L'Enigme d'Une Dynastie Sainte Et Usurpatrice Dans Le Royaume Chretien d'Ethiopie, Xie-Xiiie Siecle (Hagiologia) (French Edition) 9782503579085, 2503579086


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L'Enigme d'Une Dynastie Sainte Et Usurpatrice Dans Le Royaume Chretien d'Ethiopie, Xie-Xiiie Siecle (Hagiologia) (French Edition)
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L’énigme d’une dynastie sainte et usurpatrice dans le royaume chrétien d’Éthiopie du xie au xiiie siècle

HAGIOLOGIA Études sur la sainteté et l’hagiographie – Studies on Sanctity and Hagiography

Volume 14

Comité de Rédaction – Editorial Board HAGIOLOGIA Gordon Blennemann Stefanos Efthymiadis Stéphane Gioanni Anne-Marie Helvétius

H AG

O GI A

IOL

FHG 2018

Marie-Laure DERAT

L’énigme d’une dynastie sainte et usurpatrice dans le royaume chrétien d’Éthiopie du xie au xiiie siècle

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F

©2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2018/0095/18 ISBN 978-2-503-57908-5 DOI 10.1484/M.HAG-EB.5.114822 e-ISBN 978-2-503-57909-2 Printed on acid-free paper.

Remerciements Alors que je suis sur le point de déposer ce manuscrit pour publication, je ne peux que mesurer tout ce que je dois à mes collègues et amis pour l’accomplissement de ce travail. C’est de discussions nées de séminaire, de terrains partagés, de correspondances, d’échanges d’informations et de documents, de mise à disposition de travaux encore non publiés, de relectures attentives et toujours stimulantes qu’est né cet ouvrage et pour toutes ces raisons, je tiens à remercier en tout premier lieu Claire Bosc-Tiessé, Emmanuel Fritsch, François-Xavier Fauvelle et Deresse Ayenachew compagnons au Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba, avec lesquels j’ai partagé de nombreux terrains en Éthiopie, sans oublier Robin Seignobos, Anaïs Wion, Manfred Kropp, Daniel Assefa, Shiferaw Bekele, Ewa Balicka-Witakowska, Michael Gervers et Ted Erho. Ce travail est issu de l’habilitation à diriger des recherches que j’ai présentée à l’Université Paris I en décembre 2013, sous le parrainage de Bertrand Hirsch, dont la lecture et l’approbation demeurent pour moi une référence. Manfred Kropp, Pierluigi Piovanelli, Françoise Briquel-Chatonnet, Samantha Kelly ont bien voulu prendre part au jury et leurs lectures, remarques et encouragements ont grandement participé à la révision de ce travail. Je les en remercie chaleureusement. Une partie de cet ouvrage repose sur la traduction de textes ge’ez et la reprise de traductions antérieures du ge’ez ou de l’arabe. Daniel Assefa, Emmanuel Fritsch, Abba Wadi et Gérard Colin m’ont considérablement aidé dans cette tâche et je dois beaucoup à leurs relectures attentives. Cette étude ne serait pas non plus la même si je n’avais pas travaillé avec une équipe aussi inventive, motivée et chaleureuse que celle avec laquelle nous menons des recherches historiques et archéologiques à Lālibalā. Je dois à François-Xavier Fauvelle l’initiative de reprendre l’étude de ce site emblématique. C’est avec Claire Bosc-Tiessé que je partage la direction de ce programme, auquel participent Yves Gleize, Romain Mensan, Antoine Garric, Laurent Bruxelles, Anne-Lise Goujon, Régis Bernard, Kidane Maryam, toute l’équipe des archéo-anthropologues (Mikaël Rouzic, Stéphanie Sève, Camille Vanhove, Laure Ziegler), les étudiants français et éthiopiens (Margot

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Remerciements

Monsillon, Abebe Mengistu, Fitsum Yussuf Abegaz, Getatchew Meressa, Mengistu Gobezie, Wintana Kiros). Ces travaux sont le fruit d’une collaboration fructueuse avec l’Authority for Research and Conservation of Cultural Heritage (ARCCH) à Addis Abeba et m’ont en particulier permis d’être épaulée par Tchernet Telahun et Gachaw Belay, qui croient en ce projet. Ces recherches ont reçu le soutien de différents directeurs du Centre français des études éthiopiennes, François-Xavier Fauvelle, Éloi Ficquet, Jean-François Breton et David Ambrosetti, ainsi que de tout le personnel de ce centre, et en particulier Abera Salomon, Wangélawit Legesse, Hannah Siyum, Temetchatche Yeferu, Amareh Setotaw, Godana Woldeyohannes, Sisaye, Thomas Guindeuil et Amélie Chekroun. De même l’Institute of Ethiopian Studies, son directeur actuel, Ahmed Hassan et son prédécesseur, Gebru Tareke, et le directeur de la bibliothèque, Daniel Mammo, m’ont apporté leur aide pour travailler dans les archives Roger Schneider déposées au centre Walda Masqal, qui ont été décisives pour retravailler sur certains textes liés à la dynastie des Zāg wē. Cette quête de documents a aussi été possible grâce à la générosité d’Alessandro Bausi qui a bien voulu me transmettre ses photos d’une mission en Érythrée en 1993 et 1994, photos qui ont permis des comparaisons avec les archives Roger Schneider. Enfin, la Hill Museum and Manuscript Library de Collegeville, qui abrite une très grande partie de la collection des EMML (Ethiopian Manuscript Microfilmed Library), son directeur Columba Stewart et tous les membres de cette institution, en particulier Getatchew Haile, Ted Erho, Adam Mac Collum, et Julie Dietman ont apporté une contribution considérable en me donnant accès aux manuscrits de la région du Lāstā de manière extensive et en me signalant des manuscrits que je n’avais pas repérés. Enfin, ces recherches ne pourraient se faire si Gilles, Iris et Julien n’étaient pas prêts à me suivre ou à me voir disparaître régulièrement pour me rendre en Éthiopie. À tous, je souhaite exprimer mes plus sincères remerciements.

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Avertissement Les mots éthiopiens, le plus souvent en langue ge’ez, ont été translittérés, selon les normes usuelles. Les voyelles : ā, u (ou), i, a (bref), ē (é), e (muet), o Les consonnes : ሀ : h

ተ : t

የ : y

ለ : l

ኀ : ḫ

ደ : d

ሐ : ḥ

ኈ : ḫw

ገ : g

መ : m

ነ : n

ጐ : g w

ሠ : ś

አ : ’

ጠ : ṭ

ረ : r

ከ : k

ሰ : s

ኰ : k

ቀ : q

ወ : w

ፀ : ḍ

ዐ : ‘

ፈ : f

ዘ : z

ፐ : p

ቊ : q በ : b

w

ጰ : ṗ w

ጸ : ṣ

Pour l’arabe, les translittérations suivent les normes de l’Encyclopédie de l’Islam. Les termes vernaculaires, institutionnels, géographiques ou religieux sont expliqués à leur première occurrence et réunis dans un glossaire, à la fin de l’ouvrage.

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Au nom de quoi réfuter, sinon culpabiliser, trois siècles de recherches érudites et méthodiques et des dizaines de milliers d’ouvrages et d’articles qui semblent avoir assis comme une irréfutable évidence l’existence, les croyances et les trajets des Indo-Européens ? Invoquer l’archéologie et ses réalités matérielles et tangibles, n’est-ce pas faire preuve du positivisme étroit et de l’outrecuidance de ces « analphabètes de l’histoire », ainsi que le grand historien allemand et prix Nobel Theodor Mommsen qualifiait au xixe siècle les archéologues ? Et peut-on s’affranchir de répondre à la question qu’on a choisi de traiter ? La solution c’est qu’il n’y a pas (aujourd’hui) de solution. J.-P. Demoule, Mais où sont passé les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident, Paris, 2014, p. 593-594. « […] la confrontation des solutions mises en œuvre dans les deux principaux rameaux du christianisme prouve l’importance du dossier dont le livre de G. Dagron représente un jalon important, même si d’autres chrétientés orientales ont repris à leur compte, prolongé – voire incarné dans le cas éthiopien – cette figure biblique du roi-prêtre ». « La sacralité du pouvoir impérial », Annales Histoire, Sciences Sociales, 55 no 4 (2000), p. 871.

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Introduction Lorsque le roi Lālibalā s’assoit sur le trône du royaume chrétien d’Éthiopie au tournant des xiie et xiiie siècles, après avoir reçu le pouvoir des mains de son frère et prédécesseur, on fait crier l’annonce de son règne dans le royaume, « Lālibalā règne par la volonté de Dieu »1. Devenu roi, il se soumet à un « jeûne plus rigoureux que celui des moines, car la royauté fut pour lui semblable à la vie monastique »2. En quelques lignes, l’hagiographe qui compose la Vie du souverain avant le milieu du xve siècle tisse ainsi la trame des relations entre royauté et sainteté. Distribuant l’aumône, jeûnant, bâtissant des églises, maintenant la paix, rendant la justice avec équité, Lālibalā incarne dans ce texte le souverain chrétien idéal, modèle du roi juste gouvernant selon les principes chrétiens. Lālibalā n’est pas le seul roi saint éthiopien, même s’il est sans doute le plus célèbre d’entre eux. Quatre autres membres de la dynastie à laquelle il appartenait ont accédé à la sainteté : Masqal Kebrā, sa femme, Yemreḥanna Krestos et Ḥarbāy, deux de ses prédécesseurs, et Na’ākweto La’āb, son successeur. C’est quasiment toute la dynastie qui est reconnue comme sainte. Des hagiographies exaltant leurs figures ont été rédigées de nombreuses décennies après leur règne. Ces textes sont tous postérieurs au xive siècle et ont longtemps été les seuls documents que l’on pouvait employer pour retracer l’histoire de cette lignée royale. Comment expliquer ce fait singulier d’une dynastie royale chrétienne dont plusieurs membres ont accédé à la sainteté ? Cette question est d’autant plus pertinente que l’information sur cette dynastie est par ailleurs mince – quand elle est assurée – et qu’elle est généralement transmise et filtrée par la dynastie suivante, encline à décrire ses prédécesseurs comme des usurpateurs autant que des saints. Comment résoudre ce paradoxe, ou au moins tenter de l’éclairer ? Il faudra commencer par délimiter ce que nous savons et ce que nous ne savons pas.

1  2 

Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, Paris, 1892, p. 110. Ibid., p. 110.

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Introduction

Les Zāgwē : les énigmes d’une dynastie usurpatrice et sainte On appelle ces saints-rois et reine les Zāg wē (prononcer Zagoué), sans être tout à fait assuré du sens de ce mot. Il exprimerait leur identité linguistique et culturelle : ils seraient Agaw, un groupe de population parlant une langue couchitique et formant le substrat de cette région de la Corne de l’Afrique, avant l’installation des locuteurs de langues sémitiques. Ceux-ci donnèrent naissance aux langues éthio-sémitiques, dont le ge’ez (ou guèze, la langue écrite dès le iiie siècle de notre ère), le tigrinya et le tigré (toujours parlés en Érythrée et dans le nord de l’Éthiopie), qui ont dès lors cohabité avec les langues couchitiques. L’étymologie du terme Zāg wē a donc été recherchée dans la langue agaw : selon l’un des grands historiens de l’Éthiopie, Carlo Conti Rossini, ayant consacré de nombreux travaux à la dynastie, Za’agway contracté en Zāg way, signifierait « du roi »3. Récemment, deux autres étymologies ont été proposées : la première considère qu’il s’agirait d’une construction à partir du titre ḫāsgwā (ḫāwzegwā), terme que l’on rencontre dans la documentation liée aux Zāg wē. Cette étymologie impliquerait en quelque sorte une prise de pouvoir par les dignitaires portant ce titre4. La seconde voit dans Za-Agaw « de Agaw », l’explication de ce terme, clamant ainsi l’identité de la dynastie5. Mais aucun document émanant de l’administration de ceux qui sont appelés les Zāg wē ne les désigne ainsi. Il semble plutôt qu’il s’agisse d’un nom qui leur est appliqué de l’extérieur, en particulier par la dynastie qui leur succède à compter de 1270, mais qu’ils ne s’en revendiquaient pas eux-mêmes. Tout comme leurs successeurs sont appelés dans l’historiographie les Salomoniens, parce qu’ils prétendaient être les descendants de la reine de Saba et du roi Salomon. Mais aucun d’eux ne se dit Salomonien ; ils se présentent eux-mêmes comme les Israélites, fils d’Israël, soulignant ainsi leur légitimité à régner6. Par commodité, nous emploierons donc le terme de Zāg wē avec modération, en ayant conscience des questions qu’il soulève encore.

C. Conti Rossini, « Appunti ed osservazioni sopra i re Zāguē », Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 4 (1895), p. 356. Le terme « Za » exprime l’origine. 4  A. Bausi, « Ḫasg wa », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. A. Bausi et S. Uhlig, Wies­ baden, 2014, vol. 5, p. 341. 5  G. Fiaccadori, « Zag we », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. A. Bausi et S. Uhlig, Wiesbaden, 2014, vol. 5, p. 107. 6  Par exemple, le roi Zar’a Yā‘eqob (1434-1468) est désigné dans un Miracle de Marie composé au xve siècle, sous sa supervision, comme l’héritier des rois d’Israël, recevant sa couronne de la main de Marie (cf. The Mariology of Emperor Zär’a Ya‘ǝqob of Ethiopia. Texts and trans­lations, éd. Getatchew Haile, Rome, 1992 (Orientalia Christiana Analecta, 242), p. 153-157. 3 

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Introduction

La dynastie Zāg wē occupe une place à part dans l’histoire du royaume chrétien d’Éthiopie. Située dans « l’âge des ténèbres »7, un euphémisme qui exprime à la fois l’obscurité entourant cette période, une forme de déclin, et il faut bien le dire, une facilité d’historien pour voiler l’absence de connaissances ou de recherches, elle reste une énigme. On ne sait pas très bien quand ces rois prennent le pouvoir, ni qui ils sont. Mais aux xiie et xiiie siècles, dans les montagnes du Lāstā, au sud de la rivière Takkāzē, loin des centres de pouvoir qui avaient fleuri dans la région jusqu’au viie siècle, émergent un ensemble d’églises rupestres, monolithiques ou construites dans des grottes, qui portent les noms des rois qui les auraient fondées : Lālibalā, Yemreḥanna Krestos, Na’ākweto La’āb. Ces joyaux architecturaux sont les témoignages d’une renaissance chrétienne, manifestée par la dévotion des rois fondateurs inhumés dans leurs églises8. La région du Lāstā est dès lors considérée comme le centre de pouvoir de cette dynastie, Lālibalā parfois comme sa capitale. On dit ces rois d’origine agaw, incarnant ainsi la revanche des populations de langue couchitique sur celles de langue sémitique, dont les rois antérieurs auraient été les représentants. Ils seraient originaires du Lāstā et auraient pris possession du royaume d’Éthiopie, en dépit de leur illégitimité à régner. Ils n’appartiennent pas au lignage royal qui a donné ses souverains au royaume d’Aksum (ier-viie siècle de notre ère). On dit aussi que leur pouvoir est fragilisé par des querelles de succession intervenant à chaque fin de règne, marquant soit l’absence de règles de succession, soit un système matrilinéaire de dévolution du pouvoir mal maîtrisé, matrilinéarité qui confirmerait leur origine agaw. Enfin, leur règne n’est qu’une parenthèse : en 1270, un certain Yekuno Amlāk (1270-1285) réussit à s’emparer à nouveau du pouvoir et à restaurer le lignage royal légitime à la tête du royaume9. Les usurpateurs ont été chassés. Reste que les tombes des rois Zāg wē attirent des pèlerins en quête de miracles. Des récits hagiographiques sont alors composés, destinés à être lus lors de la commémoration de leur mort. Ils illustrent la perfection de ces rois Une idée encore récemment avancée par G. Fiaccadori, « Zag we », 2014, p. 107. R. Buxton, « The Christian Antiquities of Northern Ethiopia », Archaeologia, 92 (1947), p. 6. 9  On trouve ces éléments dans la synthèse des travaux de C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, Bergame, 1928, p. 303-321, dans les ouvrages de Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, Addis Abeba, 1972, p. 239-292 et de Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1270-1527, Oxford, 1972, p. 25-30, 53-68 ; et dans les travaux de P. Marrassini consacrés à la dynastie, qui sont synthétisés dans son édition et traduction de la Vie de Yemreḥanna Krestos (Il Gadla Yemreḥanna Krestos, introduzione, testo critico, traduzione, éd. P. Marrassini, Annali del Istituto Universitario Orientale, 55, Supplemento n. 85, fasc. 4, 1995, p. 3-21). Ces auteurs apportent parfois des nuances ou des compléments, sur lesquels nous reviendrons lorsque nous aborderons la question de l’historiographie savante sur la dynastie Zāg wē au chapitre IV. 7  8 

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Introduction

et de cette reine, s’appliquant à observer les préceptes chrétiens et exerçant le pouvoir tout en menant une vie d’ascète. La dynastie des Zāg wē en son entier semble être reconnue comme sainte, une qualité qui n’est pas si courante dans l’histoire des relations entre sainteté et pouvoir à l’échelle de la chrétienté. Cette dynastie constitue un paradoxe. Elle est à la fois perçue comme usurpatrice et sainte, donc négativement et positivement, par ses successeurs et dans l’historiographie qui se construit dès sa chute. Mais cette contradiction n’a jamais trouvé de véritable explication, alors qu’elle touche aux fondements même de la monarchie éthiopienne. La sainteté est-elle une qualité propre aux souverains Zāg wē et à la dynastie toute entière, ou à certains de ses membres seulement ? Quand ces rois sont-ils considérés comme usurpateurs et qui forge cette image ? Comment cohabitent sainteté et usurpation et quel est le modèle de royauté véhiculé par ces rois ? Ce sont ces questions qui ont guidé l’enquête menée sur les saints-rois Zāg wē.

La civilisation abyssine : d’Aksum aux Zāg wē Le royaume chrétien d’Éthiopie qui a donné naissance à cette dynastie est l’Abyssinie (du sud-arabique Ḥabašat), pays de hauts-plateaux situés dans la Corne de l’Afrique qui longent les côtes de la mer Rouge et s’étendent de part et d’autre de la dépression créée par le rift (voir carte 1). Là, dans les massifs montagneux, entre 1 500 et 3 000 mètres d’altitude, à un étage altitudinal qui connait deux saisons des pluies (une saison courte, en mars-avril, et une saison longue, de juin à septembre), s’est développée une civilisation originale. Les conditions climatiques liées à l’altitude et aux pluies régulières offrent des pâturages pour l’élevage (ovins, caprins, bœufs) et des terres cultivables, avec une ou deux récoltes par an de blé, d’orge et de ṭēf (une céréale locale, base de l’alimentation des habitants des hauts-plateaux jusqu’à nos jours). Depuis le ier siècle de notre ère, un État domine le nord de cette région, exerçant d’abord son autorité depuis la ville d’Aksum et ses environs. Aksum était alors, avec le port d’Adulis, une escale pour le commerce en mer Rouge au sein du système commercial reliant la Méditerranée orientale à l’Inde, exportant éléphants, ivoire, or, encens et esclaves. La prospérité des rois d’Aksum leur permettait de faire dresser de gigantesques obélisques à la verticale de leur sépulture, tout en construisant des palais dont l’architecture évoque les édifices civils contemporains du Yémen, et en disposant des produits du grand commerce international. Dès le iiie siècle, ils frappent des monnaies d’or, d’argent et de bronze à leur effigie, suivant en cela des pratiques métrologiques et symboliques qui étaient celles de l’empire romain.

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Introduction

La position d’Aksum dans les échanges attire des marchands chrétiens sur ses côtes. Si bien qu’au ive siècle de notre ère, le roi d’Aksum Ezānā se convertit au christianisme. Athanase d’Alexandrie nomme alors, à la tête de la jeune Église éthiopienne, un évêque, Frumentius, qui avait été l’un des protagonistes de la conversion du roi. Dès lors, l’Église d’Éthiopie est amarrée pour un millénaire et demi (jusqu’en 1959) au patriarcat copte d’Alexandrie, adhérant aux mêmes positions non-chalcédoniennes, monophysites10, que l’Église copte d’Égypte. À partir du vie siècle, la christianisation connut une dynamique nouvelle liée à l’introduction et au développement du monachisme dans le royaume éthiopien par des moines venus d’Égypte et de la Méditerranée orientale, sans que l’on puisse suivre avec précision ce processus. Depuis le premier millénaire avant notre ère, les échanges entre la côte érythréenne et la péninsule Arabique sont réguliers et à double-sens. Une partie du panthéon aksumite emprunte au panthéon sabéen11, de même que certains traits architecturaux, d’abord les temples (à Yeha par exemple), puis l’architecture civile qui peut être comparée aux bâtiments de Shabwa et Tamna’ au Yémen12. L’écriture éthiopienne dérive de l’alphabet sud-arabique, introduit en Éthiopie au viie siècle avant notre ère, avant d’évoluer de manière autonome entre les ier et ive siècles de notre ère pour former un alphabet de 26 signes servant à noter les consonnes de la langue ge’ez, puis un syllabaire permettant de vocaliser le ge’ez en ajoutant sept signes vocaliques13. C’est avec cette langue et cette écriture que les Évangiles et les textes fondamentaux du christianisme furent traduits du grec et diffusés dans le royaume éthiopien. Les témoins manuscrits les plus anciens connus jusqu’à présent sont les

Les chrétiens monophysites ne reconnaissent qu’une seule nature du Christ, la nature divine et la nature humaine étant unie. Une tendance actuelle est de parler de miaphysisme pour désigner cette doctrine, mais l’emploi de l’un ou l’autre terme fait débat (cf. P. Luisier, « Il miafisismo, un termine discutibile della storiografia recente. Problemi teologici ed ecumenici », Cristianesimo nella Storia, 34 (2013), p. 299-310 ; et la réponse de S. P. Brock, « Miaphysite, not monophysite ! », Cristianesimo nella Storia, 37 (2016), p. 45-52). Nous nous en tenons au monophysisme, puisque dans toute la production scientifique antérieure au xxie siècle, c’est ainsi qu’est désigné le christianisme éthiopien. 11  R. Schneider, « Deux inscriptions sudarabiques du Tigré », Bibliotheca Orientalis, 30 (1973), p. 389 ; et en dernier lieu P. Marrassini, « Lord of Heaven » Rassegna di Studi Etiopici, n. s. 4 (2012), p. 108-110. 12  J.-F. Breton, « Relations between Ethiopia and South Arabia : problems of architecture », Annales d’Éthiopie, 26 (2011), p. 53-77. 13  Pour un point sur les débats et les acquis concernant l’écriture éthiopienne, cf. S. A. Frantsouzoff, « Script, Ethiopic », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig et A. Bausi, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 580-585. 10 

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Introduction

évangiles d’abbā Garimā, conservés dans une église près d’Aksum, qu’une datation au carbone 14 permet de situer entre le ve et le viie siècle14. De leur côté, les rois aksumites étaient en mesure d’intervenir chez leurs voisins pour imposer leur autorité, s’assurer du monopole du commerce ou garantir leur sécurité. Au cours du iiie siècle de notre ère, ils prirent part régulièrement aux conflits opposant les royaumes d’Arabie du Sud et occupèrent les régions occidentales de la péninsule Arabique, notamment celle de Zafār, capitale du royaume himyarite, et celle de Nagrān, ville marchande du royaume de Saba, aujourd’hui en Arabie Saoudite15. Après avoir été chassés à la fin du iiie siècle d’Arabie du Sud, les Aksumites poursuivirent leur politique d’expansion : le roi Ezānā fit une incursion à Méroé (dans l’actuel Soudan) vers 35016 ; le roi Kālēb partit défendre en 525 les chrétiens de Nagrān victimes des exactions du roi juif de Ḥimyar, et établit sur l’autre rive de la mer Rouge un protectorat éthiopien jusqu’à l’invasion perse vers 57217. Après une ouverture aux échanges commerciaux, aux circulations d’idées et de textes, le royaume d’Aksum déclina au viie siècle, cessant de battre monnaie. Entre le viie siècle et le règne de Lālibalā au tournant des xiie et xiiie siècles, on ne sait quasiment rien du royaume d’Éthiopie. La dynastie Zāg wē incarne indubitablement une renaissance à la fois politique et religieuse. Mais, on l’a vu plus haut, cette période est placée sous le signe d’une contradiction originelle : les rois Zāg wē étaient des saints et des usurpateurs. Enquêter sur les Zāg wē c’est donc tenter de briser cette opposition entre sainteté et usurpation en introduisant une perspective diachronique, en J. Mercier, « La peinture éthiopienne à l’époque axoumite et au xviiie siècle », Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 144 no 1 (2000), p. 40 ; A. Bausi « The “True Story” of the Abba Gärima Gospels », Comparative Oriental Manuscripts Studies Newsletter, 1 (2011), p. 17-20 ; J. K. McKenzie et F. Watson, The Garima Gospels. Early Illuminated Gospel Books from Ethiopia, Oxford, 2016, p. 40-41. 15  C. J. Robin, « La première intervention éthiopienne en Arabie méridionale (de 200 à 270 de l’ère chrétienne environ) », dans Proceedings of the Eighth International Conference of Ethiopian Studies, éd. Taddesse Beyene, Addis Ababa, 1989, vol. 2, p. 147-162 ; I. Gajda, Le royaume de Himyar à l’époque monothéiste. L’histoire de l’Arabie du Sud ancienne de la fin du ive siècle de l’ère chrétienne jusqu’à l’avènement de l’islam, Paris, 2009 (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 40), p. 37-38. 16  Recueil des inscriptions de l’Éthiopie des périodes pré-axoumite et axoumite, éd. E. Bernand, A. J. Drewes, R. Schneider, Paris, 1991, vol. 1, RIÉth 189, 190, 267, 271, 286 ; P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, Brescia, 2014 (Testi del Vicino Oriente Antico, 9), p. 230-246. 17  Voir en particulier A. Bausi et A. Gori, Tradizioni orientali del « Martirio di Areta ». La prima recensione araba e la versione etiopica. Edizione critica e traduzione, Florence, 2006 (Quaderni di Semitistica, 27) ; J. Beaucamp, F. Briquel-Chatonnet, C. J. Robin (éd.), Juifs et chrétiens en Arabie aux ve et vie siècles. Regards croisés sur les sources, Paris, 2010 (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, monographies 32). 14 

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Introduction

s’efforçant de dissocier histoire et mémoire, ou plutôt de comprendre comment l’histoire et la mémoire des Zāg wē se sont réciproquement alimentées. C’est aussi donner du sens aux traces matérielles laissées par ces rois, traces qui sont considérables au regard de ce que l’on connait pour les siècles précédents, période aksumite exclue.

Enquêter sur la dynastie Zāgwē Cette étude propose donc de croiser des textes, des inscriptions, des vestiges archéologiques pour tenter d’approcher des souverains qui ont gouverné le royaume chrétien d’Éthiopie du xie (?) au xiiie siècle. Elle expose en premier lieu le dossier des sources contemporaines de la période qui voit l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle lignée royale (chapitre premier). Toutes les traces écrites émanant de l’administration Zāg wē, qu’il s’agisse de donations de terres ou d’inscriptions sur des croix, des couvertures de manuscrits ou des meubles d’autel, sont présentées et analysées pour les établir comme des sources historiques. De même, les références à l’Éthiopie entre les xie et xiiie siècles, témoignant en particulier des échanges entre le patriarcat d’Alexandrie et le royaume chrétien d’Éthiopie, sont rassemblées et évaluées afin de disposer d’un dossier documentaire sur lequel se fonder. Puis, l’enquête tente de planter le décor dans lequel une nouvelle lignée royale émerge et d’identifier les membres de la dynastie (chapitre II). Après le déclin d’Aksum au viie siècle, on ne dispose que de quelques traces pour brosser un tableau sur trois siècles : quelques inscriptions, et surtout des vestiges, pour la plupart simplement décrits. J’ai pris le risque de fonder une partie de mes hypothèses sur ces vestiges, emboîtant le pas aux intuitions de Francis Anfray fondées sur une excellente connaissance de ce terrain18. Certaines hypothèses seront peut-être annihilées lorsque des fouilles sur ces sites seront entreprises, mais elles auront au moins le mérite de souligner la nécessité de reprendre des travaux interrompus depuis une trentaine d’années : l’inventaire systématique des sites post-aksumites et la fouille de certains d’entre eux. Ces vestiges témoignent du développement du christianisme dans une région, le Tegrāy oriental, dans laquelle se retrouvent une grande partie des « archives » Zāg wē. C’est le territoire de la dynastie, que je propose de nommer « royaume du Beg wenā », les conditions de l’accession au pouvoir de ces

Voir notamment F. Anfray, « Nouveaux sites antiques », Journal of Ethiopian Studies, 11 no 2 (1973), p. 13-27.

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nouveaux rois, ainsi que les relations généalogiques entre les souverains Zāg wē qui seront ainsi étudiées. Un éclairage particulier est ensuite consacré au roi Lālibalā et aux églises qui portent son nom (chapitre III), dans la mesure où la documentation liée à son règne est relativement abondante. C’est le roi et non le saint qui est l’objet de ce chapitre, même si les éléments qui ont permis de le reconnaître comme saint après sa mort seront posés, à commencer par sa dévotion personnelle et le lieu de sa sépulture. En choisissant d’illustrer la dynastie Zāg wē par le règne de l’un de ses membres les plus éminents, je prends le risque de faire d’un cas particulier un cas exemplaire. Mais il faut bien donner chair à notre dynastie et à son royaume. D’autant que la relative richesse documentaire concernant Lālibalā révèle à la fois le caractère unique de ce souverain et une certaine maturité du royaume qu’il gouverne. Sa vision de la monarchie, qui transparaît dans les inscriptions conservées dans les églises de Lālibalā, jette les bases de l’idéologie royale éthiopienne des xive et xve siècles et fournit les armes avec lesquelles les successeurs des Zāg wē établiront leur légitimité à régner. En faisant entrer en scène la documentation tardive, l’enquête se clôt sur les constructions historiographiques et hagiographiques qui ont permis de faire des rois Zāg wē à la fois des usurpateurs et des saints (chapitre IV). Il s’agit alors d’identifier les différentes étapes de l’écriture de l’histoire de la période du xie au xiiie siècle et les milieux de production de cette histoire, dès la chute de la dynastie et l’accession au pouvoir de ceux que l’on appellera les Salomoniens, et jusqu’à nos jours. L’histoire dite par les Vies de saints, rédigées dans les monastères éthiopiens, établit tout d’abord l’usurpation Zāg wē et donne naissance à une longue tradition racontant à la fois les raisons de l’accession des usurpateurs au pouvoir et la restauration de la lignée légitime. Mais d’autres Vies de saints, celles des rois Zāg wē, sont alors rédigées : en réhabilitant la figure de ces souverains, dépeints comme des rois justes, quasi parfaits, ces hagiographies livrent un portrait modèle du souverain chrétien, tout en reconnaissant la non-appartenance des Zāg wē à la lignée des Israélites. Ce sont deux versions d’une même histoire qui s’opposent et finissent par s’agglomérer, produisant la contradiction d’une dynastie sainte et usurpatrice. En tentant de situer les productions hagiographiques et leur postérité, ce chapitre s’efforce de déconstruire l’historiographie sur les Zāg wē. Cette étude vise à considérer autrement la période Zāg wē, souvent envisagée comme une parenthèse. L’émergence d’une nouvelle lignée royale, dans une région dont on ne sait à peu près rien suite au déclin du royaume d’Aksum aux environs du viie siècle, sinon qu’une reine païenne tua le roi chrétien

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et s’empara du pouvoir pour un temps à la fin du xe siècle19, n’est pas un événement anodin. Elle signale qu’une formation politique s’est développée dans une région qu’il reste à définir et que cette formation politique fut reconnue comme le royaume chrétien d’Éthiopie par le siège d’Alexandrie, qui envoie un évêque pour diriger l’Église d’Éthiopie quand le roi éthiopien en fait la demande. Au fond, ce qui est en jeu c’est de comprendre les dynamiques sousjacentes qui ont permis qu’une nouvelle dynastie règne, même brièvement, et de discuter la généalogie des États qui ont gouverné cette partie de la Corne de l’Afrique, en se demandant s’ils se sont succédé de façon linéaire ou si au contraire ils ne sont pas les derniers témoins d’un système plus complexe et multipolaire. Tenter d’éclairer ces « âges sombres » revient à s’affronter à trois problèmes centraux, constitutifs de la question Zāg wē, problème sur lesquels je reviens dans la suite de cette introduction. Le premier enjeu est relatif aux sources et à un régime documentaire particulièrement maigre si l’on fait abstraction des textes hagiographiques, composés tardivement. Le second a trait à la sainteté de la dynastie et à son usurpation associée à son identité agaw. Le troisième revient à interroger l’ancrage géographique de cette dynastie et déterminer le territoire sur lequel celle-ci a exercé son pouvoir.

Revenir aux sources J’ai débuté ce travail en rassemblant toutes les sources connues et toute la littérature produite autour de la dynastie Zāg wē, en me focalisant sur les Vies des rois saints. Je voulais avant tout dater ces textes et situer le milieu dans lequel ils avaient été produits, bien consciente du fait qu’il s’agissait là de clés essentielles pour les interpréter. Que pouvaient bien nous apprendre des hagiographies écrites plus de deux siècles après les faits ? Quel message voulaient véhiculer ces textes et pour quelle audience ? Répondre à ces questions n’a pas toujours été possible même s’il est désormais envisageable de replacer la littérature hagiographique consacrée aux Zāg wē dans une chronologie relative, texte après texte, et de mieux cerner le contexte dans lequel ces Vies ont été rédigées. Ce qui revenait à s’intéresser aux relations entre écriture hagiographique et écriture de l’histoire, relations d’autant plus étroites que les figures saintes étaient des rois20. Cet épisode fait l’objet d’une analyse particulière dans le chapitre II de l’ouvrage. Voir à ce sujet les contributions de l’ouvrage collectif dirigé par F. Laurent, L. MatheyMaille, M. Szkilnik, Des saints et des rois. L’hagiographie au service de l’histoire, Paris, 2014, p. 18.

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Je suis en outre allée sur le terrain en Éthiopie, à la fois pour prendre toute la mesure des lieux en relation avec les souverains Zāg wē, mais aussi dans l’espoir d’y trouver de nouveaux documents. Cette quête n’a pas été vaine. J’ai pu avoir accès à l’évangile de l’église de Bēta Madḫanē ‘Alam à Lālibalā, qui avait été microfilmé par le projet EMML (Ethiopian Manuscript Microfilmed Library, EMML 6907), mais n’a toujours pas été catalogué. Il conserve une donation du roi Lālibalā, en partie illisible, dont le texte n’avait jamais été édité ni traduit. Avec Claire Bosc-Tiessé21 et Emmanuel Fritsch22, avec lesquels j’ai partagé ces recherches de terrain, nous avons retrouvé de nombreux meubles d’autel en bois, sur lesquels figurent des inscriptions dont certaines, émanant du roi Lālibalā, étaient inédites23. Le dossier des sources s’épaississait. Toutefois, c’est par l’entremise d’Ewa Balicka-Witakowska et de Michael Gervers24, que j’ai eu accès à un texte tout à fait nouveau, qui a considérablement transformé ma manière d’envisager l’histoire de la dynastie Zāg wē. En 2008, ils me confièrent en effet les photos d’un petit manuscrit d’aspect insignifiant. Ce manuscrit conserve pourtant le texte d’une donation de terre octroyée par un roi que l’on ne connaissait alors que par des généalogies Zāg wē – le roi Ṭanṭawedem – pour l’église de la Croix de Qefereyā, également connue sous le nom d’Urā Masqal. Je suis allée visiter cette église en 2009, située sur la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, et j’y ai revu le manuscrit. Un texte supplémentaire dans un dossier documentaire aussi peu épais apporte nécessairement du neuf. Qui plus est, dès le début du xxe siècle, deux donations du roi Lālibalā conservées dans un évangile d’une église d’Érythrée (Dabra Libānos du Šemazānā) avaient été éditées et commentées par 21  Claire Bosc-Tiessé est chercheur en histoire et histoire de l’art au CNRS, spécialiste de l’Éthiopie chrétienne entre les xiiie et xviiie siècles. Nous collaborons sur de nombreux projets et partageons en particulier la direction d’un programme de recherche historique et archéologique sur le site de Lālibalā depuis 2009. 22  Emmanuel Fritsch est liturgiste, chercheur associé au Centre Français des Études Éthiopiennes. Nous avons partagé de nombreuses missions sur le terrain et il participe également au projet sur le site de Lālibalā. 23  La publication de ces inscriptions et l’étude des objets a été réalisée par C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel en bois (tābot et manbara tābot) des églises de Lālibalā : jalons pour une histoire des objets et des motifs », Annales d’Éthiopie, 25 (2010), p. 55-101. 24  Ewa Balicka-Witakowska est professeur d’histoire de l’art à l’Université d’Uppsala et Michael Gervers professeur d’histoire et d’histoire de l’art à l’Université de Toronto. Ils participent tous deux à des missions dans les églises éthiopiennes pour mieux connaître l’architecture des églises, les peintures des édifices et des manuscrits et alimentent une base de données photographiques intitulée Mazgaba se’elāt (http://ethiopia.deeds.utoronto.ca ; username : guest ; password : deeds), d’une richesse exceptionnelle.

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Carlo Conti Rossini, mais non traduites25. Ce monastère est aujourd’hui inaccessible. Mais Roger Schneider, épigraphiste ayant vécu de longues années en Éthiopie et ayant réalisé de très nombreuses recherches de terrain, avait pu voir et photographier cet évangile. À sa mort, sa famille avait fait don de ses archives à l’Institute of Ethiopian Studies à Addis Abeba. J’ai profité de mon affectation au Centre Français des Études Éthiopiennes à Addis Abeba de 2008 à 2012, pour engager avec le directeur de la bibliothèque, Ato Daniel Mammo, un projet de numérisation des archives Roger Schneider ainsi qu’une mise à disposition de sa bibliothèque au centre Walda Masqal26. Cela m’a donné l’occasion de retrouver les photos de l’évangile et de reprendre le travail d’édition et de traduction de certains des actes qu’il conserve, en mettant ensemble les donations de terre du roi Lālibalā copiés sur les folios vierges du manuscrit et une inscription d’un roi Salomon figurant sur la couverture en métal de ce même manuscrit. Après des années passées à déconstruire l’histoire de cette dynastie par une critique serrée de l’historiographie et des sources tardives, en particulier hagiographiques, produites au sujet des Zāg wē, à démonter les présupposés qui faisaient de ces rois des Agaws représentant une réaction des groupes couchitiques à la domination sémitique et ayant exercé leur pouvoir depuis le Lāstā, j’ai pu aborder l’histoire de cette dynastie précisément dans le sens de l’histoire. La déconstruction était sans doute nécessaire afin de réaliser qu’une grande partie de l’histoire de la dynastie Zāg wē reposait sur des conceptions profondément influencées par l’historiographie mise en place dans le royaume chrétien d’Éthiopie dès le xive siècle. Mais c’est une méthode assez frustrante à terme, puisqu’après avoir démonté ce qui tenait lieu d’histoire, il est illusoire de proposer une autre alternative. Lorsque le dossier des sources concernant les Zāg wē s’est épaissi, j’ai pu envisager une autre méthode : partir de l’étude des sources contemporaines, en excluant toute documentation tardive quitte à se priver d’informations qui viendraient combler les vides, pour établir un nouveau canevas, fait de trames solides mais aussi de nombreuses lacunes. Car la déconstruction nous enseigne que la tentation du récit continu est un leurre, on tire des fils qui n’ont jamais existé. J’ai donc préféré m’en tenir à des éclairages ponctuels, en fonction des sources dont je disposais, toujours avec les mêmes questions : 25  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 10 (1901), p. 177-219. 26  Au sujet de ce projet et pour une présentation générale des archives Roger Schneider, voir M.-L. Derat, « Les archives Roger Schneider (1917-2002) au centre Walda Masqal (Institute of Ethiopian Studies, Addis Abeba) », Annales d’Éthiopie, 26 (2011), p. 291-302.

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quand débute le règne des Zāg wē ; dans quel contexte ; qui sont-ils ; sur quel territoire exercent-ils leur autorité ?

Interroger la sainteté de la dynastie Le second enjeu concernant la sainteté des Zāg wē réside dans la nature même du pouvoir qu’ils incarnent. Il est nécessaire de comparer cette dynastie sainte à d’autres cas, pour en mesurer les spécificités. Les travaux menés sur la question de la sainteté et du pouvoir et sur les relations entre l’hagiographie et l’écriture de l’histoire dans d’autres contextes que ceux de l’Éthiopie sont donc fondamentaux pour aborder la question de la sainteté royale éthiopienne et en premier lieu pour s’interroger sur la notion même de dynastie sainte. Gabor Klaniczay a récemment offert un vaste panorama des travaux menés sur les saints-rois du Moyen-Âge en préambule à ses propres recherches sur les cultes dynastiques en Europe centrale, et en particulier en Hongrie27. Ses travaux répondent en quelque sorte à l’appel lancé par Karol Gorski en 1968 lorsqu’il estimait qu’une « analyse du culte des rois-saints, qui apparaît du ixe jusqu’au xie siècle dans plusieurs pays, tandis qu’on ne le connaît pas dans d’autres, […] reflèterait le potentiel de la puissance de l’organisation étatique du haut Moyen-Âge que l’Église a voulu, ou non, renforcer »28. Appel auquel d’autres avant Gabor Klaniczay avaient répondu, à l’image de Patrick Corbet au sujet des souverains ottoniens29 ou de Susan J. Ridyard s’agissant des rois-saints anglo-saxons30. Tous ces auteurs se posent la question du processus jumelé de la christianisation et de la construction étatique, envisagés depuis les « périphéries » chrétiennes de l’Occident, au travers des récits hagiographiques consacrés aux reines et aux rois. Car l’association de la sainteté et du pouvoir pose en effet la question de la construction de l’État et de l’usage politique et religieux que représente la figure du roi-saint.

G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses. Dynastic Cults in Medieval Central Europe, Cambridge, 2002, p. 2-13 ; voir aussi G. Klaniczay, « Sainteté royale et sainteté ­dynastique au Moyen Âge. Traditions, métamorphoses et discontinuités », Cahiers du Centre de Recherches Historisques, 3 (2009). 28  K. Gorski, « La naissance des États et le “roi-saint”, problème de l’idéologie féodale », dans L’Europe aux ixe-xie siècles, aux origines des États nationaux, éd. T. Manteuffel et A. Gieysztor, Varsovie, 1968, p. 425-432. 29  P. Corbet, Les saints ottoniens. Sainteté dynastique, sainteté royale et sainteté féminine ­autour de l’an Mil, Sigmaringen, 1986. 30  S. J. Ridyard, The Royal Saints of Anglo-Saxon England : a Study of West Saxon and East Anglian Cults, Cambridge, 1988. 27 

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Cette réflexion sur les relations entre sainteté et pouvoir a souvent confiné à un débat sur la sacralité de la royauté. Influencés par le développement de l’anthropologie, Marc Bloch ou Ernst Kantorowicz ont posé la théorie de la royauté sacrée des souverains français et anglais au Moyen-Âge. Pour Marc Bloch, la sacralité était associée à l’onction royale et au pouvoir thaumaturgique des rois31, tandis que pour Ernst Kantorowicz elle était liée à la notion développée par les juristes d’un double corps du roi, à la fois humain et d’une autre nature, immortel et quasi christique32. Si bien qu’après leurs travaux, sainteté royale et sacralité ont été en partie confondues. Mais Alain Boureau, André Vauchez, Robert Folz ou Jacques Le Goff, pour ne citer que certains auteurs, ont tenté de montrer à la fois les limites d’une théorie forgée par les juristes33, les oppositions de l’Église au développement de la royauté sacrée34 et la nécessité de distinguer sainteté royale et royauté sacrée, la première étant une qualité personnelle, la seconde relevant de la fonction35. Si en de nombreux points, les travaux sur les saints-rois de l’Occident chrétien trouvent des échos dans l’hagiographie éthiopienne, il est une dimension qui est totalement absente du cas éthiopien, le pouvoir de la papauté et l’indépendance de l’Église. Par bien des aspects, le royaume chrétien d’Éthiopie est un pendant africain de l’empire byzantin, les Éthiopiens se M. Bloch, Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, Paris, 1924. 32  E. Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen-Âge, Paris, 1989 (paru aux États-Unis en 1957). 33  A. Boureau, Le simple corps du roi. L’impossible sacralité des souverains français xvexviiie siècle, Paris, 1988, p. 62-63 : « l’illusion de la sacralité royale n’a jamais pris corps ; les revendications de sacralité n’ont pu franchir le seuil des antichambres royales ; la théorie du double corps invisible n’a pas quitté son statut de fiction juridique, sauf à produire des automatismes de langage qui n’ont de conséquences que courtisanes » ; voir aussi A. Boureau et C. S. Ingerflom, La royauté sacrée dans le monde chrétien, Paris, 1992 dont l’objectif est de « faire perdre de son évidence à la notion de sacralité royale », et en particulier l’article de J. Revel, « La royauté sacrée : éléments pour un débat », p. 7-9 qui fait l’historiographie de la question. 34  A. Vauchez, « “Beata stirps” : sainteté et lignage en Occident aux xiiie et xive siècles », dans Famille et parenté dans l’Occident médiéval, éd. G. Duby et J. Le Goff, Rome, 1987, p. 397-406. 35  Voir R. Folz, Les saints rois du Moyen-Âge en Occident (vie-xiiie siècle), Bruxelles, 1984 (Subsidia Hagiographica, 68), p. 19 : « Mais saint-roi ne doit pas être confondu avec la notion de royauté sacrée. Ce n’est pas de la fonction qu’il s’agit mais de la personne du roi, élevée dans la sphère surnaturelle en raison des mérites qui lui seront reconnus après sa mort » ; ou J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 1996, p. 827-834, qui proposait de distinguer le sacré, du religieux, du sacerdotal et du thaumaturgique, tout en reconnaissant que « ces divers aspects furent un système articulé qui caractérise le pouvoir royal et ses représentations » (ibid., p. 827), reprenant les idées formulées dans un article antérieur « Aspects religieux et sacrés de la monarchie française du xe au xiiie siècle », dans A. Boureau et C. S. Ingerflom, La royauté sacrée dans le monde chrétien, Paris, 1992, p. 19-28. 31 

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voyant à la fois comme le peuple élu de Dieu et leur roi comme l’ultime défenseur de l’orthodoxie chrétienne – une orthodoxie contraire toutefois à celle des Byzantins –, garante de l’unité des chrétiens et par là rempart contre l’islam36. Si l’on ajoute à cela, le fait que l’un des prédécesseurs de Lālibalā, le saint-roi Yemreḥanna Krestos, est non seulement qualifié de roi-prêtre dans sa Vie mais aussi dépeint comme célébrant la liturgie de l’eucharistie, on ne peut qu’être saisi par la profonde parenté entre la théologie politique byzantine, telle qu’elle a été théorisée par Eusèbe de Césarée37, et l’idéologie royale éthiopienne qui transparaît dans les écritures hagiographiques des xive et xve siècles. L’ouvrage désormais incontournable de Gilbert Dagron, Empereur et prêtre, qui s’interroge sur les fondements vétéro-testamentaires de la figure impériale a donc accompagné mes propres recherches sur la royauté sacerdotale et sur la sainteté royale38. Les travaux d’Évelyne Patlagean sur le basileus assassiné39, qui s’est arrêtée sur la construction de la sainteté de l’empereur assassiné et de l’empereur assassin, ou de Bernard Flusin, sur l’empereur hagiographe40, dont la dévotion se manifeste par la rédaction d’homélies, la promotion de cultes de saints, commanditant ou composant des Vies de saints, sont venus compléter ce compagnonnage, pour situer la production hagiographique éthiopienne et l’émergence d’une sainteté royale qui fut saisie par le pouvoir comme instrument d’une théologie politique, à partir du xve siècle. Si l’on devait classer Lālibalā et les autres saints-rois de la dynastie dans une typologie hagiographique établie pour l’Occident chrétien, ils entreraient dans la catégorie des rois-confesseurs, modèle qui se développe au Cf. H. Ahrweiler, L’idéologie politique de l’empire byzantin, Paris, 1975 ; G. Dagron, Empereur et prêtre. Étude sur le « césaro-papisme » byzantin, Paris, 1996, p. 18-21. Ces traits relatifs à la royauté éthiopienne seront développés tout au long de l’ouvrage, et en particulier dans les chapitres III et IV. 37  J.-M. Sansterre, « Eusèbe de Césarée et la naissance de la théorie “césaropapiste” », ­Byzantion, 42 (1972), p. 131-195, 532-594 ; P. Maraval, Eusèbe de Césarée. La théologie politique de l’empire chrétien. Louanges de Constantin (Triakontaétérikos), Paris, 2001. 38  Sans oublier le dossier consacré à une discussion de deux historiens médiévistes, l’une byzantiniste, Évelyne Patlagean, et l’autre occidentaliste, Alain Boureau, autour de l’ouvrage de Gilbert Dagron par les Annales : E. Patlagean, « Byzance et la question du roiprêtre », Annales Histoire, Sciences Sociales, 55 no 4 (2000), p. 871-878 ; A. Boureau, « Des politiques tirées de l’Écriture, Byzance et l’Occident », Annales Histoire et Sciences Sociales, 55 no 4 (2000), p. 879-887. 39  E. Patlagean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », dans Media in Francia. Mélanges Karl Ferdinand Werner, Paris, 1989, p. 345-361. 40  B. Flusin, « L’empereur hagiographe, remarques sur le rôle des premiers empereurs macédoniens dans le culte des saints », dans L’empereur hagiographe. Culte des saints et monarchie byzantine et post-byzantine, éd. P. Guran, Bucarest, 2001, p. 29-54. 36 

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cours du xie siècle et prend tout son essor au xiie siècle41. Remarquer la quasi-synchronie de la sainteté royale éthiopienne avec le développement de la sainteté royale en d’autres régions du monde chrétien ne serait qu’anachronisme. Car si la royauté christique de Lālibalā évoque bien d’autres règnes, les seuls points communs à rechercher figurent dans les modèles bibliques de la royauté, compris et interprétés de manière similaire en Éthiopie et dans le reste de la chrétienté. Mais le contexte propre au royaume éthiopien apporte une dimension essentielle. Car il s’agit moins d’une évolution lente du pouvoir et de ses relations avec l’Église qui permet de comprendre la sainteté des Zāg wē que le produit d’une conjoncture, le renversement de la dynastie Zāg wē et l’écriture de deux histoires concurrentes du royaume chrétien d’Éthiopie par les hagiographes (voir chapitre IV). La sainteté royale n’est donc pas envisagée comme préalable indispensable au pouvoir, une qualité nécessaire, mais plutôt comme la résultante de l’exercice du pouvoir et en quelque sorte d’un pouvoir déchu.

Questionner l’ancrage géographique des Zāg wē La sainteté des rois Zāg wē implique l’existence d’un lieu de culte. Dans leur cas, ce sont les églises qu’ils auraient fondées et dans lesquelles ils seraient enterrés. Toutes sont situées dans la région aujourd’hui connue sous le nom de Lāstā, un toponyme qui n’émerge toutefois dans la documentation qu’à compter du xviie siècle42. Situées dans une région méridionale par rapport à Aksum, ces églises sont pensées comme les marqueurs de la centralité du pouvoir de la nouvelle dynastie, témoignant d’une origine culturelle et géographique différente. Toutes les églises dont la fondation est attribuée aux Zāg wē portent aujourd’hui le nom du roi-fondateur, censément inhumé dans les lieux. Elles ne présentent cependant pas le même intérêt du point de vue de la recherche. Certaines ne donnent à voir ni vestiges ni manuscrits anciens, telles celles de Na’ākweto La’āb ou de Ḥarbāy ; d’autres sont encore sur pied mais ne semblent plus conserver de traces écrites liées à la période de leur fondation, comme à Yemreḥanna Krestos ; d’autres enfin, les églises de Lālibalā, R. Folz, Les saints rois du Moyen-Âge en Occident (vie-xiiie siècle), 1984, p. 69-72 ; G. Klaniczay, « Sainteté royale et sainteté dynastique au Moyen-Âge. Traditions, métamorphoses et discontinuités », 2009, § 11 ; E. Bozoky, « La construction de la sainteté d’Édouard le Confesseur et les rois d’Angleterre », dans Des saints et des rois. L’hagiographie au service de l’histoire, éd. F. Laurent, L. Mathey-Maille, M. Szkilnik, Paris, 2014, p. 159-173. 42  Voir M.-L. Derat, « Du Beg wenā au Lāstā : centre et périphéries dans le royaume chrétien d’Éthiopie du xiiie au xvie siècle », Annales d’Éthiopie, 24 (2009), p. 65-86. 41 

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préservent à la fois les lieux, des objets et des textes qui permettent d’atteindre ce roi et de tenter de comprendre quelle place ce site a occupé dans son règne et dans le royaume. Le site de Lālibalā est un ensemble de douze églises entièrement taillées dans le rocher, reliées entre elles par des galeries et tranchées, et réparties en trois groupes distincts (voir carte 7). Le roi homonyme serait inhumé dans l’une de ces églises, qui porte le nom de Golgotā (en référence au Golgotha ou lieu du calvaire à Jérusalem). La commémoration de sa mort, qui coïncide avec l’une des deux fêtes annuelles en l’honneur de l’archange Michel, le 12 de sanē (19 juin), attire encore à sa tombe des milliers de pèlerins depuis toutes les régions d’Éthiopie. La reine Masqal Kebrā, sa femme, serait inhumée dans une autre église du site, à Libānos. Quelques textes conservés dans les manuscrits gardés dans les églises du site permettent de retracer certaines étapes du développement de leur culte. Aux xve et xvie siècles, des donations royales effectuées pour la commémoration de saint Lālibalā et de sainte Masqal Kebrā ont été enregistrées, témoignant ainsi d’une dévotion pour ces saints-rois, émanant de la dynastie qui les avait remplacés. Mais avant ? Comment comprendre le rôle du roi Lālibalā sur le site qui porte aujourd’hui son nom ? Ces églises constituaient-elles réellement sa capitale ? Et peut-on déduire l’origine de Lālibalā et des autres membres de la dynastie d’une concentration de sites commémorant leur nom ? La donation foncière du roi Ṭanṭawedem pointe une région négligée dans les travaux sur les Zāg wē, puisqu’elle profite à une église située aujourd’hui sur la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie, à des centaines de kilomètres du Lāstā et des tombes de nos saints-rois. Les donations du roi Lālibalā conservées dans un évangile d’Érythrée concernent une région voisine de celle évoquée dans la donation de Ṭanṭawedem. En croisant ces textes, en reconsidérant d’autres textes conservés dans des églises à proximité, dans le Nord de l’Éthiopie, l’implication que ces témoignages écrits a sur l’extension du royaume gouverné par nos dynastes a fait basculer les certitudes. C’est tout l’ancrage géographique des Zāg wē qui peut être questionné et par conséquent aussi leur proximité culturelle, politique avec leurs prédécesseurs, les rois aksumites, et leur jeu éventuel pour se présenter comme les héritiers de ces souverains. Si bien que la centralité de Lālibalā ou du Lāstā dans le royaume gouverné par les Zāg wē perd de son évidence, de même que l’origine géographique et culturelle de ces rois. Alors quelle place occupe Lālibalā dans le royaume au tournant des xiie et xiiie siècles ? Des réponses ont été cherchées sur le site, dans le cadre d’un projet collectif d’histoire et d’archéologie de ce complexe rupestre, projet que je co-dirige depuis 2009 avec Claire Bosc-Tiessé. Cet ouvrage n’a pas pour

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objectif d’exposer les travaux réalisés à Lālibalā puisqu’ils sont le fruit d’un travail collectif43. Mais ceux-ci ont sans conteste fait évoluer mes connaissances sur Lālibalā et sa région et sur l’histoire du site. Ils ont surtout permis de mettre en évidence une occupation antérieure à la fondation d’églises par le roi Lālibalā et un effacement – volontaire ? – de cette occupation quand les églises sont fondées. De nouvelles questions surgissent de ces premiers résultats. Le site de Lālibalā conserve-t-il les traces d’une christianisation de la région, corollaire à l’occupation de celle-ci par le roi Lālibalā ? La christianisation était-elle plus ancienne mais visible ailleurs ? Et pour revenir aux souverains Zāg wē, la région du Lāstā était-elle le berceau de la dynastie ou au contraire une sorte de marche du royaume, dont les églises marquaient en quelque sorte une borne ? L’histoire des Zāg wē est donc remplie de paradoxes : celui d’une « usurpation » parée des vertus de la sainteté, mais aussi celui d’un royaume dont l’ancrage géographique est sujet à des hypothèses profondément divergentes. Ces questions fondamentales non résolues procèdent elles-mêmes d’un paradoxe documentaire : celui d’une dynastie qui représente un moment crucial de l’histoire éthiopienne et qui n’a pourtant laissé que fort peu de traces. Doit-on pour autant se satisfaire de narrations qui ignorent ou occultent les zones d’incertitude ? Non. Il nous semble au contraire que nous devons commencer par délimiter les zones éclairées et les zones d’ombre. Certes, de nombreuses questions seront laissées sans solution ; mais pour reprendre les termes de Jean-Paul Demoule cités en exergue à cet ouvrage au sujet des Indo-Européens : « La solution c’est qu’il n’y a pas (aujourd’hui) de solution »44. Certains aspects de l’histoire des Zāg wē se trouveront néanmoins, on l’espère, mieux éclairés par le fait de revenir aux sources. Cela implique de sonder le savoir commun et de reprendre à nouveaux frais des sujets que l’on croyait résolus. Il ne s’agit pas de critiquer et nier en bloc l’historiographie produite jusqu’à présent au sujet des Zāg wē, mais plutôt de scruter les fondements sur lesquelles reposent ces théories en revenant le plus possible aux sources historiques et à l’histoire de leur interprétation. L’objectif est de saisir la royauté et le royaume Zāg wē dans une histoire résolument politique, dépouillée des Au sujet des principaux résultats de ces travaux, voir F.-X. Fauvelle-Aymar, L. Bruxelles, R. Mensan, C. Bosc-Tiesse, M.-L Derat., E. Fritsch, « Rock-cut stratigraphy : sequencing the Lalibela churches », Antiquity, 84 no 326-December (2010), p. 1135-1150 ; C. Bosc-Tiessé, M.-L. Derat, L. Bruxelles, F.-X. Fauvelle, Y. Gleize, R. Mensan, « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) : An Archaeological analysis », Journal of African Archaeology, 12 no 2 (2014), p. 141-164. 44  J.-P. Demoule, Mais où sont passé les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident, Paris, 2014, p. 594. 43 

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Introduction

apories de la mémoire, en transposant une question que Jacques Le Goff, s’agissant de Saint-Louis et de sa biographie, fondée sur des sources en grande partie hagiographiques, avait posée de manière limpide : est-il « possible d’approcher un Saint Louis qu’on pourrait dire “vrai”, vraiment historique, à travers les sources »45 ?

45 

J. Le Goff, Saint Louis, 1996, p. 17.

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chapitre premier

Traces écrites sur les rois Zāg wē La principale difficulté pour l’étude de la dynastie Zāg wē tient à la rareté de la documentation contemporaine et aux biais introduits par les textes tardifs qui ont tendance à interférer avec notre compréhension de la période. C’est la raison pour laquelle ce chapitre rassemble toutes les traces écrites – textes, inscriptions, témoignages exogènes – qui ont trait à la période s’étendant entre le xie et le milieu du xiiie siècle et qui ont été produits au cours de cette période. Toute la documentation postérieure, qui porte un regard rétrospectif sur la dynastie Zāg wē, a été sciemment exclue. Elle sera employée ultérieurement pour s’interroger sur l’historiographie de cette dynastie, les constructions mémorielles, y compris hagiographiques. En procédant ainsi, je me prive de larges pans d’informations qui viendraient combler les lacunes de la documentation contemporaine. Mais ce choix se justifie : si je reproduisais la méthodologie employée jusqu’ici pour faire l’histoire de la dynastie Zāg wē, j’écrirai la même histoire que mes prédécesseurs, à quelques détails près. Or, il me semble qu’en ne s’attachant qu’aux sources contemporaines de cette dynastie, et en exploitant au mieux tout ce qu’elles nous disent de cette période, c’est une histoire quelque peu différente qui émerge. Certes, nous perdons de nombreux repères et un récit. Plus de dynastie vue dans son ensemble, mais seulement quelques règnes, aperçus seulement à partir de traces ténues qui évoquent un moment précis dans un contexte indéterminé. Mais en cherchant dans ces brefs éclairages tous les éléments qui disent l’organisation territoriale du royaume et l’administration royale, qui révèlent quelques pans d’une société chrétienne, c’est toute la période des xie et xiiie siècles qui commence à sortir de l’obscurité. Dans ce chapitre, il n’est pas question d’analyser les documents dans leur totalité. Chacun est présenté en essayant d’aborder toutes les dimensions du témoignage : le contexte de sa « découverte », son histoire y compris dans l’historiographie savante, sa forme, et bien sûr le texte proprement dit qui est donné en totalité. Le commentaire qui accompagne cette présentation est destiné à présenter les arguments qui permettent d’authentifier ces documents

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chapitre premier

comme des sources pour faire l’histoire de la dynastie Zāg wē. L’analyse historique viendra dans les chapitres suivants. Ce dossier des sources se présente en deux volets. Le premier concerne tous les écrits qui ont été produits dans le royaume éthiopien entre le xie et le xiiie siècle. Les textes ge’ez et leur traduction sont donnés au fil de la présentation, à l’exception de la donation du roi Ṭanṭawedem qui, trop longue, figure en annexe de cet ouvrage. Ils éclairent trois moments au cours des xiie et xiiie siècles : les règnes de Ṭanṭawedem, d’Anbasā Wedem et de Lālibalā. Le second volet intègre la documentation rédigée en Égypte au cours de la même période à partir de témoignages divers, que je tente d’identifier, qui permettent aux auteurs de langue arabe, généralement coptes, de distiller des informations sur l’Éthiopie. Une large partie de cette documentation relève de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie.

Les textes issus de l’administration Zāg wē Vestiges du règne de Ṭanṭawedem Donation de Ṭanṭawedem à l’église de Qefereyā Le premier des textes composant ce dossier documentaire est une donation foncière (gwelt ou gult)1 effectuée par le roi Ṭanṭawedem en faveur de l’église de la Croix (Bēta Masqal) de Qefereyā, également nommée Urā Masqal, aujourd’hui localisée à la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée (voir carte 2). Le texte ge’ez et une première traduction de travail de ce document complexe figurent en annexe de l’ouvrage. Il est très difficile de situer chronologiquement le règne de Ṭanṭawedem. Aussi nous rediscuterons de cette question dans le prochain chapitre, lorsque nous aborderons les titulatures des souverains Zāg wē et ce qu’elles nous apprennent de la chronologie des règnes. Mais il est à peu près assuré que Ṭanṭawedem fut parmi les premiers souverains de la dynastie zāg wē. Le gwelt est un acte royal en faveur d’une église, d’un monastère ou d’une personne visant à concéder une terre ou un district pour en tirer des revenus. Ce type de donation foncière implique des droits sur la terre, taxes, levées de Pour un point général sur cette question et sur les travaux historiques menés sur ces donations foncières, voir D. Crummey, Land and society in the Christian kingdom of Ethiopia from the thirteenth century to the twentieth century, Oxford, 2000, p. 10-12 ; id., « Gwǝlt », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 941-943 ; ainsi que l’ouvrage collectif dirigé par A. Bausi, G. dore, I. Taddia, Materiale antropologico e storico sul « Rim » in Etiopia ed Eritrea, Turin, 2001. 1 

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

troupes, services religieux auxquels sont astreintes les populations vivant sur le territoire ainsi octroyé. Le domaine foncier donné en gwelt est par ailleurs exempté des taxes et droits normalement perçus par le roi. Les donations définissent également les limites de l’autorité des dignitaires régionaux sur ces terres. La donation de Ṭanṭawedem est inédite. Elle a été photographiée en 2005 par Ewa Balicka-Witakowska et Michael Gervers qui m’ont gracieusement confié leurs photos en 20082. On trouve mention de ce document dans une publication datée de 2007 par Paul Henze3 qui en avait fait des photographies, confiées à Getatchew Haile. Ce dernier n’a, à ma connaissance, pas édité ce texte. J’ai pu me rendre à mon tour à Urā Masqal et Urā Qirqos en mars 2009 afin de revoir le manuscrit, faire de nouvelles photos et mener une première enquête autour du texte. L’ensemble des manuscrits d’Urā Masqal et Urā Qirqos ont depuis été numérisés par le projet Ethio-Spare dirigé par Denis Nosnitsin et certains d’entre eux ont également fait l’objet de restaurations4. La première église, Urā Masqal (la Croix), est installée sur un piton rocheux (voir fig. 10). Elle a été récemment reconstruite en remployant des vestiges d’une église plus ancienne. Aujourd’hui, elle n’est plus desservie qu’aux grandes fêtes du calendrier liturgique et en particulier lors la fête de la Croix. C’est la seconde église, Urā Qirqos (Cyriaque), située sur le plateau faisant face au piton d’Urā Masqal, qui est l’église actuelle de la paroisse. Elle conserve les manuscrits des deux églises parmi lesquels figurent de nombreux textes majeurs du christianisme antique, une collection qu’Alessandro Bausi, qui se charge de son étude, a baptisé la « collection aksumite » dans laquelle figure notamment une traduction ge’ez d’une histoire grecque du patriarcat d’Alexandrie jusque-là connue seulement à travers des extraits en latin5. 2  On peut consulter ces photographies en ligne, sur la base de données Mazgaba se’elāt (http://ethiopia.deeds.utoronto.ca ; username : guest ; password : deeds), cl. Michael Gervers, MG-2005.092:012-023. 3  P. B. Henze, « Church and monastery treasures of Tigray », dans Ethiopian Art, a unique cultural heritage and modern challenge, éd. W. Raunig et Asfa-Wossen Asserate, ­Lublin, 2007 (Orbis Aethiopicus, 10), p. 158-159. 4  D. Nosnitsin, Churches and Monasteries of Tǝgray. A Survey of Manuscript Collections, Wiesbaden, 2013, p. 3-8. 5  Au sujet de cette collection aksumite, voir A. Bausi, « The Aksumite Background of the Ethiopic “Corpus Canonum” », dans Proceedings of the XVth International Conference of Ethiopian Studies (Hamburg July 20-25, 2003), éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2006, p. 532-541. Pour l’édition et la traduction de l’histoire du patriarcat d’Alexandrie, cf. A. Bausi et A. Camplani, « The History of the Episcopate of Alexandria (HEpA) : editio minor of the fragments preserved in the Askumite Collection and in the Codex Veronensis LX(58) », ­Adamantius, 22 (2016), p. 249-302.

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chapitre premier

Enregistré sous le numéro d’inventaire C3 IV 83 par le bureau de la culture éthiopien, le manuscrit conservant la donation de Ṭanṭawedem est connu sur place comme étant le የመስቀል፡ ደብዳቤ፡ (yamasqal dabdābē) c’est-à-dire le registre foncier6 de Masqal7, en référence à l’église du même nom. Il est conservé dans un manuscrit de petite taille (9 × 12,8 cm), composé de 11 folios seulement, sans couverture ni plats de bois pour le protéger. Le texte est écrit en pleine page, sur 13 à 18 lignes (voir fig. 1 et 2). Deux folios sont particulièrement difficiles à lire, l’humidité ayant effacé une partie des lettres, aux fol. 8r et 11v. Le document n’est peut-être pas complet. Le onzième folio, au verso, s’achève abruptement alors qu’on attendrait pour clore ce type de texte une formule d’excommunication du type « quiconque transgresse cela, qu’il soit excommunié, pour les siècles des siècles, amen et amen ». Ce n’est pas du tout le cas ici, puisque la dernière phrase, très peu claire, peut être traduite ainsi : « Pour la construction de l’église et le service de jour, Gweltenā, et Urā, la maison du miracle ». Mais il est possible que ce soit un ajout, et que le texte se termine quelques lignes plus haut, sur une formule d’excommunication. D’ailleurs, la mise en page peut laisser penser que le texte se terminait ainsi puisque le scribe a triplé la ponctuation à cet endroit (። ። ።). Mais les ajouts sont bien de la même main (voir fig. 2). Aucun colophon ne permet de dater le document et aucune notation interne au texte ne situe la période à laquelle cette copie a été exécutée. Il est certain que nous n’avons pas à faire à un manuscrit très ancien. Les manuscrits antérieurs au xive siècle présentent notamment une écriture monumentale, où les signes sont allongés, de forme triangulaire ou trapézoïdale et où la marque du second ordre est située très haut sur le signe et la marque du septième ordre est collée au signe8. Tel n’est pas le cas de l’écriture de notre manuscrit. Mais il pourrait s’agir d’une calligraphie locale que l’on ne sait pas distinguer voire d’une écriture plus ancienne que l’on ne sait pas spécifier car, après tout, nous n’avons pas de point de comparaison pour l’époque de Ṭanṭawedem. Toutefois, j’ai pris le parti de penser que ce document nous était 6  Cette traduction de ደብዳቤ፡ par « concession écrite » s’inspire du travail de Manfred Kropp (M. Kropp, « “Dann senke das Haupt und gib ihr nicht im Zorn !”. Eine testamentarische Verfügung des Königs Amdä Ṣəyon aus dem Archiv der Hs. London, BM, Or 481 », Orientalia Suecana, 38-39 (1989-1990), p. 95), repris par Alessandro Bausi (A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », Rassegna di Studi Etiopici, 38 (1994 [1996]), p. 31, 32 n. 70). Voir aussi A. Bausi, « Documents collected during field work in Eritrea (1992-94) », dans Materiale antropologico e storico sul « rim » in Etiopia and Eritrea, éd. A. Bausi, G. Dore, I. Taddia, Turin, 2001, p. 150. 7  Ce titre est inscrit au feutre bleu au dernier folio du manuscrit, fol. 11v. 8  Voir le travail de S. Uhlig, Äthiopische Paläographie, Stuttgart, 1988 (Äthiopische Forschungen, 22), p. 73-86.

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

conservé sous une copie récente (xviiie siècle ?). Ce qui impose d’établir, par une critique interne du texte, l’authenticité de la donation de Ṭanṭawedem. La construction de l’acte est déroutante. Elle est à la fois très classique commençant par une formule d’invocation trinitaire et la suscription, faisant apparaître la titulature du donateur, en l’occurrence le roi Ṭanṭawedem et très particulière parce que les limites de chaque terre donnée sont décrites très précisément, employant un lexique rare et souvent mêlé de termes tigrinya (tegreññā), une langue parlée dans les régions septentrionales de l’Éthiopie (le Tegrāy) et en Érythrée, où se trouve l’église bénéficiaire et son domaine foncier. Ce sont sept terres (Karan, Ḥarmat, Māya ‘Agām, Manabat, Śāḥewā, Ne‘ebāt et Ṣa‘āndewāt) qui sont ainsi énumérées, et longuement délimitées, avant que les bénéficiaires de ces terres soient identifiés : l’église de la Croix, saint Ḫarayo, Gabriel et Marie. Pour ces trois derniers bénéficiaires, il est difficile de savoir si ce sont d’autres églises que celle dédiée à la Croix qui sont ainsi dénommées, ou bien si ce sont des autels consacrés à Marie, à Gabriel et au saint Ḫarayo qui sont préservés à Urā Masqal Qefereyā9. Notons de plus, que nous n’identifions pas ce saint Ḫarayo. Chaque délimitation débute par le nom du domaine donné à l’église : ዘከረን፡ ምድረ፡ (zakaran medera), « la terre de Karan » ; ዘሐርመት፡ ምድረ፡ (zaḥarmat medera) « la terre de Ḥarmat… ». La donation reprend ensuite une forme classique : les droits et les clauses prohibitives sur les terres sont spécifiés et une formule d’excommunication vient clore la première partie de la donation. Dans la seconde partie, le texte décrit les taxes qui sont à verser à Qefereyā, terre par terre, lors de certaines commémorations. Le tribut consiste en blé, mais l’acte précise également que les tributaires doivent des salām, des salutations à l’église, qu’il faut sans doute entendre comme une forme de prière particulière.

Entre la fin du xe siècle et le début du xiiie siècle, une évolution liturgique importante se produisit en Égypte, dans l’Église copte. Dans la mesure où la communauté chrétienne se voyait dans l’impossibilité de construire de nouvelles églises, tout en souhaitant dédier des autels à de nouveaux saints, il fut possible de dédier dans les églises existantes plusieurs autels, placés dans les pièces adjacentes au sanctuaire, les pastophoria. Cette évolution liturgique fit son entrée en Éthiopie probablement au début du xiiie siècle, où, comme l’a montré Emmanuel Fritsch, les églises du lieu semblent attester de ces changements dans les aménagements liturgiques et de par la multiplication des autels (voir en dernier lieu E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », dans Inquiries into Eastern Christian Worship. Selected papers of the Second International Congress of the Society of Oriental Liturgy (Rome, 17-21 September 2008), éd. B. Groen, S. Hawkes-Teeples, S. Alexopoulos, Louvain, 2012, p. 443-510). Si la donation de Ṭanṭawedem fait allusion à des autels multiples à Qefereyā, alors l’évolution liturgique est peut-être antérieure au début du xiiie siècle pour l’Éthiopie. Mais pour l’heure, il n’est pas possible d’aller plus avant. 9 

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chapitre premier

Il manque un élément essentiel pour ce type de document : aucun témoin n’est mentionné, qui pourrait authentifier cet acte. Par ailleurs, l’acte est bien daté, mais seulement par l’année de règne de Ṭanṭawedem, la 12e année, ce qui ne nous permet pas d’établir la période à laquelle cette donation fut accordée. La particularité formelle de cette donation, ajoutée à l’emploi d’un ge’ez également peu classique, empreint de langue vernaculaire – le tigrinya – pourrait plaider en faveur de la non-authenticité du document. Ceci dit, Alessandro Bausi, à la suite de Carlo Conti Rossini, a souligné la présence d’un vocabulaire tigrinya notamment dans la Vie de saint Libānos, que l’on peut dater approximativement de la fin du xive siècle10. Ce n’est donc pas un argument pour penser que notre document aurait été au minimum altéré voire corrompu lors de sa copie récente par l’introduction d’un vocabulaire non ge’ez. D’autres arguments viennent contrebalancer cette première impression. Tout d’abord, la suscription de l’acte est tout à fait comparable à d’autres donations d’un souverain de la dynastie Zāg wē. La construction de la formule exprimant la donation, autour de trois verbes « j’ai fait écrire, j’ai fait attribuer en gwelt et j’ai assigné » (qui en ge’ez donne ’aṣḥafku wa’agwalatku wa’aksamku, አጽሐፍኩ፡ ወአጐለትኩ፡ ወአክሰምኩ፡11, est très proche de celle que l’on trouve dans les donations de Lālibalā, un autre membre de la dynastie, qui règne après Ṭanṭawedem, au tournant des xiie et xiiie siècles : « j’ai fait attribuer en gwelt, j’ai assigné et j’ai délimité » (qui en ge’ez se dit : ’agwalatku ’aksamku wa’amnayku, አጐለትኩ፡ አክሰምኩ፡ ወአምነይኩ፡)12. Or, dans la majorité des actes que l’on connaît, la formule est beaucoup plus rapide : « j’ai attribué un gwelt », « j’ai donné un gwelt » (gwalatku, ጐለትኩ፡ ou wahabku gwelt, ወሀብኩ፡ ጕልት፡), ou bien « Il a été écrit le document du gwelt » (taṣḥefat maṣḥafa gwelt, ተጽሕፈት፡ መጽሐፈ፡ ጕልት፡), mais pas l’idée dans la même suscription que l’on a fait écrire l’acte, que l’on a donné un gwelt et même que celui-ci a été soit assigné soit délimité. D’autre part, la titulature du roi Ṭanṭawedem, qui se nomme ḥaḍay – mais aussi, une seule fois dans ce même document, ḥaḍāni13 – est également à rapprocher des donations du roi Lālibalā. En action de grâces au Père, au Fils et à l’Esprit Saint, j’ai fait écrire, j’ai attribué en gwelt et j’ai assigné, moi, ḥaḍay Ṭanṭawedem, dans la 12e année

La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, Louvain, 2003 (CSCO 595-596, Script. Aeth. 105-106), p. xxviii note 23. 11  Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal, fol. 1r. 12  M.-L. Derat, « Les donations du roi Lālibalā », 2010, p. 27, 32. 13  Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal, fol. 8r. 10 

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

de mon règne, le 24 du mois de miyāzyā, en faisant attribuer un gwelt au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix14.

Ḥaḍay est un terme tigrinya, considéré généralement comme l’équivalent de ḥaḍē ou de ḥaḍāni15, que l’on peut traduire par « majesté » ou « sire ». Ceci dit, ḥaḍāni signifie étymologiquement le nourricier, le tuteur, et marque peut-être une qualité particulière et supplémentaire du souverain par rapport au ḥaḍay16. Qui plus est, Enrico Cerulli a relevé que dans les Paralipomènes, le terme de ḥaḍāni est employé pour traduire le conseiller du roi17, ce qui signale peut-être une dignité de cour. La première occurrence connue du titre de ḥaḍē figure dans le récit d’alUmarī qui, au xive siècle, présente le souverain chrétien d’Éthiopie comme le ḥaṭi, transcription en arabe du terme ḥaḍē18. Auparavant seul ḥaḍāni est employé dans les documents d’archives, et ce pour trois souverains : un roi nommé Daniel (Dane‘ēl), connu par plusieurs inscriptions, sans que l’on puisse dater son règne avec certitude même si certains le voient comme celui auquel fait référence Ibn Ḥawḳal au xe siècle19 – nous y reviendrons dans le chapitre suivant –, un autre souverain évoqué par le même Ibn Ḥawḳal20, et le roi Lālibalā21. La référence au ḥaḍay/ḥaḍāni Ṭanṭawedem situe donc bien notre roi dans un groupe de souverains qui ont régné entre le xe et le xiiie siècle. Toujours dans le domaine de la titulature, un autre élément vient appuyer l’authenticité du document. Il s’agit de l’emploi d’un surnom, sagwā en ge’ez, en plus du nom et du nom de règne. Le roi Ṭanṭawedem porte ainsi trois noms : Ṭanṭawedem, Salomon (son nom de règne), et Gabra Madḫen (son surnom). La forme nom personnel, nom de règne est courante pour tous les Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal, fol. 1r. Il faut noter que Manfred Kropp estime, pour sa part, qu’ḥaḍē n’est pas la même chose qu’ḥaḍāni, dans la mesure où ce dernier titre continue d’être employé de manière concomitante au premier, pour désigner un gouverneur de province, à l’époque du roi Amda Ṣeyon (1314-1344). Voir M. Kropp, « La Corne orientale de l’Afrique chez les géographes arabes », Bulletin des Études Africaines de l’INALCO, 17-18 (1992), p. 176, 193 n. 39. 16  A. Dillmann, Lexicon linguae Aethiopicae, cum indice latino, Leipzig, 1865, col. 138. 17  E. Cerulli, « L’Etiopia medievale in alcuni brani di scrittori arabi », Rassegna di Studi Etiopici, 3 (1943), p. 275. 18  E. Cerulli, « L’Etiopia medievale », 1943, p. 272-294 ; D. Nosnitsin, « Aṣe », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 364. 19  Sabaische, griechische und altabessinische Inschriften, éd. E. Littmann, Berlin, 1913 (Deutsche Aksum Expedition, Band 4), p. 42-48 ; Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, éd. E. Bernand, A. J. Drewes, R. Schneider, 1991, vol. 1, p. 278-283 ; E. Cerulli, « L’Etiopia medievale », 1943, p. 276. 20  E. Cerulli, « L’Etiopia medievale », 1943, p. 274-276. 21  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 186. 14  15 

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rois d’Éthiopie, quelle que soit la période. En revanche, la titulature avec un surnom est plus spécifique aux souverains aksumites, comme le roi Kālēb dont le surnom était Ella Aṣbeḥa22, mais on la trouve aussi dans un document datant du milieu du xiiie siècle pour un dignitaire local qui porte lui aussi un surnom23. Enfin, l’un des successeurs de Ṭanṭawedem, le roi Lālibalā, semble avoir lui aussi porté un surnom, mais une confusion s’est opérée entre son nom personnel, Lālibalā, et son surnom, également donné comme étant Lālibalā dans le Kebra Nagaśt : « au temps du roi Gabra Masqal et son surnom (sagwāhu) est Lālibalā »24. Il faut signaler ici que le roi Ṭanṭawedem, portant le nom de règne de Salomon, est attesté par ailleurs sur deux objets – une croix et un évangéliaire – sur lesquels nous reviendrons plus loin. Enfin, le dernier élément qui plaide en faveur de l’authenticité de l’acte est d’ordre linguistique. La donation de Ṭanṭawedem a des points communs avec les donations de terre de Lālibalā conservées dans l’évangile de Dabra Libānos du Šemazānā. La formule d’exclusion des droits sur la terre dans la donation de Ṭanṭawedem est identique à une formule que l’on ne trouve jusqu’à présent que dans la première donation de Lālibalā. D’ailleurs un passage incompréhensible de cette formule dans la donation de Lālibalā s’explique et se comprend en partie grâce à celle de Ṭanṭawedem et réciproquement. En effet, le folio 8r de la donation de Ṭanṭawedem est très difficile à lire, en raison des traces d’humidité, et seul le croisement avec la donation de Lālibalā permet de restituer les termes manquants. Inversement, il y a une expression dans la donation de Lālibalā qui jusqu’à présent n’était pas traduite – zanābē wa‘ābākē, ዘናቤ፡ወዓባኬ፡ – et qui trouve une solution avec la donation de Ṭanṭawedem. On trouve l’expression suivante dans la donation de Ṭanṭawedem – ‘ābaṭē wazanābē, ዓበጤ፡ ወዘናቤ፡25 qui permet de corriger le texte de la donation de Lālibalā et de lire zanābē wa‘ābaṭē, ዘናቤ፡ወዓባጤ፡. Le tableau qui suit permet de mettre en parallèle les deux textes et leur traduction. Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, 1991, vol. 1, p. 7-8 (RIÉth 191). « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 193 : il s’agit de la donation de terre du śeyyum de Dabra Mā‘eṣo qui se présente comme Meslēna Egzi’e, comme nom de naissance (ledatya), et Ḥarisāy comme surnom (sagwāya). Cette donation de terre date du règne de Delāndā, en 1268. 24  « Kebra Nagaśt. Die Herrlichkeit der Könige », éd. C. Bezold, Abhandlungen der philo­ sophisch-philologischen Klasse der Königlich Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 23 (1905 [1909]), p. ፻፸፪, 138. Voir aussi G. Fiaccadori, « Per la cronologia di un atto “feudale”, del neguś Lālibalā », Crisopoli. Bollettino del Museo Bodoniano di Parma, 14 (2011 [2012]), p. 202, qui a également relevé cette particularité. 25  À noter que zanābē, ዘናቤ፡ est un terme tigrinya, qui signifie séquestrer du bétail trouvé dans un champ ou endommager le grain (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, Springfield, 2000, p. 1996). 22  23 

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

Donation de Ṭanṭawedem, fol. 8r :

Donation de Lālibalā, acte no 6

ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋብ፡ ዘአልቦ፡ ዓበጤ፡ ወዘናቤ፡

ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋብ፡ ወኢተስጣ፡ ወኢመኃለፍተ፡ ዘአልቦ፡ ዘናቤ፡ ወዓ ባ[ጤ]፡

Za’albo gebra wagabgāb za’albo ‘ābaṭē wazanābē Sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre.

Za’albo gebra wagabgāb wa’itasṭā wa’imaḫālafta za’albo zanābē wa‘ābaṭē Sans tribut et sans corvée, sans marché et sans passage, sans séquestre et sans réquisition.

Une telle correspondance entre deux documents d’archives somme toute très proches d’un point de vue chronologique, alors que peu de textes témoignent d’une formule identique, est un argument fort pour considérer que la donation de Ṭanṭawedem est un document authentique et non pas une donation forgée par d’autres, à une période postérieure, en son nom. Et en retour, l’authenticité de la donation de Ṭanṭawedem renforce l’authenticité des donations du roi Lālibalā, sur lesquelles nous reviendrons plus loin26. La donation de Ṭanṭawedem à l’église de la Croix et l’ensemble des informations que l’on peut rassembler au sujet de ce souverain sont donc les premières sources concernant l’un des tout premiers souverains de la dynastie Zāg wē. Parmi les nombreuses informations que l’on peut exploiter 26  Dans l’évangile d’abbā Garimā (abbā Garimā III, Davies, s.293), on trouve une donation de terre du roi Armaḥa. L’authenticité de cette donation pourrait bien se trouver confirmée par la formule d’exclusion de droits qui est très proche de celle des donations de Ṭanṭawedem et de Lālibalā : ዘአልባተ፡ ግብረ፡ ወግብጋብ፡ ዘአልባቲ፡ ዐብጠ፡ ወዘንበ፡ « sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre ». Ce document et son importance ont été soulignés par Manfred Kropp (M. Kropp, « Siegbert Uhlig : Äthiopische Paläographie. Stuttgart, 1988 (Äthiopistische Forschungen, 22). Mit einem Exkurs : Die Datierung der Hs. Abba Garima II », Oriens Christianus, 76 (1992), p. 260-266), qui avait remarqué, à la suite de Walter Müller (« Zur Aethiopischen Inschrift vor der alten Kathedralkirche in Axum », dans Neue Ephemeris für Semitische Epigraphik, éd. R. Degen, W. W. Müller, W. Röllig, Wiesbaden, 1972, vol. 1, p. 132) les liens avec certains textes de l’Évangéliaire de Dabra Libānos (dont la donation de Lālibalā) et l’emploi du terme ግብጋብ፡ (corvée) dans une inscription aksumite (conservée à Māryām Ṣeyon) commentée par ce même Walter Müller (ibid., p. 129-130). Manfred Kropp concluait que cette donation pouvait être rapportée à la deuxième moitié du xive siècle, en référence notamment au moine Anbas évoqué dans la donation, contemporain du roi Dāwit. On peut ajouter qu’une autre donation de terre conservée dans l’Évangéliaire de Dabra Libānos et datée de 1319, émanant de Ya’ebika Egzi’e, emploie à nouveau cette formule d’exclusion des droits : ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋብ፡ ዘአልቦ፡ ጾረ፡ ወተስጣ፡ (« sans tribut et sans corvée, sans charge et sans retour (?) », « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 200 ; traduction proposée par W. W. Müller, « Zur Aethiopischen Inschrift vor der alten Kathedralkirche in Axum », 1972, p. 132).

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dans le texte de la donation, deux peuvent être soulignées tout particulièrement. Tout d’abord, il est fait mention de musulmans (tanbālāt) de la région de Ṣerā‘e, auxquels le roi Ṭanṭawedem s’est affronté, qu’il a vaincus et dont il a saisi tous les biens (terres, bétail et gens) pour les donner à l’église de la Croix. Il s’agit ici d’un indice que l’on peut employer pour situer le règne de Ṭanṭawedem, mais également comprendre le contexte dans lequel celui-ci se déroule. Nous y reviendrons dans la seconde partie de cet ouvrage. D’autre part, dans la clause d’exclusion, il est fait mention des gouverneurs régionaux qui ne peuvent exercer leur autorité sur les terres allouées à l’église de la Croix. Ces dignitaires (les śeyyumān (chefs) du Gwelo Makādā, le śeyyum (chef) de l’Agāmē, le śeyyum du Bur, le śeyyum du Sarāwē, le ba’āla ṣam‘ i, le bāḥer nagāśi) sont pour certains connus par ailleurs, mais au travers de documents plus tardifs. Nous verrons, dans le second chapitre de cet essai, ce que leur présence nous révèle de l’extension du domaine alloué à l’église et de l’organisation administrative du royaume. Une croix et une couverture en métal d’un manuscrit Comme nous l’avons dit plus haut, on trouve deux autres mentions du roi Ṭanṭawedem sur des objets conservés pour l’un à Urā Masqal et pour l’autre dans l’église d’Endā abbā Maṭā‘e, aujourd’hui mieux connue comme l’église de Dabra Libānos du Šemazānā, située en Érythrée, mais en fait à peu de distance de l’église d’Urā Masqal, les deux sites étant à portée de vue (voir carte 2). Le premier de ces objets est une croix de procession (fig. 3) sur laquelle est gravé le texte suivant : ዘንተ፡ መዕተበ፡ አቅነይኩ፡ አነ፡ ሰሎሞን፡ ንጉሥ፡ ወልድ፡ ሙራራ፡ ወሰምየ፡ ጠንጣውድም፡ Zanta ma‘etaba ’aqnayku ’ana Salomon neguś wald Murārā wasamya Ṭanṭāwedem J’ai acquis cette croix (signe de la croix), moi Salomon le roi, fils de Murārā, et mon nom est Ṭanṭāwedem.

Le second objet est un manuscrit des Évangiles conservé dans l’église d’Endā Abbā Maṭā‘e. Sur la couverture en métal doré de l’évangile, une inscription a été gravée sur le revers (voir fig. 4)27. Elle est en partie coupée, Cette inscription avait été relevée par Carlo Conti Rossini, l’éditeur des donations de terres copiées dans ce manuscrit des évangiles (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 181).

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comme on peut le voir sur la figure 4. Les premiers mots sont sans doute manquants : ወአሰረኩ28፡ ዘንተ፡ ግለ29፡ ወንጌል፡ አነ፡ ንጉሥ፡ ሰሎምን30፡ ለቤተ፡ አባ፡ ምጠዕ፡ ዘአሀም። Wa’asaraku zanta gela wangēl ana neguś Salomen (sic !) labēta abbā Meṭā‘e za’Aham Moi, le roi Salomon, j’ai fait relier cette couverture de l’Évangile pour l’église d’Abbā Meṭā‘e31 de ’Aham.

On peut relever que, dans ces deux inscriptions, Ṭanṭawedem ne porte pas le titre de ḥaḍay mais est désigné comme étant neguś – roi – qui est d’usage plus courant. Cette différence de formulation ne semble pas faire sens : qu’il soit ḥaḍay ou neguś, Ṭanṭawedem porte le nom de règne de Salomon. Il est donc très probable qu’il exerce une fonction identique mais que dans un cas on a employé un titre (ḥaḍay) et dans l’autre, on a désigné la fonction (neguś) sans le titre. L’identité du roi donateur de la croix ne pose aucun problème, il s’agit bien de notre roi Ṭanṭawedem, qui a comme nom de règne Salomon, ainsi qu’il est désigné dans la donation de terre. Dans l’inscription sur la croix, il se présente en plus comme le descendant de Murārā. Nous reviendrons plus loin sur cette ascendance32. Concernant l’inscription de l’évangile d’Endā abbā Maṭā‘e, nous n’avons qu’un nom de règne – Salomon. Il faut donc se demander s’il s’agit bien du même roi. Roger Schneider avait posé l’hypothèse selon laquelle ce roi Salomon serait soit Yāgbā Ṣeyon (mort en 1294) – seul autre roi que l’on connaisse qui ait porté le nom de règne de Salomon –, soit un souverain zāg wē du xiie siècle33, mais sans plus de détails. Sa dernière intuition était probablement juste : la Conti Rossini (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 181) donne : ወአሰኩ. 29  La forme devrait être ግላ. 30  ሰሎሞን. 31  Cette orthographe n’est pas courante, mais la lecture du mot ne pose pas de problème particulier. Il ne s’agit donc pas d’une faute de lecture. 32  Voir chapitre II. 33  R. Schneider, « L’évangéliaire de Dabra Libanos de Ham », dans Proceedings of the 8th International Conference of Ethiopian Studies (University of Addis Abeba, 1984), éd. Taddese Beyene, Addis Abeba, Francfort, 1989, vol. 2, p. 163. Pour Éric Godet cette identification était déjà acquise (E. Godet, « Tableaux chronologiques relatifs à la fin de l’époque axoumite et à la période des Zagwés », dans Proceedings of the 9th International Congress of Ethiopian Studies, Moscou, 1988, vol. 6, p. 54) : « Il faut rappeler que Tentawedem est le Salomon qui a offert la couverture dorée de l’Évangile d’or de Dabra Libānos de Hām ». 28 

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croix et la donation préservés à Urā Masqal permettent d’établir qu’un roi Salomon, Ṭanṭawedem, a fait des donations aux églises. Tout laisse donc à penser que c’est le même qui a fait faire une couverture en métal argenté pour l’évangéliaire de Dabra Libānos. C’est dans cet évangéliaire que des donations de terre octroyées par le roi Lālibalā ont été copiées.

Note de consécration de l’église de Mikā’ēl dans l’évangile de Mikā’ēl Ambā Le second volet documentaire qui nous informe indirectement sur les Zāg wē figure dans un évangéliaire conservé à Mikā’ēl Ambā au Tegrāy (pour la localisation, voir carte 2). Il s’agit d’une note, ajoutée sur un folio vierge du manuscrit, qui établit que le métropolite Mikā’ēl, contemporain du roi Anbasā Wedem, consacra l’église de Mikā’ēl Ambā en 1149/1150. Une traduction partielle de ce texte, sans édition, est donnée par Sergew Hable Sellassie dans son ouvrage publié en 197234. Toutefois, l’intérêt de ce document pour l’étude de la dynastie zāg wē n’a pas été perçu jusqu’à présent, à l’exception notable de Stuart Munro-Hay qui a fait un pas en avant concernant la réévaluation de la chronologie de la dynastie zāg wē à partir de ce texte, sans aller jusqu’au bout du raisonnement35. Cette note a également été employée, tout récemment, par Emmanuel Fritsch pour reconsidérer la chronologie de certaines églises, notamment celle de Mikā’ēl Ambā36. Les raisons de ce désintérêt tiennent aux questions soulevées par ce document. Quel est ce roi Anbasā Wedem qui règne au début du xiie siècle ? Peut-on se fier à un texte dont les exagérations sont flagrantes ? La note du métropolite Mikā’ēl est-elle authentique ? Lors d’un passage à Mikā’ēl Ambā en mars 2009, dont l’intérêt m’avait été souligné par Emmanuel Fritsch, j’ai pu ré-examiner à la fois le manuscrit et la note de fondation du métropolite. La paléographie du texte principal 34  Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 203 n. 117. 35  S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria. The Metropolitan Episcopacy of Ethiopia, Varsovie, 1997, p. 139-142, 161-162. Stuart Munro Hay s’appuie sur la traduction partielle de ce texte réalisée par Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 203 n. 117. Mais il rencontre un problème qu’il n’arrive pas à résoudre considérant que l’Anbasā Wedem de l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā est le même que celui qui règne au xe siècle, juste avant Delna‘ād et juste après Gudit (voir S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 167-170). Par ailleurs, dans certaines versions du gadla Abrehā waAṣbeḥa, un passage dans le récit des miracles de ces deux saints-rois attribue la fondation de l’église de Mikā’ēl Ambā au roi Anbasā Wedem lui-même (voir J. Gire et R. Schneider, « Étude des églises rupestres du Tigré : premiers résultats de la mission 1970 », Abbay, 1 (1970), p. 75). 36  E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012.

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indique qu’il s’agit d’un manuscrit produit bien après le xiie siècle. Selon toute vraisemblance, le manuscrit des évangiles que l’on peut voir aujourd’hui à Mikā’ēl Ambā n’est pas antérieur au xvie siècle. Son écriture est très arrondie, tout en restant très claire, parfaitement exécutée (voir fig. 5). On pourrait rapprocher cette écriture de celle de la période mi-xviie jusqu’au milieu du xviiie siècle, le style gwelh37, mais il est assez difficile d’être plus précis dans la datation, tant la paléographie des manuscrits éthiopiens est encore balbutiante et la distinction entre les périodes parfois très peu marquée (ici, concernant la note du métropolite, on pourrait tout aussi bien attribuer celle-ci à la période précédente – mi-xvie mi-xviie –, où l’écriture était mince et comprimée, mais on trouve des spécimens de cette écriture dans des manuscrits datés de la période postérieure38). Toujours est-il que nous n’avons pas à faire à un manuscrit du xiie siècle. Il ne s’agit pas non plus d’une copie d’un évangile ancien conservé à Mikā’ēl Ambā, exécutée pour le remplacer et conserver les archives qui y étaient inscrites, comme la note du métropolite Mikā’ēl. Si tel était le cas, la note aurait été de la même main que le texte principal. On peut donc penser qu’au xvie siècle au plus tôt, on fit réaliser un manuscrit des évangiles, dans lequel, ensuite, fut ajoutée la note du métropolite Mikā’ēl. Cet ajout tardif pourrait donc bien être un texte forgé, afin de donner une date de fondation ancienne à l’église de Mikā’ēl Ambā. Bien que cet argument soit tout à fait recevable, on peut opposer que d’une part l’attribution de la fondation d’une église à un métropolite égyptien est chose très rare dans le royaume chrétien d’Éthiopie et que d’autre part, le choix du nom du souverain, Anbasā Wedem, est encore plus déroutant. Si ce document avait été forgé après le xvie siècle, les faussaires auraient eu tout intérêt à se trouver un fondateur prestigieux. Dans la région, les rois aksumites légendaires Abrehā et Aṣbeḥa, considérés par la tradition historique éthiopienne comme deux frères régnant au moment de la christianisation de l’Éthiopie au ive siècle (alors que la documentation atteste bien de la christianisation sous le règne d’Ezānā), ou Gabra Masqal, vu par cette même tradition comme le fils du roi Kālēb du vie siècle, étaient tout indiqués pour remplir cet office. Or, tel n’est pas le cas. On peut donc avancer une autre hypothèse : il est tout à fait possible qu’après le xvie siècle, lorsque le manuscrit des évangiles était entre les mains des ecclésiastiques de Mikā’ēl S. Uhlig, Introduction to Ethiopian Palaeography, Stuttgart, 1990 (Äthiopische For­ schungen, 28), p. 87-89. 38  Comparer par exemple dans S. Uhlig, Introduction to Ethiopian Palaeography, 1990, les pages 72 et 96. 37 

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Ambā, ceux-ci aient retrouvé dans un manuscrit aujourd’hui disparu cette note de fondation et l’aient recopié dans leur nouvel évangéliaire. La critique interne de la note de fondation tend par ailleurs à démontrer l’authenticité de ce document. በሰመ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ ፩አምላክ፡ አነ፡ ሚካኤል፡ ኃጥእ፡ ወልዱ፡ ለቅዱስ፡ አባ፡ እንጦንዮስ፡ በደብረ፡ እልአረብኀ፡ ዘዋእቱ፡ ጸንፈ፡ ኤርትራ፡ ወሤመኒ፡ አባ፡ መቃርዮስ፡ ሊቀ፡ ጳጳሳት፡ ዘእለ፡ እስክንድርያ፡ ጳጳስ፡ ዘኢትዮጵያ፡ በዘመነ፡ አንበሳ፡ ውድም፡ ንጉሥ፡ ወበሥምረተ፡ እግዚአ ብሔር፡ ቀባዕኩ፡ ፯ነገሥታተ፡ ወቀደስኩ፡ ፲፻ወ፱አብያተ፡ ክርስቲያናት፡ ወቀ ደስክዋ፡ ለዛቲ፡ ገዳም፡ በሰመ፡ ቅዱስ፡ ሚካኤል፡ ሊቀ፡ መላእክት፡ ከመ፡ ይስማዕ፡ ኃዘንየ፡ ወኮነ፡ ዝንቱ፡ ነገር፡ በዘመነ፡ ሰማዕታት፡ ፰፻፷ወ፮፡ ወበ ሥምረተ፡ እግዚአብሔር፡ ሤምኩ፡ ፻፼ወ፸፻ካህናት፡ ወአመንኰስኩ፡ ፶፻ወአ ጥመኩ፡ ፭፼ሰብእ፡ በአፍላጋት፡ ወበአብያት፡ ክርስቲያናት፡ ወእስአሎ፡ ላኢ ግዚአብሔር፡ ከመ፡ ይምሐረኒ፡ ወይደምስ፡ አበሳየ፡ በምሕረቱ፡ ወሐነጽኩ፡ ፸አብያተ፡ ክርስቲያናት፡ በናዝሬት፡ ፬በፃላዕት፡ ወ፩በኖራ፡ ወእምኔሆሙ፡ ፩በስማ፡ በስማ፡ ለማርያም፡ ወካልእታ፡ በሰመ፡ ሚካኤል፡ ወገብርኤል፡ ወ፫ ፬እንስሳ፡ ወ፳ወ፬ካህናተ፡ ሰማይ፡ ወ፬ለሕፃናት፡ ዘቀተሎሙ፡ ኄሮድስ፡ ወ፭ ለ፲ወ፪ሐዋርያት፡ ወተሣየጥኩ፡ በነዋይየ፡ ምድረ፡ ለውእቶሙ፡ አብያተ፡ ክር ስቲያናት፡ ወዘተዓደወ፡ ለውእቶሙ፡ አብያተ፡ ክርስቲያናት፡ ወለምድሮሙ፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ ለትውልደ፡ ትውልድ፡ ወይኰንንዎ፡ ታቦታት፡ በቅድመ፡ እግዚአብሔር፡ ወኲሎሙ፡ እግብርትየ፡ ወአዕማትየ፡ አገዓዝኩክሙ፡ እምቅ ንየት፡ በእንተ፡ እግዚእነ፡ ኢየሱስ፡ ክርስ፡ ወእግዚእትነ፡ ማርያም፡ ወላዲተ፡ አምላክ። አነ፡ አባ፡ ሚካኤል፡ ዘቀደስክዋ፡ ዘክሩኒ፡ በጸሎትክሙ፡ [les trois dernières lignes ont été grattées]39. Au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, un seul Dieu. Moi, Mikā’ēl, le pécheur, fils de saint abbā Antoine du monastère d’El’Arabeḫ40 qui [est] sur les rivages [de la mer] Érythrée, et abbā Maqāryos, patriarche d’Alexandrie, m’a nommé métropolite d’Éthiopie au temps du roi Anbasā Wedem. Par le bon plaisir du Seigneur, j’ai oint sept rois, j’ai consacré 1009 églises et j’ai consacré ce monastère (gadām) au nom de saint Michel archange afin qu’il écoute ma supplication. Cela advint au temps [de l’ère] des martyrs 866 [1149/1150]. Par le bon plaisir du Seigneur, j’ai nommé 27 000 prêtres et j’ai ordonné 5 000 moines41 et j’ai baptisé 50 000 personnes dans les rivières et dans les églises. J’ai prié Dieu afin qu’il ait pitié de moi et qu’il efface mon iniquité dans sa miséricorde. J’ai construit 70 églises, [dont] à Évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, fol. 102r-v. Le monastère de Saint Antoine est en effet installé dans le Wādī ‘Arābah à quelques kilomètres de la mer Rouge (J. Doresse, « Nouvelles études sur l’art copte : les monastères de Saint-Antoine et de Saint-Paul », Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 95 no 3 (1951), p. 268). 41  Dans le rite oriental, les moines sont ordonnés. 39 

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Nāzrēt, quatre à Ṣālā‘et et une à Norā, et parmi elles une au nom de Marie et une autre aux noms de Michel et Gabriel, une troisième pour les quatre Vivants et les vingt-quatre prêtres du ciel, une quatrième pour les enfants qu’Hérode a tués et une cinquième pour les douze Apôtres. J’ai acheté avec mes moyens propres de la terre pour ces églises. Quiconque viole ces églises et leurs terres, qu’il soit excommunié de génération en génération, que les autels le condamnent devant le Seigneur. Et j’ai affranchi de leurs services tous mes esclaves masculins et féminins pour l’amour de Notre Seigneur Jésus-Christ et Notre-Dame Marie, mère de Dieu, moi, abbā Mikā’ēl qui l’ai consacrée. Faites ma commémoration par vos prières [lignes grattées].

C’est le métropolite qui écrit à la première personne du singulier, et qui évoque toutes les fondations d’églises, consécrations de souverains, nominations de prêtres et baptêmes qu’il a présidés, en plus de la fondation de Mikā’ēl Ambā. Mikā’ēl se dit « fils du saint abbā Antoine du monastère d’El’Arabeḫ qui [est] sur les rivages [de la mer] Érythrée ». El’Arabeḫ est ici transcrit directement de l’arabe et renvoie à la région dans laquelle le monastère de Saint Antoine est installé, le Wādī ‘Arābah, ce qui laisse penser que le métropolite lui-même, moine égyptien de langue arabe, contribua à la rédaction de cette note en ge’ez. En dépit des exagérations, rares dans ce type de document, cette note évoque des informations que l’on peut recouper par d’autres sources. Le métropolite Mikā’ēl se dit contemporain du patriarche d’Alexandrie Maqāryos ou Macaire. Ce dernier exerça sa charge entre 1102 et 1129 et, d’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie – compilation sur laquelle nous reviendrons plus loin – il nomma évêque un moine Mikā’ēl pour l’Église d’Éthiopie. Ce Mikā’ēl portait alors le nom d’Ḥabīb al-Aṭfiḥī42. La ville d’Athif ou Itfihi est localisée au sud de Fustat, sur la rive orientale du Nil43. Cette origine géographique n’est pas forcément contradictoire avec le fait que, d’après la note éthiopienne, le métropolite Mikā’ēl était un moine du monastère de Saint Antoine de la mer Rouge, même si rien dans les sources égyptiennes ne vient le confirmer. On trouve des mentions de l’activité de Mikā’ēl-Ḥabib en Éthiopie sous les patriarcats de Gabriel (1131-1146)44 et de Jean V (1146-1167)45. Ce History of the patriarchs of the Egyptian church, known as the history of the holy church by Sawirus ibn al-Mukaffa, bishop of al-Asmunin, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, Le Caire, 1968, vol. 3, part. 1, p. 90. 43  E. Amélineau, Géographie de l’Égypte à l’époque copte, Paris, 1893, p. 326 ; R. Stewart, « Itfih », dans Coptic Encyclopaedia, éd. A. S. Atiya, New York, 1991, vol. 4, p. 1313. 44  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 56-57. 45  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 90-91. 42 

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métropolite exerça donc sa charge en Éthiopie pendant de longues années – rendant crédible, si ce n’est certain, le fait qu’il ait pu oindre sept rois – et nous avons la confirmation qu’il était toujours évêque d’Éthiopie en 1149/1150. La longue carrière de Mikā’ēl suscita même quelques remous en Éthiopie : un souverain éthiopien fit demander la nomination d’un nouveau métropolite au patriarche Jean V (1146-1167), arguant que Mikā’ēl était désormais trop vieux pour exercer correctement sa charge. Le nom du roi éthiopien n’est jamais mentionné dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. Il semble bien pourtant qu’une correspondance entre les souverains éthiopiens, le patriarche et le sultan d’Égypte ait été échangée à cette période, mais on n’en trouve pas trace dans les sources arabes de l’époque. Récemment, Emmanuel Fritsch a avancé l’hypothèse que ce texte pourrait être le testament du métropolite Mikā’ēl46, parce qu’il fait état de son souhait d’affranchir ses esclaves à sa mort. Il ferait ici allusion à la manumissio in ecclesia des esclaves, selon le code théodosien, qui prévoyait la possibilité pour un évêque de libérer ses esclaves sans autre procédure que la mise par écrit de ses dernières volontés47. Dans la note, le roi éthiopien se nomme Anbasā Wedem. On ne sait pas si c’est le roi en place à la date de la consécration, en 1149/1150. Le texte précise seulement que c’était le souverain d’Éthiopie quand le patriarche Macaire nomma Mikā’ēl comme métropolite d’Éthiopie, donc entre 1102 et 1129. D’après les listes royales, forgées après le xive siècle, un roi Anbasā Wedem règne juste avant Delna‘ād, considéré comme le dernier roi aksumite avant la chute de cette dynastie incarnée par l’épisode de la reine Gudit, à la fin du xe siècle. Mais ces listes royales ne sont pas fiables car, comme l’a si bien dit Éric Godet « les querelles dynastiques du xiiie siècle ont conduit à une telle relecture idéologique de l’Antiquité axoumite que les listes des rois

46  E. Fritsch, « New Reflections of the Image of Late Antique and Medieval Ethiopian Liturgy », dans Liturgy’s Imagined Past/s. Methodologies and Materials in the Writing of ­Liturgical History Today, éd. T. Berger, B. Spinks, Collegeville, 2016, p. 56-65. 47  À ce sujet, avec Emmanuel Fritsch et trois autres collègues nous avons écrit un article reprenant l’ensemble des informations sur ce « testament » du métropolite Mikā’ēl et sur l’église de Nāzrēt Māryām dont il est le fondateur au milieu du xiie siècle (M.-L. Derat, E. Fritsch, C. Bosc-Tiesse, A. Garric, R. Mensan, « Māryām Nāzrēt (Ethiopia) : the 12th-century transformations of an Aksumite site in connection with an Egyptian Christian community », à paraître. Voir aussi J. Beaucamp, Le testament de Grégoire de Nazianze, Francfort, 1998, p. 31, 87 ; S. Esders, « Early medieval use of late antique legal texts : the case of the manumissio in ecclesia », dans Configuration du texte en histoire, Proceedings of the Twelfth International Conference on Studies for the Integrated Text Science, éd. O. Kano, Nagoya, 2012, p. 58-59.

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compilées à partir du xive siècle sont à peu près inutilisables »48. Ce même auteur a d’ailleurs apporté une information essentielle concernant une identification possible de cet Anbasā Wedem. Dans un article touffu, Éric Godet a en effet signalé que, selon un autre manuscrit de l’église de Mikā’ēl Ambā, Anbasā Wedem désignerait le roi Harbē, frère et prédécesseur de Lālibalā49. Ce manuscrit conserverait une copie de la Vie de Yemreḥanna Krestos, autre souverain de la dynastie zāg wē traditionnellement considéré comme un prédécesseur de Lālibalā. Malheureusement, cette information n’est pas vérifiée : lors de mon passage à Mikā’ēl Ambā en mars 2009, on m’a assuré que l’église ne possède pas de manuscrit de la Vie de Yemreḥanna Krestos. Une autre information doit être apportée à ce dossier, même si elle soulève de nouvelles questions concernant notre roi Anbasā Wedem. En effet, Antonella Brita a récemment fait état d’un manuscrit trouvé dans l’église de Takla Hāymānot au Tegrāy, datant du xixe ou xxe siècle, consacré à la Vie des Justes d’Ḥawzēn, un groupe de moines évangélisateurs que l’on associe à la seconde christianisation de l’Éthiopie à partir du vie siècle. Or, dans ce texte, l’arrivée de ces Justes est située la vingtième année du règne d’Anbasā Wedem, au cours de l’an de grâce 910 (1194)50. La figure de notre souverain se trouve à la fois éclairée et rendue floue par cette information. D’après la note de l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, l’évêque Mikā’ēl est nommé par le patriarche Macaire au temps du roi Anbasā Wedem. Or Macaire exerce sa charge de 1102 à 1129. Il y a donc peu de chances que ce même Anbasā Wedem ait été encore en charge, et vivant, en 1194. S’agit-il d’un second roi portant ce nom ? C’est une possibilité dans la mesure où celui évoqué par le métropolite Mikā’ēl n’a probablement pas régné longtemps, puisque l’évêque dit avoir consacré sept rois, donc sept souverains après Anbasā Wedem. Tandis que d’après la Vie des Justes d’Ḥawzēn, l’autre Anbasā Wedem est dit avoir régné vingt ans avant leur arrivée.

48  E. Godet, Le monnayage de l’Éthiopie ancienne (fin iiie-milieu viie siècle après ­Jésus-Christ), Thèse de doctorat d’archéologie, Université Paris I, 2003, p. xxxii. 49  E. Godet, « Tableaux chronologiques relatifs à la fin de l’époque axoumite et à la période des Zagwés », 1988, p. 42-43. La mission de l’Université d’Oxford qui passa à Mikā’ēl Ambā en 1974, aurait vu 30 manuscrits dans l’église dont neuf furent montrés et examinés, mais aucun gadla Yemreḥanna Krestos n’est signalé (cf. B. Juel Jensen et G. Rowell, Rock Hewn Churches of Eastern Tigray : Oxford Expedition to Ethiopia 1974, Oxford, 1975). 50  A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia. Il ciclo agiografico dei nove santi, Naples, 2010 (Studi africanistici, Serie etiopica, 7), p. 4-5.

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Dans la compilation des donations foncières à l’église d’Aksum, connue comme étant le Liber Aksumae, on trouve mention d’une donation du roi Anbasā Wedem pour cette église51. Mais ce document, connu sous deux versions, ne présente aucune date, aucune liste de garants et sa forme même ne peut être rapprochée des donations des rois Ṭanṭawedem ou Lālibalā. Pour l’heure, contentons-nous de retenir l’essentiel de ce que ce document nous apprend : au début du xiie siècle un roi nommé Anbasā Wedem exerçait le pouvoir et était contemporain du métropolite Mikā’ēl, qui consacra entre autres églises celle de Mikā’ēl Ambā, en 1149/1150. Nous verrons plus loin les implications de ces informations du point de vue de la chronologie de la dynastie zāg wē.

Archives du règne de Lālibalā (?-1204-1225-?) Le dernier volet documentaire concerne le roi Lālibalā, qui est comparativement aux deux précédents, un peu plus riche. Parce que d’une part, nous disposons de dates qui permettent de situer précisément son activité et qui font office de point d’ancrage pour situer les règnes de ses prédécesseurs. Et parce que d’autre part, le nombre de documents produits au cours de son règne est sans commune mesure avec ce qui précède, même si la documentation reste très restreinte. Trois donations du roi Lālibalā pour des églises sont conservées dans les manuscrits éthiopiens. Deux actes figurent dans le manuscrit des évangiles d’Endā Abbā Maṭā‘e de ’Ahām/Hām (ou Dabra Libānos du Šemazānā, voir carte 2), ce même manuscrit qui présente une couverture en métal dorée donnée par le roi Salomon, que l’on a identifié plus tôt au roi Ṭanṭawedem. Une autre donation est copiée dans un évangéliaire conservé dans l’une des églises du site de Lālibalā, nommée Bēta Madḫanē ‘Alam (voir cartes 2 et 7)52. À cela s’ajoutent des inscriptions sur des meubles Documenta ad illustrandam historiam I. Liber Axumae, éd. C. Conti Rossini, Paris, 1909-1910 (CSCO 54, 58, Script. Aeth. 24, 27), II.5-6. Alessandro Bausi (« Un indice del Liber Aksumae », Aethiopica, 9 (2006), p. 102-146) a réalisé un index des textes de cette compilation et adopté pour ce faire un mode de référencement que nous observerons dans la suite de l’ouvrage. Les chiffres romains renvoient aux trois parties constitutives de cet ouvrage : I, les notices sur l’église et la ville d’Aksum ; II, les actes fonciers ; III, les documents historiques. Ces chiffres romains sont suivis d’un chiffre arabe qui renvoie à la numérotation du document dans l’édition et la traduction de Carlo Conti Rossini, et éventuellement entre parenthèses, figurent la page de la traduction et la ligne). Au sujet de la manière dont cette compilation s’est constituée, voir A. Wion, « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93 : le plus ancien témoin d’un projet historiographique sans cesse réactivé », Oriens Christianus, 93 (2009), p. 135-171. 52  L’étude des donations de terre de Lālibalā a été publiée en 2010 (M.-L. Derat, « Les donations du roi Lālibalā », 2010). Nous la reprenons ici pour traiter de manière équilibrée toute 51 

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d’autel (manbara tābot), dédicaces réalisées à la demande du roi Lālibalā, qui associent parfois sa femme, la reine Masqal Kebrā, à ses prières. L’ensemble de cette documentation permet d’entrevoir l’organisation politique du royaume au tournant des xiie et xiiie siècles, notamment par le biais des dignitaires évoqués comme garants des actes. Donations dans l’évangile de ’Ahām/Dabra Libānos Les deux donations conservées dans l’évangile de ’Ahām ont été éditées en 1901 par Carlo Conti Rossini (ce sont les actes no 6 et no 7 de l’édition de Carlo Conti Rossini, chacun étant divisés en deux parties53). La première donation du roi Lālibalā est établie en faveur de l’église de Marie et de l’église de la Croix, la seconde pour l’église de Maṭā‘e de ’Ahām (ou Hām). Carlo Conti Rossini n’a pas traduit les documents mais a fourni un commentaire savant pour chacun d’eux, qui reste la référence de tous les auteurs et qui a été très peu dépassé depuis. En 1975, Roger Schneider a pu photographier le manuscrit en question, sans publier ses photos. Il semble qu’il préparait, en collaboration avec Merid Wolde Aregay, une nouvelle étude des donations de l’évangéliaire de Dabra Libānos, à commencer par une édition critique et une traduction54. Mais cette étude n’a jamais été achevée. Un travail dans les archives Roger Schneider, déposées à l’Institute of Ethiopian Studies de l’Université d’Addis Abeba55, m’a permis de retrouver ces photos et de corriger l’édition réalisée par Carlo Conti Rossini. Entre-temps, en 1993 et 1994, Alessandro Bausi accompagné de Gianfrancesco Lusini et d’Irma Taddia, a eu accès à ce manuscrit précieux,

la documentation et établir le plus complètement possible le dossier des sources concernant la dynastie Zāg wē. 53  Pour plus de clarté, la numérotation adoptée par Carlo Conti Rossini est reprise ici (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901). Une brève analyse des possessions foncières de Dabra Libānos figure dans C. Conti Rossini, Principi di diritto consuetudinario dell’Eritrea, Rome, 1916. 54  Cette information se trouve dans une copie d’une lettre typographiée envoyée à Claude Lepage en juin 1994. Dans cette lettre, Roger Schneider expose ce qu’il souhaite faire et ses hypothèses sur la datation du manuscrit, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Au sujet des archives Roger Schneider, voir note ci-dessous. 55  Voir M.-L. Derat, « Les archives Roger Schneider (1917-2002) », 2011, p. 291-302.

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toujours conservé à Dabra Libānos. Il a effectué de nouvelles photographies mais n’a pas, pour l’heure, publié de nouvelle édition de ces documents. Il m’a récemment confié une copie des clichés réalisés alors et je l’en remercie chaleureusement. L’Évangile de Dabra Libānos est un petit manuscrit, mesurant 26 cm de haut pour 19,5 de large, auquel a été ajouté au début 12 folios (1er fascicule) au format 18 × 16 cm, contenant la fin d’une Vie de Cyriaque dont la copie date de la fin du xviie siècle, et des donations de terre56. Sur les folios vierges de l’évangéliaire (2e fascicule), figurent également des donations de terre. Alessandro Bausi a élaboré, à partir des photos qu’il avait pu réaliser, une concordance entre l’édition de Carlo Conti Rossini, où les donations sont reclassées par ordre chronologique, indépendamment de leur place dans le manuscrit, et le manuscrit tel qu’il l’a vu en 1993 et 1994 et qui permet de resituer physiquement les actes dans les deux fascicules57. Carlo Conti Rossini estimait que ce manuscrit était une copie du xvie siècle d’un manuscrit plus ancien, de même que les donations seraient des copies secondaires d’actes authentiques. Roger Schneider a publié un bref article sur ce sujet où il estimait pour sa part que la copie de l’Évangile est antérieure au xive siècle et que les actes sont « en bonne partie » des originaux58. Ce qu’Alessandro Bausi a confirmé59. Il y a en effet tout lieu de penser que les donations de terre figurant dans le premier fascicule sont des copies secondaires des actes figurant dans le manuscrit principal (le deuxième fascicule). Il serait intéressant de pouvoir examiner de près la reliure pour comprendre comment le premier fascicule a été adjoint au second, en maintenant la couverture ancienne. Les donations du roi Lālibalā figurant dans l’Évangile de Dabra Libānos ont été répertoriées par Carlo Conti Rossini comme étant les actes no 6 et no 7. L’acte no 6 est divisé en deux parties, totalement indépendantes l’une de l’autre. Carlo Conti Rossini ne situe pas précisément où sont copiés ces textes. Quant à Roger Schneider et Alessandro Bausi, tous deux n’ont vu que

Information figurant dans les notes de Roger Schneider (archives Roger Schneider, Walda Masqal Centre, Addis Abeba). 57  A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte terza (Dabra Libānos, Dabra Abuna Beṣu‘a Amlāk, Dabra Marqorēwos) », Rassegna di Studi Etiopici, 41 (1997 [1998]), p. 22-23. 58  R. Schneider, « L’évangéliaire de Dabra Libanos de Ham », 1989, p. 163. 59  A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte terza », 1997 [1998], p. 15 ; Id., « Un indice dell’Evangelo di Dabra Libānos (Šemazānā, Akkala Guzāy, Eritrea) », Aethiopica, 10 (2007), p. 81. 56 

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la première partie de l’acte au fol. 23r du deuxième fascicule mais pas la seconde partie, vraisemblablement inscrite sur un tout autre folio (fig. 6). Bien que physiquement distinctes, les deux parties de l’acte no 6 n’en constituent pas moins un seul et même document. Dans les deux parties, le texte précise pour qui est faite la donation : l’église de la Croix, l’église de Marie, les vierges et/ou les nonnes. Alors pourquoi le scribe n’a pas copié à la suite ces deux parties ? La réponse se trouve peut-être dans le remaniement qu’a connu le manuscrit au moins au moment où le premier fascicule a été adjoint au second. Mais selon toute logique, la suite du fol. 23r est le fol. 23v, or au verso du folio 23, nous sommes certains qu’il n’y a pas le texte attendu puisqu’il s’agit du début de la liste des chapitres de Matthieu. Peut-être la copie de l’acte a-t-elle pris plus de place que prévu et comme le verso du folio était déjà occupé par la liste des chapitres de Matthieu, la suite de la donation a dû être copiée sur un autre folio vierge. Il faut enfin noter que l’acte no 6 n’est copié qu’une seule fois. L’édition de l’acte no 6 qui est présentée ici se fonde sur une édition corrigée par rapport à celle de Carlo Conti Rossini, ne pouvant porter que sur la première partie de l’acte no 6, la seconde n’ayant été vue que par Conti Rossini. Tout un passage (souligné) résiste encore à la traduction et j’ai préféré ne rien proposer. Acte no 6 [በ]አኰቴተ፡ አብ፡ [ወ]ወልድ፡ ወመን[ፈ]ስ፡ ቅዱስ፡ አጐለትኩ60፡ [አ]ክሰምኩ፡ ወአምነ[ይ]ኩ፡ አነ፡ሐፃኒ፡ ላሊባላ፡ ወስመ፡ መንግሥትየ፡ ገብረ፡ መስቀል፡ [በ] ፲ ፻ ፹ ፱ ፡ ዓመተ፡ ምሕረት፡ [አ]መ፡ ፭ ፡ ለወር[ኀ]፡ ታኅ[ሳስ]፡ ብእሲ፡ ዓዛል፡ ዘኢይትመዋእ61፡ ለፀር፡ በኀይለ፡ መስቀሉ፡ ለኢየሱስ፡ ክርስቶስ፡ ወልደ፡ ሞራራ፡ ወልደ፡ ዛንሥዩም፡ ወልደ፡ ኣስዳ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቤተ፡ ማርያም፡ ለደናግል፡ ለአንስተ፡ መነኮሳት፡ ለአብርቅሲያ፡ ወለሶሰና፡ ሠጦ፡ ምድረ፡ ዴረ፡ ምድረ62፡ ምድረ፡ አላፎ፡ ምድረ፡ ውሐረ፡ መዓጠውሎ፡ መከመስ63፡ ምድረ፡ መስተፋ፡ መድረ፡ በከረነ፡ ቀጋ64፡ በመ[ነ?]ኮሳይት65፡ ወግር፡ ብፁዓ፡ በዘ፡ አኀዞ፡ [..]፡ በዘ፡ አኀዞ፡ ሠሰ[.]፡ በዘ፡ አኀዞ፡ ፍቁር፡ በዘ፡ አኀዞ፡ በዓ[.]ሬዝ፡ በዘ፡ አኀዞ፡ ወከመዝ፡ አጒለትኩ፡ አነ፡ ላሊባላ፡ ንጉሥ፡ ከመ፡ ይዘከረኒ፡ ክርስቶስ፡ በመንግሥቱ፡ ወከመ66፡ ይደምረኒ፡ ምስለ፡ ጻድቃን፡ ወቅዱሳን፡ ወከመዝ፡ ጐለትኩ፡ ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋበ67፡ ወኢተክጣ68፡ ወኢመኃለፍተ፡ ዘአልቦ፡ Sic : አጒለትኩ. CCR (pour l’édition de Carlo Conti Rossini) : ዘኢይትመዋዕ. 62  CCR : omis. 63  CCR : መከመ[.]. 64  CCR : [..]. 65  CCR : በማ[ቦ?]ይሳት. 66  CCR : omis. 67  CCR : ወገብጋብ. 68  CCR : ወኢተስጣ.

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ዘናቤ፡ ወዓባ[ጤ]69፡ ወኢይበውእ፡ ፈረስ፡ ወአንበሳ፡ ዘኢይበውእ፡ ቀስታኒያ፡ ባዕድ፡ ዘእንበለ፡ እመ፡ ምኔት፡ ወእመቦ፡ ዘተኀየለ፡ ወዘተገሰሰ፡ ወዘተአገለ፡ ለዝ [ንቱ]፡ ጒልት፡ ወለዝንቱ፡ ክሱም70፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ በቅድመ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ በአፈ፡ ጳጳሳት፡ በአፈ፡ [፫] ፲ ወ ፰71፡ ርቱዓነ፡ ሀይ[ማ]ኖት፡ በአፈ፡ [፲] ወ [፭] ፡ [ነቢ]ያት72፡ በአፈ፡ ፲ ወ [፪] ፡ [ሐ]ዋርያት፡ [አሜ]ን፡ ወ[አ] ሜን። ወእንዘ፡ ሀለዉ፡ ክልኤሆሙ፡ ኅቡረ፡ ላሊባላ፡ ንጉሥ፡ ወብእሲቱ፡ መስቀል፡ ክብራ፡ በዐልተ፡ ቤሐት፡ ከመ፡ ይኩኖሙ፡ መድኀኒተ፡ ነፍሶሙ፡ በመንግሥተ፡ ሰማያት፡ ወለብእሲትየኒ፡ ከመ፡ ይደምራ፡ ምስለ፡ ቅድሳት፡ አንስት፡ ምስለ፡ ሳራ፡ ወሰሎሜ፡ ምስለ፡ ሐና፡ ወሶፍያ፡ ወኢይዝክር፡ ላቲ፡ ኃጢአታ፡ ወይድምስስ፡ መጽሐፈ፡ ጌጋያ፡ አሜን፡ ወአሜን። ለይኩን፡ ለይኩን። ወእንዘ፡ ሀለዉ፡ ዐበይተ፡ ብጒና፡ ቃለ፡ ጳጳስ፡ እንድርያስ፡ ወጳጳስ፡ አባ፡ ሚካኤል፡ ወኤጲስ፡ ቆጶሳት፡ ዕዝራ፡ ይርዳእ፡ ሚካኤል፡ ሳሙኤል፡ ዐቃቤ፡ ሰዓተ፡ አባ፡ መጣዕ፡ ተስፋ፡ ሕይወት፡ ሐስጓ፡ ቅሩብ፡ ሊቀ፡ ዝያቆናት፡ ሰውን፡ ቀሰ፡ ገበዝ፡ ጽዮን፡ ይት ባረክ፡ ቀስ፡ ሐፃኒ፡ ዘካርያስ፡ ጸዋሬ፡ ናርጌ፡ መሰረይ፡ ዝር፡ ገኣዛ፡ እንዘ፡ ጸሐፌ፡ ትእዛዝ፡ ዘክርስቶስ፡ ወጽሐፊሁ፡ ሀሎ፡ አምላክነ፡ ወልደ፡ ዜና፡ ክርስቶስ፡ ሊቀ፡ አቀይታት፡ ሠምሮ፡ እንዘ፡ ሊቀ፡ ቤተ፡ ቀጢን፡ በኀይሉ፡ ወእንዘ፡ ሊቀ፡ መካሶ፡ ሀገረ፡ ውድም፡ እንዘ፡ ሊቀ፡ ኬኖት፡ ዘአመላይ፡ ወእንዘ፡ ሊቀ፡ ኀዳር፡ ወቃለ፡ ሕመት፡ ኀበ፡ ክልኤ፡ ሢመት፡ አማኒ፡ ወእንዘ፡ ሊቀ፡ ባሪያ፡ ጽዮን፡ ኀርታ፡ እንዘ፡ ሊቀ፡ ዐቃቤ፡ ዴዴ፡ ሌካ፡ እንዘ፡ ሊቀ፡ መሰናቁት፡ ብጒናይ፡ ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋበ፡ ለመነኮሳት፡ አንስት፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቤተ፡ ማርያም፡ እመቦ፡ ዘካልኦ፡ ወዘተገሰሶ፡ ለዝንቱ፡ ጒልት፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ በቅድመ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ አሜን፡ ወአሜን። En actions de grâces au Père, et au Fils et à l’Esprit Saint, en l’an de grâce 108973, le 574 du mois de tāḫśāś, j’ai donné en gwelt, j’ai assigné et j’ai délimité75, moi, le haḍāni Lālibalā, dont le nom de règne est Gabra Masqal homme courageux et invincible par la puissance de la croix de Jésus Christ, CCR : ዓባኬ. La lecture du manuscrit est confirmée par la comparaison avec le gwelt de Ṭanṭawedem, où l’on retrouve une expression identique : ዘአልቦ፡ዓበጤ፡ወዘናቤ፡ (Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal Qefereyā, fol. 8r). Voir aussi l’acte de l’Évangile d’abbā Garimā III où l’on trouve l’expression suivante : ዘአልባቲ፡ዓበጣ፡ወዘንበ፡ M. Kropp, « Siegbert Uhlig : Äthiopische Paläographie. Stuttgart, 1988 (Äthiopistische Forschungen, 22). Mit einem Exkurs : Die Datierung der Hs. Abba Garima II », 1992. 70  CCR : ከላም. 71  Le chiffre devrait être ፫ ፻ ፲ ወ ፰. 72  CCR : omis. 73  Conti Rossini (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 188) corrige cette date en 1209. Ses arguments sont cependant assez faibles. 74  G. Fiaccadori, « Per la cronologia di un atto “feudale”, del neguś Lālibalā », 2011, p. 201 a corrigé une faute dans la traduction publiée en 2010 (M.-L. Derat, « Les donations du roi Lālibalā », 2010, p. 28) où je donnais la date du 3 de tāḫśāś, alors qu’il ne fait aucun doute qu’il s’agit du 5 de tāḫśāś. 75  Dans l’étude publiée en 2010, je traduisais « j’ai souhaité ». C’est une erreur que je corrige ici. 69 

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fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā, pour l’église de la Croix (Bēta Masqal) et l’église de Marie (Bēta Māryām), pour les vierges (Danāgel), les nonnes Eupraxie et Susanne, la terre de Dēra, la terre de ’Alāfo, la terre de Weḥara, Ma‘āṭawelo, Makamas, la terre de Mastafā, à Karan la terre de Qagā, à Manakoseyāt Wagr Beḍu‘ā, dans leur état. [Passage que je ne traduis pas]. Ainsi, j’ai donné en gwelt, moi le roi Lālibalā, afin que le Christ se souvienne de moi dans son royaume et m’associe aux justes et aux saints, ainsi j’ai donné en gwelt, sans tribut et sans corvée, sans marché et sans passage, sans séquestre et sans réquisition76. Que ni le cheval ni le lion n’entrent, que le chasseur étranger n’entre pas, à l’exception de la mère supérieure77. Quiconque outrepasse, prend et transgresse ce gwelt et cette assignation, qu’il soit excommunié devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint, par la bouche des patriarches, par la bouche des 318 orthodoxes, par la bouche des 15 prophètes, par la bouche des 12 apôtres, amen et amen. Tandis que tous deux étaient unis, le roi Lālibalā et sa femme Masqal Kebrā, Ba‘alta Bēḥat (dame de Bēḥat)78 afin que ce soit une délivrance pour leur âme dans le royaume des cieux, et pour mon épouse afin qu’elle soit associée aux saintes femmes, Sara et Salomé, Hanna et Sophia, et que son péché ne soit pas compté et que le livre de sa transgression soit détruit, amen et amen, ainsi soit-il, ainsi soit-il. Tandis que les grands du Beg wenā sont : qāla ṗāṗṗās (le porte-parole du métropolite79) ’Endreyās, ṗāṗṗās (le métropolite) abbā Mikā’ēl, ’ēṗis qoṗosāt (les évêques) ‘Ezrā, Yerdā’e, Mikā’ēl et Dans une publication antérieure, j’avais noté la traduction suivante : « sans surveillant et sans personne qui exige les corvées » (M.-L. Derat, « Les donations du roi Lālibalā », 2010, p. 29). Cette traduction est erronée. 77  D. Crummey (Land and society in the Christian kingdom of Ethiopia, 2000, p. 39) propose la traduction suivante : « And I granted [all this] as gult that it would be without tax and forced labor and that it not be given [?] and that roads may not cross it and that it would be without zänabé and abaké and that it may not be entered by a horse or a lion and that it not be entered by hunters, without [the permission] of the mother superior ». 78  Vitae sanctorum indigenarum I. Acta S. Baṣalota Mikā’ēl, S. Anorewos (seu acta sancti honorii), éd. C. Conti Rossini, Louvain, 1905 (CSCO 28-29, Script. Aeth. 11-12), p. 54 et n. 2. Biḥat (ou Bēḥat) était un village au voisinage du Šemazānā dont l’église avait une certaine notoriété puisqu’elle est mentionnée dans les actes de Baṣalota Mikā’ēl comme étant un lieu religieusement important, makāna ba’alta Biḥat. Antonio Mordini (1961, p. 131) précise par ailleurs que Biḥat est un village près de Gunā Gunā dans l’actuelle Érythrée. « Dame de Biḥat » est devenu un titre, notamment pour la reine Belēn Sabā, femme d’Amda Ṣeyon (1314-1344) (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 203). Ce titre se retrouve ensuite sous une forme abrégée – ba’alteḥāt – pour certaines des épouses royales (M. Kropp, « “Antiquae restitutio legis”. Zur Alimentation des Hofklerus und einer Zeugenliste als Imago Imperii und Notitia Dignitatum in einer Urkunde des Kaisers Zär’a Ya’eqob im Condaghe der Hs. BM Or. 481, fol. 154 », Scrinium, 1 (2005), p. 132). Voir aussi S. Kur et M.-L. Derat, « Mäsqäl Kebra », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 844-845. 79  Littéralement, le ṗāṗṗās est d’abord l’évêque d’Alexandrie, le patriarche, puis son équivalent dans la hiérarchie, ici le patriarche d’Éthiopie. Nous adoptons le terme de métropolite 76 

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Sāmu’ēl, l’‘aqqābē sa‘āt80 d’abbā Maṭā‘e Tasfā Ḥeywat, le ḥasgwā81 Qerub, le liqa zyāqonāt82 (l’archidiacre) Sawen, le qasa gabaz Ṣeyon (l’administrateur de Sion) Yetbārak, le qasa haḍāni (le prêtre du roi) Zakāryās, le ṣawārē nārgē masaray83 (le porteur du flacon de médecine) Zer Ga’āzā, tandis que le ṣaḥafē te’ezāz (le secrétaire des édits) (est) Zakrestos, et son secrétaire Halo ’Amlākna, fils de Zēna Krestos, le liqa ’Aqaytāt (chef des ’Aqaytāt)84 Śamro, tandis que le liqa bēta qaṭṭin (le chef des domestiques) (est) Baḫaylu et tandis que le liqa makāso (est) Hagara Wedem, le liqa kēnot85 (le chef des prêtres) Za’amālāye, le liqa ḫadār86 et le qāla ḫemmāt (« voix » de l’encre)87 (est) ’Amāni pour ces deux fonctions, et tandis que le liqa Bāriyā (le chef des Bariyā)88 (est) Ṣeyon Ḫartā, le liqa ‘aqqābē dēdē (le chef des gardiens qui est celui employé dans tous les travaux pour désigner l’évêque égyptien nommé par le patriarche d’Alexandrie à la tête de l’église d’Éthiopie. 80  Littéralement, l’‘aqqābē sa‘āt est le « gardien des heures ». Il s’agit d’un titre octroyé au supérieur de la communauté de Hām, comme l’attestent les donations préservées dans l’évangéliaire de Dabra Libānos. 81  Une donation datée de 1328, préservée dans l’évangéliaire de Dabra Libānos, précise que le fils du roi Amda Ṣeyon (1314-1344), Bāhra Asgad, est chef de l’Entertā, mais aussi mā’ekala bāḥer, mā’ekala tewāzāt, ḥasgwā et ‘aqānṣān. Carlo Conti Rossini (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 208-210) estimait que tous ces offices étaient liés régionalement, et donnaient ainsi autorité sur tout le nord du royaume. 82  Autre forme pour liqa diyāqonāt (voir E. Sokolinskaia, « Liq », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 576). 83  Ce titre figure également dans le Règlement de la tonsure (Ser‘ata Qwerhāt), qui présente les dignitaires qui doivent être présents au moment de la tonsure du nouveau roi et la manière dont la cérémonie doit se dérouler. Voir A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », ext. Abhandlungen der Königlichen Preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Berlin, 1884, p. 18 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät ». Recherches sur le cérémonial éthiopien du sacre des rois avant le xvie siècle, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paris-I, 1994. 84  Parmi les documents compilés dans le Liber Aksumae, on trouve un liqa ’Aqaytāt. Un peu plus haut, l’on apprend que la terre de Ad ‘Aqayt a été achetée pour les ecclésiastiques d’Aksum. Le liqa ’Aqaytāt serait donc le chef de cette région ou de ses habitants (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.70). 85  Autre forme pour liqa kāḥenāt (voir E. Sokolinskaia, « Liq », 2007, p. 576). 86  Evgenia Sokolonskaia (ibid., p. 576) avance l’idée que ḫadār pourrait désigner un corps de troupe et donc que le liqa ḫadār était le chef de ce corps de troupe. 87  C’est Alessandro Bausi (A. Bausi, « Copying, Writing, Translating : Ethiopia as a Manuscript Culture », dans Manuscript Cultures : Mapping the Field, éd. J. B. Quenzer, D. Bondarev, J.-U. Sobisch, Berlin, 2014, p. 50) qui propose cette traduction. 88  Il s’agit là d’une fonction qui a un ancrage soit spatial soit ethnique, puisque les Bāryā constituent un groupe de population installé dans le nord-est de l’Érythrée actuelle. Dans une inscription du roi Ezānā (ive siècle), le souverain aksumite nomme un chef des Bāryā (RIÉth 190 ; cf. P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 239). On trouve plus tard, dans l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon, un chef des soldats de Bāryā (Lo scettro e la croce, la campagna di ‘Āmda-Ṣeyon I contro l’Ifāt (1332), éd. P. Marrassini, Naples, 1993 (Studi africanisti, serie etiopica 4), p. 114-115 ; Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332 N. Chr., éd. M. Kropp, Louvain, 1994

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des portes) Lēkā, tandis que le liqa masanāqut (le chef des masanqo89) (est) Beg wenāy90. Ainsi, j’ai donné en gwelt sans tribut ni corvée aux nonnes, à l’église de la Croix et l’église de Marie. Si quelqu’un cache ou prend ce gwelt, qu’il soit excommunié devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint, amen et amen.

L’une des questions que soulève cet acte concerne la date à laquelle la donation a été faite : 1089, qui est contradictoire avec la chronologie du règne de Lālibalā, telle que nous la connaissons (c’est-à-dire fin xiie-1225-?). La lecture du document confirme ce que Carlo Conti Rossini avait retenu dans son édition. Celle-ci n’est donc pas fautive. Pour résoudre la question, Carlo Conti Rossini proposait purement et simplement de changer le texte et de substituer les chiffres ፲ ፻ ፹ ፱ ፡ (signifiant 1089) par ፲ ፻ ፪ ፻ ፱ ፡ afin de restituer une toute autre date : 1209. Il fondait son raisonnement sur les métropolites ayant exercé leur charge au cours du règne de Lālibalā. Dans l’acte no 6, en effet, il s’agit du métropolite Mikā’ēl, dont on sait par l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie qu’il fut chassé d’Éthiopie la cinquième année de son séjour91, et remplacé par Yesḥaq, nommé en 121092, avant que Giyorgis, qui est cité dans l’acte no 7, daté de 1225, tout comme dans le Kebra Nagaśt (la Gloire des Rois)93, n’exerce sa charge. Mikā’ēl fut donc nommé vers 1203 et occupa ses fonctions de métropolite jusqu’en 1208-1209 approximativement94. Si la cor(CSCO 538-539, Script. Aeth. 99-100), p. 34 (texte), 40 (trad.)). Dans la mesure où la plupart des textes ge’ez sont édités en deux volumes, le premier présentant le texte proprement dit, le second la traduction, je ferai référence à ces volumes en les distinguant à chaque fois. Si je ne fais pas de distinction dans la référence, c’est que je renvoie au volume de traduction. 89  Instrument de musique, violon à une corde. Plus tard, au cours du règne de Zar’a Yā’eqob, on rencontre des ’azmāri rās, žān ’azmāri et ba‘ala baganā (M. Kropp, « “Antiquae restitutio legis” », 2005, p. 135). 90  Il peut ici s’agir d’un nom ainsi que nous avons choisi de le restituer dans la traduction, d’autant que dans l’acte no 7, on trouve un liqa masanqo qui est présenté comme Walda Beg wenāy, donc « fils de Beg wenāy ». Il faut toutefois noter que dans l’acte no 8 de l’Évangile de Dabra Libānos, on trouve un ‘aqqābē sa‘āt Yerde’anna Krestos qui à la suite de son nom se dit Beg wenāy de Ṣelālā (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 192). Conti Rossini posait la question de savoir si ce Yerde’anna Krestos ne se présentait pas ainsi comme un homme du Beg wenā de la région de Ṣelālā. 91  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean, 74e patriarche d’Alexandrie, relatif à l’Abyssinie », éd. J. Perruchon, Revue sémitique, 7 (1899), p. 79 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, known as the history of the holy church by Sawirus ibn al-Mukaffa, bishop of al-Asmunin, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, Le Caire, vol. 3, part. 2, p. 186. 92  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 85 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192. 93  « Kebra Nagaśt. Die Herrlichkeit der Könige », éd. C. Bezold, 1909, p. 138. 94  Une ambassade chargée d’enquêter sur le départ du métropolite Mikā’ēl revint après un an au Caire. Le retour de l’ambassade est daté de « l’an 606 de l’hégire, correspondant à l’année

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rection de Carlo Conti Rossini respecte une logique chronologique, elle n’est pas pour autant satisfaisante. On peut retenir que la donation de Lālibalā, contemporaine de la charge de Mikā’ēl, date d’environ 1203/04-1208/0995. Récemment Gianfranco Fiaccadori a avancé une hypothèse plus satisfaisante s’appuyant sur le calendrier employé par les scribes éthiopiens qui décomptent le temps en année de la miséricorde ou de la grâce, selon un cycle de 532 années. Il propose alors de corriger la date de 1089 ፲ ፻ ፹ ፱ ፡ en 389, ce qui revient à ne changer qu’une seule lettre, la première (፫ ፻ ፹ ፱ ፡) et permet de dater la donation très précisément du 29 novembre (5 de tāḫśāś) 120496. Par ailleurs, l’identification des églises bénéficiaires de l’acte no 6 pose problème. Le roi donne des terres à Bēta Masqal, Bēta Māryām et Danāgel (les Vierges). À Hām, se trouve une église dédiée à Marie97. Pourtant on peut se demander pourquoi l’acte ne précise pas qu’il s’agit de cette église-là, de la même manière que dans le deuxième acte, où le texte est le suivant : « j’ai donné à Maṭā‘e de ’Ahām ». Les trois bénéficiaires des terres pourraient-ils être non pas des églises situées à proximité ou à Dabra Libānos du Šemazānā, où est conservé le manuscrit des évangiles dans lequel figure cette donation, mais des églises du site de Lālibalā, situé beaucoup plus au sud (voir cartes 2 et 7), dont on sait avec certitude que certaines portaient ces noms : Bēta Masqal (l’église de la Croix), Bēta Māryām (l’église de Marie) et Danāgel (les Vierges). L’association de ces trois noms permet de poser cette hypothèse, en proposant par conséquent de voir dans les Vierges, non pas une référence à un groupe de nonnes, mais un toponyme98.

926 de l’ère des saints martyrs (1209-1210) » dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie (« Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 82 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 189). 95  Alessandro Bausi a probablement effectué le même raisonnement puisqu’il considère que l’acte no 6 est à dater de 1205/1209 (A. Bausi, « Un indice dell’Evangelo di Dabra Libānos », 2007, p. 81). 96  G. Fiaccadori, « Per la cronologia di un atto “feudale”, del neguś Lālibalā », 2011, p. 202. Jacques Mercier a récemment proposé une solution identique, mais une datation différente au final. Il considère que les datations des donations de l’évangéliaire sont en général établies selon un calendrier qui emploie l’ère des Martyrs de Dioclétien (c’est le cas notamment dans l’acte no 7 du roi Lālibalā). Il estime donc qu’il faut substituer ፲ ፻ ፹ ፱ ፡ par ፫ ፻ ፹ ፱ ፡ pour obtenir l’année 389 des Martyrs, équivalent à 1205 (J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, wonder of Ethiopia. The monolithic churches and their treasures, Londres, 2012, p. 331). 97  Dans le village de Hām, l’église, qui abrite des vestiges d’une église antique, est dédiée à Marie (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 178). 98  Jacques Mercier et Claude Lepage estiment pour leur part que ce sont les églises de Lālibalā qui sont désignées comme les bénéficiaires de cette donation (J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 24-25, 332).

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Deux objections sont toutefois à retenir. Tout d’abord, parmi les terres octroyées aux églises, une région est identifiable, celle de Karan. Dans le recueil de donations de Ṭanṭawedem, l’église de Qefereyā – autre nom pour Urā Masqal – aujourd’hui sur la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, est située dans la région de Karan99. D’autre part, l’acte no 10 conservé dans l’Évangile de Dabra Libānos, datant de Yekuno Amlāk (1270-1285), fait référence à la spoliation des terres attribuées par le roi Lālibalā à Bēta Masqal, Bēta Māryām et aux Vierges, par le śeyyum de Dabra Mā‘eṣo100. Ce toponyme n’est pas inconnu. Il figure dans la chronique de Ba’eda Māryām (1468-1478) comme un lieu de relégation. Dans les documents compilés par Carlo Conti Rossini dans le Liber Axumae, Dabra Mā‘eṣo apparaît comme faisant partie des régions qui doivent des « servitudes » (gebr) à l’église d’Aksum101 et figure aussi parmi les terres allouées à cette même église par le roi ’Anbasā Wedem102. Récemment, cette église a été localisée par un groupe de chercheurs – projet Ethiospare dirigé par Denis Nosnitsin – dans la région du Gwelo Makādā, là où se trouve également l’église d’Urā Masqal103, donc dans le Nord-Est du Tegrāy. Par conséquent, il est possible de conclure que la donation du roi Lālibalā concerne les églises de Marie et de la Croix dans le Nord du royaume, qui sont sous la juridiction de nonnes – les vierges désignant les moniales – et non les églises du site de Lālibalā. En ce qui concerne l’acte no 7, on dispose d’une copie dans le premier fascicule (texte B de Conti Rossini) et d’une copie dans le second fascicule (texte A de Conti Rossini). Dans le premier fascicule, l’acte no 7 se trouve au fol. 7v-9r d’après la reconstitution d’Alessandro Bausi. Roger Schneider n’a de photographies que du deuxième fascicule. D’après ses photos, les deux parties de l’acte no 7 sont inscrites en continu, au fol. 7v-8r dans le deuxième fascicule (fig. 7). Toutefois, en ce qui concerne le deuxième fascicule, Alessandro Bausi n’a pas vu l’acte no 7 copié en continu puisque selon sa concordance, la première partie figure au fol. 7v et la seconde au fol. 14r. Si l’on compare terme à terme la foliotation de Roger Schneider et celle d’Alessandro Bausi, on constate en effet que le manuscrit a été remanié entre 1975 et 1993-1994, ce qui s’explique aisément par les folios volants que l’on voit sur Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal, fol. 7r. Qefereyā figure dans le Liber Axumae comme une zone de passage pour l’acheminement du bois depuis le Mambartā jusqu’à Aksum, et est présenté comme étant au voisinage du Gwelo Makādā. Voir Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, I.5. 100  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 194. 101  Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, I.5. 102  Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.5. 103  D. Nosnitsin, Churches and Monasteries of Tǝgray, 2013, p. 24-30. 99 

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les photographies de Roger Schneider104. Enfin, il faut noter une différence de forme concernant les deux donations de Lālibalā. L’acte no 6 est copié sur deux colonnes, tandis que l’acte no 7 est écrit en pleine page. L’édition de l’acte no 7 présentée ici se fonde sur les photos prises par Roger Schneider du texte copié dans le deuxième fascicule – le texte A de Conti Rossini – et propose de restituer le document tel qu’il est, en prenant en compte les lectures de Conti Rossini à partir du texte B (la copie dans le premier fascicule) quand le document est trop endommagé et certaines lettres illisibles dans les dernières lignes. Acte no 7 በአኰቴተ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ አ[ጐለ]ትኩ፡ አክሰምኩ፡ ወአም ነይኩ፡ አነ፡ ሐፃኒ፡ ላሊባላ105፡ ወስመ፡ መንግሥትየ፡ ገብረ፡ መስቀል፡ በ ፬ ፻ ወ ፱ ፡ ዓመተ፡ ምሕረት106፡ አመ፡ ፫ ፡ ለወርኀ፡ ሚያዝያ፡ ብእሲ፡ ዓዛል፡ ዘኢይትመዋእ፡ ለፀር፡ በኀይለ፡ መስቀሉ፡ ለኢየሱስ፡ ክርስቶስ፡ ወልደ፡ ሞራራ107፡ ወልደ፡ ዛን ሥዩም፡ ወልደ፡ አስዳ108፡ ወሀብኩ፡ ለመጣዕ፡ ዘአሀም109፡ ወስመ፡ ብእሲትየኒ፡ መስቀል፡ ክብራ፡ ፈራሂተ፡ እግዚኣብሔር፡ ቢሐት፡ በባሕረ፡ ኀጸሮ፡ እንቀርዖ፡ ዘሬዳ፡ ክርስቲያን፡ ምስለ፡ ምድሮሙ፡ በ[ን]ጽፋ110፡ ወበቀልቀላ፡ ዓጋማ111፡ ወድ ዕዱዕ፡ ዘኢይበውእ፡ ዓቃቤ፡ ጸንጸን፡ ወኢከንቲባ፡ ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ለባዕድ፡ ዘእ ንበለ፡ አበ112፡ ምኔት፡ ዘመጣዕ፡ እመቦ፡ ዘተኀየሎ፡ ወዘተዐገሎ፡ ወዘተገሰሶ፡ እመሂ፡ ዘነግሠ፡ ወእመሂ፡ ዘአንገሥጋሠ113፡ ወእመሂ፡ ዘተጳጳሰ፡ ወእመሂ፡ ዘተመ ኰነነ፡ እመሂ፡ ሥዩም፡ ወእመሂ፡ ስዑር፡ ወዘተአገሎ114፡ ለዝንቱ፡ ጒልት፡ ወለ ዝንቱ፡ ክሱም፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ በቅድመ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ በአፉሁ፡ ለአቡነ፡ መጣዕ፡ በአፈ፡ ጳጳሳት፡ በአፈ፡ ፫ ፻ ፲ ወ ፰ ፡ ርቱዓነ፡ ሃይ ማኖት፡ በአፈ፡ ፲ ወ ፭ ፡ ነቢያት115፡ በአፈ፡ ፲ ወ ፪ ፡ ሐዋርያት፡ አሜን፡ ወአሜን።

Un autre exemple peut permettre de s’en convaincre. Le premier folio du deuxième fascicule photographié par Roger Schneider présente, au recto, l’acte no 2 de l’édition de Carlo Conti Rossini. Dans les photographies d’Alessandro Bausi, le premier folio est celui sur lequel figure une grande croix (A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte terza », 1997 [1998], p. 16). Il faut signaler que Roger Schneider a pu photographier certaines donations qu’Alessandro Bausi n’a pas pu voir, en particulier les actes no 2, 9, 14 et 31. 105  CCR : ላሊበላ. 106  CCR : ምህረት. 107  CCR : ሞረራ. 108  CCR : ኣስዳ. 109  CCR : ዘአሃም. 110  CCR : በጽንፋ (qu’il restitue sans doute à partir de B). 111  CCR : ዓግማ. 112  CCR : አባ. 113  CCR : ዘአንገሥገሠ. 114  CCR : ወዘተዐገሎ. 115  CCR : omis. 104 

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ወእንዘ፡ ሀለዉ፡ ክልኤሆሙ፡ ኅቡረ፡ ላሊ[ባ]ላ116፡ ንጉሥ፡ ወብእሲቱ፡ መስቀል፡ ክብራ፡ [በ]አልተ፡ ቢሐት፡ ከመ፡ ይኩኖሙ፡ መድኀ[ኒ]ተ፡ ነፍሶሙ፡ በመን ግሥተ፡ ሰማያት፡ ወለብእሲትየኒ፡ ከመ፡ ይደምራ፡ ምስለ፡ ቅድሳት፡ አንስት፡ ምስለ፡ ሳራ፡ ወሰሎሜ፡ ምስለ፡ ሐና፡ ወሶፍያ፡ ወኢይዝከር፡ ላቲ፡ ኀጢአታ፡ ወይ ደምስስ፡ መጸሐፈ፡ ጌጋያ፡ አሜን፡ ወአሜን። ለይኩን፡ ለይኩን። ወእንዘ፡ ሀለዉ፡ ዓበይተ117፡ ብጒና፡ ቃለጳስ118፡ አብት፡ ጳጳስ፡ አባ፡ ጊዮርግስ119፡ ወኤጲስ፡ ቆጶስ፡ ኀረዮ፡ ዓቃቤ፡ ሰዓተ፡ መጣዕ፡ ይርድአነ፡ ክርስቶስ፡ ሊቀ፡ ዝያቆናት120፡ ሳውን፡ ቀይሰ፡ ገበዝ፡ ጽዮን፡ አብ፡ ይኩን፡ መልሐዘ፡ ይትባረክ፡ ቀስ፡ ሐፂን፡ ዘአዶናየ፡ ጸዋር፡ ናርጌ፡ መኣሰሬ፡ ክርስቶስ፡ ብነ፡ ጸሐፍ፡ ላም፡ ስብሐት፡ ሐስጓ፡ ይዕቀበነ፡ ማእከለ፡ ባሕር፡ አስገደ፡ ዓቃ121፡ ጸንጸን፡ ባራ፡ ጽዮን፡ ዐቃብ፡ ደጌ፡ ማሰረይ፡ ይምሐረነ፡ ሊቀ፡ አቃይታት፡ ዘረውድም፡ እንዘ፡ ሊቀ፡ ኬኖት፡ ዘአመላይ፡ ወእንዘ፡ ሊቀ፡ ኅዳር፡ ያሞ፡ ሊቀ፡ መሰንቆ፡ ወልደ፡ ብጒናይ፡ ወከመዝ፡ አጐለ ትኩ122፡ ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋበ፡ መፍቀሬ፡ እግዚኣብሔር፡ ዘ[ወሀቦ]፡ ላሊበላ፡ ዘንተ፡ ጒልተ፡ ዘገፍዓ123፡ ውጉ[ዘ]፡ ለይኩን፡ አሜን፡ ዘንተ፡ ዘአጽሐፈ፡ ዐቃቤ፡ [ሰዓ]ተ124፡ መጣዕ፡ ስመ፡ ልደቱ፡ ይርድአነ፡ ክርስ[ቶስ፡ ስ]መ፡ ምንኵስናሁ፡ ጸጋ፡ መጣዕ፡ ለዘአጽ[ሐፈ]፡ ወለዘጸሐፈ፡ ስረዩ፡ ወባርኩነ፡ አሜን። En actions de grâces au Père et au Fils et à l’Esprit Saint, en l’an de grâce 409 [1225], le 3 du mois de miyāzyā, j’ai donné en gwelt, j’ai assigné et j’ai délimité, moi, le ḥaḍāni Lālibalā, dont le nom de règne est Gabra Masqal, homme courageux qui n’est pas vaincu par l’ennemi, par la force de la Croix de Jésus-Christ, fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā, et le nom de ma femme (est) Masqal Kebrā, qui craint le Seigneur, j’ai donné à Maṭā‘e de ’Ahām : Biḥat, du rivage d’Ḫāṣaro, ’Enqer‘o125, Zarēdā chrétien126, avec leurs terres, à la limite et au ravin d’‘Agāmā et De‘edu‘e, sans taxes pour l’étranger. Que l’‘aqqābē ṣenṣen n’entre pas, ni le kantibā, à l’exception de l’abbé de Maṭā‘e. Quiconque l’outrepasse, le transgresse ou le prend, qu’il soit celui qui règne, celui qui occasionne des troubles, celui qui est ṗāṗṗās, ou celui qui gouverne, qu’il soit

CCR : ላሊበላ. CCR : ዐበይተ. 118  Que l’on peut aisément restituer comme : ቃለ፡ ጳ[ጳ]ስ. À moins que cela soit une abréviation en usage à cette période. 119  CCR : ጊዮርጊስ. 120  CCR : ዲያቆናት. 121  Le ‘ayn porte à la fois les marques du 4e ordre (ዓ) et du 6e ordre (ዕ), sans doute après correction. 122  La forme devrait être : አጒለትኩ. 123  CCR : ዘገፍዐ. 124  CCR : ሰዐተ. 125  On retrouve ce toponyme dans d’autres actes de l’Évangile de Dabra Libānos, voir A. Bausi, « Un indice dell’Evangelo di Dabra Libānos », 2007, p. 85. 126  On retrouve ce toponyme dans d’autres actes de l’Évangile de Dabra Libānos, voir A. Bausi, « Un indice dell’Evangelo di Dabra Libānos », 2007, p. 91. 116 

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nommé ou destitué, que celui qui transgresse ce gwelt et cette assignation soit excommunié devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint, par la bouche de notre père Maṭā‘e, par la bouche des patriarches, par la bouche des 318 Orthodoxes, par la bouche des 15 Prophètes, par la bouche des 12 Apôtres, amen et amen. Tandis qu’ils étaient tous deux unis, le roi Lālibalā et sa femme Masqal Kebrā, Ba’alta Biḥat (dame de Biḥat), afin que cela soit pour leur âme une délivrance dans le royaume des cieux, et pour ma femme afin qu’elle soit associée aux saintes, avec Sara et Salomé, Hanna et Sophia, et que son péché ne soit pas compté et que le livre de sa transgression soit détruit, amen et amen, ainsi soit-il, ainsi soit-il. Tandis que les grands du Beg wenā étaient : le qāla ṗāṗṗās (le porte-parole du métropolite) ’Abt, le ṗāṗṗās (le métropolite) abbā Giyorgis, et l’ēṗis qoṗos (l’évêque) Ḫarayo, l’‘aqqābē sa‘āt de Maṭā‘e Yerde’anna Krestos, le liqa zyāqonāt (l’archidiacre) Sawen, le qaysa gabaz Ṣeyon (l’administrateur de Sion) ’Ab Yekun, le malhaza Yetbārak, le qasa ḥaḍin (le prêtre du roi) Za’adonāy, le ṣawār nārgē ma’asarē (le porteur du flacon de médecine) Krestos Bena, le ṣaḥaf lām (le secrétaire du troupeau)127 Sebḥat, le ḥasgwā Ye‘eqabanna, le mā’ekala bāḥer128 ’Asgada, le liqā ṣanṣan (le chef du chasse-mouche)129 Bārā Ṣeyon, le ‘aqāb dagē māsaray Yemheranna, le liqa ’Aqāytāt (le chef des ’Aqāytāt) Zarawedem, tandis que le liqa kēnot (le chef des prêtres) (est) Za’amalāye, et tandis que le liqa ḥedar (est) Yamo, le liqa masanqo (le chef des masanqo) le fils de Beg wenāy. Ainsi, j’ai donné en gwelt sans tribut ni travail forcé. Bien-aimé du Seigneur celui qui a donné, Lālibalā, ce gwelt. Celui qui agit mal, qu’il soit excommunié, amen. Celui qui a fait écrire cela (est) l’‘aqqābē sa‘āt de Maṭā‘e dont le nom de baptême est Yerde’anna Krestos, et le nom de moine Ṣagā Maṭā‘e. Celui qui a fait écrire et celui qui écrit, qu’ils soient pardonnés et bénis, amen. 127  La documentation ultérieure permet d’estimer que le ṣaḥaf lām (ṣaḥafalām) est un gouverneur régional, comme cela est attesté ensuite pour l’Amḥarā, le Šawā, le Dāmot (Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, rois d’Éthiopie de 1434 à 1478, éd. J. Perruchon, Paris, 1893 (Bibliothèque de l’École Pratique des Hautes Études, 93), p. 16, 101, 111-112, 116, 145, 153 ; Lo scettro e la croce, la campagna di ‘Āmda Ṣeyon I contro l’Ifāt (1332), éd. P. Marrassini, 1993, p. 52-53 ; Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 4 ; M. Kropp, « “Antiquae restitutio legis” », 2005, p. 136). 128  Manfred Kropp propose que l’on ne traduise pas ce titre par « milieu/centre de la mer ou de la côte », estimant que mā’ekala renvoie probablement à un autre sens. Il fait aussi le rapprochement entre le mā’ekala bāḥer et le titre que l’on emploie plus tard, au xve siècle, de Baḥǝr nägaš. Les deux seraient peut-être équivalents (Der siegreiche Feldzug des Königs ‘ĀmdaṢeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 5 n. 34). ­Selon Sevir Chernetsov, cette expression désigne à la fois la région entre la côte et l’hinterland ­appelée Ḥāmāsēn, et le titre de celui qui dirige cette région (S. Chernetsov, « Baḥǝr nägaš », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 444). 129  Est-ce une autre forme pour l’‘aqqābē ṣanṣan ou ‘āqāṣēn, gardien du chasse-mouche, titre donné au gouverneur de la région de l’Endartā ? (S. Chernetsov, « ‘Aqaṣen », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 290).

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Ce document concerne cette fois-ci l’église qui a conservé le manuscrit dans lequel ces donations sont inscrites, abbā Maṭā‘e de ’Ahām, et est établie en 1225, alors qu’un nouveau métropolite – Giyorgis – occupe le siège de l’Église éthiopienne. Comparé au document précédent, celui-ci apporte quelques informations nouvelles. La liste des garants est sensiblement différente, parce que de nombreux officiers ont été remplacés mais aussi parce que des dignités nouvelles sont convoquées : le mā’ekala bāḥer, le ṣaḥafa lām, le liqā ṣanṣan et l’‘aqāb dagē māsaray. Bien évidemment, il n’est pas possible de conclure à la création de nouvelles fonctions dans le royaume à partir de cette information, car rien ne dit que ces dignitaires n’étaient tout simplement pas des garants de l’acte précédent. Mais ces titres complètent le panorama de la cour du roi Lālibalā et donnent également une vision plus précise de ce qu’était concrètement, géographiquement, le royaume zāg wē au début du xiiie siècle. Nous y reviendrons. Une donation du roi Lālibalā dans l’évangile de Bēta Madḫānē ‘Alam La donation du roi Lālibalā en faveur de l’église du Sauveur du Monde (Bēta Madḫānē ‘Alam), sur le site des églises de Lālibalā, est conservée dans un évangile désormais exposé dans le musée installé dans les nouveaux bâtiments construits par l’Union européenne à l’entrée du site. Cet évangéliaire est bien connu pour son folio trilingue – copte, arabe, ge’ez – publié par Augusto Monti della Corte130 et dont la traduction arabe a été ensuite revue par Madeleine Schneider131. Il compte de nombreux autres actes qui montrent la permanence dans le temps de l’emploi de ce manuscrit comme cartulaire132. L’avant-dernier folio du manuscrit (EMML 6907, fol. 208, fig. 8), qui correspond à la fin de l’Évangile de Jean, présente à la fois, au recto, un colophon – en grande partie illisible – et au verso, une donation de terres du roi Lālibalā, dont la majeure partie manque (le parchemin est non seulement endommagé mais a été aussi découpé, comme on peut le voir sur la figure 8) et qui a fait l’objet de corrections par des copistes. Ce folio a été examiné par Siegbert Uhlig dans son étude sur la paléographie des manuscrits éthiopiens. Il considère qu’il s’agit du colophon du manuscrit et avance l’idée que celui-ci

A. A. Monti della Corte, Lalibalà, le chiese ipogee e monolitiche e gli altri monumenti medioevali del Lasta, Rome, 1940, p. 136-138. 131  M. Schneider, Deux actes de donation en arabe, Annales d’Éthiopie, 8 (1970), p. 83. 132  Idée développée dans l’article de C. Bosc-Tiessé et M.-L. Derat, « Acts of writing and authority in Beg wena-Lasta between the 15th and the 18th century : a regional administration comes to light », Northeast African Studies, 11 no 2 (2011), p. 85-110. 130 

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est une copie du xiiie siècle d’un manuscrit du xiie133. Par conséquent, il n’emploie pas la donation de terres de Lālibalā pour dater une graphie de la fin du xiie ou du début du xiiie siècle. Si la copie de l’Évangile de Bēta Madḫānē ‘Alam est plus tardive que la donation de terre du roi Lālibalā, cela pose nécessairement la question de l’authenticité de la donation. Or l’Évangile et la donation du roi Lālibalā ne sont pas écrits de la même main, ce qui serait le cas s’il s’agissait d’une copie secondaire du manuscrit en son entier, y compris la donation. Par ailleurs, le raisonnement de Siegbert Uhlig est pour le moins curieux. Son point de départ repose sur les dates de règne du roi Lālibalā, selon lui 1140-1180. Ce qui est erroné puisque les donations de l’évangile de Dabra Libānos du Šemazānā nous permettent de situer son règne autour de 1204 et 1225, comme nous venons de le voir. Par conséquent, une partie du règne de Lālibalā se déroule au xiiie siècle. L’argument de Siegbert Uhlig pour une nouvelle copie du manuscrit de Bēta Madḫānē ‘Alam au xiiie siècle est donc infondé car tout porte à croire que la donation du roi Lālibalā est bien l’acte authentique copié au moment où celui-ci a été promulgué, soit à la fin du xiie soit au xiiie siècle. Le folio 208 présente à la fois un colophon pour les Évangiles, au recto, et une donation du roi Lālibalā, au verso. Le colophon est écrit sur cinq lignes mais la colonne, qui compte en moyenne dix caractères dans le reste du manuscrit, est ici tronquée et seuls trois caractères (pour la première ligne) à six caractères (pour la dernière ligne) sont lisibles. Le texte débute par le mot ተፈጸ[መ] (tafaṣama, littéralement, il est achevé) qui semble bien signaler les débuts d’un colophon. Au verso du folio 208 figure en revanche une donation dont il manque la première colonne (tronquée en partie) et le haut de la deuxième colonne. Bien que le texte soit incomplet, avant le dernier paragraphe qui mentionne le nom du donateur et contient la formule classique d’excommunication, des bribes du texte sont lisibles. On trouve à plusieurs endroits la référence à des terres (medr) suivies de leurs noms, mais les noms de terre ne sont jamais entièrement lisibles. Seules les 17 dernières lignes de la deuxième colonne peuvent être restituées, comme suit : Fol. 208v : fin de la donation du roi Lālibalā ወዘንተ፡ ኵሎ፡ ወሀብነ፡ ለገበዝ፡ ለቤተ፡ መድኀኒነ፡ አነ፡ ላሊበላ፡ ንጉሥ፡ ወስመ፡ መንግሥትየ፡ ገብረ፡ መስቀል። እመቦ፡ ዘተአገሎ፡ ወዘተገሰሶ፡ ወዘተ ኀየሎ፡ እመሂ፡ ሣዕሮ፡ ወዕፀ፡ ወማዮ፡ እመሂ፡ ንጉሥ፡ ወእመሂ፡ መኰንን፡ ወእመሂ፡ ሥዩም፡ ወካህን፡ ወሕዝባዊ፡ ውጉዘ፡ ወቅውመ፡ ወርጉመ፡ ለይኩን፡ S. Uhlig, Äthiopische Paläographie, 1988, p. 103 ; S. Uhlig, Introduction to Ethiopian ­Palaeography, 1990, p. 30.

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በቅድመ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ ወኢይረከብ፡ ስርየተ፡ አመ፡ ዕለተ፡ ፍዳ፡ አሜን። Et j’ai donné tout cela au gabaz, l’église de notre Sauveur (Bēta Madḫanina), moi, le roi (neguś) Lālibalā et mon nom de règne est Gabra Masqal. Quiconque le viole ou le transgresse ou le force, que ce soit l’herbe, l’arbre ou l’eau, qu’il soit roi ou gouverneur (makwannen) ou chef (śeyyum) ou prêtre ou du peuple, qu’il soit excommunié, exclu et maudit devant le Père, le Fils et l’Esprit Saint et qu’il ne trouve pas le pardon le jour de la récompense, amen.

L’interprétation de la fin du texte ne pose aucun problème. L’église de Bēta Madḫanina est le gabaz, c’est-à-dire la cathédrale134. On retrouve ici un terme qui désigne le plus souvent l’église d’Aksum Ṣeyon. Ce passage indique qu’au moment où le roi Lālibalā régnait, l’église de Bēta Madḫānē ‘Alam était en activité. La donation du roi Lālibalā à l’église de Madḫānē ‘Alam ne permet pas d’affirmer avec certitude que le souverain est le fondateur de cette église mais on est au moins certain que celle-ci existait au tournant des xiie et xiiie siècles135. Inscriptions sur les meubles d’autel de Lālibalā Enfin, un dernier type de document nous informe sur le règne de Lālibalā : il s’agit d’inscriptions gravées dans le bois, sur des meubles d’autel conservés dans les églises de Lālibalā. Ces meubles d’autel, et leurs inscriptions, ont fait l’objet de plusieurs études, la dernière en date étant celle de Claire Bosc-Tiessé136. Elle dénombre en tout 35 meubles d’autel conservés à Lālibalā, parmi lesquels il faut compter quatorze qui présentent des inscriptions dont neuf désignent le roi Lālibalā comme le commanditaire, associé une fois à sa femme Masqal Kebrā137. L’une de ces inscriptions fait même apparaître Lālibalā comme un saint, ce qui peut servir de marqueur dans le processus de sanctification de ce souverain. De même, on ne trouve qu’une Voir notamment La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. xxx-xxxi note 28 ; Habtemichael Kidane et Red., « Gabaz », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 599-600. 135  Au sujet de la place de Bēta Madḫānē ‘Alam dans le complexe de Lālibalā voir également E. Fritsch, « The Churches of Lalibäla (Ethiopia) Witnesses of Liturgical Changes », ­Bollettino della Badia Greca di Grottaferrata, 5 (2008), p. 79-88 ; D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia. Fourth-Fourteenth Centuries, New Haven, 2009, p. 174-176. 136  Plus récemment, Jacques Mercier et Claude Lepage ont publié les photos de meubles d’autel de Lālibalā, mais sans apporter de réelles nouveautés à leur sujet (J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 114-123). 137  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel en bois », 2010, p. 58-59. 134 

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seule inscription (sur un meuble d’autel conservé dans l’église du Sauveur du Monde, BMA 01, voir fig. 9) où Lālibalā est présenté comme le roi (neguś)138. Moi, le roi Lālibālā (demande) au nom des 24 prêtres du ciel, qu’ils prient Dieu de me remettre (mes) péchés et mes fautes, amen et amen139.

Les inscriptions en elle-même n’apportent pas de données nouvelles concernant le roi Lālibalā, mais elles marquent le lien très fort unissant ce souverain au site des églises monolithiques qui porte désormais son nom, et sa dévotion. Ces deux éléments ont sans doute joué un rôle essentiel dans la reconnaissance de la sainteté de Lālibalā. On peut mentionner également un autre meuble d’autel, sur lequel le nom d’un autre roi – Na’ākweto La’āb – est inscrit. Il s’agit d’un autel monoxyle mentionné par Jacques Mercier et Claude Lepage dans une publication récente, conservé dans le sanctuaire de l’église de Welē Iyasus140. Toutefois, les deux auteurs ne disent rien de plus : ils publient simplement une photo tronquée, où l’on peut lire le nom de Na’ākweto La’āb, sans donner le texte complet de l’inscription et sans localiser non plus l’église avec précision. Nous ne pourrons donc pas employer ce document pourtant extrêmement intéressant dans cette étude. Les textes dont nous disposons pour retracer l’histoire des rois Zāg wē sont donc très peu nombreux et d’une nature très particulière : ce sont des donations ou, dans le cas de la note figurant dans l’évangile de Mikā’ēl Ambā, un « testament ». Ils éclairent donc de manière très biaisée la dynastie zāg wē en désignant quelques lieux, quelques personnes. Ils ne se répartissent pas de manière égale pour toute la période, ne donnent pas à voir tous les souverains, mais seulement quelques-uns sans que les prédécesseurs et successeurs de ceux-ci soient même évoqués. Ce déséquilibre est renforcé par la documentation contemporaine, produite dans des cercles extérieurs à la dynastie zāg wē, en Égypte.

138  Une autre inscription, sur un autre meuble d’autel de l’église du Sauveur du Monde (BMA 02), évoque un roi, mais dont le nom est illisible. Gigar Tesfaye qui avait publié cette inscription en 1984 avait restitué le nom de Lālibalā. Mais cela, bien que très probable, n’est pas possible en l’état actuel du meuble qui est endommagé au coin sud-est (C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 62). 139  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 60. 140  J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 28.

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

L’Éthiopie vue d’Égypte du xie au xiiie siècle Au moment où la dynastie zāg wē règne en Éthiopie, les relations entre l’Égypte fatimide puis ayyubide et le royaume chrétien d’Éthiopie sont très suivies. Loin d’être une terra incognita, le royaume d’Éthiopie est une région bien connue des auteurs coptes et arabes, parce qu’elle est régulièrement parcourue par des émissaires et ambassadeurs qui font le trajet entre les deux États, en lien avec la nomination par le patriarche d’Alexandrie d’un évêque pour l’Église d’Éthiopie, que l’on désigne communément comme le métropolite d’Éthiopie. Les échanges de lettres et d’ambassades sont les principaux moyens d’informations employés par les auteurs d’une compilation de notices biographiques, essentielle pour notre connaissance du contexte éthiopien du xie au xiiie siècle, l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. Composée de trois parties distinctes, cette histoire débute par la compilation de documents coptes traduits en arabe afin d’élaborer les vies des patriarches du ier siècle au xie siècle – compilation débutée par Sévère d’al-Asmūnayn et poursuivie par Mawhūb ibn Manṣūr, elle se poursuit par un second volet organisé autour de la biographie des patriarches en charge entre les xie et xiiie siècles, et enfin une troisième partie qui couvre les périodes ultérieures, mais qui nous intéresse moins pour notre propos. C’est la seconde partie de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie qui est essentielle pour ce qui nous concerne. Elle rassemble les notices biographiques de huit patriarches, du 66e patriarche (Christodule, 1047-1077) au 74e patriarche (Jean VI, 1189-1216), dont les auteurs ont été clairement identifiés : Mawhūb ibn Manṣūr rédigea les vies de Christodule et de Cyrille II, dont il fut contemporain ; le scribe Ibn al-Qulzumī (également connu sous le nom de Yūḥannā Ibn Ṣā‘id) rédigea les vies des patriarches Michel (10921102) et Macaire II (1102-1129) ; le futur patriarche Marc II rédigea les vies de ses prédécesseurs (Gabriel (1131-1145), Michel V (1145-1146), et Jean V (11461166)) ; et les deux dernières biographies – celles de Marc II (1166-1189) et de Jean VI (1189-1216) – sont dues à l’Anonyme de 1221, identifié par certains avec Ma‘ānī Ibn Abī l-Makārim141. Ce sont des proches des patriarches qui écrivent ces notices. Ainsi, le scribe Ibn al-Qulzumī qui rédige la biographie de Macaire, est-il en mesure de citer des passages entiers de courriers envoyés par le patriarche ou des lettres 141  J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe. Étude sur la composition de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, Louvain, 1989 (CSCO 513, ­Subsidia 83), p. 9-11.

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que lui-même lui envoya pour s’opposer à sa décision de ne pas nommer d’évêque pour Le Caire142. De même, l’Anonyme de 1221 semble avoir sous les yeux l’une des lettres envoyées par le roi Lālibalā au patriarche, puisqu’il reprend une partie de la titulature du souverain éthiopien143, chose suffisamment rare dans l’historiographie arabe chrétienne pour être relevée. Sur la période qui va de la fin du xie siècle jusqu’au début du xiiie siècle, ce sont trois ambassades qui sont évoquées par nos auteurs. Il est probable qu’il y en eut plus car sur toute la période, ce sont au moins sept métropolites qui ont été nommés par les patriarches pour l’Église d’Éthiopie. Chaque demande de métropolite donnant lieu à l’envoi d’une lettre accompagnée d’ambassadeurs et de présents en Égypte, et en retour l’envoi d’un métropolite également escorté par une ambassade. Les trois ambassades précisément décrites dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie sont en fait indépendantes des nominations de métropolites. Elles concernent d’autres sujets – la pratique de la polygamie par les rois éthiopiens144, la nécessité d’établir les dons que les ambassadeurs éthiopiens devaient apporter au patriarche et à l’émir lors de leur visite145, des enquêtes au sujet d’accusations portées contre les métropolites égyptiens par les Éthiopiens146. On peut donc avancer que le patriarcat tout comme l’État égyptien disposaient d’informations fiables concernant l’Éthiopie sur cette période et que les notices biographiques rédigées à ce moment-là sont non seulement bien informées mais aussi fondées sur des connaissances régulièrement mises à jour. Toutefois, ce sont des auteurs différents qui rédigent ces notices. Leur accès à l’information tout comme le traitement de celle-ci n’est jamais le même. Malgré tout, l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie ne permet pas de combler les lacunes des sources éthiopiennes et de construire notamment une chronologie des souverains qui se sont succédé entre la fin du xie et le 142  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 21, 24. 143  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193. 144  Ambassade envoyée par le patriarche Cyrille II (1078-1092) à la demande du métropolite Sawirus, History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 32, p. 329-330. 145  Deux évêques égyptiens – Mercure de Wasīm et al-Giza, Théodore de Singar – sont envoyés à la demande de l’émir en Éthiopie, sous le patriarcat de Cyrille II (1078-1092) pour établir les dons et vérifier si des mosquées sont bien construites en Éthiopie (History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 347 et suiv.). 146  C’est notamment le cas lors du règne de Lālibalā où le métropolite, Mikā’ēl de Fuwwah, est accusé d’avoir tué un prêtre éthiopien (History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 188).

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xiiie siècle. Le nom du roi d’Éthiopie qui adresse les lettres au patriarche ou auquel est envoyé une ambassade ou un métropolite n’est jamais donné, à l’exception notable du roi Lālibalā, pour lequel les informations sont les plus précises. Toutefois, on trouve dans ces notices biographiques des informations de très grande valeur sur la situation de l’Éthiopie à cette période. Avant de présenter patriarche par patriarche, les notices biographiques et les informations qu’elles véhiculent au sujet de l’Éthiopie, arrêtons-nous quelques instants sur un autre texte intitulé Les églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines, qui dépend étroitement de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, mais qui semble puiser non pas dans la seconde partie de cette histoire, mais dans les notices rédigées avant la fin du xie siècle.

Les églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines (EMECV) Les Églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines est une compilation qui compte plusieurs auteurs : le premier, Abū l-Makārim (fin xie-début xiie siècle), ecclésiastique copte, collecta des informations provenant de diverses sources, notamment dans l’Histoire des patriarches d’Alexandrie147 ; le second, peut-être Abū Ğamil, rassembla la documentation et la mit en forme (avant le premier quart du xiiie siècle)148. Il semble qu’il n’avait pas achevé son travail et que le scribe qui copia l’ouvrage en 1338, dont un seul témoin manuscrit est connu à ce jour, tenta à son tour de mettre de l’ordre dans cet ensemble149. Il n’y parvint pas complètement et des confusions subsistent, les informations concernant la Nubie étant en partie répétées dans le chapitre consacré à l’Éthiopie, comme si les deux étaient interchangeables150. En effet, on peut lire dans l’EMECV l’information suivante concernant l’Éthiopie : Tous les rois d’Abyssinie sont des prêtres et célèbrent la liturgie à l’intérieur du sanctuaire aussi longtemps qu’ils règnent sans avoir tué un homme de J. Den Heijer, « The Influence of the History of the Patriarchs of Alexandria on the History of the Churches and Monasteries of Egypt by Abu l-Makarim (and Abu Salih ?) », Parole de l’Orient, 19 (1994), p. 419-420. 148  U. Zanetti, « Abu l-Makarim et Abu Salih », Bulletin de la Société d’Archéologie Copte, 34 (1995), p. 132. 149  Ibid. 150  The churches and monasteries of Egypt and some neighbouring countries attributed to Abû Sâlîh the Armenian, éd. B. T. A. Evetts, Oxford, 1895, p. 132 (texte), 286 (trad.), p. 125 (texte), p. 271 (trad.). Voir aussi à ce sujet l’article de M.-L. Derat et R. Seignobos, « La femme éthiopienne de Moïse dans l’Histoire des églises et des monastères d’Égypte et l’histoire universelle d’al-Makīn », dans Figures de Moïse, éd. D. Aigle et F. Briquel Chatonnet, Paris, 2015 (Orient et Méditerranée, 18), p. 249-278. 147 

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leurs propres mains, mais après avoir tué un homme, ils ne peuvent plus célébrer la liturgie151.

Dès 1895, l’éditeur de ce texte, Basil Thomas Alfred Evetts, remarquait que dans le chapitre consacré à la Nubie, l’auteur de l’EMECV présentait les souverains nubiens sous un jour identique152, employant les mêmes mots : Tous sont des prêtres et célèbrent la liturgie à l’intérieur du sanctuaire, aussi longtemps qu’ils règnent sans avoir tué un homme de leurs propres mains, mais si un roi tue un homme, il ne pourra plus célébrer la liturgie153.

D’ailleurs, l’auteur de ces phrases est tout à fait conscient de cette répétition puisqu’il écourte sa description concernant la royauté sacerdotale en Éthiopie, renvoyant à ce qu’il a déjà écrit précédemment au sujet de la Nubie, en disant : « Les limites qui leur sont imposées après avoir tué un homme ont déjà été exposées dans ce livre »154. La source de cette information n’a pas été identifiée, ni en ce qui concerne l’Éthiopie, ni du côté de la Nubie. Il est donc bien difficile d’interpréter cette information et de la situer chronologiquement, mais elle a servi à construire l’image d’une royauté sacerdotale en Éthiopie dans l’historiographie. Nous reviendrons sur ces problèmes plus loin. Pour d’autres passages, l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie constitue assurément l’une des sources de l’EMECV155, mais les compilateurs s’inspirent d’informations tirées de la biographie du 64e patriarche d’Alexandrie, en charge au début du xie siècle. De manière très révélatrice, toutes les informations concernant l’Éthiopie qui apparaissent dans la seconde partie de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, ne figurent pas dans le chapitre consacré à l’Abyssinie. Cela permet donc de situer les éléments évoqués dans les Églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines, à une période qui ne peut pas être postérieure au milieu du xie siècle, donc avant ou au tout début de la dynastie Zāg wē. Cette hypothèse est confirmée par une information que l’on trouve dans les Églises et monastères d’Égypte et des régions voisines, selon laquelle l’Abyssinie détient l’arche d’alliance et est le royaume de la reine de Saba qui rencontra le roi Salomon. Bien que la source de cette information ne soit pas explicitement citée dans notre texte, on peut raisonnablement penser que la notice The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 286. The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 272 n. 2, 286 n. 3. 153  The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 272. 154  The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 286. 155  J. Den Heijer, « The Influence of the History of the Patriarchs of Alexandria on the ­History of the Churches and Monasteries of Egypt », 1994, p. 421. 151 

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Traces écrites sur les rois Zāgwē

consacrée au 58e patriarche, Cosmas III (921-933) en est l’inspiratrice. Si l’on compare les deux textes, on constate en effet que l’EMECV est quasiment une copie conforme d’un extrait de la notice biographique de Cosmas III. Biographie de Cosmas III Cosmas fut consacré patriarche après lui (Gabriel), et en son temps une grande (et) merveilleuse chose intervint. Il consacra un métropolite parmi les moines pour les régions d’Abyssinie, qui est un pays vaste, à savoir le royaume de Saba duquel la reine du Sud vint à Salomon, le fils du roi David. Si le roi de celui-ci veut en faire le tour, il lui faudrait une année entière pour en faire le tour, dimanches exceptés, jusqu’à ce qu’il retourne à sa place. C’est un pays voisinant l’Inde et les régions qui lui sont proches. Il est inclus dans le siège de mon Seigneur Marc l’Évangéliste juqu’à nos jours157.

EMECV Ce pays est sous la juridiction du siège de Marc l’Évangéliste. L’Abyssinie est le même que le royaume de Saba, d’où la reine d’Al-Yaman vint à Jérusalem pour entendre des paroles de sagesse de Salomon ; et elle lui offrit de magnifiques cadeaux. Quand le roi d’Abyssinie souhaite faire le tour de son pays, il passe une année entière à en faire le tour, voyageant tous les jours à l’exception des dimanches et des fêtes du Seigneur, jusqu’à ce qu’il retourne dans sa capitale. L’Abyssinie est contiguë à l’Inde et aux territoires adjacents. Un métropolite est envoyé du siège de Marc l’Évangéliste en Abyssinie par le patriarche d’Alexandrie en Égypte ; et ce métropolite des Abyssins ordonne des prêtres et des diacres pour eux158.

La notice consacrée à Cosmas III a été rédigée en copte à la fin du xie siècle par Michel, évêque de Tinnis, qui est également l’auteur des biographies du 56e au 65e patriarche158. Il écrivit en 1051 et d’après les études menées à son sujet, il décrit dans les notices des événements qui se sont produits entre 880 et 1046, étant bien sûr plus précis et plus fiable concernant

History of the patriarchs of the Egyptian church, known as the history of the holy church by Sawirus ibn al-Mukaffa, bishop of al-Asmunin, éd. Y. Abd al-Masih, O. H. E. Burmester, Le Caire, 1943, vol. 2, part. 1, p. 118. 157  The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 284-286. 158  Les notices rédigées en copte par Michel ont été traduites en arabe par le collaborateur de Mawhūb ibn Manṣūr, Abū Ḥabīb ad-Damanhūrī. Voir J. Den Heijer, « Réflexions sur la composition de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie : les auteurs des sources coptes », dans Coptic Studies, éd. W. Godlewski, Varsovie, 1990, p. 112. 156 

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ceux dont il était le contemporain159. Cela revient donc à considérer que c’est bien Abū l-Makārim qui fut l’auteur de la notice consacrée à l’Éthiopie dans l’EMECV, à la fin du xie ou au début du xiie siècle, et non pas ceux qui ont poursuivi sa tâche plus tard, et qu’il employa notamment la première partie de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, en particulier les biographies rédigées par Michel au milieu du xie siècle, pour élaborer son travail. Cette conclusion quant à la période de rédaction du passage consacré à l’Éthiopie dans l’EMECV permet de résoudre un problème dans la notice. Celui-ci figure dans les quelques lignes consacrées à la polygamie des souverains éthiopiens. À ce sujet, l’EMECV explique : Auparavant il était coutumier pour tous les rois d’Abyssinie ainsi que leurs sujets d’avoir plusieurs femmes. Ceci continua jusqu’au patriarcat d’Anba Sinuthius, le 67e patriarche, qui commanda au métropolite de les ramener de ce mode de vie vers le mode de vie existant parmi les chrétiens d’Égypte et de Syrie, et de ne pas autoriser le roi et ses sujets à faire cela comme ils le faisaient ; et après cela les Abyssins se sont abstenus de suivre leurs anciennes coutumes et ont commencé à avoir chacun une seule femme160.

Les commentateurs de ce passage ont tous relevés la confusion opérée ici par l’auteur. Le patriarche anba Sinuthius (Shenoute) était le 65e patriarche (1032-1044/46), et non le 67e comme indiqué dans notre texte. En revanche l’information concernant la polygamie des souverains éthiopiens parvint bien en Égypte quand le 67e patriarche était en activité, c’est-à-dire quand Cyrille II (1078-1092) exerçait sa charge. D’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, c’est le métropolite Sawirus qui écrivit alors au patriarche Cyrille II afin de l’informer de ses efforts pour faire cesser cette pratique et pour lui demander d’envoyer un courrier au souverain éthiopien appuyant son enseignement161. Cette confusion est fort intéressante. Elle signale en fait l’interpolation d’événements contemporains de l’auteur de l’EMECV, Abū l-Makārim, qui a sans doute eu connaissance des efforts entrepris sous ­Cyrille II pour faire cesser la polygamie des chrétiens d’Éthiopie, mais qui situe ces efforts à une période antérieure, sous le patriarcat de Sinuthius, peutêtre parce que les sources antérieures sur lesquelles il se fonde faisaient aussi état de démarches similaires à cette période. J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 9. 160  The churches and monasteries of Egypt, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 290-291. 161  History of the patriarchs of the Egyptian church, known as the history of the holy church by Sawirus ibn al-Mukaffa, bishop of al-Asmunin, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, Le Caire, 1959, vol. 2, part. 3, p. 379-380. 159 

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Situer l’une des sources d’inspiration de l’EMECV au plus tard au milieu du xie siècle n’est pas sans implication. Récemment Stuart Munro-Hay, considérant que l’auteur de l’EMECV était Abu Salih l’Arménien comme on le pensait jusqu’aux travaux de Johannes den Heijer162, estimait que cet auteur « indiquait quelque chose de la conception de l’Éthiopie lointaine par un chrétien d’origine arménienne, vivant en Égypte au tout début du xiiie siècle, et relativement bien informé »163. On peut maintenant préciser un peu plus : le passage de l’EMECV consacré à l’Éthiopie nous dit peut-être quelque chose non pas du début du xiiie siècle, qui correspond au règne de Lālibalā, mais bien plutôt des débuts de la dynastie Zāg wē au milieu du xie siècle.

L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie C’est la deuxième partie de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie qui couvre le règne de la dynastie Zāg wē. Mais quand débuter notre enquête dans cette compilation dans la mesure où les débuts de cette dynastie nous sont complètement inconnus et où les noms des rois, mis à part celui de Lālibalā, ne sont jamais donnés dans cet ouvrage ? Pour résoudre cette question, le plus approprié est peut-être de se fier au contexte éthiopien énoncé dans les notices biographiques. Or, concernant le patriarche Cyrille II (1078-1092), l’auteur de la notice – Mawhūb ibn Manṣūr – évoque des événements que l’on peut peut-être rapprocher des informations figurant dans la donation du roi Ṭanṭawedem. Le patriarcat de Cyrille II (1078-1092) et la question des mosquées éthiopiennes Deux mots d’abord au sujet de Mawhūb pour situer d’où viennent ses informations et quels sont ses centres d’intérêt. Copte laïc, haut fonctionnaire alexandrin en charge des affaires financières et commerciales des autorités musulmanes164, Mawhūb est un notable qui, sans être tout à fait informé des affaires internes de l’Église, intervient régulièrement dans les négociations qui impliquent l’Église et les autorités musulmanes au cours du xie siècle. Surtout il est à l’origine de la compilation de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, rassemblant avec ses assistants les sources coptes susceptibles d’informer les biographies des patriarches 1 à 65, traduisant ces sources en arabe et les J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989. S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 174. 164  J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 81-116. 162  163 

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arrangeant pour réaliser la première partie de cet ouvrage165. Il rédigea luimême les vies de deux patriarches dont il était contemporain, le 65e Christodule (1047-1077) et le 66e Cyrille II, tirant ses informations de ce qu’il a « vu et entendu de la part des [gens] dignes de confiance »166. Pour ce qui nous concerne, Mawhūb ibn Manṣūr est donc à la fois le témoin privilégié de nombreux événements impliquant l’Église copte et l’État égyptien, sans être en mesure de reproduire précisément la teneur des échanges épistolaires entre le patriarche et le roi éthiopien. C’est sans doute la raison pour laquelle les informations qu’il développe dans sa biographie du patriarche Cyrille II nous donnent une meilleure idée des débats apparus entre le vizir Badr al-Ğamālī (qu’il désigne par un titre honorifique comme étant Amīr al-Ğuyūš) et le patriarche ou le métropolite égyptien envoyé en Éthiopie, que de l’identité du roi éthiopien. Sous le patriarcat de Cyrille II, une affaire très embrouillée agite les églises égyptiennes et éthiopiennes et fait intervenir le sultan des îles Dahlak167. Il semble qu’un prêtre nommé Cyrille (également appelé ‘Abdūn) se soit autoproclamé métropolite d’Éthiopie, en dépit du refus du patriarche de le consacrer. Un premier épisode de cette affaire se déroule sous le patriarcat de Christodule : ce dernier semble avoir été contraint de reconnaître, après coup, Cyrille-Abdūn comme métropolite et de lui faire envoyer les vêtements honorifiques symbolisant sa fonction, ainsi qu’une lettre, qui lui furent apportées en Éthiopie par l’évêque de Wasīm. Mawhūb explique alors que, durant le patriarcat de Christodule, un certain ‘Alī al-Qifṭī dénonça les agissements du patriarche auprès du vizir Badr al-Ğamālī, affirmant qu’« un métropolite dont le nom (est) Victor, qui a été (nommé) par Christodule, le patriarche, a démoli une mosquée dans les terres de Nubie et que dans les terres d’Éthiopie, (il y) a un métropolite dont le nom (est) Cyrille, qui a du respect pour les musulmans, les aime et les honore »168. En ce qui concerne le métropolite d’Éthiopie, ce qui est reproché au patriarche n’est pas très clair, mais peut-être seulement lui est-il fait grief d’avoir consacré un métropolite sans l’aval du vizir. Toujours est-il que convoqué devant ce dernier, le patriarche nia l’avoir J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 115. 166  Cité par J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 112. 167  Voir au sujet de cette affaire, S. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 149-152, ainsi que R. Seignobos, L’Égypte et la Nubie à l’époque médiévale. Élaboration et transmission des savoirs historiographiques (641-ca. 1500), Thèse de doctorat, Université Paris I, 2016, p. 193-195. 168  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 316. 165 

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consacré et lui avoir fait envoyer une lettre. La fourberie du dénonciateur, ‘Alī al-Qifṭī, fut mise en évidence plus tard et, nous dit Mawhūb, « l’affaire de Cyril fut annulée »169, sans que l’on sache si cela signifie que Cyrille-Abdūn fut maintenu comme métropolite ou s’il perdit sa charge. C’est probablement cette seconde proposition qu’il faut retenir puisque sous le patriarcat de Cyrille II, on apprend qu’un nouveau métropolite fut nommé, Sawirus, et qu’il rencontra son prédécesseur en Éthiopie et s’opposa à lui. Cyrille-Abdūn n’eut d’autre choix que de quitter l’Éthiopie, emportant avec lui tous ses biens et allant se réfugier auprès du « chef de Dahlak ». Ce dernier ne lui offrit pas l’asile mais se saisit de ses richesses et l’expulsa en Égypte où il fut décapité en 860 de l’ère des martyrs (1143-1144)170, date qui est sans aucun doute possible fautive et qu’il faut peut-être corriger en 806 (1090), la fin de la charge de Cyrille II. Dans cette affaire, on ne peut pas démêler le vrai du faux, à commencer par la question de la consécration, ou non, de ce Cyrille-Abdūn par le patriarche d’Alexandrie. Mais cet épisode est riche d’enseignement concernant d’une part les relations suivies entre l’Éthiopie et l’Église d’Alexandrie en cette fin de xie siècle, où des lettres et ambassades sont échangées mais sans que Mawhūb ne soit en position de nous en dire plus parce qu’il n’est pas secrétaire du patriarche ; entre l’Éthiopie, le sultanat de Dahlak – vu comme un lieu de refuge, mais plutôt précaire – et l’Égypte171 ; et concernant d’autre part l’intérêt marqué par le vizir Badr al-Ğamālī pour la construction et la sécurité des mosquées en Nubie comme en Éthiopie. Or, cette question des mosquées revient à l’ordre du jour avec le métropolite suivant, Sawirus. Ce même Sawirus dont l’activité en Éthiopie a été remarquée par l’auteur de l’Histoire des églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines, pour ses efforts en faveur de la monogamie du souverain éthiopien172. Mawhūb nous donne quelques informations intéressantes au sujet de Sawirus. Il était le neveu d’un métropolite Victor envoyé en Éthiopie quelques années auparavant, sous le patriarcat de Christodule et semble-t-il fut même élevé en Éthiopie, par son oncle. Ce qui en dit long à la fois sur le métropolite qui semble partir accompagné d’une partie de son entourage

169  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 317. 170  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 329. 171  Aucun texte ne vient recouper l’information de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie au sujet de cet Abdūn à Dahlak. 172  Voir plus haut.

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en Éthiopie – Sawirus pour sa part est accompagné de son frère, Riğal173 –, et sur la manière dont la charge de métropolite d’Éthiopie était dévolue en ce xie siècle, puisqu’elle passe de l’oncle au neveu. Ce dernier fit d’ailleurs pression sur le patriarche d’Alexandrie par le vizir, qu’il contacta en premier lieu et auquel il aurait fait de nombreuses promesses s’il était consacré métropolite. Parmi ces promesses, Sawirus se serait engagé à faire construire des mosquées en Éthiopie. Engagement qu’il ne tint pas et qui lui fut sévèrement reproché par le vizir, lorsque celui-ci reçut le frère de Sawirus à sa cour : « Ton frère a accepté nos conditions, selon lesquelles il devait construire dans les terres d’Abyssinie quatre mosquées, et il ne l’a pas fait ». Riğal lui dit : « Ô mon seigneur, il a bâti sept mosquées en ces lieux, là où il était possible de les construire, et il est bien connu que les Abyssins les ont démolies et ont voulu le tuer (le métropolite), et que, quand ces nouvelles ont atteint le roi, il a arrêté le métropolite et l’a emprisonné »174.

Apprenant cela, l’émir demanda au patriarche d’écrire une lettre et de la faire passer au roi d’Éthiopie par deux ambassadeurs, deux évêques, qui partirent également chargés d’une lettre de la main de l’émir. Mawhūb nous dit au sujet de ce courrier : Une (personne) bonne et de confiance m’a raconté que l’illustre Amīr alĞuyūš disait dans sa lettre au roi d’Abyssinie : « Si vous ne faites pas ceci et cela, je démolirai les églises qui (sont) dans la terre d’Égypte ». Il (le roi) lui écrivit une réponse, disant : « Si vous démolissez une seule pierre des églises, je vous apporterai toutes les briques et les pierres de la Mecque et je vous les livrerai toutes, et si une seule brique est manquante, je vous enverrai son poids en or »175.

Ces rodomontades du roi éthiopien sont sans doute du goût des chrétiens coptes et en disent plus long au sujet des pressions subies par ceux-ci sous le vizir Badr al-Ğamālī et leur espoir qu’un roi chrétien pourrait leur venir en aide, que sur les capacités réelles du roi éthiopien de faire une telle réponse aux autorités musulmanes d’Égypte. Là encore, la position de Mawhūb lui donne accès à une partie des discussions, celles qui ont lieu avec le vizir, mais pas à la totalité du dossier, et en particulier aux courriers échangés à cette occasion. Toutefois, la teneur du débat est à prendre en considération et fait History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 347, 351-352. 174  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 350. 175  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 351. 173 

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écho à d’autres informations concernant la fin du xie siècle en Éthiopie, où l’on sait qu’une communauté musulmane s’installe au Tegrāy oriental et que le souverain Ṭanṭawedem s’affronte, à une période que l’on ignore encore, à des musulmans qu’il soumet et qu’il offre avec le reste du butin fait à cette occasion à l’église d’Urā Masqal. Peut-être, mais nous y reviendrons plus tard, tenons-nous là quelques éléments d’un puzzle qu’il faut encore assembler. Le métropolite Michel : une longue activité au cours du xiie siècle Avec le patriarcat de Michel (1092-1102), s’ouvre une nouvelle phase de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. C’est le scribe Ibn al-Qulzumī qui rédige les biographies du patriarche Michel (68e patriarche) et Macaire (69e patriarche, 1102-1129). Tout comme Mawhūb, c’était un notable, laïc, mais résidant au Caire, et très investi dans les affaires de l’Église, en particulier dans la défense du siège épiscopal du Caire contre le patriarche Macaire, qui souhaitait l’occuper176. Il n’est toutefois pas aussi bien introduit auprès des autorités musulmanes, si bien qu’il ne peut pas décrire avec précision les échanges entre le patriarche et le vizir al-Afḍal, tout en n’étant pas non plus en position de connaître la teneur de la correspondance entre le roi d’Éthiopie et le patriarche. Une fois encore, le nom du souverain éthiopien n’est donc pas mentionné et les informations sont encore plus impressionnistes alors que le métropolite nommé par le patriarche Michel pour l’Éthiopie, Georges (Giyorgis), fut renvoyé par les Éthiopiens et jeté en prison pendant de longues années au Caire, sans que l’on sache précisément ce qui lui était reproché. Ibn al-Qulzumī note seulement : Il (Georges) resta avec eux [les Éthiopiens] une brève période, (mais) il ne réussit pas, ni ne sut comment gérer ses affaires avec eux. Il est dit le concernant qu’il fut impliqué dans des affaires ignobles et des actes infâmes qui ne convenaient pas à son rang. Le roi s’empara de lui et prit tout ce qu’il avait acquis pour lui là-bas, et il le renvoya en Égypte, et il écrivit au seigneur, l’illustre al-Afḍal, se plaignant de ce qu’il avait fait dans ces terres. Il (al-Afḍal) commanda qu’on s’empare de lui et qu’il soit mis en état d’arrestation dans la prison de la garde au Caire. Il y resta pour un certain nombre d’années177.

À partir de ce passage, nous n’avons aucun moyen de savoir quels étaient les fondements du renvoi de Georges. Cette note ne nous permet que de conclure au maintien des échanges entre le patriarche, les autorités musulmanes J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 10. 177  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 394-395. 176 

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d’Égypte et le roi d’Éthiopie au tournant du xie et du xiie siècle et à une permanence de la fonction de métropolite en Éthiopie : Sawirus fut remplacé très vite par Georges, peu après 1101 d’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, et à Georges succéda le métropolite Mikā’ēl, nommé par le patriarche Macaire (1102-1129), et qui exerça sa charge jusqu’au patriarcat de Jean V (1146-1167). On peut noter une nouvelle fois le manque d’information d’Ibn al-Qulzumī s’agissant de ces affaires, car il écrit seulement une ligne concernant une nouvelle ambassade éthiopienne et la réponse du patriarche Macaire à celle-ci – « Ceci eut lieu l’année où le messager fut envoyé dans le pays des Abyssins »178 – qui pourtant marque probablement l’envoi du métropolite Mikā’ēl en Éthiopie. C’est par le successeur d’Ibn al-Qulzumī comme auteur des biographies de patriarches, que nous disposons de plus amples informations au sujet du métropolite Mikā’ēl et de son activité en Éthiopie. En effet, l’auteur des vies des patriarches suivants est Marc, qui exerça lui-même la charge de patriarche entre 1166 et 1189. Avant sa consécration comme chef de l’Église copte, c’était toutefois un laïc179, mais il semble mieux informé que son prédécesseur des choses de l’Éthiopie. Surtout, par la note figurant dans l’évangile de Mikā’ēl Ambā, rédigée à la demande du métropolite Mikā’ēl en 1149/1150, on peut tenter des recoupements entre ce que l’on apprend de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie et ce que le métropolite Mikā’ēl livre dans cette note. Mikā’ēl, également appelé Ḥabīb al-Aṭfiḥī180, se fait remarquer au cours de sa charge pour deux raisons. La première est liée à la requête d’un souverain éthiopien, contemporain du patriarche Gabriel (1131-1146), désirant que le métropolite consacre plusieurs évêques en Éthiopie. Mikā’ēl s’y refusa et conseilla au roi de s’adresser directement au patriarche à ce sujet. Le roi d’Éthiopie fit non seulement parvenir un message au patriarche mais aussi au vizir, qui fit pression sur le patriarche pour satisfaire aux désirs éthiopiens. Mais Gabriel lui démontra les risques que comportaient une telle issue : l’Église d’Éthiopie, dotée de plusieurs évêques, pourrait élire son propre métropolite, sans plus se soumettre au patriarcat d’Égypte, ni au califat. Le

History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 31. 179  J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 11. 180  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 90. 178 

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patriarche répondit donc par une lettre enjoignant le roi d’Éthiopie à revenir à la raison et, semble-t-il, il en fut ainsi pour un temps181. La seconde affaire qui rendit le métropolite Mikā’ēl fameux en Égypte intervint au cours du patriarcat de Jean V (1146-1167). Le souverain éthiopien du moment réclama l’envoi d’un nouveau métropolite arguant que Mikā’ēl était trop vieux. Sous ce prétexte, se cachait apparemment un conflit opposant le roi éthiopien, considéré comme un usurpateur, et le métropolite Mikā’ēl qui l’avait réprimandé. Ce conflit eut son incidence en Égypte puisque le vizir Al-‘Ādīl souhaitait répondre positivement à cette demande alors que le patriarche s’y opposait, ce qui lui valut quelque temps en prison182. Le résultat final de ce conflit ne nous est pas connu. Cet épisode fut longtemps considéré comme le point de départ de la dynastie zāg wē : un roi illégitime souhaitait l’envoi d’un nouveau métropolite pour se faire oindre et cela intervenait dans la période qui coïncidait avec un calcul réalisé à partir des listes royales qui donnent un règne de 133 ans à la dynastie zāg wē. Comme la chute de cette dynastie intervint entre 1268 et 1270, cela permettait de situer l’incident en 1135-1137183. On peut opposer deux arguments à cette hypothèse. Tout d’abord, la date pose question. D’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie la contestation de la légitimité du souverain éthiopien eut lieu sous le patriarcat de Jean V (1146-1167), alors que le calcul à partir des listes royales nous ramène sous le patriarcat de Gabriel (1131-1146), son prédécesseur. D’autre part, dans la note de l’évangile de Mikā’ēl Ambā, le métropolite Mikā’ēl se vante d’avoir oint sept rois. On peut douter de ces chiffres, certes, mais il n’est pas interdit de penser que Mikā’ēl connut plusieurs souverains éthiopiens et que parmi eux, l’un prit le pouvoir sans qu’il y ait unanimité autour de son nom. Rien n’indique pour autant que cela ait impliqué un changement dynastique. Et si Mikā’ēl dit vrai dans cette note, si ce sont bien sept rois qui se sont succédés à la tête de l’Éthiopie en un court laps de temps, on touche peutêtre alors du doigt quelques clés pour comprendre l’anonymat du souverain éthiopien dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie et la mauvaise qualité des données véhiculées dans les listes royales. On peut très bien imaginer que si, à chaque courrier, à chaque nouvelle ambassade, envoyée en Égypte puis d’Égypte en Éthiopie au cours des patriarcats de Macaire, Gabriel et Jean V – on peut compter au moins trois ambassades, circulant dans les deux sens, 181  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 56-57. 182  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1968, vol. 3, part. 1, p. 90-91. 183  C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 303.

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au cours de cette période –, le souverain éthiopien est différent, son nom n’a alors pas dépassé les cercles restreints des secrétariats du patriarche, du vizir et du calife et a été très vite oublié. De la même manière, les règnes brefs marquent rarement les mémoires, comme on peut le constater pour une toute autre période dans le royaume d’Éthiopie. Au début du xve siècle, en effet, plusieurs souverains se succèdent entre 1430 et 1434 et les chroniques abrégées qui sont les seules à renseigner les noms de ces souverains ne donnent pas la même version : parfois un seul roi occupa le trône sur cette période, parfois ce même roi et l’un de ses fils, parfois ce même roi et deux de ses fils. Les listes royales ne sont donc pas d’un grand secours pour venir confirmer ou infirmer une autre source, tant elles ont pu ne retenir que les règnes principaux. Le patriarche Jean vi et le roi Lālibalā S’il y eut un roi qui, au contraire, marqua les mémoires, y compris en Égypte, ce fut bien Lālibalā. Une grande partie de la biographie de Jean vi est consacrée à une affaire qui concerne l’église d’Éthiopie : l’envoi d’une ambassade par le roi Lālibalā au patriarche d’Alexandrie afin d’obtenir la nomination d’un métropolite ; la nomination de Mikā’ēl de Fuwwah, également appelé Kil, comme archevêque d’Éthiopie ; la fuite de ce métropolite depuis l’Éthiopie jusqu’en Égypte pour échapper à une révolte populaire le visant personnellement ; l’enquête menée par le patriarcat d’Alexandrie pour comprendre les événements qui ont conduit au retour de Kil ; la destitution de Kil, soupçonné d’avoir fait tuer un membre du clergé éthiopien et condamné par les Éthiopiens pour son mode de vie trop luxueux, et enfin la nomination d’un nouveau métropolite, Yesḥaq, pour l’Éthiopie. Cette partie de la biographie du patriarche Jean VI a été éditée et traduite par Jules Perruchon en 1898-1899, qui a fondé son analyse sur le manuscrit arabe 302 de la Bibliothèque nationale de France, daté du xve siècle184. Elle figure également dans l’édition et la traduction d’Antoine Khater et d’Oswald H. E. Burmester paru en 1970, qui ont travaillé à partir du manuscrit Hist. 1 du musée copte du Caire185, considéré comme le plus ancien manuscrit connu de la vulgate de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, daté du xiiie ou du 184  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898, p. 267. 185  Simaika 94 (Hist. 1B), Musée copte du Caire. Ce manuscrit a été microfilmé et est consultable en ligne sur le site http://arabic.coptic-treasures.com/manuscripts/coptic-­museumcairo.php, sous la référence CMB_10-9. Voir également W. F. Macomber, Final ­inventory of the Microfilmed Manuscripts of the Coptic Museum Old Cairo, Egypt, Rolls B7-11, Brigham Young University, 1995, p. 317-318.

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xive siècle186, collationné avec le ms. arabe 302 de la BnF qu’avait employé Jules Perruchon187. Parmi les témoins importants de la recension vulgate figure également le manuscrit Vatican arabe 620, daté du xviie siècle, mais considéré comme très proche du manuscrit du musée copte du Caire188. Ignazio Guidi s’est appuyé sur ce manuscrit de la Vaticane pour apporter des corrections à l’édition de Jules Perruchon, corrections intégrées en note de bas de page de l’article de Perruchon paru en 1899189. Les trois principaux témoins de la vulgate – qui en compte une cinquantaine – ont donc été pris en compte dans les travaux antérieurs pour établir deux éditions et traductions différentes de la biographie du patriarche Jean VI. Ces remarques sont essentielles car l’on verra que le texte pose par endroits quelques problèmes d’interprétation, problèmes qui ne semblent pas pouvoir être résolus à partir d’un retour aux manuscrits. Nous signalerons à chaque fois que nécessaire les divergences entre les manuscrits et les différentes interprétations fournies par les auteurs.

Au sujet de la recension primitive (représentée par les ms. Hambourg arabe 304, daté de 1266 et édité par Seybold, Paris arabe 303 et Le Caire, Patriarcat copte hist. 12) et de la « vulgate » de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, voir J. Den Heijer, « L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie : recension primitive et vulgate », Bulletin de la société d’archéologie copte, 27 (1985), p. 1-29 ; J. Den Heijer, et P. Pilette, « Murqus Simaika (1864-1944) et l’historiographie copto-arabe : à propos du manuscrit musée copte, hist. 1 », dans Christianity in Egypt : literary production and intellectual trends. Studies in honor of Tito Orlandi, éd. P. Buzi et A. Camplani, Rome, 2011, p. 227-250 ; J. Den Heijer et P. Pilette, « Transmission et diffusion de l’historiographie copto-arabe. Nouvelles remarques sur les recensions primitive et vulgate de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie », dans Cultures in contact. Transfer of knowledge in the Mediterranean context, éd. S. Torallas Tovar et J. P. Monferrer-Sala, Cordoue, 2013, p. 103-140 ; P. Pilette, « L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. Une nouvelle évaluation de la configuration du texte en recensions », Le Muséon, 126 no 3-4 (2013), p. 419-450, qui nuance considérablement la notion de « vulgate » en montrant la fluidité du texte en constante écriture et réécriture. En tout état de cause, s’agissant de la biographie du Patriarche Jean VI (74e patriarche), nous n’avons à faire qu’à la « vulgate », car la recension primitive concerne les parties traduites du copte en arabe à la fin du xie siècle ainsi que les Vies des patriarches rédigées par Mawhūb Ibn Manṣūr (66e et 67e patriarche), Ibn al-Qulzumī (68e à 70e patriarche) et le futur patriarche Marc (71e et 72e patriarche) (J. Den Heijer, « L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie : recension primitive et vulgate », 1985, p. 19). Au sujet du ms. hist. 1 du musée copte du Caire, voir J. Den Heijer, et P. Pilette, « Murqus Simaika (1864-1944) et l’historiographie copto-arabe », 2011, p. 229-250. 187  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. vii. 188  J. Den Heijer et P. Pilette, « Transmission et diffusion de l’historiographie copto-arabe », 2013, p. 112 ; « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 76 n. 1. 189  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 76 n. 1. 186 

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La notice dédiée au patriarche Jean VI est rédigée en 1221 par un Anonyme d’après certains auteurs, d’autres voient en lui Ma‘ānī Ibn Abī l-Makārim190. Quoi qu’il en soit, à la différence des auteurs précédents de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, il eut en main au moins une partie de la correspondance échangée entre l’Éthiopie et l’Égypte et cela explique les précisions qu’il est en mesure de fournir concernant le royaume éthiopien. Il était informé par différentes sources, aussi bien orales qu’écrites. Tout d’abord, il prit connaissance de la lettre annonçant la mort du métropolite éthiopien et réclamant la nomination d’un nouvel archevêque pour l’Éthiopie apportée par les membres d’une ambassade. La réalité de cette lettre est attestée par le témoignage d’‘Abd al-Laṭīf al-Baghdādī qui écrit au xiiie siècle une Relation de l’Égypte, dans laquelle il fait état de la famine qui sévit en Égypte dans les années 1200-1201, alors qu’il s’y trouvait. Cherchant les raisons de cette famine, il remarque que les crues du Nil cette année-là ont été très insuffisantes. À cette occasion, il signale la chose suivante : Au mois de schowal [šawwāl, 10e mois de l’année musulmane] arriva un ambassadeur du souverain d’Abyssinie, chargé d’une lettre par laquelle ce prince notifiait la mort du patriarche des Abyssins, et demandait qu’on en envoyât un autre à sa place. Il marquait dans cette lettre que les pluies avaient été médiocres cette année dans l’Abyssinie, et que c’était la cause pour laquelle la crue du Nil était si faible191.

Le contexte dans lequel ‘Abd al Laṭīf resitue l’arrivée de cette lettre du roi d’Éthiopie correspond tout à fait à ce qu’en dit l’auteur de la notice sur Jean VI puisqu’il précise que l’Éthiopie « était privée de pluie » depuis que le métropolite était mort192. L’auteur de la biographie du patriarche Jean VI dit aussi employer d’autres témoignages : celui des accompagnateurs du métropolite Mikā’ēl voyageant d’Égypte en Éthiopie jusqu’à la cour du roi éthiopien193 ; celui du métropolite Mikā’ēl lui-même, décrivant les circonstances de sa fuite depuis l’Éthiopie194 ; J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 11. Relation de l’Égypte par Abd-allatif, médecin arabe de Bagdad, éd. S. de Sacy Paris, 1810, p. 334. 192  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 78 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 186. 193  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 79 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 185. 194  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 79-80 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 186-187. 190  191 

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ou encore celui du prêtre Moïse et de l’un des disciples (du métropolite ou de Moïse, le texte n’est pas clair) qui l’accompagnait pour un voyage aller et retour vers l’Éthiopie visant à mieux comprendre les circonstances de la fuite du métropolite Mikā’ēl (Kil) depuis la « ville du roi »195. Cette seconde ambassade est revenue avec une lettre du roi d’Éthiopie dans laquelle celui-ci s’expliquait quant au départ de Mikā’ēl. L’emploi de lettres officielles comme source d’information transparaît au moins dans la fin de la notice sur le patriarche Jean VI, où l’auteur rappelle quel est le nom du roi, de sa femme, de ses enfants, et le nom de sa ville. Dans la correspondance que le roi Lālibalā a adressée au sultan et/ ou au patriarche, ce souverain s’est logiquement présenté en donnant une sorte de titulature. On trouve ce type de titulature dans les donations de terre de Lālibalā : « Moi, le ḥaḍāni Lālibalā, dont le nom de règne est Gabra Masqal, homme courageux qui n’est pas vaincu par l’ennemi, par la force de la Croix de Jésus-Christ, fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā, et le nom de ma femme (est) Masqal Kebrā »196. On peut d’ores et déjà remarquer qu’une partie du texte de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie recoupe cette titulature : Le nom du roi d’Éthiopie qui régnait alors était Lālibalah Ibn Šanūdah et son nom signifie le lion [asad] ; le nom de sa femme était Masghal Kabrā, qui signifie la croix est illustre197.

Le traducteur de la titulature du ge’ez en arabe s’est peut-être laissé distraire par la sonorité du nom ’Assedā avec le terme arabe asad, qui signifie lion. De là, peut-être, ce surnom de lion pour le roi Lālibalā, que l’on ne trouve dans aucun autre texte. Alors, se peut-il que Šanūdah soit une déformation de Žanśeyyum ? Difficile à établir. Mais on ne peut que remarquer à la fois la très grande proximité entre les deux titulatures et à la fois, la déformation subie entre la titulature en ge’ez, sa traduction en arabe et sa reprise dans la notice de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie.

195  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 80-81 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 187-188. 196  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 189-190. 197  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193, p. ١١٥ (115). Voir aussi la traduction de Jules Perruchon, « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 85.

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De même, notre auteur précise l’origine du roi Lālibalā. La race du roi (était) la tribu appelée An-Nakbah [Al-Bekunah]198 et sa résidence (était) la ville d’ ‘Arafah [Adafah]199, et il avait deux fils, le nom de l’aîné était Yatbārak et le cadet Abyāb (?) [’Atyāb]200.

Il pourrait s’agir de la nisba du roi Lālibalā, qui indique dans l’onomastique arabe une origine géographique (mais la forme devrait être « Al-Bekunī »). C’est une précision très courante dans l’arabe, mais qui ne fait pas partie des usages éthiopiens. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas mettre en parallèle un texte ge’ez avec celui-ci, démarche qui permettrait de mesurer la distance entre le ge’ez et l’arabe et de résoudre les problèmes de vocalisation. Il faut préciser ici que le texte arabe non seulement n’est pas vocalisé, mais que sont aussi souvent absents les signes diacritiques permettant de distinguer le bā’ du tā’ du ṭā’ du nūn ou encore du yā’. Ce qui rend la lecture des mots inconnus (noms de personnes, toponymes) particulièrement ardue et explique des propositions différentes en fonction des éditeurs. Jules Perruchon, à juste titre, a tenté d’identifier le mot ‫ الکٮه‬avec un toponyme connu par ailleurs, le Beg wenā ou Bugnā. D’où son hypothèse, qui ajoute un bā’ entre l’article défini et le reste du mot : ‫ ال َبکنه‬ou ‫( ال ُبکنه‬Al-Baknah ou Al-Buknah). De leur côté, Antoine Khater et Oswald H. S. Burmester ont fait un choix différent, indépendant de toute volonté d’identification avec un toponyme connu et ont donc choisi de transcrire ‫( النکبة‬Al-Nakbah/AnNakbah). Dans le premier cas, l’éditeur introduit une consonne entre l’article défini et le reste du mot, tandis que dans le second, la consonne est bien là, mais peut-être aussi bien un nūn, un bā’ un tā’ un ṭā’ ou un yā’. Enfin, le manuscrit arabe 620 de la bibliothèque Vaticane donne une lecture très différente puisque le pays d’origine du roi est écrit 201‫الٮلٮه‬, qui remplace le kāf par un lām et empêche tout rapprochement avec les interprétations opérées par les éditeurs ci-dessus. Ms. musée copte Hist. 1B, fol. 93r : on lit ‫ الٮکٮه‬qu’Antoine Khater et Oswald H. S. Burmester transcrivent ‫النکبة‬. Dans le ms. arabe 302, Bibliothèque nationale de France, fol. 152r : on lit ‫ الکٮه‬que Jules Perruchon a choisi de transcrire ‫ ال َبکنه‬ou ‫ال ُبکنه‬ 199  Ms. musée copte Hist. 1B, fol. 93r : on lit ‫ ﻋﺭﻓﻪ‬qu’Antoine Khater et Oswald H. S. Burmester transcrivent ‫ﻋﺭﻓﺔ‬. Dans le ms. arabe 302, Bibliothèque nationale de France, fol. 152r : on lit ‫ عدفه‬et quelques lignes plus haut, s’agissant du même lieu ‫عدَ ٯه‬. 200  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193, p. ١١٥ (115) et entre crochets, figurent les choix de traduction de Jules Perruchon (« Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 85). 201  Guidi, 1889, p. 178-179. Ignazio Guidi proposait pour sa part de corriger le nom de la tribu du roi en ‫( ﻻﺴﺘﻪ‬Lāstā) mais reconnaissait que cette lecture était incertaine. 198 

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Pour ‘Adfa, le problème est différent : sur les manuscrits arabe 302 de la BnF ainsi que 620 de la Vaticane202, la lecture ‫ عدفه‬ne pose pas de problème, mais rien ne dit que la vocalisation est bien celle retenue. Quant aux éditeurs travaillant à partir du ms. hist. 1 du musée copte du Caire, ils donnent : ‫ﻋﺭﻓﺔ‬, donc ‘Arafah, la lecture du rā’ ne posant ici aucun problème, et supplantant donc le dāl du manuscrit de Paris. On voit bien que les choix opérés par les éditeurs et les différences observées dans les copies conduisent à des hypothèses fort disparates et qu’il faut par conséquent garder en mémoire qu’al-Baknah/al-Buknah et ‘Adfah ne sont que des lectures possibles, même si ce sont à l’heure actuelle les plus plausibles. En effet, al-Baknah/al-Buknah serait une déformation de Beg wenā, une région située au sud du Takāzzē, abritant les églises de Lālibalā (voir carte 2)203, et citée dans les donations de terre de Lālibalā ; tandis que ‘Adfah est identifiée à Adafa204, présentée comme le « siège de la royauté » dans la Vie de l’un des saints-rois Zāg wē – Yemreḥanna Krestos – rédigée à la fin du xve siècle. Certains ont voulu voir dans cette ville d’‘Adfah une description des églises de Lālibalā, considérant que l’église de Gabri’ēl-Rufā’ēl était en fait le palais du métropolite Kil205. Nous reviendrons plus tard sur cette question qui au-delà de l’identification pose la question de l’identité des Zāg wē et de la capitale du royaume. La notice du patriarche Jean VI marque un tournant dans les sources arabes chrétiennes, car on atteint ici le sommet des connaissances rassemblées au sujet de l’Éthiopie. La chute n’en est que plus brutale. La biographie de ce patriarche clôt en effet la deuxième partie de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. La troisième partie, qui aurait pu nous informer sur les événements intervenus entre 1225 et 1270, date retenue pour la chute de la dynastie Zāg wē, n’a plus grand-chose à voir avec ce qui précède : de très brèves biographies de patriarches, quelques lignes seulement, qui ne permettent plus d’entrevoir l’histoire des relations entre l’Éthiopie et l’Égypte206. 202  I. Guidi, « Due notizie storiche sull’Abissinia », Giornale della Società Asiatica Italiana, 3 (1889), p. 178. 203  Au sujet de la région de Beg wenā dans l’histoire, voir M.-L. Derat, « Du Beg wenā au Lāstā », 2009, p. 65-86. 204  Voir notamment Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1270-1527, 1972, p. 59 n. 5 ou S. C. Munro-Hay, « Saintly shadows », dans Afrikas Horn. Akten der Ersten Internationalen Littmann-Konferenz 2. bis 5. Mai 2002 in München, éd. W. Raunig et S. Wenig, Wiesbaden, 2005 (Meroitica, 22), p. 154. 205  C. Lepage, « Un métropolite égyptien bâtisseur à Lalibäla (Éthiopie) entre 1205 et 1210 », Compte rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, janv.-mars 2002, p. 141174 ; J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 208-251. 206  J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 12-13.

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Une lettre du patriarche Cyrille Ibn Laqlaq (1235-1243) au roi d’Éthiopie Un dernier document vient compléter ce dossier sur l’Éthiopie vue d’Égypte : il s’agit d’une lettre envoyée par le 75e patriarche d’Alexandrie, Cyrille Ibn Laqlaq, à un souverain d’Éthiopie nommé « Askar Mu‘izz » (?). Elle a été retrouvée dans les archives du patriarcat au Caire à al-‘Abbasiya par Kurt J. Werthmuller207 et représente sans doute la copie que l’administration patriarcale conservait des correspondances échangées. Elle laisse entrevoir la richesse que ces archives, très difficiles d’accès, représente encore en termes d’informations nouvelles. Dans la mesure où cette lettre fait référence à la récente accession au siège de saint Marc de Cyrille III, il y a tout lieu de penser qu’elle a été composée peu de temps après son investiture, en 1235. Mais il n’est pas possible d’en déduire le nom du roi régnant alors en Éthiopie. Cette missive semble précisément annoncer au roi d’Éthiopie l’élection d’un nouveau patriarche. Ce dernier s’adresse directement au roi, l’enjoignant à gouverner son royaume avec justice, selon la loi chrétienne, en réprimant l’hérésie, en étant charitable et en observant personnellement les préceptes chrétiens, et en particulier les jeûnes et les prières. Ne faisant pas d’allusion à un contexte particulier, cette lettre résonne comme un message couramment envoyé à l’occasion d’un changement de patriarche. Il informe le roi éthiopien du nom de son nouvel interlocuteur et rappelle l’autorité que celui-ci exerce sur l’Église d’Éthiopie et sur le royaume. Il y a toutefois un détail qui mérite de mentionner ce document ici. En effet, le secrétaire qui a rédigé ce texte emploie des éléments de titulature pour s’adresser au roi éthiopien qui font écho à la titulature que l’on a déjà rencontré dans les archives du roi Lālibalā. Le roi éthiopien est celui « qui est victorieux par la Croix du Seigneur Christ »208, comme Lālibalā se dit homme « invincible par la puissance de la croix de Jésus Christ » (acte no 6, évangile de Dabra Libānos du Šemazānā). Les habitudes prises au cours du règne de Lālibalā, que nous avions constatées s’agissant des échanges entre le patriarche Jean VI et ce souverain éthiopien, ont perduré. Soit le roi nommé « Askar Mu‘izz » est le roi Lālibalā, mais cela paraît assez invraisemblable que le secrétaire du patriarche n’ait pas su son nom alors qu’il est capable d’employer une partie de sa titulature, soit le nouveau roi continue de se réclamer de cette titulature qui emprunte aux inscriptions aksumites, soit il s’agit

K. J. Werthmuller, Coptic Identity and Ayyubid Politics in Egypt 1218-1250, Le Caire, 2010, p. 27. 208  K. J. Werthmuller, Coptic Identity and Ayyubid Politics in Egypt 1218-1250, 2010, p. 142-143. 207 

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ici de la perpétuation de qualificatifs du roi éthiopien par une administration conservatrice. Il reste à élucider le nom donné au souverain éthiopien. « Askar Mu‘izz » ne semble ni traduire un nom de règne, du type Gabra Masqal – serviteur de la Croix –, ni transcrire maladroitement un nom éthiopien que l’on connaît par ailleurs. L’éditeur et traducteur de cette lettre, Kurt J. Werthmuller, ne donne par ailleurs pas accès au document original. Ce qui permettrait d’en contrôler la lecture. Il faut donc pour le moment se contenter de ce nom qui revient à considérer qu’il s’agit d’un souverain anonyme. Sans identification du souverain, qui serait essentielle dans la chronologie et la généalogie de la dynastie Zāg wē, cette lettre n’apporte donc que confirmation d’échanges réguliers entre l’Éthiopie et le patriarcat, bien plus sans doute que ne le laisse entendre l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. On pourra s’étonner de ne pas trouver dans ce dossier documentaire les textes des géographes arabes relatifs à l’Éthiopie, tels ceux d’al-Ḫwārizmī (début ixe siècle), d’al-Ya‘qūbī (fin ixe siècle), ou d’al-Idrīsī (xiie siècle), qui décrivent la région de l’Abyssinie aux périodes qui nous intéressent. Ce choix est délibéré. À l’heure actuelle, personne n’a trouvé de clé d’interprétation satisfaisante de ces textes qui donnent à voir une Éthiopie qui nous est inconnue par ailleurs. Ainsi, al-Idrīsī écrit au sujet de l’Abyssinie : La plus grande de toutes leurs villes est Junbaitah, une ville avec des habitations permanentes bien qu’elle soit construite dans une plaine déserte loin des villages, (ces villages et déserts) bordent le tributaire du Nil [la rivière Atbara], qui coule au travers du pays des Ḥabashah et sur ses bans se trouve la ville de Markaṭah et la ville de Najāghah209.

Al-Idrīsī est le premier à diffuser une information que de nombreux auteurs arabes après lui vont remployer, voyant dans Junbaitah (également rendu dans d’autres manuscrits sous la forme Hunbīta, Janbīta ou Janbiyya) une ville royale de l’Abyssinie210. Carlo Conti Rossini a tenté d’identifier ce toponyme en lui donnant une étymologie ge’ez. Junbaitah pourrait selon Cité par G.  Vantini, Oriental Sources concerning Nubia, Heidelberg, 1975, p. 278. La compilation des sources textuelles orientales concernant la Nubie, de Giovanni Vantini, est désormais consultable en ligne grâce au travail de G. Ruffini, R.  Seignobos et A.  Simmons. Voir  : http://www.medievalnubia.info/dev/index.php/ Giovanni_Vantini%27s_Oriental_Sources_Concerning_Nubia 210  G. Vantini, Oriental Sources concerning Nubia, Heidelberg, 1975, p. 278 n. 18 ; E. Godet, « Tableaux chronologiques relatifs à la fin de l’époque axoumite et à la période des Zagwés », 1988, p. 57. 209 

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lui retranscrire l’expression Jan-Biet (Ğān bēt) signifiant la « maison de sa majesté »211. Éric Godet a fait l’inventaire de ces villes royales évoquées dans les sources arabes entre le ixe et le xiiie siècle – Ku‘bar (Ka‘bar)212, Ğarmi (Ğarma), Ğanbiya (Ğunbiya) – en trouvant à chaque fois une étymologie qui évoque moins un toponyme qu’une qualité : glorieux pour Ku‘bar (en référence au ge’ez kebur), majesté ou gloire pour Ğarmi (en référence au ge’ez germa) et palais royal pour Ğanbiya, comme l’avait avancé Carlo Conti Rossini213. Mais ces étymologies, si elles donnent du sens aux observations des auteurs arabes, ne résolvent pas grand-chose et ne sont absolument pas assurées214. Aucune ville d’importance, qui pourtant aurait pu marquer le paysage si elle était construite en dur, comme le laisse entendre al-Idrīsī, n’a été identifiée sur le territoire bordant l’Atbara. La méthodologie employée par al-Idrīsī peut expliquer une confusion dans la localisation de cette ville royale, car ce savant a tenté de faire entrer dans la géographie de Ptolémée les informations recueillies auprès de voyageurs215. Les affluents du Nil, et par conséquent l’Atbara, sont particulièrement concernés par les difficultés rencontrées pour faire coïncider la conception ptoléméenne et la géographie empirique. L’exemple de Ğarmi illustre les procédés des géographes arabes. Ce toponyme est désormais envisagé comme un « fossile de la carte de Ptolémée »216, une information ancienne qui n’a pas été corrigée dans la géographie arabe parce qu’elle ne peut pas être remplacée par de nouvelles données. Concernant Ku‘bar, la seule information que l’on peut retenir est celle donnée par al-Ya‘qūbi (ixe siècle) qui, le premier, a C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, Bergame, 1928, p. 324. Il faut relever que l’emploi de l’expression Ğān bēt dans les textes éthiopiens n’intervient qu’au xviie-xviiie siècle, pour désigner une tour au sein de l’enclos des palais de Gondar, mais aussi une porte, un tribunal royal, et un corps de gardes royaux (S. Chernetsov, « Ğan Bet », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 683-684). 212  Voir également un point récent dans F. C. Muth, « Ku‘bar », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 445-446. 213  E. Godet, « Tableaux chronologiques relatifs à la fin de l’époque axoumite et à la période des Zagwés », 1988, p. 56-57. 214  Manfred Kropp doute que Ku‘bar, en référence à glorieux, renvoie à Aksum, de même que Junbaitah/Jan-Biet (Ğān bēt) soit la solution pour identifier le toponyme employé par Al-Idrīsī. M. Kropp, « La Corne orientale de l’Afrique chez les géographes arabes », 1992, p. 174, n. 33 p. 193, n. 49 p. 194. 215  Cette confusion a bien été démontrée s’agissant de l’île de Bilāq, en Nubie, par Robin Seignobos (R. Seignobos, « L’île de Bilāq dans le Kitāb Nuzhat al-Muštāq d’al-Idrīsī (xiie siècle). Généalogie d’une confusion », Afriques, débats, méthodes et terrains d’histoire, 2010). 216  M. Kropp, « La Corne orientale de l’Afrique chez les géographes arabes », 1992, n. 35 p. 193 ; S. C. Munro-Hay, Aksum, an African civilisation, Edinburgh, 1991 (Bibliotheca Nubica et Aethiopica), p. 98. 211 

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évoqué cette ville, en la situant « près du port » de Dahlak, donc sur la côte érythréenne217. Par conséquent, il n’est pas possible d’aborder la géographie politique du royaume éthiopien entre les ixe et xiie siècles à partir des textes produits par les géographes arabes parce que ceux-ci compilent des informations de diverses périodes tout en conservant des conceptions géographiques largement inspirées des travaux de Ptolémée. Tous les textes produits entre la fin du xie et le milieu du xiiie siècle, qui peuvent nous servir pour faire l’histoire de la dynastie zāg wē, sont donc rassemblés dans ce dossier documentaire. Au regard des sources dont nous disposons pour faire l’histoire du royaume chrétien d’Éthiopie au xive et surtout au xve siècle, c’est bien peu. Ce n’est pas tellement plus que la documentation (inscriptions et monnaies) que l’on peut employer pour travailler sur l’histoire du royaume d’Aksum. À quoi alors tient cette rareté ? On a souvent avancé l’idée d’une destruction volontaire de la documentation relative aux Zāg wē, dans un mouvement délibéré d’effacement de la mémoire de cette période. On ne peut pas totalement exclure cette possibilité. Mais il faut aussi remettre l’histoire manuscrite en Éthiopie en perspective. On considère que la traduction des Évangiles du grec en ge’ez est intervenue au vie siècle. Le seul manuscrit qui témoigne de ce mouvement de traduction sont – si la datation au carbone 14 de certains débris de parchemin est valide – ceux d’abbā Garimā218. Aucun autre manuscrit antérieur au xiiie siècle ne nous est parvenu, dans l’état actuel des connaissances – sans que l’on puisse arguer de problèmes particuliers de conservation –, alors que l’on peut retracer (et nous abordons cette question au prochain chapitre) la christianisation de l’Éthiopie entre le vie et le xiiie siècle, et donc le besoin grandissant de disposer des Évangiles dans toutes les églises fondées au cours de cette période. Sans parler des autres textes indispensables à la célébration des offices. De nos jours, les ecclésiastiques éthiopiens préfèrent montrer et employer des manuscrits de facture récente. Ils délaissent les plus anciens, trop endommagés et incommodes pour officier. Les copies récentes de la donation de Ṭanṭawedem ou de la note de Mikā’ēl Ambā sont probablement des témoignages plus anciens de ce goût pour le récent, qui favorise d’ailleurs une forme de conservation des textes, si ce n’est des objets. Peut-être est-ce là la seule

F. C. Muth, « Ku‘bar », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 445. 218  J. Mercier, « La peinture éthiopienne à l’époque axoumite et au xviiie siècle », 2000, p. 40 ; A. Bausi, « The “True Story” of the Abba Gärima Gospels », 2011, p. 17-20 ; J. K McKenzie et F. Watson, The Garima Gospels. Early Illuminated Gospel Books from Ethiopia, 2016, p. 40-41. 217 

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explication de la rareté des manuscrits anciens, et partant, de la rareté des sources concernant les Zāg wē. Malgré sa légèreté, ce dossier documentaire a considérablement évolué ces dernières années. La mise au jour de la donation de Ṭanṭawedem, qui vient souligner à quel point les travaux menés actuellement par différentes équipes dans la région du Tegrāy, visant à numériser des bibliothèques monastiques en leur entier, sont essentiels, a changé l’approche que l’on pouvait avoir de la dynastie Zāg wē. En localisant dans la région du Tegrāy de nouvelles donations, ce texte nous contraint à repenser le royaume des Zāg wē et à reconsidérer les lieux évoqués dans les autres textes connus : la note du métropolite Mikā’ēl et les donations du roi Lālibalā.

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L’émergence d’une nouvelle formation politique : le royaume du Beg wenā Après le déclin d’Aksum, qui intervient au viie-viiie siècle, on ne sait à peu près rien du royaume chrétien d’Éthiopie. Les éléments qui attestent de ce déclin sont relativement ténus et font appel à l’interprétation des vestiges archéologiques et à des informations relatives aux premiers disciples du prophète Muhammad, contraints de migrer hors de la péninsule Arabique et pour certains en Éthiopie. D’après les hadiths – traditions relatives à la vie de Muhammad – au cours du règne d’un souverain aksumite, le nağāši Aṣḥam ibn Abğar (identifié au roi aksumite Ella Ṣaḥam), qui serait mort en 630, il y eut des révoltes en Éthiopie même, qui signalent peut-être un affaiblissement du pouvoir royal à cette période1. Le monnayage disparaît au cours du viiie siècle et les dernières séries de monnaies montrent une certaine décadence : leur apparence est beaucoup moins soignée et le titre des monnaies d’or est de plus en plus faible2. Le dernier roi à battre monnaie est considéré comme étant Armaḥ, fils d’Ella Ṣaḥam, sous le règne duquel il n’y a plus de monnaie en or, sans doute parce que celle-ci n’était employée que pour le commerce international auquel Aksum ne participait plus3. À ce sujet, voir les synthèses réalisées par S. C. Munro-Hay, Aksum, an African Civilisation, Edinburgh, 1991, p. 258-262 et P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 184, ainsi que les travaux de W. Raven, « Some early Islamic texts on the Negus of Abyssinia », Journal of Semitic Studies, 33 no 2 (1988), p. 201-204 et U. Pietruschka, « Die ersten Muslime in Aksum – frühe arabische Berichte neu betrachtet », Folia Orientalia, 39 (2003), p. 35-45. 2  S. C. Munro-Hay, Aksum, an African Civilisation, 1991, p. 90-92. 3  D. W. Phillipson, Archaeology at Aksum, 2000, p. 485. Voir également en dernier lieu : P. Piovanelli, « Reconstructing the social and cultural history of the aksumite kingdom : some methodological reflections », dans Inside and Out : Interactions between Rome and the Peoples on the Arabian and Egyptian Frontiers in Late Antiquity (200-800 CE), éd. J. H. F. Dijkstra and G. Fischer, Louvain, 2014, p. 331-352, qui conteste un article récent de W. Hahn, « The Sequence and Chronology of the Late Aksumite Coin Types Reconsidered », Journal of the Oriental Numismatic Society, 205 (2010), p. 5-10, dans lequel celui-ci propose une nouvelle chronologie des rois aksumites où Armaḥ figure parmi les souverains du milieu du vie siècle, et non du viie. 1 

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Les fouilles menées à Aksum autour des stèles, par la section française d’archéologie, sous les auspices de Jean Doresse puis Henri de Contenson entre 1955 et 1959, induisent un abandon du site au cours du viiie siècle4. L’édifice de Dungur, fouillé par Francis Anfray entre 1966 et 1968 témoigne également d’un abandon dans les premières décennies du viie siècle5. Il faut noter toutefois que les recherches menées aux pieds de la cathédrale d’Aksum signalent une permanence de l’occupation des lieux et des aménagements après cette période6. De même, dans les fouilles menées par David Phillipson et son équipe à Aksum (de 1993 à 1997), en particulier à Kidane Mehret, dans le nord d’Aksum en contre-bas du « tombeau de Kalēb et Gabra Masqal », les dernières monnaies datant de la fin du vie et du viie siècle sont moins nombreuses, tout juste avant l’abandon des lieux7, à la fin du viie siècle8. Encore, sur le site de Maleke Aksum, aux pieds de la colline de Bēta Giyorgis, qui n’a fait l’objet que de sondages, des éléments faisant penser à des destructions ont été observés et datés de la fin du viie siècle9. Les travaux menés par Kathryn Bard et Rodolfo Fattovich à Beta Giyorgis (de 1993 à 2003) ont permis de montrer qu’à partir du vie-viie siècle, l’occupation de l’espace à Aksum a commencé à s’amoindrir et que cette diminution s’est encore accentuée au tournant du premier et du deuxième millénaire10. Il semble que la population ait alors drastiquement décru11. Certains auteurs considèrent qu’après le déclin d’Aksum, il y eut un transfert de pouvoir et emploient les auteurs arabes des ixe et xe siècles qui situent à Ğarmi/Ğarma puis à Ku‘bar/Ka‘bar la capitale du roi éthiopien12 pour étayer leur hypothèse. Plus tard, al-Idrīsī (xiie siècle) évoque une ville J. Leclant, « Les fouilles à Axoum en 1955-1956. Rapport préliminaire », Annales d’Éthiopie, 3 (1959), p. 3-23 ; H. de Contenson, « Les fouilles à Axoum en 1957. Rapport préliminaire », Annales d’Éthiopie, 3 (1959), p. 42, 101-106. 5  F. Anfray, Le site de Dongour. Axoum, Éthiopie. Recherches archéologiques, Hambourg, 2012, p. 7. 6  H. de Contenson, « Les fouilles à Axoum en 1958. Rapport préliminaire », Annales d’Éthiopie, 5 (1963), p. 13-14. 7  D. W. Phillipson, Archaeology at Aksum, 2000, p. 268, 485. 8  D. W. Phillipson, Archaeology at Aksum, 2000, p. 372-379. 9  D. W. Phillipson, Archaeology at Aksum, 2000, p. 382-386, 418. 10  R. Fattovich, « La civiltà aksumita : aspetti archeologici », dans Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, éd. P. Marrassini, Brescia, 2014 (Testi del Vicino Oriente antico, 9), p. 279. 11  D. W. Phillipson, Archaeology at Aksum, 2000, p. 486. 12  Voir notamment S. C. Munro-Hay, Aksum, an African civilisation, 1991, p. 94-99, 263, ou encore récemment S. C. Munro-Hay et D. Nosnitsin, « Danə’el », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 84 ; F. C. Muth, « Ku‘bar », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 445-446. 4 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

éthiopienne nommée Ğanbaita13. Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’il n’était pas possible d’employer ces sources pour dessiner la géographie politique de l’Éthiopie après le déclin d’Aksum. Tout juste pouvons-nous avancer l’hypothèse de l’émergence d’autres centres politiques, coexistant avec la cité d’Aksum. J’insiste sur cette notion de co-existence : Ku‘bar et Aksum sont peut-être des cités qui ont connu des développements concomitants sans qu’elles se succèdent forcément l’une à l’autre, et peut-être aussi sans que leur co-existence soit forcément belliqueuse. Le travail récent de François-Xavier Fauvelle au sujet d’Adulis induit à penser la co-existence de cités, et peut-être peut-on avancer qu’il s’agissait de cités-États, à la période pré-aksumite et aksumite14. Le roi d’Adulis qui fait graver une inscription en grec dans laquelle il fait part de ses victoires sur « les peuples défendus par de puissantes montagnes », parmi lesquels figurent les Agaze (sans doute les Aksumites), était probablement le souverain d’un royaume « tardi-hellénistique de la fin du ier siècle av. n.è. ou du tournant de l’ère », héritier de la station de chasse établie par Ptolémée III sur la côte érythréenne au iiie av. J.-C.15. Cette organisation sous forme de cités ou de petits royaumes a pu se prolonger sur la période qui commence avec le viiie siècle, avec Ku‘bar et Aksum, et sans doute d’autres formations politiques sur les territoires alentours. Tout comme aux iie et iiie siècles de notre ère (si l’on s’en tient aux datations acceptées pour certains textes épigraphiques), plusieurs royaumes coexistaient sur le territoire alentour d’Aksum : Anza, Matarā, Adulis16. Derrière une apparente continuité, en partie forgée par les sources et par l’historiographie, figure une réalité sans doute beaucoup plus complexe, mettant en jeu un abandon de la ville d’Aksum, des luttes de pouvoir au sein des élites du royaume, mais aussi l’éruption de nouvelles régions de pouvoir C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 324 ; J.-C. Ducène, L’Afrique dans le Uns al-Muhağ wa-Rawḍ al-Furağ d’al-Idrīsī, édition, traduction et commentaire, Louvain, 2010 (Lettres orientales, 15), p. 60-61. 14  F.-X. Fauvelle-Aymar, « Les inscriptions d’Adoulis (Érythrée). Fragments d’un royaume d’influence hellénistique et gréco-romaine sur la côte africaine de la mer Rouge », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 109 (2009), p. 135-160. 15  F.-X. Fauvelle-Aymar, « Les inscriptions d’Adoulis », 2009, p. 141-144. 16  Au sujet d’Anza, voir C. Conti Rossini, « Un iscrizione sul obelisco di Anza », Rassegna di Studi Etiopici, 2 (1942), p. 21-28 ; E. Littmann, « L’iscrizione di Anza », Rassegna di Studi Etiopici, 11 (1952), p. 5-8 ; A. J. Drewes, Inscriptions de l’Éthiopie antique, Leyde, 1962, p. 65-70, pl. 21-22 ; au sujet de Matara, voir en dernier lieu M. Kropp, « Die Stele von Matarā », dans In kaiserlichem Auftrag. Die Deutsche Aksum-Expedition 1906 unter Enno Littmann, éd. S. Wenig, Aichwald, 2006 (Forschungen zur Archäologie aussereuropäischer Kulturen, 3.1), tome 1, p. 321-328 ; F. Anfray, « Matara : enquête archéologique sur une cité antique d’Érythrée », Palethnologie. Archéologie et Sciences humaines, 4 (2012), p. 11-48 ; et F.-X. Fauvelle-Aymar, « Les inscriptions d’Adoulis », 2009, concernant Adulis. 13 

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marquées par des constructions d’églises, témoignant d’une christianisation plus poussée, christianisation en profondeur qui a pu engendrer une réaction au xe siècle, menaçant jusqu’aux fondements religieux du royaume, pour finir par la reprise de relations régulières et intenses entre l’Église d’Éthiopie et le patriarcat d’Alexandrie. C’est ce contexte qu’il convient de saisir, pour situer l’émergence d’une nouvelle formation politique au xie ou xiie siècle, que j’ai choisi de nommer le royaume du Beg wenā.

La « seconde christianisation » et l’apparition de nouveaux territoires chrétiens Avant le déclin d’Aksum, il est convenu de situer une phase de christianisation sous l’égide de moines venus des confins de l’empire byzantin, au cours du vie siècle. La « seconde christianisation »17, puisque tel est le nom que l’on donne à ce mouvement, est liée à la prédication et à la fondation de monastères par différents groupes de moines, connus comme étant les Neuf Saints (Afṣē, Alēf, Aragāwi, Garimā, Gubā, Liqānos, Ṣeḥmā, Ṗanṭalēwon et Yem’ātā), les Ṣādqān (les Justes) et des saints isolés, parmi lesquels figurent Libānos (ou Maṭā‘e18) auquel on attribue la fondation du monastère de Dabra Libānos dont nous avons déjà abondamment parlé. Leur activité est généralement située au vie siècle, au cours du règne de Gabra Masqal, une figure légendaire qui serait le fils du roi Kālēb, mais que l’on ne retrouve pas, sous ce nom, dans les inscriptions ou les monnaies aksumites19. La plupart de ces moines est présentée comme des religieux venant de « Rom », au sens de l’empire byzantin pour les auteurs éthiopiens. Leur origine a fait l’objet de nombreux débats : pour certains, ces moines avaient fui les persécutions qui ont fait suite au concile de Chalcédoine, et étaient des Syriaques. La tendance actuelle penche en faveur d’une autre hypothèse, après les travaux de Paolo Marrassini, qui à partir d’analyses linguistiques, a montré que ces moines

17  Le travail d’A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010 représente la synthèse la plus récente sur ce sujet. 18  La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, Louvain, 2003, p. xiv note 16 (texte). On sait avec certitude qu’au milieu du xive siècle Libānos était assimilé à Maṭā‘e (S. C. Munro-Hay, « Saintly shadows », 2005, p. 152). 19  E. Godet, Le monnayage de l’Éthiopie ancienne, 2003, vol. II, p. xxxii ; voir aussi P. Piovanelli, « Reconstructing the social and cultural history of the aksumite kingdom », 2014, p. 341-344 qui reprend tous les éléments concernant ce roi Gabra Masqal et montre qu’il s’agit d’une figure légendaire dont l’existence est tout à fait improbable.

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

étrangers étaient soit d’origine égyptienne soit Éthiopiens20. Certains de ces moines sont également crédités de la traduction de la bible du grec en ge’ez (c’est le cas en particulier de Libānos, auquel sa Vie attribue la traduction de l’évangile de Mathieu)21. Il faut toutefois souligner que les sources qui nous informent sur ces saints moines sont toutes très tardives et jamais antérieures au xive siècle22. Comme l’a si bien dit Stuart Munro-Hay, « les compilateurs ecclésiastiques ont créé un monachisme du passé à l’image de celui du présent, avec des abbés nobles, voire de sang royal, installés avec leurs disciples dans des régions relativement reculées et dont l’activité aurait eu un puissant impact sur les populations locales aussi bien que sur les dirigeants »23. Cet auteur estime de ce fait que l’existence même de ces moines est à questionner. En outre, selon un raisonnement circulaire, les fondations monastiques qui sont attribuées à ces moines sont communément datées de la période à laquelle l’historiographie attribue leur activité, le vie siècle. Qui plus est, Antonella Brita a montré que le groupe des évangélisateurs dits « les Ṣādqān », a évolué au cours de l’histoire, en nombre et en figures, et que l’on trouve des cycles très différents selon les régions et selon les périodes24. La Vie des Ṣādqān d’Ḥawzēn, l’un des cycles hagiographiques dédié à ce groupe, situe l’activité de ces moines à la toute fin du xiie siècle, au cours du règne d’Anbasā Wedem : en 1194, « après que furent passés les jours de Gudit »25. Il est difficile d’exploiter cette information pour établir avec certitude que l’un des mouvements de christianisation est bien à situer à cette période et non au vie siècle, car le manuscrit portant cette information a juste été mentionné et ne serait pas antérieur au xixe voire même au xxe siècle26. 20  Pour un exposé de ces débats et les derniers états de la recherche en ce domaine, on peut se reporter à A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 24-31 ; voir également P. Marrassini, « Some considerations on the problem of the “Syriac influences” on Aksumite Ethiopia », Journal of Ethiopian Studies, 23 (1990), p. 35-46 ; P. Marrassini, « Ancora sul problema degli influssi siriaci in età aksumita », dans Biblica et Semitica. Studi in memoria di Francesco Vattioni, éd. L. Cagni, Naples, 1999, p. 325-337. 21  La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, Louvain, 2003, § 30. 22  Voir notamment La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, Louvain, 2003, p. xxvii-xxxi ; S. C. Munro-Hay, « Saintly shadows », 2005, p. 140-141 ; A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 24. 23  S. C. Munro-Hay, « Saintly shadows », 2005, p. 142. 24  A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 3-6. 25  A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 4-5. 26  A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 4.

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Mais on touche peut-être du doigt ici les éléments qui permettront de changer les paradigmes de la recherche sur cette seconde christianisation, en étendant la période d’étude et la zone géographique. Sans aller jusqu’à exclure l’historicité de ces hommes qui auraient introduit le monachisme en Éthiopie, il faut peut-être considérer qu’ils incarnent des figures qui compilent en quelques vies des processus de christianisation et de développement du monachisme qui se sont produits sur un temps beaucoup plus long que le seul vie siècle et dans un espace qui ne peut se restreindre aux environs d’Aksum. Stuart Munro-Hay proposait d’expliquer la rédaction des Vies des neuf saints et de leurs coreligionnaires, aux xive-xve siècles, par la nécessité ressentie par les monastères du Tegrāy de se doter d’une histoire sainte qui viendrait en quelque sorte se positionner par rapport aux Vies des grands saints fondateurs de monastères des régions situées plus au sud que sont l’Amḥarā et le Šawā27, rédigées à la même période. Ce besoin d’histoire des communautés du Tegrāy, hypothèse très attrayante, n’induit pas nécessairement l’invention d’un passé, mais une construction savante fondée sur la mémoire attachée aux lieux. Or, si les acteurs de la seconde christianisation sont évanescents, il n’en est pas de même des vestiges chrétiens qui parsèment le territoire éthiopien, et en particulier le Tegrāy oriental, et qui témoignent d’un mouvement de christianisation qui ne s’est pas limité au vie siècle.

Les vestiges chrétiens du Tegrāy oriental : derniers témoins d’une christianisation en profondeur La « seconde christianisation » a laissé des vestiges, dont la répartition géographique peut venir combler les lacunes de la documentation écrite s’agissant de l’émergence de nouvelles régions de pouvoir. Il faut toutefois manipuler ce type d’informations avec prudence. Les ruines d’une église, une inscription, un trésor enfoui sont certes des indicateurs, mais ils ne sont que la partie sauvegardée d’une culture et d’un passé. Il faut donc aussi se poser la question de la conservation différentielle de ces vestiges et de la disparition du reste pour leur donner tout leur sens. Qui plus est, une différence profonde oppose les sites urbains qui se sont développés à l’époque aksumite et qui déclinent tous au tournant des viie et viiie siècles, tels Adulis, Matarā, Qohaito, Tokonda et Aksum28, et les sites que l’on peut attribuer aux périodes postérieures qui sont, sans exception, des vestiges d’édifices religieux (pour leur localisation, se reporter aux cartes 3 et 4). Les sociétés ne nous sont plus 27  28 

S. C. Munro-Hay, « Saintly shadows », 2005, p. 153-154. Voir à ce sujet notamment, F. Anfray, « Nouveaux sites antiques », 1973, p. 13-27.

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accessibles que dans leur dimension religieuse. Où sont les maisons, les demeures des élites, les postes de commerce ? Nous ne le savons pas, en grande partie parce qu’aucune fouille n’a été entreprise hors des sites urbains. Ce que nous disent les vestiges, c’est qu’entre le viiie et le xiie siècle la christianisation du Nord de l’Éthiopie actuelle s’est développée et qu’un mouvement de fondations d’églises particulièrement intense s’est concentré dans l’Est du Tegrāy, depuis le Šemazānā dans l’actuelle Érythrée jusqu’à l’Agāmē dans la région de Maqallē (voir carte 4). En 1973, Francis Anfray opérait un distinguo entre la région d’Aksum et ses flancs orientaux : De Koaito à Degoum, sur le plateau oriental, un groupe dense de sites compose une région d’intérêt capital. Elle se caractérise par le nombre de stations archéologiques, l’abondance de la poterie – nulle autre part en si grande quantité – la présence de piliers d’églises. L’ensemble atteste une prospérité particulièrement marquée dans la deuxième époque axoumite, sixième et septième siècles. La région d’Axoum, nonobstant le prestige et l’importance de la métropole, ne semble pas avoir connu une telle prospérité. Les sites sont moins nombreux. La poterie y est moins abondante, de formes et de décors plus simples […]. Comparativement aux vestiges du plateau oriental, les ruines d’églises se rencontrent en nombre restreint29.

Les travaux de prospection entrepris par Joseph Michels et son équipe entre Aksum et Yeha (à l’ouest d’Aksum) et par Catherine d’Andrea et son équipe dans la région du Gwelo Makādā (à l’est d’Aksum) tendent à confirmer ce déséquilibre : la densité de sites archéologiques, toutes périodes confondues, est presque six fois plus importante dans le Tegrāy nord-oriental que dans le Tegrāy occidental30. Qui plus est, cette densité a augmenté au fil du temps, en particulier à l’époque aksumite et post-aksumite31. L’une des hypothèses avancées pour expliquer le maintien sur le temps long de l’occupation humaine de la région et sa densification a trait à la position stratégique du Gwelo Makādā sur la route commerciale entre la côte et l’intérieur des terres32. Claude Lepage et Jacques Mercier, en se fondant sur leurs observations architecturales et stylistiques d’églises situées autour de la ville de Wuqro (Tegrāy oriental, au sud du Gwelo Makādā) ont avancé l’idée qu’« après la F. Anfray, « Nouveaux sites antiques », 1973, p. 20. A. C. d’Andrea, A. Manzo, M. Harrower, A. L. Hawkins, « The Pre-Aksumite and Aksumite Settlement of NE Tigrai, Ethiopia », Journal of Field Archaeology, 33 (2008), p. 156. 31  A. C. d’Andrea et al., « The Pre-Aksumite and Aksumite Settlement of NE Tigrai, Ethiopia », 2008, p. 158. 32  A. C. d’Andrea et al., « The Pre-Aksumite and Aksumite Settlement of NE Tigrai, Ethiopia », 2008, p. 169. 29  30 

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chute d’Aksum, a prospéré un état chrétien qui se réclamait de l’héritage aksumite puisqu’il a fait creuser une église dans laquelle ont été translatés les ossements tenus pour ceux des deux saints rois [Abrehā et Aṣbeḥa]. […] On est conduits à estimer que cet État était assez puissant pour entretenir des relations culturelles avec le monde extérieur »33. Cette hypothèse séduisante peut être poussée en prenant en compte non seulement les églises toujours sur pieds, mais aussi les vestiges archéologiques, et en étendant du nord au sud l’espace sur lequel on peut réaliser ces observations. Dans l’esprit de nombreux auteurs, les églises en question représentent le trait d’union entre Aksum et Lālibalā, aussi bien d’un point de vue stylistique que politique, comme une translation culturelle dont l’existence vient combler le vide laissé par le déclin d’Aksum au viie siècle, avant l’émergence de Lālibalā comme nouvelle capitale du royaume au début du xiiie siècle34. Si ces églises et les vestiges sur lesquels nous allons revenir peuvent être rapportés à une période qui couvre le fossé qui sépare le déclin d’Aksum de l’émergence de Lālibalā, ils ne disent rien d’une continuité politique. Ils signalent la co-existence puis la prééminence de sociétés qui choisissent de limiter les lieux de l’ostentation aux fondations religieuses. Pas de bâtiments civils prestigieux aux côtés d’églises et de sépultures grandioses, mais des églises. Il n’est pas nécessaire ici de reprendre de façon détaillée l’inventaire de ces églises et la manière dont Claude Lepage les date. Il suffit d’évoquer le fait qu’une dizaine d’églises ont été repérées dans cette région du sud-est du Tegrāy : Degum, datée entre le viie et le xe siècle35 ; Zāramā, datée du ixe siècle36 ;

C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien. Les églises historiques du Tigray, Paris, 2005, p. 19, 32-105. Claude Lepage en 2006 a publié un article complémentaire à l’ouvrage de 2005 dans lequel il souhaite « démontrer pour la période du viiie au xiie siècle, jusqu’ici âges obscurs de l’Éthiopie, l’existence de monuments chrétiens d’un grand intérêt : historique, religieux et artistique, et donc d’une présence, dans cette région au sud-est du Tigray, d’un pouvoir local politique et économique, en parfaite symbiose avec le religieux » (C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela : les églises du sud-est du Tigray (ixe-xiie s.) en Éthiopie », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, janv.-mars 2006, p. 10). 34  Voir par exemple, en plus de l’article de Claude Lepage cité à la note précédente, D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia. Fourth-Fourteenth Centuries, New Haven, 2009, p. 196-197. 35  C. Lepage, « Les monuments chrétiens rupestres de Degum », Cahiers archéologiques, 22 (1972), p. 167-200 ; C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 46-55 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 21. 36  C. Lepage, « L’église de Zarema (Éthiopie) découverte en mai 1973 et son apport à l’histoire de l’architecture éthiopienne », Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, juillet-octobre 1973, p. 416-454 ; C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 62-71 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 16. 33 

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Barāqit37, Hawzēn38 et Gāzēn39, considérées comme antérieures au xe siècle ; Dabra Salām Mikā’ēl, entre le viie et le milieu du xiie siècle40 ; Abrehā waAṣbeḥa41, Mikā’ēl Ambā42, Weqro Qirqos43 et Agewo Qirqos44 qui, par leur décor d’influence arabo-musulmane sont à dater entre le xe et le xiie siècle. Elles seraient toutes datées entre le viie45 et le xiie siècle et témoigneraient, toujours selon Claude Lepage, du développement d’une région fondé sur le commerce international puisque située sur les routes caravanières qui mènent aux mines de sel et à la côte de la mer Rouge. Les « seigneurs » à l’origine des fondations d’églises seraient soit les descendants des Aksumites qui ont fui le nord du royaume, soit les ancêtres des Zāg wē. Parmi ces églises figure celle de Mikā’ēl Ambā. La note de l’évangéliaire conservé dans cette église permet de dater sa consécration de 1149/1150 et fournit désormais un repère chronologique fiable. Pour sa part, Ewa Balicka-Witakowska a avancé l’idée, sur la base de ce document et d’une comparaison entre les églises de Mikā’ēl Ambā, Weqro Qirqos (Dangolo) et Abrehā wa-Aṣbeḥa, que ces trois sites sont le fait du programme de construction d’églises du métropolite Mikā’ēl46. Cela daterait donc ces trois églises du milieu du xiie siècle, mais sans plus d’argument en ce qui concerne Weqro Qirqos et Abrehā wa-Aṣbeḥa, qui ne sont pas évoquées clairement dans la note du métropolite Mikā’ēl. En outre, les travaux d’Emmannuel Fritsch sur les aménagements liturgiques des églises éthiopiennes ont permis de dépasser 37  C. Lepage, « L’église rupestre de Berakit », Annales d’Éthiopie, 9 (1972), p. 147-192 ; C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 56-58 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 22. 38  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 58-61 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 22. 39  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 90-93 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 22-24. 40  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 94-101 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 15. 41  C. Lepage, « Premières recherches sur les installations liturgiques des anciennes églises d’Éthiopie », Documents pour servir à l’histoire des civilisations de l’Éthiopie ancienne, CNRS RCP 230, 3 (1972), p. 84-87, 116 ; C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 7281 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 13-15, p. 22 n. 31. 42  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 82-85 ; C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 15. 43  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 86-89. 44  C. Lepage et J. Mercier, Art éthiopien, 2005, p. 102-103. 45  La plus ancienne d’entre elles serait l’église de Zāramā. Claude Lepage évoque une datation au carbone 14 qui confirme qu’elle est bien du premier millénaire (C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 15). Mais aucune information relative à cette datation n’a été publiée. 46  E. Balicka-Witakowska, « Ṣəra‘ Abrəha wä-Aṣbəḥa », dans Encyclopaedia A ­ ethiopica, éd. S. Uhlig et A. Bausi, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 630.

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le seul critère stylistique pour une datation de ces monuments. À la suite des remarques de Claude Lepage sur les chancels, il a fait un inventaire systématique des églises disposant de ceux-ci, témoignant ainsi d’une liturgie antérieure à la fin du xiie siècle. Ses observations permettent de confirmer que les églises de Mikā’ēl Ambā, Dabra Salām Mikā’ēl, Zāramā, Gāzēn, Abrehā waAṣbeḥa, Gundefru, Degum, Barāqit, Weqro Qirqos sont toutes antérieures au xiiie siècle47. Si l’on tente de faire une synthèse des prospections réalisées dans tout le Tegrāy oriental, incluant en particulier les vestiges archéologiques48, il y a en fait de nombreux autres monuments à prendre en compte. Peu sont datés – les sites ayant fait l’objet de nombreuses reconstructions et/ou démontages – et donc attribuables avec certitude à la période qui nous intéresse ici, c’est-à-dire du ixe au xiie siècle. Aussi je n’évoquerai que les sites que l’on peut situer chronologiquement, laissant de côté, à dessein, tous les autres. L’image est donc incomplète et biaisée mais elle permet de réaliser qu’un vaste territoire a été couvert d’églises à cette période et que les églises en question révèlent une maîtrise architecturale, des qualités artistiques, des moyens financiers et absolument pas une impression de décadence. Peut-être ce territoire se révèlera-t-il plus vaste quand les données archéologiques seront plus précises. Tout d’abord arrêtons-nous à Hām, un petit village situé à proximité du monastère de Dabra Libānos (là où est toujours conservé l’évangéliaire dont la couverture évoque le roi Salomon/Ṭanṭawedem, et dans lequel sont inscrites des donations de terre du roi Lālibalā). Hām est aujourd’hui en Érythrée, très proche de la frontière avec l’Éthiopie. Ce village dispose d’une église, dédiée à Marie, dans les murs de laquelle une inscription funéraire a été retrouvée49. L’inscription est dédiée à une femme nommée Giḥo, qui est C. Lepage, « Entre Aksum et Lalibela », 2006, p. 18. E. Fritsch, « Ethiopian liturgy and church architecture », Ethiopian Review of Culture, 14 (2011), p. 87-89 ; E. Fritsch, « Liturgie et architecture ecclésiastique éthiopiennes », Journal of Eastern Christian Studies, 64 no 1-2 (2012), p. 91-125, ainsi que E. Fritsch et M. Gervers, « Pastophoria and Altars : Interaction in Ethiopian Liturgy and Church Architecture », Aethiopica, 10 (2007), p. 7-51. 48  Le travail d’inventaire réalisé par Éric Godet est très commode (E. Godet, « Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites du Tigré (Éthiopie) », Abbay, 8 (1977), p. 19-58 ; id., « ­Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites d’Éthiopie du Nord, iie partie : Érythrée », Abbay, 11 (1980-1982), p. 73-113), d’autant que peu de nouveaux sites ont été mentionnés dans les travaux postérieurs. 49  Carlo Conti Rossini (C. Conti Rossini, « L’iscrizione etiopica di Ham », Atti della Reale Accademia d’Italia, Rendiconti della classe di scienze morali e storiche, serie 7, 1 (1939), p. 1-14) réalisa une première étude de cette inscription funéraire. Il remarqua tout d’abord (ibid., p. 10), en l’absence apparente de datation (ce que Manfred Kropp a contredit récemment) que l’emploi de barres transversales pour séparer les mots et non de deux points superposés, font de cette inscription un texte plus ancien que celui réalisé en l’honneur du ḥaḍāni 47 

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« fille de Mangaśā »50, inconnue par ailleurs. Cette inscription a été tout récemment datée avec certitude par Manfred Kropp, qui a montré qu’elle remontait au 23 décembre 87351. L’église elle-même n’est pas datée, elle a été reconstruite de nombreuses fois, mais conserve des vestiges anciens : piliers d’architraves monolithiques52, bassin en pierre, amphores, céramiques qui évoquent la période aksumite53 et une autre pierre sculptée, insérée en vis-à-vis de l’inscription funéraire, sur laquelle figure une croix et deux monogrammes54. Les alentours de l’église présentent également de nombreux vestiges du même type. L’inscription funéraire de Hām nous invite à retenir que cet ensemble était fonctionnel au ixe siècle. À la fin du ixe siècle en effet, une femme Giḥo qui était fille d’un personnage sans doute important – Mangaśā – puisque c’est ce qui la qualifie, est donc inhumée à proximité de l’église de Hām et une inscription funéraire est alors gravée, avec trois citations bibliques qui sont toutes évoquées

Daniel qui, précisément, emploie les deux points de séparation. Cette remarque l’amenait à penser que l’inscription datait du viie ou du viiie siècle (ibid., p. 14). De nombreux autres auteurs ont travaillé sur cette inscription, dont la quatrième ligne défiait les philologues. Gianfranco Fiaccadori (G. Fiaccadori, « Epigraphia Aethiopica », Quaderni Utinensi, 8 no 15-16 (1996), p. 325-327 et 328-331) a refait l’historiographie de la question, tout en proposant une solution pour cette quatrième ligne. Il a aussi souligné que les traits verticaux de séparation étaient encore employés au tournant des xiie et xiiie siècles dans les inscriptions sur bois des autels dédiés au roi Lālibalā (ibid., p. 326). Cette remarque est surprenante car Claire Bosc-Tiessé, qui a repris l’étude des inscriptions sur les autels de Lālibalā, n’a pas constaté cet état de fait. C’est la dernière proposition en date, celle de Manfred Kropp, qui emporte toutefois l’adhésion (M. Kropp, « “Glücklich, wer vom Weib geboren, dessen Tage doch kurzbemessen… !”. Die altäthiopische Grabinschrift von Ham, datiert auf den 23. Dezember 873 n. Chr », Oriens Christianus, 83 (1999), p. 162-176). 50  M. Kropp, « Die altäthiopische Grabinschrift von Ham », 1999, p. 167, 173. 51  M. Kropp, « Die altäthiopische Grabinschrift von Ham », 1999, p. 168-170. 52  Au sujet de ces piliers et de leur fonction, cf. E. Fritsch, « Twin pillars : an epistemological note in church archaeology », Annales d’Éthiopie, 25 (2010), p. 103-111. 53  F. Anfray, « Chronique archéologique (1960-1964) », Annales d’Éthiopie, 6 (1965), p. 7-8 ; E. Godet, « Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites d’Éthiopie du Nord », 1980-1982, p. 94. 54  C. Conti Rossini, « L’iscrizione etiopica di Ham », 1939, p. 8. Bernand, Drewes et Schneider (Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, éd. E. Bernand, A. J. Drewes, R. Schneider, 1991) ne reviennent pas sur ces monogrammes dans leur recueil. Pour Carlo Conti Rossini, au moins l’un d’eux vient du grec. En fait, il y a tout lieu de penser que l’inscription funéraire comme la croix sculptée viennent du même monument. Alessandro Bausi, que je remercie chaleureusement, a eu l’obligeance de me donner les photographies qu’il a prises à Hām lors de ses deux passages en 1993 et 1994. Les piliers monolithiques, les fenêtres sculptées dans la pierre et la croix gravée sur la pierre, entourée de deux monogrammes étaient alors en partie repris dans un bâtiment en ruine, situé à quelques mètres d’une église de construction récente.

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dans la liturgie des funérailles55. Nous ne connaissons aucune autre inscription funéraire chrétienne en ge’ez de ce type en Éthiopie56. C’est dire à la fois le caractère exceptionnel de cette épitaphe et le degré d’élaboration et de christianisation atteint par la société à laquelle appartenait cette femme : une christianisation avancée, la volonté de commémorer les morts, y compris ceux qui ne sont pas les plus fameux, des moyens financiers permettant de réaliser cette inscription sur pierre. Si Aksum décline, tel n’est donc pas le cas de la région de Hām à cette période. À côté du village de Hām, se dresse l’ambā, montagne tabulaire, sur laquelle l’église de Dabra Libānos a été construite. De petite taille, elle était sans doute déjà reconstruite dans les années 1940 lorsque David Buxton la visite. Carlo Conti Rossini, qui est passé en 1900 sur les lieux, ne donne aucun détail sur sa construction57. La description de Buxton est assez brève car il n’a pas pu entrer dans toutes les pièces du bâtiment. Toutefois, les photos qu’il livre permettent de remarquer un détail intéressant que nous relèverons pour une autre église (celle d’Urā Masqal, mais que l’on retrouve également à Mikā’ēl Ambā ou Yemreḥanna Krestos) : des fenêtres en pierre ajourées. David Buxton considère que l’église de Dabra Libānos doit être datée de la même période que celle de Dabra Dāmo58. Situé plus à l’ouest, du côté éthiopien de la frontière, le monastère de Dabra Dāmo compte plusieurs églises qui ont fait l’objet de destructions, reconstructions au cours des siècles. L’église principale dédiée à Za-Mikā’ēl Aragāwi (un saint éthiopien appartenant au groupe des Neuf Saints, que l’on estime avoir vécu au vie siècle) n’est pas datée avec certitude59. Le raisonnement circulaire M. Kropp, « Die altäthiopische Grabinschrift von Ham », 1999, p. 170-173 n. 21. Manfred Kropp discute cette question qui pose un problème puisque l’on considère communément que la traduction du Rituel des Funérailles (Maṣḥafa Genzat), de l’arabe en ge’ez, est intervenue au xive siècle (pour un point récent, voir A. Wion, « Onction des malades, funérailles et commémorations : pour une histoire des textes et des pratiques liturgiques en Éthiopie chrétienne », Afriques. Débats, méthodes et terrains d’histoire, 3 (2011). Mais il montre bien que le rituel pour les morts est l’un des actes chrétiens les plus importants et qu’il est assez improbable que l’Église éthiopienne n’ait eu aucun texte avant le xive siècle. 56  La seule autre inscription funéraire connue est une inscription grecque, trouvée sur le site du « tombeau » de Kalēb et Gabra Masqal (RIÉth 274), relevée par Nathaniel Pearce au début du xixe siècle. Tout récemment Gianfranco Fiaccadori a montré que cette inscription citait un passage biblique (un psaume) et pouvait être datée de la toute fin du ive siècle, mais peut-être aussi du viie ou du viiie siècle (G. Fiaccadori, « Un’epigrafe greca aksumita (RIEth 274) », dans EYKOΣMIA, Studi miscellanei per il 75° di Vincenzo Poggi S.J., éd. V. Ruggieri et L. Pieralli, Soveria Mannelli, 2003, p. 254). 57  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901. 58  R. Buxton, « The Christian Antiquities of Northern Ethiopia », 1947, p. 14. 59  Voir l’exposé des débats entourant cette datation dans D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia, 2009, p. 62-64. 55 

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qui tend à considérer que l’église est du vie siècle parce que le saint fondateur était contemporain du roi légendaire Gabra Masqal est très insuffisant. Il semble que l’église a été remaniée de nombreuses fois et que le bâtiment avant la restauration entreprise par Derek Matthews et Antonio Mordini à la fin des années 1940 attestaient de plusieurs périodes de construction et reconstruction : ainsi, des piliers monolithiques semblent avoir été réalisés à différentes périodes60, de même certains décors en bois sont clairement influencés par l’art arabo-musulman qui s’est développé notamment en Égypte61. S’il n’est pas possible de dater la première église construite à Dabra Dāmo, des arguments pour établir qu’à partir du xe siècle, il y eut des remaniements et par conséquent un réinvestissement des lieux sont relativement convaincants62. C’est d’ailleurs la datation retenue récemment par Francis Anfray, fin connaisseur de l’architecture aksumite et des vestiges de ce style63. Parmi ces arguments figurent les artefacts retrouvés sur le site. Le monastère de Dabra Dāmo semble en effet avoir abrité de nombreuses caches pour des trésors qui ont été déposés et oubliés là, à plusieurs reprises64. Parmi ces trésors, se trouvent des monnaies retrouvées pour l’essentiel dans l’ancien cimetière de la communauté, dirhams et dinars aux noms des califes omeyyades et abbassides, que l’on peut dater entre le viie et le xe siècle65. Enfin, des tissus anciens ont été retrouvés dans la sacristie de l’église, dans une autre cache et en vente en Égypte. Ces pièces d’étoffe sont pour certaines brodées avec des inscriptions en arabe que l’on peut rapporter aux ixe-xie siècles66. 60  D. Matthews et A. Mordini, « The monastery of Debra Damo, Ethiopia », Archaeologia, 97 (1959), p. 13, 31. 61  D. Matthews et A. Mordini, « The monastery of Debra Damo », 1959, p. 31-39. 62  R. Buxton, « The Christian Antiquities of Northern Ethiopia », 1947, p. 6-13. Buxton relève tout d’abord que les motifs employés dans les plafonds à caissons de bois représentant des animaux domestiques, des animaux sauvages, des oiseaux et des animaux fantastiques, qui appartiennent à un répertoire perse largement partagé ensuite, notamment en Syrie et en Égypte, où ces motifs se sont diffusés entre les ive et viie siècles (ibid., p. 11). Mais il reconnaît que ces caissons peuvent provenir d’autres bâtiments antérieurs (ibid., p. 13). Ceci dit, cette remarque plaide pour une datation plutôt basse. Il admet aussi que le plan de Dabra Dāmo rapproche l’église principale d’autres églises antiques, comme celle de Qohaito. Ce qui peut la rapporter à une datation plus haute. Mais de l’autre côté, il y a l’église de Yemreḥanna Krestos, datée du xiie siècle, qui partage de nombreux points communs avec Dabra Dāmo tout en marquant quelques innovations (multiplication des arches et omission des « liants ») qui laissent penser que Dabra Dāmo est antérieure. Si bien que Buxton avance l’idée que cette église pourrait être datée du ixe ou du xe siècle (ibid., p. 13). 63  F. Anfray, Le site de Dongour, 2012, p. 31. 64  F.-X. Fauvelle, Le rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, Paris, 2013, p. 127-133. 65  D. Matthews et A. Mordini, « The monastery of Debra Damo », 1959, p. 50-51. 66  A. Mordini, « Un tissu musulman du Moyen Âge provenant du couvent de Dabra Dāmmo (Tigrai, Éthiopie) », Annales d’Éthiopie, 2 (1957), p. 75-79.

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Nous reprendrons ici les conclusions de François-Xavier Fauvelle au sujet de cet ensemble67. Tous les artefacts datables nous ramènent à une période ultérieure au vie siècle. L’histoire de la communauté fut sans doute très mouvementée pour que des trésors soient enfouis, donc mis à l’abri des pillages, et pour que l’on oublie l’existence même de ces trésors. Ils révèlent toutefois la place importante de Dabra Dāmo, qui n’était peut-être pas qu’un haut lieu religieux, comme récipiendaire d’objets de luxe issus du grand commerce international (des monnaies kouchanes du iie et iiie siècle y ont aussi été mises au jour68), qui ont pu transiter soit par l’évêque égyptien et son ambassade, soit par les communautés musulmanes installées dans un relatif voisinage et qui étaient, elles aussi, connectées au monde marchand de la mer Rouge et de l’océan Indien. Ces communautés musulmanes sont encore très mal connues, mais l’une d’elle, installée à Kwiḥa, a laissé quelques traces. Viennent ensuite, dans la région de Gwelo Makādā, à l’est de Dabra Dāmo, plusieurs sites essaimés dans la vallée entre la montagne de Dongolo et l’ambā Feqada69. Certains sont des églises (Endā Māryām, Endā Takla Hāymānot, et peut-être aussi Endā Ṗēṭros), d’autres sont plus incertains (Manabiyāt). On retrouve par endroits les fameux piliers monolithiques, jamais en place. À Manabiyāt, un dallage de marbre à décor géométrique, « des éléments de pierre bien appareillés, des socles et des chapiteaux », disposés autour d’une église construite à l’emplacement de l’ancien édifice70. À Endā Māryām, une église maçonnée de style aksumite avec des solives débordantes (appelées « têtes de singe » dans les travaux sur l’architecture aksumite). Enfin, à Ečče Marā, un important édifice dans lequel une crypte a été réservée, et au fond de la paroi de l’une des salles souterraines, une croix gravée71. Rien a priori ne permet de dater ces vestiges, mais leur abondance dans cette vallée vient rappeler l’abondance des églises dans la vallée du Gar‘āltā. Qui plus est, ils sont localisés à proximité de l’église d’Urā Masqal, qui n’est signalée dans aucun inventaire. Pourtant, elle aussi présente des éléments anciens qu’il faut relever : piliers monolithiques, décors en panneaux de bois sculptés, éléments en bois peut-être constitutifs d’anciennes arches comme ceux relevés par David Buxton à proximité de l’ancienne église d’Aramo, entièrement détruite F.-X. Fauvelle, Le rhinocéros d’or, 2013, p. 132. A. Mordini, « Gli aurei kushāna del convento di Dabra Dāmmo », dans Atti del Convegno Internazionale di Studi Etiopici (2-4 avril 1959), Rome, 1960, p. 249-254. 69  E. Godet, « Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites du Tigré (Éthiopie) », 1977, p. 46, 47, 50, 53. 70  A. Miquel et J. Leclant, « Reconnaissances dans l’Agamé : Goulo-Makeda et Sabéa », Annales d’Éthiopie, 3 (1959), p. 108. 71  Ibid., p. 108. 67  68 

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au moment de son passage en 194572 et des fenêtres en pierre ajourées, éléments anciens repris dans l’église moderne. Or, nous savons avec certitude qu’au cours du règne de Ṭanṭawedem – pour le moment contentons-nous de le situer au xiie siècle – l’église d’Urā Masqal était richement dotée par le roi. Cela ne signifie pas qu’il en était le fondateur, même si ce type de donations foncières accompagne généralement la fondation d’une église, mais qu’il trouva un intérêt dans cette église du Gwelo Makādā. Plus largement, les autres vestiges de cette vallée, qui partagent de nombreux points communs avec ceux d’Urā Masqal, peuvent donc être attribués à une période antérieure ou équivalente au xiie siècle. Passons au-dessus de la vallée du Gar‘āltā pour nous arrêter précisément à côté de Kwiḥa, où au nord de la ville, se trouvent les vestiges d’un édifice à piliers à base carrée, qui est considéré comme étant « axoumite final ou, plus probablement, post-axoumite » par Éric Godet73. Ces vestiges en côtoient d’autres d’une égale importance : des inscriptions funéraires, cette fois-ci non pas chrétiennes, mais musulmanes, que l’on date très précisément entre les xie et xiie siècles74. Celles-ci commémorent des commerçants, dont l’origine a pu être retracée grâce à leurs noms de familles : les Yamāmī, originaires de la Yamama (Arabie orientale), ayant migré en direction des côtes égyptiennes et de la Haute-Égypte, d’où certains ont ensuite migré vers Dahlak et Kwiḥa75. La localisation à Kwiḥa d’une communauté musulmane s’explique peut-être par la proximité de la route caravanière menant aux mines de sel situées dans la dépression afar, plus à l’est76. Des commerçants avaient installé un comptoir au débouché de cette route sur le plateau éthiopien et se trouvaient par conséquent au voisinage immédiat des communautés chrétiennes. Enfin, notre ultime arrêt se situe à Nāzrēt, dans le village d’Addi Abun, où sont localisés les vestiges d’une église connue comme étant Māryām Nāzrēt. Éric Godet en donne la description suivante : « Église entourée par un vaste champ de ruines antiques à nombreuses colonnes aux angles cannelés. Elle est construite elle-même sur un édifice antique qui lui sert de podium ; il est

R. Buxton, « The Christian Antiquities of Northern Ethiopia », 1947, p. 14. E. Godet, « Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites du Tigré (Éthiopie) », 1977, p. 54. 74  M. Schneider, « Stèles funéraires arabes de Quiha », Annales d’Éthiopie, 7 (1967), p. 116. 75  G. Lusini, « Christians and Moslems in Eastern Tigrāy up to the xiv c. », Studi Magrebini, 25 (1993-1997 [2001]), p. 248-249 ; M. Schneider, « Des Yamāmī dans l’Enderta (Tigre) », Le Muséon, 122 no 1-2 (2009), p. 140, 146. 76  W. Smidt, « Kwiḥa », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 468-470. 72  73 

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encore haut de 9 m par endroits et comporte trois gradins, quinze piliers »77. Francis Anfray qui vit l’église en 1969 remarque qu’elle est construite dans le style aksumite mais qu’elle est sans doute plus tardive78. Enfin, Antonio Mordini qui la visita en 1940 et 1942 dit avoir réalisé un sondage à proximité de l’église duquel il a tiré des monnaies des rois Hataz et Gersem79 (viie siècle)80. Depuis la publication d’Antonio Mordini, cette église est connue comme étant l’église des métropolites égyptiens jusqu’au xie siècle. Cette réputation tient à plusieurs facteurs. Tout d’abord au nom du village : Addi Abun dont la deuxième partie renvoie au qualificatif employé pour désigner l’évêque égyptien, l’abuna. Ce toponyme n’est pas seulement moderne, il est relevé dès le xvie siècle par João Bermudes quand il parcourt la région81. Ce qui signifie qu’au moins depuis cette date Nāzrēt était considérée comme un lieu relié au métropolite, à l’abuna. Par ailleurs, une liste des métropolites conservée dans le manuscrit BNF Éthiopien 160 (fol. 90r), qui semble avoir été compilée au début du xvie siècle82, indique que six métropolites ont été inhumés en ce lieu, ils ne sont pas tous énoncés mais on trouve mention d’un certain Sawirus et d’un certain Mikā’ēl83. Or, ce sont des métropolites que l’on connaît par ailleurs par l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie : Sawirus était en charge au milieu du xie siècle et Mikā’ēl occupe la fonction une bonne partie du xiie siècle. Entre ces deux évêques, il y eut un certain Georges, mais qui fut renvoyé en Égypte par le roi éthiopien. La liste est peut-être fiable en cet endroit. Elle est de toute façon incomplète, y compris pour les périodes postérieures, mais l’auteur déclare lui-même, par endroits, que les noms des évêques ont été oubliés. Quoi qu’il en soit, toujours au début du xvie siècle,

77  E. Godet, « Répertoire de sites pré-axoumites et axoumites du Tigré (Éthiopie) », 1977, p. 54. 78  F. Anfray, « Notes archéologiques », Annales d’Éthiopie, 8 (1970), p. 36-39. 79  A. Mordini, « Informazioni preliminari sui risultati delle mie ricerche in Etiopia dal 1939 al 1944 », Rassegna di Studi Etiopici, 4 (1944-1945), p. 150 n. 2. 80  Je reprends ici les dernières datations proposées par P. Piovanelli, « Reconstructing the social and cultural history of the aksumite kingdom », 2014, et non celles établies par Mordini. 81  J. Bermudes, Ma géniale imposture. Patriarche du Prêtre Jean, éd. S. Rodrigues de Oliveira, Toulouse, 2010, p. 81. 82  H. Zotenberg, Catalogue des manuscrits éthiopiens (gheez et amharique) de la Bibliothèque nationale, Paris, 1877, p. 263. Le dernier métropolite évoqué dans cette liste est abbā Marqos dont il est dit qu’il fut inhumé à Ğegeñi (I. Guidi, « Le liste dei metropoliti d’Abissinia », ext. Bessarione, 1899, p. 3). Il s’agit du métropolite Marqos, contemporain du roi ­Lebna Dengel (1508-1540). 83  I. Guidi, « Le liste dei metropoliti d’Abissinia », ext. Bessarione, 1899, p. 2. Cette question est aussi discutée par S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 43-44.

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l’idée que Nāzrēt eut des liens particuliers avec les métropolites égyptiens circule, induisant cette fois-ci que cette église fut leur lieu de sépulture. La note de l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, écrite par le métropolite Mikā’ēl en 1149/1150, livre des éléments à la fois pour confirmer ce lien entre un évêque égyptien et l’église de Nāzrēt, et pour expliquer la manière dont la mémoire s’est ensuite emparée du lieu pour en faire l’église des métropolites. Cette note indique en effet que l’église de Nāzrēt aurait été fondée par notre évêque égyptien au milieu du xiie siècle. J’ai construit 70 églises, [dont] à Nāzrēt, quatre à Ṣālā‘et et une à Norā, et parmi elles une au nom de Marie et une autre aux noms de Michel et Gabriel, une troisième pour les quatre Vivants et les vingt-quatre prêtres du ciel, une quatrième pour les enfants qu’Hérode a tués et une cinquième pour les douze Apôtres84.

Cet extrait pose quelques problèmes d’interprétations. Il me semble qu’il faut comprendre ici, et ma traduction rend compte de ce choix, que Mikā’ēl a fait construire 70 églises au cours de sa charge, et parmi celles-ci, une à Nāzrēt, et cinq autres ailleurs, et que dans l’ordre, ces églises ont été dédiées à Marie, puis Michel et Gabriel et ainsi de suite. J’en conclus donc que l’église de Nāzrēt mentionnée en premier reçut un autel dédié à Marie. Et c’est bien sous ce nom encore, Māryām Nāzrēt, que l’église est connue. Récemment, Emmanuel Fritsch a pu confirmer l’attribution de cette église à un évêque égyptien par l’analyse de la liturgie dont témoigne l’architecture encore sur pied. L’église médiévale, ou du moins ce qu’il en reste, présente cinq sanctuaires (le plus au nord est pratiquement entièrement ruiné), qui communiquent les uns avec les autres. Ils ouvrent tous sur une nef à l’ouest. Une grande niche occupe le mur oriental de chacun des sanctuaires qui sont également tous surmontés d’une coupole. Le sanctuaire central se distingue des sanctuaires latéraux, sa coupole étant construite en cul de four. Tous ces éléments permettent de rapprocher l’architecture de cette église des églises coptes de la période fatimide. Elle peut notamment être comparée avec l’église principale du monastère de Saint Macaire dans le Wādī al-Naṭrūn, en particulier le sanctuaire dédié à Saint Marc85. Ce survol des sites religieux depuis le Šemazānā jusqu’à Nāzrēt, sans aucune doute incomplet et très rapide, révèle une densité importante d’églises, pour certaines en ruines, dont la construction peut être rapportée le plus Évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, fol. 102r-v. E. Fritsch, « New Reflections of the Image of Late Antique and Medieval Ethiopian Liturgy », 2016, p. 60-65 ; J. Leroy, La peinture murale chez les Coptes II : Les peintures des couvents du Ouadi Natroun, Le Caire, 1982, p. 11-12, fig. 28-70. 84  85 

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souvent à la période post-aksumite (inscription de Hām datant du ixe siècle, trésors de Dabra Dāmo constitués d’objets qui ne peuvent être arrivés en ces lieux qu’après le xe siècle). Qui plus est, trois sites sur ce parcours peuvent nous servir de pivot : Urā Masqal dans le Gwelo Makādā, richement dotée par le roi Ṭanṭawedem au cours du xiie siècle ; Mikā’ēl Ambā plus au sud, consacrée par l’évêque égyptien Mikā’ēl au milieu du xiie siècle ; et l’église de Māryām Nāzrēt, la plus méridionale de toute, fondée au milieu du xiie siècle par ce même évêque. Une christianisation plus profonde, marquée dans le paysage par les églises, mais aussi solidement implantée dans les esprits comme le révèle l’inscription funéraire de Hām, où l’on ne se contente pas de prier le Dieu chrétien, mais où l’on cite des extraits de l’Ancien et du Nouveau Testament, suscita sans doute des oppositions. La religion chrétienne n’était jusque-là que l’une des croyances de la région et les monnaies de certains souverains aksumites du viie siècle viennent nous rappeler que les cultes païens n’avaient pas été oblitérés et que les rois eux-mêmes continuaient de s’en réclamer. Ainsi, une monnaie du roi d’Aksum Gersem (viie siècle), retrouvée dans un sondage à Māryām Nāzrēt, porte au revers un signe, un croissant contenant un globe, que l’on trouve sur les monnaies antérieures au christianisme, symbole associé au dieu lunaire Almaqah. Mais sur le droit, ce même souverain tient une croix à la main86. Éric Godet considère pour sa part que ces symboles non-chrétiens ne peuvent pas exprimer ce qu’ils signifiaient en période pré-chrétienne : l’adhésion du souverain aksumite à ce culte. Il se demande si ce croissant et ce globe ne sont pas devenus de simples « armoiries »87. Sur la base de quelques monnaies, il est assez difficile d’être catégorique. Mais rien ne permet d’affirmer que suite à la conversion au christianisme du roi Ezānā au ive siècle, toutes les autres religions pratiquées dans la région d’Aksum88 disparurent soudainement. Il y eut sans aucun doute des résistances à la christianisation, ne serait-ce que de la part des desservants des sanctuaires dédiés aux divinités non chrétiennes. Les monnaies du roi Gersem témoignent peutêtre d’un désir de synthèse de la part d’un roi aksumite, pour se concilier toutes les parties. A. Mordini, « Su di un nuovo titulo regale aksumita », Rassegna di Studi Etiopici, 8 (1949), p. 11 n. 1. Voir aussi S. C. Munro-Hay et B. Juel-Jensen, Aksumite coinage. A revised and enlarged edition of the coinage of Aksum, Londres, 1995, type 147, p. 258-260, type 150, p. 263. 87  E. Godet, Le monnayage de l’Éthiopie ancienne, 2003, vol. 2, p. 102. 88  Au sujet des divers cultes pratiqués avant la christianisation, voir notamment P. Marrassini, « Lord of Heaven », 2012, p. 103-117 ; A. Manzo, « Snakes and Sacrifices : Tentative Insights into the Pre-Christian Ethiopian Religion », Aethiopica, 17 (2014), p. 7-24. 86 

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La prise en compte d’une résistance à la christianisation éclaire un épisode particulier de l’histoire éthiopienne, celui d’une reine païenne qui au xe siècle tua le souverain éthiopien et gouverna le royaume en détruisant les églises.

Une réaction païenne à la fin du xe siècle ? Les quelques textes qui nous livrent des informations sur le mouvement d’opposition apparu au xe siècle sont tous produits hors d’Éthiopie. Ibn Ḥawḳal (xe siècle) et un auteur égyptien anonyme (xe siècle)89 racontent que l’Éthiopie était gouvernée par une femme à l’époque à laquelle ils écrivent. Selon Ibn Ḥawḳal, celle-ci dirigeait le pays depuis de nombreuses années. Il déclare : Quant à l’Abyssinie, elle a pour souverain une femme depuis de nombreuses années. Cette femme est celle qui a tué le roi d’Abyssinie qui était connu avec le titre de ḥaḍāni. Et elle a continué à dominer son pays et ses régions jusqu’à aujourd’hui, et ceux qui sont limitrophes, depuis les terres du ḥaḍāni jusqu’à l’intérieur de l’Abyssinie90.

Avant de discuter du titre porté par le souverain d’Abyssinie – ḥaḍāni – arrêtons-nous sur l’identité de cette reine et ce dont témoigne son coup d’État. Pour situer plus précisément cet événement, on peut se référer à un auteur égyptien, qui précise qu’une ambassade yéménite fit cadeau d’un zèbre au souverain buwayhide d’Irak en 969/970, ajoutant que le zèbre provenait « d’une des régions d’al-Habaša (Abyssinie) sur laquelle règne une femme »91. Sans nous fournir une datation absolue du règne de cette femme, cette information nous apprend qu’avant 969/970 cette reine gouvernait déjà l’Éthiopie. Mais qui était-elle ? C’est par l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, dans la notice consacrée au patriarche Philothée (979-1003) rédigée par Michel, évêque de Tinnīs, au milieu du xie siècle92, que l’on en apprend plus à son sujet et concernant les événements qui entourent son apparition. En effet, le patriarche Philothée aurait reçu une lettre d’un souverain nubien, le roi Il s’agit de l’auteur du Kitāb al-dhakā’ir wa l-tuḥāf (Des trésors et des cadeaux précieux) qui écrit au xe siècle un traité concernant les cadeaux précieux échangés lors d’ambassades entre souverains (voir M. El-Chennafi, « Mention nouvelle d’une “reine éthiopienne” au ive s. de l’hégire/xe s. ap. J.-C. », Annales d’Éthiopie, 10 (1976), p. 119-120). 90  E. Cerulli, « L’Etiopia medievale », 1943, p. 273. 91  M. El-Chennafi, « Mention nouvelle d’une “reine éthiopienne” », 1976, p. 120. 92  J. Den Heijer, Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe, 1989, p. 9. 89 

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Georges, intercédant auprès de lui à la demande d’un roi éthiopien dont le nom n’est jamais donné. Ce dernier souhaitait qu’un métropolite soit nommé à la tête de l’église d’Éthiopie pour mettre fin à la vacance du siège depuis le patriarcat de Cosmas III (921-933). Cette vacance serait intervenue suite aux problèmes engendrés par la nomination unilatérale de l’assistant du métropolite Pierre comme métropolite d’Éthiopie, sans que cette nomination ait été initiée et validée par l’Église d’Alexandrie. D’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, six patriarches refusèrent ensuite d’envoyer un métropolite en Éthiopie. Et tous les maux dont le royaume eut à souffrir, y compris le coup d’État de notre reine, sont interprétés comme un châtiment divin pour « la fourberie et l’imposture » du souverain éthiopien contemporain du patriarche Cosmas III (921-933)93. Le roi d’Éthiopie adressa une lettre au roi Georges de Nubie et lui fit connaître combien le Seigneur l’avait châtié, ainsi que le peuple de son royaume. (Il lui raconta) qu’une femme, reine des Banū l-Ham(u)wīya, s’était levée contre lui et contre son pays, en avait emmené beaucoup de gens en captivité, avait brûlé un grand nombre de villes, dévasté les églises et l’avait chassé d’endroit en endroit. (Il ajoutait) que cette calamité qui l’avait frappé provenait de ce qu’avait fait au métropolitain le roi qui l’avait précédé, au temps de notre père Cosmas, par suite de la fourberie et de l’imposture que nous avons déjà racontées dans la vie de ce patriarche […]. Je te fais part de cela, ô mon frère, dans la crainte que la religion chrétienne ne s’évanouisse et ne disparaisse d’au milieu de nous ; car voici, six patriarches se sont assis (sur le siège d’Alexandrie) et ils ne se sont pas occupés de notre pays qui est abandonné, sans pasteur. Nos évêques et nos prêtres sont morts, les églises ont été détruites et nous avons reconnu que cette épreuve nous a été envoyée par un juste jugement, en punition de ce que nous avons fait au métropolitain94.

L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie nous apprend donc qu’une formation politique suffisamment puissante, dominant les Banū l-Ham(u)wīya, fut en mesure de s’affronter au roi des chrétiens, de le tuer et d’occuper son territoire, tout en faisant disparaître des symboles importants : les églises. On peut alors se demander si cette reine n’incarne pas un mouvement d’opposition au 93  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie, Lettre adressée par le roi d’Éthiopie au roi Georges de Nubie sous le patriarcat de Philotée (981-1002/3) », éd. J. Perruchon, Revue sémitique, 1 (1893), p. 362 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. Y. Abd al-Masih, O. H. E. Burmester, 1943, vol. 2, part. 1, p. 171-172. 94  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie, Lettre adressée par le roi d’Éthiopie au roi Georges de Nubie », éd. J. Perruchon, 1893, p. 362-363 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. Y. Abd al-Masih, O. H. E. Burmester, 1943, vol. 2, part. 1, p. 171-172.

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processus de christianisation. Ce mouvement ne semble pas être interne au royaume d’Aksum, mais il marque peut-être une réaction face à la poussée chrétienne. L’identification des Banū l-Ham(u)wīya a fait couler beaucoup d’encre, sans qu’aucune explication satisfaisante n’ait été apportée. Celle qui est le plus souvent retenue considère qu’à la place d’al-Ham(u)wīya, il faut lire al-Damutah et que par conséquent, notre reine aurait été la souveraine du Damot, une région située au sud du Šawā, où un royaume païen s’est semble-t-il suffisamment développé pour faire parler de lui au xiiie siècle95. Mais d’autres hypothèses ont été avancées, toujours à partir d’une nouvelle transcription d’al-Ham(u)wīya : al-Yahūdiya, faisant donc de notre reine une reine juive96, ou encore al-Haghouya, la reine des Agaws97, et enfin une reine Sidama du Bali98. Tardivement, cette reine est désignée dans la tradition éthiopienne comme étant la reine Gudit99. Mais aucun document contemporain ne fait mention de ce nom. Ces identifications, contradictoires, ne trouvent pas de confirmation particulière dans les sources. Il faut donc se résoudre à ne pas savoir qui était cette reine et sur quelle région se fondait sa puissance, sans toutefois oublier l’essentiel : dès le xe siècle, le royaume chrétien d’Éthiopie doit s’affronter avec d’autres forces politiques, qui ont le christianisme en ligne de mire. Lorsque le roi chrétien écrit au roi Georges de Nubie, il semble que la reconquête ait eu lieu mais que la reconstruction doive se faire, à commencer par la fondation de nouvelles églises. Or, l’absence de métropolite était un frein à cette reconstruction : pas de consécration d’églises, pas de nomination de prêtres. D’où l’urgence d’obtenir un évêque. Si le xe siècle fut particulièrement difficile pour l’Église éthiopienne puisque pendant de nombreuses années le patriarcat d’Alexandrie refusa de nommer des évêques, ce qui menaçait directement la survie de la communauté dans ses pratiques quotidiennes, il semble au contraire qu’à l’issue du cri d’alarme lancé par le roi éthiopien et C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 286. I. Guidi, « Due notizie storiche sull’Abissinia », Giornale della Società Asiatica Italiana, 3 (1889), p. 177. 97  Jules Halévy (1889, p. 457) cité dans Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. xi-xiii ; « Notes pour l’histoire d’Éthiopie, Lettre adressée par le roi d’Éthiopie au roi Georges de Nubie », éd. J. Perruchon, 1893, p. 71. L’article de Jules Halévy cité par Jules Perruchon, qui aurait été publié en 1889 dans la Revue des Études Juives, est un fantôme. Il ne se trouve pas dans la revue citée, qui a été dépouillée à l’aide de l’index alphabétique publié en 1910 pour les 50 premiers volumes. Le titre de l’article n’étant pas donné, il m’a été impossible de trouver cette référence. 98  G. Fiaccadori, « Bâli », La Parola del Passato, 47 (1992), p. 439-445. 99  Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 203, 226 et Sergew Hable Sellassie, « The Problem of Gudit », Journal of Ethiopian Studies, 10 (1972), p. 113-124. 95 

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transmis par le roi de Nubie en Égypte, le xie siècle vit la renaissance de cette Église, qui poursuivit et intensifia la christianisation de l’Éthiopie. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, à partir du milieu du xie siècle, les échanges entre l’Égypte et l’Éthiopie reprennent. Des ambassades circulent régulièrement entre les deux régions, non seulement pour réclamer l’envoi d’un nouveau métropolite et procéder à cet envoi, mais aussi dans le cadre de visites de contrôle (question de la polygamie, du tribut versé au sultan) ou de rejet de métropolites par l’Éthiopie. De ces visites régulières entre Éthiopie et Égypte, rapportées par les biographes des patriarches d’Alexandrie, nous pouvons tirer un enseignement supplémentaire. Malgré la fréquence des échanges et leur qualité, les biographes égyptiens ignorent le nom du roi éthiopien. Nous avons déjà avancé l’idée selon laquelle cela tenait peut-être au contexte politique éthiopien lui-même. Si, entre deux ambassades et/ou échanges épistolaires, le nom du roi change trop souvent, il est possible que les biographes, confus, aient choisi de ne pas mentionner de nom. Dans le même ordre d’idée, puisque nous avons insisté précédemment sur la probable multiplicité des formations politiques après le viiie siècle, et pourquoi pas la coexistence de plusieurs formations chrétiennes concurrentes, il est possible que cette concurrence se soit invitée dans les relations avec l’Église d’Alexandrie, créant de la confusion. Le long règne du roi Lālibalā, dont on sait avec certitude qu’il était en charge entre 1204 et 1225 – mais cette fourchette chronologique doit probablement être élargie de part et d’autre – permit sans doute son identification par le biographe du patriarche Jean VI. Mais peutêtre aussi est-ce à ce moment-là seulement que le royaume éthiopien capable de recevoir l’évêque égyptien est identifié comme étant celui sur lequel règne Lālibalā. Ce qui n’était peut-être pas une évidence auparavant.

Une nouvelle lignée royale : les ḥaḍāni C’est dans ce contexte de renaissance de l’Église éthiopienne, alors que les relations avec les patriarches sont régulières et suivies, qu’émerge une nouvelle lignée royale. Deux de ses représentants, Ṭanṭawedem et Lālibalā, sont à la fois rois et ḥaḍāni. Ce titre est employé pour désigner le roi d’Éthiopie dans le témoignage d’Ibn Ḥawḳal au xe siècle. Il figure également sur deux inscriptions non datées évoquant un ḥaḍāni Daniel, qui aurait remporté de nombreuses victoires et serait intervenu à Aksum pour porter secours à la ville. Mais il ne semble pas que Daniel soit alors roi. Est-ce que l’association du titre d’ḥaḍāni avec le souverain chrétien ne témoigne pas d’une évolution politique ? Les ḥaḍāni représentent-ils les successeurs des rois d’Aksum ou

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bien les descendants de dignitaires régionaux, ou d’une autre formation politique vers laquelle le pouvoir royal a basculé ? Pour tenter de répondre à ces questions, il est nécessaire de reprendre les pièces du dossier concernant les occurrences de ce titre dans la documentation éthiopienne, et en premier lieu les inscriptions concernant le ḥaḍāni Daniel.

Aksum et le ḥaḍāni Daniel Les inscriptions consacrées au ḥaḍāni Daniel ont été découvertes au tout début du xxe siècle, par la Deutsche Aksum Expedition (fig. 11, 12)100. Enno Littmann, leur premier éditeur, considérait qu’elles avaient été écrites entre 700 et 1100, une fourchette chronologique extrêmement large. Ces inscriptions sont aujourd’hui rassemblées dans un petit appentis construit à proximité de l’église d’Arbā‘etu Ensesā à Aksum. Deux d’entre elles (I et II101) figurent sur un piédestal102 qu’elles réemploient, oubliant la vocation première du monument, qui devait être posé à l’horizontal alors que les inscriptions induisent que la pierre soit fichée dans le sol, telle une stèle. La datation du monument d’origine ne nous est pas accessible non plus. Mais on peut d’ores et déjà remarquer que pour oblitérer le sens premier du monument, il a fallu que du temps s’écoule pour qu’il soit acceptable de le transformer, mais pas trop pour que la charge symbolique de la pierre ait une valeur suffisante et qu’elle fasse son effet. Sinon, l’inscription aurait aussi bien pu être écrite sur une pierre vierge. L’écriture est peu soignée, l’écartement entre les lignes est variable, les lettres sont parfois de guingois. Roger Schneider ajoutait que les lettres avaient été superficiellement gravées sur la pierre et que le support n’avait pas été préparé au préalable103. La langue employée est le ge’ez, il est vocalisé. La troisième inscription figure sur une autre pierre. Elle est assez différente des deux premières par la forme. Elle a été retrouvée à proximité du piédestal portant les deux autres inscriptions. C’est la raison pour laquelle elle leur est associée104. Pourtant, tout tend à montrer qu’elles n’ont aucune corDeutsche Aksum Expedition, Band 4, 1913, no 12 et 13. Pour reprendre le descriptif récent fait par F.-X. Fauvelle, Le rhinocéros d’or, 2013, p. 121122, avec lequel nous sommes allés observer les inscriptions de l’ḥaḍāni Daniel à Aksum, en décembre 2011. 102  On a longtemps considéré qu’il s’agissait d’un piédestal de trône, mais rien ne prouve que seul un trône s’encastrait dans les encoches que l’on peut observer sur la pierre. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’une statue (cf. F.-X. Fauvelle, Le rhinocéros d’or, 2013, p. 121). 103  R. Schneider, « Yuri M. Kobishchanow, Axum », Journal of Ethiopian Studies, 17 (1984), p. 163. 104  Abraham J. Drewes et Roger Schneider notent cependant « il est possible qu’elle ait fait partie de ce trône ». Ils émettent donc un léger doute (Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, 100  101 

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respondance, sauf la recherche d’une inscription antérieure pour valider celles du ḥaḍāni Daniel. Tout d’abord l’écriture est beaucoup plus soignée. Peu de passages sont difficiles à lire et s’ils le sont, c’est que la pierre est usée et non pas que l’inscription soit de mauvaise qualité. Ensuite, elle est écrite en ge’ez non vocalisé. Ce qui paraît étonnant s’il s’agit d’une inscription qui vient compléter les deux premières. Enfin, l’ḥaḍāni Daniel n’est jamais mentionné dans ce texte-ci. Il n’est question que d’un roi (ngś) d’Aksum. On ne peut donc pas employer ce texte pour en savoir plus sur le ḥaḍāni Daniel. En particulier, les informations selon lesquelles un personnage que l’on n’identifie pas a « subjugué le roi d’Aksum et l’aurait fait cesser de gouverner Aksum »105 ne peut s’appliquer au ḥaḍāni Daniel. Ce sont donc les deux premières inscriptions se référant explicitement au ḥaḍāni Daniel qui vont nous retenir. Que disent les inscriptions I et II ? Elles sont aujourd’hui quasiment impossibles à déchiffrer. Il faut donc s’en tenir au relevé réalisé par Enno Littmann au début du xxe siècle, qui pose cependant aussi des problèmes de déchiffrement et donc de traduction. Les éditions réalisées par Enno Littmann d’une part et par Abraham-Johannes Drewes et Roger Schneider d’autre part diffèrent en de nombreux points. Mais quelques éléments peuvent être soulignés. Ces inscriptions sont faites pour honorer la figure d’un certain Daniel, chrétien, qui porte le titre d’ḥaḍāni. Ce Daniel se dit « fils de Dabra Afrēm », ce qui semble le rattacher à une institution religieuse, dabra désignant généralement un monastère. Mais l’identification de la communauté d’Afrēm est problématique et aucune proposée jusqu’à présent n’est vraiment satisfaisante106. Pour certains, cette filiation signale l’« usurpation » du titre de ḥaḍāni par un moine107. Daniel évoque également un autre ḥaḍāni, nommé Karurāy. Ce qui implique que ce titre n’est pas seulement associé à Daniel. Daniel aurait combattu de nombreux peuples et régions et réalisé d’importants butins. Dans la seconde inscription, il fait allusion à des gens de Walqayit 1991, vol. 1, p. 283, RIÉth 194). 105  S. C. Munro-Hay et D. Nosnitsin, « Danə’el », 2005, p. 84. 106  Voir notamment Irvine (A. K. Irvine, « Däbrä-Férém », dans The dictionary of Ethiopian biography, I. From early times to the end of the Zagwé Dynasty c. 1270, éd. Belaynesh Michael, S. Chojnacki, R. Pankhurst, Addis Ababa, 1975, p. 45) qui identifie Dabra Afrēm non pas à un lieu mais à un personnage ; ce à quoi Fiaccadori (G. Fiaccadori, « Epigraphia Aethiopica », 1996, p. 327-333) répond en émettant l’hypothèse que Dabra Afrēm soit un lieu et l’identifie avec l’église liée à Ferēmona (contracté en Ferēm ou Afrēm), le premier évêque de l’Église éthiopienne, située à proximité d’Adwa, à quelques kilomètres au sud-ouest d’Aksum (l’église d’Endā Giyorgis) ; et la synthèse de S. C. Munro-Hay et D. Nosnitsin, « Danə’el », 2005, p. 84. 107  Telle est la conclusion à laquelle Fiaccadori (G. Fiaccadori, « Epigraphia Aethiopica », 1996, p. 328) parvient.

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qui seraient venu à Aksum et contre lesquels il fut obligé de se battre108. Ces inscriptions sont donc employées pour faire connaître les victoires de Daniel, en particulier à Aksum. Le remploi d’une pierre d’un monument précédent prend donc tout son sens ici. Daniel recycle un ancien monument symbolisant la puissance aksumite pour faire savoir qu’il est celui qui a sauvé Aksum. Généralement, il est admis que ces inscriptions remontent à une période allant du ixe au xiie siècle. Les raisons objectives pour cette datation sont assez minces : elles sont liées au titre d’ḥaḍāni et aux sources qui en font mention par ailleurs. Rappelons que Lālibalā porte ce titre, tout comme celui de roi (neguś), de même que Ṭanṭawedem qui semble employer indifféremment dans la donation de terre à Qefereyā le titre de ḥaḍay et ḥaḍāni, et est par ailleurs qualifié de roi (neguś) sur la croix d’Urā Masqal. C’est d’ailleurs parce que Lālibalā est ḥaḍāni qu’on situe le terminus ante quem des inscriptions de Daniel au xiie siècle. Comme ce titre est employé par ailleurs par Ibn Ḥawḳal dans la deuxième moitié du xe siècle, pour qualifier le roi éthiopien tué par la reine des Banū l-Ham(u)wīya qui s’empara du royaume éthiopien109, la tendance a été de situer l’inscription de Daniel dans cette fourchette, entre le ixe et le xiie siècle110. Traduction de la première inscription par Enno Littmann (no 12) 1. Im Namen des Vaters und des Soh2. nes und des heiligen Gei3. stes. Ich scrieb [dies], Ḥaṣā4. ni Dān’ēl, der Sohn von Da5. bra Fērēm (?). Es kam (?) . . . 6. Ḥaṣāni Karurāy (?) . . . 7. sie griffen ihn an. Und ich schwur, daß, wer 8. . . . . . . . . . . . 608 (?) 9. Füllen (?). Und ich erbeutete 10.000 Ochsen und 10. 130 Stiere. Und unsere 11. Diener (?), die immer . . . . . . die rief 12. ich. Und es war keiner, der mir Gutes tat,

Traduction de la seconde inscription par Enno Littmann (no 13)111 1. Im Namen des Vaters und des Sohnes 2. und des heiligen Geistes ! 3. Ich [bin] Ḥaṣāni Dan’ēl, 4. der Sohn von Dabra Fē5. rem. Als abtrünnig wurde das Volk von Wal 6. qāyit, dem Lande von ḤSL, 7. und nach Aksum kam und seine 8. Schönheit (?) zerstörte und hartnäckig wurde, da 9. bekämpfte ich sie und erbeutete 10. 5000 Füllen und 802 (?) Rinder. 11. Und ich ließ sie sieben (?) 12. Monate und Zeiten zubringen. Und dar-

Deutsche Aksum Expedition, Band 4, 1913, p. 45. E. Cerulli, « L’Etiopia medievale », 1943, p. 273. 110  Voir en tout dernier lieu S. C. Munro-Hay et D. Nosnitsin, « Danə’el », 2005, p. 84. 111  Deutsche Aksum Expedition, Band 4, 1913, p. 43, 45. 108 

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13. außer 30 Leute, alle . . . . . 14. . . . . . Sie kerhten um und zogen nach Ka15. salā (?) und verließen (?) mich nicht und . . . . 16. die Botschaft auszuziehen, und die gehen 17. Geschenke zu geben. Und ich . . . . . die 18. nach Kasalā kamen . . . . . . . . . . . . . . 19. . . . und sie plünderten (?) die Bāryā. Beute 120 20. Stiere (?) . . . . . und 200 Schafe 21. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23. . . . . . und verfluchte (?) sie auf ewig. 24. Und sie sprachen zu mir : « Dein Land ! Wehe ! » 25. Als ich diese Worte hörte, 26. wunderte ich mich (?) und . . . . . . . . . 27. . . . . . . . tun (?); meine Dolmetscher 28. rieten ihnen (?), und ich ging fort. Und als 29. sie sich mir feindlich zeigten . . . . . . . . . 30. . . . . . und ich forderte Rechenschaft von ihnen in 31. . . . . . und bekämpfte sie und er32. beutete ungeheure (?) Beute: 17.830 33. Füllen (?), 10.030 (?) Ochsen, und 34. ich nahm 30 Stämme gefangen.

13. auf ließ ich in ein Land unseres 14. Vaters (?) ziehen, mit Namen Māya ṢLṢL (?) und ich erbeutete 15. 10.000 Schafe . . . . . . . . . . . . 16. . . . . 3000 Rinder . . . . . . . 17. und ich zog dahin, indem meine Leute 18. Überfälle und Beute machten. Und sid kanten 19. heim, als ich [dort] ankam, am Tage . . . . 20. . . . . . unser Einzug vor . . . . . . 21. . . . . . Beute . . . . . . . . . . . . . 22. . . . . wir warteten (am) Gehege . . . . . 23. . . . . ich plünderte es . . . . . . .

Il faut alors se demander si Daniel était roi. Dans l’affirmative, cela signifie que son règne peut se situer à n’importe quel moment de la fourchette définie plus haut. En revanche, si l’on répond par la négative, l’information d’Ibn Ḥawḳal devient un terminus ante quem : Daniel est peut-être celui qui, avant le xe siècle, permit à ceux qui se faisaient appeler ḥaḍāni de devenir roi.

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On ne trouve la mention de roi que sur l’inscription figurant sur la pierre retrouvée à proximité du piédestal, dont on a tout lieu de penser qu’elle n’est pas liée au ḥaḍāni Daniel, même si sa présence aux côtés du piédestal n’était peut-être pas fortuite. Ceci dit, dans la donation de Ṭanṭawedem, le souverain ne se nomme jamais roi, mais seulement ḥaḍāni. Il est roi (neguś) sur l’inscription figurant sur la croix d’Urā Masqal. Il est donc pour l’heure très difficile de trancher quant à la fonction de Daniel et quant à la datation de ces inscriptions. Toujours est-il que Daniel vint à Aksum faire connaître ses victoires en faisant inscrire sur une pierre remployée le détail de celles-ci, rappelant qu’il avait même défendu la ville. Ces deux inscriptions signalent qu’Aksum avait perdu sa prééminence, et que ses monuments pouvaient être remployés pour pasticher les stèles de victoires érigées par les rois d’Aksum des ive-vie siècles. Il est donc peu probable que ces inscriptions, si mal exécutées, aient été réalisées dans les premiers siècles du déclin d’Aksum. Hors d’Aksum, une « lignée » d’ḥaḍāni était suffisamment puissante pour venir prêter main forte à la population aksumite et se battre contre de nombreux ennemis. Plusieurs pouvoirs chrétiens, concurrents, cohabitaient peut-être alors dans le Nord de l’Éthiopie avant le xe siècle : celui incarné par le ḥaḍāni Daniel et le ḥaḍāni Karurāy et celui incarné par Aksum. Au xe siècle, le roi chrétien éthiopien est le ḥaḍāni nous dit Ibn Ḥawḳal, mais il a été renversé par un coup d’État qui symbolise peut-être une réaction païenne à la christianisation. Il faut ensuite attendre les règnes de Ṭanṭawedem et de Lālibalā pour que le titre d’ḥaḍāni réapparaisse et soit associé au roi chrétien.

Les titulatures de Ṭanṭawedem et Lālibalā : rois et ḥaḍāni Pour rappel, la titulature de Ṭanṭawedem figure à la fois dans la donation à l’église de Qefereyā, où il se dit ḥaḍay à six reprises et ḥaḍāni, une seule fois : « […] Moi, ḥaḍay Ṭanṭawedem, dont le nom de règne est Salomon, et mon surnom est Gabra Madḫen », et sur la croix d’Urā Masqal, où il se présente comme un roi (neguś) : « J’ai acquis cette croix, moi Salomon le roi [neguś], fils de Murārā, et mon nom est Ṭanṭawedem ». Lālibalā quant à lui, se présente comme ḥaḍāni et roi dans les donations conservées dans l’évangéliaire de Dabra Libānos du Šemazānā : « Moi, le ḥaḍāni Lālibalā, dont le nom de règne est Gabra Masqal, homme courageux et invincible par la puissance de la croix de Jésus Christ, fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā » et quelques lignes plus loin « moi, le roi Lālibalā ». Il est roi (neguś) dans la donation de terre à l’église de Bēta Madḫānē ‘Alam à Lālibalā ainsi que sur les inscriptions sur les meubles d’autel conservés à Lālibalā.

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Le terme d’ḥaḍāni est donc employé dans certaines circonstances et peut être oublié dans d’autres. Neguś pourrait désigner la fonction, de manière générique, tandis que ḥaḍāni comme ḥaḍay serait une épithète visant à honorer la personne royale, si l’on traduit ḥaḍay par majesté. Mais il est surprenant que dans un texte à la première personne du singulier, le souverain emploie une épithète pour se qualifier lui-même. Il faut donc comprendre ḥaḍāni comme un titre, témoignant d’un lien réel ou revendiqué avec les ḥaḍāni des siècles passés. Titre qui n’a pas sa place dans tous les documents. Peut-on pousser le raisonnement jusqu’à mettre en lien l’étymologie du terme ḥaḍāni – nourricier – avec le fait de donner des terres ? Mais la donation à l’église de Bēta Madḫānē ‘Alam par le roi Lālibalā fait obstacle à cette hypothèse puisque le roi ne se dit pas ḥaḍāni. Ou bien penser qu’en plus de l’étymologie, ce titre n’avait de sens que dans certaines régions, celles du Tegrāy, et pas ailleurs ? Ce qui impliquerait une dimension territoriale pour ce titre. Il paraît délicat d’aller plus avant. Quoi qu’il en soit, les rois Ṭanṭawedem et Lālibalā appartiennent à une lignée royale qui choisit de porter le titre d’ḥaḍāni, probablement en souvenir de son origine, réelle ou revendiquée : ils sont les descendants d’une lignée qui, déjà au xe siècle, d’après le témoignage d’Ibn Ḥawḳal, était de rang royal. Une mention plus tardive de ḥaḍāni peut nous éclairer pour comprendre ce à quoi ce titre pouvait faire référence. Dans l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon, texte épique qui décrit les campagnes du roi chrétien Amda Ṣeyon (1314-1344) contre les sultanats musulmans voisins de son royaume en 1332, dont la rédaction finale est à situer au xve siècle, mais faisant état d’un noyau sans doute contemporain des événements, il est fait mention d’un ḥāḍānē du Sagarāt112. Ce titre figure également dans une donation de terre du roi Amda Ṣeyon pour l’église de Ḥayq, conservée dans l’évangéliaire de Dabra Ḥayq113. Il est donc certain que le titre de ḥāḍānē était toujours employé au début du xive siècle. Il avait alors une assise régionale : le dignitaire qui le portait était le gouverneur de la région de Sagarāt, située d’après l’ordonnancement géographique de la liste dans laquelle il figure, au sud de l’Angot. Il me paraît délicat de postuler qu’à l’époque de l’ḥaḍāni Daniel, à celle de l’ḥaḍāni évoqué par Ibn Ḥawḳal (xe siècle), ou encore au cours des règnes de Ṭanṭawedem et Lālibalā (xiie-xiiie siècles), cette région de Sagarāt était déjà celle qui insufflait leur pouvoir à ceux qui étaient non seulement ḥaḍāni, mais rois. Il faut Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 4 n. 29. 113  Taddesse Tamrat, « The abbots of Däbrä-Hayq 1248-1535 », Journal of Ethiopian ­Studies, 8 (1970), p. 96-97. 112 

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peut-être voir un mouvement quelque peu différent : quand les ḥaḍāni n’ont plus exercé la charge suprême, leur pouvoir a pu se contracter sur une région qui représentait alors le rétrécissement ultime de leur territoire. Mais tout comme le ḥaḍāni Daniel semblait incarner une force politique extérieure à Aksum, et peut-être territorialement distincte, on peut penser que l’usage du titre d’ḥaḍāni par les rois Ṭanṭawedem et Lālibalā signale un ancrage régional de leur pouvoir au Tegrāy oriental, là où après le déclin d’Aksum se sont multipliées les fondations religieuses. Qui plus est, les titulatures de Ṭanṭawedem et de Lālibalā révèlent un attachement profond au christianisme : Ṭanṭawedem se fait appeler le « Serviteur du Sauveur » (Gabra Madḫen) alors que Lālibalā est le « Serviteur de la Croix » (Gabra Masqal). Tous ces éléments disent la dévotion des souverains et tendent à certifier que le christianisme de cette nouvelle lignée royale n’est pas seulement de façade. En dernier lieu, le roi Lālibalā se présente comme l’héritier des rois aksumites, en reprenant une partie de leur titulature. Il se dit en effet « homme courageux qui n’est pas vaincu par l’ennemi par la puissance de la croix de Jésus Christ » (ብእሲ፡ ዓዛል፡ ዘኢይትመዋእ፡ ለፀር፡ በኀይለ፡ መስቀሉ፡ ለኢ የሱስ፡ ክርስቶስ፡). Ce thème de l’invincibilité se retrouve par exemple dans la titulature du roi Ezānā (ive siècle ap. J.-C.), qui se dit : « fils d’Ella ‘Amidā […] qui n’est pas vaincu par l’ennemi. Par la puissance du Seigneur du ciel qui m’a fait don, le Seigneur de tout en qui je crois, moi, le roi qui n’est pas vaincu par l’ennemi, qu’aucun ennemi ne se mette devant moi et qu’aucun ennemi ne soit derrière »114 (ወልደ/ እለ/ ዐሚዳ/ […] ዘአይትመዋእ/ ለፀር/ [በኀ] ይለ/ እግዚአ/ ሰማይ/ ዘወሀበኒ/ እግዚአ/ ኵሉ/ ዘቦቱ/ አ[ማን]/ [ኩ/ ንጉ]ሥ/ ዘአይት መዋእ/ ለፀር/ ቅድምየ/ አይቁም/ ፀር/ ወ[ድ]˻ኅ˼[ርየ/] [አ]ይትሉ/ ፀር/)115. Il faut alors se demander si la titulature de Lālibalā est un emprunt conscient, voulu, ou si les lettrés qui au début du xiiie siècle ont rédigé les donations de terre de Lālibalā ont puisé dans un bagage culturel commun dans lequel figurait le ge’ez, le christianisme et une vision du roi guerrier et invincible. Dans les deux cas, l’intertextualité entre les inscriptions aksumites, qui disent l’invincibilité du roi en ge’ez, et les donations de Lālibalā, qui reprennent les mêmes expressions en ge’ez, est indéniable. Ce que l’on ignore, Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, 1991, p. 263 (RIÉth 189). Traduction proposée par P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 231-232. Carlo Conti Rossini avait relevé, le premier, la similitude entre la titulature du roi Lālibalā et celle des rois aksumites (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 188). 115  Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, 1991, p. 263, RIÉth 189. Le texte donné par Drewes et Schneider n’est pas le même que celui relevé par Enno Littmann pour la même inscription (voir Deutsche Aksum Expedition, Band 4, 1913, p. 32-33). Nous nous sommes tenus ici à la dernière édition proposée par Drewes et Schneider. 114 

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c’est si quatre ou cinq siècles après le déclin aksumite, l’expression était encore suffisamment courante pour que des lettrés puissent l’employer de mémoire, ou si au contraire il leur a fallu retourner aux inscriptions, et par conséquent enquêter à la manière des historiens au sujet de la titulature des souverains aksumites. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : le roi Lālibalā se présente à la manière d’un roi aksumite, cherchant ainsi à capter l’héritage de cet ancien royaume. Dans les trois documents différents que nous possédons concernant Ṭanṭawedem, prédécesseur de Lālibalā, on ne trouve certes pas la référence au roi invincible, mais un autre type d’emprunt : l’emploi de trois noms pour qualifier le roi, avec notamment un surnom, une forme qui évoque encore les rois d’Aksum116. Par conséquent, la référence aux souverains aksumites semble concerner aussi bien Ṭanṭawedem que Lālibalā. Ils opèrent ainsi une synthèse entre l’origine commune revendiquée ou réelle avec les ḥaḍāni et la royauté aksumite. Synthèse qui pointe des qualités royales complémentaires : le roi guerrier, héritier du roi d’Aksum, et le roi « nourricier » en lien avec l’étymologie du terme ḥaḍāni. Pour conclure sur l’émergence de cette nouvelle lignée royale, les règnes de Ṭanṭawedem et Lālibalā marquent peut-être l’achèvement d’un processus qui s’est déroulé sur le temps long : avec le mouvement de christianisation qui s’est accompagné de fondations d’églises dans le Tegrāy oriental, une formation politique s’est possiblement constituée dans cette région, dominée par un ḥaḍāni, qui au xe siècle est considéré comme le roi des Abyssins. Après une guerre ayant probablement une dimension religieuse, en réaction à la christianisation, et alors que la reprise des relations avec l’Église d’Alexandrie a donné un nouvel élan à la christianisation, une nouvelle lignée royale reprend le titre de ḥaḍāni : elle se présente comme l’héritière de ceux qui ont été défaits à la fin du xe siècle. Le Tegrāy oriental paraît dès lors essentiel dans la reconquête, ce qui peut expliquer les fondations du métropolite Mikā’ēl, comme les donations de Ṭanṭawedem à Urā Masqal et celles de Lālibalā à Dabra Libānos. Cette nouvelle lignée royale se revendique également d’un héritage aksumite, d’autant plus assumé que son pouvoir est bien installé. Si Ṭanṭawedem est relativement discret concernant ses liens avec Aksum, Lālibalā au contraire se présente comme un nouveau roi aksumite, invincible et victorieux. Tous deux réalisent la synthèse de ce double héritage – celui du ḥaḍāni et du roi d’Aksum – qui caractérise la dynastie qui règne alors sur un royaume chrétien d’Éthiopie.

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Voir chapitre premier.

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’Assedā, Zānśeyyum et Morārā : les premiers dynastes Qui sont les membres de cette nouvelle dynastie ? Ṭanṭawedem et Lālibalā se revendiquent tous deux de la figure de Murārā ou Morārā dans leurs titulatures. Si on lit ces dernières comme des généalogies, alors Ṭanṭawedem et Lālibalā appartiennent au même niveau générationnel et étaient des frères117. « Fils de » peut-être toutefois entendu non pas au sens littéral mais impliquer une ascendance politique, et dans ce cas, Murārā n’était peut-être pas le père de Ṭanṭawedem et Lālibalā, mais seulement leur prédécesseur éminent. Il y a toutefois tout lieu de penser qu’un lien familial unissait Ṭanṭawedem et Lālibalā, qui pouvaient être frères, oncle et neveu, ou encore cousins. Lālibalā se réclame d’une ascendance bien plus longue que Ṭanṭawedem, puisqu’il évoque les prédécesseurs de Morārā, Zānśeyyum et ’Assedā, ce dernier apparaissant comme l’ancêtre de cette lignée royale (voir fig. 26). Il faut bien reconnaître qu’on ne sait rien des trois prédécesseurs de Ṭanṭawedem et Lālibalā, pas même s’ils furent rois. Mais le fait que Lālibalā se revendique d’une lignée qui remonte sur trois générations conduit toutefois à penser qu’il n’évoque pas seulement un lien familial, mais bien un héritage politique. Ces trois générations ne sont pas nécessairement continues. Il a pu distinguer certaines figures populaires, ayant marqué les mémoires, parmi ses prédécesseurs. Une telle pratique se retrouve par exemple dans une lettre adressée par la reine Ellēni au roi Jean du Portugal au début du xvie siècle, où elle présente le roi régnant Lebna Dengel (1508-1540), comme étant le « fils de Nā’od (1494-1508), fils du roi Ba’eda Māryām (1468-1478), fils du roi Zar’a Yā‘eqob (1434-1468) »118. Elle a omis de citer le roi Eskender (1478-1494) et cette omission est délibérée. On peut donc penser que l’ordre de succession apparaissant dans la titulature du roi Lālibalā est juste – ’Assedā, Zānśeyyum et Morārā – et sans doute faut-il considérer qu’Assedā représente le tout premier membre de la nouvelle lignée royale. Mais rien n’indique que cette liste est complète. La titulature de Ṭanṭawedem nous signale d’ailleurs tout le contraire : il se présente comme le successeur et descendant de Morārā, mais n’est pas mentionné parmi les prédécesseurs de Lālibalā. Soit l’auteur de la titulature 117  Je tiens à remercier ici les membres du jury de soutenance de l’habilitation à diriger des recherches dont est issu ce travail, qui ont pointé le fait que Ṭanṭawedem et Lālibalā étaient sans doute frères, alors que je proposais de lire la titulature de Lālibalā en sens inverse. Ces lignes doivent donc beaucoup à leur lecture attentive et à leurs remarques bienveillantes. 118  Sergew Hable Sellassie, « The Ge’ez letters of Queen Eleni and Libne Dingil to John, King of Portugal », dans IV Congresso Internazionale di Studi Etiopici (Roma 1015 Aprile 1972), Rome, 1974, vol. 1, p. 558, 562.

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de Lālibalā a délibérément omis Ṭanṭawedem, soit Ṭanṭawedem règne après Lālibalā, mais dans ce cas, l’omission est inversée : Ṭanṭawedem ne revendique que son lien avec Morārā et non avec Lālibalā. Il faut donc résoudre une double question : quel est l’ordre de succession entre Ṭanṭawedem et Lālibalā ; pourquoi s’excluent-ils l’un l’autre de leurs titulatures ? On peut tenter de répondre à la première de ces questions à partir des informations que nous livre l’évangile d’or de Dabra Libānos du Šemazānā. Celui-ci préserve des donations du roi Lālibalā qui permettent de dater son règne autour de 1204 et 1225. Ces donations ont été copiées sur les folios vierges du manuscrit des évangiles et à la suite de celles-ci, de nombreuses autres donations, plus tardives, ont été ajoutées. La couverture en métal doré de ce manuscrit a été donnée par le roi Salomon (Ṭanṭawedem) et d’après Roger Schneider, à la fin de l’évangile de Jean, figure une donation du roi Salomon, qui se présente comme « ḥaḍay Ṭanṭawedem, et mon nom de règne est Salomon, le roi, et mon surnom est Gabra Madḫen »119. Roger Schneider a écrit cette information, en citant le début du texte ge’ez, dans ses notes manuscrites concernant l’évangéliaire de Dabra Libānos (fig. 13). Ces notes sont aujourd’hui consultables au centre Walda Masqal à Addis Abeba, où les archives Roger Schneider ont été déposées, et numérisées par mes soins120. Le savant ajoute que l’écriture de la donation lui semble moderne. Aucune photographie dans ses archives ne permet de retrouver cette donation. Les photographies prises par Alessandro Bausi en 1993 et 1994 ne permettent pas non plus de vérifier cette information. Rappelons que ce manuscrit est à notre connaissance toujours conservé dans l’église de Dabra Libānos en Érythrée et qu’aucune copie digitale complète n’est disponible. Mais le peu que Roger Schneider cite laisse à penser à un document authentique. Dans les donations à l’église d’Urā Masqal Qefereyā, Ṭanṭawedem se présente de manière identique. Ce qui n’empêche pas que la copie de l’acte dans l’évangile peut être tardive, comme le pensait Roger Schneider. On peut donc en déduire que si le manuscrit des évangiles n’a pas été donné par le roi Ṭanṭawedem, celui-ci a en revanche fait don d’une couverture en métal pour ce manuscrit et a peut-être même fait des donations de terres à l’église, qui ont été copiées dans le manuscrit, à une date encore inconnue. S’il avait donné le manuscrit lui-même, les donations inscrites sur les folios vierges seraient postérieures à cette donation et l’on pourrait en déduire que son règne précède alors celui de Lālibalā. Mais dans la mesure où il ne fait Archives Roger Schneider, Notes on Ham 2_19, Centre Walda Masqal, Addis Abeba. M.-L. Derat, « Roi prêtre et Prêtre Jean : analyse de la Vie d’un souverain éthiopien du xiie siècle, Yemreḥanna Krestos », Annales d’Éthiopie, 27 (2012), p. 127-143.

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don que de la couverture, il est possible que les donations de Lālibalā aient été copiées dans le manuscrit avant cette nouvelle reliure. La première des questions reste donc sans réponse en l’état actuel de la documentation. La seconde question concernant l’exclusion de Ṭanṭawedem de l’ascendance de Lālibalā, et inversement l’exclusion de Lālibalā de celle de Ṭanṭawedem est tout aussi difficile à résoudre, en l’absence de sources. On ne peut que remarquer un fait : d’après la note du métropolite Mikā’ēl datée de 1149/1150, le roi régnant quand le métropolite Mikā’ēl fut nommé par le patriarche Macaire (1102-1129) était un certain Anbasā Wedem. Il ajoute qu’il a oint sept rois au cours de sa charge, dont on ne sait pas quand elle s’acheva exactement. Il était encore métropolite d’Éthiopie quand Jean V (1146-1167) était patriarche d’Alexandrie. Ces éléments témoignent de successions rapides au trône d’Éthiopie au cours de la première moitié du xiie siècle, peut-être en lien avec une certaine instabilité politique, des conflits autour des successions, qui pourraient expliquer cette double exclusion. S’ajoute à ce problème la question de la position d’Anbasā Wedem visà-vis de Ṭanṭawedem et de Lālibalā. Appartenait-il à la même lignée royale ? Par la note du métropolite Mikā’ēl, nous savons qu’il exerçait sa charge au moment où le patriarche Macaire occupait le siège d’Alexandrie, entre 1102 et 1129. Les listes royales compilées à partir du xve siècle classent Anbasā Wedem parmi les derniers souverains à exercer le pouvoir avant la dynastie Zāg wē, ce qui l’exclut de notre lignée royale. Mais la fiabilité de ces listes est très relative (voir chapitre II). Si l’on envisage la question à partir de la titulature de Lālibalā, on peut se demander si Anbāsa Wedem pourrait être l’un des trois ancêtres/prédécesseurs nommés, ’Assedā, Zānśeyyum ou Morārā. Il se pourrait que, tout comme Ṭanṭawedem portait deux autres noms, Salomon et Gabra Madḫen, Anbāsa Wedem était aussi connu sous d’autres appellations, mais celles-ci ne nous sont pas connues. On peut toutefois relever la composition similaire des noms Ṭanṭawedem et Anbāsa Wedem, qui se terminent par le même suffixe « wedem ». Le sens de ce suffixe est à ce jour inexpliqué (on ne le trouve pas dans le proto-agaw, ni en ge’ez, ni en tigrinya, ni en tigrē). Cette similitude pourrait pointer une parenté entre les deux souverains. Par ailleurs, « anbās » signifie lion en ge’ez. Or, comme nous l’avons remarqué plus haut, dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie rédigée en arabe, la titulature de Lālibalā est donnée sous la forme « Lālibalah, fils de Šanūdah et son nom signifie le lion [asada] »121. S’il est possible qu’Assedā ait été traduit par lion par l’auteur de la notice du patriarche Jean VI, est-ce qu’Anbāsa ne History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193, p. ١١٥ (115). 121 

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chapitre ii

pourrait pas être une traduction ge’ez d’Assedā ? Le terme « ’asad » en ge’ez est aussi connu pour désigner le signe zodiacal du lion122. Sans plus de données, il faut laisser là les conjectures tout en conservant l’idée d’une possible appartenance d’Anbasā Wedem à la même lignée que celle de Ṭanṭawedem et Lālibalā. Pour finir, on peut donc penser que les premiers membres de notre nouvelle lignée royale ont exercé le pouvoir au cours du xiie siècle et que parmi les grandes figures de cette dynastie trois personnages s’illustrent particulièrement : ’Assedā, Zānśeyyum et Morārā. Ce dernier joua sans doute un rôle de premier plan puisqu’il figure dans les titulatures de Ṭanṭawedem et de Lālibalā. Il était soit le père de ces deux souverains, qui apparaissent alors comme des frères, soit une figure éminente dont les deux rois ont voulu se réclamer. Rien ne permet de distinguer, en tout objectivité, qui de Ṭanṭawedem ou de Lālibalā régna le premier. Mais le contexte évoqué dans la donation de terre de Ṭanṭawedem pour l’église de Qefereyā peut être rapproché d’événements évoqués dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie concernant la fin du xie et le début du xiie siècle. Ce qui conduit à penser que Ṭanṭawedem régna avant Lālibalā.

Réactions contre la présence musulmane en Éthiopie au tournant du xie et xiie siècle Nous avons déjà remarqué que les événements décrits dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, et plus précisément dans la biographie du patriarche Cyrille II (1078-1092), formaient les éléments d’un puzzle qu’il nous faut maintenant tenter d’assembler. Quelles en sont les pièces ? Du côté des sources égyptiennes, on apprend que l’évêque égyptien nommé en Éthiopie par Cyrille II (1078-1092) – Sawirus – s’est adressé au vizir égyptien pour qu’il fasse pression sur le patriarche, afin d’être consacré. En retour, le vizir a exigé qu’il fasse construire des mosquées en Éthiopie. Quelques années plus tard, il est pris à parti parce que ces constructions de mosquées sont trop lentes au goût du vizir. Sawirus s’en justifie en arguant que ce sont les Éthiopiens qui ont systématiquement détruits les mosquées qu’il avait établies. Du côté éthiopien, les seuls témoignages de la présence d’une communauté musulmane pour cette période nous viennent des inscriptions funéraires de Kwiḥa, dont nous avons déjà parlé. Ces inscriptions indiquent qu’entre les xie et xiie siècles, une communauté de commerçants musulmans était installée A. Dillmann, Lexicon linguae Aethiopicae, 1865, col. 753 ; W. Leslau, Comparative ­dictionary of Ge’ez, 1991, p. 41. 122 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

au voisinage de communautés chrétiennes. Récemment, Wolbert Smidt a mis en évidence l’existence d’une stèle conservée dans l’église rupestre de Weqro. Celle-ci est incomplète mais il avance l’hypothèse que cette stèle n’est pas funéraire mais plutôt liée à la fondation d’un lieu de culte123. Aucune date ne figure sur le fragment qu’il a pu étudier mais à partir de la paléographie, Wolbert Smidt estime que la stèle pourrait dater des ixe-xe siècles, soit un peu avant les stèles funéraires124. Nous avons donc ici l’image d’une communauté relativement importante, qui avait fondé des lieux de culte et qui se faisait inhumer dans la tradition funéraire musulmane. Parmi les stèles funéraires de Kwiḥa, certaines indiquent des origines régionales pour les défunts qui permettent de situer ceux-ci au sein d’un réseau de communautés, situées dans l’archipel de Dahlak et peut-être dans le Wādī al-‘Allaqī en pays Beja125. L’archipel des Dahlak, en mer Rouge, situé à peu de distance de la côte éthiopienne et du port de Massawa (Bāḍi, ‘chez les auteurs arabes), était un relai essentiel du commerce entre la côte africaine et la péninsule Arabique. Dès le viie siècle, une communauté musulmane y était implantée. Mais d’après les quelques informations dont nous disposons, les îles servaient alors essentiellement de lieu de relégation pour les Umayyades. À partir du ixe siècle, la communauté s’est considérablement développée, sans doute en lien avec les migrations des Yamāmī, depuis la péninsule Arabique, vers les mines d’or et d’émeraudes du Wādī al-‘Allaqī en pays Beja, et le développement du commerce des esclaves. Mais jusqu’au xie siècle, l’archipel des Dahlak et les musulmans résidant à Massawa payaient un tribut au roi chrétien d’Éthiopie126. Ensuite, un sultanat indépendant semble s’être développé sur les îles, au moment précisément où sous le patriarcat de Cyrille II (1078-1092), le métropolite Cyrille-Abdūn, probablement un imposteur, dut quitter l’Éthiopie poussé vers la sortie par son successeur Sawirus. Cyrille-Abdūn chercha refuge auprès du sultan de Dahlak qui se contenta de le dépouiller de ses biens W. Smidt, « Eine weitere arabische Inschrift von der osttigrayischen Handelsroute : Hinweis auf eine muslimische Kultstätte in der “dunklen Periode” ? », Aethiopica, 12 (2009), p. 126-135 ; W. Smidt, « A note on the Islamic heritage of Tigray : the current situation of the Arabic Inscription of Wuqro », Ityopis, 1 (2011), p. 150-153. 124  La dernière stèle découverte à Kwiḥa est attribuée au xe-xie siècle (W. Smidt, « Eine arabische Inschrift aus Kwiḥa, Tigray », dans Studia Aethiopica In Honour of Siegbert Uhlig on the Occasion of his 65th Birthday, éd. V. Böll, D. Nosnitsin, T. Rave, W. Smidt, E. Sokolinskaia, Wiesbaden, 2004, p. 259-268). 125  M. Schneider, « Des Yamāmī dans l’Enderta (Tigre) », 2009, p. 140-144. 126  J. Cuoq, L’islam en Éthiopie des origines au xvie siècle, Paris, 1981, p. 44-45 ; G. Lusini, « Christians and Moslems in Eastern Tigrāy up to the xiv c. », 1993-1997, p. 247 ; F.-X. Fauvelle-Aymar et B. Hirsch, « Muslim historical spaces in Ethiopia and the Horn of Africa : a reassessment », Northeast African Studies, 11 no 1 (2004-2010 [2011]), p. 39. 123 

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chapitre ii

et de le renvoyer en Égypte où il fut décapité127. Ce contexte régional qui voit l’afflux de Yamāmī dans la région du Wādī al-‘Allaqī pour travailler dans les mines et au commerce de l’or et des émeraudes, le développement d’un sultanat musulman dans l’archipel des Dahlak à partir de la fin du xie siècle, et l’installation dans la même période de familles de Yamāmī et d’autres originaires de Dahlak, à Kwiḥa, a peut-être créé les conditions d’une réaction chrétienne. Une dernière pièce du puzzle est représentée par un passage de la donation de Ṭanṭawedem à l’église d’Urā Masqal. Ṭanṭawedem déclare en effet qu’il combattit des musulmans (tanbalāt) de la région de Ṣerā‘e et qu’il les vainquit. Il affirme qu’il leur prit leurs terres et toutes leurs possessions, bétail comme personnes, pour les donner notamment à l’église de la Croix de Qefereyā (qui est l’église d’Urā Masqal)128. Or la région du Ṣerā‘e est précisément celle où se trouve localisé Kwiḥa129. Au milieu du xiie siècle, sans que l’on puisse dire si cet événement intervient avant ou après les combats menés par Ṭanṭawedem, le métropolite Mikā’ēl consacra deux églises qui sont situées à proximité de Kwiḥa et viennent en quelque sorte encadrer la communauté musulmane. Il s’agit des églises de Mikā’ēl Ambā et de Māryām Nazrēt. Relevons enfin que des conflits entre la communauté musulmane de Ṣerā‘e et les chrétiens sont mentionnés dans un document tardif, l’hagiographie dédiée à Saint Marqorēwos (un moine qui vécut au tournant du xive et du xve siècle et fonda le monastère de Dabra Demāḥ). Ce texte évoque notamment un roi musulman de Ṣerā‘e, nommé Yehyā. L’épisode n’est pas très clair car l’éditeur et traducteur du texte, Carlo Conti Rossini, ne disposait que d’un seul manuscrit, très endommagé130. Or, ce récit figure au fol. 37r du manuscrit et seules 4 lignes ont été retranscrites sur les 25 lignes environ que comptent les autres folios, lorsqu’ils sont complets. D’après ces quelques lignes, le chef (śeyyum) de la région de Ṣerā‘e et le chef du tribut (ba’ala gada), sans doute celui chargé de percevoir les taxes sur le commerce du sel131, firent la guerre aux musulmans de la région et les vainquirent. Dans sa traduction, History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, 1959, vol. 2, part. 3, p. 329. 128  Donation de Ṭanṭawedem, église d’Urā Masqal, fol. 6. 129  W. Smidt et D. Nosnitsin, « Ṣəra‘ », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig et A. Bausi, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 625-628. 130  Lors d’une visite à Dabra Demāḥ/Marqorēwos en Érythrée, en 1993, Alessandro Bausi et Gianfranco Lusini ont pu voir trois copies de la Vie de Marqorēwos, dont deux complètes, sans donner plus de détails (A. Bausi et G. Lusini, « Appunti in margine a une nuova ­ricerca sui conventi eritrei », Rassegna di Studi Etiopici, 36 (1992 [1994]), p. 18-19). 131  Vitae sanctorum indigenarum I. Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, Louvain, 1904 (CSCO 33-34, Script. Aeth. 16-17), p. 18 ; J. S. Trimingham, Islam in Ethiopia, Londres, 1952, p. 81 n. 2 ; G. Lusini, « Christians and Moslems in Eastern Tigrāy up to the xiv c. », 1993-1997, p. 249, 251. 127 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

Carlo Conti Rossini associe cette partie de la Vie de Marqorēwos, qui figure au fol. 37r, avec le texte du folio 38v, où il est fait allusion à la région du Lāstā dans laquelle le roi Lālibalā fit élever des sanctuaires « à l’image du paradis »132, mais le lien entre ces deux fragments de textes n’est pas du tout assuré. La Vie de Marqorēwos est une compilation de diverses traditions que l’on fait remonter au xviie siècle133. Sur la foi de ces quelques lignes, on peut peut-être avancer l’idée qu’au xviie siècle le souvenir de conflits entre chrétiens et musulmans de Ṣerā‘e était encore prégnant. Par conséquent, il semble bien qu’au cours du xie siècle, la présence musulmane en Éthiopie était suffisamment importante pour que des communautés soient réellement constituées et que ces communautés avaient le poids suffisant pour se construire des lieux de culte134, voire exiger que le vizir égyptien, représentant des Fatimides, fasse pression sur l’évêque envoyé en Éthiopie pour que celui-ci soit le garant de la construction de nouvelles mosquées en Éthiopie. Or, cette entreprise rencontra apparemment une opposition farouche de la part des chrétiens éthiopiens. Et l’allusion à une guerre opposant le roi Ṭanṭawedem aux musulmans du Ṣerā‘e ne vient que confirmer les dires de Sawirus, le métropolite éthiopien sommé de s’expliquer concernant son échec : les chrétiens d’Éthiopie détruisent systématiquement les mosquées que l’évêque égyptien fait construire à la demande du vizir. Le règne de Ṭanṭawedem s’inscrit dans ce contexte même s’il exerça vraisemblablement le pouvoir au cours du xiie siècle, quelques décennies après les événements décrits dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie.

Le royaume du Beg wenā Que sait-on de cette nouvelle formation politique au moment où elle fait irruption dans nos sources, c’est-à-dire au cours du règne de Ṭanṭawedem ? Et comment évolue-t-elle ? En d’autres termes, quel est ce royaume sur lequel gouverne cette nouvelle lignée royale ? Jusqu’au déclin d’Aksum, les rois se disent avant tout roi d’Aksum et détaillent sur les stèles qu’ils font ériger à la Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 18. G. Lusini, « Märqorewos », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 788. 134  G. Lusini, « Christians and Moslems in Eastern Tigrāy up to the xiv c. », 1993-1997, défend la thèse selon laquelle les inscriptions de Kwiḥa ne signalent pas une installation pérenne, mais attestent plutôt la présence de deux familles à deux moments différents, au même endroit. Pour lui, il s’agit d’épisodes isolés et non pas d’une communauté musulmane constante. L’inscription de Weqro vient en quelque sorte infirmer cette hypothèse, de même que la donation de Ṭanṭawedem faisant référence aux musulmans de Ṣerā‘e. 132  133 

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chapitre ii

suite de leurs victoires, les territoires, les peuples sur lesquels ils exercent leur autorité, se prévalant alors du titre de « roi des rois ». Telle n’est pas l’image que nous renvoient les rares sources dont nous disposons au sujet de notre nouvelle lignée royale. Quels étaient donc le système et l’organisation politiques à la tête desquels régnaient nos rois et ḥaḍāni ? Ce sont une fois de plus les donations de Ṭanṭawedem et de Lālibalā, mises en regard avec l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, qui sont nos seules sources pour tenter de brosser un tableau de ce nouveau royaume.

Les grands du Beg wenā Les donations de terre du roi Lālibalā nous permettent d’atteindre l’organisation territoriale du royaume et l’étendue de celui-ci. La liste des garants des actes institués par le roi Lālibalā, qui sont rassemblés sous une appellation générique – « les grands du Beg wenā » – est extrêmement précieuse pour ce qu’elle révèle de l’État éthiopien au tout début du xiiie siècle. La comparaison entre la période du règne de Ṭanṭawedem et celle de Lālibalā est quasiment impossible à réaliser car la donation de Ṭanṭawedem semble avant tout décrire des droits et des exclusions de droits qui concernent uniquement les terres dont les bénéfices ont été alloués à l’église d’Urā Masqal. Tandis que les donations de Lālibalā, par leurs listes de garants, donnent à voir les grands dignitaires du royaume. Qui sont ces garants ? Ils sont au nombre de 19 dans la première donation et 17 dans la seconde donation de l’évangéliaire de Dabra Libānos. Comme l’indique le tableau ci-dessous, tous les garants cités dans la première donation ne se retrouvent pas forcément dans la seconde, soit que la fonction est occupée par une autre personne (c’est le cas par exemple en ce qui concerne le métropolite d’Éthiopie, qui est Mikā’ēl dans l’acte no 6 et Giyorgis dans l’acte no 7), soit que la fonction n’est plus citée et qu’on lui a substitué une autre. Ainsi, le liqa Bāryā ne figure que dans l’acte no 6, tandis que le ṣaḥafalām135 n’est évoqué que dans l’acte no 7. Cela ne veut pas forcément dire que des charges ont été supprimées et que d’autres ont été créées entre les deux donations de terre. Il est aussi possible que le choix des garants soit lié à la nature de la donation : on peut bien supposer en effet que si la donation concerne les terres qui sont sous la juridiction du ṣaḥafalām, celui-ci a tout lieu d’être garant de l’acte. Ou bien qu’il est présent parce que l’institution qui reçoit Littéralement « celui qui enregistre les vaches » (D. Nosnitsin, « Ṣäḥafe lam », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 459). Au cours du xve siècle, ce titre est donné à certains dignitaires régionaux, nommés par le roi. On trouve ainsi un ṣaḥafalām de Qedā, du Šawā, de l’Amḥarā et du Dāmot. 135 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

les bénéfices sur les terres est placée sous sa juridiction. Or, nous avons déjà précisé que les deux donations de Lālibalā concernent deux entités différentes (Bēta Māryām, Bēta Masqal et les Vierges, d’une part ; Endā Abbā Maṭā‘e de l’autre). Mais il est difficile d’aller plus loin et d’établir avec certitude pourquoi telle ou telle fonction est listée ou pas. L’une des raisons qui explique cette difficulté est liée à l’identification des fonctions qu’occupent la plupart des témoins cités. Certaines fonctions nous sont bien connues et posent peu de problèmes, d’autres au contraire ne peuvent pas être recoupées avec la documentation connue. Commençons donc par observer les garants dont la charge est somme toute classique. Il s’agit en particulier des garants qui occupent des fonctions religieuses au sein du royaume : le métropolite, son porte-parole, le ou les évêques, le chef des diacres, le chef des prêtres, le prêtre du roi, l’administrateur de l’église d’Aksum (Qaysa gabaza Ṣeyon), l’abbé d’Endā Abbā Maṭā‘e qui porte le titre d’‘aqqābē sa‘āt. Ces garants ecclésiastiques sont énoncés en premier dans les deux donations de terre, selon un ordre surprenant : le porte-parole du métropolite avant le métropolite, le chef des diacres avant l’administrateur de l’église d’Aksum, ou encore l’abbé d’Endā Abbā Maṭā‘e avant le prêtre du roi. D’autres charges relèvent du domaine laïc : le gardien du chasse-mouche, le chef des masanqo (le chef des musiciens), le porteur du flacon de médecine136 (ṣawārē nārgē masaray), le secrétaire des édits (ṣahafē te’ezāz), ou encore le chef des domestiques (le liqa bēta qaṭṭin). Sans être en mesure de définir précisément le périmètre de ces fonctions, il est très probable que ces cinq dignitaires étaient des personnages proches du souverain et qu’ils participaient du protocole de la cour. Ainsi, le porteur du flacon de médecine est un dignitaire qui est évoqué dans un document plus tardif, du milieu du xve siècle, comme étant l’un des officiers du royaume présent et exerçant une fonction lors de l’onction royale137. Je reprends ici la traduction donnée par Mercier (J. Mercier, « Peintures du xiiie siècle dans une église de l’Angot (Éthiopie) », Annales d’Éthiopie, 18 (2002), p. 145). On trouve un ṣawārē nārgē à l’époque du roi Yekuno ’Amlāk (1270-1285), comme l’attestent les peintures murales de Waša Mikā’ēl étudiées par Jacques Mercier ; également au cours du règne d’Amda Ṣeyon (Taddesse Tamrat, « The abbots of Däbrä-Hayq 1248-1535 », 1970, p. 96-97). Cet auteur, traduisant des donations figurant dans l’évangéliaire de Ḥayq (EMML 1832) n’a pas compris l’expression ṣawārē nārgē māsarē et a préféré laisser en partie le texte non traduit, « le porteur de Nargé-Masäré ». 137  Voir A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », 1884, p. 18 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät », 1994. Il faut noter ici que l’édition de Dillmann, tout comme la traduction de Sciarrino, sont fautives. Dillmann écrit en effet : ጸዋሬ፡ ነርግ። መአሳሬ፡ respectant probablement la ponctuation du manuscrit dont il se sert (Oxford 26). Si bien que Jean-François Sciarrino, sur cette base, traduit : « le porteur du récipient (pour le parfum). Ma’asārē, le porteur du chrême ». En fait, la ponctuation est 136 

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chapitre ii

On peut d’ores et déjà souligner le fait que parmi tous ces garants, seulement deux détiennent une autorité qui émane d’un niveau local : il s’agit de l’‘aqqābē sa‘āt d’Endā Abbā Maṭā‘e, l’abbé de Dabra Libānos du Šemazānā et du qaysa gabaza Ṣeyon, l’administrateur de l’église d’Aksum. Tous les autres exercent une fonction à l’échelon du royaume, qu’il s’agisse des religieux ou des laïcs. Tableau 1 : Les dignitaires à la cour du roi Lālibalā d’après deux donations de terres138 (le numéro précédent le nom du dignitaire renvoie au rang occupé dans l’énonciation des garants)

Dignitaire

Acte no 6 (1209 ?)

Acte no 7 (1225)

qāla ṗāṗṗās (porte-parole du métropolite)

1.’Endreyās

1. ’Abt

ṗāṗṗās (métropolite)

2. Abbā Mikā’ēl

2. Abbā Giyorgis

’ēṗis qoṗos (évêque)

3. ‘Ezrā, Yerdā’e Mikā’ēl 3. Ḫarayo et Sāmu’ēl 4. Tasfā Heywat 4. Yerde’anna Krestos

‘aqqābē sa‘āt Maṭā‘e (abbé d’Endā Abbā Maṭā‘e) ḥasgwā liqa zyāqonāt (chef des diacres)

5. Qerub

11. Ye‘eqabanna

6. Sawen

5. Sawen

qasa gabaz Ṣeyon (admi- 7. Yetbārak nistrateur de la cathédrale de Sion/Aksum)

6. ’Ab Yekun

fautive et c’est bien la même construction que dans l’acte no 7 de l’évangéliaire de Lālibalā que nous trouvons ici : le porteur du flacon de médecine. 138  Conti Rossini avait réalisé un tableau des dignitaires nommés dans les deux actes (6 et 7) liés au règne de Lālibalā, que j’ai complété (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 191).

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

Dignitaire

Acte no 6 (1209 ?)

Acte no 7 (1225)

qasa haḍāni (prêtre du roi)

8. Zakāryās

8. Za’adonāy

ṣawārē nārgē masaray (porteur du flacon de médecine)

9. Zer Ga’āzā

9. Krestos Bena

ṣahafē te’ezāz (secrétaire 10. Zakrestos des édits) liqa ’Aqaytāt 11. Śamro

14. Zarawedem

liqa bēta qaṭṭin liqa makāso liqa kēnot liqa ḫadār / liqa ḥedar qāla ḫemmāt liqa Bāriyā liqa ‘aqqābē dēdē liqa masanāqut / liqa masanqo (chef des musiciens) malhaza

12. Baḫaylu 13. Hagara Wedem 14. Za’amālāye 15.’Amāni

15. Za’amalāye 16. Yamo

16.’Amāni 17. Ṣeyon Ḫartā 18. Lēkā 19. Beg wenāy

17. Walda Beg wenāy (ou le fils de Beg wenāy) 7. Yetbārak

ṣaḥaf lām (« celui qui enregistre les vaches »)

10. Sebḥat

mā’ekala bāḥer

12. ’Asgada

liqa ṣanṣan ‘aqāb dagē māsaray

13. Bārā Ṣeyon 14. Yemheranna

En ce qui concerne les dix autres garants, il nous faut d’abord tenter quelques rapprochements avant de pouvoir analyser ce que représente leur fonction et ce que cela nous apprend du fonctionnement du royaume à l’époque de Lālibalā. Commençons par trois offices : ḥasgwā, mā’ekala bāḥer et ‘aqqābē ṣanṣan (ou ‘aqānṣān). Une donation datée de 1328, préservée dans l’évangéliaire de Dabra Libānos, à la suite des donations du roi Lālibalā, précise que le fils du roi Amda Ṣeyon (1314-1344), Bāḥra Asgad, était chef de l’Endartā, mais aussi mā’ekala bāḥer, mā’ekala tewāzāt, ḥasgwā et ‘aqānṣān.

127

chapitre ii

Carlo Conti Rossini estimait que tous ces offices étaient liés régionalement, et donnaient ainsi autorité sur tout le nord du royaume139. Cette hypothèse me paraît tout à fait plausible. Le mā’ekala bāḥer est également mentionné dans l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon – qui traite certes de campagnes militaires menées par Amda Ṣeyon au début du xive siècle, mais dont la rédaction n’est pas antérieure au xve siècle – et sa charge est à localiser au Tegrāy, dans la mesure où cette fonction figure en fin d’une liste qui expose les titres de gouverneurs régionaux, liste qui débute par le sud du royaume, avec le Šawā et remonte vers le nord jusqu’à l’Endartā140. Selon Sevir Chernetsov, mā’ekala bāḥer désigne à la fois la région entre la côte et l’hinterland appelée Ḥāmāsēn, et le titre de celui qui dirige cette région141. Quant à ‘aqānṣān, c’est sans doute une autre forme pour l’‘aqqābē ṣanṣan ou ‘āqāṣēn, gardien du chasse-mouche, titre donné au gouverneur de la région de l’Endartā142 mais aussi à d’autres gouverneurs régionaux comme le chef du Sarāwē143 ou celui du Ḥāmāsēn144. Sans pouvoir trancher entre ces différentes identifications, il y a donc tout lieu de penser que ces trois offices (ḥasgwā, mā’ekala bāḥer et ‘aqānṣān) ont une base régionale et que celle-ci se trouve dans le Nord du royaume, à cheval sur l’actuelle Érythrée et l’Éthiopie septentrionale. Parmi les gouverneurs régionaux évoqués dans la donation de Ṭanṭawedem figure un bāḥer nagāśi. Taddesse Tamrat a avancé l’hypothèse que le titre de mā’ekala bāḥer était peut-être une version antérieure d’une fonction appelée ensuite bāḥer nagaš145. Cette hypothèse se fondait sur l’état des connaissances, sans la donation de Ṭanṭawedem. On peut donc aller un peu plus loin en proposant que bāḥer nagāśi soit un état antérieur à la fonction « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 208-210. Voir aussi A. Bausi, « Ḫasg wa », 2014, vol. 5, p. 341 qui mentionne la référence à un ḥāwsegwā/ ḥāwzegwā/ ḥāsgwe dans la Vie de saint Abiya Egzi’e rédigée au milieu du xive siècle et qui estime qu’il s’agit du même titre que ḥasgwā, ayant une étymologie agaw « egwā », signifiant chef, et se rapportant peut-être au nom même de la dynastie Zāg wē. 140  Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 5 n. 34. 141  S. Chernetsov, « Baḥər nägaš », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 444. 142  Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 15 n. 92 ; S. Chernetsov, « ‘Aqaṣen », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 290. 143  Au sujet de l’‘āqāṣēn du Sarāwē et des diverses personnes qui exercèrent cette fonction aux xive et xve siècle, voir G. Lusini, « Scritture documentarie etiopiche (Dabra Deḫuḫān e Debra Ṣegē, Sarā’ē, Eritrea) », Rassegna di Studi Etiopici, 42 (1998), p. 22-25. 144  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 209. 145  Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 74, n. 5 ; hypothèse reprise par Kropp (Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 5 n. 34). 139 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

de mā’ekala bāḥer et que le roi Zar’a Yā‘eqob, dans sa démarche de réactivation d’un passé ancien146, se soit emparé du titre de bāḥer nagāśi pour créer une nouvelle dignité dans le royaume au milieu du xve siècle. Cette remarque nous permet de souligner le seul point de comparaison entre la donation de Ṭanṭawedem et celles de Lālibalā : une fonction de gouverneur des régions septentrionales apparaît dans les deux, d’abord sous la forme de bāḥer nagāśi, puis comme mā’ekala bāḥer. On peut adjoindre à ces trois dignitaires tirant leur autorité de régions septentrionales, le liqa Bāryā (chef des Bāryā) et le liqa ’Aqaytāt (chef des Aqaytāt). On trouve, encore une fois dans l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon, un chef des soldats de Bāryā147. Les Bāryā représentent un groupe de population installé dans le nord-est de l’Érythrée actuelle148. Quant à Aqaytāt, il pourrait s’agir du nom des populations qui occupent la terre d’Ad Aqayt, achetée pour les ecclésiastiques d’Aksum d’après un acte daté du xixe siècle149. Dans cet acte, le titre de liqa ’Aqaytāt est employé. Dans un document antérieur, le Règlement de la tonsure (Śer‘ata Qwerḥat) on trouve mention d’un mal’aka ḥezb – chef de la nation ? – qui serait l’équivalent d’Ella Aqaytāt150. Bien que cette équivalence soit obscure (s’agit-il du nom d’une personne ? ou bien justement du nom du groupe, de la nation, dont ce personnage serait le chef ?), cette mention confirme l’hypothèse que la charge de liqa ’Aqaytāt concerne le nord du royaume, dans la mesure où cet officier fait partie des dignitaires participant au cérémonial du sacre du roi à Aksum. Par conséquent, une partie des garants mentionnés dans les donations de terre de Lālibalā sont des gouverneurs régionaux dont l’autorité s’exerce sur des régions probablement 146  Voir à ce sujet B. Hirsch et F.-X. Fauvelle-Aymar, « Aksum après Aksum. Royauté, archéologie et herméneutique chrétienne de Ménélik II (r. 1865-1913) à Zar’a Ya’eqob (r. 14341468) », Annales d’Éthiopie, 17 (2001), p. 59-109 ; M.-L. Derat, « Les homélies du roi Zar’a Ya’eqob : la communication d’un souverain éthiopien du xve siècle », dans L’écriture publique du pouvoir, éd. A. Bresson, A.-M. Cocula, C. Pebarthe, Bordeaux, 2005, p. 45-57. 147  Lo scettro e la croce, la campagna di ‘Amda Ṣeyon I contro l’Ifāt (1332), éd. P. Marrassini, 1993, p. 114-115 ; Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 34 (texte), 40 (trad.). D’autres estiment que bāryā renvoie ici aux esclaves, ainsi désignés à partir de la fin du xvie siècle, sans doute par glissement de l’ethnonyme au substantif. Mais avant le xvie siècle, aucun document ne permet d’induire que les populations Bāryā désignent exclusivement des esclaves (Historia regis Sarsa Dengel (Malak Sagad). Accedit Historia gentis Galla curante Ignazio Guidi, éd. C. Conti Rossini, Paris, 1907 (CSCO 20-21, Script. Aeth. 3-4), p. 29-30 (texte), p. 34-35 (trad.) ; J. Ludolf, Lexicon aethiopico-latinum, Francfort, 1698-1699, col. 11, 40 ; R. Pankhurst, « The History of Bareya, Sanqella and Other Ethiopian Slaves », 1977, p. 12, 37 n. 94). 148  C. Conti Rossini, « Appunti ed osservazioni sopra i re Zāguē », 1895, p. 35-45. 149  Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1910, p. 52-62. 150  A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », 1884, p. 18 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät », 1994, p. 150.

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chapitre ii

concernées par les terres allouées, toutes situées dans la partie septentrionale de l’Éthiopie actuelle et en Érythrée. Relevons une nouvelle fois qu’ils sont intégrés dans le groupe des « grands du Beg wenā ». Un autre gouverneur tirant son autorité d’une base régionale figure dans la liste des garants de la seconde donation de terre de Lālibalā : il s’agit du ṣaḥafalām. Cette fonction est relativement bien connue au xve siècle. C’est le titre porté par les gouverneurs de quatre régions du royaume chrétien à cette période, l’Amḥarā, le Šawā et le Dāmot151. Mais l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon nous informe que ce titre fut aussi donné à d’autres dignitaires régionaux, en particulier celui de Qedā152. Cette région serait vraisemblablement celle qui, au xve siècle, était connue comme la région de Dobe’a, immédiatement au sud-est du Tegrāy153. Pour revenir à notre texte, on ne peut cependant pas conclure quant à la région sur laquelle ce ṣaḥafalām exerçait son autorité. Enfin, il reste trois dignitaires dont la fonction est soit incertaine, soit inconnue. Le liqa ḫadār d’abord. D’après certains auteurs, ḫadār pourrait désigner un corps de troupe et par voie de conséquence, liqa ḫadār serait le chef de ce corps de troupe154. Mais les arguments pour arriver à cette hypothèse sont ténus. Il reste le liqa makāso et le malhaza dont personne, jusqu’à présent, n’a pu établir quelle était leur fonction. Par conséquent, si l’on fait le bilan des garants cités comme garants dans les donations de terre du roi Lālibalā et regroupés sous l’expression de « grands du Beg wenā », nous avons une grande proportion d’ecclésiastiques qui exercent des fonctions clés dans la hiérarchie de l’Église éthiopienne, et seulement deux d’entre eux qui tirent leur autorité d’une église locale : Aksum pour l’administrateur de Sion, et Endā Abbā Maṭā‘e pour l’‘aqqābē sa‘āt. Ces deux églises sont implantées dans le Nord. Leur évocation est sans doute liée aux donations elles-mêmes : Endā Abbā Maṭā‘e est l’une des bénéficiaires des terres allouées par Lālibalā, tandis que l’église d’Aksum avait peut-être auparavant des bénéfices sur certaines des terres données. Une autre partie Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, éd. J. Perruchon, 1893, p. 16, 101, 111-112, 116, 145, 153 ; Lo scettro e la croce, la campagna di ‘Amda Ṣeyon I contro l’Ifāt (1332), éd. P. Marrassini, 1993, p. 52-53 ; Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 4 ; M. Kropp, « “Antiquae restitutio legis” », 2005, p. 136. 152  Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 5. 153  Der siegreiche Feldzug des Königs ‘Āmda-Ṣeyon gegen die Muslime in Adal im Jahre 1332, éd. M. Kropp, 1994, p. 5 n. 32. 154  E. Sokolinskaia, « Liq », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2007, vol. 3, p. 576. 151 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

des garants rassemble des proches conseillers du souverain, personnages clés de la cour royale et de son protocole. Enfin, une dernière partie est constituée de gouverneurs régionaux dont la base territoriale est localisée au nord du royaume. Pour quatre dignitaires, le ṣaḥafalām, le liqa ḫadār, le malhaza et le liqa makāso, il est impossible de dire quelle est la région sur laquelle ils exercent leur autorité. Quoi qu’il en soit, ce groupe de dignitaires forme ce que l’on peut appeler l’aristocratie du Beg wenā. Par aristocratie, j’entends un groupe de dignitaires au service de l’État et du roi, constituant une minorité exerçant une domination sociale sur la majorité. Ce groupe pouvait occuper des charges administratives, curiales, régionales, laïques ou ecclésiastiques, et était placé dans une position de dépendance vis-à-vis du roi puisque chacun des membres de cette aristocratie tirait sa charge et les revenus associés du roi. Certains semblent pouvoir hériter de la charge de leur père, à l’image du chef des musiciens qui dans la première donation de Lālibalā est Beg wenāy, et dans la seconde donation est le fils de Beg wenāy, créant ainsi une transmission héréditaire des charges155. La prédominance de dignitaires qui relèvent soit d’une échelle locale, située dans le nord du royaume, soit de l’échelle curiale, rassemblés sous un label « grands du Beg wenā », n’est pas sans surprendre. En effet, le toponyme de Beg wenā est bien connu. C’est une région, aujourd’hui un district, situé à l’Est du site de Lālibalā, qui relève lui du district voisin portant le nom de Lāstā156. C’est sous le toponyme d’Abrigima (le Bugnā, terminologie également employée pour Beg wenā) qu’Alvares, au début du xvie siècle, décrit la région où se trouvent les fameuses églises de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos. De même, l’un des pèlerins éthiopiens interrogé par Alessandro Zorzi à Venise en 1523, situe Wārwār (Urvuar), le site des églises de Lālibalā, comme étant la porte d’entrée dans la région du Bugnā, qu’il faut traverser durant cinq jours de marche pour atteindre le Tegrāy157. Si bien qu’au xvie siècle, Beg wenā/Bugnā est vu comme la région des églises de Lālibalā. On trouve des Le travail de Jonathan Powis a été très inspirant pour définir ce groupe de dignitaires comme une aristocratie : J. Powis, « Aristocratie et bureaucratie dans la France du xvie siècle : État, office et patrimoine », dans L’État et les aristocraties xiie-xviie siècle. France, Angleterre, Écosse, éd. P. Contamine, Paris, 1989, p. 232-233, de même que celui de Joseph Morsel sur l’aristocratie médiévale (J. Morsel, L’aristocratie médiévale. La domination sociale en Occident (ve-xve siècle), Paris, 2004, p. 13-17, 61-72). 156  Au sujet de l’histoire des toponymes Beg wenā et Lāstā, voir M.-L. Derat, « Du Beg wenā au Lāstā », 2009 et C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire. Géopolitique, art et production manuscrite au Lāstā entre 1667 et 1768 », Annales d’Éthiopie, 24 (2009), p. 87-148. 157  O. G. S. Crawford, Ethiopian itineraries circa 1400-1524 including those collected by Alessandro Zorzi at Venice in the years 1519-1524, Cambridge, 1958, p. 153. 155 

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occurrences de ce toponyme dans la documentation antérieure, mais rien qui permette de localiser cette région. Si bien que quiconque lisant aujourd’hui les donations de terre de Lālibalā, comprend le label « grands du Beg wenā » à la lumière de ce que l’on sait du Bugnā : ce sont les grands de la région des églises de Lālibalā. Ce n’est pourtant pas ce que nous apprennent ces textes. En aucun cas les dignitaires évoqués ne sont des religieux ou des gouverneurs qui puisent leur pouvoir de la région du Beg wenā. Sans doute faut-il comprendre autrement cette expression, en oubliant quelque peu ce que l’on sait aujourd’hui. Il ne s’agit pas ici de mettre en doute l’existence d’une région, le Beg wenā, qui se superpose plus ou moins à l’actuel Lāstā. La région comme sa localisation sont attestées historiquement. Soit le Beg wenā fait référence à une entité autre que la région – comme si l’expression « grands du Beg wenā » signifiait « grands du royaume »158, soit c’est l’origine géographique des dignitaires qui est en question, ce qui signifierait que le roi Lālibalā aurait installé à la tête des plus hauts échelons de l’État et de l’Église, exclusivement des personnes originaires du Beg wenā. Un détail de l’acte no 8 de l’Évangile de Dabra Libānos justifie cette éventualité. On trouve en effet un ‘aqqābē sa‘āt Yerde’anna Krestos qui à la suite de son nom se dit « Beg wenāy de Ṣelālā »159. Yerde’anna Krestos occupait sa charge d’‘aqqābē sa‘āt de ’Ahām au cours du règne de Lālibalā (comme l’atteste l’acte no 7). N’étant pas en mesure de localiser Ṣelālā, on ne peut être définitif. Mais on peut comprendre cette indication comme une manière de se présenter en tant qu’officier du royaume, ou homme originaire du Beg wenā. Il faut toutefois remarquer que le métropolite de l’Église éthiopienne, moine égyptien consacré évêque d’Éthiopie par le patriarche d’Alexandrie, qu’on ne peut donc pas soupçonner d’être originaire du Beg wenā, est intégré dans la liste des grands du Beg wenā. Il y a donc bien dans cette expression une référence autre que purement géographique. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre l’information figurant dans la notice biographique du patriarche Jean VI dans l’Histoire des patriarches d’Alexandrie, qui présente ainsi le roi Lālibalā : « La race du roi (était) la tribu appelée An-Nakbah [‫» ]النكبة‬160. Si l’hypothèse de Jules Voir par exemple la mention des « grands du royaume » dans le récit de la donation faite par le roi Dāwit à l’église de Bētalehēm, Lāḥa Māryām, église Bēta Lehēm, Gayent, mf. Donald Crummey Illinois/IES 88.XXIV.9 (C. Bosc-Tiessé et M.-L. Derat, « Acts of writing and authority in Beg wena-Lasta », 2011). 159  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 192. 160  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193, p. ١١٥. 158 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

Perruchon est juste, et si donc Lālibalā est de la « tribu d’Albekuna », est-ce que le biographe copte n’a pas traduit l’expression « Beg wenāy », par quelque chose qui lui était plus familier, « tribu appelée Albekuna » ? Dans ce cas, le roi Lālibalā lui-même se présentait comme un membre de cette aristocratie du Beg wenā, c’est-à-dire du royaume. Je fais donc l’hypothèse qu’au cours du règne de Lālibalā, la formation politique sur laquelle ce souverain exerçait son pouvoir était le Beg wenā161. Le toponyme résiduel qui est conservé aujourd’hui à proximité des églises de Lālibalā ne doit pas induire une identification de ce royaume avec cette seule région. Nous n’avons pas les jalons qui permettent d’expliquer comment une entité politique a donné nom à une entité territoriale, mais je pense que c’est ce processus qui a eu lieu, et qu’au début du xiiie siècle, le Beg wenā représentait le royaume sur lequel régnait Lālibalā, un royaume qui s’étendait depuis l’actuelle Érythrée jusqu’à la région des églises de Lālibalā. Par conséquent, au tout début du xiiie siècle, il semble que le royaume chrétien d’Éthiopie soit à la fois gouverné par un roi mais aussi par une aristocratie, désignée sous l’appellation de « grands du Beg wenā ». Cette aristocratie est composée à la fois de gouverneurs régionaux, de dignitaires de la cour et d’ecclésiastiques.

Administration et territoires de l’État Beg wenā Les pans d’un système étatique qui nous sont donnés à voir montrent qu’une organisation territoriale était déjà en place au cours du règne de Ṭanṭawedem et que, par ailleurs, des dignitaires du royaume n’exerçaient pas forcément leur autorité sur une région donnée mais devaient leur rang à une fonction-clé dans le royaume, indépendante d’un territoire. Les trois textes dont nous disposons en tout et pour tout pour cerner un royaume qui domina la région des hauts plateaux orientaux de l’Érythrée et de l’Éthiopie actuels pendant environ deux siècles signalent que ces pièces ne sont pas les seules émises par une administration dont on ne peut que constater le degré d’organisation et d’élaboration. Les hasards de la conservation ont voulu que seules trois pièces nous soient parvenues. Pourquoi penser qu’il y en eut plus ? Parce que les formules employées pour exprimer par exemple les droits ou les exclusions de droits sur les terres données par les souverains aux églises sont les mêmes à l’époque de Ṭanṭawedem comme à celle de Lālibalā. C’est donc qu’il y eut au minimum une transmission, entre scribes, entre J’ai déjà avancé cette hypothèse dans un article antérieur : M.-L. Derat, « Les donations du roi Lālibalā », 2010.

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secrétaires, entre garants du droit foncier. C’est la raison pour laquelle on peut lire dans la donation de Ṭanṭawedem à l’église d’Urā Masqal, la formule suivante : De même j’ai fait attribuer ses hautes terres et ses basses terres, puits et lieux sombres, lieux larges et étroits, ses canaux d’irrigation (et) (fol. 8r) l’étendue du lieu sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre, sans montée et sans descente [sans droit de passage] où n’entrera pas le qabataynā neguś, ni l’āqqabē sensit et […], qu’il n’entre pas le ‘enqeba ṭebṭābē et celui qui porte le bâton (l’ennemi), où n’entreront pas le gardien du cheval et (la crinière) du lion162.

Tout comme dans la donation de Lālibalā aux églises de Marie, de la Croix et aux vierges (acte no 6), on trouve : Ainsi j’ai donné en gwelt, sans tribut et sans corvée, sans marché et sans passage, sans réquisition et sans séquestre. Que ni le cheval ni le lion n’entrent, que le chasseur étranger n’entre pas, à l’exception de la mère supérieure163.

Il faut donc imaginer que d’autres donations ont existé mais ne nous sont pas parvenues. À ce titre, la fonction de « secrétaire des édits » (ṣaḥafē te’ezāz) mentionnée dans la première donation de Lālibalā164 vient confirmer l’existence d’une administration organisée et hiérarchisée, dont on peut douter qu’elle n’ait émis qu’une poignée d’actes. Et l’on peut à bon droit se demander si le règne de Ṭanṭawedem est à l’origine de la mise en place de cette administration ou si c’est un héritage. Nous avons peu d’éléments de réponse, mais rappelons ici que Ṭanṭawedem fait une donation à l’église d’Urā Masqal lors de la douzième année de son règne. Ce qui laisse du temps pour mettre en place un système de gouvernement qui, de toute façon, hérite forcément de pratiques antérieures. Ceci étant dit, les donations de Ṭanṭawedem et de Lālibalā, bien que relevant d’un système foncier qui ne semble pas avoir fondamentalement évolué, dénotent des règles de promulgation et/ou d’enregistrement fort différentes165. À commencer par la liste des garants de l’acte. Dans les deux Donation de Ṭanṭawedem, fol. 7v-8r. Donation de Lālibalā, évangile d’or de Dabra Libānos, acte no 6. 164  Donation de Lālibalā, évangile d’or de Dabra Libānos, acte no 6. 165  Pour un point récent sur ces documents d’archives, voir A. Wion et P. Bertrand, « Production, preservation and use of Ethiopian archives (fourteenth-eighteenth century) », Northeast African Studies, 11 no 2 (2011), p. vii-xvi ; A. Wion, « Promulgation and registration of royal Ethiopian acts in behalf of political and religious instituions (Northern Ethiopia, sixteenth century) », Northeast African Studies, 11 no 2 (2011), p. 59-83 ; C. Bosc-Tiessé et M.-L. Derat, « Acts of writing and authority in Beg wena-Lasta », 2011). 162  163 

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

donations du roi Lālibalā retrouvées dans l’évangéliaire de Dabra Libānos, la liste de ces garants est particulièrement longue et développée (18 garants dans la première donation, 17 dans la seconde). Relevons simplement ici sa structure : des grands dignitaires du royaume sont cités, d’abord par la fonction – évêque, prêtre du roi, gouverneur régional (comme le mā’ekala bāḥer …) – suivie du patronyme. Rien de tout cela ne se trouve dans la donation de Ṭanṭawedem. Outre que le nom du métropolite égyptien nous permettrait de situer chronologiquement le règne de Ṭanṭawedem, l’absence de garants soulève la question de la garantie de l’acte. Mais nous avons de nombreux exemples, dans la compilation de donations foncières connue sous le nom de Liber Aksumae, d’actes qui ne citent pas de garants. Il faut toutefois envisager la possibilité que le mode d’enregistrement des actes, fort différent dans les deux cas, a entraîné des rédactions elles aussi différentes. Rappelons que la donation de Ṭanṭawedem est inscrite dans un petit cahier de 11 folios et est sans doute une copie tardive d’un acte antérieur, dont on ne sait pas où il était conservé. Tandis que les donations du roi Lālibalā ont été retrouvées sur des folios vierges d’un Évangéliaire, là où sont généralement conservées les archives d’une communauté pour garantir leur sauvegarde. Soit, lors de la copie tardive de la donation de Ṭanṭawedem, la liste des garants a été volontairement omise parce qu’elle n’avait pas d’utilité ; soit celle-ci n’a jamais existé. Ajoutons qu’une partie de la donation de Ṭanṭawedem précise les redevances dues par les usufruitiers des terres données à Urā Masqal, ce que les donations de terre de Lālibalā ne font pas. Nous avons donc à faire à des donations dans tous les cas, mais les actes eux-mêmes sont peut-être de nature très différente. Ce qui peut expliquer que leur forme diffère autant. Nos trois textes, que l’on peut difficilement comparer terme à terme, nous ouvrent donc bien une fenêtre sur un système administratif, mais une petite fenêtre, qui ne donne pas la mesure de ce qu’était ce système. À cela s’ajoute le fait que les trois donations en question concernent deux églises voisines, Dabra Libānos et les églises environnantes de Hām d’un côté, et Urā Masqal de l’autre, donc un territoire particulier formé par le Šemazānā et le Gwelo Makādā. Nous disposons certes d’une quatrième donation, celle réalisée par le roi Lālibalā pour l’église de Bēta Madḫanē ‘Alam (aujourd’hui sur le site de Lālibalā), mais les quelques lignes qui ont échappé à la « censure » et aux dommages du temps sont dépourvues de toute référence à des droits ou à des garants qui pourraient nous informer au sujet du système administratif ou de l’organisation territoriale de cette région. Toujours est-il que cette donation existe et que de ce fait elle témoigne que l’autorité du roi Lālibalā s’exerçait bien jusque-là.

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chapitre ii

Bien que la donation de Ṭanṭawedem ne fournisse aucun témoin comme garant de l’acte, elle donne en revanche une liste de gouverneurs régionaux qui sont exclus des droits sur les terres dont les bénéfices ont été affectés à l’église d’Urā Masqal et ses voisines ainsi que quelques dignitaires également mis en garde contre toute ingérence. Rappelons les termes de ces exclusions : Sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre, sans montée et sans descente [sans droit de passage] où n’entrera pas le qabataynā neguś, ni l’āqqabē sensit et […], qu’il n’entre pas le ‘enqeba ṭebṭābē et celui qui porte le bâton (l’ennemi), où n’entreront pas le gardien du cheval et (la crinière) du lion […] Qu’ils ne s’approchent pas les chefs (śeyyumān) du Gwelo Makādā, avec leurs pieds, avec leurs yeux, qu’ils ne la voient pas ; ou à cheval ou avec l’arc et le bouclier, en utilisant la force, qu’ils ne s’en approchent pas. Que le chef (śeyyum) de l’Agāmē166 n’approche pas de ses limites, que le chef (śeyyum) de Bur167 ne s’en approche pas ; que le chef (śeyyum) du Sarāwē168 ne s’en apCette région figure dans de nombreux textes. Le plus ancien est une inscription sur le trône d’Adulis (RIÉth 277), antérieure au ive siècle ap. J.-C. (au sujet des débats concernant l’attribution chronologique de cette inscription, voir Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, éd. E. Bernand, vol. 3 : traduction, A. Les inscriptions grecques, Paris, 2000, p. 43-44 ; F.-X. Fauvelle-Aymar, « Les inscriptions d’Adoulis », 2009, p. 141-147). Au xive siècle, le roi Amda Ṣeyon évoque l’Agāmē dans des donations de terre (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 22, 25, 28). Voir aussi Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.27, II.44, II.72, II.73, II.74, II.101, III.4, III.6 ; A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », 1994 [1996], 8.II ; La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 146, 197, 231, 247, 249. 167  La région de Bur apparaît dans les Vies des neuf saints comme une terre non chrétienne à leur arrivée (voir notamment « Il gadla Filpos e il gadla Yohannes di Dabra Bizan », éd. C. Conti Rossini, Memorie della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 8 (1900), p. 168). On trouve également mention du Bur dans les Vies des Justes qui évangélisent la région. Dans ce texte, l’officier ayant autorité sur la région de Bur est nommé śeyyum. Voir « Il Gadla Ṣādqān », éd. C. Conti Rossini, 1903, p. 12, 13, 22 ; Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.39, III.8 ; Lusini, 1998, p. 22V ; A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », 1994 [1996], 8, II. Le Bur se situait dans la partie orientale du Tegrāy, le long de la côte (D. Nosnitsin, « Bur », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 640). 168  La région du Sarāwē représente aujourd’hui la région centrale du haut plateau érythréen, séparée de l’Éthiopie actuelle par le cours du Marab, au Sud (A. Bausi, « Säraye », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig et A. Bausi, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 537). Probablement touché par la seconde christianisation, le Sarāwē aurait été évangélisé par le moine Libānos (La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 31, 155, 406, 488). Au xive siècle, le chef du Sarāwē portait le titre de śeyyum. On trouve également, à la fin du xve siècle, un ‘āqāṣēn du Sarāwē (Il « Gadla Absādi » (Dabra Māryām, Sarā’ē), éd. G. Lusini, 1996, p. 54 ; Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 44 (texte), p. 57 (traduction) ; G. Lusini, « Scritture documentarie etiopiche (Dabra Deḫuḫān e Debra Ṣegē, Sarā’ē, Eritrea) », 1998, p. 22-23, 24-25). 166 

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proche pas ; que le Ba’alā Ṣam‘ i ne s’en approche pas ; que le Bāḥer Nagāśi169 ne s’en approche pas170.

Une remarque s’impose, en particulier en ce qui concerne le premier passage cité : le texte n’est pas complet parce qu’il est particulièrement difficile à déchiffrer sur ce folio. Il y a donc une marge d’erreur possible dans la compréhension du texte lui-même. À cela s’ajoute le fait que certaines expressions ne sont pas compréhensibles en l’état actuel – qabataynā neguś, ‘enqeba ṭebṭābē, ba’alā ṣam‘ i – nous avons choisi de les conserver sous leur forme vernaculaire, en émettant l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de dignités. Mais ce n’est qu’une hypothèse. La majeure partie des fonctions évoquées dans la donation de Ṭanṭawedem nous est inconnue : quid du qabataynā neguś, de l’‘enqeba ṭebṭābē, de l’āqqabē sensit ou du ba’alā ṣam‘ i ? Ce sont des dignités que l’on ne trouve pas dans d’autres sources, même évoquées sous des formes différentes. Mais leur existence, indépendamment des fonctions auxquelles elles renvoient, signale que dès le xie siècle le roi Ṭanṭawedem se trouve à la tête d’une organisation politique structurée. Quatre dignitaires c’est peu, mais rien ne nous dit que tous les officiers du royaume sont cités ici. Il est donc difficile d’aller plus loin. En revanche, les gouverneurs régionaux nous ramènent en terrain plus connu et méritent que l’on s’y arrête plus longuement pour tenter de comprendre quelle est l’organisation territoriale sous-jacente. Cinq chefs (śeyyum) régionaux sont évoqués : le śeyyum de l’Agāmē, celui du Bur, celui du Sarāwē, et un officier qui porte le titre de bāḥer nagāśi c’est-à-dire le roi (ou vice-roi) de la côte. Il reste une région, celle du Gwelo Makādā, sur laquelle la donation de Ṭanṭawedem dit que plusieurs chefs (śeyyumān) y exercent leur autorité. Mais nous reviendrons sur cette question un peu plus loin.

169  Il s’agit ici de la référence la plus ancienne connue à cette fonction dont le tenant avait probablement autorité sur une partie de la côte puisque l’on traduit Bāḥr Nagāśi par roi (ou viceroi) de la côte. À l’époque du roi Zar’a Yā‘eqob, le Bur fut soumis à l’autorité d’un officier du royaume portant le titre de Bāḥr Nagāš, qui avait aussi sous sa juridiction l’Akkala Guzāy (qui n’est pas évoquée dans la donation de Ṭanṭawedem), le Šemezānā (également non citée dans la donation de Ṭanṭawedem), l’Agāmē et le Gwelo Makādā (Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, éd. J. Perruchon, 1893, p. 47, 111). Ici, il semble que l’Agāmē comme le Gwelo Makādā soient indépendants du Bāḥr Nagāśi. 170  Donation de Ṭanṭawedem, fol. 8v-9r.

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Le territoire dessiné par l’évocation de ces gouverneurs régionaux se situe à cheval sur l’Érythrée et l’Éthiopie actuels, dans la partie centrale et orientale des hauts plateaux (voir carte 4). Ce sont des régions bien connues pour des périodes postérieures. Mais tentons de voir si on en trouve mention pour les périodes antérieures. Seule la région de l’Agāmē figure dans une inscription grecque de la période aksumite, gravée sur le trône d’Adulis, qui fut copiée par Cosmas Indicopleustès au début du vie siècle171, et qui ne fut jamais retrouvée par la suite. L’attribution chronologique de cette inscription fait l’objet de débats. Le seul point de convergence réside dans le fait que le roi qui fit graver cette inscription n’était pas chrétien et que par conséquent, il faut penser à une période antérieure au milieu du ive siècle172. Toutefois, récemment, François-Xavier Fauvelle a même remis en question l’identité aksumite de ce souverain en estimant qu’il pourrait s’agir d’un souverain du royaume courtier d’Adulis, indépendant d’Aksum, faisant célébrer ses victoires face aux peuples et territoires situés plus au sud à la fin du ier siècle ap. J.-C173. Il n’est pas question de trancher ici dans ce débat, mais l’idée que le souverain de l’inscription regarde vers le Sud, en direction des régions qu’il a conquises depuis la côte est-africaine, est très convaincante. Pour ce qui nous concerne, cela permet d’établir qu’à une période antérieure au ive siècle ap. J.-C., la région de l’Agāmē était déjà reconnue comme un territoire important, à conquérir174. On le trouve mentionné plus tard, dans des donations du roi Amda Ṣeyon (1314-1344)175. Le śeyyum de l’Agāmē, quant à lui, apparaît dans une documentation de la même époque. Il est évoqué dans la Vie du saint Libānos176, dont la rédaction n’est cependant pas antérieure au xive siècle177. L’Agāmē est la région où est implanté le monastère de Dabra Dāmo. Pour les xive et xve siècles, nous disposons d’une image beaucoup plus précise de ces territoires. Carlo Conti Rossini a réalisé un travail monumental W. Wolska-Conus, Cosmas Indicopleustès, Topographie chrétienne, Paris, 1968-1973, vol. 1, p. 372-378, vol. 2, p. 60-63 ; il s’agit de l’inscription RIÉth 277. 172  Voir un résumé de ces débats dans Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, éd. E. Bernand, 2000, p. 43-44. 173  F.-X. Fauvelle-Aymar, « Les inscriptions d’Adoulis », 2009, p. 141-147. 174  Carlo Conti Rossini estimait que puisque l’Agāmē n’était pas mentionné dans les donations de l’évangile de Dabra Libānos avant le règne d’Amda Ṣeyon, cette région pourtant voisine du monastère de Dabra Libānos, ne devait avoir « aucune importance, ni unité politique » (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 195). 175  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, no 22, p. 207 ; no 25, p. 212. 176  La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, § 231, 247, 249. 177  La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. xxvii-xxix. 171 

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au sujet de ces régions et de leurs traditions178. En ce qui concerne celles qui nous intéressent, il a montré que la région de Bur apparaît dans les Vies de neuf saints comme une terre non chrétienne à leur arrivée179, au vie siècle selon ces traditions – mais les Vies de ces moines responsables selon l’historiographie commune de la seconde christianisation, ne sont pas rédigées avant les xive et xve siècles180. On trouve également mention du Bur dans la Vie des Justes (les Ṣādqān), qui évangélisent la région181, où il est fait allusion au śeyyum du Bur182. À l’époque du roi Zar’a Yā‘eqob (1434-1468), le Bur fut soumis à l’autorité d’un officier du royaume portant le titre de bāḥr nagāš, qui avait aussi sous sa juridiction l’Akkala Guzāy (qui n’est pas évoquée dans la donation de Ṭanṭawedem), le Šemazānā (également non citée dans la donation de Ṭanṭawedem), l’Agāmē et le Gwelo Makādā183. On trouve ainsi une organisation territoriale qui, au milieu du xve siècle, plaçait une partie des régions qui nous intéressent sous l’autorité supérieure d’un seul dignitaire, le bāḥr nagāš, emboîtant ces régions les unes dans les autres. Le Sarāwē, toutefois, n’entrait pas dans ce dispositif. Nous reviendrons sur ce territoire ultérieurement. Cette impression d’emboîtement est renforcée par les superpositions qu’entraînent toute tentative de localiser précisément ces régions : le Gwelo Makādā est généralement présenté comme une région de l’Agāmē184 et le Bur est vu comme un territoire couvrant une partie de l’Agāmē et de l’Akkala Guzāy185. Or, telle n’est pas l’image que nous renvoie la donation de terre de Ṭanṭawedem : il semble que les chefs du Bur, de l’Agāmē, du Gwelo Makādā Voir notamment C. Conti Rossini, I Loggo e la legge dei Loggo Sarda, Florence, 1904 ; C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, Rome, 1914 ; C. Conti Rossini, Proverbi, traditiozioni e canzoni tigrine, Verbania, 1942. 179  Voir sa note historique sur la région de Bur (« Il gadla Filpos e il gadla Yohannes di Dabra Bizan », éd. C. Conti Rossini, 1900, p. 168). 180  À ce sujet, voir en tout dernier lieu le travail d’Antonella Brita (A. Brita, I racconti tradizionali sulla « seconda cristianizzazione » dell’Etiopia, 2010, p. 24-25). 181  « Il Gadla Ṣādqān », éd. C. Conti Rossini, dans Ricordi di un soggiorno in Eritrea, Asmara, 1903, p. 12, 13 ; « Une page du Gadla Ṣādqān », éd. R. Schneider, Annales d’Éthiopie, 5 (1963), p. 168. 182  « Il Gadla Ṣādqān », éd. C. Conti Rossini, 1903, p. 22. 183  Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, éd. J. Perruchon, 1893, p. 47, 111. Selon Sevir Chernetsov, l’office de Bāḫr nagāš était désigné sous un autre nom pendant le règne de la dynastie des Zāg wē. Il s’agissait selon lui du Mā’ekala Bāḥer (S. Chernetsov, « Baḥǝr nägaš », 2003, p. 444), titre évoqué dans la seconde donation de terre du roi Lālibalā conservée dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte no 7). La donation de Ṭanṭawedem fait remonter le titre de Bāḫr Nagāśi à une période beaucoup plus haute et pose la question de l’équivalence, ou non, entre le Bāḫr Nagāśi et le Mā’ekala Bāḥer. 184  M. C. Curtis et D. Nosnitsin, « Gulo Mäkäda », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 911. 185  D. Nosnitsin, « Bur », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 639. 178 

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ou du Sarāwē ne soient pas sous l’autorité de celui qui est alors appelé le bāḥr nagāśi, et rien ne nous permet de penser qu’une seule de ces régions s’emboîte dans une autre. À l’exception de l’information sur laquelle nous sommes passés assez vite plus haut : le fait que la donation de Ṭanṭawedem évoque plusieurs chefs pour le Gwelo Makādā et non pas un seul. On peut alors se demander si la suite du texte n’est pas une énumération des chefs du Gwelo Makādā, ce qui laisserait à penser que le chef de l’Agāmē, celui du Sarāwē, celui du Bur, le bāḥr nagāśi et le ba’alā ṣam‘ i étaient tous pris dans une entité plus large, le Gwelo Makādā. Même si l’on ne retient pas cette possibilité, simple hypothèse pour le moment, la donation de Ṭanṭawedem nous donne à voir un état de l’organisation territoriale du royaume, et probablement d’une partie seulement du royaume – celle concernée par la donation à l’église d’Urā Masqal – qui semble être très différente de ce que l’on connaît pour les xive et xve siècles. De deux choses l’une : soit l’on considère que c’est un argument pour discréditer ce document, soit au contraire que c’est un argument pour son authenticité. Je penche évidemment pour la seconde solution. Alors qu’au xiie siècle Sarāwē, Bur, Agāmē semblent jouir d’un statut équivalent – de même pour le Gwelo Makādā, à moins que cette dernière région ait englobé les trois précédentes, mais je le rappelle, ce n’est que pure hypothèse – au xve siècle en revanche, le Bur, l’Agāmē et le Gwelo Makādā ne forment plus qu’une seule entité territoriale sous l’autorité d’un bāḥr nagāš. L’autre enseignement de la donation de Ṭanṭawedem concerne précisément la fonction de bāḥr nagāśi, attestée dès le xiie siècle. Comment cette aristocratie est désignée, quels sont ses revenus ? Les archives dont nous disposons ne nous le disent pas, sauf pour ce qui concerne les religieux. Parmi eux, figure en effet le chef de la communauté de Dabra Libānos, l’‘aqqābē sa‘āt. Celui-ci, pour faire vivre sa communauté, percevait les redevances sur les terres qui lui ont été allouées par le roi. Cela signifie donc que des paysans travaillaient sur ces terres, en étaient les tenanciers et devaient un impôt à l’église. Les donations de Lālibalā ne font pas directement allusion à cette organisation économique et sociale, même si l’attribution de terres à des églises, terres qui ne sont pas cultivées par les moines, en tout cas pas en totalité, induit logiquement ce type d’organisation, qui place le domaine foncier au cœur du système politique et social du royaume. Mais, on trouve dans la donation de Ṭanṭawedem des indications extrêmement intéressantes concernant la manière dont est constitué le domaine foncier d’une église et le statut des dépendants de ces domaines.

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Domaine foncier et servitude Un passage de la donation de Ṭanṭawedem évoque de manière très précise comment des terres sont prises à des groupes de populations pour être données à l’église de la Croix de Qefereyā et quels sont les différents statuts personnels des paysans appartenant au domaine foncier ainsi constitué : Encore, ayant fait droit (?) au tribunal du roi aux habitants de Salaba avec (leurs) biens (et) leur terre, nous leur avons fait attribuer leurs gens et leur bétail, (leurs) esclaves et leurs maîtres, leurs esclaves (?) et leurs hommes libres jusqu’aux chiens aussi, qui demeurent dans leurs murs. De même j’ai fait attribuer la terre de Ne‘ebāt depuis Oro Mada le bas, Māya Śā’enāy le bas et depuis ‘Āma Gwabāy (fol. 6r) de ce côté-ci, depuis au-dessus de Māya Gwend de ce côté-là, depuis Kwe‘asēnā le haut, Medbāy le haut, depuis Gwalā’ē de ce côté-là, depuis Rād de ce côté-ci, depuis Gwabāḥ le haut, depuis le rebord de ‘Aśā le bas et ainsi, j’ai fait attribuer à l’église de la Croix et au saint Ḫarayo. 6 gantā. Et encore, j’ai fait attribuer à l’église de la Croix, Ṣa‘āndewāt depuis Ṣerā‘e, la terre des musulmans, le Très-Haut nous a donné leur terre et leurs possessions – nous avons foi (dans) le Seigneur – les ayant combattus, eux étant musulmans. Quant à moi, je les ai données à l’église de la Croix, (fol. 6v) et à Gabre’ēl, avec leur terre, leur bétail, avec leurs gens et leurs vaches – quant à ma chair, que le Seigneur aie pitié de moi dans son royaume –, la terre de Ṣe‘endēwe […]186.

Réglons avant tout une question de vocabulaire. Dans le premier paragraphe cité, il est évoqué des esclaves (gabr). La traduction du terme de gabr par esclave se fonde sur d’autres exemples, tirés de textes postérieurs à la donation de Ṭanṭawedem. Par exemple, dans les actes d’un saint éthiopien du xive siècle, nommé Yāfqeranna Egzi’e, l’hagiographe fait allusion à un « gabr », qui lui a été offert par des gens et que le saint décide d’affranchir (ag’azo, littéralement il lui donna la liberté)187. À cet égard, il faut signaler que le terme employé pour affranchir l’esclave (ag’aza) partage la même racine que celui qui désigne l’homme libre en ge’ez (ag’az) et par extension un Éthiopien188. Le traducteur a choisi de rendre gabr par esclave, ce qui me paDonation de Ṭanṭawedem, fol. 5v-6v. Das Leben des Hl. Jafqerana ’Egzi’, éd. I. Wajnberg, Rome, 1936 (Orientalia Christiana Analecta, 106), p. 82 (texte), 83 (trad.). 188  W. Leslau, Comparative dictionary of Ge’ez : classical Ethiopic. Ge’ez-English – English-­ Ge’ez with an index of the Semitic roots, Wiesbaden, 1991, p. 175-176. À ce sujet, voir J. ­Ludolf, Historia Æthiopica sive brevis et succincta descriptio regni Habessinorum, Francfort, 1681, livre I, 4 (dans la traduction française récente : J. Ludolf, Histoire de l’Éthiopie. Brève description 186  187 

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raît tout à fait justifié dans ce contexte : on voit bien dans cet exemple que le gabr est un bien cessible et non libre. C’est donc un esclave. Un autre exemple tiré d’un texte hagiographique du début du xvie siècle confirme que gabr doit être traduit par esclave. Dans la Vie d’abbā Yonas, fondateur d’églises et de monastères dans la région du Sarāwē au Tegrāy, il est fait allusion dans un miracle à un homme qui fut capturé par « des gens mauvais » et vendu à Massawa à des habitants des îles Dahlak, l’une des voies d’exportation des « produits » de l’intérieur vers le commerce à longue distance. Une fois vendu, le captif est désigné comme gabr – esclave – par ceux qui l’ont acheté. Il n’y a ici aucun doute à avoir sur son statut189. En second lieu, il faut relever une certaine analogie entre la manière dont le roi Ṭanṭawedem rappelle ses victoires sur les musulmans de Ṣerā‘e et le butin qu’il a fait à cette occasion, et la manière dont les souverains aksumites faisaient état de leurs victoires sur les stèles. Ṭanṭawedem mentionne trois types de biens pris sur les populations conquises : les terres, le bétail, les hommes, y compris les esclaves, sans toutefois dénombrer de manière précise les têtes de bétail ou les hommes. Dans les inscriptions aksumites (par exemple, celles d’Ezānā RIÉth 188, ive s. ap. J.-C. ; de Kāleb, RIÉth 191, vie s. ap. J.-C. ; ou encore de W’zb, RIÉth 192, vie siècle ap. J.-C.)190, le plus souvent les souverains dénombrent les victimes, et ensuite énumèrent le nombre d’hommes, de têtes de bétail qu’ils ont capturé191. La terre ne semble pas figurer comme une part du butin. En tout cas, elle n’est pas évoquée. Malgré l’analogie, les donations de Ṭanṭawedem témoignent d’un changement profond dans la destination du butin et sans doute l’intérêt porté à la terre participe de ce changement. Les rois aksumites non-chrétiens pouvaient offrir au dieu Maḥrem quelques têtes de bétails et des prisonniers, en remerciement de leur victoire192. Les rois chrétiens, au vie siècle, font construire une église193. Mais dans les deux cas, le butin semble entrer dans les revenus royaux. Il est peut-être distribué à certains militaires ayant participé au combat et à des dignitaires du royaume, mais cela n’est jamais mentionné. Avec du royaume des Abyssins vulgairement appelé à tort du Prêtre Jean publiée en 1681, éd. J. Tubiana, Apt, 2008, p. 31-32). 189  « Gli atti di abba Yonas », éd. C. Conti Rossini, Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 12 (1903), p. 245. La traduction est la mienne. 190  Recueil des inscriptions de l’Éthiopie, 1991, p. 258-261, p. 271-274, 274-278. 191  P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 230, 251, 264. La question du sacrifice ou non des prisonniers offerts au dieu Maḥrem a été récemment soulevée par A. Manzo, « Snakes and Sacrifices : Tentative Insights into the Pre-Christian Ethiopian Religion », Aethiopica, 17 (2014), p. 7-24. 192  RIÉth 188 ; P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 230. 193  RIÉth 191 ; P. Marrassini, Storia e leggenda dell’Etiopia tardoantica, 2014, p. 251.

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le règne de Ṭanṭawedem, et peut-être avant, mais nous n’avons pas les jalons pour marquer de manière plus fine cette évolution, le butin est transféré à une église, y compris la terre. Ce n’est donc plus le roi et ses clients qui tirent profit immédiat du butin, mais une église qui voit ainsi ses revenus assurés. La donation de Ṭanṭawedem fait allusion à deux parties différentes du domaine donné à l’église de la Croix et à deux groupes de population. Le premier groupe, désigné par le terme générique de Daqiqa Salaba, les habitants de Salaba194, semble être littéralement donné à l’église et le document précise que ce sont aussi bien les terres, les biens que les personnes qui sont concernés. Parmi ces personnes, sont distingués les esclaves et leurs maîtres, non-libres et libres, ce qui semble impliquer que les paysans libres ont leurs propres esclaves. L’expression Daqiqa Salaba pourrait aussi être entendue comme une allusion à un groupe d’esclaves, daqiqa, ayant parfois cette acception195. Mais le texte distingue cependant bien les esclaves des libres. Le second groupe de population est composé des musulmans de Ṣerā‘e : là encore, ce sont les possessions, les terres et les personnes qui sont données à l’église de la Croix et à Gabriel. Est-ce que les musulmans ainsi placés comme dépendants de l’église sont considérés comme des non-libres ? Le document ne nous le dit pas mais il y a tout lieu de le penser. Par cette donation, toutes ces personnes se trouvent désormais dans une position de dépendance vis-à-vis de l’église. Ils doivent des redevances à celle-ci. Elles sont détaillées à la fin de la donation : il s’agit de redevances en grain. Mais si les possessions de ces groupes, y compris le bétail, entrent dans le domaine de l’église d’Urā Masqal, il faut sans doute estimer qu’une part des produits issus de ce bétail devait aussi être versée à l’église. Tous n’ont pas le même statut dans cette dépendance. On peut logiquement estimer que le paysan libre disposait de droits différents du non-libre. Mais quels étaient ces droits et comment, dans les faits, ces deux statuts se différenciaient ? Quelle était la part des non-libres par rapports aux libres ? Nous ne pouvons pas le dire. Mais il faut souligner l’importance de ces informations au regard de la documentation postérieure. Aucun document antérieur au xvie siècle, dans l’état actuel du corpus, n’évoque les statuts des paysans, le système de dépendance qui, pourtant, perdure probablement puisque les donations de terres aux églises se poursuivent après le xiiie siècle. 194  Il semble que Salaba désigne aussi une région où est implanté le monastère de Dabra Sihat (également connu comme Dabra Sina), sur la route entre Massawa et Addi Qayeh, dans l’actuelle Érythrée (Abba Nabyud de Dabra Sihat. Visions et conseils ascétiques, éd. R. Beylot, Louvain, 1976 (CSCO 377-378, Script. Aeth. 70-71), p. v). 195  Y. Kobishchanov, Axum, The Pennsylvania State University, 1979, p. 156.

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Malgré les limites de la documentation, l’organisation que révèlent les donations de terre de Ṭanṭawedem et de Lālibalā permet de comprendre le processus à l’œuvre dans l’émergence de la formation politique qui s’est affirmée, au fil du temps, comme le royaume du Beg wenā et a été reconnue comme l’autorité suprême des chrétiens d’Éthiopie par les pouvoirs égyptiens. Nous avons insisté sur le contexte dans lequel apparaît notre nouvelle lignée royale : toute une région se couvre d’églises, témoignant d’une christianisation en profondeur d’un territoire et d’une population, et du choix de limiter l’ostentation aux édifices religieux. Dans le même temps, des domaines fonciers sont alloués aux églises. Ces domaines ne sont pas faits que de terres, ils concentrent entre les mains des ecclésiastiques les paysans, qu’ils soient libres ou non-libres, et leurs biens, faisant entrer de larges pans de la société éthiopienne dans un système de dépendance. Si bien que toute la richesse produite sur ces domaines bénéficie avant tout à l’Église. D’autant que les donations prévoient, que les terres ainsi données sont exclues des droits perçus habituellement par les rois. Les donations précisent bien en effet « sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre »196. La concentration entre les mains de l’Église des hommes et de la terre a sans aucun doute favorisé le mouvement de christianisation et de fondation de nouveaux édifices religieux. Les rois du Beg wenā se sont situés au sommet de cette société, par la maîtrise du foncier. Ils ont eux-mêmes agi comme des patrons, à l’image du roi Lālibalā qui a consacré une grande partie de son règne au site qui porte désormais son nom, qui rassemble une douzaine d’églises rupestres. Lālibalā incarne en quelque sorte l’aboutissement du mouvement que l’on voit émerger sous Ṭanṭawedem. En résumé, les titulatures de Ṭanṭawedem et Lālibalā nous invitent à considérer qu’une nouvelle lignée royale fit son apparition, au cours du xiie siècle. Cette lignée se réclame d’un héritage aksumite, qui souligne le lien culturel qui unit ces souverains avec ceux que l’on connaît jusqu’au viie siècle. Mais elle se désigne aussi avec un titre nouveau, celui de ḥaḍāni, qui pourrait indiquer que le pouvoir de cette nouvelle lignée royale émane d’un autre territoire que celui d’Aksum. Pourquoi pas le territoire dessiné par des vestiges chrétiens qui prennent en écharpe le village de Hām, en passant par la vallée du Gar‘āltā jusqu’à Nāzrēt, où de nombreuses églises peuvent être rapportées à la période courant du ixe au xiie siècle ? Cette lignée royale surgit non pas Donation de Ṭanṭawedem, fol. 8r ; Donation de Lālibalā, évangile d’or de Dabra Libānos, acte no 6.

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L’émergence d’une nouvelle formation politique

d’un no man’s land, mais est le fruit d’un lent processus de christianisation, marqué par un mouvement d’opposition sous la bannière de la reine des Banū l-Ham(u)wīya, non chrétienne, au milieu du xe siècle. À l’issue de cet épisode, la christianisation reprend de plus belle, appuyée par des relations régulières entre l’Église d’Éthiopie et l’Église d’Alexandrie. Une formation politique émerge alors, s’impose comme un royaume, à la tête duquel on trouve, sans doute au xiie siècle, dans un contexte de pressions des communautés musulmanes pour la construction de mosquées et d’oppositions des chrétiens à ce développement, le roi et ḥaḍāni Ṭanṭawedem. On peut donc poser comme hypothèse que la lignée royale que l’on voit apparaître dans la documentation avec Ṭanṭawedem a participé à ce vaste mouvement de fondations religieuses au Tegrāy oriental et que c’est peutêtre l’émergence d’une élite politique, imprimant une christianisation profonde dans cette région, qui a donné naissance à cette lignée. Rien ne nous dit que ce mouvement a été continu. Peut-être les fondations du xiie siècle sont-elles le fruit d’une seconde ou d’une troisième période, venant recouvrir et/ou combler les fondations antérieures, mais ce n’est pas contradictoire avec l’idée que notre nouvelle lignée royale est le fruit de ce processus politique et religieux. Cette formation politique en devenir a peut-être d’abord coexisté avec les cités-États de la période aksumite, puis leur a survécu, et s’est imposée enfin comme un royaume. Ce royaume est reconnu comme celui qui incarne l’autorité chrétienne sur l’Éthiopie par les chrétiens, mais aussi par les califes puis sultans d’Égypte, mais ce processus est peut-être relativement long avant que l’identification soit précise. Elle l’est au cours du règne de Lālibalā.

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chapitre iii

Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne  au tournant du xiie et xiiie siècle Les premiers temps de cette nouvelle lignée royale et du royaume qu’elle dirige sont désincarnés. Deux figures émergent : Ṭanṭawedem et Lālibalā. S’agissant des autres souverains de cette dynastie, nous ne savons quasiment rien à partir de la documentation contemporaine des faits. Seul un troisième roi, Anbasā Wedem, se distingue au début du xiie siècle. Mais il n’est même pas certain qu’il appartienne à la même lignée royale que celle de Ṭanṭawedem et Lālibalā. Si bien qu’avec le règne de Lālibalā, au tournant des xiie et xiiie siècles, l’histoire prend chair. Ce souverain a occupé le trône d’Éthiopie pendant plus de vingt ans et a laissé de nombreux témoignages de son règne. Il est aussi longuement question de lui et de son royaume dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, ce qui permet de compléter le tableau brossé par la documentation éthiopienne, tout en observant des points de contradiction qu’il nous faut tenter de démêler. Le royaume sur lequel régnait Lālibalā et son organisation politique et religieuse pourront ainsi émerger de cette documentation. Lālibalā exerce le pouvoir en Éthiopie alors que l’Égypte et une grande partie du Proche-Orient vivent des mutations profondes liées aux conquêtes de Saladin, à la prise de Jérusalem aux Croisés en 1187 et à l’installation de la dynastie ayyubide au Caire1. Ce contexte particulier eut-il la moindre répercussion sur le royaume d’Éthiopie et sur les choix opérés par Lālibalā ? On a ainsi longtemps pensé que le creusement des églises, aujourd’hui connues comme étant les églises de Lālibalā, résultait de la volonté des Éthiopiens d’implanter une nouvelle Jérusalem dans leur royaume, à l’abri des 1  Au sujet de Saladin et de cette période de confrontation entre Occident et Orient, voir notamment H. A. R. Gibb, « The achievement of Saladin », Bulletin of the John Rylands Library, 35 no 1 (1952), p. 44-60 ; D. E. P. Jackson, « 1193-1993. An appreciation of the career of Saladin », dans Egypt and Syria in the Fatimid, Ayyubid and Mamluk Eras, éd. U. Vermeulen et D. de Smet, Louvain, 1995 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 73), p. 219-228 ; Y. Lev, Saladin in Egypt, Leiden, 1999 ; C. Hillenbrand, The Crusades. Islamic perspectives, Londres, 1999, p. 171-193.

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chapitre iii

musulmans2. Mais des voix se sont élevées pour affirmer que le contexte strictement local devait être pris en compte dans la compréhension de ce site, en soulignant notamment la politique plutôt favorable de Saladin vis-à-vis des chrétiens d’Orient, qu’il distinguait des Latins3. Il est donc nécessaire de poser la question de la synchronie, en se demandant si les églises fondées par notre roi sont une représentation symbolique de Jérusalem pour palier l’impossibilité du pèlerinage en Terre Sainte. Il faut aussi s’interroger sur le projet de Lālibalā lui-même et tenter de distinguer celui-ci de son interprétation ultérieure. La reconstitution de la figure de Lālibalā à travers l’analyse de la documentation historique contemporaine permet à la fois d’éclairer certains aspects de son règne tels que son mariage avec Masqal Kebrā, sa dévotion, sa vision de la monarchie, d’analyser ce que ce roi pouvait représenter pour les Coptes et pour le pouvoir égyptien, mais aussi d’examiner des points du savoir commun ayant trait à la capitale du royaume éthiopien ou à la place du métropolite égyptien.

Gabra Masqal, le Serviteur de la Croix Lālibalā et la dame de Biḥat On ne sait pas quand Lālibalā devint roi. Il occupait le trône d’Éthiopie quand l’évêque Mikā’ēl de Fuwwah fut nommé métropolite d’Éthiopie par le patriarche Jean VI en 1204. Il était encore roi quand, en 1225, il fit une donation à l’église d’Endā abbā Maṭā‘e/Dabra Libānos du Šemazānā. On ne sait pas non plus quel était le nom de son prédécesseur, ni même de son successeur. Lālibalā se présente dans ses titulatures comme « fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā », sans que l’on soit en mesure de savoir s’il est fait référence ici à une lignée royale ou à une généalogie. On ne sait encore pas dans quelle région Lālibalā a été élevé, où étaient situés ses racines. Mais une fois devenu roi, sa figure se précise. Il a épousé une certaine Masqal Kebrā, qui est présentée comme la « dame de Biḥat » dans les donations de terre de Dabra Libānos. Biḥat est un 2  Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 273274 ; Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 58-59. 3  E. van Donzel, « Ethiopia’s Lalibäla and the fall of Jerusalem 1187 », Aethiopica, 1 (1998), p. 27-49 ; E. van Donzel, « Were there Ethiopians in Jerusalem at the time of Saladin’s Conquest in 1187 ? », dans East and West in the Crusader States : Context, Contacts, Confrontations, éd. K. Ciggaar et H. Teule, Louvain, 1999 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 92), p. 125-131.

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Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne

village au voisinage du Šemazānā, au sud de l’actuelle Érythrée, près de Gunā Gunā4. La femme de Lālibalā était donc soit originaire de la région où Dabra Libānos était implanté, soit à la tête du domaine foncier de Biḥat, et peut-être les deux. Biḥat est d’ailleurs donné à l’église de ’Ahām par l’acte daté de 1225, ce qui tend à montrer que Masqal Kebrā a sans doute cédé ses droits sur ces terres, ou une partie de celles-ci, au profit de l’institution religieuse. La place de la reine Masqal Kebrā est tout à fait originale et primordiale dans le royaume éthiopien en ce xiiie siècle. Aucun souverain auparavant n’a jamais associé sa femme à des actes royaux. Certes, les inscriptions des souverains aksumites sont généralement des inscriptions de victoire, mais il faut souligner qu’aucun nom de reine n’émerge dans la documentation qui précède le règne de Lālibalā, à part la reine des Banū l-Ham(u)wīya, qui incarne l’ennemi par excellence du royaume chrétien. Or, dans la seconde donation de terre du roi Lālibalā, copiée dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte no 7), la titulature du souverain inclut le nom de la reine : Moi, le haḍāni Lālibalā, dont le nom de règne est Gabra Masqal, homme courageux qui n’est pas vaincu par l’ennemi, par la force de la Croix de Jésus-Christ, fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assedā, et le nom de ma femme (est) Masqal Kebrā, qui craint le Seigneur, j’ai donné à Maṭā‘e de ’Ahām : Biḥat […].

Cette précision n’apparaît pas dans la première donation de terre conservée dans ce même évangéliaire (acte no 6), même si un peu plus bas le nom de Masqal Kebrā est mentionné et signale que dès 1204, Lālibalā l’avait épousée : Tandis que tous deux étaient unis, le roi Lālibalā et sa femme Masqal Kebrā, dame de Bēḥat, afin que ce soit une délivrance pour leur âme dans le royaume des cieux, et pour mon épouse afin qu’elle soit associée aux saintes femmes, Sara et Salomé, Hanna et Sophia, et que son péché ne soit pas compté et que le livre de sa transgression soit détruit, amen et amen, ainsi soit-il, ainsi soit-il.

En revanche, c’est la titulature avec mention du nom de la reine qui est parvenue à Alexandrie puisque dans la biographie du patriarche Jean VI, intégrée à l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, c’est ce schéma quelque peu déformé par la traduction en arabe, qui est repris :

Acta S. Baṣalota Mikā’ēl, éd. C. Conti Rossini, 1905, p. 54 et n. 2 ; A. Mordini, « La chiesa di Baraknaha, nello Scimezana », Annales d’Éthiopie, 4 (1961), p. 131). 4 

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chapitre iii

Le nom du roi d’Éthiopie qui régnait alors était Lālibalā, fils de Šanūdah, et son nom signifie lion ; le nom de sa femme était Masqal Kebrā, qui signifie la croix est illustre5.

Il semble que l’importance prise par Masqal Kebrā dans le royaume ne soit pas seulement d’ordre politique. Une inscription sur un meuble d’autel de l’église de Giyorgis sur le site de Lālibalā signale un attachement profond du roi pour la reine et à tout le moins une dévotion partagée par le couple royal : Marie, mère de Dieu, mère des martyrs et sœur des anges, qu’ont recherchée et entourée les prophètes ; ta louange est grande car tu la possèdes en abondance et elle t’est due plus qu’à tous les saints. Veuille prier pour nous, ô pleine de grâce ; tu es plus grande que les patriarches et tu es plus honorée que les prophètes ; tu as un aspect majestueux qui dépasse la majesté des séraphins et des chérubins. Tu es en vérité la gloire de notre race, et celle qui intercède pour la vie de nos âmes. Prie pour nous Notre Seigneur et Notre Sauveur Jésus-Christ, pour qu’il nous sauve par la foi droite dans la croyance en Lui, qu’Il nous fasse la grâce de Sa clémence et de Sa miséricorde, à ton serviteur Lālibalā et ta servante Masqal Kebrā6.

Nous ne connaissons pas d’autre épouse pour le roi Lālibalā. Peut-être n’en eut-il pas d’autres. Ce qui souligne la place exceptionnelle de Masqal Kebrā. Car il faut rappeler ici combien l’Église d’Alexandrie s’était émue de la polygamie des souverains éthiopiens à la fin du xie siècle, donc selon toute vraisemblance une pratique courante des prédécesseurs du roi Lālibalā, dénoncée en particulier par le métropolite Sawirus7. Ce dernier avait demandé au patriarche d’Alexandrie, Cyrille II (1078-1092), d’envoyer un courrier au roi éthiopien pour l’enjoindre d’abandonner la polygamie. Est-ce que ce sont les effets de ce courrier qui se font sentir au cours du règne de Lālibalā ? Si l’on en croit l’Histoire des églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines, dont les informations sont toutes antérieures à la fin du xie siècle, ce fut bien le cas puisque l’auteur écrit : « après cela, les Abyssins s’abstinrent de suivre leurs coutumes antérieures et commencèrent à n’avoir, pour chacun d’eux, « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 85 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, 1970, vol. 3, part. 2, p. 192-193. 6  Gigar Tesfaye, « Découverte d’inscriptions guèzes à Lalibela », Annales d’Éthiopie, 14 (1987), p. 77. Il faut ici signaler qu’il s’agit de la seule inscription où le roi associe sa femme à la dédicace. 7  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. S. Atiya, Y. Abd Al-Masih, O. H. E. Burmester, Le Caire, 1959, vol. 2, part. 3, p. 379-380. 5 

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Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne

qu’une seule femme »8. Toujours est-il que Masqal Kebrā est la seule épouse associée à Lālibalā. L’évocation récurrente de la reine dans les actes légaux de l’époque (les donations de terre), dans les dédicaces d’autel, dans les échanges avec l’Égypte dit peut-être autre chose que la seule monogamie royale et qu’un attachement profond du roi Lālibalā pour sa femme. Il se pourrait qu’elle soit la clé de voûte du pouvoir de son époux, celle qui par sa lignée, mit le royaume entre les mains de Lālibalā et lui permit de gouverner. Il jouirait ainsi d’une double légitimité qu’il convoque systématiquement : celle de son ascendance en ligne masculine, ascendance familiale ou politique – Morārā, Zānśeyyum, ’Assedā – et celle apportée par Masqal Kebrā dont l’origine – dame de Biḥat – est probablement essentielle dans ce dispositif. Le fait qu’au xve siècle, deux des reines de chaque règne porte le titre de ba’alteḥat, qui est une contraction de Ba’alta Biḥat9 – dame de Biḥat – vient appuyer cette hypothèse, témoignant de l’importance de la lignée des dames de Biḥat pour la royauté éthiopienne10. D’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, le couple royal eut deux fils, qui sont nommés Yetbārak, l’aîné, et ’Atyāb, le cadet11 – le nom de ce second fils étant probablement différent, mais la traduction par l’arabe a donné cette forme. Aucun autre document contemporain ne permet de recouper cette information, pas même pour savoir si l’un ou l’autre de ces fils succéda à Lālibalā. En revanche, on peut situer la charge dans le royaume de l’un des membres de la famille de Masqal Kebrā. Il s’agit de son frère Ḫīrūn (encore un nom déformé par le passage en arabe) qui, toujours d’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, se fit consacrer évêque de la « ville du roi » par le métropolite Mikā’ēl (Kil). Le biographe du patriarche Jean VI indique même que c’est la reine Masqal Kebrā qui intrigua pour que le métropolite procède à sa consécration. Et le métropolite par la suite, contraint de quitter l’Éthiopie

8  The churches and monasteries of Egypt and some neighbouring countries, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 290-291. 9  À ce sujet, voir M. Kropp, « “Antiquae restitutio legis” », 2005, p. 132-133 n. 56. 10  Dans sa thèse de doctorat, Margaux Herman a pu montrer que les souverains éthiopiens des xive-xvie siècles épousaient couramment une femme originaire du Tegrāy, peut-être en lien avec la nécessité de conserver l’appui de la lignée incarnée par Masqal Kebrā au xiiie siècle (M. Herman, Les reines d’Éthiopie du xve au xviie siècle. Épouses, mères de roi, « mères du royaume », Thèse de doctorat d’histoire, Université Paris I, 2012, p. 51-53). 11  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898-1899, p. 85 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 193.

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chapitre iii

en 1210, argua que cet Ḫīrūn devenu évêque tenta de le faire assassiner, ce qui l’obligea à fuir : Kil raconta que la reine, femme du roi, avait un frère nommé Ḫīrūn et qu’elle n’avait pas cessé de le poursuivre, de le presser et de faire intercéder auprès de lui par le roi jusqu’à ce qu’il eût sacré son frère évêque de la ville du roi12. Une fois ordonné, celui-ci chevauchait avec le parasol comme le métropolitain, il avait attiré les prêtres à lui, il rendait la justice aux habitants et les détournait d’aller chez le métropolitain, que l’on ne saluait plus et auquel on n’obéissait plus en rien. Le roi ayant quitté sa capitale avec son armée pour faire la guerre à ses ennemis, Ḫīrūn avait cherché traîtreusement à faire mourir Kil et avait envoyé à son palais une troupe de ses serviteurs qui, pendant la nuit, avait escaladé sa maison pour le tuer. Kil s’était enfui, suivi d’environ 500 personnes de ses amis, de ses domestiques qu’il avait achetés, de gérants et autres employés des pays qui relevaient du métropolitain, et qui comprenaient 40 villages13.

Cet épisode fut raconté par le métropolite lui-même au patriarche d’Alexandrie qui souhaitait connaître les raisons de son retour en Égypte. C’est donc un témoignage de première main qu’entendit également le biographe du patriarche Jean VI, et qu’il put restituer. Il semble qu’Ḫīrūn décéda deux mois après la fuite du métropolite14. Lālibalā, pour sa part, sommé de s’expliquer par le patriarche, accusa le métropolite Mikā’ēl d’avoir fait tuer un prêtre qu’il soupçonnait d’avoir volé dans le trésor de sa résidence épiscopale et dénonçait son mode de vie trop fastueux dont témoignait la résidence qu’il s’était fait construire dans la ville du roi15. Nous reviendrons plus loin sur la question de cette résidence, sur ce que signifie cette ville royale et sur la présence de plusieurs évêques dans le royaume éthiopien au début du xiiie siècle. Perruchon (« Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898-1899, p. 79) traduit ici madīnāt al-malik par « capitale », tandis que les traducteurs anglais ont choisi, à juste titre, de rendre cette expression par « ville du roi » (History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 187). J’ai donc corrigé la citation ci-dessus. 13  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898-1899, p. 79-80 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 186-187. 14  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898-1899, p. 81 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 188. 15  « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1898-1899, p. 80-81 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 188-189. 12 

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Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne

Il n’est pas possible ici de trancher pour savoir quelle version, celle du métropolite ou celle du roi Lālibalā, est la plus proche des événements. Le patriarche pour sa part choisit de déposer Mikā’ēl, qui perdit sa charge d’évêque, et envoya un nouveau métropolite en Éthiopie. Mais le sultan égyptien, par l’intermédiaire de son fils, semble avoir influé sur cette décision16. On voit bien ici que l’affaire revêtait une dimension politique et que le pouvoir égyptien choisit de ne pas froisser le roi Lālibalā. Cet épisode met en lumière la composition de l’aristocratie qui forme les grands du Beg wenā. Ceux-ci pouvaient être des membres de la famille royale. Dans le cas de Ḫīrūn, l’appartenance au clan royal lui est venue par alliance. Ce qui signale la position de Masqal Kebrā dans le royaume. Elle était suffisamment influente pour placer des membres de sa propre famille aux plus hautes fonctions. Son intervention dans les affaires qui regardent logiquement l’Église témoigne de pratiques sans doute assez répandues dans le royaume au xiiie siècle : le roi et ses proches gouvernaient l’Église d’Éthiopie. Pour mesurer la place de la famille royale dans la structure politique et religieuse du royaume, il faudrait déterminer l’origine familiale des grands du Beg wenā. Mais cette information ne nous est pas accessible en l’état actuel de la documentation.

Le roi dévot et le roi oint Bien que Ḫīrūn, frère de Lālibalā par alliance, ait été nommé évêque et ait ainsi donné au roi d’Éthiopie les moyens de contrôler l’Église, ce n’est pas en ces termes que Lālibalā situe sa fonction dans les dédicaces qu’il a laissées sur les meubles d’autel toujours conservés sur le site qui porte aujourd’hui son nom. Rédigées à la première personne, ces inscriptions sont autant de prières dites par le roi Lālibalā pour obtenir l’intercession de Marie, des archanges ou d’autres, et la miséricorde divine. Il s’y présente comme le « serviteur, pécheur et fautif »17 ou comme le « serviteur du Seigneur »18. Il ne se dit roi « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 82-83 ; History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. A. Khater, O. H. E. Burmester, 1970, vol. 3, part. 2, p. 190-191. 17  Sur les autels de Dabra Sinā-Golgotā (DSG01, DSG03) et de Bēta Gabre’ēl-Rufā’ēl (BGR01) : S. Strelcyn, « Quelques inscriptions éthiopiennes sur des “mänabert” des églises de Lalibäla et de sa région », Bibliotheca Orientalis, 36 (1979), p. 138, 142 ; Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de trois églises de Lalibala », Journal of Ethiopian Studies, 17 (1984), p. 117, 119, 123-124 ; C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 74-76, 77-79, 85-92. 18  Sur les autels de Bēta Madḫanē Alam (BMAO3) et de Dabra Sinā-Golgotā (DSG02, DSG04) S. Strelcyn, « Quelques inscriptions éthiopiennes sur des “mänabert” des églises de Lalibäla et de sa région », 1979, p. 138-139 ; Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de 16 

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chapitre iii

que sur un seul autel, qu’il a dédié aux vingt-quatre prêtres du ciel et qui est conservé dans l’église de Madḫanē ‘Alam : Moi, le roi Lālibālā (demande) au nom des 24 prêtres du ciel, qu’ils prient Dieu de me remettre (mes) péchés et mes fautes, amen et amen19.

Un autre autel de l’église de Madḫanē ‘Alam porte également la mention de roi, mais le nom du souverain, qui suit logiquement, n’est pas lisible car l’objet est endommagé à cet endroit20. Lālibalā se présente donc avant tout comme un dévot, empli d’humilité, se situant comme le serviteur de Dieu. Son nom de règne, Gabra Masqal – le Serviteur de la Croix –, illustre parfaitement cette conception. Qui plus est, Lālibalā se dit être un roi oint. Sur un autel conservé dans l’église de Golgotā, qu’il dédie au dimanche, le « sabbat des chrétiens »21, il supplie le Christ de lui offrir sa miséricorde et lui rappelle : Tu m’as magnifié et tu m’as élevé plus que je ne mérite, tu m’as rapproché de toi par ta miséricorde, tu m’as gratifié d’un grand nom, alors que je suis pécheur et coupable. Et en plus tu m’as donné en partage la royauté de ce monde et tu m’as oint avec l’huile de la royauté [qeb’a mangest], moi qui suis le plus humble de tous, et tu te complais en moi, pécheur22.

L’évocation de l’onction royale pourrait n’être qu’une simple image, sans lien avec une réalité concrète qui est celle de la consécration du nouveau roi trois églises de Lalibala », 1984, p. 120, 121 ; C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 64, 77, 79-81. 19  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 60 ; voir aussi S. Strelcyn, « Quelques inscriptions éthiopiennes sur des “mänabert” des églises de Lalibäla et de sa région », 1979, p. 138 ; Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de trois églises de Lalibala », 1984, p. 122-123. 20  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 62 ; voir aussi Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de trois églises de Lalibala », 1984, p. 123 qui a choisi de restituer Lālibalā là où le nom du roi manque. 21  Cette référence au sabbat des chrétiens sur l’un des autels de Lālibalā laisse à penser que les débats autour de la célébration du sabbat le samedi – le premier sabbat ou sabbat des Juifs dans la littérature éthiopienne – en plus du repos dominical, était d’ores et déjà d’actualité au début du xiiie siècle (cf. G. Lusini, Studi sul monachesimo eustaziano (secoli XIV-XV), Naples, 1993 (Studi Africanistici, Serie etiopica, 3), p. 27). La controverse sur les sabbats, menée du côté du parti pro-sabbat par le moine Ewosṭātēwos, a opposé tout au long du xive siècle et jusqu’au xve siècle, les partisans d’Ewosṭātēwos au métropolite et à une partie du clergé éthiopien ainsi qu’au roi. En 1450, le roi Zar’a Yā‘eqob fait reconnaître l’orthodoxie de l’observance des deux sabbats par les métropolites pour tenter de mettre un terme à cette controverse. 22  Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de trois églises de Lalibala », 1984, p. 117. Voir également C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 76 (DSG 01).

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par le chrême de la royauté. Mais il faut rappeler en premier lieu que le métropolite Mikā’ēl déclare, dans la note conservée dans l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, qu’il a oint sept rois au cours de sa charge, dans la première moitié du xiie siècle. Cette mention est d’autant plus intéressante qu’elle émane du métropolite et non pas de l’un ou l’autre souverain qu’il aurait consacré. Sa portée n’est donc pas la même : il ne s’agit pas d’une tentative d’auto-légitimation d’un roi évoquant l’onction, mais bien du rappel par l’archevêque égyptien en Éthiopie de toutes les tâches qui lui reviennent – baptiser, consacrer des églises, ordonner au diaconat et à la prêtrise – et parmi ces tâches, oindre les rois. En second lieu, dans les donations de terre de Lālibalā, figure parmi les « grands du Beg wenā » un personnage qui porte le titre de ṣawārē nārgē maśaray, c’est-à-dire le porteur du flacon de médecine. Dans un document – le Règlement de la tonsure (Śer‘ata Qwerḥat) – dont on sait avec certitude qu’il fut au minimum remanié au cours du règne de Zar’a Yā‘eqob au milieu du xve siècle, ce dignitaire fait partie des officiers du royaume présents pour la cérémonie de la tonsure qui est précédée de l’onction royale23. On peut même avancer l’hypothèse qu’étant donné son titre, cet officier était précisément celui qui conservait le chrême de la royauté et jouait, par conséquent, un rôle clé dans la cérémonie de la tonsure et de la consécration du souverain. Tout laisse donc à penser que lorsque Lālibalā se présente comme un roi oint, il ne fait pas une simple figure de style, mais il fait allusion à un cérémonial qui l’a désigné comme l’élu de Dieu, son lieutenant, pour exercer la royauté sur terre en son nom. Un passage du Règlement de la tonsure fait allusion à la réactivation du cérémonial du sacre des rois sous le règne d’un certain Gabra Masqal, avant que Zar’a Yā‘eqob le renouvelle au milieu du xve siècle. Jusqu’ici, ce roi Gabra Masqal était identifié comme le souverain légendaire du vie siècle qui accueillit les Neuf Saints en Éthiopie, parce qu’un passage de ce règlement l’associe au prêtre Yarēd, son contemporain, réputé pour avoir institué le chant liturgique éthiopien à la même période : Et ayant observé tout cela, le roi Gabra Masqal [le] renouvela et ajouta [une autre cérémonie] avec le prêtre Yarēd. Et il commença un second rituel et fit selon le rituel du dimanche des Rameaux et ordonna au peuple de porter des rameaux de dattier et de palmier et d’olivier […].

Voir A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », 1884, p. 18-20 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät », 1994, p. 150-152. 23 

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Et c’est tout cela que le roi orthodoxe Gabra Masqal mit en ordre et notre roi Zar’a Yā‘eqob [le] renouvela en descendant à Aksum, la principale des villes et la gloire du monde entier et l’ornement des rois24.

On peut se demander si la mention « avec le prêtre Yarēd » n’est pas un ajout postérieur d’un copiste. Tous les manuscrits jusqu’ici employés pour l’édition de ce texte – édition imparfaite, qu’il faudrait reprendre entièrement en établissant un corpus exhaustif – sont très tardifs. Parmi ceux qui ont été inventoriés, les plus anciens datent du xviiie siècle (il s’agit notamment du ms. Oxford 26 (Bruce 93)25 et de l’Orient. 817 de la British Library26), tous les autres sont soit du xixe ou du xxe siècle. Or, à ces périodes, la tradition de l’association du roi Gabra Masqal et du prêtre Yarēd est bien ancrée, alors que le roi Lālibalā n’est vraisemblablement plus connu sous son nom de règne – Gabra Masqal – mais sous son nom d’usage – Lālibalā. Pourtant, si on lit ces passages du Règlement de la tonsure sans allusion à Yarēd, on peut proposer que ce soit non pas le souverain légendaire du vie siècle qui soit désigné comme le restaurateur de la cérémonie du sacre, mais notre roi Lālibalā, qui porte le nom de règne de Gabra Masqal. Cette hypothèse n’aurait pas grand sens si elle se fondait seulement sur l’homonymie. D’autant que faire de Lālibalā l’initiateur d’une cérémonie du sacre où le rituel s’inspire de celui du Dimanche des Rameaux, c’est-à-dire de l’entrée du Christ à Jérusalem, c’est lui conférer une dimension qui dépasse la simple onction royale : le souverain apparaît comme l’élu de Dieu, littéralement le messie. Tout comme le Christ a été reconnu comme le Messie lors de son entrée à Jérusalem, le roi éthiopien est acclamé comme le Messie lors de

24  A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », 1884, p. 18-20 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät », 1994, p. 150-152. 25  A. Dillmann, Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecae bodleianae Oxoniensis, pars VII, Oxford, 1848, p. 72. Pour une présentation complète et récente de ce manuscrit et de son histoire, voir A. Wion, « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93 », 2009. L’Oxford 26 (Bruce 93) est un manuscrit du xviiie siècle, copié vers 1770 à la demande du rās Mikā’ēl Seḥul pour le voyageur écossais James Bruce. Il rassemble plusieurs textes dont le Kebra Nagaśt, des textes historiques et administratifs concernant la ville d’Aksum, parmi lesquels figure le règlement de la tonsure. 26  W. Wright, Catalogue of the Ethiopic manuscripts in the British Museum acquired since the year 1847, Londres, 1877, p. 318-319. L’Orient. 817 est un manuscrit du xviiie siècle qui rassemble plusieurs textes ayant trait à l’organisation du royaume et à son histoire : une généalogie des pères (depuis Adam jusqu’à Salomon II que Wright identifie avec le roi qui régna à partir de 1777 ; le règlement de la tonsure où l’on trouve bien la mention du prêtre Yarēd avec le roi Gabra Masqal pour renouveler le cérémonial royal (fol. 10b) ; le règlement de la maison du roi ; une liste des rois d’Aksum ; une histoire de l’église d’Aksum ; le règlement de la préséance dans le conseil royal ; le règlement et la loi concernant la maison du roi.

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son entrée à Aksum. Le roi oint se revendique comme membre à part entière de la lignée des rois de l’ancien Testament, Saül, David et Salomon. Or nous avons quelques documents écrits qui soulignent qu’au moins au xie siècle, les rois d’Éthiopie étaient considérés en Égypte comme étant de la descendance du roi Salomon et de la reine de Saba. Il s’agit de la biographie du patriarche Cosmas III (921-933) dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, rédigée à la fin du xie siècle, qui précise que le royaume d’Abyssinie est celui de la reine de Saba qui alla à la rencontre du roi Salomon27. Cette information est reprise mot pour mot, comme nous l’avons évoqué plus tôt28, dans l’Histoire des églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines29. L’auteur de cette compilation ajoute un élément essentiel, que l’on ne trouve pas dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie : l’Éthiopie dispose de l’arche d’alliance. Les Abyssins possèdent aussi l’Arche d’Alliance, dans laquelle se trouvent les deux tables de pierre inscrites par le doigt de Dieu avec les commandements qu’il édicta pour les enfants d’Israël. L’Arche d’Alliance est placée sur l’autel, mais n’est pas aussi large que l’autel. Elle est aussi haute que les genoux d’un homme et est couverte d’or, et sur son couvercle il y a des croix d’or, et cinq pierres précieuses à chacun des quatre coins [du couvercle], et une au centre. La liturgie est célébrée sur l’Arche quatre fois par an, à l’intérieur du palais du roi ; un dais est étalé sur lui quand on le sort de [sa propre] église à l’église qui est dans le palais du roi ; à savoir lors de la fête de la sainte Résurrection et lors de la fête de l’Illumination de la Croix. Et l’Arche est entourée et portée par un grand nombre d’Israélites descendants de la famille du prophète David, qui sont blancs et rouges de teint, avec des cheveux rouges. Dans chaque ville d’Abyssinie, il y a une église aussi grande que possible30.

Rappelons que l’un des souverains de notre lignée royale, Ṭanṭawedem, prend comme nom de règne Salomon. Lālibalā, pour sa part, fait dédier l’un des autels monoxyles des églises qui portent aujourd’hui son nom à Melchisédech, roi et prêtre, qui incarne très tôt dans le christianisme le modèle du roi juste et de la royauté sacerdotale31. Parmi les « grands du Beg wenā » figure un dignitaire religieux qui est l’administrateur de Sion, qaysa gabaza Ṣeyon. Celui-ci, tout 27  History of the patriarchs of the Egyptian church, éd. Y. Abd al-Masih, O. H. E. Burmester, 1943, vol. 2, part. 1, p. 118. 28  Voir chapitre premier. 29  The churches and monasteries of Egypt and some neighbouring countries, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 284-286. 30  The churches and monasteries of Egypt and some neighbouring countries, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 287-288. 31  Voir notamment les analyses de G. Dagron, Empereur et prêtre, étude sur le « césaropapisme » byzantin, Paris, 1996, p. 184-190.

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comme le porteur du flacon de médecine (ṣawārē nārgē maśaray), est présent au cours de la cérémonie de la tonsure, renouvelée à l’époque de Zar’a Yā’ēqob au milieu du xve siècle32. Sion désigne l’arche d’alliance et par extension, l’église qui conserve celle-ci. Il est communément admis que c’est l’église d’Aksum qui abrite l’arche. Mais est-ce bien le cas à l’époque du roi Lālibalā ? La seule mention que l’on peut trouver dans les textes qui permet d’estimer qu’au xiie siècle l’église d’Aksum était connue comme étant l’église de Sion, et par conséquent celle qui abritait l’arche d’alliance, figure dans une donation du roi Anbasā Wedem conservée dans le Liber Aksumae. Dans cet acte, qui semble incomplet puisqu’il tient en deux lignes, on trouve le texte suivant : « Moi, Anbasā Wedem, j’ai donné à ma mère Sion, cathédrale d’Aksoum (gabaza Aksum), le pays de Qāgmā, avec Ṣallim Bēt »33. On retrouve donc bien, dans cet acte, l’association entre Sion et Aksum, de même que l’association entre Aksum et gabaza, c’est-à-dire la cathédrale, comme dans le titre du dignitaire évoqué dans les donations de terre de Lālibalā – qaysa gabaza Ṣeyon. Dans une autre donation d’Anbasā Wedem, elle aussi conservée dans le Liber Aksumae, l’église d’Aksum est également nommée gabaza Aksum, mais l’association avec Sion n’est pas faite34. Le passage des Églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines que nous venons de citer ajoute que l’arche sort de l’église où elle est conservée pour entrer dans le « palais du roi », quatre fois l’an, afin de célébrer certaines fêtes. La source de cette information n’est pas identifiée. Il est donc difficile de savoir si Abū l-Makārim, l’auteur de cette histoire, renouvelle ici la confusion entre la Nubie et l’Éthiopie, et de quand date ce renseignement. Mais cela pose la question de la fréquentation de la ville d’Aksum par nos souverains. Si l’arche d’alliance est en cet endroit, si le Règlement de la tonsure a été renouvelé au temps du roi Lālibalā et que ce renouvellement induisait à ce moment-là, et non au temps du roi Zar’a Yā‘eqob, que le souverain venait se faire consacrer à Aksum, alors on ne peut qu’admirer la construction symbolique réalisée au tournant du xiie et du xiiie siècle. Les souverains viennent chercher la consécration dans la ville qui faisait les rois à l’époque tardi-antique. Et s’ils viennent la chercher en cet endroit, c’est qu’ils ont gardé en mémoire la place d’Aksum dans l’histoire de la région. Nous avons remarqué plus haut le décalque de la titulature de Lālibalā sur celle du roi Ezānā (ive siècle) par exemple, en posant la question de la lecture Voir A. Dillmann, « Über die Regierung, insbesondere die Kirchenordnung des Königs Zär’a-Jacob », 1884, p. 18-20 ; J.-F. Sciarrino, Le « Ser’atä Qwerhät », 1994, p. 150-152. 33  Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.6. 34  Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.5. 32 

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ou non des inscriptions aksumites. Si notre hypothèse est juste, elle viendrait confirmer que cette lecture a eu lieu et qu’elle a participé de la construction symbolique et idéologique établie alors : Lālibalā se présente comme un roi aksumite et il se fait consacrer à Aksum, oindre, pour se faire reconnaître comme l’élu de Dieu, le nouveau Messie. Si l’on file l’hypothèse, en mettant en lien la conception de la royauté éthiopienne dont rendent compte l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie et l’Histoire des églises et des monastères d’Égypte et des régions voisines, alors on peut estimer que lorsque Lālibalā devient roi, tous les éléments du puzzle pour faire du roi éthiopien un roi sacré à l’image des souverains d’Israël, et peut-être même à l’image de celui qui incarne le premier roi sacré du christianisme, Melchisédech, sont prêts. Le renouvellement d’un rituel du sacre par ce souverain est donc tout à fait plausible et vient en quelque sorte parfaire un modèle royal préexistant. D’autres rois avant Lālibalā ont vraisemblablement été oints. Lālibalā complète le dispositif. Un dernier argument vient étayer notre propos. Le récit de la rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba, la naissance de leur fils, et l’arrivée de celui-ci en Éthiopie avec l’arche d’alliance et les aînés des familles de lévites d’Israël figure dans un ouvrage qui s’est diffusé dans le royaume éthiopien au xive siècle. Mais le colophon de ce texte mentionne explicitement le rôle du roi Lālibalā dans la traduction de cet ouvrage du copte en arabe : Il est dit dans le texte arabe : « Nous avons traduit (cet ouvrage) d’un livre copte en arabe, (livre provenant) du siège de Marc l’évangéliste, le docteur, notre père à tous ; nous l’avons traduit en l’an 409 de la miséricorde [1225] dans le pays d’Éthiopie, dans les jours du roi Gabra Masqal – dont le surnom est Lālibalā –, dans les jours d’abbā Georges, le métropolite vertueux »35.

Il n’est pas question ici de débattre de l’origine du texte – nous y reviendrons ultérieurement – mais simplement de noter la fiabilité chronologique de ce colophon : l’an 409 de la Miséricorde est l’année 1225, qui voit Lālibalā régner tandis que le métropolite égyptien était Giyorgis, comme l’atteste l’acte no 7 de l’évangéliaire de Dabra Libānos. On peut relever ici que l’auteur de ce colophon procède de la même manière que celui qui, dans le Règlement de la tonsure, précise que Zar’a Yā‘eqob renouvela un cérémonial qu’avait réglé l’un de ses prédécesseurs : il emploie d’abord le nom de règne de Lālibalā, Gabra Masqal, et non son nom d’usage.

La Gloire des Rois (Kebra Nagast), l’épopée nationale de l’Éthiopie, éd. G. Colin, Genève, 2002 (Cahiers d’Orientalisme, 23), p. 110. 35 

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Par conséquent, au cours du règne de Lālibalā, il semble que la revendication d’une ascendance salomonienne des souverains éthiopiens et de leur élection divine ait été mise en forme. Elle n’émerge pas ex nihilo, mais se fonde sur un substrat idéologique dont on voit poindre les premiers éléments au cours du xie siècle en Égypte (peut-être même plus tôt si l’on considère que la biographie du patriarche Cosmas III, rédigée au xie siècle par l’évêque de Tinnīs, mais faisant référence au ixe siècle, conserve des informations qui relèvent de cette dernière période) ; au cours du xiie siècle en Éthiopie, quand le métropolite Mikā’ēl dit avoir oint sept rois éthiopiens et quand le roi Ṭanṭawedem se fait appeler Salomon. Lālibalā aurait donc procéder à une institutionnalisation de cette conception de la royauté éthiopienne, avec l’organisation d’un rituel de l’onction sur le modèle du rituel du Dimanche des Rameaux, visant à présenter le roi d’Éthiopie comme le messie, et la traduction d’un texte circulant auparavant en Égypte et présentant les rois éthiopiens comme les descendants du roi Salomon et de la reine de Saba. Le règne de Lālibalā prend alors une dimension tout autre. Ce souverain dévot était porteur d’une vision et d’une ambition politiques que les rares documents dont nous disposons nous permettent tout juste d’effleurer.

Ses armées et ses guerres Une dernière dimension de la figure royale de Lālibalā peut être appréhendée grâce à la biographie du patriarche Jean VI dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. Bien qu’un roi dévot, Lālibalā n’en était pas moins un roi guerrier si l’on en croit l’auteur de cette notice. Ce dernier signale en effet que le frère de la reine Masqal Kebrā, Ḫīrūn, qui avait été fait évêque par le métropolite Mikā’ēl, chercha à assassiner le métropolite égyptien quand Lālibalā avait le dos tourné, parti faire la guerre à ses ennemis36. L’information est limitée, certes, mais elle suffit à restituer un contexte politique. Au début du xiiie siècle, le royaume d’Éthiopie ne jouit pas d’une paix intégrale, d’un moment de quiétude qui expliquerait que le souverain se tourne vers l’Église et procède à des fondations d’établissements religieux et à l’instauration ou l’institutionnalisation de pratiques sacralisant la fonction royale. Le peu que l’on sait de Ṭanṭawedem fournit un contre-point commode pour esquisser le contexte dans lequel se déroulent les règnes de Ṭanṭawedem et de Lālibalā. Dans la donation qu’il fit à l’église de Qeferyā, Ṭanṭawedem évoque sa victoire face aux musulmans de Ṣerā‘e, et mentionne également un « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 79.

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groupe, les Daqiqa Salaba, qu’il donne à l’église avec ses terres et son bétail. Rien ne nous permet d’affirmer que le roi Lālibalā eut à faire aux mêmes ennemis que Ṭanṭawedem. Mais pour le moins, les deux règnes ayant été certainement proches d’un point de vue chronologique, ces éléments dessinent un contexte politique qui est loin d’être apaisé. La dimension belliqueuse du règne de Lālibalā affleure dans ses relations avec l’Égypte. Il envoya une ambassade auprès du patriarche et du sultan, accompagnant les lettres qu’il avait écrite en réponse aux demandes d’explications du patriarche quant à la fuite du métropolite Mikā’ēl. La majesté de cette ambassade est soulignée par l’auteur de la notice biographique dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, probablement témoin de cet événement. Il décrit ensuite la rencontre entre les ambassadeurs du roi d’Éthiopie et les représentants du sultan al-Malik al-‘Ādil (en l’occurrence son fils, al-Malik al-Kāmil), qui s’interrogent sur la puissance militaire de ce souverain : Avec le prêtre Moïse arrivèrent les envoyés du roi avec des présents magnifiques, une couronne en or pour le patriarche, et des cadeaux splendides pour le sultan, parmi lesquels des bêtes sauvages, c’est-à-dire un éléphant, une hyène, une girafe et un onagre. Le jour de leur arrivée fut un jour de grande fête chez le patriarche. […] Le patriarche reçut les envoyés du roi d’Abyssinie et les présents qu’ils avaient apportés pour lui et le sultan, et porta le tout à Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil]. Celui-ci admira la couronne et dit : « Je n’aurais pas cru que dans leur pays on pût faire quelque chose de pareil ». L’ambassadeur d’Éthiopie répliqua : « Ô mon maître ! Le roi connaît la modestie du patriarche et sait qu’il ne portera pas cette couronne. S’il avait cru qu’il la porterait et s’en ornerait, il l’aurait couronné de joyaux d’une valeur égale aux revenus de l’Égypte entière ». Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil] fut étonné de ces paroles et interrogea l’ambassadeur sur le roi, son armée et ses guerres. L’ambassadeur lui présenta une lettre adressée par le roi d’Abyssinie au sultan, et lui dit : « Lorsque tu auras lu cette lettre, tu seras renseigné sur le roi d’Éthiopie et son armée ». En la lisant, Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil] trouva, entre autres choses, que le roi d’Éthiopie priait le sultan d’intervenir auprès du Père vénérable, grand et glorieux ; il vantait les vertus du patriarche et disait : « Tous les rois et tous les pays, ainsi que ton royaume, ô roi, sont sauvegardés par sa prière ; protège-le donc, honore-le et interviens auprès de lui pour qu’il nous ordonne un autre métropolitain que celui que nous avions et qu’il ne nous le renvoie point ». Lorsque Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil] eut pris connaissance de la lettre du roi d’Abyssinie, il demanda aussitôt au patriarche de sacrer sans aucun retard un métropolitain d’Éthiopie autre que Kil, et de ne pas retenir les ambassadeurs. Puis, se tournant vers l’envoyé du roi, il lui dit : « J’ai lu la

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lettre de ton roi, c’est la lettre d’un homme sage ; maintenant, explique-moi la phrase que tu as prononcée : “Lorsque tu auras lu sa lettre, tu sauras ce qu’il est” ». L’ambassadeur lui répondit : « Si j’entreprenais de t’énumérer ses qualités, ses armées, ses guerres, et comment Dieu l’a aidé et secouru contre ses ennemis, le récit en serait trop long. Je me bornerai à t’en dire peu de choses qui t’en apprendront beaucoup. La veille de mon départ, le roi passa en revue le corps d’armée d’un de ses généraux. J’étais parmi ses cavaliers, et le nombre en était de 60 000, sans compter ceux qui les suivaient, les domestiques et les troupes ». À ces mots, Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil] sourit, puis il ordonna de livrer les présents et dit au patriarche : « Prends ton cadeau ; mais comment se fait-il que tu nous apportes un objet que le roi d’Abyssinie te destinait ? ». À cette observation, le patriarche jura qu’il ne prendrait pas son cadeau, mais Malik el-Kamil [Malik al-Kāmil] le supplia, par la vie de son père, le sultan, de le recevoir, et il l’accepta. Puis il lui recommanda d’accomplir ce qui concernait les ambassadeurs et de leur ordonner un métropolitain sans tarder37.

Ce long passage est particulièrement révélateur à la fois des relations diplomatiques entretenues entre l’Éthiopie et l’Égypte et des espoirs de la communauté copte de trouver son champion en la personne du roi éthiopien. Lālibalā prend garde à apparaître aux yeux des Égyptiens comme un roi riche et puissant, d’où l’importance des cadeaux qu’il offre au patriarche et au sultan. De son côté, le sultan d’Égypte et son représentant veulent savoir qui est ce « roi, son armée et ses guerres ». Au fond, quelle est sa puissance réelle, son importance dans la région et son éventuelle influence. Il semble que ces informations ne figurent pas dans la lettre que le roi Lālibalā avait adressée au sultan. Celle-ci devait avant tout demander que le sultan facilite la consécration d’un nouvel évêque pour l’Éthiopie. C’est donc l’ambassadeur qui se charge d’informer le représentant du sultan. Peut-on se fier à ce qu’il dit ? Passant en revue les troupes de l’un de ses généraux, Lālibalā, dit-il, pouvait compter 60 000 cavaliers. C’est considérable. On peut mettre ce chiffre en regard de la taille d’autres armées, en Égypte. Dans ses Ḫiṭaṭ, Al-Maqrīzī fait état d’une réduction drastique de l’armée stationnée en Égypte entre la fin de la période fatimide et le début de la période ayyoubide (fin xiie siècle). Il cherche à montrer qu’une armée pléthorique, inefficace, est moins utile qu’une armée restreinte mais bien entraînée, bien équipée et correctement commandée. Il oppose ainsi les 40 000 cavaliers du calife fatimide al-‘Āḍid (mi-xiie siècle)

« Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 81-83. 37 

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Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne

aux 12 000 cavaliers du sultan Ṣalāḥ al-dīn (Saladin)38. Si ces chiffres ne sont pas vérifiables, ils donnent toutefois un ordre de grandeur, que dépassent allègrement les 60 000 cavaliers attribués au roi Lālibalā. L’auteur de la biographie du patriarche Jean VI, un copte, alimente sans doute ici les espoirs de sa communauté qui voit dans le roi d’Éthiopie le champion des chrétiens d’Égypte. Pour ce faire, ce souverain doit apparaître comme extrêmement puissant, capable d’impressionner le sultan et son entourage. On touche donc ici aux limites de notre documentation. Celle-ci aborde certes la dimension guerrière du règne de Lālibalā, sa puissance militaire, mais on ne peut aller au-delà de ce simple constat, au risque d’être dupe des efforts du biographe copte qui ne peut décevoir les espoirs des chrétiens d’Égypte de trouver leur champion dans le roi éthiopien.

Les églises de Roḥā et la ville du roi Le règne de Lālibalā se caractérise également par un programme de fondations d’églises particulièrement novateur. D’abord parce que ces églises, qui portent aujourd’hui son nom, sont entièrement creusées dans le rocher et non pas bâties. Ensuite, parce que ces églises sont situées dans une région très méridionale par rapport aux sites recensés dans le chapitre précédent, en lien avec la lignée royale à laquelle Lālibalā appartenait. Ces deux remarques doivent cependant être nuancées, et nous y reviendrons, car d’autres églises rupestres sont connues ailleurs qu’à Lālibalā et la fondation des églises du même nom n’intervient pas tout à fait dans un no man’s land. L’implantation régionale de cet ensemble d’églises pose la question d’une conquête territoriale, du rôle des églises comme marqueurs de cette conquête et de l’organisation politique du royaume. La documentation égyptienne évoque la « ville du roi » Lālibalā, également siège épiscopal. Cela signifie-t-il que le pouvoir royal se sédentarise ? Mais était-il nomade auparavant ? Où se situe cette « ville du roi » dans laquelle le métropolite Mikā’ēl fit construire sa résidence, décrite par l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie ?

Fondation ou donations aux églises ? Pour commencer, il faut se demander sous quel nom était connu le site que l’on nomme aujourd’hui Lālibalā. Aucun document du xiiie siècle ne A. Zouache, Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174. Analyse comparée des chroniques médiévales latines et arabes, Damas, 2008, p. 635-636. 38 

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donne le nom de la région ou le nom du lieu où sont établies les fameuses églises. Il faut se reporter à des textes du xve siècle, pour les plus anciens, pour trouver des mentions de la région. Ainsi, dans la Vie de sainte Krestos Śamrā, dont la rédaction n’est pas antérieure au xve siècle, apprend-on que la nonne voulut se rendre dans « le pays de Lālibalā » et que pour se faire elle atteignit le « pays de Roḥā » où elle vénéra « le sépulcre du saint Lālibalā »39. La Vie de saint Aron, rédigée dans la même période, raconte également comment ce moine se rendit à Roḥā et rencontra « les prêtres de la région de Warwar »40. Toujours en cette fin du xve siècle, la Vie de saint ‘Ezrā de Gundā Gundē évoque la présence d’un prêtre de Warwar à un concile41. La région est donc déjà connue comme étant le pays de Lālibalā, tout en étant nommée Roḥā et Warwar, sans que l’on sache exactement si Roḥā renvoie au site des églises proprement dit et Warwar à une région plus large42. Ces deux toponymes sont-ils usités au xiiie siècle ? Rien ne permet de l’affirmer. Le seul document qui nomme une église du site à l’époque du roi Lālibalā est une donation que ce dernier fit pour « l’église de Notre Sauveur » (Bēta Madḫanina), sans plus de précision. Il est vrai que dans d’autres cas, la pérennité de la toponymie peut être relevée. Ainsi, l’église d’Urā Masqal a-t-elle conservé son nom jusqu’à aujourd’hui ou bien la région de Biḥat, relevant du domaine de la reine Masqal Kebrā avant d’être donnée à l’église de Dabra Libānos, est-elle toujours connue sous ce nom. S’il n’est donc pas certain que Roḥā comme Warwar soient les toponymes usités au tournant des xiie et xiiie siècles, il y a de grandes chances qu’ils l’aient été43. Pour simplifier la lecture et distinguer les églises du nom du roi, nous emploierons donc désormais l’expression « églises de Roḥā » pour désigner le site de Lālibalā. De même qu’il est impossible de démontrer de manière définitive que le roi Ṭanṭawedem était le fondateur d’Urā Masqal Qeferyā, il n’est pas possible d’affirmer avec une complète certitude que Lālibalā fut l’unique fondateur des églises de Roḥā. Cette prudence pourrait passer pour un excès de précaution, mais il est évident que si le roi Lālibalā est intervenu sur un lieu qui préexistait, ou s’il est le créateur de cet ensemble ex nihilo, la signification n’est pas tout à fait la même. Soit Lālibalā poursuit un mouvement antérieur 39  Atti di Krestos Śamrā, éd. E. Cerulli, Louvain, 1956 (CSCO 163-164, Script. Aeth. 3334), p. 21 (texte), 15 (trad.). 40  Vitae sanctorum indigenarum. II. Acta S. Aaronis et Philippi, éd. B. Turaev, Louvain, 1905 (CSCO 30-31, Script. Aeth. 13-14), p. 120-121. 41  « Les actes d’Ezra de Gunda Gunde », éd. A. Caquot, Annales d’Éthiopie, 4 (1961), p. 108. 42  C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 105-108. 43  M. Heldman, « Architectural symbolism, sacred geography and the Ethiopian church », Journal of Religion in Africa, 22 no 3 (1992), p. 229.

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d’implantation chrétienne en ce lieu, soit il en est l’instigateur. À ce problème s’ajoute une question : Roḥā, selon les dénombrements et selon les périodes, compte entre dix et douze églises. Ont-elles toutes été fondées par notre souverain au tournant des xiie et xiiie siècles ? Un faisceau d’éléments permet d’établir le lien étroit du roi Lālibalā avec un certain nombre d’églises du site homonyme. En tout premier lieu, il y a la donation du souverain pour l’église du Sauveur du Monde (Bēta Madḫanē ‘Alam). Cette donation est incomplète, en partie illisible du fait de problèmes de conservation du parchemin (traces d’humidité, folio mangés par des rongeurs), en partie « censurée » puisque l’un des folios a été purement et simplement découpé. Mais les quelques lignes qui sont déchiffrables attestent que l’église du Sauveur du Monde a été dotée, vraisemblablement de terres, par le roi. De même que l’église de Dabra Libānos du Šemazānā a reçu des terres de Lālibalā. Dans un cas, comme dans l’autre, on ne peut pas utiliser la donation pour faire du roi le fondateur du lieu. À ce document, s’ajoutent les inscriptions figurant sur les meubles d’autel toujours conservés dans les églises du site de Lālibalā (voir carte 7). Elles disent encore une fois l’intérêt du souverain pour certaines de ces églises, mais peut-être un peu plus, car ces meubles d’autel peuvent être considérés comme des autels à part entière dans certains cas44 et ils portent alors le nom d’autel (tābot). Ainsi, l’un des autels monoxyles conservé à Dabra Sinā-Golgotā est-il présenté comme un tābot à part entière dans l’inscription qui y figure, le dédiant au sabbat des chrétiens45. Par conséquent, ces autels peuvent avoir été gravés au moment où l’église a été consacrée, pour que cette église soit dédiée à un saint, des archanges ou l’un des membres de la Trinité. Ils sont donc beaucoup plus proches du moment de la consécration de l’église que ne peut l’être une donation de terre. Le dédicataire a toutes les chances d’être le fondateur du lieu. On pourra remarquer que ces meubles d’autels monoxyles sont mobiles, en très grand nombre à Lālibalā, ce qui peut signifier que plusieurs autels pouvaient être dédiés pour une même église – ce qui correspond à une évolution liturgique qui a été très bien retracée46 – et qu’il paraît donc quasiment impossible de savoir si les églises où ils sont aujourd’hui conservés sont les églises pour lesquels ils ont été consacrés, et si plusieurs Voir à ce sujet C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 55 ; E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 446, 453, 456-466. 45  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 76 (DSG01). 46  E. Fritsch, « The Churches of Lalibäla (Ethiopia) », 2008 ; E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 454-456. 44 

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autels ont été consacrés en même temps, pour une même église. Emmanuel Fritsch a récemment relativisé les déplacements d’autels, montrant qu’il s’agissait d’événements extrêmement rares et que, dans le cas où l’église disposait de plusieurs autels, c’était l’autel principal qui donnait son nom à l’église47. Si l’on s’en tient à ce que l’on peut connaître des autels aujourd’hui préservés sur le site de Lālibalā, 35 ont été inventoriés et neuf présentent une inscription dont le dédicataire est le roi Lālibalā. Pour l’église du Sauveur du Monde (Bēta Madḫanē ‘Alam), comme le montre le tableau ci-dessous, trois autels avec des dédicaces ont été recensés dont deux sont assurément du roi Lālibalā. Les autels sont dédiés aux 24 prêtres du ciel et à Marie, et on peut ajouter la possibilité d’un troisième autel dédié aux chérubins qui pourrait également émaner du roi Lālibalā. Celui-ci porte une inscription disant qu’un roi l’a dédicacé, mais le nom du roi n’est plus lisible car le meuble est endommagé en cet endroit. Or, il se trouve que des trois meubles, il est le seul dont on peut être sûr qu’il était non seulement un meuble, mais un autel48. Il est possible qu’un autre autel conservé dans l’église de Bēta Madḫanē ‘Alam, toujours consacré et donc conservé dans le saint des saints, soit l’autel principal qui porte la dédicace au Sauveur. Une représentation du Christ y est en effet incisée et peinte (fig. 14)49. Mais il semble qu’il ne porte aucune inscription, à en juger d’après les photos qui ont pu en être faites par le diacre qui a pris ces photos en 2010 pour l’équipe travaillant alors sur le site sous la supervision de Claire Bosc-Tiessé et moi-même. Il n’est donc pas possible de savoir si cet autel a été dédié au Christ – et plus précisément au Christ Sauveur – par le roi Lālibalā lui-même50. Mais on peut conclure de cet ensemble que le roi Lālibalā fit consacrer au moins deux autels pour l’église du Sauveur du Monde et que l’autel principal, en revanche, ne porte pas d’inscription permettant d’attester que c’est bien le roi Lālibalā qui fut le fondateur de cette église et que sa dédicace date de son règne.

E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 446. 48  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 62. Il s’agit du BMA02, dédié aux chérubins. 49  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 68-69. 50  Emmanuel Fritsch (E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 469 n. 66) considère qu’une inscription fait état d’une dédicace au Seigneur. Voir aussi J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 159, 168. 47 

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Tableau 2 : Les autels et meubles d’autel dédicacés par le roi Lālibalā et leur lieu de conservation actuel Référence de l’autel BMA 01

Lieu de conservation actuel

Dédicace

Église de Bēta Madḫanē ‘Alam

Dédicace aux 24 prêtres du ciel

BMA 02

Église de Bēta Madḫanē ‘Alam

BMA 03

Église de Bēta Madḫanē ‘Alam Église de Dabra Sinā-Golgotā Église de Dabra Sinā-Golgotā Église de Dabra Sinā-Golgotā Église de Dabra Sinā-Golgotā

Pas certain qu’il s’agisse du roi Lālibalā – dédicace aux chérubins Dédicace à Sainte Marie, mère de Dieu

DSG 01 DSG 02 DSG 03 DSG 04

Golgotā 351 BGR 01

BG 0152

Église de Dabra Sinā-Golgotā Église de Bēta Gabre’ēl-Rufā’ēl Église de Bēta Giyorgis

Dédicace au sabbat des chrétiens (au dimanche) Dédicace à Sainte Marie, mère de Dieu Dédicace à Melchisédech (tābot proprement dit) Dédicace aux Quatre Animaux de l’Apocalypse (tābot proprement dit) Dédicace aux trois jeunes Hébreux dans la fournaise Dédicace à l’archange Gabriel (tābot proprement dit) Dédicace à Marie, mère de Dieu

On s’affronte ici aux limites de l’exploitation de ces inscriptions pour documenter la fondation des églises par le roi Lālibalā. La seule occurrence qui fonctionne concerne l’église de Gabriel : un autel dédié à cet archange par le roi Lālibalā est conservé dans l’église aujourd’hui appelée Gabriel. Or, il s’agit de l’un des monuments du site qui pose le plus de problème. Tout porte à croire qu’il n’avait pas une fonction d’église dans les premiers temps 51  52 

Gigar Tesfaye, « Inscriptions sur bois de trois églises de Lalibala », 1984, p. 120. Gigar Tesfaye, « Découverte d’inscriptions guèzes à Lalibela », 1987, p. 76-77.

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de son occupation. Et que ce n’est que dans un deuxième temps que des aménagements particuliers ont été réalisés pour installer une chapelle dans le monument (percement d’une fenêtre en est, notamment)53, chapelle qui est désormais considérée comme le saint des saints de l’église de Gabriel. Si l’autel aujourd’hui conservé à Gabriel, dédicacé par le roi Lālibalā en l’honneur de l’archange Gabriel était bien destiné à ce monument, on peut alors établir que l’aménagement de la chapelle en ce lieu date de son règne. Le roi Lālibalā joua donc un rôle important vis-à-vis des églises de ce fameux site. Sa présence et son intérêt pour cet ensemble sont marqués par des donations de terre et la fabrication de nombreux autels qu’il fit consacrer, avec une préférence semble-t-il pour les dédicaces à Marie (trois autels lui sont dédiés dans l’église du Sauveur du Monde, l’église de Golgotā, et celle de Georges). Mais, pour l’heure, il est encore impossible de pointer avec exactitude les églises qui ont été fondées par ce souverain et celles qui l’ont été à d’autres moments. Quoi qu’il en soit, l’investissement du roi Lālibalā dans cette région est important. Il opère une sorte de grand écart entre l’église de Hām et les églises du nord du Tegrāy d’une part, et cet ensemble d’autre part. Mais il semble qu’il n’ait pas été le premier souverain à s’installer en ces lieux. Aucun document écrit des xiie et xiiie siècles ne nous renseigne au sujet des prédécesseurs de Lālibalā et des régions sur lesquelles ils ont exercé leur autorité, à l’exception de la note du métropolite Mikā’ēl conservée dans l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā. Ce texte évoque les nombreuses fondations d’églises entreprises par le métropolite au milieu du xiie siècle et pointe en particulier en direction de l’église de Nāzrēt. Bien que ce soit l’évêque égyptien qui apparaisse comme le fondateur de cette église, nul doute que le souverain d’alors – successeur d’Anbasā Wedem – devait approuver, voire même soutenir, ces constructions d’églises nouvelles. La localisation de Nāzrēt est relativement méridionale comparée aux autres églises dont nous avons dressé un rapide inventaire dans le chapitre précédent. Cette information permet donc d’estimer qu’au milieu du xiie siècle, l’extension vers des régions méridionales des zones d’influence de notre nouvelle lignée royale était à l’œuvre. Mais pourquoi s’installer précisément dans la région de Warwar ? C’est une question que l’on pourrait adresser à tous les lieux investis par notre nouvelle lignée royale. S’agissant de la région de Warwar, il se trouve que nous disposons de quelques éléments de réponse qui permettent de préciser 53  E. Fritsch, « The Churches of Lalibäla (Ethiopia) », 2008 ; D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia, 2009, p. 132 ; E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 455.

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le contexte du règne de Lālibalā. Ceux-ci émanent de travaux menés sur le site de Lālibalā depuis 2009 par une équipe d’historiens, archéologues, géomorphologues, tailleur de pierres et liturgiste, que je co-dirige avec Claire Bosc-Tiessé. Les études ne sont pas terminées mais les premiers résultats de ces travaux ont donné lieu à des publications54 et ont notamment permis de mieux comprendre comment ce site rupestre a évolué dans le temps, quels sont les différents moments où des aménagements se sont produits. Comme nous le remarquions plus haut, l’autel dédié à l’archange Gabriel par le roi Lālibalā est probablement lié à la création d’une chapelle dans un monument préexistant, qui n’avait pas de vocation religieuse auparavant, en tout cas en lien avec le christianisme. De même, l’analyse des phases de creusement du monument de Madḫanē ‘Alam a permis de mettre en évidence le fait que l’endroit avait été préalablement creusé pour une occupation toute différente, de type troglodytique, avant qu’une église monumentale ne soit taillée55. Ces observations induisent qu’avant le règne de Lālibalā, cet espace était occupé, des creusements avaient été réalisés, dont la fonction n’était vraisemblablement pas liturgique. Qui plus est, à proximité du monument aujourd’hui dédié à Gabriel, un mur en pierre de taille en partie recouvert par les déblais issus du creusement des églises, a été dégagé (fig. 15). Les fouilles engagées autour de ce mur n’ont pas permis de préciser pour le moment quelle était la fonction de celui-ci, mais il est certain qu’il n’a pas été érigé pour contenir les débris issus du creusement. Le mur de pierre est donc antérieur à une phase de creusement colossale qui a imposé de recouvrir une zone d’occupation antérieure par les déblais liés aux nouveaux creusements. Cette occupation a pu être datée entre le début du xe et le début du xie siècle, donc d’une période antérieure au moins d’un siècle par rapport au règne de Lālibalā56. Ce mur en pierre de taille est à mettre en relation avec d’autres reliques de murs situées sur le toit de l’église de Gabriel, qui présentent des modules de taille similaire57. Or ces reliques témoignent de murs monumentaux, à double parements, qui pouvaient s’élever très haut et peut-être ainsi former, au-dessus de zones d’ores et déjà excavées, des tours visibles de très loin. Si Voir notamment F.-X. Fauvelle-Aymar et al., « Rock-cut stratigraphy : sequencing the Lalibela churches », 2010 ; C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014. 55  F.-X. Fauvelle-Aymar et al., « Rock-cut stratigraphy : sequencing the Lalibela churches », 2010, p. 1139. 56  C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014, p. 156. 57  D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia, 2009, p. 127, 146. 54 

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bien qu’au moins un siècle avant Lālibalā, il semble qu’une société occupait la région de Warwar et disposait d’un savoir-faire technologique et de moyens économiques suffisants pour ériger une sorte de forteresse monumentale, en pierre taillée, au-dessus de complexes troglodytiques. On n’en sait guère plus au sujet de cette société. Si ce n’est qu’à quelques centaines de mètres du site de Lālibalā, un cimetière situé à Qedemt a permis de mettre au jour des sépultures qui sont peut-être caractéristiques de cette société. Orientées nord-sud, mais aussi parfois est-ouest, creusées dans le rocher, associant parfois des céramiques à la personne inhumée, ces sépultures ont été toutes systématiquement pillées. Mais les quelques débris qui ont pu être récupérés, ont permis de dater celles-ci entre le milieu du xie et le milieu du xiiie siècle58. L’orientation de ces sépultures parfois, la position de certains corps (sur le côté droit ou gauche), caractéristique des sépultures les plus anciennes du cimetière de Qedemt, conduit à s’interroger sur les pratiques funéraires dont elles témoignent et sur la religion des inhumés. Il n’est en effet pas certain qu’ils étaient chrétiens, les sépultures chrétiennes étant généralement orientées est-ouest59. À partir de ces observations, l’intervention du roi Lālibalā dans la région de Warwar prend une signification qui nous échappait jusqu’à présent. Comme nous l’avons suggéré plus haut, le roi n’arrive pas dans un no man’s land, mais au contraire dans une région habitée et peut-être aussi dirigée par une élite puissante, disposant de moyens économiques et technologiques considérables. Cette élite et cette société n’était peut-être pas chrétienne, ou en tout cas, pas entièrement christianisée. Le roi Lālibalā choisit sans doute d’intervenir dans la région pour y imposer son autorité, et par conséquent soumettre cette région à son pouvoir. Il christianise l’espace, en faisant aménager une chapelle dans le monument désormais dédié à Gabriel, et peutêtre aussi en faisant creuser une église dédiée au Sauveur du Monde (Bēta Madḫanē ‘Alam). Si l’on élargit la focale, et que l’on s’intéresse à la région alentour, on trouve des vestiges qui induisent un effort de christianisation, qu’il est encore impossible de dater avec précision (pour la localisation de ces sites, voir carte 6). En effet, à proximité des églises de Lālibalā, deux sites présentant des piliers monolithiques ont été observés : le site en contrebas de l’église d’Ašatan Māryām, nommé Waf Argaf, et celui de Māy Māryām, à peu de distance C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014, p. 161. 59  Y. Gleize, C. Bosc-Tiessé, M.-L. Derat, M. Rouzic, S. Sève, L. Ziegler, A.-L. Goujon, R. Mensan, R. Bernard, « Le cimetière médiéval de Qedemt (Lālibalā) : données préliminaires issues des campagnes 2010 et 2012 », Annales d’Éthiopie, 30 (2015), p. 223-258. 58 

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de l’église rupestre (non datée) de Bilbālā Giyorgis. Ces piliers présentent des profils tout à fait identiques à ceux décrits dans les régions plus septentrionales. Ce sont des piliers qui ont servi pour les architraves d’églises anciennes, aujourd’hui disparues60. À Waf Argaf, les piliers sont isolés, fichés dans le sol61. À Māy Māryām, ils sont conservés dans le saint des saints de l’église moderne, aux côtés d’une frise de métopes, également similaire aux vestiges archéologiques bien connus au Tegrāy et attribués à la période aksumite62. Des fouilles ont été menées à Waf Argaf par l’équipe qui travaille à Lālibalā. Elles n’ont pas permis d’établir avec certitude le lien de ces piliers avec une église, ni de dater l’édifice associé à ces piliers. Des fouilles avaient été menées en cet endroit par Sandro Angelini, l’architecte italien en charge de la restauration des églises de Lālibalā dans les années 1960, sans aboutir à de quelconques résultats, mais signalant toutefois que le site avait déjà été perturbé. Les travaux menés sur place en 2013 ont mis en évidence ces perturbations ajoutées aux creusements réalisés dans les années 1960. L’information archéologique est perdue en ce lieu. Il est donc impossible de dater ces vestiges pour l’heure et de savoir s’ils témoignent d’une poussée du christianisme vers ces régions à l’époque aksumite (au sens propre du terme, c’est-à-dire pendant la période d’apogée du royaume d’Aksum, ive-viie siècle) ou s’ils sont postérieurs et participent du même mouvement de christianisation en profondeur que nous avons décrit au chapitre précédent et qui se situe sur une période beaucoup plus basse, entre les viiie et xiie siècles. Un autre témoignage de cette présence chrétienne dans la région est représenté par un site très bien connu, que l’on associe à un prédécesseur du roi Lālibalā : l’église de Yemreḥanna Krestos. Celle-ci est magnifiquement préservée et est toujours en activité. Abritée dans une grotte immense, c’est une église construite en pierre avec des parements de bois, qui reprend le style aksumite (rentrants et saillants des murs, têtes de singe, alternance bois pierre des façades…). Aucun texte contemporain ne vient documenter la fondation de cette église par le roi qui a donné son nom à l’église, Yemreḥanna Krestos, ni même son règne. La construction de l’église en elle-même, n’est pas datée. En revanche, les peintures à l’intérieur de l’édifice l’ont été, par deux chercheurs travaillant indépendamment l’un de l’autre. Tous deux E. Fritsch, « Twin pillars : an epistemological note in church archaeology », 2010. C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014, p. 146-148. 62  C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014, p. 151. 60  61 

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ont montré que ces peintures murales pouvaient dater du xiie siècle63. Il y a toutefois quelques voix qui s’élèvent aujourd’hui pour avancer l’idée que ces mêmes peintures pourraient tout à fait dater du milieu du xiiie siècle64. Ce qui change la perspective : si les peintures sont du xiie siècle, l’église de Yemreḥanna Krestos fait figure de site chrétien antérieur à l’implantation du roi Lālibalā à Roḥā ; si elles sont postérieures au xiie siècle, alors les deux sites sont quasiment contemporains et il n’est pas possible d’en tirer l’hypothèse d’une présence chrétienne antérieure dans la région de Warwar. De nombreuses autres églises ont été répertoriées dans la région. Beaucoup sont des monuments rupestres, comparables à certains monuments du site de Lālibalā : les églises de Bilbālā Giyorgis, Bilbālā Qirqos, Bilbālā Arbā‘etu Ensesā, Tukurza Māryām, Sarzena Mikā’ēl, Ašatan Māryām, Qanqānit Mikā’ēl, Wuqr Masqala Krestos65. Mais leur datation est particulièrement problématique. Elle se fonde pour certaines sur l’étude des peintures, mais qui peuvent être tardives par rapport au creusement proprement dit de l’église, comme à Wuqr Masqala Krestos66. Ou bien sur l’architecture de ces églises67. Si bien qu’il n’est pas possible d’employer ce corpus d’églises pour situer l’occupation chrétienne de la région ou son développement, même s’il est nécessaire d’avoir connaissance de cet environnement ecclésiastique. Pour résumer, lorsqu’au tournant des xiie et xiiie siècles, le roi Lālibalā fréquente la région de Warwar, dote l’église du Sauveur du Monde et fait fabriquer des autels qu’il dédicace en personne, cette région a peut-être déjà connu une pénétration chrétienne, marquée par quelques vestiges. Il n’en reste pas moins que la présence royale en ce lieu ajoute une dimension supplémentaire à ce mouvement. Elle signale que le territoire du royaume chrétien s’étend de Hām au nord aux églises de Roḥā au sud. Mais le traitement de ce territoire par le roi était-il le même partout ? Un détail doit être rappelé ici. Dans la liste des témoins présentés comme les garants des donations de terre E. Balicka-Witakowska, « The church of Yemrähannä Krestos and its wall-paintings : a preliminary report », Africana Bulletin, 49 (2001), p. 46-47 est plus prudente à ce sujet que C. Lepage, Girmah Elias, J. Mercier, « Peintures murales du xiie siècle découvertes dans l’église Yemrehana Krestos en Éthiopie », 2001, p. 311-334. 64  M. Gervers, « Churches Built in the Caves of Lasta (Wällo Province, Ethiopia) : A Chronology », Aethiopica, 17 (2014), p. 39-40. 65  J’exclue ici, à dessein, l’église de Gannata Māryām que l’on attribue au roi Yekuno ’Amlāk (1270-1285). Tout comme les églises construites dans des cavernes : Yemreḥanna Krestos (peintures du xiie siècle), Emmakinā Madḫanē ‘Alam (peintures du milieu du xiiie siècle) et Emmakinā Ledata Māryām (plus tardive, mais sans date). 66  E. Balicka-Witakowska, « The wall-paintings in the rock-cut church of Mäsqälä Krestos, Wuqro near Sokota », Africana bulletin, 50 (2002), p. 20-39. 67  En dernier lieu, voir D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia, 2009, p. 107-112, 188-189. 63 

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accordées par le roi Lālibalā, qui sont appelés les grands du Beg wenā, l’ecclésiastique en charge des églises de Lālibalā, qui est désigné sous le titre de liqa kāhnāt de Warwar dans la documentation plus tardive68, n’est pas représenté. Pas plus qu’aucun autre ecclésiastique de cette région. Alors que l’‘aqqābē sa‘āt d’Endā Abbā Maṭā‘e y figure. On pourrait opposer à ce déséquilibre apparent que les donations de terres octroyées à l’église de Dabra Libānos invoquent comme témoins et garants des officiers qui ont justement à voir avec le territoire concerné. Mais nous avons montré dans le chapitre précédent que l’expression « grands du Beg wenā » désignait les dignitaires d’un royaume qui était peut-être alors connu comme étant le Beg wenā. Par conséquent, au cours du règne de Lālibalā, les églises de Roḥā sont bien, pour certaines au moins, en fonction. Pour autant, si celles-ci marquent une sorte de borne méridionale du royaume, du fait du patronage royal, la région semble avoir un statut à part des autres régions du royaume puisqu’elle n’apparaît pas parmi celles qui sont sous l’autorité de l’un des dignitaires du royaume. À moins que l’un de ceux figurant dans la liste des grands du Beg wenā, le ṣaḥafalām, soit précisément celui qui a autorité sur la région de Warwar/Roḥā. Mais rien ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer. Et si cela se confirmait, il n’en demeurerait pas moins un certain déséquilibre entre les régions du Nord, représentées par plusieurs officiers laïcs, et cette région. Cette remarque est importante parce qu’elle permet de pousser un peu plus loin le raisonnement concernant le territoire de ce royaume. Les documents historiques nous ont conduit à présenter le mouvement de christianisation entre les viiie et xiie siècles selon une orientation nord-sud. Et de là, l’émergence d’une nouvelle formation politique à la tête de laquelle notre nouvelle lignée royale s’impose, dans une région située globalement dans le Tegrāy oriental. Les vestiges archéologiques de la région de Lālibalā pourraient nous conduire à réviser notre perspective en proposant que la christianisation ancienne dont témoigne cette région ait pu être à l’origine de l’émergence d’une élite politique nouvelle qui partit ensuite à la conquête des régions septentrionales. Cette hypothèse n’est pas aberrante, hormis le fait que parmi les grands du Beg wenā, on ne compte aucun dignitaire issu de cette région méridionale et, au contraire, une prépondérance des régions septentrionales. Il me semble que cela indique bien que la construction du royaume de cette nouvelle lignée royale se fait selon une orientation nordsud : les régions les plus anciennement intégrées à la formation politique bénéficient d’une administration plus structurée et mieux représentée au sein du royaume que les régions plus récemment intégrées. 68 

C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 108.

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chapitre iii

Une ville royale au xiiie siècle ? La structuration territoriale du royaume au cours du règne de Lālibalā ne se lit pas seulement au travers de la liste des dignitaires rassemblés sous l’appellation des grands du Beg wenā. D’après les informations du biographe du patriarche Jean VI, dont la notice a été intégrée dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, le siège du pouvoir royal était installé dans une ville qui était également le siège épiscopal du royaume. Quelle était la ville du roi Lālibalā ? Si, comme certains documents nous l’indiquent, il y eut parfois plusieurs évêques au cours du règne de Lālibalā, où était leur siège ? Loin d’être anecdotiques, ces questions reviennent à se demander s’il y avait plusieurs villes dans ce royaume et si l’une d’entre elles était la ville princeps, la capitale du roi Lālibalā. Cette question a récemment reçu une réponse. Claude Lepage a avancé l’idée que la ville du roi et la résidence du métropolite Mikā’ēl décrites dans l’Histoire des patriarches d’Alexandrie pouvaient être identifiées avec le site de Lālibalā69. Cette hypothèse revient donc à affirmer que le roi Lālibalā ne se contenta pas de fonder et/ou faire des donations aux églises du site, mais installa sa cour en cet endroit. Avant toute discussion, il paraît utile de rassembler toutes les informations disponibles au sujet de la ville du roi Lālibalā et de la résidence que le métropolite Mikā’ēl se fit construire dans cette ville, dont le toponyme, rappelons-le, peut-être lu ’Adafah ou ’Arafah. Voici ce qu’en dit le biographe du patriarche Jean VI qui emploie le témoignage de l’ambassade qui se rendit en Éthiopie vers 1209 afin d’enquêter sur les raisons pour lesquelles le métropolite avait dû s’enfuir pour rejoindre l’Égypte. Le texte qui est donné ici reprend la traduction française réalisée par Jules Perruchon, mais corrigée après vérification dans le texte arabe afin de revenir aux termes précis employés par l’auteur70 : Ceux qui l’avaient accompagné et qui étaient retournés (en Égypte) rapportèrent que le roi d’Abyssinie était venu à sa rencontre à trois journées de marche de la ville du roi [madīnāt al-malik], avec des vêtements d’honneur et des dons, escorté des prêtres, des évêques et suivi d’une troupe nombreuse et d’une foule immense. Lorsque le métropolitain était arrivé à la ville du roi, tous ceux qui s’y trouvaient étaient sortis pour le recevoir ; C. Lepage, « Un métropolite égyptien bâtisseur à Lalibäla (Éthiopie) », 2002 ; J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 209-251. 70  J’aimerai remercier abbā Wadi Abullif pour avoir passé du temps avec moi sur ce texte arabe afin de m’aider à revoir les traductions dans les langues européennes. Pour bien faire, c’est la traduction complète du passage de la biographie de Jean VI qui devrait être révisée. 69 

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ils l’avaient ombragé avec un parasol tissé d’or, couronné de pierres précieuses, et avaient eu, à cause de lui, une grande joie. Après qu’il eut célébré sa première messe, ils avaient répandu sur lui beaucoup d’or, avaient brûlé une grande quantité de bois odoriférant et d’ambre dans l’encensoir de l’église, et l’avaient installé dans le siège de l’évêché [dār al-Muṭrānah]. Ils lui avaient donné dix prêtres pour le servir et pour garder les meubles et objets du palais, en or et en argent, les vêtements, les livres d’église et les autres objets précieux, ainsi que les magasins où étaient les ustensiles de cuisine pour les aliments, le blé et les graines. Le roi et les princes lui avaient envoyé aussi des chevaux et des mules pour les monter et des hommes et des femmes esclaves pour son service. Or le pays était privé de pluie. Lorsque le métropolitain fut arrivé et eut célébré la messe, Dieu accueillit sa prière et fit pleuvoir. Les Abyssins en ressentirent une grande joie ; ils le craignirent et le vénérèrent. Le roi se rendait souvent à cheval chez le métropolitain, et celui-ci jouissait d’une grande autorité auprès des Abyssins. Il demeura dans cette situation dans le pays pendant quatre ans. Mais la cinquième année, des nouvelles réitérées parvinrent au patriarche abbā Jean, annonçant que Kil avait quitté la ville du roi d’Abyssinie et qu’il était parti pour se rendre en Égypte au palais patriarcal. […] Le patriarche écrivit une lettre au roi d’Éthiopie et la lui envoya par un prêtre nommé Moïse, de la famille des…, et fit partir avec lui un de ses disciples. Il resta absent, aller et retour, pendant un an, et revint avec la réponse du roi […]. Ils ajoutèrent qu’il [le métropolitain] avait construit dans la ville qui appartenait au roi une résidence, qu’il y avait planté des arbres et y avait amené de l’eau qui jaillissait dans les salles ; il y avait dépensé beaucoup d’argent, l’avait blanchie et y avait fait des couloirs tellement longs que ceux qui s’y engageaient étaient fatigués avant d’arriver à la cour. Il en avait fait une construction haute et forte qu’il appelait la citadelle [ḥiṣn al-qaṣr]. Il s’y dérobait à la vue de tout le monde et n’en sortait pas d’un dimanche à l’autre ; il se rendait à l’église monté sur une haute mule, le parasol sur la tête, entouré et suivi de cavaliers et de gens à pied, au nombre de 500 environ, outre les prêtres et la foule qui l’accompagnait à l’église. Lorsqu’il célébrait la messe, il mettait des habits sacerdotaux tissés d’or et ornés de pierres de grande valeur, et l’on citait de lui de nombreux discours, dont je n’ai pas pris connaissance. Voilà une partie de ce que j’ai appris du contenu de la lettre parvenue au patriarche. […] Quant au nouveau métropolitain et à son frère, le prêtre, les ambassadeurs les prirent et les emmenèrent avec eux. Ils se dirigèrent, avec de grands honneurs et en paix, vers la ville d’Adafa [’Adafah], la ville du roi, sur laquelle le patriarche avait ordonné Isaac évêque [al-muṭrān], ainsi que sur toute l’Abyssinie. Joseph, le frère d’Isaac, le nouveau métropolitain, l’accompagnait.

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Voilà tout ce qui nous avons appris à ce sujet à cette époque. Le nom du roi d’Éthiopie qui régnait alors était Lalibana, fils de Shenouda [Lālibalah Ibn Šanūdah], et son nom signifie le lion ; le nom de sa femme était Masqal Kebra [Masghal Kabrā], qui signifie la croix est illustre. Le pays d’origine de la famille du roi se nommait d’Albekuna [Al-B.k.n.h/Al-N.k.b.h], sa résidence était la ville d’Adafa [’Adafah], et il avait deux fils, dont l’aîné s’appelait Itbarak [Yatbārak] et le cadet Atyab [Abyāb (?)]71.

Nous avons choisi de retenir la traduction proposée par Jules Perruchon – Adafa – pour nommer la ville du roi. On trouve en effet mention de ce toponyme dans un texte plus tardif (fin xve siècle), la Vie du saint-roi Yemreḥanna Krestos, souverain de la dynastie zāg wē, que l’on classe parmi les prédécesseurs de Lālibalā mais pour lequel nous n’avons aucun document d’époque permettant de situer son règne dans le temps et dans la généalogie royale de Ṭanṭawedem et Lālibalā. Dans une courte phrase, l’auteur des actes déclare que le roi Yemreḥanna Krestos, tout juste investi, se rendit dans la terre d’Adafā et qu’il y resta, « sur le siège de la royauté »72. Mais rien dans le texte ne permet de progresser quant à la localisation de ce site. Nous y reviendrons. Quels sont les arguments avancés par Claude Lepage pour identifier la ville du roi, Adafa, avec le site de Lālibalā ? Ils reposent sur la description du palais épiscopal et son adéquation avec l’un des monuments du site, l’actuelle église de Gabri’ēl-Rufā’ēl (Gabriel-Raphaël), située dans le groupe sud du complexe. Il est vrai que cette église ressemble à une forteresse (fig. 16). On y accède d’ailleurs par un pont, qui a été construit récemment et qui remplace une passerelle rustique, faite de quelques troncs, qui permettait de relier l’église au reste du rocher. Tout indique également que ce monument n’a pas été conçu pour être une église, mais qu’une chapelle y a été ajoutée par la suite. Enfin, dans la cour de Gabriel-Raphaël, située presque dix mètres au-dessous de la porte d’entrée, on peut observer une citerne souterraine, qui accueille probablement les eaux de ruissellement de tout ce groupe d’églises. Claude Lepage s’empare de ces trois éléments pour identifier le palais épiscopal de Mikā’ēl avec l’église de Gabri’ēl-Rufā’ēl : les aménagements hydrauliques73 ; le fait que l’édifice de Gabri’ēl-Rufā’ēl n’avait pas une vocation « Notes pour l’histoire d’Éthiopie. Extrait de la vie d’abba Jean », éd. J. Perruchon, 1899, p. 78-79, 80-81, 84-85. Nous avons indiqué entre crochets les termes en arabe ou pour les noms propres, les lectures que le texte arabe autorise. Pour une discussion concernant ces toponymes dans les textes arabes, se reporter au premier chapitre du présent ouvrage. 72  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 44 (texte), 80 (trad.). 73  C. Lepage, « Un métropolite égyptien bâtisseur à Lalibäla (Éthiopie) », 2002, p. 142-149. Cette hypothèse est reprise dans J. Mercier et C. Lepage, Lalibela. Capitale de l’art monolithe d’Éthiopie, Paris, 2013, p. 209-251. 71 

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religieuse à l’origine74 ; les fonctions défensives de cette partie du site75. Notons toutefois que ces arguments ne sont pas totalement déterminants pour identifier Gabri’ēl-Rufā’ēl avec le palais épiscopal. Aucun système hydraulique sur le site ne permet d’estimer que de l’eau pouvait jaillir dans les salles ; le déplacement au sein du site sur le dos d’un cheval ou d’une mule est des plus improbables étant donné le peu de hauteur de certains passages. En outre, l’extrait de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie qui décrit ce palais évoque une construction et non pas le creusement d’une résidence. L’auteur de cette notice pouvait-il faire la différence ? Peut-être pas, mais la lettre qui lui sert de source, tout comme le témoignage rapporté par le prêtre Moïse, n’auraient-ils pas été beaucoup plus clairs pour décrire un site si extraordinaire, où les murs ne sont pas faits de pierres jointes mais creusés dans le rocher ? L’exploitation de ces témoignages implique de s’interroger avant tout sur leur validité. Il ne fait aucun doute que ce passage de l’Histoire des patriarches d’Alexandrie repose sur des observations directes et sur un échange épistolaire entre l’Éthiopie et l’Égypte, mais l’évocation d’une madīna par un auteur copte du xiiie siècle doit nous interroger. Qu’est-ce qu’une madīna du point de vue d’un habitant ou d’un habitué du Caire ? Qu’est-ce que la description de la ville du roi Lālibalā nous révèle de la conception de l’espace éthiopien par un auteur copte ? La magnificence de cette ville royale n’est-elle pas le reflet des espoirs de la communauté copte, plus qu’une description vraie d’une cité éthiopienne ? Une ville dans le monde musulman, une madīna¸ présente une structure urbaine caractéristique : elle est construite autour de la grande mosquée du vendredi, du marché, des espaces pour les grands commerçants – les caravansérails –, qui constituent un centre où résident les élites religieuses, politiques et commerçantes de la ville, dans des demeures souvent construites autour d’un patio central, abritant un jardin76. Le terme de madīna implique un tissu urbain. Or, si à la rigueur l’église de Gabriel-Raphaël peut s’accorder avec la description de la résidence du métropolite, rien dans le paysage aux alentours, aucun vestige, aucune trace, ne permettent de restituer une ville A. A. Monti della Corte, Lalibalà, 1940, p. 69 ; C. Lepage, « Un métropolite égyptien bâtisseur à Lalibäla (Éthiopie) », 2002, p. 150-158 ; E. Fritsch, « The Churches of ­Lalibäla (Ethiopia) », 2008, p. 80-82. 75  A. Miquel, « Reconnaissance dans le Lasta (décembre 1955) », Annales d’Éthiopie, 3 (1959), p. 140-142 ; C. Lepage, « Un métropolite égyptien bâtisseur à Lalibäla (Éthiopie) », 2002, p. 150-158. 76  Voir pour commencer la notice madīna dans l’Encyclopédie de l’islam (A. Raymond, « Madīna », dans The Encyclopaedia of Islam, éd. P. J. Bearman, Th. Bianquis, C. E. Bosworth, E. van Donzel, W. P. Heinrichs, Leyden, 2004, vol. 12, p. 551-554). 74 

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ancienne et une occupation dense de l’espace à Lālibalā77. Les palais cairotes, en particulier ceux construits par les Fatimides et leurs successeurs, se sont largement inspirés de la tradition palatine irakienne, où les jardins avec leurs fontaines jouaient un rôle important78. Les arbres plantés dans la résidence du métropolite et l’eau qui jaillissait dans les salles ne sont pas sans rappeler ce modèle-là. Bien sûr, le métropolite Mikā’ēl, un Égyptien, a pu être influencé par ce modèle et souhaiter le reproduire dans la ville du roi. Mais rien ne vient rappeler ce modèle dans le complexe de Bēta Gabri’ēl-Rufā’ēl. Qui plus est, l’auteur de la notice biographique du Patriarche Jean VI évoque une citadelle, ḥiṣn al-qaṣr, qui n’est pas sans évoquer l’architecture défensive des monastères égyptiens, également désignés comme des qaṣr. Ceux-ci se distinguent notamment par des circuits murés, des corridors, ainsi que par des tours imposantes situées à l’intérieur du complexe monastique. Il s’agit tout autant de se défendre contre d’éventuels pillards que de donner corps à une institution religieuse qui s’autonomise ainsi par rapport au territoire sur lequel elle est implantée79. Il faut rappeler que le métropolite envoyé en Éthiopie est choisi parmi les moines égyptiens. Par conséquent, pour l’auteur de la biographie du patriarche Jean VI, il était aisé de transposer en Éthiopie un modèle architectural correspondant à ce que pourrait être la résidence d’un moine égyptien. Et c’est peut-être ce qu’il fit. Toutefois aucun autre site ne peut être candidat à l’identification de la « ville du roi ». Comme nous l’avons mentionné au chapitre précédent, aucun site urbain chrétien n’a été signalé pour des périodes postérieures au déclin d’Aksum. Seuls des vestiges d’églises subsistent. Si bien que l’on peut se demander si au début du xiiie siècle, le roi d’Éthiopie disposait d’une ville (au sens de madīna), dans laquelle il résidait, qui servait de siège à l’évêque égyptien et qui marquait dans l’espace la centralité du pouvoir. Tout se passe comme si l’auteur de la biographie du patriarche Jean VI, peut-être influencé par ses informateurs, mais peut-être aussi pour combler les lacunes de leurs témoignages, avait livré une description d’une ville royale éthiopienne idéale, en adéquation avec la conception de la ville et de l’État d’un Égyptien du xiiie siècle. La « ville du roi », associée au siège épiscopal, telle que mentionnée dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie n’est pas sans évoquer d’autres « villes 77  Au sujet de l’anthropisation de la région, voir C. Bosc-Tiessé et al., « The Lalibela Rock Hewn Site and its Landscape (Ethiopia) », 2014. 78  J.-C. Garcin, « Habitat médiéval et histoire urbaine à Fustāt et au Caire », dans Espaces, pouvoirs et idéologies de l’Égypte médiévale, Londres, 1987, p. 165-167. 79  G. Cavillier, « L’architettura difensiva dei monasteri d’Egitto. Riflessioni e ricerche », dans Actes du huitième congrès international d’études coptes, éd. N. Bosson et A. Boud’hors, Louvain, 2007 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 163), p. 141-146.

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du roi », figurant dans des listes d’évêchés égyptiens, nubiens et peut-être éthiopiens (mais les toponymes sont là aussi extrêmement difficiles à identifier) rédigées en copte et en arabe, dont Robin Seignobos a récemment montré qu’elles pouvaient être interprétées comme des « aide-mémoire à l’usage de la chancellerie patriarcale »80. Or, parmi les sièges épiscopaux ainsi listés, deux sont suivis de la mention « la ville du roi », en l’occurrence le toponyme Ṣūbār que l’on a longtemps classé dans les sièges épiscopaux aksumites, mais qui pourrait bien être à relier avec le royaume de ‘Alwa et désigner ainsi la ville de Soba81, et le toponyme Ṭ.r.ṭā, qui semble lui aussi désigner dans une autre liste la ville du roi dans le royaume de ‘Alwa82. Les deux listes évoquées ici ne sont sans doute pas contemporaines et toutes les questions relatives à leur interprétation n’ont pas été résolues, mais ces deux exemples marquent bien à la fois la nécessité pour le patriarcat d’Alexandrie d’identifier le roi avec un lieu, donc une capitale, et de faire de cette capitale le siège épiscopal, mais aussi la difficulté à connaître ces lieux et l’approximation au final concernant le royaume de ‘Alwa. On peut penser qu’il en fut de même pour l’Éthiopie, d’autant que ces mêmes listes ont conservé une manière archaïque de désigner le royaume chrétien d’Éthiopie, en le présentant comme le royaume des Aksumites, expression rencontrée, comme le note Robin Seignobos, dans un document datant de 1186 conservé à Qaṣr Ibrīm, donc quasiment contemporain du roi Lālibalā83. Reste un toponyme, Adafa. Il figure dans la reprise de la titulature du roi Lālibalā par le biographe du patriarche Jean VI. Titulature dont nous avons vu qu’elle se fondait sur des textes qui circulaient en Éthiopie, mais qui a subi des déformations avec la traduction de l’arabe. Il est aussi évoqué comme le « siège de la royauté » dans une vie de saint de la fin du xve siècle84. Aujourd’hui, Adafa est le nom d’une vallée située en contrebas du site de Lālibala. Des prospections archéologiques y ont été menées85, qui révèlent peu de choses quant à une possible occupation dense et ancienne de cet espace86. Il R. Seignobos, « Les évêchés nubiens : nouveaux témoignages. La source de la liste de Vansleb et deux autres textes méconnus », dans Nubians voices II. New texts and studies on Christian Nubian culture, éd. A. Lajtar, G. Ochala, J. Van der Vliet, Varsovie, 2015 ( Journal of Juristic Papyrology, Supplements Series, 27), p. 169. 81  R. Seignobos, « Les évêchés nubiens », 2015, p. 203, 215-216. 82  R. Seignobos, « Les évêchés nubiens », 2015, p. 223. 83  R. Seignobos, « Les évêchés nubiens », 2015, p. 178. 84  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 44 (texte), 80 (trad.). 85  Prospections menées par Niall Finneran en 2007 et poursuivies en avril-mai 2009 par ce même chercheur, accompagné de Romain Mensan, François-Xavier Fauvelle, Marie-Laure Derat, Claire Bosc-Tiessé et Brian Clark. 86  A contrario de ce qu’a pu écrire Niall Finneran (N. Finneran, « Built by angels ? Towards a buildings archaeology context for the rock-hewn medieval churches of Ethiopia », World 80 

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faut donc se résoudre à laisser cette question en suspens, en ayant conscience que la ville décrite dans l’Histoire des patriarches d’Alexandrie est sans doute très influencée par une conception égyptienne de ce qu’est une ville royale. En revanche, côté éthiopien, il y avait peut-être un lieu considéré comme « le siège de la royauté » d’où le roi exerçait son pouvoir, et comme un siège épiscopal, où séjournait le métropolite venu d’Égypte. Ce qui révèle une association du pouvoir royal et du pouvoir religieux, symboliquement réunis en un même lieu. Mais la localisation de cet Adafa reste une énigme. Concernant les sièges épiscopaux à l’époque du roi Lālibalā, la documentation offre quelques indices relatifs à l’emploi du terme gabaz, que l’on traduit par « cathédrale »87. Parmi les grands du Beg wenā cités dans les deux donations de 1204 et 1225, figure ainsi le qasa gabaz Ṣeyon, l’administrateur de la cathédrale de Sion, qui fait sans doute référence au desservant de la cathédrale d’Aksum, et non à l’évêque proprement dit. En outre, dans la donation à l’église de Madḫānē Alam à Roḥā, le roi Lālibalā précise que l’église est le gabaz, donc la cathédrale. Faut-il comprendre que Bēta Madḫānē Alam était aussi un siège épiscopal ? Dans ce cas, Adafa et le site de Lālibalā retrouvent des points de convergence. Mais il reste à distinguer le siège du métropolite proprement dit des diocèses des évêques mentionnés dans les donations de terre de Lālibalā et dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie. Le texte arabe de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie emploie très précisément le terme d’al-muṭrān pour désigner le métropolite, qui se traduit en ge’ez par ṗāṗṗās88. D’après le pseudo-canon de Nicée89, le métropolite Archaeology, 41 no 3 (2009), p. 415-429 ; N. Finneran, « Settlement archaeology and oral history in Lasta, Ethiopia : some preliminary observations from a landscape study of Lalibela », Azania : Archaeological Research in Africa, 44 no 3 (2009), p. 281-291) en compagnie duquel nous avons prospecté la région. 87  La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. xxx-xxxi. 88  S. Kaplan, « Ṗaṗṗas », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, 2010, vol. 4, p. 113. 89  Le 42e pseudo-canon issu du concile de Nicée (325), qui ne remonterait pas à une période antérieure au viiie ou ixe siècle, établit que les Éthiopiens ne peuvent pas choisir ou consacrer leur propre patriarche, mais que celui-ci est nommé par le patriarche d’Alexandrie et porte le nom de métropolite. Le chef de l’Église éthiopienne ne peut pas ordonner d’archevêque, c’est-à-dire de métropolite et si jamais il a le pouvoir pour une occasion spéciale de le faire, ceux-ci ne peuvent être des natifs éthiopiens. Le texte du canon est ensuite assez compliqué à comprendre, il laisse entendre que le métropolite d’Éthiopie vient en dignité après celui de Séleucie, parce qu’il lui est permis de consacrer des évêques pour son propre pays. Pour Igniazio Guidi notamment, cela signifie que seul le métropolite de Séleucie peut ordonner des évêques, et que par conséquent il est d’un rang supérieur à celui d’Éthiopie (I. Guidi, « Le liste dei metropoliti d’Abissinia », 1899, p. 29-30 ; M. Mauro da Leonessa, « La versione etiopica dei canoni aprocrifi del concilio di Nicea secondo i codici Vaticani ed il Forientino », Rassegna di Studi Etiopici, 2 no 1 (1942), p. 78 ; S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 17). Les canons conciliaires ont été intégrés dans une compilation intitulée le Sēnodos,

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avait autorité sur des évêques, pouvait convoquer des conciles et devait confirmer l’élection des évêques, élection qui se déroulait en présence de tous les évêques de la province et à défaut d’au moins trois d’entre eux90. Dans les travaux consacrés à l’Église d’Éthiopie, les évêques (ēṗis qoṗos) sont vus comme les assistants du métropolite, considérés comme n’étant pas nommés par lui. Celui-ci n’aurait pu nommer qu’à la prêtrise et au diaconat91. Toutefois dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, le métropolite Mikā’ēl consacre un évêque, Ḫīrūn, frère de la reine Masqal Kebrā. Du point de vue de l’Église copte, le métropolite d’Éthiopie avait donc bien le droit de consacrer des évêques et il semble bien que c’est ce qu’il fit. À l’époque du roi Lālibalā, trois évêques figurent comme garants dans l’acte no 6 (contemporain du métropolite Mikā’ēl) – Ezrā, Yerdā’e Mikā’ēl et Sāmu’ēl – et un seul dans l’acte no 7 (contemporain du métropolite Giyorgis) – Ḫarayo. D’après leurs noms, il s’agit d’évêques éthiopiens, sans doute consacrés par le métropolite. On ne retrouve pas Ḫīrūn, le frère de Masqal Kebrā que le métropolite Mikā’ēl fut forcé de consacrer d’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie – à moins qu’il ne s’agisse d’Ḫarayo, Ḫīrūn étant une déformation due à la transcription en arabe. Mais peut-être n’était-il pas encore en charge au moment de la promulgation de cet acte. Enfin, entre Mikā’ēl (1204-1209/10) et Giyorgis (en fonction en 1225), l’Éthiopie reçut un autre métropolite, un certain Isaac (Isḥaq), celui que le patriarche Jean VI nomma pour remplacer Mikā’ēl et qui se rendit dans le royaume de Lālibalā accompagné de son frère Joseph (Yūsif), qui était également prêtre. Mais nous ne savons pas si Isaac eut sous son autorité des évêques éthiopiens, car nous n’avons aucun document interne à l’Éthiopie qui témoigne de son activité. Bien que l’information soit très lapidaire, elle signale l’existence de différents diocèses dans le royaume d’Éthiopie au début du xiiie siècle, dont le nombre peut fluctuer puisqu’entre 1204-1209/10 et 1225, on est passé de trois évêques à un évêque en plus du métropolite. compilation traduite de l’arabe en ge’ez vers le milieu du xiiie siècle (voir A. Bausi, « Alcune considerazioni sul “Senodos” etiopico », Rassegna di Studi Etiopici, 34 (1990), p. 10-11). 90  Le Fetḥa Nagaśt (Législation des Rois), traduction en ge’ez, au xve ou au xvie siècle d’un nomocanon arabe (Mağmū‘al-qawānīn), rédigé au début du xiiie siècle par le Copte Abū l-Faḍā’il b. al-‘Assāl aṣ-Ṣafī, rappelle ces éléments, à partir des canons du concile de Nicée (ici le 37e canon) : chaque métropolite des grandes villes consacre les évêques de la région soumis à son autorité (cf. I. Guidi, « Le liste dei metropoliti d’Abissinia », 1899, p. 27. P. H. Sand, « Roman origins of the Ethiopian “Law of the Kings” (Fetha Nagast) », dans The Fetha Nagast. The Law of the Kings, éd. Paulos Tzadua et P. L. Strauss, Durham, 2009 (1re édition, 1968), p. xliii-xlix) ; voir aussi Basilios (archbishop), « Metropolitan », dans Coptic ­Encyclopaedia, éd. A. S. Atiya, New York, 1991, vol. 5, p. 1612. 91  Voir le point sur cette question réalisé par D. Nosnitsin (D. Nosnitsin, « Eṗṗisqoṗṗos », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 342-344).

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Ces éléments confirment donc l’impression générale laissée par les donations de terre du roi Lālibalā : au cours de son règne, le royaume chrétien d’Éthiopie est un État structuré, administré par une aristocratie, les grands du Beg wenā, qui exerce une autorité religieuse ou laïque sur des territoires qui nous restent inatteignables mais qui semblent clairement définis. Le siège du pouvoir royal et de l’Église se trouverait à Adafa, réunis en un même lieu. Quel aspect a ce siège ? Où se situe-t-il dans ce territoire qui s’étend au moins de Hām à Lālibalā ? Nous ne le savons pas.

Une petite Jérusalem En plus d’être généralement considérées comme la capitale du roi Lālibalā, les églises de Roḥā sont interprétées comme la volonté d’inscrire en Éthiopie une nouvelle Terre Sainte, au moment où Saladin (Ṣalāḥ al-Dīn) conquérait les Lieux Saints face aux Croisés. Ainsi, l’un des noms du site, Roḥā, serait une référence à al-Ruhā, toponyme arabe pour la ville d’Édesse prise en 114492. La chute consécutive de Jérusalem, en 1187, aurait rendu périlleux le pèlerinage des chrétiens en Terre Sainte et favorisé l’érection d’une Nouvelle Jérusalem en Éthiopie93. Récemment, Emeri van Donzel est revenu sur ces hypothèses et a montré que les conquêtes de Saladin n’ont semble-t-il pas fait obstacle au pèlerinage des chrétiens d’Orient94. Il conclut son article en affirmant que la construction de Lālibalā relève plus sûrement d’un contexte politique interne à l’Éthiopie au tournant des xiie-xiiie siècles95. Si la place des chrétiens d’Éthiopie dans la politique de Saladin n’a pas intéressé beaucoup de spécialistes, en raison notamment du manque de sources pour établir avec certitude qu’il y avait des Éthiopiens fréquentant Jérusalem au moment des Croisades et avant les conquêtes de Saladin96, en Le premier à émettre cette hypothèse fut probablement Enrico Cerulli dans son histoire de la littérature éthiopienne qui s’interrogeait sur le rôle de la légende d’Abgar dans l’attribution du nom de Roḥā au site de Lālibalā (E. Cerulli, Storia della letteratura etiopica, Florence, 1956, p. 35-37). 93  Notamment Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 272-274 ; Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 58-59. 94  E. van Donzel, « Ethiopia’s Lalibäla and the fall of Jerusalem 1187 », 1998, p. 43-44. Dans un article ultérieur, il nuance quelque peu ses propos, estimant qu’il n’y a pas d’éléments pour savoir si les chrétiens d’Orient furent mieux traités par Saladin que les Francs (E. van Donzel, « Were there Ethiopians in Jerusalem at the time of Saladin’s Conquest in 1187 ? », 1999, p. 128). 95  E. van Donzel, « Ethiopia’s Lalibäla and the fall of Jerusalem 1187 », 1998, p. 47 ; E. van Donzel, « Were there Ethiopians in Jerusalem at the time of Saladin’s Conquest in 1187 ? », 1999, p. 130. 96  Il faut mentionner ici le travail considérable réalisé par Enrico Cerulli, qui a rassemblé toute la documentation mettant en lien les Éthiopiens avec la Terre Sainte. Or, la source 92 

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revanche la politique menée par ce dernier vis-à-vis des chrétiens d’Orient en général et des Coptes en particulier a fait l’objet de nombreux travaux plutôt récents. Ceux-ci peuvent nous aider à établir le contexte qui prévalait en Égypte et en Terre Sainte au moment du règne de Lālibalā et à poser le problème des effets de ce contexte sur le royaume éthiopien. Est-ce que les Éthiopiens avaient une connaissance précise des événements qui se déroulaient à la fin du xiie siècle en Méditerranée orientale ? En mesuraient-ils l’importance et les conséquences ? Autrement dit, la synchronie des événements, chute de Jérusalem et développement des églises de Roḥā, fait-elle sens ou bien est-elle accidentelle ? Dans un premier temps, après sa prise de pouvoir (en 1169), Saladin imposa aux chrétiens d’Orient et en particulier à ceux vivant en Égypte, des représailles de tous ordres – retrait des croix sur les édifices, transformation d’églises en bâtiments musulmans, retrait des fonctionnaires coptes des postes de gouvernement… – mais cette politique de reprise en main et d’affirmation de l’islam contre les dhimmīs (sujets protégés de l’islam, mais soumis à un impôt, interdits de porter les armes et devant se vêtir distinctement) ne dura pas97. L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie témoigne de cette évolution, au point que Saladin est décrit dans les pages qui lui sont consacrées sous un jour très positif voire laudatif98. Par ailleurs, pour les Coptes en particulier, les Croisés étaient moins des coreligionnaires que des ennemis venant de l’étranger, apportant insécurité et violence dans la région99. Les chrétiens d’Orient étaient tout autant victimes des Croisades que les autres groupes vivant dans

se rapportant à la période de Saladin et faisant état de concession de ce dernier en faveur des chrétiens d’Éthiopie est un faux datant du xixe siècle (E. Cerulli, Etiopi in Palestina, 1943, p. 31-37). La présence d’Éthiopiens à Jérusalem n’est documentée que pour la fin du xiiie siècle. Les tous premiers témoignages d’échanges entre l’Éthiopie et Jérusalem remontent à la fin du ive siècle de notre ère : il s’agit de monnaies provenant de Jérusalem trouvées à Aksum (S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 181). Meinardus (O. Meinardus, « The Ethiopians in Jerusalem », Zeitschrift für Kirchengeschichte, 4e série, 76 (1965), p. 112-147, 217-232) donne pour sa part une lecture positiviste des documents attestant de la présence éthiopienne à Jérusalem. 97  Voir notamment Y. Lev, Saladin in Egypt, 1999, p. 185-193 ; K. J. Werthmuller, Coptic identity and Ayyubid politics in Egypt 1218-1250, Le Caire, 2010, p. 44-46. 98  J. R. Zaborowski, « The Coptic martyrdom of John of Phanijoit. Assimilation and restoration from Salah al-Din to the writing of the martyrdom, 1169-1211 (565-607 A.H.) », dans Actes du huitième congrès international d’études coptes, éd. N. Bosson et A. Boud’hors, Louvain, 2007 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 163), p. 660-664. 99  F. Micheau, « Croisades et croisés vus par les historiens arabes chrétiens d’Égypte », dans Itinéraires d’Orient. Hommages à Claude Cahen, éd. R. Curiel et R. Gyselen, Louvain, 1994 (Res Orientales, 6), p. 178-181 ; C. Hillenbrand, The Crusades. Islamic perspectives, 1999, p. 414.

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la région, voire doublement victimes100. Certains choisirent donc de soutenir Saladin. Mais quelques voix se sont élevées au sein des Coptes pour refuser l’arabisation qui accompagna l’instauration d’un gouvernement sunnite sur l’Égypte, de crainte de voir celle-ci s’accompagner d’une islamisation101. Le nouveau pouvoir ayyubide avait également eu à cœur de saper les soutiens de la dynastie fatimide, parmi lesquels figurait l’armée constituée d’esclaves noirs, bien souvent nubiens. Ce mouvement se déroula en deux temps : d’abord, au Caire, où les Noirs furent chassés de la ville après 1169, ensuite en Nubie en 1173, où les troupes menées par le frère de Saladin, Šams al-Dawla, prirent le fort d’Ibrim (Qaṣr Ibrīm) qui abritait les esclaves noirs de l’armée fatimide chassés par Saladin alliés aux Nubiens102. Dès lors, les chrétiens de Nubie ne pouvaient plus apparaître comme les sauveurs providentiels des chrétiens d’Orient opprimés par les musulmans. C’est peut-être à cette période qu’un transfert des espoirs coptes s’opère de la Nubie à l’Éthiopie, le roi Lālibalā pouvant incarner la figure d’un nouveau champion. Cela pourrait expliquer les pages consacrées à ce souverain et aux échanges d’ambassade entre Alexandrie et l’Éthiopie, alors que jusqu’à présent les mentions concernant les métropolites envoyés dans le royaume éthiopien n’occupaient que quelques lignes des biographies de patriarches. C’est donc avant tout dans la conscience de certains Coptes que l’Éthiopie a alors changé de position. Côté éthiopien, il est plus difficile de se faire une idée de ce qui était su concernant les événements de la fin du xiie siècle, la chute des Fatimides et les revers des Croisés. En 1172, Saladin reçut une ambassade éthiopienne accompagnant une lettre du roi d’Éthiopie, adressée à son prédécesseur fatimide, al-‘Āḍid (1160-1171). On ne sait pas quel était le contenu de la lettre car seul al-Maqrīzī évoque cet événement, sans en dire plus103. Mais cela signale A. Jotischky, « Ethnographic attitudes in the Crusader States : the Franks and the indigenous Orthodox people », dans East and West in the Crusader States. Context, contacts, confrontations, éd. K. Cigaar et H. Teule, Louvain, 2003, vol. 3 (Orientalia Lovaniensia Analecta, 125), p. 1-19 ; S. Parker, « The Indigenous Christian of the Ayyūbid Sultanate at the time of the Fifth Crusade », dans The Fifth Crusade in Context. The Crusading Movement in the Early Thirteenth Century, éd. E. J. Mylod, G. Perry, T. W. Smith, J. Vandeburie, Abingdon, 2016 (Crusades – Subsidia 9), p. 135-145. 101  J. R. Zaborowski, « The Coptic martyrdom of John of Phanijoit », 2007, p. 658-659. 102  R. Seignobos, L’Égypte et la Nubie à l’époque médiévale, 2016, p. 215-247. Je dois énormément à la lecture des pages de Robin Seignobos consacrées à cette période et à la prise d’Ibrīm par les Ayyoubides. Son travail m’a permis d’envisager autrement la question de la synchronie entre le règne de Saladin, les Croisades et les Zāg wē, et de penser le transfert opéré chez les Coptes entre Nubie et Éthiopie à cette période. 103  Al-Maqrīzī, Al-sulūk li-maʿrifat duwal al-mulūk, éd. Muḥammad ‘Abd al-Qādir ‘Aṭṭā, Beyrouth, 1997, vol. 1, p. 153 ; C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 306 ; S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 177. Pour certains, cette ambassade était motivée 100 

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en tout cas que le changement de pouvoir en Égypte aura été perçu par les Éthiopiens avec un peu de décalage, quand ils reçurent la réponse à leur ambassade. Pour rappel, en 1200/01, une nouvelle ambassade envoyée par le roi Lālibalā, atteignit l’Égypte et Alexandrie, pour demander la consécration d’un nouveau métropolite104. Nul doute qu’alors les Éthiopiens étaient informés du changement dynastique. Pour certains auteurs, la famine de 1200/01 qui sévissait alors en Égypte, coïncida avec de nouvelles persécutions contre les chrétiens, poussant nombre d’entre eux à migrer en Éthiopie et à aider le roi Lālibalā à recréer une Jérusalem à Roḥā105. Mais il s’agit là de conjectures qu’aucune documentation ne vient étayer. À travers ces échanges, le royaume éthiopien avait accès, de loin en loin, à des informations concernant la situation en Méditerranée orientale. Au sein de celles-ci, la prise de Jérusalem était sans doute la plus frappante et par conséquent la mieux transmise. Mais Jérusalem ne semble pas pour autant avoir été interdite aux chrétiens d’Orient, il n’y avait donc aucune urgence à recréer ailleurs une nouvelle Jérusalem. Tout bien pesé, c’est probablement la situation inverse qu’il faut prendre en compte. Lorsque Jérusalem fut prise par les Croisés un siècle plus tôt, en 1098, l’arrivée des Francs fut perçue comme une catastrophe par les Chrétiens d’Orient, les Croisés multipliant pillages et massacres et traitant les Coptes avec hostilité106. La prise de Jérusalem par les armées de Saladin venait en quelque sorte supprimer une menace potentielle pour les Église d’Orient, celle de la latinisation. La transposition de Jérusalem en dehors de la Palestine, la translatio Hierosolymae, est rarement liée à la difficulté de se rendre sur les Lieux Saints pour les chrétiens. Il s’agit le plus souvent de revendiquer sur son territoire la présence d’une petite Jérusalem, symbole de la Nouvelle Alliance et de

par le désir des Éthiopiens de disposer d’une place dans les Lieux Saints à Jérusalem, requête que Saladin aurait acceptée. Mais la documentation témoignant de concessions pour les Éthiopiens à Jérusalem au cours du règne de Saladin est tardive et serait même un faux (voir E. Cerulli, Etiopi in Palestina, 1943, p. 31-37 ; E. van Donzel, « Were there Ethiopians in Jerusalem at the time of Saladin’s Conquest in 1187 ? », 1999, p. 125-127). 104  Relation de l’Égypte par Abd-allatif, médecin arabe de Bagdad, éd. S. de Sacy, Paris, 1810, p. 334. 105  J. Bruce, Voyage en Nubie et en Abyssinie entrepris pour découvrir les sources du Nil, pendant les années 1768, 1769, 1770, 1771, 1772 et 1773, Paris, 1791, vol. 3, p. 335 ; O. Meinardus, « The Ethiopians in Jerusalem », 1965, p. 49 ; S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 180. 106  F. Micheau, « Croisades et croisés vus par les historiens arabes chrétiens d’Égypte », 1994, p. 178-179.

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l’élection divine107. Dans l’Occident médiéval, entre le ixe et le xie siècle, pas moins de 19 églises furent construites à l’image du Saint Sépulcre108, et après la première croisade, entre 1110 et 1187, ce sont 49 églises qui, toujours en Occident, ont été placées sous le vocable du Saint Sépulcre109. La transposition de la Terre Sainte à Lālibalā participe peut-être de ce mouvement, où des pèlerins, de retour dans leur pays d’origine, inspirent la construction d’édifices copiant les lieux saints de Jérusalem et tout particulièrement le Saint Sépulcre. Ce serait donc l’accès aux Lieux Saints qui crée un désir de transposition de ceux-ci dans les régions d’origine des pèlerins, plutôt que l’interdiction de se rendre à Jérusalem. Plusieurs indices tendent à montrer que les églises de Roḥā, ou du moins certaines d’entre elles, participent de ce mouvement. L’église de Golgotā, à Lālibalā, serait ainsi une représentation symbolique du Saint Sépulcre. Elle fait voisiner une représentation du tombeau du Christ, installée dans l’angle nord-est de l’église (un enfeu où est représenté un gisant, avec un ange à sa tête)110 et une représentation du tombeau d’Adam (située à l’extérieur de l’église de Golgotā, face à la paroi ouest). Elle n’est pas dessinée sur le modèle de la chapelle du Saint Sépulcre, mais elle vient rappeler que c’est sur la colline du Golgotha (le « lieu du crâne ») que Jésus fut crucifié, que c’est aussi en ce lieu qu’il aurait été placé dans une tombe taillée à même le roc et qu’enfin sous la roche du calvaire se trouvait le tombeau d’Adam. Au xiie siècle, les pèlerins visitant le Saint Sépulcre à Jérusalem pouvaient pénétrer, au-dessous de la chapelle supérieure du calvaire, dans la crypte d’Adam111. C’est dans cet ensemble que la tombe du roi Lālibalā est réputée être installée. L’église de Golgotā inscrit donc le Saint Sépulcre en Éthiopie et y ajoute une dimension nouvelle avec le corps du saint-roi. Le sens de cette association ne fait aucun doute : le royaume d’Éthiopie est le nouvel Israël, gouverné par un souverain issu du premier homme et de Jésus-Christ, garant de l’orthodoxie chrétienne. Peut-être aussi doit-on retenir l’interprétation selon laquelle certains Saints Sépulcres étaient avant tout des monuments 107  E. Patlagean, « La double terre sainte de Byzance. Autour du xiie siècle », Annales, Histoire, Sciences Sociales, 49 no 2 (1994), p. 462. 108  G. G. Stroumsa, « Mystical Jerusalems », dans Jerusalem. Its Sanctity and Centrality to Judaism, Christianity and Islam, éd. L. I. Levine, New York, 1999, p. 354. 109  A. Bonnery, M. Mentre G. Hidrio, Jérusalem, symboles et représentations dans l’Occi­dent médiéval, Paris, 1998, p. 225. 110  G. Gerster, L’art éthiopien, églises rupestres, Paris, 1968, p. 100. Je me fie ici à la description qu’a pu en faire Georg Gerster, à ses photos et à celles tirées des archives Angelini, car cet espace est aujourd’hui interdit aux femmes. 111  H. Vincent et F.-M. Abel, Jérusalem. Recherches de topographie, d’archéologie et d’histoire. T. 2 : Jérusalem nouvelle, Paris, 1914, p. 92, 186, 278.

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funéraires, placés sous le signe de la Résurrection, mais visant à honorer les défunts112. C’est bien ainsi qu’apparaît aujourd’hui le complexe de Golgotā, tombeau de Lālibalā (fig. 17-20). Il reste à savoir à quel moment ce projet est apparu. Autrement dit, le roi Lālibalā est-il l’inspirateur de cette construction symbolique, ou bien celle-ci s’est-elle opérée plus tard, quand le corps du roi défunt fut réputé être enterré dans cette église ? Pour tenter de répondre à cette question, il faut d’abord se demander si l’église de Golgotā existait au moment du règne de Lālibalā. Emmanuel Fritsch a montré que l’architecture interne d’une crypte située dans le prolongement de l’église de Golgotā, la crypte de Śellāsē, témoigne d’une liturgie qui ne peut pas être postérieure au xiiie siècle (du fait notamment des plateformes), mais qui est en revanche postérieure à celle que l’on peut observer à Bēta Madḫanē ‘Alam, ou Bēta Māryām113. Tout le complexe Dabra Sinā-Golgotā-Śellāsē serait d’ailleurs postérieur, du point de vue de la liturgie, aux églises de Madḫanē ‘Alam et Māryām. Le creusement de la crypte de Śellāsē ne peut se comprendre que si l’église de Golgotā, et sa voisine qui lui est accolée, l’église de Dabra Sinā, sont déjà excavées, ou si le travail se fait dans un même mouvement. L’étude du plan de l’ensemble Śellāsē-Golgotā-Dabra Sinā (fig. 17) livre une autre indication précieuse : la présence d’une tombe dans la crypte114. Une petite parenthèse est nécessaire ici pour expliquer pourquoi je m’en tiens à une analyse du plan et pas à des observations réalisées de visu. Une grande partie de ce complexe est totalement inaccessible. Les femmes ne peuvent pénétrer que dans la première église, l’église de Dabra Sinā. Les hommes ont le privilège de pouvoir accéder à la seconde également, l’église de Golgotā. Mais peu de personnes ont réussi à pénétrer dans la toute dernière structure, la crypte de Śellāsē, à l’exception notable ces dernières années de Jacques Mercier et Claude Lepage. Mais leurs informations n’apportent pas d’éléments nouveaux au sujet de cette crypte115. 112  A. Bonnery, M. Mentre G. Hidrio, Jérusalem, symboles et représentations dans l’Occi­ dent médiéval, 1998, p. 226. 113  E. Fritsch, « The Churches of Lalibäla (Ethiopia) », 2008, p. 107. De son côté, Michael Gervers (M. Gervers, « The Rehabilitation of the Zaguë Kings and the Building of the Däbrä Sina – Golgotha – Sellassie Complex in Lalibäla », Africana Bulletin, 51 (2003), p. 2349.) propose une datation beaucoup plus tardive pour cette église, les xive-xve siècles, estimant que cet ensemble témoigne d’une architecture tardive qui ne peut être liée qu’à une réhabilitation des souverains Zāg wē par le pouvoir royal à cette période, réhabilitation envisagée à partir de la donation d’un manuscrit des actes du roi Lālibalā par le roi Zar’a Yā’eqob (1434-1468) à l’église de Golgotā. 114  Cette observation est due à Emmanuel Fritsch (E. Fritsch, « The Churches of Lalibäla (Ethiopia) », 2008, p. 85). 115  J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012, p. 189-197.

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Il semble que la tombe aménagée dans la crypte de Śellāsē (un espace elliptique au bout d’un petit couloir qui évoque d’autres sépultures en « chaussette » de ce type sur tout le site de Lālibalā) ne l’a été que dans un deuxième temps. Cet espace outrepasse les limites données à l’édifice par ceux qui ont taillé le rocher. On peut faire une observation similaire s’agissant de l’enfeu dans le Golgotā (fig. 18). Cette sépulture symbolisant la sépulture du Christ n’est pas incluse dans le plan d’origine de cette église, mais témoigne d’un surcreusement. Nous avons donc peut-être là un indice qui tendrait à estimer que la vocation funéraire de cet ensemble, et qui plus est le symbolisme du Saint Sépulcre, seraient issus d’un deuxième mouvement par rapport au premier temps du creusement de ces églises. L’identification de l’enfeu avec le tombeau du Christ, ou bien celle du rocher préservé devant la façade ouest de Golgotā avec le tombeau d’Adam, est-elle contemporaine de la fondation de cet ensemble, ou bien postérieure ? S’agissant du tombeau d’Adam (fig. 20), il semble que cet aménagement soit apparu au cours d’une phase ultérieure aux premiers aménagements. À partir des travaux historiques et archéologiques menés récemment à Lālibalā, ce que l’on peut déduire de la méthodologie du phasage du site développée parallèlement par plusieurs chercheurs116, permet d’estimer que la façade actuelle de Golgotā est le fruit d’un creusement postérieur à celui qui a permis l’excavation de l’église de Māryām et en particulier l’un des accès monumentaux à cette église, qui s’est trouvé tronqué lorsque la façade de Golgotā a été aménagée (la fameuse porte dans le vide mise en évidence dès les travaux d’Augusto Monti della Corte117). Au cours de cette même phase, le tombeau d’Adam a été détouré puisque la découpe de la façade de Golgotā dans le rocher nécessitait d’en détacher ce qui est devenu le tombeau d’Adam. Ce morceau de rocher a été probablement réservé, telle une relique, parce qu’une tombe suffisamment importante se trouvait déjà en cet emplacement. Pour la conserver, un bloc de rocher a donc été épargné, en regard de la façade ouest de l’église Trois équipes de chercheurs ont abouti à la même idée (la nécessité de phaser pour comprendre l’évolution du site) mais pas exactement aux mêmes résultats. Toutefois, concernant le phasage (et non la datation de Golgotā), ces résultats se recoupent : M. Gervers, « The Rehabilitation of the Zaguë Kings and the Building of the Däbrä Sina – Golgotha – Sellassie Complex in Lalibäla », 2003 ; D. W. Phillipson, « A new sequence, chronology and evaluation of the Lalibela rock-cut churches », dans Ethiopian Art, a unique cultural heritage and modern challenge, Lublin, 2007 (Orbis Aethiopicus, 10), p. 144 ; D. W. Phillipson, Ancient Churches of Ethiopia, 2009, p. 167-176 et l’équipe supervisée par Claire Bosc-Tiessé et moi-même dont la méthodologie est présentée dans une autre publication, cf. F.-X. Fauvelle-Aymar et al., « Rock-cut stratigraphy : sequencing the Lalibela churches », 2010. 117  L. Bianchi Barriviera, Le chiese in roccia di Lalibelà e di altri luoghi del Lasta, Rome, 1963, tab. 6. 116 

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de Golgotā, et a donné naissance à ce qui est désormais connu comme le tombeau d’Adam. Il faut souligner que l’aménagement de la façade de Golgotā a très bien pu intervenir après que l’intérieur des églises de Dabra Sinā-Golegotā-Śellāsē avait été creusé. Concernant l’enfeu, le document le plus ancien qui y fasse allusion est la Vie de saint Lālibalā, dont la rédaction est antérieure au milieu du xve siècle118. L’auteur de cette hagiographie fait référence aux églises de Lālibalā, toutes attribuées au saint-roi. Bien que son texte soit très peu descriptif, il évoque l’église de Golgotā119 et précise à son sujet, que le roi fit des merveilles en ce lieu : « le corps (mort) glorieux qui appartient à l’agneau au corps indestructible et plusieurs autres représentations (se’elt) auxquelles il [Lālibalā] pensait nuit et jour »120. Il s’agit selon toute probabilité d’une allusion au gisant, qui est ici identifié au Christ (l’agneau au corps indestructible) et aux sculptures de l’église de Golgotā, représentations de saints personnages que l’on n’identifie pas. Par conséquent, il est certain que l’enfeu de Golgotā est considéré comme une représentation du tombeau du Christ dans la première moitié du xve siècle. Ce que confirme l’hagiographe qui rédige la Vie de saint Lālibalā, puisqu’il écrit : « Aussi tout Éthiopien qui, après avoir entendu parler de ces églises si remarquables, ne se rend pas dans la ville sainte de Roḥā, ressemble à un homme qui n’aurait aucun désir de voir le visage de notre Seigneur et sauveur Jésus-Christ »121. M.-L. Derat, « The Acts of King Lalibäla : Structure, Literary Models and Dating Elements », dans Proceedings of the XVth International Conference of Ethiopian Studies (Hamburg July 20-25, 2003), éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2006, p. 561-568. 119  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 123. 120  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 128. Jules Perruchon traduit ce passage assez obscur de la manière suivante : « Il fit surtout des choses merveilleuses dans le sanctuaire de Golgotā ; la représentation du corps glorieux de la brebis qui n’est pas dévoré par les vers (?) et plusieurs autres peintures, auxquelles il pensait nuit et jour ». J’ai revu la traduction de manière à rendre au plus près le sens du texte. Dans le ms. Orient. 719, British Library, fol. 162r, le texte ge’ez est le suivant : ወፈድፋደሰ፡ ገብረ፡ መድምመ፡ በመካነ፡ ጎልጎታ፡ በድነ፡ መካሐ፡ ዘለ፡ በግዑ፡ ዘኢይአጺ፡ በድኑ፡ ወካልአነኒ፡ ስእለተ፡ ብዙኃ፡ ዘገብረ። እስመ፡ በእ ንቲአሆን፡ ይተግህ፡ ሌሊተ፡ ወመዐልተ። (Quelques variantes apparaissent dans les autres copies du gadla Lālibalā, mais sans changer le sens de la phrase : Cerulli 37, Bibliothèque vaticane, fol. 109r ; Cerulli 223, Bibliothèque vaticane, fol. 123v ; Abbadie 139, BNF, fol. 82r ; EMML 2836, fol. 127r ; EMML 6921, fol. 150r-v ; EMML 6931, fol. 98r ; EMML 6964, fol. 130v-131r ; EMML 7051, fol. 101v). Le terme se’elt, que j’ai choisi de traduire par « représentations », a plusieurs sens : dessin, image, peinture, icône, représentation. Dans le cas de l’église de Golgotā, il est impossible de rendre se’elt par peintures ou images, qui serait la traduction la plus évidente. « Représentations » est à la fois plus neutre et permet éventuellement le rapprochement avec les personnages sculptés. Ce qui donne une information intéressante : le ge’ez n’aurait pas eu de mot pour désigner des sculptures. 121  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 127. 118 

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Mais avant ? On pourrait s’aider des inscriptions sur les autels et meubles d’autel conservés dans l’église de Golgotā. Mais elles n’apportent aucun élément tangible. Par conséquent, on peut dire qu’au xiiie siècle, probablement au cours du règne de Lālibalā, l’ensemble Dabra Sinā-Golgotā-Śellāsē avait été conçu. La vocation funéraire de ce monument n’était peut-être pas un premier geste. Dans un second temps, l’emplacement pour des sépultures a été creusé dans la crypte de Śellāsē. Peut-être dans ce même mouvement, l’enfeu a-t-il aussi été aménagé dans l’église de Golgotā. Toujours dans un second temps (mais il pourrait s’agir d’un troisième… ou quatrième… rien ne nous permet d’être plus précis pour le moment), la façade de l’église du Golgotā a été taillée, et le rocher qui est devenu le tombeau d’Adam a été réservé pour conserver une sépulture ancienne qui était aménagée antérieurement dans cet espace. L’identification de cet ensemble comme une représentation symbolique du Saint Sépulcre est attestée de façon sûre dès la première partie du xve siècle, sans que l’on puisse dire quand elle a débuté. À qui était destiné cet ensemble funéraire ? Au roi Lālibalā lui-même ? Nous ne pouvons répondre à ces questions pour le moment. Une fois de plus, les limites de la documentation imposent des limites à nos connaissances. Le lien très fort entre le roi Lālibalā et le site qui porte son nom a pu être démontré, mais aucune certitude ne se dégage concernant la fonction que ce site revêtait dans le dispositif du royaume chrétien au début du xiiie siècle. Une petite Jérusalem en écho à l’idéologie royale consolidée au cours du règne de Lālibalā, qui faisait du roi éthiopien l’élu de Dieu, son représentant sur terre pour gouverner son royaume ? Une nécropole royale destinée à accueillir le corps du roi défunt ? Ou les deux projets, concomitants ? Ces questions restent en suspens.

Lālibalā, saint de Dieu Le moment où l’association entre le Golgotā et la tombe de Lālibalā s’opère intervient sans doute dans la première moitié du xve siècle. Nous ne disposons que de deux arguments, ténus, pour appuyer cette hypothèse. Le premier témoin de ce lien est l’un des meubles d’autel en bois qui était conservé dans l’église de Golgotā (fig. 21)122 où Lālibalā est présenté comme « saint de Dieu », associé à sa femme, Masqal Kebrā, également « sainte du Seigneur ».

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Il est aujourd’hui présenté dans le musée des églises de Lālibalā.

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Lālibālā roi patient, saint de Dieu […] Qu’il reçoive du Père sa part de récompense. Masqal Kebrā, reine, sainte du Seigneur, que le Christ a élue parmi toutes les femmes123.

Il s’agit là d’une inscription exceptionnelle : de nombreux autres autels et meubles d’autel, conservés dans les églises de Lālibalā, portent des dédicaces, mais pour la plupart c’est le roi Lālibalā qui est le dédicataire. Pour reprendre l’argumentation développée par Emmanuel Fritsch et Claire Bosc-Tiessé, l’inscription sur l’autel qui met en exergue la sainteté de Lālibalā, sans pour autant le déclarer Saint, sans demander son intercession, mais au contraire en souhaitant qu’il soit accueilli auprès de Dieu, semble indiquer que la fabrication de cet objet se situe à une étape antérieure à la rédaction de la Vie de saint Lālibalā, comme un vœu pour la reconnaissance de la sainteté du roi124. Lālibalā n’est pas encore pleinement saint. L’inscription de l’autel vient en quelque sorte appeler à ce qu’il soit reconnu comme tel. On peut préciser encore un peu la datation à partir de l’objet lui-même. Comme l’a remarqué Emmanuel Fritsch, cet objet semble être moins un autel qu’un meuble d’autel, commémorant Lālibalā et sa femme125. Ce qui signifie qu’il n’est pas destiné à célébrer l’eucharistie, sa taille étant d’ailleurs trop réduite (il ne mesure que 21 cm de haut) pour pouvoir y accomplir ce rituel. Nous ne sommes donc pas encore au moment où un autel est dédié à Saint Lālibalā, permettant la célébration d’une messe en son nom et des prières qui lui soient adressées pour obtenir son intercession. Cet objet et l’inscription qu’il supporte sont donc antérieurs au xve siècle. On ne peut toutefois pas être certain que cet autel, longtemps conservé dans l’église de Golgotā, a toujours été associé à cette église. Le second argument montrant le lien établi entre Lālibalā et l’église de Golgotā a trait à la donation par le roi Zar’a Yā’eqob (1434-1468) d’un manuscrit de la Vie de Lālibalā à l’église de Golgotā126. Dans le texte de donation, qui a été ajouté au manuscrit, sur un folio vierge, il n’est pas fait mention de la tombe du roi Lālibalā dans Golgotā, pas plus que dans l’hagiographie du roi-saint, mais le fait que ce texte soit offert à cette église-ci et pas à une C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 82-85. « Lālibālā roi patient, saint de Dieu […] Qu’il reçoive du Père sa part de récompense » ; « Masqal Kebrā, reine, sainte du Seigneur, que le Christ a élue parmi toutes les femmes ». 124  C. Bosc-Tiessé, « Catalogue des autels et meubles d’autel », 2010, p. 84 ; E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 468. 125  E. Fritsch, « The altar in the Ethiopian church : history, forms and meanings », 2012, p. 468. 126  Orient. 719, British Library, fol. 168r. 123 

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autre, révèle le lien qui était déjà établi ou qui était en train de s’opérer entre le souverain et cette église. Si bien qu’au début du xvie siècle, lorsque le chapelain de l’ambassade portugaise en Éthiopie, Francisco Alvares, visite Lālibalā, la tombe du saint roi lui est montrée. Il rapporte que le tombeau du roi se trouve sous une dalle, dont il pense qu’elle ne peut pas être soulevée et que « au devant de la grande chapelle en y a une autre, entaillée dans la même pierre de l’église, laquelle ils disent être faite à l’imitation de celle de Jésus Christ en Jérusalem, à laquelle ils portent grand honneur et révérence »127. Il est bien difficile de saisir ce que Francisco Alvares désigne ainsi128. Il s’agit probablement de la représentation du tombeau du Christ. Du tombeau d’Adam, en revanche, il n’est pas question. Donc, dans les années 1520, la tradition selon laquelle Lālibalā était inhumé dans l’église de Golgotā circulait déjà. Mais, pour le reste, on ne montre pas à Alvares le tombeau d’Adam. La tradition qui circule aujourd’hui à Lālibalā n’était ainsi pas encore stabilisée au début du xvie siècle. Entre le moment de la rédaction des actes du saint-roi, au début du xve siècle, et la visite de Francisco Alvares au début du xvie siècle, la tradition concernant l’inhumation du roi Lālibalā dans l’église du Golgotā s’est donc développée, de même que la construction symbolique d’un Saint Sépulcre à Lālibalā. Ce développement est accompagné par le pouvoir royal qui fait des donations pour les célébrations liées à la commémoration de la mort du roi. Par exemple, on trouve une donation du roi Ba’eda Māryām (1468-1478)129 et une

F. Alvares, Historiale description de l’Éthiopie contenant vraye relation des terres, & païs du grand Roy, & Empereur Prete Ian […], trad. J. Bellère, Anvers, 1558, fol. 138v ; F. Alvares, The Prester John of the Indies. A true relation of the lands of the Prester John being the narrative of the Portuguese Embassy to Ethiopia in 1520 written by Francisco Alvares, éd. C. F. Beckingham et G. W. B. Huntingford, Cambridge, 1961, p. 221. 128  Jusqu’ici la description du site de Lālibalā par Francisco Alvares a été peu employée pour faire l’histoire des églises. Le jugement porté par les deux éditeurs anglais de son récit témoigne bien de l’attitude adoptée par les historiens vis-à-vis de son témoignage : « The descriptions which follow are very difficult to interpret. Alvares appears to have had little understanding of architecture and the text appears to be corrupt in places. Much of the translation can only be tentative » (F. Alvares, The Prester John of the Indies, éd. C. F. Beckingham et G. W. B. Huntingford, 1961, p. 207 n. 2). Alvares a visité deux fois le site, ce qui lui a certainement permis de mieux appréhender la complexité de cet ensemble. Sa langue n’est certes pas toujours précise, mais il faut peut-être aussi considérer autrement son témoignage. Non pas lire Alvares en essayant de retrouver ce que l’on connaît du site de Lālibalā aujourd’hui, mais interpréter son récit comme une description du site à un moment donné de son évolution. Une relecture et un commentaire complet et fin du témoignage de Francisco Alvares doivent donc être entrepris. 129  EMML 6948, fol. 122v (il faut toutefois signaler que dans la donation de Ba’eda Māryām, celui-ci n’est pas présenté comme le roi, ce qui laisse planer un doute sur son identité). 127 

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autre du roi Lebna Dengel (1508-1540) pour la commémoration de Lālibalā130. Le lien entre le jour de la commémoration du roi et un lieu précis, en l’occurrence Golgotā, n’est effectué que dans la donation du roi Lebna Dengel, donc au début du xvie siècle. Celui-ci précise en effet que la fête pour le tazkār du roi a lieu au Golgotā131. L’association entre le saint roi et cette église est donc renforcée à ce moment et atteste sans doute de l’achèvement d’un processus qui inscrit la tombe du saint roi en ce lieu. Dans le même temps, le lien entre la femme de Lālibalā, Masqal Kebrā, et une autre des églises du site, Libānos, semble s’opérer. C’est encore une donation du roi Lebna Dengel, cette fois-ci pour la célébration de sa propre commémoration, qui nous informe à ce sujet132. Le lien a été si bien construit qu’aujourd’hui on désigne l’église de Libānos comme étant celle fondée par Masqal Kebrā alors qu’aucun texte ancien ne permet d’attester cela. Ce que l’on peut simplement établir c’est qu’au début du xvie siècle, la reine et l’église sont associés via une donation de terre. Pour résumer, Lālibalā fonda des églises à Roḥā et fit fabriquer des autels en bois pour ces églises dans lequel il est le dédicataire, se présentant comme simple pécheur. Que voulait-il faire de ces églises ? Nous n’avons pas le moindre élément de réponse pour le moment. Avant le xve siècle, alors que Lālibalā n’est plus, un meuble d’autel est fabriqué sur lequel une inscription demande à ce que Lālibalā, « saint du Seigneur », soit accueilli auprès de Dieu. Lorsque dans la première moitié du xve siècle, la Vie de saint Lālibalā est écrite, l’église du Golgotā présente déjà certains caractères d’un Saint Sépulcre, avec la représentation du tombeau du Christ. Mais la tombe du saintroi n’est toujours pas localisée. Au début du xvie siècle, lors de la visite de Francisco Alvares, le programme architectural n’est pas totalement identique à celui que l’on peut observer aujourd’hui puisque le tombeau d’Adam n’est pas évoqué dans son récit. Dans le même temps, le culte en l’honneur de saint Lālibalā se développe, favorisant la rédaction de son hagiographie – donnée par le roi Zar’a Yā‘eqob, au milieu du xve siècle à l’église de Golgotā. Et au début du xvie siècle, la tombe du saint roi est située dans l’église de Golgotā, comme en atteste Francisco Alvares. L’évocation du Saint-Sépulcre à Lālibalā par le programme architectural du complexe Golgotā-tombeau d’Adam vient honorer la dépouille du saint roi. Le règne de Lālibalā marque donc un point d’orgue dans notre connaissance de la dynastie. Les documents contemporains le concernant sont EMML 6934, fol. 68v. EMML 6934, fol. 68v. 132  EMML 6948 : fol. 1v. 130  131 

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relativement nombreux, eu égard aux sources relevant de la période précédente ou de la période suivante. Pourtant de nombreux points restent énigmatiques. On aimerait saisir avec plus de précision le caractère de ce souverain qui a tant marqué le tournant des xiie et xiiie siècles. Mais il faut se garder de l’influence de la documentation postérieure, qui a à la fois élevé ce souverain à la qualité de saint, tout en déclassant la dynastie à laquelle il appartenait, en la qualifiant d’usurpatrice. Les églises de Lālibalā symbolisent les questions qui entourent cette dynastie : il est bien difficile d’atteindre certains aspects de l’histoire de cette dynastie parce que des historiographes se sont emparés très tôt de leur histoire, soit pour les déclasser et légitimer la nouvelle dynastie qui est investie à partir de 1270, soit au contraire pour réhabiliter cette dynastie déclassée en faisant apparaître ses membres comme des saints et en plaçant le site de Lālibalā comme l’emblème de leur sainteté. Ce site devient alors un lieu de pèlerinage, est investi de significations nouvelles, qui rendent extrêmement difficiles l’accès au projet initial et au site originel. C’est l’histoire de ces historiographies divergentes que nous nous proposons de retracer à présent.

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Saints et usurpateurs, deux historiographies divergentes Le roi Lālibalā exerce le pouvoir jusque dans le premier tiers du xiiie siècle. Nous ignorons la date de sa mort, tout comme le nom de son successeur. Et puis, brutalement, une date clôt cette histoire dynastique : en 1270, le dernier roi zāg wē est défait par un certain Yekuno Amlāk, connu des auteurs arabes comme étant le roi d’Amḥarā. Que s’est-il passé entre temps ? Nous ne le savons quasiment pas. Certes, la documentation postérieure pourrait nous permettre de combler ces lacunes, mais peut-on s’y fier ? J’ai délibérément choisi de séparer jusqu’ici le plus possible les sources contemporaines de la dynastie et celles qui lui sont postérieures, pour éviter toute interférence et anachronisme. Il est maintenant temps d’introduire cette documentation tardive, afin d’analyser comment les chrétiens d’Éthiopie des xive et xve siècles se sont emparés de l’épisode zāg wē et l’ont aménagé au gré des nécessités. L’écriture de l’histoire des xie-xiiie siècles s’élabore alors essentiellement dans les monastères. Des vies de saints moines, qui ont vécu au xiiie ou au xive siècle, parfois même plus tôt, sont rédigées dans la communauté qu’ils ont fondée. Cette rédaction se situe essentiellement à la fin du xive et au xve siècle. Les hagiographes introduisent des éléments de contexte historique qui les font revenir sur le règne des Zāg wē. Ils expriment alors la manière dont cette histoire est perçue deux siècles après, mais aussi participent à établir cette histoire avec pour principale motivation la légitimation de la nouvelle dynastie, et par conséquent le déclassement de la précédente. En réponse, d’autres vies de saints sont écrites, à la même période. Ce sont les Vies des rois zāg wē, en particulier celles de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos. Les autres viendront plus tard, dans un autre contexte. Tout se passe comme si pour contrer la critique du règne de la dynastie zāg wē, leurs défenseurs avaient choisi une arme imparable : la reconnaissance de leur qualité de saint, interdisant en quelque sorte tout retour sur le politique (aucune chronique n’est produite concernant le règne des Zāg wē). C’est le jeu entre ces

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différents textes hagiographiques, qui puisent les uns aux autres, que j’aimerai exposer ici.

La première historiographie des Zāg wē L’avènement de Yekuno Amlāk Avant toute chose, il convient de poser les éléments qui permettent de considérer que le règne de la dynastie zāg wē s’achève avec l’avènement de Yekuno Amlāk en 1270. En dépit de l’importance qu’a pris ensuite cet événement dans la tradition, les traces historiques qui permettent de le reconstituer sont relativement ténues. Il y a, tout d’abord, les donations de l’évangéliaire de Dabra Libānos du Šemazānā. À la suite des deux donations du roi Lālibalā (actes no 6 et no 7 dans l’édition de Carlo Conti Rossini), on trouve en effet deux autres textes (actes no 9 et no 10). Le premier est daté de 1268, il émane d’un śeyyum de Dabra Mā‘eṣo, qui dit faire une donation au temps d’un roi nommé Delāndā, qui n’est attesté dans aucun autre document1. Le second, non daté, est une donation du roi Yekuno Amlāk, aux Vierges, à Bēta Masqal et à Bēta Māryām, pour leur restituer les terres que le śeyyum de Dabra Mā‘eṣo avait spolié2. À partir de ces deux documents, Carlo Conti Rossini a élaboré une reconstitution historique qui n’a jamais été remise en cause jusqu’à aujourd’hui. Je la cite largement parce qu’elle est déterminante dans l’historiographie éthiopienne : Le roi qui régnait en 1268, au moins dans le nord-est du Tigrē, est appelé Delāndā. Je ne me souviens pas avoir jamais vu ailleurs ce nom, qui par conséquent serait nouveau dans l’histoire abyssine. Vraisemblablement, au cours de la confusion et des graves désordres nés des agitations qui accompagnèrent la chute de la dynastie Zāguē et l’avènement de la dynastie Salomonide (faits qui ont dû se dérouler selon un mode tout autre que pacifique, comme l’attestent les contradictions des listes royales dans la désignation du dernier roi Zāguē, le témoignage de Mariano Victor…), différents chefs locaux ont dû chercher à se rendre et à se maintenir indépendants ; parmi ceux-ci il devait y avoir Delāndā, dont le nom n’est pas sémitique, et qui pourrait ainsi être un Agaw qui avait la charge de gouverneur de Mā’ekala Bāhr [ce que l’acte no 9, que commente ici Carlo Conti Rossini ne dit pas]. […] 1  2 

« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 193. « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 194.

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Les faits ont dû se dérouler ainsi. Continuant la lutte contre Delāndā, les partisans des Salomonides se seraient emparés de Dabra Libānos, lieu important pour sa formidable Ambā, et, tuant et chassant le vieux Yerde’anna Krestos [‘aqqābē sa‘āt de Dabra Libānos, nommé au cours du règne de Lālibalā], ils auraient confié la charge au nebura’ed d’Aksum, Takasta Berhān, lequel devait soutenir la nouvelle dynastie […]. Alors le chef de Dabra Mā’eso, monastère voisin, Meslēna Egzi’e, partisan de Delāndā, aurait envahi et mis à sac le territoire du couvent ennemi. Mais, une fois tombé son parti, et luimême dépouillé de sa province, le nouveau roi Yekuno Amlak a réorganisé les fiefs et les carrières, et confirmé les possessions de Dabra Libānos […]3.

Cette version des faits est peut-être la bonne, mais il faut reconnaître qu’elle se fonde sur peu de choses. Le roi Delāndā ne serait, en 1268, qu’un roitelet, qui n’aurait plus qu’une autorité limitée sur le Nord du royaume. Mais rien, dans l’acte no 9, ne permet de l’affirmer. Il est vrai, en revanche, que si le śeyyum de Dabra Mā‘eṣo a pu se permettre de spolier les terres qui avaient été données par le roi Lālibalā aux Vierges, à Bēta Masqal et à Bēta Māryām, c’est que l’autorité royale dans la région était particulièrement affaiblie. Mais agissait-il en faveur des rois zāg wē ou pour son propre compte ? Ce que Yekuno Amlāk accomplit, c’est la réaffirmation de l’autorité royale dans la région avec la restitution des terres aux usufruitiers désignés par le roi Lālibalā, plus qu’un changement de pouvoir. Les deux actes de l’évangile de Dabra Libānos nous permettent donc de situer après 1268 l’arrivée au pouvoir de Yekuno Amlāk et d’établir que son règne marque une reprise en main de la région de Dabra Libānos par le pouvoir royal. La nomination de Takasta Berhān comme ‘aqqābē sa‘āt de Dabra Libānos, alors qu’il était déjà nebura’ed d’Aksum, intervient avant 1270, puisqu’un autre acte dans l’évangile de Dabra Libānos (l’acte no 11) émane précisément de ce Takasta Berhān, qui dit être en possession des deux charges, en 12704. Le cadre chronologique de l’avènement de Yekuno Amlāk est donc posé. Que sait-on de plus au sujet de ce nouveau souverain ? En Égypte, il est connu très tôt après son avènement car il cherche à obtenir la nomination d’un nouveau métropolite. Il adressa donc un courrier au sultan mamlouk Baybars en 1274. Cette lettre est citée de façon assez embrouillée par Mufaḍḍal, chroniqueur copte qui rédigea les annales de l’Égypte couvrant la période de 1260 à 1349, reprenant des informations d’Ibn ʿAbd al-Ẓāhir, le secrétaire de la chancellerie mamlouk de l’époque. Dans cette lettre, le roi Yekuno Amlāk fait simplement allusion à un événement qui aurait retardé 3  4 

« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 193, 195. « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 195-196.

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son ambassade vers l’Égypte : « La seule cause du retard de mes envoyés à se rendre auprès du sultan est que j’étais à Bikār (?). Le roi David est mort ; son fils lui succède »5. Mais comme on ne sait pas qui est ce roi David – le dernier des Zāg wē ? – il est bien difficile de comprendre ce passage et de l’employer pour situer le contexte politique de l’avènement de Yekuno Amlāk. Le moins que l’on puisse dire, toutefois, c’est que le changement de règne n’apparaît pas comme une crise politique majeure mais comme une succession des plus simples. Le roi est mort, son fils lui succède. C’est la réponse du sultan au roi Yekuno Amlāk, conservée et transmise par Ibn ʿAbd al-Ẓāhir, qui est beaucoup plus évocatrice. Le roi éthiopien y est désigné comme le roi des Ḥabaša (malik al-Ḥabaša) et le ḥaṭī, mais aussi le seigneur du pays Amḥarā (ṣāḥib bilād Amḥara) ou encore l’Amḥarā (alAmḥarī)6. Les membres de la chancellerie du Caire ont donc appliqué une nisba à Yekuno Amlāk, faisant de lui l’homme de l’Amḥarā. L’information est d’importance, car elle signe une origine différente pour nos deux souverains et signale un basculement du pouvoir d’une région à une autre, sans pour autant que l’on ait les éléments pour comprendre ce qui était alors à l’œuvre. Le basculement est peut-être plus subtil que ce que l’on a pu penser jusqu’à présent. En 1972, Taddesse Tamrat, qui est à l’origine d’un vaste courant historiographique, écrivait ainsi : À la veille de la chute de la dynastie Zagwe, Yikunno-’Amlak avait apparemment établi un royaume virtuellement indépendant, comprenant l’Amhara et les communautés chrétiennes du Shäwa7.

Si Yekuno Amlāk était bien un homme qui tirait son pouvoir d’une région différente de celle des souverains zāg wē, il s’évertua cependant à mettre ses pas dans les traces de ses prédécesseurs8. La donation de terre conservée dans l’évangile de Dabra Libānos pour les Vierges, Bēta Māryām et Bēta Masqal, restituant des terres données auparavant par le roi Lālibalā, en est un

Cité par J. Cuoq, L’islam en Éthiopie, 1981, p. 106. Ibn ‘Abd al-Ẓāhir, 1976, p. 431, cité par J. Loiseau, « The Ḥaṭī and the Sultan. Letters and embassies from Abyssinia to the Mamluk court », dans Mamlūk Cairo. A Crossroad for Embassies, éd. F. Bauden et M. Dekkiche, Leiden, 2018 (à paraître), p. 1 (de l’article). Je remercie vivement Julien Loiseau de m’avoir donné accès à cet article sur le point d’être publié. 7  Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 67. 8  Voir notamment M. Heldman et Getatchew Haile, « Who is who in Ethiopia’s past, part III : founders of Ethiopia’s solomonic dynasty », Northeast African Studies, 9 no 1 (1987), p. 1-11 ; M. Heldman, « Architectural symbolism, sacred geography and the Ethiopian church », 1992, p. 229-232. 5 

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premier exemple. De même, Yekuno Amlāk laissa son empreinte dans la région des églises de Lālibalā (voir carte 8). Dans l’église de Gannata Māryām, à proximité des monuments que le roi Lālibalā avait fondé ou contribué à fonder, le nouveau roi est représenté sur une peinture murale (fig. 22) et une inscription précise qu’il est le fondateur de l’église, l’associant à deux ecclésiastiques : Neḥyo Bakrestos, que l’on ne connaît pas, et Maḥāri Amlāk9. Maḥāri Amlāk est connu par ailleurs parce qu’il est représenté sur une peinture murale d’une autre église de la région, Waša Mikāʾēl, où à son tour il est dit être le fondateur de l’église. Sur l’inscription accompagnant la peinture, il est aussi désigné comme étant le ṣawārē nārgē (porteur du récipient de médecine) du royaume10. Il était donc un personnage important de l’entourage du roi Yekuno Amlāk. Qui plus est, dans l’église de Gannata Māryām, qui voisine celles de Lālibalā, d’autres personnages de la famille royale sont dépeints : un « fils de roi », appelé Kwelēsēwon, associé à sa mère, Tehreyanna Māryām (fig. 23). S’agit-il du fils de Yekuno Amlāk et de sa femme ? Cela peut paraître logique, dans la mesure où toutes ces peintures se trouvent dans la même église – celle représentant Yekuno Amlāk, d’une part, et celle représentant le fils de roi et sa mère, d’autre part – mais il n’est pas précisé sur les inscriptions que le fils ou la mère sont liés au roi Yekuno Amlāk. Enfin, en surplomb de l’église de Gannata Māryām, un dernier établissement – Emmakinā Madḫanē ‘Alam – présente également des peintures murales, où l’on trouve une autre représentation de Tehreyanna Māryām (fig. 24)11, mais aucune allusion à son fils ou au roi Yekuno Amlāk. Par conséquent, non seulement Yekuno Amlāk se positionna dans la région des églises de Lālibalā, mais il s’était également entouré de personnes qui avaient peut-être un ancrage dans cette région beaucoup plus fort que lui : cela peut peut-être expliquer la représentation de Tehreyanna Māryām à Gannata Māryām et à Emmakinā Madḫanē ‘Alam, et la fondation par le ṣawārē nārgē d’une église à Waša Mikāʾēl. Enfin, quelques informations issues de documents conservés dans l’évangile de Ḥayq (EMML 1832), laissent à penser que Yekuno Amlāk décalqua l’organisation ecclésiastique mise en place par ses prédécesseurs dans la région de Dabra Libānos pour la région de Ḥayq. Tout d’abord il fit un pacte avec l’abbé de Dabra Ḥayq, Iyasus Mo’ā, qui spécifiait que les femmes étaient interdites sur l’île de Ḥayq, que seuls des moines pouvaient construire une maison dans le monastère M. Heldman et Getatchew Haile, « Who is who in Ethiopia’s past, part III », 1987, p. 4. 10  J. Mercier, « Peintures du xiiie siècle dans une église de l’Angot (Éthiopie) », 2002, p. 144-145. 11  E. Balicka-Witakowska, « The wall-paintings in the church of Mädhane Aläm near Lalibäla », Africana Bulletin, 52 (2004), p. 28-29. 9 

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et qu’un moine, une fois revêtu de l’habit à Ḥayq, ne pouvait pas aller chercher d’autre investiture monastique auprès d’un autre abbé12. Les termes exacts de l’échange entre le roi Yekuno Amlāk et Iyasus Mo’ā ne sont pas donnés. Le texte préservé dans l’évangéliaire de Ḥayq tend à montrer les droits acquis par le monastère. Mais sans doute le roi obtint-il de son côté des contreparties, peut-être simplement en termes de soutien à son règne. Puis, il semble que l’abbé de Ḥayq ait reçu le titre d’‘aqqābē sa‘āt – que Iyasus Mo’ā n’a pas porté, mais seulement son successeur, Za-Iyasus – devenant ainsi le pendant méridional du monastère de Dabra Libānos dont l’abbé conserva également ce titre13. Au total, l’impression générale que laissent toutes ces traces du règne de Yekuno Amlāk est assez différente de l’image qui est donnée de Yekuno Amlāk dans l’historiographie, y compris très contemporaine. Si l’on examine tous ces documents sans savoir que Yekuno Amlāk est le premier souverain d’une nouvelle dynastie, le changement dynastique n’est pas évident. C’est donc qu’il y eut après son règne, tout un travail pour faire de son avènement un tournant de l’histoire du royaume d’Éthiopie. Comment ce travail a été réalisé, selon quelles étapes et quelle fut alors l’image donnée des souverains zāg wē et de Yekuno Amlāk, ce sont les sujets qui vont maintenant retenir notre attention. Relevons, au passage, les grands thèmes qui traversent l’historiographie savante et sur lesquels nous reviendront : Yekuno Amlāk incarnait une sorte de « révolte » des populations de langue sémitique contre la dynastie zāg wē, considérée comme employant une langue couchitique et présentés de ce fait comme étant d’origine agaw ; il était également le champion d’une région, l’Amḥarā et sa périphérie méridionale, le Šawā, contre l’emprise des régions septentrionales, d’où les oppositions supposées au Tegrāy contre son règne.

Traditions autour de la chute des Zāg wē L’écriture de l’histoire de la dynastie zāg wē et de son éviction par une nouvelle dynastie, que l’on qualifie usuellement de salomonienne, se fonde vraisemblablement sur l’emploi de traditions orales dans des œuvres écrites. La fiction historique produite par cette première historiographie a profondément influencé toute l’historiographie éthiopienne, jusqu’à nos jours. Démêler le vrai du faux, identifier les points où cette histoire a été corrigée est M. Kropp, « “… der Welt gestorben” : ein Vertrag zwischen dem äthiopischen heiligen Iyyäsus-Mo’a und König Yekunno-Amlak über Memoriae im Kloster Hayq », Analecta Bollandiana, 116 (1998), p. 307-311 ; M. Kropp, « Die dritte Würde oder ein Drittel des Reiches ? Die verschiedenen Versionen der Biographie des Hl. Iyäsus-Mo’a als Ausdruck sich wandelnder Funktionen des Textes », dans Saints, biographies and history in Africa, éd. B. Hirsch et M. Kropp, Francfort, 2003, p. 192, 197-198. 13  M. Kropp, « Die dritte Würde oder ein Drittel des Reiches ? », 2003, p. 194. 12 

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quasiment impossible, car les sources contemporaines des événements sont tellement rares que les recoupements sont très peu praticables. Aussi, j’ai choisi de proposer ici les éléments de cette historiographie comme un contrepoint à tout ce qui a pu être établi auparavant. Les distorsions seront soulignées, de même que la manière dont la tradition comble les lacunes. Mais tous les points ne seront pas déconstruits pierre à pierre, la juxtaposition des deux histoires étant, me semble-t-il, le plus souvent suffisante. Si l’on tente de reconstruire texte après texte la manière dont la première historiographie des Zāg wē s’est constituée, le premier document que l’on rencontre, c’est-à-dire le document le plus ancien, est le Kebra Nagaśt (la Gloire des Rois), dont nous avons déjà parlé au chapitre précédent. Cela ne signifie pas que le Kebra Nagaśt est le point de départ de cette historiographie, mais que nous n’avons pas de texte antérieur, daté avec certitude, qui nous donne un jalon plus ancien. Le colophon du Kebra Nagaśt avance deux éléments essentiels : le roi Lālibalā faisait partie d’une famille, les Zāg wē ; ces Zāg wē n’étaient pas des Israélites et n’avaient donc pas la légitimité à régner sur le royaume d’Éthiopie. Dans le texte arabe, il est dit : « Nous avons traduit ce livre en arabe à partir d’un manuscrit copte appartenant au siège de Marc l’Évangéliste, le maître, notre père à tous. Nous l’avons traduit dans la 409e année de la miséricorde (1225) dans le pays d’Éthiopie, au temps de Gabra Masqal le roi, qui est appelé Lālibalā, au temps d’abbā Giyorgis, le bon évêque. Et Dieu négligea de le faire traduire et interpréter dans la langue d’Éthiopie. Et lorsque j’eus réfléchi à cela : “Pourquoi ’Abal‘ez et moi, ’Abalfarag, qui copièrent le livre ne le traduisirent-ils pas ?”, je dis cela : il sortit aux jours des Zag wa et ils ne le traduisirent pas parce que dans ce livre il est dit : “Ceux qui, n’étant pas des Israélites, règnent, transgressent la loi”. S’ils avaient été du royaume d’Israël, ils l’auraient traduit. Il a été trouvé à Nāzrēt. Priez pour moi, votre serviteur Yesḥaq le pauvre, et ne me blâmez pas de l’incorrection de l’expression de la langue, car j’ai beaucoup peiné pour la gloire du pays d’Éthiopie, pour la sortie (de Jérusalem) de Sion la céleste et pour la gloire du roi d’Éthiopie. En effet, j’ai interrogé un juge intègre, aimé de Dieu, Yā‘ebika ’Egzi’e ; il approuva et me dit : « Fais »14. Je fis, Dieu m’aidant, et il ne m’a pas rétribué selon mes fautes. Priez pour votre serviteur Yesḥaq et pour ceux qui ont peiné avec moi à la production de ce livre, car nous avons pitié

Robert Beylot (La gloire des rois, ou l’Histoire de Salomon et de la reine de Saba, éd. R. Beylot, Turnhout, 2008 (Apocryphes, 12), p. 384) propose une traduction légèrement différente : « Car moi, j’ai interrogé le prince juste, aimé de Dieu, Yâ’ebika ’Egzi’e et (cela) lui a plu et il m’a dit : “Fais-le !” ». Le point essentiel pour expliquer que Ya’bika Egzi’e soit présenté soit comme un juge, soit comme un prince, tiens au terme ge’ez makwannen qui peut être compris selon ces deux sens. 14 

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d’eux dans le royaume des cieux avec tous les saints et martyrs, qu’il écrive leurs noms dans le Livre de la vie, dans les siècles des siècles, amen et amen15 ».

Le terme de Zāg wē renvoie selon toute probabilité au nom d’une famille, mais les rois appartenant à cette dynastie ne se présentent pas eux-mêmes comme des Zāg wē. Ce terme figure en fait dans des documents extérieurs à la dynastie, tels le Kebra Nagaśt ou le Livre des Mystères du Ciel et de la Terre (dont la première partie, qui nous intéresse ici, glose au sujet de la Genèse)16, tous deux rédigés respectivement au xive et au xve siècle. Dans ces ouvrages, il est question des Zag wa ou Zag wāy (en tigrinya), et l’emploi de ce terme semble bien renvoyer à un nom de famille. Le terme zāg wē serait donc la forme ge’ez/amharique de ce nom de famille, retenu désormais pour désigner les souverains qui régnèrent du xie au xiiie siècle. La dynastie est également connue sous un autre nom : hēṗāṣā, notamment dans la deuxième version des actes d’un célèbre saint éthiopien, Takla Hāymānot, datant du début du xvie siècle17. Mais la signification de ce terme nous échappe tout autant et n’est pas plus documentée du côté des archives qui émanent de la dynastie18. « Kebra Nagaśt. Die Herrlichkeit der Könige », éd. C. Bezold, 1909, p. 138 ; La Gloire des Rois (Kebra Nagast), éd. G. Colin, 2002, p. 110 ; La gloire des rois éd. R. Beylot, 2008, p. 383-384. 16  « Le livre des mystères du ciel et de la terre », éd. J. Perruchon, Patrologia Orientalis, 1 (1903), p. 25. Dans le Livre des Mystères du Ciel et de la Terre, l’auteur interprète la Genèse en faisant coïncider les généalogies et les langues des fils de Cham avec les peuples et les régions d’Éthiopie (au sens large) : « Quant aux enfants de Kâm, telles sont leurs langues : Qebti, Gebes, Habasi, Nozâzi, Dênkil, Dêmêsâwi, ’Enzi, ’Enderi, Suli, Didubi, Kani, Manbari, Taribni, Tori, Duri, Miki, Kue‘ezi, Hêmi, Lêbi, Sêrêwi, Lêzi. Qebti signifie Copte ; Gebes signifie Égyptien ; les Habasi sont les Tigréens ; les Nobi sont les Nubiens ; Fêsi signifie Philistin (?) ; Zâti signifie Zârâwiens, peuple qui habite vers les montagnes de feu ; les Libâ sont à l’ouest de ceux-ci. Les Bâli habitent (le pays) où règne une femme, à l’orient de Yâfêt. Quant à cette femme qui règne, lorsque approchent ses jours, les démons la saisissent et en font une autre à sa place. C’est ainsi qu’ils feront gouverner cette contrée jusqu’à la fin du monde. Zêzi signifie Zaguâ ; Zâhi signifie Sêhô ; Mesi signifie Mês ; Hazi signifie Hazo ; Nâki signifie Dankêlen ; et à l’ouest de ceux-ci sont les Sêmi. Sêwi signifie Sêwa (Shoa) ; ’Enzi singifie Angôt et ’Enderi est Sel‘edan, Sôri, l’armée de Sel‘edan et Dêdubi (sont) leurs frères. Kôni est Kâna’ân ; Manbari, Manbartâ ; Dêri, Enderta ; Buni signifie Beguenâ. Et ce ne sont pas tous les fils de Kâm […] ». Quelques travaux récents ont repris l’étude de cet ouvrage complexe. Voir R. Beylot, « Une vision allégorique du Livre éthiopien des Mystères du Ciel et de la Terre », Pount, 4 (2010), p. 149-167 ; D. Assefa, « Le Livre d’Hénoch commenté par le Livre des Mystères du Ciel et de la Terre », Journal of Eastern Christian Studies, 64 no 1-2 (2012), p. 29-39. 17  The Life of Takla Haymanot in the version of Dabra Libanos and the miracles of Takla Haymanot in the version of Dabra Libanos, éd. E. A. W. Budge, Londres, 1906, vol. 1 p. 74, vol. 2, p. 29. On trouve aussi ce nom de famille dans les actes de Iyasus Mo’ā (Actes de Iyasus Mo’a, éd. S. Kur, Louvain, 1965 (CSCO 259-260, Aeth. 49-50), p. 26 (édition), p. 21 (trad.)). 18  Jacques Mercier et Claude Lepage ont choisi d’employer ce terme pour désigner les Zāg wē dans leur ouvrage récent sur le site de Lālibalā (J. Mercier et C. Lepage, Lalibela, 2012). 15 

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La mise en forme finale du Kebra Nagaśt est communément située au xive siècle, notamment parce que le dernier souverain évoqué dans cette fiction historique est le roi Amda Ṣeyon (1314-1344)19. À partir de cet élément, Carlo Conti Rossini a établi que le Yesḥaq qui s’empara du texte arabe pour le traduire en ge’ez pouvait être identifié au chef ecclésiastique d’Aksum, le nebura’ed Yesḥaq, contemporain du roi Amda Ṣeyon, et que Yā‘ebika Egzi’e « le makwannen intègre, aimé de Dieu » était le chef de l’Entartā qui exerçait également sa charge au début du règne d’Amda Ṣeyon (1314-1344)20. Toutefois, la position de ce Yesḥaq vis-à-vis de la nouvelle dynastie est très particulière. S’il travaille sous la supervision ou au profit du chef de l’Entartā, il y a tout lieu de penser qu’il n’écrivait pas pour établir la légitimité des descendants de Yekuno Amlāk à régner, et en particulier celle du roi Amda Ṣeyon (1314-1344). En effet, les documents employés pour identifier Yā‘ebika Egzi’e et Yesḥaq (des donations de terre figurant une fois de plus dans l’évangéliaire de Dabra Libānos du Šemazānā21, ainsi qu’une donation conservée dans l’évangéliaire de Ḥayq22) témoignent de sa rébellion contre le roi Amda Ṣeyon et de son ambition d’exercer le pouvoir suprême, au moins sur la région du Tegrāy23. Dans ces conditions, on peut se demander si le Kebra Nagaśt n’avait pas précisément pour objectif de légitimer ce Yā‘ebika Egzi’e, contre le roi Amda Ṣeyon. Or, le livre s’achève sur une généalogie, qui débute avec le souverain éthiopien contemporain de Jésus-Christ, Bazen, se poursuit par une énumération des rois jusqu’à un certain Delna‘ād. Et la généalogie s’achève de la manière suivante : Et après lui [Delna‘ād] le royaume fut la proie d’un peuple qui n’était pas de la tribu de David, ni du peuple d’Israël. Comme dit Dieu : « Moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple ». Et ensuite Yekuno Amlāk (le) rendit à Yāgbā Ṣeyon, Bāhr Sagad, Hezba ’Ar’ād, Qedma Sagad, Žān Sagad, Wedem ’Ar’ād, Amda Ṣeyon24. C. Conti Rossini, « Aethiopica (IIa serie) », Rivista degli Studi Orientali, 10 (1925), p. 506. 20  C. Conti Rossini, « Aethiopica (IIa serie) », 1925, p. 506-508 ; Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 72-74 ; P. Piovanelli, « The apocryphal legitimation of a “Solomonic” dynasty in the Kebra Nagaśt – a reappraisal », Aethiopica, 16 (2013), p. 10. 21  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, actes no 17 à 20, p. 200-206. 22  Taddesse Tamrat, « The abbots of Däbrä-Hayq 1248-1535 », 1970, p. 95-96. 23  Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 71-75. 24  La gloire des rois éd. R. Beylot, 2008, p. 385. Il faut noter que Gérard Colin (La Gloire des Rois (Kebra Nagast), éd. G. Colin, 2002, p. 110) ne donne pas ces dernières lignes du texte du Kebra Nagaśt dans sa traduction. Mais l’édition de Carl Bezold (Kebra Nagaśt) « Kebra Nagaśt. Die Herrlichkeit der Könige », éd. C. Bezold, 1909, p. 173), donne bien cette généalogie traduite par Robert Beylot. Dans le manuscrit le plus ancien connu du Kebra Nagaśt, 19 

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Ce sont encore une fois les Zāg wē qui se trouvent disqualifiés par ces quelques lignes et non pas Amda Ṣeyon, qui est bien évoqué comme le dernier maillon de la dynastie royale instaurée par Yekuno Amlāk. Telle n’est pas l’opinion de Sevir Chernetsov, par exemple, qui estime au contraire que le Kebra Nagaśt a été écrit précisément pour établir les droits de Yā‘ebika Egzi’e et de ses descendants à régner, bien plus que ceux des descendants de Yekuno Amlāk25. Manfred Kropp a suivi cette idée, ajoutant que le Kebra Nagaśt avait été rédigé pour disqualifier les Zāg wē d’une part, mais aussi les descendants de Yekuno Amlāk qui avaient installé le centre du pouvoir du royaume dans les régions méridionales et non pas à Aksum. Il en a conclu que le titre de cet ouvrage, Kebra Nagaśt, ne devait pas être compris par « Gloire des Rois », sous-entendant que celle-ci était liée à la possession de l’arche d’alliance et à l’élection divine des rois éthiopiens, mais que cette gloire désigne en fait la cathédrale d’Aksum et situe ainsi ce texte en un lieu et une époque : le moment où les gens du Nord du royaume ont tenté de faire valoir leurs droits vis-à-vis de la nouvelle dynastie qui s’était emparée du pouvoir, et avait déplacé l’ancrage de celui-ci vers les régions de l’Amḥarā et du Šawā26. À l’appui de cette thèse, on peut ajouter que la généalogie qui vise à légitimer la lignée d’Amda Ṣeyon peut très bien être un ajout postérieur (voir note 24). Il faudrait toutefois se demander si l’identification de Yā‘ebika Egzi’e et de Yesḥaq avec le śeyyum de l’Endartā et avec le nebura’ed d’Aksum, respectivement, est la bonne. Pour ce qui nous concerne, on peut retenir surtout la période de reprise, en ge’ez, de cette œuvre et sa diffusion, comme étant le règne d’Amda Ṣeyon, donc le début du xive siècle, sans toutefois être à même de connaître le milieu dans lequel ce texte a été élaboré. L’idée de la non appartenance des Zāg wē à la famille d’Israël et donc son illégitimité à régner s’est bel et bien diffusée puisqu’au début du xve siècle, un hagiographe s’en est emparé pour situer chronologiquement la Vie de saint Takla Hāymānot. En 1424/1425, en effet, la première version de la Vie de saint Takla Hāymānot, rédigée dans le monastère qu’il a fondé, expose ainsi le contexte dans lequel ce moine fut éduqué : « Ensuite, il [Takla Hāymānot] alla auprès du métropolite abbā Gērlos, au temps du règne de Yekuno Amlāk,

BnF Éthiopien 5, daté du xve siècle, cette liste des rois n’apparaît pas à la suite du colophon (voir BnF Éthiopien 5, fol. 154v). 25  Sevir Chernetsov, 1994 (cité par M. Kropp, « Zur Deutung des Titels “Kebrä nägäst” », Oriens Christianus, 80 (1996), p. 112). 26  M. Kropp, « Zur Deutung des Titels “Kebrä nägäst” », Oriens Christianus, 80 (1996), p. 112-115.

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l’Israélite, qui reprit le royaume de la maison des Zag way »27. Le nouveau souverain, Yekuno Amlāk, est l’Israélite, donc le roi légitime à régner. Un siècle plus tard, une nouvelle version de la Vie de ce même saint, toujours rédigée dans sa communauté, brode autour de cet épisode, faisant de Takla Hāymānot l’instrument de la chute des Zāg wē, nommés également les Hēṗāṣā, et de l’avènement de Yekuno Amlāk28. On peut ajouter que cette seconde version de la Vie de Takla Hāymānot s’inspire directement de la généalogie qui figure dans le Kebra Nagaśt, puisqu’elle reprend l’idée que le dernier roi avant les Zāg wē était Delna‘ād et qu’ensuite le royaume fut donné à ceux qui n’étaient pas israélites. Mais l’hagiographe ajoute une nouvelle information : selon lui, les Zāg wē régnèrent 340 années29 : Et en ces jours, c’est-à-dire au temps de la prédication de notre père, le saint Takla Hāymānot et plusieurs années après (les événements qui ont été relatés), il advint que le royaume d’Israël fut pris des mains de Delna‘ād, pour une période de 330 années. Et le 7e jour du mois de hamlē, Dieu rendit le royaume de la tribu de Hēṗāṣā à Yekuno Amlāk, l’Israélite, par la prière de notre père le saint Takla Hāymānot. Observez ainsi la puissance du Seigneur qui agit quand ses saints le prient ! Et nous énumérons les générations de ceux pour qui le royaume fut arraché loin d’eux. Ce sont : Del Na’ād engendra Māḫbara Wedem, et Māḫbara Wedem engendra ’Agba’a Ṣeyon, et ’Agba’a Ṣeyon engendra Ṣenfa ’Ar’ad, et Ṣenfa ’Ar’ad engendra Nagāša Zārē, et Nagāša Zārē engendra ’Asfāḥ, et ’Asfāḥ engendra Yā‘eqob, et Yā‘eqob engendra Bāḥera ’Asgad – 110 générations. Et Bāḥera ’Asgad engendra ’Edem ’Asgad, et ’Edem ’Asgad engendra Yekuno Amlāk, qui reprit le royaume aux Zāg wē – 120 générations depuis Adam, et depuis ‘Ebna Hakim 77 générations. Et ce sont dix générations qui restèrent en exil. Ils erraient en circulant dans les montagnes et les déserts, et ils sont partis d’une ville à une autre et ils ont fait des lieux cachés pour eux dans les grottes et les trous de la terre jusqu’au règne de Yekuno Amlāk, et aussitôt qu’il devint roi, il y eut la paix et la tranquillité dans toutes les régions. Et dans sa sagesse notre père, le saint Takla Hāymānot fit cela pour eux par la puissance de son Dieu. Ô peuple d’Israël, avec quelle récompense pourras-tu le récompenser ? Quel cadeau pourras-tu lui donner qui sera convenable pour notre père qui t’a rapporté ce grand bien, c’est-à-dire le royaume ? Néanmoins fais un pacte avec lui et observe le serment que tu as fait, et prête serment (d’allégeance) à ton père BnF éthiopien 697, fol. 13v. The Life of Takla Haymanot in the version of Dabra Libanos, éd. E. A. W. Budge, 1906, vol. 1 p. 74 (trad.), vol. 2 p. 29 (texte). 29  The Life of Takla Haymanot in the version of Dabra Libanos, éd. E. A. W. Budge, 1906, vol. 1, p. 13 (trad.), vol. 2, p. 5 (texte).

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Yekuno Amlāk afin que tu puisses renforcer l’alliance et le serment à Dabra Libānos dont nous parlerons plus tard30.

Cette prétention des moines de la communauté fondée par Takla Hāymānot, où furent rédigées les deux versions de sa Vie, suscita des réactions dans la communauté de Iyasus Mo’ā, à Dabra Ḥayq. L’enjeu de cette querelle n’était autre que le soutien des rois à l’une ou l’autre des maisons monastiques, soutien qui se traduit en termes de pacte avec la royauté et de droits acquis par les communautés, en souvenir de l’intervention de Iyasus Mo’ā ou de Takla Hāymānot en faveur de Yekuno Amlāk. La Vie de Iyasus Mo’ā qui nous est parvenue n’a pas été rédigée avant le xviie siècle31. L’hagiographe répond aux prétentions des descendants de Takla Hāymānot, en rappelant le pacte passé entre Yekuno Amlāk et Iyasus Mo’ā qui se trouve dans l’évangéliaire de Ḥayq (dont nous avons parlé dans les pages qui précèdent). Mais il amplifie également le motif littéraire qu’est devenu l’épisode racontant l’avènement de Yekuno Amlāk : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit un (seul) Dieu. Nous allons décrire à présent l’histoire de la naissance de Yekuno Amlāk et l’histoire de son arrivée chez Iyasus Mo’ā. Germā Asfarē engendra Del Na‘ād, Del Na‘ād engendra Māhbara Wedem, Māhbara Wedem engendra Nagāša Zārē, Nagāša Zārē engendra Wanāg Sarē, Wanāg Sarē engendra Akāla Wedem, Akāla Wedem engendra Tasfā Iyasus. Visitant divers pays, Tasfā Iyasus arriva là où se trouvait Iyasus Mo’ā, et, ayant entendu parler de sa justice et de ses vertus, il alla chez lui et il se mit sous sa protection. Il lui dit : « Ne m’oublie pas dans tes prières, afin que le Seigneur me rende le royaume de mon père ». Notre père Iyasus Mo’ā lui dit : « Le royaume reviendra, mais pas à toi, seulement à ton fils » […] Notre père Iyasus Mo’ā qui venait de Dabra Dāmmo, arriva sur le bord du lac au cours de la première année du règne du roi Yetbārak, fils de (Lālibalā), prit cette île en affection et il jura au nom du Seigneur qu’il ne la quitterait jamais. Il y séjourna pendant vingt ans. Et c’est ensuite qu’arriva Yekuno Amlāk, fils de Tasfā Iyasus. Ayant entendu parler des jeûnes et des prières de Iyasus Mo’ā, il se rendit auprès de lui, après s’être évadé de la prison et il se recommanda à sa prière. Il lui dit : « Si par ta prière le Seigneur me rend le royaume de mon père, j’accomplirai pour toi tous les désirs de ton cœur et de ton âme ». Notre père Iyasus Mo’ā répondit alors à Yekuno Amlāk : « Mon fils, si le Seigneur te rend le royaume de ton père à ma prière et à la prière de mes saints pères et par la grande miséricorde de mon Dieu, The Life of Takla Haymanot in the version of Dabra Libanos, éd. E. A. W. Budge, 1906, vol. 1, p. 74-75 (trad.), vol. 2, p. 29 (texte). 31  D. Nosnitsin, « Mäshafä felsätu lä-abunä Täklä Haymanot : a short study », Aethiopica, 6 (2005), p. 137-167. 30 

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Saints et usurpateurs, deux historiographies divergentes

Jésus Christ, jure-moi que tu éloigneras toutes les femmes, même les veuves, et que tu les feras sortir de cette île. Que cette île reste un endroit réservé aux moines ». Le roi lui : « Oui », et il (le) lui jura32.

Je n’ai cité ici que les passages les plus significatifs, omettant en particulier toutes les digressions au sujet de l’enfance de Yekuno Amlāk et de son emprisonnement par le roi zāg wē. On peut remarquer que la généalogie de Yekuno Amlāk dans la Vie de Iyasus Mo’ā diffère très largement de celle donnée dans la Vie de Takla Hāymānot, ne serait-ce que du point de vue du nombre d’ascendants entre Yekuno Amlāk et Delna‘ād : huit dans la Vie de Takla Hāymānot, contre 5 dans celle de Iyasus Mo’ā. Nous verrons qu’en ce qui concerne les généalogies qui précèdent l’arrivée des Zāg wē et les Zāg wē eux-mêmes, il en est de même. Certains ont tenté de reconstituer ces généalogies et de proposer des généalogies vraies33. Mais il me semble que ces contradictions disent avant tout le manque d’informations fiables de nos hagiographes qui écrivent au plus tôt deux siècles après la fin de la dynastie zāg wē, voire beaucoup plus tard encore. C’est toutefois la version élaborée par le Kebra Nagaśt, reprise par les disciples de Takla Hāymānot dans sa communauté, qui eut le plus de retentissement. Comme en témoigne par exemple la Vie de saint Marqorēwos, rédigée au xviie siècle, probablement à Dabra Demāh, dans la région du Serā’ē (Érythrée)34. L’hagiographe y reprend en partie la tradition qui circule dans la deuxième version de la Vie de Takla Hāymānot : Yekuno Amlāk reprit le royaume aux Zāg wē, qui s’étaient emparés du pouvoir pendant 303 années en détrônant Delna’ād, fils d’Anbasā Wedem, par la prière de Takla Hāymānot35. Plus loin, l’hagiographe ajoute que le roi Delna’ād était d’ascendance davidique et que Yekuno Amlāk était également « fils de David »36. Les noms des derniers rois avant les Zāg wē coïncident avec la tradition issue du Kebra Nagaśt et de Dabra Libānos. Seule la durée est différente puisque la dynastie zāg wē aurait régné, d’après la Vie de Marqorēwos, 303 années, tandis que la Vie de Takla Hāymānot donne 340 années. Nous pourrions remonter le fil de ces traditions historiographiques concernant la chute des Zāg wē jusqu’à nos jours et retrouver dans celles-ci à Actes de Iyasus Mo’a, éd. S. Kur, 1965, p. 19-21. Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 55-56. 34  Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 49 (édition), p. 63 (trad.). Le roi Fāsiladas, fils de Susenyos, souverain du xviie siècle est mentionné dans la Vie de ce moine. Voir aussi G. Lusini, « Märqorewos », 2007, p. 788. 35  Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 13 (édition), p. 12 (trad.). Marqorēwos appartenait au réseau d’Ewosṭātāwos. Le fait que son hagiographe soit influencé par les traditions de la communauté de Takla Hāymānot est d’autant plus surprenant. G. Lusini, Studi sul monachesimo eustaziano (secoli XIV-XV), 1993, p. 110-113. 36  Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 20 (trad), p. 19 (texte). 32  33 

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la fois la disqualification de cette dynastie, l’affirmation de l’ascendance salomonienne et davidique de Yekuno Amlāk et de ses successeurs, et la description de plus en plus précise des événements qui permirent à Yekuno Amlāk de prendre le trône d’Éthiopie, mais cela n’ajouterait pas grand-chose à ce que nous venons d’exposer. Le motif de la chute des Zāg wē n’a fait que s’amplifier dans l’historiographie. Dans le même temps, les faits historiques qui ont inspiré ce motif nous échappent de plus en plus. La tradition est venue comblée ce que l’histoire n’avait pas retenu. Les hagiographes ont également glosé au sujet de l’avènement des Zāg wē et des raisons pour lesquelles, malgré leur illégitimité, ils ont pu exercer le pouvoir sur le royaume chrétien pendant une période relativement longue. L’une des premières traditions que l’on peut repérer figure dans le Vie de saint Yarēd, réputé pour ses hymnes et contemporain du roi légendaire Gabra Masqal (vie siècle). L’auteur de cette hagiographie, non datée, mais postérieure au xive siècle, est identifié comme étant un ecclésiastique d’Aksum ou de Dabra Dāmo37. Dans la partie consacrée aux miracles de Yarēd, il évoque les Zāg wē. D’après lui, le dernier roi israélite s’appelait Degnāyzān. Celui-ci s’indigna parce que les prêtres rendaient grâce au Seigneur dans leurs hymnes, sans dire un mot du roi. Pour cet orgueil, Degnāyzān fut puni : le royaume lui fut enlevé et transmis à l’un de ses serviteurs, Marara (un nom qui fait écho à Morara, que l’on trouve dans les titulatures de Ṭanṭawedem et Lālibalā), qui fonda la dynastie des Zāg wē. Implicitement, l’auteur prétend que les Zāg wē n’étaient pas des Israélites38, et qu’ils représentaient un groupe de naissance inférieur à celui des rois aksumites. Cette tradition entourant l’avènement des Zāg wē n’est pas unique. Dans la Vie de saint Iyasus Mo’ā, rédigée après le xviie siècle, une version très différente des événements est donnée. Les noms des principaux protagonistes ont changé. Le roi détrôné par les Zāg wē, nommé Delna‘ād, et non plus Degnažān, apprend de ses devins que celui qui épousera sa fille Masoba Warq, prendra son royaume. En dépit de toutes les précautions pour la dissimuler, celle-ci est séduite par un homme appartenant à la famille Hēṗāṣā appelé Takla Hāymānot (et non Marārā), qu’il ne faut pas confondre avec le saint moine du même nom. Masoba Warq conseille à cet homme de demander sa main à son père lorsque celui-ci, se chauffant près du feu, oublie tout. Takla Hāymānot s’exécute et obtient devant témoin l’assentiment du roi. Les deux jeunes époux s’enfuient alors au Lāstā. Par la suite, Takla Hāymānot fit la Vitae sanctorum antiquiorum : Acta Yāred et Panṭalewon, éd. C. Conti Rossini, Louvain, 1904 (CSCO 26-27, Script. Aeth. 9-10), p. 1. 38  Acta Yāred, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 21-22. 37 

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guerre à Delna‘ād et s’empara de son trône. L’auteur conclut en affirmant que le règne des Zāg wē dura 373 ans39. Ces récits se fondent pour l’essentiel sur des listes royales, qu’ils alimentent en retour. Ces listes sont copiées en préambule à des manuscrits compilant des traditions historiques, ou bien au sein des textes traitant de l’histoire du royaume, comme le Kebra Nagaśt, la Vie de Takla Hāymānot, des chroniques éthiopiennes, des histoires universelles, et certains textes règlementaires en lien avec la royauté. August Dillmann (1853) puis Carlo Conti Rossini (1909) les ont isolées et regroupées par types, en fonction des listes dynastiques qu’elles pouvaient donner40. S’agissant de la dynastie zāg wē proprement dite, un seul manuscrit – Oxford 26 conservé à la bibliothèque bodléienne41 – propose deux listes de rois, divergentes. Dans l’une (la liste B de Dillmann, correspondant au fol. 100 de l’Oxford 26), le roi Delnā‘od succédant à un certain Anbasā Wedem, perdit la royauté qui fut donnée à d’autres, qui n’étaient pas de la maison d’Israël, les Zāg wē. Ensuite, onze rois se succédèrent pendant 354 années avant que Yekuno Amlāk prenne le pouvoir42. Pour l’autre (la liste C de Dillmann, correspondant au fol. 91 de l’Oxford 26), après les règnes de Del Na‘od et Mā’eday, régna une femme appelée Esāto ou Gudit pendant 40 ans ; puis après le règne de 8 nouveaux rois, Terdā’e Gabaz, une autre femme, s’empara du royaume qui parvint dans les mains d’une famille qui n’était pas de la maison d’Israël. Ensuite, cinq souverains se succédèrent jusqu’à Ḥarbay43. Il faut signaler deux autres listes royales : la première figure dans le manuscrit éthiopien 141 de la Bibliothèque nationale de France44 et est très proche de la liste B de Dillmann, exception faite des durées de règne ; la seconde est Actes de Iyasus Mo’a, éd. S. Kur, 1965, p. 21-22. Voir en dernier lieu, au sujet de ces listes, A. Wion, « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93 », 2009, p. 154-156. 41  A. Dillmann, Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecae bodleianae Oxoniensis, 1848, p. 68-73. Il s’agit de l’un des 25 manuscrits rapportés par James Bruce de son séjour en Éthiopie entre 1769 et 1772 et acquis par la bibliothèque bodléienne. Ainsi que l’a montré Anaïs Wion, ce manuscrit intitulé Kebra Nagaśt fut donné par le rās Mikā’ēl du Tegrāy à James Bruce, il fut copié en 1770 pour le voyageur écossais, avec pour objectif de donner une certaine légitimité à celui qui gouvernait de fait l’Éthiopie sans porter le titre de roi. Mais il s’agit d’une compilation de textes divers qui circulaient déjà en Éthiopie (A. Wion, « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93 », 2009, p. 143-146, 154-159). Ceci dit, la liste des rois Zāg wē est finalement assez rare. Nous verrons plus loin que dans la reconstitution de l’histoire de cette période réalisée par Bruce, on retrouve le récit de la liste C (et non celui de la liste B). 42  A. Dillmann, « Zur Geschichte des abyssinischen Reichs », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 7 (1853), p. 348, 350-351. 43  A. Dillmann, « Zur Geschichte des abyssinischen Reichs », 1853, p. 349-350. 44  BnF Éthiopien 141, fol. 11r. Il faut préciser que ces quelques lignes concernant les Zāg wē ont été ajoutées en marge du texte principal, comme un ajout secondaire, sur un manuscrit daté 39 

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conservée dans un manuscrit qui viendrait d’Aksum mais dont on sait peu de choses45. Elle précise que les souverains zāg wē régnèrent 343 ans, trois mois et trois jours, et donne une liste de rois : Panṭaw, Panṭadam, Žān Śeyyum, Žān Germē, Arbē, Lālibalā, Na’akweto La’ab, Yemreḥanna Krestos, Yetbārak. Tableau 3 : Comparaison des listes royales concernant les rois Zāg wē Liste royale B (Oxford 26, fol. 100) Marā Takla Hāymānot

Liste royale BnF éthiopien 141

Liste royale Manuscrit d’Aksum

Marā Takla Panṭaw Hāymānot – 3 ans

Ṭaṭodem Žān Śeyyum

Ṭaṭadem – 30 ans Panṭadam Žān Žān Śeyyum Śeyyum – 30 ans Germā Śeyyum Germā Žān Germē Śeyyum – 30 ans Arbē Yemreḥanna Yemreḥanna Krestos Krestos – 30 ans Lālibalā Qeddus Ḥarbē Qeddus Ḥarbē – 30 ans Lalibalā Lālibalā – 30 ans Na’akweto La’ab Na’akweto La’ab Na’akweto Yemreḥanna La’ab – 31 ans Krestos Yetbārak Yetbārāk – 30 ans Yetbārak – 343 années, 3 mois, 3 jours Māyrāra Mayurāra – 15 ans 373 années

Liste royale C (Oxford 26, fol. 91) Marāri – 15 ans Yemrāh – 40 ans Lalibalā – 40 ans Na’akweto La’ab – 40 ans Ḥarbay – 8 ans

Ḥarbay – 354 années du xviiie siècle (H. Zotenberg, Catalogue des manuscrits éthiopiens (gheez et amharique) de la Bibliothèque nationale, 1877, p. 213). 45  Copie du xixe siècle d’un manuscrit peut-être plus ancien (fin xvie siècle pour Carlo Conti Rossini qui l’a signalé) auquel Carlo Conti Rossini eut accès par M. Martini, cf. C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sulla caduta degli Zague », Revue Sémitique, 10 (1902), p. 374376 ; C. Conti Rossini, « La caduta della dinastia Zague e la versione amarica del Be’ela Nagast », Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 31 (1922), p. 295-297.

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Relevons au passage les noms de plusieurs souverains de la dynastie Zāg wē qui figurent dans ces listes dont nous n’avons pas parlé jusqu’à présent puisque aucun document contemporain n’existe à leur sujet : Yemreḥanna Krestos, Na’akweto La’ab, Ḥarbay/Ḥarbē. Avec Lālibalā et Masqal Kebrā, ils forment le groupe des saints-rois Zāg wē. Groupe dont sont exclus Ṭanṭawedem, Zān Śeyyum ou Morara. Au xviiie siècle, une nouvelle étape est franchie. Reprenant les listes royales qui ne sont pas établies avant le xve siècle46, les compilateurs des chroniques abrégées – chroniques retraçant l’histoire du royaume éthiopien depuis la période aksumite jusqu’au xviiie siècle, élaborées en milieu monastique sous différentes versions et compilant diverses traditions historiques – donnent non seulement une liste dynastique des Zāg wē, mais aussi une durée de règne pour chacun des souverains. Cette fois-ci, les Zāg wē sont supposés avoir régné 354 années. On retrouve ici la liste B d’August Dillmann. Anbasā Wedem engendra Delna‘ād ; le trône lui fut enlevé et donné à d’autres qui n’étaient pas israélites : ce sont les Zāg wē. Désormais nous donnerons la durée des règnes et les noms des rois Zāg wē, comme nous les avons appris des hommes instruits dans la loi. Le premier fut Marā Takla Hāymānot qui régna 3 ans. Ṭaṭodem régna 40 ans ; Žān Śeyyum régna 40 ans ; Germā Śeyyum régna 40 ans ; Yemreḥanna Krestos régna 40 ans ; Qeddus Ḥarbē régna 40 ans, Lālibalā régna 40 ans, Na’akweto La’ab régna 48 ans, Yetbārak régna 40 ans, Māyrāri régna 15 ans, Ḥarbay régna 8 ans. La durée totale de leurs règnes fut de 354 ans ; ils étaient au nombre de onze […]. Adem Asgad engendra Yekuno Amlāk, à qui l’Abuna Takla Hāymānot rendit la royauté qu’il reprit aux Zāg wē47.

C’est le courant historiographique instauré par les disciples de Takla Hāymānot qui est donc employé dans les chroniques abrégées : les Zāg wē n’étaient pas des Israélites, ils prennent le pouvoir à Delna‘ād et ce pouvoir leur est retiré par la main du saint Takla Hāymānot. Le père de Yekuno Amlāk est Adem Asged, comme dans la Vie de Takla Hāymānot et non Tasfa Iyasus, selon la version de Ḥayq. Au sein de ces traditions, deux segments méritent d’être disséqués. Le premier concerne Anbasā Wedem et Delna‘ād. Dans l’historiographie liée à la communauté de Takla Hāymānot, ils sont présentés comme les deux 46  Dans son édition des différentes listes royales, Carlo Conti Rossini s’est arrêté aux rois aksumites et n’a pas couvert toute la période zāg wē (C. Conti Rossini, « Les listes des rois d’Aksum », Journal asiatique, 10e série, 14 no 2 (1909), p. 263-320). 47  Études sur l’histoire d’Éthiopie, éd. R. Basset, Paris, 1882, p. 98 ; La cronaca abbreviata d’Abissinia. Nuova versione dall’etiopico e commento, éd. F. Beguinot, Rome, 1901, p. 4-5.

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derniers tenants de la dynastie légitime, avant que le royaume ne passe entre les mains des Zāg wē. Or, comme nous l’avons vu auparavant, Anbasā Wedem est un souverain bien réel, qui régnait quand Mikā’ēl fut nommé métropolite d’Éthiopie par le patriarche Macaire (1102-1129) au début du xiie siècle. Quant à Delna‘ād, on ne peut que relever la proximité de son nom avec celui de Delānda, qui exerçait le pouvoir en 1268 lorsque le śeyyum de Dabra Mā‘eṣo spolia les terres qui avaient été données par le roi Lālibalā aux Vierges, à Bēta Masqal et à Bēta Māryām. Les traditions ont donc comprimé le temps en associant un roi du début du xiie siècle avec un autre du milieu du xiiie. Elles ont aussi distribué des bons et des mauvais points, en choisissant de classer les souverains dans la lignée légitime ou non. Mais jusqu’où pouvons-nous faire confiance à ces traditions pour conclure qu’Anbasā Wedem et Delānda n’étaient pas des souverains Zāg wē ? Le second segment sur lequel il convient de s’arrêter concerne le mariage d’une fille de roi (Masoba Warq ou Terdā’e Gabaz) avec un homme issu d’une famille illégitime à régner. Le transfert du pouvoir se fait donc par la fille, peut-être parce que le souverain n’a pas d’héritier mâle. Encore faudrait-il être certain qu’une femme ne pouvait pas exercer le pouvoir. Mais l’épisode tel qu’il est raconté par les traditions historiques éthiopiennes tend à envisager cette possibilité. Peut-on rapprocher cet épisode du peu que l’on sait de Lālibalā et Masqal Kebrā ? En effet, nous avons souligné que le pouvoir de Lālibalā semblait se fonder sur son mariage avec la Dame de Biḥat, constamment associée à son règne. Est-ce que les traditions véhiculées à partir du xive siècle ne se font pas l’écho d’une opposition née du mariage de Masqal Kebrā avec Lālibalā, vu comme une mésalliance ? Il est difficile d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse de ces traditions. Celles entourant l’accession au pouvoir des Zāg wē sont moins nombreuses que celles consacrées à leur chute. Et pour cause, il s’agissait moins de comprendre pourquoi cette dynastie avait pu exercer le pouvoir que d’expliquer comment elle avait finalement perdu celui-ci. Il est remarquable que le motif entourant la chute des Zāg wē ait eu un tel succès dans la littérature hagiographique. Après tout, le changement de pouvoir eut certes des répercussions sur le monde monastique, producteur de ces écrits, mais le système en place au cours du règne de Ṭanṭawedem ou celui de Lālibalā, qui se caractérise par des donations de terre aux institutions ecclésiastiques, n’a pas fondamentalement changé après l’arrivée au pouvoir de Yekuno Amlāk. Sans doute, les monastères dotés étaient-ils différents. Mais celui de Dabra Libānos du Šemazānā, par exemple, continue de recevoir des terres ou de se voir confirmer les terres qui lui avaient été attribuées auparavant. C’est donc que les hagiographes

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voyaient un autre intérêt à l’écriture de ces textes. Peut-être, tout simplement, l’écriture de l’histoire, en faisant entendre la version des gagnants.

En réponse à l’historiographie dominante : les Vies des saints rois Zāg wē Cette version de l’histoire produite dans les monastères éthiopiens au moins deux siècles après les événements eut un tel retentissement, que les hagiographes qui ont travaillé à la reconnaissance de la sainteté des rois Zāg wē et à la diffusion de leur culte, à partir du xve siècle, ont totalement intégré celle-ci dans les Vies des rois Zāg wē. Ces auteurs ne voient aucun inconvénient à redire que tel ou tel roi n’était pas Israélite, tout en faisant de cette non appartenance à la lignée royale un argument supplémentaire de sa sainteté. Ainsi, le roi Yemreḥanna Krestos (dont la Vie est rédigée à la fin du xve siècle, nous y reviendrons), considéré comme un prédécesseur de Lālibalā, est-il prêt à restituer le royaume aux Israélites, signalant ainsi ses qualités d’homme de foi, détaché du pouvoir. Et quand le bienheureux Yemreḥanna Krestos eut prié ainsi, Jésus-Christ vint à lui avec de nombreux anges et il dit à Yemreḥa : « Salut à toi, mon amour et mon élu ! Je donnerai et accomplirai pour toi tout ce que tu me demanderas ». Yemreḥa dit à notre Seigneur : « Je te demande une chose, mon Seigneur : restitue ce royaume à Israël […] ». Quand il eut dit cela, le Dieu des puissants lui répondit et lui dit : « Écoute, mon chéri, ce que je te dis : “[…] À cause d’une parole que le roi d’Éthiopie a proférée, et du fait qu’il a diminué mon prestige, disant à l’un de ses officiers : “Mais regardes moi quand tu parles de mon pouvoir ? Tu dis toujours avoir fait cette chose par la puissance du Seigneur. Quand diras-tu que tu l’as faite par la puissance du roi ? Et quand il eut dit cela, je me suis fâché contre lui. […] Alors j’ai pris son royaume et je l’ai donné à qui le voulait. […] Voilà, cela fait de nombreuses années que je le leur ai pris. Il me manque un peu maintenant parce que la construction de ma tour se termine, et parce qu’un grand roi naîtra, appelé Yekuno Amlāk ; et je le lui donnerai”48 ».

On retrouve dans ce texte une tradition similaire à celle figurant dans la Vie de saint Yarēd au sujet des raisons pour lesquelles les Zāg wē ont reçu le royaume d’Éthiopie : l’arrogance de leurs prédécesseurs. Surtout, l’hagiographe ne tente jamais de prouver que le saint-roi était Israélite, et donc légitime à régner. Il a intériorisé cet argument disqualifiant les Zāg wē. 48 

Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 90.

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Toutefois, les Vies des saints-rois Zāg wē sont une réponse à l’historiographie négative produite dans le royaume aux xive et xve siècles. Puisqu’il est désormais admis que les Zāg wē n’étaient pas Israélites, et comme ils ont laissé un souvenir suffisamment fort, au moins localement, alors les mémoires font basculer ces dynastes du statut de roi au statut de saint. Les débuts de cette évolution échappent à notre connaissance parce que les sources nous manquent. Il s’agit probablement d’un double processus : d’une part, localement, l’idée s’est sans doute imposée que certains souverains Zāg wē, à l’exemple du roi Lālibalā, étaient des saints et ce mouvement a pu naître dès après la mort des rois. D’autre part, à l’échelle du royaume, la disqualification des Zāg wē dans les textes rédigés au moins à partir du xive siècle, a obligé leurs partisans ou les tenants de leur culte, à réagir en exaltant précisément leur figure sainte et en laissant de côté, à dessein, le volet royal de leur personnalité. Si bien que l’idée s’est imposée ensuite, dans l’historiographie savante, d’une contradiction inhérente à la dynastie Zāg wē : une dynastie sainte mais une dynastie usurpatrice. Il me semble que cette contradiction n’existe que si l’on considère que la sainteté des Zāg wē est antérieure à sa disqualification, et est intrinsèque à la dynastie. Comme si tous les rois de cette dynastie étaient des saints et que cette qualité était assumée au cours de leur règne ou immédiatement après leur mort. Nous verrons, par l’étude des hagiographies consacrées aux rois Zāg wē, qu’il n’en est rien. Certes, concernant Lālibalā et Yemreḥanna Krestos il y a tout lieu de penser qu’un culte local s’est très vite instauré et qu’il est à l’origine de la reconnaissance de la sainteté de ces deux souverains et de la production d’une hagiographie pour chacun d’eux ; mais pour d’autres souverains, tels Na’ākweto La’āb ou Ḥarbāy, il faut bien reconnaître que le processus est beaucoup plus obscur et que la rédaction des Vies est aussi beaucoup plus tardive. Surtout, tous les souverains de la dynastie ne sont pas reconnus comme saints. La dynastie Zāg wē n’était donc pas une dynastie sainte, c’est une construction historique, qui plus est une construction historique tardive. Tout comme l’idée selon laquelle ces mêmes rois étaient des usurpateurs. Par conséquent, parler de contradiction concernant les Zāg wē n’explique rien. Ce sont en fait deux versions d’une même histoire qui s’opposent, ou plus précisément la version des gagnants qui s’est imposée : l’illégitimité des rois Zāg wē à régner, et la réponse à cette version : l’exaltation de la figure sainte de certains souverains Zāg wē.

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Les premières hagiographies : Lālibalā et Yemreḥanna Krestos Cinq membres de la dynastie sont reconnus comme saints par l’Église éthiopienne, et à ce titre leurs Vies ont été rédigées afin d’être lues lors de leur fête commémorative. Il s’agit des Vies de Lālibalā (rédigée début xve siècle) et de Yemreḥanna Krestos (rédigée fin xve siècle), de Na’ākweto La’āb (rédigée après le xvie siècle) et de Masqal Kebrā, la femme de Lālibalā (rédigée après le xvie siècle), et enfin d’Ḥarbāy (rédigée au xviiie siècle). Bien qu’écrites à des époques différentes, il est nécessaire d’étudier ces textes ensemble parce qu’ils dépendent assez étroitement les uns des autres. C’est particulièrement vrai, par exemple, de la Vie de Masqal Kebrā, qui est en grande partie une compilation des Vies de Lālibalā et de Na’ākweto La’āb, additionnée de quelques passages originaux relatifs à la reine. Commençons par la Vie qui fut probablement rédigée la première, celle de Lālibalā. Une édition et une traduction partielles furent réalisées par Jules Perruchon en 189249, se fondant sur les extraits qui lui paraissaient les plus significatifs d’un manuscrit datant du xixe siècle (Orient. 718). Jules Perruchon avait connaissance de l’existence d’un autre manuscrit de la Vie de Lālibalā daté du xve siècle (Orient. 719), conservé dans la même bibliothèque, mais n’eut pas le temps de comparer les deux textes. Certaines lacunes du texte publié par Jules Perruchon ont été comblées par Stanislas Kur, en 197250. Stanislas Kur publia en effet la traduction des actes de Masqal Kebrā, femme de Lālibalā, à partir d’un manuscrit de la bibliothèque vaticane, non daté. Comme nous l’avons dit plus haut, ce texte reprend en grande partie la Vie du roi Lālibalā et ajoute quelques passages propres aux actes de Masqal Kebrā. Stanislas Kur s’est contenté de traduire les passages qui ne figuraient pas dans le travail de Jules Perruchon et qu’il retrouvait dans son manuscrit. Si bien que l’édition et la traduction complètes de la Vie de Lālibalā51, tout comme de la Vie de Masqal Kebrā, n’existent pas52. Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892. « Édition d’un manuscrit de la Bibliothèque vaticane : Cerulli 178 », éd. S. Kur, Memorie dell’Accademia Nazionale dei Lincei, serie 8, 16 no 7 (1972), p. 383-426. 51  Un premier état du corpus des manuscrits de la Vie de Lālibalā a été réalisé par M.-L. Derat, « The Acts of King Lalibäla », 2006, puis M.-L. Derat, « Autour de l’homélie en l’honneur du saint-roi Lālibalā », 2017. C’est désormais Nafisa Valieva, qui travaille à l’édition scientifique de ce texte, qui dispose de l’inventaire le plus complet de ce texte, comptant plus d’une vingtaine de copies manuscrites. 52  La Vie de Masqal Kebrā s’insère dans la deuxième partie des actes du saint-roi, au moment où l’hagiographe évoque le mariage de Lālibalā et Masqal Kebrā. Les passages traduits par Stanislas Kur complètent la traduction de Jules Peruchon (Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892) des pages 94 à 110. 49  50 

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Deux longs passages des actes de Lālibalā sont donc restés inédits. Le premier correspond à la partie introductive de la Vie du saint, qui se situe avant le récit de sa vie proprement dite, dans laquelle l’hagiographe rappelle la vie du Christ, l’importance de son message et situe Lālibalā dans la lignée des hommes sauvés par Jésus du fait de sa perfection. Le second passage concerne l’ascension au ciel de Lālibalā, dont on verra plus loin qu’il est essentiel pour comprendre à la fois l’écriture de ce texte et donner un terminus ante quem pour sa rédaction. Mais commençons par résumer la teneur de ce texte, qui nous décrit avant tout un saint. D’après son hagiographe, Lālibalā naquit à Roḥā, dans une famille riche et noble. Son père s’appelait Žan Śeyyum. Dès sa naissance, son élection divine est révélée : l’enfant est entouré d’abeilles. Ce qui permet à l’auteur de donner une explication à son nom. Lālibalā signifie « l’abeille a connu sa grâce ». Les abeilles figurent également l’armée du roi. Elles évoquent sa royauté future53. Le roi qui régnait alors était le frère de Lālibalā, nommé Ḥarbāy, qui prit connaissance de la prophétie selon laquelle Lālibalā serait roi. Ḥarbāy vit dès lors son propre frère comme un concurrent dangereux et décida de l’éliminer. Pour ce faire, il employa leur sœur qui fit porter à Lālibalā un poison mortel mélangé à de la bière. Un diacre et un chien qui en burent furent tués sur le coup. Malgré cela, Lālibalā but le breuvage, considérant que le diacre et le chien étaient morts par sa faute. Loin de le tuer, la boisson lui permit de monter aux cieux et de recevoir une révélation. Il fut transporté par un ange jusqu’au septième ciel (passage fortement résumé et tronqué par Jules Perruchon et non repris par Stanislas Kur). Arrivé au septième ciel, Dieu révéla à Lālibalā qu’il serait oint de l’onction de la royauté, qu’il porterait le nom de règne de Gabra Masqal et qu’il aurait pour tâche de réaliser les sanctuaires dont les plans lui furent révélés à cette occasion. Après trois jours passés dans un apparent coma, alors que l’on avait préparé les funérailles pour enterrer Lālibalā, celui-ci se réveilla. Mais il ne révéla à personne la vision qu’il avait eue. Continuant à être méprisé par sa propre famille, Lālibalā décida de se retirer au désert. L’ange qui l’avait conduit aux cieux vint lui apprendre qu’une jeune fille se présenterait à lui, et qu’elle deviendrait sa femme, ayant été, comme lui, choisie par Dieu. Il épousa donc Masqal Kebrā Ici l’hagiographe souligne les similitudes avec Jésus Christ : « De même que notre Sauveur lorsqu’il naquit d’une vierge sainte dans le sein de laquelle il avait été conçu sans le concours d’aucun homme, avait envoyé une étoile aux mages pour leur annoncer sa naissance et leur révéler sa royauté, car il était né roi des cieux et de la terre, dans le pays de Juda ; de même au lieu d’une étoile il envoya des abeilles, le jour de la naissance du bienheureux Lālibalā, pour annoncer sa royauté, alors qu’il était encore tout petit enfant, parce qu’il devait être roi lorsqu’il serait de venu grand » (Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 80).

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et vécut chez les parents de cette dernière. Des hommes accusèrent alors Lālibalā auprès du roi son frère d’avoir épousé une femme qui était déjà engagée avec un autre homme. Ḥarbāy fit rechercher Lālibalā et le fit fouetter. Puis Lālibalā retourna auprès de Masqal Kebrā. Ils décidèrent de se retirer tous deux au désert. Les gens du roi les recherchèrent pour les emprisonner, mais ne les trouvèrent pas. L’ange Gabriel vint les prévenir et leur demanda de le suivre. Il les conduisit « jusqu’au pays d’Orient, qui est au commencement du royaume chrétien d’Éthiopie », et prit avec lui Lālibalā pour le conduire à Jérusalem, tandis que Masqal Kebrā était confiée à la garde de l’archange Michel. À son retour, Lālibalā retrouva Masqal Kebrā qui eut les mêmes révélations des mystères que Lālibalā à Jérusalem concernant les églises et le pacte avec le Christ. Puis ils se rendirent tous deux auprès d’Ḥarbāy. Dans la nuit, celui-ci eut une vision où Dieu lui apprit que son règne s’achevait et que Lālibalā devait devenir roi afin d’accomplir la construction des églises selon la révélation qu’il avait reçue en montant aux cieux. Ḥarbāy partit alors à la rencontre de Lālibalā, le fit monter sur la mule royale et, arrivé au palais, accomplit pour lui la cérémonie du couronnement avec la tonsure. Lālibalā devenu roi vécut comme un moine et s’employa à l’édification des dix églises, avec le concours des anges. Une fois sa mission achevée, il ne voulut pas conserver la royauté ni la transmettre à son fils, et souhaita qu’elle revienne à la maison d’Israël : Lorsque le bienheureux et saint Lālibalā eut achevé la construction de ces églises, d’après le modèle de celles que Dieu lui avait montrées, il ne voulut pas conserver plus longtemps la charge de la royauté, ni la transmettre à son fils. Mais il dit : « Que Dieu reprenne ces fonctions royales et les fasse revenir (à la maison) d’Israël, car c’est à elle qu’il a dit : C’est pour vous que j’ai créé toutes les nations, et il a aussi juré en ces termes : Ne méprisez pas le peuple de Jacob ; ne dédaignez pas le peuple d’Israël, parce que je l’ai choisi parmi tous les peuples […]. Maintenant donc que Dieu fasse retourner ce royaume à la maison d’Israël ; qu’il reste désormais à la maison d’Israël ; qu’elle occupe le trône : que le Dieu puissant ne conserve pas la royauté plus longtemps à moi et à ma famille. J’ai achevé la mission pour laquelle il me l’avait donnée lui-même par l’intermédiaire de ses anges54 ».

Si l’on s’en tient au manuscrit employé par Jules Perruchon, l’Orient. 718, le récit de la vie du saint ne commence qu’au folio 35 et le dernier tiers du texte est en fait rédigé sous la forme de miracles. Si bien qu’à partir du moment où Lālibalā est intronisé par son frère Ḥarbāy, la Vie s’achève. La suite est composée 54 

Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 127-128.

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de sept miracles55, qui ne sont pas toujours isolés comme tels dans l’édition de Jules Perruchon. Le récit de la construction des dix églises de Lālibalā constitue le septième et dernier miracle. Par conséquent, au contraire de l’idée avancée par Jules Perruchon, l’essentiel du texte ne porte pas sur les églises de Lālibalā. L’un des passages inédits de la Vie de Lālibalā concerne l’épisode de l’ascension au ciel du saint. Jules Perruchon s’est limité à la traduction d’une partie de la description du firmament, il évoque rapidement le séjour du saint au deuxième et au troisième ciel, puis s’arrête sur la révélation du plan des églises par Dieu à Lālibalā56. Si l’on regarde le manuscrit qu’il a employé, l’Orient. 718, l’épisode couvre les folios 47 à 75. Sachant que la vie du saint commence à partir du folio 35 et s’achève au folio 115, quand débutent ses miracles, alors cet épisode représente le tiers des actes du saint. Il s’agit donc d’un passage extrêmement important. Cet épisode est construit sur le modèle de l’Ascension d’Isaïe. On y retrouve une organisation céleste similaire : Lālibalā est ravi aux cieux sur les ailes d’un ange qui lui fait parcourir le firmament habité par les anges en révolte contre Dieu, les cinq premiers cieux occupés par des anges fidèles à Dieu mais imparfaits et le sixième et septième ciel figurent le domaine divin, la rencontre avec Dieu ayant lieu au septième ciel pour la prophétie. D’autre part, les anges que Lālibalā rencontre l’appellent soit Isaïe le second, soit le nouvel Isaïe57. Enfin, l’hagiographe opère aussi par citation directe de l’Ascension d’Isaïe, comme celle que l’on peut relever dans le passage décrivant la retraite de Lālibalā et Masqal Kebrā au désert, passage traduit par Stanislas Kur58. L’emploi de l’Ascension d’Isaïe dans la Vie de Lālibalā permet de situer la rédaction de ce texte. En effet, Perluigi Piovanelli a relevé deux éléments Le premier miracle relate comment Lālibalā, étant roi, distribue son repas à trois frères et se couche sans avoir mangé. Le second concerne des pots de miel représentant un impôt versé au roi. Les pots de miel sont emportés par la rivière, mais on les retrouve quelques semaines plus tard, miraculeusement intacts. Dans le troisième miracle, Lālibalā offre un banquet au cours duquel il se déguise pour manger avec les pauvres. Le quatrième miracle fait allusion à un rebelle menant une révolte contre Lālibalā dans une ville du royaume. Lālibalā envoie alors son fils contre lui et, par sa prière, le protège lors du combat qui l’oppose au rebelle. Dans le cinquième miracle, une femme riche s’étouffe avec un morceau de viande parce qu’elle a blasphémé contre Lālibalā. Puis, le sixième miracle raconte une histoire similaire dans laquelle cette fois-ci c’est un homme qui ayant blasphémé contre Lālibalā devient aveugle. Enfin, le septième miracle concerne la construction des églises de Lālibalā. 56  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 85-88. 57  Voir par exemple, Orient. 719, fol. 67v (les anges du premier ciel accueillent Lālibalā en lui disant : « Salut à toi, Isaïe le second, qui a observé les mystères des cieux »), fol. 70r. 58  « Édition d’un manuscrit de la Bibliothèque vaticane », éd. S. Kur, 1972, p. 386 (édition), p. 406 (trad.) : « Et ils ne mangeaient rien, si ce n’est des herbes du désert qu’ils cueillaient sur les montagnes ; après les avoir cuites, ils s’en nourrissaient avec le prophète Isaïe » (Ascension d’Isaïe 2, 11). 55 

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essentiels au sujet de la diffusion de cet apocryphe en Éthiopie. Tout d’abord, il a été très peu copié (dix manuscrits), comparé à d’autres apocryphes comme Hénoch, qui compte plus de soixante-dix copies. Par ailleurs, il est très peu employé dans la littérature éthiopienne originale. Jusqu’à présent, seulement quatre citations ont été repérées : l’une dans le Kebra Nagaśt, l’autre dans l’Histoire des guerres d’Amda Ṣeyon, une autre dans un comput du xviie siècle, et enfin peut-être dans les actes d’Ewosṭātēwos59. Face à cette pauvreté en termes de copies et de citations, Perluigi Piovanelli estimait que l’Ascension d’Isaïe avait fait l’objet d’une sorte de censure. Il expliquait celle-ci à partir d’arguments liés à la représentation de la nature du Christ dans cet apocryphe, représentation qui entrait en contradiction avec la nouvelle orthodoxie de l’Église éthiopienne mise en place par le roi Zar’a Yā‘eqob (1434-1468) au milieu du xve siècle60. À partir du règne de Zar’a Yā‘eqob, l’apocryphe n’aurait plus été reconnu comme canonique par les Éthiopiens et aurait été de moins en moins copié et cité. Or, dans les actes de Lālibalā, l’hagiographe emploie indifféremment l’Ascension d’Isaïe et le livre d’Isaïe. Par exemple, lorsque le saint est dans le deuxième ciel, alors que l’auteur s’inspire directement de l’apocryphe, il cite un passage du livre d’Isaïe décrivant les séraphins61. Par conséquent, au moment de la rédaction de la Vie de Lālibalā, l’Ascension d’Isaïe appartenait toujours au canon éthiopien, ce qui permet d’estimer que le texte a été rédigé au plus tard au début du xve siècle, avant le règne de Zar’a Yā‘eqob62. Cette antériorité par rapport au règne de Zar’a Yā‘eqob est confirmée par le fait que l’une des copies de la Vie de Lālibalā – l’Orient. 719 aujourd’hui conservée à la British Library – fut précisément donnée par Zar’a Yā‘eqob à l’église du Golgotā, comme l’atteste une note de donation qui figure au dernier folio du manuscrit :

P. Piovanelli, « L’aventure des apocryphes en Éthiopie », Apocrypha, 4 (1993), p. 198. P. Piovanelli, « Un nouveau témoin éthiopien de l’Ascension d’Isaïe et de la Vie de Jérémie (Paris, BN Abb. 195) », Henoch, 12 no 3 (1990), p. 358-360 ; P. Piovanelli, « L’aventure des apocryphes en Éthiopie », 1993, p. 205-206. 61  Orient. 719, fol. 70, citation de Isaïe : 6, 2-4. 62  Cette datation vient confirmer celle avancée par Carlo Conti Rossini au début du xxe siècle, à partir d’autres éléments. Ce savant estimait en effet que la Vie de Lālibalā avait été rédigée au tournant des xive et xve siècles, au cours du règne de Dāwit (1379/80-1412/13), au moment où l’on traduisait les actes de Fasiladas ; et où l’on composait ceux de Gabra Manfas Qeddus (Conti Rossini, 1896-1897, p. 156 ; 1901, p. 188). Paolo Marrassini a montré, depuis, qu’aucun argument ne permettait de défendre la thèse d’une rédaction de la Vie de saint Gabra Manfas Qeddus au tournant des xive et xve siècles, sans pour autant être en mesure de situer chronologiquement cette rédaction (« Vita », « Omelia », « Miracoli » del santo Gabra Manfas Qeddus, éd. P. Marrassini, Louvain, 2003 (CSCO 597-598, Script. Aeth. 107-108), p. v (trad.). 59 

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ወሀብኩ፡ አነ፡ ዘርአ፡ ያዕቆብ፡ [ወስመ፡ መንግሥትየ፡ ቈስጠንጢኖስ፡]63 ለዛቲ፡ መጽሐፈ፡ ገድለ፡ ላሊበላ፡ ከመ፡ ይኩነኒ፡ መርሐ፡ ለብሔረ፡ ተድላ፡ አመ፡ ይት ጋብኡ፡ አንስርተ፡ ቆላ፡ ምስለ፡ እሊአየ፡ ያርፍቀኒ፡ በሣሉ፡ ኢየሱስ፡ ዘገሊላ፡ ዘይመልከ፡ ለዓለመ፡ ዓለም፡ አሜን። ወአዲ፡ ዘአውፅዓ፡ ለዛቲ፡ መጽሐፍ፡ በተ መንግኖ፡ እመካነ፡ ጎልጎታ፡ ቅዱስ፡ እመኒ፡ ቀሲስ፡ ወእመኒ፡ ርአስ፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ በአፈ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ እስከ፡ ደኀሪት፡ እስት ንፋስ፡ አሜን፡ አሜን፡ ወአሜን፡ ለይኩን።64 J’ai donné, moi, Zar’a Yā‘eqob, et mon nom de règne est Constantin, ce livre de la Vie de Lālibalā afin qu’il soit pour moi un guide pour le pays de Tadlā (le pays du bonheur ?). Quand les aigles de la vallée s’assembleront, que Jésus de Galilée, qui règne pour les siècles des siècles, par sa clémence, me fasse asseoir à sa table avec les miens. Et encore si quelqu’un fait sortir ce livre du saint Golgotā par la ruse, qu’il soit prêtre ou re’as, qu’il soit maudit par la bouche du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, jusqu’à son dernier souffle. Amen, amen et amen. Ainsi soit-il.

Selon toute vraisemblance, la Vie de saint Lālibalā est rédigée par un lettré issu de la région des églises de Lālibalā ou proche de ce milieu. Il invite d’ailleurs toute personne entendant le récit de l’édification des églises à venir sur le site65. Ce texte marque une étape dans le développement du culte en l’honneur du saint Lālibalā. Il signale aussi l’absence de mise en question de l’historiographie du moment qui déclare que les Zāg wē n’étaient pas des Israélites. L’idée est totalement assimilée. Toutefois, l’hagiographe manipule cette idée habilement en montrant que Lālibalā a reçu son pouvoir de Dieu et qu’à la fin de son règne, il est prêt à restituer ce pouvoir. Le texte défend donc l’idée que Lālibalā n’était pas un usurpateur, mais un roi élu de Dieu, oint, et se comportant comme un saint. Par conséquent, la Vie du roi Lālibalā apporte une réponse à l’historiographie anti-Zāg wē et fait peut-être aussi passer un message aux souverains qui se disent Israélites, en leur donnant le roi Lālibalā pour modèle. Et si au milieu du xve siècle, un souverain comme Zar’a Yā‘eqob fait donation d’une copie de la Vie du saint-roi à l’église de Golgotā, c’est peut-être aussi pour se présenter comme le digne héritier du saint, pour bénéficier de son aura sur son propre règne, alors que la question de la légitimité de la nouvelle dynastie n’est plus en cause et qu’il n’est plus nécessaire de s’inscrire en rupture avec celle-ci. Ajouté au-dessus de la ligne. Orient. 719, British Library, fol. 168r. Au sujet de cette note et de la création des colophons des différentes copies de la Vie de Lālibalā, voir M.-L. Derat, « Autour de l’homélie en l’honneur du saint-roi Lālibalā : écritures hagiographiques, copies et milieux de production », Oriens Christianus, 99 (2017), p. 99-128. 65  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 127. 63 

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Le processus semble être le même concernant la rédaction de la Vie de Yemreḥanna Krestos, quelques décennies plus tard, à la fin du xve siècle. Nous l’avons vu plus haut, l’hagiographe a aussi fait sien le motif de la non appartenance de ce souverain à la maison d’Israël, tout en exaltant la figure de ce souverain, le dépeignant comme un roi prêtre. Un contre modèle qui désamorce le principe d’usurpation. La Vie de Yemreḥanna Krestos a été éditée par Paolo Marrassini, à partir de trois copies manuscrites : le ms. Cerulli 223 conservé à la bibliothèque vaticane mais dont la provenance n’est pas mentionnée ; le ms. EMML 6931 provenant de l’église de Golgotā à Lālibalā et le ms. EMML 791166, de l’église de Ferkuta Kidane Merhet. L’éditeur datait ces trois manuscrits du xixe siècle. Le ms. EMML 6931 est en fait une copie du xviiie siècle, exécutée à l’époque du roi Qērlos du Lāstā (env. 1698/99-1723)67. Deux autres manuscrits conservant la Vie de Yemreḥanna Krestos ont été identifiés depuis dans l’église homonyme : le premier (A.Ma.-IV-12394), qui peut être daté du xviie ou du xviiie siècle à partir du style des enluminures au début de chaque chapitre, contient la Vie du saint-roi, mais aussi celle de ses successeurs : Lālibalā, Na’ākweto La’āb, Harbē68. Le second (A.Ma.-IV-12369) conserve une Vie du saint-roi ainsi que les Actes de saint Qirqos. Un colophon permet de dater la copie de 1684-168569. Ces deux copies sont donc les deux plus anciennes connues à ce jour de la Vie de Yemreḥanna Krestos70. Commençons par dérouler le récit de la Vie de Yemreḥanna Krestos, afin d’en souligner les aspects les plus marquants. D’après ce texte, une prédiction avait annoncé au roi Ṭanṭawedem et à ses deux frères, Gerwa Śeyyum 66  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 1. Le ms. Cerulli 223 est une copie datant du règne d’Hayla Sellassie, contenant à la fois une Vie de Lālibalā et une Vie de Yemreḥanna Krestos. 67  C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 11, notes 55 et 58. Ce manuscrit contient la Vie de Lālibelā et la Vie de Yemreḥanna Krestos. 68  Mazgaba se’elāt (http://ethiopia.deeds.utoronto.ca ; username : guest ; password : deeds), cl. Michael Gervers, MG.2004.123:001 et 002 ; C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 29. 69  Mazgaba se’elāt (http://ethiopia.deeds.utoronto.ca ; username : guest ; password : deeds), cl. Michael Gervers, MG.2004.123:008 à 010. Il faut mentionner ici une erreur sur le site qui indique que ce manuscrit contient les actes de Qirqos et des miracles de Yemreḥanna Krestos. Il s’agit bien d’une Vie de Yemreḥanna Krestos (vérification faite à partir des photographies prises par Philippe Sidot en avril 2009, également employée par C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009). Le colophon a été édité et traduit par Claire Bosc-Tiessé, ibid., p. 29. 70  Une dernière copie est conservée dans l’église de Bēta Libānos à Lālibalā (B7 IV 15), copiée avec la Vie de Lālibalā, la Vie de Masqal Kebrā et ses miracles et un Malke’a Libānos. Ce manuscrit n’est pas daté. Il a été vu et partiellement photographié par Claire Bosc-Tiessé, Deresse Ayenatchew et moi-même en 2005.

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et Zānśeyyum, de la région du Beg wenā, qu’un homme nommé Yemreḥanna Krestos lui succèderait. Peu de temps après, la femme de Gerwa Śeyyum mit au monde un garçon pour lequel on prophétisa la royauté. On le nomma Yemreḥanna Krestos. Celui-ci vécut quelque temps auprès de son oncle Ṭanṭawedem qui, ne supportant pas l’idée que ses propres fils ne lui succèderaient pas, renvoya le jeune homme auprès de ses parents. Face aux menaces d’assassinat sur ordre de Ṭanṭawedem, ceux-ci conseillèrent à Yemreḥanna Krestos de fuir. Il se rendit d’abord auprès du métropolite qui lui conféra le diaconat, puis erra de désert en désert. Il épousa une femme appelée Qeddest Hezba, présentée comme étant d’origine lévitique. Après quoi, il devint prêtre. Un jour, alors qu’il célébrait la messe, Dieu lui apprit qu’il serait roi, que son nom de règne serait David et l’oignit avec le chrême de la royauté. Il lui enjoignit de rentrer chez lui avec sa femme, guidé par l’ange Raphaël. Au cours du voyage, Yemreḥanna Krestos fit des miracles : il guérit un aveugle et exorcisa une femme possédée par le diable. La nouvelle de la mort du roi Ṭanṭawedem lui parvint alors et la prophétie s’accomplit. Il fut conduit dans la région d’Adafa pour régner, recommandant à ses sujets de n’épouser qu’une seule femme et de ne pas croire les devins. Il continua d’exercer sa fonction sacerdotale, célébrant la communion, désespérant une partie de sa suite qui lui reprochait de ne pas se conduire en véritable roi, en ne prenant pas plusieurs femmes et en n’allant pas à la chasse. Puis, il construisit une église à Wagra Seḫin pour en faire sa future sépulture et Dieu fit un pacte (kidān) avec lui, lui promettant que celui qui prierait sur sa tombe en son nom jouirait d’une vie heureuse à ses côtés pendant 1000 ans. La réputation de Yemreḥanna Krestos parvint aux gens de Rome par la voix d’un moine. Métropolites, évêques, prêtres, diacres et moines accoururent pour recevoir sa bénédiction. Le patriarche Qērellos (Cyrille) lui-même (ou selon une autre copie, Atnātēwos, Athanase)71 vint à lui, en bénissant le pays d’Éthiopie, comme la part attribuée à la Vierge. Et déclarant que la gloire de l’Éthiopie se lisait au travers de trois témoignages : le cèdre du Liban planté par la droite du Seigneur, dont seul un Éthiopien pouvait

Dans la copie de la Vie de Yemreḥanna Krestos conservée dans l’église du même nom et datant du xviie ou xviiie siècle (A.Ma.-IV-12394), on trouve en effet la mention du patriarche Atnātēwos, en lieu et place de Qērellos (A.Ma.-IV-12394, Vie de Yemreḥanna Krestos, église de Yemreḥanna Krestos, fol. 31r, 37r). Je tiens à remercier ici Ewa Balicka-Witakowska et Michael Gervers qui m’ont permis d’avoir accès à cette copie. Qui plus est, Paolo Marrassini a gommé le problème dans sa traduction puisqu’il a omis le nom d’Atnātēwos qui figurait pourtant dans le texte ge’ez qu’il avait établi (Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 54 (texte), 87 (trad.). 71 

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prendre les branches pour faire la Croix72 ; les chiens de la porte de Qwesqwām qui ne laissaient passer que les pèlerins éthiopiens73 ; le miracle de la vigile de Pâques à Jérusalem74. Nous reviendrons sur ce passage plus loin car ils témoignent d’emprunts utiles pour tenter de dater la rédaction du texte. Pour la construction de son église, Yemreḥanna Krestos fit venir d’Égypte des battants en cèdre du Liban, du verre pour faire les fenêtres. Avant de mourir, Dieu lui demanda ce qu’il souhaitait. Yemreḥanna Krestos lui répondit qu’il désirait que le royaume d’Éthiopie revienne à Israël et Dieu affirma qu’il le rendrait à celui qui s’appellerait Yekuno Amlāk. Puis le roi quitta sa capitale pour chercher de l’or et de l’argent afin d’achever son église. Il mourut au cours de son voyage le 19 du mois de ṭeqemt. Ses troupes le transportèrent jusqu’à Wagra Seḫin, où il fut enterré, et le patriarche Athanase présida à ses funérailles. À la toute fin de la Vie de Yemreḥanna Krestos, l’hagiographe explique en quelques mots comment il a écrit son texte et quand. Il raconte qu’il s’est rendu à la tombe du saint-roi et s’est étonné que sa vie ne soit pas écrite. Il se reposa un moment : Yemreḥanna Krestos lui apparut alors et lui raconta son histoire. Et il finit ainsi son récit : La durée de sa vie fut de 97 années de mois (lunaires75 ?). De ce moment-là jusqu’à la fin du règne d’Eskender, il y a 754 ans76.

Selon toute probabilité, l’hagiographe fait ici référence au roi Eskender (14781494). On peut donc légitimement penser qu’il a rédigé les actes du saint-roi durant le règne de ce souverain, c’est-à-dire à la fin du xve siècle. Toutefois, le Ps 104, 16. On retrouve une mention identique de cet épisode dans la Vie de Libānos (La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 5). 74  La cérémonie du feu sacré à Jérusalem serait attestée dès le ixe siècle (M. Canard, « La destruction de l’Église de la résurrection par le calife Hākim et l’histoire de la descente du feu sacré », Byzantion, 35 (1965), p. 28-29). Elle a lieu entre le vendredi saint, commémorant la mort du Christ où, en signe de deuil, toutes les lampes sont éteintes dans l’église, et le samedi saint où durant la vigile de Pâques une lampe était miraculeusement allumée, signalant la résurrection du Christ. La cérémonie du feu sacré fut apparemment l’occasion de querelles régulières entre les Églises, et en particulier celles de rite oriental (O. Meinardus, « The ceremony of the holy fire in the middle ages and today », Bulletin de la Société d’Archéologie Copte, 16 (1961-1962), p. 248-249). L’épisode auquel le patriarche d’Alexandrie fait allusion n’est donc pas exceptionnel mais il donne aux Éthiopiens une primauté dans la cérémonie parce qu’ils sont les élus de Dieu. 75  Cette précision est ajoutée par l’éditeur du texte. Le texte ge’ez ne précise pas s’il s’agit d’un mois lunaire ou non. Quoi qu’il en soit, cela ne change pas grand-chose quant à la durée de vie de Yemreḥanna Krestos, les mois lunaires étant de 29 ou 30 jours, et l’on compte douze par mois. Il y a une différence de 11 jours tous les 30 ans lunaires. 76  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 63/93. 72  73 

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calcul qu’il opère est des plus surprenants. Si 754 années se sont écoulées entre la mort de Yemreḥanna Krestos et la fin du règne d’Eskender, alors il établit l’année de la mort du saint-roi en 740. Nous sommes ici loin du compte. Pourtant, malgré ce problème chronologique, l’information selon laquelle les actes auraient été écrits pendant le règne d’Eskender paraît plausible. Quels sont les éléments internes au texte qui peuvent nous permettre de mieux saisir le contexte dans lequel la Vie du saint-roi est rédigée et ce que le ou les auteurs ont voulu dire ? Depuis les travaux de Carlo Conti Rossini, il est admis par tous qu’il s’agit d’une œuvre tardive, composée après le xive siècle77. Le premier éditeur du texte, Paolo Marrassini, n’a pas tranché mais il a relevé des passages dans les actes du saint qui se rapprochent de manière très significative de textes éthiopiens un peu plus sûrement datés. Il a ainsi montré que l’hagiographe employait une image que l’on retrouvait dans un ouvrage attribué à Giyorgis de Saglā – le Livre du Mystère – achevé en 142478. Selon toute probabilité, les actes de Yemreḥanna Krestos seraient donc postérieurs. Un autre élément de la Vie de Yemreḥanna Krestos confirme cette datation. Il s’agit de la rencontre entre le roi et le patriarche Cyrille ou Athanase. Ce dernier vint rendre hommage au roi Zāg wē, lui annonçant que l’Éthiopie était élue par Dieu, qu’elle était la part attribuée à Marie, et que sur son trône ne pouvait régner ni un juif, ni un païen, mais seulement un roi orthodoxe. Le patriarche ajoutait que l’élection divine de l’Éthiopie se lisait au travers de trois témoignages. La rencontre entre Yemreḥanna Krestos et le patriarche Cyrille ou Athanase pose un problème de chronologie. S’il s’agit bien du patriarche d’Alexandrie, ce qui est tout à fait plausible car il est qualifié de chef des évêques (liqa ṗāṗṗāsāt), alors on peut identifier Cyrille à deux ecclésiastiques qui ont porté ce nom : Cyrille II, qui était en charge entre 1078 et 1092 et Cyrille III, en charge entre 1235 et 1243, ce qui place ce dernier comme un contemporain 77  Voir notamment au sujet de la datation des actes des rois Zāg wē les articles de C. Conti Rossini, « Sulla dinastia Zâguê », L’Oriente, 2 no 3-4 (1896-1897), p. 156 ; « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 188 ; E. Cerulli, Storia della letteratura etiopica, 1956, p. 84 ; M. Heldman, « Legends of Lalibala. The Development of an Ethiopian Pilgrimage Site », Anthropology and aesthetics, 27 (1995), p. 36 et M.-L. Derat, « The Acts of King Lalibäla », 2006, p. 561-568. 78  Comme le remarque Paolo Marrassini, Yemreḥanna Krestos aurait dit une homélie qui s’inspire très directement d’un apocryphe sur la création, le Livre des Jubilées. Toutefois, dans un extrait de l’homélie, telle qu’elle est rapportée par l’hagiographe, il est question de la malédiction du serpent, condamné à ramper sur le ventre alors qu’auparavant il était comme le chameau. Cette légende ne figure pas dans le Livre des Jubilées, mais est en revanche présente sous une forme très proche dans le Livre des Mystères de Giyorgis de Saglā, achevé en 1424. Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 75 n. 60.

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du roi Lālibalā si celui-ci régnait encore en 1235. Ce que nous ignorons. S’il s’agit d’Athanase, qui dans les deux copies connues de la Vie de Yemreḥanna Krestos, est au moins présent aux funérailles, alors celui-ci exerçait sa charge juste après Cyrille III, entre 1250 et 1261. Si la succession des deux patriarches est bien cohérente et s’accorde avec ce que l’on sait de l’Église d’Alexandrie, en revanche cette information nous confronte à un problème de chronologie : Yemreḥanna Krestos apparaît comme un successeur du roi Lālibalā, alors que l’hagiographe lui-même le situe comme l’un de ses prédécesseurs. On voit bien là les problèmes rencontrés par l’hagiographe pour situer chronologiquement la Vie du roi saint. Par ailleurs, trois témoignages de l’élection divine de l’Éthiopie sont invoqués par le patriarche. Le premier fait référence au cèdre du Liban, qui est parfois associé avec le bois de la Croix. Il s’agit dans certaines légendes de l’une des poutres du palais de Salomon qui servit ensuite à fabriquer la Croix79. En déclarant que seule l’Éthiopie est habilitée à planter le cèdre du Liban qui servira à fabriquer la Croix, le patriarche Cyrille vise peut-être à placer l’Éthiopie comme l’héritière d’Israël. Mais il faut bien souligner que ce témoignage reste très énigmatique. Le second témoignage a trait aux chiens de la porte de Qwesqwām qui ne laisseraient passer que les pèlerins éthiopiens. Cet épisode n’est pas sans rappeler le récit entourant un autre site égyptien lié à l’itinéraire de la sainte famille en Égypte : à Ashmunayn, ce sont des dromadaires qui repoussaient les étrangers qui s’approchaient mais qui laissèrent passer Joseph, Jésus, et sa mère80. Plusieurs textes célèbrent l’église de Qwesqwām et les miracles qui s’y accomplissent : L’homélie du patriarche Théophile sur la fondation de Qwesqwām81, la Vision de Timothée, patriarche d’Alexandrie, sur le séjour de la sainte famille en Égypte82, qui sont en partie repris dans le Livre éthiopien des miracles de Marie83. Mais aucun épisode impliquant des chiens féroces ne s’approche de celui évoqué dans la Vie de Yemreḥanna Krestos. Toutefois, on trouve une référence à ce même épisode dans la Vie de Libānos, qui n’est 79  A. Caquot, « La reine de Saba et le bois de la Croix selon une tradition éthiopienne », Annales d’Éthiopie, 1 (1955), p. 145. 80  The churches and monasteries of Egypt and some neighbouring countries, éd. B. T. A. Evetts, 1895, p. 220-221. 81  « Il discorso su Monte Cosccam attribuito a Teofilo d’Alessandria nella versione etiopica », éd. C. Conti Rossini, Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, serie 5, 21 (1912), p. 395-471. 82  Legends of our Lady Mary the Perpetual Virgin and her mother Hanna, éd. E. A. W. Budge, Londres, 1922, p. 61-101, qui n’a traduit que partiellement l’homélie de Timothée, omettant la partie initiale. 83  Il libro etiopico dei Miracoli di Maria, éd. E. Cerulli, 1943.

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pas antérieure au xive siècle, où sont évoqués les cinq chiens de Qwesqwām84. Notre hagiographe se situe donc dans une culture partagée avec d’autres auteurs ecclésiastiques. Enfin, le dernier témoignage est relatif à un miracle qui avait lieu à Jérusalem. Lors de la veillée de Pâques, des lampes remplies d’huile étaient déposées dans les Lieux Saints. Seules les lampes des Éthiopiens étaient miraculeusement allumées, tandis que celles des autres églises représentées restaient éteintes. Jaloux, les moines des autres églises demandèrent au patriarche de chasser les Éthiopiens de Jérusalem. Mais lors de la veillée de Pâques suivante, aucune lampe ne s’alluma. Alors, pour que le miracle s’accomplisse une nouvelle fois, ils allèrent chercher les ossements d’un Éthiopien, firent trois fois le tour du tombeau du Christ avec, et les lampes s’allumèrent85. Dans le Livre des Miracles de Marie, on trouve un récit tout à fait similaire à celui des actes de Yemreḥanna Krestos, même si certains événements sont présentés de manière différente86. Or, les passages des Miracles de Marie consacrés à l’Éthiopie sont rédigés entre le règne de Dāwit (1379/80-1412) et celui de Zar’a Yā‘eqob (1438-1468). La coïncidence entre le récit concernant le miracle des lampes à Jérusalem, figurant à la fois dans la Vie de Yemreḥanna Krestos et dans le Livre des miracles de Marie, conduit à penser que c’est dans la même période que ces deux textes ont été rédigés. On peut donc estimer que la Vie de Yemreḥanna Krestos a pu être rédigée au cours de cette période ou après. La référence au règne d’Eskender (1478-1494) à la fin de l’hagiographie du saint-roi paraît donc authentique et donne une date plausible pour l’achèvement de ce texte. À la fin du xve siècle, le roi Zāg wē Yemreḥanna Krestos est certes le représentant de ces souverains non-Israélites qui ont assumé le pouvoir dans le royaume chrétien d’Éthiopie pour un temps, mais il est aussi décrit comme un roi champion de l’orthodoxie reconnu comme tel par le patriarche d’Alexandrie, et comme un roi prêtre. Pourquoi le roi Yemreḥanna Krestos est qualifié de prêtre ? On pourrait se contenter de voir dans cette figure du rex sacerdos un topos hagiographique. Mais cela ne peut être le cas puisque la figure du roi prêtre est loin d’être si courante dans l’hagiographie en général, et dans La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 5 (trad.). Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 88-89 ; Il libro etiopico dei Miracoli di Maria, éd. E. Cerulli, 1943, p. 129-136. Voir au sujet de l’identification de cet épisode, l’article de G. Fiaccadori, « Sulla formula etiopica per la ceremonia del Fuoco sacro a Gerusalemme », dans Studia Aethiopica. In honour of Siegbert Uhlig on the occasion of his 65th Birthday, éd. D. Nosnitsin, V. Böll, T. Rave, W. Smidt, E. Sokolinskaia, Wiesbaden, 2004, p. 37-40. 86  Il libro etiopico dei Miracoli di Maria, éd. E. Cerulli, 1943, p. 131-133. 84  85 

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l’hagiographie éthiopienne en particulier. Si ce n’est pas un stéréotype, alors pourquoi l’hagiographe tient-il tant à ce que Yemreḥanna Krestos apparaisse comme un prêtre ? Il livre un élément de réponse lorsqu’il achève son récit concernant l’élection divine de l’Éthiopie par ces mots : « Par dessus tout le peuple de Rome se soumit à lui »87. Rome désigne ici Byzance et la soumission de Byzance concerne le schisme né du concile de Chalcédoine. Dans ce texte hagiographique, Yemreḥanna Krestos incarne la figure du roi éthiopien qui réussit après plusieurs siècles de séparation à faire reconnaître par les Byzantins la seule véritable orthodoxie aux yeux des Éthiopiens, celle des anti-chalcédoniens. D’où la démarche du patriarche Cyrille (ou Athanase) qui reconnaît dans le souverain éthiopien le guide des chrétiens monophysites. Il faut remarquer ici que la Vie de Yemreḥanna Krestos ne situe pas cette réunion dans un futur indéfini, comme dans une apocalypse. Selon ce texte, l’union s’est opérée au cours du règne de Yemreḥanna Krestos. Notre souverain Zāg wē acquiert donc ici une stature exceptionnelle. Dans ce contexte, la prêtrise de Yemreḥanna Krestos est une qualité essentielle pour incarner le roi orthodoxe. En étant investi du sacerdoce, le roi éthiopien est le premier des chrétiens dans son royaume. Que l’Éthiopie soit gouvernée par un roi prêtre signale également la foi qui anime son peuple. Yemreḥanna Krestos, nouveau David (puisque c’est son nom de règne), est le roi élu de Dieu pour accomplir « une grande mission historique »88. En cela, il se rapproche des souverains byzantins, « investis d’un sacerdoce supérieur »89. Mais au contraire de ceux-là, le roi éthiopien est ici pleinement prêtre, peut-être pour justifier le transfert de l’autorité universelle sur les chrétiens de Byzance à l’Éthiopie. Yemreḥanna Krestos est donc présenté comme un roi prêtre parce qu’il est celui qui doit réunir les Églises d’Éthiopie et d’Alexandrie avec l’Église byzantine sous une orthodoxie pré-chalcédonienne. La soumission de Rome à l’Éthiopie fait écho à des apocalypses chrétiennes bien connues. Celles-ci sont rédigées dans le contexte de la conquête arabe et des conversions massives à l’islam pour consoler les chrétiens de leurs défaites et leur promettre un avenir meilleur. Elles ont toutes une dimension

Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 90. Je reprends ici la formule de Gilbert Dagron (G. Dagron, Empereur et prêtre, 1996, p. 189) qui, analysant la sacralité du roi byzantin et posant la question de son sacerdoce, affirmait : « la prêtrise dans l’ordre de Melchisédech [est] un caractère indélébile, conféré directement par Dieu au “roi juste” pour une grande mission historique. L’empereur n’est pas un spécialiste des choses sacrées, mais il est investi d’un sacerdoce supérieur ». 89  G. Dagron, Empereur et prêtre, 1996, p. 189. 87  88 

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eschatologique90. Le texte le plus proche du motif évoqué dans les actes de Yemreḥanna Krestos est la Lettre de Pisuntios, évêque de Qeft au viie siècle, une apocalypse arabe que son éditeur datait du xe siècle. Dans cette lettre, Pisuntios évoque la fin des temps, précédée par une victoire sur les musulmans, obtenue par les rois de Rome et d’Éthiopie. Avant cette victoire, des discussions sur l’orthodoxie auront lieu entre les deux souverains, arbitrées par le patriarche d’Alexandrie. Un jugement divin finira par départager les deux. Le roi de Rome renoncera alors aux conclusions du concile de Chalcédoine et adoptera la foi du roi d’Éthiopie. Les chrétiens seront à nouveau unis par une même foi, tandis que dix rois romains règneront. Le dixième remettra sa couronne sur la Croix à Jérusalem, avant que le règne d’un onzième roi annonce la venue de l’Antéchrist91. La source principale de ce motif est le Pseudo-Méthode, une apocalypse syriaque datant du viie siècle92, rédigée également dans le contexte de la conquête musulmane. Dans cet ouvrage, l’auteur glose autour de l’interprétation du Psaume 68 : 31 (« L’Éthiopie tendra ses mains vers Dieu ») qui pourrait indiquer que la libération du joug arabe viendrait en partie du roi éthiopien93. Cette interprétation n’existe que parce qu’au vie siècle, les troupes du roi éthiopien Kalēb sont intervenues en Arabie du Sud pour mettre fin aux exactions du souverain Dhū Nūwas contre les chrétiens de Nagrān. De nombreux textes ont été rédigés au sujet de cette expédition, parmi lesquels figurent notamment les lettres de Siméon de Beth Arsham et le Livre des Himyarites (textes en syriaques)94. Le Pseudo-Méthode fut traduit Martinez (F. J. Martinez, « The King of Rum and the King of Ethiopia in Medieval Apocalyptic Texts from Egypt », dans Coptic Studies, éd. W. Godlewski, Varsovie, 1990, p. 247-248) a établi la liste des apocalypses chrétiennes d’Égypte qui évoquent le roi de Rome et le roi d’Éthiopie. Elles sont au nombre de quatre : l’apocalypse de Samuel de Qalamun (J. Ziadeh, « L’apocalypse de Samuel, supérieur de Deir al-Qalamoun », Revue de l’Orient Chrétien, 20 (1915-1917), p. 373-404) ; la lettre de Pisuntios (A. Perier, « Lettre de Pisuntios, évêque de Qeft, à ses fidèles », Revue de l’Orient Chrétien, 19 (1914), p. 79-92, p. 302-323, p. 445-446) ; l’apocalypse arabe du Pseudo-Athanase (l’édition de cette apocalypse, réalisée par Martinez, en 1985, n’a pas été publiée à ma connaissance) ; la Vision de l’Église dans les Visions d’abbā Sinodā « Die im Äthiopischen, Arabischen und Koptischen erhaltenen Visionen Apa Schenute’s von Atripe », éd. A. Grohmann, Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 67 (1913), p. 187-267). 91  A. Perier, « Lettre de Pisuntios, évêque de Qeft, à ses fidèles », 1914, p. 320-321. 92  F. J. Martinez, « The King of Rum and the King of Ethiopia in Medieval Apocalyptic Texts from Egypt », 1990, p. 255-256. 93  P. J. Alexander, « Medieval Apocalypses as Historical Sources », American Historical Review, 73 no 4 (1968), p. 997-1018 ; Die syrische Apokalypse des Pseudo-Methodius, éd. G. J. Reinink, Louvain, 1993 (CSCO 540-541, Script. Syri 220-221), p. 30-31. 94  J. Beaucamp, F. Briquel-Chatonnet, C. J. Robin, « La persécution des chrétiens de Nagrān et la chronologie himyarite », Aram, 11-12 (1999-2000), p. 19-24. 90 

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en copte au viiie siècle et fut à la source d’un grand nombre d’apocalypses égyptiennes qui remploient le même motif95 : le roi d’Éthiopie guidera le roi de Rome vers l’orthodoxie, avant que ce dernier n’emporte une victoire finale sur les Arabes. Ce motif est passé en Éthiopie par la traduction d’ouvrages de l’Église égyptienne en guèze. Bien qu’on ne connaisse pas de version guèze du Pseudo-Méthode ou de la Lettre de Pisuntios, on retrouve toutefois un récit identique dans les Visions de Chenouté (Rā’eya Sinodā)96. L’une de ces visions raconte comment le roi de Rome et le roi d’Éthiopie se retrouveront dans une église construite par Chenouté pour discuter de la foi et la réformer. Après des débats violents, le patriarche d’Alexandrie décidera de faire une grande messe afin de désigner qui des deux souverains a raison. Au cours de la messe, un miracle désignera le roi éthiopien comme celui ayant gardé la vraie foi. Alors tous, Romains, juifs et païens se feront baptiser. Ceux qui refuseront de croire seront combattus par les fantassins du roi d’Éthiopie, qui destituera le roi d’Égypte, percevra auprès du Nil le tribut du roi de Rome et du roi d’Égypte et règnera sur Jérusalem97. On ne sait pas à quelle période exactement ce texte passa dans la littérature éthiopienne. Mais il est certain qu’au début du xve siècle, les Visions de Chenouté étaient connues dans le royaume d’Éthiopie, puisqu’elles sont reprises en partie par Giyorgis de Saglā, dans son Livre du Mystère (Maṣḥafa Mesṭir) dont on a déjà vu qu’il avait servi de source à notre hagiographe98. Par conséquent, au xve siècle, les apocalypses évoquant le rôle du roi d’Éthiopie et du roi de Rome dans les événements des derniers temps sont connues dans le royaume éthiopien et exploitées pour affirmer sa supériorité sur les J. Beaucamp, F. Briquel-Chatonnet, C. J. Robin, « La persécution des chrétiens de Nagrān et la chronologie himyarite », 1999-2000, p. 256-257. 96  Cette apocalypse est connue dans sa version guèze seulement (« Die im Äthiopischen, Arabischen und Koptischen erhaltenen Visionen Apa Schenute’s von Atripe », éd. A. Grohmann, 1913, p. 207 au sujet du texte éthiopien et des fragments coptes). Les quelques fragments coptes de l’apocalypse de Chenouté ne présentent pas la Vision de l’Église, dont il est question ici (Sinuthii archimandritae vita et opera omnia IV, éd. J. Leipoldt et W. E. Crum, Paris, 1913 (CSCO 73, Script. Coptici 5), p. 198-204 ; Sinuthii archimandritae vita et opera omnia IV, éd. H. Wiesmann, Paris, 1936 (CSCO 108, Script. Coptici 12), p. 120-123). La Vie de Chenouté ne fait pas allusion à ce texte mais contient une prophétie au sujet de l’arrivée des musulmans en Égypte et de la fin des temps (E. Amélineau, Monuments pour servir à l’histoire de l’Égypte chrétienne aux ive et ve siècles, Paris, 1888, p. 340-346), dont l’auteur des Visions de Chenouté s’est probablement inspiré. 97  « Die im Äthiopischen, Arabischen und Koptischen erhaltenen Visionen Apa Schenute’s von Atripe », éd. A. Grohmann, 1913, p. 249-263. 98  Giyorgis di Saglā, Il Libro del Mistero (Mashafa Mestir), éd. Yaqob Beyene, Louvain, 1990 (CSCO 515-516, Script. Aeth. 89-90), p. 75-77. 95 

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autres États chrétiens, supériorité née de sa fidélité au concile de Nicée. La Vie de Yemreḥanna Krestos témoigne donc de l’influence des apocalypses chrétiennes en Éthiopie pour forger l’image d’un royaume incarnant le salut final. Ce motif aurait pu être employé pour exalter la figure d’un autre roi. Mais c’est un hagiographe, qui prend le contre-pied de l’historiographie du moment, qui décide d’utiliser ce motif pour un roi Zāg wē. Il ne se contente pas de le décrire comme un saint, il le présente comme un modèle : un roi prêtre, un champion de l’orthodoxie anti-chalcédonienne, le roi d’Éthiopie que les apocalypses annonçaient. Les Vies de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos témoignent donc d’un autre courant historiographique dans le royaume d’Éthiopie. Au moment même où la thèse selon laquelle la lignée royale légitime est celle qui est issue de la maison d’Israël s’impose, des hagiographes élèvent à la sainteté deux souverains de la dynastie Zāg wē en insistant sur leur élection divine, sur leur onction. La Vie de Yemreḥanna Krestos franchit un pas de plus dans les qualités attribuées à ce roi Zāg wē, en le figurant comme un roi prêtre et comme celui auquel « le peuple de Rome » (Rome signifiant en fait Byzance) vint se soumettre, incarnant ainsi le roi qui aux yeux des chrétiens monophysites pouvait réaliser l’union et la victoire du monophysisme99. Le roi de l’union contre le descendant d’Israël, deux images fortes pour deux versions d’une même histoire. Mémoire contre mémoire. Cette lutte entre deux historiographies se mène non pas avec l’arme de la chronique historique, mais par le biais du texte hagiographique. Il n’est donc jamais réellement question de ce qui s’est passé durant le règne de la dynastie Zāg wē, mais seulement du modèle royal que l’on veut défendre, de la légitimité de tel ou tel souverain. Comment cette lutte est perçue par le pouvoir royal ? Est-il acteur ou simple spectateur ? Pour répondre à cette question, il faudrait disposer de textes produits sous la supervision directe du roi. Or, sur toute la période qui nous intéresse, entre les xive et xve siècles, seul un souverain exprime sa conception de la royauté. Il s’agit de Zar’a Yā‘eqob, qui fait écrire de nombreuses homélies dans lesquelles il distille ses réformes religieuses mais aussi son idéologie royale. Il considère qu’il tire son pouvoir de Dieu et qu’il garde le royaume éthiopien en son nom100. Un extrait d’un miracle de Marie consacré au roi Zar’a Yā‘eqob et rédigé par des proches du souverain illustre parfaitement cette conception. À ce sujet, voir M.-L. Derat, « Roi prêtre et Prêtre Jean », 2012. Au sujet de l’idéologie politique de Zar’a Yā‘eqob et des homélies royales, voir notamment M.-L. Derat, « Les homélies du roi Zar’a Ya’eqob », 2005. 99 

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Un homme raconte comment lui fut révélé l’attribution de la royauté à Zar’a Yā‘eqob par Marie. Alors qu’il dormait, on vint le chercher pour lui montrer les rois : il voit alors les rois d’Israël, portant tous une couronne et identifie notamment David et Salomon. Puis il assiste à une scène divine : Dieu remet son royaume terrestre aux mains de Marie. Et le texte poursuit : « Elle, de son côté, appela Zar’a Yā‘eqob et le fit monter dans l’atmosphère, là où elle se tenait. Elle plaça la couronne royale sur la tête de Zar’a Yā‘eqob avec ses propres mains. Elle le bénit et lui dit : “Garde le royaume” »101. Ainsi, Zar’a Yā‘eqob est l’héritier des rois d’Israël et l’héritier de leur royaume. Mais c’est Dieu, par la main de Marie, qui le choisit pour être le roi. Il fait en quelque sorte la synthèse entre les deux historiographies évoquées précédemment : certes l’appartenance à la lignée d’Israël est essentielle, mais l’élection divine participe également de la légitimité du souverain. Or, cette élection se manifeste par l’onction. C’est précisément le roi Zar’a Yā‘eqob qui renouvela la cérémonie de l’onction et de la tonsure royale, en établissant un règlement (le Règlement de la tonsure, ou Ser’ata Qwerḥat), réactivant un cérémonial du sacre établit sous le règne de Gabra Masqal, que nous avons identifié au chapitre précédent à Lālibalā102. La Vie de ce dernier est très peu diserte sur le règne proprement dit du roi-saint, mais un épisode est particulièrement intéressant au regard de la tonsure et de l’onction. Lorsque le frère de Lālibalā, Ḥarbāy, reçoit l’ordre divin de renoncer à la royauté au profit de Lālibalā, l’hagiographe déclare qu’il procéda alors luimême à la tonsure de ses cheveux, tandis que l’onction spirituelle avait été donnée par Dieu au nouveau roi lors de son périple au septième ciel103. La cérémonie du couronnement souligne donc une double légitimité, l’ascendance et la transmission du pouvoir dans le lignage royal d’une part, et l’élection divine d’autre part, totalement séparée du rituel du couronnement. C’est aussi Zar’a Yā‘eqob qui fit don d’une copie de la Vie de Lālibalā à l’église du Golgotā, comme nous l’avons souligné plus haut. Il faut peutêtre voir dans les choix de ce souverain au milieu du xve siècle une réelle posture politique qui s’explique en partie par les difficultés auxquelles il eut à faire face pour accéder au pouvoir suprême104. Défendre l’élection divine, en plus de l’appartenance à la maison d’Israël, c’est justifier sa propre légitimité à régner contre ses opposants. Par conséquent, les débats que l’on peut The Mariology of Emperor Zär’a Ya‘ǝqob of Ethiopia, éd. Getatchew Haile, 1992, p. 155. Voir chapitre III. 103  Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 107-109. 104  M.-L. Derat, « “Do not search for another king, one whom God has not given you” : questions on the elevation of Zar’a Ya’eqob (1434-1468) », Journal of Early Modern History, 8 no 3-4 (2004), p. 210-228. 101 

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lire au travers des hagiographies ne concernent pas que les milieux ecclésiastiques. Ils témoignent de préoccupations qui traversent le royaume concernant le modèle royal et en particulier la succession royale. Pour paraphraser Gabor Klaniczay, il est bien concevable que Zar’a Yā‘eqob « en patronnant ce culte, […] voulait de plus en plus apparaître comme la réincarnation de ce saint ancêtre »105 qu’était Lālibalā. Ces hagiographies signalent donc les usages de l’hagiographie pour écrire l’histoire, un outil de légitimation aux mains de la dynastie salomonienne, qui voit dans le culte des saints-rois une arme pour affirmer leur propre pouvoir en donnant l’image d’une royauté très chrétienne. Alors qu’auparavant, la disqualification des rois Zāgwē servait un autre enjeu : l’affirmation de la légitimité de la nouvelle dynastie à régner. Au passage, relevons l’un des thèmes qui émerge dans les Vies de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos et qui sera élaboré ensuite, dans l’historiographie savante, comme l’un des caractères de la royauté Zāg wē : les problèmes de succession auxquels sont confrontés les rois zāg wē – Ḥarbāy menaçant son frère Lālibalā avant de lui donner le pouvoir ; Ṭanṭawedem faisant de même avec son neveu Yemreḥanna Krestos. Les hagiographes des rois Zāg wē ne cherchent pas à construire une sainteté dynastique : la légitimation par l’ascendance n’est pas recherchée, voire est construite de manière à montrer que le prédécesseur était un roi indigne. Pour composer la figure du roi souffrant et ainsi le comparer au Christ, le prédécesseur, qui sera ensuite considéré comme saint dans le cas d’Ḥarbāy, est donc décrit comme un mauvais roi, malveillant. Qui plus est, les hagiographes n’ont pas eu recours à la figure d’un ancêtre dont la sainteté rejaillirait sur toute la lignée, puisque la première Vie rédigée est celle de Lālibalā, qui incarne plutôt la dynastie à son apogée. Et la seconde Vie, celle de Yemreḥanna Krestos, ne se positionne pas par rapport à Lālibalā. « L’idée de transmission héréditaire de vertus et de dons au sein de lignées privilégiées »106 n’est donc pas au cœur de la production hagiographique consacrée à Lālibalā et à Yemreḥanna Krestos. Ces deux textes laissent donc l’impression d’initiatives non coordonnées et permettent d’affirmer que la sainteté dynastique n’était pas envisagée comme originelle et intrinsèque aux Zāg wē, mais qu’elle fut construite par la stratification des textes.

G. Klaniczay, « Sainteté royale et sainteté dynastique au Moyen Âge. Traditions, métamorphoses et discontinuités », 2009, § 21. 106  P. Corbet, Les saints ottoniens. Sainteté dynastique, sainteté royale et sainteté féminine autour de l’an Mil, 1986, p. 243. 105 

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Les hagiographies secondaires : Na’akweto La’āb et Masqal Kebrā Après la rédaction des Vies de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos, vinrent celles de Na’akweto La’āb et Masqal Kebrā. La Vie de Na’akweto La’āb dépend étroitement des deux premières, et celle de Masqal Kebrā compile en fait la Vie de Lālibalā avec celle de Na’akweto La’āb, pour ne garder que les passages où il est question de la reine, sans qu’il y ait réellement une écriture originale. C’est en ce sens que l’on peut considérer que ces deux textes sont des hagiographies secondaires. Ils sont aussi plus tardifs, même s’il est particulièrement délicat de les dater avec précision, nous y reviendrons. Mais c’est probablement parce qu’ils ont été rédigés après l’effervescence créée par l’historiographie négative à l’égard des Zāg wē, qu’ils ne font aucune allusion à l’appartenance ou non de ces deux protagonistes à la maison d’Israël et à leur succession. Dans le cas de Masqal Kebrā, c’est compréhensible, puisqu’elle est la reine par alliance. Mais en ce qui concerne Na’akweto La’āb, on aurait pu retrouver, comme pour Lālibalā et Yemreḥanna Krestos, un passage où il ferait vœu de rendre le pouvoir au peuple d’Israël. Or ce n’est pas le cas. C’est donc que le contexte ne s’y prête plus. Cette Vie, comme celle de Masqal Kebrā, ne répond plus à l’historiographie dominante. Elle est avant tout écrite pour reconnaître la sainteté de ce souverain et permettre le développement de son culte. La Vie de Na’akweto La’āb témoigne des mêmes schémas hagiographiques que celles de ses prédécesseurs. L’ange Gabriel vint trouver un jour le roi Lālibalā pour lui annoncer que sa sœur, Markēzā, mettrait au monde un garçon, conçu avec son mari nommé Gabra Masqal (il est intéressant de relever l’homonymie entre le père de Na’akweto La’āb et Lālibalā, dont le nom de règne est également Gabra Masqal). L’ange lui demanda de baptiser lui-même l’enfant en lui donnant le nom de Na’akweto La’āb. Lālibalā accomplit la volonté divine, faisant du garçon son fils devant Dieu. Na’akweto La’āb vécut avec sa mère pendant trois années, puis l’ange Gabriel vint le prendre pour lui révéler les mystères du ciel et lui apprendre qu’il hériterait du royaume de Lālibalā tandis que ce dernier serait encore en vie, qu’il le lui reprendrait une fois, mais qu’il le gagnerait à nouveau. Après quoi, Lālibalā vint chercher Na’akweto La’āb pour l’élever à sa cour. Au bout de quatre années, on lui donna pour maître un certain Yesḥaq, qui lui apprit les Écritures saintes, et un soldat nommé Gabra Krestos lui tenait également compagnie. Il fut conduit auprès du métropolite et reçut le diaconat ainsi que le soldat Gabra Krestos. Il retourna ensuite auprès de Lālibalā et apprit à manier l’arc, à monter à cheval et à chasser. Quand il atteignit l’âge de vingt ans, un ange vint demander à Lālibalā de fiancer Na’akweto La’āb à une femme, annonçant

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qu’il aurait un fils nommé Hallo-Ferē, qui serait béni comme lui. Bien que récalcitrant, Na’akweto La’āb épousa Neṣeḥt Māryām avec laquelle il fit vœu de rester vierge. Après trois années de mariage, il partit à la chasse dans la région de Ṣewā‘ā, tua un oiseau blanc et l’offrit en sacrifice faisant le vœu qu’il construirait une église dédiée à Marie là où le sang de l’oiseau avait coulé. Puis Lālibalā l’envoya dans le Goğğām afin de soumettre Ṣara Qemes qui défiait le roi. La reine Masqal Kebrā convainquit ensuite le roi Lālibalā de donner son pouvoir à Na’akweto La’āb. Mais il le lui reprit peu de temps après, à cause d’une querelle au sujet du vol d’une vache. Pendant cette période, le saint demeura à Dabra Seḫin. Lālibalā, sentant sa mort venir, rappela à ses côtés son neveu et lui confia à nouveau le royaume. Pendant son règne Na’akweto La’āb fit construire une église à Wagra Seḫin, appelée Dabra Ṣeyon. Il eut un fils qu’il nomma Baḫāyla Masqal, mais celui-ci mourut alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Na’akweto La’āb se retira à Wagra Seḫin pour achever la construction de son église. Là, il fit un pacte (kidān) avec Dieu, mais la mort du saint et la date de sa mort ne sont pas mentionnées. On ne dispose pas d’éléments de datation très sûrs s’agissant de la Vie de Na’akweto La’āb. Mais on peut remarquer deux choses : l’hagiographe fait constamment référence à deux prédécesseurs de ce souverain – Yemreḥanna Krestos et Lālibalā – et connaît les Vies composées en leur honneur, dont il s’inspire très étroitement, élaborant souvent une sorte de surenchère par rapport aux deux textes précédents, ou bien glosant autour d’épisodes succinctement évoqués dans les deux Vies antérieures. Ainsi l’élection divine de Na’akweto La’āb a lieu dès avant sa naissance, alors que pour Lālibalā elle est manifeste le jour de sa naissance, ou encore Na’akweto La’āb accomplit son ascension au ciel à l’âge de trois ans, tandis que Lālibalā semble être adulte quand la même chose lui arrive. On a donc l’impression que la Vie de Na’akweto La’āb tient compte d’un précédent, que l’auteur tente de dépasser. De même, Na’akweto La’āb est présenté comme un membre de l’Église, parfois qualifié de prêtre, à l’image de Yemreḥanna Krestos107. Mais son hagiographe ne raconte que sa nomination au diaconat et non son ordination sacerdotale108. Un autre exemple concerne l’épisode de la lutte contre le rebelle du Goğğām. Celui-ci figure dans la Vie de Lālibalā : il est question d’un certain Senākerēm qui se révolta contre le roi, de l’envoi du fils de Lālibalā, dont le nom n’est pas donné, pour dompter cette rébellion, de son affrontement « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, Annali, Istituto Superiore Orientale di Napoli, nouvelle série, 2 (1943), p. 185. 108  « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, 1943, p. 200. 107 

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avec le fils du rebelle et de la victoire finale du fils du roi, puis de la disparition du rebelle lui-même109. Dans la Vie de Na’akweto La’āb, cet épisode est repris. Cette fois-ci le nom de celui que Lālibalā envoie combattre contre le rebelle au Goğğām, appelé ici Ṣara Qemes, est précisément Na’akweto La’āb. L’hagiographe, pour plus de véracité historique, donne également le nom de la femme du rebelle et le nom de son fils110. Mais l’épisode est strictement le même. Il ne fait donc aucun doute que la Vie de Na’akweto La’āb est postérieure à celles de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos. Qui plus est, on trouve dans un miracle figurant à la fin des actes de Na’akweto La’āb, un épisode qui fait écho à un passage de l’Histoire universelle d’al-Makīn (Giyorgis Walda Amid en Éthiopie), composée en arabe entre 1268 et 1270, qui fait le récit de l’histoire du monde depuis Adam jusqu’au règne de Baybars en 1260. Il y avait des hommes qui apportaient à son père Lālibalā les tributs du pays d’Égypte, beaucoup d’or et d’argent. Au contraire, pour notre père, le bienheureux Na’akweto La’āb, sans connaître l’état et la beauté de son combat spirituel, ces Égyptiens orgueilleux refusèrent son tribut, et ne rendirent pas hommage à sa royauté. Ils ne connurent pas la pluie et n’avaient pas non plus l’eau du Takkazē ; avec celle-là ils semaient le grain pour leur subsistance. Notre père, le bienheureux Na’akweto La’āb, le combattant, supplia. Le Seigneur, son créateur, l’entendit et retint l’eau du Takkazē pendant trois années et sept mois, par la force de sa prière. Ces Égyptiens manquèrent d’eau pour boire et pour semer, ils furent punis avec la famine, le manque de céréales et le manque d’eau111.

Dans la version ge’ez d’al-Makīn l’épisode est situé durant le patriarcat de Michel IV (1092-1102)112. Mais dans le texte arabe, il s’agit de la notice concernant le règne d’Al-Mustanṣir (1039-1094), tandis que Cyrille (1078-1092) était patriarche d’Alexandrie. On apprend qu’à cette époque le Nil décrut dangereusement, ce qui causa une grande famine en Égypte. Le souverain fatimide demanda alors au patriarche d’intervenir auprès des Éthiopiens. Apportant de riches présents, le patriarche parvint à convaincre le roi d’Éthiopie, qui permit alors aux eaux du Nil de couler à nouveau vers l’Égypte113. Il faut souligner que l’Histoire des patriarches d’Alexandrie ne fait aucunement allusion Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 117-119. « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, 1943, p. 202-206. 111  « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, 1943, p. 228. 112  S. C. Munro-Hay, Ethiopia and Alexandria, 1997, p. 157-158. 113  Historia saracenica […] a Georgio Elmacino, éd. T. Erpen, Leyde, 1625, livre III, chap. 8, p. 289 ; Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 248 n. 38. 109  110 

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à cet événement et que, par conséquent, cette compilation ne saurait être la source d’al-Makīn ou de la Vie de Na’akweto La’āb. Par ailleurs, si l’on admet que l’Histoire universelle d’al-Makīn a été traduite de l’arabe au ge’ez au début du xvie siècle114, comme cela est communément accepté, alors la rédaction de la Vie du saint-roi, qui dépend d’al-Makīn concernant l’épisode de la famine en Égypte, est postérieure à cette traduction. Nous avons donc bien à faire à une rédaction tardive de la Vie de Na’akweto La’āb et une rédaction secondaire, puisqu’elle est dépendante des hagiographies consacrées à Lālibalā et à Yemreḥanna Krestos. Quant aux actes de Masqal Kebrā, ils ne représentent pas une composition originale qui serait entièrement consacrée à la figure de la femme de Lālibalā, mais une compilation réalisée à partir de la Vie de Lālibalā et de celle de Na’akweto La’āb. Seuls les passages où la sainte reine apparaît ont été réemployés dans ce texte secondaire. Deux miracles placés à la fin des actes sont peut-être l’œuvre originale de l’auteur de cette compilation115. Par conséquent, si la rédaction des Vies de Na’akweto La’āb et Masqal Kebrā participent d’un cycle hagiographique en l’honneur des Zāg wē, leur caractère secondaire et tardif ne permet pas de les classer comme des réponses à l’historiographie négative à l’égard des Zāg wē. Ceci dit, il faut remettre en perspective la Vie de Masqal Kebrā avec ce que l’on sait de cette reine par d’autres sources textuelles. Le meuble d’autel sur lequel figure une dédicace en l’honneur de Lālibalā « saint de Dieu » et de Masqal Kebrā « sainte du Seigneur » signale que dans les églises de Roḥā, la sanctification de la reine était à l’œuvre avant le xve siècle. La composition de sa Vie, imparfaite, ne doit par conséquent pas escamoter une reconnaissance au moins locale de sa sainteté. Si bien que l’hagiographie est certes un témoignage précieux, marquant une étape dans le développement du culte de la sainte-reine, mais il est bien pauvre en regard de ce que l’inscription sur le meuble d’autel permet d’entrevoir.

Résurgence du culte des Zāg wē au xviiie siècle : la Vie d’Ḥarbāy Le dernier texte hagiographique connu consacré à un souverain Zāg wē concerne le roi Ḥarbāy, frère de Lālibalā, dont on a vu au travers de la Vie de U. Pietruschka, « Giyorgis Wäldä Amid », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 813 ; W. Witakowski, « Ethiopic Universal Chronography », dans Julius Africanus und die christliche Weltchronik, éd. M. Wallraff, Berlin, 2006, p. 294. 115  « Édition d’un manuscrit de la Bibliothèque vaticane », éd. S. Kur, 1972, p. 403-404, 422-423. 114 

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ce dernier, qu’il avait tout fait pour l’exclure du pouvoir. La Vie d’Ḥarbāy n’a fait l’objet d’aucune étude jusqu’à présent dans la mesure où aucune copie n’était connue. Le manuscrit photographié récemment par Emmanuel Fritsch à l’église d’Ḥarbāy est un texte de la fin du xixe siècle, copié pendant le règne de Yoḥannes IV (1872-1889)116. Au sujet du roi lui-même nous n’apprenons que peu de choses : il portait le nom de Gabra Māryām (serviteur de Marie)117, épousa une certaine Markēzā avec laquelle il eut un fils, Na’akweto La’āb ; il construisit une église avec un tābot dédié à Michel consacré par un métropolite dont le nom n’est pas donné. Les actes proprement dits ne traitent même pas de la passation de pouvoir entre Ḥarbāy et Lālibalā. Or la manière dont Ḥarbāy opprime son propre frère – d’après la Vie de Lālibalā – est un motif suffisant pour l’exclure de la sainteté. Cette question est abordée dans l’un des miracles accomplis par le saint-roi Ḥarbāy. Là, le texte glose à partir du récit des actes de Lālibalā où l’auteur raconte comment Jésus-Christ apparut à Ḥarbāy pour l’inviter à quitter le pouvoir et à remettre son royaume dans les mains de son frère, Lālibalā. Le miracle d’Ḥarbāy ne dit rien de plus, mais développe cet épisode118. À l’instar de la figure de l’empereur byzantin Tzimiskês, meurtrier et successeur de Nicéphore Phokas au xe siècle, pour lequel Léon Diacre rédigea une hagiographie dans laquelle « le portrait de Tzimiskês empereur était […] travaillé dans le sens d’une spiritualité impériale »119, le portrait d’Ḥarbāy, oppresseur de son frère Lālibalā, roi d’ores et déjà reconnu comme saint du fait de sa conduite monastique, est travaillé pour montrer que ses actes sont dictés par le Christ. La composition du texte n’est pas clairement datée. Toutefois, des éléments permettent d’estimer qu’il s’agit d’un texte tardif : il est fait allusion, dans le recueil de miracles, au conflit opposant le roi Qērlos (env. 16961726)120, présenté ici comme le roi du Lāstā, avec un autre roi qui n’est pas nommé121. Nous savons par ailleurs qu’il s’agit du roi de Gondar, Bakāffā, qui régna de 1721 à 1730. Ces événements ont fait l’objet d’une étude récente par Claire Bosc-Tiessé, qui a montré que dans le premier tiers du xviiie siècle, un Vie de Ḥarbāy, église de Qeddus Ḥarbāy, fol. 56v. Toujours dans cette église, des notes marginales concernant le roi Ḥarbāy ont été ajoutées dans la copie du synaxaire, en date du 16 yakātit. Je remercie chaleureusement Emmanuel Fritsch qui a bien voulu me donner une copie de ces textes. 117  Ce qui confirme l’information transmise par Achille Raffray, qu’avait contestée Gianfranco Fiaccadadori (cf. G. Fiaccadori, « Ḥarbay », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2005, vol. 2, p. 1031-1032). 118  Vie de Ḥarbāy, église de Qeddus Ḥarbāy, fol. 44r-49r. 119  E. Patlagean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », 1989, p. 360. 120  C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 99-101, 104. 121  Vie de Ḥarbāy, église de Qeddus Ḥarbāy, fol. 52v-54r. 116 

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certain Gubālā-Qērelos, qui se disait roi, établi à Emmakinā dans le Lāstā, s’affronta au roi de Gondar, Bakāffā122. Il y eut donc, au Lāstā, des velléités très fortes d’autonomie vis-à-vis du roi des rois de Gondar, qui se firent jour à la fin du xviie siècle et prirent fin au milieu du xviiie siècle. Par conséquent, il y a tout lieu de penser que la composition de la Vie d’Ḥarbāy est soit contemporaine soit postérieure à ces événements. On peut même penser que la quête de légitimité des rois du Lāstā les conduisit à développer l’histoire des souverains Zāg wē, notamment en étoffant l’histoire de la dynastie par la rédaction de la Vie d’Ḥarbāy. La volonté des rois du Lāstā de se faire reconnaître comme les descendants des rois zāg wē, pour consolider leur légitimité, contribua à revivifier le culte des saints-rois et à le développer, notamment par le biais des textes mais aussi d’une iconographie de la dynastie zāg wē qui se développe alors123. Au milieu du xvie siècle, une grammaire éthiopienne est publiée à Rome par un certain Marianus Victor. Celui-ci a bénéficié de l’aide d’un moine éthiopien, Tasfā Ṣeyon, issu du monastère fondé par saint Takla Hāymānot au Šawā, qui vécut douze années au monastère de San Stefano dei Mori à Rome, entre 1538 et 1550124. Dans sa grammaire, Marianus Victor donne un bref aperçu historique, qu’il tire vraisemblablement des informations orales transmises par Tasfā Ṣeyon. Il indique notamment que trois membres de la dynastie zāg wē sont alors reconnus comme saints : Lālibalā, Yemreha (Yemreḥanna Krestos) et Na’akweto La’āb125. En ce milieu du xvie siècle, il n’est ni question de Masqal Kebrā, ni a fortiori de Ḥarbāy. Ce qui vient confirmer l’idée selon laquelle le développement du culte en l’honneur de Ḥarbāy est tardif. En revanche, au xviiie siècle, dans les chroniques abrégées, Ḥarbāy est bien considéré comme saint puisqu’il est affublé du titre de « Qeddus », qui veut dire saint126. On voit ainsi que la tradition concernant les Zāg wē ne cesse d’évoluer, de s’amplifier et qu’en dépit des divergences de départ entre deux historiographies, celles-ci se fondent petit à petit l’une dans l’autre. On continue de dire que les Zāg wē étaient des usurpateurs, mais on enregistre également, à l’image des chroniques brèves, leur accession à la sainteté. C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 98-105. C. Bosc-Tiessé, « Gouverner et définir un territoire », 2009, p. 92-94. 124  M. Chaîne, « Un monastère éthiopien à Rome au xve et xvie siècle », Mélanges de la faculté orientale Saint Joseph, 5 no 1 (1911), p. 10, 15. 125  M. Victor, Chaldeae seu Aethiopicae linguae institutions … Item omnium Aethiopiae regum qui ab inundato terrarum orbe usque ad nostra tempora imperarunt Libellus : … nuper ex Aethiopica translatus lingua, Rome, 1630 (1re édition, 1548), sans pagination ; voir aussi C. Conti Rossini, « Appunti ed osservazioni sopra i re Zāguē », 1895, p. 463. 126  Études sur l’histoire d’Éthiopie, éd. R. Basset, 1882, p. 98 ; La cronaca abbreviata d’Abissinia éd. F. Beguinot, 1901, p. 4-5. 122  123 

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L’historiographie savante La fiction historique concernant l’usurpation du trône par les Zāg wē et la restauration salomonienne incarnée par Yekuno Amlāk, forgée par les hagiographes entre les xive et xviiie siècles, a emporté l’adhésion, au point que les historiens qui se sont penchés sur cette période de l’histoire du royaume éthiopien ont été guidés par ce canevas indéfaisable. Quelques jalons ont permis de transmettre d’Éthiopie en Europe l’historiographie traditionnelle. La brève histoire du royaume d’Éthiopie que l’on doit à Marianus Victor (env. 15181572), placée en appendice à sa grammaire ge’ez, atteste qu’un tel transfert a été possible127. Marianus Victor avait pour assistant un ecclésiastique éthiopien, Tasfa Ṣeyon, et c’est sans doute celui-ci qui lui permit d’écrire quelques lignes concernant la dynastie qui ne porte pas alors le nom de Zāg wē, lignes qui résument l’état de la question en cette fin du xvie siècle et qui s’inspirent d’une liste royale circulant en Éthiopie – la liste C d’August Dillmann128. Voici en résumé ce qu’écrit Marianus Victor au sujet de notre dynastie : la fille d’un certain roi Sbinahami, nommée Tredda Gabez, se maria avec un roi de la province du Bugna et permit ainsi le transfert de la royauté à une famille qui n’était pas de la tribu de Salomon pendant 333 années. Dans le même temps, le dernier membre de la famille royale issue de Salomon et de la reine de Saba s’installa dans la province du Sceua. Parmi les cinq souverains de cette famille, nous dit Marianus Victor, trois sont très réputés pour leur sainteté : Lalibala, Imra et Naakutolab son neveu. Lalibala parce qu’il était très pieux et a réalisé des églises dans la roche, Imra parce qu’il était prêtre et avait refusé le tribut des Égyptiens et détourné le cours du Nil. Il reçut également de Jérusalem des matériaux pour construire un temple. Rien n’est dit de plus concernant Naakutolab. Le royaume revint ensuite à la lignée de David, en la personne de Icunnuamlach. Un siècle plus tard, l’orientaliste allemand Job Ludolf, assisté tout comme Marianus Victor d’un prêtre éthiopien, abbā Gorgoryos, établit une Histoire de l’Éthiopie, qui adopte un point de vue critique par rapport aux M. Victor, Chaldeae seu Aethiopicae linguae institutions, 1630, sans pagination. Il faut observer ici que Francisco Alvares, qui visite l’Éthiopie entre 1520 et 1526, donc peu de temps avant les travaux de Marianus Victor, ne donne aucun récit de ce type lorsqu’il aborde la description des églises de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos. 128  Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, éd. J. Perruchon, 1893, p. 364-365. Jules Perruchon a en effet identifié l’origine du récit de Marianus Victor en le comparant avec les listes royales rassemblées par August Dillmann et en soulignant la grande proximité du récit fourni par Marianus Victor avec les listes rassemblées sous le sigle C, qui évoquent une Terda Gabaz comme étant celle par laquelle la royauté fut transférée à une famille du Bugnā (cf. A. Dillmann, « Zur Geschichte des abyssinischen Reichs », 1853, p. 349-350). 127 

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travaux antérieurs. Il discute donc des informations transmises par Marianus Victor, considérant que certains noms sont suspects, notamment celui de Tredda Gabez – mais nous avons vu qu’il figure dans une liste royale éthiopienne. Il règle également le compte de Balthazar Tellez – jésuite qui en 1660 avait livré une Histoire de l’Éthiopie essentiellement fondée sur les travaux de deux missionnaires jésuites chargés de convertir le royaume d’Éthiopie au catholicisme, Pedro Paes et Manoel d’Almeida129 sur lesquels nous reviendrons sous peu – qu’il soupçonne de partialité lorsqu’il indique que ces rois étaient « illégitimes et indignes de mémoire ». Et se fonde sur quelques vers rimés consacrés à Lālibalā et à Na’akweto La’āb pour dire l’importance et la reconnaissance dont jouissent ces deux souverains. Il apporte toutefois une information qui ne figurait pas chez Marianus Victor, en présentant ces rois comme étant les Zagaeae, donc les Zāg wē130. C’est qu’entre-temps, les missionnaires jésuites qui ont séjourné en Éthiopie au début du xviie siècle, ont poursuivi l’écriture de l’histoire du royaume éthiopien. Pedro Paes a consulté en Éthiopie des chroniques royales, des manuscrits présentant des listes de rois et a établi une chronologie du royaume fondée sur ce travail dans les manuscrits et sur les informations recueillies oralement auprès de son entourage éthiopien. Il évoque la dynastie des rois Zāg wē, soulignant que les noms des rois de cette dynastie ne figurent pas toujours dans les listes royales. D’après l’une d’elles, ces souverains auraient exercé le pouvoir durant 143 années. Mais les informateurs de Pedro Paes corrigeaient cette information et considéraient, écrit-il, qu’ils régnèrent 340 années131. Il présente la liste où figurent les noms des rois Zāg wē de la manière suivante : « Après lui [Armâh], la ligne des rois d’Israël fut coupée et Mararî, de la famille des Zagoê, régna pendant 15 années. Imrâh : 40 (Anno Domini 120) ; Lalibelâ : 40 ; Nacutolâb : 40 ; Harbâi : 8 »132. Le dernier maillon qui permit un transfert entre la tradition historique éthiopienne et l’Occident n’est autre que le voyageur écossais James Bruce qui séjourna en Éthiopie de 1769 à 1772133. Les éléments qu’il rassemble pour décrire la période qui court entre les destructions menées par la reine Gudit, identifiée comme une reine juive, et le règne des Zāg wē jusqu’à la restauration 129  L’analyse des histoires de l’Éthiopie écrites par les missionnaires jésuites a été menée par Hervé Pennec, voir H. Pennec, Des jésuites au royaume du Prêtre Jean, Paris, 2003, p. 241-306. 130  J. Ludolf, Historia Æthiopica, 1681, livre II, chap. 5. 131  P. Paez, History of Ethiopia, 1622, éd. I. Boavida, H. Pennec, M. J. Ramos, Londres, 2011, p. 105. 132  Ibid., p. 109. 133  Au sujet de James Bruce et de sa méthode historique, voir A. Wion, « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93 », 2009, p. 154-156.

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salomonienne de Yekuno Amlak, établissent les fondations sur lesquelles vont être bâties les constructions historiques savantes à compter de la fin du xixe siècle. Son récit, partisan, distingue deux « révolutions », celle de Gudit et de ses successeurs qui s’emparent du pouvoir et instaurent une royauté juive sur l’Éthiopie, et celle des Zāg wē, qui bien qu’usurpateurs « ont eu la gloire de laisser des noms chéris et respectés », car ils ont fait revenir le christianisme au pouvoir. Dans cette reconstitution, Gudit incarne la fille du roi qui épousa un membre d’une famille royale du Bugnā et prend ainsi la place de la Terda Gabaz des listes royales134. James Bruce suit ici les informations figurant dans le manuscrit que le rās Mikā’ēl Sehul du Tegrāy lui avait fourni, un Kebra Nagaśt compilant des documents historiques divers, et en particulier des listes royales. Le voyageur écossais emploie la liste C de la classification d’August Dillmann et donne ainsi autorité à l’une des versions de l’histoire du royaume. La lecture de James Bruce, qui assimile Gudit avec une reine juive, conduisit Ignazio Guidi en 1888 à identifier Gudit avec la fameuse reine des Banū l-Ham(u)wīya décrite dans l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie en corrigeant l’ethnonyme inconnu par celui de Banū al-Yahūdiya135. Quelques années plus tard, Joseph Halévy avança une hypothèse contradictoire en donnant une origine agaw à cette reine, élucidant ainsi le terme mystérieux de Beni el-Hamwiya [Banū l-Ham(u)wīya] en le lisant Beni el-Haguyé136. Joseph Halévy, professeur à l’École Pratique des Hautes Études, tentait alors par tous les moyens de rendre justice aux Juifs d’Éthiopie, les Falasha, en pointant « les préjugés séculaires » dont ils avaient été victimes137. De là, pour lui, la nécessité de démontrer la non-judaïté de la reine Gudit. Des débats entre Joseph Halévy et Carlo Conti Rossini autour de la question de l’identité des Zāg wē traversent les revues des années 1895 à 1903, notamment la Revue Sémitique et Oriente, et s’achèvent par ces quelques lignes de Joseph Halévy qui disent son admiration envers les travaux réalisés par Conti Rossini et son adhésion à ses hypothèses : « Je suis absolument d’accord avec mon savant ami sur la solution que, à force de recherches sagaces et d’heureuses découvertes de nouveaux documents, il est parvenu à donner de l’obscure J. Bruce, Voyage en Nubie et en Abyssinie, 1791, vol. 2, p. 474-478 ; pour l’édition anglaise, voir J. Bruce, Travels to discover the source of the Nile in the years 1768, 1769, 1770, 1771, 1772 and 1773, Edinburgh, 1790, vol. 1, p. 526-529. 135  I. Guidi, « Due notizie storiche sull’Abissinia », 1889. 136  Cité par Jules Perruchon, cf. Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. xiii. 137  Concernant Halévy et les Falasha, voir B. Hirsch, « De Joseph Halévy à Flavius ­Josèphe…  », Annales d’Éthiopie, 16 (2000), p. 369-376. 134 

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énigme historique relative à la dynastie des Zāg wē, à laquelle les légendes modernes attribuent une origine juive »138. Pour Halévy, l’essentiel était ailleurs : non pas identifier les Zāg wē et mieux connaître l’histoire de cette période, mais établir que la reine malfaisante n’était pas juive. Carlo Conti Rossini poursuivait un autre but : il souhaitait opérer une distinction nette entre la période de destructions et de bouleversements incarnée par cette reine et le règne de la dynastie zāg wē, puis identifier les Zāg wē à l’aide des sources écrites et des traditions orales recueillies dans les régions septentrionales de l’Éthiopie et de l’Érythrée. Il en vint à la même conclusion que Joseph Halévy : les Zāg wē étaient des Agaw.

L’identité agaw des Zāg wē Celui qui a, sans conteste, apporté le plus à l’étude de la dynastie zāg wē est Carlo Conti Rossini (1872-1949). Ses travaux ont toujours suivi deux pistes qu’il a essayé de faire se rencontrer. Il a publié de nombreux documents écrits, depuis les donations de terre de l’évangéliaire de Dabra Libānos du Šemazānā139, en passant par la Vie de Na’kweto La’āb140, jusqu’aux textes traitant de la chute des Zāg wē et de l’avènement de Yekuno Amlāk141. Et parallèlement, du fait de ses séjours prolongés en Érythrée, il a recueilli de nombreuses traditions orales qui lui ont fait prendre conscience d’une histoire des peuples de l’Abyssinie qui, selon lui, primait sur l’histoire des régions : les personnes qu’il interrogeait se rattachaient à l’histoire d’une famille, d’une lignée142. Lors de ses enquêtes, il rencontra ainsi des groupes qui se disaient originaires du Lāstā, contraints de migrer au Tegrāy à cause de graves conflits143. Parmi ces groupes, il identifia en particulier les Zagwa144. À partir de toutes ces données accumulées, Carlo Conti Rossini s’est efforcé d’établir une cohérence 138  Remarque de Joseph Halévy publiée à la suite d’une lettre de C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sullo statuto attuale della questione degli Zague », Revue sémitique, 11 (1903), p. 330-331. 139  « L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901. 140  « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, 1943 (le texte de cet article était prêt dès 1910-1912 pour être publié dans le Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, mais la guerre de 1914-1918 fit repousser le projet (p. 105). 141  C. Conti Rossini, « La caduta della dinastia Zague e la versione amarica del Be’ela ­Nagast  », 1922. 142  C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sulla caduta degli Zague », Revue Sémitique, 10 (1902), p. 373. 143  C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sulla caduta degli Zague », 1902, p. 373-377 ; C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 53-105 ; C. Conti Rossini, Proverbi, traditiozioni e canzoni tigrine, 1942, p. 119-222. 144  C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 53-56.

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historique. Il a consacré de nombreux articles à cette opération intellectuelle145 dont l’aboutissement se trouve dans son chapitre de la Storia d’Etiopia, publiée en 1928, consacré à la dynastie zāg wē146. Dès 1903, il avait une idée déjà très aboutie de l’histoire des Zāg wē, qu’il présentait en ces termes dans une lettre adressée à Jules Halévy : La vieille dynastie était du Lasta, de ce district nord oriental du Lasta qui se nomme Beg wenā. Les traditions régulières l’attestent : Marianus Victor, le Gadla Lālibalā qui est de la fin du xive siècle, les églises érigées à Roḥā, l’acte de Dabra Libānos no 6 qui est peut-être de 1209 et l’autre, no 7, qui est de 1225, qui appellent ዐበይተ፡ ብጒና፡ [Abayta Beg wenā] les grands du royaume ; l’acte no 8 dans lequel un abbé se vante d’être ብጒናይ፡ ዘጽላላ፡ [Beg wnāy Zaṣelālā], etc. La titulature royale de Lālibalā dans les actes 6 et 7 est principalement composée de noms non sémitiques et vraisemblablement agaw147. Les populations des provinces septentrionales de l’Éthiopie – Seraé et Hamasen – pareilles aux non loin Bogos ou Bilin parlant encore agaw, se rappellent avoir migré du Lasta ou des provinces du Tigré limitrophes du nord du Lasta ; les documents de Dabra Libānos et le Gadla Ewostatewos attestent que cette migration eut lieu avant le xive siècle. Les Adchemé Melga, qui occupent le Seraé, disent avoir fui le Lasta après avoir tué des hommes du Choa. Parmi ces populations une partie […] porte encore le nom de Zāguā et a conservé la mémoire vague d’avoir donné des rois à l’Éthiopie avant sa fuite au Lasta148.

Par ces mots, et tout le travail accompli ensuite en ce sens, Carlo Conti Rossini établissait un courant historiographique qui se prolonge jusqu’à nos jours et qui repose sur un postulat : la dynastie zāg wē, originaire du Lāstā, était issue d’un groupe agaw, parlant une langue couchitique. Ce postulat se fondait sur deux types d’information : les noms des ascendants de Lālibalā, comme Morārā ou’Assedā, qui n’étaient pas d’origine sémitique, et donc « vraisemblablement agaw » ; les traditions orales concernant les Zagwa – qui ne sont pas des populations de langue agaw – qui disent avoir migré du Lāstā au Tegrāy. C. Conti Rossini, « Appunti ed osservazioni sopra i re Zāguē », 1895 ; C. Conti Rossini, « Sulla dinastia Zâguê », 1896-1987 ; C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sulla caduta degli Zague », 1902 ; C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sullo statuto attuale della questione degli Zague », 1903. 146  C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 303-321. 147  C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sullo statuto attuale della questione degli Zague », 1903, p. 326. 148  C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sullo statuto attuale della questione degli Zague », 1903, p. 327. 145 

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Quels sont les éléments objectifs qui nous permettraient de distinguer linguistiquement – mais on voit bien que la distinction n’est pas seulement linguistique – les rois zāg wē de leurs prédécesseurs ou de leurs successeurs ? Dans les Vies de Lālibalā et de Na’akweto La’āb, les hagiographes font quelques remarques au sujet de la langue parlée par ces souverains. Ils tentent en particulier de donner une explication au nom de Lālibalā, qu’ils jugent mystérieux puisqu’il n’a pas de signification en guèze149. Ou encore, décrivant une discussion que le roi et sa femme auraient eue, ils précisent qu’ils parlaient dans la langue de leur pays et traduisent en guèze leurs propos150. Mais la langue elle-même n’est pas identifiée. D’ailleurs on peut aussi poser la question de la langue parlée par les autres ? Le ge’ez, le tigrinya, le tigré, le proto-amharique, l’amharique ? Restent quelques mots, qui ne sont apparemment pas sémitiques : Lālibalā, Morārā, ’Assedā. Sont-ils agaw pour autant ? Et s’ils le sont, ne trouve-t-on pas en ge’ez des termes agaw, qui disent toute l’histoire complexe des langues ? Dans son introduction à l’édition et à la traduction de la Vie de Yemreḥanna Krestos, Paolo Marrassini rappelait à juste titre que l’un des termes relevés par Taddesse Tamrat pour appuyer la thèse de l’identité agaw des Zāg wē, n’était pas suffisant pour démontrer que ces personnes parlaient l’agaw. Il s’agit de l’interjection ḥawisā, que l’on trouve dans la Vie de Yemreḥanna Krestos151. Cette interjection est également attestée en ge’ez152. Il y a donc bien des échanges entre le ge’ez et l’agaw153. Un autre élément doit retenir notre attention. Mise à part la présence de noms de personnes qui sont peut-être agaw, les textes issus de l’administration Zāg wē, en particulier les donations de Ṭanṭawedem et de Lālibalā donnent à lire du ge’ez, et dans le cas de la donation de Ṭanṭawedem, certains mots sont en tigrinya, mais en aucun cas agaw. Quelques principes essentiels ont été dûment rappelés par Paolo Marrassini : « L’étrangeté des Zagwe dans la tradition éthiopienne officielle se concrétise dans l’accusation qu’ils “n’étaient pas israélites” […]. Cela fait Vie de Lalibala, roi d’Éthiopie, éd. J. Perruchon, 1892, p. 12/77-78. « Gli atti di Re Na’akuĕto La’ab », éd. C. Conti Rossini, 1943, p. 149/208. Cet élément avait été relevé par Conti Rossini dans son édition à la Vie de Na’āk weto La’āb et plus récemment par Paolo Marrassini (Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 5). 151  Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 57 n. 3. Roger Schneider a rapidement discuté de l’identification par Taddesse Tamrat de ce terme avec la racine kemant (agaw) huwash, qui veut dire « oindre ». Il doute de cette étymologie, mais admet qu’une origine agaw pour hawisa est « sûrement à envisager » (R. Schneider, « Notes éthiopiennes », Journal of Ethiopian Studies, 16 (1983), p. 113). 152  A. Dillmann, Lexicon linguae Aethiopicae, cum indice latino, Leipzig, 1865, col. 116-117. 153  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 4. 149 

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allusion à l’origine non-salomonide de la dynastie, et en dernière analyse à sa profonde différence ethnique (“couchitique”) par rapport à celles qui la précédèrent et celles qui la suivirent, toutes étiquetées comme “sémitiques” […]. Mais ces termes linguistiques sont juste des étiquettes et ne devraient pas assumer la substance d’une réalité effective154 ». Car, à partir du moment où la mise entre parenthèse du règne des Zāg wē a été interprétée, par Carlo Conti Rossini, comme une réaction de la population de langue sémitique contre des populations de langue couchitique, l’explication ethniciste de l’épisode zāg wē n’a fait qu’enfler. Or, rappelons-le, aucun document contemporain ni postérieur, produit dans le royaume éthiopien, ne permet d’affirmer que les rois zāg wē étaient de langue agaw et qui plus est d’origine agaw. Le second argument employé par Carlo Conti Rossini pour établir l’identité agaw des Zāg wē repose sur les traditions orales recueillies dans le Nord de l’Éthiopie et en Érythrée auprès de deux groupes, les Zagwā, en tigré, et les Adkama Melegā‘e155, en tigrinya, mais aussi sur un texte écrit en ge’ez (non daté) qui évoque cette même migration156. À partir de ces traditions, Carlo Conti Rossini a formulé l’hypothèse selon laquelle les populations agaw du Lāstā auraient migré vers le Nord et en particulier vers le Sarā’ē, le Ḥamāsēn et l’Akkala Guzāy. Voici en résumé les traditions recueillies par Carlo Conti Rossini. Chez les Adkama Melegā‘e, le corpus des traditions est assez cohérent. Deux frères, présentés parfois comme étant issus de la famille royale Zāg wē157, migrèrent depuis le Lāstā ou le Salawā (sud du Tegrāy), selon les versions, en direction l’un du Tegrāy et l’autre du Sarā’ē. Celui qui s’installa au Sarā’ē se nommait Amotazar/Anbasā Ğer. Il épousa la fille du chef de la région, De‘ebul, seigneur du Marab Melaš, dont il eut un fils nommé Zargadalā/Ğer Gadalā. De‘ebul, ayant entendu une prophétie selon laquelle l’enfant de sa fille détruirait sa famille, fit tuer son gendre Amotazar et demanda que son petit-fils, Zargadalā, soit également assassiné. Mais celui-ci fut sauvé et élevé anonymement. Quelques années plus tard, De‘ebul étant sans héritier, l’adopta. Et la Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 4. C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sulla caduta degli Zague », 1902, p. 373-377 ; 1914, p. 53-105 ; R. Schneider, « Une page d’histoire des Adkama de la province du Seraé en Érythrée », dans Etiopia e oltre, Studi in onore di Lanfranco Ricci, éd. Yaqob Beyene, R. Fattovich, P. Marrassini, A. Triulzi, Naples, 1994 (Studi Africanistici, Serie Etiopica, 1), p. 245-254. 156  C. Conti Rossini, « Lettera a J. Halévy sullo statuto attuale della questione degli Zague », 1903, p. 3-6. 157  R. Schneider, « Une page d’histoire des Adkama », 1994, p. 245, citant Gabra Iyasus, Masarat Alat Hezba Marab Melaš, Asmara, 1954 (1961-1962), p. 18. 154  155 

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prophétie fut accomplie puisque Zargadalā empoisonna toute la famille de De‘ebul. Ainsi les nouveaux arrivants se substituèrent à l’ancienne famille de dirigeants de la région158. Les noms de ces dignitaires locaux ne se rencontrent pas dans d’autres sources, ce qui permettrait d’attester leur existence. En revanche, quelques générations plus tard, on trouve un descendant de Zargadalā, nommé Akkala Ṣeyon, dont le petits-fils (Warasina Egzi’e159) et les fils des cousins de celui-ci (Rus Belēn Sagad160 et Gabra Krestos161) exercèrent des fonctions de gouverneur et āqāṣen du Sarā’ē et dont les noms figurent dans quelques textes de la région datés du xive siècle, notamment la Vie de saint Ewosṭātēwos162, à laquelle Carlo Conti Rossini faisait allusion dans sa lettre à Jules Halévy. Sur la base de cette identification qui donne de l’authenticité aux généalogies récitées à Carlo Conti Rossini, ce dernier estimait alors que l’ensemble de la tradition relevait de l’histoire. Or, il y a au moins deux niveaux dans cette tradition. Un premier niveau, qui fait référence de manière très stéréotypée à la prise de pouvoir d’une nouvelle famille, sous la forme d’une prophétie qui annonce le règne du neveu du roi – un thème que l’on retrouve notamment dans les Vies de saints zāg wē. Un second niveau qui se rapporte au xive siècle, et qui a conservé en mémoire le rôle d’une famille dans le gouvernement de la région du Sarā’ē. Sans doute parce qu’il existe des relais écrits à ce second niveau de la tradition. Comme le point de départ de cette histoire familiale est une migration depuis le Lāstā, Carlo Conti Rossini a considéré que cela datait une migration agaw – mais les traditions orales elles-mêmes ne font absolument pas référence à l’identité linguistique et/ou ethnique des migrants – avant le xive siècle. On peut toutefois se demander, à la lumière de ce que nous avons établi dans les deux C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 82-86 (628-632). Warasina est attesté dans la Vie d’Ewosṭātēwos comme chef du Sarā’ē ; c’est lui qui voulait empêcher Ewosṭātēwos d’aller à Jérusalem et auquel le saint prédit que le gouvernement serait enlevé à lui et à ses descendants (Vitae sanctorum indigenarum. Acta S. Eustathii, éd. B. Turaev, Rome, 1906 (CSCO 32, Script. Aeth. 15), p. 30, 32 ; C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 87). 160  Dans l’acte 33 de l’évangile d’or de Dabra Libānos, il est fait allusion à un Belēn Sagad, malākē bāḥer (et non pas āqāṣen) contemporain du roi Sayfa Ar‘ad (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 216-218). Mais il s’agit simplement d’une identification par homonymie. Rien ne permet dans le document de Dabra Libānos d’être plus précis. 161  Gabra Krestos figure dans un acte de l’Évangile de Danba Miṣṣ daté de 1381/1382 et se présente comme le chef du Sarā’ē. Il figure également dans les « Annales de Bizan » et les « Annales de Addi Neamin » (R. Schneider, « Une page d’histoire des Adkama », 1994, p. 250-253). 162  C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 86-92 (632-638). 158 

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premiers chapitres, si cette migration n’est pas une reconstruction tardive. En effet, il semble bien que les rois Zāg wē avaient autant de points d’attache dans les régions septentrionales de l’Éthiopie, que dans la région qui est devenue le Lāstā au xviie siècle (et pas avant). Il est donc bien possible qu’après la chute des Zāg wē des recompositions aient eu lieu et qu’un changement de pouvoir se soit produit. Qu’à la fin du xixe et au début du xxe siècle, les populations du Tegrāy expliquent ces changements par des migrations n’est pas tout à fait surprenant. L’idée s’était imposée que les Zāg wē exerçaient leur pouvoir sur le Lāstā. Si des membres de leur famille étaient au Tegrāy, cela ne pouvait s’expliquer que par des mouvements de population. Il était inconcevable de penser qu’ils avaient pu être là de tout temps. En ce qui concerne les traditions liées aux Zāg wā, les récits sont beaucoup plus hétéroclites, brefs et sans connexion connue avec d’autres sources historiques qui pourraient venir confirmer au moins une partie des généalogies. Carlo Conti Rossini soulignait d’ailleurs que les références à Yekuno Amlāk ou les reprises du Be‘ela Nagaśt (La richesse des rois) – un texte du début du xviiie siècle, faisant le récit de la prise de pouvoir de Yekuno Amlāk en amplifiant les thèmes déjà mis au point par les traditions hagiographiques – dans ces récits étaient sans doute liées à l’influence de la littérature ecclésiastique sur la tradition orale mais que l’essentiel était la récurrence de l’information concernant des migrations depuis le Lāstā, en accord avec les traditions d’autres groupes de la région163. La plupart des traditions rapportées par Carlo Conti Rossini au sujet des Zāg wā débutent par une adaptation de la légende de la reine de Saba et du roi Salomon donnant naissance à Ménélik. Soit la reine de Saba est accompagnée de l’une de ses sœurs soit de l’une de ses servantes soit d’une amie. Dans tous les cas, toutes deux ont un enfant du roi Salomon et ces fils règnent tour à tour, ce qui permet de donner une ascendance salomonienne aux Zāg wē. Ensuite, quelques récits concordent quant à la généalogie de Yemrḥa (peut-être pour Yemreḥanna Krestos) : Yemrḥa engendra Esey, Esey engendra Abreham (parfois Abreham et Yemrḥa se confondent), Abreham engendra Noh qui s’enfuit du Lāstā et se réfugia à Digsa. Il eut trois fils, Lebeyo, Haroy et Zewabe, ce qui permet de donner l’étymologie du nom de trois régions : Liban, Addi Harboi, Addi Zewab. De tous les récits, le plus intéressant est sans conteste la compilation réalisée par un dabtara employé par Carlo Conti Rossini qui fait une synthèse des traditions recueillies auprès des Zāg wā, des Sahart, des Lamza et d’un notable

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C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 54 (600).

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de Debarwa164. Certes la compilation des différentes traditions et l’emploi du ge’ez nous éloignent encore un peu plus du récit donné par les informateurs, mais le dabtara prend bien soin d’exposer les différentes versions : Dans le Seraé, on raconte que Ghebra Mariam, de la lignée de Menelik, eut une dispute avec ses parents dans la terre du Choa : ils voulurent le tuer, et lui s’enfuit au Lasta. Le roi l’accueillit avec les honneurs. Ghebra Mariam épousa la fille du roi, qui était de lignée Zaguà, et engendra trois fils appelés le saint Lālibalā, Na’akueto La’ab et le prêtre Imrah. Mais les descendants des Zaguà disent qu’il n’en fut pas ainsi. Le royaume fut enlevé des mains des Zaguài et donné à Yecuno Amlac qui était de la lignée de David. Noh, fils d’Abreham le prêtre, s’enfuit, vint avec les siens à Digsa et y engendra des fils. Mais à Digsa, sa lignée s’éteignit, une seule femme restant. Ses fils, appelés Lebeyo, Haroy et Zewabé, allèrent à Himberti. D’autres racontent autrement. Le saint Imràh, qui est identique à Abrehma, engendra deux fils, appelés Noh et Re’eya Fesum, également appelé Ar’aya Fesum. Ceux-ci abandonnant le Lasta, vinrent dans l’Agāmē : Noh s’installa dans le Megarià Tsemri où est encore aujourd’hui le village en ruine ; Ar’aya Fesum campa sur la frontière du pays du premier et engendra 4 fils, le pays prit alors le nom de Adirbaté (le pays des 4). D’autres racontent : quand le roi périt, 8 frères de la lignée de Zaguà migrèrent du Lasta et vinrent dans l’Agāmē, passant de l’Agāmē à Digsa. Là, ils se divisèrent. Parmi eux, certains restèrent dans l’Acchele Guzai, d’autres s’installèrent à Godaif, dans le Libàn, à Addi Harbo et à Maraguz. D’autres encore disent : Imrah le prêtre fut un des chefs des Zaguà et il migra lui-même. En ce temps, de nombreux hommes et de nombreuses lignées vinrent du Lasta, de toutes les contrées voisines du Lasta et de Seloà. Certains disent que les fondateurs des Adchemé Melgà vinrent. Il y en a d’autres qui disent que sont venus les habitants du Sahart ; leur patrie était Scilèn, entre l’Averghellé et le Seloà ; d’autres affirment que le pays de leurs ancêtres était le Seloà, où ils habitaient avec un peuple dit Agau Achni (aqni) ; de là, ils vécurent dans le Sahart Atzermatz, et la raison de leur venue fut que les pâturages manquaient dans leur patrie165.

Cette tradition débute par un récit particulièrement étrange : le père fondateur de la dynastie Zāg wē est présenté comme un homme du Šawā qui s’enfuit au Lāstā et donna naissance à trois des rois saints de la dynastie : Lālibalā, Na’akweto Lā’ab et Yemreḥanna Krestos. On trouve là l’influence du contexte du xixe siècle : à cette période, une nouvelle dynastie s’est imposée 164  165 

Ibid., p. 56. C. Conti Rossini, Studi su popolazioni dell’Etiopia, 1914, p. 71-75.

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dans le royaume d’Éthiopie, construisant son pouvoir à partir de la région du Šawā et conquérant toutes les régions du royaume. Si bien que pour un lettré éthiopien, un nouvel homme fort ne peut venir que du Šawā et pas d’ailleurs. C’est aussi en quelque sorte le décalque de l’histoire de Yekuno Amlāk sur l’histoire des Zāg wē, tant à cette période également, Yekuno Amlāk lui-même n’est plus vu comme un homme de l’Amḥarā mais comme un homme du Šawā. Toute l’histoire de la dynastie est très confuse, mais très originale aussi. Le moment de la migration n’est pas beaucoup plus clair. Comme notre lettré essaye de donner toutes les versions, celles-ci se contredisent. Ce sont soit les fils de Yemreḥanna Krestos qui migrent, soit huit frères de la lignée, soit Yemreḥanna Krestos lui-même. Quoi qu’il en soit, on sent bien que tout cela est très vague mais si l’on veut absolument trouver de la véracité historique dans ces récits, alors on ne peut que conclure que si migration il y a eu, celle-ci eut lieu non pas au moment de la défaite des Zāg wē, mais avant. Pour finir, l’impression générale qui se dégage de cette mise par écrit de traditions orales diverses est un renversement total du sens de l’histoire. Communément, et sans doute de manière trop caricaturale, on considère que les dynamiques qui ont traversé l’histoire de l’Éthiopie se sont faites du nord vers le sud. Ici, c’est bien le contraire qui est proposé. L’hypothèse d’une vague de migration agaw depuis le Lāstā se fonde donc sur des traditions orales, parfois divergentes, mais qui n’ont jamais été analysées et déconstruites. Il semble bien que des groupes de population au Tegrāy aient ressenti le besoin d’expliquer leur propre histoire parce qu’ils étaient en quelque sorte à part du reste de la population. Et peut-être sont-ils les lointains descendants de groupes de pouvoir liés à la dynastie Zāg wē. Mais comme ces Zāg wē, dans l’imaginaire national, étaient implantés au Lāstā, alors il est possible que les migrations soient venues expliquer ce qui paraissait impensable autrement166. La question de l’identité agaw de la dynastie Zāg wē est loin d’être réglée. J’ai voulu ici montrer à quel point ce qui paraît aujourd’hui un fait établi repose sur des bases extrêmement fragiles et est moins le fruit d’une analyse historique de la documentation, qu’une construction largement influencée Étudiant les traditions des Agaw de l’Agawmeder, à l’ouest du Godjam, Taddesse Tamrat remarque de même que ceux-ci « ont perdu leurs traditions d’unité avec le monde Agaw au sens large, à l’exception des Agaw du Lāstā/Seqota et des Bogos dont les croyances chrétiennes sont bien connues parmi eux […]. Il semble que ce rejet émane basiquement de leur forte identification avec les valeurs socio-culturelles des Amḥarā chrétiens. De plus, dans ce processus d’identification, ils ont développé des traditions élaborées qui leur permettent de prendre part à la saga éthio-chrétienne de la légende de la Reine de Saba si bien consacrée par le Kebra Nagaśt » (Taddesse Tamrat, « Process of ethnic interaction and integration in Ethiopian history : the case of the Agaw », Journal of African History, 29 (1988), p. 11). 166 

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par l’historiographie traditionnelle et qui a elle-même alimentée la tradition historique. Ainsi, en 1970, un historien éthiopien citait un proverbe amharique qui, selon lui, résultait d’un processus bien connu : les migrations agaw liées à l’installation des Amḥarā. አማራ፡ ሲለምድ፡ አገው፡ ሲሰደድ፡ Les Amḥarā se sont installés Les Agaw se sont exilés167.

Mode de succession, matrilinéarité et royauté couchitique Le second caractère de la dynastie Zāg wē qui a suscité de nombreux commentaires a trait au mode de succession. Une généalogie des Zāg wē a été reconstituée en mêlant des informations issues de sources diverses (fig. 25). On considère communément, en suivant le travail de Taddesse Tamrat, que le premier souverain zāg wē était un certain Morārā, également connu sous le nom de Mār Takla Hāymānot, qui donna le pouvoir à Ṭanṭawedem. Celui-ci aurait eu deux frères, Gerwa Śeyyum et Žan Śeyyum. Le premier donna naissance à Yemreḥanna Krestos, qui succéda à son oncle Ṭanṭawedem. Le second eut pour fils Ḥarbay et Lālibalā, qui succédèrent à leur tour, l’un après l’autre, à Yemreḥanna Krestos. Enfin, le fils d’Ḥarbay, Na’akweto La’āb, exerça le pouvoir, avant que Yetbārak, fils de Lālibalā règne et voit la fin de la dynastie168. Il faut noter ici que telle n’est pas la version de la Vie de Na’akweto La’āb qui fait de ce roi le fils de la sœur de Lālibalā, Markēzā, et non de son frère Ḥarbay. L’ensemble de ces données est issu non pas de la lecture des sources contemporaines, mais de la confrontation des textes hagiographiques entre eux et du choix de s’en tenir à une durée de règne courte – 133 années – contre une durée plus longue donnée par les mêmes textes hagiographiques qui ont permis cette reconstitution, variant entre 300 et 373 années de règne. Dans les chapitres qui précèdent, au travers de la titulature de Lālibalā figurant dans les donations de l’évangéliaire de Dabra Libānos du Šemazānā, nous avons pu montrer que ce bel ensemble ne fonctionne pas très bien. Lālibalā se place bien dans la descendance de Morārā, mais il n’est pas le descendant direct de Žan Śeyyum, en revanche, il se situe au même niveau générationnel que Ṭanṭawedem. En amont de Morārā, figurent deux 167  Sergew Hable Sellassie, Ancient and medieval Ethiopian history to 1270, 1972, p. 265, citant Tekle Giyorgis, Chronicle of Ethiopia, ms., p. 15-16. 168  Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 56.

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ancêtres, Zānśeyyum et ’Assedā. Il est certain que Ṭanṭawedem et Lālibalā ont été rois. Pour les autres, on ne sait pas. Lālibalā a épousé Masqal Kebrā et d’après l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie, ils eurent deux fils, Yetbārak et Abyāb (?), sans que l’on sache par ailleurs si l’un ou l’autre a régné. Juste avant que Yekuno Amlāk prenne le pouvoir, régnait un certain Delandā, dont on ne connaît pas l’ascendance et par conséquent les liens familiaux avec ses prédécesseurs (fig. 26). Enfin, il y a le problème du roi Anbasā Wedem, qui règne au début du xiie siècle, quand le métropolite Mikā’ēl est nommé par le patriarche Macaire, mais dont on ne sait pas s’il était de la même lignée royale. Les raisonnements établis à partir de ces reconstitutions peuvent grandement différer puisque les généalogies elles-mêmes divergent. Or, très tôt les historiens ont relevé l’étrangeté de la succession chez les Zāg wē, en se fondant sur la reconstitution établie à partir des traditions hagiographiques et des listes royales. Carlo Conti Rossini, le premier, soulignait que les soi-disant passations de pouvoir pacifiques entre le roi Ḥarbāy et son frère Lālibalā d’une part, et entre Lālibalā et son neveu Na’akweto La’āb d’autre part, cachaient sans doute des conflits violents169. Cette alternance du pouvoir entre frères – de Ḥarbāy à Lālibalā par exemple –, puis le passage de ce pouvoir aux neveux du roi et non à ses fils – de Ṭanṭawedem à son neveu Yemreḥanna Krestos ou de Lālibalā à son neveu Na’akweto La’āb – est dès lors érigée comme l’une des marques distinctives de la dynastie zāg wē170. Pour expliquer ce mode de succession, Paolo Marrassini a proposé l’hypothèse d’un système matrilinéaire171. Pour ce faire, il a relevé les exemples dans les hagiographies qui permettaient de mettre en valeur le rôle des femmes dans l’héritage du pouvoir. Ainsi, note-t-il que dans la Vie de Na’akweto La’āb, la mère du saint-roi est la sœur de Lālibalā172. Mais on peut opposer à cet argument que la Vie de Na’akweto La’āb est une œuvre tardive, postérieure au xvie siècle et qu’il est délicat de se conformer au modèle et aux liens familiaux tissés par l’hagiographe pour légitimer ce souverain. Un autre cas mettant en lumière une éventuelle succession matrilinéaire nous est livré par Francisco Alvares, ce Portugais présent en Éthiopie au début C. Conti Rossini, Storia d’Etiopia, 1928, p. 307 ; Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1972, p. 61-64 ; Taddesse Tamrat, « Problems of royal succession in fifteenth century Ethiopia : a presentation of the documents », dans IV Congresso Internazionale di Studi Etiopici (Roma, 10-15 Aprile 1972), Rome, 1974, p. 502. 170  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 5. 171  P. Marrassini, « A note on a Zagwe kingship », Paideuma, 36 (1990), p. 185-188 ; Marrassini, « Un caso africano : la dinastia zague in Etiopia », dans Tracce dei vinti, éd. S. Bertelli et P. Clemente, Florence, 1994, p. 200-229 ; Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995. 172  Il Gadla Yemreḥanna Krestos, éd. P. Marrassini, 1995, p. 6. 169 

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du xvie siècle, qui visita les églises de Lālibalā. Il tire ses informations des récits qui lui sont faits par les personnes rencontrées sur place. Concernant le roi Lālibalā, il apprend la chose suivante : « Ils disent aussi qu’il n’était pas le fils du roi, mais le fils d’une sœur du roi, et que le roi mourut sans avoir de fils, et que le neveu, le fils de la sœur, hérita du royaume »173. Mais le récit de Francisco Alvares est tout aussi problématique puisqu’il contredit la Vie de Lālibalā et celle de Yemreḥanna Krestos, où le saint roi est présenté comme le fils de Zānśeyyum, lui-même fils de Morārā, et comme le frère du roi régnant Ḥarbāy et non comme son neveu. Paolo Marrassini reconnaissait qu’il était difficile d’aller plus loin que l’hypothèse dans la mesure où la structure familiale des Zāg wē paraît extrêmement confuse. Les hagiographes ont peut-être eux-mêmes introduit des éléments contradictoires au sein des vies des saints Zāg wē, confrontés à un mode de succession qu’ils ne comprenaient pas, en mettant en lumière une succession de type patrilinéaire tout en laissant filtrer des informations selon lesquelles les neveux du roi régnant étaient des héritiers potentiels, y compris les fils de la sœur du roi et pas seulement les fils du frère du roi. Les remarques de Franscico Alvares témoignent peut-être aussi de cette confusion des informateurs. Mais ce n’est qu’en confrontant les Vies de saints entre elles que l’on parvient à ce modèle hybride, qui se construit au fur et à mesure des rédactions, avec la nécessité d’intégrer le saint-roi sujet du texte hagiographique dans le système mis en place par les auteurs précédents. Nous avons montré en effet que les hagiographes de Masqal Kebrā, Na’akweto La’āb et Ḥarbāy ont lu et employé les Vies de Lālibalā et Yemreḥanna Krestos. La confusion peut donc aussi être la résultante de l’artificialité du montage généalogique par passes successives. Tant que l’on n’est pas en mesure de reconstituer l’ascendance féminine des Zāg wē, pour comprendre si la lignée de la mère ou de l’épouse du roi est déterminante dans le choix du candidat au trône, tant qu’on ne sait pas non plus combien d’enfants mâles et femelles le couple royal a eu, leur ordre de naissance et sur quel enfant le choix s’est finalement porté pour la succession, il est impossible de déterminer le mode de transmission du pouvoir de cette dynastie. Impossible également de conclure si un système matrilinéaire ou patrilinéaire présidait au choix de l’héritier au trône. Le seul couple royal que l’on connaisse est celui formé par Masqal Kebrā, dame de Biḥat, et par Lālibalā, fils de Morārā, fils de Zānśeyyum, fils de ’Assadā. La reine est définie par rapport à des biens, elle est ba‘ālta Biḥat, c’est-à-dire le possesseur ou la maîtresse de Biḥat. D’où la traduction de dame de Biḥat. Son ascendance F. Alvares, The Prester John of the Indies, éd. C. F. Beckingham et G. W. B. Huntingford, 1961, p. 227. 173 

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familiale est peut-être induite par cette expression, mais elle n’est pas explicite. En revanche, le roi est caractérisé par une ascendance familiale et/ou politique, qui dit sa légitimité à régner et qui repose sur des hommes, ses pères et/ou ses prédécesseurs. L’association de ces deux champs fonde Lālibalā à exercer le pouvoir. On ne peut donc pas employer ce segment généalogique pour décider si le système matri ou patrilinéaire prévalait chez les Zāg wē. Enfin, au tournant des xive et xve siècles, la succession du roi Dāwit (1379/80-1412) permet tour à tour à ses fils et à leurs propres fils de régner, et donne donc à voir une transmission du pouvoir d’oncle à neveu par moments (fig. 27)174. Ce modèle s’apparente à celui que les hagiographies du xve siècle dessinent pour les souverains Zāg wē. La généalogie de Dāwit permet de visualiser la manière dont le pouvoir a été transmis sur un siècle : ses fils règnent tour à tour et certains, lorsqu’ils ont des enfants, voient leurs fils leur succéder avant que le pouvoir ne soit ensuite transmis à nouveau à l’un de leurs oncles, un autre fils de Dāwit. Dans le cas des rois de la dynastie dite salomonienne, aucun auteur n’a jamais relevé un principe matrilinéaire qui guiderait le mode de succession. Pour ce qui est des Zāg wē, l’hypothèse matrilinéaire participe en fait d’un système, qu’il est nécessaire de mettre au jour pour en mesurer le poids sur les hypothèses de travail. Paolo Marrassini a en effet élaboré un ensemble de propositions qui tend à présenter la dynastie Zāg wē comme incarnant une royauté africaine, par opposition aux rois salomoniens qui seraient eux les tenants d’une royauté sémitique. L’opposition couchitique/sémitique qu’il avait fait sortir par la porte, revient donc par la fenêtre. Outre un mode de succession matrilinéaire, qu’il situe nettement parmi les « caractères africains » de la royauté, il relève des spécificités liées à la fonction royale. Selon lui, les rois Zāg wē incarnaient des rois de paix, pacifiques et garants de l’abondance (ils faisaient tomber la pluie)175. Il prend pour exemple l’idéologie royale véhiculée selon lui dans la Vie de Yemreḥanna Krestos, où celui-ci ne va pas à la chasse et ne prend pas plusieurs femmes, ce que tout roi devrait pourtant faire176. En isolant ces différents caractères, il resitue donc la royauté Zāg wē dans un ensemble, les royautés sacrées africaines, telles que Frazer les a décrites. Et au final, il explique ainsi la sainteté de la dynastie : les rois Zāg wē sont des rois saints parce qu’ils incarnent une royauté sacrée païenne christianisée177. Il reprenait en cela une thèse défendue par Salvatore Tedeschi qui lui 174  Voir notamment Taddesse Tamrat, « Problems of royal succession », 1974, p. 511-518 ; M.-L. Derat, « “Do not search for another king” », 2004, p. 216-223. 175  P. Marrassini, « Un caso africano : la dinastia zague in Etiopia », 1994, p. 215-220. 176  P. Marrassini, « Un caso africano : la dinastia zague in Etiopia », 1994, p. 215. 177  P. Marrassini, « Un caso africano : la dinastia zague in Etiopia », 1994, p. 221-224.

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reprochait justement de n’expliquer la sainteté des Zāg wē que par leur rôle de bâtisseur d’églises, alors que, selon Tedeschi, il faut avoir à l’esprit… l’antique croyance en Éthiopie dans les origines surnaturelles et sacrales des rois d’Aksum et de leurs successeurs. Conti Rossini a montré comment une telle croyance, d’origine sémitique et plus précisément sud-arabique, dérive de la confusion primitive de la carrière de roi et du sacerdoce en une seule personne : comme le grand roi aksumite Ezana (ive siècle) se proclamait dans ses inscriptions fils du dieu Mahrem ou Ares, ses successeurs, après la christianisation du pays, se considéraient comme les descendants du roi biblique Salomon, appartenant à la lignée davidique. Si bien que selon les Écritures (en particulier Lc, I 27-32), celui-ci était vu comme un ancêtre de Jésus, de telle manière qu’aux souverains éthiopiens, descendants de Salomon et de la reine de Saba, pouvait être assignée le même ancêtre que celui du Sauveur. Il est connu qu’une telle croyance, passée dans la légende du Kəbra Nägäśt, s’est maintenue pendant des siècles et jusqu’à une période récente (règne d’Hayla Sellase) ; mais il convient de se rappeler combien elle est ancienne, antérieure à l’avènement des salomonides, et à celui des Zag we. Elle était bien vivante durant la période pendant laquelle les Zag we détenaient le pouvoir, ce qui concourt à expliquer l’intensité de la conviction par laquelle les rois de la dynastie furent, en général, sanctifiés178.

On retrouve dans ces propos, une longue tradition historiographique concernant la sacralité du roi éthiopien. Tous les attributs, rituels, textes et inscriptions, quelle que soit la période historique à laquelle ils renvoient, sont employés indifféremment pour postuler le caractère immuable de la sacralité royale en Éthiopie. Ainsi, une inscription où le roi aksumite Ezānā (ive siècle) se proclame « fils du Dieu Maḥrem l’invaincu » est rapprochée d’un texte circulant au xive siècle, la Gloire des Rois (Kebra Nagaśt), où le premier roi éthiopien – Ménélik – présenté comme le fils de Salomon et de la reine de Saba, est aussi un descendant du Christ. Carlo Conti Rossini, qui opère ce rapprochement, estime que les rois éthiopiens avaient une origine divine, reproduisant des croyances sud-arabiques, croyances qui ont été ensuite christianisées179. Ou encore, pour illustrer le caractère sacré du roi, André Caquot invoque des exemples pris aux xve-xvie siècles, où le roi se dissimule à la vue de ses sujets derrière un voile ; un exemple du xviie siècle tiré du récit d’un père jésuite qui déclare que le roi mange seul, isolé de sa cour ; et un dernier exemple au xixe siècle qui atteste que le roi ne s’adressait pas directement 178  S. Tedeschi, « Note sul re etiopico Na’ak weto La’ab », Quaderni Utinensi, 8 (1990 [1996]), p. 341. 179  C. Conti Rossini, « Aethiopica (IIa serie) », 1925, p. 483.

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à ses interlocuteurs mais par le biais d’un porte-parole180. Il tentait ensuite une comparaison avec d’autres sociétés africaines, estimant que ces éléments pouvaient être rapprochés d’un « tabou royal ». Du coup, l’origine sémitique invoquée pour la royauté divine est abandonnée au profit cette fois-ci d’une influence couchitique, car le « substrat » africain en Éthiopie est toujours perçu comme étant couchitique181. En quelque sorte, Paolo Marrassini a continué de creuser ce sillon de la royauté africaine/couchitique en s’intéressant aux Zāg wē. Les rois éthiopiens étaient-ils sacrés ? Et cette sacralité était-elle liée aux influences sémitiques ou à l’ancrage africain de la royauté éthiopienne ? Telles sont au fond les questions qui traversent les travaux portant sur les Zāg wē. Est-ce que leur sainteté est un signe de leur sacralité ? Pas si l’on entend par là que toute la dynastie des Zāg wē était une dynastie sainte et que par conséquent l’ensemble des rois avait un caractère sacré. Pas non plus si les Vies de ces souverains sont employées pour déterminer cette sacralité, tant elles relèvent d’un discours stéréotypé, et tant elles répondent à leur disqualification en soulignant leurs qualités de rois quasi parfaits. Mais si l’on s’attache aux quelques témoignages dont nous disposons au sujet, d’une part, de l’onction royale qui semble attestée concernant Lālibalā (il se revendique comme un roi oint sur l’un des autels en bois du site de Lālibalā), d’autre part de l’idéologie royale d’une ascendance salomonienne qui est probablement l’émanation de la dynastie Zāg wē, et enfin de la reconnaissance de la sainteté de Lālibalā au niveau local, après sa mort, alors oui, on peut dire qu’il y eut une sacralisation du pouvoir à cette période. C’est cet héritage que reçurent les souverains qui succédèrent à Yekuno Amlāk et qu’ils firent leur. Le roi Zar’a Yā‘eqob, au milieu du xve siècle, fit la synthèse de tous ces éléments pour proposer une véritable idéologie royale dans laquelle il incarnait un roi biblique, ancêtre du Christ182. Par conséquent, les constructions historiques qui ont suivi la chute de la dynastie Zāg wē et l’avènement de Yekuno Amlāk, promouvant d’une part l’origine israélite des descendants de Yekuno Amlāk et d’autre part l’élection divine des Zāg wē, ont contribué à forger l’image d’une dynastie Zāg wē à la fois A. Caquot, « La royauté sacrale en Éthiopie », Annales d’Éthiopie, 2 (1957), p., p. 210. A. Caquot, « La royauté sacrale en Éthiopie », 1957, p. 211. 182  À ce sujet, voir les pages très éclairantes d’A. Vauchez (« “Beata stirps” : sainteté et lignage en Occident aux xiiie et xive siècles », dans Famille et parenté dans l’Occident médiéval, éd. G. Duby et J. Le Goff, Rome, 1987, p. 403-404) qui réfléchit à la question des liens entre sainteté royale et royauté sacrée, en montrant que la première n’implique pas nécessairement la seconde. 180 

181 

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usurpatrice et sainte. Cette apparente contradiction est la synthèse des deux courants historiographiques, concurrents, dont on voit les prémices au cours du xviiie siècle quand les chroniques abrégées évoquent la période avant 1270 comme une parenthèse dans l’histoire de la dynastie salomonienne, tout en soulignant la sainteté des rois Zāg wē. L’historiographie savante a été profondément influencée par cette vision de l’histoire. Si bien que les documents ont été employés pour comprendre et expliquer « l’usurpation » des Zāg wē par une identité ethnique différente, tout en cherchant quelles étaient les actions qui avaient permis de reconnaître des saints dans ces souverains. Il faut peut-être envisager autrement cette histoire. La sainteté des Zāg wē n’est pas une qualité intrinsèque à cette dynastie, ni un signe du caractère sacré de ces souverains. Elle est une réponse à l’oblitération de leur mémoire à l’œuvre au moins à partir du xive siècle. Les nouveaux dynastes, héritiers de Yekuno Amlāk, qui étaient sans doute de parfaits « étrangers » pour la majorité des sujets du royaume d’Éthiopie, ont réalisé un tour de force. Ils sont parvenus à disqualifier leurs prédécesseurs et à se présenter comme les véritables héritiers du royaume d’Aksum. Ils ont fait leur tout l’arsenal idéologique qu’avaient mis en place les Zāg wē pour apparaître comme les souverains légitimes de l’Éthiopie chrétienne et au final sacraliser la fonction royale. L’aboutissement de ce processus est intervenu au xve siècle. Dans le même temps, la disqualification des Zāg wē ne revêtait plus les mêmes enjeux. La sainteté d’un Lālibalā n’était plus un danger mais au contraire le moyen d’idéaliser la figure royale. Ensuite, des enjeux locaux ont contribué à la sanctification de la dynastie en son entier, y compris des personnalités les plus inattendues, comme le roi Ḥarbāy. Cet épisode illustre un usage politique de l’histoire qui se poursuit jusqu’à nos jours. L’identité agaw des souverains Zāg wē, construite essentiellement par l’historiographie savante, a été appropriée par les populations du Lāstā, où se situent en particulier les églises de Lālibalā. Dès lors, la langue agaw et cette identité se sont trouvées valorisées, avec un effort mené pour réapprendre cette langue aux enfants dans les écoles, mais aussi pour affirmer une identité régionale à part dans une région dominée par les Amḥarā183.

L’analyse de ce processus récent a été menée par T. Osmond, « Revendications patrimoniales et imaginaires post-nationaux », Annales d’Éthiopie, 24 (2009), p. 149-170. 183 

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Conclusion Au terme de cette enquête, il me semble que les rois Zāg wē nous sont un peu plus familiers. En s’efforçant de passer derrière le miroir déformant que les traditions historiographiques tardives avaient installé, les idées préconçues sur la sainteté, l’usurpation, l’identité et l’origine géographique des Zāg wē ont été laissées de côté. J’ai bien conscience que ce travail avec œillères a un côté un peu factice : je connais les sources tardives et leurs biais. J’ai également conscience que mes efforts pour déconstruire le modèle historique concernant les rois zāg wē avait une contrepartie : il s’agissait de produire un nouveau modèle, en contradiction avec le précédent. Est-il plus juste ? C’est au lecteur d’en juger, puisqu’à défaut d’emporter l’adhésion, cette enquête expose au moins toutes les pièces du dossier. L’arrivée au pouvoir des Zāg wē découle d’un long processus, celui de la seconde christianisation, qui a touché en particulier toute la partie nord orientale des hauts plateaux éthiopiens. Cette seconde christianisation n’est pas un moment unique, au vie siècle, mais un mouvement qui s’est étendu jusqu’au xie siècle et au-delà, peut-être avec des flux et des reflux. Dans cette région, où une grande partie de la richesse produite a été consacrée à la fondation d’églises, une élite est apparue. Peut-être est-ce celle-là même qui choisit en son sein un chef, qui portait le titre d’ḥaḍāni. Au xe siècle, le ḥaḍāni. était également roi, comme l’atteste Ibn Ḥawḳal. Mais la christianisation en profondeur a suscité des réactions de rejet, ainsi qu’en témoigne l’épisode de la reine des Banū l-Ham(u)wīya. L’Église d’Éthiopie a sans doute traversé là une grave crise, qui menaçait sa présence même dans la Corne de l’Afrique. Les efforts réalisés ensuite pour reconstruire les églises, en fonder de nouvelles, consacrer des prêtres, avec le soutien du siège d’Alexandrie ont coïncidé avec l’émergence d’une nouvelle lignée royale. Celle-ci se disait descendante des ḥaḍāni. Au xiie siècle, l’un des premiers rois zāg wē, Ṭanṭawedem, exerce le pouvoir suprême alors que des pressions importantes sont faites par l’émir égyptien pour que les musulmans d’Éthiopie disposent de mosquées. Ṭanṭawedem s’affronte à une communauté de musulmans, ceux de Ṣerā‘e, qu’il soumet et place sous la dépendance de l’église d’Urā Masqal. Les rois zāg wē ont probablement connu des crises de succession. Au xiie siècle, le métropolite Mikā’ēl

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Conclusion

dit qu’il a oint sept rois en une vingtaine d’années. Mais ils ont aussi su établir un système de gouvernement fondé sur une sacralisation de la royauté, mêlant consécration par l’évêque égyptien sous la forme de l’onction, référence aux rois sacrés de l’Ancien Testament, Melchisedech et Salomon, fondations et donations aux églises. Ils ont su mettre à leur service une administration structurée, dirigée par une aristocratie aussi bien laïque que religieuse, constituée en un groupe, les grands du Beg wenā. Ils ont entretenu des relations suivies avec le siège d’Alexandrie, s’assurant la présence d’un métropolite et de plusieurs évêques, poursuivant ainsi le mouvement de christianisation. Ils ont réalisé un travail mémoriel pour se situer dans l’héritage aksumite, reprenant les titulatures rencontrées sur les stèles de souverains du ive siècle, réinvestissant peut-être aussi l’ancienne métropole, Aksum. Probablement du fait du saut documentaire que représente le règne de Lālibalā, ce souverain semble symboliser l’aboutissement de ce mouvement et incarner à lui seul la royauté zāg wē. Mais ce n’est peut-être pas qu’un leurre : si l’on dispose de plus de documents et de documents plus variés au sujet de Lālibalā, c’est peut-être aussi parce que son règne marque une sorte d’apogée. Le principal résultat de cette enquête n’est pourtant pas celui que j’attendais. Je me focalisais sur les rois et c’est la structure économique et sociale de l’Éthiopie chrétienne aux xiie et xiiie siècles qui a surgi. Si j’avais pu prévoir que la lecture de la donation de Ṭanṭawedem m’amènerait à réfléchir à la manière dont le système foncier a structuré non seulement le territoire, mais la société éthiopienne, concentrant entre les mains de quelques grands propriétaires, notamment religieux, la richesse, et plaçant les paysans libres et non-libres dans une dépendance étroite, j’aurai sans doute écrit autrement cet essai. Cette évolution fondamentale doit être maintenant prise en compte dans l’analyse historique du déclin aksumite. Celui-ci a toujours été expliqué par des processus externes : islamisation des côtes et des marchands, perte du monopole commercial en mer Rouge et repli sur les hauts plateaux. Ces stimuli externes sont sans doute importants dans les changements à l’œuvre à partir du viie siècle, mais on peut aussi se demander si des causes internes n’ont pas joué un rôle au moins égal. La seconde christianisation n’est peut-être pas qu’un mouvement favorisant la christianisation en profondeur de la société éthiopienne et impulsant la vie monastique en Éthiopie. Elle touche avant tout les campagnes, alors que jusque-là, il est fort probable que le christianisme se cantonnait aux villes et, peut-être même à certaines catégories sociales, comme celle des marchands ou celle de l’élite politique. En instituant une vie monastique, donc une vie entièrement dédiée à la prière, exigeant de trouver des revenus pour subvenir

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Conclusion

aux besoins certes frugaux des moines au nombre grandissant, cette seconde christianisation a peut-être aussi provoqué un changement radical d’organisation de la vie économique et sociale. Des terres, sur lesquelles travaillaient des paysans, sont alors données aux églises et aux communautés monastiques. Celles-ci en tirent des revenus, non pas en exploitant par elles-mêmes ces terres, mais en percevant des taxes sur les productions réalisées par les tenanciers : prélèvements sur les récoltes, sur les produits du bétail, corvées réalisées par les paysans pour des aménagements et des constructions… C’est toute la structure de la société qui s’en est trouvée bouleversée. Peut-être les paysans étaient-ils déjà des dépendants, mais avec la seconde christianisation, c’est l’Église qui s’est substituée aux patrons précédents ou qui a pris une place de plus en plus importante dans ce système. L’émergence des Zāg wē est peut-être l’aboutissement de ce lent processus. La chute des Zāg wē n’a en rien bouleversé ce système qui a perduré vraisemblablement jusqu’au xvie siècle au moins, comme en témoignent les nombreuses donations de terre que l’on a retrouvées pour la période du xive au xvie siècle. L’étude des statuts personnels liés à la terre est donc un chantier essentiel pour saisir les transformations de la société éthiopienne entre les viie et xiiie siècles. L’autre enseignement de ce travail réside dans la nécessité de remonter encore le temps. Je n’ai brossé qu’à grands traits le contexte entre les viie et xie siècles, sur la base notamment d’inventaires des vestiges archéologiques. Cette période post-aksumite ne se laissera pas comprendre sans une meilleure connaissance de l’époque aksumite. Il faudra aussi évaluer précisément ce que sont ces vestiges : des fouilles à Nāzrēt, ou dans certains sites du Gwelo Makādā, permettront sans doute de valider ou d’invalider certaines des hypothèses avancées au cours de cette enquête, mais aussi de mieux saisir cette lame de fond qu’a pu représenter la seconde christianisation.

259

Annexe Donation du roi Ṭanṭawedem à l’église de la Croix de Qefereyā (Urā Masqal) [Fol. 1r] በአኰቴተ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ አጽሐፍኩ፡ ወአጐለትኩ፡ ወአ ክሰምኩ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ወንጠውድም1፡ አመ፲፪ዓመተ፡ መንግሥትየ፡ አመ፳፬ለወርኃ፡ ሚያዝያ፡ በዘአጐለትኩ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ዘከረን፡ ምድረ፡ እምክሳደ፡ ሐከሌ፡ ታሕተ፡ ወእም [Fol. 1v] አዳዕ[.]፡ ለፌ፡ ሰምዓቀሰ፡ ገለባ፡ ለፌ፡ ወ˻እ˺ም፡ ማየ፡ በዐት፡ ለፌ። ወእምደብረ፡ ዕንጋጌ፡ ለፌ፡ እምፈ2፡ ኅብእት፡ ለፌ፡ እምፈለገ፡ ፈለጉ፡ ለፌ። እምአፈ፡ ሙዓሌ፡ ለፌ፡ እምአፈ፡ ዐሩር፡ ላዕለ፡ እምቅሐ፡ ላዕለ፡ ህበይ፡ ሣእእና፡ በፈለገ፡ ፈለጉ፡ ፅንዕቶ፡ ለፌ፡ እምከረነ3፡ ከረን፡ ማየ፡ ጕንድ፡ ለፌ፡ ወእም፡ አፈ፡ ቡራዔ፡ ለፌ፡ [Fol. 2r] ኀበ፡ ዓቢይ፡ ኰኲሕ፡ ለፌ። ላዕላይ፡ አጠቀና፡ ወሠጦ፡ ለፌ፡ እምኮል፡ ላዕለ፡ እ[ም]ማየ፡ ደንባ፡ እመ፡ ንገደ4፡ መንገዱ፡ ለንጉሥ፡ ላዕለ፡ እስከ፡ ክሳደ፡ ሐከሌ፡ ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ላቲ፡ ለቅፍርያ፡ መካን፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቅዱስ፡ ኀረዮ። ። ወከማሁ፡ ዘሐርመት፡ ምድረ፡ አክሰምኩ፡ ወአጐለትኩ፡ ለመካነ፡ ቅፍ [Fol. 2v] ርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቅዱስ፡ ኀረዮ፡ ጻድቅ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ጠንጠውድም፡ ስመ፡ መንግሥትየ፡ ሳሎሞን፡ ወሰጓየ፡ ገብረ፡ መድኅን፡ በ፲ወ፪ዓመተ፡ መንግሥትየ፡ አመ ፳፬ለወርኀ፡ ሚያዝያ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ላቲ፡ ዘሐ ርመት፡ ምድረ። እምክሳደ፡ ማየ፡ ጐባይ፡ ታሕተ፡ ወእምነዊኀ፡ ደራ፡ ለፌ። እምዲበ፡ እሬ፡ ለፌ፡ እምጸልቀኔ፡ ላዕለ፡ እምቤተ፡ ዮሐንስ፡ [Fol. 3r] ላዕለ፡ ወእምቀልቀለ፡ ቀልቀሉ፡ ዕንጣ፡ ኀራሰ፡ ለፌ። እምጋረ፡ ለፌ፡ እምዘለ፡ ቀይሐት፡ ለፌ፡ እምዲበ፡ [.]ራ፡ ታሐተ፡ እምጸላ˻ነ˺፡ ኀ˻ተ˺ናት፡ ታሕተ፡ ˻እ˺ማየ፡ ሬጽል፡ ታሕተ፡ ወእስከ፡ መንፈቀ፡ ሀገሩ። እስከ፡ ጼማይ፡ እብን፡ በርባሑ፡ እምዲበራ፡ እስከ፡ ሐምሀም፡ ወአባግዖ፡ እስከ፡ ምቅጸዓ፡ ምድሮሙ፡ ለወለሰት፡ ዘንተ፡ አጐለትኩ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቅ Sic pour ጠንጠውድም፡. Sic peut-être pour እምአፈ፡. 3  Tigrinya : colline, mont, montagne (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 1598). 4  Lire እመንገደ፡. 1 

2 

261

Annexe

[Fol. 3v]5 ዱስ፡ ኀረዮ፡ ፪። ˻ወካዕበ፡ አጐ˺ለትኩ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ዘቦ6፡ ስመ፡ ዘማየ፡ አጋም፡ ዘይተ [?]፡ ማ[..]፡ ምድረ፡ እምፉጸ[.]፡ ˻እመ˺ቀብረ፡ መዐደላ፡ ለፌ፡ ˻ወ˺ቤተ፡ ዝአብ፡ ለፌ፡ ለ[..]ጹሮ፡ በማየ፡ ከ[.]፡ በለን[.]ደዕ፡ በክሳደ፡ ሰማያት፡ በጋት፡ ሰብዳሌ፡ በቀልቀለ፡ ቀል ˻ቀ˺ሉ፡ ሰንዲራን፡ በደብሩ፡ እምልሕኵት፡ ላዕለ፡ በአፋ፡ ላዕላይ፡ ዒላ7፡ ወከመዝ፡ አጐ ለትኩ፡ ላቲ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ጠንጠውድም፡ ስመ፡ መንግሥትየ፡ ሰሎሞን፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ [Fol. 4r] ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቅዱስ፡ ኀረዮ፡ ፫፡ ወካዕበ፡ አጐለትኩ፡ ወአክሰምኩ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ጠንጠውድም፡ ስመ፡ መንግሥትየ፡ ሰሎሞን፡ ወስመ፡ ሰጓየ፡ ገብረ፡ መድኅን፡ አመ፡ ፲፪ዓመተ፡ መንግሥትየ፡ አመ፡ ፳፬ለወርኃ፡ ሚያዝያ፡ በዘ፡ አጐለትኩ፡ ላቲ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል። ዘመ ነበት፡ ምድረ፡ እምቀትለ፡ ፋማስ፡ ለፌ፡ እማየ፡ ቅይሐ፡ በዘአወ፡ ሐዘት፡ እስከ፡ ዐቢይ፡ መንገደ፡ ማማ፡ እም፡ […] [Fol. 4v] ዳ፡ መቃብር፡ ለፌ፤ እምድርሐራ፡ ለፌ፡ እምኵልቦ፡ ዕፅ፡ ለፌ፡ እምነ፡ ሥርወ፡ ምድረ፡ ለፌ፡ እምፀአዳ፡ ኰኵሕ፡ እስከ፡ ደሐጺት፡ ለፌ። ወኤፋ፡ በርባሐ፡ እማየ፡ ጽዋዖ፡ ለፌ። እምነ፡ ደብረ፡ ድኖ፡ እምነ፡ መንድቆ፡ ለፌ፡ እዝኃ፡ በርባሁ፡ እምነ፡ ማዕጒማ፡ ለፌ፡ ካዕበ፡ ምዕጒማ8፡ በኀበ፡ ንጉሥ፡ እምነ፡ ጸሊም፡ ሥርወ፡ ምድር፡ ታሕተ፡ እምነ፡ ዓውደ፡ ከፈ፡ እምሉእ፡ ታሕተ፡ ዘንተ፡ ዘአጐለትኩ፡ ወአ [Fol. 5r] ጽሐፍኩ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ጠንጠውድም፡ ስመ፡ መንግሥትየ፡ ሰሎሞን፡ ፬። ወካዕበ፡ አጽሐፍኩ። ወአጐለትኩ፡ አነ፡ ሐፀይ፡ ጠንጠውድም፡ ስመ፡ መንግሥትየ፡ ሰሎሞን፡ አጽሐፍኩ፡ ላቲ፡ ዘሣሕዋ፡ ምድረ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ለቅፍርያ፡ መካን፡ እም ዕራፈ፡ ዜና፡ ወእምሰማይ፡ ለፌ፤ እምቤተ፡ ምጽዋም፡ ለፌ። እምፃዕዳ፡ ኵኵሕ9፡ እምቀ ልቀለ፡ ቀልቀሉ፡ ለፌ። እምሥነት፡ ገዳ፡ በፈለጋ10፡ ገብገላ፡ ለፌ። ወእም፡ መ [Fol. 5v] ዓለ፡ ፈያት፡ ለፌ፡ ወእምንገደ11፡ ንጉሥ፡ ለፌ። ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ላቲ፡ ለቅ ፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀለ፡ ወለቀዱስ፡ ኃረዮ12። ወካዕበ፡ ደቂቀ፡ ሰለበ፡ ምስለ፡ ንበሪት፡ ምድሮሙ፡ ረቲዐነ13፡ በዓውደ፡ ንጉሥ፡ አጐለ ትናሆሙ፡ ሰብኦሙ፡ ወእንስሳሆሙ፡ ገብረ፡ ወአጋዕስቲሆሙ፡ ነቢሪ፡ ወአጋእዚሆሙ፡

Fol. 3v : très difficile à lire, le parchemin présente des plis. Tigrinya [?] : tout, nom collectif pour des choses de même nature (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 1987). 7  Tigrinya : puits (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 1821). 8  Sic pour ማዕጒማ፡. 9  Lire ኰኵሕ፡. 10  Lire ፈለገ፡. 11  Lire ወእመንገደ፡. 12  Lire ኀረዮ፡. 13  Le manuscrit donne : ረቲአነ፡. 5 

6 

262

Annexe

ወእስከ፡ አዲ፡ ከልብ፡ ዘየኃድር፡ ውስተ፡ ሐጹሮሙ፡ ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ዘንዕባት፡ ምድረ። እምዖሮ፡ መደ። ታሕተ፡ ማየ፡ ሣእናይ፡ ታሐተ፡ ወእምዓመ፡ ጐ [Fol. 6r] ባይ፡ ለፌ፡ እምላዕላይ፡ ማየ፡ ጕንድ፡ ለፌ። እምኵዕሴና፡ ላዕለ፡ ምድባይ፡ ላዕለ፡ እምጐላኤ፡ ለፌ፡ እሙራድ፡ ለፌ፡ እምጐላሕ፡ ላዕለ፡ እምአፈ፡ ዓሣ፡ ታሕተ፡ ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ወለቅዱስ፡ ኀረዮ። ፯፡ ገንታ። ወካዕበ፡ አጐለትኩ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ጸዓንድዋት፡ እምነ፡ ጽራዕ፡ ምድረ፡ ተንባላት፡ ወወሀ ቡነ14፡ ምድሮሙ። ልዑል። ወንዋዩ15፡ ወንትአመን፡ እግዚእ፡ ተባኢሶሙ፡ እንዘ፡ ተንበላት፡ እሙንቱ፡ ወአነኒ፡ ወሀብክዎሙ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ [Fol. 6v] ወለገብርኤል፡ ምስለ፡ ምድሮሙ፡ ወእንስሳሆሙ፡ ምስለ፡ ሰብኦሙ፡ ወአልህም ቲሆሙ፡ በእንተ፡ ሥጋየ፡ ከመ፡ ይምሐረኒ፡ እግዚአብሔር፡ በመንግሥቱ፡ ዘጽዕንዴው፡ ምድረ፡ በርእሰ፡ ዐምዒም። በጽዕ˻ን˺ዴው፡ ቈላ፡ በምንግላግ፡ በማይ16፡ አናስጥ፡ ለዓይግ፡ በገራውህ፡ ምስከረም፡ አውሰየነ፡ በመን [Fol. 7r] ገድ፡ ዓግዓለ፡ ዘምድረ፡ ወሀብኩ17ክሙ፡ አነኒ፡ ጠንጠውድም፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ለገብርኤል፡ ወለማርያም፡ ለቅፍርያ፡ መካን። በእንተ፡ እግዚአብሔር፡ ለዓለመ፡ ዓለም፡ አሜን። ምድረ፡ ከረን፯18፡ ዘጕሎ፡ መካዳ፡ ምስለ፡ ኵሉ፡ ግብሩ፡ ዘይወጽእ፡ ወሀብኩ፡ ለመስቀለ፡ ክርስቶስ። ምድረ፡ ሐርመት፡ ወመየ፡ አጋም፤ [Fol. 7v] ጻድቅ፡ ኀረዮ፡ ምድረ፡ ምስለ፡ ኵሉ፡ ግብሩ፡ ዘይወጽእ፡ ወሀብኩ፡ ለገብ ርኤል፡ ዜናዌ፡ ትፍሥሕት፡ ምድረ፡ መነቦት፡ ወዘሳሕዋ፡ ምድረ፡ ንዕባት፡ ወጽዓንይዋት፡ እምኵሉ፡ ግብሮሙ፡ ዘይወጽእ፡ ወሀብክዋ፡ ማርያም19፡ ወላዲተ፡ ፍሥሐ፡ ለንፍቅ፡ ወለ መከራ፡ ሐቌሁ፡ ለዘቀነተ፡ ወከመዝ፡ አጐለትኩ፡ ደጕዓሁ፡ ወቈላሁ፡ ምቀዳሕ፡ ወም ጽላም፡ ምስፋሕ፡ ወምርቃቅ፡ መስኖሁ፡ ወ [Fol. 8r] ርደ፡ መካን፡ ዘአልቦ፡ ግብረ፡ ወገብጋብ፡ ዘአልቦ፡ ዓበጤ፡ ወዘናቤ20፡ ዘዓልቦ፡ አራጌ፡ ወወራዴ፡ ዘኢይበውእ፡ ቀበተይና፡ ንጉሥ፡ ዘኢ[በውእ?]፡ ዓቀቤ፡ ሰንሲት፡ ወ˻ንል˺[.]፡ ዘኢይ[በውእ፡ ዕንቅበ፡ ጥ˻ብ˺ጣቤ፡ ወጾረ፡ በትር፡ ዘኢበውእ፡ ኖላዌ፡ ፈራስ፡ ወኢጸ˻ጕ˺ረ፡ አንበሳ፡ በአኰቴተ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ አጽሐፍኩ፡ አጐለትኩ፡ አክሰምኩ፡ አነ፡ ሐፃኒ፡ ጠንጠውድም፡ በ፲፪ዓመተ፡ መንግሥትየ፡ አመ፡ ፳፬ለወርኃ፡

Lire ወሀበነ፡. Lire ወንዋዮሙ፡. 16  Lire በማየ፡. 17  ኩ est écrit au-dessus de la ligne. 18  ፯ est écrit au-dessus de la ligne. 19  Lire ለማርያም፡. 20  ዘነበ፡ tigrinya, séquestrer du bétail trouvé dans un champ ou endommager le grain (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 1996). 14  15 

263

Annexe

[Fol. 8v] ሚያዝያ፡ በዝ፡ አጐለትኩ፡ ለመካነ፡ ቅፍርያ፡ ለቤተ፡ መስቀል፡ ዑራ፡ ደንጐሎ፡ ብርክቶ፡ ዓድ፡ አይት፡ ዓብር፡ አድ፡ ቀይሶ፡ ተረክ፡ ላዐላይ፡ ተረክ፡ ታሕታይ፡ አገር፡ ሕሴ፡ እንገበቶ። መሳሐል። ጕልትና። ቀናን፡ ሥብጥ፡ ምኵያም። አድ፡ ዓበይት። ከመ፡ ኢይ ቅረቡ፡ ሰዩማነ፡ ጕለ፡ መካዳ፡ አው፡ በእግሩ፡ ወበዓይኑ፡ ከመ፡ ኢይርአያ፡ አው፡ በፈረሰ፡ አው፡ በቀሰት፡ ወኢ፡ ˻በ˺[ወ]ልታ፡ ወኢበተኃይሎ፡ ኢይቅረባ፡ ወ [Fol. 9r] ስዩመ፡ ዓጋሜ፡ ኢይቅረባ፡ በወሰኑ፡ ወስዩመ፡ ቡር። ኢይቅረባ። ወሥዩመ፡ ሰራዌ፡ ኢይቅረባ። አው፡ በዓለ፡ ጸምዒ፡ ኢይቅረባ። አው፡ ባሕር፡ ነጋሢ፡ ኢይቅረባ። ውጉዛነ፡ ይኩኑ፡ በአፈ፡ ፫፻፲ወ፰ርቱኣነ፡ ሃይማኖት። በ፲፭ነቢያት፡ ወበአፈ፡ ፲፪ሐዋርያት፡ ወበአፈ፡ ፸፪አርድእት፡ ከመ፡ ኢይቅረቡ፡ አው፡ ዘተኃየላ፡ ወዘሄዳ፡ ውጉዘ፡ ይኩን፡ በአፈ፡ እግዝእትነ፡ ማርያም፡ ዘኢይትፈታሕ፡ በአፈ፡ ካህን፡ ወጳጳስ፡ ርጉመ፡ ለይኩን፡ ለዓለመ፡ [Fol. 9v] ዓለም። አሜን፡ ወአሜን። በዘ፡ ኢይትረሳእ፡ ግብረ፡ ለቅፍርያ፡ መካን፡ በኀበ21፡ ገባር፡ ዝክረ፡ መባእ፡ ወሰላም፡ ወበዑራሂ፡ ፭ገበታ፡ ወንፍቅ፡ ወካዕበ፡ ሰላም። ወአገርኅሤሂ፡ ፭ገበታ፡ ወንፍቅ፡ ስርናይ። ወካዕበ፡ ሰላም። ወበተረክሂ፡ ታሕታይ፡ ፯ገበታ፡ ወንፍቅ፡ ሥርናይ። ወካዕበ፡ ሰላም። ወበ ላዕላይሂ፡ ተረክ፡ ፯ገበታ፡ ወንፍቅ፡ ሥርናይ፡ ወካዕበ፡ ሰላም። ወበዓድ፡ ቀይሶሂ፡ ያሒት፡ ሥርናይ፡ ወምዕሮ፡ ሰላም። ወበደንጐላ፡ ታሕታይ፡ ፯ገበታ፡ ሥርናይ፡ [Fol. 10r] ወካዕበ፡ ሰላም፡ ወበደን˻ጐላ˺22፡ ላዕላይ፡ ፯ገበታ፡ ሥርናይ። ወካዕበ፡ ሰላም። ወበ ሠጦሂ፡ ያሒት፡ ሥርናይ፡ ወምዕሮ፡ ሰላም። ወበምኵያምሂ፡ ፯ገበታ፡ ንፍቅ23፡ ስርናይ፡ ወካዕበ፡ ሰላም። ወበቀርነ፡ ሥበጥሂ፡ ፯ ሥር˻ና˺ይ፡ ገበታ፡ ወካዕበ፡ ሰላም። ወበመስሐል፡ [.]ካዕበ፡ ሰላም። ወበአንገበቶሂ፡ ካዕበ፡ ሰላም። ወካልሂ24፡ ግብር፡ ዘይትወሀብ፡ ለቅፍርያ፡ በኀበ፡ ፸ከረን፡ ወበበዓዱ፡ ኅበስተ፡ ጾም፡ ይትወሀብ፡ እምቀበላ፡ እስከ፡ ፋሲካ፡ በበካዕበ፡ ሐሪጽ፡ ሥርናይ፡ ወበተዝካረ፡ ኀረዮ፡ [Fol. 10v] ካዕበ25፡ ጥሕን፡ በበዓዱ፡ ከማሁ፡ ወበበዓለ፡ መስቀልኒ፡ መጋቢት፡ ወበመስቀል፡ ብርሃንሂ፡ ድራረ፡ ዳግም፡ ይነብር። ወበዕንጣሂ፡ ፈርግን፡ ሥልሲትን፡ ወመጽዓንሂ፡ ይተክሉ፡ ምስለ፡ ገበላዒሂ፡ ወጕንድ፡ ዘይትወቀር፡ ወሐውሂ፡ ጥንት፡ ኀበ፡ መንብሮ፡ ያመጽዑ፡ ወትረ። ወ፻ክፋሎ፡ ሀንዛ፡ ፲ንዋየ፡ ገበታ፡ ዕትሮ። ወዘተዓደወ፡ ዘንተ፡ ውጹእ፡ እምሕግ። በአኰ˻ቴ˺ተ፡ አብ፡ ወወልድ፡ ወመንፈስ፡ ቅዱስ፡ አጽሐፍነ፡ ገራህተ፡ ዘቅፍርያ፡ መካን፡ ፫፡ በአገርኅ፡ [Fol. 11r] ሤ፡ ፫በማይ፡ መሬት፡ ፫በፀቀምጤ፡ ፪አድ፡ ቀይሶ፡ ፭በብርክቶ፡ ፲፫በደንጐሎ፡ ነበረ። ፫ሀለወ፡ ፪በስጦ፡ ፳በዑራ፡ ፳በኀበ፡ ቅፍርያ፡ ፵ሀለወ፡ ዘተዝካረ፡ መስቀል። ዘይት Le manuscrit donne በሀበ፡. Au folio précédent, il a été fait mention de Deng walā le bas, il paraît donc plausible que l’auteur fasse ensuite référence à Deng walā le haut. 23  Lire ወንፍቅ፡. 24  Lire ወካልእሂ፡. 25  Le manuscrit répète ካዕበ፡. 21 

22 

264

Annexe

ኃረዮ፡ ቀዳሚ፡ ምኵያም፡ ወእምድኅሬሁ፡ መሰሐል፡ በድኅሬሁ፡ አንገበቶ፡ ወአገርኅሤ፡ ወማይ፡ መሬት፡ ጸቀምጤ፡ ወዑራ፡ ደንጐሎ፡ ሰጦ፡ ምስለ፡ አድ፡ ቀይሶ፡ ወቀርነ፡ ሠብጥ፡ ብርክቶ፡ ጕልትና። ወየኃርዱ፡ ጥንት፡ [Fol. 11v] ወአበ፡ ምኔት፡ ወማህበር፡ ከመ፡ ኢይንሥኡ፡ ሕሱም፡ [..]መ ፡ እመሂ፡ ዘወሀበ፡ ወእመሂ፡ ዘተመጠወ፡ ክል˻ኤሆሙ˺፡ ውጉዛነ፡ ለይኩኑ፡ በአፈ፡ ጴጥሮስ፡ ወጳውሎስ፡ ወበአፈ፡ ፬ወንጌላዊያን፡ ወበአፈ፡ ፲፪ሐዋርያት፡ በአፈ፡ ፲ወ፭ነቢያት፡ ውጉዘ፡ ለይኩን፡ ዘወሀበ፡ ላህመ፡ ˻አእ˺ዱገ ፡ ዘእንበለ፡ ስቡሐ፡ ወመባእሂ፡ ፯እንተላም፡ ወያሒት። መስ ፈርሂ፡ ቂቅት። ። ። ። ። ። ወሰላምሂ፡ ፫ገበተ። ። ለሕንፃ፡ ለቤተ፡ ክርስቲያን፡ ወቅኔ፡ መዓልት፡ ጐልትና፡ ወዑራሂ፡ ቤተ፡ ተአምር።

265

Annexe

(fol. 1r) En action de grâces au Père, au Fils et à l’Esprit Saint, j’ai fait écrire, j’ai fait attribuer en gwelt et j’ai délimité, moi, le ḥaḍay Ṭanṭawedem, dans la douzième année de mon règne, le 24 du mois de miyāzyā, en faisant attribuer en gwelt au lieu de Qefereyā26, à l’église de la Croix, la terre de Karan : depuis le col de Ḥakalē le bas et depuis (fol. 1v) Adā‘e[.] de ce côté, Same‘āqasa Galabā27 dans cette direction et depuis Māya Ba‘at28 de ce côté. Depuis Dabra’Engāgē de ce côté-ci, depuis le rebord d’Ḫeb’et de ce côté-là, depuis la rivière Falagu de ce côté-ci, depuis le rebord de Mu‘ālē de ce côté-là, depuis le rebord de ‘Arur le haut, depuis Qeḥa au-dessus de Hebay Śā’e’enā à la rivière de Falagu Ḍen‘eto de ce côté-ci, depuis la montagne de Karan Māya Gwend29 de ce côté-là et depuis le rebord de Burā‘ē de ce côté-ci, (fol. 2r) près du grand rocher de ce côté-là. En haut, ‘Aṭaqanā Waśaṭo de ce côté-ci, depuis Kol le haut, depuis Māya Danbā, depuis la route du roi en haut, jusqu’au col de Ḥakalē. Et ainsi, j’ai fait attribuer au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix et au saint Ḫarayo. [1 gantā] Et de même la terre de Ḥarmat, je (l’)ai délimité et fait attribuer en gwelt au lieu de Qefereyā (fol. 2v), à l’église de la Croix et au saint Ḫarayo le juste, moi, ḥaḍay Ṭanṭawedem, dont le nom de règne est Salomon et le surnom Gabra Madḫen, dans la douzième année de mon règne, le 24 du mois de miyāzyā au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix. De même, je lui ai fait attribuer la terre de Ḥarmat : depuis le col de Māya Gwabāy30 le bas et depuis toute la longueur de Darā31 de ce côté-là et sur ‘Erē de ce côté-ci, depuis Ṣalqani le haut, depuis Bēta Yoḥannes (fol. 3r) le haut, depuis le précipice de Qalqalu ’Entā Ḫarāsa de ce côté-là. Depuis Gāra de ce côté-ci, depuis Zala Qayḥat de ce côté-là, depuis [.]rā le bas, depuis Ṣalāna Ḫatanāt le bas, depuis Māya Rēṣel le La localité de Qefereyā figure dans un document non daté, en lien avec l’église d’Aksum, dans lequel il est stipulé que la région du Mambartā doit fournir du bois à l’église d’Aksum et que ce bois sera porté par les populations habitant les localités sur le chemin séparant le Mambartā de l’église. Qefereyā fait partie de ces régions (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, I.5). 27  Galabā : nom d’une localité sur la frontière de l’Agāmē (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 2212). 28  On trouve une référence à Māya Ba‘āti dans une donation du roi Lebna Dengel (1508-1540). C’est une région du Tambēn (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.26). 29  Māya Gwend figure dans une donation du xixe siècle conservée dans le Liber Aksumae, qui renouvelle un acte du milieu du xive siècle (?) en faveur du monastère de Dabra Barbarē, appartenant au mouvement d’Ewosṭātēwos (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 19091910, II.81). 30  Māya Gobāy, nom d’une localité au Tegrāy (T. L. Kane, Tigrinya-English dictionary, 2000, p. 2305). On trouve aussi ce toponyme dans une donation apocryphe d’Ella Abrehā et Aṣbeḥa conservée dans le Liber Aksumae (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 19091910, II.1). 31  Darā est une région qui figure dans une donation de terre du roi Dāwit (1379/80-1412) pour le moine Samu’ēl de Qoyaṣa (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, I.6, II.10, II.76). 26 

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Annexe

bas, jusqu’au milieu de Hagaru, jusqu’à Ṣēmāy ’Ebn avec son profit, sur [.]rā jusqu’à Ḥamham32, et Abāge’o jusqu’à Meqṣa’ā, la terre des Walasat. Cela je l’ai fait attribuer au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix et au (fol. 3v) saint Ḫarayo. 2 [gantā] Et encore, j’ai fait attribuer au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix, un même nom, la terre de Māya ‘Agām33 […] : depuis Fāṣa[.], depuis la tombe de Ma‘adalā34 de ce côté-ci, depuis Bēta Ze’eb de ce côté-là, pour […] dans Māya Ka[.], dans Lan[.]da‘e, dans le col de Samāyāt (le col des cieux), dans Gāt, Sabedālē, dans le précipice de Qalqalu, Sandirān, dans sa montagne, depuis Leḥekwet le haut, dans Afā le haut, le puits. Ainsi, j’ai fait attribuer à elle, moi le ḥaḍay Ṭanṭawedem dont le nom de règne est Salomon, au lieu de Qefereyā (fol. 4r) à l’église de la Croix et au saint Ḫarayo. 3 [gantā] Et encore, j’ai fait attribuer et j’ai délimité, moi, le ḥaḍay Ṭanṭawedem dont le nom de règne est Salomon et le surnom Gabra Madḫen, dans la douzième année de mon règne, le 24 du mois de miyāzyā, en faisant attribuer au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix, la terre de Manabat : depuis Qatla Fāmās de ce côté-ci, depuis Māya Qeyḥa dans Za’awa Ḥazat jusqu’à la grande route de Māmā, depuis […] (fol. 4v) la tombe de ce côté-ci, depuis Derḥarā de ce côté-là, depuis le bois de Kwelbo de ce côté-ci, depuis Śerwa Meder (la terre noire) de ce côté-là, à partir du rocher blanc35 jusqu’à Daḥaṣit de ce côté-ci. Et ‘Ēfā avec son profit, depuis Māya Ṣewā‘o de ce côté-là, depuis Dabra Deno, depuis Mandeqo de ce côté-ci, Zeḫā avec son profit, depuis Mā’eg wemā de ce côté-là. Deuxièmement Mā’eg wemā où (est) le roi [?], depuis Śerwa Meder le bas, depuis ‘Aweda36 Kafa, depuis Lu’e le bas. C’est ce que j’ai fait attribuer et (fol. 5r) écrire, moi, le ḥaḍay Ṭanṭawedem dont le nom de règne est Salomon. 4 [gantā] Ce toponyme figure dans une donation de terre inscrite dans l’évangile de Dabra Libānos de Ḥam (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 185, no 3) ainsi que dans les actes de Libānos, en référence « à la terre de Libānos », près d’un fleuve nommé Hāmhām Qalay (La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 95, 167). 33  Cette localité figure dans plusieurs donations de terre : on la trouve notamment dans une donation du roi Amda Ṣeyon pour Dabra Libānos du Šemazānā (« L’evangelo d’oro di Dabra Libanos », éd. C. Conti Rossini, 1901, p. 22, 25, 28), mais également dans des donations des rois Dāwit, pour le monastère de Dabra Māryām dans l’actuelle Érythrée (C. Conti Rossini, Principi di diritto consuetudinario dell’Eritrea, Rome, 1916, p. 406), et Zar’a Yā‘eqob pour le monastère de Dabra Demaḫ (A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », 1994 [1996], p. 33-34, 42). 34  De nombreux noms de lieux en Érythrée se réfèrent à des tombes. Voir C. Conti Rossini, « Saggio sulla toponomastica dell’Eritrea tigrina », Bollettino della Reale Società Geografica Italiana, serie 7, 3 no 10 (1938), p. 815. 35  Concernant l’emploi de qualificatifs liés à la couleur dans la toponymie : C. Conti Rossini, « Saggio sulla toponomastica dell’Eritrea tigrina », 1938, p. 804-805. 36  ‘Aweda peut signifier cour, cercle, assemblée, aire, environs… Il est donc difficile ici de savoir quel terme s’applique le mieux. Nous avons donc choisi de ne pas traduire. Voir également plus bas, l’expression በዓውደ፡ ንጉሥ፡ et note 15. 32 

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Et encore, j’ai fait écrire et j’ai fait attribuer moi, le ḥaḍay Ṭanṭawedem, dont le nom de règne est Salomon, j’ai fait écrire la terre de Śāḥewā pour l’église de la Croix, pour le lieu de Qefereyā : depuis ’Erāfa Zēnā et depuis Samāy de ce côté-ci, depuis Bēta Meṣwām de ce côté-là, depuis le rocher blanc, depuis le précipice de Qalqalu de ce côté-ci, depuis Śenat Gadā à la rivière de Gabgalā de ce côté-là et depuis (fol. 5v) Ma‘āla Fayāt de ce côté-ci, depuis la route du roi par là. Ainsi, j’ai fait attribuer pour elle, à Qefereyā, à l’église de Masqal et au saint Ḫarayo. [5 gantā] Encore, ayant fait droit (?) au tribunal du roi aux habitants de Salaba37 avec (leurs) biens (et) leur terre, nous leur avons fait attribuer leurs gens et leur bétail, (leurs) esclaves38 et leurs maîtres, leurs esclaves (?) et leurs hommes libres jusqu’aux chiens aussi, qui demeurent dans leurs murs. De même j’ai fait attribuer la terre de Ne‘ebāt depuis Oro Mada le bas, Māya Śā’enāy le bas et depuis ‘Āma Gwabāy (fol. 6r) de ce côté-ci, depuis au-dessus de Māya Gwend de ce côté-là, depuis Kwe‘asēnā le haut, Medbāy39 le haut, depuis Gwalā’ē de ce côté-là, depuis Rād de ce côté-ci, depuis Gwabāḥ le haut, depuis le rebord de ‘Aśā le bas et ainsi, j’ai fait attribuer à l’église de la Croix et au saint Ḫarayo. 6 gantā. Et encore, j’ai fait attribuer à l’église de la Croix, Ṣa‘āndewāt depuis Ṣerā‘e40, la terre des musulmans, le Très-Haut nous a donné leur terre et leurs possessions – nous avons foi (dans) le Seigneur – les ayant combattus, eux étant musulmans. Quant à moi, je les ai données à l’église de la Croix, (fol. 6v) et à Gabre’ēl, avec leur terre, leur bétail, avec leurs gens et leurs vaches – quant à ma chair, que le Seigneur aie pitié de moi dans son royaume –, la terre de Ṣe‘endēwe [passage non traduit] (fol. 7r). [7 gantā ?] Ces terres, je les ai données, moi, Ṭanṭawedem, à l’église de la Croix, à Gabre’ēl et à Marie, au lieu de Qefereyā, pour Dieu, pour l’éternité, amen.

37  Il « Gadla Absādi » (Dabra Māryām, Sarā’ē), éd. G. Lusini, 1996, p. 60-62, 67 (texte), p. 60 n. 22 (trad.) « Salabā est un massif montagneux à l’est de l’Ansabā, plus ou moins à la hauteur de Habi Mantel, une zone habitée dans le passé par les Mensa ». 38  Le terme gabr est donné ici au singulier, mais comme il est suivi d’un pluriel pour les « maîtres », il m’a semblé plus juste de rendre « les esclaves ». 39  On trouve une localité nommée Madabāy dans le Liber Aksumae (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.8, II.10, II.42, II.44, II.83), mais il n’est pas certain qu’il s’agisse du même lieu. 40  Région située dans le Tegrāy oriental, dans laquelle on localise notamment la fameuse église rupestre d’Abrehā et Aṣbeḥa (au nord du Gar‘āltā) (W. Smidt et D. Nosnitsin, « Ṣəra‘ », 2010, p. 626). C’est une région dans laquelle les disciples du moine Baṣalota Mikā’ēl sont exilés tandis que lui est envoyé dans le Gar’altā (Acta S. Baṣalota Mikā’ēl, éd. C. Conti Rossini, 1905, p. 47 (texte), 41 (trad.).

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La terre de Karan du Gwelo Makādā41 avec tout le tribut qui en dépend, j’ai donné à la Croix du Christ ; la terre de Ḥarmat et Maya Agām (fol. 7) (au) juste Ḫarayo, la terre avec tous les tributs qui en dépendent. J’ai donné à Gabri’ēl, l’annonciateur de joie, la terre de Manabot et la terre de Sāḥewā, Ne‘ebāt et Ṣe‘āneywāt [avec] tout leur tribut qui en dépend. J’ai donné à Marie, mère de la joie, […]42, et de même j’ai fait attribuer ses hautes terres et ses basses terres, puits et lieux sombres, lieux larges et étroits, ses canaux d’irrigation (et) (fol. 8r) l’étendue du lieu sans tribut et sans corvée, sans réquisition et sans séquestre, sans montée et sans descente [sans droit de passage] où n’entrera pas le qabataynā neguś, ni l’āqqabē sensit et […], qu’il n’entre pas le ‘enqeba ṭebṭābē et celui qui porte le bâton (l’ennemi), où n’entreront pas le gardien du cheval et (la crinière) du lion. Par la grâce du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, j’ai fait écrire, j’ai fait attribuer et j’ai délimité, moi, le ḥaḍāni43 Ṭanṭawedem dans la douzième année de mon règne, le 24 du mois de (fol. 8v) miyāzyā, en faisant attribuer au lieu de Qefereyā, à l’église de la Croix : ‘Urā Deng walo, Berketo, ‘Ād ’Ayt ‘Āber, ’Ad Qayso, Tarak le haut, Tarak le bas, ’Agar Ḥesē, ’Engabato, Masāḥal44, Gwaltenā, Qanān Śebṭ, Mekweyām, ’Ad ‘Ābayt. Qu’ils ne s’approchent pas les chefs (śeyyumān) du Gwelo Makādā, avec leurs pieds, avec leurs yeux, qu’ils ne la voient pas ; ou à cheval ou avec l’arc et le bouclier, en utilisant la force, qu’ils ne s’en approchent pas. Que (fol. 9r) le chef (śeyyum) de l’Agāmē45 n’approche pas de ses limites, que le chef (śeyyum) de Bur46 ne s’en Plusieurs donations de terre font figurer le toponyme Gwelo Makādā dans le Liber Aksumae. On trouve notamment une donation de terres du roi légendaire Gabra Masqal (vie siècle) pour le saint Aragawi parmi lesquelles figurent des terres du Gwelo Makādā. Hām (localité à proximité de laquelle le monastère de Dabra Libānos du Šemazānā est installé) est alors considéré comme un pays du Gwelo Makādā (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 19091910, I.5, II.4 ; La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 259. 42  Passage très obscur. 43  À noter l’emploi de ce titre, ḥaḍāni, alors que dans le reste du document le roi se présente comme le ḥaḍay. 44  Une localité nommée Masāhel figure dans le Liber Aksumae, mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de la même chose que Masaḥal (Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.10). 45  Cette région figure dans de nombreux textes. Le plus ancien est une inscription sur le trône d’Adoulis (RIÉth 277), antérieure au ive siècle ap. J.-C. (au sujet des débats concernant l’attribution chronologique de cette inscription, voir Bernand, 2000, p. 43-44 ; Fauvelle-Aymar, 2009, p. 141-147). Au xive siècle, le roi Amda Ṣeyon évoque l’Agāmē dans des donations de terre (Conti Rossini, 1901, p. 22, 25, 28). Voir aussi Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.27, II.44, II.72, II.73, II.74, II.101, III.4, III.63 ; A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », 1994 [1996], 8.II ; La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 146, 197, 231, 247, 249. 46  La région de Bur apparaît dans les Vies des neuf saints comme une terre non chrétienne à leur arrivée (voir notamment « Il gadla Filpos e il gadla Yohannes di Dabra Bizan », éd. C. Conti Rossini, 1900, p. 168). On trouve également mention du Bur dans les Vies des Justes qui évangélisent la région. Dans ce texte, l’officier ayant autorité sur la région de Bur 41 

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Annexe

approche pas ; que le chef (śeyyum) du Sarāwē47 ne s’en approche pas ; que le Ba’alā Ṣam‘ i ne s’en approche pas ; que le Bāḥer Nagāśi48 ne s’en approche pas. Qu’ils soient excommuniés par la bouche des 318 Orthodoxes et des 15 Prophètes, par la bouche des 12 Apôtres et par la bouche des 72 disciples, afin qu’ils ne s’approchent pas. Celui qui lui fait violence et qui le spolie, qu’il soit excommunié par la bouche de Notre Dame Marie qui n’est pas contestée, par la bouche du prêtre et du métropolite, qu’il soit exécré, (fol. 9v) pour l’éternité, amen et amen. En sorte que le tribut pour le lieu de Qefereyā ne soit pas oublié par les tributaires pour la commémoration de l’offrande à l’église et le salām49 : à Urā, 5 gabatā et demi50 (de blé) et aussi le salām. À ’Agarḫesē, 5 gabatā et demi de blé et aussi le salām. À Tarak le bas, 6 gabatā et demi de blé et aussi le salām. À Tarak le haut, 6 gabatā et demi de blé et aussi le salām. À ‘Ād Qayso, un yāhit de blé et le me’ero51 salām. À Dang walā le bas, 6 gabatā de blé (fol. 10r) et aussi le salām. À Dan[g walā] le haut, 6 gabatā de blé et aussi le salām. À Śaṭo, un yāhit de blé et le me’ero salām. À Mekweyām, 6 gabatā est nommé śeyum. Voir « Il Gadla Ṣādqān », éd. C. Conti Rossini, 1903, p. 12, 13, 22 ; Liber Aksumae, éd. C. Conti Rossini, 1909-1910, II.39 ; III.8 ; G. Lusini, « Scritture documentarie etiopiche (Dabra Deḫuḫān e Debra Ṣegē, Sarā’ē, Eritrea) », 1998, p. 22 ; A. Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’Eritrea, parte prima (Dabra Māryām) », 1994 [1996], 8.II. Le Bur se situait dans la partie orientale du Tegrāy, le long de la côte (D. Nosnitsin, « Bur », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig, Wiesbaden, 2003, vol. 1, p. 640). 47  La région du Sarāwē représente aujourd’hui la région centrale du haut plateau érythréen, séparée de l’Éthiopie actuelle par le cours du Marab, au Sud (A. Bausi, « Säraye », dans Encyclopaedia Aethiopica, éd. S. Uhlig et A. Bausi, Wiesbaden, 2010, vol. 4, p. 537). Probablement touché par la seconde christianisation, le Sarāwē aurait été évangélisé par le moine Libānos (La « Vita » et i « Miracoli » di Libānos, éd. A. Bausi, 2003, p. 31, 155, 406, 488). Au xive siècle, le chef du Sarāwē portait le titre de śeyum. On trouve également, à la fin du xve siècle, un ‘āqāṣēn du Sarāwē (Il « Gadla Absādi » (Dabra Māryām, Sarā’ē), éd. G. Lusini, 1996, p. 54 ; Acta Marqorewos, éd. C. Conti Rossini, 1904, p. 44 (texte), 57 (trad.) ; G. Lusini, « Scritture documentarie etiopiche (Dabra Deḫuḫān e Debra Ṣegē, Sarā’ē, Eritrea) », 1998, p. 22-23, 24-25). 48  Il s’agit ici de la référence la plus ancienne connue à cette fonction dont le tenant avait probablement autorité sur une partie de la côte puisque l’on traduit Bāḥr Nagāśi par roi (ou viceroi) de la côte. À l’époque du roi Zar’a Yā‘eqob, le Bur fut soumis à l’autorité d’un officier du royaume portant le titre de Bāḥr Nagāš, qui avait aussi sous sa juridiction l’Akkale Guzai (qui n’est pas évoquée dans la donation de Ṭanṭawedem), le Šemezānā (également non citée dans la donation de Ṭanṭawedem), l’Agāmē et le Gwelo Makādā (Les chroniques de Zar’a Ya‘eqôb et de Ba’eda Mâryâm, éd. J. Perruchon, 1893, p. 47, 111). Ici, il semble que l’Agāmē comme le Gwelo Makādā soient indépendants du Bāḥr Nagāśi. 49  Implique peut-être l’idée qu’il y a des offrandes, une forme de don accompagnant les salutations (salām). 50  Voir le travail de Richard Pankhurst sur les mesures de grain au Tegrāy et sur le plateau érythréen (R. Pankhurst, « A preliminary history of Ethiopian measures, weights and values », Journal of Ethiopian Studies, 7 no 2 (1969), p. 113, 114). 51  R. Pankhurst, « A preliminary history of Ethiopian measures, weights and values », 1969, p. 111.

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et demi de blé et aussi le salām. À Qarna Śebaṭ, 6 gabatā de blé et aussi le salām. À Masḥal [ou Masaḥal] aussi le salām. À ’Angabato, aussi le salām. Et les autres tributs qui sont donnés à Qefereyā par les 70 de Karan et par Ba‘ādu : le pain du jeûne est donné depuis le carême jusqu’à Pâques selon le double d’une mesure de blé ; pour le tazkār de Ḫarayo (fol. 10v) aussi du blé moulu à Ba‘ādu, de même pour la fête de la Croix de maggābit et pour la Croix lumineuse, [passage non traduit]. Celui qui transgresse cela, qu’il soit exclu de la loi. En action de grâces au Père, au Fils et à l’Esprit Saint, nous avons consigné par écrit les champs du lieu de Qefereyā : 3 à ’Agarḫeśē, (fol. 11r) 3 à Māy Marēt, 3 à Ḍaqamtē, 2 à ’Ad Qayso, 5 à Berketo, 13 à Dang walo, 3 halawa, 2 à Seto, 20 à ‘Urā, 20 à Qefereyā, 40 halawa pour la commémoration de la Croix. Ce qui a été choisi : d’abord Mekweyām, puis Masaḥal, ensuite ’Angabato et ’Agarḫeśē et Māy Marēt, Ṣaqameṭē et ‘Urā Dang walo, Saṭo avec ’Ad Qayso et Qarna Śabeṭ, Berketo, Gweltenā et Yahārdu l’ancien. (fol. 11v) Que le père supérieur et la communauté n’acceptent pas de mauvais […]. Soit celui qui a donné soit celui qui a reçu, que tous les deux soient excommuniés par la bouche de Pierre et Paul, par la bouche des quatre Évangélistes, par la bouche des douze Apôtres, par la bouche des quinze Prophètes. Qu’il soit excommunié celui qui a donné des bœufs (ou) des ânes sans (?) et quant aux dons, 6 entalām et une mesure de qiqet. Et aussi le salām. Trois gabata. Pour la construction de l’église et le service de jour, Gweltenā, et Urā, la maison du miracle.

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Glossaire Sauf mention contraire, les termes présentés dans le glossaire sont en langue ge’ez.

Abbā : titre honorifique apposé au nom d’un moine ou d’un abbé. Il renvoie au terme « ab », père. Abuna : signifie « notre père ». Ce titre est employé en particulier comme préfixe au nom des patriarches ou des métropolites d’Éthiopie. Ambā : désigne une montagne tabulaire, difficile d’accès, au sommet de laquelle est installée un ermitage ou un monastère, un village ou parfois un camp militaire. Amḥarā : région historiquement installée entre les rivières Ğammā (Djamma) au sud et Bašelo (Bachélo) au Nord. Elle désigne aujourd’hui une région beaucoup plus vaste qui s’étend jusqu’à Gondar, au nord du lac Ṭānā. āqāṣēn / ‘aqqābē ṣanṣan / ‘aqānṣān : « gardien du chasse-mouche », titre donné au gouverneur de la région de l’Endartā, mais aussi à d’autres gouverneurs régionaux comme le chef du Sarāwē ou celui du Ḥāmāsēn. ‘aqqābē sa‘āt : « gardien des heures », titre honorifique donné à l’abbé de Dabra Libānos du Šemazānā puis accordé aussi à l’abbé de Dabra Ḥayq à la fin du xiiie siècle. Ba‘alta Bēḥat : Dame de Bēḥat. Biḥat/Bēḥat était un village au voisinage du Šemazānā, dans l’actuelle Érythrée. « Dame de Biḥat » est devenu un titre, notamment pour la reine Belēn Sabā, femme d’Amda Ṣeyon. Ce titre se retrouve ensuite sous une forme abrégée – ba’alteḥāt – pour certaines des épouses royales à partir du xve siècle.

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Glossaire

Bāḥer nagāśi : gouverneur des régions septentrionales du royaume. Il est généralement admis que le mā’ekala bāḥer et le bāḥer nagāśi sont deux titres pour une même fonction. Beg wenā : aujourd’hui, nom de la région où se trouvent les églises de Lālibalā. Mais dans le passé, le Beg wenā désignait une région plus vaste, avant que ce toponyme ne soit remplacé par un autre – Lāstā – à compter du xviie siècle. Il est possible que Beg wenā ait désigné le royaume des Zāg wē. Bēt : signifie « maison ». Associé à un substantif, ce terme peut prendre le sens d’église (« maison des chrétiens »). Associé au nom d’un archange ou d’un personnage biblique, il fait référence au nom de l’église proprement dite, comme à Lālibalā, où toutes les églises sont désignées sous la forme Bēta Masqal (« maison de la Croix », église de la Croix), Bēta Māryām (« maison de Marie », église de Marie)… Dabr : désigne une montagne, le plus souvent celle où se trouve un monastère. D’où la construction Dabra Libānos, pour le monastère de Libānos. Enda : terme tigrinya employé pour désigner un lieu et qui peut donc se comprendre comme « le lieu de… ». Eṗis Qoṗos : évêque, assistant du métropolite. Gadl : combat ascétique, terme employé pour intituler les récits hagiographiques. Ge’ez : langue sémitique. C’est la langue savante de l’Éthiopie chrétienne, toujours employée dans la liturgie de l’Église. Gwelt ou gult : donation royale d’une terre à une église ou un monastère, qui en tire bénéfice en percevant en lieu et place du roi, les taxes dues sur la terre. Celles-ci sont versées en nature, à l’occasion de la fête du saint patron. Ḥaḍāni : étymologiquement, signifie le nourricier, le tuteur et marque peutêtre une qualité particulière du souverain. Ce titre est employé pour trois personnages : Dane‘ēl (Daniel), Ṭanṭawedem et Lālibalā.

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Glossaire

Ḥaḍay / ḥaḍē : ḥaḍay est un terme tigrinya et ḥaḍē son équivalent en ge’ez, que l’on traduit par majesté. C’est aussi un titre employé pour désigner le roi d’Éthiopie. Au xive siècle, al-Umarī présente le souverain chrétien d’Éthiopie comme le ḥaṭi, transcription arabe du terme ḥaḍē. Le roi Ṭanṭawedem porte le titre d’ḥaḍay dans la donation de terre à Urā Masqal Qefereyā. Kebra Nagaśt : « Gloire des rois », ouvrage faisant le récit de la rencontre entre le roi Salomon et la reine de Saba, et la naissance de leur fils, Ménélik. Ce dernier est désigné comme le plus glorieux des rois de la terre, détenant l’arche d’alliance, et exerçant son pouvoir en Éthiopie. Cet ouvrage aurait été traduit du copte en arabe en 1225, au cours du règne de Lālibalā, mais n’aurait pas été diffusé par les rois Zāgwē dans le royaume d’Éthiopie, parce qu’il mettrait en avant l’illégitimité des Zāgwē à régner. Au cours du xive siècle, il commença à être diffusé en Éthiopie pour soutenir l’origine salomonienne de la dynastie fondée par Yekuno Amlak en 1270. Lāstā : région située au sud de la rivière Takkāzē. Ce toponyme semble se substituer au nom de Beg wenā à compter du xviie siècle. Liber Aksumae : compilation d’actes fonciers et de textes historiques réalisée par Carlo Conti Rossini et désignée sous le titre de Liber Aksumae. Il rassemble les donations foncières à l’église d’Aksum et une compilation de documents historiques et pseudo-légaux connus dans cette même église et faisant l’objet de nombreuses copies et variantes. Liqa ’Aqaytāt : chef des Aqaytāt, populations occupant la terre d’Ad Aqyat, près d’Aksum. Liqa ‘aqqābē dēdē : chef des gardiens des portes. Liqa Bāriyā : chef des Bāriyā, population occupant le nord-est de l’Érythrée actuelle. Liqa bēta qaṭṭin : chef des domestiques. Liqa ḫadār / liqa ḥedar : chef d’un corps de troupe. Liqa kēnot / liqa kāḥenāt : chef des prêtres.

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Glossaire

Liqa masanqo / liqa masanāqut : chef des musiciens. Le masanqo est un instrument de musique, un violon à une corde. Liqā ṣanṣan / ‘āqāṣēn / ‘aqānṣān : gardien du chasse-mouche, titre donné au gouverneur de la région de l’Entertā. Liqa zyāqonāt / liqa dyāqonāt : chef des diacres. Mā’ekala bāḥer : gouverneur de la région entre la côte le long de la mer Rouge et l’hinterland jusqu’au Ḥāmāsēn. Nağāši : nom arabe donné au roi d’Aksum, par emprunt du terme neguś, dans les textes arabo-musulmans relatant la prédication de Mohammed. Neguś : roi. Ṗa ṗṗas : désigne le métropolite d’Éthiopie, évêque nommé parmi les moines

égyptien par le patriarche d’Alexandrie pour diriger l’Église d’Éthiopie. Qāla ḫemmāt : « voix » de l’encre.

Qasa gabaz Ṣeyon / qaysa gabaz Ṣeyon : administrateur de l’église d’Aksum. Qasa haḍāni / qasa ḥaḍin : prêtre du roi. Sagwā : surnom royal, dans le cas de Ṭanṭawedem, c’est Gabra Madḫen. Ṣaḥafē te’ezāz : secrétaire des édits. Ṣaḥaf lām/ ṣaḥafalām : comptable du bétail (« celui qui enregistre les vaches »), titre donné vraisemblablement à un gouverneur régional, mais dont on ne sait pas à quelle région cela renvoie pour le xiiie siècle. Au cours du xve siècle, ce titre est donné à certains dignitaires régionaux, nommés par le roi. On trouve ainsi un ṣaḥafalām de Qedā, du Šawā, de l’Amḥarā et du Dāmot. Šawā : région historiquement située au sud de la Ğammā (Djamma) et au nord de l’Awaš (Awash).

276

Glossaire

Ṣawārē nārgē masaray / ṣawār nārgē ma’asarē : le porteur du flacon de médecine, dignitaire qui doit être présent au moment de la tonsure du nouveau roi et qui participe à la cérémonie de consécration du roi. Śeyyum : désigne celui qui a été nommé à une fonction. On traduit généralement ce terme par « chef ». Tābot / manbāra tābot : le tābot est la pierre d’autel qui est consacrée par le métropolite d’Éthiopie ou les évêques et qui repose sur le meuble d’autel (ou manbāra tābot), employé pour la célébration de l’eucharistie. Il est considéré comme une réplique de l’arche d’alliance, dans laquelle étaient placées les tables de la loi. C’est l’objet le plus sacré des églises éthiopiennes, installé dans le sanctuaire (maqdas), lieu où seuls les ecclésiastiques ordonnés peuvent pénétrer. L’église prend le nom du tābot, s’il n’y en a qu’un, ou du tābot principal s’il y en a plusieurs, et la fête annuelle de l’église correspond à la fête de celui ou celle auquel le tābot est consacré. Tazkār : il s’agit de la fête commémorant l’anniversaire de la mort, qu’il s’agisse d’un saint ou du commun des mortels. Dans l’année qui suit la mort, ces commémorations peuvent avoir lieu pendant 40 jours après le décès, et donner lieu à une célébration spéciale le quarantième jour, puis le quatre-vingtième jour, après 6 mois, et enfin au bout d’un an. Ensuite, la commémoration est annuelle. Tegrāy : province du nord de l’Éthiopie actuelle, historiquement centrée autour d’Aksum, Adwā et Yeḥā. Ce toponyme désigne aujourd’hui les territoires au sud de la rivière Marab jusqu’au Takkazē. Tegrē : langue sémitique parlée en Érythrée, dans les régions septentrionales et orientales, ainsi que dans l’archipel des Dahlak. Tigrynia : langue sémitique parlée dans le sud de l’Érythrée et le nord de l’Éthiopie.

277

Le comput éthiopien chrétien Le calendrier éthiopien compte 13 mois, douze mois de 30 jours et un treizième mois de 5 jours (6 jours les années bissextiles). Le mois de maskaram est le premier mois de l’année et correspond à notre mois de septembre-octobre, le 1er de maskaram tombant le 11 septembre (le 12 l’année suivant l’année bissextile). Les années sont décomptées depuis l’Incarnation du Christ (ou ère de l’Incarnation), située l’an 8 du calendrier julien. Si bien qu’en septembre 2017, les Éthiopiens célèbreront le début de l’année 2010 (il y a un décalage de 8 ans avec le calendrier grégorien pour les mois de janvier à septembre et un décalage de 7 ans pour les mois de septembre à décembre). maskaram ṭeqemt

Les mois éthiopiens septembre-octobre octobre-novembre

ḫedār

novembre-décembre

tāḫśaś

décembre-janvier

ṭerr yakkātit maggābit miyāzyā genbot sanē

janvier-février

ḥamlē

février-mars mars-avril avril-mai mai-juin juin-juillet juillet-août

naḥasē

août-septembre

ṗagwemēn

début septembre

Dans la documentation ancienne, la référence au temps se fait en employant différentes ères. La plus usitée est l’ère de la Miséricorde, également connue comme étant l’an de Grâce. Cette ère observe un cycle de 532 années, le premier cycle débutant

279

Glossaire

en 284 de notre ère. Les scribes font parfois aussi référence à l’ère de la Création du Monde. Selon ce comput, la naissance du Christ eut lieu en l’an 5500 de la Création du Monde. Il faut donc enlever 5500 à l’an de la Création donné dans un texte éthiopien pour obtenir l’ère de l’Incarnation et ajouter 7 ou 8 ans (selon la date de l’année) pour convertir la date dans le calendrier grégorien. Par exemple, l’an 6898 de l’ère de la Création du Monde correspond à l’an 1398 de l’Incarnation, c’est-à-dire 1405/1406 de notre calendrier. On trouve aussi référence à l’ère des Martyrs, qui intervient 277 années avant l’ère de la Miséricorde. Pour convertir la date, il faut donc ajouter 277 à l’ère des Martyrs et ensuite 7 ou 8 années. Dans l’ouvrage, toutes les dates ont été converties dans le calendrier grégorien.

280

Chronologie Période ier siècle ap. J.-C. ive siècle

vie siècle

Éthiopie

Métropolites d’Éthiopie

Patriarcat d’Alexandrie

Émergence du royaume d’Aksum Conversion du royaume d’Aksum au christianisme, entre 325-328 Introduction du monachisme en Éthiopie Intervention du roi éthiopien Kālēb à Nagrān pour défendre les chrétiens contre les attaques du roi juif Dhū Nūwas en 525

viie siècle

Règne d’Armaḥ, dernier souverain aksumite à battre monnaie Déclin d’Aksum

ixe siècle

Inscription funéraire chrétienne de Giḥo (Hām) – 873

Fin xe siècle

Soulèvement de la reine des Banū l-Ham(u)wīya Inscriptions funéraires musulmanes de Kwiha Inscription du ḥaḍāni Dani’el

Patriarche Philothée (979-1003)

Patriarche Cyrille II – 1078-1092

281

Chronologie

Période

Éthiopie

Métropolites d’Éthiopie Débuts de la dynastie Métropolite Zāgwē Sawirus – ?-1101 e xii  siècle Règne d’Anbasā Wedem – Métropolite Giyorgis/ début xiie siècle Georges – 1101-? consécration de l’église de Mikā’ēl Ambā, par le mé- Métropolite tropolite Mikā’ēl : 1149/1150 Mikā’ēl – nommé par le paRègne de Ṭanṭawedem – xiie siècle ? (nom de règne : triarche Macaire (1102-1129) et Salomon) exerça sa charge jusqu’au patriarcat de Jean V (1146-1167) e xiii  siècle Règne de Lālibalā Métropolite Mikā’ēl – – ?-1204-1225-? (nom de règne : Serviteur de 1203/12041208/1209 la Croix) Métropolite Sa femme : Masqal Kebra Yesḥaq – 1210-? Règne de Yekuno Amlāk Métropolite (1270-1285) – fin de la dyGiyorgis/ nastie Zāgwē Georges – ?-1225-? e xiv  siècle Règne d’Amda Ṣeyon – 1314-1344 Règne de Dāwit – 1379/80-1412 e xv  siècle Règne de Zar’a Yā‘eqob (1434-1468) Règne de Ba’eda Māryām (1468-1478)

282

Patriarcat d’Alexandrie

Patriarche Macaire  – 1102-1129 Patriarche Gabriel – 1131-1146 Patriarche Jean V – 1146-1167

Patriarche Jean VI – 1189-1216

Bibliographie Sources manuscrites Archives Roger Schneider, centre Walda Masqal, Addis Abeba Évangéliaire, Dabra Libānos du Šemazānā/Ham Notes manuscrites sur Ham

Bibliothèque nationale de France Abbadie 139, Vie de Lālibalā Éthiopien 5, Kebra Nagaśt Éthiopien 141, Chronique des rois d’Éthiopie Éthiopien 697, Vie de Takla Hāymanot Arabe 302, Histoire des Patriarches d’Alexandrie

Bibliothèque vaticane Cerulli 37, Vie de Lālibalā Cerulli 223, Vies de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos

British Library Orient. 718, Vie de Lālibalā Orient. 719, Vie de Lālibalā

Églises de Lālibalā B IV 1, Évangéliaire de Bēta Madḫānē Alam B7 IV 15, Vie de Lālibalā, Vie de Masqal Kebrā et ses miracles, Malke’a Libānos, église de Bēta Libānos

Église de Mikā’ēl Ambā C3 IV 415, Évangéliaire de Mika’ēl Ambā

283

Bibliographie

Église de Qeddus Ḥarbāy Vie de Ḥarbāy

Église d’Urā Masqal/Urā Qirqos C3 IV 83, Donation de Ṭanṭawedem

Église de Yemreḥanna Krestos A.Ma.-IV-12394, Vies de Yemreḥanna Krestos, Lālibalā, Na’ākweto La’āb, Harbē A.Ma.-IV-12369, Vie de Yemreḥanna Krestos et de Qirqos

Hill Museum and Manuscript Library, Collegeville Davies, s.293, Évangile d’abbā Garimā III EMML 2836, église de Masaqo Sellāssā, Har Ambā (Šawā), Vie de Lālibalā EMML 6907, église de Bēta Madḫānē Alam (Lālibalā), Évangéliaire EMML 6921, église de Bēta Māryām (Lālibalā), Vie de Lālibalā EMML 6931, église de Bēta Golgotā (Lālibalā), Vies de Lālibalā et de Yemreḥanna Krestos EMML 6934, église de Bēta Golgotā (Lālibalā), Évangéliaire EMML 6948, église de Bēta Libānos (Lālibalā), Évangéliaire EMML 6964, église de Bēta Giyorgis (Lālibalā), Vie de Lālibalā EMML 7051, église de Na’ākweto La’āb, Vie de Lālibalā

Institute of Ethiopian Studies, Addis Abeba Lāḥa Māryām, église de Bēta Lehēm (Gayent), mf. Donald Crummey Illinois/IES 88.XXIV.9

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284

Bibliographie

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Bibliographie

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Carte 1 : L’Éthiopie et les régions bordant la mer Rouge

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Carte 2 : Localisation des archives Zāg wē

Carte 3 : Vestiges archéologiques du nord de l’Éthiopie cartographiés par Francis Anfray (carte tirée de F. Anfray, « nouveaux sites antiques », Journal of Ethiopian Studies, 11 no 2 (1973), p. 21)

Carte réalisée par Marie-Laure Derat, 2017

Eglise Site avec vestiges musulmans Site avec vestiges chrétiens post-aksumites

Carte 4 : Vestiges chrétiens du Tegrāy oriental, viiie-xiie siècle

Carte 5 : Essai de localisation des régions évoquées dans la donation de Ṭanṭawedem

Carte 6 : Églises de la région de Lālibalā

Carte 7 : Plan des églises de Roḥā

Carte 8 : Les églises liées au règne des Zāg wē et celles liées au roi Yekuno Amlāk

Index al-Ḫwārizmī : 83 al-Idrīsī : 83-84, 88 al-Maqrīzī : 162, 184 al-Umarī : 35, 275 al-Yaman : 67 al-Ya‘qūbī : 83-84 ’Amāni : 52, 127 Anbasā Wedem : 30, 40-42, 44-46, 55, 91, 119-120, 147, 158, 168, 207, 209, 211-212, 251, 282 An-Nakbah : 80, 132 Anza : 89 ‘aqāb dagē māsaray : 58-59, 127 ‘aqqābē sa‘āt : 52-53, 58, 125-126, 130, 132, 140, 173, 197, 200, 273 ‘aqqābē ṣenṣen : 57 ‘Arafah : 80-81, 174 Armaḥ/Armaḥa : 37, 87, 240, 281 Aṣbeḥa : 36, 40-41, 94-96, 266, 268 ’Asgada : 58, 127 Aṣḥam ibn Abğar : 87 ’Assedā : 51, 57, 79, 113, 117, 119-120, 148149, 151, 244 Atbara : 83-84 ’Atyāb : 80, 151

Abbā Garimā : 16, 37, 50, 85, 284 ‘Abd al-Laṭīf : 78 Abdūn : 70-71, 121 Abrehā : 40-41, 94-96, 266, 268 Abū Ğamil : 65 Abū l-Makārim : 65, 68, 158 Abu Salih : 69 ’Ab Yekun : 58, 126 ’Abt : 58, 126 Abyssinie : 14, 65-68, 72, 78, 83, 105, 157, 161-162, 174-175, 242 Adafa/‘Adfa/‘Adfah : 80-81, 174-176, 179-180, 182, 222 Adulis/Adoulis : 14, 89, 92, 136, 138, 269 ‘Agāmā/Agāmē : 38, 57, 93, 136-140, 248, 266, 269, 270 Agaw : 12-13, 19, 21, 107, 119, 128, 196, 200, 241-246, 249-250, 256 ’Ahām/Hām : 39, 46-47, 52, 54, 57, 59, 96-98, 104, 132, 135, 144, 149, 168, 172, 182, 267, 269, 281, 283, 319 Aksum : 13-18, 25, 46, 52, 55, 61, 84-85, 87-90, 92-94, 98, 104, 107-111, 113, 115-116, 123, 125-126, 129-130, 138, 144, 156-159, 171, 178, 180, 183, 197, 203-204, 208, 210, 254, 256, 258, 266, 275-277, 281 Aksum Ṣeyon : 61 ’Alāfo : 51 al-‘Ādīl : 75 al-Afḍal : 73 Albekuna : 133, 176 Alexandrie : 15, 17, 19, 30-31, 42-44, 51-54, 63-69, 71-79, 81-83, 90, 102, 105-108, 116, 119-120, 123-124, 132, 145, 147, 149-152, 157, 159-161, 163, 174, 177-181, 183-185, 223-229, 235, 241, 251, 257-258, 276, 281-282

ba’āla ṣam‘i : 38, 137, 140, 270 Ba‘alta Bēḥat : 51, 273 Badr al-Ğamālī (Amīr al-Ğuyūš) : 70-72 Ba’eda Māryām : 55, 58, 117, 192, 282 Baḫaylu : 52, 127 bāḥer nagāśi : 38, 128-129, 137, 270, 274 Bārā Ṣeyon : 58, 127 Beg wenā : 17, 51, 53, 58, 80-81, 87, 90, 123-124, 130-133, 144, 153, 155, 157, 173-174, 180, 182, 198, 222, 243, 258, 274-275

319

Index

Endā abbā Maṭā‘e : 38-39, 46, 125-126, 130, 148, 173, 319 Endertā/Entartā : 58, 127-128, 203-204, 273 ’Endreyās : 51, 126 ’Enqer‘o : 57 ’ēṗis qoṗos / ’ēṗis qoṗosāt : 51, 126 évêque : 15, 19, 43-45, 51-52, 58, 63-64, 67, 70, 72, 74, 100, 102-108, 110, 120, 123, 125-126, 132, 135, 148, 151-153, 155, 160, 162, 168, 174-175, 178, 180-181, 201, 222, 224, 228, 258, 274, 276, 277 Ezānā : 15, 16, 41, 52, 104, 115, 142, 158, 254 ‘Ezrā : 51, 126, 164, 181

Beg wenāy : 53, 58, 127, 131-133 Bēta Gabri’ēl-Rufā’ēl : 176-178, 320 Bēta Giyorgis : 88, 167, 284 Bēta Madḫanē ‘Alam : 20, 46, 59, 6061, 113-114, 135, 165-167, 187, 319-320 Bēta Māryām : 51, 54-55, 125, 187, 196198, 212, 274, 284 Bēta Masqal : 30, 51, 54-55, 125, 196-198, 212, 274 Biḥat : 51, 57-58, 148-149, 151, 169, 212, 252, 273 Bur : 38, 136-137, 139-140, 269-270 Christodule : 63, 70-71 Corne de l’Afrique : 12, 14, 19, 257 Cosmas III : 67, 106, 157, 160 Cyrille II : 63-64, 68-71, 120-121, 150, 224, 227, 235, 281 Cyrille III : 82, 224-225, 227

Fetḥa Nagaśt : 181 Fuwwah : 64, 76, 148 Gabra Madḫen : 35, 113, 115, 118-119, 266-267, 276 Gabra Māryām : 237 Gabra Masqal : 36, 41, 50, 57, 61, 79, 83, 88, 90, 98-99, 113, 115, 148-149, 154156, 159, 201, 208, 216, 231, 233, 269 Gabriel (archange) : 33, 43, 103, 143, 167170, 176-177, 217, 233 Gabriel (patriarche) : 44, 63, 67, 74-75, 282 Ğanbiya / Ğunbiya : 84 Ğarmi / Ğarma : 84, 88 Germā Śeyyum / Gerwa Śeyyum : 210211, 221-222, 250 Giyorgis : 53, 58-59, 73, 124, 126, 159, 181, 201, 224, 229, 235, 282 Gwelo Makādā : 38, 55, 93, 100-101, 104, 135-137, 139-140, 259, 269-270 Gudit : 40, 44, 91, 107, 209, 240, 241 g welt/gult : 30-31, 34-35, 50-51, 53, 57-58, 134, 266, 274

Dabra Libānos : 20, 36-38, 40, 46-48, 52-55, 57, 60, 82, 90, 96, 98, 113, 116, 118, 124, 126-127, 132, 135, 138-140, 144, 148-149, 159, 164, 167, 173, 196200, 203, 206-207, 212, 242-243, 246, 250, 267, 269, 273-274, 283, 319 Dabra Mā‘eṣo : 36, 55, 196-197, 212 Dahlak : 70-71, 85, 101, 121-122, 142, 277 Danāgel : 51, 54 David (roi) : 67, 157, 198, 203, 207, 222, 227, 231, 239, 248 De‘edu‘e : 57 Delna‘ād : 40, 44, 203, 205, 207-209, 211-212 Delāndā : 36, 196-197, 212, 251 Dēra : 51 Dhū Nuwās : 228, 281 Dungur : 88 Égypte : 15, 30, 33-44, 62-69, 71-76, 78, 81-82, 99, 101-102, 108, 122, 145, 147, 150-152, 157-163, 174-175, 177, 180, 183-185, 197-198, 223, 225, 228-229, 235-236 Ella Aṣbeḥa : 36 Ella Ṣaḥam : 87

Ḥabib al-Aṭfīḥī : 43, 74 ḥaḍāni : 34-35, 50, 52, 57, 79, 96, 105, 108-116, 124, 127, 144-145, 149, 257, 269, 274, 276, 281, 319

320

Index

Lāstā : 13, 21, 25-27, 59, 80, 123, 131-132, 208, 221, 237-238, 242-243, 245-249, 256, 274-275 Lēkā : 53, 127 Liber Aksumae : 46, 52, 135, 158, 275 liqa ’Aqaytāt : 52, 58, 127, 129, 275 liqa ‘aqqābē dēdē : 52, 127, 275 liqa Bāriyā : 52, 127, 275 liqa bēta qaṭṭin : 52, 125, 127, 275 liqa ḫadār/ liqa ḥedar : 52, 58, 127, 130, 131, 275 liqa makāso : 52, 127, 130-131 liqa masanāqut : 53, 127, 276 liqa kēnot : 52, 58, 127, 275 liqā ṣanṣan : 58-59, 127, 275 liqa zyāqonāt : 52, 58, 126, 276

ḥaḍay / ḥaḍē : 34-35, 39, 111, 113-114, 118, 237, 266, 268-269, 275 Hagara Wedem : 52, 127 Halo ’Amlākna : 52 Hanna : 51, 58, 149 Ḫarayo : 33, 58, 126, 141, 181, 266-269, 271 Ḥarbāy/Harbē : 11, 25, 45, 209-211, 214217, 221, 231-232, 236-238, 250-252, 256, 284 Ḥarmat : 33, 266, 269 Ḫāṣaro : 57 ḥaṭi : 35, 198, 275 hasg wā / ḫasg wā : 12, 52, 58, 126-128 Ḥawzēn : 45, 91, 95 Ḥimyar : 16, 228 Ibn al-Qulzumī : 63, 73-74, 77 Ibn Ḥawḳal : 35, 105, 108, 111-114, 257

Ma‘ānī Ibn Abī l-Makārim : 63 Ma‘āṭawelo : 51 mā’ekala bāḥer : 52, 58-59, 127-129, 135, 139, 274, 276 Macaire : 42-45, 63, 73-75, 103, 119, 212, 251, 282 Mawhūb ibn Manṣūr : 63, 67, 69-70, 77 Makamas : 51 malhaza : 58, 127, 130-131 Manabot : 33, 269 Manakoseyāt : 51 Marc II : 63 Markaṭah : 83 Matarā : 89, 92 Masqal Kebrā : 11, 26, 47, 51, 57-58, 61, 79, 148-149, 150-151, 160, 164, 176, 181, 190, 191, 193, 211-212, 215-218, 221, 233-234, 236, 238, 251-252, 282283, 320 Mastafā : 51 Māya ‘Agām : 33, 267 Mecque (la) : 72 Méroé : 16 mer Rouge : 14, 16, 42-43, 95, 100, 121, 258, 276 Maleke Aksum : 88 Michel (archange) : 26, 42-43, 103, 217, 237 Michel (patriarche) : 63, 67-68, 105, 235

Jean V : 44, 63, 74-75, 119, 282 Jean VI : 63, 76-79, 81-82, 108, 119, 132, 148-149, 151-152, 160, 163, 174, 178, 181, 282 Jérusalem : 26, 67, 147-148, 156, 182, 185-187, 190, 192, 201, 217, 223, 226, 228-229, 239, 246 Junbaitah : 83, 84 Karan : 33, 51, 55, 266, 269, 271 Kebra Nagaśt : 36, 53, 156, 201-205, 207, 209, 219, 241, 249, 254, 275, 283 Kālēb : 16, 36, 41, 88, 90, 98, 142, 228, 281 Kantibā : 57 Kidane Mehret : 88 Kil : 76, 79, 81, 151-152, 161, 175 Krestos Bena : 58, 127 Ku‘bar / Ka‘bar : 84, 88-89 Lālibalā : 11, 13, 16, 18, 20-21, 24-27, 30, 34-37, 40, 45-48, 50-51, 53-62, 64, 69, 76, 79-82, 86, 94, 96-97, 107-108, 111, 113-120, 123-127, 129-136, 139-140, 144-145, 147-194, 195-199, 201-202, 206, 208, 210-221, 224-225, 230240, 243-244, 248, 250-253, 255, 256, 258, 274-275, 282-284, 319, 320

321

Index

Ṣa‘āndewāt : 33, 141, 268 ṣaḥafē te’ezāz : 52, 125, 127, 134, 276 ṣaḥaf lām / ṣaḥafalām : 58, 124, 127, 130131, 173, 276 Sāḥewā : 33, 268-269 Ṣagā Maṭā‘e : 58 Saladin : 147-148, 163, 182-185 Ṣālā‘et : 43, 103 Salomé : 51, 58, 149 Salomon : 12, 21, 35-36, 38-40, 46, 6667, 96, 113, 118-119, 156-157, 159-160, 225, 231, 239, 247, 254, 258, 266268, 275, 282 Śamro : 52, 127 Sāmu’ēl : 52, 126, 181, 266 Sara : 51, 58, 149 Sarā’ē / Sarāwē : 38, 128, 136-137, 139140, 142, 245-246, 270, 273 Ṣara Qemes : 234, 235 ṣawārē nārgē masaray / ṣawār nārgē ma’asarē : 52, 58, 125, 127, 155-158, 277 Sawen : 52, 58, 126 Sawirus : 68, 71, 74, 102, 120-121, 123, 150, 282 Sebḥat : 58, 127 Šemazānā : 20, 36, 38, 46, 48, 51, 54, 60, 82, 93, 103, 113, 118, 126, 135, 139, 148-149, 165, 196, 203, 212, 242, 250, 267, 269, 273, 283 Ṣerā‘e : 38, 122-123, 141-143, 160, 257, 268 Ṣeyon Ḫartā : 52, 127 śeyyum : 36, 38, 55, 61, 122, 136-139, 148, 196-197, 204, 212, 269-270, 277 Sinuthius/Shenoute : 68 Sophia : 51, 58, 149 Syrie : 68, 99

Mikā’ēl Ambā : 40-43, 45-46, 62, 74-75, 85, 95-96, 98, 103-104, 122, 155, 168, 282-283, 319 Mikā’ēl (métropolite) : 40-46, 51, 53-54, 64, 73-76, 78-79, 85-86, 95, 102-104, 116, 119, 122, 124, 126, 148, 151-153, 155, 161-163, 168, 174, 176, 178, 181, 212, 251, 257, 282, 319 Moïse (prêtre) : 79, 161, 175, 177 Murārā/Morārā : 38-39, 51, 57, 79, 113, 117-120, 148-149, 151, 208, 211, 243244, 250, 252 Na’āk weto La’āb : 11, 13, 25, 62, 210-211, 214-215, 221, 233, 234-238, 240, 244, 248, 250-252, 284 nağāši : 87, 276 Nagrān : 16, 228, 281 Najāghah : 83 Nāzrēt : 43-44, 101-104, 122, 144, 168, 201, 259 Ne‘ebāt : 33, 141, 268-269 Neguś : 38, 39, 61-62, 111, 113, 134, 136137, 269, 276 Nil : 43, 78, 83-84, 229, 235, 239 Norā : 43, 103 Nubie : 65-66, 70-71, 83-84, 105-108, 158, 179, 184, 202 ṗāṗṗās : 51, 57-58, 126, 180, 224, 276 qāla ḫemmāt : 52, 127, 276 qāla ṗāṗṗās : 51, 58, 126 Qagā : 51 qasa gabaz Ṣeyon/qaysa gabaz Ṣeyon : 52, 58, 126, 180, 276 qasa haḍāni / qasa ḥaḍin : 52, 58, 127, 276 Qefereyā : 20, 30, 33, 35, 50, 55, 111, 113, 118, 120, 122, 141, 261, 266-271, 275, 319 Qerub : 52, 126

Takkāzē : 13, 235, 275, 277 Takla Hāymānot : 45, 202, 204-211, 238, 250, 283 Ṭanṭawedem : 20, 26, 30-40, 46, 50, 55, 69, 73, 85, 86, 96, 101, 104, 108, 111, 113-120, 122-124, 128-129, 133-137, 139-145, 147, 157, 160-161, 176, 208, 211-212, 221-222, 232, 244, 250-251,

reine de Saba : 12, 66, 157, 159-160, 239, 247, 249, 254, 275 Riğal : 72

322

Index

257-258, 261, 266-270, 274-276, 282, 284, 319-320 Tegrāy : 17, 33, 40, 45, 55, 73, 86, 92-94, 96, 114-116, 128, 130-131, 136, 142, 145, 151, 168, 171, 173, 196, 200, 203, 209, 241-243, 245, 247, 249, 266, 268, 270, 277

210-211, 213-215, 221-228, 230, 232236, 238-239, 244, 247-253, 283-284 Yerdā’e : 51, 126, 181 Yerde’anna Krestos : 53, 58, 126, 132, 197 Yesḥaq : 53, 76, 201, 203-204, 233, 282 Yetbārak : 52, 58, 126-127, 151, 206, 210211, 250-251

Urā Masqal : 20, 30-31, 33, 38, 40, 55, 73, 98, 100-101, 104, 111, 113, 116, 118, 122, 124, 134-136, 140, 143, 164, 257, 261, 275, 284, 319

Za’adonāy : 58, 127 Za’amālāye : 52, 58, 127 Zāg wē : 12-14, 16, 18-22, 25-27, 29-30, 34, 37, 39-40, 45-47, 59, 62-63, 66, 69, 75, 81, 83, 85-86, 95, 119, 128, 139, 176, 184, 187, 195-198, 200-202, 204205, 207-214, 220, 224, 226-227, 230, 232-233, 236, 238-259, 274-275, 282, 320 Zakāryās : 52, 127 Zakrestos : 52, 127 Zānśeyyum/Žān Śeyyum : 51, 57, 79, 113, 117, 119, 120, 148-149, 151, 210, 211, 216, 222, 250, 251 Zarawedem : 58, 127 Zēna Krestos : 52 Zarēdā : 57 Zer Ga’āzā : 52, 127

Victor : 70-71 Wādī ‘Arābah : 42, 43 Wagr Beḍu‘ā : 51 Weḥara : 51 Welē Iyasus : 62 Yāgbā Ṣeyon : 39, 203 Yamo : 58, 127 Yekuno ’Amlāk/Yekuno Amlāk : 13, 195200, 203-209, 211, 212-223, 239, 241242, 247, 249, 251, 255-256, 275, 282 Yemreḥanna Krestos : 11, 13, 24-25, 45, 81, 98-99, 131, 171-172, 176, 195,

323

Table des figures Fig. 1 : Premier folio du manuscrit présentant les donations du roi Ṭanṭawedem pour l’église de Qefereyā/Urā Masqal (Cliché : Marie-Laure Derat, 2009). Fig. 2 : Dernier folio (fol. 11v) du manuscrit des donations du roi Ṭanṭawedem pour l’église de Qefereyā/Urā Masqal (Cliché : Marie-Laure Derat, 2009). Fig. 3 : Croix de procession du roi Ṭanṭawedem, conservée à Urā Masqal (Cliché : Marie-Laure Derat, 2009). Fig. 4 : Couverture en métal de l’évangile conservé à Endā abbā Maṭā‘e (Hām), photographiée par Roger Schneider (Archives Roger Schneider). Fig. 5 : Comparaison de la paléographie de l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, de la note du métropolite Mikā’ēl dans ce même évangéliaire et de la note de Lālibalā dans l’évangéliaire d’Endā Abbā Maṭā‘e de Hām (Clichés : pour l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, Marie-Laure Derat, 2009 ; pour la note de Lālibalā, Archives Roger Schneider). Fig. 6 : Donation du roi Lālibalā dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte no 6, fol. 23ra-b), photographie de Roger Schneider (Archives Roger Schneider). Fig. 7 : Donation du roi Lālibalā dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte no 7, fol. 7v-8r/14r), photographie de Roger Schneider (Archives Roger Schneider). Fig. 8 : La donation du roi Lālibalā dans l’évangile de Bēta Madḫānē ‘Alam à Lālibalā (© EMML 6907 fol. 208v-209r). Fig. 9 : Meuble d’autel de Bēta Madḫānē ‘Alam à Lālibalā (BMA 01), côté Est (Photographie : Claire Bosc-Tiessé). Fig. 10 : L’église d’Urā Masqal, réemployant des vestiges de l’ancienne église : pilier monolithique, fenêtres en pierres ajourées, caissons de bois sculpté à motif géométrique (Clichés : Marie-Laure Derat, 2009). Fig. 11 : Piédestal sur lequel figure deux inscriptions du ḥaḍāni Daniel. En contrebas, une autre pierre inscrite, mais qui n’a probablement pas de lien avec le ḥaḍāni Daniel (Cliché : Marie-Laure Derat, 2012). Fig. 12 : Relevé de la première et de la deuxième inscription du ḥaḍāni Daniel (DAE, vol. IV, no 12, 13). Fig. 13 : Note manuscrite de Roger Schneider concernant l’évangile de Dabra Libānos du Šemezānā et une donation du roi Ṭanṭawedem (Archives Roger Schneider, Notes on Ham 2_19, Centre Walda Masqal, Addis Abeba).

325

Table des figures

Fig. 14 : Autel central appartenant à un groupe de trois autels en fonction à Bēta Madḫanē ‘Alam, avec une représentation du Christ incisée et peinte. BMA07 (Photo : Bosc-Tiessé, 2010, p. 68). Fig. 15 : Localisation des murs en pierre de taille sur le site des églises de Roḥā (Carte : Lalibela, Ethiopia, plans and site topographic map, Addis Ababa, CFEE, 2011). Fig. 16 : L’église de Gabriel-Raphaël à Lālibalā (Photo : Claire Bosc-Tiessé, 2009). Fig. 17 : Plan de l’ensemble Dabra Sinā-Golgotā, Śellāsē (Plan : Lalibela, Ethiopia, plans and site topographic map, Addis Ababa, CFEE, 2011). Fig. 18 : L’enfeu avec le gisant du Christ, surmonté d’un ange (Photo Sandro Angelini, Archives Angelini, Bibliothèque municipale A. Mai de Bergame, © World Monument Funds 2007). Fig. 19 : Personnage sculpté dans l’église de Golgotā (Cliché : Emmanuel Fritsch, 2010). Fig. 20 : Vue de la façade ouest de l’église de Golgotā, avec en avant, le tombeau d’Adam (Cliché : Claire Bosc-Tiessé, 2009). Fig. 21 : Autel figurant le roi Lālibalā et la reine Masqal Kebrā et portant les inscriptions suivantes : « Lālibālā roi patient, saint de Dieu […] Qu’il reçoive du Père sa part de récompense » ; « Masqal Kebrā, reine, sainte du Seigneur, que le Christ a élue parmi toutes les femmes » (Photo : Claire Bosc-Tiessé, DSG 05, 2010). Fig. 22 : Peinture murale représentant le roi Yekuno ’Amlāk entouré de Neḥyo Bakrestos et de Maḥāri Amlāk (église de Gannata Māryām) (Cliché : Claire Bosc-Tiessé, 2012). Fig. 23 : Peinture murale représentant Kwelēṣēwon « fils de roi », associé à sa mère, Tehreyanna Māryām (église de Gannata Māryām) (Cliché : Marie-Laure ­Derat, 2012). Fig. 24 : Peinture murale représentant Tehreyanna Māryām (église d’Emmakinā Madḫanē ‘Alam) (Cliché : Claire Bosc-Tiessé, 2008). Fig 25 : Succession des Zāg wē reconstruite à partir des traditions et des hagiographies (Réalisation : Marie-Laure Derat). Fig 26 : La lignée de Ṭanṭawedem et de Lālibalā d’après la documentation historique (Réalisation : Marie-Laure Derat). Fig 27 : Les successeurs du roi Dāwit (1379/80-1412) (Réalisation : Marie-Laure Derat).

326

Sommaire Remerciements Avertissement

5 7

Introduction Les Zāgwē : les énigmes d’une dynastie usurpatrice et sainte La civilisation abyssine : d’Aksum aux Zāg wē Enquêter sur la dynastie Zāgwē Revenir aux sources Interroger la sainteté de la dynastie Questionner l’ancrage géographique des Zāg wē

11 12 14 17 19 22 25

chapitre premier : Traces écrites sur les rois Zāg wē Les textes issus de l’administration Zāg wē Vestiges du règne de Ṭanṭawedem Note de consécration de l’église de Mikā’ēl dans l’évangile de Mikā’ēl Ambā Archives du règne de Lālibalā (?-1204-1225-?) L’Éthiopie vue d’Égypte du xie au xiiie siècle Les églises et monastères d’Égypte et des contrées voisines (EMECV) L’Histoire des Patriarches d’Alexandrie

29 30 30 40 46 63 65 69

chapitre ii : L’émergence d’une nouvelle formation politique : le royaume du Beg wenā 87 La « seconde christianisation » et l’apparition de nouveaux territoires chrétiens 90 Les vestiges chrétiens du Tegrāy oriental : derniers témoins d’une christianisation en profondeur 92 e Une réaction païenne à la fin du x  siècle ? 105 Une nouvelle lignée royale : les ḥaḍāni 108 Aksum et le ḥaḍāni Daniel 109 Les titulatures de Ṭanṭawedem et Lālibalā : rois et ḥaḍāni 113 ’Assedā, Zānśeyyum et Morārā : les premiers dynastes 117

327

Sommaire

Réactions contre la présence musulmane en Éthiopie au tournant du xie et xiie siècle Le royaume du Beg wenā Les grands du Beg wenā Administration et territoires de l’État Beg wenā Domaine foncier et servitude chapitre iii : Le roi Lālibalā et la monarchie éthiopienne au tournant du xiie et xiiie siècle Gabra Masqal, le Serviteur de la Croix Lālibalā et la dame de Biḥat Le roi dévot et le roi oint Ses armées et ses guerres Les églises de Roḥā et la ville du roi Fondation ou donations aux églises ? Une ville royale au xiiie siècle ? Une petite Jérusalem Lālibalā, saint de Dieu

120 123 124 133 141 147 148 148 153 160 163 163 174 182 190

chapitre iv : Saints et usurpateurs, deux historiographies divergentes La première historiographie des Zāg wē L’avènement de Yekuno Amlāk Traditions autour de la chute des Zāg wē En réponse à l’historiographie dominante : les Vies des saints rois Zāg wē Les premières hagiographies : Lālibalā et Yemreḥanna Krestos Les hagiographies secondaires : Na’akweto La’āb et Masqal Kebrā Résurgence du culte des Zāg wē au xviiie siècle : la Vie d’Ḥarbāy L’historiographie savante L’identité agaw des Zāg wē Mode de succession, matrilinéarité et royauté couchitique

195 196 196 200

Conclusion

257

Annexe  : Donation du roi Ṭanṭawedem à l’église de la Croix de ­Qefereyā (Urā Masqal) Glossaire Le comput éthiopien chrétien Chronologie

261 273 279 281

328

213 215 233 236 239 242 250

Sommaire

Bibliographie Sources manuscrites Sources publiées Études

283 283 284 289

Cartes Index Table des figures

311 319 325

329

Planches

Fig. 1 : Premier folio du manuscrit présentant les donations du roi Ṭanṭawedem pour l’église de Qefereyā/Urā Masqal.

Fig. 2 : Dernier folio (fol. 11v) du manuscrit des donations du roi Ṭanṭawedem pour l’église de Qefereyā/Urā Masqal.

Fig. 3 : Croix de procession du roi Ṭanṭawedem, conservée à Urā Masqal.

Fig. 4 : couverture en métal de l’évangile conservé à Endā abbā Maṭā‘e (Hām), photographié par Roger Schneider.

Évangile de Mikā’ēl Ambā

Note du métropolite Mikā’ēl dans l’évangile de Mikā’ēl Ambā

Note de Lālibalā dans l’évangile d’Endā Abbā Maṭā‘e de Hām (fin xiie-début xiiie siècle)

Fig. 5 : Comparaison de la paléographie de l’évangéliaire de Mikā’ēl Ambā, de la note du métropolite Mikā’ēl dans ce même évangéliaire et de la note de Lālibalā dans l’évangéliaire d’Endā Abbā Maṭā‘e de Hām.

Fig. 6 : Donation du roi Lālibalā dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte n°6, fol. 23ra-b), photographie de Roger Schneider.

Fig. 7 : Donation du roi Lālibalā dans l’évangéliaire de Dabra Libānos (acte n°7, fol. 7v-8r/14r), photographie de Roger Schneider.

Fig. 8 : La donation du roi Lālibalā dans l’évangile de Bēta Madḫānē ‘Alam à Lālibalā

Fig. 9 : Meuble d’autel de Bēta Madḫānē ‘Alam à Lālibalā (BMA 01), côté Est.

Fig. 10 : L’église d’Urā Masqal, réemployant des vestiges de l’ancienne église : pilier monolithique, fenêtres en pierres ajourées, caissons de bois sculpté à motif géométrique.

Fig. 11 : Piédestal sur lequel figure deux inscriptions du ḥaḍāni Daniel. En contrebas, une autre pierre inscrite, mais qui n’a probablement pas de lien avec le ḥaḍāni Daniel.

Fig. 12 : Relevé de la première et de la deuxième inscription du ḥaḍāni Daniel.

Fig. 13 : Note manuscrite de Roger Schneider concernant l’évangile de Dabra Libānos du Šemezānā et une donation du roi Ṭanṭawedem.

Fig. 14 : autel central appartenant à un groupe de trois autels en fonction à Bēta Madḫanē ‘Alam, avec une représentation du Christ incisée et peinte. BMA07.

Fig. 15 : Localisation des murs en pierre de taille sur le site des églises de Roḥā.

Fig. 16 : L’église de Gabriel-Raphaël à Lālibalā.

L’église de Dabra Sinā-Golgotā-Śellāssē du site de Lālibalā

Fig. 18 : L’enfeu avec le gisant du Christ, surmonté d’un ange dans l’église de Golgotā.

Fig. 17 : Plan de l’ensemble Dabra Sinā-Golgotā-Śellāssē.

Fig. 19 : Personnage sculpté dans l’église de Golgotā.

Fig. 20: Vue de la façade ouest de l’église de Golgotā, avec en avant, le tombeau d’Adam.

Fig. 21 : Autel figurant le roi Lālibalā et la reine Masqal Kebrā et portant les inscriptions suivantes : « Lālibālā roi patient, saint de Dieu (…) Qu’il reçoive du Père sa part de récompense » ; « Masqal Kebrā, reine, sainte du Seigneur, que le Christ a élue parmi toutes les femmes ».

Fig. 22 : Peinture murale représentant le roi Yekuno ’Amlāk entouré de Neḥyo Bakrestos et de Maḥāri Amlāk (église de Gannata Māryām).

Fig. 23 : Peinture murale représentant Kwelēṣēwon « fils de roi », associé à sa mère, Tehreyanna Māryām (église de Gannata Māryām).

Fig. 24 : Peinture murale représentant Tehreyanna Māryām (église d’Emmakinā Madḫanē ‘Alam).

(1) Morārā Mār Takla Hāymānot

Gerwa Śeyum

(3) Yemreḥanna Krestos

(2) Ṭanṭawedem

Gabra Masqal

Žan Śeyum

Markēzā

(5) Lālibalā

(6) Na’akweto La’āb

(7) Yetbārak

(4) Ḥarbay

Fig 25 : Succession des Zāg wē reconstruite à partir des traditions et des hagiographies.

’Assedā Zānśeyum Morārā

Ṭanṭawedem

Lālibalā

Masqal Kebrā

Yetbārak

Abyab ( ?)

Delandā

Fig 26 : La lignée de Ṭanṭawedem et de Lālibalā d’après la documentation historique*.

(1) Dāwit (1379/80-1412)

(2) Tēwodros (1412-1413)

(3) Yesḥāq (1413-1430)

(4) ’Endreyās (1430-1430/31)

(5) Takla Māryām (1430/31-1433)

(6) Sarwa ’Iyasus (1433-1434)

(7) Amda ’Iyasus (1433-1434)

(8) Zar’a Yā‘eqob (1434-1468)

(9) Ba’eda Māryām (1468-1478)

Fig 27 : Les successeurs du roi Dāwit (1379/80-1412).

*  Sur ce schéma, seules les filiations qui sont certaines sont indiquées. Dans la mesure où il y a une incertitude concernant le fait que Morārā était peut-être le père de Ṭanṭawedem et de Lālibalā, le lien est en pointillé.