Le Prophète S'avance Masqué: Commentaire Et Traversée Biblique Du Livre De Jonas (Cahiers de la Revue Biblique) (French Edition) 9042944536, 9789042944534

Le nombre de publications au sujet du livre de Jonas est plethorique, la tentation demeurant souvent de proposer des rep

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French Pages 133 [137] Year 2021

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Le Prophète S'avance Masqué: Commentaire Et Traversée Biblique Du Livre De Jonas (Cahiers de la Revue Biblique) (French Edition)
 9042944536, 9789042944534

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CAHIERS DE LA REVUE BIBLIQUE

100

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ Commentaire et traversée biblique du livre de Jonas

par Claude LICHTERT

PEETERS

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

CAHIERS DE LA REVUE BIBLIQUE

100

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ Commentaire et traversée biblique du livre de Jonas

par Claude LICHTERT

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2021

A Catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2021 – Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven. ISBN 978-90-429-4453-4 eISBN 978-90-429-4454-1 D/2021/0602/26 No part of this book may be reproduced in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher, except the quotation of brief passages for review purposes.

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 1. 2. 3. 4.

Passage furtif par l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Approche littéraire du livre de Jonas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Traduction littérale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Premier acte (Jon 1 – 2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Premier épisode : de la terre à la mer (Jon 1) . . . . . . . . 4.1.1. Première scène : la fuite (1,1-3) . . . . . . . . . . . . . 4.1.1.1. L’introduction narrative (1,1). . . . . . . . . 4.1.1.2. L’ordre divin et la réaction de Jonas (1,2-3). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.1.3. La composition de cette première scène 4.1.2. Deuxième scène : face aux marins et à la tempête (1,4-16). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2.1. Le chef d’équipage et la tempête (1,4-7) 4.1.2.2. Jonas et le Dieu du ciel (1,8-10) . . . . . . 4.1.2.3. Les marins et la tempête (1,11-16) . . . . 4.1.2.4. Le motif de la crainte. . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2.5. La composition de cette seconde scène 4.2. Deuxième épisode : depuis les entrailles de la poissonne (Jon 2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1. Le contour narratif (2,1-2.11) . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.2. La prière d’action de grâce (2,3-10) . . . . . . . . . . 4.2.3. La composition de ce second épisode . . . . . . . . . 4.3. Parcours global du premier acte (Jon 1 – 2) . . . . . . . . . 5. Deuxième acte (Jon 3 – 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1. Troisième épisode : la proclamation à Ninive (Jon 3) . 5.1.1. Le retournement des Ninivites. . . . . . . . . . . . . . . 5.1.2. La composition de ce troisième épisode . . . . . . . 5.2. Quatrième épisode : un grand mal, une grande joie et… (Jon 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.1. Jonas et YHWH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.2. La composition de ce quatrième épisode . . . . . . 5.3. Parcours global du deuxième acte (Jon 3 – 4) . . . . . . . .

1 3 5 8 12 12 12 12 14 17 18 19 22 25 27 28 29 30 31 35 36 38 38 38 43 45 45 52 54

VI

TABLE DES MATIÈRES

6. Structure du livre de Jonas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 6.1. Faire de la structure du texte un élément interprétatif 56 6.2. Comparaison entre les premiers épisodes de chaque acte : Jon 1 et 3. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 6.2.1. Les parties initiales (1,1-3 et 3,1-4). . . . . . . . . . 57 6.2.2. Le prolongement (1,4-16 et 3,3-10). . . . . . . . . . 59 6.2.3. Les faire-valoir : les marins et les Ninivites . . . 60 6.2.4. Les catalyseurs : le chef d’équipage et le roi de Ninive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 6.3. Autres éléments comparatifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 6.3.1. Comparaison entre les deuxièmes épisodes de chaque acte : Jon 2 et 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 6.3.1.1. Du monologue au dialogue . . . . . . . . . 65 6.3.1.2. Les agents. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 6.3.2. Comparaison entre les épisodes extrêmes : Jon 1 et 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 6.4. Les noms divins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 6.5. Composition du livre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 7. Intertextualité narrative du livre de Jonas . . . . . . . . . . . . . . . 79 7.1. Quel type d’intertextes ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 7.2. Dans les récits de la Genèse (Gn 1 – 11 ; 18 – 20). . . 83 7.3. La traversée de la mer et l’action de grâce (Ex 14 – 15) 87 7.4. Le personnage de Noémi dans le livre de Ruth . . . . . . 89 7.5. Le cycle d’Élie (1 R 17 – 19). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 7.6. Le personnage « historique » de Jonas (2 R 14,23-29) 93 7.7. Le rouleau (Jr 36) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 7.8. Osée, Israël et Ephraïm (Os 1 – 3). . . . . . . . . . . . . . . . 98 7.9. Dans l’œuvre de Luc (Lc et Ac). . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 7.10. Reprise. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 APPENDICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

INTRODUCTION Le livre de Jonas est court. Il ne présente qu’1/650e de l’ensemble de la Bible. Le lecteur peu familiarisé avec les Écritures le trouve difficilement. Il est en effet coincé entre les livres d’Abdias et de Michée. Il s’agit pourtant d’un petit récit savoureux, qui renvoie à d’autres récits bibliques, et qui pose la question cruciale du prophétisme. L’objectif de ce commentaire est de proposer une méthode d’analyse solide, pour lire de manière continue le récit de Jonas, en partant d’une traduction littérale du texte hébreu. En prenant appui sur les analyses narrative et rhétorique : la première met en évidence la dynamique du récit et la seconde la composition du livre. Le personnage de Jonas sera choisi comme fil conducteur d’une lecture continue des quatre chapitres du livre, celui-ci étant divisé comme on le verra, en deux « actes ». Au cours de cette analyse, d’autres figures du récit seront abordées, dans le lien que le narrateur construit entre elles et le personnage de Jonas. Les découvertes rendues ainsi possibles mèneront à une reprise globale, d’une part, du récit et, d’autre part, de la structure du livre. On verra que cette intrigue implique singulièrement le lecteur. On prolongera en reliant l’histoire de Jonas à d’autres écrits bibliques, dont la lecture conjointe mènera à enrichir et à développer la mémoire du lecteur, ainsi que les harmoniques sémantiques du récit. Entre légèreté et gravité, le personnage de Jonas prend des risques et provoque le lecteur à en prendre également. Jonas peut feindre, simuler, tromper, orienter, et ouvrir – malgré lui, peut-être – la porte à l’aventure de lectures audacieuses1. Au terme de cette introduction, je tiens à adresser ma reconnaissance à chaque lecteur·trice qui, en toute confiance, entre Tarsis et Ninive, me mène au large et aux profondeurs des Écritures, ainsi qu’aux prophètes qui, dans notre quotidien, s’avancent masqués2. Je remercie tout 1 Cet ouvrage est une refonte actualisée et augmentée de C. LICHTERT 2003c et de C. LICHTERT, A. WENIN 2010, 15-39. 2 Inspirée d’un écrit de Paul Beauchamp, l’expression « Le prophète s’avance masqué » vient de J.-P. Sonnet (conférence prononcée au colloque du RRENAB – Réseau de recherche en analyse narrative des textes bibliques – tenu à Lausanne du 7 au 9 mars

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INTRODUCTION

particulièrement André Wénin (Université catholique de Louvain) qui fut mon promoteur de thèse ainsi que Didier Luciani et Lucien Noullez pour leur relecture éclairée du manuscrit.

2002 et intitulée Le modèle de la narration omnisciente est-il encore crédible dans notre [post-]modernité ?) ; probablement cette expression est-elle elle-même insufflée par la célèbre formule « La vérité s’avance masquée ».

1. PASSAGE FURTIF PAR L’HISTOIRE Les articles scientifiques – écrits essentiellement en anglais et en allemand – abondent au sujet de Jonas, quelles que soient les méthodes d’approche. Le contraste entre l’imposante recherche déjà menée1 et la légèreté apparente du récit traité est une marque d’ironie qu’il ne faut pas sous-estimer. Il en est de même pour les si nombreux ouvrages de vulgarisation qui tendent pour la plupart à séduire le lecteur par un titre accrocheur, en rappelant à longueur de pages le caractère désobéissant et frondeur du héros qui ne correspond pas à la figure classique et supposée imposante du prophète. Entre ces deux genres de publication, les commentaires à la fois précis et sans technicité décourageante se font discrets. L’étude du livre a suivi l’évolution globale de la recherche biblique depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Les commentaires s’attellent d’ailleurs à élaborer un état de la recherche qui s’avère assez laborieux et souvent répétitif. Quelques données historiques et littéraires vont tout de même être rappelées ici, très succinctement, étant donné qu’elles ne seront pas reprises dans la suite et qu’elles n’ont que peu d’impact sur l’approche littéraire qui sera l’axe proposé2. La toute grande majorité des commentateurs situe la date de rédaction du livre de Jonas à l’époque post-exilique, après le VIe siècle AC ; il semble difficile d’être plus précis3. Son écriture viserait à décloisonner 1 K.M. CRAIG 1999, 111 : « le flot d’érudition, tout comme le bateau naviguant vers Tarsis, semble hors de contrôle comme jamais auparavant. Même le spécialiste le plus scrupuleux n’aura d’autre choix que celui de lancer une partie de cette cargaison pardessus bord ». Ce vertige devant une telle bibliographie n’est pas neuf ; en effet, déjà en 1937 (!), on pouvait lire dans S.D. GOITEIN 1937, 63 : « The immense literature on these four chapters of Jonah is eloquent testimony to this stimulus. There is, of course, also something discouraging in this fact […] ». 2 Pour un status quaestionis axé sur l’évolution de la recherche depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au début du XXIe siècle, voir C. LICHTERT 2005b, 192-214 ; 330-354. Plus récemment encore, F. DE HAES 2012, 155-186 a réussi à reprendre, dans un style soutenu, les éléments majeurs de la recherche, en détaillant les lectures chrétiennes, juives et musulmanes du livre de Jonas et en rappelant la présence massive de celui-ci dans la littérature de l’Occident. 3 La composition du livre est traditionnellement située à l’époque perse, comme le rappelle E. EYNIKEL 2011, 111. L’époque perse peut en effet être considérée comme le terminus post quem. Une étude fouillée de J. VERMEYLEN 2002, 287-297 a relancé le débat, en ouvrant de nouvelles pistes pour une lecture à caractère allégorique ; l’auteur argumente en faveur d’une date de composition fort tardive située entre la conquête d’Alexandre et l’écriture du Siracide, soit vers 200 A.C. P. WEIMAR 2017 se situe entre

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

les frontières religieuses qu’une théologie post-exilique voudrait durcir entre Israël et les nations. Le livre plaiderait ainsi, par le biais de la satire, pour une théologie plus inclusive qui contesterait l’attitude ségrégationniste d’une partie d’Israël4. On peut affirmer que l’unité de composition du livre fait aujourd’hui quasiment l’unanimité, même si certains estiment que l’alternance complexe des noms divins trahit une rédaction du livre par étapes. D’autres encore, en se basant sur des recherches déjà anciennes, ont tenté récemment de relancer l’histoire rédactionnelle hypothétique du livre en proposant les étapes suivantes : globalement, Jon 3 – 4 – illustrant le principe de la repentance réciproque énoncé en Jr 18,7-8 – aurait constitué l’histoire originale écrite à l’époque perse ; la révision de l’histoire, à l’époque hellénistique, aurait ajouté Jon 1 ; le psaume de Jon 2 se serait développé indépendamment, avant d’être inséré dans l’histoire5. La critique classique s’est davantage focalisée sur le psaume de Jonas, estimant qu’il s’agit d’une interpolation, vu la langue qui est différente par rapport au reste du livre et les renvois aux psaumes qui y sont patents. Toutefois, les études de ce début de XXIe siècle ont dépassé l’opinion traditionnellement soutenue par la recherche historico-critique6, celle-ci affirmant que les passages poétiques dans une narration biblique ne constituent pas une partie originale du texte mais sont des additions tardives. Après cette présentation fort succincte – on le reconnaîtra – de ces problématiques historiques, on considérera à présent le texte dans son état final tel que la Bible hébraïque (Biblia hebraica Stuttgartensis) le présente. Révélant des différences textuelles dues à un changement de perspective littéraire ou théologique, la version grecque (dite de la Septante : LXX)7 en est une traduction fidèle : les différences quantitatives sont rares, tandis que les différences qualitatives sont probablement plus significatives8.

ces deux positions en proposant l’époque hellénistique (IIIe siècle A.C.) comme période de rédaction finale ; l’auteur rejoint ainsi la majorité des études récentes sur le sujet. Pour un état de la question, voir M. MULZER 2017, 230-248. 4 Pour prolonger, voir M. PROULX 2019, 335-345. 5 S.L. MCKENZIE, R. GRAYBILL, J. KALTNER 2020, 83-103. 6 Certains toutefois persévèrent dans cette recherche, comme S.L. MCKENZIE, R. GRAYBILL, J. KALTNER 2020, 97-102 ; J. KALTNER, R. GRAYBILL, S.L. MCKENZIE 2020, 164-175. 7 Pour une présentation exhaustive, voir M. HARL 1999, 115-161. 8 Les plus importantes seront reprises, au fil du commentaire, en notes.

2. APPROCHE LITTÉRAIRE DU LIVRE DE JONAS Ce commentaire s’appuiera sur deux méthodes d’analyse, structurelle et narrative1. Si on naviguera par vent calme entre celles-ci, il s’agira de ne pas provoquer de tempête en risquant la confusion. Car l’une enrichit l’autre, chacune avec sa spécificité méthodologique. La première, l’analyse structurelle ou rhétorique2, consiste à proposer un découpage en cherchant – à partir d’indices formels tels que la répétition de mots, d’expressions identiques ou de synonymes – l’organisation d’un texte à ses différents niveaux. À cette approche peut s’appliquer la maxime : « la forme est la porte du sens »3. On peut remarquer une certaine unanimité dans l’étude de la structure du livre de Jonas : celui-ci est composé de deux actes (Jon 1 – 2 et 3 – 4) divisés chacun en trois épisodes parallèles, en tenant compte de la délimitation parfois différente – selon les exégètes – des unités constituantes (le plus souvent : 1,1-3 ; 1,4-16 ; 2,1-10 ; 3,1-3 ; 3,4-10 ; 4,111). Cette convergence apparente cache néanmoins des analyses souvent peu systématiques. La difficulté principale est, semble-t-il, que la plupart des analyses de type rhétorique accordent à un seul critère – celui des déplacements de Jonas – une importance déterminante. Il est indéniable que c’est l’un des aspects majeurs du texte. Cependant, ce critère narratif ne représente qu’un seul des nombreux éléments d’ordre linguistique qui doivent être pris en considération pour mener une analyse de composition. Par exemple, d’un point de vue narratif, les changements de locuteurs peuvent être pertinents, mais seulement s’ils entrent dans un faisceau serré d’autres marques de composition. De même, un relevé exhaustif des récurrences lexicales est insuffisant pour déterminer la composition d’un texte.

1 Parmi les méthodes synchroniques, on ne reprendra pas ici les principes de la sémiotique. Voir à ce sujet A. PENICAUD 2012, 169-184 ; J.-P. DESCLES, G. GUILBERT 2007 ; L. PERRIN 2006, 27-38. 2 Le qualificatif rhétorique renvoie à une technique d’analyse fort précise ; il est utilisé en français par Roland Meynet depuis plus de quarante ans. 3 R. MEYNET 1989, 8.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

Pour un travail précis, il faudrait présenter une analyse détaillée à chacun des niveaux successifs de l’organisation du texte. Il faudrait aussi visualiser la composition de chacune des unités par une réécriture. Le lecteur comprendra aisément qu’il a fallu simplifier pour que ce commentaire reste lisible. Toutefois, on renverra aux études approfondies qui permettent au lecteur curieux de scruter les détails qui ne sont pas repris ici. Les artifices typographiques ainsi que les explications permettront tout de même de suivre l’analyse à ses différents niveaux. Le livre composé de quatre chapitres l’est du même nombre d’épisodes, la lecture étant ainsi facilitée. Si cette disposition du livre ne fait pas de problème, c’est l’analyse de la structure littéraire de chaque chapitre qui pose davantage question et qui demandera de faire des choix. Alors que l’analyse structurelle privilégie les correspondances internes et l’architecture du texte, l’aspect dynamique du récit est envisagé par l’analyse narrative. Celle-ci aborde plus particulièrement le texte avec la question suivante : comment le narrateur construit-il le monde que déploie le récit ? En quoi consiste sa stratégie ? Progressivement, le lecteur se découvre entraîné dans l’élaboration du sens, se rendant compte que lire consiste à entrer dans un contrat proposé par le narrateur. La complicité entre ce dernier et le lecteur croît au fil du récit, grâce au dialogue que le lecteur mène avec le texte où sont mis en relations une série de personnages parmi lesquels des humains et Dieu. Le personnage de Jonas sera le fil conducteur du parcours narratif proposé. En tant que personnage indispensable à l’intrigue, Jonas est certainement un protagoniste du récit. Une bonne partie de l’attention est concentrée sur lui car il fait avancer l’action ou plutôt il est mené plus loin au cours de l’intrigue par des événements qu’il semble subir. Ses actions ou ses refus d’agir sont décisifs et le narrateur montre sans cesse en quoi il se laisse ou non affecter par ce qui se passe. Pour la majorité des commentateurs, il s’agit du personnage principal… à moins que ce soit Dieu… ou les deux… eux qui sont les seuls personnages à recevoir un nom dans l’histoire. Si YHWH (Adonaï) n’a pas été retenu comme fil rouge de l’analyse narrative qui suit, le lecteur se doit de toujours le situer à l’horizon de Jonas. Se trouvant au premier plan de l’intrigue, l’un et l’autre peuvent dès lors être considérés comme les deux protagonistes du récit4. 4 Rares sont les articles proposant un bref commentaire en analyse narrative du récit de Jonas ; on retiendra C. LICHTERT, A. WENIN 2010, 15-39 ; J.-L. SKA 2011a, 29-47 ; J.-D. DÖHLING 2013, 3-32 ; S. HABIB 2014, 67-75. On peut aussi mentionner P. RIEDE 2009, 238-262.

2. APPROCHE LITTÉRAIRE DU LIVRE DE JONAS

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L’analyse structurelle demande d’adopter un regard fort séquencé sur le texte. Afin que cette technicité ne constitue pas la porte d’entrée austère de chaque partie du livre, on commencera la lecture par l’analyse narrative puis on poursuivra, section par section, par la structure de composition, après avoir d’abord relu l’ensemble du récit, dans une traduction littérale.

3. TRADUCTION LITTÉRALE 1,1. Et la parole de YHWH fut vers Jonas fils d’Amittaï disant : 2.

« Lève-toi, va vers Ninive la grande ville et clame sur / contre elle que / car leur mal est monté devant moi ». 3. Et Jonas se leva pour fuir à Tarsis de devant YHWH et il descendit (à) Jaffa et il trouva une embarcation1 venant (à) Tarsis et il donna sa location et il y descendit pour venir avec eux à Tarsis de devant YHWH. 4. Mais YHWH lança un grand vent vers la mer et il y eut une grande tempête dans la mer et l’embarcation pensa à se briser. 5. Et les marins craignirent et ils crièrent chacun vers son dieu et ils lancèrent les objets dans l’embarcation vers la mer pour s’alléger de sur eux alors que Jonas était descendu vers le fond2 de la coque3 et il s’était couché et il était endormi profondément. 6. Et le chef de l’équipage s’approcha vers lui et il lui dit : « Qu’astu dormant profondément ? Lève-toi, clame vers ton dieu. Peutêtre le dieu songera-t-il à nous et nous ne périrons pas. » 7. Et ils dirent chacun vers son compagnon : « Allez ! Que nous fassions tomber des sorts, que nous sachions à cause de qui ce mal (est) à nous. » Et ils firent tomber des sorts et le sort tomba sur Jonas. 8. Et ils lui dirent : « Raconte-nous donc à cause de qui ce mal (est) à nous ; quelle (est) ton affaire et d’où viens-tu, quel (est) ton pays et de quel peuple (es)-tu ? » 9. Et il leur dit : « (Je suis) hébreu, moi et YHWH le Dieu du ciel moi, je crains, qui a fait la mer et la (terre) sèche ! » 10. Et les hommes craignirent, une grande crainte, et ils lui dirent : « Qu’est-ce ceci (que) tu as fait ? » Car les hommes savaient que de devant YHWH il (était) fuyant, car il (le) leur avait raconté. 1 En français, le terme « embarcation » présente l’avantage d’être féminin, comme l’est le mot hébreu (’oniyâh) qu’on ne trouve pas ailleurs. 2 M. HARL 1999, 143 précise que les termes hébreu (yareketéy, qui peut aussi signifier « hanches ») et grec (koilê) ne sont pas techniques ; ils signifient un endroit peu accessible, reculé. 3 Le terme hébreu hasefînah ne se trouve pas ailleurs ; voir l’étude approfondie de M. MULZER 2000, 83-94.

3. TRADUCTION LITTÉRALE

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11. Et ils lui dirent : « Que te ferons-nous (pour) que s’apaise la mer de contre nous ? » Car la mer (était) allant et tempêtant. 12. Et il leur dit : « Portez-moi et lancez-moi vers la mer, que s’apaise la mer de sur vous, car je sais, moi, que c’est à cause de moi que cette grande tempête (est) sur vous. » 13. Et les hommes ramèrent pour faire revenir vers la (terre) sèche mais ils ne purent pas car la mer (était) allant et tempêtant sur eux. 14. Et ils clamèrent vers YHWH et ils dirent : « Ah4, YHWH, que nous ne périssions donc pas pour la vie de cet homme ! Mais ne mets pas sur nous un sang innocent, car toi YHWH, comme tu as trouvé bon, tu as fait. » 15. Et ils portèrent Jonas et ils le lancèrent vers la mer et la mer s’arrêta hors de sa rage. 16. Et les hommes craignirent, une grande crainte, YHWH et ils sacrifièrent un sacrifice à YHWH et ils vouèrent des vœux. 2,1. Et YHWH manda un grand poisson pour avaler Jonas et Jonas fut dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits, 2. et Jonas pria vers YHWH son Dieu des entrailles de la poissonne 3. et il dit : « j’ai clamé de détresse à moi vers YHWH et il m’a répondu ; du ventre du Shéol j’ai appelé : tu as entendu ma voix. 4. Et tu m’avais jeté (au) gouffre dans le cœur des mers et un courant m’avait entouré, toutes tes vagues et tes flots sur moi passaient. 5. Et moi, j’ai dit : j’ai été chassé d’en face de tes yeux ; pourtant je continuerai de regarder vers le temple de ta sainteté. 6. Des eaux m’avaient encerclé jusqu’à (la) gorge5, un abîme m’avait entouré, (une) algue (était) liée à ma tête. 7. Aux bases de montagnes j’étais descendu ; la terre : ses verrous derrière moi à jamais ; et tu as fait monter de (la) fosse ma vie, YHWH mon Dieu. 8. Quand défaillait sur moi ma gorge, de YHWH je me suis souvenu, et ma prière vint vers toi, vers le temple de ta sainteté. 9. Ceux qui gardent des fumées de néant, leur amour, qu’ils (l’) abandonnent ! 4 L’interjection « Ah ! » exprime le chagrin, la tristesse par rapport à une action passée (voir plus loin en 4,2) mais elle marque aussi un souhait par rapport à une action future, en pouvant être traduite, comme ici, par « s’il vous plaît ». 5 Ce mot rend le terme nèfèsh (cf. également au v.8). Celui-ci s’est déjà présenté en 1,14 (traduit par « vie ») et se retrouvera en 4,3.8 où il sera traduit par « souffle ». Il est difficile, pour cette traduction littérale, de rendre le terme par un même mot en français.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

10. Et moi, en une voix de reconnaissance, que je sacrifie à toi ! Ce que j’ai voué, que je (l’)accomplisse : le salut à YHWH ! » 11. Et YHWH dit au poisson et il vomit Jonas vers la (terre) sèche. 3,1. Et la parole de YHWH fut vers Jonas une seconde (fois) disant : 2.

« Lève-toi, va vers Ninive la grande ville et clame vers elle la proclamation que moi je vais te parler. » 3. Et Jonas se leva et il alla vers Ninive selon la parole de YHWH. Or Ninive était une ville grande pour Dieu, une allée de trois jours. 4. Et Jonas commença à venir dans la ville, une allée d’un seul jour, et il clama et il dit : « Encore quarante jours et Ninive (est) retournée / détruite. » 5. Et les hommes de Ninive crurent en Dieu et ils proclamèrent un jeûne et ils revêtirent des sacs de leur grand et jusqu’à leur petit. 6. Et la parole atteignit le roi de Ninive, et il se leva de son trône et il fit passer son manteau de sur lui et il se couvrit d’un sac et il s’assit sur la cendre, 7. et il fit crier et il dit dans Ninive : « Par le décret du roi et de ses grands, disant : “Que l’humain et la bête, le gros et le petit bétail ne goûtent à rien, qu’ils ne paissent pas, et (d’)eau qu’ils n’en boivent pas, 8. et que l’humain et la bête se couvrent de sacs, et qu’ils clament vers Dieu avec force, et qu’ils reviennent chacun de son mauvais chemin et de la violence qui (est) en leurs paumes. 9. Qui sait ? Le Dieu reviendra et se repentira et il reviendra de l’ardeur de sa colère et nous ne périrons pas.” » 10. Et le Dieu vit leurs faits, car / qu’ils revenaient de leur mauvais chemin, et le Dieu se repentit à propos du mal qu’il avait parlé de leur faire, et il ne (le) fit pas. 4,1. Et il y eut du mal vers Jonas, un grand mal, et cela l’enflamma / l’irrita, 2. et il pria vers YHWH et il dit : « Ah, YHWH ! N’était-ce pas ceci ma parole tant que j’étais sur mon sol ? Voilà pourquoi je m’orientai pour fuir à Tarsis car je sais que toi, (tu es) un Di(eu)6 de grâce et de pitié, lent à la colère et abondant d’amour et se repentant à propos du mal. 6

Dieu est mentionné ici selon la forme brève d’Ex 34,6b, ’él (« Di[eu] »).

3. TRADUCTION LITTÉRALE

11

Et maintenant YHWH, prends donc mon souffle, car bonne (est) ma mort plus que ma vie ! » 4. Et YHWH dit : « Est-ce bien que cela t’enflamme / t’irrite ? » 5. Et Jonas sortit hors de la ville et il s’assit à l’orient de la ville et là, il se fit une cabane et il s’assit en dessous d’elle, dans l’ombre, jusqu’à ce qu’il voie ce qui sera dans la ville. 6. Et YHWH Dieu manda un ricin7 et il monta par-dessus pour Jonas pour qu’il y ait une ombre sur sa tête pour le désombrager8 / délivrer de son mal, et Jonas se réjouit à propos du ricin, une grande joie ! 7. Et le Dieu manda un ver9 quand monta l’aurore au lendemain et il piqua le ricin et il sécha. 8. Et lorsque le soleil apparut, Dieu manda un vent d’orient brûlant10 et le soleil piqua sur la tête de Jonas et il défaillit. Et il demanda son souffle pour mourir et il dit : « Bonne (est) ma mort plus que ma vie ! » 9. Et Dieu dit à / vers Jonas : « Est-ce bien que cela t’enflamme / t’irrite à propos du ricin ? » Et il dit : « C’est bien que cela m’enflamme / m’irrite jusqu’à (la) mort ! » 10. Et YHWH dit : « Toi, tu es chagrin à propos du ricin pour lequel tu n’as pas fatigué et que tu n’as pas fait grandir, qui fils d’une nuit fut et fils d’une nuit périt. 11. Et moi je ne serais pas chagrin à propos de Ninive la grande ville où il y a plus de douze myriades11 d’humains qui ne savent pas entre leur droite et leur gauche et du bétail abondant ? » 3.

7 Le terme qîqâyôn ne se trouve pas ailleurs ; il est rendu ici par « ricin », comme dans la plupart des traductions modernes du texte hébreu (voir, plus loin, pour les précisions). 8 Néologisme en vue de mettre en évidence l’allitération entre cette formule verbale (lehaçîl) et le mot « ombre » (çél) qui précède ; la traduction correcte est « délivrer » ; pour prolonger, voir U. SIMON 1999, 32. 9 H. MESCHONNIC 1981, 23 traduit « une vermine », pour garder ainsi le féminin hébreu. 10 Il faudrait examiner le sens exact de harîshît qui fait difficulté ; le terme vient d’un verbe qui pourrait signifier « labourer, graver, élaborer » ou « être sourd et muet (se taire) » ; plusieurs versions (LXX, Syr, Vg) choisissent « brûlant, lourd, écrasant » et le Targum [Tg] choisit « silencieux » ; la BJ1986 estime le mot incompréhensible tandis que la BJ1998 mentionne le sens littéral en le qualifiant d’incertain ; pour poursuivre, voir N.H. SNAITH 1945, 39. 11 Traduction du grec dôdeka muriades ; « douze fois dix mille » est plus proche de l’hébreu.

4. PREMIER ACTE (JON 1 – 2) 4.1. PREMIER ÉPISODE : DE LA TERRE À LA MER (JON 1) La quasi totalité des commentateurs retiennent Jon 1,1-16 comme premier épisode. Celui-ci évoque deux étapes du parcours de Jonas : la mission qui lui est confiée par YHWH et son embarquement pour Tarsis. Après une brève étape sur terre (v. 1-3), le reste de l’action se déroule en mer (v. 4-16). De même, dans un premier temps, c’est du positionnement de Jonas par rapport à YHWH dont il est question, et dans un second temps il s’agit du positionnement de l’équipage par rapport à Jonas et à son Dieu. La majorité des commentateurs ont perçu le changement qui s’opère entre le v. 3 et le v. 4, la marque de rupture étant la réponse de Dieu à la tentative d’évasion de Jonas. En effet, on retrouve souvent une proposition de structure isolant les v. 1-3 du reste du passage, ce que la suite confirmera1. 4.1.1. Première scène : la fuite (1,1-3) 4.1.1.1. L’introduction narrative (1,1) Après avoir réussi à trouver dans sa Bible les quelques pages qui constituent le livre de Jonas et après avoir parcouru auparavant d’autres livres prophétiques, le lecteur déjà expérimenté ne se laisse pas trop surprendre par l’entrée en matière, somme toute classique, du récit : « Et la parole du Seigneur fut adressée à Jonas2 fils d’Amittaï3, en disant ». Cette formule introductive rappelle celles, légèrement différentes, 1 Au sujet de Jon 1, on retiendra tout particulièrement l’analyse de C. LEVIN 2013, 276-292. 2 « Jonas » est la transcription grecque de l’hébreu yônâh, avec un s correspondant à un hé final après un a. Le nom yônâh renvoie à une identité aussi bien masculine que féminine. Il peut être lu comme le participe féminin singulier du verbe ynh, « qui est violent, opprime », ou, en prenant la forme apocopée de ywnhyh, « YHWH opprime ». Mais pour la quasi unanimité des commentateurs, le mot signifie « colombe », en sachant que le masculin, courant en hébreu post-biblique pour désigner le pigeon, ne se trouve pas dans la Bible hébraïque. Pour l’anecdote, le monde populaire allemand tenta un rapprochement entre sa langue et le nom de Jonas : en effet, selon l’étymologie palatine, le nom viendrait de la situation du héros jeté par dessus bord, devenant « Jo » (Ja, vraiment) « naß » (humide) ! K. KUNZE 20003. 3 Bèn ’amitay signifie « fils de vérité (ou solidité, fiabilité, fidélité) ». Reste à savoir de quelle vérité il s’agit.

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rencontrées dès Gn 15,1.4 (avec Abram). Hormis la différence évidente du nom même de l’interlocuteur – ici, Jonas fils d’Amittaï – et sans autre ajout, cet intitulé exact prononcé par le narrateur se rencontre uniquement dans la littérature prophétique4 : en 1 S 15,10 (avec Samuel), 2 S 7,4b (avec Nathan), 1 R 6,11 (avec Salomon), 1 R 17,2.8 ; 21,17.28 (avec Élie), 2 Chr 11,2 (avec Shemaya), Is 38,4 (avec Isaïe) et Jr 29,30 ; 32,26 ; 33,19.23 ; 35,12 ; 37,6 (avec Jérémie)5. La formule de Jon 1,1 clôture cette liste. En conséquence, même si cette formule, en dehors de Jonas, n’est jamais utilisée en tête d’ouvrage ni ailleurs qu’ici pour le livre des Douze Prophètes, le lecteur est en terrain connu, prêt à entrer dans le parcours d’un nouveau prophète que lui présente le narrateur et qui semble bien s’inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs. N’est-ce pas d’ailleurs ce que tend à signifier la première lettre du livre qu’on traduit par la conjonction de coordination « Et » ? Avec le verbe conjugué qui y est accolé – « Et il fut » – la formule devrait normalement indiquer la continuation d’une narration plutôt que le commencement d’un nouveau passage : c’est comme si, avec ce premier verset, le narrateur tendait à inscrire l’action qui se présente dans un récit qui la dépasse en amont6. Ceci dit, d’autres livres de la Bible hébraïque commencent ainsi (Jos, Jg, 1 S, Rt et Est), donc rien ne permet de rendre particulier ce livre-ci, dès sa première lettre. Autrement dit, rien ne laisse augurer, en ce premier verset, la moindre surprise. Seuls le nom et la filiation permettent de décrire le personnage. Il ne sert à rien de s’attarder sur d’autres informations biographiques et temporelles qui manquent totalement (ex. en quelle période de l’histoire d’Israël se situe-t-on ?), comme il ne sert à rien de mentionner l’origine de Jonas (d’où vient-il ? que faisait-il avant d’être appelé par YHWH ?) ni les destinataires réels du récit. On est devant un blanc qui n’est pas destiné à être rempli car toute information supplémentaire serait inutile et distrairait le lecteur quant à l’objectif poursuivi par le narrateur, 4 Comprenant donc les prophètes antérieurs (les livres dits historiques) et les prophètes postérieurs (d’Isaïe à Malachie). On ne retiendra pas ici l’appel commémoré par le prophète lui-même (formulé donc à la première personne du singulier), tels Jérémie, Ezéchiel et Zacharie. 5 La formule rencontrée dans le livre d’Aggée comporte un petit élément supplémentaire : « Et la parole du Seigneur fut adressée par la main d’Aggée le prophète, en disant » (Ag 1,3). Toujours dans le livre des Douze Prophètes, plusieurs livrets commencent par une formule similaire « Parole du Seigneur qui fut (adressée) à […] » (Os 1,1 ; Jl 1,1 ; Mi 1,1 ; So 1,1). 6 Pour prolonger, voir A. GIERCKE-UNGERMANN 2018, 362-379.

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soucieux d’une certaine économie narrative7. À l’exemple d’autres prophètes, ce qui compte au début de ce récit, c’est uniquement l’appel divin (1,2) et la réponse à celui-ci (1,3). Le nom de Jonas permet de relier le livre à l’autre versant de la littérature prophétique, au deuxième livre des Rois. Mais de l’épisode raconté en 2 R 14 et qu’on abordera plus loin, le premier verset ne reprend de la description de Jonas que sa filiation – « Jonas, fils d’Amittaï » – en omettant la suite de 2 R 14,25, à savoir « le prophète qui (était) de Gat-Hépher ». Son statut de prophète et son origine, mentionnés dans cet autre livre biblique, ne paraissent pas nécessaires pour que le lecteur entre dans le récit. Jonas n’est pas le seul prophète à se voir ainsi présenté, toutefois un premier doute peut déjà poindre chez le lecteur. Si la parole de YHWH institue Jonas dans un statut prophétique, jamais le narrateur ne précisera que Jonas est prophète : ne le serait-il pas ? Si ce titre ne lui est pas accordé par le narrateur, n’est-ce pas parce qu’il s’agit du premier prophète à désobéir à la parole de Dieu8 ? Le lecteur imaginait entrer sans surprise dans ce récit prophétique, or, dès la fin de ce premier verset, le narrateur tend à le défier d’y trouver les repères attendus. 4.1.1.2. L’ordre divin et la réaction de Jonas (1,2-3) Heureusement, le début du deuxième verset tend à rassurer à nouveau le lecteur : le genre prophétique (au sens large) lui saute aux yeux grâce à l’appel divin « Lève-toi, va […] » déjà lu en Nb 22,20b (avec Balaam), Dt 10,11 (avec Moïse), 1 R 17,9 (avec Élie) et Jr 13,6 (avec Jérémie). Comme pour la formule du premier verset, l’appel divin de Jonas clôture cette liste9. Le lecteur est toutefois surpris par la suite, c’est-à-dire par l’intitulé de la mission confiée à Jonas par YHWH : c’est certainement la seule fois dans la Bible que Dieu envoie un messager à Ninive. L’envoi à l’étranger 7 À la différence de l’ellipse qui, elle, sera tôt ou tard comblée, comme le lecteur s’en rendra vite compte. G.M. LANDES 1999, 273-293 a répertorié méthodiquement une quinzaine de zones d’indétermination – blancs ou ellipses – dans le récit, qu’on ne manquera pas de reprendre au cours de cette étude. Pour poursuivre sur ce sujet, lire A. KUNZ-LÜBCKE 2015, 82-112. 8 « Le Seigneur YHWH a parlé : qui ne prophétiserait ? » dit Am 3,8 ! Si la résistance du prophète à l’appel divin est courante (tel Moïse qui cherche à se faire remplacer en Ex 4,13 ou Jérémie qui proteste en Jr 1,6 ou encore Élisée qui entre en discussion avec Dieu en 1 R 19,20), la désobéissance est exceptionnelle. 9 Il est à noter que la préposition « vers » qui suit le verbe de mouvement – « va » – et précise la destination rend, ici, l’appel unique ; en effet, on ne trouve pas ailleurs la formule exacte « Lève-toi, va vers […] ».

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est d’ailleurs lui-même fort rare : on trouve cela pour Élie, envoyé à Sarepta (1 R 17,8-9) et pour Élisée qui se rend à Damas (2 R 8,7 ; voir 1 R 19,15-16). Ninive est la capitale assyrienne qui symbolise l’ennemi par excellence, le mal envahisseur pour Israël, avant que Babylone – qui s’est emparé de la cité et l’a détruite en 612 AC – prenne le relais de cette image négative. Cet aspect historique, certes crucial, ne doit cependant pas masquer le fait qu’il n’est pas dit que Jonas symbolise ici Israël, ni Ninive le monde païen : d’ailleurs, ni le nom d’Israël ni celui de l’Assyrie ne sont mentionnés dans le livre. Le commandement est triple : « Lève-toi, va vers Ninive […] et clame […] ». Les deux premiers ordres sont clairs : Jonas sait où il doit aller. Le troisième ordre précise sa mission qui consiste en une annonce de malheur : « clame sur / contre elle que / car leur mal est monté devant moi ». Seulement, le contenu n’est pas spécifié : de quel mal s’agit-il ? Cette parole sous-tend-elle une annonce de jugement, de libération ou les deux ? Aucune précision ne vient orienter l’interprétation, comme si l’attention sur le contenu du message passait au second plan par rapport à celle accordée au personnage de Jonas, contrairement aux appels prophétiques rencontrés par ailleurs. Si YHWH laisse inexpliqué le contenu du mal des Ninivites, le lecteur devra attendre la proclamation de Jonas en 3,4 pour être éclairé. La conjonction qui suit le troisième verbe à l’impératif – « et clame » – est ambiguë : elle peut être causale – « car » – et introduire alors la motivation de l’ordre donné à Jonas, mais elle peut être aussi complétive – « que » – et introduire le début d’un message dénonçant le mal. Cette ambiguïté quant au contenu du message divin porte-t-elle à conséquence quant au refus de Jonas ? La question reste ouverte. Mais, dans un premier temps, Jonas obéit ! Du moins au premier ordre : à l’appel « Lève-toi », il se lève en effet, précise le narrateur (v. 3). Si le troisième ordre est laissé en suspens – « et clame » – le deuxième – « va » – conduit à une démarche opposée à celle demandée. Jonas agit en ne disant rien et en n’argumentant pas sa décision. Quelles raisons poussent Jonas à fuir dans la direction opposée à celle où Dieu l’envoie10 ? Par peur du danger, de l’extravagance inédite de l’ordre reçu, de la colère divine, d’offrir une chance à un peuple qui est une menace pour le sien, ou par sa connaissance bien plus subtile que celle imaginée pour l’instant des intentions de Dieu ? Le lecteur, forcé 10 Si du moins on s’accorde à situer Tarsis dans la direction opposée à Ninive, la première étant située à l’extrême ouest du monde connu et la seconde à l’extrême est (voir ci-dessous).

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de dévier son attention par rapport au message transmis et à la destination demandée, ne reçoit aucune réponse à cette question et en est réduit, du fait de cette ellipse, à des conjectures : la motivation de Dieu comme celle de Jonas sont laissées dans l’ombre. Le doute quant au succès de cette fuite s’impose d’emblée car le narrateur précise avec ironie qu’il s’agit bien d’une tentative : « Et Jonas se leva pour fuir […] pour venir […] » et non « Et Jonas se leva et il s’enfuit […] et il partit ». On le constate, Jonas envisage la réalité de son mouvement à partir de son terme. La formule « de devant YHWH » semble indiquer que la fuite est un refus du ministère prophétique : en effet, une des tâches du prophète est de se tenir devant YHWH (1 R 18,15 ; 22,21 ; Jr 15,19 ; 18,20). La description de sa fuite est détaillée, menant Jonas toujours plus à l’ouest, aux antipodes de Ninive. Dans le port de Jaffa, Jonas trouve une embarcation sur laquelle il paie sa place, ou même qu’il affrète spécialement, d’après le sens obvie de l’expression : « il donna sa location ». En achetant le bateau et pas seulement la traversée, Jonas disposerait d’une fortune personnelle, ce qui paraît invraisemblable. Bref, il est devenu l’employeur – et non un passager clandestin – qui désire partir immédiatement. La mention du nom du port de Jaffa offre au récit un cadre réaliste – contrairement à Tarsis (qu’on a du mal à situer géographiquement11) et à Ninive (qui n’existe plus historiquement au moment de la rédaction du livre) – alors que la suite entraîne le lecteur dans le monde de l’imaginaire. Pour Jonas, le port est peut-être déjà le lieu idéal pour se perdre dans la foule et en cela le lecteur pourrait y lire le symbole de l’égarement du prophète12. Depuis Jaffa, Jonas ne peut aller que vers l’ouest, vers la mer, dans la direction opposée à celle de Ninive13. Cependant, les Israélites ne sont pas un peuple marin contrairement à d’autres peuples du pourtour méditerranéen ; pour eux, la mer est un espace hostile, 11 Le nom Tarsis a pour racine rshsh qui signifie « mettre en pièce » ou « fondre du métal » ; en s’appuyant sur l’étymologie, on a identifié ce nom à diffférents sites commerciaux localisés en Phénicie, en Asie Mineure, en Sardaigne, en Étrurie et encore à Gadès (aujourd’hui Cadix, en Espagne), le port fondé par les Phéniciens de l’autre côté du détroit de Gibraltar. Tarsis est réputé pour être une ville où Dieu lui-même est inconnu (Is 66,19). C. REYNIER 2011, 41 : « Tarsis est donc une destination qui offre à Jonas la possibilité de rejoindre une terre où la Parole de Dieu n’a pas été proclamée ». Voir aussi A. DEL CASTILLO 2007, 481-498 ; J.-P. SONNET 2016b, 536-548. 12 Selon C. REYNIER 2011, 54, Jaffa est hors du contrôle hébreu (Jos 19,46), la ville ne devenant juive que sous Simon Maccabée (1M 12,33-34). 13 Le rapprochement, en deux versets, des trois cités de Jaffa, de Tarsis et de Ninive s’explique par l’intertextualité avec les trois branches noachiques évoquées en Gn 9,18 – 10,32 ; voir C. LICHTERT 2017a, 32.

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menaçant pour qui s’y risque. En conséquence, Jonas prend la décision de fréquenter un espace qui ne correspond pas à l’identité de son peuple. L’éloignement vis-à-vis de YHWH est vécu non seulement par Jonas mais également par ses accompagnateurs : il partit « avec eux ». L’identité de ces derniers n’est pas encore dévoilée au lecteur. Elle le sera peu après, au v. 5 : ce sont des marins qui, eux-mêmes, plus tard, demanderont au passager son identité : « […] de quel peuple14 es-tu ? » (v. 8). Un véritable jeu d’identité se devine au passage d’une scène à l’autre, un jeu qui impliquera également le personnage de Dieu. De plus, la préposition jointe au pronom personnel – « avec eux » – laisse entrevoir de la part du narrateur ce qu’il en résultera, dans l’épreuve qui va suivre, de la solidarité de Jonas avec l’équipage. Il faut encore ajouter que la durée – en heures, jours, semaines – n’est pas facile à déterminer pour l’ensemble du livre et déjà donc pour cette première scène, le rythme global de la narration changeant continuellement par accélération ou déplacement. Si aucune précision temporelle n’est pour l’instant donnée par le narrateur, celui-ci évoque des actions dont la succession est, pour le moment, fort rapide. Ces actions ainsi que l’urgence provoquée par la tempête vont entraîner des réactions en chaîne. C’est ce que la deuxième scène s’apprête à raconter. 4.1.1.3. La composition de cette première scène15 Et la parole de YHWH fut vers Jonas fils d’Amittaï disant :

1

« Lève-toi, VA vers NINIVE la grande ville et clame sur / contre elle que / car leur mal est monté devant moi ». 2

Et Jonas se leva pour fuir à Tarsis de devant YHWH

3

et il descendit (à) Jaffa et il trouva une embarcation VENANT (à) TARSIS et il donna sa location et il y descendit pour venir avec eux à Tarsis de devant YHWH.

La structure de cette première scène place en correspondance les v. 1.3a.3c (qui visualisent l’opposition entre, d’une part, YHWH et sa parole et, d’autre part, Jonas et son désir) et les v. 2.3b (qui soulignent, 14 15

‘am (« peuple ») pourrait faire jeu de mots avec ‘imâhèm (« avec eux ») au v. 3. Ce chapitre résume une partie de l’étude parue dans C. LICHTERT 2002, 5-24.

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par les prédicats, le mouvement d’abord vers le haut puis vers le bas)16. La disposition met en opposition Ninive et Tarsis ; de plus, le verbe « aller » (v. 2) indique un éloignement et « venir » (v. 3b) un rapprochement. Au centre de cette composition, la fuite qualifie négativement le déplacement qui constitue la caractéristique de cette première scène. On notera que la plupart des commentateurs17 négligent les deux premiers versets afin de proposer une composition structurelle pour l’unique v. 3 ainsi divisé en sept membres disposés selon la structure concentrique [abcdc’b’a’]. C’est bien cette composition qui semble, à première lecture, ressortir. Elle est séduisante car elle permet de visualiser la dynamique du récit dont le sujet est ici Jonas, toujours positionné par rapport à Tarsis – repris trois fois – et à YHWH, qui sont les termes extrêmes du morceau. La difficulté de cette proposition, si belle soit-elle, réside dans le fait qu’elle ne s’insère pas telle quelle dans une structure qui engloberait l’ensemble formé des v. 1-3 qui, eux, montrent toute leur cohérence, comme ce tableau, ci-dessus, le visualise. Il permet en effet d’accompagner de façon plus ajustée le commentaire sur le déroulement et les tensions de cet épisode. 4.1.2. Deuxième scène : face aux marins et à la tempête (1,4-16) En incluant la structure proposée de la première scène, voici le schéma littéraire de l’ensemble du premier épisode, qui sera justifié plus loin : v. 1-3 : ordre de YHWH à Jonas et réaction de celui-ci v. 4-5a : YHWH lance un grand vent vers la mer, la tempête commence (crainte) v. 5b-7 : paroles du chef d’équipage à Jonas puis des marins entre eux (à cause de qui) v. 8 : paroles des hommes à Jonas v. 9 : paroles de Jonas aux hommes : identité de Jonas et de YHWH v. 10 : paroles des hommes à Jonas v. 11-13 : paroles des hommes à Jonas puis de Jonas aux hommes (à cause de moi) v. 14 : paroles des hommes adressée à YHWH v. 15-16 : les hommes lancent Jonas vers la mer, la tempête cesse (crainte)

16 Au sujet de l’utilisation des marqueurs directionnels « haut / bas », avec Jonas pour sujet, lire A. REES 2016, 40-48. 17 Depuis N. LOHFINK 1961, 200.

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4.1.2.1. Le chef d’équipage et la tempête (1,4-7) Après avoir participé en quelque sorte à l’action dont Jonas était le sujet, voici le lecteur embarqué dans l’action suivante dont Jonas est l’objet. Jonas l’activiste fait place à un Jonas apparemment fataliste mais l’action ne ralentit pas pour autant, elle est menée tambour battant par le narrateur. Pas de répit pour le lecteur ! Dès la première lettre (en hébreu) de cette deuxième scène, il doit s’attendre à ce que la traversée ne se vive pas comme une croisière d’agrément. En effet, la conjonction de coordination précédant le nom divin – « Et » – peut revêtir aisément une nuance d’opposition – « Mais » – vu la réaction de YHWH18. Celui-ci, précise le narrateur, est l’auteur de la tempête ou plutôt l’auteur du grand vent qui entraîne la tempête. Qui en est informé ? Le lecteur seul étant donné que l’information est communiquée par le narrateur, ce qui signifie que ni Jonas ni les marins ne sont pour l’instant au courant de l’origine de la tempête qu’ils s’apprêtent à subir. Celle-ci menace d’abord l’embarcation qui « pensa à se briser » (v. 4). Même s’il peut s’agir d’un simple idiotisme19, cette façon de personnifier l’embarcation a quelque chose d’étrange qui contraste avec l’effervescence qui s’annonce chez les hommes : le livre de Jonas permet ainsi de douter que le fait de penser soit le propre de l’homme ! Avant de mentionner une quelconque réaction du protagoniste principal, le narrateur détaille celle des marins (v. 5), faisant d’eux les nouveaux protagonistes20. Ils le resteront jusqu’au bout de ce premier épisode. Le narrateur caractérise les marins en soulignant leur réaction à la tempête, et ceci à deux niveaux complémentaires, sur un plan religieux puis sur un plan technique. Dans un premier temps, le narrateur souligne la relation que les marins ont avec leur dieu respectif : il s’agit bien de leur première réaction commune mais chacun selon sa religion, chacun avec son dieu21, ce qui peut laisser deviner une belle cacophonie. Dans un deuxième temps, ils accomplissent la démarche concrète qu’ils jugent nécessaire pour permettre à l’embarcation de rester à flot. 18 Comme le souligne F. DE HAES 2012, 188, l’expression en hébreu laisse percevoir une paronomase expressive. 19 Pour approfondir, lire A. NICCACCI, M. PAZZINI, R. TADIELLO 2004, 58-59. 20 C. REYNIER 2011, 48 : l’équipage est désigné par hamalâhîm, un terme d’origine sumérienne, qui signifie les marins en général sans que soit précisée leur spécialité. 21 En conséquence, les marins ne sont pas présentés comme polythéistes ; on pourrait parler à leur propos de monolâtrie. L’affirmation du monothéisme, qu’il soit israélite ou plus universel, n’implique pas la négation d’autres divinités. La preuve en est la mise en scène des pratiques religieuses décrites ici sans dénigrement, contrairement à ce qu’en dira Jonas, plus loin en 2,9.

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Cette double démarche ne manque pas d’ironie, comme le lecteur le percevra bien vite, car non seulement ces marins ne s’adressent pas au bon dieu, c’est-à-dire à celui qui est à l’initiative de la tempête, mais en plus ils ne larguent pas le bon lest, à savoir celui qui est la cause de la tempête, c’est-à-dire Jonas. Tout cela, les marins semblent pour l’instant l’ignorer. Au v. 5b, le narrateur revient en arrière dans le temps du récit, le moment décrivant l’initiative de Jonas étant déjà passé pour les marins qui sont au cœur de l’action. Comme on le verra, cette technique de la régression chronologique est fréquemment utilisée dans ce récit. Elle permet à celui-ci de conserver un rythme soutenu. Le récit fait des bonds, soit en arrière comme ici (mais aussi en 1,10 ; 4,2.5), soit en avant (comme en 3,5), créant une discordance entre l’ordre du récit et celui de l’histoire racontée. Cette technique augmente le suspense, renforce le contraste entre les personnages – ici Jonas et les marins – et donne à la narration une sorte de légèreté parce qu’elle permet de n’introduire des éléments dans le récit que lorsqu’ils sont utiles, voire nécessaires, à sa bonne compréhension et à sa progression. Quel contraste entre l’agitation des marins et Jonas qui est descendu, s’est couché et s’est endormi22 ! Il s’est réfugié au fond de la coque (v. 5), l’endroit a priori le moins bien choisi pour se donner une chance de survie dans de telles circonstances. On notera que le mot décrivant en français le « fond » de la coque où Jonas se trouve désormais n’est pas technique : il signifie un endroit peu accessible, retiré. Le mot d’ordre semble être : toujours plus bas, toujours plus inconscient, toujours plus insouciant. Pour Jonas, la préoccupation de soi est plus importante que les directives de Dieu ou l’éventualité de sauver la vie d’un grand nombre de personnes. Descendu dans la cale et endormi, il paraît ne penser à rien, alors que l’embarcation, elle, pense (v. 4) : l’inanimé et l’animé sont ainsi inversés. Jonas resterait inconscient si le chef d’équipage23 ne le tirait de son sommeil (v. 6), s’il ne le provoquait à prendre conscience d’une solidarité vitale avec les marins. D’ailleurs, les marques de la première personne du pluriel abondent à partir de maintenant jusqu’à la fin de l’épisode. Sans apparemment le savoir, le chef d’équipage relance l’invitation de Dieu (v. 2), en reprenant les mots que celui-ci avait adressés à Jonas – « Lève-toi, clame » – tout en ajoutant un espoir de salut : 22 Le texte grec crée un effet grotesque en ajoutant « et il ronflait » : c’est, en effet, le ronflement qui attire, au v. 6 (LXX), l’attention du chef d’équipage ! 23 Littéralement « le chef de ceux qui font les manœuvres » (aussi en Ez 27,29).

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finalement, n’indique-t-il pas le but espéré de la mission prophétique ? Le chef d’équipage rappelle donc indirectement Jonas à la mission qu’il fuit, tout en rappelant directement à Jonas le Dieu qu’il cherche à éviter. Par l’ajout du délicat « peut-être », le témoignage de respect empreint d’expectative envers le dieu de Jonas ne laisse aucun doute : le chef d’équipage est à la recherche du dieu capable de sortir les hommes du danger et de calmer la tempête. Est-ce l’appel lui-même ou le commentaire qui suit qui empêche Jonas de répondre immédiatement, soit de façon scénique en se levant, soit de façon verbale en clamant ? Le narrateur fait tarder la réaction attendue du fuyard. Tiré de son inconscience, Jonas demeure insouciant face au péril commun et le lecteur lui-même se sent impuissant devant l’absence de réaction de sa part. Est-il franchement réveillé ? A-t-il seulement entendu la question et l’ordre du chef d’équipage ? Ne s’est-il pas rendu en quelque sorte inabordable en multipliant les actions l’isolant du reste de l’équipage ? Et le lecteur est en droit de se demander si l’approche – comme l’a présentée le narrateur au début du v. 6 – était suffisante : le verbe « approcher » peut augurer une présentation ou une mise en relation (ici, du chef d’équipage) ou au contraire signifier la préparation d’un conflit, anticipant le contraste entre Jonas et le reste de l’équipage. En tout cas, le lecteur se dit que le capitaine aurait dû plutôt secouer Jonas, ce que même la tempête n’a pas réussi à faire avec lui ! L’initiative consistant à tirer – ou plus littéralement « faire tomber » – les sorts est prise afin de définir clairement qui est la cause du mal qui frappe les hommes : mais cette démarche consiste-t-elle à trouver le responsable parmi eux ou à nommer le dieu parmi la panoplie des dieux implorés ? Sans tarder, la suite révélera les deux ! La technique n’est pas précisée et qu’importe : ce qui compte dans le geste des marins est de préciser la retombée. Le lecteur s’attend à ce que le sort tombe sur Jonas lorsque les hommes décident de recourir à ce moyen (v. 7a), et c’est ce qui advient, effectivement, au v. 7b. Toutefois, à l’inverse de ce que le lecteur serait en droit d’attendre en bonne logique, les hommes laissent une chance à Jonas, malgré le résultat du tirage au sort qui les aurait autorisés à l’accuser24. 24 On peut remarquer les deux expressions (composées avec deux formes différentes de la conjonction relative) traduites en français par « à cause de qui » : beshèlemî (v. 7) et ba’ashèr lemî (v. 8). Elles sont interchangeables au niveau du sens, les deux relatifs étant traités de la même manière au point de vue syntaxique. Pour T. MURAOKA 2012, 129-131, la première évoque une forme vernaculaire (à l’adresse de personnes de même condition) tandis que la seconde s’utilise à l’attention d’une personne

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4.1.2.2. Jonas et le Dieu du ciel (1,8-10) Depuis le début de l’épisode, Jonas n’a cessé de fuir la relation, d’abord avec YHWH puis avec les marins. Ne voulant pas l’accuser d’emblée, ceux-ci lui posent finalement une quintuple question25, lui laissant donc un répit ou une chance (v. 8). Voilà déjà une marque de respect considérable, même si elle est plus facilement compréhensible dans la mesure où Jonas a loué le navire et donc le service des marins (v. 3b). Ces questions ne font pas référence à la situation critique vécue sur le bateau mais à la personne de Jonas, comme si l’origine du mal importait plus pour les marins que le péril immédiat. Malgré le flot de questions, celle, fatidique, qui accuserait Jonas n’est pas encore posée : « Qu’as-tu fait ? »26 Cette question sera posée par après (v. 10). Le narrateur a peut-être voulu que la déclaration reste limpide et sobre, sans mélange avec la reconnaissance de la faute. La délicatesse des propos des marins, malgré la situation critique, renforce l’impression d’égard pour celui sur qui les sorts viennent de tomber. Cette attitude va amener d’une part Jonas à la confession de foi et d’autre part les marins à la conversion. La pression à son égard semble à présent trop forte pour que Jonas échappe à nouveau à la demande collective. Cependant, il ne s’agit pas pour lui, en répondant, de simplement confirmer le sort qui l’accuse. Pour s’identifier, Jonas se présente par la formule « (Je suis) Hébreu, moi […] » (v. 9). L’enjeu de cette réponse est de taille pour lui. En effet, la première parole que Jonas prononce sur lui-même est révélatrice de ce qu’il désire dire de lui-même : ses uniques référents, c’est lui, c’est le peuple auquel il appartient puis c’est YHWH. Or, toute identité n’estelle pas d’abord donnée dans une situation de langage et d’altérité, d’exposition réciproque, où les personnages ne sont pas seuls pour se dire et s’identifier ? Le lecteur est ainsi témoin du fait qu’il faut toujours un tiers pour identifier, ce que Jonas, fuyant toute relation, n’est pas prêt considérée de rang supérieur ; par la suite, au v. 12, Jonas utilise la première expression, pensant peut-être qu’il est plus amical ou diplomatique de parler aux marins avec la formule qu’ils utilisaient entre eux. R.D. HOLMSTEDT, A.T. KIRK 2016, 542-555 répondent à Muraoka en expliquant la variation littéraire comme étant un code-switching : les deux expressions sont utilisées pour créer et détruire les frontières identitaires. W.D. TUCKER 2018, 67 reprend le même argumentaire. À ce sujet, voir également G.M. LANDES 1999, 278. 25 La première partie – « à cause de qui ce mal (est) à nous » – est absente de la LXX et de manuscrits importants ; cette phrase a été souvent considérée comme glose marginale : voir A. NICCACCI, M. PAZZINI, R. TADIELLO 2004, 61-63. 26 Cette question se lit aussi en Gn 3,13 ; 4,10 ; 1 S 14,43 ; 2 S 12,22 ; Ps 90,11 ; Jl 2,14.

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à accepter. Ceci dit, on peut se demander si Jonas n’admet pas implicitement ce tiers, dans la mesure où le mot « Hébreu »27 définit l’Israélite dans sa différence par rapport aux nations. Alors que sa déclaration met en relief l’universalisme de YHWH – Dieu du ciel, de la mer, de la terre sèche –, Jonas se distingue des nations en se disant Hébreu, rendant sa présence structurellement centrale et se séparant ainsi du reste de l’équipage. Dans ces premières paroles, Jonas prend radicalement distance avec ses interlocuteurs, du point de vue ethnique et religieux. En s’isolant ainsi, il emprunte un chemin de mort : je suis Hébreu, donc – pour reprendre une étymologie possible – « passant », mais un passant qui ne passe pas, qui n’aura rien d’autre à dire aux hommes que sa mort consentie, sa singularité totale vis-à-vis d’eux28. De plus, Jonas évoque YHWH uniquement dans une formule traditionnelle : pour lui, il est le Dieu de la nature créée, point de vue adapté à sa situation (en mer), et non le Dieu décrit dans sa relation aux hommes. La parole solennelle de Jonas au v. 9 est un bel exemple d’ironie verbale et dramatique29. En effet, cette profession de foi est précédée de la fuite de Jonas loin de YHWH, en mer, qui est pourtant l’endroit qu’il reconnaît comme un lieu où s’exerce l’autorité de ce Dieu (ironie dramatique). Jonas agit donc à l’inverse de sa profession de foi, fuyant un Dieu qu’il dit sien et se rebellant contre ses ordres. Toujours au v. 9, Jonas dit craindre YHWH. Le propos est ambigu : est-ce de la peur ou 27 Le terme « Hébreu » est un archaïsme inusité à l’époque post-exilique ; il désigne l’Israélite dans la bouche d’étrangers ou, comme ici, dans la bouche de l’Israélite soucieux de se distinguer. M. STERNBERG 1999, 215 va plus loin encore en affirmant que le terme est utilisé ici parce qu’Israël entre dans le point de vue qu’il prête aux étrangers, se situant en position inférieure – soumis – par rapport à eux. Voir également A. HAYYIM 2006, 3-11 ; C.J. BOSMA 2013, 65-90. La critique textuelle s’est largement penchée sur cette partie de verset. En effet, comme l’explique clairement D. CANDIDO 2015, 143, la LXX lit, à la place de « Hébreu », « serviteur (doulos) de Dieu » ; pour comprendre cette leçon du texte grec, on peut imaginer deux phases successives : premièrement, par confusion de lettres,‘bry a été compris comme‘bdy « mon serviteur » ; deuxièmement, la finale ‘ a été lue non comme le suffixe pronominal de la première personne du singulier (« mon » serviteur) mais comme l’abréviation du tétragramme (serviteur « de YHWH ») ; en fait, il s’agit moins d’une erreur que le résultat d’un intérêt théologique voulant souligner le caractère religieux du prophète en tant que « serviteur de Dieu » plutôt que son identité ethnique en tant qu’« Hébreu » ; cette traduction a probablement influencé la présentation de Jonas qu’en fait 2 R 14,25 (voir ci-dessous). Dans le Tg, Jonas se dit juif et non hébreu ; si les premières versions araméennes des prophètes datent du IIe siècle, aucune référence concrète n’est faite au Tg de Jonas dans la littérature rabbinique, ni sa lecture, ni sa rédaction, affirme M. TARADACH 1991, 99-100. 28 D. SIBONY 1985, 40-41. 29 L’ironie peut en effet se comprendre à ces deux niveaux, en subverstissant le sens d’une situation (ironie dramatique) ou celui d’un discours (ironie verbale).

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de la vénération (ironie verbale) ? Si Jonas a peur de ce Dieu, pourquoi fuit-il (v. 3) sur un élément dont il a la maîtrise ? S’il le vénère, pourquoi veut-il lui échapper ? Le propos est de toute manière ironique30, mais ne faut-il pas associer les deux sentiments : il le vénère et il a peur ! Enfin, en demandant par la suite d’être jeté à la mer (v. 12), que cherche réellement Jonas ? Croit-il encore pouvoir échapper à YHWH… qui a fait la mer (v. 9) ? Ne s’enferme-t-il pas dans l’inconséquence ? Ou se résigne-t-il à encourir la fureur de son Dieu ? Le comble est que, par cette identification, Jonas ne répond même pas aux questions qu’on vient de lui poser ! C’est à deux autres questions qu’il répond : « Qui es-tu, qui crains-tu ? » Autrement dit, Jonas reprend bien le début de l’intervention des hommes – « Raconte-nous donc » – mais il semble ne pas avoir écouté vraiment leur demande. Il donne néanmoins des renseignements qui permettent aux marins d’être satisfaits quant aux première et dernière questions, du moins par une déduction facile. En effet, en se présentant comme Hébreu, Jonas désigne son peuple ; de plus, s’il craint YHWH Dieu qui a fait la mer, c’est que sa fuite est la cause de leur mal, car elle a provoqué la colère de Dieu. Il est aussi à noter qu’avec sa brève réponse, il présente les deux protagonistes de tout le récit. La profession de foi de Jonas épouvante les hommes, faisant croître leur crainte (v. 10a). Suit la question « Qu’est-ce ceci que tu as fait ? » En fait, cette question aurait pu se situer plus tôt dans le récit, après le v. 7. Dans ce cas, elle aurait résonné comme une véritable question, celle que l’on pose à un suspect pour le pousser à avouer. Située ici, la question des hommes change de sens et devient rhétorique : les hommes n’attendent pas de réponse, car la parole de Jonas (v. 9) a suffi à leur faire comprendre ce qui se passait, sans qu’ils aient à l’accuser. C’est la propre profession de foi de Jonas qui l’inculpe et qui convertit ensuite les hommes, effet qu’un simple aveu de culpabilité n’aurait pu avoir. Mais pourquoi la question à charge est-elle rhétorique ? Le narrateur l’explique après, en faisant part au lecteur d’une information qu’il a gardée pour lui jusque là (v. 10b) : au moment de s’embarquer, Jonas avait révélé aux marins qu’il fuyait YHWH. Cette information fait l’objet de deux retours en arrière, deux propositions circonstancielles de cause : « car les hommes savaient » précède chronologiquement le dialogue des v. 8-10, et bien sûr « car il leur avait raconté » vient avant la phrase Pour prolonger, lire J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN 1999, 44-45 ; J.-L. SKA 2011b, 59 ; et J.-L. SKA 2011a, 35 ; à la suite de B. COSTACURTA 1988, 147-149. 30

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« les hommes savaient ». Le lecteur saisit ainsi pourquoi les marins comprennent que c’est le Dieu – qui a fait la mer – qui a dû provoquer la tempête suite à la fuite de Jonas. Rétrospectivement, le lecteur comprend mieux la démarche du chef d’équipage au v. 6. Par la régression chronologique du v. 10b, le narrateur cherche à intriguer le lecteur, en lui laissant ignorer des éléments du récit, en vue de tenir éveillé son intérêt ou de relancer son attention. Le lecteur comprend à présent que le narrateur le mène lui-même en bateau : il ignorait que les marins savaient la même chose que lui, que Jonas fuyait YHWH. Aussi n’a-t-il pas compris pourquoi les marins paniquaient en entendant Jonas confesser sa foi. Il ne le découvre que suite à l’explication tardive du narrateur. Voilà un trait essentiel du premier épisode, qui est de nature à clarifier la relation entre narrateur et lecteur : celuici croyait en savoir davantage que les personnages, or il en savait moins qu’eux sans que le narrateur l’en ait averti ! À l’avenir, même s’il croit comprendre, le lecteur devra se méfier de lui-même. 4.1.2.3. Les marins et la tempête (1,11-16) Dans l’idée des hommes, seul Jonas sait comment s’y prendre (v. 11). Car l’action qui les a menés à alléger le bateau (v. 5) n’a pas conduit à l’apaisement de la mer. Or, pour Jonas, il n’y pas d’alternative : il ne peut regagner la rive et arrêter de fuir. Car, tout en admettant être la cause de la tempête (v. 12), Jonas demande qu’on agisse pour lui, dans le but d’épargner les hommes. Il paraît être très au clair sur ce qu’il veut. Oui, ce que Jonas dit aux marins est exact, la mer se calmera lorsqu’ils l’auront jeté, mais ce geste n’a rien de sacrificiel : c’est de la réponse scénique de Dieu à la prière des marins et au refus de Jonas dont il s’agit, les premiers étant forcés de faire ce que ce dernier avait demandé. De plus, le geste qui consiste à s’offrir pour mourir seul peut séduire, mais il trahit aussi le personnage : plutôt mourir que de céder devant ce Dieu qu’il dit craindre. Le geste est d’autant plus ambigu que Jonas demande aux marins de le porter afin d’être jeté à la mer : décidément, s’il n’a cessé de descendre (v. 3.5) sans réussir à se lever suite à l’appel du chef d’équipage (v. 6), il ne lui reste plus qu’à être porté ! Le verbe a aussi une connotation théologique : il est souvent employé à propos du péché ou du mal qui figure ainsi Jonas en étant porté. Dans un autre contexte littéraire, la formule « portez-moi » signifie « supportez-moi » (Jb 21,3) mais, dans ce cas-ci, le cri de Job précède sa prise de parole, ce qui est le contraire pour Jonas qui vient de parler pour la dernière fois dans

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cette scène. Il pourrait de lui-même sauter par-dessus bord dans un geste suicidaire héroïque mais sa demande implique les marins, les confrontant à une insupportable décision ou encore les rendant ainsi coupables de meurtre, qui plus est d’un homme qui a été appelé par Dieu. De ces conséquences, précisément, les marins ne vont pas tarder à se prémunir (v. 14). La rupture entre Jonas et les hommes semble consommée : chacun doit assumer à présent sa propre destinée. Pourtant, à nouveau, ces hommes pragmatiques refusent non seulement que les sorts guident leur destinée mais également qu’une vie, fût-elle coupable, soit sacrifiée. Ils mettent ainsi en œuvre l’autre possibilité, négligée par Jonas : tenter de regagner ensemble la terre sèche pour neutraliser sa fuite, sans devoir le sacrifier (v. 13)31. Le lecteur est témoin que, tout au long de cette scène, les hommes n’ont cessé de révéler leurs valeurs morales plus importantes que leur instinct de survie. Il est à noter que « faire revenir » n’a pas de complément dans le texte : le verbe peut exprimer le sens physique (le bateau) ou le sens moral (Jonas). Dans ce second cas, le verbe est suggestif car il détermine non seulement l’inversion du mouvement de fuite mais aussi le revirement de Jonas souhaité par les hommes. Constatant l’inanité de leur tentative, les hommes clament vers YHWH pour lui dire leur souhait d’être eux-mêmes sauvés. Mais au moment où ils vont adopter la solution proposée par Jonas, se résignant à le jeter par-dessus bord (v. 15), ils demandent encore à YHWH de ne pas leur imputer ce meurtre : ils savent Jonas coupable (v. 10), pourtant il peut être innocent malgré tout (dans la mesure où le « sang » est celui de Jonas et non celui des marins ; v. 14). Ainsi, une action humaine concertée apporte de l’harmonie à l’environnement hostile : c’est finalement l’action des hommes qui calme la mer et non une intervention divine. Quant à Jonas, il assiste encore à leur acte de foi en YHWH, mais, débarqué tel un poids véritablement menaçant, il ne participe ni à la confirmation du jugement et de la sentence, ni au nouveau culte de 31 Le verbe hâtar signifie généralement « percer, creuser (à travers) », d’où (ici seulement) « faire force de rames ; ramer », non plus dans un contexte habituel, terrestre, mais adapté au contexte marin. Toutefois, d’autres verbes plus adéquats auraient pu être choisis pour décrire l’action des marins. En fait, l’action consiste moins à creuser dans l’eau (en soulignant le mouvement corporel des marins) qu’à percer et à traverser la tempête. C’est cette évasion qui est contrecarrée par YHWH. Comme le souligne C. MEREDITH 2014, 147-152, le choix subtil de ce verbe laisse entrevoir la tension entre la terre et la mer, en renforçant la perspective d’un changement.

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YHWH rendu par les hommes (v. 16). Le lecteur malicieux se demande tout de même ce qui devait rester dans le bateau pour rendre encore possible le sacrifice à YHWH étant donné que les ustensiles avaient été jetés à la mer (v. 5). Quoiqu’il en soit, les hommes n’ont de relations à YHWH que par des intermédiaires qui assurent la médiation, sans dialogue direct : ici, avec les sacrifices et les vœux, comme précédemment avec Jonas lui-même. Le paradoxe entre l’acte de foi final des hommes et le début de l’épisode est frappant. En effet, au v. 2, c’est le mal des Ninivites qui était monté devant YHWH. Or, c’est à un autre mal que les hommes sont confrontés, en recherchant son origine (YHWH) et sa cause (Jonas). C’est bien le récit de l’action de ces hommes, de leurs marques de respect envers la personne de Jonas, de leur crainte de YHWH, de leur conversion, qui remplace avantageusement l’intrigue initiale avortée par la fuite de Jonas. 4.1.2.4. Le motif de la crainte Ce deuxième épisode est dominé par le motif 32 de la crainte. Ce terme, en tant que verbe ou substantif, est uniquement présent dans cette scène. L’analyse de la composition qui suit va d’ailleurs mettre en évidence son caractère structurant. La crainte habite autant Jonas que les marins. Mais de quelle crainte s’agit-il ? Il s’agit tout d’abord de la panique des marins par rapport à la tempête provoquée par YHWH (v. 5) à laquelle les marins réagissent par la mise en œuvre de solutions rationnelles car ils veulent survivre à ce péril (v. 5-7). Ensuite, aux questions posées par les marins (v. 8), Jonas répond par une formule ambiguë qui parle aussi de crainte : celle à propos de YHWH (v. 9). Cette proclamation augmente la crainte des hommes (v. 10), peur aggravée par le poids du mystère d’un Dieu à peine nommé. Et c’est à ce moment-là, après le basculement central de la profession de foi, que les marins changent en quelque sorte de statut, cessant d’être appelés « marins » (v. 5) pour être nommés « hommes », cela jusqu’à la fin de l’épisode. La tempête se calme33, ce qui entraîne une nouvelle réaction de crainte 32 Le motif est une technique de répétition ; il peut s’agir, comme ici, d’une qualité sensorielle. R. ALTER 1999, 133 : « Il comporte une amorce de signification symbolique, ou encore il a simplement pour fonction de conférer une cohérence formelle au récit ». 33 Rappelons ici une donnée de base : la tempête est toujours un phénomène à durée limitée, comme le suggère son étymologie (du latin tempestas, « laps de temps ») ; pour prolonger, voir C. REYNIER 2011, 7.

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des hommes (v. 16), avec la reprise des mêmes premiers mots que ceux du v. 10 : « Et les hommes craignirent, une grande crainte ». La progression de la scène peut se résumer ainsi : les marins craignent pour leur vie, les hommes craignent grandement, les hommes craignent grandement YHWH. Ce passage de la peur (pour soi) à la crainte (comme reconnaissance de YHWH) est rendu possible par la confession ambiguë de Jonas qui, lui, ne partage pas la peur de mourir des marins. Cette déclaration sous-entend, en effet, l’aveu de culpabilité de Jonas et d’innocence des hommes. Elle entrevoit aussi les conséquences pour chacun. L’évolution de la peur en crainte est renforcée, premièrement, par le passage d’une relation multiple des marins à divers dieux (v. 5) à une relation unique à YHWH (v. 16) et, deuxièmement, par la recherche d’une attitude juste envers Jonas. Les hommes sont parvenus à la crainte que Jonas revendiquait comme son apanage : leur foi est même plus grande que la sienne puisqu’ils craignent YHWH « d’une grande crainte ». Leur attitude est également sincère, alors que celle de Jonas contredisait sa parole, comme on l’a noté. 4.1.2.5. La composition de cette seconde scène (voir le tableau dans l’appendice)34 Cette seconde scène est structurée de manière concentrique. La première partie (v. 4-7) répond à la troisième (v. 11-16), l’une et l’autre entourant la deuxième, centrale (v. 8-10), qui – également concentrique – met en évidence la présentation personnelle de Jonas, soit sa confession de foi. La crainte semble être une thématique essentielle de cette scène. Absente dans la précédente, elle rythme la scène qui met en évidence les nuances et l’évolution de ce concept : la crainte des marins devant la tempête (v. 5) devient la crainte des hommes vis-à-vis de YHWH (v. 16). Elle se situe avant toute action des marins (v. 5) ainsi qu’à la fin, après toute action (v. 16), comme par inclusion. Dans la première partie, la crainte précède et motive la parole (la prière à son dieu, le cri) et l’action de délestage (le lancer d’objets) ; par contre, dans la troisième partie, la crainte suit et est la conséquence de l’apaisement de la mer consécutif à la parole (la clameur vers YHWH) et à l’autre action de délestage (le lancer de Jonas). La crainte est également présente par deux fois dans la deuxième partie : la crainte de Jonas vis-à-vis de YHWH (v. 9) accentue la crainte des hommes (v. 10). 34

Ce chapitre résume une partie de l’étude parue dans C. LICHTERT 2002, 5-24.

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Le savoir prend également une place importante dans la structure d’ensemble. La préoccupation de savoir la cause du mal survenu aux marins (« nous » au v. 7 ; « vous » au v. 12) est cruciale. La notion de cause est rappelée au v. 8 et celle de savoir l’est au v. 10, ces deux versets se situant en inclusion dans la partie centrale. Ces mots crochets ménagent les transitions entre les parties : la cause et le mal entre le v. 7 et le v. 8 ; le faire et le savoir entre le v. 10 et le v. 12. La question du coupable est posée dans chaque partie correspondante : le sort est tiré pour le trouver (v. 7), mais, une fois trouvé, qu’en faire (v. 11-12) ? De part et d’autre de la partie centrale, il est question de « lancer vers la mer » (v. 4.5 et v. 12.15). Si l’objectif des marins est un allègement de l’embarcation, la présence de Jonas ne peut être qu’un poids. De fait, au début, les marins font ce qu’il faut mais pas avec le bon objet. Cela apparaît clairement à la fin (v. 15). Un autre élément mettant en parallèle ces deux parties se situe aux v. 6 et 14 : le but de l’appel est que « nous ne périssions pas ». D’un côté, Jonas laisse sans réponse la demande du chef d’équipage ; de l’autre, les hommes clament euxmêmes vers YHWH. 4.2. DEUXIÈME ÉPISODE : DEPUIS LES ENTRAILLES DE LA POISSONNE (JON 2) Le deuxième chapitre du livre de Jonas est composé d’une prière (v. 3-10) encadrée par une brève introduction (v. 1-2) et une brève conclusion (v. 11), les seules parties narratives de ce deuxième épisode. Trois figures s’y retrouvent : YHWH, Jonas et le poisson. Presque tous les commentateurs considèrent, à juste titre, que ce chapitre forme une unité. Le signe de composition le plus clair est l’inclusion qui décrit l’action du poisson : il avale Jonas (v. 1) puis le vomit (v. 11). Voici le schéma littéraire de l’ensemble du deuxième épisode, qui sera justifié plus loin : v. 1-3a : narration (le dire de Jonas) v. 3b : évocation de la supplication dans la détresse et de la réponse v. 4-5 : péril et retour vers YHWH (« vers le temple de ta sainteté ») v. 6-7a : isolement de Jonas dans l’abîme v. 7b-8 : péril et retour vers YHWH (« vers le temple de ta sainteté ») v. 9-10 : accomplissement du vœu et action de grâce dans le salut v. 11 : narration (le dire de YHWH)

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4.2.1. Le contour narratif (2,1-2.11) Si le rythme du premier épisode est soutenu, le contraste n’en est que plus vif avec la suite de cet acte. Le narrateur rapporte un discours – la prière de Jonas (v. 3-10) – tout en n’intervenant directement qu’au début et à la fin de cet épisode (v. 1-2.11), pour préciser le lieu – le poisson35 – et le temps – le passé – de l’action. Sa tâche consiste juste à préparer et à conclure l’opération de sauvetage de Jonas. Cela fait dire à certains que l’ensemble de la prière est à considérer comme une pause dans le récit. En fait, afin d’éclaircir cette problématique et d’interpréter correctement cette prière, il est important de justifier la traduction des temps des verbes. Vu le caractère poétique de la prière, on est tenté de rendre les verbes au présent, étant donné que « le poète peut recourir à telle forme ou à telle autre non pour des questions de sens, mais pour des motifs auditifs, rythmiques, etc. […] Mais il faut comprendre les verbes de ce psaume suivant les règles de l’usage des formes verbales en prose. C’est alors, et alors seulement, que peut devenir visible le lien au reste du récit »36. Donc, les verbes de la prière sont traduits ici au passé, comme ceux du reste du récit37. Ainsi, le narrateur s’éclipse, le temps du discours, faisant place à l’imaginaire du lecteur. En effet, il laisse curieusement croire à ce dernier que l’imaginaire a besoin d’invraisemblance pour s’alimenter38 : dans les entrailles39 de la poissonne, Jonas est en prière (alors qu’il a refusé de le faire sur le navire quand le chef d’équipage l’y invitait) ! Néanmoins, le lecteur est surpris par l’opacité de son propos : pourquoi le narrateur a-t-il décidé de faire habiter Jonas trois jours et trois nuits 35

Le terme hébreu dâg semble employé pour tout vertébré vivant dans l’eau, serpent mis à part. La LXX le traduit par kêtos qui s’applique à tous les grands animaux aquatiques (pour Homère, c’est un phoque !) ; il est devenu « monstre marin », puis « cétacé » : la baleine bien connue nous vient probablement de là (traduit ainsi en Mt 12,40). Ailleurs dans la LXX, le mot hébreu est majoritairement traduit par ichthus. En fait, la Bible se soucie peu de donner le nom exact des animaux marins vu leur espace de vie qui n’est pas celui de l’être humain, elle se contente d’indiquer ceux que celui-ci peut consommer. À ce sujet, voir M.-F. MONGE-STRAUSS 2010, 85-98 et C. REYNIER 2011, 80. 36 A. WENIN 1993, 156. 37 D’ailleurs, J.P. FOKKELMAN 2002, 185 affirme : « En principe, la distinction entre prose et poésie est radicale en hébreu classique ; en pratique, elle ne l’est pas. La définition de la prose narrative lie celle-ci fortement au phénomène de l’intrigue […] ». 38 Toutefois, pour C. REYNIER 2011, 81, comparé à d’autres récits fantastiques de la littérature antique, celui de Jonas est sobre : il ne cherche ni à émouvoir ni à effrayer. 39 Le mot mé‘îm se réfère à tout organe interne, qu’il soit de type digestif ou reproductif.

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dans cet endroit particulièrement original ? Pourquoi ce changement de genre de poisson en poissonne40 (v. 1-2) ? De plus, le lecteur ne sait pas ce que YHWH veut faire avec le poisson : emprisonner Jonas, le tuer ou le sauver ? Se laissera-t-il encore étonner par cette touche d’ironie dramatique en lisant qu’un poisson avale ? Quel étonnant paradoxe de voir que ce qui sert de nourriture commune avale plutôt que d’être avalé41 ! Le lecteur apprendra seulement au v. 3 que le poisson est un instrument de salut en réponse à la prière du héros. Oui, YHWH réagit à l’attitude de Jonas, comme il l’a fait précédemment avec la tempête, mais sans succès : s’il ne l’avait pas fait, soit celui-ci serait mort soit il serait parvenu à Tarsis, de toute façon il n’y aurait eu personne pour transmettre son message à Ninive. Il fallait donc qu’il réagisse ! Enfin, au v. 11, pourquoi introduire un discours de YHWH au poisson (v. 11) sans qu’une parole, finalement, ne soit prononcée ? La suite de cette analyse tentera d’éclaircir les questions posées. 4.2.2. La prière d’action de grâce (2,3-10) Après avoir fait de Jonas le sujet de son (in)action et ensuite un objet lancé vers la mer (1,15), le narrateur le présente comme un homme pieux (2,2). Dans sa prière, par l’emploi délibéré du passé, Jonas se souvient et se met à interpréter les événements précédents qu’il recompose. En effet, à plusieurs reprises, Jonas dit qu’il a prié (au passé) et que cette prière a été exaucée. C’est la raison pour laquelle il proclame à présent une action de grâce. Le lecteur lit donc la seconde prière de Jonas, mais sans avoir entendu la première. Il s’agissait d’une supplication avec vœux, adressée à YHWH au cœur de la mort (v. 3.8a.10b), bref une demande d’être délivré de la détresse. 40 Le mot est au féminin à sa troisième occurrence. Ailleurs, dans le texte hébreu, cette forme féminine est un collectif, désignant les poissons en général. En Méditerranée, il existe des espèces de poissons de type hermaphrodite successif, qui naissent mâles pour se transformer ensuite en femelles (ex. le requin blanc, le marlin bleu, la daurade) ou inversement (ex. le mérou, la girelle) : l’auteur s’en est-il inspiré ? Il n’y a en tout cas rien de tel dans le texte grec. L.-S. TIEMEYER 2017, 307-323 affirme qu’il s’agit plutôt d’une forme nominale allongée qui est rare dans la Bible, l’accentuation actuelle de la finale au féminin est donc le résultat d’une mauvaise compréhension d’une forme archaïque plus longue ; en conséquence, cette différence ne change pas la portée sémantique, le poisson ne présentant pas d’ambiguïté de genre. Voir aussi T.A. PERRY 2012a, 217-219. 41 Peut-être est-ce ce trait d’ironie qui a mené bon nombre de commentateurs à en voir un poisson suffisamment grand pour pouvoir avaler un homme, et ainsi à en faire soit une baleine soit un requin ; lire e.a. le débat passionnel du début du XXe siècle dans V. ERMONI 1903, 1606. Le récit de l’épopée vécue en 1891 par James Bartley avalé par un gros poisson est à goûter dans E. KÖNIG 1905-1906, 521.

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La prière de supplication mentionnée dans l’action de grâce devrait se situer chronologiquement en même temps que le sacrifice des marins (1,16b), et les vœux de Jonas (v. 10b) en même temps que les leurs (1,16b), quand Jonas, jeté dans la mer, est en train de se noyer. D’ailleurs, le contenu du psaume suggère que ce n’est pas la situation de Jonas à l’intérieur du poisson qui le fait crier de désespoir mais sa situation présente de quasi noyade en mer. Dans ces conditions, l’exaucement de cette prière, c’est le poisson mandé par YHWH, ce dont témoigne la prière d’action de grâce. Ce n’est qu’isolé de tous que Jonas fait mémoire et révèle pour la première fois ses sentiments intimes (v. 3-10 ; et plus tard en Jon 4). Le narrateur laisse ainsi la place principale au narrateur dans le récit lui-même, Jonas. Il s’agit du deuxième discours de mémoire42 où Jonas reconnaît en YHWH son salut. Déjà sauvé, Jonas fait une relecture des événements vécus. Dès la première phrase (v. 3), il évoque le fait qu’un dialogue s’est instauré entre YHWH et lui et que YHWH a répondu favorablement. Jonas l’annonce lui-même d’emblée : il s’agit bien d’une prière d’action de grâce. Il en décrit le processus : il a incriminé YHWH comme le responsable de sa situation passée (v. 4) et l’a interpellé à la deuxième personne, tout en ne relevant pas le fait que c’est lui-même qui a choisi de fuir loin de YHWH (v. 5). Après tout, celui-ci n’avait fait que le prendre au mot en poussant jusqu’à ses ultimes conséquences la logique de la fuite loin de lui. Si Jonas prend ce point de vue particulier, c’est qu’il a déjà opéré le retournement qu’il exprime au v. 5b43. En effet, n’a-t-il pas inversé le mouvement de fuite et de descente qui l’emportait ? La prière de Jonas paraissait vaine : aucune réponse ne venait et le mouvement de descente semblait même s’accentuer, jusqu’à atteindre son point le plus bas : les bases des montagnes, la fosse (v. 6-7). Pourtant, 42 En tant qu’éléments du récit, quatre discours intradiégétiques – à l’intérieur du récit – dans la bouche de personnages font mémoire d’une action. Ceux-ci sont les deux protagonistes du récit : Jonas (en 1,9 ; 2,3-10 ; 4,2-3) et YHWH (en 4,10-11). 43 L’interprétation de la seconde section de ce verset dépend de la valeur accordée à la particule ’ak traduite ici par « pourtant ». Soit elle recouvre un sens affirmatif introduisant avec emphase l’expression du défi tenace et provocateur que Jonas l’entêté lance à Dieu, ou encore l’expression de la confiance persévérante de Jonas en Dieu, soit elle revêt un sens restrictif, adversatif, marquant une antithèse : Jonas dit en même temps qu’il est chassé de la vue de YHWH et qu’il conserve son lien avec lui. De plus, il est probablement nécessaire de distinguer deux temps dans le discours, d’abord le sentiment d’éloignement (v. 5a) puis celui de la prière d’action de grâces exprimée par Jonas une fois sauvé (v. 5b). Pour prolonger, voir C. DOGNIEZ 2002, 189-190 et N.P. LOVE 2013, 266-283.

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YHWH a agi au moment où tout était fini, arrachant de la sorte Jonas à la mort (v. 7b). Comme les marins, celui-ci touchait au péril de la mort, son salut étant du même type que pour eux (v. 8). Sous le coup du salut, Jonas lance alors un message de conversion (v. 9) et s’engage à l’action de grâce, rétablissant la communication avec YHWH (v. 10). Qui sont les personnes visées au v. 9 par Jonas ? On comprend généralement qu’il s’agit des nations. À la différence de 1,5, Jonas ne parle ni de divinités ni de dieux, mais emploie une appellation dépréciative – « Ceux qui gardent des fumées de néant » – qui fait référence aux idoles44. L’ensemble de l’invocation de Jonas serait-il un déni de l’existence des dieux des nations ? Dire que leurs dieux ne sont « des riens », est-ce affirmer qu’ils n’existent pas ? Si oui, quelle apparente contradiction avec l’affirmation et la reconnaissance de la religiosité des marins ! On pourrait plutôt penser que la formule employée par Jonas vise la valeur des dieux étrangers, leur inefficacité, et non leur existence45. Affirmer cependant cela, c’est faire fi de l’ambiguïté du personnage de Jonas : paradoxalement, sa tentative de railler les dieux des autres renforce l’idée que lui-même adopte constamment une attitude particulièrement inefficace ! Dans cet épisode, le mal monte et Jonas descend. Jeté dans le cœur des mers46, Jonas poursuit sa catabase jusqu’au plus bas. Au centre de la prière, le mouvement fait mine de se précipiter : Jonas descend à la base des montagnes, puis encore plus bas, au séjour des morts (v. 67a). Mais après cette descente, Jonas parle d’une remontée (v. 7b). La notion du temple (v. 5 et 8) entoure structurellement ce renversement : symboliquement, Jonas regarde du bas vers le haut. Il prie à partir du Shéol47, lieu de l’indistinct, où n’existe plus de hiérarchie ou de séparation symbolique. Ainsi s’exprime chez lui le désir de maintenir le contact avec le temple, lieu caractérisé par les relations hiérarchiques, les oppositions (entre sacré et profane, pur et impur), les rapports d’autorité mais qui est vécu également comme espace de l’altérité radicale. E. EYNIKEL 2011, 124-125. C. DOGNIEZ 2002, 188. 46 Pour la critique textuelle particulièrement complexe de 2,4a, on se référera en toute confiance à D. CANDIDO 2015, 143-144. 47 C. REYNIER 2011, 87 : « Le shéol (terme féminin) est localisé au cœur de la terre, c’est le séjour des morts, distinct des cieux, demeure de Dieu et des êtres célestes. […] Le shéol résume en lui toute la puissance de la mort qui s’abat sur l’homme. Bien que le shéol soit synonyme de désespoir – ce que souligne la métaphore ‘ventre du shéol’, il est encore possible, de ce lieu, d’en appeler à Yahvé ». Pour prolonger, lire P. DE MARTIN DE VIVIES, 315-328. 44 45

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Si le lecteur n’a pas été mis au courant de la première prière, il a d’emblée l’impression que Jonas s’est converti. Un regard approfondi sur la prière révèle pourtant l’ambiguïté du propos de Jonas et son caractère ironique, ouvrant l’espace à une seconde interprétation possible. En effet, le lecteur peut tenir une autre position et considérer que la prière des v. 3-10 est la seule que Jonas ait prononcée. Dans ce cas, il met en doute ce que Jonas dit et que le narrateur ne confirme pas, à savoir qu’il a demandé à être délivré de sa détresse. De plus, il considère le poisson comme une tombe où Jonas est destiné à mourir, ce qui sera infirmé au v. 11. Ainsi, Jonas se réjouirait pour son salut qui consiste à mourir pour échapper radicalement à sa mission (v. 10). S’entêtant dans la même ligne, il ne se convertit pas et c’est de mauvais cœur qu’il se rendra à Ninive après avoir été vomi, sur l’ordre d’un Dieu qui le sauve contre son gré pour le contraindre à cette mission. Cette seconde interprétation, exposée ici mais non reprise dans les différents commentaires, est en mal d’arguments et est difficilement défendable, étant donnée principalement l’absence de considération pour le genre littéraire de la prière qui est une action de grâce. On l’a vu, l’ironie est présente au long la prière dont le contenu explicite contraste tant avec l’attitude de Jonas au premier épisode. En suivant la progression du discours, d’autres traits d’ironie verbale se succèdent à bon rythme. Recensons-les. • Au v. 3, pourquoi, en disant « j’ai clamé de détresse », Jonas fait-il à présent ce que YHWH puis le chef d’équipage lui avaient demandé de faire, mais sans succès (1,2.6) ? • Au v. 4, il dit : « Tu m’avais jeté au gouffre dans le cœur des mers ». Si Jonas a demandé à être « lancé vers la mer » (1,12), il devait se douter des conséquences de son propre souhait. • Au début du récit, le narrateur a précisé que l’action initiale de Jonas est de se lever pour fuir « de devant YHWH » (1,3) ; ensuite il a signalé que les hommes savaient qu’il cherchait à fuir « de devant YHWH » (1,10). Ainsi, en disant à présent « j’ai été chassé de devant tes yeux » (v. 5), Jonas se voile la face : il refuse d’admettre ce que les hommes savent parce que lui-même le leur a raconté. Il l’a donc admis luimême ! • Au v. 7, Jonas poursuit son récit : « j’étais descendu ». Pourquoi se plaint-il de ce qu’il a lui-même plus que souhaité, à savoir que le mouvement qu’il a amorcé (1,3.5) se prolonge un peu plus bas ? Il obtient enfin ce qu’il a cherché : être loin des yeux, de la face de YHWH.

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• Au v. 8, le renversement s’opère par la phrase « de YHWH, je me suis souvenu » : mais qu’en est-il alors de la mission qui lui a été confiée ? • Au v. 9, si l’interpellation « qu’ils l’abandonnent » est un message de conversion – au moment même où les marins le font… ce qu’il ignore ! – Jonas se découvre prosélyte en accomplissant spontanément ce qu’il fuyait si obstinément. De fait, Jonas décrit les païens qui adorent les idoles, alors que lui offre des sacrifices et fait des vœux à YHWH. Ceci dit, on ne lit nulle part que Jonas a tenu cette promesse. D’autant que c’est étymologiquement une colombe (yônâh) qui sacrifie (v. 10), cet animal servant plutôt à être sacrifié (Lv 5,7 ; Nb 6,10) ! Ces nombreux traits d’ironie soulignent également le contraste entre ce que Jonas demande et ce que les marins ont vécu grâce à lui et malgré lui. 4.2.3. La composition de ce second épisode (voir le tableau dans l’appendice)48 Comme on vient de le voir, l’ensemble s’annonce comme étant une prière (« et il pria », au v. 2). La longue intervention parlée de Jonas (v. 3b-10) s’ouvre par une brève introduction narrative (« et il dit », au v. 3a, avec Jonas pour sujet) ; dans la partie finale (v. 11), le même verbe (avec YHWH pour sujet) n’introduit pourtant aucune parole adressée au poisson. Jonas et YHWH prennent donc la parole (v. 3a.11), rappelant ainsi l’autre usage de la bouche dans le monde humain : faire passer non seulement la nourriture mais aussi la parole. En conséquence, le poisson qui avale et vomit ne parle pas, en cela les bouches sont différentes. Les deuxième et quatrième parties (v. 3b et v. 9-10) se répondent. Dans la première, le priant rappelle sa supplication « vers YHWH » et la réponse qui lui a été donnée ; la quatrième partie évoque la reconnaissance de l’orant à cause du salut qui est « à YHWH » (v. 10b). On notera que le v. 9 semble échapper à la structure littéraire de l’ensemble du passage car il n’a aucun terme commun avec le reste de la prière ; de plus les marques des première et deuxième personnes du singulier y sont absentes et son rythme est inhabituel. La partie centrale (v. 4-8) est, comme l’ensemble de cet épisode, de construction concentrique : deux sous-parties parallèles (v. 4-5 et v. 7b-8) encadrent une sous-partie centrale (v. 6-7a). « Et tu m’avais 48

Ce chapitre résume l’étude parue dans C. LICHTERT 2003a.

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jeté au gouffre » (v. 4a) et « Et tu as fait remonter de la fosse » (v. 7c) – qui sont en rapport d’opposition – initient chaque sous-partie extrême ; de plus, les deux occurrences de « vers le temple de ta sainteté » (v. 5b et v. 8b) les clôturent. Le v. 5 serait la conséquence de l’état de détresse de Jonas et le v. 8 serait la cause de sa délivrance. La particularité de la sous-partie centrale (v. 6-7a) est l’absence de la deuxième personne du singulier : c’est, dans toute la prière, le seul endroit où la relation avec YHWH manque. Tout semble terminé : YHWH est désormais absent et Jonas se retrouve complètement seul, aux prises avec le péril mortel, dans une relation unique et inhumaine avec les éléments naturels que sont les eaux, l’abîme, l’algue49, les bases de montagnes et la terre. 4.3. PARCOURS GLOBAL DU PREMIER ACTE (JON 1 – 2) L’usage de l’hyperbole plonge de nombreux termes du récit dans l’excès de sens, les descriptions sont amplifiées, les prises de parole exagérées, laissant en conséquence une impression forte chez le lecteur. Les deux grands mouvements décrits au cours de ces deux épisodes en sont un signe. Le premier relie le ciel (au plus haut ; 1,9) et le Shéol (au plus bas ; 2,3). Le second relie les points géographiques extrêmes : de l’ouest (Tarsis) à l’est (Ninive). Les déplacements donnent ainsi un horizon universel sur lequel les tensions du récit se déploient au long de ce premier acte. Le narrateur ne semble pas vouloir présenter Jonas comme un prophète, alors que le contexte est quant à lui prophétique. En fuyant, Jonas lui-même refuse une des tâches de l’engagement prophétique, à savoir se tenir devant YHWH. À la fin de ce premier acte, compte-t-il tout de même devenir le prophète attendu par YHWH ? Après avoir embarqué, Jonas s’isole, au cœur du danger, dans le sommeil. À travers les mots qui lui sont adressés par le chef d’équipage, il se voit renvoyé à la présence de YHWH. Mais le passager ne répond rien à l’espoir de salut clamé par le capitaine, salut dont toute mission prophétique se fait porteuse. Les marques de respect de la part des marins à l’égard de Jonas et de son Dieu s’accumulent. L’attention des marins porte d’abord sur l’origine du mal qu’ils subissent et non sur leur péril immédiat. Après N.H. SNAITH 1945, 27 précise qu’au lieu de soûf (« algue »), la LXX a lu sôf (« fin, extrémité »). 49

4. PREMIER ACTE (JON 1 – 2)

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s’être enfermé dans l’absence de réaction, Jonas se distingue par une profession de foi traditionnelle, cherchant à s’isoler davantage. Il s’offre pour mourir seul, ne cédant pas devant Dieu. Cependant, les hommes ne veulent pas céder devant l’obstination de Jonas. L’alternative est claire : affronter ensemble le danger au risque que tous meurent (position des marins) ou qu’un seul meure pour que le reste de l’équipage vive (position de Jonas). De concert, la solution de ce dernier est finalement adoptée, tout en renforçant la profonde humanité de l’équipage. À la fin du premier épisode, les nombreux contrastes révélés progressivement entre Jonas et les marins font place à la séparation des destinées de chacun. Dans un premier temps, celle de Jonas était confiée à l’équipage d’un bateau ; à présent, elle est confiée à un poisson. L’un et l’autre aident ainsi Jonas à traverser. Via une action de grâce prononcée dans les entrailles de la poissonne, Jonas relit les événements vécus et fait mémoire d’une prière passée, de supplication, dont le lecteur n’a pas eu connaissance. Pour la première fois, il révèle ses sentiments intimes et évoque le dialogue instauré, coupé puis rétabli entre YHWH et lui. Il raconte l’inversion du mouvement de fuite et de descente qui l’emportait. Le narrateur, quant à lui, s’éclipse durant cette prière, laissant toute la place à la relation renouvelée entre Jonas et YHWH jusqu’à ce que Jonas retrouve la terre sèche, c’est-à-dire libérée de l’élément liquide, le récit le ramenant au lieu de son envoi en mission. Après un double récit de conversion touchant les hommes et lui, une nouvelle chance semble lui être offerte.

5. DEUXIÈME ACTE (JON 3 – 4) 5.1. TROISIÈME ÉPISODE :

LA PROCLAMATION À

NINIVE (JON 3)

Jon 3,1-10 forme le troisième épisode du récit. Comme critère interne de découpage, on peut mentionner une nouvelle introduction narrative concernant la mission que YHWH adresse à Jonas : c’est une autre parole de YHWH qui explicite ce que Jonas devra dire. La suite présente l’intervention de celui-ci à Ninive et la réaction des habitants de la ville. Les Ninivites et leur roi n’apparaissent qu’ici. À la fin de l’épisode, Dieu prend en considération le retournement de Ninive et décide de ne pas faire le mal qu’il avait prévu. Quant au critère externe, la suite immédiate du livre (4,1) évoque non plus le mal susceptible d’advenir à Ninive mais le mal qui advient à Jonas. Alors que de nombreux personnages interviennent dans le troisième épisode, le changement qui s’opère en 4,1 centre l’attention exclusivement sur la relation entre YHWH et Jonas, ce dernier prenant distance par rapport à Ninive qui reste néanmoins à l’horizon. Voici le schéma littéraire de l’ensemble du troisième épisode, qui sera justifié plus loin : v. 1-4 : ordre de YHWH à Jonas : déplacement vers Ninive et proclamation v. 5 : réaction des hommes de Ninive : foi et jeûne v. 6a : la parole proclamée atteint le roi v. 6b : conversion du roi v. 7ab : le roi fait crier et sa parole est un décret v. 7cd-8a : ordre : jeûne pour les hommes et les bêtes v. 8b-10 : proclamation vers Dieu qui renonce à cause de déplacements intérieurs

5.1.1. Le retournement des Ninivites En entendant pour la deuxième fois la parole de YHWH à Jonas (v. 12)1, le lecteur s’attend à ce que le contenu du message soit enfin révélé. Cette communication de YHWH à Jonas reste pourtant confidentielle : 1 La formule introductive rappelle évidemment celle de 1,1, avec ce complément « une seconde (fois) » ; on retrouve pareille expression en Jr 33,1 (avec cet ajout : « et lui, encore lui, détenu dans la cour de la garde ») et en Ag 2,20 (ici, le nom et le complément sont inversés).

5. DEUXIÈME ACTE (JON 3 – 4)

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s’agit-il seulement du même message que celui, avorté, du premier acte ? Le lecteur n’en a nulle assurance et n’a aucun moyen de vérifier si Jonas proclame bien ce que YHWH lui a dit. Probablement d’ailleurs n’a-t-il même pas le temps de se poser ce genre de question tellement les actions s’enchaînent. Selon Zakovitch, trois interprétations sont possibles : soit les mots de Jonas sont l’expression exacte et littérale du message divin, soit Jonas dit ce qu’il veut et ignore les intentions de YHWH, soit Jonas délivre le message divin avec sa propre personnalité, en accentuant l’ambiguïté du propos2. Vu l’exécution des deux premiers ordres de YHWH – « Jonas se leva et il alla vers Ninive », au v. 3a, en réponse à « Lèvetoi, va vers Ninive », au v. 2a –, le lecteur peut présumer, mais sans assurance, que l’exécution du troisième – « clame », au v. 2b – sera réalisée, d’autant qu’il précise que les deux premières actions se passent « selon la parole de YHWH » (v. 3a). Mais qu’est-ce qui pousse à présent Jonas à obéir apparemment scrupuleusement à la parole de YHWH ? Passe-t-il simplement de la désobéissance à l’obéissance3 ? En effet, aucun moment d’hésitation, aucun signe de dissidence perceptible – contrairement au premier appel – ne vient ici perturber le déroulement attendu. Les péripéties vécues au cœur de la tempête et dans le poisson l’ont-elles tellement changé qu’il est prêt maintenant à affronter la mission demandée ? Le lecteur constate le changement radical tout en ne pouvant être totalement assuré de la motivation de Jonas. Et si ce dernier, malgré la spontanéité de son acceptation, gardait une forme de vigilance à l’égard de celui qui l’a envoyé en mission ? Ces questions restent pour le moment en suspens. À cela s’ajoute l’attente d’une plus grande précision quant au message, attente interrompue par le narrateur qui s’attarde à décrire la ville de Ninive (v. 3b-4a). Si, au début du premier acte (1,1-3), le narrateur s’était contenté d’évoquer le cadre géographique, il ajoute au début de ce second acte des repères temporels qui renvoient à une évocation de l’espace, à propos de Ninive (3,3-4). Cette cité appartient au passé révolu, du moins pour le narrateur4. Celui-ci la décrit doublement (v. 3b). Tout d’abord, il la qualifie de « grande pour Dieu ». Récurrent dans le récit, l’adjectif « grand » qualifiant la ville peut revêtir un double sens : pris comme Y. ZAKOVITCH 1997, 55-60. Comme l’affirme S.U. LIM 2008, 245-256. 4 Comme présenté plus haut, le consensus retient l’époque post-exilique pour la rédaction du livre. 2 3

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

un superlatif ou désignant l’importance affective de la ville pour Dieu. Ensuite, la mention des trois jours, ainsi que celle des douze myriades d’humains, évoquée à la fin de l’acte (4,11), peuvent renvoyer l’histoire à une époque qui précède la destruction de Ninive en 612 AC. Quoi qu’il en soit, ce genre de description a probablement pour fonction d’élargir le monde du récit et de le faire sortir de la vraisemblance5. Au milieu de l’épisode intervient une autre précision à connotation politique, celle d’un « roi de Ninive » (v. 6a), titre qui n’est jamais utilisé par les Assyriens pour évoquer leurs chefs6, ni repris ailleurs. Ainsi, le narrateur immerge le lecteur réel dans une situation historique passée mais aussi imaginaire. Il faut donc trois jours entiers pour traverser Ninive, or Jonas n’y marche qu’un jour : il n’en rejoint donc pas le centre. Le narrateur insiste également sur le fait que sa marche devrait continuer, Jonas ne faisant que commencer (v. 4a). Ainsi, par ces seuls v. 3-4, le narrateur révèle quelque chose de Jonas : son effort est réduit au minimum, à l’exemple de son inaction en 1,5b. De plus, son message est particulièrement court (v. 4b), formulé en cinq mots (en hébreu), sans introduction ni conclusion, et sans passion. La brièveté de cette proclamation aux Ninivites renforce la précision de l’annonce de malheur et de son délai (v. 4b). Le message ne comporte aucune authentification de la parole, aucune motivation de l’annonce, aucune précision concernant le destinateur, ni l’agent du châtiment, ni le crime du roi ou de la cité… Et pourtant son effet est foudroyant ! Le verbe hâpak (« [re]tourner, passer d’un état à un autre ») permet d’introduire, au v. 4b, le motif du retournement7 davantage présent aux v. 8b-10. Ce verbe peut être traduit de deux manières différentes. La première est « détruire » (comme en Gn 19,21.25.29 ; Dt 29,22 ; Is 1,7-8 ; Jr 20,16 ; 49,18 ; 50,40 ; Am 4,11) : dans ce cas, l’oracle ne se réalise pas. La deuxième signifie la transformation de l’être, du désir de quelqu’un, de son agir, dans un sens négatif ou positif (comme en Ex 14,5 ; 1 S 10,9 ; Os 11,8 ; Jl 3,4) : dans ce cas, vu la conversion, l’oracle se réalise. En quel sens YHWH – s’il s’agit bien du message transmis – l’entendait-il ? Et Jonas lui-même perçoit-il l’ambivalence du verbe lorsqu’il le clame aux Ninivites ? Dans l’état actuel du récit, le lecteur reste circonspect. 5 Ainsi que le présentent J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN 1999, 45 et J.C. HALTON 2008, 193-207. 6 Il s’agit bien du roi des Assyriens et cela dès 2 R 15,19. 7 L’expression a été reprise par B. VIRGITTI 2018, 359-371.

5. DEUXIÈME ACTE (JON 3 – 4)

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Il devra attendre l’épisode suivant (Jon 4) pour mieux comprendre : Jonas demande la mort lorsqu’il constate qu’il a permis le retournement de Ninive, découvrant ainsi qu’il a annoncé autre chose que ce qu’il croyait, que sa parole a eu un effet différent de ce qu’il avait imaginé. Le lecteur découvre alors comment Jonas comprenait ce qu’il annonçait, car jusque-là le sens du verbe demeurait obscur. Le lecteur est ici en droit de se demander si la double compréhension du verbe hâpak ne renforce pas l’écart entre ce que Jonas a lui-même vécu – le retournement dans les entrailles de la poissonne – et ce qu’il désire – la destruction de la ville. Les quarante jours8 annoncés sont quant à eux rapidement oubliés vu la conversion fulgurante du peuple ninivite (v. 5a). Le lecteur en est le témoin mais il ignore la réaction de Jonas : narrateur, Ninivites et lecteur semblent se situer sur le même plan, jusqu’au v. 10 où le lecteur en sait plus que les gens de Ninive. Mais où est Jonas ? Ou bien il s’éclipse, ne se souciant pas du sort des Ninivites, comme c’était déjà le cas avec les marins, au premier acte. Ou bien, tel un prophète – ainsi présenté indirectement en 1,1 et en 3,1 –, il s’efface derrière sa prophétie et laisse en présence Dieu et les destinataires du message de celuici, les Ninivites. De ce fait, si, durant le premier acte, la présence de Jonas n’a pas permis au lecteur de se faire une idée précise des intentions du personnage, l’absence de celui-ci, à partir du v. 5, ne permet pas de le cerner plus aisément. Dès ce moment, le fil rouge de l’intrigue – Jonas – cède le pas aux seuls Ninivites et à l’évolution de leur relation à Dieu. On reproduit le même schéma que celui de la première scène où l’attention exclusive sur Jonas cède la place à celle des marins en interaction avec les autres figures du récit. À partir du v. 5, l’action semble se dérouler en deux temps fort rapprochés : d’une part, le narrateur insiste sur la rapidité des moyens que trouvent les Ninivites pour exprimer leur conversion (v. 5-9) et, d’autre part, il évoque la réaction de Dieu qui voit leurs faits (v. 10). On le perçoit au long de cet épisode, le rôle du narrateur est sûrement aussi prépondérant qu’en Jon 1. Il choisit de laisser relativement peu de place aux interventions directes des personnages : il ne donne la parole à Jonas que pour cinq mots (v. 4b) puis au roi pour une intervention qui précède (v. 7a) et suit (v. 9) la proclamation d’un 8 La LXX a « trois jours ». Comme le précise D. CANDIDO 2015, 146-147, le texte grec a cherché à harmoniser l’épisode avec le contexte global du récit : au début de sa prédication, lors du premier des trois jours précédant la traversée de Ninive, Jonas annonce la destruction qui aura logiquement lieu à la fin de son voyage.

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décret. Ainsi, le narrateur, très descriptif, met davantage en évidence les suites de la parole divine en privilégiant d’une part l’action (v. 5-7a) et d’autre part le discours qui explicite celle-ci (v. 7b-9). Au v. 6, un nouveau problème se pose : comment se fait-il que le roi apprenne une nouvelle à laquelle les hommes de Ninive ont déjà répondu (v. 5) ? Pourquoi proclame-t-il un jeûne après que les hommes de Ninive en ont entamé un spontanément ? Le décret suivant le jeûne du peuple semble marquer une rupture chronologique. On ne peut retenir l’hypothèse selon laquelle ce verset dépeint la première réponse individuelle et spontanée des Ninivites. En réalité, le v. 5 est une anticipation qui décrit la réaction de toute la ville, « de leur grand jusqu’à leur petit ». Ce mérisme laisse entendre que le roi et ses grands (v. 7) font partie de ces Ninivites qui ont immédiatement cru à la parole de Jonas. Chronologiquement, l’ordre des faits doit être celui-ci : la parole arrive au roi qui émet un décret que tous appliquent, des grands jusqu’aux petits. Donc, le récit raconte deux fois la conversion des Ninivites : de façon synthétique d’abord (v. 5), puis en donnant les rétroactes de tout le processus (v. 6-9). Cet artifice littéraire permet en effet d’accentuer l’impression de conversion immédiate et spontanée de tous en juxtaposant la prédication à la réponse croyante de conversion, et cela, avant de décrire le processus concret de la réaction au message de Jonas. L’inversion chronologique provoquée par le sommaire place en conséquence le décret du roi après la conversion du peuple : tout se passe dès lors comme si le roi reprenait le mouvement du peuple pour l’authentifier et le prolonger par un décret. L’ironie, dont on a déjà souvent relevé les effets, laisse ici pleinement la place à l’humour car le lecteur s’amuse à imaginer la scène : les bêtes, associées à la repentance que le roi impose à ses sujets, doivent également se couvrir de sacs (v. 8a). À ce geste rituel s’ajoute le fait que les animaux eux aussi ne peuvent rien « goûter », le verbe tâ‘am (v. 7b) offrant un jeu de mot avec ta‘am (« décret » au v. 7a) : c’est la solidarité des vivants qui concrétise l’ordre du roi, donnant en quelque sorte goût au décret. Il est tout de même curieux de constater que les aspects importants du monde religieux – tel le jeûne – soient décrits de manière espiègle et même avec un tel aplomb. Les derniers versets de cet épisode font une nouvelle fois appel au motif du retournement, le verbe typique de la conversion, shoûv (« revenir ») résonnant quatre fois (v. 8.9bis.10)9. Déjà présent en 1,13, il 9 D. SCIALABBA 2019, 82-87 a particulièrement bien approfondi l’usage théologique de la racine shoûv dans l’Ancien Testament à partir de Jon.

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rappelle la démarche que les marins avaient cherché en vain de provoquer chez Jonas. Ainsi, ce verbe convient autant aux hommes, aux Ninivites et à Dieu : chacun abandonne son mal, à l’exception de Jonas (mais le lecteur ne le sait pas encore). L’épisode se termine par une note davantage théologique : le roi exprime son espérance du salut (v. 9)10. Le narrateur maintient vive la tension jusqu’au dernier verset : Dieu va-t-il faire marche arrière par rapport à la décision transmise à Jonas ? Même si la conversion du roi augmente l’espoir, elle ne donne aucune garantie quant au dénouement. Finalement, le narrateur conclut ce troisième épisode en utilisant son omniscience11 (v. 10), ce qui est exceptionnel dans le récit. En effet, en Jon 1, il se contente de rendre compte des faits comme pourrait les voir un personnage neutre, et en Jon 2, il ne peut voir Jonas prier dans le poisson. Qu’est-ce qui justifie donc narrativement cette exception ? Le narrateur veut renseigner le lecteur sur le fait que le renoncement au mal de la part de Dieu aura une incidence pour Jonas. À l’entrée du quatrième épisode, l’un comme l’autre savent que les Ninivites se sont convertis et que Dieu s’est repenti. Le lecteur le sait grâce au narrateur omniscient, mais Jonas, comment peut-il être au courant ? 5.1.2. La composition de ce troisième épisode (voir le tableau dans l’appendice) Un regard d’ensemble sur ce tableau suffit à se rendre compte des éléments relatifs à la communication. Afin de les mettre en évidence, les mots qui l’expriment sont écrits en gras : ils évoquent le dire, la clameur, le cri et la parole. Seul Dieu / YHWH parle : à Jonas (v. 1-3 ; au passé : v. 10b) et, par l’intermédiaire de celui-ci – mais pas directement – au roi de Ninive (v. 6a). De plus, Jonas clame vers Ninive (v. 2b.4b) et les hommes (pro)clament un jeûne (v. 5b) et clament vers Dieu (v. 8b) tandis que le roi fait crier (v. 7a) vers Ninive. Enfin, le dire est celui de YHWH (à Jonas ; v. 1), de Jonas (à Ninive ; v. 4b), du roi (à Ninive ; v. 7a). 10 Peut-on considérer cette intervention comme un discours intradiégétique ? Non, car elle ne fait mémoire d’aucun événement passé. Par contre, elle trouve toute son importance dans le sens où elle cherche à transformer l’histoire et à orienter la mémoire future de son peuple. Autrement dit, elle ne relate pas le passé mais anticipe l’avenir. 11 Pour J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN 1999, 51-52, le narrateur omniscient « ne se borne pas à raconter les choses de l’extérieur, mais peut entrer dans la perspective des personnages et rendre compte de ce qui se passe. […] Avec un art consommé, il joue de son omniscience, se retenant de tout dire pour ménager ses effets et exploitant toute la gamme des possibilités qui lui sont offertes ».

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La structure globale place en correspondance deux fois trois parties autour d’une partie centrale. Le premier parallélisme concerne les deux parties extrêmes (v. 1-4 et v. 8b-10). Elles forment entre elles un chiasme, les v. 1-2 étant parallèles au v. 10 (autour de la parole de YHWH / le Dieu) et les v. 3-4 aux v. 8b-9 (autour de l’action de clamer). À la dimension extérieure accomplie par Jonas (« aller », trois fois) répond une dimension intérieure demandée aux hommes et espérée de Dieu (« revenir », trois fois). Le parallélisme est renforcé par les qualificatifs qui se rapportent soit au lieu de la marche (« Ninive »), soit au lieu de la conversion (« leur chemin ») : l’un est qualifié de « grand » (v. 2-3 : repris deux fois) et l’autre de « mauvais » (v. 8-10 : également repris deux fois). De même, l’« aller » de Jonas (mentionné deux fois aux v. 3b.4a), dans la première partie, renvoie au « chemin » – des Ninivites et de Dieu – (mentionné deux fois aussi aux v. 8c.10a), dans la partie correspondante. À propos des correspondances entre les parties médianes (v. 5 et v. 7b-8a), toutes les propositions sont à la troisième personne du pluriel. Elles se rapportent donc à une collectivité : les hommes et l’humain joint à la bête. Les termes génériques « l’humain et la bête » sont distingués de part et d’autre par des catégories extrêmes : d’un côté, « grand et petit » (v. 5 ; pour les hommes) et de l’autre côté « gros et petit bétail » (v. 7b ; pour les bêtes). Ces expressions polaires impliquent donc tout le monde des vivants. Les deux parties se terminent par le fait que tous se revêtent, se couvrent de sacs. Plus généralement, chacune de ces deux parties insiste sur le manque consenti par rapport à la nourriture et au vêtement. Les deux parties de transition (v. 6a et v. 7a) mettent en évidence le parcours de la parole : vers le roi de Ninive, puis dans Ninive par le décret du roi et de ses grands. Le passage d’une partie à l’autre montre que le roi prend l’initiative de la supplication de son peuple. Enfin, le chiasme de la partie centrale (v. 6b) éclaire le renversement qui s’opère. Les contrastes n’en sont que plus vifs, d’autant que le sujet – le roi – demeure le même au fil des quatre propositions12. 12 Trois séries d’oppositions sont encore à relever, par groupes de deux termes appartenant au même champ sémantique. Elles concernent le premier membre par rapport au dernier ou le deuxième par rapport au troisième. On a tout d’abord les verbes : se lever / s’asseoir ; faire passer (ôter) / se couvrir. La deuxième série concerne les prépositions qui suivent le verbe et qui indiquent l’origine et l’aboutissement du mouvement du roi ; elle signifie en réalité à elle seule le retournement qui s’opère. Et enfin, on a les substantifs : trône / cendre ; manteau / sac. Ce renversement se remarque également à l’absence, dans la deuxième moitié de la partie, du suffixe

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5.2. QUATRIÈME

ÉPISODE

:

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UN GRAND MAL, UNE GRANDE JOIE ET…

(JON 4)

Une brève observation d’ensemble permet de repérer les dialogues entre YHWH et Jonas : c’est cette relation, et elle seulement, que ce dernier épisode envisage ; c’est le critère interne qui justifie le découpage. On constate que le récit revient à Jonas, après s’être attardé sur les gens de Ninive ; c’est le critère externe. Le lieu de l’action change aussi puisque celle-ci est située à l’extérieur de la ville (v. 5). Sauf s’il y a inclusion avec le début de Jon 1, comme on le verra plus loin, la justification du découpage du dernier passage d’un livre devrait s’attacher uniquement au lien avec le passage précédent. Mais la finale de ce livre étant tellement énigmatique, on peut se demander s’il s’agit bien d’une conclusion. Aucun indice ne permet de voir que l’on est à la fin puisque le v. 11 est une interpellation de YHWH, une question ouverte sans la réaction attendue qui aurait constitué une réelle conclusion. Voici le schéma littéraire de l’ensemble du quatrième épisode, qui sera justifié plus loin : v. 1 : grand mal pour Jonas v. 2 : explication de Jonas (Tarsis) : « je sais » v. 3-4 : dialogue entre Jonas et YHWH à propos de la mort et de la vie v. 5-6a : YHWH mande un ricin et Jonas est soulagé v. 6b : grande joie pour Jonas v. 7-8a : le ver pique le ricin et Jonas défaille v. 8b-9 : dialogue entre YHWH et Jonas à propos de la mort et de la vie v. 10-11 : explication de YHWH (Ninive) : « ils ne savent pas » […]

5.2.1. Jonas et YHWH Tout pourrait se terminer par la fin édifiante du troisième épisode. Seulement Jonas ne partage pas l’enthousiasme du lecteur ni la position omnisciente du narrateur. Quelle surprise de le voir mécontent ! En effet, l’intensité de sa réaction étonne, tellement elle est brutale. Dans possessif de la troisième personne du singulier qui figure par trois fois dans la première moitié. C’est « de sur lui » qui opère la césure, une expression qui indique le dépouillement de soi-même, c’est-à-dire ici du roi.

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ce second acte, l’absence de transition entre les troisième et quatrième épisodes fait poser cette question : qu’est-ce qui est mal pour Jonas (v. 1) ? Est-ce le repentir de YHWH (3,10b) ou la conversion des Ninivites (3,10a)13 ? Si c’est le repentir divin, alors Jonas – qui était absent – en sait autant que le lecteur ! Et c’est bien cela qui se vérifie à la fin du v. 2. En ce seul premier verset, Jonas semble concentrer sur sa personne le mal annoncé par la parole de YHWH (1,2), le mal dont sont revenus les Ninivites (3,8.10) et le mal auquel YHWH a renoncé (3,10). Subit-il ce mal, à l’image de celui qui atteint les marins (1,7.8) ? Il s’agit plutôt d’une colère : d’ailleurs, « pour qu’il y ait colère, il faut qu’il y ait ‘de l’autre’ contre quoi aiguiser sa propre vérité, voire simplement son sentiment d’exister malgré tout. Ne pas décolérer représente alors la seule manière de rester en vie […] »14. Cet autre, c’est YHWH. Depuis le début du récit, le lecteur se sera rendu compte que dès qu’il y a du mal, Dieu n’est pas loin, ni la mort d’ailleurs : c’est ce lien que le narrateur met en exergue dans ce dernier épisode, afin de caractériser davantage la relation entre Jonas et YHWH. Au v. 2a commence le troisième discours intradiégétique15. Le mal fait prier Jonas, ce qui renvoie le lecteur au deuxième épisode qui évoquait une première prière pour le salut : Jonas a rendu grâce lorsqu’il a été sauvé, après qu’il a prié, clamé vers YHWH (2,3) et que sa prière a été exaucée. De plus, dans le premier acte, les marins invoquent YHWH, pour la vie, et, dans le second acte, les Ninivites clament vers Dieu, également pour la vie. Toutes ces prières demandent la vie ou se réjouissent du salut et elles sont entendues (1,14-15 ; 2,3a.8 ; 3,10). Ici, aux v. 1-3, le contraste est absolu : Jonas conteste et prie pour demander la mort. Jonas fait mémoire d’une parole tandis qu’il était sur son sol : de quelle parole et de quel sol s’agit-il ? Sans doute est-ce un discours de Jonas à lui-même, sans interlocuteur désigné, tandis que le sol renverrait à la terre d’Israël où il se trouvait avant de fuir. Ce qui suit semble l’indiquer. Quelque chose de la relation entre Jonas et YHWH s’ouvre au lecteur lorsqu’enfin il s’entend expliquer par Jonas lui-même le motif 13 J.-L. SKA 2011b, 22 pose en conséquence la question : quel est le cœur du livre de Jonas ? Est-ce la conversion de Ninive (qui constitue, en analyse narrative, l’intrigue de résolution, qui se préoccupe de ce qui va finalement se passer) ou le drame intérieur de Jonas (qui constitue l’intrigue de révélation, qui se préoccupe moins des faits que de l’incidence de ceux-ci sur le personnage) ? 14 L. BASSET 2002, 87. 15 Les deux premiers étaient en 1,9 et en 2,3-10.

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de la fuite16. En effet, au v. 2b, dans un flash-back typique qui vient combler une ellipse, il révèle la raison pour laquelle il avait d’abord refusé d’aller à Ninive. Cette information fournie par Jonas est nécessaire pour motiver son comportement ; il explique sa fuite par sa parole qu’il oppose à celle reçue de YHWH (1,1). L’accumulation des marques de la première personne du singulier ne trompe pas : c’est bien en fonction de lui-même que Jonas a pris la décision de fuir. Celui qui maintenant se plaint de l’amour et de la pitié de Dieu en a lui-même été bénéficiaire et à sa propre demande ! À présent, Jonas clame les différentes qualités divines en les faisant précéder de la formule « Je sais » et en justifiant par là sa fuite. La boucle semble bouclée. Ainsi se conclut en quelque sorte l’exposition du personnage, c’est-àdire les détails donnés pour celui-ci, qui sont nécessaires à la bonne compréhension du récit. Normalement, c’est au début de l’intrigue que l’exposition devrait présenter les informations indispensables à l’intelligence de l’action. Mais elle peut venir aussi in media res17, comme c’est le cas ici. En effet, l’exposition est disséminée au fil du récit, présentant le nom de Jonas (1,1), ses opinions religieuses (1,9), la description de Ninive (3,3) et, à présent, la nature de Dieu selon Jonas18. À nouveau, Jonas reprend, dans un savoir sur Dieu, une confession de foi avec les mots de la tradition de son peuple (Ex 34,6 ; Nb 14,18 ; Ps 103,8 ; 145,8 ; 86,15 ; 111,4 ; Ne 9,17.31). Mais où Jonas veut-il en venir ? La prière elle-même reste allusive : il manque en effet un lien entre ce que Jonas sait et sa fuite. Sur quoi repose cette tension vécue et fuie par Jonas, tension entre d’une part une parole exprimée précédemment – et dont le contenu et le destinataire sont ignorés par le lecteur – et d’autre part ce savoir traditionnel sur Dieu ? Le lecteur n’en sait rien, ne possédant aucune clé pour entrer plus profondément dans les motivations de Jonas. Spontanément, le lecteur fait le lien entre ce que Jonas sait et sa fuite, mais est-ce le bon lien ? Comprend-il que Jonas imaginait dès le départ la possibilité du repentir divin ? Pourquoi Jonas reste-t-il allusif ? 16 En réalité, ce motif a déjà été illustré précédemment : dans le premier épisode, Jonas fuit vers Tarsis, puis est jeté par-dessus bord en ignorant si les hommes d’équipage ont été sauvés et enfin il disparaît temporairement du récit après 3,4, alors que le lecteur est témoin de la miséricorde de Dieu. 17 L’expression signifiant « au milieu des choses » vient d’Horace, Art poétique, v. 148. 18 J.-L. SKA 2011b, 27 : « Ces divers éléments de l’exposition apparaissent dans des moments dramatiques, ce qui leur permet d’avoir plus d’impact sur l’action et de dévoiler des aspects inédits des relations entre les trois principaux personnages : Dieu, Jonas et Ninive ». Voir aussi J.-P. SONNET 2008, 60 et V. DREIER 2018, 233-256.

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La suite de ce quatrième épisode (v. 3-11) permet au lecteur d’entrer dans l’intimité de la relation entre Jonas et YHWH. Le premier commence par y exprimer son désir de mort (v. 3). À la question de YHWH (v. 4), tentant de lui faire prendre distance par rapport à ce souhait19, Jonas ne répond rien, rompant le dialogue, comme s’il refusait de ne pas avoir raison, de devoir reconnaître qu’il est sous l’emprise du mal20. Ce caractère têtu et obstiné confirme ce qu’a révélé du personnage le premier épisode. Quelle ironie tout de même de voir Jonas prier Dieu de reprendre sa vie, préférant la mort à laquelle il avait demandé d’être arraché (Jon 2) après qu’il s’y était laissé précipiter volontairement (Jon 1). Au v. 5, le narrateur fait sortir Jonas, alors que cette sortie doit être située auparavant, après 3,4, lorsqu’il quitte le champ du troisième épisode21. S’il le fait sortir maintenant, c’est parce que cette sortie, ainsi que l’action qui suit, incarnent bien la réponse – scénique, mais non verbale – de Jonas à la question de YHWH. Il s’agit de la dernière régression chronologique du récit qui révèle une nouvelle contradiction de Jonas : il demande la mort (v. 3) et ensuite s’installe confortablement (v. 5). Au fait, les quarante jours se sont-ils passés ? N’est-ce pas pour attendre leur terme que Jonas sort, se met à l’ombre et attend que soit écoulé le temps que Dieu avait lui-même fixé (3,4) ? Selon les critères donnés par le Deutéronome quant à l’efficacité de la parole prophétique22, Jonas peut craindre pour sa réputation si l’accomplissement des prédictions est retardé ou n’a pas lieu. Et si les quarante jours ne sont pas finis, il faut supposer que Jonas est au courant du revirement de YHWH. 19 Pour Y.-K. KIM 2009, 389-393, la question n’introduit pas une confrontation mais est l’expression d’une réelle compassion de YHWH à l’égard de Jonas. Afin de prolonger, voir I. FISCHER 2015, 89-107. 20 C.J. RYU 2009, 195-218 propose une autre lecture, soutenant que la colère de Jonas peut être reconnue comme légitime étant donné la différence de puissance entre les Israélites et les Ninivites ; en outre, le silence de Jonas fonctionne comme une résistance de la part des faibles contre la rhétorique des forts. Dans le prolongement, voir les interprétations de S. STAFFELL 2008, 476-500 ; J. HAVEA 2012, 234-255 ; G.O. WEST 2014, 722-751 ; et S.V. DAVIDSON 2019, 290-312. 21 Cet effet de style s’appelle le tuilage qui consiste à revenir à une étape antérieure des faits et à repartir de là. Lire à ce sujet J.-L. SKA 2011b, 14-15 ; B. SCHLENKE 2018, 519-530 ; et A. NICCACCI, M. PAZZINI, R. TADIELLO 2004, 76-77 ; à la suite de N. LOHFINK 1961, 185-203. 22 « Si ce prophète a parlé au nom de YHWH, et que sa parole reste sans effet et ne s’accomplit pas, alors YHWH n’a pas dit cette parole-là. Le prophète a parlé avec présomption. Tu n’as pas à le craindre » (Dt 18,22) ; voir à ce sujet S.T. MANN 2017, 36.

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C’est au centre de cet épisode que le narrateur intervient le plus (v. 5-8), précisant le cadre géographique et temporel. Il semble même avoir accès aux intentions de YHWH. Au v. 5, Jonas s’installe le plus commodément possible, sa situation contrastant tellement avec celle du roi, assis sur la cendre (3,6). L’épisode est entièrement centré sur Jonas pour lequel YHWH s’affaire. Plus précisément, le narrateur focalise l’attention sur la tête de Jonas, en deux mouvements : l’un positif (v. 5-6 : à l’ombre), l’autre négatif (v. 7-8 : tête piquée par le soleil). YHWH mande d’abord un ricin, prolongeant le désir qu’a Jonas d’obtenir de l’ombre. Celui-ci est-il au courant de ce que c’est YHWH qui mande le ricin et provoque en lui la joie, puis qui mande un ver pour faire crever la plante, et enfin qui mande le vent ? Le fait qu’il ne s’adresse pas à YHWH au v. 8b pourrait faire penser qu’il ignore que l’action est commandée par YHWH pour lui donner une leçon. Tout cela, le lecteur, lui, le sait, ce qui accroît l’ironie de la situation. Pour YHWH, la cabane fabriquée par Jonas ne semble pas être un moyen suffisant en vue de le protéger totalement. Le résultat visé est du reste atteint : Jonas éprouve une grande joie… grâce au ricin, c’est-à-dire en fonction de lui-même, de son désir à combler, celui de revenir toujours à l’immobilité, et en fonction de son confort. Le lecteur est à nouveau plongé dans le langage de l’hyperbole : après le grand mal vient la grande joie. Ces sentiments contradictoires contrastent avec les moyens éphémères et fragiles employés par Dieu et mis en scène au milieu de cet épisode (v. 6a.7-8). Le narrateur ne précise pas le temps que met Jonas à se construire la cabane (v. 5) ni celui que met le ricin à pousser (v. 6). Le v. 7 (« au lendemain ») semble suggérer un jour. Mais dès l’aurore, le ricin ne fait plus d’effet. Jonas aurait pu prendre toute la nuit pour se réjouir de l’effet du ricin, à savoir l’ombre. Mais se réjouir de celle-ci lorsque le soleil a disparu est une aberration que l’absence de repère temporel ne laisse que deviner. La joie de Jonas n’a pas pour objet le donateur, à savoir YHWH (et ce qui le caractérise au v. 2) : celui-ci se voit donc dans l’obligation de poursuivre son action pour lever les illusions d’une joie grande mais égoïste. Au lever du soleil23, il mande donc un ver24, qui fait sécher le ricin (v. 7), puis il mande un vent brûlant (v. 8). Alors Jonas défaille, s’approchant de la mort. Pourquoi ne se réfugie-t-il pas à nouveau en 23 24

Il s’agit de la dernière précision temporelle du récit. On peut noter l’allitération entre tôla‘at (« ver ») et ba‘alôt (« quand monta »).

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dessous de la cabane qu’il a lui-même confectionnée et qui lui offrait l’ombre souhaitée ? Il en a d’ailleurs toujours la possibilité. Comme pour le bateau dans le premier acte, la cabane ne lui offre pas un espace de protection suffisant. En fait, le bateau de même que la cabane ne semblent pas résister aux événements mis en place par Dieu, à savoir d’une part le vent (1,4) et d’autre part le ricin et le ver (4,6.7). Dans chaque acte, Jonas, après avoir été protégé par le bateau ou la cabane, est protégé par un autre agent (voir ci-dessous), positif, que Dieu envoie, mais qui confronte Jonas à la question de la mort. Ce n’est d’ailleurs pas explicitement à YHWH qu’il demande la mort (son souffle, comme au v. 3), mais à lui-même, semble-t-il25. Hormis les brèves introductions narratives des deux personnages en dialogue – Jonas et YHWH (v. 8b, 9a.b, 10a) –, la dernière intervention du narrateur relate la demande de mort de Jonas. Ainsi, avant l’ultime dialogue, le dernier mot signifiant du narrateur – « mourir » (v. 8b) – ne laisse aucun espoir. Le narrateur s’éclipse alors, ne concluant pas le dialogue final par un épilogue : est-ce afin que cet ultime commentaire quant à l’attitude de Jonas soit repris, hors récit, par un autre que lui ? Il faut savoir que Jon 4 est l’unique épisode où le narrateur ne se réserve pas à la fois le premier et le dernier mot, étant donné que le récit se termine par une question de YHWH. Au v. 9a, Dieu reprend la question du v. 4, en la complétant en fonction de cette relation perdue au ricin à laquelle Jonas tenait étonnamment. La dernière intervention de celui-ci révèle le seul retournement dont il soit capable : transformer la phrase interrogative de Dieu en indicative (v. 9b). Décidément, Jonas semble hériter de tous les éléments négatifs de l’histoire, mais c’est de son plein gré qu’il trouve mal que tout aille bien. Le dernier mot de Jonas ne laisse aucun espoir : il s’agit encore de « mort » (v. 9b)26. Là-dessus, comme en Jon 3, Jonas n’intervient plus, ne demeurant présent face à YHWH qu’à titre d’interlocuteur27. YHWH intervient dans un dernier discours intradiégétique (v. 10-11)28. Il commence par insister sur l’attitude de Jonas (v. 10), épinglant sa situation pour la relativiser en importance et en temps29. Il l’invite au 25 Voir les deux marques de la première personne du singulier : « ma mort […] ma vie » au v. 8b. 26 Comme pour le narrateur, avec le verbe « mourir » au v. 8b. 27 Voir les marques de la deuxième personne du singulier au v. 10. 28 L’opposition construite par Dieu entre le « toi » de Jonas et le « moi » de YHWH sera soulevée lors de l’analyse de la structure. 29 YHWH fournit aussi et enfin une précision attendue par le lecteur depuis le v. 6, insistant sur le caractère éphémère du ricin qui fut et périt en une nuit.

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décentrement étant donné que le revirement est davantage l’apanage des hommes, des Ninivites et de Dieu lui-même. YHWH se place du côté de Ninive et de ce qui fait la vie de cette ville. Et c’est ici où la fable répond en quelque sorte à l’histoire. En effet, tout le monde sait que Ninive a été détruite en 612 AC. Or, l’intervention finale de YHWH laisse entrevoir une contradiction qui défie les données historiques : Ninive semble avoir été ménagée. Quand bien même a-t-elle été détruite historiquement, elle est épargnée au niveau de cette parabole, si on convient de ce genre littéraire pour qualifier le livre de Jonas. Autrement dit, l’évidence historique laisse place à l’imaginaire, faisant voir ce qui aurait pu se passer pour Ninive30. Ainsi, le récit constitue bien un procédé heuristique de redescription. Toutefois, ne s’agit-il pas d’un phénomène idéologique distordant ou dissimulant la réalité des faits ? Non, il s’agit d’une image inversée de la réalité qui se base d’abord sur la reconnaissance de celle-ci. Elle devient non pas une idéologie mais une utopie et, en conséquence, plus rien ne peut être tenu pour acquis. « Le champ du possible s’ouvre désormais au-delà de celui du réel »31. YHWH termine donc son intervention sous la forme d’une question qui, par-dessus le marché, déconcerte le lecteur : de quel non-savoir parle-t-il à propos des Ninivites (v. 11) ? L’expression « qui ne savent pas entre leur droite et leur gauche » est-elle un mérisme évoquant simplement la masse de la population ? Ne faut-il pas plutôt y voir le rappel par YHWH du déplacement continuel du récit, mettant Jonas face à l’incertitude de ses propres déplacements ? En effet, dès le début, en allant à Tarsis (lieu utopique pour Jonas et pour le lecteur) au lieu de Ninive (qui devient le lieu de l’utopie), Jonas ne sait pas entre sa droite et sa gauche : il est en cela semblable aux gens de Ninive, dont Dieu dit avoir pitié. Mais cette interprétation séduisante se heurte à la géographie biblique. Celle-ci, en fait, n’oriente pas l’espace par rapport au nord, mais par rapport au soleil levant32. On doit cette réflexion à J.-P. SONNET 2012, 155-156. P. HÖFFKEN 2000, 292-294 développe les choses différemment. Pour ce dernier, le v. 11 indique l’opinion de Dieu autre que celle mise en scène en 3,10 où il était question d’une conversion éthicomorale de Dieu ; ici, YHWH jugerait plus fondamentalement les Ninivites en soulignant leur incapacité de conversion ; en d’autres termes, Jon 3 évoquerait la Ninive passée, imaginaire, qui aurait pu se convertir, tandis que Jon 4 pointerait la Ninive réelle de l’histoire. Voir aussi W.J. WESSELS 2007, 551-569. 31 P. RICOEUR 1976, 155. 32 Toute représentation géographique mettra donc, à partir de la Palestine, le levant en haut. À partir de là, le nord est à gauche et le sud à droite, tandis que l’ouest est à l’arrière (la mer). Donc, on descend vers la mer et on monte vers le soleil levant. 30

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Quoi qu’il en soit, l’interpellation de YHWH n’est pas une affirmation mais une question qui, adressée à Jonas, appelle une réponse33. Cette ouverture finale invite le lecteur à ne pas considérer le trait fortement ironique du livre comme étant totalisant34. Car c’est bien à Jonas que YHWH donne la possibilité du dernier mot : une réponse qui pourrait faire oublier l’ironie omniprésente s’il adoptait une position enfin digne de YHWH et de ce qu’il est. Si YHWH est un des agents de cette ironie, il permet aussi d’en sortir. Jonas n’est donc pas enfermé dans l’ironie dont il est l’objet tout au long du texte. Jonas absent, le narrateur place ainsi YHWH entre le lecteur et lui. Le récit se termine sur une case vide, à l’image de toutes les énigmes laissées par le narrateur au cours des épisodes, laissant ainsi au lecteur un important travail de retournement. Il n’y a ni réponse verbalisée ni réponse scénique. Celle attendue aurait dû mettre en jeu le sort de Jonas, pas celui de Dieu, lequel – comme le narrateur – ne veut pas avoir le dernier mot. 5.2.2. La composition de ce quatrième épisode (voir le tableau dans l’appendice) En jetant un œil sur la structure proposée, on se rend vite compte que le passage se conclurait admirablement si une neuvième partie, semblable aux première (v. 1) et cinquième (v. 6b) parties qui ont un schéma identique, suivait la question du v. 11, étant donné la forme concentrique de l’ensemble. Ce vide est grand, pour reprendre le qualificatif si souvent répété dans le livre lui-même. C’est comme si, pour Jonas, le choix entre le mal (v. 1 initial) et la joie (v. 6b central) restait à faire suite à la question de Dieu qui demeure sans réponse. Cette composition concentrique se vérifie également au plan des formes du discours. Les deuxième (v. 2) et huitième (v. 10-11) parties, qui se correspondent, présentent le discours d’un seul personnage, mais 33 Cette opinion largement majoritaire ne fait toutefois pas l’unanimité. Pour P. GUILLAUME 2006, 243-250, suivant ainsi A.M. COOPER 1993, 144-163, ni la fuite de Jonas ni la repentance des Ninivites ne peuvent altérer le décret de YHWH, aussi celuici confirme-t-il à la fin le jugement que Jonas a proclamé. Pour E. BEN ZVI 2009, 1-3, les deux lectures sont grammaticalement possibles, mais tenant compte d’une longue tradition, il penche pour la question rhétorique. On lira aussi T.M. BOLIN 2010, 99109. 34 Comme le souligne J.-L. SKA 2011b, 61, le livre de Jonas est un bon exemple de ce qu’on peut appeler l’ironie structurelle, l’atmosphère ironique étant maintenue tout au long de la narration : « L’ironie est constante et pas seulement occasionnelle, étant donné qu’il y a un contraste entre deux sortes de significations et d’évaluations ».

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adressé à l’autre qui ne répond pas à la question posée. Ces deux parties parallèles suivent une même dynamique, enchaînant propositions affirmatives et négatives. L’une est l’interpellation que Jonas adresse à YHWH, l’autre est celle que YHWH oppose à Jonas. Chaque partie se déroule en quatre temps et son introduction narrative est précédée chaque fois d’un enflammement de Jonas (v. 1 et 9b). Voici, schématiquement : v. 2 : a. b. c. d.

introduction narrative v. 10-11 : question (je) affirmation (je) justification (je sais que tu)

a. c. b. d.

introduction narrative affirmation (tu) question (je) justification (ils ne savent pas)

Le contraste entre YHWH et Jonas se perçoit dans les sentiments : la rapidité de la colère de Jonas qui précède immédiatement le v. 2 s’oppose à la lenteur de la colère de YHWH ; la peine de Jonas pour le ricin s’oppose à la peine de YHWH pour Ninive. Le contraste est également présent, d’une part, entre Jonas qui sait et les humains qui ne savent pas et, d’autre part, entre l’abondance de l’amour divin et l’abondance du bétail. Enfin, les deux villes évoquées dans ces discours peuvent être mises en rapport : Tarsis où Jonas fuit, et Ninive qui suscite le chagrin de YHWH. Chaque partie se termine par une explicitation de l’identité de YHWH, d’une part, et de Ninive, d’autre part. Le rapprochement entre YHWH et Ninive met en évidence le lien de cause à effet entre les deux parties. Les troisième (v. 3-4) et septième (v. 8b-9) parties, également correspondantes, présentent le dialogue à brèves réparties entre les deux personnages qui se contestent mutuellement. On est frappé d’y retrouver les termes « souffle » et « vie » qui appartiennent au même champ sémantique, opposé à la « mort ». L’affirmation tranchée de Jonas est reprise par YHWH qui utilise les mêmes termes que le premier. Il s’agit en fait des deux parties dont les éléments de répétition sont les plus prégnants dans ce passage. Ainsi, plusieurs termes et expressions essentiels se trouvent de part et d’autre. Si « vie » et « mort » sont mentionnées chacune une fois dans la troisième partie, la seconde prend le pas sur la première dans la septième partie. Le personnage divin pose deux fois la même question à Jonas, en précisant la deuxième fois la cause de la colère, à savoir le ricin (v. 9a) ; comme rien n’est dit d’une réponse parlée de Jonas à la première question de YHWH, on comprend que celuici repose la question au v. 9a.

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Enfin, les quatrième (v. 5-6a) et sixième (v. 7-8a) parties, toujours parallèles entre elles, présentent un récit sans parole concernant l’ombre cherchée par Jonas et donnée par Dieu d’abord, puis déniée dans un second temps. La quatrième partie fait alterner les actions dynamiques et les actions statiques. Elle place Jonas (qui est actif lorsque cela le concerne) par rapport à la ville (v. 5) et par rapport au ricin (v. 6) ; quant à YHWH Dieu, il agit dans le sens du désir de Jonas pour le libérer de son mal. La sixième partie est composée de deux morceaux parallèles (v. 7 et 8a) où se retrouvent quatre actions analogues, les deux premières étant inversées : v. 7 : a. b. c. d. v. 8a : b’. a’. c’. d’.

(le) Dieu envoie (le ver) apparition du jour l’élément naturel (le ricin) est piqué conséquence pour ce qui a été piqué (dépérissement du ricin) apparition du soleil Dieu envoie (un vent) l’élément naturel (le soleil) pique conséquence pour ce qui a été piqué (dépérissement de Jonas)

On le voit, ces deux parties mettent en relief l’opposition entre deux actions. Dans la quatrième partie, l’une est de Jonas, l’autre de Dieu : elles se renforcent dans le sens de créer de l’ombre, par la cabane et le ricin. Dans la sixième partie, les deux actions sont de Dieu qui commande un ver, puis un vent : elles se renforcent en privant Jonas de l’ombre. 5.3. PARCOURS GLOBAL DU

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Jonas se rend enfin à Ninive, mais ses efforts sont réduits au minimum, à l’image du message qu’il transmet, en seulement cinq mots. À nouveau, au début de ce second acte, le lecteur est mis en retrait de la relation rendue ainsi confidentielle par le narrateur35, entre Jonas et YHWH. Face à la proclamation de Jonas, il en reste à des conjectures pour en interpréter le contenu : Ninive sera-t-elle retournée ou détruite ? À partir de cette ambiguïté, Jonas disparaît du récit, le narrateur laissant toute la place au retournement des Ninivites et à celui de Dieu. Chacune de ces deux figures abandonne son mal, le roi de Ninive prolongeant sa conversion par l’expression de son espérance du salut. La figure collective des Ninivites rappelle celle des marins, dans le premier 35

Qui a accès à l’intériorité psychique des deux protagonistes, Dieu (3,10) et Jonas (4,1). Pour prolonger, voir J.-P. SONNET 2008, 53.

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acte. Le parcours de leur retournement est fort différent ou complémentaire, évoquant les chemins contrastés qui peuvent mener les hommes à se convertir à Dieu. La figure du roi de Ninive rappelle celle du chef d’équipage : leur démarche ainsi que leur fonction narrative sont quant à elles fortement similaires, comme on le précisera plus loin. En quoi les événements du début de ce deuxième acte sont-ils un mal pour Jonas ? Le mal de ce dernier repose sur le revirement de YHWH. À nouveau, la parole de Jonas demeure équivoque pour le lecteur. Celui-ci se voit tout de même éclairé quant au motif de sa fuite. Jonas se justifie par une parole prononcée avant cette fuite mais dont le contenu reste obscur. Comme pour accentuer ce ton à nouveau énigmatique, il se réfugie pour la seconde fois dans une formulation de la tradition de son peuple afin de décrire ce qu’est Dieu. Progressivement, grâce à l’intervention divine relatée par le narrateur, le lecteur entre enfin dans l’intimité de la relation entre Jonas et YHWH. Le dialogue se tend du fait de l’obstination et des contradictions de Jonas. YHWH continue pourtant à s’affairer afin que la mort désirée par Jonas n’ait pas le dernier mot. Celui-ci ayant persisté dans son refus de retournement, il ne reste plus à YHWH que lui ouvrir en finale la possibilité du décentrement. L’interpellation, sous la forme d’une question, appelle réponse.

6. STRUCTURE DU LIVRE DE JONAS 6.1. FAIRE DE LA STRUCTURE DU TEXTE UN ÉLÉMENT INTERPRÉTATIF Dans les commentaires du livre de Jonas, fussent-ils récents, l’ensemble du récit ne fait que rarement l’objet d’une reprise après la description de chaque partie. Dans ces conditions, la structure globale du texte ne peut être considérée comme un élément interprétatif. La question rebattue demeure : faut-il intégrer le psaume dans l’élaboration d’une structure d’ensemble et ainsi dans le cours du récit ? Cruciale pour l’étude historique, cette question est de peu d’importance dans une recherche qui ne prend pas en compte l’éventuelle histoire littéraire du texte transmis. Les auteurs ne manquent pas de commenter – schémas à l’appui – la symétrie manifeste entre Jon 1 – 2 et Jon 3 – 4. Ils partent souvent du commencement de chaque acte (1,1-3 et 3,1-3a)1 que le récit lui-même met en rapport (3,1 : « une seconde fois »), invitant le lecteur à rapprocher les deux missions confiées par YHWH à Jonas. Dans le premier épisode des deux actes (Jon 1 et 3), Jonas est confronté à des étrangers, des païens qui reconnaissent Dieu grâce à lui, tandis que dans la seconde étape (Jon 2 et 4), Jonas est seul face à Dieu dans la prière. De plus en plus d’auteurs commentent désormais Jon en ce sens. Plusieurs commentateurs se sont néanmoins risqués à proposer une structure d’ensemble, chaque fois selon des critères différents. Ceux-ci ont été analysés pour finalement proposer la structure présentée ci-dessous. Tout rapprochement de vocabulaire d’un acte à un autre, d’un épisode à un autre, doit-il forcément être utilisé dans l’analyse de la structure ? Cela n’est pas certain et, à ce propos, deux exemples marquants sont les mots « grand » et « mal »2 : revenant souvent au long du récit, ils ne se révèlent pas être un critère de construction stable par rapport à la structure d’ensemble. Il ne suffit pas non plus d’énumérer tous les liens observables. Ainsi, il est utile de préciser quelques critères de rapprochement des passages étudiés afin d’élaborer une synthèse qui supposera une mise en ordre des données engrangées. 1

128. 2

Par ex. plus récemment, J.A. LOADER 2009, 589-604 et A. SCHART 2012, 109Voir les développements faits par J.E. ROBSON 2013, 189-215.

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Comme le souligne Meynet, les critères de composition ne peuvent être que d’identité ou d’opposition3. Pour que ces « éléments linguistiques aient une fonction rhétorique, pour qu’ils jouent un rôle de marque de composition, ils doivent former, par leur position dans le texte, des figures. Pour cela, ils doivent être en rapport les uns avec les autres »4. Mais trois autres types de critères sont également utilisables lorsqu’on étudie une portion de texte, et ici tout particulièrement un récit. Premièrement, il s’agit du lieu de l’action. Deuxièmement, il est utile de considérer la question du temps. Troisièmement, le mouvement des personnages intervenant dans les passages mis en correspondance doit être étudié. Nous avons déjà tenté d’appliquer ces critères en détails pour chaque épisode. Plus largement à présent, et à partir des éléments déjà observés, il faut relier les deux actes en vue de l’analyse générale du livre. Pour cela, les contacts structurels entre Jon 1 et 3 ainsi qu’entre Jon 2 et 4 seront étudiés. Enfin, il sera possible également de découvrir une relation entre les premier et dernier épisodes. 6.2. COMPARAISON ENTRE LES PREMIERS ÉPISODES DE CHAQUE ACTE : JON 1 ET 3 Afin de clarifier la comparaison, différentes étapes d’analyse seront proposées. La première s’attardera sur les correspondances entre les parties initiales des deux épisodes. La deuxième étape évoquera le parallélisme entre les situations vécues en mer et à Ninive. La troisième mettra en parallèle les marins et les Ninivites. Enfin, la quatrième étape précisera le lien entre les deux figures d’autorité que sont le chef d’équipage et le roi de Ninive. 6.2.1. Les parties initiales (1,1-3 et 3,1-4) Les propositions de l’introduction narrative de chacune de ces premières parties (1,1 et 3,1) sont quasiment identiques. Le terme « fils d’Amittaï » est remplacé par « une seconde fois ». L’ordre de YHWH suit avec des propositions identiques (1,2a et 3,2a). Le verbe principal « et clame » (1,2b et 3,2b) y a comme complément Ninive sous forme pronominale (« elle ») précédée de la préposition « sur / contre » (1,2) 3 Au plan lexical, morphologique, syntaxique, du rythme et du discours, comme le commente R. MEYNET 1989, 178-196. 4 R. MEYNET 1989, 177.

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et « vers » (3,2). La distinction entre ces deux prépositions montre que la proclamation ne semble plus avoir la nuance agressive qu’elle pouvait contenir la première fois. Selon la traduction, la suite du segment est une complétive introduisant le contenu de la proclamation (« clame que ») ; mais celle-ci pourrait introduire la motivation en lisant une causalité (« clame parce que »). Le parallélisme révèle également que si YHWH ne précise pas le mal des Ninivites (1,2b), il ne précise pas non plus en quoi consiste la proclamation que Jonas doit développer (3,2b). Vient ensuite la réaction de Jonas : il se lève, d’abord pour fuir à Tarsis en s’éloignant de YHWH (1,3a), puis pour aller vers Ninive, exécutant ainsi l’ordre de YHWH (3,3a). Ce parallélisme met en opposition d’un côté Tarsis (1,3) et de l’autre Ninive (3,3-4), destinations vers lesquelles Jonas se dirige. Mais, de part et d’autre, sa traversée n’est pas complète : il n’atteint pas Tarsis comme il n’atteint pas l’autre côté de Ninive. Dans chacun de ces deux morceaux, le nom de la ville est cité trois fois (Tarsis en 1,3 et Ninive en 3,3.4). De plus, ces deux morceaux divisent en cinq étapes l’action de Jonas : 1,3 : 1. Jonas se lève 2. il descend à Jaffa 3. il trouve une embarcation

3,3-4 : 1. Jonas se lève 2. il va vers Ninive 3. il commence à venir dans la ville 4. il donne sa location 4. il clame 5. il descend dans l’embarcation 5. il dit

Dans le premier épisode, Jonas répond à l’appel de YHWH en se levant, mais il ne clame pas comme demandé. Par contre, dans le deuxième, non seulement Jonas répond à l’appel de YHWH de se lever, mais il exécute également son ordre de clamer. La partie initiale de Jon 1 était lue en retrait du passage lorsque celui-ci était étudié pour lui-même, étant donné qu’elle n’a aucune correspondance avec le reste de l’épisode. Une autre logique apparaît à ce niveau-ci de lecture, la position de Jon 1,1-3 étant intégrée dans l’étude comparative de la composition de Jon 1 et 3. Cette différence peut refléter un déplacement enrichissant l’interprétation du livre : le refus de Jonas, en Jon 1, laisse l’ordre de YHWH isolé, hors-jeu, tandis qu’en Jon 3, son obéissance l’intègre au développement de l’ensemble. Le rapprochement entre ces deux parties initiales permet aussi de souligner les déplacements géographiques. Au début du premier acte (1,13), YHWH souhaite que Jonas aille vers l’est, à Ninive (v. 2 ; rappelé

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en 3,2). Or, Jonas se dirige vers l’ouest, comptant se rendre à Jaffa – qu’il atteint – et à Tarsis – qu’il n’atteindra pas5. Au début du deuxième acte (3,1-4), YHWH rappelle son ordre qui est suivi à présent du déplacement de Jonas vers l’est. Si ce dernier atteint Ninive, il ne la traverse pas jusqu’au bout, car le narrateur précise qu’il ne marche qu’un seul jour, alors que la traversée de la ville en requiert trois6. 6.2.2. Le prolongement (1,4-16 et 3,3-10) Des éléments présents dans chacune de ces deux parties initiales et se rapportant à l’ordre de YHWH se retrouvent ailleurs dans les deux épisodes. Ainsi, la notion de parole – toujours relative à YHWH – est absente de la suite de Jon 1 mais elle rythme Jon 3, en étant non seulement présente par trois fois dans la première partie (3,1.2.3) mais également dans la suite (3,6.10). YHWH adresse à Jonas l’ordre de se lever, ce qu’il fait. La suite du premier épisode montre la passivité de Jonas à qui il est redemandé de se lever (1,6) et qu’il faut finalement porter (1,12.15). Son attitude contraste avec celle du roi à qui il n’est pas demandé de se lever mais qui le fait de lui-même (3,6). En Jon 1, YHWH demande à Jonas de clamer et plus loin l’ordre est réitéré par le chef d’équipage (v. 6) mais ce sont finalement les hommes qui clament : non pas sur/contre Ninive (v. 2) mais vers YHWH (v. 14). En Jon 3, Jonas obéit en clamant (v. 4), comme les hommes le feront en écho à la proclamation de Jonas (v. 5 et 8)7. D’autres éléments présents dans chacune des deux premières parties se retrouvent ailleurs dans les deux passages : ils concernent les hommes à qui Jonas a affaire. Par le truchement de la clameur et du cri, la structure met en parallèle les hommes d’équipage et les hommes de Ninive, avec, pour chaque passage, un singulier distributif et un collectif : un homme (marin, en 1,5.7 ; Ninivite, en 3,8) et les hommes (marins, en 1,10bis.13.16 ; Ninivites, en 3,5). Ces termes ne se retrouvent pas ailleurs dans le livre. Un parallèle semblable peut être repéré entre les responsables de ces hommes : le chef d’équipage anonyme qui 5 De plus, au cœur de la tempête, les hommes d’équipage cherchent à « faire revenir » vers la terre sèche, mais sans y parvenir (1,13). 6 Ensuite, alors que Dieu ne le demande pas, Jonas reprend sa route, encore plus loin, vers l’est – par rapport à la ville (4,5) – où il s’installe. Comme le vent ne lui avait pas permis d’atteindre Tarsis (1,4), un vent d’est l’empêche de s’installer (4,8). 7 Deux compléments peuvent encore être apportés. D’une part, il est question, dans chaque passage, de départ, de marche (1,3.7.11.13 et 3,2.3.4) et, d’autre part, il est à noter que le nom de Ninive, absent de la suite de Jon 1, rythme la suite de Jon 3 (v. 2 à 7).

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s’adresse à Jonas (1,6) et le roi de Ninive anonyme qu’atteint la parole de Jonas (3,6). À nouveau, ce type de personnage n’apparaît que dans ces deux épisodes. Les parties centrales de chaque épisode contiennent un jeu de mots qui pourrait s’avérer intéressant. Dans le morceau central du premier épisode (1,9), Jonas prend pour la première fois la parole pour se déclarer Hébreu (‘iverî). Dans la partie centrale de l’épisode correspondant (3,6b), le roi fit passer (‘vr) son manteau de sur lui, ceci avant de prendre la parole pour la première fois. Plusieurs éléments de comparaison à propos des finales sont repris en note8. On signalera également le souhait des hommes de ne pas périr à cause du danger (la mer, le Dieu) : « et nous ne périrons pas » (1,6 ; 3,9). Ce souhait de vie s’adresse directement (1,14) ou indirectement (3,9) à YHWH / le Dieu, dans la dernière partie. Ainsi, les deux épisodes se rejoignent dans le respect de Dieu à qui est laissée la décision9. 6.2.3. Les faire-valoir : les marins et les Ninivites Le rôle des faire-valoir est de souligner les traits des protagonistes10. Même si les marins ont la fonction narrative de protagonistes dans l’intrigue de cet unique épisode où ils sont présents, ils ont la fonction de faire-valoir lorsqu’on visualise l’ensemble du récit. Telle est également la fonction de l’autre figure collective que sont les Ninivites, uniquement présents dans le troisième épisode. Le rôle des uns et des autres met particulièrement en lumière la situation et le problème de Jonas. En effet, le personnage de Jonas peut également être caractérisé par le jeu des contrastes avec les marins, pris comme figure collective. 8 Structurellement, le terme « mal/mauvais » est présent trois fois dans la première moitié de Jon 1 et trois fois dans la deuxième moitié de Jon 3. Par ailleurs, il est question du faire des marins au début de la dernière partie de Jon 1 (v. 11) ainsi qu’à la fin de la dernière partie de Jon 3 (v. 10). Les hommes reconnaissent que ce que YHWH a fait est bon (1,14) : cette reconnaissance, dans la dernière partie de Jon 1, correspond, dans la dernière partie de Jon 3, au « ne pas faire […] mal » de YHWH (3,10). Dans ces deux dernières parties, le « revenir » concerne quelqu’un qui est loin de Dieu : d’un côté les hommes d’équipage souhaitent faire revenir vers la terre sèche (1,13) et de l’autre YHWH souhaite que les Ninivites reviennent de leur chemin mauvais (3,8.10). De plus, les Ninivites espèrent que Dieu revienne de la flamme de sa colère (3,9), un terme synonyme à celui qui décrit la rage de la mer (1,15). 9 Dans le premier, Jonas se dénonce comme responsable du péril (1,12 : « je sais »), tandis que, dans l’épisode correspondant, l’expression d’un espoir par rapport au péril reste vive à travers la question « Qui sait ? » (3,9). 10 J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN, 1999, 29.

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Premièrement, le narrateur met en évidence la religiosité des marins tout au long de la scène : ils crient vers leurs dieux, demandent à Jonas de prier, consultent les dieux par tirage au sort, clament vers YHWH, le craignent, accomplissent sacrifices et vœux. Jonas, lui, ne s’adresse pas à son Dieu avec lequel il ne veut avoir aucune relation personnelle : il ne fait que le professer dans une formule traditionnelle. Deuxièmement, si Jonas confesse sa foi, il fuit son Dieu et préfère être jeté dans la mer plutôt que d’accomplir sa mission. Les marins en revanche ne veulent pas périr ni faire périr un innocent. Troisièmement, Jonas paraît peu concerné par les questions vitales, tandis que les marins luttent pour vivre et survivre. Lui n’a pas peur de la mort, la souhaitant même, et se montrant prêt à assumer les conséquences de ses convictions. Enfin, les marins s’agitent tandis que Jonas semble continuellement passif (couché, endormi, se laissant porter)11. Les marins sont caractérisés par le narrateur selon une progression particulière12. Dans un premier temps, ils sont mentionnés avant même d’être nommés : « eux » (v. 3). Il s’agit de « marins » (v. 5), terme collectif, et du distributif « un homme » (indéfini ; v. 5.7) mis en rapport soit avec « son dieu » (v. 5 ; avec un déterminant possessif à la troisième personne du singulier), soit avec « son compagnon » (v. 7 ; avec le même déterminant possessif). Si les marins crient chacun vers « son dieu » (v. 5), le chef d’équipage réagit, lui, en espérant que « le dieu » songera à l’équipage (v. 6). Passée la profession de foi de Jonas, au centre de l’épisode (v. 9), le narrateur évoque exclusivement « les hommes » (défini ; v. 10a.10b.13.16) qui se mettent en rapport avec « l’homme », Jonas (défini ; v. 14). Les hommes sont caractérisés à la fois par leur parole et par leur action (concrète et rituelle). La progression narrative dans la connaissance de YHWH est donc particulièrement visible : d’une attitude individuelle (v. 5.10) à une attitude collective (v. 16) ; du concept général de « dieu » à celui, particulier, de « YHWH ». La justesse des hommes par rapport à Jonas se confirme tout au long de la scène : ce ne sont pas seulement des personnages religieux, ils sont aussi humainement délicats, respectueux. Cette humanité sans cesse renforcée et marquée par un premier échange verbal (v. 9) n’est-elle pas signifiée par la transformation des « marins » (v. 5) en « hommes » (v. 10) ? La portée de ce changement se percevra davantage dans la comparaison qui sera faite entre les deux figures collectives que sont les marins et les Ninivites. 11 12

J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN, 1999, 45. Il est à noter que jamais Jonas ne nomme les hommes d’équipage.

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En Jon 3, le contraste entre Jonas et les Ninivites tourne autour du motif du retournement. En effet, Jonas a dû être poussé à la dernière extrémité avant de se retourner vers YHWH. Par opposition, la réaction des Ninivites est immédiate, alors même que Jonas s’est contenté de proférer une menace générique sans prononcer le nom de Dieu ni réclamer la conversion ou la foi. Le contraste se renforce encore si l’on souligne que la collectivité étrangère est nommée (Ninive), mais pas l’individu étranger (le roi) ; à l’inverse, l’individu hébreu est nommé (Jonas) mais pas son peuple (Israël). Dans le troisième épisode, les Ninivites ont le même statut narratif que les marins du premier épisode : ce sont des faire-valoir. Ce terme s’avère ici paradoxal puisque la valeur de Jonas est plutôt en baisse dans ces confrontations. En effet, Jonas est totalement absent de la caractérisation des Ninivites qui eux-mêmes ne se préoccupent pas du porteur du message. Une grande différence sépare Jonas des Ninivites : Dieu ne parle à ceux-ci que par personne interposée, alors qu’il entre en dialogue avec son messager. Le narrateur caractérise les Ninivites d’abord abruptement par leur foi (v. 5a), ensuite par leur parole (v. 5b) et leur action (v. 5c). C’est d’ailleurs exclusivement ce faire qui provoque le faire de Dieu (v. 10). Les Ninivites sont décrits dans un premier temps par leur apparence extérieure : des signes de pénitence, de deuil, du fait des actions qu’ils ne peuvent pas faire (v. 7-8a). Dans un second temps, c’est leur intériorité provoquant leur mouvement de conversion qui est rappelée : leur chemin mauvais, leur violence (v. 8b). Ainsi, le lecteur comprend mieux à présent les premières paroles de YHWH à Jonas (1,2b) puisqu’on rappelle ici le mal des Ninivites, tout en ne précisant pas de quel mal il s’agit. Les Ninivites sont nommés de diverses manières : par le narrateur (« les hommes de Ninive », au v. 5b ; « grand / petit »13, au v. 5c) et par le décret (« l’humain », par rapport à la bête, aux v. 7b.8a ; le distributif « un homme », au v. 8b). Si la progression dans ces différentes dénominations demeure obscure, il est tout de même possible de dire que celles-ci qualifient un collectif, les extrêmes, le défini et l’indéfini, comme on le précisera ci-dessous. Vu le parallélisme structurel entre les premier et troisième épisodes, les commentateurs n’ont pas manqué, avec raison, de rapprocher le rôle des marins de celui des Ninivites et ainsi de renforcer leur implication 13

La technique du mérisme est particulièrement présente dans cette scène. Pour prolonger, voir J.-L. SKA 2011b, 41.

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dans l’intrigue14. Il s’agit bien évidemment de païens, qui vivent un retournement, indépendamment de la volonté de Jonas. Mais ces similitudes ne doivent pas masquer les différences importantes entre les deux figures. Les Ninivites ne vivent pas la progression que le narrateur suggère pour les hommes, au premier épisode : ils croient immédiatement en Dieu (v. 5), clament vers lui (v. 8), espèrent aussi que le dieu (voir 1,6) se ravise du mal (v. 9), mais ils ne le reconnaissent pas comme YHWH. Étant donné que le nom de YHWH n’est pas révélé au roi, celui-ci ne lie pas YHWH aux efforts des Ninivites par un lien nécessaire, comme c’est le cas pour les hommes (1,6). Concernant la nomination des Ninivites, le passage du défini (v. 5a) à l’indéfini (v. 8b), du pluriel (v. 5a) au singulier collectif (v. 8b), contraste avec la caractérisation des marins qui, du distributif indéfini (1,3b), passent au collectif défini (1,10a). En fait, les marins sont mentionnés au début sans être nommés (« eux » ; 1,3), tandis que les Ninivites sont mentionnés dès le début mais ne sont plus évoqués à la fin que par le pronom (« eux » ; 3,10). La dernière nomination des Ninivites est le singulier indéfini « un homme » (3,8), alors qu’il s’agit de la première nomination des marins (1,5). On peut croire à un parcours inversé. Cette suggestion est renforcée par le fait que la première action relatée des Ninivites est un acte rituel (3,5), tandis que les marins terminent par là (1,16). Alors que les marins poussent au plus loin le dialogue avec Jonas, il est inexistant entre les Ninivites et Jonas, étant donné que ce dernier est absent. Les marins ne sont pas mauvais, à la différence des Ninivites dont le mal et la violence sont présentés en 1,2 et 3,8. L’attention que les marins portent à leur prochain est manifeste. Même si la situation est totalement différente, les Ninivites, eux, n’ont aucun souci de Jonas. La conversion des marins consiste à passer de l’idolâtrie à la foi en YHWH à travers la confession de foi de Jonas qui leur fait connaître YHWH. Pour les Ninivites, il s’agit de croire en Dieu – il n’est pas question ici de foi en YHWH – et de le prouver par des gestes. Les Ninivites n’ont pas besoin de grands discours pour saisir l’origine du message (« ils crurent en Dieu ») et pour en tirer les conséquences (« ils proclamèrent un jeûne »). Les marins, eux, ont besoin de poser de nombreuses questions et sont en attente de réponses précises.

14

Voir par ex. B.A. STRAWN 2010, 66-76 et D. TIMMER 2013, 13-23.

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Qu’en conclure ? Si le rapprochement entre ces deux figures collectives au niveau de l’analyse structurelle est évident, n’est-ce pas pour en souligner davantage le contraste au niveau du motif du retournement mis en exergue par l’analyse narrative ? Le narrateur ne souhaite-t-il pas éclairer le lecteur quant aux chemins contrastés qui peuvent mener les hommes à se convertir à Dieu ? De plus, en tant que faire-valoir, les contrastes ainsi mis en évidence soulignent quelque chose de différent chez Jonas. En effet, si les marins permettent à Jonas de prendre la parole, de se présenter ou d’évoquer les causes de sa présence, les Ninivites, eux, relèvent l’effet que la parole de Jonas exerce sur eux. 6.2.4. Les catalyseurs : le chef d’équipage et le roi de Ninive Les catalyseurs provoquent ou déclenchent une action15. Ils sont deux dans le récit. Il s’agit d’abord du chef d’équipage (1,6) qui relance l’ordre initial de YHWH (« Lève-toi, clame ») en le reliant aux nouvelles circonstances, la tempête. Il s’agit ensuite du roi de Ninive qui appelle la ville à la conversion et à la pénitence (3,6). L’un et l’autre sont anonymes et ne sont désignés qu’une fois par le narrateur en fonction de l’autorité qu’ils exercent : chef de l’équipage (1,6) et roi de Ninive (3,6). Le chef d’équipage intervient uniquement en 1,6, appelant Jonas, comme YHWH le fit avant lui16. Si la place du chef d’équipage est réduite dans l’action du premier épisode, celle du roi est au centre de la construction de Jon 3. On peut comprendre l’importance de son rôle, vu l’idéologie monarchique du Proche-Orient ancien où le roi est le représentant du dieu national et, à ce titre, le médiateur du bien-être pour son peuple. Mais ici, au cœur de l’épisode, le roi joue plutôt son rôle de médiateur de la parole divine qui le retourne lui-même (3,6), comme on l’a vu. Le texte de la fin du décret royal a d’étranges consonances avec les paroles du chef d’équipage lorsque, dans les deux épisodes, l’interpellation s’exprime en ces termes : 1,6b « […] CLAME VERS ton DIEU. Peut-être LE DIEU songera-t-il à nous et nous ne périrons pas. »

« […] et qu’ils CLAMENT VERS DIEU […]. Qui sait ? LE DIEU reviendra et se repentira […] et nous ne périrons pas. » 3,8b 9

J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN, 1999, 32. Se confirme ainsi la structure révélée précédemment : Jon 1,1-3 est bien une partie en retrait tandis que la suite (Jon 1,4-16) est une reprise caractérisée par la formule identique : « Lève-toi, clame ». 15

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La mise en parallèle des deux extraits le montre bien : les deux démarches sont identiques. Les deux dirigeants implorent une autre instance, le Dieu, eux qui sont soucieux du péril menaçant les gens dont ils ont la charge. Ils invitent à clamer vers Dieu : l’espérance du salut se vit également dans la détresse, laissant pleinement à Dieu la décision finale. Jonas ne semble intéressé par le sort d’aucun de ces deux personnages. Si on vient de souligner le contraste narratif entre les deux figures collectives – les marins et les Ninivites –, il faut conclure tout différemment quant aux deux figures individuelles. En effet, au niveau des fonctions narratives, le rapprochement est frappant entre le chef d’équipage et le roi de Ninive. Ces deux figures d’autorité appliquent des procédures similaires tout en menant différemment chacun de leur groupe vers une nouvelle relation à Dieu. Pour le chef d’équipage, le salut viendra dans un premier temps de Jonas – de qui il s’approche – et de sa clameur (1,6), puis, dans un second temps, de la clameur des hommes et de leur action (1,14-15). Pour le roi, le salut viendra exclusivement des Ninivites, de leur prière et de leur action (3,10), étant donné que Jonas sort du récit dès 3,5. 6.3. AUTRES ÉLÉMENTS COMPARATIFS 6.3.1. Comparaison entre les deuxièmes épisodes de chaque acte : Jon 2 et 4 6.3.1.1. Du monologue au dialogue Proposer des correspondances littéraires entre les deuxième et quatrième épisodes équivaut à considérer la prière de Jonas en 2,3-10 comme partie intégrante de la structure narrative du livre et non comme une pause dans le récit17. De plus en plus d’exégètes tiennent à faire du psaume une partie intégrante du livre en vue d’une compréhension globale de celui-ci, quoiqu’il soit stylistiquement différent du reste18. Il est vrai que les études du genre littéraire et de la structure sont des étapes importantes de la recherche mais il faut reconnaître qu’elles ont encouragé à isoler le psaume du contexte. Or, les rapports de composition avec le reste du livre ne manquent pas, comme on le soulignera encore plus loin. En reprenant les éléments majeurs des comparaisons de Jon 2, il est possible de créer ce schéma très synthétique : 17 18

Voir à ce sujet l’étude de C. LICHTERT 2005a, 407-414. Lire l’excellente reprise dans W. BÜHRER 2015a, 29-50.

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En mer (Jon 1 – 2) Jon 1

Jon 2

À / près de Ninive (Jon 3 – 4) Jon 3

Jon 4

trois jours trois jours embarcation / mer poisson mandé / mer ricin – ver – vent mandés pas de dialogue pas de dialogue prière pour la vie prière pour la mort geste cultuel geste cultuel geste cultuel19 (jeûne)

Le vocabulaire ou les thèmes abordés ne suffisent pas à relier la prière de Jonas avec les autres parties du récit. Comme on le verra, différentes techniques narratives sont développées ici et c’est le cas également dans les autres épisodes. Il s’agit de la nomination du divin, de l’ironie verbale et dramatique, des déplacements géographiques, sans oublier la perception que le lecteur a du personnage de Jonas. C’est au cœur de cette narration et étroitement reliée à elle que Jonas se découvre poète : plongé dans ce récit dont il est avec Dieu le protagoniste, Jonas – par sa prière d’action de grâce – met non pas le récit en suspens mais peutêtre bien le lecteur lui-même. Jon 2 et 4 sont reliés par une série de détails. Dans ces deux épisodes, YHWH fait intervenir quatre éléments intermédiaires par lesquels il poursuit Jonas : d’abord à son profit (poisson, ricin), puis à son désavantage (ver, vent). Ces termes sont toujours introduits à la forme indéterminée. Jon 2 s’ouvre sur le fait qu’il mande un poisson (2,1) et le morceau central de Jon 4 est entouré de trois autres mandats : un ricin (4,6), un ver (4,7), un vent (4,8). Le verbe « mander » ne se trouve que dans ces épisodes, de même que « prier » qui introduit chaque intervention de Jonas (2,2 et 4,2). Celui-ci pointe son regard d’une part vers le temple (2,5) et d’autre part vers la ville (4,5). Jonas cherche un lieu de refuge : le temple, vers où vont son regard et sa prière, et la cabane en dessous de laquelle il attend. D’autres éléments de comparaison sont à relever. On trouve dans ces épisodes deux nuances du terme nèfèsh : la gorge (2,6.8 ; donc deux fois) et le souffle (4,3.8 ; deux fois également). Si, en Jon 2, YHWH a fait monter la vie de Jonas qui était en plein péril (v. 7), ce 19 Pour une étude approfondie de la dimension cultuelle présente au long du livre, sa reprise dans la littérature rabbinique et sa fonction rituelle dans la tradition juive, voir L.-S. TIEMEYER 2016, 115-129 et R. SHUCHAT 2009, 45-52.

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dernier la rejette par après (4,3.8) alors que lui-même ne vit aucun danger. N’y a-t-il pas, en 4,8, dans la demande de Jonas de mourir, un rappel du lieu de mort qu’il a approché en 2,3, à savoir le Shéol ? On peut le supposer en prenant appui sur le genre littéraire. Celui-ci révèle le contraste entre les deux prières : l’une est action de grâce pour la vie (Jon 2), l’autre débat coléreux pour la mort (Jon 4). On peut aussi noter que, dans chaque épisode, la tête semble être le lieu précis où Jonas est atteint : liée (2,6), puis piquée (4,8) après que YHWH eut essayé de la protéger (4,6). Enfin, une relation de temps fait l’inclusion des deux épisodes : Jon 2 commence en précisant que Jonas reste dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits (v. 2), mais, selon la fin de Jon 4 (v. 10), il ne faut qu’une nuit au ricin pour paraître et disparaître. Plus généralement, si les deux prières font partie intégrante du monde narratif, la première prière (2,3-10) évoque un monologue qui, dans l’action de grâce, est le rappel d’un cri de détresse suivi du salut accordé par YHWH ; Jonas y célèbre l’engagement de Dieu et sa délivrance par celui-ci. Le lecteur peut imaginer ainsi que Jonas passe de la désobéissance à l’obéissance. La seconde prière (4,2-3) mène à une conversation où l’engagement de YHWH est remis en question par le priant. Le contexte conduit celui-ci à justifier sa désobéissance qui est basée sur la personnalité même de YHWH. Celui-ci ne rattrape pas Jonas dans sa chute physique (Jon 2) ou morale20 (Jon 4), il ne l’empêche pas de descendre vers le Shéol ou la mort. Autrement dit, il le pousse au bout de sa logique. L’une et l’autre prières permettent au lecteur de reconnaître les différentes phases de sa propre relation à Dieu, car aucune d’elles n’est gommée. Cette mise en correspondance entre les deux prières révèle une relation pleine de contrastes entre le priant – qui ne manque pas de tempérament – et YHWH21. « Dans ces moments, le protagoniste est incapable de partager avec qui que ce soit ses pensées intérieures » (autres ex. Abraham en Gn 15 ; Jacob en Gn 28,10-22 ; Rebecca en Gn 25,22-23 ; Moïse en Ex 3,1 – 4,17 ; 5,22 ; Samson en Jg 15,1819 ; et, comme on le verra plus loin, Élie en 1 R 19)22. 20 Pour une approche de la dimension morale du personnage de Jonas, à la fois affirmée et remise en question, voir J. KAPLAN 2018, 146-162. 21 S.T. MANN 2017, 20-40. 22 J.-L. SKA 2011b, 89.

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6.3.1.2. Les agents Plusieurs figures secondaires sont de simples instruments au service de l’action. Il s’agit des agents23 « mandés » (2,1 et 4,6.7) par l’un des deux protagonistes, à savoir YHWH. Ces agents n’apparaissent qu’en Jon 2 (poisson/ne) et Jon 4 (ricin ; vent ; ver), dans le rapport entre YHWH et Jonas. Attardons-nous d’abord sur l’agent du deuxième épisode, le/la poisson/ne24. Pour certains commentateurs, le poisson prend le relais de la mer déchaînée : par son intermédiaire, celle-ci tient Jonas dans ses griffes. De fait, la mer ne s’est-elle pas apaisée quand elle a obtenu sa proie25 ? Mais peut-être faut-il concevoir le poisson comme une figure positive car, dans son ventre, Jonas est conservé, il se sent sauvé26. En tout cas, la lecture du texte ne permet pas de dire qu’en avalant, ce poisson se fait monstre dévoreur, destructeur, même si la connotation est négative puisqu’il enferme Jonas dans un univers a priori hostile. Cette vision des choses est confirmée par la prière qui décrit le danger mortel comme venant des eaux (v. 4.6-7) et non du poisson. Et le signe que Jonas reste vivant dans le poisson, c’est qu’il y parle, prie (v. 2) et que cette prière se révèle être une action de grâce27. Toute communication n’est pas coupée avec le Dieu des vivants, puisque la prière jette un pont audessus de l’abîme. Le poisson n’est donc pas une force de mort, cette caractéristique appartenant plutôt à la mer28. De plus, si Jonas n’est pas physiquement actif au cœur de la traversée, il ne traverse pas réellement : c’est le poisson – et donc YHWH qui l’a envoyé – qui lui permet de traverser et d’atteindre la terre sèche. J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN 1999, 29. Le motif de l’homme englouti ou recueilli par un poisson est assez courant dans la littérature antique (lire la légende de Persée et Andromède – souvent localisée, comme Jon 1,3, à Jaffa –, d’Hercule et Hésione, de Poseidon, de Jason). I.A. BEN YOSEF 1980, 102-117 dénombre vingt-trois récits parallèles mais, des trois étapes impliquant Jonas (avalement, séjour, vomissement), seule la première est commune avec ces autres récits. Selon l’auteur, la transformation du monstre dévoreur en poisson bienfaisant représente une forme de démythologisation d’une histoire originelle. En jouant sur les mots, Y. SHERWOOD 2000, 72 décrit le poisson comme un monstre qui ne montre pas mais qui cache plutôt. 25 B. RENAUD 1997, 94. 26 Le thème du poisson sauveur – spécialement le dauphin – est récurrent dans la littérature ; pour approfondir, voir C. REYNIER 2011, 81. 27 J.F. CRAGHAN 1982, 167 s’oblige à préciser que, pour parler et prier, Jonas ne se sent pas affecté par le suc gastrique du poisson ! 28 Comme le précise B. RENAUD 1997, 100-101, dans l’Ancien Testament, la mer Méditerranée est d’abord une barrière, une frontière ; elle deviendra, dans le Nouveau Testament, un lieu d’échange et de communication, comme le montrent les voyages de Paul (voir ci-dessous). 23 24

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Au cœur même du Shéol, Jonas a trouvé la vie. Peut-être cela expliquet-il pourquoi le narrateur parle d’une poissonne lorsqu’il raconte que Jonas se met à prier : pour lui, le tombeau est devenu matrice29. Selon Girard, de matrice, il en était déjà question précédemment : l’embarcation comme matrice protectrice et la mer comme matrice dévoreuse. Ici, le poisson est un lieu de transit qui se prête à une nouvelle gestation ; il absorbe pour faire renaître30. La proclamation finale de la prière et le souhait d’accomplissement (v. 10) font en sorte que Jonas n’a plus besoin du poisson en tant que refuge, comme s’il était devenu à présent une substance hostile, un déchet31 que le poisson ne peut plus que vomir32 (v. 11). Avec le vent d’orient (v. 8), le ricin (v. 6) et le ver (v. 7) sont les trois agents envoyés par YHWH dans le quatrième épisode. Le terme qîqâyôn ne se trouve pas ailleurs ; il est rendu ici par « ricin » (traduction d’Hérodote), comme dans la plupart des traductions modernes du texte hébreu33. Son sens exact échappe encore à la philologie et le lecteur peut se demander si l’ambiguïté n’est pas recherchée par le narrateur34. On l’a signalé plus haut, le rôle du ricin est comparable à celui du poisson : il offre un refuge temporaire à Jonas. Mais contrairement à ce qui s’est passé dans le poisson, Jonas croit pouvoir s’installer à long terme sous le ricin, dans l’attente de ce qui arrivera à la ville (v. 5). La comparaison de ces deux agents permet d’affirmer que, dans le quatrième épisode, Jonas attend le retournement de ce qui se passe loin de lui, alors que, dans le poisson, il exprimait le retournement de ce qui se En suivant la réflexion de A. LACOCQUE, P.-E. LACOCQUE 1989, 137 et N. ABRA1999², 83. 30 Selon J. ALEXANDRE 2001, 34, il existe une correspondance, dans l’image, entre trois lieux de gestation : les flancs de la cale (1,5), les entrailles du poisson (2,2) et le ventre de la mort (2,3). 31 Le terme est utilisé par M. ZLOTOWITZ, N. SCHERMAN 1990, 117. 32 Le verbe qy’ a toujours une connotation négative (p.ex. Lv 18,25.28 ; 20,22 ; Pr 23,8 ; 25,16 ; Jb 20,15). Pour approfondir, lire B.A. STRAWN 2012, 445-464. 33 L’origine de cette difficulté philologique se trouverait dans le choix qu’opéra Jérôme (suggérant hereda) à l’encontre de la tradition reprise de la LXX ; celle-ci, traduisant kolokuvthè, choisit cucurbita. Pour approfondir, voir P. HAMBLENNE, 1988, 183-219 ; M. MULZER 2004, 103-128 ; G.B. BAZZANA 2010, 309-322 ; A. FRAÏSSE 2010, 145-165 ; C. PERI 2016, 188-195 ; P. POUCHELLE 2017, 27-47. 34 D. SIBONY 1985, 40 ne traduit pas le terme pour lui laisser l’opacité de ce qui peut être un pur appui dans la langue, un néologisme. De fait, l’effet d’imprécision ou d’ambivalence ou encore la polysémie est certainement voulu, selon D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, 1998, 148. G. VANONI 1978, 102 relève le jeu de mot entre qîqâyôn et yônâh. D’autres comme J. CHOPINEAU 1990, 129-130 relèvent le jeu de mots entre qîqâyôn et qayin (Caïn, en Gn 4). J. ALEXANDRE 2001, 38 et A.H. KAMP 2002, 189-195 notent la ressemblance phonétique entre qîqâyôn et wayâqé’ (« il vomit », en 2,11), rendant le mot par « le vomissement de Jonas ». 29

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passe en lui. C’est le ver, également mandé par YHWH, qui fait que le ricin n’est qu’une protection temporaire pour Jonas. Ensuite, c’est le vent, encore mandé par YHWH, qui sert de moyen pour ramener Jonas vers lui, comme c’était le cas en 1,4. Le narrateur précise qu’il s’agit d’un vent d’orient. Jonas se situant à l’est de Ninive (v. 5), le vent viendrait donc dans le dos de Jonas qui regarde la ville. Le vent semble s’arrêter à Jonas pour le faire défaillir. Mais ces détails ne sont pas spécifiés par le narrateur. On peut également approfondir la comparaison entre la cabane et le ricin. En effet, la confection de la cabane est destinée à permettre à Jonas de porter son regard exclusivement vers la ville et d’assister à la destruction attendue de celle-ci. La venue du ricin recentre Jonas sur sa propre situation, cherchant à le délivrer de son mal (v. 6). Mais Jonas n’opère pas ce recentrement et se contente simplement de se réjouir de ce surcroît de protection qu’est le ricin. Il en oublie le donateur ou plutôt il oublie de se soucier de connaître celui-ci, car seul le lecteur semble ici au courant du nom du donateur. C’est pourquoi, Dieu supprime le ricin parce que Jonas ne s’est pas soucié du mal que le ricin tentait de supprimer, ni de celui qui l’a envoyé. Pour éclairer cette problématique, on peut suggérer une relation plus étroite entre ce deuxième acte et le premier. En effet, d’une manière succincte, il est possible de dire que le poisson est à l’embarcation (1er acte) ce que le ricin est à la cabane (2e acte). Comme on l’a vu, ces quatre éléments offrent une protection à Jonas35. La différence est que les uns – embarcation et cabane – sont faits de mains d’homme tandis que les autres – poisson et ricin – sont mandés par YHWH. Si le poisson mène Jonas à un autre endroit que celui d’où il venait – à savoir l’embarcation –, le ricin devait mener Jonas à un autre endroit que celui où il était – à savoir la cabane. Après la disparition du ricin, il n’était donc pas possible à Jonas de retourner se protéger à l’ombre de sa cabane. De toute manière, la suppression du ricin ne signifie pas l’acte d’un Dieu capricieux mais le retrait de ce qui était devenu pour Jonas une fausse sécurité36. D’ailleurs, le narrateur décrit l’action du ricin comme couvrant Jonas de son ombre, dans le but de le sauver de son mal, mais sans préciser si cela se réalise (« pour désombrager » ; v. 6b)37. Il est 35 Jonas est protégé en étant d’une part dans une embarcation (1,3), dans un poisson (2,1), et d’autre part sous une cabane (4,5), sous un ricin (4,6). 36 Selon A. et P.-E. LACOCQUE 1989, 203 ; ou une idole, selon S. GOODHART 1985, 53. 37 Pour P. TRIBLE 1996, 308.

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aussi à noter que le ricin est finalement la seule chose qui, en séchant, meurt dans ce récit (v. 7)38. 6.3.2. Comparaison entre les épisodes extrêmes : Jon 1 et 4 La comparaison entre le début et la fin du livre permet de relever différents éléments intéressants. L’envoi de Jonas par YHWH a pour objectif « Ninive, la ville, la grande », formule qui fait l’inclusion du livre (1,1-3 et 4,10-11). Le récit s’ouvre et se ferme sur une parole de YHWH. Celui-ci ne vient-il pas recueillir le fruit de ce qu’il a semé ? Trois figures du récit sont présentes dans ces deux parties : YHWH, Jonas et Ninive. L’inclusion met en évidence non leur transformation mais la modification de leurs rapports39. La reprise, en 4,2, de l’interjection « ah » (1,14) est significative de l’évolution de la relation entre l’interpellant – les hommes plein de déférence contrastant ironiquement avec Jonas toujours centré sur lui-même – et YHWH40. On notera aussi que le comportement suicidaire de Jonas n’apparaît que dans ces deux épisodes (1,12 ; 4,3.8b.9b). Quelques contrastes sont à relever en raison de l’usage d’un vocabulaire commun. Premièrement, il est question plusieurs fois, en Jon 1, de lever ou d’être porté, alors qu’en Jon 4, Jonas s’assoit par deux fois (v. 5). Deuxièmement, si le mal des Ninivites « est monté » (1,2), c’est le ricin bienfaisant pour Jonas qui « monte » (4,6), puis c’est l’aurore (4,7). Troisièmement, le savoir est acquis aux hommes (1,10, faisant suite à 1,7) et à Jonas (1,12) mais les humains, eux, ne savent pas (4,11). Enfin, Jonas considère comme bon ce que YHWH a fait (1,14) mais il estime bonne également sa propre mort (4,3.8). À cela s’ajoute un jeu de consonances particulièrement suggestif. On le découvre avec beaucoup de subtilités dès le début du récit, à travers les trois mots suivants : « Jonas », « Ninive » et « embarcation ». En effet, le nom de la ville de Ninive contient toutes les consonnes (n-y-n-w-h) présentes dans le nom de Jonas (y-w-n-h). Or, celui-ci ne choisit pas d’aller vers Ninive mais d’aller vers Tarsis en prenant l’embarcation dont le nom hébreu (’onîyâh) fait écho à celui de Jonas (yônâh), en en permutant consonnes et voyelles41. Ainsi, même 38 Jonas est d’ailleurs un des rares livres bibliques où le sang n’est pas versé ! Mt 23,35 : « [….] depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie […] ». 39 Une autre inclusion, moins visible, peut se trouver dans le terme « fils » en 1,1 et 4,10. 40 M.K.Y.H. HOM 2004, 103. 41 J.-P. SONNET 2016b, 545.

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en choisissant la destination opposée, Jonas n’échappe pas à lui-même en quelque sorte, étant donné que son nom lui est rappelé autant s’il allait vers l’est qu’en se rendant vers l’ouest ! Mais ce n’est pas tout. La relation entre les deux épisodes permet de renforcer un autre jeu de consonance, celui avec le ricin (qîqâyôn) qui avait été mandé par YHWH (4,6). Jonas n’est-il pas rappelé à lui-même par l’évocation de cet élément végétal qui, à l’autre bout du récit, fait également écho à son nom ? Tout comme à l’ouest Dieu lança un grand vent qui eut pour conséquence de mettre en péril l’embarcation (’onîyâh en 1,4), il mande à présent un vent d’est brûlant sur la tête de Jonas (yônâh en 4,8), cela après la disparition du qîqâyôn (4,7). En conséquence, le jeu de consonance à travers ces différents mots, de part et d’autre du récit, rappelle à Jonas non seulement ses choix mais aussi à quel Dieu il a affaire. Après avoir repris les principaux contacts structurels, attardons-nous sur la relation subtile entre la fuite de Jonas (1,3) et sa justification par celui-ci (4,2)42. On se situe ici au niveau narratif 43. Peut-être le lecteur avait-il éprouvé une profonde compréhension pour Jonas au début de l’intrigue : quoi de plus normal en effet que de redouter d’avoir à mettre en œuvre la justice de Dieu dans une ville qui caractérise au plus haut point le mal. Jonas n’avait-il pas raison de refuser de répondre à cet appel suicidaire ? Et pourtant, à lire la justification de Jonas, bien plus loin dans le récit, quasiment à la fin, le lecteur se rend compte que, s’il a gardé malgré tout cette empathie pour Jonas, il s’est laissé berner par le narrateur qui lui a tendu un piège, cela dès le début. Le lecteur est pris à contre-pied ! En effet, en entendant la confession de Jonas, il est obligé de repenser toute l’affaire44. Au niveau théologique, Jonas est accroché, au début comme à la fin, au concept de la justice distributive de Dieu45. En demandant d’être jeté par-dessus bord (1,12), il tend à montrer à YHWH ce que la justice signifie : il a fui son appel, il a été désobéissant, il a été retrouvé, donc il doit mourir. À la fin, comme on l’a vu, Ninive n’a pas été détruite comme Jonas l’attendait mais renversée comme YHWH l’avait plus 42 La formule avec la désinence directionnelle tareshîshâh en 4,2 rappelle celle mentionnant la fuite de Jonas en 1,3 (par deux fois ; voir la correspondance dans la structure proposée de 1,1-3), contrairement à la simple mention du nom, tareshîsh, indiquant avec le verbe conjugué « venant » la destination du bateau, également en 1,3. 43 Pour une approche psychologique, voir S. LASINE 2016, 237-260 qui étudie les raisons pour lesquelles les lecteurs portent des jugements si différents sur le personnage de Jonas, celui-ci ne pouvant se conformer à aucun modèle psychologique. 44 J.-P. SONNET 2012, 147. 45 Voir J.H. COETZEE 2007, 320-332.

6. STRUCTURE DU LIVRE DE JONAS

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subtilement suggéré : le sort de Ninive ne correspond pas à la finalité souhaitée par Jonas, donc il doit mourir (4,3). De part et d’autre du récit, Jonas tire les conséquences qu’il estime logiques de son attitude en fonction de cette unique image du Dieu justicier, même s’il connaît très bien l’autre facette, à savoir l’image du Dieu miséricordieux (4,2)46. C’est bien la possibilité d’un revirement miséricordieux de la part de YHWH qui obnubilait Jonas ! Jonas pourtant n’ira pas jusqu’au suicide47 : dans le premier épisode, ce sont les hommes qui le portent afin qu’il soit jeté par-dessus bord (1,15) tandis qu’il demande à YHWH, dans le dernier épisode, de prendre son souffle (4,3). Autrement dit, Jonas veut aller jusqu’au bout de ses convictions, garder le contrôle mais, en cherchant à rendre l’autre coupable, il ne veut pas assumer lui-même les conséquences. Les hommes se prémunissent de cette culpabilité (1,14) et YHWH, envoie un agent pour sauver son messager ; par sa question en finale (4,11), YHWH persévère à briser la logique enfermante de Jonas qui ne répond pas, à croire que le seul agent dont YHWH dispose encore, c’est le lecteur lui-même. 6.4. LES

NOMS DIVINS

Jonas peut-il être considéré comme le livre du problème du nom de Dieu et de ses attributs48 ? Cette question n’est pas neuve49 et on ne s’attardera pas ici sur l’histoire complexe de cette recherche. Le personnage divin est en effet caractérisé dans le livre de cinq façon différente : « YHWH » (présent dans les quatre épisodes ; absent en 3,5-10) ; « mon / ton / son Dieu » (avec un déterminant possessif à la première, deuxième ou troisième personne du singulier ; absent du deuxième acte) ; « le 46 J.-P. SONNET 2016b, 547 : « […] tout au long du récit, Jonas est celui qui prend YHWH à contretemps, se révélant réfractaire à une synchronisation avec Dieu dans l’exercice de sa justice et de sa miséricorde ». 47 Comme c’est le cas, dans l’Ancien Testament, pour Saül et son écuyer (1 S 31,45), Ahitophel (2 S 17,23) et Zimri (1 R 16,18). 48 La question posée ici est une affirmation dans P.R. SCALABRINI, G. FACCHINETTI 1992, 76. 49 Comme le démontre le status quaestionis élaboré par M. MULZER 2002, 52-58. Pour cela, l’auteur fait une triple distinction très intéressante, en commentant tout d’abord les hypothèses diachroniques de la critique littéraire, puis les hypothèses synchroniques qui attribuent le choix des différentes nominations de Dieu aux associations sémantiques et enfin les explications structurales. S’il est inutile de reprendre ici ce travail impressionnant, on rappellera ces trois autres recherches prolongeant cette étude : C. LICHTERT 2003b, 247-251 ; J. JEREMIAS 2007, 104-105 ; W. BÜHRER 2015b, 65-78.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

Dieu » (absent du deuxième épisode) ; « Dieu » (sans adjonction, absent du premier acte) ; « YHWH-Dieu » (absent du troisième épisode). Aucun épisode, ni acte d’ailleurs, ne possède à lui seul les cinq dénominations. Aucune des dénominations n’est réservée à un unique acteur du récit et seul le narrateur utilise les cinq formes. Il semble néanmoins possible de mettre en évidence le lien plus étroit entre les dirigeants étrangers (le chef d’équipage en 1,6 ; le roi et ses grands en 3,6-9) qui ne reconnaissent pas explicitement YHWH, en se rejoignant sur le terme « le Dieu » (1,6 ; 3,9). L’analyse des correspondances entre les différents éléments du texte n’a pas fait ressortir l’idée que la structure pouvait avoir une implication sur les dénominations de Dieu. Les discours directs de la narration peuvent-ils éclairer celles-ci ? Ricœur écrit : « La nomination de Dieu est […] d’abord une nomination narrative »50. Dans cette ligne, la problématique des noms de Dieu pourrait mieux s’éclairer en prenant en compte l’évolution narrative ainsi que les interlocutions qui inscrivent le nom dans des paroles entre les humains et Dieu, entre Dieu et les humains. Mulzer partage cette intuition en écrivant : « Les dénominations de Dieu dans le livre de Jonas se rapportent avant tout au contexte narratif respectif »51. Une reprise, esquissée par Mulzer, s’avère donc nécessaire. Afin de suivre plus aisément l’exposé, voici un schéma présentant les différentes dénominations, en fonction des épisodes et des personnages qui les utilisent : Jon 1

Jon 2

Jon 3

Jon 4

narrateur – marins – Jonas

narrateur – Jonas

narrateur – Ninivites

narrateur – Jonas









v. 1-3a : YHWH v. 3b-5 : Dieu v. 8 : Dieu v. 9 : le Dieu v. 10 : le Dieu

v. 2a : YHWH v. 2a: YHWH v. 2b : Di(eu) v. 3 : YHWH v. 4: YHWH v. 6 : YHWH Dieu v. 7 : le Dieu v. 8-9 : Dieu v. 10 : YHWH

v. 1-4 : YHWH v. 1 : YHWH v. 5 : son Dieu v. 2 : YHWH son Dieu v. 6a : ton Dieu v. 3 : YHWH v. 6b : le Dieu v. 7b : YHWH mon Dieu v. 9 : YHWH (le) Dieu v. 8-10 : YHWH v. 10 : YHWH v. 11 : YHWH v. 14a : YHWH v. 14b : YHWH v. 16 : YHWH

P. RICŒUR 1977, 497. « Die Gottesbezeichnungen im Jonabuch richten sich zunächst nach dem jeweiligen Erzählkontext [...] » dans M. MULZER 2002, 52. 50 51

6. STRUCTURE DU LIVRE DE JONAS

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En Jon 1, « YHWH » est le Dieu de l’Hébreu et « Dieu » est mis en connexion avec les non-Israélites. Le passage est progressif entre « YHWH » (v. 1-4), « Dieu » (avec le déterminant possessif, ensuite avec l’article défini ; v. 5-6), puis à nouveau « YHWH » (reconnaissance des marins ; v. 9-16). La profession de foi de Jonas qui réunit les deux noms (« YHWH le Dieu [du ciel] » ; v. 9) éclaire cette transition. En Jon 2, le narrateur et Jonas utilisent exclusivement cette même terminologie : « YHWH » et « Dieu » (avec le déterminant possessif). En effet, Jonas reprend la dénomination utilisée par le narrateur (« YHWH son Dieu » ; v. 2) au moment où YHWH redevient le Dieu de Jonas (« YHWH mon Dieu » ; v. 7) en lui rendant la vie. Ce rappel évoque celui du chef d’équipage (« ton dieu » ; 1,6) reprenant la terminologie utilisée par les marins (« son dieu » ; 1,5). Ce type de reprise et, dès lors, la relation à Dieu décrite avec le déterminant possessif disparaît au deuxième acte. En Jon 3, « YHWH » est le Dieu de l’Hébreu et « Dieu » est mis en connexion avec les non-Israélites, comme c’était le cas dans le premier épisode. « YHWH » est uniquement présent avec Jonas, au début de ce troisième épisode (v. 1-3a). Et de même que le premier épisode avait révélé une progression claire dans la conception qu’avaient les hommes du divin, de même, dans la suite du troisième épisode, une évolution se perçoit. Dans un premier temps, Ninive, puis les hommes de Ninive sont mis en relation avec « Dieu » (sans l’article défini ; v. 3b-8). À partir de la reprise personnelle du roi, il sera question de « le Dieu » (avec l’article défini ; v. 9-10). Le narrateur suit également cette dénomination. Ainsi, les Ninivites rejoignent le type de relation atteint par les marins, eux qui ont pu encore progresser dans leur relation à « le Dieu » en le nommant « YHWH », ceci grâce à la profession de foi de Jonas. Cette progression finale, les Ninivites n’ont pas pu la mettre en œuvre, le nom de YHWH ne leur ayant été révélé ni dans une profession de foi (comme en 1,9) ni dans un message (3,4b)52 ! En Jon 4, la variation des dénominations est plus complexe, d’autant qu’elle se situe dans une relation unique de YHWH / (le) Dieu à Jonas. Si la relation personnelle mise en évidence dans le premier acte a disparu (« mon / ton / son Dieu »), Jonas poursuit la relation avec « YHWH » (v. 2a), là où elle en était restée en 3,3. Mais Jonas ajoute à cette 52 Pour rappel, la dénomination « YHWH-Dieu » est présente dans chacun des épisodes, hormis le troisième.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

dernière dénomination celle qui fait partie de la formule traditionnelle citée : « Dieu » (’el ; v. 2b). Pourtant la relation avec « YHWH » se maintient (v. 3-4). Comme la double dénomination divine « YHWHDieu » a marqué le basculement des premier et deuxième épisodes, celle de 4,6 fait de même pour le quatrième. « Le Dieu », qui caractérise une relation nouvelle au divin mais non aboutie en YHWH, prend le relais (v.7), avant que « Dieu », qui caractérise dans le deuxième acte la première perception qu’avaient les Ninivites, ne revienne à son tour (v.8-9). Ainsi, le parcours du quatrième chapitre mène Jonas, au fil d’une communication qui s’étiole, d’une relation à YHWH à une relation à Dieu. Enfin, une ouverture fragile s’annonce : c’est YHWH (v. 10) qui a le dernier mot, comme pour signifier que cette reconnaissance telle que l’ont vécue les hommes (1,14-16) et, précédemment, Jonas lui-même (2,3-10) est toujours possible ! En résumé, les hommes (Jon 1) découvrent progressivement YHWH reconnu d’une manière plénière, grâce à la profession de foi de Jonas (« YHWH le Dieu »). Par la prière (Jon 2), celui-ci maintient sa relation à YHWH et ce dialogue s’approfondit par la redécouverte de celui qui donne la vie, YHWH […] Dieu. Les Ninivites (Jon 3) découvrent progressivement le Dieu, sans reconnaissance plénière de YHWH, vu l’absence, dans cet épisode, du double nom divin. Enfin, après avoir poursuivi la relation avec YHWH (Jon 4), Jonas rompt le dialogue et progressivement, « YHWH Dieu » se dépersonnalise en « le Dieu », puis en « Dieu ». Ainsi, le double nom divin est le terme qui souligne narrativement le basculement de la relation : positif (Jon 1 – 2) ou négatif (Jon 4). L’acte même de la nomination de Dieu s’inscrit donc dans la trame du récit et dans l’interaction des personnages. Autrement dit, elle n’est ni coupée du contexte ni rendue par un seul personnage : à l’exception de Dieu lui-même, tous les personnages du récit – le narrateur, Jonas, les marins et les Ninivites – nomment le divin. Jonas chemine le long du récit au fil de ces nominations qui disent en quoi sa relation aux autres est ajustée ou non. 6.5. COMPOSITION DU

LIVRE

En reprenant les éléments majeurs des comparaisons qui viennent d’être décrites, il est possible de créer un nouveau schéma très synthétique :

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6. STRUCTURE DU LIVRE DE JONAS

Première acte (Jon 1 – 2) Jon 1

Jon 2

intro. – ordre – réaction embarcation / mer marins et chef d’équipage revenir pour ne pas périr Jonas suicidaire geste cultuel

trois jours poisson mandé / mer

Deuxième acte (Jon 3 – 4) Jon 3

Jon 4

intro. – ordre – réaction trois jours ricin – ver – vent mandés Ninivites et roi revenir pour ne pas périr Jonas suicidaire

pas de dialogue prière pour la vie geste cultuel

pas de dialogue prière pour la mort geste cultuel (jeûne)

Chaque épisode comporte des éléments majeurs qui le mettent en correspondance avec un autre épisode. Le livre est ainsi marqué par le phénomène des répétitions et des parallélismes. Si ce tableau permet de visualiser rapidement les différentes connexions possibles entre les deux actes et entre les quatre épisodes, il ne rend pas compte de la structure globale. Il convient donc maintenant de rassembler les principales données engrangées par l’analyse de chaque épisode et acte afin de mieux cerner la structure possible de l’ensemble du livre. Hormis le retrait de 1,1-3, les quatre épisodes ont une structure concentrique, chacun possédant une dynamique propre. Isolée du reste du premier épisode, la scène formée de 1,1-3 est reprise et intégrée à présent dans la structure d’ensemble. En effet, la désobéissance de Jonas fait revoir tout le plan prévu par YHWH, inaugurant ainsi en 1,4 des épisodes imprévus initialement par ce dernier. Car tout le déroulement qui va de 1,4 à 2,11 est la conséquence du refus de Jonas d’aller à Ninive selon la parole divine. Ensuite, après que Jonas eut reconnu YHWH au cœur du péril qui le menaçait (Jon 2)53, l’action – imaginée par YHWH au début du livre – peut reprendre quasiment à l’identique (Jon 3,1). Ainsi, excepté la première partie (1,1-3), deux groupes de quatre parties composent le livre : 1er acte 2e acte

(1,1-3) 3,1-4

1,4-7 / 1,8-10 / 1,11-16 3,5-8a / 3,8bc-10

2,1-11 4,1-11

53 On constate avec étonnement que Jon 2 est, paradoxalement, le seul passage où n’est pas évoqué le « périr » de Jonas ; on retrouve en effet le terme en Jon 1,6.14 ; 3,9 ; 4,10.

78

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

S’il n’existe pas de parallélisme strict entre chaque partie, il est important de bien garder en mémoire celui qui fait correspondre les deux actes. Pour cela, il faut reprendre les deux introductions : cellesci forment une unité de lieu et une unité d’action. Dans le premier acte (Jon 1 – 2), le refus de l’ordre divin crée le récit imprévu ; dans le deuxième acte correspondant (Jon 3 – 4), l’ordre accepté entraîne la suite prévue. La mer et Ninive en sont les lieux respectifs. Les deux actes ont donc des déroulements parallèles. Premièrement, l’ordre divin est suivi de la réaction de Jonas (1,1-3 et 3,1-4). Deuxièmement, les autres acteurs interviennent en menant l’action : d’un côté, les marins idolâtres et leur chef (1,4-16), de l’autre, les Ninivites qualifiés de mauvais et leur roi (3,5-10). Ces deux groupes d’acteurs reconnaissent YHWH / (le) Dieu et se convertissent, à cause de Jonas mais aussi malgré lui. Troisièmement, Jonas est en prière avec YHWH Dieu (dernière partie : 2,1-11 et 4,1-11). La structure globale du livre est ainsi éclaircie. Pourtant, ne peut-on imaginer une autre inclusion au livre que celle proposée précédemment entre 1,1-3 et 4,10-11 ? Comme on l’a vu, la structure de Jon 4 suggère que l’ajout d’une dernière partie (après 4,11) équilibre mieux l’épisode, ce qui serait comme une réponse de Jonas à la question finale : Jonas, heureux, trouverait bien que le mal de Ninive ait disparu et que Dieu lui ait pardonné54. Si le début du livre commence par une partie se situant en retrait de l’épisode (1,1-3), ne peut-on suggérer une inclusion entre l’initiative avortée de YHWH (1,1-3) et cette réponse attendue de Jonas, proposant ainsi un parfait équilibre dans tout le livre ? C’est, en effet, une hypothèse que l’analyse de l’ensemble du livre peut suggérer. Et c’est probablement dans cette inclusion suggérée que s’interprète la filiation énigmatique du protagoniste : si Jonas répond en finale, il sera bien le fils de la Vérité (bèn ’amitay) ; si c’est le lecteur qui répond, celui-ci sera le premier à être associé à cette filiation.

54

Ceci, en cohérence d’une part avec 1,1-3 et, d’autre part, avec 4,1 et 4,6c.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS 7.1. QUEL TYPE D’INTERTEXTES ? L’exégèse classique n’a cessé d’affirmer que le livre de Jonas devait d’abord être considéré comme un ensemble de reprises et d’influences par rapport au reste du donné biblique. Les deux dernières décennies du XXe siècle firent alors bifurquer la question de la dépendance de Jon par rapport à d’autres textes bibliques vers son étude canonique en le situant au même niveau de lecture que les autres livres de l’Ancien Testament. L’approche intertextuelle demande d’ailleurs une rupture par rapport à différentes notions devenues classiques en exégèse. La première est celle de source : cette approche nouvelle ne montre plus aucune prétention à reconstruire un scénario de cause à effet reliant un texte source au texte qui s’en inspire. Une seconde notion s’est également déplacée : celle d’auteur, celui qui a la maîtrise totale de son œuvre. Lui est préférée l’idée de stratégie d’écriture. La lecture tente dès lors de dégager non seulement les intentions possibles de l’auteur mais surtout les significations qui n’étaient pas voulues mais que fait émerger le dialogue avec d’autres textes. La complicité entre le narrateur et le lecteur est ainsi mise en avant. La prise en compte du phénomène de l’intertextualité vient rompre la linéarité de la lecture, en faisant appel à d’autres textes présents à la mémoire du lecteur1. L’attention est portée sur la relation, entre deux ou plusieurs textes, par le biais de la citation, de la référence, de l’allusion ou du plagiat. Sous ce rapport, Jonas semble être un récit lié à d’autres écrits bibliques, par le biais de deux procédés : la parodie (qui transforme) et le pastiche (qui imite). Dans cette perspective, Jonas n’est pas placé en aval d’autres textes de l’Ancien Testament qu’il reprendrait, mais dans une relation dynamique avec ceux-ci. Parce qu’un texte en cache et en révèle toujours un autre.

1

L’exégèse qui en résulte a été qualifiée de responsible exegesis ; voir pour cela K. NIELSEN 2000, 31.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

Le récit tout entier est construit comme un ensemble de scènes qui parodient ou pastichent des scénarios attestés dans d’autres textes (évoqués ci-dessous entre parenthèses). Voici déjà présentés divers éléments en contraste avec des situations décrites en Jonas. Il seront repris plus loin, dans la mesure où ils s’intègrent à une structure littéraire ou à une narration comparable à celle du récit de Jonas, devenant dès lors pour celui-ci des intertextes, c’est-à-dire le texte qui permet au récit étudié d’entrer en réseau avec le reste des Écritures. Dans la première scène (1,1-3), le narrateur évoque les réticences du prophète à l’appel de YHWH (Ex 4,10 ; Jg 6,15 ; Is 6,5 ; Jr 1,6) et sa fuite (Am 9,1-4 ; Ps 139,7-12 ; 1 R 19)2 « loin de devant YHWH » (1 R 18,15 ; 22,21 ; Jr 15,19 ; 18,20). Dans la deuxième scène (1,416), les marins font face à la tempête (Ps 107 ; Is 44,15-17). Dans la suite, la prière prononcée par Jonas est bien à l’image de la prière d’Israël, non seulement par sa forme d’action de grâce individuelle bien attestée dans le Psautier, mais aussi par ses nombreuses allusions à divers psaumes. On notera en particulier la citation exacte du Ps 42,8b en 2,4b (« toutes tes vagues et tes flots sur moi passaient »), ainsi que cinq reprises, en 2,3a.4b.6a.8c, d’éléments des versets 5 à 7 du Ps 18, la prière d’un orant sauvé du danger des eaux : « M’avaient encerclé les liens de la mort (…) ; les liens du Shéol m’avaient entouré (…). Dans la détresse à moi, j’ai appelé YHWH, vers mon Dieu je crie ; il entend de son temple ma voix (…) ». On notera encore, par exemple, la quasi-citation de Ps 120,1 en 2,3 (« j’ai appelé de la détresse à moi vers YHWH et il m’a répondu) et du Ps 31,233 en 2,5a.3b (« Et moi, j’ai dit […] : “j’ai été chassé de devant tes yeux”, mais tu as entendu la voix de mon cri »), ou encore du Ps 116,17a.18a en 2,10 : « Pour toi, je sacrifierai un sacrifice de reconnaissance (…), mes vœux pour YHWH, je (les) accomplirai »4. On trouve encore en Jon 2 des expressions typiques des psaumes : « vers le temple de ta sainteté » (2,5.8, voir Ps 5,8 ; 138,2), « des eaux jusqu’à la gorge » (2,6, voir Ps 69,2), sauver « de la fosse ma vie » (2,7, voir Ps 103,4), « quand défaillait en moi » ma vie (2,8, voir Ps 142,4 et 143,4 et 107,5), « la prière vient devant/ vers toi » (2,8, voir Ps 88,3 et 102,2), « ceux qui gardent des fumées de néant » (2,9, voir Ps 31,7) et « le salut est à YHWH » (3,10, voir Ps 3,9). 2 Il s’agit de récits qui racontent des fuites impossibles ou aboutissant finalement à une rencontre avec YHWH. 3 Pour approfondir le lien entre Ps 31 et Jon 2, voir J.H. POTGIETER 2012, 115-126. 4 Voir aussi Ps 50,14, « Sacrifie pour Dieu une reconnaissance, accomplis pour le Très-Haut tes vœux », et 66,13, « J’accomplirai envers toi mes vœux ».

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

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Si l’action de grâce de Jonas n’est pas différente de celle d’Israël, ici, la prière s’applique littéralement à la situation de Jonas. Les paroles qu’il clame sont vraies à la lettre. Mais une autre particularité est à noter5 : les allusions plus ou moins explicites aux Psaumes cessent aux versets 6b-7a de Jon 2. « Tout se passe comme si, en descendant dans le Shéol, Jonas quittait le monde familier des psalmistes et franchissait une limite que nul n’[a] jamais dépassée » avant lui6. Ainsi donc, les nombreux liens entre la prière de Jonas et celle de son peuple – les Israélites sortis d’Égypte comme les psalmistes – ne témoignent pas seulement d’une conversion qui le fait adhérer à nouveau au credo d’Israël. Ils soulignent encore en creux que l’expérience du salut dont Jonas a bénéficié au cœur de la mer est proprement inédite puisque YHWH l’a tiré ni plus ni moins du royaume des morts, lui qui pourtant avait cent fois mérité le sort de Pharaon dont il s’est fait l’émule par son refus obstiné. Au début du second acte (3,4), le message succinct provoque un effet immédiat. On retrouve cette trame dans les relations entre différents prophètes et rois (p.ex. Moïse et Pharaon ; Michée et Akhab ; Isaïe et Manassé ; Jérémie et Sédécias), où la parole du prophète est transmise avec passion et où, par contre, vu le rejet du message, la punition annoncée survient. Quant à la fin du livre, le narrateur met en exergue les lamentations du prophète rejeté ou désespéré (Nb 11,1015 ; Jr 20,7-8 ; 1 R 19,4). Au vu d’un tel aperçu, une série de questions délicates se posent d’emblée : l’intertextualité suppose-t-elle la performance d’un lecteur savant ou est-elle une stratégie de signification propre à l’Écriture ? N’expose-t-elle pas au risque de surinterprétation ? Jusqu’où l’appel à d’autres textes est-il détectable ? Sans éviter complètement ces questions, la suite tentera de faire percevoir quelque chose des stratégies narratives visant à mettre en mouvement la mémoire du lecteur. En effet, en parcourant un texte, celui-ci peut avoir l’impression d’un déjà lu : cette intuition se transforme en une conviction que la structure littéraire des textes lus est comparable. Il en est ainsi non pas grâce à une performance mais grâce à la fréquentation des Écritures, autrement dit grâce à la mémoire du lecteur. De plus, vu le grand nombre d’intertextes possibles, il a fallu faire des choix. Hormis ceux proposés ci-dessous, il aurait été possible 5 6

À la suite de J. MAGONET 19832, 49-50. A. WENIN 1993, 44.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

d’approfondir, par exemple, les liens thématiques, rhétoriques ou narratifs entre Jon (en tout ou en partie) et ces autres extraits : Tb 6 (le poisson comme agent de salut) ; Est 3 (Mardochée et Esther)7 ; Is 28,122 (l’oracle sur Samarie) ; Jr 18 (Jérémie chez le potier)8 ; Jr 22 (les oracles sur différents rois) ; Jr 26 (le jugement de Jérémie)9 ; Lm 2 (la deuxième lamentation) ; Ez 26 – 27 (les complaintes sur Tyr)10 ; Ml11 ; Si (selon la théorie littéraire de Mikhaïl Bakhtine)12 ; et surtout le livre des Psaumes qui vient uniquement d’être effleuré. On se focalisera uniquement sur un type d’intertextes. En effet, on présentera ceux qui partagent avec Jonas des éléments communs au niveau de l’intrigue des scènes, au point qu’il est possible de comparer les récits ou morceaux de récit. On comprendra que cette approche est également basée sur les deux méthodes déjà exploitées, à savoir les analyses structurelle et narrative. Pour la plupart des intertextes, on ne fera cependant que rappeler le travail méthodique effectué dans d’autres publications, tout en suggérant une sorte de fil rouge interprétatif. Et à présent faisons encore davantage voyager Jonas, de part et d’autre de la Bible, en parcourant celle-ci au fil des pages, du livre de la Genèse à celui des Actes des apôtres. Cependant, à se lancer dans une telle entreprise, ne risque-t-on pas de réduire la lecture de Jonas à un effet de reprise (Gn) et d’influence (Lc – Ac) ? Non, car chaque récit sera placé au même niveau de lecture que celui auquel il est comparé. En effet, on ne s’intéresse pas au fonctionnement génétique, préférant envisager un jeu multiple d’échos, de similitudes et d’écarts. Si le caractère anthologique et midrashique de Jonas est reconnu à l’intérieur du canon biblique, c’est moins le cas pour ce qui concerne le caractère narratif et structurel de son intertextualité, auquel cette recherche s’attarde. 7 A. SEIDLER 2019, 117-134, tout en adoptant une lecture diachronique, non seulement compare les descriptions du jeûne et du deuil à Suse (Est 4) et à Ninive (Jon 3), mais démontre également les points de contact dans l’intrigue, le contenu et le langage des deux textes. Dans une perspective narrative cette fois-ci, A. SEIDLER 2020, 283-301, compare les confrontations entre, d’une part, Mardochée (Est 3) et Jonas (Jon 1) et, d’autre part, la figure collective (les serviteurs du roi et les marins). 8 Vu les contacts verbaux et la thématique commune entre Jon 3,5-10 et Jr 18,7-10, de nombreuses études affirment que le texte de Jr est à l’arrière-plan de la scène de Jonas. 9 B. ROSSI 2019, 127-138. 10 L’analyse historico-critique s’est largement penchée sur les nombreux contacts littéraires entre Jon 1 et Ez 27,25-30 qu’elle considère comme sa source principale. Le troisième récit de naufrage dans l’Ancien Testament se trouve en Ps 107,23-32 ; à ce sujet, voir le développement de T. FORTI 2011, 368-370. 11 C.L. MULDOON 2010, §3. 12 M.E. MILLS 2014, 71-83.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

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Il s’agira donc ici de tenter de faire percevoir quelque chose des stratégies littéraires visant à mettre en mouvement la mémoire du lecteur. 7.2. DANS LES RÉCITS DE LA GENÈSE (GN 1 – 11 ; 18 – 20)13 L’épisode de Caïn et Abel en Gn 4 est celui qui retient probablement davantage l’attention pour évoquer les contacts littéraires entre le livre de la Genèse et celui de Jonas. Cependant, il ne faut pas négliger les épisodes qui l’entourent et d’abord le double récit de création (Gn 1,1 – 2,4a et 2,4b – 3,24) dont la structure littéraire, renforcée par le repère temporel des sept jours, est comparable à celle des deux actes de Jonas Jon 1-2 et 3-4). Jon 1 – 4

Gn 1,1 – 2,4a

1 – 2 Trois jours dans les entrailles du 1,1-13 Trois premiers jours de la poisson (2,2) création ; « jour un » (v. 5) 3 – 4 Trois jours pour traverser Ninive 1,14-31 Trois derniers jours de la création (3,3) ; « jour un » (3,4) « Le lendemain » (4,7) ; fin du 2,1-4a Dieu achève la création au dialogue entre YHWH et Jonas septième jour

À cela s’ajoute l’alternance des noms divins dans chaque récit, qui est symptomatique d’une façon différente de voir Dieu, ramené à celui qui interdit et donc qui est perçu comme un adversaire, un rival. Le lien littéraire le plus net concerne justement la figure divine (Jon 1,9 et Gn 1,1.7-10). Parmi les contacts verbaux importants, on retiendra aussi le vent (qui agite en tempête les eaux de l’abîme, Dieu libérant avec Jonas cet élément du chaos), la torpeur (Gn 2,21 et Jon 1,5-6) et la question fatidique « Qu’as-tu fait ? » (Gn 3,13 et Jon 1,10) qui met en évidence la faute et provoque l’aveu des personnages incriminés. Le premier acte de Jonas, après avoir entendu la parole divine, est de se lever et de fuir. Il le fait de sa propre initiative, contrant l’ordre de YHWH. Mais son refus le conduit à affronter, malgré lui, les éléments du chaos primitif maîtrisés par la parole divine au début de Gn 1. Jonas 13 L’étude compète a été publiée dans C. LICHTERT 2017a, 16-39. On lira également l’apport suggestif de F. DE HAES 2012, 177-179 qui prolonge A. KAMP 2002. Voir aussi Y. BERGER 2016 ; D. SCIALABBA 2019, 139-140 ; M. KELSEY 2020, 129133.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

doit traverser ces éléments qui semblent avoir été en partie libérés par YHWH, afin qu’il puisse prendre conscience de ce qui donne vie et mort. Non seulement Jonas n’exerce aucune maîtrise sur le milieu naturel mais il en est de même, dans la suite, par rapport au monde animal (le poisson, le ver) et végétal (le ricin)14. En effet, à l’inverse de l’ordre établi par le créateur, c’est la nature qui semble ici figurer la maîtrise de Dieu voulant faire la leçon au prophète. En comparaison avec Gn 3, Jonas semble écouter son serpent intérieur. Il agit comme s’il était le seul maître du bien et du mal. Pensant fuir YHWH et l’humain, il se fuit lui-même, en refusant tout vis-à-vis, en s’enfermant sur lui-même et sur son mal. L’épisode suivant en Gn 4,1-16 offre une similarité au niveau de la trame narrative avec Jon 4. Une comparaison rapide des deux récits permet en effet d’affirmer que Jonas semble adopter l’attitude de Caïn. Jon 4 (3,10) v. 1 v. 2 v. 6 v. 4.9a

14

YHWH choisit de ne pas faire de mal à Ninive sentiment d’injustice chez Jonas incapacité de Jonas de se réjouir pour autrui (Ninivites) YHWH parle à Jonas de sa colère, mais il ne répond pas « est-ce bien que cela enflamme pour toi ? »

Gn 4,1-16 v. 4

YHWH choisit l’offrande d’Abel

v. 5 v. 5

sentiment d’injustice chez Caïn incapacité de Caïn de se réjouir pour autrui (Abel) YHWH parle à Caïn de sa colère, mais il ne répond pas « pourquoi cela enflamme-t-il pour toi ? »

v. 6 v. 6

Pour une approche écologique des figures non humaines du livre de Jonas, voir A. IZUCHUKWU ABASILI 2017, 236-253. Pour l’auteur, l’accent mis sur le rôle des créatures non humaines, outre qu’il souligne le travail en commun de tous les membres de la création, accentue le caractère indispensable de ceux-ci pour la survie et la subsistance de l’être humain. L’attitude de YHWH envers les créatures révèle sa préoccupation envers tous les aspects de la nature : chaque partie du cosmos est précieuse en soi. Inversement, Jonas a une attitude d’exploitation qui est contraire à celle de YHWH. En effet, Jonas jouit des bienfaits de la création mais ne se soucie pas vraiment de leur bien-être. En ce sens, Jonas incarne l’attitude dominante d’exploitation humaine envers d’autres créatures, qui est la cause et la racine des crises écologiques actuelles. Dans le prolongement, voir les récentes lectures écologiques proposées par S.W. VAN HEERDEN 2017, 459-477 ; C.J. REDELINGHUYS 2019, 821-845 ; J. HAVEA 2020. Plus fondamentalement, pour S.W. VAN HEERDEN 2014, 114-134, la préoccupation centrale de l’herméneutique biblique écologique est de surmonter l’anthropocentrisme des interprétations des textes bibliques dont la conséquence est la distance entre l’humain et les autres vivants, aussi l’auteur se demande-t-il si les interprétations écologiques actuelles du livre de Jonas ont réussi à traiter cette impression d’éloignement.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

Jon 4 v. 9b

Jonas agit selon ce qu’il estime être bien v. 9b Jonas répond v. 9b Jonas laisse le mal dominer (isolement) v. 9b répétition de paroles par Jonas v. 9b conséquence chez Jonas : la mort (violence contre lui-même) v. 10-11 YHWH répond --pas de reprise du dialogue

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Gn 4,1-16 v. 7

YHWH indique à Caïn un double chemin (agir bien) v. 8 Caïn ne répond pas v. 8 Caïn laisse le mal dominer (isolement) v. 8b absence de parole de Caïn v. 8b conséquence chez Caïn : la mort (violence contre autrui) v. 10-12 YHWH répond v. 13-16 reprise du dialogue entre YHWH et Caïn

Au vu des correspondances, la destinée de Jonas semble en effet parallèle à celle de Caïn. C’est l’action de YHWH qui détermine l’attitude adoptée par Jonas et Caïn qui laissent le mal dominer. Ils s’isolent également, se retirant dans leur propre mal, pour ainsi dire. Dans les deux récits, YHWH se montre désireux de maintenir le dialogue. Le tableau permet de mettre en relief les nombreuses similitudes et contradictions dans les attitudes et réactions des deux personnages. À l’image de Caïn, Jonas se détourne du chemin proposé par YHWH qui, miséricordieux, ne désire pas que l’humain se replie sur la violence qu’il produit, que ce soit contre l’autre ou contre lui-même. Si Jonas rappelle la figure de Caïn, il renverse plutôt celle de Noé (Gn 6 – 9). Précisons d’abord qu’avec Jonas, trois autres personnages bibliques ont un rapport étroit avec l’eau de la mer : Noé, Moïse et Paul. Comme nous le verrons, les trois sont concernés par l’intertextualité narrative avec notre héros. En suivant l’intrigue de Jonas, voici les points de comparaison majeurs avec le récit de Noé. Jon 1,4-16 Menace des éléments naturels (tempête) Jonas dans l’embarcation 2,6 Jonas entouré par l’abîme 2,8 Jonas se souvient de YHWH 2,11 Jonas sur la terre sèche 3,1 Second appel pour Jonas selon la parole de YHWH

Gn 6,5 – 10,32 6,17 7 7,11 8,1 8,14 8,15

Menace des eaux Noé dans l’arche Ouverture de l’abîme Dieu se souvient de Noé La terre est asséchée Nouveau départ pour Noé selon la parole de Dieu

C’est à la logique du mal à laquelle Jonas et Noé ont affaire, que ce soit à propos de la destruction de Ninive, attendue par Jonas, ou au déluge.

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LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

Le lien littéraire le plus clair, non repris dans le tableau ci-dessus, concerne la figure de YHWH en Jon 3,10 et Gn 6,5-6 : si, à chaque fois, Dieu se repent, c’est pour sauver (de deux manières différentes). On ne peut manquer le rapprochement avec la colombe (yônâh), la messagère de Noé (Gn 8,8-12) puisque Jonas porte le nom de l’animal : la colombe de la Genèse est la messagère du retournement (Gn 8,11) des eaux tandis que Jonas est le messager du retournement (Jon 3,10) de Ninive. En résumé, les situations similaires entre les deux récits sont présentées de manière contrastée : Jonas prend l’initiative de désobéir à l’ordre divin, ce qui le conduit à subir les eaux de la mer où il risque la mort, tandis que Noé, après avoir obéi à la parole divine, doit attendre au milieu des eaux que Dieu se souvienne de lui ; protégés des eaux (par le poisson, par l’arche), chacun vit ensuite un recommencement sur la terre ferme. Jonas refuse le sort réservé finalement par YHWH aux Ninivites : pour Jonas, ceux-ci, caractérisés par leur mal (Jon 1,2), auraient dû subir le sort mortel des humains pareillement décrits par le déluge (Gn 6,5). Il aurait pu s’attendre à être le seul sauvé, à l’image de Noé et de ses proches. Or, c’est lui qui est atteint par le mal, alors que les Ninivites sont sauvés15. Plus loin, le récit de Babel (Gn 11,1-9) permet d’associer les empires mésopotamiens rivaux que sont Babylone et Ninive, qui ont opprimé Israël tour à tour. Mais le rapprochement est plus littéraire qu’historique, reliant les figures contrastées des habitants de Babel (qui régressent en ânonnant et en soliloquant) et des marins (qui s’ouvrent à la diversité en dialoguant), avec Jonas qui, dans la comparaison, tient le rôle de vis-à-vis (Gn 11,3 et Jon 1,7a). À Babel, le seul vis-à-vis qui reste, c’est Dieu lui-même (Gn 11,5a comparé à Jon 4,5), préoccupé par les questions d’altérité, de diversité, de relation à la création, comme c’est le cas en Jon 4. La suite du récit de la Genèse offre encore un rapprochement suggestif, entre les villes de Sodome et Gomorrhe (Gn 18,20-21) et celle de Ninive (Jon 1,2). Chacune de ces cités païennes voit son sort scellé par Dieu (le verbe hâpak, « détruire / retourner », se retrouvant de part et d’autre). À travers l’enjeu concernant ces villes, c’est le contraste ironique entre les personnages de Jonas et d’Abraham que l’intertextualité tend ici à souligner. Abraham sait que YHWH est un Dieu de justice Pour approfondir le lien entre Noé et Jonas, voir S.T. KEITER, 2012, 261-264 et K. PETERS, 2018, 157-165. 15

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

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mais il lui rappelle la nécessité de la miséricorde (Gn 18,25) ; Jonas sait que YHWH est un Dieu de miséricorde (Jon 4,2) mais il attendrait de lui qu’il soit un Dieu de justice16 ! L’analyse comparative se prolonge encore plus loin, selon une toute autre logique. En Gn 20, c’est Abraham qui est dans son tort et le roi Abimélèk l’interpelle avec raison. L’attitude de ce dernier fait penser à celle du chef d’équipage (Jon 1,6) qui interpelle Jonas par des questions comme celles que pose un supérieur à un inférieur. Le motif de Gn 20 est d’ailleurs le même qu’en Jon 1,10 : la crainte de Dieu (Gn 20,8), comme on l’a analysé plus haut. La logique est ici assez particulière car il faut bien noter que c’est dans ce chapitre qu’Abraham est dit prophète (Gn 20,7), titre dont Jonas est dépourvu tout au long de l’intrigue qui le concerne. 7.3. LA TRAVERSÉE DE LA MER ET L’ACTION DE GRÂCE (EX 14 – 15)17 Ex 14 raconte le moment crucial de tout le récit de la libération du groupe des esclaves hébreux : le passage de la mer des Joncs par les fils d’Israël guidés par Moïse hors de la terre de leur esclavage. Bien que l’action de YHWH soit déterminante, les acteurs humains restent autonomes et leurs réactions demeurent imprévisibles18, comme c’est le cas pour le récit de Jonas. Les contacts entre ce passage crucial du livre de l’Exode et le premier acte de Jonas ne sont pas très nombreux mais ils concernent des éléments essentiels des deux récits et sont sans doute dès lors significatifs. Le plus révélateur touche à la transformation que vivent les personnages qui bénéficient d’une intervention libératrice de Dieu. Ce processus est enregistré de part et d’autre par un jeu de sens sur le verbe yr’ (« craindre ») qui, comme on l’a vu, peut servir à désigner à la fois la peur panique et la crainte de Dieu19. En rapprochant les deux récits sur la base de cette première observation, on sera sans doute frappé du renversement qui s’opère de l’un à l’autre. En Ex 14, ce sont les Israélites qui, une fois sauvés, sont dans la crainte de Dieu, tandis que leurs ennemis égyptiens, Pharaon en tête, Pour poursuivre, voir T.A. PERRY 2012b, 43-52. L’étude compète a été publiée dans C. LICHTERT, A. WENIN 2010, 28-33 ; voir aussi M. KELSEY 2020, 133-136. 18 Pour approfondir, lire A. WENIN 2018. 19 Comme le précise A. WENIN 2018, 37, le peuple d’Israël comme les marins (Jon 1) et Jonas (Jon 2) passent de la peur panique (première prière de lamentation pour Jonas) à la crainte révérencielle (deuxième prière d’action de grâce pour Jonas). 16

17

88

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

périssent dans la mer. En Jon 1, en revanche, ce sont des marins idolâtres qui, sauvés par YHWH, en viennent à craindre le Dieu d’Israël, tandis que l’Hébreu Jonas connaît le sort de Pharaon. Jonas rejoint ce dernier en ce qu’il fait figure d’opposant à YHWH qui doit déployer sa puissance pour lui faire obstacle. On peut dire ainsi que, comme Pharaon, Jonas fait son propre malheur, n’hésitant pas à se jeter dans les bras de la mort plutôt que de se rendre au vouloir de YHWH. Au niveau de la construction du personnage, un tel rapprochement est éloquent car il souligne la contradiction dans laquelle Jonas s’enlise dans ce premier épisode du récit : tout en confessant sa foi en YHWH qui sauve Israël de la mort, il adopte aussi obstinément que délibérément le comportement de l’ennemi de ce Dieu qu’il dit craindre, préférant finir dans les profondeurs de la mer et laisser à des adorateurs d’autres dieux le soin de faire l’expérience de la force de salut du Dieu d’Israël. La prière de Jon 2,3-10 est, on l’a vu, le prolongement naturel de l’épisode qui précède : le grand poisson envoyé par YHWH sauve Jonas en le ramenant sur le rivage (v. 1 et 11). D’où la prière d’action de grâce, une prière qui contient le récit du péril encouru et du salut reçu, comme c’est de règle dans la louange d’Israël. Cela dit, on notera que la séquence récit / chant, que l’on trouve en Jon 1 – 2 est analogue à ce qu’on lit en Ex 14 – 15 où le cantique de Moïse et des fils d’Israël suit le récit de la libération. La reprise en Jon 2 d’un vocabulaire typique qu’on lit également en Ex 15 confirme cette observation, tout en soulignant le renversement qui s’opère. Car si, dans le chant de la Mer (Ex 15), ce sont les sauvés qui célèbrent leur libération, en Jon 2, c’est celui dont l’aventure s’est terminée dans la mer qui chante l’action de grâce pour le salut qu’il a finalement demandé et obtenu. Bref, Jonas s’est enfin décidé à se retourner (2,5.8), et Dieu lui a donné de faire à son tour l’expérience d’être sauvé de la mort (Jon 2,10b) à l’instar des Israélites en Ex 1420.

20 On pourrait encore poursuivre le rapprochement entre le second acte de Jonas (après Jon 2) et la suite du parcours du peuple d’Israël (après Ex 15) : alors que celui-ci se dirige pendant quarante ans (Ex 16,35) vers la terre promise, Jonas s’apprête à aller dans la ville païenne de Ninive où le chiffre quarante leur est annoncé ; si leur parcours mutuel révèle plein de contrastes, il les amène à rencontrer YHWH dans un lieu aride, « le Dieu de pitié et de grâce, lent à la colère et abondant d’amour […] » (Ex 34,6-7, en comparaison avec Jon 4,2b). Pour prolonger, voir J.-P. SONNET 2012, 137-156 ; C. LICHTERT 2016, 139-142 ; E. SANZ GIMENEZ-RICO 2017, 51-76.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

7.4. LE

PERSONNAGE DE

NOÉMI

DANS LE LIVRE DE

89

RUTH

Le personnage de Jonas est également éclairé par ceux mis en scène dans le livre de Ruth21, principalement aux premiers chapitres de chaque livre. On se permettra ici de développer davantage le propos étant donné que l’analyse comparative n’a pas été publiée. Une lecture rapide tend à considérer les deux livres comme se rattachant l’un et l’autre au courant universaliste, mais selon les attitudes contrastées de leur protagoniste : la position d’ouverture de Ruth et celle de fermeture de Jonas. Le développement qui suit prendra un autre point de vue, en accentuant le rapprochement, plus riche, entre Jonas et Noémi qui peut être considérée par le lecteur comme la protagoniste du récit, plutôt que Ruth. En effet, la comparaison des récits permet de repérer une similitude entre le parcours de Noémi et celui de Jonas. De part et d’autre, le lecteur est surpris et même trompé quant à ce qu’il est en droit d’attendre du protagoniste. Du point de vue de la longueur et du caractère littéraire, Jon ne diffère pas tellement de Rt. Les deux livres sont divisés en deux actes (Rt 1 – 2 et 3 – 4 ; Jon 1 – 2 et 3 – 4) formés par une unité de temps et de lieu et composés chacun de deux épisodes. Mais il ne faut pas forcer le parallélisme entre les deux récits. Ainsi, par exemple, en Jon, la narration se construit par l’action et les dialogues, alors qu’en Rt, elle l’est plutôt par les seuls dialogues. De même, si le tempo de l’action est rapide en Jon, il est assez régulier et plutôt lent en Rt. Cela dit, voici exposé schématiquement le parallélisme entre les narrations du texte et de l’intertexte. Rt

Jon

souffrance de Noémi : sans enfant Noémi fuit le mal (la mort de proches) pour Moab 1,8-17 dialogue avec ses belles-filles 1,6-12 dialogue avec les marins (païennes) (païens) 1,16-17 Ruth lie son destin à Noémi 1,6-13 les marins lient leur destin à Jonas 1,22 Ruth revient vers Bethléem 1,13 les marins reviennent vers la terre ____________________________________ __________________________________ 1,3 1,3

1,5 souffrance de Jonas (voir 4,2) Jonas fuit le mal (Ninive) pour Tarsis 1,6

3,2-3 « va ! » ; « et il alla » 3,10 bienveillance de YHWH pour Ninive

2,2-3 3

« va ! » ; « et elle alla » bienveillance de Boaz pour Ruth

21 L’analyse de ce récit dépend en grande partie de la structure narrative proposée par A. WENIN 1998.

90

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

Ce tableau suggère trois types de comparaisons entre les différents personnages du récit : le parcours de Jonas serait lié à celui de Noémi, celui des marins à Ruth et enfin, dans une autre mesure, celui de YHWH à Boaz. Afin d’affiner cette intuition, reprenons à présent les parallélismes qui concernent principalement Jon 1 et Rt 1. C’est le problème des deux protagonistes qui déclenche l’action principale des récits : Noémi et Jonas fuient une situation perçue comme négative (la mort de proches ; la perspective de se rendre à Ninive). Le récit est marqué, en Rt, par le manque de Noémi, à savoir le malheur de rester sans enfant, et, en Jon, par les raisons obscures de la fuite de Jonas devant YHWH, fuite qu’il tente d’expliquer en 4,2. Mais ni pour l’un ni pour l’autre la fuite ne connaît une suite heureuse. Le malheur de Noémi et de Jonas semble les plonger tous deux dans la solitude bien qu’ils aient lié leur destinée à un étranger (les marins et les Moabites). Le retour vers la terre ferme pour Jonas et vers Bethléem pour Noémi change le destin des étrangers qui se sont attachés à eux : les marins, puis les Ninivites, d’une part, Ruth, d’autre part. Pour les protagonistes, néanmoins, l’ouverture à l’altérité ne les tire pas de leur profonde solitude. Si le narrateur de Rt centre le début du récit sur le mal de Noémi, celui de Jon fait de même pour Jonas à la fin de son récit. En effet, Rt 1,20-21 montre comment Noémi se recentre sur son malheur ; Jonas fait de même en Jon 4,8. Leurs discours, d’ailleurs, abondent en marques de première personne du singulier. Le deuxième parallélisme suggéré concerne les marins et Ruth. Selon les catégories de l’analyse narrative, en Rt 1, le personnage de Ruth peut être considéré comme faire-valoir de Noémi, soulignant les traits de celle-ci. Ruth est caractérisée par le narrateur comme « celle qui revient […] » (Rt 1,22), ce qui la rapproche des marins (1,13), euxmêmes considérés comme les faire-valoir de Jonas22. Sans abandonner les lieux de mort, Ruth prend le risque d’un avenir incertain. C’est ce qui la rend proche des marins qui prennent le risque de garder le coupable à bord, malgré la tempête dont il est la cause. Le contraste avec Jonas n’en est que plus évident, lui qui, s’installant dans des lieux de mort, fuit la rencontre risquée avec autrui. Comme les marins, Ruth opère un retournement, optant pour un nouveau Dieu ; comme eux, elle manifeste un grand désir de vivre (Rt 2) ; comme les marins vis-à-vis de Jonas, elle s’emploie à assurer la survie de la personne qu’elle prend en charge, à savoir Noémi. Son rôle ainsi décrit est éminemment positif. 22 Ce parallélisme pourrait également s’appliquer aux Ninivites, les faire-valoir de Jonas en Jon 3, comme on l’a vu, mais la comparaison est moins suggestive.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

91

Quel est l’effet de cette comparaison chez le lecteur de Jon ? Le récit de Rt semble aller plus loin que celui-ci, parce qu’il trace davantage de pistes pour résister au malheur. Si Noémi tente de détourner des événements à son profit, la présence de Ruth tout au long du récit relativise son comportement. Par contre, si la fonction des faire-valoir de Jonas – les marins et, dans une moindre mesure, les Ninivites – est similaire à celle de Ruth, leur présence est liée à deux épisodes (Jon 1 et 3). Dans les deux autres épisodes, Jonas est confronté à la seule présence de YHWH, auquel il peut exprimer sa reconnaissance (Jon 2), mais surtout ce qui le fait souffrir (Jon 2 ; 4). Il est bien à l’image de Noémi qui évoque YHWH pour l’impliquer dans ses propres malheurs (Rt 1,9.21 et, indirectement, Rt 2,20). Autrement dit, la relation qu’ils entretiennent avec YHWH les centre tous deux sur eux-mêmes et sur la détresse dans laquelle ils s’enferment. La figure de Noémi souligne quelque chose de Jonas lui-même, croyant en YHWH et pourtant tenté de s’enfermer dans son malheur. Mais à la différence de Noémi, Jonas n’a pas en permanence à ses côtés une présence humaine, telle que celle de Ruth, une présence qui tire les événements vers la vie et le bonheur. C’est sans doute pour cette raison qu’en Rt 4,18-22 le dernier mot du narrateur ouvre à un avenir de vie, malgré le comportement de Noémi. Cette ouverture fait défaut en Jon, bien que les questions posées par YHWH veuillent y pousser Jonas. Rien n’est dit de l’avenir qui se construira, avec ou sans lui23. 7.5. LE CYCLE D’ÉLIE (1 R 17 – 19)24 Si les intertextes déjà étudiés présentent des liens narratifs avec un chapitre précis du livre de Jonas, le parcours qui suit portera sur l’ensemble du livre. Les commentateurs qui relient les figures de Jonas et d’Élie se contentent de comparer les intrigues de Jon 4 et 1 R 19. Comme on le verra, il est important de relier le récit de Jonas au moins à l’ensemble de la première unité du cycle d’Élie, soit 1 R 17 – 19. Élie – et à sa suite Élisée – étant le seul prophète de l’Ancien Testament à être envoyé vers les païens (voir ci-dessus), le rapprochement avec Jonas envoyé à Ninive s’impose d’emblée. Voici exposé schématiquement le parallélisme entre le texte et l’intertexte.

23

139. 24

On poursuivra l’étude intertextuelle en lisant R.D. HOLMSTELDT 2009, 111L’étude compète a été publiée dans C. LICHTERT, 2003c, 64-72.

92

LE PROPHÈTE S’AVANCE MASQUÉ

1 R 17 – 19

Jon 1,1 1,1 1,2

pas de présentation détaillée de Jonas 17,1 17,1 17,2 introduction prophétique 17,2 parole de YHWH : « va vers »

1,3 Jonas prend l’initiative de fuir 1,4 tempête 1,4-16 Jonas est pris en charge, dans un bateau, par des marins idolâtres 2,1 Jonas est sauvé du danger naturel par un poisson 3,1 introduction narrative (seconde fois) deuxième ordre de YHWH : « va » « et il alla » Jonas ne proclame pas YHWH attitude pacifique du roi défaite personnelle pour Jonas YHWH est responsable du changement de Jonas 4,6 Jonas s’assoit sous un ricin 4,8 « il demanda son souffle pour mourir » 4,8 « prends ma vie » 4,9a ouverture proposée par YHWH 4,9a YHWH veut relancer Jonas 4,9b isolement de Jonas 4,10-11 YHWH interroge Jonas --3,2 3,3 3,4 3,6-9 4,1 4,2

pas de présentation détaillée d’Élie Élie prend l’initiative de parler introduction prophétique parole de YHWH : « va d’ici ; va vers »

YHWH demande à Élie de fuir sécheresse Élie est sauvé du danger naturel par des corbeaux 17,9-16 Élie est pris en charge par une veuve idolâtre 18,1 introduction narrative (troisième année) 18,1 troisième ordre de YHWH : « va » 18,2 « et il alla » 18 Élie ne proclame pas YHWH 18 confrontation violente avec le roi 18 victoire personnelle pour Élie 19,1-3 YHWH est responsable du changement d’Élie 19,4 Élie s’assoit sous un genêt 19,4 « il demanda son souffle pour mourir » 19,4 « prends ma vie » 19,5b ouverture proposée par YHWH 19,9 YHWH veut relancer Élie 19,14 isolement d’Élie 19,15 quatrième ordre de YHWH 19,19 Élie « partit de là » 17,3 17,3 17,4.6

Sans reprendre ici la comparaison détaillée de ces deux passages, il est possible de résumer le rapprochement en scrutant la caractérisation des personnages, en commençant par celui de YHWH, avant d’évoquer ceux de Jonas et d’Élie. Dans le cycle d’Élie, l’image de YHWH est fort proche de celle que Jon présente : il s’agit du Dieu de la création qui maîtrise sécheresse et pluie, rosée et feu du ciel, vents et tremblements de terre, monde animal et messagers. Les deux récits présentent un Dieu qui peut aussi bien détruire par sa puissance que vouloir la vie. Par le biais de l’ironie, il fait parcourir tout un cheminement à ses messagers qui sont davantage préoccupés par leur propre image que par la parole de Dieu.

7. INTERTEXTUALITÉ NARRATIVE DU LIVRE DE JONAS

93

Chaque protagoniste réagit de façon similaire dans des contextes totalement différents. Les deux intrigues comparées présentent Élie et Jonas comme des personnages convaincus de leur bon droit (1 R 19,14 ; Jon 4,9). Si YHWH lève les ambiguïtés de la double déclaration d’Élie (1 R 19,15-18) et s’il lui ordonne de « retourner par le même chemin » (1 R 19,15), il laisse Jonas aux questions qu’il lui pose (Jon 4,10-11), sans qu’un retournement de Jonas soit explicité par le narrateur. Si le récit d’Élie est clos, la problématique inaugurée par Jonas demeure ouverte par la question conclusive de YHWH. L’opposition entre les finales de ces deux histoires semblables conduit à s’interroger sur l’effet de ce contraste pour la compréhension du livre de Jonas. Le parcours d’Élie et de Jonas est similaire dans le sens où il permet à l’un et l’autre d’être confrontés à la vie plus forte que la mort, de traverser les épreuves – entre autres la contestation de l’image qu’ils se font de Dieu – et d’assumer les erreurs commises. Malgré la relance désirée de Dieu, le parcours de Jonas s’arrête là où celui d’Élie se prolonge. Jonas s’entête, s’enferme dans son intransigeance, là où Élie parvient à un retournement intérieur sincère et radical. Dans la mesure où Élie précède Jonas dans le récit des Rois, ne pourrait-on dire que la finale ouverte du livre de Jonas pose la question de savoir si Jonas deviendra prophète comme Élie l’est devenu en acceptant de voir se déplacer son image de Dieu et donc aussi de mieux s’accorder à sa mission de prophète ? Si Jonas répond à YHWH et est d’accord avec lui, ne deviendra-t-il pas prophète ? C’est la question sous-jacente. 7.6. LE

PERSONNAGE

« HISTORIQUE » DE JONAS (2 R 14,23-29)25

Afin de placer le livre de Jonas dans un contexte historique, les exégètes citent traditionnellement 2 R 14,2526 : « C’est lui [Jéroboam] qui recouvra le territoire d’Israël, depuis l’Entrée de Hamat jusqu’à la mer de la Araba, selon ce que YHWH, Dieu d’Israël, avait dit par le ministère de son serviteur, le prophète Jonas fils d’Amittaï, qui était de Gat-Hépher ». L’attention s’est focalisée sur cet unique verset qui présente Jonas, sans se soucier de son contexte littéraire. Or, l’ensemble de la scène comprenant les v. 23-29 est à relier au récit de Jonas, déjà par les nombreux contacts verbaux et les précisions géographiques, mais 25 26

L’étude compète a été publiée dans C. LICHTERT 2012, 159-168. Voir par ex. P. WEIMAR 2009, 13-22.

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surtout par la présentation du personnage de Jonas, par la caractérisation de YHWH et aussi celle de la cité de Ninive comparable, dans l’intertexte, à Jéroboam, fils de Joas. Le récit de Jonas opère plusieurs renversements par rapport à 2 R 14,23-29. L’attitude du roi de Ninive rappelle et inverse celle du roi Jéroboam. Quant à Jonas, il cesse d’être un serviteur soumis à la parole de YHWH. Seule la figure de YHWH paraît constante : c’est lui qui semble de part et d’autre avoir toutes les cartes en main, soucieux de la vie du peuple (d’Israël, de Ninive) dont il ne veut pas la disparition. Dans les deux récits, Jonas et le roi sont l’instrument de ce souhait. Mais un important contraste est à relever. En 2 R 14,24, YHWH épargne le peuple malgré la faute du roi, tandis qu’en Jon 3,10, il épargne Ninive à cause de la conversion du roi et du peuple. En 2 R 14,26, le narrateur décrit YHWH comme un Dieu bon et attentionné qui se laisse toucher par la détresse d’Israël puis agit seul pour son salut, sans que le roi, absent, doive se détourner de ses fautes. Par contre, en Jon 3,6, c’est le roi qui, seul dans un premier temps, doit agir en vue du salut de son peuple ; ensuite seulement, YHWH réagit à la conversion du roi et de son peuple. Mais en tenant compte du discours différent de YHWH en Jon 4,11, on peut affirmer que l’attitude de celui-ci, dans les deux récits, est semblable : YHWH agit avec une miséricorde particulière pour Israël et exprime finalement sa compassion pour Ninive. Jonas, lui qui a annoncé le signe concret de la faveur de Dieu pour un roi pécheur, refuse que Dieu manifeste sa justice à un roi converti et qui a su montrer sa justice ; de plus, il ne répond rien à l’expression miséricordieuse de YHWH en finale. 7.7. LE ROULEAU (JR 36)27 Jon 3 est lu traditionnellement par la critique comme l’antithèse de Jr 36. Mais il est important de dépasser le pur constat et la simple reprise des mots communs afin de saisir ce qui, dans les détails observés, signale une intention d’ensemble. On se permettra ici de développer davantage le propos étant donné que l’analyse comparative n’a pas été publiée en détail. Une même séquence générale des événements relie ces deux extraits : menace divine, proclamation d’un jeûne, nouvelle arrivant au roi entouré de ses proches et réaction de ceux-ci. Voici exposé schématiquement le parallélisme entre le texte et l’intertexte. 27 Pour une comparaison générale entre les livres de Jérémie et de Jonas, on renverra à G. YATES 2016, 223-239.

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Jr 36

Jon 3 v. 10

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[…] car/qu’ils revenaient de leur v. 3 chemin mauvais, et le Dieu se repentit à propos du mal qu’il avait parlé de leur faire, et il ne fit pas.

« peut-être la maison de Juda entendra tout le mal que moi je pense leur faire afin qu’ils reviennent chacun de leur chemin mauvais, et je que je pardonne leur faute et leur péché » (voir v. 7).

Et Jérémie ordonna à Baruch disant : « Je suis empêché, je ne peux entrer dans la maison de YHWH v. 4b et il clama et il dit : « […] » v. 8 Et Baruch fils de Neriah […] en clamant dans le livre les paroles de YHWH dans la maison de YHWH. v. 5a Et les hommes de Ninive crurent v. 9 […] ils proclamèrent un jeûne à en Dieu et ils proclamèrent un la face de YHWH tout le peuple jeûne de Jérusalem […] v. 5b […] de leur grand jusqu’à leur v. 10 Et Baruch lut dans le livre les petit paroles de Jérémie […] aux oreilles de tout le peuple. v. 11-19 […] tous les princes […] v. 6a Et la parole atteignit vers le roi v. 20 Et ils [les princes] vinrent vers […] le roi v. 6b et il se leva de son trône […] v. 22 Et le roi était assis v. 6b et il fit passer son manteau de v. 23 […] et il déchirait [le rouleau] sur lui et il se couvrit d’un sac et v. 24 Et ils [le roi et tous se il s’assit sur la cendre serviteurs] n’eurent pas peur et ils ne déchirèrent pas leurs vêtements [Jonas disparaît du récit] v. 26 […] et YHWH les [Baruch et Jérémie] cacha v. 7-10 […] que l’humain et la bête […] v. 29-31 […] et il fera disparaître et qu’ils reviennent de son humain et bête […] et tout le chemin mauvais malheur v. 4a

Et Jonas commença à entrer dans la ville, un aller de jour un

v. 5

Une première lecture comparée de l’évolution des deux récits permet de souligner le contraste entre la conversion instantanée des Ninivites, l’absence de conversion du peuple de Jérusalem et le refus explicite de conversion de la part du roi de Juda. En fait, au début du récit de Jr 36, le but de l’ordre de YHWH est positif : il indique clairement son espoir de conversion du peuple, suite à quoi il pourra lui pardonner (v. 3). En cela, son attitude ressemble à celle qu’il adopte pour les

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Ninivites en Jon 3,10. Par contre, à la fin de Jr 36, le but de Dieu est négatif : son nouvel ordre annonce la condamnation puisque les paroles n’ont pas été écoutées (v. 29-31). L’espoir de YHWH est déçu : le peuple n’a pas écouté la menace. Aussi sa volonté de pardon se change-t-elle en jugement. La perspective générale s’inverse en Jon 3. Le but de l’ordre à proclamer à Ninive semble négatif, comme le suggère l’annonce du retournement de Ninive dont le mal était monté devant YHWH (3,4 et déjà en 1,2). Mais il y a retournement, puisque Dieu se repent du mal qu’il avait prévu de faire à Ninive (3,10). YHWH se laisse luimême retourner par l’attitude du peuple ninivite qui a écouté la parole que Jonas a proclamée. Aussi la volonté de destruction se change-t-elle en repentir de Dieu. En suivant le déroulement des deux intrigues mis en évidence dans le tableau, il est possible à présent d’approfondir la comparaison des différentes étapes de chaque récit. La parole de YHWH fait entrer Jonas dans la ville, le lieu où se tient le roi. Jérémie obéit aussi à l’ordre de YHWH, mais celui-ci sera fidèlement exécuté par Baruch parce que Jérémie est empêché d’entrer au temple. Plus précisément, c’est la parole qui atteint les Ninivites et leur roi, comme ce sont les paroles du rouleau qui atteignent le roi de Juda, en l’absence du messager (Jonas et Baruch). Ainsi, la situation initiale comparée de Jonas et Baruch est renforcée. Si l’on s’en tient à Jon 3 et Jr 36, ces deux-ci apparaissent comme des personnages plats, unidimensionnels, construits autour d’une parole à transmettre. La parole de YHWH proclamée par Jonas mène le peuple à proclamer un jeûne (Jon 3,5a), tandis que celle que lit publiquement Baruch résonne lors d’un jeûne (Jr 36,9)28. Les deux messagers proclament un message qui atteint dans un premier temps tout le peuple : celui-ci réagit à la parole de Jonas (Jon 3,5b) mais pas à celle que lit Baruch (Jr 36,10). De part et d’autre, la proclamation atteint les dirigeants dans un second temps : le roi de Ninive et ses grands (Jon 3,6a), les princes puis le roi de Juda (Jr 36,11-20). En Jr 36,13, Mikayehû rapporte à ses auditeurs les paroles qu’il a entendues de la bouche de Baruch, mais sans spécifier de qui elles viennent. La question se pose alors de savoir comment les princes, ses auditeurs, vont entendre ce rapport. La situation est analogue en Jon 3 : Jonas proclame à Ninive la parole divine sans spécifier leur source, à savoir YHWH. L’écoute du contenu du rouleau ou de la parole provoque 28

Il est à noter que la formule « (et) ils clamèrent un jeûne » ne se retrouve, pour l’Ancien Testament, que dans ces deux textes.

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l’effroi des princes (Jr 36,16) et des Ninivites (Jon 3,7-9). Mais alors que les princes appellent Baruch pour l’interroger sur la provenance du rouleau (Jr 36,17-18)29, aucune question n’est posée à Jonas : la seule réaction est la conversion en acte des Ninivites et de leur roi. Ce dernier non seulement agit mais également parle à son peuple, ce qui n’est pas le cas du roi Joaqim qui agit sans dire un mot. Ainsi, les Ninivites réalisent concrètement ce à quoi la parole de YHWH invite le peuple de Juda et son roi, par l’intermédiaire du rouleau de Jérémie. Pourtant, alors que Baruch lit un rouleau complet, Jonas ne délivre qu’un bref message. Le premier reste lettre morte parce que le roi de Juda déchire et brûle le rouleau (Jr 36,23) ; le second est efficace parce que le roi de Ninive le relaie en proclamant son édit de conversion (Jon 3,7-9). Ni Baruch ou Jérémie ni Jonas n’assistent à la réaction du roi. Déjà, Jérémie ne pouvait entrer dans le temple, se disant empêché (Jr 36,5) ; plus loin, les princes conseillent à Baruch d’aller se cacher avec Jérémie (Jr 36,19). De son côté, Jonas a quitté la ville de sa propre initiative (Jon 4,5)30. Chacun des deux épisodes évoque le message de YHWH proclamé avec autorité, mais un contraste puissant oppose les modalités de sa transmission et de sa réception. En effet, Jonas, avant de s’éclipser, communique oralement le message en cinq mots seulement et sans s’y investir personnellement, mais l’effet est foudroyant. Par contre, le message adressé à la maison de Juda en Jr 36 est communiqué de manière éminemment plus complexe : il est écrit sous dictée, lu par un messager puis passe par plusieurs mains, mais sa réception est désastreuse. La réaction du peuple ninivite et de leur roi est immédiate et adéquate tandis que celle du peuple de Juda est inexistante et que celle de leur roi se fait lentement, à mesure qu’il prend connaissance du contenu du rouleau et qu’il en déchire et en brûle les colonnes. Dans une certaine mesure, les figures de Jonas et de Jérémie sont proches. En effet, la parole de YHWH circule dans la ville et pour le roi indépendamment d’eux. Mais ce sont plus particulièrement les figures de Jérémie et du roi de Ninive qui permettent de souligner la similarité et les contrastes quant à la réception du message divin. D’une part, en Jr 36,3, la parole que YHWH adresse à Jérémie exprime l’espoir divin 29 La réaction des princes fait également penser à la peur des marins, qui les pousse à questionner Jonas (1,8). 30 On peut aussi noter que tout le monde est concerné, « humain et bétail » (Jr 36,29 ; voir 3,7-8).

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que Juda reviendra de son mauvais chemin. Plus loin, Jérémie fait sienne cette certitude de conversion (Jr 36,7), mais le silence du peuple et surtout l’attitude du roi de Juda ruinent cette attente. À l’inverse, après que les habitants sont revenus de leur mauvais chemin, le roi de Ninive est habité par l’espoir que YHWH changera d’attitude (Jon 3,9). Son attente est vite rencontrée par le repentir de Dieu. Plusieurs remarques conclusives peuvent être formulées concernant l’effet narratif que le parallélisme entre Jr 36 et Jon 3 ménage dans la lecture de ce second texte. Ninive et son roi donnent une leçon de conversion aux gens d’Israël et à leur roi : ne serait-ce pas là un motif supplémentaire pour lequel Jonas trouve cela mal ? De plus, il est intéressant de constater que lorsque Jonas fait ce que Dieu lui dit, il est décrit par le narrateur en tant que personnage plat – comme Baruch et contrairement aux autres chapitres de Jon –, sous le seul trait de celui qui transmet la parole. Jonas ne détient-il pas là un nouveau motif de frustration susceptible d’approfondir son malaise vis-à-vis de Dieu ? La comparaison des deux récits permet aussi de souligner les similarités et les contrastes entre une parole brève à effet immédiat et un écrit long, transmis par étapes et détruit par étapes, avant d’être remplacé par un autre rouleau. Le récit de Jr 36 est construit pour que, de plus en plus, la tension monte par rapport à la parole contenue dans le rouleau, la réaction du roi se situant au sommet de ce suspense. Le récit de Jon 3 est construit autour de l’attitude du roi, en fonction de la réaction de YHWH qui se situe au sommet de ce suspense. Autrement dit, l’élément central de Jr 36 est le livre par rapport auquel les personnages réagissent ou pas, tandis que l’élément central de Jon 3 est l’attitude du roi qui réagit par rapport à la parole. L’intervention de YHWH inaugure ce moment (Jon 3,2 ; Jr 36,2-3) et le conclut en réagissant à l’attitude du roi (Jon 3,10 ; Jr 36,28-31). 7.8. OSÉE, ISRAËL ET EPHRAÏM (OS 1 – 3) L’intertextualité avec le livre d’Osée a été peu explorée et probablement a-t-elle été sous-estimée par la recherche. Or, ses trois premiers chapitres tout particulièrement offrent des contacts fort suggestifs avec le livre de Jonas. Comme pour celui-ci, mais dans un contexte bien différent, le narrateur d’Os commence par évoquer une partie de la vie du protagoniste qui aura une incidence pour le ministère qu’il exercera par la suite (Os 1 – 3). YHWH donne un ordre (« va » en Os 1,2 ; Jon 1,2) qui met le protagoniste devant un choix difficile pour lui : Osée doit

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prendre une femme de prostitution et Jonas doit se rendre à Ninive. L’ordre initial relie donc ces deux personnages. De plus, les deux démarches de YHWH sont similaires : il demande au prophète un engagement exigeant pour montrer qu’il est prêt à pardonner au pécheur (Ninive et Israël). Mais si Osée obéit aux ordres de YHWH, Jonas les fuit. L’épreuve qui suit n’étant pas vécue par Osée mais par Israël (Os 2), le parallèle entre les deux récits se déplace : ce n’est plus Osée mais Israël à présent dont le parcours est relié à celui de Jonas. Vient en effet le temps de l’épreuve qui mène Israël au désert (Os 2,16) et Jonas au cœur des mers (2,4), c’est-à-dire dans des lieux de vie extrêmes. Là, Israël retrouve YHWH qui lui parle et auquel il répond (Os 2,17) et Jonas retrouve YHWH à qui il parle et qui lui répond (2,3). L’épreuve traversée, YHWH lance un second appel (« va » en Os 3,1 ; 3,2). Le scénario prévu par Dieu en Os 3 est marqué par le retour d’Israël vers YHWH (v. 5), de même que l’épisode raconté en Jon 3 est marqué par le retour des Ninivites (v. 8.10). En Os 3, les privations sont imposées en vue du retour à YHWH tandis qu’en Jon 3, la privation est volontaire (le jeûne) manifestant la communion. Certes, le rapprochement ne permet pas de mettre en strict parallèle les figures des deux récits, mais il relie au moins la progression de la trame. En effet, le parallèle se déplace une nouvelle fois, le parcours des Ninivites étant à rapprocher de celui d’Israël. Après les figures d’Osée et d’Israël, en Os 1 – 3, on peut poursuivre en suggérant un rapprochement avec la figure d’Ephraïm dans la deuxième partie du livre (Os 4 – 14). Pour cela, Os 7,8-14 est particulièrement suggestif. En effet, Ephraïm, présenté comme « une colombe (naïve et sans cervelle) » (v. 11), est décrié parce qu’il a fait appel à l’étranger auquel il s’est mêlé, s’étant dirigé vers l’Assyrie. De son côté, Jonas / la colombe refuse cette confusion avec les nations et donc refuse de se diriger vers l’Assyrie (Ninive). Pourtant, il partage avec Ephraïm non seulement le nom mais le malheur, du fait qu’il a « fui loin de moi [YHWH] » (v. 13 ; 1,3). Alors que le conditionnel est de mise lorsqu’il s’agit de délivrer Ephraïm de la main du Shéol (Os 13,14a), ce salut est acquis pour Jonas (2,3). Dans la suite, Jonas partage à nouveau l’expérience d’Israël : « Ils sèment le vent, ils récolteront la tempête ; […] des étrangers l’avaleront. Israël est avalé ; le voici désormais parmi les nations comme un objet de rebut ; car ils sont montés vers Assur » (Os 8,7-9a). Voilà ramassée en quelques mots une étape importante du parcours de Jonas (1,4-5 ; 2,1). Jeté tel

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un objet inutile, Jonas rejoint la situation d’Israël précipité au sein de la mer des nations (Os 8,8). Cette continuelle succession de bonheurs et de malheurs exprimés dans les paroles d’Osée a un écho en Jon 4 où Jonas est ballotté entre ce qui est bien et mal, là où, par exemple, il trouve bon d’être à l’ombre (4,6 ; Os 4,13). Le lien entre Jonas et Ephraïm / Israël est renforcé. « Ils ont beau crier : ‘Nous te connaissons, Dieu d’Israël’, Israël a rejeté le bien » (Os 8,2 ; voir 4,2.9)31. Après 4,6, YHWH pourrait dire à Jonas partageant l’expérience d’Israël : « Ne te réjouis pas, Israël, n’exulte pas comme les païens » (Os 9,1a) ; « Ephraïm se repaît de vent et court sans cesse après le vent d’orient » (Os 12,2a ; voir 4,8). La comparaison des deux livres ne permet pas un parallèle strict entre la figure de Jonas et celles d’Osée, d’Israël et d’Ephraïm. De plus, au fil du récit, les comparaisons se déplacent, ce qui paraît affaiblir le rapprochement. En fait, il est étonnant de constater que le personnage de Jonas partage avec chacune de ces figures les moments d’épreuves, de détresse, de danger et dès que la figure mise en scène en Os semble tirée de la crise qu’elle vit, la comparaison avec Jonas bifurque vers une autre figure, vers une autre crise. En d’autres termes, Jonas paraît partager avec ces différentes figures du livre d’Osée les moments de malheur, mais pas les moments de salut. 7.9. DANS L’ŒUVRE DE LUC (LC

ET

AC)32

Le parcours narratif demande de prendre en considération le jeu des personnages, tout particulièrement Abraham, Moïse et Élie, déjà rencontrés dans les intertextes de l’Ancien Testament. Ces trois figures sont spécialement présentes dans l’œuvre de Luc (Lc – Ac). À travers ces trois personnages, ce sont trois modes de la présence de Dieu dans l’alliance qui sont évoqués. C’est dans cette problématique que s’inscrit également la référence au personnage de Jonas que d’aucuns qualifient de parodie de prophète, à la fois « anti-Abraham, anti-Moïse et anti-Élie »33. Comme ceux-ci, Jonas incarne la contestation prophétique mais il s’agit davantage d’un «contestataire inopportun», ce qui fait de lui un prophète contesté. « L’un et l’autre (contester et être contesté) sont deux activités intimement liées »34. 31 Afin d’approfondir la profession de foi de Jonas (4,2) en lien avec le livre des Douze Prophètes, lire R. VIGNOLO 2019, 199-213. 32 L’étude compète a été publiée dans C. LICHTERT 2017b, 347-367. 33 K.C.P. KIM 2007, 503 ; voir aussi W.W. HALLO 2009, 285-291. 34 C. PICHON 2012, 90, 100.

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En parcourant le double récit lucanien, on constatera les deux opérations complémentaires du narrateur qui, d’une part, sollicite la tradition prophétique permettant d’unifier et d’articuler la visée du ministère de Jésus et qui, d’autre part, utilise massivement la syncrisis35 mettant en valeur les ressemblances fortes entre les apôtres – essentiellement Paul – et Jésus. En tant que livre appartenant au corpus prophétique, Jon est inclu par l’évangéliste Luc, dès la résurrection de Jésus, dans le récit d’Emmaüs : « [...] et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24,2527). Toutefois, Jon est implicitement présent dans diverses parties de l’évangile et des Actes, même s’il est inutile de consacrer une partie de la recherche aux citations explicites de Jon puisque le Nouveau Testament n’en donne pas à proprement parler. Cinq extraits tirés du corpus lucanien, reliés de près ou de loin à Jon, ont retenu l’attention. Le premier intertexte est le récit de la tempête apaisée (Lc 8,22-26). Comme pour Jon 1, c’est l’interaction entre le protagoniste (Jésus Jonas), le personnage collectif (les disciples - les marins) et l’élément naturel (le vent, la tempête) qui confère sa signification au récit. Selon le schéma narratif de base, l’état de la mer évolue en trois phases : calme au début et à la fin, elle est violente entre les deux. Néanmoins, en Jon 1, la crise provoquée par la tempête est racontée de façon assez détaillée (v. 4-14), tandis qu’en Lc 8, elle occupe peu de place (v. 2324a). On constatera l’inverse lors de l’étude comparative de Jon 1 et d’Ac 27. Voici exposé schématiquement le parallélisme entre le texte et le premier intertexte. Jon 1 v. 1 v. 3 v. 5 v. 4

« et il arriva » Jonas descend dans l’embarcation Jonas s’endort YHWH envoie une tempête

Lc 8 v. 22 v. 22 v. 23 v. 23

« et il arriva » Jésus monte dans l’embarcation Jésus s’endort une tempête survient

35 On peut lire dans D. MARGUERAT, 1999, 71 : « Syncrisis est le nom donné à une technique rhétorique de la plus haute antiquité, et qui consiste à modeler la présentation d’un personnage sur un autre en vue de les comparer, ou tout le moins, d’établir entre eux une corrélation » ; 73-74 : « la modélisation n’induit ni imitation ni confusion, mais intègre toujours le facteur de la différence. […] de même que la christologie de l’évangile se construit à l’aide de modèles typologiques (Élie - Élisée et Moïse), la destinée des témoins s’inscrit en Ac dans une typologie christologique qui conforme la vie des témoins au message qu’ils annoncent ».

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Jon 1

Lc 8

le chef d’équipage s’approche de Jonas et le réveille v. 6 « que nous ne périssions pas ! » v. 9 foi de Jonas au Dieu de la mer v. 15 la mer se calme v. 16 foi des hommes en YHWH v. 10.16 les hommes craignent grandement

v. 24 les disciples s’approchent de Jésus et le réveillent v. 24 « nous périssons ! » v. 24 Jésus menace le vent v. 24 le calme advient v. 25 Jésus : « Où est votre foi ? » v. 25 les disciples sont saisis de crainte et se disent : « Qui donc est-il ? »

v. 6

La véritable traversée de chaque récit est celle qui mène les personnages à se poser la question de la foi et de Dieu. Il est important de remarquer que la cause de la tempête n’est pas évoquée dans l’évangile : seule importe, semble-t-il, sa conséquence. Pourquoi ? Ne serait-ce pas pour souligner le parallèle entre le Dieu décrit en Jon, d’une part, et Jésus, d’autre part ? En effet, le Dieu professé en Jon 1,9 est celui qui envoie la tempête, tandis que Jésus est celui qui la combat de l’intérieur, ce que Jonas refuse de faire. Autrement dit, Jésus figure ce que Jonas dit de Dieu, au sein même de l’embarcation. C’est ce passage du Dieu imploré (Jon 1) au Jésus impliqué (Lc 8) que la comparaison narrative tend à suggérer. Le deuxième intertexte est l’extrait d’évangile évoquant le signe de Jonas (Lc 11,29-32), considéré de ce fait dans son contexte littéraire et non pour lui-même, ce qui permet d’éviter de se centrer uniquement sur l’article « de » introduisant un génitif : est-ce le signe que donne Jonas ? le signe qui se présente à Jonas ? ou plutôt, ce qui paraît le plus approprié, le signe qui est donné dans la figure de Jonas36 ? Mais de quel signe Jonas peut-il bien être ? Que de tentatives d’explications autour de ce « de » dans l’histoire de la recherche ! En sachant également que le Jonas évoqué dans l’évangile de Luc est non pas celui du texte hébreu mais celui de la traduction grecque. Celle-ci a amplifié le rôle et les caractéristiques prophétiques de Jonas, reflétant un souhait d’avoir un personnage agissant d’une manière plus adéquate à la charge prophétique37 ! 36 Afin de poursuivre, voir par exemple D. DUVAL 2004, 207-223 et A. GIERCKEUNGERMANN, S. JÖRIS 2016, 112-123. Afin d’approfondir le signe de Jonas, cette fois-ci dans son contexte matthéen, lire P. SEYS 2020. 37 L. PERKINS 1987, 43-53.

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Le signe de Jonas est donc inséré dans une composition littéraire bien précise. En conséquence, il peut s’interpréter, dans un premier temps (v. 29-30), en fonction du parallélisme structurel qui place en vis-à-vis, d’une part, Jonas et le Fils de l’homme et, d’autre part, les Ninivites et « cette génération » : si le Fils de l’homme est semblable à Jonas, la génération visée ressemble à celle de Ninive à la triste réputation. La suite (v. 31-32) ouvre un espace d’interprétation en fonction des oppositions complémentaires que le texte met en place. Parmi celles-ci, on note d’une part un mouvement centripète (la Reine du Midi est venue en Israël) et d’autre part un mouvement centrifuge (Jonas est sorti d’Israël pour aller à Ninive). Non seulement Jonas lui-même est un signe (v. 30) mais sa proclamation fait signe aussi (v. 32) : Jonas évoque la conversion des Ninivites, de la même manière que Salomon rappelle l’écoute de la reine du Midi. Dans sa manière d’expliciter le signe de Jonas, Jésus se réfère autant à Jonas lui-même qu’aux hommes de Ninive et à leur conversion. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’expliciter le v. 29 : il y a plutôt un glissement de la figure de Jonas vers ceux qui se convertissent à sa prédication, et échappent en conséquence au jugement de Dieu. En conclusion, Jésus efface Jonas au profit des Ninivites, comme Jonas avait été effacé à leur profit en Jon 3. Le troisième intertexte est assez étonnamment la scène du crucifiement (Lc 23,33-34), du fait d’abord de plusieurs contacts lexicaux. Alors que Jonas est confronté aux marins et aux Ninivites, l’évangéliste utilise un élément de caractérisation propre à ces personnages pour décrire deux autres figures collectives que sont, d’une part, les malfaiteurs (liés aux Ninivites par les v. 33b et 34b) et, d’autre part, les grands-prêtres, les chefs et le peuple (liés aux marins par le v. 34d), ces deux figures collectives étant placées de part et d’autre de Jésus dans la structure de Lc 23,33-3438. Luc mettrait ainsi les malfaiteurs du côté des Ninivites – c’est-à-dire de ceux qui se convertissent (un des deux malfaiteurs aux v. 40-43) – et, plus curieusement, les Juifs du côté des idolâtres marins qui pourtant se convertissent grâce à l’effet de la disparition de Jonas. Le rapport entre les deux scènes est également frappant dans le sens où un seul meurt pour que tous vivent. Seulement, Jonas fuit, s’isole, se dit coupable tandis que les marins font tout pour le sauver. À cause de l’envoyé de Dieu, les marins ne peuvent aller jusqu’au bout de leur désir de voir autrui vivre, en passant au milieu 38

On renvoie ici à C. LICHTERT 2017b, 358.

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même de la violence et de la mort – ce qui se vérifiera en Jésus. À travers les figures collectives, l’évangéliste reprendrait-il obscurément la figure de Jonas pour la renverser en Jésus ? Il est permis de le penser. Le quatrième intertexte fait passer de la première partie de l’œuvre de Luc (Lc) à la seconde (Ac). Il s’agit de l’épisode du tirage au sort (Ac 1,21-26) qui raconte, comme en Jon 1, un scénario de crise rythmé en différentes étapes typiques : exposition de la crise, proposition de résolution, prière, exécution et constat de résolution. Si le lien entre les deux textes a une pertinence, c’est surtout par rapport à la mission demandée, au prophète ou à l’apôtre. Il s’agit par la suite, pour le groupe, de rester uni et de poursuivre son périple. D’une part, le personnage de Jonas confirme paradoxalement l’engagement prophétique tel que le lecteur peut le découvrir par ailleurs, principalement dans le corpus des Douze Prophètes, d’autre part la désignation de Matthias en tant que douzième apôtre demeure un acte unique et exceptionnel, confirmant l’engagement apostolique du groupe des Douze. Enfin, le cinquième intertexte est celui racontant la dernière étape missionnaire de Paul39 en Ac 27,13-44 qui renvoie de curieux échos du récit de Jon 1,4-16. Si les deux récits possèdent une trame narrative comparable, les deux protagonistes sont présentés de manière très contrastée. Tous deux sont victimes d’une tempête, puis jetés à l’eau en quelque sorte, avant de s’en aller prêcher en territoire païen. Et si Jonas ne proclame la parole que sous la contrainte, par contraste Paul est prisonnier de son plein gré. La mer coupe la fuite de Jonas, mais elle permet à Paul d’aller au bout de sa mission. Ceci dit, la figure de Paul rappelle davantage celle du chef d’équipage (Jon 1,6) ainsi que son autorité. En fait, la lecture d’Ac 27 fait ressortir la passivité de Jonas et sa volonté de salut pour les autres mais pas pour lui-même. Ces deux éléments de caractérisation amènent Jonas à devoir approfondir sa relation à Dieu avant de rejoindre Ninive. Tel est l’objectif de la prière de Jon 2, étape absente du périple de Paul. Dans les cinq épisodes étudiés, on constate que Luc ne reprend de Jonas que les premier et troisième chapitres. En effet, quatre épisodes Selon M. REMAUD 2013, 94, « l’histoire de Jonas était la référence en ce qui concernait la conversion des païens et son rapport avec le salut d’Israël. […] Pour les évangiles, la conversion des païens doit se retourner comme un motif de condamnation contre Israël […] et c’est pour éviter la condamnation d’Israël que Jonas ne veut rien faire qui puisse conduire les païens à la conversion. […] La perspective de Paul est l’inverse de celle des évangiles et de la Mekhilta : la conversion des païens, à laquelle il consacre son ministère, doit entraîner finalement le salut d’Israël ». 39

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sont davantage reliés à Jon 1 (Lc 8,22-26 ; 23,33-34 ; Ac 1,26-27 ; 27,13-44) et deux à Jon 3 (Lc 11,29-32 ; 23,33-34). C’est donc la confrontation entre le protagoniste et les figures collectives des marins et des Ninivites – des païens, donc – qui est reprise pour illustrer une partie du cheminement de Jésus et de Paul. Au fil des récits examinés, la figure de Jésus – et, avec lui, celle de Paul – reprend, prolonge et renverse celle de Jonas. En effet, l’attitude de ce dernier est rappelée en Lc 8,22-26 mais aussi dépassée, dans le sens où ce que Jonas dit de YHWH en Jon 1,9 est mis en œuvre par Jésus (Lc 8,24). Jonas est situé au sein des Écritures, au même plan que Salomon, et cela par Jésus lui-même qui annonce qu’il y a bien plus ici que Salomon et Jonas (Lc 11,31-32). Jonas et Jésus sont deux prophètes issus de Galilée, mais le second, à la différence du premier, ne fuit jamais Dieu ni sa Parole : il n’oppose aucune résistance, ne descend pas dans le sein de la terre, ne se fâche pas contre Dieu. Jésus serait-il donc un anti-Jonas ? Quant à Paul, il rejoint et renverse la figure de Jonas en la prolongeant également étant donné qu’il poursuit immédiatement la route le menant au cœur du monde païen de son temps (Ac 28). En conclusion, Lc – Ac met rétrospectivement en évidence chez Jonas sa profession de foi au Dieu de la création, son rôle prophétique, ses réticences à obéir à la parole de Dieu et enfin sa relation aux peuples païens qui se convertissent. À travers le récit et le personnage de Jonas, l’œuvre de Luc exploite diverses virtualités de la figure du prophète, comme elle le fait pour Abraham, Moïse et Élie. Et c’est Jésus qui choisit la veine prophétique afin que ses paroles et ses actes témoignent de la continuité du dessein divin. Tout au long de son ministère, il s’exprime de façon plurielle, en appelant entre autres les figures prophétiques d’Élie et de Jonas qui, envoyés à des étrangers, ne pouvaient qu’être mal acceptés par leurs coreligionnaires. Jonas a très bien compris le dessein divin, trop bien compris, mesurant parfaitement les enjeux de la mission prophétique. Jonas s’inscrit dans la tradition prophétique et, s’il n’est jamais caractérisé comme prophète dans le récit, c’est peut-être pour encourager le lecteur à ne jamais s’installer dans une conception unique de la mission prophétique. À l’instar d’Abraham, d’Élie et de Moïse, Jonas permet à Luc de construire l’identité prophétique de Jésus et d’expliquer son sort violent, mais il le fait davantage dans le paradoxe et l’inattendu.

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7.10. REPRISE Ce long périple, de bout en bout de la Bible, a permis de mettre différents textes en réseau. L’étymologie de ce mot fait mieux percevoir le sens positif mais aussi négatif de l’intertextualité : « réseau » vient du latin retis, le filet. Cette métaphore évoque la présence d’un maillage constitué de fils et de nœuds. Positivement, le modèle réticulaire évoque l’interconnexion de textes et l’étude comparée de leurs récits, discours et personnages. Négativement, il ne propose aucune forme de clôture car les comparaisons sont susceptibles de s’étendre sans maîtrise, les critères méthodologiques n’étant pas toujours clairs. Les liaisons sont rendues prioritaires par rapport aux hypothétiques modèles de référence. Autrement dit, le relationnel est privilégié au substantiel. Sous couvert des nombreux rapports intertextuels mis en exergue, le lecteur n’est-il pas tenté de ramener ces textes mis en réseaux à un seul type de récit ou discours ? Tel pourrait bien être le risque de la méthode utilisée. Or, le parcours a essayé de démontrer que Jonas, loin d’être ramené à d’autres textes ou de les ramener à lui, trouvait son interprétation enrichie du fait même de l’interconnexion. Les deux procédés que sont la parodie et le pastiche l’ont suffisamment démontré. Le récit de Jonas peut être compris comme un continuel renversement de l’intrigue ou de la caractérisation d’un personnage (ou les deux). Grâce à cette mise en relation, des questions théologiques majeures sont renforcées : de qui le protagoniste se fait-il le messager ? Quelle est l’autorité de sa parole ? Comment se laisse-t-il atteindre par le comportement et la parole de l’autre ? Les personnages mesurent-ils l’écart entre ce qui est bien et mal ? On peut espérer que la comparaison des intrigues et des personnages aura permis d’approfondir ces questions. La figure de Jonas encourage le lecteur à fréquenter les Écritures avec un regard plus aiguisé, en traversant les oppositions apparentes entre les théologies qui s’expriment. Les parallélismes et contrastes entre deux narrations permettent de penser que la figure de Jonas met en évidence des traits théologiques majeurs, n’évinçant pas les possibles contradictions. La première de celles-ci a trait au personnage lui-même, présenté d’une part comme prophète au temps du roi Jéroboam et, d’autre part, comme messager au peuple de Ninive. Ainsi s’est éclairée l’interprétation de l’absence du titre de prophète en Jonas. Contrairement à son homonyme de 2 R 14 et à certains personnages de l’Ancien Testament (comme Abel, Baruch en Jr 36 ou Osée), Jonas refuse d’être un

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personnage sans relief, simple relais d’un message à transmettre, quitte à s’enfermer dans le désir de violence, comme Caïn, dans l’intransigeance, comme Élie, dans le malheur, comme Noémi. En outre, des traits de caractère relient étroitement Jonas à des figures qui, dans les récits où elles interviennent, ont partie liée avec le mal : le serpent, Caïn, Pharaon et, de façon plus subtile, Noémi. D’autres traits de Jonas soulignent en revanche les contrastes, les renversements par rapport à des figures majeures de l’Ancien Testament, à savoir Noé, Abraham et Moïse. Enfin, d’autres figures encore partagent une partie du cheminement ou du caractère de Jonas, tout en le prolongeant : Élie, Baruch et, dans une autre mesure, Jésus et Paul. Dans chaque intertexte est racontée la mise en relation avec autrui, favorisée par YHWH. Tel semble bien être le problème de Jonas, lui qui ne recherche de relation personnelle avec un Dieu aux multiples facettes qu’au cœur du danger et qui ne parvient jamais à rencontrer son visà-vis, qu’il soit humain ou divin. L’intercession pour la vie d’autrui ou sa propre vie ne lui importe guère. Seule semble compter à ses yeux l’image qu’il se fait de lui et de Dieu. Après ce parcours, on est frappé par la constance de l’image de YHWH. Non que celle-ci soit figée – loin de là –, mais elle révèle continuellement un Dieu de création qui cherche les moyens les plus adaptés à l’homme pour que celui-ci maintienne ouvert le chemin de la vie. Les projets de Dieu évoluent sans cesse au fil des récits, mais c’est toujours dans le but que le mal ne domine pas l’homme. Pour cela, YHWH tient à ce que l’être humain ne s’enferme ni dans l’image qu’il se fait de luimême ni dans celle qu’il se fait de Dieu dont les paroles peuvent être réversibles. En d’autres mots, Dieu dit le bonheur et le malheur, la justice et la miséricorde, la vie et la mort. Et le prophète est présent pour révéler ce message, pour ouvrir encore et toujours le champ des possibles de Dieu. « C’est à lui qu’il faut attribuer l’ironie dans le sens premier où celle-ci consiste à questionner l’apparence, à la retourner »40. Dans cette perspective, on pourrait dire que Jonas, le prophète qui n’en a pas le titre, prolonge la figure du renversement, il retourne le retournement, permettant ainsi au rôle prophétique de ne jamais s’installer dans l’image même du retournement. Car « désormais plus rien ne peut être tenu pour acquis »41. 40 41

P. BEAUCHAMP 1976, 79. P. RICOEUR 1976, 155.

CONCLUSION Le livre de Jonas nous conduit à établir une distinction entre le « message » d’un livre et son « propos ». Le message est une information précise transmise d’un émetteur à un récepteur. Le commentaire nous a fait prendre distance par rapport à cette attente de recevoir du texte, du narrateur, un message. Le propos, en revanche, propose au lecteur curieux un objectif. Si la structure narrative fait sortir le récit au-delà de lui-même pour rejoindre le monde du lecteur, non seulement du fait de la composition du livre, mais aussi plus simplement de la question finale qui n’a pas obtenu de réponse, il est une autre problématique que ce commentaire a uniquement effleurée et que l’intertextualité a fait rebondir. C’est le statut prophétique du récit et de son protagoniste. « Qu’est-ce qu’un prophète ? » est la question cachée posée par la lecture de ce livre. Il est peut-être à ranger parmi les écrits prophétiques, et son personnage parmi les prophètes. Mais ces statuts sont à entrevoir par le lecteur lui-même, dans la mesure où celui-ci aura pris le temps de découvrir en amont les autres parcours prophétiques. Le lecteur sera alors en mesure de distinguer les différents genres d’engagement imputables à la fonction de prophète, en tentant d’y situer l’intriguant personnage1 qui nous a occupé. La lecture du récit de Jonas rappelle que le phénomène prophétique est une réalité complexe, multiforme, et que le profil des prophètes bibliques diffère fortement. Ils n’ont pour outil que leur parole livrée au bon vouloir de ceux qui l’entendent, mêlée au tohu-bohu des paroles multiples qui résonnent de partout. Le rôle du prophète pourrait se résumer en deux verbes qui entrent continuellement en tension : annoncer et dénoncer. C’est bien ce que fait Jonas, à sa manière. Un autre contraste caractérise également le prophète : il incarne l’utopie en tension permanente avec le désenchantement 2. Si le prophète a toujours son regard tourné vers l’avenir, ses interventions touchent aussi l’ici et le maintenant, qui constitue le présent du lecteur. Comme on le rappelle dans E. DI PEDE, C. LICHTERT 2014, 230-232. R. GRAYBILL 2019, 95-112 développe l’image du prophétisme, en lien avec le personnage de Jonas, comme « une pratique de malheur » (a Practice of Unhappiness, 109). 1 2

CONCLUSION

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De plus, le prophète, appelé par Dieu, de qui il reçoit son autorité, tient sa pertinence d’une communauté de foi : l’absence de lien entre Jonas et une communauté croyante ne constitue-t-elle pas un argument décisif (parmi ceux évoqués), justifiant le fait que le titre de prophète lui serait usurpé ? Ce titre est en effet absent du livre, comme fait défaut le nom de sa communauté : Israël. Jonas est donc seul et il n’est confronté aux autres que malgré lui. En fait, il n’a pas besoin de l’autre pour aller son chemin. Pourtant, cet autre communautaire est bien présent dans le récit et se laisse retourner par sa parole : les marins et les Ninivites deviennent croyants, chacun à sa manière. Jonas, lui, ne cherche pas à créer des émules. Or, si personne ne suit le prophète, celui-ci s’éclipse alors, de lui-même. C’est bien ce que fait Jonas à la fin du récit : il disparaît. Alors que le livre de Jonas s’insère très bien dans le genre et dans le corpus prophétiques, quel titre peut-on donner à son héros ? Est-il prophète ? Si oui, est-ce un vrai ou un faux ? Cette double question fait à présent sourire le lecteur. Car elle néglige le genre du récit qui vient d’être parcouru. Le lecteur ne se laissera plus faire, lui qui n’a cessé d’être embarqué et débarqué par le narrateur au cours de l’intrigue : il sait désormais que le genre ironique l’empêchera de trancher ; il sait que, dans la Bible, le vrai prophète qui réussit est un prophète inefficace, un prophète dont les avertissements finalement ne se matérialisent pas3. Le lecteur a donc essentiellement été le témoin d’une démonstration narrative centrée sur l’attribut divin monté en épingle par Jonas. Car Jonas a été confronté à un Dieu juste et miséricordieux. Le bonhomme n’apprécie pas cette conjonction de coordination « et » ! Pourtant il sait à qui il a affaire, il sait que YHWH est un Dieu capable de retourner en miséricorde sa justice pourtant promise, et il sait que ce revirement se réalise par surprise. Et ça lui est insupportable. Oui, Jonas, c’est « l’histoire d’un prophète qui se soustrait à la réversibilité divine »4. Pourquoi le lecteur est-il convoqué à la fin pour prendre le relais de Jonas ? Parce que celui-ci ne répond pas à la question de Dieu qui clôt le livre, parce que le lecteur incarne désormais cette communauté qui peut prolonger la parole de Dieu dans l’ici et le maintenant, et parce qu’en sortant ainsi du récit, et en poursuivant l’intrigue, il a été amené 3 Selon W.S. HOUSTON 1993, 167-188, tous les bons prophètes sont de faux prophètes, défaisant leurs propres paroles dans l’acte même de les produire. 4 J.-P. SONNET 2012, 146 ; pour poursuivre, voir J.-P. SONNET 2016a, 17-20.

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à découvrir des attributs de Dieu, c’est-à-dire à prendre conscience de l’image qu’il s’en était fait au commencement de sa lecture. Jonas est irréversible, fermé aux possibles de Dieu. Dieu est réversible, ouvrant le champ à de nouveaux possibles. Le lecteur est appelé à reconnaître cette réversibilité possible de Dieu, et à se risquer à devenir réversible lui-même, en traversant les inattendus de la vie, dont le court récit qu’on vient de lire a donné de nombreux exemples. Tout peut donc toujours être rejoué. Jon 4,12 sera toujours à écrire…

APPENDICE JON 1 – 4 1er acte 2e acte

(1,1-3) 3,1-4

1,4-7 / 1,8-10 / 1,11-16 3,5-8a / 3,8bc-10

2,1-11 4,1-11

JONAS 1,1-3 Et la parole de YHWH fut vers Jonas fils d’Amittaï disant :

1

2 « Lève-toi, VA vers NINIVE la grande ville et clame sur / contre elle que / car leur mal est monté devant moi ».

Et Jonas se leva pour fuir à Tarsis de devant YHWH

3

et il descendit (à) Jaffa et il trouva une embarcation VENANT (à) TARSIS et il donna sa location et il y descendit pour venir avec eux à Tarsis de devant YHWH.

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JONAS 1,4-16 Mais YHWH lança un grand vent vers la mer et il y eut une grande tempête dans la mer et l’embarcation pensa à se briser. 5 ET LES MARINS CRAIGNIRENT et ils crièrent chacun vers son dieu et ils lancèrent les objets dans l’embarcation vers la mer pour s’alléger de sur eux alors que Jonas était descendu vers le fond de la coque et il s’était couché et il était endormi profondément. 6 Et le chef de l’équipage s’approcha vers lui et il lui dit : « Qu’as-tu dormant profondément ? Lève-toi, clame vers ton dieu. Peut-être le dieu songera-t-il à nous et NOUS NE PÉRIRONS PAS. » 7 Et ils dirent chacun vers son compagnon : « Allez ! Que nous fassions tomber des sorts, QUE NOUS SACHIONS À CAUSE DE QUI ce mal (est) à nous. » Et ils firent tomber des sorts et le sort tomba sur Jonas. 4

8

Et ils lui dirent : « Raconte-nous donc À CAUSE DE QUI ce mal (est) à nous ; quelle (est) ton affaire et d’où viens-tu, quel (est) ton pays et de quel peuple (es)-tu ? » 9 Et il leur dit : « (Je suis) hébreu, moi et YHWH le Dieu du ciel moi, JE CRAINS, qui a fait la mer et la (terre) sèche ! » 10 ET LES HOMMES CRAIGNIRENT, UNE GRANDE CRAINTE, et ils lui dirent : « Qu’est-ce ceci (que) tu as fait ? » Car LES HOMMES SAVAIENT que de devant YHWH il (était) fuyant, car il (le) leur avait raconté. 11

Et ils lui dirent : « Que te ferons-nous (pour) que s’apaise la mer de sur nous ? » Car la mer (était) allant et tempêtant. 12 Et il leur dit :« Portez-moi et lancez-moi vers la mer, que s’apaise la mer de sur vous, car JE SAIS, MOI, QUE C’EST À CAUSE DE MOI que cette grande tempête (est) sur vous. » 13 Et les hommes ramèrent pour faire revenir vers la (terre) sèche mais ils ne purent pas car la mer (était) allant et tempêtant sur eux. 14 Et ils clamèrent vers YHWH et ils dirent : « Ah, YHWH, que NOUS NE PÉRISSIONS donc PAS pour la vie de cet homme ! Mais ne mets pas sur nous un sang innocent, car toi YHWH, comme tu as trouvé bon, tu as fait. » 15 Et ils portèrent Jonas et ils le lancèrent vers la mer et la mer s’arrêta hors de sa rage. 16 ET LES HOMMES CRAIGNIRENT, UNE GRANDE CRAINTE, YHWH et ils sacrifièrent un sacrifice à YHWH et ils vouèrent des vœux.

APPENDICE

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JONAS 2 Et YHWH manda un grand poisson pour avaler Jonas et Jonas fut dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits, 2 et Jonas pria vers YHWH son Dieu des entrailles de la poissonne 3et il dit : 1

« j’ai clamé de détresse à moi vers YHWH et il m’a répondu ; du ventre du Shéol j’ai appelé : tu as entendu ma VOIX. 4

Et tu m’avais jeté (au) gouffre dans le cœur des mers et un courant m’avait entouré, toutes tes vagues et tes flots sur moi passaient. 5 Et moi, j’ai dit : j’ai été chassé d’en face de tes yeux ; pourtant je continuerai de regarder vers le temple de ta sainteté. 6

Des eaux m’avaient encerclé jusqu’à (la) gorge, un abîme m’avait entouré, (une) algue (était) liée à ma tête. 7 Aux bases de montagnes j’étais descendu ; la terre : ses verrous derrière moi à jamais ; et tu as fait monter de (la) fosse ma vie, YHWH mon Dieu. Quand défaillait sur moi ma gorge, de YHWH je me suis souvenu, et ma prière vint vers toi, vers le temple de ta sainteté.

8

9

Ceux qui gardent des fumées de néant, leur amour, qu’ils (l’) abandonnent ! Et moi, en une VOIX de reconnaissance, que je sacrifie à toi ! Ce que j’ai voué, que je (l’)accomplisse : le salut à YHWH ! »

10

Et YHWH dit au poisson et il vomit Jonas vers la (terre) sèche.

11

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JONAS 3 Et la parole de YHWH fut vers Jonas une seconde (fois) disant : « LÈVE-toi, va vers Ninive la grande ville et clame vers elle la proclamation que moi je vais te parler. »

1 2

Et Jonas SE LEVA et il alla vers Ninive selon la parole de YHWH. Or Ninive était une ville grande pour Dieu, une allée de trois jours. 4 Et Jonas commença à venir dans la ville, une allée d’un seul jour, et il clama et il dit : « Encore quarante jours et Ninive (est) retournée / détruite. » 3

5

Et les hommes de Ninive crurent en Dieu et ils proclamèrent un jeûne et ils revêtirent des sacs de leur grand et jusqu’à leur petit. 6

Et la parole atteignit le roi de Ninive, et il SE LEVA de son trône et il fit passer son manteau de sur lui et il se couvrit d’un sac et il S’ASSIT sur la cendre,

7

et il fit crier et il dit dans Ninive : « Par le décret du roi et de ses grands, disant :

“Que l’humain et la bête, le gros et le petit bétail ne goûtent à rien, qu’ils ne paissent pas, et (d’) eau qu’ils n’en boivent pas, 8 et que l’humain et la bête se couvrent de sacs, et qu’ils clament vers Dieu avec force, et qu’ils reviennent chacun de son mauvais chemin et de la violence qui (est) en leurs paumes. 9 Qui sait ? Le Dieu reviendra et se repentira et il reviendra de l’ardeur de sa colère et nous ne périrons pas.” » 10 Et le Dieu vit leurs faits, car / qu’ils revenaient de leur mauvais chemin, et le Dieu se repentit à propos du mal qu’il avait parlé de leur faire, et il ne (le) fit pas.

APPENDICE

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JONAS 4 1

Et il y eut du mal vers Jonas, un GRAND mal, et cela l’enflamma, et il pria vers YHWH et il dit : « Ah, YHWH ! N’était-ce pas ceci ma parole tant que j’étais sur mon sol ? Voilà pourquoi je m’orientai pour fuir à TARSIS car JE SAIS que toi, (tu es) un Di(eu) de grâce et de pitié, lent à la colère et abondant d’amour et se repentant à propos du mal. 2

Et maintenant YHWH, prends donc mon souffle, car bonne (est) ma mort plus que ma vie ! » 4 Et YHWH dit : « Est-ce bien que cela t’enflamme ? » 3

5

Et Jonas sortit hors de la ville et il s’assit à l’orient de la ville et là, il se fit une cabane et il s’assit en dessous d’elle, dans l’ombre, jusqu’à ce qu’il voie ce qui sera dans la ville. 6 Et YHWH Dieu manda un ricin et il monta par-dessus pour Jonas pour qu’il y ait une ombre sur sa tête pour le délivrer de son mal, et Jonas se réjouit à propos du ricin, une GRANDE joie ! 7

Et le Dieu manda un ver quand monta l’aurore au lendemain et il piqua le ricin et il sécha. 8 Et lorsque le soleil apparut, Dieu manda un vent d’orient brûlant et le soleil piqua sur la tête de Jonas et il défaillit. Et il demanda son souffle pour mourir et il dit : « Bonne (est) ma mort plus que ma vie ! » 9 Et Dieu dit à / vers Jonas : « Est-ce bien que cela t’enflamme à propos du ricin ? » Et il dit : « C’est bien que cela m’enflamme jusqu’à (la) mort ! » Et YHWH dit : « Toi, tu es chagrin à propos du ricin pour lequel tu n’as pas fatigué et que tu n’as pas fait GRANDIR, qui fils d’une nuit fut et fils d’une nuit périt. 11 Et moi je ne serais pas chagrin à propos de NINIVE la GRANDE ville où il y a plus de douze myriades d’humains qui NE SAVENT PAS entre leur droite et leur gauche et du bétail abondant ? » 10

[…]

BIBLIOGRAPHIE Comme déjà signalé, les travaux sur le livre de Jonas – ouvrages et articles – sont pléthoriques. Pour une vision complète et jusqu’à 2003, je renvoie à mon status quaestionis1. ABRAHAM 1999 - Nicolas ABRAHAM, Jonas et le cas Jonas. Essai de psychanalyse littéraire, Paris, Flammarion, 1999². ALEXANDRE 2001 - Jean ALEXANDRE, Les zèles de la colombe. Un parcours biblique à partir du livre de Jonas, Saint-Coutant, 2001. ALEXANDRE 2003 - Jean ALEXANDRE, Jonas ou l’oiseau du malheur. Variations bibliques sur un thème narratif (Sémantiques), Paris, L’Harmattan, 2003. ALTER 1999 - Robert ALTER, L’art du récit biblique (Le livre et le rouleau 4), Bruxelles, Lessius, 1999. BASSET 2002 - Lytta BASSET, Sainte colère. Jacob, Job, Jésus, Paris-Genève, Bayard, 2002. BAZZANA 2010 - Giovanni B. BAZZANA, « Cucurbita super caput Ionae. Translation and Theology in the Old Latin Tradition », VT 60 (2010) 309-322. BEAUCHAMP 1976 - Paul BEAUCHAMP, L’un et l’autre Testament, t.1 : Essai de lecture (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1976. BEN ZVI 2009 - Ehud BEN ZVI, « Jonah 4:11 and the Meta-prophetic Character of the Book of Jonah », JHS 9 (2009) 1-3. BEN YOSEF 1980 - I.A. BEN YOSEF, « Jonah and the Fish as a Folk Motif », Semitics 7 (1980) 102-117. BERGER 2016 - Yitzhak BERGER, Jonah in the Shadows of Eden (ISBL), Bloomington, Indiana University Press, 2016. BOCHET 2006 - Marc BOCHET, Jonas palimpseste. Réécritures littéraires d’une figure biblique (Le livre et le rouleau 27), Bruxelles, Lessius, 2006. BOLIN 2010 - Thomas M. BOLIN, « Jonah 4,11 and the Problem of Exegetical Anachronism », SJOT 24 (2010) 99-109. BOSMA 2013 - Carl J. BOSMA, « Jona 1:9 – An Example of Elenctic Testimony », CTJ 48 (2013) 65-90. BROWN 2017 - Erica BROWN, Jonah. The Reluctant Prophet (Maggid Studies in Tanakh), New Milford-Jérusalem, Toby Press, 2017. BÜHRER 2015a - Walter BÜHRER, « Untersuchungen zur literarischen Gestaltung des Jona-Buches », BN 166 (2015) 29-50. BÜHRER 2015b - Walter BÜHRER, « Der Gott Jonas und der Gott des Himmels. Untersuchungen zur Theologie des Jona-Buches », BN 167 (2015) 65-78.

1

C. LICHTERT 2005b, 192-214, 330-354.

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