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French Pages [576]
Quintilien
ancien et moderne
L AT I N I TAT E S culture et litte a travers les sie Ârature latines Á Ácles latin culture and literature through the ages
III Comiteè de Reèdaction º Editorial Board Perrine Galand
º Carlos Leèvy º Wim Verbaal
2010
Quintilien
ancien et moderne E è tudes reèunies par
Perrine Galand, Fernand HallynÀ, Carlos Leè vy et Wim Verbaal
2010
ß 2010
(Turnhout -- Belgium)
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2010/0095/147 ISBN 978-2-503-52865-6
L AT I N I TAT E S
Perrine
Galand
Hallyn Verbaal
, Fernand et Wim
À, Carlos
Leèvy
AVANT-PROPOS Ce colloque a eèteè reèaliseè, aé l' initiative de Perrine Galand, avec l' aide de Fernand Hallyn, qui l' a heèbergeè et co-financeè aé l' universiteè de Gand. F. Hallyn est deèceèdeè depuis, le 11 juillet 2009. Nous deèdions ce volume aé la meèmoire de celui qui a voueè sa vie aé montrer aé quel point la rheètorique antique º reèhabiliteèe par la critique contemporaine depuis les anneèes 50 º eètait aé la fois un langage et un mode de penseèe commun aé tant de penseurs europeèens de la moderniteè, qu' ils soient litteèraires, scientifiques ou artistes. Marcus Fabius Quintilianus, ma|être de rheètorique sous Vespasien, et non philosophe en titre, a souvent souffert d' eêtre compareè aé l' un de ses grands modeéles, Ciceèron. On ne voit trop freèquemment dans l' Institution
oratoire
qu' une paêle reprise des reèflexions et des preèceptes
du grand philosophe et orateur de la Reèpublique romaine. Pourtant, le bienveillant rheèteur, dont l' eéthos de peére, de professeur et de citoyen a souvent seèduit la posteèriteè plus que celui de Ciceèron (dont la correspondance priveèe, par exemple, avait deèc°u maints humanistes, deés Lorenzo Valla, eètonneès d' y trouver une faiblesse que ne reèveélent pas les discours), a exerceè aé sa manieére une influence treés importante et trop sous-estimeèe dans de nombreux domaines de notre culture europeèenne : rheètorique bien suêr, mais aussi poeètique, peèdagogie, morale, histoire de l' art, theèaêtre... C' est ce rayonnement, treés feècond et diversifieè aé travers les aêges, que les auteurs du preèsent volume ont taêcheè de faire ressortir, dans l' esprit de la collection û
Latinitates ý.
La pre-
mieére partie de l' ouvrage, consacreèe aé l' Antiquiteè, fait le point sur les dettes de Quintilien lui-meême aé l' eègard de ses preèdeècesseurs ou de ses colleégues, tout en reconsideèrant certains aspects fondamentaux de sa doctrine. G. Calboli analyse en deètail la prise de position nuanceèe du rheèteur aé l' eègard de la pratique des deèclamations, entre virtuositeè et
5
6
p. galand, f. hallyn, c. leè vy et w. verbaal
ostentation. P. Chiron compare les principes de l' exorde, tels qu' ils sont
exposeès
dans
l' Institution
oratoire,
avec
la
tradition
empirico-
sophistique grecque et releéve la û hauteur de vue ý du rheèteur romain. M. S. Celentano eètudie la dette de Quintilien envers Ciceèron dans les passages oué il donne des conseils techniques d' eècriture au futur orateur (X). G. Moretti montre comment l' auteur de l' Institution deècrit et critique une tradition rheètorique greèco-latine de la mise en sceéne patheètique et de la û performance ý de l' orateur, de l' utilisation des objets (deècors, corps de l' orateur, du client, tableaux) pour creèer l' enargeia º tradition qui sera reècupeèreèe par les Chreètiens au service de la liturgie et de la preèdication. C. Leèvy s' attache aé reèfleèchir sur la preèsence et l' image des philosophes dans l' Institution oratoire, par comparaison
avec
l' Ýuvre
ciceèronienne,
et
montre
comment
le
rheèteur
gauchit et vulgarise aé des fins plus pratiques les penseurs ciceèroniens. I. Mastrorosa, aé la fin de cette premieére partie, deètaille quant aé elle les emprunts de Pline le Jeune au ma|être de rheètorique et sa relecture de l' ideèal du uir bonus dicendi peritus. La seconde partie du volume rassemble des eètudes qui rendent compte de la fac°on dont Quintilien a ê ge (ou eèteè lu et perc°u au Moyen A é la version compleéte de l' Institutio eètait mieux connue qu' on ne l' a dit), puis aé la Renaissance dont le rheèteur a eèteè un des modeéles les plus preègnants. W. Verbaal eèvalue le ro ê le joueè par Quintilien dans la manieére dont Jean de Salisbury cherche aé eèvaluer et situer ses modeéles en atteignant une veèritable eèmancipation
intellectuelle,
caracteèristique
du xii
e
sieécle.
Florent
Rouilleè
eètudie, lui, la manieére dont le philosophe et poeéte Alain de Lille perc°oit et juge (seèveérement) le rheèteur, curieusement consideèreè par lui comme un sophiste usant de la rheètorique hors du contro ê le de la raison. L. Hermand-Schebat mesure l' apport chez Peètrarque des principes de Quintilien (associeè aé Seèneéque) sur la theèorie de l' imitationinnutrition qui conna|êtra un immense succeés chez les humanistes. J. Nassichuk envisage l' attention toujours plus grande porteèe au livre I du rheèteur dans les traiteès peèdagogiques du premier Quattrocento, soulignant
la
liberteè
et
la
diversiteè
de
l' imitation
de
Quintilien.
M. A. Regoliosi deètaille l' importance extreême du professeur dans la constitution de l' Ýuvre de Valla, qui admire et suit Quintilien dans toutes ses lignes de reèflexion : linguistique, philologie, langage philosophique,
argumentation,
dans
sa
vision
des
lettres
comme
de
l' existence. M. van der Poel examine la dette d' E è rasme envers l' Institution oratoire aé propos de la deèclamation, que le Rotterdamois conc°oit comme Quintilien : proche des realia et de la vie, tout en eèlargissant la perspective deèlibeèrative dans le sens de la spiritualiteè et de la morale.
7
avant-propos
J. Ceèard se penche sur l' eèdition de l' Institution oratoire par l' imprimeur humaniste
Josse
Bade,
dans
l' entourage
de
Guillaume
Budeè ,
et
conclut que le souci de Bade est moins de commenter la doctrine du rheèteur que de veiller aé rendre son texte parfaitement accessible et clair. P. Galand montre combien l' Ýuvre de Quintilien a influenceè les tout premiers traiteès latins de poeètique aé la Renaissance, du point de vue de la preèsentation peèdagogique, liant eècriture et morale, d' abord, puis sur le fond, aé propos des questions fondamentales de l' inspiration et de l' imitation. V. Leroux analyse en deètail l' influence du canon exposeè au livre X de l' Institution oratoire chez plusieurs auteurs d' histoires litteèraires ou de poeètiques latines de la Renaissance. Jean Lecointe deèpeint le proceés systeèmatique que Ramus fait aé Quintilien, û figure accomplie d' une rheètorique perverse ý, û jeèsuite ý, en prenant comme point de deèpart le statut de l' eéthos. La troisieéme partie du volume se prolonge jusqu' aé l' aêge classique. G. Baffetti jette les bases d' une eètude d' ampleur, qu' il appelle de ses vÝux, susceptible de mesurer l' immense dette de la peèdagogie et de la rheètorique jeèsuite envers l' auteur de l' Institution oratoire. E. Bury cherche de meême aé remeèdier, en eètudiant quelques exemples, aé l' eètonnante û amneèsie ý de la critique moderne
qui
l' Ýuvre
a
souvent
rheètorique
de
refuseè
de
reconna|être
Quintilien
tient
dans
la la
place
capitale
constitution
que
de
la
culture classique, û aux confins des reégles geèneèrales et de l' actualisation singulieére ý, meême dans les milieux mondains. S. Conte, de son coêteè, examine et compare l' usage que diverses rheètoriques eccleèsiastiques post-tridentines font de Quintilien et, en particulier dans les traiteès plus tardifs, de sa vision de l' orateur-preèdicateur comme vir bonus revu aé la lumieére du christianisme. C. Gutbub analyse finement, dans leurs nuances et leurs ambiguiteès, les rapports qui unissent les termes û invention ý Quintilien
et
en
û imitation ý
chez
1610. A. Roose
Pierre
montre la
de
Deimier
proximiteè
lecteur
d' esprit
de
entre
Quintilien et le philosophe sceptique et preècepteur du Duc d' Anjou Franc°ois de La Mothe le Vayer. F. Hallyn eètend au domaine de la peinture l' eètude de l' influence de Quintilien en analysant la manieé re dont Roger de Piles s' inspire de l' expression rheètorique des passions dans ses deux traiteès sur l' art pictural. F. Goyet fait dialoguer Ciceèron, Quintilien et les theèoriciens de l' aêge classique autour du concept de û figure de penseèe ý qu' il relie aé la structure d' ensemble du discours, aux û morceaux ý assembleès qui le composent. Enfin, V. Kapp examine le ro ê le d' û architexte ý, bien souvent occulteè, de l' Institution oratoire dans les deèbats classiques sur la notion de û clarteè ý.
8
p. galand, f. hallyn, c. leè vy et w. verbaal
Modeéle pour les peèdagogues, les grammairiens, les philologues, les orateurs comme les poeétes et meême pour les theèoriciens des arts, Quintilien, l' homme de bien, a offert un exemple seèduisant et sympathique d' humanisme concret, relativement facile º au moins en apparence º
aé
percevoir
et
aé
impeèratifs du christianisme.
imiter
pour
une
culture
soumise
aux
ÁRE PARTIE PREMIE
QUINTILIEN DANS Â: L' ANTIQUITE SES LECTURES ET SES LECTEURS
L AT I N I TAT E S
Gualtiero
Calboli
ÂCLAMATEURS QUINTILIEN ET LES DE Bien que
dans l' Institution
oratoire
de Quintilien on trouve partout des
reèfeèrences aux deèclamations, le texte fondamental est :
Inst.,
II, 10, 1-
15. C' est laé le texte le plus important sur les deèclamations (dans les
B[ernensis]
on trouve aussi un titre aé ce chapitre,
De utilitate et ratione declamandi ),
mais ce n' est pas le seul. En consideè-
mss.
A[mbrosianus]
rant les
Indices
de l' eèdition de J. Cousin (p. 286) aux mots
clamatio, declamator [1]
et
declamare :
et
declamitare
II, 1, 2 ;
declamare, de-
on trouve les reèfeèrences suivantes :
10, 1
sq. ;
XI, 1, 38 ; 83 ;
declamatio
:
I, 2, 13 ;
II, 20, 4 ; IV, 2, 29 ; V, 12, 17 ; 13, 44 ; VII, 1, 4 ; 38 ; X, 2, 12 ; 5, 14 ;
clamator
X, 1, 71 ; 7, 21 ; XI, 1, 55
sq.
Quintilien, qui a peut-eêtre eèteè l' auteur ou l' inspirateur des
tiones minores
de-
: III, 8, 44 ; 51 ; 69 ; IV, 2, 28 ; V, 13, 42 ; VIII, 3, 22 ; IX, 2, 42 ;
1
Declama-
, s' est beaucoup inteèresseè aux deèclamations et les a prati-
queèes lui-meême. Mais il semble qu' il s' est toujours un peu meèfieè des deèclamateurs et des deèclamations, ou, du moins, qu' il a consideèreè cette activiteè comme utile, neècessaire aussi, mais qu' elle devait eêtre é la fin de son substitueèe par des veèritables proceés, par le forum. A
tution Oratoire
Insti-
il s' est exprimeè treés clairement en ce sens dans un pas-
sage qui meèrite d' eêtre citeè :
1
Voir aé cet eègard la discussion de L. Ha®kanson, û Die quintilianischen Deklamatio-
nen in der neueren Forschung ý, in
Aufstieg und Niedergang der ro«mischen Welt,
32.4, eèd.
W. Haase, Berlin - New York, 1986, p. 2272-2306, speècialement p. 2275-2278, et ce qu' il dit au deèbut et aé la fin de sa discussion : û wie wir sehen werden, kann die Frage keineswegs als gelo«st betrachtet werden, und eine
communis opinio
daru«ber gibt es schon
gar nicht ý (p. 2275) ; û was schon geleistet worden ist, spricht eher fu« r als gegen die Annahme, daÞ die kleineren Deklamationen aus Quintilians Schule stammen ý. Pour moi, le fait qu' un connaisseur de Quintilien comme Michel Winterbottom, eè diteur de l' Insti-
tutio Oratoria
et des
Declamationes Minores,
soit contre l' attribution aé Quintilien ou aé son
eècole est cependant un argument important. On peut dire qu' il s' agit du principe d' autoriteè, et je sais bien quelle importance a le û Sprachgefu«hl ý de quelqu' un qui a traiteè un auteur pendant plusieurs anneèes.
11
gualtiero calboli
12
[2] Nam ut de nostris potissimum studiis dicam, quid attinet tam multis annis quam in more est plurimorum, ut de iis a quibus magna in hoc pars aetatis absumitur taceam, declamitare in schola et tantum laboris in rebus falsis consumere, cum satis sit modico tempore imagi nem ueri discriminis et dicendi leges comperisse ? Quod non eo dico quia sit umquam omittenda dicendi exercitatio, sed quia non in una sit eius specie consenescendum.
*
cognoscere et praecepta uiuendi per2
discere et in foro nos experiri potuimus, dum scolastici sumus .
Dans ce passage on apprend que Quintilien a fait lui-meême des deèclamations, qu' il les consideèrait comme un exercice fictif, mais utile, qu' il distinguait deux genres de deèclamations, selon ce qu' on peut appeler
aujourd' hui,
en
3
Ho«mke , ``Schul-''
employant
des
termes
suggeèreès
par
Nikola
et ``Schaudeklamationen'', c' est-aé-dire deèclama-
tions faites pour enseigner aé tenir des discours veèritables ou pour donner un spectacle : [3] Nihil ergo inter forense genus dicendi atque hoc declamatorium intererit ? Si profectus gratia dicimus [Schuldeclamationen], nihil. Vti namque adici ad consuetudinem posset ut nominibus uteremur et per plexae magis et longioris aliquando actus controuersiae fingerentur et uerba in usu cotidiano posita minus timeremus et iocos inserere moris esset : quae nos, quamlibet per alia in scholis exercitati simus, tirones in foro inueniunt. Si uero in ostentationem comparetur declamatio [Schaudeclamationen], sane paulum aliquid inclinare ad uoluptatem 4
audientium debemus .
Les probleémes des deèclamations sont, autant que je peux comprendre aujourd' hui, (1) en premier lieu celui du rapport de la deèclamation avec la rheètorique des manuels, la rheètorique des reégles et des grandes Ýuvres comme la Rheètorique d' Aristote, le De inuentione de Ciceèron, la Rheèto-
rique aé Herennius, (2) ensuite celui du rapport entre la deèclamation et l' activiteè
judiciaire,
(3)
en
troisieéme
lieu
celui
du
rapport
entre
la
deèclamation et la litteèrature. Essayons alors de voir ce qu' on peut ap5
prendre sur ces trois points dans l' Ýuvre de Quintilien .
2 Inst., XII, 11, 15 sq. 3 N. Ho«mke, Gesetzt den Fall, ein Geist erscheint, Komposition und Motivik der ps-quintilianischen Declamationes maiores X, XIV und XV, Heidelberg, 2002, p. 21-23.
4 Inst., II, 10, 9-10. 5 On doit etre tres ê
é
attentif non pas seulement aux diffeèrents auteurs qui nous parlent
des deèclamations, mais aussi aux eèpoques oué les deèclamations ont eèteè dites, car il y a une diffeèrence entre les deèclamations du temps de la Rheètorique aé Herennius, dont nous ne connaissons pas autre chose que des morceaux de texte, et les deè clamations du pseudoQuintilien, eècrites, dans une premieére reèdaction, au
iv
e
sieécle apreés J.-C. comme beau-
coup de speècialistes le pensent (voir L. Herrmann, û Hierius et Domitius ý, Latomus, 13
quintilien et les deè clamateurs
13
Pour ce qui concerne le probleéme numeèro un, il y a su ê rement deux eèleèments de la doctrine rheètorique geèneèrale, pour ainsi dire, qui sont en rapport direct avec les deèclamations et il s' agit de la doctrine des status et de celle des partes orationis, prohoemium, narratio, partitio, ar-
gumentatio, conclusio, et aussi celle des colores sente
dans
le
titre
de
l' Ýuvre
de
6
qui est, par ailleurs preè-
Seèneéque
le
rheèteur :
Sententiae,
diuisiones, colores. Il y avait certainement d' autres parties de la rheètorique qui eètaient en rapport avec l' activiteè du deèclamateur, mais les plus importantes sont les deux que j' ai indiqueèes. En tenant compte de ce rapport et du fait que la doctrine rheètorique elle-meême n' est pas neèe compleéte, mais s' est enrichie au fur et aé mesure qu' elle s' est deèveloppeèe, une question consideèrable est le rapport chronologique entre doctrine rheètorique et deèclamations. Car il est bien possible que l' activiteè des deèclamateurs ait joueè un ro ê le dans ce deèveloppement. En effet, pour ma part, au congreés de Los Angeles j' ai preèsenteè l' hypotheése que la doctrine des status a eèteè influenceèe par les deèclamations qui ont commenceè aé eêtre employeèes comme exercices avant ou en meême temps que la doctrine des status. On doit, bien suêr, tenir compte aussi du fait que la theèorie des status elle-meême a eèteè deèveloppeèe pendant un certain temps, en passant d' une formulation aé une autre. L' histoire de ce deèveloppement a eèteè traceèe par Lucia Calboli Montefusco, dont
(1954), p. 37-39 ; C. Schneider, û Quelques reèflexions sur la date de publication des
Grandes deèclamations pseudo-quintiliennes ý, Latomus, 59 (2000), p. 614-632 : p. 614-622 et 631 ; A. Stramaglia, I Gemelli malati : un caso di vivisezione, [Quintiliano], Declamazioni
maggiori, 8, Cassino, 1999, p. 27-40 et G. Brescia, Il Miles alla sbarra, [Quintiliano], Declamazioni maggiori, 3, Bari, 2004, p. 27-31), en eèvitant la confusion qu' on trouve chez M. Imber, û Practised Speech : Oral and Written Conventions in Roman Declamation ý, in Speaking Volumes, Orality and Literacy in the Greek and Roman World, eèd. J. Watson, Leiden-Boston-Ko«ln, 2001, p. 199-216 : p. 206-209. Elle a raison de mettre en eèvidence que l' ideèal du vir bonus eètait bien important, mais le vir bonus du temps de Caton n' eètait su ê rement pas le meême que pour l' eècole du Forum Traiani au laquelle
on
a
vu
des
influences
d' E è picure
(voir
iv
e
sieécle apreés J.-C. (dans
P. Kragelund,
û Epicurus,
Pseudo-
Quintilian and the Rhetor at Trajan' s Forum ý, Classica et Mediaevalia, 42 (1991), p. 259275 : p. 274 sq.), mais aussi de la philosophie sto|ëcienne et neèo-platonicienne (N. Ho«mke,
Gesetzt den Fall, p. 231)).
6
Sur les colores dans les deèclamations voir la contribution toute reècente de L. Calboli
Montefusco (û The colores and the declamations ý, in Papers on Rhetoric VIII : Declamation
from Greece and Rome to Renaissance and further, eèd. L. Calboli Montefusco, Rome, 2007, p. 157-177), qui a mis en lumieére que le color de Seèneéque le rheèteur n' est pas le d' Hermogeéne
et
que,
d' autre
part,
seul
le
jrwma
d' Hermogeéne
jrwma
correspond
aé
la
meta`hesiq tyq aiÊ ti` aq qui se trouve seulement chez Hermogeéne et ne peut pas correspondre aé la couleur de Seèneéque le rheèteur ou é la meta`hesiq tyq aiÊ ti` aq ne se trouve pas. Montefusco a ainsi renouveleè la doctrine des colores en eèliminant une erreur qui se trouve
encore
chez
D. A.
Russell, Greek Declamation, Cambridge, 1983, p. 48 sq. et
J. Fairweather, Seneca the Elder, Cambridge, 1981, p. 166 sq.
gualtiero calboli
14 7
j' accepte les conclusions . En effet on trouve une doctrine aé trois chez l' orateur Antoine (Cic.,
De orat.,
2, 104
sq.)
status
et on peut penser
qu' elle a eèteè deèveloppeèe sous l' influence acadeèmique et peèripateèticienne. La doctrine des
topica,
su ê rement aristoteèlicienne, est mise en
rapport avec cette doctrine par Ciceèron lui-meême dans une Ýuvre directement lieèe aux
Topica
d' Aristote :
[4] Sed quoniam lege firmius in controuersiis disceptandis esse nihil debet, danda est opera, ut legem adiutricem et testem adhibeamus. In qua re alii quasi status exsistunt noui, sed appellentur legitimae discep 8
tationes .
Une nouvelle eètape treés importante dans ce deèveloppement a eèteè franchie
par Hermagoras de Temnos qui n' acceptait pas les trois
dikaniko`n, sumbouleutiko`n eÊ pideiktiko`n et avait politika´ zyty`mata, en zyty`mata aÊo`rista (he` seiq) et zyty`mata wÉrisme` na (uÉpohe` seiq) en subdivisant aé É risme` na (uÉpohe` seiq) en stojasmo`q (coniecson tour les zyty`mata w tura), oÌroq (definitio), poio`tyq (qualitas), et meta`lyviq (translatio) et les zyty`mata aÊo`rista (he` seiq) en rÉyto´n kai´ uÉpexai` resiq (scriptum et uoluntas), aÊntinomi` a (contrariae leges), aÊmfiboli` a (ambiguitas) et sullogismo`q (ratiocinatio). Mais deèjaé ici on trouve une distinction treés inteègenres aristoteèliciens
diviseè l' objet de la rheètorique, les
ressante
mise
en
lumieére
par
qu' Hermagore n' a pas eèlargi les
Lucia
scriptum et sententia,
les
9
:
contrariae leges,
l' ambiguitas et la
ratiocinatio.
Rheètorique aé
on a bouleverseè l' ordre d' Hermagore en donnant une dis-
tribution des
status
qui est tout aé fait singulieére. Si l' on pense que la
Rheètorique aé Herennius
est l' Ýuvre dans laquelle on trouve pour la pre-
mieére fois aé Rome les deèclamations (six titres des
controuersiae)
7
appara|êt
(les
Mais on ne pouvait pas accepter cet ordre et deèjaé dans la
Herennius
il
sta`seiq) aux questions sta`seiq on ne comprenait pas
status
leègales. Ainsi dans sa construction des le
Montefusco
10
suasoriae
et seize de
, on voit bien comment ces trois eèleèments, l' ars rheèto-
L. Calboli Montefusco,
La dottrina degli
status
nella retorica greca e romana,
Hildesheim-
Zu « rich-New York, 1986, p. 197-206.
8
Cic., Top., 95. Voir L. Calboli Montefusco, La dottrina, p. 198 sq. 9 Ibidem, p. 199 sq. 10 Voir G. Calboli, û L' oratore M. Antonio e la Rhetorica ad Herennium
liano di Filologia, liano,
ý,
Giornale Ita-
24 (1972), p. 120-177 : p. 124-126 ; R. Granatelli, û M. Fabio Quinti -
Institutio oratoria,
II, 1-10 : struttura e problemi interpretativi ý,
Rhetorica,
13 (1995),
p. 137-160 : p. 152-157. Granatelli se reèfeére justement au passage suivant de Quintilien :
Latinos vero dicendi praeceptores extremis L. Crassi temporibus coepisse Cicero auctor est ; quorum insignis maxime Plotius fuit
(Inst., II, 4, 42). Cf. aussi G. Calboli, û La retorica precicero -
niana e la politica a Roma ý, dans
Eèloquence et rheètorique chez Ciceèron,
eèd. O. Reverdin,
quintilien et les deè clamateurs
15
rique, les deèclamations et la doctrine des status eètaient en rapport entre eux. Alors on peut dire que les deèclamations eètaient entreèes dans la coutume romaine, lorsque les eècoles de rheètorique ont commenceè aé se deèvelopper
aé
reèpublique
11
Rome,
aé
peu
preés
au
deèbut
du
dernier
sieécle
de
la
.
Sur les deèclamations, treés eèloigneèes de la veèriteè, Quintilien s' est exprimeè d' une fac°on treés dure et les a compareèes aé la
mataiotejni`a
de
celui qui jetait d' une certaine distance des pois chiches dans un pot : [5]
Mataiotejni`a
quoque est quaedam, id est superuacua artis imitatio,
quae nihil sane boni neque mali habet, sed uanum laborem, qualis il lius fuit, qui grana ciceris ex spatio distante missa in orcam continuo et sine frustratione inserebat ; quem cum spectasset Alexander, donasse dicitur eiusdem leguminis modio, quod quidem praemium fuit illo opere dignissimum. His ego comparandos existimo qui in declamatio nibus, quas esse ueritati dissimillimas uolunt, aetatem multo studio ac labore consumunt
12
.
Mais je ne crois pas qu' il soit possible de traiter dans cette commu nication du declamare, c' est-aé-dire de ce qu' eètait la fonction de cette activiteè par rapport aé l' art rheètorique, aux deèclamations, aé leur histoire, aé leur forme et aux deèclamateurs. Je reviens donc au titre de ma communication, aux deèclamateurs, sans oublier non plus les deux autres theémes. Pour ce qui concerne les deèclamateurs, on doit preèalablement rassembler tous les passages dans lesquels Quintilien emploie le terme deèclamateur. Il s' agit de quinze passages que je cite ici. Pour l' emploi du terme avant et apreés Quintilien, voir l' article du Thesau-
rus Linguae Latinae reèdigeè par Sto«ger
13
, dans lequel on apprend : legitur
inde a Cicerone, deest poetis praeter Iuu., 16, 23. Consideèrons aé preèsent les passages de Quintilien : [6a] Interim si quis bono inhonesta suadebit, meminerit non suadere tamquam inhonesta, ut quidam declamatores Sextum Pompeium ad pi-
B. Grange, Geéneve, 1982, p. 41-108 : p. 88-99 et J.-M. David, Le patronat judiciaire au der-
nier sieécle de la reèpublique romaine, Rome, 1992, p. 300 ; 360 sq. ; 369 sq.
11
Il n' est pas sans signification que dans la premieére action entreprise contre les rheè-
teurs en 161 par le preèteur M. Pomponius, les rheèteurs ne soient pas distingueès des philosophes :
Quod uerba facta sunt de philosophis et rhetoribus, de ea re ita censuerunt, ut
M. Pomponius praetor animaduerteret curaretque, si ei e re publica fideque sua uideretur, uti Romae ne essent (Suet. rhet., 25 (Gell., XV, 11, 1)). Cf. G. Calboli, û La retorica preciceroniana ý, p. 49-71.
12 Inst., II, 20, 3-4. 13 Thesaurus Linguae Latinae,
V, 1, 180, 61-181, 9.
gualtiero calboli
16
raticam propter hoc ipsum, quod turpis et crudelis sit, impellunt, sed dandus illis deformibus color º idque etiam apud malos ; neque enim quisquam est tam malus, ut uideri uelit
declamatoribus
[6b] Enimuero praecipue
14
.
considerandum est quid cuique
personae conueniat, qui paucissimas controuersias ita dicunt ut aduo cati ; plerumque filii, patres, diuites, senes, asperi, lenes, auari, denique superstitiosi, timidi, derisores fiunt, ut uix comoediarum actoribus plures habitus in pronuntiando concipiendi sint, quam his in dicendo. Quae omnia possunt uideri prosopopoeiae, quam ego suasoriis subieci [...]. Quamquam haec aliquando etiam in controuersias ducitur, quae ex historiis compositae certis agentium nominibus continentur [6c] Non simplex autem circa suasorias error in plerisque
15
.
declamatoribus
fuit, qui dicendi genus in his diuersum atque in totum illi iudiciali contrarium esse existimauerunt
16
.
[6d] Ne illa quidam in iis uitia deprendet, quibus quidam laborant,
quod
et
contra
sentientibus
inhumane
declamatores
conuiciantur
ideoque obiurgantibus similiores sunt quam suadentibus
[...]
17
.
[6e] Quod schema pro`lymviq dicitur. Id cum sit utile aliquando, nunc a
declamatoribus
quibusdam paene semper adsumitur, qui fas non pu -
tant nisi a contrario incidere
18
.
[6f ] Sed nos ducit scholarum consuetudo, in quibus certa quaedam ponuntur,
quae
themata
dicimus,
praeter
quae
nihil
diluendum,
ideoque narratio prohoemio semper subiungitur. Inde libertas
toribus,
declama-
ut etiam secundo partis suae loco narrare uideantur. Nam cum
pro petitore dicunt, et expositione, tamquam priores agant, uti solent, et contradictione, tamquam respondeant, idque fit recte. Nam cum sit declamatio forensium actionum meditatio, cur non in utrumque pro tinus locum se exerceat [6g]
Declamatores
19
?
uero in primis sunt admonendi ne contradictiones
eas ponant, quibus facillime responderi possit, neu sibi stultum aduer sarium fingant. Facimus autem (quod maxime uberes loci popula resque sententiae nascuntur materiam dicendi nobis, quod uolumus, ducentibus), ut non sit ille inutilis uersus : `non male respondit, male enim prior ille rogarat'
14 Inst., 15 Inst., 16 Inst., 17 Inst., 18 Inst., 19 Inst., 20 Inst.,
III, 8, 44. III, 8, 51
sq.
III, 8, 58. III, 8, 69. IV, 1, 50. IV, 2, 28
sq.
V, 13, 42.
20
.
quintilien et les deè clamateurs
17
[6h] Nec augenda semper oratio, sed summittenda nonnumquam est. Vim rebus aliquando uerborum ipsa humilitas adfert. [...] Id tamen in declamatoribus est notabilius, laudarique me puero solebat : `Da patri panem' et in eodem : `etiam canem pascis' . Res quidem praecipue in scholis anceps et frequenter causa risus
21
.
[6i] Mire tractat hoc Cicero pro Milone, quae facturus fuerit Clodius, si praeturam inuasisset. Sed haec quidem tralatio temporum, quae proprie
meta`stasiq dicitur, in diatyposi uerecundior apud priores fuit.
Praeponebant enim talia : `Credite uos intueri' , ut Cicero [frg. orat., B 26] : `Haec, quae non uidistis oculis, animis cernere potestis' : noui uero et precipue declamatores audacius nec mehercule sine motu quo dam imaginantur, ut Seneca in controuersia, cuius summa est quod pater filium et nouercam inducente altero filio in adulterio deprensos occidit : `Duc, sequor accipe hanc senilem manum et quocumque uis imprime' . Et post paulo : `Aspice, inquit, quod diu non credidisti. Ego uero non uideo ; nox oboritur et crassa caligo' . Habet haec figura manifestius aliquid ; non enim narrari res, sed agi uidetur
22
.
[6l] `Tyrannidis adfectatae damnatus torqueatur, ut conscios indicet : accusator eius optet quod uolet. Patrem quidam damnauit, optat ne is torqueatur : pater ei contra dicit' . Nemo se tenuit, agens pro patre, quin figuras in filium faceret, tamquam illum conscium in tormentis nominaturus. Quo quid stultius ? Nam cum hoc iudices intellexerint, aut non torquebitur [...], aut torto non credetur. `At credibile est hoc eum uelle' . Fortasse : dissimulet ergo, ut efficiat. `Sed nobis, declamatoribus dico, quid proderit hoc intellexisse nisi dixerimus
23
?'
[6m] Ego tamen plus adhuc quiddam conlaturum eum [sc. Menan -
5 4
drum] declamatoribus puto, quoniam his necesse est secundum condi cionem
controuersiarum
caelibum
irascentium
maritorum,
plures
subire
militum
deprecantium,
mitium
mire custoditur ab hoc poeta decor
personas,
rusticorum, asperorum.
patrum
diuitum In
filiorum
pauperum,
quibus
omnibus
24
.
[6n] Id quoque uitandum, in quo magna pars errat, ne in oratione poetas nobis et historicos, in illis operibus oratores aut declamatores imitandos putemus. Sua cuique proposito lex, suus decor est
21
25
.
Inst., VIII, 3, 21 sq. Cf. Sen., Contr., I, 7, 18 : In hac declamatione [sc. Liberi parentes
alant aut uinciantur] Albucius hanc sententiam dixit dubiam inter admirantes et deridentes : `panem, quem cani das, patri non das' ; voir l' eèdition de l' Institution Oratoire par J. Cousin, Paris, 1975-1980, t. V, p. 281 ; A. Kiessling, û Quintilian und Seneca ý, Jahrbu«cher fu«r Classische Philologie, 17 (1971), p. 716.
22 23 24 25
Inst., IX, 2, 41-43. Inst., IX, 2, 81-83. Inst., X, 1, 71. Inst., X, 2, 22.
gualtiero calboli
18
[6o] Neque uero tanta sit umquam fiducia facilitatis, ut non breue sal tem tempus [...] ad ea, quae dicturi sumus, dispicienda sumamus ; quod quidem in iudiciis ac foro datur semper [...]. Declamatores quondam peruersa ducit ambitio ut exposita controuersia protinus dicere uelint, quin etiam, quod est in primis friuolum et scaenicum, uerbum petant quo incipiant. Sed tam contumeliosos in se ridet inuicem elo quentia, et qui stultis uideri eruditi uolunt, stulti eruditis uidentur
26
.
[6p] Non ab exordio usque ad ultimam uocem continuus quidam ge mitus et idem tristitiae uultus seruabitur, si quidem uolet dolorem suum etiam in audientis transfundere ? Quem si usquam remiserit, in animum
iudicantium
non
reducet.
Quod
precipue
declamantibus
(neque enim me paenitet ad hoc quoque opus meum et curam suscep torum semel adulescentium respicere) custodiendum est, quo plures in schola finguntur adfectus, quos non ut aduocati, sed ut passi subimus. Cum etiam hoc genus simulari litium soleat, cum ius mortis a senatu quidam uel ob aliquam magnam infelicitatem uel etiam paenitentiam petunt : in quibus non solum cantare, quod uitium peruasit, aut las ciuire, sed ne argumentari quidem, nisi mixtis, et quidem ita, ut in ipsa probatione magis emineant, adfectibus decet
27
.
Il est inteèressant de constater que dans le dernier passage [6p], dans lequel Quintilien se reèfeére aé sa propre activiteè, le mot employeè n' est plus le nom d' agent, declamator, mais le participe declamans. Ceci correspond aé un certain deèdain envers les deèclamateurs qui sont presque toujours preèsenteès comme ceux qui se trompent, qui vont contre l' eèloquence veèritable, qui sont objet de deèrision, qui s' eèloignent de la reèaliteè pratique du forum [6b], qui ont besoin de faire du theèaêtre et, par conseèquent, pourraient trouver beaucoup d' avantage aé employer Meènandre [6m]. Mais on ne doit pas exageèrer dans cette interpreètation, car il y a aussi un passage [6l] dans lequel Quintilien se place parmi les deèclamateurs (sed nobis, declamatoribus dico). Il est vrai que l' expression est un peu eèquivoque, mais finalement on ne peut pas exclure que Quintilien veuille prendre en consideèration aussi son activiteè deèclamatoire. Alors je pense qu' il peut eêtre inteèressant de relever d' une fac°on plus compleéte les positions que Quintilien a prises vis-aé-vis des deèclamateurs
dans
les
passages
citeès
ci-dessus,
en
tenant
compte
des
commentaires et des notes qu' on trouve dans les trois plus reècentes
26 Inst., 27 Inst.,
X, 7, 20 sq. XI, 1, 54-56.
quintilien et les deè clamateurs
19
eèditions de Quintilien, celle de Jean Cousin, des savants italiens coor donneès par Adriano Pennacini et celle de Donald A. Russell
28
.
Dans les quatre citations du livre III on trouve deèjaé des mateèriaux inteèressants aé consideèrer. La question poseèe au numeèro [6a] concerne la coloration (color) de chaque deèclamation. On pense º dit Quintilien º que Sextus Pompeèe eètait turpis et crudelis, et alors on l' emploie dans une deèclamation sur les pirates, tandis que chacun cherche aé donner de soi-meême une preèsentation honorable. Catilina aussi chez Salluste agit et parle comme quelqu' un qui a l' air d' oser la pire sceèleèratesse, non par perversiteè, mais par indignation. En effet la coloration est toujours qu' un
29
employeèe
pour
la
deèfense,
non
pas
pour
accuser
quel-
. Alors dans le cas de Catilina le color, la coloration serait l' in-
dignation. Mais l' indignation, comme d' autre part chaque couleur, doit eêtre conserveèe dans toute la deèclamation. Nous sommes alors au passage suivant [6b] dans lequel l' auteur nous preèsente l' application du progymnasma de la
proswpopoi` ia
nous est appris par Theon)
30
(qu' il s' agisse d' un progymnasma
et Quintilien lui-meême souligne l' im-
portance et la difficulteè de cet exercice dans lequel aé la difficulteè de la
suasoria s' ajoute celle de restituer le personnage : longe mihi difficillimae uidentur prosopopoeiae, in quibus ad relicum suasoriae laborem accedit etiam personae difficultas : namque idem illud aliter Caesar, aliter Cicero, aliter Cato suadere debebit (III, 8, 49). Mais il s' agit d' un exercice treés utile pour les orateurs et aussi pour les eècrivains et les poeétes : Vtilissima uero haec
exercitatio, uel quod duplicis est operis, uel quod poetis et historiarum futuris scriptoribus plurimum confert. Il y a toute une deèmarche de la suasoria aé la prosopopeèe qui a eèteè influenceèe par les sto|ëciens, comme l' a justement souligneè le grand connaisseur de Quintilien qu' eètait Jean Cousin
31
. La
neècessiteè d' adapter le discours au personnage a comme conseèquence que le deèclamateur, qui plaide peu de causes et se mue en fils, peére, vieillard etc., devient presque un auteur de comeèdies. C' est un theéme auquel il reviendra aussi en [6m] en indiquant Meènandre comme le poeéte qui a donneè aé chaque personnage sa convenance, son caracteére speècifique, d' une fac°on admirable. En [6c] on trouve des aspects techniques de diffeèrence entre les deèclamations et l' activiteè judiciaire, ce sont les suasoriae, mais les deèclamateurs se trompent en pensant que l' eèloquence judiciaire est tout aé fait diffeèrente des suasoriae. Mais l' in-
28
Le commentaire de Reinhardt-Winterbottom au livre II de Quintilien a eèteè publieè
en 2006 apreés la reèdaction de cet article.
29 30 31
Voir aé cet eègard L. Calboli Montefusco, û The colores and the declamations ý. RG, II, 115, 11-118, 5. Tome II, p. 132-135.
gualtiero calboli
20
teèreêt du passage est surtout dans ce que Quintilien ajoute aux paragraphes 59 et 60 oué il dit que dans les suasoriae on peut laisser de co ê teè l' exorde, tandis que dans les controuersiae on doit employer le pro-
hoemium, la narratio et les argumenta. On s' aperc°oit alors que Quintilien est treés inteèresseè par les deèclamations et qu' il ma|êtrise cette matieére d' une fac°on parfaite. On doit penser, par conseèquent, qu' il parle de sa propre activiteè, en tant que producteur, et comme correcteur des deèclamations. Et le numeèro [6p] nous en donne la confirmation explicite, tout en employant le participe declamantibus au lieu de declama-
toribus - Quintilien a fait et corrigeè des deèclamations, mais n' est pas seulement un deèclamateur : neque enim me paenitet ad hoc quoque opus
meum et curam susceptorum semel adulescentium respicere. Pour ce qui concerne le passage [6d] je renvoie au commentaire de Adamietz
32
, qui cite un texte d' Emporius, un des rheèteurs tardifs pu-
blieès par Halm dans les Rhetores Latini Minores, dans un Praeceptum deli-
beratiuae materiae, qui se conclut preèciseèment sur ces mots : [7] In omni autem deliberatiua id potissimum custodire debebimus, ut iis
33
, quibus consilium demus, etiam si detestabilia cogitent, sine conui -
cio ac sine execratione dicamus, si quidem nemo consiliarium de populo aduocat nec sibi uere aut benigne suaderi putat, nisi in ipsa oratione sua dentis ueluti consulentem sibi beniuolentiam recognoscat
34
.
On devrait eètudier au fond l' orgueil des deèclamateurs qui venait de l' importance qu' on donnait aé la rheètorique en geèneèral et aux deèclamations en particulier. Dans l' eèpisode du rheèteur C. Albucius Silus, preèsenteè
par
Seèneéque dans Contr., 7, praef., 7,
ce
rheèteur perdit
la
cause, ayant voulu employer une figure et alors il se retira de l' activiteè du forum : [8] Albucius non tulit hanc contumeliam, sed iratus calumniam sibi imposuit [il s' en prit aé lui-meême, s' enleva aé lui-meême le droit de parler devant les tribunaux, Bornecque] : numquam amplius in foro dixit [...] et solebat dicere : `quid habeo, quare in foro dicam, cum plures me domi audiant quam quemquam in foro
32
J. Adamietz,
Quintiliani
Institutionis
Oratoriae
35
Liber
` ?
III,
mit
einem
Kommentar,
Mu « nchen, 1966, p. 199.
33
Halm lit his, quibus ; dans les manuscrits, la substitution de iis avec his est la reégle ;
pourtant je pense qu' on doit corriger Halm et eè viter l' impossible his, quibus.
34 35
Empor., 574, 31-35. Sen., Contr., 7, praef., 7-8. Voir F. Citti, û Elementi biografici nelle `prefazioni' di
Seneca il Vecchio ý, Hagiographica, 12 (2005), p. 171-222 : p. 197 sq.
quintilien et les deè clamateurs
21
La meême chose eètait valable aussi pour la rheètorique deèlibeèrative dans laquelle encore plus que dans l' eèloquence judiciaire on devait conciliare les auditeurs comme l' avait enseigneè deèjaé Aristote
36
. Dans le
livre IV on trouve le passage [6f] oué Quintilien consideére la manieére de commencer un discours. C' est la doctrine de la
pro`lyviq
qui
prend des deènominations diffeèrentes chez les diffeèrents auteurs : prolempsis chez Quintilien, mais 110
37
. Dans Anaximeéne
38
proparaskeuy` chez Fortunatianus II prokata`lyviq qui nous reèveéle
, on trouve la
que cette matieére eètait deèjaé un objet d' attention avant Hermagoras de Temnos. Mais il para|êt que c' est surtout apreés Hermagoras que la doctrine de l' insinuatio (en grec
e² fodoq)
a eèteè deèveloppeèe
39
. Et c' est aé
l' insinuatio que Quintilien se reèfeére ici, en disant : His etiam de causis insinuatione uidetur opus esse (IV, 1, 48). On a donc ici la preuve que les deèclamateurs employaient cette reégle de la rheètorique dans des exercices et que, allant au-delaé de la juste mesure, ils en faisaient un usage excessif. D' autre part les deèclamateurs essayaient toujours de faire quelque chose d' inattendu et il eètait normal qu' ils construisent des cas û au rebours de l' ordre attendu ý (qui fas non putant nisi a contrario incipere). Le deuxieéme passage du livre IV concerne encore l' exorde et la narratio, c' est-aé-dire l' exposeè des faits qui ont produit le cas judiciaire en question. Ce que veut dire Quintilien devient treés clair, si l' on consideére le passage preèceèdent, aé partir du paragraphe vingt-quatre dans lequel il nous dit qu' il se pose la question de savoir an sit utique narratio prohoemio subicienda
(û si
l' exposeè
des
faits
doit
suivre
aé
tout
prix
l' exorde ý). Mais il constate que Ciceèron lui-meême dans beaucoup de cas a preèfeèreè commencer en discutant d' autres aspects de la cause, comme dans la plaidoirie pour Milon pour deèmontrer qu' il eètait bien admissible de deèfendre un homme qui, comme Milon, avouait un assassinat, car c' eètait Clodius qui avait tendu une embuscade aé Milon, ou comme dans la deèfense de M. Caelius oué Ciceèron devait aller au-
36
Rhet., 1377b, 28 sq. ; voir L. Calboli Montefusco, û Aristotle and Cicero and the of-
ficia oratoris ý, in Peripatetic Rhetoric after Aristotle, eèd. W. W. Fortenbaugh, D. C. Mirhady, New Brunswick-London, 1994, p. 66-94 : p. 80.
37
Voir l' eèdition de J. Cousin, t. III, p. 216 sq. ; L. Calboli Montefusco, Consulti Fortu-
natiani Ars Rhetorica, Bologna, 1979, p. 364 et 374 ; L. Calboli Montefusco, Exordium Narratio Epilogus : studi sulla teoria retorica greca e romana delle parti del discorso, Bologna, 1988, p. 30-32. Sur cette doctrine, voir aussi J. Martin, Antike Rhetorik : Technik und Methode, Mu«nchen, 1974, p. 277 sq., et le commentaire de P. Chiron aé la Rheètorique aé Alexandre, p. 155.
38 39
Rheèt. Alex., 1432b, 11. Voir aé cet eègard L. Calboli Montefusco, Exordium Narratio Epilogus, p. 16-18.
gualtiero calboli
22
devant des imputations de deèsordre, de provocation, d' immoraliteè, typiques des Caelius, avant d' aborder l' imputation d' empoisonnement.
Mais,
continue
Quintilien,
nous
sommes
entra|ê neès
par
la
pratique des eècoles (nos ducit scholarum consuetudo), ou é sont proposeès certains theémes preècis dans lesquels il n' y a rien aé reèfuter. Et c' est la raison pour laquelle, dans les deèclamations, la narration vient toujours apreés l' exorde. Ce passage a eèteè discuteè par Joachim Dingel
40
, qui
donne un reèsumeè treés reèduit et un peu confus, mais qui finalement nous eèclaircit sur la fac°on dont la narratio eètait employeèe dans les Deèclamations mineures attribueèes aé Quintilien. Or il nous dit qu' on trouve la narratio seulement dans treize deèclamations mineures : 259, 290, 295, 298, 301, 305, 306, 323, 332, 333, 338, 372, 388. Dans quelques cas comme dans la 338 (Lis de filio expositoris et repudiatae) la narratio est en effet une argumentation et chaque fait qui y est preèsenteè est suivi par la raison qui l' a justifieè
41
. Mais dans cette intervention de Quintilien
([6f]), il est inteèressant de noter que la declamatio est consideèreèe comme une
meditatio forensium actionum et que Quintilien conseille qu' on
s' exerce dans l' accusation et aussi dans la deèfense comme il arrive dans le cas des Deèclamations majeures 14 (accusation de la meretrix) et 15 (deèfense de la meretrix), 18 (accusation du mari et peére) et 19 (deèfense du mari et peére). Dans le numeèro [6g], sur lequel les eèditeurs et les commentateurs reècents ne disent rien, il y a encore une critique contre les deè clamateurs qui emploient des objections ridicules (ne contradictiones eas po-
nant, quibus facillime responderi possit, neu sibi stultum aduersarium fingant). En [6h], Quintilien remarque que le deèclamateur est arriveè jusqu' aé la limite au-delaé de laquelle la deèclamation tombe dans le comique et, en effet, ce theéme provoquait freèquemment l' hilariteè, comme nous le confirme Seèneéque le peére qui nous dit qu' Albucius hanc sententiam
dixit dubiam inter admirantes et deridentes. On rencontre ici une dimension des deèclamations, un exceés d' artifice (ici il s' agit d' une sentence) qui fait que le deèclamateur passe la barrieére du comique. C' est une dimension aé consideèrer. La reèfeèrence aé Seèneéque, Contr., VII, praef., 3 a eèteè deèjaé souligneèe par Adolf Kiessling, selon lequel Quintilien citait Seèneéque de meèmoire (û U ë brigens zeigt die bedeutend abweichende form in welcher Quintilian die worte citiert, das er hier nicht die
40
J. Dingel, Scholastica materia : Untersuchungen zu den Declamationes minores und der
Institutio oratoria Quintilians, Berlin, 1988, p. 50.
41 Ibidem,
p. 54.
quintilien et les deè clamateurs
23
schrift des Seneca, die er sonst wol kannte und benutzt hat, vor augen hatte, sondern aus eigener erinnerung spricht
42
ý).
Le passage [6i] donne lieu aé une discussion inteèressante sur le terme et la reégle rheètorique employeèe ici par Quintilien, car on trouve un
diatu` pwsiq uÉ potu` pwsiq
eètat (status) et une figure ( Celsus (Inst., IX, 2, 40)
), appeleèe par quelqu' un comme
, c' est-aé-dire rerum [...], quasi geran-
tur, sub aspectum paene subiectio comme la figure est deèfinie par l' auteur de la Rheètorique aé Herennius, ou é cette figure est preèsenteèe pour la premieére fois
43
. C' est l'
eÊ na` rgeia
, difficile aé deèfinir, car comme le dit
Wilhelm Kroll, il s' agit de û die Feinheiten der Stilistik auf Flaschen zu ziehen
44
swpopoi` a
ý. Ici je me borne aé dire que c' est une figure lieèe aé la
pro-
, traiteèe un peu plus tard dans la Rheètorique aé Herennius et
Quintilien. Ce sont des figures du theèaêtre comme nous le dit explicitement Quintilien (quaedam forma rerum ita expressa uerbis ut cerni potius
uideantur quam audiri )
45
et, comme l' a bien deèmontreè Lucia Monte-
fusco, elle consiste aé mettre sous les yeux, aé transporter û pour ainsi dire, ce qui est dit de l' ou|ëe aux yeux
46
le status consideèreè. L' eètat en question,
ý. Un peu plus compliqueè est
meta` stasiq
, est la remotio crimi-
nis, mais la remotio criminis consistait aé charger quelqu' un d' autre ou une autre chose de la responsabiliteè du fait
47
. La remotio criminis a eèteè
vue comme remotio criminis in personam et remotio criminis in rem et chez les theèoriciens tardifs comme Grillius, Hermogeéne, Fortunatianus on ajoute aussi le temps pendant lequel une chose devait eêtre accomplie.
42
A. Kiessling, û Quintilian und Seneca ý, p. 716.
43
Voir mon commentaire [1993 ], p. 435 sq.
44
2
W. Kroll, û Rhetorik ý, in Real-Encyclopa«die : Supplement, 7, 1940, col. 1039-1138 :
col. 1110. Sur l'
eÊ na` rgeia
voir L. Calboli Montefusco, û
ÊEna` rgeia eÊ ne` rgeia et
: l' eèvidence
d' une deèmonstration qui signifie les choses en acte ( Rhet. Her., 4, 68) ý, Pallas, 69 (2005), p. 43-56, qui a mis en eèvidence le rapport de l' l'
eÊ ne` rgeia
eÊ na`` rgeia
avec la
safy` neia
(p. 47 sq.) et
, c' est-aé-dire la capaciteè de montrer les choses û en train de se faire ý (p. 54), et
la meètaphore û qui met sous les yeux ý, en consideèrant les theèoriciens de rheètorique et de stylistique anciens aé partir d' Aristote. û Le cas limite -eècrit-elle (p. 55)- de cette manieére de `signifier les choses en acte' est l' actualiteè des choses inanimeèes qui, au moyen d' une meètaphore, sont `mises sous les yeux' comme animeè es ([Arist.] Rhet., 1411b, 32 :
a² vuja e² mvuja poiei n dia´ ty q metafora q
) : elles paraissent
eÊ nergou nta
to´ ta´
, c' est-aé-dire `en
acte' , `en mouvement' , parce que tous les sentiments qu' on leur preê te repreèsentent leur
eÊ ne` rgeia
(Rhet., 1412a, 3 sq.) ý.
45 Inst., IX, 2, 40. 46 L. Calboli Montefusco, 47
û
ÊEna` rgeia eÊ ne` rgeia et
ý, p. 47.
Voir L. Calboli Montefusco, La dottrina degli status, p. 123-129. Les eèditeurs Jean
Cousin, t. V, p. 311 et D. A. Russell, vol. IV, p. 58, pensent tous les deux que Quintilien s' est trompeè en employant la tralatio aux temps. Mais ni l' un ni l' autre ne connaissent bien ce sujet. J. Cousin est bien excuseè, car il a eècrit en 1979, avant le livre de Lucia Montefusco (1986), mais Russell (2001) ne l' est pas du tout.
gualtiero calboli
24
Il ne s' agit pas du meême emploi du temps que celui qu' on trouve chez Quintilien et, en effet, Quintilien se justifie en disant que c' est une tralatio temporum. Il est vrai que plutoêt qu' une remotio criminis dans l' exemple on trouve une relatio criminis, c' est-aé-dire que la responsabiliteè du fait est transposeèe de l' acteur (Milon) sur la victime (Clodius). Mais Quintilien se limite aé consideèrer quae facturus fuerit Clodius, si prae-
turam inuasisset (û ce qu' aurait fait Clodius s' il s' eètait empareè de la preèture ý) et ajoute que cette
meta`stasiq
eètait plus modeste chez les
anciens (j' entends : orateurs et rheètoriciens). Alors Quintilien reconna|êt un emploi trop audacieux de cet eètat chez les deèclamateurs : c' est un autre point important, les deèclamateurs avec leur imagination effreèneèe forcent les reégles de la rheètorique. Et Quintilien dans ce cas donne aussi le teèmoignage de Seèneéque, dans une controverse qui s' est perdue
48
.
Le numeèro [6l] nous preèsente un autre exemple de mauvais emploi de la rheètorique. C' est l' accumulation des figures contre le fils qui ne veut pas que son peére soit tortureè de peur qu' il donne son nom comme complice. Ici Quintilien se place lui-meême parmi les deèclamateurs, mais surtout il reèveéle la faiblesse de la parole deèpourvue de l' action : c' est le talon d' Achille des deèclamations, de dire sans agir, tandis que dans certains cas c' est seulement l' action ou la situation qui est valable. On dit que les deèclamations se rapprochent de plus en plus de la litteèrature, qu' elles sont de la litteèrature et plus particulieérement de la comeèdie
49
. Le numeèro [6m] nous montre que cette ideèe eètait deèjaé
chez Quintilien qui a choisi le plus renommeè des auteurs de comeèdies, Meènandre, pour souligner l' affiniteè des deux proceèdeès de la deèclamation et de la comeèdie (plures subire personas). Chez Meènandre on trouve tout ce qui est neècessaire aé l' orateur : ita omnem uitae imaginem expressit,
tanta in eo inueniendi copia et eloquendi facultas, ita est omnibus rebus, personis, adfectibus accommodatus, û si compleéte est sa peinture de la vie, si grande sa richesse d' invention et sa faciliteè d' expression, si parfaite son adaptation aé toutes les situations, aé tous les personnages, aé toutes les eèmotions
50
ý. D' autre part on ne doit pas exageèrer et croire que les
deèclamations soient la meême chose que les comeèdies ou les histoires, c' est-aé-dire les Ýuvres des poeétes ou des historiens. Le croire serait
48 49
Mu « ller, p. 584 ; L. Ha®kanson, û Die quintilianischen Deklamationen ý, p. 374. Voir par exemple N. Ho«mke, Gesetzt den Fall, p. 253-255.
50 Inst.,
X, 1, 69. Voir W. Peterson, Quintiliani Institutionis Oratoriae Liber X, Oxford,
1967, p. 66.
quintilien et les deè clamateurs contre le
pre` pon,
25
qui est propre aé chaque genre et l' observation faite au
é propos de ce passage, W. Peterson numeèro [6n] est laé aé le souligner. A
renvoie justement aé l' Ars
tragicis res comica non uult
Poetica
d' Horace, v. 89-118 (uersibus
51
exponi
etc.), en eècrivant : û Quintilian seems to have
in view here the passage in
Ars Poetica
(86-118) where Horace insists
on the necessity for mantaining proper tone and style. [...] Cp. also Cicero,
De opt. gen. oratorum,
intellegentibus vox ý. pend ici de la
1, ½1 : [...]
C. O. Brink
Rheètorique
52
suus est cuique sonus et quaedam
souligne, aé son tour, qu' Horace deè-
d' Aristote (III, 79) et on peut penser que
Quintilien aussi deèpend d' Aristote. Mais, si je consideére combien de fois Quintilien a citeè Aristote, Horace et Ciceèron avait pour Horace (Inst., X, 1, 94)
54
53
, et l' amour qu' il
, je finis par croire qu' il deèpend
plutoêt de Ciceèron et d' Horace, meême s' il ne faut pas croire qu' il a oublieè compleétement Aristote. Dans le [6o], on trouve la reèfeèrence aé un usage typique des deèclamateurs dans leurs û Schaudeklamationen ý
55
. Mais pour en trouver
un teèmoignage preècis on peut prendre en consideèration la û performance ý d' Alexandre Peèloplaton aé Atheénes, û performance ý improvi-
auÊtosjedi` oq lo`goq) comme nous le dit Philostrate (VI. soph., 571-
seèe (
574), un eèpisode qui a eèteè repris aussi par Donald A. Russell
56
, et qui
est inteèressant, car Alexandre ne se limita pas aé deèclamer en improvisant, mais donna une deuxieéme version de la meême deèclamation apreés l' arriveèe d' Heèrode Attique qui n' eètait pas preèsent au deèbut de la û performance ý
d' Alexandre.
Quintilien,
bien
avant
le
deèveloppe-
ment de la seconde sophistique, se moque de cet usage qu' il qualifie de propre aux sots (stultus). Enfin il y a le numeèro [6p] qui reèpeéte ce qu' il avait deèjaé dit en [6n] sur la coheèrence, en y ajoutant que cette coheèrence doit eêtre conserveèe pour tout le discours. Mais, plus important encore, il y a le teè moignage que Quintilien nous donne du fait que lui-meême s' est consacreè aux deèclamations pour sa propre formation et pour former ses eèleéves (neque
enim me paenitet ad hoc quoque opus meum et curam susceptorum semel
adulescentium respicere).
On a donc des eèleèments pour reèpondre aux
trois questions poseèes au deèbut de cette communication : quelle eètait
51 Ibidem, p. 132. 52 C. O. Brink, Horace on Poetry, The Ars Poetica, 53 Voir l' Index Nominum et Locorum dans l' edition 54
è
Cambridge, 1971, p. 174. de Winterbottom, II, p. 750-773.
Sur le `Fortleben' d' Horace chez Quintilien, voir mon article : G. Calboli, û Quin -
tilian and Horace ý,
Scholia,
55
Voir W. Peterson,
56
A. Russell,
4 (1995), p. 79-100.
Quintiliani
Greek Declamation,
Institutionis, p. 178. p. 84-86.
gualtiero calboli
26
la position de Quintilien (1) sur le rapport de la deèclamation avec la rheètorique des manuels, (2) sur le rapport entre la deèclamation et l' activiteè judiciaire, (3) sur le rapport entre la deèclamation et la litteèrature. Quintilien s' est poseè les trois questions et sa reèponse a eèteè, comme on peut le supposer, treés seèrieuse, dans le sens qu' on devait, aé son avis, ma|êtriser parfaitement la rheètorique des reégles, qu' on devait avoir une activiteè judiciaire, mais se meèfier des deèclamateurs de meètier, et, en troisieéme lieu, que pour les deèclamations la litteèrature eètait treés importante, mais la bonne litteèrature de Meènandre, sans confondre les deèclamations
et
la
litteèrature.
Ceci
correspond
aé
l' image
que
Nikola
Ho«mke a traceèe avec grande compeètence sur la position de Quintilien aé l' eègard des deèclamations : Quintilians Kritik ist weitaus grundlegender und la« Þt sich unter die zwei bereits oben besprochenen Hauptwu« rfe gegen bestimmte Formen
zeitgeno«ssischen
Deklamation
subsumieren :
MaÞlosigkeit
der
Ausfu«hrenden und Kompetenzu«berschreitung der Lehrenden. Beides ha«ngt mit der Tatsache zusammen, dass die Deklamation nicht mehr bloÞ als Schulu«bung unter Aufsicht eines Rhetors betrieben wird, ë ffentlichkeit hinausgetragen worden ist. Genau sondern in die breite O an diesem Punkt entzu«ndet sich Quintilians Empo«rung : Diejenigen
grammatici
und
declamatores,
die diese Entwicklung fo«rdern oder billi-
gen, missachten die eigentliche Funktion der Deklamation behagen
erregte
bei
ihm
vielleicht
auch
die
57
. [...] Un-
Tatsache,
dass
die
Deklamation nicht mehr allein zur Geistes - und Geschmacksbildung der wenigen Gebildeten diente, sondern zu einer Form der Massenun terhaltung avanciert war
58
.
En deux mots je dirais qu' il reconna|êt l' utiliteè des deèclamations, mais qu' il se meèfie des deèclamateurs professionnels qui n' employaient plus les deèclamations comme exercices scolaires aé compleèter par la pratique du forum, mais faisaient du theèaêtre pour le grand public sans conna|être
ni
les
reégles
de
la
rheètorique
ni
la
bonne
litteèrature
(Meènandre). Il avait bien preèvu les exceés de la seconde sophistique et au-delaé.
57
N. Ho « mke,
58 Ibidem,
Gesetzt den Fall,
p. 59.
p. 57
sq.
quintilien et les deè clamateurs
27
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L AT I N I TAT E S
Pierre
Chiron
ÂRITAGE GREC DE QUINTILIEN : L' HE LE CAS DE L' EXORDE (INST., IV, 1)
On sait
aé quel point sont difficiles la compreèhension et l' appreèciation
exactes des ressemblances et des diffeèrences entre rheètorique grecque et rheètorique latine. L' influence de la premieére sur la seconde est profonde, eèvidemment, mais il y a eu reètroaction de la seconde sur la premieére et de complexes pheènomeénes d' adaptation et de reèinvention d' autant plus difficiles aé deèmeêler qu' ils se sont produits au fur et aé mesure d' une longue cohabitation. Ces pheènomeénes retiennent l' attention des speècialistes, d' autant plus et d' autant mieux que les eètudes transculturelles sont mieux accepteèes. Je songe aé des travaux reècents comme les recherches de Laurent Gavoille sur le seèmantisme d'
lexis
indiscutablement influenceè par celui de
oratio
,
, ou aux recherches en
cours de Charles Gueèrin sur la profonde mutation qui a affecteè la no-
eéthos auctoritas
tion grecque d'
entre la peèriode classique grecque et Ciceèron º
ou é l' on voit combien les donneèes culturelles et politiques latines, la notion d'
, par exemple, reconfigurent compleétement l'
discursif et technique d' Aristote.
eéthos
Je ne peux pas aujourd' hui ne serait-ce qu' esquisser l' examen de l' ensemble des changements de la theèorie de l' exorde entre la rheètorique
grecque et
Quintilien. D' abord
parce
que
ces
changements
posent des probleémes philologiques et theèoriques treés difficiles comme celui de l' acceés de Quintilien aux textes grecs ou celui de la meèdiation de Ciceèron. Certains de ces probleémes sont quasiment insolubles, comme celui des sources perdues, notamment le corpus rheètorique eèlaboreè aé l' eèpoque helleènistique aé Pergame ou aé Rhodes. D' autre part, un examen point par point de tous les aspects de la theèorie preèsenteèe dans l'
Institution oratoire
supposerait une comparaison critique
avec un corpus quantitativement important et notamment avec des sources aussi riches et complexes que l'
29
Art rheètorique
d' Apsineés ou
pierre chiron
30
1
l' Art du discours politique de l' Anonyme de Seèguier , textes plus tardifs mais qui recourent aé des sources dont disposait sans doute Quintilien. C' est un travail qui exceéderait largement le temps qui m' est imparti. Non, je voudrais en rester aé quelques grandes lignes et m' attarder sur une seule question susciteèe par la lecture et la traduction des chapitres 13 et 14 du livre III de la Rheètorique d' Aristote. On y voit le philosophe esquisser une poleèmique contre une tradition dont nous avons la chance de pouvoir lire des eèchos dans un texte vraisemblablement contemporain, la Rheètorique aé Alexandre. Une fois preèciseès la signification et les enjeux de cette poleèmique, j' essaierai tout simplement de voir si le ou les probleéme(s) souleveè(s) dans ces deux textes sont encore vivants pour Quintilien. Ce peut eêtre un bon reèveèlateur de ses partis pris theèoriques et meèthodologiques et de la profondeur º ou de la superficialiteè º de son ancrage dans la theèorie grecque classique.
La Rheètorique aé Alexandre 2
Je commencerai par la Rheètorique aé Alexandre , plus preèciseèment par la troisieéme partie du traiteè (chapitres 29-37). M. Patillon parle aé son propos de tradition coraxienne
3
; il l' isole compleétement des deux
autres et va jusqu' aé supposer que l' ensemble formeè par le traiteè dans sa forme actuelle a eèteè constitueè aé date tardive. Je n' adheére ni aé l' une ni
aé
l' autre
de
ces
deux
hypotheéses,
dans
la
mesure
oué
le
lien
4
avec Corax est extreêmement teènu, pour ne pas dire inexistant , dans
1
Traiteès eèditeès reècemment dans la Collection des Universiteès de France par M. Patillon,
Apsineés en 2001, l' Anonyme de Seèguier en 2005. Pour une vue d' ensemble sur l' exorde dans la rheètorique antique, voir J. Martin, Antike Rhetorik. Technik und Methode, Munich, 1974, p. 223-227 ; L. Calboli-Montefusco, Exordium, Narratio, Epilogus. Studi sulla teoria retorica greca e romana delle parti del discorso, Bologne, 1988, p. 1-32.
2
Ps.-Aristote, Rheètorique aé Alexandre, texte eètabli et traduit par P. Chiron, Paris, 2002
(Collection des Universiteès de France).
3
M. Patillon, û Aristote, Corax, Anaximeé ne et les autres dans la Rheètorique aé Alexandre ý,
Revue
des
è tudes E
Grecques,
110
(1997),
p. 104-125.
M. Patillon
parle
de
û tradition
coraxienne ý aé la fin de cet article (p. 124-125) sans s' abuser sur la reèaliteè historique du traiteè de Corax (voir note suivante).
4
é savoir une mention hautement douteuse aé la fin de la lettre deèdicatoire apocryphe A
qui preèceéde le traiteè. Th. Cole, dans une des meilleures enqueêtes disponibles sur la proto-rheètorique sicilienne (û Who was Corax ? ý, Illinois Classical Studies, 16 (1991), p. 65-84) a raison de la neègliger. Sur cette lettre, voir notre article : û La lettre deèdicatoire apocryphe mise en teête de la Rheètorique aé Alexandre : un faux si impudent ? ý, dans Apocryphiteè : histoire d' un concept transversal aux Religions du Livre, en hommage aé P. Geoltrain, è cole des Hautes E è tudes 113), p. 51eèd. S. C. Mimouni, Turnhout, 2002 (Bibliotheéque de l' E 76.
31
l' heè ritage grec de quintilien
la mesure aussi ou é l' on peut deètecter dans le traiteè une structure unifiante extreêmement solide qui exclut, aé mes yeux, l' hypotheése de la compilation. Mais je reconnais volontiers que la troisieéme partie du traiteè est doteèe d' une relative autonomie et qu' elle est tout ensemble plus archa|ëque et plus ma|êtriseèe que le reste du traiteè. Cette troisieéme partie est structureèe aé la fois par la division des discours en espeéces et/ou en genres
5
et par la division du discours en par-
ties. Autrement dit, la theèorie des parties du discours est exposeèe successivement pour le discours d' assembleèe ou deèmeègorique (chapitres 29-34), le discours d' eèloge et de blaême (chapitre 35), le discours d' accusation et de deèfense (chapitre 36) et le discours d' examen (chapitre 37). L' eètude de l' exorde est donc º theèoriquement º eèclateèe en quatre moments (chapitres 29 ; 35, 1-3 ; 36, 2-16 ; 37, 2-3). Mais les choses sont aé la fois plus compliqueèes et plus simples. Plus compliqueèes parce que l' auteur du traiteè revient rapidement sur l' exorde aé propos du discours de contre-exhortation (34, 8) et du discours de deèfense (36, 30), sans dire grand chose de nouveau d' ailleurs. Plus sim ples, parce qu' il preèsente sous la forme d' un û chapeau ý commun les fonctions geèneèrales de l' exorde (29, 1), et parce qu' il renvoie souvent, pour eèviter les redites, aux deèveloppements preèceèdents, qui restent valables quel que soit le genre ou l' espeéce. Quels sont les points saillants de cette doctrine ? J' en resterai aé l' exorde deèmeègorique, qui renferme l' essentiel. Le chapeau commun sur l' exorde dans tous les genres (29, 1) vient apreés une formule de transition eètablissant l' universaliteè de l' exorde : û son emploi conviendra aé tous les sujets
6
ý, ce qui signifie sans doute
qu' on y recourt dans tous les discours publics mais aussi dans l' exer7
cice de la parole priveèe . Sont ensuite preèsenteèes deux fonctions geèneèrales
de
l' exorde :
la
mise
en
condition
paraskeuy` eÊ n kefalai` wç dy` lwsiq to´ prose` jein parakale` sai eu² nouq poiy sai
des
aÊ kroatwn tou pra` gmatoq
auditeurs
(
) et la preèsentation sommaire de l' affaire (
), auxquelles sont ajouteès l' appel aé l' attention
(
) et la communication au public d' une
disposition bienveillante (
). En reèaliteè, dans la suite, la
premieére fonction (mise en condition) a un caracteére plus geèneèral et
5
Sur les probleémes º notamment textuels º poseès par la theèorie des genres et des
espeéces dans la
6
Rheètorique aé Alexandre,
voir notre introduction, p. lxxxix
ÊEpi´ pa si toi q pra` gmasi aÉ rmo` sei lego` menon
(Rheètorique
sq.
aé Alexandre,
28, 5, 1436 a
1432).
7
Au deèbut du traiteè, le rheèteur deèclare l' analyse des espeéces º et donc les preèceptes
affeèrents º valables y compris pour les conversations priveè es (
torique aé Alexandre,
1, 2, 1421 b 14.
tai q iÊ di` aiq oÉ mili` aiq
) :
Rheè-
pierre chiron
32
englobe les trois autres qui sont appeleèes aé devenir les trois fonctions canoniques tout au long de l' histoire de la rheètorique greèco-latine : l' exorde vise aé rendre l' auditeur docile º c' est-aé-dire en eètat de comprendre le discours º, attentif et bienveillant. La premieére fonction º la preèsentation de l' affaire º ne retient pas le rheèteur treés longtemps, ce qui est assez facilement explicable : aé l' assembleèe, il y a un ordre du jour et, en reégle geèneèrale, la question a eèteè souleveèe avant la prise de parole. Il suffit donc de dire clairement quelle
theése
on
va
deèfendre,
preècepte
illustreè
de
phrases
modeéles
comme :
aÊne`styn sumbouleu`swn wÉq jry´ polemei n yÉmaq uÉpe´r Surakousi` wn
8
.
La doctrine concernant l' appel aé l' attention est plus inteèressante, parce que l' auteur du traiteè fait un deètour par un point de vue subjectif. Si nous voulons susciter l' attention du public, il suffit de nous demander ce qui nous inteèresse dans un deèbat (29, 3). La reèponse est preèsenteèe comme une eèvidence, sous la forme d' une interro-neègative :
²Ar' ouân ouÊ tou`toiq
oÌtan y³ uÉpe´r mega`lwn y³ foberwn y³ twn yÉmi n oiÊ -
kei` wn bouleuw`meha; y³ fa`skwsin [eÊpidei` xein] oiÉ le`gonteq wÉq di` kaia kai´ kala´ kai´ sumfe`ronta kai´ rÉaç` dia kai´ yÉde`a eÊpidei` xousin yÉmi n eÊf' aÍ pra`ttein parakalousin; y³ deyhwsin yÉmwn aÊkousai auÊtwn prose`jontaq to´n noun
9
;
Deux ressorts principaux de l' attention de l' auditeur sont ici, sinon analyseès treés rigoureusement, du moins formuleès assez clairement. C' est d' abord l' importance de l' objet, qui semble constituer le pre mier degreè de la captation de l' inteèreêt. C' est d' autre part ce qu' on pourrait appeler l' implication personnelle du reècepteur, qui joue ellemeême sur trois plans : au niveau eèmotionnel tout d' abord (on s' inteèresse aé ce qui fait peur, aé ce qui fait plaisir), au niveau relationnel ensuite (on s' inteèresse aé une personne qui demande aé nouer avec soi une sorte de contrat de communication), niveau qui comporte sans doute une dimension religieuse, reliquat des anciens rituels de supplication. L' implication opeére aussi au niveau des repreèsentations ou, si l' on preèfeére, de l' amour-propre. Je crois en tout cas que c' est ainsi que
8
Rheètorique aé Alexandre Rheètorique aé Alexandre
, 29, 2, 1436 b 1-2 : û Si je me suis leveè, c' est pour donner ce
conseil : il nous faut faire la guerre pour la deè fense des Syracusains ý.
9
, 29, 4, 1436 b 7-12 : û N' est-ce pas quand la deèlibeèration porte
sur des affaires importantes, terribles ou qui nous touchent personnellement ? ou quand les orateurs affirment qu' ils vont nous deèmontrer la justice, la beauteè, l' utiliteè, la faciliteè ou l' agreèment des actions auxquelles ils appellent ? ou quand ils nous prient de les eè couter attentivement ? ý
33
l' heè ritage grec de quintilien
l' on peut interpreèter l' attrait pour la justice, ou la beauteè des enjeux d' une deèlibeèration : si l' on s' y inteèresse, c' est qu' on en retire un û niveau d' identification ý eèleveè et que les deèbats de cette nature inspirent de soi-meême et du groupe une opinion flatteuse. Si je propose cette interpreètation, c' est que le traiteè fait plusieurs fois reèfeèrence aux valeurs de solidariteè, de patriotisme, de compassion, qualiteès individuelles et sociales qui renvoient elles-meêmes aé l' un des traits speècifiques de l' identiteè û humaniste ý que se sont construite les Atheèniens
10
.
La troisieéme fonction fait l' objet d' une treés longue analyse. Pour rendre le public bienveillant, il faut savoir d' abord quels sont ses sen timents
a priori :
bienveillance
du
sq.).
La
rappel
en
est-il bienveillant, hostile ou neutre ? (29, 6 public
ne
requiert
rien
d' autre
qu' un
forme de preèteèrition, par exemple : aé quoi bon rappeler que je vous ai souvent rendu service et que vous me faites confiance ? La neutraliteè du public, quant aé elle, requiert un appel aé deux des points du souverain bien : la justice et l' inteèreêt º qui exigent tous les deux de laisser chacun faire ses preuves, sous peine de commettre une mauvaise action voire de se priver d' avis qui seront peut-eêtre utiles. On recourra aussi aé l' eèloge du public. Plus subtilement, on pourra faire eètat de ses insuffisances et se preèsenter comme un modeste citoyen soucieux seulement de participer avec ses faibles moyens au bien public. Ce
topos
tient sa force de l' amour-propre, bien su ê r. Une telle modestie flatte l' ego des auditeurs ainsi sureèleveès. Mais il vaut aussi en raison de la treés mauvaise image dont souffraient les politiciens activistes dans l' Atheé nes classique et dont l' ideèal de la tranquilliteè est l' exact corollaire. C' est le troisieéme cas de figure qui est, bien eèvidemment, le plus longuement traiteè : que faire quand on s' adresse aé un public hostile ? (29, 10) L' analyse entre dans les minuties et n' est pas toujours d' une coheèrence parfaite. L' hostiliteè du public peut venir de l' orateur, de l' affaire, ou du discours. Elle eèmane du passeè ou du preèsent. Oué l' on constate que la theèorie ne se borne pas aé codifier le deèbut du discours mais englobe les premiers effets du discours une fois commenceè et donne des remeédes pour faire cesser le chahut qui s' eèleéve. Je retiendrai des conseils renfermeès dans ces six subdivisions tout d' abord l' importance de l' anticipation : si l' on sait le public hostile parce qu' on a mauvaise reèputation, il faut attaquer bille en teête :
10
Voir par exemple
Rheètorique aé Alexandre,
36, 5-6.
pierre chiron
34 OuÊd'
auÊto´q aÊgnow diabeblyme`noq, aÊll'
diabola`q
eÊpidei`xw veudeiq ou²saq ta´q
11
.
Le rheèteur, qui eèvoque souvent ce type de moyen, en fait un usage concerteè, qui montre une pleine conscience du roêle de la nouveauteè et de l' usure du temps dans l' eèloquence adresseèe aé une audience populaire. Dans un autre passage, pour justifier le fait qu' on doive eè noncer soi-meême les meilleurs arguments de l' adversaire, ceux-laé meême qui sont le plus dangereux pour la theése que l' on veut deèfendre, il eècrit :
kai´ ga´r ka³n pa`nu iÊsjura´ ðâ ta´ prodiabeblyme`na, ouÊj oÉmoi`wq
fai`netai
12 mega`la toiq y²dy proakykoo`sin .
L' orateur politique indispose, donc, s' il est suspect ou convaincu de quelque mauvaise action. Ce qui le fait mal voir aussi, c' est l' aê ge (29, 17
sq.) :
un orateur trop jeune ou trop aêgeè rebute le public, de
meême que l' activiste, on l' a vu, ou au contraire l' orateur trop rare, dont l' intervention para|êt alors motiveèe par un inteèreêt ponctuel. Quant aux preèventions susciteèes par l' affaire, elles tiennent au fait que le projet soumis aé deèlibeèration para|êt injuste, honteux ou impie (29, 23
sq.).
Le rheèteur conseille alors de recourir au systeéme des points
du souverain bien, c' est-aé-dire aé la meême strateègie que dans l' argumentation deèlibeèrative proprement dite. On deèfend une action en disant
qu' elle
est
juste,
leègale,
conforme
aé
l' inteèreêt
du
peuple,
agreèable, etc. Cette topique, elle aussi reècurrente jusqu' aé la rheètorique tardive, preèsente l' avantage de constituer une liste close d' arguments qui sont soit reèversibles º on niera, par exemple, que l' action preèsenteèe comme juste le soit reèellement º soit opposables º c' est-aé-dire, par exemple, que tout en admettant la justice de l' action conseilleèe, on en niera la leègaliteè, ou le profit, et ainsi de suite. De la meême fac°on, dans l' exorde, si le public proteste parce que nous recommandons une deècision injuste ou honteuse, nous pourrons dire qu' elle est certes injuste ou honteuse, mais qu' elle est neècessaire ou profitable (29, 24). Cette rheètorique que reèpercute la
Rheètorique aé Alexandre
est facile aé
critiquer. Elle est totalitaire : pas de discours sans exorde ; elle est treés subdiviseèe et donc compliqueèe, elle souffre aussi d' une certaine raideur meècanique, qui tend aé imposer des contenus preèfabriqueès, d' au-
11 Rhetorique a Alexandre, è é
29, 11, 1437 a 3-5 : û Je n' ignore pas moi-meême les preèven-
tions dont je suis victime, mais je vais deè montrer que ces preèventions sont mensongeéres ý.
12 Rhetorique a Alexandre, è é
18, 12, 1433 a 38-39 : û Meême si les points qu' on a deènigreès
par avance sont tout aé fait solides, ils ne para|êtront pas aussi deècisifs aé ceux qui en auront deèjaé entendu parler ý.
35
l' heè ritage grec de quintilien
tant que, bien souvent, le preècepte se mue en modeéle aé imiter. Ce systeéme ne para|êt gueére laisser de liberteè. Un simple coup d' Ýil sur la pratique
des
orateurs
attiques
montre
des
usages
beaucoup
plus
souples. Ne parlons pas de son indiffeèrence tranquille aé l' eègard de la veèriteè voire de la morale : la preèoccupation majeure du rheèteur est un conditionnement d' une
doxa.
Ce
psychologique
destineè
conditionnement
aé
proceéde
faciliter de
la
transmission
l' amour-propre
du
destinataire. Il est plus preèciseèment fondeè sur le meècanisme de la vraisemblance subjective. On renvoie aé l' auditeur ce qu' il attend, c' est-aédire ce qu' il pense deèjaé. On conforme son propos aux ideèes et aux axiologies qu' il a rec°ues ou construites. Cela dit, c' est º justement º une rheètorique que l' on a visiblement induite de l' expeèrience, et dont on devine que, si elle est bien ma|êtriseèe aé force d' exercices, elle peut eêtre d' un reèel secours pratique. La preèsentation des preèceptes, quant aé elle, proceéde d' un scheèma abstrait assez rigoureux. Sur la question de savoir quelle est l' origine de cette doctrine, l' ignorance ou é nous sommes de la forme exacte des premiers traiteès doit rendre prudent, mais je pense que si le contenu meê me est empirico-sophistique, sans doute assez proche de l' enseignement technique d' Isocrate,
nous
avons
laé
dans
l' organisation
des
preèceptes
plus
qu' une esquisse de traiteè systeèmatique, peut-eêtre meême un essai d' application de la deèfinition aristoteèlicienne de la technique. C' est la raison pour laquelle, dans la comparaison de cette doctrine avec celle d' Aristote, j' en resterai au contenu.
Aristote
Il me semble qu' Aristote a dans son collimateur une theèorie voisine quand il passe des questions de style aux questions de plan, c' est-aédire au deèbut du chapitre 13 du livre III. D' embleèe, il reècuse deux de ses aspects majeurs : d' abord la complexiteè de l' analyse, complexiteè qui fait perdre de vue le sens au profit de la reèflexion sur les moyens ; d' autre part l' oubli de la cause au profit des aé-co ê teès de la cause, ou º si l' on preèfeére º l' oubli de la deèmonstration du fait au profit du conditionnement psychologique de l' auditeur. C' est ainsi, en tout cas, que j' interpreéte ces lignes eènergiques :
² Esti de´ tou lo`gou du`o me`ry· aÊnagkaion ga´r to` te pragma eiÊpein peri´ à , kai´ tout Ê eÊpideixai. Dio´ eiÊpo`nta my´ aÊpodeixai y³ aÊpodeixai my´ proou eipo`nta aÊdu`naton· oÌ te ga´r aÊpodeiknu`wn ti aÊpodei`knusi, kai´ oÉ prole`gwn
eÌneka
tou
aÊpodeixai
prole`gei.
Tou`twn
de´
to´
me´n
pro`hesi`q
pierre chiron
36
eÊsti to´ de´ pi`stiq, w Ì sper a³n ei² tiq die`loi oÌti to´ me´n pro`blyma to´ de´ aÊpo`deixiq. Nun de´ diairousi geloi`wq·
13
Suit un eèreintement de la doctrine traditionnelle des parties du discours. Adoptant le point de vue rheètorique, reèduisant les parties du discours aé deux fonctions et l' exorde aé la fonction d' exposition, Aristote dissocie tout naturellement de l' exorde des fonctions qui peuvent trouver place ailleurs, comme la
diaboleé
º le deènigrement de l' adver-
saire ou la reèfutation des preèventions qui peésent sur l' orateur º auxquelles il donne un traitement seèpareè. C' est le contenu du chapitre 15 qui succeéde au chapitre 14 sur l' exorde. Je donne cette preècision parce que le fait que la
diaboleé
vienne juste apreés l' exorde laisse penser
qu' Aristote travaille avec en teête ou sous les yeux un traiteè º je ne dis pas que c' est la
Rheètorique aé Alexandre
mais c' est en tout cas un traiteè
assez proche de celle-ci º qui inclut la
diaboleé
dans l' exorde
14
. Il est
ameneè eègalement aé retirer du scheèma geèneèral du discours des parties qui n' ont aé ses yeux de justification que dans certains genres oratoires. é quoi sert º par exemple º une narration dans un discours d' assemA bleèe qui propose un plan d' action pour le futur ? C' est un point sur lequel il existe une contradiction flagrante entre la
Rheètorique aé Alexandre,
Rheètorique
et la
qui consacre un deèveloppement substantiel aé la
narration deèmeègorique
15
. En ce qui concerne l' exorde, on lit une
phrase assez eènigmatique :
Prooi`mion de´ kai´ aÊntiparaboly´ kai´ eÊpa`nodoq eÊn taiq dymygori`aiq to`te â ´ ´ ` ´ É Ê ` ` É gi`netai oÌtan aÊntilogi`a y ç , kai gar y katygoria kai y apologia pollaà sumbouly` 16. kiq· aÊll' ouÊj ð
13 Rhetorique, è
III, 13, 1414 a 30-36 : û Un discours a deux parties. Il est neècessaire en ef-
fet de dire de quoi il est question, et de fournir la deè monstration requise. Aussi bien estil inconcevable de ne pas deèmontrer ou de deèmontrer sans avoir preèsenteè le probleéme au preèalable, car une deèmonstration porte sur un objet, et une preèsentation est orienteèe vers une deèmonstration. De ces deux parties, l' une est l' exposition, l' autre la preuve. Cela re vient aé distinguer d' un coêteè le probleéme, de l' autre la deèmonstration. Mais on introduit de nos jours des partitions ridicules ý. Le texte utiliseè est celui de l' eèdition de R. Kassel parue aé Berlin en 1976. La traduction citeèe a paru en 2007 dans la collection GF-Flammarion.
14
Aristote n' est d' ailleurs pas tout aé fait fideéle aé cette nouvelle reèpartition de la
matieére, puisque º suivant en cela directement un manuel du type de la
aé Alexandre (1415 a 27 l. 29
sq.
Rheètorique
º il eèvoque aussi la question de la diaboly` aé propos de l' exorde, au chapitre 14
sq.).
Cela dit, il la deèconnecte, au moins partiellement, de l' exorde, par exemple
: le deènigrement de l' adversaire, quand on accuse, vient non pas dans l' exorde mais dans
l' eèpilogue, car ainsi les auditeurs s' en souviendront quand la deè fense s' exprimera.
15 Rhetorique a Alexandre, 30-31, 1438 a 3-b è é 16 Rhetorique, III, 13, 1414 b 1-4 : û Quant è
28. aé l' exorde, l' antiparabole et la reprise, ils
n' interviennent dans les discours d' assembleèe que s' il y a deèbat contradictoire, car si
37
l' heè ritage grec de quintilien
Je dois preèciser d' abord ce que c' est que l' antiparabole : c' est une reècapitulation offensive, proceèdant par comparaison des arguments des deux parties, comparaison partiale, eèvidemment, mettant en valeur la theése deèfendue au deètriment de celle de l' adversaire. On la trouve dans la confirmation ou dans l' eèpilogue
17
. Si l' on veut com-
prendre cette phrase, il faut accepter de reèunir l' exorde, l' antiparabole et la reècapitulation dans un ensemble de techniques de poleè mique contre l' adversaire. Il faut aussi eètablir une eèquation entre le deèbat contradictoire, et le couple accusation/deèfense. Si l' on admet cela, on comprend que ces parties que sont l' exorde, etc. n' ont leur place dans un discours d' assembleèe que dans la mesure oué celui-ci accueille un autre projet que le projet de conseiller les citoyens sur les deècisions aé prendre mais comporte aussi la contestation d' un projet adverse. Il s' ensuit que le mot exorde deèsigne ici non pas ce qu' Aristote luimeême entend habituellement par laé, mais une des dimensions essentielles de l' exorde tel que traiteè dans la
Rheètorique aé Alexandre
, c' est-aé-
dire un conditionnement psychologique favorable aé l' orateur et deèfavorable aé son adversaire. Cela plaide º une fois de plus º pour l' intimiteè
sinon
Alexandre
entre
les
deux
textes,
du
moins
entre
la
Rheètorique aé
et la tradition que combat Aristote. Cela revient aussi aé dire
que l' universaliteè de l' exorde est remise en cause. Avec beaucoup de bon sens, Aristote nous dit que º quand tout le monde sait de quoi il retourne, ce qui est le cas aé l' Assembleèe puisqu' il y a un ordre du jour º on peut se dispenser d' exorde. Si l' on fait un exorde quand meême, c' est pour deènigrer le projet adverse et vanter le sien propre, et aé ce moment-laé on n' est plus dans une fonction deèlibeèrative
sensu
stricto
, mais dans un deèbat qui se rapproche du judiciaire. En somme,
il n' est pas de theèorie universelle des parties du discours. On ne peut pas enseigner meècaniquement º meême si c' est commode º les meêmes subdivisions et les meêmes contenus quel que soit le projet de persuasion. Subdivisions et contenus sont relatifs aé ce que l' on veut deèmontrer. Quand Aristote affronte la question de l' exorde, au deèbut du chapitre 14, il apporte un autre changement radical de perspective en adoptant le langage de l' estheètique. Tout se passe comme si, apreés avoir soumis les parties du discours aé une analyse fonctionnelle centreèe sur le
contenu
du discours, il se concentrait maintenant sur le discours
l' on rencontre souvent l' accusation et la deèfense dans ces discours, ce n' est pas en tant que ce sont des discours de conseil ý.
17
Cf.
Rheètorique
, III, 13, 1414 b 10-11 ; III, 19, 1419 b 34.
pierre chiron
38
comme Ýuvre d' art, soumise au principe d' organiciteè, d' interdeèpendance des parties, que Platon deèfendait deèjaé dans le
Pheédre
18
. Le but de
ce second deèplacement para|êt eêtre le meême : eèviter l' exorde comme conditionnement psychologique de l' auditeur. C' est ainsi que, au deèbut du chapitre 14, la situation de communication qui devient le paradigme pour tous les genres est celle du genre eèpidictique.
To´ me´n ouân prooi`mio`n eÊstin aÊrjy´ lo`gou, oÌper eÊn poiy`sei pro`logoq kai´ eÊn auÊly`sei proau`lion· pa`nta ga´r aÊrjai´ taut Ê eiÊsi`, kai´ oiàon oÉdopoi`ysiq tw ç eÊpio`nti. To´ me´n ouân proau`lion oÌmoion tw ç tw n eÊpideiktikw n prooimi`w ç · kai´ ga´r oiÉ auÊlytai`, oÌ ti a³n euâ e²jwsin auÊlysai, touto proauly`santeq sunyvan tw ç eÊndosi`mw ç , kai´ eÊn toiq eÊpideiktikoiq lo`goiq dei ouÌtw gra`fein· oÌ ti ga´r a³n bou`lytai euÊhu´ eiÊpo`nta eÊndounai kai´ suna`vai. Ì Oper pa`nteq poiousin. Para`deigma to´ tyq Ê Isokra`touq É Ele`nyq prooi`mion· ouÊhe´n ga´r koino´n uÉpa`rjei toiq eÊristikoiq kai´ É Ele`nð. Ì Ama de´ kai´ 19 eÊa´n eÊktopi`sð, aÉrmo`ttei kai´ my´ oÌlon to´n lo`gon oÉmoeidy eiânai .
En d' autres termes, l' exorde devient un preèlude qui fixe la tonaliteè, et qui, un peu aé la manieére de la cadence de nos concertos, permet aé l' instrumentiste de prouver sa virtuositeè. Ce qui est frappant, c' est que, d' un point de vue musical, le preèlude peut aussi recevoir comme fonction d' introduire de la varieèteè et de la diversiteè. Nous avons laé une sorte de justification estheètique du hors-sujet. Car cette refondation º et c' est une ambigu|ëteè caracteèristique de l' ensemble de la
torique
Rheè-
, qui oscille entre un poêle û puritain ý et un recours critique aux
techniques les plus empiriques et les plus sophistiques º sert en meême temps de transition, ou de retour, vers la theèorie traditionnelle de l' exorde, qui n' est plus rejeteèe en bloc, mais dans laquelle Aristote effectue le tri entre ce qui lui para|êt aé retenir et ce qui lui para|êt aé rejeter. Tout se passe comme s' il disait, dans un premier temps : la rheètorique traditionnelle entre dans des divisions et des pinailleries compleé tement inutiles, revenons donc aé l' essentiel, aé savoir l' intelligence de la deèmonstration du fait et la qualiteè de la forme ; dans un second temps :
18 19
Pheédre Rheètorique Platon,
, 264 c-e.
, III, 14, 1414 b 19-29 : û L' exorde est le deèbut du discours, ce qui corres-
pond en poeèsie au prologue, et dans un morceau de fluê te au preèlude, car ce sont tous des deèbuts, qui ouvrent la voie, pour ainsi dire, aé celui qui s' y engage. Le preèlude est similaire aé l' exorde des discours eèpidictiques, car les joueurs de fluête interpreétent d' abord ce qu' ils savent bien jouer, puis y rattachent la tonaliteè principale du morceau. Dans les discours eèpidictiques aussi, il faut eècrire selon le meême principe : il faut donner d' embleèe la tonaliteè principale en disant ce qu' on a envie de dire, puis encha|ê ner. Tout le monde fait ainsi. Un exemple, l' exorde de l'
Heèleéne
d' Isocrate : il n' y a rien de commun entre
les eèristiques et Heèleéne. En meême temps, meême s' il s' eècarte de la topique, c' est encore une bonne chose pour l' harmonie du discours que de ne pas eê tre monotone ý.
39
l' heè ritage grec de quintilien
admettons que l' on vise l' efficaciteè en se deèbarrassant de tous les scrupules, eh bien la rheètorique traditionnelle axeèe sur le conditionnement de l' auditeur n' est pas si efficace, y compris sur son propre terrain, car on peut faire mieux avec les meême º mauvais º principes. Cette
concession
mezzo voce.
a
commenceè
dans
un
passage
du
chapitre 13,
Aristote y substituait au point de vue rheètorique un point
de vue critique : il y a deux parties indispensables, qui sont l' exposition et la preuve, mais que font les orateurs ? Il eèvoquait alors º aé titre de pratique la plus courante º un peu aé la manieére dont les
endoxa
ont
droit de citeè comme preèmisses dans sa theèorie de l' argumentation º la quadripartition traditionnelle :
ÊAnagkaia a²ra mo`ria pro`hesiq kai´ pi`stiq. ² Idia me´n ouân tauta, ta´ de´ pleista prooi`mion pro`hesiq pi`stiq eÊpi`logoq
20
.
Mais Aristote revenait vite aé sa critique des subdivisions non fonctionnelles, qu' il poussait jusqu' aé la caricature, reprenant une attaque contre Theèodore de Byzance deèjaé preèsente dans le
Pheédre
de Platon
21
,
et rencheèrissant sur elle en ridiculisant les poeètiques mais oiseuses divisions de Licymnios :
² Estai ouân, a²n tiq ta´ toiauta diairð, oÌper eÊpoi`oun oiÉ peri´ Heo`dwron, diy`gysiq eÌteron kai´ yÉ eÊpidiy`gysiq kai´ prodiy`gysiq kai´ e²legjoq kai´ eÊpexe`legjoq. Dei de´ eiâdo`q ti le`gonta kai´ diafora´n o²noma ti`heshai· eiÊ de´ my`, gi`netai keno´n kai´ lyrw deq, oiàon Liku`mnioq poiei eÊn tð te`jnð, 22 eÊpou`rwsin oÊnoma`zwn kai´ aÊpopla`nysin kai´ o²zouq .
Le chapitre 14 est marqueè plus nettement encore par cette oscillation entre le scrupule de principe et la constatation des pratiques :
To´ me´n ouân aÊnagkaio`taton e²rgon tou prooimi`ou kai´ i²dion touto, dylw à eÌneka oÉ lo`goq. Dio`per a³n dylon ðâ kai´ mikro´n to´ sai ti` eÊsti to´ te`loq ou
20 Rhetorique, è
III, 13, 1414 b 7-9 : û Les parties indispensables sont donc l' exposition et
la preuve. Ces parties constituent le propre du discours, meê me si majoritairement les discours comportent exorde, proposition, preuve, eè pilogue ý.
21
Platon, Pheédre, 266 e. 22 Rhetorique, III, 13, 1414 è
b 12-18 : û Si l' on fait ce genre de division, aé l' instar de
Theèodore et des siens, il y aura donc, distincte de la narration, une
narration,
distincte de la reèfutation, une
surreèfutation.
surnarration
et une
preè-
Mais on ne doit instituer de nom
que pour deèsigner une espeéce distincte, sous peine de tourner aé vide dans le deèlire verbal, aé la manieére de Licymnios dans son traiteè, quand il parle de
vagabonde
ou de
rejets ý.
prise de vent,
de
digression
Ces noms treés poeètiques deèsignent meètaphoriquement plusieurs
manieéres d' introduire des deèveloppements dans un discours : en profitant d' une occa sion (un û vent favorable ý), en se donnant toute liberteè de vagabonder, ou en deèveloppant des points particuliers, telles des branches adventices se deè veloppant sur un arbre (des û rejets ý).
pierre chiron
40
pragma, ouÊ jryste`on prooimi`w ntai, iÊatreu`ç . Ta´ de´ a²lla ei²dy oiàq jrw mata kai´ koina`
23
.
Le mot û remeéde ý, en grec iÊatreu`mata, fait eècho aux nombreux passages de la
Rheètorique
qui eèvoquent les concessions que l' on doit
faire aé la meèdiocriteè de l' auditeur, plus sensible aux affects et aux eèmotions
qu' aé
la
deèmonstration
de
la
veèriteè.
Quand
je
parle
de
concessions, je suis peut-eêtre au-dessous de la veèriteè. Par instants, Aristote rencheèrit sur la rheètorique la moins scrupuleuse. Je citerai ce passage ou é l' on retrouve la meême substance que dans la
Alexandre
Rheètorique aé
, mais entremeêleèe de preèceptes plus inacceptables encore :
Les proceèdeès visant l' auditeur font appel aé divers ressorts : le rendre bienveillant ou le mettre en coleére et º quelquefois º le rendre attentif ou l' inverse. Car il n' est pas toujours expeèdient de rendre l' auditeur attentif, c' est pourquoi beaucoup d' orateurs cherchent au contraire aé le faire rire. Quant aé le disposer aé comprendre, entre tous les moyens qui y ameéneront, si on le veut, il y a celui qui consiste aé donner de soi une bonne image : le public preê te plus attention aé ce genre d' orateur. Ce qui rend les auditeurs attentifs, ce sont les affaires d' importance, celles qui les concernent personnellement, les choses extraordinaires et celles qui leur procurent du plaisir. Aussi faut -il inspirer l' ideèe que le discours porte sur de telles matieéres
24
.
La û patte ý du philosophe se deètecte peut-eêtre dans la claire formulation de l' illusionnisme viseè : û il faut inspirer l' ideèe que ý et dans le rappel de la neècessaire adaptation de la strateègie au but principal du discours, ce qui fait qu' on n' applique aucun preècepte meècaniquement ; mais pour le reste, nous sommes confronteès ici aé la rheètorique la plus triviale.
Quintilien Que reste-t-il de ce deèbat greèco-grec chez Quintilien ? Je rappelle d' abord rapidement que Quintilien a eu acceés directement ou indirectement aé ces textes, qu' il en a lu beaucoup d' autres, qu' il a le souci de corriger ce qu' il consideére comme de mauvaises interpreètations des
23
Rheètorique
, III, 14, 1415 a 21-25 : û La fonction la plus neècessaire de l' exorde, celle
qui lui est propre, est donc de faire savoir aé quoi tend le discours. Aussi, quand la chose est eèvidente ou que l' affaire est mince, n' y a-t-il pas lieu de recourir aé l' exorde. Tous les autres proceèdeès dont on use ne sont que des remeédes et sont communs aé tous les genres ý.
24
Rheètorique
, III, 14, 1415 a 34-1415 b 3. Nous suivons le texte des manuscrits.
41
l' heè ritage grec de quintilien
textes grecs
25
, qu' il veille aé adapter les preèceptes aux institutions ro-
maines, par exemple en tenant compte du roêle officiel de l' avocat º alors que chez les Grecs les fonctions de syneègores ou de logographes n' eètaient que toleèreèes. Mais, au-delaé de ces points bien connus, je voudrais tenter de deèfinir la position de Quintilien sur les lignes de fracture qui seèparaient Aristote de la
Rheètorique aé Alexandre.
On pourrait dire d' abord que Quintilien est plus grec que Ciceèron, voire plus grec que les Grecs, en tout cas sur ce point. On sait que le terme
proÝmium
entre en latin, d' apreés les sources conserveèes, avec la
Rheètorique aé Herennius.
Ciceèron l' eèvite et quand il l' emploie c' est avec
un sens peèjoratif, pour deèsigner un preèlude factice, adventice, surajouteè
26
. Quintilien s' en sert au contraire sans reèticence et d' une manieére
particulieérement eèclaireèe. Ce qui se joue dans cette diffeèrence d' attitude, c' est la relation de chacun des deux auteurs avec Aristote. En effet, si l' on consulte l' histoire du seèmantisme de blie par M. Costantini et J. Lallot
27
prooi` mion
eèta-
, on apprend que ce mot, au sens
d' exorde, a acquis droit de citeè en rheètorique sans doute deés les origines, en tout cas treés to ê t dans le v part,
deés
peut-eêtre,
700
e
sieécle
l' hymne
28
, alors qu' il deèsigne au deè-
preèliminaire
aux
reècitations
homeèriques lors des concours de rhapsodes. Pourquoi la rheètorique
pro`logoq, qui formait un champ lexical clair et colo`goq et eÊpi` logoq ? L' explication reèside sans doute dans de pro`logoq dans le domaine du theèaêtre pour deèsigner le
s' est-elle priveèe de heèrent avec l' utilisation
deèbut du drame, laé aussi treés toêt, puisque la date estimeèe de cet emploi est
ca
480.
Aristote, dans le passage citeè tout aé l' heure, reprend ce sens (û le
oimion
est le deèbut du discours ý)
29
pro-
, et il eètablit une analogie entre ce
prooimion
rheètorique et le prologue poeètique, d' une part, le preèlude
musical,
d' autre
part.
Ces
deux
analogies
refleétent
meètaphoriques anciennement attesteès. L' emploi de
des
emplois
prooimion
pour deè-
signer l' ouverture d' un nome cithareèdique º c' est-aé-dire la meèlodie
25
Cf. par exemple
26
Voir Ch. Guittard, û Note sur
Paris, 1987 (Etudes
27
Inst.,
IV, 1, 23-24.
proÝmium
de Litteèrature ancienne
M. Costantini, J. Lallot, û Le
repreèsentations, p. 13-27. 28 Ca 460, date presumee è
è
en latin ý, dans
Le Texte et ses repreèsentations,
3), p. 29-33 (sur Ciceèron, voir p. 30-31).
prooi` mion
est-il un proeéme ? ý, dans
Le Texte et ses
du traiteè de Corax. M. Costantini et J. Lallot (p. 19 et p. 23,
n. 28) s' appuient sur un passage de Syrianus preêtant aé Corax non seulement une theèorie du
prooi` mion
mais l' emploi du mot lui-meême (Corax, fr. 24 Radermacher = Syrianus,
in Hermog., II, p. 127, 4 Rabe). Pour un examen critique de toutes les sources relatives aé Corax, voir Th. Cole, û Who was Corax ? ý.
29 Rhetorique, è
III, 14, 1414 b 19.
pierre chiron
42 instrumentale
creèeèe
par
Terpandre
sique º remonte au milieu du
vii
e
pour
mettre
l' eèpopeèe
sieécle. Et deés le milieu du
en
vi
e
mu-
sieécle,
prooimion deèsigne couramment le deèbut de n' importe quel poeéme. On a vu plus haut que pour Aristote l' analogie du prooimion avec un preèlude musical ou un prologue poeètique lui permettait d' introduire le criteére estheètique de varieèteè. En substance : Gorgias n' a pas eu è loge d' Heèleéne, car cela tort d' eèvoquer les sophistes dans l' exorde de l' E eèvite au discours la monotonie. Laé est sans doute la raison du preèjugeè de Ciceèron contre l' analogie entre l' exorde et l' ouverture poeètique ou musicale et son rejet du proÝmium
30
cithareèdique deèpourvu de lien
intime avec la suite. L' attitude de Quintilien est sur ce point plus subtile. Il reprend l' analogie aristoteèlicienne entre rheètorique et musique mais il la remotive, pour la deèpouiller du soupc°on de favoriser l' absence d' uniteè organique entre le deèbut et la suite du discours. Pour cela, il remonte jusqu' au sens originel de prooimion º oublieè d' Aristote et d' ailleurs tombeè en deèsueètude
31
º qui eètait, rappelons-le : hymne preèliminaire
aux reècitations homeèriques lors des concours de rhapsodes. C' est du moins ce que l' on peut deèduire du fait que chez lui, le prohÝmium des cithareédes est un cantus doteè d' un contenu verbal, puisque sa fonction est de û se concilier la faveur [sc. des juges] avant d' aborder l' eèpreuve reèglementaire ý : Nam siue propterea quod oi²my cantus est et citharoedi pauca illa quae antequam legitimum certamen inchoent, emerendi fauoris gratia ca nunt, prohoemium cognominauerunt, oratores quoque ea, quae prius quam causam exordiantur ad conciliandos sibi iudicum animos prae locuntur, eadem appellatione signarunt, sive, quod oiâmon idem Graeci uiam appellant [...]
32
.
Le reèsultat assez spectaculaire de cette enqueête de Quintilien est que, dans leur reèvision de la notice du Liddell-Scott, Costantini et Lallot donnent pour ce sens archa|ëque de prooi`mion, une succession d' occurrences qui comprend d' abord Pindare, puis Thucydide, puis Platon puis... Quintilien.
30 31
De orat., II, 315-325, notamment 325. D' apreés M. Costantini et J. Lallot, û Le prooi`mion ý, p. 20, ce sens eètait, en 370 deèjaé
(l' eèpoque des Lois de Platon), ressenti comme archa|ëque.
32
Inst., IV, 1, 2-3 : û En reèaliteè, le terme peut venir d' oi²my, le û chant ý, et du fait que
les cithareédes ont donneè le nom de prohoemium au court preèlude qu' ils font entendre, pour se concilier la faveur, avant d' aborder l' eè preuve reèglementaire, si bien que les orateurs ont, eux aussi, deèsigneè par la meême appellation ce qu' ils disent, avant d' aborder la cause, pour se concilier l' esprit des juges, mais il peut venir d' oiâmoq qui, chez les Grecs aussi, signifie û chemin ý [...] ý (trad. J. Cousin).
43
l' heè ritage grec de quintilien
Cette remotivation est particulieérement inteèressante. Outre qu' elle atteste chez Quintilien une bonne connaissance du lexique meè tapoeètique grec le plus ancien, elle est treés signifiante. Les prooimia des rhapsodes ont un caracteére non seulement musical, mais religieux, dans la mesure ou é ils comportent une dimension propitiatoire. Ils ont aussi un caracteére agonistique. Tout cela les rend particulieérement aptes aé rendre compte de l' exorde judiciaire. En somme, pour eè viter ou contourner les fonctions traditionnelles de l' exorde, Aristote justifiait l' existence de cette partie par sa fonction estheètique dans le genre eèpidictique, ce qui le rendait toleèrant aé l' eègard d' eèleèments adventices susceptibles
d' apporter
de
la
varieèteè.
Quintilien
enleéve
aé
cette
justification estheètique sa gratuiteè et substitue comme paradigme le judiciaire aé l' eèpidictique. On devine donc que la relation de Quintilien avec Aristote est une relation de deèpendance mais aussi de critique serreèe. Quintilien eècarte des principes aristoteèliciens ce qui constitue aé ses yeux une deèrive ou un risque de deèrive. Mais cette critique est aussi au service d' un projet geèneèral qui se deèfinit, aé mon avis, par le souci de syntheése entre les deux courants qui s' affrontaient au iv
e
sieécle. J' ai essayeè de montrer
tout aé l' heure que l' introduction d' un point de vue estheètique eètait pour Aristote un moyen de centrer le travail rheètorique sur le discours comme objet ou comme Ýuvre. La varieèteè introduite par l' exorde selon le modeéle musical n' est pas destineèe aé seèduire l' auditeur, elle importe û aé l' harmonie du discours
33
ý. Chez Quintilien, ce point de vue
estheètique est rattacheè au contraire aé la theèmatique du conditionnement de l' auditeur. On chante le prohoemium : emerendi fauoris gratia, û pour se concilier la faveur ý, ce qui rattache le preèlude musical aé l' une des fonctions les plus traditionnelles de l' exorde, s' attirer la bienveillance de l' auditeur. Je donnerai un second exemple qui montre tout aé la fois la deèpendance critique, le souci de syntheése et le souci d' adaptation aux conditions
particulieéres
de
la
rheètorique
latine.
On
se
souvient
que
le
Stagirite, dans un de ses moments de concession aé la rheètorique empirico-sophistique, deèclarait que, dans certains cas, l' attention de l' auditeur n' est pas forceèment souhaitable. Quintilien reèagit fortement : Aucune autoriteè, meême importante, ne me conduira aé croire que je ne veuille pas toujours rendre le juge attentif et docile
34
.
33 Rhetorique, III, 14, 1414 b 29, cf. supra. è 34 Nec me quamquam magni auctores in hoc duxerint, ut non semper facere attentum ac docilem iudicem uelim (Inst., IV, 1, 37 ; trad. J. Cousin).
pierre chiron
44
C' est une allusion transparente au passage d' Aristote citeè ci-dessus
35
. On aurait tort de croire que Quintilien se scandalise et qu' il en-
tend moraliser. Il s' adapte tout simplement au fait que le tribunal romain, dans bien des cas, est preèsideè non par un jury collectif mais par un juge unique. Le jury collectif atheènien rend un verdict impersonnel sous forme de vote sans deèlibeèration. Quand il est seul, le juge romain, s' il ne comprend pas la cause, compromet sa reèputation : Non que j' ignore la raison qu' on invoque, aé savoir qu' il n' est pas avantageux pour une mauvaise cause que le juge saisisse ce qu' elle est ; mais parce que chez un juge, on ne peut attribuer ce deè faut de compreèhension aé son inattention, mais aé l' erreur
36
.
Un autre exemple de syntheése est particulieérement caracteèristique. On se souvient qu' Aristote critiquait une rheètorique trop meècanique, associant de manieére trop rigide des contenus aux eètapes successives du discours. C' est l' ensemble de la doctrine des parties du discours qui se trouvait, provisoirement, reècuseèe. Quintilien vise une formule intermeèdiaire : [...] non que ces preècautions (rendre l' auditeur bienveillant, attentif ou docile) ne doivent pas eêtre observeèes tout au long du plaidoyer, mais elles s' imposent particulieérement dans les deèbuts
37
.
Cela dit, cette syntheése, dont je pourrais donner beaucoup d' autres é exemples, n' est pas un compromis informe. A l' instar d' Aristote, Quintilien sait tirer des principes nets et eènergiques de l' heèritage empirique qu' il recueille. On se souvient qu' Aristote reèduisait aé deux fonctions essentielles la partition du discours : preèsenter, deèmontrer. Dans le passage qui preèceéde juste la citation preèceèdente, Quintilien reèduit l' exorde aé une fonction unique : mettre l' auditeur en condition. L' introduction n' a pas d' autre but que de preè parer l' auditeur aé eêtre mieux disposeè aé notre eègard dans les autres parties. Les theèoriciens admettent, pour la plupart, qu' on atteint au mieux ce reè sultat par trois moyens, qui consistent aé rendre l' auditeur bienveillant, attentif et docile [...]
38
.
C' est le meême ton qu' Aristote. Quintilien semble dire, comme son illustre preèdeècesseur : revenons aé l' essentiel. Ce qui est aristoteèli-
35 Rhetorique, III, 14, 1415 a 36-37. è 36 Inst., IV, 1, 37 ; trad. J. Cousin. 37 Inst., 38 Inst.,
IV, 1, 5 ; trad. J. Cousin. IV, 1, 5 ; trad. J. Cousin.
45
l' heè ritage grec de quintilien
cien aussi est que l' exorde est traiteè dans son rapport aé la suite. Aristoteèlicienne aussi la distinction entre principe et usage. Mais sur le fond, Quintilien rejoint le theéme du conditionnement qu' on trouvait deèjaé dans la
Rheètorique aé Alexandre
et recourt non aé la pratique des orateurs
mais aé la doctrine des theèoriciens. Nous n' avons pas laé une syntheése tieéde mais un manifeste en faveur de l' appropriation eènergique, ma|êtriseèe, de tous les aspects de la Tradition. On peut se demander, pour finir, aé quoi tend ce souci de ma|êtrise. On
peut,
me
semble-t-il,
donner
deux
reèponses.
Je
crois
que
Quintilien a le souci de mieux exploiter cette tradition, de lui faire rendre tout son suc, en eèvitant le plus possible cet endormissement que favorisent des prescriptions trop contraignantes. C' est ainsi qu' il lui
arrive
d' affecter
aé
l' exorde
des
fonctions
traditionnellement
assigneèes aé l' eèpilogue, comme le patheètique (IV, 1, 14). Il recommande de faire en sorte, dans l' exorde, que l' auditeur ait l' impression qu' on veut aller vite et qu' on se concentre sur la cause (IV, 1, 34), preècautions traditionnellement associeèes aé la narration. Et ainsi de suite. En d' autres termes, sa fac°on de deèfendre la tradition est d' y reèinjecter vigilance et intelligence. Il est eègalement certain que cette tradition revisiteèe
et
revivifieèe
lui
para|êt
un
rempart
contre
une
certaine
deècadence. Par exemple, les orateurs grecs recommandaient de faire eètat de ses insuffisances, pour flatter le jury et eèchapper aé tout soupc°on de professionnalisme. Cette discreètion, Quintilien la recommande lui aussi, mais comme antidote aé la grossieére jactance de ses contemporains (IV, 1, 9).
Conclusion
Quintilien conna|êt si bien le vocabulaire critique grec qu' il est capable de donner de prooi`mion une eètymologie et une deèfinition plus preècises que celles d' Aristote. Il conna|êt aussi la poleèmique qui seèpare la
Rheètorique aé Alexandre
(ou un texte voisin) et Aristote, mais on
pourrait dire qu' il la deèpasse. Ce dernier adoptait une position ambigue«, il faut bien le dire, puisqu' il posait des principes excluant le conditionnement psychologique de l' auditeur et qu' il faisait ensuite des concessions aé la rheètorique la plus immorale. Quintilien admet de plein droit º comme un niveau parmi d' autres de la persuasion º ce conditionnement psychologique. Il recueille sans exclusive l' heèritage de la rheètorique empirico-sophistique grecque et le combine avec la tradition romaine, mais il fait aussi effort pour traiter cet heèritage
pierre chiron
46
avec la hauteur de vue dont Aristote donnait seulement, il faut bien le dire, un deèbut d'exemple. On deèplore souvent que la doxographie philosophique grecque ait eu pour vecteur un auteur aussi meèdiocre que Diogeéne Lae« rce. Aé coup suêr, la rheètorique n'est pas aussi aé plaindre. BIBLIOGRAPHIE Anonyme de Seèguier, , texte eètabli et traduit par M. Patillon, Paris, 2005. Apsineés, , texte eètabli et traduit par M. Patillon, Paris, 2001. Aristote, , Introduction, traduction, notes, bibliographie et index par P. Chiron, Paris, 2007. Pseudo-Aristote, , texte eètabli et traduit par P. Chiron, Paris, 2002. , edidit R. Kassel, Berlin, 1976. Calboli-Montefusco, L., , Bologne, 1988. Chiron, P., û La lettre deèdicatoire apocryphe mise en teête de la : un faux si impudent ? ý dans S. C. Mimouni (eèd.), , Turnhout, Belgium, 2002 ( 113), p. 51-76. ºº, chap. 8 û The ý in I. Worthington (eèd.), , Malden º Oxford - Carlton, 2007, p. 90-106. Cole, T., û Who was Corax ? ý, , 16, 1991, p. 65-84. Costantini, M., & Lallot, J., û Le est-il un proeéme ? ý, dans , Paris, 1987 ( 3), p. 13-27. Guittard, C., û Note sur ``proÝmium'' en latin ý, dans , Paris, 1987 ( 3), p. 29-33. Martin, J., , Munich, 1974. Patillon, M., û Aristote, Corax, Anaximeéne et les autres dans la ý, , 110 (1997), p. 104-125. Art du discours politique
Art rheètorique. Probleémes
Rheètorique
Rheètorique aé Alexandre
Aristotelis Ars rhetorica
Exordium, Narratio, Epilogus. Studi sulla teoria retorica
greca e romana delle parti del discorso
Rheètorique aé
Alexandre
Apocry
phiteè : histoire d' un concept transversal aux Religions du Livre, en hommage aé
è cole des Bibliotheéque de l' E
Pierre Geoltrain è tudes Hautes E
Rhetoric to Alexander
A Compa
nion to Greek Rhetoric
ICS
prooi`mion
Le Texte et ses repreèsentations
Etudes de Litteèrature ancienne
Le Texte et ses repreè
sentations
Etudes de Litteèrature ancienne
Antike Rhetorik. Technik und Methode
Rheètorique aé
Alexandre
è tudes Grecques Revue des E
L AT I N I TAT E S
Maria Silvana
Celentano
L' ORATORE IMPARA A SCRIVERE. PRINCIPI DI SCRITTURA PROFESSIONALE NELL' INSTITUTIO ORATORIA DI QUINTILIANO
Al pari
*
39
di altri antichi manuali di retorica, l' Institutio oratoria di Quinti-
liano consente di seguire utilmente il costante manifestarsi della specificitaé
pragmatica
della
retorica
con
i
suoi
continui
adattamenti
alle trasformazioni culturali avvenute di tempo in tempo. Il titolo dell' opera, La formazione dell' oratore, eé riduttivo rispetto al complesso della materia in essa contenuta : piué che al giovane aspirante oratore, Quintiliano sembra rivolgersi costantemente all' individuo che in ogni diversa etaé deve acquisire conoscenze ed esperienze utili alla costruzione e alla realizzazione del discorso. In questo senso, adattando al nostro retore una terminologia cara ai politici e burocrati che si occu pano attualmente dei diversi cicli di istruzione, quella da lui proposta eé una continuing education, che non pone limiti di etaé per l' apprendimento e che segue l' individuo, per la durata dell' intera vita. L' Institutio oratoria eé un manuale di educazione discorsiva, percorso al suo interno dalla costante preoccupazione di calibrare le regole tradizionali del discorso persuasivo ai nuovi possibili usi. In particolare la trattazione di alcuni argomenti, da altri omessa o collocata diversamente in ragione dello stretto legame con la prassi, rappresenta un elemento del tutto originale nella costruzione della struttura del trattato.
*
Il presente contributo, accanto alle riflessioni esposte nel corso del Convegno Quin-
tilien ancien et moderne, riporta in breve anche quanto ho avuto modo di illustrare nei Convegni
Les
noms
du
e
style º 1 Journeèe
d' eètude
(Paris
27 maggio
2004)
e
ISHR º
15th Biennial Congress (Los Angeles, 13-16 luglio 2005), relativamente al De oratore di Cicerone, sul medesimo tema dell' esercizio della scrittura quale strumento fondamen tale per affinare e far maturare l' eloquenza. Una precedente versione di questo testo eé apparsa in Papers on Rhetoric VII, ed. L. Calboli Montefusco, Roma, 2006, p. 31 -47.
47
maria silvana celentano
48
Si aggiunga poi che, accanto alle innovazioni o integrazioni all' interno di un sistema retorico ad uso scolastico da tempo consolidatosi, Quintiliano pone, spesso e in modo esplicito, il suo personale bagaglio di esperienza professionale ed umana. Si spiegano meglio cos|é le sue osservazioni legate all' attualitaé storica, o le decise prese di posizione su argomenti tecnici vivacemente dibattuti ancora ai suoi tempi, noncheè i ripensamenti su quei precetti tradizionali non piué utilizzabili appieno o comunque non rispondenti a nuove esigenze del contesto storico-culturale contemporaneo. E il decimo libro dell' Institutio oratoria rappresenta un perfetto esempio di questo equilibrato atteggiamento del nostro retore, di cui sono ben noti tanto il rigore di studioso di teoria e storia dell' arte oratoria, quanto la consapevolezza delle responsabilitaé assunte come docente di retorica. Il decimo libro, infatti, pur essendo strettamente legato ai libri precedenti e successivi e pur mostrando legami precisi con lo sviluppo complessivo dell' intera opera, presenta tuttavia aspetti strutturali e tematici tali da essere apparso a molti come una trattazione per cos|é dire a seè stante. Il carattere digressivo di tale libro si eé voluto scorgere fin dal primo ampio capitolo che consta di 131 paragrafi : esso eé stato infatti comunemente considerato alla stregua di una breve, ma dettagliata sintesi di storia o critica letteraria (in particolare i paragrafi 46131), nella quale Quintiliano, seguendo canoni altrui o avanzandone uno suo personale, avrebbe passato in rassegna i piué rappresentativi autori affermatisi nei diversi generi letterari in Grecia e a Roma, esprimendo argomentati giudizi sui singoli autori, comparando di volta in volta la produzione letteraria greca con l' analoga produzione latina, 1
mettendone in luce analogie, differenze e tratti di peculiaritaé . Ma le cose non stanno cos|é. Infatti, chi abbia presente il piano compositivo del decimo libro sa bene che il primo capitolo eé organicamente collegato con i restanti sei e insieme con essi coopera a costituire un quadro
completo
di
riflessioni
sistematiche
riguardo
all' exercitatio,
al
tirocinio ottimale, cioeé, per il giovane aspirante oratore, ad integrazione dei precetti sulle prime tre parti della retorica giaé impartiti in precedenza :
1
Per un profilo complessivo del libro e per le prospettive critiche da cui eé stato esa-
minato nei suoi diversi aspetti si vedano in particolare : Quintilien, Institution oratoire. Tome VI : Livres X et XI, ed. J. Cousin, Paris, 1979, p. 3 sq. ; A. M. Milazzo, û Quintiliano, Institutio oratoria, libro decimo ; traduzione, sommario e note ý, in Quintiliano, Institutio oratoria, ed. A. Pennacini, Torino, 2001, vol. II, p. 902 sq. ; cf. anche Quintilian, The Orator' s Education. Vol. IV : Books 9-10, ed. D. A. Russell, Cambridge - London, 2001, p. 246 sq.
l' oratore impara a scrivere
49
Verum nos non quomodo sit instituendus orator hoc loco dicimus (nam id quidem aut satis aut certe uti potuimus dictum est), sed ath leta qui omnis iam perdidicerit a praeceptore numeros quo genere exercitationis ad certamina praeparandus sit. Igitur eum qui res inve nire et disponere sciet, verba quoque et eligendi et conlocandi ratio nem perceperit, instruamus Àqua in orationeÀ quod didicerit facere 2
quam optime quam facillime possit .
Insomma, a questo punto dell' Institutio oratoria Quintiliano sembra sentire la necessitaé di soffermarsi su alcuni aspetti tecnico-pratici della formazione curriculare dell' oratore, ricollegandosi naturalmente a illustri precedenti in merito, primo tra tutti Cicerone (cf. De orat. 1, 149-160), ma adattando le sue riflessioni al mutato quadro storicoculturale contemporaneo e prendendo di volta in volta posizione su singole questioni teorico-normative, noncheè esprimendo il dissenso rispetto ad alcune pratiche retoriche o ad orientamenti di gusto molto in voga ai suoi tempi, ma da lui non condivisi. Di qui la conseguente cospicua estensione delle riflessioni quintilianee fino alle dimensioni di un libro, che tuttavia non risulta decontestualizzato rispetto all' opera nella sua globalitaé. Infatti la giaé ampia tradizione manualistica retorica relativa all' exercitatio ne risulta arricchita nei contenuti e attualizzata 3
sul piano didattico e pedagogico . Peraltro, che il decimo costituisca il naturale ampliamento dei libri ottavo e nono, immediatamente pre cedenti e dedicati alla elocutio, si evince fin dalle prime parole del libro stesso : Sed haec eloquendi praecepta, sicut cogitationi sunt necessaria, ita non satis ad vim dicendi valent nisi illis firma quaedam facilitas, quae apud 4
Graecos hexis nominatur, accesserit .
2 3
Inst., X, 1, 4. Sul tema dell' exercitatio presente in piué luoghi dell' Institutio oratoria (dall' illustra-
zione dei semplici progymnasmata del livello iniziale del percorso formativo alle raffinate applicazioni dei precetti acquisiti a curriculum oratorio giaé concluso), nel quadro piué generale della pedagogia quintilianea in riferimento agli elementi fondanti dell' educazione retorica (natura, ars, exercitatio), rinvio al limpido ed esaustivo contributo di L. Calboli Montefusco, û Quintilian and the Function of the Oratorical exercitatio ý, Latomus, 55 (1996), p. 615-625.
4
Inst., X, 1, 1. Su hexis, termine di derivazione filosofica qui adattato al contesto re -
torico, si vedano H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Mu « nchen, 1990, p. 28 e 528 ; Quintilien, Institution oratoire, ed. J. Cousin, p. 3 e 292, noncheè Quintilian, The Orator' s Education, ed. D. A. Russell, p. 252, n. 1, che, sull' utilitaé dell' hexis in rapporto a lettura e scrittura, rinvia anche a Eccli., prol. 5. Sul ruolo chiave della firma facilitas / hexis nell' Institutio oratoria e piué in generale sulla sua importanza nell' intero processo educativo descritto da Quintiliano rimando a J. J. Murphy, û The Key Role of Habit in Roman Rhetoric and Education, as Described by Quintilian ý, in Quintiliano : historia y actualidad
maria silvana celentano
50
E' evidente che Quintiliano intende dimostrare che per raggiun gere la
vis dicendi,
cioeé per mettere in luce una matura capacitaé nel dis-
corso oratorio, non basta apprendere al meglio le regole elocutive ; si
firma facilitas dicendi,
deve acquisire anche una certa
sicurezza nella comunicazione verbale. Tale
cioeé una disinvolta
firma facilitas
presuppone il
possesso di un patrimonio di argomenti appropriati alle diverse tipologie del discorso e di parole adatte ad esprimerli (copia
rum).
rerum et verbo-
Ma, se gli argomenti pertengono a singole cause o sono comuni
a poche, le parole si devono approntare per ogni situazione ; e poicheè le parole non sono tutte uguali, esse devono essere sempre a portata di mano per poter scegliere facilmente quelle piué adatte : Res propriae sunt cuiusque causae aut paucis communes, verba in uni versas paranda [...]. Sed cum sint aliis alia aut magis propria aut magis ornata aut plus efficientia aut melius sonantia, debent esse non solum nota omnia sed in promptu atque [id] ut ita dicam in conspectu, ut, cum se iudicio dicentis ostenderint, facilis ex his optimorum sit elec tio
.
5
Dunque l' obiettivo del libro eé quello di conferire all' oratore in formazione la
firma facilitas dicendi,
fondata sulla
copia dicendi,
con l' aiuto
di specifici, mirati esercizi, complementari tra loro e tutti di uguale 6
importanza . Infatti se alcuni si sono posti il problema di individuare se faciliti di piu é l' acquisizione della
firma facilitas dicendi
l' esercizio della
lettura o della scrittura o della declamazione, Quintiliano eé di parere diverso : Ad quam [scil. firmam facilitatem dicendi] scribendo plus an legendo an dicendo conferatur, solere quaeri scio. Quod esset diligentius nobis examinandum
[citra]
si
qualibet
earum
rerum
possemus
una
esse
contenti ; verum ita sunt inter se conexa et indiscreta omnia ut, si quid ex his defuerit, frustra sit in ceteris laboratum. Nam neque solida atque robusta fuerit umquam eloquentia nisi multo stilo vires accepe -
de la retoèrica : actas del Congreso Internacional `Quintiliano : historia y actualidad de la retoèrica : XIX Centenario de la Institutio oratoria' (Madrid-Calahorra 1995), ed. T. Albaladejo, E. Del R|èo, J. A. Caballero, Logronìo-Calahorra, 1998, p. 141-150. Si veda anche D. Pujante,
El
hijo de la persuasion : Quintiliano y el estatuto retoèrico, Logronìo-Calahorra, 1999, le cui osservazioni sulla hexis sono inserite nell' ambito di una mirata analisi dei contenuti e della struttura del decimo libro dell' Institutio
5 Inst., X, 1, 6. 6 Sugli aspetti sia
oratoria.
tradizionali sia innovativi dei precetti quintilianei sulla scrittura, alla
luce delle trasformazioni del sistema scolastico -formativo a Roma a partire dal sec.
i
a. C., rinvio a J. J. Murphy, û Roman Writing Instruction as Described by Quintilian ý, in
A Short History of Writing Instruction from Ancient Greece to Twentieth-Century America,
ed. J. J. Murphy, Davis, 1990, p. 19-76.
51
l' oratore impara a scrivere
rit, et citra lectionis exemplum labor ille carens rectore fluitabit, et qui sciet quae quoque sint modo dicenda, nisi tamen in procinctu pa ratamque ad omnis casus habuerit eloquentiam, velut clausis thesauris incubabit
7
.
Nel decimo libro pertanto sono illustrati tutti i diversi esercizi mirati al conseguimento della nanza della
copia verborum
firma facilitas dicendi,
fondata sulla padro-
che proviene dall' ascolto, dalla lettura e
dall' imitazione/emulazione dei migliori modelli di eloquenza e che eé corroborata dalla pratica costante della scrittura e della accurata revi sione di quanto si eé scritto. In stretta relazione con la scrittura sono anche gli indispensabili esercizi sulle differenti tipologie di contenuti dei discorsi (esercizi di parafrasi, traduzione, rielaborazione etc.) ; cos|é come quelli di meditata concentrazione prima di pronunciare un discorso, noncheè quelli di declamazione estemporanea. A tale proposito appaiono significativi i titoli premessi alle diverse sezioni del libro in etaé posteriore a Quintiliano e conservati nella tradizione manoscritta :
De copia verborum ; De imitatione ; Quo modo scri-
bendum sit ; De emendatione ; Quae scribenda sint praecipue ; De cogitatione ; Quem ad modum extemporalis facilitas paretur et contineatur
8
.
Se l' esercizio della lettura di autori ed opere esemplari al fine del conseguimento della
copia verborum
cos|é come quello della
imitatio
dei
medesimi modelli esemplari sono sussidi esterni alla persona dell' oratore, la scrittura deve essere elaborata da lui direttamente, certo con notevole fatica, ma anche con enorme giovamento : Et haec quidem auxilia extrinsecus adhibentur : in iis autem quae no bis ipsis paranda sunt, ut laboris, sic utilitatis etiam longe plurimum 9
adfert stilus .
Appena formulata questa affermazione, Quintiliano, secondo una prassi consolidata e a conforto della bontaé di quanto asserito, rinvia a Cicerone, il suo modello oratorio per eccellenza : Nec inmerito M. Tullius hunc [scil. stilum] `optimum effectorem ac magistrum dicendi' vocat, cui sententiae personam L. Crassi in dispu tationibus quae sunt de Oratore adsignando iudicium suum cum illius auctoritate coniunxit
7 Inst., X, 1, 2. 8 Cf. A. M. Milazzo, 9 Inst., X, 3, 1. 10 Inst., X, 3, 1.
10
.
û Quintiliano,
Institutio oratoria
ý, p. 902.
maria silvana celentano
52
Mi pare opportuno a questo punto focalizzare l' attenzione su due cose ben precise : anzitutto sul termine tecnico,
oratoria
e nel
De oratore
stilus,
che nell' Institutio
designa la scrittura, e poi sull' esplicita citazione
da parte di Quintiliano del trattato ciceroniano quale fonte e modello per la trattazione dell' esercizio della scrittura. Ma di questo parleremo piué oltre. Cominciamo, invece, ad esaminare piué da vicino il capitolo 3 del decimo libro dell' Institutio
oratoria.
Dopo la considerazione su quanto sia preziosa la pratica della scrittura per acquisire uno stile proprio e originale, Quintiliano ammonisce : Scribendum ergo quam diligentissime et quam plurimum [...]. Nam sine hac quidem constantia ipsa illa ex tempore dicendi facultas ina nem modo loquacitatem dabit et verba in labris nascentia
11
.
Consiglia poi accuratezza ed equilibrio. Soprattutto all' inizio la redazione di testi scritti potraé forse richiedere tempi lunghi, ma si dovraé sempre cercare di scrivere al meglio delle proprie possibilitaé ; successivamente ci si preoccuperaé della disposizione opportuna e non certo casuale delle parole e del ritmo da attribuire alle frasi. Per essere dav vero accurati si dovraé leggere a piu é riprese quanto si scrive, sia per essere sicuri di redigere un testo coerente sia per recuperare, attraverso le pause della lettura, la freschezza di ispirazione del pensiero e trasferirla in una nuova scrittura : Sit primo vel tardus dum diligens stilus, quaeramus optima nec proti nus offerentibus se gaudeamus, adhibeatur iudicium inventis, disposi tio
probatis
[...].
Post
subeat
ratio
conlocandi
versenturque
omni
modo numeri, non ut quodque se proferet verbum occupet locum. Quae quidem ut diligentius exequamur, repetenda saepius erunt scrip torum proxima. Nam praeter id quod sic melius iunguntur prioribus sequentia, calor quoque ille cogitationis, qui scribendi mora refrixit, recipit ex integro vires, et velut repetito spatio sumit impetum
12
.
A volte, tuttavia, se lo slancio saraé consistente potremo anche assecondare la foga nella scrittura, purcheè non ci lasciamo ingannare dal fatto che tutti i pensieri che si affacciano alla nostra mente ci sembrano belli. In ogni caso eé sempre opportuno rileggere attentamente e piué volte le pagine scritte troppo facilmente : Interim tamen, si feret flatus, danda sunt vela, dum nos indulgentia illa non fallat ; omnia enim nostra dum nascuntur placent : alioqui nec
11 Inst., X, 3, 2. 12 Inst., X, 3, 5-6.
53
l' oratore impara a scrivere
scriberentur. Sed redeamus ad iudicium et retractemus suspectam faci litatem
13
.
Esiste comunque una differenza tra la scrittura creativa di un poeta, per il quale forse assecondare piué spesso l' impeto dell' ispirazione eé consentito, e quella professionale di un oratore. L' oratore eé bene che controlli gli impulsi, diffidi appunto della facilitaé della propria scrittura e ad essa applichi la rapiditaé solo dopo l' accuratezza : Oratoris quidem alia condicio est : itaque hanc moram et sollicitudi nem initiis impero. Nam primum hoc constituendum, hoc optinen dum est, ut quam optime scribamus : celeritatem dabit consuetudo. Paulatim res facilius se ostendent, verba respondebunt, compositio se quetur, cuncta denique ut in familia bene instituta in officio erunt. Summa haec est rei : cito scribendo non fit ut bene scribatur, bene scribendo fit ut cito. Sed tum maxime cum facultas illa contigerit re sistamus, ut provideamus et ferentis equos frenis quibusdam coercea mus, quod non tam moram faciet quam novos impetus dabit
Dopo aver esortato alla pratica delle liano mette in guardia dai
vitia.
virtutes
.
14
della scrittura, Quinti-
Anzitutto, avendo appreso a scrivere
con cura, non bisogna esigere troppo da seè stessi, essere incontentabili. La meticolositaé eccessiva eé sintomo di insicurezza, di non conoscenza delle proprie forze e danneggia il talento naturale, come dimostra il caso di giovani che si sono esauriti nella ricerca di una perfezione espressiva, senza riuscire a fare piué nulla. Esemplare l' aneddoto che Quintiliano
narra
a
proposito
del
famoso
Giulio
Secondo,
suo
contemporaneo, al quale, eternamente scontento dei propri scritti e sempre piué preoccupato, lo zio Giulio Floro, retore famosissimo in Gallia, espresse il dubbio che egli volesse parlare meglio di quanto in realtaé non sapesse fare : Neque enim rursus eos qui robur aliquod in stilo fecerint ad infelicem calumniandi se poenam alligandos puto. Nam quo modo sufficere of ficiis civilibus possit qui singulis actionum partibus insenescat ? Sunt autem quibus nihil sit satis : omnia mutare, omnia aliter dicere quam occurrit velint, increduli quidam et de ingenio suo pessime meriti, qui diligentiam putant facere sibi scribendi difficultatem. Nec promptum est dicere utros peccare validius putem, quibus omnia sua placent an quibus nihil. Accidit enim etiam ingeniosis adulescentibus frequenter ut labore consumantur et in silentium usque descendant nimia bene dicendi cupiditate. Qua de re memini narrasse mihi Iulium Secundum
13 Inst., X, 3, 7. 14 Inst., X, 3, 8-10.
maria silvana celentano
54 illum
15
, aequalem meum atque a me, ut notum est, familiariter ama -
tum, mirae facundiae virum, infinitae tamen curae, quid esset sibi a patruo suo dictum. Is fuit Iulius Florus
16
, in eloquentia Galliarum,
quoniam ibi demum exercuit eam, princeps, alioqui inter paucos dis ertus et dignus illa propinquitate. Is cum Secundum, scholae adhuc operatum, tristem forte vidisset, interrogavit quae causa frontis tam adductae. Nec dissimulavit adulescens tertium iam diem esse quod omni labore materiae ad scribendum destinatae non inveniret exor dium : quo sibi non praesens tantum dolor sed etiam desperatio in posterum fieret. Tum Florus adridens `numquid tu' inquit `melius di cere vis quam potes
17
?'
Peraltro, oltre al continuo esercizio, anche l' essere metodici aiuta la facilitaé e la velocitaé nello scrivere. Invece di aspettare che le idee calino dall' alto, si deve valutare la causa concreta di cui ci si deve occupare : la natura della causa suggeriraé l' inizio del discorso e il resto : Ut possimus autem scribere etiam plura et celerius, non exercitatio
54
modo praestabit, in qua sine dubio multum est, sed etiam ratio : si non resupini spectantesque tectum et cogitationem murmure agitantes expectaverimus quid obveniat,
sed
quid res poscat, quid personam
deceat, quod sit tempus, qui iudicis animus intuiti humano quodam modo ad scribendum accesserimus. Sic nobis et initia et quae secuntur natura ipsa praescribit
18
.
Si deve poi evitare l' eccesso di zelo nel ritenere che le cose piué valide da dire non siamo riusciti a trovarle e nel continuare a cercarle inutilmente : Non ergo semper putemus optimum esse quod latet : inmutescamus alioqui, si nihil dicendum videatur nisi quod non invenimus
19
.
Altrettanto riprovevole eé il difetto opposto del liquidare in fretta tutto l' argomento sull' onda dell' improvvisazione momentanea, riuscendo a mettere insieme materiale appena sbozzato :
15
Quintiliano ha giaé ricordato l' amico oratore in Inst., X, 1, 120 ; ma cf. anche
XII, 10, 11. Tacito, allievo di Giulio Secondo, lo inser|é tra gli interlocutori nel Dialogus de oratoribus.
16
Sull' identitaé
esatta del
Giulio
Floro qui menzionato, zio
e
maestro di Giulio
Secondo, non vi eé parere unanime tra gli studiosi, anche se i piué vi riconoscono il dedicatario di Hor., Epist., 1, 3 : rinvio alle note di commento al passo di A. M. Milazzo, û Quintiliano, Institutio oratoria ý, p. 942 e di J. Cousin (ed.), Quintilien, Institution oratoire, p. 333. D. A. Russell (Quintilian, The Orator' s Education, p. 342) ritiene non identificabile il personaggio.
17 18 19
Inst., X, 3, 10-14. Inst., X, 3, 15. Inst., X, 3, 16.
55
l' oratore impara a scrivere
Diversum est huic eorum vitium qui primo decurrere per materiam stilo quam velocissimo volunt, et sequentes calorem atque impetum ex tempore scribunt : hanc silvam vocant
20
.
Insomma, si deve lavorare accuratamente fin dall' inizio, per ap porre solo migliorie a quanto giaé redatto, piuttosto che dover riscrivere tutto daccapo. Talora, tuttavia, puoé essere piué efficace lasciare fluire la foga, l' impeto del sentimento : Protinus ergo adhibere curam rectius erit, atque ab initio sic opus du cere ut caelandum, non ex integro fabricandum sit. Aliquando tamen adfectus sequemur, in quibus fere plus calor quam diligentia valet
21
.
A questo punto Quintiliano esprime anche la sua opinione in me rito alle modalitaé tecniche della scrittura. Egli eé del tutto contrario alla dettatura del proprio discorso ad uno scrivano, percheè usare personalmente lo stilo aiuta a seguire meglio lo sviluppo dei propri pen sieri (infatti la mano nello scrivere, per quanto possa essere veloce, lo eé sempre meno del pensiero), mentre la presenza di uno scrivano abile e veloce ci mette in imbarazzo se siamo esitanti o ci fermiamo mentre dettiamo. Al contrario uno scrivano lento nello scrivere o nel rileggere ci crea disturbo nella concentrazione e nello sviluppo del nostro pensiero. Senza parlare poi di quanto si diventa ridicoli se non si eé soli, ma si dettano allo scrivano frasi cariche di sentimenti ed emozioni : Satis apparet ex eo quod hanc scribentium neglegentiam damno, quid de illis dictandi deliciis sentiam. Nam in stilo quidem quamlibet pro perato dat aliquam cogitationi moram non consequens celeritatem eius manus : ille cui dictamus urget, atque interim pudet etiam dubi tare aut resistere aut mutare quasi conscium infirmitatis nostrae timen tis. Quo fit ut non rudia tantum et fortuita, sed inpropria interim, dum sola est conectendi sermonis cupiditas, effluant, quae nec scriben tium curam nec dicentium impetum consequantur. At idem ille qui excipit, si tardior in scribendo aut incertior in legendo velut offensator fuerit, inhibetur cursus, atque omnis quae erat concepta mentis inten tio mora et interdum iracundia excutitur. Tum illa quae altiorem
20 Inst.,
X, 3, 17.
Silva
eé un termine impiegato in contesti retorici, in riferimento ad
un complesso di idee, di argomenti, o di conoscenze (û materia ý), a partire da Cicerone (e.g.
uÌly
Inv.,
1, 34 ;
De orat.,
(e.g. Aristot.,
E.N.,
2, 65 ; 3, 103 ;
Orat.,
139). Si veda in analogia l' uso del greco
1094 b 12 ; Dion. Hal.,
Demosth.,
51, 7 ; Anon.,
Subl.,
13, 4). Di
certo in etaé quintilianea aveva assunto valenza tecnica anche in ambito letterario, impli cando in seè la nozione di molteplicitaé e varietaé di temi non necessariamente ordinata (si pensi alla coeva opera di Stazio,
21 Inst.,
X, 3, 18.
Silvae).
maria silvana celentano
56
animi motum secuntur quaeque ipsa animum quodam modo conci tant, quorum est iactare manum, torquere vultum, Àsimul etÀ interim obiurgare [...] etiam ridicula sunt, nisi cum soli sumus
22
.
E a proposito della solitudine, Quintiliano si sofferma ampiamente (Inst., X, 3, 22-30) sui vantaggi che questa puoé offrire alla scrittura : Denique, ut semel quod est potentissimum dicam, secretum, quod dictando perit, atque liberum arbitris locum et quam altissimum silen tium scribentibus maxime convenire nemo dubitaverit
23
.
Non necessariamente ci si dovraé inoltrare tra boschi e luoghi variamente ameni ; anzi gli spazi aperti, il mormorio delle acque, il canto degli uccelli e in generale tutte le piacevolezze della natura rallentano l' attenzione piuttosto che concentrarla : Quare silvarum amoenitas et praeterlabentia flumina et inspirantes ra mis arborum aurae volucrumque cantus et ipsa late circumspiciendi li bertas ad se trahunt, ut mihi remittere potius voluptas ista videatur cogitationem quam intendere
24
.
L' ideale per studiare eé una stanza chiusa, il silenzio notturno, la luce di un' unica lampada, sempre che si sia in buona salute e ci si mantenga tali : Ideoque lucubrantes silentium noctis et clusum cubiculum et lumen unum velut ÀrectosÀ maxime teneat. Sed cum in omni studiorum ge nere,
tum
in
hoc praecipue bona
valetudo quaeque
eam
maxime
praestat frugalitas necessaria est, cum tempora ab ipsa rerum natura ad quietem refectionemque nobis data in acerrimum laborem converti mus
25
.
Il lavoro notturno, se si eé freschi e riposati, eé la condizione migliore di raccoglimento. Il difetto da evitare in questa pratica dello studio nella
solitudine
notturna
eé
quello
della
stanchezza
per
carenza
di
sonno o percheè si riserva alla notte lo studio, mentre il resto del giorno eé stato comunque impegnato in altro : Obstat enim diligentiae scribendi etiam fatigatio, et abunde si vacet lucis spatia sufficiunt : occupatos in noctem necessitas agit. Est tamen lucubratio, quotiens ad eam integri ac refecti venimus, optimum se creti genus
22 Inst., 23 Inst., 24 Inst., 25 Inst., 26 Inst.,
26
.
X, 3, 18-21. X, 3, 22. X, 3, 24. X, 3, 25-26. X, 3, 27.
57
l' oratore impara a scrivere
Neè Quintiliano dimentica di concludere il capitolo con avvertenze minime ad esempio sui materiali scrittori e sul formato degli stessi (Inst., X, 3, 31-33). Secondo lui l' ideale eé scrivere su tavolette cerate che permettono facili cancellature ; tuttavia se la vista eé debole, saraé meglio usare fogli di pergamena, che peroé hanno il difetto di richiedere di intingere frequentemente il calamo nell' inchiostro per scrivere e questa azione ritarda la mano e rallenta lo slancio del pensiero : Illa quoque minora (sed nihil in studiis parvum est) non sunt trans eunda : scribi optime ceris, in quibus facillima est ratio delendi, nisi forte visus infirmior membranarum potius usum exiget, quae ut iu vant aciem, ita crebra relatione, quoad intinguntur calami, morantur manum et cogitationis impetum frangunt
27
.
Qualunque sia il materiale scelto per scrivere, si deve avere l' accor tezza di lasciare uno spazio vuoto di fronte allo scritto per apporvi correzioni o aggiunte. La mancanza di tale spazio potrebbe indurre alla pigrizia nel correggere o creare confusione nelle diverse redazioni di scrittura : Relinquendae autem in utrolibet genere contra erunt vacuae tabellae, in quibus libera adiciendi sit excursio. Nam interim pigritiam emen dandi
angustiae
confundant
28
faciunt,
aut
certe
novorum
interpositione
priora
.
Altro spazio va lasciato per apporvi qualche frase che esula dal discorso, ma che eé venuta in mente per una qualche associazione di idee. Infatti, se non trascritte, quelle frasi potrebbero poi non essere piué ricordate e mai piu é utilizzate in altre occasioni : Debet vacare etiam locus in quo notentur quae scribentibus solent extra ordinem, id est ex aliis quam qui sunt in manibus loci, occur rere. Inrumpunt enim optimi nonnumquam sensus, quos neque inse rere oportet neque differre tutum est, quia interim elabuntur, interim memoriae sui intentos ab alia inventione declinant : ideoque optime sunt in deposito
29
.
Quanto alla misura delle tavolette, Quintiliano consiglia di non usarne di grandi dimensioni, con troppe linee di scrittura disponibili, percheè potrebbero indurre a comporre discorsi piué
lunghi del ri-
chiesto, il che sarebbe un grave difetto, come accadde ad un giovane
27 Inst., 28 Inst., 29 Inst.,
X, 3, 31. X, 3, 32. X, 3, 33.
maria silvana celentano
58
valente e studioso che solo riducendo lo spazio scrittorio riusc|é finalmente a rispettare i tempi e le dimensioni giuste per i suoi discorsi : Ne latas quidem ultra modum esse ceras velim, expertus iuvenem stu diosum alioqui praelongos habuisse sermones quia illos numero ver suum metiebatur, idque vitium, quod frequenti admonitione corrigi non potuerat, mutatis codicibus esse sublatum
30
.
Quintiliano dedica poi il quarto capitolo alla emendatio, che consiste nel limare il lavoro giaé scritto aggiungendo, togliendo o cambiando qualcosa. Si tratta di una pratica vantaggiosissima per l' oratore e forse la parte degli studi piu é utile : Sequitur emendatio, pars studiorum longe utilissima : neque enim sine causa creditum est stilum non minus agere cum delet. Huius au tem operis est adicere detrahere mutare
31
.
Se risulta piu é facile togliere o aggiungere qualcosa, di certo per vari motivi risulta piué difficile apportare i cambiamenti, di qualunque tipo siano : Sed facilius in iis simpliciusque iudicium quae replenda vel deicienda sunt : premere vero tumentia, humilia extollere, luxuriantia adstrin gere, inordinata digerere, soluta componere, exultantia coercere dupli cis operae : nam et damnanda sunt quae placuerant et invenienda quae fugerant
32
.
In generale il metodo ideale per correggere consiste nel lasciare da parte uno scritto per un po' di tempo e dopo un certo intervallo tornare a esaminarlo come se fosse un testo del tutto nuovo : Nec dubium est optimum esse emendandi genus si scripta in aliquod tempus reponantur, ut ad ea post intervallum velut nova atque aliena redeamus
33
.
Ma l' atto della correzione deve avere dei limiti per non sfociare nel grave difetto dell' eccesso di correzione che invece di abbellire sfigura lo scritto :
30
Inst., X, 3, 32.
31
Inst., X, 4, 1.
32
Inst., X, 4, 1.
33
Inst., X, 4, 2. Il precetto eé modellato su Hor., Ars, 388, precetto e luogo poetico
del resto richiamati esplicitamente da Quintiliano fin dalla lettera prefatoria a Trifone, ½ 2 : usus deinde Horati consilio, qui in arte poetica suadet ne praecipitetur editio `nonumque prema tur in annum' , dabam his otium, ut refrigerato inventionis amore diligentius repetitos tamquam lector perpenderem.
59
l' oratore impara a scrivere
Sunt enim qui ad omnia scripta tamquam vitiosa redeant, et, quasi ni hil fas sit rectum esse quod primum est, melius existiment quidquid est aliud, idque faciant quotiens librum in manus resumpserunt, simi les medicis etiam integra secantibus
34
. Accidit itaque ut cicatricosa sint
et exsanguia et cura peiora. Sit ergo aliquando quod placeat aut certe quod sufficiat, ut opus poliat lima, non exterat
35
.
Altro avvertimento ad evitare errori riguarda il limite di tempo massimo per una revisione e correzione di uno scritto. Anche in questo caso Quintiliano distingue la correzione apportata ad un' opera letteraria (cita la
Smirna
Panegirico
di Cinna e il
di Isocrate)
36
, che ha a volte
comportato una revisione di anni, da quella di un testo oratorio. Infatti il compito di un oratore spesso eé quello di scrivere per scopi immediati
oratori
(X, 4, 3 :
[...]
saepius scribere ad praesentis usus necesse est)
e dunque eé
costretto a redigere un discorso in tempi limitati ; se cos|é non fosse, l' aiuto dei suoi discorsi sarebbe inutile percheè troppo lento : Temporis quoque esse debet modus. Nam quod Cinnae Zmyrnam novem annis accepimus scriptam, et panegyricum Isocratis qui parcis sime decem annis dicunt elaboratum, ad oratorem nihil pertinet, cuius nullum erit si tam tardum fuerit auxilium
.
37
Come ho giaé ricordato prima, l' illustrazione da parte di Quintiliano degli esercizi piué opportuni per acquisire la
firma facilitas dicendi
prosegue nei capitoli 5, 6 e 7, rispettivamente dedicati alle tipologie di esercizio sui contenuti dei discorsi (esercizi di parafrasi, traduzione, rielaborazione etc.), alla pratica della meditazione preparatoria della
formance
orale
e
strettamente
vincolata
alla
redazione
per-
scritta
del
discorso, ai modi e alle tecniche dell' improvvisazione dei discorsi, indispensabile per ogni buon oratore. Riservando ad altra sede una dettagliata analisi di questi capitoli, vorrei ora approfondire alcuni aspetti della trattazione quintilianea sulla scrittura, anche in rapporto al suo modello-guida, Cicerone. Abbiamo visto che nel corso della trattazione Quintiliano impiega la
34
Medesima osservazione non elogiativa nei confronti dei medici incapaci si legge in
Pomp., 6. 35 Inst., X, 4, 3. 36 Eé noto che Catullo
Dion. Hal.,
nel
carme
95, ai v. 1-2, menziona il lungo periodo di nove anni
occorsi a C. Elvio Cinna per considerare compiuta la composizione della sua quanto concerne il famoso Dionigi di Alicarnasso,
Panegirico
Comp. Verb.,
anni. Secondo Ps.-Plutarco,
37 Inst.,
X, 4, 4.
di Isocrate, Timeo º citato in Anon.,
Smirna.
Subl.,
Per
4, 2 º e
25, ritenevano che fosse stato composto in dieci
Vit. dec. orat.,
837F, in quindici.
maria silvana celentano
60
parola stilus per riferirsi all' atto dello scrivere. Stilus, in senso proprio, indica
lo
Plauto
39
stilo,
lo
strumento
per
scrivere
38
.
E'
attestato
fin
da
. Per metonimia stilus eé poi passato a indicare l' atto stesso
dello scrivere o il modo di scrivere. E anche questa accezione eé molto
5 4
antica
40
. La genesi, per cos|é dire naturale, dell' uso metonimico del ter-
mine si coglie molto bene in Cic., De orat., I, 150 º parla Crasso º : Stilus est
stilus optimus et praestantissimus dicendi effector ac magister
41
, û lo
stilo eé il migliore e il piué efficace creatore e maestro di eloquenza ý. Dunque la scrittura eé la migliore fonte di eloquenza. Nel dialogo si ribadisce che il perfetto oratore, unitamente ad un indispensabile talento naturale per l' eloquenza, deve avere una formazione enciclopedica che lo sostenga nell' affrontare in modo globale e completo aspetti e pro blemi, piuttosto che una preparazione meramente tecnicistica. Ora, se si prende in considerazione il passo ciceroniano in maggiore ampiezza (½ 147-153), si potraé constatare che anche in questo caso si fa riferimento agli esercizi che aiutano l' oratore in formazione a trovare un proprio stile. Tenuto conto di quanto appena detto e di quanto illu strato nel testo di Quintiliano, risulta evidente il ruolo fondamentale della scrittura nell' elaborazione di una precettistica in lingua latina sullo stile. E tale collegamento con la scrittura costituisce un precedente im prescindibile per tutta la tradizione retorica latina a partire da Cicerone. Inutile dire che l' esortazione a continui esercizi di stile mediante la scrittura sottende l' applicazione costante e disciplinata di un autocontrollo individuale del discorso, ma soprattutto eé un banco di prova della capacitaé dell' oratore in formazione di confrontarsi con la tradizione precedente, di imitare modelli illustri, di innovare acquisendo un proprio originale modo espressivo, insomma uno stile tutto suo. Dunque lo stile di un autore, di un' opera, di un discorso eé il risultato di un complesso equilibrio di tradizione e innovazione che devono essere entrambe percepite dal destinatario. La mimesi di uno o piué modelli e le variazioni rispetto ad essi sono l' equivalente del mo -
38
Come eé noto, lo stilo era uno strumento in metallo o osso, con un' estremitaé ap-
54
puntita per scrivere sulle tavolette cerate, l' altra estremitaé allargata, per cancellare la scrittura stendendo la cera.
39
54
lit
t
40
54
Cf. e.g. Bacch., 728-730 : Ch. cape stilum propere et tabellas tu
postea ? / Ch. quod iubeo scribito istic. nam propterea eras quando legat.
te
h
as tibi. Mn. quid
volo / scribere ut pater cognoscat
Cf. e.g. Ter., Andr., 9-12 : Menander fecit `Andriam' et `Perinthiam' ; / qui utramvis recte
noris ambas noverit : / non ita dissimili sunt argumento, et tamen / dissimili oratione sunt factae ac stilo.
41
Cf. ½ 257 º parla Antonio º : stilus ille tuus, quem tu vere dixisti perfectorem dicendi esse
ac magistrum.
61
l' oratore impara a scrivere
derno scarto o deviazione rispetto ad una norma linguistico-formale o letteraria. Altro dato interessante che si ricava dai passi del De oratore e dell' Institutio oratoria sopra citati eé la menzione di specifici e opportuni esercizi per acquisire un proprio stile personale : lo stile eé frutto di studio assiduo, puoé essere insegnato, non eé un talento naturale. O almeno
trova
un' ottima
base
nel
talento
naturale,
ma
deve
essere
costruito con il laborioso, faticoso atto della scrittura. Per di piué dalle parole di Crasso si ricava che la scrittura eé in assoluto il miglior esercizio non solo per i discorsi scritti, ma anche per i discorsi destinati ad una fruizione orale : `Equidem probo ista' Crassus inquit `quae vos facere soletis, ut causa aliqua posita consimili causarum earum quae in forum deferuntur, di -
5 4 5 4
catis quam maxime ad veritatem accomodate [...] Caput autem est quod
ut vere dicam minime facimus º est enim magni laboris, quem plerique fugimus º quam plurimum scribere.
Stilus est
stilus optimus et praestantissimus
dicendi effector ac magister ; neque iniuria ; nam si subitam et fortuitam orationem commentatio et cogitatio facile vincit, hanc ipsam profecto adsidua ac diligens scriptura superabit [ ...] omnesque sententiae verbaque
omnia quae sunt cuiusque generis
maxime propria
maximeque inlustria, sub
acumen stili subeant et succedant necesse est ; tum ipsa conlocatio conformatioque verborum perficitur in scribendo, non poetico sed quodam oratorio numero et modo
42
'.
Lo stile passa per la scrittura e lo stilo, strumento che realizza la scrittura, si trasforma in strumento di giudizio del testo, del discorso. E ancora : la visualizzazione concreta dello strumento scrittorio º lo stilo, che usato ogni giorno e diligentemente sulle tavolette cerate si identifica con la scrittura e questa a sua volta con lo stile º fa s|é che le parole impresse sulla cera sembrino distaccarsi, allontanarsi in una loro realtaé intellettuale, semantica. Emerge cos|é anche un altro dettaglio : il discorso oratorio trova la sua naturale dimensione nella scrittura. L' oralitaé eé subordinata alla scrittura, anzi ne deve conservare una chiara impronta a dimostrazione della perfezione raggiunta : Haec sunt quae clamores et admirationes in bonis oratoribus efficiunt, neque ea quisquam, nisi diu multumque scriptitarit, etiam si vehe mentissime se in his subitis dictionibus exercuerit, consequetur ; et qui a scribendi consuetudine ad dicendum venit, hanc adfert facultatem, ut, etiam subito si dicat, tamen illa quae dicantur similia scriptorum esse videantur ; atque etiam, si quando in dicendo scriptum attulerit aliquid, cum ab eo discesserit, reliqua similis oratio consequetur
42 43
Cic., De orat., 149-150. Cic., De orat., 152.
43
.
maria silvana celentano
62
Si puoé dire che a partire da Cicerone eé ratificato in modo definitivo il primato della composizione meditata e scritta dei discorsi rispetto
alla
performance
fondata
sull' improvvisazione.
O
meglio,
si
testimonia in modo inequivocabile che ormai un' orazione eé recepita come testo piu é che come discorso. Nel De oratore la figura dell' oratore ideale, della sua eloquenza eé occasione per una riflessione sull' importanza degli esercizi di scrittura che perfezionavano una firma facilitas dicendi, un talento naturale per l' eloquenza. Nell' Institutio oratoria si eé ormai consolidata una educazione allo stile : si codifica l' apprendi mento della firma facilitas dicendi attraverso molteplici esercizi (di lettura,
scrittura
e
improvvisazione
orale).
Che
la
trattazione
di
Quintiliano proprio in relazione all' importanza degli esercizi di scrittura abbia a modello il De oratore di Cicerone eé comprovato tra l' altro dalla citazione letterale e circostanziata del ½ 150 in Inst., X, 3, 1 : nec inmerito M. Tullius hunc `optimum effectorem ac magistrum dicendi' vocat, cui sententiae personam L. Crassi in disputationibus quae sunt de Oratore adsignando iudicium suum cum illius auctoritate coniunxit. Ancora in linea con Cicerone, Quintiliano, nel medesimo luogo, ha premesso che l' esercizio della scrittura comporta molta fatica, ma risulta grande utilitaé : ut laboris, sic utilitatis etiam longe plurimum adfert stilus ; e dunque ne consegue che si deve scrivere con quanta piué cura eé possibile e per quanto piué eé possibile (Inst., X, 3, 2) : scribendum ergo quam diligentissime et quam plurimum. Accingendomi a concludere, vorrei richiamare un ulteriore elemento di contiguitaé tra Quintiliano e il suo modello, Cicerone. Nell' Institutio
oratoria
all' enunciazione
di
ogni
precetto
relativo
alle
diverse tappe dell' acquisizione della firma facilitas dicendi si accompagnano similitudini e metafore (di ambito agonale, sportivo, militare, naturalistico)
44
. Ad esempio, nel primo capitolo, le riflessioni sulle ti-
pologie di tirocinio ottimale per il giovane aspirante oratore sono introdotte da una similitudine di ambito atletico in cui l' agone sportivo e quello militare si fondono, attraverso un' unica immagine, quella
44
Sull' impiego di exempla, similitudini, metafore nell' Institutio oratoria eé disponibile
una vasta bibliografia. Riservandomi di sviluppare piué diffusamente l' argomento in altra sede, mi limito a rinviare a M. H. McCall, Ancient Rhetorical Theories of Simile and Comparison, Cambridge, 1969, spec. p. 178-237 ; M. Armisen-Marchetti, û Histoire des notions
de
meètaphore
et
comparaison
des
origines
aé
Quintilien.
II :
La
peèriode
romaine ý, Bulletin de l' Association Guillaume Budeè, 1991, p. 19-44 ; O. Grodde, Sport bei Quintilian, Hildsheim, 1997 ; M. J. Lopez de Ayala y Genoveè s, û El uso de las `imaègines' y `comparaciones' en la Institutio oratoria ý, in Quintiliano : historia y actualidad de la retoèrica, p. 965-973.
63
l' oratore impara a scrivere
del lottatore che ha giaé appreso tutte le mosse e deve allenarsi a sostenere il combattimento : Verum nos non quomodo sit instituendus orator hoc loco dicimus (nam id quidem aut satis, aut certi uti potuimus dictum est), sed ath leta qui omnis iam perdidicerit a praeceptore numeros quo genere exercitationis ad certamina praeparandus sit
45
.
O ancora, all' inizio del terzo capitolo, i risultati proficui del duro esercizio della scrittura sono accostati al faticoso lavoro di aratura dei campi : Nam ut terra alte refossa generandis alendisque seminibus fecundior, sic profectus non a summo petitus studiorum fructus et fundit uberius et fidelius continet
46
.
In una forma meno articolata, Cicerone daé l' avvio al suo discorso sull' exercitatio con due brevi riferimenti alla corsa nello stadio e allo schieramento in battaglia : Et exercitatio quaedam suscipienda vobis est ; quamquam vos quidem iam pridem estis in cursu ; sed eis qui ingrediuntur in stadium quique ea quae agenda sunt in foro tamquam in acie, possunt etiam nunc exercitatione quasi ludicra praediscere ac meditari
47
.
In questi casi la similitudine svolge una funzione esplicativa ; rende piué comprensibile il precetto enunciato e ne facilita l' apprendimento. Talora, pero é , le figure assumono una chiara valenza argomentativa con funzione probante, cosiccheè l' evocazione analogica di realtaé riscontrabili nella vita quotidiana non solo coopera ad una piué esatta comprensione
di
un
concetto
appena
spiegato,
ma
spesso
lo
comprova in modo inequivocabile, come accade quando Quintiliano, attraverso l' accostamento comparativo tra l' oratore e l' atleta che gareggia nel salto o nel lancio del giavellotto o nel tiro con l' arco, illustra con efficacia l' ammonimento ad una meditata rilettura di quanto si eé scritto, prima di procedere oltre nella stesura di un discorso : Quae quidem ut diligentius exequamur, repetenda saepius erunt scrip torum proxima. Nam praeter id quod sic melius iunguntur prioribus sequentia, calor quoque ille cogitationis, qui scribendi mora refrixit, recipit ex integro vires et velut repetito spatio sumit impetum : quod
45 Inst.,
X, 1, 4. Sulle omologie nel percorso curriculare di un atleta e di un giovane
oratore vd. sopra p. 48 sq.
46 Inst., X, 3, 2. 47 De orat. 1, 147.
maria silvana celentano
64
in certamine saliendi fieri videmus, ut conatum longius petant, et ad illud quo contenditur spatium cursu ferantur utque in iaculando brac chia reducimus et expulsuri tela nervos retro tendimus
L' oratore,
interrompendo
per qualche
.
48
momento l' attivitaé
della
scrittura, recupera le forze e anzi trova nuove energie per la successiva composizione scritta, proprio come l' atleta, che, nel salto o nel lancio del giavellotto o nel tiro con l' arco, ottiene migliori risultati rispettivamente prendendo la giusta rincorsa, o ritraendo quanto piué possibile il braccio per scagliare l' attrezzo o tendendo al massimo la corda dell' arco verso di seè per imprimere velocitaé alle frecce. Similmente in Cicerone la facilitaé dell' eloquio conseguita attraverso l' exercitatio eé paragonata al moto delle navi che, una volta avviate, scivo lano da sole sul mare, anche senza la spinta impressa dai remi : Ut concitato navigio, cum remiges inhibuerunt, retinet tamen ipsa navis motum et cursum suum intermisso impetu pulsuque remorum, sic in oratione perpetua, cum scripta deficiunt, parem tamen obtinet oratio reliqua cursum scriptorum similitudine et vi concitata
49
.
Per illustrare la speditezza che connota taluni momenti della scrittura, Quintiliano riprende l' immagine della navigazione e la trasforma in una bella metafora mediante l' accostamento analogico del soffio dell' ispirazione al vento che gonfia le vele ed invita a spiegarle, ma con moderazione : Interim tamen si feret flatus, danda sunt vela, dum nos indulgentia illa non fallat
.
50
Tuttavia, a volte sono tante le idee che si affacciano alla nostra mente e grande eé la facilitaé di scrittura, cosiccheè siamo costretti a contenere
il
nostro
estro
compositivo.
Con
una
nuova
metafora
Quintiliano esorta il futuro oratore a frenare l' ispirazione che spesso lo trascina come un cavallo indisciplinato : Sed tum maxime cum facultas illa [scil. scribendi] contigerit resistamus, ut provideamus et ferentis equos frenis quibusdam coerceamus
.
51
In aggiunta agli efficaci traslati Quintiliano si segnala per la presenza di immagini quotidiane di grande vivezza, che rendono piace-
48 Inst., X, 3, 6. 49 De orat., 1, 153. 50 Inst., 51 Inst.,
X, 3, 7. X, 3, 10. Sull' opportunitaé che l' oratore tenga a freno l' impulsiva facilitaé di
scrittura vd. sopra p. 52 sq.
65
l' oratore impara a scrivere
vole l' esposizione dei precetti. Si puoé menzionare, ad esempio, il quadretto º del tutto verisimile º dell' oratore chiuso nella sua stanza, sdraiato supino con la testa rivolta al soffitto, intento a trasformare i pensieri in sonori borbottii, in attesa dell' ispirazione giusta : Ut possimus autem scribere etiam plura et celerius, non exercitatio
54
modo praestabit, in qua sine dubio multum est, sed etiam ratio : si non resupini spectantesque tectum et cogitationem murmure agitantes expectaverimus quid obveniat,
sed
quid res poscat, quid personam
deceat, quod sit tempus, qui iudicis animus intuiti humano quodam modo ad scribendum accesserimus
52
;
oppure la divertente rappresentazione dello scrittore º finalmente ispirato º mentre agita le mani, contrae il viso in smorfie e assume pose che ad altri, se presenti, potrebbero apparire ridicole : Tum illa, quae altiorem animi motum secuntur, quaeque ipsa ani mum quodam modo concitant, quorum est iactare manum, torquere vultum, simul et interim obiurgare [...] etiam ridicula sunt, nisi cum soli sumus
53
;
o al contrario quella dei gesti pieni di rabbia, da cui Quintiliano esorta a guardarsi, come scagliare lontano le tavolette o considerare persa la giornata se la concentrazione risulta difficile e quindi non si riesce a produrre alcuncheè di buono : Ideoque non statim [...] abiciendi codices erunt et deplorandus dies
54
.
Le immagini create da Quintiliano ritraggono con vivace verisimi glianza alcune esperienze quotidiane nelle quali i suoi destinatari pos sono
riconoscersi
mettendo
in
atto
un
naturale
processo
di
identificazione con i casi esemplari cos|é bene illustrati : con attenta e divertita partecipazione essi possono apprendere le nozioni impartite senza affaticarsi troppo, senza lunghe e minuziose esposizioni di precetti tecnici.
52 Inst.,
X, 3, 15. Come ho giaé avuto modo di dire (p. 54), in questo passo Quinti-
liano mette in guardia l' aspirante oratore dal discutibile atteggiamento di aspettare che l' ispirazione a scrivere giunga dall' esterno, e lo invita invece a concentrare l' attenzione sulla causa concreta a cui ogni discorso eé inevitabilmente legato.
53 Inst.,
X, 3, 21. Quintiliano sottolinea gli effetti ridicoli prodotti dalle pose e dai ge -
sti dell' oratore nel medesimo contesto in cui esprime un parere negativo sulla pratica della dettatura del proprio discorso ad uno scrivano (vd. sopra p. 55 -56) : se si indulge ad eccessi drammatici la presenza di un testimone puoé renderci ancora piué ridicoli.
54 Inst.,
X, 3, 28.
maria silvana celentano
66
Quintiliano sembra avere cos|é realizzato il perenne proposito di ogni buon docente : istruire i propri allievi attraverso il loro attivo coinvolgimento nel processo didattico, allontanando noia e disatten zione. In breve : istruire senza annoiare.
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L AT I N I TAT E S
Gabriella Moretti
QUINTILIANO E IL « VISIBILE PARLARE » : STRUMENTI VISUALI PER L' ORATORIA LATINA
Strumenti visuali : corpi, fondali, oggetti, ritratti
1. Il tema che desidero affrontare rappresenta la seconda parte di una ricerca piué ampia che da qualche tempo sto conducendo intorno al tema degli strumenti visuali nella retorica e nell' oratoria latina ; la prima parte del lavoro (dedicata agli strumenti visuali non confezionati appositamente per l' uso che ne fa l' oratore, ma da lui solo reimpiegati a fini orator|ê ) eé apparsa negli Atti di un convegno di Palermo sulle Passioni della retorica
1
1
: ne riprendero é qui, in forma riassuntiva,
G. Moretti, û Mezzi visuali per le passioni retoriche : le scenografie dell' oratoria ý, in
Passioni della retorica, ed. G. Petrone, Palermo, 2004, p. 63-96 : chi scrive ha in preparazione sull' insieme di queste tematiche in etaé classica e tardoantica un saggio complessivo. Fra i lavori che hanno toccato piué o meno da vicino la questione, uno studio che sembrerebbe dedicato specificamente a questo tema eé quello di E. Keuls, û La retorica e i sussidi visivi in Grecia e a Roma ý, in Arte e comunicazione nel mondo antico. Guida storica e critica, ed. E. A. Havelock e J. P. Hershbell, Roma - Bari, 1981 (1
a
ed. ingl. 1978),
p. 167-184, un contributo per molti versi assai stimolante, ma che tuttavia si concentra quasi esclusivamente su tecniche puramente verbali di visualizzazione come l' evidentia e il cosiddetto Bildeinsatz (cf. O. Schissel von Fleschenberg, û Die Technik des Bildeinsat zes ý, Philologus, 72 (1913), p. 83-114). Una serie di testimonianze volte a individuare gli elementi propriamente visuali impiegati nell' oratoria latina si trovano invece negli studi di A. Vasaly, The spirit of place. The Rhetorical Use of Locus in Cicero' s Speeches, Indiana Univ. Bloomington, 1983, e Representations. Images of the World in Ciceronian Oratory, Berkeley - Los Angeles - London, 1993 (con particolare riguardo all' interazione fra pa rola e ambiente circostante), cos|é come nel recente saggio di G. Aldrete, Gestures and Acclamations in Ancient Rome, Baltimore, 1999 (uno studio che, interessato nella sua prima parte soprattutto alla gestualitaé dell' oratore, prende in esame anche un ventaglio di refe renti visivi utilizzati nell' ambito dell' oratoria romana sotto il profilo della gestualitaé che li accompagna, e che consiste per lo piué semplicemente nell' indicarli al pubblico : vedi in particolare appunto il paragrafo Indication, p. 17-34). Per una breve ma stimolante ri flessione nata dall' attualitaé sullo strumentario visuale anche informatico dell' oratore
67
gabriella moretti
68
solo alcuni elementi essenziali per introdurre il mio discorso, aggiungendovi
tuttavia
una
breve
analisi del
ruolo
della laudatio funebris
come nucleo germinale e archetipo influente di un intero filone visuale dell' oratoria romana. La mia indagine saraé poi orientata invece, a partire dal secondo capitolo, ad analizzare l' impiego nell' oratoria antica di iconografie appo-
sitamente prodotte per fini orator|ê e processuali. 2. Parlare di mezzi visuali nella retorica e nell' oratoria antica significa eplorare i complessi rapporti che intrattengono fra loro parola e visione. Se la parola dell' oratore antico coinvolge in primo luogo, com' eé naturale, l' udito degli ascoltatori, sollecitato in particolare attraverso attente tecniche di pronuntiatio, anche la vista del pubblico eé chiamata in causa dalla performance oratoria : in primo luogo dall' actio, che si serve come primo e principale mezzo visuale del corpo stesso dell' oratore, i cui possibili movimenti vengono presi in esame attraverso una minuziosa
tassonomia
nella
2
trattatistica retorica . Il
proprio
corpo
costituisce cos|é il primo e piué essenziale mezzo visuale a disposizione dell' oratore antico : e la parola pronunziata durante la performance si presenteraé quindi in ogni caso come un complesso strumento audiovisivo capace di raggiungere il pubblico attraverso livelli diversi e tuttavia concomitanti. L' actio, quindi, e il suo uso del corpo dell' oratore, viene ad essere parte integrante della retorica come techne, contemplata e analizzata dunque dai tecnigrafi º sia pure talvolta con qualche remora metodologica º come il quinto degli officia oratoris, dopo inventio, dispositio, elo-
cutio e memoria : e la precettistica puoé arrivare º come accade nell' XI libro dell' Institutio di Quintiliano º a una tassonomia estremamente 3
minuziosa perfino riguardo ai movimenti delle mani e delle dita .
contemporaneo, nel contesto di un confronto con l' oratoria antica, cf. le pagine su Reto-
rica e multimedialitaé in E. Narducci, Processi ai politici nella Roma antica, Roma - Bari, 1995, p. 8-12.
2
Das
Sull' actio nella retorica e nell' oratoria antica cf. in particolare G. Wohrle, û Actio. funfte officium des
antiken
Redners ý, Gymnasium,
97 (1990),
p. 31-46 ; F. Graf,
û Gestures and conventions : the gestures of Roman actors and orators ý, in A Cultural
History of Gesture from Antiquity to the Present Day, ed. J. Bremmer, H. Roodenburg, Cambridge, 1991, p. 36-58 ; G. Aldrete, Gestures and Acclamations ; vedi ora, da una prospettiva storica, anche E. Flaig, Ritualisierte Politik. Zeichen, Gesten und Herrschaft im Alten Rom, Go « ttingen, 2003 (Historische Semantik Band 1).
3
Sulla chironomia quintilianea cf. G. Austin, Chironomia or a Treatise on Rhetorical
Delivery, London, 1806.
69
quintiliano e il `visibile parlare'
3. Tuttavia anche altri mezzi visivi potevano essere utilizzati dall' o ratore antico : mezzi che invece hanno nella manualistica uno statuto ambiguo, a metaé fra l' actio e l' uso di mezzi inartificiali. Per di piué intorno ad essi non riesce a maturare una precettistica formalizzata e minuziosa
come
quella
dedicata
invece
ai
movimenti
dell' oratore.
Questa esitazione tassonomica di fronte a fenomeni comuni nella prassi oratoria, ma dall' incerto statuto teorico, si traduce nelle forme con cui il problema viene toccato nei trattati di retorica. Come vedremo, l' uso di questi strumenti risulta nei manuali legato direttamente, o comunque apparentato sul piano concettuale, all' uso 4
di prove e testimonianze : mezzi che di per seè sono inartificiali , tali cioeé da non ricadere fra gli argomenti insegnabili dall' ars, in quanto la loro disponibilitaé
de facto
non dipende dall' abilitaé dell' oratore ma
dalle imprevedibili e per lo piué incontrollabili circostanze della singola causa. L' impiego di questi mezzi visuali, invece, con le relative e sofisticate strategie, puoé tuttavia ricadere poi nel recinto della
techne.
In par-
ticolare l' uso di strumenti in vario modo visuali trova posto nella dottrina sul
tio),
pathos
(e su quel luogo deputato al
pathos
che eé la
perora-
bencheè venga contemplato dalla trattatistica retorica quasi esclusi-
vamente sotto la forma di un rimando ad espedienti tradizionali, ad
exempla
celebri e paradigmatici, piuttosto che fatto oggetto di un' ana-
litica precettistica. Ma vediamo appunto come Quintiliano affronta il problema. All' inizio del secondo libro, pur sottolineandone l' estrema efficacia psicagogica, egli sembra escludere le strategie visuali dai confini del
proprium
retorico :
Cicero pluribus locis scripsit officium oratoris esse dicere adposite ad persuadendum, in rhetoricis etiam, quos sine dubio ipse non probat, finem facit persuadere. Verum et pecunia persuadet et gratia et aucto ritas dicentis et dignitas, postremo
aspectus etiam ipse sine voce,
quo vel
recordatio meritorum cuiusque vel facies aliqua miserabilis vel formae pulchritudo sententiam dictat. Nam et Manium Aquilium defendens Antonius, cum scissa veste cicatrices quas is pro patria pectore adverso suscepisset ostendit, non orationis habuit fiduciam, sed oculis populi Romani vim attulit : quem illo ipso aspectu maxime motum in hoc, ut absolveret reum, creditum est. Servium quidem Galbam miseratione sola, qua non suos modo liberos parvulos in contione produxerat, sed
4
ris ý,
Cf. A. Cavarzere, û L' oratoria come rappresentazione. Cicerone e la in
Interpretare Cicerone. Percorsi della critica contemporanea. Atti del II
ronianum Arpinas
(Arpino, 18 maggio 2001),
eloquentia corpo-
Symposium Cice-
ed. E. Narducci, Firenze, 2002, p. 24-52.
gabriella moretti
70
Galli etiam Sulpici filium suis ipse manibus circumtulerat, elapsum esse cum aliorum monumentis, tum Catonis oratione testatum est. Et Phrynen non Hyperidis actione quamquam admirabili, sed conspectu corporis, quod illa speciosissimum alioqui diducta nudaverat tunica, putant periculo liberatam. Quae si omnia persuadent, non est hic de 5
quo locuti sumus idoneus finis .
Come si nota da questo passo, da questa breve antologia di casi celebri, il mezzo visuale piué immediato a disposizione dell' oratore risulta essere in primo luogo il corpo del proprio cliente : che offre una sorta di testimonianza muta (aspectus
etiam ipse sine voce
6
) ma al tempo stesso
estremamente eloquente, capace com' eé di parlare º in modo assai diverso da caso a caso º alle emozioni meno sorvegliate del pubblico. L' impiego visuale a scopi persuasivi del corpo del proprio cliente era stato concretamente esperito, in Grecia come a Roma, in casi celebri presto diventati
exempla
tradizionali nella trattatistica. In questo
passo i casi si trovano ordinati non solo, esplicitamente, secondo le diverse categorie del
pathos
che hanno il potere di suscitare nel pub-
blico (il ricordo dei meriti passati ; simpatia, commozione e pietaé ; l' impatto seduttivo della bellezza fisica), ma anche secondo tipologie all' occasione replicabili con soggetti diversi. 4. Se nel passo del secondo libro dell' Institutio che abbiamo sopra citato Quintiliano sembra escludere queste strategie soprattutto visive dal recinto retorico, torneraé invece a parlare di casi simili a questi allorcheé verraé a trattare dei mezzi per suscitare il
pathos,
e del loro im-
piego piué corretto ed efficace.
5
Quint.,
Inst.,
II, 15, 5-9 : û Cicerone scrive in piué di un passo che il compito dell' ora-
tore eé `parlare in maniera adatta a persuadere' . Anche nei
Libri di retorica,
opera che in se-
guito ha indubbiamente rinnegato, egli pone come scopo dell' eloquenza il persuadere. Ma in realtaé forza di persuasione hanno anche il danaro, il favore popolare, l' autoritaé e il prestigio di chi parla, e infine anche
il solo aspetto senza parole,
grazie al quale o il ri-
cordo dei meriti di qualcuno o l' aspetto commovente o la bellezza fisica suggeriscono il verdetto. Per esempio Antonio, difendendo Manio Aquilio, quando stracciandone le ve sti mostroé ai presenti le cicatrici che aveva riportato in pieno petto combattendo per la patria, non si affidoé tanto alle sue doti oratorie, quanto piuttosto fece violenza agli occhi del popolo romano, che, a quanto si crede, fu indotto ad assolvere il reo soprattutto gra zie a un tale spettacolo. Che Servio Galba riusc|é ad evitare la condanna solo suscitando compassione, col mostrare agli astanti in assemblea non solo i suoi figli piccoli, ma anche portando in braccio il figlio di Sulpicio Gallo, eé provato non solo da altre testimonianze, ma anche dall' orazione di Catone. Si ritiene poi che anche Frine si sia salvata dalla con danna non per merito della difesa, pur ammirevole, di Iperide, ma strappandosi di dosso la tunica e svelando il suo bellissimo corpo. Se tutto questo riesce ad essere causa di per suasione, quella cui abbiamo parlato sopra non eé la definizione adatta ý.
6
Quint.,
Inst.,
II, 15, 6.
quintiliano e il `visibile parlare'
71
I mezzi visuali di per seè possono dunque non appartenere all' ambito della dottrina retorica : ma vi appartengono invece, come giaé abbiamo
accennato,
le
tecniche
relative
al
loro
concreto
impiego
nell' agone processuale. Casi come questi rientrano infatti nella piué generale categoria relativa alle tecniche di impiego dei testimoni (primi fra i quali gli stessi clienti) : uno dei momenti massimamente teatrali del processo, in cui il patronus funge al tempo stesso da capocomico, da sceneggiatore e da regista, allestendo una sorta di piccola rappresentazione di cui clienti e 7
testimoni vengono ad essere i disinvolti o impacciati personaggi . Molto, in questa rappresentazione, eé affidato a effetti visuali, anche percheè non si puoé contare sull' abilitaé attoriale dei testimoni a disposizione. Si puo é dire insomma che tutto il modo in cui l' avvocato gestisce clienti e testimoni, e in particolare il momento delicatissimo dell' interrogatorio, condivide molti aspetti con una vera e propria regia teatrale. Va detto pero é che casi di insuccessi, di effetti non voluti, di rottura per cos|é dire dell' illusione scenica e di disvelamento dell' artificio raccomandavano un uso prudente e sorvegliato di tecniche `sceno grafiche' nell' impiego dei testimoni. La padronanza della scena processuale, l' abilitaé registica nell' uso dei testimoni si acquista, com' eé ovvio, soprattutto con l' esperienza pratica. Tanto meno credibili risultano invece queste tecniche quando sono solo il risultato di un apprendimento astratto nelle scuole di declamazione, dove quest' impiego di tecniche teatrali segue canovacci standardizzati e convenzionali, senza che il giovane oratore venga pre parato ad affrontare la necessaria dose di improvvisazione richiesta da una causa reale. In generale, di tecniche visuali fortemente patetiche viene riconosciuta l' efficacia, ma se ne delimita rigorosamente l' impiego a casi importanti, in cui la temperatura emozionale della causa giustifichi, di 8
tali espedienti, la natura spiccatamente teatrale .
7
Cf. sul tema il capitolo La scena del processo in E. Narducci, Processi ai politici, p. 19-
23.
8
Quint., Inst., VI, 1, 33-36 : At sordes et squalorem et propinquorum quoque similem habitum
scio profuisse, et magnum ad salutem momentum preces attulisse ; quare et obsecratio illa iudicum per carissima pignora, utique si et reo sint liberi coniunx parentes, utilis erit, et deorum etiam invocatio velut ex bona conscientia profecta videri solet ; stratum denique iacere et genua complecti, nisi si tamen persona nos et ante acta vita et rei condicio prohibebit ; quaedam enim tam fortiter tuenda quam facta sunt. [...] Nam in parvis quidem litibus has tragoedias movere tale est quasi si personam Herculis et coturnos aptare infantibus velis.
gabriella moretti
72
5. Un caso particolare di uso del corpo di un personaggio oggetto dell' orazione (un caso che, come vedremo, ci ricondurraé alle origini stesse dell' impiego di sussidi visuali all' oratoria nella cultura romana) eé quello º proprio evidentemente soprattutto dell' oratoria epidittica o deliberativa º dell' ostensione del suo cadavere. Un esempio celebre e paradigmatico di uso politico di un cadavere puo é essere rappresentato per noi dalle vicende che si succedettero im mediatamente dopo la morte di Clodio : Perlatum est corpus Clodi ante primam noctis horam, infimaeque plebis et ser vorum maxima multitudo magno luctu corpus in atrio domus positum circumstetit.
Augebat
autem
facti
invidiam
uxor
Clodi
Fulvia
quae
cum
effusa
lamentatione vulnera eius ostendebat. [...] vulgus imperitum corpus nudum ac calcatum, sicut in lecto erat positum, ut vulnera videri possent in forum detulit et in rostris posuit. Ibi pro contione Plancus et Pompeius qui competitoribus Milonis studebant invidiam Miloni fecerunt. Populus duce Sex. Clodio scriba corpus P. Clodi in curiam intulit cremavitque sub 9
selliis et tribunalibus et mensis et codicibus librariorum .
E' evidente il rapporto fra quest' impiego politico eccezionale del cadavere del defunto, e invece la tradizionale e pregnante dimensione visuale della cerimonia del funerale romano, che tanto aveva colpito un osservatore come Polibio
Ì Otan ga´r metalla`xð tiq parÊ auÊtoiq tw n eÊpifanw n aÊndrw n, sunteloume`nyq tyq eÊkforaq komi`zetai meta´ tou loipou ko`smou
loume`nouq eÊmbo`louq
pro´q tou´q ka-
´ q eÊnargy`q, spani`wq eiÊq ty´n aÊgora´n pote´ me´n eÊstw
de´ katakeklime`noq. Pe`rix de´ panto´q tou dy`mou sta`ntoq,
tou´q eÊmbo`louq,
aÊnaba´q eÊpi´
` n, a³n me´n uiÉo´q eÊn yÉliki`a ç katalei`pytai kai´ tu`jð parw
le`gei peri´ tou teteleutyko`toq ta´q aÊreta´q kai´ ta´q eÊpiteteugme`naq eÊn tw ã zyn pra`xeiq .
à toq, eiÊ de´ my`, tw ou n a²llwn ei² tiq aÊpo´ ge`nouq uÉpa`rjei,
10
9
Ascon. pro Mil., p. 28-29 C (p. 32 C) : û Il corpo di Clodio giunse a Roma prima della
prima ora della notte, e una grande folla composta di gente del popolino e di schiavi lo circondoé con grandi manifestazioni di afflizione nell' atrio della sua casa, dove era stato deposto. E, cosa che ecci tava ancora di piué la riprovazione dell' uccisione, la moglie di Clodio, Fulvia, sciogliendosi in lamenti, mostrava le ferite del marito. [...] la folla ignorante sollevoé il corpo, nudo e sporco di fango, come era stato posto sul letto funebre, percheè si potessero vedere le ferite, lo trasportoé al Foro e lo depose sui Rostri. Qui, davanti all' assemblea, Planco e Pompeio, che sostenevano i nemici di Milone, eccitarono la riprovazione contro quest' ultimo. Trascinata dallo scriba Sesto Clelio, la folla trasportoé il corpo di Publio Clodio nella Curia e lo brucioé laé, su una pira fatta con i banchi, le predelle, i tavoli e i libri dei cancellieri ý.
10
Polyb., VI, 53, 1-2 : û Quando un personaggio in vista muore e si celebrano le sue
esequie il corpo viene portato con tutta la pompa possibile al Foro, presso quelli che vengono denominati i Rostri. Di solito esso viene offerto alla vista del pubblico in posizione eretta, e soltanto raramente disteso. Quando la folla si eé radunata tutto intorno, un ni-
quintiliano e il `visibile parlare'
Possiamo dire quindi che la laudatio funebris
11
73
, come ci viene qui
descritta (e che rappresenta come eé noto una delle forme piué antiche di oratoria a Roma, con il complesso apparato spettacolare e di immagini in cui l' atto oratorio viene tradizionalmente inserito, al termine della cerimonia della pompa funebris) costituisce uno dei punti assolutamente germinali dell' uso di strumenti visuali per la performance oratoria nella cultura romana. Il cadavere del defunto ne eé infatti il primo referente visuale, ritto com' eé accanto (e fors' anche sopra) ai rostra durante il discorso che lo riguarda. Si noti che le nostre fonti ci informano che, per varie ragioni, il cadavere del defunto poteva talvolta venir sostituito da una statua di cera, soprattutto quando il corpo non era in condizioni pre sentabili, o comunque non avrebbe potuto effettuare le prestazioni desiderate : come accadde ai funerali di Cesare, dove venne esposta una statua di cera di grande realismo, capace di mostrare agli astanti le numerosissime ferite grazie addirittura a un apposito meccanismo girevole
12
.
pote º se il defunto ne ha lasciato uno e se questi si trova a Roma, altrimenti un mem bro della famiglia º sale sulla tribuna e pronuncia un discorso nel quale evoca i meriti del defunto e cioé che questi ha fatto durante la vita ý.
11
Sulla laudatio funebris, dopo i saggi di C. Martha, û L' eèloge funeébre chez les Ro-
è tudes morales sur l' antiquiteè, Paris, 1883, p. 1-59 ; di F. Vollmer, û Laudatiomains ý, in Id., E num funebrium Romanorum historia et reliquiarum editio ý, Jahrbu«cher fur classische Philologie, Suppl.-Bd. 18 (1892), p. 445-528 ; di O. C. Crawford, û Laudatio funebris ý, The Classical Journal, 37 (1941-1942), p. 17-27 ; di M. Durry û Laudatio funebris et rheètorique ý, Revue de Philologie, 16 (1942), p. 105-114, lo studio di riferimento eé quello di W. Kierdorf, Laudatio funebris. Interpretationes und Untersuchungen zur Entwicklung der ro«mischen Leichenrede, Meisenheim am Glan, 1980, che tuttavia trascura completamente il versante visuale del l' atto oratorio, nonostante l' enfasi di Polibio sull' argomento. Si veda piuttosto da que sto punto di vista Fl. Dupont, û Les morts et la meèmoire : le masque funeébre ý, in La mort, les morts et l' au-delaé dans le monde romain. Actes du Colloque de Caen, 20-22 novembre 1985, cur. F. Hirard, Caen, 1987, p. 167 -172 ; E. Flaig, û Die pompa funebris. Adlige Konkurrenz und annalistische Erinnerung in der Ro«mischen Republik ý, in Memoria als Kultur, hrsg. v. O. G. Oexle, Go«ttingen, 1995, p. 115-148 (vedi ora anche Id., Ritualisierte Politik. Zeichen, Gesten und Herrschaft in alten Rom, Go « ttingen, 2003, in particolare p. 5759) e J. Arce, Memoria de los antepasados. Puesta en escena y desarrollo del elogio fuènebre romano, Madrid, 2000.
12
Cf. Appian., Civ., 2, 147 ; la notizia di Appiano puoé essere integrata con quella di
Svet., Iul., 84, dove si ricorda che a causa dell' enorme affluenza di pubblico l' esposi zione dovette essere prolungata per piué di un giorno. Cos|é nel funus imaginarium degli imperatori, come descritto da Herodian., IV, 1, 2, si parla di una statua del defunto che consent|é un' esposizione di molti giorni. Vi eé stato anche chi ha supposto che, in luogo delle maschere funebri indossate da uomini in carne ed ossa di cui parla Polibio, sui carri della pompa funebris romana vi fossero in realtaé dei manichini degli antenati su cui sarebbero state montate le maschere di cera : su tutti questi temi cf. L. Bianchi, û
É Upo´ ty´ n
gabriella moretti
74
Non solo la laudatio funebris costituisce infatti un inconfondibile precedente per l' ostensione di un cadavere durante un' orazione, ma essa rappresenta anche uno straordinario punto d' origine per l' esposizione di immagini e di ritratti ad illustrazione e corredo di un atto oratorio :
Meta´ de´ tauta ha`vanteq kai´ poiy`santeq ta´ nomizo`mena tihe`asi ty´n eiÊko`na tou metalla`xantoq eiÊq to´n eÊpifane`staton to`pon tyq oiÊki`aq, xu`lina naiÎdia peritihe`nteq. É C d Ê eiÊkyn eÊsti pro`swpon eiÊq oÉmoio`tyta diafero`ntwq
eÊxeirgasme`non
kata´
kai´
ty´n
pla`sin
kai´
kata´
ty´n
uÉpografy`n. tau`taq dy´ ta´q eiÊko`naq e²n te taiq dymotele`si husi`aiq aÊnoi`-
gonteq kosmousi filoti`mwq, eÊpa`n te tw n oiÊkei`wn metalla`xð tiq eÊpifany`q,
a²gousin
eiÊq
ty´n
eÊkfora`n,
peritihe`nteq
É q w
oÉmoiota`toiq
eiânai
à toi de´ prodokousi kata` te to´ me`gehoq kai´ ty´n a²llyn perikopy`n. Ou sanalamba`nousin eÊshytaq, eÊa´n me´n uÌpatoq y³ stratygo´q ðâ gegonyÊ, pe´ q y² ti riporfu`rouq, eÊa´n de´ timyty`q, porfuraq, eÊa´n de´ kai´ tehriambeukw à toi toiouton kateirgasme`noq, diajru`souq. AuÊtoi´ me´n ouân eÊfÊ aÉrma`twn ou poreu`ontai, rÉa`bdoi de´ kai´ pele`keiq kai´ ta²lla ta´ taiq aÊrjaiq eiÊwho`ta sumparakeishai proygeitai kata´ ty´n aÊxi`an eÊka`stw ç tyq gegenyme`nyq kata´ to´n bi`on eÊn tð politei`a ç proagwgyq oÌtan dÊ eÊpi´ tou´q eÊmbo`louq e²lhwsi, kahe`zontai pa`nteq eÊxyq eÊpi´ di`frwn eÊlefanti`nwn. [...] ply´n oÌ ge le`gwn uÉpe´r tou ha`pteshai me`llontoq, eÊpa´n die`lhð to´n peri´ tou`tou lo`gon, a²rjetai tw n a²llwn aÊpo´ tou progenesta`tou tw n paro`ntwn, kai´ le`gei ta´q eÊpituji`aq eÊka`stou kai´ ta´q pra`xeiq
13
.
o²vin : Polibio e le `vere immagini' del funerale romano ý, Aevum Antiquum, 7 (1994), p. 141-142 e n. 10.
13
Polyb., VI, 53, 4-54, 1 : û Subito dopo la sepoltura e il compiersi delle cerimonie di
rito, pongono l' immagine del defunto nel punto piué visibile della casa, chiusa in un tabernacolo ligneo. Questa immagine eé una maschera che riproduce con straordinaria fedeltaé i lineamenti e il colorito del morto. In occasione di pubblici sacrifici espongono queste immagini, e le decorano con grande cura, e quando un membro illustre della famiglia muore, le por tano al funerale, facendole indossare a uomini che sembrano avere la piué stretta somiglianza con gli originali per statura ed aspetto. Costoro indossano la toga, con bordi di porpora se il defunto era console o pretore, tutta di porpora se era censore, e ricamata d' oro se aveva celebrato il trionfo o aveva compiuto qualcosa di simile. Tutti costoro sono trasportati su carri, preceduti da fasci, scuri e altre insegne da cui i diversi magistrati sono usualmente accompagnati a seconda delle dignitaé e delle cariche pubbliche assunte da ognuno durante la vita ; e quando arrivano ai rostri tutti loro si siedono in una fila su seggi d' avorio. [...] Inoltre, colui che tiene l' orazione sull' uomo in procinto di essere sepolto, quando ha finito di parlare di lui, racconta anche i successi e le imprese degli altri le cui immagini sono presenti, cominciando dai piué antichi ý. Sulle imagines funebres vedi almeno H. I. Flower, Ancestor Masks and Aristocratic Power in Roman Culture, Oxford, 1996 (sulle imagines come contesto visuale
della
laudatio
vedi
in
particolare
le
p. 128-129).
Vedi
anche
le
riflessioni
di
M. Bettini, Antropologia e cultura romana. Parentela, tempo, immagini dell' anima, Roma, 1986, p. 186 sq.
75
quintiliano e il `visibile parlare'
Se la laudatio funebris si serve del corredo delle imagines per acquisire una straordinaria potenza emotiva e un esemplare effetto parenetico, al tempo stesso essa costituisce una forma essenziale e indispensabile di commento alle imagines in processione da cui eé stata preceduta, e il cui succedersi in ordine cronologico durante la pompa funebris viene ora a tradursi, in forma verbale, in una ricapitolazione storica delle glorie della famiglia, componendo cos|é didassi e pathos in un' indissolubile unitaé. Si noti allora come Polibio rimarchi piué di una volta lo straordinario effetto di enargheia suscitato dalla presenza potentemente visuale del cadavere del defunto e delle imagines degli avi posti accanto ai
rostra :
DiÊ wàn sumbai` nei tou´ q pollou´ q aÊ namimny skome` nouq kai´
uÉpo´ ty´n o²vin ta´ gegono`ta,
lamba`nontaq
my´ mo`non tou´q kekoinwnyko`taq tw n e²rgwn,
Ì ste my´ tw aÊlla´ kai´ tou´q eÊkto`q, eÊpi´ tosouton gi`neshai sumpaheiq w n kydeuo`ntwn i²dion, aÊlla´ koino´n tou dy`mou fai`neshai to´ su`mptwma
14
.
Ouà ka` llion ouÊ k euÊ mare´ q iÊ dein he` ama ne` wç filodo` xwç kai´ filaga` hwç· to´ ga´ r ta´q twn eÊ pÊ aÊretð dedoxasme` nwn aÊndrwn eiÊ ko`naq iÊ dei n oÉmou pa`saq
oià on eiÊ zw`saq kai´ pepnume` naq
ti`nÊ ouÊk a³n parasty`sai; ti` d Ê a³n ka`llion
15 he`ama tou`tou fanei`y ;
L' efficacia di questa archetipica combinazione di visualitaé e parole alle origini dell' eloquenza di Roma non mancheraé di esercitare i suoi effetti retorici anche nelle etaé successive. Dal precedente della laudatio funebris l' oratoria romana saraé infatti profondamente influenzata, e manterraé º anche in forme oratorie da essa lontanissime sul piano formale e funzionale º questo primigenio e originario legame con la visualitaé, questa inclinazione a coniugare la parola e l' immagine. 6. Accanto ai mezzi visuali e teatrali primari che abbiamo fin qui passato in rassegna (il corpo dell' oratore i cui possibili movimenti sono analizzati dalla dottrina sull' actio ; il corpo del cliente esibito fino
14
Polyb., VI, 53, 3 : û Di conseguenza tutta la folla º e non solo coloro che ebbero
una parte in queste gesta, ma anche coloro che non ne ebbero alcuna º
quando i fatti
sono richiamati alla loro mente e portati di fronte ai loro occhi, sono mossi a tale simpatia che la morte di quell' uomo non sembra riguardare solo quelli che ne portano il lutto, ma appare una perdita pubblica che colpisce tutto il popolo ý.
15
Polyb., VI, 53, 9-10 : û Non si potrebbe trovare facilmente uno spettacolo piué esal-
tante per un giovane che aspiri alla fama e alla virtué. Chi non verrebbe stimolato dalla
vista delle immagini di uomini celebri per la loro eccellenza, radunati tutti insieme come se fossero vivi e ancora respirassero ? Quale spettacolo potrebbe essere piué glorioso ? ý.
gabriella moretti
76
al disvelamento ; l' aspetto dei familiari, dei testimoni e dei clienti stessi fatti muovere secondo abili e sorvegliate tecniche drammaturgiche, l' ostensione di cadaveri come evoluzione delle modalitaé visuali della laudatio funebris), una forte componente visiva da cui l' abilitaé dell' oratore puoé di volta in volta trarre partito eé poi offerta dal luogo stesso dove si svolge il processo. L' oratore cioeé, attraverso allusioni alla realtaé circostante e visibile agli spettatori, realizza una straordinaria interazione fra actio ed ambiente, da cui eé possibile ricavare potenti suggestioni atte a muovere gli affetti del pubblico
16
.
L' attivitaé oratoria di tipo deliberativo aveva luogo a Roma all' aperto (nel caso di discorsi di fronte all' assemblea popolare) o in luoghi altamente simbolici come la Curia ; anche i processi (tranne in caso di intemperie, quando giudici, avvocati e pubblico potevano trovare ri paro in una delle basiliche del Foro), si svolgevano all' aperto, nel Foro o nel comitium, luoghi dove l' ambiente si presentava ricchissimo di referenti monumentali atti a trasformarsi in efficacissimi mezzi visivi a disposizione dell' oratore abile a farvi appello per piegarne i significati a vantaggio della causa trattata. Templi, statue e monumenti costituiscono allora un fondale che rimanda continuamente alle tradizioni politiche, storiche, culturali e religiose presenti e vive in quei luoghi ; tutta l' area del Foro viene insomma percepita dal pubblico come associata alla sua dimensione storica, alla lunga tradizione assembleare e politica della Roma postmonarchica, e al retaggio religioso che fonda la potenza della cittaé . Ann Vasaly ha recentemente mostrato come un impiego straordinariamente intensivo delle risorse visuali offerte dall' ambiente circo stante sia stato operato da Cicerone nelle orazioni contro Catilina. Non solo Cicerone fece s|é che la prima Catilinaria si svolgesse nel tempio di Giove Statore, la cui grande statua viene offerta agli occhi del pubblico come testimone divino dei delitti di Catilina : ma nella terza
Catilinaria egli arrivoé addirittura a modificare preventivamente l' ambiente circostante per ottenerne uno straordinario sussidio visuale. Esercitando i suoi poteri di console, egli infatti fece erigere la mattina sull' alto del Campidoglio un' enorme statua di Giove (che da tempo doveva essere posta in quel luogo in seguito a un oracolo), per poi indicarla al pubblico al pomeriggio, mentre pronunziava la sua
16
Sull' interazione fra gesto e ambiente cf. D. Efron, Gesture and Environment, New
York, 1941 ; E. Ro«misch, û Umwelt und Atmospha«re, Gedanken zur Lektu«re von Ciceros Reden ý, in Cicero, ein Mensch seiner Zeit, ed. G. Radke, Berlin, 1968, p. 117-135 ; A. Vasaly, The spirit of place ; molto materiale utile in proposito ora anche in A. Vasaly,
Representations, e G. Aldrete, Gestures and Acclamations, passim.
77
quintiliano e il `visibile parlare'
orazione, proprio come se fosse una sorta di improvvisa apparizione divina giunta d' un tratto a portare salvezza alla cittaé. Se in casi come questi assistiamo ad un uso solennemente drammatico delle risorse visuali offerte dal fondale, va notato che lo stesso Cicerone accenna, nel secondo libro del De oratore, anche a un loro possibile uso comico. Il caso in questione eé una battuta canzonatoria di Giulio Cesare Strabone (il personaggio cui nel secondo libro del De oratore viene affidata appunto l' esposizione del comico nell' oratoria) ai danni del suo avversario Elvio Mancia, il cui aspetto viene paragonato a quello, grottesco, di un Gallo dipinto sopra uno scudo di Mario, che era esposto nelle vicinanze (appeso cioeé ad ornare le botteghe sul lato nordorientale del Foro, di fronte alla Basilica Aemilia), ed evidentemente ben visibile agli spettatori : Valde autem ridentur etiam imagines, quae fere in deformitatem aut in aliquod
vitium
corporis
ducuntur
cum
similitudine
turpioris :
ut
meum illud in Helvium Manciam : `iam ostendam cuius modi sis' ; cum ille : `ostende quaeso' , demonstravi digito pictum Gallum in Mariano scuto Cimbrico sub Novis distortum, eiecta lingua, buccis fluentibus ; risus est commotus : nihil tam Manciae similem visum est
17
.
Si noti che la battuta di Giulio Cesare Strabone (introdotta fra l' altro da parole che rimandano alla teorizzazione appunto sulla commedia) risulta particolarmente
17
appropriata
anche percheè
gioca
su
un
Cic., De orat., 2, 266 : û Sono molto esilaranti i ritratti che, per lo piu é , prendono di
mira deformitaé o qualche difetto fisico, confrontandoli con qualcosa di peggio. Cos|é feci io con Elvio Mancia. `Ora faroé vedere come sei !' gli dissi ; replicoé : `Fallo, ti prego !' . Allora indicai con il dito la figura di un Gallo dipinto su uno scudo cimbrico di Mario, nella zona delle Botteghe nuove ; tutto contorto, con la lingua penzoloni e le guance cascanti. Ho scatenato l' ilaritaé : pareva infatti tale quale Mancia ý (cito la trad. da : Cicerone, Dell' oratore, con un saggio introduttivo di E. Narducci, Milano, 1994, p. 497 -499). L' aneddoto viene riportato, attribuendolo a Giulio Cesare Strabone e sottolineandone l' eccezionale carattere visuale, anche da Quint., Inst., VI, 3, 38 : rarum est, ut [risus] oculis subicere contingat, ut fecit C. Iulius : qui cum Helvio Manciae saepius obstrepenti sibi diceret `Iam ostendam qualis sis' isque plane instaret interrogatione, qualem tandem se ostensurus esset, digito demonstravit imaginem Galli in scuto Cimbrico pictam, cui Mancia tum simillimus est visus. Tabernae autem erant circa forum ac scutum illud signi gratia positum ; Plin., N. H., 35, 25 riporta invece la medesima battuta, attribuendola peroé a Crasso e variandone il racconto in piué di un particolare (il Gallo sarebbe dipinto ad esempio su di una tabula invece che sopra uno scudo) : hinc enim ille Crassi oratoris lepos agentis sub Veteribus, cum testis compellatus instaret : `dic ergo, Crasse, qualem me noris ?' `talem' , inquit, ostendens in tabula inficetissime Gallum exerentem linguam. Su tutto l' episodio cf. G. Perl, û Der Redner Helvius Mancia und der Pictus Gallus (Cic., De Or., 2, 226) ý, Philologus, 126 (1982), p. 59-69, e A. Corbeill, Controlling Laughter : Political Humor in the Late Roman Republic, Princeton, 1996, p. 39-41.
gabriella moretti
78
preciso orizzonte di attese iconografiche. Se infatti il Gallo
18
dipinto
sullo scudo doveva essere una di quelle insegne militari tese soprattutto a terrorizzare con immagini spaventose gli avversari (Perl ha in fatti notato le coincidenze con la piué tradizionale testa di Gorgone
19
),
il pubblico romano era abituato peroé a una diversa tipologia di scudi dipinti, quelli cioeé che portavano al loro centro dei veri e propri ritratti, le cosiddette imagines clipeatae
20
.
Giulio Cesare Strabone gioca dunque evidentemente su questa vocazione `ritrattistica' degli scudi dipinti quando afferma che lo scudo cimbrico riproduce perfettamente le fattezze di Mancia. 7. Se nel passo citato precedentemente del secondo libro Quintiliano estromette dalla techne i sussidi visivi, finiraé tuttavia, come giaé abbiamo preannunciato, per riammetterli nel sesto libro, ovvero all' interno della dottrina sul pathos : Non solum autem dicendo, sed etiam faciendo quaedam lacrimas movemus, unde et producere ipsos qui periclitentur squalidos atque de formes
et
liberos
eorum
ac
parentis
institutum,
et
ab accusatoribus
cruentum gladium ostendi et lecta e vulneribus ossa et vestes sanguine perfusas videmus, et vulnera resolvi, verberata corpora nudari. Quarum rerum ingens plerumque vis est velut in rem praesentem animos hominum ducentium, ut populum Romanum egit in furorem praetexta C. Caesaris praelata in funere cruenta. Sciebatur interfectum eum, corpus denique imposito lecto erat, vestis tamen illa sanguine madens ita repraesentavit imaginem sceleris ut non occisus esse Caesar sed tum maxime occidi videretur
21
.
18
Cf. G. Perl, û Der Redner Helvius Mancia ý, p. 65 sq.
19
Ibidem, p. 67 sq.
20
Cf. K. Weitzmann, Ancient Book Illumination, Cambridge, Mass., 1959, p. 116 sq. ;
cf. ora anche J. P. Small, The Parallel Worlds of Classical Art and Text, Cambridge, 2003, p. 129 sq. Sulle Imagines varroniane (per cui vedi Plin., N. H., 35, 11) cf. G. Becatti, Arte e gusto negli scrittori latini, Firenze, 1951, p. 66-67. Per un inquadramento generale delle problematiche del ritratto romano cf. R. Bianchi Bandinelli, Roma. L' arte romana nel centro del potere dalle origini alla fine del
i secolo d. C., Milano, 1976
2
a
(1 ed. franc. Paris, 1969),
p. 71 sq.
21
Quint., Inst., VI, 1, 30-31 : û Non eé, poi, solo parlando, ma anche facendo determi-
nate cose che possiamo muovere alle lacrime : di qui la consuetudine di spingere innanzi gli accusati mal vestiti e mal ridotti con figli e genitori, e vediamo gli accusatori mostrare la spada insanguinata, ossa tratte dalle ferite e gli abiti macchiati di sangue, slegare le bende che co prono le ferite e denudare le parti del corpo segnate dalle percosse. Di solito enorme eé l' efficacia di tali gesti, che quasi spingono i presenti a vivere la scena come se accadesse l|é per l|é : cos|é, ad esempio, l' aver mostrato durante i funerali di Gaio Cesare la sua pretesta insanguinata suscitoé il furore del popolo : che fosse stato ucciso era noto, il suo cadavere addirittura era stato posto sul catafalco, e tuttavia quell' indumento intriso di sangue fece rivivere la drammatica scena del delitto, al punto che Cesare sembroé non essere stato assassinato, ma esserlo proprio in quel momento ý. Sull' importanza patetica di cui venne retoricamente investita la toga insangui -
79
quintiliano e il `visibile parlare'
Come si vede, si tratta qui di oggetti di vario genere utilizzati nella performance oratoria : elementi questi che si differenziano da quelli ambientali non solo nel modo con cui, a teatro, il fondale si differenzia rispetto all' oggettistica di scena, ma anche per il fatto che il loro utilizzo non puo é essere presentato (come invece accadeva regolarmente nel caso del `fondale' ) come improvvisato e d' occasione. Il loro impiego non puoé al contrario evitare di apparire per solito il frutto di un progetto precisamente studiato, dato che tali oggetti sono effetti vamente e dichiaratamente portati o fatti portare sulla scena dall' oratore stesso, che intende servirsene per una sua deliberata strategia. Si tratta di semplici oggetti in vario modo legati alla causa trattata, e capaci di suscitare talvolta potenti emozioni, con uno straordinario effetto di quella che i retori antichi chiamano enargheia : la capacitaé, cioeé, di mettere sotto agli occhi del pubblico il fatto trattato quasi nel momento stesso del suo compiersi : anche in questo caso tuttavia eé richiesta all' oratore grande misura e abilitaé, in modo che l' uso strategico di questi `oggetti di scena' processuali, tragico nelle intenzioni, non viri invece involontariamente verso il comico per via di impreviste e indesiderabili interazioni con gli altri attori del dramma
22
.
8. E' interessante notare che Quintiliano allude all' impiego di oggetti non solo quando tratta del pathos, con un uso come si eé visto altamente drammatico di oggetti come sussidi visivi creatori di evidentia (cosa che corrisponde a un uso teatrale : spade e vesti insanguinate abbondano nel dramma antico).
nata di Cesare cf. anche Svet., Caes., 84 : funere indicto rogus exstructus est in Martio campo iuxta Iuliae tumulum et pro rostris aurata aedes ad simulacrum templi Veneris Genetricis collocata ; intraque lectus eburneus auro ac purpura stratus et ad caput tropaeum cum veste, in qua fue rat occisus.
22
Quint., Inst., VI, 1, 46-48 : Sed haec tamen non debent esse mimica. Itaque nec illum
probaverim, quamquam inter clarissimos sui temporis oratores fuit, qui pueris in epilogum productis talos iecit in medium, quos illi diripere coeperunt ; namque haec ipsa discriminis sui ignorantia potuit esse miserabilis : neque illum qui, cum esset cruentus gladius ab accusatore prolatus, quo is hominem probabat occisum, subito ex subselliis ut territus fugit, et capite ex parte velato, cum ad agendum ex turba prospexisset, interrogavit an iam ille cum gladio recessisset. Fecit enim risum, sed ridiculus fuit (û nondimeno questi interventi non debbono essere farseschi. Cosi non approveroé quell' avvocato º
eppure era tra i piué celebrati del suo tempo º
che
gettoé in mezzo a dei ragazzini, fatti venire in tribunale per l' epilogo, dei dadi che essi cominciarono ad arraffare, percheè questo stesso innocente loro non sapere a quale rischio erano esposti avrebbe potuto essere oggetto di compassione : neè l' altro, che, essendo stata esibita dall' accusatore la spada insanguinata, che era per lui l' arma dell' omicidio, scappoé subito via, come terrorizzato, dai banchi della difesa e, velatasi parzialmente la testa, guardando da lontano in mezzo alla folla prima di andare a fare la sua arringa, domandoé se l' uomo con la spada in pugno si fosse allontanato. Fece ridere, certo, ma divenne ridicolo ý).
gabriella moretti
80
Una casella della tassonomia quintilianea eé infatti riservata nel sesto libro, anche se in modo a dir la veritaé meno esplicito, agli oggetti come suscitatori del comico : Tertium est genus, ut idem dicit, in decipiendis expectationibus, dictis aliter accipiendis, ceteris, quae neutram personam contingunt ideoque a me media dicuntur. Item ridicula aut facimus aut dicimus. Facto risus conciliatur interim admixta gravitate, ut M. Caelius praetor, cum sellam eius curulem consul Isauricus fregisset, alteram posuit loris intentam (dicebatur autem consul a patre flagris aliquando caesus) : interim sine
respectu pudoris, ut in illa pyxide Caeliana, quod neque oratori neque ulli viro gravi conveniat
23
.
I due esempi portati da Quintiliano coinvolgono entrambi il personaggio di Marco Celio : e se ne puoé evincere che la sua oratoria, definita dalle nostre fonti come ricca di una particolare evidentia, sfruttasse la combinazione di effetti visuali e di giochi di parole per ottenere memorabili effetti di aggressivo sarcasmo
24
.
9. Una sottospecie interessante dell' uso di oggetti carichi di significati emotivi all' interno di una causa eé costituito poi dall' impiego processuale di oggetti artistici (ritratti, imagines), come supporto visivo dotato di straordinaria efficacia potenziale. Questi oggetti sono s|é preesistenti
alla
causa,
ma
risultano
tuttavia
estremamente
adatti
ad
un' acconcia utilizzazione processuale (abbiamo giaé accennato nel paragrafo 7 all' uso in parte simile che puoé venire fatto, da parte dell' oratore, di manufatti artistici º come statue o scudi dipinti º presenti appunto nell' ambiente circostante ; imagines degli antenati, come abbiamo visto sopra, erano inoltre tradizionalmente esibite nel corso della laudatio funebris, che puo é considerarsi l' archetipo per l' uso di ritratti fin da etaé molto antiche nell' oratoria romana).
23
Quint., Inst., VI, 3, 24-25 : û Il terzo genere [di comico], come afferma ancora Cice -
rone, consiste nel deludere l' attesa del pubblico, nel recepire in un senso volutamente di verso quanto viene detto, e negli altri espedienti che non toccano neè gli altri neè noi e che percioé ho chiamato `intermedi' . Il ridicolo si coglie in ugual misura nelle nostre azioni o
nelle nostre parole. Si suscita il riso con un' azione a volte mescolandovi qualcosa di serio : per esempio il pretore Marco Celio, dopo che il console Isaurico gli aveva rotto la sedia cu rule, in sostituzione ne collocoé un' altra provvista di corregge ben tese (si diceva infatti che una volta il console fosse stato percosso dal padre a colpi di correggia) ; a volte invece
senza riguardo alla decenza, come nel caso della famosa pisside celiana, che eé un espediente che non si conviene neè a un oratore neè a qualsiasi altra persona seria ý.
24
Vedi in proposito G. Moretti, û Lo spettacolo della Pro Caelio : oggetti di scena, tea-
tro e personaggi allegorici nel processo contro Marco Celio ý, in Lo spettacolo della giusti-
zia : le orazioni di Cicerone, a cura di G. Petrone e A. Casamento, Palermo, 2006, p. 139 164.
81
quintiliano e il `visibile parlare'
L' utilizzo
di
supporti
iconografici
di
questo
genere
richiede
comunque un' adeguata preparazione, al fine di coordinare questo tipo di supplemento visuale a momenti e sezioni specifiche del discorso (in particolare, come abbiamo piué volte osservato, il momento dell' epilogo e della peroratio finale, il luogo cioeé piué adatto in cui inserire tecniche di tipo teatrale
25
):
Alius imaginem mariti pro rea proferre magni putavit, at ea risum sae pius fecit. Nam et ii quorum officii erat ut traderent eam, ignari qui esset epilogus, quotiens respexisset patronus offerebant palam, et prolata novissime deformitate ipsa (nam senis cadaveri cera erat infusa) praeteritam quoque orationis gratiam perdidit
26
.
In questo caso eé evidente, pur nella tecnica maldestra dell' ostensione, il rimando alla tradizione della laudatio funebris. Un altro caso estremamente interessante di deliberato utilizzo pro cessuale di un' immagine eé quello di cui ci daé notizia Cicerone nella Pro C. Rabirio perduellionis reo. Cicerone difendeva insieme ad Ortensio il senatore Gaio Rabirio, accusato dell' uccisione, avvenuta molti anni prima, del tribuno della plebe Lucio Apuleio Saturnino, e si era riservato come al solito la peroratio finale in cui eccelleva. A supporto della difesa, che comportava una sistematica deformatio della figura di Saturnino, Cicerone portoé vari esempi di romani condannati come simpatizzanti del tribuno : tra essi un certo Sesto Tizio, che di Saturnino teneva a casa un' immagine. Da questo episodio Cicerone trae spunto per attaccare l' accusatore Labieno
27
, che nonostante il divieto di pos-
sedere immagini di Saturnino ha avuto addirittura l' ardire di portarne una sulla tribuna degli oratori : Itaque mihi mirum videtur unde hanc tu, Labiene, imaginem, quam tu habes, inveneris. Nam Sex. Titio damnato, qui istam habere auderet in ventus est nemo. Quod tu si audisses aut si per aetatem scire potuisses, numquam profecto istam imaginem quae, domi posita, pestem atque exsi-
25
Quint., Inst., VI, 1, 52 : tunc est commovendum theatrum, cum ventum est ad ipsum illud,
quo veteres tragoediae comoediaeque cluduntur, `plodite' (û E' quello il momento in cui il teatro dev' essere commosso, quando si arriva al momento in cui le vecchie tragedie e comme die si concludono con l' invito all' applauso ý).
26
Quint., Inst., VI, 1, 40 : û Un altro pensoé bene di esporre, nell' interesse dell' accu-
sata che difendeva, il ritratto di suo marito, ma esso suscitoé piu é volte l' ilaritaé, percheè quelli che avevano l' incarico di presentarlo, non sapendo dove cominciasse l' epilogo, tutte le volte che il patrono si volgeva a guardare indietro, lo mettevano in bella mostra, e il ritratto, posto bene in vista sul finire dell' azione, con la sua stessa bruttezza (era la maschera in cera del cadavere del vecchio marito) riusci a far perdere anche le simpatie suscitate nell' uditorio dalla parte precedente dell' orazione ý.
27
Cf. G. Aldrete, Gestures and Acclamations, p. 27-29.
gabriella moretti
82
lium Sex. Titio attulisset, in rostra atque in contionem attulisses nec tuas unquam ratis ad eos scopulos appulisses, ad quos Sex. Titi adflictam navem et in quibus C. Decani naufragium fortunarum videres
28
.
L' esibizione del ritratto di Saturnino nel corso di un' orazione doveva avere avuto un forte impatto sul pubblico, un effetto naturalmente ricercato da Labieno con lo scopo di riattualizzare la figura del tribuno morto ormai da tempo, e di suscitare nuovamente fra il po polo entusiasmo e rimpianto nei suoi confronti. 10. Un caso di uso politico e retorico di ritratti, assolutamente straordinario per la grande quantitaé delle immagini impiegate, e per il modo stesso in cui esse vennero esposte di fronte agli spettatori dalla tribuna da cui parlava l' oratore, ci viene offerto da un episodio che ha al suo centro l' imperatore Galba. L' episodio ci eé narrato da Svetonio, purtroppo con una brevitaé tale da lasciare molti dei nostri interrogativi insoddisfatti. Svetonio narra infatti come Galba º nel momento in cui, nel 68, decise di prendere apertamente posizione contro Nerone e di farsi proclamare imperatore º chiamoé a raduno il popolo di Nova Carthago in Spagna, dove si trovava, con il pretesto di una cerimonia per l' affrancamento di schiavi (un' evidente allusione, questa, alla liberazione del popolo dalla schiavitu é imposta dalla tirannia di Nerone). Salito sulla tribuna, espose pubblicamente º facendone dunque un uso retorico-politico º tutta una serie di ritratti (presumibilmente imagines funebres) delle vittime di Nerone, cui si aggiungeva º come canonico suscitatore di commozione degli animi º un puer in carne ed ossa, richiamato appositamente dall' esilio per l' occasione : Igitur cum quasi manomissioni vacaturus conscendisset tribunal, propositis ante se damnatorum occisorumque a Nerone quam plurimis imaginibus et astante nobili puero, quem exulantem e proxima Baliari insula ob id ipsum acciverat, deploravit temporum statum consalutatusque im perator legatum se senatus ac populi R. professus est
28
29
.
Cic., Rab. perd., 25 : û Pertanto mi chiedo con stupore dove tu, Labieno, abbia mai
trovato questo ritratto che eé in tuo possesso : dopo la condanna di Sesto Tizio, infatti, non si eé mai trovato nessuno che avesse il coraggio di tenerne uno. Se tu ne avessi sen tito parlare o se l' etaé ti avesse consentito di esserne direttamente informato, certo non avresti mai portato sulla tribuna degli oratori, in un' assemblea popolare, questo ritratto che, anche solo tenuto a casa, portoé a Sesto Tizio la condanna e l' esilio, neè avresti mai spinto la tua imbarcazione su quegli scogli su cui vedevi essersi sfasciata la nave di Sesto Tizio ed aver fatto naufragio Gaio Decano con tutte le sue sostanze ý.
29
Svet., Galb., 10 : û Pertanto, come se stesse per affrancare degli schiavi, sal|é sulla tri-
buna, dopo avervi esposto, davanti a seè, tutte le immagini che era riuscito a procurarsi di coloro che
83
quintiliano e il `visibile parlare'
La tribuna da cui Galba tiene il proprio discorso antineroniano diviene allora il luogo di una straordinaria esibizione di immagini, ognuna delle quali rappresenta una tacita ma eloquente accusa nei confronti del responsabile della morte di tutta quella folla di personaggi cos|é virtualmente radunati. Il dettato del testo fa supporre che Galba si sia procurato presso le famiglie delle vittime di Nerone delle
imagines
preesistenti, ma non si puoé del tutto escludere che in parte
esse siano state anche fabbricate o riprodotte per l' occasione. Certo eé
imagines pompa laudatio fune-
comunque il rapporto di questo impiego delle zione, che abbiamo sopra ricordato, della
bris
, dove le
imagines
con la tradi
e della
degli avi venivano analogamente esposte presso
la tribuna. Una tale folla di ritratti dovette costituire uno straordinario esempio di
Pathossteigerung
attraverso l' uso di immagini : ancora una volta,
insomma, il supporto visivo si dimostra, mettendo in gioco tutta la potenza emotiva di una vera e propria evocazione dei morti dall' aldilaé
30
, un efficacissimo strumento a disposizione dell' oratore per la mo -
zione degli affetti, capace di elaborare in forma nuova e ancora piué efficace gli insegnamenti della manualistica riguardo al
movere
.
Un punto d' arrivo : iconografie per l' oratoria
1. Nell' esplorare i mezzi visuali impiegati dall' oratore antico siamo passati da quelli piu é semplici º il corpo dell' oratore stesso come strumento di comunicazione delle emozioni ; il corpo del cliente come forma estrema di testimonianza º fino ad arrivare a espedienti piué complessi come l' uso di oggetti in vario modo connessi con la causa e dunque ostensibili a fini di
Pathossteigerung
, o a vere e proprie rappre-
sentazioni artistiche, sia pur precedenti alla causa ed ivi reimpiegate a fini retorici. Non c' eé da stupirsi a questo punto, viste le potenzialitaé evocatrici ed emotive dell' uso di immagini all' interno del processo, che laddove tali sussidi non si offrissero nel caso concreto, vi potesse essere la tenta -
erano stati condannati e messi a morte da Nerone
, e avendo al proprio fianco un ragazzo di no -
bile famiglia, che aveva richiamato proprio a questo scopo dalla piué vicina delle isole Baleari, dov' era in esilio, deploroé la condizione dei tempi, ed essendo stato salutato come imperatore, dichiaroé di essere solo il legato del Senato e del popolo romano ý.
30
In questo senso l' espediente utilizzato da Galba traduce in forma visuale la figura
retorica
dell'
idolopea
,
cui
pertiene
appunto
visuali per le passioni retoriche ý, p. 92-96.
inferos excitare
:
vedi
G. Moretti,
û Mezzi
gabriella moretti
84
zione per l' oratore di far s|é che rappresentazioni artistiche venissero create appositamente per l' occasione. Non eé facile peraltro º lo abbiamo giaé visto sopra a proposito di Galba º determinare con sicurezza se lo strumento visuale sia stato o no commissionato appositamente in vista dell' occasione retorica. Un caso dubbio da questo punto di vista, ma estremamente interessante invece per la sua antichitaé, e per l' intensitaé che vi viene messa in luce del rapporto fra strumento visuale e atto oratorio, ci viene offerto da Erodoto : e ci mostra quindi come l' utilizzo di immagini a scopo persuasivo sia qualcosa che troviamo almeno episodicamente testimoniato fin da fasi culturali assai antiche. Nel quinto libro delle Storie Erodoto ci narra infatti di come Aristagora, tiranno di Mileto, giunse a Sparta per convincere Cleomene e gli Spartani a venire in soccorso agli Ioni, muovendo guerra alla Persia. Ecco allora che il racconto erodoteo ci mostra come Aristagora fondasse gran parte della capacitaé persuasiva del suo discorso su di un inedito supporto visivo che proprio a quello scopo aveva portato con seè
31
:
â n oÉ ÊAristago`ryq oÉ Mily`tou tu`rannoq eÊq ty´n Spa`rtyn ÊApikne`etai d Ê w É q Lakedaimo`Kleome`neoq e²jontoq ty´n aÊrjy`n. Tw ç dy´ eÊq lo`gouq y²ie, w
e²jwn ja`lkeon pi` naka eÊn tw ã gyq aÉpa`syq peri` odoq eÊnete`tmyto kai´ ha`lassa` te pasa kai´ potamoi´ pa`nteq. ÊApikneo`menoq de´ eÊq
nioi le`gousi,
lo`gouq oÉ ÊAristago`ryq e²lege pro´q auÊto´n ta`de· É Kleo`meneq, spoudy´n me´n ty´n eÊmy´n my´ hwma`sðq tyq eÊnhauta aÊpi` xioq. Ta´ ga´r katy`konta` eÊsti toiauta. Ê Iw`nwn pai daq dou`louq eiânai aÊntÊ eÊleuhe`rwn o²neidoq kai´ a²lgoq me`giston me´n auÊtoi si yÉmi n, e²ti de´ twn loipwn uÉmi n, oÌsw ç proe`state tyq É Ella`doq. Nun wân pro´q hewn twn É Ellyni` wn lu`sashe ² Iwnaq eÊk doulosu`nyq, a²ndraq oÉmai` monaq. EuÊpete`wq de´ uÉmi n tauta oiàa` te jwre`ein eÊsti` . Ou²te ga´r oiÉ ba`rbaroi a²lkimoi` eiÊ si, uÉmei q te ta´ eÊq to´n po`lemon eÊq ta´ me`gista aÊny`kete aÊretyq pe`ri.
[...]
Esti de´ kai´ aÊgaha´ toi si ty´n
y²peiron eÊkei` nyn nemome`noisi oÌsa ouÊde´ toi si suna`pasi a²lloisi, aÊpo´ jrusou aÊrxame`noisi, a²rguroq kai´ jalko´q kai´ eÊshy´q poiki` ly kai´ uÉpozu`gia` te kai´ aÊndra`poda· ta´ humwç boulo`menoi auÊtoi´ a³n e²joite. Katoi` kyntai de´ aÊlly`lwn eÊjo`menoi wÉq eÊgw´ fra`sw. Ê Iw`nwn me´n twnde oiÌ de Ludoi` , oiÊ poluargurytatoi eÊo`nteqÊ (deiknu´q de´ e²lege tauta eÊq tyq gyq ty´n peri` odon ty´n eÊfe`reto eÊn tw ã pi` naki eÊntetmyme`nyn). É Ludwn de` Ê, e²fy le`gwn oÉ ÊAristago`ryq, É oiÌ de e²jontai Fru`geq
ke`onte`q te jw`ryn aÊgahy´n kai´
[...]
31
Frugwn de´ e²jontai Kappado`kai
[...]
Tou`toisi de´ pro`souroi Ki` li-
In genere sugli elementi visuali come espedienti retorici in alcuni discorsi riportati
da Erodoto cf. ora S. Murnaghan, û The Superfluous Bag : Rhetoric and Display in the Histories of Herodotus ý, in The Orator in Action and Theory in Greece and Rome, ed. C. W. Wooten, Leiden - Boston - Koln, 2001 (Mnemosyne, Bibliotheca classica Batava. Sup-
plementum 225), e la bibliografia ivi riportata.
85
quintiliano e il `visibile parlare'
keq, katy`konteq eÊpi´ ha`lassan ty`nde, eÊn tð yÌde Ku`proq nysoq keitai, [...]
à toi eÊo`nteq poluKili`kwn de´ tw nde e²jontai ÊArme`nioi oiÌde, kai´ ou
` ryn ty`nde e²jonteq. ² Ejetai de´ pro`batoi. ÊArmeni`wn de´ Matiynoi´ jw
tou`twn gy yÌde Kissi`y, eÊn tð dy´ para´ potamo´n to`nde Joa`spyn kei`mena` eÊsti ta´ Sousa tauta, e²nha basileu`q te me`gaq di`aitan poie`etai, kai´ tw n jryma`twn oiÉ hysauroi´ eÊnhauta` eiÊsi [...]'
32
.
Il modo con cui Erodoto ci riporta il discorso di Aristagora mostra una strettissima interrelazione fra mezzo visuale ed atto retorico. Il discorso etnografico, geografico e militare del tiranno di Mileto eé tutto condotto infatti attraverso il riscontro continuo, rivelato dal ripetersi dei deittici, con la tabula geografica di bronzo, l' inedito supporto visuale che aveva portato con seè
33
.
Non sappiamo, tuttavia, se in questo caso si tratti di un reimpiego retorico di un oggetto preesistente per altri scopi, oppure se la tabula geografica
adoperata
da
Aristagora
sia
stata
da
lui
appositamente
commissionata proprio per sfruttarne le valenze persuasive (vedremo poi come immagini geografiche piué o meno simili a questa, e con analoghe connotazioni militari, siano destinate a trovare anche in seguito un loro preciso impiego oratorio).
32
Herodot., V, 49, 1-7 : û Insomma il tiranno di Mileto Aristagora giunse a Sparta
quando il potere era nelle mani di Cleomene ; con lui venne a parlare, come raccontano gli Spartani, con una tavoletta di bronzo su cui era incisa la mappa del mondo intero, con tutti i
mari e i singoli fiumi. Aristagora, venuto a colloquio con lui, gli disse : `Cleomene, non meravigliarti della mia fretta nel venire qui ; la situazione eé questa : che i figli degli Ioni siano schiavi invece che liberi eé ragione di vergogna e di grande dolore sia per noi stessi, sia, fra gli altri, soprattutto per voi, poicheè siete a capo della Grecia. Ora, percioé , in nome degli deéi greci salvate gli Ioni dalla schiavitué ; sono uomini del vostro sangue ed eé un' impresa, per voi, di facile riuscita, percheè i barbari non sono forti, mentre voi, in fatto di guerra, siete ai massimi livelli di valore. [...] Peroé gli abitanti di quel continente hanno a disposizione risorse quante il resto del mondo non possiede, a cominciare dal l' oro, e argento, rame, stoffe variopinte e bestie da soma e schiavi. Tutte cose che pos sono essere vostre se le volete sul serio. Vivono stanziati nell' ordine che vi diroé , uno di seguito all' altro : accanto agli Ioni ci sono i Lidi, che abitano una fertile regione e sono ricchi di denaro' . Parlava cos|é segnalando col dito i punti nella mappa della terra che portava con seè incisa sulla tavola : `Dopo i Lidi' , continuoé a dire Aristagora, `ecco i Frigi [...] Contigui ai Frigi i Cappadoci [...] e ai loro confini i Cilici che si estendono fino al mare in cui,
vedete, giace l' isola di Cipro ; [...] Oltre ai Cilici ecco gli Armeni : anch' essi possiedono molto bestiame, e dopo gli Armeni, qui, vivono i Mantieni. Di seguito c' eé il paese dei Cissi, nel quale, sul corso del fiume Coaspe, sorge Susa, eccola, dove il grande re ha la sua residenza ; l|é si trovano le camere del tesoro [...]' ý (cito la trad. da : Erodoto, Le Sto-
rie. Libri V-VI-VII : I Persiani contro i Greci, intr., trad. e note di F. Barberis, con un sag 2
gio di L. Canfora, Milano, 1992 , p. 47-49).
33
Si trattava di una tipologia del tutto nuova di supporto visuale, dato che proprio a
Mileto nel VI sec. furono realizzate ad opera del filosofo Anassimandro le prime carte geografiche, poi perfezionate da Ecateo : sulla loro tipologia cf. Herodot., VI, 36, 2.
gabriella moretti
86
In ogni caso il discorso del tiranno di Mileto ci viene presentato come un atto discorsivo per dir cos|é `privato' , rivolto cioeé in primis a Cleomene, e non come una pubblica orazione : caratteristiche diverse e probabilmente piué formalizzate (e certamente dimensioni maggiori) dovettero avere quegli strumenti visuali concepiti per essere mostrati a un largo pubblico durante un' orazione. 2. Le testimonianze antiche relative all' uso di strumenti visuali ap positamente confezionati per la performance oratoria º come constateremo di qui a poco º sono piué d' una (e la cosa appare tanto piué sorprendente quanto piué trascurata per solito dagli studi sulla retorica classica) : solo in un caso invece, a mia notizia, possiamo constatare come l' uso di tali sussidi visuali venga ripetutamente preso in considerazione da un trattatista antico. Si tratta ancora una volta di Quintiliano, che nel seguito del passo del sesto libro che giaé abbiamo sopra analizzato º e in cui parlava dell' uso a fini patetici dell' ostensione di oggetti durante un' orazione º viene a parlarci di come veri e propri quadri su tavola o su tela potessero venire esibiti in tribunale durante un' orazione, con l' adozione quindi di tecniche esplicitamente (e audacemente) teatrali allo scopo di suscitare le emozioni dei giudici : Sed non ideo probaverim, quod factum et lego et ipse aliquando vidi,
depictam in tabula sipariove imaginem rei cuius atrocitate iudex erat commovendus : quae enim est actoris infantia qui mutam illam effigiem magis quam orationem pro se putet locuturam
34
?
Come si vede netta eé la condanna, da parte di Quintiliano, nei confronti di tale pratica : non tanto º come ci aspetteremmo º per l' artificialitaé insita in questa specie di sussidi visuali, quanto per la rinuncia dell' oratore al proprium della parola (la paura, da parte di Quintiliano, che il mezzo visuale venga a sostituirsi alla parola non eé del tutto privo di fondamento : vi sono nel mondo antico tradizioni di laconismo antiretorico che mirano alla sostituzione del gesto alla parola, dell' ostensione all' orazione
34
35
).
Quint., Inst., VI, 1, 32 : û Non per questo, peroé, sarei disposto ad approvare una
cosa che a quanto leggo eé stata fatta, e che io stesso talvolta ho visto fare di persona, e cioeé la raffigurazione su un quadro o su una tela della scena del delitto, dalla cui atrocitaé il giudice
avrebbe dovuto essere commosso. Quale incapacitaé oratoria dev' essere quella di un avvocato, convinto che meglio delle sue parole parleraé per lui quella muta rappresentazione ? ý.
35
Si vedano in proposito i passi erodotei analizzati da S. Murnaghan, The superfluous
Bag, p. 55-72 ; accanto alla tradizione di una gestualitaé o di un simbolismo sapienziali, e
accanto
alla
tradizione
del
laconismo
spartano,
vi
eé
anche
una
tradizione
stoica
87
quintiliano e il `visibile parlare'
L' avvocato avrebbe dovuto piuttosto suscitare immagini virtuali nelle menti degli ascoltatori grazie all' abilitaé in tecniche ben note alla trattatistica retorica antica, come l' ekphrasis e tutte le figure che pertengono all' evidentia : il suo ricorrere a un' immagine commissionata a un pittore eé per Quintiliano l' ammissione di una sconfitta Purtroppo
le
notizie
in
nostro
possesso
circa
36
questa
. pratica
di
commissionare immagini dipinte ad uso processuale sono estremamente limitate ; tuttavia una conferma assai interessante ci viene dal medesimo Quintiliano in un passo successivo del sesto libro : Refutatio cum sit in negando, redarguendo, defendendo, elevando, ridicule negavit Manius Curius
37
; nam cum eius accusator in sipario
omnibus locis aut nudum eum in nervo aut ab amicis redemptum ex alea pinxisset : `Ergo ego' , inquit, `numquam vici'
38
.
Mettendo in sistema questo passo con il precedente, si ricava la certezza di una pratica invalsa non raramente, e che potremmo supporre essere stata messa in opera º come nel caso di Manio Curio º soprattutto da parte degli accusatori, quelli cioeé che maggiore vantaggio potevano trarre dal suscitare nel pubblico condanna e indignazione attraverso immagini impressive di delitti o azioni vergognose.
dell' ostensione sostitutiva della parola, su cui cf. G. Moretti, Acutum dicendi genus. Brevitaé, oscuritaé, sottigliezze e paradossi nelle tradizioni retoriche degli Stoici, Bologna, 1995, in particolare p. 37-70 ; Seneca ha un' antica tradizione di scuola dietro le spalle quando esclama, in Epist., 75, 2 : si fieri posset, quid sentiam, ostendere quam loqui mallem. Il motivo saraé destinato ad avere tutta una sua fortuna letteraria nelle letterature europee moderne, dalla disputa
muta
ed
esclusivamente
gestuale
messa
in
scena
da
Rabelais,
fino
almeno
all' Accademia di Ladago nei Gulliver' s Travels di Jonathan Swift, dove i parlanti sono costretti, con grandi sforzi di trasporto, a mostrare direttamente gli oggetti in luogo delle parole che li rappresentano.
36
In genere sul tema dell' efficacia della parola in concorrenza con l' immagine si
veda ora L. Spina, û L' enaèrgeia prima del cinema : parole per vedere ý, Dioniso, 4 (2005), col. 196-211.
37
I nostri mss. riportano il nome come Manius Curius, ma dovrebbe trattarsi di
Q. Curius (Q. Manius Curius ?), notissimus aleator, su cui Asconio, in toga candida, fr. 28 Schoell (p. 72 Stangl), riferisce un elegante endecasillabo di Licinio Calvo al suo ri guardo : et talis Curius pereruditus (probabilmente il medesimo personaggio viene ricor dato anche da Cic., Phil., 5, 13 : cum Curio consessore eodemque collusore facillime possit convenire). Il personaggio fu coinvolto nella congiura catilinaria, e Sall., Cat., 23 descrive come venne espulso dal senato probri gratia e rimarca, nel suo comportamento, l' assenza di vergogna per le sue azioni (huic homini non minor vanitas inerat quam audacia, etc. ; cf. anche Appian., Civ., 2, 3).
38
Quint., Inst., VI, 3, 72 : û Dato che la confutazione consiste nel negare, smentire,
trovare giustificazioni, attenuare, Manio Curio ha usato un tipo di negazione con effetti ridicoli ; infatti, poicheè il suo accusatore lo aveva fatto ritrarre su di una grande tela, in tutti i diversi episodi, o nudo in ceppi, o riscattato dai debiti di gioco grazie agli amici, egli disse : `Dunque, io non ho mai vinto al gioco !' ý.
gabriella moretti
88
La tipologia e il formato di tali iconografie squisitamente processuali si lasciano ricavare invece piué che altro per forza d' ipotesi. Si saraé trattato probabilmente di
tabulae
quadri sono chiamati di preferenza
tabellae
di Orazio
39
di una certa dimensione (piccoli
tabellae,
come ad esempio le
votivae
; le scene raffigurate dovevano comunque essere
abbastanza grandi da poter essere apprezzate anche da una certa distanza), oppure di tele, fors' anche montate su di un telaio. Si noti che
pinakes
e
siparia
dipinti erano abitualmente inseriti nella
teatro romano, come giaé in quello ellenistico ; termine che per antonomasia indica il mimo
frons scenae
siparium,
40
del
per di piué, eé
. Come vedremo fra
poco, inoltre, pannelli dipinti di grandi dimensioni, e divisi in diversi registri a ospitare scene in successione, erano divenuti comuni nel corso delle processioni trionfali. Va notato a questo proposito che, dalla testimonianza quintilianea circa il processo di Manio Curio, ricaviamo anche la notizia che
lae
e
siparia,
tabu-
oltre a rappresentare singole scene delittuose (in forme
che devono essere state talvolta drammatiche e cruente), potevano an che ospitare delle serie di scene o vignette consecutive, secondo quel procedimento che eé ben noto agli studi sulla pittura `narrativa' nell' antichitaé, e soprattutto agli studi intorno alle illustrazioni librarie prima su rotolo e poi su codice, e cui Kurt Weitzmann ha dato il nome di û cyclic method
41
ý.
In particolare, la raffigurazione di Manio Curio in ceppi (forse in prigione, o forse ridotto in schiavitué), e riscattato solo grazie all' intervento degli amici, eé una scena che presenta molti punti di contatto con una serie `ciclica' di raffigurazioni inerenti una vicenda biografica, cos|é come ne conosciamo non solo attraverso concreti reperti iconografici, ma anche attraverso la narrazione che di una pittura del genere ci viene fatta all' interno di un celebre testo letterario. Si tratta, all' inizio della
Cena
petroniana, degli affreschi che Encol-
pio ammira lungo il porticato d' ingresso alla casa di Trimalchione, e dove un accurato pittore-biografo aveva rappresentato le tappe salienti della vita e della carriera del padrone di casa, dalla sua vendita in un mercato di schiavi fino alle sue alte fortune successive : Ego autem collecto spiritu non destiti totum parietem persequi. Erat autem
venalicium cum titulis pictum,
39
Cf.
40
Cf. Sen.,
41
Cf. K. Weitzmann,
e.g.
Hor.,
Sat.,
Tranq.,
Text Illustration,
et ipse Trimalchio capillatus cadu -
II, 1, 33.
11, 8 ; Iuv., 8, 186.
Illustrations in Roll and Codex. A Study of the Origin and Method of
Princeton, 1947 (Studies
in Manuscript Illumination
2), p. 17
sq.
e
passim.
89
quintiliano e il `visibile parlare'
ceum tenebat Minervaque ducente Romam intrabat. Hinc quemad modum ratiocinari didicisset, deinque dispensator factus esset, omnia diligenter curiosus pictor cum inscriptione reddiderat
42
.
Si noti, in questi quadri biografici successivi, la presenza delle didascalie, forse un' ereditaé delle illustrazioni `cicliche' su rotolo di papiro, dove alle figure si alternava il testo ad esse connesso (ma vedremo in seguito altri esempi in cui un' immagine dipinta si associa a una scrittura `epigrafica' ). Nel caso invece di un utilizzo processuale di serie iconografiche come quella di Manio Curio, la didascalia saraé stata fornita dalla voce stessa dell' oratore, che illustra additandoli al pubblico i diversi quadri, mentre essi forniscono al contempo evidentia drammatica alle sue parole : la sintesi audiovisiva, insomma, eé in casi come questo davvero completa. 3. Se l' uso di ritratti oppure di quadri narrativi saranno state le due forme piu é comuni di impiego in sede processuale o comunque oratoria di un supporto iconografico appositamente approntato, vi sono anche testimonianze che ci tratteggiano l' uso di differenti supplementi visuali al discorso oratorio, come ad esempio riproduzioni dipinte di edifici. Cicerone aveva
nel
narra
infatti
67 º allorcheè
che
il
tribuno della
Lucullo
e
Pompeo
plebe si
Aulo Gabinio
contendevano
il
comando della guerra contro i pirati º mostrato davanti all' assemblea popolare, per accusare il ricco consolare di lusso eccessivo e sfrenato, un' immagine raffigurante la villa di Lucullo, allora considerata straordinariamente sontuosa : Cum sciat duo illa rei publicae paene fata, Gabinium et Pisonem, alte rum haurire cotidie ex paratissimis et opulentissimis Syriae gazis innu merabile pondus auri, bellum inferre quiescentibus, ut eorum veteres illibatasque divitias in profundissimum libidinum suarum gurgitem profundat, villam edificare in oculis omnium tantam, tugurium ut iam videatur esse illa villa quam ipse tribunus plebis pictam olim in contionibus explicabat, quo fortissimum ac summum civem in invidiam homo castus ac non cupidus vocaret [...]
42
43
.
Petron., 29, 2-4 : û Io, ripreso fiato, non smettevo di seguire con lo sguardo tutta
quanta la parete del portico. C' era dipinto infatti un mercato di schiavi, con i cartelli, e Trimalchione in persona, con una lunga zazzera e il caduceo in mano, che faceva il suo ingresso a Roma guidato da Minerva. Di l|é in avanti il pittore scrupoloso aveva rappresentato, in tutti i particolari e con tanto di didascalia, come avesse imparato a far di conto e come poi fosse stato nominato amministratore ý.
43
Cic., Sest., 93 : û Pur sapendo che di quei due che potrebbero quasi dirsi la rovina
della repubblica, Gabinio e Pisone, il primo succhia quotidianamente un' incalcolabile
gabriella moretti
90 E'
difficile dire in questo caso se la riproduzione della villa di
Lucullo fosse stata fatta approntare dallo stesso Gabinio per l' occasione, oppure se raffigurazioni del genere fossero all' epoca correnti, e magari commissionate dagli stessi proprietari (appare difficile comun que che in questo caso Gabinio potesse averne la disponibilitaé , e rimane quindi assai piué probabile che l' immagine fosse stata preparata proprio su sua commissione a fini oratori e persuasivi). Certamente sappiamo che esistevano disegni di piante di edifici : gli architetti romani usavano non solo piante di tipo geometrico piano, ma anche del tipo ad elevazione (orthographia). Vitruvio fa cenno a questo tipo di supporto grafico (Arch., I, 2, 2), mentre Gellio (XIX, 10, 2-3) decrive una scena che ebbe luogo in casa di Cornelio Frontone (100-166 d. C.), sofferente di gotta : gli si presentarono i costruttori assunti per edificare dei nuovi bagni, e gli mostrarono le piante di differenti progetti (species), disegnati su piccoli pezzi di pergamena (membranulis)
44
.
Si noti comunque che qualcosa di simile º e cioeé l' uso politico della raffigurazione di un edificio º ma in circostanze e forme assai diverse, ci viene mostrato a proposito di quella straordinaria occasione spettacolare che era la cerimonia del trionfo. Quintiliano ci testimonia infatti che durante le sfilate trionfali venivano mostrati al popolo anche modellini di costruzioni militari : [...] Chrysippus, cum in triumpho Caesaris eborea oppida essent tras lata et post dies paucos Fabi Massimi lignea, `thecas esse oppidorum Caesaris' dixit
45
.
Come vedremo, non saraé questo l' unico caso in cui l' impiego di straordinari mezzi visuali accomuneraé la comunicazione oratoria alle spettacolari forme di comunicazione di massa sperimentate a Roma nelle parate trionfali.
quantitaé d' oro dai ricchissimi tesori della Siria che sono a sua completa disposizione, attacca popolazioni pacifiche per versare nel gorgo profondissimo delle sue passioni le loro ricchezze antiche e ancora intatte, e si fa costruire davanti agli occhi di tutti una villa cos|é lussuosa, da far apparire ormai un tugurio quella villa che lui stesso, quand' era tribuno della plebe, mostrava dipinta nelle assemblee popolari, in modo da esporre all' ostilitaé popolare il piué coraggioso e nobile dei cittadini, lui, uomo davvero integro e disinteressato ! ý.
44
Cf. J. P. Small, The Parallel Worlds of Classical Art and Text, Cambridge, 2003,
p. 121.
45
Quint., Inst., VI, 3, 61 : û [...] Crisippo, poicheè durante il trionfo di Cesare erano
state portate in processione delle riproduzioni in avorio di piazzeforti, e pochi giorni dopo, durante quello di Fabio Massimo, delle riproduzioni in legno, disse che `queste erano gli astucci delle piazzeforti di Cesare' ý.
91
quintiliano e il `visibile parlare'
E in effetti proprio come la pompa funebris rappresenta un modello per l' ostensione, all' interno della `performance' oratoria, di cadaveri o di ritratti che ne sono l' equivalente iconografico, cos|é la pompa
triumphalis, con il suo straordinario apparato decorativo di tabulae triumphales º eccezionale e spettacolare forma di comunicazione di massa nella cultura romana º rappresenta la fonte di altri e diversi accoppiamenti fra orazione ed esibizione di un dipinto
46
.
4. L' uso di tabulae e siparia come supporto per l' oratoria non rappresenta
infatti
(come
si
potrebbe
anche
ipotizzare
di
fronte
alla
condanna di Quintiliano) uno sviluppo relativamente recente dell' oratoria latina : anzi, l' utilizzo di immagini a scopo persuasivo eé qualcosa intorno a cui troviamo testimonianze che retrodatano episodi simili giaé alla seconda metaé del ii secolo A.C. Plinio il Vecchio narra infatti che L. Ostilio Mancino, il primo Romano a entrare a Cartagine dopo la sua resa, essendosi candidato per il consolato, nel 146 a. C., fece fare dei quadri che rappresentavano il luogo e gli attacchi successivi che vi vennero portati, e li uti lizzo é per cos|é dire come supporto oratorio durante la sua campagna elettorale : Dignatio autem praecipua Romae increvit, ut existimo, a M' . Valerio Maximo Messala, qui princeps tabulam pictam proelii, quo Carthagi nienses et Hieronem in Sicilia vicerat, proposuit in latere curiae Hosti liae anno ab urbe condita CCCCXC. Fecit hoc idem et L. Scipio tabulamque victoriae suae Asiaticae in Capitolio posuit, idque aegre tulisse fratrem Africanum tradunt, haut inmerito, quando filius eius illo proelio captus fuerat. Non dissimilem offensionem et Aemiliani subiit L. Hostilius Mancinus, qui primus Carthaginem inruperat, situm
eius oppugnationesque depictas proponendo in foro et ipse adsistens populo spectanti singula enarrando, qua comitate proximis comitiis consulatum adeptus est
46
47
.
Se proseguissimo la nostra analisi fino alla tarda etaé imperiale, vedremmo emergere
una terza occasione rituale º la pompa circensis º come nuovo punto d' origine di commistioni fra parola pubblica ed immagini. Sui rapporti reciproci e le analogie fra pompa fu-
nebris, pompa triumphalis e pompa circensis cf. H. S. Versnel, Triumphus. An Inquiry into the Origin, Development and Meaning of the Roman Triumph, Leiden, 1970, p. 99 sq.
47
Plin., Nat., 35, 22-23 : û Ma la dignitaé della pittura crebbe a Roma, io credo, so -
prattutto a partire da Manio Valerio Massimo Messalla, che per primo, nell' anno 490 dalla fondazione di Roma [263 a. C.], fece esporre su di un lato della curia Ostilia un quadro della battaglia in cui egli aveva vinto, in Sicilia, i Cartaginesi e Ierone. Anche Lucio Scipione fece la stessa cosa, ed espose nel Campidoglio un quadro della sua vitto ria asiatica : e si dice che suo fratello l' Africano se la prese a male, e non senza motivo, dato che in quella battaglia suo figlio era stato fatto prigioniero. Suscitoé un' analoga irri-
gabriella moretti
92
L' uso propagandistico che Lucio Ostilio Mancino fece di imma gini relative alle sue imprese militari, spiegando partitamente al po polo le diverse raffigurazioni e facendosene, per cos|é dire, la vivente didascalia, ci colpisce per la singolaritaé di tale precoce accostamento fra iconografia e oratoria. Va in particolare sottolineato il fatto che Plinio parla dell' effetto di comitas che l' esposizione del quadro e il suo commento ebbero sul popolo : lo strumento visuale puoé dunque assumere finalitaé ed effetti di ethos, oltre che di pathos. E' interessante infatti come l' ethos messo qui in rilievo da Plinio sia non solo e non tanto l' alone di gloria trionfale che un' esposizione del genere doveva di certo comportare, ma appunto quell' effetto di comitas che doveva essere legato alla funzione per dir cos|é divulgativa dello strumento visuale e della sua esplicazione. 5. Come si evince dal contesto del passo di Plinio, l' iniziativa di Ostilio Mancino si inserisce in una consolidata tradizione romana di esibizione pubblica di immagini : l' impiego infatti di immagini di episodi bellici, insieme con ritratti e quadri narrativi di ogni genere, era da tempo un elemento importantissimo e irrinunciabile della cerimonia del trionfo romano. Come Plinio notava nel passo sopra citato, il primo dipinto di battaglia esposto pubblicamente a Roma sarebbe stato, nel 264 A.C., la tabula picta commissionata da M. Valerio Massimo Messalla. Se in quel caso Plinio non parlava esplicitamente di una pittura esibita durante un trionfo, sono molte peroé le testimonianze sulle vere e proprie tabulae triumphales. Una delle piué antiche eé quella relativa all' ovatio di M. Claudio Marcello su Siracusa nel 211 A.C., in cui, comprendendo bene quale
tazione nell' Emiliano Lucio Ostilio Mancino, che per primo era penetrato a Cartagine, quando espose nel Foro, dipinte, riproduzioni del sito della cittaé e delle varie fasi dell' assedio : ed egli stesso, stando vicino a quelle immagini, andava illustrando alla folla degli spettatori i singoli avvenimenti, guadagnandosi cos|é il consolato, con tale dimostrazione di affabilitaé , nei successivi comizi ý. L' iconografia della tabula o delle tabulae esposte da Ostilio Mancino, che probabilmente proponeva le diverse fasi della guerra attraverso diverse `vignette' sepa rate, doveva probabilmente essere simile a quella che ci viene mostrata da un frammento di affresco con scene belliche proveniente da una tomba sull' Esquilino risalente al a. C.,
ora
a
Palazzo
dei
Conservatori
(una
riproduzione
in
E. Ku« nzl,
Der
iii sec.
ro«mische
Triumph. Siegesfeiern im antiken Rom, Mu « nchen, 1988, p. 117, fig. 74) ; ancora maggiori analogie si possono riscontrare con la rappresentazione delle varie fasi dell' assedio e della conquista di Troia nelle Tabulae Iliacae, dove fra l' altro l' iconografia si accompagna a un' iscrizione (l' intera serie delle venti tabulae eé stata ampiamente studiata da A. Sadurska in Les Tables Iliaques, Warszaw, 1964).
93
quintiliano e il `visibile parlare'
sarebbe stato il loro straordinario impatto visuale sul pubblico ro mano,
furono
portate
in
processione
non
solo
magnifiche
opere
d' arte provenienti dalla cittaé, ma anche un simulacrum captarum Syracusarum, forse una veduta a volo d' uccello della cittaé, o forse un dipinto allegorico raffigurante Siracusa fatta prigioniera
48
:
Cum simulacro captarum Syracusarum catapultae ballistaeque et alia omnia instrumenta belli lata et pacis diuturnae regiaeque opulentiae orna menta, argenti aerisque fabrefacti vis, alia supellex pretiosaque vestis et multa nobilia signa, quibus inter primas Graeciae urbes Syracusae ornatae fuerunt
49
.
Di genere diverso, vicino alla ritrattistica, eé l' immagine di Cleopatra esibita nella processione trionfale di Ottaviano dopo Azio, secondo la testimonianza fornitaci da Cassio Dione :
Ta` te ga´r a²lla kai´ yÉ Kleopa`tra eÊpi´ kli`nyq eÊn tw ç tou hana`tou mimy`Ì ste tro`pon tina´ kai´ eÊkei`nyn meta` te tw mati parekomi`shy, w n a²llwn ` twn kai´ meta´ tou ÊAlexa`ndrou tou kai´ É Cli`ou, tyq te Kleopa`aiÊjmalw 50 É q pompeion oÊfhynai . traq tyq kai´ Sely`nyq, tw n te`knwn, w
48
Per immagini rappresentative dei luoghi conquistati º cittaé, monti, fiumi, popoli,
rappresentati vuoi con `vedute' vuoi forse con immagini allegoriche º cf. Cic., Phil., 8, 18 : Quo usque enim Massiliam oppugnabis ? Ne triumphus quidem finem facit belli, per quem lata est urbs ea sine qua numquam ex Transalpinis gentibus maiores nostri triumphaverunt (Cicerone allude al fatto che durante il trionfo celebrato da Giulio Cesare nel 45 per le sue vit torie in Gallia, fu portata in corteo, accanto alle immagini di altre popolazioni e cittaé soggiogate, anche quella di Marsiglia) ; Tac., Ann., II, 41, 2-3 : C. Callio L. Pomponio consulibus Germanicus Caesar a.d. VII Kal. Iunias triumphavit de Cheruscis Chattisque et Angriva riis quaeque aliae nationes usque ad Albim colunt. Vecta spolia, captivi, simulacra montium fluminum proeliorum ; Plin., N. H., 5, 36-37 : Et hoc mirum, supra dicta oppida ab eo capta auctores nostros prodidisse, ipsum in triumpho praeter Cidamum et Garamam omnium aliarum gen tium nomina ac simulacra duxisse, quae iere hoc ordine : Tabudium oppidum, Niteris natio [...] mons Gyri, in quo gemmas nasci titulus praecessit. A un' immagine allegorica di Ambracia conquistata
da
M. Fulvio
Nobiliore
allude
Liv.,
XXXVIII, 43, 11 ;
probabilmente
vedute topografiche dovevano essere invece i ben 134 oppidorum simulacra portati in trionfo da Scipione Asiatico nel 188 A.C. per celebrare la sua vittoria su Antioco III di Siria : cf. Liv., XXXVII, 59, 3.
49
Liv., XXVI, 21, 7-9 : û Insieme con l' immagine di Siracusa conquistata, venivano cata-
pulte, baliste e tutte le altre macchine da guerra e gli arredi ornamentali testimoni di una lunga pace e dell' opulenza dei re. Era portata una gran quantitaé di argento e di bronzo artisticamente lavorato, si recavano suppellettili e vesti preziose e molte statue famose, che avevano ornato Siracusa, una delle piué fiorenti cittaé della Magna Grecia ý.
50
Cass. Dio, LI, 21, 8 : û Tra le altre cose, venne trasportata nel corteo un' immagine di
Cleopatra morta su di un letto, cosiccheè anch' ella, insieme agli altri prigionieri e ai suoi figli º Alessandro, detto anche Helios, e Cleopatra, detta anche Selene º fu parte dello spettacolo e un trofeo nella processione trionfale ý.
gabriella moretti
94
Si noti come, in questo caso, l' iconografia tipica delle tabulae triumphales faccia posto a un ritratto della defunta sul letto di morte che sembra invece accostabile alla tradizione delle imagines funebres. Per comprendere meglio la varietaé delle iconografie esibite durante una processione trionfale sono poi di particolarissimo interesse, grazie alla descrizione estremamente articolata che ci offrono del complesso apparato visuale esibito per l' occasione, le notizie tramandateci da Appiano circa il trionfo di Pompeo su Mitridate :
pu`rgoi te parafe` rontai mimy`mata twn eiÊ lymme` nwn po`lewn kai´ grafai´ kai´ sjy`mata twn gegono`twn [...] . 51
Tw n de´ ouÊk aÊfikome`nwn eiÊko`neq parefe`ronto, Tigra`nouq kai´ Mihrida`tou, majome`nwn te kai´ nikwme`nwn kai´ feugo`ntwn. Mihrida`tou de´ kai´ yÉ poliorki`a kai´ yÉ nu`x, oÌte e²feugen, ei²kasto kai´ yÉ siwpy`. eÊpi´ te`lei de´ É q aÊpe`hanen, aiÌ te parhe`noi aiÉ sunapohanein auÊtw eÊdei`jhy kai`, w ã eÊlo`menai parezwgra`fynto, kai´ tw n proapohano`ntwn uiÉe`wn kai´ hugate`rwn yâsan grafai´ hew n te barbarikw n eiÊko`neq kai´ ko`smoi pa`trioi. parefe`-
reto de´ kai´ pi`nax eÊggegramme`nwn tw nde· É nyeq eÊa`lwsan jalke`mboloi ` , Kili`kwn de´ kai´ oÊktako`siai. po`leiq eÊkti`shysan Kappadokw n oÊktw Koi`lyq Suri`aq ei²kosi, Palaisti`nyq de´ yÉ nun Seleuki`q. basileiq eÊniky`` kyq ² Ibyr, Ê Oroi`zyq ÊAlbano`q, Dareioq hysan Tigra`nyq ÊArme`nioq, ÊArtw Mydoq, ÊAre`taq Nabataioq, ÊAnti`ojoq Kommagyno`q.Ê tosauta me´n eÊdy`lou to´ dia`gramma
52
.
Questo secondo passo, in particolare, ci tratteggia il trionfo come occasione per la confezione e l' esibizione pubblica di una grande quantitaé e varietaé di tipologie iconografiche, fra cui di particolare interesse risulta essere tutto un ciclo di quadri narrativi con i vari episodi
51
Appian., Lib., 293 : û Erano trasportate nel corteo delle torri, che rappresentavano
le cittaé catturate, e dipinti e immagini degli avvenimenti della guerra [...] ý.
52
Appian., Mitr., 117 : û Erano portate nella processione immagini di coloro che non erano
presenti, di Tigrane e di Mitridate, che li rappresentavano mentre combattevano, mentre venivano vinti, mentre fuggivano. Erano dipinti persino l' assedio di Mitridate, e la sua fuga silenziosa durante la notte. Infine era mostrata la sua morte, ed erano dipinte anche le figlie che avevano scelto di morire con lui, e c' erano le figure dei figli e delle figlie che morirono prima di lui, e le immagini degli deéi barbari abbigliati al modo del loro paese. Per di piué, venne fatta sfilare una tavola con que sta iscrizione : `Navi con rostri di bronzo catturate, 800 ; cittaé fondate in Cappadocia, 8 ; in Cilicia e in Siria, 20 ; in Palestina quella che ora si chiama Seleucia. Re catturati : Ti grane l' Armeno, Artoce l' Ibero, Oreze l' Albanese, Dario il Medo, Areta il Nabateo, Antioco di Commagene' . Questi erano i fatti ricordati sull' iscrizione ý. Per altre testi monianze sull' uso di `iconografie da trionfo' cf. Polyb., VI, 15, 8 e vedi G. Becatti, Arte e gusto, p. 7 sq. In genere sulle pitture trionfali vedi il paragrafo di S. Settis, û Pitture trionfali e itinerari ý, in La Colonna Traiana, a cura di S. Settis, Torino, 1998, p. 93-99, e P. J. Holliday, û Roman triumphal painting : its function, development, and reception ý, The Art Bulletin, 79 (1997), p. 130-147. Vedi ora inoltre E. Flaig, Ritualisierte Politik, p. 38.
95
quintiliano e il `visibile parlare'
della lotta contro Tigrane e Mitridate. Come si vede, accanto a questi quadri, e per spiegarne meglio il significato, viene fatta sfilare anche una tabula che ne costituisce una sorta di didascalia complessiva. Ma eé Flavio Giuseppe, quando descrive nel settimo libro della Guerra Giudaica il trionfo di Vespasiano e di Tito, ad offrirci la testi monianza piué impressionante sull' aspetto che potevano assumere le pitture trionfali. Egli ci parla infatti di enormi pannelli mobili, veri e propri scenari dipinti e decorati, ben visibili da lontano, dove le scene delle battaglie e delle devastazioni della guerra, coronate dalla figura dei comandanti nemici abbigliati nelle loro fogge straniere, risultavano disposti su piué registri sovrapposti, raggiungendo una notevolissima altezza. Essi co stituivano cos|é per il popolo degli spettatori º Flavio Giuseppe lo nota esplicitamente nel finale del passo º non solo uno strumento informativo e didattico, da cui acquisire nozioni geografiche, militari, etnografiche
e
storiche,
ma
anche
il
mezzo
fortemente
emozionale
attraverso cui rivivere in prima persona i fatti oggetto del trionfo : Hauma d Ê eÊn toiq ma`lista pareijen yÉ tw n ferome`nwn pygma`twn kataskeuy`· kai´ ga´r dia´ me`gehoq yân deisai tw ã bebai`w ã tyq foraq aÊpisty`` rofa ga´r auÊtw ` rofa pepoi`yto, kai´ tð santa, triw n polla´ kai´ tetrw polutelei`ã a tð peri´ ty´n kataskeuy´n yân yÉshynai metÊ eÊkply`xewq. Kai´
ga´r uÉfa`smata polloiq dia`jrusa peribe`blyto, kai´ jruso´q kai´ eÊle`faq ouÊk aÊpoi`ytoq pasi periepepy`gei. Dia´ pollw n de´ mimyma`twn oÉ po`lemoq a²lloq eiÊq a²lla memerisme`noq eÊnargesta`tyn o²vin auÉtou pareijen· yân
` ran me´n euÊdai`mona dðoume`nyn, oÌlaq de´ fa`laggaq kteinoga´r oÉran jw me`naq polemi`wn, kai´ tou´q me´n feu`gontaq tou´q d Ê eiÊq aiÊjmalwsi`an aÊgome`nouq,
tei`jy
dÊ
uÉperba`llonta
mege`hei
myjanaiq
eÊreipo`mena
kai´
` pouq peribo`frouri`wn aÉliskome`naq oÊjuro`tytaq kai´ po`lewn poluanhrw louq katÊ a²kraq eÊjome`nouq, kai´ stratia´n e²ndon teijw n eiÊsjeome`nyn, kai´ pa`nta fo`nou ply`honta to`pon, kai´ tw n aÊduna`twn jeiraq aÊntai`rein iÉkesi`aq, pur te eÊnie`menon iÉeroiq kai´ kataskafa´q oi²kwn eÊpi´ toiq despo`taiq, kai´ meta´ polly´n eÊrymi`an kai´ katy`feian potamou´q rÉe`ontaq ouÊk ` poiq y³ bosky`masin, aÊlla´ dia´ eÊpi´ gyn gewrgoume`nyn, ouÊde´ poto´n aÊnhrw tyq eÊpipantajo`hen flegome`nyq· tauta ga´r Ê Ioudaioi peisome`nouq auÉtou´q tw n kataskeuasma`twn ç pole`mw ç pare`dosan. É C te`jny de´ kai´ tw É q parousi. Te`yÉ megalourgi`a toiq ouÊk iÊdousi gino`mena to`tÊ eÊdei`knuen w
takto d Ê eÊfÊ eÊka`stw n pygma`twn oÉ tyq aÉliskome`nyq po`lewq stratyç tw go´q oÍn tro`pon eÊly`fhy
53
53
.
Ios. Fl., Bell. Iud., VII, 5, 143-168 : û Ma quello che piué destava l' ammirazione era l' ap-
parato dei pannelli mobili che venivano portati in giro. Erano tanto grandi che facevano temere per la sicurezza del loro trasporto : erano divisi, infatti, in tre registri, e spesso anche in quattro, con una composizione tanto complessa e varia da suscitare a un tempo diletto e stupore. Molti erano incor-
gabriella moretti
96
Questo genere di pitture legate direttamente o º come vedremo º anche indirettamente alle celebrazioni trionfali dovettero costituire un vero e proprio genere iconografico, sia pure assai variato come ci ap pare dalle fonti, a cui dovettero attingere una buona parte dei casi di impiego nell' oratoria politica di supporti iconografici, come nel caso che abbiamo visto sopra di Ostilio Mancino. Non c' eé da stupirsi allora che venissero richiesti artisti da adibire appositamente a questo scopo, scelti talvolta fra i piué illustri dell' epoca : Itaque cum L. Paulus devicto Perseo petiisset ab Atheniensibus, ut ii sibi
quam
liberos,
probatissimum
item
pictorem
ad
philosophum triumphum
mitterent
ad
excolendum,
erudiendos Athenienses
Metrodorum elegerunt, professi eundem in utroque desiderio praes tantissimum, quod ita Paulus quoque iudicavit
54
.
La tipologia delle pitture trionfali saraé per lo piué appartenuta al genere
cosiddetto
della
topographia,
che,
come
ci
informa
Vitruvio,
comportava non solo la presenza di una mappa ma anche l' inserzione di vedute tipiche a volo d' uccello
55
; Claudio Tolomeo, in partico-
lare, ci dice non solo che certe mappe dovevano includere la topografia, cioeé la rappresentazione di siti tipici e caratteristici, ma anche che il topografo doveva essere un pittore
56
. In questo tipo di rappresenta-
niciati entro drappeggi di stoffe trapunte d' oro, e in tutti erano incluse parti d' oro e d' avorio accuratamente lavorate. Suddivisa in varie scene successive, la guerra vi era rappresentata con la piué grande efficacia ; si poteva vedere una ricca contrada desolata dalle devasta zioni, intere schiere di nemici sterminate, mentre alcuni si davano alla fuga e altri erano trascinati in schiavitué, mura di straordinaria grandezza diroccate dalle macchine, possenti fortezze conquistate, cittaé con le difese gremite di difensori espugnate senza scampo, un esercito che dilagava entro le mura, un luogo inondato di sangue, i nemici che non po tendo piué resistere levavano le mani in atto di supplica, templi dati alle fiamme, case che crollavano sulle teste dei padroni e, dopo tanta rovina e devastazione, fiumi che scorre vano non attraverso campi coltivati, per dissetare uomini e bestie, ma attraverso un paese ancora in preda alle fiamme da ogni parte : erano le sciagure che i Giudei erano de stinati a subire quando si erano gettati nella guerra. Tali sciagure dovevano affrontare i Giudei, poicheè erano entrati in guerra contro Roma. L' arte e la complessitaé delle scene raffigurate erano tali che a chi non aveva visto svolgersi quei fatti sembrava ora di assistervi di persona. Su ogni scenario era stato collocato il comandante della cittaé espugnata nello stesso arnese in cui era stato catturato ý.
54
Plin., Nat., 35, 135 : û Cos|é quando Lucio Paolo, dopo aver sconfitto Perseo, chiese
agli Ateniesi che gli mandassero il filosofo migliore che avevano per istruire i suoi figli, e anche un pittore per rappresentare il suo trionfo, gli Ateniesi scelsero Metrodoro, di chiarando che era il piué adatto a soddisfare entrambe le esigenze : e anche Paolo fu della medesima opinione ý.
55
Vitruv., VIII, 2, 6.
56
Claud. Ptol., Geogr., I, 1, 5-6.
97
quintiliano e il `visibile parlare'
zioni doveva essere probabilmente specializzato il pittore ai origine alessandrina Demetrio, che abitava a Roma verso il 164 A.C., e che era appunto denominato topographos
57
: fu probabilmente attraverso
l' opera di artisti come lui, capaci di adattare le convenzioni artistiche di matrice ellenistica alle nuove esigenze propagandistiche romane, che si andoé sviluppando a Roma la tradizione delle pitture trionfali. 6. Accanto all' occasione trionfale, anche occasioni analoghe potevano fornire il destro alla produzione e all' esibizione di iconografie di natura propagandistica, che non necessariamente narravano episodi strettamente bellici. Nel 214 a. C. Tiberio Sempronio Gracco ad esempio fece dipingere a Roma, nel tempio della Libertaé, il banchetto con cui era stata festeggiata,
insieme
con
la
vittoria
a
Benevento
durante
la
seconda
guerra punica, anche il suo atto di liberazione dalla condizione servile degli schiavi che avevano combattuto come volontari in quella battaglia : Pilleati aut lana alba velatis capitibus volones epulati sunt, alii accu bantes, alii stantes, qui simul ministrabant vescebanturque. Digna res est visa, ut simulacrum celebrati eius diei Gracchus, postquam Ro mam rediit, pingi iuberet in aede Libertatis, quam pater eius in Aventino ex multaticia pecunia faciendam curavit dedicavitque
58
.
La consacrazione in un tempio poteva infatti costituire una forma di esposizione duratura (una sorta di `seconda vita' ) per iconografie che trovavano nella processione trionfale solo un' occasione di esibizione temporanea. Ce
ne
daé
una
testimonianza
indiretta
un
altro
passo
di
Livio,
concernente un altro Tiberio Sempronio Gracco, cugino del precedente e padre dei piu é noti Gaio e Tiberio º gli esponenti della famiglia erano evidentemente ben consci del valore propagandistico delle immagini º in occasione del suo secondo trionfo, sulla Sardegna, celebrato nel 174 A. C. La testimonianza liviana in proposito eé particolarmente interessante sia per il legame istituito fra la consacrazione in un tempio di un qua dro propagandistico e la celebrazione del trionfo, sia per lo stretto
57
Diod. Sic., Exc., XXXI, 18, 2 ; Val. Max., V, 1, 1 sq.
58
Liv., XXIV, 16, 18-19 : û I volontari banchettarono portando il pilleo o con il capo
coperto di fasce di lana bianca, alcuni stando sdraiati, altri in piedi, che al tempo stesso servivano a mensa e mangiavano. La cosa parve meritare che Gracco, dopo essere tor nato a Roma, facesse dipingere l' episodio nel tempio della Libertaé, che suo padre fece costruire e dedicoé sull' Aventino con il denaro ricavato dalle multe ý.
gabriella moretti
98
legame che la raffigurazione dipinta intrattiene con il testo celebrativo che vi eé iscritto, e che funge in certo modo da didascalia : Eodem anno tabula in aede matris Matutae cum indice hoc posita est : `Ti.
Semproni
Gracchi
consulis
imperio
auspicioque
exerci -
legio
tusque populi Romani Sardiniam subegit. In ea provincia hostium caesa aut capta supra octoginta milia. Re publica felicissime gesta atque liberatis sociis, vectigalibus restitutis, exercitum salvom atque incolumem
plenissimum
preda
domum
reportavit ;
trium -
iterum
phans in urbem Romam redit. Cuius rei ergo hanc tabulam donum Iovi dedit' . Sardiniae insulae forma erat, atque in ea simulacra pugnarum picta
Didascalie di questo genere erano costituite anche dai tituli
60
59
.
, i car-
telli montati su aste che affiancavano durante la processione trionfale, in uno straordinario connubio semovente di testo e di immagini, i diversi fercula, indicandone il contenuto. Tituli di questo genere sono ben visibili anche in rappresentazioni iconografiche dei trionfi romani (si vedano per tutti i rilievi dell' Arco di Tito), dove vengono a svolgere fra l' altro un' analoga funzione esplicativa per lo spettatore. In questo senso possiamo dire che tituli e iscrizioni adempiono a quella
funzione
esplicativa
dell' immagine
che
nel
caso
di
Ostilio
Mancino era stata invece esercitata dalla parola oratoria. L' appoggiarsi e lo spiegarsi reciproco di parole e di immagini passa qui evidentemente dal dominio dell' oralitaé a quello del testo scritto, in questo caso del testo epigrafico : ma analogo saraé il caso º cui qui possiamo solo marginalmente accennare º delle illustrazioni di manoscritti, in tutto il complesso insieme delle loro funzioni. 7. Per tornare infine al rapporto fra imagines triumphales e oratoria, ricorderemo qui solo brevemente come i capi militari che entravano a Roma da trionfatori raccontassero le loro imprese al popolo in appo-
59
Liv., XLI, 28, 8-10 : û Nello stesso anno fu collocata una tavola nel tempio della ma-
dre Matuta con questa iscrizione : `Sotto il comando e con gli auspici del console Tiberio Sempronio Gracco la legione e l' esercito del popolo Romano sottomise la Sardegna : In quella provincia furono uccisi o fatti prigionieri piué di ottantamila nemici. Dopo aver adempiuto con pieno successo al dovere nei confronti dell Stato, dopo aver liberato gli alleati e imposto nuovamente i tributi, riportoé in patria l' esercito salvo e incolume, carico di bottino, e per la seconda volta trionfatore fece ritorno a Roma. Per questa ragione consacroé in dono questa tavola a Giove' . La tavola aveva la forma dell' isola di Sardegna e vi erano dipinte le raffigurazioni delle battaglie ý. Si ricordi che intorno al 59, su uno dei muri del san tuario di Tellus, c' era un' Italia picta (Varro, R. R., I, 2, 1) : cf. C. Nicolet, L' inventario del a
mondo. Geografia e politica alle origini dell' impero romano, Roma - Bari, 1989 (1
ed. fr.
1988), p. 96.
60
Sui tituli cf. R. Cagnat, û Triumphus ý, in Daremberg-Saglio, p. 349, n. 6, fig. 7092.
99
quintiliano e il `visibile parlare'
site
contiones
61
. Il pubblico della
contio doveva essere stato anche spetta-
tore del trionfo, e aveva quindi giaé passato visualmente in rassegna le
tabulae triumphales, dove si succedevano in ordine cronologico proprio quelle stesse imprese di cui ora il triumphator stesso dava conto in forma oratoria. Non saraé stato improbabile allora º come eé presumi-
tabulae esposte in forma effimera durante il trionfo potessero trovare una nuova forma di esposizione nel Foro proprio in occasione della contio, trasformandosi cos|é in uno straordinario prop visuale a disposizione
bilmente accaduto in parte nel caso di Ostilio Mancino º che le
del comandante trionfatore nella sua veste di oratore. Si poteva stabilire cos|é un rapporto immagine-parola analogo a
laudatio funebris, con la popompa che viene a porsi al servizio dell' o-
quello che abbiamo osservato nel caso della tenza visuale dispiegata nella ratoria,
mentre
la
successione
processionale di ostensione delle
cronologica
implicita
nell' ordine
tabulae si traduce a livello
verbale in
un' oratoria in cui larga parte deve aver avuto una sorta di narrazione storiografica.
Disegnare parlando
1. L' impiego oratorio di strumenti visuali appositamente confezionati in precedenza proprio per quell' occasione e a quello scopo non esaurisce in realtaé tutta la gamma di possibilitaé mostrate dalle fonti antiche in relazione al rapporto fra oralitaé ed immagine. Vi sono casi infatti in cui tale rapporto si mostra se possibile ancora piué stretto, e la parola e l' immagine si accompagnano reciprocamente nel loro farsi : in cui cioeé chi parla eé anche colui che traccia per il suo pubblico, con i mezzi che ha a disposizione, immagini che rendano piué comprensibili ed efficaci le parole che va pronunziando. Le nostre testimonianze in proposito non riguardano tuttavia l' ora toria propriamente detta : non attestano quindi un procedimento formalizzato del discorso in pubblico, come nei casi che abbiamo avuto modo di esplorare nei paragrafi precedenti. Tuttavia, le modalitaé singolari con cui in alcuni testi si assiste al fenomeno di parole che si traducono in immagine e di immagini che si traducono in parole, il loro appoggiarsi reciproco e la loro straordina-
61 Cf. F. Pina Polo, û I rostra come espressione di potere della aristocrazia romana ý, in Popolo e potere nel mondo antico, a cura di G. Urso, Pisa, 2005, p. 142 ; sulla tipologia delle contiones in etaé repubblicana cf. Id., Las contiones civiles y militares en Roma, Zaragoza, 1989, p. 92-170.
gabriella moretti
100
ria sincronia meritano almeno qualche cenno all' interno della nostra analisi. E é il genere elegiaco soprattutto a offrirci esempi di parlanti che accompagnano le loro parole con la creazione estemporanea di immagini con mezzi rudimentali. Disegnare parlando eé qualcosa che fanno i soldati, quando di ritorno da una spedizione narrano a un piccolo pubblico le loro imprese, e hanno necessitaé di fornire loro un indispensabile pur se sommario supporto grafico alla narrazione degli eventi bellici. In questo i loro schizzi modesti ed estemporanei assolvono in buona parte alla stessa funzione di quelle imagines triumphales in cui erano dipinti i simulacra pugnarum, come accadeva nella tabula di Tito Sempronio Gracco e per esempio anche in alcune delle imagines esibite durante il trionfo di Pompeo su Mitridate, sia pure inframmezzate ad altre tipologie iconografiche (ma la somiglianza piué stringente eé naturalmente con la tabula di Ostilio Mancino e le sue finalitaé didattico-oratorie e propagandistiche). E é per primo Tibullo a mostrarci brevemente un soldato impegnato in questo estemporaneo tentativo di dare sostanza visuale alla narrazione delle sue imprese militari. L' ambientazione eé simposiaca, e il mezzo per schizzare sommariamente le posizioni degli accampamenti e i movimenti delle truppe eé il dito del miles che, intinto nel vino, traccia segni sulla tovaglia : ut mihi potanti possit sua dicere facta miles et in mensa pingere castra mero
62
.
Il motivo verraé ripreso in forma piué articolata da Ovidio nelle He-
roides, dove Penelope immagina sotto questa forma le narrazioni dei reduci da Troia : Grata ferunt nymphae pro salvis dona maritis
illi victa suis Troia facta canunt : mirantur iustique senes trepidaeque puellae
narrantis coniunx pendet ab ore viri. Atque aliquis posita monstrat fera proelia mensa
62
Tib., I, 10, 31-32 : û in modo che, mentre bevo, il soldato possa narrarmi le sue im-
prese / e dipingere gli accampamenti sulla tovaglia con il vino ý. Si veda in proposito il racconto di viaggio, geografico quindi piuttosto che militare, ma altrimenti del tutto analogo, tratteggiato da Macr., Sat., VII, 2, 6 : nec non et qui obierunt maria ac terras gaudent cum de
ignoto multis vel terrarum situ vel sinu maris interrogantur, libenterque respondent et describunt modo verbis modo radio loca, gloriosum putantes, quae ipsi viderant aliorum oculis obicere (cf. Plut., Quaest. conv., 2, 1). Si noti in questo passo di Macrobio la menzione del radius, che collega questi schizzi improvvisati con la consuetudine scientifica dei diagrammi o di altre figure tracciate sull' abaco.
101
quintiliano e il `visibile parlare'
pingit et exiguo Pergama tota mero : `hac ibat Simois, haec est Sigeia tellus, hic steterat Priami regia celsa senis ; illic Aeacides, illic tendebat Ulixes, hic lacer admissos terruit Hector equos'
63
.
Di fronte al piccolo pubblico dei familiari, che ascoltano con il fiato sospeso, il miles conduce la propria narrazione utilizzando il mezzo di straordinaria evidentia dell' immagine per accompagnare le proprie parole. Nel racconto ovidiano risulta notevole l' accenno alla miniaturizzazione `cartografica' dell' immagine
64
(pingit et exiguo Per-
gama tota mero), mentre la compresenza ed anzi la contemporaneitaé fra il racconto bellico e gli schizzi delle operazioni militari (sottolineate dagli appositi deittici, come avveniva giaé in Erodoto nel discorso di Aristagora) ci spinge a chiederci se i trattati antichi di arte militare non dovessero talvolta essere forniti di grafici esplicativi
65
capaci di
fornire il modello ai disegni estemporanei del miles. 2. Se la Penelope delle Heroides immagina soltanto, nella sua nostalgia per il marito, il racconto e i disegni del reduce, eé con evidente ironia
che
Ovidio
riprende
questo
motivo
facendo
effettivamente
condurre un racconto di questo tipo proprio ad Ulisse, ma non di fronte a Penelope, bens|é per Calipso :
63
Ov., Her., 1, v. 27-36 : û Le giovani spose portano doni di ringraziamento per la
salvezza dei mariti / e quelli celebrano le gesta dei Troiani, vinte dalle proprie : / vecchi giusti e trepide fanciulle li ammirano / e la moglie pende dalle labbra del marito che narra. / Qualcuno, sulla tavola apparecchiata, fa vedere le aspre battaglie / e con poco vino dipinge l' intera rocca di Pergamo : / `Di qua scorreva il Simoenta, questa eé la terra Sigea / qui sorgeva la superba reggia del vecchio Priamo ; / l|é c' era la tenda di Achille, l|é quella di Ulisse, / qui il cadavere straziato di Ettore atterr|é i cavalli al galoppo' ý. Si sofferma brevemente sulla tradi zione di questi `disegni dei reduci' l' û Appendix 1 : The legionary as his own historian ý di N. Horsfall, The Culture of the Roman Plebs, London, 2003, p. 114-115 e 165-166, attribuendo pero é per errore ad Ulisse il disegno di questo passo delle Heroides. Su questo e sul successivo passo ovidiano dall' Ars citato nel testo vedi ora A. Perutelli, Ulisse nella cultura romana, Firenze, 2006, p. 58-61.
64
Una miniaturizzazione che û quasi simboleggia la riduzione dei fera proelia ad una
misura
da
elegia ý
(P. Ovidii
Nasonis Epistulae Heroidum 1-3,
a
cura
di
A. Barchiesi,
Firenze, 1992, p. 78) ; sul tema cf. anche G. Moretti, û Prop., IV, 3 : lo spazio di Aretusa e Licota. Nostalgia, viaggio e conoscenza geografica in un modello di epistola erotica ý, in Pothos. Il viaggio, la nostalgia, ed. F. Rosa, F. Zambon, Trento, 1995, p. 92 -94.
65
Grafici di questo genere erano abitualmente presenti nei manuali scientifici antichi,
a cominciare, com' eé naturale, dai trattati di geometria : per un' eloquente testimonianza antica in proposito cf. Mart. Cap., 2, 138 ; cf. ora il paragrafo û Diagrams and Figures ý nel capitolo û Illustrated Texts from Antiquity ý in J. P. Small, The Parallel Worlds, p. 121-129.
gabriella moretti
102
O quotiens illum doluit properare Calypso remigioque aptas esse negavit aquas. Haec Troiae casus iterumque iterumque rogabat, ille referre aliter saepe solebat idem. Litore constiterant ; illic quoque pulchra Calypso exigit Odrysii fata cruenta ducis. Ille levi virga (virgam nam forte tenebat), quod rogat, in spisso litore pingit opus. `Haec' inquit `Troia est' (muros in litore fecit), `hic tibi sit Simois, haec mea castra puta. Campus erat' (campumque facit), `quem caede Dolonis sparsimus, Haemonios dum vigil optat equos. Illic Sithonii fuerant tentoria Rhesi, hac ego sum captis nocte revectus equis' . Pluraque pingebat, subitus cum Pergama fluctus abstulit et Rhesi cum duce castra suo. Tum dea `quas' inquit `fidas tibi credis ituro, perdiderint undae nomina quanta, vides ?' Ergo age, fallaci timide confide figurae, quisquis es, aut aliquid corpore pluris habe
66
.
In questo passo eé interessante come il ricorso all' occasionale mezzo visuale dei disegni tracciati sulla sabbia (con un bastoncino, occasio nale sostituto del radius, la bacchetta appuntita con cui si tracciavano i diagrammi scientifici sulla sabbia dell' abacus) sia presentato, almeno implicitamente, come una tecnica retorica di variatio del racconto giaé tante volte ripetuto da Ulisse (v. 128 : ille referre aliter saepe solebat idem). Cos|é la menzione del procedere del disegno ne accompagna passo passo la descrizione, e Ovidio ne approfitta per giocare con il suo lettore attraverso sottese allusioni ironiche. Quando infatti al v. 133 dice che Ulisse disegna le mura di Ilio sulla sabbia (hic Troia est), lo fa con
66
Ov., Ars, II, v. 125-144 : û Quante volte Calipso lamentoé la sua fretta di partire / e
diceva che il mare ai remi non eé adatto ! / Un' altra volta e ancora gli chiedeva di narrare le vicende di Troia / e lui raccontava le stesse cose piué volte in modo diverso. / Si erano fermati sulla riva : anche l|é la bella Calipso / gli domandoé la fine sanguinosa del capo degli Odrisii. / Lui con un bastoncino (per caso ne aveva uno in mano) / come lei gli chiedeva, disegnoé l' impresa sulla sabbia del lido : / `Ecco' egli le disse `questa eé Troia' (e fece le mura sulla sabbia) / `fa' conto che questo sia il Simoenta, e questo il mio accampamento : / Qui c' era la pianura' (e fa la pianura) `dove il sangue di Dolone / abbiamo sparso, mentre di notte ten tava di rubare i cavalli d' Emonia : / Qui c' era l' accampamento del sitonio Reso, / di qui son tornato la notte in cui gli rapii i suoi cavalli' : / Avrebbe disegnato ancora, quando un' onda improvvisa / si portoé via Troia e Reso e le sue tende. / Allora disse la dea : `le onde cui ti affiderai nel tuo viaggio / non vedi che grandi nomi han cancellato ?' / Non ti fidare percioé dell' immagine ingannevole : / quale che tu sia, abbi qualcosa in piué di un bell' aspetto ý.
103
quintiliano e il `visibile parlare'
un' espressione (muros in litore fecit) che ne preannuncia tutta la fragilitaé : mura fatte sulla sabbia non sono º eé evidente º fatte per durare. Si eé molto discusso su quale sia il modello di questo passo dell' Ars ovidiana :
c' eé
stato
chi
ha
rimandato
ad Aen., II, 29-30
67
(dove
i
Troiani, usciti da Troia al ritirarsi dei Danai, si indicano l' un l' altro i luoghi dove erano accampati i nemici) ; chi ha pensato all' episodio della parva Troia ad Aen., III, 349-351
68
; giustamente invece Gianluigi
Baldo, nel suo commento a questo passo
69
, ritiene che il modello qui
direttamente evocato sia l' ekphrasis delle raffigurazioni del tempio di Cartagine ad Aen., I, 466 sq., rispetto a cui il racconto di Ulisse a Calipso sembra costituire una selezione riassuntiva, û una sorta di sintetica citazione grafica
70
ý.
Si potraé allora aggiungere che il termine fallax figura (v. 143) applicato al disegno tracciato da Ulisse per Calipso, sembra almeno in parte
richiamare l' espressione pictura inanis
di Aen.,
I, 464, convo-
gliando i dubbi anche retorici che circondavano l' impiego di mezzi visuali a supporto della parola
71
.
Mezzi visuali in appoggio alla parola : uno sguardo al futuro
I mezzi visuali per la performance oratoria che abbiamo rapidamente esaminato nella cultura romana di etaé repubblicana e imperiale saranno destinati a trovare nuove e straordinarie occasioni di impiego nella cultura cristiana, dove la loro evidentia concretamente e spettacolarmente visibile si metteraé al servizio della liturgia e della predicazione.
67
Cf. D. Popescu, û Variations sur une structure-type de la poeèsie d' Ovide ý, in Ovi-
dianum. Acta conventus omnium gentium ovidianis studiis fovendis, ed. N. Barbu, E. Dobroiu, M. Nasta, Bucarest, 1976, p. 503-505.
68
Cf. J. M. Freècaut, û Une sceéne ovidienne en marge de l' Odysseèe. Ulysse et Calypso
(Art d' aimer, II, 123-142) ý, in Hommages aé R. Schilling, Paris, 1983, p. 287-295.
69
Cf.
Ovidio,
L' arte
di
amare,
a
cura
di
E. Pianezzola,
comm.
di
G. L.
Baldo,
L. Cristante, E. Pianezzola, Milano, 1991, p. 287-288.
70
Ibidem, p. 288 : come precisa lo stesso Baldo, il medesimo modello sembra soggia -
cere anche ad Her., 1, 33-36.
71
A questo proposito rimando a un testo favolistico dove un oggetto artistico (nella
fattispecie, una stele funeraria) diviene nel corso di un dibattito non solo un argumentum retorico, ma una vera e propria prova, di cui viene da parte dell' avversario contestata la validitaé : cf. G. Moretti, û L' uomo e il leone. Un motivo favolistico nel viaggio interte stuale ý, in Favolisti latini medievali I, Genova, 1984, p. 71-83.
gabriella moretti
104
Non ho tempo neppure di accennarvi cursoriamente : vorrei peroé concludere gettando uno sguardo al futuro con un esempio tanto straordinario quanto rappresentativo delle nuove forme in cui andranno a coniugarsi, nella liturgia cristiana, la parola e l' immagine che la illustra. Si tratta del caso, ben studiato da Guglielmo Cavallo, dei rotoli liturgici dell' Exultet di area longobardo-cassinese, che consentivano al popolo che assisteva alla liturgia una visione di immagini contemporanea alla corrispondente parola liturgica. Si tratta di rotoli formati da strisce di pergamena cucita, dove il testo eé scritto in senso perpendicolare alla lunghezza del rotolo, e in cui vi sono ampie illustrazioni miniate, che si presentano peroé º a prima vista incomprensibilmente º posizionate a rovescio rispetto alla scrittura. Questo curioso rovesciamento ha peroé un motivo ben preciso, collegato al particolare uso liturgico dei rotoli. Essi venivano infatti letti ai fedeli dall' alto di un pulpito : mano a mano che il diacono ne leggeva il testo, lasciava ricadere la parte di rotolo giaé letta dall' alto del pulpito : la scrittura, comunque incomprensibile agli astanti per lo piué analfabeti, risultava cos|é capovolta, mentre le illustrazioni, inserite appositamente a rovescio rispetto allo scritto, e posizionate prima della sezione di riferimento, si mostravano visibili e comprensibili al pubblico proprio mentre il diacono ne illustrava a voce il significato leggendo il testo corrispondente
72
.
Questa sorta di straordinario `cinema' avant la lettre, al servizio della liturgia cristiana e dell' insegnamento religioso (ma anche la predicazione costituiraé per un lunghissimo arco cronologico, e ben addentro l' etaé moderna
72
73
, uno luogo deputato alla possibile giunzione fra pa-
Cf. in proposito almeno il paragrafo û I rotoli liturgici di Exultet tra azione rituale
e propaganda politica ý del saggio di G. Cavallo, û Aspetti della produzione libraria nel l' Italia meridionale longobarda ý, in Libri e lettori nel Medioevo. Guida storica e critica, a cura di G. Cavallo, Roma - Bari, 1977, p. 120-129 ; Id., û Cantare le immagini ý, in Exultet. Rotoli liturgici del medioevo meridionale, dir. G. Cavallo, coord. G. Orofino, O. Pecere, Roma, 1994, p. 53-71 ; Id., û I rotoli di Exultet : rappresentazione e messaggio ý, in La pittura in Italia. L' Altomedioevo, a cura di C. Bertelli, Milano, 1994, p. 390-402 ; Id., û Vedere eé un po' capire. Gli Exultet a Montecassino ý, Art e Dossier, 92 (1994), p. 36-39. Le immagini capovolte rispetto allo scritto sono la testimonianza fisica di un rapporto dell' imma gine
non
con
il
testo
scritto
ma
con
la
sua
esecuzione
orale ;
basteraé
capovolgere
nuovamente le immagini (come avviene in alcuni fra i rotoli liturgici dell' Exultet) per ristabilire il normale rapporto illustrazione/testo scritto.
73
Ricordo qui appena cursoriamente due straordinari esempi letterari di predicazione
`multimediale' : l' utilizzo come prop argomentativo e retorico della û piuma dell' Agnolo Gabriello ý e dei û carboni che arsero S. Lorenzo ý da parte dell' indimenticabile frate
105
quintiliano e il `visibile parlare'
rola e immagine) rappresenta un inaspettato punto d' arrivo nel nostro lungo anche se cursorio percorso attraverso gli strumenti visuali impiegati dall' oratoria latina. Abbiamo condotto questo viaggio per gran parte sotto la guida di Quintiliano : un percorso attraverso una infinita varietaé di strumenti visuali diversi, talvolta anche molto insoliti e spesso inaspettati, ma accomunati tutti da un' insostituibile utilitaé argomentativa e didattica, e soprattutto da una straordinaria efficacia nel suscitare le piué istintive e immediate emozioni del pubblico.
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û M. l' abbeè
Le
Clou,
le
plus
eèloquent
des
missionaires,
[...]
donnait
une
affreuse description de l' enfer. Ses phrases menac°antes retentissaient parmi les arceaux gothiques de cette eèglise obscure, car l' on s' eètait bien gardeè de faire allumer les lampes. é [...] A une reprise d' eèloquence qui roulait sur le deèmon toujours preèsent partout et meême dans les lieux les plus saints et cherchant aé entra|êner les fideéles avec lui dans son feu deèvorant, M. Le Clou s' interrompit tout aé coup en s' eècriant avec effroi et d' une voix de deètresse : º L' enfer, mes freéres ! On ne saurait peindre l' effet de cette voix tra|ê nante et retentissante dans cette eèglise presque tout aé fait obscure et joncheèe de fideéles faisant le signe de la croix. M. l' abbeè Le Clou regardait l' autel et semblait s' impatienter ; il reè peèta d' une voix criante d' effroi : º L' enfer, mes freéres ! Vingt peètards partirent de derrieére l' autel ; une lumieére rouge et infernale illumina tous les visages paêles de terreur et certes en ce moment personne ne s' ennuyait. Plus de qua rante femmes tombeérent sans dire mot sur leur voisins, tant elles eè taient parfaitement eèvanouies ý (Stendhal, Lamiel, ed. V. Del Litto, Geneéve-Paris, 1986, p. 19-20 ; ringrazio l' amico Philippe Rousseau per avermi segnalato questo passo).
gabriella moretti
106
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L AT I N I TAT E S
Carlos
Leèvy
NOTE SUR UN ASPECT DE ÂRON : QUINTILIEN LECTEUR DE CICE Ã SCEPTIQUES ET STOI CIENS DANS L' INSTITUTION ORATOIRE
La relation de Quintilien aé Ciceèron semble avoir eèteè exploreèe sous tous les angles et preèsenter d' autant moins de mysteéres que l' auteur de
l' Institution oratoire
l' eègard
de
son
non
seulement
preèdeècesseur,
ayant
n' a
jamais
souvent
cacheè
preèciseè
sa
dette
lui-meême,
aé au
contraire, quels eètaient les points sur lesquels il l' a plus particulieérement imiteè. C' est ainsi que, deés le prooemium du premier livre, il affirme se situer dans la continuiteè de Ciceèron sur la contigu|ëteè qui existe entre philosophie et rheètorique, tout en preècisant que les philosophes de son temps se sont bien peu soucieès des vertus pratiqueèes et 1
preèconiseèes par les anciens philosophes . Notre eètude concerne donc dans une zone bien baliseèe par l' auteur lui-meême et amplement exploreèe par la recherche, avec toutefois une reèserve qui me para|êt constituer sa raison d' eêtre. Il existe, en effet, un domaine sur lequel les chercheurs se sont peu attardeès, aé savoir la preèsence et l' image des philosophes dans l' Institution oratoire. On pourra nous reèpliquer que le livre XII, sommet de l' Ýuvre puisqu' il exprime la vocation morale qui est assigneèe aé l' orateur, est l' un de ceux qui ont eèteè le plus eètudieès et cela ne peut eêtre contesteè. Mais ce que l' on a surtout analyseè dans ce livre c' est la question du uir bonus, l' articulation entre la rheètorique 2
et la philosophie . Or ce n' est pas ce probleéme theèorique que nous allons analyser ici, meême si nous serons bien suêr ameneè aé l' eèvoquer. Un traiteè technique dans l' Antiquiteè, c' est, si l' on reprend la deèfini-
1 2
I.O., Pr., 9-20. Voir, en particulier, A. Brinton, û Quintilian, Plato and the uir bonus ý, Philosophy
and Rhetoric, 16 (1983), p. 167-184.
109
carlos leè vy
110
tion sto|ëcienne de la techneé, un ensemble de notions articuleèes vers une 3
fin utile aé la vie , mais ce sont aussi des personnages qui sont en quelque sorte de passage, qui apparaissent et disparaissent au bout de quelques lignes et dont la preèsence se reèduit meême parfois aé une seule allusion. C' est aé ces traces que nous souhaitons nous inteèresser, aé la fois pour elles-meêmes et pour les comparer aé la preèsence, geèneèralement beaucoup plus massive, de ces meêmes personnages dans le corpus ciceèronien. Cela pose immeèdiatement un probleéme : n' y a-t-il pas un probleéme meèthodologique initial aé mettre en paralleéle sur ce point les deux corpus, alors que de toute eèvidence, Quintilien s' est attacheè sinon exclusivement, du moins principalement aé la lecture des traiteès rheètoriques de Ciceèron ? Les releveès treés soigneux qui ont eèteè faits montrent que la partie philosophique du corpus ciceèronien est bien 4
peu repreèsenteèe dans son Ýuvre . Certains traiteès sont nominalement 5
eèvoqueès , mais il est indeèniable que ces textes philosophiques ciceèroniens ne sont preèsents dans l' Institution oratoire qu' aé dose extreêmement faible. Neèanmoins l' argument n' a rien de deèfinitif. En effet, une division trop stricte entre Ýuvres philosophiques et Ýuvres rheètoriques chez Ciceèron, passerait aé coêteè d' une eèvidence, aé savoir que les philoé sophes sont massivement preèsents dans les traiteès rheètoriques aussi. A supposer que Quintilien n' ait pas lu le livre III du De finibus, ce qui est possible, mais tout de meême peu vraisemblable, il a rencontreè neècessairement les Sto|ëciens dans le De oratore, ou l' Orator. En admettant que sa lecture des Academica ait eèteè quelque peu distraite ou qu' il n' en ait pas compris tous les raffinements gnoseèologiques, il n' a pu eèviter Carneèade, Charmadas et Philon en parcourant le De oratore et le Brutus. La question qui se pose alors est celle-ci : s' agit-il des meêmes Acadeèmiciens,
des
meêmes
Peèripateèticiens,
des
meêmes
Sto|ëciens ?
Ces
philosophes gyrovagues, et d' une eètrange discreètion, qui parcourent la geèographie de l' Institution oratoire sont-ils identiques aé ceux que l' Arpinate a mis en sceéne ou n' ont-ils qu' une ressemblance superficielle avec leurs prodromes ciceèroniens ? Chez Quintilien lecteur de Ciceèron, ce qui nous inteèressera aujourd' hui, ce ne sont pas les grands blocs qu' il a transporteès sur son chantier, mais bien les figures qu' il a traiteèes neègligemment ou neutraliseèes, exprimant ainsi cette distance par rapport au monde des philosophes qui constitue l' un des eè leèments
3 4
Voir Galien, Defin. med., 7 = SVF, II, 93. Voir, en particulier, le minutieux index nominum et locorum de l' eèdition Pennacini,
Quintiliano, Institutio oratoria, Turin, 2001, p. 1027-1056.
5
Ainsi le Lucullus et le Catulus sont mentionneès en III, 6, 64.
quintilien lecteur de ciceè ron
111
les plus forts de diffeèrenciation de son identiteè par rapport aé Ciceèron. Nous commencerons donc par dire quelques mots de leurs positions respectives par rapport aé la philosophie, puis nous analyserons deux exemples preècis : les Sceptiques et les Sto|ëciens. Pour Ciceèron, la rheètorique et la philosophie sont en quelque sorte deux
provinces
qu' il
lui
appartient
de
soumettre
aé
l' imperium
de
Rome, de fac°on aé ce que la Greéce n' ait plus aucune supeèrioriteè sur 6
l' Vrbs . Outre cette haute ambition, la refondation theèorique de la res publica aé laquelle il se consacre aé partir des anneèes 50, exige que le principe du gradus dignitatis soit appliqueè aé ces nouvelles provinces et que 7
soit deètermineèe la hieèrarchie inheèrente au monde de la culture . Dans le De oratore et l' Orator, la primauteè sera eèvidemment donneèe aé l' eèloquence, alors que dans les Tusculanes, les choses sont plus complexes, la philosophie se voit reconna|être une sorte de premieére place par deèfaut, puisque la res publica est morte, et avec elle l' eèloquence politi8
que . Quelles qu' aient pu eêtre les variations de Ciceèron, et les mises en sceéne qu' il a eèlaboreèes, il a toujours eu comme attitude de ne jamais traiter de ces sujets en position d' exteèrioriteè. Le moi auctorial des traiteès de rheètorique est tout aussi profondeèment engageè dans la neècessaire interpeèneètration de l' eèloquence et de la philosophie que doit l' eêtre l' orateur dont il tente de deèfinir la nature. Disciple deés sa prime jeunesse des philosophes et des rheèteurs les plus illustres, il projette cette expeèrience individuelle dans ses traiteès, avec la conscience assumeèe de construire en permanence sa propre image. Chez Quintilien, il en est tout autrement. Pour des raisons qui tiennent aé la diffeèrence des situations historiques, des tempeèraments et des fonctions, la parole qui dit que l' orateur doit philosopher n' est pas chez lui ellemeême philosophique, ni meême reèellement impreègneèe de philosophie. Quintilien a lu les philosophes, comme Fronton les lira apreés lui, avec 9
le souci exclusif d' y trouver quelque chose qui soit utile aé l' orateur . Il est vrai que la preèsentation de la philosophie au chapitre 2 du livre XII, est ciceèronienne dans son principe comme dans sa meèthode. Elle part de l' ideèe longuement deèveloppeèe par Ciceèron dans le De oratore que la seèparation entre philosophie et rheètorique et ruineuse. Par ailleurs, elle aborde la philosophie aé travers la tripartition : physique,
6 7
Voir, en particulier, DND, I, 7 et Tusc., I, 3-7. Sur la preèsence du principe de hieèrarchie dans la penseèe ciceèronienne, voir W. Go«r-
ler, Untersuchungen zu Ciceros Philosophie, Heidelberg, 1974
8 9
Voir, en particulier, Tusc., II, 1-2. Sur la critique frontonienne de la philosophie, voir P. Fleury, Lectures de Fronton.
Un rheèteur latin aé l' eèpoque de la Seconde Sophistique, Paris, 2006.
carlos leè vy
112
eèthique, dialectique, qui, sous des noms diffeèrents, est un cadre treés 10
freèquent chez Ciceèron
. Mais on notera aé l' inteèrieur de cette triparti-
tion, un scheèma que l' on ne rencontre pas dans les traiteès ciceèroniens. Quintilien indique d' abord les points qui, dans chacune des trois parties sont inteèressants pour l' orateur, puis une doxographie, sur laquelle nous reviendrons, montrant ce qu' il est susceptible de trouver dans chaque eècole philosophique. La fusion de la rheètorique et de la philosophie preèconiseèe par lui n' est, en fait, que la prise en charge par la rheètorique d' une discipline que ses chicaneries ont discreèditeèe aé ses yeux, et cela dans une posture de revendication. Il reêve de cet orateur parfait qui pourra inteègrer aé la rheètorique le corps, dont il souligne aé quel point il est corrompu, de la philosophie
11
. On dira que cette po-
sition est celle de Crassus, avec de la part de celui-ci une attitude moins neègative aé l' eègard des philosophes. Cependant, le fait meême que, dans le
De oratore,
tout est discutable et discuteè, introduit une dif-
feèrence de nature entre ce dialogue et les tranquilles certitudes asseèneèes par Quintilien. Une telle diffeèrence de point de vue, reèelle malgreè les apparences, ne pouvait pas ne pas avoir de conseèquence dans la perception des philosophes eux-meêmes. Le scepticisme preèsente, par rapport aux philosophies helleènistiques et aé Ciceèron la particulariteè d' eêtre un concept unificateur forgeè
riori
12
a poste-
. Il n' y a en effet chez eux aucun terme qui ait la meême ampleur
historique et seèmantique. Neèanmoins, par commoditeè, nous utiliserons ce terme dans l' analyse que nous allons faire de la preè sence chez Quintilien des deux grandes eècoles constitutives du scepticisme helleènistique : le pyrrhonisme et la Nouvelle Acadeèmie. Celles-ci sont mentionneèes, non seulement dans les traiteès philosophiques, mais aussi dans
une
conna|êt
Ýuvre
rheètorique
neècessairement.
comme
Qu' en
le
a-t-il
De oratore,
retireè ?
En
que
ce
Quintilien
qui
concerne
Pyrrhon, il est constamment preèsenteè chez Ciceèron non comme un sceptique, mais comme un philosophe preèsentant trois caracteèristiques : º c' est un moraliste de l' indiffeèrence absolue, n' accordant aucune parcelle de valeur aé tout ce qui n' est pas le souverain bien. Pyrrhon va bien au-delaé de l' ataraxie, il preèconise l' apathie, autrement dit le fait de ne meême pas avoir d' affect
10
Sur ce point, voir C. Leèvy,
11 I.O.,
XII, 2, 9 :
13
;
Cicero Academicus,
Rome, 1992, p. 149-150.
Vtinamque sit tempus umquam quo perfectus aliquis qualem optamus orator
hanc artem superbo nomine et uitiis quorundam bona eius corrumpentium inuisam uindicet sibi ac uelut rebus repetitis in corpus eloquentiae adducat. 12 Voir sur ce point C. Levy, Les scepticismes,
13
è
Voir
Luc.,
130.
Paris, 2008.
quintilien lecteur de ciceè ron º
113
c' est un penseur dans la tradition de Socrate, probablement en
raison de cette exclusivisme de l' eèthique ; º c' est un philosophe dont la penseèe n' a plus de repreèsentant ; Il serait un peu long d' expliquer cette divergence par rapport aé la perception actuelle du personnage, aé propos de laquelle V. Brochard a eècrit : û le peére du pyrrhonisme para|êt avoir eèteè bien peu pyrrhonien ý
14
, mais cette reèaliteè ne conna|êt pas d' exception dans le corpus
ciceèronien. Sans meême entrer dans le deètail du De finibus, on remarquera que le De oratore caracteèrise Pyrrhon par deux de ces trois eèleèments. En III, 62-63, il est inclus parmi les Socratiques, au meême titre que les E è reètriens, les Meègariens et les E è rilliens, authentiques disciples de Socrate, eux, et il est eègalement dit que son eècole fait partie de celles qui se sont effriteèes et qui ont disparu. Or Pyrrhon n' est preèsent chez Quintilien que dans un seul passage, qui se trouve preè ciseèment dans le livre XII
15
. Nous remarquons qu' aucun des trois eèleèments que
nous avons mis en eèvidence chez Ciceèron n' est preèsent chez lui. Que dit-il en effet ? Que Pyrrhon ne pourra jouer aucun roêle dans la formation de l' orateur puisqu' il n' aura meême pas conscience qu' il y a des juges devant lesquels il faut plaider, un accuseè pour lequel il faut plaider et un seènat ou é il faut exposer son avis. L' orientation philosophique de Pyrrhon n' est absolument pas expliciteèe, elle est simplement abordeèe du point de vue de sa totale inadeèquation aux fonctions de l' orateur. Quelle est donc la relation aé Pyrrhon, tel que le deècrit Ciceèron ? On peut certes penser que la boutade de Quintilien releé ve de l' apathie attribueèe par Ciceèron aé Pyrrhon, mais le verbe liquebit renvoie pluto ê t au lexique de l' euidentia, autrement dit de la repreèsentation, et donc du vocabulaire de la connaissance, celui-laé meême qui est absent de l' image de Pyrrhon chez Ciceèron. Il est donc plus vraisemblable que la source se trouve chez Seèneéque, plus proche chronologiquement
de
Quintilien
et
qui
inclut
les
Pyrrhoniens
philosophes qui nouam induxerunt scientiam, nihil scire
16
parmi
les
. Entre Ciceèron
et Quintilien, il y a eu l' apparition du neèo-pyrrhonisme qui, lui, a preèsenteè
un
Pyrrhon
beaucoup
plus
sceptique,
au
sens
actuel
du
terme, que celui de l' Arpinate. La phrase de Quintilien doit donc eê tre
14 Les sceptiques grecs,
Paris, 1959
3
, p. 68 ; voir aussi C. Leèvy, û Un probleéme doxogra-
è tudes Latines, 58 (1980), p. 238-251. phique chez Ciceèron : les indiffeèrentistes ý, Revue des E
15 I.O.,
XII, 2, 24 : Pyrrhon quidem quas in hoc opere habere partis potest, cui iudices esse
apud quos uerba faciat, et reum pro quo loquatur, et senatum in quo sit dicenda sententia non liquebit ?
16 Ep.,
88, 44.
carlos leè vy
114
interpreèteèe aé la fois comme l' expression de l' eèvolution de la repreèsentation de Pyrrhon et comme l' adaptation de cette eèvolution aé la finaliteè purement pratique de l' Institution oratoire. Bien plus importants que Pyrrhon chez Ciceèron sont les Neèoacadeèmiciens, autrement dit les repreèsentants de l' eècole dont il s' est toujours reèclameè, depuis sa rencontre avec Philon de Larissa, en 88 av. J.-C., jusqu' aux Ýuvres philosophiques eècrites avant sa mort adheèsion, affective, autant qu' intellectuelle, aé
17
. Cette
l' Acadeèmie, Ciceèron
n' a cesseè de la justifier dans les traiteès qu' il a eècrit apreés la prise du pouvoir Ceèsar, et cela d' autant plus qu' elle rencontrait beaucoup d' incompreèhension de la part de ses contemporains, bien plus nombreux aé se tourner vers le sto|ëcisme ou l' eèpicurisme. Trois grands arguments sont constamment utiliseès par Ciceèron. D' abord le fait que la suspension du jugement neèo-acadeèmicienne, l' epocheé, corresponde aé la faillibiliteè essentielle de l' eêtre humain ; ensuite le constat que cette limitation est une source de liberteè puisqu' elle laisse l' homme libre d' aller partout ou é il entrevoit la veèriteè, sans eêtre entraveè par des certitudes, comme le sont les dogmatiques ; enfin Ciceèron soutient que le scepticisme neèo-acadeèmicien est la meilleure des formations aé l' eèloquence. La capaciteè aé deèfendre plusieurs theéses sans adheèrer aé aucune d' entre elles, dans des disputationes in utramque partem, et la neècessiteè de prendre connaissance de toutes les penseèes philosophiques, au lieu de n' en choisir qu' une seule, deèlient en quelque sorte la langue du futur orateur, en meême temps qu' elles exercent son acuiteè intellectuelle. Que reste-t-il donc de tout cela chez Quintilien ? Avant de reèpondre aé cette question, il convient de faire un tout petit peu de prosopographie. Chez Ciceèron, sont constamment mentionneès trois Acadeèmiciens : Arceèsilas, qui donna aé l' eècole sceptique son orientation et fut dont consideèreè comme le fondateur de la Nouvelle Acadeèmie ; Carneèade qui repreèsenta la perfection de la penseèe neèo-acadeèmicienne et se rendit ceèleébre par la fameuse ambassade des philosophes aé Rome, en 155 ; Philon de Larissa enfin, qui fut le dernier scholarque de la Nouvelle Acadeèmie, qui forma Ciceèron lors de son exil aé Rome en 88, et inaugura la pratique, reèvolutionnaire pour un successeur de Platon d' enseigner aé la fois la philosophie et la rheèto-
17 and
Voir sur cette question W. Go«rler, û Silencing the Troublemaker : De legibus I. 39 the
Continuity
of
Cicero' s
Scepticism ý,
dans
Kleine
Schriften
zur
hellenistisch-
ro«mischen Philosophie, Leiden, 2004, p. 240-267, et C. Leèvy, Cicero Academicus, Rome, 1992, p. 61-126.
quintilien lecteur de ciceè ron rique
18
115
. D' autres Neèo-acadeèmiciens sont plus rarement eèvoqueès, tels
Clitomaque, le disciple et successeur de Carneèade, ou Charmadas, dont Antoine et Crassus suivirent l' enseignement aé Atheénes. On notera que, de tous ces Neèoacadeèmiciens, Quintilien ne cite nominalement
que
Charmadas
et
Carneèade.
Ni
le
deèbut
ni
la
fin
de
la
Nouvelle Acadeèmie n' ont donc retenu son attention et l' absence de Philon est d' autant plus surprenante dans son Ýuvre que la deècision de celui-ci d' associer rheètorique et philosophie dans son enseignement allait exactement dans la direction qu' il privileègiait lui-meême
19
. Exa-
minons donc ces passages nominatifs, dont le nombre extreê mement reèduit est deèjaé en lui-meême un eèleèment important pour caracteèriser la lecture que fait Quintilien de Ciceèron. Dans un passage du livre XI
20
, Quintilien parle de la mneèmotech-
nie, par rapport aé laquelle il formule des reèserves, et il mentionne de manieére
preècise
un
passage
du
De oratore
21
,
dans
lequel
Ciceèron
eèvoque l' utilisation par Charmadas et Meètrodore de Scepsis de la meèthode consistant aé associer des mots et des images. Pas un mot chez lui de leur identiteè neèoacadeèmicienne, tout comme lorsque, dans le livre
preèceèdent,
il
mentionne,
toujours
en
se
reèfeèrant
aé
Ciceèron,
Meètrodore de Scepsis, Empyle de Rhodes et Hortensius comme des personnages ayant eu une meèmoire exceptionnelle la premieére
Tusculane
23
22
. La reèfeèrence est ici
, avec cette diffeèrence cependant que ce passage
ne comporte aucune allusion au mysteèrieux Empyle de Rhodes mentionneè par Quintilien, soit que celui-ci ait eu un autre texte ciceèronien sous la main, mais cela para|êt peu probable, soit qu' il ait contamineè le passage ciceèronien et le nom d' un rheèteur qui devait eêtre ceèleébre pour sa meèmoire. La mention de l' hypotexte ciceèronien deègage Quintilien de l' obligation de donner toutes les preècisions dont l' Arpinate accompagne le nom de ces personnages. Mais cette neutralisation n' est pas seulement une eèconomie de moyens, elle correspond au fait que les philosophes en question n' inteèressent pas Quintilien en tant que tels, ce sont des
18
exempla
auxquels le preèceèdent ciceèronien donne une
Pour une preèsentation deètailleèe de ces trois philosophes, voir les monographies qui
leur sont consacreèes par W. Go«rler, dans
Die hellenistische Philosophie,
H. Flashar eèd., t. 2,
p. 786-937, Baêle, 1.
19
Voir sur ce philosophe, Ch. Brittain,
tics, Oxford, 2001. 20 I.O., XI, 2, 26.
21 De or., II, 62. 22 I.O., X, 6, 4. 23 Tusc.,
I, 59.
Philo of Larissa. The Last of the Academic Scep-
carlos leè vy
116
auctoritas qu' ils n' auraient pas autrement, mais qui n' ont pas d' inteèreêt en dehors de fonction d' exemplariteè. Le grand Carneèade, pour lequel Ciceèron a si souvent exprimeè son admiration n' est mentionneè qu' une seule fois, deux fois moins donc que l' obscur Meètrodore de Scepsis serait-on tenteè de dire, pour suggeèrer l' ampleur de la diffeèrence existant entre les mondes intellectuels de nos deux eècrivains
24
. Il faut cependant reconna|être que c' est une reèfeè-
rence d' un inteèreêt particulier. Remarquons d' abord son eètrange construction : neque...neque, formule destineèe geèneèralement aé souligner la co|ëncidence sur un point de deux eèleèments se caracteèrisant par une heèteèrogeèneèiteè, au moins relative l' un par rapport aé l' autre. Or le neque
Academici...neque Carneades, preèsente cette particulariteè que le second eèleèment est inclus dans le second, et meême qu' il en est paradigmatique, puisque Carneèade eètait reconnu, comme le plus ceèleébre, et de loin, des Acadeèmiciens. Or, c' est preèciseèment cette fonction de paradigme que Quintilien exploite. La seconde proposition ne dit rien d' autre que la premieére, simplement elle reèpeéte aé propos du plus ceèleébre des Acadeèmiciens, et dans un contexte historique preècis, ce qui eètait dit dans la premieére au sujet de l' ensemble des philosophes de cette eècole : leur pratique de l' antilogie ne les a pas neècessairement conduits aé eêtre injustes. Reste aé savoir si c' est bien ce qu' affirme Ciceèron. Notre reèponse sera neègative. Chez lui, lorsqu' il est question de la disputatio in utramque partem, la probleèmatique est intellectuelle, non eèthique. Il s' agit de deèterminer aé laquelle des deux theéses on va donner sa preèfeèrence. La question qui se trouve au centre de l' antilogie est celle de l' assentiment, concept fondamental de la penseè e sto|ëcienne
et
neèoacadeèmicienne.
Nous
n' en
donnerons
ici
que
deux
exemples : º en Att., II, 3, 3, dans une lettre de l' anneèe 60, il eècrit aé propos d' une antilogie sur sa conduite politique, et plus particulieé rement sur l' attitude qui doit eêtre la sienne aé l' eègard de la loi agraire, qu' il a deèlibeèreè et sous la forme d' une antilogie et qu' il s' est prononceè pour la seconde theése, comme le faisaient les successeurs de Socrate : in qua
¸ q eiÊq eÊka`teron, sed tamen ad extremum, ut illi solebant, ty´n aÊre`sSwkratikw kousan.
24 I.O.,
XII, 1, 35 : Neque enim Academici, cum in utramque disserunt partem, non secundum
alteram uiuunt, nec Carneades ille, qui Romae audiente Censorio Catone non minoribus uiribus contra iustitiam dicitur disseruisse quam pridie pro iustitia dixerat, iniustus ipse uir fuit.
quintilien lecteur de ciceè ron
117
Il y a bien eu choix, mais celui-ci n' est eèvoqueè qu' aé travers sa structure binaire et sa nature intellectuelle, comme le montre la phrase suivante : Est res sane magni consilii ; º plus inteèressant encore, dans le passage auquel Quintilien semble faire allusion, Ciceèron eècrit, si l' on en croit Lactance
25
: û Il se mit aé reè-
futer les propos de ces philosophes et aé discreèditer cette justice, qui n' eètait fondeèe sur rien de solide ; il n' estimait pas que la justice meèritaêt le blaême, mais il voulait deèmontrer que ces avocats de la justice soutenaient une theése inconsistante et fragile ý. Les verbes ostenderet et
disputare montrent bien que c' est de dialectique, et de dialectique seué en juger en tout cas par ce teèmoigne, la queslement qu' il s' agit. A tion de savoir si Carneèade eètait lui-meême juste ou injuste n' inteèresse absolument pas Ciceèron. Il est certes exact que l' action du sage neèoacadeèmicien est, chez lui, deètermineèe par le probable, autrement dit par la prise en compte d' eèleèments comportant une part d' incertitude et donc virtuellement justiciables d' une antilogie, mais la jonction entre la theèmatique de la disputatio in utramque partem et celle de la leègitimation eèthique de l' action n' est jamais expliciteèe. Quintilien deètourne ici le texte ciceèronien au profit de sa deèmonstration. Ce qu' il veut dire en effet, c' est que, tout comme la pratique de l' antilogie n' empeêchait pas les Neèoacadeèmiciens d' eêtre des hommes vertueux et Carneèade de pratiquer la justice, la neècessiteè pour l' orateur de deèfendre des theéses auxquelles il n' adheére pas n' implique pas que l' orateur soit immoral. Si l' on veut eêtre plus preècis, Quinitilien se reèfeére aé Ciceèron, introduit un theéme, celui du caracteére non-immoral du scepticisme, treés peu preèsent chez celui-ci, mais qui prendra de l' importance chez des auteurs plus tardifs, lorsque, notamment, les Neèopyrrhoniens affirmeront que le Sceptique se conforme aux lois et coutumes de sa citeè. Une fois de plus, l' information ciceèronienne est mise au service d' une deèmonstration qui ne concerne que la rheètorique. é co A ê teè de ces rares reèfeèrences nominatives, l' Acadeèmie est mentionneèe aé deux reprises de manieére collective. En XII, 2, 23, Quintilien cite nominalement Ciceèron, en faisant allusion aé un theéme qu' il preèsente comme freèquent chez lui, mais qui, pour nous, renvoie aé un
25 Rep.,
III, 11 = Lact., Epit. 50, 5-8 : Nec immerito extitit Carneades, homo summo ingenio
et acumine, qui refelleret istorum orationem et iustitiam quae fundamentum stabile non habebat euerteret, non quia uituperandam esse iustitiam sentiebat, sed ut illos defensores eius ostenderet nihil certi, nihil firmi de iustitia disputare.
carlos leè vy
118 passage ceèleébre de l' Orateur
26
. On notera cependant une modification
minime mais significative de l' eètat d' esprit de Quintilien. Ciceèron a eècrit : non rhetorum officinis, sed ex Academiae spatiis. Or, laé oué Ciceèron emploie le terme d' officinis, qui n' est pas neècessairement peèjoratif, mais qui n' indique qu' un processus de production de la parole, il utilise scholis, terme beaucoup plus noble, celui-laé meême qui est utiliseè pour les eècoles philosophiques. En outre, aé la place du non ciceèronien, qui deènie tout roêle dans sa formation aé l' enseignement des rheèteurs, il introduit un non tantum...quantum beaucoup plus relativiste. Plus inteèressante encore est la seconde occurrence qui intervient dans une doxo graphie relative aé ce que les philosophes peuvent ou ne peuvent pas apporter aé la philosophie. Elle preèsente la particulariteè d' eêtre construite formellement sur le modeéle des doxographies ciceèroniennes, telle celle qui se trouve dans la digression du livre III du De oratore
27
,
mais de ne correspondre aé aucune de celles que nous trouvons chez Ciceèron. En effet, celui-ci combine dans ses doxographies une deèmarche historique
et
une
construction
sur
des
concepts
philosophiques,
comme c' est le cas pour la conciliatio, adaptation immeèdiate aé la nature, dans le De finibus
28
. La deèmarche de Quintilien appara|êt comme
nettement plus fruste, le seul but rechercheè eètant une fois encore l' efficaciteè pour l' orateur. D' un co è picuriens, les Cyreèna|ëques et les ê teè, les E Pyrrhoniens,
dont
l' orateur
n' a
strictement
rien
aé
attendre ;
de
l' autre, les Acadeèmiciens, les Peèripateèticiens, et les Sto|ëciens, desquels il admet qu' ils pourront eêtre utiles aé la formation de l' orateur, la division passant donc aé l' inteèrieur du groupe des Sceptiques. Si l' on regarde de preés le passage, on note que, pour toutes les autres eècoles, le nom
du
philosophe
qui
les
a
fondeèes
ou
des
philosophes
qui
la
composent se trouve en position de sujet. La seule pour laquelle nous trouvons un accusatif est l' Acadeèmie, avec la formule Academiam qui-
dam utilissimam credunt. E è trange formule, aé vrai dire, puisque c' est Ciceèron, comme Quintilien l' a lui-meême dit quelques lignes plus haut, qui a souligneè l' importance de l' Acadeèmie dans la formation de l' orateur. Le quidam doit donc eêtre ici compris comme un quidam de distanciation par rapport aé quelqu' un dont on se sent pourtant treés proche, trop proche, c' est un peu le fameux quidam de Saint Augustin
26 Orator,
XII, 2, 23 : Nam M. Tullius non tantum se debere scholis rhetorum quantum Acade-
miae spatiis frequenter ipse testatus est : neque se tanta umquam in eo fudisset ubertas si ingenium suum consaepto fori, non ipsius rerum naturae finibus terminasset.
27 De or., III, 62 s. 28 Voir J. Leonhardt, Ciceros Kritik der Philosophenschulen,
Munich, 1999.
quintilien lecteur de ciceè ron dans les Confessions
29
119
, disant qu' il a deècouvert la philosophie graêce aé
û un certain Ciceèron ý, auteur de l' Hortensius. Le paradoxe est d' autant plus grand que Quintilien, plus ciceèronien en cela que Ciceèron luimeême, substitue l' orateur au philosophe neèo-acadeèmicien. Pour lui, en effet, tous les philosophes, les Neèo-acadeèmiciens compris, ont le tort de ne pas pouvoir s' eèloigner des principes de leur eècole, ils leur restent fideéles comme s' ils leur avaient preêteè serment ou comme s' ils eèprouvaient la crainte superstitieuse de les transgresser. La conclusion qu' il en tire est que seul l' orateur est libre. Cette liberteè intellectuelle que Ciceèron revendiquait pour l' Acadeèmie, et dont l' aisance oratoire et l' eèclectisme n' eètaient aé ses yeux que des conseèquences, Quintilien la nie aux Acadeèmiciens tout autant qu' aux Sto|ëciens et il la transfeére aé l' orateur
30
. Cela contribue aé comprendre le pourquoi du quidam qui
lui permet d' inclure Ciceèron dans un ensemble des plus vagues et par-laé meême de justifier implicitement la distance qu' il prend par rap port aé ces deèfenseurs de l' Acadeèmie. On remarquera un tour de passe-passe habile et contestable. Quintilien met dans le meême sac philosophique des dogmatiques qui ont une doctrine et des Sceptiques qui n' ont qu' une meèthode. Il fait passer entre l' orateur et les philosophes dans leur totaliteè la frontieére que Ciceèron avait traceèe entre l' Acadeèmie et le reste des philosophes. En ce qui concerne les Sto|ëciens, Quintilien est plus prolixe, pour é son eèpoque, l' Acadeèmie n' est plus qu' un une raison bien simple. A souvenir, lieè essentiellement aé l' Ýuvre de Ciceèron, tandis que le sto|ëcisme romain se trouvait dans son aêge d' or. Dans un passage qui est resteè ceèleébre par la seèveèriteè du jugement qu' il porte sur Seèneéque
31
, il
mentionne d' ailleurs quelques uns de ces Sto|ëciens, tels Cornelius Celsus ou encore Plautus, aé qui il attribue la creèation du terme essentia. Dans sa perception du sto|ëcisme, l' apport ciceèronien a eèteè recouvert d' autres strates. La question qui se pose alors preèsente un double : que reste-t-il de Ciceèron dans la preèsentation du sto|ëcisme et comment ce legs ciceèronien s' articule-t-il avec les apports ulteèrieurs ? Auparavant, comme nous l' avons fait pour le scepticisme, nous caracteèriserons rapidement l' image que donne Ciceèron du sto|ëcisme dans le domaine de la rheètorique, en renvoyant pour plus d' information au beau livre
29 Conf.,
III, 7 : ...in librum cuiusdam Ciceronis, cuius linguam fere omnes mirantur, pectus
non ita.
30 I.O., 31 I.O.,
XII, 2, 26 : oratori uero nihil est necesse in cuiusquam iurare leges. X, 1, 124, voir eègalement II, 14, 2.
carlos leè vy
120
qu' a consacreè aé cette question G. Moretti
32
. Ce que Ciceèron reproche
avant tout au Portique, c' est un intellectualisme glaceè qui exclut la communication, tant la parole sto|ëcienne est seéche et obscure. Nous sommes d' accord avec elle, lorsqu' elle affirme que c' est la force de cette deènonciation ciceèronienne qui suscitera de la part des Sto|ëciens de l' eèpoque impeèriale une reèaction rheètorisante dont Seèneéque constitua le plus beau fleuron. Cela ne donne que plus d' inteèreêt au teèmoignage de Quintilien, aé la fois lecteur assidu de Ciceèron et teèmoin des splendeurs
de
la
rheètorique
sto|ëcienne
impeèriale.
Signalons,
tout
d' abord, une richesse du point de vue prosopographique que nous n' avions pas trouveèe aé propos des Acadeèmiciens. Zeènon, Cleèanthe, Diogeéne de Babylone, Posidonius, tous les grands noms du sto|ëcisme sont laé. Une exception de taille, neèanmoins, Paneètius, dont la lecture du premier livre du De officiis aurait pu lui montrer qu' il ne s' eètait pas deèsinteèresseè de l' eèloquence et dont la reèflexion sur le convenable aurait pu trouver sa place dans de nombreux passages de l' Institution. Notons quelques reèminiscences ciceèroniennes, la plus eèvidente eètant celle de la meètaphore du Sto|ëcien Zeènon assimilant la rheètorique aé la main ouverte et la dialectique au poing fermeè
33
. On observera cepen-
dant un certain nombre de diffeèrences entre la preèsentation ciceèronienne de la meètaphore, telle que nous la trouvons dans l' Orator et le
De finibus
34
, et celle qui en est donneèe par Quintilien. C' est ainsi que
Ciceèron parle toujours d' eloquentia, tandis que le rheèteur impeèrial utilise le terme rhetorikeé. Cela exprime, nous semble-t-il l' inteèreêt que le premier porte au produit fini, si l' on peut dire, et l' autre aé la techneé qui permet d' aboutir aé ce produit. La principale diffeèrence reèside cependant dans le fait que, pour lui, et contrairement aé ce que nous trouvons chez Ciceèron, cette meètaphore est un simple instrument au service d' une theése qui lui est cheére, aé savoir que la rheètorique est une vertu. Theése ciceèronienne, emprunteèe aux Sto|ëciens, comme le montre le passage du De oratore, ou é , apreés avoir dit qu' il les congeèdie sans les condamner, Ciceèron ajoute
35
: û Je leur sais meême greè de ce que,
seuls entre les philosophes, ils ont donneè aé l' eèloquence les noms de
32
Acutum Dicendi Genus : Brevitaé, oscuritaé, sottigliezze e paradossi nelle tradizioni Retori-
che degli Stoici, Bologne, 1995.
33 I.O.,
II, 20, 7 : Itaque cum duo sint genera orationis, altera perpetua, quae rhetorice dicitur,
altera concisa, quae dialectice, quas quidem Zenon adeo coniunxit ut hanc compressae in pugnum manus, illam explicatae diceret similem, etiam disputatrix uirtus erit : adeo de hac, quae speciosior atque apertior tanto est, nihil dubitabitur.
34 Orator, 113 ; Fin., 35 De or., III, 65.
II, 17.
quintilien lecteur de ciceè ron
121
vertu et de sagesse. Mais vraiment, il y a en eux des choses trop incompatibles avec l' orateur que nous formons ý. Il n' est donc pas illeègitime, pour Quintilien, d' articuler la meètaphore de la main avec la doctrine de l' eèloquence-vertu, meême si, pour Ciceèron, cette identiteè fondamentale entre dialectique et rheètorique est preèciseèment ce qui fait que le sto|ëcisme ne peut pratiquer une eèloquence acceptable sur le forum. Or cette incompatibiliteè, qui accompagne chez Ciceèron la plupart des mentions du Portique, est beaucoup moins preè sente chez Quintilien qui reproduit sans aucun commentaire critique
36
la deèfini-
tion de la rheètorique qui avait eèteè donneèe par Cleèanthe et par Chrysippe, et dont il est question chez Ciceèron aé propos du Sto|ëcien Mneèsarque
37
: û la science de bien parler ý. Certes, il reste encore quel-
ques traces des reèserves ciceèroniennes. Ainsi, exemple, au livre X, lorsqu' il s' efforce de montrer qu' il n' y a pas d' incompatibiliteè entre philosophie et rheètorique, il commence par mettre sa reèflexion sous le patronage de Ciceèron, dont il rappelle une fois encore qu' il avait souligneè sa dette aé l' eègard des philosophes
38
. Quand, apreés avoir eènumeèreè
d' autres philosophes, plus manifestement en phase avec l' eè loquence, il en arrive aux Sto|ëciens, il se contente de dire que les philosophes de l' Ancien Portique avaient eu moins de gouêt pour l' eèloquence, mais il ajoute aussito ê t que, par la haute tenue morale de leurs propos, et la qualiteè de leur argumentation, ils avaient beaucoup apporteè aé la rheètorique
39
. Bilan globalement plus positif donc que celui qu' en tirait
Ciceèron, et en tout cas bien moins poleèmique. En reèaliteè, l' attitude de Quintilien aé l' eègard du sto|ëcisme traduit un changement de monde intellectuel, qui a eu comme conseèquence que le sto|ëcisme n' eètait plus perc°u comme l' ennemi de la rheètorique. Dans ces conditions, Ciceèron ne pouvait plus eêtre eèvoqueè aé propos du Portique que comme une figure tuteèlaire de la relation entre rheètorique et philosophie. De fait, ce qui inteèresse Quintilien dans le sto|ëcisme est preèciseèment ce qui n' a jamais inteèresseè Ciceèron, par exemple l' opinion des Sto|ëciens sur le choix de la nourrice pour l' eèducation des tout petits place qu' il faut accorder aé la musique
41
40
, ou encore la
. D' une manieére plus geèneèrale,
il s' agit de tout ce qui releéve de la peèdagogie, domaine que le consulaire Ciceèron eu ê t certainement jugeè contraire aé sa
36 I.O., II, 15, 34. 37 De or., I, 83. 38 I.O., 39 Ibid., 40 I.O., 41 I.O.,
X, 1, 81. 84. I, 1, 4. I, 10, 32.
121
dignitas
d' eèvoquer
carlos leè vy
122
lui-meême, mais qui, aé cette eèpoque de l' empire, constituait un sujet majeur de preèoccupation intellectuelle. Beaucoup plus que comme des adversaires de la rheètorique reèelle, Quintilien perc°oit les Sto|ëciens comme des paradigmes moraux qu' il peut mettre au service de sa deèfense de l' art de bien parler, et il s' engage ainsi dans une orientation qui est treés exactement aé l' opposeè de celle de Ciceèron. Alors que celui-ci, tout particulieérement dans le Pro Murena, tourne en deèrision la rigiditeè eèthique des Sto|ëciens, incapables, preètend-t-il, de faire la diffeèrence entre le meurtre d' un coq et un parricide cien
appara|êt
toujours
chez
lui
comme
un
42
, et que le sage sto|ë-
roc
d' intransigeance,
Quintilien va, au contraire, attirer l' attention de son lecteur sur la plasticiteè de cette sagesse. C' est le theéme du mensonge du sage, eèvidemment introuvable chez Ciceèron, et qui, chez lui, va devenir la justification eèthique des entorses que l' orateur se trouve parfois obligeè de faire aé la veèriteè. On sait en effet que les Sto|ëciens distinguent le vrai, qui caracteèrise une proposition et la veèriteè qui est l' eètat permanent de l' aême du sage
43
. L' ordre du monde peut parfois exiger que le
sage deèfende des propositions qui ne sont pas vraies, sans que cela alteére pour autant la veèriteè de son aême. Quintilien ne voit en cela qu' un argument pour autoriser l' orateur aé utiliser le mouere comme
il
arrive au sage
de mentir,
44
: û tout
l' orateur s' il ne dispose pas
d' autre moyen, utilisera les passions pour conduire le juge aé prendre une deècision juste ý. De ce meême dogme sto|ëcien, Quintilien donne une version encore plus vulgariseèe, lorsqu' il eècrit
45
: û les plus rigou-
reux des Sto|ëciens conceédent qu' un homme de bien (bonum uirum) dise parfois un mensonge, et, du reste, quelquefois, pour des motifs assez leègers ý. En fait, les Sto|ëciens n' admettraient eèvidemment jamais que le sage, ou meême le proficiens, puisse mentir leuioribus causis. Dans l' utilisation de tels arguments, Quintilien s' est deèfinitivement eèloigneè de Ciceèron, et, pour tout dire, il est infiniment plus proche de Fronton, lorsque celui-ci cherche, aé l' inteèrieur meême du sto|ëcisme, les modeéles d' arguments par lesquels il pourra deètourner de la philosophie, ou en tout cas de la haine de la rheètorique, son impeèrial disciple. Autre exemple d' exploitation contestable de la philosophie pour leè gi-
42 Mur., 61. 43 Sext. Emp., AM, VII, 38 = SVF, II, 132. 44 I.O., II, 17, 27 : nam et mendacium dicere etiam sapienti aliquando concessum est, et adfectus, si aliter ad aequitatem perduci iudex non poterit, necessario mouebit orator.
45 I.O.,
XII, 1, 38 : concedant mihi oportet, quod Stoicorum quoque asperrimi confitentur, fac-
turum aliquando bonum uirorum ut mendacium dicat, et quidem nonnumquam leuioribus causis.
quintilien lecteur de ciceè ron
123
timer une pratique de la rheètorique, la question de la reètribution
46
:
puisque l' on se cotisait pour assurer aé Socrate de quoi vivre, et que Zeènon,
Cleèanthe,
disciples,
Chrysippe
comment,
ont
demande-t-il,
accepteè
des
l' orateur
honoraires
pourrait-il
de
ne
pas
leurs eêtre
payeè ? L' argument ne manque pas de sel, quand on sait combien Socrate tenait aé se diffeèrencier des sophistes, sur ce point aussi. Quelques mots de conclusion. Les protestations de fideèliteè, sans nul doute sinceéres, de Quintilien par rapport aé Ciceèron, semblent avoir donc quelque peu occulteè aé quel point la lecture des passages concernant les philosophes traduit de la part de l' auteur de l' Institution le deèsir d' objectiver et d' instrumentaliser ce qui chez Ciceèron eètait subjectiviteè veèheèmente et parfois contradictoire. Si l' on veut bien admettre une relation speèculaire entre le culturel et le politique, on dira que les philosophes chez Ciceèron ressemblent fort aux hommes politiques de la Rome tardo-reèpublicaine, avec ses graves seènateurs et ses tribuns furieux, tandis que ceux de Quintilien font penser aé des provinciaux convenablement geèreès par un procurateur impeèrial consciencieux, mais dont les possibiliteès conceptuelles n' eètaient pas illimiteèes.
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46
I.O., XII, 7, 9.
chez
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les
indiffeèren-
124
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L AT I N I TAT E S
Ida Gilda
Mastrorosa
LA PRATICA DELL' ORATORIA GIUDIZIARIA NELL' ALTO IMPERO : QUINTILIANO E PLINIO IL GIOVANE
Giaé allievo
di Quintiliano, per il quale, secondo l' ipotesi avanzata 1
da Ronald Syme , dovette incarnare l' esempio di una nuova generazione di oratori capaci di ridar lustro all' ars
loquendi
sul finire del
i
se-
colo d. C., Plinio il Giovane rappresenta una fonte preziosa per chi intenda valutare oltre al significato tecnico-dottrinario la valenza storica dei precetti relativi alla pratica dell' oratoria giudiziaria raccolti nell' Institutio torica
oratoria.
anteriore
conserva
infatti
e
Bencheè fortemente debitrice della trattatistica re-
in
special
tracce
modo
perspicue
di
della
quella prassi
ciceroniana, forense
l' opera
consolidatasi
nell' alto Impero, sul cui valore non meramente teorico eé possibile far luce anche attraverso il confronto con i dati ricavabili dalle lettere pliniane. A dispetto, infatti, della differenza di genere che separa queste ultime dal trattato quintilianeo, il comune impegno professionale nell' attivitaé giudiziaria, preliminare a quello didattico nel caso del retore
1
Che Plinio, educato intorno alla metaé degli anni Settanta del
i
secolo alla scuola di
Quintiliano (Epist., II, 14, 9-10 ; VI, 6, 3), fosse incluso fra le giovani leve piué brillanti del foro apprezzate da quest' ultimo in
inlustratur forum ingenia)
Inst.,
X, 1, 122 (sunt
eé sostenuto da R. Syme,
Tacito,
enim summa hodie quibus
2 vol., Brescia, 1967-1971 (trad.
ital. dell' ed. inglese, Oxford, 1958-1963), spec. vol. I, p. 142 ; noncheè Id., û The patria of Juvenal ý,
Classical Philology,
74 (1979), p. 1-15, ora in
Roman Papers III,
ed. A. R. Birley,
Oxford, 1984, p. 1120-1134 : p. 1134. In proposito cf. inoltre R. Syme, û Pliny' s Early Career ý, in
Papers VII,
ed. A. R. Birley, Oxford, 1991, p. 551-567 : p. 556 : û Quintilian
was writing towards the end of the reign. He acclaimed the high point of eloquence which the age had recently witnessed, with
consummati iam patroni,
worthy rivals to clas-
sic performers º and excellent younger men follow in their train. The professor was not reluctant to compliment those who had benefited from his instruction. One of them was Pliny,
praetor
in 93 ý.
125
ida gilda mastrorosa
126 2
spagnolo , per converso piué duraturo e centrale nell' esperienza bio3
grafica del suo ex-discepolo , costituisce un dato oggettivo tutt' altro che trascurabile. Su queste basi eé utile e proficuo domandarsi quanto delle
lezioni
specificamente
impartite
da
Quintiliano
sull' esercizio 4
dell' attivitaé forense sia sopravvissuto in Plinio il Giovane , quanto cioeé degli insegnamenti innanzitutto ascoltati dalla viva voce del precettore di un tempo prima che appresi dalla lettura della sua opera
5
sia
potuto filtrare sia sul piano tecnico che sotto il profilo etico-morale,
2
Sull' impegno
di
Quintiliano
nella
professione
legale,
peraltro
documentato
da
Inst., IV, 1, 19 ; VI, 1, 39 ; VII, 2, 24 ; IX, 2, 73, ponevano l' accento giaé Th. Froment, û Quintilien avocat ý, Annales de la Faculteè des Lettres de Bordeaux, 2 (1880), p. 224-240 ; è tudes sur Quintilien I-II, Paris, 1935-1936, rist. Amsterdam, 1967, vol. II, J. Cousin, E cap. 1, p. 685-732, tuttavia inclini a privilegiare soprattutto i riflessi delle cognizioni giu ridiche del retore ricavabili dall' opera. Di recente, la necessitaé di valorizzare il carattere pratico dell' Institutio oratoria e in particolare il suo stretto rapporto con la prassi delle corti eé stata avvertita da J. A. Crook, Legal Advocacy in the Roman World, London, 1995, p. 120 sq. ; in quest' ottica cf. pure I. Mastrorosa, û Appunti per un lessico giudiziario in Quintiliano ý, in Atti del II Seminario Internazionale di studi sui Lessici Tecnici Greci e Latini, ed. P. Radici Colace, Napoli-Messina, 1997, p. 233-243 ; O. Tellegen-Couperus, û Quintilian and Roman Law ý, Revue Internationale des Droits de l' Antiquiteè, 47 (2000), p. 167177 ; noncheè i contributi raccolti in Quintilian and the law. The art of Persuasion in Law and Politics, ed. O. E. Tellegen-Couperus, Leuven, 2003.
3
Per l' esercizio dell' avvocatura da parte di Plinio testimoniato da Epist., V, 8, 8,
noncheè ricordato con riferimento a specifici episodi di patrocinio in Epist., VI, 29, 7-11, si vedano R. Syme, Tacito, vol. I, p. 107 sq. ; Id., û Pliny' s Early Career ý, p. 552 ; F. Tri soglio, La personalitaé di Plinio il Giovane nei suoi rapporti con la politica, la societaé e la letteratura, Torino, 1972 (Memorie dell' Accademia delle Scienze di Torino. Classe di Scienze Morali, Storiche e Filologiche ser. 4, 25), p. 117-118 ; R. J. A. Talbert, The Senate of Imperial Rome, Princeton, 1984, p. 65, 156, 376, 473-474.
4
Nonostante la difficoltaé di valutare l' entitaé dell' influenza esercitata da Quintiliano
su Plinio (sottolineata giaé da A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny. A historical and social commentary, Oxford, 1966, p. 87-88 ; e nella medesima direzione da W. C. McDer mott º
A. E. Orentzel, û Quintilian and Domitian ý, Athenaeum, 57 (1979), p. 9-26 :
p. 24), non sono mancati interventi finalizzati ad enucleare i riflessi delle teorie del mae stro nell' epistolario (cf. e.g. E. Roca Barea, û La influencia de Quintiliano en los criterios retoèricos de Plinio el Joven ý, Helmantica, 43 (1992), p. 121-129), o per converso, a ribadire le discordanze (cf. e.g. A. M. Riggsby, û Self and Community in the Younger Pliny ý, Arethusa, 31 (1998), p. 75-97 ; P. V. Cova, û Plinio il Giovane contro Quinti liano ý, in Plinius der Ju«ngere und seine Zeit, ed. L. Castagna, E. Lefeévre, Mu«nchen - Leipzig, 2003, p. 83-94).
5
Nell' ottica
dell' apprendistato
diretto,
documentato
inequivocamente
in
Epist.,
II, 14, 9 (ita certe ex Quintiliano, praeceptore meo, audisse memini), anteriore, dunque, alla eventuale lettura dei precetti piué tardi raccolti da Quintiliano e divulgati con l' Institutio oratoria, non pare condivisibile l' ipotesi di W. C. McDermott º
A. E. Orentzel, û Quin-
tilian and Domitian ý, p. 24, per cui Plinio, oltre che da altri fattori, sarebbe stato piué influenzato dalle dottrine lette nelle opere di Cicerone che da quelle del maestro, in quanto all' atto della pubblicazione del trattato di quest' ultimo, di cui pure dovette avere una copia, era giaé un noto professionista del foro, ormai pienamente formato.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
parimenti
essenziali
soprattutto
in ragione
dell' evoluzione
127
storico-
politica prodottasi fra il principato di Domiziano e quello di Traiano. Con riguardo al primo aspetto, vale a dire ai riflessi della pratica dell' oratoria giudiziaria descritta nell' Institutio oratoria, merita di essere considerata la testimonianza ricavabile dall' Epist. I, 5 databile al principio del 97, sostanzialmente dedicata alla riprovazione della figura di 6
M. Aquilio Regolo , il celebre oratore forense d' etaé neroniana (Tac., Hist., IV, 42), macchiatosi di nefandezze ancora sotto l' ultimo dei Flavi, secondo quanto si apprende fin dalle battute iniziali della lette7
ra . Costui, giaé artefice della rovina di Giunio Aruleno Rustico, lo stoico adepto della cerchia di Trasea Peto poi condannato a morte dall' imperatore nel 93 per aver lodato i suoi maestri (Tac., Agr., 2 ; Suet., Dom., 10, 3 ; Dio Cass., LXVII, 13, 2), nel corso di un procedimento tenutosi presso il tribunale centumvirale avrebbe avuto come controparte lo stesso Plinio che, chiamato ad occuparsi della difesa di 8
Arrionilla , dovette adottare una tecnica probabilmente ispirata anche dai precetti di Quintiliano o comunque coerente ad essi. In partico9
lare, stando al resoconto dell' episodio fornito nell' epistola , l' avvocato
comense,
invitato
dall' accusa
ad
esprimere
un
giudizio
sulla
persona di Mettio Modesto, del cui parere (sententia) le parti si sarebbero avvalse in un punto specifico del procedimento, seppur esitante di fronte ai rischi incombenti qualora si fosse pronunciato a favore di
6
Per la ricostruzione dell' episodio e la datazione della lettera si veda A. N. Sherwin -
White, The Letters of Pliny, p. 93-99. Sulla figura di Regolo oltre a R. Syme, Tacito, vol. I, p. 109-110 ; R. J. A. Talbert, The Senate of Imperial Rome, p. 504-5 ; cf. F. Trisoglio, La personalitaé di Plinio il Giovane, p. 112-115 ; S. E. Hoffer, The Anxieties of Pliny the Younger, Atlanta, 1999, p. 55-76 ; noncheè L. Fanizza, Delatori e accusatori. L' iniziativa nei processi di etaé imperiale, Roma, 1988, p. 13-14 ; S. H. Rutledge, Imperial Inquisitions. Prosecutors and Informants from Tiberius to Domitian, London-New York, 2001, p. 192-198 ; Y. Rivieére, Les deèlateurs sous l' Empire romain, Rome, 2002, p. 508-509 ; a questi ultimi lavori e alle osservazioni di P. Cerami, û Accusatores populares, delatores, indices. Tipologia dei `collaboratori di giustizia'
nell' antica Roma ý, Index, 26 (1998), p. 117-148, si ri-
manda piu é in generale anche per ulteriori approfondimenti sul ruolo giocato dai delatori sulla scena politico-giudiziaria in etaé altoimperiale.
7
Cf. Plin., Epist., I, 5, 1 : Vidistine quemquam M. Regulo timidiorem, humiliorem post Do-
mitiani mortem ? Sub quo non minora flagitia commiserat quam sub Nerone, sed tectiora.
8
Sulla figura di Arrionilla, la moglie di Timone difesa da Plinio su richiesta di Ru -
stico (Epist., I, 5, 5 : rogatu Aruleni Rustici), legata probabilmente da vincoli familiari alla cerchia di Trasea Peto, cf. R. Syme, û People in Pliny ý, Journal of Roman Studies, 58 (1968), p. 135-151, ora in Roman Papers II, ed. E. Badian, Oxford, 1979, p. 694 -723 : p. 712.
9
Cf. Plin., Epist., I, 5, 5 : Aderam Arrionillae, Timonis uxori, rogatu Aruleni Rustici ; Re-
gulus contra. Nitebamur nos in parte causae sententia Metti Modesti, optimi viri : is tunc in exilio erat, a Domitiano relegatus. Ecce tibi Regulus : quaero º inquit º
Secunde, quid de Modesto sen-
tias. Vides, quod periculum, si respondissem bene, quod flagitium, si male.
ida gilda mastrorosa
128
una persona al momento del processo in stato di relegatio per volere di Domiziano e all' imbarazzo di denigrarla nonostante la stima provata nei suoi riguardi, avrebbe tentato di risolvere il dilemma inchiodando Regolo ai termini della contesa sottoposta alla cognizione del collegio giudicante. In secondo luogo, di fronte alla sua reiterata domanda, Plinio l' avrebbe spronato ad attenersi al suo ruolo di accusatore, abilitato ad addurre testimoni contro la parte perseguita, sottolineando in particolare la non pertinenza del suo quesito, inerente non alla parte imputata bens|é ad un soggetto quale Modesto, giaé condannato. Infine, incalzato ulteriormente dal rivale, imperterrito nel riconvertire l' interrogativo iniziale nella richiesta di una valutazione non giaé di merito generico ma specificamente concernente la condotta manifestata dallo stesso Modesto nei riguardi dell' imperatore
10
, si sarebbe rifiutato di ris-
pondere, sostenendo apertamente l' illiceitaé di formulare anche una semplice domanda su una questione giaé giudicata, in sostanziale accordo con i precetti ricevuti dal suo antico maestro, alla luce dei quali eé peraltro utile esaminare piué da vicino il suo contraddittorio con Regolo. Considerata, infatti, la sequenza proposta nella lettera, pare evidente che costui, puntando sull' intangibilitaé di valori come il rispetto obbediente nei confronti del princeps, dovette mirare a far ricadere su un
procedimento
presumibilmente
riguardante
(data la trattazione presso il collegio centumvirale
l' ambito 11
ereditario
) gli effetti previsti
per il reato di lesa maestaé che provvide subdolamente ad evocare interrogando Plinio sulla pietas
10
12
di Modesto, un soggetto in veritaé non
Cf. Plin., Epist., I, 5, 7 : Tertio ille : non iam, quid de Modesto, sed quid de pietate Modesti
sentias, quaero.
11
Sul tribunale centumvirale e la sua peculiare e specifica competenza per la materia
ereditaria fra gli interventi della dottrina giusromanistica piué recente si vedano soprattutto
S. Querzoli,
û Inofficiosum
testamentum
dicere :
tribunale
centumvirale,
potere
imperiale e giuristi fra i Flavi e gli Antonini ý, Ostraka, 8 (1999), p. 503-540 ; Ead.,
I testamenta e gli officia pietatis. Tribunale centumvirale, potere imperiale e giuristi tra Augusto e i Severi, Napoli, 2000 ; noncheè L. Gagliardi, Decemviri e centumviri. Origini e competenze, Milano, 2002, spec. p. 368 sq. su ipotesi di coinvolgimento dei centumviri in controversie attinenti a materie diverse da quella ereditaria, peraltro negata dall' autore (p. 382), il quale, in conclusione (p. 482), ritiene che qualunque competenza criminale del collegio debba essere esclusa in ogni tempo della storia romana.
12
La forte coloritura politica del termine usato da Regolo puoé desumersi e contrario
anche dalla valenza attribuita ad impietas e.g. in Plin., Epist., VII, 33, 7 (et Massa [...] in-
pietatis reum postulat) ; in proposito cf. inoltre Tac., Ann., VI, 47, 2 (defertur impietatis in principem) ; sul rapporto esistente fra impietas ed il crimen maiestatis si veda soprattutto R. A. Bauman, Impietas in Principem. A study of treason against the Roman emperor with
special reference to the first century A.D., Mu«nchen, 1974, p. 7 sq. ; noncheè ibidem p. 102 in relazione all' uso attestato in Plin., Epist., I, 5, 5. In direzione analoga, per un' interpreta zione recente delle implicazioni contenute nel passo, cf. inoltre Y. Rivieé re, Les deèlateurs
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
129
direttamente coinvolto nel contenzioso in discussione e purtuttavia chiamato in causa per aver espresso una non meglio definita sententia evidentemente collegata in qualche modo alla vicenda di Arrionilla
13
.
In particolare, avvalendosi strumentalmente di una tattica peculiare dell' accusa, abitualmente incline a procurarsi l' attenzione dell' uditorio orchestrando ad effetto la trattazione di temi di evidente rilevanza politica, secondo quanto sottolineato anche dalle prescrizioni quintilianee
14
, Regolo ottenne al contempo di ricordare agli astanti il crimen
maiestatis addebitato a Modesto, di sminuirne per conseguenza l' atten dibilitaé e, infine, di porre in difficoltaé il collega avversario con un quesito insidioso, probabilmente finalizzato a prefigurare anche a suo carico un' analoga imputazione. Quanto a Plinio, avendo percepito in tutto il suo tono minaccioso l' ambiguitaé della domanda
15
, non esitoé a
neutralizzarla evidenziandone il carattere del tutto inconferente, ov vero appellandosi alla specifica competenza del tribunale centumvirale (Epist., I, 5, 5 : Respondebo º inquam º si de hoc centumviri iudicaturi sunt) : una scelta significativa, nella quale non eé escluso che, oltre ad un richiamo restrittivo alla giurisdizione del collegio sulla materia ereditaria
16
, vi fosse anche un implicito elogio della sua rigorosa perizia
sous l' Empire romain, p. 85 per cui û l' injonction de Reègulus, trois fois reèpeèteèe, est repreèsentative de cette eèloquence directe dans laquelle l' accusator devient quaesitor et cherche aé faire ceèder la deèfense sous les coups de son interrogatio. Reègulus se conduit aussi comme un deèlateur, dans la mesure oué il se range aux coêteès de Domitien, et qu' il tente d' obtenir de Pline une parole compromettante pouvant servir de fondement aé une accusation de leése-majesteè ý.
13
Secondo A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 97, l' interesse per la sententia
espressa da Mettio Modesto, evidentemente in una fase anteriore a quella del processo, in coincidenza del quale era comunque assente (Plin., Epist., I, 5, 5 : is tunc in exilio erat, a Domitiano relegatus), sarebbe dipeso dal fatto che il caso in discussione avrebbe riguardato
54
una proprietaé provinciale in passato sottoposta alla sua giurisdizione nella veste di legato in Licia.
14
Cf. Quint., Inst., V, 13, 3 : Accusator
a
criminum invidia, etsi falsa sit, materiam di-
cendi trahit, de parricidio sacrilegio maiestate [...].
15
Sono eloquenti in tal senso le prime battute dedicate alla rievocazione dell' episodio
in Epist., I, 5, 5 : Praeterea reminiscebantur, quam capitaliter ipsum me apud centumviros lacessisset, come segnalato da A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 96. Del resto, non va trascurato che pure nel seguito della lettera Plinio ammetteva di essersi districato di fronte alla domanda insidiosa di Regolo senza dare una risposta forse vantaggiosa, pur tuttavia poco dignitosa, lasciando intendere di non aver voluto soggiacere ad un atto di piaggeria : nec famam meam aliquo responso, utili fortasse, inhonesto tamen, laeseram nec me laqueis tam insidiosae interrogationis involveram (Epist., I, 5, 7).
16
In tal senso eé condivisibile l' interpretazione di L. Gagliardi, Decemviri e centum-
viri, p. 482, n. 1039, secondo cui non puoé inferirsi traccia di competenza del tribunale centumvirale in materia diversa da quella ereditaria dal caso oggetto di Epist., I, 5, 5, ove il pericolo capitale corso da Plinio sarebbe dipeso solo dal fatto che egli fu chiamato ad
ida gilda mastrorosa
130
tecnico-giuridica, annoverata nelle pagine dell' Institutio oratoria
17
, ma
certamente sperimentata da chi piué volte era intervenuto in tale sede
18
. Del resto, quale fosse il giudizio dell' avvocato comense al ri-
guardo
puoé
desumersi
consuetudine
ormai
anche
dalla
preponderante
dei
sua
preoccupazione
giovani
oratori
per
alle
la
prime
armi di affrontare prima del tempo la difficile palestra dei tribunali centumvirali
19
, degni di grande onore per autorevolezza, seppur non
esenti, talvolta, da pecche di malfunzionamento sintomatiche di una certa degenerazione
20
.
esprimersi su un personaggio sottoposto a relegatio da Domiziano, alle cui ritorsioni sarebbe stato esposto qualora si fosse û espresso secondo coscienza ý.
17
Cf. Quint., Inst., IV, 1, 57 ove i giudizi centumvirali sono annoverati come esem -
pio di procedimenti nei quali i giudici per primi auspicano il possesso d' un bagaglio tec nico
adeguato,
essenziale
per
impostare
correttamente
la
causa,
e
in
proposito
I. Mastrorosa, û Quintilian and the Judges. Rhetorical Rules and Psychological Strate gies in the 4
th
Book of the Institutio oratoria ý, in Quintilian and the law, ed. O. Tellegen-
Couperus, p. 67-80 : p. 76. Il passo eé incluso fra i luoghi che tacciono sulla competenza del collegio in questione da L. Gagliardi, Decemviri e centumviri, p. 200-201, n. 214 che, tuttavia, vi coglie l' attestazione û della maggiore sacralitaé dei processi centumvirali ý ; eé inoltre addotto ibidem, p. 481 per sostenere che secondo Quintiliano le cause cen tumvirali avrebbero rappresentato un esempio, un sottogruppo, di quelle capitali.
18
Intervenuto davanti a tale tribunale fin dall' etaé giovanile, come si ricava da Epist.,
I, 18, 3, Plinio ebbe modo di tornarvi anche in seguito (cf. Epist., II, 14, 1 ; V, 9,1) e, in particolare, di sperimentare l' autorevolezza e la serietaé dei membri del collegio centumvirale, oltre che l' apprezzamento dagli stessi riservato a lui, come emerge da Epist., IX, 23, 1 : Frequenter agenti mihi evenit, ut centumviri, cum diu se intra iudicum auctoritatem gra vitatemque tenuissent, omnes repente quasi victi coactique consurgerent laudarentque. Sulla necessitaé di tener conto della pratica acquisita dall' autore in tale sede, in veritaé non trascurata sotto il profilo giuridico (cf. C. Solimena, Plinio il Giovane e il diritto pubblico di Roma, Napoli, 1905, p. 277-278 ; C. E. Pulciano, Il diritto privato romano nell' epistolario di Plinio il Giovane. Quattro saggi, Torino, 1913, p. 85 sq.), ma non del tutto valorizzata dalla storiografia, poco incline a considerare l' attivitaé forense pliniana (si vedano e.g. i cenni di Th. Mommsen, û Zur Lebensgeschichte des ju«ngeren Plinius ý, Hermes, 3 (1869), p. 31139, poi in Gesammelte Schriften IV : Historische Schriften I, Berlin, 1906, Nachdr. Zu«rich und Hildesheim, 1994, p. 366-468 : p. 437 sq.), ha giustamente insistito A. Giovannini, û Pline et les deèlateurs de Domitien ý, in Opposition et reèsistances aé l' Empire d' Auguste aé Trajan, VandÝuvres - Geneéve, 1986 (Entretiens sur l' Antiquiteè Classique 33), p. 219-240 : p. 236. In quest' ottica, non sono comunque mancati interventi in campo giusromanistico : si veda da ultimo S. Querzoli, û Inofficiosum testamentum dicere : tribunale centumvirale ý, p. 507512 ; Ead., I testamenta e gli officia pietatis, p. 72-81 ; p. 88-104.
19
Cf. Plin., Epist., II, 14, 2 : ceteri audaces atque etiam magna ex parte adulescentuli obscuri
ad declamandum huc transierunt, tam inreverenter et temere, ut mihi Atilius noster expresse dixisse videatur sic in foro pueros a centumviralibus causis auspicari, ut ab Homero in scholis. Nam hic quo que, ut illic, primum coepit esse, quod maximum est, e in proposito F. Beutel, Vergangenheit als Politik. Neue Aspekte im Werk des ju«ngeren Plinius, Frankfurt am Main, 2000, p. 253 sq. ; noncheè S. Querzoli, I testamenta e gli officia pietatis, p. 89-91.
20
Nonostante il giudizio positivo espresso su tale organo giudicante in Epist., IX, 23,
un atteggiamento critico nei confronti dello scarso rilievo dei procedimenti centumvirali
131
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
Circa l' obiezione portata, invece, alla seconda domanda di Regolo, mediante cui Plinio avrebbe di fatto ricordato all' accusa il vincolo di ricorrere all' interrogatorio dei testimoni solo contro gli imputati e non contro soggetti giaé condannati (Epist., I, 5, 6 : Iterum ego : Solebant
testes in reos, non in damnatos interrogari ), essa offre non giaé un indizio dell' intervento dell' autore in funzione di teste
21
, quanto la prova della
sua abilitaé nell' identificare e denunciare la strategia di un avversario capace di incalzare la difesa, costringendola a giocare il ruolo piué marginale e subalterno di un testimone, peraltro strumentalizzato vero
impropriamente
chiamato
ad
esprimersi
non
22
sulla
, ov-
parte
imputata, in coerenza con una funzione su cui siamo ampiamente informati ancora dal trattato quintilianeo (Inst., V, 7), bens|é addirittura su persona giaé riconosciuta colpevole. Piué precisamente, si puoé pensare che facendo tesoro delle opinioni del maestro sull' affinitaé esistente fra l' altercatio e l' interrogatio testimoniale
23
, nell' episodio giudiziario
rammentato nell' Epist. I, 5, Plinio fosse riuscito a smascherare la tattica di Regolo e perfino a ritorcergli contro la specificitaé
tecnica
dell' escussione testimoniale, evidentemente centrale nel corso di qualunque procedimento giudiziario, ma inammissibile in rapporto a contenziosi giaé chiusi con la condanna come la vicenda di Mettio Modesto, di cui non soltanto ribadiva l' estraneitaé ma anche la natura di caso ormai definito.
sotto il profilo dei personaggi coinvolti e del contenuto delle controversie traspare da
Epist., II, 14, 1 : Distringor centumviralibus causis, quae me exercent magis quam delectant. Sunt enim pleraeque parvae et exiles ; raro incidit vel personarum claritate vel negotii magnitudine insignis.
21
Per tale ipotesi sembra propendere, pur con qualche perplessitaé , A. N. Sherwin-
White, The Letters of Pliny, p. 97, nel commento a û nitebamur nos : Pliny appears as a witness in s. 6 and perhaps was not advocate in this case, despite aderam above ý. Del resto, che adesse implichi una partecipazione al processo a supporto della parte imputata puoé desumersi e.g. dall' analoga valenza con cui ricorre in Plin., Epist., II, 11, 2 ; III, 9, 7 ; IV, 17, 11 ; VI, 29, 8.
22
Con l' invito ad esprimersi sulla pietas di M. Modesto, eé probabile che Regolo mi-
rasse ad avvalersi di Plinio a guisa di testimone interrogato su un aspetto non riguar dante l' ambito della causa, ovvero sulla condotta di una persona a lui congiunta da vincoli d' amicizia, noncheè colpevole di atteggiamenti turpi, secondo criteri non lontani da quelli previsti proprio da Quintiliano per l' escussione dei testi in Inst., V, 7, 30 : Extra
causam quoque multa quae prosint rogari solent, de vita testium aliorum, de sua quisque [...].
23
E é quanto si ricava da Quint., Inst., VI, 4, 1-22 ove peraltro si consiglia a chi af-
fronta il contraddittorio di non cedere all' emotivitaé , di usare moderazione e pazienza (10), di servirsi del proprio sapere tecnico (12), noncheè di trovare un punto a cui l' interlocutore non possa replicare (20).
ida gilda mastrorosa
132
E proprio a partire da tale dato inoppugnabile, l' avvocato comense seppe trarre materia per la sua terza e definitiva risposta, un attacco inequivoco e dirimente all' illiceitaé della domanda di Regolo (Epist., I, 5, 7 : at ego ne interrogare quidem fas puto, de quo pronuntiatum est), la cui pregnanza tecnica merita º a mio avviso º di essere ancora una volta puntualizzata, non tanto per cogliervi, secondo talune ipotesi recenti, l' impiego della figura retorica consistente nel lasciar intendere all' uditorio quanto non si afferma in modo esplicito, pur prevista dalla precettistica per i casi in cui fosse poco sicuro o non conveniente parlare in modo chiaro, oltre che a mero scopo esornativo
24
, quanto piut-
tosto per ricavarne prova della consumata perizia giudiziaria di Plinio, pronto ad invocare con estrema precisione il rispetto della norma bis
de eadem re ne sit actio prudenziali
26
25
. Che quest' ultima, prescritta dalle fonti giuris-
, potesse costituire un elemento procedurale non trascura-
bile per la prassi forense sul finire del
i
secolo dell' Impero puoé altres|é
desumersi da un ulteriore luogo dell' epistolario pliniano dal quale, purtuttavia, sembra emergere che l' intangibilitaé del principio fosse a conti fatti superabile in caso di rinvenimento di nuove prove
27
. Di
una testimonianza parimenti utile siamo debitori a Quintiliano, consapevole dell' impossibilitaé di riporre in discussione materia giaé sottoposta a giudizio in un passo del VII libro del suo trattato nel quale allude specificamente al principio bis de eadem re ne sit actio rilevandone criticamente la scarsa chiarezza causata dalla mancanza di ulteriori determinazioni concernenti la sua validitaé. Sostenendo, in particolare,
24
Si
veda
S. Querzoli,
û Inofficiosum
testamentum dicere :
tribunale
centumvirale ý,
p. 510, n. 35 ; noncheè Ead., I testamenta e gli officia pietatis, p. 78-79, n. 56, che soffermandosi
sull' affermazione
S. Bartsch,
conclusiva
di
Plinio
( ne
[...]
fas puto), in accordo con
Actors in the Audience. Theatricality and doublespeak from Nero to Hadrian,
Cambridge-Mass., London, 1994, p. 63 sq. riconduce genericamente la sua risposta alla strategia suggerita da Quintiliano in Inst., IX, 2, 65-66 : Huic vel confinis vel eadem est qua
nunc utimur plurimum. Iam enim ad id genus quod et frequentissimum est et expectari maxime credo veniendum est, in quo per quandam suspicionem quod non dicimus accipi volumus [...] aliud latens et auditori quasi inveniendum [...] Eius triplex usus est : unus si dicere palam parum tutum est, alter si non decet, tertius qui venustatis modo gratia adhibetur.
25
Per tale linea interpretativa propende, sia pure in termini generali, S. E. Hoffer,
The Anxieties of Pliny the Younger, p. 76 secondo cui Plinio avrebbe imputato a Regolo il tentativo di violare il divieto di riaprire un procedimento ormai chiuso.
26
Cf. Gai., Inst., IV, 107 : Si vero legitimo iudicio in personam actum sit ea formula quae iuris
civilis habet intentionem postea ipso iure de eadem re agi non potest.
27
Si veda Epist., VII, 6, 10 ove la riapertura di un procedimento intentato da una
donna contro i liberti del figlio morto, suoi coeredi, imputati di falso e veneficio, giaé risoltosi a favore di questi ultimi, non sembra esclusa in caso di presenza di nuova docu mentazione : Postea mater adiit principem, adfirmavit se novas probationes invenisse. Praeceptum
est Suburano ut vacaret finitam causam retractanti, si quid novi adferret.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
133
che esso potrebbe riferirsi all' actor oppure valere in generale per il procedimento originato dall' esperimento di una azione ormai esaurita e non riproponibile
28
, nel suo manuale destinato alla formazione dei fu-
turi professionisti del foro con indubbia perspicacia giuridica il retore evoca, in definitiva, il problema della individuazione dei limiti ogget tivi
e
della
soggettivi
di
operativitaé
û divulgazione ý
della
della
norma
res iudicata.
presso
gli
Ma
operatori
a
riprova
forensi
e
dell' attestazione registrata in parallelo dalle fonti retoriche non va sottovalutato l' apporto documentario ricavabile anche dal quintilianeo
29
Tornando,
corpus
pseudo-
. tuttavia,
all' ipotesi
sopra
tralasciata,
che
cioeé
nel
contraddittorio avuto con Regolo Plinio fosse ricorso alla tecnica del parlare ambiguamente, da Quintiliano suggerita innanzitutto qualora fosse poco sicuro o non conveniente esprimersi in modo esplicito, im porta qui rilevare non soltanto che la prima eventualitaé eé strettamente correlata nelle riflessioni del retore all' ambiente scolastico, palcoscenico, ad esempio, di fittizi patteggiamenti di tiranni disponibili ad abbandonare il potere
30
, quanto soprattutto che nel prosieguo del suo
discorso, dopo aver prospettato il ricorso alle ambiguitaé del linguaggio figurato come una soluzione idonea ad evitare i rischi ma non l' offesa nel caso di discorsi indirizzati contro tali figure
31
, egli insiste
sul fatto che nei processi reali le circostanze oggettive coeve hanno
28
Cf. Quint.,
Inst.,
VII, 6, 4 :
Solet et illud quaeri, quo referatur quod scriptum est : bis de ea-
dem re ne sit actio : id est, hoc bis ad actorem an actionem. Haec ex iure obscuro.
Sulla valenza tec-
nica del riferimento quintilianeo si veda in particolare D. Liebs, û Die Herkunft der `Regel'
bis de eadem re ne sit actio ý, Zeitschrift der Savigny-Stiftung fu«r Rechtsgeschichte (rom.
Abt.), 84 (1967), p. 104-132 : p. 108 sq. 29 Si veda Ps.-Quint., Decl., 266, 2 : Postea veniemus ad id quoque an utique ista praescriptio valere debeat semper, hoc est, an etiam in publicis causis bis de eadem re agere non liceat. In quo illud dicetur : privatis litibus, quoniam et minus momenti et plus numeri habeant, succursum esse hac lege, publicas actiones maiores esse quam ut cadant exceptione, sta di secondo processo per un caso di
proditio
dove dall' esempio di una richie -
si ricava che la normativa puoé essere invo-
cata solo per i procedimenti civili, al cui numero elevato cerca di far fronte, anche in considerazione della loro minore importanza, mentre al contrario le cause pubbliche de -
5
4
terminano l' inefficacia di tal tipo di eccezione che ne causerebbe l' estinzione. In propo sito si veda inoltre Ps.-Quint.,
Decl.,
245, 3 :
Si ipsam pecuniam quae a patre tuo apud amicum
deposita est repetere velles, non liceret tamen tibi rem iudicatam retractare. 30 Cf. Inst., IX, 2, 67 e in proposito S. Querzoli, û Inofficiosum testamentum dicere :
nale centumvirale ý, p. 510, n. 35 ; Ead.,
I
testamenta
e gli
tribu-
officia pietatis, p. 78-79, n. 56
che non manca di ricordare la specifica attinenza di tale artificio retorico con le declama zioni d' ambito scolastico aventi ad oggetto dei tiranni.
31
Cf.
Inst.,
IX, 2, 67-68 :
Sed schematum condicio non eadem est : quamlibet enim apertum,
quod modo et aliter intellegi possit, in illos tyrannos bene dixeris, quia periculum tantum, non etiam offensa vitatur ; quod si ambiguitate sententiae possit eludi, nemo non illi furto favet.
ida gilda mastrorosa
134
imposto non la necessitaé di tacere, bens|é un' esigenza simile, ma molto piué difficile da tradurre in una concreta linea di condotta, in presenza di situazioni nelle quali non eé possibile affermare i propri diritti senza attaccare personaggi potenti : Vera negotia numquam adhuc habuerunt hanc silentii necessitatem, sed aliam huic similem verum multo ad agendum difficiliorem, cum personae potentes obstant sine quarum reprensione teneri causa non possit. Ideoque hoc parcius et circumspectius faciendum est, quia nihil interest quo modo offendas, et aperta figura perdit hoc ipsum quod fi gura est
32
.
Sensa voler divinare la finalitaé di una precisazione evidentemente criptica, si puoé tuttavia sospettare che con essa Quintiliano intendesse riferirsi al clima poco democratico instauratosi sotto l' ultimo dei Flavi
33
, optando peroé per un modo di esprimersi allusivo, vale a dire per
una cauta reticenza, a conti fatti coerente con la linea di collaborazione necessitata quanto disillusa da lui adottata nei rapporti con il potere
34
; scelta comunque analoga all' atteggiamento prudente di Plinio,
soltanto a posteriori pronto a stigmatizzare la scarsa libertaé di opinione vigente sotto Domiziano
32 33
35
e a riprovarne piu é in generale la con-
Inst., IX, 2, 68-69. In quest' ottica, un' implicita ammissione, sia pure a fini elogiativi, circa il carattere
di dominio assoluto del regno di Domiziano, puoé leggersi in Inst., VI, 1, 35 : quod genus nostris temporibus totum paene sublatum est, cum omnia curae tutelaeque unius innixa periclitari nullo iudicii exitu possint.
34
Tale aspetto conduce all' annosa questione della difficoltaé di valutare in termini
obiettivi il rapporto intrattenuto con il potere e segnatamente con i Flavi da Quinti liano, tema oggetto di riflessione da parte di I. Lana, La teorizzazione della collaborazione degli intellettuali con il potere politico in Quintiliano, Institutio oratoria, Libro XII, Torino, 1973,
p. 19-46,
noncheè
di
ulteriori
puntualizzazioni
in
W. C.
McDermott º
A. E.
Orentzel, û Quintilian and Domitian ý ; P. Desideri, Dione di Prusa. Un intellettuale greco nell' impero romano, Messina-Firenze, 1978, p. 88-90 ; G. F. Gianotti, û Il principe e il retore : classicismo come consenso in etaé imperiale ý, Sigma, 12 (1979), p. 67-83 ; B. Zucchelli, û Quintiliano e i Flavi ý, in Atti del Congresso Internazionale di Studi Vespasianei, Rieti, 1981, vol. II, p. 571-591. Fra gli interventi piué
recenti cf. inoltre V. Scarano
Ussani, û Romanus sapiens e civilis vir. L' oratore al servizio del potere nella teoria di Quin tiliano ý, Ostraka, 10 (2001), p. 147-156 ; A. La Penna, û Quintiliano, l' Impero, le istitu zioni ý, in Atti del convegno Nazionale di Studi : Intellettuali e potere nel mondo antico (Torino, 22-23-24 aprile 2002), ed. R. Uglione, Alessandria, 2003, p. 139-163.
35
Che le critiche pliniane non avessero comunque tardato a manifestarsi si ricava da
una lettera del IX libro databile al 97 ove si sottolineano le condizioni di maggior libertaé espressiva (peraltro strumentalizzata da taluni), garantite dalla morte dell' ultimo dei Flavi : Epist., IX, 13, 2-4 : Occiso Domitiano statui mecum ac deliberavi esse magnam pulchramque materiam insectandi nocentes, miseros vindicandi, se proferendi [...] Ac primis quidem diebus redditae libertatis pro se quisque inimicos suos, dumtaxat minores, incondito turbidoque clamore
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
dotta
36
135
, ma al tempo del tiranno costretto a farsi scudo di una regola
giuridica, quale quella contraria alla ripetizione di un processo giaé chiuso con sentenza definitiva, piuttosto che di un linguaggio ambiguo, per fronteggiare le insidie di Regolo e il suo subdolo invito a dare un giudizio non direttamente su un personaggio potente ma su una figura come quella di Modesto caduta in disgrazia ad opera del
princeps. Del resto, che quest' ultimo rappresentasse un punto di riferimento irrinunciabile negli stratagemmi dialettici del tenace accusatore si deduce pure dalla dichiarazione con cui piué tardi, a giustificazione del suo pressante interrogatorio nel corso della causa di Arrionilla discussa davanti ai centumviri, egli avrebbe ammesso di aver inteso colpire con esso proprio Modesto, onde vendicare la battuta offensiva da lui ricevuta alla presenza dell' imperatore
37
.
In definitiva, i dati desumibili dall' Epist. I, 5, aiutano ad abbozzare piué nitidamente il ritratto di un personaggio di primo piano nella vita giudiziaria dell' ultima fase domizianea, sovrappopolata da quei delatori di cui lo stesso Plinio avrebbe in seguito salutato con favore la disfatta assicurata dal regime di Traiano
38
, d' altro canto non dissimile
postulaverat simul et oppresserat. Ego et modestius et constantius arbitratus immanissimum reum non communi temporum invidia, sed proprio crimine urgere [...].
36
Si ricordi l' inequivoco atto di accusa indirizzato a Domiziano in Plin., Paneg.,
33, 4 : Demens ille verique honoris ignarus, qui crimina maiestatis in harena colligebat ac se despici
et contemni, nisi etiam gladiatores eius veneraremur, sibi male dici in illis, suam divinitatem, suum numen violari interpretabatur ; per ulteriori attacchi cf. inoltre Paneg., 14, 5 ; 20, 4 ; 42, 4 ; 48, 3 ; 52, 3 ; 82, 1-5 ; 92, 4 ; quanto alla valutazione del rapporto di Plinio con l' ultimo dei Flavi oltre a A. E. Orentzel, û Pliny and Domitian ý, The Classical Bulletin, 56 (1980), p. 49-52, si vedano soprattutto F. Trisoglio, La personalitaé di Plinio il Giovane, p. 28 sq. ; P. Fedeli, û Il `Panegirico' di Plinio nella critica moderna ý, Aufstieg und Niedergang der
Ro«mischen Welt, 2, 33, 1 (1989), p. 387-514 : p. 439-444 ; P. Soverini, û Impero e imperatori nell' opera di Plinio il Giovane. Aspetti e problemi del rapporto con Domiziano e Traiano ý, ibidem, p. 515-554 : p. 516-535 ; F. Beutel, Vergangenheit als Politik, p. 39 sq. Tali attacchi appaiono tanto piué significativi nel contesto di un' opera come il Panegirico, sulla cui natura di elogio del successore Traiano, pur condotto entro i limiti e i canoni pecu liari della propaganda ufficiale, si vedano A. Giardina º M. Silvestrini, û Il principe e il testo ý, in Lo Spazio letterario di Roma antica, vol. II, ed. G. Cavallo, P. Fedeli, A. Giardina, Roma,
1989, p. 579-613 :
p. 582 sq. ;
utili osservazioni anche
in
N. Meè thy, û E è loge
rheètorique et propagande politique sous le Haut -Empire : l' exemple du Paneègyrique de
Trajan ý, Meèlanges de l' Eècole Franc°aise de Rome : Antiquiteè, 112 (2000), p. 365-411. 37 Cf. Plin., Epist., I, 5, 13 : Expalluit [...] et haesitabundus : Interrogavi, non ut tibi nocerem, sed ut Modesto. Vide hominis crudelitatem, qui se non dissimulet exuli nocere voluisse ! Subiunxit egregiam causam : Scripsit º inquit º in epistula quadam, quae apud Domitianum recitata est : `Regulus, omnium bipedum nequissimus' . Quod quidem Modestus verissime scripserat.
38
Si ricordino le osservazioni di Plin., Paneg., 34, 1-2 : Vidimus delatorum inductum quasi
grassatorum, quasi latronum. Non solitudinem illi, non iter, sed templum, sed forum insederant [...] advertisti oculos atque ut ante castris, ita postea pacem foro reddidisti ; 35, 1 : Memoranda facies,
ida gilda mastrorosa
136 dal
prototipo dell' accusatore-tipo sovente
presupposto
dai precetti
quintilianei. A questi ultimi conduce, infatti, l' incalzante interrogato rio escogitato da Regolo nel processo contro Arrionilla che richiama fra l' altro la tecnica della repetita percontatio descritta in un luogo del V libro dell' Institutio oratoria, nella prospettiva piué generale di un percon-
tari finalizzato a strappare ammissioni ai testimoni recalcitranti e ad acquisire
in
qualunque
modo
elementi
probatori
rivolgere delle domande a puri fini conoscitivi
39
piuttosto
che
a
, ma anche la sua abi-
tudine, analogamente coerente con le osservazioni quintilianee ( Inst., V, 13, 3), di stendere in anticipo il testo del proprio discorso, documentata da Plinio in un passo dell' Epist. VI, 2. In tale contesto, databile intorno al 105, Regolo incarna nuova mente i tratti dell' accusatore pugnace, vittima dell' emotivitaé, avvezzo a scrivere le proprie arringhe seppur incapace di memorizzarle, finan che abile nell' avvalersi di vere e proprie strategie di comunicazione visiva, nel ricorrere cioeé al trucco dell' occhio destro o sinistro per rendere esplicito al pubblico il proprio ruolo a favore della parte che avesse dato l' avvio al processo per reclamare il proprio diritto o di quella che l' avesse subito
40
, con una maestria non lontana, secondo ta-
luni studiosi, dall' esercizio di vere e proprie pratiche goetiche
41
, nella
quale potremo comunque cogliere un esempio di personale propensione alla teatralitaé forense condivisa da piué generazioni di avvocati romani. Che questi non esitassero, infatti, a trasferire nell' arena giudi ziaria perfino dettagli tratti dalla scena del crimine pur di coinvolgere il pubblico, o ancora a servirsi di pale e ritratti utili a visualizzare ec-
delatorum classis permissa omnibus ventis [...], e sull' argomento soprattutto l' intervento sopra ricordato di A. Giovannini, û Pline et les deè lateurs de Domitien ý.
39
Si veda la tecnica consigliata sia alla difesa che all' accusa in Quint., Inst., V, 7, 27 :
Omnis autem interrogatio aut in causa est aut extra causam. In causa, sicut accusatori praecepimus, patronus quoque altius et unde nihil suspecti sit repetita percontatione, priora sequentibus adplicando saepe eo perducit homines ut invitis quod prosit extorqueat ; noncheè le puntualizzazioni di Inst., IX, 2, 6 : Quid enim tam commune quam interrogare vel percontari ? Nam utroque utimur indiffe-
renter, quamquam alterum noscendi, alterum arguendi gratia videtur adhiberi .
40
Cf. Plin., Epist., VI, 2, 1-2 : Soleo non numquam in iudiciis quaerere M. Regulum, nolo
enim dicere desiderare. Cur ergo quaero ? Habebat studiis honorem, timebat, pallebat, scribebat, quamvis non posset ediscere. Illud ipsum, quod oculum modo dextrum, modo sinistrum circumlinebat, dextrum, si a petitore, alterum, si a possessore esset acturus, quod candidum splenium in hoc aut in illud supercilium transferebat, quod semper haruspices consulebat de actionis eventu, a nimia superstitione, sed tamen et a magno studiorum honore veniebat, con il commento di N. SherwinWhite, The Letters of Pliny, p. 356-357.
41
Si veda l' interpretazione di J. Heurgon, û Les sortileé ges d' un avocat sous Trajan ý,
in Hommages aé M. Renard, t. I, Bruxelles, 1969, p. 443-448 ; sull' argomento eé tornato di recente
J.-B.
Clerc,
û Pour
se
Latomus, 57 (1998), p. 634-643.
proteèger
du fascinum
(Pline
le
Jeune,
Lettres, VI, 2) ý,
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
137
frasticamente fatti e soggetti della causa, ben si ricava oltre che dalle orazioni ciceroniane anche dalle prescrizioni quintilianee
42
. Quanto
all' ingegnoso avversario di Plinio, la protervia dei suoi modi
43
, non
disgiunta da tenacia, abilitaé tecnica, determinazione, inclinazione ad atteggiamenti superstiziosi, comunque sintomatici della grande stima riservata alla professione (Epist., VI, 2, 2 : a magno studiorum honore ve-
niebat), perfino arricchita dalla capacitaé di ottenere tempi non ristretti per le proprie arringhe, a tutto vantaggio della difesa spesso indotta a farvi ugualmente affidamento
44
, ne fa un degno esemplare di quella
categoria di delatores paventata giaé da Quintiliano (Inst., III, 10, 3), un rappresentante genuino ma non isolato della fitta schiera di faccendieri del
foro
sistematicamente
votata
ad
una
malintesa
interpretazione
dell' attivitaé accusatoria, su cui getta luce anche l' Epist., III, 9. Risalente al 100 d. C., quest' ultima eé dedicata ad offrire un preciso resoconto delle diverse fasi della nota causa pubblica patrocinata per sonalmente da Plinio il Giovane, intervenuto a favore dei Betici nel processo da essi intrapreso contro Cecilio Classico, macchiatosi di concussione durante il suo proconsolato nella provincia (97-98 d. C.), e dopo la sua morte portato avanti con determinazione contro i suoi collaboratori
45
. In particolare, per quanto qui rileva, la lettera docu-
menta che nella medesima circostanza, Norbano Liciniano, legato della provincia noncheè addetto all' istruttoria, fu accusato da un testimone di essersi accordato con la controparte nella causa pendente contro la moglie di Classico, Casta (Epist., III, 9, 29 : tamquam in causa
Castae [...] praevaricaretur). Privo di alcun sostegno noncheè strumentalizzato dai Betici che secondo Plinio gli avrebbero affidato l' incarico non per le sue doti di onestaé, bens|é per il risentimento covato contro Classico, artefice della sua relegatio, costui fu di fatto sottoposto ad un
iter legale diverso da quello stabilito appositamente dalla normativa,
42
Cf. Quint., Inst., VI, 1, 30 e 48 ; sul passo noncheè sui precedenti ricavabili dalle ora-
zioni ciceroniane si veda G. Moretti, û Mezzi visuali per le passioni retoriche : le sceno grafie dell' oratoria ý, in Le passioni della retorica, ed. G. Petrone, Palermo, 2003, p. 63-96 : p. 72 sq. ; p. 89 sq.
43
Suonano eloquenti le sue dichiarazioni riportate in Plin., Epist., I, 20, 14 : Dixit ali-
quando mihi Regulus, cum simul adessemus : tu omnia, quae sunt in causa, putas exsequenda ; ego iugulum statim video, hunc premo.
44
Cf. Plin., Epist., VI, 2, 3 : Iam illa perquam iucunda una dicentibus, quod libera tempora
petebat, quod audituros corrogabat. Quid enim iucundius quam sub alterius invidia, quam diu velis, et in alieno auditorio quasi deprehensum commode dicere ?
45
Cf. Plin., Epist., III, 9, 6 : Nihilo minus Baetica etiam in defuncti accusatione perstabat [...]
Addiderunt Baetici, quod simul socios ministrosque Classici detulerunt nominatimque in eos inquisitionem postulaverunt.
ida gilda mastrorosa
138
secondo la quale la perseguibilitaé di un imputato di collusione sarebbe stata subordinata all' avvenuta chiusura del procedimento principale d' accusa, di per seè utile per far luce sul grado di affidabilitaé e stabilitaé dell' accusatore stesso
46
, per dimostrare cioeé l' inconsistenza di qua-
lunque sospetto di un mutato atteggiamento di quest' ultimo a favore della parte precedentemente attaccata. Costretto a difendersi in tempi brevissimi, senza che gli fosse concessa alcuna dilazione e la notifica dell' atto d' incriminazione, Norbano fu chiamato a render conto di fatti anche piué gravi dell' episodio contestato, fra cui la protezione data a taluni accusatori sotto Domiziano, e poi condannato e relegato in un' isola (Epist., III, 9, 32-34). Ben al di laé del significato attribuibile ad un verdetto cos|é repentino, nel quale puo é leggersi un tentativo di sanzionare in modo esemplare gli abusi sovente perpetrati dall' accusa, l' episodio testimonia comunque il perdurare alle soglie del catio na
47
48
ii secolo d. C. di casi di praevari-
, vale a dire di un malcostume attestato fin dall' etaé repubblica-
e tutt' altro che caduto nel
i
secolo dell' Impero, come dimo-
strano le misure repressive previste con il Senatus consultum Turpillianum
46
49
e
piu é
in generale
talune
osservazioni
ricavabili
da fonti
di
Cf. Plin., Epist., III, 9, 30-31 : Est lege cautum, ut reus ante peragatur, tunc de praevarica-
tore quaeratur, videlicet quia optime ex accusatione ipsa accusatoris fides aestimatur. Norbano tamen non ordo legis, non legati nomen, non inquisitionis officium praesidio fuit : tanta conflagravit invidia homo alioqui flagitiosus et Domitiani temporibus usus, ut multi, electusque tunc a provincia ad in quirendum, non tamquam bonus et fidelis, sed tamquam Classici inimicus. Sui particolari dell' episodio, noncheè a proposito della norma richiamata nel passo, in effetti prevista fin dalla Lex Acilia con specifico riguardo al ruolo dell' accusator, peraltro rivestito nella vicenda da Plinio e dal collega Albino, si veda N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 230238 : p. 236 ; per una puntuale analisi recente della vicenda giudiziaria e del ruolo di Pli nio cf. S. Lefebvre, û Les avocats de la Beè tique entre 93 et 99. Pline le Jeune eètait-il un patron de province ? ý, Cahiers du Centre Glotz, 13 (2002), p. 57-92 : p. 65-71.
47
Per la definizione giuridica del reato, concernente l' accordo tra l' accusatore ed il
reo, finalizzato a favorire il secondo, cf. Marcian., Dig., 48, 16, 1, 6 : Praevaricatorem eum esse ostendimus, qui colludit cum reo et translaticie munere accusandi defungitur, eo quod proprias quidem
probationes
dissimularet,
falsas
vero
rei
excusationes
admitteret ;
Ulpian.,
Dig.,
47, 15, 1, pr. : praevaricator est [...] qui diversam partem adiuvat prodita causa sua ; 50, 16, 212 : `praevaricatores' eos appellamus, qui causam adversariis suis donant et ex parte actoris in partem rei concedunt : a varicando enim praevaricatores dicti sunt ; in proposito cf. inoltre Th. Mommsen, Ro«misches Strafrecht, Leipzig, 1899, p. 501-503 ; G. Wesenberg, û Praevaricatio ý, in Realenzyklopa«die, 22, 2 (1954), col. 1680-1685 : col. 1684.
48
Lo si ricava e.g. da Cic., Part., 36, 126 : Defensor autem testatur consuetudinem sermonis
verbique vim ex contrario repetit quasi ex vero accusatore, cui contrarium est nomen praevaricatoris, et ex consequentibus, quod ea littera de accusatore soleat dari iudici, et ex nomine ipso, quod significat eum qui in contrariis causis quasi vare positus esse videatur.
49
Su tale provvedimento, emanato nel 61 d. C., propabilmente scaturito da un caso
di praevaricatio secondo quanto si desume da Tac., Ann., XIV, 41, oltre a B. Santalucia,
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
139
matrice eterogenea, indicative di una chiara percezione del reato anche a livello atecnico, tra cui merita di essere segnalato Plinio il Vecchio. Consapevole
dell' originaria
valenza
rustica
del
verbo
praevaricari,
usato inizialmente per designare chi non avesse mantenuto una posi zione retta nell' operazione dell' aratura, egli non trascurava di ricordarne
l' impiego
ormai
invalso
per
denominare
un
preciso
capo
d' accusa nel contesto del foro, ma soprattutto non rinunciava ad invi tare a tenersi lontano almeno nei campi, luogo d' origine di tale uso lessicale, da un errore che secondo la sua diretta esperienza era divenuto
tristemente
consueto
nelle
aule
di
giustizia
(Nat.
hist.,
XVIII, 179 : Arator nisi incurvus praevaricatur. Inde tralatum hoc crimen in forum. Ibi utique caveatur, ubi inventum est). Tracce altrettanto utili si traggono dalle affermazioni di Quintiliano, pronto a stigmatizzare la scorretta propensione ad accordarsi con la parte avversaria in quanto indegna di un vero oratore forense fedele al proprio ruolo
50
, noncheè
ad insistere sul carattere dispregiativo del termine praevaricator in un luogo dell' ultimo libro del suo trattato, da cui emerge l' inclinazione degli operatori legali a cedere alla corruzione per motivi di ambizione, soggezione al potere o paura e perfino a spingersi ad un ripro vevole
mercimonio
del
proprio
patrocinio
trasformandosi
in
una
voce a pagamento meritevole di condanna : An ei qui ad defendendas causas advocatur non est opus fide quam neque cupiditas corrumpat nec gratia avertat nec metus frangat : sed proditorem transfugam praevaricatorem donabimus oratoris illo sacro nomine ? [...] Non enim forensem quandam instituimus operam nec mercennariam vocem
51
.
Quanto alla persistente tendenza ad avanzare richieste di compensi esosi o comunque superiori al dovuto, ricavabile dall' ultima dichiarazione quintilianea, per comprenderne il significato tutt' altro che teo rico eé interessante la notizia riportata da Plinio nell' Epist. V, 9 del 105 d. C.
52
, a proposito del pretore Licinio Nepote costretto a ricordare
2
Diritto e processo penale nell' antica Roma, Milano, 1998 , p. 264-265, cf. L. Fanizza, Delatori e accusatori. L' iniziativa nei processi di etaé imperiale, p. 41 sq. ; noncheè D. A. Centola, Il crimen calumniae. Contributo allo studio del processo criminale romano, Napoli, 1999, p. 69 sq., con ulteriore bibliografia.
50
Cf. Quint., Inst., IX, 2, 87 : ego in universum neque oratoris puto esse umquam praeva-
ricari.
51 52
Inst., XII, 1, 24-25. Cf. Plin., Epist., V, 9, 3-4 : Causa dilationis Nepos praetor, qui legibus quaerit. Proposue-
rat breve edictum : admonebat accusatores, admonebat reos exsecuturum se, quae senatus consulto continerentur. Suberat edicto senatus consultum : hoc omnes, qui quid negotii haberent, iurare, prius -
ida gilda mastrorosa
140
ad accusatori e imputati che si sarebbe attenuto ad un senatoconsulto con il quale s' imponeva a chi fosse intervenuto in giudizio di giurare nihil se ob advocationem cuiquam dedisse, promisisse, cavisse, un provvedimento secondo le parole dell' autore inteso a vietare la vendita e l' acquisto
dell' assistenza
legale
e
ad
autorizzare
soltanto
l' eventuale
corresponsione di una cifra non superiore a 10.000 sesterzi a procedi mento finito. Ancora una volta l' epistolario offre, dunque, dati pun tuali e concreti sulla pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto Impero e, in particolare, induce a rilevare che al principio del
ii secolo
d. C.
l' ammissibilitaé del compenso per il patrocinio forense continuava a costituire un problema controverso : stando a Plinio l' intervento di Nepote avrebbe suscitato sorpresa nel presidente della corte centumvirale e disappunto in parte dell' opinione pubblica
53
, presso cui eviden-
temente suonava come ritorno alla linea rigida, quella contraria alla pattuizione preventiva di un compenso sposata piué di un secolo prima da Augusto, pronto nel 17 a. C. a vietare espressamente agli avvocati di ricevere un onorario, pena la restituzione del quadruplo (Dio Cass., LIV, 18, 2), purtuttavia rimessa in discussione in tempi piué recenti. Non va dimenticato, infatti, il tentativo di conciliazione razionale di Claudio, per intervento del quale, secondo Tacito
54
, nel 47 d. C. un sena-
quam agerent, iubebantur nihil se ob advocationem cuiquam dedisse, promisisse, cavisse. His enim verbis ac mille praeterea et venire advocationes et emi vetabantur. Peractis tamen negotiis permitteba tur pecuniam dumtaxat decem milium dare. Per l' inquadramento delle vicende narrate nell' e pistola
si
vedano
N. Sherwin-White,
The
Letters
of
Pliny,
p. 335-337 ;
S. Querzoli,
I testamenta e gli officia pietatis, p. 98-102 ; sull' episodio in relazione al malcostume degli avvocati cf. pure G. Coppola, Cultura e potere. Il lavoro intellettuale nel mondo romano, Milano, 1994, p. 189 sq.
53
Cf. Plin., Epist., V, 9, 5-6 : Hoc facto Nepotis commotus praetor, qui centumviralibus prae -
sidet, deliberaturus, an sequeretur exemplum, inopinatum nobis otium dedit. Interim tota civitate Nepotis edictum carpitur, laudatur. Multi : invenimus, qui curva corrigeret. Quid ? Ante hunc praetores non fuerunt ? Quis autem hic est, qui emendet publicos mores ? Alii contra : Rectissime fecit ; initurus magistratum iura cognovit, senatus consulta legit, reprimit foedissimas pactiones, rem pulcherrimam turpissime venire non patitur.
54
Provocati
dalle
intemperanze
di
Suillio,
macchiatosi
di
praevaricatio,
i
senatori
avrebbero invocato l' applicazione del divieto di ricevere denaro o doni in cambio della perorazione di una causa previsto dalla Lex Cincia del 204 a. C., come documentato da Tac., Ann., XI, 5, 3 : consurgunt patres legemque Cinciam flagitant, qua cavetur antiquitus, ne quis ob causam orandam pecuniam donumve accipiat, su cui cf. F. Casavola, Lex Cincia. Contributo alla storia delle origini della donazione romana, Napoli, 1960, p. 15 sq. ; noncheè C. Venturini, Studi sul crimen repetundarum nell' etaé repubblicana, Milano, 1979, p. 491 sq. Con particolare riferimento alla ricostruzione tacitiana del dibattito in Ann., XI, 5-7 oltre a R. Syme, Tacito, vol. I, p. 430-431, cf. M. Pani, Potere e valori a Roma fra Augusto e Traiano, Bari, 1992, p. 115-125 ; I. Mastrorosa, û Ars loquendi e storia in Tacito, Annales, XI, 5-7 ý, Atti dell' Accademia delle Scienze di Torino º Classe di Scienze Morali, Storiche e Filologiche, 130 (1996), p. 179-211 : p. 182-204.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
141
toconsulto, probabilmente identificabile con quello invocato da Licinio Nepote nel 105 d. C.
55
, ammetteva la corresponsione della cifra
massima di 10.000 sesterzi per il patrocinio in giudizio, seppur non in veste di onorario prepattuito, noncheè la punizione per concussione di chi avesse oltrepassato tale soglia : Ut minus decora haec, ita haud frustra
dicta princeps ratus, capiendis pecuniis modum usque ad dena sestertia statuit, quem egressi repetundarum tenerentur (Tac., Ann., XI, 7, 4). Cionondimeno, negli anni seguenti la questione dovette risultare tutt' altro che risolta, date le notizie discordanti su cui disponiamo a proposito di Nerone, secondo Tacito sollecito a seguire la volontaé del senato, impedendo di ricevere pagamenti in denaro o donativi a chi si fosse im pegnato a perorare una causa
56
, e perfino concorde a ripristinare il
senatoconsulto del predecessore contro Suillio zio
di
Svetonio,
favorevole
ad
ammettere
57
, purtuttavia, a giudi-
il
pagamento
di
un
compenso prefissato, seppur moderato : cautum [...] ut litigatores pro pa-
trociniis certam iustamque mercedem (Nero, 17). Alla luce di tali dati, le riflessioni
posteriori
di
Quintiliano
sulla
retribuzione
degli
oratori
forensi e il resoconto fornito da Plinio nell' Epist. V, 9 forniscono elementi utili per comprendere quanto il problema fosse rimasto di piena attualitaé ancora sotto i Flavi ma anche piué tardi sotto Traiano ; concorrono cioeé a far luce sulla difficoltaé di porre rimedio ad un malcostume invano sanzionato con interventi puntuali nel i secolo d. C. In quest' ottica, non va neppure trascurata l' Epist. V, 13, risalente ancora alla medesima data del 105 d. C., piué in generale interessante per mettere a fuoco l' opinione personalmente nutrita dall' ormai celebre avvocato comense in tema di compensi per l' esercizio della professione. In tale contesto, all' atto di fornire il resoconto degli sviluppi relativi al processo contro Tuscilio Nominato giaé presentato in un' epistola anteriore
55 56
58
, Plinio non soltanto ricorda il memoriale letto prima
Per tale ipotesi cf. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 337. Cf. Tac., Ann., XIII, 5, 1 : Nec defuit fides, multaque arbitrio senatus constituta sunt : ne
quis ad causam orandam mercede aut donis emeretur.
57
Cf. Tac., Ann., XIII, 42, 1 : Is fuit Publius Suillius [...] eius opprimendi gratia repetitum
credebatur senatus consultum poenaque Cinciae legis adversum eos qui pretio causas oravissent.
58
Secondo quanto emerge da Epist., V, 4, risalente ancora al 105 d. C., Tuscilio
Nominato sarebbe stato accusato d' aver abbandonato la difesa degli interessi dei delegati vicentini, contrari alla richiesta di concessione dell' autorizzazione ad istituire un mercato periodico sulle loro terre, avanzata da un tale Sollerte ( vir praetorius) al Senato di Roma, dopo aver peraltro ricevuto un compenso per il suo incarico ; sull' episodio ivi narrato e l' esito documentato dall' Epist., V, 13, oltre a N. Sherwin-White, The Letters of Pliny, p. 339-343, si veda M. Pani, Potere e valori, p. 127-128, noncheè L. Cracco Ruggini, û Sto-
ida gilda mastrorosa
142
della sentenza dal tribuno della plebe Nigrino per riprovare l' imperante mercificazione degli incarichi di assistenza legale, il traffico di accordi
fra
gli
avvocati
delle
parti
avverse,
noncheè
le
collusioni
perfino l' uso di menar vanto delle depredazioni inflitte ai cittadini
e 59
,
bens|é trae spunto dalla narrazione per compiacersi di essersi sempre astenuto, dal canto suo, da ogni abuso e in particolare dall' accettare regali
e
compensi
di
qualsivoglia
tipo
in
cambio
della
propria
assistenza in sede giudiziaria : Quam me iuvat, quod in causis agendis non
modo pactione, dono, munere
60
, verum etiam xeniis semper abstinui ! (Epist.,
V, 13, 8). Lungi, tuttavia, dal ridursi alla generica condanna di una cattiva prassi, inveterata quanto registrata ad ampio spettro ormai da decenni, posto che giaé Columella, nella Praefatio della sua opera, aveva attaccato apertamente l' aviditaé accaparratrice di quanti sceglievano la professione
forense
solo
in
vista
del
guadagno
61
,
il
ripudio
del
mercimonio della professione forense affidato all' Epist. V, 13 assume connotazioni di carattere morale probabilmente influenzate ancora una volta dal magistero quintilianeo. In particolare, va sottolineato che nel finale della lettera il rifiuto pliniano di un malcostume ormai imperante,
seppur
esplicitamente
ricondotto
al
bisogno
di
non
commettere atti illeciti, certamente ispirato alle prescrizioni della Lex
Cincia e dettato, d' altra parte, dalla consapevolezza dell' esistenza di norme dirette a contenere in termini perentori l' entitaé dei compensi, di prevedere cioeé obblighi inequivoci per quanti siano incapaci di agire bene spontaneamente, si nutre piué in generale dell' esigenza di
ria totale di una piccola cittaé : Vicenza romana ý, in Storia di Vicenza, I. Il territorio. La prei-
storia. L' etaé romana, ed. A. Broglio, L. Cracco Ruggini, Vicenza, 1987, p. 205-303 : p. 255-257. Cf. inoltre in proposito C. Solimena, Plinio il Giovane e il diritto pubblico di
Roma, p. 284-285.
59
Cf. Plin., Epist., V, 13, 6 : Sed, priusquam sententiae dicerentur, Nigrinus, tribunus plebis,
recitavit libellum disertum et gravem, quo questus est venire advocationes, venire etiam praevaricationes, in lites coiri et gloriae loco poni ex spoliis civium magnos et statos reditus [...], e in relazione all' argomento soprattutto G. Coppola, Cultura e potere, p. 191-195.
60
Grazie ad un sorvegliato vocabolario Plinio sottolinea non soltanto il suo rifiuto di
contrarre qualunque tipo di accordo negoziale per il compenso della propria prestazione, richiamato mediante l' accezione tecnica di pactio (su cui cf. G. Melillo, Contrahere, pacisci, transigere. Contributi allo studio del negozio bilaterale romano, Napoli, 1994, p. 150 sq.), ma
anche
di
gratificazioni
rese
a
titolo
di
contraccambio
spontaneo,
evocate
dalla
sequenza di termini quali donum, munus e xenia, per i quali cf. Ulpian., Dig., 1, 16, 6, 3, noncheè J. Michel, Gratuiteè en droit romain, Bruxelles, 1962, p. 482-492.
61
Cf. Colum., Rust., Praef., 9 : Sed ne caninum quidem, sicut dixere veteres, studium prae-
stantius locupletissimum quemque adlatrandi et contra innocentes ac pro nocentibus neglectum a maioribus, a nobis etiam concessum intra moenia et in ipso foro latrocinium, e in proposito E. Noeé, Il progetto di Columella. Profilo sociale, economico, culturale, Como, 2002, p. 29 sq.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
comportarsi
in
modo
moralmente
esemplare
62
.
Corroborato
143 dalla
convinzione che il carattere sanzionatorio della normativa sulla retribuzione del patrocinio legale sottrae motivo di merito personale a chi abbia
volontariamente
scelto
una
linea
di comportamento
onesta,
l' imperativo formulato da Plinio rispecchia, a ben vedere, le riflessioni avanzate da Quintiliano in un ulteriore passo del XII libro del suo trattato, nel quale la ricompensa dell' oratore forense eé considerata poco onorevole e causa di discredito per la professione, noncheè ammessa come lecita solo qualora dettata da necessitaé di sopravvivenza. Ritenuta del tutto estranea alla possibilitaé di qualunque arricchimento o ricerca di vantaggio economico, nella prospettiva del retore essa risulta di fatto fortemente vincolata alla moralitaé individuale del singolo, spronato a concedere il proprio ausilio in termini gratuiti e ad accettare cioé che eventualmente sia offerto in modo spontaneo dal patrocinato e che, in ultima istanza, appare pienamente giustificabile in nome del tempo sottratto all' esercizio di qualunque altra attivitaé, ovvero ad ogni parallela alternativa di guadagno
63
. Abituato a districarsi
fra processi di vario tenore, comunque non gravato dalle difficoltaé economiche
64
che secondo il suo maestro avrebbero potuto rendere
lecita la retribuzione, Plinio appare fortemente legato innanzitutto al significato morale di una condotta seguita a titolo del tutto sponta-
62
Cf. Plin.,
Epist.,
V, 13, 9-10 :
Oportet quidem, quae sunt inhonesta, non quasi inlicita, sed
quasi pudenda vitare ; iucundum tamen, si prohiberi publice videas, quod numquam tibi ipse permi seris. Erit fortasse, immo non dubie huius propositi mei et minor laus et obscurior fama, cum omnes ex necessitate facient, quod ego sponte faciebam.
Per qualche osservazione in merito e, piué in
generale, sulla concezione pliniana dell' arricchimento, cf. R. Scarcia, û
Ad tantas opes pro-
cessit. Note a Plinio il Giovane ý, Index, 13 (1985), p. 289-312 : p. 299. 63 Cf. Quint., Inst., XII, 7, 9-10 : Caecis hoc, ut aiunt, satis clarum est, nec quisquam, qui sufficientia sibi (modica autem haec sunt) possidebit, hunc quaestum sine crimine sordium fecerit. At si res familiaris amplius aliquid ad usus necessarios exiget, secundum omnium sapientium leges patietur sibi gratiam referri [...] Neque enim video quae iustior adquirendi ratio quam ex honestissimo labore et ab iis de quibus optime meruerint quique, si nihil invicem praestent, indigni fuerint defensione. Quod quidem non iustum modo sed necessarium etiam est, cum haec ipsa opera tempus que omne alienis negotiis datum facultatem aliter adquirendi recidant. contenute nel passo si vedano J. Michel, û
Metuendus ingratus
De Sarlo,
p. 217-218 ; V. Angelini,
(Avvocato e cliente in una pagina di Quintiliano) ý, in
Milano, 1989, p. 1-11 ; M. Pani,
loquendi e storia ý, 64 Nonostante
Per le diverse implicazioni
Gratuiteè en droit romain, Potere e valori,
Studi per Luigi
p. 125-126 ; I. Mastrorosa, û
il riferimento alle proprie
modicae facultates
in
Epist.,
II, 4, 3, il patrimo-
nio pliniano non poteva certo dirsi modesto, come sottolineato nel commento da
N. Sherwin-White,
The Letters of Pliny,
Halfmann, Divites et praepotentes.
zipatszeit,
Ars
p. 205-211.
Stuttgart, 1993, p. 359.
p. 149-150 ;
noncheè
da
ad loc. cit.
S. Mratschek-
Reichtum und soziale Stellung in der Literatur der Prin-
ida gilda mastrorosa
144
neo, come dimostrano l' onore e il vanto implicitamente riconnessi al rifiuto del compenso anche nell' Epistola VI, 23. In tale sede, quasi con spirito d' ostentazione, all' atto di accettare la richiesta di occuparsi di una causa, egli si dichiara disposto a tralasciare eccezionalmente il suo abituale costume di patrocinare gratuitamente, chiedendo in contraccambio d' essere affiancato da Cremuzio Rusone, esigendo cioeé che in una occasione giudiziaria di grande prestigio fosse concesso spazio ad un giovane in cui riponeva grandi speranze, secondo un criterio adottato giaé altre volte
65
. Alimentate con ogni
probabilitaé ancora una volta dai precetti di Quintiliano, vale a dire dalle sue posizioni sulla opportunitaé di forgiare concretamente la capacitaé professionale dei futuri avvocati attraverso la palestra quotidiana degli scontri giudiziari, tali affermazioni lasciano emergere, in particolare, la capacitaé pliniana di concepire l' esercizio dell' oratoria forense nel rispetto di un vero e proprio codice deontologico, interpretato con convinzione che affiora pure da alcuni pregnanti riferimenti
al
foedus
peculiare
del
patrocinio
e
alla
fides
del
rapporto
intercorrente tra avvocato e cliente (Epist., III, 4, 4 ; VII, 33, 7)
66
, signi-
ficativamente equiparata al dovere di fedeltaé che lega il cittadino alla patria (Epist., I, 18, 4) da un professionista del foro interessato a privilegiare l' interesse della causa piué che quello personale (Epist., III, 9, 8), forse ancora una volta in accordo con le tesi del maestro
67
.
Fino a che punto la tutela dell' assistito fosse considerata da Plinio un elemento irrinunciabile in vista del quale il difensore era abilitato a
65
Cf. Plin., Epist., VI, 23, 1-2 : Impense petis, ut agam causam pertinentem ad curam tuam,
pulchram alioqui et famosam. Faciam, sed non gratis. Qui fieri potest º inquis º ut non gratis tu ? Potest : exigam enim mercedem honestiorem gratuito patrocinio. Peto atque etiam paciscor, ut simul agat Cremutius Ruso. Solitum hoc mihi et iam in pluribus claris adulescentibus factitatum. Nam mire concupisco bonos iuvenes ostendere foro, adsignare famae.
66
Utili osservazioni sul ruolo attribuito da Plinio alla fides in relazione all' operato
dell' avvocato anche sulla scorta dei passi in esame in N. Barbuti, û La nozione di fides in Tacito e Plinio il Giovane ý, in Epigrafia e territorio. Politica e societaé. Temi di antichitaé romane, III, ed. M. Pani, Bari, 1994, p. 271 -299 : p. 283-285 ; S. Lefebvre, û Les avocats de la Beètique ý, p. 82-83.
67
Sul ruolo determinante attribuito da Quintiliano all' obbligo assunto dall' avvocato
nei confronti del cliente si veda e.g. Inst., V, 13, 40 ; piué in generale, circa il peso riconosciuto dalla mentalitaé romana a tale valore in ambito giudiziario cf. J. Hellegouarc' h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la Reèpublique, Paris, 1972, p. 29 ; G. Freyburger, Fides.
eè tude
seèmantique et religieuse depuis les origines jusqu' aé l' eèpoque augus-
teèenne, Paris, 1986, p. 160-164 ; J.-M. David, Le patronat judiciaire au dernier sieécle de la Reèpublique romaine, Rome, 1992, p. 57-58 ; p. 83 sq. ; Id., û Deèontologie de l' assistance judiciaire de la fin de la reèpublique romaine au Haut-Empire ý, in L' assistance dans la reèsolution
des
conflits, I. L' Antiquiteè, Bruxelles, 1996 (Recueils de la Socieèteè Jean Bodin pour
l' histoire comparative des institutions 63), p. 91-94 : p. 92.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
145
scegliere pragmaticamente il percorso piué idoneo alla vittoria si evince pure da osservazioni di carattere piué tecnico quale, ad esempio, l' apprezzamento riservato all' uso di una tattica fortemente giocata sul piano dell' emotivitaé in un passo della sopra ricordata
Epist.
V, 13. In
tale contesto, egli giudica scelta ottima e piué sicura il ricorso di Nominato ad un consistente repertorio di preghiere e lacrime gradite al pubblico, vale a dire ad una strategia sostanzialmente fondata su una richiesta di grazia piuttosto che su una difesa vera e propria (Epist., V, 13, 3 :
operam dedit, ut deprecari magis (id enim et favorabilius et tutius)
quam defendi videretur),
a ben vedere in accordo con le posizioni di
deprecatio
Quintiliano che, oltre a considerare la
vantaggiosa ai fini di
una piu é eloquente esposizione della causa (Inst., IX, 1, 32), la valorizza piué puntualmente rispetto alla tradizione anteriore in un luogo del V libro del suo trattato. In particolare, a fronte della tesi sostenuta dall' autore
della
Rhetorica ad Herennium
68
,
per
cui
essa
rappresentava
un
diritto concesso solo nel caso di cittadini notoriamente benemeriti e comunque non utile in sede giudiziaria, secondo un' opinione sostan zialmente condivisa da Cicerone
69
, per il retore costituisce, invece,
una possibilitaé squisitamente inerente al contesto processuale, seppure estranea alla difesa vera e propria, noncheè rara e riservata solo alle circostanze in cui i giudici non siano vincolati a dover pronunciare la sentenza secondo una specifica formula
70
. Ma a comprova dell' atten-
zione riservata a tale criterio difensivo non puoé sfuggire che in un passo del VII libro dell' Institutio
oratoria
71
, dopo aver ricordato l' oppo-
sizione della maggior parte dei teorici, contrari sulla scorta dell' Arpinate all' utilizzabilitaé in sede giudiziaria della
68
Cf.
Rhet. Her.,
I, 14, 24 :
5 4
deprecatio,
54
Quintiliano
Deprecatio est, cum et peccasse se et consulto fecisse confitetur, et
tamen postulat, ut sui misereantur. Hoc in iudicio fere dicimus cuius multa recte facta extant
[...]
non
potest usu venire, nisi quando pro eo
Ergo in iudicium non venit ; at
torem et in consilium talis causa potest venire. 69 Che Cicerone la considerasse una
in
senatum, ad impera-
via scarsamente praticabile nei contesti forensi
veri e propri, ove la confessione da parte dell' imputato di per seè non predispone favorevolmente al perdono colui che ha il compito di perseguire la punizione delle colpe, si ri cava da
Inv.,
II, 34, 104 :
Deprecatio est, in qua non defensio facti, sed ignoscendi postulatio
continetur. Hoc genus vix in iudicio probari potest, ideo quod concesso peccato difficile est ab eo, qui peccatorum vindex esse debet, ut ignoscat, impetrare. interpretazione, la
deprecatio
Va peraltro notato che, alla luce di tale
diventa quasi la soluzione estrema, applicabile nelle cause in
cui non vi sia alcuna possibilitaé di scampo e vi sia invece modo di avvalersi dei meriti passati dell' imputato, che andranno amplificati per far leva su di essi di fronte ai giudici.
70
Cf. Quint.,
Inst.,
V, 13, 5 :
Deprecatio quidem, quae sine ulla specie defensionis, rara ad-
modum et apud eos solos iudices qui nulla certa pronuntiandi forma tenentur. 71 Cf. Quint., Inst., VII, 4, 17-18 : Ultima est deprecatio, quod genus causae plerique negarunt in iudicium umquam venire
[...]
In senatu vero et apud populum et apud principem et ubicum-
que sui iuris clementia est, habet locum deprecatio.
ida gilda mastrorosa
146
dichiara di ammetterne l' uso in tutte le occasioni in cui sia lecito ricorrere alla clemenza, vale a dire di fronte al senato, al popolo, al principe, in altri termini in circostanze fra cui puoé comprendersi anche il caso del procedimento ricordato nell' Epistola V, 13. Cionondimeno, la prioritaé riconosciuta da Plinio alla tutela dell' interesse del proprio cliente, secondo un obbligo piué volte ribadito nell' Institutio oratoria, si ricava implicitamente pure da una lettera del I libro, dedicata a porre in rilievo il significato della carica tribunizia dove,
impegnato
a
sottolineare
l' inconciliabilitaé
di
72
,
quest' ultima,
appena conferitagli, con la sua attivitaé di patrocinio forense, egli enuclea lucidamente la differenza fra la posizione super partes del tribuno, libero da vincoli ed obblighi, e quella opposta dell' avvocato, costretto ad esprimersi entro tempi rigidamente scanditi dalla clessidra, a subire obiezioni, senza cedere all' emotivitaé (Epist., I, 23, 2). Utile per mettere a fuoco il peso attribuito dal senatore comense alla sua professione in campo giudiziario, tale contesto permette inoltre di comprendere quali radici pragmatiche avessero alcune delle sue riflessioni, frutto di un' esperienza in realtaé piué variegata di quella del maestro, maturata cioeè ricoprendo nei contesti forensi ruoli diversificati. In tal senso, meriterebbero di essere considerati taluni rilievi concernenti i giudici, nei quali l' interesse per il destinatario piué diretto dell' intervento dell' avvocato appare coerente con l' attenzione costantemente riservata alla medesima figura da Quintiliano
73
, ma al contempo risulta arricchito
da riflessioni probabilmente tratte dalla pratica direttamente acquistata dall' allievo nell' esercizio di tale ruolo. In particolare, non eé trascurabile che in alcuni luoghi del suo epistolario Plinio rilevi il carattere sovente impenetrabile, incerto e ingannevole delle disposizioni d' animo dei
72
giudici
74
,
la
fragilitaé
del
loro
senso
di
giustizia
e
di severitaé,
Si veda Epist., I, 23, probabilmente risalente al 97 secondo A. N. Sherwin -White,
The Letters of Pliny, p. 138, per il quale la scelta di Plinio di astenersi dall' avvocatura du rante il tribunato sarebbe stata una volontaria estensione della preclusione dei procedi menti criminali ai magistrati prevista dalla prassi imperiale (p. 140), noncheè R. Syme,
Tacito, vol. I, p. 108, secondo cui si sarebbe trattato di una decisione finalizzata anche a ribadire la funzione non secondaria di una û magistratura ridotta ormai ad un semplice nome ý. Per una recente interpretazione dell' epistola cf. pure B. Oehl, û Plinius, der Volkstribunat und der Prinzipat ý, Gymnasium, 109 (2002), p. 311-322.
73
Che il giudice rappresenti un punto di riferimento costante per l' avvocato si de -
duce e.g. da Inst., IV, 1, 23 ; 28 ; 33 ; IV, 2, 20-21 ; IV, 5, 5 ; VI, 1, 52 ; XII, 10, 56 ; per qualche osservazione sul ruolo attribuito alla figura nel trattato quintilianeo si rimanda al giaé citato I. Mastrorosa, û Quintilian and the judges ý.
74
Cf. Plin., Epist., I, 20, 17 : Neque enim minus imperspicua, incerta, fallacia sunt iudicum
ingenia quam tempestatum terrarumque.
la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto impero
147
talvolta sensibile perfino ad un eccessivo prolungarsi del procedimento
75
, in accordo con il maestro, dal canto suo giaé sollecito a consigliare
di evitare di opprimere il giudice con una mole eccessiva di argomenta zioni che avrebbero rischiato di annoiarlo nioni
di
quest' ultimo
77
l' insistenza
76
. Neè si discosta dalle opi-
sull' impegno
sacrale
insito
nell' esercizio della facoltaé di giudicare e sul doveroso ricorso alla pazienza, irrinunciabile per chi sia chiamato a decidere secondo giustizia
78
.
In conclusione, i luoghi delle Epistolae sopra considerati denunciano la consistenza del debito contratto da Plinio nei confronti di Quintiliano, vale a dire il significato di una ereditaé indubbiamente messa a frutto attraverso un piué ricco percorso professionale
79
, realizzato in
concomitanza di significativi mutamenti delle condizioni storiche registratisi con la fine del principato domizianeo, ma comunque accomunato a quello del maestro dal rispetto di principi etico-morali irrinunciabili, probabilmente nel tentativo di incarnare i tratti ideali del
vir bonus dicendi peritus appresi
dalla
sua
viva
voce
80
.
Guidato
º come si eé visto º dall' analoga volontaé di porre sempre in primo piano la tutela del patrocinato, subordinando a cioé la scelta della linea di condotta piué adeguata sotto il profilo tecnico, noncheè dal vincolo a non trarre motivo di indebito arricchimento dall' esercizio della pro-
75
Cf. Plin., Epist., III, 9, 19 : Actione tertia commodissimum putavimus plures congregare,
ne, si longius esset extracta cognitio, satietate et taedio quodam iustitia cognoscentium severitasque languesceret.
76
Cf. Quint., Inst., V, 12, 8 : Nec tamen omnibus semper quae invenerimus argumentis one-
randus est iudex, quia et taedium adferunt et fidem detrahunt.
77
Indizi del peso riconosciuto da Quintiliano alla religio del giudice si traggono e.g.
da Inst., IV, 1, 9 : Et iudex religiosus libentissime patronum audit quem iustitiae suae minime timet ; si veda inoltre Inst., VI, 1, 20.
78
Cf. Plin., Epist., VI, 2, 7-8 : Equidem quotiens iudico, quod vel saepius facio quam dico,
quantum quis plurimum postulat aquae, do, etenim temerarium existimo divinare, quam spatiosa sit causa inaudita, tempusque negotio finire, cuius modum ignores praesertim cum primam religioni suae iudex patientiam debeat, quae pars magna iustitiae est.
79
Una panoramica dei casi celebri patrocinati da Plinio trova spazio nell' Epistola
VI, 29, quasi un manifesto esibito con l' orgoglioso vanto di un' attivitaé
svolta con
costanza su diversi fronti.
80
Basti qui il richiamo alle prescrizioni di Quint., Inst., II, 15, 1 ; XII, 1, 1 e alle osser-
vazioni di M. Winterbottom, û Quintilian and the Vir bonus ý, The Journal of Roman Studies, 54 (1964), p. 90-97, circa il legame fra la particolare situazione storico -politica dell' ultima etaé flavia, dominata dai delatores, e l' invito quintilianeo ad associare abilitaé tecnico-retorica e condotta morale irreprensibile. Del resto, che Plinio non avesse di menticato il precetto lo si ricava e contrario dalla parodica rappresentazione di Regolo da parte di Erennio Senecione come vir malus dicendi imperitus in Epist., IV, 7, 5 su cui ha richiamato l' attenzione G. Calboli, û Pline le Jeune entre pratique judiciaire et eè loquence epidictique ý, Bulletin de l' Association Guillaume Budeè, 4 (1985), p. 357-374 : p. 371-372 ; ed eé tornato incisivamente Y. Rivieére, Les deèlateurs sous l' Empire romain, p. 77-79.
ida gilda mastrorosa
148
pria attivitaé, Plinio il Giovane va tuttavia considerato molto piué che un interprete dei precetti quintilianei : rinnovandone in chiave perso nale il significato e rendendolo disponibile ai suoi piué giovani colleghi innanzitutto con l' esempio del proprio impegno nell' agone forense e, piué in generale, attraverso la memoria affidatane all' epistolario, egli eé riuscito a sottolinearne lo stretto legame con la pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto Impero, divenendo in ultima istanza un testimone storico irrinunciabile per mettere a fuoco proprio i caratteri e l' evolu zione di quest' ultima.
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ÁME PARTIE DEUXIE
QUINTILIEN DU MOYEN-Ã AGE Á A LA RENAISSANCE
L AT I N I TAT E S
Wim Verbaal
TESTE QUINTILIANO : JEAN DE SALISBURY ET QUINTILIEN Ð UN EXEMPLE DE LA CRISE ÂS AU XII DES AUTORITE
e
SIECLE
Jean de Salisbury est consideèreè comme le plus bel exemple de l' humaniste du xii
e
sieécle en raison de sa connaissance des auteurs classi-
ques, de son latin clair et raffineè, de son esprit libre et ouvert, de sa passion pour les manuscrits et les eètudes, de son caracteére charmant, de son Ýil critique et de l' ironie douce de ses commentaires sur les eèveènements contemporains. Bref : un homme qui a eu le malheur de ê ge, mais qui euêt eèteè digne de vivre deux ou trois na|être au Moyen A 1
sieécles plus tard . Le mieux est d' oublier toutes les eètiquettes d' historiens qui aimeraient revaloriser la peèriode qu' ils eètudient en la qualifiant de titres glorieux pour l' esprit moderne, mais qui faussent l' impression que laissent les temps et les hommes en question. Il n' y a pas eu de û renaissance ý au xii
e
sieécle, au sens strict du mot. On ne peut pas davan-
tage qualifier Jean de Salisbury d' û humaniste ý avant la lettre : il ne l' a pas eèteè. Par contre, il eètait bel et bien un enfant de ce xii
e
sieécle,
mais le probleéme est qu' on ne se rend toujours pas compte de l' importance et de la part joueèe par ce sieécle dans l' eèvolution de la penseèe occidentale. Ce que cet article veut deèmontrer avec l' exemple de Jean et son utilisation de Quintilien dans ses Ýuvres porte preèciseèment sur cette contribution du xii
e
sieécle aé l' eèvolution de la penseèe occidentale, une
contribution qui consiste en un premier pas, primitif peut-eêtre, mais
1
Sur Jean de Salisbury, voir toujours
The World of John of Salisbury,
eèd. M. Wilks,
Oxford, 1984, notamment la contribution de C. Brooke, û John of Salisbury and his World ý, p. 1-20.
155
wim verbaal
156 reèvolutionnaire,
vers
un
esprit
qui
s' est
libeèreè
de
toute
autoriteè
contraignante. Pour parvenir aé ces fins, il serait bon peut-eêtre de retracer les grandes lignes de ce que j' ai appeleè dans mon titre û la crise des autoriteès du
xii
e
sieécle ý, une crise de grande envergure comme l' histoire intel-
lectuelle de l' occident europeèen en a peu connues. Pour la comprendre, cependant, on doit d' abord revenir aé l' Antiquiteè tardive et aux crises intellectuelles des Romains chreètiens, dont on posseéde le teèmoignage dans les eècrits d' Augustin et de Jeèroême. On l' oublie trop facilement, mais ces Romains et surtout ces ciceè roniens, eèduqueès dans un esprit de scepticisme et de critique, n' ont pas capituleè sans reèsistance devant l' exigence judeèo-chreètienne de soumission totale, meême de la penseèe, aé la veèriteè telle qu' elle est codifieèe dans la Bible. Ces esprits, de Jeèroême, d' Augustin surtout, eètaient trop grands, trop aventureux : ils aspiraient trop aé une veèriteè compreèhensible, pour se soumettre aé une quelconque autoriteè figeèe, fixe, eècrite dont les paroles exprimeraient une veèriteè absolue, eèternelle et inaccessible. La conversion d' Augustin a eèteè une dilaceèration mentale, qui parfois donne l' impression de n' avoir jamais eèteè totale. Augustin a accepteè l' autoriteè de la Bible graêce aé sa foi ; intellectuellement, en revanche, il ne semble pas toujours convaincu. Cette deèchirure mentale et inteèrieure du Peére de l' E è glise par excellence est de la plus haute importance pour comprendre ce qui s' est passeè durant la transition du onzieéme au
xii
e
sieécle. Jusqu' en 1050, on ne voit
pas le moindre signe de reèsistance aé l' autoriteè des eècrits sacreès, c' est-aédire aussi bien de la Bible que des Peéres. Si quelque dispute a lieu, elle traite presque exclusivement de la fac°on d' interpreèter ou d' analyser tel ou tel passage. La tradition eècrite elle-meême reste en dec°aé de tout doute. Autour de 1050, un changement radical se produit avec ce qu' on a coutume
d' appeler
û le
conflit
eucharistique ý.
L' initiateur
en
fut
Beèrenger de Tours, ma|être en dialectique aé l' eècole de la catheèdrale de Tours (mort en 1088). Un jour, il mit la main sur un livre qui donnait une interpreètation symbolique du saint sacrifice. C' eètait le
corpore et sanguine Domini
De
de Ratramnus de Corbie (mort autour de
870), mais Beèrenger l' attribuait aé Jean Scot E è rigeéne (mort en 877). Il fut convaincu de la veèriteè de ce qu' il venait de lire et il deèveloppa et eètaya cette interpreètation dans des raisonnements dialectiques au cours de son enseignement. Le monde intellectuel en fut terrifieè. Pour la premieére fois, quelqu' un º qui se consideèrait pourtant comme chreètien º, mettait en
157
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
cause l' eèvidence du fond meême de la liturgie chreètienne. On l' attaqua, il se deèfendit et renforc°a ses arguments logiques, qui commenc°aient aé exercer une attirance forte sur les esprits, surtout des jeunes. Dans l' E è glise elle-meême, jusqu' aux plus hauts dignitaires, Beèrenger trouva des partisans. Hildebrand, entre autres, le futur Greè goire VII, 2
le soutint dans plusieurs proceés . Le conflit atteignit son comble au moment oué Lanfranc de Bec, lui aussi autrefois ma|être en dialectique, devint le porte-parole des adversaires de Beèrenger. Afin de parer les arguments du ma|être de Tours, Lanfranc comprit qu' il ne suffisait plus de s' appuyer sur les autoriteès traditionnelles. La situation eètait devenue telle que chaque partie faisait appel aé ses propres autoriteès et que l' autoriteè fut utiliseèe contre l' autoriteè.
C' est
contre
son
greè,
comme
il
le
lui-meême,
dit
que
Lanfranc se vit obligeè de soutenir ses autoriteès par des raisonnements dialectiques. Ainsi, l' autoriteè seule ne suffisait plus. Deèsormais, elle 3
avait besoin de la raison humaine pour s' imposer . Le pas suivant ne fut pas grand, peut-eêtre, mais, aé vrai dire, jamais l' esprit dans l' histoire intellectuelle de l' occident n' avait franchi un tel fosseè. Anselme de Bec, eèleéve et successeur de Lanfranc, dit que des moines l' avaient solliciteè pour prouver la validiteè de l' E è criture par des arguments simples et compreèhensibles et sans faire appel aé d' autre autoriteè que la raison humaine. Cette demande l' incita aé produire deux Ýuvres de philosophie theèologique, le
Monologion
et le
Proslogion avec
la
fameuse preuve ontologique de l' existence de Dieu. Pour la premieé re fois depuis l' Antiquiteè, l' homme s' aventurait tout seul sur les chemins glissants de la penseèe speèculative. Bien qu' Anselme fuêt convaincu que ses speèculations meêmes ne pouvaient que confirmer la veèriteè des autoriteès traditionnelles, il avait franchi la porte interdite. Deés lors, l' autoriteè de la raison humaine valut autant que celle des
auctoritates.
Bien plus,
4
celles-ci en avaient besoin afin de ne pas eêtre eèbranleèes . Quels furent les reèsultats les plus directs ? L' attitude d' un E è tienne Harding, troisieéme abbeè de C|êteaux, qui n' accepte plus l' autoriteè des manuscrits qu' il a emprunteès afin de copier la Bible pour sa communauteè.
2
Harding
met
en
Ýuvre
une
premieére
critique
Pour Beèrenger et le conflit eucharistique, voir J. de Montclos,
La controverse eucharistique du
xi
e
sieécle,
textuelle
Lanfranc et Beèrenger.
Leuven, 1971. Voir aussi mon livre, W. Verbaal,
Een middeleeuws drama, Kapellen, 2002, p. 67-79. 3 J. de Montclos, Lanfranc et Berenger, p. 37-47 ; M. Gibson, Lanfranc of Bec, Oxford, è 1978 ; W. Verbaal, Een middeleeuws drama, p. 74-75. 4 Sur Anselme, voir R. W. Southern, Saint Anselm : a portrait in a landscape, Cambridge, 1990. Aussi W. Verbaal,
Een middeleeuws drama,
p. 79-90.
wim verbaal
158
primitive, en collationnant les textes sur lesquels il peut mettre la 5
main et meême en consultant des exeègeétes juifs . Ou bien l' action d' un Pierre Abeèlard qui rassemble dans une collection, son Sic et Non, des centaines de sentences des Peéres de l' E è glise, systeèmatiseèes par theémes, en mettant le doigt sur les contradictions. Dans son prologue, aé juste titre resteè ceèleébre, il met en place une approche meèthodique afin d' eèvaluer la validiteè de chaque propos d' au6
toriteè . Jusqu' aé maintenant, je n' ai parleè que des autoriteès chreètiennes et religieuses. Les tensions aé l' inteèrieur du systeéme des autoriteès accepteèes furent aggraveèes par une veèritable explosion d' auteurs et de textes classiques, devenus accessibles, lus et eètudieès aé partir de la deuxieéme moitieè du Il
faut
xi
e
sieécle.
probablement
textes antiques empereur appuyer
apreés
faisaient
leurs
imputer
1050
aé
rechercher
revendications
la
cette
augmentation
Querelle
des
des
autoriteès
respectives.
Il
explosive
Investitures.
textuelles en
qui
reèsulta
la
de
Pape et puissent premieére
fouille systeèmatique des librairies surtout monastiques. La trouvaille de Beèrenger pourrait treés bien eêtre lieèe aé cette opeèration. En tout cas, apreés 1050 reèapparaissent des auteurs et des textes dont on avait perdu la trace au moins depuis l' eèpoque carolingienne mais souvent meême avant. Je pense surtout, pour ce qui est des poeétes, aé l' Ovide des poeèsies amoureuses et des eèp|êtres, aé l' Ýuvre philosophique de Ciceèron, principalement le Leèlius et le Caton, aux Quaestiones naturales de Seèneéque et surtout au Codex de Justinien, donnant naissance aé la jurisprudence. Bref, ce qu' on peut retrouver chez les eècrivains du
xi
e
et
xii
e
sieécle constitue en grande partie l' heèritage clas-
sique dont on dispose aujourd' hui. Les humanistes n' eurent aé peu preés qu' aé redeècouvrir cette tradition, qui s' eètait entretemps de nou7
veau perdue ou interrompue, et y ajouter leurs propres deècouvertes .
5
M. Casey, û Exordium, un programme d' eètude sur la tradition cistercienne ý, C|êteaux,
1998 (http://www.rc.net/ocso/Exordium/exordium.htm ý ; W. Verbaal, Een middeleeuws drama, p. 152-153.
6
Voir
surtout
le
prologue
dans
Petrus
Abaelardus,
Sic
et
Non,
eèd.
B. Boyer,
R. McKeon, Chicago, 1976-1977, p. 103-104 ; aussi M. Clanchy, Abelard : A Medieval Life, Oxford, 1997 ; J. Marenbon, The Philosophy of Peter Abelard, Cambridge, 1997, p. 61-64 ; W. Verbaal, Een middeleeuws drama, p. 139-140.
7
A. Winroth, The Making of Gratian' s `Decretum' , Cambridge, 2000 ; P. Fournier,
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159
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
Or, tous ces auteurs et ces textes trouveérent leurs amateurs, admirateurs et partisans qui reèclameérent une place pour leurs favoris aé l' inteèrieur
de
la
hieèrarchie
des
autoriteès.
Pour
la
premieére
fois
depuis
l' Antiquiteè tardive, on assistait aé une collision entre la tradition chreètienne et la tradition classique pa|ëenne. Cependant, personne ne mettait l' autoriteè des classiques au-dessus de la tradition chreètienne. Le probleéme se posait diffeèremment. Pouvait-on faire appel aux eècrivains pa|ëens pour aborder des questions religieuses ? Les poeétes et quelques traiteès ciceèroniens figuraient depuis toujours dans les eècoles pour l' apprentissage du latin. Mais les philosophes antiques pouvaient-ils ouvrir la voie aé un approfondissement de la penseèe chreètienne sur les mysteéres de la religion ? E è tait-il permis de se reèfeèrer aux autoriteès classiques et pa|ëennes aé co ê teè des autoriteès chreètiennes ? Ces questions touchaient le cÝur meême de cette socieèteè en pleine eèvolution et, parfois, ce conflit couêta cher aux intellectuels. Pierre Abeèlard fut condamneè, entre autres, pour son usage trop libre et trop appuyeè des philosophes antiques. La plupart de ses contemporains, meême son adversaire Bernard de Clairvaux, ont essayeè d' eêtre moins provocants avec l' emploi de leurs sources. Ils se sont efforceès d' incorporer les penseèes et les citations classiques dans leurs propres Ýuvres plutoêt que de les opposer ouvertement aux propos autoriseès par la tradition. Mais ce n' est que vers 1060 que Pierre Lombard reèalisa une cateègorisation systeèmatique des autoriteès deècisives pour les questions theèologiques,
qui,
apreés
quelques
deècennies,
allait
mettre
fin
aé
cette
indeècision doctrinale. Tout ce que je viens de deècrire ici doit servir aé comprendre Jean de Salisbury
et
son
utilisation
de
l' Ýuvre
de
Quintilien,
aé
placer
l' homme dans les courants de son temps. En lui et en ses Ýuvres, on peut reconna|être les fruits de tous les conflits, de tous les deèbats, de toutes les deècouvertes des deècennies anteèrieures. Neè vers 1120 aé Salisbury, peut-eêtre fils d' un preêtre, Jean fut destineè aé une carrieére eccleèsiastique. En 1136, il traverse la Manche pour
Metalogicon
continuer ses eètudes aé Paris. Il a laisseè un reècit succinct de ses anneèes d' eètudes dans l' une de ses Ýuvres majeures, le
. Ainsi, nous
savons qu' il a suivi des cours chez les ma|êtres les plus fameux de l' eèpoque : Pierre Abeèlard, Guillaume de Conches, Adam de PetitPont,
Gilbert
de
la
Porreèe,
Thierry
de
Chartres,
Robert
Pullen,
Robert de Melun et plusieurs autres. Il s' est limiteè aux eètudes du
wim verbaal
160 Trivium,
c' est-aé-dire de la grammaire, de la rheètorique et de la dialec-
tique. Il n' a gueére montreè d' inteèreêt pour les eètudes du
Quadrivium,
ni
pour le droit, ce qui est plus eètonnant, eètant donneè la carrieére administrative qu' il ambitionnait. En 1147, graêce aé une lettre de recommandation de Bernard de Clairvaux, il entra au service de Theèobald, archeveêque de Canterbury. Il occupa cette position jusqu' aé la mort de Theèobald en 1161 et fut retenu par son successeur Thomas Beckett, aé qui une amitieè sinceére le liait deèjaé depuis longtemps. Il partagea tous ses exils aé cause des conflits avec le roi Henri II et fut teèmoin du meurtre de Beckett dans la catheèdrale de Canterbury par les hommes du roi en 1170. Jean resta en Angleterre jusqu' aé son eèleèvation aé l' archeveêcheè de Chartres en 1176. Il mourut quatre ans plus tard sans avoir rien accompli de remarquable durant son eèpiscopat. Sa renommeèe d' humaniste vient bien suêr de ses eècrits. Son Ýuvre n' est pas volumineuse mais elle frappe par son contenu et sa teneur. Il 8
a laisseè une grande quantiteè de lettres (aé peu preés 300) , deux vies 9
(celle d' Anselme et celle de Thomas Beckett) , un fragment d' une histoire contemporaine sur la politique papale des anneèes 1148-1149 (l' Historia
pontificalis,
fameuse pour le reècit de la confrontation de
Gilbert de la Porreèe et Bernard de Clairvaux º le premier eètait le ma|être de Jean et l' autre son protecteur)
theticus maior)
10
, un poeéme didactique (l' En-
qui se veut une introduction aé la philosophie et qui est
Cornificiens
dirigeè contre les û faux philosophes ý, appeleès par Jean les et les deux traiteès qui ont assureè sa ceèleèbriteè : le
craticus Le
13
Metalogicon
12
et le
11
,
Poli-
. Ce sont ces deux traiteès qui nous inteèressent ici.
Metalogicon
est un traiteè en quatre livres sur les arts du
Trivium
et sur la place reèserveèe aé la logique ou la dialectique. Jean y prend la deèfense de la dialectique contre ses deètracteurs,
Cornificius
et ses disci-
ples. Apparemment, Cornificius est un repreèsentant de ce qu' on pour-
8 The letters of John of Salisbury,
vol. I :
The Early Letters (1153-1161),
eèd. W. J. Millor,
H. E. Butler, C. N. L. Brooke, Oxford, 1986.
9 Vita Sancti Thome,
eèd. J. C. Thompson, dans
London, 1876, p. 301-322.
Vita Anselmi,
dans
Materials for the History of Thomas Becket,
Patrologia Latina,
eèd. J. P. Migne, vol. 199,
col. 1009-1040.
10 Historia pontificalis º memoirs of the papal court, eèd. M. Chibnall, London, 11 Entheticus Maior and Minor, ed. J. Van Laarhoven, Leiden, 1987.
1956.
è
12 Metalogicon, ed. J. B. Hall, K. S. B. Keats-Rohan, Turnhout, 1991. è 13 Policraticus I-IV, ed. K. S. B. Keats-Rohan, Turnhout, 1993 ; Policratici sive de nvgis è
curialivm et vestigiis philsophorvm libri VIII,
eèd. C. C. I. Webb, 2 vol., Oxford, 1909.
161
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
rait appeler le carrieèrisme, qui s' eètait eèveilleè autour du milieu du sieécle. En raison du deèveloppement bureaucratique des gouvernements avait
centraux
et eccleèsiastiques,
consideèrablement
augmenteè
la 14
.
demande Mais
d' hommes qualifieès
dans
les
eècoles,
l' afflux
d' eètudiants augmentait davantage encore. Beaucoup d' entre eux ne passaient par les eècoles que pour trouver plus vite un travail lucratif. Les eètudes du
Trivium
n' avaient pas pour eux le moindre inteèreêt. Ils
se lanc°aient immeèdiatement dans les eètudes plus profitables, plus rentables pourrait-on dire, du
Quadrivium.
Pour Jean, bien su ê r, cela eèquivalait aé un veèritable sacrileége, aé une profanation des eètudes qui lui tenaient le plus aé cÝur. Il s' attela donc aé une deèfense des eètudes du pris
un
nouvel
essor
Trivium
depuis
la
et surtout de la logique qui avait
traduction
des
Ýuvres
logiques
d' Aristote, dont il fut le premier exemple. Le
Policraticus,
qui fut acheveè au meême moment que le
Metalogicon,
vers 1159, est connu comme le premier traiteè politique de l' occident meèdieèval. En huit livres, Jean essaie de deèvelopper une eèthique du gouvernement. Il ne le fait pas dans une perspective theèorique ni philosophique º la
Politique
d' Aristote lui eètait inconnue º mais dans
celle de la morale, avec des exemples tireès des deux traditions classique et
biblique.
La
lecture
de
l' Ýuvre
laisse
une
impression
un
peu
confuse avec la multitude de sujets, de theémes, d' auteurs et d' anecdotes. On l' a aussi appeleèe une somme ou encyclopeèdie morale. Le plus frappant, pour un traiteè meèdieèval, reste peut-eêtre la deèfense du tyrannicide, que Jean deèveloppe dans le dernier livre. Ces deux traiteès de Jean ne sont pas seulement remarquables pour leur contenu mais aussi pour la quantiteè de citations d' Ýuvres antiques qu' ils contiennent. Jadis, quand on avait la conviction qu' un eècrivain ne citait que des textes qu' il avait lus, les philologues se sont montreès charmeès et stupeèfaits des lectures exceptionnelles de Jean. Graêce
aé
eux,
il
a
meèriteè
l' eètiquette
honorable
d' humaniste.
Au-
jourd' hui, on sait que Jean cite souvent des textes qu' il n' a jamais lus, mais dont il a connu des extraits par les florileéges, qui eètaient treés ê ge et qui constituaient le manuel de reèpandus durant tout le Moyen A travail quotidien aux eècoles depuis la moitieè du xii
14 xii
e
e
sieécle.
Pour une syntheése sur les eècoles et les deèvelopements durant la premieére moitieè du sieécle, voir S. C. Ferruolo,
critics 1100-1215, Stanford, 1985.
The origins of the university : the schools of Paris and their
wim verbaal
162
Malgreè tout, la connaissance de la litteèrature antique de Jean peut encore susciter de l' eèmerveillement. Il est le premier ou le seul aé citer beaucoup d' auteurs. J' ai deèjaé mentionneè Aristote, dont il a utiliseè le premier les Ýuvres logiques reècemment traduites. Je pourrais ajouter aé la liste Aulu Gelle, Frontin (les
Stratagemata
sont une de ses sources
preèfeèreèes), Veègeéce, Peètrone (dont il posseèdait un exemplaire personnel ê ge aé conna|être le texte, le et dont il est le seul dans tout le Moyen A texte meême dont on dispose encore) et bien suêr Quintilien. Le probleéme qui se pose pour la transmission du texte de Quintilien est bien connu. Les reèfeèrences meèdieèvales aé l' Ýuvre rheètorique de Quintilien se basent toutes sur un reèsumeè, sur une collection d' extraits qui finalement remonte aux manuels des rheèteurs Fortunatianus et Julius Victor du
iv
tive
d' une
le
mythe
e
sieécle
15
. Ainsi s' est graveè dans la meèmoire collec-
connaissance
partielle
de
l'
opus magnum
du
rheèteur romain. Il est difficile de briser un tel mythe. Il suffit cependant de comparer les citations de Jean avec les manuscrits qui contiennent la version abreègeèe. On voit immeèdiatement que Jean ne se limite pas aux passages contenus dans les extraits. Il a connu et il utilise des passages qu' on ne peut trouver dans aucun manuscrit de la tradition raccour cie. Apparemment, quand il a eècrit ses deux traiteès, Jean a eu sous les yeux un exemplaire plus complet, sinon inteègral. Les seuls livres qu' il ne semble pas utiliser sont les livres 4, 5, 7 et 11, parmi eux seul le livre 7 ne fait pas partie de la tradition des extraits. Jean n' eètait pas le seul aé conna|être un texte plus complet. Deèjaé en 1995, John Ward
16
a attireè l' attention sur le manuel de rheètorique
qu' a composeè E è tienne de Rouen, moine aé Bec. Ward a pu deèmontrer de fac°on convaincante qu' E è tienne avait un exemplaire de l'
tutio
quasiment
inteègral,
dont
il
avait
tireè
les
fragments
Insti-
qui
lui
convenaient pour son propre travail, c' est-aé-dire qui lui paraissaient utiles pour le but concret qu' il s' eètait fixeè : composer un manuel pragmatique, d' utilisation pratique pour les rheèteurs du moment º les preèdicateurs. Le
xii
e
sieécle, en effet, a vu un reèveil de la rheètorique sous toutes
ses formes, qui s' est accompagneè d' une floraison de traiteès pratiques sur la rheètorique ou la preèdication. Les premiers furent le traiteè
15
J. Cousin,
Quintilian 16
Recherches sur Quintilien
, London, 1970, p. 22-30.
, Paris, 1975, p. 2 ; M. Winterbottom,
Problems in Rhetorica
J. Ward, û Quintilian and the rhetorical revolution of the middle ages ý,
13 (1995), p. 231-284.
De or,
163
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
dine quo sermo fieri debet
de Guibert de Nogent
d' Honorius Augustodunensis
18
17
et le
Speculum Ecclesiae
, tous deux au deèbut du sieécle. Ils se
trouvent aé l' origine du courant toujours grandissant des
candi
de la fin du xii
e
et du xiii
e
Artes praedi-
sieécle.
On ne s' eètonnera donc pas qu' il y ait eu de l' inteèreêt pour l' Ýuvre du plus grand peèdagogue de la rheètorique romaine. Et, apparemment, en pays anglo-normand, une version plus inteègrale du texte de l'
Institutio
circulait. En tout cas, Jean ne l' avait pas en sa possession,
comme il appara|êt clairement dans une lettre qu' il a envoyeèe au
Ep
moine Azo aé Canterbury vers 1168 (
19
. 263)
. Il lui reèiteére sa de-
mande de lui envoyer une copie corrigeèe de Quintilien. On ne sait pas s' il s' agit de l'
Institutio
ou des
Declamationes
, qui eètaient beaucoup
plus reèpandues, mais qui ne sont presque jamais citeèes par Jean. Il est remarquable, cependant, que Jean demande ce texte. Car ses deux traiteès principaux sont acheveès depuis dix ans. Mais au moment de sa lettre, Jean se trouve en exil et il n' a donc plus acceés aux bibliotheéques bien pourvues de Canterbury. Comme on a pu le montrer, pour ses citations, Jean a profiteè surtout de la riche collection archieèpiscopale
20
.
Avant d' analyser de plus preés de quelle fac°on Jean a utiliseè Quintilien, il vaut la peine de donner un aperc°u de son emploi des sources en geèneèral. C' est laé en effet qu' on le voit en homme de son temps, avec des manieéres proches des humanistes, il est vrai, mais surtout avec beaucoup d' habitudes diffeèrentes. D' abord, comme on l' a deèjaé remarqueè, lorsque Jean cite des auteurs, cela ne veut pas dire qu' il les a lus. Souvent on peut eêtre su ê r qu' il avait recours aé des livres d' extraits ou des florileéges. Ainsi, on a prouveè que, pour ses citations de Sueètone, il utilisait le reèsumeè fait par le carolingien Heiric d' Auxerre. De meême pour Tite-Live, il emploie plutoêt l' abreègeè de Florus. Cette utilisation des reèsumeès et des extraits pourrait pourtant eêtre interpreèteèe de fac°on incorrecte. On ne peut pas en conclure que les textes originaux eètaient inaccessibles ou inconnus. Au contraire, des ê ge et l' un manuscrits de Sueètone eètaient treés reèpandus au Moyen A
17
Guibertus de Novigento,
Quo ordine sermo fieri debeat
, dans
Serta Mediaevalia
, eèd.
R. B. C. Huygens, Turnhout, 1993, p. 47-63.
18 19 20
Patrologia Latina
, eèd. J. P. Migne, vol. 172, col. 807 -1107.
Le texte se trouve dans la
Patrologia Latina
, vol. 199, col. 312.
J. Martin, û John of Salisbury as a Classical Scholar ý, dans
Salisbury
The World of John of
, eèd. M. Wilks, Oxford, 1984, p. 179-201, notamment p. 180.
wim verbaal
164
des teèmoins les plus importants de Tite-Live appartenait aé la catheèdrale de Chartres, oué Jean a fini sa carrieére. Si Jean a preèfeèreè les extraits et les reèsumeès aux textes originaux, la raison peut en eêtre treés simple : Jean eètait un homme treés occupeè et le temps lui manquait pour parcourir les grandes Ýuvres afin de trouver les endroits aptes aé eêtre inseèreès dans son discours. En cela, Jean se montrait un vrai enfant de son temps et un disciple de la premieére scolastique, qui a vu la naissance des
tences
, des
Summa Artes
, des manuels, des collections systeèmatiseèes de
Sen-
, des index, de la division d' un texte en chapitres et
paragraphes, le tout visant aé une simplification de la consultation des Ýuvres. Ce gouêt du
xii
e
sieécle tardif pour la systeèmatisation et pour
le reèsumeè a causeè la disparition de beaucoup de textes originaux qui ne reèappara|êtront que graêce aux humanistes. En ce qui concerne Quintilien, tant qu' on n' aura pas pu identifier l' exemplaire ou la tradition qui fournirent son texte aé Jean, il sera difficile de deèterminer dans quelle mesure celui-ci eètait complet. On a pu montrer aussi que Jean ne reculait pas devant des conjectures, si le texte qu' il avait sous les yeux eètait incompreèhensible. Parfois, cependant, il allait plus loin qu' une simple correction. Il pouvait changer le texte pour le rendre plus eèrudit, plus frappant aussi. Il n' heèsitait meême pas aé eètendre des anecdotes, aé y ajouter des personnages, des noms, des bons mots dont la veèriteè historique ne le preèoccupait pas trop. Ainsi, dans une anecdote sur Marius, tireèe de Frontin, il a changeè toute la teneur du texte, remplac°ant l' attitude ironique et insultante du Romain vis aé vis d' un adversaire teutonique par un comportement beaucoup plus philosophique et exemplaire, aboutis sant
aé
une
jolie
sententia
21
.
Pour Jean, l' autoriteè
du texte
antique
n' eètait pas sacro-sainte. En cela, il diffeére des humanistes, mais aussi de ses ma|êtres aux eècoles, pour qui l' autoriteè du texte constituait la base de leur argumentation. Mais Jean pouvait aller plus loin encore, si neècessaire. Les livres V
Policraticus
et VI de son
ne sont, assure-t-il, qu' un reèsumeè du traiteè peè-
dagogique que Plutarque avait deèdieè aé Trajan. Cet opuscule serait connu sous le nom d' gue
dans laquelle
Institutio Traiani
Plutarque
. Jean cite meême la lettre-prolo-
renvoie
aé
la
relation
entre
Neèron
et
Seèneéque et meême au rapport de Quintilien avec ses eèleéves ! Combien de savants seèrieux et eèrudits n' ont pas essayeè d' attribuer cette Ýuvre perdue aé un eècrivain de l' Antiquiteè tardive ! Ce n' est pas neècessaire :
21
Policraticus
p. 192-193.
, III, 14 ; voir J. Martin, û Johan of Salisbury as a Classical Scholar ý,
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
165
Jean eètait bien capable de la composer lui-meême. On le voit : au besoin, Jean creèait ses propres autoriteès. Il n' est donc pas eèvident de tirer des conclusions de la fac°on dont Jean emploie ses sources. Il faut donc eêtre assez prudent aé l' eègard des occurrences de Quintilien dans ses eècrits. Elles seront eètudieèes ici eètape par eètape, selon l' emploi qu' en fait Jean. J' ai assez parleè de la possibiliteè que Jean ait eu la chance d' avoir un texte assez complet. En ce qui concerne sa fiabiliteè dans l' emploi de Quintilien, je pense pouvoir eêtre aussi bref. Pour autant qu' une analyse rapide des citations dans les deux traiteès permet de le constater, il ne semble pas que Jean ait changeè deèlibeèreèment le contenu du texte. La raison peut en eêtre treés simple. Il n' avait pas recours aé Quintilien pour des exemples de morale comme c' eètait le cas avec Sueètone ou Frontin. Quintilien lui fournissait des structures de penseèe, des eèleèments peèdagogiques, des preèceptes rheètoriques. Dans ce domaine, Quintilien lui a servi de veèritable autoriteè, aé laquelle il ne pouvait pas toucher sans affaiblir son propre discours. Comment a-t-il useè de cette autoriteè de Quintilien ? La distribution des citations dans les deux Ýuvres teèmoigne d' un emploi conscient et reèfleèchi. Dans le
Metalogicon,
Jean se reèfeére aé Quintilien surtout dans le
premier livre ou é il traite du roêle de la grammaire dans l' eèducation. Dans les livres II et III, il l' emploie un peu moins et toujours pour affirmer sa propre utilisation d' un terme technique ou pour souligner l' importance d' Aristote. Comme le traiteè assez technique sur les arts du
Metalogicon
Trivium,
est avant tout un
la fac°on dont Jean a re-
cours aé l' autoriteè de Quintilien n' est pas exceptionnelle. Le rheèteur appara|êt comme l' une des autoriteès speècialiseèes dans le domaine peèdagogique des arts de la grammaire et de la rheètorique. Son occurrence elle-meême est deèjaé assez remarquable, mais pour le reste elle ne diffeére pas beaucoup de quelques autres eècrivains classiques. Dans le
Policraticus,
le roêle de Quintilien est plus remarquable. En
fait, s' appuyer sur un peèdagogue en rheètorique romaine dans un traiteè sur les eèthiques du gouvernement n' allait pas de soi. En outre, Quintilien n' appara|êt pas non plus comme une autoriteè dans toute l' Ýuvre. Comme dans le
Metalogicon,
Jean ne fait appel aé lui que dans une par-
tie du traiteè, mais cette fois ce n' est que dans la deuxieéme partie que Quintilien est utiliseè. Il fait son apparition dans la lettre-prologue aé l' Institutio
Traiani,
par laquelle s' ouvre le livre V. Il figure comme
exemple d' un ma|être qui devient l' objet de haine de la part de ses eèleéves. Il est clair ici que Jean ne se reèfeére pas aux Ýuvres de Quintilien
wim verbaal
166 mais
aé
la
sixieéme
satire
de
Juveènal
(VI, 73),
conna|êt treés bien et dont il cite plusieurs passages
auteur 22
d' eècole
qu' il
.
En veèriteè, Jean ne cite l' Institutio oratoria de Quintilien qu' aux septieéme et huitieéme livres, les deux derniers livres du traiteè. Quintilien appara|êt laé en deux occasions qui sont assez frappantes (on trouve aussi quelques allusions aé lui parmi d' autres autoriteès). Dans le septieéme livre, Jean affirme qu' une attitude correcte envers la lecture est le premier pas dans la philosophie. Il s' appuie sur quelques vers d' un des
plus
fameux
ma|êtres
d' eècole
du
deèbut
du
sieécle,
Bernard
de
Chartres. Jean ne l' a jamais connu mais la renommeèe du ma|être a eèteè treés grande et Jean lui-meême a eèteè l' eèleéve d' un disciple de Bernard. Ainsi il a pu conna|être ces vers, qui eènumeérent six claves discendi : Mens humilis, studium quaerendi, vita quieta, scrutinium tacitum, paupertas, terra aliena : haec reserare solent multis obscura legendo
23
.
Ces six cleès sont ensuite deèveloppeèes par Jean dans un long chapitre (13). Dans le suivant, Jean y ajoute une septieéme cleè, qu' il a trouveèe dans le livre de Quintilien sur l' instruction de l' orateur. Et il cite tout le passage du livre II, paragraphe 9. La fac°on dont Jean se sert de Quintilien afin de compleèter l' autoriteè d' un contemporain qui avait deèjaé atteint un statut quasi mythique est tout aé fait remarquable. Les autoriteès antiques lui servent aé confirmer ou aé corriger des autoriteès dont le statut n' est pas encore sanctionneè. La suite est encore plus remarquable, puisque Jean preètend avoir lu un livre de Ticonius (donatiste du
iv
e
sieécle) qui s' intitulerait De doc-
trina christiana et qui donnerait sept autres cleès, mais qu' il n' eènumeére pas parce qu' elles correspondent aé celles qu' il a deèjaé deècrites. On ignore tout de cette Ýuvre de Ticonius et on doit supposer qu' ici Jean a une nouvelle fois creèeè son autoriteè, en se fondant sans doute sur les septem regulae mysticae d' Augustin dans son Doctrina chris-
tiana. Peut-eêtre a-t-il voulu confirmer son discours, fondeè sur des au-
22
Comparez Policraticus, V, prologue : Sic Seneca Neronis sui merito detrahentium carpitur
linguis, adolescentium suorum temeritas in Quintilianum refunditur, et Socrates in pupillum suum fuisse clementior criminatur avec Juveènal, VI, 73-76 : solvitur his magno comoedi fibula ; sunt quae / Chrysogonum cantare vetent ; Hispulla tragoedo / gaudet : an expectas ut Quintilianus ametur ?
23 Policraticus,
VII, 13, eèd. Webb, 1909, vol. II, p. 145. Les meê mes vers sont citeès par
Hugues de Saint-Victor dans son Didascalicon, livre 3 (voir Hugo de Sancto Victore,
Didascalicon De Studio Legendi, eèd. C. H. Buttimer, Washington, 1939, p. 61).
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
167
teurs contemporains et antiques, en usant d' un paralleéle avec les temps patristiques. Ce qui nous importe, c' est qu' ici Quintilien couronne et sanctionne l' autoriteè de Bernard de Chartres. L' eèducateur antique acheéve le travail de l' eèducateur contemporain. Jean renverse un autre fameux
dictum du ma|être de Chartres : Quintilien est le geèant qui se met sur les eèpaules du nain ! Dans le huitieéme livre du Policraticus, Quintilien donne lui-meême l' impulsion aé un autre conflit d' autoriteè. Jean traite de fac°on deètailleèe des vertus et des vices neècessaires aé un gouvernement de qualiteè. Il cite force autoriteès et illustre son discours par une quantiteè d' exemples tireès de l' histoire antique ou biblique. Au chapitre 13, il parle de la frugaliteè et se reèfeére aé ce qu' en ont dit Zeènon, Socrate, Platon et Aristote. û Mais ý, poursuit-il, û parce qu' il s' agit ici de noms trop anciens ou de preèceptes qui ne sont pas treés connus, eècoutons notre Seèneéque ý, qui a loueè la frugaliteè d' une telle fac°on que personne ne pourrait rien y ajouter de valable. û Pourtant ý, je le cite aé nouveau, û il est des gens qui ont le courage de meèpriser Seèneéque et qui se basent sur l' autoriteè de Quintilien ý. Leur seule raison, selon Jean, est qu' il veulent attirer l' attention geè neèrale sur eux par un mot provocateur, en deènigrant celui qui est adé son avis, il est insenseè de ne pas honorer l' homme mireè par tous. A qui eètait le familier de l' apoêtre Paul et qui a eèteè digne d' une mention honorable de la part de Jeèro ê me. Apreés quoi, il cite le passage connu du livre X de Quintilien et s' efforce de montrer que Quintilien n' attaque pas le moraliste mais l' eè crivain et qu' en fin de compte il partage meême pleinement l' eèthique de Seèneéque
24
.
Pour notre sujet, ce passage offre une perspective treés inteèressante sur l' attitude de Jean envers ses autoriteès. Car l' on peut douter qu' il y ait eu une veèritable opposition vis-aé-vis de Seèneéque, qui se serait appuyeèe sur le passage de Quintilien. Comme on a pu le voir, Jean est un
des
premiers
aé
utiliser
l' Institutio
oratoria. Meême si l' on tient
compte de la preèsence du rheèteur romain dans les bibliotheéques de Canterbury, ou é il eètait accessible aé d' autres que Jean, on note que Jean n' est plus jamais revenu sur ce passage speècifique, bien qu' il utilise Quintilien lui-meême dans son Metalogicon pour reèduire ses adversaires pseudo-philosophes au silence.
24 Policraticus,
VIII, cap. 13 û De frugalitatis commendatione, et nota Quintiliani in Senecam ;
et quomodo frugaliter possit auaritiae suspicio deuitari ý, eèd. Webb, 1909, p. 317-321.
wim verbaal
168
Il semble plus vraisemblable que Jean lui-meême a eèteè choqueè par sa lecture de ce passage chez Quintilien. Elle suscitait en lui une interro gation personnelle. Il avait deèjaé reconnu l' autoriteè de Quintilien en matieére de rheètorique et de grammaire, deux sujets qui lui eètaient chers. Mais l' opinion que professait le rheèteur sur Seèneéque se heurtait aé la consideèration geèneèrale dont le philosophe jouissait. Cependant, Seèneéque eètait tout aussi peu chreètien, sinon il n' y aurait pas eu de conflit. Seèneéque eètait pa|ëen, mais lieè au christianisme par sa correspondance avec saint Paul. En outre, le moraliste pouvait eêtre pris comme exemple. La morale, cependant, apprise aux eè coles, se basait, selon Jean, sur une connaissance profonde des arts du
Trivium
,
dont Quintilien eètait devenu une autoriteè incontestable. Un conflit donc, qui aurait bien pu aboutir aé une crise fondamentale entre les autoriteès classiques. Le risque de saper l' autoriteè de l' Antiquiteè tout court n' eètait pas loin. Pour cette raison, il est possible que Jean ait preèfeèreè ne pas se taire
auctoritates
sur ce conflit entre ses deux
mais en parler et lui trouver
une solution capable de couper court aé toute critique eèventuelle. Selon les normes du
xii
e
sieécle, il a reèussi. L' autoriteè de Seèneéque et celle
de Quintilien furent sauveèes, mais sur des plans diffeèrents. Quintilien demeurait l' autoriteè pour les deux arts du
Trivium
procurant le bon
style et la bonne eècriture qui font de l' eètudiant un adulte digne de ce nom. Seèneéque offrait, lui, l' exemple moral d' un tel homme. L' un donnait des preèceptes d' eècole, l' autre montrait ce que vivre l' eèthique veut dire. Que
peut-on
conclure
de
l' emploi
de
Quintilien
par
Jean
de
Salisbury ? D' abord, on mesure la difficulteè de bien eèvaluer la fac°on dont les savants du
xii
e
sieécle ont employeè les eècrivains et les textes
classiques. Derrieére ces citations, ces reèfeèrences, se cache tout un tissu d' interdeèpendances, de hieèrarchies, systeèmatiseèes ou individuelles. En outre,
l' emploi
d' une
autoriteè
classique
se
nuance,
se
diversifie,
s' adapte selon les besoins de l' auteur. Mais voici ce qui constitue, aé mon avis, l' accomplissement majeur et le fil rouge de tout le
xii
e
sieécle : l' eèmancipation intellectuelle du
penseur occidental qui, dans ces deècennies, pris par la neècessiteè d' eèvaluer ses autoriteès reconnues, a su se placer au-dessus de toute autoriteè eècrite, ne reconnaissant plus qu' une seule nature dont il fait partie lui-meême.
auctoritas
, celle du livre de la
169
teste quintiliano . jean de salisbury et quintilien
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Entheticus
Entheticus Maior and Minor
Historia pontificalis lis
Joannis Saresberiensis Historia pontifica
John of Salisbury' s memoirs of the papal court
Lettres
The letters of
John of Salisbury
The Early Letters (1153 1161)
Metalogicon
Ioannis Saresberiensis
Metalogicon
Policraticus
Ioannis Saresberiensis Policraticus
Ioannis Saresberiensis episcopi Carnoten
sis Policratici : sive de nvgis curialivm et vestigiis philosophorvm libri VIII
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Abelard : A Medieval Life
Recherches sur Quintilien
The origins of the university : the schools of Paris and their critics
1100 1215
Nouvelle
revue historique de droit franc°ais et eètranger Lanfranc of Bec
The History of Ideas and Doctrines of Canon Law in the
Middle Ages
The Philosophy of Peter Abelard
The
World of John of Salisbury
Lanfranc et Beèrenger. La controverse eucharistique du xi
Saint Anselm : a portrait in a landscape
Een middeleeuws drama
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sieécle
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L AT I N I TAT E S
Florent Rouilleè
SUR TROIS VERS DE L' ANTICLAUDIANUS D' ALAIN DE LILLE MENTIONNANT QUINTILIEN
L' Ýuvre de Quintilien, l' Institution Oratoire, longtemps inaccessible ê ge dans une version compleéte, mais conseraux eèrudits du Moyen A veèe dans les monasteéres d' Irlande, commence aé eêtre diffuseèe aé partir du x
e
1
sieécle dans le reste de l' Europe . Or, malgreè le caracteére monu-
mental de l' Institution oratoire, son influence est encore loin de faire concurrence aé celle de Ciceèron
2
dans le domaine de la rheètorique et
plus largement de la theèorie de l' eècriture, et les reèfeèrences directes aé 3
Quintilien sont pluto ê t rares et ponctuelles . Ce moment de renaissance des lettres latines que constituent les xii
e
et xiii
e
sieécles offre
pourtant le singulier tableau d' une floraison de traiteès techniques relatifs aé l' art de bien parler et de bien eècrire, entre les artes dictaminis, les artes praedicandi et les artes poeticae
1
4
: la question du style, notamment,
ê ge ý, dans E è tudes d' estheètique meèdieèvale, E. De Bruyne, û L' Estheètique du Moyen A
t. II, Paris, 1998, p. 418.
2
Les ouvrages de reèfeèrence sont le De Inventione (ou Rhetorica vetus / prima), et la Rheè-
ê ge attribue aé tort aé Ciceèron ; voir torique aé Herrenius ou Rhetorica nova, que le Moyen A E. Faral, Les Arts poeètiques des xii
e
et xiii
e
sieécles, chapitre IV, p. 99 sq. ; la redeècouverte de
ces traiteès de Ciceèron preèceéde de peu celle de Quintilien, voir J. Y. Tilliette, Des mots aé la parole, Geneéve, 2000, p. 28 ; voir eègalement C. Baldwin, Medieval rhetoric and poetic, New York, 1928 (reèeèdition 1959), p. 89-91 ; voir enfin J. J. Murphy, Rhetoric in the middle ages. A
history
of
rhetorical
theory
from
Saint
Augustine
to
the
Renaissance,
Berkeley,
1974,
p. 123 sq. et 357 sq.
3
Jean de Salisbury (1120-1180) cite Quintilien aé onze reprises comme autoriteè dans
son Metalogicon, 1157, dans le cadre d' une reèflexion sur la grammaire et la logique ; Quintilien n' appara|êt pas comme une autoriteè concernant la question du style dans l' Ars versificatoria de Matthieu de Vendoême, composeè avant 1175, contrairement aé Ciceèron (voir E. Faral, Les Arts poeètiques, partie deux : û De la forme des mots ý, chapitre 35 : teste Tullio..., aé propos de l' opposition entre similitudo mater satietatis et varietas fastidiosa).
4
è tudes d' estheètique meèdieèvale, livre III : û l' eèpoque romane ý, chapitre I : E. De Bruyne, E
û les theèories litteèraires ý, p. 373-438.
171
172
florent rouilleè
ne s' eètait pas poseèe de fac°on aussi aigue« depuis fort longtemps, au point de susciter un deèbat entre anciens et modernes, selon une termi5
nologie deèjaé en usage aé l' eèpoque . Paralleélement, conseèquence d' une lecture plus assidue des traiteès de 6
Boeéce et des Noces de Mercure et de Philologie de Martianus Capella , l' enseignement des arts libeèraux se deèveloppe, comme on sait, en doctrine au point de se geèneèraliser dans le milieu universitaire, entra|ênant une fixation de la discipline rheètorique aé l' inteèrieur d' un cadre doctoral strict : au sein du trivium, intercaleèe entre la grammaire et la logique (dialectique), ou dans leur prolongement. Dans cette optique, l' eètude de l' Ýuvre de Quintilien pouvait donc eêtre d' un treés grand inteèreêt et triplement profitable, car l' Institution oratoire subordonne aé la pratique de la rheètorique la ma|êtrise des techniques de la grammaire et de la logique, au point d' appara|être comme une veèritable encyclo7
peèdie des sciences du langage . Üuvre transdisciplinaire, donc, elle exceéde en proportion les traiteès techniques de Boeéce, sans pour autant 8
rivaliser avec l' architecture plus vaste du livre de Martianus . Quintilien cherche enfin aé constituer un programme d' eèducation complet qui vise aé concilier l' art de l' orateur et la morale, opeèrant un glissement de û bien dire ý aé û dire le bien ý, dans la continuiteè d' un 9
Isocrate, sophiste rivalisant avec la philosophie . Comment cette preètention aé incorporer l' eèthique aé la rheètorique, speècifique aé l' Institution
5
ê ge, Paris, 1957 (eèdition revue en 2000), p. 14J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen A
19 ; on trouve eègalement un teèmoignage de ce deèbat chez Alain de Lille, Anticlaudianus, preèface en prose, eèd. R. Bossuat, Paris, 1955, p. 55-56 : In hoc tamen nulla vilitate plebescat, nullos reprehensionis morsus sustineat, quod modernorum redolet ruditatem, qui et ingenii praeferunt florem et diligentiae efferunt dignitatem, cum pigmea humilitas excessui superposita giganteo, altitudine gigantem preveniat et rivus a fonte scaturiens in torrentem multiplicatus excrescat. û Que toutefois
il
n' approuve
rien
de
vil
en
cette
Ýuvre,
qu' il
ne
retienne
aucune
critique
mordante parce qu' elle sentirait l' impeèritie des modernes, qui aé la fois exhibent la fleur de leur geènie et expriment le meèrite de leur meèticulositeè, alors qu' une humiliteè de pygmeèe, placeèe en teête d' un deèveloppement gigantesque, surpasse en hauteur un geè ant, et qu' un filet d' eau jaillissant d' une source se multiplie et s' accro|ê t en torrent ý.
6
ê ge ý, premieére partie : û les Sources ý, chaE. De Bruyne, û L' Estheètique du Moyen A
pitre trois : û les manuels techniques ý, p. 405 -425.
7
L' Institution oratoire de Quintilien devrait donc servir de reè feèrence pour les eètudes du
trivium, aé ceci preés que Quintilien conc°oit la rheètorique comme un art pratique, et ê ge ý, Ciceèron comme une doctrine ; voir E. De Bruyne, û L' Estheè tique du Moyen A p. 408.
8
ê ge, voir E. R. Curtius, Concernant la conception de la rheètorique au Moyen A
ê ge latin, Paris, 1956, chapitre III : û la rheètorique ý, La Litteèrature europeèenne et le Moyen A p. 121-148.
9
L' orateur est un vir bonus dicendi peritus : Quintilien, Inst., XII, 1 ; pour Isocrate, 436-
338 avant J.-C., voir son Paneègyrique d' Atheénes.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
oratoire, a-t-elle pu eêtre perc°ue et comprise au xii
e
173
sieécle par des auteurs
dont la penseèe s' inteégre d' une part dans le cadre strict de l' ideèologie morale chreètienne
10
, et qui s' ouvrent d' autre part aé des preèoccupa-
tions scientifiques, dont le naturalisme chartrain est le plus illustre repreèsentant
11
? Voyons si, aé travers l' exemple d' un intellectuel majeur
de cette peèriode, nous pouvons comprendre ce relatif deèsinteèreêt pour Quintilien au cours du xii Alain de Lille
12
e
sieécle.
, doctor universalis, mort en 1203, et dont l' Ýuvre
couvre les trois dernieéres deècennies du xii
e
sieécle, s' est inteèresseè en
profondeur aé la question du langage, sous des angles varieès. Il est l' auteur de Regulae theologicae qui explorent les limites du discours sur le divin selon les principes de la logique et des matheèmatiques (l' arithmeètique et la geèomeètrie, deux disciplines du quadrivium)
13
, d' un Liber
in distinctionibus dictionum theologicalium, veèritable dictionnaire des sens alleègoriques des termes bibliques, d' une Summa de arte praedicatoria adaptant aé un contexte religieux, le sermon eccleèsiastique, les principes d' une parole eèloquente destineèe aé persuader la foule des fideéles
14
,
d' Ýuvres poeètiques diverses qui mettent en sceéne la parole inspireèe aé
10
Pour un panorama de l' E è glise du xii
ê ge occidental, viii Moyen A
e
sieécle-xiii
e
e
e
sieécle, voir A. Vauchez, La Spiritualiteè du
sieécle, eèd. reèviseèe, Paris, 1994, chapitre III : û La Reli-
gion des temps nouveaux ý (xii -xiii
e
sieécles), p. 68-130 ; l' Abbaye de Saint-Victor, sur
la montagne Sainte-Genevieéve aé Paris, offre un modeéle d' enseignement chreètien û progressiste ý ; voir Hugues de Saint-Victor, Didascalicon ou L' Art de lire, eèd. M. Lemoine, Paris, 1991, p. 7-19.
11
par
Theèologie et Cosmologie au xii M. Lemoine
et
e
sieécle. L' Ecole de Chartres, textes traduits et preèsenteès
C. Picard-Parra,
Paris,
2004,
avec
des
extraits
de
Bernard
de
Chartres, Guillaume de Conches, Thierry de Chartres, Guillaume de Saint -Thierry.
12
Pour l' eètat actuel des recherches sur la vie d' Alain de Lille, voir Alain de Lille,
Reégles de theèologie, eèd. F. Hudry, Paris, 1997, p. 7-47 : F. Hudry identifie Alain de Lille aé Alain de Twekesbury ; il a lu attentivement la Cosmographie de Bernard Silvestre, qui fut le ma|être de Matthieu de Vendoême, dont il a manifestement eètudieè l' Ars versificatoria ; Alain de Lille a vraisemblablement veècu longtemps en Angleterre, oué il fut un personnage influent du milieu intellectuel, son Anticlaudien a connu dans ce pays une large diffusion : on peut supposer qu' il fut attentivement lu par Geoffroy de Vinsauf, dont la Poetria nova date de 1210 ; E è vrard l' Allemand cite l' Anticlaudianus dans son Laborintus, dateè de 1213.
13
F. Hudry, p. 68 de son eèdition, propose de dater les Reégles de theèologie entre 1192 et
1194, sachant qu' aé cette date elles sont preèsenteèes par Alain aé Paris ; par ces reégles logico-theèologiques, Alain essaie d' empeêcher que ne se deèveloppe dans la theèologie la disputatio, meèthode d' enseignement profane employeèe dans les disciplines des arts libeèraux (p. 47 sq.).
14
Deux Ýuvres pastorales compleèmentaires, reèdigeèes aé l' attention de religieux ayant
aé prononcer des preêches et aé choisir les reèfeèrences aé la Bible les plus pertinentes pour leur cause ; le Liber Distinctionum sert plus largement aé interpreèter la Bible dans un sens alleègorique ; voir la Patrologie latine de Migne, t. 230, 1855.
174
florent rouilleè
travers des hymnes
15
, un prosimeétre et une eèpopeèe alleègoriques, le De
Planctu Naturae et l' Anticlaudianus
16
. C' est d' ailleurs principalement en
raison de ces deux textes qu' il est passeè aé la posteèriteè en tant que poeéte de l' E è cole de Chartres, en compagnie de Bernard Silvestre et de sa Cosmographie
17
. Compte tenu de son Ýuvre, on s' attendrait aé ce que
la lecture de l' Institution oratoire ait pu eêtre profitable aé la reèflexion et aé la pratique d' Alain de Lille ; il reste neèanmoins aé deèterminer si la somme de Quintilien lui fut accessible. L' Anticlaudianus raconte depuis sa conception jusqu' aé sa reèalisation le projet que Nature a de creèer un homme nouveau, parangon de vertu ceèleste, capable de racheter les imperfections des autres creèations naturelles face aé la perfection des Ýuvres divines, et de triompher des vices infernaux
18
. Prudence, une des Vertus convoqueèes par Nature,
est appeleèe aé les repreèsenter devant Dieu et aé lui exposer leur projet, pour qu' Il les gratifie d' une aême parfaite. Dans un premier temps, cette queête ascensionnelle de Prudence jusqu' au paradis dans le ciel empyreèe est mateèriellement permise graêce aé un char conc°u par les sept arts libeèraux, alleègoriseès sous la forme de jeunes filles industrieuses, et tireè par les cinq sens alleègoriseès sous la forme de chevaux d' attelage sous la direction de Raison
19
.
La question de l' alleègorie est au cÝur du processus de creèation litteèraire d' Alain, largement influenceè en cela par l' Ars versificatoria de Matthieu de Vendoême
15
20
, mais qui s' eècarte ainsi du jugement franche-
ê ge, En particulier l' hymne Omnis mundi creatura ; voir Poeèsie lyrique latine du Moyen A
dir. P. Bourgain, Paris, 2000, p. 118 -121.
16
La reèdaction du De Planctu Naturae est placeèe par F. Hudry dans la peèriode 1167-
1172 (Reégles de theèologie, p. 24), celle de l' Anticlaudianus dans la peèriode 1181-1184 (ibidem, p. 27), alors qu' Alain est prieur de la catheèdrale Christchurch de Cantorbeèry.
17
Bernard Silvestre, Cosmographie, eèd. M. Lemoine, Paris, 1998 ; l' Ýuvre est dateè e du
milieu du
xii
e
sieécle, autour de 1150 ; pour l' association d' Alain et de Bernard comme
è tudes d' estheètique meèdieèvale, livre trois : poeétes de l' E è cole de Chartres, voir E. De Bruyne, E û l' eèpoque romane ý, chapitre VI : û L' Estheè tique du Timeèe et de la Geneése aé l' E è cole de Chartres ý, 3 : û les poeétes ý (Bernard Silvestre et Alain de Lille), p. 650 -671.
18
Le projet est preèsenteè succinctement par Alain au deèbut de l' Anticlaudianus, livre I,
v. 1-17, exposeè plus preèciseèment par Nature dans un discours au chÝur des Vertus ceèlestes, livre I, v. 207-269, deèfendu enfin plus longuement encore par Prudence devant Dieu, livre VI, v. 288-379.
19
Anticlaudianus, Livre II, v. 325 aé livre IV, v. 69 pour la construction du char de Rai -
son par les Arts Libeèraux ; livre IV, v. 70-212 pour la preèsentation de l' attelage des cinq sens.
20
E. Faral, Les Arts poeètiques : Ars versificatoria de Matthieu de Vendoême, II
û Des qualiteès de l' expression ý, ½43 et 44, p. 177.
e
partie :
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
175
ment reèserveè de Quintilien aé propos de la place de l' alleègorie et de l' eènigme dans le discours de l' orateur
21
; quant aé la Rheètorique, elle
joue un roêle singulier dans l' Anticlaudianus : alors que la Grammaire et la Logique forment l' axe et le timon du char, indispensables aé une bonne direction roues
22
neècessaires
, alors que les arts du quadrivium forment les quatre aé
un
bon
mouvement
23
,
la
Rheètorique,
elle,
se
charge de l' orner avec de beaux ornements : elle semble donc s' occuper de l' apparence dans toute sa plaisante vaniteè
24
. A priori, il est dif-
ficile de lui reconna|être une quelconque utiliteè dans l' ascension de Prudence, a posteriori dans le projet qu' a Nature de former un homme nouveau, aé moins de consideèrer sur un plan meètapoeètique qu' elle permet aé l' expression poeètique d' Alain de se deèployer. Ce qui serait deèjaé beaucoup, car de toute fac°on, arriveèe au ciel empyreèe, Prudence devra abandonner derrieére elle le char des arts libeèraux et des sens, hormis l' Ou|ëe qui lui servira de coursier, signe que la parole et l' eècoute, son pendant, priment finalement sur la Vue et les autres sens, trop mateèriels et pas assez spirituels
25
.
Alain associe systeèmatiquement chaque art libeèral aux repreèsentations de ses principaux artisans. Pour ne garder que les autoriteès retenues pour le trivium, la Grammaire est repreèsenteèe par quatre figures, Donat, Aristarque, Didyme et Priscien, deèsigneè sous la peèriphrase d' apostata noster, conformeèment aé une leègende meèdieèvale
26
; la Lo-
gique par quatre figures, Porphyre, Aristote, Zeènon, Seèveèrinus (c' est-
21
Quintilien s' inteèresse aé l' alleègorie comme figure de style microstructurale, en rela -
tion avec l' eènigme et le paradoxe ; voir Inst., VIII, 44 sq., et plus preèciseèment XII, 2, 1014, pour la relation entre ambiguitas et disputatio dialectica, en vue de distinguer le vrai du faux ; l' alleègorie est une figure particulieérement appreècieèe par Matthieu de Vendoême, è tudes voir Ars versificatoria, livre II, chapitres 1, 43 et 44 ; comme l' eècrit E. De Bruyne, E d' estheètique meèdieèvale, t. I, p. 689-690 : û Quintilien repreèsente donc un atticisme ami de la simpliciteè et de la clarteè ý ; on se souviendra de ce jugement sur Quintilien pour le com parer aé celui d' Alain de Lille dans l' Anticlaudianus, dans la mesure oué ils se ressemblent fort peu.
22 23 24 25
Anticlaudianus, livre II, v. 476-485. Anticlaudianus, livre III, v. 90-105. Anticlaudianus, livre III, v. 250-271. Anticlaudianus, livre V, v. 246-264 ; sur la preèseèance du sens de la vue sur l' ou|ëe,
avec la distinction entre une estheètique musicale de la proportion harmonieuse et une es theètique de la lumieére (et des teèneébres), voir E. De Bruyne, û L' Estheètique du Moyen ê ge ý, p. 429-447 ; Dieu est indescriptible, mais il parle comme Zeus au livre I des MeètaA morphoses d' Ovide, lors de l' eèpisode de Deucalion et du deèluge, v. 262-312 ; voir son discours dans l' Anticlaudianus, livre VI, v. 382-424, jouant sur le topos de la seèveèriteè transformeèe en indulgence.
26
Anticlaudianus, livre II, v. 486-513 ; pour la leègende sur Priscien, voir Alan of Lille,
Anticlaudianus, eèd. J. Sheridan, Toronto, 1973, p. 90, n. 125.
176
florent rouilleè
aé-dire Boeéce)
27
; la Rheètorique par cinq figures, Tullius, Ennode,
Quintilien, Symmaque, Sidoine Apollinaire
28
; le tout constitue une
sorte de zodiaque imparfait, comme si un auteur eètait de trop concernant la Rheètorique pour garantir une triple seèrie paralleéle de quatre figures
29
. C' est dans ce contexte qu' appara|êt la personne de Quintilien,
qui aurait pu theèoriquement preètendre repreèsenter la Grammaire ou la Logique, mais qu' Alain reèserve aé la Rheètorique, la plus belle des disciplines du langage
30
.
Avant de consideèrer l' ensemble du passage deècrivant les autoriteès de la rheètorique, voici les vers qu' Alain consacre directement aé Quintilien
31
:
Quintilianus adest quadam sub imagine veri Causarum velans umbras, litesque novellas Fingit et in litem cogit sine lite venire
32
.
Pour preèsenter Quintilien, Alain use de toutes les ressources de la rheètorique : dans une phrase ramasseèe en trois vers se deèploie un style elliptique et figureè. Le poeéte marie dans un premier temps les meètaphores du voile et de l' ombre, qu' il associe implicitement aé la notion
27 28 29
Anticlaudianus Anticlaudianus
, livre III, v. 106-136. , livre III, v. 225-249.
Une interpreètation numeèrologique est envisageable : Alain proposerait un eè qui-
libre ternaire de figures 4 / 4 / 4, qui serait briseè par le troisieéme des cinq rheèteurs, qui n' est autre que Quintilien, venant perturber l' harmonie des trois seè ries ; hypotheése inverse, peu probable, dans la mesure oué Priscien est un û apostat ý, il serait aé rejeter, on aurait alors une seèrie ascendante 3 / 4 / 5, avec Quintilien en position meèdiane dans la ê ge, troisieéme seèrie, comme une clef de vouête ! Comme les autres auteurs du Moyen A Alain de Lille ne meèconna|êt pas ce genre d' opeèration de type pythagoricien, voir la preè sentation de l' Arithmeètique dans l'
30
Anticlaudianus
, livre III, v. 272-385.
Physiquement, la Grammaire est une robuste nourrice, grossieé re, la poitrine exubeè-
rante de lait, tenant fouet et
scalprum Anticlaudianus
, livre II, v. 383-410) ; la Logique est
(
trop eèmacieèe, tenant fleur et scorpion / serpent, d' une apparence extreê me donc (
dianus
Anticlau-
, livre III, v. 9-30) ; seule la Rheètorique tient le juste milieu, qui est la vraie beauteè ;
C. Baldwin,
Medieval rhetoric and poetic
, p. 142-182, souligne combien dans le
rheètorique est en retrait au
xii
e
trivium
, la
sieécle, compareèe aé la grammaire et aé la logique, sous l' in-
fluence principale des auteurs de l' E è cole de Chartres ; les p. 172-174 qu' il consacre aé l'
Anticlaudianus
vont dans ce sens, dans la mesure oué selon lui, Alain reèduit la rheètorique
aé sa fonction ornementale ; or, on le voit dans la description des arts du
trivium
faite par
Alain, il insiste au contraire sur la beauteè moindre de la grammaire et de la logique par rapport aé la rheètorique, tant au niveau de la forme que de la coloration ; la seè veèriteè supposeèe d' Alain vis-aé-vis de la rheètorique me para|êt donc aé relativiser aé tout le moins.
31 32
Anticlaudianus
, livre III, v. 233-235.
Traduction : û Laé se trouve Quintilien, voilant des ombres de causes / Sous une
sorte d' image du vrai ; il fac°onne des disputes / Nouvelles et sans dispute force aé en venir aé la dispute ý.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
177
de faux, par opposition aé celle du vrai, logiquement reèveèleèe et lumineuse ; ce qu' eèvoque ici Alain aé travers l' expression : sub imagine veri, c' est le conflit entre reèaliteè et apparence ; si la cause est fictive, la parole est donc mensongeére
33
. Dans un second temps, Alain offre un
exemple de polyptote : litesque / in litem / sine lite, qui joue sur la polyseèmie du terme lis et obscurcit le sens de la phrase par l' antitheése paradoxale in litem / sine lite, comme en un contrepoint ironique avec la premieére partie, û voileèe et ombreuse ý ; par eèquivoque, le verbe fingere peut eègalement eêtre compris dans son sens litteèral, û fac°onner ý, rapprochant ainsi le rheèteur de l' artisan, ou bien dans son sens figureè, û imaginer ý, ce qui prolongerait le motif de l' image fictive. On pour rait donc traduire ainsi : û il imagine des deèbats nouveaux et sans motif force aé en venir au proceés ý. En l' eètat, ces vers pourraient eêtre interpreèteès comme une simple reèfeèrence, dans un style quelque peu ampouleè, aux nombreux exemples de cas judiciaires deècrits dans l' Institution oratoire
34
. Ce passage ne serait
donc gueére significatif, indiquant le caracteére peèdagogique de l' Ýuvre de Quintilien, qui offre aé son lecteur un entra|ênement profitable aé qui veut faire triompher une cause par tous les moyens rheètoriques existants. Une lecture plus critique est pourtant envisageable, qui place Quintilien sous le signe d' une parole illusoire appliqueèe au domaine effectif de l' eèloquence judiciaire
35
; or, cette parole trompe reèellement
et compleétement l' auditoire. En effet, le rheèteur û voile des ombres [...] par une sorte d' image du vrai ý, recouvre donc des apparences par
33
On pensera aé l' influence sur les penseurs du xii
e
sieécle du verset des Proverbes : fal-
è tudes d' estheètique meèdieèvale, p. 379, par lax est gratia et vana pulchritudo, voir E. De Bruyne, E exemple, et Quintilien, Inst., XII, 1, 38 ; on rapprochera l' expression sub imagine veri (voir Inst., XII, 2, 15 sq.) d' un autre passage de l' Anticlaudianus, deècrivant les peintures ornant le palais de Nature, au livre I, v. 120-125 : Sic operi proprio pictura fideliter haeret, / Ut res picta minus a vero deviet ad esse / Quod nihil esse potest picturaque simia veri, / Arte nova ludens, in res umbracula rerum / Vertit et in rerum mendacia singula mutat. û La peinture s' attache fermement aé sa taêche propre, / De sorte que la chose peinte s' eècarte moins de l' eêtre ê miracles inou|ës de la peinture ! Advient aé l' eêtre / Ce qui ne peut rien eêtre et la vrai. / O peinture, singeant le vrai, / S' amusant aé un art nouveau, transforme en choses des ombres / De choses et change en veèriteè chaque mensonge ý. Un tel eècho malicieux de Quintilien dans l' Anticlaudianus ne prouve pas qu' Alain ait eu acceés aé toute l' Institution oratoire, mais on peut faire l' hypotheése qu' il a lu au moins le livre XII.
34
On peut voir plus vraisemblablement dans ces lites novellae et fictae une reèfeèrence
aux Declamationes majores et minores reèdigeèes durant l' Antiquiteè tardive et attribueèes aé Quintilien, similaires aux Controversiae de Seèneéque le peére.
35
Les termes causa et lis inscrivent le passage dans un cadre strict d' interpreè tation :
la lecture de Quintilien est donc pratique, clairement destineè e aé des avocats ; voir E. R. Curtius,
La Litteèrature europeèenne, chapitre VIII : û poeèsie et rheètorique ý, p. 258-265 : û eèlo-
quence judiciaire, politique et eèpidictique dans la poeèsie meèdieèvale ý.
177
178
florent rouilleè
des apparences ; plus encore, il creèe un motif de dispute aé partir de rien : in litem sine lite. Certes, le tour de force rheètorique ainsi preèsenteè pourrait inspirer l' admiration, mais il devrait plutoêt susciter la meèfiance, car ainsi deèpeint, Quintilien ment et appara|êt comme un fauteur de trouble (tumultus). D' autre part, l' expression eènigmatique in
litem sine lite, qu' on pourrait interpreèter en soi comme un jeu de mots amusant et traduire par l' expression û en douceur ý, renvoie au paradigme du miracle divin qui deèjoue les lois de la logique et de la nature
36
; ce faisant, l' eèloquence de Quintilien est contre nature et pour
ainsi dire blaspheèmatoire. La tournure employeèe par Alain est enfin fortement connoteèe : et in litem cogit sine lite venire, elle met l' accent sur l' ideèe de contrainte exerceèe par l' orateur sur son auditoire, cogere en position centrale dans le vers. D' autre part, le terme lis, pris dans son sens le plus large de querelle ou dispute, est aé replacer dans le contexte moral de l' Anticlaudianus, il implique une parole poleèmique, qui seéme le trouble et la discorde. Lis est en effet un personnage alleègorique dans l' eèpopeèe d' Alain ; figure secondaire, il pourrait passer inaperc°u, mais ses rares apparitions sont significatives, eu eègard aé la preèsentation de Quintilien en ma|être eés é la fin de l' eèpopeèe, au moment du combat entre Vices et querelle. A Vertus autour de l' Homo Novus, Lis joue le ro ê le de compagnon et valet de Discorde, premieére et principale figure vicieuse
37
, antagoniste
de Concorde, dont le ro ê le est central dans l' Anticlaudianus tout d' abord armiger de Discorde
39
38
. Lis est
; puis, une fois Discorde deèfaite
par l' Homo Novus, le champion des Vertus, Alain confronte directement Lis aé Concordia : perimit [...] Concordia Litem ficile
de
lire
dans
36 Anticlaudianus,
la
preèsentation
de
40
. Deés lors, il est dif-
Quintilien
une
quelconque
livre V, v. 378-382, aé propos du paradis, Caelesti loca grata Deo, loca
grata Tonanti, v. 377 : Hic risus sine tristitia, sine nube serenum, / Deliciae sine deffectu, sine fine voluptas, / Pax expers odii, requies ignara laboris, / Lux semper rutilans, sol veri luminis, ortus / Nescius occasus, gratum sine vespere mane. û Laé est un rire sans tristesse, une seèreèniteè sans nuage, / Des deèlices sans deèfaillance, une volupteè sans fin, / Une paix deènueèe de haine, un repos ignorant la peine, / Une lumieé re toujours rutilante, un soleil de vraie lumieére, un lever / Ignorant le coucher, une agreèable aurore sans creèpuscule ý.
37 Anticlaudianus, livre VIII, v. 218-233. 38 Concorde intervient pour concilier les
positions de Raison et de Prudence, en con -
flit sur le projet de Nature : Anticlaudianus, livre I, v. 207-269 pour le discours de Nature, livre I, v. 318-435 pour le discours de Prudence, livre II, v. 1-164 pour le discours de Raison, livre II, v. 210-313 pour le discours de Concorde ; il serait inteè ressant d' eètudier ces discours, dominant le premier tiers de l' Anticlaudianus, comme des applications des principes exposeès infra dans le deèveloppement sur la Rheètorique.
39 Anticlaudianus, 40 Anticlaudianus,
livre VIII, v. 226. livre IX, v. 51 ; Lis subditur, v. 45.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
179
admiration de la part d' Alain pour la personne du grand rheèteur, aé moins de lui supposer une seèrieuse eètourderie ou de l' inconseèquence. D' autres indices preèsents dans l'
Anticlaudianus
vont confirmer l' hy-
potheése selon laquelle, contre toute attente, Alain critique durement Quintilien, alors meême qu' il le place au sein des rheèteurs de renom, aé une position ou é le lecteur attendrait plutoêt un eèloge. Tout d' abord, les trois vers consacreès aé Quintilien contrastent avec le ton employeè par Alain dans le reste de la seèrie deècrivant les grand rheèteurs
41
:
Illic rhetoricam sibi solus Marcus adoptat, Immo parit, quare Ciceronis filia dici Ars merito poterit, quam gignit Tullius, a quo Ars ortum ducens censeri Tullia posset. Illic multiplici praesignit carmina flore Sermonisque notas Ennodius effricat omnes. Quintilianus adest quadam sub imagine veri Causarum velans umbras, litesque novellas Fingit et in litem cogit sine lite venire. Symmacus in verbis parcus sed mente profundus, Prodigus in sensu, verbis angustus, habundans Mente, sed ore minor, fructu, non fronde beatus, Sensus divitias verbi brevitate coartat. Illic Sydonii trabeatus sermo refulgens Sydere multiplici splendet gemmisque colorum Lucet et in dictis depictus pavo resultat. Nunc tenuem gracili meditatus harundine musam, Nec tamen exanguis sermo jejunia luget, Nunc medium, nec in ima ruens, nec in ardua turgens, Nunc tonat altiloquis describens seria verbis, Nunc tamen inflato tumidus crepat ille boatu
41 42
42
.
Anticlaudianus
, livre III, v. 225-247.
Traduction : û Laé Marcus aé lui seul adopte pour lui la Rheètorique, / Bien plus, il
l' engendre, c' est pourquoi l' art pourra / Etre dit aé bon droit fils de Ciceèron, lui qu' engendre Tullius, / Lui dont l' art, tirant sa naissance, pourrait eê tre deècreèteè tullien. / Laé Ennode
distingue
ses
chants
d' une fleur
multiple /
Et
efface
toutes
les
taches de
son
propos. / Laé se trouve Quintilien, voilant des ombres de causes / Sous une sorte d' image du vrai ; il fac°onne des disputes / Nouvelles et force sans dispute aé en venir aé la dispute. / Symmaque, avare de paroles, mais d' esprit profond, / Prodigue de sens, mesureè en paroles, d' esprit / Abondant, mais de voix moindre, riche en fruit, pas en feuillage, / Condense les richesses du sens dans la brieéveteè de la parole. / Laé, veêtu de la trabeèe, resplendit le discours de Sidoine, / Brillant d' un eè clat multiple, et y luisent les gemmes / Des couleurs, et un paon repreèsenteè fait eècho aé ses dires. / Tantoêt il exerce d' un roseau gracile sa muse deèlicate / º Et cependant son discours ne deè plore pas, exsangue, le jeu ê ne º, / Tantoêt il est au milieu, ni preècipiteè en bas, ni enfleè en haut, / Tantoêt il tonne,
180
florent rouilleè
Alain
est
clairement
eèlogieux
pour
les
quatre
autres
rheèteurs :
Ciceèron est par une hyperbole appuyeèe deèsigneè comme le peére de la Rheètorique, son eèvocation est videèe de toute substance preècise et renvoie le lecteur aé l' ensemble de la preèsentation de la doctrine
43
; Quin-
tilien, seul autre theèoricien de la seèrie et placeè en troisieéme position, paêtit
forceèment
de
la
comparaison ;
trois
auteurs
post-classiques
compleétent l' ensemble et ont pour point commun de constituer des modeéles de stylistes : Ennode
44
, sobrement eèvoqueè en deux vers entre
Ciceèron et Quintilien, semblerait presque servir de preètexte aé Alain pour les seèparer, si l' on oublie que son eèloquence est eèleègamment qualifieèe de flos multiplex
45
, aé ceci preés que cette expression deèsigne ses
poeémes, mais pas ses discours ; Symmaque et Sidoine Apollinaire figures
compleèmentaires,
repreèsentent
respectivement
un
ideèal
46
,
de
concision signifiante pleine de mesure et un ideèal de richesse stylisé cet eègard, dans la question du rapport entre verba et tique profuse. A
sententia, Alain penche clairement pour Symmaque, associeè aé l' image victorine du favus interior
47
, du fruit supeèrieur au feuillage, d' un juste
eèquilibre entre les richesses du sens et la brieéveteè du verbe, laé ou é Sidoine, plus brillant mais plus superficiel, est associeè au paon, symbole de vaniteè
48
. Entre l' influence eècrasante de Ciceèron sur la theèorie
et la valorisation stylistique de litteèrateurs post-classiques qui eèchappent de fait aux jugements de Quintilien, il reste aé ce dernier le triste roêle du rheèteur quelque peu sophiste et sycophante, menteur et querelleur. Si on eèlargit le cadre de lecture, les vers sur Quintilien, preèsents sur le second pan du veêtement de Rheètorique, peuvent eêtre rapprocheès
exposant des sujets seèrieux en paroles grandiloquentes, / Tantoêt cependant gonfleè de coleére il eèclate en un mugissement retentissant ý.
43
La theèmatique de l' engendrement naturel est cruciale dans l' Anticlaudianus, la nais-
sance servant de paradigme aé
la production artisanale / artistique ; ce passage place
Ciceèron sous le signe de la Nature, figure positive de l' eè popeèe, contre la Fortune, qui oscille entre vices et vertus.
44 45
E è veêque de Pavie,
vi
e
sieécle, auteur de Carmina et de Dictiones.
Cette poikilia rheètorique est eègalement le propre de Sidoine Apollinaire, voir infra
v. 241 : sidere multiplici splendet ; elle exprime la plasticiteè du langage modeleè par l' art rheètorique.
46
Deux auteurs de l' Antiquiteè tardive,
e
iv -v
e
sieécles ; l' un est un seènateur pa|ëen,
l' autre est chreètien, eèveêque de Clermont en Auvergne, tous deux sont posteè rieurs d' une geèneèration aé Claudien, pris en anti-modeéle pour l' Anticlaudianus ; Symmaque est l' auteur d' Orationes, d' Epistulae et de Relationes ad principes ; Sidoine a eècrit des Carmina et des Epistulae.
47 48
Hugues de Saint Victor, Didascalicon, 1141. On remarquera dans les manuscrits le rapprochement des graphies sydus / Sydo-
nii aux v. 240-241.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
de l' exposeè de la doctrine rheètorique tisseè sur le premier pan
49
181
. Cet
exposeè complet fixe un ensemble d' eèleèments theèoriques eèvidemment deèveloppeès par Quintilien dans son Institution oratoire
50
; consideèrons
simplement en quoi les trois vers qualifiant Quintilien rentrent en conflit avec cette preèsentation syntheètique de la discipline rheètorique. Plusieurs passages laissent en effet peu de doutes sur la seèveèriteè de jugement d' Alain. Tout d' abord, on remarquera que dans cet exposeè la question des couleurs de la rheètorique est traiteèe de fac°on secondaire et allusive
51
,
au profit d' un deèveloppement technique en deux temps : la composition du discours, ce qu' Alain appelle les parties de l' art tion de l' eètablissement du fait en cause, factum
53
52
, puis la ques-
. Dans la seèrie des
rheèteurs illustres, c' est donc Quintilien le plus concerneè par l' exposeè de la doctrine. Or, la partie centrale du discours, la narratio, vise aé distinguer le vrai du faux
54
:
Quomodo sub brevibus verbis narratio verum Explicat, aut latitans veri sub imagine falsum
55
[...]
On retrouve exactement la meême formule employeèe au sujet de Quintilien, veri sub imagine, mais cette fois, l' expression est renverseèe, puisqu' il s' agit de û deèvoiler le vrai ou le faux qui se cache sous l' image du vrai ý. Pour Alain, Quintilien n' apprend qu' aé faire l' inverse, aé û voiler sous une image du vrai des ombres de causes ý. Le probleéme logique du vrai et du faux est pourtant deèterminant pour le succeés de l' orateur : la force du discours, sa robustesse, ne peut tenir aé un û semblant de raison ý
56
, une question doit reposer sur û diverses co-
49 Anticlaudianus, livre III, v. 166-224. 50 Par exemple, pour la causa judicii et facti, 51 Anticlaudianus,
voir Inst., III, 11, 5 et 10.
livre III, v. 166-169, dans un bel exemple de rheètorique manieèriste :
Claudit eam vestis quae, picturata colore / Multiplici, gaudet varios inducta colores. / Hic pictoris ope splendet pictura coloris / Rectorici, sic picturam pictura colorat. û L' enveloppe un veêtement qui, nuanceè d' une couleur / Multiple, se reèjouit d' eêtre couvert de couleurs varieèes. / Laé resplendit, graêce au peintre, la peinture de la couleur / Rheè torique ; ainsi la peinture colore la peinture. ý
52 Anticlaudianus,
livre III, v. 178-197 ; pour les parties du discours, voir Quintilien,
Inst., IV, oué il est question d' exordium º narratio º egressio º propositio º partitio, la peroratio eètant traiteèe au deèbut du livre VI ; Alain, quant aé lui, parle de principium º narratio º parti-
tio º assertio º infirmatio º conclusio.
53 Anticlaudianus, 54 Anticlaudianus, 55
livre III, v. 198-224. livre III, v. 188-189.
Traduction : û Comment la narration en mots brefs explique le vrai / Ou bien le
faux, se cachant sous l' image du vrai [...] ý.
56 Anticlaudianus,
livre III, v. 214.
182
florent rouilleè
lonnes de raisons ý
57
, ce qui est douteux voire faux ne peut que don-
ner une û fausse vigueur ý au discours de l' orateur
58
:
Quomodo personis accomoda roboris arma Dant argumentis, sed falso robore nutant Nomen, natura, victus fortunaque vultus Praetendens dubios, habitus, affectio, fallax Consilium, studia, casus, oratio, factum
59
Enfin, Alain consacre un deèveloppement aé la question de Lis, la dispute, fonction poleèmique de la Rheètorique eèvoqueèe dans un second temps dans les vers sur Quintilien. Une premieére formule, geèneèrale, eètablit la neècessiteè de deèbattre sur un fait : Quae lis de facto certet
60
; cette
expression contraste avec la tournure observeèe aé propos de Quintilien : litesque novellas / Fingit et in litem cogit sine lite venire, comme si la seule leègitimiteè d' une dispute reposait sur le fait, ideèe qui dispara|êt de la preèsentation de Quintilien, ou é une lis sine lite remplace la lis de facto. é la rigueur, ce sont ces lites novellae fictae qui posent probleéme, car asA simileèes implicitement aé des lites sine lite. Dans un deèveloppement plus technique encore, Alain concentre son analyse de l' aspect poleè mique d' un discours sur la question de la contentio
61
:
Qualiter assumat contentio robur utrinque, Cum lex rixatur sociae contraria legi, Vel contra scriptum discors sententia pugnat, Vel parit in scripto dubium sententia duplex, Vel quando nomen describi possit ut ipsum Nominis ambiguum descriptio certa resignet, Vel cum jure loci, personae, temporis ipsa Quaestio transfertur, alios motura tumultus, Vel si contendat contentio nescia certae Legis et a simili rationis robora firmat
57 Anticlaudianus,
62
[...]
livre III, v. 198-199 : quod factum factive genus nomenve requirat / quae-
stio, diversis rationum nixa columnis [...].
58 Anticlaudianus, livre III, v. 215-219. 59 Traduction : û Comment ce qui est
approprieè aux personnes donne aux argu-
ments / Les armes de la vigueur, mais aé cause d' une fausse vigueur vacillent / Un nom, une nature, un genre de vie et une fortune affichant / Des airs douteux, des manieé res, un sentiment, un dessein, / Des passions, des circonstances, un discours, un fait qui sont fal lacieux ý.
60 Anticlaudianus, 61 Anticlaudianus, 62
livre III, v. 200. livre III, v. 205-214.
Traduction : û Comment l' eèloquence se consolide de part et d' autre, / Lorsqu' une
loi contraire rentre en conflit avec une loi allieè e, / Ou bien qu' une signification discordante lutte contre ce qui est eècrit, / Ou bien qu' une signification ambigue« produise le doute dans ce qui est eècrit, / Ou bien quand un nom peut eêtre deèfini de telle sorte
183
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
contentio
Il ressort de ce passage qu' Alain conc°oit la
63
au cÝur de la
dispute rheètorique comme un triple probleéme de logique du langage : d' une loi aé une autre peuvent appara|être des contradictions, la signification d' une loi eècrite peut eêtre eèquivoque, la deèfinition d' un mot eêtre incertaine. Bref, toute
contentio
forces antagonistes : d' une part l' autre
Certitudo
65
repose sur le conflit entre deux
Discordia / Dubium / Ambiguitas
64
, de
: on en revient donc aé la question de la distinction
entre le vrai et le faux comme finaliteè de la dispute oratoire, il s' agit en quelque sorte d' eèclaircir par l' exercice de la raison toutes les possibiliteès logiques de malentendu. Laé encore, aux yeux d' Alain, Quintilien
cherche
moins
aé
reèsoudre
des
disputes
qu' aé
en
produire
de
nouvelles. Or, le souci d' Alain semble reèsider au contraire dans la capaciteè aé repousser des questions litigieuses infondeèes, susceptibles de produire
Concordia,
du
deèsordre,
du
mais la vicieuse
tumulte,
Discordia,
servant
non
pas
la
vertueuse
dans la logique alleègorique de
l' Anticlaudianus. En disant de Quintilien qu' il fac°onne / imagine de nouveaux deèbats, des motifs de dispute pour ainsi dire injustifieès, Alain suggeére le risque reèel d' une creèation rheètorique non ma|êtriseèe par l' artisan / artiste rheèteur. Quintilien, pur innovateur, s' eècarte ainsi de la meèthode de Nature, conditionnant la creèation de l' Homo guement muêri
66
Novus
aé un projet lon-
:
Nec subitos animi motus perpessa, repente Currit ad haec opera, sed ad haec deliberat utrum Possit et ad libram rationis singula pensat. Protinus ergo suas vocat in sua vota sorores, A quibus emeriti descendat tramite recto Regula consilii mentisque coherceat aestum,
qu' une / Deèfinition preècise annule l' ambigu|ëteè meême du nom ; / Ou bien que selon le droit du lieu, de la personne, du temps, / La question meê me est repousseèe, si elle s' appreête aé susciter d' autres / Troubles, ou bien si l' eè loquence, ignorant la preècision de la loi, / Se fait pressante et affermit sa vigueur aé partir d' un semblant de raison [...] ý.
63
tentio
La
contentio
est un terme difficile aé traduire : litteèralement û effort, tension ý, la
quence soutenue, style oratoire ý, par opposition aé plus geèneèralement
contentio
sermo,
Voir chez Quintilien les rapports entre
pour la question du
65
conversation ou style familier ;
signifie û lutte, rivaliteè, comparaison ý, et dans son acception
grammaticale il renvoie aé l' antitheése, voir Quintilien,
64
con-
se speècialise en rheètorique dans le sens d' û eèleèvation de la voix ý, puis d' û eèlo-
nomen ambiguum,
Voir les deux occurrences de
voir
certus
Inst.,
Inst.,
aenigma
et
IX, 1, 31 ; 2, 2 ; 3, 81.
ambiguitas, Inst.,
certitudo), dans la 66 Anticlaudianus,
livre I, v. 15-23.
sq. ;
dans ce passage, v. 210 et 213, et plus largement
Des mots aé la parole, p. 74 sq., la meètaphore Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf.
chez J. Y. Tilliette,
VII, 10, 3
V, 10, 24-30.
du cheminement (rectitudo
/
184
florent rouilleè Ut sic, freta suae scalpro rationis, in ipsos Effectus operum mentis deducat ideas, Aut lima meliore diu concepta recidat
67
.
Dieu meême, dans la suite de l' Anticlaudianus, offre le modeéle platonicien d' une parfaite creèation
68
:
Ipse Deus rem prosequitur, producit in actum Quae pepigit. Vocat ergo Noys, quae preparet illi Numinis exemplar, humanae mentis ideam, Ad cujus formam formetur spiritus omni Munere virtutum dives, qui, nube caducae Carnis obumbratus, veletur corporis umbra. Tunc Noys ad regis preceptum singula rerum Vestigans exempla, novam perquirit ideam
Qu' apparaisse
l' expression : spiritus
[...]
69
.
qui, nube caducae Carnis
obumbratus, veletur corporis umbra, en regard de celle employeèe aé propos de Quintilien : quadam sub imagine veri / Causarum velans umbras, peut reé lever d' un simple hasard. On peut raisonnablement en douter. A l' ombre du corps correspondent les ombres de causes, aé l' image du vrai correspond l' esprit vertueux. Alain fait de Quintilien un creè ateur de chimeéres, contrefaisant la deèmarche de la Noys divine, l' un est creèateur de fictions, l' autre de faits
70
.
Un dernier passage de l' Anticlaudianus vient confirmer la vision de la rheètorique propre aé Alain, et incidemment renforcer sa condamnation de Quintilien. Une fois l' Homo Novus creèeè, les Arts Libeèraux
67
Traduction : û Et, bien qu' elle endure les transports subits de son aê me, / Elle n' ac-
court pas soudain aé cette taêche, mais deèlibeére sur / Sa possibiliteè et peése chaque point dans la balance de la raison. / Aussitoêt donc elle appelle aé ses vÝux ses sÝurs, / Que par un droit chemin descende d' elles la reégle d' un conseil / Emeèrite qui puisse contenir le bouillonnement de son esprit, / Qu' ainsi, forte du ciseau de sa raison, elle conduise / Les Ideèes de l' esprit aux effets meêmes des Ýuvres, / Ou qu' elle rogne d' une meilleure lime ce qui fut longtemps conc°u ý.
68 Anticlaudianus,
livre VI, v. 428-435 ; l' influence du Timeèe est eèvidente, tout autant
que celle de la Geneése.
69
Traduction : û Dieu en personne poursuit l' affaire, produit en acte / Ce qu' Il a eè ta-
bli. Il convoque donc Nous, pour qu' il Lui / Preè pare un modeéle de diviniteè, une Ideèe de l' esprit humain, / A la forme duquel Il puisse conformer un esprit riche / De tout le preè sent des vertus, qui, obscurci par le nuage / Peèrissable de la chair, soit voileè de l' ombre du corps. / Alors Nous, sur la recommandation de son Roi, s' enqueè rant de chaque / Exemplaire des choses, recherche avec soin une Ideè e nouvelle ý.
70
Voir eègalement supra note 30, avec les expressions umbracula rerum et pictura simia
veri ; voir aussi Anticlaudianus, livre VI, v. 315-317, lors du discours de Prudence aé Dieu : Hos casus natura videt lapsusque cadentis / Mundi, virtutem vicio succumbere, fraudi / Fedus , amicitiam liti pacemque furori.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
185
viennent le doter ; intervient la Rheètorique qui, apreés lui avoir offert la beauteè du style, l' instruit des principes de sa doctrine
71
:
Succincte docet illa loqui sensusque profundos Sub sermone brevi concludere, claudere multa Sub paucis nec diffuso sermone vagari, Ut breve sit verbum, dives sententia, sermo Facundus, multi fecundus pondere sensus. Vel si forte fluat sermo sub flumine verbi, Fulminet ulterius sententia, copia fructus Excuset folii silvam, paleasqe vagantes Ubertas grani redimat sensusque loquelam
72
.
Dans ce passage, Alain prend triplement position : il privileè gie une rheètorique de la brieéveteè contre une rheètorique de la faconde, reèiteèrant sa preèfeèrence pour Symmaque contre Sidoine Apollinaire ; il reèconcilie les deux styles sous le signe de la neècessaire feèconditeè du sens
73
(sensus et sententia). Enfin, point de reèfeèrence aux causae et aux li-
tes cheéres aé Quintilien, passeèes par pertes et profits. S' il est question de feuillage, ce n' est pas pour eèvoquer l' inaniteè de leur ombre, mais la reèaliteè de leur fruit
71 Anticlaudianus,
74
. Les deux derniers vers posent un rapport analo-
livre VII, v. 276-284 ; le passage est originellement plus long, deèbu-
tant avec les v. 270-275.
72
Traduction : û Elle lui enseigne aé parler succinctement et aé conclure / De profondes
penseèes sous un bref discours, aé enclore beaucoup / Sous peu de mots et aé ne pas divaguer en un discours confus, / De sorte que son verbe soit bref, sa signification riche, / Son discours disert et rendu plus feècond par le poids de sa penseèe ; / Ou bien, si d' aventure son discours s' eècoule en un fleuve de paroles, / Que sa signification foudroie plus loin, que l' abondance du fruit / Compense la foreê t du feuillage, que la feèconditeè du grain / Racheéte les pailles errantes et le sens les mots ý.
73
On rapprochera ce principe du jugement sans appel fait par Alain de Joseph
d' Exeter et Gautier de Chaêtillon, ses contemporains, au livre I de l' Anticlaudianus, en un passage cinglant, v. 165-170 : Illic pannoso plebescit carmine noster / Ennius et Priami fortunas
intonat ; illic / Maevius, in caelos audens os ponere mutum, / Gesta ducis Macedum tenebrosi carminis umbra / Pingere dum temptat, in primo limine fessus / Haeret et ignavam queritur torpescere musam. û Laé notre Ennius s' empleébe d' un chant loqueteux / Et fait retentir les fortunes de Priam ; laé Maevius / Ose tourner vers les cieux une bouche muette et, / Tentant par l' ombre d' un chant teèneèbreux de deèpeindre / Les hauts faits du chef des Maceèdoniens, s' arreête, eèpuiseè / Au premier seuil, et se plaint que s' engourdisse sa muse paresseuse. ý
74
Le motif du favus interior d' Hugues de Saint Victor est preèsent aé de nombreuses re-
prises dans l' Anticlaudianus, par exemple au livre II, v. 509-513 : Haec scriptura tenet, mi-
nime dignata fateri / Grammaticos humiles, qui sola cortice gaudent, / Quos non dimittit intus pinguedo medullae : / Si foris exposcunt framenta, putamine solo / Contenti, nequeunt nuclei libare saporem. û Cette peinture les contient, jugeant tout aé fait indigne de reconna|être / Les humbles grammairiens qui se complaisent aé la seule / Coque, que ne retient pas la graisse de la moelle inteèrieure : / S' ils sollicitent au dehors des fragments, de la seule coquille / Contents, ils ne sont pas capables de gouêter la saveur du noyau. ý
186
florent rouilleè
gique entre feèconditeè du grain et sens, pailles errantes et mots : en l' eètat, on pourrait dire que la rheètorique de Quintilien offre un troisieéme cas, l' image du grain feècond voilant des pailles errantes
75
.
En conclusion, le jugement effectivement seèveére d' Alain de Lille sur Quintilien, mais aé premieére lecture franchement elliptique, s' explique donc par sa preèoccupation de contro ê ler le travail du rheèteur, qui a besoin d' une veèritable direction de conscience, sous peine de le voir
basculer
dans
un
discours
sophistique.
Quintilien
donnerait
l' exemple d' un usage de la rheètorique hors du contro ê le de la raison, ce qui pervertirait la veèriteè de la parole vers de l'
Anticlaudianus
76
au deèveloppement de la pratique de la cadre de la theèologie
77
: on verra ainsi dans ces trois
sur Quintilien l' eècho de sa preèoccupation face
disputatio
sophistique dans le
. Alain fait toutefois preuve de prudence dans
sa critique de Quintilien et ne lui deènie pas le droit de faire partie des plus illustres repreèsentants de l' art rheètorique, comme si l' autoriteè de ce dernier ne pouvait eêtre directement mise en cause, sans risquer une poleèmique avec les lecteurs de son eèpoque ; aé cet eègard, reèduire la connaissance de Quintilien par Alain aux seules ritable lecture de l'
Institution oratoire Anticlaudianus
compte des deèveloppements de l'
75
On pensera au couple des
Declamationes
, sans veè-
, ne saurait rendre pleinement
pseudologici
et
sophistae
sur la rheètorique ; on
vilipendeès dans l'
Anticlaudianus
,
livre I, v. 126-130, et livre III, v. 38, VII, v. 269.
76
Le traitement reèserveè par Alain aé Aristote et aé Priscien est particulieérement cri-
tique : û Notre Apostat approfondit les traiteès de grammaire, / Ayant avec indolence dans ses mots endureè les songes de la torpeur ; / Errant dans ses propres eè crits, on le croit / Soit eêtre ivre, soit plutoêt fou, soit assoupi. / Il bo|ête dans sa foi, pour que ne bo|ête pas la reèputation / De son traiteè, et il vend sa foi pour que ne peèrissent pas les beèneèfices / De son livre, et sa foi erre pour que ne se fourvoie pas la rumeur ý (
Anticlaudianus
,
livre II, v. 500-506) ; û Laé Porphyre eètablit un pont sur un droit chemin / Et montre un sentier par lequel le lecteur peut entrer / Dans l' ab|ême d' Aristote, peèneètrant les treèfonds de son livre. / Laé Porphyre ouvre les arcanes, comme un autre / Üdipe reè solvant les eènigmes de notre Sphinx. / Le perturbateur des mots est laé et de son tourbillon il en trouble / Un grand nombre, notre Aristote, et il se pla|ê t aé se cacher. / C' est ainsi qu' il traite la Logique, en semblant ne pas la traiter, / Non pas qu' il fuê t eègareè en elle, mais parce qu' il voile tout cela / Par le voile de l' expression, au point que le labeur peut aé peine le reèveèler. / Mais lui, il reveêt toutefois ses dires de teèneébres / Pour ne pas prostituer ses secrets et qu' en abandonnant / Son secret, il ne le force pour finir aé s' avilir en public, / Car la majesteè de son secret s' avilirait et serait priveèe / De toute sa splendeur, si elle devenait publique ; / Car il diminue sa majesteè , celui qui divulgue des mysteéres, / Et ne reste pas secret ce dont la foule devient consciente, / Car les choses divulgueè es engendrent toujours le deègouêt : / D' une chose divulgueèe surgit la nauseèe du meèpris ý (
dianus 77
, livre III, v. 110-118).
Voir supra note 12 ; Quintilien contribue aé promouvoir une
la rheètorique alexandrine : il limite la de la
disputatio sophistica
.
disputatio dialectica probatio (
disputatio
Anticlau-
heèritieére de
) et institue la pratique
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
187
pourrait meême ne pas percevoir les critiques d' Alain si on lit rapidement son Ýuvre, car le jugement qu' il porte sur Quintilien n' est pas explicite et neècessite un effort d' interpreètation de la part du lecteur, tant Alain de Lille, dans les trois vers qu' il consacre aé Quintilien dans l'
Anticlaudianus
, a recours aé une rheètorique de l' eènigme, au cÝur de
son dispositif alleègorique
78
. Entre les jeux d' ombre et de lumieére, la
veèriteè et le mensonge, il manque aé Quintilien les couleurs propres aé la vie, telles qu' elles se manifestent chez Ciceèron et Virgile
79
:
Verbi pauperiem redimit splendore colorum Tullius, et dictis ornatus fulgura donat. Virgilii musa mendacia multa colorat, Et facie veri contexit pallia falso
80
.
Je donne en annexe un document que je n' aurai pas le temps de commenter,
mais
qui
contribue
eègalement
aé
clarifier
la
penseèe
Ars Praedicandi Patrologie latine
d' Alain de Lille sur la rheètorique, un extrait de son chapitre XLI,
ad oratores seu advocatos
, p. 187-188,
Migne, t. 230, 1855
81
:
de
:
Ad oratores dicit Scriptura : Judicate pupillo et humili ( Isaias : Subvenite oppresso, defendite viduam (
Isa
Psal
. X). Et
. 1). Orator enim de-
bet esse veritate munitus, discretione promptus, charitate fervidus, as pernator
avaritiae,
sectator
justitiae,
ne
vel
falsitas
ejus
obnubilet
rationem, vel indiscretio enervet sermonis veritatem, odium ingerat suspicionem. Non avaritia incurvet animum, non injustitia deducat in invium, non lingua venetur pecuniam, non lepore verborum popula -
Anticlaudianus
78
, preèface en prose, second paragraphe, p. 56, eèd. Bossuat : û Qu' ils
n' osent donc pas meèpriser cette Ýuvre, ceux qui, vagissant encore dans les berceaux de leurs nourrices, sont allaiteès aux mamelles d' une eèducation infeèrieure. Qu' ils n' essaient pas de deèroger aé cette Ýuvre, ceux qui jurent de servir une science plus haute. Qu' ils ne croient pas abroger cette Ýuvre, ceux qui heurtent de leur front le ciel de la philosophie. Et, de fait, dans cette Ýuvre, la suaviteè du sens litteèral charmera une eècoute pueèrile, l' instruction morale impreègnera une penseèe qui se perfectionne, la subtiliteè plus peèneètrante de l' alleègorie aiguisera une intelligence en progreés. Qu' ils s' eècartent donc de l' entreèe de cette Ýuvre ceux qui, poursuivant la seule apparence de la sensualiteè , ne recherchent pas la veèriteè de la raison, de peur que ne soit souilleè ce qui est saint si on le prostitue aé des chiens, que la perle ne soit fouleèe par les pieds des porcs, qu' on ne deèroge aux secrets, si leur grandeur eètait divulgueèe aé des eêtres indignes. ý
79
poetic
Anticlaudianus
, livre I, v. 140-143 ; passage citeè par C. Baldwin,
Medieval rhetoric and
, p. 174.
80
Traduction : û Tullius racheéte la pauvreteè de l' expression par la splendeur / Des
couleurs et donne aux paroles l' eèclat de l' ornement. / La muse de Virgile colore de nombreux mensonges / Et ourdit pour le faux un veêtement aé l' apparence du vrai ý.
81
, p. 162-164 ; chapitre XXIX,
169.
contra verbosiexhortatio ad orationem -
Deux autres chapitres meèriteraient un commentaire : chapitre XXVI,
tatem et linguae evagationem
, p. 167
188
florent rouilleè rem captet auram, sed orationis finem constituat rectum, sermonis ter minum faciat honestum. Non prostituat linguam, non venalem expo nat
loquelam,
non
vendat
Dei
donum,
non
locet
gratuitum
Dei
beneficium. Quod accepit de solo munere gratiae, non prosternat ven ditione. O quam exsecrabilis simonia est, vendere patrimonium pau peris, locare subsidium inopis. Inter eleemosynas non minimum obtinet locum, qui viduae in causa praebet subsidium ; quia qui ei rationis virtute, proprium conservat, non solum defendit, sed etiam praebet. Non tamen oratores alicujus paupertas vel miseria debet incurvare in falsum ; nec alicujus felicitas reducere in injustum. Semper veritas robur rationi praebeat, et opem inopi sermone ferat. Qui rectum non tuetu cum tueri valeat, idem est ac si injusto assen sum praebeat. Hoc est enim in carcere visitare miserum, oppresso in causa ferre patrocinium. Hoc est vestire nudum ; nudato patrocinio, in causa ferre patrocinii subsidia : hoc est esurientem pascere, sitienti potum dare, medicinam largiri infirmo, peregrinum recipere, destitu tum ab omni auxilio, ad patrocinandum in causa suscipere. Qui ergo injusta causa indigenti patrocinium praebet, omne opus misericordiae implet. Orator, cur defendere viduas in suis necessitatibus omittis ? in tuae scientiae expositione nihil amittis, nihil in hujus thesauri largi tione perdis. Haec est nobilis possessio, quae avarum dedignatur pos sessorem, cumque non publicatur, elabitur. Spiritualis etiam orator, id est vir justus cujus oratio perorat apud Deum, alleget pro reo, apud Deum, pias preces, ut quamvis reo exigentia meriti debeatur damna tio, ei propitia divina miseratio, conferat spatium verae poenitentiae, et emendationem vitae. Multum enim valet oratio justi assidua (
Jac.
V). Alleget justus pro reo apud divinam misericordiam, ut quia sine miseratione divina nihil potest humana infirmitas, ejus gratia reus li beretur a noxis, et ad salutem dirigatur. Et quamvis oratio justi non semper consequatur optatum finem in altero, tamen orans semper consequitur finem in se ipso ; quia et si illi pro quo orat, peccatum non remittatur, oratio in sinum orantis revertitur ; quia nec semper medicus sanabit, nec orator semper persuadebit ; sed, si de contingen tibus nihil omiserit, finem suum consecutus est.
Dans ce passage Alain joue sur la polyseèmie du terme
orator
et glisse
du discours de l' avocat, veènal et hypocrite, aux prieéres gratuites et sinceéres du fideéle, prononceèes devant le tribunal de Dieu. La rheètorique doit ainsi se deèpouiller de toute forme sophistique.
sur trois vers de l' anticlaudianus mentionnant quintilien
189
BIBLIOGRAPHIE
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L AT I N I TAT E S
Laure
Hermand-Schebat
ÂTRARQUE ET QUINTILIEN PE Ivi era il cur|ëoso Dicearco, ed, in suo' magisteri assai dispari, Quintiliano e Seneca e Plutarco. Triumphus fame, III, 88-90
Avant
la deècouverte de Poggio Bracciolini au cours du concile de
Constance, deècouverte qui mit au jour un Quintilien complet, les hu1
manistes durent se contenter d' un texte partiel de l' Institution oratoire . Peètrarque, tout comme Coluccio Salutati aé sa suite, ne conna|êt le traiteè du rheèteur romain que sous une forme mutileèe, dans un manuscrit qu' il a d' ailleurs eu entre les mains relativement tard, au cours de l' anneèe 1350. é l' occasion de son voyage aé Rome pour le jubileè, Peètrarque passe A par Florence et resserre ses liens d' amitieè avec un groupe d' admira2
teurs . Dans la bibliotheéque de Lapo da Castiglionchio, ami du poeéte qui fit par la suite une brillante carrieére de canoniste, se trouve en effet l' Institution oratoire de Quintilien que l' humaniste voit pour la premieére fois et obtient en cadeau. Il emporte l' ouvrage lorsqu' il passe de nouveau aé Florence
1
3
pendant le retour de Rome aé Parme et s' empresse de
ê ge, voir P. Boskoff, Sur la circulation du texte de Quintilien aé la fin du Moyen A
û Quintilian in the late Middle Ages ý, Speculum, 27 (1952), p. 71-78.
2
Sur cet eèpisode, voir M. Feo et al., Codici latini del Petrarca nelle biblioteche fiorentine
(Mostra 19 Maggio º 30 Giugno 1991), Florence, 1991, p. 10-11 ; U. Dotti, Peètrarque, Paris, 1991, p. 187-188, 190, 194 ; A. Foresti, û Le lettere a Lapo di Castiglionchio e il suo libro ciceroniano ý, dans Aneddoti della vita di Francesco Petrarca, Padoue, 1977, p. 242-250 et P. de Nolhac, Peètrarque et l' humanisme, Paris, 1907, vol. 1, p. 223-225. Sur la tradition manuscrite de Quintilien, et en particulier sur Peètrarque, voir J. Cousin, Recherches sur Quintilien. Manuscrits et eèditions, Paris, 1975, en part. p. 39-45.
3
Une note sur un manuscrit des Familiares (= Fam.) de Peètrarque ayant appartenu aé
Lapo atteste ce don. Ce manuscrit, actuellement aé Florence (Biblioteca Medicea Laurenziana, 26 sin. 10) porte en face des mots ceptus es nosci (Fam., XXIV, 7, 10) la note suivante : Verum dicis, quia ego illum tibi donavi, dum Romam peteres, quem ante, ut dixisti nunquam videras. Se souvenant de l' eèveènement apreés tant d' anneèes, Lapo commet seulement l' erreur de le situer au cours du voyage aller vers Rome alors qu' il s' agit du voyage retour. Voir U. Dotti, Peètrarque, p. 187, p. 407, n. 17 ; A. Foresti, û Le lettere a
191
192
laure hermand-schebat
le lire attentivement et de l' annoter. Cette lecture lui inspire la Fami4
liaris XXIV, 7, lettre fictive adresseèe aé Quintilien lui-meême . Il l' inteégre aé un groupe de dix lettres, adresseèes aux auteurs antiques les plus ceèleébres et inseèreèes dans le vingt-quatrieéme et dernier livre des Familia5
res . C' est donc aé la maturiteè que Peètrarque entre en contact avec le texte
fondamental
du
rheèteur
romain,
contrairement
aé
ceux
de
6
Ciceèron dont il est familier depuis sa plus tendre enfance . Pour cerner cette relation du Florentin aé Quintilien, nous disposons de deux eèleèments fondamentaux : la lettre qu' il lui adresse et le manuscrit qu' il annote, devenu aujourd' hui le Parisinus latinus 7720. Mais nous pouvons eègalement prendre en compte les citations de Quintilien qu' il inseére dans ses Ýuvres : l' eècrivain latin joue en effet un roêle important dans les lettres consacreèes aé la question de l' imitation (Familia-
res, I, 8 ; XXII, 2 ; XXIII, 19) et dans le traiteè De vita solitaria. Le chapitre sept du premier livre, par exemple, se preèsente comme une reèponse aux affirmations de Quintilien selon lesquelles les foreêts, les fleuves et le chant des oiseaux perturbent l' eètude plus qu' ils ne la fa7
vorisent .
Nous
pourrons
ainsi
analyser
l' image
de
la
deuxieéme
grande figure de l' eèloquence romaine eèlaboreèe par Peètrarque et nous demander quel usage il fait de la doctrine de Quintilien, en particulier dans le deèbat sur l' imitation.
La lettre de Peè trarque aé Quintilien ( Familiaris XXIV, 7) Composeèe selon Giuseppe Billanovich
9
8
en Provence entre 1351 et
1353 ou de manieére plus probable deés le retour du jubileè, la lettre est
Lapo ý, p. 244. Ce manuscrit comporte une autre note eè voquant le livre ciceèronien de Lapo ; en face de la Familiaris XII, 8 (fol. 16r.) est eècrit : Loquitur hic de quodam libello in quo
erant plures orationes Tulli, quas ad eum destinaverat iste Lapus sive Iacobus florentinus amicus suus, qui re vera vocabatur dominus Lapus de Castiglionchio, postea decretorum doctor. Voir M. Feo et al., Codici latini, p. 11, 126 ; U. Dotti, Peètrarque, p. 188, p. 408, n. 30.
4 5
Voir U. Dotti, Peètrarque, p. 188. Ce groupe de dix lettres connut d' ailleurs assez rapidement une fortune manuscrite
autonome sous le titre Antiquis illustrioribus.
6
Sur ce sujet, voir la Senilis XVI, 1, adresseèe aé Luca de Penna et intituleèe De libris
Ciceronis.
7 8
Voir Quintilien, Inst., X, 3, 22. Le texte des Familiares est celui de l' eèdition nationale italienne : F. Petrarca, Le Fami-
liari [Rerum familiarium libri], eèd. V. Rossi, U. Bosco, Florence, 1933-1942, 4 vol. (deèsormais `Rossi' , suivi des numeèros de volume et de page).
9
G. Billanovich, Petrarca letterato, I. Lo scrittoio del Petrarca, Rome, 1947, p. 38, 49, n. 3.
peètrarque et quintilien
193
dateèe du sept deècembre 1350 pour rappeler le moment de l' emprunt du manuscrit aé Lapo. Est ajouteè aé cette date le lieu de Florence, patrie du poeéte : intra ipsos patrie mee muros, ubi primum michi ceptus est nosci
10
.
Contrairement aux affirmations de certains critiques, l' expression pa-
trie mee ne deèsigne pas Arezzo
11
, ville natale du poeéte, mais Florence,
ville dont ses anceêtres furent bannis. Lors de ce passage aé Florence, Peètrarque avait d' ailleurs meneè des tractations en vue de la restitution des biens paternels, confisqueès au moment de l' exil
12
.
Deés le deèbut de sa lettre, Peètrarque s' adresse directement aé son destinataire et fait une allusion rapide aux conditions dans lesquelles il a eu acceés pour la premieére fois aé l' Ýuvre majeure que constitue l' Insti-
tution oratoire : Franciscus Quintiliano salutem. Olim tuum nomen audieram et de tuo aliquid legeram, et mirabar unde tibi nomen acuminis ; sero inge nium tuum novi : Oratoriarum Institutionum liber, heu, discerptus et lacer, venit ad manus meas
13
.
Lorsqu' il deècouvre le texte, aé l' admiration pour la composition de l' ouvrage se meêle la douleur de ne pas eêtre en possession du texte complet
14
.
Et
l' expression
de
cette
deèception
est
l' occasion
pour
Peètrarque de critiquer l' incurie et la neègligence de son eèpoque, theéme freèquent dans sa correspondance
15
.
Les paragraphes trois aé sept proposent une confrontation de l' Insti-
tution oratoire avec les traiteès rheètoriques ciceèroniens, aboutissant aé une comparaison entre Quintilien et Ciceèron. La lettre se cloêt sur l' eèvocation
d' une
rivaliteè
qui
aurait existeè
entre Seèneéque
et Quintilien :
Peètrarque s' appuie sur un passage du livre X de l' Institution oratoire et sur un passage des Controverses de Seèneéque le Peére
10
17
16
. L' humaniste
Peètrarque, Fam., XXIV, 7, 10 (Rossi, vol. 4, p. 243) : û entre les murs meê mes de
ma patrie, lieu oué je t' ai deècouvert pour la premieére fois ý.
11
C' est l' avis d' E è lisabeth Pellegrin (E è . Pellegrin, La bibliotheéque des Visconti et des
Sforza, ducs de Milan, au
xv
e
sieécle, Paris, 1955, p. 218), suivi par Jean Cousin ( J. Cousin, Recherches sur Quintilien, p. 41-42, n. 1).
12
U. Dotti, Peètrarque, p. 188. Voir aussi Peètrarque, Fam., XI, 5, 1-14 (Rossi, vol. 2,
p. 334).
13
Peètrarque, Fam., XXIV, 7, 1 (Rossi, vol. 4, p. 240 -241) : û Cher Quintilien, j' avais
jadis entendu ton nom et lu des passages te concernant, et je me demandais avec curiositeè d' oué te venait cette reèputation de finesse ; c' est tardivement que j' ai deècouvert ton talent : ton livre l' Institution oratoire, heèlas en pieéces et mutileè, est arriveè dans mes mains ý.
14 15 16 17
Voir Peètrarque, Fam., XXIV, 7, 2 (Rossi, vol. 4, p. 241). Voir Peètrarque, Fam., XXIV, 7, 1 (Rossi, vol. 4, p. 241). Quintilien, Inst., X, 1, 125-131. Seèneéque le Peére, Contr., X, praef. 2.
194
laure hermand-schebat
confond en effet aé plusieurs reprises dans sa correspondance les deux Seèneéque ;
il
ne
voit
pas
en
outre
que
le
Quintilien
Seèneéque le Peére n' est pas l' auteur de l' Institution
oratoire,
eèvoqueè
par
mais un rheè-
teur du meême nom, peut-eêtre son peére ou son grand-peére
18
.
L' eèleèment essentiel de cette lettre nous semble eêtre la perception par
Peètrarque
de
la
diffeèrence
fondamentale
entre
Quintilien
et
Ciceèron, son modeéle : Tu quidem in his libris, qui quot sint nescio sed hauddubie multi sunt, rem a Cicerone iam sene summo studio tractatam refricare au sus, quod factu impossibile iudicabam, post tanti viri vestigia novam non imitationis sed doctrine proprie preclarique operis gloriam inve nisti
19
.
Le meèrite principal de Quintilien reèside donc dans son originaliteè par rapport aé son modeéle : il a su imiter l' Arpinate de manieére non servile, en meènageant le caracteére personnel de sa propre Ýuvre (doc-
trine proprie). Peètrarque
insiste en outre sur la diffeèrence des deèmarches
des deux hommes : si Ciceèron a voulu donner ses armes aé l' orateur, Quintilien a chercheè aé orner et embellir cet eèquipement : Adeo diligenter ab illo instructus orator a te comptus ornatusque est, ut multa ab illo vel neglecta vel non animadversa videantur, atque ita singulatim omnia colligis duci tuo elapsa, ut quantum vinci eloquio tantum diligentia vincere recto ni fallor iudicio dici possis
20
.
La meètaphore de l' eèquipement militaire lui permet de mettre en lumieére l' apport propre de Quintilien. Cette image est treés nette dans le traiteè
18
De vita solitaria :
M. Accame Lanzillotta,
Florence, 1988 [=
Le postille del Petrarca a Quintiliano (Cod. Parigino lat. 7720),
Quaderni petrarcheschi,
5 (1988)], p. 3. Voir aussi E. Carrara,
cheschi ed altri scritti, Turin, 1959, p. 159. 19 Petrarque, Fam., XXIV, 7, 3 (Rossi, è
Studi petrar-
vol. 4, p. 241) : û Mais toi, dans ces livres,
dont je ne connais pas le nombre mais qui sont sans doute nombreux, tu as oseè reprendre un sujet deèjaé traiteè aé fond par Ciceèron dans sa vieillesse, chose que je jugeais impossible aé faire et, sur les traces d' un si grand homme, tu as obtenu une gloire nouvelle non pour l' avoir imiteè mais pour avoir eèlaboreè une theèorie personnelle et un ouvrage remarquable ý.
20 Ibidem :
û L' orateur, qui a acquis sa formation aupreés de lui, rec°oit aupreés de toi un
apprentissage si soigneè de l' eèleègance et des ornements du style qu' apparaissent de nom breux eèleèments, soit qu' il avait neègligeès, soit qu' il n' avait pas remarqueès, et tu rassembles tous les points isoleès qui avaient eèchappeè aé ton illustre preèdeècesseur, si bien qu' on peut dire aé juste titre, aé moins que je ne me trompe, qu' autant tu es surpasseè par son style, autant tu le surpasses par ton soin diligent ý.
peètrarque et quintilien
195
Nempe Quintilianus in eo libro, ubi oratorem, a Cicerone armatum, bullis ac phaleris, curiosissime perpolivit, de hoc loquens [...] inquit [...]
21
.
Il assimile en fait la diffeèrence entre les deux hommes aé la diffeèrence entre rheèteur et orateur ; Ciceèron incarne l' eèloquence de combat, il est l' orateur dans toute sa dimension politique, alors que le travail de Quintilien est plus theèorique et s' inteèresse aux bases de l' art oratoire : Ille enim suum oratorem per ardua causarum ac summos eloquentie vertices agit et iudicialibus bellis ad victoriam format ; tu longius re petens, oratorem tuum per omnes longe vie flexus ac latebras ab ipsis incunabulis ad supremam eloquii arcem ducis
22
.
Ciceèron est en outre l' orateur accompli, tandis que Quintilien prodigue ses conseils aux deèbutants : Placet, delectat, et mirari cogit ; eo namque aspirantibus nichil utilius. Ciceroniana claritas provectos illuminat et celsum validis iter signat, tua sedulitas ipsos quoque fovet invalidos et optima nutrix ingenio rum, lacte humili teneram pascit infantiam
23
.
L' humaniste insiste sur le roêle de peèdagogue joueè par Quintilien ; il a parfaitement perc°u qu' une grande partie de l' originaliteè et du talent de Quintilien en provient : Magnus fateor vir fuisti, sed instituendis formandisque magnis viris maximus et qui si materiam ydoneam nactus esses, te maiorem ex te facile gigneres, doctus nobilium cultor ingeniorum
21
Peètrarque,
De vita solitaria
, I, 4, 6 (Peètrarque,
24
.
La vie solitaire
, eèd. C. Carraud, Greno-
ble, 1999, p. 88) : û Je veux parler de Quintilien qui, dans le livre oué il a paracheveè avec une minutie extreême les armes donneèes par Ciceèron aé l' orateur en ajoutant boutons et ornements, parle de ce sujet et affirme [...] ý. Peètrarque cite ensuite un passage du livre X de Quintilien (
22
Inst Fam
., X, 3, 28-30).
Peètrarque,
., XXIV, 7, 4 (Rossi, vol. 4, p. 241) : û Car il fait parcourir aé son
orateur les pentes escarpeèes des proceés et les sommets les plus eèleveès de l' eèloquence et le forme aé eêtre vainqueur dans les combats judiciaires, tandis que toi, remontant plus loin, tu fais deècouvrir aé ton orateur tous les deètours et cachettes d' une longue route, partant du berceau meême de la parole pour arriver aé son sommet supreême ý.
23
Ibidem
: û Il pla|êt, il charme, il force l' admiration ; en cela il n' est nullement plus
utile aux deèbutants. L' eèclat ciceèronien illumine les orateurs avanceès et montre un chemin eèleveè aux forts, ton application encourage aussi les faibles et est la meilleure nour rice des talents : elle nourrit la jeunesse du lait de l' humiliteè ý.
24
Peètrarque,
Fam
., XXIV, 7, 7 (Rossi, vol. 4, p. 242) : û Je deèclare que tu as eèteè un
grand homme, mais le plus grand pour former et instruire les autres et, si tu avais eu la chance d' avoir un mateèriau plus favorable, tu aurais facilement fait de toi un plus grand homme encore, toi qui savais former les esprits nobles ý.
196
laure hermand-schebat
Il est fideéle en cela aé la tradition meèdieèvale qui insiste sur la fonction peèdagogique du texte de Quintilien. L' image de la meule et de l' eèpeèe (cotes, gladius), au paragraphe preèceèdent, avait deèjaé placeè Quintilien du co ê teè de la theèorie et non de la pratique de l' art oratoire : Equidem quantum hoc tuo magnifico opere collato cum eo libro quem de causis edidisti º qui idcirco non periit ut constaret etatem nostram optimarum rerum precipue negligentem, mediocrium non ita º, satis intelligentibus patet multo te melius cotis officio functum esse quam gladii et oratorem formare potentius quam prestare
25
!
Cette image de la meule (plus exactement de la pierre aé aiguiser) vient de l' Art poeètique d' Horace
26
. Associeèe aé celle de l' eèpeèe, elle per-
met aé Peètrarque d' opposer l' eèloquence de combat, qui est celle de Ciceèron, aé l' eèloquence coupeèe du forum repreèsenteèe par Quintilien. C' est aux antipodes de l' homme d' action, impliqueè dans la politique, que se situe l' eèrudit et peèdagogue qu' eètait Quintilien aux yeux de Peètrarque. Le jugement final de Peètrarque sur Quintilien rappelle d' ailleurs la supeèrioriteè de Ciceèron. Car, si, comme l' affirme Pierre de Nolhac, l' humaniste û se montre deèjaé par avance acquis aé ce culte de Quintilien, dont Lorenzo Valla sera le grand propagateur au sieécle suivant ý, û il ne saurait pourtant imaginer qu' on osera apreés la deècouverte de Poggio preèfeèrer l' auteur des Institutiones, tant pour la langue que pour la doctrine, aé Ciceèron lui-meême Quintilien
27
ý. Les notes aé son manuscrit de
teèmoignent aussi de cette
admiration
pour l' Arpinate :
û toutes les fois, ou aé peu preés, que Ciceèron est citeè dans le texte, Peètrarque le signale en marge ý. Le meilleur exemple se trouve au folio 88 de son exemplaire de Quintilien : `Nam michi videtur M. Tullius, cum se totum ad imitationem Greco rum contulisset, effinxisse vim Demosthenis, copiam Platonis, iucun ditatem Socratis [Isocratis ed.]' [Inst., X, 1, 108]
25
Peètrarque, Fam., XXIV, 7, 6 (Rossi, vol. 4, p. 242) : û Quand on compare ton bril -
lant ouvrage au livre que tu as publieè sur les proceés (qui n' a pas peèri aé la seule fin de montrer que notre eèpoque, qui ne prend nul soin de ce qu' il y a de meilleur, ne fait pas de meême pour ce qui est meèdiocre), comme il est eèvident pour les gens assez intelligents que tu as joueè le ro ê le plus de la meule que de l' eèpeèe et que tu formes un orateur avec plus d' efficaciteè que tu n' en fournis un toi-meême ! ý
26
Horace, Ars poetica, 304-308 : Ergo fungar vice cotis, acutum / reddere quae ferrum valet
exsors ipsa secandi (û Ainsi j' accomplirai la fonction de la meule, capable d' aiguiser le fer sans pouvoir elle-meême couper ý).
27
P. de Nolhac, Peètrarque et l' humanisme, vol. 2, p. 90.
peètrarque et quintilien Laus ingens et vera M. Tullii Ciceronis
197 28
.
L' humaniste se place donc aux coêteès de Quintilien comme un admirateur et disciple de leur ma|être et modeéle commun dans le domaine de l' eèloquence : Ciceèron.
Le Parisinus latinus 7720 Ce manuscrit fut acquis par Peètrarque en deècembre 1350, graêce au don de Lapo da Castiglionchio. Nous savons que l' humaniste ne l' avait plus entre les mains aé la fin de sa vie. En effet, dans la XVI, 1,
voulant
citer
un
passage
du
premier
chapitre
concernant Ciceèron dont il a oublieè les termes exacts creètaire apostolique Luca de Penna :
29
du
Senilis
livre X
, il eècrit au se-
et liber abest et verba non teneo
30
.
Le livre passa ensuite au chaêteau de Pavie, dans la bibliotheéque des Visconti, ducs de Milan : il figure sous le numeèro 656 dans l' inventaire de 1426. Il arriva en France apreés les guerres d' Italie et se trouve aujourd' hui aé la Bibliotheéque Nationale. C' est un manuscrit lacunaire, un des nombreux famille du
Bernensis
scrit ambrosien
32
31
mutili
de l' Institution
oratoire.
Il appartient aé la
dont il descend par l' intermeèdiaire d' un manu-
. Il porte les meêmes lacunes que ces deux manuscrits.
Il commence par
Nec de temporibus,
meèlecture pour
Nec de patribus
33
:
Peètrarque ne connaissait donc ni la lettre aé Tryphon, ni le prologue, ni le deèbut du premier chapitre de l' ouvrage. La deuxieéme lacune va du
quatorzieéme
chapitre
du
livre V
au
troisieéme
chapitre
du
livre VIII. Il manque une partie du sixieéme chapitre du livre VIII, ainsi que des chapitres premier et deuxieéme du livre XI. Le texte fait deèfaut aé partir du troisieéme chapitre du livre IX, jusqu' au chapitre premier du livre X. Enfin, le texte s' arreête au milieu du dixieéme chapitre du livre XII. Les deèfaillances d' autre type sont nombreuses : omissions de mots, confusions de chapitres, voire de numeèrotation de livres. Malgreè ces lacunes et erreurs, Peètrarque a donc aé sa disposition la majeure partie du texte de Quintilien.
28 29
Paris, Bibliotheéque Nationale, lat. 7720, fol. 88r. Il s' agit d' un passage du livre X (Inst., X, 1, 112) que Peètrarque a d' ailleurs annoteè
dans son manuscrit de Quintilien (voir
30
F. Petrarca,
ix
e 31 Bernensis 351, du sieécle. 32 Ambrosianus F 111 sup., du
33
Quintilien,
infra)
Opera qu× extant omnia,
Inst.,
I, 1, 6.
ix
e
:
Ille se profecisse sciat cui Cicero valde placebit.
Baêle, 1581, p. 948.
sieécle.
198
laure hermand-schebat
L' eèleèment le plus inteèressant de ce manuscrit nous semble eêtre les annotations que l' humaniste a porteèes sur ses feuillets. Les notes ont toutes le meême aspect graphique, mais ont eèteè eècrites avec diverses encres. Il est donc probable que Peètrarque a annoteè Quintilien aé des moments divers, quoique fort proches dans le temps, comme l' indiquent les traits de son eècriture, certainement dans les mois qui suivirent l' acquisition du
manuscrit
34
.
Les notes sont
nombreuses
et
teèmoignent de l' inteèreêt qu' il a porteè au texte. Les livres X aé XII comportent le plus d' annotations, alors que les livres II aé V preèsentent plusieurs feuillets priveès ou presque d' annotations. Comme aé habitude,
outre
les
notabilia
et
les
corrections
apporteèes
au
son
texte,
Peètrarque appose de nombreuses notes s' apparentant aé des commentaires. Au fil de la lecture eèmergent les preèoccupations de l' eècrivain et se dessinent quelques theémes reècurrents de ses Ýuvres, tels que la doctrine d' une imitation creèatrice ou la critique des dialecticiens. Certaines des annotations porteèes sur ce manuscrit, comme sur beaucoup d' autres d' ailleurs, sont des adresses de Peètrarque aé luimeême, dessinant une forme de monologue inteèrieur inheèrent aé la lecture : les impeèratifs audi et nota sont freèquemment employeès, seuls ou avec une apostrophe. Au folio 90, en face du passage sur l' imitation qui recommande qu' elle ne reèside pas seulement dans les mots ajoute : Lege, Silvane
36
, memoriter
37
35
, il
. Deux feuillets auparavant, il avait
eu recours aé un autre impeèratif, Audi, accompagneè de la meême apostrophe pour signaler sur son exemplaire un passage qui avait retenu son attention : `Ille se profecisse sciat cui Cicero valde placebit.' [Inst., X, 1, 112] Silvane, audi ; te enim tangit
38
.
Mais ces verbes aé l' impeèratif sont aussi l' occasion de recommandations ou de critiques. Il prodigue ses conseils aux imitateurs en geèneèral :
34 35
M. Accame Lanzillotta, Le postille del Petrarca, p. 6-7. Quintilien, Inst., X, 2, 27 : Imitatio autem (nam s×pius idem dicam) non sit tantum in uer-
bis (û Il faut que l' imitation, je le reèpeéte assez souvent, ne soit pas seulement dans les mots ý).
36
Silvanus, nom bucolique, est le surnom que Peètrarque aime aé se donner. Voir Buco-
licum carmen, X (Laurea occidens) oué
les deux interlocuteurs sont Socrates et Silvanus
(Peètrarque, Bucolicum carmen, eèd. M. Franc°ois, P. Bachmann, Paris, 2001, p. 197 -239).
37
Paris, Bibliotheéque Nationale, lat. 7720, fol. 90r. ; voir P. de Nolhac, Peètrarque et
l' humanisme, vol. 2, p. 92 et E. Norden, Die antike Kunstprosa vom bis in die Zeit der Renaissance, Leipzig, 1898, vol. 2, p. 734.
38
Paris, Bibliotheéque Nationale, lat. 7720, fol. 88r.
vi
Jahrhundert v. Chr.
199
peè trarque et quintilien
`Set etiam qui summa non adpetent, contendere pocius quam sequi debent.' [Inst., X, 2, 9] Nota, imitator
39
.
Ses annotations lui permettent de mettre en garde les eècrivains contre l' imitation servile : `Adde quod ea quae in oratore maxima sunt imitabilia non sunt, inge nium, inventio, vis, facilitas et quidquid arte non traditur.'
[Inst.,
X, 2, 12] Audi, imitator frivole
40
.
Il a toujours lui-meême pris soin, dans les passages oué il imitait un auteur antique, d' introduire une part neècessaire d' invention et d' imiter la force expressive du texte (vis) plutoêt que ses mots (verba). Cette critique s' eètend d' ailleurs aux raisonnements creux des dialecticiens, comme le refleéte une note apposeèe au folio 90
41
. Comme le souligne
Pierre de Nolhac, û dans aucun de nos manuscrits de Peètrarque ne se trouve aussi nettement marqueèe son animositeè contre la dialectique et la scolastique de son temps
42
ý. Dans ses annotations comme dans sa
correspondance, Peètrarque meéne un combat incessant contre la parole creuse en soulignant la neècessiteè de lier parole et action morale, poeètique et eèthique
43
.
Peè trarque, Quintilien et l' imitation
Les exempla chez Peètrarque posseédent d' ailleurs une fonction morale, et la manieére dont l' humaniste en fait usage dans ses Ýuvres refleéte le lien entre le dire et l' agir. L' exemple proposeè par l' eècrivain doit amener le lecteur aé une action morale ; le texte vise aé susciter une imitation
des
actions
pour
atteindre
la
vertu ;
l' exemple
posseéde
presque toujours chez Peètrarque une valeur protreptique. C' est pourquoi l' humaniste reprend aé son compte le principe d' eèmulation deèfini par Quintilien, valable dans le domaine litteèraire et dans le domaine moral. Mais dans le second, cette emulatio n' est pas sans danger : elle
39
Ibidem, fol. 89r.
40
Ibidem, fol. 89v.
41
Ibidem, fol. 90v : `et verba in labris nascentia' [Inst., X, 3, 2]. Verba in labris nascentia.
Notate, qui de quolibet disputatis, apparentes aliquid, nichil existentes.
42 43
P. de Nolhac, Peètrarque et l' humanisme, vol. 2, p. 89. Voir notamment les lettres contre les dialecticiens (Fam., I, 7 et Fam., I, 12).
200
laure hermand-schebat
peut pousser aé l' imitation des bonnes actions comme des mauvaises. Dans le De vita solitaria, le Florentin critique le principe de l' imitation et de l' eèmulation pour la conduite de la vie ; s' appuyant sur un passage de Quintilien
44
qu' il cite d' apreés son manuscrit qu' il a corrigeè
45
,
il estime que le modeéle proposeè par le rheèteur pour l' imitation litteèraire est dangereux pour l' imitation des actions : Dedit hoc preceptum, fateor, eloquentie studiosis Quintilianus, ut imitator quisque contendere quam sequi malit, ea scilicet ratione, quia forsitan, quem transire nititur, etsi non transierit, equabit. `Eum vero, inquit, nemo potest equare, cuius vestigiis sibi utique insistendum pu tat ; necesse est enim semper sit posterior, qui sequitur' ; ad hec `quod plerunque facilius est, inquit, plus facere quam idem' . Alias quoque causas affert dicti huius, que, ut illic cognitu pulcerrime, ita hic relatu supervacue sunt. Ceterum, quod utiliter in oratoria, hoc est bene or nateque loquendi arte, precipitur, ad artem male turpiterque vivendi damnabiliter est translatum et, quod ille iussit, implevimus. Contendi mus, equavimus, vicimus, iam de sequacibus duces sumus : venient, qui nos sequantur et superent, ut una eademque res varie sit. Proposita erat imitatio, edicta contentio : in utraque tibi, Quintiliane, paruimus, verum alio fine proposito ; tu verborum claritatem imitandam dicis, nos actuum tenebras imitamur
44 45 pour
46
.
Quintilien, Inst., X, 2, 9-10. Peètrarque ajoute deux mots en marge de ce passage, corrompu dans son manuscrit, eètablir
un
texte
compreèhensible :
Paris,
Bibliotheéque
Nationale,
lat.
7720,
fol. 89r. : `Nam qui [qui hoc agit ed.], ut prior sit, forsitan, etiam si non transierit, equabit.' [Inst., X, 2, 10] Scilicet nititur.
46
Peètrarque, De vita solitaria, I, 9, 13 (Peètrarque, La vie solitaire, p. 152-153) : û Quinti-
lien a donneè, il est vrai, aé ceux qui eètudient l' eèloquence, la reégle suivante : chaque imitateur preèfeére rivaliser avec son modeéle plutoêt que de le suivre, pour la raison eè vidente qu' on eègale, meême si on ne le deèpasse pas, celui qu' on s' efforce de deèpasser. `Mais on ne peut, dit-il, eègaler quelqu' un si l' on pense qu' il faut avant tout s' attacher aé ses pas. Il est en effet ineèvitable, quand on suit quelqu' un, d' eêtre toujours derrieére' ; il ajoute `qu' il est plus facile la plupart du temps de faire plus que faire de meê me' . Il avance d' autres raisons encore qu' il serait treé s bien d' aller consulter chez lui et qu' il est inutile de rapporter ici. Du reste, les preèceptes utiles pour l' art oratoire, c' est-aé-dire l' art de parler bien et de manieére orneèe, ont eèteè transposeès non sans dommage aé l' art de vivre mal et de manieére honteuse, et ce qu' il a enjoint, nous l' avons mis en pratique. Nous avons eèteè rivaux, puis eègaux, victorieux enfin ; de suiveurs que nous eètions, nous sommes deèsormais guides, d' autres viendront pour nous suivre et nous deè passer : toujours la meême situation malgreè les variations. On nous avait proposeè l' imitation, on nous avait ordonneè la rivaliteè : pour l' une comme pour l' autre, nous t' avons obeè i, Quintilien, mais aé une autre fin ; toi, tu dis qu' il faut imiter l' eèclat des mots, nous, nous imitons les teèneébres des actions ý.
peètrarque et quintilien Peètrarque distingue l' ars
loquendi
et l' ars
vivendi.
tions est plus dangereuse que l' imitation litteèraire
201 L' imitation des ac47
. Elle impose une
plus grande prudence dans le choix des modeéles. Peètrarque perc°oit les limites de l' application d' un modeéle rheètorique aé une question pratique, soulignant ainsi un point de tension entre la rheètorique et la philosophie. Une autre lettre, la
Familiaris
XXII, 10, traite des litteèra-
tures pa|ëenne et chreètienne et pose le probleéme du ro ê le des auteurs classiques pa|ëens dans la conduite de la vie. Peètrarque la conclut en reèservant au domaine rheètorique, celui du style, l' imitation de ces derniers ; il faut, dit-il, preèfeèrer les autoriteès chreètiennes pour l' imitation des actions. La conception peètrarquienne de l' imitation litteèraire puise donc aux sources latines classiques. Quintilien est un des principaux auteurs auxquels se reèfeére Peètrarque pour l' exposeè de sa theèorie de l' imitation au sein de sa correspondance. L' image de la digestion, comme celle des abeilles, vise aé deècrire la transformation par l' imitateur de la matieére qu' il imite
48
. Dans une lettre aé Lucilius, Seèneéque, pour com-
pleèter l' image des abeilles, dresse un paralleéle entre la nourriture du corps (in
corpore nostro)
et la nourriture de l' esprit (in
his quibus aluntur
ingenia) : Quod in corpore nostro uidemus sine ulla opera nostra facere naturam º alimenta qu× accepimus, quamdiu in sua qualitate perdurant et so lida innatant stomacho, onera sunt ; at cum ex eo, quod erant, mutata sunt, tunc demum in uires et in sanguinem transeunt º, idem in his quibus aluntur ingenia pr×stemus, ut qu×cumque
hausimus,
non patia-
mur integra esse, ne aliena sint. Concoquamus illa ; alioquin in me moriam ibunt, non in ingenium
47
Peètrarque,
De vita solitaria,
49
.
I, 9, 15 (Peètrarque,
actuum viteque periculosior imitatio sit, [...]
La vie solitaire,
p. 154-155) :
Quamvis
(û Bien que l' imitation des actions et de la vie
soit plus dangereuse, [...] ý).
48
Sur l' image de la digestion, voir G. W. Pigman III, û Versions of imitation in the
Renaissance ý,
Classical Quarterly,
33 (1980), p. 1-32, en part. p. 6-9 ; T. M. Greene,
Light in Troy. Imitation and Discovery in Renaissance Poetry,
The
New Haven-Londres, 1982,
p. 98-99. Pour une liste des auteurs de l' Antiquiteè et de la Renaissance qui utilisent cette image (avec reèfeèrences preècises des textes), voir G. W. Pigman III, û Versions of imita tion ý, p. 8, n. 13.
49
Seèneéque,
Epist.,
84, 5-7 : û Le processus que nous voyons reè aliseè dans notre corps
par la nature sans aucune intervention de notre part, º les aliments absorbeès, tant qu' il se conservent tels quels, tant qu' ils nagent aé l' eètat solide dans l' estomac, sont une charge pour l' organisme, mais une fois leur transformation accomplie, c' est alors qu' ils devien nent de la force et du sang º, ce meême processus, mettons-le en Ýuvre pour la nourriture de l' esprit : tout ce que nous avons avaleè , ne le laissons pas demeurer intact de peur qu' il ne nous reste eètranger. Digeèrons la matieére ; autrement elle passera dans notre meè moire, non dans notre esprit ý.
202
laure hermand-schebat
La digestion figure un processus d' appropriation de la matieé re exteèrieure aé l' individu que sont ses lectures : ce qui eètait exteèrieur devient inteèrieur, ce qui eètait eètranger aé soi devient personnel et meême intime. Quintilien eèvoque aussi, dans les deux chapitres qu' il consacre aé l' imitation au deèbut du livre X de l' Institution
oratoire,
le processus de
digestion qui se situe entre la lecture et l' eècriture et qui permet une imitation creèatrice : Repetamus autem et tractemus, et, ut cibos mansos ac prope liquefac tos demittimus, quo facilius
digerantur,
ita lectio non cruda, sed multa
iteratione mollita et uelut confecta memori× imitationique tradatur
50
.
Peètrarque, comme aé son habitude, meêle le vocabulaire des deux textes, pour proposer de l' image de la digestion une version nouvelle et personnelle. La
Familiaris
XXII, 2 contient ce passage ceèleébre ou é
l' humaniste proclame son amour des auteurs antiques dont il a lu et relu les textes : Legi apud Virgilium apud Flaccum apud Severinum apud Tullium ; nec semel legi sed milies, nec cucurri sed incubui, et totis ingenii nisi bus immoratus sum ; mane comedi quod sero quod senior
ruminarem.
modo memorie sed
digererem, hausi
Hec se michi tam familiariter
medullis affixa
ingessere
puer
et non
sunt unumque cum ingenio facta
sunt meo, ut etsi per omnem vitam amplius non legantur, ipsa qui dem hereant, actis in intima animi parte radicibus, sed interdum obli viscar auctorem, quippe qui longo usu et possessione continua quasi illa prescripserim diuque pro meis habuerim, et turba talium obsessus, nec cuius sint certe nec aliena meminerim
50
Quintilien,
Inst.,
51
.
X, 1, 19 : û Revenons-y et reprenons-le [i.e. le meême passage], et
s' il faut que les aliments soient broyeè s et presque en bouillie, quand nous les avalons, afin de faciliter la digestion, ce que nous lisons ne doit pas eê tre confieè tout brut aé la meèmoire en vue d' eêtre imiteè, mais, par de freèquentes reprises, doit eêtre malaxeè et, pour ainsi dire, digeèreè ý.
51
Peètrarque,
Fam.,
XXII, 2, 12-13 (Rossi, vol. 4, p. 106) : û J' ai lu du Virgile, de
l' Horace, du Boeéce et du Ciceèron ; je ne les ai pas lus qu' une fois, mais mille, je ne les ai pas parcourus mais je m' y suis plongeè, et je m' y suis arreêteè, usant de toutes les forces de mon esprit ; je les ai mangeès le matin pour les digeèrer le soir, je les ai avaleès dans mon enfance pour les ruminer dans ma vieillesse. Leurs mots se sont installeè s intimement en moi, se sont fixeès non seulement dans ma meèmoire mais dans ma moelle pour ne faire qu' un avec mon esprit, au point que, sans que je les lise davantage tout au long de ma vie, ils resteront en moi, car ils ont pris racine au fond de mon aê me ; et parfois j' en oublie l' auteur parce que, suite aé une longue pratique et aé une impreègnation permanente, je les ai comme eècrits avant lui et pris pour miens depuis longtemps si bien qu' assieè geè par cette foule, je ne me rappelle plus de qui ils sont, ni meê me qu' ils sont d' un autre ý.
peètrarque et quintilien
203
Le verbe digerere est un eècho discret de Quintilien (Peètrarque prend toutefois soin d' utiliser dans la phrase suivante un autre composeè , in-
gerere, produisant ainsi un effet de variation), le verbe haurire eètait employeè par Seèneéque dans le meême contexte, le verbe ruminare eèvoque la lecture meèditative de la Bible pratiqueèe par les moines au Moyen ê ge : c' est une imitation eèclectique que Peètrarque pro A ê ne et pratique. L' image de la moelle se trouvait deèjaé dans deux lettres de Ciceèron et dans
une
de
Seèneéque
52
:
l' expression
peètrarquienne
medullis affixa
marque tout aé la fois sa ressemblance et sa diffeèrence avec le syntagme seèneèquien fixam potius medullis. Peètrarque met donc en Ýuvre dans son style cette opeèration de transformation figureèe par la digestion. Et Quintilien, aux coêteès de Ciceèron et de Seèneéque, vient prendre place parmi les auteurs latins sur lesquels Peètrarque appuie sa theèorie de l' imitation. La manieére meême dont il travaille et reèeècrit ses textes modeéles reèveéle une mise en pratique immeèdiate et rigoureuse des principes de l' imitation qu' il proêne dans ses lettres : c' est nourri de toutes ses lectures que l' eècrivain doit composer sa propre Ýuvre. Peètrarque deèveloppe l' image de la digestion pour deècrire cette innutrition : il s' est lui-meême sans cesse nourri (comedi, hausi) de ses lectures diverses. Sa freèquentation reèpeèteèe des auteurs latins lui a permis de les assimiler progressivement, de les digeèrer (digererem, ruminarem). Le verbe innutrire, quoique absent des trois lettres sur l' imitation, est employeè dans deux autres Familiares
53
. Dans ces deux occurrences, le
verbe est employeè en rapport avec l' impreègnation des textes. Peètrarque emprunte le terme aé Seèneéque
54
et sa conception de l' innutri-
tion exerce une influence durable aé la Renaissance. Politien et E è rasme
52
Ciceèron, Att., XV, 4, 3 : qu× mihi sunt inclusa medullis (û qui sont enfermeès dans ma
moelle ý) ; Ciceèron, Fam., XV, 16, 2 : te, qui mihi h×res in medullis (û toi qui es ficheè dans ê te-lui plutoêt ma moelle ý) ; Seèneéque, Epist., 94, 6 : Fixam potius medullis famem detrahe (û O la faim logeèe dans sa moelle ý).
53
Voir Peètrarque, Fam., X, 6, 2 (Rossi, vol. 2, p. 318) : Tu quidem, etsi procul ab orbe ro-
mano genitus romano tamen innutritus eloquio, [...] (û Il est vrai que toi qui, quoique neè loin du monde romain, as eèteè nourri de l' eèloquence romaine, [...] ý) ; XXIII, 18, 2 (Rossi, vol. 4, p. 202) : si his tantum animum studiis innutrisset [...] (û si tu n' avais nourri ton esprit que de ces eètudes [...] ý).
54
Seèneéque, Epist., 2, 2 : Illud autem uide, ne ista lectio auctorum multorum et omnis generis
uoluminum habeat aliquid uagum et instabile. Certis ingeniis inmorari et innutriri oportet, si uelis aliquid trahere, quod in animo fideliter sedeat. Nusquam est qui ubique est (û Veille toutefois aé ce que cette lecture de nombreux auteurs et de livres de toute sorte n' ait pas un caracteé re flottant et instable. Il faut s' arreêter sur des talents reconnus et s' en nourrir, si l' on veut en retirer quelque chose qui s' installe fermement dans l' aê me. Il n' est nulle part celui qui est partout ý). Chez Ciceèron, c' est l' image du haêle de la peau provoqueè par le soleil qui est utiliseèe pour deècrire l' impreègnation des textes modeéles : voir Ciceèron, De orat., II, 59-60.
204
laure hermand-schebat
utilisent eux aussi l' image de la digestion et les poeétes franc°ais du
xvi
e
sieécle tels que Joachim Du Bellay reprennent aé leur compte le concept d' innutritio introduit par Peètrarque
55
. Le septieéme chapitre du premier
livre de la Deèfense et illustration deèveloppe les images de la nourriture
5
et de la digestion : Les Romains
4
Immitant les meilleurs Aucteurs Grecz, se transfor -
mant en eux, les devorant, et apres les avoir bien digerez, les conver tissant en sang, et nourriture, se proposant chacun selon son Naturel, et l' Argument qu' il vouloit elire, les meilleur Aucteur, dont ilz obser voint diligemment toutes les plus rares, et exquises vertuz, et icelles comme Grephes, ainsi que j' ay dict devant, entoint, et apliquoint aé leur Langue
56
.
Le concept d' innutrition, auquel le poeéte franc°ais ajoute l' image de la greffe, est au cÝur de l' imitation selon Du Bellay
57
. Peètrarque ap-
para|êt ainsi comme l' initiateur de la conception de l' imitation creè atrice aé la Renaissance. Seèneéque et Quintilien, unis dans le Triomphe de la Renommeèe
58
, sont
aussi associeès par Peètrarque et par les hommes de la pleine Renaissance pour l' eèlaboration d' une doctrine de l' imitation qui allie impreègnation et creèation, reèeècriture et invention, theèorie que Peètrarque n' a cesseè de mettre en pratique dans l' eècriture de ses Ýuvres tant latines qu' italiennes.
55
Sur l' innutrition chez Joachim Du Bellay, voir Poeètiques de la Renaissance : le modeéle
italien, le monde franco-bourguignon et leur heèritage en France au
xvi
e
sieécle, eèd. P. Galand-
Hallyn, F. Hallyn, Geneéve, 2001, p. 138-139, 468-469.
56
Joachim Du Bellay, Deffence et illustration de la langue franc°oyse, I, 7 ( J. Du Bellay,
Deffence et illustration de la langue franc°oyse (1549), eèd. J.-C. Monferran, Geneéve, 2001, p. 91).
57
Sur l' innutrition chez Du Bellay, en relation avec sa pratique de l' imitation de
Ciceèron, voir J. Vignes, û De l' autoriteè aé l' innutrition : Seèbillet et Du Bellay, lecteurs de Ciceèron ý, dans L' autoriteè de Ciceèron de l' Antiquiteè au
xviii
e
sieécle. Actes de la Table Ronde or-
ganiseèe par le Centre de recherches sur les classicismes antiques et modernes (Universiteè de Reims, 11 deècembre 1991), eèd. J.-P. Neèraudau, C×n, 1993, p. 79-92. Jean Vignes deèmontre comment chez le poeéte franc°ais û Ciceèron n' est plus (ou plus seulement) autoriteè, mais modeéle et nourriture ý (ibidem, p. 82). Ayant fait le choix de la langue franc° aise et ainsi repousseè la tentation ciceèronienne, û Du Bellay peut convertir son admiration pour Ciceè ron et sa familiariteè avec son Ýuvre en un principe actif, source d' une nouvelle pratique creè atrice. C' est le principe meême de l' innutrition [...]. Dans cette nouvelle perspective, Du Bellay ne cite plus Ciceèron, il n' y recherche plus la caution de son discours, mais parle par sa bouche et fait sienne son eèloquence ý (ibidem, p. 86-87). L' innutrition de Ciceèron lui permet une eècriture pleinement personnelle : û c' est quand Du Bellay para|ê t le plus personnel qu' il est le plus ciceèronien, empruntant aé Ciceèron ce qui le caracteèrise le mieux : un style, un mouvement de la phrase, un balancement, un rythme ý (ibidem, p. 91).
58
Voir l' extrait de ce poeéme citeè en exergue de cet article.
peètrarque et quintilien
205
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e
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L AT I N I TAT E S
John
Nassichuk
ÂS QUINTILIEN DANS LES TRAITE ÂDAGOGIQUES DU QUATTROCENTO PE La redeècouverte de la penseèe entieére de Quintilien constitue, aé plusieurs eègards, une investigation philologique propre au Quattrocento. La lecture attentive d' humanistes aussi eèminents que le sont Ange Politien seurs
1
et Lorenzo Valla
2
et
eètudieérent
philologues
refleéte l' inteèreêt avec lequel les meilleurs penun
auteur
que
les
geèneèrations
3
preèceèdentes n' avaient connu que partiellement . Meême la critique acerbe aé l' endroit de Quintilien, qui appara|êt sous la plume de Giovanni Pontano ture
attentive.
4
5
et de Georges de Treèbizonde , teèmoigne d' une lecCette
attention,
tantoêt
critique,
tantoêt
admirative,
montre eègalement la relative nouveauteè d' une exeègeése approfondie de l' Institution oratoire. Seule, en effet, la disponibiliteè du texte inteègral pouvait restituer au nom de Quintilien le geènie particulier de son Ýuvre. Dans la conclusion de ses Recherches sur Quintilien, Jean Cousin note aé cet eègard que û la persistance de l' Ýuvre de Quintilien et la ê ge et pendant la Renaisfreèquence des copies du texte au Moyen A sance appellent la reèflexion : si l' Institution a eèteè pendant les premiers ê ge une source de l' enseignement de la parole, si sieécles du Moyen A les conseils geèneèraux que l' on tentait d' en extraire pouvaient servir aé une sorte de pareèneètique, il est apparu qu' avec l' eèvolution des ideèes et
1
A. Politien, Oratio super Fabio Quintiliano et Statii Sylvis, dans Prosatori latini del Quat-
trocento, eèd. E. Garin, Milan, 1952, p. 869 sq.
2
L. Valla,
Le
postille
all' Institutio
oratoria,
eèd.
L. Cesarini
Martinelli,
A. Perosa,
Padoue, 1996.
3
H. F. Harding, û Quintilian' s Witnesses ý, dans Historical Studies of Rhetoric and Rheto-
ricians, eèd. R. F. Howes, Ithaca NY, p. 91 : û The Institutio was well known and well regarded throughout the Middle Ages, even when it could be read only in fragments ý.
4
Voir les remarques de Pardus dans le dialogue intituleè Antonius. Cf. G. Pontano, Dia-
loge, trad. et eèd. H. Kiefer, H.-B. Gerl, K. Thieme, Munich, 1984, p. 164 sq.
5
J. Monfasani, George of Trebizond. A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic,
Leiden, 1976, p. 262 sq.
207
john nassichuk
208
dans les conflits susciteès par l' aristoteèlisme et l' antiaristoteèlisme, la rheètorique et la dialectique sont entreèes dans le conflit et sont meême devenues,
interpreèteèes
et
discuteèes,
des
enjeux
des
batailles
6
ý.
Les
preèoccupations de chaque eèpoque sont susceptibles, on le sait, de deèfigurer la penseèe des autoriteès anciennes dont ils se reèclament. Meèconnu en raison de l' eètat fragmentaire dans lequel il fut transmis aux eèrudits 7
de l' eèpoque meèdieèvale , l' ouvrage de Quintilien a pu parfois alimenter des discussions, voire des poleèmiques, plus ou moins eèloigneèes de son propos essentiel. La
preèsente
eètude
examinera
l' eèmergence,
pendant
la
premieére
moitieè du Quattrocento, d' une modaliteè de reèfeèrence aé Quintilien qui teèmoigne d' un niveau de renseignement toujours plus preècis sur le contenu de l' Institution oratoire. Il s' agit d' eètudier un corpus de textes dont le genre, celui du traiteè peèdagogique, conna|êt une veèritable peèriode de gloire au
xv
e
sieécle. La reèflexion intense sur l' eèducation des
enfants et des adolescents constitue meême l' un des eèleèments caracteèris8
tiques de l' humanisme de l' eèpoque . Le traiteè de Quintilien, qui 9
comporte une theèorie peèdagogique soigneusement construite , n' a cesseè d' exercer une influence directe sur ce deèveloppement au sein de la culture humaniste, de teneur aé la fois litteèraire et philosophique, dont l' importance devait s' aveèrer tout aé fait majeure dans l' histoire de l' eèducation en Europe
10
.
Le corpus de notre eètude se limite aé trois textes fondamentaux, examineès suivant leur ordre chronologique : le De ingenuis moribus et libe-
ralibus adulescentiae studiis liber, de Petrus Paulus Vergerius (c. 1403), le De educatione liberorum, de Maffeus Vegius (1444), et le De liberorum educatione, d' Aeneus Sylvius Piccolomini (1450). Il conviendra de 6 7
J. Cousin, Recherches sur Quintilien : manuscrits et eèditions, Paris, 1975, p. 167. Voir aé ce sujet B. L. Ullman, û Classical Authors in Medieval Florilegia ý, Classical
Philology, 27 (1932), p. 1-42 ; A. Mollard, û La diffusion de l' Institution oratoire au
xii
e
ê ge, 44 (1934), p. 161-175 ; P. S. Boskoff, û Die Institutio oratoria des Quinsieécle ý, Moyen A tilians im Mittelalter ý, Philologus, 34 (1934), p. 439-483 et, du meême auteur, û Quintilian in the Late Middle-Ages ý, Speculum, 27 (1952), p. 71-78 ; P. Lehmann, û Die Institutio ora-
toria des Quintilianus im Mittelalter ý, dans Erforschung des Mittelalters, t. II, Stuttgart, 1959, p. 1-28.
8
La bibliographie sur l' eèducation aé la Renaissance est consideèrable. Voir l' aperc°u cri-
tique qu' en donne R. Black dans son ouvrage important, Humanism and Education in
Renaissance Italy, Cambridge, 2001, û Introduction ý. Voir aussi P. Grendler, Schooling in Renaissance Italy : Literacy and Learning, 1300-1600, Baltimore-London, 1989.
9
Voir aé ce sujet G. G. Bianca, La pedagogia di Quintiliano, Padoue, 1963 ; E. Zundel,
Lehrstil und rhetorischer Stil in Quintilians Institutio oratoria, Frankfurt am Main, 1981.
10
R. W. Bushnell, A Culture of Teaching : Early Modern Humanism in Theory and Prac-
tice, Ithaca et Londres, 1996.
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 209 montrer que le caracteére pratique de cette reèflexion sur la peèdagogie, l' eèventail des conseils concrets, s' accro|êt selon que les humanistes incorporent la penseèe de Quintilien dans leurs propres eècrits sur le sujet. Cette pratique de l' emprunt direct, qui atteint son apogeèe dans le traiteè
de
Piccolomini,
s' explique, pour
partie, d' un accroissement
progressif de la disponibiliteè du texte ancien ; ainsi Piccolomini eècritil, de toute eèvidence, avec une copie de l'
Institution oratoire
sous la
main. Or, la disponibiliteè grandissante du traiteè de Quintilien ne suffit pas seule aé expliquer les diffeèrences parfois consideèrables entre les trois auteurs quant aé l' emploi de cette source deèsormais essentielle. Le
pus
cor-
eètudieè embrasse une peèriode de quarante-sept ans, entrecoupeèe par
la ceèleébre û redeècouverte ý, par le Pogge, du manuscrit de l'
oratoire
(1417)
11
sous
sa
forme
inteègrale
dans
le
monasteére
de
Institution
Saint-Gall
. Il est donc possible d' expliquer en termes purement chrono-
logiques le niveau de preècision relative des reèfeèrences aé Quintilien et de l' imitation de son traiteè. En meême temps, les trois textes repreèsentent des modes d' emploi diffeèrents de la source. Ce qui reèunit les trois textes, c' est bien une uniformiteè au niveau des theémes et des topiques. Dans les trois cas, l' imitation de Quinti lien sert une initiative d' eècriture consciemment geèneèrique, rigoureusement fideéle aé un nombre limiteè de motifs consacreès. C' est ainsi que presque tous les emprunts aé Quintilien proviennent du premier livre de l'
Institution
. Tout se passe en effet comme si ce premier livre ser-
vait, seul ou aé peu preés, de modeéle aux humanistes. La forme du traiteè peèdagogique a eèteè introduite au deèbut du
Quattrocento
par Vergerius,
qui, s' inspirant vraisemblablement d' Ýuvres meèdieèvales comme le
eruditione filiorum nobiliorum
De
de Vincent de Beauvais, composa un essai
entieérement consacreè aé l' eèducation. Dans le texte de Vergerius, connu pour sa reèflexion remarquable sur la valeur de la lecture et du savoir historique, l' influence de Quintilien se manifeste deèjaé par endroits. Les successeurs de Vergerius preèserveront la meême forme de traiteè. Ils approfondiront aussi plusieurs theémes introduits par lui, en y apportant des eèleèments puiseès dans une varieèteè de textes et notamment dans celui de Quintilien. C' est bien aé partir de ces topiques reècurrents que Vegius et Piccolomini eèlaborent, chacun aé sa manieére, leurs theèories de l' eèducation.
11
terly
M. Winterbottom, û Fifteenth-Century Manuscripts of Quintilian ý,
, 17 (1967), p. 339-369.
Classical Quar-
john nassichuk
210
Vergerius L' auteur du premier traiteè peèdagogique composeè en latin au Quattrocento
fut
l' humaniste
Vergerius. Veèritable
originaire
de
Capodistria,
pionnier de ce genre
Petrus
de la prose
Paulus
humaniste,
Vergerius laissa aé la posteèriteè une Ýuvre diverse, comprenant une large correspondance, une traduction du Gorgias de Platon et une comeèdie, intituleèe Paulus, sur la vie estudiantine aé son eèpoque, reèdigeèe sur le modeéle de Teèrence. Il fut aussi un partisan fervent des studia humanitatis, enseignant aé l' universiteè de Bologne pendant les anneèes 1388 aé 1390 avant de matriculer et d' enseigner aé Padoue. Le traiteè ceèleébre qu' il eècrivit pendant les premieéres anneèes du
xv
e
sieécle, intituleè De in-
genuis moribus et de liberalibus adulescentiae studiis ac moribus, teèmoigne de cette conviction de peèdagogue ainsi que d' une grande passion pour l' eètude des langues anciennes. Il constitue meême, selon certains historiens, autant un manifeste humaniste qu' une veèritable reèflexion meèthodique
sur
l' eèducation
12
.
Ce
traiteè
fut
largement
connut de nombreuses eèditions aé l' eèpoque de Vergerius
disseèmineè 13
et
. L' attention
minimale que les chercheurs modernes lui ont accordeèe a souligneè, en effet, moins la geneése de l' Ýuvre que l' influence qu' il exerc°a sur ses lecteurs contemporains et leurs heèritiers immeèdiats. Guarino Veronese lui-meême l' aurait employeè comme texte d' enseignement. Le traiteè de Vergerius est le seul ouvrage moderne citeè aé co ê teè des auteurs antiques dans le compendium d' observations sur l' eèducation des enfants publieè vers la fin du Quattrocento par Antonio Mancinelli (1452-1506), qui regroupe des citations d' une varieèteè de textes anciens latins et grecs
14
.
Dans le domaine de l' histoire de la peèdagogie, la critique a surtout noteè l' importance de Vergerius pour les deux geèneèrations qui l' ont suivi, y compris celle d' E è rasme. C' est sans doute en raison de la date preècoce de ce traiteè peèdagogique que les historiens qui se sont inteèresseès aux sources de Vergerius ont peu consideèreè la question de l' influence de Quintilien. Reècemment J. McManamon, aé titre d' exemple, a consacreè au De ingenuis moribus un chapitre entier de son excellente biographie de Vergerius,
12
E. Garin, L' eèducation de l' homme moderne. La peèdagogie de la Renaissance, 1400-1600,
trad. J. Humbert, Paris, 1968, p. 115 sq.
13
Voir D. Robey, û Humanism and Education in the early Quattrocento : the De in-
genuis moribus of P. P. Vergerio ý, Bibliotheéque d' Humanisme et Renaissance, 42/1 (1980), p. 27-58.
14
A. Mancinelli, De parentum cura in liberos. Ad D. Justinum Carosium. De Filiorum erga
parentes Obedientia, Honore et Pietate, Strasbourg, 1512, fol. xix v
o
(1
e
eèd. : Milan, 1505).
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 211 sans toutefois mentionner l' Institution oratoire. Il est vrai que l' acheévement du traiteè preèceéde de presque quinze ans la fameuse û deècouverte ý, par le Pogge, du manuscrit complet de l' Institution oratoire dans le monasteére de Saint-Gall en 1416. Mais il semble raisonnable de croire que Vergerius aurait eu acceés aé un plus grand nombre de textes rares que ne l' avaient eu ses preèdeècesseurs parmi les humanistes. Aussi devait-il compter parmi les nombreux beèneèficiaires en Italie des dernieéres recherches et trouvailles de Peètrarque qui, comme l' a rappeleè Jean Cousin, acquit tardivement une connaissance du grand texte de Quintilien
15
. Une telle supposition semble d' autant plus probable
que Vergerius, voyageur inlassable dans la queête de nouveaux manuscrits, figure parmi les plus dynamiques des humanistes itineè rants. La lecture comparative de son traiteè et de l' Institution oratoire reèveéle en effet plusieurs lieux de rapprochement. Elle laisse deècouvrir aussi quelques reècurrences verbatim, ce qui suggeére que Vergerius avait, sinon une connaissance directe du texte ancien, du moins une familiariteè avec les topiques preèserveès au sein d' une tradition fragmentaire. Les ideèes de Vergerius sur l' eèducation primaire ressemblent de preés aé celles de Quintilien. Selon les deux auteurs, il convient de commen cer la formation intellectuelle de l' enfant, non pas aé l' aêge de sept ans comme c' est souvent recommandeè par les auteurs antiques, mais aussitoêt que possible et meême deés le berceau. Pour Quintilien, û le temps gagneè deés la premieére enfance (in infantia) en constitue autant d' acquis sur l' adolescence
16
ý. Pour Vergerius, û il convient de se former aé la
vertu et aé la gloire aé partir de la premieére enfance (a prima infantia), et de se preèparer aé la sagesse avec son meilleur effort ý. Sur ce point, l' humaniste propose une explication qui le rapproche de l' Institution
oratoire. û Nous devons y insister, deèclare-t-il, d' autant plus que cet aêge, plus que d' autres, est ouvert aé l' instruction
17
ý. Quintilien, il est
vrai, parle avec plus de preècision sur le genre d' exigence qu' il faut imposer aux treés jeunes eèleéves. Il traite non de l' apprentissage en
15
J. Cousin, Recherches sur Quintilien, p. 42. Voir aussi B. G. Kohl, û Mourners of
Petrarch ý, dans Francis Petrarch, Six Centuries Later : A Symposium, eèd. R. F. Howes, Chapel Hill et Chicago, 1975 (North Carolina Studies in the Romance Languages and Litera-
tures), p. 340-352.
16 Inst.,
I, 1, 19 : [...] quantum in infantia praesumptum est temporis, adulescentiae adquiritur.
Toute citation de l' Ýuvre de Quintilien se reè feére aé l' eèdition procureèe par J. Cousin, Paris, 1975.
17
P. P. Vergerius, De ingenuis moribus,
26 :
Atque eo magis tunc insistendum, quo aetas illa
eruditioni aptior est quam ceterae [...]. Toute citation de ce traiteè se reèfeére aé l' eèdition reècente procureèe
par
C. Kallendorf,
dans
Humanist Educational Treatises, Cambridge MA et
Londres, 2002 (I Tatti Renaissance Library), p. 2-87.
john nassichuk
212 geèneèral,
mais
de
la
meèmoire
en
particulier.
û Ne
gaspillons
pas
d' embleèe, conseille-t-il, les premieéres anneèes, d' autant plus que les deèbuts de la formation reposent sur la seule meèmoire, que les petits enfants en ont deèjaé, et que c' est meême aé cet aêge qu' elle est la plus fideéle
18
ý. Mais la similitude de leurs remarques sur le premier stade de
l' eèducation teèmoigne d' une reèelle proximiteè des ideèes, suggeèrant du coup un rapport d' influence au moins indirecte entre l' auteur ancien et l' humaniste heèritier de Peètrarque et de Salutati. Quant au niveau de preècision technique avec laquelle Vergerius et Quintilien reèfleèchissent aux principes fondamentaux de l' eèducation primaire, la diffeèrence d' optique refleéte un clivage plus essentiel qui seèpare les deux auteurs. Quintilien esquisse un programme visant uni quement la formation de l' orateur. Vergerius deècrit une eèducation qui, embrassant plusieurs domaines de la vie y compris le maniement des armes, preèparera le jeune prince aé la taêche de gouverner avec jugement et de se battre avec courage. Il insiste, plus que ne le fait Quintilien, sur la diffeèrence fondamentale, pour lui inconciliable, entre deux sortes d' esprit : l' esprit bas et vulgaire, et l' esprit noble. û Ainsi, de meême que le gain et le plaisir constituent une fin en soi pour les esprits vulgaires, de meême la vertu et la gloire sont le terme deèsireè des esprits nobles
19
ý.
Cette reèflexion sur les diffeèrentes sortes d' esprit que l' on peut identifier meême chez les treés jeunes eèleéves, proceéde chez Vergerius d' une annonce de principe : û il conviendra que nous nous adonnions en par ticulier aé ces eètudes auxquelles nous sommes naturellement enclins, et que tout notre effort y soit consacreè
20
ý. Ici, Vergerius reproduit une
reèflexion de Quintilien, qui, au livre II de l' Institution oratoire, insiste sur la neècessiteè de favoriser un enseignement propre aé deèvelopper les aptitudes naturelles de chaque eèleéve
21
. Quintilien eèlabore ce principe
en le citant comme une tendance geèneèralement rec°ue des peèdagogues. Mais il y attache une explication dans laquelle il alleégue l' immense diversiteè des esprits : û Car les dons ont une varieèteè vraiment incroyable et la diversiteè des esprits n' est gueére moindre que celle des corps
18 Inst.,
22
ý.
I, 1, 19 : Non ergo perdamus primum statim tempus, atque eo minus quod initia littera-
rum sola memoria constant, quae non modo iam est in parvis, sed tum etiam tenacissima est.
19
P. P. Vergerius, De ingenuis moribus, 23 : Nam ut illiberalibus ingeniis lucrum et voluptas
pro fine statuitur, ita ingenuis virtus et gloria.
20 Ibidem,
5 : [...] et in quas res natura proni aptique fuerimus, eo potissimum studia nostra con-
ferri et in eis totos versari conveniet.
21 Inst., 22 Inst.,
II, 8, 1 et 3. II, 8, 1 : Nam est in hoc incredibilis quaedam varietas nec pauciores animorum paene
quam corporum formae.
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 213 Vergerius, pour sa part, suit Quintilien dans l' adheèsion au principe de renforcer les dons particuliers de chaque eèleéve, sans reproduire sa reèé celle-ci, il substitue une nouvelle flexion sur la diversiteè des esprits. A reèfeèrence aé l' Institution oratoire, puiseèe cette fois dans le chapitre 3 du premier livre ou é l' auteur deècrit les signes auxquels on peut distinguer les aptitudes naturelles d' un enfant. û D' une manieére geèneèrale, deèclare Vergerius, le premier indice d' un esprit libre est qu' il est motiveè par le deèsir de la louange et qu' il bruêle de l' amour de la gloire ; c' est la source d' une certaine noble envie et d' un effort, sans animositeè, pour attirer eèloges et approbation presque identique
24
23
ý. La remarque ceèleébre de Quintilien est
.
Le traiteè de Vergerius teèmoigne de l' influence profonde qu' exerc°ait, deés l' aube du Quattrocento et sans doute bien avant cette eèpoque, le portrait psychologique de l' enfance dans l' Institution oratoire. Or, les traits de la penseèe de Quintilien ne sont pas limiteès au seul tableau de l' enfance studieuse. Ainsi, Vergerius suit de preés le raisonnement de Quintilien lorsqu' il reèfleèchit aux principes fondamentaux des eètudes litteèraires. On peut citer aé ce titre son insistance sur l' importance de donner au jeune eètudiant le meilleur ma|être possible deés les premiers moments de son eèducation. Selon Vergerius, ce serait une erreur, dans l' apprentissage des rudiments, de se contenter d' un ma|être meèdiocre en attendant que l' esprit de l' enfant muêrisse avant de le confier aux preècepteurs les plus distingueès. Aussi faudrait-il, en eètablissant le programme des eètudes, pratiquer quelque discernement quant au choix des lectures : Avant tout, il convient de remarquer que l' on doit apprendre des meilleurs enseignants, non seulement les preèceptes qui se transmettent aux eèleéves avanceès, mais aussi les premiers eèleèments des arts, et qu' il ne faut pas approfondir sans discreètion n' importe quels auteurs, mais qu' il faut privileègier les meilleurs. C' est ainsi que Philippe, le roi des Maceèdoniens, souhaita que son fils apprenne ses premieé res lettres sous la feèrule d' Aristote
23
25
.
P. P. Vergerius, De ingenuis moribus, 6 : Omnino autem liberalis ingenii primum argumen-
tum est studio laudis excitari incendique amore gloriae, unde oritur generosa quaedam invidia et sine odio de laude probitateque contentio.
24 Inst., 25 P. P.
I, 3, 6-7. Vergerius, De ingenuis moribus, 49 : [...] ante omnia animadvertendum, quod non
modo majora illa praecepta quae provectioribus traduntur, sed et prima quoque artium elementa ab optimis praeceptoribus accipere convenit, et ex auctoribus librorum, non quibuslibet passim immorari, sed optimis. Qua ratione et Philippus, rex Macedonum, primas litteras ab Aristotele discere Alexandrum voluit.
john nassichuk
214
Cette remarque refleéte avec clarteè l' influence de trois passages dans l' Institution
oratoire.
En soulignant l' importance de faire commencer les
eètudes aé son enfant aupreés des meilleurs ma|êtres possibles, Vergerius suit
l' argument
de
Quintilien
qui
se
leéve
contre
l' ideèe
que
les
ma|êtres moins eèminents conviennent au premier stade des eètudes L' anecdote
sur
l' eèducation
d' Alexandre
de
Maceèdoine
26
.
reproduit
l' exemplum employeè par Quintilien dans les premiers paragraphes de son traiteè
27
. Vergerius l' amplifie en y ajoutant une remarque sur le
choix de lectures pour les jeunes eèleéves qui s' inspire vraisemblablement de la reèflexion du rheèteur ancien sur ce theéme au chapitre 8 du premier livre
28
. Cette pratique de la û contamination ý de plusieurs
passages bien divers au sein du traiteè de Quintilien montre l' importance de l' influence que ce texte exerc°ait meême sur des humanistes dont les Ýuvres preèceédent la deècouverte du manuscrit de Saint-Gall. Quant aé la matieére de l' enseignement dispenseè aux jeunes garc°ons et aux adolescents, un des aspects particuliers du traiteè de Vergerius est son insistance sur la valeur de l' histoire comme un veèritable objet d' eètude. L' humaniste deèplore la perte, aé travers les sieécles, de livres qui contenaient les ressources meêmes de la connaissance du passeè
29
. Il
soutient que ce genre de connaissance doit stimuler la curiositeè de é l' esprit noble, en effet, deux domaines d' eètude l' homme bien neè. A conviennent mieux que tous les autres : ce sont l' histoire et la philoso phie, disciplines essentielles auxquelles Vergerius ajoute une troisieé me, û aé savoir l' eèloquence, qui constitue une partie distincte de la science politique
30
ý. Cette deèclaration reproduit l' expression de Quintilien
qui, au livre II, chapitre 15 de l' Institution fet
31
oratoire,
cite Ciceèron aé cet ef-
. Ici encore, la voix du rheèteur de l' eèpoque flavienne surgit au
26 Inst.,
II, 3, 1-2 et 11 : [...]
namque ea causa vel maxima est cur optimo cuique praeceptori sit
tradendus puer [...]. 27 Inst., I, 1, 23 : An Philippus, Macedonum rex, Alexandro filio suo prima litterarum elementa tradi ab Aristotele, summo eius aetatis philosopho, voluisset, aut ille suscepisset hoc officium, si non studiorum initia et a perfectissimo quoque optime tractari et pertinere ad summam credidisset ? 28 Inst., I, 8, 4 sq. 29
P. P. Vergerius,
De ingenuis moribus,
38 : û A cet eègard, nous pouvons sans doute ac-
cuser une certaine eèpoque et les geèneèrations qui la suivirent. Et il est possible de s' indi gner, inutilement toutefois, du fait qu' ils aient souffert la disparition de tant d' Ýuvres ceèleébres ý (In
quo juste forsitan possumus quoddam saeculum proximasque superiores aetates accu-
sare. Indignari quidem licet, proficere autem nihil, quod tam multa illustrium auctorum praeclara opera deperire passi sunt). 30 Ibidem, 40 : Adiciendum est ad haec (ni fallor) et tertium, id est eloquentia, quae civilis scientiae pars quaedam est. 31 Voir sur ce passage Orator,
J. M. McManamon,
Tempe, 1996, p. 97.
Pierpaolo Vergerio the Elder : the Humanist as
quintilien dans les traiteè s peèdagogiques du quattrocento
215
moment ou é Vergerius formule l' une des reèflexions les plus valables, car destineèes aé une posteèriteè importante aé partir du
Quattrocento
, de
son traiteè sur le caracteére et les eètudes des jeunes garc°ons. Vergerius entretient avec le traiteè de Quintilien un rapport qui, sans eêtre celui du disciple ou de l' eèpigone, teèmoigne tout de meême de l' effet durable que l' on peut attribuer aé l' enseignement de l'
tion oratoire
. Adresseè
Carrara,
le
Institu-
aé un seul destinataire, au jeune Ubertino da
De ingenuis moribus
eèlabore
une
reèflexion
geèneèrale
sur
l' eèducation des jeunes nobles, qui concerne autant la preèparation aé la vie militaire qu' aé la pratique oratoire. L' objet de son projet eètant donc fondamentalement diffeèrent de celui de Quintilien, Vergerius rencontre cette source antique principalement sur le theéme de l' eèducation primaire, matieére du premier livre, et des premiers paragraphes du
deuxieéme
livre,
de
l'
Institution
.
Pour
cette
raison,
la
structure
meême de son traiteè ne trahit aucune ressemblance aé celle de Quintilien. L' affiniteè transpara|êt plutoêt au niveau des principes meêmes de l' eèducation primaire et dans la formulation de ces principes.
Vegius Neè aé Lodi en 1406, Mapheus Vegius rec°ut son eèducation primaire aé Milan avant d' eètudier la jurisprudence aé l' universiteè de Pavie. Plus tard, au deèbut des anneèes 1430, il occupa la chaire de poeèsie dans cette meême universiteè. Pendant cette peèriode, il composa une seèrie d' ouvrages de caracteére humaniste, inspireès des monuments litteèraires de l' Antiquiteè pa|ëenne doute le 1428
33
32
. De ces compositions, la plus ceèleébre est sans
Libri XII Aeneidos Supplementum De verborum significatione
, publieè aé Pavie en octobre
. Un autre texte important, le
, remonte
aé cette premieére peèriode dans la carrieére de l' humaniste (mars 1433). é la meême eèpoque, celui-ci rec°ut la charge de secreètaire des missions A papales sous l' autoriteè d' Eugeéne IV. Une deècennie plus tard, il fut nommeè chanoine de la Basilique de Saint-Pierre, office qu' il garda,
32
Pour des eèditions modernes de quelques-uns de ces textes, voir la reècente eèdition et
traduction anglaise des û eèpopeèes breéves ý de Vegius par M. C. J. Putnam (avec J. Han kins) : Vegio,
33
Short Epics I Tatti Renaissance Library Maphaeus Vegius and his thirteenth book of the Aeneid , Cambridge MA et Londres, 2004 (
A. Cox Brinton,
1978 (reproduction de l' eèdition originelle de 1930).
).
, New York,
john nassichuk
216
durant les papauteès de Nicolas V et de Pie II, jusqu' aé sa mort en 34
1458
.
Maffeus Vegius eècrivit le
De educatione liberorum
en 1444, aé peine
deux ans apreés son arriveèe aé Rome. D' abord attribueè par erreur aé Filelfo, ce grand traiteè disposeè en six livres connut plusieurs eèditions
xvi
imprimeèes ainsi que des traductions, au
e
sieécle, en franc°ais et en
allemand. La particulariteè de l' Ýuvre peèdagogique de Vegius est bien son
caracteére
reèsolument
chreètien :
d' un jeune homme de la classe noble
l' auteur 35
envisage
la
formation
, mais sa preèoccupation centrale
reèside dans la formation chreètienne de l' esprit. En cela, son traiteè annonce la
Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis
d' E è rasme
36
.
L' influence de Quintilien est treés importante dans ce long traiteè, et une analyse exhaustive deèpasserait de loin les parameétres de notre eètude. Il convient neèanmoins d' examiner, aé titre d' exemple, quelques passages bien repreèsentatifs de l' usage que fait Vegius de l' Institution
oratoire. Vegius, comme Vergerius, reprend aé son compte la theèorie de Quintilien concernant la place de l' eèmulation dans l' enseignement des jeunes enfants. Ainsi, un bref chapitre au deuxieéme livre (II, 17) explique l' importance de pratiquer l' oraison publique de fac° on reègulieére, comme exercice de formation. Graêce aé cette pratique, l' enfant peut selon Vegius deèvelopper la qualiteè de sa voix et, dans le meême temps, ma|êtriser parfaitement la prononciation des mots et des phrases. Mais la majeure partie de la reèflexion dans ce chapitre traite des beèneèfices psychologiques deècoulant de l' exercice de la parole devant un auditoire. Les eèleéves, dit l' auteur, ont tout inteèreêt aé pratiquer cet art avec assiduiteè, û car plus ils comprennent que les eèloges de la foule
34
Sur la vie de Maffeus Vegius, voir B. Vignati,
1458),
Bergamo, 1959 ; M. Minoia,
L. Raffaele,
Maffeo Vegio umanista cristiano (1407-
La vita di Maffeo Vegio umanista lodigiano,
Maffeo Vegio : Elenco delle opere, scritti inediti,
Biographie Giuseppe Brivios und Maffeo Vegios ý, p. 219-242 ; V. J. Horkan,
Lodi, 1896 ;
Bologna, 1909 ; A. Sottili, û Zur
Mittellateinisches Jahrbuch,
Educational Theories and Principles of Maffeo Vegio,
4 (1967),
Washington,
1953, p. 1-9.
35
Le traiteè comporte eègalement, fait exceptionnel aé l' eèpoque, de nombreuses remar-
ques sur l' eèducation des jeunes filles. Voir V. J. Horkan,
36
Educational Theories,
p. 215-216.
Voir aé cet effet les remarques de J. C. Margolin, dans l' introduction de son eè dition
critique, avec traduction et commentaire, de ce traiteè d' E è rasme, Geneéve, 1966, p. 47-49 ; p. 102-103. Concernant les sources contemporaines d' E è rasme, Margolin souligne le fait qu' elles sont parfois difficiles aé identifier, p. 91 : û Il est possible neèanmoins de reconna|être, parmi les nombreux auteurs qui ont exprimeè des ideèes proches de celles d' E è rasme touchant l' eèducation libeèrale, l' influence du poeéte et moraliste italien du Maphaeus Vegius (ou Maffeo Vegio) et de son
moribus ý.
Quattrocento,
De educatione puerorum et eorum claris
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 217 qui les entoure leur sont destineès, plus ils bru ê lent de zeéle, animeès aé l' eètude des lettres et encore des plus distingueèes
37
ý. Cette remarque
rapide, enfouie dans la prose abondante de Vegius, rapproche l' auteur de l' un des principes essentiels exposeès au premier livre de l' Institution
oratoire. L' emploi du verbe incendere rappelle les expressions de Quintilien qui deècrivent l' incitation aé l' eètude, le zeéle de l' eèleéve studieux, comme une flamme allumeèe par l' esprit du concours. L' exercice de la deèclamation entra|êne chez le jeune garc°on des habitudes qui lui seront utiles lorsque, ayant atteint l' aêge adulte, il en viendra aé remplir une fonction publique. û Voilaé pourquoi, conclut Vegius, ce sera neècessaire de lui faire exercer la voix, d' enrichir la prononciation par des correc tions aé la fois senseèes et strictes
38
ý. Lorsqu' il eènumeére les modulations
de la voix que l' eèleéve doit ma|êtriser afin de bien parler, l' humaniste construit une liste de compeètences qui favorise une production vocale aé la fois puissante et nuanceèe, qui accommode une grande varieèteè de modulations et d' inflexions. Pour bien deèployer la voix, il convient de savoir canaliser les dons physionomiques. C' est pourquoi l' eè leéve eètudiera la meèthode de la respiration et la manieére de varier le rythme et le deèbit : [...] il apprendra quand il doit lever, ou modeè rer ou baisser la voix, aé quel moment il faut suspendre son haleine, oué le sens doit finir, d' oué il convient de commencer pour que la voix soit retentissante, forte, pour qu' elle ait une certaine graviteè assortie de charme
39
.
De meême que la pratique de l' eècriture permet aé l' enfant d' assimiler la matieére d' un texte, de meême la technique de la parole permet de mieux comprendre la bonne formation d' une phrase, la structure essentielle d' une reèflexion discursive. La liste de Vegius ressemble de preés aé l' eènumeèration que donne Quintilien au premier livre de l' Insti-
tution oratoire, dans les premiers paragraphes du huitieéme chapitre :
37
M. Vegius, De educatione liberorum, II, 17 : Nam quo majorem sibi propositam esse laudem
circumspectante multorum turba intelligent, eo magis ad percipiendas litteras et quidem elegantiores incendentur [...]. Toute citation du traiteè de Vegius se reèfeére aé l' eèdition procureèe par M. W. Fanning et A. S. Sullivan : M. Vegius Laudensis, De educatione liberorum et eorum
claris moribus, critical text, 2 t., Washington, 1933-1936.
38 Ibidem :
[...] quod in ea aetate maxime aestimandum est, animo alacri et intrepido, ad obeun-
daque postea rei publicae negotia, dum major aetas succreverit, aptiores, quare exercenda erit eorum vox et pronuntiatio debitisque ac castigantes rationibus informanda [...].
39 Ibidem : quando vel attolli vel moderari vel deprimi debeat, ubi suspendendus sit spiritus, ubi
claudendus sensus, unde incipiendum ut distincta sit, ut sonora, ut robusta, ut cum suavitate admixtam gravitatem quandam habeat.
john nassichuk
218
Reste la lecture. Que l' enfant sache oué il faut reprendre haleine, aé quel endroit faire une pause dans le vers, oué le sens finit et oué il commence, quand il convient d' eèlever ou de baisser la voix, quelle modulation il faut donner aé chaque phrase, quand il faut ralentir, acceèleèrer, passionner, adoucir ; tout cela ne peut eê tre montreè que par la pratique meême. [...] Mais, par-dessus tout, la lecture doit eêtre faite d' une voix maêle, combiner la douceur et la graviteè [...]
40
Quintilien est la source eèvidente du paragraphe de Vegius. Cet emprunt montre que l' humaniste, tout en s' efforc°ant d' accommoder le texte antique aé son propre discours, suit attentivement l' Institution ora-
toire. Il se rapproche de Quintilien lorsqu' il reèfleèchit aé l' enseignement des
fondements
techniques
de
l' eèloquence.
Or,
cette
pratique
de
l' imitation, tout en eètant treés fideéle aé la source, ne releéve pas du calque direct. Bien que le texte de Quintilien transparaisse avec clarteè, Vegius alteére la disposition et la syntaxe du passage dont il s' inspire. L' auteur du De educatione liberorum emploie la langue meême de Quintilien lorsqu' il explique pourquoi aé son avis les jeunes enfants, une fois passeè l' aêge de sept ans, doivent recevoir leur instruction dans des eècoles. Lorsque les enfants sont obligeès de freèquenter leurs pairs, ils
n' ont
aucun
moyen
de
se
recueillir
complaisances de la vie domestique
41
dans
les
mollesses
et
les
. E è loigneè de la maison, l' enfant
eèchappera aé la jacasserie des femmes et des domestiques. Une eèducation û publique ý (in publico [...] auditorio) l' empeêchera aussi de grandir dans la solitude. Vegius insiste sur l' importance particulieé re de la sociabiliteè, ou de la preèsence et participation collectives, dans l' expeèrience de l' apprentissage. La solitude, explique-t-il, û est une chose que l' on doit craindre pour cet aêge, afin de les empeêcher d' en arriver au point, comme c' est le cas de plusieurs, oué ils eèvitent le regard des hommes, comme s' ils sortaient des ombres, des lieux cacheès
42
ý. Cette
reèflexion comporte quelque souvenir de la remarque de Quintilien dans le meême sens, souvent releveèe par les humanistes, au premier
40 Inst.,
I, 8, 1-2 : Superest lectio : in qua puer ut sciat ubi suspendere spiritum debeat, quo loco
versum distinguere, ubi cludatur sensus, unde incipiat, quando attollenda vel summittenda sit vox, quid quoque flexu, quid lentius, celerius, concitatius, lenius dicendum, demonstrari nisi in opere ipso non potest. [...] Sit autem in primis lectio virilis et cum suavitate quadam gravis [...].
41
M. Vegius, De educatione liberorum, II, 2 : Proximum erit ut, cum firmari magis eorum
anni coeperunt, in publico quo ceteri convenire pueri solent auditorio doceantur, non domi, quod aliqui crediderunt, sub privati praeceptoris cura habeantur. Nam et muliercularum servorumque conversatione, domesticorum quoque ac sordidorum persaepe negotiorum aspectu magis segregabuntur [...].
42 Ibidem,
II, 2 : [...] et a solitaria avertentur vita, quae maxime illi aetati timenda est, ne
º quod plerisque contigit º eo deveniant, ut conspectibus hominum quasi umbris quibusdam ac veluti ex abditis educti locis deterreantur [...].
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 219 livre de l' Institution oratoire
43
. Vegius, suivant toujours de preés Quinti-
lien, ajoute ensuite que les enfants, û s' ils sont eèduqueès dans des eècoles, profitent mieux de l' exemple les uns des autres ainsi que de la matieé re enseigneèe
44
ý. Lorsqu' il note enfin que certains enfants sont motiveès
par l' espeèrance de l' eèloge et la crainte du reproche, Vegius emploie de nouveau les termes meêmes de Quintilien : û car ils seront exciteès par la louange de la vertu de celui-ci, terrifieès par la critique des vices de cet autre, et c' est ainsi qu' ils en sortiront meilleurs, graêce au deèsir de l' eèloge ou aé la peur de la reèprimande
45
ý. Vegius, comme Piccolo-
mini le fera peu apreés lui, suit de preés le raisonnement de Quintilien sur la question de l' encadrement peèdagogique. Cette rencontre des deux humanistes, aé propos des beèneèfices de l' eèducation publique, refleéte une certaine solidariteè de conviction quant aé l' importance des valeurs de la sociabiliteè
et de l' eèmulation, fortement souligneèes par
Quintilien, au cÝur meême de la formation scolaire. Au cinquieéme livre du De educatione liberorum, dans les chapitres 2 et 3 consacreès au sujet de la modestie de la voix et des gestes, Vegius reproduit plusieurs expressions de Quintilien, puiseèes dans le chapitre 11 du premier livre de l' Institution oratoire. Ici encore, son traitement de la source antique anticipe celle de Piccolomini, qui emprunte souvent les meêmes expressions pour deècrire l' attitude et les gestes corporels dignes d' un jeune prince. Comme Piccolomini, et dans les meê mes termes emprunteès aé l' Institution oratoire, Vegius suggeére que les gestes corporels soient accommodeès aé l' expression du visage et aux mots, et que celui (ou celle) qui parle ne torde pas les leévres et ne distende pas la bouche
46
. Il se seèpare toutefois de son contemporain quant aé l' usage
que celui-ci fait du texte de Quintilien. Alors que Piccolomini s' inteèresse aé l' eèducation qui preèpare un jeune noble aé la vie active, Vegius insiste pluto ê t sur la discipline spirituelle. Par leur retenue modeste, les mouvements du corps doivent refleèter l' humiliteè d' une aême bien formeèe au service de Dieu.
43 Inst.,
I, 2, 18. Voir l' analyse, infra, de l' imitation du meême passage chez Piccolo-
mini.
44
M. Vegius, De educatione liberorum, II, 2 : Praeterea alter alterius, si scholis erudientur, me-
lius exemplo atque doctrina proficient. Comparer cette preècision aux remarques de Quintilien, Inst., I, 2, 21-23.
45
M. Vegius, De educatione liberorum, II, 2 : Huius namque laudata virtute excitabuntur,
illius reprehensis vitiis exterrebuntur, atque ita vel spe laudis vel metu objurgationis meliores evadent.
46 Ibidem,
V, 3.
john nassichuk
220
Piccolomini Des reèfeèrences aé Quintilien apparaissent avec une reègulariteè freèquente tout le long du traiteè qu' Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur Pie II, adressa en 1550 aé Ladislas, le jeune prince de la Hongrie et de la Boheême. Chez Piccolomini, en effet, les emprunts directs aé l' Institu-
tion oratoire ne sont pas rares, meême lorsqu' il s' agit de passages longs, certaines parties de l' Ýuvre de Quintilien
inteèressant speècialement
l' humaniste. Ainsi, celui-ci puise abondamment dans les chapitres 1 aé 10 du premier livre et dans le deuxieéme chapitre du second livre, passages dans lesquels Quintilien traite de l' eèducation des jeunes enfants. Or, malgreè le nombre et l' importance de ces emprunts aé l' autoriteè ancienne, l' esprit du traiteè de Piccolomini est bien diffeèrent de celui de son principal modeéle. Piccolomini, dans son opuscule, ne vise pas aé former le rheèteur ideèal ; il remplit plutoêt une double fonction, bien é ce stade de sa cardiffeèrente de celle du grand traiteè de Quintilien. A rieére, l' humaniste se voit encore obligeè de se livrer aé des exercices de louange dans le style des courtisans lettreès. C' est en partie pourquoi il envisage simultaneèment deux destinataires, comme il le deèclare deés les premiers paragraphes de son traiteè : û Tout en m' adressant aé toi et en te conseillant, je parle aussi aé tous les preècepteurs qui ont le soin de ton eèducation
47
ý. Il s' agit donc aé la fois d' un discours pareèneètique
adresseè aé l' intention du jeune prince, et d' un traiteè peèdagogique destineè aé une reèception plus large, dont les premiers lecteurs envisageès appartiennent
aé
l' entourage
de
Ladislas.
Il
s' agit
donc,
d' une
part,
d' une Ýuvre aé fondement moral, apparenteèe aé la tradition des û miroirs des princes ý ; mais d' autre part, Piccolomini propose aé son jeune lecteur royal un eècrit de caracteére eèminemment pratique, dans lequel il cherche aé mettre aé jour, graêce aé une accommodation eèleègante, des principes d' eèducation primaire dont l' origine remonte aé l' Institution
oratoire. La meèthode d' emprunt preèfeèreèe de Piccolomini est bien celle du calque direct. Nombreuses sont les contaminations textuelles opeè reèes de cette manieére, associant parfois plusieurs auteurs, parfois des passages rencontreès dans des endroits divers d' une seule source. Hormis Quintilien, les auteurs les plus souvent citeès sont le Pseudo-Plutarque,
47
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 8 : Dum te alloquor teque commoneo et prae-
ceptores tuos qui tui curam gerunt, omnes alloquor et commoneo. Toute citation de ce traiteè se reèfeére aé l' eèdition procureèe par C. Kallendorf, dans Humanist Educational Treatises, p. 126259.
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 221 Sueètone, Jean de Salisbury, Juveènal 7 et 8. On trouve aussi de multiples reèfeèrences aux deux Testaments bibliques, citeès d' apreés la Vulgate de Saint Jeèro ê me. Deèjaé cette varieèteè de reèfeèrences, puiseèes dans des sources de plusieurs eèpoques, eèloigne Piccolomini de l' Institution ora-
toire et teèmoigne, non seulement de la particulariteè de sa reèflexion peèdagogique,
mais
aussi
de
son
effort
pour
neègocier
une
certaine
compatibiliteè de sources souvent treés diffeèrentes. Un trait remarquable des emprunts au texte de Quintilien est l' aisance avec laquelle Piccolomini rattache les propos du rheèteur antique aé sa propre conviction chreètienne. En effet, le travail de la contamination releéve dans maint passage d' une strateègie de l' accommodation, aé travers laquelle l' humaniste opeére le rapprochement de certains principes eèducatifs dans l' Institution oratoire et d' une penseèe morale qui refleéte les valeurs d' une socieèteè de cour chreètienne. Il convient de citer aé cet effet le deèbut meême du traiteè, suivant la longue eèp|être qui lui sert de preèambule. Piccolomini ouvre sa reèflexion avec une citation qui modifie
leègeérement
le
deèbut
de
l' Institution
oratoire,
dans
lequel
Quintilien deèclare que l' apprentissage eètant naturel aé l' eêtre humain, il est rare qu' un esprit soit si obtus qu' il ne puisse beèneèficier, ne seraitce que dans une mesure limiteèe, de l' enseignement formel. Le texte du premier livre de Quintilien se lit comme suit : C' est que l' homme est neè pour cela, comme les oiseaux sont faits pour le vol, les chevaux pour la course, les fauves pour la cruauteè , et que nous, nous avons en propre un esprit actif et ingeè nieux, qui a fait attribuer aé l' esprit humain une origine ceèleste
48
.
Cette dernieére remarque º origo animi caelestis creditur º refleéte la circonspection rationnelle de Quintilien, dont la theèorie peèdagogique ne s' appuiera pas sur une croyance dans l' origine ceèleste de l' esprit humain. Au lieu de proposer ce genre d' explication qui deècrit l' intelligence des hommes comme un don obtenu graêce aé la bienfaisance divine,
il
soutient
que
c' est
une
chose
parfaitement
naturelle
aé
l' homme que de se former l' esprit : Les esprits obtus et fermeès aé l' instruction ne sont pas plus dans l' ordre de la nature humaine que les eêtres anormaux ou marqueès par des monstruositeès ; mais, aé vrai dire, ils sont fort peu nombreux
48 Inst.,
49
.
I, 1 : Quippe id est homini naturale, ac sicut aves ad volatum, equi ad cursum, ad saevi-
tiam ferae gignuntur, ita nobis propria est mentis agitatio atque sollertia, unde origo animi caelestis creditur.
49 Inst.,
I, 2 : Hebetes vero et indociles non magis secundum naturam hominis eduntur quam pro-
digiosa corpora et monstris insignia, sed hi pauci admodum fuerunt.
john nassichuk
222
Piccolomini reproduit presque mot aé mot cette remarque de Quintilien, mais il deèclare que c' est preèciseèment l' origine ceèleste, la caution divine, qui creèe la feèliciteè naturelle de l' esprit humain
50
. Dans les pre-
miers paragraphes de son traiteè, il rencheèrit sur la remarque lapidaire du rheèteur antique en affirmant deux fois l' importance irreè cusable de la participation divine. La premieére affirmation anticipe la reèfeèrence aé l' origine ceèleste de l' esprit des hommes. Une bonne nature, note Piccolomini, û ne peut eêtre que le don de Dieu, un bien ceèleste
51
ý.
Ensuite, aé la deèclaration de Quintilien sur le caracteére monstrueux des esprits obtus et fermeès aé tout apprentissage, Piccolomini ajoute une formule emprunteèe au pseudo-Plutarque : û Tout comme la nature sans
instruction
est
aveugle,
aussi
la
est-elle
discipline
deèfectueuse
quand la nature lui manque ý, remarque suivie d' une nouvelle preècision concernant la neècessiteè fondamentale de la faveur divine
52
. Quant
aé l' aêge auquel l' enfant ainsi favoriseè de Dieu et de la Nature doit commencer aé apprendre, ici aussi, Piccolomini adopte aé la fois l' avis et la langue meême de Quintilien. û Aucun moment, deèclare-t-il, ne devrait eêtre libre de cette occupation
53
ý. Son explication contamine
deux paragraphes du premier chapitre de l' Institution
oratoire
54
.
La convergence de la meèthode de Quintilien et de la morale chreètienne n' est certainement pas limiteèe aé ces deècrets de principe qui oué plusieurs reprises, Piccolomini attache des citations vrent le traiteè. A bibliques (ou patristiques) aé des raisonnements, techniques ou moraux, dans lesquels il suit de preés le texte de Quintilien. Ainsi, lorsqu' il
montre
l' importance
d' une
excellente
eèducation
rheètorique
pour les bons princes, il rapporte, au paragraphe 40, deux anecdotes puiseèes dans l' Institution
oratoire,
dont la premieére porte sur Jules Ceèsar,
la deuxieéme sur Auguste :
50
A. S. Piccolomini,
De liberorum educatione,
6 :
Sicut enim aves ad volatum (Quintilianus
ait), equi ad cursum, ad saevitiam ferae gignuntur, sic hominis propria est agitatio mentis atque soler tia ; hebetes vero et indociles non magis secundum naturam quam prodigiosa corpora et insignia monstris eduntur. 51 Ibidem : solius dei munus est caelesteque bonum. 52 Une reflexion sur la û faveur divine ý existe, è
certes, chez Quintilien, mais elle est de
caracteére moins explicite que chez Piccolomini. Voir ainsi
Inst.,
bis praecipuam dedit eiusque nos socios esse cum dis inmortalibus voluit
II, 14 :
Rationem igitur no-
(û La raison est donc pour
nous le don supreême et la diviniteè a voulu nous associer aux dieux immortels ý). Quintilien preèfeére insister en effet sur le pouvoir de la voix et de la parole, sans lesquelles l' esprit para|êt peu de chose. Ainsi en II, 17 :
Denique homines quibus negata vox est quantulum
adjuvat animus ille caelestis ? 53 A. S. Piccolomini, De liberorum educatione,
28 :
Aristophanes atque Chrysippus, quibus
et Quintilianus assentitur, nullum tempus vacare cura voluerunt. 54 Inst., I, 1, 15-16 et I, 1, 4.
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 223 Jules Ceèsar, treés eèminent geèneèral, fut aé tel point soucieux de cet art qu' il eècrivit un ouvrage irreèprochable intituleè De Analogia. Octavien, lui aussi, montre sa connaissance de la grammaire, dans des eè p|êtres reèdigeèes aé l' intention du meême Jules Ceèsar. Selon Quintilien, Octavien preèfeèrait, par souci de la correction, que l' on dise calidum au lieu de caldum, non pas parce que ce dernier terme ne soit pas latin, mais parce qu' il est deèplaisant
55
.
L' auteur joint aé ces deux premiers exemples celui du roi David, dans lequel il voit la preuve ultime de la digniteè de l' instruction impartie aux jeunes princes. Ainsi, la citation biblique vient confirmer une argumentation puiseèe entieérement dans le premier livre du traiteè de l' Institution oratoire. Elle est suivie d' une nouvelle citation de Quintilien, qui n' est pas sans importance puisqu' elle annonce les prochains sujets dont l' humaniste traitera en s' adressant aé Ladislas. Le fondement de l' apprentissage (eruditionis initium et fundamentum) est bien la grammaire.
Il
convient
donc,
deèclare
Piccolomini,
de
s' arreêter
quelque temps sur cette matieére, car elle sera essentielle aé tout progreés ulteèrieur : Grammatica, comme le dit Quintilien, traduit en latin signifie `litteè rature' et comporte trois parties. Ce sont : la science de bien parler, l' ex plication des poeétes et d' autres auteurs, la composition. Parlons un peu de tous ces domaines ; ce sera utile pour toi d' en entendre, et agreèable pour nous d' en traiter
56
.
La meême tendance appara|êt lorsque l' humaniste parle des figures de style. Sa deèmonstration sur l' emploi des meètaphores est directement emprunteèe aé Quintilien, dont il contamine deux passages, aux livres I et VIII, traitant des usages propres riques
55
58
57
et figureès, voire meètapho-
. Ici, Piccolomini reproduit presque verbatim les deèfinitions des
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 40 : Julius Caesar, summus imperator, adeo
diligens huius artis fuit, ut emendatissimos scripserit De analogia libros. Augustus quoque Octavia nus quam peritus grammaticae fuerit, in epistulis ad ipsum Caesarem scriptis manifestat, qui teste Quintiliano emendatius dici `calidum' quam `caldum' mavult, non quia id non sit Latinum, sed quia sit odiosum.
56
Ibidem, 41 : `Grammatica' , sicut Quintilianus ait, in Latinum translata `litteraturam' signifi-
cat habetque partes tres : recte loquendi scientiam, poetarum et aliorum auctorum enarrationem, scri bendique rationem. Attingamus ex his omnibus aliquid, quod tibi audire sit utile et nobis dicere non indelectabile.
57 58
Inst., I, 5, 68-71. Inst., VIII, 6, 5-7.
john nassichuk
224
propria verba et tralata verba qui apparaissent chez son modeéle antique
59
.
Suivant Quintilien, il preèconise l' emploi judicieux et modeèreè des meètaphores, car, lorsqu' elles sont bien choisies, celles-ci peuvent renforcer et embellir un discours. Il cite comme exemple de cette pratique un sermon de Saint Augustin sur les Saints Innocents
60
.
Chez Piccolomini comme chez Quintilien, la formation intellectuelle constitue eègalement, et au meême titre, une preèparation morale. Deés les premiers stades de l' eèducation d' un jeune enfant, lorsque celui-ci apprend encore aé lire et aé former des lettres, la taêche de son preècepteur est double : tout en lui apprenant les principes de la langue et de la lecture, il doit aussi lui inculquer de solides preèceptes moraux. C' est pourquoi il convient de privileègier, meême dans les premiers moments, une matieére eèdifiante et noble. Ainsi, lorsqu' il s' agit de bien apprendre l' orthographe, le jeune garc°on copiera des passages choisis dans les Ýuvres des meilleurs auteurs. De cette manieére, explique Piccolomini, l' enfant apprendra presque malgreè lui, û comme par jeu ý, quelques penseèes eèleveèes et honorables : Il ne serait pas inutile, non plus, d' assurer que les vers choisis pour les exercices d' eècriture ne contiennent pas de sentences oiseuses ou de mots barbares. Elles devraient comporter plutoê t quelque admonition honorable, emprunteèe aux poeétes les plus illustres et aux auteurs ceèleébres, de sorte aé ce que l' enfant puisse apprendre aé philosopher et aé eècrire comme par jeu
61
.
Cette proposition, qui concerne chez Piccolomini l' apprentissage de l' orthographe, s' inspire directement d' un passage de l' Institution
oratoire, dans lequel Quintilien reèfleèchit aé un autre exercice d' apprentissage pertinent au stade primaire de l' eèducation. Selon Quintilien, l' enfant qui apprend aé lire des textes aé haute voix, aé formuler des sons en lisant, doit s' exercer sur des passages choisis dans les eè crits des meilleurs auteurs. L' expression qu' il emploie est presque identique aé celle qui appara|êtra chez Piccolomini : Et, puisque nous nous attardons encore aé de menus deètails, je voudrais aussi que les vers, proposeès comme modeéles d' eècriture, comportent
59
C' est le deèbut d' une reèflexion soutenue sur la prononciation et l' origine des mots,
qui semble avoir eèteè conc°ue aé l' imitation des chapitres 5 aé 8 du premier livre de l' Institu-
tion oratoire.
60
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 45. Citation de Saint Augustin, Sermones,
220, dans Patrologia latina, t. XXXIX, p. 2152.
61 Ibidem,
76 : Providendum quoque non inutiliter fuerit, ut versus ad scribendum assumpti sen-
tentias habeant non otiosas, nec nomina barbara contineant, sed honestum aliquid moneant, ex claris electi poetis et auctoribus fama celebribus, ut sic puer quasi per ludum philosophari discat et scribere .
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 225 eègalement, non des maximes oiseuses, mais des orientations morales. Le souvenir de ces aphorismes nous accompagne jusque dans la vieil lesse et, imprimeès dans un esprit qui n' est pas encore formeè , ils iront jusqu' aé servir de reégles de morale. L' enfant peut apprendre aussi, par jeu, les `dits' des hommes illustres, et des passages choisis, tireè s principalement des poeétes º car c' est la poeèsie qui a le plus d' attraits pour les enfants
62
.
Malgreè une leègeére diffeèrence de contexte quant aé l' emploi de ces passages choisis dans les meilleurs auteurs, Quintilien et Piccolomini partagent une conviction fondamentale. Ils envisagent une eè ducation primaire qui, tout en apprenant aé l' enfant les rudiments techniques de la lecture et de l' eècriture, module eègalement ses sensibiliteès et ses instincts. Meême lors des exercices les plus meècaniques, il convient de nourrir l' esprit de l' enfant en lui proposant des textes de grande qualiteè, dont le caracteére moral aidera aé former des convictions honorables. Un autre domaine dans lequel Piccolomini adapte aé sa reèflexion les propos de Quintilien, c' est celui de l' entra|ênement physique. Ici encore, l' humaniste se livre aé un travail d' accommodation subtile. Bien que Quintilien ne traite pas speècifiquement de l' eèducation du corps, domaine qui inteèresse presque tous les theèoriciens de la peèdagogie au
Quattrocento,
Piccolomini, lorsqu' il aborde ce sujet, puise constam-
ment dans le texte de l' Institution
oratoire.
Au portrait ideèal du jeune
prince parfaitement accompli dans les exercices des armes et de l' esprit il accommode les recommandations de Quintilien sur la tenue et les gestes de l' orateur qui deèclame. Le portrait du jeune orateur se transforme ainsi, sous la plume de Piccolomini, en une image ideèaliseèe de la distinction princieére. Selon cet ideèal, celui qui est destineè aé reègner se doit de bien observer sa propre image et de reègler ses mouvements de manieére conforme au modeéle. û Et puisque la Nature t' a creèeè extreêmement beau, une descendance digne de porter le sceptre, tu dois t' assurer que tes gestes reèpondent aé cette apparence, que ton expression soit reègulieére, que tu ne tordes pas les leévres, ni ne suces la langue ou ne prennes le vice de l' eèbrieèteè. Il ne faut pas, non plus, que tu
62 Inst.,
I, 1, 35-36 :
Et quoniam circa res adhuc tenues moramur, ii quoque versus, qui ad imita -
tionem scribendi proponentur, non otiosas velim sententias habeant, sed honestum aliquid monentis. Prosequitur haec memoria in senectutem et, inpressa animo rudi, usque ad mores proficient. Etiam dicta clarorum virorum et electos ex poetis maxime (namque eorum cognitio parvis gratior est) locos ediscere inter lusum licet.
john nassichuk
226 imites l' insolence servile
63
ý. En attachant aé l' emprunt de Quintilien
cette remarque sur la serviliteè, Piccolomini contamine deux paragraphes de sa source textuelle
64
. La reèflexion dans l' Institution oratoire
concerne le jeu technique de l' orateur, qui s' inspire en partie de celui du comeèdien. Quintilien preècise que certains effets du jeu comique, et
notamment
certains
personnages,
ne
doivent
pas
eê tre
imiteès.
Piccolomini voit au contraire dans cet entra|ênement la manieére d' eèviter un deèportement servile. Chez Quintilien, le comportement habituel des û gens de qualiteè ý n' est pas toujours l' objet d' une approbation sans reèserves. Il note aé ce propos que l' apprentissage de l' eècriture est souvent neègligeè par les ho-
nesti, ce qui lui semble une erreur. Eècrire soi-meême constitue un exercice formateur sur plusieurs plans, car c' est le moyen meême d' une bonne assimilation du savoir : Ce n' est pas une affaire exteèrieure aé notre propos, quoique presque tous les gens de qualiteè aient coutume de la neègliger, que le souci d' eècrire bien et vite. En effet, dans nos eètudes, ce qui est important, ce qui seul assure un profit authentique et bien enracineè , c' est preèciseèment le fait meême d' eècrire [...]
Les
gens
de
qualiteè
65
neègligent
l' art
d' eècrire,
vraisemblablement
parce qu' ils deèdaignent ce genre de travail manuel quelque peu servile. Quintilien souligne toutefois l' utiliteè d' une eècriture personnelle bien soigneèe, û particulieérement dans les lettres confidentielles et familieéres
66
ý. Piccolomini imite directement ce passage en l' accommodant
aé sa propre reèflexion sur les traits distinctifs de la noblesse princieére : Il semblera leèger sans doute, si je te transmets aussi quelques preè ceptes aé ce sujet, parce qu' il peut para|être absurde qu' un roi soit occupeè dans la reèdaction de lettres, et parce qu' en geè neèral les nobles se soucient peu d' eècrire bien et rapidement. Mais ce n' est pas une affaire impertinente que d' apprendre meême cet art aé un enfant royal, puisqu' il jette de la lumieére sur la connaissance et sur la compreè hension des auteurs
63
67
.
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 12 : Cumque sis natura pulcherrimus et digna
sceptro soboles, studendum est ut gestus formae respondeant, ut recta sit facies, ne labra detorqueas, ne linguam sugas, ne vitium ebrietatis effingas, ne servilem imiteris vernalitatem [...].
64 Inst., 65 Inst.,
I, 11, 9 et I, 11, 1. I, 1, 28 : Non est aliena res, quae fere ab honestis neglegi solet, cura bene ac velociter
scribendi. Nam cum sit in studiis praecipuum, quoque solo verus ille profectus et altis radicibus nixus paretur, scribere ipsum [...]. Traduction de J. Cousin, leègeérement modifieèe.
66 Inst., 67 A. S.
I, 1, 29 : praecipue in epistulis secretis et familiaribus. Piccolomini, De liberorum educatione, 75 : Leviuscula res fortasse videbitur, si tibi de
hac quoque parte praecepta tradiderim, quia ridiculum sit regem scribendis litteris occupari beneque
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 227 Piccolomini ne se contente pas, pour souligner l' utiliteè pratique de la bonne eècriture, d' eèvoquer les exigences eèventuelles de la correspondance priveèe. Il note que parmi les û anciens Ceèsars ý (Veteres Caesares), plusieurs eètaient experts dans l' art d' eècrire avec eèleègance. En effet, le pape Nicolas V et son preèdeècesseur Eugeéne IV ont une belle eècriture ; l' oncle meême du jeune destinataire, l' empereur Freèdeèric II, manie le style avec finesse. En revanche, le fait qu' Alphonse le Magnanime, roi de Naples, eècrive de fac°on presque illisible, ternit quelque peu sa gloire, deèclare Piccolomini
68
.
Le traiteè de l' humaniste siennois envisage une ideèe de l' eèducation encore plus geèneèrale que ne l' est celle de la formation de l' orateur parfait. Il suit de preés les remarques de Quintilien, au chapitre 10 du premier livre de l' Institution oratoire, dans sa discussion des arts qu' il convient d' enseigner aé l' enfant, notamment la musique et la geèomeètrie
69
. Mais ce que Quintilien assigne aé l' action oratoire, Piccolomini
l' attribue souvent aé la digniteè, au deècorum, aé la posture corporelle d' un prince. On ne peut, en effet, selon Quintilien, û seèparer l' action oratoire de l' orateur lui-meême ý. Mais lorsqu' il s' agit des mouvements du corps, ce rappel du lien intime entre l' homme et son art ressemble
aé
une
concession,
dont
l' auteur
de
l' Institution
oratoire
s' empresse de limiter aussitoêt les conseèquences. û En reèaliteè, deèclare Quintilien, je ne deèsire pas que les gestes d' un orateur soient modeleès sur ceux d' un danseur, mais qu' il reste quelque chose de cet entra|ê nement des anneèes enfantines, et que nous accompagne discreétement, sans que nous y songions, la graêce, acquise autrefois quand nous eètions eèleveès
70
ý. Cette remarque reèveéle la limite entre la theèorie peèda-
gogique de Quintilien, qui vise uniquement la formation d' un orateur
71
, et le traiteè de Piccolomini qui propose une eèducation plus
geèneèrale, apte aé former un prince aé la fois eèclaireè et valeureux. Piccolomini suggeére, lui aussi, que l' entra|ênement corporel du jeune garc°on ameénera de bons effets dans la constitution physique de l' homme adulte : û car la bonne tenue corporelle chez le garc°on jette les bases
scribere ac velociter ab honestis fere negligi soleat. Sed non est alienum hanc etiam regi puero tradi partem, quae ad cognitionem et intelligentiam auctorum non parum luminis praebet.
68 Ibidem. 69 Ibidem, 70 Inst.,
91-93.
I, 11, 11 : Neque enim gestum oratoris componi ad similitudinem saltationis volo, sed
subesse aliquid ex hac exercitatione puerili, unde nos non id agentis furtim decor ille discentibus traditus prosequatur.
71
1989.
U. Maier-Eichorn, Die Gestikulation in Quintilians Rhetorik, Frankfurt am Main,
john nassichuk
228
d' une vieillesse bien vigoureuse
72
ý. Cette explication appara|êt au deè-
but du long deèveloppement que Piccolomini consacre au sujet de l' eèducation physique. L' humaniste attache en effet une grande impor tance aé l' entra|ênement du corps, aé la preèparation du futur chef de guerre
73
.
Lorsqu' il
consideére
cet
aspect
de
l' eèducation
du
jeune
homme, il deèploie des expressions que Quintilien avait reèserveèes au seul domaine de la culture de l' esprit et de la sociabiliteè. û La guerre, dit-il,
reèpudie
la
disposition
d' un
corps
eèduqueè
dans
l' ombre
74
ý.
Quintilien, partisan de l' eèducation dans des eècoles, fait la meême observation
aé
propos des
mauvais effets
de l' apprentissage
solitaire :
û Avant tout, le futur orateur, appeleè aé vivre au milieu de la treés grande foule et au grand jour de la vie publique, doit s' habituer, deés son jeune aêge, aé ne pas appreèhender les contacts humains et aé ne pas s' eètioler, pour ainsi dire, dans la peènombre d' une vie solitaire
75
ý.
Ainsi donc, la transposition de l' eèducation du rheèteur sur celle du prince eèclaireè, n' occulte pas la reèfeèrence continue au texte ancien. Cette accommodation de la penseèe de Quintilien aé un domaine eètranger aé l' Institution oratoire teèmoigne en effet de la forte preèsence, comme source et modeéle, de ce grand traiteè dans l' ouvrage de Piccolomini. Une telle fideèliteè litteèrale au texte de l' Institution oratoire ameéne parfois l' auteur aé substituer certaines coutumes linguistiques deècrites par Quintilien aé celles de sa propre eèpoque. Suivant Quintilien
76
,
Piccolomini deèclare que û ce serait parfaitement ridicule de preèfeèrer la langue
que
aujourd' hui
les 77
hommes
parlaient
autrefois,
aé
celle
qu' ils
parlent
ý. Mais il alleégue des exemples d' expressions peèrimeèes,
incompatibles aé l' usage actuel, qui proviennent tous de l' Institution oratoire et preèsupposent donc la coutume linguistique de l' eèpoque flavienne aé Rome
72
78
. Cette imitation constante du texte et de la disposi-
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 13 : Bona enim in pueris corporis habitudo,
bonae quoque senectutis fundamenta jacit.
73
En cela sa theèorie peèdagogique se montre conforme aé la tradition ancienne qui
livra aé la posteèriteè des ouvrages comme la Cyropeèdie de Xeènophon. Voir, sur l' importance de l' eèducation physique au sein de cette tradition, H. I. Marrou, Histoire de l' eèducation e
dans l' antiquiteè, 6 eèd., Paris, 1965, p. 181-204.
74
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 13 : Bellum enim educatam in umbra corporis
habitudinem repudiat.
75
Inst., I, 2, 18 : Ante omnia futurus orator, cui in maxima celebritate et in media rei publicae
luce vivendum est, adsuescat iam a tenero non reformidare homines neque illa solitaria et velut umbratili vita pallescere.
76
Inst., I, 6, 42.
77
A. S. Piccolomini, De liberorum educatione, 57 : Nam paene ridiculum fuerit malle sermo-
nem, quo locuti sunt homines, quam quo loquuntur.
78
Ibidem, 57-58.
quintilien dans les traiteè s peè dagogiques du quattrocento 229 tion du traiteè antique teèmoigne de la connaissance intime qu' en avait Piccolomini, qui affiche clairement son affiniteè profonde avec la doctrine peèdagogique de Quintilien. Entre
la
reèdaction
De
du
ingenuis
moribus,
de
Petrus
Paulus
Vergerius, et le De liberorum educatione, d' Aeneas Sylvius Piccolomini, la forme particulieére du traiteè peèdagogique se concreètise de manieére remarquable, affirmant l' importance de Vergerius comme modeé le pour ses contemporains du Quattrocento. La geèneèration qui le suit adopte aussi plusieurs des theémes deèveloppeès par Vergerius, sans toujours reproduire sa perspective. En effet, sous la plume d' auteurs comme Piccolomini et Maffeus Vegius, ces theémes deviennent de veèritables topiques, susceptibles d' accommoder une certaine varieèteè de nuances. Malgreè leurs ressemblances fondamentales, les traiteès de Vegius et de Piccolomini participent de deux esprits diffeèrents. Vegius, s' inspirant aé la fois des rheèteurs de l' Antiquiteè pa|ëenne et des Peéres latins comme Lactance et Augustin, envisage la formation d' un esprit princier selon l' ideèal, non de l' orateur parfait, mais de l' humiliteè chreètienne. Le principe
d' une
formation
chreètienne
est
eègalement
preèsent chez
Piccolomini. Il n' obscurcit pas pour autant la rheètorique de l' eèloge qui
refleéte
les
conditions
sous
lesquelles
son
auteur,
en
mission
diplomatique, le conc°ut et le reèdigea. Pour ces deux auteurs, l' Institu-
tion oratoire fut une source essentielle, dont ils privileègient surtout le premier livre. Imitant souvent les meêmes passages, voire les meêmes phrases de ce texte, ils maintiennent neèanmoins des perspectives diffeèrentes sur plusieurs points. C' est bien le maintien de cette diversiteè qui montre la feèconditeè particulieére de l' Ýuvre de Quintilien dans les traiteès peèdagogiques du Quattrocento.
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L AT I N I TAT E S
Mariangela
Regoliosi
VALLA E QUINTILIANO Un passo
molto famoso dello scritto di Lorenzo Valla sulla dialettica
mostra in modo illuminante il senso (e l' estensione) del rapporto tra l' umanista e Quintiliano. Nell' introdurre il lungo discorso sulle argo mentazioni retoriche e quindi sulle probationes artificiales, il Valla dichiara
la
impossibilitaé
di
individuare
qualcosa
di
piué
preciso
e
comunque nuovo rispetto ai capitoli dedicati all' argomento dall' Insti-
tutio oratoria e quindi º caso unico in tutta la sua opera º cita alla lettera Inst., V, 8-10
dall' inizio alla
fine (cum nihil ego novi excogitare
possim, ero nimirum preceptis Quintiliani contentus). L' eccezionalitaé del fenomeno eé giustificata da una vera propria laus di Quintiliano : Cui viro tantum tribuo, ut is unus sit, cuius dictis aut addere quid aut detrahere aut ex iis mutare vel minimum, nec alios posse arbitrer et me, id expertum sepe, nihil tamen potuisse profitear. Parum dico : quo eius opera magis altiusque verso, hoc mihi plus admirationis hic auctor ac plus stuporis infundit, ut eo opinionis iam venerim persua sumque mihi sit, neminem neque ea ingenii vi neque ea eloquentia posse
quicquam
dicere, nisi
deus aliquis (ut sic dicam) foret,
qua
Quintilianus dixit ; et eum ita imiter, ut pro comperto habeam nul lam me illius virtutem assecuturum : me, inquam, haud male de me metipso
sentientem,
quippe
qui
nullum
non
scriptorum,
quos
1
`auctores' vocamus, ausim aliqua in parte corrigere ,
a cui fanno pendant altri lodi simili, sia pure piué circoscritte : Idem ego sum qui preposui in commentariis quod in Ciceronem et Quintilianum composui Quintilianum Ciceroni, Demostheni atque ipsi Homero. Ideoque qui non studiosissimi fuerunt Quintiliani eos nequaquam
1
L. Valle
eloquentes
existimo,
quorum
fere
omnes
sunt
horum
Repastinatio dialectice et philosophie, ed. G. Zippel, Padova, 1982, II, 20,
p. 244 (per una svista dell' editore il capitolo eé numerato 19). Qui e poi sempre, ripro duco i testi secondo l' ortografia delle edizioni.
233
mariangela regoliosi
234
temporum homines, quos abesse a perfecta vi dicendi [...] ostende 2
rem . Verum non magis acutus est Quintilianus quam ceteris virtutibus pol 3
lens quantumque hac dote alios tantum reliquis superat .
L' elogio del retore latino eé quindi totalizzante : in lui il Valla, pur ipercritico perfino nei confronti dei grandi auctores º e dovremo ritornare su questo argomento º, vede una sorta di miracolosa perfezione senza difetti neè lacune, e in tutti i campi : dalle acute capacitaé dell' ingegno, alla competenza senza paragoni neè rivali nel campo linguistico-retorico. La lunga consuetudine con questo autore, posseduto ed interiorizzato
integralmente
(quem
prope
ad
verbum
teneo,
dichiara
4
nell' Antidotum in Facium ), lo ha indotto a concepirlo, e a proporlo, come vero ed unico maestro da imitare. Il rapporto con Quintiliano non eé pertanto circoscrivibile ad un ambito specifico, e tanto meno alle pur importantissime postille di 5
commento depositate autografe nel noto codice Par. lat. 7723 , ma se-
2
L. Valle Epistole,
ed.
O. Besomi,
M. Regoliosi, Padova, 1984, n
o
17, p. 215-216
(con considerazioni sui commentaria qui menzionati).
3
L. Valla, Le postille all' Institutio oratoria di Quintiliano, ed. L. Cesarini Martinelli,
A. Perosa, Padova, 1996, p. 132 ; J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa : Quintiliano y Lorenzo Valla, Logronìo, 1999, p. 324-325.
4 5
L. Valle Antidotum in Facium, ed. M. Regoliosi, Padova, 1981, I, 7, 2, p. 44. Non dedicheroé uno spazio specifico a questo commento nel corso del mio contri -
buto, rimandando alle due edizioni critiche delle postille valliane giaé sopra citate alla nota 3 per ogni considerazione sui tempi, le modalitaé , la consistenza, il senso delle chiose del Valla, e la loro vasta diffusione manoscritta e a stampa. Segnalo soltanto che le due edizioni, apparentemente realizzate l' una all' insaputa dell' altra, presentano caratteristi che e qualitaé molto diverse. Piué agguerrita filologicamente la prima, ha peroé due limiti gravi : prima di tutto, da un punto di vista interpretativo, sottovaluta l' influenza globale di Quintiliano sul Valla, tendendo a ridurla ad influenza episodica, sia pure importante, inoltre, da un punto di vista editoriale, pubblica di fatto una selezione delle postille, tra scurandone alcune (senza un criterio perspicuo di scelta) e concentrandone altre in una sintesi nelle pagine introduttive, e per di piué omette completamente la registrazione dei notabilia pure autografi, note di paragrafo non `neutre' , ma spesso esplicative del senso attribuito dal Valla ai singoli passi. Assolutamente completa nella pubblicazione del ma teriale valliano eé invece la seconda edizione, in questo senso utilissima, anche se piué debole e descrittiva nella parte di valutazione dell' operato valliano e spesso insicura nella trascrizione dei passi. Un lavoro appena accennato da entrambi, e che invece sarebbe ve ramente il tempo di fare, eé quello della valutazione critica delle emendazioni congettu rali
operate
dal
Valla
nella
emendatio del
testo
previa
al
commento :
eé
un' impresa
filologica rilevante che andrebbe vagliata come eé stato fatto per le correzioni a Tito Livio (cf. per queste M. Regoliosi, û La filologia testuale tra Petrarca e Valla ý, in Verso il centenario. Atti del seminario di Bologna 24-25 settembre 2001, a cura di L. Chines, P. Vecchi Galli, Quaderni petrarcheschi, 11 (2001) [= 2004], p. 189-214 ; Ead., û Il metodo filologico del Valla : tra teoria e prassi ý, in La philologie humaniste et ses repreèsentations dans la theèorie et
235
valla e quintiliano
gna in profonditaé gli aspetti essenziali della personalitaé culturale del Valla : si puoé anzi dire che il testo dell' Institutio costituisca una sorta di chiave d' accesso alla sua produzione e al suo pensiero. E é questa l' intuizione da cui ha preso le mosse il principale studioso dell' influenza 6
di Quintiliano su Valla , ed eé in questa ottica che cercheroé di presentare la `radice' quintilianea della produzione valliana. L' argomento, proprio percheè investe l' intero ambito culturale-ideologico del Valla, esigerebbe uno sviluppo lungo e complesso. Per semplificare il discorso, procederoé schematicamente per punti, cercando peroé di mo7
strare le interconnessioni tra i singoli settori .
L' influenza
di
Quintiliano
sulla
concezione
valliana
della lingua A differenza della cultura medievale, che poneva l' accento sulla ratio, come elemento distintivo dell' uomo rispetto al bruto e come stru mento essenziale del sapere, il Valla, allineandosi sulle posizioni di
dans la fiction, sous la direction de P. Galand-Hallyn, F. Hallyn, G. Tournoy, Geneéve, 2005, I, p. 23-46), cercando di precisarne il valore e soprattutto la metodologia filolo gica. Tutto da valutare, d' altra parte, il rapporto del Valla con le Declamationes maiores e minores, utilizzatissime come modello retorico in quasi tutti gli scritti. Per il codice delle pseudo-quintilianee Declamationes maiores postillato dall' umanista, Oxford, Bodleian Li brary, Selden 22 supra (3410), cf. M. Cortesi, û Scritti di Lorenzo Valla tra Veneto e Ger mania ý, in Lorenzo Valla e l' Umanesimo italiano. Atti del Convegno internazionale di studi umanistici (Parma, 18-19 ottobre 1984), a cura di O. Besomi, M. Regoliosi, Padova, 1984, p. 373-374. Un' ultima ricerca auspicabile riguarda la relazione tra le postille all' Institutio oratoria del Valla e quelle precedenti di Petrarca e successive di Poliziano. Entrambe edite (M. Accade
Lanzillotta,
û Le
postille
del
Petrarca
a
Quintiliano
(Cod.
Parigino
lat.
7720) ý, Quaderni Petrarcheschi, 5 (1988) ; A. Daneloni, Poliziano e il testo dell' Institutio oratoria, Messina, 2001) sono caratterizzate da vistose differenze, prevalentemente attenta all' interpretazione e alla riflessione sul testo quella del Petrarca, prevalentemente filolo gica quella del Poliziano : molti sono comunque i punti di contatto con la `lettura' di Quintiliano offerta dal Valla, che andrebbero analiticamente individuati e discussi.
6
Il primo significativo intervento eé costituito da S. I. Camporeale, Lorenzo Valla.
Umanesimo e teologia, Firenze, 1972, cui hanno fatto seguito numerosi saggi, di cui si cita no i fondamentali : û Lorenzo Valla tra Medioevo e Rinascimento. Encomion s. Thomae º 1457 ý, Memorie Domenicane, n.s., 7 (1976), p. 3-190 ; û Lorenzo Valla, Repastinatio, liber primus : retorica e linguaggio ý, in Lorenzo Valla e l' Umanesimo italiano, p. 217-239 ; û Lorenzo
Valla
e
il
De
falso
credita
donatione.
Retorica,
libertaé
e
ecclesiologia
nel
`400 ý, Memorie Domenicane, n.s., 19 (1988), p. 191-293 ; û Institutio oratoria, Lib. I, cap. 6, 3 e le variazioni sul tema di Lorenzo Valla ý, Memorie Domenicane, n.s., 25 (1994), p. 233244 ; û Alle origini della `teologia umanistica' . L' Encomion s. Thomae di Lorenzo Valla ý, Moderni e Antichi. Quaderni del Centro di Studi sul Classicismo, 1 (2003), p. 179-195. Sugli studi valliani di Camporeale cf. M. Regoliosi, û Il contributo di Salvatore Camporeale alla teologia e alla storia della Chiesa ý, Memorie Domenicane, n.s., 35 (2004), p. 11-22.
7
Molti di questi punti sono giaé stati oggetto di specifici interventi critici, miei e di
altri, di cui daro é conto nelle note.
mariangela regoliosi
236
Petrarca e dei migliori umanisti, manifesta la ferma convinzione che l' elemento distintivo dell' uomo civile dal bruto solitario e rozzo sia il
verbum, e che quindi alla base di ogni forma di cultura e anzi di ogni espressione dell' uomo, ci sia la lingua. Fin troppo facile riconoscere in questo messaggio tematiche ciceroniane e squisitamente quintilianee : Deus ille princeps, parens rerum fabricatorque mundi, nullo magis hominem separavit a ceteris, quae quidem mortalia essent, animalibus quam dicendi facultate. [...] Rationem igitur nobis praecipuam dedit eiusque nos socios esse cum dis inmortalibus voluit. Sed ipsa ratio neque tam nos iuvaret neque tam esset in nobis manifesta nisi quae concepissemus mente promere etiam loquendo possemus : quod ma gis deesse ceteris animalibus quam intellectum et cogitationem quan dam videmus [...] ; sed quia carent sermone quae id faciunt, muta atque inrationalia vocantur. [...] Quare si nihil a dis oratione melius accepimus, quid tam dignum cultu ac labore ducamus aut in quo ma limus praestare hominibus quam quo ipsi homines ceteris animalibus praestant [...]
8
?
Ma anche eé doveroso notare che tutti gli attributi divini assegnati dalla tradizione al verbum umano vengono dal Valla proiettati sul latino classico, la lingua per antonomasia, per ricchezza, potenzialitaé espressive e capacitaé di divulgazione, straordinario dono degli dei all' umanitaé tutta, tanto ai popoli confinanti con l' antica Roma e da questa conquistati, come agli uomini di ogni tempo, il magnum sacra9
mentum nel quale discipline cuncte libero homine digne continentur . Questa `miracolosa' lingua latina deve allora mantenere la sua inte gritaé, senza barbarismi o solecismi che ne invaliderebbero la veritaé. Da qui quindi la forte insistenza, anzi concentrazione, del Valla sulla
elegantia, cioeé sulla proprietaé, chiarezza, univocitaé dei termini, che deve garantire la costante e comprensibile comunicazione universale. Anzi : che la deve recuperare, dopo secoli di disastrosa trascuratezza. Il
8
Quint., Inst., II, 16, 12-17. Qui e poi sempre cito da M. Fabi Quintiliani Institutionis
oratoriae libri duodecim, ed. M. Winterbottom, Oxford, 1970. Molti i passi affini di Cice rone : De inv., I, 1-3 ; De or., I, 32-33 ; De nat. deor., II, 148. Il passo eé chiosato con approvazione in L. Valla, Le postille, p. 70 ; J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa, p. 273.
9
E é questo lo straordinario messaggio del I Proemio delle Elegantie, per il quale cf.
M. Regoliosi, Nel cantiere del Valla. Elaborazione e montaggio delle Elegantie, Roma, 1993, p. 63-125 (alle p. 120-125, l' edizione del Proemio, da cui si citano i brevi riferimenti) ; si veda anche il commento all' edizione dell' epistola contro la giurisprudenza medievale, M. Regoliosi, û L' Epistola contra Bartolum del Valla ý, in Filologia umanistica. Per Gianvito
Resta, II, a cura di V. Fera, G. Ferraué, Padova, 1997, p. 1501-1571 (con la bibliografia riferita in entrambi i testi).
valla e quintiliano
237
Valla infatti, come molti umanisti, eé convinto che la `straordinaria' lingua dei romani abbia subito, nel suo percorso vitale, un periodo di involuzione, in cui influenze esterne (le invasioni barbariche) abbiano portato contaminazioni e deformazioni, barbarismi e solecismi, ap punto, che l' hanno coperta di muffe e ne hanno ossidato la incantevole brillantezza
10
. E é questo, come ben si sa, il motivo del forte
attacco del Valla ai secoli medievali, attacco certo mosso in diverse direzioni, ma con un obiettivo centrale : colpire al cuore la `madre di tutte le colpe' del Medio Evo, il progressivo distacco dal latino classico e la evoluzione (ma, per il Valla, involuzione) verso un latino diverso, il latino medievale, scolastico ed ecclesiastico, addirittura fino alla estrema trasformazione (ma, per il Valla, deformazione, assolutamente da respingere o, meglio, da ignorare) dei volgari Da
cioé
una
conclusione
radicale.
Che
agli
11
.
intellettuali
del
suo
tempo (e a lui in primis) fosse affidato il compito di un restauro integrale del latino, che, cancellando abnormi deformazioni medievali, restituisse ai parlanti e scriventi la stupenda lingua dell' uso classico, riattivando cos|é il rapporto diretto con la classicitaé e cancellando secoli di barbarie, e rinnovando la lingua della koineè europea. Le Elegantie lingue latine nascono appunto come gigantesco tentativo di restaurazione della lingua latina soprattutto sul versante della elegantia (da cioé il titolo), e cioeé del primo livello della lingua, che combina, secondo la nota definizione della Rhetorica ad Herennium (IV, 17), latinitas e explanatio, correttezza e chiarezza / proprietaé / aderenza all' uso. Sono queste anche per Quintiliano le fundamenta dell' apprendimento (Inst., I, 4-5 e VIII, 2), affidate alla disciplina del grammaticus, che formeraé il latino degli allievi da un punto di vista morfologico e lo ripu liraé da ogni errore. A questo pur importantissimo settore Quintiliano dedica peroé pochi capitoli, tutto proteso com' eé alla formazione superiore, retorico-oratoria. Diversa la situazione e quindi le intenzioni del Valla. Egli eé cosciente che secoli di `decadenza' linguistica hanno in quinato il latino fin dal livello di base e che quindi eé da quello che occorre partire per una riforma radicale. Pertanto il suo testo coordina intorno alla tematica della latinitas + explanatio problemi depositati dalla tradizione in singoli ambiti specifici, dall' analisi delle parti del discorso e della sintassi dei casi, alla disamina di valori propriamente
10
L' efficace immagine nel I Proemio delle Elegantie : fulgorem illum latinitatis situ ac
rubigine [...] obsolescere (M. Regoliosi, Nel cantiere del Valla, p. 123).
11
In particolare, per il peculiare distacco nei confronti del volgare, cf. M. Tavoni,
û Lorenzo Valla e il volgare ý, in Lorenzo Valla e l' Umanesimo italiano, p. 199-216.
mariangela regoliosi
238
semantici, con opportuni
distinguo tra sinonimi ed opposti, alla denun-
cia degli errori dei medievali, ed anche degli antichi, nella definizione dei fenomeni linguistici. Ma se diverso eé l' obiettivo, percheè diversi i tempi, del tutto affine eé l' ottica con cui il Valla guarda alla lingua, e tutta quintilianea eé la metodologia della ricostruzione. Una conferma sicura proviene dalle esplicite dichiarazioni d' intenti con le quali il Valla chiosa taluni interventi. Si tratta di passi notissimi, che cito brevemente
12
.
oratorum magrammaticorum, et magis latine eleganterque loqui volentium, quam eorum qui ad normam grammaticae periti esse contenti sunt. [...] Sed ego ad altiora ducente stilo transeo et ad ea quae gis sunt quam
[...] in hoc potissimum loco exequemur rem dignam auribus studioso rum, de exactissima antiquorum
latinitate et elegantia a Marco Cicerone observata, duobus luminibus
Marcoque Fabio Quintiliano praecipue
atque oculis cum omnis sapientiae tum vero eloquentiae latinae [...] Neque in hoc toto meo opere tam quam
usum oratorum.
licentiam poetarum
13
.
consector,
Neque siquid aliter penes auctores reperiatur
mihi obesse debet, qui
non legem scribo,
quasi nunquam aliter factum
sit, sed quod frequentissime factitatum est, praesertim a Marco Tullio Marcoque Fabio [...]
14
.
Con una terminologia ricorrente anche in altri scritti, il Valla dichiara di voler accertare la corretta ficare l' esatta
proprietaé della
latinitas ed elegantia, e quindi identi-
lingua latina, direttamente
attraverso
observata) degli oratores, dei testi in prosa, e dei massimi oratores,
l' uso (
Cicerone e Quintiliano, e non attraverso la intermediazione delle sin-
normam grammaticae).
tetiche regole dei grammatici (
Dei grammatici
normativi egli non vuole nemmeno ripetere l' errore metodologico : le sue non sono leggi assolute (
non legem scribo),
ma û descrizioni ý
dell' uso ; e se una indicazione operativa bisogna pur ricavare, questa
quod
sia la û legge della maggioranza ý (
frequentissime
factitatum est),
pur con la convinzione che nel vasto e vario ambito della latinitaé casi particolari, usi meno diffusi esistono, sono possibili, hanno diritto di
12
st),
Elegantie saraé fatto sul testo vulgata, la stampa di Basilea del 1540 (indicata con la sigla
In assenza di un' edizione critica, ogni rimando alle
(contenuto e ortografia) della
leggibile nella ristampa anastatica curata da E. Garin a Torino, presso la Bottega
d' Erasmo, nel 1962. Solo nel caso di errori palesi, la lezione di
st
saraé emendata sulla
scorta del manoscritto M III 13 della Biblioteca dell' Escorial, depositario di una revi -
Nel cantiere del Valla, p. 37-61), che verraé indicato con E. I corsivi sono sempre miei. Elegantie, I, 13, p. 19. Elegantie, I, 17, p. 22.
sione autografa (cf. M. Regoliosi, la sigla
13 14
valla e quintiliano
239
cittadinanza. A questa serie di casi û marginali ý º noti ed attestati ma meno consigliabili º appartengono le forme linguistiche dei poeti (la
licentia poetarum), relativamente svincolate, per esigenze metriche e per connotazioni figurali e metaforiche, dalle caratteristiche del discorso comune. La attiva penetrazione dentro al tessuto vivo della lingua latina, con piena coscienza di un panorama storicamente mosso e non scolasticamente schematizzabile, eé direttamente messa in opera nella organizzazione dei singoli capitoli. Tra le varie û monografie ý che ad una lettura anche cursoria risultano piué eloquenti ne propongo due, Ele-
gantie, II, 42 e III, 33 (ma si potrebbe anche citare I, 1 ; I, 27 ; II, 50 ; IV, 78 ; V, 30, e comunque infiniti altri casi).
De quandoquidem, quando et quatenus. `Quandoquidem'
et `quando'
idem significant et significant `quo -
niam' . Cicero et Vergilius frequentius superiore utuntur, Quintilianus posteriore [seguono esempi tratti dai tre autori]. Eiusdem significati est `quatenus' , apud seculum duntaxat Quintiliani. Is ita ait [segue un esempio
da
Quintiliano] ;
et
eius
discipulus
Plinius
Iunior
[segue
esempio da Plinio]. Nam Cicero dixit `quatenus' solummodo pro `in quantum' ,
sicut
`eatenus'
pro
`in
tantum' ,
ut
[segue
esempio
da
Cicerone]. Seculum autem Quintiliani [ E ; Quintiliano st] a [E ; om.
st] Livio, Vergilio, Horatio exordior, quorum ultimus in Sermonibus sic ait [segue citazione da Orazio]
15
.
Netta eé la individuazione, all' interno del percorso della lingua latina, di fasi diverse, caratterizzate da consuetudini linguistiche differenti ed ugualmente degne di considerazione. Analogamente, nel piué complesso capitolo successivo :
De impleo, refercio plenusque ac refertus. [...] `Impleo' et `refercio' et similia verba ablativum sine praepositione postulant, ut `implevi navim frumento, refersi apothecam vino' . Et tamen aliquando addimus praepositionem `de' , sic `implevi navim de omni genere frumenti, refersi apothecam de varia natura vinorum' [...]. Hoc quod diximus exemplo comprobandum est [segue un esem pio da Cicerone]. Hic nequaquam licuisset sine praepositione loqui [segue una interpretazione del passo ciceroniano, la cui particolare sfu matura di significato impone l' uso del de]. Quia de `refercio' et `impleo'
feci mentionem, dicam hoc amplius de `refertus'
et `plenus' .
Exemplum quod modo attuli ostendit `refertus' postulare ablativum [...], idem tamen Cicero ait [seguono due eccezioni ciceroniane, con
15 Elegantie,
II, 42, p. 71-72.
mariangela regoliosi
240
`refertus' , in funzione peroé participiale, ed il genitivo], tametsi cetera huiusmodi nomina ablativum semper habent [...], praeter quam `ple nus'
cui Cicero semper genitivum dedit. De ceteris auctoribus non
possum in universum pronunciare, cum multi etiam aetatis eius dede rint ablativum, ut [seguono esempi da Varrone e Sallustio con `ple nus' e l' ablativo]. Suo itaque arbitrio scriptores utuntur. Posteriores vero omnes [...] etiam `plenus vino'
dixerunt, non solum `plenus
vini' . Quare qui solum genitivo contentus erit, Ciceronem imitabitur, qui utroque casu uteretur, ceteros. [...]
16
Nuovamente, dinanzi alla pluralitaé della tradizione, il Valla lascia il discorso aperto. Ben lungi dal considerare il latino come un unico blocco storicamente indistinto, egli ripetutamente constata le differenze reali tra latino arcaico (interessanti notazioni in
Ciceronis aetas Elegantie
tino della cf.
Elegantie
, I, 1), la-
(che comprende Varrone, Sallustio, Cesare :
, II, 50), e latino del
Quintiliani seculum
(che ha per lui inizio
con Virgilio, Orazio, Livio), secondo una peculiare sensibilitaé storicistica che anche gli consentiraé di qualificare e distinguere il latino di Lattanzio rispetto al latino del
Constitutum Constantini De falso credita et ementita Constannella notissima e
splendida dimostrazione di falsitaé del
tini donatione
, o che gli faraé riconoscere il crinale del passaggio da una
forma classica di latino ad una medievale e romanza nell' evento storico delle invasioni barbariche e nelle conseguenti contaminazioni lin guistiche (si veda il III Proemio alle
Elegantie
). Ed eé proprio questa
straordinaria sensibilitaé delle spesso sottili differenze di usi e di accezioni da epoca ad epoca che orienta il Valla a non proporre norme definitorie, bens|é a disegnare, nei suoi capitoli, una mappa dei fenomeni del latino, da quello dei comici a quello dei Padri della Chiesa, per poi mettere ciascuno in grado di fruire liberamente della variegata ric chezza della lingua latina. Una cos|é peculiare posizione relativamente alla lingua latina e alla sua ricostruzione eé largamente debitrice, nell' ossatura della sua argomentazione, alle idee di Quintiliano sulla lingua e al percorso formativo proposto dal retore antico. In Quintiliano I, 6, 2 e X, 1,28-30, ad esempio, individuiamo l' in-
sermo auctoritas oratores vel hispoetas metri necessitas excusat libertas verborum licentia figurarum
vito a seguire, nella costruzione del
toricos
, l'
di
piuttosto che quella dei poeti, poicheè
e poicheè la fantasia induce a
e a
. Ma eé
soprattutto nell' intero capitolo I, 6 che ritroviamo gli elementi fonda-
16
Elegantie
, III, 33, p. 100-101.
valla e quintiliano
241
tivi del discorso del Valla. In I, 6, 27 ha sede la distinzione fondamentale tra latine loqui e grammatice loqui, tra un latino fondato e appreso attraverso la conoscenza e la pratica dei dicta ac scripta summis auctoribus (I, 6, 22) e un latino di qualitaé inferiore costruito solo sulle sintesi schematizzanti dei grammatici. E questa distinzione si fonda sulla radicale convinzione quintilianea del primato della consuetudo e dell' usus, cardinale punto di riferimento nella costituzione e nell' apprendimento di ogni lingua : consuetudo vero certissima loquendi magistra, utendumque plane
sermone ut nummo, cui publica forma est (I, 6, 3). Una consuetudo ovviamente non generica neè indiscriminata, non ricavata dal linguaggio û barbaro ý degli indotti (quemadmodum vulgo imperiti loquantur [...] bar-
bare : I, 6, 45). La regula sermonis (I, 6, 44) eé per Quintiliano il consensus eruditorum (I, 6, 45) : il latino parlato dalle persone colte ed espresso da quegli optimi auctores di cui l' oratore-maestro suggeriva ai suoi scolari la lectio e quindi l' imitatio nel libro X. Per converso, in subordine eé la
ratio grammaticale, basata sulla analogia e sulla etymologia (I, 6, 1). Non enim º spiega Quintiliano I, 6, 16 º cum primum fingerentur homines, Analogia demissa caelo formam loquendi dedit, sed inventa est postquam loquebantur, et notatum in sermone quid quoque modo caderet. Itaque non ratione nititur sed exemplo, nec lex est loquendi sed observatio, ut ipsam analogiam nulla res alia fecerit quam consuetudo. Inutile
sottolineare
la
assoluta
vicinanza
terminologia
e
percioé
concettuale con le pagine del Valla prima ricordate : in particolare il capitolo I, 17, con il suo rifiuto di formulare una lex e il capitolo I, 13, con il suo invito alla observatio, sono assolutamente in linea con la visione quintilianea di un costante rapporto dialettico tra uso e formalizzazione
dell' uso.
Mentre
le
sarcastiche
ridicolizzazioni
di
pseudo-
etimologie esposte da Quintiliano in Inst., I, 6, 28-38 sono riprese con adesione convinta nelle fitte postille valliane relative alle etimologie
ineptie, che cos|é si concludono : Varronem et similes tacite reprehendit : nam Varro in his nimiam operam lusit, scriptis tribus de hac re libris ad Ciceronem, totidem an tea ad Septimium ; etiam Plato in Cratylo de rectitudine nominum,
volens omnia rebus imposita ex aliqua ratione esse ; quod probare conari, ut facit Plato, ineptum est, quia plurimorum ratio, idest origo, ignoratur
17
17
.
L. Valla, Le postille, p. 34-38 ; J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa,
p. 241-245. Corsivo mio.
mariangela regoliosi
242
Naturalmente ripresa di motivi quintilianei non significa globale ed automatica ripetizione. Come per molti casi che analizzeremo nelle prossime pagine, l' adesione entusiastica del Valla nei confronti del pensiero di Quintiliano passa inevitabilmente attraverso il filtro della storia e/o di opzioni personali, e sia l' una che le altre incidono sulle modalitaé della riattualizzazione
18
. In questo caso, il tentativo di restau-
razione del latino classico come lingua viva basata sull' uso riproduce il modello quintilianeo nel metodo, ma risulta alla fine lontano da Quintiliano negli esiti. Proprio percheè i tempi sono mutati e il rapporto dialettico lingua latina parlata º lingua latina scritta eé venuto meno. Un metodo di acquisizione linguistica basato sulla consuetudo e sull' usus puo é funzionare unicamente in una comunitaé di parlanti quella
18
Credo che vada spazzato via una volta per tutte un equivoco che condiziona
troppo spesso il giudizio sul rapporto del Valla con Quintiliano (e in generale con gli autori della tradizione). La Cesarini Martinelli parla esplicitamente di û manipolazioni del Valla ý che û consistono [...] in una forma di detestualizzazione, che assolutizza in forma di precetto cioé che Quintiliano offre come norma di comportamento relativa a fatti specifici o come semplice opinione ý (L. Valla, Le postille, p.
xlii ).
In realtaé occorre
distinguere, nell' approccio agli auctores del Valla, il momento della emendatio, rigorosissimo, in cui egli si impegna a ripulire, per collazione o per congettura, il testo dell' au tore onde restaurare la parola nella veritas originaria (cf. per questo aspetto, L. Valla, Le postille, p.
xvii -xxx e, piué in generale, M. Regoliosi, û La filologia testuale tra Petrarca e
Valla ý, p. 189-214 ; Ead., û Il metodo filologico del Valla ý, p. 23 -46) e il momento della lectio, intesa, secondo l' insegnamento quintilianeo come digestio (ut cibos mansos ac prope liquefactos demittimus quo facilius digerantur, ita lectio non cruda sed multa iteratione mollita et velut confecta memoriae imitationique tradatur : Inst., X, 1, 19). La lectio eé dunque assolutamente personale e soggettiva, non obiettiva neè neutra : eé il canale attraverso il quale gli autori entrano e si depositano nella nostra memoria, diventando parte di noi ; in altri termini, forniscono materiale di riuso per il progetto o disegno delle nostre opere, a seconda di quanto e come riaffiorino alla nostra memoria, sollecitino i nostri interessi, tocchino le corde dei nostri sentimenti, in un rapporto che non eé piué o solo di rispetto della lettera del loro testo, ma che eé di ascolto-ripresa-dialogo-adattamento-trasformazione. Non quindi û manipolazione ý dei dati, per ignoranza o per volontaria mistificazione, ma le gittima rielaborazione, nata da un richiamo interiore, che fa vibrare di volta in volta sen sibilitaé anche molto diverse, talvolta diversissime da quelle del testo di partenza. Ha magnificamente descritto la tipologia di questa riscrittura Leon Battista Alberti (cf. 2
R. Cardini, Mosaici. Il `nemico' dell' Alberti, Roma, 2004 ), ma essa eé tipica anche del Valla e comune a tutti gli umanisti. Per capirla fino in fondo, credo dobbiamo spogliarci dalle vesti di classicisti-filologi, legittimamente attenti al restauro della autentica lezione delle opere del passato e all' interpretazione del loro significato storicamente originario, ed entrare nelle vesti dei letterati, che in tutte le epoche hanno selezionato secondo i loro specifici interessi le parole dei prosatori e/o poeti a loro precedenti per trasformarle in nuove parole, in nuova ideologia, in nuova filosofia, in nuova poesia, in nuova lettera tura. Un efficace esempio di questa modalitaé creativa eé dato, del resto, dalla straordinaria riflessione di un grande poeta contemporaneo : cf. M. Luzi, û Elezione di maestri ý, Moderni e Antichi. Quaderni del Centro di Studi sul Classicismo, 1 (2003), p. 13-21.
valla e quintiliano
243
data lingua : solo in questo modo (come del resto insegnava Quintiliano per i latini) eé possibile inserirsi davvero nel flusso vitale linguistico, e solo in questo modo eé possibile per ciascuno, attraverso il confronto sistematico tra la modernitaé che sta intorno e i testi del passato che si leggono con l' occhio al presente, costruire il proprio si stema all' interno del sistema generale, avvertendo, con l' immediatezza di chi eé davvero partecipe della civiltaé comune, arcaismi da rifiutare e neoformazioni ancora troppo dure, standard linguistici obbliganti e differenze facoltative e soggettive. Il disprezzo radicale verso il latino medievale e la totale sorditaé nei confronti del volgare tolgono invece al Valla ogni punto di riferimento nella realtaé. L' unica, eccezionale, apertura di credito alla lingua del Medio Evo riguarda il settore dei neologismi, ma solo relativamente alle res nove, alle cose (orologio, campana, bussola, strumenti bellici moderni, ecc.) appunto recenter in-
vente e per le quali eé necessario, per amore della proprietaé dei termini, individuare parole congruenti nell' unico serbatoio possibile, quello del vulgus (magis accedam prius impositis, ipso vulgo auctore contentus, quo-
niam quem sequar scriptorem non habeo), e cioeé del latino medievale e addirittura del volgare vero e proprio
19
.
Ma per tutti gli altri ambiti della lingua l' esclusivo riferimento al latino classico introduce inevitabili aporie. La straordinaria apertura e il rifiuto di giudizi definitivi che caratterizzano, come abbiamo visto, l' imitatio nei capitoli delle Elegantie, sono il segno di un forte antidogmatismo grammaticale e di una lodevole adesione storico-descrittiva all' û uso ý, ma sono anche il segno, se vogliamo valutare bene fino in fondo, di una vicinanza-lontananza, che porta ad assumere il patrimonio del latino in modo relativamente `indistinto' , proprio per la mancanza di parametri storici di confronto. L' illusione del Valla era che la presa di contatto coi testi del passato º pur con tutti i testi, ed adeguatamente
storicizzati º potesse surrogare la partecipazione diretta al
mondo latino antico, ormai impossibile. Nei fatti, al contrario, un rapporto per forza di cose esclusivamente letterario e a distanza con la
19
Il testo con le riflessioni e proposte valliane sui neologismi eé stato scoperto e quindi
pubblicato da O. Besomi, û Dai Gesta Ferdinandi regis Aragonum del Valla al De othographia del Tortelli ý, Italia medioevale e umanistica, 9 (1966), p. 75-121 (l' edizione alle p. 113-121 ; il passo citato, alla p. 117). Alcuni interventi sulla medesima problematica anche all' in terno dell' Antidotum in Facium, I, 14, 18-23, p. 106-107 (si veda il commento relativo alle p.
lx- lxi dell' Introduzione dell' edizione citata). Anche nell' ambito dei neologismi eser -
cito é una forte influenza Quintiliano, Inst., VIII, 3, 24-37, oltre a Orazio, Ars, 60-61, 7071 e a Prisciano, Instit. gramm., VIII, 92.
mariangela regoliosi
244
lingua latina non poteva che produrre un grande û affresco ý, in cui tutte le caratteristiche e tutte le differenze, di tutti gli autori e di tutte le epoche, erano ben presenti e cronologicamente gerarchizzate, ma, inevitabilmente, al momento dell' uso, come piattificate e tra loro equidistanti. In assenza di un riferimento esterno che faccia da guida, paradossalmente ne consegue una specie di lingua mista ed artificiosa, in cui lo studioso puoé scegliere e mescolare parole arcaiche e parole piué recenti, in un
pastiche
linguistico davvero û aperto ý, ma remotis-
simo dal latino classico e certamente dalle intenzioni stesse del Valla. A noi moderni puoé sembrare incredibile che il Valla non avvertisse le contraddizioni. Cos|é come facciamo fatica a conciliare la sua idea forte di latino-lingua viva e percioé storica, caratterizzata da scansioni interne e da evoluzioni / mutazioni tutte accettabili e tutte acquisibili, con il rifiuto del latino medievale (per cui in sostanza al latino, pur lingua storica, non sarebbe consentito alcuno sviluppo al di laé del momento delle invasioni barbariche, che segnano un discrimine oltre il quale c' eé solo decadenza e corruzione), e non riusciamo ad accordare la sua convinzione che la lingua debba essere, come una pubblica moneta
di
scambio
e
come
le
leggi,
patrimonio
della
civitas
a
tutti
comune, con la û dimenticanza ý della loquela û di tutti e' cittadini ý, il volgare
20
generale
. Ma l' operazione del Valla acquista senso all' interno della ideologia
dell' Umanesimo.
Occorre
prendere
coscienza,
cioeé, che il limite intrinseco della posizione del Valla (e di altri umanisti con lui : in fondo la posizione del Poliziano non era molto diversa) originava dal cuore stesso dell' Umanesimo, dal û sogno ý di un classicismo
integrale,
di
una
rivitalizzazione
incondizionata
della
cultura e della lingua dei classici, di una ripresa di contatto diretta col mondo antico (sede di ogni saggezza e di superiore cultura e moralitaé), ma che questa ripresa di contatto poteva costare un sacrificio grande e non indolore : passava attraverso lo scavalcamento delle generazioni intermedie e il totale rifiuto del presente
20
21
.
Utilizzo una locuzione tipica di Leon Battista Alberti º coevo del Valla, ma su
posizioni diametralmente opposte nei confronti del volgare º piu é volte ribadita nel Proemio al III libro della
Famiglia :
L. B. Alberti,
Opere volgari, ed. C. Grayson, I, Bari, La critica del Landino, Firenze,
1960, p. 153-156. Sulla posizione albertiana cf. R. Cardini, 1973, p. 113-232.
21
Per una piu é articolata presentazione della metodologia di approccio al latino del
Valla v. M. Regoliosi, û Le
di grammatica italiana,
Elegantie del Valla come `grammatica'
antinormativa ý,
Studi
19 (2000), p. 315-336 (con ampia bibliografia, in cui si registrano
anche discordanti opinioni sull' argomento).
245
valla e quintiliano
L' influenza di Quintiliano nella revisione valliana del linguaggio della filosofia
La peculiare concezione della lingua latina, storica, dinamica, basata sull' uso, ha ricadute certe, per il Valla, sulle forme dello specifico lin guaggio della filosofia
22
.
Puo é essere illuminante, in questo senso, far progredire il parallelo Quintiliano-Valla,
analizzando
la
presenza
e
quindi
l' influenza
di
Quintiliano all' interno dell' opera gemella della Elegantie, la Dialectica, dove la repastinatio della logica su basi nuove rispetto alla logica aristotelico-scolastica, si fonda specialmente su una discussione e revisione del linguaggio
23
. Nell' impossibilitaé di una schedatura esauriente dei
passi e dei temi che avvicinano Valla a Quintiliano, registro in parte almeno il pregnante capitolo 11 del II libro della redazione definitiva (o II, 9 della prima redazione), uno dei luoghi in cui l' umanista affronta le modalitaé espressive della cosiddetta disciplina veritatis, cioeé della logica, in aperta contrapposizione alle modalitaé espressive dei filosofi scolastici Nobis
24
.
quidem
ad
normam
grammatices
loquendum
est,
nec
tam
grammatice quam latine loquendum : hoc est non tam ad precepta ar tis, quam ad consuetudinem eruditorum atque elegantium, que op tima ars est. Nam quis nescit maximam loquendi partem auctoritate niti ac consuetudine ? De qua ita ait Quintilianus : `Consuetudo certis sima est loquendi magistra, utendumque plane sermone ut nummo, cui publica forma est' [Inst., I, 6, 3]. At enim ratio est, inquiunt, cur ita loqui liceat, si velimus. Utinam esset, ut eos probare, potius quam improbare
22
possemus !
Nam
quod
Grecus,
Hebreus,
Latinus,
Afer,
Ho analiticamente discusso la questione in M. Regoliosi, û Il rinnovamento del les -
sico filosofico in Lorenzo Valla ý, in Lexiques et glossaires philosophiques de la Renaissance. Actes du Colloques international organiseè aé Rome par l' Academia Belgica en collaboration avec le projet des `Corrispondenze scientifiche, letterarie ed erudite dal Rinascimento all' etaé moderna' , l' Universitaé degli Studi di Roma `La Sapienza' et la FIDEM, 3-4 novembre 2000, a cura di J. Hamesse, M. Fattori, Louvain-la-Neuve, 2003, p. 97-127 (con ampia bibliografia, che tiene presente tutti i punti di vista, anche contrastanti).
23
Elegantie e Dialectica si evolvono in contemporanea per molti anni e il Valla ripetu -
tamente ne segnala lo strettissimo nesso. Chiamo, qui e sempre, l' opera sulla logica col nome ormai convenzionale di Dialectica, poicheè diversi nel tempo sono i titoli ideati dal Valla. Si veda, per ogni tipo di considerazione, l' edizione critica, in due volumi, il I con l' ultima redazione, il II con la prima (ma con numerazione continua delle pagine), giaé citata qui alla nota 1.
24
Rispettivamente in Valle Repastinatio, I, p. 215-219 e II, p. 472-475. Segnalo che, di
nuovo, una svista dell' editore comporta un errore di numerazione, per cui al capitolo 11 eé assegnato il numero 10.
246
mariangela regoliosi Dalmata cetereque lingue preter ipsas voces figura loquendi discor dant, usu fit, non ratione, nisi in paucis. Nec magis de grammatica reddi ratio potest (quod quidam nugatores faciunt, ut ii qui de modis significandi scribunt), quam cur aliis vocibus alie nationes utantur. [...] Cuius rei quid cause est, nisi consuetudo ? A qua siquis desciverit, non secus a choro litteratorum explodendus, quam legum morumque contemptor e civitate expellendus est. Et ut sunt varii mores varieque leges nationum ac populorum, ita varie nature linguarum, apud suos unaqueque intemerata et sancta. Itaque consuetudine, tanquam quo dam more civili, standum est
25
.
Come si vede, una esplicita citazione da Quintiliano fonda anche nella Dialectica il principio che il linguaggio, ogni linguaggio e pertanto anche la lingua latina, trova il suo riferimento non ad normam
grammatices, non ad precepta artis, ma ad consuetudinem eruditorum atque elegantium, quale una moneta di scambio di corso legale. Le differenze tra lingua e lingua dipendono quindi tutte, non tanto da razionalitaé intrinseche a ciascuna lingua, quanto prevalentemente dall' uso storico (usu fit, non ratione, nisi in paucis). E in modo altrettanto consequenziale, la grammatica non ha il suo fondamento in una astratta e aprio ristica ratio, come ritenevano i modisti, ma origina dall' uso. Ne deriva che, se la lingua si forma e si sviluppa come convenzione civile legata all' uso, la legittima comunicazione e la reciproca comprensione tra gli uomini di un dato paese potraé avvenire solo all' interno di quella data consuetudo. E se qualcuno si distaccheraé da essa, dovraé essere cacciato con disdoro dalla comunitaé dei dotti, cos|é come verraé espulso dalla comunitaé civile chi non ne rispetti le leggi e i costumi, dal momento che le varietaé delle lingue tra i popoli, sancite dall' uso degli autori piu é illustri e dal consenso pubblico dei parlanti, si collocano tra le regole e le leggi civili. Cogente la conclusione : Itaque
consuetudine, tanquam quodam more civili, standum est. Ma come si eé ricordato prima, nel mondo che ruota intorno a Roma e alla tradizione romana, il codice comune ed unico di riferimento eé naturalmente il latino, lingua per eccellenza, quale si eé venuta formando attraverso i secoli, col suo complesso organico e caratterizzante di morfologia, grammatica, sintassi, lessico, ed eé pertanto in questa lingua che ogni forma di discorso deve essere fatta, se si vuole mantenere aperti i canali fluenti della comunicazione, se si vuole rima-
25
L. Valle Repastinatio, II, 11, 6-7 e 14, p. 217 e 219. Un po' diversa, ed ugualmente
espressiva, la chiusa della I redazione : Hec itaque usu clarissimorum auctorum et publico quasi
consensu sancita, inter leges ac iura reponuntur (L. Valle Repastinatio, II, 9, 13, p. 475).
valla e quintiliano
247
nere all' interno della comunitaé dei parlanti. Sotto questo profilo, allora, e con queste premesse, il linguaggio specialistico e tecnicizzato della dialettica Scolastica, appositamente creato, o modificato rispetto alla tradizione del latino, risulta illegittimo e privo di senso. Quelle parole astratte dotate di significato û ontologico ý, quali entitas, deitas, quidditas, identitas, hecceitas º intenzionalmente coniate, ma inesistenti nel latino della tradizione º oppure quei termini che designano i sei trascendentali (ens, aliquid, res, unum, verum, bonum) o le dieci categorie (essentia o sustantia, qualitas, quantitas, ecc.), a cui vengono attribuiti valori logico-semantici diversi dai valori comuni in latino, ebbene, tutti questi termini º e quindi, si noti, tutte le strutture portanti della logica e della metafisica Scolastica º sono monstra sermonis, non verba, realtaé mostruose prive di senso e non parole, neoformazioni che non significano nulla (nihil significationis, nihil sententie habens), puri suoni destituiti di valore umano, anzi versi gracchianti di animali (corvina picinaque, non humana vox)
26
. Ogni tentativo di `dire in parole' cioé che la
filosofia Scolastica chiama l' û essenza ý ontologica delle cose ha creato solo termini û vuoti ý, û gusci ý o û maschere ý senza volto, parole apparentemente dotate di senso, ma che nella sostanza non vogliono dire niente, proprio poicheè assenti dall' unico punto di riferimento û legale ý, la lingua comune, o in quella caratterizzati, sempre secondo la convenzione comune, da significati diversi. E se questa impasse si verifica, vuol dire che la ragione umana, e la lingua che ne eé il veicolo espressivo, eé incapace di `dire' con verba cio é che eé superiore alla ragione stessa. L' operazione di û deontologizzazione ý della lingua della filosofia trova dunque nel concetto di consuetudo di Quintiliano il suo punto di partenza. Ma da Quintiliano proviene anche un supporto specifico sostanziale. Citato nella sua parte essenziale dal Valla nel 1 capitolo del I libro (Quot et que tum predicamenta, tum transcendentia), Inst., III, 6, 2229 eé una sorta di guida o legenda, proposta proprio in apertura, che dichiara gli intenti dell' autore cancellando ogni possibile dubbio. Prima ancora di entrare nella discussione dei û trascendentali ý, il Valla ostenta le sue credenziali, o, meglio, il proprio settore di appartenenza. Gli unici predicamenta di cui eé possibile parlare sono `dictiones' sive `appellationes' [...] principales in significando, cos|é come, appunto, Quintiliano, anche sulla scorta dei testi retorici greci, era venuto esplicando : quella serie di elementa [...] circa quae versari videatur omnis quaestio, quali essentia,
26
L. Valle Repastinatio, II, 11, 5, p. 217 ; I, 4, 7, p. 375 e II, 9, 3, p. 473. Concetti e
locuzioni analoghi sono presenti in tutta la Dialectica.
mariangela regoliosi
248
qualitas, quantitas, ecc. (Inst., III, 6, 23-24), che costituiscono il riferimento generale per tutti i vocaboli e le situazioni. Hec Quintilianus [...] ideo vocavit `elementa' , quod sensus ceterorum vocabulorum ad ista tanquam ad elementa et principia referantur ; ob eamque rem dicuntur `genera' , quod ex his cetera significata gignun tur, quorum nullum est alio superius aut alteri genus, sed ipsa sunt `genera principalia' et (si sic dicere liceret) `principalissima'
27
.
Sulla base di Quintiliano, i cosiddetti û trascendentali ý ritornano ad essere puri elementi del discorso, semplici û punti di sintesi ý del pensiero e della parola dell' uomo, utili a distinguere e circoscrivere caratteristiche e/o varietaé di tipo complessivo
28
. Ancora piué radicalmente,
del resto, eé nuovamente sulla base di Quintiliano che ogni rapporto tra
res
e
verba
viene
costituito
in
termini
puramente
descrittivo-
convenzionali. Sempre nei capitoli iniziali della Dialectica (I, 2 della redazione definitiva), il Valla si appoggia esplicitamente sull' autoritaé di Quintiliano per distinguere opportunamente tra la realtaé (solo empiricamente conoscibile) e le parole che la rappresentano, intese unicamente
come
rerum
nota
o
signa
(Inst.,
III, 31, 1
e
III, 5, 1),
e
in
particolare cita un passo illuminante di Inst., VII, 3,5 : Qui neget deum esse spiritum omnibus partibus inmixtum, non hoc dicat falsam esse divinae illius naturae appellationem, sicut Epicurus, qui humanam ei formam locumque inter mundos dedit. Nomine uterque uno utitur, utrum sit in re coniectat
29
. E
cioeé : unico eé il termine per û parlare ý di Dio, convenzionalmente scelto, plurima, e confinata in altri ambiti, la possibile e mutevole interpretazione della realtaé di Dio.
27 28
L. Valle Repastinatio, I, 1, 6-7, p. 9-10. Anche negli altri passi in cui Quintiliano menziona i medesimi elementa questi ven-
gono presentati sempre in termini di nomina : cf. Inst., II, 14, 2 ; VIII, 3, 33. In modo del tutto analogo, basati su constatazioni di fatto o sul puro consenso generale, e non anco rati ad alcuna dimensione metafisica, sono per Quintiliano i principi generali che fun gono da punto di riferimento dell' argomentazione retorica. Ergo cum sit argumentum ratio probationem praestans, qua colligitur aliud per aliud, et quae quod est dubium per id quod dubium non est confirmat, necesse est esse aliquid in causa quod probatione non egeat. [...] Pro certis autem habemus primum quae sensibus percipiuntur, ut quae videmus, audimus, [...] deinde ea in quae communi opinione consensum est : `deos esse' , `praestandam pietatem parentibus' ; praeterea quae legibus cauta sunt, quae persuasione etiam si non omnium hominum, eius tamen civitatis aut gentis in qua res agitur in mores recepta sunt : Inst., V, 10, 11-13 (corsivo mio). Giova ricordare che il passo fa parte dell' ampio settore del V libro dell' Institutio copiato dal Valla nel II libro della Dialectica : cf. supra.
29 mio).
Il passo di Quintiliano eé riferito in L. Valle Repastinatio, I, 2, 18-19, p. 16 (corsivo
valla e quintiliano
249
D' altra parte, ogni definizione (finitio) ha per Quintiliano valore squisitamente ricapitolativo (finitio igitur est rei propositae propria et dilucida et breviter comprensa verbis enuntiatio : Inst., VII, 3, 2), senza pretese ontologiche. Da cioé, nel Valla stesso il capovolgimento della concezione medievale. La definizione generale homo est animal rationale mortale non consente di cogliere l' û essenza ý della cosa-uomo, ne dice solo la significatio, cioeé quel nucleo di elementi essenziali utili a distinguere caratteristiche e varietaé : Cum interrogatione autem aut cum apposito videtur significare `ap pellatur' . Ut `quid est homo ?' , `quid est animal ?' : idest `homo' vel `animal' `quid appellatur ?' Homo est animal rationale mortale, idest his nominibus appellatur
30
.
L' adesione alle regole del discorso proposte dalla retorica svincola dunque il Valla dall' ontologismo del linguaggio e lo avvia decisamente sulla strada del linguaggio storico e convenzionale, unico parametro di riferimento espressivo e comunicativo. I trascendentali in senso metafisico û non esistono ý : semplificati e ricondotti al loro significato û naturale ý, si trasformano in puri elementa retorici e discorsivi, termini generali utili a raggruppare e riordinare û insiemi ý di concetti e di parole. L' unico ambito di discorso umanamente e razionalmente possibile, per il quale le parole umane sono idonee, eé quello legato alla res, al reale, alla storia, all' esperienza, dicibile con gli strumenti della mente e della bocca dell' uomo almeno in termini descrittivi e fenomenologici. Quale lessico usare, allora, per la metafisica e la teologia ? E quale tipo di discorso utilizzare per parlare del Dio cristiano ? Vano il tenta tivo di û definire ý il Mistero con le parole o le pseudo-definizioni inutilmente û inventate ý dalla filosofia Scolastica, resta al Valla il modello della Bibbia o dei Padri della Chiesa, che ricorrono al linguaggio poe tico delle immagini, dei simboli, delle figure, per û dire ý il Mistero della divinitaé
31
. E é la svolta û retorica ý della teologia, su cui torneroé
meglio qui sotto.
30
L. Valle Repastinatio, I, 16, 21, p. 134 (corsivo mio). Una espressione del tutto si -
mile in L. Valle Repastinatio, I, 14, 25, p. 124.
31
Si vedano le bellissime trattazioni-discussioni di De `spiritu' deque `Deo' et angelis e
De anima di L. Valle Repastinatio, I, 8, p. 50-59 e I, 9, p. 59-73. E é molto interessante la valorizzazione, in questo ambito, del linguaggio dei poeti (melius igitur [...] poete : Valle Repastinatio, I, 8, 23, p. 58), in altra sede, come si ricorderaé, emarginato in quanto le esigenze metriche e le connotazioni figurali e metaforiche lo rendevano inidoneo alle esigenze di chiarezza del discorso comune. Per dire l' indicibile, invece, eé proprio la polisemia dell' immagine poetica che puoé venire in soccorso.
250
mariangela regoliosi
L' influenza
di
Quintiliano
nella
opzione
valliana
per
l' argomentazione retorica
Ritengo opportuno approfondire quest' aspetto, poicheè eé uno dei piué caratterizzanti del Valla. Su di esso ha posto giustamente l' accento Camporeale, ma per comprendere in modo corretto la posizione del Valla e non cadere in fraintendimenti, occorre ricordare che per il
Retorica una delle forme del ragiona-
Valla, cos|é come per il mondo classico, a partire almeno dalla di Aristotele, l' argomentazione retorica eé
mento, diversa, ma ugualmente degna rispetto a quella deduttivo apodittica : se quest' ultima trova il suo ambito di utilizzazione nei discorsi in cui si possano raggiungere
razionalmente veritaé û necessarie ý, la
prima dovraé invece essere applicata in tutti gli ambiti del discorso ancorati al mondo del verosimile e del probabile. Rifarsi alla retorica non significa dunque abdicare ad una ricerca rigorosa della veritaé, neè, tanto meno, abbandonarsi semplicemente ad una prosa chiara, eloquente ed ornata
32
. Significa invece condividere la convinzione che
nello spazio della conoscenza razionale umana ben pochi sono gli am biti in cui le veritaé categoriche sono raggiungibili (se non, naturalmente,
attraverso
l'
escamotage
dei
cosiddetti
û universali ý,
che
û universali ý in realtaé non sono), e molto piué numerosi i settori in cui la conoscenza puoé avvenire solo in termini approssimativi, analogici, induttivi. Per û dire ý questi tipi di discorsi l' unica forma argomentativo-espositiva eé quella della retorica (di matrice aristotelico-quintilianea,
appunto),
che
rifiuta
il
sillogismo,
idoneo
solo
per
veritaé
categoriche controllabili dalla mente umana, e accoglie invece il lin-
communis consuetudo, a livello di tessuto linguiinductio, cioeé quel procedimento che partendo dagli exempla storici a tutti noti e da tutti condivisi, vi individua il sostegno e la `prova' del ragionamento in corso e ne induce guaggio storico della
stico, e a livello argomentativo, l'
una conclusione possibile e comunque aperta, a favore dell' oggetto della discussione
33
.
Non eé certamente un caso che Quintiliano, dopo aver esposto le di-
quid sit rhetorice, rifiuti le definizioni di tipo sofirhetoricem esse vim persuadendi (e simili) º per optare
verse posizioni circa stico-strumentale º
32
E é questa la convinzione di quanti (come Lucia Cesarini Martinelli o Riccardo
Fubini) minimizzano la rilevanza della retorica nell' opera del Valla, riducendola al ruolo di pura tecnica : cf. la bibliografia citata in L. Valla,
33
Le postille, p. liii, n. 54.
Si vedano al proposito, tra gli infiniti rimandi possibili, le considerazioni di Quin -
tiliano qui sopra citate alla nota 28.
valla e quintiliano decisamente per una definizione totalizzante :
scientiam,
û la retorica eé la scienza della parola
34
251 rhetorice esse bene dicendi ý.
Nel nome di questa concezione pregnante della retorica, il Valla condusse lungo tutta la sua vita un' ardua battaglia contro la dannosa pervasivitaé dell' argomentazione sillogistica, in favore di una estesa applicazione dell' argomentazione retorica. Giaé nel giovanile trattatello contro
la
giurisprudenza
medievale,
la
Epistola contra Bartolum
del
1433, il Valla denunciava la invasiva metodologia dialettico-sillogistica, chiamata nell' etaé della Scolastica a dare dignitaé di scienza a ogni forma
di
sapere e
pertanto
universalmente
utilizzata
come
chiave
d' accesso ad ogni disciplina, e rivendicava, nel nome di Cicerone e Quintiliano, l' opportunitaé e la migliore utilitaé della argomentazione retorica, non solo piué efficace e chiara dell' ardua argomentazione sillogistica, ma piué appropriata in tutte quelle discipline in cui risulta di fatto impossibile partire da premesse assolute e universali vincolanti e in cui, invece, ha grande peso induttivamente l' esperienza e la fenomenologia storica : attraverso l' analisi critica dei limiti del procedi mento
giuridico
medievale
egli
liberava
cos|é
la
giurisprudenza
dall' assetto logico-filosofico in cui l' avevano sistemata specialmente i commentatori come Bartolo da Sassoferrato e la reimpostava in senso storico-convenzionale
35
. Ma eé soprattutto con la
Dialectica
dialectice et philosophie zioni)
36
(o
reconcinnatio
o
retractatio,
che la ri-
Repastinatio
cerca della veritaé viene û rifondata ý in termini retorici. La
a seconda delle reda-
, consiste proprio nel ribaltamento della metodologia aristote-
lico-scolastica.
Il
testo
piué
fortemente
dichiarativo
eé
il
bellissimo
Proemio al secondo libro, dove la logica sillogistica, definita
prorsus et facilis,
res brevis
viene posta in subordine rispetto all' arte oratoria, che
usa tutti gli strumenti argomentativi possibili, compresi quelli domi nati dalla filosofia, ma potenziati ed arricchiti, che ha sede
sam civitatem
e sa parlare
e mestiere, ed eé quindi
publicis auribus,
difficillima
[...]
apud univer-
che verte su ogni scienza, arte
et ardua,
completa e complessa
37
.
Ma ancora piué interessanti sono le considerazioni d' apertura dei capitoli II, 19-23, che, come si eé accennato all' inizio, riportano per intero
34
Alla discussione sulla definizione, e quindi sulla essenza e gli scopi, della retorica eé
dedicato tutto
35
Inst.,
II, 15. I passi citati, a II, 15, 1 ; 3 ; 38.
Cf. M. Regoliosi, û L' Epistola
contra Bartolum
del Valla ý, e l' ampio commento che
accompagna l' edizione.
36
Per la peculiare terminologia usata dal Valla per qualificare la sua opera di `rifonda -
zione'
della logica, cf. M. Regoliosi, û Il rinnovamento del lessico filosofico ý, p. 98,
n. 2.
37
L. Valle
Repastinatio,
II, Proemium, p. 175-177.
mariangela regoliosi
252
i capitoli V, 8-10 dell' Institutio oratoria. Prima dell' elogio di Quintiliano di cui si eé parlato, e prima della enucleazione delle principali forme dell' argomentazione retorica probatoria, il Valla risponde alla domanda quo tendat omnis probatio et per quid : Tres igitur ex his modis seligimus : `possibile' , `impossibile' , `verum' . [...] Omnia enim sint vera oportet, sive dicas `necesse est' sive `possi bile' sive `facile' sive `honestum' sive cetera omnia. [...] Ut ne ab eo dem recedam exemplo, `honestum est quenlibet civem pugnare pro patria' : hoc verum certumque est, quod omnes confitentur ; item minor confessa, `Cato est civis romanus' ; tum conclusio, `ergo debet pu gnare pro Roma que est ipsius patria' : hec veritas necessario sequitur et
quasi extorquetur, ut sic queas concludere, `ergo necessario pro patria sua Cato honeste pugnaret' . At quotiens ratio non plane vera pla neque certa, sed semivera ac semicerta est, tum conclusio non est ne cessaria,
sed
seminecessaria :
vocabitur `verisimilis'
que
cum
multum
habuerit
virium
sive `credibilis' , hoc est valde possibilis, cum
paulum vocabitur `possibilis' , idest aliquantum verisimilis atque credi bilis. Ut in hoc exemplo, `mater amat filium' : hec enuntiatio non est plane vera sed semivera, quia de omni matre non certum est, eoque non
apponimus
signum
universale
`unaqueque'
sive
`omnis' .
[...]
Maximi auctores, quorum sunt Cicero et Quintilianus, duas tantum partes fecerunt sive species probationum, ut alie sint `necessarie' , alie `non repugnantes' sive `credibiles' : quarum prior ad logicos, utraque ad oratores pertinent, illa caret comparatione, hec non caret. Nam omne
verisimile est alio aut maius aut minus, necessarium non est aliud alio maius minusve ad legem veritatis
38
.
Chiarissimo il senso della sua risposta. La ricerca della veritaé puo é essere condotta in due modi, a seconda degli ambiti. In modo û necessario ý, quando si possa partire da premesse universali (ma, si noti, non di universali û ontologici ý si tratta, bens|é, sulla scorta di Quintiliano, di enunciati di carattere generale, su cui ci sia l' accordo della communis
opinio), che conducano a consequenzialitaé cogenti, e quindi sulla base del sillogismo : ed eé il campo della logica. In modo û credibile ý o û probabile ý, invece, in mancanza di certezze di tipo generale, nei casi concreti,
possibili,
opinabili,
dove
il
procedimento
argomentativo
puo é procedere solo per û confronti ý tra situazioni analoghe, ciascuna delle quali conferma, rafforza l' altra, garantendone la veridicitaé : ed eé il caso della retorica. Basti al proposito il rimando ad alcuni passi di Quintiliano :
38
L. Valle Repastinatio, II, 19, 5 ; 8-10 ; 15, p. 238, 239, 241 (corsivo mio).
valla e quintiliano
253
Potentissimum autem est inter ea quae sunt huius generis [ scil. probationum] quod proprie vocamus exemplum, id est rei gestae aut ut gestae
utilis
ad
persuadendum
id
quod
intenderis
commemoratio.
Intuendum igitur est totum simile sit an ex parte [...]. Etiam in iis quae futura dicemus utilis similium admonitio est, ut si quis dicens Dionysium idcirco petere custodes salutis suae ut eorum adiutus armis tyrannidem occupet, hoc referat exemplum eadem ratione Pisistratus ad dominationem pervenisse. Sed ut exempla interim tota similia, ut hoc proximum, sic interim ex maioribus ad minora, ex minoribus ad maiora ducuntur. [...] `Tibicines, cum ab urbe discessissent, publice revocati sunt : quanto magis principes civitatis viri et bene de re publica meriti, cum invidiae cesserint, ab exilio reducendi !'
Ad exhortationem vero
praecipue valent imparia. Admirabilior in femina quam in viro virtus. Quare, si ad fortiter faciendum accendatur aliquis, non tantum adfe rent momenti Horatius et Torquatus quantum illa mulier cuius manu Pirrhus est interfectus
39
.
Nella vita comune, dunque, la veritaé-validitaé di determinati assunti non eé dimostrabile o sostenibile in termini categorici, ma puoé essere con
buona
probabilitaé
sostenuta
sulla
scorta
di
un
ragionamento
concreto e comparativo : mettendola a confronto, appunto, con casi analoghi giaé concordemente verificati, che ne assicurino la legittimitaé, soprattutto se questa eé di un grado superiore a quella dell' exemplum di riferimento. L' adesione non formalistica ma strutturale alla retorica comporta naturalmente in Valla, alla fine, un rifiuto radicale della filosofia di matrice aristotelico-boeziana-scolastica. Egli coglie con luciditaé l' inadeguatezza di tale filosofia º caratterizzata dalla concettualizzazione e dalla speculazione nella logica e nella grammatica e dalla esclusiva argomentazione apodittica come struttura del ragionamento º a û dire ý il reale in tutte le sue forme, poicheè l' astrattezza delle definizioni da una parte irrigidisce e schematizza la pluralitaé dell' esperienza, dall' altra û chiude ý in termini definitori la infinita e incommensurabile ricchezza della natura : Et quanto id mihi magis est concedendum qui non philosophie sacris, sed oratoriis et poeticis initiatus sum, maioribus et prestantioribus ! Si quidem philosophia velut miles est aut tribunus sub imperatrice ora tione
et,
ut
magnus
quidam
tragicus
appellat,
regina.
Et
Marcus
Tullius quecunque in philosophia vellet disputare sibi permisit libere loqui in nullam sectam obstrictus idque preclare. Sed tamen mallem ut non tanquam philosophum se illa tractare predicasset, sed tanquam
39
Quint., Inst., V, 11, 6-10 (corsivo mio).
mariangela regoliosi
254
oratorem, et in hoc vel magis eandem licentiam aut potius libertatem exercuisset, ut quicquid oratorie supellectilis apud illos invenisset (om nia autem que philosophia sibi vendicat nostra sunt), id omne ab illis fortiter repoposcisset ; et si qui repugnassent, gladium illum quem a regina rerum, eloquentia, acceperat in latruncolos philosophos strin xisset et male meritos male mulctasset. Quanto enim evidentius, gra vius, magnificentius ab oratoribus illa disseruntur quam a philosophis obscuris, squalidis et exanguibus disputantur ! Hec testatus sum quod significare volui me de hac re de qua philosophi depugnarunt non il lorum, sed nostro more velle disputare.
Sono queste le pregnanti parole con cui Maffeo Vegio introduce, nel primo libro del dialogo valliano De vero bono, il punto di vista epicureo sulla felicitaé
40
: e sono parole che ribadiscono, nel nome dell' ora-
toria e dell' eloquentia, la inferioritaé della filosofia. Perfino per parlare di questioni squisitamente filosofiche eé opportuno abbandonare i procedimenti della filosofia, schematici, riduttivi, oscuri, ed utilizzare invece a piene mani tutti i sussidi offerti dalla û regina ý, che consente di esprimere i medesimi concetti in modo estremamente piué efficace (evidentius), profondo (gravius), convincente (magnificentius). Lo stesso Cicerone eé colto in fallo : nelle sue opere filosofiche ha voluto û gio care ý a fare il filosofo e non ha, al contrario, completamente û trainato ý
la
filosofia
nell' ambito
del
discorso
retorico.
Il
Valla,
al
contrario, ha deciso di trattare del vero bene nostro more, secondo il metodo discorsivo della retorica, superiore ed esaustivo
41
.
La radice del paragrafo eé riscontrabile, per parallelismi evidenti, in uno dei luoghi in cui anche Quintiliano attacca i philosophi. Nella ricapitolazione conclusiva, l' Institutio oratoria, XII, 2, 4-9 raccomanda all' oratore di conoscere gli elementi che formano la morale, elementi che hanno oramai la loro sede nella doctrina dei filosofi : ma l' auspicio eé che il perfetto oratore rivendichi a seè i contenuti della filosofia e, ripristinando l' unitaé originaria del sapere, inglobi il tutto nell' eloquenza, la sola che sa dare adeguata û voce ý ad ogni forma di conoscenza :
40
L. Valla, De vero falsoque bono, ed. M. De Panizza Lorch, Bari, 1970, p. 14-15. E é in-
teressante notare che la prima redazione del dialogo eé ancora piué esplicita : invece che quam a philosophis obscuris, squalidis et exanguibus disputantur il Valla aveva scritto : quam a dialecticis obscuris quibusdam squalidis et exanguibus disputantur (cf. l' apparato a p. 157 dell' edizione citata). L' attributo di regina assegnato all' eloquentia rimanda di nuovo a Quintiliano : [...] illam, ut ait non ignobilis tragicus, `regina rerum orationem' , con riferimento al tragico Pacuvio (Inst., I, 12, 18).
41
Non
soddisfacenti,
percheè
non
centrate
correttamente
sul
rapporto
filosofia -
retorica in Valla, le interpretazioni precedenti del passo riferite e discusse in L. Valla, Le postille, p.
c - ci.
valla e quintiliano
255
Ad illud sequens praevertatur, ne dicendi quidem satis peritum fore, qui non et naturae vim omnem penitus perspexerit et mores praecep tis ac ratione formarit. Neque enim frustra in tertio de Oratore libro L. Crassus cuncta quae de aequo, iusto, vero, bono deque iis quae sunt contra posita dicantur propria esse oratoris adfirmat ac philosophos, cum
ea dicendi viribus tuentur, uti rhetorum armis, non suis. Idem tamen confitetur ea iam esse a philosophia petenda, videlicet quia magis haec illi vi detur in possessione earum rerum fuisse. Hinc etiam illud est quod Cicero pluribus et libris et epistulis testatur, dicendi facultatem ex inti mis sapientiae fontibus fluere, ideoque aliquandiu praeceptores eos dem fuisse morum atque dicendi. Quapropter haec exhortatio mea non eo pertinet, ut esse oratorem philosophum velim, quando non alia vitae secta longius a civilibus officiis atque ab omni munere orato ris recessit. Nam quis philosophorum aut in iudiciis frequens aut cla rus in contionibus fuit ? Quis denique in ipsa quam maxime plerique praecipiunt rei publicae administratione versatus est ? Atqui ego illum quem instituo Romanum quendam velim esse sapientem qui non se cretis disputationibus sed rerum experimentis atque operibus vere ci vilem virum exhibeat. Sed quia deserta ab iis qui se ad eloquentiam contulerunt studia sapientiae [...] versantur, [...] ab iis petere necesse est apud quos remansit : evolvendi penitus auctores qui de virtute praecipiunt, ut oratoris vita cum scientia divinarum rerum sit huma narumque coniuncta. Quae ipsae quanto maiores ac pulchriores viderentur si
illas ii docerent qui etiam eloqui praestantissime possent ? Utinamque sit tempus umquam quo perfectus aliquis qualem optamus orator hanc artem superbo nomine et vitiis quorundam bona eius corrumpentium invi sam vindicet sibi ac velut rebus repetitis in corpus eloquentiae adducat !
Il corsivo evidenzia i punti in cui il Valla ha ripreso da Quintiliano : comune eé la convinzione che la retorica dovrebbe e potrebbe assimilare in seè tutti i contenuti della filosofia per esprimerli con superiore efficacia ; comune la insofferenza verso il linguaggio dei filosofi. E non eé l' unico caso. Tutti i luoghi in cui analogamente il retore latino stigmatizza i vitia dei filosofi (ad es. Inst., I, Pr., 9-20 ; XI, 1, 35) sono riecheggiati dal Valla : l' elenco dei passi relativi sarebbe troppo lungo, ma ricordo almeno il I Proemio alla Dialectica ove, in modo simile a quanto dichiarato nel passo quintilianeo testeè riportato, anche il Valla insiste, oltre che sulla povertaé e equivocitaé del linguaggio dei filosofi, sulla loro ingiustificata e fastidiosa superbia e sulla vacua sterilitaé della loro vita, chiusa nel recinto delle sette e remota dal vivere civile
42
42
.
L. Valle Repastinatio, I, Proemio, p. 1-8.
mariangela regoliosi
256
Come prima per la questione della lingua, occorre dire peroé che la affinitaé tra Quintiliano e Valla eé sostanziale, ma anche apparente. Ben diversi sono i filosofi a cui Quintiliano fa riferimento, meno radicale la sua condanna della filosofia. Il Valla û sposa ý in toto le considerazioni quintilianee, ma enfatizzandole ed applicandole alla sua epoca, e facen dosene forza per stigmatizzare la filosofia û inventata ý nel Medio Evo, con il suo latino astratto, con il suo procedimento sillogistico, con la sua pretesa di tutto interpretare ed incasellare. Un esempio fra tanti credo dia la misura dello scarto : accanto ad Inst., XII, 2, 15 (Iam pars
illa moralis, quae dicitur ethice, certe tota oratori est accommodata), il Valla sul suo codice postilla : oratorem facilius ac melius moraliter loqui quam phi-
losophum - affermazione che û forza ý i termini del discorso di Quintiliano e li radicalizza
43
.
La passione totalizzante per la retorica ha comunque, naturalmente, delle ricadute forti in molti settori dell' attivitaé culturale del Valla. Ovvia prima di tutto l' estesa applicazione dei procedimenti della
oratio retorica (l' entimema, l' inductio, gli exempla, il dialogo in utramque partem, le stringenti e coinvolgenti frasi interrogativo-esclamative, le prosopopee, i paragoni, ecc.) nell' organizzazione dei propri discorsi. Senza prolungare un' indagine che costringerebbe a passare in rassegna le modalitaé espressive di tutte le opere, ricordo un solo esempio, fortemente rappresentativo. L' intera struttura di una delle opere piué famose del Valla, il De falso credita et ementita Constantini donatione
44
, si
fonda su modalitaé argomentative suggerite da Quintiliano, nello specifico dal capitolo Inst., V, 5, che, all' interno delle probationes inartificia-
les, a proposito della probatio de tabulis º e quindi proprio a proposito del sistema di argomentazioni da opporre ad un documento scritto º consiglia : Contra tabulas quoque saepe dicendum est, cum eas non solum refelli sed etiam accusari sciamus usitatum esse. Cum sit autem in his aut sce-
lus signatorum aut ignorantia, tutius ac facilius id quod secundo loco diximus tractatur, quod pauciores rei fiunt. Sed hoc ipsum argumenta ex
causa trahit, si forte aut incredibile est id actum esse quod tabulae continent, aut, ut frequentius evenit, aliis probationibus aeque inartificialibus solvitur, si aut is in quem signatum est aut aliquis signator dicitur afuisse vel
43
Una serie di casi simili eé riferita da L. Valla, Le postille, p.
xxxv - xli ; significative a
questo proposito anche talune rubriche marginali : cf. ad es. J. Fernaè ndez Loèpez, Retoèrica,
Humanismo y Filolog|èa, p. 465. 44 Cf. L. Valla, De falso credita et ementita Constantini donatione, ed. W. Setz, Weimar, 1976 (Monumenta Germaniae Historica. Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters 10).
valla e quintiliano
257
prius esse defunctus, si tempora non congruunt, si vel antecedentia vel inse-
quentia tabulis repugnant. Inspectio etiam ipsa saepe falsum deprendit
45
.
I corsivi sono ovviamente miei e tendono ad evidenziare gli elementi piué significativi del breve ma denso capitolo. Il retore latino suggerisce, di fronte ad un documento corrotto dall' intenzione crimi nosa (scelus) o dall' ignorantia di chi lo ha sottoscritto, di adottare una duplice serie di argomentazioni refutatorie, da una parte ex causa, cioeé di tipo retorico, e quindi orientate alla dimostrazione della inverosi miglianza del contenuto del documento, dall' altra inartificiales, cioeé al di fuori della retorica e basate invece sui fatti : l' esame diretto delle caratteristiche
materiali
del
documento
o
la constatazione di incon-
gruenze tra il sottoscrittore del documento e il documento stesso, oppure interne al testo. Evidente mi pare l' assunzione in toto degli spunti quintilianei da parte del Valla. Contro al crimen [...] supine ignorantie sive immanis avari-
tie degli estensori del documento
46
(che riecheggia chiaramente il scelus
signatorum aut ignorantia del passo di Quintiliano), l' umanista romano mette in atto, in modo combinato, entrambe le modalitaé argomentative proposte, intrecciando probationes ex causa a prove inartificiales : e quindi sviluppa, nella prima parte, attraverso una serie di orazioni fittizie (del Valla stesso a re e principi ; degli eredi dell' imperatore, del Senato romano, di papa Silvestro a Costantino), tutte le prove di tipo probabilistico, mentre nella seconda squaderna, con estrema abilitaé e competenza, le prove fattuali e storicamente incontrovertibili, ricavate dalla vivisezione del documento e dalla conseguente eclatante rilevazione delle sue contraddizioni e della sua inattendibilitaé. In questo modo, e proprio grazie al modello quintilianeo, l' intero trattato del Valla ha funzione dimostrativa. L' analisi storico-linguistica del testo della Donatio, che, con acuto senso storico della lingua latina e del suo divenire, evidenzia tutte le incongruenze rispetto al latino del periodo e dell' ambiente in cui sarebbe collocata la stesura dello pseudo-documento, rientra nella tipologia delle indagini fattuali che, lo abbiamo visto, la retorica stessa suggeriva per smascherare la falsa attendibilitaé delle tabulae ; e dall' altra parte, tutto cioé che circonda, precede o segue la capillare disamina linguistico-filologica, ben lungi dall' essere
45
enfatico orpello
decorativo,
o
brillante
bozzetto
di co-
L' individuazione della fonte quintilianea si deve a V. De Caprio, û Retorica e ideo -
logia nella Declamatio di Lorenzo Valla sulla donazione di Costantino ý, Paragone, 338 (1978), p. 36-56.
46
L. Valla, De falso credita, p. 60.
mariangela regoliosi
258
stume, o acida invettiva, eé una diversa, eppure valida forma di dimostrazione. Entra in gioco, cioeé, attraverso le orationes una disamina storiografico-psicologica, tesa a dimostrare la falsitaé del documento in termini di improbabilitaé : a fronte della tipologia standard del potere, che,
come
si
apprende
attraverso
gli
exempla
tratti
dalle
vicende
umane, tende ad aumentare se stesso, anche con la violenza, e non ad autoridursi, risulta altamente improbabile, se non impossibile, che un imperatore abbia potuto spontaneamente privarsi del proprio domi nio ; e, per converso, a fronte della essenza spirituale della Chiesa, quale emerge dalla Sacra Scrittura, risulta altamente improbabile, se non impossibile, che un papa abbia potuto liberamente accettare un dominio terreno in assoluto contrasto con la sua autentica vocazione religiosa. Ed eé proprio da questa contrapposizione, tra gli elementi costitutivi del potere umano e gli elementi costitutivi della Chiesa di Cristo, che scatta la inverosimiglianza della donazione, e quindi si insinua il dubbio sulla possibilitaé stessa che essa sia mai avvenuta. All' interno di questa generale struttura retorica, infiniti poi sono gli altri accorgimenti orator|ê via via utilizzati, a dare conferma di quanto il Valla stesso aveva affermato : orationem meam de `donatione Constantini' , qua nihil magis oratorium scripsi [...]
47
. Basti solo un aspetto,
tra i tanti, del û meccanismo ý del procedimento. Nelle pagine immediatamente Constantini
precedenti
48
e
successive
alla
discussione
del
Constitutum
, l' ampia e sarcastica presentazione della serie di falsitaé
pseudo-agiografiche a cui i papi hanno creduto durante i secoli e in particolare l' esame della risibile trama della Vita Silvestri, notissima narrazione
agiografica
che
nella tradizione del
testo
completo
del
Constitutum Constantini funge da cappello introduttivo e contenitore della û donazione ý, non sono û illuministiche ý demistificazioni di credenze anili. Sono uno dei puntelli dell' argomentazione. Con tipico procedimento induttivo di stampo quintilianeo (ut ex uno exemplo facile aliorum coniectura capiatur
49
), il Valla denuncia la palese falsitaé di
molte leggende soprattutto con lo scopo di addurre una prova ulteriore della falsitaé dell' atto di donazione. Se eé falsa, totalmente falsa ed incredibile la Vita Silvestri, viene meno la pseudo-probatio propinata da Paucapalea al momento dell' inserzione del Constitutum Constantini nel Decretum di Graziano : a Paucapalea, che fonda la validitaé dell' atto di
47
L. Valle Epistole, p. 252 (ep. n
48
L. Valla, De falso credita, p. 96-101 e 140-148.
49
o
L. Valla, De falso credita, p. 144.
23, a Giovanni Aurispa, del 31 dicembre 1443).
valla e quintiliano
259
donazione sulla prova della sua provenienza ex gestis Silvestri
50
, il Valla
oppone una contro-prova, la dimostrazione che cioé su cui si basa l' intero castello (omnis in hoc questio versatur
51
) eé in realtaé un cumulo di
gratuite menzogne, che in quanto tali tolgono credibilitaé, anzicheè darla, al testo interconnesso. Ma non eé solo nella strutturazione retorica del discorso che il Valla rivela la sua discepolanza quintilianea. L' assunzione dell' argomentazione retorica a forma dominante del ragionamento induce il Valla a scelte significative. Accenno almeno alle piué rilevanti. La prima riguarda la teologia. La teologia tomistica eé rifiutata, lo si eé visto, per il suo linguaggio tipicizzato ; ma anche, giaé lo si eé accennato, per il suo sforzo razionalizzante, che costruisce una sorta di in terpretazione del Mistero sulla base di una catena sillogistica fondata sugli û universali ý. Il tentativo, secondo Valla, non approda a nulla poicheè il Mistero eé inconoscibile in termini razionali, e le conseguenze non possono dunque che essere vane o negative. Vana superbia (Ita nunc quod Deus occultum esse voluit, occultum sit, ne Aristotelis gigantea teme ritate celum scandere ac rescindere audeamus, qui nihil nescire videri voluit
52
),
negativa e û pagana ý immagine del Dio cristiano, ridotto al û Motore immobile ý della filosofia (Quid, ille magnus Deus nihil aliud nisi contemplatur, nihil neque habet ipse negocii neque alteri exhibet, nihil nobis neque prodest neque obest non modo viventibus, sed etiam vita defunctis ? [...] fateamurque Aristotelem insipidissime disputare de `primo motore' : quo nomine Deum appellare contumeliosum est
53
), dannosissimo rischio di eresie, che
tendono ad annullare le contraddizioni inspiegabili sulla base della ragione mediante û decurtazioni ý della veritaé rivelata : Maxime vellem [...] hi qui theologi vocantur non ita multum tribue rent philosophiae, nec [...] prope parem ac sororem, ne dicam patro nam,
theologiae
facerent.
[...]
Ac
quidem
[...]
quidquid
illis
temporibus haeresum fuit, [...] id omne fere ex philosophicorum dog matum fontibus nascebantur [...]. Nolimus altum sapere, sed timea mus ne simus philosophorum similes, qui dicentes se sapientes stulti facti sunt ; qui, ne aliquid ignorare viderentur, de omnibus disputa bant, apponentes in caelum os suum atque illud scandere, ne dicam rescindere
volentes,
quasi
superbi
ac
temerarii
50
L. Valla, De falso credita, p. 96.
51
L. Valla, De falso credita, p. 144.
52
L. Valle Repastinatio, I, 8, 9, p. 53.
53
L. Valle Repastinatio, I, 8, 22, p. 58 ; I, 9, 42, p. 72.
gigantes
a
potenti
mariangela regoliosi
260
brachio dei in terram praecipitati sunt atque in inferno, ut Typheus in Sicilia, consepulti. Quorum in primis fuit Aristoteles [...]
54
.
Costante eé, per converso, il richiamo ad una rigenerazione. Nei confronti di Dio il grande esempio di discorso teologico eé quello di san Paolo e dei Padri della Chiesa, che felicemente remoti da ogni commistione filosofica (poicheè le parole della filosofia nihil ad scientiam
rerum divinarum conducere videbantur), parlano di Dio sulla base della Fede, con ardore ed emozione (fulgurare et ardere videantur), non tanto cercando di û definire ý il Mistero, quanto proclamando il messaggio ricevuto dalla Rivelazione e l' annuncio della Salvezza in esso conte nuto, e esortando all' adesione di fede attraverso la forza della Parola di Dio (gladium, quod est Verbum Dei [Paul., Ephes., 6, 17]
55
). Di conse-
guenza, il modello discorsivo non saraé logico-deduttivo-sillogistico, ma retorico-epidittico. E non eé un caso che le dichiarazioni piué esplicite in merito si riscontrino in una postilla al capitolo di Quintiliano dedicato al genus demonstrativum, all' oratoria quae constat laude ac vitupe-
ratione, e in particolare a quella che si occupa delle laudes deorum. Dalle considerazioni del retore latino sulle specifiche peculiaritaé di questo û genere ý, non impegnato a trattare de re dubia, ma prevalentemente teso ad amplificare et ornare, il Valla ricava una conseguenza diretta circa le modalitaé del discorso sul Dio cristiano : Adeo mihi laudabile et expetendum videtur genus demonstrativum, ut nullum opus magis a philosophis desiderem et hoc tempore a theo logis ; et nullum magis opus dignius homine videatur quam laudare
opera Dei, ad quod faciendum tanta materia suppeditat, ut nulla possit etas sufficere
54
56
.
E é questo il grande tema del De libero arbitrio : L. Valla, Le dialogue sur le libre arbitre,
ed. J. Chomarat, Paris, 1983, p. 26 e 49 (ma molte altre pagine meriterebbero di essere riportate). A p. 51, n. 4, le fonti cristiane (Tertulliano e Gerolamo) del rapporto eresia filosofia. Su questa tematica, cf. anche il IV Proemio delle Elegantie, in Prosatori latini del
Quattrocento, a cura di E. Garin, Milano-Napoli, 1952, p. 616.
55
Le citazioni sono tratte dall' Encomion s. Thomae, l' ultimo intervento del Valla, ar-
dita denuncia dei limiti della teologia filosofico-tomista, che pretende di û chiudere ý Dio in definizioni razionali e in parole nullius ponderis : cf. J. Vahlen, û Lorenzo Valla u«ber Thomas von Aquino ý, in Vierteljahrsschrift fur Kultur und Litteratur der Renaissance , I, Leipzig, 1886, p. 394 (l' edizione dell' elogio valliano, alle p. 390-396).
56
L. Valla, Le postille,
p. 82 ;
J. Fernaèndez
Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa,
p. 282. I passi di Quintiliano menzionati e chiosati sono Inst., III, 7, 1, 3-4, 7. Analoga la postilla a Inst., XI, 2, 4, dove Quintiliano dichiara di rinunciare ad indagare quid sit quod
memoriam faciat, percheè il problema eé superiore alle capacitaé di comprensione umana, e di limitarsi ad admirari naturam, e il Valla chiosa : Hoc vellem facerent plerique philosophorum, ut
quotiens quid investigare non possunt, agnoscerent infirmitatem humanam contentique essent admirari naturam et hoc genus laudis redderent Deo (L. Valla, Le postille, p. 232 ; J. Fernaèndez
valla e quintiliano
261
Si tratta, come si vede, di una û forzatura ý del testo quintilianeo, û spinto ý a supportare la lotta verso la teologia tomistica e la difesa della teologia biblico-patristica. E é un fatto comunque che proprio dalla riflessione su Quintiliano nasce nel Valla lo stimolo alla ripresa di contatto con le modalitaé del discorso su Dio di san Paolo e dei grandi Ambrogio, Gerolamo, Agostino, Gregorio. E non si tratta di fattori puramente formali o di gusto. La identificazione coi Padri della Chiesa non nasce da pura adesione ad un latino piué elegante e classico ; la scelta dello stile retorico epidittico non ha origine nella rinuncia ad una seria riflessione teologica. La constatazione della impossi-
bilitaé del
lo`goq di ogni lingua storica di enunciare e definire in termini
logico-razionali i fundamenta metafisici della realtaé comporta l' orientamento verso l' unico, possibile discorso su Dio concesso all' uomo storico, quello di tipo retorico, secondo tutte le accezioni possibili di tale disciplina. O secondo la forma della enarratio testuale, e quindi del riesame critico, su base linguistico-filologica, del testo biblico (cioé che il Valla faraé con le Adnotationes in Novum Testamentum), o secondo la forma epidittico-esortativa, utilizzata appunto da san Paolo e dai Padri della Chiesa, e quindi manifestando con calore ed efficacia, nella fede, la contemplazione, la proclamazione, la lode del Mistero della Parola rivelata, e a tale veritaé misteriosa esortando i credenti. Molto significativo, in questo senso, anche il capitolo V, 30 delle Elegantie : la fides cristiana non probatione nititur, sed persuasione, quae praestantior est quam
probatio. [...] Non enim solum sibi probatum putat, sed sese commotum ad ea exequenda intelligit. Non eé solo la teologia, d' altra parte, l' unica disciplina ad essere rifondata su base retorica. Giaé si eé parlato della riforma della giurisprudenza, orientata ad una visione non û formale ý dei testi legislativi
57
.
Un cenno almeno andraé fatto anche alla û fondazione ý della storiografia come û filosofia etica ý in opposizione all' etica dei filosofi. Il tema viene affrontato dal Valla nel densissimo Proemio ai Gesta Ferdinandi
Lo è pez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa, p. 420 ; corsivo mio). Le medesime considerazioni nel IV Proemio delle Elegantie, p. 612-622, passim.
57
Cf. supra a proposito dell' Epistola contra Bartolum. Ma si vedano anche le molte po-
stille ai luoghi quintilianei che affrontano problemi giuridici, nelle quali costante eé una concezione dinamica, possibilistica, concreta del giudizio etico nell' ambito delle leggi : cf. la serie dei passi commentati in L. Valla, Le postille, p.
lxxxi - lxxxvi .
Sintomatico,
in questo senso, eé il recupero diretto del Digesto giustinianeo, indispensabile per traghettare il diritto fuori della sfera di interpretazione trecentesca logico -deduttiva (cf. soprattutto il III Proemio alle Elegantie).
mariangela regoliosi
262
regis, e le fonti ne sono multiple e complesse
58
. Ma certamente una
delle fonti primarie eé Quintiliano. E é in due noti passi di Quintiliano relativi alla storiografia º esplicitamente citati º che il Valla trova lo spunto, in parte allargandone e caricandone il senso originario, per affermare la superioritaé della scrittura storica su qualunque forma di conoscenza e
in
particolare
sulla
filosofia.
Rispetto
alla poesia, la
storiografia ha dalla sua la forza della veritaé : tanto robustiorem esse historiam quanto est verior, afferma il Valla ripetendo quasi alla lettera Inst., II, 4, 2 : apud rhetorem initium sit historica, tanto robustior quanto verior, ma dilatandone enormemente la portata
59
. Dal confronto stabi-
lito da Quintiliano tutto interno alla pedagogia scolastica, tra la poe sia, oggetto della scuola del grammatico, piué appetibile per le giovani menti a causa della sua carica eroico-fantastica (cf. anche Inst., I, 8, 512), e la storia, piué idonea alla scuola del retore, e quindi alla maggiore etaé, per i suoi contenuti solidi e veri, il Valla trascorre ad un giudizio di carattere generale sul superiore valore della storiografia, sulla base della veritaé del suo messaggio. E é un richiamo importante alla veritaé del documento e del fatto storico, unica zona della vita umana in cui eé possibile raggiungere relative certezze, sia pure tra molte
difficoltaé
(e
basti
ricordare
l' uso
delle
û prove
di
fatto ý
compiuto dallo stesso Valla nello smascheramento del falso documento della donazione di Costantino)
58
60
.
L. Valle Gesta Ferdinandi regis Aragonum, ed. O. Besomi, Padova, 1973, p. 3-8. Ho
discusso questo Proemio e le sue fonti piué volte : M. Regoliosi, û Riflessioni umanistiche sullo `scrivere storia' ý, Rinascimento, 31 (1991), p. 3-37, soprattutto p. 16-27 ; û Lorenzo Valla e la concezione della storia ý, in La storiografia umanistica. Atti del Convegno internazionale dell' AMUL (Messina 1987), I 2, Messina, 1994, p. 549-571 ; û Cicerone, Tucidide, Luciano. Per una puntualizzazione su talune fonti della storiografia ý, in Letteratura, veritaé e vita, a cura di P. Viti, Roma, 2005, p. 97-106.
59 60
Valle Gesta, Proemio, 9, p. 5. Sul contenuto û vero ý della storiografia il riferimento canonico eé naturalmente
Cic., De oratore, II, 36 e 62. Circa le difficoltaé della ricostruzione della veritaé dei fatti, cf. Valle Gesta, Proemio, 13-16, p. 7-8 (basato fondamentalmente su Tucidide, I, 22). Un interessante postilla a Inst., VII, 2, 12-13 puo é essere comunque illuminante circa la fiducia che il Valla nutriva sul valore delle prove di fatto e sulle possibilitaé dell' accertamento dei dati. All' interno di un discorso sulla coniectura Quintiliano scrive : nam cum inter id quod ab adversario et id quod a nobis propositum est quaeritur, videtur utique alterum verum ; ita everso quo defendimur reliquum est quo premimur : ut cum quaerimus de ambiguis signis cruditatis et veneni, nihil tertium est, ideoque utraque pars quod proposuit tuetur e il Valla chiosa : non recte Cicero themata in coniecturalibus ponit de quibus constat, ut de caupone qui alterum ex sociis occidit cum dormirent et de Ulixe qui e morto Aiace gladium eduxit [Cic., De inv., II, 14-15 ; Rhet. Her.,
I, 18].
Nam quis falsum quod novit tueri velit et
apertam
veritatem
impugnare ? :
L. Valla, Le postille, p. 151 ; J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa, p. 340.
valla e quintiliano
263
D' altra parte, rispetto alla filosofia etica, la storia ha dalla sua la concretezza dell' esempio a fronte dell' astrattezza dell' insegnamento teorico º e di nuovo viene calzante una citazione integrale da Inst., XII, 2, 29-31 : Neque ea solum quae talibus disciplinis [= filosofie greche] continen tur, sed magis etiam quae sunt tradita antiquitus dicta ac facta prae clare
et
nosse
et
animo
sempre
agitare
conveniet.
Quae
profecto
nusquam plura maioraque quam in nostrae civitatis monumentis repe rientur. An fortitudinem, iustitiam, fidem, continentiam, frugalita tem,
contemptum
doloris
ac
melius
mortis
alii
[= filosofi
greci]
docebunt quam Fabricii, Curii, Reguli, Decii, Mucii aliique innume rabiles ? Quantum enim Graeci praeceptis valent, tantum Romani,
quod est maius, exemplis
61
.
Ma anche in questo caso il Valla, sollecitato dalla contrapposizione quintilianea tra filosofi greci e storici romani e dall' analogo valore formativo dei precetti dei primi e degli esempi dei secondi, e in particolare dalla maggiore efficacia degli exempla, alza il tiro. Se nulla enim
alia causa huius operis [= la scrittura storica] est quam ut per exempla nos doceat, questo significa che anch' essa, e non solo la filosofia, versatur circa universalia, dal momento che gli exempla altro non sono, secondo il dettato ciceroniano-quintilianeo, che praecepta incarnati (cf. ad esempio Inst., V, 11 ; XII, 4), e quindi in universum precipiunt guenza,
per
il
Valla,
la
storiografia
ha
tutte
le
62
. Di conse-
caratteristiche
universalizzanti della filosofia ed ad essa puoé essere tranquillamente sostituita,
come
piu é
efficace
e
convincente
û filosofia
pratica ý.
Lo
straordinario capovolgimento della prospettiva tradizionale origina dunque dalla estrema dilatazione della teoria degli exempla retorici, che viene spinta verso esiti radicali. E anche la conclusione fonda nella retorica. Gli exempla storici non solo sono alternativi ai precepta, ma ne sono addirittura il fondamento : Et si vera fateri non piget, ex historia
fluxit plurima rerum naturalium cognitio, quam postea alii in precepta redegerunt, plurima morum, plurima omnis sapientie doctrina mentale
dichiarazione
della
dimensione
63
. Questa fonda-
gnoseologica
del
sapere
storico si ricollega anche verbalmente al passo quintilianeo sopra ricordato relativo all' analogia : Non enim cum primum fingerentur homines,
Analogia demissa caelo formam loquendi dedit, sed inventa est postquam loquebantur, et notatum in sermone quid quoque modo caderet. Itaque non ra-
61 62 63
L. Valle Gesta, Proemio, 12, p. 6-7 (corsivo mio). L. Valle Gesta, Proemio, 9-10, p. 5-6. L. Valle Gesta, Proemio, 11, p. 6.
264
mariangela regoliosi
tione nititur sed exemplo, nec lex est loquendi sed observatio, ut ipsam analogiam nulla res alia fecerit quam consuetudo (Inst., I, 6, 16). L' ambito eé diverso, ma l' atteggiamento di fondo eé simile : i praecepta, di qualunque tipo, nascono nella storia, come û universalizzazione ý dell' uso, dell' esperienza. Questo ci dice anche di quali û universali ý intenda parlare il Valla : con abile parallelismo il Valla vince la filosofia utilizzando le sue stesse parole, ma cambiandole di significato. Non di û universali ý astratti si tratta º giaé dal Valla distrutti nella Dialectica º
ma di û uni-
versali ý concreti, basati su constatazioni di fatto e legati al divenire, e non ancorati ad alcuna immutabile dimensione metafisica.
L' influenza
di
Quintiliano
nella
concezione
valliana
della tradizione
Nella persistente convinzione che il rapporto con la tradizione fosse ineludibile e che il criterio della imitatio dei veteres per la realizzazione di qualunque forma di costruzione, letteraria o figurativa fosse inalterabile
64
, molti umanisti ricercano peculiari forme di imitatio, che, pur
accettandone la sostanza, ne attenuano e diversamente orientano le applicazioni. Uno dei piué rapresentativi eé certamente il Valla : ma anche in questo campo la radice del suo atteggiamento eé in Quintiliano. Il 13 agosto 1440 il Valla scrive da Gaeta una lunga lettera all' amico Giovanni Serra, di Valencia, presente con il Valla presso la corte di Alfonso d' Aragona, copista eccellente, funzionario regio, e in anni successivi affermato professore di retorica. Il contenuto della lettera, non a caso definita apologetica dallo stesso Valla, consiste in un' autodifesa da gravi e reiterate accuse, riferite con apprensione dal Serra : scribis ad me incidere te sepenumero in homines qui laudibus meis obstrepant optrectentque, quod dicant omnes a me auctores reprehendi
64
65
. In sostanza
Circa l' imitazione nell' arte, le sue fonti classiche (dalla Poetica di Aristotele a passi
di Cicerone, Seneca, Quintiliano) e le modalitaé della loro diffusione, noncheè la trattatistica di etaé quattrocentesca (in particolare il De imitatione di Gasparino Barzizza), la bibliografia
eé
enorme.
Accenno
solo
ad
opere
recenti
e,
sia
pure
con
tagli
diversi,
ricapitolative di bibliografia precedenti e di testi : T. M. Greene, The Light in Troy : Imitation and Discovery in Renaissance Poetry, New Haven, 1982 ; M. L. McLaughlin, Literary Imitation in the Italian Renaissance. The Theory and Practice of Literary Imitation in Italy from Dante to Bembo, Oxford, 1995 ; N. Gardini, Le umane parole. L' imitazione nella lirica europea da Bembo a Ben Jonson, Milano, 1997 ; Rinascimento e Classicismo. Materiali per l' analisi del sistema culturale di Antico Regime, a cura di A. Quondam, Roma, 1999. Riguarda maggior mente l' aspetto metodologico R. Cardini, Mosaici.
65
o
Il testo critico della lettera in L. Valle Epistole, n
menzionato,
alle
p. 193-194 ;
corsivo
mio).
Alle
13, p. 193-209 (il brano sopra
p. 183-189
la
ricostruzione
della
valla e quintiliano
265
il Valla eé denunciato da molti come sovvertitore delle autoritaé consacrate dalla tradizione e quindi accusato di radicale antitradizionalismo. All' accusa, che accompagneraé del resto il Valla per tutta la vita, come una
sorta
di
ritornello
caratterizzante
la
sua
posizione
culturale
66
,
l' umanista replica soprattutto sulla base di un' argomentazione forte. A fronte degli auctores censurati dal Valla º e non piccoli autori, ma, Aristotele, Prisciano, Boezio, tanto per citarne alcuni º l' umanista introduce come testes a favore del suo punto di vista gli auctores stessi :
Quis unquam de scientia quapiam atque arte composuit, quin superiores reprehenderet ? Alioquin que causa scribendi foret, nisi aliorum aut errata aut omissa aut redundantia castigandi
67
? E quindi percorre tutte le aree della cultura
antica, registrando via via le progressive correzioni di rotta, i superamenti, le innovazioni
68
: nell' ambito della grammatica, dove Prisciano
superiores corrigit, nell' ambito della filosofia, dove le secte si susseguono,
sopravanzando
le
une
sulle
altre
(al
punto
che
Aristotele
confuta Platone, ma viene poi a sua volta criticato dai suoi successori º il che smentisce, tra l' altro l' assunto della infallibilitaé dello Stagirita),
nell' ambito del diritto
civile e
della medicina, dove
le
diverse scuole bellum inter se civile exercent, alla ricerca di quid [...] novi, nel campo della retorica, in cui Quintiliano segnala le infinite possibili divergenze di opinione
69
, nel campo della storiografia, in cui postremi
quique fidem superiorum historicorum culpant, nel campo dei poligrafi come Gellio, che nell' introduzione alla sua opera ne rivendica l' assoluta novitaé e nel corso dei capitoli formula riserve nei confronti di tutta la letteratura precedente, nell' ambito perfino degli scrittori sacri e dei Padri della Chiesa, presso i quali, tra altri esempi, la traduzione della Bibbia dei Settanta viene contestata e rifatta da Gerolamo, il quale in questo modo si pone ceteris documento licere superiores emenda-
re
70
. L' elenco eé lungo e dettagliato e se ne potrebbe continuare la re-
cronologia dell' epistola e una breve presentazione di Giovanni Serra, con rimando alla bibliografia specifica (cf. anche p. 152 e p. 391 -392). Per la definizione di epistola apologe-
tica, cf. L. Valle Epistole, p. 214.
66
Per la serie di attacchi consimili, cf. L. Valle Epistole, p. 184-185 e puntuali rinvii
nelle note al testo della lettera 13.
67 68
L. Valle Epistole, p. 202. L. Valle Epistole, p. 202-208.
69 Taceo de rhetoribus
[...] quos ait Quintilianus, quamvis eodem fere tenderent, tamen suam
quenque viam munivisse in quam sequentes induceret [Quint., Inst., III, 1, 5], et neminem contentum definitione quam alius occupasset [Quint., Inst., VII, 3, 16] : L. Valle Epistole, p. 203.
70
L' autorizzazione a licere superiores emendare verraé, come eé noto, fatta propria dal
Valla stesso, che rivedraé a sua volta la traduzione di Gerolamo, con analogo spirito di continuazione-superamento : cf. L. Valla, Collatio Novi Testamenti, ed. A. Perosa, Firenze, 1970.
mariangela regoliosi
266
gistrazione ; ma giaé questa selezione eé, credo, sufficiente, a cogliere appieno l' atteggiamento del Valla, che cos|é conclude : Hos ego viros et
tantorum institutum si me dicam fuisse imitatum, quis me tandem nisi una cum illis reprehendat ?
71
L' umanista supera gli scogli di una troppo rigida e
mortificante imitatio recuperando proprio presso gli stessi antichi il corretto
concetto
di
imitatio, o, per lo meno, individuando nella
cultura classica una particolare e nobile ligneèe, che ha saputo contemperare tradizione con continuazione e progresso. E infatti alla serie di esempi eé sottesa una specifica posizione teorica che ha la sua formulazione piu é netta in Quintiliano e che, non a caso, riaffiora in talune delle espressioni usate dal Valla. Basta confrontare i passi dell' epistola valliana fin qui citati con alcuni notissimi luoghi dell' Institutio oratoria per cogliere le debite riprese, evidenziate dal corsivo. Etenim supervacuus foret in studiis longior labor si nihil liceret melius invenire praeteritis
72
.
Neque id statim legenti persuasum sit, omnia quae summi auctores di xerint utique esse perfecta. Nam et labuntur aliquando et oneri cedunt [...]. Summi enim sunt, homines tamen
73
.
Neque dubitari potest quin artis pars magna contineatur imitatione. [...] Sed hoc ipsum [...] nisi caute et cum iudicio adprehenditur nocet. Ante omnia igitur imitatio per se ipsa non sufficit, vel quia pigri est ingenii contentum esse iis quae sint ab aliis inventa. Quid enim futu rum erat temporibus illis quae sine exemplo fuerunt si homines nihil nisi quod iam cognovissent faciendum sibi aut cogitandum putassent ? Nempe nihil fuisset inventum. Cur igitur nefas est reperiri aliquid a nobis quod ante non fuerit ? [...] Turpe etiam illud est, contentum esse id consequi quod imiteris. Nam rursus quid erat futurum si nemo plus effecisset eo quem sequebatur ? [...] Ac si omnia percenseas, nulla sit ars qualis inventa est, nec intra initium stetit : nisi forte nostra po tissimum tempora damnamus huius infelicitatis, ut nunc demum nihil crescat : nihil autem crescit sola imitatione. Quod si prioribus adicere fas non est, quo modo sperare possumus illum oratorem perfectum : cum in iis quos maximos adhuc novimus nemo sit inventus in quo nihil aut desideretur aut reprehendatur. [...] Nam in magnis quoque auctoribus incidunt aliqua vitiosa et a doctis inter ipsos etiam mutuo reprehensa
71
74
.
L. Valle Epistole, p. 206.
72 Inst.,
III, 6, 65. Il passo eé stato postillato dal Valla nel suo codice di Quintiliano,
con l' aggiunta di altre fonti º Iust., Novell., 22, pr. ; Hippocr., Epid., V, 27 ; Cels., VIII, 4, 3-4 º
che
sviluppano
il
medesimo
concetto :
J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa, p. 280.
73 Inst., 74 Inst.,
X, 1, 24. X, 2, 1-15.
L. Valla,
Le
postille,
p. 79 ;
valla e quintiliano
267
In questo modo, sulla scorta di questa e simili fonti
75
, il Valla ela-
bora una visione progressiva della cultura, che, pur nel rispetto del passato, puoé lecitamente superarlo, correggendo ed innovando, senza nessuna remora nei confronti di nessuna autoritaé. E, come del resto per lo stesso Quintiliano, questa prospettiva assurge anche a piué generale prospettiva di vita e a criterio di giudizio storico. Con una sapiente
rielaborazione,
i
passi
dell' Institutio
oratoria
consacrati
alla
dimensione primatistica ed agonistica della pedagogia ( proderit laudata
industria, excitabitur laude aemulatio ; mihi ille detur puer quem laus excitet, quem gloria iuvet, qui victus fleat ; plurimum [...] valet animi praestantia quam nec metus frangat nec adclamatio terreat nec audientium auctoritas ultra debitam reverentiam tardet [...], citra constantiam, fiduciam, fortitudinem nihil artes, nihil studium, nihil profectus ipse profuerit, ut si des arma timidis et imbellis
76
) divengono il sustrato su cui si staglia l' immagine û militare ý
del Valla nel primo Proemio alle Elegantie, con il suo invito alla battaglia per il restauro del latino e col suo proporsi come guida, rinnovando in seè il modello di Camillo : Equidem, quod ad me attinet, hunc [= Camillo] imitabor, hoc mihi proponam exemplum ; comparabo, quantulumcunque vires mee fe runt,
exercitum,
quem
in
hostes
quam
aciem, ibo primus, ut vobis animum faciam
primum
educam ;
ibo
in
77
.
In senso ancora piué lato, i medesimi passi esprimono leggi û naturali ý e quindi parametri di valutazione del divenire della storia. Nella bellissima Oratio in principio Studii la visione gloriosa dei progressi di Roma, nel campo della cultura e dell' affermazione sulla scena del mondo, eé tutta contrappuntata da riferimenti a questa specifica concezione dell' uomo, che, nata in sede scolastica, diventa modello univer sale : Nanque ita natura comparatum est ut nihil admodum proficere atque excrescere queat quod non a plurimis componitur, elaboratur, excoli -
75
Altri passi di Quintiliano potevano offrire spunti : Inst., I, Pr., 3 ; II, 5, 24 ; II, 6, 5 ;
III, 6, 63-65 ; III, 8, 62. E del resto non eé solo Quintiliano il portavoce di questa posizione, anche se certo il piué significativo per il Valla. Oltre alle fonti menzionate qui alla nota 72, riemergono nell' epistola 13 e negli altri interventi valliani sull' argomento pure echi della posizione cautamente evolutiva dell' Ars poetica oraziana, o della concezione progressiva dell' eloquenza di Cicerone (Orat., 3-7 e Brut., 71 e passim), noncheè esplicite riprese dalla famosa Epistola 33 di Seneca (Numquam autem invenietur si contenti fuerimus in-
ventis. [...] Patet omnibus veritas ; nondum occupata est ; multum ex illa etiam futuris relictum est ).
76 Inst., I, 2, 22 (e piu in generale I, 2, 18-31) ; é 77 M. Regoliosi, Nel cantiere del Valla, p. 124.
I, 3, 6 ; XII, 5, 1-2.
268
mariangela regoliosi
tur, precipue emulantibus invicem et de laude certantibus. [...] Alius aliud invenit et quod quisque in altero egregium animadvertit id ipse imi tari, emulari, superare conatur. Ita studia incenduntur, profectus fiunt, artes excrescunt et in summum evadunt et eo quidam melius eoque celerius quo plures in tandem rem homines elaborant
78
.
L' influenza di Quintiliano nella concezione valliana dei rapporti col greco
Assolutamente competitiva ed agonistica eé, del resto, l' idea valliana di traduzione dal greco. E anche qui ne possiamo trovare la radice nell' amato Quintiliano, rielaborato e û sfruttato ý in modo originalissimo. Non mi soffermo ad elencare ed analizzare le traduzioni del Valla e nemmeno a presentare la sua modalitaé di traduttore : mi limito solo a ricordare, rinviando a studi specifi sull' argomento, che la brillante metafora con cui l' umanista rappresenta ripetutamente la translatio/traductio º peregrina mercatura rerum optimarum
- eé del tutto
conseguente all' idea di lingua maturata dal Valla al seguito di Quinti liano. Sullo sfondo della correlazione analogica tra mercatura rerum e translatio
linguarum
emerge
la
concezione
quintilianea
della
lingua
quale funzione primaria di interscambio tra gli uomini espressa in modo pregnante nell' elogio della consuetudo di Inst., I, 6, 3, giaé piué sopra ricordato come fondativo della concezione valliana del linguaggio. Se il sermo eé un nummus cui publica forma est, una moneta di corso legale, quindi, ogni dialogo umano eé uno scambio sulla base di una determinata moneta riconosciuta valida, e lo scambio puoé avvenire tra parlanti la stessa lingua, ed eé il û mercato ý interno, oppure tra alloglotti, ed eé, appunto, il û mercato ý internazionale, in cui l' interpres, vero
û mediatore ý,
secondo
l' etimologia
comunicazione tra popoli e lingue
78
L. Valla,
Orazione
per
79
l' inaugurazione
della
parola,
consente
la
.
dell' anno
accademico
1455-1456,
a
cura
di
S. Rizzo, Roma, 1994, p. 194 (corsivo mio). Il pur ricco commento al testo non ricono sce la centrale fonte quintilianea di questo passo.
79
Cf.
per
questa
tematica
e
per
tutto
il
problema
della
traduzione
nel
Valla,
M. Regoliosi, û Mercatura optimarum artium. La traduzione secondo Lorenzo Valla ý, in Les traducteurs au travail, leurs manuscrits et leurs meèthodes. Actes du Colloque international organiseè par le `Ettore Majorana Centre for Scientific Studies' , Erice 30 settembre -6 ottobre 1999, a cura di J. Hamesse, Turnhout, 2001, p. 449-470 (con ampia bibliografia).
valla e quintiliano
269
Piué interessante, in questa sede, mettere a fuoco un elemento che peraltro eé caratterizzante trattandosi di traduzioni : il confronto col greco. Nel I Proemio alle
Elegantie latine lingue
di Lorenzo Valla la
laus
della lingua latina e delle sue straordinarie û virtué ý, intrinseche e storiche, prima fra tutte quella di aver saputo garantire e di continuare a garantire per secoli l' unitaé della comunicazione in tutto l' orbe conosciuto, eé realizzata anche attraverso una comparazione con il greco. A fronte della eccezionale lingua dei romani, senza uguali nella storia dell' umanitaé,
sta
la
lingua
greca,
altrettanto
nobile
ed
altrettanto
idonea ad esprimere tutte le discipline liberali, ma marchiata da una û infamia ý grave : essa presenta, rispetto al latino, un difetto insormontabile, originario e costitutivo, la divisione in cinque forme linguistiche, quattro regionali piué la
koineè,
le quali hanno impedito ed
impediscono in qualunque tempo la reale intesa a livello nazionale e, a maggior ragione, la esportazione/diffusione estera del greco come codice unico di intesa tra gli uomini. Eant nunc Greci et linguarum copia se iactent ! Plus nostra una effecit, et quidem inops, ut ipsi volunt, quam illorum quinque, si eis credi mus, locupletissime ; et multarum gentium, velut una lex, una est lin gua romana : unius Grecie, quod pudendum est, non una sed multe sunt, tanquam in republica factiones. Atque exteri nobiscum in lo quendo consentiunt, Greci inter se consentire non possunt, nedum
5 4
alios ad sermonem suum se perducturos sperent. Varie apud eos lo quuntur auctores, attice, eolice, ionice, dorice, koinw q, apud nos, id est apud multas nationes, nemo nisi romane ; in qua
lingua
discipline
cuncte libero homine digne continentur, sicut in sua multiplici apud Grecos
80
.
Non eé il caso di dilungarsi qui sulle radici di questa, davvero originale, concezione dei dialetti greci, û forzati ý nelle loro differenze fino ad acquisire figura di lingua. Ne ho parlato altrove e a quegli studi rimando
81
. Mi preme peroé sottolinearne il senso di fondo. Qualunque
sia la fonte della convinzione del Valla e in qualunque modo egli la utilizzi, un punto eé chiaro : egli mira a dimostrare con efficacia la superioritaé del latino sul greco. E é questo un atteggiamento problematico, che va naturalmente collocato all' interno della lunga storia dei rapporti tra le due lingue della cultura occidentale, a partire almeno dal dialettico confronto latino-
Nel cantiere del Valla, p. 122-123. Nel cantiere del Valla, p. 86-90 (e la bibliografia ivi citata).
80
M. Regoliosi,
81
Si veda M. Regoliosi,
mariangela regoliosi
270
greco operato da Cicerone negli scritti retorico-filosofici e da Quintiliano nell' Institutio
oratoria.
Costante, in questa lunga storia, eé la sensa-
zione di inferioritaé dei latini nei confronti del greco, percepito come lingua piué ricca e piué duttile, meglio sperimentata in ogni genere di disciplina intellettuale. Contemporaneamente, peroé, costante eé pure il tentativo di rivendicare l' autonomia e la peculiare individualitaé del latino rispetto al greco e quindi il diritto-dovere di
mani sermonis
augere
la
copia Ro-
attraverso la assunzione di termini o costrutti greci senza
pero é fare violenza alla
ratio
del
sermo
romano stesso
82
, e addirittura in-
sistito eé l' impulso ad uno spirito combattivo di riscossa, a valorizzare cioeé i punti di forza della cultura e lingua latine, fino ad una sorta di û vittoria ý sulla lingua rivale. Esemplare in questo senso un passo di
comparatio
Quintiliano sulla
tra latino e greco :
Quare qui a Latinis exiget illam gratiam sermonis Attici, det mihi in loquendo eandem iucunditatem et parem copiam. Quod si negatum est, sententias aptabimus iis vocibus quas habemus, nec rerum nimiam tenuitatem, ut non dicam pinguioribus, fortioribus certe verbis misce bimus, ne virtus utraque pereat ipsa confusione ; nam quo minus adiu vat sermo, rerum inventione
pugnandum est.
Sensus sublimes variique
eruantur : permovendi omnes adfectus erunt, oratio tralationum ni tore inluminanda. Non possumus esse tam graciles, simus fortiores, subtilitate copia miles,
vincimur, valeamus
vincamus.
verborum
condienda est
pondere : proprietas pene illos est certior,
[...] Possumus autem rerum et modo et iudicio esse si gratia,
quam
in
ipsis
non
habemus,
extrinsecus
83
.
Mi pare certo che soprattutto da questo ultimo filone di discorso dipenda la posizione del Valla. Ostinata e ripetuta eé, nelle opere del Valla, la segnalazione di forme e situazioni linguistico-stilistiche in cui il latino risulta all' umanista piué chiaro, piué preciso, piué ricco, piué idoneo all' umana riflessione del greco. Cioé si verifica naturalmente soprattutto in quegli interventi in cui maggiormente la correlazione tra
Vul-
le due lingue entra in gioco : nella verifica della traduzione latina
gata
del testo greco del
Testamenti,
Nuovo Testamento,
condotta nella
Collatio Novi
e nella rielaborazione / discussione di concetti e termini fi-
82
Cf. Quint.,
83
Quint.,
Inst.,
Inst.,
I, 5, 55-64 e II, 14.
XII, 10, 35-38 (corsivo mio). Altre rilevanti considerazioni in
I, 5, 55-64 ; II, 14 ; V, 14, 32 ; VIII, 3, specialmente 30 -33 ; IX, 4, 145-146 ; X, 1,
Inst.,
passim ;
X, 5, 2-3 ; XII, 2, 29-30 ; XII, 10, 27-39. Significativi ovviamente anche passi di Cice rone :
Brutus,
III, 23 ;
253-254 ;
Nat. deor.,
e 829-832 ; Sen.,
I, 8 ;
Ep.,
Acad.,
Div.,
I, 4-12, 24-25 ;
I, 1. Sulla
egestas
58, specialmente 1-7.
Fin.,
I, 1-10 ; III, 5 e 51 ;
del latino insistono Lucr.,
Tusc.,
Nat.,
II, 35 ;
I, 136-139
valla e quintiliano
271
losofici greci, di Aristotele specialmente, all' interno dei libri sulla Dialectica, soprattutto nella seconda fase redazionale, segnata da un accostamento piué diretto ai testi greci originali. Molto numerosa eé la lista dei casi in cui il Valla segnala fieramente la maggiore proprietas o elegantia del latino, puntuale nell' uso di termini univoci a fronte di circonlocuzione o dittologie greche, o, per converso, la superiore copia e varietas del lessico latino, ricco di sfumature e di sfaccettature di significati a fronte di troppo secche ed onnicomprensive terminologie gre che.
E
specialmente
insistita
eé
l' accusa
al
greco
subtilitas, di astrazione, di mancanza di concretezza
84
di
un
eccesso
di
.
Ma eé soprattutto nelle traduzioni che la superioritaé storica del latino emerge con piu é forza, dove il confronto interlinguistico eé piu é diretto ed operativo. Un testo rilevante, in questo senso, eé il Proemio alla traduzione dell' orazione Pro Ctesiphonte di Demostene
85
. Lo spunto eé fornito al
Valla dalla peculiare situazione della Pro Ctesiphonte. Composta dal massimo oratore greco, tradotta º a quanto la tradizione aveva tramandato º addirittura da Cicerone, e ritradotta, nel primo decennio del Quattrocento, dal campione degli studi greci Leonardo Bruni
86
,
essa consente una emulatio trium maximorum oratorum che sola giustifica la fatica del tradurre. Et nunc ad emulationem trium maximorum oratorum me exerceo : Leonardi quidem ut alio itinere secum ad metam perveniam, Cicero nis
vero
ut
quem
cursum
tenuisse
se
dicit
eundem
ego
teneam,
Demosthenis autem ut non peius loquatur per me latine quam per se grece.
[...]
Est
enim
reliquendus
frequenter
character
ipse
grecus,
excogitandus novus, pariende figure, numeris omnino serviendum, et cum illi nos verborum copia, proprietate, gratia vincant, hoc aliunde pensandum est et prope cum ipso auctore certandum. Et cum medium tenere nequeas, ut nec melius illo nec peius dicas, nimirum, si fieri potest, melius dicendum est
87
.
84
Cf. L. Valla, Collatio Novi Testamenti, passim ; L. Valle Repastinatio, passim.
85
Per la traduzione demostenica cf. F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana della
Pro Ctesiphonte di Demostene ý, in Lorenzo Valla e l' Umanesimo italiano, p. 141-164 : alle p. 162-164 l' edizione del Proemio, da cui si riprenderanno qui le citazioni necessarie.
86
La presentazione della û catena ý Demostene -Cicerone-Bruni costituisce la parte in-
troduttiva del Proemio : F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 162, righe 3 -24. Della traduzione di Cicerone era giunta notizia, come si sa, attraverso la notissima epi stola 57, 5 Ad Pammachium in cui Girolamo difendeva la propria metodologia di tradut tore. Quanto alla traduzione del Bruni (Firenze, 1407), si veda la recente edizione critica : M. Accame Lanzillotta, Leonardo Bruni traduttore di Demostene : la Pro Ctesiphonte, Genova, 1986.
87
F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 163, righe 33 -50 (corsivo mio).
mariangela regoliosi
272
La prima competizione eé col precedente traduttore umanistico, il veterano Bruni. Ma non si tratta solo della consueta gara per la migliore traduzione. L' aliud iter per il quale il Valla intendeva raggiungere
la
medesima
meta della traduzione era appunto un percorso
diverso, e, implicitamente, superiore, rispetto a quello per il quale il Bruni era diventato giustamente famoso e che aveva condotto verso una forma nuova di traduzione : una traduzione totalmente fedele al testo greco, ma anche autenticamente û latina ý, e cioeé aderente, senza violenza alle strutture della lingua, al û genio ý della latinitas. Al rispetto integrale di entrambe le lingue, latino e greco, senza complessi di inferioritaé reciproci, il Bruni aggiungeva il rispetto integrale dell' autore tradotto. Fidelitas e imitatio, cioeé capacitaé di calarsi completamente (tota mente et animo et voluntate) nell' orationis figuram, statum, ingressum
coloremque et liniamenta cuncta dell' autore, s|é da û trasformarsi ý quasi in lui e da assumerne le fattezze e lo stile (bonus quidem interpres in singulis
traducendis ita se conformabit ut singulorum figuram assequatur), sono le caratteristiche fondamentali dell' optima interpretandi ratio : quella per cui rapitur interpres vi ipsa in genus dicendi illius de quo tranfert, nec aliter ser-
vare sensum commode poterit, nisi sese insinuet ac inflectat per illius comprehensiones et ambitus cum verborum proprietate orationisque effigie
88
.
Un progetto del genere non poteva risultare estraneo al Valla, attento come e piué del Bruni al preciso rigore dell' espressione e alla corretta equivalenza dei termini nei passaggi interlinguistici. E per la veritaé questo era stato pure il progetto di Cicerone, di cui il Valla dice esplicitamente, come si eé visto, di voler mantenere il cursus. Il metodo presentato dall' autore del De optimo genere oratorum, 14 (e ribadito
da
Girolamo
nell' epistola
Ad Pammachium, 5) appare infatti
all' origine della strada del Bruni stesso : nec converti ut interpres, sed ut
orator, sententiis iisdem et earum [= delle due orazioni di Eschine e di Demostene] formis tam quam figuris, verbis ad nostram consuetudinem aptis.
In quibus non pro verbo verbum necesse habui reddere, sed genus omnium verborum vimque servavi. Ma la metodologia della doppia fidelitas, al greco e al latino, per quanto valida e innovativa, non accontenta il Valla. La traduzione non eé imitatio, non eé mimesi dell' autore tradotto, eé aemulatio del traduttore nei confronti del testo da rendere in latino. La vera, definitiva
88
La riflessione bruniana sulla traduzione, il De interpretatione recta, si puo é leggere
nell' edizione non critica ma integrale e accompagnata da traduzione italiana che ne ha curato P. Viti in L. Bruni, Opere letterarie e politiche, Torino, 1996, p. 145-193. I passi esplicitamente citati, a p. 154, 160. In F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 153-157 una buona analisi dei testi bruniani relativi alla problematica del tradurre.
valla e quintiliano
273
sfida eé diretta all' oratore greco : nimirum, si fieri potest, melius dicendum
est
89
. Risulta, credo, a questo punto, assolutamente evidente che il
passo del Proemio valliano relativo al confronto-scontro con Demostene eé una riscrittura del lungo brano quintilianeo (XII, 10, 35-38) sopra menzionato. Di quel brano riecheggia ovviamente il piglio e le espressioni bellicose (pugnandum est, vincimur, vincamus / vincant, certan-
dum), ma soprattutto riprende il programma : a fronte di riconosciute qualitaé della lingua greca, l' uomo latino non deve neè tentare goffi scimmiottamenti, neè gettare la spugna, deve bens|é cercare soccorso al-
trove (extrinsecus condienda est / aliunde pensandum est), in diversi e peculiari strumenti o modi di essere della propria lingua, attraverso i quali eé possibile esprimersi in modo alternativo ma con efficacia almeno pari, se non superiore. Ma eé nel contempo altrettanto evidente che la fonte quintilianea ha offerto al Valla uno spunto, una sollecitazione, da lui poi sviluppata, come di consueto, in termini personalissimi. Il passo dell' autore classico parla di comparatio tra lingue, non di traduzione
90
. Quintiliano af-
fronta il problema generale di chi, in determinati ambiti letterari, la filosofia o l' oratoria, vuole gareggiare coi modelli greci e cerca per tanto di trovare una sua strada º latina º per comporre proprie opere in terreni giaé battuti dai Greci. Lo spostamento concettuale mi sembra significativo. Il Valla applica lo stesso tipo di considerazioni non ad un' opera propria, originale, ma alla traduzione di un' opera altrui. La traduzione, dunque, nella sua ottica, eé una sorta di û ri-creazione ý, o, meglio, una ri-scrittura, se non a livello di inventio e di dispositio, certo a livello di elocutio
91
. La traduzione, insomma, non dovraé semplice-
mente accontentarsi di trasferire in un latino appropriato concetti e fraseologia greci : dovraé gareggiare con l' originale, sfruttando ogni
89 90
F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 163, riga 50. La vera e propria attivitaé del vertere graeca in latinum eé affrontata da Quintiliano
all' interno della serie delle exercitationes raccomandate agli oratori, ed eé consigliata per la sua utilitaé pratica di raffinamento linguistico. Non manca per la veritaé neanche qui un piglio lievemente competitivo : Et manifesta est exercitationis huiusce ratio. Nam et rerum
copia Graeci auctores abundant et plurimum artis in eloquentiam intulerunt et hos transferentibus verbis uti optimis licet : omnibus enim utimur nostris. Figuras vero, quibus maxime ornatur oratio, multas ac varias excogitandi etiam necessitas quedam est, quia plerumque a Graecis Romana dissentiunt (Inst., X, 5, 2-3).
91 Cum sciamus eum qui componit in multa esse pariter intentum, ut inveniat, disponat cetera-
que, eum qui convertit in unum modo, ut eloquatur : F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 163-164, righe 54-56 (in modo del tutto analogo il Valla si era espresso alle righe 27-30).
mariangela regoliosi
274
accorgimento possibile per mettere in mostra tutte le ricche potenzialitaé stilistico-retoriche della lingua latina (relinquendus frequenter charac-
ter
92
ipse grecus, excogitandus novus), creando le figure (pariende figure) piué
tipiche ed esclusive ideate dalla retorica romana, valorizzando le cadenze musicali, l' armonia, il sonus (numeris omnino serviendum) possibili in questa lingua, ricercando gli û effetti ý tipologici piué suggestivi ed efficaci, s|é da vincere il confronto con i grandi rivali e acquistare una sorta di autonomia rispetto al testo originale. La conferma di questa intuizione sta, a mio modo di vedere, in un altro passo quintilianeo che eé modello palmare delle considerazioni valliane. Con un rinnovato spostamento di segno, il Valla applica al tema della traduzione dal greco cioé che Quintiliano aveva detto della
paraphrasis o ex Latinis conversio, insomma di quegli esercizi di rielaborazione di scritti latini altrui, in poesia e in prosa, utili ad affinare il proprio stile in uno sforzo emulativo. Sed et illa ex Latinis conversio multum et ipsa contulerit. Ac de car minibus quidem neminem credo dubitare [...]. Sed et ipsis sententiis adicere licet oratorium robur, et omissa supplere, effusa substringere.
Neque ego paraphrasin esse interpretationem tantum volo, sed circa eosdem sensus certamen atque aemulationem. Ideoque ab illis dissentio qui vertere orationes latinas vetant quia optimis occupatis quidquid aliter dixeri mus necesse sit esse deterius. Nam neque semper est desperandum aliquid illis quae dicta sunt melius posse reperiri, neque adeo ieiunam ac pauperem natura eloquentiam fecit ut una de re bene dici nisi semel non possit. [...] Sed esto neque melius quod invenimus esse neque par, est certe proximis locus. [...] Nam si uno genere bene diceretur, fas erat existi mari praeclusam nobis a prioribus viam : nunc vero innumerabiles sunt modi, plurimaeque eodem viae ducunt
93
.
La proposta di gara interna al sistema latino fa corto circuito, per il Valla, con le dichiarazioni quintilianee, occasionali, ma convinte, di un primato del latino sul greco. E inoltre l' umanista attinge elementi concettuali e parole in modo ancora piué cogente dal passo X, 5, 4-7 (il corsivo aiuta ad evidenziare i punti di contatto) : l' idea di certamen e di
aemulatio che rispetta il sensus, l' aspirazione a scrivere melius, la convinzione che ci possano essere tante viae per raggiungere la meta, l' ambiguitaé di ogni confronto, incerto tra paritaé, superioritaé, inferioritaé. E
92
Per il valore di character in latino (= tipo, genere stilistico), cf. Cic., Orat., 36 e
134 ; Gell., VI, 14.
93 Inst.,
X, 5, 4-7.
valla e quintiliano
275
l' espressione di Quintiliano. neque semper est desperandum aliquid illis
quae dicta sunt melius posse reperiri, con la forte carica di fiducia nel progresso della cultura che eé tipica di questo autore, fornisce lo spunto tematico
e
verbale
per
una
delle
frasi
conclusive
del
Proemio
alla
traduzione della Pro Ctesiphonte : Neque tamen ut aliquo in loco auctorem
superemus desperandum est, cum sciamus eum qui componit in multa esse pariter intentum, ut inveniat, disponat ceteraque, eum qui convertit in unum modo, ut eloquatur
94
.
L' originale disegno valliano eé
cos|é compiuto. Con un sapiente
û montaggio ý di tessere della tradizione classica, riutilizzate secondo il proprio `progetto' , il Valla ha delineato una immagine û battagliera ý di
traduzione,
che
di
fatto
sconfina
nella
rielaborazione
e
che
comunque mira a evidenziare tutte le virtué della gloriosa e vincente lingua latina. La chiusa del Proemio tira le fila del discorso con immagini illuminanti. In quo [= nell' elocutio] precipue differimus a Grecis : ut enim alius est illorum cultus velut in barba et capillo prolixiore, alius noster, cum membra sint eadem, ita in eisdem sententiis aliud latina sapit oratio. Sed ipsa eloquendi genera varia sunt, ideoque suum utriusque institu tum secuti sumus, ego ac Leonardus, et dissimilem orationi induimus cultum : ille, ut sic loquar, togatum, ego militarem
95
.
La duplice differenza nei modelli di eloquenza, tra latini e greci e tra Valla e Bruni, eé ribadita con molta chiarezza. E la proposta finale eé tutta contenuta nella contrapposizione tra togatus e militaris. Il valore dei termini mi pare chiaro. Secondo la consueta terminologia latina
togatus cultus eé l' abbigliamento tipico del cittadino romano, in cittaé e in tempo di pace, sistematicamente contrapposto all' abbigliamento dei soldati, ricoperti invece delle insegne militari. La prosa della tradu zione bruniana, dunque, elegantemente latina e nel contempo fedele all' originale greco, incarna un atteggiamento pacifico e non bellicoso, quella del Valla eé tutta improntata alla lotta e alla tensione competitiva.
94
F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 163 -164, righe 53-56. Il Valla mo-
stra un interesse specifico nei confronti di questo passo quintilianeo in una postilla (L. Valla, Le postille, p. 224 ; J. Fernaèndez Loèpez, Retoèrica, Humanismo y Filolog|èa, p. 413), dove identifica gli illi da cui Quintiliano dissente in Cic., De or., I, 154, diffidente nei confronti dell' utilitaé dell' esercizio parafrastico e incerto sulla possibilitaé di superare i modelli.
95
F. Lo Monaco, û Per la traduzione valliana ý, p. 164, righe 56 -62.
mariangela regoliosi
276
Conclusioni Credo a questo punto di dovermi fermare. Molto altro si potrebbe dire, posto che, come ho affermato fin dall' inizio, la presenza di Quintiliano eé pervasiva e totalizzante, in Valla, frutto di una singolare coincidenza di atteggiamenti e di punti di vista. La critica si eé anche interrogata circa i motivi della predilezione del Valla per Quintiliano rispetto agli altri grammatici e retori, e in particolare nei confronti di Cicerone. E la risposta eé stata fondamentalmente individuata nella maggiore esaustivitaé ed organicitaé della proposta quintilianea
96
. Un
passo molto noto del Valla nell' Antidotum in Pogium consente di centrare bene il problema : De quibus duobus [= Cicerone e Quintiliano] ita sentio [...] neminem posse neque Quintilianum intelligere, nisi Ciceronem optime teneat, nec
Ciceronem
probe
sequi,
nisi
Quintiliano
pareat,
nec
unquam
fuisse quempiam eloquentem post Quintilianum nec esse posse nisi qui se totum arti eius formandum imitationique tradiderit
97
.
E é la globale capacitaé di penetrazione nelle leggi del linguaggio e dell' eloquentia che fa eleggere a Valla Quintiliano come maestro di eloquintia : Ma dal suo specifico approccio alla parola e alla cultura viene anche quella visione delle lettere (e della vita) positiva ed empirica, antidogmatica e storicistica, volontaristica ed agonistica, che caratterizzeraé il Valla lungo tutto il percorso della sua esistenza.
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e la FIDEM,
mariangela regoliosi
278
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û ``Mercatura
optimarum
artium'' .
La
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Studies'' ,
Erice
30 settembre-6 ottobre
Turnhout, 2001, p. 449-470.
1999,
a
cura
di
J. Hamesse,
L AT I N I TAT E S
Marc
van der Poel
ÂCLAMATION OBSERVATIONS SUR LA DE CHEZ QUINTILIEN ET CHEZ Â ERASME 1
Tout
comme Quintilien, les humanistes de la Renaissance jugeaient
le bon usage de la langue et l' eèloquence treés importants. L' Institutio
oratoria
jouissait d' une grande autoriteè parmi les humanistes aé plusieurs
titres. Tout d' abord, Quintilien preèsente dans cette Ýuvre ses ideèes sur la valeur intrinseéque de la rheètorique dans la socieèteè romaine, ideèes selon lesquelles la rheètorique est une vertu et l' orateur un
cendi peritus, l' Institutio
vir bonus di-
comme Quintilien le preècise au deèbut du livre XII de
oratoria
(XII, 1, 1-45). Les ideèes de Quintilien portant sur ce
sujet ont eèteè une importante source d' inspiration pour les humanistes. De plus, l' Institution
oratoire
deècrit le programme d' eètudes du jeune
Romain aé partir de sa naissance jusqu' au deèbut de sa carrieére sur le
rum,
fo-
programme que les humanistes ont pris comme modeéle pour
leur reèforme de l' enseignement meèdieèval. E è troitement lieèes au plan d' eètudes, les ideèes saines et pratiques de Quintilien dans le domaine de la peèdagogie eètaient bien rec°ues parmi les humanistes. Finalement, l' Institution
oratoire
contient non seulement un aperc°u complet du sys-
teéme de la rheètorique, mais aussi des explications deètailleèes concernant les meèthodes de persuasion usuelles aé Rome, que Quintilien explique au moyen de nombreux exemples pris d' une part de discours fameux tenus par
de grands orateurs
du passeè
(par
exemple
Ciceèron),
et
d' autre part de discours d' apparat et d' exercice que l' on deèclamait aé cette eèpoque dans les eècoles des rheèteurs et les salons litteèraires. Bref, l' Institutio
oratoria
constituait pour les humanistes une mine tout aé fait
ineèpuisable. E è rasme, le protagoniste de l' humanisme europeèen au nord des Alpes dans les premieéres deècennies du
1
xvi
e
sieécle, partageait cet enthou-
Je remercie Dr. P. Tuynman pour ses remarques aé ce texte.
279
marc van der poel
280 siasme
pour
Quintilien.
En
1529,
peu
apreés
la
publication
de
sa
2
grande eèdition de Seèneéque , il eètait occupeè aé preèparer une eèdition de Quintilien, comme le montre une lettre aé John Lotzer du 8 mars 1529. Il demanda aé Lotzer de lui preêter un ancien manuscrit que celui-ci posseèdait : Habemus varias eruditorum annotationes in Quintilianum, et accepi mus tibi codicem esse pervetustum : cuius si nobis ad paucos dies voles facere copiam, speramus futurum ut in autore tam probo studiosi ni hil sint desideraturi, et tuus thesaurus incolumis et illibatus ad te redi 3
bit cum foenore .
Apparemment, E è rasme n' a pas rec°u ce manuscrit, et l' eèdition projeteèe ne fut jamais reèaliseèe. Dans ses eècrits sur la peèdagogie et sur l' enseignement primaire et secondaire, c' est-aé-dire la
ratione studii
Declamatio de pueris instituendis
De copia rerum ac verborum
livre II du
(1529) et le
De
(1511), et dans ses traiteès sur la rheètorique, comme le (premieére eèdition 1512), le
De
conscribendis epistolis (1522) et l' Ecclesiastes (1535), Eèrasme puise souvent aé l' importante source qu' est l' Institutio
oratoria.
Mais, aé ma connaissance,
E è rasme laisse de co ê teè les nombreuses remarques que Quintilien fait partout dans l' Institutio concernant les deèclamations de son eèpoque . Ce 4
fait ne doit pas nous surprendre, parce que Quintilien eètait non seulement
professeur
exemples de
d' eèloquence,
controversiae
mais
aussi
avocat,
et
les
nombreux
servaient de preèparation aé une pratique juri-
dique qui n' existait plus au temps d' E è rasme. Je reviendrai sur ce point. é la Renaissance, deux recueils de deèclamations antiques eètaient atA tribueès aé Quintilien, aé savoir les 19
clamationes minores
2
Seneca,
Opera,
5
. Les 19
Declamationes maiores
Declamationes maiores
n' eètait pas du tout content (voir Allen, Oxford, 1910, n
o
Lucubrationes)
4
Dans la
en 1515 aé Baêle chez Froben, dont il
Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami,
vol. 2, eèd. P. S.
325, introduction, p. 51).
3 Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, o
De-
Baêle : Froben et Herwagen, 1529 ; E è rasme avait publieè une premieére
eèdition des Ýuvres de Seèneéque (Senecae
ford, 1934, n
et les 145
ont notamment attireè
vol. 8, ed. P. S. Allen, H. M. Allen, Ox -
2116, p. 77-78.
Dilutio eorum quae Iodocus Clithoveus scripsit adversus declamationem Des. Erasmi
Roterodami suasoriam matrimonii
de 1532 (eèd. E. V. Telle, Paris, 1968, p. 73), E è rasme reèfeére
aé un passage oué Quintilien cite plusieurs theémes traiteès dans les eècoles de rheètorique au cours de son exposeè sur les deux sortes de question, la question deèfinie et la question indeèfinie (Inst., III, 5, 5-15) ; parmi les sujets indiqueès par Quintilien, E è rasme releéve le fameux
An uxor ducenda (philosopho),
dans son
dont lui-meême avait donneè une adaptation moderne
Encomium matrimonii.
5 Editio princeps
des
Declamationes maiores
: Rome : D. Calderini, 1475 (seulement 8, 9
et 10) ; Venise : L. Veneto, 1481 (le recueil entier) ; pour une eè tude deètailleèe de la trans-
observations sur la deè clamation chez quintilien
281
l' attention de plusieurs humanistes. Au nord des Alpes, Rodolphe Agricola, qui vivait une geèneèration avant E è rasme, cite reègulieérement 6
les Declamationes maiores dans son traiteè De inventione dialectica , et Juan Luis Vives, un ami d' E è rasme, a eècrit aé la demande de Thomas More 7
une reèponse aé la premieére deèclamatio maior, le Paries palmatus . E è rasme a naturellement connu les Declamationes maiores et minores, dont il mettait 8
peut-eêtre l' authenticiteè en doute , mais sauf quelques reèfeèrences occa9
sionnelles elles n' ont laisseè aucune trace importante dans son Ýuvre . Cette neègligence est aé mon avis due au fait qu' elles concernent toutes des Controversiae, des cas fictifs traiteès selon le systeéme juridique romain, c' est-aé-dire avec des discours eèloquents du plaignant et du deèfenseur ; le systeéme juridique au temps d' E è rasme, je viens de le dire, ne preèvoyait pas de discours pour ou contre l' accuseè. En effet, la theèorie et la pratique de l' eèloquence chez E è rasme se caracteèrise par un effort incessant pour adapter les modeéles classiques aux circonstances modernes. Vraisemblablement, selon E è rasme, les Declamationes maiores et minores ne se preêtaient pas aé une telle adaptation. D' autre part, E è rasme lui-meême a eècrit et publieè un assez grand nombre de deèclamations. Dans sa lettre aé Botzheim, qui contient un aperc°u de ses Ýuvres compleétes jusqu' en 1523, il les a eènumeèreèes et caracteèriseèes en geèneèral comme des textes qui pertinent ad institutionem
mission et des eèditions humanistes, voir A. Stramaglia, û Le Declamationes maiores pseudoquintilianee : genesi di una raccolta declamatoria e fisionomia della sua trasmissione testuale ý, dans Approches de la Troisieéme Sophistique. Hommages aé Jacques Schamp, eèd. E. Amato, Bruxelles, 2006, p. 555-588. Editio princeps des Declamationes minores : Parma, 1494.
6
Voir B. Breij, û Agricola and Pseudo-Quintilian ý, Studi Umanistici Piceni, 25 (2005),
p. 245-257.
7
E è diteè par G. Krapinger, û Vives' Antwort auf Ps. Quintilianus Paries palmatus : Die
Deklamation Pro Noverca. Text, U ë bersetzung und Erla«uterungen ý, dans Studium declama-
torium. Untersuchungen zu Schulu«bungen und Prunkreden von der Antike bis zur Neuzeit, eèd. B.-J. Schro«der, J.-P. Schro«der, Mu«nchen - Leipzig, 2003, p. 289-333.
8
Un passage du Ciceronianus (1528) teèmoigne de ce doute : [...] cuius [Quintiliani] uti-
nam exstarent declamationes ! nam quas habemus, minimum habent Ciceronis (eèd. P. Mesnard, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, I, 2, Amsterdam, 1971, p. 657, l. 37 sq.). Dans la Dilutio (1532, voir ci-dessus note 4), p. 72, il n' exprime aucun doute au sujet de la pa renteè des Declamationes maiores : profert [sc. Clithoveus] aliquot argumenta ex Declamationibus
Quintiliani. Dans son attaque de l' Encomium matrimonii, Clichtove avait parleè des Declamationes maiores 5 et 13.
9
Par exemple dans les Adagia il cite ou mentionne trois fois Declamationes maiores, 12
(Adagium II, 7, 13 : Decl. 12, 6 ; Adagium III, 6, 7 : Decl. 12, 23 ; Adagium IV, 4, 2 : Decl. 12, 2). Decl. min. 245, 6 est citeèe dans Adagium IV, 5, 27 ; la combinaison classique amplia-
tum est iudicium, qui se trouve seulement dans Decl. min. 334, 5, est citeèe dans De copia (eèd. B. Knott, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, I, 6, Amsterdam, 1988, p. 128, l. 511-512).
marc van der poel
282 vitae
10
(enseignent la manieére correcte de vivre). Plusieurs de ses deècla-
mations ont eèteè des discours treés controverseès aé l' eèpoque de leur paru-
è loge de la Folie (Encomium moriae ou Laus tion et par apreés, comme l' E stultitiae), publieèe en 1511, et l' Eèloge du mariage (Declamatio de laude matrimonii, Laus matrimonii, Encomium matrimonii) ; cette dernieére fut publieèe comme discours autonome en 1518, mais aé l' origine elle faisait partie du De conscribendis epistolis, un manuel pratique sur l' art eèpistolaire qu' E è rasme lui-meême ne publia qu' en 1522
11
è loge du ma. Dans l' E
riage, Eèrasme conseille aé un personnage fictif de se marier ; ce discours fut attaqueè par des theèologiens conservateurs, parce que dans la partie centrale de son discours, E è rasme plaide pour la valeur du mariage chreètien, ce qui allait aé l' encontre de l' ideèe rec°ue parmi les theèologiens, qui tenaient le ceèlibat pour tous et dans toutes les circonstances pour un genre de vie plus eèleveè que l' eètat marieè
12
. E è rasme a eècrit trois
è loge du mariage, publieèes entre 1519 et apologies pour deèfendre son E 1532 ; dans chacune, il compare sa deèclamation avec la deèclamation antique, insistant sur trois caracteèristiques communes, c' est-aé-dire le fait que la deèclamation est un exercice oratoire scolaire, le fait qu' il s' agit toujours d' un discours partial (donc soit pour, soit contre, soit les deux, ce qui est l' exercice le plus difficile), et finalement le fait qu' il s' agit d' un cas fictif. Avec ces remarques, il se base sur la situa-
è loge du mariage, plus de tion dans laquelle il avait initialement eècrit l' E vingt ans auparavant, comme un exercice pour son eèleéve William Blount, Lord Mountjoy, tout en ignorant le roêle qu' avait obtenu sa deèclamation dans le deèbat theèologique sur le mariage deés le moment ou é il l' avait publieèe comme discours autonome
13
. Il s' agit ici de la
part d' E è rasme d' une strateègie pour se deèfendre contre ses attaquants, mais en fait il nous montre clairement que son usage reèel de la deèclamation se situait hors du cadre restreint de l' enseignement, et que, donc, sa deèclamation avait une application tout autre que celle du temps de Quintilien.
10 Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami,
vol. 1, eèd. P. S. Allen, Oxford, 1906, n
o
1,
p. 19, l. 17-19.
11 Declamatio in genere suasorio de laude matrimonii
comme
discours
autonome,
eèd.
J. C. Margolin, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, I, 5, Amsterdam, 1975, p. 385416 ; le meême texte comme partie du De conscribendis epistolis, eèd. J. C. Margolin, Opera
omnia Desiderii Erasmi Roterodami, I, 2, Amsterdam, 1971, p. 400-429.
12
Voir pour une analyse du discours M. van der Poel, û Erasmus, Rhetoric and
Theology :
the Encomium matrimonii ý, dans Myricae. Essays on Neo-Latin Literature in
memory of Jozef IJsewijn, eèd. D. Sacreè, G. Tournoy, Leuven, 2000, p. 207-227.
13
Voir M. van der Poel, û For Freedom of Opinion : Erasmus' Defense of the Enco-
mium matrimonii ý, Erasmus of Rotterdam Society Yearbook, 25 (2005), p. 1-17.
observations sur la deè clamation chez quintilien
283
Dans la suite de cette contribution, je taêcherai de traiter brieévement de trois diffeèrences essentielles que l' on peut constater, aé mon avis, entre la deèclamation chez E è rasme et chez Quintilien. Je prends le
ratione studii
comme point de deèpart de mes observations
14
De
.
Ce petit ouvrage contient le plan d' un programme d' eètudes qu' E è rasme a dresseè pour l' eècole de John Colet aé Londres. E è rasme y deèveloppe une
ratio docendi
s' inspirant
de
ou
Quintilien,
instituendi,
une meèthode d' enseignement,
qu' E è rasme
qualifie
d' autoriteè
deèfinitive
dans ce domaine, comme le montre la citation suivante : Sed video te cupere ut de docendi quoque ratione nonnihil attinga mus. Age mos geratur Viterio, quamquam video Fabium hisce de re bus diligentissime praecepisse, adeo ut post hunc de iisdem scribere prorsus impudentissimum esse videatur
Or, en lisant la
Ratio studii,
15
.
l' on constate immeèdiatement une pre-
mieére diffeèrence fondamentale par rapport aé Quintilien, c' est-aé-dire le fait qu' E è rasme vise uniquement l' eèloquence eècrite ; il parle seulement de l' eècriture de parties de discours ou, dans le cas d' exercices avanceè s, de discours entiers, sans jamais mentionner la reècitation de ceux-ci. Le programme d' E è rasme preèvoit l' usus
loquendi
(eèd. Margolin, p. 125),
mais ceci concerne le latin parleè comme moyen de communication entre interlocuteurs, non pas la
pronuntiatio
et l' actio, c' est-aé-dire la preè-
sentation d' un discours devant un public. C' est preèciseèment cette cinquieéme taêche de l' orateur qui eètait, dans l' Antiquiteè, rien moins que le paracheévement du travail de l' orateur, la mise en Ýuvre de toutes les autres taêches de l' orateur (Inst., XI, 3, 1-9). Cette partie, cette taêche fondamentale manque compleétement chez E è rasme. La deuxieéme diffeèrence porte sur le but de l' eèloquence. Quelques remarques preèalables sont neècessaires pour introduire ce point. La
studii
ratio
contient un programme d' eètudes et explique une meèthode d' en-
seignement. E è rasme propose de reèduire jusqu' au minimum la matieére theèorique portant sur la grammaire, la dialectique et la rheètorique ; au lieu de ces theèories, les eèleéves doivent, selon lui, deés la premieére anneèe de leur formation et jusqu' aé la fin de celle-ci, lire des textes antiques dans tous les genres et eècrire le latin eux-meêmes (consuetudo
scribendi ;
l' eèloquence eècrite, notamment sous forme de lettres ; eèd. Margolin, p. 126). La deèclamation est la dernieére eètape dans la seèrie d' exercices neècessaires pour reèaliser la
14 De ratione studii,
eèd. J. C. Margolin,
Amsterdam, 1971, p. 83-151.
15 Ibidem,
p. 119.
consuetudo scribendi,
qui vise la ma|êtrise de
Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami,
I, 2,
marc van der poel
284 l' inventio, la
dispositio
et l' elocutio. E è rasme suit donc le programme et la
meèthode de Quintilien pour atteindre son but. Mais quel eètait ce but ? Dans le cas de Quintilien, l' objectif eètait de preèparer l' eèleéve aé tenir un discours public sur un cas particulier, concernant des personnages bien deèfinis dans des circonstances de temps et de lieu preècises, principalement dans le genre judiciaire. Pour E è rasme, l' objectif essentiel de l' eèloquence eècrite eètait tout autre. Selon lui, la taêche de l' orateur est de preèsenter son avis sur des questions geèneèrales pour le public des lettreès, pour les aider aé former leur propre opinion sur ces questions. En matieére de rheètorique, Ciceèron avait accordeè aé des consideèrations geèneèrales
un
roêle
d' appui
comme
moyen
de
persuasion
parmi
d' autres au cours d' un discours sur un cas particulier ; ces consideèrations geèneèrales constituent la E è rasme, la
thesis
thesis
(ou le
propositum)
16
. Mais pour
constitue l' essentiel, le contenu reèel du discours, et le
cas particulier ne fournit que la forme pour avancer ce contenu reèel.
è loge Ce fait se reèveéle aé la fois dans ses propres deèclamations (comme l' E du mariage) tione studii.
et dans le programme d' eètudes qu' il deècrit dans le
Dans le passage ou è rasme parle de la deèclamation (les é E
themata),
De ra-
Je me borne ici aé ce dernier texte.
declamatoria
il donne quelques exemples qui m' aideront aé expliquer mon
point. Comme on peut l' espeèrer dans un manuel qui suit le modeéle antique, E è rasme s' en tient aé la division aristoteèlicienne des genres de causes, donc le
genus iudiciale, deliberativum
et
demonstrativum.
Mais c' est
par le choix des exemples qu' E è rasme montre qu' il vise certainement une application purement moderne et contemporaine de l' eè loquence. Voici le texte : Aliquando ceu declamatorium thema dabit [sc. is qui docet, c. -aé.-d. le professeur aé l' eècole] in diuersis generibus, puta si iubeat eos uituperare Iulium Caesarem, aut laudare Socratem, in genere demonstratiuo. Item statim optima discenda ; in opibus non esse foelicitatem ; ma trem proprio lacte nutrire debere quod peperit ; literis graecis non esse dandam aut esse dandam operam ; vxorem esse ducendam aut non esse ducendam ; peregrinandum esse aut non esse peregrinandum, in genere suasorio. Item M. Horatium indignum esse supplicio, in ge nere iudiciali
16
.
Voir par exemple Ciceèron,
oratore, du
17
2, 133 et Quintilien,
thesis
Inst.,
Topica,
79-80 :
itaque propositum pars est causae
par Ciceèron dans ses discours, voir la theése brillante de A. Michel,
philosophie chez Ciceèron, Paris, 1960, notamment p. 201-219. 17 Eèrasme, De ratione studii, ed. J. C. Margolin, p. 133 ; ponctuation è
; cf.
De
III, 5, 5-15. Pour une analyse profonde de l' application
Rheètorique et
adapteèe.
observations sur la deè clamation chez quintilien
285
Les exemples sont donc les suivants : pour le genre deèmonstratif : louange de Socrate, vitupeèration de Ceèsar ; pour le genre deèlibeèratif : il faut apprendre avec deètermination les meilleures choses ; le bonheur n' est pas dans la richesse ; une meére doit allaiter son enfant ellemeême ; on doit, oui ou non, apprendre le grec ; on doit, oui ou non, se marier ; on doit, oui ou non, faire des peélerinages ; dans le genre judiciaire : il est indigne que P. (non M., comme le dit E è rasme par erreur) Horace soit puni (il s' agit de l' histoire fameuse des Horaces et Curiaces : Tite-Live, I, 24-26). Cette liste contient aé mon avis la troisieéme diffeèrence importante par rapport aé Quintilien, portant sur les genres de causes (genera
rum) :
causa-
pour Quintilien, le genre le plus important est le genre judi-
ciaire, pour E è rasme c' est le genre deèlibeèratif. Au temps de Quintilien, le champ de la rheètorique se reèduisait presque compleétement aé la pratique judiciaire et Quintilien discute le genre portant sur cette pratique le plus en deètail. Chez E è rasme, le point de deèpart est tout aé fait diffeèrent ; en son temps, le systeéme judiciaire n' accordait aucune place aé des discours prononceès par les parties en litige. Par conseèquent, le seul theéme de ce genre qu' E è rasme donne n' est pas vraiment un cas juridique, mais un theéme historique qui invite aé une reèflexion morale. Il s' agit du meurtre commis par Horace sur sa sÝur, qui avait pleureè en voyant sur les eèpaules de son freére la cotte d' armes de son amant, un des Curiaces. La question ici est de savoir si oui ou non la mise aé mort de la sÝur par le freére eètait justifieèe du point de vue moral dans les circonstances donneèes ; Quintilien mentionne ce cas comme un exemple manifeste d' une cause oué le point du deèbat tourne sur la
litas
ou la qualiteè du crime
18
qua-
. Bref, dans ce cas il s' agit du jugement
moral d' un meurtre, non pas de la bataille juridique pour deèterminer si oui ou non il y a question de meurtre. Quant au genre eèpidictique, E è rasme le traite aussi brieévement que Quintilien.
Ses
exemples
concernent
respectivement
l' eèloge
et
le
blaême d' un personnage historique fameux, aé savoir Socrate ou Ceèsar. E è tant donneè la reèputation de ces deux personnages dans la tradition è rasme ne les a pas choisis pour classique, il est, je pense, eèvident qu' E introduire le lecteur dans les circonstances preècises de l' eèpoque ou é vivaient Socrate et Ceèsar et pour preèsenter une appreèciation de leur ro ê le individuel dans leur temps, mais pour inviter aé une reèflexion contemporaine respectivement sur l' utiliteè de la philosophie (sujet souvent
18 Inst.,
III, 6, 76, dans la section sur la theèorie du
stasis
ou
status.
marc van der poel
286
traiteè par les humanistes) et sur le meilleur reègime politique (ou, plus preèciseèment, une critique de l' autocratie). Le genre le plus important pour E è rasme est le genre deèlibeèratif. Deux observations s' imposent aé propos de la liste d' exemples dans le
De ratione studii. Premieérement, les exemples sont plus nombreux que pour les deux autres genres, ce qui implique qu' il est jugeè le plus important par E è rasme. Deuxieémement, E è rasme prend le genre dans un sens plus large que Quintilien. En traitant le genre deèlibeèratif (III, 8), Quintilien ne donne que des exemples de questions politiques du temps de la Reèpublique romaine, lorsque les orateurs jouaient un roêle actif dans le gouvernement de l' E è tat. Dans un passage, critiquant les auteurs grecs et Ciceèron, il dit que le champ deèlibeèratif est plus large que la politique dans le sens restreint du mot (choses de l' eètat) : nobis
maior in re videtur varietas, nam et consultantium et consiliorum plurima sunt genera (III, 8, 15). Cette observation breéve n' a aucune conseèquence pour sa discussion du genre : il se borne, comme je viens de le dire, aux affaires d' E è tat. Le passage citeè a eèteè deèveloppeè au temps d' E è rasme par Juan Luis Vives dans un petit traiteè intituleè De consultatione (1523), dans lequel il deèfinit le champ deèlibeèratif comme û tout ce dont nous, eêtres humains, pouvons deècider nous-meêmes
19
ý, donc tout ce dont
nous devons peser le pour et le contre. Dans la Ratio studii d' E è rasme on voit quelques exemples du champ deèlibeèratif û eèlargi ý : aucun des sujets proposeès ne concerne le gouvernement de l' E è tat d' apreés le modeéle antique ; tous les sujets concernent l' institutio vitae (j' adopte le terme utiliseè par E è rasme pour classifier ses deèclamations dans la lettre aé Botzheim ; voir ci-dessus). C' est dans ce champ que la thesis avait son application naturelle ; exemples
d' E è rasme
des
et
bien suêr, il
faut
rapprocher tous les
Progymnasmata (qui ont eu une influence
eènorme aé la Renaissance), et notamment aé l' exercice de la thesis, qui est un des exercices les plus avanceès dans la seèrie des Progymnasmata. Les sujets proposeès par E è rasme peuvent eêtre deèveloppeès soit comme
theses, soit comme discours sur un cas fictif. Une fois seulement, E è rasme a eècrit une suasoire û classique ý sur un sujet politique contemporain, aé savoir un discours contre l' entreprise de la guerre contre les Veèneètiens par le pape Jules II. Il eècrivit cette consultation en 1508, lors de son seèjour aé Rome, aé la demande d' un
19
J. L. Vives, De consultatione, eèd. Mayansius, Valencia, 1782, reèimpr. Londres, 1962,
vol. 2, p. 242 : De omnibus quaecunque sunt in nostra potestate consultamus, de operibus manuum
et actionibus animi. Voir M. van der Poel, û Observations on J. L. Vives' s Theory of Deli berative Oratory in De consultatione (1523) ý, dans Acta conventus Neo-Latini Torontonensis [...], eèd. A. Dalzell et al., Binghamton, 1991, p. 803-810.
observations sur la deè clamation chez quintilien
287
cardinal lorsque la question eètait agiteèe au conseil des cardinaux. Dans la lettre aé Botzheim, E è rasme dit qu' il avait aussi eècrit un discours pour l' entreprise de la guerre, et que celui-ci l' avait emporteè, quoiqu' il euêt apporteè plus de soin et de conviction aé la reèdaction du discours contre
20
. Les deux discours se sont perdus, mais E è rasme a utiliseè
des mateèriaux du discours contre dans le deuxieéme livre du et dans le deuxieéme livre de l' Ecclesiastes
22
De copia
21
.
Cette suasoire û classique ý est une exception ; mais il n' empeêche que, pour E è rasme, le champ deèlibeèratif est bien plus large que pour Quintilien, comme la liste d' exemples de
declamatoria themata
dans le
genre deèlibeèratif le montre ; il s' agit de ce point de vue d' une diffeèrence importante entre le rheèteur antique et le rheèteur moderne de la Renaissance. Ceci dit, il me semble que d' un autre point de vue, c' est bien l' esprit de Quintilien qu' E è rasme suit avec son adaptation du champ d' action de la deèclamation. Quintilien avait insisteè sur le fait que les sujets des deèclamations ne doivent pas eêtre trop eèloigneès de la reèaliteè quotidienne sur laquelle l' eèloquence eètait axeèe aé son eèpoque, c' est-aé-dire la pratique judiciaire (Inst., V, 12, 17-23). La reèaliteè quotidienne que vise E è rasme avec l' enseignement oratoire est la vie et l' univers des ideèes de l' humaniste chreètien, plus particulieérement l' humaniste biblique, qui veut mettre son eèloquence au service du deèveloppement spirituel et moral des chreètiens ; il s' agit pour lui de l' anoblissement du peuple, en premier lieu du peuple lettreè, via la diffusion de ses propres ideèes et via la critique des ideèes preèvalentes ; c' est pour cette raison qu' il aborde des questions civiles comme l' enseignement, l' allaitement des beèbeès, et aussi des sujets dont les theèologiens pensaient avoir l' autoriteè, comme le mariage. Les deèclamations d' E è rasme montrent qu' il a essayeè de mettre son talent rheètorique au profit de la communauteè chreètienne. Avec la publication de certaines de ses deèclamations, il courait volontairement un
risque,
puisqu' il
y
preèsentait
des
ideèes
sujettes
aé
controverse,
comme la poleèmique prolongeèe avec les theèologiens conservateurs aé
è loge propos de l' E
du mariage
le montre. Cette attitude teèmoigne du
courage qui, selon Quintilien, est propre aé l' orateur (II, 20, 8 :
20 Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami,
Quid ?
vol. 1, eèd. P. S. Allen, Oxford, 1906, n
o
1,
p. 37, l. 7-14.
21 Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami,
p. 224, l. 685
I, 6,
eèd.
B. Knott,
Amsterdam,
1988,
sq.
22 Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, p. 352, l. 667-710.
V, 4, eèd. J. Chomarat, Amsterdam, 1991,
marc van der poel
288
non fortitudinem postulat res eadem, cum saepe contra turbulentas populi minas, saepe cum periculosa potentium offensa, nonnumquam, ut iudicio Miloniano, inter circumfusa militum arma dicendum sit). Ce courage, cette fortitudo dont l' orateur doit faire montre est une des importantes raisons pour lesquelles Quintilien consideére l' eèloquence comme une vertu. E è rasme partageait cette optique, mais la poleèmique avec les theèologiens et les perseècutions contre ceux que l' on soupc°onnait de favoriser les ideèes lutheèriennes l' ont rendu timide ; c' est pourquoi il en vient meême aé dire, dans sa dernieére apologie de son Encomium matrimonii, la Dilutio de 1532, qu' il ne donne pas une instruction morale mais seulement une instruction de langue avec sa deèclamation contesteèe : non formo mo-
res, sed instruo linguam
23
. Ces paroles sont contraires aé l' esprit de Quin-
tilien et aé son propre esprit de jeunesse. Avec cette reculade en 1532, au terme d' une poleèmique qui avait commenceè en 1519, E è rasme abandonna deèfinitivement sa tentative de mettre l' eèloquence profane au service de son humanisme biblique, dans l' esprit de Quintilien. Mais il n' abandonna aucunement l' eèloquence, ni Quintilien. Les dernieéres anneèes de sa vie sont consacreèes aé son Ýuvre principale en matieére de rheètorique, aé savoir l' Ecclesiastes. Dans cette eèloquence sacreèe, il suit l' exemple du Peére de l' E è glise Augustin : il adopte toutes les divisions de la rheètorique antique (par exemple les genres de causes), mais le contenu est entieé rement chreètien et vise l' instruction des fideéles en la doctrine du Christ ; la plupart des exemples illustrant la theèorie proviennent de la Bible. Deèjaé en 1519 un ami lui avait demandeè d' eècrire une Rhetorica sacra
24
, et en
1523 il avait deèjaé quelques eèbauches de l' Ecclesiastes dans sa poche
25
.
On ne sait pas quand exactement il a commenceè la reèdaction de l' Ec-
clesiastes, mais nous avons, je pense, un indice du fait qu' il reèfleèchissait deèjaé aé ce grand projet en 1519, lorsqu' il eècrivait son Apologia ad Lato-
mum, oué il donne la deèfinition suivante du theèologien, qui me semble une illustration frappante de l' influence de Quintilien sur E è rasme en matieére de rheètorique : Quod si probatur a rhetoribus definitio : `Orator vir bonus dicendi peritus' , cur nobis displiceat haec : `Theologus est vir pius de divinis
23 24
E è rasme, Dilutio, p. 72. Voir M. van der Poel, û For Freedom of Opinion ý. Voir la lettre de Jean Becker van Borssele aé E è rasme du 28 mars 1519 : Superest ut
Evangelicum concionatorem recte instituas (Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, vol. 3, eèd. P. S. Allen, Oxford, 1913, n
25
o
932, p. 515, l. 21-22).
Voir la lettre aé Botzheim (ci-dessus, note 10), p. 34, l. 19-20 : In opus de ratione con-
cionandi tantum annotaveramus quaedam capita.
observations sur la deè clamation chez quintilien
289
loquendi peritus ; theologia est pietas, cum ratione de divinis rebus lo quendi coniuncta'
26
?
Ce passage montre que meême l' Ecclesiastes, la rheètorique sacreèe, est nourri par l' esprit du ma|être pa|ëen. En guise de conclusion : Quintilien est pour E è rasme une autoriteè dans le domaine de la peèdagogie et de l' enseignement. Tout aé fait dans l' esprit de Quintilien, la deèclamation chez E è rasme est relieèe aé la reèaliteè de la vie des hommes, mais l' accent est mis sur le champ deèlibeèratif dans un sens plus large que dans l' Antiquiteè, et les sujets qu' il choisit portent sur l' instruction spirituelle et morale. E è rasme a essayeè pendant un certain temps d' utiliser la rheètorique et plus particulieérement la deèclamation comme instrument dans le deèbat intellectuel, mais il a cesseè cet effort, reculant devant les poleèmiques dans lesquelles il se trouvait embarqueè, et devant le danger reèel qu' il courait avec le renforcement des oppositions contre lui dans la lutte entre l' E è glise d' une part et Luther et le mouvement reèformateur de l' autre.
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Opera omnia,
eèd. Leclerc, vol. IX,
L AT I N I TAT E S
Jean
Ceèard
JOSSE BADE, Â EDITEUR DE QUINTILIEN Á A LA RENAISSANCE
Quand
Josse Bade publie, le 13 janvier 1516, son eèdition de Quinti-
lien, il y a deèjaé longtemps que le texte meême de l' Institution oratoire est examineè par les humanistes. Cet inteèreêt remonte aé la deècouverte, par le Pogge, au monasteére de Saint-Gall, d' un manuscrit, qu' il retranscrit de sa main, comme il le rapporte dans une lettre du 28 deècembre 1417 aé Guarini. Ce manuscrit est identifieè comme le Codex Laurentianus conserveè aé Florence. L' eèdition princeps est publieèe en 1470 aé Rome sur les presses de J. Ph. de Lignamine, par les soins de Gianan tonio Campana ; la meême anneèe, une seconde eèdition sort des presses de Sweynheim et Pannartz ; et, l' anneèe suivante, la troisieéme est donneèe aé Venise par Jenson. Apreés l' eèdition, le 17 aouêt 1493, de Raffaele Regio (Regius), qui s' attache particulieérement aé la correction du texte, puisque ses annotations sont intituleèes Raphaelis Regii in depraua-
tiones oratoriae Quintiliani institutionis annotationes, est publieèe aé un an d' intervalle, le 18 aouêt 1494, aé Venise, chez Peregrinus de Paschalibus, une eèdition dont le titre, Quintiliani institutiones cum commento Laurentii
Vallensis : Pomponii : ac Sulpitii, annonce des commentaires du grand Lorenzo Valla, de Pomponio Leto et de Giovanni Antonio Sulpizio. L' importante eètape suivante est constitueèe par l' eèdition de Josse Bade, dit Ascensius, du nom de sa ville natale, Assche. Neè en 1462, Josse Bade, apreés avoir eètudieè en Italie, avait eèteè correcteur d' imprimerie chez Treschel aé Lyon ; graêce aé Jean Petit, il ouvrit en 1500 aé Paris
une
imprimerie
dont
la
production
allait
eêtre
consideèrable.
Outre des modernes, comme Politien, E è rasme, Budeè, il publia une foule de classiques. S' il s' est inteèresseè aé Quintilien, la raison en est sans doute qu' Alde Manuce venait de donner, en aouêt 1514, une nouvelle eèdition de l' Institution oratoire, et que Josse Bade estimait avoir les
291
jean ceè ard
292 moyens
d' en
ameèliorer
le
texte.
Son
eèdition
s' intitule,
en
effet,
M. Fabii Quinctiliani oratoriarum institutionum lib. XII / una cum annotationibus Raphaelis Regii, Georgii Merulae et Jodoci Badii Ascensi in deprauationes earumdem. Et tabula per alphabeti seriem tam in contextu quam in scholiis adnotandorum aucta et recognita per eundem Ascensium qui ad codicem quem Laurentius Vallensis et possedisse : et emendasse magnis argumentis conuincitur sexcentos locos restituit. Ainsi, tout en reconnaissant l' extreême meèrite de l' eèdition de Regius, dont du reste il reproduit tout le commentaire, chapitre par chapitre, et avant le sien, il juge pouvoir parfaire son texte en utilisant un manuscrit qu' il est presque suêr de pouvoir attri1
buer aé Lorenzo Valla : ce sera le Parisinus lat. 7723 . Comment y a-t-il eu acceés ? Un liminaire de Joannes Vaccaeus, cher aé Perrine Galand, et qui est une eèpitaphe de Petrus Sylvius, meèdecin de Charles VIII, le loue d' avoir prodigueè ses soins aé Quintilien : Petri Syluii medici Caroli Francorum regis octaui ac oratoris clarissimi qui M. F. Quintilianum Laurentii Vallae manu conscriptum ex Italia in Galliam detulit per Ioannem Vaccaeum Castellanum Epitaphium. Perrine Galand-Hallyn a souligneè le succeés, depuis le Pogge, du topos deèveloppeè dans ces vers : le meèdecin Sylvius, qui a sauveè par son art tant d' hommes deèjaé aux portes de la mort, a su aussi ressusciter Quintilien. Un sizain du meême Vaccaeus et un huitain de Bade en personne, qui suivent cette pieéce, offrent d' autres variations sur cet argument. Josse Bade ne retrace pas l' histoire de l' eètablissement du texte de Quintilien, mais visiblement, pour lui, le meilleur travail publieè est celui de Regius, et il n' intervient pour taêcher de l' ameèliorer que parce qu' il dispose, graêce aé Sylvius, de ce manuscrit. Il eècrit en effet, dans sa premieére annotation, qu' il a choisi d' eêtre bref : û Je n' ajouterai que ce qui a eèteè omis par Raphael ou qui me semble devoir eêtre autrement expliqueè ; je me suis livreè aé cette entreprise, fort d' un manuscrit digne de foi dont j' ai eèteè conduit par d' eèvidents arguments aé croire que Lorenzo Valla a eèteè le possesseur
2
ý. Il ne signale qu' en pas-
sant qu' il en avait fait une recension qui lui a eèteè deèrobeèe : ce fut pour
1
Voir L. Valla, Le postille all' Institutio oratoria di Quintiliano, eèd. L. Cesarini Marti-
nelli, A. Perosa, Padoue, 1996 ; J. Cousin, Recherches sur Quintilien. Manuscrits et eèditions, Paris, 1975, p. 128 sq. ; P. Galand-Hallyn, Un professeur-poeéte humaniste : Johannes Vaccaeus. La Sylve parisienne (1522), Geneéve, 2002, p.
2
o
F
o
a1r
xxiv - xxv .
: ea dumtaxat addam quae ab Raphaele praetermissa : aut aliter explananda videbun-
tur : quam prouinciam attentare ausus sum : fretus codice fideli : cuius Laurentium Vallam possesso rem fuisse ut credam : manifestis inductus sum argumentis.
Bade
ajoute :
Proinde qui mihi
exemplum ad illius exemplar recognitum sacrilego furto sublegit quanquam mihi grauem iacturam in tulit honori tamen et suo et eius cui sublegit parum consulit : intelligant enim mortales omnes in cuius mancipio sint sublectitia ista. Sed rem sedatiore auspicemur animo.
293
josse bade, eè diteur de quintilien aé la renaissance
lui, dit-il, une
grauis iactura,
et, pour nous, c' est une inteèressante illus-
tration, certes des mÝurs des humanistes (et aussi bien du monde des eèrudits), mais surtout de l' inteèreêt soutenu que suscitait l' Institution
toire.
Pour revenir,
sedatiore animo,
ora-
comme il dit, au travail de Josse
Bade, c' est le texte de Regius qu' il reproduit : de rares notes marginales signalent quelques changements qu' il lui semble indispensable d' y apporter, car, la plupart du temps, c' est aé son propre commentaire qu' il confie la charge de proposer d' autres lectures : en bon humaniste, il se garde de les introduire dans le texte meême. Est-ce aé dire qu' il neèglige toutes les autres eèditions et tous les autres commentaires ? Non. Il renvoie treés freèquemment aé l' eèdition aldine, sans doute celle de 1514, comme je l' ai indiqueè. D' autre part, c°aé et laé, il montre qu' il a sur sa table d' autres instruments de travail. Il indique une fois au moins qu' il dispose de l' eèdition publieèe aé Venise en 1494
3
; cette
mention ne me semble pouvoir renvoyer qu' aé l' eèdition plus haut signaleèe qui a pour titre
Quintiliani institutiones cum commento Laurentii
Vallensis : Pomponii : ac Sulpitii.
Certes Bade ne dit rien du commen-
taire de Valla qu' elle contient ; mais on le voit ailleurs noter que Regius a beaucoup puiseè dans le commentaire de Pomponio Leto, qui 4
figure dans cette eèdition . S' il ne signale pas les commentaires de Valla publieès dans cette meême eèdition, c' est certainement parce qu' il estime que le manuscrit dont il dispose est un beaucoup plus suêr teèmoin de la penseèe du grand humaniste. Au reste, il note que ces commentaires de Valla n' ont pas eèchappeè aé l' attention de Regius. Ainsi, commentant
Inst.,
uerum etiam suspicione),
II, 2, 14 (carendum
non solum crimine turpitudinis
il observe que Regius a rapporteè la ceèleébre reè-
plique de Ceèsar sur sa femme en des termes qui sont diffeèrents de ce qu' on lit ailleurs :
Sed Vallam sequitur Raphael
5
. Mais, laisse-t-il enten-
dre, Regius n' a connu que le commentaire de Valla qui se lit dans l' eèdition de 1494, et il n' a pas eu acceés aé l' excellent manuscrit dont dispose Bade. Ainsi Quintilien, I, 10, 22, aé propos de la musique, deèclare que les nombres que comporte la musique sont eègalement neècessaires aé l' orateur :
Num igitur non haec omnia oratori necessaria ?
qu' examine Regius dit :
Le texte
Num igitur haec omnia oratori necessaria ?,
sans
neègation ; aussi Regius eècrit-il : û Si cette proposition n' est pas corrigeèe, Quintilien semblera nier ce qu' il entend affirmer. Car une inter-
3
F
4
F
o o
o
b2 r
o
c3v
:
Lego cum codice impresso Venetiis anno MCCCCXCIIII,
:
Commentarii qui sub nomine Pomponii Laeti impressi sunt : et unde Raphael plu-
rima sumpsit etc. 5 Fo c 2 vo.
etc.
jean ceè ard
294
rogation affirmative appelle couramment une reèponse neègative. Aussi faut-il y adjoindre l' adverbe de neègation
plaria
oratori necessaria ? ment neècessaires tout û
non,
sauf un ancien s' y opposent, et lire :
heureux
bien que tous les
exem-
Num igitur non haec omnia
Car ces mots signifient que ce sont choses absolu-
6
ý. Bade approuve pleinement cette reèflexion, et il est
de
lui
apporter
Num igitur non haec omnia :
la
confirmation
de
son
manuscrit :
c' est ainsi que je lis avec Valla ; si Regius
l' avait vu, il ne l' aurait pas deèdaigneè
7
ý. De fait, la consultation de
l' eèdition de 1494 qui comporte les commentaires de Valla imprime :
Non
igitur
haec
omnia
oratori
necessaria ;
et
le
passage
n' est
pas
commenteè. C' est aux yeux de Bade une forte preuve de la supeèrioriteè du manuscrit sur l' imprimeè de 1494. Et, tout en estimant que le travail de Regius reste le meilleur travail imprimeè, et qu' il a fort bien recueilli et trieè l' apport des autres commentateurs de Quintilien, Bade juge que le manuscrit de Valla permet d' autres progreés, puisque certaines des conjectures de Regius s' y trouvent autoriseèes. Dans l' eètablissement du texte, en effet, Bade ne se permet de suggeèrer une correction que si le texte rec°u est eèvidemment fautif et contredit aé la penseèe de Quintilien telle qu' on peut la saisir en reconstituant son raisonnement. On dit souvent que les humanistes abusent des variantes
ex ingenio ;
ce n' est pas le cas de Bade. Lit-il en Quinti-
lien, I, 8, 9, selon le texte rec°u :
cendi quoque ratione defleximus,
quando nos in omnia deliciarum uitia di-
û quand,
dans notre
eèloquence aussi,
nous nous sommes laisseè deètourner vers tous les vices du raffinement ý ? Regius deèclare : û Il me semble qu' il est plus exact et plus conforme au sens de lire û
Defleximus :
Raphael preèfeére
exemplaria
defluximus
ý. Mais Bade n' y consent pas :
c' est ainsi que je lirai avec tout le monde, bien que
defluximus ;
lec°on que, moi aussi, je preèfeèrerais si les
de l' auteur la proposaient
8
ý. Le sens serait alors : û quand,
dans notre eèloquence aussi, nous nous sommes laisseè glisser vers tous les vices du raffinement ý, ou meême : û quand, nous laissant aller aé tous les vices du raffinement, nous avons deèriveè loin de l' eèloquence
6
o
F
o
d5 r
:
Num igitur haec omnia oratori necessaria ? Nisi emendetur hic sensus : videbitur
Fab. negare quod affirmare contendit. Interrogatio namque affirmativa in negationem solui solet. Quare non negandi aduerbium ascribatur : sicque legatur : quamuis exemplaria omnia praeter vetustum refragentur. Num igitur non haec omnia oratori necessaria ? significat enim maxime necessaria esse. 7 Ibidem : Num igitur non haec omnia : sic cum Vallensi lego : quem si vidisset Raphael non aspernatus esset. 8 Fo d 1 ro. Regius
:
Rectius mihi defluximus legi videtur magisque sensui conuenire
; Bade :
Defleximus : sic cum omnibus legam : licet Raphaeli defluximus placeat : quod mihi quoque placeret si authoris esse exemplaria docerent.
josse bade, eè diteur de quintilien aé la renaissance
295
aussi ý. Regius avait introduit cette variante dans le texte meême ; Bade reètablit defleximus et ne signale qu' en marge la lec°on de Regius. Bade se sent plus libre d' intervenir quand il n' a qu' aé modifier la distribution des mots dans le texte. Au huitieéme livre, aé propos des ornements du discours, Quintilien examine la brachylogie et l' em phase (VIII, 3, 82-83) ; de la premieére, il signale qu' elle encourt le risque d' obscuriteè, et note que l' emphase est une qualiteè plus grande encore. Pour passer de l' une aé l' autre, le texte de Regius dit : Hoc
male imitantes sequitur obscuritas vicina praedictae. Sed amplior virtus est
e² mfasiq . Bade observe que tout le monde (et donc Valla aussi) ponctue de meême, mais il ajoute : û Moi, je ponctuerai : sequitur obscuritas. 9
Vicina praedictae, sed amplior virtus est emphasis etc. ý. Et il ne craint pas d' introduire dans le texte cette correction, qu' il ne prend pas la peine de justifier, mais que l' eèrudition moderne a retenue. Un autre deèfaut est aussi assez souvent reprocheè aux humanistes : ils auraient tendance aé croire que le manuscrit dont ils disposent est le meilleur et, eèventuellement, le plus ancien. Ce reproche ne me semble pas atteindre Josse Bade. Deés son analyse de l' envoi du livre de Quiné la fin de ce texte, tilien aé Tryphon, il montre son indeèpendance. A Quintilien, voyant que son livre est attendu avec impatience, confie, comme il dit, les voiles au vent et fait des vÝux pour le succeés du voyage ; le latin dit, selon les eèditions modernes : permittamus uela uentis
et oram soluentibus bene precemur. C' est aussi le texte de Regius, qui commente : û Meètaphore emprunteèe aé la navigation. De meême, en effet, que les marins deètachent le cordage qui retient le navire et s' eèloignent de la terre, de meême, les livres, quand ils sont eèditeès, semblent deètacher le cordage et s' en aller loin de nous. Ora deèsigne le cordage qui attache les navires aé la terre
10
ý ; et Regius cite un autre passage de
Quintilien et ces mots de Tite-Live : trahunt scalas, oras et anchoras. Cette interpreètation, Regius la doit aé Valla, comme Bade le note en citant son fameux manuscrit : û Et oram soluentibus. C' est ainsi que lit Raphael. Et c' est ainsi que je l' ai trouveè noteè de la main de Valla qui dit qu' ora signifie un cordage qui attache les navires aé la terre ý, avec,
9
o
F
o
z7r
: Ubi vero omnes distinguunt sic. sequitur obscuritas vicina praedictae. Ego sic distin-
guam. sequitur obscuritas. Vicina praedictae sed amplior virtus est emphasis etc.
10
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a 1 r
: Et oram soluentibus. Metaphora a nauigantibus. Ut enim illi funem : quo naues
retinentur soluentes longius a terra discedunt : Sic libri cum eduntur : quodam modo oram soluere : a nobisque recedere videntur. Oram autem est funis quo naues terrae alligantur : Idem in quarto [IV, 2, 41]. Soluimus oram, profecti sumus. Liuius libro vigesimo octauo [36, 11]. In ipsis quoque
trepidatum est navibus : dum ne hostes cum suis simul irrumperent : trahunt scalas orasque et anchoras : ne moliendo mora esset praecidunt.
jean ceè ard
296
pour justification, la meême citation de Tite-Live
11
. Avec Regius,
Bade est d' accord pour refuser la lecture auram. Mais il n' approuve pas pour autant oram, malgreè Valla et Regius. Le texte de Tite-Live ne prouve rien, estime-t-il, puisque, in priscis exemplaribus, on lit, non pas oras, mais lora, et ce sens de lora est pleinement justifieè par un autre passage du meême Tite-Live
12
; quant aé la seconde attestation preèten-
due de Quintilien, elle reèpeéte la meême erreur. Il est plus simple, dans la lettre aé Tryphon, de prendre ora dans son sens courant de û rivage ý :
ora soluentibus, qui s' eèloignent du rivage, qui appareillent ; ora est au sixieéme cas, c' est-aé-dire aé l' ablatif, au sens de ab ora, comme Ciceèron dit e portu soluere
13
. Bade corrige donc le texte de Regius. Au qua-
trieéme livre, il n' heèsite pas davantage, et, lisant chez Regius soluimus
oram, profecti sumus, il corrige (en le signalant encore) oram en ora, et s' en explique en ces termes : û Soluimus oram : c' est certes ainsi dans tous les exemplaria que j' ai vus, et chez Valla, et chez Alde, qui toutefois dans la premieére lettre avait auram. [...] Lec°on que, outre les remarques que j' ai faites sur le passage, celui-ci aussi semble prouver
14
ý.
On le voit, malgreè son respect des exemplaria, Bade accepte, s' il le faut, de s' en eècarter, s' il y va d' un emploi attesteè ailleurs et pleinement justifiable. Et, d' autre part, la foule des savants, des grands savants, qui ne partagent pas son sentiment ne lui en impose pas, fuêt-ce meême Valla, dont pourtant il met au plus haut le manuscrit, puisque, on l' a dit, c' est dans la premieére annotation du livre, et alors qu' il vient de dire tout le profit qu' il espeére tirer de ce manuscrit, qu' il exprime pourtant son deèsaccord. Cela eètant, il veille aé proposer des corrections qui restent proches é propos de l' ironie, qui, dit Quintilien, est ou un du texte rec°u. A trope ou une figure de penseèe, Regius fait eètat du texte suivant : Quo
modo autem ironia alia sit tropi. alia schematis : suo loco reddam. Non enim fateor esse communia haec : et scio quam multiplicem habeant : quamque scrupulo-
11 Et oram soluentibus. Sic Raphael legit : sicque notatum inueni manu Vallae dicentis oram significare funem quo nauis ad terram ligatur. ut apud Liuium [XXVIII, 36, 11] dicentem. In ipsis quoque trepidatum est navibus : dum ne hostes cum suis simul irrumperent : trahunt scalas orasque et anchoras : ne in moliendo mora esset praecidunt. Bade ajoute que c' est aussi la lecture de Perotti.
12
Tite-Live, XXII, 19, 10, ainsi citeè par Bade : Vixdum omnes conscenderant cum alii reso-
lutis loris ut anchoram euellerent, alii ne quid teneat anchoram, lora incidunt.
13 14
Ciceèron, Pro Murena, 4. o
F
o
l 1 v
: Soluimus oram : sic omnia quae quidem vidi exemplaria : et Vallense et Aldinum :
quod tamen in epistola prima auram habuit. Sed pro eodem accipi posse videntur : auram et oram : quam lectionem praeter ea quae illuc adduximus etiam hoc probare videtur.
josse bade, eè diteur de quintilien aé la renaissance
sam dispositionem
15
297
. Regius note seulement que, si les exemplaria don-
nent dispositionem, il est tentant de lire disputationem : Quintilien, en effet, ajourne l' examen de cette question amplement disputeèe. Bade observe que Non enim fateor esse communia haec est la lec°on de l' eèdition aldine et de Regius ; et que Valla, lui, eècrit : Nomen enim fateor esse
commune. Et il commente : û Cette lec°on m' agreèe, car le nom est le meême, que l' ironie soit un trope ou une figure de penseèe ý. Mais il ajoute tout de suite : û Pourtant je lirai plutoêt ainsi : Nomine enim fateor
esse communia haec. Ainsi, en effet, on ne changera que non en nomine. Car
Valla
a
expresseèment
disputatio
16
ý.
Puisque
la
conjecture
de
Regius sur dispositio / disputatio est aveèreèe par le manuscrit de Valla, il faut opposer le nom et la chose ; il est donc possible de retenir nomen, lec°on proposeèe par Valla, mais sans reècrire, en quelque sorte, la phrase. Bade est visiblement satisfait quand il parvient aé des conciliations de cette sorte. Soit la phrase qui ouvre le douzieéme chapitre du premier livre (selon le deècoupage actuel) : Quaeri solet an, etiamsi discenda
sint haec, eodem tempore tamen tradi omnia et percipi possint. Bade note : û Valla, qui n' a pas la particule si, a num tradi, ou é l' eèdition aldine a ta-
men tradi. On peut donc aé partir de ces deux teèmoins restituer ainsi le texte : Quaeri solet an etiamsi discenda sint haec eodem tempore : num tradi et
percipi possint [On demande geèneèralement si, meême si ces connaissances doivent eêtre acquises en meême temps, il est possible qu' elles soient enseigneèes et apprises]. Ou on peut avec Alde ainsi ponctuer : Quaeri
solet an etiamsi discenda sint haec : eodem tempore tamen tradi et percipi possint [On demande geèneèralement si, meême si ces connaissances doivent eêtre acquises, il est possible qu' elles soient enseigneèes et apprises en meême temps]. C' est la lec°on qui me semble devoir eêtre retenue
17
ý. Et, de
fait, c' est celle que nous retenons aujourd' hui. Tous ces exemples choisis entre mille, et, de preèfeèrence, parmi ceux qui ne demandent pas de trop longs deèveloppements, font assez voir que ce qui importe au premier chef aé Josse Bade est bien l' eètablissement
15
o
F
du
o
z 1 r
texte,
et,
conjointement,
l' eèlucidation
de
son
sens
(sur Quintilien, IX, 1, 7).
16 Non enim fateor esse communia haec. Sic Ald. et Raph. Vallen. autem sic. Nomen enim fateor esse commune : sed scio [...] disputationem : quae lectio mihi placet : quia idem est nomen ironiae quam est tropus et quam est figura : sed disputatio .i. discussio rerum est difficilis est : legam tamen potius sic. Nomine enim fateor esse communia haec : et scio etc. Sic enim non mutabitur nisi non in nomine. Nam disputationem Vallen. expresse habet.
17
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d 7 v
: Vallen. qui non habet si particulam : habet num tradi : Ubi Aldinus tamen tradi.
Ex utroque ergo restituatur sic Quaeri solet an etiamsi discenda sint haec eodem tempore : num tradi et percipi possint. Aut distinguamus cum Aldo sic. Quaeri solet an etiamsi discenda sint haec : eodem tempore tamen tradi et percipi possint : quae lectio mihi tenenda videtur.
jean ceè ard
298
premier, si l' on peut dire. Il cherche aé y parvenir aé la fois par l' examen de la lettre du texte dans son deètail et par la reconstitution de la penseèe de l' auteur, de son
intention,
comme on disait alors. Beaucoup
de commentaires commencent, en effet, par :
Nam ordo est.
Il s' eètonne
meême que bien des passages aient eèteè laisseès sans commentaires par ces preèdeècesseurs, et le dit aé l' occasion d' un passage qu' il va eètroitement commenter, en ces mots qui pourraient n' eêtre pas tout aé fait peèrimeès : û Ceux qui pensent que ce passage est si facile qu' il n' a pas besoin d' explication, ou bien n' en comprennent pas la difficulteè, ou bien, parce qu' il ne savent pas la reèsoudre, la dissimulent, comme font la plupart. Moi, je ne l' ai pas trouveè plus facile que les autres ; et donc, ce qui me semblera quelque peu obscur, je l' expliquerai dans la mesure de mes moyens
18
ý.
Est-ce aé dire que Bade neèglige tout autre type de commentaire ? Pas tout aé fait, meême s' il le fait le plus souvent comme en passant. De ces commentaires qui exceédent les exigences de l' eètablissement du texte, je distinguerai trois types : les uns sont des remarques sur ce que j' appellerai la restitution du bon latin ; d' autres sont des commentaires d' ordre litteèraire ; d' autres encore, des observations qu' un chreètien se sent autoriseè aé faire sur les propositions de Quintilien. Pour ce qui est de la restitution du bon latin, Bade, commentant Quintilien, II, 2, 13, note que son auteur, pour dire û s' il se peut, s' il est possible ý, eècrit :
si fieri potest ;
et il commente : û
Si fieri potest,
voilaé
comme on dit en latin, et comme s' exprimaient tous les anciens ; car ce qu' on dit maintenant,
si possibile est,
ne s' entend pas chez eux
19
ý.
Bade se montre eègalement attentif aux graphies, et explique en deètail, par exemple, pourquoi il preèfeére
quotidianum
aé
cottidianum
20
.
Pour les commentaires d' ordre litteèraire, notons celui-ci. Quintilien deèconseille de laisser lire aux enfants les eèleègies amoureuses ainsi que les hendeècasyllabes (I, 8, 6). Bade, qui indique qu' on appelle ainsi des poeémes en vers de onze syllabes puisque Regius a omis de le dire, preècise qu' il faut sous-entendre û amoureux ý, car, note-t-il, ils peuvent eêtre deècents, û bien qu' aé notre eèpoque, sans se laisser aucunement rete-
18
o
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o
c 3 v
:
Qui hunc locum tam facilem censent ut expositionis non egeat aut difficultatem
non intelligunt : aut quia dissoluere nesciunt dissimulant ut plerique faciunt. Ego certe non magis facilem quam ceteros inueni : quapropter quae subobscura videbuntur pro captu meo explanabo . 19 Fo c 2 vo : Si fieri potest. Sic latine : sicque omnes antiqui locuti : nam quod nunc dicunt si possibile est inauditum est. 20 Fo a 1 ro.
299
josse bade, eè diteur de quintilien aé la renaissance
nir par la pudeur chreètienne, Pontano en ait eècrit plusieurs plutoêt lascifs
21
ý.
Cette mention de Pontano nous conduit aux quelques commentaires ou é Bade parle en chreètien. C' est parfois pour noter que les propos de Quintilien ont encore leur veèriteè dans une socieèteè chreètienne : ainsi, quand il remarque qu' examinant les eèloges d' eêtres humains, Quintilien suggeére de ne pas omettre les preèdictions et les augures qui ont preèsageè leur grandeur aé venir (III, 7, 11), il donne en exemples û Marius, Platon et beaucoup d' autres rec°us aussi par notre foi, comme cet oracle : `Il sera grand et on l' appellera fils du Treés Haut'
22
, ou la
vision qu' eut la meére de saint Thomas d' Aquin, celle de saint Nicolas et d' une foule d' autres
23
ý, quitte aé ne deèvelopper que l' exemple
d' Achille puisque c' est celui qu' a proposeè Quintilien. Ailleurs Quintilien se demande si l' eèducation priveèe est preèfeèrable aé l' eèducation publique
et
avance,
aé
l' avantage
de
la
seconde,
l' ideèe
qu' eèleveès
en
commun les eèleéves contractent d' eètroites amitieès fondeèes sur une sorte d' initiation
aé
de
meêmes
mysteéres.
Cette
mention
de
l' initiation
pousse Josse Bade aé rappeler les mysteéres d' E è leusis, mais aussi, dit-il, û les mysteéres chreètiens, auxquels sont initieès ceux que maintenant nous appelons consacreès et solennellement admis aé les administrer ý. Et, comme le latiniste ne perd jamais de vue le bon latin, ils suggeére d' appeler initieès au droit, nom de licencieès
24
legibus initiati,
ceux aé qui nous donnons le
. Dans la meême page (I, 2, 22), Quintilien vante les
avantages de l' eèmulation et de la crainte d' eêtre surpasseè par un rival, et il ajoute : û Quoique l' ambition soit en elle-meême un vice, souvent elle est la cause des vertus ý. Bade s' autorise de saint Jeèroême pour christianiser cette penseèe : û La cause des vertus, qui fait que Jeèro ê me appelle saint l' orgueil par lequel, dans l' acquisition des vertus et des lettres, nous avons aé meèpris d' eêtre vaincus par des eègaux
21
o
F
o
d 1 r
25
ý. Mais
et hendecasyllaba .i. undecim syllabarum carmina : sub quibus sunt etiam sap-
:
phica : repete quae amant : quia sunt etiam honesta quamuis nostris temporibus nihil christiana verecundia repressus Pontanus lasciuiuscula scripserit plurima. 22 Lc, 1, 32.
23
o
F
o
i 1 r
: [...]
claritatem futuram responsis .i. oraculis : ut de Achille factis Thetidi : vel au-
guriis ut Mario. Platoni. et multis aliis : etiam fide nostra receptis. Ut illo responso. hic erit magnus et filius altissimi vocabitur. et visione facta matri diui Thomae Aquinatis : diui Nicolai et aliorum plurimorum. 24 Fo b 1
o
o
r -v
:
Initiari q.d. inauctorari et licentiari : ut sacris olim eleusinis et nunc christianis
initiati sunt illis ut nunc dicimus consecrati et ad illorum administrationem solenniter admissi. Sic legibus initiatios quos licentiatos vocant dicere possumus. 25 Fo b 1 vo : Causa virtutum unde sanctam vocat Hieronymus superbiam : qua in virtutum aut literarum adeptione ab aequalibus vinci contemnimus.
jean ceè ard
300
d' autres penseèes de Quintilien peuvent difficilement eêtre rec°ues sans distinguo par la penseèe chreètienne. Ainsi, quand Quintilien (I, 1, 5) note que ce sont les premieéres impressions qui laissent les traces les plus durables et qu' on ne voit jamais le mal se changer en bien, mais seulement l' inverse, Bade deèclare qu' un chreètien ne peut simplement recevoir une telle proposition : û Cependant Dieu est si puissant qu' il convertit
les
vices
quelques-uns
de
en
bien
pour
eux
et
pour
le
monde, comme ceux qu' il pousse, par une honteuse chute, aé deètester l' orgueil : c' est ainsi que de Sau«l il a fait Paul et d' un loup un vase d' eèlection. Mais c' est par nature que nous voyons le bien s' ab|êmer en pire, comme les vins se changent en vinaigre ou en piquette, et non l' inverse
26
ý.
Pour conclure sur les commentaires de cette sorte, reèpeètons qu' ils sont rares, et toujours brefs. S' ils attestent que, pour Bade, l' Institution
oratoire
est un texte vivant et qu' il n' entend pas porter sur elle un re-
gard, pour ainsi dire, archeèologique, son principal dessein reste de restaurer, de restituer le texte de Quintilien. C' eètait certes deèjaé le dessein de Regius, mais Bade le met en Ýuvre avec une sorte d' abneègation. S' il peut critiquer les deècisions textuelles de Regius, il s' abstient d' intervenir
quand
celui-ci
transforme son commentaire en une
sorte
d' exposeè des matieéres. Ainsi, le chapitre relatif aé la geèomeètrie (I, 12) nous vaut, de la part de Regius, un petit traiteè de geèomeètrie accompagneè
de figures. Bade
le
reproduit avec
son
soin habituel,
figures
comprises ; mais, soit qu' il pense n' avoir rien aé y ajouter, soit plutoêt qu' il estime que ce n' est pas le lieu de tels deèveloppements, il se tient aé quelques breéves notes purement textuelles. Au fond, il se reconna|êt treés bien dans le commentaire que suggeére aé Regius la dernieére phrase de la lettre de Quintilien aé Tryphon, inviteè aé prendre garde que le livre se preèsente au public avec toute la correction possible. Regius note aé cette occasion : û Les eèditeurs, aujourd' hui encore, ont coutume de se procurer des Ýuvres nouvelles pour les composer avec soin et les mettre en vente. Le roêle de ces libraires fautes
26
o
F
est
27
de
prendre
soin
que
les
livres
soient
composeès
sans
ý. C' est exactement ainsi que Josse Bade conc°oit son travail.
o
b 5 r
:
Tam potens tamen est deus ut vitia paucorum ad bonum ipsorum aut uniuersi con-
uertat. ut quos per casum turpem ad superbiae detestationem inducit. Fecit etiam de Saulo Paulum et de lupo vas electionis. Sed natura videmus quae bona sunt in peius ruere : ut vini in acetum aut vap pam : non contra. 27 Fo a 2 ro : Bibliople etiamnum opera noua conquirere : quae diligenter describant ac venalia proponant. Horum autem librariorum officium est curare : ut libri sine mendis describantur.
301
josse bade, eè diteur de quintilien aé la renaissance
De laé la preèsentation de cette eèdition de Quintilien. En un temps oué les preèfaces, les introductions, les avant-propos occupent souvent une place
consideèrable,
Bade
commence
immeèdiatement
par
la
table
alphabeètique qu' annonce la page de titre ; suivent les trois liminaires dont nous avons parleè, puis une table des chapitres de l' Institution oratoire, et une treés breéve vie de Quintilien. Apreés quoi, commence le texte, enveloppeè dans son double commentaire. L' ouvrage se termine avec la dernieére page de l' ouvrage de Quintilien, que suit seulement un discret colophon
28
. Pour avoir quelque ideèe des circonstances de
cette eèdition et de la taêche de Bade, nous ne disposons que de la page de titre et des quelques mots qui ouvrent la premieére annotation. Et pour reconstituer la conception qu' il se fait de son travail et les moyens qu' il met en Ýuvre, il faut le suivre page apreés page, comme nous avons essayeè de le faire.
BIBLIOGRAPHIE
Quintilianus cum commento, [eèf. Raffaele Regio], Venise, Bonetus Locatellus, 1493. Quintiliani institutiones cum commento Laurentii Vallensis : Pomponii : ac Sulpitii, Venise, Peregrinus de Paschalibus, 1494. M. Fabii Quinctiliani oratoriarum institutionum lib. XII / una cum annotationibus Raphaelis Regii, Georgii Merulae et Jodoci Badii Ascensi in deprauationes earumdem. Et tabula per alphabeti seriem tam in contextu quam in scholiis adnotandorum
aucta
et
recognita
pereundem
Ascensium
qui
ad
codicem
quem
Laurentius Vallensis et possedisse : et emendasse magnis argumentis conuincitur sexcentos locos restituit, Paris, Josse Bade et Jean Petit, 1516. Valla, Lorenzo, Le postille all' `Institutio oratoria' di Quintiliano, a cura di Lucia Cesarini Martinelli e Alessandro Perosa, Padoue, 1996.
Cousin, J., Recherches sur Quintilien. Manuscrits et eèditions, Paris, 1975. Galand-Hallyn, P., Un professeur-poeéte humaniste : Johannes Vaccaeus, La Sylve parisienne (1522), Geneéve, 2002.
28
M. F. Quintiliani oratoriarum institutionum : Una cum variis annotationibus in deprauatio -
nes eiusdem. Cum gratia et privilegio. / FINIS. / In aedibus Ascensianis ad Idus Ianuarii : M.D.XVI. calculo Romano.
L AT I N I TAT E S
Perrine Galand
QUELQUES ASPECTS DE L' INFLUENCE DE QUINTILIEN ÁRES POE ÂTIQUES LATINES SUR LES PREMIE DE LA RENAISSANCE (FONZIO, VADIAN, VIDA)
L' influence de l' Institution oratoire sur les theèories poeètiques de la Renaissance europeèenne º influence directe ou relayeèe par les Ýuvres de Valla, de Politien ou d' E è rasme º a deèjaé eèteè souvent releveèe ponctuellement par la critique. Je renvoie ici, entre autres, aux travaux de B. Weinberg,
de
T. Cave,
de
K. Meerhoff,
de
M. Regoliosi,
de
J. Lecointe, de F. Goyet, aé mes eètudes sur la silve, aux panoramas de nos Poeètiques de la Renaissance, aé la theése reècemment soutenue par T. Chevrolet
et
aé
un
excellent
article
de
Christophe
Gutbub
sur
Quintilien et Du Bellay, paru dans le dernier numeèro de la Biblio1
theéque d' Humanisme et Renaissance . Une eètude globale sur la dette des
1
C. C. Greenfield, Humanist and Scholastic Poetics, 1250-1500, Lewisburg, Toronto,
London, 1981 ; B. Weinberg, A History of Literary Criticism in the Italian Renaissance, Chicago, 1961, 2 vol. ; pour une bibliographie sur L. Valla et Quintilien, je renvoie aé l' article de M. Regoliosi dans le preèsent volume ; J. Lecointe, L' Ideèal et la Diffeèrence. La perception de la personnaliteè litteèraire aé la Renaissance, Geneéve, 1992 ; C. J. Classen, û Quintilian and the Revival of Learning in Italy ý, Humanistica Lovaniensia, 43 (1994), p. 77-98 [avec bibliographie abondante] ; T. Cave, Cornucopia. Figures de l' abondance au xvi è rasme, Rabelais, Ronsard, Montaigne, trad. franc°aise G. Morel, Paris, 1997 [1 E
e
e
sieécle :
eèd. anglaise
1979 ; Cave montre bien tout ce que les humanistes doivent aé Quintilien dans leur reèeèlaboration de concepts fondamentaux comme copia, inspiration, improvisation, imitation] ; K. Meerhoff, Rheètorique et poeètique en France au xvi
e
sieécle. Du Bellay, Ramus et les
autres, Leiden, 1986 ; J. Ceèard et M. Simonin, û Quintilien, influence de ý, dans Dictionnaire des lettres franc°aises. Le xvi
e
sieécle, eèd. G. Grente, M. Simonin, Paris, 2001 [dont les
conclusions, qui ne tiennent pas compte du domaine de la poeè tique, me paraissent devoir eêtre nuanceèes] ; F. Goyet, û La Deffence et illustration de la langue franc°oise, commentaire ý, dans J. Du Bellay, Üuvres compleétes, vol. I, Paris, 2003, p. 91-370 ; P. Galandè p|être aux Pisons d' Horace et la Hallyn, û Quelques co|ëncidences (paradoxales ?) entre l' E
303
perrine galand
304
poeèticiens humanistes aé l' eègard de Quintilien (et de Ciceèron) resterait aé faire, cependant, qui compleéterait les syntheéses deèjaé reèaliseèes sur l' influence plus obvie de Platon, d' Aristote et d' Horace. Je me bornerai, pour l' instant, aé comparer brieévement les trois premiers arts poeètiques systeèmatiques, reèdigeès aé la fin du Quattrocento et au deèbut du
xvi
e
sieécle, afin de deègager la dette de ces traiteès envers Quintilien, aiseèment superposeè aé Horace, en ces deèbuts de la theèorie poeètique. J' insisterai surtout sur la lecture treés personnelle qu' a donneèe de l' Institution le Suisse Vadian (Joachim von Watt), dans son De poetica et carminis ratione, composeè en 1513, revu et publieè aé Vienne en 1518, deèdieè aé son freére
Melchior,
en
la
comparant
aé
celle
qu' en
font
le
Florentin
Bartolommeo Fonzio dans son De Poetice, resteè manuscrit, composeè entre 1490 et 1492 et deèdieè aé Laurent le Magnifique, et le Mantouan Girolamo Vida, dans son De arte poetica, reèdigeè en vers sous une forme 2
longue en 1517, puis abreègeè et publieè en 1527 aé Rome et aé Paris , er 3
deèdieè au Dauphin Franc°ois, fils de Franc°ois I
poeètique de la silve (au deèbut du
xvi
e
. Il ne semble pas, en
sieécle en France) ý, Bibliotheéque d' Humanisme et Re-
naissance, 60 (1998), p. 609-639 ; û La rheètorique en Italie de 1450 aé 1475 ý, dans Histoire de la Rheètorique dans l' Europe moderne. 1450-1950, s. d. M. Fumaroli, Paris, 1999, p. 131 -190 ; en collaboration avec F. Hallyn : û `Recueillir des brouillars' : eè thique de la silve et poeètique du manuscrit trouveè ý, dans Le poeéte et son Ýuvre. De la composition aé la publication, s.d. J.-E. Girot, Geneéve, 2004 (Cahiers d' Humanisme et Renaissance 68), p. 9-35 ; Poeètiques de la Renaissance. Le modeéle italien, le monde franco-bourguignon et leur heèritage en France au
xvi
e
sieécle, s. d. P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, Geneéve, 2001 (Travaux d' Humanisme et
Renaissance 348) ; T. Chevrolet, L' ideèe de poeèsie. Neèo-platonisme et theèorie litteèraire aé la Renaissance, theése de doctorat dact. soutenue aé l' Universiteè de Geneéve en octobre 2004 (aé para|être aux eèditions Droz aé Geneéve) ; C. Gutbub, û Du livre X de Quintilien aé la Deffense de Du Bellay : le motif de la culture et l' imitation entre nature et art ý, Bibliotheéque d' Humanisme et Renaissance, 67 (2005), p. 287-324.
2
L' eèdition parisienne est sans doute une eèdition û pirate ý, procureèe par l' humaniste
orleèanais Nicolas Beèrauld et le poeéte Jean Salmon Macrin. Vadian devait eêtre connu aussi des humanistes franc°ais. Nous avons gardeè une lettre eèlogieuse que Guillaume o
Budeè lui adresse (Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii, Paris, Josse Bade, 1520, p. 38v ) et Marie-Madeleine Fontaine a releveè l' influence de son Mythicum syntagma, cui titulus Gallus pugnans (Vienne, 1514) et de son commentaire de Pomponius Mela (Vienne, 1518 ; Baêle, 1522) sur l' Alector de Bartheèlemy Aneau (B. A., Alector ou le coq. Histoire fabuleuse, eèd. M.-M. Fontaine, Geneéve, 1996, t. II, p. 342-343).
3
dans
Ces trois textes beèneèficient d' eèditions modernes : on trouvera la poeètique de Fonzio Ch. Trinkaus,
û The
Unknown
Quattrocento
Poetics
of
Bartolommeo
della
Fonte ý, Studies in the Renaissance, 13 (1966), p. 40-122 [texte latin seul] ; celle de Vadian a eèteè eèditeèe par P. Scha«ffer : Joachim Vadianus, De poetica et carminis ratione, kritische Ausgabe mit deutscher U ë bersetzung und Kommentar von P. Scha« ffer, 3 Bd, Mu«nchen, 1973-1977 ; celle de Vida dans trois eèditions : The De arte poetica of Marco Girolamo Vida, translated with commentary, and with the text of c. 1517, edited by R. G. Williams, New York, 1976 ; Marco Girolamo Vida, L' arte poetica, introduzione e note a cura di
305
aspects de l' influence de quintilien
l' eètat actuel de nos connaissances, que l' on puisse repeèrer une interaction entre ces ouvrages, meême si Fonzio et Vida ont graviteè tous deux dans le cercle des Meèdicis et si Vadian et Vida ont eu tous deux 4
des contacts avec Padoue et Rome . Je m' inteèresserai d' abord aé la forme et aé la vocation meêmes de ces traiteès peèdagogiques, puis aux points saillants de leur contenu : la question de l' inspiration et celle de 5
l' imitation .
De l' Institution oratoire aux institutions poeè tiques
Comment expliquer l' apparition seèpareèe, en quelques deècennies (de 1490 aé 1517), de trois arts poeètiques systeèmatiques, qui sont aussi, surtout pour deux d' entre eux, de veèritables programmes eèducatifs destineès aé former le jeune humaniste ideèal ? La conjonction de deux facteurs me semble pouvoir, peut-eêtre, rendre compte du pheènomeéne : d' une part l' accession de la poeètique au rang de discipline majeure parmi les
artes,
au terme d' un long processus d' apologeètique
meneè depuis Boccace et Peètrarque ; d' autre part la redeècouverte de
Raffaele Girardi, Bari, 1982 (Bibl.
poetica,
di critica e letteratura
20) ; Marco Girolamo Vida,
Arte
texte et traduction portugaise par A. M. Spirito Santo, Centro de estudos classi -
cos da Universidade de Lisboa, 1990 (Coll.
Bibl. Euphrosyne
9). J' utilise ici l' eèdition
Williams et la traduction franc°aise de J. Pappe, aé para|être procha|ênement aux eèditions Champion.
4
On ne peut cependant tout aé fait exclure cette interaction. L' art poeètique de Fonzio
a eèteè offert, sous forme d' un manuscrit d' apparat, aé Laurent de Meèdicis. Ch. Trinkaus ne dit rien de l' histoire de ce manuscrit retrouveè aé Paris par G. Velli : il s' agit du ms Latin 7879 de la Bibliotheéque Nationale. En 1506-1507, eèpoque aé laquelle E è rasme reèdigea probablement son
De pueris
...
instituendis
en Italie (Turin, Florence, Bologne, Venise,
Padoue, Rome), Vadian voyagea lui aussi en Italie, visita Trente, Padoue et Venise. Quant aé Vida, originaire de Creèmone, il veècut aé Rome aé partir de 1510, aé la cour de Leèon X, fils de Laurent de Meèdicis, eèleéve de Politien, entoureè des humanistes du cercle padouan qui s' y eètaient retrouveès. Il n' est pas impossible que Vida ait pu avoir connais sance du manuscrit de Fonzio (voir S. Rolfes,
Vida und ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger,
Die lateinische Poetik des Marco Girolamo
Mu « nchen - Leipzig, 2001, p. 80). Vadian,
de son coêteè, par ses contacts avec les milieux de Padoue et de Rome (oué il avait en 1519 suffisamment de relations pour aider son freé re Melchior aé obtenir un beèneèfice), aurait pu peut-eêtre entendre parler ou avoir communication de la version de 1517 de la poeè tique de Vida. Je n' ai pu, pour le moment, faire la recherche neè cessaire sur ce point. Les textes, treés topiques, n' offrent pas de points de rencontre veèritablement probants.
5
J' ai traiteè de la perpective historiographique de Vadian dans û
riores :
Posteriores sed non dete-
the Humanist Perpective on Latin Literature at the End of the Quattrocento and
its Repercussions in the French Renaissance ý, dans
Latin Literature,
Latinitas perennis,
I.
The Continuity of
ed. by W. Verbaal, Y. Maes and J. Papy, Leiden, 2007, p. 185 -214.
perrine galand
306
Quintilien au deèbut du Quattrocento et son succeés progressif comme rival de Ciceèron en matieére de theèorie de la creèativiteè litteèraire et aussi, bien suêr, de peèdagogie. Poeètique et rheètorique Les humanistes italiens ont, comme on sait, reègulieérement chercheè aé eèvaluer les fonctions et les meèrites respectifs du poeéte et de l' orateur, s' appuyant sur Ciceèron et Quintilien pour deèfinir leurs ressemblances 6
et leurs diffeèrences , attribuant aé l' un ou aé l' autre la palme, chacun selon ses affiniteès personnelles avec les disciplines ou sa preèfeèrence pour 7
un humanisme actif ou contemplatif . Comme le remarque Ch. Trinkaus dans l' introduction de son eèdition de la Poeètique de Bartolommeo Fonzio, la meèditation poeètique, souvent relieèe aé la vie solitaire, n' eètait pas veèritablement opposeèe aé l' art oratoire, d' ordinaire plutoêt rattacheè aé la vie active, et l' apport de la poeèsie aé la vie civile n' eètait pas contesteè : û il s' agit plutoêt laé de theémes compleèmentaires au sein de l' humanisme envisageè comme un tout
8
ý. Kees Meerhoff deèfinit
par ailleurs le û transvasement ý entre rheètorique et poeètique comme û un des traits distinctifs de la Renaissance
9
ý. Tout un meètalangage
rheètorique, heèriteè de l' Antiquiteè, fut en effet remis sans difficulteè au service de la critique poeètique. Cependant, sous l' influence grandissante du neèo-platonisme, la poeèsie, consideèreèe comme source divine du savoir humain, tendit aé l' emporter dans la hieèrarchie des arts, lors de la seconde moitieè du Quattrocento, meême chez des theèoriciens non platoniciens comme Politien et Pontano. Vadian, au chapitre 26, consacreè aé une comparaison des deux disciplines, constate ainsi que ses contemporains se vantent bien souvent de pouvoir pratiquer indiffeèremment les deux artes, mais cette capaciteè ne lui semble pas donneèe aé tous :
6
Voir
J. Lecointe,
û Naissance
d' une
prose
inspireèe ý,
Bibliotheéque
d' Humanisme
et
Renaissance, LI/1 (1989), p. 13-57.
7
Voir le premier chapitre des Poeètiques de la Renaissance et T. Chevrolet, L' ideèe de
poeèsie, chapitre 3 : û Poeta rhetor ou les tentations de la parole ý, p. 156-240. T. Chevrolet eèvoque surtout Ciceèron et Hermogeéne.
8
û Rather,
they
were
complementary
themes
within
humanisme
as
a
whole ý
(Ch. Trinkaus, û The Unknown Quattrocento Poetics ý, p. 69).
9
K. Meerhoff, Entre logique et litteèrature. Autour de Philippe Melanchthon, Orleèans, 2001,
chapitre 10 : û Entre rheètorique latine et poeètique franc°aise ý, p. 182. Meerhoff donne ensuite Vadian comme exemple paradigmatique des poeè tiques rheètoriques humanistes, et le compare aé Seèbillet et Peletier du Mans.
307
aspects de l' influence de quintilien
Ils accomplissent un grand exploit, s' il en est ainsi qu' ils le preè tendent, mais, si ce n' est pas le cas, je crains, bon sang !, qu' ils ne deè cha|ênent le rire contre eux en se montrant chimeé res plus que poeétes
Pour
l' humaniste
suisse,
seuls
Marcantonio
Politien et aé la rigueur Franc°ois Philelphe
11
10
.
Sabellico,
Ange
se sont illustreès eègalement
dans cette double pratique. Surtout, Vadian, qui s' appuie sur toute la tradition apologeètique de la poeèsie remise au gouêt du jour depuis Peètrarque et Boccace
12
, tout en soulignant la proximiteè et la com-
pleèmentariteè des deux artes º qu' il unit dans une paraphrase de la ceèleébre
deèfinition
peritus
13
catonienne
de
l' orateur
comme
vir
bonus
dicendi
º, maintient une nette hieèrarchie entre elles :
En ce qui me concerne, pour distinguer le Poeé te de l' orateur, je dirais que l' un et l' autre sont des hommes de bien, le second habile aé parler, le premier habile aé eècrire [...]. L' orateur joue un roê le capital dans l' E è tat et l' administration des affaires civiles ; le Poeé te est si noble en tout que meême la nature doit l' admirer [...]. Alors que tous deux seè pareèment sont pour nous deux grands dons du ciel, on consideé re d' ordinaire chez l' orateur son geènie et son eèloquence, mais chez les Poeétes leur diviniteè, qui les place au-dessus de la nature humaine et leur fait tenir croit
une
course
meèdiane
entre
dieux
et
hommes,
aé
ce
que
l' on
14
.
10 Rem praestant illi magnam si ita est quod iactant, si non vereor hercule ne in se hybridas potius quam poetas risum provocent (p. 234, 5-7).
11
Cf. aussi Vadian, De poetica, eèd. P. Scha«ffer, p. 58. Marcantonio Sabellico : c. 1436-
1506, poeéte et surtout historien, membre de l' Acadeèmie romaine de Pomponio Leto, professeur de rheètorique aé Udine, auteur entre autres des Rerum Venetiarum ab urbe condita
lib. XXXIII, Venise, A. Torresani, 1487, et d' une histoire geèneèrale du monde depuis la creèation, qui inclut une eètude des voyages de C. Colomb, Enneades seu Rapsodiae historia-
rum, Venise, B. dei Vitali, 1498 (Opera omnia, Baêle, J. Herwagen, 1560). Sur Philelphe et Politien, deux grandes figures du Quattrocento, voir, entre autres, les Centuriae Latinae reèunies par C. Nativel, Geneéve, 1997.
12
Voir F. D' Episcopo, Civiltaé della parola, I. Il Rinascimento, Napoli, 1984, et les Poeè-
tiques de la Renaissance.
13
Cf. Quintilien, Inst., XII, 1, 1
14 Ipse
[...] Poetam eatenus ab oratore seiungo, ut utrumque virum bonum dixerim, hunc di-
cendi, illum scribendi peritum [...]. Ille [orator] in re publica et civilium negociorum administratione ingens ; hic [Poeta] in universum tantus, ut eum vel natura debeat admirari [...]. Seorsum vero cum utrique magna adsint coeli munera, in oratore ingenium et eloquentia, in Poetis etiam divinitas spectari solet, qua supra humanam naturam positi medium quendam inter deos et homines cursum tenere crediti sunt (Vadian, De poetica, tit. XXVI, Vienne, 1518, eèd. Scha«ffer, p. 238, 16-18 ; p. 239, 3-7).
perrine galand
308
Fonzio avant lui, aé la fin de son second livre
15
, deèduisait de meême
º dans la ligne du neèo-platonisme diffus deècrit par Curtius
16
º la su-
peèrioriteè de la poeèsie de sa science du divin, de son inspiration ceèleste et de sa musicaliteè au pouvoir psychagogique
17
. Vida, plus tard, sans
meême comparer les disciplines, indiquera que le poeéte doit absorber la
science
rheètorique,
notamment
la
perfection
de
la
langue
de
Ciceèron, û deuxieéme flambeau de la grande Rome ý, magnae lux altera Romae, apreés Virgile
18
.
Les seèductions de Quintilien Paralleélement aé cette reèhabilitation de l' art poeètique s' eètaient esquisseèes, depuis la redeècouverte d' un Quintilien complet par Poggio Bracciolini au monasteére de Saint-Gall en 1416, son exploitation critique par Georges de Treèbizonde en 1433, dans ses Rhetoricorum libri quinque, puis, au contraire, sa glorification par Lorenzo Valla (dont un eètudiant, Antonio Campano, devait donner en 1470, aé Rome, l' editio princeps de l' Institution oratoire) et Ange Politien, qui l' avaient eètabli comme le contre-modeéle de Ciceèron
19
.
Lucia Cesarini Martinelli, analysant les annotations de L. Valla aé l' Institution oratoire
20
, s' est efforceèe de comprendre les raisons qui pous-
saient l' humaniste aé preèfeèrer Quintilien aé Ciceèron, et qui semblent moins tenir aé une dette scientifique reèelle qu' aé une appreèciation de
15 16
Ch. Trinkaus, û The Unknown Quattrocento Poetics ý, p. 112 -113. ê ge latin, trad. J. Breèjoux, Paris, E. R. Curtius, La litteèrature europeèenne et le Moyen A
1991, II, 8, p. 747-749 ; Poeètiques de la Renaissance, p. 109-117.
17
û Mais quoique ces deux arts soient les plus remarquables de tous, l' Art oratoire et
la Poeètique, treés proches sur bien des points, instruits et orneès graêce aé presque tous les autres arts, de sorte qu' ils captivent les oreilles et les esprits humains non seulement par leur science infinie, mais aussi par la suaviteè persuasive de leur discours, cependant il ne se trouve personne pour nier que l' on soit plus toucheè et plus enflammeè par les vers que par la prose ý (Duae vero cum sint omnium praestantissimae, Oratoria et Poetice multis rebus inter se haud dissimiles, cunctis ferme aliis artibus utraeque instructae atque munitae, quae non modo infi nita rerum scientia, sed etiam sermonis blandiloquentia auris et mentes hominum teneant, nemo ta men est qui neget, non se magis affici et incendi carmine quam soluta oratione (eèd. cit., p. 103)).
18 19
I, 385-390. L. Valla avait vanteè ou utiliseè Quintilien depuis 1427, dans sa Comparatio Ciceronis
Quintilianique perdue aujourd' hui, qui fit scandale, puis dans les Dialecticae disputationes (plusieurs eètats depuis 1439), enfin en 1440 dans ses ceèleébres Elegantiae. Politien loue Quintilien et Stace (au lieu des traditionnels modeé les Ciceèron et Virgile) dans son Oratio super F. Quintiliano et Statio (1480 ; eèdition moderne dans Prosatori latini del Quattrocento, a cura di E. Garin, Milano-Napoli, 1952. Nous avons aussi gardeè (BN de Florence, Inc. o
B
Rari, 379) l' eèdition milanaise de l' Institution Oratoire annoteèe par Politien vers 1480 º
d' apreés l' eècriture. Voir le chapitre sur l' inspiration dans les Poeètiques de la Renaissance.
20
L. Valla, Le postille all' Institutio oratoria di Quintiliano [Venise, 1494], a cura di
L. Cesarini Martinelli e A. Perosa, Padova, 1996, introduction.
309
aspects de l' influence de quintilien
type eèthique. Valla loue chez Quintilien une attitude morale toujours tourneèe vers une action positive (voir l' exaltation de la
fortitudo en
XII, 5, 1) ; la promotion des qualiteès humaines par l' encouragement et l' appel aé l' eèmulation, plus que par la critique et la punition (Valla oppose
Inst.,
III, 8, 40 aé
Part. or.,
91) ; un optimisme de fond, une
confiance en la nature de l' homme consideèreèe comme perfectible, non comme une limite (Valla semble s' insurger laé contre le pessimisme augustinien), mais comme une graêce et un don (Inst., II, 8, 1011 contre
Brutus,
204 et
De or.,
III, 36 et, aé propos de l' imitation envi-
sageèe comme eèmulation et non simple copie,
or.,
I, 154, et
Inst.,
II, 8, 2 contre
De or.,
Inst.,
II, 92 ; cf.
X, 5, 5 contre
Inst.,
De
X, 2, 7) ; une
valorisation positive des passions et du rire (Inst., VI, 3, 1). Sur le plan intellectuel, Valla appreècie eègalement l' empirisme meèthodologique du rheèteur, son absence de preèsupposeès, son attention porteèe aux cas concrets, ainsi que la structure rationnelle et systeèmatique, lieèe aé un style transparent et eèleègant, de la preèsentation û scientifique ý dans l' Institution
oratoire,
absente des dialogues ciceèroniens, plus litteèraires.
Valla oppose ainsi freèquemment au peèdagogue souriant un Ciceèron perc°u comme plus seèveére, amer ou cynique, coupable d' avoir, au cours de sa carrieére, deèfendu sans vergogne des fautes graves et eèvidentes ; il reproche aé l' Arpinate comme une dupliciteè morale de distinguer dans son Ýuvre philosophie et vie civile, tout en preètendant º aé la diffeèrence de Quintilien, XII, 2, 6 º eêtre aé la fois philosophe et orateur. Sur le plan de la langue, Quintilien appara|êt aé Valla plus cultiveè, plus raffineè et plus subtil que Ciceèron jugeè trop deèmagogue, parfois jusqu' aé la vulgariteè (Inst., VIII, 1, 2 contre
Brutus,
172 ; livre VI
de l' Inst. aé propos du rire). Deés les deèbuts de la Renaissance, du reste, l' Ýuvre du û bon homme ý Quintilien semble avoir beèneèficieè d' une sympathie affectueuse. Il suffit de rappeler la vision patheètique que donnait de son codex personnifieè Poggio Bracciolini, dans la treés fameuse lettre ou é il racontait aé son ami Guarino de Veèrone sa deècouverte du Quintilien complet dans un deèbarras obscur du monasteére de Saint-Gall : Et de fait il n' est point douteux qu' un homme brillant, raffineè , eèleègant, plein de principes moraux, plein d' esprit, n' aurait pu endurer plus longtemps la honte de ce cachot, la saleteè du lieu, la cruauteè des gardiens. comme
Lui-meême l' eètaient
eètait
au
d' ordinaire
deèsespoir, les
assureèment,
condamneè s
aé
mort,
et
tout
`portant
barbe heèrisseèe et les cheveux raidis de poussieé re' [d' apreés Virgile,
sali, une
En.,
VI, 277], de sorte que par son expression meê me et sa mise il proclamait qu' il avait eèteè
condamneè
aé
une
sentence
injuste.
Il semblait
perrine galand
310
tendre les mains, en appeler aé la bonne foi des Quirites, reèclamer qu' ils le proteégent de ce jugement inique, et souffrir l' indigniteè de voir qu' un homme qui, jadis, graê ce aé l' aide qu' il apportait, graêce aé son eèloquence, avait pu sauver de nombreux concitoyens
21
, aé preèsent ne pou-
vait trouver un protecteur qui euê t pitieè de ses malheurs, ni se souciaêt de son salut ou l' empeêchaêt d' eêtre entra|êneè vers un injuste supplice
22
.
Cette peinture saisissante, oué l' image du livre et le portrait de son auteur, libeèreès des teèneébres, se superposent plaisamment, reèsume bien la reèputation du vir bonus dicendi peritus, lettreè brillant et citoyen deèvoueè et digne (on retrouve ici des allusions de tonaliteè pluto ê t ciceèronienne aux services rendus aé la patrie), dont Quintilien allait jouir deés sa reèsurrection. Politien, par ailleurs, dans sa ceèleébre lec°on inaugurale sur Quintilien et Stace (1480), qui allait lancer, ainsi que sa correspondance aigre-douce avec Paolo Cortese, la longue querelle du ciceèronianisme, se souvient de Valla, lorsqu' il eècrit : En veèriteè, nous ne saurions placer le Quintilien en question avant Ciceèron, mais nous estimons du moins que ces Institutions oratoires sont plus riches et plus feècondes que les traiteès de Ciceèron sur la rheètorique, en ce qu' elles entreprennent l' eèducation de l' orateur depuis l' enfance balbutiante et le berceau meêmes et conduisent son eèloquence aé la perfection
23
.
Plus loin, il rappelle, en paraphrasant le Pogge, que reèinteègrer dans les belles lettres certains auteurs moins connus, que seules les injures du temps passeè et de la barbarie ont û comme jeteès en prison et tenus dans des cha|ênes ý, releéve de la plus simple humaniteè
24
. On ne saurait
trop insister enfin sur l' immense dette d' E è rasme envers Quintilien (et
21 22
Cf. Ciceèron, De or., I, 8, 29, eèloge de la rheètorique. Neque enim dubium est virum splendidum, mundum, elegantem, plenum moribus, plenum fa -
cetiis, foeditatem illius carceris, squalorem loci, custodum saevitiam diutius perpeti non potuisse. Moestus quidem ipse erat ac sordidatus, tanquam mortis rei solebant, `squalentem barbam gerens et concretos pulvere crines' [d' apreés Virgile, En., VI, 277], ut ipso vultu atque habitu fateretur ad immeritam sententiam se vocari. Videbatur manus tendere, implorare Quiritum fidem, ut se ab iniquo iudicio tuerentur, postulare et indigne ferre quod, qui quondam sua ope, sua eloquentia, multo rum salutem conservasset, nunc neque patronum quempiam inveniret, quem miseret fortunarum suarum, neque qui suae consuleret saluti aut iniustum rapi supplicium prohiberet (texte dans Prosatori Latini del Quattrocento, eèd. E. Garin, Milano-Napoli, 1952, p. 242 sq. ; ma traduction).
23
Quintilianum vero non nos quidem illum Ciceroni praetulerimus, sed has certe Oratorias in -
stitutiones rhetoricis Ciceronis libris pleniores uberioresque esse existimamus, nempe quae ab ipsa quasi infantia atque ipsis incunabulis instituendum oratorem susceperint, summaque eius eloquentiae manum imposuerint (eèd. E. Garin, Prosatori latini, p. 877).
24
Ibidem, p. 878.
311
aspects de l' influence de quintilien
Politien aussi ; la recherche reste aé faire), bien mise en relief nagueére par J. Chomarat et T. Cave, qui transpara|êt aussi bien dans ses reèflexions sur l' eèducation (optimisme, psychologie adapteèe, culture geèneèrale)
que
sur
les
processus
fondamentaux
de
l' eècriture
copia
(
,
invention, improvisation, inspiration, imitation). On verra ici que, dans bien des cas, c' est aé travers le filtre d' E è rasme que les poeèticiens lisent Quintilien.
Des û institutions poeè tiques ý
Le projet eèducatif geèneèral Il eètait donc tout naturel, en cette fin de Quattrocento, que les victoires acquises par la Poeètique sur sa sÝur Rheètorique, ainsi que la redeècouverte
et
d' eèducation
civique,
l' exploitation
Eè p|être aux Pisons exempla l'
morale
simultaneèes et
culturelle
d' un
25
,
plus
important
traiteè
meèthodique
que
d' Horace, mais fondeè pour une bonne part sur des
poeètiques,
conduisent certains
humanistes aé
pour la premieére fois, des traiteès systeèmatiques sur l'
reèdiger enfin,
ars poetica
(c' est le
cas de Fonzio) et meême aé leur donner une allure de veèritables û institutions poeètiques ý, calqueèes sur le modeéle de Quintilien et visant la formation compleéte, morale et intellectuelle, du jeune poeéte humaniste ideèal (on le verra pour Vadian et Vida).
25
é propos de l' influence de Quintilien sur les traiteès peèdagogiques, voir l' ouvrage A
deèjaé ancien, mais toujours utile de W. H. Woodward,
of the Renaissance
Studies in Education during the Age
, Cambridge, 1906, et l' article citeè en note 1 de C. J. Classen. D' apreés
Classen, Quintilien semble avoir influenceè l' humanisme deés les deèbuts, mais de fac°on treés geèneèrale, aé travers certains concepts de base concernant l' imitation, ou la neè cessiteè d' eètudier la poeèsie ou le grec. Gasparino Barzizza (1360-1431), apreés la redeècouverte de
Institution oratoire uir bonus dicendi peritus
la version inteègrale du texte, use freèquemment de l' suit l' ideèal eèducatif de Quintilien (
pour ses cours ; il
). Cependant, le fameux traiteè
sur l' eèducation de Pier Paolo Vergerio (1402-1404) ne para|êt pas avoir subi une influence deèterminante et directe de Quintilien, comme on l' a cru jusqu' alors. Plus geè neèralement, pendant les vingt premieéres anneèes du xv
e
sieécle, l' Ýuvre de Quintilien n' a pas eu d' in -
fluence sur les manuels eèducatifs. Quintilien n' est alors connu que par certains commen taires sur les discours de Ciceèron, en particulier ceux d' Antonio Loschi (1365 -1441). Cependant, en 1430, quand le jeune poeéte veènitien Gregorio Correr compose un traiteè versifieè sur l' eèducation des garc°ons, c' est sur l'
Institutio
qu' il se fonde. Les grands traiteès
de Maffeo Vegio, Enea Silvio Piccolomini, Matteo Palmieri et Alberti teè moignent, eux, d' un inteèreêt ineègal pour Quintilien. Voir aussi, dans le preèsent volume, l' article de J. Nassichuk.
perrine galand
312 Fonzio
La poeètique (en prose) de Fonzio, plus scheèmatique que les deux autres, n' a pas retenu le modeéle structurel de l' Institution oratoire
26
.
Son auteur, deés les premieéres lignes, se preèsente comme un eèmule d' Horace
27
, tout en conservant superficiellement le modeéle ma|ëeu-
tique du dialogue ciceèronien, deèjaé illustreè, entre autres, par Landino et Pontano. Fonzio met en effet en sceéne une conversation imaginaire qui l' oppose aé deux jeunes amis, Paolo Cattani da Diacetto, chargeè de formuler les objections eèventuelles, et Francesco Pandolfini, disciple modeéle
28
. Les transitions, assez artificielles, entre les livres donnent
lieu aé quelques protestations de deèvouement de l' auteur aé l' eègard de ces deux pupilles, de Francesco surtout, dont Fonzio se dit vel socium vel adiutorem vel praeceptorem (p. 113). Le dialogue accorde en revanche un grand soin aé la preècision didactique et aé l' ordre de l' exposeè (1. origines divines et digniteè de la poeèsie ; 2. les officia poetica (dispositio, elocutio,
inventio,
imitatio,
etc.) ;
3.
les
genres
poeètiques
et
leurs
repreèsentants) et cherche aé persuader le lecteur de la valeur divine, eèducative et eèdifiante de la poeèsie, en reprenant les topoi apologeètiques habituels (origine ancienne et surnaturelle de la poeèsie, omniscience des premiers poeétes, valeur alleègorique des mythes, compatibiliteè avec la religion chreètienne et la morale, compleèmentariteè de la vie active et de la meèditation du poeéte), en compleètant cette laus par des conseils techniques, puis par une histoire des poeétes au cours des temps. Fonzio se deèmarque ainsi de la silve Nutricia de son rival (et modeéle ?) Politien (1486), praelectio en hexameétres latins qui traitait de la digniteè de la poeèsie et de la succession des poeétes, mais laissait deèlibeèrement de co ê teè toute consideèration technique sur l' eècriture
26
Sur
B. Fonzio,
voir
Bartolomeus
Fontius,
Carmina,
29
. Neèanmoins on ne
eèd.
L. Fo é gel
et
J. Juhaész,
Lipsiae, 1932 ; Ch. Trinkaus, eèdition avec analyse introductive du De poetica (voir ci-dessus note 3) et û A Humanist' s Image of Humanism : The Inaugural Orations of Bartolom meo della Fonte ý, Studies in the Renaissance, 7 (1960), p. 90-147 ; S. Caroti et S. Zamponi, Lo escrittoio di B. Fonzio umanista fiorentino, con una nota di Emmanuele Casamassina, Mi lano, 1974 ; A. Bettinzoli, û Percorsi metaletterari nell' Elegia al Fonzio di Angelo Poliziano ý, Lettere italiane, 37 (1985), p. 150-176 ; F. Bausi, û La lirica latina di Bartolomeo Della Fonte ý, Interpres, 10 (1990), p. 109-110 ; û La protasi dell' Elegia ad Fontium di Angelo Poliziano (v. 1-72) e un perduto poema di Bartolomeo della Fonte ý, Interpres, 14 (1994), p. 246-253 ; A. Poliziano, Due poemetti latini : Elegia a Bartolomeo Fonzio, Epicedio di Albiera degli Albizi, a cura di F. Bausi, Salerno, 2003.
27 28 29
è p|être aux Pisons : poiesis, poieéma, poieéteés. Sans suivre pour autant le plan de l' E Voir eèd. Trinkaus, p. 44 et n. E è ditions : A. Politien, les Silves, texte traduit et commenteè par P. Galand, Paris,
1987 ; A. Poliziano, Silvae, eèd. F. Bausi, Firenze, 1996, avec une traduction italienne et une treés riche annotation.
aspects de l' influence de quintilien
313
saurait parler d' un veèritable traiteè d' eèducation, car nulle part les modaliteès pratiques de l' enseignement ne sont eèvoqueèes. La doctrine de Fonzio, cependant, on le verra, doit beaucoup aé Quintilien º et aé Politien lecteur de Quintilien. Vida Il en va diffeèremment des traiteès de Vida et Vadian. Le premier, eècrit en hexameétres dactyliques, est adresseè, dans la version eèditeèe et
er
abreègeèe de 1527, au Dauphin de France Franc°ois, fils de Franc°ois I
(1518-1536), alors en captiviteè en Espagne avec son freére Henri, et assez mal traiteè
30
. L' aêge du deèdicataire et sa situation malheureuse per-
mettent aé Vida de donner d' embleèe aé son ouvrage une coloration affective, qui place la peèdagogie, dans la tradition quintiliano-eèrasmienne, sous le signe de la tendresse respectueuse entre ma|être et eèleéve. Le traiteè se veut une û consolation ý (I, 14) pour l' enfant exileè. Il a surtout pour but de û [...] preèparer l' eèclosion, deés ses tendres anneèes, d' un eèminent poeéte, / Capable de chanter les exploits des heèros et la gloire des dieux
31
ý, [...] vatem egregium teneris educere ab annis / Heroum
qui facta canat, laudesve deorum (I, 3-4). Williams et Pappe ont montreè ce que l' eècriture versifieèe du traiteè, entremeêleèe de digressions et de comparaisons eèpiques, aé la recherche d' un eèquilibre entre divers styles, doit aé la recherche estheètique des Geèorgiques
32
. Cependant le plan suivi
par Vida º et son projet peèdagogique º sont aé l' eèvidence calqueès sur ceux de l' Institution oratoire
33
: le livre I est consacreè aé l' eèducation du
futur poeéte, suivi deés le berceau ; le livre II traite de l' invention (de l' inspiration) et de la disposition ; le livre III de l' elocutio et de l' imitation. Examinons rapidement le livre I. Il fourmille de conseils peèdagogiques adresseès aux parents ou aé l' eèleéve, sur le choix du genre poeètique en fonction du naturel, des gouêts et des capaciteès de l' enfant (I, 39-
30
Sur la poeètique de Vida, outre les eèditions indiqueèes ci-dessus en note 3, voir
M. Di Cesare, Bibliotheca Vidiana : a Bibliography of M. G. Vida, Firenze, 1974 ; Sergio Cappello, û Le plaisir dans le De arte poetica de Marco Girolamo Vida (1527) ý, dans Le plaisir de l' eèpopeèe, s. d. G. Mathieu-Castellani, Universiteè de Vincennes, 2000 ; S. Rolfes, Die lateinische Poetik des Marco Girolamo Vida und ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger, Mu « nchen - Leipzig, 2001 (û Dissertation ý avec bibliographie. L' analyse est seè rieuse mais demeure assez succincte).
31 32 33
Traduction citeèe de J. Pappe. Ibidem. Voir les introductions de Williams et de Pappe, et les notes deè tailleès de Williams
au livre I. L' influence du De liberis educandis de Plutarque se fait eègalement sentir ici ou laé.
perrine galand
314
49 : Horace et Quintilien se meêlent ici ; I, 50-56) ; sur l' acquisition de la copia verborum et rerum par la lecture (I, 62-79 ; Quintilien, X, 1 eèmerge cette fois aé travers le filtre du De copia d' E è rasme) ; sur le preècepteur qu' on lui assigne deés sa toute petite enfance, dont l' eèlocution doit eêtre pure (I, 86-108 ; cf. Inst., I, 1, 4-8, sur les nourrices et les peègagogues, repris par E è rasme, dans sa Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis, parue en 1529, mais composeèe entre 1506 et 1509
34
);
sur la neècessiteè d' apprendre en meême temps le latin et le grec (I, 123128 ; cf. Inst., I, 1, 12-15, ou é Quintilien conseille l' apprentissage du grec d' abord
35
) ; sur les lectures aé effectuer º ce qui suscite un exposeè
sur l' histoire de la litteèrature et une exhortation aé n' imiter, tout au moins pendant l' aêge tendre de l' initiation, que le seul Virgile (cf. Inst., X, 1 et X, 2). Ensuite (I, 216 sq.), Vida, apreés Quintilien (I, 2, 15) et E è rasme
36
, revient sur l' importance du choix d' un preècepteur aé la
fois capable et affectueux : û le premier des souhaits que doit former celui qui a rec°u mission / De donner aé l' enfant la plus haute culture est de se faire aimer ý, Ille autem pueri cui credita cura colendi / Artibus egregiis, in primis optet amari (I, 232-233). Pour Vida, l' amour du ma|être et celui de la poeèsie se confondent. Aussi le theèoricien exhorte-t-il longuement les peèdagogues aé rejeter toute violence, tout chaêtiment corporel,
illustrant
ses
conseils
par
une
anecdote
preèsenteèe
comme
autobiographique (l' histoire d' un enfant si cruellement fouetteè qu' il en mourut de peur : I, 246-268), mais qui rappelle de preés, non seulement Quintilien, I, 3, 14-17, mais surtout plusieurs passages de la Declamatio de pueris ... instituendis, semblables,
dont
un
E è rasme (qui le cite
38
souvenir
ou E è rasme é personnel
37
.
eègreéne trois Comme
reècits treés
Quintilien
et
), Vida oppose ensuite aé la violence la persuasion
peèdagogique (I, 271-273 ; cf. Inst., I, 1, 20 ; I, 3, 1), l' attrait de l' eèmulation et de la gloire (I, 278 sq. ; 317 sq. ; cf. Inst., I, 2, 21-25), l' aptitude du ma|être aé deèceler une vocation (I, 315-327), qui ne saurait eêtre contrarieèe par les parents (I, 290-311 ; Vida contamine ici Inst., I, 3 et la notion humaniste de vocatio poeètique, dont J. Lecointe a montreè qu' elle
34
appara|êt
avec
Boccace
39
).
Comme
Quintilien
Dans E è rasme, Üuvres choisies publieèes par C. Blum, A. Godin, J.-C. Margolin et
D. Meènager, Paris, 1992 (Collection Bouquins), p. 509-511.
35 36 37 38 39
(I, 1, 20 ;
Cf. E è rasme, De ratione studii, eèd. C. Blum et alii, p. 443. E è rasme, De pueris... instituendis, eèd. C. Blum et alii, p. 479 ; 516 ; 531. Ibidem, p. 518-521 et 523-527. Ibidem, p. 528-529. J. Lecointe, L' Ideèal et la Diffeèrence, p. 246 sq.
315
aspects de l' influence de quintilien
I, 2, 11 ; I, 3, 8-13) et E è rasme
40
, Vida souligne l' importance du plaisir
dans l' apprentissage (I, 445-447), ainsi que du deèlassement et du jeu (I, 340-353)
41
; toute peèdagogie enfin, comme le veut le rheèteur latin
(Inst., I, 2, 26-30), doit eêtre progressive et adapteèe aux forces de l' enfant, qui s' exercera d' abord aux genres poeètiques mineurs (I, 459473). C' est
ainsi
que
s' accomplit
aiseèment
la
transposition
du
pro-
gramme eèducatif de Quintilien (compleèteè par E è rasme) au domaine de la poeètique, qui subsume, chez Vida comme chez Politien, l' ensemble des artes º aux vers I, 382-401, Girolamo souligne l' inteèreêt de l' acquisition d' une culture encyclopeèdique, meême superficielle. Selon l' ingeènieuse hypotheése de Jean Pappe, l' art poeètique de Vida, remanieè et publieè juste avant le sac de Rome, alors que Leèon X, l' ancien eèleéve de Politien, au reégne si prometteur, eètait mort, alors que Cleèment VII son cousin, s' aveèrait deècevant, ceèleébrerait º au-delaé de l' eèchec des ambitions temporelles de la Papauteè º le seul vrai combat eèpique moderne, celui de l' eèducation poeètique contre la barbarie (incarneèe par la menace impeèriale qui pesait aussi sur le Dauphin Franc°ois), combat dont l' eèpopeèe, moins guerrieére que spirituelle, de Virgile peut appara|être comme la meètaphore
42
.
Vadian L' art poeètique de Vadian suit Quintilien moins meècaniquement, mais appara|êt peut-eêtre plus profondeèment encore empreint de l' esprit peèdagogique de l' Institution oratoire. La ressemblance se joue d' abord dans la coloration profondeèment affective que Vadian a voulu donner aé son traiteè. L' ouvrage est en effet deèdieè, non aé un grand personnage comme chez Fonzio et Vida, mais au jeune freére de Vadian, Melchior. Le titre De poetica et carminis ratione, Liber ad Melchiorem Vadianum fra-
trem, souligne cette dimension familiale, ainsi que le reste du paratexte. La preèface aé Johann de Hinwil, un eèleéve de Vadian dont on ne sait rien par ailleurs, eèvoque les circonstances eèditoriales et son projet de deèfense de la poeèsie : l' humaniste affirme avoir eècrit son ouvrage pour reèpondre aé la demande de ses eètudiants et surtout pour eèduquer son jeune freére, humaniste ideèal en herbe : Donc, pour deèvoiler brieévement aé mon jeune freére º qui, comme tu sais, posseéde outre un zeéle assidu pour embrasser les bonnes lettres et
40 41 42
E è d. C. Blum et alii, p. 451 ; 515-516. Cf. E è rasme, De pueris... instituendis, eèd. C. Blum et alii, p. 479 ; 535-538. E è d. Pappe, introduction.
perrine galand
316
les sciences humaines, un treés grand talent naturel º ce qu' englobe la Poeètique, avec l' appui de quelles disciplines elle resplendit, sans trier beaucoup mais du moins en tenant compte le mieux possible de sa jeunesse, j' ai publieè tout ce qui me semblait, tandis que j' eècrivais, tendre aé attirer vers les disciplines seèrieuses et les eètudes de la philosophie, qui rendent vraiment digne du nom d' eèrudit, un esprit que deèlecte le charme des lettres
43
.
Cette lettre de deèdicace est suivie de nombreuses eèpigrammes des eètudiants de Vadian qui louent son traiteè, puis de la praefatio, adresseèe Ad Melchiorem Vadianum, charissimum fratrem
44
. Vadian y expose cette
fois aé son freére sa meèthode peèdagogique, sur laquelle je vais revenir. é la fin du traiteè, Vadian indique aé Melchior les reèsultats qu' il esA compte : `Le bons sens est de l' eècriture le principe et la source'
[Horace, Ad
Pis., 309]. Si tu poursuis dans cet ordre ton cheminement vers la Poeè tique, deèjaé je me promets un freére qui ne fera pas tant ma joie que la gloire im mense de toute notre famille et meême de notre patrie
45
.
L' implication personnelle de Vadian ne se deèment jamais tout au long du traiteè, sans cesse ponctueè, comme une eèp|être, d' apostrophes au jeune freére, frater, mi frater, qui rappellent au lecteur que le destinataire privileègieè est Melchior. La plupart des transitions, ainsi que de nombreuses digressions, prennent la forme d' adresses plus longues au jeune homme, dont la figure prometteuse
46
se deètache sur la masse
des eètudiants favoris auteurs des pieéces liminaires en vers. Ce lector in fabula permet aé Vadian d' esquisser en miroir son propre eéthos de professeur vertueux, paternel et aimant, aé la manieére de Quintilien dans le proeéme du livre I adresseè aé Marcellus Vitorius et aé son jeune fils
43
Igitur ut fratri adolescenti, cui ut nosti ad bonas literas et ingenuas doctrinas capessendas supra
assiduum studium plurima etiam ingenii est, paucis explicarem quas res ambiret Poetica quarumque artium adminiculo niteretur, sine magno delectu, pro virili tamen habita iuventutis ratione, attuli in medium quaecumque scribenti mihi eo tendere videbantur, ut ad serias artes et quae vere eruditi no mine dignum efficiunt philosophiae studia, animum literarum illecebris sese oblectantem provocarem (Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 2-3).
44 45
Ibidem, p. 11-13. `Scribendi recte sapere est et principium et fons' [Horace, Ad Pis., 309]. Quo ordine si ad
Poeticam perrexeris, iam nunc mihi eum fratrem polliceor, unde non tam mihi gaudium quam toti nostrae familiae ipsique patriae ingens decus oriturum sit (ibidem, p. 299).
46
Melchior ne tiendra pas ses promesses. L' anneèe suivant la parution de l' art poeè-
tique (1519), il abandonnera ses eètudes, partira aé Rome, suppliant Vadian de l' aider par ses appuis aé se procurer un beèneèfice. Il mourra d' une fieévre dans la ville papale en 1521 (eèd. P. Scha«ffer, vol. III, p. 11n).
317
aspects de l' influence de quintilien
bien-doueè, Geta
47
, et surtout, comme on sait, dans celui du livre VI,
au meême Marcellus, ou é le rheèteur illustre magistralement aé l' avance ses reèflexions sur l' eéthos, en liant eètroitement son Ýuvre peèdagogique aé son amour pour ses eètudiants et surtout pour ses fils deèfunts. Revenons rapidement sur la peèdagogie mise en Ýuvre, ainsi relieèe aé l' affectiviteè. Dans la praefatio aé Melchior, Vadian deètaille ce qu' il eècrivait deèjaé dans le passage citeè adresseè aé Johann de Hinwill. Son but est de û conduire par un droit sentier les esprits d' un aêge tendre vers l' amour de ces sciences vers lesquelles ils semblent eêtre porteès par nature ý, animos in earum artium amorem ad quas natura provocari videntur,
recta semita ducere
48
, et de tenter d' û enlever [aé son freére], comme en
[lui] appliquant un viatique, les eèpreuves d' un voyage long et vaste graêce aé un petit livre, bref bouquet des sujets pertinents aé [s]on propos ý, si quasi viatico adhibito longi et spatiosi itineris erumnas tibi rerum ad
institutam rem pertinentium fasciculo brevi libello interciperem
49
. Le caracteére
propeèdeutique et alleèchant de la poeètique, qualifieèe aussi de û premieére des sciences les plus honneêtes ý, omnium honestissimarum doctrinarum prin-
cipem
50
, capable d' initier Melchior aux û disciplines seèrieuses et aux
eètudes de la philosophie ý, est souligneè aé loisir. Vadian file tout au long de la preèface la meètaphore de la voie û droite ý, aé la fois intellectuelle et morale, oué il espeére guider son freére en le preèservant des û embuscades
de
l' erreur ý,
errorum latrocinia
51
. Cette peèdagogie oué
l' enseignant trie et digeére les informations en les mettant aé la porteèe de l' eèleéve, dont il observe les aptitudes propres et stimule le zeé le par la seèduction de son exposeè
52
et la promesse de la gloire
53
, releéve bien
eèvidemment en droite ligne de la peèdagogie quintiliano-eèrasmienne deèjaé mentionneèe aé propos de Vida et, plus particulieérement, des preèceptes du De copia, freèquemment citeè par l' humaniste saint-gallois
47 48
.
Quintilien, I, Prohoemium, 6. Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 11.
49 Ibidem, 50 Ibidem,
p. 12. p. 11.
51 Ibidem, p. 12. 52 Eèrasme, De pueris... instituendis, 53 Ibidem, p. 528. 54
54
eèd. C. Blum et alii, p. 479.
Meême image du û raccourci ý et des û errances ý aé eèviter dans le De ratione studii
d' E è rasme, eèd. C. Blum et alii, p. 441-442. Le roêle du peèdagogue est d' abord de reèsumer la science, d' oué l' inteèreêt attacheè par Vadian dans tout son traiteè aux ouvrages de compilateurs, aux sommes encyclopeèdiques, qui procurent au moins le vernis de l' omniscience (cf. E è rasme, De ratione, eèd. C. Blum et alii, p. 448 et 451-452 ; eèp. deèdicatoire au De pueris
statim... instituendis, eèd. C. Blum et alii, p. 477). Il ne faut pas viser aé l' inteègraliteè, mais choisir le meilleur de la discipline (cf. Quintilien, XII, 2, et E è rasme, De ratione, eèd. C. Blum et alii, p. 466).
perrine galand
318
La structure du traiteè meèrite quelques remarques. Contrairement aé Vida qui choisit, comme on l' a vu, le plan rheètorique suivi par Quintilien lui-meême, Vadian divise son traiteè en trente-deux chapitres, que l' on peut regrouper en quatre grandes parties. Les chapitres I aé VIII retracent º comme le faisait Fonzio dans sa premieére et sa troisieéme partie º les origines et la digniteè de la poeèsie aé travers son histoire. Vadian se montre toutefois beaucoup plus original. Tout en rappelant l' excellence originelle de la discipline, les liens entre poeèsie grecque et heèbra|ëque, le Viennois esquisse une histoire optimiste et personnaliseè e, bien dans la manieére de Quintilien, de la culture humaine
55
, envisageèe
moins comme une seèrie de cycles que comme une eèvolution continue, d' ou é eèmerge, pour la premieére fois, un panorama de la litteèrature
allemande
(chapitre VI).
Les
chapitres IX aé
XV preèsentent
le
poeéte comme un eêtre doublement favoriseè par la nature, qui le preèdispose aé la ma|êtrise de l' art, et par la diviniteè qui l' inspire ; cette seconde partie s' appuie essentiellement sur le livre X de l' Institution
oratoire,
mais la notion d' improvisation permet aé Vadian º aé la diffeèrence de Politien, de Pontano et des Padouans plus rationalistes º de proposer une vision eèquilibreèe, mais sacrale, de l' inspiration entre
ars
et enthou-
siasme platonicien. Les chapitres XVI aé XXIII reprennent tous les grands theémes de l' apologeètique de la poeèsie, conc°ue comme auxiliaire de la religion. Cette troisieéme partie contient des arguments deèjaé exploiteès par Fonzio, mais Vadian se montre, laé encore, plus personnellement engageè, en proênant aé l' eègard du paganisme, toujours soigneusement replaceè dans son contexte, une toleèrance particulieére. Les chapitres XXIV aé XXXII enfin traitent brieévement, mais concreétement, de la formation du poeéte (grammaire, rheètorique, imitation,
dicium,
encyclopeèdisme).
Comme
Fonzio,
Vadian
sent
iula
laus
de la
officia
prati-
neècessiteè de deèvelopper º bien au-delaé de la traditionnelle discipline º une deèfense de la poeèsie avant de passer aé ses
donc
ques, sans doute parce que son environnement, la Vienne humaniste encore aé ses deèbuts, le reèclame, comme le reèclamait la Florence des Meèdicis en son deèclin, juste avant Savonarole. La dernieére partie, nettement distincte des trois premieéres, plus directement peèdagogique et pratique
55 56
56
, s' inspire largement des livres I et X surtout.
Voir P. Galand-Hallyn, û
Posteriores sed non deteriores ý
(article citeè en note 5).
û Haêtons-nous, aé preèsent, d' en venir aux eèleèments qui paraissent pour ainsi dire
fac°onner le corps de la Poeètique et lui rendre vie ý (Nunc
ticae quasi corpus effigiare et vitam reddere videntur
ad ea properandum est quae Poe-
(eèd. P. Scha«ffer, p. 214)).
319
aspects de l' influence de quintilien
Avant de revenir sur les trois premieéres parties, examinons le programme plus concreétement eèducatif qui figure dans la quatrieéme. Ce programme s' ouvre sur le ma|être-mot de l' eèducation quintiliano-eèrasmienne :
amor
57
. L' amour des lettres sera l' aliment,
fomes,
de tous les ef-
forts imposeès par les Muses. Vadian, comme ses preèdeècesseurs et comme Vida, manifeste son inteèreêt pour l' apprentissage de l' enfant en bas aêge. Le theéme attendu de l' eètude de la grammaire (chapitre XXIV), subdiviseèe en û correction de l' expression orale et commentaire des poeétes ý, comme au livre I de Quintilien (I, 4, 2 et I, 9, 1) que cite le Viennois, est combineè avec aisance avec celui du choix des peèdagogues et des grammairiens aé lire
58
, Quintilien, Diomeéde, Donat,
etc., Valla, Perotti, Mancinelli et surtout le
De copia rerum et verborum
d' E è rasme, dont on a vu qu' il inspire l' ensemble de la meèthode de Vadian
59
. La perspective peèdagogique est surtout adapteèe ici au tem-
peèrament allemand, jugeè particulieérement reècalcitrant aé la
latinitas
par
l' humaniste, qui reèclame des preècautions particulieéres et un rythme d' enseignement plus lent
coelum),
60
. Neès sous un ciel moins cleèment (durius
plus longtemps exposeès aé l' influence barbare, les petits Ger-
mains ne sauraient trouver un soutien ni dans l' eèloquence de leurs parents, ni chez leurs nourrices û au bavardage si inepte ý,
garrientibus
61
ineptissime
. Toujours dans l' esprit de Quintilien (I, 8, 18-21), Vadian
º qui a peut-eêtre aussi aé l' esprit les critiques de Pontano contre les grammairiens et certainement les remarques d' E è rasme dans le
tione studii
62
De ra-
º conseille la lecture expliqueèe des poeétes tout en reècusant
les commentaires trop prolixes qui finissent par eètouffer le texte
63
. Il
recommande aussi, comme E è rasme, la lecture des compilateurs, Aulu-
57 58
Cf. E è rasme,
De pueris... instituendis,
eèd. C. Blum
et alii,
p. 516.
Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 216. Pour les listes de grammairiens aé lire, cf. E è rasme,
De ratione, eèd. 59 Comme
C. Blum
et alii,
E è rasme dans le
p. 443 et 445.
De ratione studii,
eèd. C. Blum
et alii,
p. 443 et p. 452, Va-
dian appreècie la brieéveteè dans l' enseignement de la grammaire et se borne aé indiquer ici une bibliographie.
60
Bien que, depuis l' anatheéme jeteè par Peètrarque, l' infeèrioriteè des û barbares ý du
nord de l' Europe soit devenue un
topos,
l' inquieètude que manifeste partout Vadian aé
propos des difficulteès des jeunes germanophones para|êt bien reèelle. On rencontre la meême preèoccupation en France, dans l' introduction de F. Dubois aé sa 1520. Sur le
topos
des barbares nordiques, voir Manuela Boccignone,
Rheètorique, Paris, Der Norden ist die
a«uÞerste Grenze jenseits der Alpen. Poetische Bilder des Nordens von Petrarca bis Tasso, 2004 (Schriften
zur Literaturwissenschaft
Berlin,
23). Je remercie V. Kapp de m' avoir indiqueè cette
reèfeèrence.
61
Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 217. Vadian se montre moins optimiste qu' E è rasme.
De pueris... instituendis, eèd. C. Blum et alii, p. 509-510. 62 Eèrasme, De ratione..., ed. C. Blum et alii, p. 460.
Cf.
63
è
Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 219.
perrine galand
320 Gelle, etc.
64
Macrobe,
Politien,
Beèroalde,
Calderini,
Crinito,
Barbaro,
. Les chapitres suivants, inspireès aé la fois de la fin du livre I et du
livre X de l' Institution aux autres
artes
oratoire,
traitent des liens qui unissent la poeètique
(nous avons vu plus haut le cas de la rheètorique,
science jumelle º chapitres XXV et XXVI), dans la perspective d' une culture encyclopeèdique (chapitre XXXI), soutenue par une analyse, toujours XXVII
fondeèe et
sur
XXIX)
Quintilien, dont
parle
des ici
notions
Virginie
de
iudicium
Leroux º
et
(chapitres d' imitatio
(chapitre XXVIII). Vadian deèleégue enfin, dans son dernier chapitre
De carminis ratione,
aux ouvrages d' autres ma|êtres, E è rasme (De
Sulpitius Verulanus,
Despauteére,
Stoa,
Nebrija, Glareanus,
copia),
le
soin
d' enseigner aé Melchior les eèleèments plus techniques de l' invention, de l' eèlocution et de la meètrique
65
.
Vadian, nourri de Quintilien et d' E è rasme, dont il semble conna|être, comme Vida, le
De ratione studii
(1512) et peut-eêtre meême la
(1511 ; 1512), le
De copia
Declamatio de pueris ... instituendis
(eècrite en
1506-1509, publieèe en 1529), offre donc une poeètique plus compleéte et plus libeèreèe de ses modeéles que celle de l' Italien, puisque l' humaniste viennois associe aé une illustration geèneèrale de la discipline (preèsente chez Fonzio mais non chez Vida), qui refleéte ici son personnel de la
translatio studii
souci
dans le monde germanique, un pro-
gramme pratique d' eèducation relativement deètailleè, tailleè, pourrait-on dire, sur mesure, pour son freére ou ses propres eèleéves.
La doctrine poeètique Il me reste aé preèsent aé observer º succinctement et dans les grandes lignes º la doctrine poeètique transmise par ces trois theèoriciens. On verra que les concepts mis au point par Quintilien, au livre X, autour des questions fondamentales de l' improvisation et de l' imitation (sur fond d' histoire litteèraire), ont pu eêtre infleèchis en fonction du rattachement des poeèticiens aé divers courants litteèraires et ideèologiques ; l' exercice, du reste, est peèrilleux, tant les topiques s' encheveêtrent. Laé encore, je centrerai mon propos sur Vadian, peu eètudieè, en comparant sa poeètique aux deux autres.
64
E è rasme,
De ratione...,
eèd. C. Blum
et alii,
p. 448-449 : Pline, Macrobe, Atheèneèe,
Aulu-Gelle.
65
Cf. Vida, qui laisse aux
magistri
traite tout de meême de l' inventio, de la
l' enseignement de la meètrique (I, 415-416), mais
dispositio
et de l' elocutio.
321
aspects de l' influence de quintilien
Le traiteè de Bartolommeo Fonzio a eèteè reèdigeè au sein de la Florence meèdiceèenne de la fin du Quattrocento, oué le neèo-platonisme ficinien voisinait avec le courant reèsistant que lui opposait la poeètique quintilianisante de Politien
66
. Celui de Vida releéve, selon J. Lecointe,
de la critique poeètique neèe aé Padoue, puis eèpanouie dans la Rome menaceèe des deèbuts du xvi
e
sieécle, qui a conduit une tentative d' arti-
culation entre philosophie averro|ëste et estheètique neèo-ciceèronienne, dont je reparlerai. Quant aé Vadian, plutoêt eèclectique aé premieére vue, il restera aé deèterminer s' il est rattachable aé l' un ou l' autre courant. Humiliteè optimiste chez Bartolommeo Fonzio Sur le plan de la doctrine, la poeètique de Fonzio doit, comme son attitude peèdagogique, beaucoup aé Horace dont il adapte la posture û meèdiane ý aé la fois sur le plan de la theèorie de l' inspiration et sur celui de l' imitation, en la contaminant avec des eèleèments emprunteès aé Quintilien. Je me bornerai aé reèsumer ici quelques analyses que j' ai effectueèes ailleurs
67
. En ce qui concerne l' inspiration poeètique (livre I),
Fonzio se deèmarque assez nettement du neèo-platonisme ficinien. Il suit plutoêt, comme le remarque Trinkaus, le neèo-platonisme û diffus ý relayeè par l' Antiquiteè classique et tardive (de Ciceèron et Horace aé ê ge (qui ignore le Claudien), les Peéres de l' E è glise, un certain Moyen A Pheédre) et la tradition apologeètique deèjaé eèvoqueèe qui va de Mussato aé Pie II
68
. Cette tradition preèsente deèjaé un poeéte aé la fois inspireè directe-
ment par Dieu et doteè par lui du sens de l' observation et de la reèflexion propices aé l' acquisition d' une science eètendue. Politien, dont la reèsistance aé la doctrine ficinienne a eèteè clairement eètablie
69
, s' appuie,
dans ses eèvocations de l' enthousiasme, sur le livre X de l' Institution oratoire, pour rationaliser la notion de furor en la contaminant avec celle de l' hexis, l' innutrition que procurent la culture et l' exercice et qui permet aé l' orateur, muê par une circonstance et une eèmotion impreèvues, d' improviser. On sait que Ciceèron (De oratore, I, 202), puis Quintilien (X, 7, 13-14) expliquent en effet par l' improvisation l' eèlan quasi surnaturel qui emporte parfois l' orateur et que les anciens attri -
66 67 criteè'
Voir ci-dessous note 67. Je renvoie aé mes deux articles suivants : û Quelques co|ë ncidences... ý et û `Meèdioeèthico-stylistique et individualiteè litteèraire ý, dans Eloge de la meèdiocriteè. Le juste
milieu aé la Renaissance, s. d. E. Naya et A.-P. Pouey-Mounou, Paris, 2005, p. 103-120.
68
ê ge latin, trad. J. Breèjoux, Voir E. R. Curtius, La litteèrature europeèenne et le Moyen A
reèeèd. 1991, chapitre XII et excursus VIII ; J. Lecointe, L' Ideèal et la Diffeèrence, chapitre II, p. 225 sq. ; Poeètiques de la Renaissance, p. 109 sq.
69
Poeètiques de la Renaissance, p. 134-135.
perrine galand
322
buaient aé l' intervention de la diviniteè (deum tunc adfuisse). Quintilien (II, 19), apreés Ciceèron (Pro Archia, 15) et Horace (Ad Pis., 408-411) insistait, deés le deèbut de l' Institution oratoire, sur la compleèmentariteè absolue de la nature et de l' art en matieére d' eèloquence
70
. On trouve trace,
chez Fonzio, qui se souvient probablement des Nutricia de Politien, de cette conception, eèquilibreèe entre divinitas, natura et ars, de l' inspiration : En tout premier lieu, la poeètique est chose divine, les poeétes sont divins et inspireès par une diviniteè ceèleste, c' est ce que je crois. En effet, la poeèsie, partie de Dieu, est descendue du ciel et a eèteè recueillie par les aêmes
pures
et
purifieèes :
voilaé
ce
que
nous
deècouvrirons,
si
nous
commenc°ons par ses deèbuts. Soit que notre monde, que nous voyons de nos yeux, avec ses eêtres vivants, ait existeè depuis toujours, soit que, d' abord en chaos, il ait tireè de Dieu cet ordre qui est aé preèsent le sien, dans ces premiers sieécles encore ignorants, il y eut un homme d' un geè nie remarquable qui, contemplant le ciel sublime, le cours du soleil, de la lune et des planeétes, contemplant les astres et les autres eètoiles, se mit aé admirer l' Ýuvre de la nature. Puis, apreés une longue inspection, observant la reècurrence deètermineèe des orbes planeètaires, l' ordre deètermineè du monde, il conclut qu' il existait un, et un seul, modeè rateur de l' univers, dont l' ordre reè gissait toutes choses [...]. Les poeétes sont les plus anciens de tous les eècrivains, les plus eèrudits dans tous les arts libeèraux et toutes les disciplines, les plus lieè s aux dieux immortels, voilaé ce que nous allons trouver. Ou bien vous ima ginez-vous que, sans posseèder la science de toute l' antiquiteè , sans posseèder la ma|êtrise compleéte et parfaite de l' art oratoire, de l' ornement, d' un style illuminant, sans la connaissance de toutes les branches et de la philosophie tout entieére, l' on pourrait eêtre meême un meèdiocre poeéte ? [...] Les poeétes, en veèriteè, sont eux-meêmes assureèment des eêtres nobles, honneêtes, bons, remarquables, empreints d' un excellent natu rel ; ils sont instruits parfaitement dans l' art, la pratique, la science de toutes choses ; ils sont aussi de treé s grands propheétes et theèologiens. Voilaé mon sentiment sur la poeètique et les poeétes
70
71
.
On trouve la meême ideèe dans le traiteè Du Sublime du pseudo-Longin, II, 1-3 (
i
er
s.
ap. J.-C.), dont la premieére eèdition, en grec, fut publieèe en 1554, mais qui circulait deés la fin du
xv
e
sieécle.
71 Ac primum omnium divinam rem esse poeticem, divinosque poetas et caelesti afflatos numine esse arbitror. Nam a deo profectam caelitus et in puras purgatasque mentes collapsam, si a suis primordiis ordiemus, inveniemus. Sive enim hic semper, quem oculis cernimus, cum suis animantibus orbis fuit, sive confusus prius hunc ordinem, quem nunc tenet, a deo sumpsit, rudibus illis primis adhuc saeculis vir quidam fuit ingenio excellenti qui caelum sublime, qui solis et lunae planetarumque cursum, qui sidera et stellas reliquas intuens naturae coepit opera admirari. Inde vero post longam inspectionem certas orbium vicissitudines, certumque prospiciens ordinem unum aliquem putavit esse universi moderatorem, cuius imperio omnia regerentur [...]. Poetas autem scriptorum omnium vetu-
aspects de l' influence de quintilien
323
On voit que Fonzio adopte comme point de deèpart la position d' Horace aé l' eègard de la compleèmentariteè de l' art et de la nature (Ad
Pis., v. 408-411), puis greffe sur le concept de û nature ý la theèmatique platonicienne de l' enthousiasme et sur celui de l' ars l' ideèal de savoir associeè aé une eèthique que deèveloppe l' Institution oratoire : poetae magni et
honesti et boni et excellentes profecto viri natura egregie informati ; artes, usu, scientia rerum omnium instructi atque perfecti. Lorsque l' humaniste aborde au livre II les officia poetica et la question de l' imitation, il adopte la position de Quintilien (X, 2, 4-10), qui ne conc°oit qu' une imitatio-aemulatio seèlective, et il recommande de suivre Virgile qui ne retint de Theèocrite, d' Heèsiode et d' Homeére que les meilleurs eèleèments pour les surpasser ensuite Quintilien (X, 1, 24-26)
73
72
. Toujours comme
, il recommande l' usage du iudicium, la fa-
culteè critique, pour eèviter de ne copier que les deèfauts, souvent plus faciles aé reproduire que les qualiteès. Plus loin, Fonzio prend comme base le fameux conseil horatien : Sumite materiam uestris, qui scribitis, ae-
quam / Viribus, û Choisissez, vous qui eècrivez, une matieére eègale aé vos forces ý (v. 38-39), deèjaé repris par Quintilien en VI, 5, 2 : ne quod effici
non potest aggrediamur et surtout en X, 2, 19 : tum in suscipiendo onere consulat suas vires, theéme eègalement deèveloppeè par Vadian dans son chapitre sur le iudicium
74
. Il compleéte ensuite le motif en recourant
toujours aé Quintilien qui, contaminant lui-meême plusieurs reèflexions de Ciceèron
75
, pour ne pas deècourager les disciples qu' il confronte aé
un ideèal d' eèloquence eèleveè, suggeére qu' il n' est pas indispensable de viser aé obtenir la premieére place, que la seconde ou la troisieéme sont honorables, pourvu que l' on vise aé donner le meilleur de soi-meême. Fonzio peut ainsi transporter le deèbat sur l' appreèciable û meèdiocriteè ý dans le domaine de l' imitation et des genres poeètiques : Or si l' on s' estime apte aé construire un si grand ouvrage [une eèpopeèe], il faut l' entreprendre hardiment. En effet les dieux et les deè esses, au grand complet, accorderont un heureux succeé s aé ceux qui n' auront
stissimos et eosdem cunctarum bonarum artium et disciplinarum eruditissimos et deorum immortalium amicissimos esse inveniemus. An putatis sine totius antiquitatis scientia, sine summa dicendi, exornandi, illustrandi copia, sine omnium facultatum et totius philosophiae cognitione posse quempiam esse vel mediocrem poetam ? [...] Poetae vero ipsi magni et honesti et boni et excellentes profecto viri natura egregie informati ; arte, usu, scientia rerum omnium instructi atque perfecti ; iidemque sunt prophetae summi atque theologi. Haec sunt quae sentio de poetice et poetis (p. 97-98).
72 73 74 75
Fonzio, eèd. Ch. Trinkaus, p. 112. Cf. Horace, Ep. Ad Pis., 128 ; 359 (eèd. Ch. Trinkaus, p. 112, n. 61). Cf. Vadian, eèd. P. Scha«ffer, p. 240. Ciceèron, Brut., 193 ; De or., I, 117 ; I, 185-187 ; III, 213 et surtout Orat., 4 et 6 ;
Quintilien, XII, 11, 25-27 ; 30.
perrine galand
324
point commenceè aé la leègeére si grand projet. Mais si celui qui s' est engageè sur la route pentue des Cameénes [Muses] un jour chancelle et s' abat, qu' il n' en eèprouve pas moins ses propres forces ; et, s' il ne va cille pas ni ne s' effondre aé chaque pas, mais si en marchant plus loin il se redresse et s' eèleéve, qu' il persiste dans son entreprise. En effet, ce qui semblait d' abord difficilement reèalisable, peu aé peu, l' habitude, le zeéle, l' ardeur de l' aême le rendront facile. Il n' est pas neècessaire, meême si l' on sait que l' on ne sera pas l' eègal d' Homeére ou de Virgile, d' eêtre effrayeè deés le deèbut du chemin. En effet, pourvu qu' on ne soit pas parmi les derniers, il sera glorieux d' eê tre vu au second ou au troisieéme rang [Orator, 4]. Bien qu' en effet `celui qui s' eècarte quelque peu du fa|ête, tende vers le plus bas degreè ' [Ad
Pis.,
378] et `qu' on ne puisse
autoriser la meèdiocriteè chez les poeétes comme chez les eècrivains de toutes les autres branches' [Ad
Pis.,
368-373], parmi ceux qui tendent
au fa|ête, l' un cependant deèpasse leègeérement l' autre. De tous les poeétes inspireès grecs, le plus grand (qui le nierait ?) est Homeé re. Mais Heèsiode n' est pas le plus humble. Le premier parmi les Latins est Virgile. Mais Ovide n' est pas parmi les derniers. Or si l' on se rend compte qu' eètant deèpourvu de ce geènie poeètique supeèrieur, tout en eètant pourtant muni de la connaissance de nombreux et nobles sujets et discipli nes, on ne pourra pas suffisamment inventer, orner, disposer les sujets les plus nobles, il vaut mieux, s' eèloignant du poeéme heèro|ëque, se porter vers des lieux plus humbles et entreprendre spontaneè ment ce vers quoi la nature nous entra|êne. Laé, ceux qui ne sont pas favoriseè s grandement par le geènie et la nature, se feront cependant un nom illustre graêce aé l' art et au zeéle, comme chez les Grecs Callimaque, qui valait moins par son geènie qu' il n' excellait par son art, aé ce que rapporte Ovide, et chez les noêtres, Horace, qui obtint par la science et l' exercice ce qu' il avait rec°u en moindre part de la nature. Voici ce qui sera utile en premier lieu, non seulement aux poeé tes, mais tout autant aux eècrivains des autres genres : une fois apaiseè le premier eèlan d' eècriture, relire souvent et beaucoup ce qu' on a eè crit, effacer freèquemment, s' appliquer aé limer et polir chaque jour de nombreux passages, tra vailler encore et encore les deètails, trouver du plaisir non dans le nombre et la multitude des vers eè crits, mais dans leur graêce, leur charme et leur eèleègance
76
.
76 Quod siquis tantae se struendae moli aptum crediderit, magno eam suspiciat animo. Nam dii
deaeque omnes tam grandia non temere orsis prosperos eventus dabunt. Verum camenarum ingressus acclive iter si quandoque labat et corruit, experiatur nihilo minus vires suas ; ac si non ad singulos gressus nutet et concidat, in pluribus se erigat et attollat, in inceptu persistat. Nam quae prius vix possibilia sunt visa, paulatim consuetudine, studio, ardore animi fient facilia. Neque vero si non futurum se parem Homero Virgiliove cognoverit, ab incepto itinere terreatur. Nam modo in postremis non sit, vel in secundis tertiisque conspici praeclarum erit. Quanvis enim paulum qui a summo di scesserit ad imum tendat, neque medium in poetis ut in caeteris artium scriptoribus concedatur, in summo tendentium alius alii tamen non nihil praestat. Maximus est enim Graecorum vatum (quis
325
aspects de l' influence de quintilien
Fonzio, chez qui l' on reconna|êt l' influence de l' anti-ciceèronianisme afficheè par Politien dans son
Oratio
sur Quintilien et Stace deèjaé citeèe,
semble aé la fois soucieux de ne pas deècourager l' eèleéve-poeéte, treés attentif aé la prise en compte de l' ingenium individuel dans la deèmarche creèative et convaincu, comme Horace et surtout Quintilien, de la perfectibiliteè de la nature par l' art. Du meême coup, une hieèrarchie inhabituelle s' instaure sur plan geèneèrique, puisque l' eèpopeèe n' appara|êt plus comme un modeéle absolu, ni meême
souhaitable
si elle ne s' harmo-
nise pas avec le geènie de l' eècrivain. Au contraire, Callimaque, Horace, Ovide, les neèo-alexandrins latins que caracteèrisent û leur graêce, leur charme et leur eèleègance ý, auteurs de genres û mineurs ý, sont revalorié seès. A cet eègard, cependant, le livre III, consacreè au catalogue des poeétes depuis les temps mythiques, ne preèsente plus le meême souci d' originaliteè. Fonzio y suit essentiellement Quintilien (X, 1, 46-72 ; 85-100
77
) et le livre III de Diomeéde le grammairien (iv
è p|être du theèaêtre latin, mais aussi l' E
aux Pisons,
et le
e
s.) aé propos
Chronicon
d' Euseébe.
Il choisit, comme Quintilien, de classer les poeétes par genre meètrique (eèpopeèe, poeèsie lyrique, iambes, eèleègie, diverses formes de theèaêtre) en seèparant les Grecs et les Latins et en pratiquant l' ordre chronologique, des poeétes mythiques aux poeétes latins. Son classement, assez strictement scolaire, ne laisse plus preèjuger de sa conception de l' imitation et ne para|êt refleèter aucune vision historiographique particulieére. En bref, chez Fonzio, l' influence de Quintilien, sans doute instilleèe par Politien, se superpose aiseèment aux preèoccupations eèthico-peèdagogiques
d' Horace
pour
permettre
aé
l' humaniste
de
nuancer
et
de
canaliser une conception neèo-platonicienne traditionnelle de la poeèsie, qui n' est meême pas emprunteèe au ma|être florentin du platonisme, Marcile Ficin.
neget ?) Homerus. At Hesiodus quoque non infimus. Princeps est Latinorum Virgilius. At non ta men in extremis Ovidius. Quod siquis poetico illo summo ingenio destitutus quantumvis multarum magnarumque rerum ac disciplinarum scientia instructus videat se fingendis, ornandis, disponendis rebus maximis non sufficere, ab heroico poemate referens pedem ad minora se conferat ; et ad quae magis natura trahitur, ultro suscipiat. In quis etiam qui non valde ingenio et natura adiuti sunt, artificio tamen et studio clarum et ipsi nomen obtinuerunt. Ut apud Graecos Callimachus, quem ingenio minus valuisse, arte excelluisse refert Ovidius. Et apud nostros Horatius doctrina et exercitio consecutus quod a natura sibi minus fuerat contributum. Illud quidem in primis non poetis modo sed reliquarum artium scriptoribus communiter proderit ; sedato primo scribendi impetu saepe ac multum sibi scripta relegere, stilum crebro convertere, limae instando multa quotidie terere, in singulis etiam atque etiam laborare, neque numero et multitudine versuum, sed gratia venere elegantiaque gaudere . 77 Voir Ch. Trinkaus, û The Unknown Quattrocento Poetics ý, p. 87 -94.
perrine galand
326
Rationalisme et virgilianisme chez Girolamo Vida Le traiteè de Vida est consideèreè par J. Lecointe comme la premieére de ce qu' il appelle les û poeètiques padouanes ý deèveloppeèes aé Rome, dont il a fourni une typologie, fondeèe sur les exemples de Vida, Trissino (1529), Daniello (1536) et Scaliger (1561) jusqu' au commentaire de Castelvetro (1570), ainsi que, pour la France, l' art poeètique de Peletier du Mans (1555), jugeè tributaire de Vida, comme Scaliger en
souligne
l' aspect
organiseè,
scolaire,
attestant
la
nostalgie
78
. Il
d' un
û ordre romain ý. Ces traiteès ont en commun l' imitation exclusive de Virgile, au deètriment de la liberteè individuelle de creèation, une vision plutoêt lineèaire et progressiste de l' histoire et une rationalisation de l' enthousiasme neèo-platonicien, qui ceéde le pas au labeur et aé la technique. On observe en effet chez Vida ces traits fondamentaux, aé l' exception de la conception progressiste de l' historiographie, mais ils me paraissent bien atteènueès en regard des traiteès qui suivront. C' est que l' influence de Quintilien (et sans doute du quintilianisme florentin et de Pontano, qui refuse de son coêteè le neèo-platonisme), que l' on a pu constater aé l' eèchelle du projet peèdagogique d' ensemble, se fait eègale-
78
J. Lecointe, L' Ideèal et la diffeèrence, chapitre IV, premieére section, p. 469-523. Ces
poeètiques virgilianistes, passionneèes de peèdagogie, visent, selon lui, aé û opeèrer une mise en ordre ý, une û restauration romaine ý, une û recomposition de l' espace culturel autour des valeurs d' uniteès, fuêt-ce au prix d' une limitation de la liberteè de creèation individuelle ý, qu' incarnait l' eèrasmisme (p. 519). Ces poeètiques û systeèmatiques ý accrochent autour de la seule imitation de Virgile, de l' idea virgiliana, une vision plutoêt progressiste de l' histoire (meême si perdure chez Vida le modeéle cyclique nostalgique qui rend Virgile indeèpassable), une rationalisation du theé me neèo-platonicien de la fureur associeèe deèsormais aux humeurs et au tempeèrament, et controêleèe par le travail, la diligentia, et par une vocation aé un encyclopeèdisme au moins superficiel (cependant, ces deux derniers points me semblent pouvoir provenir simplement de Quintilien). L' exposeè de la doctrine poeètique, û reèpugnant au deètail ý, y vise aé la fois l' ordre et la brieéveteè (pour Lecointe, Peletier fournit l' exemple meême d' un û abreègeè de poeètique padouane ý), selon la conception aristoteèlicienne d' une science de l' universel (p. 483). Une attention parti culieére est apporteèe aé la normalisation, notamment aé la classification des genres litteèraires, ou é le genre eèpique, associeè aé la maiestas, devient l' eètalon, tandis que la tripartition geèneèrico-stylistique traditionnelle tend aé s' effacer au profit d' une poeètique û qualitative ý, qui prend en compte les seules virtutes du style (p. 511). Une telle estheètique s' oppose
fortement
aé
celle
qu' E è rasme
a
heèriteèe
de
Politien
et
du
quintilianisme,
que
caracteèrise, selon Lecointe, la festivitas, terme ciceèronien qui deèsigne une vivaciteè d' esprit proche du comique, un sens inneè de la mimesis de la varieèteè (p. 444). Cet ideèal de maiestas, cependant, eètroitement associeè aé la vertu d' efficacia, aé la puissance visuelle de l' image, tendra, deés Vida, aé faire glisser les poeètiques padouanes du docere au delectare, de l' ideèalisme aé un illusionnisme peu aé peu deètacheè de la substance des choses, tandis que la poeèsie, en rupture avec la tradition du vir bonus, û tend vers l' amoralisme ý, avec Bembo, Dolet et Scaliger notamment (p. 522).
327
aspects de l' influence de quintilien
ment preègnante dans les grands traits de la doctrine et suffirait peuteêtre aé les expliquer. Vida deètaille, au livre II, 395-454, les meècanismes de l' inspiration. La critique a releveè le soin qu' apporte l' humaniste aé brider en quelque sorte le caracteére surnaturel et incontroêlable du pheènomeéne : Et quand les aêmes sont saisies d' une fureur sacreèe, toute-puissante ? Car l' aême se conduit de diverses manieé res, et dans notre poitrine Naissent des eèmotions qui d' un moment aé l' autre diffeérent fortement, Soit parce que le ciel preèsente au fil des heures des changements d' aspect, Et que le cÝur humain conna|êt en meême temps aussi des changements ; Soit
parce
que
souvent
les
sens
ne
reèagissent
plus
aussi
promptement Lorsqu' ils sont eèpuiseès par l' effort, que l' esprit faiblit avec le corps, Soit parce que tantoêt nous sommes deèlivreès des soucis et des peines, Tantoêt quelque tourment cacheè aé l' inteèrieur nous frappe et nous attriste. Oui, mais ce sont plutoêt les dieux qui dans nos aêmes infusent cette ardeur, Plutoêt les dieux ; aussi, bienheureux est celui qui s' est montreè capable D' attendre le moment oué arrive le dieu et la fieévre sacreèe, Et de soustraire un temps son esprit aé l' ouvrage qu' il avait entrepris, Jusqu' aé ce que le ciel, se meètamorphosant, redevienne cleèment. Le moment convenable viendra spontaneè ment (pas de convocation !). [...] Souvent le meême sort est le lot des poeétes priveès de certitude. Parfois
l' eèpuisement
de
leurs
forces
les
rend
incapables
d' eècrire, Leur vigueur s' est eèteinte, et leur esprit n' a plus d' inteè reêt pour l' eètude. Leurs sens se paralysent, partout dans leur poitrine, glaceè , le sang se fige. On dirait que les Muses ont deèserteè les lieux sans espoir de retour
perrine galand
328
Et que Pheèbus lui-meême jamais ne reviendra dans les cÝurs fa miliers, Tant les Cameénes, tant Apollon, leur patron, leur refusent toute aide. Heèlas ! combien de fois un poeéte essaie-t-il vainement de reprendre La taêche coutumieére, sans voir que contre lui le ciel bande ses forces, Et qu' il doit affronter la puissance implacable de la diviniteè . Mais il s' en est trouveè un qui plus d' une fois reècupeèra le souffle Tant souhaiteè en chantant les Ýuvres poeètiques des aeédes anciens, Et qui fit peu aé peu entrer dans son esprit la douceur de l' amour, Jusqu' aé ce que ses forces se trouvent rassembleèes, son esprit restaureè, Et que revienne sa vigueur : ainsi apreés la pluie et les nuages Laé-haut le soleil brille de mille feux. D' oué vient un tel eèclat soudain Dans le ciel ? Un dieu, oui, c' est un dieu, vient assieè ger son cÝur ; Le voilaé qui s' enfonce, s' insinue dans ses veines, au plus pro fond des membres Se reèpand, et secoue en son sein les brandons d' un feu deè vastateur. Une pousseèe de fieévre surgit, irreèsistible, la flamme aé l' inteèrieur Seèvit avec violence, et le dieu se deè meéne aé travers tout son corps. Et lui, dans son extase, il profeére des mots qui ne sont pas les siens, Il n' est plus homme, il a des accents stupeè fiants ; cette flamme il ne peut L' arracher ; stupeèfait, sans le vouloir, il va, il se laisse entra|êner En aveugle ; il t' appelle, Pheèbus, toi qui l' accables, Pheèbus, il te demande En poussant de grands cris, il est rempli du dieu, un aiguillon l' excite Sans le moindre reèpit ; plus question de repas, plus question de repos Ni de sommeil, il n' y songe pas ; il ne peut chasser ce qui l' ob seéde. [...]
329
aspects de l' influence de quintilien
Prends garde cependant, oê enfant, ne te fie pas trop aé cette ardeur ! Tu n' as pas permission de toujours te laisser aller aé la fortune, Au souffle qui te prend, quand la diviniteè se deècha|êne, en ton cÝur nstalleèe : que plutoêt la raison, l' attention opposent reèsistance ; Mets un frein au deèlire agitant ton esprit, convoque-le aux ordres, Apprends aé le tenir en bride, et sois prudent quand tu laê ches les reênes. Et pour cette raison toujours, dans ces cas -laé nous conseillons d' attendre Jusqu' aé ce que ton aême ait retrouveè la paix et qu' elle ait reèprimeè Tous ses eèlans. Alors, d' un cÝur rasseèreèneè, retourne voir, reprends Tout
ce
aveugle
79
qu' aé
ton
esprit
est
venue
proposer
une
passion
.
L' attitude de Vida me para|êt ici nettement calqueèe sur celle de Quintilien, lorsqu' il eèvoque l' improvisation au livre X, 7. Les deux
79 Quid quum animis sacer est furor additus, atque potens vis ? / Nam variant species animorum et pectora nostra / Nunc hos, nunc illos multo discrimine motus/ Concipiunt, seu quod caeli mutatur in horas / Tempestas, hominumque simul quoque pectore mutant, / Seu quia non iidem respondent saepe labore / Sensus effoeti atque animus cum corpore languet, / Seu quia curarum interdum vacuique doloris, / Interdum tristes caeco intus tundimur aestu. / Dii potius nostris ardorem hunc mentibus addunt / Dii potius, felixque ideo qui tempora quivit / Adventumque dei, et sacrum exspectare calorem, / Paullisperque operi posito subducere mentem, / Mutati donec redeat clementia caeli. / Sponte sua veniet iustum (ne accersite) tempus. [...] / Sors eadem incertis contigit saepe poetis. / Interdum exhaustae languent ad carmina vires, / Absumtusque vigor, studiorumque immemor est mens. / Torpescunt sensus, circum praecordia sanguis / Stat gelidus, credas penitus migrasse Camoenas / Notaque numquam ipsum rediturum in pectora Phoebum, / Nil adeo Musae, nil subvenit auctor Apollo. / Ah quoties aliquis frustra consueta retentat / Munera, nec cernit caelum se tendere contra, / Adversosque deos atque implacabile numen ! / Quidam autem inventus qui saepe reduceret auras / Optatas veterum cantando carmina vatum, / Paullatimque animo blandum invitaret amorem, / Donec collectae vires animique refecti / Et rediit vigor ille, velut post nubila et imbres / Sol micat aethereus. Vnde haec tam clara repente / Tempestas ? Deus ecce deus iam corda fatigat, / Altius insinuat venis, penitusque per artus / Diditur, atque faces saevas sub pectore versat. / Nec se iam capit acer agens calor igneaque intus / Vis saevit, totoque agitat se corpore numen. / Ille autem exsultans iactat iam non sua verba, / Oblitusque hominem, mirum sonat. Haud potis ignem / Excutere, invitum miratur se ire, rapique / Praecipitem te, Phoebe, vocans, te, Phoebe, prementem / Vociferans, plenusque deo stimulisque subactus / Haud placidis. Non ille dapum, non ille quietis, / Aut somni memor hanc potis est deponere curam. / [...] Ne tamen ah nimium, puer o, ne fide calori. / Non te fortuna semper permittimus uti, / Praesentique aura, saevum dum pectore numen / Insidet, at potius ratioque et cura resistat ; / Freno siste furentem animum et sub signa vocato, / Et premere et laxas scito dare cautus habenas. / Atque ideo semper tunc exspectare iubemus, / Dum fuerint placati animi, compressus et omnis / Impetus. Hic recolens sedato corde revise / Omnia, quae caecus menti subiecerint ardor.
perrine galand
330
peèdagogues se montrent aé la fois fascineès et effrayeès par cette dimension eètonnante de leur art, qui appara|êt au rheèteur latin comme û le plus grand fruit qu' on puisse retirer des eètudes ý, maximus uero studiorum fructus (X, 7, 1), et qu' il rapproche, on l' a vu, comme le faisait Ciceèron, de l' enthousiasme
80
. Chacun des deux ma|êtres y voit aé la
fois une occasion de glorifier sa pratique et aussi le danger d' une perte de contro ê le, et s' efforce de preèsenter avec preècaution cette irruption du naturel ou du surnaturel dans la doctrine. La structure du passage de Vida en teèmoigne. La peinture de la possession divine proprement dite est encadreèe par deux passages rationalisants, dont le premier eèvoque la possibiliteè d' attribuer le processus aé l' astrologie (l' ideèe remonte aé Boccace) ou aé des causes psycho-physiologiques, les humeurs changeantes du corps, la diversiteè des affects ; le theéme est relanceè aé la fin du passage avec l' eèvocation du reêve. On pense aux theèories de Quintilien sur la phantasia, productrice, au greè des obsessions et des hantises de l' orateur, de visiones, songes eèveilleès qui peuvent se reèveèler treés feèconds et geèneèrateurs de l' enargeia, pourvu qu' ils soient maintenus sous le controêle absolu de la volonteè
81
. On ne peut manquer non
plus de reconna|être l' influence de Politien, toujours prompt aé rationaliser la poeètique et si attentif aux mutations continuelles de l' aême humaine sous l' influence du kairos
82
. Quant aé la conclusion du passage,
ou é Vida recommande aé l' eèleéve-poeéte de û reèsister ý aé l' aide de sa raison et de son attention au calor º et ce terme meême nous renvoie aé Quintilien et aé Stace prendre
le
83
º, puis d' attendre le retour de l' apaisement pour re-
texte,
elle
appara|êt
incontestablement
inspireèe
par
Quintilien, X, 7, 14 et X, 3, 6, ou é le rheèteur deècrit la retombeèe et le û refroidissement ý de l' eèlan creèateur, et la neècessiteè de reprendre ce que l' on a eècrit. L' eèvocation de la paralysie provisoire du poeéte devant sa page blanche permet aussi aé Vida de suggeèrer une origine laborieuse
du
furor,
la
lecture.
L' humaniste
laé
encore
se
souvient
probablement de la silve Nutricia (v. 188-192), ou é Politien, juste apreés avoir peint l' oestrus, suggeére qu' il est la conseèquence de la û contagion
80 81
Voir ci-dessus. Inst., X, 7, 15. Sur l' enargeia chez Quintilien et son utilisation par les humanistes,
voir mon livre Les Yeux de l' eèloquence. Poeètiques humanistes de l' eèvidence, Orleèans - Caen, 1995 (L' Atelier de la Renaissance).
82
Voir le chapitre VII de mon livre Le Reflet des fleurs. Description et meètalangage poeè-
tique d' Homeére aé la Renaissance, Geneéve, 1994 (Travaux d' Humanisme et Renaissance 283), et la lettre deèdicatoire de Politien aé Pierre de Meèdicis, fils du Magnifique, au deèbut de son Epistolario (Opera Omnia, Venise, Alde, 1494).
83
Voir mon article citeè û Quelques co|ëncidences (paradoxales ?) ý.
aspects de l' influence de quintilien
331
divine ý que recueillent les poeétes lorsqu' ils manipulent les vieux pa-
pyri empreints du souffle de Phoebus : Eux-meêmes longtemps confieès aux chartes du Nil, Les poeémes º on peut le voir º exhalent encore les fureurs pheèbeèennes Et les sons de la lyre ceèleste ; bien plus, la foule qui les lit Est frappeèe, en une contagion sacreèe, d' une eèmotion semblable Et, passant des uns aux autres, la meê me ardeur ensemence Les poeétes, incitant leur cÝur
84
Comme l' a bien vu S. Rolfes
[...]
85
, le theéme de la lecture inspiratrice
eètait du reste deèjaé explicitement deècrit par le pseudo-Longin, dans le traiteè Du Sublime (XIII, 2-3) proche de Quintilien aé bien des eègards
86
,
ou é la lecture et l' imitation des anciens se trouvent compareèes aux oracles de la Pythie : Car beaucoup sont transporteès par un souffle eètranger, de la meême fac°on que, selon ce qu' on raconte, la Pythie, quand elle s' approche du treèpied ; il y a laé une breéche dans la terre qui exhale, aé ce qu' on dit, un souffle divin ; deés lors, devenue enceinte de la puissance divine, sur le champ, elle rend des oracles selon l' inspiration. Ainsi de la grandeur naturelle des Anciens, vers les aêmes de leurs eèmules, comme d' ouvertures sacreèes montent des effluves ; peèneètreès de leur souffle, meême les moins capables de propheètiser s' enthousiasment en meême temps sous l' effet de la grandeur des autres
87
.
Pour S. Rolfes º qui ne perc°oit pas cependant la distance ironique du Florentin aé l' eègard du neèo-platonisme º Politien suit sur ce point Longin et Vida suit les deux auteurs
88
. Le traiteè Du Sublime n' a eèteè
eèditeè, comme on sait, qu' en 1554 par F. Robortello, mais il circulait manuscrit aé la fin du Quattrocento. Il a peut-eêtre en effet pu eêtre lu
84 Ipsaque niliacis longum mandata papyris / Carmina phoebeos videas afflare furores / Et caeli spirare fidem ; quin sancta legentem / Concutiunt parili turbam contagia motu / Deque aliis alios idem proseminat ardor / Pectoris instinctu vates [...]
85
S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 212. Voir l' analyse que donne cet auteur du furor
et du statut du poeta-vates chez Vida, au chapitre 7 : û Kunstlehre und inspiriertes Scho« pfertum ý, p. 207-224. Le chapitre contient de bonnes remarques, mais il est regrettable que l' auteur ne semble pas conna|être le livre citeè de J. Lecointe, l' Ideèal et la Diffeèrence, ou é la question du genius, notamment, est longuement abordeèe.
86
Voir la preèface de F. Goyet aé son eèdition du Traiteè du Sublime, donneè avec la tra-
duction de Boileau, Paris, 1995, p. 9, oué Goyet souligne aé juste titre que, pour les lecteurs de la Renaissance, Longin eètait û banal ý, comme deèjaé pour Quintilien.
87
Pseudo-Longin, Du Sublime, XIII, 2-3, traduction, preèsentation et notes par J. Pi-
geaud, Paris, 1991 (Petite Bibliotheéque Rivages), p. 77.
88
S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 213.
perrine galand
332 par Politien et Vida
89
. Quoi qu' il en soit, la description de Politien,
qui s' inspire eègalement des commentaires de Platon sur les aeédes et les rhapsodes dans Ion, et de la fameuse comparaison de l' imitation avec une cha|êne d' anneaux aimanteès
90
, vise, comme le reste du passage, aé
rationaliser aé la manieére de Quintilien le furor par le labor. Chez Vida, la peinture meême de la fureur neèo-platonicienne renvoie autant aé la
è neèide (le vers 429 peinture virgilienne de la Sibylle au chant VI de l' E è neèide, VI, 46 : de Vida : Deus ecce deus iam corda fatigat est un calque d' E deus ecce deus !) et aé la description ambigue« que donne Politien du poeéte en transe qu' aux textes meêmes de Platon ou de Marsile Ficin
91
.
Ainsi meême la repreèsentation de l' intervention divine appara|êt surtout comme le fruit de l' innutrition et de l' imitatio-aemulatio aé laquelle Vida invite son lecteur au livre III. La partie que l' humaniste consacre, dans ce meême livre, aé l' imitation (v. 185-250)
92
trahit encore la profonde influence des theèories de
Quintilien sur lui : Comment
y
parvenir ?
Observe
le
chemin
qu' ont
pris
les
vieux poeétes, Il te l' enseignera ; va voir les monuments des anciens : que tes yeux, Ton esprit les parcoure souvent, tourne et retourne un bon nombre d' entre eux. Alors, s' il en est un qui se montre de loin supeè rieur aé tous, Apprends aupreés de lui les vertus, la meèthode qui font un eècrivain, Si tu veux m' eècouter, et fais tous tes efforts pour parvenir aé eêtre Toujours semblable aé lui et calquer ton allure et tes pas sur sa marche, Autant que le permet le sort et qu' Apollon ne s' y oppose pas.
89
F. Robortello, Dionysi Longini rhetoris praestantissimi liber de grandi sive sublimiorationis
genere ... cum adnotationibus, Baêle, 1554. Voir les eèditions de D. A. Russell, Longinus' on the Sublime, Oxford, 1964, et de C. M. Mazzucchi, Milan, 1992.
90
La comparaison avec les anneaux aimanteè s intervient immeèdiatement apreés le texte
citeè.
91 92
Williams mentionne aussi Castiglione. La partie que S. Rolfes consacre aé l' imitation (p. 187-206) º dont je m' inspire ici
pour une part º est inteèressante, meême si elle comporte des inexactitudes (par exemple, contrairement aé ce que l' auteur affirme p. 189, la poeèsie n' eètait pas soumise aé l' exclusive imitation de Virgile et d' Homeére ; en revanche Vida n' eètait pas le premier aé conseiller l' imitation virgilienne (p. 190), Pontano l' avait fait avant lui, dans l' Actius notamment).
aspects de l' influence de quintilien
333
Mon but n' est pourtant pas de te dissuader d' aller pendant ce temps Reconna|être les Ýuvres des autres eècrivains, recueillir au passage Des phrases remarquables et de puiser chez tous un treè sor varieè. Sans heèsiter, aé l' Ýuvre d' un poeéte mal leècheè je ferais de freèquentes Et prudentes visites, en cherchant avec soin, au cours de ma lecture, Si ne s' y montrent pas, par hasard, quelques phrases que je pourrais inclure En les accommodant, parmi mes propres vers, et que sous de meilleurs Auspices, je pourrais bientoêt faire servir aé mon usage propre, En les nettoyant bien de la rouille rugueuse amasseè e par les ans. [...] Voilaé pourquoi toujours c' est aupreé s des anciens que nous devons apprendre Comment nous exprimer, eux dont nous butinons les paroles en or Et que nous deèpouillons avec aviditeè de leurs plus beaux fleurons. Vois comme ce butin, ce qui fait des anciens l' eè clat, nous l' adaptons A notre propre usage. Nous reprenons tantoê t leurs inventions brillantes, Tantoêt l' encha|ênement, l' esprit de leurs propos, parfois les mots eux-meêmes : Il n' y a pas de honte aé parler quelquefois par la bouche d' autrui. Mais quand tu te permets des larcins aé l' encontre d' un poeéte accompli, Prends bien des preècautions, n' oublie pas de cacher tes emprunts en changeant Les marques des vocables, et trompe tes lecteurs en apportant aé l' ordre Des modifications. Que l' aspect, l' apparence soient tout aé fait nouveaux. Ce travail acheveè (il ne faut pas longtemps), c' est aé peine toimeême Si tu reconna|êtras, ainsi changeès, les mots du poeéte ancien. Souvent certains commettent ouvertement leurs vols, deè sirant appara|être
perrine galand
334
Intreèpides aé tous, et de leur larcin meême ils tirent de la gloire S' ils sont pris sur le fait ; soit, reprenant les mots sans changer l' ordre en rien, Ils leur ont attribueè, avec beaucoup d' adresse, un sens treés diffeèrent Et les ont deèpouilleès, en toute impuniteè, de leur aême premieére ; Soit, bruêlant du deèsir d' en deècoudre, ils s' en prennent aé des proprieèteès Depuis longtemps aux mains des anciens, mais mal exploiteè es ; victorieux, Ils trouvent du plaisir aé les leur arracher pour mieux les employer. C' est comme les reècoltes : en les changeant de sol, nous obser vons souvent Que, transplanteèes, les pousses se dressent vers le ciel avec plus de vigueur. Les fruits eègalement, lorsqu' ils oublient la seéve dont ils se nourrissaient Muêrissent mieux [...] Donc allez-y, enfants, disposez-vous sans crainte aé commettre des vols Tous ensemble aé ma suite, et livrez-vous partout aé des deètournements. Car il est malheureux (il ne s' en est pas moins trouveè beaucoup d' exemples), Celui qui, l' imprudent, se fiant aé ses forces, aé son habileteè, Comme s' il n' avait nul besoin d' aide exteè rieure, refuse effronteèment De suivre les anciens dont les traces sont suê res : de faire du butin Il s' est trop abstenu, heèlas, voulant laisser intact le bien d' autrui. C' est laé un vain scrupule, un souci qui n' est point approuveè par Pheèbus
93
.
93 Quo fieri id possit, veterum te semita vatum / Observata docebit. Adi monimenta priorum / Crebra oculis, animoque legens et multa voluta. / Tum quamvis, longe si quis supereminet omnes, / Virtutem ex illo ac rationem discere fandi / Te iubeam, cui contendas te reddere semper / Assimilem, atque habitus gressusque effingere euntis / Quantum fata sinunt et non aversus Apollo. / Haud tamen interea reliquum explorare labores / Abstiteris vatum moneo suspectaque dicta / Sublegere et variam ex cunctis abducere gazam. / Nec dubitem versus hirsuti saepe poetae / Suspensus lustrare et vestigare legendo, / Sicubi te quaedam forte inter commoda versu / Dicta meo ostendant, quae mox melioribus ipse / Auspiciis proprios possim mihi vertere in usus / Detersa prorsus prisca rubigine scabra. / [...] Atque ideo ex priscis semper quo more loquamur / Discendum, quorum depascimur aurea dicta, / Praecipuumque avidi rerum populamus honorem. / Aspice ut exuvias veterumque insignia
335
aspects de l' influence de quintilien
Assureèment, Vida, aé premieére vue, prend ici clairement position dans la querelle du ciceèronianisme deèclencheèe par Politien, puisqu' il revendique Virgile comme modeéle unique. Il construisait deèjaé, du reste, au livre I, 134-215, sa vision de l' histoire litteèraire sur une alternance de cycles qui culminent avec l' eèpoque virgilienne, tandis que la poeèsie, toutefois, semble destineèe aé rena|être aé l' eèpoque meèdiceèenne. Mais on le voit tout de meême treés proche des perspectives de Quintilien sur l' imitation
94
. Comme le rheèteur, il en affirme la neècessiteè,
tout en ne la concevant que comme une eèmulation feèconde, soigneusement contro ê leèe par l' exercice du
iudicium
(cf. Quintilien, X, 2, 14),
ou é le modeéle joue surtout le ro ê le d' un terreau beèneèfique qui permet au poeéte deèbutant de cultiver et d' eèpanouir son talent individuel. Il conseille de ne s' attacher qu' aé un seul modeéle, Virgile, alors que Quintilien voit dans cette meèthode plusieurs inconveènients : l' impossibiliteè de s' approprier parfaitement les traits stylistiques d' un autre, et
aussi
la
perte
de
la
varieèteè
des
ressources
que
procurerait
au
contraire une imitation eèclectique (X, 2, 23-26). Vida cependant ne s' achemine qu' avec prudence dans la voie de l' imitation unique. En reèaliteè, on neèglige trop souvent le fait qu' il ne la preèsente que comme une eètape peèdagogique provisoire, reèserveèe aux jeunes eèleéves dont les capaciteès manquent encore de soliditeè pour s' attaquer aé plusieurs modeéles aé la fois. C' est ce que montrent dans le passage citeè les vers 193201, que l' on peut comparer aé certaines affirmations du livre I (208215) :
nobis / Aptemus. Rerum accipimus nunc clara reperta / Nunc seriem, atque animum verborum, verba quoque ipsa / Nec pudet interdum alterius nos ore loqutos. / Quum vero cultis moliris furta poetis, / Cautius ingredere et raptus memor occule versis / Verborum indiciis atque ordine falle legen tes / Mutato. Nova fit facies, nova prorsus imago. / Munere (nec longum tempus) vix ipse peracto / Dicta recognosces veteris mutata poetae. / Saepe palam quidam rapiunt cupiuntque videri / Omnibus intrepidi ac furto laetantur in ipso / Deprensi, seu quum dictis nihil ordine verso / Longe alios iisdem sensus mira arte dedere, / Exueruntque animos verborum impune priores, / Seu quum certandi priscis succensa libido, / Et possessa diu sed enim male condita victis / Extorquere manu iuvat, in meliusque referre. / Ceu sata mutatoque solo felicius olim / Cernimus ad caelum translatas surgere plantas. / Poma quoque utilius succos oblita priores / Proveniunt.
[...]
Ergo agite o mecum securi, accingite fur-
tis / Una omnes, pueri, passimque avertite praedam. / Infelix autem (quidam nam saepe reperti) / Viribus ipse suis temere qui fisus et arti, / externae quasi opis nihil indigus, abnegat audax / Fida se qui veterum vestigia, dum sibi praeda / Temperat heu nimium, atque alienis parcere crevit, / Vana superstitio, Phoebi sine numine cura. 94 S. Rolfes (Die lateinische Poetik,
p. 190-191) attribue aé la lecture de Quintilien l' inteè-
reêt de Vida pour un eèclectisme poeètique, une fois les bases acquises chez Virgile, et aé Longin
(XXXV, 2 ;
IX, 1
et
XIII, 2-3)
son
insistance
sur
l' inclination
naturelle
de
l' homme aé l' imitation º mais les propos de Quintilien sur l' imitation (X, 2) et son opti misme quant aé la perfectibiliteè humaine me semblent, sur ce point, un modeé le suffisant.
perrine galand
336
Il faut par conseèquent que ta veèneèration aille aé Maron d' abord, Que tu le suives seul et, comme tu le peux, que tu prennes ses traces. Si jamais aé lui seul il ne peut te fournir tout ce que tu demandes, Ajoute-lui aussi les poeétes qu' il eut comme contemporains. arreête-toi
Mais
laé,
enfant,
ne
cherche
pas
d' enseignement
chez
d' autres, Evite qu' un deèsir si insenseè d' apprendre ne s' empare de toi. Il sera temps bientoêt, quand tu auras atteint un aêge plus solide, Qu' on t' accorde d' aller, sans encourir de risque, jeter un Ýil sur tous
95
.
Cependant, si l' on consideére l' ensemble du traiteè, la perfection du modeéle
virgilien
ne
saurait
eêtre
remise
en
cause
et,
comme
le
remarque avec justesse S. Rolfes, les eèleèments aé glaner chez d' autres auteurs (classiques) ne semblent devoir servir que de û Materialsammlung ý
96
, non destineèe aé modifier fondamentalement la creèativiteè du
poeéte apprenti. En ce qui concerne la meètaphore du poeéme-furtum, S. Rolfes esquisse eègalement un rappel inteèressant de la litteèrature consacreèe au plagiat dans la socieèteè de la Renaissance, avant de deègager avec raison l' ironie provocatrice du propos de Vida, qui appelle preèciseèment ses eèleéves-poeétes aé pratiquer le larcin litteèraire si
le
poeéte se prononce
avoueèe, source de gloire
surtout en faveur d' une 98
97
. En effet
imitation-pillage
, c' est parce qu' elle permet de mesurer la
qualiteè de l' eèmulation et de l' originaliteè mises en Ýuvre º conformeèment, laé encore, aux conseils de Quintilien (X, 2, 4-10).
Vadian Vadian consacre aé l' inspiration la seconde partie de son traiteè (chapitres IX aé XV), juste apreés avoir reècapituleè l' histoire de la poeèsie. Il suffit de lire les titres de ces chapitres pour voir se dessiner l' influence de Quintilien º et celle d' Horace º, habilement orienteèes vers la doctrine neèo-platonicienne : IX : Naturane an ars Poetam faciat ?
95 Ergo ipsum ante alios animo venerare Maronem, / Atque unum sequere, utque potes, vestigia serva ; / Qui si forte tibi non omnia sufficit unus, / Adde illi natos eodem quoque tempore vates. / Parce dehinc, puer, atque alios ne quaere doceri, / Nec te discendi capiat tam dira cupido. / Tempus erit, tibi mox quum firma advenerit aetas, / Spectatum ut cunctos impune accedere detur.
96 97
S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 203.
Voir notamment p. 199-201. Sur l' imitation-furtum, voir aussi M. Bizer, La Poeèsie au miroir. Imitation et conscience de soi dans la poeèsie latine de la Pleèiade, Paris, 1995, chapitre 1, que ne conna|êt pas S. Rolfes (voir p. 198, n. 885).
98
Comme chez Du Bellay, Deffense et illustration de la langue franc°aise, û Conclusion de
tout l' Ýuvre ý : û Pillez moy sans conscience les sacrez Thesors de ce Temple... ý.
337
aspects de l' influence de quintilien
X : Quanta naturae in omnium artium consummatione maiestas sit et potentia. XI : Quanta sit artis praestantia et firmitas, quamque facile sit labi na turae confidentibus arte neglecta. XII : Quanta sit exercitii vis in omni re. XIII : De extemporalitate quam parit usus. XIV : De furore Poetico et quid per eum intelligendum. XV : Quod solitudo Poetarum studiis maxime oportuna sit.
Plus proche aé cet eègard de Fonzio que de Vida, Vadian, peèdagogue dont les preèoccupations religieuses et morales affleurent tout au long de son art poeètique, revendique sans ambiguiteè le caracteére divin (chreètien) de l' inspiration et de la vocation poeètique, sans renoncer pour autant aux theèories de Quintilien (X) sur l' aptitude aé l' improvisation que procure l' innutrition. La dispositio de son enseignement appara|êt inverse de celle de Vida : le chapitre introducteur (IX) s' appuie sur la fameuse reèflexion d' Horace (Ad Pis., 408-411 ; citeè par Vadian, p. 85 ;
cf.
Quintilien,
II, 19 :
Natura an doctrina plus ei conferat, et
Ciceèron, De oratore, I, 107-159 ; Pro Archia, 15) sur la part respective de l' art et de la nature (Natura fieret laudabile carmen an arte / Quaesitum
est...), pour conclure
aé
l' absolue
compleèmentariteè
des
deux :
ex
utriusque copulatione absoluta et sibi constans Poeticae effigies efformetur (p. 85). Le chapitre veèritablement conclusif (XIV)
99
explique com-
ment il est possible º et neècessaire º de concilier la theèorie platonicoficinienne du furor avec les prescriptions des chapitres preèceèdents sur l' exercice : ne aut artem abicere furoris divinitas aut furorem elidere artis
evidentia videatur, quod quidem necessario contingeret, si haec putata diversitas boni sensus interpretationem non acciperet
100
(p. 100). Entre ces deux passa-
ges, qui confirment le caracteére sacreè de la pratique poeètique deèjaé attesteè par son histoire (dans la partie I), Vadian deèveloppe aé loisir, aé l' aide d' exemples contemporains notamment, la doctrine de Quintilien sur l' improvisation, qu' il n' envisage que comme pure technique. Au chapitre XIV, Vadian expose donc les principaux points de la doctrine ficinienne d' apreés le Pheédre et l' Ion (les quatre deèlires, la contagion poeètique) et puise d' autres teèmoignages sur le furor chez Ciceèron (aé propos de Deèmocrite : De inv., I, 37, 80 ; Pro Archia, 18 ;
99
Le chapitre XV qui termine la partie comporte des consideè rations compleèmentaires
sur le roêle spirituel et religieux du poeéte, qui le preèdestine souvent aé un isolement feècond et aé la vie contemplative, aé la diffeèrence de l' orateur dont le roêle est politique.
100
û Pour eèviter que la diviniteè de la fureur ne semble rejeter l' art, ou l' eèvidence de
l' art eècraser la fureur, ce qui arriverait ineèvitablement si cette contradiction supposeè e ne recevait pas une explication satisfaisante ý.
perrine galand
338
Tusc., I, 26, 64), Strabon (Geogr., I, 2, 3 sq.), Ovide (A.A., III, 347-350 et Fastes, VI, 3-8), Virgile (Buc., V, 45), Horace (Ad Pis., 296). Il authentifie finalement ces propos en citant la description que donne Maffeo Vegio, poeta et theologus
101
(p. 102), de l' inspiration comme
pheènomeéne ceèleste, et reèfute les û jaloux et les ignorants ý, lividi et
inepti, qui attribuent ce pheènomeéne aé une influence deèmoniaque. Une fois eètabli le caracteére ceèleste du furor, Vadian explicite l' ideèe º deèjaé brieévement exposeèe chez Fonzio º que, sauf certaines exceptions que l' humaniste ne reècuse pas, ou é l' ars ne semble avoir aucune part dans la creèativiteè (p. 105), l' inspiration consiste d' abord en une aptitude naturelle aé un apprentissage treés rapide de l' art et d' une culture encyclopeèdique.
Platon,
eètonneè
par
cette
faculteè
parfois
stupeèfiante
d' acquisition du savoir, y avait reconnu aé juste titre l' intervention divine. Vadian commente : Cela, comme je l' ai dit, me para|êt devoir eêtre rapporteè aé la puissance de la treés efficace nature, qui fait qu' une aême bien neèe avale et absorbe l' art qui lui a eèteè juste montreè, rendant immeèdiatement intelligible tout ce qu' elle a pu apprendre
102
.
et il explique ainsi les leègendes d' Heèsiode rencontrant les Muses et d' Ennius reêvant que l' aême d' Homeére passait en lui. Il faut donc cultiver l' art pour perfectionner sa nature et la rendre reèceptive au furor Plus
loin,
il
avance
une
û hypotheése ý
(coniectura)
qu' il
103
.
donne
comme personnelle : Cette fureur meême reconnue par Platon [...] est la graêce de l' Esprit Paraclet qui descend du sein du Peé re et vient emplir le cÝur des hommes, dispensant la lumieére, l' intelligence et la science, dont la preèsence a su cultiver les cÝurs incultes des Apoê tres par la doctrine et la veèriteè de la foi
104
.
Enfin, s' appuyant sur des citations d' Augustin, Vadian rappelle que meême les poeétes pa|ëens ont eèteè toucheès par cette graêce de l' inspiration et il avertit les poeétes contemporains, qui ont la chance d' eêtre
101
Maffeo Vegio, De perseverantia Religionis libri septem, Paris, 1511, et Philalethes seu
veritas invisa exulans, Dialogus, Vienne, 1516. Les reèfeèrences donneèes ci-dessus sont celles de l' eèdition Scha«ffer.
102 Id, ut dixi, ad efficacissimae naturae vim referendum intelligerem qua fit, ut ostensam saltem
sibi artem mens nata deglutiat et absorbeat, continuo clariora faciens quaecunque didicerit (p. 105).
103
Cf. p. 109.
104 Furorem istum etiam a Platone intellectum
[...] gratiam esse spiritus paracleti e sinu patris in
hominum corda proficiscentem, datorem luminis, intellectus et scientiae, cuius praesentia rudia Apostolorum pectora erudita sunt doctrina et fidei veritate (p. 106).
339
aspects de l' influence de quintilien
furor
chreètiens, de ne pas meèsuser du
en eècrivant des textes profana-
teurs. Ce chapitre vient donc rassurer le lecteur et lui confirme la validiteè des bienfaits de l' art d' improviser deètailleès preèceèdemment. En effet, Vadian, dans les chapitres X aé XIII, avait suivi fideélement les conseils et l' esprit de l' Institution
oratoire,
en les compleètant par des lectures va-
rieèes. Au chapitre X, qui souligne l' importance du naturel, on retrouve d' abord, comme chez Fonzio, l' ideèe (emprunteèe aé Horace et aé Quintilien) que chaque poeéte doit savoir eèvaluer sa nature propre et ses forces, et n' entreprendre qu' une taêche adapteèe aé son susceptible de deèclencher en lui l' inspiration : [natura]
furorem in carmine facile haurit
ingenium
enim est quae
et
[...]
(p. 86). Puis la compleèmentariteè neècessaire
de l' art et de la nature, deèjaé affirmeèe au chapitre IX, est plus preèciseèment expliqueèe aé partir du chapitre de Quintilien, II, 19, dont Vadian cite les paragraphes 1-3, puis les glose ainsi : Dans ces lignes, Quintilien compare de fac°on tout aé fait claire (pour te commenter ce passage) le talent, auquel manque l' inclination natu relle aé embrasser une science, aé un champ steèrile qui ne produit rien, quelle que soit la culture qu' on lui applique ; et s' il produit quelque chose, ce ne peut eêtre qu' un fruit insipide et immature, de meê me qu' une Ýuvre tailleèe dans une pierre brute et vile n' aura jamais assez de charme et de graêce pour eêtre supeèrieure en graêce et en noblesse aé un
marbre
de
Paros,
meême
tout
juste
arracheè
aé
la
montagne
et
n' ayant point encore rec°u de forme. Mais ce marbre, si une main ar tiste le sculpte, acquerra beaucoup plus de beauteè graêce aé ce type de travail, ce qui doit eêtre tout entier attribueè aé l' art ; ce qui fait que, comme l' affirme Quintilien, chez les artistes les meilleurs et les plus acheveès l' art joue un si grand roêle qu' il surpasse la nature, tandis que dans les artistes meèdiocres ce n' est pas le cas, car ces derniers, par pa resse ou par relaêche de leur zeéle, ne sauraient parvenir au fa|ête dans l' exercice de leur art
105
.
La matieére peut donc exister sans l' art, mais non l' art sans la nature. Pourtant, conclut Vadian apreés le rheèteur, l' art l' emporte tout
105 In quibus signate admodum (ut horum tibi sim interpres) ingenium, cui deest naturae ad doc -
trinam aliquam amplexandam proclivitas, sterili arvo comparat quod nihil utcunque cultum gignat ; si vero quid gignat, nonnisi insipidum immaturumque esse posse, quemadmodum et rudi atque ignobili saxo formatum opus nunquam tantum aut venustatis aut gratiae habebit, quin Parium marmor, ut e monte depromptum est nulla formatum effigie, gratia et nobilitate praecellat. Quod tamen si manus artifiosa exsculpit, plus multo per huiusmodi artificium decoris adipiscitur quod totum arti tri buendum est, per quod, Quintilianus illud asserit, in excellentibus et consummatis adeo mereri artem ut naturam superet, in mediocribus vero non, quod hi aut desidia aut studii intermissione per artis exercitium ad fastigium non pervenerint
(p. 87).
perrine galand
340
de meême, car celui qui contemple une Minerve d' or sculpteèe par Phidias doit, aé moins d' eêtre cupide ou stupide, admirer plus la main de l' artiste que le mateèriau de la statue (p. 88). Le chapitre XI est consacreè aé l' eèloge de la curiositeè humaine et du progreés scientifique, assimileè aé l' ars. Vadian y cite surtout Aristote et Ciceèron, mais on reconna|êt aussi l' enthousiasme avec lequel Quintilien (X, 2, 4-8) consideére le deèsir toujours plus grand qu' a l' homme de se deèpasser luimeême dans la recherche du savoir. L' humaniste illustre, comme aé l' ordinaire, son propos par un exemple tireè de l' actualiteè, celui d' une invention germanique, l' imprimerie, creèeèe d' abord petitement par û un Allemand de Mayence ý (Gu«tenberg !) et devenue soixante-dix ans plus tard vante
eruditionis et doctrinarum ministr[a]
l' utiliteè
de
l' exercice,
qui
parfait
(p. 90). Le chapitre XII
l' art
et
la
nature
(p. 93),
eèloigne l' homme de la paresse. Vadian s' y aligne sur Quintilien
106
,
qui distingue trois types principaux d' exercices : la lecture (lectio), l' eècriture (scriptio) et la meèditation (cogitatio), et consideére que le discours du rheèteur s' applique sans mal aé la poeètique (p. 93). L' exercice toutefois ne saurait suppleèer aé une absence totale de qualiteès naturelles (p. 95 ; Vadian se souvient laé surtout du
De oratore,
I, 114-115 ; 126-
128). Seule la graêce divine le peut. Le dernier chapitre avant l' analyse du
furor
(chapitre XIII) est consacreè aé l' eètape finale et majeure de
l' eèducation de l' orateur, (X, 7, 1)
que
cite
maximus studiorum fructus,
Vadian,
l' improvisation,
selon Quintilien
û enfant
de
l' exercice ý
(p. 96). Pour l' humaniste, bien que le poeéte, contrairement aé l' orateur, n' en ait pas veèritablement besoin, cette pratique, souvent consideèreèe aé tort comme extraordinaire (p. 97), se rencontre parfois et elle a l' avantage de reèveèler avec eèclat l' utiliteè de la lecture, de l' eècriture et de la meèditation. Vadian eènumeére des amis ou des contemporains connus pour leur habileteè en la matieére : Eoban Hesse, Ulrich von Hutten,
Thomas
modestement
son
de
Schleswig,
propre
Caspar
exemple.
Ursinus,
Cependant,
puis
pour
mentionne
l' humaniste,
l' improvisation, n' eètant pas lieèe comme chez l' orateur aé la sauvegarde de la citeè, doit eêtre pratiqueèe avec mesure :
106
Scha«ffer renvoie plus preèciseèment aé Quintilien, II, 4, 24 ; IX, 4, 114 ; X, 7, 25 et
27 ; XII, 2, 20 et XII, 11, 16. En fait ces trois eètapes dans l' exercice recouvrent la totaliteè de la preèparation aé l' improvisation deècrite au livre X (voir X, 6, 1, oué le rheèteur indique que la
cogitatio
est intermeèdiaire entre l' eècriture (qui deècoule elle-meême de la lecture et
de l' imitation) et l' improvisation). Le livre I du
De Oratore
(discours de Crassus), oué se
succeédent une eèvocation des dons naturels et des limites de l' art, ainsi que l' eè numeèration d' exercices, constitue aussi un hypotexte qui se superpose aé celui du livre X de Quintilien.
341
aspects de l' influence de quintilien
[...] chez un Poeéte, on doit autant louer cette qualiteè que la deèsirer peu, s' il ne l' a pas, afin de ne pas para|ê tre attribuer plus aé une chaleur subite qu' aé un jugement exact. En effet, il ne faut nullement se fier, ou plutoêt se laisser aller aé une faciliteè acquise par la nature et l' exercice, au point de la laisser, par son charme, nous oê ter et exposer en public ce qui aurait pu eêtre produit de plus beau et de meilleur, si nous avions employeè notre jugement. Donc la faculteè d' improviser doit aider la diligence, non lui faire obstacle. Et bien que la foule des audi teurs
ou
des
s' appliquer
aé
spectateurs ce
qu' elle
y
trouve
ne
un
s' exhibe
treé s
pas
grand
plus
plaisir,
librement
il
faut
qu' il
ne
convient, ni plus longtemps qu' il ne faut, et aé ce qu' elle offre toujours aé la censure d' un juge ce qu' elle a produit, aé moins que la neècessiteè, qui cependant n' aiguillonne pas facilement le poeé te, n' ameéne une autre situation
107
.
Vadian moralise ici nettement la perspective de Quintilien, qui ex primait deèjaé lui-meême reègulieérement sa meèfiance aé l' eègard d' une improvisation mal controêleèe pratique
qui
leur
108
para|êt
. Les deux peèdagogues, sans interdire une
souvent
admirable,
preèfeérent
neèanmoins
mettre en garde leurs eèleéves contre les deèfauts eèventuels qu' elle peut susciter : manque de soin, paresse et meême, chez Vadian, infatuation, narcissisme
109
. On remarque aussi que le Saint-Gallois, tout en rappro-
chant intentionnellement, dans la disposition de ses chapitres, l' impro visation du furor, se garde de citer le passage ambigu oué Quintilien, apreés
Ciceèron,
preèsentait
l' improvisation
rationnelle de l' enthousiasme
110
comme
une
explication
, tout en conservant malgreè tout une
aura mysteèrieuse aé l' eèveènement : Deum tunc adfuisse cum id euenisset, ueteres oratores ut Cicero dicit, aiebant, sed ratio manifesta est (X, 7, 14). Chez Vadian l' improvisation reste un pheènomeéne purement humain, qui
107
At in Poeta ut laudari debet ita parcius desiderari, ne quis subito calori plus quam exacto iudi -
cio tribuere videatur. Nequaquam enim adeo est per naturam et exercitationem paratae facilitati confi dendum aut indulgendum potius, ut nobis blandiendo id eripiat et in publicum sistat quod iudicio adhibito indubie pulchrius meliusque dari potuerit. Iuvare igitur diligentiam debet extemporalitas, non intercipere. Cumque auditorum aut spectatorum frequentia maxime gaudeat, danda est opera, ne licentius se quam deceat ostentet, nec longius quam sit satis excurrat, semperque quod edidit iudicii censurae offerat, nisi necessitas quaepiam aliud moliatur, quae tamen Poetae non facile stimulos inicit (p. 98-99).
108
Comme par exemple quand il condamne les auteurs de silves oratoires, X, 3, 17.
Voir mon article citeè û ' Recueillir des brouillars' ý. Sur Vadian et l' improvisation, cf. J. Lecointe, L' Ideèal et la Diffeèrence, p. 336-337.
109 110
Le De poetica est plein de mises en gardes eèrasmiennes contre la û philautie ý. Voir le chapitre sur l' inspiration des Poeètiques de la Renaissance.
perrine galand
342
releéve de l' ars et ne saurait eêtre confondu avec la graêce divine qui permet aux poeétes de se surpasser eux-meêmes
111
.
Les consideèrations de Vadian sur l' imitation sont rassembleèes dans la quatrieéme partie, qui traite de la formation pratique du poeéte, au chapitre XXVIII, entre un chapitre consacreè aé une reèflexion sur le iudi112
cium et un autre procurant la liste des auteurs aé imiter . L' humaniste y prend aé nouveau pour base l' Institution oratoire (X), dont il est ameneè aé discuter certains principes. Le chapitre s' ouvre sur une citation du rheèteur romain (X, 2, 1) qui affirme la neècessiteè absolue de l' imitation des anciens : dubitari non posse [Quintilianum], quin artis pars magna ea
contineatur. Vadian emprunte aux Adages d' Eèrasme (I, 2, 18) l' image des livres du passeè comme autant de û preècepteurs muets ý, qui offrent aux jeunes poeétes inexpeèrimenteès le modeéle et l' espoir d' une reèussite future, et il rappelle (peut-eêtre apreés le pseudo-Longin et Politien
113
)
le lien entre la lecture et le furor ou la palingeèneèsie, convoquant aé nouveau l' exemple d' Ennius qui se consideèrait comme une reèincarnation d' Homeére (p. 244-245). J' ai montreè ailleurs que la conception historiographique du Saint-Gallois
111
114
s' aveèrait ouverte et originale,
Il peut eêtre inteèressant de comparer sur ce point Vadian avec un contemporain
franc°ais, l' humaniste orleèanais Nicolas Beèrauld, ami de Guillaume Budeè et d' E è rasme, commentateur et eèditeur de Politien, auteur d' un Dialogus. Quo rationes quaedam explican-
tur, quibus dicendi ex tempore facultas parari potest : deque ipsa dicendi ex tempore facultate : ad reuerendiss. Cardinalem Oddonem Castellionensem..., Lyon, Gryphe, 1534. Beèrauld, qui adopte pourtant globalement, aé la suite de Politien, une attitude rationaliste quant aé l' inspiration, a bien perc°u la dimension ambigue« du texte de Quintilien sur l' improvisation et souligne l' apparence surnaturelle du pheè nomeéne, tandis que Vadian cherche au contraire aé le deèmystifier : û [...] ceux qui l' eècoutent [l' improvisateur] non seulement croient qu' il est doueè de plus d' intelligence et de savoir que tous les autres, mais estiment meê me qu' ils eècoutent une sorte de dieu terrestre. Je consideére en effet que rien n' est plus admirable que la faculteè d' improviser, pourvu cependant que nous ayons en teê te seulement un orateur capable de parler avec ordre, eèleègance et sagesse. Assureèment c' est avec raison que les anciens ont jugeè cette admirable qualiteè `le fruit le plus grand des eètudes' [Quintilien, X, 7, 1], car personne [...] aé moins d' avoir lu abondamment, n' obtient une telle reèussite [...]. Les anciens orateurs, selon Ciceè ron, disaient `que Dieu eètait preèsent quand cela se produisait' [X, 7, 14]. Ils jugeaient avec raison que c' eè tait un don tout aé fait divin ([...] quem qui audiunt, non modo plus quam caeteros intelligere ac sapere credunt, sed terrenum
quemdam deum etiam se audire arbitrantur. Ex tempore enim dicendi facultate nihil esse admirabilius puto, dum tamen eum demum dicere intelligamus, qui disposite, ornateque ac prudenter dicat. Nec immerito profecto admirabilem eam uirtutem maximum studiorum fructum ueteres iudicauere, quod non nisi multa lectione, [...] cuiquam contingat tanta felicitas [...] Deum tunc adfuisse, cum id euenisset, ueteres oratores ut Cicero dicit, aiebant. Diuinum utique munus id esse, merito censebant).
112
Sur les chapitres XXVII et XXIX, voir dans le preè sent volume la contribution de
Virginie Leroux.
113
Cf. Politien, Nutricia, 454-455, d' apreés Aulu-Gelle, XVII, 17, 1 (note Bausi ad
loc.).
114
Exposeèe aux chapitres IV, V et VI.
343
aspects de l' influence de quintilien
puisque, neègligeant le fatalisme cyclique et les theèories deècadentistes treés reèpandues, il tend aé consideèrer l' ensemble de la Latinitas comme un vaste treèsor ou é chaque auteur peut eêtre envisageè sans preèjugeè dans son contexte, pour ses propres qualiteès
115
. Le catalogue des auteurs aé
lire du chapitre XXIX, souvent deèpendant des jugements de Quintilien, X, 1
116
, confirme l' inteèreêt de Vadian pour des lectures surveilleèes,
mais larges et eèclectiques. Toutefois l' humaniste se seèpare de Quintilien sur la question du nombre des modeéles. Vadian, suivant sa manieére toujours treés personnelle, expose les divergences d' opinion sur ce point entre les savants : De modo vero imitandi animadverto non plane
convenire inter eruditos (p. 245). Il expose d' abord l' opinion qu' il juge la
plus
reèpandue
et
qui
est
exprimeèe
dans
l' Institution
oratoire
(X, 2, 24) : La plupart approuvent ce que l' on pourrait appeler la û meè thode des abeilles ý, qui consiste aé observer et recueillir chez plusieurs auteurs ce que l' exercice du jugement peut faire consideè rer comme le meilleur, et j' ai vu que Quintilien lui-meême eètait de cet avis au livre X
117
.
Tout en rendant hommage au rheèteur tantus doctor, Vadian choisit pourtant, comme le fera Vida, mais en s' appuyant ici sur l' opinion de Pline le Jeune (Ep., I, 5, 13), de conseiller aux jeunes eèleéves, dont l' esprit se trouve enclin aé la dispersion, de suivre un modeéle unique, le meilleur : Durant ces anneèes de jeunesse qu' une multipliciteè de lectures pourrait entra|êner dans la dispersion, j' estime que tu dois choisir un auteur unique, le meilleur au jugement des savants
118
.
Vadian ajoute plusieurs consideèrations sur les modaliteès de l' imitation, qui traduisent aé nouveau ses propres lectures (Ciceèron, Quintilien) et son souci de se former une opinion propre et indeèpendante. Avec Ciceèron (Brutus, XVII, 68 ; cf. Quintilien X, 2, 15), il estime que toute imitation doit porter non seulement sur l' apparence geèneèrale du modeéle (ossa), mais sur la profondeur de la penseèe (sanguis, p. 245).
115 116
Voir mon article û Posteriores sed non deteriores ý. Voir l' article de V. Leroux.
117 Plerique velut apium morem probant observandi excerpendique ex pluribus quod iudicio adhibito optimum esse videatur, qua in sententia ipsum quoque Quintilianum esse in libro eius decimo deprehendi (p. 245).
118 Per eos iuventutis annos quos multiplex lectio distrahere queat, unum optimumque illum doc-
torum iudicio tibi amplexandum esse existimo (p. 245).
perrine galand
344
Conscient, comme Quintilien (ibidem), du risque, pour le jeune imitateur, de reproduire aussi les deèfauts de son modeéle, il s' en montre moins preèoccupeè que le rheèteur, estime qu' un û aêge plus reèactif ý, un û jugement plus muêr ý,
vegetior aetas, iudicium maturius,
corrigeront ces
errances (p. 246). Tout en louant les esprits û bienheureux ý,
felices,
qui
discernent tout de suite la bonne conduite aé tenir, Vadian º qui pense visiblement, comme souvent dans le
De Poetica,
au û handicap ý que re-
preèsente aé ses yeux l' eèducation en langue maternelle allemande º reèclame
pour
ses
eèleéves
le
droit
aé
l' erreur,
citant
aé
l' appui
les
deèfaillances reconnues chez Homeére, Ciceèron ou Virgile (p. 246-247). Il revendique, comme Fonzio et en s' inspirant des meê mes sources, un droit aé la û meèdiocriteè ý : û l' imitation nous eètablira sinon aé la premieére place, du moins aé la suivante ý, [imitatio]
loco statuet (ibidem)
119
si non primo certe proximo nos
. L' humaniste se lance ensuite (p. 247-249) dans
une seèrie de reèflexions inspireèes de Quintilien X, 2, 10, sur l' impossibiliteè de parvenir aé une imitation absolue du modeéle
120
, en raison de
l' extreême diversiteè des individus, qu' ils soient poeétes ou musiciens, qui se refleéte par une coloration naturelle speècifique de leur style ( pri-
vata tamen et quasi sui ingenii natura profecta pigmenta, personnelle (filum
sermonis,
p. 247), une veine
p. 248), meême lorsque leur eèducation a eèteè
semblable. Ce constat le conduit finalement aé rejoindre, par un deètour, non sans heèsitation, la penseèe de Quintilien sur l' imitation : En preèsence d' une telle dissemblance
121
, il faut suivre celui qui est
vraiment le meilleur des Poeétes ou bien, parmi les nombreux eècrivains brillants, essayer celui dont le naturel nous pla|êt vraiment et, parmi les auteurs qui, si on les compare, semblent identiques, distinguer avec fi nesse, comme on dit, la pourpre de la pourpre placeè e aé coêteè d' elle
122
.
Redoutant finalement que l' eèleéve ne soit deècourageè par le choix d' un modeéle trop difficile (p. 249), soucieux aussi de son plaisir
119 120
123
,
Cf. plus loin, p. 249-250, la citation d' Orator, 4. Comme Quintilien, X, 2, 10-26, Vadian estime qu' on peut peut-eêtre espeèrer sur-
passer le modeéle (p. 247).
121
Entre le modeéle et l' imitateur.
122 In illa igitur dissimilitudine Poetarum maxime optimum sequi convenit, aut inter illustres
multos ingenium experiri quo maxime oblectemur, inque eorum qui similes esse videantur collatione tanquam purpura (ut aiunt) ad purpuram adhibita acute discernere.
Cf. E è rasme,
Adages,
II, 1, 74 :
û Un jugement parfaitement suêr na|êt de la comparaison. C' est pourquoi les acheteurs sur le point d' acqueèrir une eètoffe pourpre, pour ne pas se tromper, approchent de la pre mieére une autre eètoffe pourpre ý (Certissimum
iudicium ex collatione nascitur. Vnde emptores
mercaturi purpuram, ne fallantur, alteram adhibent purpuram). 123 Voluptas quae studiorum comes esse debet (p. 249).
345
aspects de l' influence de quintilien
Vadian en revient aé la conception quintilianiste d' une imitation oué preèdomine le sens des affiniteès entre le lecteur et l' auteur imiteè
124
:
Toutefois, je n' ignore pas que notre naturel a des inclinations propres dans ses preèdilections pour les auteurs, comme dans l' amitieè entre les hommes [...]. Pour cette raison, je ne m' insurgerai nullement si les eèleéves choisissent leurs guides non parmi les auteurs du premier rang, mais du moins parmi ceux d' un rang eèclatant º mais j' aurais tout de meême une preèfeèrence pour les premiers
La
prudence
horatienne
fait
ainsi
125
.
tenir
aé
l' humaniste
le
juste
è p|êtres milieu : s' il est ridicule, eècrit-il, paraphrasant deux vers des E (I, 1, 28-29 ; p. 250), de preèfeèrer eêtre borgne plutoêt que de voir clairement, il faut neèanmoins, lorsque l' on ne peut avoir une vue perc°ante, accepter son sort sans envier les autres. Le chapitre s' acheé ve avec la reèiteèration d' un optimisme voisin de celui de Quintilien au livre X, quant aé l' eèternelle creèativiteè humaine, et le conseil de ne pas consideèrer l' imitation comme une fin en soi, mais comme le moyen de coucher par eècrit pour la posteèriteè, en un style que l' exercice aura bien appreêteè, tout ce que l' art, l' eèpoque et l' eètude nous aura suggeèreè qui soit digne de meèmoire
126
.
* Fonzio, Vadian, Vida, premiers theèoriciens systeèmatiques de la poeètique aé la Renaissance, proposent ainsi le panorama d' une science de poeèsie qui se confond entieérement avec l' eèducation intellectuelle, morale et spirituelle de l' humaniste ideèal. Leurs traiteès, qui empruntent leur doctrine aé des sources varieèes, sont cimenteès par la lecture de l' Institution oratoire, souvent filtreèe par E è rasme. L' influence de Quintilien se traduit chez les trois poeèticiens autant par des conseils techniques ponctuels, que par un eètat d' esprit commun, une meême fac°on d' envisager les geèneèrations qui vont suivre : douceur, humaniteè, luciditeè mais aussi confiance absolue dans les possibiliteès de l' homme. Fonzio, le preècurseur, rassemble pour la premieére fois tous les eèleèments d' un art poeètique humaniste, sans parvenir encore aé donner aé son Ýuvre un peu seéche le ton personnel qui confeére aé l' Institution ora-
124
Quintilien, X, 1, 14 et 19-20.
125 Quanquam haud ignoro ingenia nostra in scriptorum amorem ut in hominum amicitiam inclinari [...]. Eam ob rem nihil contenderim, si qui suos duces non primo ex ordine sed e splendido tamen elegerint, quamquam primos mallem.
126 ut stilo per exercitationem apparato literis mandare pro posteritate possimus quicquid nobis
ars, aetas studiumque dignum memoria suggesserit (p. 251).
perrine galand
346 toire
son
eéthos si
seèduisant.
Vida,
le
troisieéme,
a
choisi
º comme
Politien avant lui º de parler poeètiquement de la poeèsie : il gagne en eèleègance et en virtuositeè ce qu' il perd en simpliciteè et en proximiteè. C' est Vadian, le plus pragmatique et le plus humble, mais aussi peut eêtre le plus original des trois, qui offre aé son lecteur, comme l' avait fait Quintilien, l' image chaleureuse d' un enseignement veècu et vivant, sagement eèquilibreè entre reèalisme et ideèal.
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QVINTILIANVS CENSOR IN LITERIS ACERRIMVS : ÂRITE Â DES JUGEMENTS POSTE DE QUINTILIEN ÁTES ANTIQUES DANS SUR LES POE ÂTIQUES LATINES LES POE DE LA RENAISSANCE (1486-1561)
Dans
è tudes, fil de Theèseèe destineè aé guider Pierre Vitreè son Plan des E 1
dans les labyrinthes des auteurs , E è rasme demande aux peèdagogues de former le jugement des adolescents en indiquant les qualiteès et les deèfauts de chaque auteur en chaque genre. Dans cette partie du programme,
preècise-t-il,
le
ma|être
pourra
s' aider
du
û petit
livre
de
Ciceèron Sur les orateurs illustres, des jugements de Quintilien, Seèneéque et Antonio Campano sur les eècrivains et des anciens commentateurs, principalement Donat
2
ý. Quintilien figure ainsi en bonne place, sans
1 Proinde rogas vt tibi studiorum ordinem ac viam formamque praescribam, quam tu veluti Thesei filum secutus et in auctorum labyrinthis citra errorem versari queas (Erasmus, De ratione studii, eèd. J.-C. Margolin, dans Opera omnia, I-2, Amsterdam, 1971, p. 112).
2 Quo iam tum assuescant adolescentes ei quod est in omni re praecipuum iudicio. Atque in hac
parte praeceptorem, praeter artem et ingenium, adiuuabit etiam libellus Ciceronis de claris oratoribus, et Quintiliani, Senecae atque Antonii Campani de scriptoribus censurae, neque non veteres interpretes, praecipue Donatus in re peculiariter occupatus (Opera omnia, I-2, p. 145). Je me suis inspiè rasme, eèd. C. Blum, A. Godin, reèe de la traduction de Jean-Claude Margolin, dans E J. C. Margolin et D. Meènager, Paris, 1992 (Bouquins), p. 465-466. Le Libellus Ciceronis de
claris oratoribus est le Brutus, composeè en 46 avant notre eére. Seèneéque le peére consacra un Oratorum et Rhetorum Sententiae, Diuisiones, Colores aux orateurs de son temps. Quant aé Gianantonio Campano (neè aé Cavelli preés de Capoue en 1429, mort aé Sienne en 1477), c' est un humaniste, disciple de Valla, poeé te aé la cour de Pie II, qui devint eèveêque de Crotone en 1462 et de Teramo en 1463. Il a rassembleè des remarques critiques sur les eècri-
351
352
virginie leroux
que sa speècificiteè par rapport aux autres auteurs citeès ne soit expliciteèe, ni que ses criteéres de jugement ou sa meèthode ne soient analyseès. Cette eètape de la praelectio est preèsente, aé des degreès divers, dans les histoires litteèraires et les poeètiques contemporaines et je me propose d' eètudier la place qu' y occupe le chapitre X, 1 de l' Institution oratoire. Quintilien y dresse la liste des auteurs, et parmi eux des poeétes, utiles aé la formation de l' orateur. Examinant successivement les Grecs, puis les Latins, il seèlectionne les meilleurs en chaque genre et son principal criteére de classement est meètrique (voir annexe 1) : il commence par le genre le plus eèleveè, l' eèpopeèe, aé laquelle sont subordonneèes les genres didactique, gnomique et bucolique qui utilisent aussi l' hexameétre ; puis il examine l' eèleègie, la poeèsie satirique, la poeèsie lyrique et enfin 3
les genres dramatiques . Comme le rappelle notamment Jean Cousin, le passage û n' a pas eèteè reèdigeè comme un chapitre de critique litteèraire, mais comme une didactique de la rheètorique
4
ý et les criteéres de juge-
ments sont donc des lieux communs de critique dogmatique, comme la tripartition ingenium, studium, doctrina, les lieux de l' invention, rarement la disposition et le plus souvent la langue et les qualiteè s de style. Les qualiteès ou les deèfauts mentionneès illustrent la lex generis aé laquelle 5
Quintilien est particulieérement attentif , mais les criteéres de caracteèrisation des diffeèrents genres poeètiques recoupent des cateègories plus geèneèrales de l' art oratoire traiteèes dans d' autres parties de l' Institution oratoire, qu' il s' agisse des affects, des trois genres de style ou de qualiteès geèneèrales du style. Les plus souvent citeèes sont la puritas, la proprietas, la copia, la breuitas, la varietas et surtout la grauitas, la iucunditas ou l' humilitas. Si l' on prend l' exemple des genres dramatiques, Quintilien les distingue au cours de l' Institution oratoire en fonction de criteéres varieès. Au livre I, il oppose la grauitas des trageèdies aé l' eèleègance et aé
vains antiques dans ses In uarios auctores censurae (Omnia Campani opera, Venetiis, 1502, fol.
lxiii - lxvi ).
E è rasme enfin eèvoque soit le commentaire sur Teè rence d' Aelius Donatus,
soit le commentaire sur Virgile de Tiburtius Claudius Donatus.
3
Ce plan preèsente des parenteès indeèniables avec le Peri mimeseos de Denys d' Halicar-
è pitomeè, celui-ci examinait successivement Homeére, Heèsiode, Antimanasse. D' apreés l' E que,
Panyasis,
Pindare,
Simonide,
Steèsichore,
Alceèe,
puis
les
auteurs
dramatiques :
è pitomeè 2, eèd. G. Aujac, E è schyle, Sophocle, Euripide et Meènandre. Voir L' imitation. E Paris, 1992 (Collection des Universiteès de France), p. 32-34.
4
Dans l' introduction du livre X, Paris, 1979 (Collection des Universiteès de France), p. 5.
Sur l' apport de Quintilien aé la deèfinition des genres antiques, on consultera S. Viarre, û Les genres dans l' Antiquiteè ý, dans La notion de genre aé la Renaissance, eèd. G. Demerson, Geneéve, 1984, p. 59-65.
5
Sua cuique proposito lex, suus decor est. Nec comoedia in coturnos adsurgit, nec contra socco
ingreditur (Inst., X, 2, 22).
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 353 6
l' atticisme de la comeèdie , tandis qu' au deèbut du livre VI, il assimile 7
l' ethos aé la comeèdie et le pathos aé la trageèdie . On reconna|êt ces criteéres dans les jugements porteès sur les auteurs dramatiques au livre X : Quintilien y loue Euripide pour la manieére remarquable dont il fait 8
appel aux eèmotions et en particulier excite la pitieè , il signale chez 9
Accius et Pacuvius la grauitas des sentences , et ceèleébre, avec quelques reèserves sur lesquelles nous reviendrons, l' eèleègance de Teèrence. Les diffeèrents
modeéles
geèneèriques
sont
distingueès
les
uns
des
autres,
souvent classeès º mais pas de manieére systeèmatique º et parfois des traits
individuels
eèmergent,
par
exemple
la
leègeéreteè
de
l' Ovide
eèleègiaque opposeèe aé un Gallus plus seèveére (X, 1, 93), mais la caracteèrisation reste rapide et permet aux poeèticiens de la Renaissance une grande liberteè d' interpreètation dont ils ne se priveront pas. Comme l' ont montreè Perrine Galand-Hallyn et Jean Lecointe, aé la Renaissance, le livre X de l' Institution oratoire inspire aé la fois les tenants d' une imitation eèclectique fondeèe sur la varietas et les adeptes d' une theèorie hieèrarchique qui s' inspire du jugement de Quintilien sur Homeére pour faire de Virgile un auteur reècapitulatif et englobant
10
. C' est un aspect que j' ai deèlibeèreèment laisseè de coêteè et j' ai exclu
de mon corpus les Ýuvres qui font de Virgile un modeéle unique, comme l' Actius de Giovanni Pontano ou la poeètique de Girolamo Vida. Je comparerai dans un premier temps les strateègies reèfeèrentielles des histoires litteèraires et des poeètiques, puis j' analyserai les interpreètations divergentes de quelques jugements de Quintilien.
6
Multum autem ueteres etiam Latini conferunt, quamquam plerique plus ingenio quam arte ua -
luerunt, in primis copiam uerborum : quorum in tragoediis grauitas, in comoediis elegantia et quidam uelut atticismos inueniri potest (Inst., I, 8, 8).
7
Diuersum est huic quod
pa`hoq
dicitur quodque nos adfectum proprie uocamus, et, ut proxime
utriusque differentiam signem, illud comoediae, hoc tragoediae magis simile (Inst., VI, 2, 20).
8
In adfectibus uero cum omnibus mirus, tum in iis qui miseratione constant facile praecipuus
(Inst., X, 1, 68).
9
Tragoediae scriptores ueterum Accius atque Pacuuius clarissimi grauitate sententiarum, uerbo -
rum pondere, auctoritate personarum (Inst., X, 1, 97).
10
Voir l' eèdition des Silves de Politien reèaliseèe par P. Galand-Hallyn, Paris, 1987
(Les Classiques de l' Humanisme), p. 17-20 et du meême auteur, û Du `coktail' des styles aé l' expression du moi ý, dans L' effacement des genres dans les lettres et les arts, Actes du colloque international de l' Universiteè de Valenciennes, 4, 5 et 6 octobre 1993, eèd. J. P. Giusto et E. Nogacki, Valenciennes, 1994, repris dans Les yeux de l' eèloquence. Poeètiques humanistes de l' eèvidence, Orleèans, 1995, p. 17-30 ; J. Lecointe, L' ideèal et la diffeèrence. La perception de la personnaliteè litteèraire aé la Renaissance, Geneéve, 1993, p. 136-158.
virginie leroux
354
La viseèe encyclopeèdique des historiens de la litteèrature antique Un premier type de strateègie reèfeèrentielle se rencontre dans les histoires litteèraires de Pietro Crinito et de Gregorio Lilio Giraldi, respectivement parues aé Venise en 1505 et aé Baêle en 1545
11
. Le De Poetis
latinis de Crinito preèsente 94 auteurs latins reèpartis par ordre chronologique en 5 chapitres, de Livius Andronicus aé Venance Fortunat. La preèsentation de Giraldi combine celles de Quintilien et de Crinito puisque ses dialogues sont pour la plupart consacreès aé un genre speècifique dont il eètudie les repreèsentants en respectant la chronologie. Le premier est consacreè aé la poeèsie ; le suivant aux premiers poeétes jusqu' aé
Homeére ;
le
troisieéme
aux
poeétes
grecs
heèro|ëques et eèleègio-
graphes ; le quatrieéme aux poeétes latins et le cinquieéme aux poeétes empereurs et chreètiens ; les dialogues 6 aé 8 aux poeétes sceèniques grecs, puis latins et les dialogues 9 et 10 aé la poeèsie lyrique et eèpigrammatique. Les deux Ýuvres s' inscrivent dans la tradition inaugureèe par la silve
Nutricia composeèe par Politien en 1486 aé la fin de sa carrieére, qui s' acheéve par une histoire litteèraire meêlant auteurs grecs et latins, classeès par genre (v. 199-769)
12
. Pietro Crinito fut le disciple favori et l' eèdi-
teur posthume de Politien ; quant aé Giraldi, il preècise dans la lettrepreèface qui introduit son premier dialogue que le point de deèpart de son ouvrage fut une lecture approfondie de la silve Nutricia, qu' il effectua vers 1503, aé Carpi, en compagnie du fils de son ami JeanFranc°ois Pic de la Mirandole, et du lettreè ferrarais B. Pison, que la peste avait chasseè de sa patrie. Cependant, Giraldi est aussi tributaire de la tradition platonicienne, sous l' influence de son ami Jean-Franc°ois Pic de la Mirandole ou encore de l' eècole napolitaine et de Pontano en particulier qu' il cite aé plusieurs reprises. Ni Crinito, ni Giraldi ne citent Quintilien comme modeéle dans leurs preèfaces : Crinito indique qu' il a imiteè pour la brieéveteè le De
grammaticis et rhetoribus Latinis de Sueètone et mentionne aussi Zeènon de Cytium et Aristote, Varron et Vulcatius Sedigitus, dont les Ýuvres
11
Pietro Crinito, De poetis Latinis, [Venise], 1505 ; Gregorio Lilio Giraldi (1479 -
1552), Historiae poetarum, tam graecorum quam latinorum, dialogi decem, quibus scripta et vitae
eorum sic exprimuntur, ut ea perdiscere cupientibus minimum jam laboris esse queat , Baêle, [chez M. Isingrinium], 1545.
12
Sur cette silve, voir l' eèdition citeèe de P. Galand-Hallyn, p. 289-359.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 355 ont eèteè perdues
13
; quant aé Giraldi, il se reèclame d' une triple tradition,
qui rend compte des trois aspects de son Ýuvre : critique des poeé tes (il cite les meêmes modeéles que Crinito et de moins connus),
ekphrasis
(puisqu' il deècrit des peintures imaginaires de la poeèsie ou des poeétes) et adoption du dialogue
14
.
De fait, loin de seèlectionner comme Quintilien ou Politien les meilleurs auteurs aé imiter, Crinito et Giraldi adoptent une perspective encyclopeèdique et visent aé l' exhaustiviteè, le dernier prenant en compte tous les auteurs dont on a conserveè la trace. Or, le deèsir de transmettre l' ensemble du savoir disponible sur l' antiquiteè implique la citation quasi systeèmatique des jugements de Quintilien, alors qu' ils occupent une place fort modeste dans la silve
Nutricia
15
vent Pison qui est inviteè aé reèciter l' Institution
. Chez Giraldi, c' est sou-
oratoire
puisque selon ses
propres termes, Giraldi s' en rappelle û le contenu, mais non les termes exacts ý :
Sed et tu iamdudum Quintiliani de duobus his poetis uerba recita,
quando ego sententiam, non uerba teneo
16
.
13 Nos a Livio Andronico exorsi sumus, qui princeps apud Latinos habitus est in edendis carmi -
nibus, ut suo loco a nobis diceretur. Peruentumque est usque ad Theodosii Augusti tempora, quibus Romana omnis eruditio, simul cum maiestate Imperii comminuta est, ingruentibus in Italiam uariis populis, atque barbaris nationibus. Idque effecimus summa breuitate, imitati Suetonium Tranquil lum, his maxime libris, quos de Grammaticis ac Rhetoribus Latinis composuit. Neque desunt exempla doctissimorum uirorum, qui de Poe«tis apud ueteres diligenti studio scripserunt : ut apud Graecos, Zeno Cytieus, et Aristoteles : apud nos M. Varro, et Vulcatius Sedigitus : quorum opera intercide runt iniuria longae uetustatis. Eorum nos industriam sequimur
(Crinito,
De poetis latinis,
preèface,
fol. AA2r).
14 Nam quod de poe«tis scripsi, cum alios, tum hos excellenti doctrina uiros habui, qui ante me de
poe«tis scripserunt, Aristotelem, Zenonem, Antiphontem Rhamnusium, Nicandrum Colophonium, Lobum Argiuum, Demetrium Magnesium, Dionysium Phaselitem, Damasten Sigeaeum, Phaniam Peripateticum, et ex Latinis M. Varronem, Volcatium Sedigitum, et alios, ne nostrae huius aetatis scriptores commemorem. Quod tabulas finxi, et nuncupaui, sum imitatus Anaximandrum Mile sium, Cebetem Thebanum, Cl. Ptolemaeum, L. Lucianum, Apollonium Tyrium, Hesychium Mi lesium, Diogenianum Heracliensem, Callistratum, et utriusque Philostrati
eiÊ ko`naq,
nostrique
Varronis imagines. Quod in huiusmodi historia dialogo usus sum, ante me Heraclides Ponticus de poe«tis, et de claris oratoribus M. Tullius idem factitarunt, quos mihi autores suscipiendos potius quam imitandos proposui. Nec demum quisquam uelim hac mihi parte uitio vertat, quod hae nostrae nusquam sint tabulae : occulta enim significatione Picae familiae bibliothecam significaui, ex qua ad sermones hos conficiendos plurima frequenti lectione collegi
(Giraldi,
Historiae poetarum,
preèface,
fol. 3v-4r).
15
Quintilien a manifestement influenceè l' appreèciation de Virgile :
Proximus huic au-
tem : vel (ni veneranda senectus / Obstiterit fortasse prior) canit arma uirumque (Nutricia, 346). Voir
Inst.,
X, 1, 95 :
haud dubie proximus.
v. 345-
Il emprunte aé Quintilien l' eèpitheéte
tersus
appliqueèe aé Tibulle (v. 539) et le refus de prendre parti entre Tibulle et Properce et sur tout, il reproduit le jugement de Quintilien sur les auteurs comiques latins (v. 690 -698), tout en eèvoquant le classement de Volcatius Sedigitus.
16
Giraldi,
Historiae poetarum,
p. 789. Pison s' amuse meême parfois aé exiger en eèchange
de ses reècitations, une explication suppleèmentaire :
Sed, ni piget, et tu Piso recita, quam de
Pacuuio et Actio censuram fecit Fabius Quintilianus. Id quidem Lili, libenter agam, respondit Piso,
356
virginie leroux
Crinito et Giraldi ne se contentent pas de citer systeèmatiquement les jugements de Quintilien, mais ils eèvoquent et parfois analysent ses silences : Crinito remarque ainsi que Ciceèron mentionne M. Attilius, mais que Quintilien l' a passeè sous silence ; il note qu' il n' a nullement mentionneè le poeéte M. Manlius : quocirca mirantur quidam, cur illum prae-
termiserit : praecipue cum de T. Lucretio, et Aemilio Macro iudicium fecerit (p. 456). De meême, Giraldi cherche aé expliquer pourquoi les trageèdies de Seèneéque ne sont pas critiqueèes au livre X de l' Institution oratoire, alors que Quintilien mentionne Meèdeèe ailleurs dans l' ouvrage et il donne deux raisons : la premieére est que Seèneéque vivait encore, or, Quintilien ne juge pas ses contemporains ; la seconde est que la haine de Quintilien pour Seèneéque ne s' eètait pas apaiseèe, raisons qui n' ont rien aé voir avec les Ýuvres elles-meêmes
17
.
Les jugements de Quintilien sont pris en consideèration de manieére quasi-systeèmatique et celui-ci constitue une source incontournable, mais º comme nous le verrons º sans beèneèficier d' une preèeèminence particulieére sur d' autres jugements.
L' inteè gration d' un canon dans les poeè tiques
Le canon de Quintilien est plus rarement citeè dans les poeètiques, mais de ce fait, la seèlection des passages est plus significative. Dans sa poeètique ineèdite, parue vers 1490, Bartolommeo Fonzio reproduit plusieurs fois des jugements de Quintilien, mais aé la diffeèrence de Crinito et de Giraldi, sans mentionner son nom. Comme l' a montreè Charles Trinkaus, ses principales sources en ce qui concerne l' appreèciation des auteurs antiques sont Horace, Diomeéde et le Chronicon d' Eusebius-Jeèro ê me
18
. On
reconna|êt le jugement
de Quintilien sur
Homeére dans un deèveloppement du livre I sur la digniteè de la poeèsie et son jugement sur Ovide dans une section du livre II, imiteèe de l' Art poeètique d' Horace, qui rappelle la neècessiteè de conjuguer l' art au
si tu nobis prius de isto Actio, quem alterum a priore aliquando putasti, quae te mouebant, attuleris. [...] Quae cum retulissem, pensum, quod pollicitus Piso fuerat, exoluere iam paratus erat. Sic itaque
coepit : Fabius igitur Quintilianus libro X de Pacuuio et Actio sic ait [...] (Giraldi, Historiae poetarum, dialogue 8, p. 889-890).
17 Quidam ea causa id factum rentur, quod hic Seneca uiueret adhuc : alii, quod necdum eius in
Senecas odium resederat (Giraldi, Historiae poetarum, dialogue 8, p. 933-934).
18
Voir Bartolommeo Della Fonte ou Fonzio, De poetice ad Laurentium Medicem libri
III, resteè manuscrit, Florence, 1490-92. Ch. Trinkaus en a procureè une eèdition critique : û The Unknown Quattrocento Poetics of Bartolommeo della Fonte ý, Studies in the
Renaissance, 13 (1966), p. 95-122.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 357 geènie
19
. Enfin, trois appreèciations du livre III, tout entier consacreè aé
une preèsentation des genres litteèraires, sont manifestement inspireèes de Quintilien :
elles
concernent
Antimaque et Theèocrite
20
encore
une
fois
Homeére,
. Or, l' imitation de l'
mais
aussi
Institution oratoire
me
para|êt ici deècisive pour comprendre le classement geèneèrique adopteè par Fonzio. Celui-ci se reèclame de Diomeéde qui fonde son classement sur la tripartition entre mode mixte, mode actif et mode imitatif
21
º qui s' applique aussi au classement de Quintilien º, dont il s' eècarte sur deux points : tout d' abord, en ordonnant les genres qui composent le mode actif selon la noblesse du sujet, du plus noble au moins noble, mais aussi en dissociant la bucolique des genres qui composent le mode actif pour la classer avec les genres du poeéme heèro|ëque (voir annexe 1). Cette association des trois genres eèpique, didactique et bucolique au sein du genre heèro|ëque est freèquente aé la Renaissance, en raison de l' importance de Virgile qui cultiva les trois genres et deè jaé Politien, contemporain et ma|être de Fonzio, qui preèsente dans la silve
Nutricia
une ordonnance s' apparentant aé celles de Quintilien et de
Diomeéde (voir annexe 1), cite Virgile apreés Homeére en teête du classement et le loue alors pour avoir surpasseè Heèsiode et Theèocrite
22
.
Cependant, les modeéles grecs eènumeèreès et les emprunts textuels aé Quintilien prouvent que c' est bien de ce dernier que s' inspire ici Fonzio. Les reèfeèrences aux jugements de Quintilien sont bien plus nombreuses dans la poeètique de Vadian
23
. Il est convoqueè cinq fois dans
les chapitres V et VI consacreès aux anciens poeétes latins et principalement aux jugements sur Ennius et sur Virgile, puis aé une revue de
De poetice Ibidem Grammatici latini
19
Fonzio,
20
, eèd. C. Trinkaus, p. 98 et 108.
, p. 115.
21
, eèd. H. Keil, Leipzig, 1857-1880, I, p. 482-492.
22
Politien consacre une grande partie de la silve
Nutricia
aé passer en revue les poeétes
depuis les premiers temps jusqu' aé son eèpoque (v. 197-790) : voir Ange Politien,
Silves
Les
, eèd. P. Galand, p. 310-359. Contrairement aé Quintilien et aé Fonzio, il eèvoque les
poeétes
bucoliques
apreés
les
eèleègiaques
et
avant
les
poeétes
lyriques
(v. 553-557,
eèd.
P. Galand, p. 340-341), mais il rapproche Virgile d' Heèsiode et de Theèocrite (v. 348-349, eèd. P. Galand, p. 324-325). Bartolomeo Ricci associe de meê me les trois genres qu' il eètudie en dernier et auxquels il assigne Virgile comme modeé le unique, voir
liber primus
(1541), dans
Trattati di poetica e retorica del Cinquecento
1970, p. 449.
23
Vadianus (Vadian, Joachim von Watt),
chiorem Vadianum Fratrem
De imitatione
, eèd. B. Weinberg, t. I,
De Poetica et Carminis Ratione Liber ad Mel-
, Vienne, J. Singriener, 1518. Une eèdition moderne est due aé
P. Scha«ffer : Joachim Vadianus,
De Poetica et Carminis Ratione
, eèd. P. Scha«ffer, Mu«nchen,
1973-1977. Voir sur cet auteur la communication de P. Galand -Hallyn dans le preèsent volume.
358
virginie leroux
l' ensemble de la litteèrature latine selon un scheéme historiographique û qui adopte la meètaphore des aêges de la vie pour deècrire une lente progression jusqu' au plein eèpanouissement de l' eére ciceèronienne et augusteèenne, suivie d' une lente seènescence et enfin d' une Renaissance ý
24
. Quintilien est encore citeè aé trois reprises dans le chapitre VIII
qui deècrit les diffeèrents genres poeètiques, mais il est surtout preèsent au chapitre XXIX, intituleè : Iudicium in Latinis Poetis et qui primum legendi. Ce chapitre est capital puisque pour la premieére fois le canon de Quintilien inspire une section speècifique d' un art poeètique qui ne releéve ni de l' histoire litteèraire, ni de la theèorie des genres. Situeè apreés un chapitre consacreè au iudicium deèfini aé partir de citations du livre VI de l' Institution oratoire et apreés un chapitre treés bref consacreè aé l' imitation, dans lequel Vadian renvoie le lecteur au livre X du meême ouvrage,
le
chapitre XXIX
de
la
poeètique
de
Vadian
adopte
une
perspective quintilianisante puisqu' il s' agit de deèterminer quels auteurs doivent eêtre lus en prioriteè. La seèlection est plus drastique que celle de Quintilien et pour la justifier Vadian cite des passages des
Lettres aé Lucilius oué la critique de l' eèclectisme en matieére de litteèrature n' est qu' un aspect d' une critique plus geèneèrale de l' instabiliteè, de la superficialiteè et du temps gaspilleè
25
.
Vadian affirme tout d' abord qu' il va exercer son propre jugement sur les poeétes latins et non reproduire ceux des autres
26
, c' est ainsi
qu' il souligne souvent la varieèteè des jugements leègueès par la tradition et se deèmarque de certains anciens, deènonc°ant par exemple la perversion d' Hadrien qui privileègie systeèmatiquement l' ancienneteè. Il rec°oit cependant volontiers les meilleurs jugements et cite en particulier ceux de Quintilien qu' il s' approprie et deèveloppe. Il se reèfeére au livre I, 8, 5 aé propos de Virgile, et il cite º de manieére partielle º
les
jugements
du
livre X
sur
Ovide,
Horace,
Lucain,
Tibulle, Properce, Teèrence et Plaute. En outre, il caracteèrise aé l' aide de formules de Quintilien des auteurs absents du canon de ce dernier. C' est ainsi qu' il applique aé Virgile une formule utiliseèe par Quintilien aé propos de Meènandre (Inst., X, 1, 72 et Vadian, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 253), aé Perse le jugement de Quintilien sur Lucreéce (Inst., X, 1, 87
24
P. Galand-Hallyn, û Posteriores sed non deteriores : the Humanist Perpective on Latin
Literature at the End of the Quattrocento and its Repercussions in the French Renais sance ý, dans Latinitas perennis, I. The Continuity of Latin Literature, eèd. Y. Maes, J. Papy et W. Verbaal, Leyde, 2007, p. 185-214.
25
Voir l' eèdition de P. Scha«ffer, I, p. 252-253 et Lettres aé Lucilius, 2 et 49, 5.
26 Placet quoniam de imitatione dixi pleraque, ut de Latinis Poetis iudicium statuam, non aliorum omnino sed meum (Vadian, De poetica, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 251).
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 359 et Vadian, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 264), aé Martianus Capella le jugement de Quintilien sur Varron (Inst., XIX, 1, 95 et Vadian, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 269). Il eèvoque encore aé propos de Valerius Flaccus le reproche de û pataviniteè ý dont Pollion blaême Tite-Live (Inst., I, 5, 56 et et VIII, 1, 3 et Vadian, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 259). é la diffeèrence du canon de Quintilien, celui de Vadian est extraA geèneèrique, mais on reconna|êt aiseèment des groupements par genre (cf. annexe 2).
Les
criteéres
de
classement
de
Vadian
sont
doubles :
il
combine la primauteè de Virgile et de ses contemporains, conformeèment au scheéme historiographique deèfini aux chapitres V et VI et il donne la prioriteè aé l' utilitas et donc aé des sujets nobles et deècents sur des sujets futiles, ce qui explique par exemple que l' eèleègie soit releègueèe de la deuxieéme place chez Quintilien aé l' avant-dernieére chez Vadian. La preèsence des jugements de Quintilien est infiniment moindre dans le De Poeta de Minturno
27
. Alors qu' il deèfinit le poeéte comme
un uir bonus dicendi atque imitandi peritus, adaptant aé la poeèsie la formule de Caton populariseèe par Quintilien
28
, alors que la nomenclature des
rheèteurs est particulieérement preèsente dans sa caracteèrisation des diffeèrents genres, qui occupe les livres II aé V, alors qu' il esquisse au livre VI une preèsentation des diffeèrents auteurs antiques pour souligner leur varieèteè, il cite uniquement le jugement de Quintilien sur la comeèdie latine
29
.
Quintilien occupe, en revanche, une place plus importante dans la poeètique du padouan Jules-Ceèsar Scaliger, parue deux anneèes plus tard, en 1561
30
, puisqu' une longue section critique suit les quatre pre-
miers livres organiseès d' une manieére aristoteèlicienne : deèfinissant la poeèsie comme une û sorte d' imitation ý º quaedam imitatio º, Scaliger entend reèpondre aux quatre questions lieèes aé la deèfinition proposeèe, aé savoir : pourquoi imitons-nous, avec quoi, ce que nous imitons et comment. Le livre I, Historicus, esquisse l' histoire des diffeèrents genres
27
Antonio Sebastiano Minturno, De poeta, ad Hectorem Pignatellum, Vibonensium du-
cem, libri sex, Venise, 1559. Ce dialogue met en sceéne des membres de l' Acadeèmie napolitaine de Pontano, reèunis aé l' ombre d' un platane, aé Mergilina, pour eèchapper aé la peste qui reégne aé Naples. Sur ce dialogue, voir notamment D. Colombo, û La cultura lettera ria di Antonio Minturno ý, Giornale Storico della Letteratura italiana, 596 (2004), p. 544557.
28
Minturno, De poeta, livre I, p. 79.
29 Ibidem, livre IV, p. 273. 30 J. C. Scaliger, Poetices libri septem,
Lyon, chez A. Vincent, 1561 ; eèdition reècente :
J. C. Scaliger, Sieben Bu«cher u«ber die Dichtkunst, eèd. L. Deitz, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1995.
360
virginie leroux
antiques º l' affirmation de Quintilien sur l' origine latine de la satire y est contesteèe sans que son nom soit mentionneè
31
; le livre II, Hyleé,
eètudie les pieds, meétres et rythmes qui sont la matieére de la poeèsie et aucune mention n' est faite de Quintilien ; le livre III, Idea, traite du sujet du poeéme et s' acheéve par une revue des diffeèrents genres dans laquelle Quintilien est citeè aé deux reprises º aé propos de la satire et de la silve º ; le livre IV, Parasceue deèfinit les divers ornements du style et caracteèrise les diffeèrentes sortes de style sans faire de reèfeèrence aé Quintilien. Le livre V, Criticus, est inspireè par les livres V et VI des Saturnales de Macrobe et eètablit la supeèrioriteè de Virgile par le biais de comparaisons avec d' autres poeétes, en particulier Homeére, puis le livre VI, Hypercriticus, se reèclame de Quintilien : Ac quamquam a Quintiliano summo est factum iudicio, ut qualis quisque
esset
poetarum,
cognosceremus,
et
iam
superioribus
libris
non pauca sunt a nobis commemorata, non nihil tamen hic quoque dicendum est, quod ad imitandi studium rationemque nos excitare queat
32
.
L' eèloge est laconique, mais remarquable chez un auteur qui critique de manieére particulieérement virulente ses preèdeècesseurs Horace et Vida et qui est plutoêt avare de compliments. La preèsentation est encore une fois treés diffeèrente de celle de Quintilien (voir annexe 2) puisque
quatre-vingt-cinq
les
auteurs
jugeès
sont
classeès
selon
un
scheéme historiographique qui deèpasse la simple approche chronologique
pour
concilier
une
courbe
de
croissance
biologique
et
scheèma cyclique selon une dynamique hieèrarchique croissante
33
un
. Le
livre s' acheéve sur l' autel de Virgile, hors concours, qui, en raison de sa perfection, ne se voit consacrer aucune eètude hypercritique et cette hieèrarchisation se retrouve aé l' inteèrieur des diffeèrents aêges, puisque les meilleurs modeéles sont regroupeès en fin de liste.
31 32
Ibidem, chapitre I, 12, eèd. 1561, p. 19B et eèd. L. Deitz, I, p. 186. Ibidem, chapitre VI, 2, eèd. 1561, p. 295. û Quintilien a certes Ýuvreè avec un juge-
ment treés suêr pour nous faire saisir la valeur de chaque poeé te, et dans nos livres preèceèdents nous n' avons pas rappeleè peu de choses ; toutefois il importe de rapporter ici un fait susceptible d' eèveiller en nous le gouêt et l' art de suivre un modeéle ý (traduction de C. Caillou, Le livre VI de la Poeètique de Jules Ceèsar Scaliger, theése dactylographieèe, preèsenteèe sous la direction de P. Laurens, Poitiers, octobre 1988, p. 4).
33
Sur ce scheéme, dont la source est manifestement le panorama de la litteè rature
greèco-latine
fourni
au
deèbut
du
De
arte
poetica
libri
tres
de
Vida
(I, 129-230,
eèd.
A. M. Espirito Santo, Centro de Estudos Classicos da Universidade de Lisboa, 1990, p. 150-157
et
p. 44 sq.), on consultera M. Fumaroli, û Jules-Ceèsar Scaliger et le scheéme
historiographique dans la Poeètique ý, dans La statue et l' empreinte. La Poeètique de Scaliger, eèd. Cl. Balavoine et P. Laurens, Paris, 1986, p. 7-15 et P. Galand-Hallyn, û Posteriores sed non deteriores ý.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 361 S' il revendique l' imitation de Quintilien, la strateègie reèfeèrentielle de Scaliger est, en revanche, diffeèrente de celle de Vadian puisqu' il mentionne treés rarement son modeéle. Il le cite une premieére fois lorsqu' aé propos de Paulin, il eèvoque la parenteè entre le style et l' homme, û harmonie que Quintilien a releveèe chez Messala et chez Ceèsar puis aé propos des
Odes
34
ý,
d' Horace qu' il appreècie tout particulieérement :
Carminum igitur libri, uel iucunda iuuentione, uel puritate sermonis, uel figurarum tum nouitate tum uarietate, maiores sunt omni non so lum uituperatione, sed etiam laude ; neque solo dicendi genere humili, quemadmodum scripsit Quintilianus, contenti, uerum etiam sublimi maxime commendandi
35
.
On reconna|êt les qualiteès que Quintilien attribue aé l' Horace lyrique au chapitre X de l' Institution et l' audace
36
oratoire :
l' agreèment, la varieèteè des figures
. Scaliger leur ajoute la pureteè de l' expression, en se sou-
venant probablement du jugement de Quintilien sur l' Horace des
tires : Multum est tersior et purus magis Horatius
37
Sa-
.
Certes, Scaliger cite moins Quintilien que Vadian, mais ces citations sont deèjaé exceptionnelles chez un auteur qui cite rarement ses sources et alleégue encore plus rarement une autoriteè. Il faut en outre leur ajouter la preèsence discreéte des jugements de Quintilien sur les
durior
eèleègiaques : l' adjectif
nium
appliqueè aé Gallus et l' eèvocation de l' inge-
d' Ovide teèmoignent de l' influence, peut-eêtre diffuse, du livre X
de l' Institution
oratoire
38
.
Si Quintilien est le principal modeéle des sections qui visent aé former le jugement des futurs poeétes, sa preèsence est relativement modeste dans les chapitres consacreès aux genres litteèraires, probablement en raison de la preèsence d' autres modeéles º Diomeéde, puis Aristote et Horace
ou
Donat-Evanthius.
Comme
Vadian et Scaliger citent l' Institution
l' on
oratoire
pouvait
s' y
attendre,
aé propos des meêmes gen-
res, principalement la satire et la silve, pour lesquelles la contribution de
34
Scaliger,
Poetices libri septem,
Le livre VI, p. 112). 35 Ibidem, p. 338
chapitre VI, 5, eèd. 1561, p. 318B (trad. C. Caillou,
B2. û Les livres de poeémes lyriques, par le charme de l' invention, la
pureteè de l' expression, la nouveauteè et la varieèteè des figures sont au-dessus non seulement de tout reproche mais meême de l' eèloge qu' on en pourrait faire. Ils ne se bornent pas au style bas, comme l' a eècrit Quintilien, mais valent aussi grandement dans le genre
Le livre VI, p. 215). 36 At lyricorum idem Horatius fere solus legi dignus : nam et insurgit aliquando et plenus est
sublime ý (trad. C. Caillou,
iucunditatis et gratiae et uarius figuris et uerbis felicissime audax (Inst., 37 Inst., X, 1, 94.
38
Scaliger,
(Ovide).
Poetices libri septem,
X, 1, 96).
chapitre VI, 6, eèd. 1561, p. 328B (Gallus) et 331A
virginie leroux
362
Quintilien aé l' histoire du genre est majeure
39
. Non seulement Quin-
tilien est peu citeè, mais aucun des auteurs de notre corpus ne reproduit son classement ou ne l' eèvoque, meême pas Giraldi si feèru de taxinomies qu' apreés avoir mentionneè le classement de Diomeéde, puis celui de Caesius Basius, il deècide d' adopter celui de Tzezes, l' interpreéte de Lycophron
40
.
De meême, les jugements de Quintilien sont absents des chapitres ou sections consacreès par Minturno et Scaliger aux qualiteès de style du
fait
que
ces
deux
auteurs
recourent
presque
exclusivement
aé
Virgile pour les illustrer. Par exemple, dans le chapitre 4 du livre IV consacreè
au
cultus
,
une
des
qualiteès
communes
du
eèvoque les nombreux critiques qui ont appeleè ce style
style,
tersus
Scaliger
. J' ai im-
meèdiatement songeè au jugement de Quintilien sur Tibulle ou Horace, mais les trois exemples fournis par Scaliger sont emprunteès aé Virgile, la bucolique V, 22-23 pour le style bas, les pour le style moyen et l'
Eè neèide
Geèorgiques
IV, 464-466
XI, 148-151 pour le style eèleveè.
Une fois eèvalueèe la preèsence de Quintilien, il nous faut examiner dans quelle mesure les criteéres d' appreèciation des poeèticiens qui en font leur modeéle restent quintilianisants aé une eèpoque ou é sont disponibles d' autres grilles d' analyses des auteurs, par exemple les ideèes d' Hermogeéne que Scaliger concilie avec les trois genres de style
41
.
Scheéme historiographique et italocentrisme é la diffeèrence de Politien qui, comme Quintilien, subordonne la A chronologie au genre et aé l' individualiteè, Crinito, Vadian, Giraldi et
39
Le livre X de Quintilien n' est citeè qu' aé trois reprises dans le chapitre que Vadian
De multiplici genere poematum et speciebus Poematis uariis titutota nostra est º Inst Inst Poetices libri Inst Poetices libri Poetices libri septem Historiae poetarum Peri mimeseos Poetices libri septem -
consacre aux genres litteèraires (
lus
,
VIII, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 74-82) º alors que les citations sont systeèmatiques dans
d' autres sections
: aé propos de la satire º
º, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 78 ; aé
propos d' Accius et Pacuvius, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 80, et aé propos de la silve oué Vadian s' oppose aé ce qui peut para|être comme une condamnation ( eèvoque le fait que Phileèmon surpasse rarement Meènandre (
septem septem Inst
., X, 3, 17). Scaliger
., X, 1, 72 et
, III, 96, eèd. 1561, p. 147A et eèd. L. Deitz, III, p. 41. Il cite de meême Quintilien
au deèbut du chapitre consacreè aé la satyre pour le contester (
., X, 1, 93 et
, III, 97, eèd. 1561, p. 149B et eèd. L. Deitz, III, p. 55) et aé propos de la silve
(
., X, 3, 17 et
40
Giraldi,
, III, 99, eèd. 1561, p. 150A et eèd. L. Deitz, III, p. 63).
, p. 87 88. C' est donc en vain que j' ai rechercheè dans les
poeètiques de la Renaissance la mention d' une parenteè de la preèsentation de Quintilien avec celle du
41
de Denys d' Halicarnasse.
Voir l' introduction de L. Deitz au livre IV des
, III, p. 236 247.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 363 Scaliger introduisent une hieèrarchisation lieèe aé l' histoire
42
. Tous ad-
mettent º avec des nuances º la supeèrioriteè des Latins sur les Grecs, au nom d' une theèorie du transfert culturel inspireèe de Ciceèron et tous situent l' acmeé de la culture romaine sous le principat d' Auguste.
Appropriations du jugement de Quintilien sur la comeèdie latine Un tel scheéme rend probleèmatique le jugement de Quintilien sur les poeétes comiques latins
43
. Alors qu' au livre I, celui-ci oppose l' eèleè-
gance des anciens comiques latins au gouêt contemporain perverti par un asianisme excessif (Inst., I, 8, 8-9), au livre X, la critique des auteurs comiques latins est particulieérement seèveére : In comoedia maxime claudicamus. Licet Varro Musas, Aeli Stilonis sententia, Plautino dicat sermone locuturas fuisse, si Latine loqui uel lent, licet Caecilium ueteres laudibus ferant, licet Terenti scripta ad Scipionem Africanum referantur (quae tamen sunt in hoc genere ele gantissima, et plus adhuc habitura gratiae si intra uersus trimetros ste tissent), uix leuem consequimur umbram, adeo ut mihi sermo ipse Romanus non recipere uideatur illam solis concessam Atticis uene rem, cum eam ne Graeci quidem in alio genere linguae optinuerint
44
.
Ce jugement neègatif est deèveloppeè et expliciteè au livre XII, lorsque Quintilien deèmontre que le latin, aux sonoriteès plus dures et qui manque de termes propres (Inst., XII, 10, 27), n' a pas la graêce d' expression du grec et que par conseèquent les Latins ne peuvent satisfaire aussi bien que les Grecs aux contraintes stylistiques de l' elegantia. Parmi les auteurs de mon corpus, seul Minturno cite inteègralement le
jugement
42 43
du
livre X
et
restitue
fideélement
son
argumentation
Voir P. Galand-Hallyn, û Posteriores sed non deteriores ý. Sur la fac°on dont Quintilien deèfinit la comeèdie latine et la distingue de la trageèdie,
voir l' article d' Andreès Pocinìa Peèrez, û Quintiliano y el teatro latino ý, Cuadernos de filo-
log|èa claèsica, 17 (1981-82), p. 97-110. 44 Inst., X, 1, 99-100. û Chez nous, c' est surtout la comedie qui cloche. Varron a beau è dire qu' au jugement d' Aelius Stilon, les Muses auraient emprunteè le langage de Plaute, si elles avaient voulu parler latin, les anciens critiques ont beau combler d' eè loges Caecilius, on a beau attribuer aé Scipion l' Africain les Ýuvres de Teè rence ; elles sont certes treés eèleè-
gantes conformeèment au genre choisi, mais auraient eu encore plus de graêce si elles avaient eèteè eècrites exclusivement en trimeétres. C' est aé peine si notre imitation n' est qu' une ombre leègeére, si bien que la langue latine meême semble incapable de cette graêce accordeèe aux seuls Attiques, et aé laquelle les Grecs eux-meêmes n' ont pu atteindre en un autre dialecte ý (traduction J. Cousin (Collection des Universiteès de France), sauf le passage en italique qu' il tra duit ainsi : û qui d' ailleurs, dans ce genre auraient eèteè les plus eèleègantes et qui auraient plus de graêce encore, si elles avaient eèteè eècrites exclusivement en trimeétres iambiques ý).
364
virginie leroux
linguistique
45
. Politien fait de meême dans la preèface de son commen-
taire ineèdit aé l' Andrienne
46
ou é Quintilien est citeè parmi d' autres juge-
ments, entre celui de Sedigitus et ceux de Ciceèron et de Ceèsar, selon un classement qui va du jugement le plus neègatif au plus eèlogieux. S' il ne commente pas les diffeèrents jugements et ne prend pas parti dans son commentaire, c' est Quintilien qu' il cite dans la silve Nutricia : Claudicat hic Latium : uixque ipsam attigimus umbram Cecropiae laudis. Grauitas Romana repugnat. Scilicet et quamuis multo Caecilius ore Iactent ; quamuis iucundi scripta Terenti Scipio dissimulet ; quamuis Plautina camenis Lingua opicis placeat, scaenam tamen ipsa suorum Aeneadii fugit alma Venus : tantumque togatis Interdum Afrani grato se indulget honore
47
.
On reconna|êt ici le jugement d' un helleèniste pour qui la supeèrioriteè de Florence provient de ce que la culture grecque y a spontaneèment eèmigreè ; l' argument stylistique de Quintilien qui alleégue au livre XII la rudesse du latin ou le manque de termes propres a ici eèteè transposeè en argument sociologique : l' esprit romain est plus apte aé la grauitas de la trageèdie qu' aé l' eèleègance de la comeèdie.
45
Neque enim ciuibus, ut prisci illi, obtrectabant, neque ut ii, qui secuti sunt, ueteres poetas exa -
gitabant ; sed fictis argumentis, sine ullius obtrectatione, choro prorsus excluso, et personas, et res priuatas ad uitam emendandam uerisimiliter exprimebant. In quo genere Menander et Philemon ex Graecis maxime claruerunt. Ex nostris quis plurimum ualuerit, etsi controuersum est, Caecilius ta men, et Plautus, atque Terentius praeferuntur. Nam Varro Musas Epistolonis sententia Plautino dixit sermone locuturas fuisse, si Latine loqui uellent. Caecilium plerique ueterum laudibus summis extulerunt. Terentii scripta Quintiliano elegantissima sunt, Horatio uidentur arte anteire. At ille ipse Quintilianus in Comoedia putat Latinos uix leuem esse umbram consecutos. Idque in Roma num sermonem confert, cui quidem sane deesse illam solis concessam Atticis Venerem arbitratur, quando eam, ut ille ait, ne Graeci quidem in alio genere linguae obtinuerunt (Minturno, De poeta, livre IV, p. 273).
46
La commedia antica e l' Andria di Terenzio, eèd. R. Lattanzi Roselli, Firenze, 1973,
dont la date la plus vraisemblable selon cette eè dition (p.
47
xii )
serait 1484-85.
Nutricia, 690-697. û C' est dans ce domaine que le latin est boiteux et c' est aé peine si
nous pouvons atteindre meême l' ombre de la gloire de la ville de Ceè crops : la pesante graviteè romaine est incompatible avec la comeèdie, c' est eèvident. Certes Ceècilius est sans cesse dans la bouche des anciens, certes Scipion dissimule sa participation aux eè crits du joyeux Teèrence, certes la langue de Plaute pla|êt aux Cameénes opiques ; pourtant meême la douce Veènus fuit le theèaêtre des descendants de son fils E è neèe, et c' est seulement aux pieéces en toge d' Afranius qu' elle se preête parfois en marque de gracieux honneur ý (trad. P. Galand-Hallyn dans A. Politien, Les Silves, p. 351).
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 365 Pour les tenants de la supeèrioriteè des Latins sur les Grecs, l' appreèciation de Quintilien sur la comeèdie latine pose un probleéme eèvident. Face aé ce jugement qui faêche, ils adoptent des strateègies diffeèrentes. Peletier du Mans le cite inteègralement et reconna|êt la supeèrioriteè des Grecs, mais pour l' eècarter et reèhabiliter Teèrence : Car les Comeèdies de Teèrence sont entre les mains de chacun. Lesquelles sont eèleègantes, subtiles, et accommodeèes aé la vie. En quoi dissimulerons
pour
cette
heure,
le
jugement
de
Quintilien :
Lequel
n' approuve pas grandement les Comeè dies faites des Latins : attribuant toute la na|ëveteè et graêce au seul Atticisme. Mais c' est sa coutume en beaucoup de genres, de rabaisser les E è crits Romains. Lesquels aé la veèriteè n' arrivent pas aé la perfection des Grecs, en cet endroit
48
.
é la diffeèrence de ce dernier, Crinito, Giraldi et Vadian ne conA testent pas l' autoriteè de Quintilien, mais s' en reèclament au prix de citations tronqueèes dans lesquelles ils omettent toute critique ou ne citent
eèventuellement
que
la
restriction
aé
propos
de
l' usage
non
exclusif du trimeére iambique pour ne retenir que les aspects eèlogieux. Ainsi, aé propos de Plaute, Crinito º comme le fait Giraldi contente
de
rapporter
le
jugement
d' Aelius
Stilon.
é A
49
º se
propos
de
Teèrence, sa strateègie est plus subtile : Horatius
Flaccus
ueterum
poe«tarum
optimus
censor,
in
Caecilio
grauitatem, in Terentio artem constituit, qua inter caeteros Comicos mirifice excelluit. Quod et Quintilianus videtur sentire in libris ad Marcellum Victorium. Sed idem tamen, inquit, maiorem gratiam ha buisset,
si intra
trimetros
constitisset.
Ausonius
quoque
Vergilium
Homero, Terentium Menandro adiungit, eique elegantiam Latini ser monis praecipue tribuit
48
50
.
Peletier du Mans, Art poeètique (1555), II, 7, eèd. Francis Goyet (Le Livre de Poche),
p. 302.
49
Tantae uero autoritatis apud antiquos fuit Plautus, ut Quintilianus Varronem scripsisse affir -
met, Musas Epii Stolonis sententia Plautino sermone locuturas fuisse, si latine loqui voluissent. Cicero mirum in modum, ut scitis, Plautum commendat. (Giraldi, Historiae poetarum, p. 886887). On note que Giraldi posseéde un texte corrompu, alors que Politien
comme
Poggio Brachiolini a signaleè la forme correcte Eli Stilonis : voir A. Deneloni, Poliziano e il testo dell' Institutio oratoria, Messina, 2001, p. 102.
50
Crinito, De poetis latinis, fol. Aiiir
o
(Teèrence). û Horace, le meilleur censeur des
poeétes antiques, a souligneè chez Ceècilius la noblesse et chez Teèrence l' art, qualiteè par laquelle il excelle de manieére eètonnante parmi les autres comiques. C' est aussi, semble -til, l' avis de Quintilien dans les livres qu' il adresse aé Marcellus Victorinus. Mais cependant, il aurait eu plus de graêce s' il avait eècrit exclusivement en trimeétres. Ausone aussi associe Virgile aé Homeére, Teèrence aé Meènandre et reconna|êt l' eèleègance particulieére de son latin ý.
366
virginie leroux
Encadreèe par deux jugements positifs, citeèe de manieére partielle, l' appreèciation de Quintilien est ainsi convoqueèe pour faire de Teèrence l' eègal de Meènandre. Vadian proceéde de meême en rapprochant cette fois le jugement tronqueè de Quintilien sur Teèrence de celui, fort eèlogieux, de Ciceèron
51
.
Auteurs archa|ëques et latiniteè d' argent Apreés Ciceèron, Quintilien laisse entendre que la rheètorique a progresseè au cours de son histoire par l' imitation (X, 2, 7 sq.) et certains de ses jugements peuvent eètayer le scheéme historiographique des poeèticiens de la Renaissance. Il en va ainsi de son jugement sur Ennius : Ennium, sicut sacros uetustate lucos, adoremus, in quibus grandia et antiqua robora iam non tantam habent speciem quantam religionem. Propiores alii atque ad hoc, de quo loquimur magis utiles
52
.
En le citant, Crinito, Vadian et Giraldi omettent tous la fin de la citation
53
. De fait, Crinito et Vadian restent fideéles aé la position mesu-
reèe que Quintilien lui-meême exprime aé propos de Lucilius ou encore d' Accius et de Pacuvius : leur eèpoque excuse leurs deèfauts, mais ne les empeêche pas d' avoir des qualiteès
54
. Ainsi, Vadian, pour inciter son
freére aé lire avec attention les plus anciens auteurs cite le paragraphe X, 1, 40, dans lequel Quintilien se reèclame de l' autoriteè de Ciceèron
51
Eius scripta Quintilianus in hoc genere elegantissima esse ait, et plus habitura gratiae si intra
trimetros stetissent. Cicero certe ad Atticum suum Terentium optimum autorem Latinitatis affirmat (Vadian, De poetica, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 266-267).
52
Inst., X, 1, 88. û Reèveèrons-le comme ces saintes clairieéres que l' aêge a consacreèes,
dans lesquelles les cheênes antiques et majestueux ont moins de beauteè que de valeur religieuse. Il y a d' autres poeétes plus proches de nous et plus utiles pour ce dont nous par lons ý (trad. J. Cousin, p. 94).
53
Crinito, De poetis latinis, p. 405 ; Giraldi, Historiae poetarum, p. 415-416 et Vadian,
De poetica, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 36.
54
Inst., X, 1, 97 : Ceterum nitor et summa in excolendis operibus manus magis uideri potest
temporibus quam ipsis defuisse (û si manqueérent aé leurs Ýuvres l' eèclat et le fini de la dernieére main, on peut estimer que la faute en est aé leur eèpoque plus qu' aé eux-meêmes ý, trad. J. Cousin, p. 97). Le passage est citeè par Vadian (eèd. P. Scha«ffer, I, p. 45) et rapprocheè par celui-ci du jugement d' Horace sur Lucilius (Sat., I, 4, 141) que cite aussi Quintilien pour
le
nuancer
(Inst.,
X, 1, 93-94).
Crinito
cite
le
jugement
sur
Pacuvius
(Inst.,
X, 1, 97) : Quocirca clariorem fecit eam artem in Vrbe propter gloriam scenae. Idem Pacuvius am plum ac sonorum dicendi genus sequutus est, ut M. Varro testatur. Quod si durior alicubi ac propre horridus habitus est : id ipsum tamen non vitio illius, sed temporum adscribitur : nam Fabius Quinti lianus aperte
asserit, clarissimum fuisse
Pacuvium
grauitate
personarum.
In
qua sententia
et
M. Cicero fuit : qui hunc ipsum caeteris omnibus in Tragoedia facile praefert, carmenque illius magnopere commendat (De poetis latinis, p. 409-410).
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 367 (Brutus, 61-66 et Orator, 169) pour proclamer que tous les auteurs sont utiles
55
.
Cependant, bien que ses jugements illustrent sa foi en un progreés continu des arts, au moment d' eèvoquer Seèneéque º dont il reconna|êt par ailleurs les qualiteès º, Quintilien s' applique aé û ramener aé un gouêt plus seèveére un type de style corrompu et affaibli par toutes sortes de deèfauts
56
ý et sans parler de deècadence, il reconna|êt pour l' eèpopeèe la
supeèrioriteè de Virgile sur les auteurs qui l' ont suivi. C' est dans la perspective de ce scheéme historiographique que Giraldi cite le jugement de Quintilien sur Lucain et par une strateègie reèfeèrentielle subtile suggeére une interpreètation italocentriste de sa formule. Apreés avoir citeè les eèloges de Martial et de Stace qui va jusqu' aé le preèfeèrer aé Virgile, Giraldi deèconseille aé ses deux jeunes interlocuteurs la lecture de Lucain et justifie cette prescription en invoquant de nombreuses autoriteè s : Nisi enim temerarium sit, quod nihil tamen mihi, uobiscum praeci pue, esse potest, illud ausim de Lucano affirmare, quod M. Tullius de Cordubensibus suorum temporum poe«tis, qui eos, nescio quid, pingue et peregrinum sonare putabat
57
. Quare Lucanum quidam, sane in-
geniosus, indomito similem equo esse dicebat, qui in medio prato, aut campi spacio cursitet, et acriter quidem et animose saliat, sed incon cinne et incomposite. Alii illum expedito quidem militi similem di cunt, qui amentatas quasdam uelitum hastas iaciat, potenti ac ualido interdum
brachio,
sed
parum
plerunque
considerate
ac
prudenter.
Nam tametsi ipsum ardentem concitatumque ac sententiis clarissi mum scribat Fabius, oratoribus tamen, quam poe« tis magis ascribit, quod et Martialis et Seruius sentiunt
58
.
55 Cicero certe ut Enii uersus ceu corollas quasdam venerandam vetustatem redolentes suis passim inseruit, ita et suae professionis, hoc est rhetoricae, vetustissimis autoribus ingeniosis quidem sed arte carentibus se plurimum adiutum esse fateatur. Ex Quintiliani enim sententia, pauci et vix ulli ex his qui vetustatem pertulerunt reperiri possunt, qui iudicium adeuntis non allaturi sint aliquid utilitatis. Quare te, mi Frater, fideliter moneo ut in antiquitatis monimenta incidens perinde quaeque aestimes atque ea quae suapte natura gratiam merentur : multa enim commendat vetustas ut saepe multa vitiat (Vadian, De poetica, I, 6, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 46-47). 56 Quod accidit mihi dum corruptum et omnibus vitiis fractum dicendi genus revocare ad severiora iudicia contendo (Inst., X, 1, 125).
57 Quid ? a Q. Metello Pio, familiarissimo suo, qui civitate multos donavit, neque per se neque
per Lucullos impetravisset ? qui praesertim usque eo de suis rebus scribi cuperet, ut etiam Cordubae natis poetis, pingue quiddam sonantibus atque peregrinum, tamen auris suas dederet (Archias, 26).
58
é moins que ce ne soit teèmeèraire º cela ne Giraldi, Historiae poetarum, p. 525-526. û A
peut cependant pas eêtre le cas pour moi et tout particulieérement avec vous º, j' oserais affirmer aé propos de Lucain ce que Ciceèron pensait des poeétes de Cordoue aé son eèpoque `dont l' accent avait je ne sais quoi d' empaêteè et d' eètranger' . C' est pourquoi un critique, assureèment astucieux, disait que Lucain eètait semblable aé un cheval indompteè galopant en plein preè ou dans une plaine et bondissant avec ardeur et eè nergie, mais mala-
368
virginie leroux
Fort diffeèrente est l' interpreètation de Vadian : Ego quantum ab his dissentio, tantum illi mihi sunt molesti qui hunc ut durum et intricatum calumniantur, quanquam si Maroni conferas duriusculus uideatur, tamen si adhibes Statio lenior uidebitur ; si cum Latinorum poetarum corpore componis, Latinus, tersus elegansque existit. Male ergo iudicant qui quod optimum est suspicientes quod ab eo recedit statim inter abiecta uiliaque animo collocant. Lucanum Fabius ardentem et concitatum sententiisque clarissimum esse ait, ma gisque oratoribus quam Poetis annumerandum. In concionibus certe prae ceteris est acutus et ingeniosus, tum et historiarum et naturae lo cis insignibus creber admodum et rerum ex media philosophia ac ma thematicis
cum
primis
petitarum
ita
meminit
frequenter,
ut
non
possim non fateri multa in eo esse quae rudi iuuentuti aperiri uel plano et simplici sensu nequeant, ni aliunde sibi fidelium praecepto rum cura subsidia comparentur, de quibus paulo infra referemus
59
.
Alors que l' Italien Giraldi convoque Quintilien pour condamner º comme le fera Muret en 1554 pour flatter ses amis Veènitiens
60
º
l' enflure de l' Espagnol, le suisse Vadian interpreéte la meême formule de l' Institution oratoire comme un eèloge du talent et des connaissances d' un poeéte qui releéve de la Latinitas. Se reèveéle ici le û complexe du barbare ý, mis en eèvidence par Perrine Galand-Hallyn
61
, qui se traduit
aé la fois par une notion large de la latiniteè et par un optimisme quant
droitement et en deèsordre. D' autres le comparent aé un soldat armeè aé la leègeére lanc°ant les javelines preêtes aé eêtre lanceèes des veèlites, d' un bras robuste et vigoureux, mais la plupart du temps avec trop peu de reèflexion et de prudence. En effet, bien que Fabius eè crive qu' il est `ardent et passionneè, et plein d' eèclat dans ses penseèes'
[Inst., X, 1, 90], il le
compte cependant parmi les orateurs plutoêt que parmi les poeétes et Martial et Servius pensent de meême ý. Voir Martial, XIV, 94 : Sunt quidam qui me dicant non esse poetam : / sed qui me uendit bybliopola putat (û Il y a des gens qui disent que je ne suis pas poeé te ; mais le libraire qui me vend n' est pas de cet avis ý, trad. H. J. Izaac (Collection des Universiteès de è neèide de Virgile, I, 382 : Lucanus namque ideo in France), p. 249) et Servius, Commentaire aé l' E numero poetarum esse non meruit, quia uidetur historiam composuisse, non poema.
59
û Si tu le compares avec l' ensemble des poeétes latins, il appara|êt Latin, soigneè et eèleè-
gant. C' est une mauvaise fac°on de juger que d' eèlever ses regards vers ce qu' il y a de meilleur et de placer parmi les choses basses et viles tout ce qui lui est infeè rieur. Fabius dit que Lucain est ardent et passionneè et plein d' eèclat dans ses penseèes, mais doit plutoêt eêtre compteè au nombre des orateurs plus que des poeé tes. Et certes, dans les harangues il est par-dessus tous brillant et ingeènieux, riche en lieux remarquables de l' histoire et de la nature et il mentionne si freèquemment des choses chercheèes en pleine philosophie ou dans les matheèmatiques que je ne pourrais pas ne pas avouer qu' il y a dans son Ýuvre beaucoup de choses qui ne peuvent eêtre deèvoileèes de manieére simple si par ailleurs on ne cherche pas de l' aide graêce aux preècepteurs fideéles dont j' ai parleè un peu avant ý.
60
Catullus et in eum commentarius M. Antonii Mureti, Venise, Paul Manuce, 1554, fol. iir
et v.
61
Voir sa communication dans le preèsent volume.
posteèriteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques
369
aé la possibiliteè pour des auteurs non italiens de rivaliser avec les Anciens. En outre, si Vadian a du mal aé renoncer au scheéme historiographique en vigueur chez ses contemporains, en particulier italiens, il le conteste parfois º ainsi, aé propos de Claudien º en tenant compte d' autres criteéres, surtout peèdagogiques, comme l' utiliteè, la deècence et la richesse du vocabulaire.
Enjeux estheètiques Les jugements laconiques de Quintilien ont parfois alimenteè une tradition critique, je prendrai l' exemple des eèleègiaques qui permet de confronter les meèthodes d' analyse et les canons estheètiques des divers poeèticiens. Conformeèment aé une conception agonistique de la litteèrature, heèriteèe des Grecs, Quintilien compare les eèleègiaques latins qu' il caracteèrise par un ou deux adjectifs qui seront abondamment deèveloppeès par ses successeurs : Elegia quoque graecos prouocamus, cuius mihi tersus atque elegans maxime uidetur auctor Tibullus. Sunt qui Propertium malint. Oui dius utroque lasciuior, sicut durior Gallus
62
.
Le tableau suivant permet d' appreècier la posteèriteè de la comparaison entre Tibulle et Properce : Tibulle
Properce
Quintilien
tersus atque elegans maxime
sunt qui Propertium malint
Crinito
elegans ; candidum ; elegantia ; citation de Quintilien suauitas eiusmodi caloribus describendis affectis exprimendis citation de Quintilien
Vadian
citation de Quintilien
citation de Quintilien
in illa argumenti modestia
remissior carminis et uerborum
perstans
nitore plane uenustus
ubique compositus
grauitate uero sententiarum
suauis et facilis
uenerabilis doctrina multifaria quam ex
elegantia ; suauitas
Graecorum bona parte fontibus hausisse deprenditur uerborum nonnullorum gratiosa quadam nouitate
62 Inst.,
X, 1, 93. û Pour l' eèleègie aussi, nous deèfions les Grecs, et Tibulle me semble
eêtre l' auteur le plus chaêtieè et le plus eèleègant. Certains preèfeérent Properce. Ovide est plus leèger que les deux autres, Gallus plus seèveére ý (trad. J. Cousin, p. 95).
370
virginie leroux
Giraldi
citation de Quintilien
jugement de Luceus Ripa :
jugement de Luceus Ripa :
eruditiorem
cultus ; nitidus ;
obscuriorem
in sententiis mollis et iucundus ; fabulis historiisque refertum in elocutione facilis et candidus
incitatum in mouendis affectibus crebiorem plerunque insurgere torosior ; robustior
Muret
elocutionis elegantia
eruditionis poeticae copia et uarietas
Preèface des scholies sur
Romana prope omnia
pleraque transmarina
Tibulle et
natiua quaedam et incorrupta
in Graecorum poetarum scriptis
Properce, 1554
Romani sermonis integritas
Scaliger
to saphes
to xenikon
mollior ; delicatior
neruosior et accuratior
oblectere
admirere
uniformis ille pene totus ; uix
facilis, candidus, uere elegiacus ;
discedens ab seipso
tersior tamen quam existimatus
omnium uero cultissimus nec
est a Criticis ; nam et amat
redundans
quaedam quae minime sunt
critiques : III, 20 et IV, 6
uulgaria et quibusdam locis
dura, languida, insuauia
paucorum iudicium sequutus
condamne l' usage freèquent
uidetur ;
d' infinitifs tels que
elegans ; compositum
continuisse, discubuisse,
Sequutus uero Corinnae
increpuisse, permipuisse [...]
consilium est, quod illa Pindaro dederat, ne sine fabulis poemata conderentur : esse namque eas illorum animam ; inculcat igitur quantum potest. Pro his igitur sententiae sunto dulces, luculentae, non languidae, non affectatae, non nimis frequentes.
Le jugement de Quintilien preèvaut de toute eèvidence chez Crinito, Vadian et Giraldi qui le citent et le commentent
63
. Le premier met
l' accent sur l' eèleègance de Tibulle qu' il associe aé l' adjectif candidus, qui exprime chez Ciceèron et Quintilien la limpiditeè et que ce dernier applique aé Tite-Live (Inst., II, 5, 19), Heèrodote (Inst., X, 1, 73) ou aé
63
Crinito, De poetis Latinis, chapitre 40, p. 455 ; Vadian, De poetica, eèd. P. Scha«ffer, I,
p. 265-266 ; Giraldi, Historiae poetarum, p. 486-487. Il cite plus loin le jugement de son contemporain Luceus Ripa, p. 495 -496.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 371 Messala (Inst., X, 1, 113). Il associe en outre l' eèleègance aé la douceur (suauitas) comme le fait preèciseèment Quintilien aé propos d' Aristote (Inst., X, 1, 83) et aé un style eèthique exprimant les affects. Vadian et Luceus Ripa, citeè par Giraldi, ajouteront l' adjectif
facilis
et deèfiniront
de meême l' eèleègance de Tibulle par un style coulant et naturel conformeèment aé l' usage de Quintilien qui utilise le terme racteèriser l' atticisme
de
l' ancienne comeèdie
elegantia
(Inst.,
Lysias (Inst., X, 1, 78). Seul Luceus Ripa introduit l' adjectif ditionnellement utiliseè pour caracteèriser le genre eèleègiaque l' adjectif
tersus,
compositus,
pour ca-
X, 1, 65)
64
ou de
mollis
tra-
. Quant aé
û chaêtieè ý, il est deèveloppeè chez Vadian par le terme
û disposeè avec art ý et chez Luceus Ripa par l' adjectif
û soigneè ý º dont Scaliger fait un synonyme de
tersus
65
cultus,
.
Certes, la douceur est une cateègorie stylistique chez Hermogeéne et l' accent sur la
compositio uerborum
est peut-eêtre duê aé une influence gran-
dissante de Denys d' Halicarnasse, mais il me semble que Quintilien reste le modeéle critique dominant chez ces auteurs. Si, aé propos de Properce, Crinito se contente de citer la formule
sunt qui Propertium malint,
pour deèvelopper cette formule, Vadian et
Giraldi attribuent aé Properce des qualiteès qui s' opposent point par point aé celles attribueèes par Quintilien aé Tibulle : en effet, aé l' ingenium sont opposeèes l' eruditio et la
doctrina ;
aé l' eèleègance la
grauitas ;
au natu-
rel, l' usage de figures nouvelles qui par opposition aé la limpiditeè de Tibulle rendent parfois, selon Giraldi, le style de Properce û plus obscur ý :
obscuriorem.
Pour exprimer cette opposition, Vadian caracteèrise les deux auteurs par deux paysages meètastylistiques, manifestement inspireès de Quintilien : Ego ut Tibullo elegantia et suauitate inferiorem esse puto, ita doctrina multifaria quam ex Graecorum bona parte fontibus hausisse deprendi tur et uerborum nonnullorum gratiosa quadam nouitate Tibullo prio rem statuo. Quod si unum alteri contuleris, adsimilis Tibullus est amni placido, plano alueo per floridos agros defluenti, limpidae undae et suauis haustus, at Propertius torrenti similior, ad iniqua saepe illisus littora atque ipso asperior uado celeriorque decursus, cuius tamen un das
64
ex
plane
Voir notamment Horace,
2, 307 et 349 ;
65
montanis
Scaliger,
p. 325.
Pont.,
fontibus
Carm.,
deriuari
dixeris.
Eminet
ergo
II, 9, 17 ; Properce, I, 7, 19 et II, 1, 2 ; Ovide,
in
Tr.,
III, 4, 85 et IV, 16, 32.
Poetices libri septem,
chapitre IV, 4, eèd. 1561, p. 184A et eèd. L. Deitz, III,
372
virginie leroux Tibullo suauitas, in Propertio doctrina, in utroque artis ingeniique plurimum
66
.
On reconna|êt ici des meètaphores usuelles de la stylistique des anciens
67
; Ciceèron oppose ainsi le cours tranquille d' Heèrodote aé l' em-
portement plus vif de Thucydide
68
. On songe aussi aux paysages qui
caracteèrisent l' opposition entre le style moyen et le grand style chez Ciceèron (Or., 92 et 97), Denys d' Halicarnasse (Deèm., V, 5, 2) et surtout Quintilien : Medius hic modus et tralationibus crebrior et figuris erit iucundior, egressionibus amoenus, compositione aptus, sententiis dulcis, lenior tamquam
amnis
et
lucidus
quidem
sed
virentibus
utrimque
ripis
inumbratus. At ille qui saxa devolvat et `pontem indignetur' et ripas sibi faciat multus et torrens iudicem vel nitentem contra feret, co getque ire qua rapiet
69
.
Vadian est plus preècis que Quintilien puisqu' il utilise l' adjectif floridos qui rappelle le nom donneè par Quintilien au style intermeèdiaire : genus floridum (Inst., XII, 10, 58). Cependant les nuances qu' il introduit et l' eèvocation de la pureteè des sources de montagne me semblent reèsulter d' un effort pour prendre en compte la volonteè exprimeèe par Quintilien en XII, 10, 67 de sortir des cadres rigides des trois genres
66
Vadian, De poetica, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 266. û Pour ma part, de meême que je consi-
deére que Properce est infeèrieur aé Tibulle pour l' eèleègance et la douceur, je lui confeére le premier rang pour la culture varieèe puiseèe pour une bonne part aux sources grecques et par la nouveauteè pleine de charme de certains mots. Si on les confronte, Tibulle est sem blable aé un fleuve paisible, dont le lit coule sans deènivellation par des champs fleuris, aé une onde limpide et aé une gorgeèe suave, tandis que Properce ressemble davantage aé un torrent, souvent pousseè vers des rivages hostiles, dont la course est plus heurteè e et plus rapide que ses propres bas-fonds et dont on dirait cependant les ondes deèriveèes de sources montagneuses. Donc la douceur l' emporte chez Tibulle, la culture chez Properce, tous deux remarquables par l' art et le talent ý.
67
Voir les analyses de P. Galand-Hallyn sur le texte-paysage dans Le Reflet des Fleurs.
Description et meètalangage poeètique d' Homeére aé la Renaissance, Geneéve, 1994, p. 119 sq.
68
Quo magis sunt Herodotus Thucydidesque mirabiles ; quorum aetas cum in eorum tempora
quos nominavi incidisset, longissime tamen ipsi a talibus deliciis vel potius ineptiis afuerunt. Alter enim sine ullis salebris quasi sedatus amnis fluit, alter incitatior fertur et de bellicis rebus canit etiam quodam modo bellicum ; primisque ab his, ut ait Theophrastus, historia commota est, ut auderet ube rius quam superiores et ornatius dicere (Or., 39).
69
û Le genre intermeèdiaire aura plus freèquemment recours aux meètaphores et sera
plus agreèable graêce aux figures, aimable par des digressions, ajusteè dans l' arrangement des mots, plaisant par les traits, comme un cours d' eau assez paisible et transparent certes, mais ombrageè sur les deux rives par de la verdure. Le dernier, lui, capable de rou ler des rochers et de û s' indigner contre le pont ý, et de se creuser aé lui-meême ses rives, abondant et torrentueux, emportera le juge, meême s' il reèsiste, et le forcera d' aller par oué il l' emportera ý (trad. J. Cousin, p. 131).
posteèriteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques
373
de style et d' affiner la caracteèrisation des auteurs. Properce repreèsente donc un degreè intermeèdiaire entre le style fleuri de Tibulle et le style eèleveè.
Le deèclin de Quintilien Or, cette meèthode quintilianisante d' interpreètation est relayeèe vers le milieu du sieécle par l' introduction d' autres criteéres d' eèvaluation stylistique ; ainsi, Muret fait de Tibulle et de Properce les champions de deux styles distincts : Summa in Tibullo elocutionis elegantia, et proprietas : summa in Pro pertio eruditionis poeticae copia, et uarietas : in illo Romana propre omnia, in hoc pleraque transmarina. Illum, natiua quaedam et incor rupta Romani sermonis integritas, in media urbe natum et altum esse, perspicue ostendit : hunc praeter cetera, forma et character ipse di cendi in Graecorum poetarum scriptis assiduissime uersatum esse de monstrat.
Cumque
a
sapientissimis
uiris
praecipua poeticae dictionis ornamenta,
traditum
sit,
duo
to saphes kai to xenikon,
esse illo
Tibullus, hoc Propertius excellere uidetur. Mollior ille, et delicatior : neruosior hic et accuratior. Illo magis oblectere : hunc magis, ut opi nor, admirere
70
.
Selon Muret, Tibulle est un repreèsentant de la pureteè et de l' inteègriteè romaine, tandis que Properce se distingue par son eèrudition et par l' imitation des Grecs. Plus loin dans le discours, il preècise, comme Vadian et Luceus Ripa, cette distinction par l' opposition entre la nature (natura) et l' art, l' application (industria) et indique que les deux eèleègiaques pratiquent deux types d' imitation diffeèrents : Tibulle incarne la
mimesis
et rivalise avec la nature, tandis que Properce preèfeére
l' imitatio et se veut un nouveau Callimaque. De meême que Ciceèron ou Quintilien, Muret allie la pureteè du style aé la latiniteè
70
Muret,
remarquable
Catullus et in eum, eèleègance
de
71
. Ainsi, la
fol. A2r-A3v (Propertius). û Tibulle se distingue par une
l' expression et
par
la
proprieèteè
des
termes ;
Properce par
l' abondance et par la varieèteè remarquables de son eèrudition poeètique. Chez le premier, presque tout est Romain ; chez le second la plus grande part vient d' outre -mer. La pureteè quasi primitive et intacte de son latin montre clairement que le premier est neè et a grandi aé Rome meême ; les tours et les particulariteès de son expression prouvent que le second a freèquenteè de fac°on particulieérement assidue les eècrits des poeétes grecs. Alors que selon les hommes les plus sages, les deux principales qualiteè s du style poeètique sont la clarteè (to
saphes)
et la couleur eètrangeére (to
xenikon),
il semble que Tibulle excelle en la
premieére et Properce en la seconde. Le premier est plus doux et plus deè licat, le second plus vigoureux et plus sophistiqueè. On est davantage charmeè par le premier, tandis qu' aé mon avis, le second suscite davantage l' eètonnement ý.
71
Voir
C
iceèron,
Orat.,
79 ;
De orat.,
3, 48
sq.
et Quintilien,
Inst.,
VIII, 2.
374
virginie leroux
clarteè et la limpiditeè de Tibulle en font un repreèsentant de l'
ingenium
proprement romain, tandis que Properce cultive au contraire l' eè trangeteè et privileègie la sophistication. L' originaliteè de Muret est de transcrire cette opposition en utilisant les cateègories stylistiques d' Aristote. Sa source est probablement le livre III de la Ce qui fait la clarteè du style (
saphe
Rheètorique
72
:
), c' est la proprieèteè des noms et des
verbes ; ce qui en releéve la platitude et en fait l' ornement, c' est l' em ploi de tous les autres mots eènumeèreès dans la
Poeètique
: s' eècarter de
l' usage courant le fait para|être plus noble ; la meême impression que les hommes eèprouvent aé l' endroit des eètrangers et de leurs concitoyens, ils la ressentent aé l' eègard du style ; ainsi faut-il donner aé son langage
xenen
une couleur eètrangeére (
), car on est eètonneè de ce qui est eèloigneè,
et ce qui excite l' eètonnement est agreèable
73
.
Comme Aristote, Muret associe la couleur eètrangeére aé l' ornementation et aux figures qui s' eècartent de l' usage courant et suscitent l' eètonnement. Si
Muret
s' inscrit
dans
la
tradition
inaugureèe
par
Quintilien,
Scaliger, en revanche, s' en distingue en ce qu' il tend aé gommer la diffeèrence entre Tibulle et Properce et c' est probablement Quintilien et ses successeurs
qu' il
vise
lorsqu' il
affirme
que
Properce est
û plus
chaêtieè que ne l' estiment les Critiques ý : Propertius facilis, candidus, uere elegiacus ; tersior tamen quam existi matus est a Criticis ; nam et amat quaedam quae minime sunt uulgaria et
quibusdam
locis
paucorum
iudicium
sequutus uidetur ; nam
principium operis tum elegans est, tum compositum
74
et
.
Les adjectifs qu' il utilise pour deècrire son style sont ceux par lesquels Crinito, Vadian ou Luceus Ripa deèveloppent le jugement de Quintilien sur Tibulle. De fait, loin d' opposer les deux eèleègiaques, Scaliger en fait les repreèsentants d' un meême ideèal stylistique fondeè sur
candor
les quatre aêmes de la poeèsie : le nerf, le rythme, l' eèclat naturel (
72 73
Trad. M. Dufour et A. Wartelle, 1980 (
J' ai remplaceè û admirer ý par û eètonner ý.
74
Poeètique Collection des Universiteès de France
III, 2, 1404 b, mais voir aussi les livres 20 aé 22 de la
17).
)
(1456 b 20 º 1458 a
), p. 41.
û Properce est un poeéte au style aiseè, naturel, vraiment eèleègiaque ; il est toutefois
plus soigneè que ne l' a jugeè la critique ; car d' une part il aime ce qu' il y a de moins vul gaire et d' autre part en certains endroits il semble s' adresser au gouê t d' une eèlite ; et en effet le deèbut de son Ýuvre est aé la fois eèleègant et harmonieux ý (trad. C. Caillou,
Le livre VI
, p. 165).
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 375 et
la
graêce
(uenustas)
75
.
Certes,
le
critique
mentionne
l' usage
que
Properce fait de la mythologie, mais c' est pour inciter les futurs poeé tes aé ne pas en abuser et aé preèfeèrer les sentences aux fables
76
. Mettant
l' accent sur la composition et l' harmonie, il n' heèsite pas aé critiquer l' abus d' infinitifs parfaits chez Tibulle
77
. Loin de caracteèriser le style
propre de chaque auteur, il adopte une perspective normative qui soumet les Ýuvres aé un canon unique. La manieére dont Vadian et Scaliger s' approprient le jugement de Quintilien sur Ovide illustre de fac°on encore plus nette les prioriteès et les gou ê ts des deux poeèticiens. On peut s' eètonner de voir le quintilianisant Vadian classer en seconde position de son canon un auteur dont Quintilien fustige les deèfauts : lascivitas, trop grande indulgence pour son geènie, et qu' il invite aé louer avec parcimonie º si l' on adopte la lec°on parcius qui figure dans la plupart des eèditions de la Renaissance, alors que les no ê tres lisent partibus, ce qui est plus positif
78
. La raison de
ce choix est l' utiliteè des fables des Meètamorphoses et du savoir qu' elles receélent sous leur fabuleux manteau. Vadian alleégue ainsi l' ampleur de son talent (ingenii magnitudine) et l' inteèreêt de son Ýuvre : les Meèta-
morphoses en particulier sont incontournables en ce qu' elles contiennent des fables dont la connaissance est neècessaire (necessaria scitu). Il condamne cependant, aé l' instar de Quintilien, la lubriciteè d' Ovide et sa propension aé avoir trop de complaisance pour son talent, reprenant
la
formule
de
Quintilien
(ingenio
indulsit, eèd. P. Scha«ffer, I,
p. 255) qu' il interpreéte comme une propension aé la lubriciteè. Ingenium a donc manifestement le double sens de talent poeètique et de nature
75 76
Scaliger, Poetices libri septem, chapitre VI, 4, eèd. 1561, p. 308 et 311. û Il a d' autre part suivi le conseil que Corinne avait donneè aé Pindare, de ne jamais
composer des poeémes sans fables, car elles en eètaient l' aême : il en inseére donc autant qu' il peut. Mais comme toutes ces fables sont deèsormais archiconnues, je conseille vivement aé notre poeéte de les eèviter, et tant celles-ci que celles qui ne sont pas connues ; car si les unes sont deèpourvues d' agreèment, les autres, aé mon avis, ne peuvent que provoquer l' irritation. Qu' au lieu de cela, il utilise des traits agreè ables, brillants, qui ne manquent pas de force, qui ne soient pas affecteè s ni trop nombreux ý (trad. C. Caillou, Le
livre VI, p. 166).
77
û D' autre part º et il aurait eèteè possible de le relever eègalement chez Ovide º je
trouve deèsagreèable l' usage si freèquent que cet auteur fait d' infinitifs tels que continuisse,
discubuisse, increpuisse, pertimuisse, et de bien d' autres au point de nous en deègouêter ; il y a persoluisse aussi ; tant la nature de cette flexion que sa freèquence deènonce chez un auteur soit la paresse, soit l' absence de jugement dans le choix et dans la disposition des verbes et de leurs sonoriteès ý (trad. C. Caillou, Le livre VI, p. 183-184).
78 Lasciuius quidem in herois quoque Ouidius et nimium amator ingenii sui, laudandus tamen
parcius (Inst., X, 1, 88) ; Ouidius utroque lasciuior (Inst., X, 1, 93) ; Ouidi Medea uidetur mihi ostendere quantum ille uir praestare potuerit, si ingenio suo imperare quam indulgere maluisset (Inst., X, 1, 98).
376
virginie leroux
perverse. Ce double sens se retrouve dans le paysage qui caracteè rise les
Eè leègies
d' Ovide :
Vates alioqui tersus et qui inter Elegorum principes merito statuatur, eruditus et uarius nec ab ullo uerborum ubertate et illa felici in mini mis etiam rebus copia superabilis, atque (ut in summa quod sentio di cam) uero adsimilis prato in quo omnia rident uigentque ceu sponte nata ac sine labore quasi ex naturae fecunditate profecta ; quam si paulo ampliori cultura Naso emendasset nec adeo per fertiles herbas lolium, amoenum quidem uisu uerum inutile, pullulare permisisset, alium habuisset Ouidium Romanae linguae dignitas ac hodie apparet, quanquam ne hoc quidem modo deesse sibi quicquam uideatur
79
.
L' ivraie n' est probablement pas choisie au hasard et on songe aé la fameuse parabole de Matthieu (13, 24-30) : le lecteur aviseè d' Ovide devra seèparer le grain de l' ivraie. De toute eèvidence, Vadian deèveloppe ici le jugement de Quintilien preèceèdemment citeè. L' enjeu moral et l' importance du fruit que les lecteurs doivent tirer de l' Ýuvre prime ici sur l' enjeu stylistique, mais celui-ci n' est pas absent. Ovide est le repreèsentant d' un style chaêtieè, varieè et fleuri, autre variante de
genus floridus ingenium
l' eèleègance du Si l'
, tel qu' il est deèfini par Quintilien.
d' Ovide est associeè par Vadian aé la fois aé un don poeè-
tique qui lui permit d' embrasser une Ýuvre colossale ou de produire de jolies pieéces, non canaliseè ce don devient un deèfaut. Toute autre est l' interpreètation de Scaliger. Lui aussi eèvoque aé maintes reprises l'
nium gutia
ingear-
d' Ovide, mais l' associe aé des qualiteès stylistiques telles que l' et l' illustre par des pointes savantes et eèlaboreèes :
Illa uero plane Ouidiana, id est arguta, ac digna quouis Epigrammate, `Falleris et nescis, non sunt spolia ista leonis, Sed tua : tuque ferae uictor es, illa tui.' [
Epist
., 9, 113-14]
[...] Quem Helenae responsionem frustra simul ac temere amouerunt ab Ouidianarum censu Critici. Nam et spirat uigetque illius
79
Vadian,
ingenium
: et
De poetica
, chapitre 29, eèd. P. Scha«ffer, I, p. 255-256. û Il est par ailleurs un
poeéte eèleègant qui meèrite d' eêtre eèleveè parmi les princes des E è leègiaques, eèrudit et varieè, indeèpassable pour la richesse du vocabulaire et pour son heureuse abondance, meê me dans les sujets les plus infimes, et pour reèsumer ma penseèe, tout aé fait semblable aé un preè oué toute la veègeètation rit et fleurit comme si elle poussait d' elle -meême et croissait sans culture comme par la feèconditeè de la nature. Si Nason l' avait corrigeèe en la cultivant un peu plus et n' avait pas permis
que parmi les herbes fertiles pullule l' ivraie, certes
agreèable aé regarder, mais inutile, la digniteè de la langue romaine aurait eu un autre Ovide et cela appara|êt aujourd' hui bien que meême cela ne semble pas lui manquer ý.
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 377 stilus idem, ac nescio an maior in hac sit ars. Etenim per initia tractat causam
tanquam
iniquam ;
deinde
quasi dubiam ;
postremo
cedit.
Sententiae uero in illa diuinae : quantas qualesque materia illa pati po test. Ponam igitur aliquas, in quibus elucet uis illius ingenii similis sui : `Esset ut officii merces, iniuria, tanti ? Qui sic intrabas hospes an hostis eras ?' [Epist., 17, 11-12]
80
On voit que l' ingenium d' Ovide, loin de s' opposer aé l' ars, devient ici finesse, ingeèniositeè, art de la pointe, talent particulieérement priseè par Scaliger. Certes, Scaliger condamne le caracteére licencieux des Amours ou de l' Art d' aimer qu' il refuse meême d' eèvoquer, mais aé propos des Heèro|ëdes, l' enjeu estheètique supplante l' enjeu moral. Le canon du livre X de l' Institution oratoire occupe une place importante dans les histoires litteèraires et les poeètiques de la Renaissance. Le caracteére encyclopeèdique des histoires litteèraires de Crinito et de Giraldi entra|êne une citation quasi-systeèmatique des jugements de Quintilien, mais les humanistes font montre d' une grande liberteè dans leur fac°on de s' approprier et de commenter les jugements du rheèteur, qu' ils tronquent ou interpreétent avec une mauvaise foi surprenante afin de servir un scheéme historiographique, un ideèal peèdagogique ou estheètique. Les poeètiques sont plus parcimonieuses : l' autoriteè des jugements de Quintilien est le plus souvent convoqueèe aé propos de la satire et de la silve ou encore des eèleègiaques, cependant son influence se
note
dans
l' apparition
de
sections
speècifiquement
consacreèes
aé
l' exercice personnel du iudicium dans les poeètiques de Vadian et de Scaliger : si le premier est indeèniablement plus fideéle au rheèteur, probablement en raison de la vocation peèdagogique de son traiteè de poeètique, l' hommage que lui rend le Padouan au seuil de l' Hypercriticus est particulieérement remarquable.
80
Scaliger, Poetices libri septem, eèd. 1561, p. 330B et 331A. û En revanche, ce qui suit
est vraiment Ovidien, aé savoir plein de finesse et digne de n' importe quelle eè pigramme : `Tu te trompes et tu ne sais pas, non ce n' est pas la deèpouille d' un lion / mais la tienne : tu as vaincu un monstre, mais elle t' a vaincu.' [...] Cette reè ponse d' Heèleéne, c' est aé tort et sans raison que les critiques l' ont retireèe de la liste des Ýuvres d' Ovide. Car on y sent le souffle et la vigueur de son talent. Le style est le meême et peut-eêtre meême cette eèp|être teèmoigne-t-elle d' un art supeèrieur. Heèleéne en effet au deèbut preèsente la cause comme injuste, puis comme incertaine, enfin elle ceé de. Dans cette lettre, les sentences sont vraiment divines, en quantiteè et en qualiteè telles qu' un sujet de ce genre peut le permettre. J' en citerai quelques exemples qui montreront clairement la vivaciteè de son talent toujours eègal aé lui-meême : `Etait-ce pour que la reècompense d' un si grand bienfait fuêt un outrage ? / Toi qui entrais ainsi eètais-tu ho ê te ou hostile ?' ý.
virginie leroux
378
ANNEXE 1 L' ORDRE DE PRE è SENTATION DES GENRES ET DES AUTEURS
Quintilien
CHEZ QUINTILIEN, DIOME é DE, POLITIEN ET FONZIO
Poeétes grecs
Diomeéde Epos
Politien
Poeèsie antique
Fonzio
(des nomes aux poeétes
Poeéme heèro|ëque
Preèdeècesseurs d' Homeére
Homeére ; Heèsiode
mythiques)
Antimaque ; Panyasis
Homeére
Homeére ; Heèsiode
Apollonius ; Aratos
Virgile (a surpasseè Heèsiode et
Tyrteèe ; Antimaque ; Panesius ;
Theèocrite
Theèocrite)
Poeétes eèpiques grecs et latins
Apollonius ; Aratus
Antimaque de Colophon, Stace,
Ennius ; Lucreéce ; Varron
Pisandre, Nicandre,
Apollonius de Rhodes, Varron, Caius
Virgile ; Aemilius Macer
Euphorion, Tyrteèe ]
Valerius Flaccus, Heèsiode ; Pisandre,
Ovide ; Manilius ; Lucain
Panyasis d' Halicarnasse
Saleius Bassus ; Cornelius
Eè leègiaques ou naturalistes
Seèveèrus ; Rabirius ; Pedo
[poeétes citeès non pris en compte :
Eè leègiaques Poeèsie |ëambique Lyriques
Eleègie
Callimaque ; Phileètas Iambe
Partheènios de Niceèe, Aratus, Nicandre
Theèocrite
Silius Italicus ; Valerius Flaccus ; Stace ; Claudien
Poeèsie lyrique
Satire
de Colophon, Oppianus, Dionysius,
Bucolique
Nonnos, Callimaque ; Ovide ; Ennius ;
Inventeurs d' Apollon aé David
Pindare ; Steèsichore
Catulle
Alcman ; Terpandre ; Sappho
Alceèe ; Simonide
Emilius Macer ; Lucreéce
Philosophes grecs et naturalistes Poeétes eèpiques latins
Alceèe ; Steèsichore ; Chilon
Lucain ; Silius Italicus ; Ponticus ;
Praxila ; Cleobulina
Eschyle ; Sophocle
Claudien ; Manlius ; C. Valgius Rufus ;
Erinna ; Catulle ; Horace
Euripide
Clauus ; Saleius Bassus ; Seuerus ;
Cesius Bassus ; Dante
Meènandre ; Phileèmon
Ponticus ; Claudien ; Manlius ; Valgius
Peètrarque
Virgile
Tibulle ; Properce ; Gallus ; Licinius
Archiloque ; Hipponax
Macer et Lucreéce
Calvus ; Phileétas de Cos ; Mimnerme
Furius Bibaculus
Varron de l' Atax
de Smyrne
Catulle ; Horace
Corneèlius Seèveèrus ;
Theèocrite ; Bion de Smyrne ;
Mydas ; Iob Idumeus
Serrranus
Calpurnius Siculus
Les lyriques grecs
Callimaque ; Mimnerme
Saleius Bassus
Pindare ; Corinne ; Anacreèon ; Alceèe ;
Gallus ; Ovide ; Tibulle ;
Rabirius et Pedo
Steèsichore ; Simonide ; Alcman ;
Properce
Lucain ; Germanicus
Eleègie
Ibycus ; Bachylide ; Sappho
Tibulle ; Properce
Horace, Lucilius, Perse, Juveènal ;
Ovide ; Gallus
Archiloque de Paros, Hipponax
Archiloque
Comeèdie ancienne
Aristophane ; Eupolis
Trageèdie
Cratinos
Comeèdie
Trageèdie
Poeétes latins
Ennius ; Ovide
Valerius Flaccus,
Satire
Lucilius
Mime
Empeèdocle ; Heèraclite d' Eèpheése :
Eè leègiaques latins et grecs
Poeétes bucoliques grecs et latins
Satiriques latins et grecs d' E è pheése, Bassus, Furius Bibaculus
Tragiques grecs
Horace
Sophocle, Euripide, Homeére le
Perse
tragique, Sositheèos, Lycophron [...]
Autres satiriques
Tragiques latins
Simonide ; Hybicus Anacreon ; Pindare Corinne ; Bachylide ; Telesilla
Poeèsie iambique
Poeèsie eèleègiaque
Euphorion ; Philetas
Trageèdie
Phrynicos ; Thespis E è schyle ; Sophocle ; Euripide
Ancienne comeèdie Nouvelle comeèdie Drame satyrique Mime Theèaêtre latin
Deèmeètrius de Tharse et Meènippe
ceèleébres
Lucius Varius, Seèneéque, Lucius
(preètexte ; atellane : togata)
Varron
Accius, Pacuvius
Comiques grecs Comiques latins
Afranius ; Ennius ; Quintus ;
Horace
Ceècilius, Teèrence, Plaute, Lucius
Lucilius ; Horace ; Perse
Caesius Bassus
Trageèdie
Afranus
Juveènal
Accius, Pacuvius
Sophron de Syracuse, Philistion de
Varius
Niceèe, Decimus Laberius et Publius
Ovide
Sirus
Pomponius Secundus
Vers sotadeèens
Iambe
Catulle, Bibaculus,
Comeèdie
Plaute ; Caecilius ;
Mimographes grecs et latins Poeèsie eèpigrammatique latine et grecque
Teèrence
Dante ; Peètrarque
Afranius
Boccace Laurent de Meèdicis
Teèrence ; Ceècilius
Satire latine Dante
Ancienne satire Ennius ; Pacuvius
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques
379
ANNEXE 2 LES CLASSEMENTS DES SECTIONS DE VADIAN ET DE SCALIGER CONSACRE è ES AU CANON DES AUTEURS Scaliger
Vadian
De poetica,
XXIX.
Iudicium in Latinis Poetis
Poetices libri septem,
VI.
Hypercriticus
et qui primum legendi. Virgile ; Ovide ; Horace
VI. 3. Premier aê ge
Lucain ; Silius Italicus ; Valerius Flaccus
Plaute et Teèrence
Lucreéce ; Manilius ; Claudien
VI. 4. Auteurs modernes : cinquieé me aê ge
Juveènal ; Perse
Marulle
Catulle ; Martial
Bigus ; Augurellus ; Vegius ; Angerianus
Tibulle ; Ovide ; Properce
Fiera ; Carmelita ; Mycillus
Teèrence ; Plaute ; Seèneéque le tragique
Quintianus ; Dampierre
Ausone ; Calpurnius Nemesianus
Accius ; Rogerius ; Vulteius ; Cordus ; Molossus ;
Martianus Capella
Amaseus ; Alexander ; Gaidanus ; Mombritius
Sidoine Apollinaire
Rhodophilus ; Dolet
Baptiste Mantouan
Verinus ; Egnatius ; Strozzi ; Mutius ; Palingeéne ; Pierius ;
Pontano
Cotta ; Aonius ; Beatianus ; Navagero ; Castiglione ;
Calentius
Collatius ; Curtius ; Faustus ; E è rasme ; Bonincontrus ;
Bartholinus
Altilius ; Meèlanchton ; Stigelius ; Aemilius ; Acontius ;
Huttenus
Volfius ; Camerarius
Caspar Ursinus
Cerratus, Bembo ; Politien ; Vida, Pontano, Sannazar ; Fracastor VI. 5. Quatrieé me aê ge Macer : Serenus ; Sidonius ; Calphurnus ; Neè meèsien ; Boeéce Ausone et Paulin ; Claudien VI. 6. Troisieé me aê ge Sulpitia ; Perse ; Juveènal ; Martial ; Seèneéque ; Valerius Flaccus ; Silius ; Stace ; Lucain VI. 7. Second aê ge Gratien et Neèmeèsien ; Cornelius Gallus ; Quintilius Varus Sabinus ; Properce ; Ovide ; Tibulle ; Catulle ; Horace Autel de Virgile
380
virginie leroux
ANNEXE 3 LES JUGEMENTS DE QUINTILIEN DANS LES SECTIONS CONSACRE è ES AUX GENRES LITTE è RAIRES
De poetica De multiplici genere poematum et speciebus Poematis variis
Minturno
Epopeèe
Livre 2. Epopeèe
Genre heèro|ëque
Poeèsie lyrique
Livre 3. Trageèdie
Trageèdie Comeèdie Mime
E è leègie
Livre 4. Comeèdie
Satires (cite la formule
Satire (cite la formule
contester)
Vadian
Scaliger
Poetices libri septem
, III, 95-125.
, VIII.
tota nostra est
pour la
tota nostra est
Livre 5. poeèsie lyrique ; iambe ; eèleègie ;
Pastorales
Trageèdie (cite Quintilien
eèpigrammes ; autres
Silve (cite
aé propos d' Accius et
genres : eèpithalames,
E è pithalame
Pacuvius)
monodie ; satire
Oaristys, Genethliacum Proseuktikon,
)
Inst
., X, 3, 17)
Comeèdie
Apeuktikon, Soteria
Bucolique
Propempticon, apopempticon, hodoeporicon
Autres espeéces :
Symbouleutikon [...]
eèpithalame ; vÝux ;
Epibaterion
geèorgiques ; silve (cite
Apobaterion
Quintilien et le critique)
Paideuteria Paneègyrique E è loge Hymnes Peèans Dithyrambes E è loges de personnes, lieux, villes E è pithaphes, eèpiceédes, monodies [...] Consolations Poeèsie lyrique E è leègie E è pigramme
posteè riteè des jugements de quintilien sur les poeé tes antiques 381
BIBLIOGRAPHIE
Sources primaires Aristote, Poeètique, trad. M. Dufour et A. Wartelle, C.U.F., 1980. Crinito, Pietro, De poetis Latinis, [Venise], 1505. Denys d' Halicarnasse, L' imitation Epitomeè 2, eèd. G. Aujac, Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1992. E è rasme, De ratione studii, eèd. J.-C. Margolin, dans Opera omnia, I-2, ASD, Amsterdam, North Holland Publishing Company, 1971. Della Fonte ou Fonzio, Bartolommeo, De poetice ad Laurentium Medicem libri III, resteè manuscrit, Florence, 1490-1492, eèd. C. Trinkaus, û The Unknown
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382
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L AT I N I TAT E S
Jean
Lecointe
LA NOUVELLE BABYLONE. QUINTILIEN ET LE STATUT DES AFFECTS ÂTORIQUE DE RAMUS DANS LA RHE
En l' espace de moins d' une deècennie (1543-1549), Pierre de la Rameèe alias Ramus acheéve de mettre aé mal quelques-unes des autoriteès ma1
jeures de la tradition rheètorique humaniste . Il ne s' encombre gueére, aé cet eègard, du principe de reèveèrence aé l' eègard des Anciens geèneèralement professeè par ses contemporains : au contraire, toute forme de creèdit trop inconditionnel accordeè aux autoriteès eètablies tend toujours aé s' exercer, aé ses yeux, au plus grand deètriment des seules autoriteès qui vaillent, celles de la Raison et de la Parole de Dieu. Tel est manifestement le sens du jeu de massacre auquel il se livre en ces anneè es-laé, 2
au grand scandale des uns et des autres, on le sait . Tel est peut-eêtre aussi le preèsupposeè profond qui reègit ses positions rheètoriques, dans la distance qu' il est ameneè aé prendre par rapport aux fondements de la rheètorique antique, partant û pa|ëenne ý, aé travers ses plus grands repreè-
1
Sur Ramus, voir : N. Bruyeére, Meèthode et dialectique dans l' Ýuvre de Pierre de la Rameèe,
Paris, 1984 ; F. Goyet, Le sublime du lieu commun. L' invention rheètorique dans l' Antiquiteè et aé la Renaissance, Paris, 1996 ; K. Meerhoff, Rheètorique et poeètique au
xvi
e
sieécle en France. Du
Bellay, Ramus et les autres, Leyde, 1986 ; W. J. Ong, Ramus, Method and the Decay of Dialogue, Cambridge Mass., 1958 ; Ramus et l' Universiteè, Paris, 2004 (Cahiers Saulnier 21), avec riche bibliographie eètablie par K. Meerhoff. Textes utiliseès : Ramus, Dialectique, Paris, 1555 (repr. Geneéve, 1972) ; Scholae in liberales artes, eèd. W. J. Ong, Hildesheim, 1970 ; Arguments in Rhetoric against Quintilian, transl. C. Newlands, intr. J. J. Murphy, Northern Illinois, 1986 ; Commentarii de Religione christiana, Francfort, 1583 ; O. Talon, Rhetorica, e P. Rami Regii Professoris praelectionibus obser vata,
Francfort,
1600 ;
Fouquelin,
Rheètorique
Franc°aise,
dans
Traiteès
de
poeètique
et
de
rheètorique de la Renaissance, eèd. F. Goyet, Paris, 1990.
2
Plutoêt que dans l' affirmation d' un ego surdimensionnneè, comme on l' en a souvent
accuseè, non sans quelque apparence de veèriteè, d' ailleurs. Ramus prend le soin de souligner qu' il ne faut pas faire d' Aristote et Ciceèron, des dieux, deos (Ramus, In Quintilianum, eèd. C. Newlands, p. 165), en deèpit de leurs meèrites intellectuels remarquables.
383
jean lecointe
384
sentants, notamment Quintilien, et notamment en ce qui concerne la theèorie classique des deux types d' affectus, l' eéthos et le pathos. C' est du moins ce que nous chercherons aé montrer ici. Ramus a pris aé parti, successivement, Aristote, dans ses Aristotelicae
animaduersiones (1543), et Ciceèron, dans ses Brutinae quaestiones (1547). Mais c' est aé Quintilien qu' il va reèserver les plus acrimonieuses de ses attaques,
dans
le
cadre
des
Rhetoricae distinctiones in Quintilianum
(1549) : Ecce autem Aristotelis et Ciceronis dialecticam perturbationem Quin tilianus sequitur, maiorem etiam ex seipso comminiscitur, omnesque omnium artium, de quibus aliquid legerat vel audierat, scholas, gram maticas, philosophicas, histrionicas, palaestricas, rhetoricas, in suas ins titutiones
amplectitur.
distinguimus,
et
de
Nos
rhetoricam
liberalibus
artibus
artem
artem
a
caeteris
vnam
non
artibus
omnium
confusionem artium facimus : quae sint eius propria separamus, iner 3
tes et inutiles argutias detrahimus, quae desint indicamus [...] .
Aristote et Ciceèron, quant aé
eux, ont
encore droit aé
quelques
compliments consentis du bout des leévres ; rien de tel pour le malheureux Quintilien : De Quintiliano faciam imprudenter, si simile quicquam 4
praedicem , û je ferais preuve d' imprudence, si j' en affirmais quoi que ce soit de semblable ý. On puisera quelques renseignements utiles dans ses ouvrages, certes, mais pour ce qui est de l' eèloquence elle-meême, il y a, de Ciceèron aé lui, û une distance incommensurable
5
ý. Repreèsen-
tant de l' aêge de fer de l' eèloquence latine, c' est seulement aé cette aune qu' il peut passer aé la rigueur pour eèloquent. L' appreèciation est donc seèveére. Son principal attendu : la confusio qui s' eètale partout chez Quintilien ; l' exposeè des Institutions est une monstruositeè hybride, cherchant son bien ou é elle peut, incapable de proceèder par speècifications, rigoureuses et successives, selon l' ordre de cette û meèthode ý dont Ramus se proclame l' instaurateur, sinon l' in-
3
Ramus, In Quintilianum, eèd. C. Newlands, p. 164 : û Voici enfin Quintilien qui re -
prend aé son compte le deèsordre introduit par Aristote et Ciceèron dans la dialectique, et qui en forge un plus grand encore de son propre fonds, en voulant accumuler dans ses
Institutions des exposeès de toutes les disciplines sur lesquelles il avait lu ou entendu dire quelque chose, de grammaire, de matheèmatiques, de philosophie, d' art dramatique, de gymnastique, de rheètorique. Quant aé nous, nous distinguons bien la rheètorique des autres disciplines, et nous ne mettons pas aé la place des arts libeèraux une espeéce d' amalgame de toutes les disciplines ; nous seèparons bien ce qui est particulier aé chacun, nous supprimons les sophistications gratuites et inutiles, nous signalons ce qui fait deè faut ý.
4 Ibidem, p. 165. 5 Ibidem : infinita
[...] differentia.
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
venteur :
place
deèsormais
aux
ideèes
claires
et
distinctes.
De
385 cette
û confusion des genres ý, attribut d' un aêge reèvolu de la penseèe, ce n' est pas que Quintilien ait le monopole : aux yeux de Ramus, tous les grands auteurs du passeè en participent aé quelque degreè ; mais Quintilien en exprime en quelque sorte la quintessence, celle d' une Babel intellectuelle contre laquelle il convient de deècha|êner le feu purificateur de la critique û meèthodique ý. Les Rhetoricae distinctiones in Quintilianum proceédent donc, de fac°on suivie, aé cet examen critique des principaux livres de l' Institution, sur le mode d' une poleèmique qui confine souvent aé l' exeècution sommaire. C' est le deèveloppement consacreè au livre VI, chapitre II, qui retiendra ici notre attention, puisque c' est laé que Quintilien expose sa theèorie personnelle de l' eéthos et du pathos, qu' il consideére comme deux degreès des affectus, les affectus mites et les affectus concitati, selon un 6
scheèma deèjaé esquisseè chez Ciceèron, mais que l' Institution systeèmatise . Il est inutile de se demander quelle pourrait eêtre la fac°on propre aé Ramus de concevoir les rapports entre eéthos et pathos : apparemment, il les eèlimine purement et simplement. Dans le cadre de l' inuentio dialectique, ce sont des notions parfaitement superfeètatoires. Le verdict avait deèjaé eèteè rendu, en passant, dans les Brutinae quaestiones : Sed ad oratoris exornationem redeamus, cui tu postremo thesin, auxeêsin, patheêtikon, eêthikon attribuis : eaque mirabilia in oratore esse existi mas. Quod quidem, ut verum esse fateor, ita longe a te in earum rerum praeceptis dissentio. Nam et loci communes et amplificationes et affectus tum leuiores tum grauiores ex iisdem fontibus hauriuntur : una
inventio
et
argumentorum
explicatio
est
omnibus
communis
hisce rebus perficiendis, apta, idonea, seipsa contenta : adiuuant etiam elocutionis ornamenta, sed et inuentionis et dispositionis generalia praecepta haec omnia suppeditant. Fecerunt ridicule et inepte magistri (quos modo sequeris) qui nobis istarum rerum nescio quas praecep 7
tiunculas excogitarunt .
6
On sait que cette fac°on d' envisager l' eèthos et le pathos n' est pas aristoteèlicienne. La
question des origines de cette inflexion de la doctrine dans l' Antiquiteè n' est pas reèsolue aé l' heure actuelle, mais sans pertinence pour notre propos.
7
Ramus, Scholae in liberales artes, eèd. W. J. Ong, p. 285 : û Pour en revenir au bagage
de l' orateur, tu y inclus encore la thesis, l' auxeèsis, le patheétikon et l' eéthikon, et tu les consideéres comme un prodige chez l' orateur. Ce que je t' accorde, non toutefois sans diffeè rer en tout avec toi, en ce qui concerne les preè ceptes relatifs aé ces matieéres. Car les lieux communs, les amplifications et les affects, les doux comme les graves, se puisent aux meêmes sources ; c' est l' ensemble de l' invention et du deè ploiement des arguments qui preèside aé la mise en place de ces eèleèments et elle y suffit par elle-meême quand elle est
jean lecointe
386
Ce qui se voit reècuseè, chez Ciceèron, ce n' est donc pas le principe en soi de l' argumentation affective, mais la neècessiteè d' un type de prescription particulier aé ce sujet. La deèmarche est la meême en ce qui concerne le livre VI de l' Institution : Totus sextus liber qui sequitur in mouendi et delectandi artibus consu mitur : ubi nihil dialecticae, nihil rhetoricae proprium est. [...] Artes inuentionis tres docentur a Cicerone et Quintiliano : ad docendum loci describuntur in generibus causarum, in partibus orationis, et tan dem communes omnium quaestionum. Secundo ad mouendum quae dam
etiam
praecepta
ponuntur :
postremo
ad
ridendum.
At
in
inuentione loci ad docendum soli sunt explicandi, motus et delectatio proprias artes nullas habent : petuntur autem communiter ex locis illis inuentionis : item ex elocutione et actione : maxime vero ex morali disciplina, ubi agnoscas quid virtus, quid vitium, quibus rebus boni viri gaudeant, quibus improbi exultent, quibus utrique item offendan tur [...] :
rhetoricam
ratione
motuum
et
afffectionum
partem
esse
quandam moralis philosophiae : et ad illam philosophiam moralem, 8
mouendi totam artem refert [...] .
On est donc placeè devant un double mouvement, celui d' une reècusation, mais aussi d' un deèplacement, sur la base d' un triple renvoi : premieérement, aux û principes communs de l' invention ý, deuxieémement, aé l' elocutio, et troisieémement, aé la philosophie morale. C' est ces trois rubriques que nous aborderons successivement.
convenable et approprieèe ; les ornements du style y font eègalement quelque chose, mais tout cela nous est fourni par les preèceptes geèneèraux de l' invention et de la disposition ý.
8
Ibidem, p. 200 : û Le livre qui suit est consacreè tout entier aux techniques du mouere
et du delectare : il n' y a rien laé qui soit propre aé la dialectique, rien qui le soit non plus aé la rheètorique. [...] Ciceèron et Quintilien deèveloppent trois techniques de l' invention : ils deècrivent les lieux du docere aé propos des genres de causes et des parties du discours, et enfin, en geèneèral, pour toutes les questions. Dans un deuxieéme temps, ils proposent quelques reégles du mouere ; et enfin, de la plaisanterie. En reèaliteè, les seuls lieux qu' il convient de traiter aé propos de l' invention sont ceux du docere ; le mouere et le delectare ne releévent pas de techniques particulieéres ; on les tire aé titre geèneèral des lieux preèceèdents de l' invention, ou encore de l' eèlocution et de l' action, mais surtout de la morale, qui per met de savoir ce qu' est la vertu, ce qu' est le vice, ce qui reè jouit l' homme de bien, ce qui fait jubiler le meèchant, ce qui offusque l' un et l' autre. [...] [Pour Aristote] la rheè torique, en ce qui concerne les eèmotions et les affects, constitue une partie de la philosophie mo rale, et c' est de cette philosophie morale qu' il fait relever la totaliteè de l' art du mouere ý.
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
387
Le renvoi aux principes communs de la dialectique
Le premier renvoi est loin d' eêtre parfaitement clair. Quels sont donc ces û principes communs de l' invention ý qui gouvernent, ipso facto, la manipulation des affects ? Rien ne nous assure que Ramus lui-meême ait eu une ideèe tout aé fait nette de cette implication. Le parti pris doctrinaire
suffit,
la
theèorie
des
affects
n' est
pas
une
theèorie
û pure ý, il faut donc la renvoyer aé autre chose, qui est peut-eêtre plus ou moins de l' ordre de l' intuition : question de trine. On trouve neèanmoins dans la
Dialectique
feeling
, pas de doc-
quelques indications
qui permettent de preèciser le propos. Ramus y adjoint aé la û meèthode ý proprement dite, conduite selon les criteéres strictement rationnels du
docere
, une meèthode annexe, celle qu' il appelle la û meèthode de
prudence ý, et qui heèrite en fait de toutes ces fonctions de û l' ancienne rheètorique ý qu' il vient d' exclure de la û vraie ý meèthode. On usera de la û meèthode de prudence ý face aé un auditeur û cault et fin ý ou û fa9
scheux et retif ý . Il convient alors de recourir aé û ce qu' Aristote appelle
Crypse,
retrouve l'
c' est
insinuatio
aé
dire
cacheèe
et
transposeèe
insinuation ý
º on
cheére aé Quintilien º, notamment en commenc°ant
û au milieu ý du raisonnement, ou en pratiquant divers subterfuges d' exposition. Or c' est laé qu' interviennent les affects : La sagesse de cette methode a esteè semblablement noteèe par les orateurs, quand ilz admonestent, qu' en l' exorde autant que proposer ou narrer la chose dont est question, qu' il faut gaigner oultre l' intelli gence, d' avantage la grace et attention de l' auditeur [...] : et en la peroraison l' esmouvoir du tout aé nous favoriser : Car (comme dict Aristote au troizieme de la Rhetorique) les exordes et perorations ne sont poinct necessaires aé bien enseigner le bon auditeur, qui de soy ayme et demande la veriteè
On voit que l'
eéthos
de
la
.
se trouve reèintroduit, substantiellement, dans
l' exorde, par le biais de la couvert
10
neècessiteè
captatio
, et le
de
pathos
û disposer ý
º
dans la peèroraison, sous
diatitheênai ton akroateên
,
donc ! º, eèventuellement, un auditeur reècalcitrant. L' opposition entre le û bon auditeur ý, bien disposeè aé l' eègard de la veèriteè, pour lequel la û vraie ý meèthode suffit, et le û mauvais ý, qui a besoin qu' on recoure envers lui aé la û meèthode de prudence ý, et donc, corollairement, aux affects, est fondamentale dans la perspective de Ramus.
9 10
Ramus,
Ibidem
Dialectique
, p. 131.
, p. 128.
388
jean lecointe
On ne s' eètonne donc pas que Ciceèron se voie feèliciteè de sa ma|êtrise, dans ce cadre, de ce qu' il faut bien appeler les
affectus
et le
mouere,
meême si Ramus eèvite les termes : Il a aussi practiqueè en ses harangues et oraisons souventesfois hastiveteè , courroux, contention : pour lesquels il a conduict l' auditeur troubleè ou il a voulu [...]
11
.
La û meèthode de prudence ý en vient eègalement aé annexer les figures, dans la meême perspective, qui est toujours tangente aé la consideèration des affects : Et bref tous les tropes et figures d' elocution, toutes les graces d' ac tion, qui est la Rhetorique entiere, vraye et separee de la Dialectique, ne servent d' autre chose, sinon pour conduire ce fascheux et retif au diteur, qui nous est proposeè par ceste methode : et n' ont esteè par autre fin observeèes, que pour la contumace et perversiteè d' icelluy [...]
12
.
Aristote, encore une fois, et Plutarque, sont appeleès aé teèmoigner dans ce sens. Les affects, donc º premieére erreur de Quintilien º ne releévent pas de la dialectique, sinon au titre biaiseè de la û meèthode de prudence ý, qui, en dernier ressort, s' identifie pratiquement avec la rheètorique, au sens nouveau qui est celui de Ramus. Mais ils n' ont pas non plus aé faire l' objet d' une section speèciale de la rheètorique º seconde erreur de Quintililien º et cela non pas parce qu' ils n' ont pas d' importance en rheètorique, mais au contraire parce qu' ils sont
toute
la rheètorique, toute l'
elocutio
qui est elle-meême toute la rheèto-
rique, selon la nouvelle norme ramiste. Des û principes geèneèraux de l' art dialectique ý, nous voici donc deèjaé passeès, de fait, aé l'
elocutio ;
la
penseèe de Ramus, sur ce point, pourrait bien donner elle-meême dans la
confusio, sinon dans le cercle vicieux. Le renvoi aé l' elocutio L'
elocutio est donc centrale, et c' est d' ailleurs aé elle que se reèsume la
rheètorique, reèduite
13
aé peu de choses preés aé la theèorie de l' ornementa-
tion par les figures. Et, en ce domaine, la rheètorique ramiste valorise le recours aé un pathos hyperbolique. C' est ce qui ressort aé l' eèvidence de l' examen de la rheètorique d' Omer Talon
11 12 13 14
Ibidem, p. 133. Ibidem, p. 134. Voir G. Genette, û La rheètorique restreinte ý, dans
14
, imiteèe par Fouquelin
Figures I, Paris, 1966.
Qui, en fait, est probablement l' Ýuvre de Ramus lui -meême.
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
dans sa
Rheètorique franc°aise.
389
Le deèveloppement qu' elle consacre aux
figures de penseèe est particulieérement significatif aé cet eègard. Les figures de penseèe sont ce par quoi û l' eèloquence atteint au comble de sa gloire ý,
eloquentiam maxime esse laudabilem :
nec ullis flectendorum animorum machinis elocutio violentior esse
goe«teia kai psukhagoêgia
potest. Hic enim
elocutionis summa est
15
.
C' est la supeèrioriteè des figures de penseèe sur les tropes : ces derniers valent seulement
ad docendum et delectandum,
ad mouendum et peruincendum.
les figures de penseèe, elles,
La rheètorique ramiste retrouve donc l' ad-
miration inconditionnelle pour le
mouere,
heèriteèe de Ciceèron et Quin-
tilien, sur le plan de l' elocutio, apreés avoir soigneusement retrancheè le meême
mouere
du champ de l' inuentio, au titre de compliciteè avec la
corruption native de l' auditeur. La rheètorique de Talon ne manque pas une occasion de signaler le rapport des figures avec les affects qu' elles sont censeèes susciter, en valorisant deèlibeèreèment les plus û affectives ý d' entre elles, comme l' exclamation : magnum prorsus animi commouendi instrumentum, et quidem affec tuum variorum
16
Suit l' eènumeèration de diffeèrents affects rendus par l' usage de l' exclamation, avec des exemples tireès des auteurs : admiration, avec un exemple du
Pro Milone,
deèsespoir, souhait, indignation, pitieè. On re-
trouve pratiquement toute la gamme des lieux du pathos reèaffecteès aé la description des figures. Le meême type de consideèrations gouverne l' exposeè de la
tio,
sous le titre
De voce affectuum
17
pronuntia-
, extreêmement deètailleè, ce qui im-
plique le gouêt pour une rheètorique particulieérement û deèclamatoire ý, sous preètexte d' expressiviteè affective. On retrouvera le meême souci chez Fouquelin, qui, en ce qui concerne les figures de penseèe, û figures de sentence ý, se contente d' un exposeè assez sec, mais qui reèintroduit aé propos de la û prononciation ý les nuances affectives distingueè es par Talon pour les figures de penseèe
15
O. Talon,
Rhetorica,
18
.
p. 78 : û Aucun instrument pour manier les esprits ne peut con -
feèrer plus de veèhemence aé l' elocutio. C' est laé que l' elocutio atteint au summum de l' envouêtement et de l' autoriteè sur les esprits ý.
16 Ibidem,
p. 79 : û c' est un puissant instrument pour eèmouvoir l' esprit, et qui peut
exprimer divers affects ý.
17 Ibidem, p. 96 sq. 18 F. Goyet, Le sublime,
p. 402-407.
jean lecointe
390
On ne peut se retenir d' une impression û fascheuse ý : eè vacueès par la porte, les affectus sont revenus par la feneêtre, en force. Ramus, comme on l' en a souvent accuseè
19
, loin d' innover, n' aurait-il proceèdeè qu' aé
une redistribution des sections de la rheètorique classique ? Il faudrait nuancer. Passant de la dialectique aé la rheètorique, et sous le mode de l' omnipreèsence invisible, les affects changent jusqu' aé un certain point de
statut.
Ramus
adopte
un
scheèma
de
penseèe
strictement
duel :
d' abord, la veèriteè logique, le û texte ý livreè par l' Auteur de toute Veèriteè, que la dialectique deèchiffre ; ensuite, la û repreèsentation ý de ce texte devant le public, plus ou moins bien disposeè, usant des ressources d' un art de la sceéne qui est tout entier une actio, oué l' elocutio appara|êt comme une sorte de prolongement de la voix et du geste, un moyen de û mettre le ton ý. Le û bon auditeur ý n' a pas besoin de tout ce ...cineèma. La pure sobrieèteè du û texte ý lui suffit ; le reste, aé la limite, lui reèpugne. Mais aux û mauvais auditeurs ý º que sont plus ou moins, de fait, tous les eêtres de chair º il faut au contraire le deèploiement d' une rheètorique
particulieérement
ostentatoire,
d' autant
plus
qu' elle
est
consciente d' eêtre de l' ordre du stratageéme, sinon de la feinte, un û mentir vrai ý, une û hypocrisie sinceére ý. On en arrive, assez logiquement, aé ce paradoxe : le culte º eèsoteèrique º de la pure inteèrioriteè reèflexive deèbouche sur la pratique º exoteèrique º du sentimentalisme meèlodramatique le plus exacerbeè. C' est la logique de l' accommodatio, la û condescendance ý aé l' auditeur, dont le modeéle, selon Saint Jean Chrysostome et Calvin
20
, nous est fourni par Dieu lui-meême dans
l' E è criture : le souverain Auteur du texte pur, spirituel aux spirituels, sait aussi aé l' occasion s' improviser sublime Acteur de sa repreèsentation patheètique, charnel aux charnels. Tout aé tous. Faire la beête avec les beêtes. Le docere, et û l' atticisme franc°ais ý donc, entre nous, le mouere, et û l' asianisme baroque ý, avec les autres. Position qui, aé supposer qu' elle soit tenable, preête eèvidemment aé quelque eèquivoque
19 20
21
.
Voir W. J. Ong, Ramus. è tude de rheètorique reèformeèe, Paris, Voir O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole. E
1992.
21
Il est clair qu' il conviendrait de situer, par rapport aé ce genre de perspective, sans
simplisme (on ne saurait û plaquer ý des deè clarations toutes theèoriques, aé la fac°on de Ramus dans ses traiteès, sur la sensibiliteè reèelle des eècrivains, et meême tout bonnement des hommes), des positions comme celles de d' Aubigneè : û Nous avons assez de livres pour instruire, donnez-nous en pour eèmouvoir ý. Remarquons aussi que si les positions de Ramus sont particulieérement radicales, presque toutes les rheètoriques du
xvi
e
, de
quelque bord qu' elles soient, surtout si elles se laissent influencer par le sto|ë cisme ou le De doctrina christiana, ce qui est le cas geèneèral, vont jusqu' aé un certain point dans le meême sens. On voit d' ailleurs que les preèmisses du raisonnement se trouvent chez Ari -
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
391
Le renvoi aé la philosophie morale
Apreés les principes geèneèraux de la dialectique et l'
elocutio
, il reste,
comme troisieéme û source ý du maniement des affects, la û philosophie morale ý. Laé aussi, le contenu exact de ce renvoi se laisse malaiseèment preèciser : Ramus n' a gueére eècrit dans le domaine de l' eèthique, et rien, aé notre connaissance, qui puisse s' appliquer aux affects rheè toriques. Il doit malgreè tout penser aux doublets qui existent, dans le corpus aristoteèlicien, dans la description des
patheé
, entre la
Rheètorique
et l'
Eè thique
.
Que les points de vue soient diffeèrents dans l' une et l' autre Ýuvre ne l' inteèresse pas, ou, pluto ê t, c' est la possibiliteè de cette diffeèrence de point de vue aé propos du meême objet, les dispositions de l' aême, qui le choque. Simplification peèdagogique : on n' eètudiera pas deux fois la coleére, une fois dans le cours de rheètorique, une autre dans le cours de dialectique. Mais eègalement sans doute preèsupposeè eèthique fondamental, celui-laé meême qui, croyons-nous, preèside aé la reècusation indigneèe de Quintilien par Ramus.
Distinctiones in Quintilianum
La lecture des
est eèclairante, aé cet eègard
eègalement. Nous nous reporterons ici aé nouveau au deèbut du volume, lorsque Ramus en vient aé rencontrer le principe central de l' le
vir bonus dicendi peritus
Institution
,
:
`Oratorem (ait) instituimus illum perfectum, qui esse nisi vir bonus non potest : ideoque non dicendi modo eximiam in eo facultatem, sed omnes animi virtutes exigimus' . Hunc oratorem Quintilianus no bis instituit quem postea libro duodecimo virum bonum bene dicendi peritum similiter definit, et illas animi virtutes exponit, iustitiam, for titudinem, temperantiam, prudentiam, item philosophiam totam, le gum scientiam, et cognitionem historiarum, et alia pleraque laudum ornamenta
22
.
A priori on s' attendrait aé ce que le treés moral Ramus manifeste son approbation : il n' en est rien. La ceèleébre formule est aé ses yeux,
stote, auquel Ramus renvoie explicitement, aé treés juste titre. Ramus va le plus loin dans le sens oué tout le monde va.
22
Ramus,
In Quintilianum
, eèd. C. Newlands, p. 167-168 : û ' Nous entreprenons de
proposer le modeéle d' un orateur parfait, nous dit-il, qui ne peut qu' eêtre un homme de bien : aussi exigeons-nous de lui non seulement une capaciteè de parole supeèrieure, mais toutes les vertus de l' aême' . Cet orateur dont Quintilien nous propose le modeé le, c' est celui qu' il deèfinit de la meême fac°on comme un homme de bien habile aé parler au livre XII, et c' est laé qu' il deècrit ces fameuses vertus de l' aême, justice, force, tempeèrance, prudence, en outre la totaliteè de la philosophie, la science du droit, la connais sance de l' histoire, et une foule d' autres titres d' excellence ý.
jean lecointe
392
encore une fois, l' indice d' une intoleèrable
confusio,
de la part de Quin-
tilien, mais aussi, de ce fait, implicitement, de toute la tradition rheè torique latine : Rhetorica enim ars non est, quae omnes animi virtutes explicet. De virtutibus moralibus, et de virtutibus intelligentiae ac mentis proprie permulta
Ethici
philosophantur :
de
arithmetica
[...]
mathematici
[...] : de reliquis tot tantarumque rerum scientiis, quae sunt etiam vir tutes animi, docti et sapientes homines suis separatim studiis, non rhe tores commentantur
23
.
Et que Quintilien ne vienne pas dire que son parfait orateur est appeleè aé reègir la citeè, ce qui implique la possession de toutes les vertus : An quia et ciuitatem et ciues orator regere debeat, idcirco disciplina moralis rhetoricae propria quaedam pars erit
24
?
Nullement : Sic Quintilianus loquitur, et ita cogitat, ut oratoris nomine deum quemdam mortalem omni virtute scientiaque perfectum et absolutum in republica principem appellet, non unius artis homines cogitet
Voilaé aé quoi aboutit la
confusio,
25
la meèconnaissance de la speècialisa-
tion des disciplines, et des limites des compeètences humaines. Le
ceps
.
prin-
auquel reêve Quintilien est un û dieu mortel ý, aé savoir un faux
dieu, et l' on est presque tenteè de traduire, abusivement, certes, mais significativement,
absolutus princeps
par û monarque absolu ý. Derrieére
Quintilien, il y a l' ideèal romain du û principat ý, la divinisation du prince,
praesens deus,
dont Ramus pressent peut-eêtre la reviviscence
prochaine aé la teête de divers E è tats de l' Europe de son temps. Ramus lui preèfeére une reèpublique d' humbles speècialistes et de chefs faillibles, sous la seule infaillible garantie, nous allons le voir, de la loi du seul vrai Dieu. En conseèquence :
23 Ibidem :
û Car la rheètorique n' est pas un art qui enveloppe toutes les vertus de
l' aême. Des vertus morales ou des vertus intellectives et mentales, les E è thiques philosophent plus proprement, avec abondance et eè leègance. De l' arithmeètique, les matheèmaticiens, et ainsi de suite. Les sciences, qui sont aussi des vertus de l' aê me, sont traiteèes seèpareèment par les savants, et non pas exposeèes par les rheèteurs ý.
24 Ibidem,
p. 168-169 : û Est-ce que, sous preètexte que l' orateur doit reègir la citeè et les
citoyens, la doctrine morale devra eêtre en quelque sorte une partie de la rheè torique ? ý
25 Ibidem,
p. 169 : û Des propos et des reèflexions de Quintilien il ressort qu' il qualifie
du nom d' orateur une sorte de dieu mortel, accompli sous tout rapport de vertu et de science, un personnage posseèdant une preèseèance absolue dans l' Etat, au lieu d' imaginer un individu compeètent dans une discipline particulieére ý.
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
393
constet denique magnificam istam oratoris definitionem vanitatis ple nam, veritatis inanem esse
26
.
D' une certaine fac°on, donc, Ramus nous propose une deèfinition û amorale ý de la dialectique et de la rheètorique. Simple affaire de speècialistes de l' argumentation et de l' ornement du discours, au meê me titre que les matheèmatiques ou la menuiserie. On sait que E. Telle a voulu
attribuer
une
telle
repreèsentation
de
l' eèloquence
Dolet, dans le Ciceronianus, aé tort, aé notre avis, d' ailleurs
aé
E è tienne
27
. Ramus
serait-il lui aussi en train de poser les bases de l' estheètisme litteèraire û moderne ý, en eèmancipant la rheètorique de la morale ? Cela nous para|êt extreêmement douteux. Il s' agit bien plutoêt de l' inverse, ne pas supporter que la morale puisse souffrir d' un quelconque assujettissement aé la rheètorique, et plus largement aé l' argumentation, aé la deèlibeèration, aé une parole qui serait autre que la Parole de Dieu. é la lumieére de cette opposition radicale, il est d' ailleurs possible A de penser bien des preèsupposeès de la rheètorique de Quintilien : elle se propose la formation globale º ce que Ramus taxe justement de confusio º d' un bonus vir bene dicendi peritus, personnage û vertueux ý appeleè aé l' exercice de hautes fonctions civiques, les û vertus ý, au sens antique, qu' il incarne se mesurant justement aé son aptitude aé exercer les fonctions en question dans l' inteèreêt de la collectiviteè qui se reconna|êt en lui. Tout cela passe par la meèdiation de la parole, instrument d' arbitrage civique entre les aspirations des individus, conc°u comme fondateur des valeurs collectives. La fonction des affectus, sur ce point, est assez nette
28
: l' eéthos, le conciliare-delectare, eèdifie la morale civique, dans
la spheére des valeurs profanes, le pathos, le mouere, nous hausse aé l' eètage du sacreè, il eèdifie la religion civique. Or, pour Ramus, tout cela est radicalement inacceptable ; il ne saurait y avoir qu' une seule source de la morale et de la religion, la û lumieére intellective ý transcendante, dont Nelly Bruyeére nous montre qu' elle s' identifie de plus en plus chez lui aé la reèveèlation du Sina|ë
29
.
Pour mesurer l' ab|ême qui s' est ouvert entre Quintilien et Ramus, celui dans lequel s' engloutissent les affectus, au sens rheètorique du terme º quitte aé les voir resurgir comme les composantes d' un art
26
Ibidem, p. 174 : û que cela soit bien clair, voilaé une deèfinition preètentieuse de l' ora-
teur, aussi gonfleèe de vaniteè que deènueèe de veèriteè ý.
27
è tienne Dolet (1535), Geneéve, Voir E. V. Telle, L' Erasmianus sive Ciceronianus d' E
1974.
28
Nos analyses s' inspirent ici directement de celles de Francis Goyet dans Le Sublime
du lieu commun, p. 471-498.
29
Ramus, De religione, p. 52-53.
jean lecointe
394
dramatique, et aé proprement parler d' une divine comeèdie ! º, rien ne peut mieux nous eèclairer qu' une sortie hors du cadre de la reèflexion
CommentaDe legis prooe-
rheètorique proprement dite de Ramus, en direction de ses
rii de religione Christiana mio
. Au livre II, chapitre 2, intituleè
, Ramus dresse un paralleéle entre la promulgation de la loi selon la
proceèdure romaine et celle de la loi de Mo|ëse dans la Bible : Confer huc itaque de mundo rebuspublicis splendidissimam, tum per cipies, quid Deus praestet homini. Romana nomothesia trinundinum popularis per cornicinem ex agro evocationis habuit : deinde senten tiae rogationem : velitis, jubeatis, Quirites : postremo a tribuum sin gularum
suffragiis
legislationem.
At
coelestis
institutio longe aliam promulgationem habuit
Voici donc le dispositif de la
30
diuinaeque
legis
.
Romana nomothesia
: convocation du
peuple aé l' avance au son des trompettes, questions poseèes par les magistrats, proclamation de la souveraineteè populaire et vote. E è videmment, au Sina|ë, les choses ne se passent pas tout aé fait de la meême fac°on : Haec (inquam) prooemii prima suasio, est ad populi beneuolentiam e beneficio legis et fructu, populusque Mosi Iehouae verba referenti re spondet : Quicquid dixit Iehoua, faciemus. Illa nimirum fuit ad veli tis, iubeatis Quirites, rogatori magistratui popularis acclamatio
31
.
Le sens de la comparaison est clair, et nous donne une bonne ideèe de la diffeèrence entre û rheètorique humaine ý et û rheètorique divine ý. Le magistrat romain s' en remet au bon plaisir du peuple souverain, dont il sollicite les suffrages. Il ne nous est pas rapporteè qu' il fasse une harangue, mais on peut l' imaginer en
vir bonus bene dicendi peritus
, reèali-
sant par le prestige de la parole eèloquente, par l' art de se û mettre en phase ý avec l' auditoire, par le biais d' une empathie que gouvernent les
affectus
, le consensus populaire qui va fonder l' autoriteè de la consti-
tution, humaine. Mo|ëse, quant aé lui, use aussi de rheètorique : il pra-
30
Ibidem
, p. 100-101 : û Fais le paralleéle avec le plus brillant des E è tats de ce monde, et
tu constateras quelle distance il y a de Dieu aé l' homme. Lors de l' institution de la leègislation romaine, le peuple fut convoqueè au son des trompettes sur tout le territoire trois feè ries
aé
l' avance ;
l' on
adressa
ensuite
l' invitation
au
vote :
`deè cidez,
ordonnez,
Quirites !' ; enfin, la loi fut soumise aux suffrages des trois tribus. La promulgation de la loi divine se fit d' une fac°on tout autre ý.
31
Ibidem
: û De ce coêteè, dis-je, la premieére exhortation du preèambule vise aé capter la
bienveillance du peuple en manifestant les bienfaits et les avantages procureè s par la loi, et le peuple reèpond aé Mo|ëse qui lui transmet les paroles de Jeèhovah : `Tout ce que Jeèhovah a dit, nous le mettrons en pratique' . De l' autre coê teè, il y a l' acclamation populaire en reèponse aé l' invite du magistrat : `Deècidez, ordonnez, Quirites !' ý.
quintilien et le statut de l' eé thos dans la rheè torique ramiste
395
tique la captatio beniuolentiae, la û meèthode de prudence ý de la dialectique ramiste ; mais c' est uniquement pour amadouer un auditoire eèventuellement reècalcitrant, et en aucun cas pour solliciter son approbation ; la loi de Dieu est aé prendre ou aé laisser, pour notre plus grand bien ou notre plus grand mal. Avec le Dieu d' Israe«l, en tout cas avec le Dieu de Ramus, il y a place pour û l' accommodation ý, nullement pour la transaction. D' une fonction meèdiatrice du consensus, les affects passent aé une pure fonction d' enrobage de la veèriteè : ils font passer la pilule, et peuvent se confondre deèsormais avec û l' ornement ý du discours reèaliseè par les figures. Quintilien appara|êt donc deèsormais aux yeux de Ramus comme la figure accomplie d' une rheètorique perverse, par laquelle l' humain s' arroge la disposition du divin, dans la confusio geèneèraliseèe de la ratio avec l' oratio, de l' eèmotiviteè collective avec la morale, du marchandage civique avec l' impeèratif cateègorique. Ce û dieu mortel ý qu' est le perfectus orator, faux homme de bien selon le monde et en vue du monde, voue tous les prestiges de son art º au sens eètymologique de praestigia º au service d' une fascinante û Idole romaine ý. On l' aura compris, pour Ramus, Quintilien est un jeèsuite. Deés lors, û l' institution des enfants ý, taêche aé laquelle Ramus aura consacreè toute sa vie aussi bien que toute son Ýuvre, ne saurait plus en aucun cas reposer sur l' Institution oratoire ; elle requiert comme son unique garant l' Institution de la religion chrestienne.
BIBLIOGRAPHIE
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Rhetoric
against
Quintilian,
transl.
C. Newlands,
intr.
J. J. Murphy, Northern Illinois, 1986. ºº, Commentarii de Religione christiana, Francfort, 1583. Talon, O., Rhetorica, e P. Rami Regii Professoris praelectionibus observata, Francfort, 1600.
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et les autres, Leyde, 1986.
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graphie eètablie par K. Meerhoff. Telle, E. V., L' Erasmianus sive Ciceronianus d' Eètienne Dolet (1535), Geneéve, 1974.
ÁME PARTIE TROISIE
QUINTILIEN Á A L'Ã AGE CLASSIQUE
L AT I N I TAT E S
Baffetti
Giovanni
QUINTILIANO E I GESUITI Le
istituzioni scolastiche gesuitiche, che rappresentano, a partire dalla
seconda metaé del Cinquecento, uno dei piué imponenti veicoli di diffusione di modelli culturali in ambito europeo, fondano il proprio curriculum educativo sulla centralitaé della retorica che consente di riaffermare l' unitaé del sapere, sottoponendo le diverse discipline al dominio dell' arte della parola e della persuasione. Ci si richiama cos|é, cristianizzandolo, all' ideale ciceroniano e quintilianeo, giaé fatto proprio dagli umanisti, di una cultura unitaria e globale, appresa e dominata attraverso le tecniche argomentative e verbali della retorica che, dopo aver soppiantato la dialettica, viene a costituire, nel sistema culturale dei gesuiti, il metodo generale dell' enciclopedia del sapere, finendo coll' esercitare al tempo stesso un impulso dinamico sulle gerarchie delle scienze e delle arti, in quanto ne esalta gli aspetti pragmatici e le finalitaé comunicative e ne favorisce una riorganizzazione complessiva, funzionale all' insegnamento e alla trasmissione. Il
programma
educativo
e
pedagogico
messo
a
punto
dalla
Compagnia di Gesué nel primo cinquantennio della sua esistenza non puo é dunque non trovare in Quintiliano e nel suo progetto di forma zione dell' uomo fondato sulla retorica un punto di riferimento diretto e imprescindibile. Lo sottolineava giaé, del resto, uno studioso consenziente quanto avvertito della pedagogia umanistica e gesuitica come padre Franc°ois de Dainville allorcheè notava che û Quintiliano eé la guida dei pedagoghi gesuiti ; e quando si avvicinano i loro scritti a quelli di Quintiliano si resta stupiti di ritrovarvi i medesimi temi e addirittura gli stessi termini
1
1
ý ; e, con la modestia che gli era congeniale,
xvi -xviii
F. de Dainville, L' eèducation des jeèsuites (
e
e
sieécle), textes reèunis et preèsenteès
par M.-M. Compeére, Paris, 1978, p. 172. Ma del Dainville occorre soprattutto ricordare La naissance de l' humanisme moderne, Paris, 1940. Per il
xviii
secolo cf. E. Flamarion, û Le
poids de l' Institutio Oratoria dans la peèdagogie jeèsuite franc°aise du
xviii
e
sieécle ý, in Quin-
tiliano : historia y actualidad de la retoèrica, Actas del Congreso Internacional (Madrid y Cala -
399
giovanni baffetti
400
segnalava il problema dell' influenza di Quintiliano sulla cultura dei gesuiti come un oggetto degno di analisi piué approfondite. Ma anche oggi, dopo che gli studi recenti di Marc Fumaroli sulla retorica e la pedagogia dei gesuiti, hanno aperto nuovi orizzonti e dato avvio a molteplici filoni di ricerca su ambiti specifici e diversificati, resta an cora desiderabile uno studio complessivo e dettagliato, cos|é come lo auspicava il Dainville, sull' influsso di Quintiliano nell' elaborazione di un sistema pedagogico destinato a rimanere per secoli un modello, magari discusso e criticato, ma certo insuperato per vastitaé , diffusione 2
e capacitaé di penetrazione . Ancor piué desiderabile tale studio appare di fronte alla mole imponente di documenti messi a disposizione nella serie dei Monumenta paedagogica Societatis Iesu, che conta ben sette volumi e raccoglie tutti i materiali e le testimonianze che, fra teoria e prassi, discussione e sperimentazione, accompagnarono e seguirono l' elaborazione della Ratio studiorum. In questa sede ci si propone intanto di indicare alcune direzioni d' indagine che riguardano gli ambiti tra loro strettamente intrecciati della pedagogia, della retorica e della critica letteraria. Chi peroé si accingesse a impostare la ricerca a partire da un censimento delle citazioni dirette dell' Institutio oratoria nei testi dei primi scrittori della Compagnia resterebbe forse sorpreso della relativa scarsitaé di rinvii espliciti. E di fatto, prima ancora che una serie di singoli precetti o insegnamenti, quello che si trasmette alla grandiosa costruzione dei gesuiti eé piuttosto un orizzonte mentale, un orientamento intellettuale, una concezione retorica e pedagogica del sapere fondata sulla canonizzazione di un modello esemplare che diviene norma di 3
misura e di riferimento pressocheè esclusiva . Ripercorrere il vasto e appassionato dibattito che conduce alla progressiva definizione della
horra 14-18 noviembre 1995), ed. T. Albaladejo, E. Del R|èo, J. A. Caballero, Logronìo, 1998, vol. 3, p. 1275-1287.
2
Dopo il fondamentale M. Fumaroli, L' aêge de l' eèloquence. Rheètorique et `res litteraria' de
la Renaissance au seuil de l' eèpoque classique, Geneéve, 1980, si vedano in particolare i volumi miscellanei Les jeèsuites aé la Renaissance. Systeéme eèducatif et production du savoir, eèd. L. Giard, Paris, 1995 ; Les jeèsuites aé l' aêge baroque (1540-1640), eèd. L. Giard, L. de Vaucelles, Grenoble, 1996 ; The Jesuits. Cultures, Sciences, and the Arts, 1540-1773, ed. J. O' Malley et al., Toronto, 1999 ; Jesuit science and the Republic of letters, ed. M. Feingold, Cambridge, 2003 ; The Jesuits II. Cultures, Sciences, and the Arts, 1540-1773, ed. J. O' Malley et al., Toronto - Buffalo, 2006. Sul sistema pedagogico sono inoltre da consultare, tra gli altri, F. Charmot, La peèdagogie des Jeèsuites. Ses principes, son actualiteè, Paris, 1951 ; A. Scaglione, The Liberal Arts and the Jesuit College System, Amsterdam-Philadelphia, 1986.
3
Sul canone e la tradizione del classicismo eé d' obbligo il rinvio a G. Highet, The
Classical Tradition. Greek and Roman Influences on Western Literature, New York, 1949 e a R. R. Bolgar, The Classical Heritage and its Beneficiaries, Cambridge, 1954.
quintiliano e i gesuiti
401
Ratio, alle sue revisioni attraverso l' applicazione e la verifica nei Collegi sino alla definitiva attuazione, consente di seguire dall' interno il processo di appropriazione e adattamento del paradigma educativo quintilianeo, che spesso rimane implicito, ma resta sempre efficace e vivo sullo sfondo a indicare delle linee guida, dei princip|ê e dei valori : vi si riconosce, a ben guardare, uno stile di pensiero che permea cos|é in profonditaé l' ethos dei gesuiti, il suo universalismo della comunicazione e della missione, da identificarsi con la sua ragione, quasi con la sua essenza piué intima. E ad esso corrisponde uno stile discorsivo che unifica i codici e i contenuti nella dinamica viva della parola socializzata e persuasiva attraverso la pratica istituzionale dell' insegnamento e dell' eloquenza. Giaé Juan Alfonso Polanco, il segretario e l' interprete piué fedele della volontaé di Ignazio di Loyola, aveva sottolineato la necessitaé di û un buon fondamento di lettere umane ý per gli altri studi, osservando che l' esperienza [...] ci dimostra che molti grandi dotti, per questa insuffi cienza [scil. letteraria], tengono per se stessi la loro scienza, privi del fine principale che con essa dovrebbero raggiungere, cioeé giovare al prossimo. Altri poi la comunicano, ma non con quell' autoritaé e quel frutto che si dovrebbe, se sapessero spiegarsi cos|é bene come sanno apprendere e se dessero tanta chiarezza all' espressione dei loro concetti, 4
quanta luce hanno dentro per chiarirli .
L' educazione retorica e letteraria viene vista insomma non semplicemente come uno studio propedeutico, quanto piuttosto come una chiave d' accesso generale alle altre discipline, tanto piué che la sua materia non eé delimitabile entro termini ristretti e definiti : Quintiliano, sulla scorta di alcuni passi di Cicerone, riteneva appunto di sua pertinenza omnes res quaecumque ei ad dicendum subiectae erunt (Inst., II, 21, 4) ; e, nella stessa linea, la Ratio studiorum definitiva del 1599 dichiarava che gradus huius scholae non facile certis quibusdam terminis definiri potest ; ad 5
perfectam enim eloquentiam informat . L' ideale della û perfetta eloquenza ý richiama evidentemente il mito dell' û oratore perfetto ý, in cui una vasta cultura filosofica e letteraria si congiunge a una salda educazione morale, delineato da Cicerone nell' Orator, e ripreso da Quintiliano nel I libro dell' Institutio. Ma se il curriculum della Ratio, con la sua
4
Ignazio di Loyola, Gli scritti, Torino, 1977, p. 897.
5 Monumenta paedagogica Societatis Iesu,
ed. L. Lukaècs, Romae, 1965-1992, vol. 5 (Ratio
atque institutio studiorum Societatis Iesu [1580, 1591, 1599]), p. 424 (Regulae professoris rhetoricae, 1).
giovanni baffetti
402
precettistica minuziosa, puoé apparire una versione scolastica e formalistica dell' antico modello ciceroniano, trasformato in un concreto percorso educativo-disciplinare, nella direzione per altro giaé tracciata proprio da Quintiliano, la discussione preparatoria contrassegnata da scambi fecondi tra le diverse provincie e assistenze della Compagnia rende invece pienamente ragione del fervido entusiasmo che informava il neo-umanesimo gesuitico. Fin dai primi documenti, come ad esempio la Ratio studiorum del Collegio di Messina stesa dal Coudret nel 1551 su indicazione del Na dal, i testi raccomandati per l' insegnamento della retorica (i û precetti ý) sono la Rhetorica ad Herennium, le Partitiones oratoriae e l' Institutio 6
di Quintiliano . E ci si richiama da subito a Quintiliano anche per l' avviso (che saraé sempre ripetuto) di coniugare, sin dalla giovanissima etaé, l' insegnamento del latino con quello del greco, cominciando anzi da questo per poi far procedere le due lingue di pari passo (cf.
Inst., I, 1, 12-14 : A sermone Graeco puerum incipere malo [...]. Non longe itaque Latina subsequi debent et cito pariter ire). Mentre il confronto delle diverse esperienze porta ad articolare il corso inferiore nell' arco di cinque anni, culminanti, dopo gli stud|ê di grammatica e umanitaé, nella retorica, comincia anche a delinearsi un canone dei libri dell' Ins-
titutio da leggere in classe : le prime sperimentazioni sembrano concentrarsi sul terzo libro, il primo propriamente di teoria retorica, ma la seconda generazione dei gesuiti, in cui eé ormai pienamente assimilata la lezione dell' umanesimo moderno, proporraé di allargare la scelta includendo il quarto, il sesto, l' ottavo e il nono (e dunque privilegiando
inventio ed elocutio). Pedro Juan Perpinìaè, professore di eloquenza a Coimbra e al Collegio Romano, in una sua Ratio liberorum instituendorum del 1565, in cui si daé molto rilievo a Quintiliano, dichiarava che non omnes Quintiliani libri sine discrimine interpretandi sunt. Nam ut 3 4 6 8 9 multum conducunt, sic caeteri sunt eruditis magis quam imperitis adulescentu7
lis fructuosi . Nei libri ottavo e nono in particolare quae de elocutione 8
Cicero nimis in Partitionibus coarctavit, uberius et latius dicuntur . In ogni caso
l' opportunitaé
didattica
di
graduare
e
adattare
le
nozioni
in
rapporto all' etaé e alla preparazione dei giovani incoraggioé presto la produzione di compendi e manuali destinati appositamente all' insegnamento, come quello fortunatissimo del Soarez, i De arte rhetorica libri
6 Ibidem, 7 Ibidem,
vol. 1, p. 101-102. vol. 2, p. 651. Si veda anche quanto afferma il Ledesma (p. 508) in una Con-
stitutio seu dispositio et ordo septem classium grammatices, humanitatis et rhetorices del 1564.
8 Ibidem,
vol. 2, p. 652.
quintiliano e i gesuiti
403
tres ex Aristotele, Cicerone et Quintiliano deprompti, editi per la prima volta a Coimbra nel 1560 e piué volte ristampati. Elogiando la diligenza, il giudizio e l' erudizione di Quintiliano, l' autore spiegava nell' introduzione
che
i
dodici
libri
dell' Institutio
ita
sunt
longi,
sic
9
nonnunquam obscuri, ut maius otium et acrius iudicium desiderent . E tuttavia le esigenze scolastiche coesistevano, almeno in questa prima fase, con le preoccupazioni filologiche e con l' appello tutto umanistico alla lettura diretta del testo, alla lezione come saggio di explanatio testuale. Cos|é Polanco, nelle istruzioni inviate al rettore del collegio di Vienna, ammetteva il ricorso al manuale del Soarez, purcheè pero é vi facesse seguito la gravior lectio artis ex Cicerone, vel ex Quintiliano
10
. E lo stesso
Perpinìaè, che aveva avuto anche un ruolo diretto nella revisione del testo, si spingeva ad affermare di non consigliare nessuna sintesi de rhetoricis praeceptis [...] nisi quam Cyprianus Soarius, vir Societatis nostrae, ex tribus laudatissimis authoribus : Aristotele, Cicerone, Quintiliano, ipsorum fere verbis, prudenter collectam [...] edidit
11
. Sembra dunque che i pur diffusis-
simi manuali di retorica (al Soarez si affiancoé dal 1659 il Candidatus rhetoricae di Franc°ois Pomey) non soppiantassero i testi originali degli autori classici nemmeno nelle scuole, ma fungessero piuttosto da introduzione e da avviamento ; tanto eé vero che nella versione definitiva della Ratio studiorum il compendio del Soarez viene indicato per la classe di umanitaé, mentre per quella successiva di retorica si prescrive che explicandi non sunt in quotidiana praelectione, nisi rhetorici Ciceronis libri, et Aristotelis, tum Rhetorica, si videbitur, tum Poetica
12
. Non sfuggiraé il
fatto che il nome di Quintiliano non compare piué accanto a quelli di Aristotele e di Cicerone, secondo la triade giaé canonizzata (illorum trium artes [...] perfectissimas puto
13
, aveva scritto il Perpinìaè) : ancora
nelle due versioni precedenti della Ratio, del 1586 e del 1591, si consigliava invece espressamente il ricorso a Quintiliano, ad esempio per la dottrina dei luoghi, dal momento che i Topica di Cicerone risultavano troppo complessi e oscuri
9
14
.
5 4
C. Soarez, De arte rhetorica libri tres ex Aristotele, Cicerone et Quintiliano praecipue de-
prompti, Hispali, 1569 (Cyprianus Soaérez Christiano Lectori S
alutem
). Si veda A. Batti-
stini, û I manuali di retorica dei Gesuiti ý, in La `Ratio Studiorum' . Modelli culturali e pratiche educative dei Gesuiti in Italia tra Cinque e Seicento, ed. G. P. Brizzi, Roma, 1981, p. 77-120.
10
Monumenta paedagogica, vol. 3, p. 117.
11
Ibidem, vol. 2, p. 651.
12
Ibidem, vol. 5, p. 424.
13
Ibidem, vol. 2, p. 651.
14
Ibidem, vol. 5, p. 154, 198 e 308.
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404
Come si eé giaé avuto occasione di osservare peroé la presenza di Quintiliano nella cultura gesuitica non va inferita soltanto dalle citazioni dirette ma eé soprattutto una fonte che la nutre dall' interno con il suo programma articolato di una institutio integrale, assimilato attraverso la mediazione umanistica e adattato a una dimensione orgoglio samente apologetica. E se col tempo il progetto educativo dei gesuiti finiraé per irrigidirsi nelle formule e nelle convenzioni, nella fase di slancio, che prosegue ancora per gran parte del secolo
xvii, l' insegna-
mento dei classici rappresenta davvero, come avevano mostrato anche i Padri della Chiesa, una riserva inesauribile cui attingere, riscoprendone tanto piué il valore e l' attualitaé, secondo la lezione della filologia umanistica, quanto piué fedelmente se ne accertano i dati storici e documentari. Da questo punto di vista proprio il modello di Quintiliano risultava particolarmente adeguato in quanto forniva, insieme con un sistema pedagogico e un metodo didattico, un paradigma retorico-stilistico fondato sull' istituzionalizzazione del classicismo ciceroniano,
facendo
derivare
un
codice
normativo
da
una
concreta
opzione storica. Certo nell' organizzazione e nell' ordinamento degli stud|ê adottato dalla Compagnia di Gesué risultano determinanti altri apporti, primo fra tutti l' esempio del cosiddetto modus parisiensis, a sua volta debitore, come ha mostrato nel suo studio fondamentale Gabriel Codina Mir, dell' esperienza in campo scolastico dei Fratelli della Vita Comune
15
. Ma anche sotto l' aspetto propriamente didat-
tico il modello degli antichi, cos|é com' era stato trasmesso dalla summa quintilianea che funge anche da veicolo e collettore della tradizione, si rivela ancora pienamente attivo : basti pensare, ad esempio, alla tecnica della praelectio, la lezione introduttiva che spetta al maestro e consiste nella spiegazione e nel commento al testo, volti a fornire all' allievo gli strumenti e le informazioni preliminari per procedere poi autonomamente alla lectio
16
. E soprattutto i gesuiti ricorrono a Quin-
tiliano per la sua sensibilissima capacitaé di osservazione e di analisi empirica
della
accurata
psicologia
descrizione
del
dei
fanciullo
diversi
e
dell' adolescente,
temperamenti
degli
per
allievi,
la
sua
che
il
maestro esperto deve sapere ora reprimere ed ora spronare, ora rim-
15
G. Codina Mir, Aux sources de la peèdagogie des Jeèsuites. Le `modus parisiensis' , Roma,
1968.
16
Si veda la dettagliata descrizione delle modalitaé di svolgimento della praelectio nella
Ratio, in Monumenta paedagogica, vol. 5, p. 419-420 (Regulae communes professoribus classium inferiorum,
27).
Sulla praelectio cf.
F. de
Dainville, L' eèducation des jeèsuites,
p. 167 sq. e
B. Garc|èa-Hernaèndez, û Los antecedentes de la praelectio acadeèmica en Quintiliano ý, in Quintiliano : historia y actualidad de la retoèrica, vol. 1, p. 343-350.
quintiliano e i gesuiti
405
proverare ed ora invece elogiare, proprio come suggerisce l' Institutio oratoria (I, 3, 6) : Haec cum animaduerterit, perspiciat deinceps quonam modo tractandus sit discentis animus. Sunt quidam, nisi institeris, remissi, quidam imperia indignantur, quosdam continet metus, quosdam debilitat, alios continuatio extundit, in aliis plus impetus facit
17
. Cos|é vengono ripetutamente richia-
mate le prescrizioni di Quintiliano circa la necessitaé di riconoscere e distinguere gli ingegni dei giovani, û accomodarsi ý ad essi adattandosi al loro passo, allettarli con la varietaé, instillare le nozioni senza forzarli : strategie di persuasione preziose per un Ordine che, attraverso l' educazione, mirava a conquistare il favore delle classi dirigenti e a stabilire forme pervasive di controllo della vita pubblica e sociale. Lo testimoniava efficacemente tra gli altri il padre Cardulo, professore di retorica al Collegio Romano, in un discorso del 1584 de litteris humanioribus promovendis : Tra gli altri mezi, dei quali la nostra Compagnia si serve per il suo fine, che eé aiutare l' anime, uno eé per esperienza e per ragione efficacis simo : l' insegnare, oltra l' altre discipline et scientie, le lettere humane [...]. Poicheè la prudenza et eloquenza che nelle nostre schole si deve insegnare, serviraé alla republica christiana, et faraé buoni predicatori, senatori, secretarii, nuntii, imbasciatori et altri che servono al ben commune
18
.
A questo scopo anche la formazione teatrale impartita nei Collegi, proprio nell' ambito del corso di retorica, svolgeva una funzione decisiva per educare i giovani, oltre che alla predicazione, alla pratica quotidiana dei ruoli sociali e dei modelli etici che vi si collegano. E ancora una volta il rilievo dato da Quintiliano alla connessione, del resto tradizionale, fra la retorica dell' actio e della pronuntiatio e le tecniche della recitazione teatrale (cf. Inst., I, 11, 1-14) puoé aver rappresen-
17
Su questi aspetti cf. E. Fantham, û The concept of nature and human nature in
Quintilian' s psychology and theory of instruction ý, Rhetorica, 13 (1995), p. 125-136 ; S. Montero Herrero, û Ideas pedagoègicas de M. F. Quintiliano. La infancia ý, Hispania Antica, 9-10 (1979-1980), p. 209-219. Per i gesuiti si veda, a confronto, il responso su al cuni capitoli della Ratio del 1586 inviato dalla provincia di Germania Inferiore : Nos quidem, et dum recipimus pueros, non valde in coniecturis de ipsorum ingeniis et indole occupati sumus, et receptos quotquot voluerint annos in nostri scholis frustra, immo etiam cum detrimento parentum non mediocri scamna conterere sinimus. Lege Quintiliani cap. 3 libri 1, qua ratione puerorum inge nia dinoscantur, et quomodo tractanda sint. `Sunt quidam, nisi institeris, remissi ; quidam imperia indignantur, quosdam continet metus' [...]. Ad intellectum audientium te accommoda, ut qui parvulos manu ducunt, ipsi gressum suum illorum gressibus attemperant, et vascula angusti oris ne obruas humoris copia, sed instilla paulatim, ut Quintilianus iubet (Monumenta paedagogica, vol. 6, p. 466-467).
18
Monumenta paedagogica, vol. 7, p. 128.
giovanni baffetti
406
tato un elemento di suggestione, purcheè si avverta, con Fumaroli, che û Seule une paideia chreètienne pouvait se permettre de reèunir trois eèleèments que meême Quintilien distinguait soigneusement: la religion, l' eècole oratoire et la repreèsentation dramatique
19
ý.
D' altra parte anche lo spirito di emulazione e di competizione stimolato nelle scuole gesuitiche attraverso un minuzioso sistema di valutazione, di premi e punizioni, trova la propria origine lontana nei metodi consigliati da Quintiliano, secondo il principio (davvero û gesuitico ý !) che licet ipsa uitium sit ambitio, frequenter tamen causa uirtutum est (Inst., I, 2, 22). E si puo é credere che i precettori della Compagnia condividessero intimamente il ritratto dell' alunno ideale delineato da Quintiliano : Mihi ille detur puer quem laus excitet, quem gloria iuuet, qui uictus fleat. Hic erit alendus ambitu, hunc mordebit obiurgatio, hunc honor excitabit, in hoc desidiam numquam uerebor (Inst., I, 3, 7). Con ogni evidenza il conformismo delle opinioni, che a un pedagogista moderno potrebbe apparire l' esito concomitante di tali requisiti, non turbava il teorico della collaborazione degli intellettuali con il potere nell' etaé di Domiziano, e diveniva addirittura, in un Ordine fondato sull' û obbedienza ý e sulla coesione, una virtué positiva da alimentare e coltivare sin dall' infanzia. Anche nell' ambito retorico dello stile, del resto, la conformitaé ai modelli era considerata un valore inderogabile, tanto da giustificare una volta di piué il richiamo all' obbedienza, cardine della fede gesuitica : se nella Ratio si stabiliva il principio che stylus [...] ex uno fere Cicerone sumendus est
20
, la pratica varia e concreta dell' insegna-
mento, specialmente nelle regioni dell' Europa del Nord, aveva pro gressivamente
dato
spazio
a
modelli
stilistici
piué
moderni,
e
in
particolare alla prosa concisa e sentenziosa di ispirazione senechiana ri-
19
M. Fumaroli, û Les jeèsuites et la peèdagogie de la parole ý, in I Gesuiti e i Primordi del
Teatro Barocco in Europa, Atti del Convegno di studi (Roma, 26-29 ottobre 1994, Anagni, 30 ottobre 1994), ed. M. Chiaboé, F. Doglio, Viterbo, 1995, p. 39-56 ; nello stesso volume si veda anche il contributo di M. Fois, û La retorica nella pedagogia ignaziana. Prime attuazioni e possibili modelli ý, p. 57-99. Ma di Fumaroli vanno ricordati soprattutto i saggi raccolti in Heèros et orateurs. Rheètorique et dramaturgie corneèliennes, Geneéve, 1990. Sul legame tra retorica e teatro nella pedagogia dei gesuiti si veda inoltre B. Filippi û ' Grandes jeèsuite au
et
xvii
petites e
actions'
au
Colleége
Romain :
formation
xvi -xix
sieécle ý, dans Ceèreèmonial et rituel aé Rome (
e
e
rheètorique
et
theèaêtre
sieécle), eèd. M. A. Visce-
glia, C. Brice, Rome, 1997, p. 177-199 ; J.-M. Valentin, Les Jeèsuites et le theèaêtre (15541680). Contribution aé l' histoire culturelle du monde catholique dans le Saint-Empire romain germanique, Paris, 2001. Per il modello quintilianeo cf. M. T. de Miguel Reboles, û La teatrali dad en la Institutio Oratoria. Or|ègenes del teatro moderno ý, in Quintiliano : historia y actualidad de la retoèrica, vol. 3, p. 1229-1240 e L. Peèrez Goèmez, û Quintiliano e la semioètica del teatro ý, Emerita, 58 (1990), p. 99-111.
20
Monumenta paedagogica, vol. 5, p. 424.
quintiliano e i gesuiti
407
proposta nei suoi scritti dall' umanista fiammingo Giusto Lipsio. Lo sforzo messo in opera dalle gerarchie dell' Ordine per contrastare tale tendenza che aveva trovato numerosi seguaci eé attestato in una serie di documenti ufficiali molto significativi in quanto la rigorosa imitazione dello stile di Cicerone viene equiparata alla fedeltaé ad Aristotele in filosofia e a s. Tommaso in teologia, arrivando a stabilire una corrispondenza precisa tra unitaé dottrinale e uniformitaé retorica. Cos|é scriveva ad esempio nel 1611 il padre Busaeus, preposito provinciale della Germania Superiore : Cum tantopere desideret [...] tota Societas ut qui studia tractant, sive docendo sive discendo, sicut in Theologia S. Thomam, in philosophia Aristotelem, ita in humanioribus litteris sequantur et imitentur Cice ronem, facile esse videre, quantum ab obedientia declinarent, qui pro prio affectu ducti vel stylo, ut vocant, Lipsico, vel alteri conciso et exotico se potius darent, quam Ciceroni. Quodsi praeter opinionem ulli e nostris huius affectus deprehendantur, his Lipsii et similis generis libri subtrahendi erunt. Litterae etiam, quae tali stylo scriberentur, frangendae aut comburendae, nec publice permittendae aut huius modi affixiones aut declamationes
21
.
E affermazioni del genere si ritrovano in un' istruzione del 1616 in viata a tutte le provincie dalla settima congregazione generale e intitolata appunto De stylo vitioso in provinciis corrigendo et Cicerone sequendo dove, nel vasto elenco di autori proscritti, i nomi di Seneca e Tacito, di Apuleio e di Petronio, si affiancano a quelli di Celio Rodigino e di Filippo Beroaldo, per arrivare sino al Lipsio e al Puteano, giungendo a decretare ut discipulis nulli alii prealegantur, commendentur, permittantur,
praeter Ciceronem, aliique probatae dictionis, ne desiderium concipiant eiusmodi authore legendi
22
.
Ma se dal livello istituzionale si passa poi a quello della riflessione critica sulla letteratura si constata come il dibattito intorno allo stile della prosa assuma un rilievo cruciale, in coincidenza anche con il diffondersi delle nuovo gusto barocco e delle poetiche dell' arguzia e del l' acutezza alla cui definizione concorrono gli stessi gesuiti (basti qui ricordare i nomi di Tesauro e Graciaèn, ma non va dimenticato il Sarbiewski del De acuto et arguto). Proprio nella stretta connessione istituita
tra
21 Ibidem, 22 Ibidem,
retorica
e
critica
letteraria,
la
lezione
di
Quintiliano
si
vol. 7, p. 548. vol. 7, p. 431. Si veda M. Zanardi, û Sulla genesi del Cannocchiale aristotelico
di Emanuele Tesauro ý, Studi secenteschi, 23 (1982), p. 3-61 e H. F. Fullenwider, û Die Kritik der deutschen Jesuiten an dem lakonischen Stil des Justus Lipsius im Zusammenhang der jesuitischen Argutia-Bewegung ý, Rhetorica, 2, 1 (1984), p. 55-62.
408
giovanni baffetti
ripropone ora con la sua forza modellizzante, facendo convergere le discussioni secentesche sul contrasto dialettico tra i due paradigmi sti listici irriducibili di Cicerone e di Seneca, esemplificativi, si potrebbe dire generalizzando, del classicismo e dell' anticlassicismo. E in effetti l' Institutio trasmetteva, insieme con il culto ciceroniano, un metodo critico di valutazione stilistica da cui derivava un canone definito di letture (il famoso X libro) che a sua volta poteva essere trasferito e adattato a contesti diversi, sottoposti a criteri selettivi di altra natura : la Bibliotheca selecta (1593) del gesuita Antonio Possevino ne fornisce ad esempio l' interpretazione controriformistica, in cui la ratio studiorum eé orientata ad salutem omnium procurandam
23
. Ma se in Possevino si puoé
riconoscere, per quanto attiene allo stile, un moderato eclettismo che accanto a Cicerone e al sublime cristiano dei Padri lascia spazio anche, almeno nella scrittura epistolare, al modello di Lipsio (mentre di Seneca si considera solo la dottrina filosofica), nelle Prolusiones academicae (1617) di Famiano Strada, professore illustre di retorica al Collegio Romano, l' opzione ciceroniana risulta privilegiata e immediatamente applicata all' ambito critico, nella discussione dei nuovi procedimenti espressivi della poesia e della prosa barocca. Cos|é giaé lo stesso Strada raccomanda cautela nel ricorso agli acumina dictorum, le acutezze, e prescrive che in hisce argutiis certi aliquid ac solidi quaeratur, fondandosi proprio sopra l' insegnamento di Quintiliano di cui si cita il passo relativo (cf. Inst., XII, 10, 48) : hoc, quod vulgo sententias vocamus [...] dum rem contineant et copia non redundent et ad victoriam spectent qui utile neget
24
?
Ma sono soprattutto gli allievi dello Strada, Agostino Mascardi e Sforza Pallavicino, a legare la dialettica quintilianea di ingenium e iudicium (Inst., VIII, 3, 56) e il confronto tra Cicerone e Seneca alle polemiche coeve sullo stile laconico e sentenzioso, che in Italia aveva un esponente di fama europea nel marchese Vigilio Malvezzi
25
. E la cen-
sura dei gesuiti echeggia e amplifica invariabilmente, quando non lo richiama in modo esplicito, il famoso giudizio di Quintiliano su Seneca che chiude la rassegna degli scrittori greci e latini nel primo capi-
23
A. Possevino, Bibliotheca selecta qua agitur de ratione studiorum in historia, in disciplinis,
in salute omnium procuranda, Romae, 1593.
24
F. Strada, Prolusiones academicae, Mediolani, 1626, p. 249-253. Per la tradizione piué
antica degli acumina dictorum, cf. G. Moretti, `Acutum dicendi genus' . Brevitaé, oscuritaé, sottigliezze e paradossi nelle tradizioni retoriche degli stoici, Bologna, 1995.
25
E. Raimondi, û Polemica intorno alla prosa barocca ý, in Letteratura barocca. Studi
sul Seicento italiano, Firenze, 1982, p. 175-248. Piu é in generale cf. C. Mouchel, Ciceèron et Seèneéque dans la rheètorique de la Renaissance, Marburg, 1990.
quintiliano e i gesuiti tolo del decimo libro dell' Institutio
26
409
. A detta dello Strada, ad esem-
pio, erano da condannarsi senza appello istae in orbem anxie circumductae sententiolae, totumque istud intercisum fractumque minutis crebro sensiculis dictionis genus
27
. E il Mascardi, escludendo Seneca dal novero degli scrit-
tori da imitare proprio percheè di lui û dice Quintiliano [X, 1, 130] ch' avrebbe scritto benissimo, adoprando il suo ingegno, ma ' l giudi zio d' un altro
28
ý, criticava poi nell' Arte istorica (1636) la û maniera
spezzata ý, la û dicitura s|é saltellante e minuta ý dei moderni imitatori di Seneca che û con minuzzoli di sentenze e di sensi [...] impoverisce la maestaé dell' antica eloquenza
29
ý. A sua volta il Pallavicino spiegava
che Seneca, û componendo [...] l' orazione di periodi atomi, non lascia che l' intelletto possa con uno sguardo contemplar un intero argomento e darne giudicio, e lo costringe piué tosto a compitare che a leggere
30
ý. Negli stessi anni interveniva nel dibattito anche Daniello
Bartoli, il futuro storico della Compagnia, che nel suo trattato Dell' uomo di lettere (1645) censurava
del pari
lo û sminuzzamento
de'
periodi trincianti in picciolissimi concisi, effetto della moltitudine di tante coserelle minute, ciascuna delle quali finisce il senso e muta pen siere ý ;
per
di
piué,
ribatteva
il
Bartoli,
non
si
trattava
affatto
di
un' invenzione moderna, dal momento che se ne poteva raffigurare û l' imagine viva e vera in quell' antica pittura che ne lascioé Quintiliano ý, e cioeé appunto nel suo giudizio su Seneca
31
.
Le parti in campo non erano dunque prestabilite, e di fronte alle nuove esperienze stilistiche il classicismo aperto ed evoluto professato dai gesuiti, che non eé, come spesso si ripete, un barocco moderato, non contrapponeva un' esperienza archeologica, ma anzi rivendicava con orgoglio la propria modernitaé. Lo dimostrano per l' appunto le Vindicationes Societatis Iesu (1649) di Sforza Pallavicino, nelle quali la difesa
della
missione
culturale
e
pedagogica
della
Compagnia
eé
condotta attraverso una valutazione equilibrata e attenta degli scrittori che in essa si sono formati, sanzionata con il richiamo assiduo alle dis tinzioni e alla misura critica di Quintiliano. In particolare, a proposito del modello stilistico ciceroniano, il Pallavicino ricorda che
26
G. Calboli, û Il giudizio di Quintiliano su Seneca ý, in Seneca nella coscienza dell' Eu-
ropa, ed. I. Dionigi, Milano, 1999, p. 19-57.
27
F. Strada, Prolusiones, p. 252.
28
A. Mascardi, Prose vulgari [1625], Venezia, 1652, p. 74.
29
A. Mascardi, Dell' arte istorica, Roma, 1636, p. 605 sq. (ma per il riferimento co-
stante a Cicerone e Quintiliano eé da vedere tutto il cap. 8 del V trattato, intitolato û Del carattere di dire proporzionato all' istoria e della maniera spezzata ý).
30 31
S. Pallavicino, Trattato dello stile e del dialogo, Roma, 1662, p. 34-35. D. Bartoli, Dell' uomo di lettere difeso ed emendato, Venezia, 1655, p. 293-295.
giovanni baffetti
410
et Quintilianus ille in Ciceronis laudibus tam multus, tamque magni loquus, postquam ait id eum consecutus esse apud posteros `ut Cicero iam non hominis sed eloquentiae sit nomen'
[X, 1, 112], subdit ta -
men : `quamquam stetisse ipsum in fastigio fateor, ac vix quod adiici potuerit invenio, fortasse inventurus quod adhuc abscissurum putem (nam fere sic docti iudicaverunt plurimum in eo virtutum, non nihil fuisse vitiorum, et se ipse multa ex illa iuvenili abundantia coercuisse testatur) ;
tamen
quando
nec
sapientis
sibi
nomen
minime
sui
contemptor ascivit, et melius dicere certe data longiore vita et aetate ad componendum securiore potuisset, non maligne crediderim de fuisse ei summam illam ad quam nemo propius accessit' [XII, 1, 20].
Cos|é il Pallavicino puoé definire il proprio ideale di ciceronianismo maturo, che non rifiuta l' apporto di altri modelli stilistici, ancora sulla scorta dell' auctoritas di Quintiliano, il quale
praeceptor optimus,
non qui maxime imitandus et solus imitandus est
secondo il
(X, 2, 24)
32
. E agli
stessi canoni tutt' altro che dogmatici si conforma, nel capitolo XIX delle
Vindicationes,
la rassegna dei giudizi critici sugli scrittori contem-
poranei, in cui le doti di recensore sfoggiate dal Pallavicino nel circoscrivere l' analisi in formule a un tempo brillanti e sensibili ricordano da vicino quelle di Quintiliano
33
.
Al contrario di Graciaèn che non nascondeva la sua insofferenza per la û justiciera censura de un juicioso Quintiliano
34
ý, il Pallavicino,
mentre riaffermava il valore del progetto culturale ed educativo della Compagnia di Gesu é , ne aggiornava i paradigmi di riferimento trovando proprio nell' autore dell' Institutio
oratoria
e nella sua mobile
prospettiva
punto
di
critica
sulla
tradizione
un
riferimento
per
congiungere insieme la lezione dei classici e la sensibilitaé moderna. Anche la storia interna della
institutio
gesuitica, nel dialogo dei punti
di vista e degli orientamenti di gusto, mostra la vitalitaé di Quintiliano, il suo volto duplice di antico e di moderno.
32
S. Pallavicino,
33
Su Quintiliano critico letterario si veda E. Bolaffi,
Quintiliano,
Vindicationes Societatis Iesu,
Romae, 1649, p. 166
sq.
La critica filosofica e letteraria in
Bruxelles, 1958 ; P. V. Cova, û La critica letteraria nell' Institutio ý, in
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et al.,
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tura e critica letteraria a Roma nel i secolo d. C., Palermo, 1978. 34 E. R. Curtius, Letteratura europea e medioevo latino, Firenze,
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1992, p. 330. Si veda
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quintiliano e i gesuiti
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L AT I N I TAT E S
Emmanuel
Bury
QUINTILIEN ET LE DISCOURS CRITIQUE CLASSIQUE : VAUGELAS, GUEZ DE BALZAC, BOUHOURS
Placer
Quintilien dans la perspective du discours critique classique
peut aé la fois relever de l' eèvidence et du paradoxe : eèvidence, dans la mesure oué les nombreux travaux reècents sur la rheètorique º et la tenue meême de ce colloque º attestent la preèsence constante de la reèfeèrence aé l' Institution oratoire dans la pratique et la theèorie û litteèraires ý de l' aêge moderne ; et pourtant paradoxe, car cette reèfeèrence n' est pas celle qui s' est imposeèe dans la manieére dont la reèception des theèories litteèraires de l' aêge classique a eèteè constitueèe par la tradition critique contemporaine. De fait, aé simplement consulter l' index du fameux livre de Reneè Bray, La formation de la doctrine classique en France (1927), on constate que nulle mention n' est faite de Quintilien, alors que la part belle est faite, naturellement, aé Aristote et aé ses commentateurs 1
italiens . Il est vrai que cet ouvrage, eèlaboreè aé l' ombre du lansonisme triomphant, eètait l' heèritier d' une conception deèvaloriseèe de la rheèto2
rique , aé laquelle on avait deènieè la place centrale qu' elle occupait en fait, dans la formation fondamentale de tous les esprits attacheès aé l' art d' eècrire et de parler : notons que Ciceèron lui-meême, qui avait pourtant eèteè au cÝur de nombreux deèbats estheètiques depuis l' aêge d' or de l' humanisme
1
seuil
de
l' eèpoque
classique,
et
de
manieére
R. Bray, La formation de la doctrine classique en France, Paris, 1983 ; voir, notamment,
le chapitre
2
jusqu' au
iv
de la premieére partie, û Le culte d' Aristote ý, p. 49-61.
Sur le sort reèserveè aé la rheètorique dans le cadre de l' histoire et de l' enseignement de
la litteèrature selon Lanson, voir A. Compagnon, û La rheètorique aé la fin du
xix
e
sieécle ý,
dans M. Fumaroli, dir., Histoire de la rheètorique dans l' Europe moderne, Paris, 1999, p. 12141260, et particulieérement les p. 1233-1237.
413
emmanuel bury
414
3
deèterminante pour les conceptions cleès du style , n' a pas l' honneur d' une seule mention dans l' index de Bray. Une telle amneèsie est d' autant plus injuste que l' ideèe meême de û classicisme ý, fondeèe sur une theèorie de l' imitation feèconde et un rapport aux modeéles forgeè dans le laboratoire de la lecture et de la reè4
criture de textes exemplaires , doit eènormeèment aux lec°ons de l' Institution oratoire, qui a leègueè aé la culture occidentale une conception speècifique de la paideia lettreèe et de la formation de l' homme par cette paideia. Ernst Robert Curtius avait justement rappeleè l' importance du socle rheètorique pour la conception de la res literaria meèdieèvale, et l' impact de son eètude sur la Litteèrature europeèenne et le moyen aêge latin 5
sur le renouveau des eètudes rheètoriques n' est pas aé deèmontrer . L' ampleur du champ concerneè est telle qu' il faudrait plus qu' une simple communication, et plus encore qu' un colloque, pour en prendre la 6
pleine mesure . Il s' agira donc ici plutoêt de glaner quelques exemples significatifs
qui
illustrent,
selon
moi,
l' innutrition
profonde
dont
Quintilien a fait l' objet dans le discours critique de l' aêge classique, en centrant l' attention sur la manieére dont la reèfeèrence aé l' Institution oratoire va bien au-delaé d' un simple appel aé l' autoriteè d' un ancien, tant elle conditionne en profondeur la conception qu' un Vaugelas, un Balzac ou un Bouhours se font de la langue et du style. Car il s' agit bien de cela : repeèrer la preèsence de Quintilien dans le discours critique de l' aêge classique neècessite de ne pas s' en tenir aux grandes questions û critiques ý que la tradition de l' histoire des ideèes litteèraires a le plus souvent privileègieèes aé propos du classicisme, aé savoir la question des reégles, celles de la vraisemblance et des bienseèances, celle des genres, et ainsi de suite. Ce qu' enseigne Quintilien
3
Voir M. Fumaroli, L' aêge de l' eèloquence. Rheètorique et û res literaria ý de la Renaissance au
seuil de l' eèpoque classique, Geneéve, 1980, premieére partie (û Rome et la querelle du ciceèronianisme ý, notamment, p. 37-46, û Aetas ciceroniana ý) et C. Mouchel, Ciceèron et Seèneéque dans la rheètorique de la Renaissance, Marburg, 1990, notamment la premieére partie, û E è volution du ciceèronisme de 1555 aé 1600 ý, p. 42-144.
4
Sur la notion d' imitation dans le cadre du classicisme, voir R. Zuber, Les eèmerveille-
ments de la raison. Classicismes litteèraires du
xvii
e
sieécle franc°ais, Paris, 1997, p. 163-174 ;
cf. A. Geènetiot, Le classicisme, Paris, 2002, p. 223-246 (û L' appropriation des modeéles ý).
5
La Litteèrature europeèenne et le Moyen aêge latin, Paris, 1956 (reèeèd. Pocket, û Agora ý,
1986), notamment le chapitre IV, û La rheètorique ý (t. 1, p. 121-147) et û Excursus ý, V, û La science litteèraire aé la fin de l' Antiquiteè ý, I. Quintilien, (t. 2, p. 217-221).
6
L' un des premiers aé suggeèrer l' inteèreêt d' une telle eètude, pour l' eèpoque qui nous in-
teèresse, fut incontestablement B. Munteano, qui consacra un article aé û La survie litteèraire des rheèteurs anciens ý (Revue d' Histoire Litteèraire de la France, 1958, 2, p. 145-156, repris dans Constantes dialectiques en litteèrature et en histoire, Paris, Didier, 1967, p. 173-185), oué l' importance de Quintilien eètait nettement souligneèe (p. 177-184).
415
quintilien et le discours critique classique
aux critiques du xvii
e
sieécle, c' est avant tout une attention aé l' outil
meême de toute expression º qu' elle soit oratoire ou poeètique, philosophique ou û litteèraire ý : la langue et son usage. De fait, ce qu' enseigne la bonne latiniteè aux promoteurs de la langue et de la litteèrature franc°aises modernes, et notamment aux membres de la jeune Acadeèmie fondeèe en vue de cette promotion, c' est l' art de le justesse, de la clarteè et de la û netteteè ý. Comme l' eècrit Vaugelas, dans ses Remar-
ques sur la langue franc°aise (1647) : L' arrangement des mots est un des plus grands secrets du style ; qui n' a cela ne peut pas dire qu' il sache eècrire. Il a beau employer de belles phrases et de beaux mots, eètant mal placeès ils ne sauroient avoir ni beauteè ni graêce, outre qu' ils embarrassent l' expression et lui oê tent la 7
clarteè, qui est le principal .
L' estheètique de la langue n' est pas distincte de sa û performance ý, qui repose sur la clarteè. Cela correspond notamment aé ce que Quinti8
lien eècrit aé propos de l' ambigu|ëteè, qu' il faut eèviter aé tout prix . Il est donc important d' avoir aé l' esprit, quand on lit les consideèrations des grammairiens mondains et autres û remarqueurs ý sur les vertus du bon style et du bon usage, que les concepts mis en Ýuvre º et apparemment affadis par la simpliciteè des termes franc°ais qui les traduisent º trouvent leur origine dans le lexique speècialiseè et technique de l' art oratoire : le deèveloppement sur la perspicuitas, auquel il vient d' eêtre fait allusion, est une veèritable somme sur les principaux probleémes rencontreès en matieére de proprieèteè des termes, d' obscuriteè ou d' ambigu|ëteè, de justesse et d' emphase, avec la reèfeèrence constante, explicitement ou non, aé l' usage (usus). De Vaugelas aé Bouhours, les û grammairiens ý du beau monde pourraient souscrire aé cette deèfinition du bon style : Pour moi, que la premieére qualiteè du style soit la clarteè, la proprieèteè des termes, l' ordre reègulier, une fin de peèriode qui ne soit pas diffeè reèe trop longtemps ; qu' il n' y ait aucun manque, aucun superflu. Ainsi, notre langage aura l' approbation des gens instruits et sera accessible 9
aux incultes .
7
Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue franc°aise, utiles aé ceux qui veulent bien parler et bien eècrire, Paris, A. Courbeè, 1647 (eèd. fac-simileè, p. p. J. Streicher, Paris, 1934), p. 481.
8 Institution oratoire,
VIII, 2, 16 : Vitanda in primis ambiguitas, non haec solum, de cuius ge-
nere supra dictum est, quae incertum intellectum facit, ut û Chremetem audivi percussisse Demean ý, sed illa quoque, quae etiam si turbare non potest sensum in idem tamen verborum vitium incidit, ut si quis dicat visum a se hominem librum scribentem. Nam etiam si librum ab homine scribi patet, male tamen composuerit, feceritque ambiguum quantum in ipso fuit.
9 Inst. or.,
VIII, 1, 22 : Nobis prima sit virtus perspicuitas, propria verba, rectus ordo, non in
longum dilata conclusio, nihil neque desit neque superfluat. Ita sermo et doctis probabilis et planus
emmanuel bury
416
On notera ici l' attention aux deux publics possibles (les û instruits ý et les û incultes ý), qui fait songer aux formules de Vaugelas concernant le caracteére universel du û bon usage ý, qu' on ne doit pas reèduire au seul style û soutenu ý : Il y a bien de la diffeèrence entre un langage soutenu et un langage composeè de mots et de phrases du bon usage, qui, comme nous avons dit, peut eêtre bas et familier, et du bon usage tout ensemble. Et pour eècrire, j' en dirai de meême, que quand j' eècrirais aé mon fermier, ou aé mon valet, je ne voudrais pas me servir d' aucun mot qui ne fuê t du bon usage, et sans doute si je le faisais, je ferais une faute en ce genre
Cette attention au
public
demeurera
un trait caracteèristique
10
.
de
l' aêge classique, ou é l' û art de plaire ý constitue, on le sait, la pierre de touche de toute reèussite litteèraire
11
, au-delaé d' une eètroite attention
aux û reégles ý ; la querelle du Cid avait deèjaé rendu sensible ce fait, puisque Corneille avait triompheè en deèpit des reégles, et Molieére, aé l' occasion d' une autre querelle theèaêtrale, le formule de fac°on limpide è cole des femmes : en faisant dire aé Dorante, dans la Critique de l' E Il semble, aé vous ou|ër parler, que ces reégles de l' art soient les plus grands mysteéres du monde ; et cependant ce ne sont que quelques ob servations aiseèes, que le bon sens a faites sur ce qui peut oê ter le plaisir que l' on prend aé ces sortes de poeémes ; et le meême bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aiseèment tous les jours sans le secours d' Horace et d' Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande reé gle de toutes les reégles n' est pas de plaire, et si une pieéce de theèaêtre qui a attrapeè son but n' a pas suivi un bon chemin. (sc. 6)
L' appel au û bon sens ý, la confiance dans le û naturel ý pour aboutir aé la justesse de l' expression, tout cela reèpond autant aé des attentes rheètoriques traditionnelles qu' aé des impeèratifs û mondains ý º auquel on a parfois trop tendance aé reèduire l' art de plaire. La Bruyeére attribuera ces qualiteès par excellence aé la parole feèminine, qui n' est pas susceptible de prendre appui sur les reégles apprises au colleége, mais ou é l' on retrouve pourtant des criteéres oratoires bien reconnaissables :
imperitis erit. (tr. fr. J. Cousin, CUF, t. V, 1978, p. 59) ; sur le roêle de Quintilien dans les deèbats sur cette notion, voir, ici-meême, la contribution de V. Kapp.
10 11
Vaugelas, op. cit., û Preèface ý, non pag. Voir, aé ce sujet, R. Zuber, Les eèmerveillements de la raison, p. 34-36, sur les caracteèris-
tiques de ce public, tel que l' envisagent les eècrivains du
xvii
e
sieécle franc°ais, et le rapport
que cette ideèe entretient avec celle du bon style ; cf., dans le meême ouvrage, le chapitre sur l' û atticisme ý (p. 139-149).
quintilien et le discours critique classique
417
... [les femmes] sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauteè [...] elles ont un encha|ênement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n'est lieè que par le sens 12.
L'attention au choix des mots, et l'attachement aé la fois au mot propre et au mot le plus usuel eètait en effet un des impeèratifs proclameès par Ciceèron ( ., I, 12), et on le retrouve en teête du livre VIII de , ce que l'abbeè Geèdoyn traduira ainsi, dans la meême langue que La Bruyeére : û les termes qui plaisent le plus aux esprits droits & senseès, ne sont nullement rechercheès, mais simples, comme est le langage de la veèriteè ý 13. Apreés le choix des mots, la jus14, rendu necessaire tesse consiste en leur agencement, è par le fait qu'on ne peut pas les retailler et les polir, comme on le ferait d'une pierre brute, et qu'il faut donc les prendre tels quels, et les ajuster au mieux 15 : c'est ce qui fait toute la beauteè de la phrase. S'il est vrai, comme le dit Dorante, qu'il n'est pas forceèment neècessaire d'avoir lu Aristote et Horace pour parler avec justesse, il n'en est pas moins vrai que tout l'eèdifice rheètorique, depuis Aristote jusqu'aé Quintilien au moins, ne vise qu'aé eètudier et aé comprendre le fonctionnement reèel du discours, c'est-aé-dire les situations reèelles de prise de parole, en fonction des impeèratifs concrets (ceux des structures de la langue, mais aussi ceux de la culture et des attentes du public, etc.) : en dec° aé de tout formalisme º qui n'est, somme toute, qu'une manieére meèthodique d'exposer ce fonctionnement º, la rheètorique ne s'eèloigne pas de l' de la langue (contrairement aé la poeètique, serait-on tenteè de dire, qui offre au langage commun d'autres modaliteès de fonctionnement, et des impeèratifs formels d'un autre ordre). C'est dire que dans le contexte d'une critique mondaine attentive aé l' et aux attentes d'un public preècis, l'outil rheètorique peut jouer pleinement le roêle que deèfinit cette tradition. De Or
l' Institution oratoire
collocatio verborum
usage commun
usage
12 La Bruyere, , û Des Ouvrages de l'esprit ý, ½37 ; sur la justesse, ., é dans le meême chapitre, la remarque 2 : û Il faut chercher seulement aé penser et aé parler juste, sans vouloir amener les autres aé notre gouêt et aé notre sentiment ý. 13 Voir ., VIII, ., 23, ; la traduction de l'abbeè Geèdoyn, publieèe pour la premieére fois en 1718, sera maintes fois reèeèditeèe tout au long du xviiie sieécle (citation tireèe de l'eèdition Barbou de 1777, t. III, p. 131). 14 Voir Ciceron, ., III, 43, 172 : . è 15 , VIII, 6, 63 : Les Caracteéres
Inst. Or
Pr
cf
quia sunt optima minime arcessita et simplicibus atque ab ipsa
veritate profectis similia
De Or
Inst. Or.
collocatio verborum, quae junctam orationem efficit
Differenda igitur quaedam et praesumenda, atque ut in structuris lapi
dum impolitorum loco, quo convenit, quodque ponendum. Non enim recidere ea nec polire possumus, quo coagmentata se magis jungant, sed utendum iis, qualia sunt, eligendaeque sedes
.
emmanuel bury
418
On comprend donc pourquoi Vaugelas, meême s' il parle la langue de la cour et du beau monde, n' en raisonne pas moins avec les concepts et les termes de l' art oratoire, qui affleurent constamment sous le lexique et les notions du grammairien mondain. Ainsi, aé propos de la netteteè du style, Vaugelas fait appel aé l' ideèe d' oraison, ce qui pourrait surprendre dans un contexte oué il semble plutoêt eêtre question de conversation (sermo) que de prose soutenue (oratio) ; il eècrit pourtant : û on ne saurait, ce me semble, avoir assez de soin de la netteteè du style, car elle contribue infiniment aé la clarteè, qui est la principale partie de l' oraison ý
16
. Comme la plupart des û remarqueurs ý, Vauge-
las se fait le teèmoin de la conscience grammaticale de son temps qui, loin d' eêtre cantonneèe aé l' eètroite spheére des speècialistes du langage, a pour
caracteèristique
d' eêtre explicitement preèsente
dans le
discours
mondain, aussi bien celui des critiques et des eècrivains que celui du public : la fameuse lettre de Voiture sur le car teèmoigne d' ailleurs de cet eètat de fait, attestant l' inteèreêt du public mondain pour ce genre de question
17
. Le probleéme de la collocatio verborum n' a-t-il pas donneè lieu
aé l' une des sceénes les plus ceèleébres de Molieére, lorsque, dans Le Bourgeois gentilhomme, M. Jourdain demande aé son û ma|être de philosophie ý quelle est la meilleure fac°on de deèclarer son amour aé la û belle marquise ý ?
18
Dans la subtile dialectique qui combine la raison et l' usage, Vaugelas puise sans doute l' usage dans la û fac°on de parler ý de la û plus saine partie de la Cour ý et dans û la fac°on d' eècrire ý de û la plus saine partie des auteurs du temps ý, mais ou é trouve-t-il la raison ? Dans la tradition rheètorique justement. Or, la seule somme rheètorique qui descende avec autant de minutie que Vaugelas dans les deètails de l' eèlocution est preèciseèment l' Institution oratoire. L' ideèal de la langue franc°aise cultiveèe, qui fonde le juste eèquilibre entre les res et les verba sur l' exigence de clarteè, de justesse et de netteteè, aboutit notamment aé la convergence du û bien penser ý et du û bien parler ý, au point que les deux expressions peuvent souvent se confondre º comme le montre le titre de l' ouvrage du P. Bouhours, La Manieére de bien penser dans les ouvrages d' esprit (1687) qui traite avant tout de l' expression des penseèes û ingeè-
16 17
Vaugelas, op. cit., p. 142. Sur cette tradition grammaticale, voir Gilles Siouffi, Le û Geènie de la langue fran-
c°aise ý aé l' aêge classique. Recherches sur les structures imaginaires de la description linguistique aé ê ge classique, Paris, Champion, 2010 : l' auteur y met l' accent sur la conception que les l' A û remarqueurs ý se font de la langue, conception le plus souvent neè gligeèe par les historiens de la grammaire conc°ue comme û systeéme ý.
18
Molieére, Le Bourgeois gentilhomme, acte II, sc. 4.
quintilien et le discours critique classique
419
nieuses ý. Le deèbut du livre VIII de l' Institution oratoire insiste justement sur l'importance de l'eèlocution º qui seule deètermine la bonne eèloquence selon Quintilien º, dans la mesure oué le mot eloqui deèsigne speècifiquement ce qui û produit au dehors et communique aux auditeurs ce que l'on a conc° u dans la penseèe ý ; û sans cette faculteè, poursuit-il, les opeèrations anteèrieures de l'esprit [c'est-aé-dire l' inventio et la dispositio] sont inutiles et semblables aé une eèpeèe qui resterait enfermeèe dans son fourreau ý 19. La Bruyeére ne dira pas autre chose, dans le chapitre liminaire des Caracteéres sur û les Ouvrages de l'esprit ý : Entre toutes les diffeèrentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos penseèes, il n'y en a qu'une qui soit la bonne, on ne la rencontre pas toujours en parlant, ou en eècrivant : il est vrai neèanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est faible, et ne satisfait pas un homme d'esprit qui veut se faire entendre 20.
û Se faire entendre ý : les fonctions du langage que met en avant La Bruyeére (comme la plupart des critiques de son temps) sont bien celles de la û communication ý º et non les fonctions auto-reèfeèrentielles ou û poeètiques ý que notre moderniteè theèorique a privileègieèes º, ce qui nous situe bien dans le cadre proprement rheètorique. Deés lors, la qualiteè de l'eèlocution s'accompagne d'un effet d'eèvidence et de naturel : Un bon auteur, et qui eècrit avec soin, eèprouve souvent que l'expression qu'il cherchait depuis longtemps sans la conna|être, et qu'il a enfin trouveèe, est celle qui eètait la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se preèsenter d'abord et sans effort 21.
Comme l'avait recommandeè Quintilien dans le passage deèjaé citeè ci-dessus, û les termes les meilleurs sont les moins rechercheès et semblables aé ceux qui sont tireès de la veèriteè meême ý, par opposition aé ceux qui û trahissent le travail ý et qui û veulent para|être forgeès et disposeès avec art ý 22. Il est vrai que, pour tous ces auteurs, le û naturel ý est le 19 Eloqui enim hoc est omnia quae mente conceperis promere atque ad audientis perferre, sine quo
. (Inst. or., VIII, Pr., 15) 20 La Bruyere, Les Caracteres, û Des Ouvrages de l'esprit ý, 17. é é 21 La Bruyere, ibid. é 22 Inst. or., VIII, Pr., 23 (cf. supra, n. 12) ; cf. la traduction de Gedoyn deja citee : û Ces è è é è mots qui montrent la peine qu'on a eue aé les trouver, & oué l'on veut avoir la gloire de l'invention, n'ont pas toujours la grace qu'ils afectent, & ne laissent rien de solide aé l'esprit, parce qu'ils ofusquent les penseèes ; semblables aé ces mauvaises herbes qui eètoufent le bon grain ý (p. 131). supervacua sunt priora et similia gladio condito atque intra vaginam suam haerenti
emmanuel bury
420
reèsultat d' un art consommeè et qui ne doit pas transpara|être, et la fac°on dont La Bruyeére, par exemple, deècrit la subtile alchimie qui meéne aé ce reèsultat paradoxal est entieérement calqueèe sur la deèfinition ideèale du travail d' un orateur : Combien d' art pour rentrer dans la nature ! combien de temps, de reégles, d' attention et de travail pour danser avec la meê me liberteè et la meême graêce que l' on sait marcher ; pour chanter comme on parle ; parler et s' exprimer comme l' on pense ; jeter autant de force, de viva citeè, de passion et de persuasion dans un discours eè tudieè et que l' on prononce dans le public, qu' on en a quelquefois naturellement et sans preèparation dans les entretiens les plus familiers !
L' essentiel
l' effet
est
produit º
et
c' est
bien
23
en
cela
que
nous
sommes pleinement ici dans la spheére rheètorique deèfinie par Ciceèron et Quintilien : comme l' eècrivait Guez de Balzac dans le discours qu' il consacre aé la û grande eèloquence ý, la veèritable eèloquence est bien distincte du style pompeux et savant des sophistes, qui s' eèloigne trop é cette eèloquence û de la sobrieèteè et de la modestie du style oratoire ý. A d' apparat
qui
ne
recherche
que
des
effets
superficiels,
il
oppose
l' û eèloquence d' affaires et de service ý, û tout efficace et toute pleine de force ý
24
. Laé est l' ideèal d' atticisme qui caracteèrise la parole classique, et
dont tous les attendus sont preèsents dans les preèceptes de Quintilien (notamment dans les pages du
proÝmium
du livre VIII deèjaé mention-
neèes). Comme le fait remarquer l' eèditeur de ce texte, R. Zuber, le titre de û paraphrase ý indique le rapport indirect aux sources savantes qu' il faut savoir preèserver, sans tomber pour autant dans le peèdantisme, et il met l' accent sur la preèsence de Quintilien en arrieére-plan de tout le discours
25
. Car laé est bien un des paradoxes de la meèmoire
rheètorique aé l' Ýuvre chez Balzac : alors meême que le propos du critique se deèploie dans un cadre bien reconnaissable et dans lequel Quintilien se retrouverait sans peine, l' ideèe meême de û paraphrase ý met aé distance la reèfeèrence trop explicite et immeèdiate. La raison en est simple : Quintilien, avec tout le savoir mis en Ýuvre de manieé re deètailleèe dans l' Institution
23
La Bruyeére,
oratoire,
Les Caracteéres,
est le û peèdant ý par excellence, c' est-
û Des Jugements ý, 35 ; sur le û naturel classique ý, voir
l' eèclairante mise au point d' A. Geènetiot, p. 387-413 (û Un naturel cultiveè ý), particulieérement les p. 387-394, sur l' art cacheè et la neègligence, oué sont citeès de nombreux exemples faisant eècho aé ces formules de La Bruyeére.
24
Guez de Balzac, û Paraphrase ou de la grande eèloquence ý, discours sixieéme,
diverses
(1644), eèd. R. Zuber, Paris, 1995, p. 159-160 ;
XII, 10, 63-65, qui contient,
25
Guez de Balzac,
in nuce,
op. cit.,
cf.
l' argument central du propos de Balzac.
p. 154-155.
Üuvres
notamment, dans l' Inst.
or.,
quintilien et le discours critique classique
421
aé-dire celui qui sent l' E è cole et les heures de travail. C' est pourquoi, meême si on fait appel aé ses preèceptes, on le fait sans le dire. Cela est tout aé fait net dans le discours de Balzac qui, alors meême qu' il paraphrase l' Institution oratoire, remet ouvertement en cause l' autoriteè des û grammairiens ý, et de Quintilien en particulier, en matieére d' eèloquence veèritable : Ce ne sont ni les armuriers, ni les fourbisseurs, ni les vivandiers de l' armeèe qui combattent l' ennemi, et qui gagnent les batailles. Ce ne sont pas non plus les compilateurs de lieux communs, ni les copistes des rheètoriques d' autrui, ni les traducteurs de quelques chapitres de Quintilien, qui attaquent et emportent les aêmes
26
.
Meême s' il proclame, quelques pages plus loin, la neècessiteè d' un bon naturel pour que l' apprentissage et l' art portent tous leurs fruits, en des termes identiques aé ceux de Quintilien
27
, Balzac fait semblant
d' oublier ce qu' il lui doit ; cela est d' ailleurs tout aé fait conforme aé la doctrine de l' imitation-eèmulation º telle qu' il l' avait deèfendue aé l' occasion de la querelle des premieéres Lettres º, et dont Quintilien fournissait lui-meême une lumineuse description dans le livre X
28
!
Cela n' empeêche pas Guez de Balzac de se reèclamer ouvertement du peèdagogue romain lorsqu' il est question de probleémes preècis d' elo-
cutio º tant l' Institution oratoire est riche de points de vue deètailleès sur la question. Ainsi, dans l' une des Dissertations critiques, il justifie l' usage de l' expression û se calomnier soy-mesme ý qu' il a utiliseèe, en expliquant qu' il l' a adapteèe en franc°ais aé partir de Quintilien, ce qui lui donne l' occasion de reconna|être explicitement sa freèquentation de la somme oratoire : Je l' avois vue dans les Institutions de Quintilien, qui est un pays, comme vous savez, oué l' on ne voit gueére que de bonnes choses
26
29
.
Guez de Balzac, op. cit., p. 161.
27 Cf. Inst. or.,
I, Pr., 26 : nihil pr×cepta atque artes valere nisi adjuvante natura ; cf. II, 2, 4-
8, sur la manieére dont il faut agir avec la nature de l' enfant au deè but de l' apprentissage, que l' on travaille comme un mateèriau abondant, qu' il convient peu aé peu de forger selon la juste mesure.
28
Sur la question de l' imitation, voir le chapitre deè jaé citeè de l' ouvrage de R. Zuber
(Les eèmerveillements de la raison, p. 163-174) ; sur la querelle des premieéres Lettres et les arguments de Balzac en matieére d' imitation des Anciens, voir Z. Youssef, Poleèmique et litteèrature chez Guez de Balzac, Paris, 1972, p. 44-48 et p. 261-267 ; cf. Inst. or., X, 24-28, oué se trouve
exprimeèe
l' ideèe
du
deèpassement
des
modeéles,
c' est-aé-dire
d' une
û imitation
adulte ý.
29 Guez de Balzac, Dissertations critiques, dans Les Ýuvres de M. de Balzac, divisees en deux è tomes, Paris, L. Billaine, 1665, t. II, p. 291 ; la preèsence de Quintilien en arrieére-plan de la
422
emmanuel bury
Lecteur attentif de Quintilien malgreè ses apparentes deèneègations, Balzac en fait un modeéle de critique º attitude qu'il appelle û faire le Quintilien ý º, comme lorsque, pour louer l'eèloquence d'un de ses destinataires, il fait reèfeèrence au jugement que le rheèteur avait porteè sur l'eèloquence de Messala :
Il avoit ou|ë parler d'un stile cavalier, et d'une eloquence cavaliere ; mais c'estoit en une cour gasconne, qui ne doit pas estre la regle du bon franc° ois. Il aime donc mieux dire une eloquence de gentilhomme. L'ideèe s'en estoit perdue« avec les escrits de Messala, estimez si fort par Quintilien ; et il espere que vous la ferez revivre dans vos discours, que Quintilien estimeroit plus que les escrits de Messala, s'il revenoit au monde faire le critique, et juger du merite des paroles 30.
C'est encore chez Quintilien que Balzac va chercher la notion d'urbanitas, qu'il essaie de transposer en franc° ais dans le neèologisme û urbaniteè ý º ce qui rejoint, chez lui, une reèflexion plus geèneèrale et continue sur û l'honneête raillerie ý 31. Meême si, quelques anneèes plus tard, l'û Avant-propos ý du Socrate chreètien (1652), qui est plutoêt eècrit aé la lumieére du De Doctrina Christiana de saint Augustin, renoue avec une attitude plus critique aé l'eègard de Quintilien, preèsenteè comme un û ma|être d'Eècole ý trop pointilleux et trop seèveére 32, il n'en demeure pas moins que ce ma|être de l'art oratoire a eèteè une constante source de reèflexion pour l'unico eloquente du classicisme û Louis xiii ý. Il serait tentant de croire que la trace de la culture oratoire antique ait eètee è plus forte pour cette premieére geèneèration des û classicismes ý du xvii sieécle, du fait de sa plus grande proximiteè avec l'humanisme encore rayonnant aé la fin du xvie sieécle. Pourtant, le teèmoin qui va eêtre convoqueè maintenant, qui est exemplaire du discours critique contemporain de ce qu'on peut appeler le û classicisme ý au sens penseèe critique de Balzac est rendue sensible dans l'eètude de Z. Youssef citeèe ci-dessus (voir aé l'index, entreèe û Quintilien ý, p. 436). 30 Balzac, Dissertations chretiennes & morales (XXI), Üuvres, t. 2, p. 396. è 31 Voir, a ce sujet, Z. Youssef, Polemique et litterature, p. 325-326 ; cf., sur la notion è è é d'urbaniteè, le chapitre de R. Zuber, L'eèmerveillement, p. 151-161, û L'urbaniteè franc° aise ý, notamment, les p. 152-153, aé propos de Quintilien ; cf. Inst. or., VI, 3, 103-112, oué l'on voit la distinction entre l'eèleègance du sourire urbanus et le ridicule qui provoque le rire. 32 Il s'agit, en fait d'une allusion a la critique que Quintilien adressait au style de é Seèneéque, û Avant-propos ý du Socrate chreètien, Üuvres, t. 2, non pag. (fol. Cc 3 vo) : û Il me semble que Quintilien est en cela trop severe, & qu'il prend les choses trop aé la rigueur. Il fait trop le ma|être d'Ecole & le reèformateur de son siecle. ý ; cf. Inst. or., X, 1, 129, quod abundant dulcibus vitiis, formule que paraphrase Balzac.
quintilien et le discours critique classique strict
33
423
, fait encore appel aé Quintilien pour fonder son propos, bien
que celui-ci porte bien sur la litteèrature contemporaine, et souvent la plus mondaine : il s' agit du P. Dominique Bouhours, qui, de fait, semble instaurer un rapport beaucoup plus serein avec la reèfeèrence au ma|être de l' Institutio
oratoria.
Son Ýuvre, aux coêteès de celle d' un Boi-
leau (conjointement auteur de l' Art
sublime,
dans les
Üuvres diverses
poeètique
et traducteur du
Traiteè du
de 1674), incarne sans doute le mieux
l' ideèal classique tel qu' il est penseè et construit par les auteurs de sa geèneèration, comme l' a bien montreè Jules Brody
34
. Il convient d' embleèe
de rappeler que Bouhours eètait jeèsuite, et que sa profession de û reègent de colleége ý º ce qu' il fut au Colleége de Clermont pendant plus de vingt ans º lui donna l' occasion de freèquenter assidu ê ment, bien apreés ses anneèes de formation initiale, l' Ýuvre de Quintilien, qui irrigue en profondeur l' ensemble du projet peèdagogique de la
Ratio studiorum
35
.
Le caracteére deètailleè des preèceptes lui reèservait en effet une place de choix parmi les outils qui devaient inspirer le travail concret de l' ap prentissage de la parole et de l' eècrit, et on sait que Quintilien ne neèglige pas les taêches les plus humbles de la peèdagogie
36
. E è rasme, le
premier, avait mis toute meèthode d' apprentissage aé l' eècole de Quintilien, et les jeèsuites, dans la
Ratio,
heèritent directement de la lec°on eèras-
mienne. Cela explique que, une geèneèration apreés Vaugelas et Guez de Balzac, Bouhours discute aé son tour de l' eèlocution mondaine º et de la litteèrature qui lui est lieèe º avec les outils de la litteèrature savante, latine et neèo-latine, comme on apprend aé la lire et aé l' eècrire dans le ca-
33
Sur la question de peèriodisation du classicisme, je me permets de renvoyer aé ma
contribution au numeèro sur
classiques,
La peèriodisation du
xvii e sieécle, dirigeè par J. Rohou, Litteèratures
34 (1998, 3), p. 217-236 ; l' usage de û classicismes ý au pluriel caracteè rise la
deèmarche de R. Zuber, dans l' ouvrage deè jaé citeè, comme l' explique le preèfacier du volume, G. Forestier, p. 20 : û Roger Zuber deèmontre en fait que le classicisme en tant que tel n' existe pas, et que seules existent des
postures classiques
fondeèes sur l' adheèsion aé ce qui
demeure le plus vivace des legs de la Renaissance, l' humanisme. ý Il va de soi, oserai -je ajouter, que l' eèdifice rheètorique est sans doute une des formes les plus remarquables et les plus durables de ce legs.
34
J. Brody, auteur de
Boileau and Longinus
(Geneéve, Droz, 1958) º travail fondateur
sur l' estheètique classique º, a remis Bouhours aé l' honneur dans un article non moins seèminal paru en 1989 dans la revue û
Rethinking classicism
ý
(p. 47-73),
Continuum,
repris
en
qui consacrait un numeèro au theéme
franc°ais
dans
le
recueil
Lectures classiques,
Charlottesville, 1996, p. 41-65, sous le titre û Que fut le classicisme franc°ais ? ý.
35
Sur
ce
point,
voir
ma
contribution
au
numeèro
de
la
revue
xvii e
sieécle,
236
(2007, 3), û Trente ans de recherches rheètoriques ý (preèpareè sous la direction de Ph.-J. Salazar), û La rheètorique classique au fondement d' une peèdagogie : l' exemple de la
Ratio studiorum et ses conseèquences litteèraires ý, p. 487-499. 36 Voir Inst. or., II, 2, 5-6, sur la necessite d' avoir un ma|tre è
deèbut de l' enseignement.
è
ê
du plus haut niveau deés le
emmanuel bury
424
dre du colleége. De ce point de vue, Bouhours poursuit l'Ýuvre de Balzac, qui visait, selon son expression, aé û civiliser la doctrine ý par un lent travail d'inteègration et d'assimilation des codes latins et neèo-latins dans la litteèrature vernaculaire, selon les attentes du public mondain du temps 37. C'est sans doute dans de 1687, qui semble souvent faire eècho aux remarques deèjaé citeèes de La Bruyeére dans le chapitre sur le meême sujet, que l'on trouve de la fac° on la plus nette les traces de cet heèritage, qui poursuit l'Ýuvre de Vaugelas et de Balzac, avec le meême souci du deètail, de l'usage et de la pratique. Toutefois, aé la diffeèrence de ses preèdeècesseurs, Bouhours n'a pas honte de ses sources, qu'il convoque de manieére explicite, par les mentions marginales, les citations, et l'index deètailleè qui fait la liste de ces renvois ; c'est ainsi, par exemple, qu'il en vient aé discuter des meèrites compareès de Balzac et de Voiture aé l'aide des outils d'analyse fournis par Quintilien. Il s'agit de la premieére lettre de Voiture aé Balzac : aé Philanthe (l'amateur de langage û fleuri ý, qui s'oppose aé Eudoxe, repreèsentant du bon gouêt) qui fait remarquer que Voiture est capable d'employer le style ampouleè qu'il critique chez Balzac, Eudoxe reètorque que l'eèpistolier imite l'enflure de son destinataire û pour faire sa cour aé Balzac ý, û ou pour se moquer de lui, en le contrefaisant ý, et il insiste sur le fait que û l'esprit de la lettre est railleur ý 38 ; il songe sans doute ici aé Quintilien, qui explique que l'un des effets de l'hyperbole peut eêtre le comique : û Treés souvent l'hyperbole aboutit aé faire rire : si c'est laé ce qu'on a chercheè, elle meèrite le nom de deèlicate plaisanterie, sinon, celui de sottise ý 39. Philanthe, sans deèsarmer, lui reèpond que Voiture est capable d'outrance, comme lorsqu'il s'adresse au duc d'Enghien, ce aé quoi Eudoxe reèpond, prenant cette fois explicitement appui sur Quintilien : La Manieére de bien penser dans les ouvrages d' es
prit
C'est en des occasions comme celles-laé, repartit Eudoxe, oué, selon Quintilien, l'hyperbole la plus hardie est une perfection du discours, bien-loin d'en estre un deèfaut ; je veux dire, quand la chose dont il s'agit passe en quelque sorte les limites de la vertu naturelle, telle qu'estoit la victoire d'un jeune Prince qui venoit de prendre Dunkerque contre toutes les apparences humaines, & qui faisoit tous les
37 Sur ce theme, voir mon article û Un ideal de la culture franc° aise entre humanisme é è et classicisme : ``civiliser la doctrine'' ý, , XXXIII, 2006, p. 117-130. 38 Bouhours, p. 263, 264. 39 VIII, 6 : ½74 (fin) : French Literature Series
Quo magis intuendum est quousque deceat extollere quod nobis non credi
tur. Pervenit haec res frequentissime ad risum ; qui si captatus est, urbanitatis, sin aliter, stultitiae
.
nomen assequitur
quintilien et le discours critique classique
425
jours des actions de valeur presque incroyables : car alors il est permis de dire plus qu'il ne faut, parce qu'on ne peut dire autant qu'il faut ; & il vaut mieux aller au-delaé des bornes de la veèriteè, que de demeurer en dec° aé 40.
Pour Eudoxe, le meèrite de Voiture est de ne s'eèlever que dans les grandes choses º qui justifient l'usage du haut style º contrairement aé Balzac, qui û prend le haut ton jusques dans les petites choses ý, et surtout Voiture û ne s'y eèleve jamais trop, parce qu'il le fait touêjours selon les regles de l'art, ou pluêtost selon celles du bon sens. ý Eudoxe conclut en comparant Voiture aé Lysias, tel que le deècrit Denys d'Halicarnasse 41. Il est frappant de voir avec quelle aisance Bouhours puise dans les reèfeèrences savantes pour illustrer un propos qui porte sur la litteèrature la plus mondaine qui soit, preuve, s'il en eètait besoin, que la litteèrature pouvait se penser dans un cadre beaucoup plus savant qu'il n'y para|êt au premier abord. Un rapide tour d'horizon des reèfeèrences faites aé Quintilien dans la Manieére de bien penser nous confirme que l' Institutio oratoria est bien preèsente aé l'esprit de Bouhours lorsqu'il reèdige son ouvrage ; il est vrai qu'elle semble circonscrite aé des passages bien preècis º qui, au demeurant, constituaient deèjaé l'intertexte des Remarques de Vaugelas ou des Discours de Balzac : le livre VIII, sur l'eèlocution, est de loin le plus souvent invoqueè (surtout les chapitres 3 et 6), comme nous venons de le voir, ainsi que le livre X, lorsqu'il est question des modeéles (chapitre 1), mais on trouve aussi des renvois et des citations du livre II (chapitre 3, aé propos de la clarteè) ou au livre IV (chapitre 2, sur la narration, aé propos de Salluste) ; une reèfeèrence cruciale au livre XII correspond meême aé un point fort de la conclusion que tire Philanthe, lorsqu'il reconna|êt qu'il ne faut pas se laisser abuser par ce qui brille sans û soliditeè ý : Me voilaé deèsabuseè. Je reconnois aé cette heure que les penseèes ingeènieuses sont comme les diamants, qui tirent leur prix de ce qu'ils ont encore plus de soliditeè que d'eèclat ; & c'est, aé mon greè, se tromper
Bouhours, p. 264 265 ; .
., VIII, 6 :
40 cf Inst. or Tum hyperbole virtus, cuém res ipsa de qua loquendum est, naturalem modum excessit. Conceditur enim amplius dicere, quia dici quantum est
[½76 : û L'hyperbole est donc une qualiteè lorsque la chose dont nous avons aé parler est extraordinaire. Il est permis, en effet, de dire plus, parce que nous ne pouvons dire juste ce qu'il faut, et mieux vaut aller au-delaé que rester en dec° aé. ý] 41 Bouhours, p. 265 : û Voiture tient un peu du caractere de Lysias, qui, au jugement é de Denys d'Halicarnasse, tout naturel & tout simple qu'il estoit, s'enfloit quelquefois... ý non potest, meliusque ultra quaém citra stat oratio.
emmanuel bury
426
bien lourdement, que de croire raisonnable & plausible, une eèloquence vicieuse & corrompue« , toute jeune, toute badine, qui ne garde nulle bienseèance dans les paroles, ni dans les penseèes ; qui s'emporte & s'enfle aé l'exceès dans des occasions oué il ne s'agit de rien moins ; qui confond le sublime avec l'outreè, le beau avec le fleuri, & qui sous preètexte d'avoir un air libre, s'eègaye jusqu'aé la folie 42.
C'est dire que le û gouêt ý le plus mondain plonge bien ses racines dans le discours traditionnel de la rheètorique, et que les cateègories de celle-ci informent bien en profondeur le cadre de penseèe critique qui essaie de fixer les normes et les reégles d'un discours vernaculaire moderne. Les cateègories û franc° aises ý qui permettent l'eèvaluation critique sont explicitement rapporteèes, par Bouhours lui-meême, aé des concepts rheètoriques latins ; ainsi, au sujet de la clarteè, au deèbut du quatrieéme Dialogue d'Eudoxe et de Philanthe, on peut lire : Pour achever, dit-il, ce que nous avons commenceè, ce n'est pas assez que les penseèes qui entrent dans les ouvrages d'esprit ayent un fonds de veèriteè proportionneè au sujet qu'on traite, ni qu'elles soyent nobles sans enflure, agreèables sans affeterie, deèlicates sans rafinement : il faut encore qu'elles soient nettes, claires & intelligibles. Sans cela je me moque du sublime & du merveilleux ; je compte pour rien l'agreèment, la deèlicatesse, ou pluêtost je n'en connois point. [...]. Aussi Quintilien marque la clarteè pour la premieére vertu de l'eèloquence, &, selon luy, les discours des plus habiles orateurs sont les plus aisez aé entendre 43.
û Noblesse ý, û agreèment ý, û deèlicatesse ý, tous ces termes sont eèclaireès par une citation marginale º en latin º de l' Institution oratoire (II, 3, 8), qui met en avant la û premieére qualiteè de l'eèloquence ý qui est la û clarteè ý (perspicuitas), dont ne sont capables, selon Quintilien, que les hommes de talent (le passage en question traite du meilleur ma|être aé choisir) º alors que les meèdiocres se guindent et s'enflent (at44 tollere et dilatare) pour masquer leur absence de talent . La critique de 42
Bouhours, p. 392-393 ; il cite en marge Inst. or., XII, 10, 73 : Falluntur enim plurimum
qui vitiosum et corruptum dicendi genus, quod aut verborum licentia exultat aut puerilibus sententiolis lascivit aut inmodico tumore turgescit aut inanibus locis bacchatur aut casuris si leviter excutiantur flosculis nitet aut praecipitia pro sublimibus habet aut specie libertatis insanit, magis existimant
. Bouhours, p. 341-342. 44 Inst. or., II, 3, 8 : Quid si plerumque accidit ut faciliora sint ad intellegendum et luci diora multo quae a doctissimo quoque dicuntur ? Nam et prima est eloquentiae uirtus perspicuitas, et, quo quis ingenio minus ualet, hoc se magis attollere et dilatare conatur, ut statura breues in digitos eriguntur et plura infirmi minantur. Pour articuler la citation avec son propos,
populare atque plausibile
43
427
quintilien et le discours critique classique
ces esprits faux reèappara|êt une vingtaine de pages plus loin, avec une meême reèfeèrence aé ce passage du livre II, aé propos de la pointe finale d' un sonnet de Malherbe (û L' Avorton ý) :
L'amour, malgreè l'honneur, te fit donner la vie ; L'honneur, malgreè l'amour, te fait donner la mort.
Mais
l'assemblage confus de l'estre & du neèant rebut du neèant & de l'estre
, n' a pas toute la clarteè que
l' on pourroit desirer, non plus que le
. Cela est
trop fort, dit Philanthe, pour estre si net. Eh, de grace, reè pondit Eudoxe, un peu moins de force, & plus de netteteè ! Encore ne sc°ay-je si ce qui vous semble fort l' est en effet : car, selon les Maistres de l' art, les esprits enflez ont, comme les corps boufis, plus de foiblesse que de force, & sont dans le fond malades, quelque apparence d' embonpoint qu' ils ayent
45
.
Les û ma|êtres de l' art ý ne sont autres que... Quintilien, une nouvelle fois, dont Bouhours cite en marge l' affirmation que û l' enflure, le mauvais gouêt, la recherche, et, les autres genres d' affectation, deèceélent non la force, mais la faiblesse ; de meême l' enflure du corps est signe de maladie, non de vigueur ý
46
. Les lec°ons de Quintilien que le savant
jeèsuite rappelle en arrieére-plan de ses propres lec°ons de gouêt contiennent donc autant de mises en garde que de preèceptes positifs ; la deènonciation d' une comparaison forceèe, par exemple, qui prend appui sur le jugement d' un auteur contemporain (en l' occurrence La Roche foucauld), ameéne aussito ê t sous la plume de Bouhours une reèfeèrence au passage du livre VIII oué Quintilien deènonce cette û corruption ý
Bouhours cite d' abord en marge û
dicuntur. 45
prima est...
ý, puis, juste au dessous : û
47
.
plerumque...
ý
Bouhours, p. 377.
Inst. or Nam tumidos et corruptos et tinnulos et quocumque alio cacozeliae genere peccantes certum habeo non uirium sed infirmitatis uitio laborare, ut corpora non robore sed ualetudine inflantur 46
47
. II, 3, 9 :
, citation qui suit immeèdiatement celle alleègueèe aé la p. 342.
Bouhours, p. 72 : û Mais en matieére de comparaisons, ajouêta-t-il, il faut eèviter sur
tout de falsifier la nature, pour ainsi dire ; en luy attribuant ce qui ne luy convient pas, aé l' exemple de ces Orateurs, ou pluêtost de ces corrupteurs de l' eèloquence dont se moque Quintilien, qui disoient comme quelque chose de beau ; que les grands fleuves estoient
cf Inst. or Quod quidem genus a quibusdam declamatoria maxime licentia corruptum est : nam et falsis utuntur, nec illa iis quibus similia videri volunt adplicant. Quorum utrumque in his est, quae me iuvene ubique cantari solebant : û magnorum fluminum navigabiles fontes sunt ý, et û generosioris arboris statim planta cum fructu est
navigables aé leur source, & que les bons arbres portoient du fruit en naissant. ý ; tilien,
., VIII, 3, 76 :
.ý
. Quin
emmanuel bury
428
Philanthe lui-meême, qui, dans le dialogue, repreèsente plutoêt le deèfenseur d'un certain asianisme fleuri, en vient aé faire appel aé l'autoriteè de Quintilien pour deènoncer l'affectation qui deènature le style, et c'est alors qu'Eudoxe prend discreétement ses distances avec le rheèteur latin, en faisant appel aé un auteur italien moderne :
L'affectation, poursuivit Eudoxe, est le defaut directement opposeè aé ce caracteére naturel dont nous parlons. C'est, selon Quintilien, dit Philanthe, de tous les vices de l'eèloquence le pire, parce qu'on eèvite les autres, & qu'on recherche celuy-laé ; mais il est tout entier dans l'eèlocution. N'en deèplaise aé Quintilien, repartit Eudoxe, ce deèfaut si speècieux & si beau en apparence n'a pas moins de part dans la penseèe que dans le langage ; & c'est le sentiment d'un habile homme d'Italie, qui ose donner un deèmenti aé Quintilien sur le dernier article du passage que vous venez de citer 48.
Cette sorte d'inversion temporaire des roêles, oué Eudoxe semble raisonner comme Philanthe, et Philanthe comme Eudoxe, doit eêtre comprise comme une lec° on mondaine, qui û civilise la doctrine ý aé la manieére de Balzac : meême si la reèfeèrence aé Quintilien s'impose le plus souvent, il faut savoir faire preuve de maturiteè, semble sous-entendre Bouhours, et ne pas s'attacher pueèrilement et scolairement aé l'autoriteè du ma|être latin. De surcro|êt, en rappelant l'uniteè profonde entre la û penseèe ý et son expression, entre les et les , et en insistant sur le fait que penser faux conduit neècessairement aé mal s'exprimer, Bouhours rejoint tout aé fait la conviction de son temps, partageèe par Boileau, Molieére et La Bruyeére, qui fait de la justesse et de l'adeèquation de ces deux eèleèments la cleè de l' classique. Plus encore que Balzac, qui faisait l'eèloge de l'insinuation, Bouhours privileègie, en dernieére l'analyse, la perfection d'une langue qui s'affirme dans sa transparence meême º comme il l'avait deèjaé exprimeè 49 , et dans un passage remarquable des º dont l'effet est d'autant plus puissant qu'il opeére sans qu'on y fasse û reèflexion ý : res
verba
atticisme
Entretiens d' Ariste et d' Eugeéne
48
Bouhours, p. 230-231 ; . Quintilien, cf
., VIII, 3, 56-57 :
Inst. or
omnium in eloquentia
. Dans l' sur û la langue franc° aise ý : û Le beau langage ressemble aé une eau pure & nette qui n'a point de gouêt ; qui coule de source ; qui va oué sa pente naturelle la porte : & non pas aé ces eaux artificielles qu'on fait venir avec violence dans les jardins des grands ; & qui y font mille diffeèrentes figures. ý , Paris, Mabre-Cramoisy, 1671, p. 54 ( . l'eèd. critique de ce texte par B. Beugnot et G. Declercq, Paris, 2003, p. 116). vitiorum pessimum : nam cetera parum vitantur, hoc petitur. Est autem totum in elocutione
49
Entretien
Entretiens d' Ariste et d' Eugeéne
cf
quintilien et le discours critique classique
429
Il faut mesme, selon ce grand maistre de l' eèloquence, qu' une penseèe soit si claire, que les Lecteurs ou les Auditeurs l' entendent sans qu' ils s' appliquent aé la concevoir : c' est-aé-dire, qu' elle entre dans leur esprit comme la lumieére entre dans leurs yeux lors qu' ils n' y font pas de reè flexion ; de sorte que le soin de celuy qui pense, doit estre non que sa penseèe puisse s' entendre, mais qu' elle ne puisse ne s' entendre pas
50
.
On comprend mieux de telles assertions si on les replace dans le contexte de la querelle anti-manieèriste dont Bouhours se faisait alors le champion, comme l' a rappeleè reècemment Yves Hersant
51
: la memo-
ria latine du jeèsuite, forgeèe par la lecture et par l' enseignement de Quintilien, en retient quelques formules frappantes º qui sont autant de û mots d' ordre ý estheètiques pour le critique º, et elle fournit ainsi un cadre de penseèe theèorique pour comprendre et deèfinir l' usage d' une langue mondaine en train de s' affirmer. Mais loin d' en rester aé un cadre formel et prescriptif, le critique constitue aussi une anthologie exemplaire du bon usage. De meême que Quintilien faisait appel au corpus des auteurs exemplaires (en bien, avec Ciceèron ou Ceèsar, comme en mal, avec Seèneéque, voire Salluste
52
), Bouhours, qui re-
prend quelques-uns de ces exemples anciens, eèlargit le propos aux auteurs modernes qui û pensent bien ý, c' est-aé-dire qui conc°oivent des penseèes justes et qui les expriment avec eèleègance, constituant aé son tour le corpus de reèfeèrence qui deèfinit la grammaire mondaine, oué l' exemple singulier û illustre ý la langue º car nous ne sommes pas ici dans le cadre d' une grammaire systeèmatique, mais dans la pratique, et l' usage º, eècrivant aé sa manieére les û eèleègances de la langue franc°aise ý, comme Valla, autrefois, avait glaneè les Eleganti× de la langue latine. On comprend donc pourquoi l' Ýuvre de Quintilien, qui pratique de la meême manieére, meêlant constamment le preècepte aé l' exemple, et offrant au lecteur une veèritable anthologie de û penseèes ý et de û tours ý puiseès aux meilleurs sources (les textes eux-meêmes), est particulieérement pertinente dans ce cadre : c' est le propre du û classicisme ý, en tant qu' il institue une litteèrature comme modeéle de la langue, c' est-aédire qu' il construit dans un meême mouvement l' usage de cette lan-
50
Bouhours, Manieére de bien penser..., p. 395-396, ou é il cite en marge Quintilien, Inst
or., VIII, 2, 23-24, en abreègeant : dilucida et neglegenter quoque audientibus aperta : ut in animum eius oratio, ut sol in oculos, etiam si in eam non intendatur incurrat. Quare non ut intellegere possit sed ne omnino possit non intellegere curandum.
51
La meètaphore baroque : d' Aristote aé Tesauro : extraits du û Cannocchiale aristotelico ý et
autres textes, preèsenteès, traduits et commenteès par Yves Hersant, Paris, 2001, p. 144-146.
52
Bouhours renvoie aux jugements du livre X (1), voir Manieére de bien penser, p. 87,
140, 297.
emmanuel bury
430
gue et le corpus de textes qui incarne le mieux cet usage, et c' est en cela que la rheètorique, qui se situe toujours aux confins des reégles geèneèrales et de leur actualisation singulieére et circonstancielle, est particulieérement en phase avec les attendus de la penseèe critique qui fonde le
classicisme.
L' examen
du
rapport
aé
Quintilien,
qui
meèriterait
d' eêtre poursuivi aé propos de nombreux autres auteurs, confirme que le systeéme de la rheètorique classique n' a pas seulement fourni un modeéle d' ensemble (une theèorie de l' imitation et de la culture lettreèe) aé cette conception de la litteèrature, mais qu' il a aussi informeè en deètail l' exigence du bon usage de la langue, meême dans les contextes mondains oué on l' aurait le moins attendu. Cette innutrition profonde n' aurait sans doute pas eèteè possible sans l' omnipreèsence, discreéte mais puissante, de l' Institution oratoire au cÝur de la culture et de la meèmoire des û grammairiens ý du beau monde et des critiques de l' aêge classique.
BIBLIOGRAPHIE
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xvii
e
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dirigeè par J. Rohou, Litteèratures classiques,
34, 3 (1998). Siouffi, G., Le û Geènie de la langue franc°aise ý aé l' aêge classique. Recherches sur les ê ge classique, Paris, structures imaginaires de la description linguistique aé l' A
Champion, 2010.
L AT I N I TAT E S
Sophie
Conte
pre Âsence de quintilien dans les rhe Âtoriques sacre Âes post-tridentines : le vir bonus
Apreés
le Concile de Trente, les rheètoriques sacreèes catholiques ont ri1
valiseè avec les protestantes pour faire triompher leur ideèe de la foi .
Le grand artisan du Concile, le cardinal Borromeèe, a inspireè des rheètoriques seèveéres, parmi lesquelles figure en premier lieu le De Rhetorica 2
ecclesiastica de l' eèveêque italien Augustin Valier . En Espagne, le dominicain Louis de Grenade, ceèleébre pour ses qualiteès de preèdicateur, reèdi3
gea les Ecclesiasticae rhetoricae au fa|ête de la gloire, aé la fin de sa vie . Fils d' un conquistador espagnol et d' une indigeéne, le Mexicain Diego Valadeès
fut d' abord
missionnaire
dans
son
pays natal,
puis
fit
le
voyage vers la vieille Europe oué il occupa des fonctions importantes aé Rome dans l' ordre des franciscains. Il publia sa Rhetorica christiana 4
aé Peèrouse . Le Divinus Orator de Louis Carbone, ancien eèleéve des
1
Pour une preèsentation des rheètoriques post-tridentines, on pourra consulter en prio-
riteè les ouvrages suivants : M. Fumaroli, L' aêge de l' eèloquence : rheètorique et û res literaria ý, de la Renaissance au seuil de l' eèpoque classique, Geneéve - Paris, 1980. Reèeèditions : Paris, 1994 ; Geneéve, 2002. D. K. Shuger, Sacred Rhetoric : the Christian grand style in the English Renaissance,
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C. Mouchel,
û Les
rheè toriques
sacreèes
post-tridentines
(1570-
1600) : la fabrique d' une socieèteè chreètienne ý, dans Histoire de la rheètorique dans l' Europe moderne (1450-1950), eèd. M. Fumaroli, Paris, 1999, p. 431-497.
2
A. Valier, De rhetorica ecclesiastica libri tres (1574), Veronae, 1583.
3
L. de Grenade, Ecclesiasticae Rhetoricae sive de Ratione concionandi libri sex (1576), Vene-
tiis, 1578. Nous avons travailleè sur une eèdition moderne, malgreè ses nombreux deèfauts : Fray Luis de Granada, Retoèrica eclesiaèstica, in Obras completas, t.
xxii-xxiii
, traduccio è n al
espanìol auspiciada por Joseè Climent, Madrid, 1999. C' est une eèdition bilingue, dont le texte latin est rempli de coquilles. Nous avons fait des veè rifications sur une eèdition ancienne : L. de Grenade, Ecclesiasticae Rhetoricae sive de Ratione concionandi libri sex, Coloniae, 1611.
4
D. Valadeès, Rhetorica christiana ad concionandi et orandi usum accommodata, Perusiae,
1579. Nous avons consulteè cette eèdition en fac simile (D. Valadeès, Retoèrica cristiana, Introduccioèn de Esteban J. Palomera, Meèxico, 1989).
433
434
sophie conte
jeèsuites et professeur de theèologie aé Peèrouse, adoucit quelque peu la ri5
gueur des rheètoriques strictement borromeèennes . Il meènage la transition
vers ce que
Marc
Fumaroli appelle
propre aux jeèsuites du deèbut du xvii
e
le
ciceèronianisme deèvot,
sieécle, courant repreèsenteè par
6
l' Orator christianus de Carlo Reggio . Ces traiteès partagent le souci de former le preèdicateur en soumettant la rheètorique aux exigences de la mission pastorale. Ils se distinguent neèanmoins dans la fac°on d' envisager cette question. S' interroger sur la preèsence de Quintilien dans ces traiteès est une invitation aé les mieux conna|être, chacun en particulier, et aé les confronter les uns aux autres. Cela permet eègalement de relire Quintilien, en mettant en valeur les aspects de l' Institution oratoire propres aé seèduire l' eèpoque moderne. Nous avons proceèdeè aé une lecture cursive pour repeèrer les mentions explicites du rheèteur latin dans les textes, tout en relevant les reèfeèrences donneèes en marge dans les eèditions d' eèpoque. Il appara|êt que si les traiteès diffeérent dans leur usage de l' Institution oratoire, certains passages caracteèristiques de cette Ýuvre ont la faveur de tous. C' est le cas de la deèfinition de l' orateur comme un vir bonus, expression aé
laquelle Quintilien
a donneè, apreés Caton l' Ancien, ses
lettres de noblesse. Cette conception de l' orateur va de pair, dans l' Institution oratoire, avec la deèfinition de la rheètorique comme scientia bene dicendi. John Monfasani a montreè que c' est un des enjeux de la querelle dont Quintilien a fait l' objet au xvi
e
sieécle, entre Georges de
7
Treèbizonde et Lorenzo Valla . Plus tard, c' est une ligne de faille entre les rheètoriques sacreèes catholiques et les rheètoriques ramistes, d' inspiration protestante. Dans la conception ramiste, Ethica et Rhetorica s' opposent comme la philosophie et l' eèloquence. Ramus critique en effet Quintilien et consideére que la question du vir bonus releéve de l' eèthique 8
et non de l' eèloquence . Nous nous interrogerons sur l' infleèchissement donneè par les rheètoriques eccleèsiastiques issues du Concile aé cette expression essentielle dans la penseèe de Quintilien.
5
L. Carbone, Divinus Orator vel de Rhetorica divina libri septem (1585), Venetiis, 1615.
6
C. Reggio, Orator christianus, Romae, 1612.
7
J. Monfasani, û Episodes of Anti-Quintilianism in the Italian Renaissance : Quarrels
on the Orator as a Vir Bonus and Rhetoric as the Scientia Bene Dicendi ý, Rhetorica, 10 (2/1992), p. 119-138.
8
M. Magnien, û D' une mort l' autre (1536-1572) : la rheètorique reconsideèreèe ý, dans
Histoire de la rheètorique dans l' Europe moderne, eèd. M. Fumaroli, Paris, 1999, p. 376.
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
435
Quintilien dans les traiteè s post -tridentins : une preè sence variable La rheètorique sacreèe s' est eèlaboreèe aé partir de la theèorie antique, agreèmenteèe de reèfeèrences scripturaires et patristiques. Depuis la deècouverte d' un manuscrit complet de l' Institution oratoire par Poggio Bracciolini en 1416, Quintilien est bien connu et bien diffuseè. Il figure donc en bonne place aé co ê teè d' Aristote et de Ciceèron comme source potentielle. Augustin Valier, De
Rhetorica ecclesiastica :
Quintilien, un auteur
parmi d' autres Profondeèment nourri par la penseèe aristoteèlicienne, Augustin Valier suit spontaneèment le rheèteur grec dans son traiteè diviseè en trois livres, et il le compleéte par les acquis de la rheètorique romaine, tout 9
en adaptant le propos aé l' eèloquence sacreèe . Un releveè des occurrences des rheèteurs antiques dans les marges de l' eèdition consulteèe montre la supreèmatie de Ciceèron
10
. Particulieérement utile pour eètablir les deèfini-
tions, la rheètorique est compleèteèe par des reèfeèrences philosophiques, antiques elles aussi, et surtout par des citations scripturaires, marque de fabrique des traiteès eccleèsiastiques. C' est le rapprochement de ces diffeèrentes sources, doseèes de fac°on variable, qui caracteèrise le traiteè sacreè. Les citations scripturaires et les emprunts aux Peéres de l' eèglise permettent, dans le livre I, de deègager la speècificiteè et les nuances du deèlibeèratif sacreè (6-18). Il en est de meême pour les lieux, autre grand
9
Livre I : Deèfinition, utiliteè, but de la rheètorique eccleèsiastique. Les genres oratoires
(deèlibeèratif, deèmonstratif, judiciaire), envisageès du point de vue de l' argumentation. La preuve dans la rheètorique sacreèe (enthymeémes, exemples, lieux communs, preuves extra-techniques). Livre II : Les passions. Leur place dans l' eè loquence sacreèe, quand elles sont puiseèes dans l' amour de Dieu, et l' erreur des Sto|ë ciens aé ce sujet. Comment provoquer les bonnes passions : prise en compte des auditeurs (aê ge, sexe, condition) et des diffeèrentes passions. Le livre se termine sur l' usage des exemples et des traits, les pieé ges des enthymeémes et leur reèfutation. Livre III : L' action oratoire. Les qualiteè s du style, les tropes et les figures, la convenance. La disposition, qui inclut l' explication de l' eè criture. La meèmoire (qui ne figure pas dans le traiteè d' Aristote) et la digniteè de l' orateur sacreè.
10
Ciceèron, tous traiteès de rheètorique confondus, l' emporte largement (82 reè feèrences,
mais 47 si on ne fait pas le deètail des ouvrages, quand l' Orator est citeè aé co ê teè du De oratore par exemple). Quintilien et la Rheètorique aé Herennius se partagent le second rang (respectivement 26 et 25 occurrences), tandis que la Rheètorique d' Aristote n' est citeèe qu' une douzaine de fois. Le Stagirite comme Augustin sont en effet plus volontiers convoqueè s pour leurs autres Ýuvres.
sophie conte
436
morceau du livre I (27-48). L' essentiel du livre II, le traiteè des passions, est soit sans reèfeèrences, soit envahi par les citations scripturaires et patristiques, avec quelques emprunts aé la philosophie pa|ëenne (2-42). Dans le livre III, aé quelques exceptions preés, l' exposeè des figures de style se fait sans reèfeèrence explicite aé la rheètorique, au profit de la Bible et des Peéres (12-37). La rheètorique antique appara|êt au deèbut du livre I pour la deèfinition de la rheètorique et le genre deèlibeèratif (1-5), puis pour les deux autres genres, moins deèveloppeès (19-25), ainsi que pour le lieu par deèfinition (26). Dans le livre II, elle fournit le principe selon lequel les passions font partie de la rheètorique sacreèe (1) et des ideèes concernant l' usage des exemples et des traits (43-45). Au livre III, les reèfeèrences rheètoriques soutiennent l' exposeè sur l' action oratoire et les qualiteès du style (4-11), tandis que pour l' ornatus elles ne donnent que quelques deèfinitions (l' exemple, la comparaison, l' exclamation et l' interrogation). La rheètorique est preèsente pour le decorum et l' imitation (38-41), puis pour les parties du discours (45-58), sauf pour les exemples. Le
De doctrina christiana sert de reèfeèrence pour l' explication des textes sacreès (51-57). Enfin, la rheètorique ressurgit pour la meèmoire (59). Si les citations de Quintilien ne sont pas treés nombreuses, elles sont en revanche assez bien reèparties, puisqu' elles concernent, outre la deèfinition de l' orateur comme vir bonus dicendi peritus, les trois genres oratoires
et
chacune
l' imitation
11
des
cinq
parties
de
la
rheètorique,
ainsi
que
.
Les mentions marginales releévent davantage de la reèfeèrence que de la citation : les textes antiques sont loin de constituer le mateè riau principal de son traiteè. C' est le signe d' une ma|êtrise intellectuelle : Augustin Valier a digeèreè ses sources. Cela indique aussi une volonteè de prendre de la distance par rapport aé la rheètorique antique et profane, ce qui est conforme aé l' esprit borromeèen. Cela correspond enfin au fait que le traiteè n' est pas treés long : Augustin Valier donne l' essentiel.
Louis de Grenade, Ecclesiasticae rhetoricae : Quintilien omnipreèsent Dans les deux premiers livres des Ecclesiasticae rhetoricae, Louis de Grenade deèfinit le champ rheètorique et deèveloppe le theéme de la
11
Reèfeèrences aé Quintilien dans le traiteè d' Augustin Valier : p. 2 (I, 1), 10 (I, 5), 39
(I, 19), 54 (I, 22), 61 (I, 23), 204 (II, 43), 207 (II, 49), 223 (III, 6), 224 -225 (III, 7), 225 (III, 8), 228 (III, 10), 230 (III, 11), 245 (III, 23), 276 (III, 40), 283 (III, 41), 288 (III, 44), 288 (III, 45), 290 (III, 46), 303 (III, 50), 325 (III, 57), 327 (III, 58), 335 -336 (III, 59). La pagination correspond aé l' eèdition consulteèe, les chiffres entre parentheéses indiquent le livre et le chapitre. Nous adopterons le meême systeéme de reèfeèrence pour les autres auteurs.
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
437
moraliteè de l' orateur. Dans le sixieéme et dernier livre, il revient apreés
vir bonus,
l' action oratoire sur le preèdicateur
comme Quintilien aé la
fin de son traiteè. La deuxieéme partie du livre II aborde l' argumentation, qui se preèsente sous trois formes diffeèrentes : explication, argumentation et amplification. Louis de Grenade eèvoque les lieux de l' invention, et annonce les passions, qui sont deèveloppeèes dans le livre III conjointement avec l' amplification
12
. Le livre IV envisage les
parties du discours en tenant compte des genres oratoires sacreès. Le livre V suit la theèorie des quatre vertus du style, avec les deèveloppements attendus sur les tropes et les figures, et les trois genres de style. Louis de Grenade ne traite pas la meèmoire, ce dont il s' explique dans la preèface : elle releéve de la nature et non de l' art. Le traiteè de Louis de Grenade se deèmarque des autres par l' abondance des reèfeèrences aé Quintilien
13
. Ces dernieéres ne sont cependant
pas reèparties de fac°on homogeéne. Elles sont treés peu nombreuses dans les quatre premiers livres. Au livre I, le plus remarquable est de voir figurer, dans un chapitre consacreè aé la meèditation de l' orateur sacreè, le passage sur la sinceèriteè des eèmotions, dont on trouve un eècho aé la fin du livre suivant
14
. Quintilien n' est en revanche quasiment pas solliciteè
pour l' argumentation. S' il y a peu de reèfeèrences, dans le livre III, elles
12
C' est une constante, dans les rheètoriques sacreèes, que de traiter de l' amplification
et des passions. E è rasme deèveloppe deèjaé l' amplification dans l' Ecclesiastes. Partie du style (elocutio), elle est associeèe de fac°on privileègieèe aux passions. Ici en revanche, elle releéve de l' invention.
13
Reèfeèrences aé Quintilien dans le traiteè de Louis de Grenade : Tome I : p. 36 (I, 1, 1),
44-46 (I, 2, 6), 112 (I, 8, 4), 216 (II, 11, 11), 234 (II, 13, 5), 240 (II, 13, 12), 248 (II, 14, 1), 258-260 (II, 15, 1),
296 (III, 5, 2),
304 (III, 5, 12), 310 (III, 5, 19), 366-368 (III, 10, 3-5).
Tome II : p. 34 (IV, 1, 28), 36-38 (IV, 1, 31-32), 102-106 (V, 1, 1-4), 106 (V, 1, 5),
(V, 2, 1),
110 (V, 2, 4), 118-120 (V, 4, 1-2), 128 (V, 6, 3),
140 (V, 6, 20), 140 (V, 6, 21), 288
(V, 17, 6),
292-294
142 (V, 6, 23),
(V, 17, 13),
294
136 (V, 6, 14),
108
138 (V, 6, 19),
176 (V, 9, 5), 260 (V, 14, 42), 284 (V, 17, 1), (V, 17, 14-15),
344-346
(V, 20, 1-2),
358
(V, 21, 4), 358 (V, 21, 6), 360 (V, 21, 8), 360 (V, 21, 11), 362 (V, 21, 13), 362 (V, 21, 17), 364 (V, 21, 19), 368 (VI,
pr.), 374 (VI, 1, 4),
(VI, 3, 2), 386-388 (VI, 3, 3-4), (VI, 4, 2),
396-398
(VI, 6, 1-6),
(VI, 4, 3-4),
416 (VI, 7, 1),
388 (VI, 3, 6), 402
374-376 (VI, 1, 5-7),
388-390 (VI, 3, 7),
(VI, 5, 3),
402
(VI, 5, 4),
384 (VI, 3, 1), 386
390 (VI, 3, 8), 394-396
406
(VI, 5, 9),
410-414
420 (VI, 7, 6), 420-422 (VI, 7, 7), 422 (VI, 7, 8), 422 (VI, 7, 9),
422 (VI, 7, 10), 422-424 (VI, 7, 10), 424 (VI, 7, 12-13), 426 (VI, 7, 15), 428-432 (VI, 8, 15), 444 (VI, 9, 12),
454 (VI, 9, 22), 454 (VI, 9, 23),
488 (VI, 12, 2), 496 (VI, 12, 14), 500-
502 (VI, 12, 19-20), 504 (VI, 12, 22), 506 (VI, 12, 26), 516 (VI, 12, 37), 522 (VI, 13, 4). L' eèdition moderne sur laquelle nous avons travailleè fait appara|être toutes les mentions et citations de Quintilien, ce qui fausse quelque peu la perspective. Apreé s veèrification sur une eèdition de 1611, voici ce qu' il en est : 60 reèfeèrences apparaissent dans les marges ou le texte de l' eèdition ancienne ; s' y ajoutent 12 reè feèrences identifieèes graêce aé l' eèdition moderne. Les chiffres en italiques indiquent ce qui n' appara|ê t pas dans l' eèdition de 1611.
14
Respectivement
Inst.,
VI, 2, 26-28 et
Inst.,
VI, 2, 7.
sophie conte
438
sont aé des endroits strateègiques : Quintilien reégne sur le chapitre cinq consacreè aé l' amplification, puisqu' il est mentionneè dans le titre ; le long passage sur la
phantasia
les passions en geèneèral
15
et l' enargeia nourrit le deèveloppement sur
. La quasi absence de Quintilien au livre IV est
justifieèe par le sujet du livre : les genres de discours sacreès. Il n' en est pas de meême pour les deux derniers livres, comportant respectivement vingt-sept et trente-huit reèfeèrences. Le livre V, riche en subdivisions, est plus long que les autres. Le de l' Institution
oratoire
prooemium
du livre VIII
y est abondamment citeè et le nom de Quintilien
figure dans le titre du premier chapitre. Le rheèteur romain fournit des principes geèneèraux, concernant notamment la mesure, les rapports entre
res
et
verba,
les quatre qualiteès du style, plusieurs deèfinitions de
tropes et de figures. Pour les exemples, Louis de Grenade a recours aé la fois aé la Bible et aux auteurs classiques, parfois citeès de seconde main d' apreés Quintilien : Ciceèron et Virgile, pour les auteurs profanes, figurent en bonne place. Une grande partie du livre VI est consacreèe aé l' action oratoire. Louis de Grenade reprend les passages essentiels de Quintilien sur le sujet, qu' il cite abondamment et aé la lettre, en bouleversant l' ordre des paragraphes. Enfin, au chapitre douze, sur les eèleèments propres aé aider le preèdicateur, Louis de Grenade convoque Quintilien pour le
vir bonus
et la sinceèriteè de l' orateur, et aé propos des exercices preèpara-
toires, ce qui l' ameéne aé prendre en consideèration la lecture des auteurs et l' imitation, la pratique de la reèdaction, et dans le dernier chapitre, l' improvisation. La preèoccupation peèdagogique appara|êt donc aé la fin de l' ouvrage, et non au deèbut comme dans l' Institution
oratoire.
Les citations de Quintilien repreèsentent la somme des citations de Ciceèron, Augustin, la
Rheètorique aé Heèrennius,
et Aristote
16
. D' un point
de vue qualitatif, il faut distinguer la simple mention de la citation suivie sur plus d' une page. Louis de Grenade recopie volontiers, sans heèsiter devant la longueur, ce en quoi il diffeére radicalement d' Augustin Valier. Il enleéve parfois une phrase ou deux au milieu d' un long passage, sans le dire, et il transforme
auditor.
orator
en
concionator,
ou
iudex
en
Le nombre et la longueur des citations ne font pas tout. Il de-
15 Inst.,
VI, 2, 25-36. Louis de Grenade reprend plus longuement le passage qu' il a
deèjaé exploiteè au livre I.
16
Le releveè des notes de bas de page de l' eèdition moderne consulteèe donne les reèsul-
tats suivants : Ciceèron (traiteès de rheètorique uniquement) : 29 ; Augustin (De
christiana)
: 21 ; Cornificius (Rheètorique
aé Heèrennius)
avons identifieè plus de 70 reèfeèrences aé Quintilien.
doctrina
: 17 ; Aristote (Rheètorique) : 4. Nous
439
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
meure cependant indeèniable qu' il faut reèeèvaluer le ro ê le de Quintilien chez Louis de Grenade.
Diego Valadeès, Rhetorica christiana : Quintilien relativement absent Le dessein du franciscain Diego Valadeès est d' offrir aé ses lecteurs une syntheése qui dispense de lire la rheètorique et qui introduise aé la lecture de l' E è criture sainte, essentielle pour la connaissance de Dieu. Le plan de la Rhetorica christiana est quelque peu deèconcertant, car l' ordre habituel des parties est bouleverseè, notamment par la place de la meèmoire et de l' action, et par la preèsence de quelques digressions sur le Nouveau Monde
17
. Le traiteè est agreèmenteè d' illustrations originales
de l' auteur. Dans la preèface adresseèe au lecteur, Diego Valadeès se reèclame de Quintilien pour reèpondre au reproche qu' on pourrait lui faire d' avoir trop approfondi son sujet : Dicet forsan aliquis, quae hic tractantur esse ni-
mis alta, et profundiora quam Artis Rhetorices materia expostulat. Quibus ego si Quinct. in formando oratore de multis subtiliter egit, cur non itidem et nos ?
18
En outre, l' ouvrage s' ouvre sur le vir bonus dicendi peritus et Diego Valadeès convoque de nouveau le rheèteur romain dans le chapitre consacreè aé l' honneêteteè du preèdicateur (I, 12). Malgreè ce deèbut, Quintilien est treés peu preèsent dans la Rhetorica christiana
19
. Diego Valadeès re-
prend, au livre II, la deèfinition de la rheètorique comme ars bene dicendi, et
s' inspire
de
Quintilien
pour
la
matieére
de
la
rheètorique
et
la
meèmoire. S' y ajoute une reèflexion peèdagogique : la neècessiteè du travail pour former l' orateur. Le livre III est tourneè vers les speècificiteès de l' eèloquence sacreèe. Toutefois, le ceèleébre passage sur les passions (Inst., VI, 2) appara|êt dans le dernier chapitre et le rheèteur mexicain
17
Livre I : Consideèrations preèliminaires sur l' orateur, l' auditoire, le roê le de la culture
litteèraire et des sciences, le devoir du preèdicateur, son honneêteteè, l' eècriture sacreèe. Livre II : Deèfinitions de la rheètorique, notamment sujet et matieére. Les parties de la rheètorique. La meèmoire. Livre III : L' eècriture sainte source de l' invention et de l' expression. L' action oratoire. Livre IV : Les trois genres oratoires, exposeè interrompu par deux digressions sur les Indiens et le Nouveau Monde. Livre V : Les parties du discours. Les passions. Livre VI : Le style (figures et tropes). Les preuves (statuts des causes et lieux).
18
û Sans doute se trouvera-t-il quelqu' un pour dire que sont traiteèes ici des matieéres
trop eèleveèes et plus profondes que l' art rheètorique ne le demande. Je lui reèpondrai ceci : si Quintilien, pour former son orateur, a eètudieè de nombreuses questions dans le deètail, pourquoi ne ferions-nous pas de meême ? ý (D. Valadeès, Rhet. christ., Praefatio auctoris ad o
studiosum et Christianum Lectorem, non pagineèe [f. 3 r ]).
19
o
Reèfeèrences aé Quintilien dans le traiteè de Diego Valadeès : praefatio non pagineèe [f. 3
r ], p. 2 (I, 1), 37 (I, 12), 50 (II, 2), 53 (II, 4), 55 (II, 6), 83 (II, 23), 87 (II, 24), 140 (III, 10), 150 (III, 16), 159 (III, 21), 164 (IV, 1), 229 (V, 1), 254 (VI, 1), 256 (VI, 1), 263 (VI, 3), 265 (VI, 3), 267 (VI, 3), 269 (VI, 3), 273 -274 (VI, 5), 275 (VI, 6), 276 (VI, 7), 281 (VI, 9).
sophie conte
440
emprunte aé Quintilien une reèflexion sur la lecture des auteurs. Dans son traitement de l' action oratoire, Diego Valadeès ne fait pas reèfeèrence aé Quintilien, si on excepte une allusion aé propos de la voix : il se deètache des preèceptes rheètoriques pour proposer une description en acte du preèdicateur. Les livres IV et V sont consacreès l' un aux genres oratoires, l' autre aux parties du discours et aux passions. Il n' y a dans chacun d' eux qu' une mention de Quintilien. C' est dans le livre VI, sur le style, que se trouvent la moitieè des citations de l' Institution oratoire, emprunteèes aux livres VIII et IX : Quintilien permet de preèciser le nom d' une figure, quand il diffeére du vocable ciceèronien. Les exemples illustrant ces figures de rheètorique sont emprunteès largement aé l' Antiquiteè pa|ëenne, et non aé la Bible. Quintilien brille par son absence. Pour nuancer ce constat, on peut ajouter que Diego Valadeès cite peu par rapport aux autres rheèteurs, et qu' il y a sans doute des citations cacheèes, non perceptibles lors d' une lecture cursive. Louis Carbone, Divinus Orator : Quintilien preèsent mais cacheè Louis Carbone met l' orateur en valeur au deèbut du Divinus Orator, qui se termine par des questions relatives aé la peèdagogie. Au cÝur du traiteè sont successivement eètudieèes l' invention, la disposition, l' amplification et les passions, puis le style, l' action et la meèmoire. Dans le meême esprit que Quintilien, la rheètorique proprement dite est dans un eècrin, constitueè par l' orateur et la peèdagogie, mais l' ordre des parties liminaires est inverseè. Les sept livres sont de longueur ineègale
20
.
Louis Carbone se reèfeére souvent aux traiteès de rheètorique profane qu' il a eècrits seèpareèment sur l' invention, la disposition et le style, si bien qu' il cite moins de rheètoriques classiques que les autres auteurs
21
.
Il semble privileègier Ciceèron, Aristote et Augustin, mais le traiteè est surtout envahi de citations scripturaires. Quintilien est donc apparem-
20
Livre I : Leègitimiteè d' une eèloquence sacreèe. But du preèdicateur. Prieére et vocation.
Livre II : Les genres de discours sacreès, les causes et les lieux communs. Livre III : Les par ties du discours. La disposition et les lieux des diffeè rents genres : deèlibeèratif, deèmonstratif,
judiciaire,
û didascalique ý,
mixte,
reèprimande
et
consolation.
Livre IV :
L' am -
plification et les passions. Livre V : Le style et ses parties. Livre VI : L' action oratoire et la meèmoire. Livre VII : Exercices. Les ideèes du style selon Hermogeéne. L' imitation. Explications de quelques textes scripturaires.
21
L. Carbone, De oratoria et dialectica inventione, vel de locis communibus libri quinque,
Venise, 1589 ; De dispositione oratoria disputationes XXX, Venise, 1590 ; De elocutione oratoria ê ge de l' eèloquence, p. 183.) libri IV, Venise, 1592 (Source : M. Fumaroli, L' A
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
ment en retrait
22
441
. Il est convoqueè au livre I pour une deèfinition de la
rheètorique et pour la conception de l' orateur comme vir bonus dicendi peritus. Le livre II, sur l' invention, ne fait pas de cas du rheèteur romain. Sur la disposition, au livre III, on note une vague reèfeèrence aé propos de la refutatio et le cas preècis mais isoleè de la repetitio dans la peèroraison. Le livre IV, sur l' amplification et les passions, contient la reèfeèrence incontournable (Inst., VI, 2), ainsi que l' ideèe de Quintilien selon laquelle le professeur est stimuleè par un auditoire collectif, plus que par le cadre du cours particulier. Un tiers des reèfeèrences se trouvent dans le livre V, sur le style. Contrairement aux autres auteurs, qui demandent aé Quintilien du vocabulaire, Louis Carbone lui emprunte des principes : la recommandation, preèalable aé l' eècriture, de soigner l' expression ; une remarque sur la ma|êtrise et l' usage du vocabulaire ; la preèfeèrence pour un ornement maêle et non effeèmineè ; le reproche fait aé Ciceèron d' abuser de la tautologie ; une remarque sur l' accord du rythme au sujet traiteè aé propos de l' usage des membres et des incises. Il renvoie enfin au long chapitre sur les diffeèrents genres d' eèloquence (Inst., XII, 10). S' ajoutent encore deux reèfeèrences au chapitre sur la convenance oratoire. Pour l' action oratoire, au livre VI, Louis Carbone suit Quintilien, qu' il reformule tout en l' adaptant, sans le ci ter. La meèmoire fait l' objet d' une seule reèfeèrence. Le livre VII reprend des remarques peèdagogiques : la neècessiteè de choisir les eèleéves, car tout esprit n' est pas propre aé recevoir cet enseignement ; l' efficaciteè de l' effort ; la compleèmentariteè de l' art et de la nature, d' apreés les chapitres jumeaux de Quintilien sur le sujet (Inst., II, 12 et 13). L' analyse preècise des chapitres sur l' action oratoire montre que la source est digeèreèe. S' il y a donc peu de citations identifieèes dans le traiteè, Louis Carbone est du genre aé assimiler et dissimuler. On peut comparer de ce point de vue la manieére de Louis Carbone aé celle d' Augustin Valier. Il appara|êt en outre qu' il privileègie les principes et retrouve ainsi l' esprit d' un Quintilien peèdagogue. Carlo Reggio, Orator christianus : l' esprit de Quintilien, plus que la lettre L' Orator christianus s' organise selon trois grandes parties, concernant respectivement le preèdicateur (concionator, I-III), le discours (concio, IVVIII),
22
la
sagesse
Reèfeèrences
et
l' action
identifieèes :
p. 23
du
(I, 3),
preèdicateur
40
(I, 8),
122
(prudentia
(III, 3),
123
et
industria,
(III, 4),
206-208
(IV, 5), 242 (IV, 15), 257 (V, 1) ; 258 (V, 2), 260 (V, 2), 334 (V, 22), 342 (V, 24), 345 (V, 25), 352-353 (V, 29), 379 (VI, 11), 386-387 (VII, 2), 388-389 (VII, 3).
sophie conte
442 IX-X)
23
. Le devoir du preèdicateur et sa mission, dans laquelle s' inscrit
la preèdication, sont le but reèel de l' ouvrage. Il ne s' agit pas d' eèduquer le jeune orateur, comme Quintilien, mais de reèfleèchir aé ce que doit eêtre un
sacerdos bonus dicendi peritus.
Comme dans l' Institution
oratoire,
la
rheètorique proprement dite (concio) occupe la place centrale. Carlo Reggio privileègie nettement l' invention au deètriment des autres parties de la rheètorique. Les citations de Quintilien sont peu nombreuses eu eègard aé la longueur de l' Orator
christianus
24
. Elles se reèpartissent cependant sur l' en-
semble de l' ouvrage, aé l' exception du livre X. Le livre I est rempli de reèfeèrences patristiques et scripturaires. On y trouve une seule occurrence de Quintilien, sur les aptitudes aé l' art oratoire, dans le chapitre intituleè
signa vocationis.
Le livre II deèveloppe les qualiteès de l' orateur
chreètien : les deux chapitres initiaux font reèfeèrence au
peritus.
vir bonus dicendi
Au milieu du livre III, qui traite de la science et des exercices
de l' orateur, Quintilien est convoqueè pour l' imitation et une reèflexion sur la preèparation et l' improvisation. Le livre IV, qui deèfinit le but de l' eèloquence sacreèe, privileègie les reèfeèrences patristiques. Carlo Reggio y fait cependant une allusion au jugement de Quintilien sur les auteurs (Inst., X, 1). Le livre V est celui de l' invention. Dans le chapitre initial, Carlo Reggio s' autorise du rheèteur romain pour eècarter le jugement (iudicium) des parties de la rheètorique. Pour les lieux, il renvoie de fac°on vague aé Ciceèron, Quintilien (Inst., V, 10), Agricola et d' autres. Le livre VI deèveloppe les lieux proprement chreètiens, si bien que Quintilien n' appara|êt qu' aé propos des similitudes et pour deèfinir et deèfendre l' amplification. Le livre VII
est
consacreè
aux
passions.
Les
trois
premiers
chapitres
contiennent des passages bien connus sur le sujet (Inst., VI, 1 et 2). Le livre VIII traite conjointement de la disposition, du style, de la meè-
23
Livre I : Le devoir de l' Orateur Chreètien. Livre II : Les qualiteès de l' Orateur Chreè-
tien. Livre III : Les connaissances neècessaires et des exercices varieès. Livre IV : L' eèloquence, le but, les devoirs et la matieére des discours. Livre V : L' invention de la matieére et des arguments aé partir des lieux. Livre VI : Lieux tireès du Christ et de la noblesse chreètienne. Livre VII : Les Passions. Livre VIII : Disposition, Style, Meè moire, et Action oratoire. Livre IX : La sagesse (prudentia) Livre X : Les activiteès (industriae) propres aé aider l' Orateur Chreètien.
24
Passages de Carlo Reggio dans lesquels figurent une ou plusieurs reè feèrences aé
Quintilien : p. 59 (I, 19), 76 (II, 1), 77-78 (II, 2), 171 (III, 15), 174 (III, 16), 206 (IV, 5), 211 (IV, 5), 260 (V, 1), 267 (V, 4), 427 -428 (VI, 31), 431 (VI, 32), 434 (VI, 33), 439 (VII, 1), 442 (VII, 2), 443-444 (VII, 3), 514 (VIII, 2), 527 (VIII, 6), 535 (VIII, 8), 540 (VIII, 9),
546
(VIII, 11),
548-549
(VIII, 12),
552
(VIII, 13),
565-566
(VIII, 17),
574
(VIII, 20), 574-576 (VIII, 21), 582 (VIII, 25), 583-584 (VIII, 26), 590 (IX, 1), 603 (IX, 6), 605 (IX, 6), 612 (IX, 9).
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
443
moire et de l' action oratoire. C' est donc naturellement laé que Quintilien est le plus preèsent. Pour la disposition : ce qu' il faut envisager pour une cause ; quand reèdiger l' exorde ; refus de la brieéveteè obscure ; brieéveteè dans la peèroraison. Pour le style : les quatre qualiteès du style ; rejet de la preècision excessive du vocabulaire ; le style doit eêtre maêle et viril ; le style sans figures, tout comme l' exceés des figures, est un deèfaut ; le discours doit faire voir, et non pas seulement donner aé entendre ; il faut suivre la nature. Carlo Reggio retient une remarque pleine de bon sens sur la meèmoire. Pour le deètail du geste oratoire, il doit beaucoup aé Quintilien, mais il renverse l' ordre habituel, sans vraiment de logique. Il fait plusieurs reèfeèrences explicites : l' importance de l' action oratoire et son lien avec l' eèmotion ; le lien entre les reégles du deèbit et du style ; le souffle ; eèviter la monotonie dans le deèbit ; le roêle preèpondeèrant des mains ; le geste doit s' harmoniser avec le sens et non avec les mots ; ne pas se balancer sans cesse de coêteè et d' autre. Dans la troisieéme partie, Carlo Reggio retient un principe essentiel chez Quintilien, aé savoir le lien entre la convenance et l' utiliteè (quid
deceat, quid expediat), dans le chapitre liminaire du livre sur la prudentia. Un peu plus loin, il cite le passage sur la jactance pour illustrer l' ideèe qu' il faut fuir l' ostentation. Le livre X, sur l' industria, ne fait pas mention de Quintilien : il y est surtout question des reèaliteès propres aé l' orateur sacreè. Carlo Reggio reprend donc comme les autres des passages qui font autoriteè, mais il a en outre le gouêt des meètaphores et des remarques de bon sens, qui caracteèrisent la manieére de Quintilien
25
. Il retient la
dimension peèdagogique (les aptitudes, le roêle de l' imitation) et l' aspect moral (vir bonus dicendi peritus). Il emprunte eègalement des principes
essentiels :
situer
l' aême
de
l' eèloquence
dans
les
sentiments ;
cultiver le gou ê t de la juste mesure dans le refus des raffinements excessifs ; faire la distinction entre la convenance et l' utiliteè. Carlo Reggio rend justice aé l' aême du traiteè de Quintilien, loin de lui emprunter seulement des deèfinitions.
25
Il y a des meètaphores agricoles : aé propos des qualiteès naturelles de l' orateur (le
champ steèrile) ; ou encore aé propos de la reèdaction. La meètaphore du corps et celle du jardin illustrent l' ideèe selon laquelle beauteè et utiliteè vont de pair. Les remarques de bon sens portent sur la description (il faut suivre la nature), ou la meè moire (apprendre un texte par morceaux).
444
sophie conte
L' Institution oratoire apreé s le Concile de Trente Au-delaé des particulariteès de chaque traiteè, que reste-t-il de l' Institu-
tion oratoire
et de son projet
?
Le tableau qui figure en annexe preèsente
les citations identifieèes selon l' ordre du traiteè antique L' Institution
oratoire
26
.
n' est pas citeèe inteègralement. Dans les deux pre-
miers livres, ce qui est directement lieè au travail du professeur de grammaire et aé la peèdagogie de l' enfance est souvent mis de coêteè : les rheèteurs eccleèsiastiques songent aé des eèleéves plus avanceès
27
. Certains
retrouvent cependant l' esprit peèdagogique de Quintilien en lui empruntant ses remarques de bon sens. Sont eègalement oublieès, aux livres III, V et VII, des chapitres speècifiques aé la rheètorique judiciaire
28
.
Le livre VII n' est meême citeè qu' une seule fois dans les cinq traiteès. Au livre XII, les chapitres concernant la science morale, le droit, l' histoire, laé aussi treés marqueès par le contexte antique, ne sont pas retenus, ainsi que la conclusion fait
que
d' autres
meême sujet
30
29
. Certaines absences sont compenseèes par le
passages
de
l' Institution
oratoire
sont
citeès
sur
un
. Quintilien a pour habitude de recenser, pour chaque
question, les sources aé sa disposition. Cet aspect ne semble pas inteèresser les rheèteurs eccleèsiastiques, comme le montre l' omission du chapitre sur l' origine de la rheètorique et ses auteurs
31
. En revanche, tous
les chapitres des livres VIII et IX, sur le style, et XI, sur la convenance, la meèmoire et l' action oratoire, sont citeès au moins une fois. Du livre X, ne sont exclus que deux chapitres sont gueére signifiantes
26
33
32
. Les autres absences ne
.
Le tableau fait appara|être les chapitres de l' Institution
oratoire,
en preècisant le cas
eècheèant le numeèro du ou des paragraphes citeès.
27 Inst.,
maire) ;
I, 4 (la grammaire) ;
Inst.,
Inst.,
I, 7-9 (orthographe, lecture, professeur de gram-
I, 10 (si la connaissance de plusieurs arts est neè cessaire) ;
Inst.,
I, 12 (peut-on
enseigner plusieurs matieéres aé la fois ?) ;
Inst.,
II, 1-10 (peèdagogie de l' enfance).
III, 4 (les genres de causes) ;
Inst.,
III, 11 (question, systeéme de deèfense, point
28 Inst.,
aé juger...) ;
Inst.,
V, 1-8 (preuves) ;
Inst.,
V, 11-12 (exemples ; arguments) ;
Inst.,
VII, 2-
10 (argumentation judiciaire).
29 Inst.,
XII, 2-9 (science morale, droit, histoire, moyens accessoires, aé quel aêge com-
mencer aé plaider, ce qu' il faut observer avant de se charger d' une cause, en eè tudiant une cause, en plaidant) ;
30 Inst., 31 Inst.,
Inst.,
XII, 11 (conclusion).
II, 17-19 (si la rheètorique est un art). III, 1-2 (auteurs des traiteès de rheètorique ; origine de la rheètorique). Ils se con-
tentent en fait des sources antiques aé leur disposition.
32 Inst., 33 Inst.,
X, 4-5 (comment corriger ; comment s' exercer aé eècrire). II, 14 (plan de l' ouvrage) ;
jugement et sagaciteè).
Inst.,
IV, 3 (digression) ;
Inst.,
VI, 4-5 (altercation ;
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
445
é l' inverse, certaines reèfeèrences, citeèes par trois auteurs diffeèrents, A attirent l' attention. Il en est ainsi de la peèroraison (Inst., VI, 1, 2), du ceèleébre passage sur les passions, qui comprend la description de la phantasia et la deèfinition de l' enargeia (Inst., VI, 2, 26-36)
34
, des qualiteès
du style (Inst., VIII, pr., 13-33), du choix d' un ornement maêle, robuste
et
XII, 1, 1)
pur 35
(Inst.,
VIII, 3, 6),
du
vir
bonus
dicendi
peritus
(Inst.,
. D' autres passages ont la faveur de deux auteurs. Augustin
Valier et Louis de Grenade font les meêmes reèfeèrences aux deèfinitions du trope et de la meètonymie, ainsi qu' aé un passage sur la sententia
36
.
Louis de Grenade et Carlo Reggio se retrouvent aé plusieurs reprises pour des citations sur les caracteèristiques du style et sur l' action oratoire, qui correspondent d' ailleurs aé des aspects essentiels de la question
37
.
Louis
Carbone est
proche
d' eux
mais,
les
citations
eètant
cacheèes, il est difficile d' en prendre la mesure. Il rejoint cependant Louis de Grenade en reprenant aé Quintilien l' ideèe que les grands auteurs aussi ont leurs deèfauts, et aé propos de la convenance oratoire
38
.
Quintilien est donc tout d' abord une source dans laquelle les rheè teurs eccleèsiastiques puisent des deèfinitions, ce qui correspond au fait qu' il a enrichi le lexique critique. Cela se traduit par le nombre plus eèleveè de reèfeèrences dans les parties des traiteès eccleèsiastiques consacreèes au style. Le texte de l' Institution oratoire sur les passions est important et retient de nos jours encore l' attention
39
. Il correspond en outre aé la
sensibiliteè de l' eèpoque et aé l' eèloquence sacreèe, qui s' adresse aé une foule. La notion de vir bonus reveêt elle aussi un caracteére d' actualiteè apreés le Concile de Trente.
La notion de vir bonus dans l' Institution oratoire
Quintilien appartient tout autant aé l' histoire de l' eèducation qu' aé é la fin de l' Institution oratoire, il se met luicelle de la rheètorique. A
34 35 36
é rapprocher de Inst., VIII, 3, 62, citeè plusieurs fois. A é rapprocher de Inst., I, pr., 9, citeè deux fois. A Inst., VIII, 6, 1 (deèfinition du trope) ; Inst., VIII, 6, 23 (deèfinition de la meètony-
mie) ; Inst., VIII, 5, 3 (la sententia).
37
Inst., VIII, 1, 1 (les caracteèristiques de l' elocutio) ; Inst., XI, 3, 2 ; XI, 3, 5 (efficaciteè
de l' action oratoire) ; Inst., XI, 3, 30 (les reégles pour le deèbit sont comme celles du style) ; Inst., XI, 3, 53 (le souffle) ; Inst., XI, 3, 85 (les mains) ; Inst., XI, 3, 89 (ne pas mimer).
38 39
Inst., X, 1, 24-25 ; Inst., XI, 1, 7 (la convenance oratoire). Le concept d' enargeia, en particulier, a eu une heureuse fortune en litteèrature. Voir
l' eètude de P. Galand-Hallyn, Les yeux de l' eèloquence. Poeètiques humanistes de l' eèvidence, Orleèans, 1995.
sophie conte
446
meême en sceéne en tant qu' auteur comme un les principes de son enseignement
40
vir bonus
et revient sur
. Certes, apprendre les reégles mo-
rales demande des efforts, mais cela revient aé vivre selon la nature (naturam
sequi),
comme
les
poissons
eèvoluent
dans
l' eau,
les
eêtres
terrestres sur le sol et les oiseaux dans les airs. L' homme est au cÝur de l' Institution
oratoire,
la rheètorique participant aé la formation d' un in-
dividu. Proceèdant d' un projet eèducatif, et se fondant sur la conception de l' art oratoire comme
bene dicendi scientia,
l' ideèe de l' orateur
eèlaboreèe par Quintilien trouve sa pleine expression au livre XII dans la deèfinition, emprunteèe aé Caton l' Ancien, de l' orateur comme un
vir
bonus dicendi peritus. Projet peèdagogique et ideèal oratoire Le programme eèducatif de Quintilien est guideè par des principes peèdagogiques concernant les modaliteès d' apprentissage, et par des principes moraux. Deés le deèbut, en se reèclamant de Chrysippe, il se soucie de la moraliteè des nourrices, qui va de pair avec la correction de la langue et reveêt meême plus d' importance que celle-ci
41
. Il envi-
sage de meême la moraliteè des peèdagogues, puis des surveillants et des preècepteurs, consacrant un chapitre entier aé cette dernieére question
42
.
Dans le deèbat sur l' eèducation aé l' eècole ou aé la maison, un des arguments est de preèserver la moraliteè de l' enfant
43
. Cette preèoccupation
surgit aussi aé plusieurs endroits aé propos des exercices : les aphorismes qui se fixent dans les jeunes esprits et leur servent de reégles de morale, le choix des lectures, de la musique, la formation du deèbit et du geste, et enfin, chez le rheèteur, le fait de louer et blaêmer car û l' aême se forme par la contemplation du bien et du mal ý
44
. De meême, Quintilien fait
allusion aé l' aêge auquel l' enfant est sensible aé la morale, et reèfleèchit sur l' eèmulation, qui permet de profiter des reèprimandes faites aux autres, comme le reproche de paresse par exemple
45
.
Dans le prologue du livre I, Quintilien expose son projet peèdagogique qui soumet l' apprentissage de l' art oratoire aé une exigence morale :
40 Inst., 41 Inst., 42 Inst., 43 Inst., 44 Inst., 45 Inst.,
XII, 11, 8-13. I, 1, 4. I, 1, 9 ;
Inst.,
I, 3, 17 ;
Inst.,
II, 2 : moraliteè et devoirs du preècepteur.
I, 2, 2-8. I, 1, 36 ;
Inst.,
I, 8, 4-9 ;
I, 1, 17 ;
Inst.,
I, 2, 21
Inst.,
sq.
I, 10, 31 ;
Inst.,
I, 11, 2 ;
Inst.,
II, 4, 20.
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
447
Oratorem autem instituimus illum perfectum, qui esse nisi vir bonus non potest, ideoque non dicendi modo eximiam in eo facultatem, sed omnis animi virtutes exigimus
Il entend, en rivaliteè
46
.
avec la philosophie, former l' homme ac-
compli. Or l' homme accompli, dans la socieèteè romaine, c' est le citoyen qui, pour exercer pleinement ses fonctions politiques, se fait orateur. Donc, l' homme accompli, c' est l' orateur : voilaé ce que recouvre ici l' expression û orateur parfait ý. L' orateur doit eêtre homme de bien pour reèpondre aé cette deèfinition. C' est pourquoi la morale deèpend eèvidemment de la rheètorique et non pas seulement de la philosophie
47
.
Quintilien reconna|êt qu' il reprend des preèceptes aux philosophes, avec l' ideèe implicite que la rheètorique les englobe. La morale est un sujet que l' on aborde ineèvitablement. C' est l' orateur qui en parle le mieux. Quintilien se reèclame de Ciceèron qui concilie sagesse et eèloquence, reèalisant l' eèquilibre harmonieux entre rheètorique et philosophie
48
. Par la suite la rheètorique, pervertie par l' appaêt du gain, s' est
eèloigneèe de la morale, dont se sont empareès des esprits faibles
49
. Quin-
tilien eèvoque le deèclin de l' eèloquence de son temps et deècrit le processus suivant : la rheètorique ayant abandonneè la morale, celle-ci aurait eèteè reprise par les philosophes. Loin d' eêtre un bavardage vain emprunteè aé la tradition rheètorique, le deèbat s' inscrit dans la reèaliteè du temps
50
. Quintilien songe aux philosophes contemporains, dont il
deènonce l' hypocrisie et la meèdiocriteè. Il vise aussi les peu vertueux
46
û Mais mon but est de former l' orateur parfait, qui ne peut exister s' il n' est
homme de bien ; aussi exigeons-nous de lui aé la fois une aptitude exceptionnelle aé la parole et toutes les qualiteès de l' aême ý (Inst., I, pr., 9). Traduction J. Cousin.
47
De meême, face aé Platon, Isocrate a revendiqueè le droit d' eèduquer le citoyen, en
partant du constat selon lequel les philosophes avec leurs ideè aux ne parviennent pas aé enseigner la vertu. Le professeur de rheètorique en revanche apprend aé ses eèleéves la morale en situation qui est indissociable de la pratique de la parole. Voir par exemple Isoc., Ant., 270-280. L' influence d' Isocrate est indeèniable.
48
Voir Cic., De or. 3, 50-61, ou é Ciceèron deèfend lui aussi la supeèrioriteè de l' orateur
sur le philosophe, par sa faculteè non seulement de comprendre, mais d' exprimer ce qu' il a compris.
49
Quintilien reprend cette ideèe dans le chapitre concernant la matieére de l' eèloquence
(Inst., II, 21, 12-13). Il deèfinit le philosophe comme l' homme de bien, et l' orateur eè galement, ce qui autorise le passage de l' un aé l' autre et explique qu' ils s' exercent sur les meêmes sujets.
50
Suzanne Geèly nuance cette interpreètation : selon elle, la rivaliteè entre rheètorique et
philosophie n' a pas beaucoup d' actualiteè aé l' eèpoque de Quintilien. S. Geèly, û Bona voluntas. Vouloir, pouvoir et devoir dire chez Quintilien (Inst., XII, 11, 31) ý, Bulletin de l' Association Guillaume Budeè (1997/1), p. 58-66.
sophie conte
448
deèlateurs, comme l' a montreè Michael Winterbottom
51
. La rheètorique
doit reèclamer son bien aux philosophes. Que l' orateur soit donc parfait dans ses mÝurs, sa science et son eèloquence. L' expression perfectus orator deèsigne alors l' ideèal oratoire que l' on doit poursuivre, meême sans eêtre su ê r de l' atteindre, comme les anciens philosophes eètaient aé la recherche du Sage
52
. Cette queête elle-meême est source de perfection-
nement pour l' homme. Par û orateur parfait ý Quintilien entend donc un ideèal qui correspond au modeéle sociologique du citoyen exemplaire. Une conception de l' art oratoire (bene dicendi scientia) é A la fin du livre II, Quintilien deèfinit intrinseéquement l' orateur comme homme de bien, sans faire reèfeèrence aé la perfection
53
. Il note
que les avis sont partageès quant aé la moraliteè de l' orateur, les uns acceptant qu' il soit meèchant, les autres ne le voulant que bon
54
. Les pre-
miers conc°oivent la rheètorique comme l' art de persuader, les autres, parmi lesquels il se range, comme l' art de bien parler
55
. La deèfinition
qu' il donne de la rheètorique (rhetoricen esse bene dicendi scientiam) eètablit le lien avec l' homme de bien : Nam et orationis omnes virtutes semel complectitur et protinus etiam mores oratoris, cum bene dicere non possit nisi bonus
56
. Par un chiasme expressif, il eètablit un paralleéle entre les û vertus ý
du discours ou du style (orationis omnes virtutes) et la moraliteè de l' orateur (mores oratoris), ce qui fait de la rheètorique l' art de parler et d' eêtre homme de bien
51
57
. Cette phrase meènage eègalement un paralleéle entre
M. Winterbottom, û Quintilian and the vir bonus ý, Journal of Roman Studies, 54
(1964), p. 90-97.
52
Ailleurs, il eèvoque de meême que ce qu' il cherche est û l' image de la rheè torique ý,
autrement dit une rheètorique ideèale (Inst., II, 20, 4). Pour l' orateur parfait, voir aussi Inst., I, 10, 4-8.
53
Le livre II se cloêt par sept chapitres deèfinissant la rheètorique : deèfinition et fin
(Inst., II, 15) ; utiliteè (Inst., II, 16) ; art (Inst., II, 17) ; de quels arts elle se compose (Inst., II, 18) ; l' art et la nature (Inst., II, 19) ; si la rheètorique est une vertu (Inst., II, 20) ; matieére de la rheètorique (Inst., II, 21).
54
(...) alii malos quoque viros posse oratores dici putant, alii, quorum nos sententiae accedimus,
nomen hoc artemque, de qua loquimur, bonis demum tribui volunt (Inst., II, 15, 1).
55
Voir les occurrences de bene dicere : Inst., I, p. 14 ; II, 2, 13 ; II, 8, 11 ; II, 14, 5 ;
II, 15, 34, 36, 38 ; II, 16, 11 ; II, 17, 23, 25, 26, 37, 38, 41 ; II, 21, 5 ; III, 3, 12 ; IV, 1, 54 ; V, 10, 54 ; VI, 1, 52 ; VI, 3, 105, 106 ; VII, 3, 6, 12 ; VIII, pr., 6 ; IX, 2, 67 ; X, 2, 28 ; X, 3, 12 ; X, 5, 5, 7, 11 ; XI, 1, 11 ; XII, 2, 27 ; XII, 10, 51.
56
û Car [cette deèfinition] contient aé la fois toutes les qualiteès du discours, et en conseè-
quence aussi les mÝurs de l' orateur, puisqu' on ne peut bien parler sans eê tre homme de bien ý (Inst., II, 15, 34).
57
Il est entendu que le terme virtus pour deèsigner les qualiteès du style est courant et
n' a pas de valeur morale, mais le rapprochement est toutefois signifiant, et l' intention
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
bene
dicere
et
bonus.
Alan
Brinton
explique
que
pour
449
Quintilien
comme pour Platon, les liens entre rheètorique et justice sont tels que si pour tous deux la rheètorique c' est û bien parler ý, û bien parler ý c' est parler justement
58
. L' expression bene dicere est donc aé double sens :
elle reveêt une valeur morale et une valeur estheètique. Quintilien ne tranche pas et joue parfois, comme ici, de l' ambigu|ëteè. Il se reèclame des sto|ëciens et invoque d' autres rheèteurs
59
. Pour lui, le bien dire est
aé la fois la deèfinition et la finaliteè supreême (telos) de l' orateur
60
.
Pour deèterminer si la rheètorique est utile ou nuisible, Quintilien se livre dans le chapitre suivant aé une argumentation contra et pro, et revient de nouveau aé la deèfinition. Si la rheètorique est l' art de persuader, alors rien n' empeêche qu' elle soit utiliseèe aé des fins nuisibles (110), tandis que le bene dicere garantit la bonne intention de l' orateur, qui ne saurait chercher aé faire de tort aé son auditoire (11). Cet argument est conforteè par l' ideèe que si les dieux ont donneè aux hommes la parole et la raison, qui les distinguent des autres animaux et les rap prochent du divin, c' est pour qu' ils en fassent bon usage (12-18). Il souligne enfin la beauteè de l' art en soi, qui permet de s' exprimer de fac°on sublime avec les meêmes mots que tout un chacun. Cela montre que la rheètorique est perfectible et que le travail vient aé bout de tout (19). L' ideèe de l' homme de bien aé laquelle Quintilien souhaite que l' orateur se conforme ne se confond donc pas avec l' ethos. Il recommande en effet aé l' orateur d' eêtre vertueux, alors que l' ethos veut seulement qu' il en donne l' apparence l' exorde,
61
. Quand il explique, aé propos de
comment rendre l' auditeur bien disposeè,
Quintilien fait
est nette. Quintilien joue sur les mots. Il associe de meê me vir bonus et virtus dans la deèfinition de la rheètorique comme vertu : Verum haec, quam instituere conamur et cuius imaginem animo concepimus, quae bono viro convenit quaeque est vere rhetorice, virtus erit (Inst., II, 20, 4). Nous soulignons. Voir aussi le paralleéle que Jean Lecointe releéve entre le vocabulaire moral et le vocabulaire stylistique (J. Lecointe, L' Ideèal et la diffeèrence. La perception de la personnaliteè litteèraire aé la Renaissance, Geneéve, 1993, p. 107-108).
58
A. Brinton, û Quintilian, Plato, and the Vir Bonus ý, Philosophy and Rhetoric, 16 (3/
1983), p. 167-184.
59
Inst., II, 15, 33. Sur les sources sto|ëciennes de l' expression, voir S. Aubert, û Sto|ë cis-
me et romaniteè. L' orateur comme homme de bien habile aé parler ý, Camenae, 1 (janvier 2007), p. 1-13, http://www.paris4.sorbonne.fr (E è quipe d' accueil û Rome et ses renaissances ý).
60 61
Inst., II, 15, 38. Voir J. Lecointe, L' Ideèal et la diffeèrence, p. 384-385. Selon Jean Lecointe, û l' ethos rheè-
torique oscille entre l' eêtre et le para|être ý. La vertu de l' orateur en soi est extra-technique. Le fait de rendre apparente la vertu de l' orateur º qu' elle soit reèelle ou non º afin de persuader, est le fruit de la rheètorique. Or, aé quelques expressions preés, quand Quintilien emploie l' expression, il entend bonus au sens de vertu authentique.
sophie conte
450 bien la distinction
62
. Il confond cependant les deux sens dans un pas-
sage ou é il est question des preuves subjectives : Atque Aristoteles quidem potentissimum putat ex eo qui dicit, si sit vir bonus ; quod ut optimum est, ita longe quidem, sed sequitur ta men videri
63
.
Quintilien renverse la perspective par rapport aé Aristote en mettant au premier plan la valeur morale de l' orateur, comme il le fait dans l' ensemble du traiteè. Ainsi, fondeè theèoriquement dans la deèfinition de l' art oratoire, le criteére du vir bonus est un veèritable û principe actif ý, aé l' Ýuvre dans tout le traiteè
64
. Quintilien l' applique aé certains choix qu' il recom-
mande aé l' orateur dans le cadre de la convenance oratoire. On sait que cette dernieére se rattache traditionnellement au style, dont elle est la quatrieéme partie, mais qu' en fait elle intervient aé toutes les eètapes de l' eèlaboration du discours. Ces deux notions se rejoignent dans le criteére de la juste mesure. Quintilien limite l' usage de la plaisanterie et du rire aé la dignitas et aé la verecundia que demande l' honneête homme
65
. Les derniers mots sur l' action oratoire rappellent en ultime
conseil que l' orateur doit trouver le juste milieu entre l' eèleègance de l' acteur et l' autoriteè de l' homme de bien (viri boni et gravis auctoritas)
66
.
C' est aussi parce qu' il est vir bonus que l' orateur doit observer la modeèration et se garder de la coleére
67
é propos de l' eèloge et du blaême, . A
Quintilien recommande aé l' orateur de ne pas fausser la veèriteè, meême si, comme le suggeére Aristote, c' est plus efficace
68
. Ce conseil est
commandeè par la moraliteè. Il en est de meême pour le choix de la cause
69
. Il est a priori plus noble de deèfendre que d' accuser ; mais par-
fois, en homme de bien, il faut preèfeèrer l' accusation, quand il s' agit
62 Quamquam enim pauciora de se ipso dicit et parcius, plurimum tamen ad omnia momenti est in hoc positum, si vir bonus creditur. (Inst., IV, 1, 7). Nous soulignons.
63
û Et Aristote consideére meême que c' est l' orateur qui fournit l' eèleèment de persua-
sion le plus efficace, aé la condition qu' il soit homme de bien. Certes, il n' y a pas mieux, mais en donner l' apparence est eègalement efficace, aé un moindre degreè eèvidemment. ý (Inst., V, 12, 9).
64
Telles
II, 15, 33 ; XI, 3, 184 ;
les
principales
II, 16, 12 ;
sont
II, 17, 32 ;
XII, 1, 3 ;
27 ;
XII, 11, 8 ; 9.
65 Inst., 66 Inst., 67 Inst., 68 Inst., 69 Inst.,
VI, 3, 35. XI, 3, 184. XII, 9, 11-12. III, 7, 25. XII, 7, 1.
31 ;
occurrences II, 21, 12 ;
36 ;
37 ;
44 ;
de
vir bonus : Inst., I, pr., 9 ; II, 15, 3 ;
III, 7, 25 ; XII, 2, 1 ;
IV, 1, 7 ; 17 ;
V, 12, 9 ;
XII, 7, 1 ;
5 ;
VI, 3, 35 ; XII, 9, 12 ;
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
451
de deènoncer la malhonneêteteè. La moraliteè recommande eègalement de ne deèfendre que des cas honneêtes et pour choisir parmi la multipliciteè des
causes, il faut faire droit
aux
citoyens
doivent constituer l' entourage de l' orateur
70
les plus honneêtes,
qui
.
Le portrait de l' orateur en vir bonus dicendi peritus Le dernier livre de l' Institution oratoire s' ouvre sur un portrait de l' orateur aé l' aêge adulte
71
. Quintilien reprend aé Caton sa deèfinition de
l' orateur comme un vir bonus dicendi peritus, expression qui appara|êt en ces termes pour la premieére fois
72
. Le vir bonus est l' aboutissement du
traiteè, comme c' en eètait le point de deèpart. La dimension morale garantit l' usage de l' outil rheètorique : Quintilien, et la nature avant lui, n' ont pas donneè aé l' homme la faculteè de parler pour qu' il s' en serve aé des fins nuisibles (1-2). Cet argument n' est pas deèveloppeè puisqu' il a deèjaé eèteè traiteè
73
.
La moraliteè est meême une condition neècessaire de l' eèloquence, tout d' abord parce que c' est un signe d' intelligence. Le vice entrave l' intelligence et la distrait de son objet, tandis que la tempeèrance permet de supporter l' eètude, tout comme le gouêt de la gloire stimule (4-8). é qualiteès intellectuelles eègales, de deux individus le meilleur sera ceA lui qui est homme de bien. Vu que tout discours vise aé persuader du vrai et du bien, l' honneête homme est mieux placeè pour ce faire, et s' il
doit
mentir,
on
lui
accordera
plus
de
creèdit
qu' au
mauvais
homme (9-13). La moraliteè reèpond au criteére de l' efficaciteè. On pourrait objecter que Deèmostheéne et Ciceèron n' ont pas eu une conduite irreèprochable. Quintilien prend leur deèfense, en mettant en avant leurs qualiteès morales, malgreè leurs imperfections (14-17). Ces deux hommes ont eèteè grands, mais pas parfaits (18-19). Or Quintilien, comme Ciceèron avant lui, est toujours aé la recherche de l' orateur parfait (19-22). Quintilien est passeè en ces quelques paragraphes de l' exemple aé l' ideèe. Il preècise ensuite la nature de cet ideèal. Un malhonneête homme habile aé parler ne saurait eêtre un orateur, puisqu' on exige de l' honneêteteè d' un avocat, meême moyen (23-24). L' homme qu' il recherche, doteè
70
Inst., XII, 7, 5.
71
Inst., XII, 1, 1-45.
72
Sur le sens de l' expression chez Caton, voir A. Michel, Les rapports de la rheètorique et e
de la philosophie dans l' Ýuvre de Ciceèron, Louvain-Paris, 2003 (2 eèd.), p. 15-17.
73
Inst., II, 16 : voir supra.
sophie conte
452
d' une vaste culture geèneèrale, est moins un avocat qu' un homme politique, ou encore un geèneèral exhortant ses soldats (25-30). Deés la jeunesse, il faut tendre vers cet ideèal d' homme accompli, tant par la vertu que par la parole. Le talent de parole, s' il eèchoit aux mauvaises gens, est une mauvaise chose (31-32). Nous retrouvons ici le point de vue du prologue qui met en avant le citoyen. Il reste une dernieére objection. Pourquoi tant d' art dans l' eèloquence ? La veèriteè devrait se suffire aé elle-meême (33). Les arguments invoqueès ici sont en partie deèjaé preèsents dans le chapitre eètablissant que la rheètorique est un art
74
. Quintilien reèpond qu' il faut conna|être
les ressources de l' adversaire (34). L' acadeèmicien Carneèade eètait capable de deèfendre le juste et l' injuste sans eêtre pour autant immoral (35). En outre, l' homme de bien peut avoir besoin de deèrober la veèriteè aux juges pour faire triompher une cause. Parfois on deèfend des criminels dans l' inteèreêt commun (36-37). Les sto|ëciens eux-meêmes justifient parfois le recours au mensonge (38-39). Deés lors, meême si l' orateur est ameneè aé deèfendre quelqu' un de douteux, la deèfinition de l' orateur comme
vir bonus
n' est pas remise en question (39-44). En
outre, on reèfute de la meême fac°on ce qui est vraisemblable et ce qui est vrai (45). Ici, Quintilien se deèfend contre une interpreètation extreême de l' exigence morale qui conduirait aé nier la neècessiteè du recours aé la rheètorique. En cela, il revient au point de deèpart : la morale est une garantie pour l' eèloquence et n' est pas la ruine de celle-ci. Ce faisant, il retrouve les questions abordeèes par Platon dans les rapports entre eèloquence et veèriteè, le jeu du vrai et du vraisemblable. Il finit par ce qui est le plus dense d' un point de vue philosophique. Le cÝur de la deèmonstration est la reèflexion sur l' orateur ideèal : si l' orateur doit eêtre parfait, alors on ne peut concevoir de meèdiocriteè, ni morale, ni intellectuelle. Quintilien deècreéte cette exigence morale et ne cherche plus vainement aé la justifier comme naturelle. Cela se combine avec son projet eèducatif et l' ideèal humain auquel il songe dans une socieèteè qui le deèc°oit parfois. La formule º ceèleébre º qui appara|êt au livre XII rec°oit de nombreux eèchos dans toute l' Ýuvre. Les rheèteurs
74 Inst.,
eccleèsiastiques
ne
s' y
sont
pas
trompeès.
S' ils
citent
tous
II, 17. Quintilien y reèfute l' ideèe selon laquelle la rheètorique tire parti des vices
(Inst., II, 17, 26-29), en invoquant notamment, comme ici, que le sage lui -meême est autoriseè au mensonge. Dans la suite du passage (Inst., II, 17, 30
sq.),
il doit reèpondre aé
l' accusation selon laquelle la rheètorique plaide le pour et le contre, ce qu' il reèfute au nom de la qualiteè de
vir bonus
de l' orateur. Le chapitre se cloêt sur :
dicendi bono viro non separamus (Inst.,
II, 17, 43).
(...) nobis, qui rationem
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
453
volontiers la deèfinition de Caton, ils font aussi reèfeèrence aé d' autres passages de l' Institution
oratoire.
Le vir bonus dans les traiteè s post - tridentins Deés ses origines, la rheètorique sacreèe prend en consideèration la vie é du preèdicateur. A la fin du
De doctrina christiana,
Augustin recom-
mande la concordance entre les actes et les paroles, gage d' efficaciteè, rappelle que les mots doivent eêtre au service de la Veèriteè et affirme la neècessiteè de prier avant de preêcher
75
. La personne du preèdicateur oc-
cupe une place plus grande encore dans l' Ecclesiastes, dont le premier livre a pour objet la û grandeur et la difficulteè de la preèdication ý
76
.
E è rasme, qui fait avant tout du preèdicateur un imitateur du Christ, deèveloppe ses qualiteès morales et spirituelles (cÝur pur, vie sans tache, loyauteè envers Dieu, prudence, pieèteè), insiste sur la digniteè de sa fonction, la difficulteè de sa taêche, et fait un tableau de la deècadence de la preèdication contemporaine. Il montre la grandeur de la fonction pour eèvoquer enfin les rapports que le preèdicateur doit entretenir avec les fideéles. Cet ouvrage introduit dans les rheètoriques sacreèes une reèflexion compleéte sur la fonction sacerdotale dans laquelle s' inscrit l' acte oratoire. Le contexte du Concile de Trente ne fait que renforcer cette tendance et donne un enjeu majeur aé la reèflexion sur la personne de l' orateur sacreè et sa moraliteè.
Un traitement ineègal selon les auteurs Si les rheèteurs sacreès s' accordent pour reconna|être l' importance de la moraliteè du preèdicateur et font pour cela appel aé Quintilien, ils ne font pas reèfeèrence aux meêmes passages de l' Institution
oratoire
77
. Ce que
nous appelons û moraliteè ý trouve son expression dans un vocabulaire
75
Saint Augustin,
De doctrina christiana,
eèd. M. Moreau, notes I. Bochet et G. Madec,
Paris, 1997 (BA 11/2).
76
D. eèrasme,
Ecclesiastes
(Baêle, 1535), eèd. J. Chomarat, Amsterdam, 1991 (Opera
Desiderii Erasmi Roterodami V, 4). 77 Citations de passages de l' Institution oratoire (p. 2) :
Inst.,
VI, 12, 2 (p. 488) :
Inst.,
concernant le
XII, 1, 1 ; L. de Grenade, I, 2, 6 (p. 44-46) :
Inst.,
Inst.,
C. Reggio, II, 1 (p. 76) :
Inst.,
Inst., I,
9;
Inst.,
XII, 1, 1 ;
Inst.,
II, 16, 12-
XII, 1, 30 ; L. Carbone, I, 8 (p. 40) :
Inst.,
XII, 1, 1 ;
pr.,
XII, 1, 4-5 ; C. Reggio, II, 2 (p. 78) :
: A. Valier, I, 1
II, 16, 5-19 ; L. de Grenade,
une autre reèfeèrence :
XII, 1, 29 ; D. Valadeès, I, 1 (p. 2) :
II, 15, 5 et 34 (ce passage comporte,
17) ; D. Valadeès, I, 12 (p. 37) :
vir bonus
omnia
9;
in crypto,
Inst.,
Inst.,
Inst.,
I,
pr.,
XII, 1, 1 ; C. Reggio, II, 2 (p. 77) :
XII, 1, 29-30.
Inst.,
sophie conte
454
varieè : mores, probitas, honestas, vir bonus, vitae integritas... sans compter les vertus (virtutes) en geèneèral ou en particulier. La dimension morale de l' art oratoire est aussi fondamentale que peu deèveloppeèe dans le traiteè d' Augustin Valier, qui est en cela fideéle aé son modeéle Aristote. En effet, la reèflexion sur l' art oratoire est reèduite, dans ce traiteè eèconome, aux trois chapitres liminaires
78
. Les re-
commandations propres aé l' eèducation et aé la moraliteè des apprentis orateurs se trouvent dans un autre ouvrage, relieè avec cette rheètorique dans l' eèdition que nous avons consulteèe, le De acolytorum disciplina
79
.
Si le premier livre (De doctrina acolytorum) aborde, dans une perspective strictement religieuse, l' eèducation des û acolytes ý, le second (De acoly-
torum moribus) met l' accent sur la moraliteè de l' orateur. Il y est question des vertus theèologales, des ressources de la prieére, de la sagesse chreètienne (christiana prudentia), de l' obeèissance, de la modestie. L' ouvrage se termine sur une description de l' û acolyte ý parfait (perfecti
Acolyti descriptio), expression qui n' est pas sans rappeler l' orator perfectus de Quintilien. Diego Valadeès, dont nous avons deèjaé souligneè le caracteére atypique, constitue un moyen terme entre la manieére d' Augustin Valier et les autres auteurs. Comme ces derniers en effet, il consacre un livre entier aé la rheètorique et aé la fonction de l' orateur. Mais sa preèoccupation principale est la connaissance de l' E è criture et ses modaliteès, si bien que le chapitre sur l' honneêteteè du preèdicateur n' est pas porteè par une dynamique d' ensemble
80
.
Le premier livre du traiteè de Louis de Grenade est consacreè aé l' origine, l' utiliteè et la neècessiteè de la rheètorique, et aux devoirs et mÝurs du preèdicateur. La reèflexion sur la moraliteè trouve un prolongement dans les deux chapitres sur la chariteè et la prieére
81
. Louis de Grenade
s' inteèresse de nouveau aé la vie de l' orateur dans le sixieéme livre, oué il
78
A. Valier, Rhet. eccl., I, 1 (Quandam esse Ecclesiasticam eloquentiam) ; I, 2 (De Ecclesiasti-
cae eloquentiae utilitate) ; I, 3 (Quaenam ars sit Rhetorica Ecclesiastica, et quale sit officium, et finis oratoris).
79
A. Valier, De acolytorum disciplina libri duo. Ad Acolytos Veronenses, Veronae, 1583.
L' eèdition princeps de la Rheètorique d' Augustin Valier (Veèrone, 1574) ne comporte pas le
De acolytorum disciplina. Si ces deux traiteès sont compleèmentaires, il n' en demeure pas moins que la Rheètorique est autonome.
80 81
D. Valadeès, Rhet. christ., I, 12 (De honestate praedicatorum). L. de Grenade, Eccl. rhet., I, 6 (De probitate et moribus concionatoris) ; I, 7 (De studio cari-
tatis in ecclesiaste) ; I, 8 (De studio sanctae orationis et meditationis quod in ecclesiaste esse debet).
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
455
traite ensuite de la spiritualiteè, comme le faisait Augustin aé la fin du
De doctrina christiana
82
.
Louis Carbone expose lui aussi dans le premier livre la leè gitimiteè et les caracteèristiques de l' eèloquence sacreèe. Dans les sept premiers chapitres, il eètablit successivement l' existence d' une eèloquence sacreèe, sa leègitimiteè, ce en quoi elle diffeére de l' eèloquence humaine. Il en vient ensuite aé une description positive : son importance et sa difficulteè, ce qu' on attend d' un bon preèdicateur, le fait qu' il est homme de bien
83
.
Il envisage apreés cela le but poursuivi par l' orateur ainsi que la spiritualiteè, la vocation, le cadre eccleèsiastique, les vertus de sagesse et fermeteè
et
termine
en
eèvoquant
l' auditoire.
La
moraliteè
figure
eègalement en bonne place dans le chapitre reècapitulatif qui se trouve aé la fin du traiteè
84
. Dans le livre deèdieè aux passions, Louis Carbone
montre que la pureteè de la vie, quand elle est au service du contribue aé l' efficaciteè oratoire
85
movere,
. Il est le seul aé aborder la question de
ce point de vue. Le programme de Carlo Reggio a une toute autre ampleur. Les trois livres qui constituent la premieére partie du traiteè ont pour objet le preèdicateur : sa fonction, ses vertus, la science et les exercices. Le livre II, consacreè aux vertus de l' orateur sacreè, est un traiteè de morale en miniature, ou é l' on voit que la foi est le ferment de cette rheètorique, et qu' elle en est le garant. Il s' ouvre sur trois chapitres consacreès au
vir bonus
qui commandent en quelque sorte aux autres chapitres
C' est en effet, apreés le
vir bonus,
86
.
conception que pa|ëens antiques et
chreètiens modernes ont en partage, les vertus de la foi qui sont exposeèes. La rheètorique sacreèe est inspireèe : elle ne se conc°oit que dans la relation privileègieèe qui unit aé Dieu le preèdicateur. Ce dernier se nourrit de la prieére et de l' amour de Dieu : la rheètorique est affaire de spiritualiteè. C' est ce qui conditionne le lien qu' entretient l' orateur avec son auditoire : animeè d' un zeéle sinceére pour ses fideéles, le preèdicateur deèveloppe un certain nombre de vertus (chariteè, humiliteè, pauvreteè...)
82
L. de Grenade,
VI, 12 (Quae nade,
Eccl. rhet.,
VI, 11 (Qualis
perfecti concionatoris vita esse (...) debeat)
sint, quae ad concionatoris officium recte exequendum praecipue iuvant).
Eccl. rhet.,
IV, 14 (Quomodo
nem habiturus est). 83 L. Carbone, Div. or., 84 L. Carbone, Div. or., cionis ratio continetur). 85 L. Carbone, Div. or.,
haec veritas rationibus)
ecclesiastes praeparare animum suum debeat, quando concio-
I, 8 (Concionatorem VII, 24 (De
integritatem et peccatorum correctionem ad movendum
II, 1 (Orator
; II, 3 (Probatur
bonum virum esse debere).
quibusdam praeceptis quibus tota fere recte habendae con-
IV, 17 (Vitae
vim habere). 86 C. Reggio, Or. christ.,
et
L. de Gre-
Christianus debet esse vir bonus) ;
idem ex titulis concionatori propriis).
II, 2 (Probatur
sophie conte
456
et se doit d' eêtre un exemple pour eux. La preèdication s' inscrit dans le cadre plus large de la mission, ce qui conduit Carlo Reggio aé eèvoquer le roêle du preêtre dans la socieèteè, avant de revenir aux conseils donneès par le Christ aux apo ê tres. D' un traiteè aé l' autre, la part reèserveèe aé la moraliteè s' inseére donc avec de plus en plus de coheèrence au sein de la rheètorique : d' une simple mention pour assurer la leègitimiteè de l' eèloquence sacreèe, aé un livre entier. L' importance grandissante apporteèe aé la personne de l' orateur se traduit par la mention de l' orateur dans le titre des traiteès de Louis Carbone et Carlo Reggio. Il semble bien que Carlo Reggio reè alise ce qui existait en puissance, de fac°on plus ou moins explicite, dans les traiteès preèceèdents. La speècificiteè de la rheètorique sacreèe, qui reèside dans la continuiteè eètablie entre la dimension morale simplement humaine et la spiritualiteè, est mise en eèvidence dans les trois derniers traiteès. Le vir bonus, une garantie pour l' eèloquence sacreèe Les rheètoriques eccleèsiastiques recherchent le juste milieu entre une eèloquence sans art, pleinement inspireèe, et le recours aé un art tout humain pour servir la cause divine. Pour rendre leègitime l' eèloquence, elles mettent en avant la conception de l' orateur comme un vir bonus, qui sert de caution morale, comme c' eètait deèjaé le cas pour Quintilien. Augustin Valier eètablit au deèbut de sa rheètorique qu' il existe une eèloquence eccleèsiastique
87
. Il s' autorise tout d' abord de Lactance pour
affirmer que le devoir de l' orateur sacreè est de dire le vrai, la vertu et la majesteè divine. Il critique ses contemporains, qui ont tendance aé avoir recours aé de faux arguments et aé perdre ainsi de vue leur veèritable objectif. Ces gens-laé sont plus habiles dans l' art d' une seèduction fallacieuse qu' eèloquents aé proprement parler. Et tant de maux ne viennent pas de l' art en soi, mais de la nature deèpraveèe de ces orateurs. C' est pourquoi il importe de rappeler que le preèdicateur doit eêtre un vir bonus dicendi peritus. Augustin Valier est d' accord avec Ciceèron, qui disait avoir rencontreè des orateurs diserts, mais pas l' orateur parfait
88
. Il fausse cependant la perspective et deètourne la penseèe
antique aé son profit : on ne peut selon lui veèritablement qualifier d' eèloquents que ceux qui, en plus des qualiteès requises de l' orateur antique, se donnent pour but d' instruire leur auditoire en vue de la vraie religion du Christ en se laissant guider par l' Esprit Saint. Il faut donc,
87
A. Valier, Rhet. eccl., I, 1 (Quandam esse Ecclesiasticam Eloquentiam).
88
Augustin Valier est plus proche de Quintilien en l' occurrence, puisque ce dernier a
lui aussi repris Ciceèron en l' infleèchissant aé propos du vir bonus.
457
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
en observant les sermons existants, recueillir les eèleèments propres aé constituer une rheètorique eccleèsiastique. Comme Quintilien, Louis de Grenade associe l' utiliteè de la rheètorique aé la moraliteè de l' orateur ces
emprunteèes
aé
89
l' Antiquiteè
. Il illustre son propos par des reèfeèrenprofane :
Plutarque,
Deèmeètrius
de
Phaleére, puis Quintilien dont il cite le passage correspondant de l' Ins-
titution oratoire avec quelques coupes
90
. Il ajoute une longue citation du
prologue de l' Histoire eccleèsiastique de son contemporain Jean Anglus, qui est un eèloge de l' eèloquence des Peéres de l' eèglise. Une caution theèorique est apporteèe par le De doctrina christiana. Louis de Grenade reèpond ensuite aé l' objection selon laquelle l' eèloquence sacreèe, guideèe par
l' Esprit
Saint,
peut
se
passer
de
rheètorique.
Il
invoque
tout
d' abord les Peéres de l' E è glise ceèleébres, comme les Cappadociens, qui ont su rester chreètiens malgreè leur culture rheètorique pa|ëenne, et rappelle le songe de Jeèro ê me. Inversement, si l' eèloquence sans art de Paul suffisait aé son eèpoque, les temps ont changeè, si bien que la rheètorique est devenue indispensable. Diego Valadeès, qui eètablit un dialogue entre l' antiquiteè pa|ëenne et le monde chreètien contemporain dans les deux premiers chapitres de son traiteè, commence par commenter les deux parties de l' expression de Caton
91
. C' est dans le cadre de la reèflexion antique sur le ro ê le de
l' orateur dans la citeè qu' il envisage le vir bonus. Il reprend l' argument selon lequel il n' y a rien de pire que d' utiliser aé de mauvaises fins l' eèloquence donneèe par la nature pour le bien des hommes s' appuyant
sur
Platon
et
Ciceèron,
il
affirme
que
92
l' orateur
. En doit
s' entra|êner aé l' eèloquence pour le bien commun, non pour sa satisfaction propre. Cette reèflexion sur l' orateur antique annonce naturellement
l' orateur
sacreè,
qui
ne
saurait
avoir
pour
but
l' inteèreêt
personnel. Pour la deuxieéme partie de l' expression, dicendi peritus, Diego Valadeès confronte plusieurs deèfinitions : celle de Quintilien (bene dicendi scientia), les deux rheètoriques de Platon (la rheètorique philosophique et la flatterie), pour finalement preèfeèrer celle-ci, emprunteèe aé Ciceèron : dicere apposite ad persuasionem. Il semble qu' il se fonde sur le
89
L. de Grenade, Eccl. rhet., I, 2 (De Rhetoricae artis utilitate et necessitate).
90 Inst., II, 16, 1-19. 91 D. Valades, Rhet. christ., è
I, 1 (De definitione et proprietatibus oratoris, ex veterum senten-
tia) ; I, 2 (De proprietatibus Oratoris Christiani ubi stemmata Philosophi pagani, Boni Pastoris, et Philosophi Christiani singulari dicendi modo declarantur).
92
Diego Valadeès juxtapose deux reèfeèrences, sans indiquer de provenance : Cic., Off.,
II, 51 ; Quint., Inst., XII, 1, 1.
sophie conte
458
raisonnement de Quintilien, sans en adopter la conclusion
93
. En effet,
la rheètorique chreètienne ayant pour but le salut des aêmes, Diego Valadeès juge important de se preèmunir avant tout contre les soupc°ons de gratuiteè. Mais il doit aussi eètablir que dans l' orateur parfait on requiert aé la fois un grand talent de parole et une morale irreèprochable. Pour ce faire, il se tourne de nouveau vers Quintilien, sans le dire, en reprenant cet autre argument : Dieu nous a distingueè s des autres animaux par la parole, ce qui nous engage aé utiliser cette faculteè pour le bien
94
. Quintilien fait allusion au dieu creèateur ; Diego Valadeès en fait
le dieu des chreètiens, et introduit des anges laé ou é il n' eètait question que de dieux immortels. Louis Carbone et Carlo Reggio, eux aussi, ont soin d' affirmer la leègitimiteè de l' eèloquence sacreèe, garantie par la moraliteè de l' orateur. Nous n' avons cependant pas releveè de reèfeèrences preècises aé l' Institution oratoire aé ce propos. Il est vrai que pour ces deux rheèteurs, il y a un infleèchissement net : la moraliteè de l' orateur est une fin en soi, et deèpasse le cadre strictement oratoire. L' honneêteteè de l' orateur sacreè : preêcher par l' exemple C' est un theéme eèvangeèlique s' il en est que l' ideèe qu' il faut û preêcher par l' exemple ý. Les rheèteurs sacreès s' appuient sur la conception antique de l' orateur qui ne peut eêtre parfait que s' il est homme de bien, mais ils preèsentent l' orateur sacreè comme supeèrieur aé l' orateur profane sur ce point, la vertu eètant en quelque sorte son apanage. Diego Valadeès insiste sur la rivaliteè entre res et verba
95
. Il preèfeére,
comme Lactance, que les preèdicateurs agissent aussi bien qu' ils parlent. Il deènonce de nouveau ceux qui utilisent la rheètorique, que la nature a voulue bonne, pour la perte et non pour le beèneèfice d' autrui, la deètournant ainsi de son objet
96
. Il rappelle que Dieu a enjoint au pro-
pheéte E è zeèchiel de se tenir debout pour eècouter ses paroles (Ez. 2, 1-2). C' est ainsi que ce dernier a rec°u de Dieu sa mission de propheéte.
93
Comme nous l' avons vu, la deèfinition de la rheètorique eètablie par Quintilien en-
gage sa conception de l' orateur comme un vir bonus dicendi peritus. Quintilien lui aussi fait reèfeèrence aé Platon et donne cette deèfinition de Ciceèron, qu' il rejette comme n' eètant pas conforme aé sa conception de l' eèloquence (Inst., II, 15, 5).
94
Inst., II, 16, 12-17 : longue citation cacheèe. Quintilien est donc plus preèsent qu' il
ne le dit : il en est peut-eêtre de meême dans le reste du traiteè.
95 96
n. 92.
D. Valadeès, Rhet. christ., I, 12. Diego Valadeès cite ici Ciceèron (Cic. Off., II, 51) sans faire cas de Quintilien. Voir
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
459
Diego Valadeès assimile cette posture physique aé une attitude morale. L' autoriteè de la parole est perdue si la voix n' est pas soutenue par l' action : la vie du preèdicateur doit reèsonner dans ses paroles comme elle bruêle de deèsir (Vita praedicantium sonare et ardere debet. Ardere deside-
rio, sonare verbo). Un discours ardent est comparable aé un morceau de bronze qui bruêle : il fait des eètincelles qui parviennent aux oreilles de l' auditoire. C' est pourquoi la veèriteè simple n' a pas besoin d' ornement
97
. L' eèloquence trop orneèe, en revanche, sonne creux, et trop de
rheètorique est odieux. Ceux qui utilisent l' habileteè oratoire pour abuser autrui se trompent eux-meêmes. Ainsi, il ne suffit pas, comme le croient certains modernes, d' avoir lu Ciceèron et Quintilien pour eêtre orateur : comme le disent ces derniers, l' orateur parfait n' existe pas
98
.
S' il faut malgreè tout eètudier l' eèloquence, celle-ci doit eêtre modeèreèe par la sagesse, qui procure aé l' orateur louange, honneur, et digniteè. Pour eêtre eècouteè, l' orateur doit veiller aé ce que sa vie soit aé la hauteur de son eèloquence. Beaucoup en effet profitent de la mauvaise vie du preèdicateur pour justifier leur mauvaise conduite, avec l' argument suivant : pourquoi ne faites-vous pas ce que vous preêchez ? L' action droite doit eêtre le veêtement du preêtre. Si Diego Valadeès consacre un chapitre aé l' honneêteteè, sa reèflexion est encore tourneèe vers la rheètorique. Avec les autres rheèteurs, en revanche, on note un infleèchissement vers le vir bonus comme fin en soi. Pour Louis de Grenade, le preèdicateur est un envoyeè du Christ sur la terre, comme les propheétes, Paul et les autres apoêtres, qui ont Ýuvreè par leur exemple, et d' autres saints apreés eux (Antoine, Franc°ois, Simon le Stylite, etc.)
99
. Il y a en effet une rivaliteè toute chreètienne
entre les paroles et les actes. Louis de Grenade deènonce ceux qui vivent autrement que ce qu' ils preêchent : il faut d' abord s' amender, avant de faire des recommandations aé autrui
100
. C' est ce qu' a indiqueè
le Christ, qui s' est preèpareè aé la preèdication en passant quarante jours dans le deèsert
101
. Vers la fin du chapitre, la fameuse deèfinition du vir
bonus dicendi peritus fait son apparition, sans mention de Quintilien :
97
Diego Valadeès renvoie aé Quintilien, mais la reèfeèrence n' est pas eèvidente. Voir ce-
pendant Inst., XII, 1, 30 et Inst., XII, 1, 33.
98 Inst., 99 L. de 100
I, pr., 18. Grenade, Eccl. rhet., I, 6.
Voir aussi L. de Grenade, Eccl. rhet., IV, 11.
101 Intelligebat enim summus ille magister quanto essent ad fidem faciendam et vitam hominum instituendam efficaciora praeclara virtutum exempla quam exculta et perpolita verba (L. de Grenade, Eccl. rhet., I, 6, 2).
sophie conte
460
Sed quid tam multis argumentis ad hoc probandum in re tam aperta opus est cum ipsi etiam rhetores oratorem definiant esse virum bo num dicendi peritum ? Si ergo orator, qui de stillicidiis arcendis deque depositis reddendis ut fidem apud iudices faciat vir bonus esse debet priusque illi vitae probitas quam artis peritia tribuitur, quid de concio natore dicendum, cuius tota cura et officium est homines ad virtutis et probitatis studium non modo loquendo, sed etiam recte vivendo traducere
102
?
Louis de Grenade se fonde sur les rheèteurs antiques, le preèsupposeè eètant la supeèrioriteè de la penseèe chreètienne sur le monde pa|ëen. La grande diffeèrence est que, bien souvent, la vertu et le bien sont l' objet meême de la preèdication. Le chapitre se termine sur une deèploration de la deècadence des temps preèsents et le peu d' effet des sermons sur l' auditoire. Les preèdicateurs preèfeérent enseigner par la parole plutoêt que par l' exemple, avoir recours aé l' eèloquence plutoêt qu' aé la prieére, et cherchent plus aé recueillir les applaudissements qu' aé traquer les vices. Ils sont plus soucieux de leur propre renommeèe que de la gloire divine et du salut des aêmes. Louis de Grenade deènonce ainsi la vaniteè des orateurs, dans l' esprit du Concile, et un des dangers de la rheètorique : que l' art devienne une fin en soi. Lorsque Louis de Grenade, avant de clore deèfinitivement le traiteè, revient une nouvelle fois, plus en profondeur peut-eêtre, sur la personne de l' orateur sacreè, il insiste sur la notion d' expeèrience
103
. La vie
du preèdicateur doit eêtre exemplaire parce qu' il faut qu' il sache de quoi il parle : celui qui ne ma|êtrise pas ses deèsirs ne peut entreprendre de freiner ceux d' autrui. Or le roêle principal du preèdicateur est de parler des vices et des vertus, comme le rappelle la citation preèceèdente. L' exemple des Peéres de l' E è glise montre que la pureteè de l' existence seconde efficacement l' eèrudition et les connaissances. La sagesse (sa-
pientia)
provient en effet de l' eètude (studium) et de l' expeèrience (expe-
rientia).
Si on a lutteè soi-meême contre les vices et rechercheè la vertu,
on est plus convaincant, de meême que le chasseur est le mieux placeè
102
û Mais pourquoi, dans un cas si eèvident, est-il besoin de tant de preuves, puisque
les rheèteurs eux-meêmes deèfinissent l' orateur comme un homme de bien habile aé parler ? Donc si l' orateur dont les discours portent sur la collecte des eaux de pluie et les reddi tions de deèpo ê ts doit eêtre homme de bien pour inspirer confiance aux juges, et si l' honneê teteè
de
sa
vie
compte
plus
que
sa
ma|êtrise
de
l' art
oratoire,
que
faut-il
dire
du
preèdicateur, dont tout le soin et le but est d' inspirer aux hommes le zeé le pour la vertu et l' honneêteteè, non seulement par ses propos mais aussi par la rectitude de sa vie ? ý (L. de Grenade,
103
Eccl. rhet.,
I, 6, 8).
L. de Grenade,
sujet du livre I.
Eccl. rhet.,
VI, 11. Il reconna|êt en preèambule qu' il reprend laé le
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
461
pour parler de l' art de la chasse. Louis de Grenade reprend l' anecdote d' Hannibal reprochant au philosophe Phormion de se meêler de strateègie, domaine dans lequel il se trouve plus compeètent que lui
104
. Cela
a plusieurs conseèquences. D' une part, on ne doit pas preêcher trop jeune : il faut de l' expeèrience pour cela. D' autre part, le preèdicateur doit d' abord penser aé lui-meême pour eêtre utile aux autres, si bien qu' une preèparation spirituelle est neècessaire. Ainsi, aé la fin de l' ouvrage, comme dans un envoi, Louis de Grenade donne des recommandations qui concernent l' eèthique de vie et la mission, ce qui deèpasse le cadre des conseils du premier livre. De meême que Quintilien eètablit un lien entre les dimensions intellectuelle et morale, Louis Carbone consideére que pour acqueèrir une doctrine parfaite et sinceére il faut une vie sans tache, car le deèbut de la Sagesse est la crainte de Dieu
105
. Dieu a fait bons et justes ceux qu' il a
choisis pour eêtre ses ministres, comme le montre l' exemple des propheétes et des apoêtres. Le Christ a fait l' expeèrience du deèsert avant de preêcher, et a rappeleè maintes fois combien une vie pure eètait neècessaire aux preèdicateurs. Ces derniers sont preèsenteès comme les û vases du verbe divin ý, selon une image emprunteèe aé la Bible : le û reèceptacle ý doit eêtre digne de ce qu' il abrite. C' est la meilleure voie pour convertir les peècheurs et observer la loi divine. Louis Carbone se reèfeére aé la
Rheètorique
d' Aristote,
ou é
il
est
question
de
l' ethos
et
de
ce
qu' il
comporte de persuasif. Il fait le meême paralleéle que Louis de Grenade entre le
vir bonus dicendi peritus
de Quintilien et l' orateur chreètien, en
eètablissant la supeèrioriteè morale de ce dernier. L' exemple instruit plus que les paroles. De meême, il invoque l' exemple du Christ et des saints fondateurs des grands ordres (Franc°ois, Dominique, Bernard, Vincent...). Enfin, l' expeèrience eètant neècessaire pour comprendre la vertu de l' inteèrieur º comment parler des volupteès divines si on ne les a jamais gouêteèes ? º, il rappelle aé son tour l' anecdote d' Hannibal et de Phormion
106
. Enfin, la vie mauvaise du preèdicateur entra|êne bien des
inconveènients. Celui qui enseigne le bien en vivant mal peut se voir reprocher cette contradiction, car les hommes croient plus par les yeux que par les oreilles. Il perd deés lors de son autoriteè. En outre,
104
Cette anecdote est eègalement rapporteèe par Louis Carbone et Carlo Reggio. Elle
provient de Ciceèron (De
105
L. Carbone,
or.
II, 75-77).
Div. or.,
I, 8. Voir aussi L. Carbone,
Div. or.,
IV, 17 : l' amitieè de
Dieu est neècessaire pour acqueèrir la doctrine et l' esprit de Dieu.
106
L' argument de l' expeèrience neècessaire, particulieérement pertinent dans la pers-
pective du
Div. or.,
movere
IV, 17).
et de la
vis oratoria,
est repris dans le livre sur les passions (L. Carbone,
sophie conte
462
cela incite le peuple aé mal parler, aé mal vivre, voire aé blaspheèmer. Les Peéres de l' E è glise et Seèneéque deènoncent ceux qui ne meénent pas la vie qu' ils prescrivent. C' est sans doute ce qui explique que malgreè le grand nombre des preèdicateurs, dont la voix reèsonne dans les eèglises, les sermons portent si peu de fruits. Le chapitre sur les passions va dans le meême sens est
un
miroir
public ;
il
repreèsente
les
nerfs
du
107
. Le preèdicateur
corps
mystique,
comme le montre Paul. Deés lors, une mauvaise vie nuit aé l' E è vangile, et la contradiction qui reèside dans le fait d' enseigner le bien et de vivre mal se reèveéle inefficace. En outre, trahir sa fonction produit quelque
chose
de
monstrueux
et
les
mauvais
preèdicateurs
sont
condamneès par l' E è criture. Donc la moraliteè est efficace pour les passions
(movere)
car
les
paroles
d' un
bon
preèdicateur
sont
presque
comme les paroles de Dieu. Carlo Reggio consideére que l' aspect moral (bonitas vitae) est indispensable aé l' orateur sacreè, comme la vocation (vocatio), la science (scientia), et l' eèloquence (eloquentia)
108
. Au livre II, il commence par
eènoncer un certain nombre d' objections visant aé montrer que l' on peut eêtre un preèdicateur treés convaincant sans pour autant eêtre soimeême un exemple de vertu
109
. Le preèdicateur n' eètant qu' un instru-
ment de Dieu, sa vertu ne regarde que son propre salut, et n' a pas d' incidence sur celui de son auditoire. La Bible contient plusieurs exemples de preèdicateurs efficaces qui n' eètaient pas irreèprochables. Aristote dit aussi qu' on peut eêtre un bon citoyen sans eêtre homme de bien. Carlo Reggio avance trois arguments concernant l' orateur sacreè. La pureteè de la doctrine ne saurait eêtre entacheèe par la malhonneêteteè du preèdicateur ; la contradiction entre les actes et les paroles n' entrave pas la capaciteè aé prononcer des discours ; le peuple a inteèreêt aé eècouter et suivre les conseils du preèdicateur, plutoêt que de s' inquieèter de sa fac°on de vivre. Cela est confirmeè par plusieurs Peéres de l' E è glise. Carlo Reggio se reprend vite : il n' en est plus ainsi aé son eèpoque. Il rappelle que l' orateur sacreè est ma|être de la vraie pieèteè, destineè aé deèvelopper les bonnes mÝurs, deètracteur des vices, digne ministre de Dieu et qu' il traite justement le verbe de veèriteè pour le salut eèternel
107 108
L. Carbone, Div. or., IV, 17. C. Reggio, Or. christ., I, 13, p. 44 : Primum, Vocationem Diuinam, quia non est Legatus
Dei, nisi qui a Deo mittitur. Secundo, vitae bonitatem, tum scientiam, postremo eloquentiam : quia aptus legationi non est, quem vita deturpat ; vel cui mandatorum cognitio, et exponendi facultas deest.
109
C. Reggio, Or. christ., II, 1.
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
463
des aêmes. Tout cela n' est pas possible sans la vertu dont doivent deèpendre la science et la doctrine, comme l' a indiqueè le Christ aux premiers orateurs sacreès. Les conseils de Paul aé Timotheèe et Tite vont aussi dans ce sens. Telle est la conclusion de Carlo Reggio : Atque equidem existimo non modo Sacrum concionatorem, a quo ti tulus ipse profanas vitiorum sordes excludit, sed ne ullum quidem qui Christianus sit, debere dignum Oratorem censeri, nisi idem fuerit vir bonus
110
.
Il eènonce laé une exigence morale que les chreètiens ont en partage : ce n' est pas seulement en tant que preèdicateur ni meême en tant que pasteur, mais tout simplement parce qu' il est chreètien que l' orateur doit eêtre vertueux. La formulation (nisi idem fuerit vir bonus) est treés proche de l' Institution oratoire. La reèfeèrence devient explicite quelques lignes plus loin. Carlo Reggio cite d' abord le preèambule du livre I qui eètablit que l' orateur parfait ne peut eêtre que bon, le deèbut du livre XII eètant eègalement donneè en reèfeèrence, mais ce n' est pas Quintilien qu' il commente. Il s' attache aé Aristote, qui selon lui aurait donneè les meêmes conseils que lui-meême s' il avait eèteè eèclaireè par les lumieéres de la doctrine chreètienne. La diffeèrence reèside dans le fait que pour Aristote il faut que l' orateur donne l' impression qu' il est vertueux, alors que le preèdicateur ne peut pas se permettre cette hypocrisie. La question surgit de nouveau dans le deuxieéme chapitre
111
. Tout
d' abord, c' est en raison de la digniteè de sa fonction que le preèdicateur doit avoir un certain nombre de vertus, au premier rang desquelles fi gure la chariteè (charitas). En second lieu, il invoque la sagesse, qui ne peut trouver sa place dans un vase corrompu, comme Quintilien l' avait lui-meême remarqueè (quod vidit etiam inter infidelitatis tenebras
Fabius)
112
. Cela est d' autant plus vrai pour l' orateur sacreè : celui qui
craint Dieu agit bien et conna|êt la sagesse. En troisieéme lieu, c' est l' eèloquence elle-meême qui recommande la moraliteè. Carlo Reggio rappelle aé la suite de Quintilien que tel on est, tel on parle (Qualis
enim quisque est, ita loquitur)
113
. Autrement dit, la vertu persuade. L' ora-
teur ne pourra jamais parvenir aé une eèloquence en accord avec les
110
û On ne doit consideèrer comme un orateur digne de ce nom que celui qui est en
meême temps homme de bien. Je crois que cela est vrai non seulement pour le preè dicateur,
tenu
aé
l' eècart,
par
sa
qualiteè
meême,
des
souillures
morales
qui
entachent
les
hommes profanes, mais encore pour tout homme qui se dit chreè tien ý (C. Reggio, Or.
christ., II, 1, p. 75-76).
111 112 113
C. Reggio, Or. christ., II, 2. C. Reggio, Or. christ., II, 2, p. 77. Inst., XII, 1, 4-5. C. Reggio, Or. christ., II, 2, p. 78. Inst., XII, 1, 29-31.
sophie conte
464
sujets qu' il traite et le roêle qu' il doit assumer sans une grande vertu. Les Apo ê tres ne sauraient qu' acclamer de tels propos. C' est laé un bon exemple de l' interpreètation chreètienne d' une source pa|ëenne. Carlo Reggio ajoute alors des citations de plusieurs Peéres de l' E è glise qui ont pour fonction de reèpondre aux propos opposeès qu' il avait rapporteès au deèbut du chapitre preèceèdent. On trouve dans ce passage les arguments relatifs aé l' efficaciteè oratoire de la vertu en lien avec la sinceèriteè : l' orateur, qui preêche la vertu, doit eêtre persuadeè qu' elle est neècessaire pour eêtre convaincant. Comment le discours pourrait-il avoir û de bonnes mÝurs ý (oratio
bene morata)
si l' orateur en est deèpourvu ? Il est
ici question de l' ethos, du creèdit et de l' autoriteè que la vertu donne aé l' orateur. L' ideèe est illustreèe par une reèfeèrence emprunteèe aé Plutarque et par l' anecdote d' Hannibal et Phormion. Les prieéres et le
bon
comportement des preèdicateurs ont un roêle important pour les aêmes aupreés de Dieu. La vertu est premieére, la doctrine suit. Cela vaut aussi pour persuader les pa|ëens. Le troisieéme chapitre ajoute de nouveaux arguments, propres aux orateurs sacreès
114
. C' est en vertu de son ministeére que l' orateur sacreè
doit eêtre bon. Il est en effet un instrument de Dieu (instrumentum
Dei)
115
. Son but est d' annoncer le Christ Sauveur, de deètourner les
hommes du peècheè, de fac°onner leurs mÝurs sur les commandements de l' E è vangile
116
. Il est en outre un ambassadeur de Dieu
117
. Il doit
prendre exemple sur le Christ et Paul, dont Carlo Reggio rappelle le mot :
Imitatores mei estote, sicut et ego Christi.
Il compare enfin ceux qui
agissent autrement qu' ils ne preêchent aé un cierge qui produit de la lu-
Qui dicunt, nec faciunt, si-
mieére pour les autres tout en se consumant :
miles cereo sunt, qui dum lucet aliis, se ipse consumit termine sur une formule de Jean Chrysostome :
118
. Le chapitre se
Bene vivendo, (ait) et
bene docendo populum instruis quomodo debeat vivere, bene autem docendo, et
114
C. Reggio,
115
Voir C. Reggio,
Or. christ.,
II, 3.
Or. christ.,
I, 6 (Officium et finis Christiani Oratoris). 116 Christum Servatorem mundi praedicare, hominum animos a peccatis deterrere, mores eorum
ad Evangelii normam dirigere, Christiani concionatoris praecipua munera sunt
(C. Reggio,
Or.
christ., I, 6, p. 25). 117 Igitur auctor princeps, et Dux pacis Deus est ; Concionator Dei legatus est, interpres, internuncius, pacis sequester, adiutor et administer (C. Reggio, Or. christ., I, 6, p. 26). 118 Cette thematique, elle aussi, a deja ete abordee precedemment, a propos è
è
é
è
è
è
è
è
é
des dan-
gers auxquels s' expose le preèdicateur. Y sont sujets surtout ceux pour lesquels il y a une contradiction entre le mode de vie et les propos tenus, et ceux qui se soucient plus d' eux-meêmes que du salut des aêmes (C. Reggio,
ris officio).
Or. christ.,
I, 13 :
Periculum in concionato-
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
male vivendo Deum instruis quomodo te debeat condemnare
119
465
. Carlo Reggio
aé la suite de l' eèveêque d' Antioche ravale le preèdicateur au rang de tous les chreètiens, et fait de lui un peècheur parmi d' autres sur lequel il appelle le chaêtiment divin : il n' est plus question d' efficaciteè oratoire, mais bien de salut. Le ro ê le intermeèdiaire du preèdicateur, moyen de communication entre Dieu et les hommes, est ainsi mis en valeur. La moraliteè est un principe qui impreégne le traiteè de Carlo Reggio et l' aide aé forger son image de l' Orator
christianus
120
.
La dimension morale comprise dans l' expression
vir bonus
corres-
pond aé la conception de l' art oratoire de Quintilien et proceéde de son projet peèdagogique. Elle contribue ainsi aé l' efficaciteè oratoire tout en la deèpassant. Les rheètoriques issues du Concile de Trente la mettent aé l' honneur, ce qui est plus manifeste dans les traiteès jeèsuites plus tardifs que dans les rheètoriques borromeèennes, Louis de Grenade figurant comme un moyen terme. Les derniers traiteès affirment en effet davantage le souci de former un homme, au-delaé de la technique rheètorique, et accordent une place centrale aé la personne de l' orateur. Le preèdicateur est envoyeè en mission, aé la suite du Christ et des apoêtres, ce qui demande qu' il û preêche par l' exemple ý. Pour ce faire, il a le secours de la spiritualiteè : il trouve dans la prieére un aliment aé la fois pour son eèloquence et pour l' honneêteteè de sa conduite, exigence d' orateur, comme l' a montreè Quintilien, mais surtout de pasteur et, tout simplement, de chreètien.
119
û Avec une bonne vie et de bons sermons, tu apprends au peuple comment il doit
vivre, mais avec de bons sermons et une mauvaise vie, tu apprends aé Dieu comment il doit te condamner ý (C. Reggio,
120
Or. christ.,
I, 6, p. 84).
Ainsi par exemple, la moraliteè figure parmi les qualiteès naturelles neècessaires aé
l' orateur sacreè pour affronter la difficulteè de sa taêche. Voir C. Reggio, I, 12 (Difficultas
officii),
p. 39.
Or. christ.,
466
sophie conte
ANNEXE
L' INSTITUTION
Inst. I,
ORATOIRE
A. Valier
DANS LES TRAITE è S POST-TRIDENTINS
L. de Grenade
pr.
D. Valadeè s
L. Carbone
9 : I,1 18 : I,12
I,1
C. Reggio 9 : II,1 26 : I,19
3 :VII, 2
I, 2
29 -31 : IV, 15
I, 3
VII, 2
I, 5
III, 6
I, 6
41 : III, 7
1 : I,19
6 :VI, 9, 22 17 :VI, 9, 22
I,11
8 -10 :VI, 3, 2 8-11 :VI, 7, 15
II,12
7- 8 :VII, 3
II,13
VII, 3
II,15
8 : IX, 1
5 : I,1 34 : I,1 II, 2
II,16
5 -19 : I, 2, 6
II, 20
7 : II, 2
II, 21 III, 3
12-17 : I,1
1-4 : II, 6 III, 59
1 :VI,12, 26
III, 5
5 :V, 1 1 : II, 4
III, 6
49 :VIII, 2
III, 7
I,19
III, 8
I, 5
III, 9
I, 22
III,10
I, 22
IV,
10 : IV, 1 6-9 :VIII, 6
pr.
4 - 5 : IX, 9
IV, 1
1-79 : III, 46
6-7 :V, 1
17 : III, 44
49 :VI, 7
IV, 2
64 : III, 40
IV, 4
III, 50
IV, 5
III, 57
V, 9
1-16 : I, 23
44 - 45 :VIII, 8
V, 10
20
IV, 1, 28
V, 13
27 : II, 15, 1
V, 14 VI,1
III, 58
sq. :V, 4
III, 3 31 :VI, 32
2-6 : IV, 1, 31-2
1-2 : III, 4
2 :VIII, 9 29 :VII, 2 44 : VII, 2
VI, 2
7 : II,11, 11
3-9 : III, 21
26-28 : I, 8, 4
7 :VII,1 26-35 :VII, 3
25-36 : III,10, 3-5 VI, 3
29 -36 : IV, 5
106-7 :VI, 7
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines Inst. VII,1
A. Valier
L. de Grenade
D. Valadeè s
L. Carbone
467
C. Reggio
III, 45
VIII, pr. VIII, 1
13-29 :V, 1, 1-4
21-2 :V, 1
28 :VIII,11
31-33 :V, 1, 5
28 :V, 2
31 : VIII,12
1 :V, 2, 1
1 :VIII,11
3 :V, 2, 4 VIII, 2
1 : III, 7
VIII, 3
72 : III, 23
22 : III, 7
1-11 :V, 4, 1-2
6 :V, 2
6 - 8 :VIII,12
11-4 :V, 17, 14-5
50-1 :V, 22
62 : VIII,17
32 :V, 16, 13
71 :VIII,17
44 :V, 6, 20
72 :VI, 31
48 :V, 21, 4
77 :VI, 31
52 :V, 21, 13 53 :V, 21, 6 56-58 V, 21, 8 59-63 :V, 21, 19 62-9 :V, 20, 1-2 VIII, 4
2 : III, 5, 2
VI, 3
3 :VI, 33
7 :VI, 9, 23 15 : III, 5, 12 15 : III, 5, 19 VIII, 5
1-35 : II, 49
3 : II,13, 5
VIII, 6
1-76 : III, 8
1 :V, 6, 3
40 :VI, 5
19-28 : III,10
23 :V, 6, 14
44 :VI, 6
34-35 :V, 6, 19
59-61 :VI, 3
49-50 :V, 6, 21
67 :VI, 7
11 : II,13, 12
55 :VI,12, 37 56 :V, 6, 23 IX, 1
III,11
IX, 2
III,11
16-18 : II,14, 1
29-31 :VI, 3
13 : VIII,13
IX, 3
III,11
90 :V, 14, 42
23 :VI, 3
54 :VI,1 100-1 :VIII,13
70 :VI,1
32-37 :V, 21, 17
IX, 4 X, 1
41 :VI,1
II, 43
17-20 :VI, 12, 14 24-25 : III,10
III, 41
24-25 :VI, 7, 7
126 :V, 24 46 -131 : IV, 5
X, 2
III,15
1-4 :VI, 12, 22
X, 3 X, 6
2 : III,16 1 : II, 23
X, 7
21 : III,16
XI, 1
1-3 :V, 17, 13
7 :V, 29
7 :V, 17, 1
14
sq. :V, 29
15-17 : IX, 6 22 : IX, 6
16-17 :V, 17, 6 44 :V, 21, 11 XI, 2
III, 59
2-3 :VI,12, 19-20 1 : II, 24
VI,11
27 :VIII, 20
11-16 : II, 24
XI, 3
III, 59
VI, 8, 1-5
2 : VIII, 21
2-13 :VI, 1, 5-7
5 : VIII, 21
11 : I,1, 1
30 : VIII,11
468 Inst.
sophie conte
A. Valier
L. de Grenade
D. Valadeè s
L. Carbone
C. Reggio
11 :V, 9, 5
30 :VIII, 21
30-31 :VI, 3, 1
43 - 44 :VIII
32 :VI, 3, 1
53 :VIII, 21
33 -9 :VI, 3, 3 - 4
85 :VIII, 26
40-42 :VI, 3, 7
89 :VIII, 26
45 :VI, 7, 1
129 :VIII, 26
45 - 51 :VI, 4, 3 - 4
51 :VI, 3, 8 52-54 :VI, 3, 6 61-65 :VI, 4, 2 82-6 :VI, 6, 1-6 88-91 :VI,7, 12-3 92 :VI, 7, 8 92-116 :VI,6, 1-6 112 :VI, 7, 9 123 :VI, 7, 10 130 :VI, 7, 10 154 :VI, 9, 12 155 :VI, 1, 4 161 :VI, 5, 3 162 :VI, 5, 4 175 :VI, 5, 9 177- 8 :VI, 7, 6 XII,1
1 : I,1
29 :VI, 12, 2
1 : I,1
1 : I, 8
30 : I,12
1 : II,1 4-5 : II, 2 29 -30 : II, 2
XII,10
V, 25
quintilien dans les rheè toriques sacreè es post-tridentines
469
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L AT I N I TAT E S
Christophe
Gutbub
INVENTION ET IMITATION CHEZ QUINTILIEN : D' UNE INVENTION Á A L' AUTRE EN PASSANT PAR PIERRE DE DEIMIER
Le terme
d' û invention ý implique pour nous l' ideèe de nouveauteè.
On sait qu' il n' en a pas toujours eèteè ainsi, comme nous le rappelle Grahame Castor, dans sa Poeètique de la Pleèiade
1
: si le verbe û inventer ý
veut dire aujourd' hui û creèer quelque chose de nouveau ý, il a longtemps eu le sens de û deècouvrir quelque chose d' existant
2
ý. Le passage
de l' ancienne aé la nouvelle signification se produit entre le fin du
xviii
e
xvi
e
et la
sieécle, et le romantisme consomme la disparition de l' an-
cien sens, en meême temps qu' il eèvacue l' invention rheètorique du champ des questions litteèraires. Il est cependant neècessaire de situer cette mutation seèmantique dans son cadre conceptuel deèjaé preèsent chez Quintilien qui, dans son Institu3
tion oratoire, au deuxieéme chapitre du livre X , oppose l' invention aé l' imitation. Le verbe inuenire et le substantif inuentio y prennent leur sens courant, aé distinguer du sens technique qu' ils ont dans la rheètorique
4
º la premieére des cinq parties de la rheètorique, ou officia de 5
l' orateur º, comme l' a signaleè Pernille Harsting .
1
G. Castor, La Poeètique de la Pleèiade : eètude sur la penseèe et la terminologie du
xvi
e
sieécle,
traduction d' Y. Bellenger, Paris, 1998, p. 127 -131, 151-162 et 181-182.
2 Ibidem, p. 181. 3 Quintilien, Institution oratoire,
eèd. J. Cousin, t. VI (livres X-XI), Paris, 1979 (Les Belles
Lettres, Collection des Universiteès de France). Nous renvoyons deèsormais aé cette eèdition et aé la traduction de Jean Cousin, ainsi que pour les autres livres de l' Institution oratoire.
4
é une exception preés. En X, 2, 16, Quintilien parle en effet de û la vigueur de l' ex A
pression et de l' invention ý (uim dicendi atque inuentionis), ou é l' invention est clairement opposeèe aé l' eèlocution, comme premieére des cinq parties de la rheètorique.
5
P. Harsting, û Quintilian, Imitation and `Anxiety of Influence' ý, in Quintiliano :
historia y actualidad de la retoèrica, vol. III, eèd. T. Albaladejo, E. del R|èo, J. A. Caballero, Logronìo, 1998, p. 1325-1336, en particulier p. 1327-1328.
471
472
christophe gutbub
On pourrait se passer, aé la rigueur, du texte de Quintilien pour deèduire les conseèquences seèmantiques d' une telle opposition. Comme objet de l' imitation, l' invention preèceéde celle-ci, et lui est donc anteèrieure. Mais deés lors que l' invention et l' imitation se preèsentent aé un eècrivain comme possibiliteès simultaneèes, la premieére est deètermineèe dans son essence comme posteèrieure ; elle vient apreés ce qui a deèjaé eèteè inventeè ou imiteè, et permet aé un auteur de se deèmarquer de la tradition º de manifester son originaliteè º, graêce aé ce qu' il y introduit de nouveau. C' est cette deuxieéme implication que Pernille Harsting croit deèceler chez Quintilien, qui valoriserait l' invention en mettant l' accent sur l' originaliteè individuelle, la diffeèrence par rapport aé la 6
tradition . Il faut bien dire que ce souci d' originaliteè semble eètranger au deèveloppement que Quintilien consacre aé l' imitation. L' invention n' y appara|êt pas meême comme une innovation, ce qu' un examen attentif 7
du texte montrera . En 1610, dans L' Acadeèmie de l' art poeètique, Pierre de Deimier s' appuie aé son tour sur l' opposition, devenue tradition8
nelle, entre invention et imitation . L' invention est deèsormais deèfinie comme û une nouvelle idee
9
ý. Il nous faudra deècouvrir les conditions
qui ont pu permettre au Franc°ais d' introduire l' ideèe de nouveauteè dans le concept d' invention, dans un cadre conceptuel asymeè trique, axeè, chez Deimier comme chez Quintilien, sur l' imitation.
* L' imitation remonte toujours, dans son objet, aé une invention, et pourtant, celle-ci n' en est pas l' objet propre. En effet, fondamentalement, l' imitation est imitation d' un modeéle. Peu importe la part que l' invention a pu prendre dans son existence ; par rapport aé la relation entre
l' imitateur
et
son
modeéle,
l' opposition
entre
l' invention
et
l' imitation est donc secondaire.
6
P. Harsting, û Quintilian, Imitation ý, p. 1325 -1326. Selon l' auteur, Quintilien ex -
prime ce que Harold Bloom appliquait aux poeé tes romantiques dans Anxiety of Influence (1973).
7
L' argumentation de Pernille Harsting repose sur une comparaison des mots ou
groupes de mots deèterminant ou qualifiant respectivement l' invention et l' imitation. Voir tableau p. 1331, et commentaire p. 1330 -1331. La seèrie caracteèrisant l' invention est laudative, celle de l' imitation peèjorative. Nous ne pensons pas que la reè flexion de Quintilien sur l' imitation puisse eê tre reèduite aé un systeéme binaire de valorisation relative.
8 9
Paris, Jean de Bordeaulx. L' invention est opposeèe aé l' imitation dans le chapitre 9. Ibidem, p. 215.
invention et imitation chez quintilien
473
L' imitation passe d' abord par un modeéle sensible, l' exemplum
10
,
qui peut eêtre une Ýuvre, un discours, comme les peintres peuvent imiter des tableaux (tabulas, X, 2, 6), mais fondamentalement, chez Quintilien, l' objet d' imitation est un auteur ou un orateur. Pour Horace, le modeéle de l' imitation est essentiellement une Ýuvre
11
, tan-
dis que pour le rheèteur, les Ýuvres ne sont que la manifestation contingente des qualiteès (uirtutes) d' un auteur. Le modeéle sensible est donc un exemplum uirtutum (X, 2, 1)
12
, un modeéle de qualiteès. L' ora-
teur acheveè doit en effet s' adapter aux circonstances, bref, se conformer
au
principe
de
l' aptum.
Le
deèveloppement
sur
l' imitation
s' inscrit de surcro|êt dans la viseèe geèneèrale du livre X, qui cherche aé fournir aé l' eèleéve la faculteè d' improvisation (extemporalis facilitas, cf. X, 7, 1, ex tempore dicendi facultas), bref, une seconde nature, une hexis (X, 1, 1 ; voir X, 5, 1). Mais au-delaé du modeéle sensible, l' imitation doit eêtre orienteèe par un modeéle ideèal, que Quintilien deèsigne comme illum oratorem perfectum (X, 2, 9), l' orateur parfait, qui fait eècho aé la fameuse eèvocation, dans
l' Orator
de
Ciceèron,
Panofsky, dans Idea
13
du
summus orator
(II, 7 -
III, 10).
Erwin
, montre que le modeéle ciceèronien se preèsente
comme un compromis entre l' Ideèe platonicienne et la forme aristoteèlicienne, et consiste en une repreèsentation inteèrieure aé l' esprit du peintre ou du sculpteur. Avant d' affirmer qu' il existe un modeé le oratoire ideèal, Ciceèron eènumeére, comme exemples de beauteè acheveèe, un certain nombre d' Ýuvres picturales ou sculpturales (II, 5). Mais lorsqu' il soutient l' existence d' un ideèal oratoire, il accorde incontestablement la preèfeèrence au motif sculptural, aé travers la figure de Phidias (II, 8-9). Le motif de la sculpture deètermine le modeéle ideèal, non pas comme un
10 11
modeéle
d' Ýuvre,
mais
comme
un
modeéle
d' orateur,
et
plus
Inst., X, 2, ½1, 2, 4, 11 et 28. Voir en particulier, pour l' imitation, les vers 128-135. De manieére geèneèrale, le
nom d' Homeére deèsigne plus une Ýuvre qu' un auteur.
12
Le texte dit exactement : ad exemplum uirtutum omnium mens dirigenda. C' est l' ensemble
des auteurs recommandeès dans le premier chapitre qui constitue un exemplum de toutes les qualiteès (uirtutes) qu' il faut acqueèrir. Ici appara|êt deèjaé la perspective eèclectique de l' imitation chez Quintilien.
13
E. Panofsky, Idea : contribution aé l' histoire du concept de l' ancienne theèorie de l' art, tra-
duit de l' allemand par H. Joly, Paris, 1989 (Gallimard, TEL 146), p. 27-48 pour l' Antiquiteè. Erwin Panofsky part du probleéme poseè par le modeéle ciceèronien (p. 27 sq.) pour aboutir aé la formulation de Plotin (notamment Enneèades, I, 6). Sur l' inteèriorisation du modeéle, en particulier dans le motif du deèmiurge-architecte deés Philon d' Alexandrie, voir aussi J. Pigeaud, L' art et le vivant, Paris, 1995, p. 70-74.
474
christophe gutbub
é travers l' image picturale, l' imitation horageèneèralement d' auteur. A tienne tend au contraire vers l' Ýuvre. C' est sans doute aussi l' un des sens du ceèleébre ut pictura poesis (Art poeètique, vers 361). Le sculpteur, en effet, creèe une Ýuvre aé son image, il se repreèsente lui-meême º ce qui ne
veut
pas
dire
qu' il
se
constitue
comme
modeéle º,
meême
s' il
contemple l' ideèe (forma) de Jupiter ou de Minerve (II, 9), et lorsque Ciceèron veut exposer le modeéle d' orateur, il preètend l' imaginer, et donc
aussi le fac°onner (fingere), tout comme une statue qu' aurait
sculpteèe Phidias. Comme pour l' orateur, la ressemblance entre le creèateur et la statue suggeére que l' imitation vise un modeéle de sculpteur plutoêt que d' Ýuvre. L' Ýuvre de Phidias repreèsente meètaphoriquement l' ideèal du summus orator. Le texte de Ciceèron fait appara|être le modeéle ideèal comme une vision de la beauteè qui reèside dans l' esprit du creèateur : ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quaedam
14
; et tandis qu' il la
contemple (intuens) et qu' il fixe son regard sur elle (in eaque defixus), il eètablit un double rapport entre le modeéle d' une part, et de l' autre l' Ýuvre aé venir et le geste de l' artiste (artem et manum, û son art et sa main ý). Du modeéle aé l' Ýuvre s' instaure une relation de similitudo, de ressemblance ; et quand Phidias appliquait au marbre sa main, qui incarne son art, il la dirigeait (dirigebat) en fonction du modeéle. Ciceèron insiste sur le modeéle et le sculpteur. Il laisse de co ê teè le bloc de marbre. Dans le livre II de son Institution oratoire, Quintilien reprend le motif sculptural, aé travers la figure de Praxiteéle, pour discuter le rapport entre la nature et l' art (ars) ou enseignement (doctrina) (II, 19, 3). Il ne revient pas sur la question du modeéle, mais eènonce cette proposition fondamentale : natura materia doctrinae est : haec fingit, illa fingitur
15
. Il
s' agit en effet pour le rheèteur de saisir ce moment ou é la nature se preèsente aé l' art comme une materia, pour que l' art, dans son exteèrioriteè, puisse intervenir sur celle-ci. L' exteèrioriteè de l' art º et donc aussi l' orientation de cet art par le modeéle ideèal º est assumeèe par le praeceptor : c' est lui qui imprime la direction º Ciceèron employait le verbe dirigere pour signifier que l' art de Phidias est soumis aé la contemplation du modeéle º au travail de l' eèleéve, durant toute sa formation
14
16
.
Ciceèron, L' Orateur, eèd. A. Yon, Paris, 1964 (Les Belles Lettres, Collection des Univer-
siteès de France), II, 9 : û c' est dans son propre esprit que reèsidait une vision aé part de la beauteè ý (traduction d' A. Yon, comme les suivantes).
15
û les dons naturels sont le mateèriau par rapport aé l' enseignement ; celui-ci modeéle ;
ceux-laé sont modeleès ý (trad. J. Cousin).
16
Quintilien parle ici du praeceptor. Mais l' Institution oratoire s' adresse au futur orateur
deés son plus jeune aêge, ab infantia, comme le preècise le rheèteur au deèbut de son traiteè
invention et imitation chez quintilien
475
Il est le rector de ce dernier : Rector enim est alienorum ingeniorum atque formator
17
(X, 2, 20).
Son
intervention,
dans
le
premier
chapitre,
est
eètayeèe par les lectures de l' eèleéve qui, elles aussi, servent de guide (rector), de peur que les efforts du futur orateur n' aillent aé la deèrive (fluitare) (X, 1, 2). L' art doit en effet fac°onner une nature, mais il est neècessaire que l' action de l' art ne s' eècarte pas de sa direction. Tout se passe comme si l' eèleéve ne pouvait par lui-meême acceèder au modeéle ideèal, car il ne s' agit pas pour lui de creèer une Ýuvre, mais de fac°onner sa propre nature. C' est ce que l' on tente dans une imitation livreèe
aé
elle-meême º
une
imitation
qui
risque
de
se
cantonner
aé
l' exemplum, modeéle sensible. Elle s' aveére plus difficile que la taêche incombant au praeceptor : Difficilius est naturam suam fingere
18
(X, 2, 20).
Perdant de vue le veèritable ideèal oratoire, l' imitation pourrait bien eêtre d' abord une mauvaise imitation. Quel que soit son mode, l' imitation reste de toute fac°on en retrait par rapport au modeéle ideèal, mais toutes les positions que peut occuper l' imitateur se situent sur un axe orienteè par son ideèal, et correspondant aé un rapport geèneèral d' imitation. Cet axe de l' imitation permet de caracteèriser les unes par rapport aux autres les positions possibles de l' imitateur, le modeéle sensible servant de repeére. L' imitation peut eêtre infeèrieure aé l' exemplum º marqueèe du signe moins (minus) º ou supeèrieure, s' eètant montreèe capable de û faire plus ý (plus facere, X, 2, 10). L' imitation, deés lors que l' imitateur entre en relation avec un exemplum, instaure un rapport geèneèral d' imitation, qu' exprime le verbe imitari (X, 2, 7). Les positions que peut occuper l' imitateur ne font pas directement l' objet de son choix, mais reèsultent de sa viseèe º soit l' exemplum, soit le modeéle ideèal º, et sont tributaires des difficulteès
(Avant-propos, 5). Il faut donc que le ma|être applique, comme les sculpteurs, une prima manus, et ne se contente pas de la dernieére main. Sur l' importance de l' interpreètation aé travers les motifs pictural ou sculpural de l' expression summam imponere manum (chez Quintilien, Avant-propos, 4), voir notre article û Du livre X de Quintilien aé la Deffence de Du Bellay : le motif de la culture et l' imitation entre nature et art ý, Bibliotheéque d' Humanisme et Renaissance, 67-2 (2005), p. 303-308.
17 18
û En effet, c' est lui qui dirige et qui forme les esprits des autres ý. û Il est plus difficile de former sa propre nature ý. La penseè e du rheèteur reèveéle une
dimension fondamentalement peè dagogique, qui ne peut se reèduire aé la contingence du sujet traiteè, celle d' une û institution oratoire ý. Le processus deè crit par Quintilien pourrait s' exprimer en substance dans la proposition suivante, qui doit eê tre aé l' Ýuvre dans la bonne imitation : magister discipuli naturam fingit, û le ma|être fac°onnne la nature de son eèleéve ý.
476
christophe gutbub
inheèrentes
aé
l' imitation º
l' impossibiliteè
d' acceèder
directement
au
modeéle ideèal, et le retrait neècessaire par rapport aé l' objet viseè. Si l' imitateur s' attache aé l' exemplum, il ne peut que le û suivre ý, le verbe sequi
19
º ou la forme intensive consequi
20
º marquant le retrait
fondamental de l' imitateur par rapport aé l' objet de sa viseèe. Mais il peut au contraire û rivaliser ý (contendere) avec le modeéle sensible, s' en faire l' û eèmule ý (aemulus). L' û eèmulation ý (aemulatio)
21
place l' imita-
teur dans une position globalement lateèrale par rapport aé son modeéle, ce qui lui permet, aé partir d' un neècessaire retrait initial, d' envisager aé terme son deèpassement
22
. L' eèmule aussi commence par suivre son
modeéle ; mais comme il se place eègalement de coêteè, l' exemplum vers lequel il tourne son regard ne lui masque pas totalement la vue du modeéle ideèal º en fait, la viseèe qui permet d' appreèhender correctement le modeéle sensible.
19
Sur le sens du verbe sequi, voir notre article û De Quintilien aé Du Bellay ý, p. 292-
293 et 313, et G. W. Pigman III, û Versions of Imitation in the Renaissance ý, Renaissance
Quaterly, 33-1 (1980), p. 1-32, en particulier p. 3, au sujet du De imitatione de Bartolomeo Ricci (1541), qui tente de distinguer trois espeé ces de l' imitation, deèsigneèes respectivement par les verbes sequi, imitari, aemulari. Qu' une telle tentative ait pu rester isoleèe montre seulement qu' elle ne pouvait avoir de valeur technique : il ne s' agit pas tant de subdiviser l' imitation en diffeèrentes espeéces, que d' en deèvoiler les composantes fondamentales. Le verbe sequi exprime par lui-meême ce qui pourrait eêtre rendu par l' adverbe
minus. Voir cependant X, 2, 11 : Adde quod quidquid alteri simile est necesse est minus sit eo quod imitatur [...] (û Ajoutez que toute chose semblable aé une autre est forceèment infeèrieure au modeéle [...] ý).
20 Inst.,
X, 2, 7 : turpe [...] illud est, contentum esse id consequi quod imiteris (û il serait hon-
teux [...] de se contenter de reproduire le modeé le que l' on imite ! ý). Le verbe imitari exprime le rapport geèneèral d' imitation. L' objet de l' imitation n' est pas meê me l' exemplum, mais seulement une partie, id... quod... (que Jean Cousin traduit abusivement par û le modeéle ý). Quintilien emploi le verbe consequi : l' imitateur suit de preés son modeéle, ce qui n' implique pas qu' il atteigne ce qu' il cherche. Le preè fixe con- n' augmente pas, finalement, la proximiteè avec l' exemplum ; il accentue meême le retrait du sequi, d' autant qu' il reprend le preèfixe de contentum. Voir au contraire X, 1, 109, aé propos de l' imitation des Grecs par Ciceèron : quod in quoque optimum fuit, studio consecutus est (û il [...] a [...] atteint par l' eètude ce qui eètait le meilleur en chacun d' eux ý).
21
Dans le deuxieéme chapitre du premier livre, Quintilien conseille de mettre le jeune
eèleéve au contact de garc°ons du meême aêge, pour que lui profite l' aemulatio de l' eècole (I, 2, 21). Pour l' eèmulation, voir aussi, aé propos de la paraphrase, X, 5, 5. Pernille Har sting, û Quintilian, Imitation ý, p. 1329, note 25, critique aé tort le point de vue de Jean Cousin, qui fait de l' eèmulation le û nerf ý de la bonne imitation (Notice preè ceèdant le livre X, p. 60). Elle meèconna|êt l' existence du modeéle ideèal, et rattache l' eèmulation aé l' invention.
22
Voir X, 2, 7 : Nam rursus quid erat futurum, si nemo plus efficisset eo quem sequebatur ?
(û Que serait-il advenu en revanche, si personne n' euêt fait plus que le modeéle qu' il suivait ? ý) ; X, 2, 9 : Sed etiam qui summa non adpetent, contendere potius quam sequi debent (û Mais ceux meêmes qui ne viseront pas les sommets doivent eêre des eèmules, contendere, plutoêt que des tra|ênards, sequi ý).
invention et imitation chez quintilien Le verbe le
plus
imitari
477
se divise en ses deux possibiliteès, celle qui tend vers
º la rivaliteè et l' eèmulation º, et celle du
sequi.
port au modeéle ideèal suppose deèjaé le passage par des
Cela dit, le rap-
exempla,
et donc
un retrait fondamental, en vertu duquel l' imitateur suit son modeéle sensible. Pour faire plus, il faut commencer par se trouver derrieé re l' exemplum. L' injonction aé l' eèmulation s' inscrit dans le retrait du propre aé l' imitation en geèneèral.
Imitari
en soi est deèjaé
sequi
sequi.
* Quintilien ne deèsigne presque jamais le modeéle ideèal, si ce n' est, aé deux reprises, comme terme espeèreè du progreés dans l' histoire de l' art oratoire º
illum oratorem perfectum
(X, 2, 9),
perfectus orator
(X, 2, 28) º,
mais cet ideèal est partout preèsent, constamment supposeè par l' axe du plus et du moins. L' imitateur ne tient pas son regard fixeè sur le
mus orator,
sum-
comme chez Ciceèron. Il lui en couête beaucoup plus, en ef-
forts et en meèdiations. C' est pourquoi l' imitation, comme acceés au modeéle ideèal, suppose une imitation au sens restreint du terme, qui mette l' imitateur en rapport avec son
exemplum.
Ce dernier masque
tant, comme objet de l' imitation, la reèfeèrence aé un modeéle ideèal, que Jean Cousin se montre surtout sensible aé l' û empirisme ý du rheèteur et consideére que le modeéle de l' imitation, dans l' Institution
oratoire,
23
,
se
distingue de l' Ideèe : û Le modeéle n' est pas le beau en soi, mais la reèalisation parfaite dans le genre [...] aé laquelle les gens de gou ê t ont donneè leur adheèsion
24
ý. L' empirisme de Quintilien n' est toutefois que l' en-
vers de son ideèalisme, et signale en meême temps l' impossibiliteè d' un acceés immeèdiat au modeéle oratoire
25
.
L' imitation ne peut eêtre deèfinie, chez Quintilien, qu' au sens restreint du terme. Il n' est pas arbitraire pour autant d' appeler eègalement û imitation ý le rapport qu' entretient l' imitateur avec le modeéle
23
Notice du livre X de l' Institution
24 Ibidem,
perfectus
oratoire,
p. 58.
p. 59. Jean Cousin estime donc que le modeé le deèsigneè comme
(X, 2, 9) est le produit du
iudicium
ille orator
des gens cultiveès. Il est cependant leègitime de
retourner la proposition, dans la mesure oué il n' y a de
iudicium
possible que par rapport
aé un modeéle ideèal.
25
Jean Cousin,
ibidem,
estime qu' en X, 2, 4, Quintilien fait volte-face pour ne pas
s' enfermer dans le û `classicisme' , qui pourrait eê tre un immobilisme suicidaire ý auquel tendrait le canon litteèraire deèfini dans le premier chapitre. Il nous semble au contraire que le rheèteur, dans le modeéle eèclectique qu' il y propose, cet
exemplum uirtutum omnium
(X, 2, 1) qui ne se reèduit pas aé la surface verbale du modeéle sensible, pense que la voie vers le modeéle ideèal reste ouverte. Les reèserves formuleèes dans le deuxieéme chapitre concernent l' imitation au sens restreint du terme, et ne mettent pas en cause les lectures pro poseèes dans le premier chapitre.
478
christophe gutbub
ideèal. L' imitation au sens restreint se preèsente en effet immeèdiatement comme une version deègradeèe de l' autre imitation. C' est pourquoi nous devons partir de nouveau du geste de Phidias tel que le deècrit
Orator ad illius speciei artem et manum dirigebat Ciceèron dans l'
:
[
similitudinem
: le modeéle ideèal]
. La viseèe d' une ressemblance entre l' Ýuvre et
son modeéle fixait la direction que prenait la main et l' art du sculpteur. Au moment oué il donne forme aé la matieére, le sculpteur vise une
similitudo
entre l' Ýuvre et son modeéle. Cette
similitudo
deèfinit
l' imitation en son sens restreint comme en son sens le plus large.
similitudo
C' est la viseèe de cette
qui imprime sa direction (
dirigere
) au
geste creèateur. La deèfinition que donne Quintilien aé l' imitation dans son sens restreint
retient
la
viseèe
de
la
similitudo
(X, 2, 10),
que
Jean
Cousin
comprend comme û identiteè absolue ý. Il est vrai que le substantif reprend le groupe verbal
idem facere [
], û faire la meême chose ý, ce qui est
impossible, tout comme il est impossible aé Phidias de reproduire le modeéle ideèal aé l' identique. Mais la viseèe de la
similitudo
º c' est-aé-dire
de la ressemblance º conduit le sculpteur aé une proximiteè avec son modeéle, tandis qu' elle condamne l' imitateur de Quintilien aé une diffeèrence aveugle. Reprenons le raisonnement du rheè teur : l' imitateur
exemplum similitudo
cherche aé faire la meême chose que l' parvenir aé la ressemblance (
; or il est si difficile de
), que la nature meême n' a pu
simillimae
faire que les choses qui paraissent treés semblables (
pares
sont du meême ordre (
renforceè par
maxime
)
27
)
º dans l'
26
et qui
exemplum
et dans son imitation, nous sommes toujours dans le monde sensible º
discernantur
ne soient distingueèes (
quo
discrimine ali-
) par quelque diffeèrence (
) (X, 2, 10). Autrement dit, de Phidias aé notre imitateur, la diffeè-
rence entre le modeéle et son imitation ne consiste plus simplement dans l' impossibiliteè de reproduire aé l' identique le modeéle ideèal dans le monde sensible, mais dans cette diffeèrence suppleèmentaire qu' intro-
26
tudo
Jean Cousin traduit par û totalement semblables ý, parce qu' il comprend la
simili-
comme û identiteè absolue ý. Deés lors, toute mise en cause de cette identiteè vient rui-
ner l' imitation, condamneèe d' embleèe aé l' eèchec, ce que le rheèteur exprime dans une succession de
Adde quod
(½10, 11 et 12), û qui atteste une certaine haê te de reèdaction ý, selon
Jean Cousin (voir note). Or les trois arguments introduits par
Adde quod
, eètayant les reè-
serves de Quintilien aé l' eègard de l' imitation, sont qualitativement diffeèrents º 1) diffeèrence
aveugle
introduite
par
la
nature, 2)
infeèrioriteè
de
la
copie
par
rapport
au
modeéle, 3) caracteére inimitable des plus grands dons de l' orateur º, et introduisent son deèveloppement sur l' imitation superficielle.
27
Traduction de Jean Cousin : û [qui paraissent] tout aé fait eègales ý. Cela voudrait
dire que
simillimae pares maxime exemplum et
caracteèriser le rapport entre l'
seraient quasiment synonymes. Mais
similis
peut bien
et le modeéle ideèal, contrairement aé l' adjectif
par
.
invention et imitation chez quintilien
479
duit une nature eètrangeére aé la viseèe propre de l' art. L' imitation de l' exemplum est fondamentalement heèteèronome : omnis imitatio facta est
et ad alienum propositum commodatur
28
(X, 2, 11). La viseèe du modeéle
ideèal dans l' Ýuvre seconde ne peut se confondre avec celle qui a orienteè l' exemplum. L' imitation au sens restreint est elle-meême aveugle ; elle se trouve priveèe de la û direction ý (verbe dirigere) que le sculpteur trouvait dans son modeéle. On sait que le ro ê le du rector ne peut eêtre joueè par l' eèleéve, et que cette taêche incombe deèsormais au praeceptor. L' imitation aveugle se confond avec le mimeètisme stigmatiseè par Platon dans le sixieéme livre de la Reèpublique. Quintilien peut reprendre aé son compte la critique platonicienne de l' imitation. Celle-ci est en effet la copie d' une copie
29
. La diffeè-
rence aveugle º horizontale, pourrait-on dire º entre l' exemplum et son imitation s' inscrit eègalement sur l' axe vertical de l' imitation, comme infeèrioriteè de l' imitation par rapport aé l' exemplum
30
.
Dans ces conditions, le futur orateur doit viser les qualiteès (uirtutes) de l' exemplum. Les uirtutes assurent la jonction, chez l' eèleéve, entre la nature et l' art. Par ses qualiteès, l' orateur se preèsente comme natura
ficta : ses dons naturels sont orienteès par le modeéle ideèal du summus oraé l' autre extor. La natura est comme l' assise profonde de l' exemplum. A treèmiteè se trouve la superficie verbale, qui est la manifestation des
uirtutes. La mauvaise imitation se contente de cette superficie, et fait abstraction de la relation que celle-ci entretient avec les qualiteès de l' orateur. Elle s' attache aé une surface qu' elle appreèhende sans discernement (iudicium). Quintilien insiste longuement sur les dangers de
28
4
û toute imitation est artificielle et est subordonneè e aé une finaliteè eètrangeére
de l' original
5
aé celle
ý. Jean Cousin estime utile de preèciser que la finaliteè perdue est celle de
l' original. On pourrait comprendre aussi bien que l' imitation se soumet aé la finaliteè de son modeéle, qui pourtant ne lui est plus accessible. En fait, Quintilien souligne que l' exemplum et son imitation sont heèteèrogeénes, et ne peuvent donc avoir la meême finaliteè ; la viseèe du modeéle ideèal preèsente dans l' original se perd dans son imitation, qui elle meême n' a pas de viseèe propre, enfermeèe qu' elle est dans son mimeètisme.
29
Copie d' une copie, mais non copie au troisieéme degreè, puisque Phidias imite un
modeéle ideèal de beauteè, et non son apparence.
30
Voir X, 2, 11 (c' est la deuxieéme remarque de Quintilien) : Adde quod quidquid alteri
simile est necesse est minus sit eo quod imitatur, ut umbra corpore et imago facie et actus histrionum ueris adfectibus (û Ajoutez que toute chose semblable aé une autre est forceèment infeèrieure au modeéle, comme l' ombre par rapport au corps, le portrait par rapport aé l' original et le jeu des acteurs par rapport aux sentiments authentiques ý). Voir, avec le motif des û si mulacres ý, X, 2, 15 : ... [non] sufficiat imaginem uirtutis effingere, et solam, ut ita dixerim, cutem
uel potius illas Epicuri figuras, quas e summis corporibus dicit effluere (û [il ne faut pas] se contenter de reproduire l' apparence des qualiteès, qui n' en est, pour ainsi dire, que la peau, ou plutoêt ce qui ressemble aé ces figures bien connues, qui, dit E è picure, eèmanent de la surface des corps ý).
480
christophe gutbub
l' imitation
superficielle
(X, 2, 13
et
15-18),
mots, aux pieds, aux nombres, aux styles (
celle
qui
s' arreête
aux
genera dicendi), et en dernier
ressort aé l' exclusiviteè d' un seul modeéle sensible. L' imitation s' inscrit dans un ensemble d' exercices, comme la traduction (X, 5, 2-3) et la paraphrase
31
(X, 5, 4-10), qui semblent s' en
approcher, mais qui par leur finaliteè se situent aé l' extreême opposeè
32
.
Ces activiteès trouvent en effet leur accomplissement dans le texte produit, et non dans le modeéle ; elles tendent donc aé mettre en Ýuvre cette qualiteè fondamentale qu' est la
uarietas
33
. C' est que le futur ora-
teur se trouve, dans ces exercices, aé l' origine du reèsultat produit º ce qui suppose une conception de la traduction radicalement diffeè rente de celle que nous reconnaissons habituellement comme la noêtre º et cherche aé produire un reèsultat varieè. Le chemin que doit parcourir l' imitateur suit d' abord le chemin inverse : il part d' une multipliciteè de formes pour remonter aé l' uniteè ideèale qui les rassemble toutes º du moins toutes celles qu' il consideére comme la manifestation de
uirtutes.
Le besoin d' imiter reèpond aé un sentiment leègitime º geèneèral, et qui appara|êt deés l' enfance
34
, mais aussi deés le commencement de l' his-
toire º, celui de vouloir s' appuyer dans son activiteè creèatrice sur ce qui a eèteè reconnu comme bon º les prouveè chez autrui º les
bona
35
º et sur ce qu' on a ap-
probata (X, 2, 2). D' embleèe, l' humaniteè entre
de ce fait dans l' eére de la ressemblance et de la dissemblance
36
, et ainsi
dans le monde de l' imitation. Le modeéle sensible n' est pas, en effet, disqualifieè comme copie imparfaite d' une ideèe, mais admireè comme manifestation de
uirtutes. Cependant, l' imitation, en soi, suspend l' in-
tervention du ma|être º elle est en quelque sorte une activiteè d' autodidacte,
car
fingere,
il
s' agit
de
û fac°onner sa propre
nature ý
naturam suam
(
X, 2, 20) º, dont ne saurait tenir lieu la simple superficie ver-
exemplum ; il lui faut donc montrer les plus grandes preècaucaute, X, 2, 3), et faire preuve du plus grand discernement (X, 2, 14 : exactissimo iudicio, û le discernement le plus scrupuleux ý). Le iudicium appara|êt comme le principe fondamental qui doit orienter
bale de l' tions
31 32 33
(
illa ex Latinis conuersio (X, 5, 4). Sur la finaliteè de ces exercices, voir X, 5, 11. La
uarietas consiste aé imprimer aé un mateèriau donneè, comme s' il s' agissait de cire,
toutes les formes possibles, et donc aé
le reèveèler comme û matieére ý malleèable. Voir
X, 5, 9, aé propos de l' auto-paraphrase.
34 35 36
Poeètique, 1448b. bona, voir par exemple X, 2, 15. X, 2, 3 : Et hercule necesse est aut similes aut dissimiles bonis simus (û Et certes, il faut que X, 2, 2. C' est ce que disait deèjaé Aristote, Pour les
nous ressemblions ou que nous ne ressemblions pas aé ceux qui ont reèussi ý).
invention et imitation chez quintilien
481
l' imitateur dans son appreèhension de l' exemplum. L' imitateur doit dis-
tinguer dans la superficie verbale les qualiteès (uirtutes) des deèfauts (ui-
tia)
37
une
uirtutes
. Il doit en outre rattacher ces
natura ficta
aé une sorte de nature ideèale,
que partageront, aé tout le moins, le modeéle et l' imita-
teur dans sa production finale, mais qui est en fait û commune ý aé toute forme d' eèloquence :
id imitemur quod commune est
38
(X, 2, 22). La
bonne imitation est donc neècessairement eèclectique, et ne s' enfermera ni dans la speècificiteè de tel ou tel orateur ou auteur ni dans des styles particuliers º les
genera dicendi º
deèpendant des circonstances et reèpon-
dant aé l' impeèratif de l' aptum. Ainsi a pu eêtre constitueè dans le premier chapitre du livre X un canon litteèraire,
exemplum
syntheètique et varieè
qui, par lui-meême, imprime aé l' imitation la direction º en geèneèral deèvolue au ma|être º dont elle se trouve par elle-meême priveèe :
plum uirtutum omnium mens dirigenda
39
ad exem-
(X, 2, 1).
Mais l' imitation ne s' arreête pas aé l' appreèhension correcte du modeéle sensible, elle s' acheéve sur la production de l' imitateur. Ce sont les
uirtutes
meêmes de l' exemplum que l' imitateur met en Ýuvre, repre-
nant le processus creèateur aé sa source, tout en lui joignant l' activiteè d' un ma|être qui fac°onne la nature de son eèleéve º ici, la nature de l' imitateur, mais en meême temps celle du modeéle, dont il perfectionne les
uirtutes,
par adjonctions (adicere), amendements (emendare) et
transformations (mutare) (X, 2, 20). Dans ce double mouvement, de la superficie du modeéle aux
plum
uirtutes
et aé la
natura ficta
º celle de l' exem-
et en meême temps celle de l' imitateur º, et de cette nature au
produit de l' imitation, il est possible de retrouver, dans ce qui les fonde, les neècessaires efforts qu' ont duê fournir les inventeurs.
* é A travers le motif de l' invention, Quintilien cherche d' abord aé contenir l' imitation dans des frontieéres deèfinies
37 38 39
40
. Ce n' est qu' une
Voir X, 2, 15. û imitons donc cet eèleèment commun ý. Nous traduisons : û c' est d' apreés ce modeéle de toutes les qualiteès qu' il faut diriger
l' esprit ý.
40
Quintilien montre une exaspeèration certaine º dont les trois
adde quod
sont peut-
eêtre le signe, plutoêt que d' une haête dans la reèdaction que Jean Cousin impute au rheèteur º aé devoir parler de l' imitation, comme s' il se preê tait de mauvaise graêce aux instances de son eèpoque et de ceux qui ne jurent que par un seul style, dans le sillage de l' orateur qui, aé leurs yeux, l' a illustreè de la manieére la plus eèclatante. Le premier chapitre, consacreè aux lectures, donne l' occasion aé Quintilien de faire cette concession º au sujet d' une imitation qui, cela dit, se preèsentera d' abord comme une mauvaise imita tion. Apreés tout, le deuxieéme chapitre n' est peut-eêtre qu' une parentheése dans un livre
482
christophe gutbub
fois admise la prioriteè dans le temps et la preèeèminence de l' invention, qu' on peut accorder aé l' imitation l' importance qui lui est due, celle d' û une grande partie de l' art ý (artis magna pars, X, 2, 1) : l' invention est anteèrieure (primum fuit) et supeèrieure (praecipuum, le principal), et dans son reèsultat, il peut eêtre utile d' en faire l' objet de l' imitation : ea
quae bene inuenta sunt utile sequi
41
(ibidem).
Ne peut eêtre û deècouvert ý (inuentum) que ce qui se conforme au modeéle ideèal. C' est au sein d' un reègime geèneèral de l' imitation que l' invention, par ses produits que sont les inuenta
42
, s' oppose aé l' imita-
tion des exempla. On pourrait consideèrer que l' inclusion dans l' imitation
du
couple
des
familles
lexicales
de
l' inuenire
et
de
l' imitari
n' entrave pas le libre jeu de leur opposition. Il n' en est rien cependant. Les deux familles s' opposent en effet aé travers une seèrie de deèterminations issues d' autres oppositions. Le verbe inuenire se deèfinit d' abord, dans une quasi-synonymie avec reperire, comme le reèsultat fructueux d' une recherche exprimeèe par le verbe quaerere (X, 2, 5). L' invention, comme û deècouverte ý de quelque chose d' existant, est donc chargeèe de l' effort d' une recherche preèalable. C' est aé ce titre qu' elle est valoriseèe, et qu' elle s' oppose aussi aé la paresse du mimeètisme : Ante omnia igitur imitatio per se ipsa non suffi-
cit, uel quia pigri est ingenii contentum esse iis quae sint ab aliis inuenta
43
(X, 2, 4). L' invention est meèritoire. Elle l' est d' autant plus qu' elle caracteèrise une eèpoque priveèe des faciliteès ulteèrieures. Car l' invention est apparue la premieére (inuenire primum fuit, X, 2, 1), et appartient aé ceux qui sont venus en premier, les priores (X, 2 : 2, 9 et 28). Ces inventeurs que furent les priores se distinguent de leurs successeurs, les posteri (X, 2, 6
et
28).
L' invention
s' oppose
donc
aé
l' imitation
par
une
double meèdiation : celle, morale, qui confronte la pigritia du mimeètisme aé l' effort preèalable du quaerere ; et celle, chronologique, qui fait
consacreè
aé
l' exercitatio.
Car
l' imitation releéve
non
pas
de
l' exercitatio,
mais
de
l' ars
(III, 5, 1 ; cf. ici X, 2, 1) ou de la doctrina, et appara|êt ici dans une eètroite correèlation avec les verbes tradere (X, 2, 5 et 12) et docere (notamment X, 2, 2 et surtout 28).
41
û il n' en est pas moins utile de se modeler (sequi) sur ce qui a eèteè inventeè avec
succeés ý.
42
L' invention s' oppose donc aé l' imitation sous la forme du participe : les inuenta se
proposent aé l' imitatio comme objet possible. En tant que qualiteè (uirtus), l' inuentio (Jean Cousin : û la faculteè d' invention ý) est inimitable : Adde quod ea quae in oratore maxima sunt,
imitabilia non sunt, ingenium, inuentio, uis, facilitas et quidquid arte non traditur (X, 2, 12 : û Ajoutez que les dons les plus grands chez un orateur ne sont pas imitables, le talent, la faculteè d' invention, la force, l' aisance et tout ce que la theèorie ne peut enseigner ý).
43
û Donc, avant tout, l' imitation seule ne suffit pas, ne serait-ce que parce que se con-
tenter de ce que d' autres ont trouveè est une marque de paresse d' esprit ý.
invention et imitation chez quintilien
483
des posteri les successeurs des priores, et que l' on aurait tort de sous-estimer, meême si le couple prior º posterior peut aussi exprimer une diffeèrence de valeur (X, 2, 10)
44
.
La distinction entre les priores et les posteri constitue la matrice fondamentale qui oppose invention et imitation. Dans le texte de Quintilien, elle sert de base aé une comparatio
45
, c' est-aé-dire aé un paralleéle
antitheètique entre illi et nos, eux º deèsigneès par le pronom illi, emphatique, et marquant l' eèloignement dans le temps º et nous (X, 2, 4-6). Quintilien
caracteèrise
les priores
en
deècrivant
neègativement
leur
situation, par soustraction des eènormes avantages dont se voient pourvus les posteri. Les priores ne sont pas encore entreès dans le monde de l' imitation, comme s' il fallait assigner au commencement des arts un temps oué tout n' aurait pas deèjaé commenceè, temporibus illis, dit le rheèteur de manieére vague, û en ces eèpoques lointaines ý (X, 2, 4)
46
. Or
cette situation propre aux uns et aux autres, n' induit pas directement un quelconque jugement de valeur. Les posteri ne sont pas d' embleèe condamneès aé la pigritia, pour autant qu' il ne gaêchent pas leurs atouts. Ceux-ci paraissent consideèrables. Les priores sont en effet rudes, n' ont donc aucune culture, aé l' opposeè des eruditi, et se trouvent ainsi priveès de l' instance directrice des ma|êtres º nullum cuiusquam rei habuerunt ma-
gistrum (X, 2, 6)
47
é deèfaut º et des modeéles º sine exemplo (X, 2, 4). A
de veèritable rector, ils doivent tirer cette instance de la seule nature de leur esprit º sola mentis natura ducti sunt (X, 2, 5)
48
º, par intuition di-
recte º mais laborieuse et imparfaite chez Quintilien º de la repreèsentation interne qu' ils ont du modeéle ideèal. Or les magistri et les exempla sont le ferment souhaitable de la neècessaire eèmulation ; l' exemple des
priores fournit aux posteri un preècieux stimulant, qui doit les û inciter ý (concitare)
49
aé retrouver l' effort des inventeurs, qui ont montreè que le
quaerere pouvait eêtre couronneè par le succeés de l' inuenire (X, 2, 5). 44
Pernille Harsting (û Quintilian, Imitation ý, p. 1329) s' appuie sur ce dernier para -
graphe, pour affirmer que la relation chronologique n' est pas irreè versible. Il n' en reste pas moins que les inventeurs se deèfinissent fondamentalement comme ceux qui sont ve nus les premiers.
45
Voir F. Goyet, û Comparaison ý, dans Vocabulaire europeèen des philosophies : diction-
naire des intraduisibles, eèd. B. Cassin, Paris, 2004, p. 243-248.
46
Les priores, illi, ne sont rien d' autre que ce qui les situe dans le temps, temporibus
illis.
47 48
û [ils] n' ont eu de ma|être pour rien ý. Nous adaptons la traduction de Jean Cousin : û ils ont eè teè guideès par la seule force
naturelle de leur intelligence ý.
49
Voir X, 2, 5 : nos ad quaerendum non eo ipso concitemur, quod certe scimus inuenisse eos qui
quaesierunt ? (û et nous, nous ne serions pas inciteès aé la recherche, meême par la seule raison que nous savons avec certitude qu' ils ont trouveè en cherchant ? ý). Quintilien emploie
484
christophe gutbub
Releègueès dans l' eèpoque abstraite des commencements, les priores sont les inventeurs, c' est-aé-dire les figures mythiques du heèros civilisateur
50
. Pline l' Ancien attribue aé des dieux un certain nombre des plus
grandes inventions
51
, mais mentionne, aux coêteès de Mercure, des heè-
ros, voire de simples mortels, comme inventeurs possibles de l' alphabet
52
. Jean Cousin insiste sur la dimension humaine des inventions
chez Quintilien, dans la ligneèe empiriste preèsente deés le
vii
e
sieécle
avant J.-C., laquelle met l' accent sur le roêle des hommes au deètriment des dons divins
53
. La perspective du rheèteur º qui ne fait pas interve-
nir les dieux º est treés humaine sans doute, bien plus en tout cas que celle de Xeènophane qui, soulignant le roêle des hommes et la dureèe qu' occupe le temps des inventions, ne nie pas pour autant l' intervention divine
54
. Ce n' est toutefois pas cette dureèe qui oppose les priores
aux imitateurs. L' effort suppose certes une dureèe, mais le temps des efforts est reèduit, pour chaque art, aé un pur commencement releègueè
ici le verbe concitare, tandis que le deuxieéme chapitre du livre I, oué le rheèteur conseillait aux parents de confier leurs enfants aux eè coles, faisait appara|être, avec la meême ideèe, le verbe excitare : Excitanda mens [...] semper est (I, 2, 17, û L' esprit a toujours besoin d' eêtre stimuleè ý).
50
Voir Diels-Kranz (H. Diels, eèd. W. Kranz), Die Fragmente der Vorsokratiker : griee
chisch und deutsch, 10 eèd., Berlin, 1960, l' article û p. 183.
L' euÉrety`q
euÉrety`q (prwtoq) ý de l' index, vol. 3, prwtoq eÊ xyuren), voir le fr. 13
est celui qui û a trouveè le premier ý (
d' Orpheèe, vol. 1, p. 12, ligne 18).
51
Histoire naturelle, livre VII, LVI, 191.
52
Ibidem, 192-193. Voir J.-Y. Vialleton, û La vie de Corneille comme moment de la
reèflexion des classiques sur la litteèrature ý, Revue d' Histoire Litteèraire de la France, 106-3 (2006), p. 599-628.
53 54
Notice du livre X de l' Institution oratoire, p. 58-59. û En veèriteè, les dieux n' ont pas tout reèveèleè aux mortels deés le commencement,
mais progressivement, ceux-ci ont trouveè mieux en cherchant ý. Fr. 18, dans Diels-
ou²toi aÊp Ê aÊrjyq pa`nta heoi´ hnytoi s Ê aÊlla jro`nwi zytounteq eÊ feuri` skousin a²meinon. Le fragment est mentionneè
Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, vol. 1, p. 133 :
uÉpe` deixan,
/
par J. Cousin (eèd.), Quintilien, Institution oratoire, livre X, p. 58 et note 1. Voir E è picure, é Heèrodote, 75 : û La nature [humaine] a rec°u maint enseignement de tout genre des choses A elles-meêmes [...] ; [...] ensuite, le raisonnement perfectionne ( turelles et y ajoute sa part d' invention ( nout,
dans
E è picure,
Lettres
aé
prosexeuri` skein)
Heèrodote,
Pythocleés
et
eÊ pakrihoun) ces donneèes na-
[...] ý. Traduction d' Alfred Er-
Meèneèceèe ;
Penseèes
ma|êtresses,
eèd.
A. Ernout, Paris, 2000 ; texte grec dans E è picure, Epistulae tres et ratae sententiae a Laertio Diogene servatae, eèd. P. von der Mu«hll, Stuttgart - Leipzig, 1996 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana) ; citeè par Jean Cousin dans son eèdition de Quintilien, note compleèmentaire aé X, 2, 5 (note 3). E è picure insiste donc bien sur le fait que le temps des in ventions, dans l' origine des langues, est preè ceèdeè de donneèes naturelles ; pour E è picure, la convention, contrairement aé ce que dit Aristote, et aussi Deèmocrite, ne fonde pas le rapè picure aé Heèroport entre les mots et les choses. Voir Jean Salem, Commentaire de la Lettre d' E dote, Bruxelles, 1993 (Cahiers de Philosophie Ancienne 9), p. 80-82.
invention et imitation chez quintilien
485
dans un temps mythique. C' est une telle abstraction que suppose en effet la matrice temporelle du couple
priores º posteri.
Aristote, dans le dernier chapitre de ses
Reèfutations sophistiques,
af-
firme la preèeèminence de l' invention des arts par rapport aé leur deèveloppement ulteèrieur : pour chaque art, le point de deèpart constitue le fondement (archeé), et comme le dit le proverbe latin issu du passage aristoteèlicien, tions
55
facile est inuentis addere,
û il est facile d' ajouter aux inven-
ý. Mais pour Quintilien, il ne faut pas s' arreêter au commence-
ment : il est neècessaire que les efforts consentis dans les inventions º celles des arts º soient poursuivis dans leur deèveloppement (crescere, X, 2, 8), pour lequel ne peut suffire la seule invention (X, 2, 8). Ce sont les meêmes efforts qui sont exigeès ici et laé. Le rheèteur distingue toutefois treés nettement deux moments, et aé l' effort initial neècessaire º sans lequel rien n' aurait eèteè inventeè (X, 2, 4) º doit succeèder le perfectionnement des arts ; on ne saurait en rester aé leur eètat premier º il faut y û ajouter ý (adicere, X, 2, 9) º, ni s' enfermer dans le carcan quasi religieux de la tradition º celui qu' exprimerait un
dem) º,
fas non est
si l' on veut atteindre le modeéle ideèal de l' orateur parfait
56
(ibi.
Dans la litteèrature cependant, le commencement prend d' embleèe de l' eèpaisseur, et il a pour nom Homeére. Pierre de Deimier montre son
55
admiration
Le
proverbe
Schmidt),
pour
latin
cette
est
figure
reèpertorieè
paradoxale
dans
d' une
Walther-Schmidt
maturiteè
deèjaé
(H. Walther,
P. G.
Proverbia sententiaeque latinitatis medii ac recentioris aevi. Nova series,
vol. 7, Go«t-
tingen - Zu « rich, 1983, proverbe 815 ; voir la reèfeèrence au texte aristoteèlicien que donne, au deèbut du
xv
e
sieécle, Prosdocimo de' Beldomandi,
Tractatus de contrapuncto,
rum de musica medii aevi novam seriem a Gebertina alteram collegit,
in
Scripto-
3 vol., Paris, 1864-1869,
vol. 3, p. 193. Pour Aristote, voir chapitre 34, 183b : me`giston ga´r i²swq aÊrjy´ panto`q,
` taton· oÌsw w Ì sper le`getai· dio´ kai´ jalepw ç ga´r kra`tiston tð duna`mei, tosou`tw ç mikro`ta` tato`n eÊstin oÊfhynai. tau`tyq d Ê euÉryme`nyq rÉaçon to´ prostihe`nai ton o³n tw ç mege`hei jalepw kai´ sunau`xein to´ loipo`n eÊstin, eèd. E. Seymour, dans Aristotle III, On sophistical refuta-
tions. On coming-to-be and passing-away. On the cosmos, ley, Cambridge - Londres, 1978 (The
eèd. E. Seymour Forster, D. J. Fur-
Loeb Classical Library
400). Traduction de Jules
Tricot : û Car, sans doute, en toutes choses, c' est, comme on dit, `le point de deè part qui est le principal' , et qui, pour cette raison, est aussi le plus difficile : plus, en effet, ses pos sibiliteès sont riches, plus son eètendue actuelle est faible, et, par suite, plus il est difficile aé voir ; mais une fois deècouvert, on peut plus facilement y ajouter et deè velopper le reste ý (Les
56
Reèfutations sophistiques, t. VI de l' Organon, Paris, 2003). C' est le perfectus orator (X, 2, 9 et 28). Ailleurs (II, 19, 1),
matus orator,
l' orateur acheveè, qui, contrairement au
Quintilien parle du
summus orator
consum-
de Ciceèron, marque
bien le cheminement laborieux que doit accomplir le futur orateur pour parvenir au fa|ête de l' eèloquence. Ce cheminement correspond, pour chaque individu, aé celui de chaque art et de l' humaniteè en geèneèral.
486
christophe gutbub
atteinte dans l' û enfance ý meême de la poeèsie
57
. Homeére n' ouvre pas
seulement la tradition litteèraire, mais constitue le deèbut obligeè de toute liste des meilleurs auteurs (X, 1, 46) ; il est pour Quintilien le commencement gros de tous les deèveloppements qui ont suivi, en particulier dans l' eèloquence (ibidem). Virgile inaugure, symeètriquement, la seèrie des auteurs romains (X, 1, 85). Entre les priores et les posteri, les inventeurs et leurs eèmules, se dessine, dans le premier chapitre du livre X, l' espace d' une comparatio entre les Grecs et les Romains, subdiviseèe en autant de paralleéles antitheètiques possibles, au moins, qu' il y a de genres illustreès aussi bien par les uns que par les autres
58
.
Ce sont les imitateurs cependant qui, avec Quintilien, regardent les in venteurs, auxquels ils reconnaissent leur dette culturelle. La comparaison ajoute ainsi aé l' abstraction du pur commencement la consistance historique de l' opposition entre Grecs et Romains. Si
Homeére
ouvre
la
tradition
litteèraire
º de
l' eèpopeèe
aé
l' eèlo-
quence º, Ciceèron l' acheéve en quelque sorte. Le paralleéle entre Deèmostheéne et Ciceèron reèpond au paralleéle entre Homeére et Virgile. Celui-ci
met
l' accent
sur
l' invention,
celui-laé
sur
l' imitation.
La
comparaison, aé distance, entre les deux orateurs º chacun des deux se trouvant eèvoqueè respectivement dans les listes des auteurs grecs puis romains º
est preèciseèe
(X, 1, 105-112)
59
,
et
dans
reprise
le
deèveloppement consacreè
dans
le
chapitre
suivant
aé Ciceèron
(X, 2, 24-26).
L' orateur romain, que le rheèteur preètend pourvoir opposer aé n' importe lequel des Grecs (X, 1, 105), constitue assureèment un exemplum
57
P. de Deimier, Acadeèmie de l' art poeètique, chapitre 9, p. 233. Le passage de Deimier
est repris de Montaigne, livre II, chapitre 36 (Montaigne, Les Essais, eèd. P. Villey, Paris, 1988, p. 752-753).
58
L' opposition entre inventeurs et imitateurs fournit une matieé re privileègieèe aux pa-
ralleéles antitheètiques. On conna|êt, en France, la ceèleébre comparaison que La Bruyeére a introduite entre Corneille et Racine, dans La Bruyeére, Les Caracteéres, premieére partie, û Des ouvrages de l' esprit ý, remarque 54 (eèd. R. Garapon, Paris, 1990, p. 87-89). C' est le meême motif qui affleure ici, et Voltaire voit dans Corneille un inventeur, que û nous devons [...] regarder du meême Ýil que les Grecs voyaient Homeére ý (lettre du 1
er
mai
1761 aé Charles Pinot Duclos, dans Voltaire, Correspondance, t. VI, eèd. Th. Besterman, Paris, 1980 (Bibliotheéque de la Pleèiade), lettre 6601, p. 370, phrase citeèe par J.-Y. Vialleton, û La vie de Corneille ý).
59 ment
Le passage est en fait consacreè aé Ciceèron. On remarquera la diffeèrence de traiteentre
les
paralleéles
Homeére-Virgile,
nettement
aé
l' avantage
du
poeéte
grec
(X, 1, 46-51 et 85-87) et Deèmostheéneº Ciceèron (X, 1, 76 et 105-112), favorable au dernier. Quintilien preètend, il est vrai, se refuser ici aé une comparaison (X, 1, 105). Il s' agit en fait, non pas tant d' eètablir la supeèrioriteè de l' un par rapport aé l' autre, mais de faire voir leurs roêles respectifs d' inventeur et d' imitateur.
invention et imitation chez quintilien
487
acheveè qui a ses propres posteri, et qui semble incarner l' ideèe meême de l' eèloquence (X, 1, 112), meême s' il ne faut pas le prendre pour modeéle exclusif (X, 2, 24-25)
60
. Deèmostheéne lui semble infeèrieur : son excel-
lence n' est patente que par rapport aux autres Grecs, laisse entendre le rheèteur, et d' autres le surpassent sur certains points (X, 2, 24). Mais c' est lui qu' il faut surtout eètudier (X, 1, 105), car il garde le privileége de l' inventeur, qui est prior, le premier, et û a fait ý son imitateur, dit meême le rheèteur : Cedendum uero in hoc, quod et prior fuit et ex magna parte Ciceronem, quantus est, fecit
61
(X, 1, 108). Ciceèron se distingue en
effet d' abord comme modeéle d' imitateur, ce qui ne l' empeêche pas d' eêtre Grecs
62
un exemplum.
Il
s' est
entieérement
attacheè
aé
l' imitation
des
. Quintilien distingue l' acte d' imitation de son reèsultat. Du
point de vue de l' acte, Ciceèron a su, par art (studio), acqueèrir ce qu' il y avait de meilleur dans chacun de ses modeéles : quod in quoque optimum fuit, studio consecutus est
63
(X, 1, 109). Quant au reèsultat, l' orateur a su
faire en sorte que les qualiteès acquises ne soient plus des alienae uirtutes, mais qu' elles soient suae º en tant que telles, les veèritables qualiteès appartiennent toujours en propre aé celui qui les manifeste º, produit, en dernier ressort, de son propre ingenium et de sa propre feèconditeè (ubertas) : plurimas, uel potius omnes ex se ipso uirtutes extulit inmortalis ingenii beatissima ubertas
60
Quintilien
64
fait
(X, 1, 109). Comme acte creèateur, la bonne imita-
appara|être,
dans
le
deuxieéme
chapitre,
l' exemplum
ciceèronien
comme argument a fortiori en faveur d' une imitation eèclectique.
61
û Mais s' il faut faire une concession, c' est que Deèmostheéne est venu le premier et
que, pour une bonne part, c' est lui qui a fait Ciceèron aussi grand qu' il est ý.
62
X, 1, 108 : se totum ad imitationem Graecorum contul[it] (û [il s' est] attacheè tout entier aé
l' imitation des Grecs ý). Ciceèron a eèteè notamment capable de s' approprier la force (uis) de Deèmostheéne (ibidem). Dans le chapitre suivant (X, 2, 12), Quintilien consideé re que la uis est une qualiteè inimitable.
63 64
û il a atteint par l' eètude ce qui eètait le meilleur en chacun d' eux ý. û c' est de lui-meême qu' il a tireè la plupart de ses qualiteès, ou plutoêt la totaliteè, graêce
aé la bienheureuse feèconditeè (ubertas) de son immortel geènie (ingenium) ý. Jean Cousin traduit : û toutes les qualiteès, ou du moins la plupart d' entre elles ý. Mais Quintilien soutient bien que toutes les qualiteès reconnaissables chez Ciceèron sont devenues sa proprieèteè. Pour l' importance de l' image agricole (cf. ici ubertas) et de la nature chez Quintilien, voir les passages deèjaé mentionneès ; dans le chapitre qui nous occupe, aé propos du rapport entre le ma|être et son eèleéve, X, 2, 19-21 ; sur le rapport entre natura et doctrina, II, 19, 2 (image agricole) ; voir aussi le passage mentionneè par Jean Lecointe dans L' Ideèal et la diffeèrence : la perception de la personnaliteè litteèraire aé la Renaissance, Geneéve, 1993 (Travaux d' Humanisme et Renaissance 275), p. 232-234, oué l' auteur montre, aé travers son expression dans l' image agricole, l' importance de la nature chez Quintilien (II, 4, 4 et 6 -7) ; voir encore F. R. Varwig, Der rhetorische Naturbegriff bei Quintilian. Studien zu einem Argumentationsto pos in der rhetorischen Bildung der Antike, Diss. Francfort, 1974. Les uirtutes ne peuvent pas rester la proprieèteè d' autrui, c' est ce qu' exprime le motif bien connu de l' innutrition (mot d' E è mile Faguet, Seizieéme sieécle, eètudes litteèraires, dans le chapitre portant sur la û doc-
488
christophe gutbub
tion tend aé se confondre avec l' invention, dans leur rapport avec le modeéle ideèal ; d' un autre coêteè, invention et bonne imitation s' opposent aé la mauvaise imitation. C' est avant tout dans le temps que les inventeurs se distinguent des imitateurs. L' opposition entre priores et posteri maintient les concepts d' invention et d' imitation dans leur relation chronologique : la premieére est anteèrieure aé la seconde, et ne constitue donc pas quelque chose de nouveau qui se deèmarquerait d' une tradition deèjaé existante. Quintilien entrevoit cette dernieére possibiliteè
65
, mais ne l' exploite pas.
*
trine litteèraire de Ronsard ý) ; le motif appara|êt chez Quintilien, X, 1, 19 : ut cibos mansos ac prope liquefactos demittimus, quo facilius digerantur, ita lectio non cruda, sed multa iteratione mollita et uelut ut confecta memoriae imitationique tradatur (û s' il faut que les aliments soient broyeès et presque en bouillie, quand nous les avalons, afin de faciliter la digestion, ce que nous lisons ne doit pas eêtre non plus confieè tout brut aé la meèmoire en vue d' eêtre é imiteè, mais, par de freèquentes reprises, doit eêtre malaxeè et, pour ainsi dire, digeèreè ý). A propos de la filiation du motif, on trouve une liste impressionnante de reè feèrences chez G. W. Pigman III, û Versions of imitation ý, p. 8 ; voir aussi P. Galand -Hallyn, Le `Geènie' latin de Joachim Du Bellay, La Rochelle, 1995 (Himeros 11), p. 49-50 ; voir notre article û De Quintilien aé Du Bellay ý, p. 296-297.
65
X, 2, 5 : Cur igitur nefas est reperiri aliquid a nobis, quod ante non fuerit ? (û Serait-ce un
crime (nefas) de deècouvrir ce qui n' a pas existeè avant nous ? ý). Il faut reconna|être ici, dans notre propos, un incontestable embarras, qui est l' eè cho de l' ambivalence certaine que montre Quintilien par rapport aé l' imitation. Nous avons pu eècrire, en note, que Jean Cousin avait tort lorsqu' il voyait dans le chapitre 2 comme un coup d' arreêt aé l' enfermement dans la tradition auquel semblait conduire le chapitre preè ceèdent. Non, Quintilien n' est ni contre la tradition ni contre l' imitation. Ce qu' il dit de neègatif sur l' imitation concerne speècifiquement la mauvaise imitation. Du coup, comme acte creèateur, l' imitation º c' est-aé-dire la bonne imitation º se confond avec l' invention. Et pourtant, Quintilien oppose bien imitation et invention. Peut -on s' en sortir en preètendant simplement que l' imitation ne s' oppose aé l' invention que comme mauvaise imitation ? et qu' ainsi, dans le couple inventionº imitation, il y avait une possibiliteè º celle d' introduire une ideèe de nouveauteè º que Quintilien n' exploitait pas ? Il y aurait quelques nuances aé apporter, si l' on tient compte de certaines formules de Quintilien. L' imitation est û une grande partie de l' art ý (artis pars magna), ce qui veut dire qu' elle n' est pas tout l' art (X, 2, 1). L' invention appara|ê t bien comme une limite qui s' impose aé l' imitation, et c' est dans ce sens qu' elle intervient au deè but du chapitre. Cette limite s' impose eèvidemment aé l' eèpoque des priores º dans leur deètermination mythique º, puisque rien n' aurait eèteè inventeè si l' on s' eètait contenteè d' imiter (X, 2, 4). Mais aussi ensuite, dans le temps du crescere : l' imitation seule, est-il preèciseè, ne saurait suffire (X, 2, 8). L' ideèe est la suivante : on ne saurait se contenter de ce que nous donne la tradition, et l' imitation reèduite aé elle-meême nous enferme dans la tradition. Voici la difficulteè : il y a bien une imitation au sens geèneèral, qui consiste dans le rapport de l' imitateur avec le modeéle ideèal ; il est incontestable, cela dit, que Quintilien tend aé restreindre l' imitation aé une mauvaise imitation º que tous les efforts pour deèfinir l' imitation ameénent en fait aé deèfinir une mauvaise imitation º, puisque nous sommes priveès d' une intuition directe du modeéle ideèal, et qu' il faut bien en passer par les exempla. Ce qui appara|êt comme une bonne imitation reèsulte de ce qu' on ajoute, aé la tradition º le crescere est bien une addition (X, 2, 9) aé la tradition du premier eètat d' un art º et aé l' imi-
invention et imitation chez quintilien
489
La manieére dont Pierre de Deimier, en 1610, dans son Acadeèmie de l' art poeètique, introduit le couple lexical de l' invention et de l' imitation, reèunit les conditions pour attacher aé l' ideèe d' invention celle de nouveauteè. L' auteur adopte cependant deés le premier chapitre la perspective meême de Quintilien : le progreés de la poeèsie, comme celui des arts en geèneèral, reèside dans son perfectionnement. Dans le cadre de cette perspective historique se trouve exposeè e, dans la deèfinition que Deimier donne de la poeèsie, une premieére seèrie de termes, celle des concepts de nature et d' art : û poesie est un don de nature,
perfectionneè
de
l' art ý
(p. 1).
Les
autres
seèries
apparaissent
eègalement dans ce chapitre : la deuxieéme commence par l' invention, suivie de six autres qualiteès, qui sont d' ordre formel (p. 20-21). L' invention, dans cette seèrie, est manifestement la premieére des parties de la rheètorique, parties que l' auteur reprend aé son compte, au chapitre 9, dans la tripartition plus traditionnelle de l' invention, de la disposition,
et
de
l' eèlocution
(p. 221).
La
troisieéme
seèrie
valorise
l' imitation par rapport aé l' invention (p. 22). Deimier pense les trois seèries lexicales ou conceptuelles dans une parfaite correèlation :
l' invention qui
s' oppose
aé
l' imitation
est
en
meême temps la premieére qualiteè d' un poeéme, ou la premieére partie de la rheètorique
66
, et penche du co ê teè de la nature. Le furor poeètique
tation º preècautions, roêle indispensable du iudicium (X, 2, 3 et 14). Cette addition vient corriger, par conseèquent, l' imitation, qui semblait se deè finir comme mauvaise imitation. La question est la suivante : cette addition ou cette correction º aé une imitation priveèe de rector º peut-elle encore s' appeler imitation ? Non, semble d' abord dire Quintilien, qui oppose, au deèbut du chapitre, les inventeurs aux imitateurs, puis tend aé deèfinir l' imitation (idem facere) comme mauvaise imitation. Oui, lorsqu' on envisage ce que peut eê tre une bonne imitation º comme nous l' avons fait ici, suivant le mouvement meê me du chapitre, de la mauvaise aé la bonne imitation, au sujet de laquelle Quintilien finit par dire : tum uere imitabimur (X, 2, 27 ; nous traduisons librement : û alors nous pourrons vraiment eêtre appeleès des imitateurs ý). Il faut sans doute introduire ici l' esquisse d' un scheèma historique ternaire, et non plus binaire. D' abord, les priores, inventeurs, historiquement les Grecs, par exemple Homeére ou Deèmostheéne ; ensuite, leurs posteri, les bons imitateurs, Ciceèron ; enfin la posteèriteè de ces derniers, aé l' eèpoque meême de Quintilien, menaceèe par la deècadence et l' enfermement scleèrosant dans la tradition (X, 2, 8), mauvais eèleéves, et mauvais imitateurs. C' est le sens de la phrase finale du chapitre (X, 2, 28) : Nam erit haec quoque laus eorum, ut priores superasse, posteros docuisse dicantur (û Car on les louera toujours [qui adhuc summi sunt, ceux qui sont aujourd' hui encore les plus grands] d' avoir surpasseè leurs devanciers et formeè leurs successeurs ý). On y entend la question sur laquelle pointe Pernille Harsting (û Quintilian, Imitation ý) : que faire apreé s Ciceèron ? quelle place nous laissent nos preèdeècesseurs ? Ceux-ci, pour autant, ne sont pas les inventeurs, mais les bons imitateurs.
66
Boccace, dans sa Genealogie deorum gentilium (livre XIV, chapitres 7 et 8), amorce
cette unification entre les deux inventions, alors meê me qu' il ne parle pas d' imitation (dans G. Boccacio, Tutte le opere, eèd. V. Branca, t. VII et VIII, vol. 2, Milan, 1998 ; tra -
490
christophe gutbub
joint en effet invention et nature, et le poeéte riche en dons naturels est en meême temps riche en û inventions ý, contrairement aé celui qui n' est conduit que par l' art (p. 13). Chez Quintilien, l' opposition entre nature et art correspond plus ou moins º du moins dans le temps º aé l' opposition entre invention et imitation. Mais l' invention comme objet de l' imitation ne peut eêtre en meême temps la premieére partie de la rheètorique : c' est toute la critique de l' imitation superficielle qui se trouverait ruineèe, puisque le mauvais imitateur s' attache aé tort aé la superficie verbale, et que sa pigritia tend aé se reposer sur la superficie de l' exemplum. Le traiteè du rheèteur exclut une telle identification, et en meême temps la contient peut-eêtre en germe. Le point crucial est le suivant : l' invention doit eêtre û matieére ý aé imitation, et l' invention, dans son autre sens, doit eêtre la û matieére ý des autres parties de la rheètorique. Chez Quintilien, l' imitateur peut bien trouver son objet, mais non pas aé proprement parler sa matieére dans les inventions, car il est aé lui-meême sa propre matieére º aé travers ses dispositions naturelles º, ou, comme eèleéve, la matieére que doit informer son ma|être. Et la bonne imitation n' est possible que dans le cadre d' une homogeèneèiteè entre la matieére de l' inventeur et celle de
duction franc°aise dans G. Boccaccio, La geèneèalogie des dieux pa|ëens, livres XIV et XV : un manifeste pour la poeèsie, eèd. Y. Deleégue, Strasbourg, 2001 ; voir J. Lecointe, L' Ideèal et la diffeèrence, p. 270-271). Par inventio, Boccace entend, dans le chapitre 7, les û inventions eè trangeéres et inconnues ý (peregrinas et inauditas inventiones) que le poeéte, dans son fervor, son û effervescence ý (Jean Lecointe) ou son û bouillonnement ý (Yves Deleé gue), fait sortir û du sein de Dieu ý (ex sinu Dei) (texte de V. Branca, p. 1398, traduction d' Y. Deleé gue, p. 42). Le terme d' inventio renvoie par ailleurs, dans le chapitre suivant, au mythe des in venteurs º et par conseèquent, de manieére implicite, aé
l' antonymie inventioºimitatio,
aé l' origine de la poeèsie dans le cadre du culte rendu aé la diviniteè ; l' invention tend aé la nouveauteè, inscrivant la poeèsie dans le perfectionnement des pratiques cultuelles ; ainsi Orpheèe de Thrace º meême s' il ne fut pas le premier poeéte º a û inventeè ý (adinvenire, û ajouter une invention ý) les bacchanales et û beaucoup innoveè en ce qui concerne les sacrifices
des
anciens ý
(multa circa veterum sacra innovavit, p. 1408, traduction p. 46). En
meême temps, dans la poeèsie, l' invention s' oppose aé l' eèlocution (chapitre 7), comme en atteste le couple invenireºdicere (scribere), car la poeèsie est û le bouillonnement qui pousse aé trouver des inventions exquises, puis aé dire ou eècrire ce qu' on a inventeè ý (fervor quidam exquisite inveniendi atque dicendi, seu scribendi quod inveneris). Les inventions poeètiques s' apparentent aé ce titre aux inventions rheètoriques (Habet enim suas inventiones rhetorica, û La rheètorique a elle aussi ses inventions ý) º et s' en distinguent toutefois radicalement, car seule la poeèsie a pour taêche de û couvr[ir] la veèriteè d' un voile de fables et de deècence ý (velamento fabuloso atque decenti veritatem contegere) (texte p. 1398 et 1402, traduction p. 42 et 44). Cela dit, Boccace suggeére d' autant plus facilement l' identification des deux in ventions qu' il ne l' explicite pas : les inventions poeè tiques ne se confondent pas avec les inventions rheètoriques, et les inventeurs en matieére de culte et de poeèsie ne sont pas opposeès aux imitateurs.
invention et imitation chez quintilien
491
l' imitateur, homogeèneèiteè qui permet aé celui-ci d' acceèder aux uirtutes de celui-laé. Quant aé savoir si l' invention, au sens rheètorique du terme, constitue la matieére des autres parties de la rheètorique, la question est beaucoup plus deèlicate. La rheètorique antique ne regorge pas de deèfinitions de l' invention
67
, dont la preèsentation suffit aé faire comprendre
le concept. Pour Quintilien, l' invention n' est pas non plus la matieé re de la rheètorique, car celle-ci se situe en dec°aé de la rheètorique en geèneèral, et l' invention º notamment les argumenta persuasibilia, les û arguments persuasifs ý º releéve deèjaé de l' art (II, 21, 1). Mais si le rheèteur preècise ensuite le sens de cette materia, comme omnes res quaecumque ei ad dicendum subiectae erunt Gorgias de Platon
69
68
(II, 21, 4), il remarque, en s' appuyant sur le
, que la û matieére ý reèside dans les res, par opposi-
tion aux uerba (ibidem), laé meême ou é il situe l' invention. Que l' invention soit quand meême une sorte de û matieére ý pour les autres parties de la rheètorique, c' est ce que Quintilien ne dit pas, mais suggeére dans l' avant-propos du livre VII. Il s' agit pour le rheèteur de montrer la neècessiteè de la disposition comme deuxieéme partie de l' art oratoire, apreés l' invention. L' articulation entre inuentio et dispositio est preèsenteèe aé travers une image architecturale (livre VII, pr. 1) qu' on reé vrai dire, le mot matetrouve chez Deimier (chapitre 9, p. 224-225). A ria n' est pas pris dans le sens abstrait qu' il a au livre II, mais comme û bois de construction
67
70
ý, intervenant au meême titre que les saxa (les
Tout au plus Quintilien (II, 15, 13) fait-il appara|être la deèfinition que donne Aris-
tote de la rheètorique (Rheètorique, livre I, 1355b) º qu' il rejette par ailleurs, dans la me sure ou é elle s' appuie sur l' eèleèment contingent de la persuasion º comme une deèfinition de l' invention : Rhetorice est uis inueniendi omnia in oratione persuasibilia. Qui finis et illud uitium, de quo supra diximus, habet, et insuper quod nihil nisi inuentionem complectitur, quae sine elocutione non est oratio (û La rheètorique est le pouvoir de trouver tout ce qui, dans un dis cours, est de nature aé persuader. Cette deèfinition a aussi le deèfaut dont nous avons parleè ci-dessus ; de plus, elle limite l' art aé la seule invention, qui, sans l' eèlocution, ne constitue pas le discours ý). Le rheèteur remarque par ailleurs que l' articulation entre l' invention et l' eèlocution repose sur l' opposition entre res et uerba (III, 3, 1). On trouvera une veèritable deèfinition º la meême º de l' invention, qui consiste aé trouver dans son esprit (excogitatio) les arguments adeèquats, dans la Rheètorique aé Herennius (livre I, II, 3) et chez Ciceèron, dans le De inuentione (livre I, VII, 9) : Inuentio est excogitatio rerum uerarum aut ueri similium quae causam probabilem reddant (û L' invention consiste aé trouver (excogitatio) les arguments vrais ou vraisemblables, propres aé
rendre
notre cause convaincante ý,
traduction de
Guy
Achard, dans Ciceèron, De l' Invention, eèd. G. Achard, Paris, 1994 (Les Belles Lettres, Collection des Universiteès de France)).
68 69 70
û tous les sujets sur lesquels elle sera appeleèe aé parler ý. 454b. Par opposition aé lignum. Voir Ernout-Meillet (A. Ernout et A. Meillet), Dictionnaire e
eètymologique de la langue latine : histoire des mots, 4 eèd., Paris, 2001, articles materies et lignum.
492
christophe gutbub
û pierres ý), et tout le reste (cetera) dans la constitution de ce qui se preèsente bien comme une sorte de û mateèriau ý, accumuleè de manieére deèsordonneèe, justifiant l' intervention de la dispositio. L' invention semble donc bien appreèhendeèe, finalement, comme une matieére. Deimier fait de l' invention º dans ses deux sens º la matieére de l' imitation. On imite bien des Ýuvres chez Deimier, et les Ýuvres d' imitation se distinguent des Ýuvres d' invention. Justifier l' imitation, c' est justifier l' Ýuvre d' imitation : û un poe«me ne manquera pas d' estre du tout bon, combien qu' il soit faict aé l' imitation d' un autre ý (chapitre 1, p. 22). La perspective globale traceèe par Quintilien est soumise aé un infleèchissement horatien, qui place l' Ýuvre au centre du travail d' imitation, et donne comme objet privileègieè, aé l' imitateur, la matieére homeèrique (chapitre 9, p. 228-239). Chez Horace
71
, l' imita-
teur s' appuie sur la matieére deèjaé fournie par l' invention d' Homeére, et en meême temps, l' imitation modifie cette matieére, la rendant û priveèe ý, de û publique ý qu' elle eètait. Cette modification de la matieére suppose chez l' imitateur une part de liberteè, en vertu de laquelle il doit eèviter de s' attacher de trop preés aussi bien au sujet qu' aé la litteèraliteè du modeéle, ne suivant pas un chemin aé la fois banal (uilis) et trop ouvert (patulus), et ne se montrant pas trop servile º comme l' est le fideéle interpreéte (fidus interpres) º par rapport au modeéle. L' Ýuvre de l' inventeur se trouve reèduite aé une matieére, et le travail de l' imitateur prend place dans l' espace ouvert entre cette matieére et l' Ýuvre finale. C' est dans cet espace que vient se loger, chez Deimier, l' invention, qui appara|êt comme quelque chose de nouveau, diffeèrent de ce qui est contenu dans la matieére initiale. L' invention et l' imitation ne sont plus alors des cateègories eètanches, mais la premieére devient un eèleèment constitutif de la seconde. L' Ýuvre d' imitation se preèsente comme une pluraliteè de û conceptions ý, les unes issues du modeéle, les autres ajouteèes par l' imitateur, ces dernieéres devenant aé ce titre ses û inventions ý. Une telle opeèration suppose que Deimier s' affranchisse de la correèlation entre les trois seèries de termes sur laquelle s' appuie pourtant son traiteè ; aé cette fin il lui faut redeèfinir l' invention rheètorique, dans un sens qui s' accorde avec ce qu' il entend sous le mot de û conception ý. Il nous est neècessaire, par conseèquent, de revenir aé l' horizon de sa penseèe.
71
Art poeètique, vers 131-135. Le passage est souvent rapporteè aé tort, au
xvi
e
sieécle, aé la
question de la traduction ; voir sur cette question G. P. Norton, The Ideology and Language of Translation in Renaissance France and their humanist antecedents, Geneéve, 1984 (Travaux d' Humanisme et Renaissance 201), p. 57-110.
invention et imitation chez quintilien
493
Pierre de Deimier annonce, comme on l' a fortement souligneè, le classicisme, dont il exprime bon nombre d' eèleèments doctrinaux, sans rejeter pour autant l' ancienne eècole poeètique, celle de Ronsard ou de Desportes
72
.
Il
insiste sur
l' importance
des
û reégles ý
(par exemple
p. 13), et fustige le recours aé la û licence poeètique ý (chapitres 6 et 7). Contrairement aé Ronsard, Deimier consideére que le poeéte dispose de l' outil
linguistique
adeèquat,
aussi
bien
pour
la
versification
(cha-
pitre 2), que pour le lexique (chapitres 14 et 15). Les temps de la neèologie sont reèvolus
73
, et le poeéte ne se voit plus assigner pour taêche de
forger une nouvelle langue
74
. Deimier tend ainsi aé reèsorber, sans la
supprimer, la distance º que Du Bellay cherchait au contraire aé creuser
75
º entre l' invention et l' eèlocution. Le terme de û conception ý
º qui revient constamment sous la plume de l' auteur º implique justement une telle proximiteè entre les mots et les choses ; aé vrai dire, il joue un roêle fondamental dans la penseèe du Franc°ais ; et ainsi que le souligne Jean Lecointe, Deimier doit eêtre consideèreè comme l' un des jalons majeurs dans l' histoire du conceptisme franc°ais
76
. Malgreè le
lien eètroit qui les unit, la û conception ý ne rassemble pas les mots et les choses pour former une entiteè indiffeèrencieèe : elle est d' abord une vue de l' esprit anteèrieure aé son expression, et l' on tendra soit vers l' expression juste des choses, comme dans le classicisme, soit vers le tour ingeènieux de l' esprit, le concetto, la û pointe ý eèpigrammatique, qui regarde vers le baroque
77
, meême si, aé cet eègard, Deimier fait
preuve d' un conceptisme tempeèreè
72
78
.
Nous ne connaissons d' autre monographie sur Deimier que celle de P. Colotte,
Pierre de Deimier, poeéte et theèoricien de la poeèsie (Avignon, vers 1580- ?, apreés 1615) : sa carrieére aé Paris et ses relations avec Malherbe, Gap, 1953. L' auteur en reste le plus souvent aé des hypotheéses d' ordre biographique. Comme Ferdinand Brunot (La Doctrine de Malherbe, d' apreés son Commentaire sur Desportes, theése, Paris, 1891, p. 574-577 ; voir aussi Histoire de la langue franc°aise des origines aé nos jours, t. III, premieére partie, û La formation de la langue classique 1600-1660 ý, Paris, 1966, p. 16), il cherche aé voir dans le traiteè de Deimier l' expression de la doctrine de Malherbe.
73
Voir R. Lebeégue, û Deèpeèrissement et mort du neèologisme ý, Cahiers de l' Association
internationale des eètudes franc°aises, 1973, p. 31-44.
74
Deimier se sert des adjectifs employeès par Du Bellay pour caracteèriser la langue deè-
sireèe, une langue û riche ý et û copieuse ý : û nostre langue est assez riche et copieuse de bons mots aé l' endroit de ceux qui la connoissent bien ý (p. 433).
75
Voir notamment Deffence, I, 5.
76
J. Lecointe, û In cauda venenum. Montaigne et la formation du conceptisme fran -
c°ais ý, Montaigne Studies : an Interdisciplinary Forum, 18 (2006), p. 137-152, en particulier p. 150-151.
77
Voir J. Lecointe, û In cauda venenum ý, p. 139, sur le caracteére double de la û concep-
tion ý, qui û est donc bifrons ý.
78
Voir p. 276, et J. Lecointe, û In cauda venenum ý, p. 151-153, sur le û second concep-
tisme franc°ais ý.
494
christophe gutbub
Nous
voudrions montrer
comment
Deimier tend vers
la
nou-
veauteè sans jamais deèroger aé l' ideèe, essentiellement û classique ý, que la surface verbale du poeéme doit continu ê ment s' aveèrer adeèquate aux choses. L' opeèration est meneèe dans le chapitre 9. Au deèbut de son traiteè, Deimier avait clairement valoriseè l' art par rapport aé la nature, et aussi les six dernieéres qualiteès du poeéme, ainsi que l' imitation en geèneèral, par rapport aé l' invention. Le chapitre 9, au contraire, semble inverser l' eèchelle des valeurs, et place l' invention au premier plan. Deimier part du proverbe tireè d' Aristote, û il est facile d' ajouter aux choses inventees ý (p. 209), et deènonce la proposition eènonceèe par Teèrence, selon laquelle le champ des inventions serait eèpuiseè
79
. L' invention est toujours possible au sein
meême de l' imitation, mais il faut redeèfinir l' invention. Deimier s' appuie sur la deèfinition ronsardienne pour lui apporter des corrections successives. Il reprend d' abord la proposition de Ronsard : L' invention n' est autre chose que le bon naturel d' une imagination concevant les idees et formes de toutes choses, qui se peuvent imagi ner tant terrestres que celestes, animees ou inanimees pour apres les re presenter, descrire ou imiter (p. 215)
80
.
Premier point corrigeè : l' invention n' est pas un û naturel ý, celui de l' û imagination ý, elle n' est pas, de manieére geèneèrale, une faculteè, mais son effet : û il ne monstre pas le vray estre de l' invention : parce qu' au lieu de la d' escrire comme un effect de l' esprit [...], il la represente comme cause premiere qui forme et conc°oit les idees ý (p. 216). Ensuite, l' invention n' est pas simplement une ideèe, mais une û nouvelle idee ý : û si ce que l' esprit se represente, ne se forme sur quelque idee ou representation nouvelle il ne sera point invention : mais bien seulement une conception commune et generale ý (p. 218)
79
81
.
û [Le poeéte] ne doit point estimer recevable en toutes choses ceste autre opinion
d' un certain poe«te latin, qui chante. Que rien ne se dict qu' il n' ait esteè dit autrefois ý (p. 209-210). Teèrence, Eunuque, vers 41 : Nullum est iam dictum quod non sit dictum prius.
80
Voir P. de Ronsard, Abbregeè de l' Art poe«tique franc°ois, dans P. de Ronsard, Üuvres
compleétes, eèd. P. Laumonier, t. XIV, Paris, 1949, p. 12-13.
81
L' invention est une û ideèe nouvelle ý, et non pas simplement une ideèe, telle est ap-
paremment la correction deècisive que Deimier apporte aé la deèfinition de l' invention par Ronsard, faisant bon marcheè de ce que celui-ci suggeèrait sans le dire expresseèment º comme nous l' a fait treés justement remarquer Jean Lecointe. Il nous faut donc eè claircir l' originaliteè de Deimier. Ronsard pouvait deèjaé trouver chez Boccace ce qui faisait de l' invention, deèsormais, quelque chose de nouveau. Mais l' application rigoureuse du cadre rheètorique aé la poeèsie º ce qui n' est pas le cas chez Boccace º et notamment de l' antonymie inventionº imitation, constituait un facteur reè gressif : l' invention ne pouvait deèsormais eêtre nouvelle que dans la mesure eètroite permise par l' imitation. C' est pour-
invention et imitation chez quintilien
495
Une fois que l' invention rheètorique se trouve redeèfinie comme û nouvelle idee ý, il reste aé la situer par rapport aux autres parties de l' art oratoire. L' invention est comprise º û incorporee ý (p. 224) º aé la fois dans la disposition et dans l' eèlocution. Ronsard avait annonceè le mouvement, aé la fin de sa deèfinition de l' invention citeèe par Deimier : û la disposition suict l' invention mere de toutes choses comme l' ombre fait le corps ý (p. 216)
82
. Mais l' essentiel de l' argumentation
est repris de Peletier : Ces trois parties s' aiment, et se favorisent parfaictement par tous les endroits d' un poe«me. Car l' invention est d' une telle digniteè, que mesmes, elle est incorporee en la disposition, puis qu' il y a tousjours de l' invention aé bien disposer les subjects ; comme aussi il y en a en l' elo cution, veu qu' en l' arrangement des mots et des termes, et au chois d' iceux, l' esprit y paroit non moins inventif qu' industrieux (p. 223 224)
83
.
Dans cette articulation entre les trois parties de la rheètorique, que Deimier exprime plus loin aé travers la meètaphore architecturale esquisseèe par Quintilien (p. 224-225), l' invention intervient surtout aé travers le seéme de nouveauteè qui lui est deèsormais attacheè ; mais l' invention reste aussi une û conception ý, fuêt-elle nouvelle, et entre celleci et son expression, le lien se trouve renforceè.
quoi le propos de Deimier ne peut passer simplement pour de l' ergotage, et de ses deux objections º l' invention n' est pas une faculteè, mais son effet, et elle n' est pas seulement une ideèe, mais une ideèe nouvelle º, c' est finalement la premieére qui est deèterminante. Cette faculteè qu' est l' invention, Ronsard l' appelle un û bon naturel ý, et chez les û poeé tes divins ý, elle proceéde de Dieu (Art poeètique, p. 4-5), comme chez Boccace. Cela, Deimier ne peut l' admettre. Sa perspective historique qui, en dernier ressort, deè coule d' une terminologie heèriteèe de la rheètorique, ne l' y autorise pas. Deimier prend acte, dans toute leur rigueur, des implications de cette terminologie pour en tirer la conclusion suivante : s' il doit y avoir de la nouveauteè, celle-ci se situe neècessairement dans le champ de l' art, de l' imitation et de l' eèlocution, dans la mesure oué ces trois termes constituent le poêle vers lequel tend le devenir historique.
82 83
Voir P. de Ronsard, Art poeètique, p. 13. Voir J. Peletier du Mans, Art poeètique (1555), dans Traiteès de poeètique et de rheètorique
de la Renaissance : Seèbillet, Aneau, Peletier, Fouquelin, Ronsard, eèd. F. Goyet, Paris, 1990 (Le Livre de Poche 6720), p. 252. Pour la filiation conceptuelle, celle qui passe par l' eè cole poeètique de Padoue, Giason Denores (commentateur de l' Art poeètique d' Horace), Peletier, Ronsard et Deimier, voir J. Lecointe, outre l' article û In cauda venenum ý, L' Ideèal et la diffeèrence, p. 481 sq. ; M. Jourde et J.-Ch. Monferran, û Jacques Peletier, lecteur de Giason De nores : une source ignoreèe de l' Art poeètique ý, Bibliotheéque d' Humanisme et Renaissance, 66-1 (2004), p. 119-132 et en particulier p. 131 ; L. M. Gay, û Sources of the Acadeèmie de l' art poe«tique of Pierre de Deimier : Peletier du Mans ý, Publications of the Modern Language Association of America, 37-3 (1912), p. 398-418, en particulier p. 412-414.
496
christophe gutbub
Au chapitre suivant, Deimier compare le poeéte, qui exprime ses conceptions, au peintre º le motif pictural marquant bien la preèsence horatienne º qui doit û representer au naturel les images qu' il s' est figureè en son ame ý, et en conclut : û telle sera la conception, telle sera la disposition et les qualitez du poe«me ý (chapitre 10, p. 260-261). L' invention ne s' introduit pas seulement comme nouveauteè dans la spheére de l' imitation, mais bien aussi parce que cette dernieére s' accompagne de nouvelles û conceptions ý, graêce aé la proximiteè entre les parties de la rheètorique. L' invention reste en effet une û conception ý, du coêteè des choses, comme il appara|êt, au chapitre 9, dans la deèfinition de Deimier : l' invention est une nouvelle ideèe que l' esprit se forme sur la contemplation et image de quelque chose soit spirituelle ou corporelle, pour apres la representer parfaictement soit au moyen de la parole, de l' escriture, de la peincture ou d' autres humains artifices (p. 215).
Les perfections que l' imitateur doit avant tout ajouter aé son poeéme ne l' enferment pas dans un travail purement formel. L' imitateur creèe des
conceptions
nouvelles,
dans
une
mesure
inversement
propor-
tionnelle au degreè de contrainte imposeè dans les diffeèrents modes d' imitation : imitation û libre ý, û attachee ý, paraphrase, traduction
84
(chapitre 9, p. 252-259). Cela dit, la contrainte formelle º non pas toutefois celle qui û attache ý au modeéle de l' imitation º favorise eègalement la naissance de nouvelles conceptions. Deimier le souligne pour la rime : û C' est ainsi qu' outre le bien qu' au moyen du soin et du labeur, on rencontre aé treuver des rimes de valeur, on aborde tousjours quelques nouvelles conceptions ý (chapitre 12, p. 295). L' inven tion n' est deèsormais plus retenue dans le modeéle que se propose l' imitateur, mais ne cesse de revenir aé la surface des mots, auxquels les û conceptions ý º et donc les choses º sont eètroitement lieèes. En raison de cette proximiteè entre la conception et son expression, les imitateurs doivent par conseèquent inventer, semblables en cela aux inventeurs, qui n' ont pu creèer des conceptions informes, soumis qu' ils eètaient, d' embleèe, au preècepte que donne Horace au deèbut de son Art poeè-
84
La traduction en vers constitue pour Deimier la limite au niveau de laquelle la con -
trainte º qui attache l' imitateur aé son modeéle º le prive de son neècessaire espace de creèation
(p. 257-258).
La
valorisation
de
l' invention
par
Deimier
rejoint
l' opposition
topique entre l' û inventeur ý et le û traducteur ý, mise en eè vidence par Luce Guillerm, dans Sujet de l' eècriture et traduction autour de 1540, theése, Lille, 1988, p. 383 ; û L' auteur, les modeéles, et le pouvoir ou la topique de la traduction au sciences humaines, 52-180 (1980), p. 5-31.
xvi
e
sieécle en France ý, Revue des
invention et imitation chez quintilien
tique
85
;
tel
Homeére
sur
lequel
insiste
Homeére, figure meême de l' inventeur
86
longuement
497 le
chapitre 9,
, qui ne s' est pas contenteè de
laisser aé la posteèriteè ses inventions º û tant de belles et particulieres inventions ý (p. 226) º, mais a fait valoir celles-ci par la disposition et l' eèlocution (p. 228), meême s' û il a erreè en quelques endroicts de ses escrits
87
ý (p. 229).
* Le û second conceptisme franc°ais ý de Pierre de Deimier se rattache, comme l' a montreè Jean Lecointe, au neèo-aristoteèlisme de Padoue, qui tend aé û une valorisation sans preèceèdent de la nouveauteè, de l' ineèdit, de l' extraordinaire
88
ý. On retrouve en effet cet attrait de la nouveauteè
chez le Franc°ais pour qui û la `conception' conception inventive û une distance
infinie
89
90
par excellence, c' est la
ý. De l' Ideèe aé ses manifestations sensibles, il y a
ý que ne viennent jamais combler, dans le û pro-
cessus d' induction vers l' Ideèe
91
ý, les nouvelles inventions. Celles-ci
trouvent dans cette distance aé la fois leur orientation et une condition de possibiliteè qui n' est jamais eèpuiseèe. Il ne nous a pas sembleè inutile, pour autant, de deègager cette nouveauteè que receéle deèsormais l' invention aé partir de l' eècart entre le modeéle sensible et son imitation. Toute imitation qui ne repose pas sur une
85
intuition
directe
de
l' Ideèe
implique
une
meèthode
inductive,
Voir chapitre 9, p. 220-221 : û Ronsard est aussi extremement digne d' estre admireè
en ce qu' il escrit en une autre part : que quand il dict que l' on doit inventer choses belles et grandes, il n' entend point toutesfois ces inventions fantastiques et melancoliques, qui ne se rapportent non plus l' une aé l' autre que les songes entrecoupez d' un frenetique, ou de quelque malade cruellement tourmenteè de fievre, l' imagination duquel pour estre blessee, se represente mille formes monstrueuses sans ordre ny liaison : adjoustant que ces inven tions ou conceptions desquelles on n' en peut donner reigle manifeste pour estre spiritu elles, doivent estre bien ordonnes et disposees ý. Voir P. de Ronsard,
86
Art poeètique
, p. 13.
Voir chapitre 9, p. 230 : û je ne sors point du subject de ce chapitre, veu que je parle
du poe«te qui a inventeè plus que tout autre ý.
87
Homeére est presque inimitable, mais c' est le presque qui fonde l' imitation. Voir
p. 233 : û on le peut nommer le prince des poe« tes, suivant ce beau tesmoignage que l' antiquiteè nous a laisseè de luy, que n' ayant eu nul qu' il peust imiter avant luy, il n' a eu nul apres luy, qui l' ait peu imiter : toutefois je n' aprouve que la moitieè de ce tesmoignage : car on voit assez que Virgile et quelques poe« tes italiens l' ont imiteè fort heureusement ý. Deimier reprend le û tesmoignage ý de l' Antiquiteè de Montaigne, II, 36, p. 753, qui le tire lui-meême, indirectement, par l' intermeèdiaire de Bodin (
rum cognitionem
, IV) de Velleius Paterculus,
88 89 90 91
J. Lecointe, û
Ibidem Ibidem Ibidem
In cauda venenum
, p. 151. , p. 148. .
Histoire romaine
ý, p. 148.
Methodus ad facilem historia-
, livre I, V.
498
christophe gutbub
comme, deèjaé, chez Quintilien, dont l' empirisme par deèfaut s' inscrit dans le cadre d' un ideèalisme fondamental. Mais pour le rheèteur, l' imitation n' a pas tant pour objet une Ýuvre que son auteur, un discours que l' orateur qui le prononce ; l' Ýuvre n' est pas essentiellement la manifestation
d' une
ideèe,
mais
celles
des
uirtutes
de
son
creèateur.
L' Ideèe se trouve deux fois voileèe, d' abord chez l' orateur qui la rend sensible, puis dans le discours qui fait appara|être les qualiteès de l' orateur. Entre les uirtutes et leur expression sensible peése constamment, dans la mauvaise imitation, la menace d' une reègression qui pourrait annuler tout progreés vers l' Ideèe : le minus du mimeètisme risque toujours de contrebalancer le plus de l' eèmulation. Dans la perspective horatienne de l' imitation comme imitation d' une Ýuvre, la diffeèrence entre le modeéle et son imitation est, chez Deimier, immeèdiatement assumeèe par l' imitateur comme perfection apporteèe aé l' original. Le double deèficit de l' imitation chez Quintilien º entre le modeéle ideèal et son exemplum, entre ce dernier et sa copie º voit son mouvement inverseè. La diffeèrence regarde vers l' Ideèe. Deux po ê les partagent nettement la perspective historique ainsi dessineèe : d' un coêteè, la nature et l' û invention ý º dans le sens rheètorique et par opposition aé l' imitation º, de l' autre l' art, l' imitation et les perfections formelles de l' Ýuvre. En meême temps, l' ideèe que l' Ýuvre consiste dans une pluraliteè de û conceptions ý tend aé bouleverser cette bipolariteè. Les inventions º celles d' Homeére º impliquent une expression deèjaé adeèquate, tandis que l' imitation ajoute ses propres inventions. Pour que l' invention dev|ênt nouvelle, il fallait qu' elle f|êt partie des possibiliteès meêmes offertes aé l' imitateur, en qui elle trouve sa propre origine : non pas encore celle d' une individualiteè, mais, toujours dans la perspective ideèaliste de l' imitation, celle d' une û conception ý.
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L AT I N I TAT E S
Alexander Roose
LES BOTTINES DE FRANC ËOIS DE LA MOTHE LE VAYER* 1. û Maintenant ý, observait Tallemant des Reèaux avec le meèpris et l'ironie qui lui eètaient propres, û tout le monde n'a plus que des souliers, non pas meême des bottines. Il n'y a plus que La Mothe Le Vayer, preècepteur de M. d'Anjou, qui ait tantoêt des bottes, tantoêt des bottines ; mais ce n'a jamais eèteè un homme comme les autres 1 ý. Guez de Balzac aussi se moquait du û docteur extravagant du faubourg Saint-Michel 2 ý et Chapelain ironisait dans une lettre aé Balzac sur û la peinture du chapeau [de La Mothe Le Vayer] ý, sur û la singulariteè de son colet et de sa mitaine, sans parler des autres accessoires, de son port et de sa fac° on de parler 3 ý. La Mothe Le Vayer ne passait pas inaperc° u : Vigneul-Marville le prenait pour une sorte de Thaleés, qui marchait toujours la teête leveèe, û les yeux attacheès aux Enseignes des rues par oué il passait. Avant que l'on m'apprit qui il eètait, je le prenais pour un Astrologue ou pour un chercheur de secrets et de pierre philosophale 4 ý. * Ma reèflexion doit beaucoup aé Perrine Galand, aé Fernand Hallyn et aé Ju« rgen Pieters. Leurs livres, leurs conseils et leurs encouragements m'ont eèteè, me sont, treés preècieux. 1 Tallemant des Reèaux, Historiettes, I, Paris, 1960, p. 176. 2 Cf. la lettre de Guez de Balzac, du 14 septembre 1643, d'apre s les notes de Ph. Taé mizey de Larroque aux Lettres de Jean Chapelain, t. I, Paris, 1880. 3 Lettre a Balzac, du 29 mars 1637, ibidem, p. 144-145. Auparavant, Balzac avait remeré cieè Chapelain de la joie et du soulagement qu'apportaient ses lettres : û Quelque espais & quelque noir que fut mon chagrin, vos lettres le percent & l'esclaircissent. Je rec° ois par laé de petits rayons de joye, comme les prisonniers un peu de lumieére par les ouvertures de leurs grilles. L'Epicurien Colothes avec sa grande mitaine dont il s'est armeè contre l'Hyver, m'a fait rire au plus fort de ma douleur, & je vous avoue qu'un discours entier de ce style-laé, seroit de merveilleuse consolation pour les pauvres affligez ý (Lettre du 26 feèvrier 1637 in Lettres familieéres de M. De Balzac aé M. Chapelain, Amsterdam, 1661, p. 65). Ce û Colothes avec sa grande mitaine ý n'est autre que La Mothe Le Vayer. 4 Cite par F. Wickelgren, La Mothe Le Vayer. Sa vie et son Ýuvre, Paris, 1934, p. 21. è
501
alexander roose
502
Or, si un philosophe aviseè comme La Mothe Le Vayer preèfeére porter des bottines, ce n'est, de toute eèvidence, pas juste une question de confort ou de vieilles habitudes 5. Au deètour d'une explication sur l'importance du mot approprieè pour un discours ou pour un texte, La Mothe confesse dans ses qu'il faut mettre autant de soin aé mettre une cravate assortie qu'aé choisir le mot adeèquat. Tous ceux qui ont û eècrit de l'art de bien dire ý ont souligneè l'importance du û choix des mots et de l'usage des paroles ý : Consideèrations sur l' Eloquence franc°aise
En effet, la bonteè de la diction est comme le fondement de toute l'Eloquence, & celui-laé ne rencontra pas mal, qui dit que les paroles ressemblaient aux veêtements, qu'on avait bien inventeès pour la neècessiteè, mais qui servaient depuis tellement aé l'ornement, qu'on en faisait deèpendre toute la bien-seèance. C'est pourquoi, comme les hommes qui veulent eêtre proprement veêtus, mettent leur premier soin aé choisir de belles eètoffes, & qui soient aé la mode, sans quoi le reste de leur curiositeè serait comme inutile : Il faut aussi que ceux qui preètendent aé l'Eloquence, fassent leur premieére eètude de la valeur des mots, & de la pureteè des dictions, pour savoir celles dont ils se doivent servir, & celles qui doivent eêtre rejeteèes comme n'eètant plus d'usage 6.
Quintilien avait deèjaé compareè le choix des mots au choix vestimentaire (VIII, ., 20). La Mothe, qui fait son miel des multiples conseils de Quintilien, un des û Ma|êtres de la profession ý, et qui le consulte pour reèfleèchir sur le choix des mots º il importe û d'eèviter comme un eècueil toutes les paroles inusiteèes, & de les consideèrer pour eêtre de la nature des pieéces de monnaie, dont il ne se faut jamais charger que si elles n'ont cours & que le peuple ne les rec° oive ý ( , , I, 436) 7 º a duê lire eègalement que le Romain estimait dans le chapitre consacreè aé l' que û la mise de l'orateur ne devait rien avoir de speècial ý. Qu'elle devait eêtre û comme pour tout honneête homme, d'une eèleègance virile : en matieére de toge, de chaussures, de coiffure, une recherche excessive est aussi reèpreèhensible que le laisser-aller ý. Dans un opuscule qu'il a consacreè aé la Proem
De l' eèlo
quence franc°aise
LM
actio
Rheètorique du
5 Francion ne surprend-il pas la conversation suivante dans un salon ou se renconé traient û les plus beaux esprits du monde ý : û Je sc° ay bien que vous avez d'autres rares vertus, car vous avez des bottes les mieux faites du monde ý (Sorel, (d'apreés l'eèdition de 1623), Paris, p. 256). Visiblement les bottes eètaient alors treés priseèes... 6 , I, 436. J'ai utiliseè la troisieéme eèdition des Ýuvres : Franc° ois La Mothe Le Vayer, , Paris, 1662, 2 t. Mes renvois aé cette eèdition seront faits entre parentheéses ( ) aux livres et aux pages. 7 La Mothe Le Vayer renvoie en marge a û Quintilien I, 6 ý. é Histoire comique de
Francion
De l' eèloquence franc°aise, LM
Üuvres
LM
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
503
, le preècepteur du duc d'Anjou et du Dauphin met son eèleéve en garde contre l'extravagance 8. Commentant l'eèloquence des Gracques, La Mothe estimait qu'il importait beaucoup qu'un orateur n'ait û rien d'extravagant, ni meême d'extraordinaire ý : Prince
Et si le meèdecin doit s'habiller convenablement aé sa profession, selon qu'Hippocrate le prescrit dans un livre fait expreés : il n'y a personne qui puisse douter qu'un Orateur ne soit beaucoup plus obligeè aé ne rien avoir sur lui qui puisse choquer, comme l'on dit, la vue des auditeurs. Car l'habit deècent donne d'abord quelque bonne impression de celui qui le porte, & par conseèquent lui acquiert de la creèance. Le contraire arrive presque toujours aé ceux qui ne sont pas veêtus comme la bien-seèance le veut, & qui portent le manteau ou la robe autrement qu'il ne faut. Ils donnent meême parfois lieu aé des railleries, telles que fut celle de Ciceèron, lorsqu'il dit aé Marc Antoine qu'il n'y avait point d'homme qui parlaêt plus ouvertement que lui, faisant allusion aé l'ouverture de son pourpoint qui exposait indeècemment son estomac aé la vue de tout le monde 9.
Et pourtant La Mothe Le Vayer portait des bottines ou des bottes, quand tout le monde preèfeèrait des chaussures. 2. Dans la , La Mothe revient sur l'importance de l'action rheètorique : nous savons û que la belle et agreèable prononciation deèpend du Geste, aussi bien que de la voix ý. Et il poursuit : û Demostheéne avait accoustumeè de dire pour faire comprendre l'importance de cette [Eloquence de tout le corps] qu'elle eètait la premieére, la seconde, & la troisieéme partie du Bien dire ý ( , , I, 850). Cette phrase, extraite de de Ciceèron, 10 La Mothe l'avait aussi reprise dans ses Rheètorique du Prince
La Rheètorique
du Prince
LM
L' Orateur
Consideèrations sur l' eèloquence
Aé l'eèpoque, on se rappelait certainement les passages de la satire ridiculisant la cour d'Henri III, entoureè de mignons, pareès d'accoutrements qui approchaient û ceux de la femme, soit en eètoffe ou en la fac° on ý. Voir surtout le chapitre û Pour qui concerne la Police ý : û Que si une eètoffe mise en Ýuvre, quelque preècieuse qu'elle soit, n'est enrichie avec superfluiteè de broderie d'or, [...], nous tenons tels accoutrements pour vils. [...] Les accoutrements qui approcheront plus ceux de la femme, [...] seront tenus parmi les noêtres pour les plus riches & mieux ceèans ý (Cologne, 1724, p. 58). 9 La Rhetorique du Prince, , I, 854. è 10 û Je ne dirai rien de l'eloquence animee de la voix et de l'action, qui donnait de si è è grands avantages aé Hortensius, & aé Deèmostheéne, qu'on a dit des ouvrages de ce dernier, que la meilleure partie de Deèmostheéne ne s'y trouvait pas. Aussi est-ce le meême qui a tant contribueè aé l'action, qu'apreés avoir bailleè le premier rang entre les choses qui pouvaient rendre un orateur parfait, il lui donna encore le second & le troisieéme lieu (Ciceèron, , 3). Ce n'est pas qu'il n'y ait eu de grands orateurs qui ont beaucoup plus paru par leurs eècrits, que par ce qu'ils prononc° aient en public. Isocrate entre 8
Description de l' isle
des Hermaphrodites, Nouvellement deècouverte
LM
De oratore
alexander roose
504
meême si c'eètait alors pour s'excuser de ne pas preêter attention aé un aspect essentiel de la Rheètorique. La redite montre aussi combien La Mothe est impreègneè des eècrits de Ciceèron. Dans un des petits traiteès, intituleè , La Mothe dresse l'inventaire des livres essentiels que devrait contenir la bibliotheéque de tout honneête homme de son eèpoque. Pour ce faire, La Mothe passe en revue toutes les disciplines imporde Thomas d'Aquin tantes passant des usuels et dictionnaires aé la et û les systeémes nouveaux de Tichon, Copernic, Kepler & Galilei ý ( , , II, 457). En matieére de philosophie, il estime qu'il faut disposer d'un Aristote, toujours accompagneè du û divin Platon & du riche treèsor de Diogeéne Lae« rte, pour y voir les autres systeémes Philosophiques, & toutes ces belles penseèes qu'il a ramasseèes des plus grands personnages de l'Antiquiteè ý. Puis il arrive û aux novateurs reècents qui font bande aé part & qui se sont rendus chefs de parti comme Teèlesius & son disciple Campanella, Raymond Lulle, Giordanus Brunus ý et quelques autres. Quant aé la Rheètorique, û vous aurez des preèceptes de Rheètorique, & des exemples d'Orateurs, en Ciceèron, & Quintilien suffisamment ý. Et il ajoute : û Mais je vous donne la Philosophie du premier qui fait le quart de ses Ýuvres, avec Seèneéque, & le petit Eèpicteéte, pour des pieéces de cabinet que vous ne sauriez trop aimer si eêtes ami de la Morale ý. Les petits traiteès tiennent de par leur forme des ; ainsi que tiennent des dialogues û narrativiseès ý des . Les reèfeèrences et les citations du ainsi que de l' eèmaillent tous les textes que La Mothe consacre aé la rheètorique, de meême qu'ils apparaissent dans les petits traiteès 11. Le a inspireè La Mothe dans les ; il y puise aussi une remarque sur l'indiffeèrence des dieux d'Eèpicure, que l'on trouve dans son petit traiteè sur l' ( , II, 78). La Mothe se demande û qui n'a point lu dans Ciceèron comme Caton l'Aineè eètait fort vieil lorsqu'il voulut savoir le grec, et comme il ne pouvait s'empeêcher de lire toujours quelque livre en plein Seènat, cependant que toute la compagnie s'assemblait ý (LM, II, 234) 12. Ces anecdotes se trouvent dans le et dans les , livre qu'il qualifie ailleurs de û bel ouDu moyen de dresser une bibliotheéque d' une centaine de livres seule
ment
Somme
Du Moyen
LM
Paradoxes des Sto|ë
ciens
Les Dialogues d' Oratius Tubero
L' Hexameèron rustique
Tusculanes
De Oratore
Orator
De natura deorum
Dialogues d' Oratius Tubero
Action et le repos
LM
De fi
nibus
Acadeèmiques
autres est remarqueè par Quintilien pour avoir eèteè incomparablement meilleur eècrivain que Deèclamateur (Quintilien, XII, 10) ý ( , I, 434-435). 11 û Du Bon et mauvais usage des recitations ý (LM, II, 34). è 12 Pour une edition recente : La Mothe Le Vayer, , Paris, è è 2003, p. 253-254. LM
De la Patrie et des eètrangers
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
505
vrage ý. Il tire du l'anecdote de ce geèneèral qui avait signeè une treêve de trente jours, sans cesser d'attaquer la nuit 13, sous preètexte que les nuits n'eètaient pas comprises dans son traiteè ( , , II, 310). Plus fondamentalement, sa philosophie participe souvent de la dialectique ciceèronienne (ou, plus exactement, aristoteèlicienne) : en matieére morale, la vertu appliqueèe aux actions et passions consiste dans le û juste milieu ý entre deèfaut et exceés. Le û juste milieu ý est aussi en rheètorique une reégle d'or : en matieére de gestes par exemple. Celui qui parle sans appuyer ses paroles de gestes approprieès ne convaincra personne : son indiffeèrence semble suspecte. D'un autre coêteè, les gestes deèsordonneès de Curion firent dire aé un des spectateurs que le voisin de l'orateur n'a certainement pas souffert de mouches. û C'est ainsi ý, conclut La Mothe, û que les vertus de la Rheètorique sont placeèes aussi bien que celles de la Morale entre les deux extreèmiteès du trop, & du trop peu ý ( , , I, 850). La Mothe reprend, comme Francis Bacon dans le , et Hobbes dans le , la meètaphore de la main ouverte et du poing fermeè, que l'on trouve dans (II, 20, 7) et dans l' (32, 113) 14 pour caracteèriser les modaliteès du raisonnement adopteèes par la rheètorique et la logique. Aé la question de savoir si le jeune Prince doit eêtre initieè aux deètails de la logique, La Mothe estime qu'il û lui suffira de sa Logique naturelle, pour peu qu'on la fortifie, comme nous avons dit, mesmement apreés avoir rec° u quelques preèceptes de la Rheètorique, puisqu'il y a si peu de diffeèrence entre l'une & l'autre, que Zeènon comparait celle-laé au poing fermeè, & celle-ci aé sa main quand il l'avait eètendue ý ( , , I, 70). Dans la preèface au , La Mothe relate l'anecdote de ce peuple qui, pour choisir le futur Prince parmi trois enfants dormants, ne choisit pas celui qui dort le poing fermeè, ni celui qui a la main ouverte, mais eèlit le troisieéme dont la main n'est ni tout aé fait ouverte, ni tout aé fait fermeèe. 3. La Mothe Le Vayer est un penseur de la diffeèrence. Les quatre premiers regorgent d'anecdotes curieuses, De officis
Du Mensonge
LM
La Rheètorique du Prince LM
De Augmentis
Corps Politique
l' Institution Oratoire
Orateur
De l' Instruction de Monsieur
le Dauphin LM
De l' Instruction de Monsieur le
Dauphin
Dialogues d' Oratius Tubero
13 Montaigne avait cite la meme anecdote : û Cleomenes disoit, que quelque mal è ê qu'on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par dessus la justice, et non subject aé icelle, tant envers les dieux, qu'envers les hommes : et ayant faict treve avec les Argiens pour sept jours, la troisiesme nuict apres il les alla charger tous endormis, et les deèfict, alleguant qu'en sa treve il n'avoit pas esteè parleè des nuicts : Mais les dieux vengerent ceste perfide subtiliteè ý (Montaigne, , I, 6). 14 La Mothe puise la metaphore dans le traite de Ciceron puisqu'il renvoie lui aussi a è è è é Zeènon. Les Essais
alexander roose
506
glaneèes par le philosophe au cours de ses lectures. Des multiples reè cits de voyage qu' il deèvora, La Mothe retient avant tout ce qui seèpare les hommes. Il se passionne non pas pour l' universel, mais pour le parti culier. Montaigne avait deèjaé noteè combien les gouêts et les coutumes pouvaient eêtre diffeèrents mais il semblait suggeèrer qu' au-delaé de ces diffeèrences les hommes demeurent partout semblables. Or la Mothe eègreéne les diffeèrences vestimentaires, les gouêts et les jugements divergents, pour souligner la diversiteè humaine. Certaines nations portent le noir en cas de deuil, d' autres du jaune
15
. Il y a autant de nations
qui respectent l' ivrognerie qu' il y en a qui la deètestent. Certains consideérent le vert comme la couleur des jaloux, des femmes de joie et des tra|êtres. D' autres y voient une couleur divine. Bref, si nous û examinons le reste de la morale, nous y trouverons partout autant de veèriteè ; ce qui montre qu' il n' y a rien de solide et d' arreêteè ý scepticisme
radical
n' est
pas
sans
conseèquence
pour
la
16
. Ce
morale,
la
science et la religion. Or en 1630 les temps ne sont plus aé la plaisanterie spirituelle et au badinage libertin
17
et La Mothe aimerait s' assurer
du soutien du Cardinal de Richelieu. Pour ce faire, il publie en 1637 un Discours Chreètien sur l' immortaliteè de l' aême, qui devrait rassurer les deèvots
18
. Il entre un an plus tard aé l' Acadeèmie apreés avoir publieè les
Consideèrations sur l' eèloquence franc°aise de ce temps. Trois ans plus tard, il publie le De l' Instruction de Monseigneur le Dauphin par le biais duquel il preèsente publiquement son deèsir d' eêtre nommeè preècepteur du Dauphin. Or la mort du Cardinal, qui trouva en La Mothe un allieè contre le janseènisme, modifie la donne. La Mothe est deèfinitivement eècarteè en 1644 par la reine
19
, meême si trois ans plus tard La Mothe fut
nommeè preècepteur du Duc d' Anjou. Il entra en fonction en 1649. En 1652, la Reine le deèsigne comme preècepteur du roi. Revenons un instant sur cette Instruction de Monsieur le Dauphin, qui rappelle bien suêr les deux premiers livres de l' Institution de Quintilien. La
Mothe
souligne
dans
son
introduction
combien
l' histoire
des
û plus grands monarques de l' Antiquiteè ý (De l' Instruction, LM, I, 4) avait prouveè l' importance de leur eèducation. Il est capital de bien guider les dauphins, d' examiner la nourriture qu' ils rec°oivent d' autant plus que c' est le û naturel des peuples de prendre de leur Souverain, comme d' un moule public, la forme de la plupart de leurs actions ý.
15 16 17 18 19
La Mothe Le Vayer, Dialogues faits aé l' imitation des Anciens, Paris, 1988, p. 37-42. La Mothe Le Vayer, ibidem, p. 43. è ros rebelle. Litteèrature et dissidence aé l' aêge classique, Paris, 2003. Cf. M. Jeanneret, E Cf. F. Wickelgren, La Mothe Le Vayer, p. 11-12. Elle choisit Hardouin de Peèreèfixe, contre Arnauld.
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
507
û On a observeè ý, note La Mothe, û que les habitudes deèpraveèes de quelques Rois ont entieérement perverti le naturel de la multitude ý ( , , I, 5). Nul ne monte sur un navire, sans s'eêtre assureè de l'expertise du capitaine. Il serait donc eètrange de ne û pas apporter toute la diligence requise aé bien instruire celui qui doit tenir le timon de l'Etat ý. Ce destin exceptionnel exige une eèducation exceptionnelle. Les conditions ne permettent pas de suivre l'exemple spartiate, qui preèconisait une eèducation normale pour les futurs chefs. Ce n'eètait qu'un modeste royaume, et les rois demeuraient û justiciables des Eèphores, aussi bien que le moindre citoyen ý. La Mothe suggeére donc que l'eèducation du Prince doit absolument tenir compte du roêle politique que le jeune roi jouera plus tard. En outre, il estime que l'histoire de la citeè antique ne permet plus de comprendre les enjeux politiques et militaires de la France contemporaine. Dans le modeste royaume de Sparte, les hommes de pouvoir s'opposaient aux hommes sans pouvoir. Cette nouvelle reèaliteè oblige donc aé penser l'aveénement d'un nouveau type de Prince. Comme Quintilien, et Montaigne, La Mothe souligne l'importance fondamentale du choix du preècepteur. S'il reècuse comme Quintilien la violence comme outil peèdagogique º il doit eêtre assez difficile, cela dit, de donner la fesseèe au futur roi º, il compare le preècepteur aé un sculpteur : De l' Instruction LM
Comme il n'y a point de marbre qui soit naturellement si beau ni si accompli, qu'il ne faille retrancher beaucoup avec le ciseau, & le polir fort assiduêment pour en faire une statue d'Alexandre, & y trouver cette forme dans sa matieére : on ne voit point non plus de naturels si excellents, ni si capables d'eux-meêmes du souverain commandement dont nous parlons, qu'il n'y ait quantiteè de choses aé oêter et aé fac° onner, avant qu'ils nous puissent repreèsenter la figure du Prince parfait, ce qui deèpend en partie de l'industrie de ceux aé qui l'on confie un ouvrage de si grande importance. Ce sont les Gouverneurs et les Preècepteurs qu'on approche de ces personnes sacreèes, pour leur donner comme une seconde naissance, par la geèneèration spirituelle des vertus morales & intellectuelles, dont ils leur doivent distribuer les semences 20.
û Qui garde les gardiens ? ý, se demandait Platon. La vraie question, semble suggeèrer La Mothe Le Vayer, est : û Qui forme, qui gouverne celui qui va gouverner ? ý. Dans l'esprit de La Mothe, si les esprits communs calquent leur comportement sur celui du roi, le roêle du 20
,
, I, 6.
De l' Instruction LM
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508
preècepteur du roi devient essentiel. Ainsi les philosophes dirigent la citeè, meême si leur pouvoir est meèdiatiseè, puisqu'il passe par l'instruction qu'ils donnent au prince. Le roi mettra donc beaucoup soin aé choisir le preècepteur de son fils. Ceux qui seront choisis pour effectuer û le plus important emploi du monde ý ( , , I, 9), qui travailleront û sur le plus digne sujet de la terre ý, feront tout leur possible û pour bien faire les fonctions de leur charge ý. La Mothe compose aussi sa lettre de candidature. Toutes û ces consideèrations ý, eècrit-il, û me font quasi tomber la plume de la main ý. Mais il releéve le deèfi, par amour pour son prince, par deèsir de plaire aé Richelieu, et composera donc ce miroir du Prince. Meême si, sur ce plan aussi, tout a deèjaé eèteè dit : û Il y a longtemps qu'on a prononceè que rien ne pouvait plus eêtre dit, ni eècrit qui ne l'euêt deèjaé eèteè ý. C'est certainement vrai dans le domaine de la philosophie, auquel Aristote mit un point d'orgue. û Mais ce n'est pas aé dire pourtant que nous soyons obligeès de demeurer dans un perpeètuel silence ý. La Mothe espeére donc imiter l'exemple des Anciens, qui ont su se pencher sur des matieéres û apreés d'autres qu'ils faisaient profession de suivre et d'imiter ý. Et il conclut : û J'espeére d'ailleurs que je me gouvernerai de sorte dans tout ce discours, qu'en le rendant propre au temps preèsent, & aé l'usage de celui sur l'heureuse nourriture de qui nous fondons nos plus cheéres espeèrances, on ne pourra pas dire que je n'aye rien fait qu'y copier les originaux d'autrui ý. Le futur gouverneur de celui qui gouvernera le peuple, se propose d'abord de se gouverner lui-meême. 4. Dans ses derniers cours au colleége de France, Michel Foucault s'est pencheè sur les transformations historiques et les modifications du pouvoir. Il reèsume la question par ces questions, sur lesquels divers auteurs ont plancheè entre 1580 et 1650 : û Comment se gouverner, comment eêtre gouverneè, comment gouverner les autres, par qui doiton accepter d'eêtre gouverneè, comment faire pour eêtre le meilleur gouverneur possible 21 ý. Montaigne, par exemple, revient aé maintes reprises sur le probleéme du gouvernement et de la conduite 22. La question de comment se gouverner soi-meême fonde et nourrit l'en23. Le celebre essai sur l'institution des treprise et l'eècriture des è é de
facto
De l' Instruction
LM
Essais
21 M. Foucault, . Paris, 2004, p. 92 (û Lec° on du 1er feèvrier 1978 ý). er 22 Michel Foucault, , p. 196 (û Lec° on du 1 mars 1978 ý). 23 F. Garavini, 1993, p. 277. Seècuriteè, territoire, population
,
Cours au Colleége de France, 1977-1978
ibidem
Monstres et chimeéres fantasques : Montaigne, le texte et le fantasme
, Paris,
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
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enfants, sommet de la peèdagogie humaniste, est une reèflexion sur l' art de conduire et de gouverner les eèleéves. Le probleéme du gouvernement des E è tats par les princes aurait du ê se trouver au centre de la premieére eèdition des Essais, puisque c' est la question poseèe par E è tienne de La Boeètie dans son Discours de la servitude volontaire. Par ailleurs, Montaigne se demande s' il suffit de savoir se gouverner pour pouvoir gouverner les autres
24
. Mais s' il conclut, avec un reèalisme deèsabuseè,
que souvent celui qui sait se conduire n' est pas aé meême de conduire les autres, les traiteès de civiliteè aé l' usage du Prince soulignent qu' il s' agit d' une condition neècessaire. Aussi La Mothe Le Vayer estime-til que le comportement exemplaire ne peut eêtre dissocieè de l' exercice du pouvoir et du gouvernement des hommes. Dans ses meè moires composeèes aé l' adresse du Dauphin, Louis XIV multiplie les formules, les maximes
25
mettant en eèvidence le statut extraordinaire du Prince.
Il importe avant tout que le Prince, conscient d' eêtre l' objet de l' attention de tous, sache se ma|êtriser en toute circonstance. Exerc°ant une û fonction toute divine ý (Meèmoires, 150), le roi para|êtra incapable d' un mouvement deèshonorant son ministeére. Mais Louis XIV ne s' en tient nullement aé ces raisons theèologiques, il met en lumieére l' importance politique de la reèputation, de l' approbation et de l' autoriteè publique. Il est eèvident que si la doctrine du Christ permet d' asseoir le pouvoir royal, le Prince est obligeè de se comporter conformeèment aé ces nobles preèceptes. Mais il importe surtout de savoir que nulle erreur commise par le Prince ne restera cacheèe, et û que les moindres fautes ont toujours de faêcheuses suites ý (Meèmoires, 256). Par conseèquent, pour gouverner, un prince doit aussi û reègler ses propres mÝurs ý (Meèmoires, 257). L' on conna|êt la formule de Louis XIV s' adressant au Dauphin : û Celui qui ne produit rien de soi fait para|être beaucoup davantage ce qu' il exeècute ý. L' ancien disciple de La Mothe Le Vayer comprend que le pouvoir de celui qui figure au centre de la vie politique
24
26
, so-
û Nous ne sc°avons pas distinguer les facultez des hommes. Elles ont des divisions,
et bornes, mal aysees aé choisir et delicates. De conclurre par la suffisance d' une vie parti culiere, quelque suffisance aé l' usage public, c' est mal conclud : Tel se conduict bien, qui ne conduict pas bien les autres. et faict des Essais, qui ne sc° auroit faire des effects. Tel dresse bien un siege, qui dresseroit mal une bataille : et discourt bien en priveè , qui harangueroit mal un peuple ou un Prince ý (III, 9, 992).
25
Meèmoires de Louis XIV, publieès avec une introduction et des notes par J. Longnon,
Paris, 2001, p. 85.
26
Cf. Louis Marin commentant le ceèleébre passage des Penseèes, û Les grands et les pe-
tits ont les meêmes accidents et meêmes faêcheries et meêmes passions ; mais l' un est au haut de la roue et l' autre preés du centre et ainsi moins agiteè par les meêmes mouvements ý (Utopiques. Jeux d' espaces, Paris, 1973, p. 32).
alexander roose
510
ciale, eèconomique est somme toute assez faible. Deés lors il se doit d'incarner le pouvoir fort et infaillible 27. Pour ce faire, pour gouverner ses sujets, il gouvernera les traits de son visage, les mouvements de son corps, les nuances de ses propos. Ce controêle de soi consubstantiel de la domination exerceèe sur l'autre fonde le pouvoir meême du roi, qui a reècuseè les meèthodes machiaveèliques du pouvoir. Le Roi gouvernera par l'apparence de sa vertu, neècessaire pour le bien-eêtre geèneèral. Aussi La Mothe rappelait-il dans que, dans la morale û qui est la science des mÝurs (...), nous apprenons aé nous gouverner nous-meêmes ý ( , , I, 859). Et dans , il ajoute : û Il y a deux parties qui suivent naturellement celles-laé, dont l'une est l'Economique et l'autre la politique. Cet ordre est donc naturel, puisqu'il est du tout neècessaire qu'un homme sache se gouverner soi-meême devant que de commander aux autres, soit comme peére de famille, ce qui est de l'Economie, soit comme souverain, magistrat ou ministre d'Etat, ce qui regarde la politique ý ( , , I, 883). Et Louis XIV souligne lui aussi l'importance du gouvernement de soi : û Mais aé qui peut se gouverner soimeême, il est peu de choses qui puissent reèsister ý ( , 257). Dans l , La Mothe Le Vayer, apreés s'eêtre pencheè sur les quatre piliers de la monarchie (la religion, la justice, les Finances, les armeèes), aborde aussi les matieéres qui concernent la personne du Dauphin. Il eètudie en particulier l'utiliteè de la litteèrature, mais aussi celle des jeux, des arts libeèraux et des sciences. La Rheètorique, n'en doutons pas, est essentielle : û Apprendre aé bien parler est une faculteè Royale ý, puisqu'û elle donne le commandement souverain parmi les hommes, aé ceux qui la posseédent. En effet Pericles eètait plus absolu dans Atheénes par son moyen, que Pisistratus ; & l'Eloquence des Gracches ne pouvait pas moins sur le Peuple Romain, que l'autoriteè de beaucoup d'Empereurs. C'est pour cela qu'on a compareè la langue au timon, qui pour eêtre la plus petite partie, ne laisse pas d'eêtre la plus importante du vaisseau, qu'elle tourne comme il lui pla|êt ý ( , , I, 68). La Mothe aimerait û fac° onner ý son disciple û aé cette eèloquence courte & vraie, qui para|êtra toujours avec plus de digniteè que toute autre dans sa bouche ý. Il s'inspire souvent des rheètoriques de Quintilien et de Ciceèron, proêne un programme La Morale du Prince
La Morale
LM
L' Üconomique
du Prince
L' Üconomique
LM
Meèmoires
' Instruction du Prince
De l' Instruction
27 Cf. J.-M. Apostolides, é Paris, 1981.
LM
,
Le Roi-Machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
511
adapteè aux futurs besoins du disciple 28 et reècuse comme eux la recherche de la perfection. Le roi ne doit pas eêtre aussi parfait, aussi complet que l'orateur de Ciceèron, ou l'architecte de Vitruve : û Il peut souvent faire para|être qu'il n'ignore pas tout-aé-fait, nonobstant une haute exaltation, les choses qui sont au dessous de lui. Mais il y a une grande diffeèrence entre une leègeére teinture qui lui peut eêtre donneèe comme en jouant, & la profonde impression qu'il doit recevoir des sciences qui servent au bon gouvernement ý ( , , I, 65). Il peut faire para|être qu'il est au courant de la litteèrature, de la poeèsie mais il importe surtout qu'il ma|êtrise les sciences du gouvernement et, en premier lieu, celle du gouvernement de soi. Diogeéne, rappelle La Mothe, reèpond avec raison aé Alexandre qu'il est, lui, ma|être de ses ma|êtres, c'est-aé-dire de ses passions. Et il poursuit : û Sans mentir, ce Philosophe avait raison au sens qu'il prenait, & s'il avait veèritablement dompteè ses passions ; puisqu'Alexandre, comme tant d'autres, eètait esclave des siennes nonobstant sa puissance ý ( , , I, 75). Celui qui gouverne doit eêtre assisteè pour qu'il ne succombe pas aé ses passions. Le preècepteur doit lui inculquer une eèthique, des reégles de gouvernement : û Il est donc neècessaire qu'ils soient puissamment secourus d'ailleurs, ce qui ne leur peut venir, humainement parlant, que du coêteè de l'Ethique, capable de leur fournir de nouvelles lumieéres, & des forces pour reèsister aé toutes les violences, tant de la partie irascible, que de la concupiscible ý. L' de Quintilien, par l'attention qu'elle porte aé l'instruction de l'enfant, aé une formation politique, civile, axeè sur la û raison ý ( , 146) et par la place qu'elle reèserve aé l'action inteèresse aé plus d'un titre l'auteur de la . 5. Si le but n'est pas de former l'orateur ideèal ou le gentilhomme parfait de Castiglione, les moyens imagineès par Quintilien, que l'avocat utilise pour gagner sa cause, pourront eêtre deètourneès par le politique. û Ainsi que je l'ai dit ý, note Quintilien dans le chapitre consacreè aé l'action, û toute action oratoire comporte deux aspects, la voix et le geste, l'un qui s'adresse aé la vue et l'autre aé l'ou|ëe, les deux sens par lesquels toute eèmotion peèneétre jusqu'aé l'aême ý. La gouvernementaliteè eètudieèe par Foucault s'assoit sur un outillage politique viDe l' Instruction
LM
De l' Ins
truction
LM
Institution
Meèmoires
Vertu morale des payens
28 û Tant y a que quand il s'agit de l'instruction d'un Prince, je ferais grande con science de l'eètreindre aux meêmes Rudiments de Grammaire, & au meême cours des disciplines que font ceux qui doivent vivre du meètier de les enseigner, ne pouvant en cela eêtre de l'opinion des Auteurs qui ont eècrit devant moi sur ce sujet ý ( , , I, 65). De l' Instruction
LM
alexander roose
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sant, tel Momus, aé peèneètrer les aêmes, aé deèvoiler les secrets les plus intimes de tout sujet. La gouvernementaliteè vise le gouvernement de la : elle entend peèneètrer dans l'aême de chacun et le diriger. L'exercice du pouvoir, estime Foucault, û consiste aé conduire des conduites ý. Il importe que chacun soit persuadeè du bien-fondeè de l'organisation de l'Eètat et de la socieèteè, que chacun reconnaisse le roêle fondamental du roi qui proteége ses sujets tel un pasteur bienveillant, et qui se distingue de ces princes anciens, û fort autoriseès et fort habiles ý ( , 247). L'eèloquence, eècrit la Mothe, û tient en main le gouvernail de nos aêmes ý et conduit oué elle veut toutes nos volonteès ( , , I, 481). Et quand il aborde le theéme de la justice, il ne dit pas que le preècepteur doit apprendre au roi ce qu'est la justice, mais bien de se juste et de û tenir entre les extreèmiteès vicieuses de l'indulgence trop grande & la trop grande seèveèriteè ý ( , , I, 20). Il ne s'agit pas de prendre la deècision la plus juste, mais de prendre la deècision qui permet de gouverner. Aussi les rois doivent-ils eêtre seèveéres avec les juges corrompus ( , , I, 25). Et La Mothe d'eègrener les exemples antiques : û Artaxerxes fit eècorcher de mauvais juges, & seoir dessus leurs peaux ceux qui leur succeèdeérent, afin de les rendre meilleurs ý. Il n'importe pas d'eêtre reèellement juste, mais de convaincre qu'on l'est. Il ne suffit pas d'eêtre cleèment, il importe de preèserver l'uniteè du royaume et la paix civile 29. Le preècepteur doit former un jeune homme qui se gouverne, qui gouverne au nom du û bien public ý, de la û Raison d'Etat ý, son peuple, qui est de ce fait persuadeè de sa valeur et partage son souci. Conduire, c'est disposer. Dans le chapitre consacreè aé la disposition dans le traiteè consacreè aé la , traiteè qui se preèsente comme un condenseè de la rheètorique de Quintilien, La Mothe compare par deux fois l'orateur qui dispose ses arguments aé un geèneèral qui organise ses troupes. Ainsi le Prince surveille ses gestes comme l'avocat qui veut amener le jury aé la deècision qu'il preèsentera comme la plus juste, il conduit son peuple, comme ce meême avocat aligne ses arguments. Richelieu fut l'un des premiers aé entrevoir les possibiliteès et la neècessiteè de la surveillance des conduites. Dans son 30 il insiste sur l'importance de la reserve qu'un prince doit entreè mens
Meèmoi
res
De l' Eloquence
franc°aise
LM
montrer
une voie moyenne
De l' Instruction LM
De
l' Instruction LM
Rheètorique du Prince
Testament poli
tique
29 Cf. les , p. 147 : û Mais en cette occasion oué il s'agissait de l'Etat, (...) je crus me devoir vaincre d'une autre sorte, en laissant punir ces miseèrables aé qui j'aurais voulu pouvoir pardonner ý. 30 Cardinal de Richelieu, , eèdition critique de L. Andreè, Paris, 1947. Meèmoires de Louis XIV
Testament politique
les bottines de franc° ois de la mothe le vayer
513
tenir envers ses sujets et ses proches. Louis XIV a compris la lec° on : û Cette indeèpendance sur laquelle j'insiste si fort, eètant bien eètablie entre les serviteurs, releéve plus que toute autre chose l'autoriteè du ma|être, et (...) c'est la seule qui fait voir qui gouverne en effet, au lieu d'eêtre gouverneè par eux ý ( , 248). Le gouvernement des autres passe neècessairement par le travail et la ma|êtrise de soi. Un mot encore sur les bottines de La Mothe : La Mothe portait des bottines aé un moment oué tout le monde portait des souliers, comme il restait attacheè aé une rheètorique ancienne, qui û preèfeèrait l'ideèe aé l'expression 31 ý. A Guez de Balzac il preèfeére les û hommes qui veulent eêtre proprement veêtus, mettent leur premier soin aé choisir de belles eètoffes, & qui soient aé la mode ý et il condamne, tout comme Quintilien, les amateurs de mots trop anciens, trop nouveaux, ou eètrangers. Le but de l'orateur est d'eêtre compris ( , , I, 447). Pourquoi mettre de nouvelles chaussures, si l'on marche mieux avec celles qu'on porte depuis des anneèes ? Mais il est parfois indiqueè de donner une image qui ne correspond peut-eêtre pas tout aé fait aé la reèaliteè. Dans un essai consacreè aux veêtements ( , , II, 45) La Mothe note que s'il est bien suêr erroneè de juger un homme sur ses veêtements º l'habit ne fait pas le moine, c'est bien connu º force est de constater que c'est une pratique plus que commune. Le souverain, le magistrat ou le ministre d'Eètat ont parfois besoin de feindre afin de renforcer les institutions qu'ils servent. La strateègie de dissimulation est propre aé celui qui pense que les deècisions du Prince devront eêtre jugeèes aé l'aune de la Raison d'Eètat. Prudence et dissimulation sont essentielles aux philosophes et aux conseillers du roi. Encore qu'il ne faille pas accepter toutes les modes. Ces jeunes gens û neès de l'action ý ( , , II, 52) qui choisissent des souliers pour faire para|être leur pied û d'un quart plus long que nature ne l'a fait ý ou qui portent û la botte qu'on s'est aviseè de plisser toute la cheville du pied ý ( , , II, 53) sont idiots et ridicules. Cela dit, semble conclure La Mothe, les temps de la sagesse de Seèneéque sont reèvolus : û La sagesse est trop ancienne, il faut vivre aé la mode, qu'elle folle qu'elle puisse eêtre ý. Apreés avoir deèposeè sa plume, le philosophe sceptique, admirateur de Pyrrhon 32, sortit sans doute pour se promener un peu, portant ses bottines belles et confortables que les peèdants trouveérent ridicules... Meèmoires
De L' Eloquence LM
Des habits et de
leurs modes diffeèrentes
LM
Des habits et de leurs modes
diffeèrentes
LM
Des
habits et de leurs modes diffeèrentes
31 32
La Mothe Le Vayer, Cf. Carlos Leèvy,
LM
, La Versanne, 2005, p. 77. , Paris, Puf, 2008.
Hexameèron rustique
Les scepticismes
alexander roose
514
BIBLIOGRAPHIE
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L AT I N I TAT E S
Fernand
Hallyn
ÂBATS SUR QUINTILIEN ET LES DE LA PEINTURE Á A L'Ã AGE CLASSIQUE : L' EXPRESSION DES PASSIONS
La
peinture occupe une place non neègligeable dans l' Institution ora-
toire : qu' il s' agisse de son origine, de la û couleur ý imaginative dans la narration, de la neècessiteè d' eèchapper aé l' acadeèmisme, de la repreèsentation des passions, de la distinction et de l' eèvolution des genres de style, toutes ces questions et d' autres sont abordeèes dans des paralleéles avec
l' enseignement
de
la
rheètorique.
Cette
importance
n' a
pas
eèchappeè aux premiers humanistes. Pour ne rappeler que l' exemple le plus illustre,
dans son De Pictura, Alberti calque la formation
du
peintre sur celle de l' orateur et il applique les principes de la narratio aé é l' istoria du peintre. A travers tout l' aêge classique, Quintilien continuera aé eêtre utiliseè par les traiteès sur la peinture, qui le mentionnent parfois dans leur titre meême : c' est le cas pour Roland Freèart de Chambray dans son Ideèe de la perfection de la peinture deèmontreèe par les principes de l' art et par des exemples conformes aux observations que Pline et Quintilien ont fait [sic] sur les plus ceèleébres tableaux des anciens Peintres, mis en paralleéle aé quelques ouvrages de nos meilleurs peintres modernes, Leèonard de Vinci, Jules Romains et le Poussin (1662) ; meême si, contrairement aé ce que le titre laisse supposer, les mentions explicites de Pline et de Quintilien sont rares dans le texte, tous deux sont qualifieès de û ceèleébres arbitres de l' Antiquiteè ý et il est deèclareè que Poussin, le û meilleur peintre ý du sieécle, les a eètudieès û avant que de prendre le pinceau Cette
importance
accordeèe
aé
Quintilien
n' a
1
ý.
rien
d' eètonnant.
Comme la peinture antique n' avait pas surveècu, elle ne pouvait servir de modeéle au peintre moderne qu' aé travers des sources indirectes.
1
R. Freèart de Chambray, Ideèe de la perfection de la peinture..., Le Mans, 1662, p. 132-
133.
515
fernand hallyn
516
L' une de ces sources eètait constitueèe par la sculpture, mais celle-ci ne 2
suffisait pas . Il fallait donc compleèter les sources visuelles par des sources eècrites ; Marc Fumaroli reèsume la situation en
disant que
û pour retrouver l' Antiquiteè, le peintre devait se faire une aême antique, eètudier l' architecture avec Vitruve, la poeètique avec Horace, la rheètorique avec Quintilien
3
ý. En particulier, l' histoire et les styles
meêmes de cette peinture n' eètaient accessibles qu' aé travers des sources eècrites. Le deèveloppement ceèleébre de Quintilien au deèbut du livre XII de l' Institution oratoire eètait une des sources les plus importantes aé cet eègard, souvent paraphraseèe, citeèe ou recopieèe. Je m' arreêterai ici aé la preèsence de Quintilien dans la theèorie de l' expression des passions au
xvii
e
sieécle. Le texte de l' Institution oratoire
(XII, 3-8) est fideélement suivi notamment par Poussin dans une lettre 4
aé Chantelou . L' art de repreèsenter les passions est par ailleurs une partie essentielle de la theèorie de la peinture aé l' eèpoque classique. Selon 5
Freèart de Chambray , c' est par la repreèsentation des mouvements inteèrieurs û que l' on conna|êt la qualiteè de l' esprit du peintre ý. Feèlibien note de meême que û les expressions sont la pierre de touche du Peintre tura
6
ý. Franciscus Junius, dont l' ouvrage de compilation De Pic-
veterum
(1637)
sur la peinture au
est
la
source
commune
de
nombreux
traiteès
xviie sieécle, affirme sans ambages que la theèorie de
Quintilien sur l' actio, exposeèe au livre XI de l' Institution oratoire, est la principale source dans ce domaine ; il l' utilise d' ailleurs abondam7
ment . Dufresnoy, dans son poeéme De Arte graphica, renvoie eègalement le peintre aé la rheètorique sur ce sujet : D' exprimer outre tout cela les mouvements des esprits et les affections qui ont leur sieége dans le cÝur ; en un mot, de faire avec un peu de couleurs que l' aême nous soit visible, c' est oué consiste la plus grande difficulteè : nous en voyons assureèment bien peu qu' en cela Jupiter ait regardeè d' un Ýil favorable. Aussi n' appartient -il qu' aé ces esprits, qui participent en quelque chose de la diviniteè , d' opeèrer de si grandes merveilles. Je laisse aux rheètoriciens aé traiter de ces caracteéres des passions ; et me contenterai seulement de rapporter ce qu' en dit autrefois
2
Selon une remarque de Roger de Piles (L' Ideèe du peintre parfait, eèd. X. Carreére, Paris,
1993, p. 37), la sculpture contient û plusieurs choses qui ne conviennent pas aé la Peinture ý et û le Peintre a d' ailleurs des moyens d' imiter la Nature plus parfaitement que le Sculpteur ý.
3
M. Fumaroli, L' Ecole du silence, Paris, 1994, p. 509.
4
N. Poussin, Lettres et propos sur l' art, Paris, 1989, p. 163-164.
5 6 7
R. Freèart de Chambray, Ideèe de la perfection, p. 14. A. Feèlibien, L' ideèe du peintre parfait, Geneéve, 1970, p. 34. F. Junius, De Pictura veterum, Amsterdam, 1637, III, 4, 2.
quintilien et les deè bats sur la peinture aé l' a ê ge classique
517
un excellent ma|être : Que les mouvements de l' aême qui sont eètudieès, ne sont jamais si naturels que ceux qui se voient dans la chaleur d' une 8
veèritable passion .
Toujours dans sa correspondance avec Chantelou, Poussin est lui aussi on ne peut plus explicite sur l' importance de Quintilien aé cet eègard : Double est l' instrument qui ma|ê trise les aêmes des auditeurs, l' action et la diction ; la premieére vaut tant par elle-meême que Deèmostheéne lui donnait le pas sur les autres artifices de rheètorique. Marcus Tullius l' appelle le langage du corps. Quintilien lui attribue telle vigueur et telle force qu' il reèpute sans elle inutiles les ideèes, les preuves, les ex9
pressions, et aussi bien sans elle sont inutiles les lignes et la couleur .
Je m' arreêterai ici un peu plus longuement sur le cas de Roger de Piles, qui deèfinit la passion en peinture comme û un mouvement du corps accompagneè de certains traits sur le visage qui marquent une agitation
de
l' aême
10
ý.
Il
consideére
la
repreèsentation
des
passions
comme l' ultime supeèrioriteè de la peinture sur la poeèsie. Dans son argumentation, l' autoriteè de Quintilien est alleègueèe par deux fois : Pictura tacens opus et habitus sem-
Et Quintilien avoue que la Peinture
per eiusdem sic in intimos penetrat
peè neétre si avant dans notre esprit, et
affectus, ut ipsam vim dicendi non
qu'elle remue si vivement nos pas-
(Inst.,
sions, qu' il para|êt qu'elle a plus de
nunquam
superare
videatur
force que tous les discours du monde
II, 3).
(Cours, p. 226).
54
Sed non ideo probaverim (quod fac-
Ceux meêmes dont la profession eètait
tum et lego et ipse aliquando vidi),
de persuader ont souvent appeleè la
depictam
tabula sipariove ima-
Peinture aé leur secours pour toucher
ginem rei cuius atrocitate iudex erat
les cÝurs, parce que l'esprit, comme
commovendus. Quae enim est ac-
nous l'avons fait voir, est plutoêt et
in
toris infantia, qui mutam illam effi-
plus vivement eèbranleè par les choses
giem magis quam orationem pro se
qui frappent les yeux que par celles
putet locuturam ! (Inst.,VI, 1, 32)
qui entrent par les oreilles : les paroles passent et s'envolent, comme on dit, et les exemples touchent. C'est pour cela qu'au rapport de Quintilien, qui
nous
a donneè
les reégles
de l'eèloquence, les avocats dans les causes criminelles exposaient quelquefois un tableau qui repreè sentait
8
Ch. Dufresnoy,
De Arte graphica,
v. 230-239, eèd. C. Allen, Y. Haskell & F. Muecke,
Geneéve, 2005. J' adopte la traduction (assez libre) de Roger de Piles,
9
10
N. Poussin,
Lettres et propos,
R. de Piles,
ibidem,
p. 182. Poussin reèsume ici l' Institution
Cours de peinture par principes,
Paris, 1989, p. 91.
p. 471.
oratoire,
XI, 3, 1-9.
fernand hallyn
518
l'eèveè nement dont
il
s'agissait,
afin
d'eèmouvoir les cÝurs des juges par l'eè normiteè des faits. [...] La raison en
est
que
la
parole
n'est
que
le
signe de la chose, et que la Peinture qui repreè sente plus vivement la
reèaliteè
cÝur
eèbranle
beaucoup
et
peè neétre
plus
le
fortement
(Cours, p. 227).
On aura noteè dans le second passage le renversement de perspective qui se produit lorsqu' on passe du discours sur l' orateur au discours sur le peintre : alors que Quintilien condamne le proceèdeè qui consiste aé corroborer un discours par une illustration picturale, parce qu' il implique la reconnaissance de l' insuffisance de la parole de la part de l' orateur
11
, de Piles supprime cette condamnation, ne retenant de
l' exemple que la deèmonstration de la force eèmotive de la peinture. Plus haut dans son Cours de peinture par principes, De Piles avait emprunteè directement et litteèralement sa theèorie de l' actio aé Quintilien, en combinant de manieére pertinente des passages eèloigneès de l' Institution oratoire. Ainsi, il emprunte au livre VI la distinction entre deux degreès dans les mouvements de l' aême : Horum autem, sicut antiquitus tra-
Il y a dans les passions deux sortes de
ditus, accepimus, duae sunt species :
mouvements, les uns sont vifs et vio-
alteram Graeci pathos vocant, quod
lents, les autres sont doux et mo-
nos vertentes affectum dicimus, al-
deèreès. Quintilien appelle les premiers
teram eéthos, cuius nomine, ut ego
patheètiques,
sentio, caret sermo Romanus (Inst.,
(Cours, p. 92).
et
les
autres
moraux
VI, 2, 8). [...] hos imperare, illos persuadere,
Les
hos ad perturbationem, illos ad beni-
moraux persuadent ; les uns portent
volentiam praevalere (Inst.,VI, 2, 9).
le trouble et remuent puissamment les
patheètiques
cÝurs,
les
commandent,
autres
insinuent
les
le
calme dans l'esprit (Cours, p. 92).
Pour expliquer ensuite comment le visage et le corps expriment les passions, le Cours passe au livre XI de l' Institution oratoire, dont il reprend, aé quelques deètails preés, la theèorie de l' actio rheètorique :
11
Praecipuum vero in actione sicut in
La teête est donc la partie du corps qui
corpore ipso caput est, cum ad illum
contribue toute seule plus que toutes
de quo dixi decorem, tum etiam ad
les autres ensemble aé l'expression des
significationem (Inst., XI, 3, 68).
passions (Cours, p. 94).
On trouve de fines analyses du passage de Quintilien dans J. Lichtenstein, La Cou-
leur eèloquente, Paris, 1989, p. 108-109, et B. Vouilloux, Le Tableau vivant. Phryneè, l' orateur et le peintre, Paris, 2002, p. 122.
519
quintilien et les deè bats sur la peinture aé l' a ê ge classique
[...] nam et deiecto humilitas et supi-
[...] l' humiliteè qu'elle exprime lors-
no arrogantia et in latus inclinato
qu'elle est baisseè e, l'arrogance quand
languor et praeduro ac rigente bar-
elle est eèleveèe ; la langueur quand
baria
elle penche et qu'elle se laisse aller sur
quaedam
Inst
(
mentis
ostenditur
l'eèpaule, l'opiniaêtreteè, avec une cer-
., XI, 3, 69).
taine
Cours
( Significat
vero
plurimis
modis.
humeur
reveêche
et
barbare
, p. 94).
et d'autres dont on conc°oit mieux les
Nam [...] motus sunt et verecundiae
marques
et dubitationis et admirationis et in-
comme la pudeur, l'admiration, l' in-
qu'on
ne
le
peut
dire,
Cours
dignationis noti et communes om-
dignation et le doute (
nibus (
C'est par la teête que nous faisons
Inst
., XI, 3, 71).
, p. 94).
Dominatur autem maxime vultus.
mieux voir nos supplications, nos
Hoc
hoc
menaces, notre douceur, notre fierteè,
blandi, hoc tristes, hoc hilares, hoc
notre amour, notre haine, notre joie,
supplices,
erecti,
hoc
hoc
summisi
minaces,
sumus
(
Inst
.,
Cours
notre tristesse, notre humiliteè (
,
p. 95).
XI, 3, 71) [? masques] Sed in ipso vultu plurimum valent
Les
oculi,
toutes aé mettre au dehors les senti-
per
emanat (
Inst
quos
maxime
animus
parties
ments
., XI, 3, 75).
du visage
du cÝur ;
contribuent
mais
surtout
les
yeux, qui sont, comme dit Ciceè ron, deux feneêtres par ou é l'aême se fait voir
Cours
(
, p. 95).
Et ad haec omnia exprimenda in pal-
[La joie et la tristesse partent] plus
pebris etiam et in genis est quoddam
particulieérement des sourcils et de la
deserviens iis ministerium. Multum
bouche
et superciliis agitur (
Inst
12
Cours
(
, p. 95).
., XI, 3, 77-
78). Naribus
labrisque
non
fere
quic-
Le nez n'a point de passion qui lui
quam decenter ostendimus, tametsi
soit particulieére, il ne fait que preêter
derisus, contemptus, fastidium sig-
son secours
aux autres
parties du
nificari solet (
corps
meèpris,
moquerie,
Inst
., XI, 3, 80).
[+ le
moins la coleére] (
Cours
la
, p. 95).
Le mouvement des leévres doit eêtre meèdiocre (
, p. 96).
ºººººº
[Eloge des mains :]
[Eloge des mains :]
[...] vix dici potest quot motus ha-
[...] leurs mouvements, qui sont pres-
beant, cum paene ipsam verborum
que infinis, sont des expressions sans
copiam
nombre (
persequantur
(
Inst
.,
Cours
, p. 96).
XI, 3, 85).
Enfin,
[...] º ut in tanta per omnis gentes
sont la langue des muets, qu'elles ne
nationesque linguae diversitate hic
contribuent pas peu aé parler un lan-
mihi omnium hominum communis
gage commun aé toutes les nations de
sermo videatur (
la terre, qui est celui de la Peinture
Inst
., XI, 3, 87).
Selon les
l'on
peut
dire,
puisqu'elles
Cours
(
12
Cours
[La nuque, les eèpaules, les bras]
, p. 96).
Remarques sur la peinture Üuvres diverses (
, t. IV, p. 190), le û trio ý formeè par
les yeux, les sourcils et la bouche peut constituer û une harmonie merveilleuse pour ê me ý. toutes les Passions de l' A
fernand hallyn
520
Apreés ce long reèsumeè de la pratique de l' actio, de Piles revient au livre VI, et emprunte meême au passage une phrase au livre VIII, pour aborder la question de savoir comment obtenir, avec tous ces moyens, une repreèsentation convaincante des diffeèrentes passions. Cette fois, Quintilien est explicitement mentionneè et loueè aé deux reprises pour ses conseils qui insistent sur le roêle de l' imagination et du mimeètisme pour obtenir un effet plein d' enargeia : Quare, in iis quae esse veri similia
Le Peintre doit envisager cet objet
volemus, simus ipsi similes eorum
avec attention, et le repreè senter preè-
qui vere patiuntur adfectibus, et a tali
sent quoique absent, et se demander
animo proficiscatur oratio qualem
aé soi-meême ce qu' il ferait naturelle-
facere iudici volet. An ille dolebit
ment s' il eètait surpris de la meême
qui audiet me, qui in hoc dicam, non
passion. Il faut meême faire davan-
dolentem ? Irascetur, si nihil ipse qui
tage : il faut prendre la place de la
in iram concitat ei quod exigit simile
personne
patietur ? Siccis agentis oculis lacri-
l' imagination ou la modeèrer selon le
mas
dabit ?
Fieri
non
potest
[...]
(Inst.,VI, 2, 27).
degreè
de
passionneè e,
vivaciteè
ou
s'eèchauffer
de
douceur
qu'exige la passion, apreés y eêtre bien entreè et l'avoir bien sentie [...] (Cours, p. 93).
Atque huius summae iudicio qui-
Il me semble (dit Quintilien, parlant
dem meo virtutis facillima est via :
des passions) que cette partie si belle
naturam intueamur, hanc sequamur
et si grande n'est pas inaccessible et
(Inst.,VIII, 3, 71).
qu' il y a un chemin qui y conduit assez facilement, c'est de consideèrer la nature
et
de
l' imiter
[...]
(Cours,
p. 96). Summa enim, quantum ego quidem
Le moyen (dit Quintilien) de don-
sentio, circa movendos adfectus in
ner une couleur aé une chose si vous
hoc
n'avez pas cette couleur : il faut que
posita est,
ut
moveamur
ipsi
(Inst.,VI, 2, 26).
nous
At quo modo fiet ut adficiamur ?
d'une
Neque enim sunt motus in nostra
d'en toucher les autres. Et comment
potestate.Temptabo etiam de hoc di-
faire (ajoute-t-il) pour se sentir eèmu,
cere. Quas phantasias Graeci vocant
vu que les passions ne sont pas en
(nos sane visiones appellemus), per
notre puissance : en voici le moyen, si
quas imagines rerum absentium ita
je ne me trompe. Il faut se former des
repraesentantur animo ut eas cernere
visions et des images des choses ab-
oculis ac praesentes habere videamur
sentes, comme si effectivement elles
soyons passion
toucheè s
les
premiers
avant
que
d'essayer
eètaient devant nos yeux [...] (Cours,
[...] (Inst.,VI, 2, 29).
p. 97).
é A
travers
cette
utilisation
massive
de
Quintilien
aé
l' usage
du
peintre s' effectue en quelque sorte un juste retour des choses. En effet, en abordant l' actio rheètorique, Quintilien avait proposeè û l' Ýuvre silencieuse ý (tacens
opus)
du peintre en modeéle aé l' orateur (Inst., XI, 3, 67) :
û Et il n' est pas eètonnant que ces gestes, qui, apreés tout, comportent quelque
mouvement,
produisent
une
impression
si
profonde
sur
quintilien et les deè bats sur la peinture aé l' a ê ge classique
521
l' aême, quand la peinture, qui est un ouvrage silencieux et qui fixe des attitudes immuables, agit sur notre sensibiliteè la plus intime au point d' avoir parfois l' air d' eêtre plus eèloquente que la parole meême ý. En somme, lorsque de Piles revient aé Quintilien pour instruire le peintre, un cercle se cloêt. Malgreè l' importance accordeèe unanimement aé la repreèsentation des passions et l' importance tout aussi unanimement reconnue aé Quintilien dans ce domaine, il serait faux de croire que les modaliteès de cette repreèsentation faisaient l' objet d' un accord geèneèral au xvii
e
sieécle. Un
des inteèreêts du texte de de Piles reèside justement dans le fait que les emprunts aé Quintilien sont entrecoupeès par une poleèmique avec Le Brun : Le Brun a fait un traiteè des passions dont il a tireè la plupart des deèfinitions de ce qu' en a eècrit Descartes. Mais tout ce qu' en a dit ce philo sophe ne regarde que les mouvements du cÝur, et les Peintres n' ont besoin que de ce qui para|êt sur le visage. Or quand les mouvements du
cÝur
produiraient
les
passions
selon
les
deè finitions
qu' on
en
donne, il est difficile de savoir comment ces mouvements forment les traits du visage qui les repreèsentent aé nos yeux. De plus, les deèfinitions de Descartes ne sont pas toujours mesureè es aé la capaciteè
des
Peintres
qui
ne
sont
pas
d' ailleurs ils aient bon esprit et bon sens
13
tous
philosophes,
quoique
.
Un peu plus loin, de Piles ajoute que les modeéles de Le Brun n' ont nullement une valeur universelle et neècessaire : Pour les deèmonstrations que Le Brun en a donneèes, elles sont treés savantes et treés belles, mais elles sont geèneèrales : quoiqu' elles puissent eêtre utiles aé la plupart des Peintres, on peut neèanmoins sur le sujet faire de belles expressions tout aé fait diffeèrentes de celles de Le Brun, quoique ce Peintre y ait treés bien reèussi
14
.
Cette deèfense de la varieèteè et des eècarts, cette deèfiance de la loi geèneèrale sont elles aussi tout aé fait quintilianisantes, car l'
toire
Institution ora-
exprimait deés le livre II son refus des reégles absolues : ... j' ai toujours pris pour habitude de m' assujettir le moins possible aux
preèceptes
qu' on
nomme
en
grec
katholika
(catholiques),
c' est-aé-dire, pour les appeler comme nous pouvons, `universels'
13 14
Cours Cours
, p. 92-93. , p. 93.
ou
fernand hallyn
522
`permanents' : il est rare en effet d' en trouver du meê me genre, qui ne puissent eêtre eèbranleès sur quelque point et sapeès
15
.
Il est significatif que chez Quintilien deèjaé cette prise de position soit deèfendue aé l' aide d' exemples pris aé la peinture. û Souvent, est-il dit, l' inteèreêt exige de modifier l' ordre eètabli par la tradition, parfois la bienseèance aussi ; c' est ce qui se passe pour les statues et les tableaux, ou é
l' on
voit
varier
les
attitudes,
les
expressions,
le
maintien ý
(II, 13, 8). Suivent alors des exemples concrets, oué des Ýuvres de Myron, d' Apelle, de Timanthe sont mises en eèvidence, avec une insistance sur le fait que û la physionomie a mille expressions ý et que meême le fait de la dissimuler peut eêtre pourvu d' une signification profonde (II, 13, 8-13). Dans la critique faite par de Piles des ambitions de Le Brun, nous assistons en fait aé une confrontation entre une conception quintilianisante de l' actio et les preètentions de la physiognomonie. Certes, chez Le Brun aussi il se rencontre des eèleèments proches de Quintilien. Cela se
remarque
par
exemple
aé
propos
de
l' importance
attacheèe
au
sourcil, que Le Brun consideére comme la partie la plus importante du
visage.
Quintilien,
tout
en
consideèrant
les
yeux
comme
plus
importants, avait aussi souligneè que les sourcils deèterminent en grande partie l' expression du front (Inst., XI, 78) : û ils dessinent jusqu' aé un certain point la forme des yeux et reégnent sur le front. C' est eux qui le contractent, qui le tendent, qui le deètendent, aé tel point que, sur cette partie du visage, rien n' agit davantage, sauf le sang [...] ý. Mais outre que de telles observations se rencontrent aussi souvent dans les traiteès de physiognomonie
16
, la theése de Le Brun prend un sens parti-
culier dans le contexte carteèsien. Elle s' impose aé cause de la proximiteè de la
glande pineèale
et d' une
facile explication
meècaniste
qui en
deècoule : Et comme nous avons dit que la glande qui est le milieu du cerveau est le lieu ou é l' aême rec°oit les images des passions, le sourcil est la partie de tout le visage oué les passions se font le mieux conna|ê tre.
On sait, d' autre part, le ro ê le joueè chez Le Brun par les analogies entre
la
physionomie
humaine
et
les teêtes d' animaux :
indication
claire que tout ne s' explique pas par Descartes, mais qu' il y a aussi une reprise de theémes traditionnels de la physiognomonie. Or, ces
15 Inst., II, 13, 14. 16 Cf. notamment 418.
R. Forster,
Scriptores physiognomici,
Leipzig, 1893, t. II, p. 409-410,
quintilien et les deè bats sur la peinture aé l' a ê ge classique
523
rapprochements visent aé eètablir une grammaire universelle eènumeèrant ce que Le Brun appelle des û inclinations naturelles ý º c' est-aé-dire des traits que Quintilien appelait û catholiques ý, universels et permanents, et dont il mettait en doute la pertinence pour l'
actio
de l' orateur,
comme de Piles le fait pour l' expression des passions chez le peintre. L'
actio
quintilianisante se deètourne de l' ambition de dresser une classi-
fication raisonneèe des passions en tant que telles et d' en tirer des conclusions rigoureuses pour l' orateur. Elle preèfeére insister sur la varieèteè et la malleèabiliteè des traits du visage et des gestes du corps, impossibles aé dominer dans un systeéme deèfinitif et clos. Il en va de meême chez Roger de Piles. Dans ses
Remarques sur la peinture
, il insiste
sur le fait que les passions sont beaucoup plus nombreuses que celles eènumeèreèes par les philosophes et qu' en outre leur expression peut varier selon deux modaliteès. D' une part, chacune d' elles peut se manifester aé des degreès diffeèrents de violence et de douceur, si bien que û sans examiner si toutes les choses que les Peintres appellent du nom de Passion se peuvent rapporter aé celles des Philosophes ý, il faut que û chacun en use comme il lui plaira, et qu' il en fasse une eètude aé sa
Remarques
mode ý (
, 186). Une autre source de varieèteè provient de la
û qualiteè ý des personnes qui eèprouvent les passions : û La Joie d' un Roi ne doit pas eêtre comme celle d' un valet, et la Fierteè d' un Soldat ne doit pas ressembler aé celle d' un Capitaine. C' est dans ces diffeè-
Remar-
rences que consiste tout le fin et tout le deèlicat des Passions ý (
ques
, 195).
La consideèration des passions dans une perspective quintilianisante adapteèe aé la peinture intervient aussi dans l' argumentation deèveloppeèe par de Piles en faveur de la supeèrioriteè de Rubens sur Poussin et de la couleur sur le dessin. Dans la repreèsentation des passions violentes, Rubens est au moins l' eègal des autres peintres, mais il est ineègalable dans celle des expressions douces, beaucoup plus subtile et nuanceè e. Le visage de Paris dans
Le Jugement de Paris
est proposeè comme un
bon exemple de û ces sortes de passions qui, causant peu de changement sur le visage, ne laissent pas de faire voir que le dedans est fort agiteè ý : quoique le Berger paraisse dans une action de repos et que son visage soit sans agitation, l' on voit neèanmoins treés facilement que son aême est fort occupeèe du choix qu' il doit faire
17
Conversations
, 130-131.
17
.
fernand hallyn
524 La Descente de la Croix
illustre l' adeèquation de la repreèsentation de
la passion aé la û qualiteè ý du personnage : Dans la descente de Croix, l' air de la Vierge, qui fait voir un abatte ment de douleur, est repreèsenteè d' une fac°on si touchante et si particulieére qu' il ne peut convenir aé aucune meére en semblable occasion qu' aé la Meére de Dieu ; aussi peut-on dire que cette expression est toute di vine et l' un des plus heureux efforts de l' imagination du Peintre
18
.
Il importe encore de situer la repreèsentation des passions dans la discussion sur la preèseèance du dessin ou du coloris en peinture. En effet, il est geèneèralement admis que cette repreèsentation est d' abord affaire du dessin, alors que pour de Piles û la dernieére perfection de la peinture deèpend du coloris ý
19
. Or, justement, de Piles est un des rares aé
reconna|être l' importance de la couleur pour les expressions et les attitudes qui font voir les mouvements de l' aême. Cette fois, c' est le Titien,
l' autre grand
coloriste aé
co ê teè
de Rubens,
qui
est
citeè
en
exemple : [...] les expressions, que vous appelez l' aême de la peinture, ne seraient pas tant estimeèes dans
La Chasse aux lions
et dans l' Andromeéde, si le
sang qui est retireè de dessus le visage de ceux qui sont attaqueè s par ces animaux, n' y laissait voir la peur beaucoup mieux imprimeè e par la couleur que par le dessin. Celle de l' Andromeé de, et principalement dans les extreèmiteès, fait encore mieux voir ce qui se passe dans son aême que les traits de son visage
20
.
Tout cela conduit aé un appel aé l' imagination, aé l' imitation et aé l' identification fictionnelle qui fait confiance au geè nie et aé l' expeèrience et prend le contrepied d' une estheètique rationnelle ou rationalisante qui se voudrait û catholique ý : De dire comme il faut que ces parties soient disposeè es pour exprimer les diffeèrentes passions, c' est ce qui est impossible et dont on ne peut donner de reégles bien preècises, tant aé cause que le travail en serait infini que parce que chacun en doit user selon son geè nie et selon l' eètude qu' il en a duê faire
21
.
On rencontre une parenteè suppleèmentaire entre Quintilien et de Piles dans la fin qu' ils assignent respectivement aé l' eèloquence et aé la peinture. Pour le rheèteur romain, le discours doit en premier lieu viser
18 Conversations, 19 Conversations, 20 Ibidem. 21 Cours, p. 96.
131. 135.
525
quintilien et les deè bats sur la peinture aé l' a ê ge classique
aé eèmouvoir le destinataire, et la peèroraison doit entieérement eêtre soumise aé cet objectif : [...] l' effet produit par les arguments et les teè moins est reèveèleè par le verdict ; mais, eèmu par l' orateur, le juge laisse para|être son sentiment, encore assis sur son sieége et eècoutant. Quand les larmes jaillissent º et c' est le but de la plupart des peèroraisons º la sentence n' est-elle pas rendue ouvertement ? Que l' auteur fasse donc porter laé tout son effort : `C' est laé qu' est son effort, c' est laé qu' est le travail' . Sans ce patheètique, tout le reste est nu, maigre, sans force, sans agreè ment : tant la vie, pour ainsi dire, et l' amas de l' eèloquence reèsident dans les sentiments
22
.
La peèroraison doit produire une impression graêce aé laquelle toutes les passions qui ont eèteè mimeèes dans l' actio accompagnant la narration et l' argumentation provoquent un effet d' ensemble sur l' auditeur. Pour de Piles aussi, contrairement aé Le Brun, û le nerf de l' eèloquence n' est pas la raison, mais la passion ; son action est plus affective que spirituelle ; elle ne cherche pas aé nous convaincre, mais aé nous troubler
23
ý. Dans le cas de la peinture, les parties de la composition ne se
succeédent pas dans le temps, mais sont simultaneèment projeteèes sur le spectateur. L' effet de ce û tout-ensemble ý est l' eèquivalent de l' appel eèmotif d' une peèroraison ou é l' orateur concentre en un dernier effort toute la force qu' il a voulu mettre dans son discours
24
. Dans la pein-
ture, meême des objets inanimeès peuvent contribuer aé susciter l' eèmotion du spectateur. De Piles loue ainsi la preèsence d' un drap blanc violemment eèclaireè dans
La Descente de la Croix
de Rubens :
Voici de quelle manieére les corps sont disposeès [...] Au milieu de ces huit figures est le Christ dans une attitude extreê mement touchante et d' un caracteére de corps mort s' il y en eut jamais. La lumieé re qui frappe sur ce corps et sur le drap qui est dessous fait un effet merveil leux et attire fortement la vue [...] Au reste, le Peintre est tellement entreè dans l' expression de son sujet que la vue de cet Ouvrage est une des choses les plus capables de toucher une aê me endurcie et d' y faire entrer le ressentiment des douleurs que Jeè sus-Christ a souffert pour le racheter
25
.
Au-delaé de l' actio repreèsenteèe dans et par les personnages, le tableau devient
ainsi
une
reèaliteè
û passionneèe ý
22 Inst., VI, 2, 7. 23 J. Lichtenstein, La Couleur, p. 224. 24 Sur le fameux û tout ensemble ý, cf. 25 Conversations,
137.
et
û passionnante ý
notamment J. Lichtenstein,
selon
La Couleur,
les
p. 235.
fernand hallyn
526
normes d'un Quintilien (VI, 2, 7), relu dans une perspective baroque et soumis aé l'exigence du û tout-ensemble ý, reèsultat de l'harmonie des couleurs appliqueèes au dessin des figures particulieéres et exposeèes aé l'incidence variable de la lumieére, qui eètablit des modulations d'intensiteè semblables aé celles rechercheèes par l'orateur. BIBLIOGRAPHIE Dufresnoy, Charles, , eèd. C. Allen, Y. Haskell & F. Muecke, Geneéve, 2005. Feèlibien, A., , Geneéve, 1970. Forster, R., , Leipzig, 1893. Freèart de Chambray Roland, , Le Mans, 1662. Fumaroli, M., , Paris, 1994. Junius, F., , Amsterdam, 1637. Lichtenstein, J., , Paris, 1989. Piles, Roger de, , Paris, 1989. , eèd. X. Carreére, Paris, 1993. Poussin, Nicolas, , Paris, 1989. Vouilloux, B., , Paris, 2002. De Arte graphica
L' ideèe du peintre parfait
Scriptores physiognomici
Ideèe de la perfection de la peinture...
L' Ecole du silence
De Pictura veterum
La Couleur eèloquente
Cours de peinture par principes
L' Ideèe du peintre parfait
Lettres et propos sur l' art
Le Tableau vivant. Phryneè, l' orateur et le peintre
L AT I N I TAT E S
Francis
Goyet
ÂE COMME LES FIGURES DE PENSE ÂS MINIMALES GRANDS BLOCS, UNITE POUR CONSTRUIRE UN DISCOURS
Le
point de deèpart de la reèflexion est la curiositeè suivante. C' est un
probleéme de longueur. Les traiteès de Fouquelin et de Fontanier donnent pour la meême figure de penseèe le meême exemple ciceèronien, tireè du
Pro Rabirio.
Mais ils ne le citent pas de la meême fac°on. Fouquelin
en 1555 n' en cite qu' un demi-paragraphe. Fontanier en 1827 reprend exactement ce demi-paragraphe. Mais il ajoute trois points de suspension, qu' il fait suivre d' une courte phrase de Ciceèron, laquelle se trouve nettement plus loin au texte du discours. Laé ou é Fouquelin ne cite que le deèbut de
Rab. perd.
22, Fontanier cite aussi la fin exacte du
½24. La longueur n' est pas du tout la meême : d' un demi-paragraphe on passe aé trois paragraphes complets, soit une pleine page. L' uniteè de cette page ne fait d' ailleurs aucun doute, puisque les trois û paragraphes ý en question correspondent exactement au û chapitre ý VIII. Fouquelin cite le deèbut de ce chapitre ; Fontanier, le deèbut et la fin. Mais on voit la question qui se pose. Oué est au juste la figure ? Oué commence-t-elle, ou é finit-elle ? Les lecteurs du seul Fouquelin pourront croire qu' elle reèside dans le demi-paragraphe citeè, et uniquement laé. Ils risquent d' avoir tort. Ce probleéme de longueur se retrouve chez Quintilien, et sera traiteè dans ma premieére partie. Quintilien cite en geèneèral comme Fouquelin, et parfois comme Fontanier. Avec un exemple du meême type de points de suspension, tireè d' Inst., IX, 2, j' examinerai cette pratique de la citation plus ou moins longue. Chez Quintilien comme chez Fou quelin, on peut supposer que les citations breéves sont des citations abreègeèes, tronqueèes. Elles sont embleèmatiques. Quintilien ne donne
docti
compleé-
indocti.
Tel, au
que quelques mots d' une page bien connue : ses lecteurs teront, il ne s' adresse pas aux deèbutants et autres
527
francis goyet
528
Conservatoire, le professeur qui joue aé ses eèleéves une seule mesure d' une page de Mozart ou de Beethoven, pour qu' ils situent la page aé laquelle il songe. Cette question de la longueur, qui pourrait para|être beêtement pratique, deèbouche
sur deux autres questions
treés
importantes.
Tout
d' abord, et ce sera ma deuxieéme partie, elle oblige aé revenir sur la diffeèrence entre IX, 1 et IX, 2, c' est-aé-dire entre la figure au sens de Ciceèron et la figure au sens de Quintilien. De ce dernier, nous avons heèriteè l' ideèe meême d' un langage û figureè ý. Du coup, nous avons oublieè le sens de Ciceèron, qui est celui du skheéma grec, et qui rend bien mieux compte du probleéme de la longueur. Vue comme skheéma, une figure de penseèe est un bloc, qu' on nomme celui-ci page ou, chez Ciceèron, û chapitre ý. Ce bloc aé son tour s' inseére dans une construction d' ensemble, que je deècrirai dans ma troisieéme partie. Un discours est un ensemble de blocs, de loci, tout comme une pieéce de theèaêtre est un ensemble de sceénes : un appareil de pierres plus ou moins grosses, cimenteèes par des transitions. Je rejoindrai ainsi la description que j' ai 1
faite ailleurs du recueil de sonnets comme ensemble de grands blocs . Le û paragraphe ý ciceèronien n' est, comme le sonnet, qu' une sorte d' uniteè minimale : on le voit bien lorsque, pour la figure dite communicatio, Fouquelin met co ê te aé co ê te et in extenso un paragraphe exact 2
d' un discours ciceèronien et un sonnet de Ronsard . Mais cette uniteè minimale est souvent un peu courte. On vient de le voir avec le Pro Rabirio : non pas un paragraphe, mais trois. Je l' ai montreè pour les Regrets de Du Bellay : non pas un sonnet, mais quatre, les quatre qui se font face sur la double page, selon la preèsentation typographique standard du
xvi
e
sieécle. Le bloc de base, le module, c' est chez Ciceèron un
ou deux û chapitres ý, soit en geèneèral trois aé six û paragraphes ý ; et chez Du Bellay, quatre ou huit sonnets. En gros, une aé quatre pages : voilaé cette reèaliteè familieére qu' est un skheéma, ou un locus. C' est laé la bonne dimension quand on veut raisonner en termes de construction, avoir une vision d' ensemble d' un discours en prose ou d' un recueil
1
Francis Goyet, û Le recueil de sonnets comme ensemble de tableaux, c' est -aé-dire de
loci ý, Programme et invention dans l' art de la Renaissance, eèd. M. Hochmann, J. Kliemann, J. Koering et P. Morel, Paris, Somogy eèditions d' art/Rome, Acadeèmie de France (û collection d' histoire de l' art de l' Acadeèmie de France aé Rome ý), 2008, p. 177-202.
2
La Rheètorique franc°aise, dans Traiteès de poeètique et de rheètorique de la Renaissance, eèd.
F. Goyet, Paris, 1990, p. 376-377 (ce sont les pages du retirage de 2001). Le paragraphe citeè y est Quinct. 54 ; le sonnet est le premier de la Continuation des Amours, û Tyard, chacun disait aé mon commencement... ý.
les figures de penseèe comme grands blocs
529
de poeémes. En dessous, c' est l' eèmiettement, l' eèparpillement, la vision myope et papillonnante. Pour finir, mais en annexe, je donnerai quelques indications sur l' origine
du
deècoupage
de
Ciceèron :
les
û paragraphes ý
datent
de
1588, et les û chapitres ý, de 1618. Le deècoupage date preèciseèment d' une eèpoque qui met au premier rang de ses preèoccupations estheètiques la question de la construction d' ensemble, autrement dit en latin, la
question
de
la
compositio
.
L' orateur
est
d' abord
pour
eux
un
compositeur.
Trois exemples de longueur chez Ciceèron Pour aller du plus simple au plus compliqueè, je regarderai d' abord
comparatio licentia
un exemple de
tio
et une
lectif,
ou é ,
, puis deux figures de penseèe, une
communica-
. Chaque fois, je donnerai les reèsultats d' un travail col-
en
eèquipe,
nous
comparons
xvi
ciceèronien divers commentateurs des
pour
e
et
un
xvii
e
meême
passage
sieécles, voire au-
delaé. L' exemple simple suffira aé donner une vision claire du type de longueur habituelle que balisent les û paragraphes ý et autres û chapitres ý de Ciceèron. Il s' agit d' une
comparatio
, autrement dit d' un paralleéle.
C' est meême plus speècifiquement un contraste, entre
d' une
part
la
cupiditeè
habituelle
des
comparatio disparium
geèneèraux
romains
:
et
d' autre part l' absence de toute cupiditeè chez Pompeèe. Le tout sert bien entendu aé louer ce dernier. Ciceèron,
Pro Lege Manilia
, ½37-39,
que voici dans une traduction de 1638, par le ceèleébre Perrot d' Ablancourt (je souligne et j' abreége)
3
:
[36, fin] Disons un peu comment Pompeè e posseéde toutes ces vertus, et en faisons juger la
grandeur
par l' opposition des vices.
[37] Quelle estime pouvons-nous faire d' un Geèneèral, qui vend les charges de son Armeèe ? [...] qui pour contenter son ambition, donne aux Magistrats de sa Province l' argent qu' il a pris dans l' E è pargne [= le
Treèsor
public]
pour
faire
la
guerre,
ou
qui
en
exerce
commerce indigne dans Rome pour satisfaire aé son infaême
un
Avarice
.
Ce murmure que j' entends me fait croire que vous reconnaissez les
3
Huit oraisons de Ciceron
, Paris, 1638, avec les trad. de Perrot d' Ablancourt
et alii
: pu-
blication qui vaut manifeste, juste avant la creè ation de l' Acadeèmie Franc°aise. L' eèquipe que je dirige aé Grenoble en preèpare l' eèdition, ainsi que de Du Cygne et Ferrazzi citeès ensuite (û Rheètorique de l' Antiquiteè aé la Reèvolution ý ou rare) ; orthographe moderniseèe, ponctuation conserveèe.
Rare
, w3.u-grenoble3.fr/
francis goyet
530
coupables ; mais je ne nomme personne, et personne aussi ne se peut plaindre de moi qu' il ne s' accuse d' eêtre criminel. Y a-t-il quelqu' un qui ne sache que l' Avarice des Chefs est la source de tous les maux qui se commettent dans les Armeèes : [38] Souvenez-vous un peu du dernier passage de nos leè gions dans l' Italie, et jugez par les deèsordres qu' elles ont faits dans les terres et les villes de nos Citoyens, ce qu' elles peuvent faire dans les pays eè trangers. [...] [39] Admirons donc ici l' excellence et la grandeur de Pompeèe, de qui [...] [l' armeèe] est si exempte des deèsordres qui font soupirer nos Allieès, que bien loin de contraindre quelqu' un aé fournir la deèpense des gens de guerre, on empeêche ceux qui le voudraient faire libeèralement. Car nos Anceêtres ont pris les maisons des peuples confeèdeèreès pour des retraites contre les injures de la saison, et non pas pour des asiles de leur avarice.
Les mots souligneès indiquent aé quel point la traduction fait ressortir une analyse rheètorique treés preècise du passage, elle-meême confirmeèe par les commentateurs de l' eèpoque. En 1661, l' Analysis rhetorica du jeèsuite Martin Du Cygne (16191669) repeére ici aé la fois une comparatio et une amplificatio, autrement dit un contraste qui sert l' eèloge : amplificatio per comparationem. Il les fait commencer au num. 37, summa enim omnia, c' est-aé-dire aé la phrase û Disons un peu... ý qui termine l' actuel ½36 (qui eètait au
xvii
e
sieécle
4
le ½37) . Comme sa remarque suivante commence au ½40, l' amplificatio per comparationem va aé ses yeux de 37 aé 39. Perrot d' Ablancourt de son co ê teè indique la meême chose par deux mots-balises. Pour l' amplificatio, il a le mot typique de û grandeur ý, aé la toute fin de 36 et au tout deèbut de 39. Typique en tout cas dans la prose du gique : l'
ampli-ficatio
xvii
e
sieécle, et lo-
vise aé û rendre plus grand ý ou amplus, aé magni5
fier, aé souligner l' importance . Pour la comparatio, c' est le mot û avarice ý dans 37 et aé la chute de 39 : l' avarice blaêmable des chefs et son absence louable chez Pompeèe. û Grandeur ý est chaque fois un ajout de la traduction, le latin ayant seulement ea magis ex aliorum contentione quam ipsa per sese cognosci atque intellegi possunt (36) et hunc hominem tantum excellere (39). û Avarice ý, lui, est preèsent au texte latin, mais Per-
4
Ars ciceroniana, sive Analysis rhetorica omnium orationum M. T. Ciceronis, Cologne, e
1670 (1
5
eèd. Douai, 1661, nombreuses reèeèditions), ad loc.
Pour donner en une phrase le reèsultat d' un travail de six seèances en eèquipe, deèclen-
cheè par la deècouverte que les commentateurs peuvent nommer amplificatio un seul vers de Virgile. La traduction par û amplification ý induit deè sormais un faux sens.
les figures de penseè e comme grands blocs
531
rot par deux fois le deèplace pour en faire une clausule treés marqueèe : û ...son infaême Avarice. ý (37) = aut propter avaritiam Romae in quaestu
reliquerit ? ; û ...des asiles de leur avarice. ý (39) = Hiemis enim, non avaritiae perfugium maiores nostri in sociorum atque amicorum tectis esse voluerunt. Ces breéves remarques suffisent aé mon propos. On voit d' abord, et presque incidemment, que la traduction de Perrot d' Ablancourt est treés loin d' eêtre une û infideéle ý. Alors meême qu' elle ajoute ici et supprime laé, elle est eèminemment fideéle aé l' analyse qu' elle fait du mouvement de ce passage. Perrot y voit une sorte de topos, un û lieu commun ý auquel le lecteur du temps n' aura pas de mal aé restituer son titre ou rubrique, û Avarice (des Chefs) ý, avec application au cas 6
particulier de Pompeèe . On voit ensuite que le deècoupage en paragraphes cadre ici fort bien avec l' analyse : lui non plus n' est pas arbitraire. Nous retrouvons ainsi le bref descriptif de Fouquelin et Fontanier donneè en commenc°ant. Chez eux aussi, les citations cadrent treés preèciseèment avec le deècoupage du texte ciceèronien. Mais ce premier exemple, nous dira-t-on, n' est pas pour surprendre. Dans
la
pompeèienne,
l' absence
d' arbitraire
du
deècoupage
tient
simplement au fait que ce discours explicite sans cesse son plan et ses articulations, ses grands A et B, ses petits a et b, etc. Venons-en donc aé des exemples un peu plus complexes, qui sont aussi des exemples de figures de penseèe. Je reprends tout d' abord celui deèjaé eèvoqueè de Fouquelin et Fontanier, qui est une communicatio, et je passerai ensuite aé un exemple de licentia, celui-laé meême que cite Quintilien dans IX, 2. La
communicatio est û une
deèlibeèration
et
consultation
avec
les
autres ý (Fouquelin), û on a l' air de les consulter, d' entrer en confeèrence
avec
eux,
et
de s' en rapporter aé
ce qu' ils deècideront
eux-
7
meêmes ý (Fontanier) . Dans le Pro Rabirio, Fouquelin cite donc en gros la premieére moitieè du ½22, jusqu' aé potissimum uelles ? Fontanier y ajoute une petite coda, la dernieére et courte phrase du ½24 et du chapitre VIII, Hoc tu igitur in crimen uocas [...] si reliquisset ? Enfin, Du Cygne en 1661 ne parle pas de communicatio pour ces deux passages. En revanche, il note au milieu du ½20 : insigni communicatione, û communication remarquable ý. Notons que ce milieu de l' actuel ½20 eè tait au
xvii 6
e
sieécle le deèbut du ½21, Hic iam, ut omittam cetera, de te ipso,
D' oué sans doute la suppression des tout derniers mots de Ciceè ron aé la fin de 37, sur
û les no ê tres ý, nostri exercitus. La suppression revient aé faire de 37 la quaestio infinita, la û theése ý oué l' on parle en geèneèral de l' avarice ou cupiditeè des chefs ; et de 38-39 la quaestio
finita, l' û hypotheése ý ou applicatio aé Pompeèe.
7 Traite general des figures du discours autres que les tropes, è è è
G. Genette, Paris, 1977, p. 414.
dans Les figures du discours, eèd.
532
francis goyet
Labieno, quaero... Du Cygne deèmarre donc lui aussi la communicatio aé un deèbut exact de paragraphe º conformeèment aé l' habitude de son temps, il n' en note pas la fin. Cela ne signifie pas qu' il n' a pas remarqueè le 8
passage effectivement remarquable citeè par Fouquelin et Fontanier . Si on superpose pour ainsi dire ces trois commentateurs, la situation est la suivante. La communication court en reèaliteè de 20 aé 24, soit cinq paragraphes (dont le 21 treés long), soit encore preés de deux chapitres, VII et VIII º le chapitre VII commence peu avant le deèbut de la communication selon Du Cygne. Je dis que la figure û court ý. On pourrait plutoêt dire qu' elle est comme une sorte de filet, d' englobant teènu mais ferme. Quand on reèunit les trois passages repeèreès par nos trois commentateurs, on voit en effet qu' ils releévent chez Ciceèron le meême type de formulations : Du Cygne [20] Ici, pour ne rien dire du reste, voici la question que je te poserai aé toi-meême, Labieènus : lorsque Saturninus en armes occupait [en rebelle] le Capitole [avec contre lui en armes consuls, Seè nat, tous les citoyens de tous les ordres], que devait donc faire Rabirius ? [= fin de 20] [21, deèbut] Oui, c' est aé toi-meême, Labieènus, que je le demande. Fouquelin,
Fontanier
[22 = deèbut de VIII] Toi-meême, Labieènus,
qu' aurais-tu fait en pareil cas, dans de semblables circonstances ? [...] quel appel, quel parti aurais-tu voulu suivre ? aé quel ordre obeèir de preèfeèrence ? Fontanier [24, fin = fin de VIII] Veux-tu donc faire un crime aé Rabirius d' avoir eèteè avec eux, quand c' euêt eèteè insigne folie que de les combattre et honte insigne que de les abandonner ?
Que devait donc faire celui que tu attaques aujourd' hui ? Qu' aurais-tu fait toi-meême ? Ces questions sont eèvidemment û rheètoriques ý, et c' est par laé qu' il s' agit d' une figure au sens de Quintilien, j' y reviendrai dans ma dernieére partie. Rabirius devait bien suêr se joindre au bon parti, unanime contre le rebelle. La reèpeètition fait refrain. Trois temps : ½20, je vais te demander quelque chose, redit au deèbut de 21 ; ½22, ce que je te demande, c' est û qu' aurais-tu fait toi-meême ? ý ; ½24, tu ne vas quand meême pas oser reèpondre û me battre avec le rebelle ý ? Ces trois temps sont une dramaturgie du questionnement. Comme les trois coups au theèaêtre, le
8
Du Cygne le cite, ce passage, non dans son Analysis mais dans le traiteè de rheètorique
dont il l' accompagne, l' Explanatio rhetoricae, Cologne, 1670, p. 131.
les figures de penseè e comme grands blocs
533
premier attire l' attention et le dernier conclut. En termes d' eètendue, ces trois coups sont treés ponctuels, ils occupent fort peu de place, bien moins que l' eènumeèration de tous ceux qui eètaient derrieére les consuls, etc.
En
termes
de
dramaturgie,
ces
coups
ponctuels
occupent
au
contraire tout le terrain, ils û ponctuent ý, ce sont des ponctuations fortes.
Ils
cadrent
toute
la
sceéne,
tout
le
passage,
qu' ils
ouvrent,
relancent et ferment. On le voit bien avec la reprise aé 21, û Oui, c' est aé toi-meême, Labieènus, que je le demande ý, qui vaut piquêre de rappel. Nous ne perdons pas le fil. Cadre ou filet, cet effet d' encadrement est dit de fac°on treés eèconomique en 1729 par un autre commentateur, Marco Antonio Ferrazzi (1661-1748). Au tout deèbut du chapitre VII, celui-ci note que notre passage, VII-VIII, a pour structure profonde le syllogisme ou raisonnement suivant : Jure fecit Rabirius, quod Coss. Senatus, et omnes boni fecerunt ; Sed Coss. Senatus, et omnes boni sumpserant arma in Saturninum ; Ergo et Rabirius jure in Saturninum arma sumpsit. Per
figuram
Communicationem,
quam
saepe
repetit,
Propositionem
confirmat ; patet autem Assumptio ab enumeratione eorum, qui contra 9
Saturninum, et illius socios convenerant .
La communication vient aé l' appui de la majeure, et l' eènumeèration repreèsente la mineure. Autrement dit, la communication a aé voir avec la question de leègitimiteè, Jure. Ce qui eètait leègitime, c' eètait de suivre le parti des gens de bien. La figure û souvent reèpeèteèe ý enfonce le clou : ose nous dire le contraire ! La mineure, elle, est du coêteè du plus long, et pour cause, puisqu' il s' agit d' abord d' une eènumeèration, c' est-aédire d' un deènombrement exhaustif, qui s' eètale sur tout le treés long ½21. Le plus long occupe le devant de la sceéne, ce sont pour ainsi dire
9
M. T. Ciceronis Orationum, cum argumentis, animadversionibus, et analysi M. Antonii Fer -
ratii, ad usum seminarii Patavini, Padoue, 1729. Traduction : û C' est leègitimement que Rabirius a agi, en faisant ce qu' ont fait les consuls, le seènat et tous les gens de bien ; Or les consuls, le seènat et tous les gens de bien ont pris les armes contre Saturninus ; Donc Rabirius lui aussi a pris leè gitimement les armes contre Saturninus. Par la figure de la Communication, qu' il reèpeéte souvent, il eètaie la Majeure ; la Mineure quant aé elle est rendue eèvidente par le deènombrement exhaustif de ceux qui se sont allieès contre Saturninus et ses partisans ý. Sur Ferrazzi ou, en latin, Ferracci, voir le chapitre de Dante Nardo, in Storia della cultura veneta, eèd. G. Arnaldi, M. Pastore Stocchi, Vicenza, 1985, t. 5, Il Settecento, vol. 1, p. 241, n. 127 et p. 244, n. 145 (je remercie Gilles Bertrand et Piero Del Negro pour cette reè feèrence).
francis goyet
534
les acteurs. Mais c' est la majeure qui est chargeèe de la mise en sceéne, du cadrage qui donne sens aux eèveènements rappeleès
10
.
Avec cette description provisoire et intuitive, nous pouvons en venir aé mon troisieéme et dernier exemple, une
licentia
chez Quintilien,
dont celui-ci ne donne d' ailleurs que ce seul exemple. C' est une situation du meême type, avec l' eèquivalent des points de suspension de Fontanier. Quintilien cite
in extenso
une courte phrase du
Pro Ligario,
Suscepto bello, Caesar, gesto etiam ex parte magna, nulla
la premieére du ½7 :
ui coactus, iudicio ac uoluntate ad ea arma profectus sum quae erant sumpta contra te
(IX, 2, 28). Il en ajoute aussitoêt une seconde, encore plus
courte, la premieére du ½10, qui est aussi le deèbut du chapitre IV :
autem aliud egimus, Tubero, nisi ut quod hic potest non possemus ?
Quid
Nous
voici deèjaé avec une eètendue de plus de trois paragraphes, 7-9. Latomus en 1539 et Du Cygne font commencer la licence plus haut, au milieu du ½6, un milieu qui est aussi le deèbut du chapitre III,
reformidem
11
Vide quam non
. Fouquelin fait de meême, et il cite d' un bloc cette fin de 6
et le deèbut de 7, en incluant la phrase apreés celle que cite Quintilien, jusqu' aé
rei publicae reddidit.
Du Cygne poursuit en incluant tout 7. En-
fin, Perrot d' Ablancourt ajoute par trois fois au texte de Ciceèron le mot û hardiesse ý, qui deèsigne preèciseèment la
licentia,
cette (feinte) li-
berteè de parole qui est en fait un eèloge. Chacun de ces trois emplois a une fonction de balise. Au ½6, c' est juste avant le deèbut de III et de la licence, û Ciceèron a la
hardiesse
Cicero apud te defendit. Au ½8,
devant Ceèsar d' avouer un crime ý,
c' est juste apreés la licence proprement dite,
û Voyez Tubeèron que je n' ai pas la que j' ai la
10
hardiesse
hardiesse
de publier d' un autre, ce
de confesser de moi-meême ý,
Vide, quaeso, Tubero,
Voici le reste du commentaire de Ferrazzi sur ce passage : ` Utrum [inclusum
ditum]'
[= fin du ½21] :
atque ab-
Propositionem eamdem urget hoc modo : Aut latere debuit, aut esse cum
Saturnino, aut cum Coss. et Senatu ; Sed turpe erat latere, scelus cum Saturnino esse ; Ergo debuit esse cum Coss. et Senatu. `Tu denique' nier] :
[= tout deèbut du ½22, citeè par Fouquelin et Fonta-
Eadem figura, qua supra, utitur ad amplificandum ; et Prolepsi de Patruo respondet aliorum
omnium exemplo. `Iccirco ne [oportuit C. Rabirium]' ejusdem Syllogismi partes repetuntur.
[= fin du ½23] :
Complexio, ac deinde tres
Voir aussi le jeèsuite Christoph Wahl (1676-1738), le-
quel dans sa preèface dit explicitement reèsumer le commentaire de Du Cygne, pour le é sa p. 148, il met plus grand beèneèfice des eèleéves de rheètorique. A
ratione
en face de [21]
Cygne ; et
De te ipso, inquam, Labiene, quaero,
Communicatio iterata
repetit factam Communicationem,
(p. 154) en face de [22] etc. Et aé son index,
indique seulement : p. 148, 154 (Commentarius
Communicatio cum enume-
donc au meême deèbut que Du
Tu denique,
avec en note :
s. v. Communicatio,
pour
deèbut de 7 (Explanatio, p. 139).
licentia
de
il
in selectas M. T. Ciceronis Orationes Pars II,
editio quarta, Mu«nich et Ingolstadt, 1762 ; la Pars I a eèteè publieèe en 1718). 11 Latomus : dans In omnes M. T. Ciceronis orationes (...) lucubrationes, Cygne dans son traiteè va pour cette
Jam tertio
Rab. perd.
Vide quam non...
aé
Baêle, 1539. Du
contra te,
soit fin de 6 +
les figures de penseè e comme grands blocs
535
ut, qui de meo facto non dubitem, de Ligari audeam dicere. Enfin, au ½10 et deèbut de IV, c' est juste apreés la premieére phrase citeèe par Quintilien, û Ceux qui doivent la vie aé la Cleèmence du Vainqueur, auront bien la
hardiesse d' armer sa main contre les autres ý, eorum ipsorum ad crudelitatem te acuet oratio ? Comme preèceèdemment, la figure cadre tout le passage, celui-laé meême qui correspond au chapitre III. Cela n' est pas exclusif d' un autre pheènomeéne remarquable, le ceèleèbrissime û que faisait ton eèpeèe deègaineèe aé Pharsale ? ý qui occupe le ½9. Mais cette brusque interrogation est aé comprendre aé l' inteèrieur de la licence ; tout comme, plus haut, l' eènumeèration eètait mise en perspective par la communication. La licence ici n' est pas simplement la hardiesse d' avouer, mais le contenu meême de l' aveu. Oui, moi Ciceèron je me suis engageè contre Ceèsar. Mais vous aussi, Tubeèron : nous eètions du coêteè de Pompeèe. Le tout est extreêmement violent. La hardiesse d' avouer sa propre faute deèbouche sur une hardiesse plus grande encore, l' apostrophe directe aé l' accusateur.
L' apostrophe
est
deècrite
comme
un
excursus,
presse un peu trop, il se trouble ; je reprendrai mon discours ý
12
û Je
le
. Mais
cet excursus ravageur est la fleéche que preèparait depuis le deèbut l' arc de la licentia. D' un eèloge flatteur de Ceèsar on passe, et dans le meême mouvement geèneèral, aé l' apostrophe virulente qui fait chanceler l' accusateur. Celui-ci n' a rien vu venir. Aussi longtemps que Ciceèron ne parle que de sa propre faute pompeèienne, l' accusateur pouvait penser que le but viseè par l' arc eètait le seul Ceèsar
13
.
Lorsque Quintilien cite une courte phrase, il songe donc en fait aé un passage de deux voire quatre paragraphes, 6-7 voire 6-9, avec le trait du deèbut de 10 servant de clausule. On peut aé partir de laé supposer que Fouquelin fait de meême. Lorsqu' il ne cite qu' un demi-paragraphe, au milieu assez exact du dispositif d' ensemble, il est plus que probable qu' il songe au reste, aé tout le reste, c' est-aé-dire aé tout ce que citent les autres commentateurs, avant et apreés lui. Autrement dit, le cas assez rare des citations aé points de suspension permet de nous alerter, de supposer que les citations breéves sont des abreègeès d' un tout. Quintilien et Fouquelin en geèneèral ne citent pas in extenso. Non pas
12 13
Trad. Perrot d' Ablancourt ; en û Budeè ý : û Revenons-en aé moi ý, Ad me reuertar. En û Budeè ý (p. 62), le plan que propose Marcel Lob (d' apreés apparemment C. F.
Putsche, en 1853) scinde ce chapitre III en deux, 6-7 d' un coêteè et 8-9 de l' autre. Qui plus est, le ½7 serait la fin de la û 1 û2
e
e
partie ý du discours (½1-7), et le ½8 serait le deèbut de la
partie ý (½8-29), et meême, dans celle-ci, le deèbut d' une û contre-attaque ý (½8-16). Cela
revient aé ne pas voir l' uniteè de la licentia ; ou peut-eêtre au contraire, aé souligner l' importance de l' articulation qu' elle pose, essentielle aé tout le discours : de ma faute aé la tienne.
francis goyet
536
en extension, mais en compreèhension. Autrement dit encore, on voit poindre le risque d' un contresens colossal, qui nous guette reègulieérement quand nous lisons les traiteès : prendre la compreèhension pour l' extension, croire que la citation breéve deècrit le tout de la figure que la citation exemplifie. Quintilien treés souvent ne cite pas tout, parce que ce serait trop long. Il s' en tient au plus remarquable, au plus caracteèristique, il signale pour meèmoire le plus embleèmatique. Ses lecteurs compleéteront, ils savent Ciceèron par cÝur. L' image de l' arc que j' employais aé l' instant est peut-eêtre meilleure que celle du filet ou du cadre. Comme le filet, l' arc couvre un vaste espace de texte. Mais il ajoute une dimension dynamique, et nous nous rapprochons ainsi d' une vision dans le temps, et non dans l' espace. Il y a tension, monteèe en puissance, puis deètente et fleéche qui atteint
son
but.
C' est
simple
et
efficace.
L' arc
eèvoque
les
images
d' armes de jet cheéres aé Quintilien. Il eèvoque aussi, dans son eèvidente topique sexuelle, ce coêteè vitaliste qu' aime Quintilien et plus encore Ciceèron, tous deux parlant de
vis
(pour gr.
dunamis)
en termes de sang
et de souffle, ou encore de force virile. Pour reprendre la description par Bachelard de l' acte sexuel, il n' y a pas seulement introduction et monteèe en puissance, mais aussi et surtout euphorie d' un rythme commun qui peu aé peu se met en place. Une communauteè se creèe, se recreèe ; se reècreèe aussi. Chez Ciceèron, c' est l' euphorie de se retrouver tous ensemble contre celui qu' il apostrophe, Tubeèron ou Labieènus, ou tous ensemble derrieére Pompeèe qu' il loue. Le û tous ensemble ý se construit dans la mise en place d' un rythme, donc dans le temps, le temps de la parole. Ce n' est pas un donneè preèalable, mais une Ýuvre commune,
participative,
une
û co-construction ý.
Temps :
rythme :
eèpopeèe collective, pour parler cette fois comme Meschonnic. Fouquelin et Quintilien ne citent d' ailleurs pas la chute, mais le milieu, le moment du plein deèveloppement. Claudel fait de meême quand il cite deux phrases de Rimbaud. Il deècrit l' une comme û un beau cygne qui vole les ailes eètendues dans un milieu eèlyseèen ý ; dans l' autre, ce qui compte est û l' apparition ameére et viride de au milieu et non aé la fin de la phrase
14
souillure ý
. En termes de peèriode oratoire,
l' important est moins la clausule que ce que certains musiciens nom-
14
Le û beau cygne ý deècrit cette phrase de la
Saison en Enfer :
û Et par une route de dan-
gers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmeè rie, patrie de l' ombre et des tourbillons. ý Et aussitoêt apreés, û cet autre vers beaucoup plus simple, mais si grand et si patheètique ý : û Sur la mer que j' aimais comme si elle euêt duê me laver d' une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. ý ( Positions dans
Üuvres en prose,
et propositions. Sur le vers franc°ais,
eèd. J. Petit et C. Galpeèrine, Paris, 1965, p. 37).
les figures de penseè e comme grands blocs
537
ment la û coupole ý. C' est ce point euphorique et aeèrien oué la peèriode se deèploie le plus, aé pleines voiles glorieuses, avant de retomber graduellement, telles en effet les coupoles des eèglises ou le cygne toutes ailes tendues de Claudel. Chemin faisant, comme dans une eè glise, le mouvement d' ensemble peut inteègrer d' autres ornements ou chapelles lateèrales. Mais la
compositio
du tout est solidement construite, et
tout est fait pour que le promeneur n' oublie pas d' aller jusqu' aé la coupole, et de s' y extasier. Dans le cas de Ciceèron sinon de Rimbaud, ce n' est pas fait pour eêtre subtil, contrairement aé l' impression que peuvent donner les analyses des commentateurs que j' ai citeès. C' est au contraire de la grosse artillerie, qui vise aé satisfaire le grand public. û Oui, c' est aé toi, Labieènus, que je le demande ý : en fait de filet teènu, cette reèpeètition insistante est une grosse ficelle. Finissons ce point en transposant ce type d' effets sur un exemple de comeèdie au cineèma, pas moins grand public que Ciceèron. Ainsi de la fin d'
African Queen
(1952), de John Huston, avec Hepburn et Bo-
gart. L' artillerie, ce sont ici les torpilles artisanales placeèes aé la proue du petit bateau. La tempeête a renverseè celui-ci, et les deux amoureux ont eèteè faits prisonniers, sur le cuirassier allemand qu' ils imaginaient couler. Deés qu' appara|êt l' image des torpilles flottant peu visibles au ras de l' eau, nous û savons ý, sans savoir : nous sentons que cela va bien finir, nous en jouissons. L' image est reèpeèteèe plusieurs fois, elle ponctue elle aussi, elle cadre et donne sens aé tout ce que nous voyons par ailleurs. Le temps qui passe obeèit deèsormais aé un
tempo
, aé un
rythme, quand de son coêteè le cuirassier avance vers les torpilles avec la reègulariteè d' un meètronome. Deés la premieére apparition des torpilles, nous savons que nous sommes entreès dans un moment, dans un û paragraphe ý ou û chapitre ý : qu' est tendu le ressort d' une bombe aé retardement. Et heureusement, sinon ce que nous voyons par ailleurs serait
une
amoureux
trageèdie qu' on
insupportable.
va
pendre
Nous
ensemble,
tremblons tout
en
pour
sentant
les deèjaé
deux que
conformeèment aé notre attente cela va bien finir. L' effet-clausule est l' explosion finale du cuirassier allemand, deècharge de l' eèmotion et du rire. Mais le moment ou é l' on jouit vraiment est la û coupole ý : le contraste entre les officiers allemands en uniforme blanc impeccable et les deux Anglais deèpenailleès, c' est-aé-dire la
comparatio disparium
entre
civilisation bouffonne et sauvagerie vraiment noble ; et, comble du comble, le mariage des Anglais par le capitaine allemand, juste avant la pendaison º puisqu' il y a mariage, nous û savons ý que c' est une comeèdie et que la fin sera heureuse, conformeèment aux lois du genre.
538
francis goyet
Comme chez Ciceèron, ce n' est pas fait pour eêtre subtil, et pourtant, en son genre, c' est du grand art.
Figura chez Ciceè ron et figura chez Quintilien : le skheé ma
Sur ces bases, nous pouvons faire le lien avec la theèorie du skheéma, que Ciceèron a parfaitement comprise et rendue en latin. Ce qui la rend compliqueèe, c' est l' interpreètation que Quintilien a fait ensuite de l' ideèe de û figure ý, interpreètation dont nous avons heèriteè. Pour la theèorie proprement dite, nous pouvons aller vite, graêce au treés riche recueil collectif Skheéma/Figura
15
. Primo, le skheéma est une
configuration, autrement dit une figure analysable en eè leèments constituants : û une attitude corporelle, un ensemble vestimentaire (habit), un polygone, une forme de gouvernement, un dispositif militaire, etc. ý (Jean Lallot, p. 160). Comme le dit Quintilien, habitus quidam et
quasi gestus (IX, 1, 13), ou, chez Ciceèron, figura et plus encore conformatio (Or., 136 ; Br., 140) : conformare, c' est skheématizein, donner forme reconnaissable
16
.
Cette
configuration
peut
eêtre
statique,
mais
aussi
dynamique. Le terme skheéma s' applique alors, de fac°on fameuse, aé la figure de danse : non pas geste, au singulier, mais ensemble de gestes, û patron dynamique ý pour parler avec Claudel
17
. Secundo, cet en-
semble d' eèleèments est en tant que tel codifieè et reconnaissable, il entre dans û une liste finie de skheémata ý (Freèdeèrique Ildefonse ; meêmes remarques chez Maria Luisa Catoni). J' ajouterais que, par laé, il est treés proche de l' ideèe de locus : bloc reconnaissable, û passage ý d' un texte, et qui entre forceèment dans une liste de loci, puisque ceux-ci sont par deèfinition des places assigneèes dans une seèrie, colonnade ou autre. Tertio, cette figure reconnaissable est noble (Michel Casevitz), elle a di-
15
Skheéma/Figura. Formes et figures chez les Anciens. Rheètorique, philosophie, litteèrature,
é compleèter par M. L. Catoni, eèd. M. S. Celentano, P. Chiron, M.-P. Noe«l, Paris, 2004. A
Schemata. Comunicazione non verbale nella Grecia antica, Pise, 2005, avec de treés inteèressants deèveloppements du coêteè de l' histoire de l' art.
16 17
Le -tio eèvoque, me semble-t-il, le -sis de skesis (M. Casevitz, p. 16). û J' appelle motif cette espeéce de patron dynamique ou de centrale qui impose sa forme
é Villequier de et son impulsion aé tout un poeéme. Par exemple, tout le grand poeéme A Victor Hugo est construit sur ces deux mouvements : `Maintenant que...' et `Consideè rez...' [...] Mallarmeè [...] m' expliquait qu' il voulait prendre pour point de deè part de chacune des parties de son grand poeéme typographique et cosmogonique une invitation grammaticale encore plus simple, par exemple ces mots : Si tu, `pareils aé deux doigts qui simulent en pinc°ant la robe de gaze une impatience de plumes vers l' ideè e' . Projet bien digne de ce charmant esprit, de cette oreille en lui, de ce geè nie qui eètait en lui de la danseuse ! ý (Sur le vers franc°ais, p. 14-15).
les figures de penseè e comme grands blocs
539
rions-nous de l' allure, grande allure : de la tenue, voire de la gueule. Le premier mot de l' Ad Her. pour deècrire les figures de penseèe est di-
gnitas (IV, 18). Cette allure est souvent celle du sacreè, du deinos. Le premier exemple attesteè du mot skheéma est, chez Heèrodote, le fait de faire tenir aé une grande et belle femme le roêle d' Atheèna sur un char, pour faire croire qu' elle est Atheèna meême. L' allure est l' apparition terrifiante du sacreè. Dans Rab. perd., Labieènus est eècraseè par le consensus
omnium, par le sacreè de l' Eètat, et pour ma part j' avais montreè que le locus communis est lui aussi un û morceau de bravoure ý, qui exalte l' union sacreèe, les valeurs de la collectiviteè : ce que j' appelais le grand moment des grands moyens
18
. Cela n' empeêche en rien l' aspect fa-
briqueè d' un û faire croire ý. Le skheéma pose la continuiteè entre l' eêtre et l' appara|être, l' apparence y est indice de la veèriteè inteèrieure, et pourtant cette apparence est et doit eêtre travailleèe. Figura est sur fingere, dans un û feindre ý qui n' est pas mensonge mais sens de sa digniteè . La posture codifieèe et cristalliseèe communique des valeurs reconnaissables (Catoni). Prendre la pose, c' est eèminemment seèrieux, il faut eêtre imposant. C' est cette theèorie du skheéma qui informe la description de l' Orateur. Les figures en geèneèral û sont semblables aé ce que l' on appelle les sceènographies d' apparat du theèaêtre ou du forum, ainsi appeleèes, non parce qu' elles sont seules aé orner, mais parce qu' elles surpassent le reste de la deècoration ý (Or., 134 = Quintilien, IX, 1, 37 ; trad. Cousin). Ce sont donc des morceaux de bravoure, ce qui attire l' Ýil et les bravos. Les figures les plus importantes, maiora, sont les figures de penseèe (Or., 136). Suit alors une liste qui suscite la critique de Quintilien et la perplexiteè d' Albert Yon (Or., 137-139 = IX, 1, 41-45). Au deèbut de son chapitre suivant (IX, 2, 2-3), Quintilien reèsume cette liste ciceèronienne pour situer sa propre theèorie. Jean Cousin y traduit oratio par û style ý, mais il est plus simple de comprendre û discours ý, c' est-aédire û plaidoirie ý, comme le disent et les traductions anciennes et celle plus reècente d' Adriano Pennacini : 2. Omnia tamen illa, etiam quae sunt alterius modi lumina, adeo sunt uirtutes
orationis ut sine iis nulla intellegi uere possit oratio. [Ces] beauteès dont Ciceèron fait le deètail, sont si bien des perfections du discours, que l' on ne peut pas meême se faire l' ideèe d' un Plaidoyer, oué elles ne seraient pas (Gedoyn, 1718 ; De Pure, 1663 : û sont des beauteès si naturelles au discours : qu' il est impossible sans elles d' en concevoir une juste ideèe ý ; Cousin, 1978 : û sont des qualiteès du style
18
F. Goyet, Le sublime du û lieu commun ý, Paris, 1996.
francis goyet
540
si importantes que, sans elles, on ne saurait parler de style ý ; Penna cini, 2001 : û sono virtuè del discorso al punto tale che, senza di essi, un' orazione non potrebbe nemmeno essere concepita ý)
19
.
Nam quo modo iudex doceri potest si desit inlustris explanatio, propositio, promissio, finitio, [...] digestio, distributio, interpellatio, interpellandis coercitio [...] ? Car comment instruire un Juge sans une explication qui deè veloppe, qui eèclaircisse la matieére, sans lui proposer le sujet dont on veut l' entretenir, sans deèfinir ce que l' on entend, sans lui promettre des preuves solides et convaincantes, [...] sans un certain arrangement, sans inter rompre
quelquefois
un
Adversaire,
quand il est importun [...]
20
ou
sans
lui
fermer
la
bouche
?
Le tout deèbut de cette liste n' est en rien une liste de figures au sens de Quintilien, c' est-aé-dire au sens actuel. D' ou é la geêne de Cousin. Il arrondit les angles comme il peut, et en rendant oratio par û style ý laisse entendre que la suite parle de figures û de style ý. Cette hypotheése est inutile. Ce qu' on a ici, ce sont bel et bien des skhemata, des figures au sens
de Ciceèron. Ce
sont des
moments identifiables du
discours, de toute plaidoirie. Le reèsumeè qu' en donne Quintilien nous restitue
le
discours
dans
son
deèroulement,
scandeè
en
un
certain
nombre de seèquences repeèrables, codifieèes, mais aussi remarquables et remarqueèes. La propositio qui û propose le sujet ý, en geèneèral aé la fin de l' exorde, voilaé une de ces seèquences, qu' on l' appelle en franc°ais moment, en grec skheéma ou en latin locus. Quintilien reconna|êt l' existence de moments de ce type. Mais ils se preèsentent û le plus souvent d' une manieére directe ; ils ne se masquent pas, mais au contraire se deèvoilent ý, ea plerumque recta sunt, nec se fin-
gunt, sed confitentur (IX, 2, 5). Ne pas se fingere, c' est ne pas eêtre figura au sens que va deèfinir ensuite Quintilien. Autrement dit, son treés beau chapitre IX, 1 reprend la theèorie classique du skhema, au sens grec et ciceèronien. Puis son chapitre IX, 2 donne le sens restreint qu' il apporte au terme. û Figureè ý deèsormais voudra dire, chez Quintilien et pour nous, tout autre chose. Dans cette nouvelle theèorie, une question directe, recta, ne saurait eêtre une figure. Seules le sont les questions û rheètoriques ý, qui ont l' air de questionner, qui font semblant, qui fin-
gunt. De meême, la communicatio est figureèe, non pas parce qu' on y 19
Abbeè Gedoyn : Paris, Greègoire Dupuis (orthographe moderniseèe) ; De Pure : Paris,
Pierre
Bien-fait ;
Cousin
dans
l' eèd.
des
Belles
Lettres ;
(Pleèiade).
20
Pour une liste semblable, cf. Ciceèron, Part. 46-47.
Pennacini :
Turin,
Einaudi
les figures de penseè e comme grands blocs
541
consulte les autres (Fouquelin), mais parce que, pour reprendre Fontanier, û on a l' air de les consulter ý. Comme la vision de Quintilien l' a emporteè, reètrospectivement il devient difficile de comprendre cela meême qu' il critique. Quand Albert Yon treés meèticuleusement essaie d' y voir clair dans cette liste de l' Orator, il montre qu' il est sous l' emprise de Quintilien. Il bute par exemple sur la propositio. Certes, dit-il, c' est û une partie constituante du discours ý : mais û on ne peut y voir, aé la rigueur, une figure que quand elle intervient laé ou é elle para|êt neècessaire ý
21
. La proposition
d' un discours, une figure au sens actuel ? C' est en effet quasiment im possible, puisqu' elle doit eêtre tout aé fait claire, donc directe, recta. Mais ce n' est pas cela que visait Ciceèron dans sa liste. La proposition est un moment reconnaissable du discours, un passage obligeè, et par laé un skhema. C' est tout, et c' est assez. De fac°on analogue, Fontanier passe beaucoup d' eènergie aé deènoncer l' incompreèhension du figureè par les traiteès qui le preèceédent. Ainsi de la licentia (Gr. parrheésia). C' est donc û cette liberteè d' expression dont on use quelquefois envers de grands personnages ý (p. 447) : Mais si cette liberteè est franche, et n' eènonce que des sentiments vrais, [...] je ne vois pas ce qui peut en faire une figure, meê me de penseèe, aé moins qu' on ne veuille en faire aussi une de tout ce qui annonce du courage, de la hardiesse, du caracteére. [...] Cependant voyez toutes les rheètoriques : vous y trouverez des exemples de Licence, et, entre autres, celui de ces vers de Burrhus aé Agrippine, dans Britannicus [I, 2, v. 169182] : [...] Je reèpondrai, Madame, avec la liberteè D' un soldat qui sait mal farder la veè riteè. Vous m' avez de Ceèsar confieè la jeunesse [...]
En reèaliteè, ajoute Fontanier, le seul exemple ou presque de licence figureèe au sens de Quintilien est celui du Pro Ligario que nous avons vu : sous l' apparence de hardiesse, l' eèloge flatteur º et la fleéche du Parthe. Et de critiquer Beauzeèe : cet û observateur si exact ý le reconna|êt lui-meême, û la liberteè avec laquelle s' explique Burrhus [...] est vraie ý, donc il n' y a point aé proprement parler de figure ici. Pourquoi alors citer ce passage ou, selon les termes de Beauzeèe citeès par Fontanier, û ce morceau admirable ý ? La reèponse est qu' il s' agit, preèciseèment,
21
d' un
passage
remarquable,
d' un
Dans son eèd. de l' Orator aux Belles Lettres, p.
û morceau ý,
xcviii , figure 5.
encore
citeè
francis goyet
542
comme ceèleébre dans l' eèdition de l' Inteègrale figure au sens de
skheéma.
22
. Autrement dit, d' une
Beauzeèe tient compte de l' opinion courante,
laquelle enregistre d' abord le morceau comme remarquable, identifiable, meèmorisable, sans se soucier de savoir s' il est figureè ou non au sens de Quintilien et de Fontanier. On retrouve de cette manieére tout le combat de Quintilien contre l' admiration de son eèpoque pour les morceaux de bravoure ou
loci,
deèconnecteès du reste ou encore placeès n' importe ou é , plaqueès, tel le
locus
sur le Rhin ou celui sur l' arc-en-ciel que fustige Horace au deèbut
de l' Art
poeètique.
Combat gagneè sur le plan theèorique : nous n' avons
retenu de la figure que le sens de Quintilien. Mais combat perdu sur le plan pratique : le public aime les grands airs et les belles tirades, et au theèaêtre il les applaudissait aé tout rompre, comme aujourd' hui encore aé l' opeèra, quitte aé interrompre le fil de l' action. Le trop-plein d' eèmotion qu' ils suscitent doit eêtre aussitoêt deèchargeè. Le grand public aime reconna|être de grands moments, quand le professeur aime saisir ce qui en fait toute la subtiliteè : Ciceèron blique
vs
vs
le calme de l' eècole, pour pasticher
Quintilien, la place pu-
Or.,
64.
Des skheémata aé la construction du discours Nous pouvons deèsormais avoir une repreèsentation du genre de totaliteè qu' est un discours. Car nous venons de voir que, au moins chez Ciceèron, le discours
tout entier
est constitueè de figures, de
skheémata.
Nous sommes ainsi au plus loin d' une vision pointilliste des figures de penseèe, celle que pourrait induire la lecture d' une citation breéve chez Fouquelin ou chez Quintilien. Dans une vision pointilliste, une figure correspond aé une ou deux phrases. Pareille dimension interdit en soi de voir plus loin, on en reste aé la myopie, aé la micro-lecture. Vu le nombre immense de phrases dans un discours donneè, il n' est eèvidemment pas question de pouvoir penser aé partir de laé la construction de la totaliteè du discours, sa
compositio.
En revanche, si la û figure ý
correspond aé une ou plusieurs pages, et si de plus par û figure ý on ne deèsigne pas uniquement les figures de penseèe de IX, 2, alors on peut penser la totaliteè. Au lieu d' un nombre immense et presque indeènombrable de petits eèleèments, nous nous retrouvons avec un nombre assez restreint de grands eèleèments, un nombre qui est ma|êtrisable.
22
Racine,
Üuvres compleétes,
eèd. P. Clarac, Paris, 1962, p. 622.
les figures de penseè e comme grands blocs
543
Remarquons tout d' abord que jusqu' ici, nous n' avons envisageè que les figures û de penseèe ý, et non les figures û de mots ý, autrement dit en grec, les
tentiarum
skheémata et non les tropes ; ou, en latin, les figurae senfigurae verborum. Cette traduction par û penseèe ý,
et non les
qui date sauf erreur du de faire sens avec les ment traduites au conforme
au
xvii
e
sieécle, a certes ses avantages, entre autres
sententiae
xvii
e
de VIII, 5, les traits ou maximes, eègale-
par û penseèes ý
raisonnement
proposeè
û phrase ý, comme dans l' anglais
23
. Mais il serait plus simple, et
ici,
sentence.
de
traduire
sententia
par
Il faudrait donc retraduire
û figures de penseèe ý en û figures de phrases ý. On met ainsi l' accent sur l' eètendue de ces figures, sur leur longueur, qui les distingue sans au cun probleéme des figures de mots
24
. Et l' on retrouve par laé l' opposi-
tion, constante chez Ciceèron et Quintilien, entre
verba
et
sententiae,
c' est-aé-dire entre mots isoleès et mots en groupe. Les prosopopeèes, hypotyposes et autres apostrophes ont pour caracteèristique d' occuper une certaine eètendue, de durer un certain temps : un temps assez long pour eêtre identifiable comme moment. Dans l' espace de la page, la phrase meême n' est pas la bonne dimension. En pratique, aé l' usage, ces figures longues s' eètendent sur un ou plusieurs paragraphes, voire sur un chapitre. Moins figures û de phrases ý que figures û de paragraphes ý. L' autre avantage de cette retraduction est de raccrocher fermement les
figurae sententiarum
aé l' ensemble du discours. Ce ne sont pas des
blocs erratiques, des excursus foudroyants. Un discours est fait d' un certain nombre de
conformationes
ou configurations, qui sont autant de
seèquences, de grandes sections. Avec entre elles, bien plus courtes, quelques phrases û de liaison et de couture ý (Montaigne). C' est exactement comme une grande composition picturale. Les
skheémata
y sont
les portraits isoleès et isolables, telle figure en pied ou telle femme assise, figures qui proviennent souvent d' autres tableaux et sculptures ou é elles apparaissent seules, justement. La capaciteè aé isoler une figure au sein d' une composition deèfinit la culture du spectateur. Isoler, reconna|être, c' est tout un. La question beêtement pratique de repeèrer dans
23
un
discours
telle
figure
de
paragraphe
renvoie
ainsi
aé
un
Fouquelin, lui, deècalque en û figure de sentence ý, laquelle est û une figure mise et
eètendue en la continuation de toute la sentence de l' oraison, et pourtant [= par conseè quent] elle peut eêtre retenue en icelle, voire meême les mots changeès... ý (p. 371). La fin de la phrase correspond aé la û penseèe ý, c' est-aé-dire au
dianoia
de la deèfinition grecque : si
l' on change les mots employeès, la figure demeure.
24
Voir chez Quintilien la distinction bien connue entre meè taphore et alleègorie, ou
entre ironie-trope et ironie-skheéma (IX, 2, 44-46).
francis goyet
544
probleéme theèorique treés geèneèral, celui de la reconnaissance des formes. De ce point de vue, le mot d' eètendue est un peu trompeur, tout comme le rapprochement avec la peinture. L' eètendue eèvoque un repeèrage dans l' espace, l' espace pour nous des pages imprimeè es, avec des manipulations elles-meêmes spatiales, deècouper, tirer un trait, etc. Mais
un discours
est,
eèvidemment, oral.
Il
s' inscrit
donc dans le
temps. Reconna|être des formes signifie en ce cas que l' auditeur va deècouper, mentalement, des moments au sein d' un apparent continuum temporel. Tel le spectateur d' une choreègraphie, il comprend qu' il est dans un moment ou que l' on passe aé un autre moment. Au
xvii
e
sieécle, ce type de deècoupage est tellement important et tellement habituel qu' orateurs et acteurs disposent d' une gestuelle parfaitement codeèe pour le souligner et ainsi aider les spectateurs
25
. Ce probleéme
fondamental de la reconnaissance des formes dans le mouvement, dans le temps, c' est bien celui que deèsignait par excellence le mot treés geèneèral de skheéma, qui ne renvoie pas qu' aux figures de rheètorique. Tableau, mais tableau vivant, mouvant, et pourtant reconnaissable. é ce point du raisonnement, il ne faudrait pas se laisser abuser par A l' image de la mosa|ëque, meême si on la trouve dans l' Orator. Elle eèvoque aujourd' hui non une composition mais un fouillis : un eèparpillement de petites pieéces atomiseèes. Telles les mosa|ëques briseèes en mille morceaux, avant reconstitution ; tels, croit-on souvent, les Essais. Nous ne faisons ainsi que donner digniteè theèorique aé notre incapaciteè assez crasse aé repeèrer des ensembles ou skheémata, quand une bonne part de l' eèducation apprenait aé les identifier. Si l' on oublie l' ideèe fausse
de
l' eèparpillement,
la
description
d' un
discours
aé
laquelle
j' aboutis est fort simple. Non pas l' image de la mosa|ëque mais celle de la marqueterie ou du mur de pierres de taille. Dans les deux cas, on a de grands morceaux juxtaposeès, avec pour ciment un mince filet interstitiel, quelques coutures peu visibles. Ou meême pas de ciment du tout, tant, pour les lecteurs de l' eèpoque, la reconnaissance des grands morceaux va de soi : un mur de pierres seéches, une marqueterie û mal jointe ý comme les Essais, et non bien jointe, c' est-aé-dire sans
25
C' est ce que montre le travail en cours de Nicole Rouilleè qui rapproche theèaêtre,
peinture et preèdication. Lors d' une seèance passionnante, notre eèquipe a pu constater é chaque moment correspond une gestuelle qu' elle deècoupait exactement comme nous. A speècifique, tout un placement du corps : voir son livre Peindre et dire les passions. La gestuelle baroque aux
xvii
e
et
xviii
e
sieécles (Ajaccio, Alain Piazzola, 2006), et son article
û Le corps expressif dans la peinture des
xvii
e
et
xviii
e
sieécles ý, dans le catalogue de
l' exposition Les passions de l' aême, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 17-20, et son article û Le corps expressif dans la peinture des
xvii
e
et
xviii
tion Les passions de l' aême, Paris, 2006, p. 17-20.
e
sieécles ý, dans le catalogue de l' exposi-
les figures de penseè e comme grands blocs
545
souci des jointures ou û coutures ý entre leurs grands û lopins ý
26
. Mon-
taigne, de nouveau, en cette meême anneèe 1588 que le paragraphage de Ciceèron : û J' entends que la matieére se
distingue
soi-meême. Elle
montre assez oué elle se change, ou é elle conclut, ou é elle commence, ou é elle se reprend : sans l' entrelacer de paroles, de liaison, et de couture, introduites pour le service des oreilles faibles, ou nonchalantes [...] ý Dans ce texte,
distinguer
27
.
a le sens technique de û diviser en grandes sec-
tions ý, de repeèrer la fin d' un morceau et le deèbut d' un autre, bref, comme le traduit ici meême Jean Ceèard, de û ponctuer ý : en l' espeéce, û paragrapher ý, aller aé la ligne, ouvrir un nouveau chapitre, l' alineèa eètant au paragraphe ce que le point final est aé la phrase
28
.
Contrairement aé l' estheètique de Montaigne, Ciceèron ne manque pas de mettre du liant entre ses grands morceaux, de les cimenter avec transitions et mots-balises treés clairs, et treés neècessaires aé l' oral. Et pourtant meême ses balisages ne nous parlent plus beaucoup. Le moins que l' on puisse dire est que nous ne repeèrons pas naturellement les grands morceaux ciceèroniens ; aé la limite, nous ne savons plus qu' ils existent. Notre lecture du chapitre IX, 2 menace ainsi constamment de manquer la juste perspective. Quintilien peut se permettre de raffi ner,
de
proposer,
aé
l' inteèrieur
(IX, 1), la sous-cateègorie des lui a preèsent aé l' esprit les
de
figurae,
skheémata
la ou
vaste
cateègorie
skheémata
skheémata
des
û feints ý (IX, 2). Mais
non feints. Nous, non.
La situation pour certaines figures de penseèe est alors pour le moins confuse. Ainsi pour l' apostrophe, qui recouvre l' ensemble des ques tions
26
û rheètoriques ý
poseèes
aé
Labieènus
29
.
Il
y
a
fac°ons
deux
de
û Le parler que j' aime, c' est un parler [...] deèreègleè, deècousu, et hardi : chaque lopin
y fasse son corps : [...] non plaideresque, mais plutoê t soldatesque ý (Essais, I, 26, p. 171172A, eèd. Villey-Saulnier, Paris, 1965 ; je reprends la ponctuation de l' eè d. 1595 donneèe dans l' eèd. J. Ceèard, Paris, 2001(La
27 Essais,
Pochotheéque),
p. 265).
III, 9, je souligne (ponctuation de l' eèd. 1595, p. 1550 dans l' eèd. Ceèard =
p. 995B dans l' eèd. Villey-Saulnier).
28
F. Hotman,
Commentariorum in orationes M. T. Ciceronis volumen primen
apreés la lettre deèdicatoire :
paginas ad illius exemplar in praesentia
distinguere
(Paris, 1554,
ac dirigere coacti
sumus : ita tamen, earum ut initium a capite sententiae, quantum rei facultas ferret, arcesseremus A. Scot, preèface des
Opera
de Ciceèron (1588, voir plus bas mon annexe, t. I) :
periodos in textu hac usitata multis nota
distinguere... Cf.,
sieurs Auteurs divisent leurs Livres par (1694) : û Division, seèparation.
Distinctions,
s. v.
distinction, Furetieére : û Plu-
comme St. Thomas ý ; Acadeèmie
Eècrire tout de suite sans distinction de chapitres
ý ; Littreè, histo-
rique : û en distinction de trois parties ý (Christine de Pisan). En latin tardif, sens de û ponctuation ý (Isidore de Seèville), et
(ultima) distinctio
Donat). Voir surtout l' emploi ciceè ronien du
De Or.
29
Elle deèmarre dans
Labiene ? û Eh
Rab. perd.
;
re ipsas vero
distinctio
a le
de û point final ý (Isidore et
que je cite en conclusion.
juste avant VII, comme le note Ferrazzi (aé
bien, Labinus, attends-tu de moi un aveu plus significatif... ? ý).
Quid est,
francis goyet
546 l' envisager, comme
skheéma
de IX, 1 ou comme
figura
de IX, 2. Le
sens massif du terme renvoie au discours judiciaire. L' apostrophe y est aé proprement parler l' interpellation inattendue d' un auditoire diffeèrent de celui auquel l' orateur est censeè s' adresser. De ce point de vue, c' est donc un
skheéma
, un moment º feint ou non, peu importe.
Pour Quintilien, ce qui compte est que c' est une
figura
: l' orateur feint
de s' adresser directement aé l' adversaire quand, en reèaliteè, il s' adresse aussi aux juges et au public. La dimension feinte est particulieérement visible dans ce cas treés particulier oué l' orateur fait mine de s' adresser au Ciel. On voit le paradoxe. Les raffinements introduits par Quinti lien ont pour reèsultat de nous faire presque compleétement oublier le sens massif d' apostrophe. Nous avons retenu le plus particulier, le moins repreèsentatif, l' adresse au Ciel plus qu' aé l' adversaire. Plus exac-
figura
tement, nous avons retenu la
, en oubliant le
skheéma
. Autrement
dit, nous ignorons la place qu' a l' apostrophe dans la construction d' ensemble d' un discours. En voyant le fin º le fin du feint º, nous ne voyons plus la force, qui vient de la place dans le discours. L' apostrophe est donc ce mo -
conformare
ment qui prend la forme (
) d' une sorte d' excursus
30
. L' ora-
teur tout d' un coup se deètourne de ses destinataires les juges, pour se tourner et s' adresser aé son adversaire :
apo-stropheé a-versio ,
. Ce moment
est reconnaissable d' embleèe. Le public du temps û sait ý qu' il entre dans une seèquence. Pour eêtre largement codeèe et attendue, celle-ci n' en est pas moins ravageuse, elle a de l' allure, elle est impressionnante, autrement dit elle est patheètique. Pareille seèquence peut se deècrire
sans
en
difficulteè
apostrophe.
Quasi gestus
termes
de
danse :
strophe,
eèpistrophe,
. C' est, d' abord, une posture du corps. L' ora-
teur qui est debout doit litteèralement pivoter sur lui-meême pour changer la direction de son regard. Tant qu' il ne revient pas aé la posture preèceèdente, nous sommes û dans ý l' apostrophe ; comme, au theèaêtre, nous sommes û dans ý une sceéne, avant de passer aé une autre. L' apostrophe est un peu, comme on dit familieérement mais justement, û la grande sceéne de l' acte II ý. C' est donc bien un d' eêtre une Le
fait
figura que
au sens de Quintilien. ce
soit
une
posture
du
corps
permet
skheéma
, avant
aiseèment
de
comprendre la dimension patheètique de l' apostrophe. Deècrivant en termes d'
30 de
actio
oratoire le ceèleèbrissime exorde de la premieére catilinaire,
Voir S. Franchet d' Espeérey, û Rheètorique et poeètique chez Quintilien : aé propos
l' apostrophe ý,
Rhetorica
,
24, n
o
2
(printemps 2006),
p. 163-185, en
particulier
p. 167-171, û l' apostrophe comme figure de penseè e et la situation judiciaire ý.
les
les figures de penseè e comme grands blocs
547
Claude Loutsch rejoint ainsi mes propres consideèrations sur le û tous ensemble ý. De meême que dans le Pro Rabirio nous sommes tous ensemble contre Labieènus que l' orateur assassine de questions, de meême, l' apostrophe lanceèe par le Quousque tandem isole Catilina
31
:
Ciceèron a duê accompagner cette apostrophe fracassante d' un geste en direction de Catilina. Surpris par la virulence du propos, les auditeurs suivent spontaneèment de leur regard eètonneè le geste du consul, son bras leveè et pointeè en direction de l' un d' entre eux. Et, aé la faveur de la confusion creèeèe pendant une fraction de seconde, leur attention se trouve deètourneèe sur Catilina. L' effet immeèdiat est une inversion des fronts : il n' y a plus d' une part un consul isoleè [aé sa place de preèsident de seèance, seèpareèe de tous les autres], de l' autre un Seè nat reèserveè et hostile ;
deèsormais,
le
Seènat
se
retrouve
regroupeè,
uni
autour
du
consul, face aé un Catilina isoleè, mis au ban [alors meême qu' il s' est assis, lui, avec le groupe des anciens consuls, donc s' est fondu dans la masse]. C' est sur lui que se portent brusquement les regards inquiets, questionneurs et pleins de reproches des seè nateurs. Ces derniers, qu' ils le veuillent ou non, transfeérent ainsi sur Catilina les sentiments qu' ils ont eèprouveès jusqu' ici vis-aé-vis du consul. [...] Ciceèron s' eèrige en porte-parole d' un Seènat deèsormais uni : abutere patientia furor tuus
nos eludet.
nostra
[...]
Autrement dit, û l' apostrophe est ainsi au service d' une tactique familieére aé Ciceèron, dont le but est de regrouper les amis et d' isoler l' adversaire ý. La place dans le discours est donc tout aussi deèfinitoire de l' apostrophe que le faire-semblant, ou pluto ê t le fabriqueè. Tout cela n' oête rien aux beauteès et aé la pertinence des fines consideèrations de Quintilien sur le fabriqueè ou fingere. Je n' irai pas plus loin de ce coêteè-laé, le vaste probleéme de la û fiction ý propre aé Quintilien sortirait de mon propos
32
. Mais ce qui est de mon propos est de souligner que la place
a aé voir avec la force, avec l' efficace. Tous les probleémes que pose la composition d' un discours sont aujourd' hui traiteès par le meèpris, comme s' ils eètaient honteusement scolaires, aé force de ne nous eèvoquer que les minces deèlices architecturaux de la dissertation aé la franc°aise.
31
Voilaé
une
indiffeèrence
couêteuse.
Ce
sont
bien
plutoêt
des
L' exorde dans les discours de Ciceèron, Bruxelles, 1994 (Collection Latomus 224), p. 286-
287. Loutsch est un des rares critiques modernes aé porter attention aux commentateurs de l' aêge classique, Du Cygne ou Tesmar.
32
Notons simplement que Quintilien met ainsi en pleine lumieé re un aspect deèjaé preè-
sent dans la theèorie du skheéma, mais peu deèveloppeè car allant de soi : on ne peut en aucun cas reèduire le fabriqueè au mensonge, ce qui serait tomber dans la probleè matique moderne d' une exteèrioriteè trompeuse.
francis goyet
548
probleémes de strateègie patheètique, qui concourent par excellence aé la victoire ou
victoria
que recherche expresseèment Ciceèron orateur. Oué
placer son aile droite, oué son aile gauche, quand attaquer, comment se replier en bon ordre (Inst., II, 13, 3-7) : la composition efficace d' un discours
est
le
domaine
reèserveè
du
strateége,
du
geèneèralissime,
ce
compositeur qui orchestre l' eècrasement de l' ennemi, ce Foch architecte de la Victoire. Pour retrouver ce vaste probleéme en jacheére qu' est la composition, le premier travail est de û distinguer ý, de seèparer les grandes masses d' un discours. Pour le dire en latin du
tio
(= gr.
sunthesis)
reèpond la
resolutio
xvii
(= gr.
e
sieécle, face aé une
analusis).
composi-
De la syntheése aé
l' analyse : il ne s' agit pas simplement de retrouver le plan, mot qui fait aiseèment horreur et aé juste titre parce qu' il est trop statique. Il s' agit de retrouver le plan dynamique, autrement dit le rythme. Non pas le micro-rythme de la peèriode oratoire, mais le macro-rythme du discours tout entier, le rythme de son architecture. De ce que le discours ou
oratio
continua,
est
il ne s' en deèduit pas en effet que ce soit un
De Or.,
flot continu, indistinct.
III, 186 :
Il n' y a pas de rythme dans ce qui est ininterrompu, ce sont les arreêts,
distinctio,
in continuatione :
ce sont les temps marqueès aé intervalles
eègaux ou souvent diffeèrents, qui constituent le rythme ; nous pouvons en noter un dans des gouttes qui tombent, parce qu' elles tombent aé intervalles ; dans un fleuve impeètueux, pouvons pas
in amni praecipitante,
nous ne le
33
.
Montaigne nous noie dans le flot continu de sa prose, qu' il ne paé nous d' y introduire du rythme, en restituant mentaragraphe pas. A lement des paragraphes et des û chapitres ý ou blocs de paragraphes. Cette restitution, c' est exactement ce qui a eèteè fait pour Ciceèron, dans la meême deècennie 1580 que Montaigne. Diviser en paragraphes,
distinguere, tomiser,
c' est, deèjaé, une fac°on d' analyser
disseèquer.
L' auteur
du
Scot, nomme ses paragraphes des
33 34
34
. Car analyser, c' est ana-
paragraphage
sectiones
de 1588,
Alexander
ou, en grec, des
tmeémata
35
,
Traduction E. Courbaud et H. Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1971. é rapprocher de la geèneèralisation de l' alineèa, ce retour aé la ligne quasi-inexistant A
dans la prose franc°aise du Martin,
xvi
e
sieécle, et qui va fleurir au
xvii
e
, comme l' a montreè H.-J.
La naissance du livre moderne. Mise en page et mise en texte du livre imprimeè,
Paris,
2000.
35
Preèface de l' Apparatus :
(Sectiones vel Opera serim
ne paginarum tanta in posterum diuersitas nos retardet, in periodos
tmeémata [en car. gr.]
de Ciceèron :
appellemus licet) breues et succinctas diuisimus
quando unam verborum comprehensionem et
periodon
in duo
; preèface des
tmeémata
divi-
(t. I, aé la Bibl. InterUniversitaire de lettres, Lyon, parvis Descartes ; je remercie
les figures de penseè e comme grands blocs c' est-aé-dire le reèsultat d' un deècoupage,
secare.
549
Or l' anatomie, qui date
de la meême eèpoque, obeèit au meême principe û holiste ý que la classe de rheètorique. Dans un cas comme dans l' autre, ce qui est premier, c' est le tout ou
holon,
ce corps donneè dans sa globaliteè et qu' il nous
revient de disseèquer, de seèparer en sections º que le tout aé analyser soit un corps humain, une plante ou un discours. Disseèquer ne veut pas dire deècouper au hasard, de fac°on arbitraire, mais de fac°on meèthodique, en sachant toujours oué on est et quel est le lien avec les parties environnantes. Quand il examine la partie, l' anatomiste ne perd pas de vue le tout, puisque ce qui l' inteèresse est justement de comprendre l' articulation entre le tout et les parties : les rapports qu' ils entretien nent, le ro ê le de la partie dans l' eèconomie de l' ensemble, les organes qu' on pourrait supprimer et ceux qui sont vitaux, etc. Analyser n' a jamais voulu dire se perdre dans le deètail, meême quand on traite des deètails les plus microscopiques. Ce n' est donc pas un hasard si le paragraphage de Ciceèron sort directement des besoins de la classe de rheètorique de l' eèpoque. De Melanchthon aux jeèsuites, cette classe a pour identiteè forte qu' elle vise aé restituer l' artificium
orationis,
c' est-aé-dire aé faire comprendre un dis-
cours comme un tout, comme une totaliteè quasi-organique (un mais conc°ue par un
artifex.
holon)
La deèmarche suppose que le tout preèceéde
les parties, dans une vision aussi peu myope que possible. Typiquement, on commence la lecture d' un discours ciceèronien en fournissant un plan de la totaliteè, sous forme de
summae orationis.
synopsis
ou encore d' artificium
Ensuite, le professeur reèfeére chaque passage au mo-
ment du raisonnement oué l' on se trouve, par le moyen d' une reèduction
du
tout
aé
quelques
grands
syllogismes.
Ainsi
l' eèleéve
n' est-il
jamais û noyeè ý, perdu, en lui fournissant une main courante on l' habitue aé raisonner de fac°on holiste, aé ma|êtriser le tout. Autrement dit, le probleéme de l' eètendue des passages est un probleéme aé la fois beêtement pratique
et
radicalement intellectuel, en ce qu' il renvoie sans cesse au
probleéme fondamental de la composition d' ensemble, de la
compositio.
* Mes remarques initiales ont permis de deèstabiliser la vision actuelle des figures de penseèe, et d' alerter sur les risques que fait courir la seule lecture des traiteès. En mettant l' accent sur la longueur des figures, on oublie un instant le probleéme tant agiteè aé leur propos, depuis Fonta-
Fabienne Dumontet de l' avoir consulteè ). Ciceèronien, Scot ne saurait utiliser le mot meême de
paragraphus,
qui n' est pas classique, alors que
sectio
l' est.
francis goyet
550
nier et Genette, celui du feindre. On retrouve, sous la vision de Quin tilien (IX, 2), celle que Ciceèron a en geèneèral de la
figura, mot qui chez skheéma (IX, 1). La
lui deèsigne exactement ce que deèsignait en grec le
vision ciceèronienne est certainement moins subtile, mais en contrepartie elle est plus robuste. Une
figura sententiarum,
c' est en somme une fi-
gure û de paragraphe ý, c' est une identiteè facile aé repeèrer, un moment long dans un discours. Et comme pour Ciceèron tout moment aé l' identiteè forte est une telle û figure ý, il s' en deèduit cette conclusion elle-meême robuste, et d' une grande simpliciteè, qu' un discours donneè
n û figures ý, n sceénes.
est tout entier constitueè de theèaêtre est constitueèe de Une
telle
description
implique
pour
tout comme une pieéce de
nous
modernes
un
pro-
gramme de travail. Il nous faut nous plier aé la discipline de l' ancienne classe de rheètorique, et baliser nous-meêmes l' ensemble de ces moments d' un discours. Ce n' est pas aussi simple qu' il y para|êt, et cette difficulteè fut meême un des premiers enseignements de nos lectures en seèminaire d' eèquipe, c' eètait aé s' y casser les dents. Quoi qu' il en soit, en termes d' eètendue, de longueur, ce û simple ý balisage ne saurait eêtre qu' un instrument. C' est un travail, assez romain, de geèomeétre et de cadastre. Mais ce preèalable est neècessaire, c' est un preèrequis. Car faute de reconna|être correctement les formes, nous courons de plus en plus le risque de ne pas comprendre
de quoi
Quintilien parle, aé quels objets
il se reèfeére. Priveès de son univers de reèfeèrence, n' ayant pas preèsentes aé l' esprit les grandes pages ciceèroniennes, nous sommes au risque de le lire en apesanteur, dans le vide. Grandes pages, grands et petits moments, ces objets dont traite Quintilien n' ont de sens que mis aé leur juste place, que replaceès mentalement dans ce tout ou
holon,
dans cette composition qu' est un dis-
cours donneè. La fragmentation n' est pas au programme, pas meême
chez Montaigne. Ce que Melanchthon et les jeèsuites appellent l' artifi-
cium orationis,
c' est ce que Montaigne appelle la marqueterie. Leur
probleéme commun est le suivant. Le choix n' est pas du tout entre composition ou absence de composition, mais entre composition bien ou û mal jointe ý. Au sens propre, cela signifie : bien ou mal cousu, avec ou sans liant. Mais l' attention au liant et aux transitions est eèvidemment une attention aux blocs que lie le liant. De proche en proche, la question est de savoir quel type de
compositio
on adoptera :
statique ou dynamique, explicite ou organique, eèquilibreèe ou non, etc. Probleéme treés geèneèral, tout comme est treés geèneèral le concept de
skheéma.
Ni l' un ni l' autre ne sont propres aé la rheètorique, meême si
celle-ci a puissamment contribueè aé alimenter la reèflexion sur ce type
551
les figures de penseè e comme grands blocs
de questions. Que la û composition ý concreéte soit picturale, musicale ou encore architecturale, partout se deèduit du bien ou mal joint des oppositions de style, plutoêt û classique ý ou plutoêt û baroque ý, avec les infinies nuances et variations que l' on sait. Et puisque je n' ai cesseè ici
compositio par un autre mot et ideèe, treés romain lui aussi, celui de castrameè-
de parler et penser latin, on pourrait deèsigner ce probleéme de la
tation : c' est-aé-dire l' art et la manieére de travailler l' arrangement de
loci (ou figurae, ou skheémata) en une compositio (ou holon) qui compositio ciceroniana.
ses divers
soit aussi belle et efficace que la si vanteèe
Du cadastre aé la castrameètation, du champ au camp : les repeèrages les plus humblement pratiques servent les finaliteès les plus hautes et les
ad majorem gloriam.
plus vitales,
Ce sens constant des finaliteès est en-
core, et par excellence, un trait du monde jeèsuite et en geèneèral de l' aêge classique. Chaque eèpoque lit ainsi selon ses propres deèsirs et perspectives. Eux trouvaient dans Quintilien et son cher Ciceèron de quoi nourrir leur gouêt de l' organiseè voire de l' organique. Les successeurs de Fontanier et Genette y ont trouveè de quoi alimenter leurs microlectures fragmenteèes, dans l' oubli preèciseèment de toute finaliteè, et, é une vision de d' abord, de toute organisation ou û composition ý. A rheètoriciens a succeèdeè une vision de poeèticiens. Peut-eêtre un jour le pendule
va-t-il
repartir
dans
l' autre
sens,
et
allons-nous
changer
d' eèpoque.
Annexe :
l' origine
des
û paragraphes ý
et
û chapitres ý
de
Ciceè ron
D' ou é viennent-ils ? La question a purement et simplement disparu é ma connaissance, le seul critique des eèditions modernes de Ciceèron. A reècent aé se l' eêtre poseèe est, en 1984, John Glucker. Lui signale que la
dernieére
eèdition aé
mentionner l' origine
des paragraphes et
des
chapitres est en 1836 celle de Johann Caspar Orelli, de fac°on d' ailleurs incidente
36
.
Glucker reégle treés vite le cas des chapitres. Ils datent de 1618 et sont l' Ýuvre de Janus Gruter, bien connu comme latiniste de grande
36
Orelli,
Onomasticon Tullianum,
Zu«rich, 1836, repr. Hildesheim, 1965, t. I, p. 205 -
209, citeè par J. Glucker, û Chapter and Verse in Cicero ý,
Grazer Beitra« ge,
11 (1984),
p. 103-112. Je remercie infiniment le professeur Carl J. Classen de m' avoir indiqueè cet article, et Ruprecht Wimmer pour son accueil en Bavieére, lors d' un seèjour qui m' a permis d' achever l' enqueête en 2006.
francis goyet
552 envergure
37
. Le meême Gruter avait deèjaé, en 1612, deècoupeè Tite-Live
en chapitres, eux aussi repris dans les eèditions modernes. Dans un cas comme dans l' autre, les diverses preèfaces de Gruter ne disent pas un mot de ce deècoupage. Tout au plus puis-je ajouter que, pour ce qui est de Tite-Live, R. S. Conway dit que Gruter se vante de son deècoupage en chapitres û dans son eèdition de 1628 ý
38
.
Le probleéme du paragraphage de Ciceèron est plus complexe. Apreés avoir trouveè chez Orelli l' auteur de ce paragraphage, Glucker s' est alors focaliseè uniquement sur ce dernier. Il s' agit d' un noble eècossais reèfugieè en France, Alexander Scot. Celui-ci publie aé Lyon en 1588, chez Jean Pillehotte, et une nouvelle eèdition de l' Apparatus
tionis
de Nizzoli
39
et les
Opera
de Ciceèron
40
latinae locu-
. Les deux vont ensemble,
pour d' eèvidentes raisons commerciales. Les paragraphes des
Opera
sont repris dans cet eènorme dictionnaire ou plus exactement concordance
qu' est
l' Apparatus.
Paragraphes,
ou
plutoêt
û sections ý,
mot
qu' utilisent et Scot en latin et le privileége en franc°ais : Nostre cher et bien aimeè Iean Pillehotte, marchand Libraire et nostre Imprimeur en nostre ville de Lyon nous a faict dire et remonstrer que pour le profit de la Republique, contentement et utiliteè des gens de lettres et de la ieunesse, il auoit aé grands frais, mises, labeurs et im penses recouuert deux liures intitulez rigeè
noteè
et
accommodeè
par
Marci Tullii Ciceronis opera
sections
aé
meilleure
forme
cor-
qu' au
parauant et lesquelles Ýuures de Ciceron, respondent aé un autre liure fort necessaire, lequel il a pareillement recouuert aé grands frais et qui est intituleè
Apparatus latinae
[...].
Au terme de son enqueête, Glucker ne cache pas sa deèception. Catholique, Scot a fui l' E è cosse en 1567, et en France il fait son droit avec Cujas (entre 1570 et 1590), dont il publie les Ýuvres compleétes en 1606 chez le meême eèditeur lyonnais
37
Opera
Dans son eèdition des
41
; il finit avocat aé Carpentras
de Ciceèron, Hambourg, Froben, avec privileége de
l' Empereur dateè 1616.
38
Citeè par J. Bayet et G. Baillet (preèface de leur eèdition de Tite-Live, Paris, Les Belles
Lettres, 1965, I, p.
cxxvii ).
Le meême Conway suppose que le paragraphage de Tite -
Live est l' Ýuvre de Drakenborch, en 1738.
39 40
Privileége du 4 mars 1588, eèp|être deèdicace dateèe eègalement de û mars 1588 ý. Meême
privileége ;
publication
peut-eêtre
leègeérement
posteèrieure
puisque l' eèp|être
deèdicace renvoie aé celle en teête de l' Apparatus pour une description du paragraphage. E è dition citeèe par Baudrier, l' Ad
41
Her.,
Bibliographie lyonnaise,
II, p. 270 et 293 ; ces
Opera
inteégrent
dont les paragraphes viennent donc aussi de Scot.
Voir Cioranesco,
Bibliographie de la litteèrature franc°aise du seizieéme sieécle,
Geneéve,
1975, notice 7176 ; 1590 est l' anneèe de la mort de Cujas. Au deèbut de l' eèp|être deèdicace de l' Apparatus, Scot se preèsente seulement comme
Abirdonensis Academiae Artium liberalium
les figures de penseè e comme grands blocs
553
et meurt vers 1616. Au total, nous n' avons pas affaire aé une personnaliteè de premier plan, ni comme latiniste ni meême comme E è cossais. C' est un honneête lettreè, sans plus, pas du tout l' eèquivalent d' un Gruter. Avec ce maigre reèsultat, on est un peu coinceè. On ne peut gueére aller plus loin que des consideèrations sur la dimension purement pratique du paragraphage. L' Apparatus de Nizzoli lui-meême renvoyait aux pages de l' eèdition aldine de Ciceèron
42
. Or cette eèdition ne circule
plus en France, ou fort peu. Entre-temps, les Estienne ont eèchoueè dans leur tentative pour imposer un renvoi aux pages de leur propre eèdition de Ciceèron
43
. Ce serait pour remeèdier aé cette situation que
Scot propose un deècoupage en paragraphes, indeèpendant des aleèas de la pagination. Et au
xvii
e
sieécle son paragraphage va progressivement
s' imposer en Europe, non sans quelques variations mineures
44
.
Pour sortir de cette dimension purement pratique ou commerciale, il suffit de poursuivre l' enqueête en regardant, derrieére Scot, le milieu intellectuel qui a vu na|être le paragraphage. Et laé, nous retrouvons º sans surprise º les jeèsuites. Ce que Glucker ne releéve pas, c' est que Scot mentionne nommeèment dans sa preèface-deèdicace et le colleége jeèé suite de Tournon et son directeur Michel Coyssard (1547-1623). A Coyssard il faut ajouter cet autre jeèsuite, que Scot ne nomme pas : le professeur de rheètorique aé Tournon, Jean Voell (1541-1610)
45
. Le vrai
auctor du paragraphage, l' auteur ou instigateur, ce sont eux. Scot n' est gueére que l' exeècutant d' une commande. D' une part, le directeur du
Magist[er], atque in Universitate Turnonensi Theologiae candidat[us] (Glucker n' a pas retrouveè trace de ce MA d' Aberdeen).
42
Bien des eèditeurs de Ciceèron indiquent constamment ces numeèros de page. C' est
le cas dans l' eèd. 1540 des Opera aé Strasbourg, chez Wendel : meême chose dans les eèd. 1548, 1557, 1571, 1574, 1578 chez Ios. Rihelius (citeè par J. C. Orelli, Onomasticon, t. I, p. 201). C' est encore le cas dans l' eèd. 1584 des Opera aé Geneéve, chez Jeèr. des Planches (Orelli, p. 205), ou dans l' eèd. 1596 des seules Orationes, Baêle, C. Waldkirch, in qua numeri
paginarum, Aldi et Nizolii numeris respondent et dont les pages meêmes correspondent aé celles d' Alde.
43
Quand Hotman commente les discours de Ciceèron en 1554, il le fait par renvoi
aux pages de Robert Estienne.
44
En gros, dans les eèditions de Ciceèron au
xvii
e
sieécle, les paragraphes en tant que
tels ne changent gueére, mais leur numeèrotation û bouge ý un peu. Comme le remarque avec justesse le peére Basile Balthasar, un numeèro de paragraphe dans une eèdition donneèe est, dans une autre, le meême aé + 1 ou º 1 preés (lui utilise l' eèd. Amsterdam 1724 des
Opera de Ciceèron) : Quod si in aliis editionibus citato numero signatus locus non invenitur, in priore, aut mox sequente numero reperire erit : vix enim aliter variae Tullij editiones nisi uno subinde, alterove numero discrepant (Cicero Marianus..., Saint Gall, 1749, preèface non pagineèe).
45
Voir les publications de Coyssard et de Voell dans le Sommervogel et, de fac° on
plus succincte, dans le Cioranesco.
francis goyet
554
colleége a convaincu un eèditeur lyonnais, le treés catholique et bientoêt ligueur Pillehotte, de faire ce lourd investissement. Il a aussi trouveè ce noble eècossais deèsÝuvreè et sans doute deèsargenteè, et il lui a fourni une bourse de longue dureèe, ou en termes d' eèpoque un û beèneèfice ý donneè par un baron, du ê ment deèdicataire de l' Apparatus. D' autre part, le professeur de rheètorique travaille depuis 1574 aé une theèorie geèneèrale pour produire tout discours, le
nis.
Generale artificium texendae cuiuscunque oratio-
Il le publie en 1588 chez le meême Pillehotte, avec un privileége de
1584
46
. Dans cet ouvrage la theèorie est appliqueèe aé trois discours ciceè-
roniens (Arch.,
Cat. I
et
III).
Voell en donne une analyse continue,
lineèaire, qui annonce de treés preés l' analytique de Du Cygne. Et dans cette analyse il se sert continuêment des numeèros de paragraphes de Scot, avec renvoi explicite aé celui-ci (p. 6). Ces quelques indications dessinent assez nettement ce qu' on appellerait aujourd' hui un travail d' eèquipe. Les taêches sont reèparties. Au directeur du colleége de
trouver les financements.
Au
professeur de
rheètorique de fournir la theèorie º non sans en discuter avec le directeur, puisque Coyssard a lui-meême enseigneè la rheètorique. Au noble eècossais de reèaliser ce qui a eèteè ainsi conc°u, et l' honneur de le signer. De 1574 aé 1584, Voell teste la theèorie avec ses eèleéves, sur ces discours ciceèroniens qui sont les grands classiques de la classe de rheètorique. Si vraiment son livre est preêt en 1584, alors que la parution est de 1588, on peut supposer qu' il a eèteè solliciteè par Pillehotte et Coyssard d' attendre
que
paraisse
d' abord
l' Apparatus flanqueè
du Ciceèron
para-
grapheè. On peut supposer aussi que les directeur et professeur ont aideè l' exeècutant Scot dans sa taêche, en donnant leur point de vue sur la conception du paragraphage voire sur tel ou tel deècoupage particulier. Quoi qu' il en soit, l' essentiel est de comprendre l' anteèrioriteè de la theèorie de Voell sur le paragraphage de Scot, et en geèneèral de la conception sur la reèalisation. C' est le deèveloppement meême de la classe de rheètorique qui a exigeè de nouveaux outils. Les dates de toute l' entreprise la raccrochent d' ailleurs au vaste contexte jeèsuite du moment. Au niveau europeèen, 1584-1588 nous renvoient aé ces anneèes d' intense cogitation pour la mise en forme de leurs programmes scolaires, qui aboutiront aé la reèdaction û deèfinitive ý de la
46
Ratio studiorum
J' en ai vu un exemplaire aé Augsburg, le seul que j' aie trouveè (privileége du 11 deè-
cembre 1584, acheveè d' imprimer du 1
er
aouêt 1588, preèface dateèe du 13 juin 1588, oué
Voell dit avoir commenceè son ouvrage quatorze ans auparavant), puis Cologne, 1589, etc. (nombreuses reèeèditions au ni l' acheveè d' imprimer).
xvii
e
sieécle en Allemagne, mais bien suêr sans le privileége
les figures de penseè e comme grands blocs
555
de 1599, dont les deux premieéres reèdactions sont de 1586 et 1591 47. Bref, derrieére l'arbre nous avons retrouveè la foreêt. Derrieére le quasi inconnu Scot, nous voyons se profiler la grande machine pro ciceèro nienne du monde jeèsuite. Il n'est pas interdit de penser que Pillehotte espeèrait voir son eèdition de Ciceèron au moins signaleèe dans la48 et au mieux fortement conseilleèe comme eèdition de reèfeèrence . Je ne sais si les beèneèfices purement commerciaux ont eèteè au rendez vous. En tout cas, la numeèrotation en paragraphes se reèpandra... quand elle sera reprise par d'autres eèditeurs des de Ciceèron, aé commencer par P. de la Rovieére aé Gene ve en 1616 avec º au titre renvoi explicite et aé l' de Scot et aéé ses . Ce bref historique rend compte de la situation assez baroque que conna|êt d'expeèrience tout lecteur de Ciceèron. Il y a deux numeèrota tions distinctes et freèquemment discordantes. Ce que repeérent les chif fres romains de Gruter correspond parfois treés exactement avec ce que deèlimitent les chiffres arabes de Scot, et parfois non 49. En fait, nous sommes face aé deux deècoupages, deux analyses º deux teèmoignages de lecture. Il est probable que Gruter a sous les yeux celle de Scot, et qu'il marque son deèsaccord quand il ne fait pas correspondre ses cha pitres avec les paragraphes. J'ai pu de meême constater que, dans son eèdition des discours de Ciceèron en 1729, Ferrazzi reprend en gros les chapitres de Gruter, mais ne se prive pas de deèplacer leurs deèbuts et fins en tant que de besoin, pour mieux cadrer avec sa propre analyse rheètorique, donneèe en bas de page. Et on vient de voir nombre de û flottements ý semblables. Il faut pourtant eêtre prudent avant de deècreèter, comme le fait John Glucker, que le paragraphage de Scot est arbitraire. Certes, les deèsac cords et flottements dans la deèlimitation des paragraphes (et des chapi tres) signifient que les lecteurs de l'eèpoque ne sont pas toujours d'accord dans le deètail. Mais ils le sont en gros aé 90 %. Il est plus in teèressant de supposer que Scot lui meême heèrite de toute une tradition de lecture, ne serait ce qu'avec l'aide des jeèsuites qui l'entourent. Par -
-
-
Ratio -
Opera
Apparatus
sectiones
-
-
supra
-
-
-
-
Voir l'edition bilingue de la de 1599 parue en 1997 (eèd. M. M. Compeére , Paris), et è l'eèdition latine des de 1586, 1591 et 1599, publie (Rome, è e en 1986 eèd. L. Lukaècs, t. 5, entieérement revu, des ). Aé Lyon meême et en cette meême anneèe 1588, Pillehotte est en concurrence avec un autre eèditeur (Sibylle de La Porte), dont l'eèdition des de Ciceron recourt au sys teéme qui s'est imposeè pour Platon, de grandes pages deècoupeèes deè fac° on reègulieére et automatique par les lettres A, B... jusqu'aé H. La situation est tout aé fait diffeèrente pour Tite Live : aucune discordance, le deècou page en û paragraphes ý, poste è rieur au deècoupage en û chapitres ý par Gruter, prend ceux ci pour acquis. 47
al.
Ratio
-
et
Ratio
48
Monumenta paedagogica Societatis Iesu Opera
49
-
-
-
francis goyet
556
exemple, quand Fouquelin en 1555 cite comme un bloc l' inteègraliteè de
Quinct.
54, cela veut dire qu' il est par avance d' accord avec le deè-
coupage de Scot en 1588. Ce ½54 repreèsente donc pour tous deux la meême eètendue de texte, la meême uniteè, uniteè tout aé la fois de sens et de rythme. Au-delaé de Scot, il faudrait pouvoir remonter aé cette tradition de lecture avec certitude. Autrement dit, il faudrait une eèdition relevant tous les flottements entre 1588 et 1836. En tout cas, la double numeèrotation actuelle, fixeèe par l' eèdition Orelli, n' est pas neècessairement aé l' identique celle de Scot et de Gruter. Une uniteè de sens et de rythme, c' est la deèfinition meême de la peèriode oratoire, qui n' est en rien une phrase grammaticale. Scot identi fie explicitement ses paragraphes ou
periodos (Sectiones vel
tmeémata
sectiones
appellemus licet).
avec des peèriodes :
in
En termes de rythme,
on peut observer que ses paragraphes obeèissent aé une sorte de û battue ý rythmique. S' ils n' ont pas tous exactement la meême longueur, ils sont tous des uniteès de taille sensiblement reègulieére, comparable. Il en va de meême pour les chapitres de Gruter. Lui aussi a dans l' Ýil un compas, ou dans l' oreille une sorte de meètronome. Cela aboutit laé encore aé des chapitres d' eètendue reègulieére, la meême d' ailleurs qu' il s' agisse
de
Ciceèron
ou
de
Tite-Live.
Gruter
raisonne
par
blocs
d' environ une bonne page en û Budeè ý ; Scot, lui, a des blocs plus courts, d' environ une demi-page, en gros deux aé trois paragraphes par page. Nous l' avons vu pour Ciceèron. chapitre VIII (Gruter) ;
Pomp.
Rab. perd.
½22-24 (Scot) =
½37-39 (Scot) = chapitre XIII (Gruter),
ou presque, puisque Gruter ajoute aé ce bloc le ½36 de Scot. Pour finir, cela nous rameéne aé cette ideèe que le paragraphe est comme l' eèquivalent en prose de ce qu' est le sonnet en poeèsie. Tous deux sont une peèriode de rang supeèrieur aé celle, canonique, qui est longue comme quatre vers latins, ou comme un quatrain de sonnet. Le paragraphe, ou le sonnet, est aé la peèriode, ou au quatrain, ce que le bloc de trois ou quatre paragraphes/sonnets est aé son tour au paragraphe/sonnet isoleè : un englobant. D' oué la possibiliteè d' alineèas dans le sonnet ; ou d' effet clausule en fin de peèriodes (de quatrains), de paragraphes (de sonnets), mais aussi de blocs de paragraphes puis de par ties, effet d' autant plus fort que l' englobant est de rang plus haut (les
peroratiunculae
é de Quintilien). A chaque niveau, micro- ou macro-,
s' applique la meême probleèmatique de la
50
compositio
Pour la deèmonstration, voir mon commentaire aé la
Bellay, Paris, 2003 (t. I des
Üuvres compleétes,
50
.
Deffence et illustration...
dir. O. Millet).
de Du
les figures de penseè e comme grands blocs
557
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commentaire
de
Ciceè ron,
Lig.,
dans
l' eèd.
collective
In omnes
M. T. Ciceronis orationes (...) lucubrationes, Baêle, R. Winter, 1539. Loutsch,
Claude,
L' exorde
dans
les
discours
de
Ciceèron,
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Nicolas,
et
alii,
Huit
oraisons
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Ciceron,
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xviii
e
xvii
e
et
sieécles, Ajaccio, Alain Piazzola, 2006.
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L AT I N I TAT E S
Volker
Kapp
ÂLE DE QUINTILIEN LE RO ÂBATS SUR LA CLARTE Â DANS LES DE Quand
on lit les publications qui sont consacreèes aux deèbats sur la
clarteè, on constate une nette division entre celles des 25 dernieéres anneèes et celles de la fin du
xix
e
et de la premieére moitieè du
xx
e
sieécle :
les travaux reècents renvoient aé Quintilien tandis que celui-ci reste tout aé fait marginal pendant de nombreuses deècennies, quand il n' est pas compleétement passeè sous silence. Les linguistes l' ont plutoêt ignoreè et les critiques litteèraires n' ont pas fait beaucoup d' efforts pour mettre en eèvidence son roêle dans ces deèbats. Le renouveau des eètudes rheètoriques a, ces derniers temps de plus en plus, attireè l' attention sur les citations º litteèrales ou non avoueèes º de l' Institution
oratoire
deèveloppements consacreès aé ce probleéme par les auteurs des
xviii
e
dans les
xvi
e
au
sieécles sans qu' aucune eètude se soit efforceèe d' eèvaluer l' in-
fluence de Quintilien sur ce deèbat. Il semble cependant maintenant que ce sont l' abondance de mateèriaux et la complexiteè de la probleèmatique,
plus
qu' un
manque
d' inteèreêt,
qui
expliquent
l' absence
d' une telle eètude. On est compleétement deèbordeè par l' omnipreèsence de ce ma|être d' eèloquence pendant la peèriode que nous envisageons sans qu' aucune piste aé suivre ne se deèsigne nettement. Il faut s' excuser d' avoir l' audace d' essayer de preèsenter ici tout de meême sommairement quelques grandes lignes de la probleèmatique. Le deèbat oratoire sur la clarteè se heurte pendant la Renaissance aé une difficulteè de terminologie qu' il faudra eèlucider (I) avant de s' attaquer aé l' archeèologie des doctrines qui se rattachent autant aé Ciceèron qu' aé Quintilien quand elles ne sont pas deèriveèes des rheètoriciens grecs, surtout d' Hermogeéne, moins d' Aristote (II). La tradition franc°aise se substitue, deés le
xvii
e
sieécle, insensiblement aux autoriteès de la rheèto-
rique latine de sorte qu' au
xviii
e
sieécle, l' ideèal de la clarteè franc°aise
s' impose en tant que marque de l' identiteè culturelle de la France (III).
559
volker kapp
560
Quintilien reste pourtant treés preèsent (IV). Ce constat nous a encourageè aé entreprendre cette recherche.
I
perspicuitas Rheètorique Rheètorique claritas Institution De l'oraprima lex orationis, ut sit clara Rheètorique
La rheètorique latine utilise surtout le terme de
sapheéneia Poeètique
primer le mot grec (III, 2) et dans sa
pour ex
qu' Aristote utilise dans sa
(22) pour caracteèriser la diction. L' abbeè Cas
sandre n' heèsite pas aé traduire ce terme de la 1
par û clarteè ý . Le mot latin
oratoire teur
aristoteèlicienne
ne se trouve pas dans l'
. D' apreés Balthazar Gibert, Ciceèron, lui, s' en sert dans
en soutenant :
(III, 38), phrase que Gi 2
bert cite de meèmoire dans sa
(1730) . Cette occurrence
reste marginale, c' est pourquoi le meême Gibert, qui preèfeére deècideèment Aristote et Ciceèron aé Quintilien, ne la mentionne pas quand il preèsente Ciceèron dans les
de la Rheètorique
.
Jugements des savants sur les auteurs qui ont traiteè
La traduction du mot grec
libri
sapheéneia
par
claritas
Rheticorum
vient des
(1433/1434) de Georges de Treèbizonde ; c' est du moins l' avis de
Jules Ceèsar Scaliger qui reconna|êt que ce terme n' est û pas mal ý choi3
si . Scaliger revient dans la suite aé cette traduction quand il aborde les cateègories
4
stylistiques
d' Hermogeéne .
Il
y
reproche
aé
Treèbizonde
d' avoir introduit le terme de clarteè sans l' expliquer et de neègliger dans l' analyse de la netteteè, qui fait partie de la clarteè, la distinction 5
entre pureteè et netteteè . Quintilien n' est eèvoqueè dans ce contexte que
perspicuitas evidentia
pour souligner l' analogie entre sa zonde ainsi que l'
enargeia
et l'
et la 6
claritas
de Treèbi-
de Ciceèron . Selon Scaliger,
Treèbizonde se trompe en consideèrant la clarteè comme une partie de l' eèleègance au lieu de la nommer û pour ainsi dire la cause formelle ý
causa quasi formalis
(
1
A estre Claire d'elle-meême, & intelligible La Rhetorique d'Aristote en franc° ois La Rheètorique ou les reégles de l'eèloquence
ý
, Paris, 1675, p. 362).
B. Gibert,
p. 425.
3
). Cette critique de Scaliger vise une probleèma-
û [...] Que la beauteè de l' Elocution consiste
(F. Cassandre,
2
7
, eèd. S. B. Messaoud, Paris, 2004,
J. C. Scaliger,
Poetices libri septem
, Faksimile-Neudruck der Ausgabe Leipzig von
Lyon 1561 mit einer Einleitung von A. Buck, Stuttgart - Bad Canstatt, 1967, p. 176.
L'Art rheètorique Trapezuntius claritatem tractaturus nequaquam hoc explicavit. Sed posito claritatis nomine statim puri sermonis instituit investigationem neglegenter omisit sapheéneias divisionem in katharoteéta et eukrineian Poetices libri 6 Claritas est, quae puram & perspicuam facit orationem ibidem 7 Ibidem 4 5
Hermogeéne,
, trad., introd. et notes M. Patillon, Paris, 1997, p. 331.
[...]
(J. C. Scaliger,
Scaliger eècrit : , p. 180.
, p. 180).
(
, p. 176).
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè
561
tique qui se preèsente de nouveau dans les deèbats rheètoriques sur la clarteè pendant le
xvii
e
sieécle.
Quintilien entre au premier plan lorsqu' au
xvi
e
sieécle la traduction
de Treèbizonde inspire l' utilisation du mot clarteè en tant que terme technique de l' art oratoire. Un roêle primordial revient aé Jacques Peletier du Mans qui soutient dans le chapitre û Des Ornements de Poeèsie ý de son Art poeètique (1555) : û La premieére et plus digne vertu du Poeéme est la Clarteè
8
ý. Ses lecteurs, certainement plus familiers que
nous avec les grands rheètoriciens de l' Antiquiteè, ont reconnu probablement la paraphrase de la remarque ceèleébre que le commentateur d' aujourd' hui de sa poeètique cite en note : Nobis prima sit virtus perspi9
cuitas . Cette ouverture du chapitre eèrige Quintilien en heèraut de la clarteè bien qu' il ne soit eèvidemment pas le seul rheètoricien de l' Antiquiteè aé proêner cette reégle. L' importance de ce choix se reèveéle face aé l' adaptation du terme de û chiarezza ý par Giovan Giorgio Trissino aé la terminologie rheètorique. Dans La quinta e la sesta divisione della poetica ( 1549) il exige l' adoption de mots û clairs ý
10
sans se reèfeèrer expresseè-
ment aé Quintilien. Lodovico Castelvetro utilise lui aussi le terme de û chiarezza ý dans sa traduction et explication du chapitre 22 de la Poeètique d' Aristote (1570)
11
. Daniel Barbaro qui s' inspire de la Rheètorique
d' Aristote dans son dialogue Della eloquenza (1557) ne mentionne la clarteè (û chiarezza ý) qu' en passant
12
. Les Italiens, qui ont le meèrite
d' avoir redeècouvert le texte inteègral de l' Institution oratoire, n' eètudient pas moins Quintilien que les Franc°ais, je me contente de rappeler l' Oratio super Fabio Quintiliano et Statii Sylvis d' Angelo Poliziano mais ils commentent au
xvi
e
13
,
sieécle surtout la Poeètique d' Aristote et ad-
heérent en partie aé un ciceèronianisme
14
qu' E è rasme prend vivement aé
partie. Leurs commentaires d' Aristote sont bien connus en France et contribuent sans doute aé la diffusion du terme de la clarteè.
8
Traiteès de poeètique et de rheètorique de la Renaissance, introd. et notes F. Goyet, Paris,
1990, p. 272.
9 10
Inst., VIII, 12, 22. û La virtué poi universale del sermone eé quando esso eé composto di parole manifeste
e chiare, ma non umili neè abiette ý (Trattati di poetica e retorica del Cinquecento, eèd. B. Weinberg, vol. II, Bari, 1970, p. 41).
11
L. Castelvetro, Poetica d' Aristotele vulgarizzata e sposta, eèd. W. Romani, Roma -
Bari, 1979, vol. II, p. 59-63.
12 13 14
Trattati di poetica, eèd. B. Weinberg, vol. II, p. 425. Prosatori latini del Quattrocento, eèd. E. Garin, Milano - Napoli, 1952, p. 870-885. Cf. Ch. Mouchel, Ciceèron et Seèneéque dans la rheètorique de la Renaissance, Marburg,
1990, p. 42-88.
volker kapp
562
II Peletier du Mans est loin d' idolaêtrer Quintilien qu' il critique au nom de l' ideèal de la brieéveteè û d' avoir eèteè si long en ses Institutions ora-
toires
15
ý. La brieéveteè compte pourtant pour Quintilien autant que la
clarteè parmi les qualiteès de la narration s' oppose surtout aé l' abondance riteè
19
18
16
et de l' eèlocution
17
ou é elle
. Trop de brieéveteè meéne aé l' obscu-
, proteste Peletier du Mans en paraphrasant le chapitre VIII, 2 de
l' Institution oratoire. Certains critiques croient reconna|être dans cette attaque contre l' obscuriteè une censure de Maurice Sceéve mais Francis Goyet souligne aé juste titre que Peletier se range deècideèment du co ê teè de la doctrine quintilienne
20
.
L' ideèal de la clarteè posseéde aé l' eèpoque un rang politique eètant donneè que l' ordonnance de Villers-Cottereêts (1537) eènonce au nom er
du roi Franc°ois I
pour tous les actes publiques :
Nous voulons et ordonnons, qu' ils soient faits et eè crits si clairement, qu' il ne puisse y avoir aucune ambigu|ëteè ou incertitude ni lieu aé demander interpreètation
21
.
Marc Fumaroli met ce passage de l' ordonnance en rapport avec le refus que Bartheèlemy Aneau, en 1549, dans son Quintil horatien, lance contre la phrase û prends garde que le Poeéme soit eèloigneè du vulgaire ý tireèe de la Deèfense et illustration de la langue franc°aise (1549) de Du Bellay : Cette caution est contre la preècepte d' Horace : qui veut le Poeé me eêtre tel que l' honneur d' icelui soit acquis des choses et paroles prises au milieu de la communauteè des hommes, tellement que tout lecteur et auditeur en pense bien pouvoir autant faire, et toutefois n' y puisse advenir
22
.
Aneau, dont l' adversaire Du Bellay û a pilleè ý d' apreés Kees Meerhoff l' Institution oratoire
23
, insiste sur la compreèhensibiliteè de la poeèsie
et refuse l' exclusiviteè qui caracteèrise la Pleèiade. Marc Fumaroli in-
15 Traites de poetique, ed. è è è 16 Inst., IV, 2, 31-32.
F. Goyet, p. 246.
17 Inst., VIII, 3, 81-82. 18 Inst., X, 5, 8. 19 Inst., VIII, 2, 19. 20 Traites de poetique, 21
è
è
eèd. F. Goyet, p. 333, n. 119.
Citeè par M. Fumaroli, Trois institutions litteèraires, Paris, 1994, p. 235.
22 Traites de poetique, ed. F. Goyet, p. 211. è è è 23 K. Meerhoff, Rhetorique et poetique au xvi e siecle en France. Du Bellay, Ramus et les è è é autres, Leiden, 1986, p. 139.
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè
563
voque l' autoriteè de Ciceèron pour interpreèter cette prise de distance comme un programme politique qui englobe la doctrine oratoire de la clarteè : Cette clarteè est d' abord un sentiment religieux du royaume et de sa langue, avant meême de reèpondre aux exigences que les humanistes placent dans la perspicuitas du latin de Ciceèron. C' est autour de cette notion solaire que la langue du roi et de la cour va preè tendre au rang de û latin des modernes ý
24
.
Le processus signaleè par Marc Fumaroli se reèpercute dans le deèbat sur la clarteè du langage poeètique franc°ais ou é Aneau, quoiqu' adversaire des poeétes de la Pleèiade, adheére plutoêt aé leur ciceèronianisme tandis que Peletier du Mans, ami de ces poeétes, se range du coêteè de Quintilien. On devrait une fois analyser les tensions entre les eèmules de Ciceèron et les partisans de Quintilien dans les deèbats sur la clarteè en France. L' option de Peletier pour l' Institution oratoire influence son interpreètation d' Horace dont il est le traducteur. Il vante les Odes en s' appropriant le jugement de Quintilien d' apreés lequel Horace û eètait presque seul de tous les Lyriques Latins, digne d' eêtre lu
25
ý. Cet eèloge inclut,
selon Peletier, le programme de la translatio qui marquera de plus en plus la litteèrature franc°aise et que l' auteur propose en se basant de nouveau sur Quintilien : [...] nous pouvons quasi dire de lui ce que le meê me Quintilien disait de Pindare : une magnificence d' air, sentences, figures, heureuse copie de noms et de mots : et quasi une manieé re de fleuve en eèlocution
26
.
La vision du langage poeètique que Peletier emprunte ici, aé travers Quintilien, aé Horace lui-meême, ressemble aé bien des eègards au ciceèronianisme de la Pleèiade, mais Horace est le modeéle de Boileau qui, lui, s' efforce de reèaliser par son Ýuvre poeètique la translatio que Peletier exalte chez le poeéte romain. Le plaidoyer de Peletier en faveur de la clarteè n' est pas resteè sans eècho au
xvii
e
sieécle. Pierre de Deimier s' en souvient dans L' Acadeèmie
de l' Art poeètique (1610) quand il nomme la clarteè û le pur et na|ëf esclarcissement d' une poe«sie ý en soulignant que û par ce moyen les poe«mes sont dou«ez de la beauteè et de l' excellence qui parmy quelques autres
24 25 26
M. Fumaroli, Trois institutions, p. 236. Traiteès de poeètique, eèd. F. Goyet, p. 298. Cf. Inst., X, 1, 96. Traiteès de poeètique, eèd. F. Goyet, p. 299. Cf. Inst., X, 161 et Horace, Odes, IV, 2, 5-8.
volker kapp
564
accomplit le corps de sa perfection
27
ý. Passant aé l' obscuriteè, Deimier
eècrit : û les vices se connoissent aisement par l' opposition des vertus
28
ý, citation non avoueèe de Peletier
29
. Andreè Boulanger exageére
quand il accuse Deimier d' avoir û plagieè tout le deèbut
30
ý du cha-
pitre X de L' Art poeètique, mais selon ce rapport intertextuel il est fort probable que Deimier s' inspire, aé travers Peletier, de Quintilien dans le conseil qu' il donne aux poeétes : [...] j' inciteray les nouveaux poe« tes aé se rendre curieux d' escrire clairement par des termes faciles et familiers, pourveu qu' il y ait toujours quelques fleurs de belles et propres figures et d' employer des mots rares, ou communs suivant ce qui est directement requis au subject qu' ils traicteront [...]
31
.
Deimier, qui admire encore Ronsard et les poeétes de la Pleèiade, admet les û mots rares ý s' ils sont requis par le theéme de la poeèsie. Il entonne eègalement l' eèloge de Malherbe en eèrigeant l' une des ses poeèsies en û tres-beau chef-d' Ýuvre et modelle de la beauteè qui est [...] requise en la poe«sie
32
ý. Il cherche en plus aé creèer un canon des bons prosateurs
franc°ais parmi lesquels figurent Du Vair, dont il freèquente l' Acadeèmie aixoise, et Honoreè d' Urfeè
33
. Sa parenteè avec d' Urfeè se manifeste dans
le statut qu' il attribue aé û la douceur ý constituant, de meême que û l' eèleègance ý, la beauteè parfaite du langage poeètique
34
.
La lec°on de Quintilien se manifeste lorsque Deimier fait deèpendre la clarteè de l' usage des û termes faciles et familiers ý, ce qui correspond aé la reégle de l' usage dans l' Institution oratoire
35
. L' usage termine l' eènu-
meèration des quatre criteéres qui caracteèrisent le discours, la û raison ý est nommeèe en premier lieu
36
. En bon disciple de Quintilien, Deimier
insiste sur la neècessiteè de la raison dans la poeèsie parce qu' û une poe«sie en qui la raison abondera partout, sera toujours estimeèe et favorable-
27 28 29
P. de Deimier, L' Acadeèmie de l' Art poeètique, Paris, 1610, p. 267. Ibidem. û Les Vices aiseèment se connaissent par l' opposite des Vertus ý (Traiteès de poeètique,
eèd. F. Goyet, p. 279).
30 31 32
Dans son eèdition de L' Art poeètique de Peletier du Mans (Paris, 1930, p. 138, note 2). P. de Deimer, L' Acadeèmie, p. 360. Ibidem, p. 277.
33
Ibidem, p. 276.
34
û [...] afin qu' un poe«me soit beau parfaitement, il ne faut pas que l' elegance et la
douceur des paroles y manquent ý (ibidem, p. 346).
35
Inst., I, 5, 63 : auctoritatem consuetudo superavit.
36
Inst., I, 6, 1 : sermo constat ratione, vetustate, auctoritate, consuetudine.
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè ment rec°ue
37
565
ý. C' est moins Deimier que Malherbe qui impose cette
reégle aé la poeètique du
xvii
e
sieécle
38
que Boileau reèsume dans les vers :
Aimez donc la raison : que toujours vos eècrits Empruntent d' elle seule et leur lustre et leur prix
39
.
Ce conseil s' accorde bien avec la doctrine de Quintilien sans qu' on puisse prouver qu' il deèrive directement de l' Institution oratoire. Les affiniteès entre les deux auteurs sautent encore plus aux yeux quand Boileau oppose l' ideèe confuse aé l' ideèal de la clarteè : Selon que notre ideèe est plus ou moins obscure, L' expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l' on conc°oit bien s' eènonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aiseè ment
40
.
Il est vrai que Quintilien n' est pas le seul aé eètablir un paralleéle entre la penseèe et l' expression
41
mais il lie la qualiteè de l' ornement au cri-
teére de la clarteè et de la vraisemblance en soutenant : Ornamentum est, quod perspicuo ac probabili plus est
42
. Boileau renverse pour ainsi dire la
perspective de l' orateur romain sans renier pourtant sa doctrine d' une relation intime entre l' expression claire et la raison nette. Les origines du concept rheètorique de la raison sont encore eèvidentes pour Malebranche qui sympathise cependant plus avec Descartes qu' avec Quintilien. L' auteur De la recherche de la veèriteè explique l' ornement du langage poeètique et l' adoption de figures oratoires par un deèreéglement de l' imagination. Il reproche aux partisans de Tertullien d' avoir un respect extraordinaire pour ce Peére de l' E è glise parce qu' ils interpreétent û l' obscuriteè qu' il affecte comme une des principales reégles de sa rheètorique
43
ý. Il ajoute alors une reèflexion sur les galimatias
en reconnaissant qu' il y û a eu des gens qui ont regardeè l' obscuriteè comme un des plus grands secrets de l' eèloquence, parmi eux l' art de
37 38
P. de Deimier, L' Acadeèmie, p. 489. Cf. H. Lausberg, û Die Stellung Malherbes in der Geschichte der franzo« sischen
Schriftsprache ý, Romanische Forschungen, 62 (1950), p. 180.
39 40 41
Boileau, Art poeètique, I, 37-38. Ibidem, I, 150-153. Nam rerum vitia sunt stultum, commune, contrarium, supervacuum : corrupta oratio in verbis
maxime impropriis, redundantibus, comprensione obscura, compositione fracta, vocum similium aut ambiguarum puerili captatione consistit (Inst., VIII, 3, 57).
42 43
Inst., VIII, 3, 61. Malebranche, Üuvres, I, eèd. G. Rodis-Lewis, G. Malbreil, Paris, 1979, p. 897. Sur
Malebranche et la rheètorique, cf. V. Kapp dans Histoire de la rheètorique dans l' Europe moderne 1450-1950, dir. M. Fumaroli, Paris, 1999, p. 707-720.
volker kapp
566
persuader consistait en partie aé se rendre inintelligible 44 ý. Il renvoie en note au chapitre 2 du huitieéme livre de l' que Quintilien consacre aé la clarteè. Cette alleègation est d'autant plus remarquable que Malebranche aurait pu citer d'autres rheètoriciens, meême saint Augustin qui se distancie dans de l'obscuriteè oratoire 45. III Le passage de Quintilien alleègueè par Malebranche est treés connu au xviie sieécle. Dominique Bouhours l'eèvoque eègalement dans (1687) 46 en faisant d'Eudoxe, dans le quatrieéme dialogue, son porte-parole. Il s'eètonne que Ciceèron ne traite pas assez de la netteteè et base tout son deèveloppement sur la clarteè sur l' : Institution oratoire
De doctrina christiana
La Ma
nieére de bien penser dans les ouvrages d' esprit
Institution oratoire
Rien ne me plaist, rien ne me picque que je n'entende parfaitement ; [...] car enfin la penseèe n'estant qu'une image que l'esprit forme en luy-mesme, elle doit repreèsenter les choses, & rien n'y est plus contraire que l'obscuriteè. Aussi Quintilien marque la clarteè pour la premieére vertu de l'eèloquence, &, selon luy, les discours des plus habiles Orateurs sont les plus aisez aé entendre 47.
Il cite en note la ceèleébre phrase du livre II de l' 48 et a propos de la comprehensibié è liteè la remarque : 49. Bouhours met ainsi en eèvidence la dette que sa doctrine oratoire a contracteèe chez l'orateur romain. Il s'approprie la formule de Quintilien selon laquelle û moins Institution oratoire :
prima est eloquentiae virtus perspicuitas
plerumque accidit, ut faciliora sint ad intelligendum et luci
diora multo, quae a doctissimo quoque dicuntur
44 45
Malebranche,
, I, p. 898.
Üuvres
Quid enim prodest locutionis integritas quam non sequitur intellectus audientis, cum loquendi
omnino nulla sit causa, si quod loquimur, non intelligunt, propter quos ut intelligant loquimur ?
( , IV, 24, texte critique du , introd. et trad. M. Moreau, notes I. Bochet et G. Madec, Paris, 1997, p. 354-356). B. Gibert commente ce passage en utilisant le terme de la clarteè ( , Amsterdam, 1725, reèimpression Hildesheim - New York 1971, vol. VIII, p. 158). 46 D. Bouhours, , introd. et notes S. Guellouz, Toulouse, 1988, p. 359. 47 , p. 341. 48 , II, 3, 8. 49 . De doctrina christiana
CCL
Jugements des savants sur les auteurs qui ont traiteè de la rheètorique,
avec un preècis de la doctrine
La Manieére de bien penser dans les ouvrages d' esprit
Ibidem Inst.
Ibidem
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè
567
on a d'esprit, plus on fait d'effort pour en montrer 50 ý et il le traduit de nouveau en exigeant û qu'une penseèe soit si claire, que les Lecteurs ou les Auditeurs l'entendent sans qu'ils s'appliquent aé la concevoir 51 ý. On n'exageére pas en disant que Bouhours transforme la doctrine quintilienne en systeéme, qui deètermine autant que l' de Boileau la vision de la clarteè franc° aise. Selon notre jeèsuite, la manieére de bien penser se rattache aé deux principes provenant du rheèteur romain : û la pureteè du langage ý et û l'exactitude du stile ý 52. Balthazar Gibert ne mentionne pas cette paterniteè de Quintilien et met en eèvidence le paralleèlisme entre et la en soulignant en meême temps que l'ouvrage de Bouhours est un û vrai Traiteè de Rheètorique 53 ý. Cette classification nous semble reèveèlatrice en ce sens qu'elle teèmoigne d'une part des affiniteès entre les partisans de la doctrine oratoire de la clarteè et les partisans du carteèsianisme et qu'elle range cette affiniteè d'autre part sous l'eègide de Quintilien sans l'avouer ouvertement. Le silence sur le rheètoricien romain s'explique sans doute par des preèfeèrencese personnelles de Gibert qui n'est pas le seul dans la France du xvii sieécle aé mettre Aristote nettement audessus de Quintilien mais il vient aussi du fait qu'on s'efforce, aé l'eèpoque, d'eèlaborer une doctrine de la clarteè franc° aise dont la deèpendance du rheètoricien romain est mise en arrieére-plan. Bouhours est sans doute aé l'origine de cette tendance d'occulter le roêle d'architexte de l' dans le deèbat sur la clarteè franc° aise. Il se passe de toute reèfeèrence dans l'entretien consacreè aé û La langue franc° aise ý bien qu'il mentionne Quintilien aé plusieurs reprises dans (1671). Sa deèmarche pourrait eêtre caracteèriseèe, suivant la terminologie linguistique d'aujourd'hui, de sociolinguistique puisqu'il commence par un compliment aux femmes qui, en France, û parlent naturellement & sans nulle eètude 54 ý. Il fonde cette qualiteè sur le fait que û la langue Franc° aise a un talent particulier, pour exprimer les plus tendres sentiments du cÝur 55 ý et la qualifie de û la langue du cÝur ý dont û le propre caracteére ý est la û na|ëveteè [...] acArt poeètique
La Ma
nieére de bien penser dans les ouvrages d' esprit
Logique de Port Royal
Institution oratoire
Les entretiens d' Ariste et d' Eugeéne
50
D. Bouhours,
51
D. Bouhours,
D. Bouhours, B. Gibert, 54 D. Bouhours, 2003, p. 120. 55 . 53
.
, p. 394 ; cf.
, p. 395. , I, p. 304.
, II, 3, 8 :
Inst.
quis ingenio minus
, VIII, 2, 23 :
Inst.
dilucida et negle-
La Manieére de bien penser
Jugements des savants
Ibidem
.
La Manieére de bien penser
genter quoque audientibus aperta
52
, p. 394 ; cf.
La Manieére de bien penser
valet, hoc se magis attollere et dilatare conatur
, eèd. B. Beugnot, G. Declercq, Paris,
Les entretiens d' Ariste et d' Eugeéne
volker kapp
568
compagneèe d'une certaine clarteè 56 ý. Le peére jeèsuite passe ici de l'argumentation sociolinguistique aé l'analyse structurale de la langue. Apreés avoir constateè que û les transpositions ý, permises dans les autres langues, sont interdites en franc° ais, il conclut que û notre construction reègulieére ne contribue pas peu aé la netteteè du style, & aé la clarteè du discours 57 ý. L'analyse quintilienne de l'obscuriteè sert ici de cadre pour une argumentation linguistique dont deèrive un art de penser. On pourrait appliquer aux le rapprochement que Balthazar Gibert fait aé propos de et de la (1662) d'Arnauld et Nicole. Gibert interpreéte l'effort entrepris par Bouhours pour se distinguer nettement de la comme preuve eèvidente de 58 l'affiniteè entre les deux ouvrages , qui û se rencontrent ý bien que la Logique d'Arnauld et Nicole û ne pousse pas sa pointe jusqu'au bel esprit ; comme le Pere ne pousse pas non plus la sienne jusqu'aux broussailles de la Logique 59 ý. Ces affiniteès eèlectives n'empeêchent pas de ranger Bouhours parmi les rheètoriciens bien qu'il ne traite û qu'une petite [...] partie de la Rheètorique d'Aristote 60 ý tandis qu'elles lui semblent nuire aé l'ouvrage de Bernard Lamy auquel Gibert reproche une alliance avec le carteèsianisme, alors aé la mode 61. Ce rapprochement, malveillant, nous importe pour cerner la probleèmatique de la clarteè. Bernard Lamy dont le manuel oratoire, publieè pour la premieére fois en 1675, s'intitule aé partir de l'eèdition de 1688 , commence son ouvrage par une explication des bases grammaticales du discours parmi lesquelles il traite de la clarteè. Il parle de l'ordre naturel des mots en franc° ais en le qualifiant d'un des avantages de cette langue parce qu'elle û veut qu'on parle comme l'on Entretiens d' Ariste et d' Eugeéne
La Manieére de bien penser
dans les ouvrages d' esprit
Logique ou l' Art de penser
Logique de Port Royal
La Rheètorique ou
L' Art de parler
. . 58 û Ce n'est pas sans raison que notre Auteur se donne tant de peine pour bien distin guer son Ouvrage, & pour montrer qu'il n'y traite point ce que l'Auteur de l'Art de penser avoit deèja traiteè ý (B. Gibert, , p. 305). 59 . 60 . 61 û L'Art de penser [d'Arnauld et de Nicole] venoit de paro|tre, il n'y avoit pas ê long-temps, lorsque l'Art de parler [de Lamy] parut aussi. Le titre de cet Ouvrage, imiteè d'apreés le titre de l'autre, fit croire que ces deux Ouvrages eètoient enfans du meême pere, ou de la meême famille. [...] Le gouêt du Sieécle eètoit & est encore pour la Physique Cartesienne. L'amour de la nouveauteè la fit inseèrer partout [...]. Le Pere Lamy crut pouvoir l'introduire dans l'Art de persuader ý ( , p. 360). 56
Ibidem
57
Ibidem
Jugements des savants
Ibidem Ibidem
ibidem
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè
569
pense 62 ý. Lamy deèduit de ce principe une affiniteè particulieére du franc° ais pour les sciences parce qu'il ne s'agit û en enseignant que d'eêtre clair 63 ý. La perspective grammaticale adopteèe par l'auteur permet de soutenir que la û clarteè deèpend en premier lieu de l'arrangement des paroles 64 ý, et d'associer la clarteè aé la netteteè, car, selon lui, la û netteteè et la clarteè sont une meême chose 65 ý. C'est pour Lamy une occasion de citer deux exemples tireès de la remarque 147, consacreèe par Vaugelas aé û la netteteè du style ý. Vaugelas s'y reèfeére aé Quintilien pour distinguer le langage pur du langage net 66 ; le grammairien eèvoque donc l'Institution oratoire tandis que le rheètoricien s'en passe bien qu'il en recommande la lecture dans ses Entretiens sur les sciences (1684) 67. La preèsence de Quintilien dans le deèbat sur la clarteè est occulteèe ainsi deés la fin du xviie sieécle parce qu'on cherche aé eèlaborer une theèorie speècifique de la clarteè du style franc° ais. La volonteè d'innover dans le domaine du style franc° ais reèduit la freèquence des citations de l'Institution oratoire sans les eèliminer compleétement. Contentons-nous d'alleèguer deux exemples : la Lettre aé l'Acadeèmie (1714) de Feènelon et l'Encyclopeèdie. L'archeveêque de Cambrai reècuse les locutions ambigue« s et souligne, en invoquant l'autoriteè de Quintilien, qu'il faut û eèviter toute phrase, que le lecteur entend, mais qu'il pourrait ne pas entendre, s'il ne suppleèait pas ce qui y manque 68 ý. C'est la seule fois qu'il mentionne ce rheètoricien romain, mais il le fait bien aé propos pour invoquer son autoriteè en ce qui concerne la clarteè, terme qu'il utilise ensuite quand il aborde l'arrangement rigide des mots dans la phrase et les contraintes de la versification, deux traits caracteèristiques qui repreèsentent, selon lui, un incon62 B. Lamy, La Rhetorique ou L'Art de parler, ed. Ch. Noille-Clauzade, Paris, 1998, è è p. 157. 63 Ibidem. 64 Ibidem, p. 161. 65 Ibidem. 66 û Vn langage pur, est ce que Quintilien appelle emendata oratio, & un langage net, ce qu'il appelle, dilucida oratio ý (Vaugelas, Remarques sur la langue franc° oise, fac simile de l'eèdition originale, introd. J. Streicher, Paris, 1934, p. 578). D. Bouhours commente cette remarque en se reèfeèrant eègalement aé Quintilien (Cf. Commentaires sur les Remarques de Vaugelas par La Mothe Le Vayer, Scipion Dupleix, Meènage, Bouhours, Conrart, Chapelain, Patru, Thomas Corneille, Cassagne, Andry de Boisregard et l'Acadeèmie Franc° aise, introd. J. Streicher (1936), Geneéve, 1970, vol. II, p. 943). 67 û Si vous etes un jour dans un emploi qui vous oblige de sc° avoir cet Art plus parê faitement, vous lirez Quintilien, & ce que Vossius a fait sur cette matieère ý (B. Lamy, Entretiens sur les sciences dans lesquels on apprend comment l'on doit eètudier les Sciences, & s'en servir pour se faire l'esprit juste, & le cÝur droit, eèd. F. Girbal, P. Clair, Paris, 1966, p. 146). 68 Fenelon, Üuvres, II, ed. J. Le Brun, Paris, 1997, p. 1159. è è
volker kapp
570
veènient de la poeèsie franc° aise. La meême citation quintilienne se retrouve dans l'article û style ý de l' . Le chevalier de Jaucourt y condamne l'obscuriteè du style qu'il qualifie de û plus grand vice de l'eèlocution ý en eènumeèrant trois causes de ce deèfaut : û un mauvais arrangement de paroles ý, û une construction louche & eèquivoque ý, û une trop grande brieveteè 69 ý. Cette eènumeèration reèsume la lec° on de Quintilien que l'auteur de l'article cite ensuite : û Il faut, dit Quintilien, non-seulement qu'on puisse nous entendre, mais qu'on ne puisse pas ne pas entendre [...] 70 ý. Le chevalier de Jaucourt est donc conscient des attaches profondes du concept de clarteè aé la doctrine oratoire de Quintilien. Marmontel omet pour sa part l'eèvocation de cette doctrine dans ses (1787) qui ne contiennent pas un article sur la clarteè et dont l'article û style ý provient de l' . Marmontel preèfeére Ciceèron aé Quintilien dont il cite pourtant aé plusieurs reprises l' . S'il passe sous silence la doctrine de l'orateur latin aé ce propos, il se reèfeére aé la reèflexion sur la clarteè franc° aise dont le manifeste le plus remarqueè aé l'eèpoque est le discours (1784) de Rivarol 71. Encyclopeèdie
è leèments de litteèrature E
Encyclopeèdie
meèthodique
Institution oratoire
De l' universaliteè de la langue franc°aise
IV
Les eèditeurs de l' indiquent que l'article û style ý concerne û Grammaire, Rheètorique, Eèloquence, Belles lettres ý et cette multipliciteè de reèfeèrences reèveéle la diffeèrenciation du domaine linguistique dont releéve la clarteè. Le monopole de la rheètorique consistant aé fournir la theèorie du discours clair se perd deèfinitivement, mais cette perte de l'exclusiviteè n'est qu'un parmi les multiples facteurs agissant sur la transformation du concept de la clarteè. Jean-Baptiste Creèvier, professeur de rheètorique au Colleége de Beauvais, reèpeéte dans le chapitre sur la clarteè les citations connues de Quintilien et les compleéte par un vaste florileége d'alleègations franc° aises parmi lesquelles Boileau et Racine tiennent une place de choixe72. Un professeur de rheètorique du lyceèe de Rodez de la fin du xviii sieécle, l'abbeè Girard, qu'il ne Encyclopeèdie
69 , reèimpression de l'eèdition 1751-1780, Stuttgart - Bad Canstatt, 1967, vol. 15, p. 553. 70 . Cf. , VIII, 2, 24. 71 Sur Rivarol cf. V. Kapp, û La clarte et le style moyen dans la rhetorique des xvii e è è et xviiie sieécles en France et en Italie ý, dans , eèd. E. Bury M. Berlin, C. Meiner, Paris, sous presse. 72 par M. Crevier, Professeur Emeèrite de Rheètorique en l'Universiteè de Paris, Paris, 1767, vol. II, p. 36-48. Encyclopeèdie ou Dictionnaire raisonneè des sciences des arts et des meètiers
Ibidem
Inst.
La clarteè aé l' aêge classique
Rheètorique franc°oise
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè faut pas confondre avec l' illustre grammairien Boileau, La Bruyeére ou Diderot
74
73
571
, associe Quintilien aé
. Quintilien reste donc l' autoriteè
quant aux reégles du bon style, pour ceux du moins qui basent la reèflexion sur les qualiteès du discours franc°ais sur la rheètorique greècoromaine. Cette doctrine stylistique se deètache cependant de l' Institu-
tion oratoire
parce qu' elle fait abstraction de l' aspect juridique de la
perspicuitas et de son lien avec la
narratio
au profit de l' elocutio. Il
s' agit donc d' une lecture treés partiale des deèveloppements consacreès par Quintilien aé la clarteè, dont les remarques se transmettent d' un rheètoricien aé l' autre pour appuyer les doctrines stylistiques reèpondant aé une certaine vision de l' esprit et de la langue franc°aises. Un speècialiste de Quintilien, Charles Rollin, confirme cette interpreètation. Son Traiteè des eètudes, qui glane largement ses citations dans l' Institution oratoire, ne consacre aucun chapitre aé la clarteè, et celle-ci ne figure meême pas dans le registre de l' eèdition accompagneèe de remarques par Creèvier. Elle se trouve cependant dans les û Courtes reèflexions sur la manieére de faire de rapports ý, genre de discours dont l' eèloquence propre consiste û aé parler avec clarteè et avec eèleègance
75
ý.
Aux yeux de Rollin, le rapport s' apparente probablement aé la narratio. Elle caracteèrise eègalement le premier des û trois genres ou caracteéres d' eèloquence ý, celui reèserveè û aé la narration et aé la preuve ý, dont le û caracteére principal est la clarteè, la simpliciteè, la preècision surprenant qu' une note renvoie ici aé l' Institution non au livre VIII, mais au livre XII
77
oratoire,
73
ý. Rien de cependant
. La clarteè figure dans le titre
d' un chapitre sur la preèdication oué Rollin s' inspire de
tienne
76
La doctrine chreèoratoire.
de saint Augustin qu' il explique en citant l' Institution
û [L]' abbeè Antoine-Gervais Girard (1752-1822), formeè aé Louis-le-Grand, professeur
de rheètorique puis directeur du colleége de Rodez oué Denis Frayssinous est son eèleéve, preêtre reèfractaire vivant la Reèvolution en clandestin dans le Rouergue, aé la teête du petit seèminaire de Figeac en 1802, puis du lyceèe de Rodez aé partir de 1808, lui n' a jamais perdu le souvenir de la
Ratio studiorum ;
reèdigeès en 1787, augmenteès en 1804, et reèeèditeès
jusqu' en 1887 aé l' usage des eètablissements religieux, ses des bibles rheètoriques du
xix
e
Preèceptes de rheètorique sont l' une Histoire de la rheètorique, dir.
sieécle ý (F. Douay-Soublin dans
M. Fumaroli, p. 1152-1153).
74 Preceptes de rhetorique tirees des meilleurs auteurs anciens et modernes è è è
par l' Abbeè Girard,
ancien Professeur d' E è loquence, et Professeur actuel de Rheètorique au Lyceèe de Rodez, e
Rodez, 4 eèd., 1811, p. 207-216.
75
C. Rollin,
Traiteè des eètudes,
nouvelle eèdition, revue par M. Letronne, membre de
l' Institut [...], et accompagneèe des remarques de Creèvier, Paris, 1845, vol. II, p. 33.
76 Ibidem, vol. I, p. 398. 77 Illo subtili praecipue ratio narrandi probandique consistet (Quint. lib. 12, cap. 10).
volker kapp
572
Rollin est admireè par l' abbeè Geèdoyn qui le remercie de lui avoir û communiqueè ses lumieères, avec autant de politesse que de bonteè
78
ý.
Il approuve l' eèdition de Rollin qui û n' a pas fait difficulteè de retrancher divers endroits de Quintilien taque
vivement
80
.
Geèdoyn
79
n' ose
ý, eèdition que Balthazar Gibert atprendre
cette
liberteè
bien
qu' il
aurait aimeè supprimer plusieurs choses dans l' Institution oratoire. Il qualifie le style quintilien de û maêle, ennemi de toute affectation ; mais si serreè qu' il devient un peu obscur pour les personnes qui n' y sont pas acou ê tumeèes
81
ý. C' est ainsi que le ma|être aé penser de la clarteè devient
une victime du concept de la clarteè franc°aise. La preèsence de Quintilien n' est pas toujours bien deèlimiteèe de celle de Ciceèron dont il transmet un grand nombre de reégles. Aussi est-il bien possible que les rheètoriciens attribuent aé Quintilien une doctrine qui deèrive de Ciceèron. Est-ce que cet inconveènient diminue l' importance de Quintilien documenteèe par les alleègations de cette communication ? Certainement pas, car les rheètoriciens invoquent l' un aux deèpens de l' autre. On pourrait compleèter ce regard trop rapide sur le ro ê le de Quintilien dans le deèbat sur la clarteè par une analyse de la doctrine des rheètoriciens imbus d' Aristote comme par exemple Reneè Rapin ou Balthazar Gibert pour montrer que leurs propos deèfavorables sur l' Institution oratoire se reèpercutent dans leur manieére de traiter de la clarteè. Il faudrait de meême comparer les admirateurs de Ciceèron avec les partisans de Quintilien. L' eètude de ces probleémes deèpasse cependant largement le cadre de cette communication.
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78
Quintilien, De l' institution de l' orateur, traduit par M. l' Abbeè Geèdoyn, Paris, 1752,
vol. I, p.
79 80 81
xxxvi .
Ibidem. Cf. S. Ben Messoud dans B. Gibert, La Rheètorique, p. 41-47. Quintilien, De l' institution, trad. abbeè Geèdoyn, p.
lii .
le roê le de quintilien dans les deè bats sur la clarteè
573
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e
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L AT I N I TAT E S
ÁRES TABLE DES MATIE P. Galand, F. HallynÀ, C. Leè vy et W. Verbaal û Avant-propos ý.
.
.
.
.
.
.
.
.
5
Premieé re partie Quintilien dans l' Antiquiteè : ses lectures et ses lecteurs G. Calboli
û Quintilien et les deèclamateurs ý .
P. Chiron
û L' heèritage grec de Quintilien : le cas
M. S. Celentano
û L' oratore impara a scrivere. Principi di
de l' exorde (IO, IV, 1) ý
.
.
.
.
.
.
.
11
29
scrittura professionale nell' Institutio oratoria di Quintiliano ý .
.
.
.
.
.
.
47
û Quintiliano e il `visibile parlare' : stru-
G. Moretti
menti visuali per l' oratoria latina ý
.
.
67
û Note sur un aspect de Quintilien lec-
C. Leè vy
teur de Ciceèron : sceptiques et sto|ëciens dans l' Institution oratoire ý I. G. Mastrorosa
.
.
.
.
.
109
û La pratica dell' oratoria giudiziaria nell' alto
Impero :
Giovane ý
Quintiliano
.
.
.
.
e
.
Plinio
.
.
.
il .
125
Deuxieé me partie ê ge aé la Renaissance Quintilien du Moyen-A W. Verbaal
û Teste Quintiliano. Jean de Salisbury et Quintilien : un exemple de la crise des autoriteès au xii
F. Rouilleè
e
sieécle ý
.
.
.
.
.
155
û Sur trois vers de l' Anticlaudianus men.
.
.
.
.
171
L. Hermand-Schebat û Peètrarque et Quintilien ý .
tionnant Quintilien ý
.
.
.
.
191
J. Nassichuk
û Quintilien
dans
les
ques du Quattrocento ý
.
traiteès
peèdagogi-
.
.
.
.
.
.
207
M. Regoliosi
û Valla e Quintiliano ý .
.
.
.
.
.
233
M. van der Poel
û Observations sur la deèclamation chez Quintilien et chez E è rasme ý
575
.
.
.
.
279
576 J. Ceè ard
table des matieé res
û Josse Bade, eèditeur de Quintilien aé la Renaissance ý
P. Galand
û Quelques Quintilien
.
.
aspects sur les
.
.
de
.
.
.
l' influence
.
291
de
premieéres poeètiques
latines de la Renaissance (Fonzio, Vadian, Vida) ý V. Leroux
.
.
.
.
.
censor
posteèriteè
jugements
des
in
.
û Quintilianus
.
literis de
.
.
.
303
acerrimus : Quintilien
sur les poeétes antiques dans les poeètiques
J. Lecointe
latines
de
1561) ý
.
û La le
la .
nouvelle
statut
ramiste ý
de .
.
.
Babylone.
l' eéthos .
(1486-
Renaissance .
.
dans .
.
.
.
.
.
.
Quintilien
et
351
la
rheètorique
.
.
.
.
.
383
.
.
.
.
.
399
Troisieé me partie ê ge Classique Quintilien aé l' A G. Baffetti
û Quintiliano e i gesuiti ý
E. Bury
û Quintilien et le discours critique classique : Vaugelas, Guez de Balzac, Bouhours ý
S. Conte
riques bonus ý . C. Gutbub
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
413
û Preèsence de Quintilien dans les rheètosacreèes .
û Invention
. et
post-tridentines : .
.
.
imitation
.
.
chez
le .
vir .
.
433
Quinti-
lien : d' une invention aé l' autre en passant par Pierre de Deimier ý A. Roose
û
le Vayer ý . F. Hallyn
.
.
.
.
471
Les bottines de Franc°ois de la Mothe .
.
.
.
.
.
.
.
.
501
û Quintilien et le deèbat sur la peinture aé l' aêge classique : l' expression des passions ý .
F. Goyet
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
515
û Les figures de penseèe comme grands blocs, uniteès minimales pour construire un discours ý .
V. Kapp
.
.
.
.
.
.
.
.
527
û Le roêle de Quintilien dans les deèbats sur la clarteè ý .
.
.
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.
.
.
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.
559