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L'ÉGLISE ET LES FEMMES DANS L'OCCIDENT CHRÉTIEN DES ORIGINES À LA FIN DU MOYEN AGE
TÉMOINS DE NOTRE HISTOIRE Collection dirigée par Pascale Bourgain
L'ÉGLISE ET LES FEMMES DANS L'OCCIDENT CHRÉTIEN DES ORIGINES À LA FIN DU MOYEN AGE
par
Paulette L'Hermite-Leclercq
BREPOLS
Couverture: Le Paradis terrestre: Adam, Ève et le Serpent (fin XIV' s.). Les Très Riches Heures de Jean de France, duc de Berry. Chantilly, Musée Condé, ms 65, fol. 25. © 1997 Brepols Tous les droits de traduction, d'adaptation et de reproduction (intégrales ou partielles) par tous procédés réservés pour tous pays.
D/1997/0095/4 Dépot légal quatrième trimestre 1997 ISBN 2-503-50560-0
Introduction
C'est surtout au xxe siècle, et en particulier au lendemain de la seconde guerre mondiale, que les femmes d'Occident, dans l'Église ou en dehors, ont donné de la voix puis, quand elles eurent acquis le statut indispensable pour le faire, entrepris de réfléchir sur leur histoire, ce qui est le sujet de ce livre aussi. La Turquie de tradition musulmane a donné le droit de vote aux femmes une dizaine d'années avant la France. Ceci paraît bien pourtant une exception, liée à la laïcisation précoce de ce pays au XIXe siècle. L'émancipation féminine s'est d'abord affirmée en effet dans les pays d'héritage judéo-chrétien et y a réalisé ses premières conquêtes. C'est dire combien il est important de s'interroger sur les mille cinq cents ans qui vont de l'avènement du christianisme à la fin du Moyen Age. On s'arrêtera là, non pas que tout change avec la Renaissance, mais pour deux raisons évidentes. La première est qu'avec la Réforme l'Église implose et qu'il n'est dès lors plus possible d'utiliser ce terme au singulier. La deuxième, que, progressivement, l'Occident se met à concevoir autrement les rapports avec le spirituel - quand il n'abandonne pas au fil des siècles les références et les valeurs religieuses. Posons clairement la question, sans faire semblant de croire, ou vouloir faire croire, que l'observation peut et doit se mener abstraction faite du point de vue de l'observateur lui-même, à savoir du jugement qu'il porte sur l'évolution qu'il constate et dont il profite: la reconnaissance actuelle des droits de la femme, le principe de l'égalité des hommes et des femmes, se sont-ils imposés grâce à l'Église chrétienne ou
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contre elle? En marge ou dans son sein? Qu'en est-il de leurs relations entre l'an un et 1500? Cette réflexion est conduite à partir de textes qu'il a fallu choisir, laisser parler, aider à parler brièvement. Quels ont été les fils conducteurs? Il faut d'abord être attentif aux deux partenaires du couple: l'Église, les femmes. Le plus difficile à cerner est le premier. Pour plusieurs raisons. D'abord parce que, contrairement à l'idée qu'impose spontanément un terme au singulier, l'Église est un être collectif, divers, divisé, mouvant, aussi insaisissable que les femmes. Ensuite parce que ce terme est ambigu. De quoi parle-t-on? Si c'est de l'Église assemblée de tous les fidèles, elle embrasse pour notre période la quasi-totalité de la population - sont seuls en dehors de la communauté chrétienne les juifs et les musulmans - et dans cette acception du terme, il est vain de distinguer l'Église des femmes puisque les femmes en font partie: elles sont , dans Mélanges R. Crozet, t. II, Poitiers, 1966, p. 1100.
Sur cette terre l'homme doit respecter l'ordre divin et dans l'initiative qui lui est laissée, il doit l'exprimer. Qu'entendait montrer la localisation des femmes du mauvais côté de l'église ? Que l'humanité n'existait pas ici-bas, mais la polarité sexuelle, marquée dès le Paradis et jusqu'à la Fin. Que doivent faire entendre à l'oreille les cloches qui annoncent une mort ? La même leçon qui se résume en une série d'équations: deux=impur=sexedemme. L'argumentation, comme on le voit, se transmet de siècle en siècle. Les bases s'en trouvaient dans !'Écriture. Le récit de la création fournissait un premier argument: le texte de Genèse 1, 6 ne dit pas que Dieu s'est réjoui le second jour de son œuvre, donc suspicion immédiate sur le nombre deux. L'histoire de Noé imposait une autre idée: les animaux n'étaient pas seuls à être purs ou impurs, les nombres aussi. L'impair est meilleur que le pair et cette inégalité renforce la précédente. Surtout, désormais le nombre deux devenait particulièrement mauvais. Mais ici Jérôme faussait le texte même de la Genèse en liant deux à la sexualité car si les animaux purs entraient sept par sept, c'était bien, eux aussi, pour procréer
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- et même procréer beaucoup plus vite que les paires. Entre ces sept échantillons des deux sexes, Dieu prévoyait-il des changements de partenaires entre les couples ? Jérôme passe pudiquement sur la question. Il préfère retenir que deux c'est le mariage humain monogame et qu'il est la marque des animaux impurs. Restait toutefois une autre étape à franchir que la Bible ne franchissait pas: lier le nombre deux à la femme. Pour présupposer que Dieu avait aussi affecté un nombre à chaque membre du couple, il suffisait aux commentateurs de se souvenir que l'homme était créé le premier, que la femme avait péché d'abord. Donc deux n'était plus le symbole de la paire impure vouée à la sexualité mais à l'intérieur d'elle, de son pôle le plus impur, le féminin. i;homme échappait au deux qui avait failli le marquer. Mais pourquoi trois coups de cloches et non pas un seul quand un homme meurt ? Parce que si la femme est vouée au deux, l'homme ne peut pas se contenter du un. Pour que les cloches disent que l'homme est supérieur il faut sonner plus de coups que pour la femme: donc trois, premier impair après le un et expression de la Trinité. Les ondes sonores qui devraient dans tout l'Occident chrétien annoncer la mort d'une créature tiennent toujours le même langage: la femme n'en finira jamais d'être coupable. Il faut la désigner en permanence de peur qu'on oublie et qu'elle échappe à la sujétion qui l'a punie. On peut se demander la raison du raidissement au xne siècle. Les censeurs se sentent-ils si faibles devant la tentation ? Ont-ils peur que soient contestées leurs prérogatives ? Ou bien est-ce l'observation des laïcs qui justifie la mise en garde ? Dans cette hypothèse serait-ce que le frottement de la vie quotidienne qui fait cohabiter les deux sexes a dangereusement tendance à abaisser la barrière ? Les mâles oublient-ils trop la distance qui doit séparer ceux qui commandent et ceux qui obéissent ? • Pierre Comestor et la femme
Doyen de l'Église de Troyes, puis chancelier de Paris, Pierre Comestor a donné des cours publics de théologie et sa réputation est très grande. Il meurt vers 1179. Son œuvre est traduite en français dès la fin du XIIIe siècle. 171
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- Le Serpent avait une tête de femme Commentaire de Genèse 3: Lucifer chassé du Paradis est jaloux de l'homme et n'a de cesse qu'il en soit éjecté aussi. Il redoutait pourtant que l'homme ne le perce à jour; c'est la femme moins prudente et moins sûre qu'il entreprit d'incliner au péché. Pour ce faire il utilisa le serpent qui en ce temps-là se tenait debout, comme l'homme, car il n'est couché au sol que depuis sa malédiction( ... ). Il choisit de plus un type de serpent, nous dit Bède, ayant un visage de vierge parce que les semblables s'applaudissent( ... ).
- Petits garçons et petites filles L'auteur a expliqué que le nom de la première femme a d'abord été virago puisqu'elle était tirée de l'homme (vir), puis c'est devenu le nom commun à toutes les femmes. Simplement virago a été raccourci en virgo, vierge. On parle de vierges aussi longtemps que les femmes conservent l'intégrité de leur naissance. Car à partir du moment où elles sont abîmées (fractae ), on parle de femmes (mulieres). (... )Adam a imposé [à sa femme] un autre nom: Eva, et ceci après le péché, ce qui veut dire vie parce qu'elle devait être la mère de tous les vivants. Cependant, puisqu'il n'est pas dit qu'il lui eût donné le nom dès le début mais à la suite de la malédiction, il est possible qu'Adam l'ait appelée Ève comme pour pleurer sur la misère humaine, comme une référence aux vagissements des nouveau-nés. En effet, le petit garçon qui vient de naître dit « a >>, la fille « e », ce qui fait dire: Qu'on dise « e >>,qu'on dise « a » On est tous nés d'Eva (Omnes dicent e, vel a, quotquot nascuntur ab Eva). PL 198, col. 1071.
- Définition Sermon pour la Toussaint: Comestor parle des vierges et des saintes femmes qui ont surmonté les faiblesses de leur sexe. Il les place dans la septième région du Paradis, celle des pacifiques. La femme est un animal inquiet, porté aux disputes et aux conflits, propre à semer les discordes. Elle fut le premier acteur de la discorde entre l'homme et Dieu. Par sa nature même, la lutte entre la chair et l'esprit est plus forte chez la femme que chez l'homme. D'autant plus faible est sa
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chair, moins rapide son esprit, d'autant plus difficile le combat, plus proche le désespoir et sa victoire plus exemplaire. PL 198, col. 1805.
L'Histoire scolastique du Comestor est un des brillants produits de l'école parisienne du xrre siècle. Le premier extrait permet de vérifier que l'opinion autorisée se fondant toujours sur les autorités, Écritures et Pères, il est difficile d'attendre beaucoup de neuf. L'important est cependant dans les inflexions. Pierre le Mangeur est un de ces intellectuels du temps ouverts aux commentaires que les rabbins ont pu faire de la Bible. À leur suite, il se demande par exemple pourquoi Dieu dans le texte de la Genèse dit tantôt je, tantôt nous. Pour créer Adam, Dieu est seul mais le verbe est au pluriel quand il crée Ève: il en déduit qu'il s'était associé aux anges. La Genèse ne décrit pas la tête du serpent porte-parole de Lucifer. Pierre le Mangeur invoque l'auguste autorité de Bède (t 735) - qui n'a rien écrit de tel ! - pour imposer une nouvelle évidence: Dieu avait donné le même visage au serpent maudit, « le plus rusé de tous les animaux >>, et à Ève. Il avait donc facilité et de ce fait, semble-t-il, prévu (car il n'a pu la vouloir) la complicité objective des forces du Mal, et l'avait exprimée par la ressemblance, en vertu du principe que ce qui se ressemble s'assemble. Le pauvre Adam avait affaire à deux adversaires femelles et non à un, le contraire du Janus bifrons (deux visages du même dieu), deux maux au même visage. Cette idée est reprise au xme siècle par Vincent de Beauvais, au xrve siècle dans une œuvre très lue de Ludolphe de Saxe, le Speculum humanae salvationis, dans un ouvrage en anglais, Piers the Plowman, et, à partir du xme, reçoit dans la sculpture de la cathédrale d'Amiens, puis les miniatures, sa traduction iconographique. Le serpent y a gagné une jolie tête. Et la femme? Dans le second passage on voit l'auteur prêter des arrière-pensées à Adam pour justifier de plusieurs manières le nom d'Éva. C'est simplement une autre façon de dire ce qu'Isidore de Séville, avec bien d'autres, avait relevé: Eva est l'anagramme de Vae =malheur ! Plus amusante sinon plus neuve puisqu'elle courait, on le voit, sous forme de proverbe, l'idée que dès la venue au jour de 173
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l'enfant, l'expression vocale est différente selon le sexe: à chacun sa voyelle ! Le dernier jugement retenu est un condensé de la tradition. Certes les femmes peuvent se sauver et quand elles sont saintes, elles sont d'autant plus admirables mais « naturellement » leurs handicaps sont plus lourds. Faiblesse de constitution gravissime puisque la distance avec l'homme s'accroît dans les deux sens: elles se trouvent plus tirées vers le bas par le corps et moins douées pour s'élever par l'esprit. L'accent est mis ici sur leur disposition viscérale à l'agressivité. On peut se demander si ce constat est dicté par l'expérience du temps: y a-t-il, consciemment ou non, comme une insatisfaction féminine qui aigrirait leur humeur, les porterait à la contestation permanente ? Les hommes projettent-ils sur elles leurs inquiétudes ? Existe-t-il une mauvaise conscience masculine ? Les trois hypothèses ne s'excluent pas forcément.
c. LES FEMMES AU JUGEMENT DERNIER: Hugues de Flavigny Évangile selon saint Matthieu, 25, 31-35, 4 5. Lorsque le Fils de l'Homme reviendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, il siègera sur son trône glorieux. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d'avec les autres, comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors, à ceux qui sont à droite, le Roi dira: « Venez les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous est destiné depuis la création du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger( ... ). Je vous le déclare, toutes les fois que vous avez omis de le faire à l'un de ces petits, c'est à moimême que vous avez omis de le faire. »
À l'année 1011 de sa chronique, Hugues, moine de Verdun puis de Dijon, en 1096 abbé de Flavigny (diocèse de Toul), fait dialoguer l'âme, inquiète de savoir ce qui se passera au jour du Jugement, et saint Michel. Les apôtres et tous les anges siègeront à la droite du Christ. L'ange: Lui [saint Pierre] jugera le premier, Paul le second, Jean-Baptiste le troisième; puis tous les apôtres; puis jugeront les saints ermites; puis les moines parfaits. - L'âme: 0 Seigneur, que jugeront-ils alors ? - L'ange: Les bons évêques rendront compte de toutes leurs ouailles. - L'âme: Ô
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Seigneur, quoi après ? - L'ange: Les bons prêtres après et ils jugeront. L'âme: Ô Seigneur, que se passera-t-il alors ? - L'ange: Alors viendront les bons laïcs et ils jugeront toutes les bonnes actions. Quant aux paysans, à ceux qui ont oeuvré pour le bien, ils ont reçu tout le bien. - L'âme: Ô Seigneur, que se passera-t-il alors ? - L'ange: Alors viendront les femmes. - L'âme: Ô Seigneur, que se passera-t-il alors ? - L'ange: Je te le dis. Celui qui a dit: «Va femme, ne pèche plus, il t'arriverait pire encore» (Jn 5, 14; 8, 11), lui les jugera( ... ).
MGH, SS, t. VIII, p. 384.
On sait quelle a été l'importance de ce passage de Matthieu dans les commentaires littéraires ou iconographiques, en particulier à l'âge roman où vivait le moine Hugues de Flavigny. L'annonce évangélique se place à la fin des temps que, justement, elle liquide, et pour l'éternité, en élevant la barrière définitive entre Dieu et diables, bons et méchants, jouissance et supplices. Donc forcément après la grande résurrection des corps qui doit précéder le Jugement dernier. l?heure n'est plus à l'appel au repentir: le Christ est au centre, en gloire et en majesté, Roi et Juge; il n'est entouré que de créatures spirituelles. De part et d'autre, les élus, les réprouvés. Le jugement est fondé sur le critère des œuvres de miséricorde accomplies ou négligées, moins tant envers le Dieu fait homme qu'envers tous ceux qui sont autant de figures du Christ souffrant: les « pauvres » en général. Le dialogue d'Hugues de Flavigny est une interprétation libre de ce passage, mis à distance d'abord par le procédé littéraire: l'âme qui dialogue avec saint Michel, l'archange du Jugement, le psychopompe, semble lui arracher toute une scénographie, non sans provoquer à plusieurs reprises son impatience. Il s'agit d'une révélation progressive de vérités inouïes, au sens propre d'un dévoilement. Sur le fond, surtout, les modifications sont importantes. Par rapport au texte de Matthieu les choses sont beaucoup plus complexes. Le pouvoir judiciaire du Christ s'est délégué; d'autre part est instauré un ordre de comparution. C'est toute une dynamique du grand procès de la fin des temps. Les juges appelés au prétoire le sont dans un ordre complexe qui fait quelque place à l'Histoire, et une grande à la hiérarchie telle que la percevait l'auteur. Il est normal que les apôtres, investis de l'auto-
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rité du vivant du Seigneur, soient appelés les premiers à juger, et Pierre avant Paul, puisque c'est à lui qu'a été confiée la construction de l'Église. Il n'est pas fait une place à part aux martyrs ni aux confesseurs des siècles suivants. La distribution de la société chrétienne qui s'impose ensuite est celle qu'a élaborée la réflexion carolingienne et qui s'opère en fonction de la sexualité: vierges, continents, mariés, soit: moines, clercs, laïcs. L'échelle de dignité place donc les ermites, les plus titrés des oratores comme chez saint Benoît, et les moines avant les évêques et les prêtres. Notons surtout que les laïcs ont accès eux aussi à la fonction de juges: quels laïcs ? Les princes ne sortent pas du lot. Le seul status social évoqué est celui des paysans. Le plus intéressant étant pour notre sujet le sort réservé aux femmes: tous les handicaps possibles. D'abord elles sont appelées en dernier, après les réguliers, les séculiers et les laïcs mâles. Ensuite elles le sont en troupe indifférenciée, comme inclassables autrement. Le seul type auquel se réfère l'auteur est la femme adultère dont l'étiquette est morale, fortement négative et non pas fonctionnelle ou sociale. Deux originalités supplémentaires: la masse des femmes est surtout la seule à ne pas juger alors que certains paysans au moins « jugeront »; la seule enfin à relever, comme dans Matthieu, de la justice du Roi, avec rappel de la menace de Jésus à la Samaritaine qui recommencerait à pécher après un premier pardon. Relevons enfin que la Vierge, figure féminine de la cour céleste qui va jouer aux siècles suivants un rôle croissant auprès du Christ du Jugement, porter l'espoir d'une médiation miséricordieuse, n'est pas plus présente chez Hugues qu'elle ne l'était d'ailleurs dans l'Évangile.
D.
L'ÉLABORATION THÉOLOGIQUE ET CANONIQUE
• Les théologiens: Pierre Lombard parle du mariage
Pierre Lombard (f 1160), d'origine italienne, a étudié puis enseigné à l'école Notre-Dame à Paris. Son œuvre sans être très originale a été constamment lue et commentée. Son manuel de théologie a été en usage dans les universités jusqu'en 1550. La création. La femme ne fut pas formée à partir de n'importe quelle partie du corps mais à partir du côté [d'Adam] parce qu'était créée une
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association de dilection. Il fallait éviter, si elle avait été faite à partir de la tête, qu'elle ne parût devoir être en position dominante pour commander au mari; inversement si elle avait été faite à partir des pieds, qu'elle ne parût en position de sujétion pour le servir. De ce fait n'était procurée à l'homme ni une dame ni une servante, mais une associée (socia). Pourquoi le démon a-t-il tenté Ève d'abord? Il l'a tentée car il savait que chez elle la raison était plus faible (minus) que chez l'homme. Qui a le plus péché ? Elle a péché contre elle-même, contre son prochain et contre Dieu. L'homme n'a péché que contre lui-même et contre Dieu et c'est pour cela qu'elle a été plus punie. PIERRE LOMBARD, ed. Collegii Sancti Bonaventurae ad Claras Aquas, t. I, Grottaferrata, 1971, p. 416-417, 433, 442-443.
Le mariage. C'est le consentement qui fait le mariage, exprimé par des paroles non de futur mais de présent. Il ne faut pas dire: «Je te prendrai ... mais je te prends. » Il ne doit y avoir ni violence ni rapt. Le consentement des filles. Prouve qu'il est consentant celui qui ne s'oppose pas. On doit comprendre que la fille est consentante à moins qu'elle n'exprime de façon évidente son désaccord. Les causes finales du mariage. 1) Procréation. 2) Remède à la concupiscence. 3) Il existe d'autres raisons honorables telle la réconciliation des ennemis, le rétablissement de la paix. 4) Il y a d'autres raisons moins honorables, telle que la beauté de l'homme ou de la femme qui pousse souvent les esprits enflammés par l'amour (amore) vers le mariage dans le but de satisfaire leurs désirs. Les époux se doivent fidélité et /'adultère est aussi grave pour les deux. Mais il n'est pas facile pour les femmes d'accuser leurs maris d'adultère; alors que les hommes ont l'habitude et plus de facilité pour traduire leurs femmes adultères devant le prêtre. Le mariage de Marie et Joseph non consommé a été parfait car ils ont été époux non selon la chair mais selon l'esprit. La copulation n'accomplit un mariage que selon le sens (ad significationem) et non selon la sainteté (ad sanctitatem). PL 192, col. 910, 915-916, 918.
Ce petit dossier extrait de Pierre Lombard a deux buts: vérifier la permanence de la tradition et repérer les modifications. On peut passer très vite sur ce que le Lombard doit en particulier à Paul
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et à Augustin. L'infériorité féminine est antérieure au péché: elle est d'origine et le péché l'a aggravée. Il faut cependant noter le souci de l'auteur de rééquilibrer les relations dans le couple. Il reprend à Augustin l'idée d'une amitié conjugale. Du coup, si le créateur a choisi une côte pour fabriquer Ève, c'était pour figurer un idéal du mariage où les deux membres sont à côté l'un de l'autre. C'est une société, un partenariat. Non pas du tout que pour lui l'homme ne soit pas le chef de sa femme puisqu'immédiatement Paul est invoqué, mais parce qu'il veut insister sur le liant spirituel, le ciment de dilection. Le mot est important car moins chargé de sensualité qu'amor, utilisé en revanche pour ces mariages qui obéissent aux pulsions du désir et qui inquiètent tant l'Église. Les finalités majeures du mariage sont toujours les mêmes: procréation et remède à la concupiscence. L'attirance physique est suspecte. Le xne siècle a entrepris un immense effort de réflexion sur ce qu'était un sacrement et sur le sacrement de mariage en particulier. Pierre Lombard y a largement contribué. Il est justement en train de devenir ce qu'il est resté dans l'Église catholique. Des deux critères que l'on pouvait retenir pour en définir l'essence: la copulation et le consentement, on voit qu'il a préféré le libre consentement, comme dans la Rome classique. On perçoit bien ici même quelques échos des difficultés qui pèseront sur le choix des filles et les écarts qui demeurent entre la théorie et la pratique. On remarquera en particulier la forme très restrictive donnée au consentement des filles. Dans la réalité, presque tout va faire obstacle à leur liberté: la méfiance générale envers les femmes, la nécessité où elle sont statutairement d'obéir au père puis au mari, sans parler de leur infériorité physique et de l'âge auquel on peut les marier. La constatation de l'auteur sur la dissymétrie entre maris et femmes en cas d'adultère est aussi révélatrice: les femmes peuvent difficilement porter plainte contre leur mari. Pour le Lombard comme pour Gratien, dès l'âge de sept ans les enfants peuvent être fiancés par « paroles de futur » et mariés par « paroles de présent » à douze ans pour la fille, quatorze pour le garçon. Ensuite intervient la copulation mais le mariage est parfait si les deux époux décident comme Marie et Joseph de ne pas le consommer. 178
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• Les canonistes: Gratien
Le Décret du moine de Bologne Gratien (f avant 1179), écrit dans les années 1140, est une œuvre majeure par son ampleur et sa postérité. C'est la première tentative pour réunir, ordonner et classer l'immense œuvre élaborée depuis plus d'un millénaire par les instances ecclésiastiques d'Orient et d'Occident et proposer des solutions qui dépassent ce que ces décisions avaient souvent d'incompatible ou de contradictoire. Cette élaboration du droit canon est une œuvre privée, mais sa qualité est telle qu'elle s'impose rapidement à la papauté qui, après la réforme grégorienne, affirme le principe qu'elle seule possède le pouvoir législatif universel. C'est donc le socle sur lequel s'édifie le code de droit canonique. - Les incapacités féminines 2, 33, 5, 12: C'est l'ordre naturel de l'humanité que les femmes servent les hommes, les fils leurs parents, car en ceci la justice veut que le plus petit serve le plus grand (1254) 1 . 2, 33, 5, 15: Ce serait blasphémer le Verbe du Seigneur( ... ) si la chrétienne, qui en vertu de la loi de Dieu est sujette, voulait commander à son mari alors que les païennes elles-mêmes sont soumises à leur mari en raison de la commune loi de la nature (1255). 2, 33, 5, 16-17: La femme doit en tout suivre la décision du mari. Elle n'a aucune autorité; elle ne peut enseigner, ni être témoin, ni prêter serment, ni juger (1255). 2, 15, 3: Que dans l'Ancien Testament les femmes aient pu juger le peuple, quiconque aura lu le Livre des Juges ne pourra l'ignorer (... ). A ceci je réponds: dans l'ancienne Loi, beaucoup de choses étaient permises qui sont aujourd'hui abolies par la perfection de la grâce. Comme en effet il leur était permis de juger le peuple, aujourd'hui, à cause du péché que la femme a commis, il leur est prescrit par l' Apôtre (Ép 5) de se tenir modestement, d'être soumises à l'homme et de porter la tête voilée en signe de sujétion (750). 2, 33, 5, 11: Il est manifeste que la Loi a si bien voulu que la femme soit soumise à l'homme qu'elle n'est tenue d'accomplir les vœux d'abstinence qu'elle aurait faits que si son mari l'y autorise( ... ). Le péché retom-
1. Les références en tête des articles sont celles de l'éditeur. Les chiffres entre parenthèses après les citations renvoient aux colonnes de l'édition.
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bera sur le mari s'il lui interdit ce qu'il lui avait d'abord autorisé. (Certes le devoir conjugal établit entre eux une égalité parfaite,) mais comme pour tout le reste l'homme est le chef de la femme et la femme le corps du mari, si la femme veut faire vœu d'abstinence elle le peut avec la permission du mari; par contre s'il le lui interdit elle ne peut pas l'accomplir. Et ceci, comme nous l'avons dit, à cause de sa condition de servitude qui fait qu'en tout elle doit être soumise à l'homme (1253). 1, 23, 25: Il est interdit aux femmes de toucher les parements de l'autel et les vases sacrés; interdit que les femmes consacrées à Dieu et les nonnes gardent les vases sacrés et les linges et portent l'encens autour des autels (86 ).
Corpus ]uris Canonici, éd. A.
FRIEDBERG,
t. I, Leipzig, 1879.
Ces articles concernant les femmes dans ce monument qu'est le Décret ont été re_groupés autour de deux questions majeures depuis les origines de l'Eglise: la place de la femme dans le plan divin donc dans la société car les deux se confondent, et la femme dans le couple. Les penseurs de cette époque sont trop respectueux des autorités pour avoir le moindre sens du relatif par rapport aux Écritures ni par rapport aux Pères dont le poids reste massif: pour chaque question, le moine rappelle ce qu'ont dit après !'Écriture, les épîtres (et surtout celles de Paul), les géants: Ambroise, Augustin, Jérôme et Grégoire le Grand. L'important est que, ordonnée, devenue le socle du droit de l'Église, cette réflexion non seulement fige la tradition mais porte toute l'œuvre qui s'appuie sur elle et s'en nourrit, agissant ainsi jusqu'au plus profond des consciences chrétiennes. Le relais en est la théologie morale, et les manuels de confesseurs dont on verra des échantillons au travers d'Alain de Lille, Thomas de Chobham et leurs successeurs. C'est à cette époque seulement que l'Église devient la seule institution compétente en matière de mariage et que les justices des officialités se mettent en place pour juger les litiges. C'est dire combien l'élaboration du droit canon est capitale pour l'Histoire des femmes et de leurs rapports avec l'Église. La place de la femme dans la création reflète les textes de la Genèse et le commentaire de Paul: Gratien n'innove pas. En revanche il renforce encore l'argumentation en faisant appel à une 180
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autre notion que le xne siècle est en train de redécouvrir, celle de droit naturel, droit commun à tous les peuples qui n'ont entendu parler ni de Yahvé ni du Christ. Or ils étaient eux aussi d'accord pour soumettre la femme à l'homme. Aux yeux de ces intellectuels tout dit donc la même chose. Une autre idée capitale est dégagée par Gratien et renforce la prédédente. Conscient des hiatus entre les deux Testaments, il transcende les divergences et c'est encore au détriment des femmes. Ce qu'elles ont pu avoir de pouvoir avant le Christ est caduc désormais comme on le voit lorsque, pensant à Débora, il écarte l'idée que désormais les femmes puissent juger. On retrouve donc chez lui cristallisées, d'autant plus marquées au sceau de la vérité qu'elles sont exprimées par des formules sonnant comme des axiomes, les incapacités à la fois juridiques, religieuses et liturgiques. On reviendra, quand on abordera les problèmes de morale des fidèles, sur les questions posées par la pénitence: la responsabilité de la femme, donc l'exercice de sa liberté que Dieu a pourtant voulue, y sont gravement restreints. Entre sa conscience et Dieu, il y a toujours l'intermédiaire homme dont Gratien dit qu'il est le vicaire de Dieu. Médiatisation qui découle de l'essence féminine. - L'amour dans le couple 2, 30, 2: Les fiançailles ne peuvent pas être contractées avant l'âge de sept ans. En effet elles ne sont contractées que par le consentement or il ne peut intervenir si ne peut être compris de l'un ou de l'autre de quoi il s'agit (1099). 2, 32, 2, 16: Sans ce consentement il ne peut y avoir de mariage légitime (1123-1124). 2, 28, 1, 17: L'épouse est donnée par ses parents, dotée par son époux et bénie par le prêtre: ce sont ces unions que l'on appelle légitimes et valables (1089). 2, 30, 5, 1: Les mariages ne doivent pas être clandestins. Il ne peut y avoir de mariage légitime que fait par ceux qui sont censés avoir sur cette femme la domination, et l'épouse est demandée à ceux qui en ont la garde; elle est mariée par ses parents et dotée selon les lois (1104). 2, 30, 5, 7: (C'est l'époux qui donne l'anneau. Le voile est blanc et rouge; blanc pour signifier l'honnêteté du mariage, rouge pour signifier la descendance par le sang. 1106.)
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2, 30, 5, 8: Les noces s'appellent ainsi parce que nubo veut dire voiler: (le voile est le signe de la sujétion de la femme. 1106). 2, 32, 2, 4: Le Saint-Esprit ne sera pas présent au moment où s'accomplissent les actes conjugaux (1120-1121). 2, 33, 4, 5: D'un commun accord il faut s'abstenir de rapports conjugaux pour vaquer à la prière (1248). 2, 32, 2, 1: Comme la récompense du mariage, la grâce des noces est que les femmes engendrent,( ... ) ceux qui s'accouplent non pas pour engendrer des enfants mais pour assouvir ensemble leurs désirs sont moins considérés comme des époux que comme des adultères (1119). 2, 32, 2, 7: Sont fornicateurs et non époux ceux qui se procurent des poisons de stérilité (1121). 2, 32, 7, 11: L'inceste, l'adultère sont moins graves que l'usage contre nature des membres de la femme dans le mariage. Le péché de l'adultère est plus grave que la fornication et moins grave que l'inceste. Mais de tous ces péchés le pire est celui contre nature; ainsi quand l'homme veut user d'un membre de la femme qui n'a pas été donné pour cela. Le péché contre nature est exécrable avec une prostituée mais l'est encore plus avec sa femme (1143). 2, 33, 1, 3: C'est en l'homme que se trouve la vérité si la femme nie avoir été connue par lui (1150). 2, 15, 1, 4: Le péché ne peut être imputé qu'à un être doué de raison. Il faut pourtant abattre les animaux avec lesquels les femmes auraient copulé. Non pas toutefois à cause de la faute: le bétail doit être tué à cause du souvenir de cet acte (74 7). Ibid.
Il ne s'agit ici que de la femme destinée au mariage ou mariée. Gratien hérite dans ce domaine de la réflexion de ses prédécesseurs proches, dont le canoniste Yves, évêque de Chartres (t 1116). Aux années où travaille Gratien les choses vont très vite. Tandis qu'Hugues de Saint-Victor (t 1141) a donné une définition plus profonde de l'essence du sacrement, les canonistes s'entendent pour poser que ce qui fait le mariage est le consentement et non pas la consommation. Celle-ci n'intervient qu'après. On est forcé de se tenir ici à trois aspects essentiels: l'âge, la portée du libre consentement, la sexualité conjugale. Fiancés à sept ans, les enfants peuvent, à l'âge de la puberté, se marier ou refuser le mariage. Ces âges nous paraissent aberrants.
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Il n'est pas possible que ces ecclésiastiques n'aient pas su combien immatures étaient forcément de tels engagements dont les parents étaient les auteurs. Ils le savaient bien, mais leur désir de canaliser, de moraliser le plus tôt possible la sexualité était encore plus urgent. Il est capital de rappeler que c'est justement à la même époque que les ordres nouveaux comme Cîteaux, qui ont puissamment réfléchi à ce que devait être le moine, ont décidé de refuser les oblats offerts tout petits par leurs parents aux monastères et de n'admettre que des garçons quasiment adultes. Le mariage n'engage-t-il pas lui aussi pour la vie ? Alors, pourquoi le maintien de niveaux d'âge pareils sinon parce que la fille, dès qu'elle a ses règles, inquiète. Elle risque de déshonorer son père, de devenir immariable en perdant sa vertu. Il n'est jamais trop tôt pour la faire passer sous la tutelle de celui qu'elle doit, comme Sara, appeler son seigneur et maître, auquel Gratien reconnaît le droit de la battre. Mais que vaut alors psychologiquement, socialement, un consentement pareil ? On voit parfaitement ce que recouvre la formule de liberté du consentement. Tous les verbes sont à la voie passive: la femme est demandée, est mariée, est dotée. Tout ce qu'on lui demande et qu'on obtient quasiment toujours est de dire oui à ce transfert. Très peu de femmes ont l'indépendance d'esprit (ou de fortune) et l'héroïsme de dire non - quelques saintes qui ne veulent que le Christ pour époux ou quelques filles sans famille et de ce fait «perdues ».Les autres ont bien appris l'obéissance ou n'ont pas le choix. L'amour dans le couple obéit aux impératifs traditionnels. On doit s'écarter du conjoint pour prier (Paul). Le Saint-Esprit déserte l'acte de chair (c'est une citation tronquée du philosophe Origène). La seule justification du mariage est la procréation. Le plus inquiétant est l'échelle de gravité des péchés. Le couple fidèle est constamment guetté par le péché de fornication ou d'adultère: s'il s'aime trop (Jérôme), s'il essaie de ne pas concevoir, s'il s'autorise quelques fantaisies érotiques, lourdement sanctionnées puisqu'elles sont plus graves que l'inceste. Toujours au nom de la valeur augustinienne de fidélité on aurait pu estimer plus peccamineux de fréquenter une prostituée que de goûter quelques plaisirs non
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conformes avec son épouse ? C'est le contraire. Notons enfin cette coutume attestée ailleurs qui consiste à mettre à mort un animal avec lequel une femme se serait accouplée parce qu'il rappelle à ceux qui le voient l'horreur de la zoophilie. • Innocent III: la femme dans La misère de la condition humaine
Lothaire de Segni écrit ce traité en 119 5 avant de devenir, en 1198, sous le nom d'Innocent III, l'un des papes les plus importants de l'histoire de l'Église. Il meurt en 1216. 1. Misère de l'homme, Jérémie 20, 18: Pourquoi suis-je sorti du sein pour ne voir que tourments et misères et pour consumer mes jours dans la honte? Job 10, 18-19: Pourquoi m'as-tufait sortir du sein?(... ) Je serais comme si je n'avais jamais été, du sein on m'eût porté au tombeau. Qui donnera donc à mes yeux la fontaine de larmes, que je pleure le misérable commencement de la condition humaine, le coupable déroulement de l'aventure humaine, la lamentable issue de l'anéantissement humain ? Dans les larmes je considérerai de quoi l'homme est fait, ce que l'homme fait, ce que l'homme deviendra. En vérité l'homme est fait de terre, conçu dans le péché, né pour souffrir. Il fait des choses mauvaises et interdites, des choses honteuses et indécentes, des choses vaines et inutiles. Il devient aliment pour le feu, nourriture des vers, monceau de pourriture. (... ) L'homme est fait de poussière, d'argile, de cendres, et, vil par-dessus tout, de sperme immondissime. Il est conçu dans le prurit de la chair, l'échauffement du désir, la puanteur de la luxure; et pis que tout, dans l'ordure du péché (... ). 2. Abjection de la matière, Genèse 2, 7: Le Seigneur Dieu forma l'homme avec la poussière du sol. Elle est moins digne que les autres éléments. Du feu il a fait les planètes et les étoiles; de ]'air il a fait les souffles et les vents; de l'eau il a fait les poissons et les oiseaux; de la terre il a fait les bêtes et les hommes (... ). 3. Souillure de la conception, Psaume 50, 7: Voici: je suis né dans la faute, c'est dans le péché, que ma mère m'a conçu. Non pas dans un seul péché ni une unique iniquité mais dans beaucoup de péchés et beaucoup d'iniquités( ... ). 4. Nourriture du fœtus dans l'utérus. Mais considérez quelle est la nourriture du fœtus dans l'utérus: du sang menstruel bien sûr qui cesse de s'écouler de la femme après la conception pour qu'en elle le fœtus s'en nourrisse. On dit que ce sang est si abominable et impur qu'à son contact les grains ne germent pas, les arbres se dessèchent, les plantes
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meurent, les fruits tombent et que si un chien en absorbe, il devient enragé. Les enfants ainsi conçus contractent le vice de la semence, aussi de cette corruption naissent des êtres atteints de lèpre ou d'éléphantiasis. C'est pourquoi selon la loi de Moïse, la femme qui a ses menstrues est considérée comme impure et si quelqu'un s'approche d'elle, ordre est de le faire mourir. Et à cause de l'impureté de ce sang il est aussi commandé à la femme de se tenir éloignée du Temple pendant quarante jours si elle a engendré un mâle et soixante-dix jours si c'est une fille (... ).
6. Douleur de l'accouchement et cri du nouveau-né. A la naissance tous nous crions pour exprimer la misère de notre nature. Le nouveau-né de sexe masculin dit « Ah ! » et celui de sexe féminin « Eh ! » Ils disent tous « Eh ! » ou « Ah ! » ceux qui naissent d'Eva. Qu'est-ce donc qu' « Eva » ? Deux cris de douleur de qui souffre pour clamer l'intensité de sa souffrance. Ainsi la femme conçoit dans l'impureté et la puanteur; accouche dans l'angoisse et la douleur; a du mal et de la peine pour allaiter; elle veille et tremble en permanence. LOTARIO DEI SEGNI (Pope Innocent III), De Miseria condicionis humanae, éd. R. E. LEWIS, Athènes, 1978, p. 93-105. Peu d'œuvres ont été aussi célèbres que celle-ci. Il en reste 672 manuscrits, des traductions dans la plupart des langues vulgaires et 52 éditions imprimées jusqu'à la moitié du XVIIe siècle. Nul doute que le prestige intellectuel de son auteur, à la fois théologien et juriste, cardinal avant trente ans, puis pape à l'apogée de l'Église, ne soit pour beaucoup dans le succès du traité. Nul n'est plus traditionnel, plus caractéristique de la pensée médiévale à la fois dans le fond et dans la forme. Il porte souvent en sous-titre Du mépris du monde, genre littéraire ancien qui a connu un second et puissant souffle à partir du xre siècle avec Pierre Damien et saint Anselme. Les extraits choisis ici l'ont été dans la perspective de notre sujet car dans l'universelle abjection de la condition humaine, la femme, une fois de plus, a un rôle spécifique. Elle ne se contente pas d'être la partenaire de l'homme dans la copulation peccamineuse qui transmet le péché originel, c'est en elle, réceptacle de la semence masculine, que s'accomplissent les opérations répugnantes qui aboutissent à la naissance du petit
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d'homme: il ne semble pas possible de la peindre sous un jour moins poétique et moins valorisant. L'auteur n'invente rien: son commentaire part de !'Écriture. Mais il pousse encore plus loin. Il tourne le dos à la conception traditionnelle de l'homme microcosme réunissant en lui les quatre éléments. A le suivre, l'homme est le plus mal loti de toutes les créatures car la terre dont Adam a été formé est le plus vil des quatre éléments. Comment comprendre alors l'optimisme de la Genèse, où Dieu donnait à l'homme la suprématie sur tout l'univers ? Lothaire s'en serait peut-être expliqué dans le second volet où il comptait montrer la grandeur de l'homme - et qu'il n'a jamais écrit, ce qui n'est sans doute pas un accident. On retrouve, empruntés en particulier à Isidore de Séville, les commentaires sur l'abomination des menstrues et sur les mécanismes physiologiques qui nourrissent le fœtus. Lothaire est obsédé par la saleté et la souillure du sang féminin: celui des règles, celui de la conception, celui de la naissance comme on le lit plus bas. Il reprend aussi l'interprétation traditionnelle des cris du nouveau-né. Il est essentiel de noter qu'en rappelant les interdictions du Lévitique relatives à la souillure féminine des menstrues et de l'accouchement il se garde bien de dire que la Nouvelle Loi a sur ce point aboli l' Ancienne. Il reconduit intégralement ainsi le tabou féminin, y compris dans la prescription mosaïque, qui pose que la femme est deux fois plus longtemps impure quand elle a engendré une fille. Pas un seul mot dans ce traité ne permet d'espérer la contrepartie réconfortante qui ferait oublier l'amertume de Jérémie ou de Job qui auraient préféré ne pas vivre. Les autres écrits de l'auteur permettent de deviner où trouver chez l'homme le seul siège de sa dignité: son âme, pécheresse mais portant l'image divine, que le Christ a sauvée et invitée à s'arracher le plus possible au sensible, au monde terrestre. Rien dans son œuvre qui exalterait l'aventure humaine, montrerait que ce misérable produit du péché, beaucoup plus faible à la naissance que le petit de l'animal, ne donnant contrairement aux plantes ni parfum ni fruits, comme il le dit ailleurs, mais uniquement de l'ordure, se tient debout, est le seul à parler; que Dieu a continué de le vouloir corps et âme pour lui entendre chanter ses louanges et qu'il en est la créature préférée, capable du pire mais aussi du meilleur, en un mot « capable de Dieu ».
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E.
UNE FEMME PARLE DE LA FEMME:
Hildegarde de Bingen
Hildegarde (1098-1179) a fondé plusieurs couvents dont celui de Rupertsberg, près de Bingen. Cette grande abbesse est aussi un auteur très versé dans les sciences et une prophétesse. Elle écrit dans le Scivias: 1 Cor 11, 12. Car, si la femme a été tirée de l'homme, l'homme de son côté, naît de la femme et tous deux viennent de Dieu. Ce qui veut dire: la femme a été faite pour l'homme et l'homme pour la femme; puisque, comme celle-ci vient de l'homme, de même l'homme vient d'elle afin qu'ils ne se séparent pas l'un de \'autre dans l'unité de leur descendance. (... )Dieu a fait l'homme du limon de la terre parce que, comme la terre a été faite en tant que vertu germinative des fruits des champs, la femme l'a été en tant qu'humeur de procréation faite pour engendrer des fils. Qu'est-ce à dire ? La femme a une période pour faire se révéler l'humeur qui est en elle; c'est avec de la chaleur que sa vertu humide se diffuse en elle. Autrement, d'elle-même, elle n'accueillerait pas le mâle mais, en le refusant, en ne consentant pas à ce qu'il veut, elle ne procréerait pas. En effet si la vertu de l'humeur ne se trouvait pas au chaud, elle resterait stérile comme une terre aride qui n'a aucune aptitude à fructifier, mais cette vertu de l'humeur dans la chaleur ne possède pas en permanence chez la femme ce feu ardent de la concupiscence. Il faut d'abord que l'homme la touche pour qu'elle éprouve l'effervescence brûlante du désir, car chez elle la concupiscence n'est pas aussi forte et aussi ardente que chez l'homme qui, quand il désire l'acte d'engendrement, est fort comme le lion. Aussi doit-il avoir, lui, cette puissance dans le désir et dans l'acte; la seule tâche de la femme est de se soumettre à son autorité et sa volonté puisqu'elle s'occupe à procréer des enfants jusqu'à ce qu'elle les mette au monde.( ... ) De même, les femmes ne doivent pas avoir accès au service de mon autel parce qu'elles sont un habitacle faible et fragile, et qu'elles ont été faites afin d'engendrer des fils et, quand elles les ont engendrés, pour les nourrir soigneusement. Mais la femme, ce n'est pas par elle-même qu'elle conçoit l'enfant mais de l'homme, pas plus que la terre n'est labourée par elle-même mais par le paysan. C'est pourquoi, comme la terre qui ne peut se labourer elle-même, la femme ne saurait être l'égale du prêtre dans l'office de la consécration du corps et du sang de mon Fils( ... ). La femme ne peut en aucun cas revêtir un habit masculin( ... ), ceci afin que chacun soit parfaitement reconnaissable. (... ) Parce que dès le commencement du genre humain telle a été ma décision sauf si l'homme était en péril de mort et la femme en péril de perdre sa chasteté. (... )
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En effet comme la femme se couvre la tête, ainsi la miséricorde atténue la mort des âmes, et comme la femme est plus douce que l'homme, ainsi sa miséricorde est-elle plus bienveillante à l'égard de la folie insane des crimes du pécheur insensé dont Dieu n'a pas encore visité le cœur. Ainsi la même vertu apparaît sous la forme d'une femme puisque c'est dans un corps féminin clos par la chasteté virginale qu'a surgi, dans le ventre de Marie, la plus suave des miséricordes. Elle qui, dans le Père depuis toujours, était dans l'ombre jusqu'à ce que, par l'intervention du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge, il la désignât à tous les yeux. Hildegarde écrit dans un autre traité: La femme est l'œuvre de l'homme et l'homme se révèle la consolation de la femme; ils ne peuvent se passer l'un de l'autre. Et l'homme signifie la divinité, la femme l'humanité du Fils de Dieu. PL 197, col. 545, 393, 461, 595, 885.
Cette abbesse a été célèbre en son temps et les plus grands noms de l'Église de l'époque, dont saint Bernard, lui ont rendu hommage. Elle a laissé une œuvre originale dont le récit de ses visions où Dieu lui explique bien des secrets de l'univers. Ces extraits montrent qu'elle a parfaitement intériorisé l'image masculine de la femme. Cependant certains déplacements sont révélateurs. L'auteur est tributaire des connaissances scientifiques de l'époque. L'homme, microcosme de l'univers, est composé comme lui de quatre éléments (eau, terre, air, feu) qui se distribuent différemment selon les sexes. La femme est du côté de l'eau et de la terre, de la lune et du froid. Dans la fécondation, elle est passive comme la terre qui attend la semence. Dans la ligne exégétique traditionnelle l'auteur a une conception restrictive de la sexualité, destinée seulement à la procréation. Les époux ne font qu'un, mais uniquement dans l'acte d'engendrement et pour lui. Si la femme ne consacre pas sa virginité, elle n'est qu'un ventre. La dissymétrie entre l'homme et la femme est très nettement soulignée: froid / chaud, force/ faiblesse, commandement/ obéissance; et surtout divinité/ humanité: dans l'Incarnation plus qu'ailleurs se hiérarchisent les rôles. Marie, femme, accueille le divin mais rien n'oppose mieux les deux principes, féminin/humain d'un côté, masculin/divin de l'autre. La distribution sexuée doit se lire dans les usages vestimen-
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taires. Dieu lui assure qu'il l'a voulue de toute éternité, donc depuis la Faute puisqu'avant Adam et Ève étaient nus. La marque personnelle d'Hildegarde est cependant sensible à trois points de vue. Dieu parle de Paul « son ami » et l'on s'attend à voir citer le fameux passage où l'Apôtre déclare que la femme a été faite pour (propter) l'homme et non l'inverse. Tranquillement - sans même s'excuser de dire le contraire ou, peut-être, le remarquer, ce qui serait encore plus significatif - elle utilise le propter dans les deux sens, ce qui en fait une relation réversible. Même si l'union exige la subordination de la femme, c'est un petit progrès. Elle va à contre-courant aussi de la tradition, quasiment générale, qui présente la femme comme insatiablement libidineuse. Pour elle la femme fait l'amour en quelque sorte par devoir parce que son passage sur terre exige qu'elle procrée. Elle n'est pas naturellement ardente et à la recherche du plaisir. Elle ne s'échauffe que si elle se laisse toucher (tacta). Dans la pensée d'Hildegarde il semble donc que la femme ne soit guère plus intéressée par l'amour charnel que la plupart des femelles. La femme a surtout une vertu morale que l'homme n'a pas au même degré: de miséricorde et de douceur. Pour le démontrer son cheminement est complexe: il lui faut remonter à Dieu le Père, assimiler la miséricorde à un voile qui recouvre celui qui la reçoit, puis, par le voile féminin qui justement est la caractéristique des femmes, retrouver la Vierge, mère du miséricordieux par excellence, le Christ. Retenons que la faiblesse féminine qu'elle déplore constamment aurait donc en quelque sorte un côté positif. F. LES FEMMES LAÏQUES
• Rituel du mariage (1125/1135) Ce rituel vient du monastère anglais de Bury-Saint-Edmond et a été adopté peu après en France, dans le diocèse de Laon. - Bénédiction de l'anneau devant la porte du temple: « Bénis, Seigneur, cet anneau ... ; Toi qui crées et maintiens toutes choses ... » - Cette bénédiction faite, l'homme sera interrogé par le prêtre pour savoir s'il veut prendre cette femme pour légitime épouse. La même chose sera demandée à la femme.
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- Quand tous deux auront consenti, seront apportés le douaire et les autres cadeaux, comme il en aura été décidé entre eux auparavant, et ils seront donnés à la femn1e. Alors, que s'avance celui qui doit donner la femme; il la prendra par la main droite et la donnera à l'homme pour légitime épouse. S'il s'agit d'une jeune fille elle aura la main couverte; s'il s'agit d'une veuve, la main nue. - Le prêtre accompagnera l'époux quand il passera l'anneau d'abord au pouce droit de l'épouse en disant: « Au nom du Père » puis à l'index: « et du Fils » et enfin au majeur: « et du Saint-Esprit. Amen. » Doigt auquel il restera. !}époux dira alors: « De cet anneau je t'épouse, cet or et cet argent je te les donne; et de mon corps, je t'honore; et de ce douaire, je te dote. » Elle alors, avec son anneau, l'or, l'argent et le douaire se jettera aux pieds de son époux. - (Prières conclusives:) Quand elle se relèvera, le prêtre dira trois prières. Quand elles seront dites, ils entreront dans l'église portant des cierges allumés à la main jusque devant l'autel, le prêtre les précédant en chantant le psaume Beati omnes (Ps 127). - Le Seigneur soit avec vous. Alors l'époux et l'épouse se tiendront devant l'autel et inclineront la tête devant le prêtre. Sur eux seront faites certaines prières s'ils sont adolescents et d'autres s'ils sont plus vieux. - Si on est un dimanche, messe de la Trinité. Sinon Invocavit me. - Avant qu'on ne dise Pax Domini, des prières seront dites sur l'époux et l'épouse prosternés (parmi lesquelles: Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qu'il soit avec vous dans l'adversité comme dans la prospérité ... ) Ensuite que le prêtre dise Pax Domini puis embrasse l'époux; et l'époux l'épouse. - Bénédiction sur eux après la messe. - Bénédiction du vin. - Bénédiction du lit: « Bénis, Seigneur, ce lit nuptial et ceux qui s'y trouveront. Qu'ils vivent dans ton amour et fassent de vieux jours.» Texte latin dans J.-B. MOLIN et P. MUTEMBÉ, Le rituel du mariage en France du XII' au XVI' siècle, Paris, 1974, p. 289-291.
Le xne siècle marque une étape majeure dans l'élaboration de la cérémonie du mariage. Jusque-là les documents signalaient parfois quelques bénédictions notamment de la chambre nuptiale, mais l'intervention du prêtre était mal définie et facultative. Les noces
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étaient une affaire privée, arrangée par les familles et, comme on l'a vu, très instables. Au fur et à mesure que l'Église pour christianiser le mariage, le rendre indélébile et rigoureusement monogame, réfléchit sur les critères qui le fondent, elle dégage un certain nombre d'impératifs, et d'abord la présence et le rôle du prêtre qui vont donner son caractère sacré à la cérémonie. Cependant, et il faut y insister car c'est souvent mal compris, jusqu'au xvre siècle (le fameux décret Tametsi du concile de Trente) tout mariage contracté seulement en tête à tête par un homme et une femme qui se prennent mutuellement pour époux est absolument valide. Certes l'Église fait tout pour supprimer ces unions clandestines mais, cohérente avec le principe que le consentement seul exprime l'essence de ce sacrement, elle est forcée de reconnaître que l'absence du prêtre et de toute publicité n'entraîne pas sa nullité. Cette réserve faite, l'essentiel est le mal qu'elle se donne justement pour solenniser le lien conjugal. Les étapes du rituel sont bien marquées. On voit que l'essentiel se passe non pas dans l'église mais devant le portail, publiquement, et que le prêtre conduit toutes les opérations. La première bénédiction est celle de l'anneau. Seule, en général, la femme en porte. Deuxièmement, c'est le prêtre qui vérifie la liberté des consentements, de même qu'il lui appartient de s'assurer que l'épousée a bien reçu ce à quoi elle a droit: contre-partie économique obligatoire, douaire et cadeaux. Dans ce rituel très précoce, aucune question n'est encore posée pour s'assurer qu'il n'y a entre les futurs époux aucun lien de parenté ou autre empêchement. L'Église acquiert donc ici une fonction juridique capitale. Ensuite a lieu le transfert de la femme. Elle est donnée et ne se donne pas. Le marié agit seul, la femme est remise par son père (ou son représentant). Nouvelle dissymétrie qui se retrouve après dans la remise solennelle de l'anneau par le marié: il est seul à formuler un engagement. Plus significative encore, la prosternation de la femme aux pieds de son mari. Tout ceci est ponctué par une série de prières, puis les époux entrent dans l'église portant de la lumière, symbole de joie (comme en portaient aussi les Romains). Dans l'église sont dites plusieurs bénédictions à l'autel. La messe n'est pas obligatoire. Si elle est dite (le dimanche), elle est suivie
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d'une nouvelle série de bénédictions qui vont aller du lieu sacré jusqu'au lieu le plus profane et le plus intime du couple: le lit nuptial. On notera du point de vue liturgique que les prières qui doivent assurer la protection divine sur le couple sont normalement empruntées à l'Ancien Testament, en particulier le psaume 127, récité quand le cortège entre dans l'église et qui est une bénédiction du fidèle, de sa femme et des enfants à venir. • La contraception vue par Pierre le Chantre
Pierre le Chantre, un des maîtres de la théologie parisienne, (t 1197). Paul, 1 Cor 7, 2-5. En raison toutefois du danger d'impudicité, que chaque homme ait sa femme et que chaque femme ait son mari. Qu'à l'égard de sa femme le mari remplisse son devoir, et que la femme agisse de même envers son mari. La femme ne peut disposer de son propre corps: il appartient à son mari. (Et réciproquement.) Ne vous soustrayez pas l'un à l'autre, à moins que ce ne soit d'un commun accord. Du devoir conjugal à rendre. L'épouse de quelqu'un à la suite d'accouchements répétés a subi une rupture du cordon ombilical. Les médecins lui disent qu'une nouvelle grossesse la tuera. Comme elle est certaine que si elle est enceinte elle en mourra, est-elle tenue à s'en acquitter ? Elle sait que si elle s'acquitte de la dette, elle tombera enceinte car elle est encore très jeune. De même: on demande si elle pourrait se procurer ce qu'il faut pour être stérile, non pas avec objectif premier d'éviter la grossesse mais d'éviter la mort à l'accouchement. De cette dernière question il est hors de propos de discuter car ce serait se procurer un poison de stérilité, ce qui est interdit dans tous les cas. Sur le premier j'hésiterais. De même avons-nous un doute dans un autre cas. Si quelqu'un a des étourdissements et la tête vide et qu'il sait parfaitement qu'en rendant le devoir conjugal à sa femme il aura instantanément la tête vide, estil tenu de s'acquitter de sa dette ? C'est la même perplexité que plus haut. De la même façon si je dois rendre dix choses, et que je n'aie sur cette terre que ces dix choses et que le risque de mourir de faim est imminent si je les rends, suis-je tenu de les rendre si quelqu'un me les demande à ce moment-là?
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Pour ce qui est de moi je ne le rendrai pas parce que je n'ai pas de quoi le rendre, quand je ne possède pas ce qui est un minimum indispensable à la vie. On pourrait peut-être dire pareil du devoir conjugal. PIERRE LE CHANTRE, Summa de sacramentis et animae consiliis, troisième partie, III, 2b, éd. J.-A. DUGAUQUIER, 1967 (Analecta Mediaevalia Namurcensia, 21), p. 463-464. Si le mari souffre de fièvre ou d'une autre maladie telle qu'il ne puisse sans danger pour lui rendre la dette, est-il obligé de s'en acquitter si sa femme la réclame ? Les docteurs en général disent que non car la charité commence par soi-même. PANORMITAIN, Décréta/es (X), libr. IV, tit. VIII, cap. 2, n° 3, cité par J.-A. DUGAUQUIER, loc. cit.
Pour bien comprendre les interrogations de Pierre le Chantre, il fallait rappeler les fameux principes posés par Paul concernant les échanges sexuels dans le mariage dont il a déjà été question plus haut. A partir du moment où chacun abandonne ses droits sur son propre corps, et est obligé de satisfaire son partenaire pour lui éviter de tomber dans la fornication, la réponse aux questions soulevées par l'auteur semble aller de soi: même pour des raisons médicales, on ne saurait se dispenser de son devoir. Le xne siècle a pourtant fait de grands progrès dans la connaissance des cœurs et des mœurs, comme on le verra aussi dans le texte suivant. De plus en plus les hommes >, donc sans que sa femme soit, au moins indirectement, responsable de ses défaillances à lui ? Ici aucune réponse. Tout ce qui touche à la contraception est affaire de femmes depuis toujours au point qu'on a pu se demander si l'opposition de l'Église ne s'expliquait pas aussi par une méfiance latente: les femmes n'auraient-elles pas, en se stérilisant, la tentation de se dérober à la première de leurs fonctions, la reproduction ? 194
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• Que deviennent les
«
prêtresses
»
? Orderic Vital, Latran 1 et II
Orderic Vital (1075-1140), d'origine anglaise, moine à SaintÉvroult en Normandie, est un témoin capital de son temps. À l'année 1072, l'auteur parle de Jean d'Avranches, archevêque de Rouen (depuis 1067). Il gouverna la métropole avec poigne et diligence pendant dix ans et travailla beaucoup à arracher les clercs impudiques à leurs concubines. Alors qu'au cours d'un synode il leur interdisait leurs maîtresses sous peine d'anathème, ils le forcèrent à s'enfuir de l'église à coups de pierres. ÜRDERIC VITAL,
The ecclesiastical History,
éd. M. CHIBNALL, vol. II, Oxford, 1969, p. 200.
Latran I et II: interdiction du mariage des prêtres. 1123, Latran I, c. 7. Nous interdisons absolument aux prêtres, diacres ou sous-diacres la vie commune avec des concubines et des épouses, et la cohabitation avec d'autres femmes que celles que le concile de Nicée (de 325) y autorise, et uniquement en vue des nécessités de l'existence, à savoir la mère, la sœur, la tante paternelle ou maternelle, ou d'autres femmes telles qu'elles ne puissent faire naître aucun soupçon justifié. 1139, Latran II, c. 6. Nous décrétons aussi que ceux qui, dans le diaconat et les ordres au-dessus, se seraient mariés ou auraient des concubines, seront privés de leur office et de leur bénéfice ecclésiastique. Leur devoir est d'être, et d'être dits, le temple de Dieu (1 Cor 3, 16) (... );il est indigne qu'ils soient esclaves des coucheries et des débauches (Rom 13, 13). c. 7. Suivant les traces de nos prédécesseurs, les pontifes romains Grégoire VII, Urbain [II] et Pascal [II], nous interdisons à quiconque d'assister à la messe de ceux dont il est notoire qu'ils ont des épouses ou des concubines. Pour que la loi de la continence et la pureté agréable à Dieu s'étendent aux personnes ecclésiastiques et aux saints ordres, nous décrétons que les évêques, les prêtres, les diacres, les sous-diacres, les chanoines réguliers et les moines, de même que les convers profès, qui, transgressant leur saint vœu, auraient osé prendre épouse, en soient séparés. Nous jugeons en effet qu'un lien semblable, à l'évidence contracté à l'encontre de la règle de l'Église, n'est pas un mariage. De plus, qu'une fois séparés l'un de l'autre, ils fassent une pénitence à la mesure de tels excès. Conciliorum œcumenicorum Decreta, Y éd., Istituto perle Scienze religiose, Bologne, 1973, p. 191 et 198.
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Avant la réforme grégorienne, entreprise au milieu du XIe siècle et qui a le souci de légiférer pour l'ensemble de la chrétienté (au moins d'Occident puisque l'empire chrétien d'Orient s'en est séparé par le schisme de 1054), la position à la fois théorique et pratique de l'Église par rapport au mariage des clercs est très complexe. Il n'est pas facile d'y voir clair en particulier pour la question qui est la nôtre: celle des femmes dont le sort pourrait être lié aux clercs. Il faut rappeler comment s'est élaborée cette législation, toujours valable aujourd'hui malgré les pressions contraires, et ses conséquences. Pendant des siècles aucun concile n'a eu le caractère universel que vont avoir les quatre œcuméniques du xne et du début xme siècle. La conséquence en est que la législation canonique sur la question s'est faite à des dates très diverses et sur des aires d'influence fort variables: régionales, provinciales, nationales. Témoins les conciles de la monarchie wisigothique des v1e-vne siècles. Dans la pratique beaucoup de clercs, y compris sous-diacres, diacres et prêtres sont mariés, ont des enfants qui leur succèdent et auxquels ils lèguent leurs revenus. Beaucoup sont également concubinaires. La tendance générale de la hiérarchie a été d'exiger la continence des clercs et d'interdire le concubinat. Cependant, pour imposer ces décisions rigoureuses elle était gênée par d'autres considérations: elle ne doit pas vis-à-vis des hérétiques donner l'impression qu'elle déprécie le mariage. Par ailleurs, elle a le souci de ces femmes et des enfants dont le sort est lié à celui des hommes >, et pour l'éternité. Jusqu'alors les mesures pour imposer la clôture émanaient d'instances moins universelles. Il en est des moniales désormais comme il en était pour la première fois, en 1139, des clercs majeurs: la décision est prise au plus haut. 315
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Y a-t-il des faits précis qui justifient cette décision ? Depuis qu'il y a des monastères les textes normatifs déplorent les sorties des nonnes; les visites pastorales, les facilités avec lesquelles elles vont dans leur famille, en pèlerinage ou à leurs affaires. Le dévergondage s'est-il aggravé ? Il ne semble pas. On pourrait même prétendre le contraire car cette période est marquée par la multiplication de monastères beaucoup plus rigoureux que les anciens, notamment ceux des Clarisses ou des Cartusiennes: là, la clôture est généralement très stricte. On peut donc penser que c'est la barre du tolérable qui s'est élevée. Ce qui n'était jusqu'alors obtenu que partiellement est posé comme norme absolue. Pourquoi cette exigence ne touche-t-elle que les femmes ? Parce que plus les siècles passent et plus la virginité féminine acquiert de prix. Le culte de la Vierge y est sûrement pour quelque chose. Dans l'Église les hommes ont à leur disposition de plus en plus de choix. La multiplication des ordres, surtout l'apparition des ordres mendiants, comme le développement immense du savoir ouvrent aux vocations masculines une grande variété de voies. C'est le phénomène inverse pour les femmes: leurs sphères d'activité ou d'expression spirituelle se rétrécissent. Qu'elles appartiennent aux ordres nouveaux ou anciens, aucune différence. L'idéal religieux féminin est plus que jamais loin du monde. La bulle suppose des mesures concrètes: mur, portes, clés, grilles et portières. Cette clôture a deux aspects: passif et actif comme on dira plus tard. Il faut empêcher un double mouvement: d'entrée aux gens de l'extérieur, de sortie aux nonnes. L'application va être délicate car le statut de ces maisons est très varié: certains monastères sont sous la tutelle épiscopale, d'autres intégrés dans des ordres relevant directement du pape et ayant l'exemption par rapport à l'ordinaire. Il sera très difficile de faire respecter la règle dans la pratique. Encore faut-il prendre la mesure de ses conséquences si elle est appliquée dans sa rigueur. Les femmes deviennent plus dépendantes des hommes qu'elles ne l'ont jamais été puisque rien de ce qui les concerne au spirituel comme au temporel ne doit les amener à franchir l'enceinte. Partout il leur faut des représentants. L'exemple des abbesses vassales, donc intégrées dans l'ordre politique, est significatif
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mais pas général. En revanche tous les monastères ont des procès. Les femmes ne pourront pas elles-mêmes se défendre. Le risque n'estil pas de leur enlever tout sens des responsabilités, de les infantiliser et d'accentuer encore le fossé culturel qui les sépare des clercs ?
E.
LES VOIES NOUVELLES DE LA PIÉTÉ FÉMININE
• Démarche individuelle: Élisabeth de Thuringe et la charité
La vie de cette princesse, veuve à vingt ,ans avec trois enfants du landgrave de Thuringe, est très brève puisqu'elle meurt à vingtquatre ans, en 1231. Pour la purification qui suivit, au terme normal, la naissance de chacun de ses enfants, alors que les autres mères avaient coutume d'aller à l'église pompeusement en cortège et vêtues d'habits précieux, elle portait de la laine, et pieds nus, avec quelques familiers, se rendait à l'église loin en contrebas du château par un chemin pierreux et malaisé, portant ellemême le bébé dans les bras, et, à l'exemple de la bienheureuse Vierge, avec un agneau et un cierge, elle offrait l'enfant sur l'autel. Dès son retour chez elle, elle avait l'habitude de donner à une pauvre femme la tunique et le manteau qu'elle avait mis. De même pour les rogations: elle suivait la procession de la croix habillée de laine et nu-pieds; et, aux stations consacrées aux sermons, elle se plaçait toujours parmi les plus pauvres. Du vivant de son n1ari, elle filait la laine avec ses servantes, et faisait tisser du drap pour vêtir les Frères mineurs et les pauvres; de ses mains, elle cousait des vêtements pour les catéchumènes pauvres, les faisait baptiser et les tenait sur les fonts baptismaux. Cette maternité spirituelle contractée avec eux lui donnait l'occasion de leur faire du bien plus librement. Pour la sépulture des pauvres, elle faisait des linges de ses propres mains (... ). Elle alla jusqu'à mettre en pièces un grand voile de lin immaculé, le sacrifiant pour ensevelir les morts (... ). Elle consolait et visitait souvent les pauvres femmes en couches. Et quand, de la part de ces dernières ou d'autres malades, on venait lui demander quelque chose, elle demandait où était leur maison (... ) et, aussi loin qu'elle soit et même si le chemin était boueux ou rocailleux, elle leur rendait visite. Elle entrait dans de misérables réduits et sans répugnance pour leur saleté, elle leur apportait des secours, les consolait et recueillait une triple récompense de sa fatigue, de sa compassion et de sa générosité.
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A l'époque où sévit la famine et la cherté alors que le landgrave s'était rendu à la cour de Crémone, elle distribua en aumônes aux pauvres tout le blé amoncelé dans ses greniers. Le château de la Warburg où elle habitait alors était sur la hauteur: en contrebas se trouvait une grande maison où elle installa de nombreux malades( ... ); bien qu'il fût très pénible de monter et de descendre, elle les visitait plusieurs fois par jour (... ). En outre, entre tous les pauvres recevant l'aumône générale, elle mit à part les plus pauvres et les plus faibles, et les logea devant le château. Elle leur distribuait de sa main les restes de sa table et elle et ses servantes prélevaient beaucoup de leur nourriture pour donner aux pauvres (... ). Elle était très impressionnée devant cette foule; aussi, à tous ceux en état de travailler, distribua-t-elle, d'ici les récoltes à venir, des chemises et des souliers pour que les chaumes ne leur fassent pas mal aux pieds, et aussi des faucilles: ainsi pourraient-ils couper les blés et se nourrir de leur travail. A. HUYSKENS, Der Sog. Libellus de dictis quatuor ancillarum s. Elisabeth confectus, Munich, 1911, p. 24-30. Élisabeth, une des rares saintes du xme siècle à passer dans la Légende dorée, a eu un grand succès. Elle est sans doute l'exemple le plus attachant de cette attention aux pauvres, de ce besoin de dévouement envers ceux qui sont les figures du Christ sur terre si caractéristique des xne-xme siècles comme en témoignent ici ses dames d'honneur et peut-être aussi d'une espèce de mauvaise conscience devant la fortune 1. Elle. était dirigée par des confesseurs franciscains. Son sacrifice est beaucoup plus total à partir de 1228, donc après les événements évoqués ici, puisqu'alors elle renonce à tout, notamment à ses enfants, pour se mettre complètement au service des pauvres. L'intérêt majeur du texte est de montrer qu'elle leur donnait une grande partie de son temps déjà du vivant de son mari, au château de la Warburg, quand elle aurait dû mener une vie dorée de princesse jeune et heureuse. Ce qui est d'autant plus méritoire: elle n'a pas attendu vieux jours et veuvage pour penser à aider son pro-
1. Cf. A. VAUCHEZ, « Charité et pauvreté chez sainte Élisabeth de Thuringe », dans Études sur /'Histoire de la pauvreté, dir. M. MoLLAT, t. I, Paris, 1974, p. 163-173.
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chain et faire son salut. Cette immense charité lui vaut une canonisation exceptionnellement rapide, dès 1235. Une telle générosité est d'autant plus louable que son esprit de charité n'était pas unanimement applaudi. On le sait par d'autres documents, bien des gens se moquaient de cette princesse aux pieds nus; ils devaient s'indigner de ce parti pris de nier son rang. Elle était par ailleurs soumise à la férule de ses confesseurs, exigeant beaucoup d'elle et n'hésitant pas à la fouetter jusqu'au sang ou à la contrecarrer dans ses penchants généreux. On voit ici Élisabeth se consacrant aux œuvres de miséricorde (Mt 25, 37) mais ne se contentant pas de distribuer, de vider occasionnellement les greniers du château. Elle n'a peur ni de se fatiguer ni de se salir. Elle s'astreint en particulier, par humilité, aux travaux des plus humbles servantes: file, coud des vêtements ou des linceuls. Femme d'action elle improvise des refuges, va chez les pauvres dans leurs taudis et les soigne de ses mains - l'expression revient constamment. Sa charité n'a rien de ritualisé; elle est intelligente et vraie parce qu'adaptée aux besoins réels de la population locale: distribuer des chaussures ou des outils (très chers à l'époque), c'est le seul moyen de dépasser le soulagement épisodique, de rendre à bien des pauvres une chance avec une dignité. Cette vocation qui la rapproche de celle des futures sœurs de charité n'est pas absolument nouvelle. Si Élisabeth avait lu la vie de Radegonde, elle aurait retrouvé en elle bien des aspirations communes, mais sa démarche générale est justement significative de ces temps nouveaux. Elle ne s'est pas cloîtrée et n'est pas non plus une contemplative ni une mystique. On sait par son sévère confesseur, Conrad de Marbourg, qu'elle a cherché sa voie, hésité entre le reclusoir, le monastère et même la mendicité de porte en porte. Finalement, sur les conseils de son directeur, elle a gardé une partie de sa fortune pour des fondations hospitalières dont elle a été l'âme. •Communautés de pieuses femmes - Enterrement et translation d'une fondatrice: Douceline de Digne 12 7 4, 1er septembre. Quand le jour fut venu, le bruit de sa mort se répandit (... );tout le peuple accourut avec empressement, pour voir et toucher le saint corps, pour la grande dévotion que le peuple avait envers
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elle. Tous ceux qui pouvaient trouver quelque chose qui lui eût appartenu, l'emportaient pour en faire des reliques; et tous lui faisaient toucher leurs chapelets ou leurs anneaux, et même leurs chaperons. On vint même avec des couteaux, pour mettre sa robe en morceaux et se la partager; et l'on prenait avec une grande dévotion tout ce qui était à elle. On craignit beaucoup qu'on ne mît en pièces le saint corps lui-même, et qu'on ne pût pas le sortir entier de la maison de Roubaud. Car on découpa tous ses vêtements, et les religieux, malgré tous leurs efforts, ne purent parvenir à l'empêcher; il s'en fallut de peu qu'un des frères y perdît le bras, en voulant le défendre. (Il faut faire appel au viguier de Marseille.) Et tout le monde se réunit, clercs et laïcs, avec toutes les processions des églises; on porta un nombre infini de cierges et de brandons, qui brûlèrent pour honorer le saint corps, et tous chantaient ses louanges et on la transporta, avec une grande pompe, à l'église des Frères mineurs. (... ) On se précipitait avec une ardeur incroyable sur le saint corps, et les gardes ne pouvaient l'empêcher par aucun moyen. Avant qu'on fût arrivé à l'église, on lui mit successivement trois tuniques, qui furent aussitôt taillées en pièces; et un des frères ayant étendu son manteau par-dessus, il fut sur le champ coupé en fragments par le peuple( ... ). Au temps même où la sainte quitta le monde, elle apparut à une de ses filles, avec un visage souriant, et lui dit joyeusement: « Ne me pleurez pas, je ne suis point morte, mais je m'en suis allée de ce monde vers mon Père; et celui qui a souffert sur la croix pour moi, m'a unie intimement à lui. » Ayant dit ces mots elle disparut. 1275, 1er septembre. (... )Tous les religieux et tous les ordres de la ville (... ) se réunirent pour faire la translation du corps (... ).Un riche citoyen de Marseille, nommé Guillaume de la Font, avait demandé par dévotion de se charger de la fête( ... ). On y consuma un grand nombre de torches, de cierges et d'autres lumières; et rien ne manqua à la solennité, où furent chantés, avec la joie la plus vive, des hymnes et des cantiques spirituels. Le corps fut porté honorablement sous un drap d'or et placé, après une grande procession, dans le tombeau de marbre que le généreux Marseillais avait fait faire pour elle, dans l'église antique des Frères mineurs de Marseille. La Vie de sainte Douceline, éd. et trad. du dialecte marseillais par l'abbé J.-H. ALBANÈS, Marseille, 1879, p. 201-205.
On a vu plus haut (p. 239) que Douceline était la sœur d'Hugues de Digne, frère mineur lié à Jean de Parme, ministre général de l'ordre et proche des Spirituels franciscains à l'époque où l'ordre est gravement secoué par la querelle de la pauvreté. Hugues a guidé 320
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et protégé la fondation de sa sœur vers 1240. Celle-ci a vécu chez les Clarisses de Gênes mais, manifestement, elle cherchait autre chose. Elle voulait suivre l'exemple de la Vierge (qui ne s'est jamais cloîtrée) et être béguine. Elle a créé les Béguines dites de Roubaud à Hyères, puis à Marseille où la sainte est morte. Elles font vœu de virginité (ou de continence) et d'obéissance à la prieure. Douceline s'est acquis une grande réputation notamment par ses grâces spectaculaires: elle lévite très souvent. La biographe (vraisemblablement Philippine de Porcellet, supérieure des Béguines de Roubaud, vers 1297) raconte que Charles d'Anjou, roi de Sicile, qui n'aimait pas les ordres mendiants, a fini par se laisser convaincre de la sainteté de Douceline. Elle avait aidé sa femme qui redoutait de mourir en couches, mais il voulut vérifier que pendant ses extases elle était insensible. Il fit verser du plomb fondu sur ses pieds. Pendant son ravissement elle ne sentit rien mais, revenue à elle, elle en souffrit cruellement. Elle eut une mort édifiante et, de l'au-delà, fit savoir qu'elle était élue. Ces femmes sont sous la protection des Franciscains. Il est normal de les retrouver présents aux obsèques; la sainte est enterrée chez eux. Pourtant la réputation de Douceline dépasse l'ordre: elle s'étend à « toutes les églises » et surtout à la population. Tous en attendent des miracles. On voit se renouveler ici les scènes familières qui accompagnent la mort des saints: la recherche obsessionnelle, parfois brutale et proche de l'hystérie, des reliques, la tentation de dépecer le corps, qui à nos yeux bafouent la dignité de la mort. Il faut des hommes en armes mais les vêtements n'y résistent pas. À défaut de lambeaux d'objets lui ayant appartenu, on recherche au moins par le contact à capter un peu de ses précieux fluides. Ce culte se discipline et « s'officialise » au bout de l'an, à l'anniversaire de la mort. Forme christianisée de l'évergétisme antique: un mécène dévot de la vierge engage les frais d'une cérémonie de translation du corps, qui apparaît comme une consécration de sainteté. Signalons toutefois que Douceline n'a jamais été canonisée, peut-être parce qu'elle était trop liée aux Spirituels que le pape va bientôt condamner. Sa Vie était absente des Acta Sanctorum. Le chanoine Albanès, au xrxe siècle, a retrouvé cette biographie en vulgaire, témoin dans sa langue de la vénération locale. 321
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Douceline parlait de son « ordre »; c'était beaucoup dire puisqu'il se réduisait à deux maisons. Il a connu le sort de bien des fondations féminines, surtout quand elles ne se coulaient pas dans les moules officiels. Il a traversé le xrve siècle non sans mal puis a disparu; ses biens sont passés aux Mineurs de Marseille. - Le personnel féminin de l'hôpital d'Angers Vers 1197-1202. Statuts. Telles sont les constitutions de la Maison des pauvres d'Angers établies avec l'accord et la volonté tant des fondateurs que des frères et des sœurs, approuvées et confirmées par le seigneur évêque d'Angers [Guillaume de Chevillé, 1197-1202]. On verra: Ce qui concerne les offices religieux. La réception des pauvres et la façon de les traiter. La réception des frères et des sœurs, la façon dont ils doivent se conduire, et ce qui est prévu pour eux. Les biens des pauvres, qui les administre et comment. Des sanctions pour les manquements. Ce qui est fait pour les défunts (... ). S. Pour l'accueil des pauvres, il est prévu d'expédier à travers la cité des envoyés spéciaux deux fois par semaine pour rechercher les pauvres( ... ). 6. S'il se trouve un malade devant la porte demandant à être reçu, et que le portier est un frère, qu'il le reçoive, s'il juge qu'il doit l'être. Si le portier n'est pas un frère, qu'il aille en avertir la prieure et qu'elle vienne immédiatement, ou envoie une sœur, non pas une dure et revêche mais une douce; et que, s'il doit être admis, on le fasse entrer( ... ). 7. Après avoir confessé ses péchés au prêtre et reçu le corps du Seigneur, s'il en a fait la demande avec la bonne grâce requise, qu'on le conduise à son lit. 8. Chaque jour avant que les frères ne mangent, on restaurera les pauvres; au son de la cloche, toutes les sœurs (elles ont été admises spécialement pour cela et elles n'ont pas d'autre tâche) se dépêcheront d'aller vers les pauvres nos seigneurs, sans invoquer aucune excuse, s'occuperont d'eux en toute humanité et bonté et leur donneront de l'eau, la serviette autour du cou. 9. Tant les frères que les sœurs auront le même pain et le même vin que les pauvres( ... ). 10. Une sœur avec une servante, ou même plus, (... ) veillera chaque nuit pour garder les malades. 15. On ne recevra pas plus de dix clercs; pas plus de dix laïcs; et autant de sœurs (... ). (18. Pour faire partie de cette« société», il faut être de bonne moralité; 24. Il faut respecter les jeûnes notamment à ['Avent; 25. Repas au réfectoi-
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re où le silence est de rigueur et où a lieu une lecture; 35. On dort en dortoir; 37. Les conversations entre hommes et femmes sont très réglementées.) 38. Nous interdisons de recevoir comme sœurs des femmes jolies et jeunes. 58. Tous les frères, tant clercs que laïques, assistent à l'enterrement
aussi bien des frères que des sœurs et des pauvres. 59. Tous, clercs, laïcs et sœurs obéiront au prieur (... ) comme à leur père et seigneur. éd. L. LE
Statuts d'hôtels-Dieu et de léproseries, GRAND, Paris, 1901, p. 115, 121-133.
Les mutations économiques et sociales des xne-xme siècles sont considérables. La population augmente, les villes grossissent et la pauvreté devient beaucoup plus multiforme et choquante que dans le monde rural d'antan. Les pauvres de toutes sortes sont pour l'Église et les chrétiens de l'époque une urgente incitation à suivre les conseils évangéliques: on le voit dans le texte, les pauvres sont le Christ lui-même et personne ne peut se dérober, surtout pas les riches, au devoir de charité. Ce qui explique le formidable élan de ces siècles. Et que l'Église soit pendant longtemps la seule responsable des structures d'assistance. Dans toutes les villes, dans tous les bourgs, se fondent des hôpitaux, et parfois des établissements plus spécialisés: pour lépreux, voire pour aveugles comme les Quinze-Vingts de Paris. Le texte donne une idée de la complexité des problèmes à résoudre au départ puis éclaire deux aspects importants: ces établissements sont d'abord religieux; ils sont au service du pauvre et les femmes ont leur rôle à tenir. La bonne volonté charitable ne suffit pas. Il faut qu'elle se concrétise. D'abord elle doit être supervisée par un haut responsable, donc souvent l'évêque de la cité comme on le voit à Angers. Il faut des capitaux donc des fondateurs. Cet hôtel-Dieu a été créé par un grand personnage, le sénéchal d'Anjou, une génération environ avant la publication de la charte. Il y est fait allusion dans le préambule. Il a donc fallu des terrains, des bâtiments, des revenus. Qui va assurer la marche de la fondation ? Un personnel important de frères et de sœurs (ici trente personnes, ce qui fait beaucoup) qui sont partie prenante dans la promulgation des règlements. On n'a plus qu'à attendre les pauvres et les malades et ils ne man-
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quent pas: ils frappent à la porte ou - il est intéressant de noter combien cette charité peut, dans les meilleurs des cas, pénétrer très efficacement dans le tissu social - on va régulièrement vers eux les chercher pour le cas où ils seraient impotents ou « pauvres honteux». La priorité religieuse est sensible dès le début. On s'occupe d'abord des offices dans l'église. De même l'âme passe avant le corps et le devoir d'enterrer le confrère ou le pauvre est aussi impérieux, sinon plus, que de le servir vivant. L'équipe soignante a au départ donc une double charge, matérielle et spirituelle. Elle se recrute non parmi des gens de métier mais parmi des volontaires de bonne réputation qui ont la vocation de la charité, qu'ils soient clercs ou laïcs. Les clercs suivent la règle de saint Augustin, mais tous, même les laïcs et les femmes, sont soumis à une discipline très semblable à celle des monastères: chasteté rigoureuse, pauvreté, obéissance au père prieur. Il y a ici fidélité à l'idéal monastique mais adapté au service permanent des autres. La vie est rigoureusement communautaire avec réfectoire et dortoir. Retenons l'insistance des rédacteurs sur la dignité des pauvres: ceux qui les accueillent n'ont pas un autre menu que le leur. Bien plus, ils sont là à leur service prioritaire et permanent. Les humbles pensionnaires doivent toujours passer avant. Il est hors de doute que bien des femmes pieuses ont trouvé là ce qu'elles cherchaient: un foyer, une communauté spirituelle désintéressée, une « société » comme dit le texte, où elles s'épanouissent entravaillant pour leur salut. La tâche accomplie est à la fois humble et gratifiante. Leur engagement les met sans doute aussi à l'abri des embûches du monde. On voit que les femmes jeunes ne sont pas admises. Mais il ne doit pas manquer de candidates chez les femmes mûres, seules et veuves, donc libres de se consacrer à ce sacerdoce si elles sont agréées. - Au secours des pauvres femmes en couches 1263. Statuts de l'hôtel-Dieu-le-Comte à Troyes. 88. On ne recevra pas de femmes en couches dans notre maison si cela ne peut se faire sans risque, compte tenu des cris et des gémissements qu'elles poussent dans la douleur de l'enfantement.
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89. Les enfants trouvés ne seront pas reçus car si on les recevait l'affluence serait telle que les biens de la maison n'y suffiraient pas et que ce n'est pas de notre ressort mais de celui des églises paroissiales. 1265-1270. Statuts de l'hôtel-Dieu de Vernon. 13. Les femes qui seront receues en la meson Dieu por gesir de enfant en gesine seront procurees (soignées) et soutenues des biens de la meson Dieu par III semaines aprés le enfantement, se elles vollent tant demorer en la meson Dieu. Quan que il couvendra despendre (dépenser) ad baptiser le enfent et a la purification de sa mere leur sera aministré des biens de la meson Dieu, et tout cen que l'en donra a l'enfant au bataisme, l'en rendra à la mere quand elle se despartira de le ostel. Se la mere muert en la meson Dieu, ses enfes (son enfant) sera norriz des biens de la meson Dieu, meesmement s'il n'a point de pere. Il est a savoir que, au soir, quand la prieuse ou une autre en leu de li (à sa place) aura soné l'eschiele (la cloche) du dortoir, toutes entreront en dortoir, més (sauf) que celles qui rcmcndront (resteront), dou congié de la prieuse ou de sa vicaire (la vice-prieure), por garder les malades ou por autres besoignes de la meson faire. Deus sereurs au moins chascune nuit veilleront por garder les malades, ne ne se coucheront, ne dormiront jusque li couvenz des sereurs (la communauté des sœurs) au matin soit descenduz dou dortoir; et lors autres II sereurs ou plus, se metiers est (si besoin est), tantost vendront et garderont les malades de jorz et leur amininstreront, et feront charitablement cen qu'il leur sera a admininstrer et a faire, et les II qui auront veillié toute nuit iront dormir en dortoir. Les sereurs se doivent garder que l'une ne parle a l'autre en dortoir, més que en neccessité por feu ou por larron (sauf s'il y avait le feu ou un voleur), ou por autre cause ressonable. En III !eus aura lumiere en la meson Dieu: devant le Cors Nostre Seignor, en l'eglise, de jorz et de nuit, en la meson aus malades tote nuit jusque au der jor, ou dortoir aus sereurs de nuiz. Statuts d'hôtels-Dieu, éd. cit., p. 162-164.
Ces statuts concernent une catégorie de pauvres très particulière qui nous intéresse à un double titre puisque, pour s'occuper des femmes en couches, il convient, pour des raisons de décence, que le personnel soit féminin. Les femmes sont plus fragiles que les hommes dans les sociétés médiévales: plus facilement abandonnées
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par le mari que le contraire, et ayant plus de difficultés à s'en sortir surtout si elles sont enceintes, veuves ou délaissées, ou trop pauvres pour pouvoir espérer d'autre secours que celui justement de ces institutions « pour Dieu ». Un des articles retenus montre le drame des enfants abandonnés. Offrir aux femmes en couches quelques semaines de répit, les aider à accepter leur enfant dans la tiédeur compatissante de l'hôpital peut certainement éviter en plus l'infanticide ou les abandons d'enfants. Dans d'autres statuts il est prévu que la pauvre femme après l'accouchement pourra incognito, surtout si elle ne veut pas que le père retrouve l'enfant, le laisser à l'hôpital où il sera élevé jusqu'à l'âge de sept ans. Ce n'est pas par manque de cœur que l'hôpital de Troyes n'admet pas les femmes sur le point d'accoucher mais pour des raisons qui tiennent à l'aménagement de l'espace. Les parturientes sont à isoler: leurs cris troubleraient les autres malades. Peu d'années après, ce même hôpital a comblé cette lacune et s'est doté d'une maison spéciale. L'accouchement fait courir de graves risques aux femmes: il vaut mieux prévoir le cas où elles mourraient. Dans ce cas les enfants sont élevés dans la maison-Dieu. Ici on ne précise pas jusqu'à quel âge. On trouvera peut-être longue l'hospitalisation. Il semble qu'il y ait dans ce règlement le désir d'assurer à ces malheureuses femmes qui n'accouchent pas chez elles et qui doivent être très démunies, ou sans toit ni assistance, un peu plus de confort. Mais de toute façon les médecins considèrent au Moyen Age que les accouchées doivent rester alitées au moins quinze jours. Qu'en est-il des pauvres paysannes dans la pratique ? Il est peu probable qu'elles aient pu se laisser vivre si longtemps. Les sœurs qui s'occupent d'elles ont le même profil que dans le texte précédent: leur statut est religieux. On insiste sur la sollicitude qu'elles doivent témoigner. Les femmes sont veillées la nuit par les sœurs qui assurent par roulement un service de garde. Une lumière brûle toute la nuit pour que les malades n'aient pas peur ou puissent surveiller le bébé. Tous les frais sont à la charge de l'hôpital y compris ceux qui sont engagés pour le baptême de l'enfant et la cérémonie religieuse des relevailles de la mère. En principe les sacrements sont gratuits mais, dans la pratique, ils occasionnent toujours des frais supplémentaires. Ces sœurs jouent donc le rôle des matrones qui aident les femmes à accoucher. Mais
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si ce métier de sages-femmes et d'infirmières est le même, il n'est pas épisodique et surtout il s'accompagne de leur transfert dans un milieu particuliei; à la fois hospitalier et religieux. - Les statuts des Béguines de Paris Fondées sous saint Louis, les Béguines de Paris sont protégées par le roi et leurs statuts confirmés en 1341 par Philippe VI.
Nous, a l'onneur de Dieu et de monseigneur saint Loys, glorieus confesseur, (... ) avons confermé (... ) toutes les ordenances, statuz et constitucions faites sur ce par nozdiz predecesseurs (... ). 1. (... )que nulle fame demourant oudit beguinage ne soit si hardie que elle voise (aille) aus bains ne aus estuves hors de leens (à l'extérieur), se ce n'est par evident necessité, laquele elle soit tenue de dire a la maistresse dudit beguinage (... ). 2. (... ) que nul homme, soit seculier ou religieus, (... )ne puisse boire ne mengier leens (au béguinage) a grant disner ou souper, sanz congié de ladite maistresse (... );semblablement les beguines qui, du congié de ladite maistresse (... ) yront en ville pour besoignier en lieus et compaignies convenables et honnestes, eles pourront boire et mengier legierement sanz table mettre. 3. (... )que les portes de l'ostel soient closes de gram heure, au plus tart que l'en puisse cognoistre un tournois d'un parisis. Et qui sera hors (... ) sanz cause raisonnable( ... ) soit punie grievement (... )et se autre foiz avenait, soit du tout mise hors. (... ) 6. (... )que celles qui sont en convcnt ne mainent nul home en leur dorteur (dortoir), més parlent en lieu ou elles menguent (mangent) ou en la chapelle. (... ) 8. (... ) que la dite mestresse, ne la portiere dudit hostel soient si hardies que elles lessent leens entrer (... )nulles qui soient de mauvaise vie ou de mauvais renon. 9. (... ) que nulle jueune fame ne demeure seule en chambre( ... ). 11. (... ) que nulle jueune fame ne soit souveraine en chambre se elle ne passe trente ans. 12. (... ) s'il y a point de huis (porte) par quoy on puisse issir (sortir) en la rue, que il soit murez. 13. (... )que nulle beguine ne preigne autre fame ou enfant pour demourer avec li (elle) sanz le congié de ladite maistresse et se aucunes filles venoient leens pour demourer au dessouz de l'aage de XII ans, nous voulons (... ) que chacune avant que elle gise leens, paye XII deniers a ladite matresse pour l'entree.
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
14. (... ) que nul homme ne gise leens, ne enfans masles, combien qu'ils soient jueunes. 15. (... )de tançons (reproches), de noises et de riotes (querelles) se gardent, et de mettre la main l'une sur l'autre( ... ). 16. (... ) que ladite matresse ne reçoive nulle fame en l'ostel pour demourer sanz le conseil des anciennes beguines, trois ou quatre, qui seront ordenees et esleues par le conseil du prieur des Freres prescheurs de Paris( ... ). Et que ycelles qui sont et seront ainsi receues oudit beguinage soient tenues de porter l'abit honneste et convenable. (... ) 19. (... ) et se le cas avenoit que aucunes (... ) se vousissent marier ou issir hors dudit beguinnage de leur volenté (... ),faire le pourront( ... ). L. LE GRAND, « Les Béguines de Paris >>, dans Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. 20, 1893, p. 295-357.
À la fin du xne siècle apparaissent, principalement en Europe du Nord (Flandre, Rhénanie ... ), des communautés religieuses d'hommes et surtout de femmes d'un nouveau genre: ils ne prononcent pas de vœu définitif de religion et ne se coupent pas complètement du monde. Fondé sous Louis IX, le béguinage de Paris a été abondamment doté. Il survit aux mesures prises en 1312 au concile de Vienne à l'encontre des mauvaises Béguines mais, en 14 71, n'y vivaient plus que deux pensionnaires. Ces extraits de statuts permettent de dégager deux aspects caractéristiques: la vie dans la maison, les rapports avec l'extérieur. La maison ressemble à une communauté monastique. Elle est sous la double autorité du roi (représenté par son prévôt) et des Dominicains de la ville pour la direction spirituelle, ce qui est une situation courante. Les femmes vivent entre elles sous l'autorité d'une maîtresse et d'anciennes: les plus âgées encadrent les plus jeunes. Les filles peuvent entrer vers douze ans. Elles portent un costume spécial. De nombreuses précautions sont prises pour préserver la chasteté et la réputation des Béguines: surveillance des issues et des visites masculines notamment. La sanction majeure est le renvoi. D'autres passages montrent que leur vie est en grande partie semblable à celle des religieuses, avec assistance obligatoire aux offices et aux sermons: les béguinages ont souvent été les foyers d'une nouvelle spiritualité. C'est donc bien une vie de religion mais avec deux différences essentielles par rapport aux nonnes: leur engagement peut être librement résilié (art. 19); elles ne sont pas cloîtrées.
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LE XIIIE SIÈCLE: L'ÉLABORATION À L'ÂGE CLASSIQUE
Leurs activités en dehors de la maison n'apparaissent pas bien dans ces extraits mais on les connaît. Elles besoignent. Dans le béguinage elles filent et tissent (en particulier des suaires); on leur confie des enfants. En ville, en dehors de la fréquentation des bains étroitement réglementée (art. 1 ), leur travail consiste à s'occuper de déshérités: malades, et mourants en particulier. Parfois elles mendient. Leurs œuvres de charité exigent une certaine souplesse dans l'emploi du temps, même si les Béguines doivent être rentrées avant le crépuscule - quand on ne distingue plus les deux types de pièces circulant concurremment, tournois et parisis, et qui se ressemblent beaucoup. Elles peuvent manger à l'extérieur au moins sur le pouce. Les béguinages se sont heurtés à la méfiance et au dénigrement d'une partie de l'Église et de l'opinion. Nul doute pourtant que cette forme de vie comblait souvent d'authentiques aspirations religieuses et répondait à des besoins socio-économiques. Le milieu béguinal a produit de grandes saintes et a en contrepartie forcé l'admiration de grands personnages: Jacques de Vitry (t 1240), cardinal et grand prédicateur, considère Marie d'Oignies comme sa mère spirituelle et a plaidé la cause de cette via media qui a séduit beaucoup de femmes.
Conclusion du chapitre 4 Le dossier du xme siècle a été volontairement étoffé pour tenter de donner l'idée la moins monolithique possible des rapports entre l'Église et les femmes à l'apogée du Moyen Age. On croit voir se dessiner deux lignes de force majeures. Dans son ensemble (il y a peu d'exceptions), l'institution est très conservatrice, alors qu'elle se croit novatrice parce que beaucoup plus savante. De fait elle est plus sûre que jamais de la vérité (définie comme adéquation de la pensée et du réel) du système de représentation de la Femme qu'elle a hérité. Pour deux raisons majeures, très différentes mais qui se renforcent. Compte tenu des progrès énormes de la pastorale qui s'est donné des hommes et des moyens d'action inconnus jusqu'alors à ce degré, les ecclésiastiques, restés les créateurs quasi uniques de l'idéologie, croient connaître beaucoup mieux les femmes. Mais il est bien évident qu'on ne voit que ce que l'on peut,
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
et surtout veut, voir; or le poids de la tradition et les mœurs ellesmêmes étaient tels q_ue l'observation objective pouvait difficilement modifier la vision. A la même époque, quelques savants partaient à la découverte des lois qui régissaient le monde sensible. Roger Bacon découvrait les causes physiques de l'arc-en-ciel, mais l'arcen-ciel était moins impénétrable qu'une essence. Par ailleurs, ces intellectuels ont beaucoup appris, travaillé, progressé dans l'art du raisonnement, enrichi le bagage conceptuel en accueillant une culture, d'autant plus prestigieuse qu'ancienne, jusque-là ignorée ou mal connue. Venaient des Grecs via les Arabes notamment un savoir médical, un héritage philosophique. Au total, non seulement tout concordait pour réaffirmer l'imbecillitas, debilitas, fragilitas sexus: celle-ci était de mieux en mieux démontrée, par l'expérience ou par les livres. Le manuel fondamental légué par le xne était le Livre des sentences de Pierre Lombard. Lui le premier avait oublié l'étymologie de sententia: à savoir la subjectivité qui aurait dû continuer à s'attacher à ce mot dont la référence première exprimait toute l'incertitude du sensible. Les sentences, les arguments désormais enchaînés avec une rigueur de définition et de logique implacable, comme chez Thomas d'Aquin, acquéraient la majesté intemporelle de la pensée divine elle-même. La faiblesse intellectuelle et morale des femmes expliquait et justifiait tout. D'ailleurs, les écoles qui se multipliaient au XIIIe, les universités qui se fondaient n'avaient pas eu à exclure les femmes: la question ne s'était jamais posée de les admettre. Inversement, on voyait poindre dans l'assemblée des fidèles d'extraordinaires aspirations féminines qu'heureusement la hiérarchie masculine savait parfois comprendre, encourager, canaliser, d'où cette floraison de monastères, d'institutions hospitalières, de béguinages, cette efflorescence mystique. Hélas parfois aussi elle les réprimait durement. L'Église du XIIIe, siècle d'hérésies foisonnantes, a inventé l'inquisition et légitimé l'emploi de la torture pour faire parler les corps malgré eux. Au total il semble bien, malgré la beauté épanouie et souriante des vierges gothiques, que ce siècle, marqué par les durcissements contre toutes les minorités, les juifs, les hérétiques, les homosexuels, les lépreux, les fous ou les roux, ait mal résisté à la tentation de diaboliser la femme. 330
CHAPITRE
5
Les XIVe-xye siècles: permanences et nouveautes /
L La femme dans le système de représentation ou les fantasmes des clercs à la fin du Moyen Age A.
NOSTALGIE
ou
OBSESSION MASCULINE:
la castration
Ne sais-tu pas que c'est par les femmes que !'Ennemi combat les saints ? Paroles des Anciens. Apophtegmes des Pères du désert, trad. et présentés par ].-Cl. GUY, Paris, 1976, p. 27.
Le saint moine Élie rassembla trois cents femmes dans un monastère. La trentième année de sa vie il est tenté, il s'enfuit au désert et prie. Pendant son sommeil, trois anges viennent lui demander: « Si nous te libérons de cette tentation, tu retournes t'occuper de ces femmes ? (Il en fait le serment.) Alors (... ) l'un d'eux lui tint les mains; un autre les pieds, et le troisième se saisit du rasoir et sembla le châtrer. Il n'en fut pas ainsi dans la réalité mais il en eut l'impression. Les choses ne se passèrent pas vraiment mais il lui semblait que c'était ainsi. (Guéri de ses tentations il retourna vers les femmes qui étaient désolées de son départ.)
Vies des Pères, PL 74, col. 293-294.
L'abbé Serenus lutte de toutes ses forces contre la concupiscence. Par un don de Dieu il avait tué cette passion dans son homme intérieur et il s'efforçait de la tuer aussi dans l'homme extérieur afin d'atteindre
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
une pureté telle que désormais il ne fût même plus exposé à ces mouvements simples, et combien naturels, qui agitent même les tout petits et les nourrissons. (... ) Dans une vision nocturne, un ange vint à lui; il lui ouvrit le ventre, arracha de ses viscères une grosseur enflammée, la jeta, puis remit tous les intestins à leur place: « Voilà, lui dit-il, on t'a retiré les aiguillons de la chair. Tu as obtenu aujourd'hui et à jamais, sache-le, la pureté du corps. » Texte latin dans JEAN CASSIEN, Conférences, éd. E. PICHÉRY, Paris, 1955 (Sources chrétiennes, 42), p. 245.
Le bienheureux Equitius était très tenté. Il priait. Une nuit il se vit châtré par un ange. (... ) Dorénavant, fort de cette vertu, avec l'aide de Dieu tout-puissant, tout comme avant il avait dirigé des hommes, il commença bientôt à diriger des femmes. GREGORII MAGNI Dialogi, Libri IV, éd. u. MORICCA, Rome, 1924, p. 26.
Bernard, prêtre de Clairvaux, est près de succomber à la tentation. Il s'endort. Pas plus tôt assoupi, il voit à quelque distance un homme horrible à l'allure de boucher qui s'avançait avec un couteau, suivi d'un grand chien noir. Il eut très peur et pour cause: l'homme bondit sur lui, saisit ses testicules, les lui coupa et les lança au chien qui les engloutit. (... )Au matin il était délivré de la tentation. Aujourd'hui encore il est vierge. CAESARIUS VON HEISTERBACH, éd. cit., t. l, § 117, p. 265.
Pour détourner le jeune Thomas d'Aquin de ses projets, son frère envoie une prostituée auprès de lui.
A sa vue, le docteur courut vers le feu palpable, saisit un charbon ardent et expulsa de sa prison la détentrice du feu de la volupté. Aussitôt tombé à genoux, priant pour le don de chasteté, il s'endormit. (Les anges viennent dans son sommeil:} « De la part de Dieu nous te ceignons de la ceinture de chasteté que nul assaut ne pourra plus défaire. » ( ... )Il sentit alors la ceinture (... ) et s'éveilla dans un cri. (Par la suite sa chasteté fut parfaite.) Malleus maleficarum von H. INSTITORIS, éd. A. SCHNYDER, Goppingen, 1991, p. 90 D-91 A.
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LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOUVEAUTÉS
Un homme a perdu son sexe. Il va trouver une sorcière qui les escamote et les conserve par dizaines dans des nids ou dans des boîtes où elle les nourrit avec de l'avoine. Complaisante, elle lui propose d'en choisir un. Il avait tenté d'en prendre un grand: « Non, celui-là, ne le prends pas ! » lui dit la sorcière qui ajouta: « Il appartient à un curé. »
Ibid., p. 117 D-118 A.
Tout le long de l'histoire du christianisme courent des histoires de ce genre et si l'on note que l'intarissable auteur du Marteau des sorcières les reprend toutes comme preuves du danger que les femmes font courir aux ecclésiastiques, on voit que l'héritage a toutes les chances de se transmettre. Ce thème récurrent pose plusieurs questions. Dans la Nouvelle Loi la virginité ou au moins la chasteté sont des valeurs fondamentales. L'Évangile de Matthieu (19, 12) va loin: S'il y a des eunuques nés tels du sein de leur mère, s'il y a des
eunuques rendus tels par la main des hommes, il en est aussi qui se sont rendus tels en vue du royaume des cieux ... Certains chrétiens des premiers siècles comme Justin approuvaient l'autocastration et on sait qu'Origène, le grand philosophe (t en 254), s'était châtré. L'Église ensuite l'interdit. Il restait au pécheur à lutter par la prière, le jeûne, ou à faire appel à la grâce de Dieu pour triompher des tentations charnelles. On le voit par les anecdotes rapportées, les risques de la concupiscence sont importants. Encore ne sont-ils pas toujours les mêmes et c'est sur cette typologie qu'il faut s'interroger car elle est au centre de notre réflexion. Le moine qui rompt son vœu de chasteté pèche mortellement, surtout s'il se défroque pour retourner au monde. Son péché n'est pas plus grave pourtant que celui de la nonne dans le même cas. Il engage son salut personnel, et c'est tout. Le cas de l'abbé dirigeant un monastère féminin ou du prêtre qui a charge d'âmes est différent. D'abord la tentation est infiniment plus forte puisque la fréquentation des femmes est permanente mais ce n'est pas seulement question de degrés. Le malheureux risque de corrompre ses filles spirituelles, dès lors coupables d'inceste, ou de commettre un autre
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VÉGLISE ET LES FEMMES
péché: celui d'abandon de poste. Le péril majeur est là. Les femmes ont besoin des hommes pour leur encadrement religieux. Le désir porte les femmes vers les hommes. Ceux-ci ne peuvent ni leur céder ni les fuir. On comprend que pour sortir du dilemme, il ne faille pas moins qu'une castration miraculeuse ou symbolique pour supprimer le désir, une sublimation dans le système de Freud. Désormais providentiellement insensible, l'heureux bénéficiaire peut poursuivre sa mission. La leçon tirée de l'histoire de l'abbé Élie est particulièrement frappante: il est plus difficile de commander à des femmes qu'à des hommes, or c'est à l'homme de commander. Tous ces hommes voués à la continence pourtant ne sont peutêtre pas volontaires pour cette guérison drastique comme semble le montrer l'anecdote de la sorcière qui a fait disparaître le sexe du curé. S'en servait-il indûment ? Lui a-t-elle rendu service en l'en débarrassant ? Malheureusement ce n'est pas précisé.
B.
L'ESSENCE DE LA FEMME
• Toutes les infériorités possibles pour Gilles Bellemère
Gilles Bellemère (f 1407), docteur dans l'un et l'autre droit, est une sommité juridique au temps de la papauté d'Avignon, avant et après le Grand schisme. Au service du pape dès l'âge de trentedeux ans, nommé par Grégoire XI membre de la Rote, puis, pour ses éminents services, évêque successivement de Lavaur, du Puy et, en 1392, d'Avignon, ce qui lui a donné autorité sur l'Université de la ville pontificale. Ses écrits très réputés à son époque le sont toujours au xv1e siècle. C'est dire son importance. Pourquoi les femmes sont-elles écartées des offices civils ? (... ) Elles sont fragiles et normalement moins réfléchies. (... ) En justice il y a une raison spéciale: le juge doit être constant et imperturbable. Or la femme est changeante et fragile( ... ), n'est ni avisée ni savante( ... ). On demande pourquoi la femme peut être témoin pour des crimes et non pas à des testaments. Pour certains, c'est parce que les femmes pleurent trop facilement, ce qui cause le désespoir du testateur. Ce qui n'a pas la même importance vis-à-vis des accusés (... )car les crimes se commettent dans le secret, aussi sont-ils difficiles à prouver; c'est pourquoi les femmes sont reçues à témoigner. La femme ne donne pas volontiers, mais promet faci-
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LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOUVEAUTÉS
lement. (... ) La condition de la femme est inférieure. (... ) La dignité des femmes ne vient pas d'elles mais de leur mari;( ... ) c'est pourquoi la puissance personnelle est plus grande chez le père que chez la mère. (... )C'est l'homme qui désigne le tuteur pour son fils et non la femme( ... ) pour la raison que le tuteur est donné à celui sur qui le père et non la mère possède la puissance. (... ) Les femmes ne peuvent adopter parce qu'elles n'ont pas la puissance sur leurs enfants. (... ) La femme ne peut enseigner en public, ni prêcher, ni entendre en confession, ni s'occuper de tout ce qui relève des clés de l'Église. (... ) Elle ne peut recevoir les ordres. Elle ne peut s'approcher de l'autel quand on célèbre les offices. (31 incapacités au total.) (... )Ainsi doit-on comprendre la loi qui dit que sous de nombreux aspects la condition féminine est moins bonne que celle des hommes. Nous poursuivrons par les cas où la condition de la femme est meilleure. D'abord dans l'accès à la plénitude de la vie: (elle l'atteint plus tôt.)Elle peut donner un témoignage par procureur, ce qu'un homme ne fait pas. (On ne l'emprisonnera ni au civil ni au pénal et elle pourra se prévaloir de ce qu'elle ignore le droit.) La raison en est que la mauvaise herbe croît rapidement. Les femmes sont d'une mauvaise nature. Si nous devons être compréhensif c'est en ceci: un être plus précoce tend vers sa fin et meurt plus vite comme on le voit avec les mouches. (... ) Elle perd plus vite sa beauté. (... )Comme dit Bertrand Capri: la femme est chose vicieuse, bête aimable, haine, confusion de l'homme, origine des discordes, aiguillon de querelles, trouvant la route vers tous les crimes. (... ) Quand il y a adultère, la raison de la différence se trouve dans la fragilité, la faiblesse, les moindres constance naturelle et jugement: elle peut moins résister à l'incitation de ceux qu'elle trouve sur son chemin. (... ) Les femmes sont plus faciles à tromper par les hommes. Elles sont sollicitées par les hommes et non l'inverse. (En cas de départ du mari a-t-elle un recours auprès du juge ? Oui, surtout si la femme est jeune:} il serait bien difficile à une jeune femme habituée aux caresses de pouvoir se contenir plus d'un an. (La correction des épouses intervient si le mari a une raison et pas de façon excessive. S'il y a adultère elle est non seulement licite mais obligatoire, l'abstention du mari serait vue comme une complaisance suspecte. Il pourrait passer pour son souteneur.) AEGIDII BELLAMERAE
Praelationes,
t. III, Lyon, 1548, fol. 118, 141-142v.
Ce florilège d'attaques est plus intéressant par la personnalité de son auteur que par sa nouveauté. Mais il ne faut pas se 335
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
méprendre sur son origine. Il n'est pas extrait d'un recueil d'aphorismes, d'un fabliau, ou d'un ouvrage satirique (comme les Quinze joies de mariage qu'on a pu attribuer au même G. Bellemère) mais d'une œuvre pesante, sérieuse, garantie par la science d'un homme >, dans La mystique rhénane, Paris, 1963, p. 3-13.
Guillaume d'Ockham, franciscain d'Oxford (f 1349). On n'ignore pas que les hérétiques quels qu'ils soient n'ont ni pouvoir ni droit; ils sont liés par la sentence d'excommunication et tous les catholiques doivent les éviter; bien plus (... ) il faut les combattre efficacement, car ne pas s'opposer à une erreur c'est l'approuver. On sait aussi en vertu des règles canoniques qu'une question de foi, dès lors qu'il est sûr que la soutenir contredit à la vérité de la foi, est du ressort non seulement du concile général, ou des prélats ou encore des clercs, mais même des laïcs et de tous les chrétiens, (... ) en vertu de l'argument que « ce qui concerne tout le monde doit être approuvé par tous ». D'où il s'ensuit qu'une question de foi relève pareillement des femmes catholiques et fidèles, à l'exemple de ces nombreuses saintes qui, pour défendre et confesser l'orthodoxie de leur foi, ont avec une parfaite constance enduré la mort et le martyre. L. BAUDRY, « La lettre de Guillaume d'Ockham au chapitre d'Assise >>,dans Revue d'histoire franciscaine, t. 3, 1926, p. 201-215.
Ces extraits sont d'esprit différent et plus de deux siècles les séparent. Leur point commun est qu'ils sont favorables aux femmes. Ockham ne fait pas de distinction de sexe dans la responsabilité des croyants vis-à-vis des vérités de la foi. Les trois autres vont plus loin; ils posent en principe que le sexe faible peut avoir des grâces particulières. La première mention, extraite d'une chronique, prouve la célébrité qu'a pu valoir à ces deux femmes leur personnalité exceptionnelle. En la reconnaissant le chroniqueur ne fait que réaffirmer la liberté souveraine de l'Esprit. L'oublier serait la limiter. Avant le Christ il y avait déjà eu des prophétesses. Les deux autres extraits sont plus neufs: ils marquent comme une prise de conscience que les femmes peuvent avoir quelques prédispositions tenant à leur nature, à leur faiblesse même. Il ne
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
s'agit plus ici de se placer au plan de Dieu pour en reconnaître la puissance mais au niveau de la réalité humaine, de l'âme de la femme. Sa constitution - mollesse, affectivité plus forte, moindre intelligence - peut devenir un avantage, une qualité: elle serait plus malléable sous la main divine, plus réceptive, donc plus douée. Cette hypothèse qui revalorise sinon « la » femme tout au moins certaines femmes dans leur rapport avec le divin va cheminer doucement et s'épanouir notamment au XVIIe siècle. Guillaume d'Ockham écrit cette lettre dans un contexte troublé. Se sentant menacé il s'est réfugié auprès de Louis de Bavière, l'adversaire impérial de Jean XXII, pape d'Avignon. Son auteur s'adresse au chapitre franciscain d'Assise en 1334. Le pape qui a durci le ton contre les Spirituels franciscains avait eu l'imprudence de soutenir une thèse non orthodoxe sur la vision béatifique. Le contentieux entre la papauté et ceux qui ont rejoint le camp impérial est très lourd et ce qui pourrait nous apparaître comme une proclamation proféministe ne doit pas être isolé de tout un contexte polémique. Il ne s'agit pas moins que de la contestation du pouvoir pontifical et du plaidoyer en faveur de la supériorité du concile. L' « hérésie » proférée par le pape, à laquelle il a renoncé peu après, fournit un argument supplémentaire pour le discréditer. Pourtant cette reconnaissance des droits du sexe féminin tout entier rend un son inhabituel. L'auteur l'appuie sur deux arguments: le premier vient des juristes romains, mais sans qu'à Rome les femmes eussent jamais eu des droits égaux aux hommes, comme cette formulation universelle pourrait nous le laisser croire. Les femmes font partie de l'assemblée des croyants: à ce titre elles sont responsables de la défense de la foi comme les hommes. Alors ne sont-elles plus tenues au silence imposé par saint Paul ? Jusqu'où peut aller leur action ? Le deuxième est plus traditionnel, il repose sur la force d'exemple de quelques femmes héroïques: les martyres des premiers siècles ont fait la preuve de leurs mérites. On voit cependant quel scandale cette polémique provoquait: un pape hérétique méritait d'être excommunié et contre lui devait se lever l'assemblée des croyants, y compris les femmes. 346
LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOUVEAUTÉS
2. La place des femmes dans l'assemblée des fidèles A.
LA SITUATION DES LAÏQUES
• Le mariage des femmes et son annulation chez les théoriciens
Nous regroupons ici quelques textes autour de trois questions essentielles: - Les circonstances du mariage des filles: le consentement paternel Hostiensis, célèbre canoniste, cardinal (f 1271). Summa aurea, tit. de matrimonio, n° 27. Quoi que puissent dire les lois, la fille encourt pourtant le reproche d'ingratitude si elle ne consent pas à ce que veut son père.
Gui de Baysio, chapelain pontifical de Boniface VIII (f 1313). Rosarium, ad C. 31 q. 2, s.v. si verum. On ne dit donc pas qu'il n'y a pas vrai mariage sans le consentement du père et de la mère et des consanguins, mais qu'il doit s'y trouver non parce qu'il est nécessaire ou qu'il l'effectue mais parce qu'il le rend plus honorable.
- Au bout de combien de temps la cohabitation conjugale prouve-t-elle la réalité du mariage ?
Glose ordinaire à Gratien, C. 1, q. 1, c. 111, s.v. post mensem. Argument selon lequel si une femme a été donnée (sous-entendu: à son mari) malgré elle et qu'elle aura vécu avec lui pendant un certain temps et qu'elle ne sera pas enfuie alors qu'elle l'aurait pu, si par la suite elle abandonne son mari, celui-ci pourra demander qu'elle lui soit ramenée. Du fait qu'il a été si longtemps accepté, le mariage a été ratifié. (Selon les canonistes le délai est en général d'un an et demi.) Panormitain, canoniste, cardinal (f 1445). Commentaria au X 4, 1, 28, n° 6. La copule charnelle subséquente efface l'effet de la contrainte antérieure et valide le mariage, au moins à partir de ce moment. (À 5, 17, 7, Panormitain précise: Il arrive que le mariage imposé soit ensuite accepté avec plaisir) si un désaccord précédent fait
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VÉGLISE ET LES FEMMES
ensuite place au consentement et que ce qui déplaisait d'abord commence enfin à plaire. - Dans quel cas l'usage de la contrainte invalide-t-il le mariage ?
Glose ordinaire à C. 22, q. 4, c. 22, s.v. matrimonium. On dit que lorsque la contrainte a été légère, celle-ci en effet n'empêche pas le mariage. (Le mariage n'est annulé que si la plaignante a subi des menaces telles qu'elles dépassent les facultés de résistance d'une personne« constante >>, de détermination normale.) Pour évaluer ce degré Innocent IV, Apparatus ad X 1, 40, 6, n. 1 précise: Et si une juste crainte ne peut être niée, c'est laissé à l'appréciation des juges. Raimond de Peiiafort, maître général des Dominicains, canoniste (f 1275). Summa Iv, tit. de impedimenta violentiae, n° 3. Et ainsi le juge, prenant en considération la diversité des personnes et des lieux, jugera de cette crainte et s'il y a mariage ou s'il est nul.
Hostiensis. Summa aurea, tit. de matrimonio, n° 27. En bref le bon juge examinera et déterminera, après avoir observé la qualité des personnes qui ont utilisé la force, de celles qui l'ont subie, de l'endroit et du moment où se sont produites les violences et la contrainte, et de la confirmation de la permanence des menaces et du prolongement du désaccord. Textes latins cités par R. H. HELMHOLTZ, Marriage litigations in Medieval England, Cambridge, 1974, p. 91-93.
L'Église a, au xne siècle, imposé l'idée que le mariage ne relevait que de sa compétence. Le mariage civil n'existant pas, s'il peut y avoir demande d'annulation pour contrainte elle ne peut donc être portée que devant les tribunaux ecclésiastiques. R. H. Helmholtz a travaillé sur des causes matrimoniales anglaises de ce genre. Il a pu étudier à la fois les principes de droit élaborés par les spécialistes de droit canon, leur application et l'interprétation que les juges en font dans la pratique.
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LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOCVEAUTÉS
Dans leur sécheresse ces extraits ont un grand avantage: ils montrent ce que les canonistes les plus éminents entendent par liberté du consentement de mariage quand il s'agit des femmes. Parmi les principaux handicaps on en a retenu trois: l'attitude attendue des filles, leur difficulté à prouver leur accord d'une part, la contrainte de l'autre. I..;image positive de la jeune fille est celle de l'obéissance à l'autorité paternelle. On ne peut pas être plus clair qu'Hostiensis: pour tout acte contraire, même si au terme il est justifié, la femme est immédiatement taxée d'ingratitude, donc de violation du commandement de Dieu ordonnant d'honorer ses parents. Redoutable pré-jugé, significatif , donc si les fache l'en jurer par ceste maniere: « Vous jurez as sainctes Evangiles de Dieu que vous maintendrois bien et loyalement la confraerie de Dieu et monseigneur saint Cosme et saint Damien et saint Lambert, tous le cours de votre vie, et obeirés au prevost, en tant que touchera les ordenances de la fraerie, et porterés honneur au prevost et a l'esquevin, et poierés aus termes accoustumés vos sieges, si comme il sera ordené, et les bonnes coustumes de la dicte confraerie soutiendrez et maintendrois votre pouoir, et les maivaises abatrez, et, tant comme il en ait en ladicte confraerie douze freres, vous serés le traisieme. » Et quand il ara ainsi juré, si li face l'en baisier la crois, et puis le prevost, l'esquevin et tous les sergens, et, ce est fame, la crois, et suffize a tant. Arch. dép. Seine-Maritime, G 6435.
Confrérie Saints-Pierre-et-Paul de Langres. Statuts de 1489. Le premier point qui est Du nombre des confreres Ordonné fut premierement Que des confreres y aurait Quatre vingts et que seullement De ce nombre assez suffiroit Lequel nombre se fourniroit De bons prestres messes chantans Bourgeois, clercs et lais qui vouldroit Tant estrangiers comme habitans. Comment les femmes en peuvent estre 1. Les textes qui suivent ont été transcrits par Catherine Vincent, spécialiste des confréries, qui m'a fait l'amitié de me les communiquer et que je remercie vivement.
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Toutes femmes, tantes ou meres Soit de haut ou de bas lignaige S'elles sont espouses confreres De consœurs maintedront l'usaige Non pas durant leur mariaige Seullement en seront comptees Mais durant leur vie et leur aige Pour consœurs seront reputees. Aultres femmes non mariees Qui d'honnete vie seront Ne seront icy refusees Mais aussi leur lieu y auront Avec les aultres si mettront En fornissant certaines sommes Et ja pourtant n'empescheront Le nombre des quatre vingts hommes. Langres, Bibl. mun., ms 66, fol. 2v-3.
Confrérie Saint-Nicolas de Longepierre (Saône-et-Loire). Statuts de 1464. (Les frères et les sœurs peuvent dîner ensemble le jour de la fête annuelle, aux dépens de la confrérie), pourvu que les hommes soient separés des femmes. Arch. dép. Saône-et-Loire, E 14 78.
On a du mal à imaginer aujourd'hui l'importance des confréries dans les sociétés médiévales. Ces associations volontaires apportent à leurs membres de nombreux avantages. Elles tissent entre eux des liens complexes: elles fournissent des secours aussi bien d'ordre matériel que spirituel et une affectivité spécifique s'y exprime. Parfois elles doublent sur un autre mode l'organisation des métiers. Un prêtre les encadre; le jour de fête du saint patron est marqué par des dévotions particulières. Sous la protection du saint, les confrères se portent assistance aussi bien dans la vie que dans la mort et l'audelà. On y entre moyennant une cotisation variable selon leur recrutement, plus ou moins sélectif, et généralement après une enquête de moralité comme le signalent les statuts de Langres. Si le candi-
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dat est reçu il est intronisé, ainsi à Rouen en 1358. Chaque confrérie a ses statuts, sa hiérarchie (prévôt, échevin), son budget, ses revenus (cotisations, biens-fonds ou autres), son local de réunion, souvent sa chapelle dans une église avec un desservant attitré et son banquet annuel. Ces structures associatives sont un des modes d'expression du sentiment religieux et d'encadrement de la piété des laïcs à la fin du Moyen Age. Les ordres mendiants dirigent souvent les confréries. Il est donc important de repérer si les femmes y sont admises et quelle y est leur place. La documentation est toujours beaucoup plus lacunaire pour les femmes que pour les hommes. Elle fait cependant apparaître trois points essentiels. La confrérie est au départ une institution masculine puis elle s'ouvre aux femmes. On vérifie dans certaines sources du XIIIe siècle que la pression de grandes dames voulant y entrer a souvent été décisive: il était bien délicat de le leur refuser ! Il paraissait également injuste d'empêcher les épouses d'y suivre leur mari. Les confréries les plus libérales comme celle de Langres prévoient même que les veuves pourront y rester et des femmes seules y entrer. La cérémonie de réception est la même que pour les hommes. Par bienséance on dispense à Saint-Denis de Rouen les femmes du baiser fraternel. Deuxièmement, les femmes restent toujours un peu dans l'ombre des hommes. Aucune confrérie mixte ne semble avoir envisagé que des femmes accèdent à la direction de la confrérie. Troisièmement, l'évolution est nette: la séparation des sexes se renforce plutôt qu'elle ne s'estompe. On voit qu'à Longepierre par exemple les hommes et les femmes font table séparée au banquet annuel. C. Vincent précise qu'à l'époque moderne les nouvelles fondations sont souvent ou masculines ou féminines. Cette « moralisation » se vérifie dans d'autres secteurs (notamment pour la prostitution) et la Contre-Réforme du XVIe siècle va encore la renforcer. • Les dévotions aux saints: sainte Catherine au secours des femmes en détresse (S.d.) Ung bon homme devers Guerrie avait une fille qui estoit grande, si avoit une grosse boce au droit du cueur, si l'avait mise en la main d'un barbier pour luy crever sa boce. Et quand elle fut crevee, la fille cheut a
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terre, et la tint l'en pour morte, et fut ensevelie dés souleil levé jusques a souleil couchié; si la voua a madame sainte Katherine, si tost comme le veu fut fait, la fille parla, et se leva toute saine. 1396. (... ) La fille de Naudin Drouene, de la paroisse de Bouçay prés Prueillé, souppa celuy jour, et en souppant elle mengea une grosse iraigne (araignée), et tantost avint que la fille enfla grandement et devint comme foie. Et tantost son frere la voua a madame sainte Katherine, et tantost ladicte fille rendit et gecta hors la dite iraigne par les na'seaux; et vint ladite fille toute saine a madame sainte Katherine, en la chapelle de ceans. 1402. Le jeudi emprés Pasques( ... ) vint en la chapelle de ceans une femme de ville de Sainteux (Saintes), appellee Typhaine, laquelle disoit et affermoit par son serment que, en l'annee precedente, aucuns mauvais ribaulx la poursuivoient pour la vouloir violer de son corps; toutesfois elle fuyt dedans une tour, laquelle est assise sur le pont de Sainteux sur la Charente, et incontinent ladite femme se doubta que lesditz ribaux la poursuissent et, pour la doubtance d'eulx, ladicte femme se voua et recommanda a madame Katherine de Fierboys, et en faisant ledit veu, elle se getta la teste la premiere en la riviere bien dix toises en parfont, (... ) ou elle se trouva a genoilz ou parfont de ladite riviere, sans soy dommager aulcunement, et s'en yssit sans boire de l'eaue, et sans peril de mort et desdiz ribaulx. (... ) 1420. Thomasse, (... )femme de Pierre du Brulli, (... )de Loches, estoit ensainte d'enfant et avoit travaillé sept jours ou environ. Si estoit son mary et tous ses amys moult dolens et courroucez de la grant paine et travail que la poure femme souffroit. Et que de la grant pitié qu'elle leur faisoit ilz requeroient Dieu, la Vierge Marie et toute la court de Paradis, affin qu'elle peust delivrer d'enfant. En faisans ces prieres, il vint( ... ) son frere, et quand il vit la pitié et le travail ou elle estait il commença a pleurer et prier devotement Dieu pour elle, et les femmes qui la gardoient luy disdrent: « Pour Dieu, lisez la vie sainte Margarite sur votre seur, et au plaisir Dieu elle enfantera. » Si commença a lire ladite vie et, en commençant a prononcer la dite vie, elle delivra d'ung enfant masle, et quant les femmes virent le fruit comment il vint, commencerent a pleurer et mener dueil. Si demanda son frere: « Quelles nouvelles ? », lors disdrent les femmes: « Mauvaises, car nous ne savons que c'est, car le fruit estoit noir comme charbon >>,et s'escria son frere a haulte voix: «Je vous requiers pour Dieu mectons nous tous a genoulz, et requerons madame sainte Katherine, glorieuse vierge et martire, comment il luy plaise Dieu prier que l'enfant ait baptesme. » Lors commencerent a crier a haulte voix: « Tres glorieuse dame, (... ) vueillez ouyr noz prieres, et essaulcer que cest enfant ait baptesme et le te vouons. » Et leurs requestes faites, l'enfant commença a crier, lequel avait esté l'espace de trois heures sans y apercevoir vie au!-
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cunement, lors fut porté l'enfant baptisez hastivement. Et dist son frere: «Je ne bevray ny ne mengeray, jusques ad ce que j'aye esté louer et mercier madame sainte Katherine a Fierbois» 1 •
BNF, ms fr. 1045, fol. 11, 26, 28v-29v.
Cette Catherine est la martyre d'Alexandrie (t 307 ?) dont la vie pleine de merveilleux s'est répandue en Occident surtout après la première croisade et est très populaire. On sait que Marguerite et Catherine sont les deux saintes qui parlent à Jeanne d'Arc. Au sanctuaire de Fierbois (reconstruit par Charles VII après 1431 ), à trente kilomètres de Tours, a été rédigé en français le livre des miracles qui s'y sont accomplis de 1375 à 1470. Plusieurs récits font apparaître le contexte de la guerre de Cent ans avec des soldats de tous bords battant la campagne. Il est normal que les miracles dont bénéficient les femmes soient beaucoup moins liés à la conjoncture et plus aux risques de toujours, spécifiquement féminins: le viol, l'accouchement. On aperçoit bien les types d'intervention de la sainte et ses modalités. Dans la « cour de Paradis » trois saintes sont invoquées ici: la Vierge (qui n'accomplit aucun miracle), Marguerite traditionnellement sollicitée dans les accouchements difficiles: les reines se font porter sa ceinture quand elles sont en travail. On la voit intervenir ici la première dans la délivrance de Thomasse. Dans la seconde phase, la résurrection de l'enfant en vue du baptême, elle semble passer le relais à sainte Catherine qui s'avère plus efficace. Cette concurrence inavouée entre les saints est fréquente. Les pouvoirs de Catherine ne sont pas sexistes: beaucoup d'hommes et d'enfants des deux sexes en bénéficient. Le champ de ses compétences est vaste: maladie, accident, menace de viol, enfantement. La maladie visée semble être la peste, « boce » étant le nom vulgaire des ganglions purulents de la variété lymphatique. La sainte ressuscite carrément la malade mise à mal par l'intervention du barbier et déjà enterrée. Elle sauve de l'araignée avalée qui rend fou (ce péril appa1. Ce manuscrit a été édité par Y. CHAUVIN, Livre des miracles de Sainte-Catherine-de-Fierbois (1375-1470), Poitiers, 1976 (Archives historiques du Poitou, 60). La transcription donnée ici a été prise sur l'original.
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raît dans de nombreux récits; on pense aux tarentules qui ont donné leur nom à la danse appelée tarentelle). Les modalités de l'intervention sont de deux types. Le fidèle peut être en état de se vouer lui-même: Typhaine pour échapper au viol risque le suicide en se jetant dans le fleuve. À genoux au fond de l'eau elle évite et le viol et la mort. Dans les autres cas, le bénéficiaire du miracle est trop mal en point pour invoquer quiconque; son entourage compatissant s'en charge: Ie père et deux fois le frère. Les femmes qui gardent l'accouchée ne savent sans doute pas lire puisqu'elles demandent au frère de la parturiente de lire la vie de sainte Marguerite. On a une preuve supplémentaire de la popularité de ces vies de saints réunies dans les recueils comme la Légende dorée. On peut faire appel à la sainte à distance (on remarque cependant que la plupart des miracles ont lieu dans la région: Saintes, Loches ... ). Il faut la remercier sous peine qu'elle ne se venge et« défasse » le miracle. Le frère de l'accouchée s'acquitte de sa dette de reconnaissance sur-le-champ. En général on apporte un ex-voto, souvent en cire, au sanctuaire.
C. DÉCOUVERTES D'AUTRES FEMMES: l'exotisme à la fin du Moyen Age L'historien arménien Kirakos dépeint vers 1255 les mœurs de certains peuples de Tartarie. Le roi nous racontait sur les nations barbares beaucoup de choses étranges et inouïes qu'il avait vues et entendues. Il disait qu' (... )il y avait un pays où les femmes avaient forme humaine et étaient douées de raison, les hommes ayant l'aspect de chiens dépourvus de raison, fort grands et couverts de poils 1. Ces chiens interdisent à quiconque de pénétrer dans le pays et se livrent à la chasse qui les nourrit eux et les femmes. Et quand les chiens s'accouplent avec elles, les mâles qui en naissent ont forme de chiens, les femelles forme de femmes. ]. A. BOYLE, «The Journey of Het'um 1, King of Little Armenia to the Court of the Great Khan Mongke '" dans Central asiatic Journal, t. 8, 1963, p. 186-187. 1. Ce que confirme le franciscain Jean du Plan Carpin, parti pour l'Asie en 1245 (GIOVANNI DI PIAN Dl CARPINE, Storia dei Mongoli, éd. P. DAFFINA, c. LEONARD! et al., Spolète, 1989, p. 260).
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Marco Polo, d'une famille de marchands vénitiens, a passé vingt-cinq ans en Asie puis rentre en Europe en 1295. Il décrit ici les filles du Tibet. Nul homme de celle contree pour riens du monde ne prendroit a femme une garce (fille) pucelle; et client que elles ne vallent riens, se elles ne sont usees et coustumees de gesir (coucher) avec les hommes. Et font en tel maniere que quand les cheminans (voyageurs) passent, si sont appareilliees, les vielles femmes, avec leurs filles ou leurs parentes, et vont avec ces garces pucelles et les mainnent aus genz estranges (étrangers), qui par la passent, et les clonent a chascun qui en veult prendre pour faire en leur volenté. (... ) Celles qui plus ont de seignaus (amants), et qui plus auront monstré qu'elles auront esté le plus touchiees, si sont pour meilleurs tenues. Et plus volentiers l'espousent, pour ce qu'ils client qu'elle est plus gracieuse. (... ) Or vous ai conté de cest mariage, qui bien fait a conter et a dire; car bien y devraient aler les jeunes bachelers (célibataires) pour avoir de ces pucelles a leur vouloir tant comme il demanderaient, et seraient priez sans nul coust. Le Livre de Marco Polo par Rusticien de Pise, éd. M. G. PAUTHIER, Paris, 1865, p. 373-375.
Celui qu'on appelle « le bourgeois de Paris » est resté anonyme. Il n'est sûrement pas bourgeois mais clerc de l'Université de Paris, docteur en théologie et membre du clergé parisien. Dans son journal, il évoque les Gitans. Année 1427. Item les hommes estaient tres noirs, les cheveulx crespez, les plus laides femmes que on peust veoir et les plus noires; toutes avaient le visage deplaié (ridé ou tatoué), chevelx noirs comme la queue d'un cheval, pour toutes robbes une vieille flaussoie (couverture) tres grosse d'un lien de drap ou de corde liee sur l'espaulle, et dessoubz ung povre roquet ou chemise pour tous paremens. Brief, ce estoient les plus povres creatures que on vit oncques venir en France de aage de homme. Et neantmoins leur povreté, en la compaignie avoit sorcieres qui regardoient es mains des gens et disoient ce que advenu leur estoit ou a advenir, et mirent contans (discorde) en plusieurs mariaiges, car elles disaient [au mari]: «Ta femme [t'a fait] coux (cocu) »ou à la femme: «Ton mary t'a fait coulpe (a fauté).» Et qui pis estoit, en parlant aux creatures, par art magicque, ou autrement, ou par l'ennemy d'enfer ou par entregent d'abileté, faisoient vuyder les bources aux gens et le mettaient en leur bource, comme on disoit. Et vraye-
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ment, je y fu III ou IIII foys pour parler a eulx, mais oncques ne m'aperceu d'un denier de perte, ne ne les vy regarder en main, mais ainsi le disoit le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à l'evesque de Paris, lequel y alla et mena avec lui ung frere meneur, nommé le Petit Jacobin, lequel par le commandement de l'evesque fist la une belle predicacion, en excommuniant tous ceulx et celles qui ce faisoient et qui avaient creu et monstré leurs mains. Et convint qu'ilz s'en allassent, et se partirent le jour de Nostre Dame en septembre et s'en allerent vers Pontoise.
Journal d'un bourgeois de Paris, éd. A.
TUETEY,
Paris, 1881, p. 220-221.
Ces deux séries de descriptions sont différentes non seulement par l'époque (près de deux siècles de distance) mais surtout par la démarche de leur auteur. Le moins révolutionnaire est certainement celui du xve: le clerc parisien qui évoque les Gitans, gens étranges qui font un court passage à Paris, est un sédentaire. Il les décrit avec la finesse qui est la sienne et la liberté d'esprit de quelqu'un qui ne risque rien. Le XIIIe siècle au contraire est un siècle de voyages d'exploration dangereuse du monde. Avec une intrépidité qui force l'admiration, sous l'impulsion de grands personnages comme Innocent IV et Louis IX, un certain nombre de têtes brûlées, marchands, ambassadeurs ou missionnaires se lancent sans carte sur des routes inconnues et vers des peuples précédés de légendes souvent redoutables: on comprend que la part des appréhensions et a priori soit ici beaucoup plus forte. L'important est ce qui unit l'ensemble: la découverte de l'autre. Dans notre optique, celle de femmes inconnues. Sauf par les récits transmis par l' Antiquité classique, le Moyen Age ne connaissait, et très mal, d'autres peuples et d'autres cultures que ceux avec lesquels il avait été ou était encore directement en contact: les païens christianisés ou en voie de l'être, les musulmans et les juifs, eux liés aux chrétiens au moins par le Livre. On voit la stupéfaction provoquée par la « rencontre » de peuples dans lesquels l'homme et la femme n'appartiennent pas au même genre avec une dissymétrie au bénéfice de la femme: ce n'est pas elle ici qui penche vers l'animalité mais son partenaire velu. Accouplement monstrueux qui se reconduit tel quel avec les généra-
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tians: comment ne poserait-il pas problème si toute l'espèce humaine descend d'un couple unique ? La brève description des mœurs des Tibétains rapportée ici est moins fantastique et plus intéressante encore car elle touche un domaine particulièrement sensible de la morale chrétienne et de l'image de la femme: la valorisation de la virginité des épouses à leur mariage, la monogamie, le tabou du sexe. Sur le toit du monde, une société des antipodes ! Les femmes n'ont de prix ici que formées à l'ars erotica et on rend service aux filles en les y formant. Marco Polo en est tout émoustillé, comme prêt à se dévouer. Pierre Damien a dû se retourner dans sa tombe à entendre cette publicité faite au voyage d' « observation » et au sexe en liberté. Il est provocant d'inciter les jeunes gens à aller, et sans bourse délier, se déniaiser en expérimentant les charmes plaisamment offerts de ces filles. Le voyageur ne va pas jusqu'à recommander aux jeunes filles de les imiter ! La liberté reste un privilège des mâles et des jeunes célibataires: cette tolérance s'institutionnalisera malgré les foudres de l'Église. Le clerc qui décrit les Gitans est un remarquable observateur. On notera son jugement esthétique: les gitanes sont laides car elles n'ont ni les cheveux blonds ni la peau très claire du canon médiéval. Il est sensible aussi à leur misère, notamment celle de leurs vêtements. C. Beaune 1 a rappelé les grands traits de la légende qui entoure ce peuple « condamné » à l'errance pour ses péchés, qui inquiète et fascine tout le monde: l'Église, parce qu'il fait volontiers commerce de l'art de la chiromancie, et le peuple qui l'accuse à tort ou à raison d'être imbattable dans le vol à la tire, comme aujourd'hui. D.
UNE UTOPIE:
les femmes à la reconquête des lieux saints ?
Pierre Dubois (1250155-1321), avocat au service de Philippe le Bel, auteur sans succès de traités exaltant entre autres la reprise des croisades. Ce projet (13 05-13 07) soumis au roi a ensuite été envoyé au pape.
1. Pour une édition modernisée et les commentaires, voir Journal d'un bourgeois de Paris, éd. C. Beaune, Paris, 1990.
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85. (I:auteur a prévu dans chaque province des écoles pour les garçons, d'autres pour les filles, installées sur les possessions des ordres militaires.) Il faudra que toutes les filles de l'institution apprennent, comme les garçons, la grammaire latine, ensuite la logique et une langue étrangère; puis les fondements des sciences naturelles, enfin la chirurgie et la médecine. Entendons-nous, au-delà de la grammaire et de la chirurgie, ceci ne concerne que celles que l'on trouvera plus douées et avec plus de dispositions pour ces matières que les autres. De même, dans chacune des sciences, on ne les instruirait que de ce qui a un rapport avec la médecine et la chirurgie et, autant que faire se pourra, de la façon la plus concrète, la plus simple et la plus facile, eu égard à la faiblesse de leur sexe. Parvenues en effet à la maturité plus tôt que les mâles, elles atteignent plus tôt la limite de leurs possibilités, ce qui est chez elles le signe d'une faible puissance naturelle. (Les filles trop fragiles resteront en France pour servir de répétitrices à la fois dans l'enseignement théorique et pratique.) 61. (... )Ainsi instruites et sachant écrire, ces jeunes nobles et d'autres particulièrement remarquables, qui ont les aptitudes physiques et la beauté, seront adoptées pour filles et petites-filles par les grands princes de leur propre pays, de la Terre sainte ou des pays voisins. Ainsi pourront-elles être avantageusement données pour épouses aux plus grands princes, aux clercs ou à d'autres orientaux fortunés. Elles seraient si accomplies grâce à l'argent de l'institution qu'on les croirait filles de princes. Une fois mariées à des hommes puissants, elles promettront de rembourser, si possible de leur vivant, ce qu'on a dépensé pour elles (... ). Ces femmes ainsi instruites, attachées aux articles de la foi et aux sacrements selon l'usage de Rome, apprendraient à leurs enfants et à leur mari à y adhérer( ... ). Par amour de la terre natale, elles s'arrangeraient pour avoir beaucoup de filles sortant de cette institution scolaire à marier à leurs fils et aux hommes éminents du pays, spécialement aux clercs destinés à exercer de hautes charges. Elles en feraient leurs chapelains; ils célébreraient et chanteraient selon le rituel romain, et peu à peu elles y amèneraient ainsi les habitants de l'endroit. Spécialement les femmes, qu'elles aideraient grâce à leur pratique de la médecine et de la chirurgie, tout particulièrement pour ce qui touche à leurs maladies et leurs besoins secrets. Que pourraitil y avoir d'invraisemblabl e ? Plus nobles, plus riches que les autres matrones, partout il se saurait qu'elles connaissent la médecine, la chirurgie et surtout qu'elles l'exercent. Elles auraient beaucoup de force pour amener ces mères de famille en mal de conseils, pleines d'admiration pour un savoir dont elles bénéficient et qui les conduirait de ce fait (... ) à la foi et aux sacrements.
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69. Tandis que les uns continuent à malmener les chefs sarrasins, (... ) on peut donner pour épouses à ces derniers ces filles formées par l'institution à condition que leur foi soit sauve (... ). Grâce à elles, avec l'aide de Dieu et de ses disciples prédicateurs, (... ) leurs maris pourront être amenés à la foi catholique. (... )Là-dessus je me fonde sur ce que j'ai entendu dire aux marchands qui fréquentent ces pays: selon eux les femmes de cette secte se tourneraient facilement vers nos coutumes afin que chaque homme n'eût qu'une femme. PIERRE DUBOIS, De recuperatione Terrae sanctae, éd. Ch.-V. LANGLOIS, Paris, 1891, p. 50, 57 et 70.
Ce projet n'a eu aucun succès. Ce n'est donc pas ce qui nous l'a fait retenir. P. Dubois est du dernier carré de ceux qui croient à la paix entre les états chrétiens, à la réforme de l'Église, préliminaires à la reconquête de la Terre sainte et à la conversion en masse des musulmans. Il n'est pas seul non plus à critiquer le célibat des clercs et la vie monastique. En revanche, et c'est ce qui nous intéresse, la place qu'il fait aux femmes dans ses utopies a été trop peu remarquée. On se contentera ici de deux aspects: leur éducation et leur manage. L'idée de l'auteur est qu'il faut constituer pour l'Orient une milice des deux sexes, un cadre colonial d'autre-mer qu'il faut d'abord recruter, former, avant de pouvoir l'utiliser. On va retirer des filles de bonne famille à leur parenté. Système à la spartiate: la raison d'État, qui se confond ici avec la raison de Dieu, évite de se demander s'il se trouvera des parents et/ou des enfants volontaires. Il faut instruire ces combattantes. D'abord tester leurs aptitudes. Passons sur l'axiome que les filles ont une intelligence plus faible que les garçons. En fonction du test, retenir les plus douées pour acquérir non pas - première originalité - une instruction morale, les qualités monastiques ou un vernis de culture mondaine, mais un véritable savoir professionnel: les femmes sont affectées au service de santé. Admirateur de Roger Bacon, Dubois insiste beaucoup sur la pratique. Cette formation ne débouche cependant pas sur un métier qui assurerait l'indépendance économique de la fille et lui donnerait une raison sociale mais sur le mariage. Là est le plus surprenant.
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Une femme ne se marie pas: on la marie. Rien de nouveau. Il faut donc lui trouver d'abord un substitut de père, choisi de préférence là où elle va devenir utilisable: en Orient. Dans sa candeur, l'auteur ne se demande pas non plus si ces princes sont preneurs de filles adoptives, aussi jolies et instruites qu'elles soient. Le problème est résolu. On peut passer à l'étape décisive: ces pères marient leurs filles conformément à leur rang à eux et à leurs qualités exceptionnelles à elles, ce qui leur donne des moyens d'action considérables mais toujours dans le cadre sacro-saint du mariage et dans les hautes sphères. Alors commence le travail sur le chantier, pragmatique et non sanglant. À côté les hommes se battent ou prêchent. C'est un travail de conversion dans l'exercice du métier d'épouse, mère, médecin réunis. Par ondes concentriques. Dans le foyer: si le mari appartient à une chrétienté non romaine, il rentre au bercail. S'il est musulman, il se convertit. Les fils, forcément catholiques, épousent des filles sortant des mêmes écoles que leurs mères et ça fait boule de neige. Au-delà du noyau familial, l'exercice de la médecine amène à la vraie foi la clientèle féminine reconnaissante. Elle fera pression sur les hommes, surtout les musulmanes qui supportent mal la polygamie. Grâce aux femmes donc, l'Orient devient catholique et la victoire est assurée. Saluons cette belle confiance dans la religion et les talents du sexe faible: le scalpel d'un côté, le charme qui opère dans les mariages mixtes de l'autre font mieux que l'épée et que les sermons.
3. Des situations religieuses particulières A. DISSOLUTION DES BÉGŒNES: Cum de quibusdam mulieribus (1312)
Les critiques contre les Béguines s'accumulaient depuis un siècle. Le concile de Vienne réuni par Clément V prend un décret contre cette institution. Certaines femmes, communément appelées Béguines, qui ne font pas vœu d'obéissance, ne renoncent pas à leurs biens propres et n'embrassent aucune règle approuvée, ne sont en rien des religieuses bien qu'elles por-
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tent l'habit dit des Béguines et soient liées à certains religieux vers lesquels les porte spécialement leur inclination. Or on nous a fait savoir par un rapport digne de foi que certaines d'entre elles, comme sujettes au dérangement de l'esprit, disputent et discourent sur la sainte Trinité et l'essence divine, qu'elles propagent sur des articles de foi et des sacrements de l'Église des opinions contraires à la foi catholique, trompant sur ces questions bien des esprits simples et les induisant en erreur. Elles feraient et commettraient sous un certain voile de sainteté beaucoup d'autres choses dangereuses pour les âmes. Nous donc, ayant fréquemment entendu exprimer sur elles, par ces rapports comme par d'autres, des avis défavorables, nous les tenons à juste titre pour suspectes et, avec l'approbation du saint concile, nous jugeons devoir prohiber à jamais leur état de vie et l'abolir entièrement dans l'Église de Dieu. Nous voulons et enjoignons expressément à celles-ci comme à d'autres femmes, sous peine d'excommunicati on qu'elles encourraient ipso facto en s'y opposant, de ne plus mener à l'avenir ce genre de vie qu'elles ont peut-être adopté depuis un certain temps ou de ne plus le reprendre de quelque façon que ce soit. Quant à ces religieux, dont on dit qu'ils ont encouragé cet état de béguinage et ont conduit ces femmes à l'adopter, nous leur défendons rigoureusement, sous peine de la même excommunicatio n qu'ils encourraient en agissant autrement, d'admettre des femmes dans ce genre de vie, soit qu'elles veuillent y demeurer, soit qu'elles veuillent y entrer de nouveau( ... ). Il est clair que nous n'entendons nullement par ce canon interdire aux bonnes chrétiennes qui, ayant fait ou non vœu de continence, vivraient pieusement chez elles, de vouloir faire pénitence et se consacrer à Dieu. Conciliorum œcumenicorum Decreta, 3e éd., Istituto per le Scienze religiose, Bologne, 1973, p. 374.
Ce décret célèbre est une des manifestations du durcissement des autorités religieuses: au même moment, la papauté d'Avignon avait supprimé l'ordre du Temple après un procès infamant; envoyé au bûcher en 1310 la mystique Marguerite Porete; peu après Jean XXII faisait brûler à Marseille des Franciscains spirituels qui, avec l'énergie du désespoir, voulaient rester fidèles à saint François. Observons la démarche du raisonnement qui conduit à la condamnation des Béguines. La sanction n'a pas été prise individuellement mais est collective et n'en a que plus de portée. Elle l'a été à la suite de plaintes et
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de dénonciations. Le reproche majeur fait aux Béguines est de n'avoir pas de statut dans les structures antérieures de l'Église. Ne pouvait-on justement leur en reconnaître un ? Ce serait trop demander à une institution qui, depuis un siècle déjà, présente des signes de sclérose certains et a, dès 1215, interdit de créer de nouveaux ordres comme si, en chrétienté, tout était dit et fait une fois pour toutes jusqu'à !'Apocalypse. Il est bien vrai que les Béguines n'étaient ni tout à fait des laïques ni des religieuses (suivant la règle d'Augustin ou de Benoît) et n'appartenaient même pas aux tiers ordres de laïcs qui ont fini par se faire leur place à l'ombre des ordres mendiants. Ce qui gêne est donc l'ambiguïté de cette situation à cheval entre le laïcat et la vie consacrée par des vœux. On le sait, la décision de se faire béguine n'était pas irréversible; l'encadrement n'était pas désigné d'office comme dans les communautés traditionnelles. Les Béguines étaient dirigées soit par des séculiers soit par des réguliers d'ordres divers: chanoines, Cisterciens, Mendiants. Cependant l'équivoque du genre de vie n'est pas seule en cause: le grand reproche retenu est l'hérésie portant sur la doctrine, les sacrements ou la morale. Et d'autant plus dangereuse que ces femmes parlent, donc répandent le poison. Les accusations restent allusives dont celle d'hypocrisie (leur sainteté est un voile) couvrant des fautes graves (contre la chasteté ?). On voit que tout ceci ne repose que sur des témoignages invoqués de façon vague et sans les preuves qui éclaireraient la lanterne de l'historien. La conséquence est logique: de la suspicion découle non pas une enquête mais la dissolution. Les mesures visent les deux parties: les femmes encadrées et leurs directeurs masculins qui ont charge de leurs âmes. On a des preuves du désarroi provoqué par ces mesures: l'opinion, mal informée, a eu tendance à confondre sous la même condamnation bien des genres de vie apparentés, à commencer par les tiers ordres. En fait la plupart des béguinages ont subsisté, mieux tenus en mains que par le passé. Ce qui ressort surtout du document est la frilosité de l'Église. Se sentant menacée de toutes parts, elle n'a pas compris que par-delà quelques déviations regrettables les béguinages pouvaient fort utilement remplir une fonction chez les femmes laïques. La peur de l'hérésie surtout l'a obnubilée. 374
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B.
LA RÉCLUSION
• Liturgie de l'inclusion à la fin du Moyen Age S'il s'agit d'un homme et d'un clerc, on le fait allonger de tout son long au milieu du chœur, pieds nus et en prière. S'il est laïc, il se tient à l'extérieur du chœur. Si c'est une femme, elle se tient dans la partie ouest de l'église où d'habitude prient les femmes. L'évêque, ou celui à qui il en a délégué l'office, revêtu des vêtements consacrés en plus de la chasuble, avec ses desservants en vêtements consacrés, doit se tenir dans le presbytère ou dans la sacristie jusqu'à ce que le chantre commence le répons: Emendemus ... (... ).L'évêque, avec ses ministres, se prosterne devant l'autel et commence à réciter les psaumes 6, 8, 19, 31, 34, 37, 40, 42, 50, 101, 103, 129, 130, 142. Ensuite deux clercs chanteront à haute voix la litanie, et le chœur leur répondra: « Prie pour lui, ou pour elle, si c'est une femme( ... )." Quand la litanie est terminée, l'évêque et ses desservants vont vers le prostré avec la croix, l'encensoir et l'eau bénite, placent la croix en face de lui, l'aspergent trois fois d'eau bénite et l'encensent. (Prières.) Ensuite l'évêque( ... ) avec une autre personne vénérable aide le prostré à se relever et il lui met en mains deux cierges allumés, lui rappelant qu'il doit demeurer en permanence dans l'amour de Dieu et du prochain. (... ) Un sous-diacre lit cette leçon d'Isaïe (26, 20). (... ) Puis un diacre lit l'évangile de Luc (10, 38) comme pour la fête de !'Assomption de la Vierge. Ensuite ses vêtements sont bénis (... ). Le reclus lit alors sa profession devant les marches de l'autel, et la dépose sur l'autel qu'il baise (... ),puis offre ses cierges qu'il place sur les candélabres. (... )Revêtu de ses nouveaux habits, il est béni. (Prières. Sermon au peuple: l'évêque expose au reclus son mode de vie et le recommande à la foule.) Quand c'est achevé, si le futur reclus est prêtre, qu'il dise la messe du Saint-Esprit. Sinon l'évêque dit la messe qu'il veut. La messe dite, que l'évêque le conduise par la main au reclusoir. (... ) L'évêque entre dans le reclusoir avec ses desservants, tous les autres restant dehors avec le reclus et il asperge la maison d'eau bénite, (... ) encense l'autel et toute la maison. L'évêque ressort et dit au futur reclus d'entrer si telle est sa volonté. Quand il est entré, il l'encense et l'asperge d'eau bénite. Et l'évêque commence l'antienne: Que les anges te conduisent au Paradis. (... ) Alors il asperge toute la maison, puis l'encense et procède ensuite à l'office de l'extrême-onction. (... ) On dit sur le reclus prostré la recommandation de l'âme jusqu'à l'endroit où on pose le défunt dans la bière. Ceci afin que, s'il était surpris par la mort, il ne soit pas privé de ce saint service. Quand
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c'est fait, on ouvre le sépulcre, il y entre et le reclus ou quelqu'un à sa place chante: Voici ma dernière demeure (... ). Alors l'évêque jette sur lui de la poussière et commence l'antiphon: De la terre tu nous as faits. Tous sortent. Cévêque reste un moment et au nom de l'obéissance ordonne au reclus de se lever et de demeurer dans l'obéissance ce qu'il lui reste de vie. Une fois l'évêque sorti, on obstrue l'entrée de la maison, et tous se retirent. Liber pontificalis of Edmund Lacy, bishop of Exeter, éd. R. BARNES, Exeter, 1847, p. 131-137.
Ce rituel a été conservé dans le pontifical d'Edmond de Lacy, évêque d'Hereford puis d'Exeter, mort en 1455. Les premiers rituels détaillés et solennels de réclusion connus sont du xne siècle, ce qui n'est sans doute pas dû uniquement au hasard de la conservation des sources. Quand l'Église a acquis force et prestige, en pleine réflexion sur les sacrements et le droit canon, se manifeste le besoin de définir le statut de ces religieux particuliers que sont les reclus. Comme dans une très forte proportion, variable, mais qui peut aller jusqu'à 100%, ces reclus sont des femmes, il est intéressant d'observer quelle cérémonie était élaborée pour ceux que Burchard de Worms au début du xre siècle appelait l' « ordre des morts ». Dans ce même manuel liturgique se trouve un rituel de la profession monastique: si on compare les deux, les ressemblances sont évidemment très sensibles. Le futur moine/moniale entre dans l'église après l'évangile, l'habit monastique sur le bras; lecture de la profession déposée ensuite sur l'autel; bénédiction de l'habit; communion. Mais les différences sont éclatantes. La cérémonie d'inclusion est beaucoup plus complexe et émouvante. Elle fait une part beaucoup plus large à la symbolique des postures. Le candidat à la vie monastique n'est, dans ce même recueil, ni pieds nus ni étendu de tout son long, attendant que l'évêque le relève. Au contraire la prostration du reclus mime l'immobilité du cadavre. De même l'habit du moine est béni, mais jamais lui-même n'est aspergé d'eau bénite ni encensé comme l'est à plusieurs reprises le reclus et comme seuls le sont les défunts. Et surtout: une fois que le profès a reçu la communion, la cérémonie est achevée. Pour le reclus le plus important reste à faire. Le plus spectaculaire - et qui est totalement absent, signalons-le aussi, de la bénédiction des ermites décrite par 376
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de nombreux pontificaux - est en fait que toute la séquence des gestes et des paroles a pour but de le conduire de la vie à la mort, de l'Église/assemblée des fidèles à son tombeau. Encore faut-il noter que plusieurs rituels prévoient la messe des morts, ce qui est inquiétant car des gens mal intentionnés en font dire ... pour faire mourir leurs adversaires, comme l'attestent les conciles ! Après la messe le reclus n'est, dans l'église, relevé par l'évêque que pour aller s'allonger de nouveau dans ce qui « sera sa dernière demeure », une fois reçue l'extrême-onction. L'évêque procède donc à son enterrement anticipé. Le reclusoir, lieu consacré par la présence de l'autel, au sens propre est une tombe. Et les prières les plus importantes sont empruntées à la liturgie des défunts. On comprend que l'institution recluse, disparue à l'époque moderne, ait laissé le souvenir d'une liturgie tristissima, où tout le monde pleure, et que, pudiquement, Mgr Righetti dans sa monumentale Histoire de la liturgie ne la signale, et pour en déplorer la tonalité, qu'en bas de page. C'est en effet aux antipodes du nouveau baptême de la profession monastique et du mariage mystique de la consécration des vierges. On y entend beaucoup plus le Dies irae que le Veni creator. • La recluse, officier municipal préposée à la prière (1517)
En 1497, est entrée au reclusoir des Carmes de Limoges jeanne de Lagarde, veuve de ]acmé de Lavigne, chapelier de Limoges, comme l'indique le livre du consulat. Elle y a passé dix-huit ans sans aucune « répréhension ». (À son décès les seigneurs du gouvernement urbain) ... am fach diligence trobar qualque femme de be (bien) per la far et mectre recluse au luec de lad. feue (défunte). Et perce que a messrs fut dit et remonstrat per plusieurs gens de be que honneste femme Catherine Guillote, vefve de Jehan de Las Cousturas, et fille naturelle et legitime de feu honorable maistre Rillaud Guillot, licenciat en leiz, advocat, quant vivie a Limoges, ere femme de bien, devocieuse, de bonne vite et honneste conversation: laqualle requiere et fasie requeste a mesd. 5rs (mesdits seigneurs) la mectre recluse (... )(La requête est examinée et acceptée.) Aujourduey dieument (dimanche) de la Passion, xx1xe de mars mil cinq cens dix sept, amprés cc que messrs agem fach cuvidar et assabeyr a plusieurs gens de
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
bien de la ville se rendre en consulat audit jour, houre de huech (huit) horas de mati, per venir a l'onnour de lad. donpne recluse; et furent assemblatz aud. consulat, ou venguet et arribet lad. Catherine Guillote de sa meygon, en son habit de vesvage acoustumat, ben acompaignade de plusieurs gens de bien et en grand nombre de femmes de bien et d'estat que se eram redutz (rendus) chaz elle. Et mesd. srs lous consulz la receuberent (reçurent) en lourd. consulat. Et aqui leysset sousd. vestimens, et preys et vestit lous abillemens, manteu et chappeyron que messrs lui aviam fach far de !ours despens. Et amprés deud. consulat fut menade per mess"( ... ) consulz (... ), permi multitude de peuple amprés et en bon ordre, a l'eygleige (église) parochiale de Saint Michel, a l'entrant de laqualle fut venerable parsonne maistre Guillem Jouviond, licencié en decret, chanoine de Limoges et chappelle (chapelain) de lad. esgleigo, enchappat (en chappe) sur son aube, acompaignat de sous vicarys, assistens diacre, soubz diacre, en cortibaulx (sorte de dalmatique) et prebtreys de ladicte esgleige. Loquai receubet de mesd. srs ladicte dompne recluse, laqualle, stant de genoilh, fiez et promeys entre las mas (mains) de mond. sr Io chappelle le vot de chastctat, et cc fach, lui bailler l'aygue beneyte, et la preys par la ma, et la mennet au grant aultar et au costat deu banc deux bayles deu Corps de Dieu, om avie une couverte (couverture) estendude, sur la qualle lad. dompne recluse se meys et prostret. Et, amprés que messrs d'eigleigo agrem dich Veni creator ! cum collecta, fut cliche la messe deu jour cum collecta de Sancto Spiritu, en grant solennitat, et Io sermon devant lod. aultar per monsr maistre Anthoni de la Chassaigne, licencié en decret, accessour de mons' l'official de Limoges. Et, durand lad. messe, lad. dompne recluse demouret prostrade aud. luec. Amprés ce que fut fach lod. office, mond. sr Io chappelle adminitret (communie) la dompne recluse, et amprés la repreys perla ma, et son vicary per l'aultre part, et en procession honnorablement, messrs lous consulz en bon ordre subsequent, menerent lad. dompne recluse aud. reclusaige, et amprés l'absolution generale illec faite per mesd. srs de l'esglise, s'en retournerent chantans Te Deum laudamus a leur esglise; et mesd. srs les consulz en leur consulat. Ladicte recluse prege Dieu per tous. Amen. Jhesus. Registres consulaires de la ville de Limoges, éd. É. RUBEN, Limoges, 1867, p. 84-85.
Ce procès-verbal des archives municipales de Limoges a plusieurs mérites. D'abord il montre que le Moyen Age ne se termine pas en 1492. Par certains aspects il est mort depuis longtemps. Sous d'autres il se prolonge. Deuxièmement: le statut de reclus est
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très varié selon les régions. Le Midi de la France est très attaché au reclus municipal. Troisièmement: cet état de reclus qui, à nos yeux - comme à ceux de Victor Hugo quand il évoquait dans Notre-Dame de Paris la recluse du Trou-aux-Rats-, représente le comble de la déréliction, est une institution mi-religieuse mi-civile bien intégrée dans l'espace géographique et mental de la ville médiévale. Enfin, c'est une voie où les femmes réussissent. La locataire précédente du reclusoir des Carmes de Limoges avait été installée en 1497 et est morte le 23 déc. 1516. Il a fallu chercher une remplaçante. Elle est intronisée le 29 mars suivant: une veuve va succéder à une autre. C'est assez souvent le cas. On voit ici que ces femmes ne sont pas forcément pauvres. La première était femme d'un homme de métier. La deuxième est fille d'avocat (on ignore ce que faisait son mari). Le statut des reclus est très varié selon les régions. Ils relèvent d'institutions diverses, religieuses (évêques, chapitres, monastères, couvents de Mendiants) ou civiles (le roi, un grand seigneur ou des gouvernements municipaux, ce qui semble la règle dans le Midi de la France où les sources de la réclusion ont souvent été conservées dans les registres de délibérations communales). Le reclus municipal est habillé par la ville et souvent à ses couleurs: il en porte le chaperon. C'est elle qui le nomme et l'entretient. Les frais d'édification ou réparation du local sont à sa charge. On voit très bien ici le processus: enquête des consuls pour trouver la bonne candidate; requête de Catherine; investiture et prise d'habit à l'Hôtel de ville. Puis remise par les consuls de la recluse au clergé qui reçoit ses vœux à la porte de l'église et procède à la cérémonie, très solennelle. Partout un cortège: pour aller chercher la recluse chez elle, la conduire à la maison commune, l'amener à l'église et de là au reclusoir, « sa dernière demeure >>, en respectant les préséances. Le moment « sensible » est le changement de mains: des matrones au magistrat urbain, de celui-ci au clergé. La recluse est passée du privé au public, et du pouvoir laïque au pouvoir religieux. Les deux ensemble la conduisent dans sa logette. La cérémonie mobilise non seulement tout le corps de ville mais aussi un clergé important par le nombre et la dignité. À l'église, chants, messe, communion, sermon. La prostration de la candidate est dans l'esprit du rituel. Il 379
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
est fréquent aussi que le reclusoir jouxte une église dédiée à saint Michel, l'archange psychopompe, qui a, comme la recluse, partie liée avec la mort et se trouve dans le cimetière, ici le grand cimetière des Arènes de Limoges, près de l'amphithéâtre antique comblé au xvme, époque où le reclusoir disparaît. Toute la population est associée à la fête, accompagne la recluse dans son sacrifice et bénéficie de ses prières. Elle est un des personnages les plus vénérés de la ville, à charge viagère et non pas annuelle. À Saint-Flour, par exemple, le premier geste du gouvernement municipal nouvellement élu est d'aller la saluer et de trinquer avec elle à la fenestrelle. Les femmes lui doivent d'avoir sans doute été, si elle était volontaire pour la pénitence collective, la première à forcer en douceur les portes de la fonction publique.
C.
LES STATUTS DES FILLES PÉNITENTES DE PARIS EN
1497
Au XVIIIe siècle, P. Hélyot résume ces statuts et par moments laisse la parole à l'évêque, Jean Simon, qui les a promulgués. On n'en recevra aucune qu'elle n'ait connu le péché de chair et qu'elle sera visitée pour voir si elle a perdu sa virginité; que celles qui seront nommées pour en faire la visite feront serment sur les saints Évangiles entre les mains des Mère et sous-Mère et en la présence des discrètes, de faire vrai et loial rapport, et dire si elles sont corrumpües, et il ordonne que cet article sera inviolablement observé « car vous savez, leur dit-il, qu'aucunes sont venues à nous qui étaient vierges et bonnes pucelles et telles ont été par vous trouvées, combien qu'à la suggestion de leurs mères et parens qui ne demandaient qu'à s'en défaire, elles eussent affermé (sic) être corrompües ». (Et il ajouta:) « Item en outre ordonnons que si aucune voulait entrer en votre congrégation, qu'elle soit interroguée (sic) par la Mère et sous-Mère, présent votre confesseur, et en la présence de cinq ou six, si elle se dit corrompüe et que telle soit trouvée, si (interrogée pour savoir si) auparavant qu'elle fut corrompüe, elle avait eu désir d'entrer dans votre religion, et si afin d'y entrer, elle ne s'est point fait corrompre, et sera tenüe faire serment sur les saints Évangiles en la main de votre Père confesseur, en la présence de cinq ou six, sur peine de damnation éternelle, si elle ne s'est point fait corrompre en cette intention d'entrer en votre religion, lequel lui déclarera que, posé qu'elle fût professe ou non, et que l'on sut qu'elle se fut fait corrompre en cette intention, qu'elle ne
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LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOUVEAUTÉS
sera réputée religieuse de votre monastère, quelque vœu qu'elle ait fait. » Puis donc qu'il fallait prêter ces serments pour être religieus, il y a bien de l'apparence que des personnes qu'on y avait enfermées malgré elles, n'auraient jamais prêté le serment que l'on exigeait. (Texte du serment prononcé à l'entrée:) Je, N., voue et promets à Dieu et à la Vierge Marie et à Monseigneur l'évêque de Paris, mon prélat et Père spirituel, et à vous, ma Mère, sous-Mère et tout le couvent, stabilité et fermeté sous clôture perpétuelle en ce lieu ici, et la conversion de mes mœurs, chasteté, pauvreté et obéissance, selon la règle de Monseigneur saint Augustin et selon les statuts, réformations et modifications faits et à faire, par Révérend Père en Dieu, Monseigneur Jean, évêque de Paris, l'an 1497. (Un article prévoit qu'on ne recevra aucune femme de plus de trentecinq ans de peur que) sous ombre de être receues en cet ordre et en quelque temps que ce soit, il n'y en eust qui voulussent continuer dans leur péché. P. HÉLYOT, Histoire des ordres monastiques, t. III, Paris, 1792, p. 372-374.
Ce type de texte pose la question de la prostitution à la fin du Moyen Age. On l'a dit, elle est considérée pendant toute la période comme un mal nécessaire en particulier pour protéger contre les débordements sexuels les femmes honnêtes, mais, à partir du XVIe siècle, l'Église et la société en général deviennent beaucoup plus rigoristes, tout au moins en façade: les lupanars ferment un peu partout sans naturellement que cesse le commerce du sexe. Dans le cadre du grand élan charitable des Xlle-xme siècles, avaient été fondés de nombreux établissements pour filles repenties. Les pensionnaires menaient désormais, à l'exemple de la Madeleine si vénérée alors, une vie pénitentielle de type monastique. Pourtant un peu partout la tendance est nette: le besoin de monastères féminins classiques est toujours si pressant, leur nombre ou leur capacité d'accueil si insuffisants, que ces maisons qui étaient des asiles pour ces pauvres femmes avaient tendance à changer de destination. C'est d'ailleurs le sort que connaît !'Hôtel de Behaigne (puis d'Orléans) fondé en 1497 pour les repenties de notre texte. Les historiens du XVIIIe signalent qu'il est désormais occupé par des femmes vertueuses. Il y a donc un problème économique et social qui n'est jamais résolu malgré les efforts de l'Église pour arracher ces âmes au péché. 381
VÉGLISE ET LES FEMMES
Cette fondation est le résultat de la prédication d'un cordelier, qui, en 1492, incitait une fois encore à sauver les pécheresses. Alexandre VI puis l'évêque Jean Simon, auteur des statuts, l'entérinent. La maison relève donc de l'autorité épiscopale. Le texte fait apparaître plusieurs traits caractéristiques. D'abord ce type d'établissement peut servir à reléguer des femmes indésirables: femmes de mauvaise vie que l'on veut « corriger »,ou enfants dont on veut se débarrasser. D'autre part des vierges se font volontairement passer pour prostituées ou se font déflorer uniquement pour s'y faire admettre. Le résultat est qu'on refuse du monde et qu'on est obligé d'établir des critères de sélection à l'entrée: il faut être vraiment prostituée pour y avoir droit. Les filles étaient effectivement 220 en 1497, ce qui est considérable. On mesure bien ici les contraintes de la misère et l'attrait aux yeux de filles sans ressources, ou abandonnées, d'une vie pourtant très austère de nonnes cloîtrées. Tous les abus expliquent les précautions, pour nous choquantes, exposées par le règlement pour éviter les fraudes: l'examen médical obligatoire par des matrones assermentées qui vérifient que la fille n'est plus vierge; serment sous peine de damnation éternelle qu'elle est endurcie dans le métier; âge limite dans le but d'inciter les vraies prostituées à abandonner quand il est temps encore la pratique de leur métier. Le serment d'entrée est une véritable profession monastique. D.
LA CULTURE DES FEMMES DANS LES MONASTÈRES
•La bibliothèque des Franciscaines de Longchamp en 1375
Inventaire dressé en 1375 à l'intronisation de l'abbesse jeanne de Neuville 1 . Ce sont lez livres qui estoient en l'eglise le jour dessusdit. I petit messel (missel) qui fu madame qui nous fonda (Isabelle de France, sœur de saint Louis, en 1255); item, VI messeux que grans que petis; I livre de euvangilles et I epistollier, X antiphaniers (antiphonaires) que grans que petis de quoy suer Marie de Gueuz donna I des grans; item, I derny ente1. Ce document m'a été signalé par France Passini que je remercie.
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LES XIVE-XVE SIÈCLES: PERMANENCES ET NOUVEAUTÉS
phanier, 1 derny grael (graduel) pour les chantrez; item, X graees que grans que petis, III sequenciers, 1 bon breviaire en chant et 1 petit; item, XII sauptiers que grans que petits; item, une grant legen>,elle se désolait: «Je décidai à la fin que Dieu avait fait une chose bien abjecte en créant la femme. Je m'étonnais qu'un si grand ouvrier eùt pu consentir à faire un ouvrage si abominable, car elle serait, à les entendre [les clercs], un vase recelant en ses profondeurs tous les maux et tous les vices. Toute à ces réflexions, je fus submergée par le dégoùt de la consternation, me méprisant moi-même et le sexe féminin tout entier, comme si la nature avait enfanté des monstres. Je me lamentai ainsi: « Hélas mon Dieu ! Pourquoi ne pas m'avoir fait mâle ... ? » 1 . Le sentiment d'indignité de la créature féminine s'exprimait une fois encore avec un exposant. Aux heures d'optimisme, le rapprochement de ces deux témoignages réconforte. On se dit que si Christine, dans les frémissements de ce qui peut nourrir l'espoir: la Renaissance, est si amère, 1. Je renvoie particulièrement à la contribution de D. toire des femmes, op. cit., p. 443-500.
RÉGNIER-BOHLER
dans His-
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et n'hésite plus à clamer cette amertume, c'est finalement bon signe. La prise de conscience d'une telle injustice exige qu'elle soit réparée incessamment. Elle aboutissait, au-delà même du dégoût de soi, on l'a remarqué, à un doute quasi sacrilège sur Dieu lui-même. N'avait-il pas pourtant, à la fin de l'œuvre de création, affirmé dans sa sereine souveraineté que « cela était bon »? Espérance déçue: la Renaissance n'a pas plus suffi que la Réforme, ni, beaucoup plus tard encore, la Révolution. Dans les pays occidentaux, qui sont les plus privilégiés, il faut attendre le xxe siècle pour que dans tous les domaines les femmes fassent reconnaître leur droit à la dignité et remettre en question leur sujétion « naturelle ». L'Eglise romaine y aide maintenant dans une certaine mesure. Beaucoup plus ouverte à la science et à l'histoire, elle a abandonné la lecture trop littérale de l'Écriture: la responsabilité d'Ève dans le chaos où se débat l'humanité devient moins écrasante. On revient volontiers à l'idée d'Origène: le clivage entre mâle et femelle passe en chacun des êtres humains entre animus et anima. On ne dit plus, comme Gratien et le droit canon, que seul l'homme est perse et la femme forcément sous tutelle comme le corps par rapport à la tête. Par suite, sa place dans le couple, la cellule familiale et la vie sociale tout entière, a été reconsidérée. Jusqu'où ? Catherine de Gênes ne se consolait pas d'être femme parce que son sexe lui interdisait de toucher le corps du Christ. Ce regret n'est pas mort aujourd'hui: la question de l'ordination des femmes reste posée. Toutefois, au niveau de la catéchèse, un rôle actif a été attribué aux femmes laïques. A un niveau plus quotidien, un pape de la fin du xxe siècle pourrait difficilement tenir à ses contemporaines le langage de Pie XI, il y a un demi-siècle: « La société domestique qu'est le mariage doit être affermie par l'ordre de l'amour qui implique la primauté du mari sur la femme et les enfants et la soumission empressée de la femme ainsi que son obéissance spontanée » 1 • Depuis quelques décennies aussi, Rome, sans remettre en question la supériorité de la virginité et de la chasteté, a réévalué le plaisir charnel dans le couple légitime. L'amour
1. Casti connubii, 1930.
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CONCLUSION
physique est enfin intégrable dans le registre de l'affectivité: « Le créateur, affirme Pie XIP, a également ordonné qu'en accomplissant cette fonction, le mari et la femme éprouvent du plaisir et de la joie dans leur chair et dans leurs esprits. En recherchant ce plaisir et en en profitant, les couples ne font rien de mal (notons cependant au passage le choix d'une formulation négative). Ils acceptent ce que le créateur leur a donné. » Ces concessions n'ont pourtant pas satisfait tous les fidèles de bonne foi. Au nom de la liberté de pensée, une très forte proportion de Français, de leur aveu même 2 , disent se déterminer selon leur conscience et non en suivant aveuglément le magistère. La pression est ainsi très forte sur la hiérarchie, toujours masculine et célibataire, pour qu'elle assouplisse ses positions en matière d'union libre, de divorce, de contrôle des naissances, d'une façon générale de tout ce qui touche à l'exercice de la sexualité. Combien de croyants ont déserté l'Église parce qu'ils trouvaient ses positions anachroniques ? Ou combien d'époux catholiques ont recours aux préservatifs, à la pilule, au stérilet sinon à l'avortement et à l'insémination artificielle ? L'institution ecclésiastique ne pourra pas, comme les sociétés contemporaines dans leur ensemble, ne pas tirer un jour ou l'autre les conséquences de la révolution silencieuse, peut-être la plus importante que l'humanité ait connue puisqu'elle bouleverse complètement les rapports traditionnels entre les deux sexes et pose autrement le problème de la survie de l'espèce: l'indépendance économique de la femme avait été la condition obligatoire de son émancipation; elle s'accompagne aujourd'hui de la maîtrise de la transmission de la vie passée entre ses mains. S'il y a libération de la femme, encore serait-il intéressant d'enregistrer la palette des intonations qui modulent le vocable goguenarde, dubitative, restrictive, scandalisée, positive, enthousiaste, triomphante, revendicative, revancharde, hostile. Admet1. J.-L. FLANDRIN, L'Église et le contrôle des naissances, Paris, 1970, p. 92. 2. Cf. les résultats du sondage (analysés par J. ROLLET, dans Études, oct. 1995) : à la question de savoir si, dans leurs décisions importantes, les Français interrogés se déterminent « selon leur conscience " ou « selon les positions de l'Église '" 83 % des Français répondent « selon leur conscience '" 9% « en tenant compte des deux '" 1 % « en suivant les positions de l'Église"·
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tons que cette émancipation réjouisse une forte majorité, faut-il pour autant poser que, étant en bonne voie, accompagnée de loin - trop, suffisamment, pas assez ? - par l'Église, tous les problèmes des rapports hommes/ femmes sont résolus ou en passe de l'être, au moins dans les pays de tradition judéo-chrétienne ? Ce serait d'abord négliger tous les fondamentalismes, les intégrismes, qui sont représentés et très militants dans les trois religions du Livre. Et négliger non moins les mouvements féminins d'avantgarde comme les contre-offensives « machistes » provoquées par la remise en question du statu quo. Ici on mesure le chemin parcouru. Le théologien dominicain Jean Nider (t 143 8) était si monté contre les femmes et leurs amours avec les démons que sa déposition au concile de Constance avait surpris quelques Pères ! Dans un de ses livres il évoquait un propos de femme lourd d'amertume que lui aurait tenu une religieuse de son ordre dans ces circonstances. Il citait aux sœurs de Colmar Jean Chrysostome et autres saints qui attaquaient les femmes quand une pédante (sciola grammaticae), un bas-bleu d'avant Molière, courroucée, l'apostropha: « Vous les hommes, vous n'en finissez pas d'écrire (scriptitando) contre notre pauvre sexe; mais si nous avait été donnée comme à vous la faculté d'écrire et de parler, il y a longtemps qu'on vous aurait rendu la pareille! » 1. Outrecuidance qui justifie la suite: Nider par une argumentation millénaire va démontrer leur indignité aux femmes, Écriture à l'appui. Mais la faculté d'écrire et de parler, les femmes l'ont conquise et la véhémence contre les hommes, nous la connaissons aussi. Une enquête récente dans le milieu universitaire américain2 établit qu'un groupe de féministes refuse d'écrire le mot women parce que le suffixe ramène au viril honni. On entend sur les campus de redoutables menaces qui semblent a posteriori donner raison aux inquisiteurs les plus paranoïaques du XVe siècle: « Les femmes ne vont plus se contenter de 1. Formicarium ]oannis Nyder S. Theologiae doctoris, Douai, 1602, III, 4. 2. Magazine littéraire, n° 310, mai 1993, p. 144-145. La traduction de l'enquête de D. D'Souza est parue en 1993 chez Gallimard sous le titre: I:éducation contre les libertés. Politiques de la race et du sexe sur les campus américains.
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CONCLUSION
parler de castration, elles passeront à l'acte ... et vont s'armer. » Si la haine entre les sexes perdure ou se rallume, qui se réjouirait que le sexisme eût gagné les deux camps ou même seulement changé de camp? Quelle a été la plus cruelle des misères que, avec la permission de Dieu, le Démon a infligée à Job pour triompher de sa fermeté d'âme ? Ce juste avait brutalement tout perdu: ses sept fils et ses trois filles étaient morts, comme ses serviteurs et son troupeau; il avait été frappé d'une maladie atroce qui faisait fuir ses frères et ses amis; il attendait la mort sur un lit de cendres, les os visibles comme des dents (Jb 19, 20). Les commentateurs du Moyen Age n'avaient pas manqué de le remarquer: le spécialiste du Mal absolu, préposé aux tortures les plus perverses, lui avait laissé sa femme. Elle ne voulait plus l'approcher tant il sentait mauvais; elle travaillait surtout à lui enlever la seule chose qui, lui restant, conservait à ce déchet de vie un minimum de sens, sa constance: Tu persistes encore dans ton intégrité ? Maudis Dieu et meurs ! (Jb 2, 9). Le Créateur le récompensa et rendit tout à Job: sa santé, ses biens, et il engendra de nouveau sept fils et trois filles, si belles que tout le pays les lui enviait et auxquelles il avait donné des noms (Tourterelle, Cinnamone, Corne à fards) qui, à eux seuls, étaient un hymne à la vie et une action de grâces. Mais une question reste sans réponse, capitale pour notre réflexion. Qu'est devenue cette épouse monstrueuse, alliée objective du Diable qui y avait perdu son hébreu avec son pari ? Dieu l'a-t-il punie ? S'est-elle amendée ? La prospérité retrouvée l'a-t-elle rendue, repentie et reconnaissante, à l'amour de son mari ? Est-ce la même qui lui a refait ces dix beaux enfants ? L'amour, malgré ses défaillances, est-il possible ? La Bible ne nous rassure pas. Alors faut-il en conclure que, décidément et toujours, l'enfer c'est le couple et l'autre moitié de l'androgyne originel, le partenaire de sexe opposé, le bourreau-victime qui vous suit comme une ombre? Les rapports de l'Église et des femmes ont beaucoup changé, non pas que la hiérarchie ecclésiastique eût cessé d'être mâle mais parce que, désormais, dans l'assemblée des fidèles comme au
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L'ÉGLISE ET LES FEMMES
dehors, les femmes parlent, agissent, ont acquis du pouvoir, sinon pris le pouvoir comme les en accusent les nostalgiques du passé. Les systèmes de représentations ne sont plus aussi rigoureusement qu'autrefois imposés d'en haut et par les hommes; la distribution des rôles est beaucoup moins inégalitaire et plus complexe parce que devenus souvent interchangeables. Reste l'essentiel: l'énigme majeure que constitue le dimorphisme sexuel. La découverte du « sexe qu'on n'a pas » est, reste, et restera la première et la plus fondamentale expérience de l' Autre, d'autant plus bouleversante qu'aucune autre à ce degré ne mobilise autant d'instinct et d'affectivité, de séduction / répulsion, ne charrie autant de traditions et ne met en branle autant de rêves. Elle impose l'impossible: accepter que le semblable soit différent, penser ensemble l'universel et le particulier. Rien ne nous autorise, sinon une folle aspiration à l'harmonie, une confiance aveugle dans l'amour, l'intelligence (et surtout celle du cœur) ou peut-être simplement la distance par rapport aux choses et à soi qu'on appelle l'humour, en bref une croyance au progrès - maquillage sans doute de l'instinct de conservation - , à postuler que cette forme primaire de racisme sera plus facile à éradiquer que les autres. On n'aura pas trop de toutes les énergies, dont celle de l'Église, pour continuer à y croire, et le vouloir. Le vouloir vivre est d'abord le vouloir aimer.
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Bibliographie
Plusieurs des ouvrages indiqués dans la bibliographie des chapitres successifs couvrent en réalité l'ensemble de la période, notamment les grandes synthèses récentes sur !'Histoire de la famille, !'Histoire des femmes, celle du mariage et de la sexualité.
Chapitre 1 G. DUBY et M. PERROT (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. 1. L'Antiquité, Paris, Plan, 1991. K. E. B0RRESEN, Subordination et équivalence, trad. fr., Paris, Marne, 1967. P. BROWN, The body and Society, New York, 1988. J. GAUDEMET, Le mariage en Occident, Paris, Le Cerf, 1987. R. GRYSON, Le ministère des femmes dans l'Église ancienne, Gembloux, Duculot, 1972. A. G. MARTIMORT, Les diaconesses, Rome, Edizioni liturgiche,
1982. E. PAGELS, The gnostic Gospels, Londres, 1980; trad. fr. Les évangiles secrets, Paris, Gallimard, 1982. A. ROUSSELLE, Pornéia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle, ne-IV" siècles de l'ère chrétienne, Paris, P.U.F., 1983.
423
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
Chapitre 2
J.-L.
FLANDRIN, Un temps pour embrasser. Aux origines de la morale sexuelle occidentale (VIe-XIe siècles), Paris, Le Seuil, 1983. G. DUBY et M. PERROT (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. IL Le Moyen Age, Paris, Plon, 1991. D. JACQUARD et Cl. THOMASSET, Sexualité et savoir médical au Moyen Age, Paris, P.U.F, 1985.
M. SEGALEN et F. ZONABEND éds., A. BURGUIÈRE et c. KLAPISCH (dir.), Histoire de la famille, t. I. Mondes lointains, mondes anciens, Paris, Colin, 1986. S. F. WEMPLE, Women in Frankish Society: Marriage and the Cloister (500-900), Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1981.
Chapitre 3
J. W.
BALDWIN, The Language of Sex. Five Voices {rom Northern France around 1200, Chicago and London, University of Chi-
cago Press, 1994. R. BULTOT, La doctrine du mépris du monde en Occident de S. Ambroise à Innocent III, IV, 1 et 2, Paris-Louvain, Nauwelaerts, 1963-1964 (Christianisme et valeurs humaines. A). C. CAPELLE, Thomas d'Aquin féministe ?, Paris, Vrin, 1982. G. ÉPINEY-BURGARD et É. ZuM BRUNN, Femmes troubadours de Dieu, Turnhout, Brepols, 1988.
La Femme dans les civilisations des xe-xme siècles. Actes du colloque de Poitiers, 1976, Poitiers, 1977 (Cahiers de civilisation médiévale, 20). Voir notamment la contribution pionnière de M.-Th. D' ALVERNY: " Comment les philosophes et les théologiens voient la femme», p. 105-128. J. LECLERCQ, Le mariage vu par les moines au xne siècle, Paris, Le Cerf, 1983. U. RANKE-HEINEMANN, Des eunuques pour le royaume des cieux, trad. fr., Paris, Laffont, 1990. J. T. NOONAN, Contraception et mariage, trad. fr., Paris, Le Cerf, 1969. 424
BIBLIOGRAPHIE
Chapitre 4 C. W. BYNUM, Jeûnes et festins sacrés, trad. fr., Paris, Le Cerf, 1994. P. DRONKE, Women Writers of the Middle Ages. A critical study of the Texts {rom Perpetua (t 203) ta Marguerit e Porete (f 1310), Cambridg e, Cambridg e University Press, 1984. M. ROUCHE et J. HEUCLIN éds., La Femme au Moyen Age, Colloque de Maubeuge 1988, Maubeuge , 1990. P. L'HERMITE-LECLERCQ, Le monachism e féminin dans la société de son temps. Le monastère de La Celle (XIe- début du XVIe siècle), Paris, Éd. Cujas, 1989. N. BÉRIOU, J. BERLIOZ, J. LONGÈRE éds., Prier au Moyen Age. Pratiques et expériences (V"-XV" s.), Turnhout, Brepols, 1991. J. RossrAUD, La prostitution médiévale, Paris, Flammario n, 1988.
Chapitre 5 C. CASAGRANDE et S. VECCHIO, Les péchés de la langue, trad. fr., Paris, Le Cerf, 1991. G. HASENOHR, «La vie quotidienne de la femme vue par l'Église », dans Frau und spatmittelalterlicher Alltag, Internationaler Kongress, Krems an der Donau, 1984, Vienne, 1986, p. 19-101. J. DELUMEAU éd., La religion de ma mère: les femmes et la transmission de la foi, Paris, Le Cerf, 1992. A. VAUCHEZ, Les laïcs au Moyen Age, Paris, Le Cerf, 1987. M. W ARNER, Seule entre toutes les femmes. Mythe et culte de la Vierge Marie, trad. fr., Marseille, Rivages, 1989.
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Index des auteurs (y compris collectifs et anonymes)
Adam de Perseigne, 254-256 Aelred de Rievaulx, 220-223 Alain de Lille, 240-242 Ambroise de Milan, 49-51 Annales et chroniques, 217220, 265-266, 290-293, 297-302, 344-346 Anselme de Cantorbéry, 205-208 Antonin de Florence, 3.17-339 Apocryphes, 3 8-4 7 Augustin de Cantorbéry, 98-101 Augustin d'Hippone, 60-66, 69-74 Bernard de Fontcaude, 264-266 Bonaventure, 232-237 Boniface VIII, 314-31 7 Bourgeois de Paris, 367-369 Burchard de Worms, 155-164 Césaire d'Arles, 85-91 Césaire d'Heisterbach, 272-274, 282-287,
302-304, 309-313, 332-334 Christine de Pizan, 417 -418 Clément V, 372-374 Clément d'Alexandrie, 32-34 Cyrille d'Alexandrie, 405-408 Denys le Chartreux, 355-358 Dhuoda, 130-132 Duns Scot, 235-237 Étienne de Bourbon, 274-276 Gautier de Coinci, 411-413 Gilbert de Limerick, 164-166 Gilles Bellemère, 334-337 Gratien, 179-184, 280-282, 285-287. - Glose ordinaire à Gratien, 347-350 Grégoire le Grand, 98-101 Grégoire de Tours, 82-83, 94-98 Gui de Baysio, 347-350 Guibert de Nogent, 267-269 Guillaume d'Ockham, 345-346 Hilaire de Poitiers, 405-408 427
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
Hildegarde de Bingen, 187-189 Hincmar de Reims, 127-130 Honorius Augustodunensis, 166-169 Hostiensis, 347-350 Hugues de Flavigny, 174-176 Humbert de Romans, 259-264 Ignace d'Antioche, 30-32 lnstitoris, 332-334, 339-344 Inventaire de bibliothèque, 382-385 Irénée de Lyon, 405-408 Isidore de Séville, 114-11 7 Jacques de Vitry, 293-295 Jacques de Voragine, 47-49, 74-7 6, 35 3-35 5' 409-411 Jean Cassien, 331-334 Jean Chrysostome, 56-59, 406-408 Jean NiderJ 420 Jean Scot Erigène, 125-127 Jean Tauler, 344-346 Jérôme, 49-56, 169-171 Jonas de Bobbio, 91-94 Jonas d'Orléans, 119-122 Kirakos, 366-369 Lamprecht von Regensburg, 344-346 Législation conciliaire et synodale, 79-83, 117-119, 133-135, 148-150, 195-197, 237-239, 264-266, 295-297, 353-355, 372-377 Lothaire de Segni (Innocent III), 184-186 428
Louis IX, 256-259 Marco Polo, 367-369 Mariano de Florence, 300-302 Matthieu Paris, 269-272 Orderic Vital, 195-199 Panormitain, 193-194, 347-350 Pères du désert, 66-69, 331-334, 415-416 Philippe de Mézières, 350-353 Pierre Alphonse, 276-279 Pierre d'Aragon, 280-282 Pierre le Chantre, 192-194 Pierre Comestor (le Mangeur), 169-174 Pierre Damien, 203-205 Pierre Dubois, 369-372 Pierre Lombard, 176-178 (Pseudo) Pierre de Luxembourg, 358-361 Pierre de Roissy, 170-171 Procédures antihérétiques, 133-135, 264-266, 394-397, 399-405 Procès de canonisation, 300-302 Raimond de Peîiafort, 348-350 Raoul l'Ardent, 167-169 Raoul de Coggeshall, 199-202 Règles monastiques, statuts de communautés, 88-91, 287-290, 322-329, 361-363, 380-382 Rituels, 83-85, 122-125, 189-192, 353-355, 375-380 Rupert de Deutz, 208-210
INDEX DES AUTEURS
Tertullien, 34-38 Théâtre religieux: Le jeu d'Adam, 223-226 Théodulf d'Orléans, 117-119 Thomas d'Aquin, 227-237, 408-411 Thomas de Chobham, 242-249 Venance Fortunat, 107-112 Vincent de Beauvais, 249-254, 267-269
Vitae et miracula, 47-49, 74-76, 91-98, 101-114, 132-148, 150-153, 210-215, 300-313, 317-322, 363-366, 385-399,405-413,4 16 Yves de Chartres, 215-217
429
Table des matières
page
Introduction . .. . . .. . . .. . . .. . . .. . . . .. . ... . . .. . . .. . . .. . . .. . . .. .. .. . . .. . . .. . .
5
Chapitre 1. La femme dans !'Écriture et chez les Pères 1. La Genèse A. LA CRÉATION: Et Dieu créa l'homme ... puis la femme B. LE PÉCHÉ: Elle prit du fruit, en goûta et en présenta aussi à son man ..................................................... .
23
2. La première exégèse chrétienne: saint Paul A. LES RESPONSABILITÉS: Adam fut formé le premier. Ce n'est pas Adam qui a été séduit ....................... . B. LA HIÉRARCHIE DES ÉTATS DE VIE FÉMININS ............... .
25 27
3. Les Pères apostoliques A. IGNACE: devoirs de l'évêque envers les femmes B. CLÉMENT D'ALEXANDRIE: le Logos pédagogue des hommes et des femmes ......................................... .
21
30 32
4. Les apologistes chrétiens: Tertullien
A. LE MARIAGE CHRÉTIEN ............................... ............ . B. LES FEMMES ET L'ADMINISTRATION DES SACREMENTS .•
34 36
5. Les femmes dans les évangiles gnostiques A. RÉÉCRITURE DE LA GENÈSE: une nouvelle répartition des pouvoirs ........................................................ .. B. JÉSUS, LA MADELEINE ET LES APÔTRES ....................... . C. DEUX VISIONS DIVERGENTES DE LA FEMME ............... .
41 43
38
431
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
6. L'élaboration patristique des rve-ve siècles A. LE MODÈLE HÉROÏQUE: martyre pour le Christ, la voie royale ............................................... ..................... B. LA FEMME: un problème complexe de définition .... C. ANCIENNE ET NOUVELLE LOI .•.•.........•.••.••.........•.•••.• • Saint Jérôme................................... ..................... - Les valeurs chrétiennes . .. . .. .. . .. . . . .. .. .. .. . .. . . .. .. . .. .. - La vraie chrétienne se réjouit de la mort de son enfant ............................................... ............... • Saint Jean Chrysostome ...................................... - Virginité et amour conjugal chez un Père grec.. - L'éducation des filles ........................................ • Saint Augustin ............................................... ..... - Pourquoi Dieu a-t-il créé la femme ? ................ - Rapports d'Adam et Ève avant la faute .......... - Virginité, continence et mariage ......................
47 49 51 51 51 54 56 56 58 60 60 61 63
7. La séduction du désert et l'apparition du monachisme
A.
LES PÈRES ET LES MÈRES DU DÉSERT . .•... .. . ..•.•.•..... .....
B. LA PÉCHERESSE CONVERTIE .... .•.••. .•. ....... ..•.••.•.......... c. UN TYPE SOCIAL NOUVEAU: la nonne chez Augustin • L'esprit du monde interdit au cloître .................. • Discipline monastique ........................................ D. NONNE EXEMPLAIRE: sainte Marine ........................
66 67 69 69 71 74
Chapitre 2. L'Église et les femmes dans l'Occident médiéval du premier millénaire 1. L'époque mérovingienne
A.
LA CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE •. . ... .... .••.•.. ... ... ... .•. .••
• Les conciles mérovingiens .. . . .. . .. . . .. . .. . .. .. .. . .. . .. .. . .. - Les femmes dans l'Église .................................. - Le concile de Mâcon de 593 s'est-il demandé si les femmes avaient une âme ? .......................... • Le rituel de la consécration des vierges .. ... .........
432
79 79 79 82 83
TABLE DES MATIÈRES
B.
LA PASTORALE
...................................•..•...•.••..•.•..•..
• Césaire d'Arles, un grand archevêque du vie s .... . - Il parle aux laïcs ............................................. . - Il écrit la première règle pour les nonnes ......... . • La pratique: fautes et repentirs de nonnes ......... . • Portraits de femmes dans l'œuvre de l'archevêque de Tours, Grégoire ............................................. . - Clotilde ........................................................... . - Théodebert et les femmes ............................... . - Le saint évêque, le Diable et la femme ........... . - Exemple à méditer: le couple qui reste vierge .. • Pureté et impureté féminine chez Grégoire le Grand
C.
FIGURES DE SAINTES MÉROVINGIENNES ..................... .
• Sainte Geneviève: elle sauve Paris en 451 ........... . - Quelques miracles de la sainte ....................... . • Sainte Radegonde: l'amour des déshérités ........... . - L'ascèse par amour du Christ ......................... . • Sainte Bathilde: reine et abbesse de Chelles ....... . D.
L'ÉLABORATION INTELLECTUELLE ...... ............. ...... ...•.
85 85 85 88 91
94 94 94 94 96 98 101 102 104 107 110 112 114
• Isidore de Séville et le corps féminin: les mots et les choses . . . ... . .. .. . .. .. . . . .. .. . .. . . .. . .. .. . . .. . .. . ... . .. . .. . .. . .. .. 114 2. La Renaissance carolingienne A. LA LÉGISLATION RELIGIEUSE .•. . .. .•. .••.••. .. . ... .......... ...... 117
• La femme au travers des statuts diocésains de Théodulf d'Orléans (vers 813) ............................ • Les admonestations aux laïcs de Jonas d'Orléans • Élaboration religieuse d'un modèle de reine: couronnement de la reine Hermintrude (866) ...... •Jean Scot Érigène: le sexe après la Chute et dans l'éternité ............................................................
117 119 122 125
B. LA VIE DANS LE MONDE • •..•.•••••.•. .••.•. .••.••.. ....•.... ....... 12 7
• Les réalités du mariage vues par l'archevêque de Reims, Hincmar ................ ... ......... .... ............. ... 12 7 • Conseils d'une noble dame, Dhuoda, à son fils .. 130 • Deux types de femmes: sainte recluse et pseudoprophétesse ........................................................ 132 433
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
3. Irlande et Angleterre A. L'ÉVANGÉLISATION: saint Patrick convertit des femmes d'Irlande .................................................. B. SAINTS ET SAINTES .................................................. • Les femmes sous le regard des saints .................... • Les femmes, les hommes et les miracles .. .. .. .. .. .. . . C. LES NONNES ANGLAISES ............................................ • Le concile de Cloveshoe en 7 4 7 .. . .. . .. .. .. .. . .. . .. .. . .. . D. L'EXPORTATION DE LA SAINTETÉ ANGLAISE SUR LE
135 137 137 140 148 14 8
CONTINENT ......•......................•.•..•....•.•.................. 150 • Sainte Lioba, nonne et missionnaire .................... 150
Chapitre 3. L'Église et les femmes dans les sociétés féodales 1. Les femmes vers l'an mil: les péchés des femmes chez Burchard de Worms • La femme et l'amour .......................................... • La femme et l'enfant .......................................... • Les femmes, Dieu, les dieux et le Diable ............ • Des péchés de chrétiennes ..................................
2.
155 158 160 162
siècles: les femmes dans les sociétés féodales et l'Église au terrips de la réforme grégorienne
XIe-xne
A.
LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ D'ORDRES .................. 164 • Gilbert de Limerick .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .... .. .. ... .. .. .. .. . 164 B. LES FEMMES DANS L'ÉGLISE ...................................... 166 • À l'intérieur de l'édifice ecclésial: Honorius Augustodunensis et Raoul !'Ardent .................... 166 • La symbolique des nombres: deux est mauvais et femme ............................................................ 169 • Pierre Comestor et la femme .... .......... ................ 171 - Le Serpent avait une tête de femme .............. .... 172 - Petits garçons et petites filles .. .............. ........ .... 172 - Définition ............. ...................... .......... ........... 172 c. LES FEMMES AU JUGEMENT DERNIER: Hugues de Flavigny .................................................................... 174
434
TABLE DES MATIÈRES
D.
L'ÉLABORATION THÉOLOGIQUE ET CANONIQUE 176 • Les théologiens: Pierre Lombard parle du mariage 176 • Les canonistes: Gratien ..... ..... ... ....... ..... ..... ........ 179 - Les incapacités féminines ................................ 179 - L'amour dans le couple .................................... 181 • Innocent III: la femme dans La misère de la condition humaine ....................•......................... 184 E. UNE FEMME PARLE DE LA FEMME: Hildegarde de Bingen 187 F. LES FEMMES LAÏQUES ...............•....•.•..•.•.•..•.•..•.......... 189 •Rituel du mariage (1125/1135) .......................... 189 • La contraception vue par Pierre le Chantre ........ 192 • Que deviennent les « prêtresses » ? Orderic Vital, Latran 1 et II ........................................................ 195 • Fragilité et pouvoirs de l'accouchée: Orderic Vital 197 • Femme, hérésie, sorcellerie à Reims: Raoul de Coggeshall .......................................................... 199
3. L'offensive des moines vierges et le salut A. EXCELLENCE DE LA VIRGINITÉ ET MÉPRIS DU MONDE .. • La virginité chez Pierre Damien . .. ..... ... ..... ..... ..... • Saint Anselme: la dépréciation des affections et de l'activité terrestres .......................................... B. UNE THÉORIE SANS POSTÉRITÉ: l'amour charnel dans le couple est prière: Rupert de Deutz .................... C. SUCCÈS DU MODÈLE DU MARIAGE NON CONSOl\lMÉ: Christina de Markyate .......................................... • Christina veut rester vierge . . .. . .. .. . .. .. . .. .. . .. .. . .. .. . .. • La vierge est consolée par le Christ et Marie ...... D. LES ÉPOUSES DU CHRIST . . . . . . . . . •. . . . •. . . . •. ••. . . . •. . . . . . . . . . . . . . . . • Yves de Chartres: la nonne selon ses vœux ........ • Des nonnes séduites par les ordres les plus rigoureux: affiliation de Prébayon à l'ordre des Chartreux vers 114 5 . .. .. . .. .. . .. .. . .. .. . .. .. . ... .. .. .. . .. .. . . • La voie mystique: l'effusion amoureuse chez Aelred de Rievaulx ..............................................
203 203 205 208 210 210 212 215 215 21 7 220
4. Ève dans le théâtre religieux du xrre siècle • Le jeu d'Adam ....... ....... ....... .......... ..... ..... ........... 223
435
VÉGLISE ET LES FEMMES
Chapitre 4. Le xme siècle: l'élaboration à l'âge classique 1. La maturation de la réflexion doctrinale A. LA NATURE DE LA FEMME ET SA PLACE DANS LE PLAN
Thomas d'Aquin .......................................... 227 • L'infériorité essentielle de la femme .................... 227 • La famille .. .... .. .. .. .. .... .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... 229 DIVIN:
B. LA PLACE DE LA FEMME DANS
L'INSTITUTION ECCLÉSIALE:
peut-elle recevoir le sacrement de l'ordre ? ............ • Bonaventure ........................................................ • Thomas d'Aquin ...................... ................ ...... .. .. • Duns Scot ................... .......... ................... ...... .. .. C.
LE RESPECT DES CADRES, SOUCI PERMANENT DE L'ÉGLISE
2. Les épouses A. LA THÉOLOGIE MORALE ............ ... ..... .......... ............ • Alain de Lille .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... ... .. .... .. .. .. .. .... .. .. - La femme occasion du péché et culpabilité masculine .. .. .. .. .. . .. .. .. .. . .. .. ... .. .. .. ... ... .. .. .. . .. .. . . ... . • Thomas de Chobham ........................................ - Le bon usage du sexe ........................................ - Les devoirs des femmes .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. - Les prostituées dans l'Église ................ .... ... .....
B.
232 232 235 235 237 240 240 240 242 242 244 246
L'AMÉNAGEMENT DE LA VIE DES FEMMES MARIÉES:
la Bible et Vincent de Beauvais .............................. 249 • L'éducation des filles .......................................... 249 • Leur mariage .... ............................ ...... .......... ...... 252 C. LES LETTRES DE DIRECTION SPIRITUELLE .................... 254 • Adam de Perseigne: comment se partager entre l'Époux céleste et l'époux terrestre .................... 254 • Saint Louis: enseignements à sa fille .................... 256 D. LES SERMONS ADAPTÉS AD STATUS D'l-IUMBERT DE ROMANS 259 • Sermon aux servantes des gens riches ................ 259 • Sermon aux femmes pauvres des villages ............ 261 E. BONNES ET MAUVAISES FEMMES .......... .......... ...... ...... 264 • Les femmes et l'hérésie .............. .......... ....... ......... 264 436
TABLE DES MATIÈRES
•La mère: ange ou démon? Guibert de Nogent et Vincent de Beauvais ............................................ • Une pieuse comtesse: Matthieu Paris .................. • Les femmes et la communion: Césaire d'Heisterbach ............................................... ..... • La femme, l'enfant et les sortilèges: Étienne de Bourbon ............................................... ............. • Crédulité, lubricité et perfidie féminines: Pierre Alphonse ............................................... ... F.
DEUX TYPES DE FEMMES PARTICULIERS .. ...... .... ... .•.••.•..
• Les femmes esclaves . ............................ ... .... .. ... ... • Les juives chez Césaire d'Heisterbach ................ - Le clerc, la juive et le moine ....... ....... ....... .. ... .. - La conversion des enfants juifs ........................
267 269 272 274 276 2 79 2 79 282 282 285
3. Les femmes consacrées
A.
LE MONACHISME TRADITIONNEL ..................•.••.•.••.•.
• Cîteaux et la branche féminine de Tart .............. • Fondation au XIIIe s. d'une chartreuse féminine: La Celle-Roubaud .............................................. • Chanoinesses séculières: Jacques de Vitry .......... • Simonie dans les monastères féminins: Latran IV B. LES ORDRES NOUVEAUX FACE AU PROBLÈME FÉMININ ..
287 287 290 293 295 297
• Les ordres mendiants et les femmes pieuses en Alsace .............................................. .................. 297 • Saint François et le second ordre ........................ 300 C. LA VIE AU MONASTÈRE .....•.•..•.••.•..................•..•..•.•. 302 • Une vocation impérieuse au XIIIe s. d'après Césaire d'Heisterbach ...... ........ ..... ... ... ....... ... ... .... 302 •À Unterlinden .............................................. ...... 304 - Le martyre d'une vierge .................................. 304 - La charité dans le cloître .................................. 307 • Nonnes vues par Césaire d'Heisterbach .............. 309 - Les récompenses célestes ...... ........... ....... ...... .... 309 - Tentations de moniales .................................... 311 D. DURCISSEMENT DE LA LÉGISLATION. La bulle Periculoso de Boniface VIII (1298): clôture stricte des moniales .... 314 437
VÉGLISE ET LES FEMMES
E.
LES VOIES NOUVELLES DE LA PIÉTÉ FÉMININE ..............
• Démarche individuelle: Élisabeth de Thuringe et la charité ........ ...... .................................. .... ........ • Communautés de pieuses femmes ...................... - Enterrement et translation d'une fondatrice: Douceline de Digne ........................................ - Le personnel féminin de l'hôpital d'Angers .. .. .. -Au secours des pauvres femmes en couches: statuts d'hôtels-Dieu ........................................ - Les statuts des Béguines de Paris ......................
317 317 319 319 322 324 327
Chapitre 5. Les xrve-xve siècles: permanences et nouveautés 1. La femme dans le système de représentation ou les fantasmes des clercs A. NOSTALGIE ou OBSESSION MASCULINE: la castration .. 331 B. L'ESSENCE DE LA FEMME .... ................ .......... ............ 334 • Toutes les infériorités possibles pour Gilles Bellemère ............................................... ............. 334 • Antonin de Florence: les femmes en toutes lettres 337 C. L'ALLIANCE OBJECTIVE DES FEMMES ET DU DÉMON: Le Marteau des sorcières ...................................... 339 • Pourquoi le sorcier est en général une sorcière .... 339 • Les pouvoirs des sorcières .................................. 342 D. DES SONS DE CLOCHE PHILOGYNES ET MINORITAIRES: et si les femmes avaient des droits ou même quelques dons? ............................................... ..................... 344 2. La place des femmes dans l'assemblée des fidèles A. LA SITUATION DES LAÏQUES ............ ...... .. ........ .......... • Le mariage des femmes et son annulation chez les théoriciens .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. ... .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. • Le mariage des petites princesses vu par Philippe de Mézières ............................................... ......... • Rituel de la purification après l'accouchement .... • Le couple exemplaire selon Denys le Chartreux ..
438
34 7 34 7 350 353 355
TABLE DES MATIÈRES
B.
LES DÉVOTIONS LAÏQUES
.......•........•..•.•.•.••..••.••.•......
• Modèle de la « journée chrétienne» attribué à P. de Luxembourg: la prière des simples femmes ........ • Les femmes dans les confréries ............................ • Les dévotions aux saints: sainte Catherine au secours des femmes en détresse .......................... c. DÉCOUVERTES D'AUTRES FEMMES: l'exotisme à la fin du Moyen Age........................................................ D. UNE UTOPIE DE PIERRE DUBOIS: les femmes à la reconquête des lieux saints ? ................................ 3. Des situations religieuses particulières A. DISSOLUTION DES BÉGUINES EN 1312: Cum de quibusdam mulieribus . .. .. .. .. .... .. ..... ........... ............ . B. LA RÉCLUSION ........................................................ •Liturgie de l'inclusion à la fin du Moyen Age .... •La recluse, officier municipal de la prière (1517) C. LES STATUTS DES FILLES PÉNITENTES DE PARIS EN 1497 D. LA CULTURE DES FEMMES DANS LES MONASTÈRES ...... • La bibliothèque des Franciscaines de Longchamp en 1375 .............................................................. • Une nonne spécialiste d'Augustin à la fin du xve s. E. LES CHARISMES FXCFPTTONNFLS ................................ • Catherine de Gênes et l'eucharistie .................... • Les saintes et l'enfant Jésus ................................ • Le sang du Christ, des vierges et des épouses ...... 4. Des femmes qui parlent et agissent à leurs risques et périls A. L'ACCUSATION ........................................................ •Jeanne d'Arc devant ses juges ............................ • Margery Kempe: laquelle est la vraie ? ................ B. L'HÉRÉSIE CARACTÉRISÉE .......................................... • La châtelaine cathare de Montaillou en 1320 .... • Les lollards anglais: contestation de la continence et des privilèges des clercs ..................................
358 358 361 363 366 369
3 72 375 375 377 380 382 382 385 387 387 390 392
394 394 397 399 399 402 439
L'ÉGLISE ET LES FEMMES
5. La construction du personnage de la Vierge Marie sur la longue durée
A.
FIGURES DE LA VIERGE ...... .......... ... .............. ... ........ 405 • Aux premiers siècles .. ... . ................. ....... .. . ..... ...... 405 • L'élaboration à la fin du Moyen Age .................. 408 B. LA PUISSANCE ET L'ASSISTANCE DE MARIE.................... 411
Conclusion générale .................................................... 415 Bibliographie .............................................................. 423 Index des auteurs .. .. . . . .. . .. . . .. .. . . . . .. . .. . . .. . .. . . . .. . .. . . . .. . . .. . .. 4 2 7 Table des matières .................................................... 431
440