se contenta de poil de chameau pour se couvrir et de cette vile nourriture que sont les sauterelles et le miel sauvage (Mt 3, 1ss). Jusqu’à la mort il combattit pour la justice en voulant détourner Hérode de violer l’union conjugale de son frère (Mt 14, 3). Innocent, il fut arrêté et enchaîné par les impies, puis abandonné dans les ténèbres d’une prison. Sa tête, la fille du roi, ayant amusé celui-ci, la réclama en récompense, et, dans son ivresse, le roi ordonna de la couper pour la lui donner (Mt 14, 6ss).
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La curiosité liée à l’agitation et à la frivolité 3. D’ailleurs on trouve de ce mal une similitude chez certains qui présentent la vie religieuse sous sa forme extérieure. Quand il leur arrive de prendre place symboliquement au festin d’Hérode, ils considèrent la jeune fille en train de danser et ils regardent sur son plat la tête coupée de Jean. Le nom d’Hérode se traduit par « la grâce de la peau »a. Or la gloire de la fille de Sion est intérieure (Ps 44, 4 vg), mais celle des filles de ce monde est extérieure. Et il s’assied au festin d’Hérode, celui qui, dans les délices des vices, recherche la faveur d’une vaine gloire – ce qui revient à mettre ses délices dans les désirs des vices tout en voulant se glorifier de l’opinion de sainteté qu’on se ferait de lui. Il regarde danser la fille d’Hérodiade, celui à qui plaît cette vanité qu’est la curiosité. Or cette curiosité, c’est-à-dire la préoccupation superflue qui envahit l’esprit humain, dispose de deux instruments : l’agitation et la frivolité. L’agitation prive de lumière le sens intérieur de la raison, et la frivolité rabat dans la poussière ce sens intérieur qu’est l’oisiveté contemplative. L’agitation fait donc obstacle à la méditation de la lecture, et la frivolité à la modération dans l’usage de la parole. L’agitation excite les luttes intérieures, la frivolité rassemble les racontars extérieurs. La curiosité se montre vide à l’intérieur et inconsistante à l’extérieur ; dans les deux cas elle s’avère sans discernement et impétueuse.
Les méfaits de la curiosité 4. Il est une curiosité pernicieuse, il en est une autre superstitieuse, il en est encore une autre encore oisive. Pernicieusement Lucifer fut errant, lui qui se levait au matin, impatient de faire siéger, lui seul, les anges qui l’assistaient, leur disant : Je monterai au ciel, j’élèverai mon trône par dessus les nuages, je le poserai sur les astres et je serai semblable au Très Haut (Is 14, 13s). C’est comme Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 64, CCSL 72, p. 140, 17. a
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s’il disait : Mille milliers le servent et des myriades de myriades se tiennent auprès de lui (Dn 7, 10), or moi je ne fais ni l’un ni l’autre. Je ne veux pas être de ceux qui se tiennent près de lui ni de ceux qui le servent. Mais sur un trône très élevé je siégerai avec le même destin que le Très Haut. – Il s’y est efforcé, oui, mais sans y réussir. Bien plus : son audace à siéger sur un trône qui ne lui était pas destiné a entraîné pour lui le châtiment de flotter entre ciel et terre. Et cela jusqu’à ce que ceux qui se tiennent en présence du Juge le précipitent dans les profondeurs d’un étang (Ap 19, 20) et le lient par la chaîne d’une damnation perpétuelle. Superstitieusement, Ève, la mère des vivants, a erré en méprisant l’interdit divin pour se soumettre à l’invitation du serpent. Le Créateur de la nature lui avait prescrit d’user de ce qui était permis et de s’abstenir du défendu, de garder ce qui lui était confié et d’attendre les promesses. Il lui concéda tous les arbres de délices et ne lui interdit que le figuier (Gn 2, 16s). Si elle avait gardé le paradis, le Seigneur lui promettait le ciel. Elle, au contraire, se lassa de ce qui était permis et convoita ce qui était interdit, elle ne garda pas ce qui lui était confié et elle perdit les promesses. Par oisiveté Dina, le fille de Jacob, a erré en s’arrachant à son père et en perdant sa virginité – sous le coup, il est vrai, de la violence (Gn 34, 1s). Cela, en sortant pour voir les femmes étrangères sans aucune nécessité, mais poussée par la seule curiosité. Ce qui lui fit encourir la peine de sa souillure pour avoir dépassé les bornes fixées d’avance concernant sa vigilance sur elle-même. À vrai dire c’étaient des jeunes filles qu’elle voulait voir. Mais il aurait mieux valu pour elle se prémunir en prenant soin de sa jeunesse, que de pleurer ensuite au souvenir de sa chute en disant : Ne te souviens pas des fautes de ma jeunesse, ni de mes ignorances (Ps 24, 7 vg). Voilà : le remède de la faiblesse, c’est la force du salut. S’amender est bon, mais se garder du péché est meilleur. Vaincu une première fois par l’Ennemi, déjà on lui résiste moins. Aussi faut-il craindre que la jouissance ne devienne une habitude et l’habitude une difficulté. Car il est difficile de mettre fin à ce qui est habituel. Et il arrive que l’habitude entraîne avec elle un lien.
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Ainsi donc il s’avère évident que la curiosité amène quantité de maux. Par elle Lucifer a perdu le ciel, Ève le paradis, Dina le sceau de la chasteté.
Curiosité, légèreté, joie inepte 5. Telle est la première faiblesse de la nature humaine : en sortant de la tranquillité du cœur, l’homme perd la rosée de la grâce céleste. À moins de s’y opposer très rapidement, on laisse cette faiblesse se précipiter dans une autre, que l’on qualifie de légèreté de l’esprit. De fait, l’acte extérieur révèle le visage intérieur, aussi est-il écrit : À son visage on reconnaît l’homme, à sa parole l’être sensé (Si 19, 26). Il est parlé du visage car par lui la volonté s’exprime. La volonté donc occupe l’esprit si, frappé par quelque adversité ou même la plus petite injure, harcelé gravement, il dépérit ; ou, si la prospérité succède, il rit de manière infantile. Là impatient, ici vain, dans les deux cas il se montre insensé. L’homme sagace observe les excès d’autrui ; les siens, indolent, il les dissimule. La joie sotte dérive de la légèreté de l’esprit comme une enflure du cœur ; la tristesse, pourtant utile, est négligée, on se réjouit sans raison des temps qui se succèdent. Le propre d’un tel homme est de fuir toujours la tristesse et de rechercher la joie. Ce qui fait dire à ce sage qu’est Salomon : Le cœur des insensés se tient là où se trouve la joie, le cœur des sages là où est la tristesse (Qo 7, 5). La joie inepte fuit la gravité, dissipe la prudence, multiplie la vanité, ignore la sobriété. Telle la flamme à la chaleur dévorante, ce fléau impie enseigne et apprend tout ce qui d’ordinaire fait obstacle. La joie inepte a dépouillé Samson de ses forces, une fois ses cheveux rasés (Jg 16, 19). Elle a privé Urie de la vie (2 Sm 11, 17), David de sa piété, Salomon de sa fidélité. C’est elle qui a décapité Jean. Ils sont trois à s’être entendus pour faire mourir Jean Baptiste : Hérode, Hérodiade et Hérodiadis sa fille (Mt 14, 3ss). De même sont-elles trois à faire rage pour détruire notre tête : la curiosité, la légèreté, la joie inepte. C’est à Hérode que, non sans raison, on attribue la curiosité, puisque l’Évangile rapporte de lui que depuis
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longtemps il désirait voir Jésus, non avec le souci de croire en lui, mais avec la curiosité de le voir accomplir quelque signe (Lc 9, 7ss). La légèreté est à considérer en Hérodiade qui, abandonnant le trône de son mari légitime, s’envola dans les embrassements adultérins d’Hérode. Celui-ci, ne supportant plus de se faire exhorter au repentir, envoya un officier de justice pour décapiter Jean. Quant à la joie inepte, elle est à assigner à Hérodiadis, la fille, tellement celle-ci s’est montrée exubérante, comme l’ont révélé avec évidence les mouvements mêmes de sa danse.
En Dieu seul la grâce 6. Elle sont donc trois, jusqu’à maintenant, à décapiter spirituellement Jean : la curiosité, la légèreté, la joie inepte. Le nom de Jean se traduit par « la grâce du Seigneur »a. Cette grâce de Dieu, Dieu en est la tête. La tête, par conséquent, est détachée du corps lorsque quelqu’un s’attribue à soi, et non à Dieu, le bien qu’il accomplitb. De tels hommes ne trouvent pas la grâce auprès de Dieu puisqu’ils ne la recherchent pas. Les orgueilleux la trouvent auprès des humains, les humbles auprès de Dieu. De là cette parole de Paul : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce de Dieu en moi n’a pas été vaine (1 Co 15, 10). Et le bienheureux Jean, dont nous célébrons en ce jour la naissance, attribue toute l’excellence de sa vertu, qui a brillé parmi les humains, à la grâce de Celui qui, d’en haut, la répand largement : L’homme ne peut rien recevoir sinon ce qui lui aura été donné du ciel (Jn 3, 27). Alors que, en raison de l’admirable mise en œuvre de ses vertus, on le croyait le Christ, il répondit non seulement qu’il ne l’était pas, mais il alla jusqu’à s’affirmer indigne même de dénouer la courroie de sa sandale (Lc 3, 15). Puisqu’il ne veut pas s’attribuer le titre de Christ, il s’est fait membre du Christ ; or, mettant son
Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 69, CCSL 72, p. 146, 16s. b 1 Co 4, 7 et Regula S. Benedicti, 4, 42s. a
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zèle à reconnaître humblement sa faiblesse, il mérita d’obtenir en toute vérité l’élévation du Christ. Et nous donc, frères, rassemblons toute notre attention pour mesurer combien les saints mettent de soin à garder la vertu de l’humilité et, dans les merveilles qu’ils accomplissent, avec quelle circonspection ils répriment en eux-mêmes l’enflure de l’élévation. Par conséquent, en tout ce que nous faisons, considérons l’humilité comme la racine de l’œuvre bonne. Évitons ainsi d’être précipités avec Lucifer du plus haut au plus bas, de manière à mériter, avec l’ami de l’Époux (Jn 3, 29), d’être exaltés du plus bas vers les hauteurs. Que celui-ci soit un intercesseur auprès de l’Auteur de notre rédemption, notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père pour les siècles des siècles.
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SERMON 96 POUR LA FÊTE DE JEAN BAPTISTE
Jean annonce et symbolise la fin de la loi 1. Destiné à venir dans la chaira, notre Seigneur et Rédempteur a envoyé devant lui de nombreux témoins et messagers de son grand projet de salut. En divers temps et en diverses tribus d’Israël ils ont paru, mais ce n’est pas dans la diversité de la foi, c’est absolument dans une même intelligence qu’ils ont prophétiquement proclamé le mystère de l’incarnation. Le dernier d’entre eux est apparu à la limite de la loi et de l’évangile, de la figure et de la vérité. Le Seigneur l’atteste : La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean ; depuis lors le Royaume de Dieu est annoncé (Lc 16, 16). Aussi est-il dit de lui qu’il est plus qu’un prophète (Mt 11, 9), car Celui que tous les autres avaient annoncé longtemps à l’avance, Jean l’a prophétisé en train de venir, et bientôt il a signalé sa venue. Selon la grâce de ce grand projet, il est affirmé de Jean qu’il est issu non seulement de parents justes, mais d’une famille sacerdotale. Certes il est né de parents justes, s’avérant ainsi d’autant plus fiable pour donner au peuple les préceptes de la justice qu’il ne les a pas appris comme une nouveauté mais que, par droit héréditaire, il les tenait de ses parents. Mais il est aussi issu d’une longue lignée sacerdotale, s’avérant d’autant plus puissant pour proclamer l’imitation du Prêtre qu’il a
Pour l’ensemble du sermon, cf. Bède le Vénérable, Homelia, II, 19 et 20.
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se révélait appartenir à une souche sacerdotale. Notre Rédempteur, en effet, en paraissant dans la chair, a daigné se faire roi pour nous attribuer un règne céleste ; et de même il s’est fait grand Prêtre, s’offrant à Dieu pour nous en sacrifice d’agréable odeur (Ép 5, 2). Il est écrit en effet : Le Seigneur l’a juré, il ne s’en repentira pas : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech (Ps 109, 4). Comme nous pouvons le lire, ce dernier, qualifié de prêtre du Dieu très haut (Hé 7, 1), a précédé de longtemps le sacerdoce légal en offrant au Seigneur le pain et le vin (Gn 14, 18). Ainsi notre Rédempteur est dit prêtre selon l’ordre de Melchisédech, car, au lieu des victimes prévues par la loi il a institué dans la nouvelle alliance le même sacrifice que celui de Melchisédech en s’offrant dans le mystère de son corps et son sang. Quoi de plus adéquat : le fils d’un grand prêtre selon la loi prophétiserait le passage du sacerdoce légal au sacerdoce évangélique, et la substitution du premier par le second ? Il faut par ailleurs remarquer que cette naissance du bienheureux Jean comporte beaucoup de similitude avec la venue du Seigneur, comme aussi de sa grâce qu’il état venu annoncer. Car il convenait très bien que Celui à qui tous les anciens prophètes et les patriarches ont rendu témoignage, soit désigné beaucoup plus précisément par son précurseur, lequel, par sa naissance même, se montre plus qu’un prophète. Pourquoi Jean est-il né de parents âgés ? Sinon parce que sa naissance prochaine signalerait ceci : en présentant les secrets spirituels de la nouvelle alliance il enseignerait la fin de l’observance charnelle de la loi et du sacerdoce ancien. Pourquoi le précurseur du Seigneur est-il né d’un père muet, chef des prêtres ? Sinon parce que, à l’apparition du Seigneur, la parole du sacerdoce ancien, pour une grande part, était devenue muette en raison de l’enseignement de l’intelligence spirituelle. Et pourquoi Jean est-il né d’une mère longtemps stérile ? Sinon parce que la loi qui ordonnait, avec l’aide de l’office sacerdotal, d’engendrer pour Dieu une descendance spirituelle, n’a conduit personne à la perfection (Hé 7, 19) : elle n’a pu ouvrir à ceux qui l’observaient la porte du Royaume des cieux.
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Grandir – diminuer
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2. La naissance de Jeana, dont on fait mémoire, n’est pas sans mystère puisque le jour de cette naissance décroît, alors que le jour du Seigneur se met à grandir. Jean révèle le secret de la distance qui le sépare, lui – dont la grandeur des vertus a fait croire aux foules qu’il était le Christ (Lc 3, 15) – et d’autre part le Seigneur, dont la faiblesse de la chair faisait penser à certains qu’il n’était pas le Christ, mais un prophète. Il faut qu’il grandisse, dit Jean, et que moi je diminue (Jn 3, 20). Oui, le Seigneur a grandi, car par toute la terre il a fait connaître qu’il était le Christ, lui qu’on croyait seulement un prophète ; et Jean a décru et diminué, car lui qu’on prenait pour le Christ est apparu comme le héraut du Christ. À juste titre, à la naissance de Jean la lumière du jour se met à décroître, lui dont la renommée divine allait finir et dont le baptême était près de se terminer. À bon droit aussi, dès la naissance du Seigneur, le jour raccourci retrouve la croissance de sa lumière. Car apparut Celui dont la lumière qu’est sa connaissance, réservée d’abord à la seule Judée, s’ouvrirait à toutes les nations et diffuserait la chaleur de l’amour dans toute l’amplitude du monde. Il advint, est-il dit, que le huitième jour on vint pour circoncire l’enfant. On voulait l’appeler Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère, prenant la parole, dit : Non, il s’appellera Jean (Lc 1, 59s). Ce nom se traduit par « la grâce du Seigneur »b, ou « celui en qui est la grâce » ; par ce nom il annonce aussi toute la grâce que dispense l’évangile ; il signale en particulier le Seigneur lui-même, par qui cette grâce a été donnée au monde.
a Pour les trois-quarts de ce paragraphe, cf. Augustin, Sermo 194, 2 et Sermo 287, 2. b Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 69, CCSL 72, p. 146, 16s.
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Le Christ accomplit le Cantique de Zacharie 3. Une fois déclaré et confirmé le nom de Jean, la bouche de Zacharie s’ouvrit, il parlait, prophétisait et bénissait Dieu en disant : Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, il a visité et racheté son peuple (Lc 1, 68). Par ces mots il faut remarquer que le bienheureux Zacharie avait vu d’avance en esprit ce qui était commencé et ce qui se réaliserait prochainement, mais que, à la manière des prophètes, il le proclamait comme déjà réalisé. De fait, en paraissant dans la chair, le Seigneur nous a visités, comme pour chercher et s’efforcer de justifier ceux qui, depuis longtemps, s’étaient éloignés et se tenaient dans les péchés. Il les a visités comme un médecin des malades afin de guérir la vieille maladie de l’orgueil et de nous appliquer l’exemple nouveau de l’humilité. Il a racheté son peuple, en nous libérant au prix de son sang (Ap 5, 9), nous qui étions vendus au péché (Rm 7, 14) et condamnés à servir l’antique Ennemi. Aussi avec bonté l’Apôtre nous exhorte-t-il : Vous avez été achetés à grand prix ; glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1 Co 6, 20 vg). À son peuple le Christ ne dit pas qu’en venant il l’a découvert, mais qu’en le visitant il l’a racheté. Voulez-vous en effet entendre, mes frères, comment il l’a trouvé et comment il l’a rendu ? La fin de ce cantique le proclame : Le soleil levant a visité d’en haut ceux qui se tiennent dans les ténèbres et l’ombre de la mort pour diriger nos pas au chemin de la paix (Lc 1, 78s). Il nous a trouvés dans les ténèbres et l’ombre de la mort, c’est-à-dire écrasés par la longue cécité du péché et de l’ignorance, trompés par la ruse de l’antique Ennemi et bloqués dans ses errances. Celui-ci est justement appelé mort (Hé 2, 14) et mensonge (Jn 8, 44), alors que le Seigneur est nommé vérité et vie (Jn 14, 6). Lui nous a apporté la vraie lumière de sa connaissance, et en dissipant les erreurs des ténèbres, il nous a ouvert le chemin très sûr de la Patrie céleste. Il a dirigé les pas de nos actes en nous montrant comment avancer sur le chemin de la vérité pour pouvoir entrer dans la demeure de la paix perpétuelle qu’il a promise. En possession de ces dons venant de la bonté d’en haut, frères très chers, en possession des promesses des dons éternels, bénissons
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Dieu nous aussi en tout temps, car il a visité et racheté son peuple. Que toujours sa louange se trouve dans notre bouche (Ps 33, 2). Retenons toujours la mémoire, et échangeons entre nous l’annonce des vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière (1 P 2, 9). Implorons sans cesse son secours pour qu’il daigne conserver la lumière de la connaissance qu’il nous a apportée, et nous conduire jusqu’au jour parfait. Et pour être dignes de nous voir exaucés dans nos prières, rejetons les œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière (Rm 13, 12). Suppliant de la sorte pour exprimer avec concision nos désirs, nous recevons ce que nous demandons, car la mise en œuvre d’un agir empressé secourt les paroles d’une prière humblement fervente. Puisque nous célébrons aujourd’hui la naissance du bienheureux précurseur, il importe qu’en recevant le héraut du salut éternel, nous le recherchions comme le soutien de notre prière. Demandons-lui de pouvoir parvenir, par son intercession, à la lumière, à la vie, à la vérité de Celui à qui il a rendu témoignage, notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles.
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SERMON 97 POUR L’ASSOMPTION DE SAINTE MARIE
Jésus restauré par Marthe 1. Les parolesa de notre Seigneur Jésus Christ que nous venons d’entendre dans l’Évangile, frères très chers, nous exhortent à tendre vers une unité, alors que nous affrontons dans leur multitude les peines de ce monde. Nous y tendons encore en pèlerins et pas encore en résidents. Nous sommes encore en chemin et point encore dans la Patrie, encore à désirer et point encore à jouir. Cependant tendons-y sans paresse ni interruption, tendons-y pour pouvoir y parvenir un jour. Marthe et Marie étaient deux sœurs (Lc 10, 38ss), non seulement unies dans la chair, mais toutes proches par leur vie religieuse ; toutes deux attachées au Seigneur, toutes deux à le servir d’un même cœur dans la chair présente. Marthe l’a accueilli comme on reçoit les pèlerins : amie, elle a reçu le Seigneur, malade le Sauveur, créature le Créateur. Le Seigneur, en effet, a voulu prendre la condition du serviteur (Ph 2, 7) et, ceci fait, il a voulu être restauré dans la faveur de son abaissement, non dans sa condition divine. Car cette faveur, de sa part, fut de se prêter à cette restauration. Il s’est approprié sa chair, en effet, de manière à avoir faim et soif. a
D’ici à la fin du paragraphe 3, cf. Augustin, Sermo, 103, 1–6.
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Ainsi donc le Seigneur a été reçu comme un hôte venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu, mais aux quelques-uns qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1, 11s). Il les adopte comme ses serviteurs, en fait ses frères, les rachète à titre de captifs, les rend ses cohéritiers. Voilà, à propos du Seigneur qu’il fallait restaurer, ce que nous avons dit en peu de mots, le temps nous étant compté.
Vers l’unité
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2. Mais venons-en à la raison pour laquelle nous avons posé d’avance le thème de l’unité. Marthe se dispose à restaurer le Seigneur et s’y prépare en s’occupant à ce multiple service. Marie sa sœur choisit, elle, d’être restaurée par le Seigneur. Son oreille très fidèle avait entendu : Soyez libresa et voyez que je suis le Seigneur (Ps 45, 11). L’une s’agitait, l’autre se restaurait ; l’une mettait en place beaucoup de choses, l’autre ne regardait qu’à une seule. L’une et l’autre de ces occupations sont bonnes, pourtant laquelle est meilleure ? Nous avons Celui qui est à interroger, écoutons-le patiemment. Marthe interpelle l’hôte, à ce juge elle confie la demande d’une pieuse plainte : sa sœur la délaisse et néglige de l’aider dans la peine qu’elle se donne à servir. Marie, oisive, a préféré remettre sa cause au juge : en ne répondant rien elle a voulu éviter cette peine, celle de répondre. Si elle s’était préparée à donner une réponse elle aurait abandonné son écoute attentive. C’est donc le Seigneur qui répond, lui qui n’éprouvait pas de peine à parler puisqu’il est la Parole, le Verbe (Jn 1, 1). Qu’a-t-il dit ? Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour beaucoup de choses, or une seule est nécessaire (Lc 10, 41s). La répétition du nom indique une affection, ou peut-être l’intention d’un avertissement. Pour qu’elle écoute plus attentivement il l’a nommée à deux reprises : Marthe, Marthe, tu t’occupes de beaucoup de choses, une seule s’impose, une seule s’avère nécessaire. Quelle est l’unique chose choisie par Marie ? Ne pensez qu’à a
vacate au sens devenu traditionnel d’une disponibilité contemplative.
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une seule chose, frères, et voyez si dans cette multitude de choses on peut se plaire, sinon en une seule. Voyez – par la miséricorde de Dieu – combien vous êtes nombreux. Qui vous porte, sinon le goût de l’unique ? Comment, dans le multiple, trouver ce repos ? Mais écoutez l’Apôtre : Je vous en prie, frères – il parlait à un grand nombre, mais il voulait les rassembler tous en un. Je vous en prie, frères, n’ayez tous qu’un même langage, qu’il n’y ait pas de divisions entre vous, soyez parfaitement unis en une même intelligence, une même connaissance (1 Co 1, 10s). Et ailleurs : Soyez unanimes dans vos sentiments, ne faites rien par esprit de parti, rien par vaine gloire (Ph 2, 2s). Et le Seigneur parlant des siens à son Père : Qu’ils soient un comme nous, nous sommes un (Jn 17, 22). Et dans les Actes des apôtres : La multitude des croyants n’était qu’un cœur et une âme (Ac 4, 32). Magnifiez donc le Seigneur avec moi, exaltons son nom dans l’unité (Ps 33, 4), car une seule chose est nécessaire, cette unité d’en haut, là où le Père, le Fils et l’Esprit Saint ne font qu’un. – Voyez donc que l’unité nous est recommandée.
La bonne et la meilleure part 3. Certes notre Dieu est Trinité, mais un seul Dieu tout puissant ; la Trinité elle-même est un seul Dieu, car une seule chose est nécessaire. À cette unité il ne nous conduit que si, à beaucoup, nous ne formons qu’un seul cœur. Bons sont les services à l’égard des pauvres, et surtout ceux qu’on doit aux saints de Dieu, les marques d’une déférence religieuse. C’est un rendu de notre part, non un don, ainsi que le dit l’Apôtre : Si nous avons semé pour vous les réalités spirituelles, est-ce extraordinaire si nous prenons part à vos biens matériels ? (1 Co 9, 11) Oui, tout cela est bon, mais ce qui s’avère meilleur c’est ce que Marie a choisi. Le service de Marthe consiste en une occupation issue de la nécessité, le choix de Marie en une suavité issue de l’amour. Car si Marthe y suffisait elle ne demanderait pas l’aide de Marie. Multiples et divers se présentent ces services, car ils sont
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d’ordre matériel, de l’ordre de ce monde ; même s’ils sont bons, ils sont transitoires. À Marthe, que dit le Seigneur ? – Marie a choisi la meilleure part (Lc 10, 42). Non, la tienne n’est pas mauvaise, mais la sienne est meilleure. Écoute pourquoi elle est meilleure : Elle ne lui sera pas ôtée. À toi le fardeau des besoins, un jour, te sera enlevé, alors que la douceur de la vérité est éternelle. Non, ce qu’elle a choisi ne lui sera pas ôté, et non seulement pas ôté mais augmenté : en cette vie augmenté, dans l’autre vie rendu parfait, mais jamais ôté. Pour le moment, Marthe, tu es occupée à un multiple service : tu veux alimenter les corps mortels, ceux des saints, il est vrai. Mais lorsque tu seras parvenue à la Patrie, trouveras-tu un pèlerin à qui donner l’hospitalité ? Trouveras-tu un affamé à qui rompre le pain, un assoiffé à qui tendre une boisson, un malade à visiter, une contestation en attente d’un accord, un mort à ensevelir ? Tout cela n’y existera plus, mais qu’y trouvera-t-on ? Ce que Marie a choisi. Là nous serons restaurés et nous ne restaurerons plus. Là se trouveront la plénitude et la perfection que Marie a choisies. Voulez-vous savoir ce qu’on y trouvera ? Le Seigneur lui-même le dit de ses serviteurs : Amen, je vous le dis, il les fera mettre à table et, passant, il les servira (Lc 12, 37). Se mettre à table, qu’est-ce d’autre que se trouver disponiblea ? Qu’est-ce d’autre que trouver le repos ? Comment comprendre : passant, il les servira ? Il commencera par passer, et c’est ainsi qu’il sert. Mais où ? Dans ce banquet dont il dit : Amen, je vous le dis : Ils seront nombreux à venir de l’orient et de l’occident pour prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux (Mt 8, 11).
Deux vies : présente et à venir 4. Vous voyez doncb, frères très chers, et dans la mesure où je peux le penser, déjà vous comprenez dans ces deux femmes qui furent agréables au Seigneur, toutes deux aimables, toutes deux a b
vacate. Pour ce paragraphe, cf. Augustin, Sermo, 104, 4.
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des disciples – oui, vous voyez quelque chose de grand, vous comprenez dans ces deux femmes la figure de deux vies, la vie présente et la vie à venir, l’une peineuse, l’autre au repos, l’une tourmentée, l’autre bienheureuse, l’une dans le temps, l’autre éternelle. Au nombre de deux sont ces vies : pensez-y abondamment. Qu’est-ce qui caractérise la vie d’ici-bas ? Non, je ne la dis pas mauvaise, ni injuste, ni impie, mais peineuse et pleine de tourments, punie par les craintes, sollicitée par les tentations. L’autre vie, je la dis sans reproche ; vous avez entendu qu’elle est celle de Marie. Celle-ci, comme je l’ai dit, pensez-y abondamment. La vie d’iniquité avait quitté cette maison, elle n’est ni avec Marthe ni avec Marie. Si elle s’y est trouvée, l’entrée du Seigneur l’a fait fuir. Sont donc restées dans cette maison qui avait reçu le Seigneur, en ces deux femmes, deux vies, toutes deux sans reproche, toutes deux louables. Ce qui occupait Marthe, nous y sommes, ce qui occupait Marie, nous l’espérons. Vivons bien cette vie-là pour jouir pleinement de cette vie-ci, le Seigneur nous y donnant part.
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SERMON 98 POUR LA NATIVITÉ DE SAINTE MARIE
Marie, jardin où descend le Seigneur 1. La fête d’aujourd’hui, frères, m’engage, à l’occasion de la louange de la Vierge, Mère de Dieu, à dire quelque chose en vue de votre édification. L’esprit éveillé dans l’empressement d’une joie spirituelle, honorons en commun, par une digne action de grâce, le commencement de notre salut, qui, dans cette nativité, a brillé sur le monde. Il faut savoir d’abord que cet événement n’était pas célébré dans les premiers temps de l’Église naissante. Cette fête a son origine, comme on le trouve dans les actes des Pères, lorsque, dans leurs hymnes, les chœurs des anges se montrèrent à un religieux ; il pria pour que lui soit révélé divinement la raison de cette jubilation inhabituelle dans toutes les autres nuits. Il lui fut répondu : Cette nuit, la Mère de Dieu est née, et à cause de cela les esprits angéliques, chaque année, la célèbrent toujours solennellementa.
a Tradition légendaire ancienne issue apparemment des contrées occidentales de la France. Elle est mentionnée dans A. Molien, La liturgie des saints, La Vierge Marie et saint Joseph, Avignon 1935, p. 41s. La cathédrale de Chartres serait dédiée à la naissance de Marie, et la liturgie de cette fête comprenait des répons composés par Fulbert de Chartres (xiie siècle) et ornés de musique par le roi Robert.
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Sermon 98
Glorieuse, cette fête est donc à recevoir avec une totale vénération : pour être célébrée sur la terre, elle en a reçu du ciel l’autorisation. Heureuse celle qui, pour sa naissance même, reçoit la louange de tous les anges et des hommes. Ainsi, telle une aurore resplendissante (Ct 6, 10), donnera-t-elle naissance au Soleil de justice (Ml 4, 2). Oui, elle est très digne de louange, cette bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu : par le privilège unique de ses vertus, elle a mérité d’être le temple du Dieu vivant (2 Co 6, 16), la cour du Roi éternel, le sanctuaire de l’Esprit Saint. C’est elle cette tige issue de la racine de Jessé (Is 11, 1), la rose exceptionnelle dans le champ de Jacob. C’est elle le paradis de la nouvelle plantation, le jardin d’une bénédiction perpétuelle, le jardin dans lequel se hâte de trouver ses délices la source même des délices, lui qui dit : Je suis descendu dans le jardin des noyers pour voir les fruitsa…. Effectivement, ce qu’il a dit, il l’a fait : il est descendub dans son jardin, le jardin des noyers, à savoir le sein de Marie, fleuri par sa virginité, le sein destiné à n’accueillir que le seul Dieu. Il est né d’une femme, né sous la loi (Ga 4, 4), cette loi qui fut pour lui comme le jardin des noyers. La noix, en effet, sous une écorce amère et une coquille dure, contient des cernaux doux et suaves à manger ; ainsi la loi, sous l’amertume de la lettre (2 Co 3, 6) et le très dur joug des cérémonies liturgiques, contient un esprit doux et vivifiant. Pourquoi y est-il descendu ? Pour que je puisse voir les fruits des vallées, dit-il, c’est-à-dire pour que je réconforte ceux qui m’attendaient dans un esprit d’humilité, conformément à cette parole : L’Esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m’a donné l’onction ; il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux doux, guérir les cœurs contrits… (Is 61, 1). Et je regarderai si la vigne a fleuri (Ct 6, 11), elle dont l’Écriture prophétique dit : La vigne du Seigneur des puissances, c’est la maison d’Israël (Is 5, 7).
Ct 6, 11. Toute la suite du sermon consiste en un commentaire allégorique des versets de Ct 6, 11 à 7, 1. b D’ici à la note suivante, cf. Rupert de Deutz, In Canticum Canticorum, VI. a
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La noix, symbole de qui aime Dieu Symboliquement, qu’entendrea par les noix, sinon tous les parfaits ? En retenant dans leur corps la sagesse divine, ils portent les cernaux dans une frêle coquille. Nombreux sont-ils dans l’Église à se montrer assidûment attentifs à la divine Écriture ; bien qu’ils goûtent Dieu, ils convoitent de le goûter davantage. Ils ruminent de saintes joies dans leur cœur, et en les ruminant ils se portent de mieux en mieux. Cependant, du dehors, à ceux qui ne les connaissent pas, ils paraissent vils. On ignore combien est suave la nourriture qu’ils portent intérieurement. Que sont-ils, sinon des noix qui contiennent intérieurement la douceur des cerneaux, mais extérieurement laissent paraître ce que la chair comporte de vil. L’Apôtre était des leurs, lui qui disait : Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile (1 Co 4, 7). Le jardin des noyers ce sont donc les cœurs des saints qui, parce qu’ils aiment Dieu très fort, portent au fond d’eux-mêmes une douceur céleste. D’où cette parole d’un psaume : Qu’elle est grande, Seigneur, l’abondance de ta douceur, tu l’as cachée à l’intention de qui te craint (Ps 30, 20).
Les parfaits auprès des plus faibles 2. Mais pourquoi l’Époux est-il descendu dans le jardin des noyers pour y voir les fruits, alors qu’il devrait plutôt y aller voir les noix ? Il faut cependant savoir que, s’il visite surtout le cœur des parfaits et leur manifeste la suavité de sa bienveillance, c’est afin de venir ensuite par eux auprès des faibles. Il s’agit pour lui de connaître, à travers ces derniers, dans quelle mesure les parfaits ont progressé dans la justice. Aussi est-il écrit : Du ciel le Seigneur a fixé son regard sur les fils des hommes pour voir s’il en est un de sensé, un qui cherche Dieu (Ps 3, 2). La bonté de Dieu, en illuminant le cœur des parfaits, les incite à prendre soin de leur prochain par cette sollicitude qu’est l’amour. D’ici à la fin du paragraphe 3, cf. Robert de Tombelaine, Expositio super Cantica Canticorum, VII, 12. a
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Et dans quel but, sinon, en venant dans le jardin, d’inspecter les fruits de la vallée au moyen de ceux par qui il préside. Pourquoi cependant n’est-ce pas pour voir les fruits de la montagne, mais pour voir ceux de la vallée, qu’il descend ? Sinon parce qu’il accorde l’attention de sa miséricorde à ceux qu’il sait persévérer dans l’humilité. C’est ce qu’il dit par le psalmiste : Parce que le Seigneur est le Très Haut, il voit les humbles et de loin connaît les orgueilleux (Ps 137, 6). 3. L’Époux poursuit en disant : Je regarderai si la vigne a fleuri et si les grenadiers ont fait germer leurs fruits (Ct 6, 11). Les vignes fleurissent quand, dans les Églises, les fils, récemment engendrés, se préparent à une existence sainte, comme à la fermeté des fruits. Et les fruits des grenadiers germent quand tout parfait, par ses exemples, édifie ses prochains et les convertit à la nouveauté d’une conduite sainte par la prédication et la manifestation d’œuvres bonnes. C’est ainsi qu’on agit dans la sainte Église pour que les mauvais soient convertis par les bons, les imparfaits nourris par les parfaits, jusqu’à ce qu’eux-mêmes parviennent à la perfection et que les faibles, comme ils ont été conduits, conduisent à leur tour vers le mieux. Voilà ce que le Christ, Époux de l’Église, regarde en visitant et, en regardant, rassemble dans l’unité son corps saint : on sait qu’il a assumé un corps de faiblesse pour le transformer – en même temps que l’Église – en un corps d’une pleine lumière (cf. Ph 3, 21).
Quatre dérives, quatre retours 4. La suite : Reviens, reviens, Sunamite, reviens, reviens, que nous te regardions (Ct 7, 1). Au nombre de quatrea sont les dérives de l’âme : la joie de ce monde, une tristesse démesurée, la vaine gloire, l’orgueil. La joie de ce monde émane de la prospérité d’icibas, quand tout réussit comme on le désire, dans le domaine des richesses, des honneurs et de toutes choses similaires. Pire encore : Certains trouvent leur joie à faire le mal (Pr 2, 14). Le terme de a
Pour tout ce paragraphe, cf. Pierre Lombard, Sermo, 12.
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cette joie, c’est quand le deuil l’emplira, que le rire se mêlera de douleur (Pr 14, 13) et que le cœur qui s’est élevé rencontre la ruine (Pr 16, 18 vg). La tristesse démesurée se produit quand quelqu’un soupèse son péché et pense que, pour abolir l’énormité de ses fautes, la si vaste quantité des miséricordes de Dieu ne peut suffire. Le voilà englouti dans l’abîme de la désespérance. Or celle-ci constitue le péché sans rémission, le blasphème contre l’Esprit (Mt 12, 31) et, au dire de l’apôtre Jean, le péché qui conduit à la mort et pour lequel il n’est pas dit de prier (1 Jn 5, 16s). La vaine gloire consiste à pourchasser et capter la faveur de la foule, à ne pas vouloir être ou devenir ce qu’on désire paraître. Tel est celui qui se mesure à la renommée populaire dans ce qu’elle recèle d’incertain ; il ment à la manière des hypocrites qui déguisent le loup en brebis (Mt 7, 15) ou cachent le serpent sous l’aspect de la colombe ; ce sont des sépulcres blanchis, pleins d’immondices (Mt 23, 27). L’orgueil consiste à se glorifier intérieurement de ses mérites, en aspirant à rejoindre les esprits élevés. C’est lui le commencement du péché (Si 10, 15 vg), et il reste cependant le dernier à être vaincu ; alors l’homme ne présumerait plus de se tenir au dessus de lui-même ni n’aspirerait à être plus qu’il n’est. Il cesserait de mettre sa confiance en lui-même en aspirant à se montrer la source de son être au lieu de confesser qu’elle est en Dieu. Ainsi ne perdrait-il pas celui qu’il fut. Il est donc dit à toute âme : Sunamite, c’est-à-dire « captive du diable »a, méprisée de Dieu après tant et tant de dérives par lesquelles tu t’es précipitée loin de Dieu, derrière son dos. Reviens de ta malheureuse allégresse à la joie spirituelle ; c’est elle l’huile de la bonne conscience, elle qui se nourrit aussi des progrès du prochain. Reviens de ton inutile tristesse à une fructueuse et profonde repentance, consciente de nos écarts et de ceux du prochain, comme aussi de ce qu’a de dilatant la récompense céleste. Reviens de la gloire caduque de ce monde pour tendre vers la gloire Cf. Haymon d’Auxerre, Ecolâtre de St Germain d’Auxerre au ixe siècle, Enarratio in Cantica Canticorum, 6. a
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véritable et éternelle qu’est le Christ. Reviens d’un orgueil plein de vent à la plénitude de l’humilité, car Dieu repose sur l’homme humble et paisible (Is 66, 2 vg) ; qu’ainsi toi, qui es indigne du regard de Dieu, nous te voyions digne de revenir à lui.
Humilité et virginité 5. Heureuse la bienheureuse Vierge Marie qui, en évitant l’orgueil, ne s’est jamais détournée ni éloignée de la face de Dieu ; toujours attentive à Dieu dans l’humble ferveur du cœur, elle s’est montrée digne de son regard. Effectivement, cela même que la première des femmes a offert à Dieu, le vœu de sa virginité, est à mettre au compte de l’humilité en laquelle elle s’est jugée indigne d’exister pour un homme ou pour le monde entier. En vérité, plus elle s’estime méprisable, plus elle paraît précieuse aux yeux de Dieu. C’est au point qu’en s’estimant indigne d’un homme elle s’est rendue digne de Dieu, en se jugeant indigne de faire souche en Israël elle est devenue digne de réaliser le salut d’Israël, en s’estimant indigne d’allaiter un fils simplement humain, elle est devenue digne, par ses seins virginaux, ses seins intacts, d’allaiter le Fils, Dieu et homme, Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 99 POUR LA NATIVITÉ DE SAINTE MARIE
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Prêcher, écouter et mettre en pratique 1. Il relève de notre ministèrea de dire, et il convient à votre empressement spirituel d’entendre ce qui pourra se révéler de si nécessaire et de si adéquat pour se tenir dans une obéissance appropriée, de manière à en parler religieusement et à écouter avec élan spirituel. Car si ne pas se taire sur un sujet religieux constitue un gain, se taire représente un vrai dommage. Par conséquent, comment pourrait-il provenir d’avantages plus grands que de mettre effectivement en œuvre ce qui est enseigné et tenu par les maîtres à qui sont confiées les réalités célestes ? Égale est la cause qui rassemble celui qui parle et celui qui écoute : ce que professent l’un et l’autre se trouve attesté par leurs actes. Certes la responsabilité de l’enseignant qui parle et celle de celui qui écoute s’avèrent différentes, cependant l’un et l’autre ont à obéir aux saintes lois, si bien qu’ils sont liés par les actes, quoique séparés par leurs tâches respectives. Ils sont unis par l’action, mais différenciés par le titre qui les qualifient. Les termes qui les qualifient les séparent, si l’observance des préceptes les conjoint dans une même foi et un même élan spirituel. Diverses sont les actions de l’un et de l’autre, mais nécessairement pareille a
Pour tout ce paragraphe, cf. Augustin, Sermo, 268, 1.
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Sermon 99
la mise en pratique de l’observance par l’un et l’autre. Un accord les unit dans les actes, alors que divers sont les vocables qui leur sont appliqués. Pour l’enseignant il est très grave d’enseigner et de ne pas mettre en pratique, de prescrire et de ne pas observer ce qui est prescrit ; et chez le disciple de vouloir écouter et de ne pas vouloir accomplir, d’accommoder ses oreilles à l’écoute et de détourner sa volonté de la mise en pratique. Mais celui qui pratique ce qu’il a enseigné et réalise ce qu’il a commandé est déclaré le plus grand dans les cieux par une sentence du Seigneur (Mt 5, 19). Par ailleurs, à négliger ce qu’on apprend et à mépriser ce qu’on entend, on se rend coupable envers le salut, car en méprisant ce qui est à observer l’on n’évite pas le danger. Oui, il aime la mort celui qui ne garde pas les préceptes de la vie ; il a horreur de la vie celui qui, dans une conduite désespérée, commet assidûment les péchés qui conduisent à la mort. De même que, par l’observance de la loi, on acquiert la vie, de même les rebelles, par le mépris, trouvent la mort. Le Seigneur, le dit : Si tu veux la vie, garde les commandements (Mt 29, 17). De la sorte, l’enseignant parfait est libre par rapport à l’enseigné, et celui-ci, par son mépris, se révèlerait inexcusable puisqu’il a appris ce qu’il faut pratiquer et qu’il n’en tient pas compte. Au contraire, l’enseignant se trouve plus gravement jeté à terre et châtié par l’exemple de son disciple observant, si celui-là transmet aux autres ce qu’il faut faire sans le pratiquer. Ainsi n’aura-t-il même pas été enseigné par ceux qu’il enseigne, ni transformé par l’exemple de ceux à qui il a transmis l’enseignement de ce qui est à pratiquer. Car la perfection ne réside pas dans la connaissance de la loi, ainsi qu’il est écrit : Ce ne sont pas les auditeurs de la loi qui sont justes devant Dieu, mais les observateurs de la loi qui sont justifiés (Rm 2, 13). Et j’ajoute : l’homme religieux et saint n’est pas celui qui connaît la loi sans la pratiquer, puisqu’il importe de faire ce qu’on enseigne et qu’il s’avère très dangereux d’enseigner sans mettre en pratique.
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Louange à Marie : le salut est né d’elle 2. Cela brièvement examiné pour notre avertissement à tous, le sermon dès lors doit se diriger vers la louange de celle dont nous célébrons la fête. Parmi les autres célébrations de toute l’année, ce jour l’emporte par une dignité loin d’être médiocre, puisque la restauration de l’homme perdu, qui avait été annoncée par les voix de tous les saints depuis les siècles et qui constituait le tout premier de leur vœux, a débuté – comme on le croit – en ce jour. Aujourd’hui ce qui donne matièrea au salut des humains est sorti du sein maternel. Aujourd’hui l’aurore a surgi (Ct 6, 10), fin de la faute et commencement de la grâce : elle a fait sortir des ténèbres du monde le Soleil de justice (Ml 4, 2). Aujourd’hui est née la Vierge par qui la vie du genre humain a été remise en état. Aujourd’hui les dommages infligés à la cour céleste ont été réparés : par la Vierge nous sommes passés du sort des fils de perdition à celui des fils d’adoption. En ce jour, dis-je, elle a connu le début de sa naissance, elle dont notre Prêtre très élevé a reçu son corps comme l’offrande qu’il a présentée sur l’autel de la croix en sacrifice pour le salut du monde entier. La voici l’échelle du ciel, le voici le trône de Dieu, la voici la porte du paradis, le voici l’honneur du monde, la voici la noblesse du peuple chrétien. Elle a reçu du ciel son enfant et l’a enfanté comme Sauveur du monde. Sans souillure elle a conçu le Fils et sans douleur elle a enfanté le très glorieux prix rachetant le monde tout entier. Pour cette raison, exultons tous lors de la nativité d’une mère si grande, nous qui nous nous souvenons d’avoir été rachetés par le prix issu d’elle. Sois dans l’allégresseb, toi le premier, père Adam, et toi plus encore, Ève, notre mère. À titre de parents de tout le genre humain, vous avez été les meurtriers de tous et – pire encore – meurtriers avant même d’être parents. Tous deux – je le redis – soyez consolés à cause de cette fille, et d’une telle fille. Et Ève plus encore, puisque materia. D’ici à fin de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 2, 3–4. a
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d’elle d’abord est sorti le mal, dont l’opprobre a rejailli sur toutes les femmes. Par conséquent Ève, cours vers Marie ; mère, cours vers ta fille ; que la fille réponde pour la mère, qu’elle enlève l’opprobre de celle-ci, et que, à la place de la mère, elle donne aussi satisfaction pour le père : qu’elle n’ait pas de mari. Pourquoi s’en prendre à la femme ? Si l’homme est tombé à cause de la femme, il ne se relèvera plus sinon par la femme. Que disais-tu, Adam ? – La femme que tu m’as donnée m’a donné du fruit de l’arbre (Gn 3, 12). Ces paroles émanent de la perversité, par elles tu augmentes ta faute plus que tu ne l’effaces. Cependant la sagesse a vaincu la perversité. Car l’occasion de pardonner, que Dieu, en t’interrogeant, a tenté de t’arracher, mais sans y parvenir, il l’a trouvée dans le trésor de sa bonté indéfectible. Il t’a rendu femme pour femme, la sage pour la folle (cf. Mt 25, 2), l’humble pour l’orgueilleuse. Celle-là, au lieu de l’arbre et de la nourriture de mort et d’amertume, obéirait en présentant le fruit de la vie éternelle et de la douceur. Change donc les paroles de ton excuse inique en cri d’action de grâce et dis : Seigneur, la femme que tu m’as donnée m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé (Gn 3, 12) ; il est devenu doux plus que du miel dans ma bouche (Éz 3, 3), car par lui tu m’as vivifié (Ps 118, 93). O femme qu’il faut vénérer tout particulièrement, admirable au dessus de toutes les femmes, tu fais revivre tes parents et tu vivifies leur postérité. O admirable et très digne de toute louange, vierge en la chair, vierge en l’esprit, et, selon l’expression de l’Apôtre, sainte de corps et d’esprit (1 Co 7, 34).
À l’exemple de Marie garder la parole de Dieu 3. Nous donc, très chers, à travers son admirable virginité apprenons à imiter sa si louable chasteté. Il convient en effet, en toute conséquence, que les fils soient semblables à leur mère. N’est-elle pas notre mère, elle qui a mis au monde notre vie et notre salut ? Et ne sommes pas ses fils par l’imitation de la foi ? Si Abraham est dit le père des nations et Sara la mère des croyants, fidèle en raison de
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sa foi, à combien plus forte raison Marie est-elle la très fidèle mère des fidèles, notre mère à tous. Oui, cette mère est notre mère car la chair de son fils est notre chair, et la foi de Marie est notre foi. Par conséquent saisissons cet exemple de vie, là où nous est montré, comme dans un exemple magistral, ce qui est à corriger, ce qui est à fuir, ce qu’il faut tenir : corriger une vie de débauche, fuir les convoitises charnelles, tenir la chasteté du corps et de l’esprit. Telle est – comme le dit le bienheureux apôtre Paul – telle est la volonté de Dieu pour nous tous (1 Th 5, 18). En ce qui concerne la bienheureuse Mariea, dont nous célébrons aujourd’hui la naissance, c’est parce qu’elle a fait la volonté de Dieu que le Seigneur a magnifié cela en elle, et non parce que la chair engendre la chair. Voilà la raison pour laquelle, lorsque le Seigneur s’est montré admirable dans les signes et prodiges qu’il réalisait (Ac 7, 36), des âmes admiratives ont dit : Heureux le sein qui t’a porté – et lui : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent (Lc 11, 27s). Ce qui revient à dire : si ma mère, que vous dites heureuse, l’est effectivement, c’est parce qu’elle a gardé la parole de Dieu, et non parce qu’en elle le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14), mais parce qu’elle a gardé le Verbe même de Dieu, par qui elle a été créée et qui en elle s’est fait chair.
Avec persévérance Dieu veut la vie et le salut Que les hommes ne se réjouissent pas de leur descendance en ce monde, mais qu’ils exultent si, par l’Esprit, ils s’unissent à Dieu en faisant ce qui lui plaît. C’est pourquoi, ailleurs, le même Seigneur dit à ses disciples : Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous prescris (Jn 15, 14). O quelle est grande la bonté de Dieu : elle pose comme condition que nous lui rendions hommage à titre de serviteurs du Seigneur, de membres de la maison de Dieu, de sujets du Puissant, de propriété du Rédempteur. Et lui nous promet D’ici jusqu’au prochain sous-titre, cf. Augustin, Tractatus in Ioannis euangelium, 10, 3. a
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les récompenses de son amitié afin d’obtenir de nous les services qui lui sont dus. Et pour ceux qu’il voit ne pas vouloir le servir de bon gré, il projette de les inviter par les promesses de ses bienfaits. Quant à ceux dont il voit les volontés se détourner de lui, il rétablit leur esprit par les libéralités de ses récompenses. De fait, pourquoi ne cesse-t-il d’inviter par des récompenses et de terrifier par des supplices, sinon pour informer par les conseils de sa bienveillance l’homme formé par lui, et pourvoir celui qu’il a racheté. Qu’ainsi celui qui n’est plus terrifié par les supplices soit invité par la récompense, et que celui que la crainte ne peut rappeler de ses méfaits puisse l’être par la bienveillance des promesses. Le Seigneur désire en effet venir en aide à ceux qui n’en veulent rien, il désire faire miséricorde au pécheur qui, s’il a péché, pourra produire des fruits dignes de la pénitence (Mt 3, 8). C’est à contre cœur qu’il punit, et seulement ceux qui méprisent le pardon du Dieu miséricordieux. Il aime en effet que les pécheurs se corrigent, lui qui, dès le début, a établi les hommes en vue de la vie, non de la mort. Et, alors que ces derniers avaient glissé de leur plein gré dans la mort, par la naissance de la bienheureuse Vierge il les a appelés à la vie. L’homme s’apporte lui-même la mort en méprisant le conseil de ce médecin qu’est le Seigneur : Revenez à moi, dit-il, et je reviendrai à vous (Ml 3, 7). Et encore : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il vive (Éz 33, 11). Non, le Seigneur ne veut pas que la mort domine quiconque, il ne veut pas que l’homme soit conduit au châtiment alors qu’il l’a créé pour la vie. Mais c’est l’homme luimême qui s’est rendu digne de la mort en n’obéissant pas à la loi. Or il hait la vie, celui qui aura repoussé la discipline divine. Car, puisque le Seigneur voulait montrer à l’homme ce qu’apporte la vie à qui observe la loi, ou la mort à qui méprise la loi, il a doté l’homme du libre arbitre et lui a prescrit ce qui est à faire et à ne pas faire afin que, dès lors, l’homme mérite ce qu’il aura voulu et soit jugé sur ce qu’il aura mérité. Voilà pourquoi il nous faut peser attentivement tout cela, c’està-dire d’où naît le salut ou le péril ; et tenir par une observance zélée ce qui favorise le salut, en se gardant avec vigilance du mépris de la loi et de tous les désavantages du péril. Méprisant le succès
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et repoussant l’adversité tels que les considère le Seigneur, trouvons-nous, grâce à lui, avec tous les saints dans la gloire éternelle. Pour nous obtenir cela, daigne, au jour de sa naissance, nous y aider par son intercession la mère de la miséricordea, qui a mis au monde notre Seigneur et Sauveur, Dieu et homme, Jésus Christ, qui règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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Marie au dessus de tous les saints 1. Lors d’un jour de fête, récemment, nous avons montré que nous nous félicitions de la glorieuse glorification de la Vierge, puisque nous avons accompagné par de justes offrandes de louange son élévation au dessus des chœurs des anges et son assomption qui l’associe de tout près à l’éclat de son Fils. Et en ce jour-ci nous célébrons ensemble, avec un égal empressement spirituel, la joie de sa naissance annoncée au monde entier. À juste titre, c’est à elle très spécialement, plus qu’à tous les autres saints, que s’adresse la ferveur des fidèles : si grande est son excellence que le mérite d’aucune créature douée de raison ne peut – croit-on – s’interposer entre elle et Dieu. En outre, à aucun des saints les malheureux ne peuvent faire appel plus fructueusement qu’à elle dans n’importe quelle nécessité, puisqu’elle est la mère de la bonté et de la miséricorde.
Marie, le nouveau paradis C’est elle la tige issue de la souche de David : arrosée par l’Esprit Saint, elle a produit cette fleur qu’est le Fils de Dieu. C’est elle
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la cité fondée par le Très Haut pour naître en elle comme homme. C’est ellea le paradis nouvellement planté par l’unique et même Seigneur Jésus, qui avait déjà planté d’arbres l’antique paradis. Celui-ci est terrestre, celui-là, nouveau, est céleste, mais le même et unique Seigneur Dieu les a plantés tous les deux. Dans le premier il a placé l’homme qu’il avait modelé (Gn 2, 8), dans le second il a modelé l’homme qui, dès le commencement, était auprès de lui (Jn 1, 1). Du sol il fit pousser tout arbre beau à voir et bon à manger, et au milieu du paradis l’arbre de la vie (Gn 2, 9). Ce sol, cette terre, il l’a bénie et en fit sortir les germes de toutes les grâces et les exemplaires de toutes les vertus, comme aussi l’arbre de la vie, Dieu et homme, le Seigneur du paradis céleste. Un fleuve sortait de ce lieu de jouissance pour arroser le paradis ; de là il se divisait en quatre bras (Gn 2, 10). De cette terre bénie montait une source qui était auprès de Dieu et s’avérait la vraie lumière (Jn 1, 1s), selon qu’il est écrit : Auprès de toi est la source de la vie, par ta lumière nous voyons la lumière (Ps 35, 10). Cette source – dis-je – monte de cette bienheureuse Vierge, elle n’a ni commencement ni fin, mais elle sourd du cœur du Père par des voies secrètes avec toutes les eaux vives, autrement dit avec toutes les Écritures de vérité, et elle forme en Marie la source ou le puits de la sagesse éternelle. Ce qui monte d’elle, c’est pour irriguer toute la surface de la terre (Gn 2, 6), afin d’édifier et de faire croître l’Église par tout l’univers. Oui, dis-je, de ce lieu de jouissance sort le fleuve de Dieu, autrement dit de ce lieu le saint évangile prendra son essor pour irriguer le paradis spirituel à travers tout l’univers et se diviser en les quatre mystèresb nécessaires au salut : l’incarnation, la passion, la résurrection, l’ascension. Ceux-ci seront nécessairement annoncés et nécessairement connus, car notre paradis ne peut exister sans leur confession et le monde ne sera pas sauvé sans la foi en eux. Mais le premier paradis n’a pu garder l’homme, et l’homme n’a pas voulu garder le paradis. Ainsi celui-ci n’a-t-il pas profité à D’ici jusqu’à la fin du paragraphe 2, cf. Rupert de Deutz, In Canticum Canticorum, IV. b sacramenta. a
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nos premiers parents, ni à nous pour nous permettre d’y entrer. Alors, puisqu’ils ont perdu le paradis terrestre pour n’avoir pas observé le commandement qu’ils avaient reçu, un autre paradis est planté pour que, en y entrant, nous mangions le fruit de l’arbre de la vie éternelle. Et pour que nous ne mourions pas, les pousses de la bien-aimée sont sortis de terre ; à leur sujet le Bien-aimé se félicite, disant : Tu es un jardin clos, ma sœur, mon épouse, un jardin clos, une sources scellée. Tes jets forment un paradis de grenadiers (Ct 4, 12s). Pour parler des jets de ton paradis, il a commencé par dire : Tu es un jardin clos, ma sœur, mon épouse. Il le répète : un jardin clos, et il ajoute : une source scellée. À vrai dire, les jets de ce jardin ont débuté lorsque l’ange lui annonça la nouvelle, et qu’elle conçut et enfanta un fils (Lc 1, 31). Ces paroles, comment les interpréter, sinon comme la virginité de sa conception et l’intégrité de son enfantement ?
Jardin clos, source scellée 2. Alors dans la foi disons, nous aussi, avec le Bien-aimé, disons tous d’un cœur croyant et d’une seule voix : Tu es un jardin clos, Mère de Dieu, un jardin clos, une source scellée. Elle est dénommée jardina, car là s’élève toujours quelque chose, et même si l’autre terre ne fait naître et croître qu’une fois par an, un jardin n’est jamais sans fruit. C’est donc à bon droit que cette bien-aimée du Bien-aimé, mère du Fils unique, est dénommée jardin, car en elle est né quelque chose qui ne cesse jamais, et son fruit jamais ne se flétrit ni ne finit. Mais le plus admirable, c’est que ce jardin soit déclaré clos. Jamais on n’a entendu quelque chose de semblable concernant toute la multitude de nos jardins ; on n’a jamais pu dire qu’un jardin n’avait pas d’accès permettant au moins au jardinier d’entrer et de sortir. Or voici le jardin unique, le seul qui soit cultivé et clos. Voici le sein unique, en même temps fécond et incorruptible.
a
Isidore de Séville, Etymologiae, 17, 10, 1.
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O quel jardin, ô quelle source ! De corps elle est un jardin clos, d’âme une source scellée. Et il est heureux que soit dit deux fois un jardin clos, car il s’agit d’un miracle doublement admirable et aimable pour l’esprit des fidèles, puisque la Vierge n’a pas été corrompue par la conception ni violée par l’enfantement. De plus elle est une source scellée du fait que l’Esprit Saint est venu sur elle et que la puissance du Très Haut l’a prise sous son ombre (Lc 1, 35). Tel est le double rempart de notre défense, telle est la double joie de tous les croyants : le sein de cette bienheureuse Vierge ne fut accessible à aucun homme, à aucun échange charnel, et son esprit n’a jamais été pénétré par aucun vice, aucun dérèglement. Chose étonnante : de ce jardin pourtant clos, de cette source pourtant scellée sont sortis d’autant plus amplement tous les biens dont le monde est rempli. En fait de grâces, de vertus, d’opérations célestes, tout cela – ces pousses issues de Marie – le monde les reçoit. De la sorte, là où se trouvait d’abord l’universalité des dérèglements, là se trouve l’universalité des grâces, le paradis des délices.
L’Église, jardin et source 3. Nourrie des délices de ce jardin, irriguée par le flot de cette source, la sainte Églisea à son tour n’est pas qualifiée indûment de ce nom de jardin, car elle engendre les germes multiples des œuvres spirituelles ; et elle s’avère source car elle déborde d’un enseignement salutaire qui irrigue les esprits des fidèles comme les parterres d’aromates (Ct 5, 13) préparés par elle. Ainsi est-il écrit : Des eaux profondes, les paroles qui sortent de la bouche d’un homme, un torrent débordant, la source de la sagesse (Pr 18, 4). Et l’Apôtre : J’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui donne la croissance (1 Co 3, 6). C’est comme s’il disait : J’ai planté en quelque sorte dans le jardin du Seigneur les aromates des vertus ; Apollos a arrosé comme à partir de la source scellée de l’enseignement céleste. Et le a
4, 12.
Pour ce paragraphe, cf. Bède le Vénérable, In Cantica Canticorum, III,
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Sermon 100
Seigneur a aidé ses ouvriers pour qu’ils ne travaillent pas en vain. Or clos est ce jardin, car l’Église dure et persiste grâce à la protection de son Seigneur et Rédempteur, pour n’être jamais violée par l’irruption perverse des homme infidèles et des esprits immondes, et pour que, piétinée ici ou là, elle ne soit pas arrêtée dans sa présentation des fruits célestes. Et scellée est cette source, car la parole de la foi, protégée par ce sceau qu’est l’évangile, ne peut jamais être troublée par l’incursion de ceux qui errent. Il y a en effet un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous (Ép 4, 5s). Il erre celui qui s’efforce de briser le sceau de la source vive. Il ne parvient d’ailleurs pas à profaner la source de vie, mais bien plutôt, en introduisant l’impureté, il se tue lui-même, à l’exemple de l’armée de l’Égypte : de fait, dans le baptême symbolique de la Mer Rouge, cette armée s’était permis d’entrer sans la foi et en persécutant les saints ; et elle a disparu.
L’âme, jardin et source 4. Maisa, pour passer du général au particulier, chaque âme sainte est à comprendre comme un jardin clos, car, elle cache sa bonne intention d’hériter de la vie éternelle et méprise absolument les louanges humaines. Elle s’entoure ainsi, par sa bonne intention même, d’une clôture pour empêcher l’antique Ennemi de faire irruption et de ravir ce qui fait son intériorité. Elle est en outre qualifiée de source, car elle pense constamment aux réalités du ciel et rassemble sans cesse dans le ventre de sa mémoire la connaissance des Écritures. C’est ainsi que l’âme sainte ne cesse d’engendrer en elle comme des eaux vives qu’elle peut offrir à ses prochains assoiffés, pour les restaurer. Aussi est-il écrit ce que dit le Seigneur : Qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; mais l’eau que moi je donnerai deviendra en lui source d’une eau jaillissante pour la vie éternelle (Jn 4, 13s). Et ailleurs : Qui croit en moi – comme dit l’ÉcriPour les deux premiers alinéas, cf. Robert de Tombelaine, Expositio super Cantica Canticorum, IV, 17. a
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ture – des fleuves d’eaux vives couleront de son sein (Jn 7, 38). Mais pourquoi est-il parlé d’une source scellée, sinon parce que le sens spirituel demeure caché aux esprits qui s’en montrent indignes ? À l’homme infidèle il est dit par le Seigneur : L’Esprit souffle où il veut ; tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va (Jn 3, 8). Et il est encore écrit : La lumière de ton visage, Seigneur, a été scellée sur nous (Ps 4, 7 vg). Ce qui est dit ici de la lumière se rapporte certainement à la source scellée. L’Esprit Saint, en effet, à l’égard de l’esprit qu’il remplit, l’irrigue en l’illuminant et l’illumine en l’irriguant, afin que, par sa lumière, cet esprit voie ce à quoi il aspire et ne cesse de se rafraîchir de sa rosée.
Marie dans la plénitude de l’illumination
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Mais, les rayons de cette lumière, la bienheureuse Vierge Marie les a reçus plus abondamment que tous les mortels, elle qui, dans sa nativité, s’avance rayonnante comme l’aurore (Ct 6, 10). On sait, en effet, qu’au moment où le monde s’éclaire au matin et que l’obscurité de la nuit se retire progressivement, la lumière voisine du point d’où se lèvera le soleil se répand à travers tout l’espace du ciel, et pourtant la partie du ciel d’où sortira le soleil brille d’un plus ample éclat. De même en est-il du Soleil de justice lorsqu’il vient dans le monde pour chasser les ténèbres des péchés et de l’ignorance. Cependant celle dont il est né pour les illuminer tous, il l’a fait resplendir tout entière de la lumière de ses grâces, incomparablement plus que tous ceux qui y participent. Tous ceux-là, il les a arrosés et rafraîchis chacun en particulier par les canaux de cette source. Mais dans le cas de Marie ce n’est pas par des canaux, c’est de la plénitude de cette source qu’il l’a inondée. Ainsi n’est-ce pas seulement dans sa vie et son comportement, mais dès les premiers jours de sa naissance qu’apparaissent des signes remarquables de vertus, qui dépassent les limites de la nature humaine. Il est donné en effet de remarquer, jusqu’à un certain point, que quelque chose de grand, de singulier et de totalement divin doit s’opérer divinement en elle.
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Sermon 100
Pour que notre dénuement s’enrichisse d’une telle plénitude, pour que notre cécité s’illumine d’un rayon de cette lumière, pour que notre soif s’apaise et que notre stérilité soit fécondée grâce à l’irrigation de cette source, faisons appel à Marie, invoquons le nom de Marie. Par sa médiation, espérons obtenir tout ce qui est opportun pour le salut – son Fils nous le procurant, lui notre Dieu et Seigneur Jésus Christ qui, avec son Père et l’Esprit coéternel, vit et règne pour tous les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 101 POUR LA NATIVITÉ DE SAINTE MARIE
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Marie au dessus de tous les saints 1. Parmia toutes les célébrations de saints, la mémoire de la bienheureuse Vierge Marie revient d’autant plus fréquemment et suscite d’autant plus de ferveur que Marie – on le sait – a trouvé une grâce plus grande auprès de Dieu. Par conséquent, après certaines solennités plus anciennes, il n’y en a pas qui soulève une plus grande dévotion de la part des fidèles que celle de ce jour, d’autant que, pour la vénération de sa naissance, celui-ci a été déclaré par toute l’Église d’un commun accord comme l’occasion d’une grande solennité. Ainsi donc la bienheureuse Mère de Dieu et perpétuellement vierge, prévue en vue d’une progéniture divine, est née aujourd’hui. Et par avance, cette naissance a été annoncée par des oracles et désignée par des miracles.
Élue depuis toujours Scrutonsb les Écritures, et sur la déclaration de témoignages crédibles nous trouvons que Marie est élue depuis toujours, D’ici à la note suivante, cf. Fulbert de Chartres, Sermo, 4. D’ici pour cet alinéa et le suivant, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 2, 4–5. a
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Sermon 101
connue d’avance et préparée pour lui par le Très Haut, protégée par les anges, figurée d’avance par les patriarches, promise par les prophètes. C’est elle, et non une autre, que Dieu se révèle avoir prédite quand il dit au serpent : Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, elle t’écrasera la tête (Gn 3, 15). À qui cette victoire a-t-elle été réservée, sinon à Marie ? C’est elle, sans nul doute, qui a écrasé la tête venimeuse, c’est elle qui a réduit à néant la suggestions multiforme du Pervers, tant celles des séductions de la chair que celles de l’orgueil de l’esprit. De quelle autre femme Salomon était-il en quête lorsqu’il a demandé : La femme forte, qui la trouvera ? Et pour ne pas désespérer dans sa quête, il ajoute en prophétisant : Son prix vient des limites extrêmes (Pr 31, 10 vg). Non, ce prix n’a rien de vil, d’insignifiant, de médiocre, non il n’émane pas de la terre, mais c’est du plus haut du ciel que vient le prix de la femme forte, et de sa main dépendent notre salut à tous et la restauration de l’innocence : de sa main et de sa victoire sur l’Ennemi.
Marie : aurore, lune, soleil À qui, plus qu’à Marie, s’applique cette exclamation du Cantique qui admire et met en valeur la plénitude de la grâce céleste œuvrant en elle : Qui est-elle celle-ci qui s’avance, surgissant comme l’aurore, belle comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme une armée en ordre de bataille ? (Ct 6, 9). Qu’il est beau l’ordre qui détermine cette louange, cette proclamation célébrant la beauté de la Vierge ! D’abord celle-ci surgit comme l’aurore, puis se montre belle comme la lune, enfin élue comme le soleil. Quand est néea cette bienheureuse Vierge, la véritable aurore a surgi pour nous, l’aurore annonciatrice du jour éternel, car, comme l’aurore quotidienne marque la fin de la nuit précédente et le début du jour suivant, ainsi en est-il de sa naissance : elle est née de la race d’Abraham, issue, lumineuse, de la souche de David ; Dieu D’ici jusqu’à la fin de ce paragraphe, cf. Rupert de Deutz, In Canticum Canticorum, VI. a
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Sermon 101
la leur a annoncée par serment, promesse de bénédiction éternelle. Cette naissance marque la fin des douleurs et le commencement de la consolation, elle nous vaut la fin de la tristesse, le début et l’origine de l’allégresse. Quand l’Esprit Saint est venu sur Marie et que, vierge, elle a conçu le Fils et l’a mis au monde, c’est alors qu’elle fut belle d’une beauté divine, belle, dis-je, non pas banalement, mais comme la lune. De fait, la lune brille et éclaire d’une lumière qu’elle n’a pas en elle-même, mais qu’elle reçoit du soleil ; de même cette très Sainte, si elle brille à ce point, ce n’est pas à partir de ce qu’elle posséderait personnellement, mais, comblée de grâce (Lc 1, 28), elle la reçoit de la grâce de Dieu. Et quand, par l’assomption, elle est enlevée à ce monde et transférée dans la chambre nuptiale éthérée, ainsi que nous l’avons célébrée récemment, elle est dès lors élue comme le soleil. Car, de même que le Fils de Dieu, véritable Soleil, est né d’elle et que nous l’adorons comme Soleil éternel et l’honorons comme vrai Dieu, de même nous honorons et vénérons Marie, la sachant Mère du vrai Dieu. Tout l’honneur qui s’adresse à la Mère rejaillit sans nul doute en gloire du Fils, et nul doute non plus que lui-même honore sa Mère et aime que ses amis l’honorent aussi. Par ailleurs, située encore dans l’exil de ce monde, elle se montrait douce et rayonnante comme Jérusalem (Ct 6, 4) et terrible comme une armée en ordre de bataille (Ct 6, 10). Son âme s’avéra la suprême douceur, et sa gloire fut de voir, et même de contempler la paix d’en haut, selon ce que signifie le nom même de Jérusalema. Et contre l’esprit pervers elle se montra équipée pour le combat spirituel à la manière des armées en ordre de bataille.
L’âme parfaite : aurore, lune, soleil 2. L’intelligence de ces paroles, bien qu’elles concernent comme de front la Théotokos, peut cependant sans obstacle s’apJérusalem, « vision de paix ». Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 50, CCSL 72, p. 121, 9. a
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Sermon 101
pliquer à toute âme fidèle et élue. Celle-ci aussi, à sa manière, est appelée aurore surgissante lorsque, une fois supprimée la cécité de son ignorance et les ténèbres de ses péchés, elle s’efforce d’avancer dans la lumière des vertus. Et, de même, le bien dans lequel elle a commencé d’avancer, elle l’attribue non à elle, mais au secours de la grâce de Dieu, conformément à cette parole de l’apôtre Jacques : Tout don parfait, toute grâce excellente viennent d’en haut et descendent du Père des lumières (Jc 1, 17). Professant ainsi la vérité et l’humilité, elle manifeste en elle, aux yeux de Dieu, la beauté de la lune. Maisa, élue comme le soleil, elle le sera au jour de la béatitude à venir, lorsque, dans la permanence de l’éternité, elle brillera en contemplant véritablement la lumière sans déclin ; alors s’accomplira cette promesse : Les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père (Mt 13, 43). Pourtant, même dans cette vie-ci, ce n’est pas sans raison qu’on dit l’âme élue comme le soleil, puisque, en marchant en toute justice, sainteté et vérité, elle a reçu en elle l’image de Dieu, qui l’a créée et qui l’illumine, lui, le Soleil de justice (Ml 4, 2). Et elle lui rend grâce car, Seigneur, la lumière de ton visage a brillé sur nous (Ps 4, 7). Douce et éclatante comme Jérusalem (Ct 6, 4), l’âme sainte l’est lorsque, par l’intégrité d’une action pure, la suavité de la louange de Dieu, la douceur de l’amour mutuel, elle imite la manière dont se présente la cité d’en haut. Elle s’avère en outre terrible comme une armée en ordre de bataille lorsque, dans l’attention d’une prière pure et avec l’étendard de la croix du Seigneur, elle chasse loin d’elle toute attaque de l’armée des démons. Dans une incessante méditation de la parole céleste elle brise toutes les armes des vices qui l’attaquent ; par les exemples continus de ses bonnes œuvres, elle dénonce les conduites dépravées des faux croyants et, en les convertissant, elle les améliore.
D’ici aux premières lignes du paragraphe 3, cf. Bède le Vénérable, In Cantica Canticorum, IV, 6, 9 ; 6, 3 ; 6, 9. a
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Sermon 101
Équilibrer les vertus entre elles
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De même toute âme parfaite, lorsqu’elle donne tous ses soins aux vertus, jusqu’à ne laisser en elle aucune place aux vices, demeure assurément terrible pour ses ennemis, à la manière d’une armée en ordre de bataille. Mais si, par exemple, elle s’efforce à la maîtrise de soi sans se tenir à la vertu de l’humilité, ou si elle s’adonne aux œuvres de bonté, mais sans réfréner sa langue envers les paroles superflues, ou si elle s’engage dans des prières fréquentes au point d’oublier de dispenser aux prochains l’élan de l’amour, une telle âme, assurément, se montre moins terrible à ses ennemis, car elle a organisé moins parfaitement le camp de ses vertus. Elle a ordonné fermement une partie de ces vertus entre elles, mais en laissant sans force l’autre partie. Car parmi certaines vertus, comme par exemple les veilles, les jeûnes, le travail manuel, la méditation des Écritures, la parole de la prédication, la discrétion du silence, celui qui ne sait pas tenir l’équilibre nécessaire, erre. Ces vertus, si nombreuses, sont souvent à tenir de manière à interrompre quelquefois salutairement l’une ou l’autre. 3. Mais il est des dons de vertus plus excellents, sans lesquels on ne peut parvenir à la vie, comme la foi, l’espérance et l’amour (1 Co 13, 13) : ceux-ci sont tels que, sans considération de lieu et de temps, à aucun moment ils ne doivent manquer dans le cœur des fidèles. Une âme donc qui se munit toujours de ces vertus plus éminentes, et qui, dans la mise en œuvre des plus petites, tient soigneusement compte de ce qui convient au lieu et à l’heure, celle-là se montre terrible pour tous ses adversaires, elle s’avance comme une armée sagement et fermement ordonnée.
Marie, exemple et secours Mais en la bienheureuse Vierge Marie a brillé exemplairement chaque vertu bien ordonnée. Sans l’aide d’aucune imitation humaine, l’onction de l’Esprit venant sur elle l’enseignait de tout (1 Jn 2, 20 et 27). Sans qu’elle perçoive sa voix, il lui présentait le
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Sermon 101
témoignage concernant la lumière du Soleil de justice. Présente à elle-même, elle s’est embrasée et a resplendi totalement, au point que nous avons l’habitude de chanter d’elle seule que son illustre vie illumine toutes les Églises. De la preuve qui nous est divinement procurée, nous ne devons absolument pas douter : née aujourd’hui, elle allait recevoir le nom de Marie, or ce nom exprime clairement la plénitude de la grâce qui lui est impartie. Ce nom se traduita par « étoile de la mer »b, et c’est très adéquatement que l’on compare la Vierge à un astre, car celui-ci émet un rayon de lumière sans s’y épuiser ; et de même la Vierge enfante le Fils sans que soit blessée son intégrité. C’est donc elle, l’étoile extraordinairement brillante, étincelante de mérites et scintillante d’exemples, que rien n’empêche de s’élever au dessus de cette mer vaste et immense (Ps 103, 25). Qui que tu sois, si tu te perçois comme emporté par les flots de ce monde, ne détourne pas les yeux de l’éclat de cet astre, si tu ne veux pas être englouti par les tempêtes. Si contre toi s’élèvent les vents des tentations, si tu risques d’échouer sur les rochers des tribulations, regarde à l’étoile, appelle Marie. Dans les dangers, les situations critiques, le doute, prie Marie, invoque Marie. Que son nom ne s’éloigne pas de tes lèvres, qu’il ne s’éloigne pas de ton cœur ; et pour obtenir le secours de sa prière, ne t’écarte pas de l’exemple de sa conduite. En la suivant tu ne dévies pas, en la priant tu ne désespères pas. Sous sa conduite tu n’erreras pas, avec son appui tu ne te fatigues pas, grâce à son secours tu parviens à la Source même des miséricordes, au généreux Donateur des grâces, au Soleil de justice, à Jésus Christ, son Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père dans l’unité de l’Esprit Saint, Dieu pour tous les siècles des siècles. Amen.
a D’ici jusque vers la fin du paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 2, 17. b Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 14, CCSL 72, p. 76, 7s.
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SERMON 102 POUR LA NATIVITÉ DE SAINTE MARIE
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Marie désirée par Dieu 1. Frères très chers, le jour saint et solennel d’aujourd’hui a illuminé le monde : exultons et soyons dans l’allégresse. Aujourd’hui est née celle par qui tous nous renaissons : la glorieuse Mère de Dieu et Vierge Marie. Par son intermédiaire nous sommes reçus dans l’adoption des fils (Ga 4, 5) et nous sommes faits participants de toutes les grâces qui sont dans le Christ. En Marie nous voyons aujourd’hui accomplia ce qu’Isaïe avait annoncé d’avance : Une tige sortira de la racine de Jessé, et une fleur s’élèvera de cette racine (Is 11, 1). De fait, quand Marie est née de la maison de David, une tige est sortie de la racine de Jessé – oui, dis-je, quand elle est née elle s’avérait plus humble par rapport aux humains de ce monde qu’une petite tige gracile par rapport à de grands cèdres ou à d’énormes chênes. Et quand le Christ Seigneur est né d’elle, de la tige une fleur s’éleva, sur laquelle reposa l’Esprit septiforme du Seigneur (Is 11, 2). Reçu dans son chaste sein, il a répandu en elle la plénitude de toutes les grâces dont il est le Créateur. D’elle, qu’il avait élue dès l’éternité, il a désiré la beauté ; ainsi le Très Haut, dans l’amour par lequel il l’a toujours souhaitée, a désiré sa naissance. Car toua
D’ici à la note suivante, cf. Rupert de Deutz, In Canticum Canticorum, I.
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Sermon 102
jours il a désiré ce qui serait utile à ses créatures, le genre humain. S’il a jamais, dit-on, souhaité ou désiré quelque chose, c’est bien ce qui constitue le sommet du salut, la plénitude du temps où il est né d’une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui se trouvaient sous la loi pour nous conférer l’adoption des fils (Ga 4, 4).
Qu’elle vienne et se hâte 2. C’est rempli d’un tel désir qu’il s’écrie : Lève-toi, hâte-toi, mon amie, ma colombe, ma belle, viens (Ct 2, 10). Ces termes sont à entendre comme l’expression de Celui qui désire, comme s’il se hâtait et souhaitait que déjà soit présent le contenu d’un si grand salut : la naissance de la bienheureuse Vierge dont la chair serait pour lui le moyen d’assumer la chair. En parlant au présent, en quelque sorte, il l’exhortait à se lever et à se hâter, c’est-à-dire à naître et à lui préparer aussitôt l’hospitalité de son ventre. En réalité, avant même sa naissance il lui était présent, et avant même qu’elle soit, elle lui était bien connue. C’est ce que le bienheureux Apôtre affirme de lui-même et de tous les élus : Dieu l’a choisie avant la création du monde pour qu’elle soit sainte et immaculée en sa présence dans l’amour (Ép 1, 4).
Marie par opposition à Ève 3. Lève-toi et hâte-toi, mon amie, ma colombe, ma belle. En tout cela elle est le contraire d’Ève. Celle-ci est quasiment une ennemie, quasiment une vipère, quasiment laide et honteuse. Ennemie pour Dieu, vipère pour son mari, confondue et honteuse pour elle-même. Ennemie par l’orgueil dont elle s’est enflée intérieurement ; vipère par la perversité qu’elle a conçue du serpent en se laissant facilement tenter du dehors ; ignominieuse de par la démangeaison de la passion qui s’est mise aussitôt à fourmiller en elle ; si bien que, en prenant conscience d’être nue, elle tressa des feuilles par pudeur (Gn 3, 7).
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Sermon 102
Au contraire, Marie s’est faite amie par son humilité, colombe par son amour, belle par sa chasteté. Elle ne s’est pas enflée d’orgueil contre Dieu – davantage : elle a plu au Seigneur par l’humilité de son esprit, et la voici amie. Elle n’a pas prêté l’oreille au serpent – davantage : Dieu a dressé une inimitié entre elle et le serpent, et la voici colombe. Elle ne s’est pas jetée dans une nudité sensuelle – davantage : l’Esprit Saint l’a prise sous son ombre (Lc 1, 35) ; ainsi est-elle belle. Il lui est dit : Lève-toi, hâte-toi et viens. Lève toi par la foi, hâtetoi par l’espérance, viens par l’amour.
Femme pour femme
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4. Viens donc, Marie, viens, car Ève s’est dérobée dans des excuses. Viens et crois à l’ange et à la bonne nouvelle qu’il annonce, car Ève a ajouté foi au serpent et à ses murmures. Viens et écrase la tête du serpent, car Ève s’est trouvée jouée par la tête de ce serpent, charmée par son ventre, liée par sa queue. Viens et dis : Voici, je suis la servante du Seigneur (Lc 1, 38), car Ève, en se dérobant, comme aussi en se défendant, dit : Le serpent m’a séduite, et j’ai mangé (Gn 3, 13). Il est rendu femme pour femme : la sage pour la folle (cf. Mt 25, 2), l’humble pour l’orgueilleuse, celle qui, au lieu de l’arbre de mort, apporte la saveur de la vie, et qui, au lieu de la nourriture venimeuse d’amertume, enfante le fruit de l’éternelle douceur. Ces mots d’invitation de l’Époux, parmi les éloges adressés à l’épouse, écoutons-les aussi à l’occasion pour notre propre édification, car rien ne s’opposea à les entendre adressés aussi à l’âme élue. En raison de sa foi le Christ la nomme son amie, et colombe en raison de sa simplicité, enfin belle en raison de son activité. De fait, puisque, sans la foi nous ne pouvons plaire à Dieu (Hé 11, 6), il est juste que, grâce à la foi, nous soyons nommés amis ; car c’est par la foi que nous avons faim des réalités du ciel et que, rejetant D’ici à la fin du paragraphe 5, cf. Robert de Tombelaine, Expositio super Cantica Canticorum, II, 11 ; 15. a
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celles de la terre, nous nous attachons à Dieu. Colombe : l’âme est ainsi nommée en raison de sa simplicité, car, en scrutant dans la simplicité de son cœur la simplicité qu’est Dieu, elle ne se laisse nullement attirer, dépravée, par la joie inepte de ce monde. Et en se hâtant sans cesse vers les réalités éternelles, elle imite en aimant le gémissement de la colombe.
Belle par sa conversion 5. C’est en raison de son activité que, à bon droit elle est nommé belle, car elle rachète par ses bonnes œuvres les péchés de sa vie passée, comme si elle cachait aux yeux de l’Époux son ancienne turpitude en s’étant revêtue d’une beauté de meilleur aloi. L’Époux l’exhorte à se lever, à se hâter et à venir, car il s’impose que quiconque se hâte vers l’amour du Christ rejette autant qu’il peut l’engourdissement de la chair et mette rapidement sa ceinture pour poursuivre ce que réserve l’éternité. L’âme se lève lorsqu’elle s’arrache à l’habitude du péché, elle vient lorsque par les bonnes œuvres elle tend vers les réalités éternelles grâce aux pas d’un saint désir. Hâtons-nous vers le Seigneur comme par autant de pas que, par amour pour lui, nous accomplissons d’œuvres de vertus. L’âme sainte, lorsqu’elle considère la turpitude de sa vie passée et qu’elle énumère les péchés qu’elle a commis, rougit bientôt d’elle-même en sa conscience. Alors tout ce qu’elle a aimé en ce monde, se transformant pour elle en haine, elle se punit par ses larmes. Par une pénitence plus rude elle s’exile de toute souillure et se débarrasse de tout engourdissement dû à la négligence. Cela de manière à ne plus se traîner dans des pensées de bas niveau, mais à tendre par de saints désirs vers la recherche de réalités invisibles. Voilà pourquoi cette âme se lève et vient : elle s’arrache à la faiblesse de l’engourdissement par une profonde repentance et, s’exerçant par de saints efforts, elle court sur les pieds de l’amour vers les biens éternels.
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Le nom de Marie
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6. Après avoir parcouru dans une brève allégorie morale le sens de ces trois verbes, revenons à celle dont la glorieuse nativité a consacré ce jour en vue d’une vénération exceptionnelle. Et fixons notre attention sur l’espérance qu’apporte son nom. Son nom est Marie, un nom qui suppose des mérites, un nom qui n’est pas tant choisi pour le plaisir de l’homme qu’attribué en raison de ce privilège qu’est la grâce du ciel dont Marie est comblée. Et de même que, à partir de tous les sens que le nom de Jésus pouvait rassembler par analogie, il exprime l’unique Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus (1 Tm 2, 5), de même celle qui est bénie entre toutes les femmes (Lc 1, 42), Marie est la seule d’entre elles à porter adéquatement ce nom en raison de la puissance qu’elle a d’illuminer. Il se traduit par « étoile de la mer »a, et c’est vrai qu’elle est, entre tous les astres du ciel, le plus resplendissant sur la mer ténébreuse et houleuse de ce monde – par Celui qui a voulu naître d’elle, décidant d’être dans ses fragilités humaines le plus élevé. Sib donc nous sommes éprouvés par toutes les tentations possibles, si nous gisons sous les eaux de l’orgueil, de la colère, des séductions charnelles et de tous les autres vices imaginables, regardons à l’étoile, invoquons Marie. Si, accablés sous la masse de nos fautes, troublés par la laideur de notre conscience, bouleversés par l’horreur du jugement, nous nous mettons à sombrer dans l’abîme de la désespérance, pensons à Marie. Pensant à elle, nous n’errons pas ; tenus par elle nous ne tombons pas, si elle nous protège nous ne périrons pas : du milieu des flots, sous sa conduite nous pourrons parvenir au port du repos éternel – secourus par la grâce de notre Sauveur, son Fils Jésus Christ, qui vit avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles. Amen.
a Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 14, CCSL 72, p. 76, 7s. b D’ici vers la fin du paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 2, 17.
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Marie, figure de l’Église et de l’âme 1. La nativité de la vénérable et toujours glorieuse Vierge Marie, nous la célébrons aujourd’hui, frères, avec beaucoup de dévotion : elle qui enfantera le Soleil de justice (Ml 4, 2) s’avance comme l’aurore (Ct 6, 10) et répand sur l’univers la lumière éternelle. À sa naissance on la nomme « étoile de la mer »a, car par elle le genre humain est conduit de la mer agitée de ce monde à la tranquillité de la vie perpétuelle. C’est elle que, par sa puissance, le Seigneur a bénie. C’est elle que, parmi toutes les créatures, il a choisie pour assumer en sa réalité physique la chair de l’humanité. Cette chair, il entend l’offrir en sacrifice en vue d’abolir les fautes du monde entier. C’est elle la gloire de la Jérusalem céleste ; au regard du Roi suprême elle est belle et admirable dans ses vêtements, dont David dit dans un psaume : À ta droite la reine en vêtements dorés (Ps 44, 10). Salomon aussi, sous la figure de la femme forte, évoque de manière rapide et belle la variété de couleurs de son vêtement : Force et beauté la revêtent (Pr 31, 25) : oui, la force de l’humilité et la beauté de la chasteté. Comme d’un double vêtement, la très Cf. Jérôme, Liber de interpretatione hebraicorum nominum 14, CCSL 72, p. 76, 7s. a
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sainte Vierge est ornée ainsi qu’ il convient au dedans et au dehors, ce qui la rend digne – au dire du pape Léona – d’être habitée par la progéniture divine et humaine avant même de la concevoir spirituellement et physiquement. Ces mots, avec les suivants, se rapportent à la personne de l’Église universelle ; ce n’est pas cependant à tort que cette Église, par eux, honore la mémoire de la bienheureuse Marie, car ce que celle-là possède par partie dans ses membres resplendit en totalité dans la vie de Marie. De fait, la future Mère de Dieu est saluée avec honneur par l’ange en ces termes : comblée de grâce et bénie entre les femmes (Lc 1, 28 et 42). Ainsi tout ce qui pourra être avancé en vue de l’édification morale se réfère nécessairement soit à l’Église soit à une âme élue, étant entendu qu’on l’estime principalement présent en Marie.
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2. C’est pourquoib il est dit : Force et beauté forment son vêtementc. La force pour supporter la méchanceté des pervers, la beauté pour pratiquer le charme des vertus. La force parce qu’elle endure la persécution pour la justice (Mt 5, 10), la beauté parce qu’elle réalise la justice. Le psalmiste propose une phrase similaire : Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de la beauté, il s’est revêtu de la force (Ps 92, 1). De fait, lorsque le Seigneur proclamait l’évangile du Royaume, il plaisait aux uns, déplaisait aux autres. Les uns parlaient de lui en bien, les autres le rabaissaient, le mordaient, l’injuriaient. Envers ceux à qui il plaisait, il se revêtait de beauté, mais de force à l’égard deceux qui lui déplaisaient. Nous aussi frères, imitons donc notre Seigneur à notre mesure, afin de pouvoir être son vêtement. Pour ceux à qui plaisent nos Cf. Léon le Grand, Tractatus, 21, 1. D’ici à la fin du sermon, cf. Bède le Vénérable, In Prouerbia Salomonis, III, 31, 25–31. c L’auteur, à partir d’ici et jusqu’à la fin du sermon, commente ligne par ligne les derniers versets du Livre des Proverbes concernant la « femme forte », type ici de l’âme du croyant. a
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bonnes œuvres soyons accompagnés de beauté ; et soyons aussi forts face à nos détracteurs, pour qu’il nous arrive ce qui suit : Ellea rira au dernier jour (Ps 31, 25), autrement dit elle se réjouira lors de la récompense du Royaume des cieux, elle qui se désolait dans la vie présente. C’est en effet l’habitude de l’Écriture que de poser le rire pour la joie, comme le dit le Seigneur : Heureux vous qui pleurez, car vous rirez (Lc 6, 21). Et le bienheureux Job : La bouche véridique éclatera de rireb, sa bouche s’est ouverte sur la sagesse (Pr 31, 28 vg). Sa bouche ne s’est ouverte que pour enseigner la sagesse, selon cette parole de l’Apôtre : Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche, mais toute parole bonne en vue d’édifier et d’apporter une grâce à ses auditeurs (Ép 4, 29). Ou encore : la bouche du cœur s’est ouverte pour apprendre de la sagesse, intérieurement, la vérité, qu’elle enseigne à d’autres extérieurement.
La loi de la clémencec À ces deux dimensions – car l’Église procède de ces deux manières – convient parfaitement ce qui suit : Sur sa langue la loi de la clémence (Pr 31, 26 vg). Cette loi ne punit pas immédiatement les pécheurs, à la manière de la loi de Moïse, mais elle les rappelle aux remèdes de la miséricorde. Oui, vraiment, on la trouve sur la langue de la Mère de Dieu infiniment bénie, cette loi de la clémence, puisque tant et tant de pécheurs sont chaque jour arrachés par elle à ce qu’on peut appeler la gorge de l’enfer et aux pièges des péchés, et cela aussi bien par les exhortations des lectures que par les expériences quotidiennes d’une foi humblement fervente. L’exemple de cette clémence, notre Seigneur et Sauveur l’a manifestement recueilli de la sagesse même de Dieu lorsqu’il dit, à propos de la femme pécheresse qu’on lui présentait : Que celui qui est sans péché soit le premier à lui lancer une « elle » : il s’agit de la femme forte. Cf. Ps. Salonius, In Parabolas Salomonis expositio mystica, PL 53, 991BC. c La clémence comporte ici les deux dimensions de la beauté et de la force, de la miséricorde et de l’exigence. a
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pierre (Jn 8, 7). Voilà comment il l’absout miséricordieusement de la faute qu’elle a commise, à la condition de ne plus pécher désormais.
Manger son pain en travaillant 3. Elle a considéré les chemins de sa maison et n’a pas mangé son pain dans l’oisiveté (Pr 31, 27). Elle n’a pas mangé son pain oisive, car ce qu’elle a perçu et compris de la parole sainte, elle l’a montré et présenté aux yeux du Juge éternel. La maison de la femme forte, c’est la Patrie céleste. Les sentiers de sa maison, ce sont les préceptes de la justice, par lesquels on parvient à la demeure de la vie éternelle. Ces chemins, l’âme les considère de la bonne manière lorsqu’elle examine avec soin les actes par lesquels elle doit parvenir dans les hauteurs, et qu’elle ne cesse de s’exercer à faire ce qui lui a été enseigné. De même elle ne mange pas son pain dans l’oisiveté puisque, en recevant le sacrifice du corps du Seigneur, elle s’efforce d’imiter ce qu’elle célèbre en mystère. Elle a grand souci de ne pas manger son propre jugement en mangeant indignement ce pain du Seigneur et en buvant indignement à sa coupe (1 Co 11, 28s). Au contraire, en déployant de la patience pour le Christ, en répandant ses larmes et en s’adonnant aux bonnes œuvres, elle suit autant qu’elle peut la passion du Seigneur et ses exemples. La femme forte ne mange pas son pain dans l’oisiveté, se conformant ainsi à cette parole de l’Apôtre : Que celui qui ne travaille pas ne mange pas non plus (2 Th 3, 10). Et, parlant de lui-même, il dit : À mes besoins et à ceux de mes compagnons ont pourvu les mains que voici (Ac 20, 34).
Les fils de l’Église la proclameront bienheureuse 4. Ses fils se sont levés et l’ont proclamée bienheureuse (Pr 31, 28). Ils se lèvent, les fils de l’Église, à savoir tous les élus gratifiés au dernier jour de l’immortalité de la chair, et ils proclament bienheureuse leur mère qui les a engendrés de l’eau et de l’Esprit (Jn 3, 5), bien que pour le moment elle soit méprisée comme misérable par
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les infidèles. Et c’est bien vrai, comme le dit l’Apôtre : Si c’est pour cette vie seulement que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les humains (1 Co 15, 19) Non, c’est pour l’autre vie que nous militons dans le présent, et à bon droit, lorsqu’aura paru ce que nous serons (1 Jn 3, 2). Notre mère, qui rassemble en elle tous les justes, est nommée colombe, épouse, amie, nous la proclamerons bienheureuse. Ce qui peut se comprendre pour notre temps puisque tout fidèle, une fois surmontées les tribulations de ce monde, est conduit au Royaume céleste. Car s’asseoir dans l’humilité consiste quelquefois à se lever dans la gloire. Ils se lèvent donc, les fils de l’Église, et la proclament bienheureuse lorsque, élevés vers les biens du ciel, ils ont mérité de participer à ce grand bonheur qui est le sien, ils la regardent et, par la louange qui lui est due, ils la célèbrent ensemble dans la vision de Dieu.
De vraies et de fausses richesses 5. Son mari aussi chante ses louanges (Pr 31, 28), puisque les biens qu’il lui donne dans le temps présent, il les rémunérera dans l’avenir, disant lors du jugement : Venez, les bénis de mon Père, entrez en possession du Royaume qui vous a été préparé depuis l’origine du monde, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… (Mt 25, 34s). Car lui-même est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis (1 Co 15, 20), mais il se manifestera avec plus d’évidence à tous ceux qu’il aura jugés dignes de sa louange, leur montrant combien est grande la gloire de cette résurrection. Voici les paroles par lesquelles il les loue dans la suite du texte : Nombre de filles ont rassemblé des richesses, mais toi tu les surpasses toutes (Pr 31, 29). Cela peut s’adresser personnellement à la bienheureuse Marie, de manière à nous faire comprendre que beaucoup de filles imitent sa virginité. Elles rassemblent ainsi beaucoup de richesses de mérites, par lesquelles l’éclat de leur intégrité est mis en valeur ; et par cela elles dépassent dans la Patrie tous les autres élus. Pourtant la Mère de Dieu, par ses richesses, surpasse toutes les leurs, elle dont
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la virginité a été honorée par sa fécondité divine, et dont l’enfant lui-même s’avère le salut du monde. Celui-là, plus il restaure chaque jour la vie, plus les richesses de la gloire s’amassent pour sa mère. En généralisant nous pouvons aussi identifier ce grand nombre de filles avec les nombreuses Églises des hérétiques et avec les masses des mauvais catholiques. Ces filles sont dites du Christ ou de l’Église, car elles aussi sont renées des sacrements du Seigneur et avaient reçu l’adoption qu’elles n’ont pas su garder. Ce qui fait dire à Jean : Ils sont sortis de chez nous mais ils n’étaient pas des nôtres (1 Jn 2, 19). Elles ont amassé des richesses, celles des bonnes œuvres : prières, jeûnes, aumônes, affliction et ascèse de la chair, maîtrise de la langue, méditation des Écritures, et toutes choses de ce genre. Or les richesses de l’Esprit se montrent vraies là où règne la pure intégrité, tandis que, sans la foi opérant par l’amour, elles n’ont aucune utilité pour ceux qui les mettent en pratique. Ces filles-là ont amassé des richesses en vain. C’est à leur sujet que le Seigneur déclare : Ils seront nombreux en ce jour-là à me dire : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons fait de nombreux miracles ? – Alors je leur répondrai : Je ne vous ai jamais connus (Mt 7, 22s). Toutes les filles de cette sorte, l’Église les surpasse, elle qui, dans une foi parfaite et une action chaste, suit les traces de son Rédempteur.
La crainte de Dieu 6. Tromperie que la grâce, vanité, la beauté (Pr 31, 30). Tromperie, la grâce de la louange reçue d’un humain ; vanité, la beauté de la chasteté ou d’une œuvre bonne, si l’âme en fait montre aux humains et manque de la crainte de Dieu. La femme qui craint Dieu, voilà celle qui sera louée (Pr 31, 30). L’âme dont la conscience est pure se montre digne de la vraie louange, car elle a conservé en tout la crainte du Seigneur. La crainte de Dieu, en effet, s’avère le principe et la gardienne de toutes les autres vertus, au dire de l’Écriture : Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de Dieu (Pr 1, 7). Et encore : Qui craint Dieu ne néglige rien (Qo 7, 19 vg). C’est ainsi que le
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bienheureux Job, dans la prospérité, a fleuri de vertus, tout en persévérant dans les adversités de l’Ennemi invincible, car il a pu dire en toute vérité : Les flots n’ont cessé de déferler sur moi, et c’est ainsi que j’ai craint le Seigneur, et son poids, je n’ai pu le porter (Jb 31, 23 vg). Tromperie, la grâce de ceux qui font semblant ; vanité, l’œuvre des insensés. L’Église vit dans la crainte durant le temps où elle réside à l’étranger, mais quand elle offrira les lampes ardentes des vertus à son Époux venu pour le jugement, louée alors par Dieu à juste titre, elle franchira avec lui la porte du Royaume des cieux.
La récompense promise 7. Or la manière dont il la loue, le dernier verset l’enseigne : Donnez-lui part au fruit de l’œuvre de ses mains ; et aux portes, ses œuvres la loueront (Pr 31, 31). Ce sont là les paroles de son mari, dont il est dit : Son mari fera son éloge (Pr 31, 28). Il s’agit de notre Seigneur et Sauveur qui, à la fin, donnera l’ordre aux anges de rassembler l’Église après le combat de cette vie et le battage dû aux afflictions terrestres ; ce sera pour qu’ils l’introduisent dans les joies du Royaume des cieux et l’associent à la vie immortelle, selon ce passage de l’Évangile : Le blé, rassemblez-le dans mon grenier (Mt 13, 30). Donnez-lui part au fruit de l’œuvre de ses mains, car elle a pris soin de porter le fruit de l’Esprit : l’amour, la joie, la paix, la bienveillance, la bonté, la modestie, la foi, la patience (cf. Ga 5, 22s.). Pour cela rendez-lui la récompense qui lui est due. Et aux portes, ses œuvres la loueront, ce qui évoque soit le jugement, soit l’entrée dans la Patrie céleste, et non pas la faveur superflue des humains, mais les œuvres mêmes qu’elle a accomplies, après leur examen, leur approbation et leur récompense par Celui dont la grâce les a rendues parfaites. Puisse-t-il, pour que nous méritions d’être loués, nous accorder avec bonté de le louer ensemble par les services qui lui sont dus dans la vie présente ; et qu’il veuille en même temps nous donner d’honorer la nativité de sa très glorieuse Mère et les mérites de celle-ci, toujours dignes d’éloges – lui qui, avec le Père et l’Esprit Saint, vit et règne, Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
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Surgissant comme l’aurore 1. Qui est-elle celle-ci qui s’avance, surgissant comme l’aurore, belle comme la lune, élue comme le soleil ? (Ct 6, 10). Aux joies de la fête d’aujourd’hui, bien aimés, la naissance de la glorieuse Marie a donné un caractère sacré ; cette naissance est d’autant plus sainte et tout à fait digne du culte chrétien, que la raison de cette naissance n’est pas la même que pour le reste des humains. C’est le Créateur lui-même, destiné à être un jour son fils, qui a fait naître Marie telle qu’il savait qu’elle conviendrait à ce dessein. C’est lui qui fut, comme ceux d’autrefois, un prophète – bien plus : la foi étant sauve, on a pu le dire plus qu’un prophète (Mt 11, 9). À ce titre c’est lui qui a formé Marie dans le sein de sa mère et qui, avant même de sortir lui-même de son ventre, l’a sanctifiée. C’est lui qui l’a choisie comme le vase par lequel il descendrait ; il se l’est dédiée comme le palais du sein virginal qui le contiendraita. Cette Vierge n’a pas connu le lit nuptial dans la faute, car elle était très spécialement consacrée au Fils de Dieu et particulièrement marquée du sceau de l’Esprit Saint. C’est elle l’ « étoile du matin » (Si 50, 6) parue au milieu des nuages ; du sommet du ciel, en brillant d’un éclat considérable, elle a illuminé la terre entière a
Commune beatae Mariae Virginis ad matutinas. Antiphona 3a primi nocturni.
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des rayons de sa lumière. Parlant de sa naissance, par l’intermédiaire de Salomon dans le Cantique, l’Esprit Saint l’a mise à part de l’ensemble de toutes les naissances humaines, disant : Qui estelle celle-ci qui s’avance, surgissant comme l’aurore ? Adéquate et limpide est cette comparaison de la naissance de la bienheureuse Vierge avec le surgissement de l’aurore. Dans la lumière de midi notre premier ancêtre été créé, doté de l’image et de la ressemblance de son Créateur. Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, a-t-il dit (Gn 1, 26). L’image, il la lui a donnée pour l’éternité, la ressemblance réside dans la bonté raisonnable de son comportement. Mais Adam, rejetant la dignité d’un si grand privilège et séduit par une fausse promesse, s’attacha à l’esprit apostat ; ainsi se destina-t-il, avec sa postérité, aux ténèbres perpétuelles de la mort. Dès cette heure les ténèbres s’étendirent sur la terre entière (Mt 27, 45) jusqu’à la Vierge, et il ne s’est trouvé personne pour en sortir ou pour les dissiper. Le monde croissant, les ténèbres aussi s’épaissirent jusqu’à ce que tout le genre humain se trouve recouvert par la nuit très dense de l’iniquité et de l’ignorance.
Surgissant comme l’aurore 2. La Vierge étant née aujourd’hui, l’aurore a surgi, car Marie montre par sa naissance admirable la lumière qui se lèvera d’elle. Commence alors de resplendir le jour de la grâce libératrice. C’est donc elle l’aurore, à laquelle succède – mieux : dont naît le Soleil de justice (Ml 4, 2). L’éclat de Marie peut être dépassé par la splendeur dont rayonne le trône du Soleil. C’est elle l’aurore : ne saurait la voir quiconque ne voit que ce qui est très élevé, incapable de regarder à tout ce qui est humble. Et le bienheureux Job prie pour qu’à celui-là cette multitude des choses soit enlevée et fermée : Qu’il ne voie pas se lever l’aurore (Jb 3, 9). Non vraiment, il ne voit pas se lever l’aurore, car dans cette naissance il ne reconnaît rien de son péché, alors que Marie sort sanctifiée et comblée de grâce (Lc 1, 28) du sein de sa mère. Elle n’a
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jamais supporté de ressentir le moindre orgueil et elle est demeurée libre à l’égard du pouvoir de celui qui s’avère roi sur tous les fils de l’orgueila. À toi le jour, Seigneur, où Adam a été créé, à toi la nuit (Ps 73, 16) où il a été rejeté du jour, privé de la lumière de l’éternité et emmené dans les ténèbres de la mortalité. C’est toi qui as agencé l’aurore en faisant naître la Vierge Mère, laquelle, dans la chambre pure de son intégrité, a donné naissance au Soleil de justice. Comme l’aurore atteste de la fin de la nuit et le commencement du jour, ainsi la naissance en ce jour de la bienheureuse Vierge a marqué la fin de la condamnation et le commencement du salut ; elle a chassé la nuit sempiternelle et répandu le jour du jour, à savoir le Seigneur, Fils du Dieu Père, né de la terre de sa virginité. L’aurore s’avance, est-il dit, comme si elle sortait de loin, car son prix vient de loin, des limites ultimes (Ps 31, 10 vg).
L’humilité sur laquelle repose l’Esprit 3. Belle comme la lune (Ct 6, 10). Quoi de plus beau que la lune lorsque, au firmament du ciel, elle surpasse par son éclat le resplendissement des étoiles ? Ainsi la Vierge, parmi toutes les âmes des saints, surpasse par sa hauteur les mérites de tous. Élue comme le soleil (Ct 6, 10), car de même que le soleil illumine la terre entière, ainsi elle seule illumine tous les humains par la lumière exceptionnelle de ses vertus, pour autant que ceux-ci l’imitent. La première, la principale de ces vertus, et la plus nécessaire à imiter, c’est en elle l’humilité ; voilà la seule chose dont elle est glorifiée, la seule, comme elle l’atteste, que Dieu a regardée en elle : Il a posé les yeux sur l’humilité de sa servante (Lc 1, 48) – l’humilité, oui, et non la chasteté. Carb s’il s’est plu à sa chasteté, c’est en raison de son humilité qu’il l’a reçue. D’où l’on peut conclure que le plaisir qu’il trouve dans sa chasteté, c’est l’humilité qui l’a Jb 41, 26. Il s’agit chez Job du Léviathan, type ici du diable. Pour les quelques lignes qui suivent, jusqu’à « rendue féconde », cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in laudibus Virginis matris 1, 5. a
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mérité. Il pose la question : Sur qui mon Esprit reposera-t-il, sinon sur l’être humain humble et paisible ? (Is 62, 2). Sur l’humble, a-t-il dit, non sur la vierge. Par conséquent si Marie n’eût été humble, l’Esprit ne serait pas venu reposer sur elle. Et s’il n’était venu reposer sur elle, ne l’avait pas rendue féconde, on ne la nommerait pas Mère de Dieu, elle ne le serait pas, et ne le serait aucunement devenue. Voilà donc tout ce que mérite l’humilité. Soisa donc humble, ô homme, sois paisible pour que Dieu repose dans l’élan de ton désir. Lui qui ne repose pas sur les bêtes, ne repose pas davantage dans un cœur bestial. Ce sont les âmes bestiales, les fauves revêtus d’une forme humaine, dont parle le Seigneur en ces termes : Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous vêtus en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces (Mt 7, 15). Non, en eux Dieu ne vient pas reposer, mais il repose sur les conduites humaines de ceux qu’il a faits à son image et à sa ressemblance (Gn 1, 26).
Humilité et foi 4. Il est deux vertus, plus que toutes les autres, à charmer Dieu : l’humilité et la foi. Le gage que donne la bienheureuse Marie de ces deux mérites a brillé en elle : la foi en ce que l’ange lui a annoncé, à savoir que, contre les droits de la nature, vierge, elle enfanterait ; ensuite l’humilité de croire qu’à Dieu tout est possible (Lc 1, 37). Alors qu’elle est choisie comme Mère de Dieu, elle préfère néanmoins s’avouer et se reconnaître sa servante (Lc 1, 48). À titre de figures de ces deux preuves d’empressement fervent – l’humilité et la foi – les deux pieds, dans le corps humain, s’accompagnent d’une flexibilité des genoux. Celle-ci, plus que toutes les autres vertus données par le Seigneur, pacifie l’offense, adoucit la colère, suscite la grâce. Le pied signifie l’élan affectif de l’humilité et l’assiduité d’un humble service ; et la foi, dans les prières, obtient ce qu’elle demande. À juste titre elles ne sont que deux, car les pieds de l’homme sont au nombre de deux. Les animaux en a
Pour la fin de ce paragraphe, cf. Ambroise de Milan, Hexameron, VI, 8, 49.
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ont quatre, les oiseaux deux, et l’homme se montre comme un de ces volatiles : par la force de son esprit il recherche les hauteurs et s’envole sur les ailes de ses pensées les plus élevées. C’est ainsi qu’il est dit : Ta jeunesse se renouvellera comme l’aigle (Ps 102, 5) ; de fait il se tient plus près du ciel, et se montre plus élevé que les aigles, celui qui peut dire : Notre existence se trouve dans les cieux (Ph 3, 20). Eta puisque nous marchons au milieu des pièges que nos ennemis nous cachent sur le chemin, tout comme l’oiseau en volant évite le piège, portons-nous vers les réalités supérieures et survolons celles de la terre. Dans les réalités supérieures, en effet, personne ne tend des pièges, on n’a pas l’habitude de fondre sur une proie et de la capturer, on ne tombe pas dans une fosse. La fosse, à vrai dire, c’est la bouche de l’homme, le cœur de l’homme aussi s’avère une fosse profonde, là où se tiennent les conseils nocifs et frauduleux, et les mauvaises pensées. Or quoi d’étonnant si l’homme est trompé par l’homme, puisque le Fils de l’homme n’avait pas un lieu où reposer (Mt 8, 20) ? C’est lui qui a créé l’homme tel que sur lui il reposerait la tête, pour ensuite reposer dans notre cœur. Or on a cessé de se comporter en prochains pour devenir une fosse ; on s’est mis à se tendre réciproquement des pièges au lieu de s’aider comme on l’aurait dû ; aussi le Christ a-t-il détourné la tête, alors que sa tête, il voulait d’abord l’offrir pour nous dans la mort.
Le Christ reposant sur l’homme 5. Ne sois pas trompeur, cruel, sans douceur, sans miséricorde, pour qu’alors il incline la tête sur toi. Car lorsqu’il a créé les grands poissons, les différents fauves et le bétail, il ne s’est pas reposé. Il ne s’est reposé qu’après avoir fait l’homme à son image. Effectivement il avait fait l’homme capable de raison, imitateur de Dieu, très désireux des vertus, avide des grâces célestes. Sur de tels hommes Dieu repose, lui qui dit : Sur qui reposerai-je, sinon sur l’homme humble et paisible, qui tremble à mes paroles (Is 66, 2). Grâces soient donc D’ici au premier tiers du paragraphe 5, cf. Ambroise de Milan, Hexameron, VI, 8, 48–49. a
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au Seigneur notre Dieu qui a disposé une œuvre sur laquelle il reposerait. Il a créé le ciel, et je ne dis pas que c’est pour s’y reposer ; il a fait le soleil, la lune et les étoiles, et je ne dis pas que là il s’est reposé, mais je dis qu’il a fait l’homme, et qu’alors il s’est reposé, ayant en celui-là quelqu’un à qui remettre ses péchés. Ou peut-être le mystère de la fête d’aujourd’hui a-t-il déjà précédé celui où il est révélé que le Christ reposerait sur l’homme, lui qui se préparait un repos dans le corps de l’homme pour la rédemption de celui-ci. Il établissait ainsi qu’aujourd’hui il ferait naître sa Mère, dans le sein virginal de laquelle il habiterait. Ayant assumé la vérité de la chair, comme un Époux, il s’avancerait de la chambre nuptiale (Ps 18, 6), conformément à ce que chante la Vierge, se congratulant du privilège d’un si grand don qui lui fut concédé : Celui qui m’a créée a reposé dans mon tabernacle (Si 24, 12 vg). Par conséquent, frères, puisque fut déposée en Marie la plénitude de Celui qui est totalement bon et qui a daigné naître en elle, de toute la profondeur de notre cœur, de tous les élans de notre âme et de tous nos vœux, vénérons cette Marie, et que, par son intermédiaire nous puissions avoir pour propice Celui qui est descendu par elle jusqu’à nous, Jésus Christ, notre Seigneur.
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La force de leurs prières réunies 1. Elle est remarquable et brillante, la fête de ce jour, frères très chers, elle embrasse simultanément la mémoire de tous les saints dans l’honneur que leur rend une unique célébration. La raison de son institution par les Pères, la voici : ce qu’on fait pour la naissance au ciel de chaque saint peut manquer de dignité, ce à quoi supplée l’empressement de ferveur d’aujourd’hui. En outre les saints de Dieu pourront nous obtenir par leurs supplications une miséricorde d’autant plus large et abondante de la part de Dieu que, par leurs prières réunies, ils interpellent Celui dont la bonté le présente de manière habituelle comme favorable à chacun. Vers ceux qui crient des profondeurs (Ps 129, 1), il incline des oreilles de bonté ; à plus forte raison vers ceux qui, de près, et même de tout près, le supplient face à face : il les réjouit en exauçant rapidement leurs demandes. Cette sublime et glorieuse solennité s’avère pour nous annuelle, mais elle est continue pour les citoyens de cette cour céleste dans leur vision de la divinité. Car là se tient la première de tous les saints et Mère du Roi des anges, gloire du genre humain, déifiée par son enfantement divin, illuminée par l’éclat de la divinité, elle a pris place à titre de Reine des cieux aux côtés du Roi, son Fils. Et cependant elle ne se montre pas ingrate envers ce don qui dépasse la mesure humaine, celui de siéger avec lui. Car elle a beau le re-
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connaître pour son Fils, elle ne l’honore pas moins, et le vénère, comme son Dieu et son Seigneur. Là aussi se tient la troupe des anges, mise à part et ordonnée suavement pour servir leur Créateur. Ainsi, envers ceux qui héritent du salut (Hé 1, 14), ils remplissent au dehors un ministère, sans que pour autant s’interrompe d’aucune manière le désir dont ils brûlent pour Dieu (1 P 1, 12). Là encore se tiennent les patriarches, premiers choisis, la communauté combien honorable des prophètes, le sénat des apôtres, appelé à juger, l’assemblée triomphale des martyrs, le rassemblement fleuri des confesseurs, la multitude très pure des vierges.
Le Saint par excellence 2. Ce jour est consacré aux glorieuses louanges de tous ceux dont la gloire aujourd’hui est célébrée en tout lieu. Mais parmi les premiers de tous les saints, celui-là est à louer, celui-là à juste titre est à glorifier, dont tout ce qu’on trouve de digne de louange parmi les saints est à attribuer à sa grâce. Or, puisque lui-même est indicible dans sa majesté, incompréhensible dans son immensité, invisible par nature, que pourront proclamer dignement les mortels à sa louange ? Grâces soient rendues à sa bienveillance, car ce qui est totalement impossible à l’homme de par sa nature, Celui-là l’a rendu possible dans une certaine mesure par sa grâce. En fonction de notre salut, il a jugé en effet décisif de se montrer à nous dicible et visible. À l’exemple du psalmiste, nous bénissons le Seigneur en tout temps (Ps 33, 2), lorsque nous excluons de notre bouche les bagatelles des conversations d’ici-bas ; il ne nous reste ainsi plus qu’à dire avec bonheur ce qui nous enflamme, nous et nos prochains, à l’aimer ; alors sans nul doute, nous le proclamons. Puisqu’il est écrit : Dieu est amour (1 Jn 4, 8), quiconque aime Dieu d’un esprit totalement engagé envers lui possède Celui qu’il aime, et, en aimant, il comprend le Dieu incompréhensible. Dans le même sens l’apôtre Paul affirme : Ce qu’il y a d’invi-
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sible en Dieu se laisse voir à l’intelligence par ce qu’il a fait (Rm 1, 20). Par conséquent si nous ne pouvons le voir en lui-même, nous connaissons tout de même sa gloire à partir de la qualité de ses œuvres.
Puissance, sagesse et bonté de Dieu… 3. Trois réalitésa sont invisibles en Dieu : la puissance, la sagesse, la bonté. De ces trois procède tout, en ces trois consiste tout, par ces trois tout est régi. La puissance crée, la sagesse gouverne, la bonté conserve. L’immensité de la création manifeste sa puissance, le rayonnement de la création sa sagesse, l’utilité de la création sa bonté. Mais à quoi nous sert-il de connaître en Dieu, par ses œuvres, la hauteur de sa majesté, si nous n’en recueillons aucune utilité ? Que nous importe de voir sa lumière si nous demeurons dans les ténèbres ? Au contraire, si nous voyons ici-bas sa puissance, apportons la lumière de la crainte de Dieu ; si ici-bas nous regardons sa sagesse, apportons la lumière de la vérité ; si nous voyons ici-bas sa volonté, apportons la lumière de l’amour. Sa puissance excite la crainte chez les engourdis, sa sagesse éclaire par la lumière de la vérité les aveugles plongés dans les ténèbres de l’ignorance, sa bonté enflamme les êtres froids par la chaleur de l’amour. Dans l’évidence d’une si grande lumière, ô homme, comment prends-tu prétexte de ton ignorance ? Voici, tu sais quel être tu es, et quel est ton Créateur ; tu sais que tu es mauvais et que tu n’as pas été créé mauvais par le bon Créateur. Et tu ne cries pas sans cesse vers lui qui t’a fait pour qu’il te recrée ? Non, tu n’invoques pas Celui qui t’a créé pour qu’il te rachète, mais tu cries pour te défendre impudemment contre ton Créateur ?
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Pour ce paragraphe 3, cf. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, VII.
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… qui sont à prendre au sérieux 4. Ne doute pas de sa puissance : vois ses œuvres et leur quantité. Ne doute pas de sa sagesse : vois ses œuvres et toute leur beauté. Ne doute pas de sa bienveillance, vois ses œuvres et combien elles te sont utiles. Il montre donc par son activité tout ce dont il est capable pour notre rédemption. Il nous montre aussi quel Juge redoutable peuvent attendre ceux qui n’auront pas voulu l’avoir pour Rédempteur. Personne ne peut lui résister, car il est tout puissant ; personne ne peut le tromper, car il est infiniment sage ; personne ne peut le corrompre car il est très bon ; personne ne peut l’esquiver, car il est partout présent ; personne ne peut le supprimer, car il est éternel ; personne ne peut le fléchir, car il est immuable. Si donc nous ne voulons pas le ressentir comme Juge, cherchons-le comme Rédempteur.
L’exemple du Christ et des saints En apparaissant visible dans l’humanité, il nous a montré des exemples pour vivre. En les imitant, que nous soyons trouvés, avec l’œil de notre cœur purifié, en état de voir le Christ rayonnant dans sa divinité et celle du Père. Et avec tous les saints dont nous faisons mention aujourd’hui et qui ont suivi ses traces jusqu’à l’effusion de leur sang, nous régnerons avec le Christ éternellement. Voilà la raison pour laquelle nous célébrons dans leur grand nombre les fêtes des saints et racontons leurs faits et gestes. Non pas qu’ils en retirent quelque honneur ; en effet, nous n’avons pas à penser qu’ils ont besoin de quelqu’un qui fasse leur éloge. Ils se suffisent bien de l’éternelle louange et de la gloire indéfectible qu’ils ont trouvées en présence du Christ et des anges, et qu’ils recevront plus pleinement avec leurs corps lors de la résurrection générale. De fait, ils resplendiront comme le soleil dans le Royaume de Dieu (Mt 13, 43), lui qui glorifie ceux qui l’auront glorifié. Reconnaissant leur vie, efforçons-nous de toutes nos forces de devenir leurs disciples ; et à partir de l’exemple qu’ils nous pro-
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posent, percevons avec plus de finesse ce que peut être notre vie. Car la vie des bonsa se présente comme un livre vivant. Aussi n’estce pas à tort que les justes, dans la sainte Écriture, sont nommés des « livres », comme il est écrit : Des livres furent ouverts, et un autre livre, celui de la vie ; alors les morts furent jugés d’après ce qui était écrit dans les livres (Ap 2, 12). Le livre de la vie représente la vision du jugement à venir ; il y est écrit en quelque sorte tout le commandement, et quiconque l’aura vu, à travers le témoignage de sa conscience, comprend bientôt ce qu’il n’a pas fait. Les livres sont apportés ouverts, car on y voit la vie des justes : en eux les commandements célestes apparaissent comme imprimés dans leur comportement.
Se laisser stimuler par les saints
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5. Et les morts furent jugés d’après ce qui était écrit dans les livres. Car dans la vie manifestée des justes on lit, comme à livres ouverts, le bien que ces morts-là n’auront pas voulu faire et qui sont condamnés en regard de ce que les saints ont accompli. Que nul, en les voyant, ne pleure sur eux ; pour le moment, qu’il se montre attentif à ce qu’en eux il s’agit d’imiter. En effet, tant que nous ne pouvons encore voir le jour éternel, il importe au plus haut point pour nous d’être stimulés par les actes visibles de ceux qui ont suivi parfaitement le Christ. Regardons avec quelle belle agilité ils l’ont suivi, et nous voyons du même coup à quel point paraît honteuse la stupidité des paresseux. Oui, dès que nous regardons le comportement de ceux qui agissent bien, nous nous jugeons intimement nous-mêmes, saisis d’une confusion vengeresse. Cela, les élus ne cessent de le faire : découvrant une existence meilleure que la leur, ils changent leur conduite par trop critiquable. Ceignons-nous d’une grande attention pour apprendre à nous améliorer quand nous voyons chez autrui le bien et la vertu qui nous manquent. Cela, par contre, les réprouvés ne savent pas a
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D’ici à la note suivante, cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXIV,
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le faire, car les yeux de leur esprit se fixent sur de l’insignifiant. Et s’ils s’avancent sur le chemin du Seigneur, ce n’est pas pour suivre ses traces vers le meilleur, mais ils s’en détournent pour considérer toujours des exemples plus mauvais. Ils ne considèrent pas, en s’humiliant, la vie de ceux auxquels ils se savent inférieurs, mais la vie de ceux auxquels, dans leur orgueil, ils se sentent supérieurs. Oui, ils en regardent de plus mauvais en se glorifiant d’être meilleurs qu’eux. Aussi ne pensent-ils pas à s’améliorer puisqu’ils estiment suffisant pour eux de surpasser ceux qui sont pires qu’eux.
Regarder à ceux qui nous sont supérieurs O les misérables : ils persistent sur le chemin tout en regardant en arrière (Lc 9, 62). Par l’espérance ils posent le pied devant eux et, en considérant les hommes dépravés, ils tournent leur regard derrière eux. Ils aspirent à paraître droits, mais, pour se trouver tels, ils choisissent une règle tordue. Au contraire, je dirai à bon droit que sont admirables, vénérables et dignes d’être embrassés dans un total élan d’amour ceux qui font partie d’une communauté nombreuse, où il est impossible que tous soient de la même force physique ou morale. Lorsque peut-être il faut condescendre aux besoins de certains, ceux-là, l’esprit attentif à Dieua, ignorent les plus faibles, comme s’ils ne connaissaient pas ceux qu’ils voient chaque jourb. Mais ils s’en choisissent entre tous un, ou deux, ou même quelques-uns, qu’ils voient remplis d’une grande ferveur d’esprit. Et alors qu’eux-mêmes sont peut-être meilleurs, ils les préfèrent à eux-mêmes et se proposent leurs saints efforts dans le Seigneur et leur ascèse corporelle et même spirituelle. 6. Qu’en ceci soit le fruit de notre sermon : montre-toi toujours attentif à ce qui est plus haut que toi, car en cela consiste la plénitude de l’humilité. Si peut-être, en quelque domaine, la grâce qui a D’ici à la fin du paragraphe 6, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo de altitudine et bassitudine cordis, 2. b Une ignorance et une inconnaissance qui signifient l’absence de comparaison, d’envie, de jalousie.
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t’est impartie te paraît plus grande qu’à un autre frère, à l’égard de beaucoup, cependant, si tu te livres à une bonne émulation, tu pourras te juger inférieur. Qu’en penser si tu peux jeûner ou travailler plus que tel ou tel, mais qu’il te dépasse par la patience, qu’il te surpasse par l’humilité, qu’il te précède par l’amour ? Sois donc plus soucieux de savoir ce qui te manque, ce que possède un autre, et que tu n’as pas. Cela vaut mieux que de tourner et retourner dans ton âme ce que tu sembles avoir et dont tu estimes qu’un autre ne l’a pas. C’est alors que tu t’élèves dans l’orgueil lorsque tu te places au dessus d’un autre. Tu négliges ainsi de progresser, puisque tu t’estimes quelqu’un de grand. Tu te mets du même coup à faire défection puisque, par comparaison avec un autre, il te semble en avoir trop fait. Tombant dans la tiédeur, tu commences à te relâcher. Or nous le savons : Dieu résiste aux orgueilleux, c’est aux humbles qu’il fait grâce (1 P 5, 5), car maudit celui qui aura accompli l’œuvre de Dieu avec négligence (Jr 48, 10). Heureux au contraire, ceux qui ont faim et soif de la justice (Mt 5, 6).
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SERMON 106 POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS
Les différents buts de la fête 1. Sainte est la vraie lumière, et admirable, elle qui dispense la lumière à ceux qui sont demeurés fidèles. La fête de ce jour, frères très chers, est à vénérer avec un empressement spirituel d’autant plus grand qu’elle n’est pas dédiée à la naissance au ciel d’un seul apôtre, ou martyr, ou confesseur, mais elle est honorée par la mémoire de tous les saints qui ont plu à Dieu depuis l’origine du monde. Comme nous l’avons entendu dans le texte des lectures aux vigiles, cette fête est établie dans le but de compenser par cette sorte de satisfaction fervente qu’est la sainte observance de ce jour, tout ce qui a pu manquer de dignité dans toutes les solennités du reste de l’année, en raison de l’humaine faiblesse. Glorieuse est cette célébration qui expie à bon droit les offenses peut-être contractées par notre manque de soin dans les autres fêtes. Elle se renouvelle à chaque tournant de l’année pour que nous nous recommandions plus fructueusement aux suffrages réunis de tous les saints. Et dans le but aussi de nous laisser exhorter à marcher en hâte sur leurs traces pour prendre part à leur gloire dans les cieux. Et dans le but encore de nous associer à leurs souffrances pour être rendus participants de leur consolation. Si en effet nous consultons la vérité de la sainte Écriture, nous apprenons de manière limpide par quel chemin ils y sont parvenus.
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Les tribulations, chemin vers le Royaume
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2. Dans l’Apocalypse l’apôtre Jean parle de ceux-là qui viennent de la grande tribulation (Ap 7, 14). Ainsi le chemin de la Patrie céleste est fait des tribulations de la vie présente. C’est pourquoia, frères très chers, nous devons savoir et comprendre que, pour les chrétiens, tant qu’ils vivent dans ce corps, la tribulation ne saurait manquer. L’Apôtre en effet nous en persuade : Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ endurent les persécutions (2 Tm 3, 12). Ils arrivent, les jours des tribulations – de très sévères tribulations – comme le dit l’Écriture, et plus les jours arrivent, plus les tribulations augmentent. Que personne ne se fasse des promesses que ne fait pas l’évangile. De même qu’approche la fin du monde, ainsi s’exprime le Seigneur dans l’Évangile : L’iniquité abondera et l’amour se refroidira (Mt 24, 12) ; de même, en raison des iniquités, l’adversité ne manquera jamais.
Elles sont annoncées Il est nécessaire que nous préparions notre âme non seulement à la pénitence, mais aussi à la patience. Mes frères, je vous en prie, prêtons attention aux Écritures saintes : se sont-elles trompées sur un point ? Ce qu’elles ont dit s’est-il passé autrement que ce qu’elles ont dit ? Il est donc nécessaire que, jusqu’à la fin, tout se passe comme elles l’ont annoncé. En ce monde elles ne nous ont promis que tribulations, malheurs, difficultés, augmentation des douleurs, abondance des tentations. C’est ce que dit le Seigneur lui-même dans l’Évangile : Vous aurez des tribulations (Jn 16, 33). Et encore : Amen, amen, vous pleurerez, vous vous lamenterez et le monde se réjouira ; vous serez accablés de tristesse, mais votre tristesse se changera en joie (Jn 16, 20). À cela préparons-nous très sérieusement pour ne pas défaillir en nous laissant prendre au dépourvu.
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D’ici à la fin du paragraphe 2, cf. Césaire d’Arles, Sermo, 154, 1–3.
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Enceinte et allaitant À propos des tribulations, écoutons le Seigneur dans l’Évangile : Malheur à celles qui seront enceintes et qui nourriront en ces jours-là (Mt 24, 19). Sont enceintes ceux qui s’enorgueillissent par espérance. Quant à nourrir, c’est-à-dire allaiter, il s’agit de ceux qui ont atteint ce qu’ils convoitaient. En effet, la femme enceinte se gonfle d’orgueil dans l’espérance d’avoir un fils, sans encore le voir. Et celle qui déjà allaite, embrasse ce qu’elle espérait. Être enceinte, c’est se gonfler d’orgueil dans l’espérance de quelque chose d’illicite ; nourrir, c’est conduire son action jusqu’à l’aboutissement désiré. Ou encore : les âmes enceintes sont lourdes de péchés ; elles nourrissent des rejetons qui n’aboutiront pas à un humain parfaitement constitué, mais à des sortes d’enfants emportés de ci de là par un vent de légèreté. Voilà ceux à qui l’évangéliste proclame : Malheur à celles qui seront enceintes et qui nourriront. Être enceintes, c’est ambitionner ce qui est destiné à périr ; nourrir, c’est couver et caresser les richesses acquises. Malheur à ceux-là au jour du jugement ; de ce malheur qu’ils auront entendu annoncer, ils ne pourront se libérer, mais ils entendront ces paroles : Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges (Mt 25, 41). Cependant, toutes les fois que nous entendons dans l’Évangile : Malheur à celles qui seront enceintes et qui nourriront, il ne faut pas imaginer cela des femmes qui ont un mari légitime. Qu’a fait de mal une femme qui a conçu de son propre mari ? Pourquoi, au jour du jugement, lui arriverait-il du mal pour avoir fait ce que Dieu a ordonné ? Non, ce ne sont pas les femmes qui conçoivent et enfantent en toute justice qu’il faut croire concernées par ces paroles, mais, comme nous l’avons dit, ceux et celles qui, en concevant injustement, se montrent enceintes d’une réalité étrangère. À leur sujet nous lisons dans un psaume : Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité (Ps 7, 15). Tout homme conçoit et personne ne peut rester sans conception, mais les uns conçoivent du Christ, les autres du diable. De ceux-là, qui conçoivent de l’Esprit Saint, il est écrit : Par ta crainte nous avons conçu et enfanté un esprit de salut
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(Is 26, 18) ; mais c’est de ceux qui conçoivent du diable qu’il est dit : Il a conçu la douleur et enfanté l’iniquité.
Les deux vices qui donnent jouissance et les autres qui entraînent la douleur 2 (bis). De tout ce que le corrupteur des âmes instille dans le cœur des humains, il est deux vicesa surtout qui les capturent par la jouissance : la gloutonnerie et la débauche ; plus on en use, plus il est difficile de s’en défaire. Ce qui caractérise les autres vices se présente largement différent, car ils n’apportent pas de plaisir, mais plutôt beaucoup d’amertume ; aussi dit-on à bon droit de ceux qui s’y adonnent qu’ils ont conçu la douleur. De fait, quelle jouissance apporte l’envie à l’envieux ? Dans les secrets de sa conscience la jalousie le déchire de ses serres, et du bonheur d’autrui elle fait son tourment. Quelle récompense reçoit-on de sa haine, sinon d’affreuses ténèbres de l’âme et l’horreur d’un esprit troublé ? Le visage et l’âme toujours affligés, celui qui veut nuire à autrui se torture lui-même. À l’irascible, que lui apporte sa fureur ? La conscience agitée par de très cruels aiguillons, évincé de toute réflexion et de toute intelligence, il pense devenir fou. De même, si nous prenons la mesure de tout ce qui peut affecter l’âme, nous trouvons pour elle autant de tourments qu’il y a de vices. Dès lors nous approuvons à juste titre qu’une telle conception et un tel enfantement soient nommés douleur et iniquité.
Ne convoiter que la vie éternelle 3. Après ce que nous venons de direb, frères très chers, celui qui y prête sérieusement attention et s’aperçoit qu’en lui ces vices ont Pour ce paragraphe, cf. Ps. Augustin (= Pélage), Epistula ad Demetriadem, 18. b Pour ce paragraphe et le paragraphe 4, cf. Césaire d’Arles, Sermo, 154, 4–5. a
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existé ou existent peut-être encore, qu’il se corrige aussitôt. À vrai dire les vices passés ne nous font plus de mal, s’ils ne nous plaisent pas. Par ailleurs il y a encore lieu de se repentir et de se corriger : la séparation n’a pas encore été établie entre ceux de gauche et ceux de droite (Mt 25, 33), nous ne sommes pas encore dans les enfers, où le riche assoiffé demande une simple goutte d’eau (Lc 16, 22s). Tant que nous sommes en vie, écoutons dans le but de nous corriger. Ne convoitons pas les biens de la terre, car, pourvus, nous nous enflons d’orgueil. Renonçons à les rechercher et ne nous attachons pas par l’affection du cœur à ce que nous avons acquis. Quand en effet quelqu’un convoite une chose étrangère à son salut éternel, c’est son âme en quelque sorte qui a convoité. Mais si ce qu’elle convoitait, il a pu l’obtenir par la ruse ou quelque méfait, la voilà pour ainsi dire qui déjà caresse et nourrit le fils qui vient de naître. Par conséquenta n’aimons pas les biens terrestres, ce qui aurait pour effet de nous faire perdre ceux du ciel. Que change notre cœur, qu’il s’élève. Ne tenons plus notre cœur ici-bas : c’est une mauvaise religion que l’amour du monde. Il suffit bien que nous soyons encore détenus dans la chair. Écoutons l’Apôtre : Si nous sommes ressuscités avec le Christ, recherchons les réalités d’en haut ; goûtons ce qui est d’en haut, non ce qui est sur la terre (Col 3, 1s). Ce qui est promis n’est pas apparent ; déjà cela nous est promis, mais on ne peut encore le voir. Par la convoitise nous voulons concevoir ? Concevons alors à partir de ce qui est promis, convoitons la vie éternelle à laquelle Dieu nous invite. Quelle soit notre espérance ; ainsi notre enfantement se montrera sûr, il ne se transformera pas en avortement. Un tel enfantement, ne l’embrassons pas de nos vœux dans le temps, et nous le posséderons pour l’éternité. Ce qui nous est promis nous sera donné à coup sûr, mais c’est encore derrièreb. Cela ne nous sera pas donné maintenant, mais plus tard.
D’ici à la fin du premier alinéa du paragraphe 4, cf. Augustin, Enarrationes in Psalmos, 39, 28. b retro, au sens de « caché ». a
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Ne pas sous-estimer la perspective du jugement 4. Nous voyons déjà ce qui a été donné, frères : qui prétendra en faire ne serait-ce que l’énumération ? De tout ce qui nous a été promis dans l’Écriture sainte, une seule chose y échapperait ? Dieu donc, qui nous a dit la vérité sur tant de sujets, nous tromperait-il sur l’un d’eux ? Il est écrit de l’Église qu’elle sera, et il est évident qu’elle est. Il est écrit des idoles qu’elles ne seront pas, et il est évident qu’elles ne sont pas. Il est écrit des Juifs qu’ils perdraient le Royaume, et c’est une évidence. Il est écrit des hérétiques qu’ils seront, et c’est une évidence. De même l’Écriture parle du jour du jugement, des récompenses réservées aux bons, des peines prévues pour les pervers. Que personne ne vous circonvienne, frères. Comme tout ce qui était promis est advenu, de même adviendront sans aucun doute le jour du jugement, les peines des pervers et les récompenses des justes. Ainsi, tant que cela est permis et puisque, avec le secours de Dieu, cela est en notre pouvoir, que chacun de nous s’efforce d’éviter le péché et d’accomplir ce qui est bien. Lorsque sera advenu ce jour terrible et redoutable, que nous ne brûlions pas avec les impies et les pécheurs dans le feu éternel, mais que nous soyons dans la joie avec les justes, avec ceux qui craignent Dieu, avec tous les saints dont, en ce jour, nous célébrons très saintement la mémoire. Qu’avec leur secours et sous leur patronage nous parvenions à la récompense éternelle ; et que daigne nous l’accorder Celui à qui sont honneur et pouvoir dans les siècles des siècles. Amen.
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SERMON 107 POUR LE JOUR DE TOUS LES SAINTS
Qui sont-ils, d’où viennent-ils ? 1. La fête de ce jour, frères très chers, est glorieuse et doit être célébrée avec une totale vénération ; elle est sanctifiée non par un seul saint, mais par leur ensemble. Elle brille par des joies incessantes dans la cité du ciel, où la lumière est vue dans la lumière et où la nature de la divinité elle-même est contemplée face à face par les yeux bienheureux. Là, la Reine des cieux visite les demeures des anges, et elle dit à l’une et à l’autre nature, celle des esprits bienheureux et celle des humains élus, qui admirent sa gloire : Pourquoi m’admirez-vous ? C’est le mystère de Dieu que vous voyez. Il est assurément divin, non humain, et à jamais incompréhensible à la raison des humains. Là se tient l’armée innombrable des anges, répartie en neuf ordres. Là aussi l’élection des premiers patriarches, l’assemblée des prophètes, le chœur glorieux des apôtres, la multitude empourprée des martyrs, le rassemblement fleuri des confesseurs, la foule toute blanche des vierges, le nombre infini des moines. C’est là finalement, comme Jean l’atteste dans l’Apocalypse, qu’il a vu une grande foule que personne ne peut dénombrer, de toute nation, peuple, tribu, langue (Ap 7, 9). À sa perplexité, il est répondu par une question : Ces gens vêtus de robes blanches, qui
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sont-ils et d’où viennent-ils (Ap 7, 13). Voici Jean interrogéa pour qu’il cherche, et qu’en cherchant il entende et comprenne, puis qu’il s’enflamme du désir d’imiter ce qu’il aura compris. Ils lui sont montrés vêtus de robes blanches pour lui donner l’envie d’un tel vêtement. Mais aussitôt il lui est demandé qui sont-ils et d’où viennent-ils, pour que, s’il veut passer parmi eux et faire partie de leur nombre, il apprenne à devenir semblable à ceux qu’il voit, et qu’il se donne la peine de venir d’où il a appris qu’ils venaient. Par les robes blanches nous avons à comprendre la pureté du baptême, comme aussi la purification qu’est le martyre public ou caché, et encore l’ablution par les larmes. Il est donc demandé : Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? Et c’est comme si on demandait : Tous ces élus avant la création du monde, ont-ils aimé le monde ? Ont-ils suivi le chemin de la cupidité ? Alors à cette question Jean répondit : Mon Seigneur, tu le sais – c’est lui qui l’avait interrogé en vue de l’enseigner – ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation et qui ont lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau (Ap 7, 14). La voix de Celui-ci, tout au long du temps, annonce ces choses par la bouche de ceux qui les enseignent. Tous les élus viennent de la grande tribulation, c’est-à-dire des adversités de ce monde, ainsi que le dit l’Apôtre : C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu (Ac 14, 21). Et le psalmiste : Nombreuses sont les tribulations des justes (Ps 33, 20). Oui, les saints endurent de grandes tribulations lorsque le glaive en décapite certains, qu’on en cloue d’autres au gibet de la croix, l’eau en noie certains que l’on y jette, la flamme vorace en consume d’autres autres. Mais ceux-là ne sont pas les seuls à appartenir à cette gloire, qui ont supporté les tourments corporels de ce genre. Il y a aussi ceux qui, en temps de paix, ont désiré vivre pieusement dans le Christ (2 Tm 3, 12) et qui ont enduré pour le Christ les opprobres des persécutions et les moqueries d’autrui. Ou encore ceux qui se sont D’ici jusqu’à une dizaine de lignes avant la fin du sermon, cf. Haymon d’Auxerre, Expositio in Apocalypsin, II, 7. Haymon, au milieu du ixe siècle, était maître de l’École monastique de St Germain d’Auxerre. a
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adonnés aux jeûnes, se sont appliqués aux veilles, ont multiplié les prières, ont mis à mort par le glaive du précepte leur volonté propre. Voilà comment ils blanchissent leurs robes dans le sang de l’Agneau, imitant les exemples du Christ, leur Tête : soit en souffrant pour lui, soit en supportant patiemment les outrages, soit en se mortifiant eux-mêmes pour leurs fautes et leurs convoitises.
Le Seigneur, leur plénitude 2. C’est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et le servent nuit et jour dans son temple ; et Celui qui siège sur le trône habitera au dessus d’eux (Ap 7, 15). C’est comme s’il était dit : voilà pourquoi ils sont du nombre des élus. Et voilà la raison pour laquelle ils représentent le trône de Dieu, le temple de Dieu ; et dans son temple ils lui présentent un saint service, puisque tel est leur vêtement, lavé dans le sang de l’Agneau. Ils constituent la possession de leur Créateur en tant que son trône, ils sont habités par lui en tant que son temple, et devant son trône, dans son temple, ils trouvent bon de le servir, car ils représentent simultanément son temple et son trône. C’est nuit et jour qu’ils le servent, autrement dit ils gardent la rectitude de la foi et de l’action dans le succès et l’adversité. Effectivement le jour symbolise le succès et la nuit l’adversité. Or dans les deux cas les saints et les élus servent Dieu, car ni le succès ni l’adversité ne les détache de cette bienheureuse institution : le libre service de leur Créateur. Ils n’éprouveront ni la faim ni la soif, est-il dit (Ap 7, 16). Non, les saints n’éprouvent plus la faim, car la présence du Seigneur les comblera, lui qui est le pain descendu du ciel (Jn 6, 50). De là ces mots du psalmiste : Je serai rassasié puisque ta gloire se manifestera (Ps 16, 15). Ils n’auront pas non plus à endurer la soif, car lui-même est l’eau qui désaltère. De là ces mots du psalmiste : Le Seigneur me conduit, je ne manque de rien ; vers les eaux rafraîchissantes il m’a mené (Ps 22, 1).
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Et encore : Ni le soleil, ni la chaleur brûlante ne tomberont sur eux (Ap 7, 16), ce qui signifie que ni l’adversité ni l’épreuve de la tribulation, de la persécution et de la tentation ne pèseront sur eux, car ils seront recouverts de son ombre. Le psalmiste demande : Ombrage ma tête au jour du combat (Ps 139, 8 vg). La raison en est fournie : pourquoi n’auront-ils ni faim, ni soif, pourquoi ne souffriront-ils plus du soleil et de la chaleur brûlante, eux qui resplendissent en vêtements blancs ? – Parce que l’Agneau qui se tient au milieu du trône les conduira – c’est le Christ situé au milieu de l’Église, qui les dirige vers les sources d’eaux vives (Ap 7, 17) en vue de contempler la gloire du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Ainsi chassées la faim et la soif, ils ne souffrent plus du soleil ni de la chaleur brûlante, c’est dire qu’ils ne seront brûlés par la chaleur d’aucun vice, d’aucune perturbation.
Au lieu des larmes l’exultation 3. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (Ap 7, 17). Le Dieu tout puissant, dans un admirable élan de bonté, se montre tantôt Père, tantôt mère : c’est celle-ci qui essuie les larmes de ses enfants en pleurs. À titre de Père il les appelle : Convertissez-vous, revenez, fils, je vous guérirai de vos rebellions (Jr 3, 22). Les entrailles de la bonté maternelle vont encore plus loin : Une femme pourrait-elle oublier son petit enfant, ne pas avoir de compassion pour le fils de son sein ? Si toutefois elle l’oubliait, moi je ne t’oublierai pas (Is 49, 15). Voici qu’il aime à titre de Père ; voici qu’à titre de mère il va jusqu’à faire miséricorde et qu’il essuie les larmes des yeux de ses élus. Il faut remarquer que Dieu promet d’essuyer toute larme. Diverses sont les larmes des élus : l’un se plaint parce qu’il a mal agi, un autre parce qu’il n’a pas fait le bien, un autre encore parce qu’il subit les fouets d’une dure correction ; tel autre parce qu’il est attaqué par les vices, tel autre parce qu’il chemine depuis longtemps loin du Royaume. Voilà comment sont diverses en cette vie les larmes des saints, lesquelles seront patiemment essuyées quand, au temps fixé, la joie éternelle leur succédera, comme nous l’avons en-
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Sermon 107
tendu dans l’Évangile de ce jour : Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Mt 5, 5). Et ailleurs : Je vous reverrai, et votre cœur se réjouira (Jn 16, 22). C’est alors qu’il essuiera toute larme, car rien ne pourra plus arriver aux élus pour les contrister le moins du monde. Là se trouveront la paix assurée, le repos plein d’agrément, la vie perpétuelle, la sagesse de l’esprit, l’agilité du corps, l’illumination du cœur, une fête non plus annuelle mais continue, où tous les saints rendront à Dieu sa louange. Sur les places de la ville d’en haut éclateront les cris d’exultation et d’allégresse. Comme à des avocats, confions-leur notre cause auprès du Juge suprême pour échapper, grâce à leur intervention, à une sentence de condamnation. Avec le zèle de la dévotion qui convient, honorons maintenant leur mémoire ; et, dans la mesure de notre fragilité, imitons leur conduite, pour qu’il nous soit donné avec eux de prendre part à la communion des joies du ciel, grâce au secours de Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles.
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SERMON 108 SERMON POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS
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L’échelle des béatitudes 1. La mémoire festive de tous les saintsa, bien-aimés, est tout à fait digne d’une totale vénération de notre part, nous qui célébrons aujourd’hui le prix de leurs œuvres. Ceux que nous accompagnons d’un solennel honneur, puissions-nous aussi les suivre par une conduite semblable à la leur ; ceux que nous proclamons bienheureux, accourons vers leur bonheur avec une profonde avidité ; ceux dont la louange fait nos délices, qu’ils nous élèvent en prenant notre défense. Car la mémoire des saints nous sera fructueuse pour autant que notre faiblesse trouve secours dans leur intercession, que la considération de leur béatitude nous stimule dans notre négligence, que leurs exemples enseignent notre ignorance. Pour que nous puissions les imiter en marchant sur leurs traces, la lecture du saint Évangile a dressé aujourd’hui devant nos yeux une échelle par laquelle est monté l’ensemble du chœur des saints, que nous vénérons.
Pour le premier alinéa de ce paragraphe, cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in festiuitate Omnium Sanctorum 2, 1. a
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Sermon 108
Les pauvres en esprit Le Seigneur dit en effet : Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux (Mt 5, 3). Les pauvres en esprit : ceux qui le sont volontairement pour le Seigneur, et non pas forcés à cela par la disette. Les pauvres, ce sont les humbles de cœur, ceux que l’esprit de l’orgueil ne gonfle pas, et qui redoutent, après cette vie, de la prolonger dans les châtiments. D’eux il est écrit : Les humbles d’esprit, le Seigneur les sauvera (Ps 33, 19). C’est donc la craintea du Seigneur qui fait le pauvre en esprit. La pauvreté d’esprit est double : il y a, de fait, les richesses matérielles par affluence des réalités terrestres, et les richesses spirituelles par la possession des vertus. L’un et l’autre de ces riches sont confondus auprès de Dieu, l’un et l’autre interdits du Royaume des cieux. Le premier convoite d’abonder de manière superflue de biens matériels et périssables, le second se glorifie, estimant comme quelque chose de grand de se tenir dans la vertu. Mais la crainte du Seigneur, éveillant l’esprit au poids que représente le jugement futur et à la rigueur du Juge qui s’apprête à venir, prend la première place dans notre pensée. Elle éteint bientôt toute la jouissance de la convoitise terrestre et elle rappelle utilement à notre mémoire notre faiblesse ; elle nous montre ainsi combien nous devons nous sentir humbles. Voilà comment la crainte du Seigneur fait les pauvres en esprit, lesquels, à juste titre, s’avèrent dignes de posséder le Royaume des cieux et qui se présentent débarrassés de la convoitise envers la jouissance terrestre.
Les doux 2. La pauvreté apaise le cœur pour lui préparer l’accès à la béatitude suivante : Heureux les doux, car ils posséderont la terre (Mt 5, 4). Les doux se montrent capables de supporter les injures, de ne pas rendre le mal pour le mal (Rm 12, 17), de ne se laisser aucuneD’ici à la fin de ce paragraphe, cf. Hugues de Saint-Victor, De Arca Noe morali, III, 1. a
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Sermon 108
ment troubler par la flamme de la colère. Ils persévèrent continuellement dans l’aménité de l’esprit, ne méprisent pas autrui, mais aiment et accueillent tous les humains comme des prochains ; ils ne se montrent pas orgueilleux et ne dédaignent pas les autres. À eux le Seigneur a promis l’héritage de la terre des vivants, où personne ne meurt : il s’agit de l’habitacle du corps, qu’on reçoit en ressuscitant ; car si, par la douceur de notre esprit, le Christ a habité en nous, nous, dans la lumière, nous serons vêtus de sa gloire.
Ceux qui pleurent 3. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Mt 5, 5). Ce n’est pas à ceux qui pleurent des pertes matérielles, mais à ceux qui pleurent leurs péchés et la perte des vertus, que sont promises la consolation et la joie perpétuelle. C’est en troisième lieu qu’intervient la béatitude de ceux qui pleurent, car il est caractéristique des saints de pleurer ce qu’ils ont commis de mal par la pensée, la parole et l’action. Ce faisant ils méritent d’être associés à la sainte Trinité. Le chagrin des saints porte en outre sur cet exil qu’est la vie présente, car, illuminés par la grâce que Dieu a répandue en eux, ils commencent à goûter la douceur des biens spirituels et ils reconnaissent vraiment le malheur dans lequel ils se trouvent. Ce qui amène Salomon à remarquer : Qui augmente son savoir augmente sa douleur (Qo 1, 18). En effet, tous ceux qui n’ont pas connaissance des biens spirituels aiment les passions de la convoitise charnelle, même lorsqu’elles suscitent l’affliction. Voilà pourquoi la grâce prévient le cœur pour exciter l’homme à reconnaître son exil et lui apprendre, face aux malheurs que lui inflige la vie présente, à les pleurer avec autant de violence qu’il met d’ardeur à soupirer après les biens à venir. Il faut remarquer que la nature des larmes se caractérise de quatre manières : elles sont humides, amères, chaudes, pures. Humides, les larmes qui, en le rebaptisant, lavent l’homme qui était perdu ; amères, celles qui purifient de la douceur des jouissances charnelles ; chaudes, celles qui chassent le froid de l’infidélité ; pures, celles qui nettoient les souillures des vices.
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Sermon 108
Faim et soif de la justice 4. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (Mt 5, 6). Ici, nous voici instruits du devoir de ne jamais nous estimer suffisamment justes, mais de toujours aimer progresser chaque jour dans la justice. En avoir faim et soif, c’est y aspirer violemment. Nous pouvons aussi, par la justice, comprendre le Fils de Dieu lui-même, qui, selon l’Apôtre, s’est fait pour nous justice, sanctification et rédemption (1 Co 1, 30). Le Seigneur nous exhorte à avoir faim et soif de la justice, c’est-à-dire soif de lui, afin de suivre d’un grand désir ses traces. Ainsi, à ces affamés et assoiffés est promis, comme rassasiement, le réconfort de l’éternelle félicité.
Les miséricordieux 5. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (Mt 5, 7). Les miséricordieux sont ceux qui subviennent à n’importe quelle misère. De leur élan de bienveillance à l’égard de tous, Dieu se délecte à tel point qu’il leur fera don de sa propre miséricorde. Mais la miséricorde n’est pas seulement une réalité matérielle, elle a aussi une dimension spirituelle : secourir nos prochains partout où nous le pouvons. Car, alors qu’on le peut, ne pas porter secours à qui va périr, c’est le tuer ; et c’est ressembler à quelqu’un capable d’agir, mais qui s’entend avec un autre pour qu’il agisse à sa place. Le terme de « miséricorde » dérive de « cœur » et de « misère », de sorte que si nous ne pouvons rien d’autre, que du moins notre cœur compatisse.
Les purs de cœur 6. Heureux les purs de cœur, car ils verront Dieu (Mt 5, 8). Ceuxlà sont purs, que n’agresse pas la conscience du péché mortel, ou qui n’ont d’idée que du bien. Et de même que la lumière d’ici-bas ne peut se voir que par des yeux purs, ainsi en est-il de Dieu, visible
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seulement par la pureté du cœur, laquelle s’acquiert habituellement par une repentance assidue et profonde. Celle-ci, comme un outil pointu, fouille la terre de notre cœur ; et comme un feu elle supprime la rouille, comme une splendeur elle chasse les ténèbres. Par elle nous devons creuser dans nos cœurs pour en retirer tout ce qui est terrestre, à la manière dont Abraham, Isaac et Jacob ont creusé des puits pour chercher l’eau vive de la sagesse. Et lorsque, en leur absence, des étrangers ont rempli de terre ces puits, ils les ont creusés à nouveau, en quête d’eau vivea. Nous de même : il se peut que les esprits pervers, par ruse, ont rempli de terre nos cœurs, que nous avions dégagés de tout ce qui est terrestre ; alors il nous faudra à nouveau, par la repentance, les creuser, et à nouveau les purifier – cela jusqu’à ce que nous trouvions cette eau vive, dont le psalmiste affirme : Seigneur, auprès de toi est la source d’eau vive, par ta lumière nous voyons la lumière (Ps 35, 10). Par ailleurs l’œil du cœur est à purifier pour être capable de voir la lumière invisible, c’est-à-dire le Christ (Jn 8, 12). Pour le moment nous goûtons quelque peu sa douceur, en attendant de le voir face à face (1 Co 13, 12).
Les pacifiques 7. Heureux les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9). « Pacifique » est un terme composé de « paix » et de « faire ». Ceux-là sont faiseurs de paix, qui commencent par établir la paix à l’égard de leurs vices, pour que ceux-ci ne combattent pas contre les vertus, et pour trouver ainsi un Dieu apaisé. Qu’ils s’efforcent ensuite de se montrer pacifiques envers leurs prochains. Grande est cette vertu de la paix, puisque les pacifiques sont appelés fils de Dieu. Le Seigneur la recommande à ses disciples en leur disant : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix (Jn 14, 27). Et l’Apôtre exhorte à la garder : Poursuivez la paix et la chasteté sans lesquelles nul ne verra Dieu (He 12, 14). Par conséquent efforçons-nous d’être ouvriers de paix pour mériter cette appellation de fils de Dieu. a
Gn 21, 24ss ; 26, 17ss.
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Sermon 108
La persévérance et la perfection de l’amour 8. Heureux ceux qui endurent la persécution pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux (Mt 5, 10). Tous ceux qui, pour Dieu, brillent des sept vertus mentionnées ci-dessus seront bienheureux s’ils persévèrent. C’est pourquoi la huitième béatitude invite à persévérer, quelles que soient les tribulations qui se présentent. Cette persévérancea, c’est l’amour, sommet et force de toutes les vertus, qui l’opère en nous. Semblable au vin, il enivre, rend souriant, audacieux, fort, oublieux et comme insensible. En purifiant la conscience il remplit de rire l’esprit et rend audacieux quand, par la conscience purifiée, il manifeste la confiance. Par la suite il augmente les forces, car, comme le dit l’Écriture : Il est fort comme le lion, celui qui met sa confiance dans le Seigneurb. De fait, la conscience purifiée ne peut être vaincue par aucune adversité, car, en étant toujours sûre intérieurement du secours de Dieu, elle supporte, méprise facilement et surmonte toute adversité extérieure. Elle engendre l’oubli, car, en orientant toute l’attention de l’esprit vers les désirs de l’éternité, elle arrache profondément de l’âme tout ce qui traverse la mémoire. En remplissant l’esprit jusqu’au fond d’une douceur intérieure, elle le rend insensible à tout ce que l’extérieur entraîne d’amer. Voilà donc comment l’amour donne force aux vertus en dotant l’esprit de la confiance, de la force et d’une insurpassable constance. Les sept premiers degrés constituent la perfection ; le huitième, qui est la persévérance, manifeste et glorifie cette perfection. Ainsi se présente cette échelle que dresse la parole du Seigneur lui-même ; par elle tous les saints, dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire avec un empressement festif, sont montés de la vallée des larmes (Ps 83, 7) vers les joies de la Patrie céleste. Pour que nous méritions de suivre leurs pas en ce monde, que par leurs prières le Seigneur Jésus Christ veuille nous en faire la grâce.
D’ici jusqu’à quelques lignes avant la fin, cf. Hugues de Saint-Victor, De Arca Noe morali, III, 8. b Cf. Pr 30, 30 ; Jg 14, 18. a
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INDEX
INDEX SCRIPTURAIRE
Genèse 1, 26 1, 31 2, 2 2, 5 2, 6 2, 7 2, 8 2, 9 2, 10 2, 16s. 2, 17 2, 18 2, 22s. 3, 7 3, 10 vg 3, 12 3, 13 3, 14 3, 15 3, 17 3, 18 3, 19 3, 23 3, 24 4, 13 6, 7 8, 7 8, 11 11 12, 1 12, 10 14, 18
514, 685, 687 346, 479 215, 216 587 660 227 660 80, 185, 660 660 632 440 51 134 673 129 655 674 541 667 499 499, 600 502 340 496 106 495 497 497 305 86 44 637
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15, 15 17, 5 18, 25 18, 27 24, 2s. 28, 10s. 32, 25ss 32, 28ss 32, 31 34, 1s. 49, 8 49, 9 49, 10 49, 11 49, 19
28 259 127 101 476 428 322 259 91 632 40 40, 150 40 145, 151 337
Exode 3, 18 5, 3 5, 21 vg 6, 4 12, 1‒8 12, 4ss 12, 5ss 12, 11 12, 15ss 13, 21 14, 29 15, 1 15, 3 vg 15, 18 vg 16, 3 16, 8
180 616 332 617 27 122 383 377 374 357 371 89 588 475 89 626
Index scripturaire
20, 8 20, 18 21, 10s. 21, 12 21, 15 21, 17 23, 15 24, 9 31, 28 32, 6 32, 9 38, 8 40, 30s. Lévitique 9, 24 10, 1ss 11, 3s. 11, 44 12, 6 12, 8 16, 20s. 19, 8 19, 36 23, 13 25, 8ss Nombres 17, 8 21, 8s. 24, 17 24, 19 33, 55 Deutéronome 4, 24 13, 5 16, 1‒8 27, 3ss 32, 7 32, 41s. 33, 9 Josué 2 15, 19 vg
Juges 9, 13 14, 18 16, 19 16, 19ss 16, 21
216 217 100 211 211 211 51 217 217 518 502 47 47 220 221 265 470 597 62, 596 289 617 568 525 214 70 109 38 38 182 196, 222, 359 559 165 549 309 547 555 304 524
718
525 186 633 516 553
Ier livre de Samuel 2, 3 vg 2, 10 15, 1 vg 15, 23 15, 30
615 299, 380 546 379, 576, 581 105
IIe livre de Samuel 11, 17 24, 24
423, 633 597
Ier livre des Rois 1, 14 6, 15‒17 6, 17 10, 3 10, 18s. 10, 19 10, 19 vg 10, 20 18, 34ss 19, 3s. 19, 4 19, 5 19, 6 19, 7 19, 8 19, 10
33 153 154 87 328 330, 333 331 327, 328 222 88 90 90 90 90 91 556
IIe livre des Rois 2, 8 4, 8 4, 16s. 4, 29 4, 35 5, 1ss 5, 3 5, 10 5, 13 5, 14
260 99 100 100 99, 101 31 32 33, 34 35 35, 36
Index scripturaire
IIe livre des Chroniques 24, 22 26, 18
423 277
Esdras 6, 19s. 6, 21 6, 22s. 6, 23
173 173 175 174
Tobie 4, 16 4, 16 vg 12, 12 13, 23
114 616 364 39
Esther 16, 12 vg
351
IIe livre des Maccabées 1, 19 1, 21s.
220 220
Job
3, 9 3, 16 4, 19 5, 6 7, 1 7, 22 9, 25 14, 2 14, 4 14, 15 19, 25 28, 14 28, 28 31, 23 vg 36, 7 37, 2 39, 13 vg 40, 14 40, 16 41, 25 42, 10
Psaumes 1, 1 1, 2 1, 5 3, 2 4, 6 4, 7 4, 7 vg 5, 6 7, 3 7, 10 7, 12 7, 15 8, 6 8, 6s. 9, 34 10, 9 11, 4 11, 8 12, 1 13, 3 vg 14, 2s. 14, 5 15, 5s. 15, 8 15, 10 15, 11 16, 4 16, 5 16, 11 vg 16, 15 16, 15 vg 17, 12 17, 29 17, 31 18, 6 18, 6 vg 18, 7 18, 7 vg 18, 11 19, 4 21, 7 21, 23 22, 1 23, 1
685 335 39 354 546, 549 356 346 44 329 464 161 566 363 683 95, 96 209 598 591 518 465 423
719
355 25, 266 93 648 53 669 664 63 416 388 103 699 66, 394, 470 470 103 123 615 42 390 243 194 535 555 42 477 466 103 378 34 155, 705 179 280, 475 157 576 689 522 388 365 376 49 127 128 705 448
Index scripturaire
23, 8 24, 7 vg 26, 1 26, 4 26, 6 26, 12 vg 28, 1 28, 6 vg 30, 20 31, 1 31, 3 vg 31, 9 vg 31, 10 vg 31, 25 32, 9 33, 2 33, 4 33, 9 33, 17 33, 19 33, 20 33, 22 34, 3 34, 6 35, 7 35, 7s. 35, 9 35, 10 36, 4 37, 3 37, 4 vg 37, 6 37, 12s. 38, 3 38, 4 38, 5 38, 10 38, 13 38, 14 39, 3 40, 5 40, 9 41, 3 41, 5 41, 5 vg 43, 20 44, 2
44, 4 vg 631 44, 5 587 44, 8 497, 534 44, 10 677 44, 11 42, 81, 466 44, 12 81 45, 2 341 45, 11 215, 307, 642 45, 11 vg 429 46, 8 vg 576 47, 2 39 47, 8 210 47, 10 72 48, 13 367, 470 49, 2 53 49, 3 434, 454 49, 21 454 49, 23 531 50, 5 89 50, 7 493 50, 10 118 50, 12 194, 198 50, 19 53, 261, 334, 341, 531 50, 21 53 51, 9 181 55, 6 vg 348 55, 7 234 55, 12 526 56, 8 502 57, 9 vg 289 60, 4 255 62, 2 226 64, 5 376 65, 5 103 65, 12 91 65, 13 526 66, 2 576 67, 19 vg 387 67, 26 vg 364 68, 16 289 68, 30 33 71, 12 575 72, 24 297 73, 12 75, 133, 368 73, 16 686 74, 3 300 74, 3 vg 389
505 632 484 339 539 281 65, 372 365 486, 648 182 477 471 686 679 524 640, 691 643 294, 332 403 403, 709 704 298 33 60 39 133 294 294, 660, 712 340 461 461 461 364 241 89 53 552 78 78 89 433 299 76 374 367 96 464
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Index scripturaire
103, 1 103, 10 103, 15 103, 25 104, 4 105, 20 106, 4 106, 26s. 109, 4 109, 7 110, 2 vg 110, 9 110, 10 111, 3 112, 6 112, 7 113, 2 113, 9 114, 4 115, 12 115, 15 117, 23 vg 117, 24 118, 11 118, 13 118, 14 118, 28 118, 37 118, 93 118, 97 118, 112 118, 115 118, 133 118, 136 118, 153 118, 164 119, 7 120, 4 120, 6 120, 8 121, 1 121, 4 126, 1 127, 2 129, 1 131, 7 vg 131, 11
74, 11 vg 388 75, 11 vg 613 76, 4 461 76, 11 337, 483, 505 77, 24 606 77, 25 26, 470, 471 79, 1s. 42 79, 6 90 80, 11 530 81, 7 440 83, 5 53, 178, 191, 464 83, 7 91, 306, 413, 524, 713 83, 8 178, 197 83, 8 vg 397 83, 11 175 84, 12 500, 586 86, 3 39 86, 5 39 87, 5s. vg 529 87, 6 134 88, 16 53 88, 18 593 88, 20 vg 347 88, 25 416 90, 1 vg 356 91, 13 139 92, 1 678 93, 1 103 93, 15 95 93, 17 505 93, 19 91 94, 2 503 94, 6 201 95, 8 vg 435 96, 3 220 99, 3 236, 349 100, 1 455 100, 5 242 100, 5 vg 418 100, 7 379 101, 5 42, 184 101, 10 90 101, 14 32 101, 28 509 102, 1s. 419 102, 5 369, 688 102, 5 vg 295
721
41 465 44, 379 671 202, 399 366, 470 574 565 637 162 546 52 279, 363, 548 464 333 39, 379 40 89 350 26 264, 297, 349 375 169, 478, 610 551 551 306 44 369 655 200 536 187 489 90 129 102 25 575 289 299, 571 185 185 355 331 690 398 476
Index scripturaire
132, 2 135, 13 137, 1 137, 6 138, 3 138, 8 139, 8 vg 140, 2 140, 3 140, 4 141, 4 141, 5 141, 8 142, 9s. 142, 10 144, 3 144, 18 145, 7 146, 3 146, 12ss 147, 15 150, 1 Proverbes 1, 7 1, 20 et 22 2, 11 2, 14 2, 20 3, 16 3, 17 4, 2 4, 23 8, 31 10, 10 10, 19 13, 3 14, 10 14, 13 14, 27 15, 19 16, 18 vg 17, 14 18, 3 18, 3 vg 18, 4 18, 10
20, 4 20, 10 21, 1 21, 20 22, 5 25, 28 26, 11 28, 14 28, 19 29, 23 31, 6s. 31, 10 vg 31, 23 31, 25 31, 26 vg 31, 27 31, 28 31, 28 vg 31, 29 31, 30 31, 31
620 371 364 649 403 400 706 313, 363 241, 579, 605 105 233 286 467 198 195 328 467 282 419 505 243 335
Ecclésiaste (Qohéleth) 1, 18 3, 7 4, 12 4, 13 4, 13s. vg 7, 5 7, 5 vg 7, 19 vg 7, 21 7, 30 9, 2 9, 8 10, 15 11, 3
682 32 460, 525, 566 566, 649 249 258 248 32 199, 566 443, 601 240 330 330 340 650 511 249 650 241 117 281 662 341
183 569 361 266 249 240 519, 553 511 331 399 525 667 94 677 679 680 680, 681, 683 679 681 682 683 60, 710 241 101 503 591 633 340, 570 682 334 367 280 525 249 299
Cantique des cantiques 1, 3 489 1, 7 81 1, 8 277 1, 15 497 2, 1 318, 500 2, 5 470 2, 6 464 2, 9 297, 301, 408, 467
722
Index scripturaire
4, 31 5, 8 7, 40 10, 6 10, 9 10, 10 10, 12 10, 14 10, 15 vg 14, 5 17, 29 18, 31 19, 5 19, 26 21, 2 24, 12 vg 24, 32 vg 28, 3ss 30, 24 vg 32, 1 32, 19 33, 5 33, 28 35, 14 36, 17 36, 18 38, 25 43, 30 43, 33 50, 6 51, 4
2, 10 673 2, 10ss 408 2, 14 57, 61 2, 15 518 3, 6 312, 314 3, 7 547 3, 11 500 4, 7 562 4, 8 315 4, 12s. 661 4, 13 80 4, 15 80 5, 2 307, 428 5, 5 364 5, 11 410, 516 5, 13 662 6, 4 668, 669 6, 9 667 6, 10 647, 654, 664, 668, 677, 684, 686 6, 11 647, 649 7, 1 649 8, 5 311, 317 8, 14 388, 390, 407 Sagesse 1, 4 1, 5 1, 5 et 4 1, 7 2, 9 2, 23 2, 24 4, 1 vg 5, 3 5,8s. 7, 24 8, 1 9, 15 10, 10 15, 9 18, 15 Ecclésiastique (Siracide) 1, 5 1, 26 2, 13
57, 576, 621 194 495 203 476 479 231 329 437 437 559 368 540 91 60 574
Isaïe 1, 2s. 1, 3 1, 16 1, 25 2, 2 3, 7 3, 14 4, 2 5, 6 5, 7 5, 13 7, 10 7, 14 8, 4
80 306 432
723
433 489 299 550 440, 626 279 516 590 650 377 334 566 330 633 559, 613 689 185 455 377 626 526 620 331 597 417 417, 471 307 416 26 684 298 484 355, 471 231, 384 196 184 42 94 52 600 647 566 24 327 40
Index scripturaire
9, 1 578 9, 5 416, 494, 499, 504 9, 6 25, 74, 150, 357, 476, 586 9, 7 39 10, 27 vg 419 11, 1 70, 81, 312, 647, 672 11, 2 189, 546, 547, 548, 549, 550, 551, 552, 672 11, 2s. 175, 198, 216 11, 3 512 11, 10 417 14, 1 vg 417 14, 13 184, 541 14, 13s. 631 14, 14 465 16, 1 vg 586 21, 11s. 575 21, 12 576, 578 26, 18 700 28, 10 vg 417 28, 21 142 30, 17 240 31, 9 359 32, 17 vg 330 33, 7 417 33, 17 186, 359 40, 3 628 40, 6 354, 366, 471 40, 7 471 40, 8 205 42, 8 310 45, 8 81, 586 45, 18 281 46, 8 33, 605 46, 13 579 46, 13 vg 579 49, 15 706 49, 18 151 50, 6 131 51, 5 578 53, 2s. 346 53, 3 464, 532 53, 5 24 53, 7 36, 65, 84, 420, 434 53, 12 66 55, 6 467 61, 1 647
62, 2 64, 4 64, 5 66, 2 66, 2 vg 66, 12 66, 18
687 410 300 44, 83, 115, 622, 688 651 417 199
Jérémie 1, 5 1, 14 2, 13 2, 20 2, 23 3, 22 4, 14 6, 14 6, 16 9, 1s. 9, 20 9, 21 17, 5 17, 9 29, 11 31, 22 38, 11ss 41, 5‒7 41, 8 46, 21 48, 10
326 299 222 356 355 706 565 416 250 104 242, 605 270, 278 181 434 415 368 427 233 234 32 696
Lamentations 1, 5 vg 1, 7 vg 1, 13 1, 20 3, 26
724
232 429 221 540 332
Baruch 3, 38
494, 574
Ézéchiel 1, 12 1, 18 3, 3 3, 14 3, 17
567 566, 567 655 340 582
Index scripturaire
18, 4 18, 14 33, 11 40, 5 40, 38 44, 1 44, 2
231, 461 78 657 319, 324 48 327 327
Daniel 2, 31ss 2, 34 2, 34s. 7, 9 7, 10 7, 13 7, 14 9, 23
515 520 70 523 632 347, 352 352 347
Osée 4, 16 6, 3 8, 5 14, 10
356 159, 161, 223 366 249
Joël
2, 28 3, 18
223 81
Amos 3, 7 4, 7
415 182, 599
Michée 2, 7 5, 5
249 416
Nahum 1, 15
611, 612
Habacuc 2, 3 3, 3 3, 10 3, 13 vg
417 475 610 618, 622
Sophonie 1, 12
Aggée 1, 6 2, 8 vg
570 595
Zacharie 6, 8 6, 12 9, 9 vg 9, 11 12, 10 14, 7
629 508 602 120 198, 202 348
Malachie 1, 6 3, 1 3, 7 4, 2 4, 20
212 594, 628 33, 657 40, 237, 289, 327, 445, 499, 508, 610, 647, 654, 669, 677, 685 473
Évangile selon Matthieu 1, 20 494 1, 21 33, 419, 457, 505 1, 23 401, 477 2, 1 508 2, 1s. 38 2, 3 25 2, 5 39 2, 6 39 2, 11 362 2, 13‒18 293 2, 16 589 3, 1s. 238, 248 3, 1ss 630 3, 2 231, 238, 261, 629 3, 3 250, 556 3, 4 250, 254, 555 3, 7 559 3, 8 394, 396, 657 3, 13 226, 253 3, 13ss 360, 491, 509 3, 14 509 3, 15 108, 509 3, 16 494 3, 17 495, 509 4, 1‒11 191
388
725
Index scripturaire
4, 1ss 4, 2 4, 3 4, 4 4, 11 4, 17 4, 19 5, 3 5, 3s. 5, 4 5, 5 5, 6 5, 7 5, 8 5, 9 5, 10 5, 16 5, 17 5, 19 5, 22 5, 24 5, 25 5, 39 6, 6 6, 9 6, 10 6, 11 6, 12 6, 19 6, 22s. 6, 24 7, 7 7, 8 7, 12 7, 13 7, 15 7, 16 7, 18 7, 21 7, 22s. 8, 11 8, 12 8, 20 8, 26 9, 3ss 9, 17 10, 16
10, 18 110 10, 20 224 10, 22 44, 201, 380 10, 27s. 92 10, 34 547 11, 9 247, 636, 684 11, 11 230, 247, 254, 556 11, 12 262 11, 20 125 11, 25 25 11, 28 225, 250, 623 11, 29 33, 82, 110, 115, 129, 131, 144, 249, 357, 376, 467, 590, 603, 626 11, 30 387 12, 18 588 12, 29 431 12, 31 650 12, 35 517 12, 36 244 12, 39 25 12, 44 304 12, 45 496, 583 12, 48ss 555 13, 30 683 13, 43 669, 693 14, 3 630 14, 3ss 633 14, 6ss 630 14, 10 423 14, 11 259 16, 22 36 16, 24 46 16, 27 420, 425 18, 3 39, 83, 466, 589 18, 10 364 18, 11 562 18, 20 596, 620 18, 35 550 19, 6 134 19, 12 83 19, 21 94 19, 24 35 19, 28 94 20, 12 341 20, 28 376, 549 21, 1s. 112
491 155 261 58 539 172, 239 522 26, 39, 589, 709 338 709 341, 707, 710 41, 155, 226, 696, 711 438, 711 178, 342, 399, 711 65, 377, 712 46, 403, 678, 713 485, 601 56, 63, 69 653 244 598 245, 427 239 64, 340 212 483 58 455, 607 255 520 429 88 202 114, 617 116 598, 650, 687 627 558 201 682 43, 185, 644 104 56, 293, 329, 448, 688 282 505 204 496, 551
726
Index scripturaire
21, 2 21, 4 21, 5 21, 7 21, 8‒9 21, 8 21, 8s. 21, 9 21, 13 21, 24s. 21, 38 22, 30 22, 37 22, 42s. 23, 27 23, 38 24, 12 24, 19 24, 28 vg 25, 1ss 25, 4 25, 9 25, 21 25, 26 25, 31ss 25, 33 25, 34 25, 34s. 25, 35 25, 40 25, 41 25, 42 26, 7 26, 18 26, 26ss 26, 28 26, 34 26, 39 26, 63s. 27, 4 27, 45 27, 48 27, 64 28, 1ss 28, 2s. 28, 8 28, 16ss
28, 20 29, 10 29, 17
114 114 114 115 130 115 603 115, 116, 147 576 143 419 128, 324 206 138 650 248 183, 698 699 395 201 271 271 153 582 538 277, 289, 342, 701 94, 398 681 43, 94 46, 293 93, 699 93 531 382 383 383 276 382 434 106 685 384 553 404 120 121 404
77, 155, 392, 402, 467, 596 121 653
Évangile selon Marc 1, 23 3, 27 6, 7 8, 24 9, 35 9, 50 11, 8‒10 11, 10 12, 30s. 12, 33 14, 52 16, 1‒4 16, 1 16, 14ss 16, 19
348 592 51 299 503 377 139 608 284 359 545 530 531 404 403, 561
Évangile selon Luc 1, 5ss 554 1, 11‒14 257 1, 11 258 1, 11ss 237 1, 12 258 1, 13 259 1, 14 253 1, 15 230, 259, 326 1, 16 260 1, 17 235, 238, 260 1, 26 82 1, 27 82 1, 28 304, 668, 678, 685 1, 31 661 1, 32 480 1, 34 290 1, 35 83, 226, 294, 662, 674 1, 37 687 1, 38 291, 674 1, 41 230, 253 1, 42 291, 304, 676, 678 1, 44 509 1, 45 292 1, 48 291, 328, 334, 686, 687
727
Index scripturaire
1, 48s. 1, 59s. 1, 67ss 1, 68 1, 70 1, 76 1, 78 1, 78s. 1, 79 1, 80 1, 89 2, 7 2, 9 2, 10‒14 2, 10 2, 10s. 2, 11 2, 14 2, 15 2, 16 2, 17 2, 18 2, 19 2, 20 2, 21ss 2, 22s. 2, 24 2, 26 2, 28 2, 28s. 2, 29 2, 32 2, 34 2, 35 2, 38 2, 48 2, 49s. 2, 50 2, 51 3, 3 3, 5 3, 8 3, 15 3, 15s. 3, 16 3, 21ss 4, 1ss
5, 10 5, 32 6, 20 6, 21 6, 24 6, 25 6, 45 7, 15 7, 25s. 7, 28 7, 37 9, 7ss 9, 58 9, 60 9, 62 10, 16 10, 23 10, 24 10, 27 10, 30ss 10, 38 10, 38s. 10, 38ss 10, 39 10, 39s. 10, 40 10, 41s. 10, 42 11, 13 11, 20 11, 27s. 12, 5 12, 37 12, 48 12, 49 13, 32 14, 10 14, 11 15, 3ss 15, 7 15, 15ss 15, 18 15, 19 15, 22 16, 16 16, 22s.
571 638 226 639 416 238, 260 466 639 607 555 89 470 500 23 253, 259 593 75, 475, 476 463, 478, 526 488 488 489 489 294, 490 490 369 69 52, 56, 370 76, 371 45, 371, 596 27 61, 77 29 25, 29 29, 166, 293 416 69, 84 36 79 84, 358 261 250 199, 232, 239 602, 634, 638 556 254 496 496
728
387 579 549 59, 549, 679 549 59 243 101 256 262 531 634 595 163 695 606 398, 476 76 114 574 292 289, 562 641 563 318 293, 294, 307, 318 642 293, 294, 308, 310, 563, 644 198, 201, 207 217 656 104 644 577 52, 219, 221, 289, 358 172 255, 280 556 630 525 44 536 536 323, 421, 537 636 701
Index scripturaire
16, 25 17, 10 17, 11 18, 12 18, 19 18, 34 19, 10 19, 41 19, 42 20, 36 21, 34 22, 10 22, 32 22, 56s. 22, 69 23, 12 23, 34 24, 4 24, 13ss 24, 19 24, 34 24, 45 24, 47 24, 48 24, 49 24, 50 24, 51 24, 52 24, 52s. 24, 53
1, 29 123, 175, 247, 509, 595 1, 33 221 1, 46 40 2, 1 360 2, 1ss 511 2, 10 512 2, 19 128, 151, 530 3, 5 493, 620, 680 3, 8 664 3, 13 395 3, 14 155 3, 18 93 3, 20 638 3, 27 634 3, 29 256, 635 3, 30 252 3, 34 125 4, 10 224 4, 13s. 663 4, 22 40 4, 34 444 5, 14 512 5, 19 540 5, 22 164 5, 27 532 5, 30 606 5, 35 602 6, 15 36 6, 35 44 6, 38 485 6, 38s. 365 6, 49s. 606 6, 50 705 6, 51 384, 488 6, 52 471 6, 54 384 6, 55 384 6, 56 384 6, 57 355 6, 59 593 7, 23 448 7, 37 224 7, 37ss 223, 225 7, 38 289, 664 8, 7 680 8, 12 237, 712 8, 33 385
566, 626 389 378 567 346 416 352, 419 503 59 529 155 383 286 110 128 242 66 530 404 101 404 396 396 396 397 397 191, 397 398, 412 191 398
Évangile selon Jean 1, 1 642, 660 1, 1s. 660 1, 3 479 1, 6s. 237 1, 10 574 1, 11 25 1, 11s. 642 1, 13 39, 485 1, 14 142, 164, 276, 402, 464, 469, 475, 479, 488, 607, 656 1, 16 81, 463, 590 1, 18 66 1, 20 254 1, 27 556
729
Index scripturaire
8, 36 8, 44 8, 56 10, 9 10, 18 10, 24 11, 25 11, 35 11, 39ss 12, 1 12, 3 12, 13 12, 30 13, 1 13, 3s. 13, 5 13, 5ss 13, 34 13, 35 14, 2 14, 6 14, 8 14, 9 14, 16 14, 16s. 14, 23 14, 26 14, 27 14, 30 14, 31 15, 1 15, 4 15, 5 15, 12 15, 14 15, 16 16, 8 16, 13 16, 14 16, 20 16, 22 16, 24 16, 33 17, 21 17, 22 17, 24 18, 14
19, 11 19, 17 19, 25 19, 30 19, 34 19, 37 20, 11ss 20, 17 20, 19 20, 19ss 20, 22 20, 22s. 20, 23 20, 26ss 20, 27 20, 29 21, 1ss 21, 15 21, 16 21, 17 21, 19 21, 22 37, 37s.
529, 603 279, 639 25, 149, 476, 610 452 150 416 29 59 564 607 531 378 509 380, 613 126 376 126 617 621 26, 178 26, 91, 362, 500, 639 464 594 224 209 620 189, 224 377, 465, 485, 712 591 559 145, 578 384 511 621 656 43 194 194, 197 210 698 155, 707 205 544, 698 621 643 395, 538 128
533 604 293 150, 203, 610 61, 145 164 404 410, 561 405 404 197, 227, 619 210 545 404 584 476 404 276, 277, 283 276 288 276, 286, 287 317 229
Actes des Apôtres 1, 3s. 155, 191 1, 8 398 1, 9 393, 404 1, 10 397 1, 11 388, 404, 561 1, 15 203, 214 2, 1‒3 209 2, 1 192, 545 2, 1ss 618 2, 2 197 2, 3 188, 196, 219, 397, 622 2, 3s. 203, 387 2, 4 206, 227 2, 11 545 2, 13 222 2, 24 529 2, 36 504 2, 38 469 2, 42 192 2, 64s. 193 4, 31 189 4, 32 173, 545, 643
730
Index scripturaire
5, 1ss 5, 41 7, 5 7, 36 7, 59s. 9, 6 9, 15 10, 9‒16 10, 28 10, 42 10, 45 11, 9 11, 26 12, 2 13, 32 14, 21 15, 9 17, 28 20, 34
6, 12 6, 13 6, 16 6, 19 6, 22 7, 14 7, 21 7, 23 7, 24 7, 24s. 7, 28 8, 2 8, 3 8, 5 8, 9 8, 10 8, 13 8, 15 8, 16 8, 17 8, 18 8, 21 8, 23 8, 26 8, 28 8, 29 8, 30 8, 32 8, 35 10, 5 10, 6 10, 9 10, 10 10, 12 10, 15 10, 17 11, 20 12, 1 12, 2 12, 12 12, 16 12, 17 13, 11 13, 12 13, 13 13, 14
520 211, 546 603 656 423 505 125, 336, 463 265 269 427 494 269 337 423 40 704 306 559 680
Épître de Paul aux Romains 1, 2s. 479 1, 13 379 1, 17 44, 260 1, 20 692 1, 29s. 606 1, 30 242, 615 2, 6 453 2, 13 653 2, 24 373 3, 25 109 4, 5 433 4, 25 119, 375 5, 1 24, 484, 613 5, 3 363, 508 5, 5 77, 109, 194, 206, 224, 534 5, 8 101, 109, 378 5, 9 109 5, 10 152 5, 12 231 5, 20 282, 350 6, 4 78, 177, 477 6, 5 152 6, 6 187, 515 6, 7 79 6, 9 228, 295, 352 6, 11 44
731
115, 300, 520 190, 584 298 300, 307, 356 422 134, 469, 494, 639 553 184 298, 467 575 297 369, 521 66, 348, 353, 514, 515 87 222 24 369 211, 527, 620 212 145, 213 35, 544 373, 375, 527 111 200, 546 249, 403, 509 353, 505, 508 172 109 305 146 41 159 41, 166 597 464 465 355 72 617 155, 341 25 709 425, 426, 438, 578 429, 430, 444, 445, 576, 640 439, 445 445, 596
Index scripturaire
15, 8 16, 20 16, 25
10, 12 10, 20 10, 24 10, 31 10, 32s. 11, 3 11, 20 11, 25 11, 26 11, 27 11, 28s. 11, 29 11, 31 12, 8‒10 12, 8 12, 13 12, 27 12, 31 13, 2 13, 5 13, 7 13, 8 13, 9s. 13, 12 13, 13 14, 33 15, 9 15, 10 15, 19 15, 20 15, 26 15, 27 15, 28 15, 34 15, 42 15, 45 15, 47 15, 49 15, 52 15, 53 15, 53s.
476 425 353
Ire Épître de Paul aux Corinthiens 1, 10s. 643 1, 13 366 1, 18ss 487 1, 20 619 1, 23s. 385 1, 24 152, 294, 347, 368, 501, 553, 627 1, 26 583 1, 30 521, 587, 594, 711 2, 8 434 2, 9 158, 216, 464 2, 11 459 2, 15 389 3, 2 88 3, 6 662 3, 11 361, 590 3, 12 219, 301 3, 13 222, 300 3, 16 576 3, 16s. 470 3, 17 72, 596 4, 1 459 4, 3 271 4, 3s. 459 4, 7 53, 351, 648 4, 8 299 5, 7 124, 165, 385 5, 7s. 609, 613 5, 8 111, 174, 381 5, 12 569 5, 19 28 6, 10 456 6, 19 77 6, 20 67 6, 20 vg 385, 639 7, 5 496 7, 15 622 7, 34 655 9, 11 643 9, 27 36, 308 10, 4 61 10, 11 99
118 242 127 405 332 410, 551 242, 606 384 477 580, 607 680 384 389, 424 619 535 332 382 621, 622 621, 622 274, 309 309 348 359 141, 295, 319, 712 535, 670 622 126 634 681 681 111 295 175, 352, 475, 553 428 122 381 601 508, 614 215 155 374
IIe Épître de Paul aux Corinthiens 1, 3 79, 103 1, 5s. 463 1, 12 366 1, 14 98
732
Index scripturaire
5, 15 5, 16 5, 16s. 5, 24 6, 3 6, 8 6, 10 6, 14
1, 22 553 2, 5 288 2, 15 29, 391 3, 6 647 3, 18 301, 556 4, 4 594 4, 10 508 4, 18 42 5, 1 274, 488 5, 6 274 5, 7 465 5, 15 252 5, 16 407 5, 17 367, 381, 600, 601 5, 19 607 6, 1 576, 580 6, 2 576 6, 5 496 6, 7 272, 576 6, 13 621 6, 16 77, 621, 647 7, 1 56, 73, 202, 421, 473, 496 8, 9 26, 36, 39, 62, 127, 382, 448, 589 8, 21 460 10, 4 552 11, 2s. 270 11, 14 483 11, 29 58 13, 4 159
606 614 542 130, 176, 343, 606 279 375 361, 424, 585 132
Épître de Paul aux Éphésiens 1, 4 673 1, 21 172 2, 2 110, 505 2, 3 146, 353 2, 4 128, 514 2, 5s. 129 2, 6 395 2, 14 141, 329, 377, 485, 506, 593 2, 15 80 2, 19 367 2, 20 141 3, 3 353 3, 17 44, 470 4, 3 51 4, 4 581 4, 5s. 663 4, 8 40, 386, 387, 406 4, 9 387, 406 4, 10 391 4, 13 187 4, 14 308 4, 15 531 4, 22ss 28 4, 24 601 4, 29 679 4, 30 194, 601 5, 2 66, 72, 597, 637 5, 8 617 5, 14 90, 536 5, 16 559 5, 23 410 5, 30 72 6, 12 269 6, 17 546, 551 6, 18 576 6, 32 134
Épître de Paul aux Galates 2, 16 146 2, 19 78 2, 20 44, 252 3, 11 476 3, 13 109 3, 19 258 3, 20 308 4, 4 55, 167, 353, 482, 574, 596, 647, 673 4, 5 672 4, 6 458 4, 19 46 4, 26 115, 249 4, 31 385 5, 6 198, 212, 306, 361 5, 13 418
733
Index scripturaire
3, 1s. 3, 1ss 3, 3 3, 3s. 3, 5 3, 9s. 3, 10
Épître de Paul aux Philippiens 1, 20 264 1, 21 76, 78, 298 1, 23 28, 76, 79, 274, 275, 297, 371, 467 1, 24 275 2, 2 485 2, 2s. 643 2, 5 134 2, 5ss 126 2, 6 135 2, 6s. 100, 382 2, 7 52, 55, 66, 127, 128, 376, 416, 452, 574, 641 2, 8 52, 127, 136, 379, 397, 574, 606 2, 8s. 405 2, 9 127 2, 9 593 2, 10 137 2, 11 128, 138 2, 12 511 2, 12s. 351 2, 21 42, 332 3, 2 136 3, 8 82, 383, 552 3, 13 42, 332, 339, 465 3, 19 217, 549, 583 3, 20 194, 267, 400, 628, 688 3, 20 vg 391 3, 21 158, 421, 576 4, 4 463 4, 5 297, 466 4, 6 467 4, 7 28, 178, 359, 464 4, 13 309
177, 399, 701 410 268, 559 381 187 369 508
Ire Épître de Paul aux Thessaloniciens 4, 4 329 4, 13 428 5, 3 282 5, 8s. 439 5, 17 201, 285 5, 18 656 IIe Épître de Paul aux Thessaloniciens 2, 4 465 3, 10 331, 680 3, 11 331 3, 13 467 Ire Épître de Paul à Timothée 1, 5 477 1, 13 349 1, 15 182, 356, 579 2, 4 281, 524 2, 5 61, 63, 125, 141, 358, 368, 433, 454, 538, 676 2, 7 125 2, 8 82, 364 2, 9 35 3, 16 477 5, 24 388 6, 8 577 6, 10 540 6, 15 588, 601 6, 16 475
Épître de Paul aux Colossiens 1, 13 300, 381 1, 15 485 1, 20 377 2, 3 80, 294 2, 9 81, 464 2, 14 134 2, 14 149, 282, 431, 592 2, 17 266 3, 1 137, 488, 617
IIe Épître de Paul à Timothée 1, 4 605 1, 7 198 1, 10 529 2, 4 429 2, 5 421, 585
734
Index scripturaire
2, 11s. 2, 19 3, 2 3, 12 4, 6 4, 7 4, 7s. 4, 8
13, 12 13, 14 13, 17
402 336 568 288, 505, 698, 704 288 129, 288 275 371, 421, 434, 438
Épître de Paul à Tite 1, 16 2, 12 2, 13 3, 4s. 3, 5 3, 6
52 409 626
Épître de Jacques 1, 4 363 1, 14 542 1, 17 207, 533, 607, 669 1, 19 240 1, 21 54 1, 26 240, 330 2, 11 63 2, 20 194, 337, 361 3, 2 493 3, 8 240, 244 4, 6 334, 626 4, 7 194 4, 14 540 5, 7 420, 421, 422 5, 8 422 5, 9 422 5, 10s. 422 5, 11 423 5, 14 442 6, 15 524
29, 41 280, 358, 614 466 31 31, 367 31
Épître aux Hébreux 1, 1 416, 476 1, 3 527, 596 1, 14 364, 546, 574, 691 2, 7 343 2, 13 532 2, 14 151, 491, 639 4, 12 167, 501 4, 13 285 4, 15 532, 575 4, 16 532 6, 8 219 7, 1 637 7, 10 100 7, 19 146, 637 9, 5 365 9, 11 et 14 424 9, 22 453 10, 31 389 11, 6 336, 674 11, 10 398 11, 13 225, 345 12, 1 421 12, 13s. 605 12, 14 370, 712 12, 17 379 13, 9 309 13, 10 605 13, 11 605
Ire Épître de Pierre 1, 4 157, 395 1, 12 81, 342, 606, 691 1, 18 385 1, 24 540 1 P 2, 8 25 2, 2s. 591 2, 6 141 2, 8 29, 118, 576 2, 9 640 2, 11 75, 300, 543, 614 2, 21 67, 358, 402 2, 22 493, 589 2, 23 377, 420 2, 24 67, 142 3, 11 578 5, 5 465, 696 5, 6 54 5, 8 59, 123, 270, 289, 540 5, 9 194
735
Index scripturaire
IIe Épître de Pierre 1, 4 1, 11 1, 14 2, 4ss 2, 20 2, 21 2, 22 3, 13
4, 18 5, 4 5, 16 5, 16s. 5, 19
361 494 273 427 44 201, 380 597 529
Épître de Jude 19 Apocalypse de Jean 2, 10 2, 11 2, 12 2, 28 3, 14 3, 20 3, 21 5, 5 5, 8 5, 9 7, 3s. 7, 9 7, 13 7, 14 7, 15 7, 16 7, 17 8, 4 14, 4 19, 20 20, 5 21, 17
Ire Épître de Jean 1, 1 476 1, 7 175 1, 8 299, 493, 502 1, 9 502 2, 2 357 2, 6 604 2, 15 442, 541 2, 16 297, 541, 622 2, 17 194, 205, 367, 540 2, 19 682 2, 20 497, 670 2, 27 670 3, 2 681 3, 5 397 3, 8 483 3, 10 617 3, 14 161 3, 15 570 3, 18 54, 578 4, 8 242, 691 4, 17 308
736
512, 545, 548 476 607 650 483 51 405 160 694 157 175 462 95, 539, 544 40, 108, 289 285 639 336 703 704 698, 704 705 705, 706 706 363 84 632 160, 163 324
INDEX DES SOURCES NON‑BIBLIQUES
De ciuitate Dei 20, 6 163 22, 20 163 22, 30 178, 495 De diuersis questionibus ad Simplicianum II, 2, 4 495 De Genesi contra Manichaeos I, 23 215 Enarrationes in Psalmos 7, 1 241 32, en. 2, s. 1, 10-11 437 39, 28 701 84, 13 500 84, 14 500 95, 5 431 95, 14-15 434 96, 7 219 101, s. 2, 7 158 109, 1 156 109, 2 158 109, 3 158 148, 1-2 169 150, 3 171 Enchiridion 14, 53 176 23, 91 163 Sermones 9, 1 434 17, 1 434 17, 3-7 454
Ambroise Autpert Sermo in Purificatione S. Mariae 1-5 68 4 76 Ambroise de Milan De bono mortis 2, 3 78 2, 5-6 77 De fuga mundi 2, 7 555 6 559 7 559 De Officiis ministeriorum I, 30 520 III, 17, 99 220 III, 18, 102–107 221 Expositio euangelii secundum Lucam II, 23 231 Expositio Psalmi 118 13, 6-7 166 14, 19-20. 130 20, 16-21 126 Hexameron VI, 8, 48-49 688 VI, 8, 49 687 Augustin Confessiones X, 31, 43
446
737
Index des sources non‑bibliques
II, 3 114, 116 II, 7 119, 122 II, 8 402 II, 11 189, 194, 197 II, 12 199 II, 14 191, 198, 201 II, 15 396 II, 16 188, 190, 192 II, 17 214, 215 II, 18 538 II, 19 230, 235, 257, 636 II, 20 230, 636 II, 22 284 II, 23 257 In Cantica Canticorum III, 4, 8 315 III, 4, 12 662 IV, 6, 3 669 IV, 6, 9 669 V, 8, 14 390 In epistulas VII catholicas 2Petri 1, 13-14 274 Iacobi 5, 7 423 In Ezram et Neemiam II 172 In Lucae euangelium expositio I 24, 25, 28, 29, 252, 257 IV 219 V 383 In Marci euangelium expositio I 257 In Prouerbia Salomonis III, 31, 25–31 678
55, 1-4 244 69, 1-4 269 97, 1-3 439 97, 1 438 97, 3-4 442 103, 1-6 641 104, 4 644 109, 3-4 244 130, 2 592 149, 4-10 266 194, 2 638 265 227 268, 1 652 287, 2 638 304, 3 136 Tractatus in Ioannis euangelium 4, 1-2 454 4, 9 556 10, 3 656 12, 12-14 457 15, 16 163 19, 16 163 28 224 32, 9 228 32 224 Ps. Augustin Sermo 123, 1 135, 2
499 493
Ps. Augustin (= Pélage) Epistula ad Demetriadem 18
700
Bède le Vénérable De Templo I II Homeliae I, 2 I, 6 I, 7 I, 8 I, 11 I, 12 I, 18
Ps. Bède le Vénérable In Matthaei euangelium expositio I, 3 248, 250
153 145, 147 493 472 488 486 55 57, 58, 61 56, 61
Benoît de Nursie Regula S. Benedicti Prologue, 13 1, 10-11 4, 42 4, 47
738
458 519 634 342
Index des sources non‑bibliques
4, 62 7, 24 7, 67 19, 7 24, 1 39, 2 41, 5 48, 1 64, 1
1 81 2, 3-4 654 2, 4-5 666 2, 17 671, 676 2 81 3 81 Sermo in Natiuitate Domini 3, 3 503 Sermo in Purificatione S. Mariae 2, 2 51 Sermo in uigilia Natiuitatis Domini 1, 2 418 1, 4-6 39 1, 6 41, 42 4, 1 463 4, 2 474 5, 7 474 6, 2-3 475 6, 3-4 475 6, 5-6 477 6, 7 39 6, 8-10 42 6 40 8-10 463 Sermones de diuersis 28, 5-6 298 28, 6-7 300 32, 1-4 459 51 45 53, 1-2 504 61, 1 413 85 299 Super Cantica Canticorum 2, 1 418 2, 4-5 415 2, 6 415 2, 7 132 2, 8 24 7, 4 363 16, 2-13 101 20, 2-3 151 24, 3-5 242 35, 2-3 277 35, 3-5 470 37, 5-7 279 38, 1-2 281
550 501 548 193 90 519 519 331 555
Bernard de Clairvaux Epistulae 42, 8 329 42, 9 329 42, 24 334 Sententiae I, 15 38 III, 84 53 III, 88 32 III, 95 180 Sermo de altitudine et bassitudine cordis 2 695 Sermo in Aduentu Domini 3, 2 418 Sermo in Assumptione S. Mariae 1, 3-4 303 2, 1 304 4, 5 310 4, 6 303 4, 9 310 5, 1-2 304 5, 3-4 305 5, 4, 6-7 306 5, 9 307 5, 12-13 308 Sermo in Epiphania Domini 1, 4-5 507 1, 5 508 1, 6 508 1, 8 507 Sermo in festiuitate Omnium Sanctorum 2, 1 708 Sermo in laudibus Virginis matris 1, 5 686
739
Index des sources non‑bibliques
54, 9 54, 12 55, 1 55, 2-4 56, 3-4 56, 5-6 56, 5 63, 6 70, 5
34
511 511 388 388 297 297 299 519 499
Gilbert de Hoyland Sermones in Cantica Canticorum 17, 5
441 432 431 264 431 264 698 700 590
Claude de Turin Commentarius in libros Regum IV 100 Eusebius Gallicanus Homeliae 39, 1-2 39 40 42, 6 44 Fulbert de Chartres Sermones 4 Geoffroy Babion Sermones 6
186
Grégoire le Grand Dialogorum liber II 2, 15 597 Prol. 1 86, 98 Prol. 2 99 Prol. 3 86 Dialogorum liber III 34, 3-5 524 Homeliae in Euangelia I, 5, 3 472 I, 6, 5 256 I, 8, 1 593 II, 21, 1-2 530 II, 30, 10 206 II, 39, 5 427 Homeliae in Hiezechihelem I, 2, 9 582 I, 4, 8-9 567 I, 4, 10 569 I, 7, 2 566 I, 7, 8 567 I, 10, 8-11 599 I, 10, 23 599 I, 17, 10 46 II, 1, 16 570 II, 4, 19-20 140 II, 5, 2 140 II, 8, 14-15 48 II, 8, 16 48 II 313, 318, 321, 324 fragm. XIV 210
Ps. Bernard de Clairvaux Tractatus de statu uirtutum I, 3-5 255 I, 3 557 I, 12 254 Césaire d’Arles Sermones 21, 7-8 59, 1 59, 3 69, 5 121, 5-6 126, 1 154, 1-3 154, 4-5 233, 2-4
253
584 577 577 583 577
Moralia in Iob I, 36, 51-55 II, 1, 1 IV, 19, 35 V, 31, 54-55 VII, 7, 7 VII, 37, 57-59 XIV, 54-58
27, 666
492
740
232 426 210 427 354 240 161
Index des sources non‑bibliques
XXIV, 8, 16 XXVI XXVII, 14, 15 XXVII, 17, 33-34 XXVIII, 1, 2 XXX, 18, 62 XXXIV, 23, 47-56 XXXIX, 29, 45-30, 46
VII 510, 692 In Salomonis Ecclesiasten X 400 XII 410 Miscellanea I, 142 180 I 203, 205 IV, 43 64 IV, 45 365
694 93 393 209 208 446 623 346
Guillaume de Saint-Thierry In Cantica Canticorum duo priora capita breuis commentatio 9-11, 14 531 16 522
Ps. Hugues de Saint-Victor De bestiis et aliis rebus III, 53 552 Isidore de Séville De ecclesiasticis Officiis I, 26, 2-3 Etymologiae 6, 8, 6 13, 14, 1-3 15, 1, 23 17, 10, 1 18, 12, 1 20, 3, 16 20, 11, 9 Quaestiones In Vetus Testamentum In Exodum 27, 1 28, 2-4 29, 4 In Genesim 31, 16-20
Haymon d’Auxerre Enarratio in Cantica Canticorum 6 650 Expositio in Apocalypsin II, 7 704 Expositio in epistulas S. Pauli Ad Romanos 13 444 Honorius d’Autun Gemma animae III, 1 III, 72
415 130
Hugues de Fouilloy De claustro animae II, 23
597
Hugues de Saint-Victor De Arca Noe morali I, 1 512 II, 7-8 183 II, 8 183 III, 1 709 III, 8 183, 713 IV 407 De modo orandi I 60 Didascalicon VII, 27 159
482 360 566 40 661 547 259 539
217 217 216 150
Jean Cassien Collationes 24, 24-25
249
Ps. Jean Chrysostome Sermo de Poenitentia
238
Jérôme Adversus Jovinianum 1, 26 546 Commentarius in Isaiam prophetam IX 315, 366
741
Index des sources non‑bibliques
Epistola 108, 9 367, 488 130, 11 555 Liber de interpretatione hebraicorum nominum 3 43, 87, 88, 338, 342 5 43, 356 6 552 7 34, 40, 150, 341, 342 8 43, 340 9 337 10 340, 575 11 341 13 336, 337, 457 14 91, 671, 676, 677 15 217 17 524 18 75 19 339 23 524 26 366 31 147 39 178, 359 41 34 42 33, 88 43 541 44 34 45 34 47 210 50 71, 114, 259, 359, 579, 668 58 291 60 397, 405, 541 61 397, 541, 611 62 116, 141, 148, 182, 291, 608 64 34, 122, 253, 631 65 565 66 575, 579 69 238, 259, 634, 638 71 284 74 337 76 259, 612 80 170, 338, 541 Originis in Lucam homeliae 15 28
Léon le Grand Tractatus 21, 1 27, 2-4 27, 3-5 43, 3 47 59, 8 63 69 73, 1 73, 4 77, 1 82, 1 82, 4
678 482 484 96 381 111 381 381 412 412 208 283 283
Maxime de Turin Sermones 40, 1-3
208
Opus imperfectum in Matheum 37, 4-5 143 Paschase Radbert De Assumptione S. Mariae Virginis VII 311 VIII, 48 316 VIII 311 Pierre Lombard Collectanea in Epistulas S. Pauli 1 ad Corinthios 1, 2 606 12 200 2 ad Timotheum 4 274 Ad Ephesios 4 386 Ad Galatas 5 177 6 130, 132 Ad Hebraeos 1 487 2 110
742
Index des sources non‑bibliques
Rupert de Deutz Commentarius in XII prophetas minores in Habacuc III 610, 619, 622 in Nahum II 611 in Zachariam II 629 IV 602 In Canticum Canticorum I 672 III 312 IV 660 VI 647, 667
Ad Philippenses 1 274 2 134, 137 Ad Romanos 5 200 6 177 8 200, 212, 515 13 444 Sermones 1 347 2 574, 578 3 588, 591 6 353, 357 7 360, 620 8 594, 601 12 649 16 602, 604 18 375, 377, 604, 617 19 614 23 136
Ps. Salonius In Parabolas Salomonis expositio mystica PL 53, 991BC 679
Raban Maur Commentarius in Libros Regum III, 7 145, 147 Commentarius in Mattheum IV, 2 629 Radulphe de Cantorbéry Homelia in Assumptione S. Mariae 289 Robert de Tombelaine Expositio super Cantica Canticorum II, 11 IV, 17 VII, 12
674 663 648
Rufin Commentarius in Psalmos 7
241
Smaragde Diadema monachorum 39 70
330 550
Sulpice Sévère Epistulae 3, 16
301
Tertullien De praescriptione haeriticorum XXXVI, 3 546 Yves de Chartres Sermones 7 19
743
420, 424 406
INDEX THÉMATIQUE
Le Christ création et recréation, 73, 2 Juifs et païens sont réunis, 22, 2 la chair est honorée, 18, 4 la nature humaine est victorieuse, 75, 3 En lui seul notre glorification, 53, 2 unité et diversité, 59, 2 Enfant qui désire des enfants, 53, 3 Entré dans notre forteresse pour la reconstruire, 47, 2 Envoyé devant la face du Père, son visage, 91, 1 Epoux immortel, 89, 1 Est-ce vraiment sa naissance que l’on célèbre à Noël ? 63, 3 Etoile et chemin, 24, 2 Evénements du Christ : traces pour le suivre, 82, 1 Exalté dans sa nature humaine, 20, 4 Exemple de pauvreté et d’humilité, 7, 2 ; 57, 2 ; d’abaissement, 11, 4 Foi pour se rassasier de sa chair, 53, 1 Foin dans la crèche, 73, 3 Frère, mais Seigneur, 18, 4 Grâce et exemple, 3, 6 Guide et salaire, chemin et couronne, 29, 3 Guide sur le chemin, 96, 3 Héritage incorruptible, 59, 2 Homme, et toujours Dieu, 20, 2
Accomplissement des promesses, 4, 2 Adam : du premier au second, 78, 3 Agneau et lion, 17, 3 Agneau immolé pour nous, 57, 4 Ascension, aboutissement de toutes les fêtes du Christ, 28, 1 Assomption : le Fils accueille sa mère, 87, 1 Au ciel en son humanité et avec nous sur la terre par sa divinité, 60, 2 Biche : rapidité et acuité du regard, 58, 2 Chemin – Patrie, 1, 3 ; 72, 1 Christ au milieu de l’Eglise, 107, 2 vérité et justice, 79, 2 Chute et relèvement, 2, 2 Conçu sans péché, 81, 2 Consolation véritable, bonheur du ciel, joie sur la terre, 72, 1 Défiguré : notre beauté, 19, 1 Descendu pour monter, 61, 1 Deux avènements : présent et à venir, 64, 1 ; 65, 1 ; 66, 3 ; 70, 1 Dieu caché, homme manifesté, 79, 1 fait homme pour se faire connaître des hommes, 76, 1 Doux humble, 16, 3 En lui conjonction du haut et du bas, 59, 2
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Pain des anges, 1, 3 du ciel pour le cœur ferme, 4, 7 Paix au-delà de toute intelligence, 72, 1 Passant sur la terre sans y demeurer, 61, 3 Passer à une connaissance spirituelle du Christ, le savoir incompréhensible, 61, 1 Passion, sa — : humilité, patience, obéissance, 15, 1 libération du péché, 15, 2 Patrie : s’y laisser conduire par lui,53, 4 Pauvreté : né dans la — ,1, 2 Pauvreté, sa — : libéralité de Dieu, 4, 2 Petit et grand, 72, 1 ; 77, 2 Pierre angulaire où se rejoignent Juifs et païens, 21, 2 Plénitude des saints, 107, 2 Porter le Christ, 5, 1 Premier des prêtres, 86, 2 Prend en charge l’homme, se fait inférieur à lui pour le relever, 79, 4 Préparer pour lui une demeure digne de lui, 89, 1 Présent dans la fraction du pain, 60, 3 Proche des élus et sévères pour les injustes, 60, 3 Proche, 72, 3 Qu’il naisse en nous, 4, 3 Rédempteur : mon — est vivant, 25, 1 Résurrection, sa — : libération et espérance d’immortalité, 23, 1 « Reviens », 98, 4 Roi et prêtre, 96, 1 humble et pauvre, 91, 2 Sa chair dans le ciel, 61, 1 ; 62, 1 Sa faiblesse pour sauver de la faiblesse, 75, 4 Sa fuite et ses visites : épreuves de l’âme, 58, 3
Humble, mais Roi, 63, 2 Humilié : le vénérer, 19, 2 Humilité jusqu’à la croix, 20, 3 son — : pas au détriment de sa divinité, 18, 3 son — : sublimité, 18, 1 Il est la pierre qui détruit la statue, 81, 2 Il s’est tu, il jugera, 64, Immolé chaque jour dans l’eucharistie, 57, 3 Incarné pour avoir des frères à libérer, 53, 1 Indicible, incompréhensible, partiellement visible pour nous, 105, 2 Inférieur et égal à Dieu, 52, 7 Jésus Samaritain, veilleur, 88, 2 résumé de tous les titres énumérés en Isaïe 9 : ils correspondent à ses œuvres, 79, 4 Le Christ notre fête, 93, 2 Le Dieu humble, 94, 5 Le saint par excellence, 105, 2 Libre parmi les morts, ressuscité pour tous, 83, 1 Lis illuminateur, 79, 1 Médecin, 96, 3 tué par le malade pour la guérison de celui-ci, 24, 3 Médiateur, 77, 1 Messie attendu impatiemment en Israël, 63, 2 Naissance, sa — : toujours nouvelle, 74, 4 Nature humaine, sa — : moyen de salut, prix de la rédemption, 73, 2 Né avant tous les temps, 74, 2 Notre justice, 108, 4 Obéissance, son — : dignité des fils, 6, 2 Offert dans l’eucharistie, 53, 1 par la Vierge pour l’Eglise, 9, 4 Offrande du Christ, 6, 2 Offrir : l’ — en propitiation, 53, 3
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Index thématique
Son règne et celui du diable, 94, 7 Son sacrifice expiatoire, 77, 2 Sorti pour nous faire entrer, 77, 1 Souffrances, ses — : œuvre étrangère, 21, 3 Tête : le suivre, 59, 2 Vainqueur de la mort, 93, 2 Venu au nom du Père, 16, 5 chercher ce qui était perdu, 63, 3 Vrai homme, 55, 1 Vrai homme, vrai Fils de Dieu, vrai Dieu, 80, 1 Vraie lumière, 96, 3
Sa résurrection et son ascension : promesses pour les fidèles, 84, 1 Sa venue, chemin pour le suivre, 60, 2 Sauveur et modèle, 8, 1 Ses plaies : s’y confronter, 89, 4 Signe de contradiction, 2, 2 Soleil de justice (cf. les références à Malachie, 4, 2), 4, 3 Son baptême nous lave de nos péchés, 78, 2 Son corps et ses membres, 83, 3 Son passage, le nôtre, 93, 3
Marie Echelle du ciel, 99, 2 Elue depuis toujours, 101, 1 ; 102, 1 Emmenée par son Fils, 49, 1 En elle force et beauté, 103, 1 l’humilité préserve la virginité, 98, 5 la vertu du silence, 50, 4 la pauvreté, chasteté, amour, 50, 3 Etoile de la mer, 101, 3 ; 102, 6 ; 103, 1 du matin, 104, 1 Exemple et secours, 101, 3 Forteresse réservée à Dieu, 87, 2 Invoquer son nom, 100, 4 Jardin clos, source scellée, 100, 2 L’Esprit Saint sur elle pour l’enseigner, 101, 3 Libre à l’égard du diable, 104, 2 Lumière de toutes les Eglises, 101, 3 pour la terre, 104, 1 Maison du Christ, 87, 2 Marie dans la gloire, 48, 5 castel et forteresse, 45, 1 fumée d’aromate, 48, 2 ss Marthe et Marie ensemble, 45, 5 Marthe et Marie, de l’action à la contemplation, 47, 3 et 4 ; 49, 2
Accueil réciproque de Jésus et de Marie, 47, 1 Accueille en elle la Sagesse, 45, 3 Adam – Marie, 104, 1 Amie, 102, 2 Appel, elle est — pour l’âme, pour l’Eglise, 48, 5 Apporte Dieu au monde, 50, 1 Assomption : la différencier de la résurrection du Christ, 87, 1 œuvre du Christ, 46, 1 ; il accueille sa mère, 87, 1 plénitude de la glorification audelà de tous les saints, 87, 1 de l’ – à la Purification : un seul mystère, 9,1 Aurore surgie, d’où naît le Soleil, 104, 2 Aurore, lune et soleil, 101, 1 ; 104, 1 Belle par sa conversion, 102, 5 Blancheur, sa —, 48, 4 Choisie et dédiée, 104, 1 Colombe dans son humilité, 102, 2 Contraire d’Eve, 102, 2 De la maison de David, 102, 1 Déifiée par son enfantement divin, 105, 1
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Son intercession, 46, 6 Son élection, 11, 2 Son exaltation : appuyée sur le Bien-aimé, 48, 1 Souhaitée par Dieu, 102, 1 Temple de Dieu, 99, 2 temple, paradis, jardin, 98, 1 Toujours vierge, 87, 1 Tour de l’humilité, 87, 2 Trône du Christ, 50, 2 Vénère son Fils comme son Dieu, 105, 1 Victorieuse du serpent, 101, 1 Vierge de compassion, 87, 7 Voulue et sanctifiée par le Seigneur, 104, 1
Mère créée par son Fils, 50, 2 de la miséricorde, 99, 3 ; 100, 1 de la vie, 99, 3 des fidèles ; eux, ses fils en imitant sa foi,99, 3 Nouveau paradis, source de sagesse, 100, 1 Première de tous les saints, 105, 1 Reine des saints, Reine des cieux, 48, 4 Réparatrice de la faute d’Adam, 99, 2 Sa méditation, 100, 4 Sa naissance : commencement de notre salut, 98, 1 début de l’incarnation, 99, 2 sanctifiée par avance, 50, 1
Dieu Père et mère, 107, 2 Pour lui tout quitter, 12, 1 ; Il est ma part, 86, 2 Pour lui vivre et mourir, 44, 4 Que lui offrir pour le glorifier ? 55, 4 Revenir à lui, 83, 5 S’il se repent, c’est qu’il modifie son projet, 78, 4 S’unir à son jugement, 76, 2 Sa miséricorde incompréhensible, 76, 2 Sa parole : notre adversaire, 38, 7 ; 65, 2 Sa présence à l’âme, 94, 2 Se manifeste par ses oeuvres : sa puissance, sa sagesse, sa bonté, 105, 3 Ses dons que sont chez l’homme vouloir et pouvoir, 76, 2 Seul vrai Juge, 71, 1 Son humilité : se soumettre à sa créature, 82, 2 Son projet, 54, 3 Tout en tous, 74, 2
Affection réciproque du Père et du Fils, 76, 2 Attention à Dieu, 51, 3 ; contemplation de Dieu, 51, 6 Connu mais caché ; sa fuite en vue d’augmenter le désir de lui, 61, 2 En lui miséricorde et jugement sont inséparables, 67, 1 et 2 Il assume notre faiblesse pour sauver l’homme de sa faiblesse, 75, 2 et 4. Il sauve l’homme dans sa responsabilité, 75, 2 Immensité de sa bonté, 90, 1 L’aimer c’est le comprendre, le connaître avec profit, 105, 2 La mauvaise ignorance de Dieu, 43, 7 Les trois jours de la Trinité, 24, 4 Lui est réservée cette forteresse qu’est Marie, 87, 2 Lui rapporter toute grâce, 52, 6 Ne se plaît qu’en son Fils et en ceux qui lui ressemblent, 80, 3
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Esprit Saint Feu purificateur, 31, 1 ; feu et ferveur, 35, 1 ; feu et eau, 35, 2 L’Ascension : promesse de l’Esprit, 59, 3 L’Esprit et les sept esprits selon Isaïe 11, 85, 2–6 Le demander, 31, 6 ; l’invoquer, 32, 4 Le don de l’Esprit, en lien avec la prière et la louange, 59, 4 Le recevoir, se remémorer les promesses de la croix, 30, 5–6 Par lui les apôtres affermis, 59, 4 Par lui tout est accompli, 32, 1 Risque de le contrister, 91, 5 Sa descente lors du baptême de Jésus et dans le feu de la Pentecôte, 94, 1 Sauveur avec le Christ, 94, 1 Son meilleur don : l’amour, 94, 3
Bon et gardien de nos pensées, 31, 4 Délivre du diable et réclame la paix, 94, 4 Descend deux fois sur le croyant : baptême, puis onction et imposition des mains, 94, 2 Descendu deux fois sur les apôtres : pour remettre les péchés puis répartir les grâces, 94, 1 Don et source de toute bonté, 31, 3 Donné aux apôtres à trois reprises, 31, 2 Donné pour instruire et confirmer, 85, 1 Esprit et amour, 31, 5 Esprit et glorification du Christ, 36, 4 Esprit et loi de Moïse, 34, 3 Esprit et mystère du Christ, 30, 1 Esprit et unité, 33, 5
Thèmes divers mémoire, volonté et raison, 71, 2 ; en garder les portes, 71, 3 source scellée par le mystère, 100, 4 Amour comme dilatation, 93, 2 de la lumière éternelle : 5, 4 double, 85, 2 ; 93, 4 ; du prochain, 56, 4 et chasteté, 50, 3 pur, 51, 2 seul accès à Dieu, 31, 5 deux préceptes en un seul, 36, 5 douceur, sagesse et force, 23, 3 force des vertus, 108, 8 ses deux dimensions, 434, 2 seule entrée dans le Royaume, 31, 2 une émigration, 36, 5
Adam — Marie, 104, 1 chute et relèvement, 29, 4 Admiration, stupéfaction, 59, 1 Admirer – imiter, 86, 1 Adversité : elle ne manquera jamais, 106, 2 Alléluia : louange de toute la vie, 27, 2 Ame fidèle : aurore, lune, soleil, 101, 2 armée en ordre de bataille : prière contre les démons, 101, 2 belle par sa conversion, 102, 5 elle aussi est amie, colombe et belle en ses œuvres, 102, 4 jardin clos à l’Ennemi, 100, 4
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parmi les saints : 13, 1 modèle et intercesseur : 13, 4 Bergers bons ou mauvais, 43, 4 de Noël : leur choix de veiller ; comme eux chanter le Christ, 77, 2 comme eux, tous ont une charge pastorale, 77, 4 tous témoins à la suite des bergers, 77, 4 Bien : le saisir : c’est Dieu, 86, 4 trois degrés du — , 71, 2 Bonne nouvelle pour tous : 1, 1
sa patience, 23, 4 trois sortes : Dieu, le monde, le péché, 32, 3 Anges au service des humains, 88, 1 leur rôle de prophètes, 90, 1 Appel à venir et à boire, 36, 3 à la perfection, 88, 4 Armes du croyants, 85, 2 Ascension comme victoire, 84, 1 aboutissement de toutes les fêtes du Christ, 28, 1 accomplissement des jours saints, 62, 1 achèvement de notre recréation, 58, 1 achèvement de l’incarnation, 58, 4 Ascèse, méditation, prière, 83, 5 Attente impatiente, se préparer, 72, 2 Attention : la diriger vers la Patrie, 59, 1 Avantages, bonheur, honneur : les chercher là où ils se trouvent, 74, 1 Avènement double, attente d’Israël et notre attente du jugement, 70, 1 Avènements : au nombre de deux, 66, 3 Avenir promis : s’y préparer, 27, 1 Avenir : après l’avoir méprisé, difficile de le retrouver, 27, 4 mémoire des pères et de leur attente, 65, 1 Avent : préparer au Christ une demeure, 68, 1 se préparer à accueillir Celui qui vient, 68, 1 Avent : mémoire et espérance ; préparation, 63, 1
Chasteté et simplicité, 91, 1 et 2 Chemin – Patrie, 73, 4 ; chemin de la Patrie, 103, 4 Chemin du Seigneur : sentier du croyant, s’y préparer, 39, 2 et 3 Choisir la dernière place, 43, 6 Circoncision : la nôtre, 55, 1 Circonspection : veiller sur soimême, 87, 6 Coeur : notre temple, 91, 2 sa clôture, 92, 3 Colombe et tourterelle, 91, 1 symbole des sept vertus : 7, 2–8 Colonnes de Salomon : Juifs et païens, 22, 4 deux : l’une de nuée, l’incarnation, l’autre de feu, Dieu purifiant, 53, 4 Comptes à rendre, 66, 4 Confession aux deux sens du terme : 4, 4 celle des péchés anticipe sur le jugement, 79, 3 pardon à qui confesse sa faute, 70, 3 remède pour prévenir le jugement, 66, 2 ses qualités : personnelle, ne portant que sur ses propres fautes, nue (claire), 52, 4 s ses quatre qualités : 14, 6 Connaissance de soi : triple, 83, 5 et force des apôtres, 30, 1
Béatitudes : 51, 2–6 ; une échelle, 108, 1 Beauté (vertu) et force (face à la persécution), 103, 2 Bénédiction, liée à l’obéissance, 59, 4 Benoît et Elisée : 14, 1
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Index thématique
Orgueil du diable, 95, 4 Par l’incarnation et la croix il est vaincu en toute justice et privé de son droit sur les humains, 69, 2 et 3 ; 90, 5 Ses ruses, Dieu plus grand que lui, 76, 2 Trois formes d’attaques de sa part, 37, 3 Diminuer et grandir, 40, 1 Discernement dans l’action, 85, 5 ce qu’il faut donner, ce qu’il faut garder, 83, 4 étouffer le vice, non la chair, 68, 3 Douceur – rigueur, 60, 1 de la terreur à la —, 33, 2
et ignorance de soi, de Dieu, 43, 5 Conscience et jugement de soi ; — et louange, 42, 7 Conseil pour revenir, précepte pour persister, 80, 3 Contemplation de Dieu, 51, 6 de Marie en silence, 77, 4 action et — , 81, 3 trois degrés, 49, 3 un combat, 49, 4 Conversion intérieure du coeur, sans elle jeûnes et prière sont inutiles, 88, 4 commencer par haïr le péché, 66, 2 revenir à son cœur, 88, 3 Convoitise : contre elle guerre sans merci, 84, 4 ne convoiter que le Royaume, 106, 3 Corps : obstacle à l’avenir, 72, 3 paroi entre nous et le Christ, 46, 2 s Crainte de Dieu et humilité, 103, 6 de Dieu, contre la convoitise et l’orgueil, 108, 2 et amour : eau et vin, 80, 4 et amour, 70, 1 ; 85, 2 servile : la vaincre, 85, 1 au nombre de trois, 80, 4 deux formes, 14, 5 ; au nombre de deux, 33, 4 contraire de l’orgueil, 80, 4 Création – rédemption, 81, 1 Croix : se glorifier en elle, 19, 2 Curiosité : exemple de Dina, 95, 4 la mauvaise — : agitation, frivolité, 95, 3
Eglise : colombe, épouse, amie, 103, 4 fille de Sion et de Jérusalem, 92, 1 jardin des œuvres, source de l’enseignement, 100, 3 nous fils des l’ — , 58, 4 scellée par l’évangile : 100, 3 Sion : l’Eglise actuelle, vigilante ; Jérusalem : l’Eglise à venir, glorieuse, 88, 5 son unité, 36, 5 trois ordres : 4, 6 ; 5, 1 corps du Christ, 83, 3 ; 84, 1 ses célébrations conduisent déjà au Royaume, 103, 4 Elie, type de la vie monastique : 12, 4 type de S. Benoît : 12, 2 ; 12, 4 Elus et réprouvés : 13, 1 Emulation : considérer les meilleurs que soi pour se transformer, 105, et 6 Ennemis : six à vaincre, 84, 2 Entraînement spirituel des uns par les autres, 98, 2 et 3 Epiphanie : trois signes : les mages, le baptême du Christ, Cana, 78, 1 Epreuves et réconfort, 23, 6
Diable Captifs du diable ou captifs du Christ ? 58, 1 Combattre ce lion et ce dragon, 42, 5 Enchaîné par Jésus, ne pas s’en approcher, 66, 1
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de sa première vie dans le paradis à la seconde dans la Patrie, 78, 4 notre humanité divinisée, 80, 2 qu’en lui l’extérieur et l’intérieur coïncident, 71, 1 sa nature montée au ciel, 62, 1 sa valeur mesurée à celle du Christ, 59, 2 concitoyen des anges, 75, 1 créature noble, créature nouvelle, 54, 7 juge de lui-même, 71, 1 Honte : deux formes : 14, 4 Humilité, 90, 2 ; et orgueil, 90, 4 comme vertu, 18, 4 du Christ jusqu’à la croix, 20, 3 et autorité dans l’Eglise, 50, 6 et chasteté, 45, 1 et 2 et les autres vertus, 50, 7 et pauvreté, 86, 4 intérieure, du cœur, 90, 5 pour que Dieu repose en l’homme, 104, 3 abaissement volontaire, et élévation de l’esprit par grâce, 49, 5 celle du Christ, 18, 1 ; et la nôtre, 18, 2 et 4 ; 20, 1 condition de la virginité : 11, 3 ; 12, 2 d’elle à la gloire, 20, 4 exemple de Jean Baptiste, 40, 3 sans elle les vertus ne sont que du vent, 86, 4 ; 40, 4 sept formes, 86, 4 tout attribuer à la grâce, 95, 6 sceau de la chasteté, 104, 3
Esclave, salarié, fils : 8, 3 Espérance : ne pas désespérer des pécheurs, 70, 2 Eve bravant l’interdit, 95, 4 Exemple des saints, 37, 7 Exemples positifs ou négatifs : un miroir pour nous, 65 , 2 Exigences de l’évangile : 3, 4 Exulter suffisamment, 92, 1 Ferveur d’esprit : méditation et contemplation, 51, 3 Fête extérieure – contemplation intérieure, 93, 2 Fin : l’envisager, 89, 4 Foi dans l’amour : lumière et fondement du chemin, 54, 2 Foi et action, 51, 2 Foi : croire sans avoir vu, 74, 3 croire, c’est déjà voir, 74, 4 de la – à la vision, 87, 7 fermeté de la – et de l’action, 22, 4 rien d’elle ne passe, ne se perd, ne la dépasse, 74, 3 sans elle les vertus sont vaines, 103, 5 figure de l’éternité, 74, 3 Fuite : celle du monde est bonne, 86, 4 Glaive de la séparation, de l’extermination, de la circonspection, 85, 2 Gloire : la vaine — , 98, 4 Grâce de Dieu : tout lui rapporter, 52, 6 Grâce et action de grâce : 6, 3 Grandir — diminuer, 96, 2
Image de Dieu : se renouveler à l’ — , 93, 4 et ressemblance, 104, 3 pour l’homme : capacité d’intelligence, pour que Dieu s’y repose et le sauve, 104, 5 Imitation des saints, 105, 4 ; 106, 1
Habitude : un lieu à redouter, 95, 4 Homme « tout entier » : nouveau et spirituel, 6 8, 4 créé de rien, mais racheté pas pour rien, 19, 3 exalté, 59, 1 ; associé au Christ, 18, 4
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Index thématique
Israël et nations : bœuf et onagre, 53, 1
en vue de la ressemblance, 80, 3 Imiter ce qu’on honore, 60, 1 Immortalité : véritable repos éternel, 28, 3 Incarnation Abaissement, 9, 3 Mystère tenu caché, 9, 2 ; ce mystère : un enchaînement, 10, 1 Annoncée par les prophètes, 59, 3 ; 90, 1 Pourquoi si tardivement ? Par souci de justice envers le diable, Pour donner à l’homme le temps de se repentir et l’occasion de mesurer sa perdition, Pour donner au salut le temps de se dérouler69, 1 et 3 Incarnation et justice, 70, 12 C’est le meilleur mode de réalisation du salut en accord avec l’amour et la justice de Dieu, 73, 21 Réalisation d’un bienheureux échange, 75, 1 Son commencement : la nativité de la Vierge Marie, 99, 2 Interprétations symboliques Colombe et tourterelle, 9, 5 Histoire de Naaman, 3, 2 La préparation de la pâque par Jésus, 57, 2 La résurrection opérée par Elisée, 14, 2 et 3 Le lion, 3, 2 Le nombre cinquante, 34, 1 Le sabbat, 34, 2 Le temple, 23, 5 Le trône, 50, 6 Les animaux purs et impurs, 42, 2 Les Rameaux, 22, 2 Or, encens, myrrhe, 10, 2 ; 54, 3–5 ; 80, 2
Jean Baptiste : à la limite de la loi et de l’évangile, 96, 1 ange par sa mission, 91, 1 ; ange précurseur, 95, 1 grandeur et humilité, 86, 2 interprétation de sa nativité, 41, 1 ss plus qu’un prophète, 96, 1 rupture avec la famille, 86, 2 ses privilèges et dons magnifiques, 86, 1 son austérité, sa grandeur, 41, 5 son désir de perfection, 86, 2 précurseur, 37, 1 ; 38, 1 ; 40, 2 prophète, 39, 1 ; ami de l’Epoux, 40, 4 serviteur du Seigneur devenu son ami, 86, 2 Joie en ce qui est donné et en ce qui est promis, 72, 1 inepte, opposée à la prudence, 95, 5 la mauvaise — , 98, 4 ; les vraies, 32, 2 se réjouir de la vraie — , 63, 3 exprimée par le rire, 103, 2 Jugement : risque de mépriser le temps de la miséricorde, 70, 2 s’accuser c’est déjà s’unir à Dieu, 70, 3 s’unir à celui de Dieu , 76, 2 se juger pour n’être pas jugé, 70, 3 se juger soi-même préventivement tant que l’on en a le temps, 64, 3 se souvenir de sa fin, prévenir le — , 46, 4 son sérieux ; à ce sujet l’Ecriture ne ment pas, 106, 4 Juifs et païens : ânesse et ânon, 22, 1 Justice : plénitude de toute vertu et de toute action de grâce, 81, 5
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Index thématique
est-ce vraiment celle de la naissance du Christ que l’on célèbre ? 63, 3 Mémorial des saints, utile à nous plus qu’à eux, 105, 4 Miséricorde et jugement, 83, 2 compter sur elle tant qu’il est temps, 67, 1 oubli des injures, 85, 4 Modération et frugalité : s’en tenir au besoin, non au superflu, 68, 3 Moine : l’humilité, sa vertu suprême, 86, 3 pourquoi s’être fait — ? 89, 3 ses tentations : murmure, errance, tiédeur, cupidité, 81, 4 son hypocrisie ou sa sainteté intérieure, 91, 5 vie purement extérieure ? 95, 3 ; critiques à eux adressée, 89, 4 Monde : y renoncer ou renoncer au Christ, 29, 2 Monter à l’exemple du Christ, trois jours de chemin pour revenir ou se retirer, 29, 1 au ciel : progresser dans la justice, 60, 1 au ciel : promesse faite à l’homme, 60, 1 des vices aux vertus, 62, 2 vers le Roi, par quatre degrés, l’amour en allège la peine, 29, 6 c’est descendre en enfer, 58, 2 Mort de la mort, 93, 2 de Pierre et Paul : bienheureuse, 43, 1 ; 43, 3 des pères avant d’avoir vu ce qu’ils attendaient, 52, 1 et désir de voir le Christ : 10, 2 et salut, 79, 3 supportée ou désirée, 43, 2 bien user de ce châtiment, 67, 4 nous sommes morts sur la terre : n’y rien goûter, 61, 3
L’homme nouveau : s’en aller en paix : 2, 2 Larmes : leur diversité, 107, 3 un rebaptême, 108, 3 Légèreté, mère de la sottise, 81, 3 Libération : déjà et pas encore, 15, 4 Libre arbitre, 99, 2 Loi comprise spirituellement, 26, 2 et 3 Louange : l’apprendre des anges, 73, 3 Lumière de la lumière, 93, 1 qu’est le royaume, 93, 1 Mages : rois dans leur autorité sur eux-mêmes, 54, 1 types des nations, 54, 1 Maîtrise de la parole, 38, 3 ; de la langue, 38, 4 et 6 de soi : force de la force, 51, 5 Marthe et Marie, 45, 4 et 5 de l’action à la contemplation, 47, 3 s ; 49, 2 la grâce unique, c’est la contemplation, 97, 2 préférer l’unique au multiple, 97, 2 Marthe, Marie, Lazare : raison, sensibilité, volonté, 87, 4 Martyrs : ceux qui meurent à leur volonté propre, 107, 1 venant des adversités de ce monde, 107, 1 Méditation – contemplation, 87, 7 assidue, 85, 6 et rumination, 42, 1 sa pureté, les obstacles à surmonter, les remèdes, 87, 4 Méditer dans son cœur : 53, 3 Meilleure part : ne sera pas ôtée, 97, 3 Mémoire et imitation, 82, 1 ; 107, 3 ; 108, 1 par l’Esprit des promesses du Christ, 30, 5 et 6
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Oubli double : du bien suprême et de ce qui est en arrière, 51, 3 Oublier : est-ce un mal ou un bien ? 4, 5
seule elle est certaine, 67, 4 souvenir de la _, et augmentation des vertus, 51, 6 trois genres de — : au péché, spirituelle, finale : 10, 4 un gain : 10, 3
Pain : trois formes : purgatif, consolateur, solitaire : 12, 4 Paix à établir en soi, avec le prochain, avec Dieu, 108, 7 avec Dieu : accord avec sa volonté, 76, 3 avec soi, avec le prochain, avec Dieu, 56, 3 s’en aller en — : 10, 4 Pâques comme mémorial, 26, 1 et Pentecôte : leur unité, 33, 1 ; 36, 1 la plus grande des fêtes, 93, 1 passage à la vie éternelle, 27, 5 passer, traverser, 17, 3 pour nous joie ou confusion ? 16, 6 s’y préparer avec vigilance, 17, 4 une célébration de la nuit et du jour, 17, 1 vivre du Christ, mourir et ressusciter, 57, 1 Parole : la cacher, la proclamer, 85, 5 Paroles de sagesse et d’enseignement, 103, 2 Passage de la perversité à la bonté, 93, 3 Passer à une connaissance spirituelle du Christ, 61, 1 des vices aux vertus, sans retomber, 56, 1 Passion : glaive pour Marie, l’Eglise, les incrédules : 2, 4 Pasteur : sa responsabilité, 89, 2 Patience – espérance, 51, 5 dans l’adversité : 3, 5 et endurance, sans murmures, 64, 2 et longanimité : clémence, 103, 2 s’y préparer, 106, 2 Paul et autres apôtres, 44, 5 Pauvre : de riche devenir — , 90, 3
Naissance : la seconde plus grande que la première, 78, 1 Nature : ne pas mépriser notre — , 75, 3 Obéissance : 5 6, 5 ; 90, 6 et raison, 70, 2 son refus équivaut à une idolâtrie, 88, 3 Obligation d’avertir le pécheur, 89, 2 Oeuvres des ténèbres – armes de la lumière, 65, 4 Offrande de notre part, 91, 3 et purification : 2, 1 ; 82, 2 qu’est la vie chrétienne : 9, 5 ce qu’il faut offrir à Dieu pour le glorifier, 55, 4 la nôtre : myrrhe de la mortification, encens de la prière, or de la ferveur, 80, 2 les vertus, les fruits de l’esprit, 66, 4 quintuple : pensée, volonté, délibération, promesse, dévotion, 82, 3 une présentation : 2, 1 Onguent le meilleur : le service fraternel, 83, 3 huile de l’amour, 83, 4 trois dans l’Eglise : repentance, ferveur, bonté, 83, 2 Orgueil du supérieur, orgueil des sujets, 94, 6 et gravité du péché, 15, 2 commencement du péché, 98, 4 confiance en soi, 98, 4 prétendre s’élever au dessus de Dieu, 72, 2 une apostasie, 90, 4
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Rameaux coupés : exhortations, 21, 2 la foule, le palmier, la monture : c’est nous, 21, 1 procession symbolique et mémoire de la passion, 92, 3 Récompense de la vie éternelle, 51, 5 Reconnaissance : onguent pour le souvenir du péché, 19, 3 Refus de recherche de soi, 50, 6 Repentance double : par crainte, par amour : 8, 2 et holocauste : 5, 4 et renoncement : 5, 2 ; — et sanctification, 55, 3 sa violence, 33, 3 Respect du secret, 38, 3 Résurrection du Christ en nous, quatre formes, 87, 4 la nôtre avec et pour le Christ, 24, 3 la nôtre réelle déjà et encore attendue, 24, 1 nous, fils de la — , 83, 1 pour le croyant une première et une seconde — , 25, 3 récompense promise, 25, 2 Revenir en tuant les ennemis, 29, 2 Revêtir le Christ, 88, 3 « Reviens », 98, 4 Rigueur pour soi, tolérance pour autrui, 87, 6 Royaume : violence pour le — , 41, 5
Pauvreté stricte : chemin vers la Patrie, 68, 4 un choix : 3, 5 et douceur, 51, 2 Péché mortel : la désespérance, 98, 4 autant de parois entre nous et le Christ, 46, 2 s trois degrés, 71, 2 trois manières de s’en souvenir : 12, 3 Pécheurs : tous le sont, 53, 2 Pénitence et toutes les vertus, 38, 3 éloge de la — , 38, 2 Pentecôte : complémentarité des quarantaine et cinquantaine, 30, 2 et 3 son octave, présage de la Patrie, 30, 4 Perdition, 89, 4 Perfection : au-delà de la loi : 13, 2 Persévérance, 56, 6 ; 108, 8 dans la prière, 59, 5 Pierre et Paul : leur service du Christ et de tous, 42, 1 Pierre, 44, 4 commentaire de sa vision, 42, 1 ss paître le troupeau de Dieu, 44, 3 sa triple confession en réponse à Jésus, 43, 3 ; 44, 2 Prédestination, 27, 3 Prédication : la recevoir, 91, 4 sa charge, et responsabilité de l’auditeur, 99, 1 Présent à soi : aller droit devant soi, 87, 7 Prêt pour la venue du Juge, 89, 4 Prévenir le jugement, 66, 4 Prière assidue, 85, 1 et engagement, 31, 5 Procession de la Purification : son sens : 6, 1 Pureté – sobriété, 91, 5 d’intention, 37, 6 ; 51, 2 trois modes, 90, 3
Sacrements Baptême Complété plus tard par l’onction du chrême et l’imposition des mains, 94, 2 Engendrement par l’eau et l’Esprit, 103, 4 Incorporation au corps du Christ, 94, 2 Pénitence, 36, 2 ; relèvement, 27, 4 ; accomplissement de la justice, 80, 3
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Salut : adéquation, 90, 2 on a reçu plus que ce qu’on avait perdu, 62, 1 Sang et eau : sacrements, 7, 9 S’élever de la terre, 104, 4 Se connaître : revenir à soi : 3, 3 Se considérer comme un autre, 87, 7 Se lever en hâte, 102, 5 Secret : un cœur — , 51, 5 Silence et paix, 38, 4 Silence monastique, 38, 4 Sommeil : divers sens : négligence ou repos, 65, 3 s’en arracher et préparer l’avènement, 65, 1 ; 67, 3 s’en arracher, comme à tout ce qu’il symbolise, 68, 2 Sortir du camp, sortir des sens du corps, 92, 3 Souffrance : s’associer à celle des saints, 106, 1 Syméon, figure de l’Ancien des jours, 82, 2
Sa pureté, 107, 5 Eucharistie Empressement envers le sacrifice du corps du Christ et la communion à son corps, 91, 4 L’Agneau immolé, 57, 4 Le Christ immolé chaque jour sur l’autel, 57, 3 Passage à la nouveauté, sacrement du pardon, offrande du pain, 57, 3 Pénitence en vue de recevoir ce mystère, 89, 1 ; 91, 2 S’éprouver soi-même et vivre ce qu’on célèbre en vue de communier dignement, 57, 3 ; 92, 4 et 5 ; 103, 3 Se traduit par « bonne grâce », elle incorpore au Christ, 89, 1 Viatique, 29, 3 Symbolisés par le sang et l’eau, 7, 9 Sacrifice et holocauste : 5, 3 Sacrifice pour le péché, 79, 3 Sacrifice qu’est la vie chrétienne : 6, 1 Sacrifice triple : pénitence, justice, louange : 6, 3 Sacrifice : le feu du — , 35, 2 ne pas s’appartenir : 8, 5 répondre par le nôtre à celui du Christ : 8, 4 Sagesse : goût du bien, 85, 6 Sagesse, en lien avec la tristesse, 51, 4 Sainteté : un cheminement, 51, 2 Saints sont rois : 13, 3 Saints : au service de leur Créateur, 107, 2 avocats, 107, 3 les honorer tous vraiment, 51, 1 leur intercession pour nous, 108, 1 trône et temple de Dieu, 107, 2
Table du Seigneur : eucharistie, dits et faits du Seigneur, Ecriture, 56, 2 ses plats : humilité, paix, amour, obéissance, persévérance, 56, 2 Toussaint : la prière de tous les saints réunis, 105, 1 Toussaint, pour compenser les manques de ferveur éventuels, lors des fêtes des saints, 106, 5, 1 ; 106, 1 Travail manuel, 50, 5 Tribulations promises par l’Ecriture, 106, 2 Tribulations, chemin du Royaume, 106, 2 Unité en soi-même et avec autrui, 47, 5 Unité, 97, 2
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Vie présente et à venir, 7, 4 Vie présente : sa fragilité, choisir ce qui est de l’avenir, 67, 5 Vie terrestre : un exil, 108, 3 Vie véritable : voir sans cesse le visage de Dieu, 77, 3 Vie : elle est brève, 70, 2 trois types à annoncer à Dieu : de la nature, du dérèglement, de la grâce, 52, 3 Vie de l’homme : une militance sur la terre, 85, 4 Vierges sages, 42, 6 Vigilance et empressement, 70, 3 Vigilance intérieure, 87, 7 Virginité — chasteté , 103, Vision : trois types : de nuit, de jour, dans la gloire, 52, 2 Volonté bonne : 73, 4 Volonté propre : mourir à sa — , 54, 6 tête du corps de péché, 81, 3 y renoncer : 3, 5
Venue du Christ : l’aimer et la redouter, 66, 4 Vérité – justice, 79, 2 ; mansuétude et justice, 90, 2 Vérité et pureté : célébrer avec — , 93, 3 Vérité : la confession des péchés, 79, 3 Vertu du silence, 50, 4 Vertus essentielles : foi et humilité ; 104, 4 Vertus : leur délectation, 50, 4 leur équilibre, 101, 2 les plus excellentes : foi, espérance et amour, 101, 3 Vétusté et nouveauté du coeur, de la bouche, de l’action, 93, 3 et 4 Vices et tourments de l’âme, 67, 3 Vices : deux concernent la jouissance : gloutonnerie, débauche, 106, 3 les autres s’accompagnent d’amertume : convoitise, haine, colère, 106, 3 Vie et mort, 99, 2
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