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French Pages [331] Year 2020
C U LT U R A L S T U D I E S IN MARITIME AND U N D E R WA T E R ARCHAEOLOGY VOLUME 1
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Utilisation et perception de l’espace lacustre durant la période Tiwanaku (500-1150 PCN) CHRISTOPHE DELAERE
B A R I N T E R NAT I O NA L S E R I E S 2 9 6 6
2020
C U LT U R A L S T U D I E S IN MARITIME AND U N D E R WA T E R ARCHAEOLOGY VOLUME 1
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Utilisation et perception de l’espace lacustre durant la période Tiwanaku (500-1150 PCN) CHRISTOPHE DELAERE
B A R I N T E R NAT I O NA L S E R I E S 2 9 6 6
2020
Published in 2020 by BAR Publishing, Oxford BAR International Series 2966 Cultural Studies in Maritime and Underwater Archaeology, Volume 1 Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie ISBN 978 1 4073 5656 3 paperback ISBN 978 1 4073 5657 0 e-format DOI https://doi.org/10.30861/9781407356563 A catalogue record for this book is available from the British Library © Christophe Delaere 2020 Cover image Titicaca Project, Bolivia (Photo by Teddy Seguin 2018) The Author’s moral rights under the 1988 UK Copyright, Designs and Patents Act are hereby expressly asserted. All rights reserved. No part of this work may be copied, reproduced, stored, sold, distributed, scanned, saved in any form of digital format or transmitted in any form digitally, without the written permission of the Publisher. Links to third party websites are provided by BAR Publishing in good faith and for information only. BAR Publishing disclaims any responsibility for the materials contained in any third party website referenced in this work.
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C U LT U R A L S T U D I E S I N M A R I T I M E A N D U N D E R WAT E R A R C H A E O L O G Y Series Editors: Linda Hulin (Oxford) and Veronica Walker-Vardillo (Helsinki) In the thirty years since Christer Westerdahl called for the study of maritime cultural landscapes, the field of maritime and underwater archaeology has been dominated by economic studies and the exploration of boat building traditions. Yet there has been a quiet sea-change, with more and more graduate studies oriented towards maritime cultural life on land as well as on board ship, and including inland rivers, lakes and waterways in the scope of their inquiry. The series embraces all forms of theory in maritime and underwater archaeology that increases understanding of maritime cultural practices and identities in the past. The geographical scope of the series is global, with contributions from all regions of the world and from all time periods, from the Palaeolithic to the modern world.
Editorial advisory board Carlos Ausejo, Peru Ina Berg, UK Aaron Brody, USA Ben Ford, USA Kristin Ilves, Helsinki Akifumi Iwabuchi, Japan Ligaya S.P. Lacsina, The Philippines Emilia Mataix Ferrandiz, Finland Cliff Pereira, Hong Kong Himanshu Prabha Ray, India Wendy van Duivenvoorde, Australia Christer Westerdahl, Denmark Assaf Yasur-Landau, Israel
L’archéologie maritime [lacustre] est de plus en plus tout simplement de l’archéologie. (Flatman 2011: 311).
Remerciements Projet Huiñaimarca 2012–2014 Nous souhaitons exprimer notre plus sincère gratitude au professeur Peter Eeckhout de l’Université libre de Bruxelles pour sa supervision scientifique, son encadrement et ses encouragements constants sans lesquels ce projet de recherche, allant de l’exécution des différentes opérations d’archéologie dans les eaux du lac Titicaca à l’élaboration de ce corpus, n’aurait pas vu le jour. Nous exprimons également notre gratitude au professeur Éric Rieth de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, co-promoteur de ce projet de recherche, de nous avoir encadré et précieusement guidé à travers l’élaboration des stratégies de fouilles en contexte immergé adapté à cette vaste étendue d’eau que représente le lac Titicaca.
toute l’équipe, collègues et amis du CReA Patrimoine, avec une pensée particulière pour mes quatre compagnons de route: Dorian Vanhulle, Pauline Clauwaerts, Nelly Venant et Jean Vanden Broeck-Parant. Le Laboratoire de Physiologie et de Biologie Appliquée (ULB), et en particulier le professeur Constantino Balestra pour son suivi et ses conseils sur l’impact physiologique de la plongée en altitude et sa mise à disposition de matériel médical pour garantir la sécurité des plongeurs de la mission. Le Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier et tout particulièrement le Dr Jean Triboulet pour sa collaboration scientifique décisive lors des trois années de missions avec l’utilisation d’un Robot sous-marin téléguidé (ROV) pour accéder aux eaux plus profondes du lac, un équipement de prospection géophysique (SONAR) pour obtenir des images acoustiques des fonds lacustres, et son équipement de modélisation tridimensionnelle pour l’analyse de certaines céramiques. Nous remercions également Benoît Ropars, doctorant, chargé des manipulations robotiques en condition hyperbare lors des missions 2013 et 2014.
Nous exprimons toute notre gratitude à Marcial Medina Huanca, ami, collègue et co-directeur du projet de fouilles, présent à nos côtés depuis 2007 dont la ténacité, l’endurance et la volonté ont permis au Projet Huiñaimarca 2012-2014 de se concrétiser et de rester à flots durant 3 ans. Les résultats sont aujourd’hui présentés dans cette dissertation. Nous remercions ensuite chaleureusement tous les responsables et partenaires de ce projet qui, quelle que soit la nature de leur implication, ont contribué à la concrétisation des différentes étapes de mise en place du projet de fouilles:
L’Institut Recherche pour le développement - IRD La Paz, son représentant Jacques Gardon, et en particulier Dr Stéphane Guedron pour sa collaboration fructueuse à l’étude des données paléolimnologiques issues de différents carottages de sédiments réalisés à proximité de sites archéologiques immergés localisés dans le cadre du projet. Nous remercions également l’IRD pour sa convention de collaboration scientifique et l’accès à une partie de son équipement à David Amouroux, Xavier Lazzaro et Erwan Amice.
Le Fonds National de la Recherche Scientifique - F.R.S.FNRS, et sa responsable Dr Véronique Halloin, pour l’opportunité qui nous a été offerte d’élaborer ce projet grâce une bourse de recherche d’Aspirant FNRS pour une durée de quatre ans. L’Université Libre de Bruxelles ULB, et son recteur le professeur Didier Vivier, ainsi qu’au(x) président de l’Université, vices-recteurs, doyen, professeurs et responsables de département ou services, en particulier Alain Delchambre, Serge Jaumain, Pierre de Maret, Pierre Marage, Daniele Carati, Françoise Magerman, Nathalie Gobbe, Angélique Greindl, Gaëlle Ducarme, Finoa Demeur, Chantal Erteveld, Jeanne Gallardo Atienza, Catherine Frenay, Patricia Mercier, Nicolas Dassonville et Marylène Poelart, ainsi que toutes les personnes à qui nous prions d’accepter nos excuses pour cette liste incomplète.
Le Musée du Quai Branly, et sa responsable des collections du département Amérique Dr Paz Nuñez-Regueiro, ainsi qu’à toute l’équipe de gestion et de conservation des collections pour leur accueil et disponibilité. Le Staatliche Museen zu Berlin, et sa responsable des collections du département Amérique Dr Manuela Fischer, ainsi qu’à toute l’équipe de gestion et de conservation des collections pour leur accueil et disponibilité.
Le Centre de Recherche Archéologie et Patrimoine CReA (ULB) et son ancien directeur le professeur Laurent Bavay et son actuelle directrice Agnès Vokaer, ainsi que
Le 14Chrono Centre - Queens University Belfast, et son responsable Dr Stephen Hoper, pour l’analyse des échantillons prélevés en 2013 au Titicaca.
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie L’Institut royal du Patrimoine artistique - IRPA et Dr Mathieu Boudin, pour l’analyse des échantillons prélevés en 2014 au Titicaca, ainsi que ses conseils pour les problématiques d’effet réservoir indissociables des eaux lacustres.
La Direction générale Coopération au développement - DGD, et son directeur général adjoint Monsieur Charles Bois d’Enghien, ainsi que Valdi Fischer, Guido Schueremans et Barbara Delcourt pour l’opportunité qu’ils nous offrent dès 2016.
Le Centre de Recherches Archéologiques Fluviales CRAF et son président et fondateur Marc Jasinski, pour son étroite collaboration et l’accès aux infrastructures de Han-sur-Lesse où nous avons éprouvé au préalable les stratégies de fouilles appliquées au Titicaca.
La Coopération Technique Belge - CTB et en particulier Alain Laigneaux et Cécile Roux, avec qui nous travaillons depuis le mois de février 2014 à l’élaboration du projet Titicaca 2016-2018 qui bénéficiera d’un financement important de la part du Ministère de la Coopération au développement de Belgique depuis la signature de la commission mixte entre le gouvernement bolivien et le gouvernement belge.
L’Unité mixte de Recherche Archéologie des Amériques (ARchAm) Paris I-CNRS et Dr Maria Guerra pour son expertise décisive sur les métaux précieux.
Nous remercions tous nos partenaires, entreprises et collectifs qui ont contribué au financement des différentes missions réalisées en Bolivie en 2013 et 2014, et sans qui la réalisation concrète de ces missions n’aurait pas vu le jour en l’absence de moyens permettant de couvrir tous les frais liés au fonctionnement d’une équipe qualifiée, ainsi qu’aux analyses nécessaires à la qualité des résultats:
Nous souhaitons ensuite exprimer nos plus sincères remerciements aux autorités boliviennes et belges pour leurs soutiens inconditionnels dans le cadre des différentes missions effectuées au lac Titicaca entre 2012 et 2014: L’État plurinational de Bolivie, son président Monsieur Evo Morales que nous remercions pour son accueil chaleureux, et l’intérêt qu’il a porté au projet Titicaca, ainsi qu’à monsieur le vice-président Álvaro García Linera pour son invitation.
Le Fonds National de la Recherche Scientifique - F.R.S.FNRS, et sa responsable Dr Véronique Halloin, pour la bourse de recherche dont nous bénéficions actuellement, mais également pour tous les autres financements complémentaires sous forme de crédits de fonctionnement et de séjours à l’étranger.
Le Ministère de la Culture et du Tourisme de Bolivie - MCyT, et son responsable Monsieur le ministre Pablo Roux et Monsieur le vice-ministre de l’interculturalité Ignacio Soquere Tomicha.
Panoramique Terre Productions, et son responsable Frédéric Cordier, dont la convention établie avec l’Université libre de Bruxelles dans le cadre de la réalisation d’un film documentaire a donné l’impulsion au démarrage du projet dès 2011, ainsi que l’attractivité nécessaire en termes de visibilité ayant abouti à des financements issus de différentes entreprises, associations et collectifs.
La Direction générale du Patrimoine culturel de Bolivie, et son directeur Dr Marcos Michel, pour son suivi constant. L’Unité d’archéologie et des Musées - UDAM et son directeur Lic. Julio Ballivián, ainsi qu’à tous les collaborateurs et archéologues de l’unité d’archéologie.
NEMO 33, et son responsable John Bernaerts, dont la généreuse contribution a permis de concrétiser le premier projet de fouilles proprement dit en 2013.
Les autorités communautaires et habitants, pour leurs autorisations, soutiens, encouragements et intérêt qu’ils ont portés au projet de fouilles. Leur générosité et leur disponibilité ont été décisives dans le fonctionnement du projet, notamment grâce à leur mise à disposition d’infrastructures, de bateaux, de personnels, de bidons d’essence - nerf de la guerre pour l’archéologie lacustre - et naturellement pour leur accueil chaleureux, leur intégration à la vie communautaire et leurs invitations à participer activement aux fêtes traditionnelles lacustres. Nous pensons particulièrement aux communautés de Challa et Yumani au sein desquelles nous avons principalement vécu avec toute l’équipe de fouilles.
L’Union des Anciens Etudiants - UAE (ULB), et son ancien président Eddy Caekelberghs, pour leurs différentes contributions, non seulement dès 2009 sous forme de bourse qui nous a permis de couvrir les premiers frais de notre formation de scaphandrier dans le sud de la France, mais également en 2013 pour leur généreuse contribution issue de ce collectif d’anciens étudiants. Nous remercions également François Mespreuve, Cécile Sztalberg, Juana Mesa Romero et Xavier Ide. La Fondation ULB, et son président Pierre Drion, pour avoir généreusement financé la majorité de la mission 2014, et avoir de ce fait contribué à préserver la pérennité du projet de fouilles au lac Titicaca.
Le bureau de coopération de l’ambassade de Belgique à La Paz et ses responsables Roland Provost et Alain Schmitz, dont l’aide et l’encadrement depuis le début du projet de fouilles en 2012 nous ont permis de trouver notre chemin dans le labyrinthe juridique et administratif des institutions boliviennes, ainsi que leur disponibilité constante et rassurante.
La Présidence de l’ULB, et son ancien président Alain Delchambre, pour avoir complété l’enveloppe de la mission 2014. vi
Remerciements Le Centre de Recherche Archéologie et Patrimoine CReA (ULB), dont nous avons non seulement bénéficié des infrastructures et du matériel scientifique, mais également des fonds de réserve sous forme de prêt ayant permis de clôturer le budget de démarrage 2014.
Laforest, Marie-Julie Declerck, Aline Huybrechts, Jean Triboulet, Benoît Ropars, Homar Terez Ramirez, Fabrice Debusschere, José Capriles, Maria Guerra, Emmanuel Gobbe, Alexandra Cromphout et Frédéric Cordier. Nous remercions également les professeurs, américanistes ou archéologues pour leurs conseils et relectures, en particulier Charles Stanish, Antti Korpisaari, Patricia Knobloch, Ryan Williams, Johan Reinhard, Sylvie Vanseveren. Nous pensons également à Valérie Fassotte pour avoir réalisé des tables de décompression (COMEX) adaptées à l’altitude du lac Titicaca (3809 mètres), et à nos amis et compagnons de route qui nous ont suivis en Bolivie entre 2010 et 2014, en particulier Adrien Dewez, Cédric Danniau, Frédéric Goldschmidt, Olivier D’Hallewin, Sophie Hayard, Florence Vanhelden et Florence Rappez, ainsi que notre famille, nos grands-parents paternels, nos sœurs et nos parents.
Les dons individuelles, que ce soit sous forme de bénévolat - notamment pour l’équipe scientifique de 2012 et 2013 - que sous forme de dons substantiels, et en particulier Dominique Jonckheere, Denis et Ghislaine Goldschmidt, Marc Jasinski, Jean et Nicole Delaere, ainsi qu’aux amis, sympathisants et anonymes. Nous souhaitons en fin exprimer notre amitié et nos félicitations à l’ensemble des équipes scientifiques et techniques qui ont participé ou collaboré aux quatre missions de fouilles dans les eaux du lac Titicaca: Proyecto Huiñaimarca 2012 (avril): Marcial Médina Huanca (codirecteur), Jean Triboulet, Cindy Delaere, et Frédéric Cordier.
Nous remercions la Fondation Wiener-Anspach qui nous a permis d’éditer cet ouvrage dans le cadre de notre bourse de recherche postdoctorale à Oxford (2018-2020) en tant que Junior Research Fellow au Oxford Centre for Maritime Archaeology (OCMA) sous la direction du Prof. Peter Eeckhout (ULB) et du prof. Damian Robinson (Oxford).
Proyecto Huiñaimarca 2013 (février): Marcial Médina Huanca (codirecteur), Ruth Fontenla, Carla Flores et Frédéric Cordier. Proyecto Huiñaimarca 2013 (juin-juillet): Marcial Médina Huanca (co-directeur), Ruth Fontenla, Carla Flores, Bérenger Debrand, Laurent Masselin, José-Oscar Encuentra, Girogio Spada, Pascal Laforest, Arnaud Bourguignon, Marie-Julie Declerck, Aline Huybrechts, Jean Triboulet, Benoît Ropars, Hilarion Quispe, Alicia Mamani, John Bernaerts, Olivier Pierre, Homar Terez Ramirez, Fabrice Debusschere, José Capriles et Frédéric Cordier.
Pour clôturer, nous souhaitons spécialement remercier cinq personnes: Monsieur l’ambassadeur de Bolivie à Bruxelles René Fernandez pour son amitié, son aide et son soutient inconditionnel depuis 2012, Florence Doyen, mentor et phare dans la nuit, pour avoir corrigé ce manuscrit et nous avoir guidé tout au long de notre parcours scientifique et de vie, Marc Jasinski pour son amitié et son aide depuis 2009, et plus particulièrement Florence Rappez, compagne de tous les jours et notre principale source d’énergie, à qui nous dédions nos travaux passés et à venir, ainsi qu’à notre fils, Robin Delaere.
Proyecto Huiñaimarca 2014 (mai-juin): Marcial Médina Huanca (co-directeur), Ruth Fontenla, Bérenger Debrand, Laurent Masselin, Girogio Spada, Julien Dez, Pascal
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Table des matières Liste des figures............................................................................................................................................................ xiii Introduction......................................................................................................................................................................... 1 Partie I. Occupation de l’espace littoral et utilisation de l’espace lacustre Tiwanaku................................................. 3 1. Paysage culturel lacustre du Titicaca............................................................................................................................ 5 1.1. Introduction............................................................................................................................................................... 5 1.2. Bassin lacustre........................................................................................................................................................... 6 1.3. Archéologie lacustre.................................................................................................................................................. 9 1.4. Paysage culturel lacustre......................................................................................................................................... 12 1.5. Dynamiques de peuplement.................................................................................................................................... 15 2. Tiwanaku, une culture lacustre?................................................................................................................................. 23 2.1. Introduction............................................................................................................................................................. 23 2.2. Évolution du paysage culturel Tiwanaku................................................................................................................ 25 2.3. Nature du pouvoir Tiwanaku et diffusion culturelle............................................................................................... 32 2.4. La céramique comme indicateur culturel................................................................................................................ 34 3. Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca................................................ 41 3.1. Introduction............................................................................................................................................................. 41 3.2. Tradition de recherches........................................................................................................................................... 41 3.3. Antécédents et enjeux de la recherche (1954–2004)............................................................................................... 42 3.4. Stratégies d’interventions (2012–2014).................................................................................................................. 46 4. Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu).......................................... 53 4.1. Introduction............................................................................................................................................................. 53 4.2. Antécédents............................................................................................................................................................. 53 4.3. Problématiques et stratégie de fouilles (2014)........................................................................................................ 55 4.3.1. Géomorphologie de l’extrémité méridionale de l’île du Soleil....................................................................... 55 4.3.2. Fluctuations du lac durant les périodes anciennes.......................................................................................... 57 4.3.3. Stratégies d’interventions subaquatiques........................................................................................................ 60 4.4. Puncu 2 (Sondages #8, #11, #10 et #12)................................................................................................................. 62 4.4.1. Morphologie et description des sondages....................................................................................................... 62 4.4.2. Nature et distribution des artefacts.................................................................................................................. 65 4.4.3. Identification et distribution de la céramique Tiwanaku................................................................................. 69 4.5. Puncu 1 (Sondages #1 à #7).................................................................................................................................... 75 4.5.1. Morphologie et description des sondages....................................................................................................... 75 4.5.2. Nature et distribution des artefacts.................................................................................................................. 78 4.5.3. Identification et distribution des artefacts en céramique................................................................................. 84 4.6. Discussions thématiques......................................................................................................................................... 91 4.6.1. Puncu et les fluctuations du lac Titicaca (300–1532 PCN)............................................................................. 91 4.6.2. Utilisation du littoral lacustre Tiwanaku (500–1150 PCN)............................................................................. 94 4.6.3. Espaces portuaires et navigation lacustre (500–1532 PCN)........................................................................... 99 4.7. Conclusion............................................................................................................................................................ 104 Partie II. Pratiques d’offrandes d’incensarios et perception de l’espace sacré Tiwanaku....................................... 105 5. L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)..................... 107 5.1. Introduction........................................................................................................................................................... 107 5.2. Antécédents (1977–1992)..................................................................................................................................... 108 5.3. Problématiques et stratégie de fouilles (2013)...................................................................................................... 113 5.4. Sondage #1............................................................................................................................................................ 118 5.4.1. Morphologie et description du sondage........................................................................................................ 118 ix
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 5.4.2. Nature et distribution des offrandes.............................................................................................................. 122 5.4.3. Discussion: assemblages des offrandes......................................................................................................... 139 5.5. Sondage #3............................................................................................................................................................ 141 5.5.1. Morphologie et description du sondage: discussion..................................................................................... 141 5.5.2. Nature et distribution des offrandes.............................................................................................................. 144 5.5.3. Discussion: assemblages des offrandes (Tiwanaku)...................................................................................... 155 5.6. Sondage #2............................................................................................................................................................ 161 5.6.1. Morphologie et description du sondage (stérile)........................................................................................... 161 5.7. Conclusions........................................................................................................................................................... 161 6. Morphologie et technologie des incensarios.............................................................................................................. 165 6.1. Introduction........................................................................................................................................................... 165 6.2. Problématiques ..................................................................................................................................................... 165 6.3. Nouveaux référentiels typologiques...................................................................................................................... 168 6.4. Forme(s) de l’incensario pré-Tiwanaku................................................................................................................ 170 6.4.1. L’incensario-puma (a)................................................................................................................................... 170 6.4.2. Bol Qeya à fond plat .................................................................................................................................... 172 6.5. Formes de l’incensario Tiwanaku......................................................................................................................... 172 6.5.1. L’incensario-puma (A).................................................................................................................................. 174 6.5.2. L’incensario-lama (B)................................................................................................................................... 181 6.5.3. L’incensario-condor (C)................................................................................................................................ 181 7. L’incensario comme indicateur de l’espace rituel.................................................................................................... 183 7.1. Introduction........................................................................................................................................................... 183 7.2. L’incensario et les espaces rituels de Tiahuanaco (300–1050 PCN).................................................................... 183 7.2.1. Pumapunku.................................................................................................................................................... 184 7.2.2. Akapana......................................................................................................................................................... 185 7.2.3. Akapana-East ( AKE )................................................................................................................................... 188 7.2.4. Mollo Kontu ................................................................................................................................................. 189 7.2.5. Putuni............................................................................................................................................................ 190 7.2.6. Kheri Kala..................................................................................................................................................... 191 7.2.7. Chunchukala.................................................................................................................................................. 191 7.2.8. Kalasasaya .................................................................................................................................................... 191 7.2.9. Temple semi-souterrain................................................................................................................................. 193 7.2.10. Ch’ iji Jawira............................................................................................................................................... 193 7.3. L’incensario et les espaces rituels du bassin lacustre (300–1050 PCN)............................................................... 194 7.3.1. Lukurmata..................................................................................................................................................... 194 7.3.2. Taraco (péninsule)......................................................................................................................................... 199 7.3.3. Desaguadero (bassin).................................................................................................................................... 200 7.3.4. Île Pariti......................................................................................................................................................... 201 7.3.5. Île du Soleil................................................................................................................................................... 203 7.3.6. Île de la Lune................................................................................................................................................. 206 7.3.7. Bassin lacustre septentrional (Pérou)............................................................................................................ 208 7.4. L’incensario et les espaces rituels des territoires périphériques (300–1050 PCN)............................................... 209 7.4.1. Moquegua . ................................................................................................................................................... 209 7.4.2. Cochabamba.................................................................................................................................................. 212 7.4.3. San Pedro de Atacama................................................................................................................................... 212 8. L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré........................................................ 215 8.1. Introduction........................................................................................................................................................... 215 8.2. Performance rituelle et perception de l’espace sacré Tiwanaku........................................................................... 215 8.3. Distribution de l’incensario dans l’espace et dans le temps................................................................................. 218 8.3.1. Distribution de l’incensario dans l’espace.................................................................................................... 218 8.3.2. Distribution de l’incensario dans le temps.................................................................................................... 221 8.3.3. Vers une typo-chronologie?........................................................................................................................... 227 8.4. Variabilité de l’espace rituel et des pratiques d’offrandes..................................................................................... 227 8.4.1. Définition de l’espace rituel.......................................................................................................................... 227 8.4.2. Variantes de l’espace rituel............................................................................................................................ 228 8.4.3. Variantes dans la pratique rituelle................................................................................................................. 230 8.5. L’incensario-officiant au sein de la société Tiwanaku.......................................................................................... 236 x
Table des matières 9. Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN)............ 239 9.1. Introduction........................................................................................................................................................... 239 9.2. Rupture et continuité de la tradition d’offrandes................................................................................................... 239 9.3. Description des offrandes...................................................................................................................................... 240 9.3.1. Arrecife de Khoa........................................................................................................................................... 240 9.3.2. Arrecife de K’Akaya..................................................................................................................................... 245 9.3.3. Arrecife de Merk’e Takiri.............................................................................................................................. 246 9.4. Discussion............................................................................................................................................................. 246 9.5. Conclusion............................................................................................................................................................ 250 Conclusion....................................................................................................................................................................... 253 Bibliographie................................................................................................................................................................... 257 Annexes (codifiées par chapitre).................................................................................................................................... 267 Annexe 2.1. Inventaire et datation des prélèvements organiques analysés – fouilles 2013 et 2014............................ 269 Annexe 3.1. Liste des plongeurs par opération subaquatique – lac Titicaca – Bolivie (1954–2014).......................... 271 Annexe 4.1. Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014)...................................................... 277 Annexe 4.2. Inventaire des ossements (humains et faune) issus de Puncu (2014)...................................................... 287 Annexe 5.1. Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013)........................... 295 Annexe 6.1. Inventaire et identification des incensarios conservés à Berlin (SMB) et Paris (MQB)......................... 307 Annexe 7.1. Inventaire et identification des incensarios documentés en contexte de fouilles (NMI)......................... 309
xi
Liste des figures Figure 1.1. Le lac Titicaca et la cordillère des Andes [Altiplano] (d’après Browman 1981: 411)....................................... 6 Figure 1.2. Bassin versant du lac Titicaca (d’après Boulangé et Jaen 1981: 270, fig.1)...................................................... 7 Figure 1.3. Bassin lacustre, villes principales et morphologie du Titicaca........................................................................... 9 Figure 1.4. Espace insulaire ou continental, espace littoral et espace lacustre [coupe]...................................................... 11 Figure 1.5. Chronologie du bassin lacustre méridional (d’après Janusek 2003a: 31, fig 3.1)............................................ 15 Figure 1.6. Occupation du bassin lacustre durant la période Formative Récente (300–500 PCN) (d’après Hastorf 2005: 70, Fig. 5.5 ; Stanish 2001: 203, Fig. 6 ; Stanish 2003: 149, Table 7.1)...................................................... 17 Figure 1.7. Occupation du bassin lacustre durant la période Tiwanaku (500–1150 PCN) (d’après AlbarracínJordan et Mathews 1990; Bandy 2001; Bauer et Stanish 2001; Flores et Tantaleán 2012; Janusek 2013; Kolata 1996; Lémuz 2001; Plaza 2010; Stanish 2003, 2012; Stanish et Steadman 1994 )............................................................ 18 Figure 1.8. Occupation du bassin lacustre durant la période Altiplano (1150–1430 PCN) (d’après Covey 2012: 302–303, Fig. 16.2, 16.3).................................................................................................................................................... 19 Figure 1.9. Occupation du bassin lacustre durant la période Inca (1430–1532 PCN) (d’après Covey 2012: 306–307, Fig. 16.4, 16.5).................................................................................................................................................... 21 Figure 2.1. Espaces du bassin lacustre documentés par l’archéologie (d’après Covey 2012: 301, Fig. 16.1)................... 24 Figure 2.2. Convention de représentation d’un balsa de totora [vasija, 1150–1530 PCN, Museo de Challa]................... 25 Figure 2.3. Occupation Tiwanaku du bassin méridional du lac Titicaca – lac mineur (d’après Stanish 2003, 2012 ; Albarracín-Jordan et Mathews 1990; Bandy 2001; Kolata 1996; Lémuz 2001; Bauer et Stanish 2001; Stanish et Steadman 1994, carte topographique Laurent Masselin)................................................................................... 26 Figure 2.4. Village moderne et site archéologique de Tiahuanaco (d’après Kolata 2003: Map 1a)................................... 27 Figure 2.5. Partie orientale de la plate-forme du Kalasasaya et Temple semi-souterrain [TIV-TV] (Restaurés entre 1965–1973 et 1961–1964 par le CIAT ) (Photos 2007, Delaere).............................................................................. 28 Figure 2.6. Partie occidentale du Kalasasaya [configuration TIV-TV] en direction du Putuni [TV] (Restaurés entre 1965 et 1973 par le CIAT ) (Photos 2010, Delaere).................................................................................................. 28 Figure 2.7 Base nord-ouest de la pyramide Akapana avec les 3 premiers niveaux conservés [Travaux de restauration de 2010 par le CIAAAT ] (Photos 2010, Delaere).......................................................................................... 29 Figure 2.8. Première et seconde plate-forme de la façade sud du complexe du Puma-Puncu (Travaux de restauration de 2007 par le projet PPP) (Photos 2010, Delaere)......................................................................................... 30 Figure 2.9. Vallée de Tiahuanaco durant la saison des pluies [novembre-mars] (photo 2010, Delaere)............................ 31 Figure 2.10. Territoire de diffusion potentielle de la culture Tiwanaku entre 500 et 1050/1150 PCN............................... 32 Figure 2.11. Stèle Tiwanaku IV et stèle Tiwanaku V [Kalasasaya, Tiahuanaco] (Photos 2007, Delaere)......................... 34 Figure 2.12. Classification et typologie de la céramique Tiwanaku (500–1150 PCN) d’après Janusek (Janusek 1994: 99, 2003a: 57, fig 3.27 ; Alconini 1995: 132; Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Goldstein et Owen 2001: 151–152, Pärssinen 2001: 614)................................................................................................................................. 37 Figure 3.1. Localisation de l’arrecife de Khoa au nord-est de l’île de Khoa (Municipio de Copacabana)....................... 43 Figure 3.2. Coupe simplifiée de l’île et de l’arrecife de Khoa (direction sud-ouest / nord-est à 45°)................................ 44 Figure 3.3. Fluctuation du lac Titicaca (1915–2015) et période d’émersion de l’arrecife de Khoa................................... 45 Figure 3.4. Secteurs documentés ou explorés par des plongeurs entre 1954 et 2004......................................................... 46 Figure 3.5. Secteurs d’études et interventions du projet Huiñaimarca 2012–2014............................................................ 48 xiii
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Figure 3.6. Île du Soleil et localisation des deux secteurs de fouilles intensives 2013 et 2014.......................................... 48 Figure 3.7. Ancre inca (1430–1530 PCN) découverte en prospection à Puncu (Projet PH14 / photo J. Triboulet)........... 50 Figure 3.8. Photogrammétrie d’un sondage du site de Sanka Putu (Projet PT17 / B. Debrand, 2007).............................. 51 Figure 3.9. Fouilles au water-dregde et gestion des rejets au tamis – site de K’anaskia (2017) (Projet PT17 / photo T. Seguin).................................................................................................................................................................. 52 Figure 4.1. Occupation et accès théorique à l’île du Soleil durant la période Tiwanaku et Inca (d’après Stanish et Bauer 2004: 31–35, Table 2.1, Fig. 2.6 et 2.8 )............................................................................................................... 54 Figure 4.2. Photo aérienne au drone du débarcadère du 19e siècle du site de Puncu (aujourd’hui immergé). (PH14)...... 56 Figure 4.3. Séquence paléo-climatologique: alternance des périodes sèches et humides depuis 1500 B.P. (d’après Thompson et al. 1985, Table 1, Janusek 2003a: 31, fig. 3.1)............................................................................... 58 Figure 4.4. Séquence des fluctuations du lac Titicaca entre 200 ACN et 1600 PCN (d’après Abbott et al. 1997 ; Binford et al. 1977, Janusek 2003a: 31, fig. 3.1)................................................................................................................ 59 Figure 4.5. Puncu – localisation des 12 sondages réalisés en 2014 [ULB] (Projet PH14 / L. Masselin – C. Delaere)...... 60 Figure 4.6. Puncu – coupes 1 [#5-#3-#1], 2 [#6-#4-#2], 3 [#7] et 4 [#8-#11-#10-#12]..................................................... 61 Figure 4.7. Puncu 2 – photos du sondage #8, partie amont, et détail de la coupe [début de la fouille]. (Projet PH14 / Photos C. Delaere).................................................................................................................................................. 63 Figure 4.8. Puncu 2 – coupe des sondages #8-#11-#10-#12 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après F. Laurent)........... 64 Figure 4.9. Puncu 2 – coupe stratigraphique du sondage #9.............................................................................................. 65 Figure 4.10. Puncu 2 – sondages #8-#11-#10-#12: distribution des fragments de céramique par sondage....................... 67 Figure 4.11. Puncu 2 – sondages #8-#11-#10-#12: distribution des ossements et des datations 14C par sondage............. 68 Figure 4.12. Typologie de la céramique Tiwanaku (500–1150 PCN) (d’après Janusek 2003a: 57, fig. 3.27)................... 70 Figure 4.13. Puncu 2 – sondages #8-#12: distribution des formes céramiques Tiwanaku – couches inférieures [TIV].... 70 Figure 4.14. Puncu 2 – sondages #8-#12: distribution des formes céramiques Tiwanaku – couche supérieure [TV]....... 71 Figure 4.15. Puncu 2 – fragments de céramiques de type olla et tinaja (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).......................................................................................................................................................................... 72 Figure 4.16. Puncu 2 – distribution des céramiques de type olla et tinaja dans les deux niveaux (TIW).......................... 73 Figure 4.17. Puncu 2 – fragments de céramiques divers (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere)............... 74 Figure 4.18. Puncu 2 – distribution des céramiques de service et sahumadores dans les deux niveaux (TIW)................ 74 Figure 4.19. Puncu 2 – fragments de céramiques Altiplano et Inca (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere)............................................................................................................................................................................... 75 Figure 4.20. Puncu 1 – photos du sondage #7 (plan) et détail de la coupe [avant et début de la fouille]........................... 76 Figure 4.21. Puncu 1 – coupe des sondages #5-#3-#1 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après F. Laurent).................... 76 Figure 4.22. Puncu 1 – coupe des sondages #6-#4-#2 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après J. Dez)........................... 77 Figure 4.23. Puncu 1 – coupe du sondage #7 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après J. Dez)........................................ 79 Figure 4.24. Puncu 1 – sondages #6-#4-#2: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés..... 80 Figure 4.25. Puncu 1 – sondage #7: pierre de taille de facture inca (1430–1532 PCN) [milieu de la fouille]................... 81 Figure 4.26. Puncu 1 – sondage #7: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés................. 81 Figure 4.27. Puncu 1 – sondages #5-#3-#1: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés..... 83 Figure 4.28. Puncu 1 – sondages #5: distribution des fragments de céramique par US et affiliation................................. 83 Figure 4.29. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques de la période LF2 (300–500 PCN)............................... 86
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Liste des figures Figure 4.30. Puncu 1 – sondages #5: distribution des formes céramiques Tiwanaku – US4 [TIV] et US5 [TV].............. 86 Figure 4.31. Puncu 1 – formes des céramiques Tiwanaku (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere)............ 87 Figure 4.32. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques Tiwanaku (500–800 PCN)............................................ 88 Figure 4.33. Puncu 1 – identification par catégorie des formes céramiques post-Tiwanaku (1150–1600 PCN)............... 89 Figure 4.34. Puncu 1 – formes des céramiques Post-Tiwanaku (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).... 90 Figure 4.35. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques Post-Tiwanaku (1150–1432 PCN)............................... 91 Figure 4.36. Puncu 1 – cuenco et aríbalos de facture inca (1430–1532 PCN) (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla).......... 92 Figure 4.37. Puncu 1 – paléo-fond lacustre inca (1430–1532 PCN) de la coupe #5-#3-#1............................................... 93 Figure 4.38. Puncu 2 -Fluctuations du lac Titicaca entre 500 et 1432 PCN (modèle)........................................................ 95 Figure 4.39. Modèle d’interactions sociales du chicha-feasting à l’île de Pariti [commensalisme] (d’après Bandy 2013a: 139, Fig. 8.4a ; Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Fig.2).......................................................................... 98 Figure 4.40. Chaîne opératoire depuis la fabrication de denrée jusqu’à l’évènement de commensalisme (d’après Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Fig.2)........................................................................................................................... 98 Figure 4.41. Reconstitution hypothétique de l’espace portuaire TIV et TV en relation avec le paléo-niveau d’eau....... 100 Figure 4.42. Identification de l’espace portuaire Tiwanaku (500–1150 PCN) et Inca (1430–1532 PCN)....................... 102 Figure 4.43. Identification et reconstitution de l’espace portuaire Tiwanaku (500–1150 PCN) et Inca (1430– 1532 PCN)........................................................................................................................................................................ 103 Figure 5.1. Fragment de tête d’incensario découvert en 1977 (Photo J. Reinhard)......................................................... 108 Figure 5.2. Fragments d’incensarios découverts en 1988 (d’après Archives UDAM [adaptées], Torai Mozai)............. 109 Figure 5.3. Arrecife de Khoa – opérations de juillet 1988 (d’après Archives UDAM [adaptées], Torai Mozai)............. 110 Figure 5.4. Arrecife de Khoa – opérations de 1989 et de 1990 [stations et offrandes] (Plan et Photo de J. Reinhard).....111 Figure 5.5. Incensarios découverts en 1989–1990 [objets n°39] (Photo J. Reinhard)..................................................... 112 Figure 5.6. Feuilles d’or zoomorphes associées à des incensarios – janvier 1992 (Photo J. Reinhard).......................... 112 Figure 5.7. Station de référence et morphologie de la partie nord du site (point A) (Photo J. Reinhard)........................ 112 Figure 5.8. Sommet de l’Arrecife de Khoa hors de l’eau au mois d’août 1991 (Photo J. Reinhard [adaptée])................ 113 Figure 5.9. Image acoustique modélisée et géoréférencée de l’arrecife de Khoa (Projet PH13 / L. Masselin)............... 116 Figure 5.10. Érosion du littoral de l’île de Pallalla [cryoclastie et hydroclastie] (Projet PH13 / Photo L. Masselin)...... 116 Figure 5.11. Arrecife de Khoa – Localisation des sondages réalisés en 2013 [ULB] (Projet PH13 / L. Masselin – C. Delaere)..................................................................................................................................................................... 117 Figure 5.12. Géolocalisation des stations et des artefacts Tiwanaku de 1989–1991 (Projet PH13 / L. Masselin – C. Delaere)........................................................................................................................................................................ 117 Figure 5.13. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur en 2013 [début de la fouille].............................................. 119 Figure 5.14. Coupe du sondage #1 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille]............................. 119 Figure 5.15. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur et distribution des artefacts [pendant la fouille]................. 120 Figure 5.16. Coupe du sondage #1 – Distribution des fragments de céramique [ensemble de la fouille]........................ 121 Figure 5.17. Sondage #1 – Blocs E, et interstices entre le bloc C et les parois de la faille [pendant la fouille]............... 121 Figure 5.18. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur avant le dépôt des offrandes [après la fouille].................... 122 Figure 5.19. Coupe du sondage #1 – Distribution des différents contextes de découvertes codifiés en locus................. 123 Figure 5.20. Morphologie et technologie de la céramique rituelle Tiwanaku de type incensario.................................... 124
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Figure 5.21. Sondage #1 – Bases d’incensarios [13 exemplaires] (Projet PH13 /Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere)............................................................................................................................................................................. 125 Figure 5.22. Coupe sondage #1 – Distribution des bases et des fragments d’incensarios............................................... 126 Figure 5.23. Contexte de découverte et « contenant » de la base 1 [exemplaire intact].................................................... 127 Figure 5.24. Distribution dans la coupe des fragments d’incensario de la base 6............................................................ 128 Figure 5.25. Sondage #1 – Queues d’incensarios [6 exemplaires] (Projet PH13 / Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere)........................................................................................................................................................................ 128 Figure 5.26. Coupe sondage #1 – Distribution des queues et des fragments d’incensarios............................................. 129 Figure 5.27. Sondage #1 – Têtes d’incensarios [10 exemplaires] (Projet PH13 / Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere)............................................................................................................................................................................. 130 Figure 5.28. Sondage #1 – Têtes d’incensarios – exemplaires 5 – 2 – 1 – 6 [de gauche à droite]. Photos M.- J. Declerck et A. Huybrechts................................................................................................................................................ 130 Figure 5.29. Coupe sondage #1 – Distribution des têtes et des fragments d’incensarios................................................. 131 Figure 5.30. Coupe sondage #1 – Contexte de découverte de la tête d’incensario n° 6 [locus 24]................................. 132 Figure 5.31. Coupe sondage #1 – Contexte de découverte de la tête d’incensario n°3 [locus 50 et 5]........................... 133 Figure 5.32. Coupe sondage #1 – Distribution des festons et des fragments d’incensarios [en transparence]................ 133 Figure 5.33. Sondage #1 – Ossements de camélidés [locus 5 et locus 44]....................................................................... 134 Figure 5.34. Coupe sondage #1 – Distribution des ossements de camélidés [incensarios en transparence].................... 134 Figure 5.35. Coupe sondage #1 – Poches [théoriques] représentant trois camélidés juvéniles complets........................ 135 Figure 5.36. Sondage #1 – contexte de découverte et localisation d’une ancre Tiwanaku en andésite............................ 136 Figure 5.37. Sondage #1 – Artefacts en métal précieux laminés [10 exemplaires].......................................................... 136 Figure 5.38. Coupe sondage #1 – Distribution des artefacts en métal [ossements de lamas en transparence]................ 137 Figure 5.39. Locus 68 – Incensario avec pigments, os travaillé, et fragment de cuir associé à une feuille en or............ 138 Figure 5.40. Iconographie du pectoral n° 8 [imagerie par rayons X/ Maria Filomena Guerra], pectoral et contexte de découverte...................................................................................................................................................... 138 Figure 5.41. Distribution des datations 14C et reconstitution hypothétique de 3 assemblages chronologiquement distincts............................................................................................................................................................................. 140 Figure 5.42. Datations radiocarbones du sondage #1 et IS-2 (Oxcal 4.2 – ShCal13)...................................................... 140 Figure 5.43. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur en 2013 [avant la fouille]................................................... 141 Figure 5.44. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur d’intervention [fin de la fouille]......................................... 142 Figure 5.45. Coupe 1–2 du sondage #3 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille]...................... 142 Figure 5.46. Coupe 5–4 du sondage #3 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille]...................... 143 Figure 5.47. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur et distribution des artefacts [début de la fouille]................ 144 Figure 5.48. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des fragments de céramique [ensemble de la fouille].............. 145 Figure 5.49. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des différentes interventions codifiées en locus....................... 145 Figure 5.50. Coupe du sondage #3 [4–5] – codifications en locus et offrandes de la période inca [locus 8]................... 146 Figure 5.51. Plan du sondage #3 – fragments de céramiques pré-Tiwanaku [locus 46 et 55].......................................... 147 Figure 5.52. Sondage #3 – Exemples de festons et d’un exemplaire atypique avec des incisions [locus 63].................. 148 Figure 5.53. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des ossements de lamas [incensario en transparence] et des datations 14C................................................................................................................................................................ 149
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Liste des figures Figure 5.54. Sondage #3 – Artefacts miniatures en spondyle et en pierres semi-précieuses............................................ 151 Figure 5.55. Sondage #3 – Offrandes non manufacturées en spondyles, pierres et moraines.......................................... 151 Figure 5.56. Sondage #3 – Artefacts en métal précieux laminés [19 exemplaires].......................................................... 152 Figure 5.57. Sondage #3 – Artefacts en métal avec une iconographie de style Tiwanaku [artefacts 8 et 14].................. 153 Figure 5.58. Sondage #3 – Feuilles en métal zoomorphes [un exemplaire du sondage #1]............................................. 154 Figure 5.59. Sondage #3 – Détails des décors poinçonnés d’une feuille zoomorphe [artefacts 9].................................. 155 Figure 5.60. Sondage #3 – Distribution et concentration des fragments d’incensarios [projection verticale]................. 156 Figure 5.61. Datations radiocarbones du sondage #3 (Oxcal 4.2 – ShCal13).................................................................. 157 Figure 5.62. Sondage #3 – Assemblages d’offrandes Tiwanaku associées aux incensarios............................................ 158 Figure 5.63. Plan du sondage #2 – Artefact en métal et morphologie du secteur en 2013 [pendant la fouille]............... 160 Figure 5.64. Reconstitution d’une offrande subaquatique de la période Tiwanaku V (850–1050 PCN).......................... 161 Figure 5.65. Modélisation de l’arrecife de Khoa durant la période Tiwanaku (Projet PH13 / L. Masselin)................... 162 Figure 5.66. Motifs du Dieu-aux-bâtons et accompagnants de profils (d’après Agüro et al. 2003:77)............................ 163 Figure 6.1. Illustration de la typologie d’incensarios Tiwanaku de Janusek (d’après Janusek 2003a)............................ 166 Figure 6.2. Sous-types (a-g) de la forme 3 de la classification de Wallace (d’après Wallace1957: 33a)......................... 167 Figure 6.3. Illustration de la typologie d’incensarios pré-Tiwanaku ou Qeya de Wallace (d’après Wallace1957).......... 168 Figure 6.4. Nouvelle classification des incensarios pré-Tiwanaku et Tiwanaku (référentiels)........................................ 169 Figure 6.5. Incensarios pré-Tiwanaku de type a.1 et bols Qeya à fond plat de type a.4.................................................. 171 Figure 6.6. Exemple de doubles attaches sur le corps principal d’un incensario-puma de type A.1............................... 174 Figure 6.7. Formes de l’incensarios-puma (A) – Tiwanaku............................................................................................. 175 Figure 6.8. Exemples de différents incensarios-puma de type A.1.................................................................................. 176 Figure 6.9. «Puma ailé» modelé (incensario-puma A.1) ou décoré (iconographie)......................................................... 177 Figure 6.10. Comparaison entre les sahumadores (1–2–3) et les incensarios (A.1, B.1 et C.1)...................................... 178 Figure 6.11. Exemple de différents incensarios-puma de type A.2.................................................................................. 179 Figure 6.12. Formes de l’incensarios-lama (B) – Tiwanaku............................................................................................ 180 Figure 6.13. Forme de l’incensario-condor (C) – Tiwanaku............................................................................................ 181 Figure 7.1. L’incensario et le site de Tiahuanaco............................................................................................................. 184 Figure 7.2. L’incensario et le bassin méridional du lac Titicaca...................................................................................... 194 Figure 7.3. L’incensario et les territoires périphériques................................................................................................... 209 Figure 8.1. Distribution de l’incensario par codification: puma (a/A), lama (B) et condor (C)....................................... 218 Figure 8.2. Distribution de l’incensario par codification (A-B-C) et par forme (1–2–3)................................................. 219 Figure 8.3. Distribution de l’incensario par codification (A-B-C) à travers le territoire Tiwanaku................................. 220 Figure 8.4. Comparaison par codification entre les incensarios de Tiahuanaco et de Lukurmata................................... 221 Figure 8.5. Comparaison entre deux incensarios de la variante A.1.3 (Tiwanaku IV)..................................................... 224 Figure 8.6. Caractéristiques technologiques d’incensario-puma de Lukurmata.............................................................. 225 Figure 8.7. Exemplaire(s) d’incensarios de style Chen Chen et Omo (Vallée de Moquegua)......................................... 226 Figure 8.8. Distribution de l’incensario dans le temps et dans l’espace........................................................................... 227 Figure 8.9. Variabilité des rites funéraires associés à l’objet incensario. Reconstitution hypothétique........................... 231 xvii
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Figure 8.10. Pratique de fragmentation rituelle de l’incensario dans les registres de transition. Reconstitution hypothétique...................................................................................................................................................................... 232 Figure 8.11. Pratique de fragmentation rituelle de l’incensario – stèle Yaya-Mama (KN-I)............................................ 234 Figure 8.12. Reconstitution hypothétique des offrandes de «dédicace» d’incensario et vasija miniature (Lukurmata).. 235 Figure 8.13. Reconstitution hypothétique des offrandes d’incensario autour du rocher sacré d’Arundane (Cerro Baúl).................................................................................................................................................................................. 235 Figure 8.14. Reconstitution hypothétique de la tombe de l’incensario-officiant (Akapana)............................................ 236 Figure 9.1. Sites d’offrandes subaquatiques du lac Titicaca, Bolivie............................................................................... 240 Figure 9.2. Arrecife de Khoa – coffrets en pierre et figurines masculines miniatures (Photos J. Reinhard).................... 241 Figure 9.3. Arrecife de Khoa – distribution des offrandes incas (1430–1532 PCN) (coffrets = contenants)................... 242 Figure 9.4. Morphologie des coffrets en pierre incas découverts à l’arrecife de Khoa entre 1977 et 1992 (1–28)......... 243 Figure 9.5. Assemblage de figurines miniatures [contenu] associé aux coffrets de pierres [contenant]........................... 244 Figure 9.6. Offrande intacte [contenu et contenant] provenant de l’arrecife de K’akaya (M. Escoma)........................... 245 Figure 9.7. Arrecife de Merk’e Takiri – offrandes subaquatiques post-incas................................................................... 247
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Introduction La perception actuelle du lac Titicaca est multiple et varie en fonction des différents intérêts que lui porte l’individu. Cette vaste étendue d’eau se place à la fois comme un des lieux les plus sacrés de la cordillère des Andes, une opportunité touristique, le plus haut lac navigable du monde, une nappe d’eau mystérieuse, une source de revenus pour les pêcheurs, un sanctuaire interdit, une frontière, un écosystème menacé par la pollution, la base militaire de la flotte bolivienne, un endroit de détente, le lieu de naissance du Soleil, la destination de déchets domestiques, l’ultime refuge des richesses incas, une contrainte pour les voyageurs, l’habitat d’un monstre lacustre, une source d’eau douce ou encore un gardien du passé. Le lac Titicaca se perçoit au confluent de tous ces éléments, tel qu’il est perçu par l’homme qui contribue à forger cette identité contemporaine engendrant des sentiments divers entre la crainte, la curiosité, le respect ou une totale indifférence.
accéder à cette partie du territoire immergé par les eaux du lac Titicaca. Vu l’occupation dense et complexe de la région, on peut difficilement envisager que cet espace n’ait pas été utilisé. Le lac et les rives appartiennent en effet à un territoire homogène, utilisé et perçu par l’homme, et la littérature scientifique montre l’importance du lac dans l’épanouissement des cultures lacustres. Ce raisonnement nous a amené à réévaluer notre stratégie de recherche en mettant en place un projet d’archéologie conciliant à la fois les techniques de fouilles utilisées sur la terre ferme et celles appartenant aux stratégies d’interventions sousmarines ou subaquatiques [underwater archaeology]: en d’autres mots, effectuer des fouilles archéologiques, mais sous l’eau. Nos premières expériences sur le terrain ont influencé notre stratégie de fouilles pour aborder cette problématique. Dans un premier temps, nous avons eu l’opportunité de participer à différentes campagnes dans la région, notamment en 2007 et en 2008 avec le projet piloté par la Direction Nationale d’Archéologie bolivienne (DINAAR, actuellement UDAM) sur la pyramide Akapana, située au cœur du noyau cérémoniel du site éponyme de Tiahuanaco. Confronté à une culture matérielle élaborée et à de nombreux types de contextes de découvertes que nous avons analysés en 2009 dans le cadre de notre mémoire de Master, notre expérience de fouilles a servi de base pour analyser, dans un second temps, des contextes de découvertes immergés lors de notre formation en archéologie sous-marine en 2010 et 2011. Cette « double expérience » nous a permis d’acquérir les outils nécessaires pour réaborder l’étude de la culture Tiwanaku en nous focalisant sur l’espace lacustre proprement dit lors de trois campagnes de fouilles, en 2012, 2013 et 2014, dont les résultats sont présentés dans ce manuscrit (thèse de doctorat).
Pour l’archéologue, le lac Titicaca est avant tout un espace utilisé par l’homme. L’étude des populations anciennes ne possédant pas l’écriture relève principalement du domaine de l’archéologie qui analyse l’empreinte matérielle des différents groupes culturels ayant évolué sur un territoire. Dans le bassin lacustre, une partie de cette culture matérielle est encore actuellement visible sans intervention archéologique, tels les édifices monumentaux, les anciennes routes précolombiennes, les fragments de tessons dans les plaines agricoles, les pierres de taille réemployées dans les édifices récents, les fragments d’ossements apparents dans les briques d’adobe ou les nombreuses terrasses sur les flancs de collines. Une autre partie de ce patrimoine est naturellement mise au jour dans le cadre de fouilles archéologiques ou dans les fondations des édifices nouvellement construits et reflète une occupation dense et ancienne du bassin lacustre, en particulier durant la période Tiwanaku (500–1150 PCN) et la période inca (1430–1532 PCN). L’utilisation des plaines, des vallées et des élévations naturelles connectées ou surplombant le lac est donc physiquement marquée par l’occupation des différentes populations du passé. Or, l’utilisation ancienne de ces espaces s’arrête-t-elle à la frontière entre la terre ferme et cette vaste étendue d’eau? Dans le cadre de ce projet de recherche, nous proposons d’élargir, au sens propre et figuré, l’étude de ces populations en agrandissant le territoire usuellement étudié. Nous proposons en effet d’intégrer deux espaces qui appartiennent à ce paysage lacustre, mais dont l’utilisation ancienne est encore à l’heure actuelle totalement méconnue: l’espace littoral (les côtes) et l’espace lacustre (le lac).
Les pratiques culturelles associées à l’utilisation de rivières, de lacs ou de mers ont la particularité de ne laisser aucune empreinte matérielle visible ou perceptible à la surface de l’eau. Il s’agit donc d’une contrainte, car il n’y a aucun indice direct permettant de déterminer la nature de l’utilisation de cet espace dans le passé. L’usage de techniques de fouilles subaquatiques se révèle non seulement obligatoire au Titicaca, mais également l’élaboration de modèles prédictifs permettant de cibler certaines zones d’intervention immergées dont le fond lacustre a heureusement conservé des témoignages d’activités humaines. Vu que cette culture matérielle est connectée à celle documentée sur d’autres espaces non immergés, nous abordons ce patrimoine méconnu en tant qu’archéologue-américaniste, doté des techniques de plongée.
Afin d’atteindre cet objectif, il fut nécessaire d’adapter les stratégies de fouilles conventionnellement en usage pour
D’un point de vue méthodologique, nous avons structuré notre manuscrit en deux parties: occupation de l’espace 1
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie littoral et utilisation de l’espace lacustre Tiwanaku (Partie I) et pratique d’offrandes d’incensarios et perception de l’espace sacré Tiwanaku (Partie II).
(chapitre 8). Nous clôturons en présentant les ruptures et continuités des pratiques d’offrandes subaquatiques à travers le temps (chapitre 9).
Dans la première partie, nous présentons notre approche méthodologique appliquée au lac Titicaca, ainsi que le vocabulaire utilisé (chapitre 1), nous effectuons un état de l’art sur l’étude et les problématiques de la culture Tiwanaku (chapitre 2) et nous exposons nos objectifs et stratégies de fouilles subaquatiques développées dans le cadre du projet 2012–2014 après avoir analysé les missions de plongées précédentes (chapitre 3). Nous traitons ensuite les résultats obtenus en 2014 lors des interventions effectuées sur un espace portuaire du bassin lacustre (chapitre 4). Cette première partie aborde principalement l’utilisation socio-économique du lac Titicaca par la culture Tiwanaku, grâce à l’identification et la documentation d’un espace « oublié », car immergé par les différentes fluctuations du lac à travers le temps, en d’autres termes l’espace littoral.
Il est important d’informer le lecteur que cette dissertation doctorale (PhD) a été rédigée entre le 1er août 2015 et le 10 février 2016. Ce manuscrit ne prend donc pas en compte la littérature scientifique publiée après ces dates (excepté dans la conclusion) et représente un état de la question daté du mois de janvier 2016. En effet, suite aux avis et aux vives recommandations de nombreux collègues et reviewers, et cela malgré le laps de temps entre la rédaction (2015) et la publication (2020) de cette dissertation, nous avons décidé de conserver et de publier ce manuscrit sous sa forme et sa structure d’origine, et en français, afin de partager non seulement les résultats de nos premières recherches (produits de la fouille 2012–2014), mais également les raisonnements méthodologiques et théoriques qui nous ont accompagnés à la fois durant ces fouilles et durant la rédaction.
Dans la deuxième partie, nous abordons la perception de l’espace sacré avec l’étude de la pratique d’offrandes de céramiques rituelles de type incensario, que ce soit en contexte subaquatique ou sur la terre ferme. Il s’agit d’une problématique beaucoup plus ciblée et bien documentée par l’archéologie; elle constitue le second corps principal de cette dissertation. Nous structurons cette deuxième partie en différentes étapes: nous présentons les résultats des fouilles de 2013 sur le site d’offrande d’incensarios de Khoa [corpus] (chapitre 5). Nous analysons ensuite la morphologie et la technologie de l’objet incensario [stratégie d’analyse] (chapitre 6) et les pratiques d’offrande d’incensarios documentées par la littérature scientifique [analyse] (chapitre 7). Nous abordons enfin la fonction de l’incensario au sein de la performance rituelle et le concept de perception de l’espace sacré Tiwanaku [résultats]
Il nous a été proposé de remplacer le titre principal de ce manuscrit par « Archéologie subaquatique au lac Titicaca, Bolivie » [Underwater archaeology at Lake Titicaca, Bolivia]. Bien que ce titre soit approprié pour une version anglaise, nous souhaitons, encore une fois, conserver le titre original, car les concepts de « Patrimoine [culturel] subaquatique », et celui « d’archéologie subaquatique » n’ont pas exactement la même signification en français. L’objectif principal de cet ouvrage est de proposer une nouvelle « vision » de l’archéologie au lac Titicaca en intégrant le facteur lacustre dans l’interprétation des cultures Tiwanaku, et en conciliant nos connaissances actuelles des « archéologies » du lac Titicaca, qu’elles soient « terrestres » ou « subaquatiques ».
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Partie I Occupation de l’espace littoral et utilisation de l’espace lacustre Tiwanaku
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Chapitre 1 Paysage culturel lacustre du Titicaca régions qui définissent la géomorphologie générale de cette partie du continent sud-américain: la costa [côte Pacifique], la sierra [la chaîne de montagnes des Andes] et la selva [la forêt du bassin amazonien] (Figure 1.1). L’environnement offre des opportunités matérielles à l’occupation humaine et contribue aux développements des stratégies de vie et de survie sur son territoire. L’identité et les pratiques des populations anciennes de cette région sont donc différentes, car définies par leur écosystème et les ressources naturelles qui y sont associées. Cette distinction se reflète actuellement dans la discipline américaniste sud-américaine, en regroupant l’étude des cultures côtières ou maritimes, les cultures andines et les cultures amazoniennes .
1.1. Introduction Depuis plus de trente ans, de nombreux projets de recherches ont mis en évidence une occupation dense et complexe du bassin lacustre du Titicaca, et en particulier à la période Tiwanaku entre le 5e et le 11e siècle de notre ère. Cette culture sera la première à modifier profondément le paysage lacustre en y laissant une empreinte matérielle indélébile, grâce à une occupation planifiée de l’espace côtier et insulaire. Le lac Titicaca ne peut se dissocier de l’étude de la culture Tiwanaku, car il représente le point focal d’une expansion culturelle et territoriale qui prévaudra dans les Andes centrales jusqu’au 11e siècle de notre ère.
Il n’est pas étonnant que la partie septentrionale de l’Altiplano soit l’un des foyers culturels les plus importants de l’histoire de l’Amérique du Sud. Premièrement, cette région possède un écosystème unique sur le continent, le bassin du Titicaca, qui permet à la fois l’exploitation des ressources lacustres (poissons et totoras), une exploitation agricole intensive sur les bords du lac (tubercules et quinoa) ainsi que l’exploitation de grands troupeaux de pâturage de camélidés (viande et laine) grâce à la présence de vastes plateaux semi-arides. Ensuite, cette région se situe au cœur du continent et de la cordillère des Andes, au point de convergence entre différents étages écologiques: la côte pacifique (poissons, coquillages, exploitation du maïs), les hautes vallées du bassin de l’Amazonie (sources aurifères, bois, plumes, animaux exotiques, plantes médicinales), l’Altiplano semi-désertique (cuivre, sel, troupeaux) et les vallées fertiles interandines en direction de Cuzco (maïs) (Figure 1.1).
L’apparente hostilité environnementale du bassin lacustre sera le point de départ de différentes problématiques de recherches qui contribueront à intégrer l’étude de la culture Tiwanaku au sein de son espace de vie (Bindford et Kolata 1996: 24). Le bassin lacustre s’étend sur un territoire d’altitude dont les eaux du lac culminent à 3 809 m audessus du niveau de la mer et délimité par des montagnes dont les sommets les plus élevés dépassent les 6 000 m. Or, cette véritable mer intérieure, d’une superficie de plus de 8 560 km2, a contribué au développement d’une douzaine de civilisations (Stanish 2011: 10). Cette vaste étendue d’eau, loin d’être une contrainte, a favorisé l’occupation de ses rives et de ses îles, en générant un écosystème à part entière au sein d’un territoire semi-aride, et a offert à l’homme de nombreuses « opportunités matérielles » propices à l’occupation humaine (Binford et Kolata 1996: 23). Le lac Titicaca s’étend au cœur d’un territoire de type lacustre. Cet environnement, en tant que foyer d’émergence de la culture Tiwanaku, a contribué à déterminer les critères culturels qui définissent aujourd’hui cette civilisation. Le lac, au-delà de l’espace, possède donc un statut privilégié, car il fait partie de l’identité des populations qui se sont installées à proximité. Pour reprendre les mots de Ben Ford, « les nombreuses actions de l’homme sont motivées par les perceptions subconscientes de l’environnement. Certaines de ces perceptions sont propres à l’évolution humaine […], d’autres se développent à partir de traditions culturelles […], et sont uniques à une population spécifique » (Ford 2011b: 63). Dans cette optique, pourrions-nous considérer Tiwanaku comme une culture lacustre?
Le bassin lacustre du Titicaca constitue donc, au-delà d’un espace propice à l’occupation humaine, un territoire géostratégique au carrefour de nombreux axes de circulations et d’échanges. Le contrôle de ce territoire et des nombreuses ressources naturelles de la région a progressivement contribué à l’émergence et à la consolidation du pouvoir de l’élite dirigeante de la culture Tiwanaku (500–1050 PCN). Les connexions avec de nombreux territoires périphériques, situés en dehors du bassin lacustre, sont par ailleurs attestées grâce à l’identification de sites d’occupation Tiwanaku, notamment dans les vallées de Moquequa, sur la côte, dans les hautes vallées de Cochabamba, en zone de forêt, et dans les territoires désertiques ou semi-désertiques de San Pedro de Atacama, sur l’Altiplano (Goldstein 2003: 143–172) (Figure 1.1).
Le bassin du Titicaca est situé à l’extrémité septentrionale de l’Altiplano qui se caractérise par une grande plaine d’altitude délimitée par deux chaînes de montagnes formant la Cordillère des Andes, avec la Cordillère royale à l’est et la Cordillère occidentale à l’ouest (Janusek 2004: 54). Ces hauts plateaux se distinguent des trois autres
Bien que l’élite dirigeante et l’influence de Tiwanaku aient disparu au 11e siècle, le bassin lacustre et les îles du Titicaca ont été colonisés dès la première moitié du 15e 5
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 1.1. Le lac Titicaca et la cordillère des Andes [Altiplano] (d’après Browman 1981: 411).
siècle par un empire conquérant, les Incas, qui en ont fait leur lieu mythologique d’origine en tant que nouveau groupe ethnique dominant (1430–1532 PCN). Le lac Titicaca était non seulement attractif, en raison de ses ressources naturelles et de sa position géostratégique, mais en outre représentait probablement, avant l’arrivée des Incas, l’un des centres cosmogoniques les plus importants dans les croyances des populations andines. Les Incas récupéreront symboliquement et physiquement les espaces sacrés Tiwanaku (500–1050 PCN) et post-Tiwanaku (1050–1430 PCN) dans un processus de légitimation pour renforcer le nouveau pouvoir en place. À l’arrivée des Espagnols en 1532, la région du lac Titicaca était, d’après le chroniqueur Cieza de León [1553], l’une des provinces les plus riches et les plus densément peuplées du Pérou (Stanish 2011: 26). Si le lac Titicaca est actuellement « un lac sacré », ses croyances et ses mythes s’inscrivent toutefois en héritage de l’occupation inca de la région.
1.2. Bassin lacustre Le bassin du Titicaca consiste en une « région relativement distincte, avec ses propres trajectoires historiques et culturelles et relativement isolée […] durant la plus grande partie de la préhistoire avant sa conquête par l’État inca […] » (Stanish 2001a: 191). La trajectoire culturelle de Tiwanaku (500–1050 PCN) se révèle par conséquent du plus haut intérêt dans l’histoire de l’Amérique du Sud, du fait qu’elle incarne l’émergence d’une des premières sociétés complexes qui occupera la totalité du bassin lacustre. La perception actuelle de cette occupation est toutefois fragmentaire. Alors que les Incas étaient étrangers à la région et qu’ils ne l’ont occupée que durant un siècle (1430–1532 PCN), ils ont profondément modifié la physionomie naturelle et culturelle du bassin lacustre, notamment au moyen de déplacements de populations et d’un réaménagement important du territoire 6
Paysage culturel lacustre du Titicaca (Stanish 2011). En l’absence de composantes narratives directes pour les cultures préincas, la culture matérielle forme la principale source d’information pour appréhender, grâce à l’archéologie, l’étude de l’occupation du bassin lacustre par la culture Tiwanaku.
et des zones irriguées par les rivières, il présente une diversité écologique au sein d’un territoire restreint. Le bassin versant couvre une superficie de 57 340 km2 et se situe en trait d’union entre le Pérou (60 %) et la Bolivie (40 %) (Binford et Kolata 1996: 24).
L’écosystème associé au lac Titicaca est délimité par le bassin versant [drainage basin en anglais] et rassemble l’ensemble des territoires, vallées, plaines et montagnes, dont les eaux convergent vers le lac (Figure 1.2). Ce bassin abrite un écosystème très varié; en fonction de l’altitude
Excepté la plaine de la rivière du Désaguadero, qui constitue l’unique déversoir (ou exutoire) des eaux du lac, tout le bassin versant est bordé de sommets enneigés. Les eaux de ruissellement issues des précipitations et des glaciers des versants orientés vers le lac alimentent celui-
5443 m
4806 m 4806 m SUCHEZ
HUANCANÉ
4551 m
4757 m
RAMIS
4846 m 4583 m
4531 m
COATA
4952 m 4544 m
PEROU
6421 m (Illampu)
BOLIVIE
4783 m 5188 m
4930 m 4580 m
ILAVE
4385 m 4333 m
5221 m 4809 m
4240 m
4898 m
Bassin versant du Titicaca
4790 m
3809 m (lac Titicaca) 3809 - 4000 m
5213 m
DESAGUADERO
5184 m
4000 - 4500 m
4842 m 4374 m
> 4500 m 5129 m
5221 m (sommet) Affluents principaux
0
50 Km
Figure 1.2. Bassin versant du lac Titicaca (d’après Boulangé et Jaen 1981: 270, fig.1).
7
4796 m
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie actuelle à approximativement un demi-million d’habitants, implantés directement en bordure du lac.
ci. Les eaux des autres versants s’écoulent vers l’Océan Pacifique (Cordillère occidentale), le basin amazonien (Cordillère royale) et, au nord, vers les hautes vallées fertiles de la région de Cuzco. Le lac Titicaca se situe au point de séparation des « deux Cordillères » qui forment l’Altiplano et doit donc son existence à cette situation. Son volume d’eau est estimé à ± 900 km3, le point culminant du bassin lacustre culmine à 6 421 m d’altitude (Illampu) et le point le moins élevé, inondé par le lac, est situé à 3 526 m d’altitude ou 283 m de profondeur (Boulangé et Jaen 1981: 269–272).
Ces populations vivent principalement de l’agriculture, de la pêche et du tourisme. Il existe actuellement deux groupes linguistiques: les Aymaras et les Quechuas. Au début du 16e siècle, le paysage linguistique était toutefois plus complexe, avec au moins quatre langues principales: (1) l’aymara, (2) le quechua, (3) le pukina (4) et l’uru (Stanish 2011: 26–27). L’identité plurilinguiste des populations de cette région peut refléter différentes vagues d’immigration ou de colonisation du bassin lacustre au cours de l’histoire. Par exemple, les populations parlant actuellement le quechua sont issues d’au moins deux périodes de contact: la première lors des échanges avec la culture Wari (proto-quechua) durant la période Tiwanaku (Stanish 2003: 225) et la seconde lors de la colonisation du bassin lacustre par les Incas (quechua). Les populations pukina et uru ont été l’objet de ségrégation linguistique durant la période inca et furent obligées d’apprendre le quechua et l’aymara, les langues plus courantes, lors de l’évangélisation du bassin lacustre (BouysseCassagne 2010: 284–285).
Les cinq principaux affluents se jettent dans la partie septentrionale du lac: Río Coata (baie de Puno), Río Ilave (baie de Copacabana), Ríos Ramis et Huancane (baie de Ramis) et Río Suchez (baie d’Escoma) (Boulangé et Jaen 1981: 277) (Figure 1.2). Ils prennent naissance sur différents sommets situés à plus de 5 000 m d’altitude et sont complétés par le réseau très dense de ruisseaux et de torrents. L’apport important d’alluvions a progressivement créé des péninsules de sédiments meubles aux embouchures, au sein desquelles les profondeurs sont en général très faibles. Au total, plus de vingt-cinq rivières se jettent dans le lac Titicaca (Cano 1952: 29), générant de nombreuses vallées fertiles connectées à celui-ci.
La localisation des principales villes actuelles correspond aux secteurs d’occupation les plus denses de la période inca, notamment dans les tambos (relais situés sur les principaux axes de circulations incas) et dans les colonies de mitimaes (colonies de population inca au sein de regroupements de populations natives). Avec l’arrivée des Espagnols en 1532, les nouvelles autorités ont profité de ces regroupements, les reducciones, pour soumettre et évangéliser les populations. Certaines de ces villes possèdent des églises coloniales fondées au 16e siècle, dont Puno, Ilave, Juli, Pomata, Copacabana, Zepita et Guaqui (Figure 1.3).
Trois espaces constituent la géomorphologie générale: le lac (15 %), le bassin lacustre (27 %) et les versants (58 %) (Boulangé et Jaen 1981: 272, tableau 1). Le bassin versant forme le paysage naturel et culturel des populations actuelles (ensemble du territoire), mais celles-ci vivent principalement en bordure du lac sur une superficie moyenne de 15 480 km2, le bassin lacustre situé entre 3 809 m (le lac) et 4 000 m d’altitude (Figure 1.2). La majorité des sites archéologiques des périodes Tiwanaku et inca est également située dans cet espace propice à l’exploitation agricole intensive et à l’élevage de troupeaux de pâturages (cf. 1.5.).
Le lac est physiquement perceptible depuis presque tout le bassin versant. Il s’agit d’un des plus grands lacs du monde, avec une longueur maximale de 200 km et une largeur de 60 km. Petite Mare Nostrum sud-américaine, la taille et la superficie du Titicaca s’apparentent plus à une mer intérieure avec des effets de marées, des courants lacustres importants et des tempêtes réputées dangereuses pour la navigation; il s’agit du plus haut lac navigable du monde. Le Titicaca est divisé en deux bassins séparés par le détroit de Tiquina: le lac Chucuito ou lago mayor dans la partie septentrionale et le lac Huiñaimarca ou lago menor dans la partie méridionale (Figure 1.3).
La frontière actuelle entre le Pérou et la Bolivie date de la répartition du territoire colonial en 1573 par Francisco de Toledo, second vice-roi du Pérou (Ponce 1992a: 238, Fig. 1.8). Ce découpage territorial s’est probablement répercuté sur la relégation au second plan de la région dès la fin du 16e siècle qui, peut-être pour la première fois, ne se situe plus au centre d’un territoire homogène, mais en périphérie de différentes juridictions territoriales (reales audiencias) et religieuses (diocèses). Le bassin lacustre reste alors occupé de manière discontinue, mais se repeuple progressivement dès le début du 20e siècle, en raison de la croissance démographique. D’après le dernier recensement effectué dans la région, on compte plus de 220 000 habitants sur les rives et îles du lac dans les municipalités circum lacustres de la partie bolivienne (2012) et plus de 580 000 habitants dans les Provinces de la partie péruvienne (2007) (Instituto Nacional de Estadística [Bolivie] et Instituto Nacional de Estadística e Informática [Pérou]). L’indice démographique du Pérou englobe des territoires beaucoup plus grands. Nous estimons donc la population lacustre
À l’image d’une mer intérieure, les rives du lac forment des baies (partie du lac qui s’avance dans les terres), des péninsules (partie de terre avancée dans le lac), des isthmes (bande de terre étroite bordée d’eau), des détroits (bande d’eau bordée de terre), des îles et des îlots (Cano 1952: 34–37). La plus grande baie, celle de Puno, et comme la majorité des autres baies, correspond à l’embouchure d’un affluent. La plus grande péninsule, d’origine volcanique, est celle de Copacabana que sépare l’isthme de Yunguyo
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Paysage culturel lacustre du Titicaca
Figure 1.3. Bassin lacustre, villes principales et morphologie du Titicaca.
L’occupation du bassin lacustre est attestée durant la période Archaïque Ancienne (9000–6000 ACN) tandis que l’occupation de l’espace insulaire, en particulier l’île du Soleil, date au minimum de la période Archaïque Récente (4000–2000 ACN) (Bauer and Stanish 2001: 33). L’île du Soleil est séparée de la péninsule de Copacabana par le détroit de Yampupata dont les profondeurs dépassent les 150 m. Par conséquent, même s’il y a eu, par le passé, des fluctuations du niveau du lac, l’île du Soleil a toujours été une île depuis l’arrivée de l’homme et n’était accessible que par bateau. La navigation sur le lac Titicaca remonte donc au minimum à quatre mille ans. Malgré l’apparition de bateaux en bois à quille durant la période coloniale et de bateaux à vapeur à la fin du 19e siècle, les populations locales ont continué à utiliser le balsa de totora en dehors des axes de circulations commerciales. L’apparition des bateaux à moteur et le développement du tourisme à partir des années 1970 modifieront toutefois définitivement les techniques de navigation et les axes de circulations lacustres.
en lac majeur et lac mineur, seulement connectés entre eux par le détroit de Tiquina (Figure 1.3). Il existe au moins soixante-douze îles sur le lac Titicaca (Ponce 1992a: 25), ainsi que de nombreux îlots régulièrement immergés (arrecife) par les fluctuations saisonnières du lac. La géomorphologie du lac majeur et celle du lac mineur sont différentes. Le lac majeur, le plus grand secteur du Titicaca (7 130 km2), est une fosse dont la profondeur moyenne est de 109 m et où la partie la plus profonde atteint presque les 300 m. Il est parsemé d’au moins quarante-trois îles qui représentent une superficie de 49 km2 (Binford et Kolata 1996: 26, Tabl. 2.1; Ponce 1992a: 25). D’un point de vue archéologique, les plus importantes sont les îles du Soleil (14,3 km2) et de la Lune ou Coati (0,9 km2). Le lac mineur (1 430 km2) est un plateau immergé dont la profondeur moyenne est de 7,4 m. Excepté une fosse de 40 m de profondeur à proximité de Tiquina et une fosse de 25 m à proximité de Yunguyo, les profondeurs y dépassent rarement les 5 m. Il est parsemé d’au moins vingt-neuf îles qui représentent une superficie de 61 km2 (Binford et Kolata 1996: 26, Tabl. 2.1; Ponce 1992a: 25). L’île de Suriqui est réputée pour sa communauté de balseros, constructeurs, depuis des générations et dans le respect des traditions ancestrales, des bateaux en totoras originaires du lac.
1.3. Archéologie lacustre Si le bassin versant du Titicaca est constitué de trois espaces principaux, le lac, le bassin lacustre et les versants, l’un de ces espaces en particulier demeure peu étudié, car 9
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie nous ont conduit à une réflexion d’ordre épistémologique, laquelle fut décisive pour notre méthodologie: s’agit-il d’archéologie subaquatique ou d’archéologie lacustre? En effet, les artefacts sont issus de contextes immergés de découvertes (patrimoine subaquatique), mais localisés sur l’espace littoral, à des paliers de profondeur qui peuvent varier entre 2 et 12 m. En 2013 et 2014, le niveau du lac Titicaca culminait à 3 809,7 m d’altitude. L’étiage du lac, soit son niveau d’eau le plus bas, est variable, non seulement à l’échelle saisonnière, avec 3 809,4 m durant la saison sèche en moyenne statistique, mais également historique, avec 3 806,7 m en 1944, en niveau absolu (Ronchail et al. 2014: 6). Par conséquent, certains contextes de découvertes de 2013 et 2014 ont effectivement été documentés sous l’eau, mais dans un espace littoral qui n’est pas systématiquement immergé.
inaccessible: le lac en lui-même. La mise en place d’un projet de recherche utilisant les techniques de plongée devenait donc nécessaire et inévitable pour étudier les témoignages matériels directs de l’utilisation du lac par l’homme et de sa signification pour les populations anciennes. Cette région, objet de recherches par de nombreuses générations de scientifiques, représente l’un des territoires les mieux documentés de la cordillère des Andes. Que ce soit dans le cadre de programme de recherches sur l’hydrologie, la (paléo)climatologie, la géologie, la biochimie, la (paléo) zoologie, l’archéologie, l’ethnographie, la mythologie ou l’histoire, tout nous conduit inexorablement au lac. Il représente non seulement un territoire non négligeable, 15 % de la superficie totale du bassin versant, soit 8 560 km2, mais également le cœur du réseau hydraulique (collecteur de toutes les eaux), le principal régulateur climatique (apport thermique de la masse d’eau), le foyer d’une faune et d’une flore unique propre à un espace lacustre (poissons, grenouilles, oiseaux, totoras, algues), le résultat d’une formation géologique de montagne (cuvette au point de convergence des versants) et, enfin, une réserve d’eau inépuisable nécessaire à l’occupation humaine permanente, à l’exploitation agricole intensive et à l’entretien de grands troupeaux de pâturage (eau douce et eau saumâtre).
Le thème des fluctuations historiques du lac Titicaca est au cœur de notre projet de recherche en ce que la reconstitution paléoenvironnementale du bassin lacustre au cours des périodes Tiwanaku (500–1050/1150 PCN) et inca (1430–1532 PCN) est nécessaire afin d’aborder les géostratégies d’occupation du territoire. Le lac Titicaca s’inscrit dans la catégorie des lacs d’altitude: le niveau d’eau est principalement déterminé par le ratio qui existe entre l’afflux hydrologique en pluie et eaux des glaciers et l’évaporation des eaux du lac aux périodes d’ensoleillement (Ronchail et al. 2014: 6). Dès qu’il y a un déséquilibre entre ces deux phénomènes, il y a une augmentation ou une diminution du volume d’eau. Au Titicaca, si ces fluctuations sont perceptibles à l’échelle annuelle, entre la saison hivernale et sèche d’avril à octobre et la saison estivale et humide de novembre à mars, elles sont également attestées à l’échelle historique. Les données paléolimnologiques démontrent en effet que le niveau du lac n’a pas toujours été constant au cours de ces trois derniers millénaires (Binford et al. 1997: 235–248). Avant d’aborder l’état de la question (chapitre 3), ces premières informations permettent de mettre en exergue un facteur à l’impact non négligeable sur l’étude de l’occupation du bassin lacustre: la variabilité du paysage lacustre.
Au niveau anthropique, les conditions naturelles ont favorisé le peuplement des rives et des îles du lac. Omniprésent dans le paysage naturel, celui-ci fait partie du quotidien et de l’identité des populations lacustres qui développent des pratiques uniques et indissociables de cet espace. Afin d’étudier la relation entre l’homme de Tiwanaku et son environnement, que ce soit d’un point de vue socio-économique ou rituel, il est nécessaire d’identifier et d’analyser l’empreinte culturelle (matérielle) de l’occupation humaine directement associée au lac ou à ses rives: activités de pêche, exploitation de totoras, navigation, aménagements portuaires, occupation de l’espace littoral, offrandes, etc. Intégrer, grâce aux techniques d’immersion, le patrimoine matériel subaquatique et côtier au sein de l’étude de la culture Tiwanaku offre de nouvelles opportunités dans l’étude des populations anciennes du bassin lacustre dont la culture matérielle est, jusqu’à présent, principalement documentée dans les vallées connectées au lac.
Depuis les premiers travaux d’Alan Kolata (1985) et auteurs associés démontrant que l’émergence et l’effondrement de Tiwanaku, une civilisation dont les stratégies de subsistance basées sur l’agriculture intensive sont tributaires de l’apport hydrique, ont coïncidé avec les variations paléoclimatiques du bassin lacustre, les archéologues prennent en compte le facteur environnemental pour analyser l’histoire de l’occupation du bassin lacustre. Or, l’impact des variations du climat sur le volume d’eau du lac est un phénomène encore aujourd’hui difficilement quantifiable. Comment dès lors pourrait-on, dans l’histoire passée, mesurer les fluctuations du lac d’une part et, d’autre part, évaluer leurs conséquences sur l’occupation humaine?
Cette approche théorique nous a amené à identifier différentes problématiques de recherche, et à adopter une stratégie d’intervention pour collecter de nouvelles données sur le terrain (chapitre 3). Entre 2012 et 2014, nous avons effectué une trentaine de sondages stratigraphiques subaquatiques dans dix endroits différents du lac et mis au jour un patrimoine archéologique dense et complexe dont la datation s’échelonne entre la période formative Récente (≥ 200 ACN) et le 20e siècle.
Cette problématique est primordiale vu que, d’un côté, le littoral, un espace géostratégique, est la partie du bassin lacustre « la plus instable, et la première a être affectée par
La diversité des contextes de découvertes et du patrimoine matériel issus de ces différentes opérations subaquatiques 10
Paysage culturel lacustre du Titicaca les variations du niveau », et que par ailleurs, le déséquilibre de la « balance hydrologique » aura des répercussions sur l’écosystème et les ressources naturelles (Dejoux 1991: 472). À l’heure actuelle, la majorité de la population de la région vit dans le bassin lacustre à proximité du lac.
La perception du paysage naturel est le résultat d’une faculté cognitive, individuelle ou collective de l’homme vis-à-vis de son espace de vie, qui engendre des actions appropriées. Les populations lacustres actuelles ne construisent pas d’habitations permanentes dans les plaines ou vallées à proximité du lac et donc susceptibles d’être inondées. Elles favorisent plutôt les espaces généralement plus élevés (≤ 3 820 m d’altitude), que ce soit en bordure du lac lorsque le littoral est accidenté (falaise) ou en retrait des espaces inondables, parfois à plusieurs kilomètres, dans les plaines et vallées adjacentes au lac. Dans le cadre de ce projet de recherche, nous ne distinguerons donc plus seulement l’espace en fonction de critères géomorphologiques comme le lac, le bassin lacustre ou les versants, mais également en fonction de critères anthropiques reflétant l’utilisation de l’espace par l’homme: (1) l’espace lacustre [espace de navigation permanent], (2) l’espace littoral [espace géostratégique de transition], et (3) l’espace insulaire ou continental [espace d’occupation permanent].
Cette proximité est toutefois fluctuante, car elle ne dépend pas d’un critère de distance (par exemple à moins de 2 km du lac), mais plus d’un critère de géomorphologie du littoral (plaines inondables ou falaises) et d’altitude (entre 3 809 et 3 900 m). Le bassin lacustre possède une superficie de 15 480 km2, mais celle-ci peut augmenter ou diminuer en fonction des fluctuations du lac. Les zones les plus sensibles à ces variations correspondent aux parties inférieures des plaines et vallées connectées au lac (± 30 % des côtes), alors que la majorité du littoral reste inchangé, car constitué de falaises ou pentes abruptes (± 70 % des côtes). Les cinq principales plaines ou vallées dont l’altitude est inférieure à 3 900 m sont les plaines de Juliaca et d’Ilave au Pérou et les vallées du Désaguadéro, de Tiahuanaco et de Catari en Bolivie (Figure 1.3).
D’après une estimation de Carlos Ponce Sanguinés, chaque variation d’un mètre du niveau d’eau du lac a une répercussion de ± 290 km2 en moyenne sur la superficie du territoire (1992: 33), que ce soit au profit ou au détriment de l’espace d’occupation. À l’heure actuelle, la superficie du lac situé à 3 809 m d’altitude est de 8 560 km2 (α) tandis que la superficie du territoire non immergé inférieur à 4 000 m d’altitude, soit la zone principale de peuplement, est de 15 480 km2 (β); cela équivaut à un total de 24 040 km2 (Σ). Sous forme d’équation, cela correspond à ([Σ] – [β]) = (α) ou ([Σ] – [α]) = (β). La localisation de l’espace littoral (χ) est donc variable; cet espace se situe à la jonction entre l’espace immergé (α) et l’espace en dehors de l’eau (β) (Figure 1.4). Pourtant, si des structures permanentes sur l’espace littoral sont généralement inexistantes, cela n’exclut pas l’utilisation de celui-ci par l’homme. La localisation des (paléo)rivages est donc essentielle à l’étude de l’utilisation et de la signification du territoire dans son ensemble.
Il est intéressant de constater que ces cinq plaines ou vallées correspondent non seulement aux foyers d’émergence et de développement des premières sociétés complexes pré-Tiwanaku (≤ 500 PCN), mais aussi que les trois vallées principales situées actuellement en territoire bolivien correspondent aux secteurs qui seront les plus densément peuplés durant la période Tiwanaku (500– 1050/1150 PCN). Or, la dénivellation du terrain est très faible dans ces secteurs. Par conséquent, si le niveau du lac augmente ou diminue d’un mètre dans cette partie du bassin lacustre, le cordon littoral peut se déplacer de plusieurs kilomètres (Binford et Kolata 1996: 38). En revanche, la majorité du littoral du Titicaca est bordé de parois de roche; les pentes y « sont abruptes et forment des falaises dont l’assise s’enfonce rapidement dans le lac » (Boulangé et Jaen 1981: 275). Si le niveau du lac varie d’un mètre, le littoral ne se déplacera que de quelques mètres sans modifier la morphologie du paysage.
Figure 1.4. Espace insulaire ou continental, espace littoral et espace lacustre [coupe].
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie D’un point de vue anthropique, le cordon littoral (ensemble des points d’intersection entre le lac et la berge) n’est toutefois pas une frontière entre deux espaces distincts. L’espace littoral, qu’il soit immergé ou non, est utilisé et parfois aménagé par l’homme. Par exemple, dans la baie de Copacabana, les infrastructures et les activités portuaires actuelles ne se limitent pas à la partie terrestre (capitainerie, entrepôts, marchés, etc.), mais s’étendent aussi vers le lac (embarcadères, zones de mouillages, etc.). L’empreinte matérielle des activités portuaires est donc visible, non seulement en surface, mais également sous l’eau, comme en témoignent des ancres abandonnées, d’anciens embarcadères à moitié effondrés et immergés et de nombreux « déchets » et résidus issus du passage de marchandises et des habitants. Pour documenter et comprendre cet espace, les futurs recherches effectueront des fouilles à la fois sur les berges et sous l’eau. Imaginons par ailleurs que le niveau du lac augmente de 5 m avec le réchauffement climatique (l’apport hydrique provient principalement des glaciers) et que tout cet espace littoral soit entièrement immergé, c’est sous l’eau qu’on explorera les espaces d’activités paléoterrestres et (paléo)lacustres, démarqués par un paléorivage.
des cultures Tiwanaku et inca (chapitre 3). Notre approche méthodologique a donc été régulièrement réévaluée en fonction de la nature, souvent atypique, des contextes de découverte et des données issues des opérations de 2012 à 2014. Les trajectoires historiques des disciplines de l’archéologie et de l’archéologie en contexte immergé sont par ailleurs distinctes. En 1952, année de la première opération d’archéologie sous-marine en France avec l’utilisation d’un aspirateur à sédiment dans une démarche archéologique (Benoît 1957), Philippe Diolé posait déjà un regard critique sur cette discipline naissante: « Je me suis demandé jadis si l’archéologie sous-marine ne pouvait pas s’ériger en science autonome, si les conditions particulières de la recherche […] ne lui permettaient pas de revendiquer son indépendance. Je m’avise maintenant que c’était très mal poser le problème: il faut consentir à l’unité de l’archéologie » (1952: 17). La trajectoire historique de l’archéologie en contexte immergé est multiple et évoluera de manière distincte à travers le monde en fonction des différentes écoles, des types de contextes de découverte et des problématiques énoncées. Cette situation contribuera notamment à l’utilisation de différentes terminologies; dès les années 1950, le monde scientifique anglo-saxon a privilégié l’emploi du terme underwater archaeology, alors que les francophones feront une distinction entre l’archéologie sous-marine (en mer) et l’archéologie subaquatique (à l’intérieur des terres). Peu importe la terminologie employée, les premières générations de plongeurs (1950–1990) ont favorisé l’étude des épaves en contexte maritime, où certaines étaient déjà localisées par les pêcheurs et apnéistes (épaves anciennes) ou les scaphandriers engagés par les compagnies maritimes (épaves récentes). Historiquement, l’archéologie des eaux intérieures accuse un retard de plusieurs décennies.
L’emploi du terme « archéologie lacustre » est par conséquent approprié, car l’adjectif « lacustre » désigne ce « qui vit, ou qui est situé sur les bords ou dans les eaux des lacs » (dictionnaire de la langue française, Larousse). En appliquant cette définition, l’archéologie lacustre peut donc désigner l’ensemble des fouilles archéologiques effectuées sur les bords ou dans les eaux des lacs. Traditionnellement, au lac Titicaca, l’archéologie « subaquatique » est menée en marge des études archéologiques « terrestres ». L’archéologie lacustre met donc l’accent sur une priorité: intégrer l’étude des sites immergés au sein du paysage culturel et matériel documenté par la littérature scientifique. Un site d’offrandes sous l’eau (fouilles 2013) ou un site d’activités du littoral (fouilles 2014) ne peuvent pas en effet être abordés de manière isolée; l’étude d’un site immergé appelle l’étude corollaire d’autres espaces non immergés.
En 1992, dernière année d’intervention subaquatique au Titicaca, Christer Westerdahl a publié un article intitulé The maritime cultural landscape (1992: 5–14). Ce concept est né de la nécessité d’aborder la navigation du passé de manière exhaustive, en ne se limitant plus à l’étude des épaves et de l’architecture navale, mais en intégrant l’ensemble des paramètres qui définissent les actions et l’identité des sociétés pratiquant la navigation au sein d’un espace utilisé et aménagé par l’homme. Dans cette nouvelle approche, l’apport principal de Westerdahl est qu’il intègre l’ensemble des espaces, immergés ou non, en tant qu’espace d’étude culturellement homogène et indissociable (1992: 5–14).
Dans le cadre de ce projet de recherche, nous utiliserons plus spécifiquement l’adjectif « lacustre » pour parler d’archéologie [lacustrine archaeology], car notre approche méthodologique vise non seulement l’étude des espaces immergés, le lacustre [1] et le littoral [2], mais également ceux de la terre ferme, espace insulaire et continental [3]. On emploiera l’adjectif « subaquatique » pour caractériser le patrimoine [underwater heritage] et pour insister sur les contextes de découverte, qui peuvent avoir un impact sur la nature et la conservation du matériel archéologique et qui nécessitent, à l’occasion, d’adapter les techniques de fouilles.
Cette démarche a ouvert de nouvelles perspectives de recherches, car la définition de paysage culturel maritime que nous pouvons appliquer à l’espace lacustre [lacustrine cultural landscape] inclut non seulement la culture matérielle usuellement étudiée, mais aussi « l’ensemble du réseau des voies de navigation, anciennes ou récentes, avec les ports et les abris le long des côtes, ainsi que les constructions et les vestiges relatifs aux activités humaines, qu’ils soient conservés sous l’eau ou en terrestre » (1992: 6). En développant le concept de paysage utilisé et perçu
1.4. Paysage culturel lacustre Malgré de nombreuses expéditions dans les eaux du Titicaca entre 1954 et 2004, le patrimoine subaquatique est encore méconnu et sa portée scientifique limitée à l’étude 12
Paysage culturel lacustre du Titicaca par l’homme appliqué à l’espace maritime, Westerdahl tend à identifier l’ensemble des actions qui définissent l’identité de ces populations dont « une importante part du paysage culturel maritime est immatérielle, cognitive ou suggestive » (1992: 6).
sont non seulement déterminés par les conditions (paléo)environnementales, mais également par des paramètres techniques (architecture navale), économiques (commerce, exploitation des ressources), sociopolitiques (alliances, conquêtes, réorganisation du territoire) et religieux (pèlerinages, abandon ou valorisation de centres cérémoniels). Le concept de paysage culturel est donc un outil d’interprétation conciliant à la fois l’environnement naturel et l’empreinte anthropique de l’utilisation de cet espace, qu’elle soit matérielle ou immatérielle. Or, le bassin lacustre du Titicaca se caractérise non seulement par la variabilité de son paysage naturel en fonction des fluctuations du lac, mais également par différentes dominations sociopolitiques qui ont chacune laissé leur empreinte culturelle sur le paysage: l’« espace fournit un contexte pour la culture […] et les espaces changent avec le temps » (Ford 2011a: 1). L’espace, le temps et la culture sont indissociables et définissent le paysage culturel (Ford 2011a).
Pour les populations sans écriture telles que celle de Tiwanaku, la culture matérielle représente la principale source d’information nous permettant d’aborder l’étude de pratiques culturelles. Or, comment étudier la culture immatérielle de Tiwanaku, la tradition orale qui reflète également leur perception du paysage, en l’absence de sources écrites ou d’une transmission directe du savoir aux populations actuelles? Pour étudier un espace lacustre d’altitude sensible aux fluctuations du niveau d’eau, nous pensons que les reconstitutions paléo-environnementales sont dans un premier temps nécessaires afin d’avoir une vision complète de l’ensemble du territoire potentiellement utilisé et perçu par l’homme de Tiwanaku, y compris les espaces actuellement immergés. Cela nous permettra, dans un second temps, de localiser et de documenter des espaces encore méconnus, littoral et lacustre. Par ailleurs, les sites d’occupation et d’activités de Tiwanaku ne devaient pas être implantés de manière aléatoire, mais plutôt en relation à une tradition d’utilisation de certains espaces. L’homme pêche dans les secteurs où il y a des poissons, chasse dans les secteurs où il y a des oiseaux lacustres, ou développe un espace portuaire en bordure du lac dans des baies protégées et aux carrefours des axes de circulation. En tentant de comprendre la morphologie du territoire à une période déterminée, l’archéologue peut donc distinguer certains paramètres, même s’ils relèvent d’une tradition immatérielle, comme les routes navigables par exemple.
Comprendre les raisons qui ont motivé l’utilisation de certains espaces relève donc de l’interprétation, car, et en particulier pour la culture Tiwanaku, on ne possède plus la mémoire de leur mode de pensée et de l’ensemble des paramètres qui ont déterminé leurs actions. Quels sont les critères qui définissent, dans le lac, un espace sacré où se pratiquent des offrandes? Quels sont les critères qui ont mené à l’occupation permanente des certaines baies naturelles et à la non-utilisation d’autres espaces? En l’absence de sources écrites, nous n’avons qu’une vision limitée de la perception du paysage par l’homme de Tiwanaku. La mise au jour, dans les eaux du Titicaca, d’artefacts appartenant à cette culture donne des indices sur le mode de pensée, la perception et l’utilisation de l’espace lacustre en tant que vecteur socio-économique, mais également la perception de l’espace sacré.
Ce raisonnement a été influencé par notre expérience sur le terrain car, en 2013, notre objectif était de localiser des sites subaquatiques inconnus pour étudier l’utilisation du lac par la culture Tiwanaku. Ce fut en vain. En revanche, en 2014, pour localiser de nouveaux sites immergés, cette fois avec succès, nous avons essayé de déterminer les espaces potentiellement utilisés en tenant compte des fluctuations de lac et de sédimentation.
Le Titicaca est actuellement l’un des espaces les plus sacrés d’Amérique du Sud. Le lac ou certaines de ses composantes possédaient déjà une connotation sacrée aux yeux des populations de culture Tiwanaku (500–1050/1150 PCN) au regard des offrandes y ont été découvertes (Ponce 1992). Durant la période inca (1430–1532 PCN), le lac était l’un des plus importants lieux cosmogoniques et de pèlerinages, où s’amplifieront à échelle impériale les pratiques rituelles et les croyances (Bauer et Stanish 2001). Nous nous posons donc trois questions fondamentales: (1) Pourquoi le lac Titicaca est-il sacré aux yeux des populations lacustres et/ ou andines? (2) Depuis quand le lac Titicaca est-il sacré aux yeux des populations lacustres et/ou andines? (3) La charge sacrée ou la nature du sacré a-t-elle été identique à travers l’histoire?
Selon Benjamin Ford, le concept de paysage culturel maritime n’est pas un modèle de société, mais un « outil d’interprétation […] nécessaire à notre mode de raisonnement » (2011a: 3, 6). Par exemple, les axes de navigation au Titicaca ont profondément changé durant la seconde moitié du 20e siècle, en raison, notamment (1) de la disparition progressive des bateaux traditionnels en totora et des modes de propulsion utilisées depuis au moins le 16e siècle (rames et voiles), (2) de la modification des comportements liés aux activités de pêche suite à l’introduction d’espèces exogènes (truites) et (3) du développement du tourisme à proximité des sites archéologiques insulaires et côtiers.
Les offrandes au lac donnent, à la fois, un aperçu de la signification que les populations accordaient à celui-ci et de la perception qu’elles ont de cet espace. L’étude des variantes entre les offrandes Tiwanaku et incas, ainsi que leurs contextes de découverte, offre l’opportunité de répondre à nos questionnements (chapitres 6 et 9). Dans l’état actuel de la recherche, nous ignorons si ce type de
Par conséquent, il n’existe pas de « modèle universel » de l’utilisation du Titicaca à travers l’histoire de l’occupation du bassin lacustre. Les axes de navigation 13
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie que les Incas importeront et adapteront à cet espace lacustre.
pratique est également attesté dans l’espace maritime. Les populations anciennes ont-elles effectué des offrandes dans l’océan Pacifique? Et si oui, sous quelle forme et à quelle(s) période(s)? L’espace maritime et l’espace lacustre sont différents à plus d’un titre; la perception de ceux-ci a dès lors pu engendrer des pratiques et des croyances distinctes.
On doit à Benjamin Ford un excellent exemple de la cognition de l’espace lacustre par deux groupes culturellement distincts, ayant chacun leur propre perception des paysages associés (Ford 2011b: 72). Le lac Ontario en Amérique du Nord est pour les populations amérindiennes la maison du serpent cornu malveillant, Mishi Ginabig, et constitue donc une menace. Une fois apaisé, ce serpent peut toutefois assurer une bonne pêche et un passage sûr, bien qu’il causât également des noyades. Son ennemi, qui vit dans le ciel, est personnifié par le tonnerre, bienveillant quant à lui. De leur côté, les colons européens perçoivent ce lac comme favorable, alors qu’ils considérent le tonnerre comme une menace.
La première de ces différences entre mer et lac réside dans les limites définies par les eaux. Ainsi, celles du lac Titicaca sont perceptibles à l’échelle humaine; d’un point de vue horizontal, l’espace lacustre est clairement délimité, alors qu’à l’inverse, l’espace maritime tend vers l’infini. La rationalisation de l’inconnu a souvent contribué à l’émergence de croyances (mythe). Or, si l’inconnu possède une dimension horizontale dans l’espace maritime, du fait que ses limites n’en sont pas perceptibles, dans l’espace lacustre, par contre, l’inconnu se caractérise uniquement par une dimension verticale, en raison des profondeurs non décelables. Deuxièmement, le lac Titicaca est visible depuis l’ensemble du bassin versant. Depuis celui-ci, peu importe où se situe l’homme, le lac est omniprésent dans le paysage: le Titicaca occupe une situation centrale et centripète, tandis que l’océan, par son rôle de frontière, occupe une situation centrifuge. Troisièmement, les populations du lac sont tout autant tributaires du Titicaca, réservoir d’eau douce, et de son écosystème, que capables de vivre en autarcie, en ayant conscience de la variabilité des rivages et de la connexion hydrique entre la montagne, les vallées et le lac. Bien que les ressources maritimes soient importantes, la mer par contre, en raison de son eau salée, ne peut subvenir exclusivement aux besoins des populations côtières; celles-ci doivent alors compléter leurs stratégies de subsistance.
Cette mutation culturelle a pu être identique au lac Titicaca, car les dynamiques de peuplement du bassin lacustre peuvent être comparées à celle du lac Ontario, avec, d’un côté, une population native et, de l’autre, un groupe culturel distinct et étranger. Notons toutefois deux différences majeures: premèrement, la culture Tiwanaku avait déjà disparu avant l’arrivée des Incas et, deuxièmement, les populations Tiwanaku et incas sont toutes les deux originaires de l’aire culturelle andine. Bien qu’ils ne fassent pas partie du même espace-temps, les Incas sont les héritiers d’une tradition culturelle propre à leur région; pour rappel, Cuzco se situe à 150 km seulement de la limite septentrionale du bassin versant du Titicaca, ou 240 km du lac. Dans le cas du lac Ontario, les Amérindiens et les colons européens proviennent littéralement de deux mondes différents. Au lac Ontario, les populations natives ont donc peur du lac, mais pas du tonnerre (tempête), alors que les Européens ont peur des tempêtes, mais pas du lac. B. Ford propose une intéressante interprétation de ces perceptions divergentes; il envisage en effet que les traditions respectives de chaque groupe, en matière de navigation et d’architecture navale, ont joué un rôle dans leurs relations distinctes avec le lac. Les bateaux amérindiens ont en effet un faible tirant d’eau et sont très stables. Par conséquent, ils ne craignent pas les tempêtes car leur embarcation était sûre et leurs permettent d’accoster rapidement sur n’importe quelle rive. A contrario, les bateaux européens, avec un fort tirant d’eau et une coque en bois, sont plus vulnérables, car lents à manœuvrer et ne pouvant seulement se protéger que dans les baies profondes (Ford 2011b: 72–73). La culture matérielle et les traditions de navigation des Européens ont donc eu un impact culturel sur leur perception de l’espace lacustre (croyance), ainsi que sur l’utilisation de cet espace (techniques et routes de navigation).
Nous pensons que ces caractéristiques propres à l’espace lacustre ont pu contribuer, à une époque inconnue, au processus de sacralisation du lac Titicaca. Originaires du bassin même, les populations Tiwanaku ont fondé leur économie sur les ressources adaptées à cet écosystème: tubercules, quinoa, poissons, oiseaux lacustres, totoras, troupeaux de camélidés, etc. Même s’ils complètent leurs ressources grâce à d’autres territoires écologiques comme la selva et la costa, les hommes demeurent toujours dépendants de leur écosystème; la moindre rupture d’approvisionnement des ressources lacustres provoque un déséquilibre dans la chaîne économique et contribue à l’isolement, voire à l’effondrement du système sociopolitique. Quant aux Incas qui prennent le contrôle du bassin lacustre au 15e siècle, ils sont originaires des hautes vallées du Pérou. Dans cette configuration, les ressources du bassin lacustre viennent en complément de leur système économique développé dans les vallées de moyenne altitude et, d’une certaine manière, les Incas vivent indépendants de l’écosystème lacustre. Par ailleurs, en tant que groupe culturel étranger, leur perception du Titicaca ne trouve pas son origine dans la même tradition que les natifs. Les perceptions de l’espace, y compris notre perception contemporaine du Titicaca, sont également déterminées par la culture; ce sont leurs propres croyances
Ainsi, s’avère indissociable la relation entre la production matérielle et la perception d’un espace (croyances). Dans le cadre du Titicaca, on y pratique des offrandes subaquatiques parce que le lac, ou certaines composantes de celui-ci, est sacré; le lac n’est pas devenu sacré du fait qu’on y accomplissait des offrandes. Or, les offrandes 14
Paysage culturel lacustre du Titicaca au lac des populations Tiwanaku et celles des Incas répondent-elles aux mêmes croyances? Non seulement l’identité culturelle est différente, mais il est possible que le paysage lacustre le fût également, si le niveau d’eau du lac n’était pas identique. En Amérique du Nord, « les rives du lac Ontario ont changé de façon spectaculaire au cours de l’occupation humaine de la région, ce qui aurait eu des effets profonds sur la façon dont les gens percevaient et utilisaient le paysage » (Halligan 2011: 45). Les espaces évoluent, se modifient, et certains disparaissent; « perdus, alors, la plupart des mythes, les activités quotidiennes individuelles, le sens à court terme du temps, et la plupart des autres événements éphémères et les pensées qui définissent un espace pour la plupart des gens » (Ford 2011a: 3).
centaine d’années, le Titicaca voit principalement le développement d’une société complexe dont l’empreinte et l’aboutissement culturels seront uniques dans la région: la culture Tiwanaku. Chronologiquement, en se basant sur la culture matérielle de style Tiwanaku, cette période est délimitée entre 500 PCN et 1150 PCN (Janusek 2003: 37, 56). L’épanouissement de la culture Tiwanaku se déroule sur un long processus historique qui s’accélère durant la période Formative Tardive (200 ACN–500 PCN) et dont l’héritage culturel n’a probablement pas complètement disparu durant la période Altiplano ou Pacajes (1150– 1430/1532 PCN) (Figure 1.5). À juste titre, Janusek parle de trois périodes principales: la période Formative, la période Tiwanaku et la période post-Tiwanaku (2003: 30). Sur le continent sud-américain, les sociétés complexes se sont développées sur la façade occidentale de l’Océan Pacifique caractérisée par la plus longue chaîne de montagnes du monde de ± 7 000 km de long, la cordillère des Andes. Depuis les travaux de John H. Rowe (1954), la chronologie des Andes centrales est définie par une succession d’Horizons et de Périodes Intermédiaires (Janusek 2003: 30), que ce soit sur la côte (versants occidentaux de la Cordillère), la montagne (la cordillère) ou la forêt (versants orientaux de la Cordillère):
Les espaces sacrés et cérémoniels font partie du paysage culturel, mais ont ceci de particulier qu’ils rassemblent les « situations ou les lieux où sont prévus des comportements magiques, et éventuellement motivés par la religion » (Westerdahl 2005: 2). Dans le cadre de ce projet de recherche, nous accorderons une attention particulière aux pratiques d’offrandes au lac Titicaca (partie 2), car elles documentent directement la nature des relations entre les différentes populations du passé, celles de Tiwanaku et des Incas, et leur environnement (chapitres 6–9).
Horizon Ancien (± 800–200 ACN) Intermédiaire Ancien (± 200 ACN–500 PCN) Horizon Moyen (± 500–1150 PCN) [période Tiwanaku] Intermédiaire Récent (± 1150–1400 PCN) [période Altiplano] • Horizon Récent (± 1400–1532 PCN) [période Inca]
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1.5. Dynamiques de peuplement Dans la dernière partie de ce chapitre, nous proposons de présenter synthétiquement les dynamiques de peuplement du lac Titicaca en nous focalisant sur les trois critères fondamentaux qui définissent le concept de paysage culturel: (1) le temps, (2) la culture et (3) l’espace. Excepté pendant la domination inca du bassin lacustre durant une
Dans le bassin méridional du Titicaca (Andes sudcentrales), la chronologie détaillée par John Janusek
Figure 1.5. Chronologie du bassin lacustre méridional (d’après Janusek 2003a: 31, fig 3.1).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie idéologie commune, la tradition Yaya-Mama. Le Titicaca se situe donc au sein d’un paysage culturel hétéroclite, dont témoignent différentes cultures matérielles, tout en étant au cœur d’une tradition religieuse homogène. Charles Stanish identifiera plus de quinze sites d’occupation dont la superficie est supérieure à 2 ha (2003: 149, tableau 7.1) (Figure 1.6). Les échanges avec les régions situées à l’extérieur du bassin lacustre s’intensifieront également durant cette période, en ce compris l’acquisition de biens de prestige tels que l’obsidienne, les pierres et métaux (semi) précieux, les drogues hallucinogènes ou les coquillages marins (Hastorf 2005: 92). Le contrôle des ressources et « l’appropriation du pouvoir idéologique » ont contribué à l’émergence d’une élite dirigeante et d’une société de plus en plus hiérarchisée (Stanish 2001a: 200–201).
est aujourd’hui usuellement utilisée avec: la période Formative (1500 ACN–500 PCN), la période Tiwanaku (500–1150 PCN) et la période Post-Tiwanaku (1150– 1570 PCN) (Janusek 2003: 37). Cette chronologie répond plus spécifiquement aux dynamiques de peuplement du bassin lacustre, mais elle s’inscrit toujours dans la trame chronologique énoncée par Rowe, ce qui permet d’effectuer des analogies synchroniques avec d’autres régions, comme par exemple, la culture Wari, contemporaine et limitrophe de la culture Tiwanaku. Dans le cadre de ce projet de recherche, nous nous focalisons principalement sur le paysage culturel de la période Tiwanaku (500–1150 PCN) tout en intégrant régulièrement l’étude de la période d’émergence pré-Tiwanaku durant le Formatif Récent 2 [LF2] (300–500 PCN) et l’étude de la période Altiplano post-Tiwanaku (1150–1570 PCN) comprenant une domination inca durant un siècle (1430– 1532 PCN) (Figure 1.5). Cette trajectoire historique ne sera pas linéaire, mais entrecoupée de périodes de mutation sociopolitiques et religieuses, suivant des géostratégies différentes d’occupation du territoire lacustre. Après la période Tiwanaku, les populations de la période Altiplano ou Pacajes (partie méridionale du Titicaca) développent progressivement une culture matérielle distincte qui sera elle-même influencée par deux périodes successives de domination étrangère: la période inca (1430–1532 PCN) et la période coloniale (1532–1825 PCN). Le patrimoine matériel actuel est le fruit d’un syncrétisme culturel où l’identification des influences n’est pas toujours aisée, en particulier celles des périodes anciennes (préincas).
L’épanouissement de ces nombreux centres politiques distincts a sans doute été favorisé par un contexte sociopolitique de transition qui, vers 300 PCN, voit à la fois le déclin de l’influence de la culture Pucara et l’essor de celle de la culture Tiwanaku. Durant la période Formative Récente [LF1 et LF2] (200 ACN–500 PCN), les centres civico-cérémoniels de Pucara et de Tiahuanaco, le site éponyme de la culture Tiwanaku, seront en effet les deux centres régionaux les plus importants et les plus influents du Titicaca (Stanish 2003: 142, 149) (Figure 1.6). La nature des interactions n’est pas clairement définie, mais le site de Pucara semble avoir eu une emprise culturelle dans la partie septentrionale du bassin lacustre (± jusque 300 PCN) et le site de Tiahuanaco dans la partie méridionale (± à partir de 300 PCN). Cette emprise marquera le début d’un long processus aboutissant au contrôle de l’entièreté du bassin lacustre par un pouvoir centralisé: la culture Tiwanaku (500–1150 PCN).
Depuis la fin du 19e siècle, dans le bassin lacustre du Titicaca, des centaines de sites archéologiques ont été localisés et identifiés grâce à divers projets de recherches. Les résultats des fouilles et des prospections ont permis à de nombreux chercheurs d’effectuer des projections des systèmes de peuplement sur l’ensemble du territoire. Nous les synthétisons comme suit, en fonction des quatre périodes abordées dans ce projet de recherche: (1) Période Formative Récente [LF2], (2) Période Tiwanaku [TIW], (3) Période Altiplano [ALT] et (4) Période Inca [INC].
Nous constatons que la majorité des espaces publics de ces différents sites sont construits soit sur des promontoires, soit sont connectés à des plaines ou vallées irriguées, ou soit à proximité du lac. Nous observons par ailleurs, sans surprise, que ces nombreux sites se sont développés dans les plus vastes plaines et vallées irriguées du bassin lacustre: la vallée et la plaine du Río Ramis (Pucara, Maravillas et Taraco), la plaine du Río Coata (Paucarcolla, Huajje, Incatunuhuiri), la plaine du Río Ilave (Palermo, Ckackachipata), la plaine du Río Désaguadéro (Simillake, Khonkho Wankane), la vallée du Río Tiahuanaco (Tiahuanaco), l’extrémité de la vallée du Río Catari (Lukurmata) ou encore à l’embouchure du Río Suchez (Titimani) (Figures 1.3 et 1.6). En comparaison, l’espace littoral des rives orientales du Titicaca, un secteur peu documenté par l’archéologie, est directement encaissé entre le lac et les premiers contreforts de la Cordillère royale: il y a là peu de plaines et de vallées assez vastes permettant l’accueil de populations denses.
La variabilité de ces différents paysages culturels donne des indices sur le type d’utilisation potentielle du lac Titicaca. Période Formative Récente 2 [LF2] ou pré-Tiwanaku (300–500 PCN) Le Formatif Récent [LF2] est une période de transition durant laquelle l’occupation du bassin lacustre est définie par « une série de systèmes politiques autonomes et semiautonomes qui développeront des organisations politiques, économiques et idéologiques complexes » (Stanish 2001a: 197). Chaque région sera sous la sphère d’influence de centres politiques distincts répartis autour d’espaces civicocérémoniels qui, bien qu’autonomes, partageront une
Par conséquent, « il n’est pas surprenant que la partie nordouest [Pucara] et la partie sud-est [Tiahuanaco] aient été les premiers endroits [du bassin lacustre] à accueillir des sociétés complexes », car elles correspondent aux deux régions les plus adaptées à l’exploitation agricole intensive, 16
Paysage culturel lacustre du Titicaca
Figure 1.6. Occupation du bassin lacustre durant la période Formative Récente (300–500 PCN) (d’après Hastorf 2005: 70, Fig. 5.5 ; Stanish 2001: 203, Fig. 6 ; Stanish 2003: 149, Table 7.1).
grâce à de nombreuses vallées et des plaines irriguées, et à l’entretien de grands troupeaux de pâturage, grâce à de larges plateaux (Stanish 2003: 160). Ces deux régions sont également connectées aux grandes baies de l’espace lagunaire et bénéficient des ressources lacustres comme les totoras et les oiseaux et poissons qui abondent dans ces secteurs de faible profondeur. Enfin, ces deux régions sont reliées aux vallées de la Cordillère occidentale, en direction de l’Océan Pacifique, et ont directement accès aux réseaux de circulations et d’échanges de la région.
est, probablement pour la première fois, contrôlée par un état centralisé. Tout le territoire devient l’objet d’une occupation planifiée et pensée permettant l’exploitation de toutes les vallées et plaines adaptées à l’agriculture intensive. Le lac Titicaca se situe donc au cœur d’un paysage culturel homogène où la culture matérielle est la même (Figure 1.7). La présence d’une idéologie commune de tradition YayaMama sur l’ensemble du territoire durant la période précédente (Mohr Chávez 2001: 25) a probablement favorisé l’expansion rapide de la culture Tiwanaku qui sera à l’origine d’une nouvelle tradition culturelle et matérielle. De nombreux sites et espaces cérémoniels documentés durant la période Formative Récente [LF2], tels que Lukurmata ou Khonkho Wankane (Figure 1.6), garderont un rôle important durant cette période (Bermann 1990, Janusek 2013). Ce constat est en général systématique: la majorité des lieux de culte restent actifs à travers l’histoire de l’occupation du basin lacustre et, malgré des périodes d’abandon, certains de ceux-ci seront récupérés ou réactivés par la culture inca à partir du 15e siècle de notre ère, puis par l’église catholique à partir du 16e siècle, quand des églises coloniales sont construites sur
Période Tiwanaku [TIW] (500–1150 PCN) Le site éponyme de Tiahuanaco est situé à une quinzaine de kilomètres des rives méridionales du lac Titicaca. L’occupation et l’influence de Tiwanaku sont donc non seulement plus anciennes dans cette partie du lac, mais également beaucoup plus denses et/ou mieux documentées par l’archéologie (Figure 1.7). Dans le cadre de ce projet de recherche, nous avons donc privilégié l’étude du patrimoine subaquatique situé en territoire bolivien. La nature du pouvoir politique de Tiwanaku est encore au centre des débats (chapitre 2), mais durant cette période, entre 500 et 1150 PCN, l’entièreté du bassin lacustre
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 1.7. Occupation du bassin lacustre durant la période Tiwanaku (500–1150 PCN) (d’après Albarracín-Jordan et Mathews 1990; Bandy 2001; Bauer et Stanish 2001; Flores et Tantaleán 2012; Janusek 2013; Kolata 1996; Lémuz 2001; Plaza 2010; Stanish 2003, 2012; Stanish et Steadman 1994 ).
ces anciens lieux de culte préhispaniques. Par conséquent, bien qu’il y ait parfois une rupture de la tradition et des croyances à travers le temps, il y a toutefois permanence dans l’utilisation de certains espaces.
des États […] » (Stanish 2001a: 201); ce contrôle semble avoir été particulièrement important dans l’affirmation de l’hégémonie de la culture Tiwanaku. Celle-ci est communément divisée en deux périodes: Tiwanaku IV (500–800 PCN) et Tiwanaku V (800– 1050/1150 PCN) (Janusek 2003, 2004). Nous tiendrons compte de cette distinction, développée dans le prochain chapitre, sera importante pour notre analyse de l’utilisation de l’espace littoral (chapitre 4) et celle des pratiques rituelles liées à l’espace lacustre (chapitre 5). En effet, tant la nature du pouvoir politique de Tiwanaku et que celle des interactions entre les principaux centres civico-cérémoniels du bassin lacustre vont s’avérer fondamentalement différentes et se refléteront à la fois dans l’utilisation des espaces et dans la culture matérielle, comme l’attestent des assemblages distincts de céramiques (chapitre 2).
L’unification et l’assimilation des centres pré-Tiwanaku au sein d’un territoire politiquement et culturellement homogène résultent probablement d’un double processus: d’une part, la nécessité, liée à la croissance de la population, d’augmenter l’exploitation et le contrôle des ressources lacustres et, d’autre part, la diffusion rapide des croyances grâce à l’intensification des échanges. La production de la céramique est, par exemple, l’un des facteurs de diffusion les plus importants; elle contribuera non seulement à l’épanouissement économique de Tiahuanaco, grâce aux denrées du contenu, mais également à la diffusion des idées et des croyances, grâce à l’iconographie figurée sur le contenant. Le prestige et l’attractivité du site de Tiahuanaco semblent avoir eu un impact sans précédent dans l’histoire de l’occupation du bassin lacustre et ont contribué au développement plus rapide et à la progressive ascendance de la cité sur d’autres entités politiques. Enfin, le « contrôle de l’idéologie par les élites est pour le moins l’un des facteurs nécessaires au développement
Période Altiplano [ALT] ou post-Tiwanaku (1150– 1430 PCN) L’effondrement de la culture Tiwanaku vers 1050– 1150 PCN va non seulement engendrer un morcellement politique du territoire, mais également un abandon des sites 18
Paysage culturel lacustre du Titicaca
Figure 1.8. Occupation du bassin lacustre durant la période Altiplano (1150–1430 PCN) (d’après Covey 2012: 302–303, Fig. 16.2, 16.3).
d’occupation connectés aux plaines agricoles du bassin lacustre au profit d’espaces d’occupation fortifiés semipermanents, les pukaras, situés dans le premier contrefort de la Cordillère à des altitudes supérieures à 4 000 m (Abraham 2012: 283) (Figure 1.8). Il faut toutefois rester prudent avec l’emploi des termes « anéantissement » ou « disparition » de la population Tiwanaku; celle-ci, plutôt, aurait probablement migré. Le début de la période Altiplano se caractérise en réalité par l’abandon des espaces civicocérémoniels de la part de l’élite dirigeante Tiwanaku et par une redistribution des stratégies d’occupation du bassin lacustre en relation à une baisse démographique très importante. L’hypothèse la plus plausible permettant actuellement d’expliquer ce phénomène est un événement de sécheresse qui aurait occasionné une période de crise en déstabilisant toute la production agricole intensive nécessaire à l’entretien d’une population dense du bassin lacustre (Kolata 2003: 3–17).
périodes écohistoriques (Kolata 2003: 6–9; Thompson et al. 1985). Dans cette séquence, Kolata démontre que le développement à grande échelle de l’agriculture intensive Tiwanaku apparaît non seulement durant une période de précipitation plus importante, mais aussi que l’effondrement de cette économie coïncide avec le début d’une période aride vers 1040 PCN (2003: 8–9). La stratégie agraire des camellones [raised-field], les champs surélevés irrigués par un système complexe de canalisations, est en effet dépendante des taux de précipitations. Par exemple, 80 % de la surface de la vallée inférieure de Katari était cultivée entre 800 et 1000 PCN, ce qui représente plus de 150 km2 d’espace agricole (2003: 8). Toute variation climatique aura donc un impact considérable sur la productivité. Le facteur environnemental a donc été décisif; il n’exclut pas pour autant l’implication et la nature du système social, politique et économique de Tiwanaku qui a tardé à s’adapter pour préserver ses institutions et la légitimité du pouvoir en place. À partir de 1050/1150 PCN, l’agriculture n’a pas été complètement abandonnée, mais s’est concentrée autour de populations plus réduites qui se sont réadaptées plus facilement en élaborant des stratégies de subsistance à l’échelle de leur communauté. Cette réorganisation
Les données issues de carottages effectués sur le glacier de Quelccaya situé à 200 km de Tiwanaku montrent en effet une alternance de périodes de fortes et de faibles précipitations qui, recoupées aux dynamiques de peuplement du bassin lacustre, ont permis à Alan Kolata d’identifier différentes 19
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie En réalité, cette occupation sera atypique, car les Incas occuperont principalement tous les espaces littoraux, pour les habitations, et les flancs de collines orientées vers le lac, pour les terrasses agricoles; ils délaisseront les vallées et plaines plus reculées du bassin lacustre telles que celle de Tiwanaku (Figure 1.9). Cette observation mérite notre attention; elle montre en effet que la charge sacrée du lac Titicaca aura également un impact sur la nature de l’occupation du bassin lacustre. Seuls les espaces orientés vers le lac, qu’ils soient bien exposés ou non pour l’agriculture, seront utilisés. La perception de l’espace sacré et les pratiques rituelles réglementeront une grande partie des activités incas au Titicaca, y compris l’exploitation agricole et l’élevage des troupeaux de camélidés nécessaires à la production de boissons fermentées et de textiles.
territoriale a contribué à façonner de nouvelles dynamiques sociales et identitaires qui sont actuellement perceptibles, notamment grâce aux pratiques funéraires d’inhumation collective et/ou successive de plus en plus axées sur les lignages régionaux (Korpisaari 2006). Ces différents groupes indépendants ont évolué en fonction des rivalités et des enjeux sociopolitiques; les places fortifiées reflètent ces luttes internes (Covey 2012: 300–301). Durant la conquête du Titicaca par les Incas dans la première moitié du 15e siècle, le bassin lacustre était, d’après les sources coloniales, contrôlé par quatre groupes distincts: les Collas, les Lupaqas, les Pacajes et les « Umasuyus » (Bouysse-Cassagne 1992: 120–125) (Figure 1.8). La période préconquête inca se caractérisera par une période de troubles et de conflits qui sera à un moment donné exacerbée par la « menace inca ». À partir du 15e siècle, les populations rivales se regrouperont de manière plus systématique dans des lieux plus restreints et facilement défendables, les pukaras, qui, jusqu’alors, étaient des espaces d’occupation semi-permanente, que ce soit sur les versants de la Cordillère ou sur les îles, places fortes par excellence (Covey 2012: 302–306) (Figure 1.8).
Ces produits manufacturés auront probablement une valeur symbolique hautement élevée, en raison de leur provenance de l’une des régions les plus importantes dans les croyances incas. Autant symboliquement que physiquement, les Incas se sont bel et bien approprié les plus anciens lieux de culte, ainsi que les croyances, en intégrant le lac Titicaca au centre de leurs propres mythes fondateurs. Le Titicaca est un lac sacré, le rocher Titikala de l’île du Soleil sera perçu comme le lieu de naissance du soleil et de la lune et, par association, celui du couple mythique fondateur de la dynastie inca (Stanish 2001b: 225). L’intégration des croyances et des espaces sera l’une des stratégies de consolidation du pouvoir inca sur les territoires nouvellement conquis; elle leur permettra de légitimer leur occupation, en tant que nouveau groupe ethnique dominant.
Période Inca [INC] (1430–1530 PCN) Actuellement, il n’existe pas de preuves matérielles d’éventuels événements d’expansion militaire durant la période Tiwanaku (500–1050/1150 PCN) ou au début de la période Altiplano (1150–1300 PCN). A contrario, dès la période de conquête inca du bassin lacustre, l’expansion territoriale sur cette partie du continent sera effectuée manu militari. Les populations de l’Altiplano étaient non seulement relativement importantes, mais également déterminées à défendre leurs territoires contre les incursions de ce groupe originaire des hautes vallées de Cuzco. Les Incas, jouant sur d’anciennes rivalités, formèrent une coalition avec les Lupaqas [Lupacas] pour vaincre les Collas avant de se retourner contre les premiers (Bouysse-Cassagne 1992: 122–123). Afin de garder l’emprise sur les populations nouvellement conquises, les Incas déplaceront les habitants hors des contreforts de la Cordillère vers les espaces situés dans le bassin lacustre, sous contrôle de l’occupant. Outre délocaliser les populations natives, les nouveaux venus établiront des colonies incas, les mitimaes, peuplées d’habitants originaires d’autres régions (Stanish 2001b: 221).
Les Incas développeront les axes de circulations et d’échanges [Qhapaq Ñan], notamment le réemploi d’une partie des routes préexistantes, grâce à un système ingénieux de relais [tambos] permettant d’optimaliser les communications, de déplacer des troupes, de développer le commerce et d’accueillir de nombreux pèlerins jusqu’aux îles sacrées du lac, via Yunguyo et Copacabana (Stanish 2001b: 261; Bauer et Stanish 2001) (Figure 1.9). Durant cette période, les îles sacrées du Soleil et de la Lune constitueront littéralement le cœur du paysage lacustre et les lieux de destination des pèlerins. Le lac sera quant à lui un espace sacré, inséré dans un écrin anthropique, vu que la totalité de l’espace côtier sera utilisée pour l’exploitation agricole, et parsemée de nombreux axes de circulation. Ce paysage culturel fonde l’héritage direct des populations actuelles du bassin lacustre qui, malgré de nombreuses années de troubles, perpétueront cette perception culturelle de l’espace.
La densité de l’occupation inca du bassin lacustre sera de 200 à 300 % supérieure que celle documentée durant la période précédente, excepté dans la vallée de Tiwanaku en dehors du site de Tiahuanaco (Covey 2012: 303).
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Paysage culturel lacustre du Titicaca
Figure 1.9. Occupation du bassin lacustre durant la période Inca (1430–1532 PCN) (d’après Covey 2012: 306–307, Fig. 16.4, 16.5).
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Chapitre 2 Tiwanaku, une culture lacustre? espaces homogènes et délimités (micro-écosystèmes), tels que des vallées, des baies ou des îles, depuis le cordon littoral jusque dans les premiers contreforts aux extrémités des plaines alluviales. L’occupation de certaines régions du bassin lacustre est donc encore relativement méconnue, et la séparation du territoire entre le Pérou et la Bolivie a également accentué ce phénomène vu que les régions limitrophes sont peu étudiées. Les espaces qui ont fait l’objet de prospections systématiques (liste non exhaustive) sont:
2.1. Introduction Peut-on considérer que toutes les populations du passé ayant vécu dans l’écosystème du bassin versant du lac Titicaca sont des cultures de type lacustre ? Evans et Keith parlent en effet de l’importance de distinguer l’espace maritime [espace lacustre] du concept de culture maritime [culture lacustre], car la présence d’une vaste étendue d’eau n’implique pas automatiquement qu’elle soit utilisée par l’homme sur « la longue durée » (Evans and Keith 2011: 172). Cette observation souligne l’importance de rester prudent sur l’interprétation et la caractérisation d’une société. L’« espace fournit un contexte pour la culture […] » (Ford 2011a: 1), mais chaque groupe culturel aura une relation distincte vis-à-vis de son environnement avec différents degrés d’interaction et d’implication.
• Partie bolivienne: la plaine du Désaguadero (Janusek 2013), la vallée de Tiwanaku (AlbarracínJordan et Mathews 1990), la péninsule de Taraco (Bandy 2001), la vallée de Catari (Kolata 1996), l’île de Pariti (Plaza 2010), la péninsule de Santiago de Huata (Lémuz 2001) et l’île du Soleil (Bauer et Stanish 2001). • Partie péruvienne: la vallée de Huancané (Stanish 2012), la baie de Puno (Flores et Tantaleán 2012), et la baie de Juli-Pomata (Stanish et Steadman 1994) (Figure 2.1).
Certaines populations de la cordillère des Andes vivent à proximité de lacs dont les dimensions n’auront presque aucune incidence sur l’écosystème de la région et les pratiques culturelles (il s’agit d’une source d’eau douce). Les centaines de lacs alimentés par les glaciers des Andes sont par ailleurs particulièrement instables: ils apparaissent et disparaissent en fonction des températures et des périodes de l’année. Ce phénomène naturel n’aura aucune prise sur le Titicaca, car le volume d’eau et les dimensions sont beaucoup trop importants. Ce dernier est par conséquent un espace propice au développement d’une culture de type lacustre, mais qui n’implique donc pas automatiquement l’utilisation de cet espace. En accord avec Jessi Halligan, nous pensons que pour déterminer si une population est une culture maritime [lacustre], dans le sens où celle-ci utilise l’espace et les ressources associées à l’étendue d’eau, il s’agit principalement de déterminer s’il y a eu des activités humaines sur les rivages (Halligan 2011: 47).
À l’heure actuelle, moins de 20 % du territoire directement connecté au lac a donc été l’objet de prospection systématique (Figure 2.1). Dans chaque région étudiée, les auteurs proposent une classification distincte des sites identifiés, que ce soit en matière de surface, de période, de type d’occupation (domestique, etc.) ou du type d’espace (altitude). En recoupant l’ensemble des données, nous pouvons dégager deux observations principales: (1) presque aucun espace d’occupation ou d’activités n’a été identifié directement au bord de l’eau (à moins de 100 m du cordon littoral), et (2) il n’y a quasi pas de témoignages matériels faisant référence à des pratiques socio-économiques associées au lac: aucune épave ou représentation de bateau dans l’iconographie, ou encore quasi aucune structure pouvant s’apparenter à un aménagement portuaire. En réalité, nous constatons qu’il n’existe presque pas de références directes au lac dans la culture matérielle et dans le répertoire iconographique des différentes populations qui ont occupé le basin lacustre.
Le littoral est par définition une zone de transition entre la terre ferme et le lac, et correspond à un espace d’étude privilégié. Peu importe les motivations qui ont poussé l’homme à aller sur le lac, il sera en effet obligé de transiter par cet espace. L’utilisation du lac peut donc également être perçue sur le littoral grâce à l’analyse de la culture matérielle que l’homme laisse indéniablement sur son passage, que ce soit pour des activités socio-économiques (pêche, commerce, contact entre les différents sites, etc.), ou des activités rituelles (offrandes).
Au regard des différentes dynamiques de peuplement que nous avons synthétisé précédemment (chapitre 1), la première observation peut paraître a priori atypique, car le lac et les ressources associées à celui-ci ont été pour le moins l’une des motivations nécessaires à l’occupation du bassin lacustre. L’absence de témoignages matériels sur l’espace littoral actuel est en réalité conditionnée par trois phénomènes naturels:
À partir des années 1980’, les reconnaissances, les prospections et les fouilles ne sont plus effectuées de manière arbitraire à travers le territoire, mais de manière systématique dans une approche régionale (Stanish 2013: 84). Cette nouvelle stratégie de recherche permettra d’étudier de manière approfondie l’occupation de certains
• Le premier, thème indissociable de ce projet de recherche, correspond aux mutations du paysage lacustre liées aux fluctuations du lac: le cordon 23
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 2.1. Espaces du bassin lacustre documentés par l’archéologie (d’après Covey 2012: 301, Fig. 16.1).
littoral peut se déplacer de plusieurs kilomètres. Par conséquent, avant de réaliser des fouilles sur un espace littoral, il faut d’abord le(s) localiser en fonction des périodes d’occupation. • Le second est lié à la fragilité du littoral lacustre et à la conservation des artefacts ou structures face aux mécanismes d’érosion: « les processus d’immersion sont presque toujours extrêmement destructeurs vu que les rivages font partie des paysages les plus dynamiques » (Halligan 2011: 51). • Le troisième est la difficulté de localiser des artefacts en prospection, car le processus de sédimentation est très important au lac Titicaca, en particulier dans ces zones littorales peu profondes propices à l’abondance d’une flore lacustre qui accélère ce phénomène. Les différents évènements d’inondation déposent également des couches variables de sédiment supprimant toute visibilité d’occupation ancienne potentielle.
directes au lac dans l’iconographie et la culture matérielle ? Par exemple, durant les différentes phases d’occupation entre 300 et 1430 PCN, il n’existe aucune représentation figurée d’embarcation dans le répertoire iconographique des céramiques. L’unique exception pourrait être celle d’un motif appartenant à une céramique de type vasija (cruche) appartenant probablement à la période post-Tiwanaku ou Altiplano (1150–1430 PCN), et conservée dans le musée de Challa sur l’île du Soleil (fouilles terrestres fin des années 1990, projet inconnu) (Figure 2.2). Notons toutefois que le motif en est attesté sur la céramique de style Tiwanaku. Les codifications de représentation sont déterminées par les critères culturels, mais également par la morphologie des bateaux précolombiens dont nous ignorons presque tout. Les embarcations anciennes du Titicaca, probablement assemblées en totoras (roseaux lacustres), se conservent très difficilement et ont la particularité de ne « jamais couler »: en cas de détresse, les différents faisceaux de totoras qui assemblent le bateau pourraient se disloquer, mais conservent une flottabilité très élevée (chapitre 4). Cette particularité pourrait expliquer le fait qu’aucune épave précolombienne n’a été découverte à ce jour au Titicaca. Nous pensons que les deux exceptions
L’unique exception se situe au « point d’impact » des vagues sur la terre ferme qui, en décapant le sédiment, peuvent rejeter des fragments d’artefacts roulés sur les plages. A contrario, la seconde observation nous interpelle beaucoup plus: pourquoi n’existe-t-il pas de références 24
Tiwanaku, une culture lacustre?
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Figure 2.2. Convention de représentation d’un balsa de totora [vasija, 1150–1530 PCN, Museo de Challa].
qui pourraient correspondre à un naufrage sont celles liées à une charge trop importante ayant emporté à la fois la cargaison et le bateau, ou une embarcation ancienne abandonnée sur le littoral ayant été rapidement recouverte par une couche de sédiment (inondation) ayant généré des conditions d’anaérobie rapide.
Durant ces deux derniers millénaires, l’occupation du bassin lacustre par la culture Tiwanaku est donc unique, car il s’agira de la seule période où l’entièreté du territoire sera aménagée par une culture homogène et native. La culture Tiwanaku est également issue d’une longue tradition lacustre (la dernière avant l’effondrement démographique et l’arrivée des Incas), et l’utilisation et l’exploitation du lac ont contribué à son épanouissement. Avant d’analyser la culture matérielle de l’espace littoral et lacustre mis au jour durant les fouilles de 2013–2014 (chapitres 4 et 5), il est nécessaire d’aborder dans un premier temps les caractéristiques culturelles qui définissent Tiwanaku afin d’identifier les paramètres qui pourront avoir une incidence sur la nature du patrimoine subaquatique du Titicaca entre 300 et 1150 PCN. Pour reprendre l’exemple de la navigation, il est en effet impossible de faire abstraction du contexte culturel en analysant exclusivement les conditions (paléo) environnementales, car les axes de circulations seront également déterminés par les enjeux économiques, sociaux et religieux. Le concept de paysage culturel lacustre est avant tout un outil d’interprétation qui met l’accent sur l’omniprésence du lac dans le paysage culturel, et qui permet à l’archéologue d’aborder l’étude la culture Tiwanaku sous un autre angle d’approche. Répondre à la question « Tiwanaku, une culture lacustre ? » n’est donc fondamentalement pas important, mais permet de garder à l’esprit le facteur lacustre dans la révision de la littérature scientifique.
L’iconographie de la période Tiwanaku (500–1150 PCN) se révèle toutefois extrêmement codifiée et composée d’un répertoire de motifs géométriques, de symboles, et/ou de figures zoomorphes, anthropomorphes et hybrides. Théoriquement, rien n’exclut la présence d’une représentation symbolique d’un bateau, du lac ou de l’élément eau. Dans certaines cultures, le bateau a une signification importante et peut représenter le « voyage » ou le « cheminement »: le bateau est le symbole entre « les parties antagonistes, terre et mer ; il annule le chaos » (Westerdahl 2005: 3). Les modes de raisonnement sont différents et propres à chaque culture, et ne s’appliquent pas exclusivement à l’iconographie, mais à l’ensemble de la culture matérielle. Pour le Titicaca, quels sont en effet les critères qui permettraient d’identifier des structures correspondant à des espaces portuaires ? Quels sont les éléments de la culture matérielle reflétant des pratiques lacustres, que ce soit pour des activités socio-économiques ou rituelles ? La représentation du quotidien était-elle tabou ? Car excepté l’omniprésence d’arêtes de poissons (pêche) dans les contextes de découvertes Tiwanaku (Stanish 2003: 196) et le témoignage d’offrandes effectuées dans le lac durant cette même période (Reinhard 1992: 419–530), il n’y a presque pas de témoignages matériels directs documentant des pratiques de type lacustre. L’analyse du paysage en tant que « partie de la culture matérielle » (Ford 2011a: 2) est donc d’autant plus importante. Les différents systèmes de peuplement du bassin lacustre donnent des indices sur les espaces littoraux potentiellement exploités et indiquent aussi que le lac n’a pas toujours été utilisé de la même manière durant les quatre périodes abordées dans ce projet de recherche (chapitre 1).
2.2. Évolution du paysage culturel Tiwanaku Le site éponyme de Tiahuanaco est l’un des meilleurs indicateurs de l’évolution du paysage culturel lacustre entre 300 et 1150 PCN. Il s’agit non seulement du foyer d’émergence de cette nouvelle identité qui regroupera à partir de 500 PCN toute une population sous le faciès Tiwanaku, mais également le site archéologique le mieux documenté dans la littérature scientifique et le plus approprié pour aborder les différentes étapes culturelles qui ont marqué l’histoire de l’utilisation du bassin lacustre. Le site est situé sur un promontoire naturel (3842 m d’altitude) 25
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 2.3. Occupation Tiwanaku du bassin méridional du lac Titicaca – lac mineur (d’après Stanish 2003, 2012 ; AlbarracínJordan et Mathews 1990; Bandy 2001; Kolata 1996; Lémuz 2001; Bauer et Stanish 2001; Stanish et Steadman 1994, carte topographique Laurent Masselin).
en adobes (briques de terres séchées) ont disparu – et (2) le complexe cérémoniel a été l’objet d’un démantèlement progressif depuis le début du 16e siècle au profit des villes coloniales telles que Laja (1545) puis La Paz (1548).
dans la vallée moyenne de Tiahuanaco à ± 12 km des rives actuelles du lac Titicaca. La vallée, d’une largeur de 10 à 15 km, est bordée de deux petits massifs délimitant une superficie de 400 km2 irriguée par la rivière Tiahuanaco (Albarracin-Jordan et Mathews 1990: 13–16) (Figure 2.3).
La dernière période d’occupation intensive de ce secteur correspond donc à celle de Tiwanaku qui, avant l’abandon du complexe cérémoniel vers 1050–1150 PCN, couvrait une superficie minimum de 6,5 km2 avec une population estimée entre 25.000 et 40.000 habitants (Janusek 2001: 252). En parallèle, celle du bassin méridional du Titicaca est estimée à ± 365.000 habitants (Binford et Kolata 1996: 50).
La localisation du site dans la vallée est intéressante, car elle « suggère que d’autres facteurs que le lac étaient pris en comptes dans le choix idéal d’implantation de ces [premiers] centres politiques [Pucára et Tiahuanaco] » (Stanish 2003: 159). Dans son raisonnent sur la formation des premières sociétés complexes, Charles Stanish suggère également que la « capacité unique du bassin lacustre à supporter de grands troupeaux de camélidés » a probablement joué un rôle important (2001: 196). Avec une économie pastorale et agricole, la culture Tiwanaku est donc avant tout une « société de la terre » (« Gens de la Terre », Pétrequin 1984), qui se traduira notamment dans les pratiques rituelles avec des offrandes de lamas (et pas de poissons).
Si l’on fait abstraction de l’occupation passive du site par les Incas et des périodes de démantèlement (post) coloniales, la planification du complexe cérémoniel de Tiwanaku correspond à l’état du site avant son abandon vers 1050–1150 PCN. Les différents secteurs cérémoniels et résidentiels de Tiahuanaco ont en effet été l’objet de différentes vagues de transformations – agrandissement, reconstruction, valorisation – qui refléteront les différentes phases marquant l’évolution de la société Tiwanaku. La chronologie proposée par Janusek répond principalement aux dynamiques sociopolitiques perceptibles par ces différentes modifications du paysage urbain (Janusek 1994: 95–100, 2003a: 37, Janusek 2004: 86):
Le village moderne de Tiahuanaco couvre une superficie de ± 1 km2 et correspond approximativement au secteur d’occupation de la période inca (1430–1530 PCN) (Lopez et Yaeger 2004: 339). Organisé autour d’une place centrale dominée par une église coloniale du 16e siècle (1580), il se situe en bordure orientale du complexe monumental de la période Tiwanaku (500–1150 PCN). Ce dernier se caractérise par une série de structures et d’édifices qui constituent le noyau cérémoniel de l’ancien centre urbanisé incluant la pyramide Akapana, le Temple semi-souterrain, la plate-forme monumentale du Kalasasaya, le complexe du Putuni, et le complexe décentré du Puma-Puncu situé au sud-ouest (Figure 2.4). La perception actuelle du site confère une vision modeste de l’urbanisation, car (1) seuls subsistent les édifices construits en pierre de taille – les habitations
• Période Formative Récente • Late Formative 1 — LF1 (200 ACN-300 PCN) [Tiwanaku I-II] • Late Formative 2 — LF2 (300–500 PCN) [Tiwanaku III] • Période Tiwanaku • Tiwanaku IV (500–800 PCN) • Early Tiwanaku IV – ETIV (500–600 PCN) 26
Tiwanaku, une culture lacustre?
Figure 2.4. Village moderne et site archéologique de Tiahuanaco (d’après Kolata 2003: Map 1a).
• Late Tiwanaku IV — LTIV (600–800 PCN) • Tiwanaku V (800–1150 PCN) • Early Tiwanaku V – ETV (800–1000 PCN) • Late Tiwanaku V — LTV (1000–1150 PCN)
Première phase de transformation du paysage urbain (300–500 PCN) Durant cette phase, l’espace public et cérémoniel de Tiahuanaco, organisé autour d’un Temple semi-souterrain de tradition Yaya-Mama daté de la période LF1 (200 ACN-300 PCN) (Mohr Chávez 2001: 25; Janusek 2004: 109), sera complètement réaménagé avec la création d’un espace monumental (Janusek 2004: 103, 116). Tout le secteur d’habitations d’élite situé à l’ouest du Temple semi-souterrain est recouvert par la construction de la première plate-forme du (pré) Kalasasaya (Janusek 2004: 116). Cette construction originale va rompre le schéma traditionnel de planification des centres civico-cérémoniels attestés jusqu’à présent dans le bassin lacustre, car pour la première fois, le temple semi-souterrain ne sera plus l’unique structure centrale de la communauté (Figure 2.5 [configuration plus tardive]).
Bien que l’occupation du site de Tiahuanaco soit attestée au minimum depuis la période Formative (1500 ACN500 PCN) durant laquelle les systèmes de peuplement se caractérisent par des petites communautés agricoles organisées autour d’espaces civico-cérémoniels (Albarracin-Jordan et Mathews 1990: 73–74), le complexe monumental de Tiahuanaco «est construit pour la première fois durant la période Formative Récente » (Janusek 2004: 106), et sera modifié au minimum à deux reprises avant son abandon: au début de la phase Tiwanaku IV et durant la période de transition avec la phase Tiwanaku V (Janusek 2003b, 2004 [AKE]; Couture 2000, Couture et Sampeeck 2003 [Putuni], Alconini 1995 [Akapana], Vranich 1999, 2001 [Puma-Puncu]). Il existe donc 3 phases principales de modification du paysage urbain qui refléteront des mutations du paysage culturel. Peu importes les terminologies employées, que ce soit A, B et C, Tiwanaku III, IV et V ou LF2, TIV et TV, l’analyse de ces 3 phases est importante, car la nature du système politique aura théoriquement une incidence sur l’utilisation du lac. La dernière terminologie (Janusek), que nous utilisons mettra toutefois l’accent sur la variabilité de la culture matérielle entre le style céramique pré-Tiwanaku ou Qeya (300–500 PCN) et le style céramique Tiwanaku (500–1150 PCN).
Le réaménagement de cet espace civico-cérémoniel indique que la société pré-Tiwanaku est en phase de mutation culturelle durant la période Formative Récente 2 (300–500 PCN). Le contrôle des ressources et l’appropriation du pouvoir idéologique par une élite dirigeante (Stanish 2001a: 200–201) vont redessiner un paysage sociopolitique de plus en plus complexe qui annonce les fondations de la future société Tiwanaku. Cet essor socio-économique et religieux va permettre de fédérer l’énergie nécessaire à la construction des premières structures monumentales qui, en renforçant le prestige et le 27
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 2.5. Partie orientale de la plate-forme du Kalasasaya et Temple semi-souterrain [TIV-TV] (Restaurés entre 1965–1973 et 1961–1964 par le CIAT ) (Photos 2007, Delaere).
Figure 2.6. Partie occidentale du Kalasasaya [configuration TIV-TV] en direction du Putuni [TV] (Restaurés entre 1965 et 1973 par le CIAT ) (Photos 2010, Delaere).
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Tiwanaku, une culture lacustre? pouvoir politique de Tiahuanaco, va également aider celuici à prendre progressivement l’ascendance sur les autres sites d’occupations limitrophes du bassin méridional du lac Titicaca.
pas à exclure comme pourrait en témoigner l’intégration de stèles Yaya-Mama au sein de ces futurs édifices. Seconde phase de transformation du paysage urbain (500–800 PCN)
La plate-forme du Kalasasaya se caractérise par un espace « ouvert » permettant l’accueil de nombreuses personnes: l’organisation d’évènements sponsorisés par l’élite dirigeante contribuera à amplifier et à affirmer une nouvelle identité autour d’espaces communaux (Janusek 2004: 125–126) (Figure 2.6 [configuration plus tardive]).
Cette phase va configurer définitivement la planification du noyau monumental de Tiahuanaco sur une superficie de 0,9 km2 délimitée probablement par une petite enceinte ou un fossé [moat] (Kolata 1993: 90 ; Janusek 2004: 131). L’ampleur et l’énergie nécessaire à la réalisation de ces nouveaux aménagements « attestent du succès des idéaux religieux et rituels » (Janusek 2004: 131) qui à partir de cette période définiront notamment l’identité de la culture Tiwanaku en tant que groupe culturel distinct (culture matérielle distincte). Les travaux de construction de la pyramide Akapana et du complexe décentré du PumaPuncu datent de cette période (Yaeger et Vranich 2013: 140–144) et renforcent la monumentalité et l’influence du site de Tiahuanaco en tant que site principal de la culture Tiwanaku (Figure 2.7). L’emploi du terme de « capitale tiwanakota » est probablement la terminologie qui correspond le mieux à la nature du site en fonction de nos propres codifications culturelles contemporaines.
Le commensalisme semble être une des performances sociales les plus importantes de cette identité émergente: les différents acteurs entretiennent les enjeux sociaux et politiques autour d’évènements impliquant de la nourriture et des boissons fermentées (chicha-feasting) (Bandy 2013a: 137). La présence de caches de céramiques événementielles dans les fondations des structures d’élite du futur complexe de Putuni (TV) reflète également la présence de différents groupes concurrents (Couture 2002: 303, cit. in Seddon 2013: 136). L’origine de ceux-ci remonte probablement à cette période (LF2) où l’accumulation et la redistribution des biens en tant qu’élément de réciprocité (Seddon 2013: 124, Bandy 2013a: 141) deviendront des critères culturels importants et systématiques dans la nature de l’évolution du paysage culturel Tiwanaku.
Durant cette seconde phase sera également construit le premier complexe du Putuni (Couture et Sampeck 2003: 226–263) et la plate-forme du Kalasasaya sera agrandie (Janusek 2004: 131). La diversité des édifices et leur situation au sein de l’espace monumental témoignent de l’utilisation distincte de ceux-ci, notamment entre les espaces cérémoniels exclusifs ou fermés (Pyramide Akapana), les espaces cérémoniels inclusifs ou ouverts (plate-forme du
La construction plus tardive d’édifices monumentaux au sud de la plate-forme du Kalasasaya occulte la présence éventuelle d’un complexe pré-Akapana et pré-Puma-Puncu durant cette première phase de transformation du paysage urbain. La présence de ces structures anciennes n’est toutefois
Figure 2.7 Base nord-ouest de la pyramide Akapana avec les 3 premiers niveaux conservés [Travaux de restauration de 2010 par le CIAAAT ] (Photos 2010, Delaere).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Kalasasaya), et les espaces résidentiels réservés à l’élite (Putuni) (chapitre 7). Le complexe du Puma-Puncu se distingue toutefois des autres structures car celui-ci est situé en dehors du noyau cérémoniel à 900 m au sud-ouest de la pyramide Akapana et servait probablement à accueillir les pèlerins (Vranich 1999: 263, 277) (Figure 2.8).
Troisième phase de transformation du paysage urbain (800–1150 PCN) Le début de cette troisième phase se caractérise par une période de mutation de la société Tiwanaku. Cette période de « crise » ou de « transition » est fascinante, car elle documente un tournant décisif en plein milieu de la période Tiwanaku: la culture matérielle en céramique reste identique (exceptée les proportions et les assemblages) (Janusek 2004: 221), mais la nature du pouvoir et celle des relations entre les différents sites d’occupation du bassin lacustre et Tiahuanaco seront différentes. Cette mutation culturelle se reflétera notamment à Tiahuanaco, car certains édifices principaux seront littéralement démantelés puis reconstruits (complexe résidentiel de Putuni), et d’autres espaces rituels seront réaménagés ou agrandis (pyramide Akapana et complexe du Puma-Puncu).
Le complexe du Putuni est une structure intéressante car, d’un point de vue culturel, il est associé à une élite dirigeante et connecté au Kalasasaya tandis que, d’un point de vue archéologique, les différentes phases de transformations du paysage urbain y sont physiquement perceptibles: les trois niveaux d’occupations sont clairement délimités par différentes couches stratigraphiques d’abandon et/ou de fondation et dont la variabilité atteste de l’évolution du statut de l’élite dirigeante (Couture et Sampeck 2003: 226–263). Au début de la période Tiwanaku IV vers 500– 600 PCN, l’ancien niveau d’occupation pré-Putuni (LF2) visible à certains endroits par une couche stérile d’argile rouge de ± 50 cm d’épaisseur (Couture et Sampeck 2003: 230) sera en effet totalement recouvert par un premier complexe homogène composé de différentes unités résidentielles et d’un cimetière réservé à l’élite (TIV) (Couture et Sampeck 2003: 233).
Putuni offre encore une fois l’exemple le plus explicite car tout le complexe de la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) est scellé et/ou rasé. Par exemple, des offrandes de camélidés et d’humains intentionnellement désarticulés sont placées dans les canalisations en pierres de taille avant d’être scellées et toutes les structures sont démantelées jusqu’aux fondations
Figure 2.8. Première et seconde plate-forme de la façade sud du complexe du Puma-Puncu (Travaux de restauration de 2007 par le projet PPP) (Photos 2010, Delaere).
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Tiwanaku, une culture lacustre? (Couture et Sampeck 2003: 245). Ensuite, l’ensemble du complexe est recouvert par une couche stérile de gravats de couleur verte sur laquelle est construite une plate-forme en forme de U avec un patio pavé et une stèle en andésite en son centre, et connectée à l’ouest par des complexes résidentiels dont la qualité des pigments appartenant à des enduits peints peuvent associer ces structures à des palacios (Couture et Sampeck 2003: 248, 251).
taille réduite dans la vallée inférieure et moyenne de Tiahuanaco (Bandy 2013b: 83). Dès la seconde phase de transformation du paysage culturel, Albarracin-Jordan et Mathews identifient dans la vallée au minimum 100 sites d’occupation de la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) et 339 sites d’occupation de la période Tiwanaku V (800– 1150 PCN) (1990: 89, 130). La gestion d’une population importante dans cette vallée fertile (Figure 2.9) est sans doute l’une des causes nécessaires au renforcement d’un pouvoir hiérarchisé. À partir du matériel céramique, Janusek mettra en évidence le caractère conservateur de la culture Tiwanaku (2004: 221) qui, face à une dernière période de « crise » vers 1050–1150 PCN, n’a peut-être pas pu s’adapter assez rapidement en tant que société et/ou subvenir aux besoins de la population.
La présence de cette couche stérile de couleur verte est intéressante: elle est non seulement documentée dans d’autres édifices ou secteurs de Tiahuanaco (AKE-1, PumaPuncu, Akapana) (Delaere 2009), mais également dans d’autres sites du bassin lacustre comme dans la structure de type « kalasasaya » située sur le site de Chucaripupata à l’île du Soleil (Seddon1998: 310, 312, 385) (chapitre 7). Or cette couche stérile, au-delà de l’intérêt du geste rituel, a notamment l’avantage d’être un excellent marqueur chronologique de cette phase de transition Tiwanaku IV – Tiwanaku V. Ce phénomène de démantèlement et de reconstruction au-dessus de fondations rituelles n’est donc pas isolé au site de Tiahuanaco. L’homogénéisation des pratiques rituelles et des espaces cérémoniels durant la période Tiwanaku V (800–1150 PCN) est l’un des indicateurs reflétant une société Tiwanaku centralisée avec « l’émergence d’une classe d’élite [parmi les groupes rivaux ?] et la cristallisation d’une hiérarchie sociale rigide et bien définie à Tiahuanaco » (Janusek 2004: 223).
Ce caractère conservateur est systématique dans l’urbanisation et la construction du site monumental de Tiahuanaco car les (pré) édifices sont méthodiquement revalorisés à chaque nouvelle phase de transformation: ils sont soit reconstruits, transformés ou agrandis, mais toujours sur le même espace initial et avec le réemploi de matériaux et éléments rituels en incluant des stèles appartenant aux phases précédentes (Janusek 2004: 209). Par exemple, le temple semi-souterrain issu de la tradition Yaya-mama (200 ACN-300/500 PCN) est reconstruit (TIV) et reste actif au sein de l’aménagement cérémoniel de Tiahuanaco jusqu’à son abandon, mais « les idées du passé seront cooptées et réinterprétées en tant que patrimoine culturel Tiwanaku […] » (Janusek 2004: 108– 109, 163).
L’épanouissement de la culture Tiwanaku s’accompagne d’un essor démographique presque exponentiel jusqu’à la période de ‘rupture’ vers 1050–1150 PCN. Durant la période Formative Récente 2 (300–500 PCN), Bandy et Lémuz ont identifié 30 autres sites d’occupations de
Les Incas usent de la même stratégie de cooptation idéologique du complexe cérémoniel de Tiahuanaco cinq
Figure 2.9. Vallée de Tiahuanaco durant la saison des pluies [novembre-mars] (photo 2010, Delaere).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie siècles après son abandon pour légitimer leur nouveau pouvoir en place. Le patrimoine matériel (et immatériel) se positionne en trait d’union entre le passé et le présent et ce phénomène de réappropriation demeure récurrent dans de nombreuses cultures jusqu’à aujourd’hui. Que ce soit à des fins idéologiques, politiques, religieuses ou économiques, l’Homme tend à récupérer, minimiser, glorifier ou faire disparaître les témoignages du passé en fonction des différents enjeux historiques. La région du bassin lacustre ne fera pas exception à ce phénomène car, malgré une série de périodes de mutations et de « ruptures » culturelles aux cours des siècles suivants, de nombreux espaces et témoignages matériels du passé sont réintégrés dans les nouveaux paysages culturels. Pour le site de Tiahuanaco, les Incas construiront par exemple un espace résidentiel sur la façade nord du complexe du Puma-Puncu (Lopez et Yaeger 2004: 337–350), et certaines structures seront également restaurées et/ou réhabilitées dont la pyramide Akapana (José-Luis Paz 2014, communication personnelle).
de la recherche, notamment avec la publication de Visions of Tiwanaku éditée par Alexei Vranich et Charles Stanish en 2013. À l’inverse de la culture inca dont l’expansion territoriale s’effectue manu militari, celle de Tiwanaku demeure l’objet de nombreuses interprétations. La diversité de celles-ci a probablement été favorisée par la différence des contextes de découvertes entre le site de Tiahuanaco, ceux du bassin lacustre et les différents territoires périphériques, dont ceux des hautes vallées de Cochabamba, de la vallée de Moquegua et du désert San Pedro de Atacama (Figure 2.5). Par ailleurs, la diffusion et l’occupation territoriale de Tiwanaku ne sont pas homogènes (ou peu documentés) à l’extérieur du bassin lacustre, car de grands espaces a priori inutilisés séparent les zones d’occupation. Cette problématique est indissociable de la question du système sociopolitique et rituel de la culture Tiwanaku qui implique la nature du pouvoir de(s) institution(s) dirigeante(s) et de celle des relations qui connectent tous les sites entre eux, et notamment avec Tiahuanaco.
2.3. Nature du pouvoir Tiwanaku et diffusion culturelle
En 2004, John Janusek résume parfaitement les différents points de vue en synthétisant les « grands scénarios théoriques qui abordent l’identité [the caracter] de la société Tiwanaku» (2004: 58–73), et dont nous reprenons la structure dans ce manuscrit. Ceux-ci se distinguent notamment entre eux par la nature et le degré de centralisation du pouvoir:
À l’apogée de la culture Tiwanaku vers 950 PCN (Vranich 2013: 2), celle-ci propage une influence culturelle sur un territoire dix fois plus vaste que le bassin lacustre du Titicaca (Figure 2.10). De nombreux artefacts de style Tiwanaku ont en effet été identifiés entre la région du sud du Pérou actuel et San Pedro de Atacama situé à 800 km au sud de Tiahuanaco (Goldstein 2003: 143–172). Durant la période d’émergence (300–500 PCN), l’influence de la culture pré-Tiwanaku se limitait probablement à la partie méridionale du bassin lacustre: en quelques siècles, la diffusion de celle-ci est donc décisive. La nature du système politique et des mécanismes qui ont favorisé l’expansion de Tiwanaku à travers de nombreux territoires périphériques est actuellement au centre des préoccupations
Tiwanaku comme Icône religieuse: cette approche énonce l’attractivité religieuse du site de Tiahuanaco en tant que centre cérémoniel majeur régional et lieu de pèlerinage. Elle est notamment abordée et/ou nuancée par Squier [1878], Bennett [1934], Menzel [1958], Lumbreras [1974], Wallace [1980], et plus récemment par Schaedel qui parle d’hégémonie théocratique [1988], Reinhard qui aborde le paysage sacré [1990] et par Kolata qui parle
Figure 2.10. Territoire de diffusion potentielle de la culture Tiwanaku entre 500 et 1050/1150 PCN.
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Tiwanaku, une culture lacustre? Comment définir la nature même de la culture Tiwanaku ? Dans une vision d’ensemble, Charles Stanish présente le site de Tiahuanaco comme un endroit pouvant être à la fois un lieu « de rassemblement rituel, avec une charge idéologique forte ; un centre religieux exclusif, un observatoire astronomique ou une destination de pèlerinage » (Stanish 2013: 153). Vu la nature de l’empreinte matérielle de celle-ci sur un territoire très vaste, il soutient également le fait que Tiahuanaco était « avant tout un centre politique et économique, qui intégrait également une série de structures à vocation religieuse et événementielle » (Stanish 2013: 158). L’évolution de la culture Tiwanaku et de celle de(s) institutions(s) dirigeantes(s) est indissociable des critères chronologiques que Janusek reformulera en 2013 en énonçant « sa montée en puissance vers 500–600 PCN, sa transformation autour de 800–900 PCN, et sa désintégration après 1000 PCN […] » (Janusek 2013: 198). Les trois phases de transformations du paysage culturel (pré) Tiwanaku sont séparées par une période de transition ou de « crise », la première vers 500–600 PCN qui verra l’émergence de Tiwanaku en tant que groupe culturel distinct, et la seconde vers 800–900 PCN qui se caractérisera par un évènement de mutation de la société Tiwanaku et un renforcement de la centralisation du pouvoir.
du site de Tiahuanaco en tant que trait d’union entre le monde terrestre et céleste [1993] (Janusek 2004: 58–61). Le raisonnement de Reinhard est important, car il aura une incidence dans ses travaux et analyses postérieurs sur les offrandes subaquatiques Tiwanaku qu’il a découvertes au Titicaca entre 1989 et 1992 (Reinhard 1992: 419–530, 737–739) (chapitre 5). Tiwanaku comme État politique autochtone: cette approche énonce l’influence limitée de Tiwanaku en fonction de l’apparente taille modeste du centre de Tiahuanaco perçu par les premiers visiteurs. Ce modèle sera, d’après Janusek, rapidement remis en question par les premiers chercheurs, tels que Bandelier [1911] et Posnansky [1945], qui ne feront plus abstraction des constructions en adobes aujourd’hui disparues qui constituaient la majorité des structures de la métropole (Janusek 2004: 61–64). Tiwanaku comme Empire militaire: abordé principalement par Ponce Sanguines, celui-ci verra en Tiahuanaco la capitale d’un grand empire préinca. Cette vision est d’après Janusek influencée par l’archéologie nationaliste qui débutera dans les années 1950’ avec l’institutionnalisation de l’archéologie bolivienne suite à la révolution agraire de 1952 (Janusek 2004: 64–66).
Mathew Bandy suggère que la nature du pouvoir de l’élite dirigeante est de type foncier (ou patrimonial). Elle contrôle de plus en plus les ressources naturelles et manufacturées, incluant les objets de prestiges, ce qui favorise l’émergence et la légitimité de différents lignages et d’une classe dirigeante exclusive à Tiahuanaco (Bandy 2013a: 135– 151). Il fonde notamment son argumentation sur la nature du complexe de Putuni analysé par Nicole Couture et sur celle des stèles anthropomorphes de Tiahuanaco qui représentent une des caractéristiques principales du site.
Tiwanaku comme État patrimonial: cette approche fait partie du raisonnement de Kolata qui présente Tiahuanaco comme la capitale prestigieuse d’un état hiérarchisé dont l’élite contrôle non seulement le bassin lacustre et les territoires périphériques (biens patrimoniaux), mais également la gestion des systèmes de productions et des surplus en tant que puissance économique et religieuse (Janusek 2004: 66–70). Tiwanaku comme État segmentaire, et autonomie régionale: a contrario, cette dernière vision remet en question la centralisation du pouvoir de Tiahuanaco en fonction de l’« apparente intégrité [autonomie] des groupes locaux » en périphérie (Janusek 2004: 70).
La tradition des stèles anthropomorphes se développe durant la période Formative Récente 2 (300–500 PCN): elles reflètent l’émergence d’une élite régionale à travers les différents sites d’occupation du bassin lacustre. Leurs productions deviennent toutefois presque exclusives au site de Tiahuanaco à partir de 500 PCN (réservée à l’élite de Tiahuanaco au détriment des élites régionales ?). Ces dernières représentent un individu de statut social élevé tenant un kero dans la main gauche (gobelet destiné aux boissons fermentées – chicha) et un autre objet indéterminé dans la main droite (Bandy 2013a: 137) (Figure 2.11).
Le raisonnement de Janusek est important, car il résume parfaitement la trajectoire historique de l’étude de la culture Tiwanaku qui aura une incidence sur les travaux postérieurs (après les années 1990’) et qui constitue la majorité des sources que nous utilisons. L’ouvrage Visions of Tiwanaku publié par Vranich et Stanish en 2013 aura donc pour objectif de réaborder ces problématiques en fédérant de nombreux chercheurs et leurs points de vue autour de la question identitaire de Tiwanaku (état de l’art). Le degré de centralisation du pouvoir reste un thème récurent et se reflète, notamment, par de nombreux dialogues croisés entre les interprétations issues des données extra-lacustres et celles du foyer culturel de Tiwanaku (periphery versus core), stratégie de recherche que nous utiliserons notamment dans le chapitre 7 pour aborder la variabilité des pratiques d’offrandes d’incensarios entre (1) le site de Tiahuanaco, (2) celles du bassin lacustre et (3) celles des territoires périphériques.
Bandy développe le concept d’hospitalité incarnée par une classe dirigeante de Tiahuanaco (et du territoire Tiwanaku ?). Par analogie avec les coutumes plus tardives des Incas, il suggère que l’objet kero fait partie d’un protocole entretenant les dynamiques sociales et politiques et la hiérarchie entre les différents individus. Une personne de statut social élevé « pourrait recevoir de la main gauche une coupe de chicha d’une personne de statut inférieur, et inversement, recevoir une coupe de la main droite d’une personne de statut social supérieur ou
33
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 2.11. Stèle Tiwanaku IV et stèle Tiwanaku V [Kalasasaya, Tiahuanaco] (Photos 2007, Delaere).
sont distincts, quels sont, en effet, les degrés d’interactions entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ? Les stèles anthropomorphes de tradition Yaya-mama (LF1LF2) représentent-elles une divinité et celles de tradition Tiwanaku une élite dirigeante, mais représentée avec les canons de figuration précédents ? (appropriation du sacré par l’élite). Est-ce que la présence supposée d’une stèle au milieu d’un temple semi-souterrain situé dans les territoires périphériques de Moquegua (Goldstein 1993: 42) représente une élite dirigeante régionale ou incarne un culte au lignage dirigeant de Tiahuanaco ? Car d’après Williams, l’expansion Tiwanaku à Moquegua n’est pas une « extension » du système social attesté dans le bassin lacustre (2003: 34). Par conséquent, pour citer Matthew Seddon, « nous commençons à peine à comprendre le rôle du rituel dans la formation du système politique Tiwanaku » (2013: 113). Le rituel est toutefois le vecteur privilégié pour le développement, la transformation, mais aussi la contestation de l’ordre social (Seddon 2013: 114– 115) et il est par conséquent possible que durant la période de transition TIV-TV, un nouvel ordre social ait vu le jour et se reflète par un « cloisonnement » de l’élite dirigeante par le biais d’espaces rituels fermés et exclusifs (distance symbolique).
égal » (Bandy 2013a: 137). La céramique de type kero est omniprésente dans tous les registres archéologiques – qu’ils soient domestiques, d’élite ou rituels – et montre que cette pratique était d’usage à tous les niveaux de la société Tiwanaku. A priori, il n’existe pas de structure à vocation événementielle [Stanish 2013: 158] réservée exclusivement aux pratiques de commensalisme impliquant la présence de kero (chicha-feasting). Par exemple, deux caches d’offrandes découvertes sur une « place publique » de l’île de Pariti (Figure 2.3) entre 2003 et 2006 contenaient 404 céramiques appartenant à un évènement de chicha-feasting (Korpisaari and Pärssinen 2011). Ceux-ci pouvaient donc théoriquement se dérouler au sein de structures communales, mais également dans des espaces extérieurs, qu’ils soient aménagés ou non. La hiérarchisation de la société Tiwanaku s’accentuera dès la période Tiwanaku V et sera perceptible dans la dernière phase de transformation du paysage urbain entre 800 et 900 PCN. Face à ce phénomène, Matthew Seddon soutient également que « la présence d’une architecture et d’artefacts de type rituel à travers le bassin lacustre et au-delà de celui-ci n’est pas simplement le résultat de l’expansion d’un culte, sans composantes politiques, mais que le rituel joue en réalité un rôle clef dans la transformation politique […] » (2013: 113–114). Il fonde notamment son argumentation sur l’analyse de deux structures de « type kalasasaya » propices à des évènements communaux, mais issues de deux secteurs différents: (1) dans la ‘capitale’ (Tiahuanaco) et (2) en périphérie de la ‘capitale (île du Soleil). Or, il constate que dans les deux situations, les « activités rituelles sont principalement ouvertes et accessibles à tout le monde » durant la phase Tiwanaku IV (500–800 PCN), mais sont « principalement réservées à l’élite » durant la phase Tiwanaku V (800– 1150 PCN) (2013: 114).
Nous aurons l’opportunité d’aborder la nature des relations entre différents sites dans le chapitre 4 (circulation des objets sur l’espace littoral), et celle du pouvoir de Tiwanaku dans le chapitre 8 grâce à l’identification de gestes rituels réservés à une fonction de l’élite jusqu’à présent mal identifiée: l’incensario-officiant. Cette fonction semble être dissociée du pouvoir temporel, et démontrerait donc une séparation des pouvoirs. 2.4. La céramique comme indicateur culturel En parallèle de l’architecture monumentale cérémonielle et résidentielle, ainsi que des aménagements du territoire tels que les routes ou les espaces agricoles, Tiwanaku a
La distinction entre les structures à vocation événementielle et celles à vocation religieuse n’est pas toujours aisée. S’ils 34
Tiwanaku, une culture lacustre? développé une culture matérielle originale et sophistiquée. Celle-ci a été mise au jour dans de nombreux registres archéologiques distincts, que ce soit des contextes funéraires, domestiques, spécialisés (artisans), résidentiels ou simplement d’offrandes isolées. Cette culture matérielle se caractérise également par la variété et la maîtrise du travail réalisé sur différents types de matériaux, et en particulier: la terre cuite ou céramique (traitement et formes complexes, figurines, etc.), le travail du bois (tablettes et cuillères rituelles finement sculptées, etc.), le travail de la laine de camélidé (tissus de prestige, couvre-chefs, habits, etc.), le travail de la pierre (stèles ouvragées, maquettes miniatures, mortiers, etc.), le travail du métal (utilitaire, ornements, objets de prestiges, etc.), le travail du totora (bateaux, probablement pour les toitures, etc.), le travail de l’os (flûtes, tube à priser, outils, etc.), le travail de pierres semi-précieuses (perles, incrustation, etc.), le travail du coquillage (pendentifs, ornements, etc.), le travail du cuir (sacoches, éléments vestimentaires, etc.), Etc.
permettant de distinguer les artefacts issus d’ateliers de production de la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) de ceux de la période Tiwanaku V (800–1150 PCN). John Janusek a été l’un des premiers à déterminer l’inexistence de sous-styles céramiques car les « grandes tendances de style dans la plus grande partie du matériel céramique ont changé relativement lentement et de manière subtile [au sein de l’espace Tiwanaku] » (2003a: 55). Un style céramique se définit à la fois par la forme, le traitement de la surface et l’iconographie et est spécifique à chaque groupe culturel ainsi qu’à son espace-temps. La période Tiwanaku est donc conventionnellement limitée entre 500 et 1150 PCN: cet intervalle correspond aux phases d’apparition (500 PCN), de systématisation (650 PCN), de diminution (1000 PCN) et de disparition (1150 PCN) des céramiques de style Tiwanaku qui se caractérisent par « une large mais remarquable gamme standardisée […] » (Janusek 2003a: 57). La présence de céramique de style Tiwanaku dans le registre archéologique devient donc exclusive et « populaire » à partir de 650 PCN (Janusek 2004: 86), et reste constante jusque 1000 PCN avec les premiers contextes d’abandons identifiés dans le bassin lacustre tels que ceux du complexe de Putuni (Couture 2003) et de l’île de Pariti (Korpisaari et Pärssinen 2011). Cet intervalle de ± 350 ans correspond à la période de production de la céramique la plus importante. Elle attire notre attention car elle coïncide avec la majorité des offrandes subaquatiques d’incensarios documentées à l’arrecife de Khoa (chapitre 5). Productivité et pratiques rituelles sont donc indissociables. Or, en l’absence de sous-styles céramiques (TIV et TV), comment peut-on distinguer à partir des artefacts les deux phases culturelles principales et pourtant distinctes de la période Tiwanaku ?
La majorité de ces matériaux manufacturés sont par ailleurs enrichis par des décors complexes et une maîtrise des couleurs grâce à une palette variée de pigments. Une partie de cette culture matérielle n’a toutefois pas été conservée dans la région de l’Altiplano, car les conditions climatiques, et en particulier l’humidité importante, ont dégradé de nombreux matériaux organiques tels que le bois, le textile, le cuir ou le totora, mais également le support des peintures murales ou les ornements en plumes. Ces objets de facture Tiwanaku aujourd’hui disparus dans le bassin lacustre ont toutefois été découverts dans d’autres contextes, notamment dans le désert de San Pedro de Atacama et dans la vallée de Moquegua. D’un point de vue théorique, les artefacts en matériaux périssables se conservent dans deux conditions extrêmes: 0 % d’humidité (désert) ou 100 % d’humidité (dans l’eau). Le patrimoine subaquatique du Titicaca pourrait donc, théoriquement, conserver ce type de matériaux.
Cette difficulté a déjà été soulevée dans de nombreuses études, notamment celle sur les pratiques funéraires Tiwanaku (Korpisaari 2006). Pour le patrimoine subaquatique, l’absence de structures et de contextes intacts complexifie d’autant plus l’identification d’une phase culturelle spécifique. À l’inverse des édifices monumentaux de Tiahuanaco, il n’existe pas de planchers d’occupations distincts associés à de la céramique et séparés par une couche de remblais. Par conséquent, bien que ce raisonnement doive idéalement être évité, nous sommes parfois « contraints » de proposer des datations des contextes de découvertes immergés à partir de l’analyse du patrimoine céramique, au lieu de dater les artefacts grâce à leur contexte de découverte. Afin d’équilibrer ce dialogue croisé dans l’interprétation des données, nous avons adapté notre stratégie de fouilles en saisissant toutes les opportunités de prélèvements organiques en vue de compléter les informations par des datations isotopiques (± 50 prélèvements parmi lesquels 16 échantillons sont datés) (annexe 2.1).
Malgré cette diversité de matériaux, l’analyse et l’identification des artefacts en céramique deviennent particulièrement cruciales dans le cadre de ce projet de recherches. Les contextes de découvertes immergées se caractérisent par la proportion quasi exclusive du matériel céramique (97 % des artefacts), mais aussi par l’absence de structures (bâtis) ou de contextes intacts (primaires). Par conséquent, la céramique jour le rôle de principal indicateur culturel en contexte immergé. Nous constaterons par la suite que les assemblages céramiques sont toutefois atypiques, à la fois dans l’espace littoral (paléo-rives) (chapitre 4) et dans l’espace lacustre (lac) (chapitre 5) et que ceux-ci donnent de nombreuses informations sur l’utilisation de ces espaces abîmés. La céramique se caractérise par ailleurs comme un excellent marqueur chronologique qui permet de distinguer la céramique Tiwanaku (de style Tiwanaku) des céramiques pré-Tiwanaku et post-Tiwanaku.
L’interprétation du patrimoine subaquatique du lac Titicaca et des pratiques associées aux différents espaces du territoire (lacustre, littoral et insulaire/continental) se place principalement sous l’angle de l’analyse du
En contrepartie, une des particularités de la céramique de style Tiwanaku est qu’il n’existe pas de critères explicites 35
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie propres à un espace navigable. Bien que le lac Titicaca soit une étendue d’eau moins vaste que la Méditerranée et que les cultures lacustres ne possédaient pas d’architectures navales complexes, nous soulevons toutefois la question sur la morphologie et l’utilisation de la céramique Tiwanaku en tant que récipient (contenant) potentiellement adapté à la navigation pour transporter des denrées comestibles, des liquides ou d’autres types d’éléments transportables (contenu).
matériel céramique. En particulier pour les contextes immergés, « l’artefact sert à attirer l’attention de l’archéologue sur des aspects particuliers d’un passé connaissable » (Ford 2011a:3). Celui-ci est perceptible grâce à l’identification des différents types de formes céramiques qui, au-delà de l’objet, possèdent non seulement une fonction spécifique dans les pratiques culturelles, mais également un rôle social, économique ou religieux dans la société (par exemple: le kero). Pourtant, bien que les assemblages soient distincts, la morphologie et la technologie des céramiques découvertes sous l’eau sont identiques à celles découvertes sur la terre ferme: ils documentent des activités du passé en relation avec d’autres espaces non immergés.
L’étude de la céramique Tiwanaku est issue d’une longue tradition de sériation et de classification depuis les travaux de Wendell Bennett (1934) et se caractérise par une prolifération de terminologies et de chronologies que Janusek synthétise et reformule en 2003. Il propose alors un seul outil de référence en termes de terminologie (nom) incluant la catégorie (classe), les formes (type) et les variantes (variant) (2003a: 30–91). À partir de contextes de découvertes résidentiels Tiwanaku, Janusek distingue 15 types de céramiques qu’il distribue dans 4 catégories reflétant une fonction spécifique: (1) la céramique de cuisson, (2) la céramique de stockage, (3) la céramique de service et (4) la céramique cérémonielle (1994: 94, 2003a: 57–82) (Figure 2.12).
La relation entre la forme et la fonction est donc cruciale, car l’utilisation de la céramique permet d’« examiner comment les gens vivaient et la nature de leurs activités au quotidien ; mais aussi les questions plus larges concernant l’économie, les systèmes politiques, l’organisation sociale et les croyances » (Sinopoli 1991: 83). Une vaste étendue d’eau comme le lac Titicaca est par définition, grâce à la navigation, un moyen de communication entre les différents espaces du bassin lacustre. L’archéologie permet d’analyser l’empreinte matérielle conservée sur le fond lacustre et d’aborder entre autre (1) la nature de l’économie et de la société Tiwanaku grâce à la circulation des biens (céramiques) et des personnes (de statut social et politique distinct), mais aussi (2) la nature des croyances Tiwanaku grâce aux pratiques d’offrandes de céramiques dans le lac.
En faisant abstraction des multiples variantes (tailles, proportions, etc.), le répertoire céramique de Tiwanaku propose une relative homogénéité et standardisation bien qu’elle se distingue dans le registre archéologique par la différence de représentation au sein des assemblages. Les artefacts en céramique découverts en contexte immergé ont par ailleurs perdu le traitement de la surface extérieure (érosion importante), incluant l’engobe et l’iconographie. Ce constat est à la fois une opportunité, elle nous évite de tomber dans le piège de l’iconographie Tiwanaku en tant que « critère stylistique », tout en étant également une contrainte car certaines formes seront identiques avant et après la période Tiwanaku – bien que certaines caractéristiques sont plus systématiques à certaines phases Tiwanaku (variantes). Or, en l’absence de décors, il est par exemple difficile de distinguer une olla de type Tiwanaku (500–1150 PCN) d’une olla de type Altiplano (1150– 1430/1530 PCN).
D’un point de vue socio-économique, la thématique des amphores de la période romaine découvertes dans le bassin méditerranéen et dans les territoires périphériques constitue un excellent exemple pour illustrer la relation entre la forme de la céramique et l’utilisation de celle-ci dans un espace similaire au lac Titicaca (vaste étendue d’eau). Premièrement, les amphores romaines ont été découvertes non seulement sur la terre ferme (production ou destination), mais également dans les espaces portuaires (distribution) et dans les épaves (circulation). Deuxièmement, elles se caractérisent également par une standardisation des formes qui reflètent leur utilisation: (1) elles sont adaptées au transport fluvial et maritime, car elles permettent de stabiliser et d’optimiser le volume de la cargaison, ainsi que leur transport entre les différents points d’activités ; (2) elles sont adaptées à la nature des denrées qu’elles transportent. Enfin, les amphores ne sont pas l’objet de l’activité commerciale romaine, mais un moyen (contenant) permettant de transporter des denrées (contenu). Par exemple, les amphores à huile de Bétique sont globulaires et épaisses (Dressel 20), les amphores à vins italiques oblongues avec un pied pointu permettant de les stabiliser en fond de cale sur un lit de sable ou de les superposer (Dressel 1A) et les amphores à saumures possédent une lèvre évasée en bec verseur (Haltern 70) (Py et al. 1993: 1–27, 58–59, 83–84).
Dans sa description détaillée des différents types de céramiques Tiwanaku (le type 15, qui correspond aux figurines, n’est pas illustré dans la Figure 2.12), Janusek privilégie l’utilisation de la langue vernaculaire pour proposer une homogénéisation des terminologies, et appelle également le lecteur à la prudence en spécifiant que les catégories de fonctions ne sont pas « imperméables ou absolues » (Janusek 1994: 94, 2003a: 57). Dans une « approche lacustre », nous restons donc attentifs à la fonction de celles-ci et leurs potentielles utilisations associées à l’espace navigable et littoral. Les types 1–2 et variantes (ollas, tinajas) illustrent les céramiques de cuisson et de stockage, les types 3–8 et variantes illustrent les céramiques de service (domestique et/ou cérémonielle), et les types 9–15 et variantes les céramiques cérémonielles (Janusek 2003a: 57–75):
L’approche maritime ou lacustre permet donc d’attirer l’attention de l’archéologue sur des pratiques culturelles 36
Tiwanaku, une culture lacustre?
Céramique de cuisson
1.1
Céramique de stockage
1.2
2.1
2.2
Ollas (1)
Tinajas (2) Céramique de service
Challadores
3.1
3.2
3.5
6.1
4.4
4.1
3.6
Tazones (4)
Keros (3)
6.3
Cuencos (6) Botella
5.1
5.2
7.5
7.(1).2
7.(1).1
Vasijas (7)
Escudillas (5)
9.2
9.1
8.1
Fuentes (9)
Restricted Bowl (8)
Céramique cérémonielle
10.1
Sahumadores (10)
11.1.1
Incensarios (11)
12.1
13.1
Wako Retrato (12) Pedestal Bowl (13)
14.1
Kero Bassin (14) [prosopomorfo]
Figure 2.12. Classification et typologie de la céramique Tiwanaku (500–1150 PCN) d’après Janusek (Janusek 1994: 99, 2003a: 57, fig 3.27 ; Alconini 1995: 132; Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Goldstein et Owen 2001: 151–152, Pärssinen 2001: 614).
37
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Ollas (1): la majorité de celles-ci sont utilisées comme récipient de cuisson. Les bases extérieures possèdent dans ± 80% des cas des résidus de crémation de taquia (combustible d’excréments de camélidés). Une partie de celles-ci sont toutefois utilisées comme récipient de stockage (probablement de nourriture solide, car il n’y a pas de « bec verseur »). La variante principale (Figure 2.12/1.1) est une large céramique trapue de forme globulaire, à fond plat ou à piédestal, avec des épaules convexes et un col court. Dans 50% des cas, il y a deux anses démarrant au niveau des lèvres. Le diamètre du bord (∅) correspond généralement à la largeur du col. La seconde variante la plus courante de ollas possède une forme de poire (Figure 2.12/1.2) et devient commune à partir de la période Tiwanaku V. Dans ce cas-ci, les anses sont situées juste en dessous des lèvres (Janusek 2003a: 57–58).
2.12/4.1). Les variantes se distinguent principalement par l’inclinaison des parois jusqu’à l’absence d’un bord évasé (Figure 4.2–4.3/non illustrés). Une variante se distingue toutefois par son bord recourbé situé légèrement en retrait par rapport au reste du corps de la céramique (Figure 2.12/4.4.). Cette dernière forme devient commune durant la période Tiwanaku V (Janusek 2003a: 63–65). Escudillas (5): ces récipients sont également utilisés pour distribuer et consommer de la nourriture (Villanueva et Korpisaari 2013: 83–108), mais sont uniquement attestés dans le bassin méridional du Titicaca, en particulier à Tiahuanaco et à Lukurmata (Janusek 2003a: 65). Les escudillas possèdent une forme plus complexe se caractérisant par un bord diagonal droit en rupture avec le corps de la céramique, et un fond plat ou légèrement en piédestal (Figure 2.12/5.1–5.2.), peu importent les dimensions de la céramique dont le diamètre du bord (∅) peut varier entre 12 et 28 cm (Janusek 2003a: 65–66).
Tinajas (2): ces récipients sont utilisés pour la fermentation, le transport et le stockage d’éléments liquides tels que la chicha (à base de maïs) ou la ch’ ua (à base de quinoa). La première variante principale (Figure 2.12/2.1) est de forme convexe [(], avec un col incurvé (bec verseur), et possède généralement deux petites anses opposées sur la panse ou éventuellement une large anse unique au niveau du col. La seconde variante de tinajas se caractérise par une forme plus large au niveau des épaules, un col cylindrique et la présence de lèvres bien dessinées (Figure 2.12/2.2). Cette dernière devient plus commune durant la période Tiwanaku V et certains exemplaires possèdent deux petites anses opposées au niveau de la panse. Une dernière variante devient également commune durant cette période (2.3. /non illustrée), et se caractérise par l’absence d’un col, mais la présence de lèvres proéminentes (Janusek 2003a: 58–60).
Cuencos (6): la fonction de cette forme reste mal définie, mais possède sans doute la même attribution que les escudillas (Alconini ne distingue pas ces deux formes dans sa classification de la céramique ; 1995: 55–57). Il s’agit d’un « bol » de forme ellipsoïde [ ⎝ ], rare à Tiahuanaco, mais attesté à Lukurmata. Les variantes se distinguent principalement par l’inclinaison des parois entre ceux qui possèdent des bords presque verticaux (Figure 2.12/6.1) et ceux dont les bords sont fort incurvés (Figure 2.12/6.3) (Janusek 2003a: 66–67). Vasijas (7): celles-ci sont principalement utilisées pour verser ou transvaser des liquides tels que de l’eau ou des boissons fermentées entre différents récipients (tinajas → keros). Les vasijas rassemblent une large gamme de formes depuis les « cruches » les plus sommaires jusqu’aux formes élaborées et richement décorées. Janusek distingue principalement les petites « cruches » avec anse ou les « botellas » sans anse (Figure 2.12/7.1.1) et les vasijas avec un bec ou un tube incliné (Figure 2.12/7.1.2). Il distingue également les vasijas-effigies ou zoomorphes possédant un bec ou un tube incliné (Figure 2.12/7.5) (Janusek 2003a: 67–68). Notons également qu’il existe une série de vasijas miniatures qui auront un rôle important dans les pratiques rituelles (chapitre 7).
Keros (3): ces « gobelets » sont des récipients de consommation de boissons et indissociables des pratiques de commensalisme (chicha-feasting). Omniprésents dans tous les niveaux de la société Tiwanaku, de la sphère familiale à la sphère publique, ils possèdent une forme hyperboloïde et un bord évasé (Figure 2.12/3.1–25). Les proportions et les tailles peuvent varier entre ± 10 et 30 cm de hauteur. Il existe principalement 5 variantes: ceux possédant un tore entre le bord et la partie inférieure (bandeau plein entourant le récipient) (Figure 2.12/3.1), ceux qui ne possèdent pas de tore (Figure 2.12/3.2), ceux possédant un « masque » modelé d’une tête anthropomorphe frontale et rayonnante (Figure 3.3. /non illustrés), ceux possédant une excroissance de tête zoomorphe (Figure 3.4. /non illustrés) et les keros miniatures (Figure 2.12/3.5). Une forme atypique et encore mal comprise, les challadores (Figure 2.12/3.6), apparaît durant la période Tiwanaku V et possède un corps effilé et une base étroite, souvent perforée (écoulement de liquide) (Janusek 2003a: 60–63).
Restricted bowl (8): forme originale et limitée à la période Tiwanaku (pas d’analogie en langue vernaculaire), ce récipient est probablement utilisé pour stocker ou préparer les boissons fermentées (trace de carbonisation attestée) à base de maïs, de quinoa et peut-être de tubercules. Il s’agit d’une céramique possédant un large bord (∅) dépassant souvent les 30 cm de diamètre, avec systématiquement une anse de chaque côté démarrant de la lèvre, un fond plat et un col angulaire évasé en rupture avec le reste de la forme (« globe écrasé ») (Figure 2.12/8.1) (Janusek 2003a: 68–69).
Tazones (4): ces récipients sont utilisés pour distribuer et consommer de la nourriture, et représentent une forme caractéristique et originale de la période Tiwanaku. Il s’agît d’un « bol » à fond plat de forme hyperboloïde avec un bord évasé et une large ouverture (∅) (Figure
Fuentes (9): ces récipients de type « assiette » ou « bassin » sont de forme généralement plate et très large 38
Tiwanaku, une culture lacustre? et probablement utilisées pour préparer ou présenter la nourriture dans la cellule familiale ou lors d’évènement de commensalisme communautaire. Janusek distingue deux variantes principales: les larges « assiettes » qui peuvent atteindre jusque’ à 100 cm de diamètre (∅) (Figure 2.12/9.1) et les larges « plats » ressemblants à des tazones mais à parois droites inclinées (Figure 2.12/9.2) (2003a: 69).
peut-être utilisé comme brûleur, mais sa fonction est mal définie. Il a seulement été découvert en contexte Tiwanaku V au sommet de la pyramide Akapana et dans le complexe du Putuni. Il possède une forme « angulaire » constituée d’un pied en piédestal, d’une partie inférieure inclinée, mais droite, d’une partie supérieure verticale et d’un petit bord évasé (Figure 2.12/13.1) (Janusek 2003a: 73).
Sahumadores (10): ces récipients sont utilisés pour brûler et diffuser de la fumée odorante (arômes pour reprendre le terme de Villanueva et Korpisaari 2013). Les sahumadores sont peut-être également utilisés comme brasero ou lampe (Lumbreras 1974: 145, cit. in Janusek 1994: 153), mais sa fonction de « brûleur de matière » semble plus systématique, à la fois en contexte domestique et cérémoniel (à tous les niveaux de la société) (Janusek 1994: 94). Ce récipient possède une forme hyperboloïde et se caractérise par une base annulaire surélevée (le fond n’est pas en contact avec le support) (Figure 2.12/10.1). Il possède également deux anses à chaque extrémité du corps de la céramique, et parfois connectées jusqu’aux lèvres. Certaines variantes, les mechachuas, possèdent un tube annulaire au centre (10.5 /non illustrées) pouvant servir à insérer un combustible (graisse de camélidé) (Janusek 2003a: 70–71).
Kero bassin (14): ce kero massif en forme de bassin est plus couramment nommé vaso prosopomorfo, et possède d’après Villanueva et Korpisaari une fonction d’exhibition en tant que gobelet dans le cadre d’évènements de commensalisme ou de chicha-feasting (2013:84, 89 fig. 2). Janusek limite son utilisation dans les contextes d’élite lors d’évènements sponsorisés par ceux-ci, mais aussi dans les contextes cérémoniels (2003a: 73). Ce récipient se distingue du kero hyperboloïde par sa taille et ses parois verticales, mais possède également un tore (bandeau plein entourant le récipient) entre les parois verticales et un petit bord droit évasé (Figure 2.12. / 14.1). Modeled figures (15): de fonction mal définie, ces « figurines » en terre cuite (non illustrées) demeurent assez rares dans le registre archéologique. Leur présence est toutefois attestée dans le complexe de Putuni (Janusek 2003a: 76, fig. 3.67) et dans certains espaces spécialisés d’artisans, notamment celui de Ch’ iji Jawira en périphérie de Tiahuanaco (Figure 2.4) (Rivera 2003: 313). Certains spécialistes sont peut-être originaires de régions extérieures au bassin lacustre telles que Cochabamba (Figure 1.1) (Rivera 2003); la fonction de ces figurines pourrait éventuellement être associée à des « jouets », à un culte des ancêtres (Putuni), à une sorte de saint patron de la discipline (selon nos critères culturels contemporains) ou à une divinité secondaire ou étrangère.
Incensarios (11): ces céramiques-effigies représentent les formes les plus élaborées du répertoire céramique Tiwanaku. Elles possèdent une vocation exclusivement rituelle et sont régulièrement associées à des contextes d’offrandes et des contextes funéraires. D’après Janusek, elles sont communes dans la vallée de Catari (Lukurmata), et rares dans les autres secteurs et sont limitées à la période Tiwanaku IV (500–800 PCN). Janusek distingue deux variantes: les incensarios à forme hyperboloïde et à base annulaire surélevée comme les sahumadores, mais avec une tête et une queue-effigie de puma, lama ou condor (Figure 2.12/11.1 [puma]), et les incensarios zoomorphes [fully modeled] en forme de félin et, dans quelques rares exemples, de lama (Figure 11.2 /non illustrés).
La typologie de Janusek – en tant que grille d’analyse – est la principale référence permettant actuellement d’identifier les artefacts en céramique Tiwanaku, mais peut également être utilisée en tant qu’outil d’interprétation en l’absence de structures et d’habitations (contextes immergés) (chapitre 4). Janusek base sa classification à partir de contextes de découvertes résidentiels Tiwanaku domestiques et d’élite (1994: 94, 2003a: 57–82), et la distinction entre les céramiques à vocation événementielle et celles à vocation religieuse [d’après la terminologie de Stanish 2013: 158] n’est donc pas encore bien définie, comme l’illustre l’exemple du kero bassin ou vaso prosopomorfo (type 14 de Janusek).
Wako retrato (12): ces céramiques-portraits sont de larges « gobelets » avec un visage humain naturaliste sur une des faces (Figure 2.12/12.1), et sont exclusivement utilisées comme récipient de consommation de boissons lors d’évènements rituels (Janusek 2003a: 73). Pedestal Bowl (13): forme originale et rarissime (pas d’analogie en langue vernaculaire), ce récipient était
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Chapitre 3 Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca l’apparition et la maîtrise de nouvelles techniques permettant d’accéder – grâce au scaphandre autonome – à ce territoire jusqu’alors inaccessible, de nombreuses expéditions ont été conduites dans les eaux du lac Titicaca entre 1954 et 2004. Dans l’état actuel de la recherche, nous comptabilisons au moins 19 opérations de plongées archéologiques sur le territoire bolivien (annexe 3.1), sans compter les éventuelles opérations non déclarées révélées par différents archéologues ou habitants insulaires (Ponce et al. 1992, archives UDAM, Pareja 2004). Nous distinguons ces 19 missions entre-elles en prenant en compte à la fois (1) le promoteur des opérations de plongées, que ce soit à titre personnel, une entreprise de film ou une institution académique, (2) les plongeurs des différentes missions et (3) l’année et le mois qui auront une incidence sur le niveau du lac. Cette dernière observation est importante car les profondeurs sont relatives: par exemple, si un plongeur a localisé une épave à 8,5 m de fond en janvier 1974 (niveau absolu du lac = 3808, 1 m), celle-ci se trouvera à 10,1 m de profondeur en juillet 2013 (niveau absolu du lac = 3809, 7 m).
3.1. Introduction L’archéologie lacustre, et en particulier les interventions sur le patrimoine subaquatique, offre de nombreuses opportunités de recherches, mais présente également de nouvelles contraintes techniques et méthodologiques identifiées durant les opérations de 2012 à 2014. Les conditions de travail ont en effet mis en évidence une multitude de problématiques dont certaines ne sont pas directement associées à la démarche archéologique. Or, la majorité de celles-ci auront une incidence directe sur l’étude des sites archéologiques immergés, car une partie des approches ou techniques usuellement utilisées en archéologie ne s’adaptent pas facilement en contexte immergé. Pour le lac Titicaca, ces problématiques sont à la fois théoriques ou épistémologiques (statut de l’archéologie lacustre), techniques (stratégies de fouilles adaptées en contexte lacustre), historiques (histoire atypique des premières opérations subaquatiques au lac Titicaca), culturelles (assimilation des découvertes au sein de la tradition lacustre en tant qu’espace sacré), linguistiques (origine toponymique et étymologie), biochimiques (stabilisation et traitement des objets issus de contextes immergés), isotopiques (effet réservoir sur les datations 14C), géophysiques (emploi obligatoire d’un échosondeur dans l’approche topographique), paléoenvironnementales (fluctuation du lac Titicaca et mutation du paysage lacustre), paléozoologiques (présence d’espèces endémiques lacustres aujourd’hui disparues), taphonomiques (mécanismes d’érosion et de sédimentation du site archéologique immergé), limnologiques (nature du sédiment lacustre), archéométriques (proportion importante d’artefacts métalliques dans les contextes d’offrandes), identitaires (réappropriation de l’espace par les Incas et transmission actuelle de cet héritage culturel), et opérationnelles (limitation physiologique des plongeurs en milieu hyperbare).
Ces nombreuses missions montrent que l’exploration subaquatique au lac Titicaca est historiquement très riche et exceptionnelle pour une seule région spécifique. Cette histoire de la recherche et de l’exploration subaquatique constituera un héritage important sur lequel nous avons pu formuler un nouveau projet de fouilles à partir de 2012 (Proyecto Huiñaimarca) en bénéficiant à la fois des acquis et des « erreurs » du passé pour réévaluer nos stratégies d’études. Certaines générations de plongeurs ont en effet transmis leurs expériences propres aux conditions particulières de la recherche dans les eaux du lac Titicaca, et leurs descriptions seront précieuses, car elles nous permettent notamment d’identifier les critères techniques et scientifiques que nous devons prendre en compte dans notre démarche archéologique.
3.2. Tradition de recherches
Le contexte historique des premières plongées au lac Titicaca dans les années 1950’ est par ailleurs particulier. Comme énoncé dans le premier chapitre, la trajectoire historique de l’archéologie en contexte immergé a évolué de manière relativement autonome par rapport à la discipline archéologique. Or, nous constatons non seulement que la région du Titicaca est un excellent exemple de cette « double tradition », mais également que la particularité de la tradition de recherche sur la culture Inca et Tiwanaku au tournant du 19e siècle a eu un impact sur les opérations et les résultats de ces premières plongées.
La volonté d’explorer le fond lacustre du Titicaca dans une démarche archéologique n’est pas une idée récente. Dès
Tradition d’archéologie « terrestre » au Titicaca: la recherche actuelle sur la culture de Tiwanaku – et des
Cette énumération illustre qu’au-delà même du thème de recherches ciblé dans ce projet doctoral – l’utilisation et la perception de lac durant la période Tiwanaku – de nouvelles problématiques plus spécifiques ont élargi considérablement les perspectives futures par une série de thèmes transversaux (comme pour tout autre projet).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie et la diffusion des récits sur cette région lacustre. La nouveauté du paysage immergé et la nature des anomalies subaquatiques, souvent mal interprétées, ont ensuite contribué à renforcer les croyances sur l’exceptionnalité du patrimoine subaquatique du lac Titicaca. Or, malgré un demi-siècle d’acquis, nous constatons que (1) les croyances associées au potentiel archéologique subaquatique sont encore « magnifiées » et que (2) la plongée archéologique au lac Titicaca est encore difficilement justifiable aux yeux des populations et des autorités actuelles, car celleci est indissociable du statut de quête au trésor qu’on lui a attribué (à juste titre) dès l’apparition du scaphandre autonome. En réalité, le patrimoine subaquatique du lac Titicaca est principalement constitué d’artefacts en céramique, et la découverte d’offrandes « précieuses » en 2013 a donc, d’une certaine manière, été socialement et administrativement contre-productive dans l’évolution du projet 2012–2014.
civilisations andines en général – s’inscrit dans un long processus historique qui a engendré une « curieuse tradition de recherches » (Stanish 2013: 152). Celle-ci est un héritage des premières générations de chercheurs qui ont contribué par leurs écrits à soit « diminuer l’état d’avancement des civilisations andines », soit au contraire, ont « magnifié » ces cultures (Stanish 2013: 151–152). La présence de ruines monumentales et d’une culture matérielle exceptionnelle dans la région du lac Titicaca a attiré l’attention des premiers explorateurs européens dès le 19e siècle qui, déjà documentés et/ou conditionnés par les récits transmis par les chroniqueurs espagnols des 16e et 17e siècles, ont produit une littérature abondante ayant servi de fondation à la discipline naissante. L’absence de narration ou de transmission orale directe de la culture Tiwanaku a également contribué durant les premières décennies (avant 1950) à en aborder l’étude par une approche conciliant à la fois l’analyse de la culture matérielle locale préinca, et celle associée aux Incas à travers les mythes de ces derniers.
L’ouvrage publié en 1992 sur les Exploraciones arqueológicas subacuáticas en el lago Titikaka représente jusqu’à aujourd’hui l’unique monographie scientifique traitant de l’ensemble des expéditions menées dans le lac Titicaca (cf. Ponce et al. 1992). Il existe toutefois quelques rares sources d’informations complémentaires, y compris un article scientifique (Reinhard 1992b), des articles de presse, des articles dans des revues d’explorations, des films documentaires, des rapports de missions, des carnets de voyages (Frédéric Dumas), des témoignages d’habitants du lac, et parfois des « preuves matérielles » de la présence de plongeurs sur certains sites (découverte d’un couteau de plongée made in Japan en 2013).
Tradition d’archéologie « subaquatique » au Titicaca: les premières plongées au Titicaca à partir de 1954, peu de temps après la commercialisation du scaphandre autonome, ont non seulement (1) été conditionnées par cette curieuse tradition, mais (2) ont également contribué à accentuer celle-ci. Premièrement, la majorité des récits du 19e siècle – plus accessibles au grand public que les chroniques espagnoles – ont magnifié les croyances associées au lac Titicaca (courant du romantisme propre au 19e siècle). En parallèle, les premiers ouvrages à vocation scientifique auréolent également les histoires associées au lac. Plus de 70 ans avant la première plongée au Titicaca, un paléontologue français publiera que: « si nous croyons les Conquistadores, les richesses de ces temps étaient immenses ; mais les prêtres s’empressèrent, à l’arrivée des Espagnols, de jeter dans le lac tous leurs vases en or et en argent, pour éviter qu’ils ne devinssent la proie du vainqueur » (De Nadaillac 1883: 408).
La seule mission réellement documentée est toutefois celle de Johan Reinhard (1989–1992), que nous analyserons dans le chapitre 5, et les autres explorations sont principalement énoncées par Ponce Sanguinés (1992a). Sur les 19 missions de plongées qui se sont déroulées entre 1954 et 2004 (Ponce 1992a: 63–116, archive UDAM), nous identifions actuellement trois phases principales d’opérations subaquatiques qui se distinguent entre elles par les enjeux de la recherche:
Un autre récit identique du début des années 1950’ parle du Titicaca en ces mots: « Il semble que tout soit plus grand que nature. Les montagnes neigeuses étincellent au loin. L’air vif et sec les rapproche de nous. Sur le lac, l’île du Soleil et l’île de la Lune sont rousses au soleil. Nous comprenons que ce paysage ait impressionné les anciens habitants de la région au point qu’ils en aient fait le centre de leur culte. Au fond de ce lac repose peut-être le trésor des Incas… Aramayo nous raconte que les empereurs, bernés par les Espagnols, décidèrent de jeter leurs richesses et leurs œuvres d’art dans ces eaux sacrées » (Lelong and Lancrey-Javal 1955: 87).
La première phase (1954–1975): celle-ci correspond aux 5 premières missions de plongées au lac Titicaca (annexe 3.1, n° 1–5) durant lesquelles les thèmes de « cités englouties » et de « trésors immergés » sont dominants. Cette phase se caractérise dans un premier temps par un engouement pour la recherche de ruines immergées (1954–1968) et dans un second temps par une désillusion et un démenti scientifique de la présence de ces ruines au fond du lac (1968–1975).
3.3. Antécédents et enjeux de la recherche (1954–2004)
La seconde phase (1977–1981): celle-ci correspond aux 4 missions ‘intermédiaires’ dans les eaux du lac (annexe 3.1. , n° 6–9) suite à la découverte en 1977 des premiers artefacts précolombiens par des plongeurs japonais [arrecife de Khoa]. Cette phase se caractérise dans un premier temps par une période de « confusion »: la localisation précise
Le début des interventions subaquatiques au lac Titicaca s’inscrit donc dans un contexte historique qui réunira pour la première fois les conditions nécessaires et l’opportunité de vérifier in situ les « promesses » du Titicaca grâce à la démocratisation rapide des équipements de plongées 42
Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca du site associé à cette découverte, relayée en faits divers par la presse, n’est pas clairement déterminée durant cette période. Dans un second temps, trois nouvelles missions de plongées dont l’un des objectifs était précisément d’établir la localisation de ces découvertes (1980–1981) réactive le thème des « cités englouties » car les découvertes de 1977 ont directement été assimilés par les habitants comme étant une preuve matérielle documentant non seulement la richesse du lac Titicaca (trésors), mais également l’existence de ruines dans le lac.
à l’unique secteur immergé où ont régulièrement été localisés des artefacts précolombiens – des offrandes subaquatiques -, mais également au site principal de l’histoire de la plongée au Titicaca. Avec du recul, nous pensons que la morphologie atypique du secteur et les fluctuations du lac au cours du 20e siècle ont eu une incidence sur l’évolution de la “discipline”, indissociable de ce site archéologique. La désignation d’arrecife de Khoa est déterminée à la fois par sa formation géologique et par sa localisation au sein des îles septentrionales de l’île du Soleil. Le mot arrecife, ou récif en français, désigne une formation de rochers à fleur d’eau, peu profonds. Ceux-ci sont généralement minutieusement localisés sur les cartes nautiques car ils représentent un danger pour les bateaux qui possèdent un tirant d’eau important. L’arrecife de Khoa est situé en pleine eau à ± 300 m au nord-est de l’île de Khoa qui a donné son nom au secteur immergé (Figure 3.1).
La troisième phase (1988–2004): celle-ci correspond aux dix dernières missions dans les eaux du lac Titicaca (annexe 3.1., n° 10–19) suite à la redécouverte du site de 1977 par une équipe de plongeurs japonais durant le mois de janvier 1988: l’arrecife de Khoa. Cette phase se caractérise dans un premier temps par une première mission de collecte d’artefacts sans démarche archéologique (janvier 1988), dans un second temps par une nouvelle mission de collecte d’artefacts – mais avec une démarche topographique (juillet 1988) -, dans un troisième temps par six nouvelles missions dirigées par Johan Reinhard avec la présence d’une méthode archéologique et une première identification de la nature “réelle” du patrimoine immergé (1989–1992). Enfin, dans un quatrième temps, par un retour sur le site par des explorateurs d’origine italienne (2000–2004). Cette dernière mission réactivera encore une fois le thème des “cités englouties” suites à la découverte de “ruines immergées” mal interprétées.
Paradoxalement, bien que l’arrecife ait été l’objet de nombreuses interventions entre 1977 et 2004, il est encore difficile aujourd’hui de localiser le site. Celui-ci, totalement immergé, est seulement perceptible depuis un bateau lorsque les courants lacustres et les vents dominants sont opposés. Dans cette situation, il se forme à la surface du lac des remous peu visibles au sommet de cette formation naturelle, situé à ± 1,5 m de profondeur en 2013. En d’autres mots, l’arrecife de Khoa est généralement invisible depuis la surface lorsqu’il est immergé (Figure 3.2), et cette caractéristique a dû jouer un rôle dans la période de confusion qui succéda aux premières découvertes en 1977 suite à l’impossibilité de localiser le
Durant 50 années d’explorations et de recherches archéologiques dans les eaux du lac Titicaca, un seul site archéologique subaquatique (exceptionnel) a donc été découvert: l’arrecife de Khoa. Il correspond non seulement
Figure 3.1. Localisation de l’arrecife de Khoa au nord-est de l’île de Khoa (Municipio de Copacabana).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 3.2. Coupe simplifiée de l’île et de l’arrecife de Khoa (direction sud-ouest / nord-est à 45°).
est situé à 3808,7 m d’altitude et la « disparition » régulière du site est en réalité due aux fluctuations saisonnières ou pluriannuelles du niveau d’eau du lac Titicaca. Entre 1915 et 2015, les stations d’enregistrements de SeNaMHi ont par exemple calculé un écart maximal de 5 m entre la sécheresse de 1944 (3806,7 m) et l’inondation de 1986 (3811,6 m) (Ronchail and al. 2014: 5). Grâce à ces données, nous pouvons déterminer actuellement les périodes d’immersion et d’émergence de l’arrecife de Khoa au cours du 20e siècle (Figure 3.3).
site. L’île de Khoa est identifiée sur les cartes depuis au moins le 19e siècle, et a été l’objet de nombreuses visites dans le passé. Par exemple, Bandelier décrit la grotte de Khoa située sur le flanc oriental de l’île qu’il a visitée en juin 1895 (1910: 53–54, 57). Or, cette cavité est située exactement en face de l’arrecife. Bandelier a par ailleurs visité à la fois l’île de Khoa et celle de Pallalla [Payaya] située à 1,6 km au nord-est de la première tandis que l’arrecife est situé sur la trajectoire entre les deux îles. Si les descriptions détaillées de Bandelier ne mentionnent pas la présence de l’arrecife, c’est qu’il était immergé – le lac avait donc au minimum le même niveau d’eau à la fin du 19e siècle qu’aujourd’hui – et invisible depuis la surface.
En 1975, la présence de « structures » situées entre l’île de Khoa et de Pallalla était un fait connu des habitants de l’île du Soleil (Ponce 1992b: 334). Nous observons sur le graphique qu’entre 1967 et 1974, Khoa émergeait et était visible depuis la surface. De nombreux pêcheurs ont donc pu observer le site et partager ces informations avec les habitants insulaires. Ensuite, cette même source indique que par deux fois, même en présence de plongeurs de la marine, on n’a pas pu localiser ou vérifier l’existence de l’arrecife dans ce secteur en 1975 (Ponce 1992b: 334– 335). Or, nous constatons que l’arrecife est constamment immergé de 1975 à 1992, excepté durant une courte période en 1984 (Figure 3.3). L’arrecife n’a donc pas littéralement « disparu »: il n’était pas visible en surface. Pendant plus d’une décennie, l’existence même du site archéologique dans ce secteur a été remise en question. Il s’agit pourtant bien d’une découverte majeure du 20e siècle.
Le premier récit mentionnant la connaissance, dans la mémoire insulaire, de l’existence de l’arrecife de Khoa est cité par Ponce Sanginés. Il indique que lors d’une visite à l’île de Soleil en 1975, un habitant appartenant à la communauté de Challa lui a indiqué la présence « d’une tribune extraordinaire avec des grandes marches taillées » située en pleine eau, et immergée entre les îlots de Khoa et de Pallalla. Cet informateur indique qu’il ne s’est pas rendu sur place, mais qu’il s’agit d’une « histoire qui circule parmi certains résidents insulaires ». Or, d’après ce même informateur, lorsque quiconque essaye de se rendre à cette ciudad perdida, celle-ci « disparaît mystérieusement ». Ponce visita deux fois le secteur en 1975: la première fois avec cet habitant et la seconde fois avec des plongeurs de la marine bolivienne (mission n° 5, annexe 3.1). Aucune preuve ne fut découverte de la présence de cet arrecife (1992 b: 334–335).
À partir de ces observations, propres à la démarche archéologique en contexte immergé, nous pensons que la tradition orale du bassin lacustre sur les « cités englouties » représente une recomposition narrative récente issue de 3 facteurs principaux:
Ce récit est intéressant, car il nous permet d’énoncer trois observations: (1) l’existence de l’arrecife est connue dans la tradition insulaire avant les premières découvertes archéologiques sur le site en 1977, (2) le site disparaît régulièrement et (3) la difficulté de localiser celui-ci a contribué à mystifier les croyances locales sur l’existence de « citées englouties ». Le sommet de l’arrecife de Khoa
1. Les sources coloniales décrivent les mythes fondateurs de tradition inca dont une des variantes mentionne un déluge à l’origine du monde andin (Bauer and Stanish 2001). Ensuite, l’analogie avec les récits bibliques a
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Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca permis de forger une tradition syncrétique sur le mythe du déluge dès l’évangélisation des populations au 16e siècle. L’existence de ce récit dans les traditions plus anciennes a probablement favorisé l’assimilation et la transmission de celui-ci jusqu’à aujourd’hui par les populations post-incas. 2. La première décennie de plongées au lac Titicaca (1954–1968) a renforcé ces croyances. Que ce soit dans la presse, dans des récits d’exploration ou dans des documentaires audiovisuels, les premières générations de plongeurs au Titicaca ont systématiquement déclaré avoir découvert et observé des constructions immergées (débarcadères des bateaux à vapeur du 19e siècle). 3. Les fluctuations du lac Titicaca au cours du 20e siècle sont importantes. Certains évènements naturels, en particulier les sécheresses, ont donc également joué un rôle dans ces croyances. Par exemple, le niveau du lac en 1944 était à plus de 3 m en dessous du niveau actuel, et de nombreux artefacts ou structures furent découverts ou observés lors de cet évènement par des pêcheurs (Ponce 1992a: 1–43).
la « découverte de ruines immergées » par des plongeurs, a contribué à forger de nouvelles croyances qui définiront le contexte historique des découvertes sur ce site d’offrandes. En parallèle du site de Khoa, d’autres secteurs du lac Titicaca ont également été explorés entre 1954 et 2004. Dans l’état actuel de la recherche, nous identifions 16 secteurs, objets d’interventions subaquatiques [n° 2, 6–16] (Ponce 1992a: 1–169, Archives UDAM), ou documentés par la littérature scientifique [n° 1, 3–5] (Figure 3.4). Bien qu’aucun artefact précolombien n’ait été découvert, certaines descriptions sont riches d’enseignement et permettent de donner un aperçu sur la diversité potentielle du patrimoine subaquatique. Par exemple, Frédéric Dumas, collaborateur de Cousteau, consigne dans son carnet de voyage (mission n° 3, annexe 3.1) que, « près de l’îlot de Chilleka (Figure 3.4 /8), les plongeurs ont remonté “une pignate entière qui a la forme d’une marmite de Saint Raphael”. Cette céramique correspond à une olla, et bien qu’elle soit contemporaine, attire notre attention car certaines céramiques de forme identique sont associées à des contextes d’offrandes subaquatiques du 20e siècle identifié en 2013 (chapitre 9). Celles-ci peuvent donc être des indicateurs matériels sur la présence éventuelle d’offrandes plus anciennes de tradition post-inca. Toutes les descriptions disponibles convergent toutefois vers le même constat: la sédimentation du lac Titicaca est très importante et occulte la présence potentielle d’artefacts.
Les croyances des populations lacustres sont non seulement le fruit d’une tradition, mais également celui d’une expérience issue de la relation entre l’homme et son environnement. Entre 1915 et 2015, il y eut au moins huit périodes importantes d’augmentation du volume d’eau et sept périodes de diminution de celui-ci (Figure 3.3). L’homme a donc été confronté à une mutation régulière du paysage naturel lacustre. Par exemple, Arthur Posnansky témoigne de l’activité d’un certain Dr Angel Avendaño durant la sécheresse de 1941 qui profita d’un niveau particulièrement bas du lac pour rechercher des témoignages d’un village perdu appelé Merk’ e-takiri (Ponce 1992a: 57–58). Ce secteur, que nous avons localisé en 2013, est situé actuellement à 2,5 m de profondeur (chapitre 9). Durant les périodes de sécheresse, de nombreuses zones habituellement immergées se trouvent donc hors de l’eau. Ce phénomène, accentué par une tradition narrative ancienne d’un déluge et d’une période d’effervescence sur
En 1992, Carlos Ponce Sanguinés propose une classification du patrimoine subaquatique du lac Titicaca en cinq catégories. Celle-ci rassemble différentes thématiques en relation avec les rares “anomalies” et artefacts observés, ou potentiellement conservés sur le fond lacustre (1992a: 45–57): • Les dépôts occasionnels (1): il rassemble dans cette catégorie tous les artefacts susceptibles d’avoir été jeté dans l’eau à partir des sites d’habitations côtiers, que ce
Figure 3.3. Fluctuation du lac Titicaca (1915–2015) et période d’émersion de l’arrecife de Khoa.
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 3.4. Secteurs documentés ou explorés par des plongeurs entre 1954 et 2004.
à poissons, les fondations de digues ou les ponts (1992a: 49–53). Il intègre dans ce groupe les structures immergées de Chukuperkha (Figure 3.4 / 6) qu’il interprète comme étant des digues construites pour protéger le site Tiwanaku des fluctuations saisonnières du lac (1992a: 51). • Les naufrages (5): il rassemble dans cette catégorie les épaves et les ruptures de charge (cargaisons), en particulier les pierres de constructions importées par le site de Tiahuanaco. Jusqu’à aujourd’hui, une seule épave moderne – un petit vapeur – a été localisée en 1968 à l’île de la Lune (Figure 3.4. / 7) (1992a:53–54).
soit dans le cadre d’activités domestiques (déchets), ou dans le cadre d’évènements de transition en prenant en exemple la période d’extirpation d’idolâtrie entre 1570 et 1660 durant laquelle des stèles “païennes” auraient été jetées dans l’eau (1992a: 45–46). • Les sites d’offrandes subaquatiques (2): il rassemble de cette catégorie tous les artefacts qui reflètent des pratiques et des gestes rituels associés au lac ou au “culte de l’eau” (1992a: 46–48). Ce type de patrimoine est en réalité le thème principal documenté par l’archéologie, car il correspond aux uniques artefacts précolombiens découverts dans le lac Titicaca à l’arrecife de Khoa. • Les emplacements portuaires (3): il rassemble dans cette catégorie les quais, les jetées et les embarcadères (ou débarcadères). Il intègre dans ce groupe l’ensemble des problématiques associées aux “cités englouties” découvertes entre 1954 et 1966, principalement dans la baie de Waychu (Figure 3.4. /16), et qui sont en réalité des espaces portuaires de bateaux à vapeur abandonnés dans la première moitié du 20e siècle (1992a: 48–49). • Les structures immergées (4): il rassemble dans cette catégorie l’ensemble des structures et des secteurs d’activités potentiels situés sous l’eau et qui reflètent des activités socio-économiques, telles que les pièges
Dans le cadre de ce projet de recherches, nous n’aborderons plus le patrimoine subaquatique en fonction de thématiques, mais en relation avec les espaces utilisés par l’homme: (1) l’espace insulaire ou continental, (2) l’espace littoral et (3) l’espace lacustre. 3.4. Stratégies d’interventions (2012–2014) Historiquement, l’archéologie des eaux intérieures accuse un retard de plusieurs décennies, et se caractérise notamment par l’absence (1) de stratégies de fouilles adaptées en 46
Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca de Copacabana). Excepté le dernier, tous les secteurs sont situés dans le lac mineur qui se caractérise par une faible profondeur et une sédimentation très importante (Figure 3.5/1–5).
contexte lacustre, (2) d’utilisation de la stratigraphie au contexte immergé et (3) d’outils d’interprétation adaptés au patrimoine matériel associé à un environnement lacustre. Pour aborder l’utilisation et de la perception du lac Titicaca durant la période Tiwanaku, il a donc été nécessaire de développer des stratégies de recherches complémentaires au projet de thèse doctoral en mettant en place un projet de fouilles archéologiques subaquatiques dans les eaux du lac – le Proyecto Huiñaimarca (PH12, PH13, PH14) – qui conciliait à la fois les problématiques techniques, méthodologiques et scientifiques.
En 2014, les différentes opérations de prospections et/ ou de fouilles archéologiques se sont focalisées sur cinq nouveaux secteurs. Il s’agit des sites de: (6) Yampupata – K’ asu (Municipalité de Copacabana), (7) Puncu (Municipalité de Copacabana), (8) Iñak Uyu (Municipalité de Copacabana), (9) Pilko-kayma (Municipalité de Copacabana) et (10) Arrecife de K’ Akaya (Municipalité d’Escoma). Ils sont tous situés dans le lac majeur dont l’espace s’apparente à une mer intérieure avec des profondeurs considérables, des courants importants et des effets de marées (Figure 3.5/6–10). Les sites d’Iñak Uyu et de Pilko-Kayma – avec des ruines de la période inca – ont probablement attiré les plongeurs des missions précédentes, mais leurs descriptions ne sont presque pas documentées par la littérature scientifique (excepté un rapport de l’UDAM de la mission d’exploration italienne de 2000, cf. chapitre 4).
Ce projet de fouilles, intitulé “programme d’étude, de valorisation et de conservation du patrimoine subaquatique du lac Titicaca”, a été mené durant trois ans par le Centre de Recherche Archéologie et Patrimoine (CReA) de l’Université libre de Bruxelles (ULB), en partenariat avec le Centro de Arqueología subacuática Andina (CASA) et le Ministerio de Cultura y Tourismo de Bolivie (MCyT). Le Proyecto Huiñaimarca s’est déroulé en trois phases qui répondent de manière chronologique aux problématiques identifiées: • Proyecto Huiñaimarca 2012 (PH12). Du 1er au 30 avril 2012 (4 semaines), les opérations ont eu pour objectifs de: (1) réaliser des prospections visuelles in situ afin d’identifier les secteurs d’interventions futurs, et (2) effectuer une opération de prospection géophysique au SONAR pour identifier la nature du fond lacustre. • Proyecto Huiñaimarca 2013 (PH13). Du 1er février au 3 mars 2013 et du 1er juin au 31 juillet 2013 (12 semaines), les opérations ont eu pour objectifs de: (1) identifier la nature du patrimoine subaquatique grâce à des sondages stratigraphiques, (2) quantifier les fluctuations historiques du Titicaca, mais aussi (3) créer de nouveaux protocoles d’interventions archéologiques en contexte immergé, (4) analyser l’état de conservation du matériel archéologique et (5) élaborer une nouvelle chaîne opératoire qui répond aux critères d’interventions. • Proyecto Huiñaimarca 2014 (PH14). Du 2 mai au 7 juillet 2014 (8 semaines), les opérations ont eu pour objectifs de: (1) aménager un dépôt de fouilles habilité, (2) conditionner, conserver et restaurer les artefacts issus des opérations 2013, (3) identifier le processus d’érosion et de sédimentation du fond lacustre et (4) réaliser de nouveaux sondages stratigraphiques et des opérations de prospections sur des sites inédits.
Depuis 2014, nos stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca respectent de manière systématique les trois étapes suivantes pour sélectionner et réduire les sites archéologiques potentiels: (1) nous définissons une zone d’étude à partir du modèle prédictif préliminaire, (2) nous réalisons des prospections subaquatiques pour cibler les interventions sur le site grâce à différentes observations effectuées in situ, et (3) nous réalisons des fouilles en sondages pour diagnostiquer le site potentiel en relation avec l’accumulation sédimentaire et le pourcentage d’artefacts associés (cf. ci-dessous). Durant chaque campagne de fouilles (2013–2014), nous sélectionnons également un site d’étude approfondie (fouilles intensives) en fonction des résultats ‘positifs’ des prospections et des sondages: le site d’offrandes de l’arrecife de Khoa (2013) et le site portuaire de Puncu (2014) (Figure 3.6). Excepté les secteurs de Khoa et de Puncu, ainsi que quelques rares artefacts découverts sur ceux de Merk’ e Takiri (Figure 3.5 /3) et de K’ akaya (Figure 3.5 /10), les résultats des sondages réalisés dans tous les autres secteurs ont été ‘négatifs’. Malgré l’absence d’artefacts, ces sondages ‘vierges’ sont riches en informations: ils apportent non seulement de nouvelles données sur les mutations du paysage lacustre (nature de l’accumulation sédimentaire), mais ils peuvent également être connectés à des couches sédimentaires issues d’autres secteurs de fouilles. Les prélèvements sédimentaires sont encore en cours d’analyses (analyse des proxys et des données paléo-environnementales), et seront pris en compte dans le programme de fouilles 2016–2018.
Entre 2012 et 2013, les différentes opérations de prospections et/ou de fouilles archéologiques se sont focalisées sur cinq secteurs distincts du lac Titicaca. Certains ont déjà été explorés dans le passé par des plongeurs, d’autres sont cités dans la littérature scientifique (cf. Figure 3.4). Il s’agit des secteurs de: (1) Ojje Puco (Municipalité de Taraco), (2) Islote de Lucas Wata (Municipalité de Tiahuanaco), (3) Arrecife de Merk’ e Takiri (Municipalité de San Pedro de Tiquina), (4) Chukuperkha ou Santiago de Ojje (Municipalité de San Pedro de Tiquina) et (5) Arrecife de Khoa (Municipalité
Première étape: modèles prédictifs Une des principales difficultés du projet de fouilles correspond à la superficie du lac Titicaca: 8.560 km2. Le travail archéologique en contexte immergé est 47
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 3.5. Secteurs d’études et interventions du projet Huiñaimarca 2012–2014.
Figure 3.6. Île du Soleil et localisation des deux secteurs de fouilles intensives 2013 et 2014.
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Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca lent et n’excède pas les 50 m2 par année d’opérations. Statistiquement, il est donc nécessaire de réduire les zones d’interventions potentielles, car, pour reprend les mots de Flemming, « nous devons être en mesure de prédire l’emplacement approximatif des sites de façon à minimiser la zone de recherche […]. (Flemming 1983: 138, cité par Evans and Keith 2011: 168).
(sites, altitude, profondeur, etc.), sont rassemblés au sein de trois catégories: • Critères anthropiques ou culturels. Cette catégorie rassemble l’ensemble des paramètres culturels associés aux dynamiques de peuplement du bassin lacustre du Titicaca que nous avons présentés dans le premier chapitre. Ces dernières permettent en effet d’identifier les espaces littoraux susceptibles d’avoir été occupés par l’homme dans le passé, ainsi que les axes de circulations potentiels de biens et de personnes entre les différents sites d’occupations. • Critères naturels, topographiques et bathymétriques. Cette catégorie rassemble l’ensemble des paramètres naturels associés à la géomorphologie du territoire entre les différents sites d’occupations ou d’activités culturelles, en prenant en compte à la fois les espaces immergés (bathymétrie) et sur la terre ferme (topographie). Les espaces insulaires ont par exemple nécessité l’utilisation de la navigation et d’espaces portuaires dont l’emplacement théorique répond à des critères spécifiques (profondeur de la baie, vents, etc.). • Critères paléo-environnementaux. Cette catégorie rassemble l’ensemble des paramètres paléoenvironnementaux associés à la thématique des fluctuations du lac Titicaca à travers le temps, et la mutation du paysage lacustre au niveau du cordon littoral. Elle inclut notamment le taux de sédimentation estimé du fond lacustre.
Différents modèles prédictifs sont proposés par la littérature scientifique pour localiser les sites immergés. La majorité de ceux-ci concerne toutefois l’identification des sites préhistoriques sur la façade littorale de l’océan atlantique (Evans and Keith 2011: 163–178, Halligan 2011: 45–62), car le niveau de la mer durant cette période de transition post-glacière se caractérise par un réchauffement climatique et une montée progressive des eaux océaniques. Les données géologiques et paléohydrologiques – issues des prospections géophysiques qui permettent d’obtenir une image acoustique du fond des océans – servent de base à l’élaboration de ces modèles. Ceux-ci permettent de reconstituer les paysages naturels anciens avant leur inondation et d’identifier ensuite les zones susceptibles d’avoir été occupées par l’homme telles que des vallées, des zones littorales ou encore des grottes aujourd’hui immergées. Un des exemples les plus connus se trouve en méditerranée – la grotte Cosquer avec ses peintures pariétales de ± 20.000 B.P. – et dont l’entrée se trouve actuellement à 36 m de profondeur (Clottes et Courtin 1994). Ces modèles sont difficilement applicables dans ce projet de fouilles, car:
Ce modèle préliminaire est toutefois encore lacunaire, car les différentes bases de données devront encore être progressivement complétées. Nous avons constaté également que le modèle prédictif de la période Tiwanaku (500–1150 PCN) ne s’applique pas à la période inca (1430– 1532 PCN): la gestion de l’espace lacustre, les stratégies d’occupation du territoire et le paysage naturel étaient distincts entre ces deux périodes. Ces modèles, qui seront complétés durant le programme de fouilles 2016–2018, ont toutefois déjà pu caractériser de manière préliminaire des espaces littoraux ou portuaires potentiels appartenant à la période Tiwanaku, ainsi que les sites d’offrandes incas, ce qui a permis de localiser respectivement le site de Puncu (chapitre 4) et l’arrecife de K’ Akaya (chapitre 9) en 2014.
• La nature de l’occupation humaine entre le bassin lacustre et la façade atlantique se distingue non seulement par le type d’environnement (eaux continentales et eaux océaniques), mais également dans le temps. • L’échelle des fluctuations au lac Titicaca n’excède pas les 12 ± 3 m durant les deux derniers millénaires (chapitre 4), alors que durant la période post-glacière, le niveau d’eau a augmenté de 90 à 120 m au niveau de la façade atlantique. • Les fluctuations du Titicaca ont une incidence relativement faible sur la superficie de l’espace immergé en comparaison avec la montée des eaux durant la période post-glacière. Au lac Titicaca, les fluctuations ne feront pas disparaître des zones écologiques entières telles que des vallées, alors que le cordon littoral de la façade atlantique s’est déplacé dans certaines régions sur plusieurs dizaines de km.
Deuxième étape: prospections subaquatiques Quand la zone de recherche est précisée grâce aux modèles prédictifs, la seconde étape consiste à effectuer des observations in situ dans le cadre de prospections en plongée sur un secteur archéologique potentiel. Les résultats de celles-ci sont en général négatives car une des caractéristiques des lacs d’altitudes est l’importance de la sédimentation. Les artefacts potentiels sont rarement visibles sur le fond lacustre, à l’exception de deux types d’environnement particulier. Le premier concerne les zones littorales où l’on atteint rapidement de grandes profondeurs avec une inclinaison du fond lacustre importante (pendage). Dans ces situations, comme à Puncu, on peut retrouver des fragments de céramiques roulées en aval de l’épandage
Vu la superficie du lac et le fait que l’utilisation ancienne de celui-ci ne soit pas visible (il n’y a pas de vestiges matériels à la surface de l’eau), la création d’un modèle prédictif adapté au Titicaca a également été nécessaire et a exigé deux ans d’opérations sur le terrain – 2012 et 2013 – afin d’identifier les critères essentiels à son élaboration. Une version préliminaire de ce modèle a pu être éprouvée durant les opérations de 2014. Les critères sélectionnés, qui alimentent différentes bases de données
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 3.7. Ancre inca (1430–1530 PCN) découverte en prospection à Puncu (Projet PH14 / photo J. Triboulet).
subaquatique du lac Titicaca est conservée dans les zones peu profondes. Cette particularité a sans doute eu une incidence sur l’histoire de la plongée au Titicaca, car dans le cadre des missions précédentes, les plongeurs ont souvent « plongé » (au sens sportif du terme) à des profondeurs supérieures à 20 m.
érodé par les courants lacustres, ou encore une ancre inca figée dans une couche d’éboulis apparente (Figure 3.7). Le second concerne les sites où le fond lacustre est constitué de roche en place, comme à l’arrecife de Khoa, et où des artefacts peuvent être visibles. Dans ces deux exemples, il s’agit majoritairement de matériel “tardif” de la période inca (1430–1532 PCN).
Lorsque les prospections sont « positives » suite à l’observation de fragments de céramiques, la troisième étape consiste à implanter des sondages, non seulement dans les secteurs où la proportion d’artefacts est plus importante, mais également de manière à optimaliser au maximum la représentativité du site. Lorsque les observations sont négatives, nous pouvons éventuellement effectuer des prospections de type « négatif-positif » lorsque des anomalies morphologiques sont observées. Celles-ci consistent principalement à des concentrations de pierres à des paliers de profondeurs délimités (paléorivages potentiels), à des secteurs de concentration anormale d’algues (poches sédimentaires), ou encore dans des secteurs où il y a d’anciens filets de pêche ou des lests contemporains. Ces derniers exemples attirent notre attention car les sites actuels d’exploitations des ressources lacustres peuvent théoriquement être identiques à ceux plus anciens.
La prospection archéologique peut dans certains cas être précédée d’une prospection géophysique à l’échosondeur afin de déterminer la profondeur du lac sur le nouveau secteur. Cette opération a pour vocation de délimiter à la fois les zones d’interventions, en particulier celles situées entre 1 et 12 m de profondeur (paléorivages Tiwanaku potentiels), mais également de planifier la plongée en respectant les protocoles hyperbares de sécurité. Les prospections en plongée sont menées ensuite de manière méthodique afin de couvrir un maximum de superficie. Différentes équipes commencent alors la prospection en plongée, en simultanée ou en successive, mais à des paliers de profondeurs distincts. Les opérations sous l’eau n’excèdent jamais les 17 m de profondeurs, non seulement pour des raisons méthodologiques (espaces littoraux), mais également physiologiques (hypothermie et décompression). La plongée en altitude impose en effet des contraintes spécifiques: l’archéologue plongeur travaille en hypoxie hypobare (0,6 bar de pression atmosphérique au lieu de 1 bar, et 14,7 % d’O2 au lieu de 21 %). Concrètement, les paliers de décompression des plongeurs sont doublés (plus de N2), et limitent le temps des opérations sous l’eau. Avec une température constante située dans un intervalle entre 10 et 12 °C, le plongeur se trouve rapidement en hypothermie et la plongée n’excède dès lors pas les 80 minutes. Les zones potentielles situées à plus de 17 m de profondeur sont observées grâce au ROV (Remotely Operated Vehicle). Exceptés des épaves et des ruptures de charges, nous pensons que la quasi-totalité du patrimoine
Ce dernier type de prospection consiste à établir un axe à l’aide d’une corde graduée depuis la rive, et orientée vers le lac en respectant l’inclinaison principale du fond lacustre. Nous effectuons ensuite des microsondages de 50 cm de côté à des intervalles réguliers équidistants de 4 m à l’aide d’un water-dredge (aspirateur à sédiment). Cette technique de prospection, qui peut s’apparenter à la fouille, est souvent obligatoire pour retirer les matrices sédimentaires superficielles. Elle permet de faire un diagnostic rapide d’un secteur en « positif-négatif », mais si des artefacts sont localisés, l’opération s’arrête immédiatement pour commencer la fouille proprement dite (troisième étape). 50
Enjeux de la recherche et stratégies d’interventions dans les eaux du lac Titicaca
Figure 3.8. Photogrammétrie d’un sondage du site de Sanka Putu (Projet PT17 / B. Debrand, 2007).
Troisième étape: fouilles subaquatiques L’archéologie maritime [lacustre], pour reprendre l’expression de Joe Flatman, est aujourd’hui « de plus en plus tout simplement de l’archéologie » (2011: 311). La plongée n’est pas l’objectif, mais le moyen nécessaire à l’intervention archéologique sous l’eau. D’un point de vue théorique, les vestiges matériels du fond lacustre associés à l’occupation du basin durant la période Tiwanaku (500– 1150 PCN) sont potentiellement perturbés et/ou recouverts par ceux des différentes populations qui lui ont succédé. Nous considérons, en accord avec George Bass, que les problématiques associées aux contextes de découvertes immergés pourraient ou « devraient être considérées comme une extension de celles déjà rencontrées et résolues par l’archéologie de la terre ferme [dry-land] » (de Borhegyi, cit. in Bass 1970: 17).
La fouille subaquatique, réalisée avec l’aide d’un Waterdrege ou d’un Air-lift (aspirateur à sédiment), existe depuis 1952 (Benoît 1957, Long 1987), mais a souvent eu pour vocation principale de dégager les structures et les épaves – en vue de leur étude – en retirant la matrice sédimentaire ou alluviale qui recouvre celles-ci. Au lac Titicaca, nous souhaitons inclure l’étude des couches sédimentaires « vierges »: celles-ci sont non seulement des marqueurs fiables des fluctuations du lac Titicaca à travers le temps, mais intègrent également une accumulation sédimentaire homogène. Les mécanismes d’érosion et de sédimentation en contexte lacustre (identifiés en 2012) sont en effet beaucoup plus stables que dans les contextes maritimes (grandes marées) ou fluviaux (courant), et les différentes unités stratigraphiques, qu’elles soient associées ou non à des artefacts, donnent de nombreuses informations sur la nature et la conservation des contextes de découvertes.
En particulier pour le lac Titicaca, la localisation de l’espace littoral est variable (fluctuation du lac), et celuici se caractérise par une érosion et une sédimentation importante. Nous avons donc choisi comme stratégie de fouilles de réaliser des sondages stratigraphiques afin d’identifier la morphologie et la nature de l’accumulation sédimentaire associée aux artefacts. Dans le cadre de ce projet, nous privilégions non seulement l’analyse des sites immergés dans l’espace bidimensionnel (projection horizontale des artefacts), mais également dans l’espace tridimensionnel (projection verticale des artefacts).
La troisième opération consiste par conséquent à implanter des sondages sur les secteurs de fouilles potentiels. La stratigraphie en contexte immergé est donc une technique qui s’adapte à l’archéologie lacustre, car le sédiment est relativement stable et peu volatile, et les unités stratigraphiques (US) sont clairement délimitées par la nature du sédiment, les textures et les couleurs (Figure 3.8). Étant donné que la fouille extensive – commune en archéologie terrestre avec l’aide de nombreux ouvriers – ne peut pas être appliquée en milieu hyperbare, la fouille subaquatique s’apparente plus à une fouille de 51
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 3.9. Fouilles au water-dregde et gestion des rejets au tamis – site de K’anaskia (2017) (Projet PT17 / photo T. Seguin).
à un tamis immergé. Celui-ci, construit en métal, de forme quadrangulaire et de parois en mailles, est fixé à l’extrémité du tube de rejet de fouilles (Figure 3.9). Il permet non seulement de conserver tous les artefacts de petite taille qui échappent à l’acuité des plongeurs, mais également de déposer les rejets sédimentaires dans les zones en aval du chantier. Malgré ces précautions, la morphologie naturelle du site est rapidement modifiée dès le début des opérations et la transition entre les plongées peut être complexe, même en présence de repères et de gestion des rejets.
type intensive. Afin d’avoir une meilleure représentativité d’un site archéologique identifié, le choix d’implantation des sondages au sein de l’espace immergé aura donc une incidence plus importante sur les résultats et la compréhension du site. Nous privilégions donc l’implantation des sondages dans un alignement indentique qui respecte l’inclinaison principale du fond lacustre afin d’élaborer des coupes « complètes » des différents secteurs grâce à des interventions à intervalles de profondeurs réguliers (chapitre 4). Les techniques d’enregistrement sont toutefois les défis techniques les plus difficiles du processus de fouilles subaquatiques. L’archéologue plongeur travaille en « suspension » dans un espace en mutation, soumis aux contraintes de pression et de courants, où les coupes sont instables, les effondrements fréquents, et la visibilité rapidement réduite dès que le plongeur est en contact avec le sédiment. L’implantation de repères figés dans l’espace, tels que des bornes topographiques (piquets en métal de couleur) et des fils d’Ariane, est donc particulièrement utile.
Certaines techniques facilitent le travail de coordination et optimalisent l’enregistrement de la fouille. Nous privilégions particulièrement: • les relevés en plan et stratigraphiques • les descriptions consignées directement sous l’eau pour codifier l’évolution de la fouille (cotes de profondeur, etc.) • les couvertures photographiques des sondages grâce à la photogrammétrie (3D) • les prélèvements sédimentaires.
La fouille est réalisée à l’aide d’un water-dredge qui permet au plongeur de décaper le sédiment sur toute la surface du sondage délimité par des côtés de 2 m pour une superficie d’intervention de 4 m2. Ensuite, la gestion des rejets, importante pour suivre la fouille et éviter de couvrir de manière anarchique d’autres secteurs, est contrôlée grâce
Ces techniques permettent non seulement de documenter et enregistrer la fouille par le responsable (limité à 80 minutes sous l’eau), mais également de donner des repères visuels nécessaires au plongeur avant chaque intervention sur le site.
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Chapitre 4 Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) ou identifié dans le bassin lacustre (chapitre 2). Dans la littérature scientifique, on ne trouve donc pas d’études antécédentes sur ce type d’espace ou sur les pratiques qui y sont associées. L’unique exception pourrait correspondre au site archéologique de Iwawe ou Ojje-Puco, situé à 23 km de Tiahuanaco, à la jonction entre la péninsule de Taraco et la vallée de Tiahuanaco (Figure 3. 4 /2). D’après Carlos Ponce Sanguinés, ce secteur aurait été le relais pour acheminer en bateaux les pierres de la péninsule de Copacabana jusqu’à la capitale Tiahuanaco (Ponce et Mogrovejo 1970: 261–274; Ponce 1971: 90).
4.1. Introduction Dans ce projet de recherches, nous nous concentrons principalement sur les résultats issus des sondages stratigraphiques réalisés à l’arrecife de Khoa (2013) et à Puncu (2014). Suite à la découverte en 2013 d’un nouveau dépôt intact d’offrandes subaquatiques Tiwanaku, présenté pour des raisons méthodologiques dans le chapitre suivant, nous avons délibérément décidé de privilégier l’étude du secteur de l’île du Soleil en 2014, et en particulier l’extrémité de l’espace insulaire la plus proche du continent (Figure 3.6). Différentes raisons motivent cette stratégie de recherche.
Dans le carnet de voyage de Fréderic Dumas, collaborateur de la mission de J.-Y. Cousteau au lac Titicaca en 1968 (mission n° 3, Annexe 3.1), le compte rendu inédit d’une réunion entre Ponce et Dumas est consigné: « Carlos Ponce Sanguines, archéologue spécialiste de Tiahuanaco, serait intéressé pour rechercher d’éventuels naufrages avec des cargaisons de pierres de ± 10 tonnes à proximité de Tiahuanaco [Iwawe] où il y a un chenal ». Il rajoute également que « Iwawe est un débarcadère […] où l’on voit des piliers d’andésite dont certains sont partiellement ou totalement couverts par les eaux du lac » (Dumas 1968, carnet n° 33). La présence de ces piedras cansadas, ou « pierres fatiguées », est à la base de la théorie de Carlos Ponce Sanguinés sur la fonction portuaire et de débarcadère d’Iwawe (Ponce 1971: 90; Ponce and Mogrovejo 1970: 261–274). Vu qu’aucune preuve matérielle permettant d’appuyer cette hypothèse n’a été découverte à proximité du site durant les deux missions de 1968 (missions n° 3 et 4, Annexe 3.1), le site n’a plus été l’objet d’une prospection subaquatique.
Tout d’abord, l’île du Soleil est par définition un territoire insulaire homogène et physiquement délimité par les eaux du lac. Elle possède son propre micro-écosystème et les dimensions raisonnables de l’île, 14,3 km2, sont appropriées pour des interventions subaquatiques. Ensuite, ce territoire se caractérise par une occupation dense, complexe et continue qui est bien documentée par l’archéologie (Bauer et Stanish 2001, Stanish et Bauer 2004, Seddon 1998). L’île du Soleil, occupée durant la période (pré) Tiwanaku (300–1150 PCN), sera l’objet d’une réappropriation idéologique de la part des Incas (1430–1532 PCN). L’évolution diachronique du paysage culturel y est donc aisément perceptible en analysant la variabilité de la culture matérielle et celle des stratégies d’occupation. Enfin, nous avons montré que l’évolution de la société Tiwanaku est repérable grâce à l’étude du paysage urbain de Tiahuanaco (chapitre 2). L’île du Soleil, située à 73 km à vol d’oiseau du site éponyme, représente théoriquement un des premiers espaces qui subira l’influence puis la domination économique, politique et rituelle de Tiahuanaco entre 300 et 1150 PCN.
À l’heure actuelle, grâce aux reconstitutions du paysage lacustre de la période Tiwanaku et celles des fluctuations du lac que nous développerons ci-dessous, nous sommes en mesure de déterminer que le site d’Iwawe ne se situait pas, en réalité, en bordure du lac mais à plusieurs kilomètres de celui-ci. Il ne peut donc pas correspondre à un espace permanent d’activités sur le littoral ou à un espace portuaire, mais plutôt à un site d’occupation et d’habitations réparties autour d’un aménagement public, actuellement visible grâce à la présence d’un monticule d’origine anthropique (Isbell and Burkholder 2002: 199– 201, Fig. 7.2.). Les piedras cansadas issues de celui-ci ont probablement été démantelées plus tardivement pour aménager un espace portuaire contemporain (le chenal). La présence de ces pierres n’exclut toutefois pas la fonction de « relais » du site pour acheminer les matériaux jusqu’au site de Tiahuanaco, mais implique alors obligatoirement la navigation comme moyen intermédiaire.
Cette île constitue donc un espace d’étude privilégié pour aborder la nature des relations qu’entretenait Tiahuanaco avec les autres régions, mais surtout un territoire qui implique la présence de la navigation. Celle-ci est en effet un moyen indispensable pour relier l’espace insulaire au continent; par conséquent, la circulation des biens et des personnes a dû, en théorie, laisser une empreinte matérielle sur le littoral. Notre objectif a donc ambitionné de localiser les zones d’accès de l’île du Soleil (transit point; Westerdahl 1992: 6). 4.2. Antécédents Jusqu’à aujourd’hui, aucun espace portuaire ou côtier Tiwanaku situé à moins de 100 m du lac n’a été localisé
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.1. Occupation et accès théorique à l’île du Soleil durant la période Tiwanaku et Inca (d’après Stanish et Bauer 2004: 31–35, Table 2.1, Fig. 2.6 et 2.8 ).
Vu les dynamiques de peuplement du bassin lacustre et l’occupation de différents espaces insulaires durant les périodes Tiwanaku et inca (Figures 1.7 et 1.9), l’utilisation du lac Titicaca en tant que vecteur de communication et de circulation est indirectement attestée. La présence d’offrandes subaquatiques Tiwanaku à l’arrecife de Khoa, situé en pleine eau au nord de l’île du Soleil, montre par ailleurs que ces populations maîtrisaient la navigation (Figure 4.1). Les différents acteurs qui ont participé aux rites d’offrandes sont directement associés aux communautés insulaires (espace habité le plus proche), mais probablement aussi à ceux appartenant au site éponyme de Tiahuanaco ou des régions limitrophes (chapitres 5 et 8). Se pose donc la question suivante: à quel endroit les habitants, voyageurs et autorités accédaient-ils à l’île du Soleil?
à ‘Puncu’ que Squier [1877] a accosté en bateau depuis la baie de Yampupata, située de l’autre côté du détroit du même nom, et que ce dernier a identifié et dessiné une structure de type inca (Stanish et Bauer 2004: 208, Bauer et Stanish 2001: 219, Fig. 8.1). Le plan de cet édifice, dessiné vers 1864–1865, montre un petit complexe composé de deux pièces avec des niches, entre lesquelles il y a un passage limité. Ce complexe était situé à l’extrémité méridionale de l’île du Soleil et avait probablement pour vocation de contrôler le flux des pèlerins de l’Horizon récent depuis l’esplanade aménagée à l’avant. Cet édifice n’existe plus à l’heure actuelle: il est probablement recouvert par l’unique structure contemporaine située dans cette partie de l’île à ± 100 m du lac. En 1895, lors de la visite de Bandelier à l’île du Soleil, ce dernier partira également de la baie de Yampupata, mais naviguera directement jusqu’au nord de l’île à l’hacienda de Challa. Il n’a pas identifié de structure, débarcadère ou jetée au sud de l’île ou au nord du détroit de Yampupata, et cela vingt années après la visite de Squier. La fonction de débarcadère attestée à la fin du 19e siècle sur les sites de Yampupata (continent) et de Puncu (insulaire) est au minimum un héritage de l’occupation de l’île durant la période inca. En particulier pour le site de Puncu, ce toponyme reflète la fonction supposée du secteur au sein du réseau de pèlerinages développé par les Incas au 15e siècle. En effet, Puncu signifie puerta en langue native quechua (langue des Incas), mais est aussi usuellement utilisée en langue aymara parlée par les populations actuelles. Au 15e siècle, Puncu devait être la ‘porte’ d’accès du sanctuaire que représentait l’île du Soleil (Bauer et Stanish 2001, Stanish et Bauer 2004).
Après trois années de prospection systématique, Stanish et Bauer ont identifié, grâce à la distribution des fragments de céramiques sur le territoire insulaire, au minimum vingthuit sites d’occupation appartenant à la période Tiwanaku (500–1150 PCN) et quatre-vingt-six sites archéologiques potentiels ou attestés appartenant à la période inca (1430– 1530 PCN) (2004: 31–35, Table 2.1). Le site d’occupation le plus proche de l’extrémité méridionale de l’île, et donc du continent, est un site affilié à la période inca: Puncu (site n°163, Stanish et Bauer 2004: 208). À partir de cette période, la zone d’accès à l’île du Soleil depuis la péninsule de Copacabana peut donc potentiellement se trouver à proximité de ce site terrestre (Figure 4.1). D’après les mêmes auteurs, Puncu est un site de 0.28 ha dont la fonction supposée est celle d’« habitations, et probablement un quai ». Ils indiquent également que c’est 54
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) En accord avec Brian S. Bauer et Charles Stanich (2001, 2004), nous pensons donc que le site de Puncu correspond à l’accès « portuaire » insulaire de la période inca, et cela à partir du site « portuaire » de Yampupata, situé sur le continent de l’autre côté du détroit (Figure 4.1). En effet, d’après la chronique de Ramos Gavilán de 1621, « […] l’Inca était enclin à se rendre au célèbre lieu de culte de l’île Titicaca [île du Soleil] et, avec les plus grands actes de dévotions, accompagnés de personnes illustres et de ses gardes, il s’est mis en route pour ce voyage. Ayant atteint le débarcadère de Iampopata [Yampupata], situé à un quart de lieu [du débarcadère] de l’île [du Soleil], il embarqua dans un grand radeau […] » (Ramos Gavilán [1621] 1976: 20). Bien que le toponyme de Yampupata soit cité dans les sources coloniales depuis le 17e siècle, celui de Puncu ne sera consigné qu’à la fin du 19e siècle par Bandelier et publié en 1910, avant d’être repris par Stanish et Bauer (Stanish et Bauer 2004: 15 et Fig. 1.18).
de débuter la recherche dans les eaux du lac à proximité du site archéologique terrestre de Puncu (fouilles 2014), et dans un second temps, de comparer les données archéologiques susceptibles d’y avoir été collectées avec celles du site de Yampupata situé de l’autre côté du détroit (fouilles 2016). Si nous localisons ces deux espaces portuaires, nous pourrons en effet théoriquement comparer, grâce à l’étude des artefacts, les importations et exportations de l’île du Soleil sous un double angle d’approche. Pour les opérations de Puncu, cette stratégie de recherches nous amène à identifier trois problématiques préliminaires nécessaires à l’étude de cette zone d’accès à l’île du Soleil [transit point]: 1. Comment peut-on localiser l’espace portuaire inca de Puncu? 2. Le cordon littoral actuel était-il au même endroit dans le passé? 3. L’emplacement de l’espace portuaire insulaire estil identique à travers le temps, et en particulier aux périodes Tiwanaku et inca?
Ramos Gavilán écrira également que « […] les capitaines de Topa Inca Yupanqui lui conseillaient de ne pas aller au Titicaca […] car il sera forcé de naviguer sur la lagune pour accéder à l’île [du Soleil], et qu’il prenait trop de risque, chose qu’il n’avait pas faite dans toute sa vie ». L’Inca effectua toutefois ce voyage, et « la tradition veut que cette arrivée [à Puncu?] fut accompagnée d’événements magnifiques, de cérémonies et de sacrifices [au lac?]: et compte tenu du golfe que l’on doit traverser [détroit de Yampupata] et de tout le reste, il a commencé à admirer et à imaginer intérieurement le grand potentiel de l’île, et il n’a eu aucun doute sur la véracité de ce que son père [Viracocha Inca ] lui avait dit. Puis, sans rien regarder d’autre, il a décidé de devenir le maître absolu de l’île […] » (Ramos Gavilán [1621] 1976: 20–21) (traduction de l’espagnol ancien au français par José-Oscar Encuentra). Ces descriptions détaillées attirent notre attention pour les raisons suivantes:
D’un point de vue méthodologique, un espace portuaire peut être localisé en fonction de la densité d’artefacts conservés au fond de l’eau: un dépotoir. Nous en distinguons deux types: 1. Dépotoirs intra-muros: ceux-ci concernent par exemple un cours d’eau qui traverse une ville, et dont le lit de la rivière peut conserver les témoignages matériels des activités commerciales et portuaires associées à celle-ci (aménagement des rives, zones de chargement et de stockage, épaves, instruments de batellerie, marchandises, etc.). Dans cet exemple, la rivière peut également servir de dépotoir ou de poubelle pour les riverains et refléter ainsi les activités du quotidien (céramiques n’ayant plus d’utilité, déchets de nourriture, objets tombés dans l’eau accidentellement, matériaux de construction, etc.). 2. Dépotoirs extra-muros: ceux-ci concernent les secteurs d’activités situés au bord de l’eau, mais à l’extérieur des sites d’occupation permanents. Ils se distinguent des dépotoirs intra-muros par l’omniprésence d’artefacts spécialisés associés aux activités commerciales (marchandises, objets de prestiges, etc.), mais également par le témoignage de la circulation des personnes d’origine insulaire ou étrangère qui traversent, dans le cas présent, le détroit de Yampupata. Les mouvements peuvent notamment être motivés par la religion (pèlerins, prêtres, etc.), les conventions sociales (échanges en tant qu’éléments de réciprocité) ou la politique (dirigeants, conquêtes).
• Topa Inca Yupanqui, après son « ancêtre », n’est pas le premier souverain inca à avoir visité l’île du Soleil, mais il sera l’instigateur de la réappropriation et de la transformation de l’espace insulaire en sanctuaire en souhaitant en « devenir le maître absolu ». • La navigation sur le lac est un « risque »: cela indique que celle-ci est non seulement redoutée par les «capitaines» (dangereuse), mais aussi que les Incas, étrangers au lac, ne sont pas des navigateurs expérimentés. • Dans ce récit, le débarcadère de Yampupata est déjà un « espace portuaire » permettant de se rendre à l’île du Soleil avant son réaménagement par les Incas. • Topa Inca Yupanqui a utilisé un « grand radeau ». Vu que la navigation ne fait pas partie de la culture inca, cette grande embarcation a probablement été construite par les populations lacustres et insulaires (post-Tiwanaku) nouvellement conquises.
4.3.1. Géomorphologie de l’extrémité méridionale de l’île du Soleil
4.3. Problématiques et stratégie de fouilles (2014)
Il n’existe pas d’antécédent de plongée à proximité du site terrestre de Puncu. La géomorphologie de l’extrémité méridionale de l’île du Soleil correspond approximativement à un « bord arrondi » de 700 m de
Il paraît dès lors évident que, dans le cadre de nos opérations d’archéologique subaquatique, il est nécessaire 55
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Celles-ci sont accidentées, mais certains secteurs peuvent théoriquement abriter un port. Certaines portions de la falaise se sont effondrées (carrières de pierres ?) et permettent d’accéder plus facilement au plateau qui surplombe les falaises. Par contre, sur toute la longueur, il n’y a que quelques mètres de largeur entre le pied de l’escarpement et le lac, interdisant ainsi toute occupation permanente, comme c’est le cas actuellement.
large et d’orientation ouest-est. La partie occidentale est constituée de falaises dont l’assise s’enfonce rapidement dans les eaux du lac, tandis que la partie orientale, de morphologie presque identique, mais toutefois beaucoup plus érodée et de pente plus faible, forme un cap massif constitué de bloc de pierres monumentales surplombant le lac de plusieurs mètres. À 260 m à l’est de celui-ci se trouve l’îlot de Chelleca séparé par une passe (Figure 4.1). Théoriquement, l’espace littoral utilisé par l’homme durant les périodes anciennes se situerait sur une bande de ± 20 m de largeur tout au long des 700 m de falaises, ce qui représente une potentielle superficie d’intervention de 14 000 m2.
Dans son carnet de voyage, Frédéric Dumas a annoté dans une marge une information de Ponce Sanguinés qui indique que « récemment, des pêcheurs ont trouvé des statues [durant la sécheresse de 1944] dans le voisinage des ruines de l’îlot de la passe [entre l’îlot de Chelleka et l’extrémité méridionale de l’île du Soleil] où il y aurait un port inca » (octobre 1968, carnet n° 33). C’est au pied de cet îlot que les plongeurs de Cousteau ont trouvé la pignate ou Olla contemporaine (chapitre 2), mais aucune structure ni artefact anciens n’ont été identifiés dans la passe. Malgré sa morphologie intéressante constituée d’anciennes terrasses agricoles couvertes d’arbres, cet îlot n’est pas directement connecté à l’île.
L’identification des caractéristiques qui définissent un espace portuaire précolombien, en l’absence d’antécédent, nécessite une approche méthodologique spécifique que nous formulons sous forme de modèle prédictif préliminaire (chapitre 3). Une étude de cas du site de Puncu est par conséquent appropriée pour aborder cette nouvelle thématique car, d’un point de vue culturel, la navigation est attestée dans ce secteur depuis au moins le 15e siècle. La localisation du site archéologique terrestre de Puncu se situe par ailleurs dans la partie orientale de cette partie de l’île, à proximité du « cap », et permet de réduire les investigations sur 350 mètres de côtes (7.000 m2).
Une autre source apporte une information intéressante: « au sud de l’île [du Soleil], et en face de Yampupata, il y a un petit port ou embarcadère qui fait partie d’une route
Figure 4.2. Photo aérienne au drone du débarcadère du 19e siècle du site de Puncu (aujourd’hui immergé). (PH14).
56
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) très ancienne […] » (Posnansky 1912: 14). Ici, l’auteur mentionne spécifiquement la présence d’une structure au début du 20e siècle. En prospectant le long du littoral, nous avons localisé ce « petit port ou embarcadère » dont la partie supérieure est aujourd’hui recouverte par 50 à 120 cm d’eau. En forme de L et situé sur l’extrémité de la pointe occidentale de l’île, celui-ci n’est presque pas visible depuis un bateau. Les photos aériennes que nous avons effectuées sur le littoral, lorsque le vent était tombé (pas de remous sur l’eau) et que le soleil se tenait à la verticale (meilleure pénétration de la lumière sous l’eau), ont permis de comprendre la physionomie du site (Figure 4.2). Le dépotoir portuaire inca a été localisé dans ce secteur.
rivage, peuvent « servir d’indicateur pour confirmer que le niveau du lac Titicaca [durant la période Tiwanaku] était le même qu’aujourd’hui […] » (Ponce 1992: 82). Il propose également que le temple Tiwanaku de Chukuperkha (Figure 3.4./6) « a été construit en connaissance des fluctuations du lac de manière à ne jamais être inondé » (Ponce 1992: 80). Dans sa monographie publiée en 1992, Ponce intègre également des récits de découvertes du passé, relayées par la presse ou les habitants du bassin lacustre durant les périodes où le lac était particulièrement bas (1992: 1–328). Cette interprétation n’est pas en contradiction avec celle présentée ci-dessus, car l’état de la question au début des années quatre-vingt-dix développait principalement l’étude des structures contemporaines immergées et celle des offrandes subaquatiques de la période Tiwanaku. Les rares artefacts découverts de manière isolée lors des périodes de sécheresse ont été intégrés dans la thématique des offrandes subaquatiques (caractérisation du patrimoine subaquatique par Ponce, cf. chapitre 3). Bien qu’il existe de nombreux indices dans le registre archéologique permettant de déterminer que le niveau d’eau était plus bas durant la période Tiwanaku — constat que nous confirmerons par la suite —, les rares données anthropiques immergées disponibles jusqu’à aujourd’hui ne permettaient pas de tirer des conclusions.
Ce débarcadère a été construit à la fin du 19e siècle ou au début du 20e siècle pour permettre aux bateaux à vapeur possédant un tirant d’eau plus élevé d’accoster dans cette partie de l’île du Soleil. Celui-ci a probablement été utilisé de manière régulière entre 1861, date d’introduction du premier bateau à vapeur sur le lac Titicaca, Le Yapura (Ponce 1992: 166), et la fin du 20e siècle avec l’abandon de la ligne de chemin de fer de La Paz à Guaqui. Cette dernière destination était également le port bolivien principal du lac Titicaca depuis 1904 où l’on déchargeait les marchandises des bateaux de grand tonnage provenant de Puno (Ponce 1992: 166–169). Ce débarcadère est fermé à l’ouest par une jetée en pierre qui a été construite en 2014 (communication de la communauté de Yumani). Ce secteur « invisible » n’avait donc pas attiré notre attention lors de nos missions précédentes.
b. Les sources paléo-climatologiques (glaciers) Depuis la publication en 1985 d’un article présentant les premiers résultats issus de deux carottages effectués en 1983 sur le glacier de Quelccaya (Thompson et al. 1985), situé au Pérou à ± 180 km du littoral septentrional du lac Titicaca et à ± 360 km du site éponyme de Tiahuanaco, l’étude des variations climatiques anciennes dans la région des Andes a pu être enrichie grâce à de nouvelles séquences paléo-climatologiques. Celles-ci déterminent une alternance de périodes sèches et humides entre 540 PCN et 1980 PCN (Thompson et al. 1985: 973, Table 1) (Figure 4.3).
4.3.2. Fluctuations du lac durant les périodes anciennes Le plus souvent, les structures portuaires contemporaines ont été mal interprétées durant les différentes explorations subaquatiques au lac Titicaca (chapitre 3). Les plongeurs ne voyaient en celles-ci que des « citées englouties », comme en témoigne, par exemple, la mission de plongée italienne AKAKOR de 2000 et 2004 (missions n°18 et 19, Annexe 3.1.). Dans le cas de l’embarcadère du 19e siècle de Puncu, l’on perçoit combien il est important de comprendre les fluctuations du lac au sein de l’étude du patrimoine subaquatique. Interrogeons-nous donc en priorité sur le niveau du lac durant les périodes Tiwanaku et inca. Pour synthétiser cette problématique, nous distinguons trois types de sources ou de données issues de registres différents:
De nombreux travaux émaneront de ces résultats, dont ceux d’Alan Kolata qui sera le premier à appliquer ces données à l’histoire de l’occupation du basin lacustre. Il distingue cinq périodes éco-historiques en incluant à la fois l’histoire de l’occupation du bassin lacustre (séquence historique) et l’évolution de l’écosystème (séquence écologique), dont la période n°3 correspond à celle Tiwanaku (ca. 500–900 B.P.) (2003: 7–13). Il sera particulièrement attentif aux deux périodes humides de 610 à 650 PCN et de 760 à 1040 PCN (Figure 4.3.) qui, selon l’auteur, ont contribué à l’épanouissement de la culture Tiwanaku dont l’histoire a été entrecoupée par des période de « crises » durant les saisons sèches, et en particulier vers 1040 PCN marquant non seulement la fin de la période humide, mais également la fin de la période Tiwanaku (Kolata 2003: 8–9). Ces données ne répondent toutefois pas directement à notre problématique car elles ne permettent pas de quantifier concrètement les fluctuations du lac.
a) archéologique (artefacts et aménagements), b) paléo-climatologique (carottages de glaciers), c) limnologique (carottages du sédiment lacustre). a. Les sources archéologiques (artefacts et structures) Pour Ponce Sanguines, le niveau du lac durant la période Tiwanaku était identique à celui d’aujourd’hui. Il considère en effet que les pierres cansadas d’Iwawe (Figure 3.4./2), qu’il interprète comme des pierres de taille destinées au site de Tiahuanaco et abandonnées sur le 57
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.3. Séquence paléo-climatologique: alternance des périodes sèches et humides depuis 1500 B.P. (d’après Thompson et al. 1985, Table 1, Janusek 2003a: 31, fig. 3.1).
• ensuite, augmentation du niveau du lac autour de la référence BOL [± 3804 m], après 1650 Cal. B.P. [± 350 PCN], • plus récemment, en 600 Cal. B.P. [± 1400 PCN], très bas niveau du lac, • abrupte augmentation du niveau en 500 Cal. B.P. [± 1500 PCN], de BOL – 12 m à BOL + 0 à 7 m [de 3792 à 3804/3811 m] (Abbott et al. 1997: 177–178) (Figure 4.4).
c. Les sources limnologiques et paléo-climatologiques (sédiment lacustre) Les données limnologiques sont par conséquent beaucoup plus importantes dans ce projet de recherches, car les prélèvements sédimentaires sont directement issus du fond lacustre du Titicaca; certains articles énoncent clairement la variabilité du volume d’eau à travers le temps, en cotes d’altitude (le niveau actuel est de ± 3809,7 m). Il existe deux traditions de recherches sur cette thématique, l’une américaine et l’autre française (plus ancienne), qui, à partir des carottages effectués au fond du lac, parviennent à des résultats sensiblement différents.
Ces périodes sont séparées par des hiatus; excepté la période LF2 (300–500 PCN) dont le niveau du lac était à ± 6 m plus bas qu’aujourd’hui [3804 m] ainsi que la période inca (1430–1530 PCN) dont le niveau vers 1500 PCN pourrait être identique à celui d’aujourd’hui, entre 3804 et 3811 m, les hiatus des autres périodes, dont celle de Tiwanaku (500–1150 PCN), ne sont pas définis. Dans le second article qui interprète ces résultats dans une approche archéologique (Binford et al. 1997, dont Kolata), les auteurs proposent par contre une séquence complète des fluctuations du lac entre 1500 ACN et 1950 PCN. Ils effectuent en effet des projections sur les périodes de hiatus documentées ci-dessus en complétant notamment les informations grâce aux enregistrements du taux de précipitation analysé dans la première carotte de Quelccaya entre 500 PCN et aujourd’hui (Binford et al. 1997: 246, Fig. 7) (Figure 4.4).
Les principaux résultats issus de cette première tradition sont proposés par deux articles publiés en 1997 (Abbott et al. 1997 ; Binford et al. 1997); leurs données sont issues de quinze carottages effectués dans les deux parties du lac dans les années quatre-vingt-dix. À partir d’analyses lithologiques, géochimiques et isotopiques (14C), ces chercheurs proposent une modélisation des fluctuations du lac depuis 3500 14C en exprimant les cotes en altitude absolue par rapport à la référence « BOL » (below overflow level) — en dessous du niveau de débordement — qui correspond à l’étiage de l’unique exutoire du lac Titicaca: la rivière Désaguadero [3804 m] (Abbott et al. 1997: 169–172). Pour les périodes qui nous concernent, ils déterminent les fluctuations suivantes:
Entre 500 et 1150 PCN, les auteurs suggèrent que le niveau du lac était situé entre 3805 m et 3810 m d’altitude (Binford et al. 1997: 246, Fig. 7), ou, en d’autres mots, que le littoral de la période Tiwanaku était situé entre le niveau actuel et 5 m de profondeur. Le niveau du lac pourrait donc théoriquement être identique à celui d’aujourd’hui, comme le suggère Carlos Ponce Sanguinés (Ponce 1992:
• brusque augmentation du niveau du lac jusqu’à au moins BOL – 2 m [3802 m] en 2200 Cal. B.P. [± 200 ACN], • niveau du lac à BOL -10 à 12 m [3792–3794 m] après 1900 Cal. B.P. [± 100 PCN],
58
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.4. Séquence des fluctuations du lac Titicaca entre 200 ACN et 1600 PCN (d’après Abbott et al. 1997 ; Binford et al. 1977, Janusek 2003a: 31, fig. 3.1).
80, 82). Ils déterminent également que durant la période de transition de 500 PCN (fin de la période LF2 et début de la période Tiwanaku), le niveau d’eau augmenta abruptement de plus de 20 m pour atteindre celui de Tiwanaku. À la fin de cette période, la chute de cette culture vers 1050 PCN coïncide avec une période sèche et une brusque baisse du niveau du lac, dans un intervalle énorme de 12 et 17 m plus bas que le niveau Tiwanaku (Binford et al. 1997: 235) (Figure 4.4).
La présence d’interfaces de lattis (végétaux en décomposition) attire notre attention; si l’on suit la description détaillée de Claude Dejoux, celles-ci pourraient être des « marqueurs sur la physionomie des paysages lacustres anciens ». L’auteur complète en effet son argumentation par une seconde observation effectuée dans la baie de Guaqui durant les inondations de 1986. Lors de cet événement, il constate une dégradation importante du biotope (faune, flore et microorganismes) des fonds lacustres situés entre 7 et 10 m de profondeur. La végétation, privée de lumière suite à l’augmentation du volume d’eau, s’est partiellement décomposée en générant des conditions d’anaérobie rapide (absence d’oxygène), ce qui en contrepartie a permis la conservation de cette même couche végétale dont la décomposition a été interrompue (Dejoux 1991: 343).
En comparaison, la seconde tradition présente des résultats quelque peu différents et apporte des informations cruciales sur la stratigraphie du fond lacustre. Premièrement, les résultats issus des travaux de Mourguiart et ses collègues énoncent clairement la variabilité du volume d’eau du lac en cotes d’altitude: « De 3900 B.P. à ca. 1500 B.P. [± 2000 ACN–500 PCN], le lac fluctue autour d’une cote moyenne située à 3804–3805 m d’altitude […]. Après 1500 BP [± 500 PCN], le lac Huiñaimarca monte de nouveau de quelques mètres et fluctue ensuite autour de sa position actuelle » (Mourguiart et al. 1992: 879). En d’autres termes, les carottages et les datations 14C effectués par ces auteurs leur permettent de déterminer qu’au début de la période Tiwanaku (500 PCN), le niveau d’eau du lac était non seulement situé entre 5 et 6 m plus bas que le niveau actuel (3809,7 m), mais également qu’il augmentera de quelques mètres pour fluctuer autour de sa position.
Dans les sondages stratigraphiques que nous avons réalisés à Puncu (cf. ci-dessous), l’alternance d’interfaces minérales et végétales est systématique. Cette observation apporte donc des informations précieuses, car elle reflète tant des événements d’inondation ou de période à sec de l’espace littoral que les conséquences que cela implique sur l’utilisation de celui-ci. Plus important encore, la présence d’artefacts dans certaines couches intermédiaires (minérales) permet de dater ces événements et, in fine, d’appliquer ces résultats à l’ensemble du lac, en quantifiant les variations du niveau d’eau et en localisant les paléorivages de 300 à 1532 PCN. Ainsi, même en l’absence d’artefacts, les différentes interfaces deviennent également des marqueurs chronologiques; à partir du moment où elles ont été identifiées (épaisseur, composition, etc.), elles peuvent être comparées à d’autres sondages.
Dans les nombreuses séquences sédimentaires prélevées sur le fond lacustre, nous constatons également que les différentes strates qui composent celles-ci sont clairement délimitées entre elles par des types variés d’interfaces qui se caractérisent notamment par des concentrations de gastéropodes (coquillages), d’inclusions minérales (galets) ou de végétaux (matrice organique).
Jusqu’à aujourd’hui, aucun prélèvement sédimentaire lacustre n’a été observé in situ, et encore moins associé 59
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie avec des artefacts. L’archéologie subaquatique et les stratégies de fouilles via des sondages stratigraphiques représentent par conséquent une nouvelle opportunité pour aborder cette thématique grâce à l’enregistrement tant de nouvelles données de type anthropique que des observations sur les mécanismes d’érosion et de sédimentation du fond lacustre. La localisation potentielle des (paléo)rivages Tiwanaku et inca permettront surtout de déterminer « matériellement » le niveau du lac durant ces périodes anciennes.
jours de recherches effectives sur le terrain lors de deux campagnes: onze jours d’interventions archéologiques entre le 17 et le 30 mai 2014 (Puncu 1) et dix jours d’opérations du 14 au 24 juin 2014 (Puncu 2). Durant cette période, le niveau du lac était à 3809, 7 m d’altitude; c’est ce niveau que nous utilisons comme référentiel dans le cadre du projet 2012–2014.
4.3.3. Stratégies d’interventions subaquatiques
• prospection visuelle in situ pour consigner les observations de la morphologie du fond lacustre afin de sélectionner les futures zones d’implantation des sondages, • prospection géophysique à l’écho sondeur et relevés subaquatiques pour élaborer la topographie du site, • fouilles archéologiques.
Les opérations sur le terrain ont été réalisées en différentes étapes:
En fonction de la géomorphologie du littoral (4.3.1) et de la thématique des fluctuations du lac durant la période Tiwanaku (4.3.2), nous avons privilégié l’étude du secteur du débarcadère en L du 19e siècle. Ce choix a été confirmé suite aux résultats positifs des prospections visuelles effectuées in situ sur le site avec la localisation d’une ancre ancienne (Figure 3.7), par la suite datée de la période inca, et la présence de quelques fragments de céramiques « anciens » et érodés. Nous avons consacré vingt-et-un
Nous avons réalisé douze sondages de 2 m de côté (4 m2) pour une superficie totale d’intervention de 48 m2
-2
Fondation structure inca observée par Squier?
-4
-6
-8
#9
INCA
Coupe 4
#8 #10 #11 #12 PUNCU 2
Chemins Concentration de pierres à - 4 m -2
-6 -8
Structures 19e siècle -2 -4
- 12
#5 #7
-6
#3
- 14 - 16 - 18
#1
#6 #4
- 20 PUNCU 1
#2
-8 - 10
- 10
Coupe 3
Coupe 1
- 22
0
Coupe 2
Figure 4.5. Puncu – localisation des 12 sondages réalisés en 2014 [ULB] (Projet PH14 / L. Masselin – C. Delaere).
60
- 24
20m
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.6. Puncu – coupes 1 [#5-#3-#1], 2 [#6-#4-#2], 3 [#7] et 4 [#8-#11-#10-#12].
61
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie (fouilles) et de 3600 m2 (prospections). Les opérations se sont concentrées sur deux secteurs distincts:
implanté plusieurs sondages qui suivent le même axe afin d’obtenir non seulement une meilleure représentativité du site en terme de superficie (Figure 4.5), mais également en terme d’élévation (Figure 4.6). L’orientation des opérations n’est pas déterminée selon les points cardinaux, mais selon la configuration dominante du fond lacustre avec d’un côté la partie en amont (vers la berge) et de l’autre la partie en aval (vers le lac). La numérotation des sondages (#) correspond à la chronologie d’implantation de ceux-ci à travers les secteurs de fouilles:
• Puncu 1: ce secteur est situé dans la partie méridionale du cap qui forme l’extrémité sud-est de l’île du Soleil. Nous y avons implanté sept sondages en contrebas de la structure immergée en L en suivant trois axes qui respectent la dénivellation principale du fond lacustre: les coupes 1, 2 et 3 (Figure 4.5). Le pendage du secteur est abrupt car nous enregistrons un dénivelé de 20 m sur une longueur de 40 m (inclinaison de 26,5°) depuis le rivage vers le large (en direction de Yampupata de l’autre côté du détroit). • Puncu 2: ce secteur est situé dans la partie orientale du cap. Nous y avons implanté cinq sondages au niveau d’une anomalie qui se caractérise par une concentration de pierres de 2 m de largeur, à 4 m sous l’eau. Celleci peut théoriquement correspondre aux marques d’un paléo-rivage et nous avons dès lors choisi d’implanter quatre sondages successifs de manière à former une tranchée: la coupe 4 (Figure 4.5). Le pendage du secteur est beaucoup plus faible car nous enregistrons un dénivelé de 9 m sur une longueur de 40 m (inclinaison de 12,7°) depuis le rivage vers le large (en direction de l’îlot de Chelleca de l’autre côté de la passe).
• Puncu 1: les sondages #1 et #2 ont été implantés entre 8 et 10 m de profondeur, les sondages #3 et #4 entre 4 et 6 m de profondeur, et les sondages #5 et #6 entre 3 et 4 m de profondeur. En suivant deux axes distincts — la coupe 1 (#1-#3-#5) et la coupe 2 (#2-#4-#6) — ils permettent de documenter toute l’accumulation sédimentaire accumulée entre 4 et 10 m de profondeur. Grâce à cette stratégie, nous pourrons par la suite effectuer des projections sédimentaires sur les paliers de profondeur non fouillés. À la fin des opérations, nous avons décidé d’implanter un dernier sondage #7 pour compléter les données entre 2 et 3 m dans un secteur où le fond lacustre est constitué d’un plateau avant de tomber abruptement vers le grandes profondeurs: la coupe n°3. • Puncu 2: les sondages #8 et #10 ont été implantés respectivement au-dessus et en contrebas de l’anomalie consistant en une concentration de pierres. Nous avons ensuite effectué la jonction avec le sondage #11 et prolongé la zone d’intervention avec le sondage #12 dans la partie en aval. Ces derniers forment une tranchée de 2 m de large x 8 m de long dont la partie amont est située à 3,4 m de profondeur (+340) et la partie aval à 5,5 m (+550) (Figure 4.6 / coupe n°4). Au début des interventions, le sondage #9 a été implanté à 4,5 m au nord de la tranchée pour compléter les données entre 1 et 2 m de profondeur.
Le secteur de Puncu 1 se trouve à une distance de 1900 m au nord de la baie de Yampupata située de l’autre côté du détroit et les profondeurs dépassent rapidement les 150 m. Il est connecté par un chemin [inca] à une habitation contemporaine surplombant une « plate-forme » dont les pierres de taille et la morphologie pourraient correspondre aux fondations de l’édifice inca de ‘Puncu’ observé par Squier en 1864–1865 (Figures 4.5). Puncu 2 se trouve à une distance de 260 m à l’ouest de l’îlot de Chelleca. Les profondeurs ne dépassent pas les 18 m et forment un large plateau sédimentaire recouvert d’algues. Nous avons par conséquent deux types de rivages au niveau du cap (cf. chapitre 1): Puncu 1 se caractérise par un littoral dont l’assise s’enfonce rapidement dans le lac (± 70 % des côtes du Titicaca) tandis que Puncu 2 se caractérise par un faible dénivelé (± 30 % des côtes du Titicaca). Cette indication s’avère de grand intérêt au vu de la nature et l’appartenance culturelle des artefacts découverts dans les sondages; l’on notera en effet des différences entre ces deux secteurs.
4.4. Puncu 2 (Sondages #8, #11, #10 et #12) 4.4.1. Morphologie et description des sondages La tranchée de fouille comprenant les sondages #8, #11, #10 et #12 (de l’amont vers l’aval) a été implantée à 15 m du bord, sur un plateau sédimentaire compact. Le fond lacustre était recouvert par un substrat sédimentaire volatile et une couverture végétale homogène (« tapis d’herbes »), excepté au niveau du futur sondage #11 qui était recouvert par cet agglomérat de pierres de facture naturelle. La nature très dense de l’accumulation sédimentaire a non seulement permis de réaliser la fouille « proprement » sur 2 x 8 m, mais a également révélé une stratigraphie cohérente, comme en témoignent les photographies du sondage #8 (Figure 4.7).
La morphologie naturelle du fond lacustre de Puncu fait du site une zone d’étude privilégiée. En effet, lorsque le pendage est important, le fond est susceptible d’avoir été « marqué » par les fluctuations du lac qui, lors des variations, entaillent le littoral. Par ailleurs, une pente abrupte est idéale pour localiser du matériel anthropique, car s’il y a un dépotoir portuaire, l’érosion « grignote » celui-ci, rejetant en contrebas des pentes des fragments de céramiques roulées. Au regard du taux de sédimentation important au lac, cette caractéristique est par conséquent un atout. Afin d’identifier des « preuves matérielles » des différents paléo-rivages potentiels du Titicaca, nous avons
L’enregistrement de la fouille a été effectué sous forme d’unités stratigraphiques (US). Cette stratégie n’est toutefois pas toujours possible dans d’autres secteurs du lac Titicaca, notamment celui de l’arrecife de Khoa fouillé 62
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.7. Puncu 2 – photos du sondage #8, partie amont, et détail de la coupe [début de la fouille]. (Projet PH14 / Photos C. Delaere).
Dans le cas présent, les résultats issus de la fouille révèlent qu’il s’agit d’un agglomérat de pierres naturelles situées sur une ligne littorale (paléo-rivage), mais dont l’existence est bien d’origine anthropique. Il ne s’agit ni d’un mur ni d’une structure maçonnée, mais plutôt d’un aménagement ancien du rivage visant, d’une part, à renforcer celui-ci (contre les fluctuations du lac?), et, d’autre part, à délimiter un espace intermédiaire relativement plane.
en 2013 (codification en loci); elle dépend principalement de la densité du sédiment et des facteurs d’érosion mécanique (courant lacustre) ou biologique (faune et flore). L’accumulation sédimentaire se caractérise ensuite par une alternance de couches végétales de couleur plus sombre et de couches minérales de couleur claire composées d’éclats de pierres et de sédiment détritique issu de l’érosion des roches (Figure 4.7). Ce constat est quasi systématique dans les douze sondages réalisés à Puncu, et facilite non seulement l’enregistrement de la fouille mais également celle des artefacts associés. Excepté la première unité stratigraphique (US 1A et 1B), beaucoup plus épaisse, toutes les autres sont minces et colmatées par les niveaux supérieurs.
Cette hypothèse est non seulement confirmée par la présence d’artefacts paléo-terrestres en dessous de cet amoncellement (céramiques roulées), mais également au sein de celui-ci; ces artefacts sont majoritairement datables de la période Tiwanaku. Il s’agit principalement de fragments de céramiques utilitaires, mais aussi de fragments d’ossements et d’objets atypiques en pierre façonnés en grès rouge (arenisca), un grès dont la couleur rouge contraste avec les résidus détritiques. Un second argument permet d’étayer le caractère anthropique de cette anomalie topographique: celle-ci est attestée uniquement dans ce secteur, alors que d’autres portions du littoral où la géomorphologie du fond lacustre est identique (profondeur, inclinaison et orientation) ne possèdent pas d’agglomérats de pierre à ce palier de profondeur. Si de tels alignements de pierres étaient issus d’un phénomène naturel, cette caractéristique serait beaucoup plus systématique sur tout le cordon littoral. Enfin, les relevés en coupe montrent que la nature de l’accumulation sédimentaire a été conditionnée par cet aménagement, et non l’inverse. Nous observons en particulier un phénomène d’érosion de cet amoncellement vers l’aval; en effet, l’inclinaison des pierres suit une trajectoire différente de la trame stratigraphique générale. En exemple, l’US 5 offre une inclinaison naturelle du fond lacustre de 8,1°, alors que l’amoncellement de pierre forme presque un plateau horizontal de 3° en amont de celui-ci. Cet aménagement a généré un décrochage en rupture avec le reste de la stratigraphie (Figure 4.8).
Dès la première plongée de reconnaissance dans le secteur de Puncu 2, nous avons en réalité directement observé et identifié deux anomalies topographiques, a priori connectées entre elles. Il s’agit d’alignements de pierres naturelles de 20 à 50 cm de diamètre, amoncelées sur ± 2 m de largeur, à une profondeur constante de 4 m, et parallèles au cordon littoral actuel. Le premier alignement traverse notre secteur de fouilles au niveau du sondage #11 et se poursuit sur une longueur de 16 m; le deuxième a été localisé dans la continuité du premier, à 10 m de celui-ci, en direction de la zone de jonction avec le secteur de Puncu 1 (Figure 4.5). Ces deux anomalies sont partiellement enfouies sous le sédiment, la couverture végétale et des éboulements. La stratégie d’étude dans ce secteur a par conséquent été motivée par ces observations. Nous avons implanté le sondage #8 en amont du premier alignement et le sondage #10 en aval de celui-ci. L’identification d’une couche stérile homogène dans la coupe amont du sondage #10, en dessous de l’amoncellement de pierres, a justifié le percement de ce dernier via le sondage #11 pour établir la jonction avec les sondages #8 et #10 (Figures 4.6 / coupe n°4). Lors des anciennes missions de plongées, ce type d’anomalie a souvent été interprété comme des ruines.
Nous avons identifié dix unités stratigraphiques distinctes en amont de l’agglomérat de pierre, et sept unités 63
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.8. Puncu 2 – coupe des sondages #8-#11-#10-#12 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après F. Laurent).
stratigraphiques en aval de celui-ci. La composition du sédiment est la suivante (Figure 4.8):
encore été compressée par des dépôts ultérieurs. Ensuite, l’US2 (couche anthropique), associée à l’amoncellement de pierres, est attestée sur toute la longueur du sondage, de même que l’US5 (couche stérile) qui a recouvert dans le passé tout le secteur d’une couche homogène de type lacustre (niveau d’eau plus élevé). Enfin, l’US10 située juste au-dessus de la roche-mère est principalement composée de débris organiques bien conservés. Il s’agit en réalité d’une ancienne couverture végétale terrestre d’un espace littoral qui a subitement été inondé par les eaux du lac en générant des conditions d’anaérobie rapide, ce qui a permis de conserver des fragments de bois encore garnis de leur écorce (Figure 4.8).
• US1a: Système racinaire dense et vivant, sable grossier et graviers de densité moyenne • US1b: Racines en décomposition (45%), sable grossier (45%) et cailloutis (10%) • US2: Sable grossier, graviers et cailloutis (50%), pierres au diamètre de 8 à 25 cm (50%) • US3: Matrice de matte (50%), sable grossier et limon fin et gris (50%) • US4: Sable grossier, gravier et cailloutis (60%), pierres au diamètre de 4 à 8 cm (40%) • US5: Matte en lattis (50%), limon gris fin et collant et sable grossier (50%) • US6: Sable grossier et quelques pierres au diamètre de 3 à 6 cm (100%) • US7: Vase et sable fin mélangé à du lattis • US8: Sable grossier, graviers au diamètre de 5 à 6 cm, gastéropodes et fragments de bois • US9: Sable grossier, rare gravier et nombreux gastéropodes mélangés au lattis • US10: Graviers, cailloutis, sable grossier et pierres au diamètre de 10 à 20 cm. Présence de bois écorcé et de branchage à ce dernier niveau avant la roche-mère • R-M: Roche-mère atteinte dans les deux sondages de l’amont (#8 et #11)
Les observations suivantes sont importantes car elles permettent de comprendre à la fois la nature de l’accumulation sédimentaire et la nature de l’espace. Premièrement, les niveaux archéologiques sont exclusivement conservés dans les couches minérales (US2, US4, US6, US8, US10); les couches vierges, quant à elles, sont exclusivement organiques (US1, US3, US7, US9) (Figure 4.8) où les couches archéologiques sont représentées en couleur sombre). Deuxièmement, certaines couches sédimentaires sont plus épaisses en amont, notamment dans le sondage #8, et s’amenuisent progressivement pour former un « > » en aval. Cette morphologie est typique du phénomène de ressac présent sur les espaces littoraux: il s’agit de paléo-rivages.
En d’autres mots, l’US1a et l’US1b correspondent respectivement à la « croûte superficielle » du fond lacustre sur laquelle est accrochée la couverture végétale actuelle et à la couche organique superficielle qui n’a pas
Le ressac, également appelé « courant d’arrachement », est un flux d’eau qui retourne vers le large après que la vague se soit écrasée sur la côte. L’érosion des (paléo) 64
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) rivages est par conséquent beaucoup plus active au niveau du point d’impact de celle-ci (zone swash). En fonction des conditions climatiques et du niveau du lac, ce courant va retirer le sédiment du littoral de manière cyclique pour former de nouveaux dépôts, qu’ils soient d’origine naturelle (sable) ou anthropique (artefacts). Les céramiques roulées documentent principalement les lits de rivières et les zones de rivages. La présence de telles céramiques est systématique dans le sondage, et notamment dans les couches profondes; les fragments en céramique sont scellés sous presque 200 cm de sédiments (paléorivage). Ces couches archéologiques paléoterrestres ont été décapées et attirées dans le passé vers le lac avant d’être (re)déposées en couches homogènes du point de vue sédimentaire, mais hétérogènes du point de vue archéologique. Ce processus est encore observable aujourd’hui sur les plages du lac Titicaca, avec notamment la présence de fragments de briques contemporaines roulés sur la zone d’arrachement.
amont (+480) et 4,5 m en aval (+450) (Figure 4.9). Le sondage #9 se situe à 6 m au nord-est d’un débarcadère moderne, juste avant une pente abrupte qui plonge dans la direction nord-est (Figure 4.5). On se trouve là à l’extrémité nord du site de Puncu, à la jonction avec le début de la baie qui abrite le site de Pilko Kayma daté de la période inca; ce sondage délimite probablement le secteur archéologique. Seuls quatre fragments de céramiques de la période Altiplano (1150–1430 PCN) ont été découverts dans l’US1b et l’US2. La majorité des artefacts en céramique de ce secteur proviennent par conséquent des sondages #8 à #12 que nous détaillerons ci-dessous. Toutefois, bien que le sondage #9 soit presque stérile, il n’est pas exclu que les couches sensibles soient plus profondes. L’US2 comprend en effet des blocs issus d’effondrements des berges de la rive, qui subissent à cet endroit une érosion importante; par ailleurs, l’US3 n’a pas été atteinte. La profondeur maximum du sondage est de 130 cm. Nous avons identifié trois unités stratigraphiques distinctes dont la composition du sédiment est la suivante (Figure 4.9):
La stratigraphie de la coupe #8 à #12 documente par conséquent une partie de l’histoire des fluctuations du lac à travers le temps. Les couches minérales conservent du matériel archéologique déposé en contexte secondaire lors de différents événements d’érosion du secteur (niveau bas du lac), et les couches organiques documentent une sédimentation naturelle de type lacustre (niveau élevé du lac). Au point de vue de la taphonomie, nous observons toutefois que la majorité des artefacts en céramique conservés en amont (sondages #8 et #11) sont érodés, roulés et de petite taille (≤ 3 cm), tandis que les fragments de céramiques conservés en aval (sondages #10 et #12) sont moins érodés et de plus grande dimension (≤ 25 cm). En d’autres mots, les fragments en amont sont typiques d’un espace littoral érodé (paléo-terrestre) et les fragments en aval d’un espace immergé (paléo-lacustre).
• US1a: Système racinaire dense et vivant, sable grossier et graviers de densité moyenne • US1b: Matrice constituée de sable fin et grossier (70%), graviers et cailloutis (30%). Deux fragments d’artefacts ALT (1150–1430 PCN), dont un fragment de cuenco. • US2: Blocs de pierre de ∅ 10 à 60 cm colmatés dans une matrice de sable grossier, gravier et cailloutis. Deux artefacts en céramique ALT (1150–1430 PCN), dont un fragment de cuenco. 4.4.2. Nature et distribution des artefacts Tout le matériel archéologique a été analysé plusieurs mois après la fouille. La chaîne opératoire est en effet adaptée au contexte subaquatique et tributaire des opérations de conservation préventive nécessaires à la stabilisation
Bien que la totalité des artefacts paléo-terrestres soit conservée dans des couches secondaires, nous pouvons émettre des hypothèses sur l’emplacement d’origine de la couche archéologique avant qu’elle soit décapée par le lac. Le ressac déplace en effet les matériaux de densité plus faible, comme les céramiques et les ossements animaux ou humains, alors que les matériaux les plus denses « s’enfoncent » verticalement sur place. On retrouve par exemple des percuteurs en pierre, des tupus en métal et des lests de pêche, mais exclusivement dans les couches inférieures. Ce matériel ne s’est pas déplacé horizontalement: c’est le ressac qui a sapé le sédiment sous les objets, et ceux-ci se sont retrouvés de plus en plus enfouis, parfois jusqu’à la roche-mère où ils se sont coincés dans des fissures. Les artefacts paléo-lacustres sont plus homogènes car certains fragments céramiques appartenant au même individu ont été découverts dans un espace restreint. Pour clôturer nos descriptions du secteur, notons que nous avons réalisé le sondage #9 à 10 m au nord de la tranchée. Il a été implanté sur un plateau sédimentaire approximativement horizontal à 4,4 m de profondeur en
Figure 4.9. Puncu 2 – coupe stratigraphique du sondage #9.
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie étaient soit protégés, soit scellés par ces blocs lors des mutations du littoral.
du matériel. Les artefacts et écofacts sont restés sous l’eau durant une longue période, dans des conditions de conservation idéale: sans lumière, en anaérobie (absence d’O2) et à température constante (± 9°). La sortie de l’eau et le changement de milieu sont traumatisants pour le matériel archéologique. Celui-ci doit être nettoyé pour retirer les agents d’altérations (algues, concrétions), dessalé pour éviter que le sel se cristallise en séchant et éclate les pâtes céramiques (1 g de sel/litre d’eau), faire l’objet d’un séchage contrôlé par évaporation naturelle (2 mois), et enfin consolidé (responsables: A. Huybrechts et M.-J. Declerck).
L’attribution culturelle du matériel archéologique est principalement déterminée par l’analyse des fragments de céramiques qui représentent 98% des artefacts et par les datations 14C. Celle des fragments lithiques, en métal et osseux est déterminée par association aux fragments de céramiques et par la nature de l’accumulation sédimentaire. Les fragments de céramiques repérés durant la fouille sont isolés tandis que ceux issus des rejets de fouilles sont prélevés dans le tamis à la fin de chaque intervention par l’archéologue plongeur. La taille des fragments, variant entre ≤ 1 cm et 30 cm, est intégrée dans l’inventaire (Annexe 4.1). Le littoral est l’espace le plus fragile du bassin lacustre. Qu’elles soient saisonnières (annuelles) ou périodiques (pluriannuelles), les fluctuations du lac sont « extrêmement destructrices vu que les rivages font partie des paysages les plus dynamiques » (Halligan 2011: 51) (chapitre 2). Ces phénomènes naturels ont donc non seulement abîmé les anciennes berges, mais également les artefacts associés. Ceux-ci sont extrêmement endommagés.
Cette étape de stabilisation s’inscrit au sein d’une chaîne opératoire générale dont le déroulement permet d’analyser les contextes de découvertes après la fouille en recoupant à la fois l’analyse effectuée sur le terrain et celle effectuée sur le matériel archéologique. Ce constat est systématique en archéologie subaquatique; l’enregistrement des données in situ doit par conséquent être le plus complet possible pour mener à bien l’étude du dépotoir. Les différentes étapes sont les suivantes: (1) fouilles et convention d’enregistrement des artefacts au sein de la stratigraphie, (2) conditionnement des artefacts dans l’eau du lac jusqu’au laboratoire où les objets sont pris en charge par l’équipe de surface, (3) inventaire et photographie de chaque fragment et des ensembles d’artefacts, (4) opérations de conservation préventive, (5) Conditionnement des artefacts dans l’entrepôt de fouilles, (6) analyse des artefacts et des écofacts par lots et (7) Restauration des objets en vue de leur valorisation et de leur conservation définitive.
Les fragments de céramiques sont généralement de petite taille, dénaturés par l’érosion, fragmentés et l’engobe et l’iconographie ont disparu. Ce constat est l’une des principales difficultés de l’archéologie subaquatique: l’identification des types de formes et des affiliations est rendue plus difficile vu leur état de conservation. Par exemple, sur les 320 fragments de céramiques Tiwanaku issus de la tranchée (#8, #11, #10, #12), seuls les types de céramique appartenant à 163 fragments ont été identifiés (50,9%) (Fontenla 2014: 70–87). En d’autres termes, bien que l’attribution culturelle soit identifiée grâce aux caractéristiques morphologiques et technologiques, 50% des formes ne sont pas définissables.
Dès que les cinq premières étapes sont clôturées, l’analyse proprement dite du matériel peut débuter. L’étape analytique concerne principalement les deux types majoritaires de matériaux découverts sous l’eau: la céramique (responsable: R. Fontenla) et les ossements, qu’ils soient d’origine animale (faune) ou humaine (responsable: Dr J. Capriles). Les éléments et prélèvements organiques sont également conservés en vue de leur analyse isotopique (14C), ainsi que les prélèvements sédimentaires.
Dans l’état actuel de la recherche, les résultats issus de l’analyse des fragments de céramiques démontrent que le secteur de Puncu 2 est utilisé depuis au moins mille cinq cents ans, alors que celui de Puncu 1 l’est depuis plus de deux mille ans. Afin d’analyser l’histoire de l’occupation de ces deux secteurs, nous employons la chronologie formulée comme suit par Janusek (2003) (chapitre 1):
Au total, 504 artefacts et écofacts ont été mis au jour dans le secteur de Puncu 2: 370 fragments de céramique (73,4%), 119 fragments d’ossements (23,6%), 3 objets en métal dont une feuille d’or (0,6%), 4 éléments en pierre manufacturés (0,8%), 1 fragment circulaire perforé en céramique appartenant à une quenouille (0,2%), 7 éléments organiques ou prélèvements (1,4%).
• Période Formative Récente 1 [LF1] (200 ACN–300 PCN) • Période Formative Récente 2 [LF2] (300–500 PCN) • Période Tiwanaku [TIW] (500–1150 PCN) • Période Altiplano [ALT] (1150–1430 PCN) • Période Altiplano de style inca [ALT INC] (1400–1600 PCN) • Période Inca [INC] (1430–1532 PCN) • Période moderne [MOD] (1800–1950 PCN) • Indéterminé [IND] mais de style précolombien (200 ACN–1600 PCN)
Tous ces fragments d’objets et d’ossements proviennent donc de contexte secondaire, les couches ayant été remaniées dans le passé lors d’événements cycliques d’immersion (hausse du niveau d’eau) ou d’émersion (baisse du niveau d’eau) de l’espace littoral. Excepté quelques rares exemples, les artefacts sont généralement mis au jour de manière isolée, un par un, mélangés de manière hétérogène aux sédiments détritiques et aux cailloux. Certaines poches sédimentaires protégées par des blocs de plus grande taille possédaient toutefois une concentration plus importante de fragments. Ceux-ci
Pour revenir à Puncu 2, le matériel céramique (73,4%) et les ossements (23,6%) constituent ensemble la majorité du dépotoir archéologique du secteur: 66
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.10. Puncu 2 – sondages #8-#11-#10-#12: distribution des fragments de céramique par sondage.
oiseaux lacustres (4,8%), 14 à des batraciens (16,6%) et 6 à des poissons (7,1%). (Capriles 2014: 88–96) (Figure 4.11) (inventaire: Annexe 4.2).
• Céramique: sur les 370 fragments, nous comptabilisons 320 fragments Tiwanaku (86,5%), 29 fragments Altiplano (7,8%), 4 fragments Altiplano inca (1,1%), 12 fragments Inca (3,25%), 1 fragment moderne (0,25%) et 4 fragments indéterminés (1,1%) (Fontenla 2014: 70–87). Bien que la présence de l’homme soit attestée dans ce secteur de manière continue depuis 500 PCN jusqu’en 1600 PCN, la majorité du dépotoir, associé aux aménagements de renforcement de l’espace littoral (l’alignement de pierres), date de la période Tiwanaku (Figure 4.10) (inventaire: Annexe 4.1). • Ossements: sur les 119 fragments ou éléments complets, principalement associés au dépotoir Tiwanaku, nous distinguons dans un premier temps 35 ossements humains et 84 ossements d’animaux. Sur ces derniers (100%), l’analyse taxonomique permet de distinguer 29 fragments appartenant à des camélidés (34,5%), 25 fragments appartenant probablement à des camélidés, mais classés dans la catégorie «macrofaune» à cause de la détérioration de l’os (29,8 %), 3 fragments appartenant à des cuyes ou cobayes (3,6%) et un de type «microfaune» (1,2%), 1 fragment appartenant à un cervidé (1,2%), 1 fragment appartenant à un mouton [moderne] (1,2%), 4 fragments appartenant à des
À partir des quatre sondages qui forment la tranchée de fouilles, en partant de l’amont vers l’aval, soit de gauche à droite, nous constatons que le nombre de fragments de céramiques diminue en direction du lac. Pour reprendre l’exemple des fragments de la période Tiwanaku (en vert sur la figure), nous comptabilisons respectivement 105 fragments [#8], 85 fragments [#11], 78 fragments [#10] et 52 fragments [#12] (Figure 4.10). En d’autres mots, plus on se rapproche de la berge actuelle, plus la concentration d’artefacts est importante. Finalement, excepté douze fragments de céramique de la période inca [INC], quatre de caractère inca [ALT INC] et un fragment moderne [MOD], la totalité du dépotoir est pré-inca (Figure 4.10). Ces résultats illustrent une utilisation dense de l’espace littoral dans ce secteur durant la période Tiwanaku; en proportion, la présence inca est presque « anecdotique ». La majorité des artefacts Tiwanaku en céramique découverts en amont (#8) est roulée; cela prouve également qu’il s’agit d’un espace terrestre qui a été inondé et érodé 67
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.11. Puncu 2 – sondages #8-#11-#10-#12: distribution des ossements et des datations 14C par sondage.
plusieurs fois durant la période Tiwanaku. Par conséquent, il ne s’agit pas seulement d’un espace utilisé durant cette période, mais également d’un espace d’occupation et d’activités associées au littoral. Dans le sondage #8, les cotes de profondeur de ces différents niveaux paléoterrestres (US) varient de 5,2 m (+520) à 3,6 m (+360). L’utilisation du littoral lacustre durant cette période était jusqu’à aujourd’hui totalement méconnue puisque la zone se trouve en réalité sous plus de 3 m d’eau.
Nous constatons que la totalité des ossements humains ont été mis au jour dans les couches sédimentaires inférieures: US6 et US10 pour les sondages en amont (#8 et #11), US8 et peut-être l’US10 pour les sondages en aval (#10 et #12). Par ailleurs, en observant la distribution des fragments de céramiques dans la coupe (Figure 4.10), nous constatons que 100% des artefacts et donc des écofacts situés en dessous de l’US5 appartiennent à la période Tiwanaku (500–1150 PCN). Les unités stratigraphiques depuis l’US6 jusqu’à l’US10 correspondent à des couches archéologiques paléo-terrestres remaniées par le lac durant différentes périodes de variation du niveau d’eau. L’origine des ces ossements humains ne correspond donc pas à des « noyades » ou des accidents puisqu’il n’y avait pas d’eau à ce palier de profondeur durant la période Tiwanaku: il s’agit de contextes funéraires aujourd’hui immergés (pas de pratique d’« inhumation » dans le lac).
Près de 65 % des ossements d’origine animale appartiennent à des mammifères de grande taille, probablement tous des camélidés; d’après les traces de découpe et de crémation (Capriles 2014: 88–96) relevées sur ces ossements, nous sommes assurés que leur présence au sein du dépotoir est d’origine anthropique. Le fragment de cervidé témoigne également de la diversité potentielle de la faune durant la période Tiwanaku. Ensuite, les 30% restants représentent la faune associée à l’écosystème: oiseaux lacustres, batraciens (grenouilles) et poissons. Leur présence est principalement d’origine naturelle (pas de trace de consommation), car ces ossements sont souvent mélangés aux sédiments lacustres déposés lors des périodes de niveau élevé de l’eau (interfaces organiques). Enfin, outre les quatre-vingt-quatre fragments d’origine animale, la présence, atypique au sein de ce type de dépotoirs, de trente-cinq ossements humains attire notre attention. La distribution de ces fragments dans la coupe apporte de nouvelles informations (Figure 4.11).
L’ensemble de l’accumulation sédimentaire paléo-terrestre conservant les tombes et les traces d’activités quotidiennes sur cet espace littoral a ensuite été décapé lors de différentes périodes de fluctuations du lac (US6 à US10). L’ensemble du secteur sera ensuite recouvert par une couche lacustre: l’US5 (niveau d’eau élevé). L’utilisation de l’espace littoral est encore méconnue, mais grâce à ces premiers résultats, nous envisageons la possibilité qu’il ne s’agit pas seulement d’un espace de transition entre la terre ferme et le lac, mais également un espace utilisé par l’homme, notamment dans le cadre de pratiques funéraires. L’analyse 68
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) des ossements permet de déterminer qu’ils appartiennent au moins (Nombre Minimum d’Individu) à un néonatal de ≤ 1 an, un enfant de ≤ 6 ans et un adulte d’âge et de sexe indéterminés (Capriles 2014: 89–91).
connectés entre eux dans les couches inférieures, nous pensons qu’il y a eu quatre événements de hausse et de baisse du niveau lac dans un intervalle de temps très court. La concentration d’artefacts dans les couches supérieures (US2) montre que l’occupation Tiwanaku était non seulement encore dense après que ce secteur ait été remanié par le lac, mais qu’il s’agit également d’un espace paléoterrestre. L’alignement de pierres correspond probablement à une réaction des insulaires vis-vis des fluctuations du lac: ils ont décidé de renforcer le littoral pour aménager et préserver un espace d’occupation et d’activités terrestres. Ensuite, les quelques fragments de céramiques incas et l’échantillon de charbon RICH-21579 (#8-US2) daté de 1498–1626 (1σ) ou de 1464–1635 PCN (2σ) prouvent que lors de la conquête et de l’occupation du bassin lacustre par les Incas (1430–1532 PCN), ceux-ci accéderont bien à l’île du Soleil via le secteur de Puncu. Les résultats issus des fouilles de Puncu 1 et détaillés dans ce qui suit montrent que Puncu 2 était totalement immergé durant cette période. Enfin, le dernier échantillon RICH-21584, daté de 46 ACN–60 PCN (1σ) ou de 56 ACN–113 PCN (2σ) (LF1), est en contradiction avec le matériel céramique associé (Tiwanaku), mais provient pourtant de l’US8 ou US10 du sondage #12. La roche-mère a seulement été atteinte en amont de la tranchée et nous pensons que l’occupation de cet espace a pu être plus ancienne.
Les secteurs de concentration des contextes funéraires domestiques de la période Tiwanaku découverts à l’île du Soleil et dans le bassin lacustre sont généralement situés à proximité des sites d’occupation permanente, mais plutôt dans des zones extra-muros. Seuls les secteurs résidentiels d’élite et cérémoniels intègrent dans leur enceinte des espaces dédiés aux pratiques funéraires, bien que les inhumations individuelles dans les fondations d’habitations domestiques soient relativement communes (Korpisaari 2006). La majorité des ossements découverts à Puncu 2 appartiennent à des individus juvéniles et à au moins un adulte. Nous envisageons la possibilité que, durant la période Tiwanaku, l’espace littoral ait été utilisé pour inhumer les individus qui ne possèdent pas encore de statut social, tels des enfants, mais également des adultes d’origine étrangère (pèlerins?). Car pourquoi seraient-ils enterrés à cet endroit? La présence d’ossements appartenant à un enfant découverts à Puncu 1 dans les couches inférieures Tiwanaku du sondage #5 pourrait confirmer cette hypothèse, bien que la superficie de nos interventions (48 m2) limite encore le caractère représentatif de cet espace. Six échantillons 14C permettent d’affiner les datations de ces différents planchers d’occupations. Il s’agit de fragments de charbon de bois et il n’y a donc pas d’effet réservoir sur ce type d’échantillon. Néanmoins, nous constatons que les datations obtenues sur quatre échantillons sont contemporaines et proviennent probablement de la même source (un seul foyer). Les échantillons de charbons RICH21580 (#8-US6), RICH-21581 (#8-US10), RICH-21582 (#11-US6) et RICH-21583 (#11-US8) sont respectivement datés de: • • • •
4.4.3. Identification et distribution de la céramique Tiwanaku Abstraction faite des fragments de céramique tardifs appartenant aux périodes Altiplano et inca, nous pensons que les niveaux inférieurs qui proviennent de la même couche érodée (US4, US6, US8, US10) appartiennent à la période Tiwanaku IV (500–800 PCN), tandis que les couches supérieures à la période Tiwanaku V (800–1150 PCN). L’US4 exceptée, les activités et les occupations associées à ces deux périodes sont physiquement séparées par l’US5 (Figures 4.10 et 4.11, en couleur jaune). Les données suivantes permettent d’étayer cette hypothèse:
542–626 (1σ) ou de 500–644 PCN (2σ) 540–626 (1σ) ou de 480–643 PCN (2σ) 549–630 (1σ) ou de 520–648 PCN (2σ) 542–626 (1σ) ou de 497–644 PCN (2σ)
• Les assemblages des formes céramiques Tiwanaku sont distincts entre ces deux niveaux, non seulement en termes de représentativité des formes mais également en termes de proportion. • Certains types de formes (variantes) issues des couches inférieures ou supérieures appartiennent respectivement à la période Tiwanaku IV et Tiwanaku V. • La période de transition TIV–TV se caractérise par une période de mutation importante de la société Tiwanaku (chapitre 2). Nous pensons que l’événement de fluctuations importantes du lac qui ont remanié la totalité des couches inférieures de Puncu 2 peut théoriquement être l’une des causes contribuant à la crise de cette période.
Par conséquent, les couches archéologiques inférieures appartenant aux unités stratigraphiques US4 (artefacts associés), US6, US8 et US10 proviennent en réalité d’une seule couche archéologique paléo-terrestre au sein de laquelle étaient conservés des fragments de charbons issus d’un seul feu. La datation de celui-ci s’inscrit dans un intervalle de probabilité situé entre 549 et 626 PCN (1σ) ou 520 et 643 PCN (2σ). Jusqu’à cette date, le niveau du lac était donc au minimum situé à 5,2 m (+520) en dessous du niveau actuel. La concentration d’artefacts dans les couches inférieures montre toutefois que cette période d’activité a pu être relativement longue: cet échantillon correspond à une date à partir de laquelle (terminus post quem) aura lieu cet événement d’inondation. Vu que tous les artefacts, répartis dans quatre unités stratigraphiques distinctes en amont du sondage (US4–6-8–10), sont
Dans sa classification de la céramique Tiwanaku, Janusek (2003: 57) identifie quatorze types de formes, le quinzième type correspondant aux figurines (Figure 4.12). Nous 69
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Ollas (1)
Fuentes (9)
Tinajas (2)
Keros (3)
Sahumadores (10)
Escudillas (5)
Tazones (4)
Incensarios (11)
Cuencos (6)
Wako Retrato (12)
Vasijas (7)
Pedestal Bowl (13)
Restricted Bowl (8)
Kero Bassin (14) [prosopomorfo]
Figure 4.12. Typologie de la céramique Tiwanaku (500–1150 PCN) (d’après Janusek 2003a: 57, fig. 3.27).
utilisons cette typologie (cf. chapitre 2) pour identifier les artefacts issus de la fouille du secteur de Puncu 2.
fragments de ollas (17,5%), 17 fragments de tinajas (7,8%), 3 fragments de keros (1,35%), 3 fragments de cuencos (1,35%), 5 fragments de vasijas (2,3%), 19 fragments de sahumadores (8,7%), 22 fragments d’incensarios (10,1%), et 111 fragments Tiwanaku détériorés de forme indéterminée (50,9%).
Couches inférieures (US4-US6-US8-US10). À partir des 218 fragments de céramiques répartis entre les quatre sondages (Figure 4.13) nous recensons au total: 38
Figure 4.13. Puncu 2 – sondages #8-#12: distribution des formes céramiques Tiwanaku – couches inférieures [TIV].
70
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) En faisant abstraction des formes indéterminées, les ollas et tinajas correspondent à 83,6% de l’assemblage, les keros à 3,7% et les incensarios à 12,7%. Cette couche supérieure se distingue donc des couches inférieures, non seulement par la disparition des cuencos, vasijas et sahumadores, mais également par l’augmentation abrupte des deux premières formes. La proportion significative de tinajas est intéressante; effectivement utilisées pour le stockage et le transport de boissons fermentées, elles illustrent probablement la principale activité du secteur, l’importation et l’exportation de chicha grâce à la navigation, que ce soit à des fins économiques, sociales, politiques ou rituelles. Or, l’intensification tant des échanges et que de la production d’ollas et tinajas est typique de la période Tiwanaku V (800–1150 PCN) (Janusek 2003: 57–60) et, par ailleurs, indissociable des activités de commensalisme. Nous développerons la fonction de ces céramiques dans la discussion qui suit (point 4.6), et in fine la nature de l’utilisation de cet espace littoral Tiwanaku aujourd’hui immergé. Au préalable, nous présentons les formes céramiques et leur distribution dans la coupe (couches inférieures et supérieures).
Si l’on fait abstraction des formes indéterminées, les ollas et tinajas correspondent à 51,4% de l’assemblage, les keros et cuencos correspondent chacun à 2,8%, les vasijas à 4,7% et les sahumadores et incensarios à 38,3%. Une telle proportion de céramiques de cuisson, de stockage et de transport, les ollas et tinajas, se rencontre assez fréquemment dans le registre archéologique terrestre. Le plus surprenant dans cet assemblage est la proportion de céramiques cérémonielles, les sahumadores et les incensarios, qui atteignent presque 40%. Cellesci retiennent notre attention, vu que les offrandes subaquatiques documentées à Khoa en 2013 (chapitre 5) concernent exclusivement les incensarios. La présence de ceux-ci dans la zone d’accès à l’île peut donner des informations sur la circulation de cet objet (il ne s’agit pas d’offrandes sur Puncu). Nous constatons également que, plus on s’éloigne du rivage actuel (vers l’aval), plus la proportion de ollas augmente, alors qu’à l’inverse, celle des tinajas diminue (Figure 4.13). Cela pourrait indiquer une utilisation distincte de l’espace: stockage en amont et dépotoir en aval. Couche supérieure (US2). À partir des 102 fragments de céramiques répartis entre les quatre sondages (Figure 4.14) nous recensons au total: 23 fragments de ollas (22,55%), 23 fragments de tinajas (22,55%), 2 fragments de keros (1,95%), 7 fragments d’incensarios (6,85%), et 47 fragments Tiwanaku détériorés de forme indéterminée (46,1%).
Sur les deux niveaux confondus, seize fragments de ollas sur soixante-et-un isolats conservent encore, soit leur fond, soit leur bord avec ou sans anse (Figure 4.15 / olla), de même que cinq fragments de tinajas sur cinquante isolats (Figure 4.15 / tinaja). La distinction entre ces deux formes n’est pas toujours aisée lorsque les céramiques sont détériorées ou fragmentaires. Les ollas se caractérisent principalement par la présence régulière de deux anses
Cette couche se distingue également par l’absence d’ossement humains.
Figure 4.14. Puncu 2 – sondages #8-#12: distribution des formes céramiques Tiwanaku – couche supérieure [TV].
71
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
SONDAGE # 8
Olla - #8-US6/8 (P41)
SONDAGE # 11
SONDAGE # 10
Olla - #11-US2 (P94)
SONDAGE # 12
Olla - #12-US2 (P115) Olla - #10-US8 (P65)
Olla - #11-US2 (P98) Olla - #10-US8 (P69)
Olla - #8-US8 (P27)
Olla - #12-US2 (P111)
Olla - #11-US2 (P91) Olla - #10-US8/10 (P81) Olla - #12-US8 (P128)
Olla - #11-US2 (P92)
Olla - #10-US8/10 (P79) Olla - #12-US8 (P130)
Ollas
0
10cm
Olla - #10-US8 (P60) Olla - #11-US6 (P102)
Tinaja - #10-US2 (P53)
Tinaja - #11-US6 (P100)
Tinaja - #12-US2 (P119) Tinajas Tinaja - #10-US2 (P49)
0
10cm Tinaja - #12-US2 (P109)
Figure 4.15. Puncu 2 – fragments de céramiques de type olla et tinaja (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).
au niveau du col ou de la lèvre (P 65, 91, 94, 98, 102), ainsi que par sa forme trapue et globulaire (P 91, 102). Les tinajas, quant à eux, se distinguent principalement par leur forme plus convexe, la présence d’un bec verseur incurvé (P 53, 119) ou la présence d’un col cylindrique (P53) (Janusek 2003: 57–60). Cette forme est également plus élancée, tandis que la base est moins large (P 100, 109) (Figure 4.15). L’ensemble du matériel céramique est détaillé en Annexe 4.1 en prenant en compte à la fois le nombre de fragments, les connexions entre ceux-ci (P), leur contexte de découverte et leur identification.
couches supérieures (US2) du sondage #12: P119 et P109 (Figure 4.16). Dans l’état actuel de la recherche, il est impossible de déterminer le nombre minimum d’individus (NMI), car les différents fragments ne possèdent pas de connexion; en fonction de leur contexte de conservation, l’épaisseur et la couleur des pâtes céramiques sont distinctes alors que les fragments peuvent théoriquement appartenir au même individu. La distribution des fragments dans la coupe apporte par conséquent de nouvelles informations, car la proximité de certains fragments dans le sédiment autorise des rapprochements: les deux fragments de tinajas P49 et P53 (#10, US2), les deux fragments de ollas P65 et P69 (#10, US8) ainsi que les deux fragments de tinajas P109 et P119 (#12, US2) pourraient appartenir au même individu (fond + bord) (Figure 4.16).
Ces deux formes sont les mieux représentées dans le dépotoir, que ce soit dans les couches inférieures ou supérieures. Durant la période Tiwanaku V (800–1150 PCN), la forme des tinajas se standardise avec des épaules plus larges, des lèvres bien dessinées et un col cylindrique (Janusek 2003: 58–60). Cette dernière variante a été mise au jour dans les
Ensuite, sur les deux niveaux confondus, trois fragments de keros sur cinq isolats sont partiellement intacts (Figure 72
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.16. Puncu 2 – distribution des céramiques de type olla et tinaja dans les deux niveaux (TIW).
période Tiwanaku, on pouvait probablement trouver des fragments dispersés de céramiques sur l’espace littoral aujourd’hui immergé; certains d’entre eux auraient été réemployés. Enfin, la vasija miniature intacte (P132) est remarquable, car il s’agit d’un objet associé à l’élite ou à une fonction rituelle (chapitre 8); cette vaisselle, pourrait, à l’instar des incensarios, documenter la circulation des biens et des personnes.
4.17 / kero), un fragment de cuenco sur trois isolats est illustré (Figure 4.17 / cuenco), ainsi que trois fragments de sahumadores sur dix-neuf isolats (Figure 4.17, sahumador). Les keros sont facilement identifiables grâce à leur forme hyperboloïde et leur bord évasé, les cuencos se caractérisent par leur forme ellipsoïde et largement ouverte et les sahumadores par leur base annulaire surélevée (Janusek 2003: 60–63, 66–67, 70–71). Cette dernière forme, en l’absence de la partie supérieure, est toutefois difficilement distinguable des incensarios qui possèdent également ce type de base (cf. chapitre 6).
La présence du cuenco P125 (#12, US8) dans les niveaux inférieurs pourrait étayer l’hypothèse de l’attribution chronologique de ce niveau; d’après Janusek, en effet, cette forme est exclusivement attestée durant la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) et, en particulier, dans la baie de Lukurmata (2003: 66–67). La distribution des fragments dans la coupe permet également de supposer que les deux fragments de sahumadores P59 et P73 découvert dans une cavité (#10, US8) appartiennent au même individu. La vasija miniature P132, découverte intacte, a été localisée tout au fond du sondage (#12), protégée par une grande pierre. Comme la roche-mère n’a pas été atteinte en aval, nous pensons qu’il peut exister des couches plus profondes et plus anciennes (Figure 4.18). Les céramiques
Notons également la présence d’une applique circulaire en céramique perforée appartenant à une quenouille servant à filer la laine de lama ou d’alpaga (P77). Celle-ci a pu être perdue ou abandonnée par son propriétaire, mais pourrait également documenter un type méconnu d’activité sur cet espace littoral, tels le filage et le traitement de la laine. L’espace littoral constitue de ce fait espace adéquat en raison de la disponibilité en eau. Le façonnement de cet objet est intéressant; il s’agit en effet d’un cas de réutilisation d’un tesson de céramique Tiwanaku à parois épaisses, probablement une olla ou une tinaja. Durant la 73
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Sahumadores
Sahumador - #10-US8 (P73)
Sahumador - #10-US8 (P59)
Sahumador - #12-US8 (P126)
Kero Kero - #8-US2 (P14)
Kero - #11-US2 (P99)
Kero - #8-US4 (P34)
Rueca de huso - #10-US8/10 (P77) Cuenco Cuenco - #12-US8 (P125)
Vasija min. - #12-US8 (P132)
0
Figure 4.17. Puncu 2 – fragments de céramiques divers (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).
Figure 4.18. Puncu 2 – distribution des céramiques de service et sahumadores dans les deux niveaux (TIW).
74
10cm
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) de service sont extrêmement rares dans ce dépotoir; cela montre que les activités quotidiennes Tiwanaku, qu’elles soient associées aux espaces habités ou publics, sont absentes sur le littoral. Par ailleurs, seuls les cuencos et vasijas sont attestés dans les couches inférieures. Il ne s’agit probablement pas d’une coïncidence vu que ces formes sont localisées en connexion avec les ossements humains. Nous suggérons que ce type de vaisselle s’intégrait à l’origine au mobilier funéraire des tombes identifiées exclusivement aux niveaux inférieurs (Figure 4.13). Enfin, la présence de keros, au-delà de leur fonction, est également notable; en tant qu’objet individuel, le kero pourrait refléter la circulation des personnes de statuts sociaux différents entre l’espace insulaire et le continent.
portuaire inca ne trouve pas au même endroit que celui de la période Tiwanaku. • Période moderne [MOD] (1800–1950 PCN). Un fragment de céramique utilitaire contemporaine était associé à l’US2 du sondage #10. 4.5. Puncu 1 (Sondages #1 à #7) 4.5.1. Morphologie et description des sondages Le secteur de Puncu 1, situé dans la partie méridionale du cap qui forme l’extrémité sud-est de l’île du Soleil, a été fouillé avant le secteur de Puncu 2. Il correspond à la zone du débarcadère du 19e siècle en forme de L, aujourd’hui immergé entre 50 et 100 cm d’eau (Figure 4.2). Nous y avons effectué sept sondages en contrebas de la structure (Figure 4.5). Dès la première plongée de reconnaissance, nous avons effectué deux observations: premièrement, le dénivelé est abrupt et les profondeurs atteignent les 20 m à seulement 40 m du rivage actuel (inclinaison de 26,5°). Deuxièmement, quelques fragments « anciens » de céramique sont encore visibles sur le fond. L’objectif des interventions à Puncu 1 était avant tout de localiser le potentiel dépotoir portuaire: celui-ci a finalement été identifié dans le sondage #5, après dix jours d’intervention. Ce sont les résultats obtenus à Puncu 1, comme notamment la présence d’ossements humains sous 2 m de sédiment, qui nous ont amené à intervenir et à localiser le secteur de Puncu 2.
Après l’occupation et l’utilisation de cet espace littoral insulaire durant la période Tiwanaku (500–1150 PCN), quelques rares fragments de céramique, provenant tous des couches supérieures, attestent la présence de l’homme dans le secteur. Excepté, peut-être, à la période Altiplano, Puncu 2 était totalement immergé durant les périodes suivantes et les fragments de céramiques sont associés aux activités portuaires du site. • Période Altiplano [ALT] (1150–1430 PCN). Sur les vingt-cinq fragments de céramique, nous recensons au total: deux fragments de cuenco (8 %), deux fragments de cántaro (8 %), six fragments de fuente (24%) (Figure 4.19) et quinze fragments indéterminés (60%). Depuis l’amont vers l’aval, treize fragments proviennent du sondage #8, cinq du sondage #11 et sept du sondage #12 (Annexe 4.1). • Période Altiplano de style inca [ALT INC] (1400–1600 PCN). Les quatre fragments de céramique recensés appartiennent au type olla (100%). Il s’agit d’une tradition de production locale, mais avec une influence inca. Ils proviennent tous de l’US2 du sondage #11 (Annexe 4.1) et appartiennent sans doute au même individu. • Période Inca [INC] (1430–1532 PCN). Sur les douze fragments de céramique, nous recensons au total trois fragments de aribalo (25%) (Figure 4.19), un fragment de cántaro (1 %) et treize fragments indéterminés (66,65%). Depuis l’amont vers l’aval, sept fragments proviennent du sondage #8, deux du sondage #11, un du sondage #10 et deux du sondage #12 (Annexe 4.1). En d’autres termes, plus on s’approche de la berge actuelle, plus il y a de fragments. Ce constat, observé à Puncu 1 à une autre échelle, démontrera que l’espace
Le plateau sédimentaire de Puncu 1 est également très compact, mais se distingue de celui de Puncu 2 par une concentration de blocs d’effondrements à tous les niveaux, que ce soit en termes de superficie ou d’élévation stratigraphique, ainsi que l’illustrent les deux photographies du sondage #7 (Figure 4.20). Cette particularité aura des répercussions sur l’intervention et l’enregistrement des données; pour le dire autrement, le secteur correspond littéralement à « un énorme entassement de pierres ». Les nombreux blocs d’effondrement observés (et ceux des sondages) sont générés par la pente abrupte. Les sept sondages réalisés par nos soins suivent trois axes qui respectent chacun la configuration du fond lacustre. Cette stratégie permet de documenter tous les paliers de profondeur afin de localiser le dépotoir. Les sondages #1, #3, #5 constituent la première coupe (Figure 4.21), les sondages #2, #4, #6 la seconde (Figure 4.22) et le sondage #7 la troisième (Figure 4.23). La numérotation des sondages correspond à la chronologie
Période Altiplano
Fuente (ALT) - #8-US2 (P16)
Période Inca
Aribalos (INC) - #12-US2 (P123)
Aribalos (INC) - #8-US2 (P4)
0
10cm
Figure 4.19. Puncu 2 – fragments de céramiques Altiplano et Inca (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).
75
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.20. Puncu 1 – photos du sondage #7 (plan) et détail de la coupe [avant et début de la fouille].
Figure 4.21. Puncu 1 – coupe des sondages #5-#3-#1 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après F. Laurent).
de leur implantation. Nous avons décidé de débuter les interventions dans la zone située entre 8 et 10 m de profondeur (#1 et #2), puis de remonter progressivement vers la berge actuelle entre 4 et 6 m (#3 et #4) pour atteindre les zones moins profondes situées entre 3 et 4 m (#5 et #6). Le dernier sondage (#7) clôture les opérations à Puncu 1 dans la zone profonde de 2 à 3 m. La rochemère n’a jamais été atteinte dans ces sondages. Dans nos descriptions, nous serons attentif à la fois à la présence de galets et de céramiques roulées, car ils correspondent à des caractéristiques propres aux (paléo)rivages.
de sable qui s’enfonce rapidement vers les grandes profondeurs (vers l’aval et Yampupata). La profondeur maximum du sondage est de 70 cm: • US1: Matrice de sédiment sablo-limoneux colmatée par des algues. Sable fin et grossier, pierres de 10 à 15 cm de diamètre. Couche archéologique. • US2: Algues compactées (lattis) dans une matrice de sable, nombreuses pierres angulaires de 5 à 16 cm de diamètre. Couche archéologique • US3: Matrice de sable grossier, gravier et nombreux galets. Couche stérile. • US4: Matrice de sédiment sablo-limoneux, limon fin de couleur marron et nombreux fragments organiques en décomposition (lattis). Couche stérile.
a. Coupe n°1: #1, #3, #5 Le sondage #1 a été implanté à 8,2 m de profondeur en amont (+820) et 8,4 m en aval (+840 cm) sur un plateau 76
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) • US3: Matrice de racines, gravier et cailloutis de densité moyenne. Pierres de 20 à 40 cm de diamètre. Couche archéologique • US4: Matrice de racines, sable, gravier et cailloutis. Pierres de 5 à 15 cm de diamètre. Couche archéologique et présence partielle de céramiques roulées. • US5: Matrice de sable, gravier et cailloutis. Pierres de 10 à 25 cm de diamètre. Couche archéologique.
Le sondage #3 a été implanté à 5,5 m de profondeur en amont (+550) et 6,3 m en aval (+630). La profondeur maximum de l’intervention est de 60 cm: • US1a: Matrice de sable, gravier et cailloutis en faible densité. Présence de racines et de mousses entre des grands blocs de 50 à 60 cm de diamètre. Couche stérile. • US1b: Matrice de racine, mousse, gravier et galets. Couche stérile. • US2: Matrice de sable fin et grossier, quelques pierres de 5 à 10 cm de diamètre, gravier et cailloutis en grande densité. Couche archéologique et présence de céramiques roulées très endommagées. • US3: Pierres de 10 à 15 cm de diamètre dans une matrice de sédiment sablo-limoneux de couleur noire. Gravier en forte densité. Couche stérile. • US4: Matrice de sable fin et volatile, racines, cailloutis et quelques galets. Couche stérile.
Nous sommes en mesure d’établir quelques connexions préliminaires entre les trois sondages. Premièrement, nous constatons la présence de galets dans le sondage #1 (US3) et le sondage #3 (US1b et US4). Ces couches sont stériles et peuvent théoriquement être contemporaines (paléo-fond lacustre), en particulier l’US3-#1 et l’US4-#3. Ensuite, nous observons une alternance de couches minérales (gravier, etc.) et organiques (racines, mousse, etc.) dans le #3. Enfin, excepté le #5, tous les autres sondages sont stériles dès l’US3 (#1 et #3).
Le sondage #5 a été implanté à 4,4 m de profondeur en amont (+440) et 4,6 m en aval (+460), et à 6 m en contrebas de l’aménagement de la structure en L du 19e siècle. Contrairement aux sondages #1 et #3, le matériel archéologique attribué au préhispanique est très dense dans ce sondage. La profondeur maximum de l’intervention est de 130 cm:
b. Coupe n°2: #2, #4, #6 Si l’enregistrement des unités stratigraphiques de cette coupe est beaucoup plus détaillée, néanmoins la séquence n’est pas sans rappeler la trame générale observée dans la coupe #1-#3-#5. Cette zone se caractérise également par l’inclinaison très marquée du fond lacustre et l’omniprésence de galets dans les couches intermédiaires.
• US1: Matrice d’algues et de racines au-dessus de pierres de 10 à 15 cm de diamètre. Forte densité de sable grossier et de gravier. Couche stérile. • US2: Matrice dense de racines, sable et cailloutis. Pierres de 10 à 15 cm de diamètre. Couche archéologique et présence de céramiques roulées.
Le sondage #2 a été implanté à 8 m de profondeur en amont (+800) et 9 m en aval (+900). Le dénivelé du fond lacustre est donc très prononcé et ininterrompu jusqu’à 150 m de profondeur en direction de Yampupata. La profondeur maximum du sondage est de 90 cm:
Figure 4.22. Puncu 1 – coupe des sondages #6-#4-#2 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après J. Dez).
77
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie • US1a: Matrice de lattis, de sable fin et de pierres de 5 à 15 cm de diamètre. Couche stérile. • US1b: Matrice de sable fin, gravier et galets. Couche stérile. • US2a: Matrice de sable fin et de lattis. Couche archéologique et présence de céramiques roulées. • US2b: Matrice de sable fin, pierres inférieures à 10 cm de diamètre et galets. Couche stérile. • US3a: Matrice de sable fin, lattis et petits gastéropodes (mollusques). Ces derniers ressemblent à du « sable ». Couche stérile. • US3a: Matrice de sable fin, pierres et galets. Couche stérile. • US4: Pierres, sable fin et lattis. Couche stérile.
dénivelé accentué du fond lacustre favorise la création de galets. Ceux-ci sont à l’origine des résidus détritiques ou des éclats de roches dont le ressac et le courant arrondiront les angles. Le phénomène observé sur la céramique roulée est identique. Bien que le matériel céramique de l’US2a du sondage #2 (le plus profond) soit roulé, nous pensons qu’il provient en réalité des couches situées en amont (#3 et #5) qui ont été grignotées par l’érosion. Or, les premières couches exposées sont les plus tardives et appartiennent à la période inca (1430–1532 PCN). c. Coupe n°3: #7 Le dernier sondage se situe à l’ouest du secteur d’intervention, à 10 m du débarcadère en forme de L. Ce secteur se caractérise par un plateau immergé beaucoup plus large et de plus faible profondeur, entre 2 et 3 m, par rapport aux autres zones de Puncu 1 (partiellement recouvert par la structure en L). Ce plateau s’étend toutefois vers l’ouest; en théorie, il est propice à être utilisé par l’homme, car les lignes de rivages anciens seraient plus éloignées du littoral actuel.
Le sondage #4 a été implanté à 4,4 m de profondeur en amont (+440) et 4,5 m en aval (+450). Le fond lacustre est donc quasi horizontal dans cette zone. La profondeur maximum du sondage est de 150 cm: • US1a: Matrice de lattis, pierres inférieures à 20 cm de diamètre. Couche archéologique. • US1b: Matrice de sable fin, gravier et galets. Pierres inférieures à 10 cm de diamètre. Couche stérile. • US2a: Matrice de sable fin et gravier. Pierres inférieures à 15 cm de diamètre. Couche archéologique et présence de céramiques roulées. • US2b: Matrice de gravier et présence de galets. Couche stérile. • US3a: Matrice de sable et de gravier. Pierres inférieures à 15 cm de diamètre. Couche stérile. • US3b: Matrice de gravier, sable et galets. Couche stérile. • US4: Pierres de 30 à 60 cm de diamètre dans une matrice de gravier, cailloutis et sable. Couche stérile.
Le sondage #7 a été implanté à 2,6 m de profondeur en amont (+260) et 2,8 m en aval (+280). La profondeur maximum du sondage est de 130 cm: • US1: Matrice de racines et de sable, pierres de 10 à 30 cm de diamètre. Couche stérile. • US2: Matrice de gravier, sable et galets (a), dont la base est constituée de sable et de matière organique en décomposition (b). Couche archéologique, céramiques roulées. • US3: Matrice de sable et de lattis, pierres de 10 à 30 cm de diamètre, dont une pierre de taille en andésite de la période inca. Couche archéologique. • US4: Matrice de sable et gravier (a), dont la base est constituée de lattis et de sédiment sablo-limoneux de couleur grise (b). Couche archéologique, céramiques roulées. • US5: Matrice constituée d’une concentration dense de pierres de 10 à 60 cm de diamètre conglomérées dans une matrice de sable gris, gravier et lattis. Couche stérile. • US6: Seule la partie supérieure de cette unité a été dégagée et se caractérise par la présence d’un os long de camélidé. Couche archéologique.
Le sondage #6 a été implanté à 2,8 m de profondeur en amont (+280) et 3,2 m en aval (+320). La profondeur maximum du sondage est de 100 cm: • US1: Matrice de matière organique (algues) et de gastéropodes. Pierres inférieures à 30 cm de diamètre. Couche archéologique (moderne). • US2: Matrice hétérogène de sable, gravier, galets, lattis et pierres pouvant atteindre les 40 cm de diamètre. Couche archéologique et présence de céramiques roulées. • US3a: Matrice de sable et de lattis. Couche archéologique. • US3b: Matrice de sable, de gravier et de galets. Couche stérile. • US4: Matrice de sédiment crayeux de couleur ocre, gravier, galets. Pierres inférieures à 10 cm de diamètre.
4.5.2. Nature et distribution des artefacts Au total, 957 artefacts et écofacts ont été mis au jour dans le secteur de Puncu 1: 767 fragments de céramique (80,1%), 182 fragments d’ossements (19,1%), aucun objet en métal (0%), 7 éléments en pierre manufacturés (0,7%), et 1 prélèvement organique (0,1%).
La trame stratigraphique est beaucoup plus explicite dans cette coupe grâce à la présence de galets. Ceux-ci constituent la base des trois premières unités stratigraphiques: 1 b, 2 b et 3 b (# 2 et #4). Nous pensons que leur présence est liée à la morphologie de cette zone: elle est en effet beaucoup plus vulnérable à l’érosion mécanique et le
Tous ces fragments d’objets et d’ossements proviennent, comme à Puncu 2, de contextes secondaires perturbés dans le passé par les fluctuations du lac. L’alternance de couches érodées — des paléo-plages ou paléo-rivages (galets) — et de couche sédimentaires —accumulation 78
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.23. Puncu 1 – coupe du sondage #7 [fin de la fouille] (Projet PH14 / d’après J. Dez).
naturelle — témoigne d’un phénomène cyclique naturel de baisse et de hausse du niveau d’eau du lac au fil du temps. La présence d’artefacts dans certaines couches (US) offre donc une opportunité de localiser et de dater les différents paléo-rivages, ainsi que d’identifier sa fonction ancienne. Vu, d’une part, la nature de l’accumulation sédimentaire, très compacte en raison de l’entassement de pierres, et, d’autre part, l’inclinaison du fond lacustre (≤ 26,5°), le matériel archéologique est également extrêmement endommagé. Toutefois, dans ce secteur, certains fragments de céramiques de la période inca possèdent encore leur engobe et leur iconographie.
lacustres (5,1%), 5 de batraciens (2,8%), 1 de poisson (0,5%) et 1 bivalve autochtone (0,6%) (Capriles 2014: 88–96) (Annexe 4.2). Afin d’optimiser la présentation des résultats, nous présentons d’abord la nature et la distribution des artefacts des sondages #2, #4 et #6 (coupe n°2), ensuite celle du sondage #7 (coupe n°3) et enfin celles des sondages #1, #3 et #5 (coupe n°1). L’ensemble du dépotoir, en comparaison avec celui de Puncu 2, montre que l’utilisation de ce secteur est de plus longue durée, du pré-Tiwanaku au post-Tiwanaku, là où, en outre, l’occupation est plus dense encore.
Le matériel céramique (80,1%) et les ossements (19,1%) constituent à eux deux la majorité du dépotoir archéologique du secteur (99,2%):
Coupe n°2: #2, #4, #6 D’après les trois sondages qui documentent la coupe à des intervalles de profondeurs distincts, en partant de l’amont vers l’aval [de gauche à droite], nous constatons que le nombre de fragments de céramique diminue en direction du lac: 47 fragments dans le sondage #6, 24 fragments dans le sondage #4, 5 fragments dans le sondage #2 (Figure 4.24).
• Céramique: sur les 767 fragments, nous comptabilisons 16 fragments de la période LF1 (2,1%), 48 fragments de la période LF2 (6,25%), 359 fragments Tiwanaku (46,8%), 233 fragments Altiplano (30,35%), 23 fragments Altiplano inca (3%), 71 fragments incas (9,3%), 10 fragments modernes (1,3%) et 7 fragments indéterminés (0,9%) (Fontenla 2014: 70–87) (Annexe 4.1). • Ossements: sur les 182 fragments ou éléments complets, nous distinguons dans un premier temps 3 ossements humains (#5) et 179 ossements d’animaux. Sur ces derniers (100%), l’analyse taxonomique permet de distinguer 107 fragments appartenant à des camélidés (59,8%), 45 fragments de macrofaune appartenant probablement à des camélidés (25,1 %), 2 fragments de cuyes (3,6%) et 2 de microfaune (1,2%), 1 fragment appartenant à un canidé [ancien] (0,6%), 6 fragments de mouton(s) [moderne] (3,3%), 9 fragments d’oiseaux
Cette densité décroissante est commune aux deux secteurs (Puncu 1 et 2); en effet, plus on se rapproche du littoral actuel, plus la densité des artefacts augmente, vu que le(s) dépotoir(s) portuaires(s) se situe(nt) plus en amont. Nous pouvons également formuler plusieurs observations. Premièrement, la densité d’artefacts en céramique est relativement faible: nous comptabilisons au total soixanteseize fragments dans les trois sondages. Cette zone a donc été moins utilisée par l’homme dans le passé. Deuxièmement, il n’y a pas d’artefacts relatifs à la période Tiwanaku dans le sondage #2 (en aval). Celui-ci a livré 79
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.24. Puncu 1 – sondages #6-#4-#2: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés.
trois fragments de céramique inca qui sont, par ailleurs, roulés et proviennent probablement de l’érosion des couches archéologiques situées en amont. Enfin, excepté un fragment de céramique inca, la totalité des artefacts du sondage #4 (intermédiaire) appartient à la période Tiwanaku, alors que les fragments du sondage #6 (en amont) sont hétérogènes: Tiwanaku et inca. Cette dernière constatation est notable: la céramique roulée Tiwanaku du sondage #4 pourrait appartenir à un paléo-rivage, alors que les fragments de céramique incas du sondage #6 ne sont pas roulés.
de l’archéologie subaquatique, cette observation est en réalité commune. La présence de stratigraphie inversée ou de stratigraphie hétérogène d’un point de vue chronologique s’explique par les conditions particulières des espaces fluviaux, lacustres ou maritimes. Par exemple, dans les lits de rivières, le courant peut saper la base des berges conservant une accumulation sédimentaire homogène, ce qui engendre des effondrements à 180° de couches sédimentaires entières lorsqu’elles sont compactes. Pour les espaces littoraux lacustres et maritimes qui sont sensibles aux variations du niveau d’eau ou aux phénomènes de marées, l’érosion du rivage peut s’opérer en plusieurs temps. En particulier à Puncu 1, où l’inclinaison du fond lacustre est abrupte (≤ 26,5°), l’US3 révèle un premier et ancien phénomène d’érosion de couches archéologiques en place Tiwanaku et incas, tandis que l’US2 indique un second et plus récent événement d’érosion, qui grignote à nouveau des couches en place Tiwanaku et incas situées plus en amont pour ensuite les redéposer sur le fond lacustre. Ainsi, il est établi que ces événements de fluctuation du lac (hausse du niveau d’eau) sont ultérieurs à l’occupation du bassin lacustre par les Incas (≥ 1432 PCN).
Autrement dit, le matériel Tiwanaku (500–1150 PCN) du sondage #4 est de type paléo-terrestre et se situe ± à 5 m de profondeur (+500), tandis que le matériel inca (1430– 1532 PCN) du sondage #6 est de type (paléo)lacustre et est localisé à ± à 3,5 m de profondeur (+350). Le cordon littoral de la période Tiwanaku est non seulement plus éloigné du littoral actuel, mais également plus profond, alors que la géomorphologie du « Puncu des Incas » était sans doute quasi identique à l’actuelle configuration du site, c’est-à-dire immergé. Les résultats issus des autres sondages confirment cette hypothèse.
Coupe n°3: #7
Ensuite, dans le sondage #6, nous relevons la présence d’artefacts incas (US3) en dessous d’un niveau conservant des artefacts Tiwanaku (US2). En particulier dans le cadre
Dans ce sondage isolé, nous comptabilisons soixante-cinq fragments de céramique dont huit appartiennent à la période
80
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.25. Puncu 1 – sondage #7: pierre de taille de facture inca (1430–1532 PCN) [milieu de la fouille].
Figure 4.26. Puncu 1 – sondage #7: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés.
l’heure actuelle, mais finalement peu documenté par la littérature: la campagne inca de construction d’édifices monumentaux à l’île du Soleil. La présence d’une pierre de facture inca (Figure 4.25) dans le dépotoir de Puncu permet de déterminer que: (1) ces matériaux en andésite étaient importés à l’île du Soleil par le port de Puncu, (2) ils étaient « manufacturés » ou pré-taillés avant d’être importés sur l’île, (3) ils étaient bien sûr acheminés en bateau et (4) la localisation de ce secteur situé à 2–3 m de profondeur confirme qu’il était probablement immergé durant la période inca (rupture de charge). Cette pierre, sous l’eau, était inaccessible.
inca et vingt à la période Tiwanaku (Figure 4.26). Tout comme dans le sondage #6, situé approximativement à un palier de profondeur identique, nous relevons également la présence de deux couches archéologiques distinctes (US2 et US3/4) qui livrent néanmoins des artefacts relatifs aux deux horizons culturels. On ajoutera que le phénomène naturel de fluctuations du lac, à une période postérieure à celle de l’occupation inca (≥ 1432 PCN), est lui aussi décelé dans ce sondage. La trame stratigraphique de Puncu 1 s’avère donc relativement cohérente. Le sondage #7 apporte toutefois de données supplémentaires. Premièrement, la présence exceptionnelle d’une pierre de taille en andésite qui traversait deux unités stratigraphiques (US2 – US3) documente un fait connu et observable à
Deuxièmement, nous comptabilisons également vingtcinq fragments de la période Altiplano. Théoriquement, les 81
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie que dans les quatre autres sondages de Puncu 1 décrits plus haut, nous n’avons recensé que soixante-seize fragments de céramique pour la coupe #2, #4, #6 et soixante-cinq fragments pour la coupe #7. Or, dans cette nouvelle zone, ce sont plus de 578 fragments de céramique qui proviennent du même sondage, le #5, représentant une superficie de fouilles de 4 m2 et un volume d’intervention estimé à ± 6,2 m3. Avec le recul, il apparaît que celui-ci est localisé exactement à l’extrémité de la pointe sud-est du cap, à la jonction entre Puncu 1 et Puncu 2, à ± 4,5 m de fond (+450) (Figure 4.5). Dans l’état actuel de la recherche, nous pouvons déterminer que le sondage se positionne en trait d’union entre l’ancien espace portuaire de la période Tiwanaku (500–1150 PCN) et celui de la période inca (1430–1532 PCN) (cf. discussion 4.6). La densité du matériel archéologique mise au jour en #5 est due principalement à cette intersection.
artefacts en céramique associés à cette période pourraient s’inscrire dans un intervalle de temps situé entre 1150 PCN (fin de la période Tiwanaku) et 1600 PCN (période coloniale). La production post-Tiwanaku de la céramique ne sera pas interrompue, ni par la conquête inca du bassin lacustre vers 1430–1450 PCN (céramique d’influence inca), ni par la conquête espagnole à partir de 1532 PCN (céramique d’influence coloniale). La céramique Altiplano, également appelée Pacajes dans la partie méridionale du bassin lacustre (Janusek 2003: 37), est donc divisée en trois phases: Altiplano Ancien (1150–1430 PCN), Altiplano Inca (1430–1530 PCN) et Altiplano Récent (1530– 1600 PCN). Dans l’analyse des artefacts de Puncu, la dénomination ALT correspond aux fragments indéterminés de céramiques Altiplano (1150–1600 PCN), tandis qu’on adopte ALT INC pour les fragments Altiplano d’influence inca (1430–1532 PNC). Dans nos coupes, dessins et relevés (Figure 4.26, sondage #7), nous avons donc intégré « dans la catégorie inca » les céramiques identifiées avec certitude (ALT INC et INC) uniquement, afin de ne pas fausser la grille d’analyse avec des fragments potentiellement plus anciens. Il est toutefois certain que, dans ce secteur, la culture matérielle associée à l’occupation inca est plus importante et pourrait être majorée par d’autres fragments ALT.
La distribution des artefacts au sein de la coupe est cohérente avec les résultats issus d’autres sondages. Le matériel des périodes inca et Tiwanaku est en effet attesté en faible densité, voire absent, dans les premières unités stratigraphiques des sondages situés en aval (#3 et #1), tandis que son volume augmente en remontant vers l’amont (#5) (Figure 4.27). Dans cette nouvelle coupe, l’accumulation sédimentaire est toutefois beaucoup plus homogène. Nous sommes dès lors en mesure d’établir des projections des sondages sur les parties intermédiaires non fouillées et suivre ainsi le déversement des céramiques incas sur le paléo-fond lacustre depuis la zone de concentration en amont (#5- US2/3), en passant par le sondage intermédiaire (#3-US2/3) et en direction de celui en aval (#1-US1/2). Cette couche archéologique, qui suit une inclinaison cohérente, a ensuite était recouverte de manière naturelle par la sédimentation du lac (Figure 4.27).
Enfin, on remarque la présence de cinq fragments de céramique appartenant à la période LF1 (200 ACN–300 PCN); c’est la première fois que du matériel pré-Tiwanaku est mis au jour à Puncu. Seul le sondage #5 documentera des artefacts de cette période également. Ces deux sondages (#5 et #7), les plus proches de la berge actuelle, démontrent que cet espace littoral était utilisé bien avant l’épanouissement et l’essor de la culture Tiwanaku. Les cinq fragments LF1 du sondage #7 proviennent de l’US3/ US4 et sont associés aux fragments Tiwanaku et incas.
À la différence des sondages #2, #4, #6 et #7, l’inclinaison du fond lacustre est ici beaucoup plus faible, ce qui implique une érosion moins accentuée des paléo-berges ou des talus immergés. Le niveau archéologique Tiwanaku du sondage #5 (US4/US5) n’a pas encore été « grignoté » par le courant (Figure 4.27) et ne s’est pas déversé avec du matériel inca dans la partie en aval, comme cela a été attesté dans d’autres sondages. La morphologie du secteur de Puncu 1 favorise l’évasement des zones situées en contrebas des pentes. De la céramique inca roulée y est actuellement visible dans les couches superficielles; par conséquent, nous suggérons que ce phénomène d’évasement pourrait également être observé pour la période Tiwanaku, dans des couches beaucoup plus profondes toutefois.
Une partie de la céramique LF1 de l’US4 est roulée (paléo-rivages); le même phénomène d’érosion que nous avons déjà observé a donc grignoté les zones en amont pour « redistribuer » de manière hétérogène, sur toute la superficie, les artefacts des périodes attestées jusqu’à présent. Notons l’absence d’ossement dans cette couche de céramiques roulées. Les perspectives de recherches futures sont également prometteuses car nous avons mis au jour un fragment d’os de camélidé (US6 théorique) sous l’épaisse unité stratigraphique vierge (US5) (Figure 4.26). Potentiellement, cette zone conserve par conséquent des témoignages d’activités dans les couches plus profondes, et sans doute plus anciennes, scellées sous 70 cm d’éboulis composé de pierres pouvant atteindre les 60 cm de diamètre.
Dans le sondage #5, nous avons, dans un premier temps, enregistré deux cent quarante fragments de céramiques au sein de quatre unités stratigraphiques, dont soixante-dixhuit fragments Tiwanaku. Malheureusement, l’ensemble du sondage s’est ensuite effondré sur lui même et les trois cent trente-huit fragments restants proviennent du comblement que nous avons « refouillé » pour consolider les parois. Ces derniers fragments, décontextualisés mais
Coupe n°1: #1, #3, #5 C’est sur cette zone des sondages #1, #3 et #5 que notre intervention a localisé le cœur du dépotoir portuaire proprement dit des périodes Tiwanaku et inca. Rappelons 82
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.27. Puncu 1 – sondages #5-#3-#1: distribution des fragments de céramique et des ossements de camélidés.
Figure 4.28. Puncu 1 – sondages #5: distribution des fragments de céramique par US et affiliation.
provenant des US3–4-5, sont représentés à part (Figure 4.27).
unités stratigraphiques archéologiques (US2 à US5) permet d’illustrer l’accumulation sédimentaire d’origine du secteur. Pour la période inca (INC et ALT INC), nous comptabilisons douze fragments (US2), quatorze fragments (US3), huit fragments (US4) et six fragments (US5). En contrepartie, pour la période Tiwanaku, nous constatons qu’il n’y a pas de matériel dans les trois premières unités stratigraphiques (US1, US2, US3), tandis qu’on relève respectivement trente-deux et quarante-six fragments dans les US4 et US5. En d’autres termes, plus
L’enregistrement des deux cent quarante premiers fragments (Figure 4.28) permet toutefois de déterminer la trame stratigraphique générale du sondage #5 et de recontextualiser partiellement les trois cent trentehuit autres fragments. Nous avons en effet observé que l’accumulation sédimentaire était beaucoup plus homogène dans cette zone; ainsi, la lecture des quatre 83
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie les couches sont profondes, plus la densité de matériel de la période inca diminue tandis que celle de la période Tiwanaku augmente. La présence des quatorze fragments intrusifs de la période inca dans la couche archéologique exclusive de la période Tiwanaku (US4-US5) peut provenir de l’érosion ancienne de la berge, mais surtout dans le cas présent, de l’instabilité des coupes et de l’effondrement de celles-ci.
anciennes (200 ACN–300 PCN). Par conséquent, ces dernières devaient se situer beaucoup plus en amont; l’occupation LF1 était beaucoup plus proche du cordon littoral actuel que celle de la période LF2/Tiwanaku IV (paléo-littoral différent). L’appartenance à Tiwanaku IV de l’US5-#5 peut donc être corroborée, non seulement, par la présence d’ossements humains dans cette unité stratigraphique exclusivement (même configuration et même palier de profondeur que les couches inférieures de Puncu 2), mais également par une datation isotopique effectuée sur un des ossements (mâchoire inférieure d’un enfant de ± 6 ans [sans statut social?]). L’analyse du collagène d’une des molaires, l’échantillon UBA – 27010, donne une datation de 435– 524 PCN (1σ) ou de 414–570 PCN (2σ) (transition LF2/ TIV). Ces fragments osseux ont été mis au jour dans un espace restreint, tout au fond du sondage #5-US5 (Figure 4.27), juste avant le malheureux effondrement de celuici. Des couches plus anciennes se trouveraient donc probablement en dessous (US6 théorique, tout comme le sondage #7). Ces résultats nous ont amené ensuite à intervenir non seulement à proximité de ce sondage #5, mais également à ce palier de profondeur, à Puncu 2. Notons enfin que d’après Baker et al. (2001: 700), il n’y a pas d’effet réservoir dans le lac majeur du Titicaca (et donc de Puncu). La datation du collagène de la mâchoire est a priori exacte.
Plus atypique encore sont le matériel LF1 (200 ACN– 300 PCN) dans l’US2 (quatre fragments) et l’US5 (un fragment), de même que le matériel de la période LF2 (300– 500 PCN) dans l’US 4 (douze fragments). Hormis l’unique fragment LF1 de l’US5 qui provient probablement de l’instabilité des coupes du sondage, on notera la présence des autres tessons dans les US2 et US4, les deux seuls niveaux archéologiques où sont attestées des céramiques roulées (paléo-rivages). Le matériel Tiwanaku issu de l’US5, en particulier, est toutefois très dense, homogène et relativement bien conservé, tout comme les couches inférieures des sondages en aval de Puncu 2 (#10 et #12). Cette unité stratigraphique inférieure s’est retrouvée littéralement isolée, en raison d’une montée abrupte des eaux du lac qui a remanié toute la première paléo-berge Tiwanaku. Cette « période de crise » est identique à celle observée à Puncu 2, où nous avons évalué la datation de cet événement de la période de transition entre Tiwanaku IV (500–800 PCN) et Tiwanaku V (800–1150 PCN). La présence d’ossements humains dans l’US5 du sondage #5 corrobore cette hypothèse.
4.5.3. Identification et distribution des artefacts en céramique
Par conséquent, en relation avec, d’une part, la nature du dépotoir et de l’accumulation sédimentaire et, d’autre part, avec l’analyse taphonomique des différents fragments du sondage #5, nous proposons de dater les US2 et US3 de la période Inca (1430–1532 PCN), l’US4 de la période Tiwanaku V (800–1150 PCN) et l’US5 de la période Tiwanaku IV (500–800 PCN). La présence de fragments de la période LF2 (300–500 PCN) et LF1 (200 ACN–300 PCN), issus d’une érosion ancienne des couches archéologiques LF1 et LF2 situées à l’origine en amont, confirme par ailleurs que l’accès à l’île du Soleil via le secteur de Puncu est issu d’une longue tradition; l’occupation de cet espace littoral serait donc quasi ininterrompue depuis plus de deux mille ans. La localisation stratigraphique de ces fragments anciens apporte, par ailleurs, de nouvelles informations inédites:
Les résultats issus des sept sondages de Puncu 1 illustrent ainsi à la fois: • une occupation ancienne du littoral insulaire durant les périodes LF1 et LF2 (200 ACN–300 PCN), • une occupation très dense du paléo-littoral de la période Tiwanaku, situé aujourd’hui à ± 5 m de profondeur à l’extrémité orientale de Puncu 1 (#5) et dans le secteur de Puncu 2 (#8 à #12) (500–1150 PCN), • la présence significative de l’utilisation de cet espace, alors immergé, durant la période inca (1430–1532 PCN). Se pose dès lors la question suivante: quelle est la nature de l’occupation de cet espace durant la période Altiplano (1150–1430 PCN) et que signifie la présence de matériel ALT indéterminé au sein du dépotoir?
• Le matériel LF2, situé dans l’US5, est exclusivement associé aux artefacts Tiwanaku IV. Entre 500 et 800 PCN, la montée des eaux du lac, abrupte mais de courte durée, a remanié tout le littoral, dont les deux planchers discontinus d’occupation: LF2 (300–500 PCN) et Tiwanaku IV (500–800 PCN). • Le matériel LF1, situé dans l’US2, est exclusivement associé aux artefacts incas. Entre 1430 et 1532 PCN, le niveau du lac était approximativement le même qu’aujourd’hui. À titre d’hypothèse, nous suggérons que la montée des eaux des époques récentes a grignoté les couches archéologiques LF1 des époques
Nous avons énoncé précédemment que les artefacts en céramique associés à cette dernière catégorie peuvent s’inscrire entre 1150 PCN et 1600 PCN. Dans l’état actuel de la recherche, nous suggérons que la majorité des artefacts ALT sont associés à l’utilisation intensive de Puncu durant la période inca. Ce sont les données suivantes qui permettent d’étayer cette hypothèse: • Statistiquement, nous constatons que, au sein des différents assemblages, plus la densité des fragments de 84
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) céramique de la période inca est importante (INC et ALT INC), plus celle de la période Altiplano indéterminée augmente (ALT). La répartition des artefacts entre ces deux « périodes » est relativement proportionnelle et la majorité des fragments ALT non identifiés sont systématiquement connectés aux artefacts incas. • L’occupation du bassin lacustre durant la période Altiplano est très faible (chapitre 1), et de facto celle des espaces portuaires potentiels. Bien que l’occupation de l’île du Soleil soit attestée durant cette période, Bauer et Stanish démontrent que celle-ci sera extrêmement réduite (2001, 2004). Il y avait donc théoriquement moins de circulation via Puncu entre l’île et le continent, alors que l’occupation inca est dense. • L’assemblage des formes céramiques Altiplano que nous détaillerons ensuite est presque identique à celui de la période inca et milite en faveur d’une utilisation contemporaine de cet espace (pèlerinage, exportation de chicha, etc.).
(2) Céramique TIW (500–1150 PCN): #4, #6, #5 et #7 Au total, 359 fragments d’affiliation Tiwanaku ont été mis au jour à Puncu 1 et proviennent exclusivement des secteurs d’intervention situés en amont des coupes: le sondage #4 (15 fragments), le sondage #5 (292 fragments), le sondage #6 (32 fragments) et le sondage #7 (20 fragments). Nous constatons que les formes identifiées dans ce secteur sont identiques à celles de Puncu 2 et en particulier les ollas, les tinajas, les keros et les incensarios. Parmi les quatre sondages, nous recensons comme suit: 85 fragments de ollas (23,65%), 20 fragments de tinajas (5,65 %), 44 fragments de keros (12,25%), 1 fragment de vasija (0,25%), 22 fragments d’incensarios (6,1%) et 187 fragments Tiwanaku détériorés de forme indéterminée (52,1%). La présence et l’abondance de fragments de certaines formes attirent notre attention.
Ces observations indiquent que l’utilisation de Puncu par les Incas serait loin d’être négligeable. Par exemple, dans la coupe #1, #3 et #5, nous comptabilisons au total soixante-et-onze fragments de céramique des périodes inca (INC) ou Altiplano Inca (ALT INC) (Figure 4.27). Si l’on rajoute à ceux-ci les fragments classés dans la catégorie ALT, le nombre de fragments « incas » pourrait, en théorie, augmenter de soixante-et-onze à deux cent soixante-huit (INC + ALT INC + ALT).
Premièrement, la quantité de keros est plus importante dans ce secteur qu’à Puncu 2. Nous suggérons que ceci pourrait refléter un rôle distinct de Puncu au Tiwanaku: transit des denrées périssables et du commerce via Puncu 2, où les ollas et les tinajas sont majoritaires, et transit des individus et/ou pèlerins via Puncu 1, qui a livré davantage de keros. Cette dernière forme est en effet un récipient « personnel » et peut correspondre dans nos critères contemporains à une sorte de « carte d’identité sociale » de l’individu Tiwanaku. Deuxièmement, la présence de fragments d’incensarios est également représentative dans ce secteur; ainsi que nous l’avons présenté dans l’autre secteur, ceci pourrait refléter la circulation de cet objet jusqu’à l’île du Soleil, potentiellement en association aux pratiques d’offrandes subaquatiques (chapitre 5).
(1) Céramique LF1 (200 ACN– 300 PCN) et LF2 (300–500 PCN): #5 et #7 Au total, nous comptabilisons 64 fragments de céramiques appartenant à ces deux périodes pré-Tiwanaku. Ce matériel, qui n’est pas attesté dans le secteur de Puncu 2, provient, à Puncu 1, des sondages #5 et #7. Seules deux formes ont été identifiées:
Le sondage #5 est le plus emblématique en termes d’assemblage des formes (292 fragments); nous avons déterminé par ailleurs que les deux unités stratigraphiques Tiwanaku du sondage, US5 et US4, correspondent sans doute respectivement aux périodes Tiwanaku IV et Tiwanaku V:
• Période LF1: 16 fragments, dont 2 de jarras (12,5%) et 14 indéterminés (87,5%). • Période LF2: 48 fragments, dont 37 de ollas (77,1%) et 11 fragments de jarras (22,9%), tous issus du sondage #5 (12 de l’US4 et 36 de l’effondrement) (Figure 4.29).
• US5 (500–800 PCN): si l’on fait abstraction des formes indéterminées, les ollas correspondent à 51,4% de l’assemblage. Ce pourcentage correspond exactement à la fréquence des céramiques utilitaires dans les couches inférieures Tiwanaku IV de Puncu 2, à la différence près qu’il n’y a pas de tinajas dans cette US, ce qui illustre l’absence de transport de chicha à Puncu 1. Les keros correspondent ensuite à 32,4% de l’assemblage et les incensarios à 16,2% (Figure 4.30). • US4 (800–1150 PCN): si l’on fait abstraction des formes indéterminées, les ollas et les tinajas correspondent à 85,2% de l’assemblage et les keros à 14,8%. Il n’y a pas de fragments d’incensarios dans cette unité stratigraphique (Figure 4.30).
Ces fragments de céramiques, dont la quantité augmente entre la période LF1 et LF2, documentent exclusivement des formes utilitaires. La céramique de type olla sert au stockage et à la cuisson de denrées; cette forme sera encore en usage à la période Tiwanaku (Janusek 2003: 57–58). La céramique de type jarra ou jarrita est un petit récipient dont les lèvres supérieures s’évasent modérément, comme en témoignent les exemplaires P74, P76 et P130 (Figure 4.29). Par sa forme, cette vaisselle rappelle les tinajas Tiwanaku; elle devait probablement elle aussi servir à contenir des liquides, qu’ils soient fermentés ou non. Tous les fragments dessinés appartiennent à la période LF2, mais proviennent à l’origine, selon toute vraisemblance, d’une zone située plus en amont et érodée durant l’occupation Tiwanaku (Figure 4.29).
Cette distribution des formes entre l’US4 et l’US5 correspond aux fragments enregistrés et identifiés avant 85
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.29. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques de la période LF2 (300–500 PCN).
Figure 4.30. Puncu 1 – sondages #5: distribution des formes céramiques Tiwanaku – US4 [TIV] et US5 [TV].
86
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
SONDAGE # 4
Tinaja - #4-US1 (P22)
SONDAGE # 5
SONDAGE # 6
Kero - #5-US3/4/5 (P224)
SONDAGE # 7
Olla - #6-US2/3 (P236) Kero - #7-US3/4 (P264)
Kero - #5-US4 (P72) Olla - #5-US5 (P97)
Tinaja - #6-US2/3 (P243)
Kero - #5-US5 (P115)
Olla - #5-US5 (P104)
Olla - #5-US5 (P101) Kero - #5-US5 (P114) Tinaja - #5-US3/4/5 (P152)
Olla - #5-US4/5 (P117) Olla - #5-US4/5 (P120)
Olla - #5-US4/5 (P147)
Kero - #5-US5 (P103)
Tinaja - #5-US4 (P71)
Tinaja - #5-US4 (P83)
Kero - #5-US5 (P100)
0
10cm
Figure 4.31. Puncu 1 – formes des céramiques Tiwanaku (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).
à Puncu durant la période Tiwanaku V (800–1150 PCN), contrastant avec son omniprésence au site d’offrandes subaquatiques de Khoa, indiquerait que l’incensario a été produit sur l’île durant cette phase ultime (atelier contrôlé par un état centralisé?).
l’effondrement du sondage #5. Si l’on comptabilise les cent quarante-six fragments identifiés issus de l’US4, de l’US5 et ceux de l’effondrement, les ollas correspondent à 45,2% de l’assemblage, les tinajas à 10,9%, les keros à 28,1%, les vasijas à 0,7% et les incensarios à 15,1% (Figure 4.30). Le caractère distinct des assemblages des US4 et US5 est du plus haut intérêt; il permet notamment d’appuyer l’hypothèse selon laquelle ces assemblages appartiennent à deux phases différentes du Tiwanaku.
Dans les quatre sondages associés aux artefacts Tiwanaku, sept fragments de ollas sur quatre-vingt-cinq isolats permettent d’illustrer cette forme (Figure 4.31 / sondages #5, #6); on relève en outre cinq fragments de tinajas sur vingt isolats (Figure 4.31 / sondages #4, #5, #6) et sept fragments de keros sur quarante-quatre isolats (Figure 4.31 / sondages #5, #7). Notons, d’une part, que les parties supérieures conservées du type olla possèdent toutes des anses s’accrochant au départ de la lèvre (P97, 120, 236) et que certaines bases occasionnellement dotées d’un pied (P101). Concernant les tinajas, d’autre part, nous observons que les exemplaires issus des couches supérieures Tiwanaku V des sondages #5-US4 (P83) et #6US2 (P243) sont de grande taille, une caractéristique de cette période récente (Janusek 2003: 57–60) (Figures 4.31, 4.32). Enfin, cet assemblage hétérogène (toutes périodes et tous sondages confondus) se distingue toutefois du secteur
Nous observons en effet que les tinajas sont absentes de l’US5 (Tiwanaku IV) et constituent plus de 30% de l’ensemble dans l’US4 (Tiwanaku V). Or, l’intensification tant des échanges que de la production de tinajas est typique de la période Tiwanaku V (800–1150 PCN) (Janusek 2003: 57–60). L’île du Soleil devait posséder un nouveau statut durant cette période où le territoire insulaire est vraisemblablement passé sous le contrôle direct du site éponyme de Tiahuanaco, caractéristique de cette phase (chapitre 2). Plus intéressante encore pour le sujet principal de notre thèse est l’absence d’incensarios dans l’US4. Cet objet a circulé via cet espace durant la période Tiwanaku IV (500–1150 PCN), mais l’absence de celui-ci 87
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.32. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques Tiwanaku (500–800 PCN).
de Puncu 2 par la plus grande densité et la meilleure conservation des fragments de keros (P72, 100, 103, 114, 115, 224). La majorité des exemplaires proviennent du sondage #5. L’ensemble du matériel céramique est détaillé en Annexe 4.1, en prenant en compte à la fois le nombre de fragments, les connexions entre ceux-ci (P), leur contexte de découverte et leur identification.
• L’US4 (800–1150 PCN) se caractérise par le nombre important de grandes tinajas typiques de cette période, comme l’illustre l’exemplaire P83 avec ses grandes lèvres évasées. Le diamètre du kero P72 est par ailleurs plus grand que la moyenne. Rappelons l’absence d’incensario dans ce niveau. En réalité, de manière atypique en contexte Tiwanaku, seules trois formes sont attestées dans cette US: les ollas, les tinajas et les keros.
La distribution des fragments dans la coupe livre de nouvelles informations, car la proximité de certains fragments dans le sédiment permet d’établir des connexions: les deux fragments de tinajas issus de l’US4 appartiennent peut-être au même individu (P71 et P83), de même que les deux fragments de keros de l’US5 (P114 avec P100, P103 ou P115) et les deux fragments de ollas (P97 avec P100 ou P191) (Figure 4.31). Ensuite, d’autres éléments permettent d’étayer notre hypothèse sur la datation des deux unités stratigraphiques:
(3) Céramique post-Tiwanaku et inca ([1150] / 1430– 1532 PCN): #1 à #7 Au total, 327 fragments de céramiques post-Tiwanaku ont été mis au jour à Puncu 1 (#1 à #7): 233 fragments pour la catégorie Altiplano Indéterminée (ALT, 1150– 1600 PCN), 23 fragments pour la catégorie Altiplano de style inca (ALT INC, 1430–1530 PCN) et 71 fragments de céramique inca (INC, 1430–1532 PCN) (Figure 4.33). Comme énoncé précédemment, nous envisageons la possibilité qu’une grande partie des artefacts ALT soient plutôt à attribuer chronologique à la période inca. À la fois l’identification des formes céramiques post-Tiwanaku et leur distribution en sein des différents assemblages, en particulier le sondage #5 (268 fragments), permettent d’étayer cette hypothèse.
• L’US5 (500–800 PCN) se caractérise par le nombre plus important de keros par rapport à l’US4, comme l’attestent les quatre fragments issus de cette unité stratigraphique (Figure 4.32). C’est l’exemplaire P100 qui attire notre attention, car il possède un tore angulaire entre la lèvre et la partie inférieure (bandeau plein entourant le récipient). Or, la ce type de tore est plus fréquent à la période Tiwanaku IV, alors que ceux de la période Tiwanaku V sont plus prononcés et arrondis (Janusek 2003: 61).
Premièrement, nous remarquons que seules six formes céramiques post-Tiwanaku sont attestées: les ollas, les 88
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.33. Puncu 1 – identification par catégorie des formes céramiques post-Tiwanaku (1150–1600 PCN).
La distribution des fragments de céramiques postTiwanaku dans le sondage #5 confirme également l’hypothèse que la majorité des artefacts post-Tiwanaku appartiennent au « Puncu des Incas » (Figure 4.35). Leur présence est très dense dans l’US2, moindre dans l’US3 et anecdotique dans l’US4 (effondrement des coupes durant l’intervention?). Pourtant, nous constatons que la représentativité des différentes catégories (ALT, ALT INC et INC) au sein de ces trois unités stratigraphiques est distincte:
jarras, les cuencos, les fuentes, les cántaros et les aríbalos (Figure 4.33). Deuxièmement, nous constatons que les cuencos, les jarras et les fuentes (sauf ALT INC) sont représentés dans l’assemblage de ces trois catégories. Leur présence est atypique vu que la nature de l’utilisation de l’espace littoral de Puncu devrait en théorie être différente entre la période Altiplano (1150–1430 PCN) et la période inca (1430–1532 PCN). D’une part, rappelons que la population inca était une ethnie étrangère qui a conquis le bassin lacustre manu militari vers 1430–1450 PCN. Or, les assemblages céramiques présentent une culture matérielle homogène. D’autre part, la période Altiplano succède directement à la période Tiwanaku. Pourtant, excepté trois fragments de cuencos dans le sondage #12-US8 (500– 800 PCN), nous avons vu que les céramiques de type cuenco et fuente sont absentes de l’assemblage Tiwanaku de Puncu, alors qu’elles sont attestées durant la période inca. La tradition de production et d’utilisation du cuenco a sans doute été importée à Puncu par les conquérants et se reflète notamment par une production contemporaine de style inca par les populations locales Altiplano (ALT INC). L’occurrence de cuencos dans la catégorie ALT indéterminée suggère donc que cette production soit de la période inca (Figure 4.33).
• US4: cette unité contient majoritairement du matériel céramique Tiwanaku que nous avons attribué à la période TV (800–1150 PCN) (Figure 4.32). Cependant, nous constatons que l’exemplaire P90 de la catégorie ALT (Figure 4.35) est différent: il a été diagnostiqué comme appartenant au style Pacajes (Fontenla 2014: 70–87). Celui-ci correspond donc bien à la période Altiplano pré-inca et ce rare exemplaire permet de démontrer que le site de Puncu n’a pas été complètement abandonné après 1150 PCN. Stanish et Bauer ont par ailleurs identifié vingt-deux sites de la période Altiplano sur l’île du Soleil (2004: 31–35), dont quelques sites d’occupation. La navigation entre l’espace insulaire et le continent ne devait donc pas être interrompue à l’arrivée des Incas vers 1430–1450 PCN. À titre de comparaison, ces deux chercheurs ont identifié soixante-dix-huit sites de la période inca, dont un complexe cérémoniel majeur qui sera l’une des principales destinations des pèlerins durant l’Horizon Récent (2004: 31–35). • US3: cette unité se caractérise par l’absence de fragments de céramique Tiwanaku. La distribution des fragments de céramiques illustrées montre deux cuencos de la période ALT et deux cuencos de la période ALT INC (Figure 4.35). Cette unité stratigraphique est l’une des plus homogènes du sondage: elle est intercalée entre deux unités possédant du matériel céramique roulé, et donc théoriquement plus hétérogène (US2 et US4). La présence, dans l’US3, de deux cuencos ALT INC P21 et P65 (Figure 4.35) attribués à la période inca suggère que les autres fragments ALT sont contemporains. • US2: cette unité se caractérise par la plus grande quantité de fragments post-Tiwanaku enregistrés avant l’effondrement du sondage (Figure 4.28). Il s’agit bien
La difficulté d’identifier les formes parmi ces trois catégories tient à la conservation des artefacts: les fragments sont émoussés par l’érosion et l’iconographie est absente. Notons toutefois la présence de deux céramiques incas caractéristiques, les cántaros et les aríbalos, dont les exemplaires de Puncu (Figure 4.34) peuvent théoriquement avoir été importés (Cuzco) ou produits sur place par les Incas (atelier régional d’artisans incas). Parallèlement, si tous les fragments de céramiques sont contemporains, cela signifierait que les céramiques plus utilitaires, telles que les ollas, les cuencos et les fuentes, n’ont pas été produites par des artisans incas, mais par les populations locales nouvellement conquises. Plus de vingt-cinq fragments de cuencos de la période post-Tiwanaku issus de Puncu 1 sont relativement bien conservés (Figure 4.34). Peu importe leur taille, ou les légères différences morphologiques entre les « trois catégories », ces fragments correspondent à la forme la plus répandue de l’occupation du site par les Incas.
89
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
ALTIPLANO INCA
ALTIPLANO
Cuenco - #7-US3/4 (P268)
INCA
Cuenco - #5-US2 (P41)
Cuenco - #5-US4 (P85)
Cuenco - #7-US2 (P254) Cuenco - #5-US2 (P42) Cuenco - #5-US3 (P63)
Cuenco - #7-US2 (P250) Aribalo - #6-US2 (P230)
Cuenco - #7-US3/4 (P277)
Cuenco - #5-US2 (P43)
Cuenco - #5-US3 (P64)
Aribalo - #6 - US2 (P231)
Cuenco - #5-US2 (P36)
Cuenco - #5-US3 (P65)
Cuenco - #5-US3/4/5 (P221)
Aribalo - #6 - US2 (P232) Cuenco - #3-US2/3 (P21) Fuente - #3-US2/3 (P16)
Olla - #5-US2 (P40)
Aribalo - #5 - US4/5 (P178)
Aribalo - #5 - US4/5 (P179) Cuenco (Pacajes) - #5-US4 (P90)
Fuente - #1-US1/2 (P4)
0 Fuente - #3-US2 (P15)
10cm
Fuente - #4-US2 (P24)
Figure 4.34. Puncu 1 – formes des céramiques Post-Tiwanaku (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla, DAO C. Delaere).
d’une couche archéologique de la période inca où nous relevons la présence de trois céramiques importées ou produites par des artisans locaux, les cántaros et aríbalos, au sein de l’US2: P230, P231 et P232 (Figure 4.35). La « présence inca » est donc non seulement plus manifeste, mais en outre incontestable. Ces résultats suggèrent donc qu’il y a non pas une, mais deux occupations archéologiques distinctes de l’horizon inca.
incursion de Viracocha Inca est une campagne militaire qui se caractérise par une occupation permanente du territoire. La seconde incursion par son fils Pachacuti se définit par une consolidation du pouvoir en place, mais surtout par la réappropriation de l’île du Soleil où seront construits de nouveaux temples et sanctuaires (Bauer et Stanish 2001: 53). Par conséquent, en relation avec les résultats issus du sondage #5, nous envisageons la possibilité que l’US3 (céramique de facture Altiplano, mais de style inca) corresponde à la période d’incursion militaire (vers 1400–1430 PCN), tandis que l’US2 (céramique de facture inca) correspondrait à la transformation de l’île du Soleil et la construction d’édifices par Pachacuti (vers 1430–1450/1480 PCN). La pierre de taille en andésite découverte dans le sondage #7-US2/3 (rupture de charge) pourrait confirmer cette hypothèse, car, dans l’US3, sont attestés des fragments de céramique de facture Altiplano, mais de style inca (Figure 4.25).
Cette dernière observation nous interpelle, car, d’après Bauer et Stanish sur base principalement de la chronique de Cieza de León qui a visité la région en 1548, il y a eu deux incursions au lac Titicaca: la première menée par le huitième souverain inca Viracocha Inca — il n’a pas visité l’île du Soleil — et la seconde par le neuvième souverain Pachacuti Inca Yupanqui, le premier souverain inca à avoir visité l’île du Soleil (2001: 51–55). Or, la première
90
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.35. Puncu 1 – sondage #5: distribution des céramiques Post-Tiwanaku (1150–1432 PCN).
La présence de cette pierre de taille en andésite illustre l’implantation définitive des Incas dans le bassin lacustre vers 1430–1450 PCN et la mise en place du vaste réseau de pèlerinages, toujours en activité à l’heure actuelle sous une forme syncrétique (pèlerinage de la Vierge noire ou de la « princesse inca » de Copacabana). Nous suggérons dès lors que l’omniprésence de cuencos au sein des assemblages céramiques incas ne reflète pas des activités commerciales, mais plutôt la circulation des pèlerins depuis Copacabana jusqu’à l’île du Soleil, où Puncu représentait la puerta rituelle pour accéder à « l’îlesanctuaire ».
maïs nécessaire à la production de la « chicha sacrée ». Cette boisson fermentée devait sans doute être exportée (ou importée?) au moyen de ces aribalos, de grands récipients à lèvres évasées ou à bec verseur, qui pouvaient se transporter à dos d’homme, de lama, et bien sûr par bateau. 4.6. Discussions thématiques 4.6.1. Puncu et les fluctuations du lac Titicaca (300–1532 PCN) Les résultats des fouilles subaquatiques à Puncu mettent en évidence cinq périodes d’occupation et/ou d’utilisation de cet espace littoral permettant d’accéder à l’île du Soleil:
La majorité des cuencos sont de facture locale, mais de style inca, et semblent avoir été produits par les natifs pour les pèlerins. Il s’agit d’un petit bol qui devait être un objet individuel, que ce soit pour une fonction rituelle (libation) ou simplement pour consommer de la nourriture (« gamelle » du pèlerin). La présence d’un cuenco de facture inca, l’exemplaire P254 (Figure 4.36), pourrait indiquer l’origine d’un de ceux-ci: la vallée de Cuzco. Enfin, dans les couches supérieures, la présence de cántaros et d’aríbalos richement décorés comme l’illustrent les exemplaires P153 et P23 (Figure 4.36), date de l’occupation définitive de l’île du Soleil par les Incas. Ces céramiques documentent également l’exploitation du
• • • • •
Période LF2 (300–500 PCN) Période Tiwanaku IV (500–800 PCN) Période Tiwanaku V (800–1150 PCN) Période inca de contact (vers 1400–1430 PCN) Période inca d’occupation (vers 1430–1532 PCN).
Excepté une période de transition de ± 300 ans durant la période Altiplano (1150–1400 PCN), l’utilisation du secteur de Puncu est ininterrompue depuis plus de deux mille ans, si l’on intègre les quelques fragments 91
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.36. Puncu 1 – cuenco et aríbalos de facture inca (1430–1532 PCN) (Projet PH14 / Dessin R. Fontenla).
de céramiques de la période LF1 (200 ACN–300 PCN). D’un point de vue quantitatif, nous observons toutefois deux phases intensives d’occupation et d’utilisation de cet espace littoral: Tiwanaku (5001150 PCN) et inca (1400/1450–1532 PCN). En effet, sur les 1137 fragments de céramiques inventoriés, 743 fragments sont attribués au Tiwanaku (en incluant les 64 fragments LF1 et LF2) et 372 fragments sont attribués à la phase inca (dont 110 fragments INC et ALT INC). Par conséquent, si l’hypothèse de contemporanéité de tous les fragments post-Tiwanaku est correcte, en incluant alors les fragments ALT, ces chiffres indiqueraient que l’utilisation de Puncu par les Incas (un siècle, 372 fragments) était 2,5 fois plus dense que l’occupation du site Puncu à la période Tiwanaku (cinq siècles, 743 fragments).
lac Titicaca fluctue à quelques mètres au-dessus de 3804– 3805 m d’altitude, entre 4,7 et 5,7 m de profondeur (1992: 879). En d’autres termes, les différents chercheurs prônant cette seconde approche déterminent, d’une part, que durant la période Tiwanaku le niveau du Titicaca était situé entre 5 m de profondeur et le niveau actuel et que, d’autre part, le volume d’eau de la période inca était identique à celui d’aujourd’hui. Les résultats issus des fouilles de Puncu confirment ces cotes de profondeur. Mais, comme on l’a vu plus haut, ces intervalles de profondeur sont trop élevés pour localiser les (paléo)rivages des périodes anciennes; en effet, une variation de 5 m du niveau d’eau du lac Titicaca peut faire reculer le cordon littoral lacustre de plusieurs kilomètres (chapitre 1). En relation avec ces résultats, l’archéologie subaquatique apporte donc de nouvelles informations. Elle permet:
Jusqu’à aujourd’hui, l’étude diachronique des fluctuations du lac Titicaca est principalement documentée par les carottages effectués dans les glaciers (études paléoclimatologiques) et dans le sédiment lacustre (étude paléoenvironnementale). La première approche détermine trois périodes humides, 610–650 PCN, 760–1040 PCN et 1500–1720 PCN (Thompson et al. 1985: 973), qu’Alan Kolata interprète comme un niveau élevé d’eau du lac (2003: 8–9). Dans la deuxième approche, Abbott et al. établissent que le lac était à ± 6 m plus bas qu’aujourd’hui durant la période LF2 et approximativement au même niveau durant la période inca (1997: 177–178) (cf. section 4.3.2). Ensuite, Binford et al. suggèrent que le lac était situé entre 5 m de profondeur et le niveau actuel durant la période Tiwanaku (1997: 246). Enfin, Mourguiart et al. affirment que, depuis la période Tiwanaku, le niveau du
• De collecter des données du même ordre, grâce à la fouille en sondages stratigraphiques, mais en se focalisant sur le matériel anthropique. • D’observer, à partir de « carottages » réalisés in situ, les mécanismes de sédimentation et d’érosion du fond lacustre. • D’affiner la chronologie des fluctuations du lac dans le passé, grâce, d’une part, à la présence et à l’état de conservation des artefacts — une céramique roulée atteste l’ancienne érosion du littoral —, et d’autre part, grâce à l’identification de leur contexte culturel. • De diriger notre étude dans le sens de l’impact des fluctuations du lac sur l’occupation humaine du bassin 92
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
Figure 4.37. Puncu 1 – paléo-fond lacustre inca (1430–1532 PCN) de la coupe #5-#3-#1.
lacustre, alors que l’approche paléo-climatologique et paléo-environnementale (excepté Kolata 2003) mène quasi exclusivement à étudier l’impact de l’occupation humaine sur les anciens écosystèmes et, indirectement, sur les fluctuations du lac.
néanmoins d’établir des projections entre les différents sondages. Puncu 1 Concernant les sondages #1, #3, #5 et #7, la morphologie du fond lacustre et celle de l’accumulation sédimentaire apportent des premières informations sur les fluctuations anciennes du Titicaca:
Dans cette dissertation, toutes les cotes de profondeur, tant celles citées dans nos descriptions de fouilles que celles énoncées dans la littérature scientifique, sont homogénéisées en fonction de notre référence « zéro » qui correspond à 3809,7 m d’altitude. L’analyse des contextes de découvertes permet actuellement de déterminer que le niveau d’eau du Titicaca observé au « Puncu de Tiwanaku » était beaucoup plus bas — l’espace littoral, en partie, était non immergé et utilisé par l’homme — et que le niveau d’eau du « Puncu des Incas » était presque identique à celui d’aujourd’hui; tout le site de Puncu à la période Tiwanaku était alors immergé durant cette période tardive. Nous avons utilisé deux stratégies de fouille qui apportent deux types de résultats distincts:
• Période inca (1430–1532 PCN): ces quatre sondages permettent d’identifier le paléo-fond lacustre de cette période, car nous observons un « déversement » homogène des artefacts entre 2,5 et 9 m de profondeur (Figure 4.37, sauf #7). Ensuite, une partie du matériel céramique inca bien conservé (iconographie) montre que ces artefacts ont toujours été immergés. Enfin, la présence d’une rupture de charge à 2,6 m de profondeur dans le sondage #7 (pierre de taille inca en andésite) démontre qu’il devait y avoir au moins 2 m d’eau. Nous estimons par conséquent que le niveau d’eau du Puncu des Incas s’élevait, au maximum, à 1 m en dessous du niveau actuel. • Période LF2 (300–500 PCN): la période de crise (montée abrupte d’eau) attestée durant la période Tiwanaku IV est confirmée par la présence d’artefacts LF2 dans l’US5 du sondage #5. Ceux-ci proviennent probablement de couches situées plus en amont et seront ensuite mélangés avec des artefacts TIV.
• la fouille de Puncu 2, en tranchée au moyen de quatre sondages successifs, permet d’observer et de déterminer avec plus de précision les différentes cotes de profondeur, en particulier durant la période Tiwanaku; • la fouille de Puncu 1, en différents sondages intercalés avec des surfaces réduites d’intervention, limite les observations au sein du sédiment, mais permet 93
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie (événements de sécheresse et d’inondation) attestés au 20e siècle, devait être identique entre 300 et 1532 PCN, de la période LF2 à la période inca. Nous avons en effet observé dans les sondages de nombreuses « souscouches » composées de galets (Puncu 1), mais également une alternance de nombreuses et très minces interfaces minérales et organiques au sein même de certaines unités stratigraphiques (Puncu 2). Il n’existe donc pas de modèles linéaires et figés schématisant les fluctuations du lac à travers le temps. Il y a certainement des constantes, mais le type de courbe des fluctuations du Titicaca doit davantage s’apparenter à un « graphique sismique » qu’à une belle courbe régulière. Si ces estimations du niveau d’eau du lac sont déterminantes dans la localisation des paléo-rivages, leur altitude n’en est pas pour autant figée de manière absolue.
Puncu 2 Dans les sondages #8, #11, #10 et #12 (tranchée), datés principalement de la période Tiwanaku, nous avons identifié trois périodes d’occupation et/ou d’utilisation de l’espace littoral et un événement de fluctuation du lac très important qui a remodelé l’espace paléo-terrestre TIV: • Occupation Tiwanaku IV (500–800 PCN): les artefacts et les échantillons 14C issus des unités stratigraphiques inférieures (US6 à US10) montrent que tous ces niveaux sont connectés entre eux. Ils appartiennent en réalité à une ancienne accumulation sédimentaire paléo-terrestre qui a ensuite été perturbée par plusieurs événements de fluctuation du lac. Ce niveau se caractérise par la présence de tombes et de fragments d’une ancienne couverture végétale (bois avec écorce). L’assemblage céramique distinct du niveau supérieur fournit l’un des arguments permettant d’associer ce plancher d’occupation à la période TIV. Les cotes de mesures en aval indiquent que le paléo-rivage devait être à 6,2 m de profondeur, ou plus profond encore, entre 6 et 10 m (Figure 4.38 / 1). • Événement de « crise » (vers 800 PCN): durant une période de crise postérieure à 520 et 643 PCN (2σ) d’après quatre échantillons 14C, mais que nous estimons à ± 800 PCN, notamment en raison du nombre important d’artefacts associés à l’occupation du niveau inférieur, le lac Titicaca a augmenté subitement au minimum à trois reprises. Le phénomène de ressac (courant d’arrachement), typique des espaces (paléo) littoraux, a grignoté tout le littoral durant une période restreinte et se reflète dans la formation de nouveaux dépôts sédimentaires archéologiques remaniés issus du plancher d’occupation précédent: l’US6, US8 et US10. L’entièreté du secteur a ensuite été recouvert par une couche homogène de type lacustre, l’US5, dont la cote de mesure en amont indique que le niveau du lac devait pas excéder 4 m de profondeur (Figure 4.38 / 2). • Occupation Tiwanaku V (800–1450 PCN): ce niveau supérieur se caractérise par la présence d’un amoncellement de pierres d’origine anthropique. Celuici correspond à un aménagement destiné à renforcer la berge et à délimiter un espace approximativement plan en amont de celui-ci. Cet aménagement résulte sans doute d’une réaction des populations locales face aux événements précédents de fluctuations du lac. En fonction de la fondation de cette structure, nous estimons que le niveau d’eau du lac devait être au minimum à 4,6 m de profondeur, probablement entre 4,6 et 7 m (Figure 4.38 / 3). • Utilisation par les Incas (1430–1532 PCN): le nombre d’artefacts de cette période est très faible dans ce secteur, mais indique toutefois que l’ensemble du secteur était immergé. Les données établies à Puncu 1 situent le niveau d’eau du lac entre 0 et 1 m de profondeur (Figure 4.38 / 4).
Par ailleurs, il est important de signaler qu’une saison sèche n’implique pas obligatoirement une baisse du niveau d’eau du lac, de même qu’inversement, une saison des pluies n’implique pas une augmentation du niveau d’eau (Guédron 2014, communication personnelle). L’apport hydrique du Titicaca est en effet déterminé par l’afflux des eaux de fontes des glaciers du bassin versant; par exemple, une période humide mais froide engendrera probablement, malgré les fortes précipitations, une « rétention d’eau » des glaciers et une baisse du niveau du lac. Il faut donc rester prudent face aux données paléo-climatiques, car la variabilité du climat à travers le temps n’aura pas systématiquement une conséquence logique sur les fluctuations du lac Titicaca ni, de facto, sur les stratégies d’occupation du bassin lacustre. Jusqu’à aujourd’hui, la fin de la période Tiwanaku a souvent été interprétée, suite aux travaux de Kolata, comme une des conséquences de la période sèche et de la baisse du niveau du lac qui ont anéanti les camellones vers 1050 PCN (sécheresse). Or, toutes les données que nous avons collectées sur le site de Puncu, et surtout sur celui de l’arrecife de Khoa (chapitre 5), indiquent au contraire que l’eau du lac a augmenté de manière significative vers 1000– 1050 PCN. Dans cette perspective, nous envisageons donc que l’exploitation agricole intensive du bassin lacustre du Titicaca, fondement économique de la culture Tiwanaku, n’a pas été anéantie par une sécheresse, mais bien par une inondation des plaines agricoles. Cette présomption en tant que telle n’est toutefois pas d’une grande importance pour l’histoire de la culture de Tiwanaku, car, dans les deux scénarios, l’anéantissement des plaines agricoles a eu les mêmes conséquences, telles que les famines, la déstabilisation politique, la crise rituelle, etc. Ces nombreux facteurs ont contribué au dépeuplement du bassin lacustre et à la diaspora de la population Tiwanaku entre 1050 et 1150 PCN. 4.6.2. Utilisation du littoral lacustre Tiwanaku (500– 1150 PCN)
Les phénomènes des fluctuations saisonnières annuelles (saison des pluies et saison sèche) et pluriannuelles
L’apport principal de notre recherche consiste en l’identification du paléo-rivage Tiwanaku et met en évidence 94
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Figure 4.38. Puncu 2 -Fluctuations du lac Titicaca entre 500 et 1432 PCN (modèle).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie PCN) et TV (800–1150 PCN). Dans les deux secteurs, nous avons observé que seules sept formes étaient attestées dans les assemblages céramiques: ollas, tinajas, keros, cuencos, vasijas, sahumadores et incensarios. Nous avons également constaté que seuls les cuencos et vasijas étaient attestés durant la période TIV (Puncu 2), que le nombre de tinajas augmente durant la période TV, alors que celui des incensarios diminue durant cette dernière phase.
tout un espace jusqu’à aujourd’hui méconnu et pourtant utilisé par les populations anciennes. Bien qu’aucun complexe portuaire Tiwanaku n’a encore été documenté par l’archéologie, la proximité du lac a eu des répercussions sur certaines interprétations. Le site de Lukurmata par exemple, situé à la jonction entre la péninsule de Taraco et la vallée du bassin versant de Katari (Figure 3.4 / 3), est un site archéologique situé actuellement au bord de l’eau. Janusek décrit que le centre cérémoniel de Lukurmata (Wila Kollu) est un monticule connecté au lac, et que des canaux ont pu « faciliter l’accès au site avec des barques en balsa et des bateaux qui ont pu être utilisés pour les pratiques commerciales, mais également pour la construction de la plate-forme monumentale […] » (2004: 171).
Premièrement, la proportion élevée de tinajas est remarquable car cette céramique était utilisée pour le stockage et le transport de boissons fermentées. L’omniprésence de cette forme à Puncu illustre probablement l’une des principales activités de l’espace littoral: l’importation et l’exportation de chicha grâce à la navigation, que ce soit à des fins économiques, sociales, politiques ou rituelles. Or, l’intensification des échanges et celle de la production d’ollas et tinajas est typique de la période Tiwanaku V (800–1150 PCN) (Janusek 2003: 57–60). Ensuite, les ollas sont principalement utilisées pour la cuisson, le stockage, mais probablement aussi pour le transport d’aliments périssables. Nous pensons en effet que les ollas sont associées aux nombreux ossements de camélidés du dépotoir, que ce soit dans les couches inférieures ou supérieures de Puncu 2 (Figures 4.13 et 4.14). Ces ossements, présentant des marques de consommation et de crémation, étaient sans doute stockés dans ce type de céramique. Il est possible également que cet espace littoral non immergé ait été utilisé pour cuisiner ou consommer des aliments, comme pourrait en témoigner la présence de charbons de bois, mais l’absence de récipients individuels conventionnellement utilisés pour consommer de la nourriture (tazones) ne soutient pas cette hypothèse.
Bien que le site possède actuellement une configuration propre à un espace littoral, la reconstitution et la quantification des fluctuations du niveau du lac durant la période Tiwanaku démontrent que Lukurmata était en réalité bordé d’une vaste plaine agricole exploitée par l’homme et située à plusieurs kilomètres du rivage. Or, d’après Janusek (2004) et Bermann (1990), le centre civil et cérémoniel aurait été abandonné au 9e siècle de notre ère. La montée brusque, mais éphémère, des eaux du lac à la fin de la période Tiwanaku IV, telle que nous l’avons observée à Puncu, pourrait bien être l’une des causes de l’abandon du site au 9e siècle, vu que les plaines agricoles ont dû être littéralement inondées et anéanties. Cet événement a pu contribuer à neutraliser tout le système socio-économique et politique de Lukurmata, semiautonome durant la période TIV, et donner l’opportunité au site éponyme de Tiahuanaco de prendre l’ascendance. L’abandon de Lukurmata est peut-être l’un des facteurs de la mutation de la société Tiwanaku durant cette période de crise, et non l’inverse; cela se traduira par la suite par la création d’un état beaucoup plus centralisé durant la période TV (chapitre 2).
Les keros constituent la troisième catégorie la mieux représentée dans l’assemblage. Il s’agit d’un récipient qu’on utilise principalement pour consommer des boissons (chicha) et qui possède une fonction très importante dans les interactions socio-politiques (Janusek 2003: 60–63). La présence de ceux-ci à Puncu peut refléter, d›après nous, la circulation des personnes entre l’espace insulaire et le continent, car il s’agit d’une céramique individuelle associée au statut de son propriétaire, d’après la composition et le répertoire iconographique. Cette céramique est une sorte de « passeport du citoyen Tiwanaku », suivant nos critères contemporains, tout comme le seront plus tard les tuniques pour les Incas.
Le secteur de Puncu se distingue de Lukurmata par sa localisation extra-muros, mais aussi par la morphologie de son littoral. Le dénivelé du fond y est en effet abrupt et le cordon littoral ne se déplacera que de quelques mètres, alors que la morphologie du fond lacustre de la baie de Lukurmata, un vaste plateau immergé de 3 m de fond, peut générer un déplacement du littoral sur plusieurs km. Cette information est intéressante puisque, en l’état actuel de la recherche, nous pensons que les secteurs les plus escarpés étaient ceux utilisés pour les espaces portuaires. Cela expliquerait notamment pourquoi nous n’avons pas encore localisé le dépotoir de Yampupata; nous nous sommes jusqu’ici concentré sur la plaine connectée à la baie.
Les deux dernières formes utilitaires, les cuencos et vasijas, sont uniquement associées au registre inférieur de Puncu 2 et aux ossements humains. Par conséquent, nous suggérons que cette vaisselle, à l’origine, appartenait aux tombes et intégrait le mobilier funéraire, avant que les couches aient été bouleversées par les fluctuations du lac. Les formes les plus régulièrement découvertes en contextes funéraires sont, d’après Janusek, les keros, les vasijas, les tazones et les incensarios [à Lukurmata] (2003: 62, 67, 71). Korpisaari identifie également les trois premières formes, les incensarios, les escudillas et les sahumadores, qui sont d’après lui plus rares et limités dans les contextes
Les céramiques Tiwanaku sont les principaux indicateurs culturels permettant d’aborder l’étude de l’utilisation de l’espace littoral de Puncu. Leurs fonctions respectives, présentées dans le chapitre 2 (pp. 61–65), apportent de nouvelles informations. La majorité des fragments proviennent de la tranchée #8-#12 (Puncu 2) et du sondage #5 (Puncu 1), au sein desquels nous avons identifié les deux principales phases de cette période: TIV (500–800 96
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) spéciaux ou régionaux (2006: 73). Hormis dans les rares tombes atypiques (d’élite ou de sacrifices mal identifiés), le mobilier funéraire n’excède que rarement trois spécimens, dont la forme importe peu, et parmi lesquels se trouve en général au moins un gobelet à boisson. Les keros présents à Puncu pourraient donc également être associés aux contextes funéraires. En tant qu’objet individuel, il accompagnait non seulement son propriétaire lors de ses déplacements, mais également dans la mort.
À l’exemple des récipients associés à la chicha et de ceux diffusant des arômes, le « statut » de la céramique de type tinaja, généralement richement décorée, se trouve donc théoriquement au cœur de la performance sociale (Figure 4.39). Par conséquent, en relation avec la fonction supposée de la céramique Tiwanaku proposée par la classification de Janusek (2003), nous proposons de compléter la chaîne opératoire du modèle proposé par Villanueva et Korpisaari (2013) en incluant: (1) l’étape de fabrication des denrées périssables et (2) l’étape de transport entre le site de production et le lieu de l’événement de commensalisme (Figure 4.40).
Enfin, à Puncu, les sahumadores et d’incensarios ont un caractère exceptionnel, non seulement en raison de leur présence dans l’assemblage, mais aussi par leur quantité. Les sahumadores sont utilisés pour, d’une part, brûler et diffuser de la fumée odorante, et comme brasero ou lampe d’autre part, que ce soit dans la sphère privée ou publique (Janusek 2003: 94). Ceux-ci peuvent éventuellement être associés aux tombes. Les incensarios sont des céramiqueseffigies élaborées qui constitueront le cœur de l’offrande subaquatique Tiwanaku à l’arrecife de Khoa au nord de l’île du Soleil (chapitre 5). Leur présence à Puncu est à souligner, mais c’est principalement la baisse du nombre d’occurrences dans les registres Tiwanaku V, dans cet espace de transit stratégique, qui retient notre attention. La fonction de la céramique incensario sera largement développée dans la seconde partie.
En effet, les ollas, les tinajas et les keros sont les trois céramiques principalement attestées à Puncu. L’absence des autres formes dans le dépotoir indique, d’une part, qu’il n’y avait pas d’événement de commensalisme sur l’espace littoral Tiwanaku, mais, d’autre part, que la quantité à Puncu de ollas, et surtout de tinajas, pourrait être associée à la circulation des personnes qui transportent leurs propres nourritures (ollas) et boissons fermentées (tinajas) pour participer aux événements de chicha-feasting. Dès lors, en se déplaçant pour rejoindre cet événement, que ce soit dans un sens, vers le continent, ou dans l’autre, vers l’île du Soleil, les participants emmènent avec eux leurs « instruments » de réciprocité. La fonction principale de Puncu était donc principalement un espace portuaire (ruptures de charge, céramiques usées, etc).
Les trouvailles de tinajas, keros et sahumadores fournissent d’autres indications encore; en effet, d’après Villanueva et Korpisaari, ces trois formes font partie de l’assemblage céramique associé à un événement de commensalisme [chicha-feasting] (2013: 89, Fig. 2). Pour rappel, c’est l’une des principales pratiques d’interaction socio-politique de la société Tiwanaku (chapitre 2). Ces deux chercheurs fondent leur argumentation sur l’analyse d’un contexte exceptionnel de découverte sur l’île de Pariti, située actuellement au large de Lukurmata. Il s’agit de deux caches de céramiques contemporaines, deux contextes clos et d’abandon datés de la fin de la période Tiwanaku V, où l’ensemble des 404 céramiques richement décorées a été l’objet d’une fragmentation rituelle massive (Korpisaari and Pärssinen 2011: 71; Villanueva et Korpisaari 2013: 87).
Relevons en outre d’intéressants symboles gravés sur le fond de certains exemplaires de keros de Pariti (marque du propriétaire?). De tels signes pourraient se rapporter soit à un individu, soit à une élite régionale (lignages distincts), soit à un groupe social d’origine distincte ou à un groupe spécialisé (divers collectifs d’artisans). Cette hypothèse pourrait démontrer que toute la chaîne de production, depuis la fabrication de la chicha (agriculture) jusqu’à son transport (tinajas) et sa redistribution dans le cadre d’événement de commensalisme, soit contrôlée par « un seul groupe » qui partage une identité ou un statut social identique. En résumé, pour les deux phases confondues (TIV et TV), nous constatons donc qu’à Puncu, à la période Tiwanaku, sont attestés différents types d’activités:
À partir de l’assemblage de ces deux caches, Villanueva et Korpisaari proposent une approche « performative » des céramiques mises au jour et distinguent trois catégories (2013: 88–89) comme suit:
• Circulation de nourritures (ollas) et de boissons fermentées (tinajas), que ce soit à des fins sociales (chicha-feasting), économiques (commerce) ou rituelles (événements d’offrandes). La quantité de tinajas augmente durant la période Tiwanaku V (800– 1150 PCN) • Circulation des personnes (keros), que ce soit pour des activités événementielles ou de redistribution de biens en tant qu’élément de réciprocité. • Circulation d’objets de prestige ou associés à des activités de type social (sahumadores) ou rituel (incensarios). La quantité d’incensarios diminue durant la période Tiwanaku V (800–1150 PCN).
• Récipients associés à la nourriture: les escudillas de grande taille (provisions), les escudillas de taille moyenne (distribution des aliments) et les petites escudillas et tazones (consommation des aliments). • Récipients associés aux boissons: les tinajas (provisions), les vases de type prosopomorfo ou « kero bassin » (exhibition), les botellas (distribution) et les keros (consommation de la chicha et/ou libation). • Récipient pour diffuser des arômes: les sahumadores (fumée odorante générée par la crémation d’une substance à base de graisse de camélidé). 97
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
CONSOMMATION
DISTRIBUTION
EXHIBITION
EXHIBITION
PROVISIONS
Figure 4.39. Modèle d’interactions sociales du chicha-feasting à l’île de Pariti [commensalisme] (d’après Bandy 2013a: 139, Fig. 8.4a ; Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Fig.2).
ALIMENTATION
Ollas
ARÔMES
Escudilla grande
Tazón
Escudilla
Préparation?
Stockage/Transport?
Provisions
Sahumador
Mini-Escudilla
Distribution
Consommation
BOISSONS
Tinaja
Prosopomorfo Restricted Bowl Botella
Kero Tinkero
Préparation - fermentation? Stockage/transport Provisions
Exhibition
Distribution
Consommation
Libation
Figure 4.40. Chaîne opératoire depuis la fabrication de denrée jusqu’à l’évènement de commensalisme (d’après Villanueva et Korpisaari 2013: 89, Fig.2).
98
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) • Pratiques funéraires sur l’espace littoral (500–800 PCN) avec la présence potentielle de mobilier funéraire (vasijas, keros et cuencos, ainsi que tupus en bronze découverts dans l’US10 de Puncu 2). L’inhumation sur cet espace est atypique et pourrait correspondre à celle d’individus ne possédant pas encore de statut social (enfants), ou des étrangers (pèlerins). • Exploitation des ressources lacustres, notamment des activités de chasse aux oiseaux lacustres (bolas en andésite et en grès arenisca découverts dans le #11). • Activités spécialisées sur l’espace littoral, telles que le filage et le traitement de la laine qui nécessitent une grande quantité d’eau (cf. une applique circulaire perforée en céramique appartenant à une quenouille). Notons également la présence de deux percuteurs en pierre (deux sphères lisses en pierre découvertes dans le #8). • La présence de foyers (charbons de bois) et de céramiques utilitaires de type ollas pourrait correspondre à d’autres types d’activités quotidiennes sur cet espace, éventuellement en association aux activités spécialisés ou funéraires (500–800 PCN).
découverte et il n’existe quasi aucune représentation figurée de bateaux dans l’iconographie (chapitre 2). La tradition de production du balsa en totora a toutefois été transmise aux populations actuelles, notamment à l’île de Suriqui [Suriki], réputée pour sa communauté de balseros qui, de génération en génération, fabriquent des bateaux dans le respect des traditions ancestrales. Les anciennes embarcations du lac Titicaca étaient probablement assemblées en totoras pour la simple raison que ces roseaux lacustres constituent l’unique matière première disponible dans la région. Le bois est une ressource rare et devait être importé des versants orientaux de la cordillère des Andes. Cette situation a donc dû contribuer au développement d’une architecture navale native en totoras, caractérisés par une flottabilité très élevée et un potentiel de charge important (cargaison ou passagers) en fonction des dimensions de l’embarcation. Il s’agit également d’un bateau adapté au Titicaca car, dès que le vent se lève, la navigation y est très périlleuse. Comme en témoignent les deux auteurs suivants, « le vent se lève au crépuscule, un petit vent qui ne semble pas terrible, mais qui bientôt devient violent. Le lac se gonfle de vagues énormes qui arrivent de tous les côtés à la fois; il n’est pas rare d’apprendre que des barques qui n’ont pas pu rejoindre le port à temps se sont perdues corps et biens…» (Lelong et Lancrey-Javal 1955: 95). Dans le passé, la navigation sur le lac ne devait donc pas être prise à la légère; les conditions dangereuses de traversés ont probablement dû contribuer au développement tant d’une culture batelière avec des balseros expérimentés que de superstitions. Durant la période Tiwanaku, ces derniers représentent peut-être un groupe de personnes de statut particulier, en tant que spécialistes de la batellerie et du pilotage des balsas.
Il n’y a pas de constructions ou de secteurs permanents d’occupation sur l’espace littoral de Puncu; seul un renforcement de la berge a été aménagé durant la période Tiwanaku V (Figure 4.41). Puncu est principalement un espace de transit entre le continent et l’île du Soleil. La quantité d’artefacts y est par ailleurs beaucoup moins élevée que celle documentée sur les sites « terrestres » d’occupation. L’assemblage céramique, à l’exception de quelques rares exemplaires appartenant à d’autres formes (cuencos et vasijas), est également atypique; il est en fait principalement composé de ollas, tinajas, keros, sahumadores et incensarios et reflète la nature de l’utilisation de cet espace littoral. La comparaison de l’assemblage de Puncu avec celui potentiellement conservé de l’autre côté du détroit, sur l’espace littoral de Yampupata, permettra de compléter cette étude. La présence et la quantité de tinajas à Puncu durant la période Tiwanaku V confirment que le statut de l’île du Soleil évoluera durant cette période; pour reprendre les mots de Seddon, « la recherche à l’île du Soleil [sur l’unique complexe cérémoniel Tiwanaku de l’espace insulaire: Chucaripupata] indique que celui-ci [Chucaripupata] est un centre régional semi-autonome, mais que l’influence et le contrôle du site de Tiahuanaco s’intensifieront après 800 PCN » (Bauer and Stanish 2001; Seddon 1998; cit. in Janusek 2004: 69).
Aujourd’hui, nous constatons que la production et l’utilisation des balsas en totoras ont presque disparu. Pourtant, malgré l’apparition de bateaux en bois durant la période coloniale et celle des bateaux à vapeur à la fin du 19e siècle, les populations locales ont continué à utiliser ce type d’embarcation. Nous identifions trois facteurs qui ont contribué à la disparition tant des embarcations natives que des routes de navigation sur le lac Titicaca, lesquelles devant être inchangées depuis la période inca, au minimum (1430–1532 PCN). Premièrement, les balsas de totoras vont disparaître au profit de bateaux en bois de petite taille. Dans les années 1960, moins de 5% des bateaux utilisés par les habitants du Titicaca, qui ne bénéficiaient pas des bateaux commerciaux de tonnage important, étaient en bois. Ce nombre augmente progressivement, atteignant 33% dans les années 1970, 53% en 1976, 72% en 1980 et ± 90% dans les années 1990 (Orlove et al. 1991: 505). Ainsi, aujourd’hui, les bateaux en totoras ont presque disparu, hormis dans certains secteurs isolés (faible coût de production) et dans le secteur touristique (mais avec des productions de plus en plus originales, éloignées de la tradition). La nouvelle configuration de ces bateaux en
4.6.3. Espaces portuaires et navigation lacustre (500– 1532 PCN) L’utilisation de l’espace littoral de Puncu démontre que les anciennes populations du lac Titicaca devaient maîtriser la navigation pour accéder à et occuper les espaces insulaires. À l’heure actuelle, il n’existe toutefois aucune preuve matérielle directe associée aux pratiques et techniques de circulation sur le lac durant les périodes Tiwanaku et inca. Aucune épave préhispanique n’a été 99
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
500-800 PCN (Tiwanaku IV)
800-1150 PCN (Tiwanaku V)
RM RM
RM?
RM? ??
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Figure 4.41. Reconstitution hypothétique de l’espace portuaire TIV et TV en relation avec le paléo-niveau d’eau.
bois (architecture navale) aura des répercussions sur les techniques de navigation et sur les axes de circulation. L’introduction de la propulsion motorisée va accentuer ce phénomène car, avec l’augmentation de la vitesse, les bateaux prendront des trajectoires plus directes et donc différentes.
1963: 62–63). Les comportements liés aux activités de pêche ont donc été modifiés et les secteurs traditionnels de pêche sont délaissés au profit de parcs à truites situés en bordure des rives. La pêche en eau libre, au large des côtes, documentée par les sources ethnographiques (Vellard 1991: 503), est abandonnée, de même que certains axes de navigation.
Deuxièmement, l’actuelle économie piscicole est principalement basée sur l’élevage et la consommation de la truite. Cette espèce a cependant été introduite vers 1945–1950 et, en tant que prédateur, a fait disparaître la majorité des espèces endémiques du Titicaca (Vellard
Troisièmement, le développement du tourisme modifiera définitivement les axes principaux de circulation dans certaines parties du lac, en particulier à proximité de l’île du Soleil. Avec l’essor du tourisme, les bateaux sont 100
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu) devenus si nombreux que la majorité de la population lacustre bénéficie actuellement des axes touristiques de circulation, entre la baie de Copacabana et les nouveaux espaces portuaires insulaires. Les deux communautés de l’île du Soleil, Challa et Yumani, possèdent toutefois une flotte d’embarcations dont l’usage est exclusivement réservé aux habitants; elles assurent la jonction avec le continent deux fois par semaine (les jours de marché). Toutefois, bien que certains axes de navigation sont adaptés pour accéder à des habitations isolées situées dans des baies éloignées, la navigation s’organise par rotation au sein de la communauté; les pilotes sont les mêmes que ceux des agences touristiques ou communautaires. Les axes de circulation restent par conséquent identiques à ceux adoptés depuis quelques décennies. Dans le cadre du projet de fouilles 2016–2018, nous mènerons une campagne de « mémoire », afin d’enregistrer les connaissances des doyens des communautés; ceux-ci sont en effet les derniers à avoir encore connu les axes de circulation prétouristiques, et potentiellement préhispaniques (espaces portuaires).
(paysages naturels distincts), mais aussi parce que, à ces deux périodes, l’utilisation culturelle de Puncu ne répond pas aux mêmes enjeux socio-économiques, politiques et rituels. Par ailleurs, une ancre préhispanique (Figure 3.7) a été découverte à Puncu 1. Cet objet en pierre, manufacturé et perforé, localisé en prospection à 9 m de profondeur et à 6,5 m du piquet aval du sondage #2, montre non seulement que celui-ci est de culture inca, en association aux trois céramiques roulées INC du #2, mais également que Puncu 1 était un espace portuaire immergé qui servait de lieu de transit pour débarquer les pèlerins incas traversant le détroit de Yampupata. Cet artefact, inédit, représente l’un des premiers témoignages matériels directs des pratiques de la navigation sur le lac Titicaca de cette période. Durant la période Tiwanaku, le niveau du lac se situe à ± 5 m plus bas que le niveau actuel. Le littoral se caractérise par un espace plan non immergé de ± 20 m de large et utilisé sur toute la façade orientale du cap formant l’extrémité de l’île du Soleil. Durant la phase TV, une partie de ce littoral a été renforcé grâce à un aménagement des berges constitué d’agglomérats de pierres en créant artificiellement une surface approximativement horizontale en amont de celui-ci. Les bateaux pouvaient éventuellement s’accoster à cet aménagement lorsque le niveau d’eau du lac était élevé, mais il est plus probable que ceux-ci, à faible tirant d’eau, échouaient simplement sur les plages (Figure 4.43). Durant la période inca, l’espace littoral Tiwanaku est complètement immergé et ces derniers vont privilégier le site de Puncu 1. Les pèlerins, provenant de Yampupata de l’autre côté du détroit, accèdent dans un premier temps au « Puncu portuaire inca », avant de se rendre à pied jusqu’à la plate-forme précédant l’édifice identifié par Squier à la fin du 19e siècle, et ainsi accéder officiellement à l’« îlesanctuaire », par l’étroit passage de l’édifice du « Puncu terrestre » (Figure 4.43).
Dans ce chapitre, nous avons privilégié l’étude stratigraphique du dépotoir portuaire de Puncu en identifiant les différents paléo-rivages, les paléo-fonds lacustres (incas) et les anciens planchers d’occupations paléo-terrestres (Tiwanaku) associés aux fragments de céramiques (projection horizontale des artefacts). En faisant abstraction des différentes unités stratigraphiques, nous pouvons également analyser la distribution dans l’espace des artefacts de Puncu 1 et Puncu 2, en présentant la proportion d’artefacts dans les sondages en fonction de leur attribution culturelle (projection verticale des artefacts). Cette stratégie d’étude apporte de nouvelles informations, car elle permet d’identifier et de localiser à la fois l’espace portuaire de « Puncu Tiwanaku » (500– 1150 PCN) et celui du « Puncu inca » (1430–1532 PCN).
Ces résultats montrent par conséquent qu’excepté un chevauchement au niveau du sondage #5, l’espace portuaire Tiwanaku (500–1150 PCN) se situe dans le secteur de Puncu 2 et l’espace portuaire inca (1430–1532 PCN) se situe dans le secteur de Puncu 1. La localisation distincte entre ces deux ports est d’un intérêt crucial, car elle reflète, de manière diachronique, tant la variabilité de l’occupation du bassin lacustre que celle de l’utilisation du lac.
Les résultats démontrent que ces deux groupes culturels distincts n’ont pas utilisé le littoral insulaire de la même manière, car la distribution et la proportion des artefacts sur le fond lacustre ne sont pas homogènes: • Puncu Tiwanaku. Nous observons, d’une part, que 90,3 % des fragments de céramique attribués au (pré) Tiwanaku ont été enregistrés dans le secteur de Puncu 2 et, d’autre part, que 9,7% des artefacts restants proviennent de Puncu 1, dans les unités stratigraphiques 4 et 5 du sondage #5 (Figure 4.42). • Puncu inca. En revanche, nous observons, d’une part, que 87,3% des artefacts attribués à la période inca (ALT compris) ont été enregistrés dans le secteur de Puncu 1 au sein de tous les sondages, et, d’autre part, que 9,7% des artefacts restants proviennent de Puncu 2, dans l’unité stratigraphique superficielle (Figure 4.42).
On relève donc une rupture de tradition dans l’utilisation des espaces portuaires entre ces deux périodes. Les ports de l’époque coloniale ont sans doute été implantés sur ceux de la période inca, les Espagnols ayant en effet récupéré toutes les infrastructures des populations nouvellement conquises. Théoriquement, les espaces portuaires incas peuvent donc être localisés en identifiant les espaces d’occupation des 16e et 17e siècles; toutefois, ceux des périodes plus anciennes ne répondent pas aux mêmes mécanismes d’implantation.
Par conséquent, l’espace portuaire inca (Puncu 1) ne se trouve pas au même endroit que celui de la période Tiwanaku (Puncu 2), non seulement parce que le niveau du lac et la localisation des (paléo)rivages étaient différents
Ensuite, nous suggérons que la localisation du port des Incas reflète l’origine étrangère de ceux-ci. En effet, l’une 101
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 4.42. Identification de l’espace portuaire Tiwanaku (500–1150 PCN) et Inca (1430–1532 PCN).
des raisons qui nous ont poussé à intervenir sur le secteur de Puncu 2 réside dans les conditions de navigation; le secteur de Puncu 1 est beaucoup trop exposé aux vents et aux courants lacustres, ce qui a généré des difficultés de stabilisation de notre propre embarcation durant les interventions d’archéologie subaquatique de 2014. Les vents dominants lacustres, durant la saison sèche, viennent en effet de l’ouest et peuvent être très violents (Ronchail et al. 2014: 2–3). Or, nous constatons non seulement que le « Puncu de la période Tiwanaku » se situe dans un secteur protégé situé à l’est, mais également que la majorité des sites d’occupations de cette période sont situés sur la rive orientale insulaire (Stanish et Bauer 2004: 36, Fig. 2.6). Par conséquent, les populations Tiwanaku, des natifs, étaient des navigateurs expérimentés qui connaissaient leur écosystème et qui ont aménagé leurs espaces portuaires dans les secteurs adaptés, alors que les Incas, des étrangers, ont créé un espace portuaire adapté à leurs besoins durant la transformation de l’espace insulaire en « îlesanctuaire ». Puncu 1 correspond en effet au secteur le plus
proche de la péninsule de Copacabana et les Incas ont dû sélectionner ce site sans prendre en comptes les conditions de navigation. Pour les Incas, il devait être important que les pèlerins accèdent à l’île par la puerta rituelle [Puncu]; ils n’ont sans doute pas envisagé d’implanter l’espace portuaire au niveau de Puncu 2 car, pour y accéder, il faut dépasser le cap et littéralement s’avancer dans les terres au-delà de l’espace littoral. Enfin, nous pensons que ce constat apporte une nouvelle dimension à l’étude de l’utilisation du lac durant la période Tiwanaku, car a priori, celui-ci possédait un statut différent, celui d’un espace principalement socio-économique, alors que pour les Incas, ce même espace revêtait une portée d’ordre mythique. En effet, bien que cette hypothèse soit encore préliminaire, nous pensons que les populations Tiwanaku utilisaient l’entièreté du lac pour leurs activités piscicoles et pour accéder aux différents sites insulaires d’occupation (cf. sur
102
Identification et documentation de l’espace littoral Tiwanaku: fouilles 2014 (Puncu)
800-1150 PCN (TIWANAKU V)
Rivage actuel
PUNCU 2
0
20m
0
20m
1450-1532 PCN (INCA) INCA
PUNCU 1
YAMPUPATA
Figure 4.43. Identification et reconstitution de l’espace portuaire Tiwanaku (500–1150 PCN) et Inca (1430–1532 PCN).
103
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 4.7. Conclusion
les plages actuelles, la céramique Tiwanaku roulée), alors que les Incas réglementaient la navigation sur le lac, en limitant celle-ci exclusivement au trajet entre Yampupata et Puncu. Dans un récit de 1621, Gavilán indique que « sans vouloir écouter les originaires et résidents de l’île [du Soleil], l’Inca les a obligés à déménager au village de Yunguyo […] » (Ramos Gavilán [1621] 1976: 21). Les Incas ont donc déplacé les populations insulaires natives pour se réapproprier l’île du Soleil, dans tous les sens du terme. L’accès à celle-ci devait être strictement contrôlé via le secteur terrestre de Puncu (cf. la carte de Squier de 1895 figurant un passage étroit dans la « structure d’accueil » terrestre).
La localisation de la zone d’accès à l’île du Soleil et l’identification des espaces portuaires distincts de la période Tiwanaku [Puncu 2] (500–1150 PCN) et de la période inca [Puncu 1] (1430–1532 PCN) mettent en évidence de nouvelles thématiques indissociables de l’étude de l’occupation et de l’utilisation du bassin lacustre par les populations anciennes. La diversité des artefacts découverts sous l’eau permet d’aborder différentes problématiques de recherches dans une perspective diachronique: (1) les pratiques associées à l’espace littoral (espace portuaire, espace paléo-terrestre d’activités spécialisées, etc.), (2) les techniques de navigation sur le lac (bateaux et voies navigables) et (3) la circulation des biens et des personnes entre l’espace insulaire et le continent (commerce et pèlerinage).
L’absence d’artefacts incas dans les sondages que nous avons effectués devant le site de Pilko-Kayma et dans la baie de Yumani (la fontaine de l’Inca) en 2014 prouvent que les autres secteurs d’occupation inca de l’espace littoral insulaire ne possèdent pas de fonction portuaire; nous présenterons les résultats issus de ces sondages « stériles » dans le projet postdoctoral. Nous envisageons seulement la présence potentielle d’un « port rituel » connecté aux complexes cérémoniels situés au nord de l’île (rocher sacré), à partir duquel les prêtres se rendaient à l’arrecife de Khoa pour y réaliser les offrandes subaquatiques. Les Incas ont donc probablement délaissé l’opportunité socioéconomique potentielle du Titicaca car, à leurs yeux, le lac avait principalement un statut d’espace mythique et sacré; durant la période Tiwanaku, des tabous de circulation sur le lac ne devaient vraisemblablement pas exister. Cette hypothèse pourrait rejaillir sur l’interprétation des pratiques d’offrandes subaquatiques documentées à Khoa (chapitre 5) car, dans cette optique, les Incas effectuaient avant tout des offrandes à la Huaca Titicaca, sur le site de Khoa, alors que les officiants de la période Tiwanaku présentaient plutôt des offrandes associées à la charge sacrée de Khoa, et non du lac.
Nous avons déterminé que le niveau du lac durant la période inca est presque identique au niveau actuel, alors que celui de la période Tiwanaku était au minimum 4 m plus bas. Les périodes plus anciennes (LF1 et LF2) semblent également avoir utilisé ces espaces de manière plus intensive, grâce à un niveau d’eau du lac particulièrement bas; on en privilégiera l’étude dans le futur. Dans le cadre de ce projet, nous observons principalement que la majorité de la zone littorale de la période Tiwanaku est aujourd’hui inondée par les eaux du lac Titicaca. La localisation de l’espace littoral de cette période ouvre donc des perspectives de recherche exceptionnelles pour les deux raisons suivantes: • il existe plus de 300 km de côtes lacustres dans la partie bolivienne du lac Titicaca qui n’ont jamais été fouillées et étudiées. Cela représente plus de 560 km2 de territoire aujourd’hui immergé, rien que dans la région méridionale du lac ; • nous estimons qu’à l’heure actuelle 90 % du patrimoine matériel Tiwanaku et inca conservé sous l’eau se situe dans l’espace littoral.
Une note manuscrite sur la carte de l’île du Soleil dessinée par Bandelier en 1895 (N° catalogue Z/118 ; American Museum of Natural History, AMNH) indique que le trajet en bateau en totora depuis Yampupata jusqu’à l’hacienda de Challa, située au nord de l’île du Soleil, a duré quatre heures. Ce trajet est long de ± 9,7 km. Par conséquent, le site d’offrandes subaquatiques de l’arrecife de Khoa, situé à ± 10 km de Challa, devait nécessiter au minimum huit heures de navigation, aller et retour. Cela indique que le site de Khoa était difficile d’accès, mais aussi que deux jours étaient nécessaires aux acteurs des cérémonies d’offrandes pour effectuer le trajet. Dès lors, on peut s’interroger si l’île de Khoa, situé à 300 m de l’arrecife, jouait ou non un rôle d’étape, dans le cadre de la cérémonie d’offrandes subaquatiques.
L’analyse des (paléo)rivages lacustres sera par conséquent le principal objet de recherches du programme de fouilles 2016–2018 dont les opérations s’élargiront vers d’autres espaces littoraux et insulaires. Dans la deuxième partie, notre projet de thèse se concentre sur la problématique des offrandes subaquatiques de Khoa. D’un point de vue méthodologique, nous avons décidé de présenter au préalable les résultats issus des fouilles de Puncu (2014) avant celles réalisées au site d’offrandes de l’arrecife de Khoa (2013); ces résultats nous permettent d’aborder cette nouvelle problématique en ayant connaissance de données pouvant aider à la compréhension des pratiques documentées sur le site.
104
Partie II Pratiques d’offrandes d’incensarios et perception de l’espace sacré Tiwanaku
105
Chapitre 5 L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) terrestre. Notre approche méthodologique, énoncée dans le premier chapitre, met en exergue l’intérêt d’intégrer l’étude des sites immergés au sein d’un paysage culturel et matériel présenté dans la littérature scientifique. Un site d’offrandes sous l’eau ne peut être abordé de manière isolée, car il ne représente pas un événement unique ou accidentel. Le concept de time capsule [contexte clos contemporain], propre aux contextes de découvertes d’épaves, n’est pas applicable dans cette situation. Khoa documente des activités du passé en relation avec d’autres espaces non immergés.
5.1. Introduction Les fouilles réalisées sur le site portuaire de Puncu ont démontré que l’analyse du patrimoine subaquatique du lac Titicaca contribue à l’étude de la culture Tiwanaku et, en particulier, fournit de nombreuses informations inédites sur les variations diachroniques de l’espace littoral. Le lac Titicaca n’était pas une contrainte ou un volume inutile au sein du paysage culturel. Bien au contraire, l’occupation des rives met en évidence de nombreuses activités socioéconomiques: le lac était un vecteur de communication et d’échanges à travers tout le bassin lacustre. Le Titicaca se positionne donc au centre de l’espace; il est à la fois omniprésent dans le paysage culturel et au cœur de l’identité des populations qui ont évolué sur ses rives et ses îles. Il n’est donc pas surprenant que la relation subconsciente entre l’homme de Tiwanaku et le lac ait engendré des pratiques de type rituel. Celles-ci nous sont perceptibles grâce à l’archéologie subaquatique.
En l’absence d’écriture, nous ne possédons pas de composantes narratives directes sur Tiwanaku. Le patrimoine matériel représente par conséquent la principale source d’information nous permettant d’aborder la thématique des offrandes subaquatiques préincas. Le paysage culturel Tiwanaku est différent du paysage culturel inca. Cette distinction se reflète dans la nature des offrandes découvertes à l’arrecife de Khoa entre 1977 et 1992: durant la période Tiwanaku, les offrandes subaquatiques s’articulent autour de céramiques-effigies à têtes de puma, les incensarios (500–1050/1150 PCN), et durant la période inca, les offrandes se caractérisent par vingt-huit coffrets en pierre, des contenants de l’offrande (1430–1530 PCN) (Rivera Sundt 1992: 9). L’objet incensario constitue par conséquent l’unique indice matériel en céramique Tiwanaku dont nous disposons pour aborder la question du paysage culturel de cette époque. Il s’agit d’un témoignage essentiel non seulement de l’offrande subaquatique, mais également des registres archéologiques terrestres où il est omniprésent. Ce constat, servant de base à notre raisonnement, conditionnera en outre notre stratégie de recherche telle que nous la développerons dans cette seconde partie, en menant une étude approfondie de l’objet incensario (chapitres 6–8).
Dans cette seconde partie, nous proposons d’aborder le concept de paysage rituel Tiwanaku. En d’autres mots, nous essayerons de déterminer la perception de l’espace sacré par l’homme de Tiwanaku grâce à l’analyse de pratiques rituelles, en particulier celles associées au lac. Dans un premier temps, nous concentrerons nos recherches sur un site atypique, l’arrecife de Khoa, qui offre un espace d’étude privilégié. Ce site d’offrandes subaquatiques présente en effet la particularité de n’avoir subi aucune interaction anthropique ancienne en dehors des activités rituelles: le site, immergé, n’est ni aménagé ni construit. Dès lors, les offrandes y illustrent, sans interférences, la relation entre ce groupe culturel et l’espace lacustre. De plus, l’arrecife de Khoa documente des pratiques appartenant à différentes cultures — Tiwanaku et Inca — qui possèdent, chacune, une identité culturelle distincte. Les offrandes subaquatiques sont donc un témoignage unique permettant, à la fois, d’aborder les différentes perceptions de l’espace sacré à travers le temps et d’enrichir notre analyse par analogie comparative. Enfin, Khoa, découvert en 1977, est le seul site subaquatique documenté par la littérature scientifique. Les fouilles que nous y avons réalisées en 2013 nous ont conduit à identifier de nouveaux mécanismes de sédimentation et d’érosion propre à l’espace lacustre, en relation avec du matériel anthropique. Cette analyse a été déterminante dans la localisation de nouveaux sites archéologiques immergés dont celui de Puncu.
En parallèle, les offrandes de la période inca illustrent un phénomène unique d’adaptation au contexte lacustre. Les offrandes sont normalisées et constituées de figurines miniatures en or, en argent et en spondyle — le contenu —, mais se distinguent des offrandes terrestres par l’élaboration de coffrets en pierre — les contenants — permettant l’immersion des offrandes dans le lac. La proximité et la mixité culturelle des offrandes au sein de ce même contexte de découverte subaquatique ont, dans le passé, influé sur la compréhension du site archéologique. La mise en place d’un programme de recherche planifié, dirigé par J. Reinhard et son équipe entre 1989–1992, va toutefois permettre de dissocier ces différentes pratiques et démontrer que l’arrecife de Khoa était avant tout un site
Traditionnellement, l’archéologie subaquatique est menée en marge des études archéologiques du bassin lacustre
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie d’offrande majeur au sein du paysage culturel Tiwanaku (1992a: 419–530). Dans le cadre de ce chapitre, nous proposons d’analyser les contextes de découvertes et l’assemblage des offrandes de la période Tiwanaku. 5.2. Antécédents (1977–1992) L’arrecife de Khoa, un affleurement rocheux immergé, se situe au large des côtes septentrionales de l’île du Soleil, à proximité de l’île de Khoa. Malgré son isolement, de nombreuses opérations de plongée s’y sont déroulées entre 1975 et 2004 (chapitre 3). Nous distinguons toutefois quatre périodes principales d’opérations subaquatiques, non seulement d’un point de vue chronologique, mais également d’un point de vue méthodologique: (1) en septembre 1977 (découverte du site), (2) en janvier 1988 (redécouverte du site), (3) en juillet 1988 (première topographie du site), (4) et la mission de J. Reinhard entre 1989 et 1992 (apparition de la démarche archéologique planifiée) (Ponce et al. 1992) (Annexe 3.1).
Figure 5.1. Fragment de tête d’incensario découvert en 1977 (Photo J. Reinhard).
Dès la découverte archéologique du site en 1977 par des étudiants de nationalité japonaise, une tête de puma appartenant à une céramique-effigie Tiwanaku de type incensario a été remontée par les plongeurs avec quatre coffrets en pierre et cinq figurines en spondyle d’affiliation inca (Pareja 1992: 693–694, 703, 706) (Annexe 5.1). Cette première découverte n’a toutefois pas retenu l’attention et les autorités boliviennes ont interrompu ces opérations menées au lac Titicaca sans aucune coordination avec l’Institut National d’Archéologie de Bolivie (INAR) (Ponce 1992a: 84–85). L’état de conservation de la tête d’incensario découverte en 1977 (Figure 5.1) indique que celle-ci a été trouvée en contexte subaquatique (Reinhard 1992: 424), et probablement sur une couche superficielle. Certains fragments de céramiques découverts entre 1989 et 1992 présenteront en effet exactement les mêmes conditions de conservation, révélant un sédiment superficiel abrasif, alors que d’autres, découverts en 2013, seront non érodés.
Nous avons identifié et synthétisé dans le troisième chapitre les cinq facteurs principaux qui ont eu une incidence sur la localisation, l’étude et le déroulement des différentes opérations menées dans le secteur de Khoa depuis 1975: le contexte culturel (la tradition orale et les croyances), le contexte historique (les premières plongées au Titicaca), le contexte de découverte en 1977 (fait divers relayé par la presse), les contextes environnementaux (les saisons et les fluctuations du lac), et le contexte hyperbare (mutations régulières du paysage subaquatique). Les premières découvertes effectuées à Khoa ont été déterminantes dans notre stratégie de recherche, car statistiquement, 73 % des artefacts sortis de l’eau entre 1977 et 1988 appartiennent à des offrandes subaquatiques de la période inca (Annexe 5.1). Ces chiffres indiquent que les premiers objets découverts par les plongeurs sont plus récents, et qu’ils étaient donc plus aisément repérables stratigraphiquement à la surface du sédiment que les offrandes de la période Tiwanaku. Au total, entre 1977 et 1992, nous comptabilisons 427 fragments et objets découverts à l’arrecife de Khoa. Nous avons inventorié et identifié l’affiliation culturelle (a posteriori) de chaque lot d’objet(s) par ordre de découverte (Annexe 5.1). Les opérations menées par Reinhard et son équipe à partir de 1989 représentent une « rupture », car seuls 6,5 % des objets découverts appartiennent à la période inca, contre 93,5 % à la période Tiwanaku. La stratégie de recherche a été adaptée, et le sédiment superficiel [± 50 cm] a été pour la première fois l’objet de recherches méthodiques. Cette seconde observation sera également déterminante dans notre propre stratégie de recherche, car les résultats obtenus entre 1989 et 1992 indiquent que l’accumulation sédimentaire de l’arrecife peut conserver potentiellement des offrandes plus anciennes appartenant à la période Tiwanaku. Par rapport à l’histoire des recherches effectuées à l’arrecife de Khoa entre 1977 et 1992, nos découvertes d’artefacts Tiwanaku seront de plus en plus nombreuses à mesure que l’on aura plongé plus profondément.
Les plongeurs n’informeront jamais les autorités boliviennes du lieu de provenance de ces objets (Reinhard 1992: 424). Ils furent arrêtés dans la juridiction de Copacabana (île du Soleil) (Shapiro 1978: 17), et une nouvelle mission japonaise, possédant a priori les informations sur le lieu exact des découvertes de 1977, commença directement ses investigations à l’arrecife de Khoa en janvier 1988 (Reinhard 1992: 425). Durant cette nouvelle mission (redécouverte du site archéologique), différents plongeurs de nationalité japonaise se succéderont entre le 9 et le 22 janvier 1988 dans le cadre d’un projet de film documentaire produit par Nippon TV (Portugal 1992: 537). Les plongeurs remonteront huit coffrets en pierre inca, des contenants, et trois petits tupus miniatures incas, en contenu (Annexe 5.1). Ceux-ci ont été découverts à une profondeur de 8 m « autour d’un affleurement de roche naturelle » situé entre les îles de Khoa et de Pallalla [arrecife de Khoa] (Portugal 1992: 537–538). Aucun artefact de la période Tiwanaku n’a été localisé ou remonté à la surface.
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L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.2. Fragments d’incensarios découverts en 1988 (d’après Archives UDAM [adaptées], Torai Mozai).
Ceux-ci n’étaient donc probablement pas visibles sur le fond lacustre.
d’incensario isolé provient de la partie orientale du site situé à 9,5 m de profondeur (n° 11), et les six coffrets incas en pierre proviennent de différentes zones situées entre 4 et 11 m de profondeur (n ° 1, 4–5, 10, 12, 16) (Figure 5.3). Ces données apportent donc de nouvelles informations, car la distribution des offrandes au sein de l’espace immergé est différente: les incensarios Tiwanaku sont situés entre 8 et 10 m de profondeur et peuvent se caractériser par des contextes clos (ensembles d’incensarios), alors que chaque offrande inca a été localisée isolément, à des paliers de profondeurs variant entre 4 et 11 m.
La même année, un nouveau projet audiovisuel produit par une autre entreprise de communication japonaise, Asahi TV, effectuera des plongées sur le site entre le 12 et le 18 juillet 1988 en compagnie de plongeurs ayant participé à la mission de janvier (Ponce 1992a: 106–107). Durant une semaine d’opération, les plongeurs remonteront seize objets: six coffrets en pierre inca, une ancre en andésite, une pierre indéterminée, un os de camélidé et sept fragments d’incensario Tiwanaku (Figure 5.2). Pour la première fois, la localisation de ces artefacts, numérotés de 1 à 16, a été consignée sur un plan topographique réalisé par Torai Mozai (Portugal 1992: 541–546).
Huidobro écrira en 1983 qu’il « est incontestable que le matériel récupéré par les Japonais [en 1977] correspond à des objets rituels [incas] de la Pachakocha [Capacocha] ou Kochamama […] » (in Ponce 1992a: 86). La découverte de nouveaux fragments de céramique de la période Tiwanaku en juillet 1988 « assure l’existence d’un site cérémoniel d’offrandes subaquatiques […], qui correspond à la période Tiwanaku IV, et réutilisé par la suite par l’Empire inca » (Portugal 1992: 546).
Citons Ponce Sanguinés: « le plus intéressant, sans aucun doute, a été la découverte de fragments de sahumerios de la culture Tiwanaku sur le site […]. Six de ces fragments ont été trouvés à proximité, comme s’il s’agissait d’un seul ensemble d’offrandes [contexte clos] » (Ponce 1992a: 107). Parmi ces six fragments, nous observons au moins quatre incensarios différents, dont la base d’un incensario de forme zoomorphe (Figure 5.2).
En juillet 1988, un total de seize coffrets en pierre a déjà été remonté à la surface, ainsi que huit fragments de céramiques de type incensario. Or, excepté trois tupus miniatures en or provenant d’un coffret mis au jour en janvier 1988 (Annexe 5.1), aucune information documentée par le registre archéologique ne permet de déterminer le contenu potentiel de ces coffrets. Portugal suggère que ceux-ci sont « peut-être de la période inca » (1992: 547), mais n’exclut pas la possibilité d’une tradition plus ancienne ayant débuté durant la période Tiwanaku et réactivée durant la
Les offrandes ont été découvertes « entre 7 et 12 m de profondeur » autour d’un affleurement rocheux délimitant une surface d’intervention de 22 x 15 m (Ponce 1992a: 107). D’après les relevés topographiques de Torai Mozai, la majorité des fragments d’incensarios proviennent en effet d’un seul secteur situé au nord du site entre 8 et 9 m de profondeur (n° 6–9, 13–14), un autre fragment 109
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.3. Arrecife de Khoa – opérations de juillet 1988 (d’après Archives UDAM [adaptées], Torai Mozai).
période inca. À titre d’hypothèse, Portugal propose une reconstitution des offrandes subaquatiques de la période Tiwanaku avec un assemblage composé d’incensarios, de sahumadores, de tupus miniatures et de coffrets en pierre (Portugal 1992: 555, Fig. 4.1). En dépit de la trouvaille, en juin 1991, par Reinhard et son équipe de deux coffrets en pierres contenant des figurines miniatures de facture inca, il restera toujours un doute sur l’affiliation culturelle de ce matériel. Reinhard écrira en effet en 1992 à la fin de sa mission que « les coffrets ont été très probablement manufacturés durant la période inca […] » (1992: 434).
En juin 1989, les premiers travaux seront consacrés à la mise en place de référentiels subaquatiques. Six stations, des piquets en métal, seront installées à travers le site: les stations A et B permettent de trianguler les artefacts localisés dans la partie nord-est de l’arrecife, les stations C et D couvrent la partie sud-ouest de l’arrecife, et les stations E et F délimitent le secteur nord-ouest (Figure 5.4, topographie de J. Reinhard). Cette stratégie permettra de couvrir tout l’espace, car l’affleurement rocheux [arrecife] sépare physiquement les différents secteurs et interdit l’accès à certaines stations. Celles-ci seront reportées sur un plan, et permettront non seulement d’enregistrer la localisation de chaque artefact découvert entre 1989 et 1992, mais aussi de déterminer la morphologie du site en termes de dimensions, de profondeurs et d’orientation.
À partir de juin 1989, les différentes opérations dirigées par J. Reinhard correspondent donc à la quatrième et dernière étape principale des investigations menées à l’arrecife de Khoa: (1) en juin et juillet 1989, (2) en juin 1990, (3) en août 1990, (4) en février et mars 1991, (5) en juillet et août 1991 et (6) en janvier 1992 (Reinhard 1992: 428, 737) (Annexe 3.1). En étroite collaboration avec l’Institut National d’Archéologie de Bolivie (INAR) et en fonction des résultats obtenus en 1988, toute la stratégie d’étude et de recherche sera réévaluée: « une étude du site paraît essentielle, aussi bien en termes de références [topographiques] pour contextualiser les objets découverts précédemment, que pour réaliser une recherche archéologique systématique des artefacts […] » (Reinhard 1992: 429).
Deux techniques de prospection ont été utilisées: la première consiste à effectuer des rotations autour de chaque station à l’aide d’une corde graduée pour couvrir l’espace par intervalle de 2 m (prospection circulaire), la seconde technique cible tous les lieux atypiques susceptibles de conserver des artefacts, tels que les poches sédimentaires, les failles, fissures et le sommet de l’arrecife (prospection intuitive). Chaque fois qu’une offrande ou un lot de fragments est localisé, les stations les plus proches sont utilisées pour trianguler le point et le reporter sur le plan (Reinhard 1992: 430). À la fin du mois de juin 1990, les 110
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.4. Arrecife de Khoa – opérations de 1989 et de 1990 [stations et offrandes] (Plan et Photo de J. Reinhard).
plongeurs ont topographié soixante-trois offrandes ou lots d’offrandes, dont des coffrets en pierre (en rouge sur la Figure 5.4), des fragments d’incensarios (en vert), des ossements (en bleu) et des objets en métal précieux (en jaune).
à de nouvelles découvertes atteignant ainsi un total de cent trente et un lots (Reinhard 1992: 467, Fig. 3.6). Tout le matériel a été photographié, étudié et inventorié par Eduardo Pareja (1992: 583–706). Les fragments d’incensarios issus du secteur nord de l’arrecife sont particulièrement intéressants en raison de leurs différentes conditions de conservation: certaines céramiques sont quasi intactes et légèrement érodées, alors que d’autres sont sévèrement endommagées (Figure 5.5).
Au moins quatre coffrets incas en pierre figurent parmi les dix premiers objets topographiés par Reinhard en 1989 (n° 4, 5, 6, 8). Dans un article de presse daté du 14 août 1988 et paru dans le journal japonais Nagasaki, le plongeur Shinicki Sato indique au journaliste qu’« ils ont trouvé des offrandes dans le Titicaca [en juillet 1988?], mais qu’ils ont observé encore d’autres objets au fond du lac » (traduction du japonais au français, Pr Shizuka Watanabe – ULB). Shinicki Sato est l’un des plongeurs japonais ayant participé à la mission de janvier 1988 et le promoteur de la seconde mission de juillet 1988. Nous ignorons si le commentaire de S. Sato se réfère à la première ou à la seconde mission; il est vraisemblable que tous les objets observés par les plongeurs n’ont pas été remontés en 1988 et qu’ils furent les premiers à être enregistrés dès 1989.
L’étude taphonomique du matériel apporte de nombreuses informations sur les contextes de découvertes et indirectement, sur les pratiques anthropiques. En contexte subaquatique, le principal phénomène d’érosion qui a une incidence sur l’état de conservation de l’objet archéologique est mécanique. Une céramique érodée peut indiquer que l’objet est resté exposé un certain temps aux courants lacustres et aux sédiments abrasifs et qu’il provient éventuellement d’une couche superficielle. Une céramique fragmentaire peut indiquer que l’objet s’est fracturé lors du dépôt, ou a posteriori lors d’un effondrement. La présence d’un incensario presque intact confirme dès lors que le processus de fragmentation observé sur d’autres exemplaires n’est pas anthropique (Figure 5.5). Enfin, une céramique légèrement érodée peut indiquer que celle-ci a été protégée, et probablement enfouie plus rapidement dans des couches sédimentaires plus épaisses ou moins abrasives (argile). Les facteurs biologiques (microorganismes) ou chimiques (taux d’acidité et de sel dans l’eau) ont également une incidence et pourraient aussi
Reinhard constate que la majorité des fragments d’incensarios ont été localisés « le long de la base du côté nord de l’arrecife », dans le même secteur où furent découverts les autres fragments en juillet 1988. Tous ces fragments ont donc été découverts « sur une superficie qui n’excède pas les 10 m de long sur 4 m de large » (Reinhard 1992: 432–433) (Figures 5.3 et 5.4, en vert). À la fin du mois d’août 1991, le plan fut complété grâce 111
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.7. Station de référence et morphologie de la partie nord du site (point A) (Photo J. Reinhard).
Figure 5.5. Incensarios découverts en 1989–1990 [objets n°39] (Photo J. Reinhard).
ossements et des fragments d’incensarios (Reinhard 1992: 737–739) (Figure 5.6). Les observations consignées par Reinhard et la localisation des offrandes sont donc particulièrement précieuses pour reconstituer certains assemblages et leur répartition dans l’espace. Il n’y a pas eu de fouille archéologique proprement dite à l’arrecife de Khoa. Reinhard décrit le fond lacustre comme un espace rocailleux avec des poches sédimentaires entre les blocs où le sable s’est accumulé. Les objets proviennent presque tous des couches superficielles (1992: 433). Suite à la trouvaille des derniers objets en janvier 1992 (Figure 5.6), il complète sa description en indiquant que « les artefacts Tiwanaku mis au jour au fond de l’arrecife dans la partie nord du site à proximité du point A étaient enterrés en dessous de pierres et à une profondeur approximative pouvant atteindre 30 cm [en surplus de la couche de pierres] » (Reinhard 1992: 738) (Figure 5.7).
Figure 5.6. Feuilles d’or zoomorphes associées à des incensarios – janvier 1992 (Photo J. Reinhard).
expliquer l’absence d’engobe et d’iconographie, à moins que celle-ci soit intentionnelle.
D’autres artefacts apportent également de nombreuses informations sur les contextes de découvertes et sur les mécanismes d’érosion et de sédimentation du site. Ainsi, Reinhard précise que le médaillon Tiwanaku en or avec la tête incisée du Dieu-aux-bâtons [n° 70 – février 1991] provient d’une poche sédimentaire colmatée par un grand rocher (1992: 432). Ensuite, une ancre en pierre a été localisée dans « une petite fissure » dans la partie nord de l’arrecife [janvier 1992] et un coffret en pierre était conservé « sous la roche dans une ouverture naturelle » à l’extrémité nord du site [janvier 1992] (Reinhard 1992: 737). Enfin, un autre coffret intact en pierre [n° 8- juin 1989] contenant une figurine en métal représentant un lama [n° 7 – juin 1989], a été trouvé « sous un grand rebord de la roche et coincé par une énorme pierre […] et qu’il semble que ce rocher soit tombé de l’arrecife après que le récipient soit lui-même tombé ou déposé à cet endroit » (1992: 431).
Les matériaux en pierre utilisés pour les coffrets et les ancres, les ossements de camélidés, de batraciens ou d’oiseaux et les métaux de période Tiwanaku ou inca sont beaucoup plus résistants en contexte subaquatique. Malheureusement, l’affiliation culturelle est malaisée à déterminer en l’absence de critères spécifiques d’identification. Les assemblages et les observations en milieu subaquatique sont donc particulièrement importants pour assigner l’affiliation culturelle. Par exemple, Reinhard écrit que le vase en or non décoré [n° 76 – février 1991] découvert en dessous d’un incensario Tiwanaku [n° 65 ou n° 69] date probablement de la période préinca (1992: 432). Il indique également que la majorité des ossements d’oiseaux et de camélidés se trouvaient à proximité des incensarios (1992: 432). Par ailleurs, durant une dernière expédition en janvier 1992, deux feuilles d’or zoomorphes représentant « une figure mythologique qui cumule à la fois des caractéristiques de félins et de camélidés » ont été découvertes à proximité du point A (zone de concentration de la partie nord), associées à des
Ces dernières observations sont importantes, car elles décrivent tant les différentes mutations du paysage subaquatique que celles de l’arrecife. Certaines 112
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) offrandes de la période Tiwanaku et de la période inca ont été colmatées par des couches d’effondrements. Théoriquement, dans certaines situations, les offrandes Tiwanaku pourraient donc être stratigraphiquement séparées des offrandes incas par une couche de pierres. Aucun fragment de céramique n’a été découvert sur l’affleurement rocheux (Reinhard 1992: 433). Les premiers vestiges ont été localisés sur le plateau sédimentaire rocailleux situé au pied de l’arrecife, et les « derniers » à une distance maximale de 20 m autour de celui-ci. Les opérations extensives d’archéologie subaquatique menées entre 1989 et 1992 permettent donc de délimiter le site archéologique dans un espace de ± 2400 m2 (Figure 5.4). Toutes les couches superficielles de cet espace ont été l’objet d’interventions et la distribution spatiale des offrandes est donc théoriquement représentative.
ont été placées dans des coffrets en pierre sculptée (avec l’intention probable de les descendre dans l’eau) durant une période humide, et que les incensarios et vasijas Tiwanaku (qui semblent seulement adaptés à un endroit sec) ont été déposés au cours d’une période de sécheresse » (1992: 436). Il confirme que durant la période inca, il s’agit d’offrandes subaquatiques intentionnelles effectuées dans le lac. En parallèle, il envisage une pratique d’offrandes d’incensarios sur l’arrecife lorsque celui-ci était en dehors de l’eau et que de facto, cela indiquerait que « l’arrecife de Khoa émergeait de l’eau — ne fut-ce que durant une courte période — durant la période Tiwanaku » (Reinhard 1992: 436). 5.3. Problématiques et stratégie de fouilles (2013) Grâce aux publications de Ponce Sanguinés, pour la première fois, un site archéologique immergé est documenté par l’archéologie. Ces travaux ont notamment permis de rompre avec le schéma traditionnel d’interprétation généralement associé au patrimoine subaquatique du lac Titicaca qui aurait été peuplé de trésors et villes englouties. Les descriptions et les observations des contextes de découvertes illustrées par Reinhard et son équipe entre 1989 et 1992 constituent par ailleurs l’unique corpus d’informations disponibles permettant d’identifier les problématiques indispensables à la démarche archéologique en contexte hyperbare:
L’arrecife de Khoa est généralement immergé. Toutefois, en fonction des fluctuations saisonnières ou apériodiques du lac Titicaca, le site « est visible en dehors de l’eau dans de nombreuses occasions » (Ponce 1992 b: 337–338). Par exemple, durant les opérations de 1989–1992, le sommet de l’arrecife de Khoa était situé à 2 m de profondeur au mois de juin 1989 lors de la topographie du site, tandis qu’il émergeait de l’eau au mois d’août 1991 (Figure 5.8). Le thème des fluctuations du lac est indissociable de la démarche archéologique subaquatique; il représente un thème récurrent développé dans la monographie publiée en 1992 par Carlos Ponce et ses collègues, Exploraciones arqueológicas subacuáticas en el lago Titikaka.
1. Les mutations du paysage lacustre et subaquatique à travers le temps 2. Les mécanismes d’érosion et de sédimentation lacustre 3. Les mécanismes de remaniements des couches archéologiques (contextes secondaires) 4. La mixité culturelle d’artefacts issus de contextes de découvertes identiques 5. L’identification d’artefacts jusque alors inconnus en registre archéologique terrestre et mettant ainsi en évidence des pratiques culturelles propres à l’espace lacustre.
Sur base de la typo-chronologie développée par Ponce Sanguinés, Reinhard suggère que les incensarios de la période Tiwanaku correspondent à la période classique ou post-classique datée de 374 à 724 PCN (Tiwanaku IV) (1992: 432). Les offrandes incas, quant à elles, peuvent être datées de la fin du 15e siècle (1992: 435–436) d’après un texte de Ramos Gavilán (1621). En comparant ces datations avec les donnés paléoclimatologiques (Thompson 1985), Reinhard précise qu’« il ne s’agit probablement pas d’une coïncidence si les offrandes incas
L’arrecife de Khoa se positionne toutefois en marge des autres sites fouillés en 2014, comme Puncu. En effet, le site représente un espace en rupture avec la logique définissant le paysage culturel et déterminant les stratégies d’occupation de l’espace littoral et insulaire durant les périodes anciennes. Pour reprendre les mots de Ben Ford: « l’espace est un endroit pour l’activité humaine, et peut ne pas avoir d’importance culturelle en dehors de cette activité. L’espace est toujours présent, mais jusqu’à ce que les humains l’utilisent […], il n’existe pas anthropologiquement (Ford 2011: 1). À l’échelle géologique, l’arrecife de Khoa a toujours existé; il se dote en outre d’une existence anthropologique à partir du moment où cet espace est investi d’une signification pour une personne ou une collectivité. Les motivations qui ont mené à l’apparition d’une intervention anthropique sur le site répondent par conséquent à une logique définissant le paysage rituel et liée aux croyances et à l’espace cognitif reflétant l’identité de populations anciennes.
Figure 5.8. Sommet de l’Arrecife de Khoa hors de l’eau au mois d’août 1991 (Photo J. Reinhard [adaptée]).
113
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie En l’absence d’écriture et de composantes narratives propres à la culture Tiwanaku, l’identification de ces espaces naturels et non aménagés, en particulier subaquatiques, répond à un schéma cognitif qui nous est très peu accessible. Quels que soient les facteurs qui ont mené à la découverte de ce site archéologique, la reconnaissance de celui-ci constitue une opportunité unique d’appréhender l’espace sacré Tiwanaku et, indirectement, les croyances de ces populations préincas grâce à l’analyse des offrandes d’incensarios et des gestes de la pratique rituelle.
5. Un secteur en particulier documente une concentration d’offrandes Tiwanaku: la partie nord de l’arrecife à proximité du point A (Figure 5.4). Toutefois, d’autres fragments d’incensarios ont été localisés sur le site; ainsi, la distribution des offrandes au sein de l’espace ne serait théoriquement pas liée à un seul secteur. 6. De nombreux objets tels que les ossements (lama, batracien, oiseau) et les feuilles-objets en métal précieux ne possèdent pas de caractéristiques spécifiques autorisant une affiliation culturelle précise. Ils sont soit associés aux offrandes incas, soit aux offrandes Tiwanaku, soit aux deux.
À partir des descriptions du site, des offrandes et des différents contextes relevés entre 1989 et 1992, nous sommes en mesure d’énoncer différentes observations sur la pratique de l’offrande d’incensario(s) et sur leurs conditions de conservation:
Ces différentes considérations servent de base au raisonnement conditionnant le choix des techniques et des stratégies de fouilles utilisées lors de nos opérations d’archéologie subaquatique au lac Titicaca en 2013 (ULB). Lors de cette seconde mission sur le terrain, organisée dans la continuité de celle effectuée en avril 2012 (prospection géophysique), différentes opérations ont été réalisées au mois de février 2013 (reconnaissance visuelle des sites) et aux mois de juin et juillet 2013 (fouilles subaquatiques en sondages). L’objectif était de documenter différents secteurs du lac Titicaca en vue d’identifier et de quantifier la nature du patrimoine subaquatique lacustre au sein de l’accumulation sédimentaire (Chapitre 3).
1. L’histoire des recherches a montré que les offrandes Tiwanaku étaient à peine perceptibles sur le fond lacustre. Elles sont progressivement mises au jour dès que le sédiment superficiel (± 50 cm) est l’objet d’exploration systématique. Les offrandes Tiwanaku sont donc conservées stratigraphiquement en dessous des offrandes incas, et dans des couches plus profondes. 2. La distribution des artefacts au sein de l’espace montre que les offrandes incas se situent entre 2 et 12 m de profondeur tandis les offrandes Tiwanaku apparaissent entre 8 et 11 m. La thématique des fluctuations du lac est au cœur de la problématique; l’on prendra donc en considération la répartition de ces offrandes d’affiliation culturelle distincte, car elle peut éventuellement refléter la présence de paléorivages différents. 3. Les offrandes incas, consistant, rappelons-le, en contenants, montrent que celles-ci étaient déposées intentionnellement sous l’eau au pied de l’arrecife ou sur celui-ci. A contrario, la nature et l’état de conservation de certaines offrandes de la période Tiwanaku, tels les incensarios, montrent que ces dernières ont subi plus intensément les phénomènes d’érosion propre à un espace littoral, immergé ou non. La possibilité d’offrandes terrestres (contexte primaire) perturbées par l’immersion du site (contexte secondaire) n’est pas à exclure. Indirectement, cette interprétation a probablement eu une incidence sur les stratégies d’enregistrement de Reinhard et son équipe, car s’il s’agit là d’anciens contextes terrestres; dès lors, les offrandes Tiwanaku sont de facto décontextualisées et mélangées dans le sédiment lacustre. 4. Entre 1977 et 1992, un ensemble de cent quaranteneuf fragments d’incensarios ont été remontés à la surface, dont au moins quinze bases de céramiqueseffigies (NMI) (Annexe 5.1). Or, un incensario est rarement découvert isolé; il appartient probablement à un assemblage constitué de différents incensarios et d’autres artefacts. La présence d’une tradition de production plus ancienne des coffrets en pierre n’est pas à exclure, et par analogie, suscite des questions sur la fonction effective de l’incensario en tant que contenant.
Nous avons consacré dix-neuf jours de recherches effectives sur le terrain à l’arrecife de Khoa: le 27 février 2013 (localisation et reconnaissance du site), dix-sept jours d’intervention archéologique du 26 juin au 1er juillet 2013 et du 12 au 25 juillet 2013 (fouilles archéologiques et topographie), le 27 juillet 2013 (protection du site et des sondages). Conformément à la méthodologie adoptée dans le cadre de ce projet de recherche, la notion d’espace et de temps est indissociable du concept de paysage culturel et rituel. Il s’avère donc essentiel d’isoler l’espace sacré Tiwanaku de celui documenté par les pratiques d’offrandes incas ultérieures. À cette fin, il convient d’analyser les dépôts à la fois d’un point de vue horizontal (distribution des offrandes dans l’espace) et d’un point de vue vertical (distribution des offrandes dans le temps). Au niveau opérationnel, les différentes plongées de 2013 ont donc été consacrées tant aux relevés du site pour déterminer la morphologie de l’arrecife (topographie) qu’aux fouilles en sondages pour définir l’accumulation sédimentaire en relation avec les artefacts (stratigraphie). Deux relevés topographiques de l’arrecife de Khoa ont été effectués par le passé: le premier par Torai Mozai en juillet 1988 (Figure 5.3), et le second par Johan Reinhard en juin 1989 (Figure 5.4). Ces relevés reflètent, d’une part, les difficultés rencontrées par les plongeurs en contexte subaquatique (variabilité du paysage lacustre) et, d’autre part, traduisent la période à laquelle les relevés ont été réalisés (fluctuations du lac). Nous constatons en effet que d’un relevé à l’autre les dimensions, l’orientation, et les profondeurs sont différentes. En conséquence, lors
114
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) de notre mission, nous avons choisi de figer l’espace en références absolues grâce à une campagne de relevés topographiques au Sonar, à l’échosondeur et aux relevés subaquatiques, et nous avons arbitrairement déterminé une référence absolue du niveau du lac afin d’homogénéiser les relevés de profondeurs (3809,7 m).
d’offrandes subaquatiques incas intentionnelles colmatées par des couches d’effondrements atteste que ce processus d’érosion était encore actif à des périodes récentes. Ce processus d’érosion ne se mesure donc pas exclusivement à l’échelle géologique, mais également à l’échelle humaine, car de nombreuses pierres se sont effondrées après certaines pratiques d’offrandes. Les principaux facteurs naturels responsables de l’érosion d’un espace immergé situé à faible profondeur sont les courants lacustres, l’effet de marée, les écarts thermiques et les vents dominants. Or, un site est beaucoup plus vulnérable lorsqu’il est en dehors de l’eau que totalement immergé. En juillet 2013, le plus haut sommet de l’arrecife était situé à 1 m de profondeur (Figure 5.9). Les stations de contrôle du niveau d’eau du lac ont, quant à elles, enregistré de nombreuses fluctuations entre 1915 et 2015: à l’échelle historique, l’arrecife n’est donc pas systématiquement immergé. Il est donc également important de mesurer l’impact des fluctuations du lac sur Khoa à l’échelle « archéologique », car la variabilité des paléorives de l’arrecife [paléo-îlot] a probablement eu une répercussion sur la distribution des offrandes au sein du site.
La campagne de relevé topographique 2013, effectuée simultanément avec les opérations de fouilles, a été réalisée en deux étapes: collecte des données géophysiques, depuis la surface et relevées in situ (juin – juillet 2013) et traitement des données (septembre – octobre 2013) (L. Masselin). Les résultats définitifs ne sont donc accessibles qu’après les opérations de fouilles. Ces résultats ont généré une image acoustique modélisée et géoréférencée (Figure 5.9) révélant la topographie et la morphologie du site. Nous constatons que l’arrecife de Khoa est une formation naturelle immergée, d’orientation nord/ouest – sud/est. Elle se caractérise principalement par un affleurement rocheux [arrecife] de ± 50 m de long sur ± 15 m de large sur l’axe nord-sud et par un plateau sédimentaire qui débute au pied de cette formation. Il s’agit par conséquent d’un site de petites dimensions occupant une superficie de ± 2400 m2. Cette description générale correspond à celles effectuées précédemment.
Les nombreuses pierres « détachées » du plateau sédimentaire situé en contrebas de l’arrecife sont en effet le fruit du phénomène de cryoclastie. Lorsque l’arrecife est en dehors de l’eau, il est beaucoup plus exposé aux intempéries, et spécialement aux cycles de gel et de dégel qui provoquent des cryofractions (gélifraction) de la roche. Tout l’espace littoral du Titicaca, en raison de la nature géologique de la roche, est particulièrement vulnérable.
L’affleurement rocheux est accidenté et composé de différentes formations (roche mère), avec un flanc « oriental » en plan incliné d’une moyenne de 26° et un flanc « occidental » abrupt d’inclinaison moyenne de 51°. Le pendage du plateau sédimentaire est par la suite faible, mais constant, jusqu’à des profondeurs dépassant les 200 m en direction de l’île de Pallalla (est) et de ± 20 m en direction de l’île de Khoa (ouest) (Figure 5.9).
Durant la saison sèche, en hiver, les écarts thermiques sont importants, car le taux d’ensoleillement est élevé en journée et les nuits sont froides. Face aux phénomènes couplés d’érosion éolienne et d’hydroclastie les roches sédimentaires situées au bord de l’eau se fracturent (Figure 5.10). L’eau, en s’infiltrant dans les fissures et en augmentant de volume en cas de gel, provoque un éclatement de la roche qui s’effondre dans l’eau. Les pierres de dimensions variables localisées au pied de l’arrecife sont par conséquent des indicateurs temporels de périodes de non-immersion de l’affleurement rocheux et, de facto, du niveau du lac Titicaca. Les fouilles menées à Puncu en 2014 ont permis d’affiner les données paléoenvironnementales (Chapitre 4), mais c’est grâce aux premiers résultats collectés à Khoa que la localisation de Puncu et du paléorivage Tiwanaku a été rendue possible.
À l’exception de quatre coffrets incas en pierre découverts sur l’affleurement rocheux dans des failles ou des fissures, dont deux exemplaires remontés en juillet 1988 (Figure 5.3; n° 1, 12) et deux autres en juin 1989 (Figure 5.4, n° 4–5), tous les artefacts sortis de l’eau entre 1988 et 1992 proviennent du plateau sédimentaire. Celui-ci est formé d’une matrice volatile « sablonneuse » constituée de débris organiques (gastéropodes) et parsemée de nombreux blocs de pierres détachées de dimensions variables. Or, la concentration de ces pierres diminue progressivement lorsqu’on s’éloigne de l’affleurement rocheux. Cette observation est importante, car la présence de ces pierres dans ce secteur indique qu’elles sont le résultat d’un processus d’érosion mécanique important de l’arrecife. Reinhard indique que la majorité des incensarios découverts dans la partie septentrionale du site « étaient enterrés en dessous de pierres et à une profondeur approximative pouvant atteindre 30 cm » (1992: 738). D’après Reinhard, la présence de ces objets Tiwanaku et de ces pierres peut être le fruit d’un effondrement ultérieur d’un plateau sédimentaire situé à l’origine à un niveau plus élevé [contexte terrestre], et érodé par les fluctuations du lac (1992: 433). Toutefois, la présence
Les observations que nous venons d’énoncer ont été déterminantes dans le choix de la localisation des futurs sondages à effectuer à l’arrecife de Khoa en 2013. Premièrement, nous avons choisi d’effectuer quatre sondages afin d’avoir une vision « représentative » de la distribution des offrandes dans l’espace. Ces sondages sont implantés comme suit: un premier sondage (#1) dans le secteur oriental [secteur de concentration d’incensarios documentés par Reinhard], un deuxième (#2) dans la partie méridionale du site, un troisième (#3) au pied du tombant 115
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.9. Image acoustique modélisée et géoréférencée de l’arrecife de Khoa (Projet PH13 / L. Masselin).
Ce dernier critère est par ailleurs particulièrement important, car, en relation avec l’histoire des recherches effectuées à l’arrecife de Khoa entre 1977 et 1992, nous souhaitons intervenir dans des secteurs a priori vierges de toute intervention passée pour éviter des contaminations anthropiques du substrat lacustre. Or, ce secteur de transition était par définition inaccessible aux plongeurs en l’absence de techniques de fouilles, car le plateau sédimentaire est recouvert de nombreuses pierres d’effondrement. En juin 2013, lors du début de la campagne de fouilles proprement dites, la topographie du site (Figure 5.9) n’avait pas encore été réalisée. La localisation des sondages n’a donc pas été déterminée au préalable sur la carte topographique. Ils ont été établis sous l’eau, puis reportés sur le plan (Figure 5.11).
dans la partie occidentale (pente de 51°) et un dernier (#4) à l’extrémité nord de l’affleurement rocheux. Ensuite, nous avons décidé d’installer ces sondages dans des secteurs où l’accumulation sédimentaire est importante, car toutes les observations énoncées précédemment indiquent que les offrandes « anciennes » sont enfouies plus profondément dans le sédiment. Enfin, en relation avec les phénomènes de cryoclastie, nous avons opté pour l’implantation de sondages dans l’espace le plus sensible aux mécanismes d’érosion: le secteur de transition (éboulis) situé au pied de l’arrecife à la « naissance » du plateau sédimentaire.
L’implantation de ces sondages répondait donc à des critères théoriques, mais a également été déterminée de manière intuitive lors de la seconde plongée de reconnaissance effectuée le premier jour de fouilles (26 juin 2013). Le sondage #1 (Z1) a été installé dans la plus grande faille localisée sur la partie orientale du site entre 5 et 7 m de profondeur. Il est théoriquement situé à proximité des secteurs d’interventions de 1988 et de 1989–1991, mais à plus faible profondeur (en référence absolue). Le sondage #2 (Z2) se situe dans une petite faille située à la jonction entre le massif principal et un massif méridional secondaire, à 5,5 m de profondeur. Le sondage #3 (Z3) a été établi au pied du tombant abrupt du flanc occidental de l’arrecife sur un plateau sédimentaire situé à 5,5 m de profondeur (Figure 5.12).
Figure 5.10. Érosion du littoral de l’île de Pallalla [cryoclastie et hydroclastie] (Projet PH13 / Photo L. Masselin).
116
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.11. Arrecife de Khoa – Localisation des sondages réalisés en 2013 [ULB] (Projet PH13 / L. Masselin – C. Delaere).
Figure 5.12. Géolocalisation des stations et des artefacts Tiwanaku de 1989–1991 (Projet PH13 / L. Masselin – C. Delaere).
117
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie relevés topographiques peuvent être approximatifs, autant les techniques de trilatération utilisées par les plongeurs de 1989–1991 sont précises. La localisation des objets et lots d’objets a en effet été mesurée au décamètre, et leur position au sein de l’espace est exprimée en mesure absolue, non pas relative à la morphologie du site (courbes de niveau et dimensions), mais relative aux six stations de références: deux dans la partie nord-est [A-B], deux dans la partie occidentale [C-D], et deux dans la partie nord-ouest [E-F] (Figure 5.12). Le repositionnement de ces stations dans l’espace géoréférencé garantit donc la relocalisation exacte de ces offrandes.
L’archéologie subaquatique, en particulier la fouille, est très lente, car les opérations en contexte hyperbare limitent la durée des opérations. La fouille en sondage est donc une approche « intensive » limitée à une superficie d’intervention réduite, alors que l’approche extensive (grandes superficies) est plus adaptée aux méthodes de prospection ou de fouilles. Dès le début de la fouille, l’accumulation sédimentaire des sondages #1 et #3 s’est révélée très dense et caractérisée par un agglomérat compact de pierres colmatées dans de fines couches de sédiments. Vu que l’objectif était de réaliser une fouille « complète » des sondages jusqu’à la roche mère pour documenter toute l’accumulation sédimentaire, la fouille du sondage #4 n’a pas pu être réalisée par manque de temps. Par ailleurs, le sondage #2 a été clôturé en trois jours, car l’accumulation sédimentaire était faible et presque stérile. Les résultats obtenus lors de cette campagne proviennent donc majoritairement des sondages #1 (à l’est) et #3 (à l’ouest).
5.4. Sondage #1 5.4.1. Morphologie et description du sondage Le sondage #1 se situe au pied de la paroi orientale de l’affleurement rocheux, à une distance de 9 m du sommet de l’arrecife et à 2 m des premiers artefacts localisés par Reinhard sur le plateau sédimentaire entre 1989 et 1991 (Figure 5.12). Il s’agit d’une faille naturelle creusée dans l’arrecife; et la superficie d’intervention a donc été délimitée par les parois de la roche. Les dimensions de cette dépression sont 5 m en longueur x ± 1,5 m en largeur. Elle possède un dénivelé de 110 cm entre la partie amont, vers le sommet, et la partie aval qui aboutit sur le plateau sédimentaire, vers l’île de Pallalla. Une petite faille secondaire est connectée à celle-ci dans la partie inférieure (Figure 5.13).
En terme de superficie, le sondage #1 est une faille de ± 8 m2, le sondage #2 consiste en une faille plus petite de ± 4 m2 et le sondage #3 s’étend sur un carré de 4 m2. Nous avons estimé la superficie du site archéologique et celle des interventions extensives de 1977–1992 à une zone de 2400 m2. Dans le cadre de la mission 2013, les opérations intensives se sont donc focalisées sur un espace de 16 m2 seulement, ce qui correspond théoriquement à moins de 1 % de la superficie du site. Les fouilles ont été réalisées en dix-sept jours, ce qui représente quatre-vingt-sept plongées et cent seize heures d’immersion. Plus précisément dans les deux secteurs principaux d’interventions, le sondage #1 représente quarante-six plongées et soixante et une heures d’immersion pour un volume sédimentaire de ± 9 m3 et le sondage #3 correspond à trente-sept plongées et quaranteneuf heures d’immersion pour un volume sédimentaire de ± 6 m3. Ces chiffres sont révélateurs; ils indiquent non seulement que la fouille est lente, mais également que le ratio volume/durée d’intervention signifie que la fouille du sondage #1 a été plus rapide. Cela reflète la différence de substrat lacustre entre ces deux secteurs opposés de l’arrecife.
La surface de cette dépression naturelle était recouverte par un substrat sédimentaire de ± 30 cm d’épaisseur ressemblant à du sable, mais en réalité composé de milliers de fragments de gastéropodes, de racines, et parsemée d’algues et de pierres de maximum 20 cm en diamètre. La suppression de ce substrat a directement révélé une couche d’éboulis très dense colmatée par une matrice d’argile et de limon, dont cinq grandes pierres nommées A, B, C, D et E ; ces dernières ont servi de repères topographiques durant toute la fouille pour guider les interventions (Figure 5.13).
Des plongées supplémentaires ont en outre visé à compléter les données topographiques grâce à des observations et des relevés subaquatiques. Des offrandes de céramiques contemporaines ont été observées dans le cadre de ces activitées mais l’apport principal de ces reconnaissances a toutefois été la localisation, fortuite, des stations de référence de 1989–1992 matérialisées par des piquets en métal, implantés à l’initiative de la mission dirigée par J. Reinhard (Figure 5.7). Celles-ci ont par conséquent pu être reportées sur le plan et ont permis de géoréférencer les lots d’offrandes Tiwanaku mis au jour entre 1989 et 1991 et identifiés a posteriori (Figure 5.12).
Les relevés stratigraphiques documentent une couche d’éboulis de ± 130 cm d’épaisseur entre la couverture végétale et la roche mère atteinte à la fin de la fouille. Les cinq grands blocs de pierres A à E représentent la trame générale de cette accumulation sédimentaire et détritique (débris issus de l’érosion de l’arrecife). Le bloc A est situé à 580 cm de profondeur [+580], le bloc B à 610 cm [+610], le bloc C à 640 cm [+640], le bloc D à 620 cm [+620], le bloc E à 610 cm [+610], et le bloc E à 660 cm [+660] (Figure 5.14). Toutes les mesures de profondeur sont exprimées en centimètres par rapport au niveau d’eau du lac: 3809,7 m d’altitude (référence absolue du projet 2012–2014).
Cette « découverte » est déterminante dans notre analyse, car, comme l’indique le plan topographique de 1989, les « courbes de niveau et les dimensions de l’arrecife sont seulement approximatives » (Figure 5.4). Or, autant ces
Au sein de la stratigraphie, a densité des autres pierres (de 5 à 20 cm de diamètre) est de 80 % entre les blocs A et E et de 60 % autour du bloc E contre 20 % et 40 % de sédiment argilolimoneux. L’inclinaison des grands blocs, entre 5° 118
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.13. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur en 2013 [début de la fouille].
Figure 5.14. Coupe du sondage #1 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille].
et 10°, est très faible et reflète l’inclinaison générale de toutes les pierres et de la formation du dépôt: le bloc C s’est effondré dans la faille avant le bloc B, qui était lui-même présent avant le bloc A, car ce dernier s’est positionné pardessus. Dès que les premières couches sédimentaires ont été retirées, le niveau originel du sédiment qui remplissait la faille a été conservé grâce à la trace laissée sur la paroi liée
au contraste apparent entre la roche exposée à l’eau (plus sombre) et la roche protégée par la couche sédimentaire (plus claire). Cette observation a permis de mesurer avec exactitude l’évolution de la fouille en pointant des cotes de profondeur tout au long de la faille. La roche-mère a été atteinte sur les 3,5 premiers mètres dans la partie amont et n’a pas été atteinte dans certains secteurs de la partie aval. 119
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.15. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur et distribution des artefacts [pendant la fouille].
Excepté une dernière couche sédimentaire inférieure a priori vierge, toute la faille a été fouillée, ce qui représente un volume de ± 9 m3.
Certains secteurs offrent une concentration plus importante d’artefacts, mais leur distribution au sein de l’espace est en général homogène, entre les pierres.
Les premiers artefacts ont été localisés sous le premier substrat sédimentaire et sous une première couche d’éboulis à une profondeur moyenne de 600 cm [entre +590 et +610]. Cette observation est intéressante, car les premières couches archéologiques montrent qu’elles respectent l’inclinaison générale des grands blocs d’effondrement. Par ailleurs, la majorité des artefacts étaient conservés entre la paroi de roche et les pierres, ou entre celles-ci (Figure 5.15). Certains artefacts, neanmoins, étaient posés sur le bloc C, ce qui relève d’une position plus exceptionnelle. Ensuite, d’autres fragments, représentés en vert clair sur le plan, ont été mis au jour dans des cavités creusées dans la partie inférieure des parois de la faille. Grâce à ces dernières observations, l’on remarque que la majorité des artefacts étaient déjà présents dans le substrat lacustre avant l’effondrement de nombreuses pierres, dont les blocs A, D et E.
Tous les fragments d’objets et d’ossements ont été mis au jour en contexte secondaire; un seul contexte intact de découverte fait donc exception. La distribution des fragments de céramique au sein de la stratigraphie nous informe sur les dynamiques de formation du substrat archéologique (Figure 5.16). Premièrement, la couche archéologique a été atteinte en amont de la faille [bloc A] à ± 70 cm de profondeur dans le sédiment, à ± 50 cm de profondeur au milieu de la faille et quasi exclusivement le long des parois et les pierres [bloc C], et à ± 30 cm d’épaisseur en aval de la faille [bloc E]. En d’autres mots, plus on s’éloigne de l’arrecife, moins les couches d’éboulis sont épaisses. Cette observation documente les mécanismes d’érosion propres au site (cryoclastie) et montre que les couches archéologiques sont stratigraphiquement beaucoup plus profondes au pied de l’arrecife que sur le plateau sédimentaire fouillé entre 1989 et 1992.
Au total, 1314 artefacts et écofacts ont été mis au jour dans le sondage #1: 560 fragments de céramiques (42,62 %), 708 fragments d’ossements et d’arrêtes de poissons (53,88 %), 10 objets en métal précieux (0,76 %), 18 éléments en pierre d’origine anthropique (1,37 %), 17 éléments organiques ou prélèvements (1,29 %) et 1 fragment de spondyle travaillé (0,08 %) (voir Annexe 5.1).
Ensuite, les dynamiques de distribution des fragments de céramiques correspondent aux emplacements de certains blocs de pierre. Par exemple, nous observons une concentration de fragments autour du bloc E (Figure 5.15); d’autres fragments à moitié broyés se trouvent contre et sous le même bloc (Figure 5.16). Ce constat démontre que la couche archéologique était présente
120
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.16. Coupe du sondage #1 – Distribution des fragments de céramique [ensemble de la fouille].
Figure 5.17. Sondage #1 – Blocs E, et interstices entre le bloc C et les parois de la faille [pendant la fouille].
à cet endroit avant l’effondrement du bloc E dans ce secteur. Nous avons observé ce phénomène dans tout le sondage: différents événements d’effondrement de pierre ont remanié tout le dépôt archéologique. Enfin, nous relevons également différentes « veines » de fragments de céramique entrecoupées de couches stériles, notamment dans le secteur situé entre le bloc D et le bloc E. Cette dernière observation documente des dépôts distincts où des artefacts plus anciens sont séparés chronologiquement par des événements d’effondrement de pierres.
d’une part, la présence systématique d’arêtes de poissons mélangées au sédiment entre les pierres montre qu’il s’agit d’un habitat immergé et, d’autre part, les poches de lattis sont le signe de phénomènes d’anaérobie ou absence subite d’oxygène. Les poches ont été emprisonnées dans des couches de pierres et attestent l’existence d’anciennes couvertures végétales (algues) du fond lacustre qui ont subitement été privées d’oxygène et de lumière suite à des événements d’effondrement de pierres. Ces observations sont de première importance; elles nous permettent en effet d’établir que le dépôt archéologique s’est toujours trouvé en contexte immergé et que l’ensemble des artefacts découverts témoigne de pratiques intentionnelles d’offrandes subaquatiques. En raison des différents événements d’effondrement de pierres qui ont remanié l’ensemble du dépôt (Figure 5.17), les contextes primaires n’existent presque plus. Les effondrements
Plusieurs observations effectuées sous l’eau permettent également d’analyser ces contextes de découvertes. Toute la couche archéologique était mélangée avec de nombreuses arêtes de poissons; en outre, nous avons noté la présence de nombreuses petites poches sédimentaires de lattis (végétation en décomposition). Ces deux caractéristiques sont propres à un contexte lacustre ou subaquatique: 121
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.18. Plan du sondage #1 – Morphologie du secteur avant le dépôt des offrandes [après la fouille].
des cavités au fond des failles. C’est nichée dans une de ces cavités que nous avons découvert un contexte presque intact d’offrande [incensario], protégé par cet « abri sous roche » des événements d’effondrement postérieurs aux offrandes.
indiquent que l’arrecife de Khoa était exposé aux intempéries et n’était pas totalement immergé. Il s’agissait d’une paléoîle, et plus spécifiquement d’un paléoîlot, de petite taille et impropre à une occupation de type habitat. Il s’avère donc capital de déterminer le niveau d’eau du lac durant ces pratiques d’offrandes, car celles-ci ont probablement été accomplies au bord de l’arrecife, depuis un bateau ou à même l’arrecife. Les cavités ou interstices documentés dans les parties inférieures des parois de la faille, et en particulier celles à proximité du bloc C (Figure 5.17), possèdent des angles arrondis et des marques d’érosion générées par l’eau (hydroclastie). Cette particularité est un indicateur d’un niveau du lac différent du niveau actuel.
Les derniers fragments d’offrandes étaient posés sur la roche mère (Figure 5.16). Il n’y avait pas dépôt lacustre entre ces fragments et le niveau naturel du sol. Cela signifie non seulement que l’état du sondage à la fin de la fouille (Figure 5.18) illustre la physionomie du site avant les premières offrandes, mais aussi que le niveau du lac a augmenté subitement juste avant celles-ci, car les premiers dépôts sont anthropiques et non sédimentaires (excepté quelques résidus entre les blocs C et F).
Ces cavités sont en effet le résultat caractéristique du phénomène de ressac présent sur les espaces littoraux, tels que sur les plages ou dans les rochers à semi-immergés. Plus le volume d’eau est important (océans, mers, grands lacs), plus ce phénomène est accentué. Le ressac, également appelé « courant d’arrachement », est un flux d’eau qui retourne vers le large après que la vague se soit écrasée sur la côte. La présence de stigmates de ce phénomène au fond du sondage #1 montre que la faille a été taillée par l’eau lorsque l’arrecife n’était pas immergé [entre 630 et 690 cm en dessous du niveau actuel]. L’eau s’écrasait contre l’arrecife, et s’engouffrait dans des couloirs naturels, failles et fissures. De tels couloirs accentuaient par ailleurs la vitesse de l’eau qui, mélangée avec du sédiment abrasif, accélérait le processus d’érosion de la roche en creusant
5.4.2. Nature et distribution des offrandes L’enregistrement de la fouille a été codifié sous forme de locus. Chaque ensemble d’artefacts et d’écofacts issus d’une intervention sous l’eau menée par un archéologue-plongeur constitue arbitrairement un locus. Celui-ci est géolocalisé dans l’espace en fonction des points de références permanents, principalement les blocs A-F, et au sein de l’élévation sédimentaire (cotes de profondeurs) par rapport au niveau du sédiment originel conservé par le contraste des couleurs sur la paroi. Aucune unité stratigraphique cohérente n’a été identifiée au sein de la couche archéologique (agglomérat de pierres); les loci représentent donc l’évolution de la fouille. La faille n’est pas large, et les différentes interventions ont été effectuées sur toute la largeur de celle-ci par palier de 122
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.19. Coupe du sondage #1 – Distribution des différents contextes de découvertes codifiés en locus.
profondeur en respectant en général l’inclinaison du substrat lacustre. Tous les loci, ainsi que les artefacts associés à ceux-ci, sont au final projetés dans la coupe (Figure 5.19) (projection horizontale).
La méthode d’analyse et de classification utilisée traditionnellement par les céramologues, en contexte terrestre, est fondée sur différents critères d’identifications qui permettent notamment d’attribuer une affiliation culturelle: (1) la forme, (2) le type de fragment (bord, base, corps de la céramique, éléments modelés), (3) l’épaisseur du fragment, (4) la cuisson (oxydante ou en réduction), (5) la couleur de la pâte, (6) la composition de la pâte, et (7) l’iconographie (Fontenla et Flores 2013: 48–49). Il apparaît néanmoins que la majorité de ces critères d’analyse ne sont pas adaptés au matériel issu de contextes subaquatiques. Ce constat, déjà relevé en 2013, s’est avéré identique en 2014. Une partie des stratégies d’analyses adoptées en 2013 a donc été reformulée pour la campagne de fouilles 2014.
Il s’agit d’une intervention intensive sur un petit secteur de dimensions moyennes de 5 m de long sur ± 1,5 m de large (± 8 m2). Par conséquent, tous les artefacts sont connectés entre eux et documentent différentes pratiques rituelles d’offrandes subaquatiques effectuées dans ce secteur. Dans le sondage #1, nous avons enregistré 1314 artefacts et écofacts au sein de quarante-six loci dont l’énumération croissante répond à la chronologie des interventions effectuées sous l’eau. Au total, pour l’arrecife de Khoa, soixante-quatorze loci ont été enregistrés entre les trois sondages réalisés en 2013. Le matériel archéologique a été analysé en surface en conservant cette codification d’enregistrement. L’inventaire est détaillé en annexe avec la date d’intervention, le numéro du sondage et le locus, en respectant les conventions (par lot) des interventions précédentes (Annexe 5.1).
Les cinq derniers critères sont en effet contaminés par les contextes de découvertes. Premièrement, l’analyse des cuissons, indissociable de l’observation des couleurs de pâtes céramiques, est difficile à déterminer. Nous avons en effet remarqué que, sur des fragments issus de la même céramique, les différents substrats lacustres génèrent des colorations différentes. Si certaines céramiques ont pu être reconstituées partiellement, les différents fragments, provenant de contextes différents [locus] et donc de composition sédimentaire variable (altération chimique, biologique et mécanique), n’ont pas la même couleur de pâte. Ensuite, neuf compositions de pâtes distinctes identifiées aux binoculaires ont été déterminées. Les principaux critères d’analyse utilisés sont: la texture (composition granulométrique), les inclusions, la proportion et la taille des inclusions dans la pâte et la couleur de celle-ci (Fontenla et Flores 2013: 53–56).
(1) Analyse du matériel céramique Tous les fragments de céramiques découverts dans le sondage #1 ont été conservés. Le sédiment fouillé a été rejeté dans un tamis en métal de forme quadrangulaire et de maille inférieure à 1 cm fixé à l’extrémité du water-drege (aspirateur à sédiment). Les fragments localisés durant la fouille sont directement isolés tandis que ceux issus des rejets de fouilles sont également prélevés dans le tamis à la fin de chaque intervention par l’archéologue plongeur. Ceux-ci varient entre ≤ 1 cm et 30 cm, et sont tous intégrés dans l’inventaire (Annexe 5.1). Toutefois, sur les cinq cent soixante fragments isolés, tous les fragments inférieurs à 1 cm2 ont été exclus de l’analyse pour constituer un corpus définitif de quatre cent soixante-dix-neuf fragments (Fontenla et Flores 2013: 48).
Lors de la reconstitution partielle de certaines céramiques, nous constatons de surcroît que la proportion et la nature des inclusions de la pâte d’une même céramique ne sont pas homogènes: différentes pâtes ont été utilisées pour 123
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Applique quandrangulaire [colerette]
{
{
Corps céramique hyperboloïde
Bord ondulé ou festonné [festons]
{
Tête de puma en applique [creuse]
{
{
Queue en applique [creuse]
{ Base annulaire 0
10cm
Figure 5.20. Morphologie et technologie de la céramique rituelle Tiwanaku de type incensario.
La majorité des exemplaires sont toutefois fragmentaires et ont été découverts éparpillés dans la faille sans connexions a priori cohérentes. Nous avons démontré précédemment que différents événements d’effondrement de pierres ont en effet modifié tout le dépôt archéologique (contexte secondaire). Afin de reconstituer le(s) dépôt(s) d’offrande(s), il est donc nécessaire de quantifier le nombre d’exemplaires (NMI), de déterminer des assemblages éventuels en fonction des points de concentration de fragments, et d’identifier d’éventuels dépôts chronologiquement distincts grâce aux données stratigraphiques.
assembler les diverses parties des formes céramiques et ne représentent donc pas des ateliers de productions distincts. L’épaisseur des fragments de céramiques n’est par ailleurs pas plus représentative. En effet, les mécanismes d’érosion ont altéré la matière; ainsi, certains fragments provenant de mêmes exemplaires offrent pourtant des épaisseurs variables. Enfin, la majorité des fragments de céramiques ne possèdent plus d’iconographie. Seules quelques traces d’engobe et quelques taches de pigments rouges sont visibles, mais le traitement de la surface superficielle n’existe plus. Les motifs en ont été effacés par les phénomènes d’érosions chimiques, biologiques et mécaniques. La disparition de l’iconographie représente donc une perte d’information importante.
L’incensario est une céramique complexe composée de cinq parties principales (Figure 5.20): • • • • •
Les deux premiers critères (forme et type de fragments) sont par conséquent les seuls à livrer un diagnostic exploitable pour l’analyse de la céramique. Ce contexte de découverte est toutefois exceptionnel et unique en son genre, car excepté cinq fragments de vasijas modernes découverts dans les couches superficielles [locus 0 et locus 9], la totalité des fragments appartient au même type de céramique: l’incensario. Ensuite, toutes les céramiques découvertes répondent aux mêmes critères de production: elles sont de forme hyperboloïde, à base annulaire et aux bords festonnés, avec une tête et une queue modelées et zoomorphiques représentant un puma (Figure 5.20).
une base annulaire et une forme hyperboloïde un bord constitué de six festons une tête façonnée creuse une applique quadrangulaire ou collerette une queue façonnée creuse
Ces cinq parties ont régulièrement été découvertes isolées. Or, en l’absence du traitement de la surface (engobe et iconographie), les caractéristiques technologiques sont apparentes. En analysant les exemplaires, nous constatons que la tête et la queue ont été façonnées séparément, puis assemblées au corps céramique. Les traces de collages à la barbotine (ajout de matière) sont apparentes non seulement sur le corps principal, mais également aux extrémités de la tête (double attache) et autour de la queue. Il n’est donc pas surprenant que ces deux composantes « en applique » aient été trouvées dissociées du corps principal, car dès qu’il y a un choc, qu’il soit de nature anthropique (impact lors de l’offrande) ou naturel (effondrement de pierres), ce sont les parties les plus vulnérables. Enfin, les festons eux aussi sont régulièrement découverts isolés. Ils étaient probablement façonnés directement sur la céramique lors de la réalisation du bord, mais leur position est vulnérable, car en saillie.
La céramique de type incensario est une forme appartenant exclusivement à la période Tiwanaku (Janusek 2003: 70– 71). Ce critère typologique permet de déterminer que tous les artefacts découverts dans le sondage #1 appartiennent à cette culture; le sondage est donc chronologiquement homogène. Ensuite, il s’agit d’une céramique cérémonielle rare; l’occurrence d’autres exemplaires à l’arrecife de Khoa confirme l’importance de cet espace sacré. Enfin, certains fragments ou exemplaires quasi intacts sont remarquablement bien conservés, l’iconographie exceptée, et montrent qu’ils ont toujours stationné dans l’eau. Nous sommes assurément, dans ce cas, en présence d’offrandes subaquatiques intentionnelles (en contexte primaire).
La majorité des fragments possèdent des fractures nettes: cela indique que ce processus de fragmentation est postérieur aux dépôts d’offrande(s) et que les céramiques ont été écrasées 124
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
0
Base 1 [Locus 50]
Base 5 [Locus 1]
Base 9 [Locus 7]
Base 2 [Locus 50]
Base 3 [Locus 42]
Base 7 [Locus 6]
Base 6 [Locus 5]
Base 10 [Locus 7]
Base 11 [Locus 7]
Base 12 [Locus 7]
10cm
Base 4 [Locus 19]
Base 8 [Locus 7]
Base 13 [Locus 7]
Figure 5.21. Sondage #1 – Bases d’incensarios [13 exemplaires] (Projet PH13 /Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere).
Il s’agit donc d’un contexte exceptionnel, car au moins treize exemplaires ont été identifiés dans un espace clos (la faille); il s’agit ici du lot le plus homogène et le plus important découvert à ce jour en contexte archéologique. La présence d’un incensario complet confirme par ailleurs que la fragmentation des céramiques est postérieure aux pratiques d’offrandes et que celles-ci étaient intentionnellement déposées intactes au pied de l’arrecife. Enfin, certains exemplaires sont remarquablement bien conservés: soit ils ont peu été utilisés avant l’offrande, soit ils ont été produits spécialement pour cet événement. Ils ont au moins été en usage une fois avant l’offrande subaquatique, car quelques-uns possèdent, sur les parois internes, des traces de crémation [bases 1, 2 et 6]. Excepté le reliquat sur la base 1, aucun résidu organique brûlé n’a été conservé in situ (lessivé par le lac).
et scellées par les événements d’effondrement de pierres. Dans le cas contraire, comme observé sur certains fragments découverts à Puncu en 2014, les fractures auraient été émoussées par les mécanismes d’érosions lacustres (courant, sédiment abrasif, ressac, etc.). Nous avons également observé de nombreuses « poussières de céramiques ». Plusieurs exemplaires ont littéralement été broyés par le remaniement des couches et l’effondrement de pierres. À l’exception de l’extrémité en aval du sondage (Figure 5.16), toute la faille a été fouillée jusqu’à la roche mère et seuls quelques fragments pouvant appartenir aux exemplaires découverts sont potentiellement encore dans le sédiment. Le corpus est donc homogène, mais l’absence de nombreux fragments rend délicat le réassemblage des exemplaires. Afin de déterminer le NMI et les différents dépôts d’incensarios, nous avons dans un premier temps identifié et reconstitué treize exemplaires à partir des différentes bases annulaires mises au jour (Figure 5.21). Un exemplaire a été découvert intact [base 1], cinq autres exemplaires sont partiellement intacts, mais se caractérisent par l’absence de la tête [bases 2, 3, 5, 6 et 7], et seule la base annulaire est conservée dans sept cas. Tous les individus identifiés possèdent des proportions différentes, mais répondent aux mêmes critères de productions technologiques (façonnage) et morphologiques (forme hyperboloïde).
Nous observons trois secteurs de concentration de bases d’incensarios: deux exemplaires au niveau du bloc A, deux autres exemplaires entre le bloc C et la paroi de la faille, et neuf exemplaires autour ou en dessous du bloc E. Toutes les bases ont été localisées dans des zones de grande concentration de céramiques et la majorité des fragments sont probablement associés à celles-ci (Figure 5.22). Aucune base intacte n’a été localisée dans les couches inférieures alors que nous y observons également d’autres
125
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.22. Coupe sondage #1 – Distribution des bases et des fragments d’incensarios.
concentrations de céramiques. Il s’agit probablement de dépôts plus anciens, mais plus abîmés. Les bases 1 et 2 proviennent de l’unique contexte « primaire » d’incensarios: ils ont été localisés sous 60 cm de sédiment et d’éboulis, dans une cavité en abri sous roche creusée dans la paroi de la faille (Figure 5.23). La base 1, un exemplaire intact, était totalement protégée par la cavité tandis que la base 2, un exemplaire quasi intact, était partiellement protégée par celle-ci. Leurs contextes de découverte correspondent au loci 50 et 53; les autres fragments de céramiques associés aux bases 1 et 2 se trouvaient écrasés en dehors de la cavité.
céramique et l’ont remplie de sédiments et d’écofacts naturels (algues, coquilles d’œufs). L’incensario n’a toutefois plus été déplacé (contexte primaire) et sa position au sein de la faille correspond au point d’impact lors du dépôt de l’offrande. Celle-ci a été protégée des événements postérieurs d’effondrement grâce à la cavité creusée dans la faille (Figure 5.23). Fort de ces observations, nous pouvons énoncer deux remarques: premièrement, la base 1 constitue probablement l’une des dernières offrandes, car elle se trouve à un niveau élevé de la coupe et, deuxièmement, la présence de coquilles d’œufs montre que l’arrecife n’était pas totalement immergé et que la zone émergée servait de place aux oiseaux lacustres pour nicher.
La base 1, i.e. notre exemplaire intact, était posée à la verticale et remplie de sédiments avec inclusions de gastéropodes, de coquilles d’œufs, d’arêtes de poissons, d’éclats de roches et de fragments d’algues (Figure 5.23). Nous avons suggéré, à tort, que l’objet incensario servait de contenant à des « offrandes » d’œufs d’oiseau notamment (Delaere 2013: 31). En réalité, cet incensario a été exposé durant une courte période aux éléments naturels qui ont nettoyé la
Le locus 50 est localisé à 620 cm de profondeur et la présence d’une céramique intacte indique qu’elle a été posée sur un fond lacustre visible depuis la surface, c’està-dire à maximum 4–5 m de profondeur. Le processus d’érosion naturelle du site (cryoclastie) était encore actif (arrecife non immergé), car les pierres d’effondrements postérieurs sont directement posées sur les offrandes sans interfaces sédimentaires. Un fragment de charbon 126
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.23. Contexte de découverte et « contenant » de la base 1 [exemplaire intact].
concrétionné dans cette céramique (UBA-23687) permet d’associer directement un événement d’encensement avec l’objet incensario. L’échantillon 14C a livré les datations 898–991 (1σ) et 890–1014 PCN (2σ). La céramique intacte, dès lors datée de la période Tiwanaku V (800–1050/1150 PCN), montre que la pratique d’offrande d’incensario était encore active durant cette période. L’iconographie a malheureusement disparu; seules quelques rares traces de pigments rouges (engobe) étaient encore visibles.
Par ailleurs, six fragments isolés de queues de « puma » ont également été identifiés (Figure 5.25). Distinguer l’incensario de la céramique de type sahumador n’est pas toujours aisé, car il s’agit des deux seules formes Tiwanaku qui possèdent une base annulaire (Janusek 2003: 70–71). En accord avec Ruth Fontenla (céramologue du projet), nous avons conclu que tous les fragments appartiennent au type incensario. Non seulement la majorité des treize bases possèdent encore les marques des points d’attache de la queue ou la queue proprement dite (Figure 5.21), mais de plus la présence et la morphologie de ces six nouveaux exemplaires confirment cette hypothèse.
La base 6 est l’un des rares exemplaires qui a pu être partiellement reconstitué à partir de vingt-trois fragments de céramiques. D’importance considérable, elle donne de précieuses informations sur les dynamiques de formation du substrat archéologique. Nous observons que la base 6 est positionnée dans des couches plus profondes que l’exemplaire précédent, la base 1, et que la distribution des fragments au sein du sondage montre que les événements d’effondrement de pierres ont bouleversé tout le dépôt (Figure 5.24). Les premiers fragments en amont étaient emprisonnés entre le bloc C et la paroi de la faille, ceux situés au « milieu » se trouvent dans des couches moins profondes à un endroit où il n’y a pas eu d’effondrement, et ceux situés en aval suivent la courbe inférieure du bloc E. À l’origine, le fond lacustre était probablement plus plane: les fragments situés en amont correspondent au point d’impact de la céramique lors de la pratique d’offrande et ses fragments se sont éparpillés en aval en suivant la pente de la faille. Les événements postérieurs ont figé la configuration définitive du dépôt.
L’analyse technologique permet de déterminer que cette partie de céramique a été façonnée à partir de deux éléments: la partie inférieure de la queue est collée, par ajout de matière, au niveau du corps céramique et la partie supérieure est assemblée à la fois au bord de la céramique et à la partie inférieure de l’appendice. On observe en effet deux coudes entre ces deux parties (Figure 5.25). Ces six fragments de céramique-effigie peuvent théoriquement appartenir à certaines bases fragmentaires [bases 4–5, 7–10, 12–13] (Figure 5.21), mais il n’y a pas de connexion visible entre les fragments; de plus les critères de couleurs et de pâtes sont contaminés. La distribution des six fragments de queue au sein de la coupe fournit toutefois des informations de type contextuel (Figure 5.26). Si nous y ajoutons les six queues encore conservées sur certaines des bases céramiques (Figure 5.21), nous totalisons douze appliques caudales distinctes pour treize bases identifiées. Le Nombre Minimum d’Individus (NMI) est par conséquent homogène. Les queues 3–6 ont été localisées dans le secteur du bloc E et pourraient, en théorie, être associées aux bases fragmentaires de ce secteur. Toutefois, deux exemplaires se distinguent, car ils se trouvent dans des couches inférieures [n° 1 et 2]: le premier se situe près de la rochemère en dessous du bloc A et le deuxième a été localisé au pied du bloc F. Dans cette perspective, ceux-ci pourraient appartenir à des incensarios plus anciens et différents des bases découvertes, avec un potentiel de quinze incensarios (13+2).
Un des vingt-trois fragments appartenant à l’incensario de la base 6 provient du locus 44 situé entre le bloc C et la paroi de la faille (au niveau de la roche-mère). Un fragment de charbon (UBA-23686) associé au locus y a été prélevé: cet échantillon 14C est daté de 774–880 (1σ) et de 764–894 PCN (2σ – 88 %). Une telle datation correspond à l’époque de transition entre la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) et Tiwanaku V (800–1050/1150 PCN). Toutes les autres bases d’incensarios ont été mises au jour au niveau du bloc E dans des couches moins profondes [bases 3–5, 8–13] (Figure 5.22). Malheureusement, nous constatons qu’il n’y a pas de dépôt stratigraphiquement cohérent dans ce secteur. Le bloc E s’est effondré après les dépôts d’offrandes et a perturbé tout le substrat lacustre. 127
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.24. Distribution dans la coupe des fragments d’incensario de la base 6.
0
Qu. 1 [Locus 57]
Qu. 2 [Locus 68]
Qu. 3 [Locus 1]
Qu. 4 [Locus 8]
Qu. 5 [Locus 5]
10cm
Qu. 6 [Locus 7]
Figure 5.25. Sondage #1 – Queues d’incensarios [6 exemplaires] (Projet PH13 / Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere).
128
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.26. Coupe sondage #1 – Distribution des queues et des fragments d’incensarios.
Dans l’ensemble, tous les fragments répondent aux mêmes critères de production. S’il y a eu plusieurs événements d’offrandes, tous les incensarios provenant de ce sondage présendent une morphologie identique. On distingue néanmoins des variantes dans les proportions de la céramique, dans la taille des appliques assemblées à la céramique ainsi que dans le point de naissance de la queue de la céramique-effigie. L’applique est accrochée soit en bas, entre la base annulaire et l’évasement de la panse hyperboloïde, soit plus haut le long de la panse.
des céramiques cérémonielles découvertes en contexte terrestre sont peintes, et les sources d’argiles permettant de déterminer des ateliers ne sont pas encore localisées. D’un point de vue diachronique, elles pourraient être soit issues du même atelier de production (île du Soleil?), soit issues de différents ateliers du bassin lacustre. Seule une étude approfondie par pétrographie de la pâte de la céramique permettra de déterminer la composition des argiles et des additifs utilisés et ainsi d’associer les fragments entre eux. En dépit de ces différences « générales », les critères de production des têtes répondent à la même tradition de fabrication: présence d’une applique quadrangulaire autour du cou, gueule ouverte avec deux canines apparentes, yeux en amandes, museau dessiné avec deux narines représentées ou perforées, pommettes entre la bouche et les yeux, et arcades sourcilières (Figure 5.28).
Enfin, dix têtes ou fragments de têtes distinctes ont également été identifiés (Figure 5.27). Dans l’état actuel de la recherche, aucune connexion certifiée avec les autres bases d’incensarios ne peut encore être établie. Par ailleurs, toutes les têtes sont différentes: elles n’ont ni la même taille ni le même rendu de la gueule; les arcades sourcilières sont variables de même que les proportions générales (écart entre les yeux, taille du museau, etc.). D’un point de vue synchronique, ces variantes peuvent indiquer que les têtes sont soit issues de différents ateliers de production spécialisés, soit réalisées par différents artisans issus du même atelier. Cette deuxième hypothèse est peu probable; les critères de représentations sont en effet très différents et il s’agit d’une céramique produite en faible quantité. Toutes les pâtes sont de couleur « beige claire » et possèdent des inclusions de mica. Nous n’avons malheureusement aucun point de référence, car la majorité
Outre ces dix têtes et autres fragments de têtes, l’on notera que de nombreux fragments isolés d’appliques ont été découverts. La distribution des têtes d’incensarios au sein de la coupe est également cohérente en relation avec la localisation des treize bases. Nous constatons que trois têtes proviennent du locus 50 où ont été trouvés deux incensarios quasi intacts dont un a conservé la tête en place (total = quatre têtes). Quatre autres têtes ont été localisées autour du Bloc E 129
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
0
Tête 1 [Locus 50]
Tête 6 [Locus 24]
Tête 2 [Locus 50]
Tête 3 [Locus 5 & 50]
Tête 7 [Locus 5]
Tête 8 [Locus 5]
Tête 4 [Locus 18]
Tête 9 [Locus 6]
10cm
Tête 5 [Locus 20]
Tête 10 [Locus 47]
Figure 5.27. Sondage #1 – Têtes d’incensarios [10 exemplaires] (Projet PH13 / Dessin A. Cromphout, DAO C. Delaere).
Figure 5.28. Sondage #1 – Têtes d’incensarios – exemplaires 5 – 2 – 1 – 6 [de gauche à droite]. Photos M.- J. Declerck et A. Huybrechts.
fragmentaires et certaines ont littéralement été broyées par les événements d’effondrement, spécialement dans les couches inférieures. Ces observations permettent de mieux comprendre l’évolution naturelle du site et la formation des dépôts. La tête n° 6 appartient probablement a une offrande plus récente: elle a soit été protégée par les pierres environnantes, soit celles-ci se sont figées dans le sédiment sans l’atteindre.
d’où proviennent neuf bases d’incensarios. Une tête isolée a été découverte entre les blocs D et E et une dernière, potentiellement plus ancienne, se trouvait dans le secteur du bloc F (Figure 5.29). Dans les couches inférieures, il est systématique de ne pas trouver d’éléments modelés intacts. Les éléments modelés, tels que les têtes et les queues, étant creux, ils sont par conséquent beaucoup plus vulnérables aux événements d’effondrement de pierres et de perturbation des couches. Ils sont les premiers à se fracturer dès qu’il y a un choc sur la céramique lors du point d’impact de l’offrande ou du bouleversement des couches. Nous avons au total onze têtes (10+1 sur la base 1) pour un minimum de treize à quinze incensarios. Seules quatre têtes sont intactes: les trois premières ont été découvertes dans l’« abri sous roche » situé en amont, l’une encore en place sur la base 1 et les deux autres découverts à proximité; elles ont été naturellement protégées. La quatrième [n° 6] doit sa préservation au fait qu’elle était scellée dans une couche de sédiment entre trois blocs de pierre (Figure 5.30). Toutes les autres sont
La tête n° 3 a par ailleurs pu être reconstituée partiellement: la « mâchoire inférieure » a été localisée en amont [locus 50] et la « mâchoire supérieure » en aval [locus 5] (Figure 5.31). Cette information est cruciale, car elle indique que tous les fragments d’incensarios conservés dans les couches supérieurs sont connectés entre eux. L’inclinaison générale de l’arrecife crée une inertie des offrandes de l’amont vers l’aval, surtout lors des événements d’effondrement de pierre. Les fragments de céramiques peuvent donc « s’écouler » vers le bas, mais en aucun cas « remonter » vers l’amont. La distribution des offrandes est donc intéressante, car elle permet de localiser différents « points d’impact » sur le fond lacustre. La présence de trois 130
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.29. Coupe sondage #1 – Distribution des têtes et des fragments d’incensarios.
#1 pèsent 19 908 g. Les treize bases et les six têtes correspondent aux éléments les plus « volumineux »: ceuxci représentent un poids total de 9 637 g. Par conséquent, tous les autres fragments pèsent 10 271 g. Ensuite, la base n° 1 (l’incensario intact) et la base n° 2 (l’incensario quasi intact), provenant toutes deux du locus 50, sont respectivement d’un poids de 1 271 g et de 1 175 g. À une échelle relative, la base 1 possède une taille moyenne, car d’autres bases sont plus grandes ou plus petites (Figure 5.21). Nous estimons donc le poids moyen de l’incensario à ± 1 300 g.
têtes autour de l’incensario intact dans un espace confiné n’est pas une coïncidence. Les incensarios n’étaient probablement pas offerts individuellement, mais bien en lots. Or, si certains exemplaires sont contemporains, les différences de taille et de représentation de la tête reflètentelles plusieurs ateliers de production? Nous avons également identifié cinquante-neuf festons en intégrant ceux encore connectés aux bases. Chaque incensario possède six festons, et le ratio indique qu’il y a au moins dix exemplaires différents (59 ÷ 6). La distribution de festons au sein de la coupe est représentative de toute l’accumulation sédimentaire, notamment dans les couches inférieures (Figure 5.32).
Le sondage #1 a été complètement fouillé, et représente un contexte de découverte homogène. Excepté la disparition de certains fragments (écrasés) ou la présence de quelques éléments potentiellement encore en place dans le sédiment en aval du sondage, le corpus est représentatif. En appliquant le prorata de 19 908 g (poids total) sur 1 300 g (poids moyen d’un incensario), nous obtenons un quotient de 15,31. Nous pouvons donc estimer le Nombre Minimum d’Individus du sondage #1 à 15,3 ou 16 incensarios distincts.
Les bases, les queues et les têtes d’incensarios constituent avec les festons les principaux éléments caractéristiques pour déterminer le Nombre Minimum d’Individus (NMI) découverts dans ce secteur. Afin d’intégrer les autres fragments dans l’analyse, nous avons également procédé à la pesée de l’ensemble du matériel céramique. Au total, les cinq cent soixante fragments de céramique du sondage 131
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
+500
+500 AMONT
+540
+540
+580
+580 AVAL
A B
+620
D
+660
+620
E
C ??
Roche-mère (RM)
+700
+660
F
??
+700 ?? ??
+740 0
SECTEUR NON FOUILLÉ
+740
2m
Figure 5.30. Coupe sondage #1 – Contexte de découverte de la tête d’incensario n° 6 [locus 24].
permet de déterminer qu’il s’agit de lamas domestiques (camelidae), appartenant majoritairement à des individus infantiles ou juvéniles de moins de dix-huit mois (Capriles 2013: 99). Or, les lamas juvéniles sont presque tous complets d’un point de vue anatomique (tous les os sont représentés), alors que les rares ossements de lamas adultes identifiés sont très partiels (quelques os) et peuvent être des résidus alimentaires (Capriles 2013: 99–100).
(2) Analyse zooarchéologique Les fragments de céramiques sont systématiquement associés à des ossements. Plus de 708 fragments ou éléments complets ont été inventoriés; ils représentent 53,88 % de l’assemblage du sondage #1. Tous les éléments de faunes ont été collectés et isolés, car l’affiliation « anthropique » potentielle n’était pas encore déterminée. Sur les 708 ossements (100 %), l’analyse taxonomique permet de répertorier comme suit: 283 fragments appartenant à des camélidés (40 %), 22 fragments appartenant à des oiseaux lacustres (3 %), 113 fragments appartenant à des batraciens (16 %) et 290 fragments appartenant à des poissons (41 %) (Capriles 2013: 95–118). Les coquilles d’œufs n’ont pas été inventoriées.
Pour les autres espèces, les vingt-deux ossements d’oiseaux lacustres correspondent à des canards (anatidae) et des cormorans (phalacrocorax brasilianus), les cent treize ossements de batraciens appartiennent majoritairement à la grenouille géante du Titicaca (telmatobius culeus), les deux cent quatre-vingt-dix ossements de poissons appartiennent à des Carachis (orestias) et quelques-uns à des Mauri et Suche (trichomycterus) (Capriles 2013: 100–102).
Les ossements associés à chaque locus proviennent de contextes secondaires, mais nous observons des lots de concentration d’ossements de lamas (Figure 5.32). La présence sur le site d’ossements de la famille des camélidés est remarquable, car il s’agit de la seule espèce étrangère à l’écosystème de l’arrecife. L’analyse ostéométrique
En accord avec José Capriles (zooarchéologue du projet) (2013: 104), tous les ossements de camélidés, en particulier les juvéniles, sont liés aux activités rituelles alors que les espèces d’oiseaux, de batraciens et de poissons sont d’origine 132
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.31. Coupe sondage #1 – Contexte de découverte de la tête d’incensario n°3 [locus 50 et 5].
Figure 5.32. Coupe sondage #1 – Distribution des festons et des fragments d’incensarios [en transparence].
133
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.33. Sondage #1 – Ossements de camélidés [locus 5 et locus 44].
Figure 5.34. Coupe sondage #1 – Distribution des ossements de camélidés [incensarios en transparence].
naturelle et associées à cet écosystème subaquatique. La distribution des ossements de lamas au sein de la coupe montre qu’ils sont systématiquement associés aux fragments de céramiques (Figure 5.34). Nous observons deux zones de concentration d’ossements stratigraphiquement distinctes: en dessous du bloc A, une concentration très dense dans les cavités situées entre le bloc C et les parois de la faille, une concentration au niveau du bloc E et la dernière dans les couches inférieures à hauteur du bloc F. Les observations effectuées in situ documentent littéralement un « lama complet » situé sous le bloc C.
et les os du bassin (pelvis, sacrum, etc.) (Capriles 2013: 114– 115, table 2). Les lamas juvéniles ont donc été sacrifiés en entier (pas de démembrement) durant la pratique d’offrandes d’incensarios. L’absence de traces de carbonisation indique qu’ils n’ont pas été consommés, mais quelques traces d’outils sur certains ossements (exemple: mandibule inférieure du locus 44) confirment qu’il s’agit d’offrandes post mortem. Les lamas ont dû être sacrifiés avant l’offrande subaquatique, peut-être sur l’île voisine de Khoa, puis immergés en entier sur l’arrecife de Khoa situé à 300 m de l’île. La présence d’une grande concentration d’ossements dans le secteur du bloc C nous permet de déterminer que le lama était d’abord offert sur le site en entier et en connexion anatomique (tous les ossements sont représentés). Ensuite, le corps s’est décomposé in situ et les ossements se sont séparés de manière naturelle. Enfin, ceux-ci ont été mélangés sans cohérence anatomique à la faveur de
Tous les éléments de l’ossature des lamas juvéniles ont été identifiés comme les fragments du crâne (mandibules, arcades sourcilières, etc.), les dents (incisives, canines, molaires), toutes les vertèbres (atlas, axis, caudales, cervicales, lombaires et thoraciques), les côtes, les os longs (fémurs, humérus, tibias, etc.), les os des pieds (tarses, phalanges, etc.) 134
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.35. Coupe sondage #1 – Poches [théoriques] représentant trois camélidés juvéniles complets.
l’érosion naturelle du site (courant lacustre) et ont été « emprisonnés » dans les cavités naturelles présentes dans le secteur. Nous pensons que le bloc C était présent avant l’offrande de ce(s) camélidé(s), car tous les ossements sont bien conservés (peu de fractures post-mortem) et aucun ossement n’était « coincé » sous le bloc C.
[locus 0 – en surface], et 15 petites pierres lisses de couleurs atypiques pour la morphologie du site (moraines). Nous aborderons ces dernières dans l’analyse du sondage #3. Le dernier élément en pierre se distingue des autres, car il est de grande taille et a été façonné par l’homme: il s’agit d’une ancre en andésite [locus 42]. Nous l’avons baptisée « bloc B », car son origine anthropique n’a été identifiée que tardivement durant la fouille. Les relevés topographiques et une photographie prise depuis la partie aval du sondage permettent de la documenter dans son contexte de découverte (Figure 5.36). La présence d’une ancre nous permet d’énoncer deux observations: les offrandes ont pu être effectuées depuis un bateau en totoras de taille moyenne (ancre de ± 40 kg) et la localisation de l’ancre/Bloc B dans les couches archéologiques supérieures l’associe aux dernières offrandes et à la période Tiwanaku.
Afin de déterminer le NMI, nous privilégions l’identification des éléments anatomiques propres au squelette du camélidé, en particulier les deux premières vertèbres de la colonne vertébrale (atlas et axis) ainsi que les os longs des membres supérieurs (humérus: deux par individus) et inférieurs (fémurs: deux par individus). Un atlas est conservé à 100 % et trois autres à 50 % [2,5] tandis que deux axis sont conservés à 75 % [1,5]; deux humérus sont conservés à 100 %, deux à 75 % et cinq à 25 % [4,75 ÷ 2 = 2,375], deux fémurs sont conservés à 100 % et dix à 25 % [4,5 ÷ 2 = 2,25] (Capriles 2013: 114, table 2). Ces chiffres sont cohérents entre eux et indiquent qu’il y a au moins trois camélidés distincts dans le sondage #1. La distribution des vertèbres atlas au sein de la coupe est représentative, car un atlas complet [100 %] provient du locus 20, deux atlas à moitié intacts [50 % + 50 %] proviennent du locus 30, et un atlas à moitié intact [50 %] provient du locus 50. Avec les fragments de fémurs, dont deux entiers dans le locus 20 [bloc D], nous pourrions avoir « trois poches » théoriques (Figure 5.35).
(4) Analyse des artefacts en métal Dix artefacts en métal précieux sont associés aux incensarios et aux sacrifices de lamas. Les premières analyses archéométriques permettent d’identifier la présence d’or (Au), d’argent (Ag) et de cuivre (Cu). La composition précise des alliages sera toutefois déterminée ultérieurement par de nouvelles analyses de fluorescence à rayons X (XRF) (projet ULB en collaboration avec Dr M. Guerra: résultats pour 2017). Au-delà du caractère exceptionnel des matériaux utilisés, la présence d’artefacts en or et en alliage précieux sur le site documente non seulement une production méconnue d’objets rituels, mais aussi une maîtrise de la métallurgie de ces matériaux durant la période Tiwanaku. Il s’agit de feuilles de métal très peu épaisses de couleur dorée; excepté l’objet n° 2, tous ces artefcats sont malléables (Figure 5.37).
(3) Analyse du matériel lithique Parmi les dix-huit objets en pierre (1,37 % de l’assemblage), nous identifions comme suit: une pierre de lest contemporaine entourée d’un fil synthétique utilisé pour la pêche [locus 9], une petite pierre semi-précieuse de type amétrine ou bolivianita provenant probablement d’une offrande moderne 135
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
A
B +500
+500
C AMONT
+540
+540
+580
+580 AVAL
A B
+620
D
+660
+620
E
C Roche-mère (RM)
+700
+660
??
F
??
+700 ?? SECTEUR NON FOUILLÉ
??
+740 0
+740
2m
Figure 5.36. Sondage #1 – contexte de découverte et localisation d’une ancre Tiwanaku en andésite.
7
10
9 2
3
4
5
8
6
1
Figure 5.37. Sondage #1 – Artefacts en métal précieux laminés [10 exemplaires].
La technique utilisée est probablement le laminage de feuilles de métal et de nombreuses traces de découpes sont visibles sur les bords de tous les artefacts. En voici l’énumération:
• l’artefact 1 est une cinta ou ruban en métal de presque 30 cm de long x 0,5 cm de largeur [locus 5],
136
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.38. Coupe sondage #1 – Distribution des artefacts en métal [ossements de lamas en transparence].
• l’artefact 2 est un pectoral quadrangulaire rigide possédant une double perforation [locus 21], l’artefact 3 est un fragment perforé dont la forme originelle est indéterminée [locus 42], l’artefact 4 est une petite feuille quadrangulaire perforée intacte [locus 42], • l’artefact 5 est un fragment de la tête d’une feuille zoomorphe avec des traces de décorations au poinçon [locus 42], • l’artefact 6 est une petite feuille perforée ondulée aux bords concaves [locus 68], • l’artefact 7 est un fragment perforé dont la forme originelle est indéterminée [locus 70], l’artefact 8 est un pectoral quadrangulaire avec une perforation et où quelques incisions presque effacées sont la marque d’un décor [locus 72], • l’artefact 9 est un micro fragment indéterminé [locus 74], • l’artefact 10 est une petite feuille quadrangulaire perforée de couleur plus sombre [locus 74].
donc envisageable que l’un ou l’autre de ces objets « en or » soit directement associé aux sacrifices de camélidés en tant qu’accessoire rituel. Ensuite, la cinta en or de ± 30 cm [n° 1] a été découverte dans la zone de concentration des bases d’incensarios, autour du bloc F. Tous les objets en métal offrent une forme différente et devaient posséder une fonction spécifique au sein de la performance rituelle. Enfin, la petite feuille ondulée en or [n° 6] documente un contexte de découverte exceptionnel: celle-ci est perforée et était encore appliquée sur un fragment de cuir travaillé de ± 3 x 4 cm (Figure 5.39). Cet élément organique a été conservé, car il était protégé sous une pierre d’effondrement [locus 68]. Nous pensons que ce fragment peut appartenir à une sacoche rituelle en cuir richement décorée appartenant à un officiant prenant part à la cérémonie d’offrande subaquatique. Les éléments organiques se conservent sous l’eau grâce aux conditions d’anaérobie, aux températures constantes et en l’absence de lumière (dans le sédiment). Le faible pourcentage d’éléments organiques mis au jour indique que les offrandes ont été exposées un certain temps en surface du fond lacustre et que, grâce aux effondrements de pierres, quelques rares vestiges ont été conservés avant de disparaître (décomposition par des agents biologiques). Or, nous constatons que ce locus 68 est particulièrement exceptionnel, car d’autres éléments « atypiques » y ont également été découverts. Outre l’élément en cuir associé à une feuille d’or, des fragments d’incensarios possédant encore des traces d’engobe rouge ainsi qu’un fragment d’objet en os travaillé proviennent en effet de ce contexte (Figure 5.39).
La localisation des artefacts en métal dans la coupe est atypique (Figure 5.38). Tous les objets ont été localisés dans des cavités, sous un rocher ou dans des « pièges à sédiments » [n° 1, 2, 3, 4, 5, 8], ou au fond du sondage, dans la dernière couche archéologique [n° 6, 7, 9, 10]. Hormis les deux pectoraux et la cinta [n° 1, 2, 8], tous les objets pèsent moins d’un gramme et sont donc très sensibles au courant lacustre. Quatre feuilles en métal sont fragmentaires et littéralement « déchirées » [n° 3, 4, 7, 9]. Nous pensons que seuls les artefacts en or les plus lourds, ou qui ont été « emprisonnés » dans des cavités, ont été conservés dans le sondage #1; d’autres ont été déchirés et/ ou emportés par le courant lacustre.
Les couches inférieures du sondage #1 sont atypiques [loci 68, 70, 72, 73, 74] et connectées entre elles, car quatre fragments appartenant au même incensario ont été découverts respectivement dans les loci 68, 70 et 74 (Figure
Les objets en métal provenant du locus 42 retiennent notre attention [n° 3, 4, 5], car il s’agit d’un secteur où la concentration d’ossements de lamas est importante. Il est 137
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.39. Locus 68 – Incensario avec pigments, os travaillé, et fragment de cuir associé à une feuille en or.
Figure 5.40. Iconographie du pectoral n° 8 [imagerie par rayons X/ Maria Filomena Guerra], pectoral et contexte de découverte.
5.39). Premièrement, le sédiment est composé d’une matrice de sédiment beaucoup plus sombre avec des poches de lattis (végétaux en décomposition anaérobique) mêlé à de nombreux fragments de faune naturelle (arêtes de poissons). Ensuite, tous les artefacts provenant de cette dernière couche anthropique documentent une diversité de matériaux beaucoup plus importante: ossements de camélidés (sacrifice de lama), des fragments d’incensarios avec des pigments rouges, des moraines de couleur verte, un fragment d’« outil » en os (tube à priser rituel?) et un fragment de cuir associé à une feuille en or (sacoche d’officiant?). Enfin, paradoxalement, l’état de conservation des artefacts est à la fois mauvais, car très fragmentaire, et idéale, car les artefacts sont connectés entre eux. Toutes ces observations nous permettent d’établir qu’un événement d’effondrement de pierres s’est produit dans un laps de temps très court après le dépôt d’offrandes subaquatiques. Or, même si les artefacts sont fragmentaires, les conditions d’anaérobie rapide ont permis de conserver de nombreux éléments associés à l’offrande qui ont disparu dans d’autres secteurs.
pensons que ces différences documentent une pérennité de tradition de production (ils sont tous deux associés à des incensarios), mais également une variante chronologique. De légères incisions étaient toutefois encore visibles sur la surface du pectoral n° 8. La radiographie réalisée par Orlando Limaclli Kantuta (UMSA) a révélé l’ensemble du motif (Figure 5.40): il s’agit d’un être mythique de forme hybride composée d’une tête de puma et d’un corps de serpent (serpiente catari). Ce motif est présent dans l’iconographie de la porte du soleil de Tiahuanaco sur le piédestal situé en dessous du Dieu-aux-bâtons. Vu que l’iconographie des céramiques a disparu et que la datation des artefacts en métal est malaisée à préciser, l’apport de cette donnée est donc doublement important. Nous avons effectué une datation 14C sur une dent de camélidé (collagène) associée aux couches inférieures et au pectoral n° 8 [locus 72]. L’échantillon UBA-27006 a été daté de 682–843 (1σ) et de 679–876 PCN (2σ). Ces résultats correspondent à la période Tiwanaku IV (500– 800 PCN) et peut-être à l’époque de transition avec la période Tiwanaku V (800–1050/1150). Cette datation est essentielle, car l’échantillon a été prélevé dans la couche archéologique la plus profonde. La roche-mère a en effet été atteinte partout dans le sondage, excepté dans ce secteur où une dernière interface de sédiment mélangé avec des éclats de roches est posée sur la rochemère (visible à certains endroits). L’absence presque systématique de couches sédimentaires en dessous des couches anthropiques indique que les premières offrandes
Le pectoral n° 8 provient également de ce secteur exceptionnel [locus 72], alors que le pectoral en or n° 2 a été découvert dans les couches supérieures [locus 21]. Nous constatons que ces deux pectoraux sont de dimensions identiques, mais de facture différente. Le n° 8 est malléable et léger [3,63 g], possède une teinte or-cuivrée, une forme quadrangulaire et une simple perforation. Le n° 2 est rigide et relativement lourd [15,75 g], possède une teinte dorée, une forme plus arrondie et une double perforation. Nous 138
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) cm de hauteur et peuvent théoriquement correspondre à la même offrande ou à différents événements.
dans ce secteur ont été effectuées peu de temps après l’immersion totale de la faille dont la partie avale est située à 720 cm de profondeur (3802,5 m).
Ce sondage est toutefois représentatif, car il a été fouillé quasi entièrement. Dans l’état actuel de la recherche, nous privilégions la présence d’au moins trois événements chronologiquement distincts (Figure 5.41). Abstraction faite du secteur du bloc E, la distribution des fragments de céramiques et d’ossements de camélidés dans la coupe (projection horizontale) apporte en effet de nombreuses informations sur la formation du dépôt archéologique et sur différents événements séparés par des couches d’effondrements.
5.4.3. Discussion: assemblages des offrandes Des 1314 fragments du sondage #1, nous pouvons exclure 425 ossements d’origine naturelle (poissons, batraciens et oiseaux lacustres) pour atteindre un total de 889 éléments d’origine anthropique. Hormis une dizaine de fragments modernes ou indéterminés issus des couches supérieures (Annexe 5.1), la totalité de ce corpus correspond à des offrandes de la période Tiwanaku. Au final, nous comptabilisons: 16 offrandes d’incensarios (NMI), 3 sacrifices de camélidés juvéniles (NMI), 10 artefacts ou fragments en métal (NMI), 1 ancre en andésite, 1 fragment d’os travaillé et 1 fragment de cuir d’origine anthropique.
L’événement le plus ancien (I) est associé aux loci 60– 68–70–72–73–74 situés dans les couches inférieures entre la partie amont du bloc C et la partie aval du bloc F. Le matériel est fragmentaire, car il a subi l’impact de tous les événements d’effondrements de pierres dans la faille. Ceux-ci ont toutefois contribué à créer rapidement des conditions d’anaérobie ayant permis la conservation d’éléments périssables ou fragiles tels qu’un fragment de cuir, des feuilles en métal, un fragment d’os travaillé et des traces de pigments sur les céramiques. Cet événement est daté de la période Tiwanaku IV ou de la période de transition avec Tiwanaku V et associé à l’échantillon du locus 72: 682–843 (1σ) ou 679–876 (2σ) (Figure 5.42).
Les incensarios constituent le cœur de l’offrande Tiwanaku en tant que céramique cérémonielle, ainsi que les sacrifices de camélidés. Théoriquement, avec la présence de seize incensarios (NMI), les offrandes pourraient soit appartenir à un seul événement — une offrande unique de seize incensarios —, soit à une quinzaine d’événements — seize offrandes d’incensario. La taphonomie et la distribution des artefacts au sein du sondage #1 montrent toutefois qu’il existe différents événements. Nous pouvons dès lors énoncer trois hypothèses: •
•
•
Le second événement (II) est associé aux loci 38–42–44–721. On y trouve certaines offrandes dans un état fragmentaire [locus 44], tandis que d’autres sont partiellement intactes [loci 7–21]. Ces offrandes sont séparées de l’événement le plus ancien par une couche d’éboulis visibles entre les blocs D et E et sont situés stratigraphiquement en dessous d’un événement postérieur en dessous du bloc E. Dans ce secteur, les ossements de camélidés ne répondent pas aux mêmes mécanismes de distribution dans la coupe. Nous pensons que ce phénomène reflète l’« empreinte du volume du camélidé avant sa décomposition »: les fragments de céramiques ont donc à peine été mélangés aux ossements. L’intervalle de probabilité de l’échantillon 14C du locus 44 est trop large, mais l’assemblage se situe entre l’événement I et l’événement III.
la présence d’offrandes massives (d’abandons?) dans les couches superficielles et quelques offrandes plus anciennes dans les couches inférieures (approche taphonomique), la présence de deux événements d’offrandes dans les couches superficielles et un événement plus ancien dans les couches inférieures (approche stratigraphique), ou la présence de quatre ou cinq événements distincts.
Les processus de sédimentation du lac majeur du Titicaca sont faibles. Nous avons effectué une carotte sédimentaire à 20 m de profondeur au nord-est de l’arrecife (projet ULB-IRD: résultats des analyses prévus pour 2017). Cette carotte (IS-2) mesure 97 cm d’épaisseur et un échantillon 14C (UBA-27002) permet de dater la partie inférieure de celle-ci: 993–1040 (1σ) et de 990–1135 (2σ), c’est-à-dire la fin de la période Tiwanaku V. Nous avons donc en moyenne 10 cm de sédiment par siècle ou 1 mm de sédiment par année (hors éboulis). Par conséquent, si, par exemple, il y a eu différents événements d’offrandes subaquatiques durant une décennie, il y a maximum 1 cm de sédiment (10 ans) entre la première offrande et la dernière offrande. D’un point de vue stratigraphique, en l’absence de pierres d’effondrement, il est donc impossible de déterminer si certains incensarios correspondent au même événement d’offrandes, car ils sont tous connectés entre eux. Les bases d’incensarios découvertes autour et en dessous du bloc E [bases 3–5, 8–12] étaient tous physiquement connectés dans une couche sédiment de ± 40 cm d’épaisseur. Les incensarios mesurent en effet ± 30
L’événement le plus récent (III) est associé aux loci 50–53–1-2–3-5–6 où l’on a relevé un incensario intact [locus 50] et d’autres sont partiellement conservées [loci 1–2-3–5-6]. La tête d’incensario n° 3 montre que les loci des couches superficielles situées en amont sont connectés à ceux situés en aval et associés à l’échantillon du locus 53: 898–991 (1σ) ou 890–1014 (2σ) (Tiwanaku V). L’ancre en andésite provient de ce dernier événement (augmentation du niveau d’eau?). Il n’existe pas de « poche homogène » reflétant la présence d’un lama sacrifié. Cette couche récente a moins subi les événements d’effondrement, mais a été plus exposée aux courants lacustres: les ossements s’y sont mélangés à travers toute la faille. Il est toutefois difficile de distinguer les bases d’incensarios et les ossements de camélidés des deux événements les plus 139
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.41. Distribution des datations 14C et reconstitution hypothétique de 3 assemblages chronologiquement distincts.
Figure 5.42. Datations radiocarbones du sondage #1 et IS-2 (Oxcal 4.2 – ShCal13).
récents, car ils sont tous physiquement connectés. Nous n’excluons donc pas la présence de quatre événements, cinq au maximum. De ce point de vue, la moyenne de l’assemblage 140
associé à chaque événement rituel est de 4 ± 1 incensarios et d’un sacrifice de camélidé, répartis sur une période située entre 682–991 PCN (1σ) ou 679–1014 PCN (2σ).
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.43. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur en 2013 [avant la fouille].
d’enregistrer les artefacts situés en amont (Figure 5.44). Premièrement, la roche-mère a été atteinte dans la partie amont du sondage: il s’agit là de la continuité naturelle de l’arrecife qui « plonge » dans le sédiment. L’inclinaison de la roche est de ± 45°, soit légèrement plus faible que l’inclinaison moyenne du flanc occidental du site [51°]. Ensuite, un second affleurement naturel était dissimulé par une couche de sédiment de faible épaisseur entre les piquets 3 et 4. Les parois de cet affleurement secondaire sont verticales dans le sondage [90°]. Cette dernière particularité a enfin permis de localiser une petite faille remplie de sédiment délimitée par les piquets n° 4 et 5 entre l’arrecife et cet affleurement secondaire (Figure 5.44).
5.5. Sondage #3 5.5.1. Morphologie et description du sondage: discussion Le sondage #3 a été implanté sur un plateau sédimentaire de ± 30 m2 situé à 5,5 m de profondeur au pied de la paroi occidentale de l’affleurement rocheux dans un renfoncement de l’arrecife (Figure 5.12). La superficie d’intervention a été délimitée dans un carré de 2 m de côtés (4 m2) et possède une dénivelé de ± 30 cm entre la partie amont (arrecife) et la partie aval du sondage (direction île de Khoa) (Figure 5.43). Tout ce secteur est donc situé en contrebas d’une paroi abrupte vu qu’il y a 5 m de hauteur entre ce plateau sédimentaire et le sommet de l’arrecife situé à seulement 4 m de distance. Tout le plateau sédimentaire était dissimulé par une couverture végétale abondante (ensoleillement important durant la saison sèche) où seules quelques poches de substrat lacustre composées de fragments de gastéropodes (« sable ») étaient visibles, ainsi que quelques blocs d’effondrement de tailles variables. Trois fragments de céramique contemporaine de type olla étaient posés sur le sédiment entre le sondage et la paroi de l’arrecife (Figure 5.43). Les fragments n’ont pas été prélevés, car il s’agit d’une offrande récente
Les stratégies d’enregistrement de la fouille ont donc dû être adaptées pour respecter la morphologie naturelle du site. Entre les piquets n° 1 et 2, nous avons documenté l’accumulation sédimentaire qui reflète les dynamiques de remplissage de la majorité du sondage, tandis que celle située entre les piquets n° 4 et 5 correspond au remplissage de la petite faille secondaire connectée au sondage dans la partie amont. Ce secteur d’intervention est donc moins homogène que le sondage #1, car le plateau sédimentaire de ± 30 m2 situé dans ce renfoncement de l’arrecife n’a pas été fouillé dans sa totalité.
La zone d’intervention a été délimitée par quatre piquets en métal numérotés de 1 à 4 qui ont servi de repères pour l’enregistrement de la fouille. L’implantation d’un dernier piquet de référence [n° 5] a ensuite été nécessaire afin
Les relevés stratigraphiques du sondage #3, entre les piquets 1 et 2, illustrent une accumulation sédimentaire très dense caractérisée par une couche supérieure de ± 20 cm d’épaisseur composée de fragments de gastéropodes, de 141
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.44. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur d’intervention [fin de la fouille].
racines et de pierres de 20 cm maximum en diamètre, et d’une couche inférieure composée d’un agglomérat de pierres d’effondrement compact colmatées par une matrice d’argile et de limon (Figure 5.45). L’inclinaison du substrat sédimentaire est homogène, car les premiers
blocs de la couche dense d’éboulis sont situés à 580 cm de profondeur en amont et à 610 cm de profondeur en aval. Toutefois, à l’inverse du sondage #1 délimité par une faille, il s’agit d’un espace ouvert où les pierres d’effondrement ne suivent pas une trajectoire linéaire, mais au contraire se
Figure 5.45. Coupe 1–2 du sondage #3 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille].
142
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
+400
+400
5 +440
4
+530
+440 AMONT
+480
+480
5
4
AVAL
+520
+520
+560
+560 Roche-mère (RM)
RM
Roche-mère (RM)
+600
+600
+640
+640 Roche-mère (RM)
+680
+680 +630 RM
+720
+720 0
2m
Pierres
Figure 5.46. Coupe 5–4 du sondage #3 – Morphologie du secteur en juin 2013 [ensemble de la fouille].
dispersent sur tout le plateau. La chronologie des différents événements d’effondrement n’est donc malheureusement pas visible, car il n’y a pas de distribution cohérente des pierres dans la coupe (Figure 5.44).
• l’US3 est principalement constituée d’une couche de lattis (végétaux en décomposition) et de débris de gastéropodes, • l’US4 se distingue par un agglomérat de pierres compactes de 10 à 30 cm de diamètre.
La roche-mère a été atteinte à 600 cm de profondeur dans la partie amont du sondage au niveau du piquet n° 2, et à 650 cm de profondeur au milieu du sondage (45°) (Figure 5.45). Elle n’a pas pu être atteinte dans la partie aval, car les coupes y étaient particulièrement instables. Par exemple, la coupe située entre les piquets n° 1 et 3 s’est effondrée durant la fouille. Cette instabilité aura des conséquences sur l’enregistrement de données, car certains lots d’artefacts « extérieurs au sondage » se sont effondrés dans celui-ci. Ils ont toutefois été enregistrés et codifiés par lots et nous avons atteint une couche sédimentaire a priori vierge à la fin de la fouille. L’intervention représente ± 6 m3 de sédiment fouillé.
Ces quatre unités stratigraphiques constituent la trame générale du sédiment dans cette faille (Figure 5.46). Ces unités sont toutefois théoriques, car nous observons de nombreuses interfaces isolées sous forme de « poches sédimentaires »; par ailleurs, la différenciation entre les différentes couches est rarement visible dans le sondage. Nous n’enregistrons donc pas la fouille sous forme d’US, car, que ce soit dans le sondage #1 ou dans celui-ci, nous observons principalement un agglomérat dense de pierres d’effondrement recouvert par un dépôt sédimentaire volatile. L’alternance de couches minérales et végétales est toutefois intéressante dans la mesure où elle met en évidence les fluctuations du lac à travers le temps: les couches de pierres correspondent à des périodes d’érosion intensive (arrecife non immergé) et les couches volatiles correspondent à des périodes de sédimentation lacustre sans interférences (arrecife complètement immergé).
Les relevés stratigraphiques de la petite faille située en amont du sondage #3, entre les piquets 5 et 4, sont intéressants; en effet, les dynamiques de remplissages sédimentaires y sont cohérentes et ont, en outre, permis d’identifier différentes unités stratigraphiques distinctes qui avaient disparu dans d’autres secteurs en raison du bouleversement des couches. Nous observons une alternance d’interfaces sédimentaires entre des couches organiques et des couches minérales:
Les premiers artefacts mis au jour ont été localisés à une profondeur moyenne de 610 cm [entre +600 et +620]. Les couches archéologiques supérieures respectent donc également l’inclinaison générale du plateau sédimentaire. La seule exception consiste en la découverte de deux artefacts de la période inca à 570 cm de profondeur [+570] dans la partie amont du sondage (Figure 5.47). Les fragments de céramique moderne et ces deux éléments
• l’US1 est composée de fragments de gastéropodes, de racines et de limon, • l’US2 se caractérise par une fine couche d’éclats de roche agglomérée dans du limon, 143
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.47. Plan du sondage #3 – Morphologie du secteur et distribution des artefacts [début de la fouille].
mis à part, tous les autres artefacts appartiennent à des offrandes de la période Tiwanaku ou pré-Tiwanaku. Cette information est par ailleurs cruciale vu que les offrandes de la période inca (1430–1530 PCN) sont séparées stratigraphiquement par 30 cm de sédiment et de pierres des premiers fragments de céramiques de la période Tiwanaku (500–1050/1150 PCN). Cette observation nous permettra non seulement de reconstituer les assemblages d’offrandes propres à chacun de ces deux faciès culturels — tous les ossements de camélidés étant aux incensarios —, mais également de déterminer que les Incas, lors de leurs pratiques rituelles, ignoraient probablement l’existence d’offrandes plus anciennes sur le site, étant donné qu’elles étaient enfouies dans le sédiment.
directement situé en contrebas d’une paroi abrupte, et donc particulièrement vulnérable aux événements d’effondrement de pierres. Vu que l’inclinaison du fond lacustre est faible, les offrandes ont littéralement été figées sur place par les éboulis. Elles sont plus fragmentaires certes, mais les assemblages en sont beaucoup plus homogènes, car les éléments fragiles ou de petite taille n’ont pas été emportés par le courant. La morphologie en cuvette a permis de conserver tous les fragments dans un espace restreint. À titre de comparaison, le sondage #3 (4 m2) est deux fois plus petit que le sondage #1 (8 m2). Or, 72 % des artefacts en métal et 80 % des artefacts en spondyle découverts en 2013 proviennent du sondage #3 (Annexe 5.1). Ils sont tous associés aux fragments de céramiques et d’ossements au sein d’« une seule couche » de 20 à 40 cm d’épaisseur sur une superficie de 4 m2. Ils sont donc tous connectés entre eux. Nous adapterons donc notre stratégie d’analyse en identifiant dans un premier temps les différents types de fragments par matériaux. Ensuite, nous aborderons également les différents assemblages d’objets en analysant la distribution des offrandes dans le plan (projection verticale).
Au total, 803 artefacts et écofacts ont été mis au jour dans le sondage #3: 472 fragments de céramiques (58,8 %), 273 fragments d’ossements et d’arrêtes de poissons (34 %), 21 objets en métal précieux (2,6 %), 16 éléments en pierre d’origine anthropique (2 %), 16 éléments organiques ou prélèvements (2 %), 5 fragments de spondyles dont trois exemplaires façonnés par l’homme (0,6 %) (Annexe 5.1). La projection des fragments de céramique dans la coupe indique que toute la couche archéologique Tiwanaku est dense et homogène: il s’agit d’une couche épaisse de 20 cm en amont et de 40 cm en aval. Par conséquent, plus on s’éloigne de l’arrecife, plus la couche archéologique est épaisse et moins enfouie dans le sédiment (Figure 5.48). Aucune céramique intacte ou partiellement complète n’a été mise au jour dans ce sondage. Ce secteur est
5.5.2. Nature et distribution des offrandes Nous avons enregistré vingt-six loci dans le sondage #3 dont l’énumération, à partir du locus 8, répond à la chronologie des interventions effectuées sous l’eau. L’inventaire des artefacts et écofacts est détaillé en annexe avec la date d’intervention, le numéro du sondage, le locus 144
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.48. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des fragments de céramique [ensemble de la fouille].
Figure 5.49. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des différentes interventions codifiées en locus.
et l’affiliation culturelle (Annexe 5.1). Pour respecter la morphologie naturelle du sondage, nous avons différencié différents ensembles de loci: ceux associés à la coupe 1–2 et ceux issus de la faille secondaire représentée par la coupe 5–4 (cf. plan, Figure 5.47). Tous les secteurs d’interventions documentés dans la coupe 1–2 sont d’affiliation Tiwanaku. Les loci 63 à 71 correspondent toutefois aux fragments
issus de l’effondrement de la coupe 1- 3 (Figure 5.49). Ces derneirs sont donc décontextualisés, mais proviennent néanmoins des couches situées entre 620 et 650 cm de profondeur au niveau du piquet n° 1. Par ailleurs, les loci 46, 48, 52, 55 et 59 sont également issus de l’effondrement de la coupe 1–2, mais dans un 145
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
+400
+400
+440
+440 AMONT
+480
+480
5
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+520
+520
+560 Roche-mère (RM)
L.12 L.16
+600
+560
L.8 L.10
Roche-mère (RM)
+600
L.36-L.40
+640
+640 Roche-mère (RM)
+680
+680
+720
+720 0
2m
Figure 5.50. Coupe du sondage #3 [4–5] – codifications en locus et offrandes de la période inca [locus 8].
espace plus proche du piquet n° 3 [entre 620 et 650 cm de profondeur] (Figure 5.49). En terme d’analyse, ces observations permettent de déterminer que les artefacts inventoriés durant les opérations de fouilles de 2013 sont potentiellement connectés à ceux encore conservés dans le sédiment. La diversité des matériaux montre donc que les assemblages sont beaucoup plus homogènes, mais vu que seule une partie du plateau sédimentaire a été fouillée, nous ne pouvons pas quantifier avec précision les lots d’offrandes originels (nombre d’incensarios par offrande).
superficielles de ce secteur ont été l’objet d’investigations. La présence de cette figurine permet d’établir hypothétiquement la localisation originelle d’un de ces coffrets de pierre. Ensuite, que le coffret ait été découvert ou non, la présence de cette figurine isolée indique que l’offrande était, avant l’arrivée des premiers plongeurs en 1977, déjà perturbée, en contexte secondaire, au vu concrétions anciennes de coquillages étant accrochées sur la figurine. Enfin, celle-ci a été découverte à ± 30 cm au-dessus des premiers artefacts de la période Tiwanaku. La petite cinta en or associée à cette figurine est donc théoriquement inca (Figure 5. 50).
La majorité des loci connectés à la petite faille proviennent des couches inférieures [12–16–36–40] et correspondent à des fragments d’offrandes de la période Tiwanaku (Figure 5.50). Plusieurs siècles après celles-ci, l’arrecife de Khoa sera à nouveau l’objet d’offrandes subaquatiques durant la période inca (1430–1530 PCN). Une petite figurine en tumbaga ou en argent représentant un lama (résultats des analyses de l’alliage prévus pour 2017 – Dr M. Guerra) a été découverte dans les couches supérieures de ce secteur [locus 8] (Figure 5.50). Les offrandes de cette période sont principalement composées de figurines miniatures anthropomorphes et/ou zoomorphes (contenu), et étaient déposées dans un coffret en pierre fermé par un couvercle (contenant). Or, des vingt-huit coffrets en pierre remontés à la surface entre 1977 et 1992, seuls quatre exemplaires étaient intacts, ou partiellement intacts, et pourvus de leur contenu.
Il existe donc une distinction stratigraphique entre la majorité des offrandes (Tiwanaku) et les pratiques rituelles plus tardives, incas ou modernes. Une des plus belles découvertes a toutefois été celle de deux fragments de céramique incisée de « style Tiwanaku », mais de facture de la fin de la période formative (300–500 PCN) (Figure 5.51). Ils ont été mis au jour au fond du sondage, dans l’interface intermédiaire entre le dépôt Tiwanaku et le sédiment stérile: un fragment en amont dans le locus 55 et un fragment en aval dans le locus 46 [+660]. Or, ces deux fragments appartiennent non seulement au même exemplaire, mais, au vu de leurs fractures émoussées par l’érosion, l’un et l’autre sont « roulés » (Figure 5.51). Cette information est déterminante; en effet, à l’inverse, tous les fragments d’incensarios Tiwanaku de ce sondage montrent des fractures nettes. Les données taphonomiques de ces deux fragments pré-Tiwanaku indiquent par conséquent qu’ils étaient conservés sur un espace de type littoral (paléoplage) et que le niveau d’eau de cette période était inférieur à 660 cm. Ils indiquent surtout que la pratique d’offrandes subaquatiques est plus ancienne sur le site.
La découverte de cette figurine zoomorphe isolée est par conséquent digne d’intérêt et permet d’énoncer trois observations. Premièrement, celle-ci est probablement associée à un coffret en pierre remonté à la surface en septembre 1977 ou en janvier 1988, car toutes les couches 146
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.51. Plan du sondage #3 – fragments de céramiques pré-Tiwanaku [locus 46 et 55].
les critères d’identification ont l’avantage d’être sans ambiguïté: pour rappel, (1) une base annulaire et une forme hyperboloïde, (2) un bord composé de festons, (3) une tête façonnée creuse, (4) une applique quadrangulaire ou collerette, et (5) une queue façonnée creuse (Figure 5.20). Aucun incensario intact ou partiellement conservé n’a été découvert dans ce sondage, mais la présence systématique de fragments dotés de ces cinq caractéristiques permet de les associer à cette forme.
(1) Analyse du matériel céramique (Tiwanaku) Les fragments de céramiques représentent 58,8 % de l’assemblage du sondage #3. Sur les 472 éléments inventoriés, tous ceux inférieurs à 1 cm2 ont été exclus de l’analyse pour constituer un corpus définitif de 209 fragments (Fontenla et Flores 2013: 63). Cette première observation reflète les conditions taphonomiques des artefacts et du secteur d’intervention: toutes les céramiques Tiwanaku ont été écrasées sur place par les événements d’effondrement de pierres et la fragmentation qui en résulte est plus importante que dans le sondage #1.
Au moins quatre fragments de têtes de puma appartenant à trois incensarios distincts (NMI) ont été identifiés dans le locus 29 (un œil), dans le locus 52 (museau et un œil) et dans le locus 66 (partie supérieure de la tête). Ensuite, de nombreux fragments appartenant à l’applique quadrangulaire ou collerette ont été identifiés dans la majorité des loci, dont une intacte dans le locus 42. En l’absence de bords, ces derniers sont toutefois difficiles à distinguer des fragments du corps céramique.
L’analyse morphologique et technologique des fragments indique que la totalité du corpus céramique, excepté un fragment de vasija contemporain et deux fragments de la période formative, appartient à la même forme Tiwanaku que celle documentée dans le sondage #1: l’incensario. Cette céramique-effigie est une forme complexe dont 147
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.52. Sondage #3 – Exemples de festons et d’un exemplaire atypique avec des incisions [locus 63].
que dans le sondage #1, nous obtenons un quotient de 7,04. Nous pouvons donc déterminer le Nombre Minimum d’Individus du sondage #3 comme 7,04 ou 8 incensarios distincts.
Les fragments de la queue de la céramique-effigie sont également omniprésents, donc une partie supérieure intacte découverte dans locus 27 et une partie inférieure intacte dans le locus 28 appartenant à deux incensarios distincts (NMI). Le bord festonné de cette céramique constitue toutefois l’élément de diagnostic le plus représentatif (Figure 5.52). Vu qu’il possède un bord ondulé épais, les festons se conservent mieux que les autres parties de la céramique. Au total, nous comptabilisons au moins trente festons dans tout le sondage. Seuls un tiers des loci « Tiwanaku » ne sont pas associés à des festons reconnus avec certitude [16–22–28–34–37–40–48–51–71], mais ils le sont avec d’autres critères d’analyses telles que l’applique quadrangulaire. Ces trente festons appartiennent donc à au moins cinq incensarios (NMI) (six festons par incensario).
Toutefois, le plateau sédimentaire de 30 m2 au sein duquel nous avons effectué ce sondage de 4 m2 n’a pas complètement été fouillé. L’effondrement de la coupe 1–3 indique par ailleurs que la partie aval du sondage #3 est très dense en matériel, et que la « couche archéologique » était de plus en plus épaisse. L’arrecife de Khoa documente par conséquent des pratiques rituelles régulières et/ ou la présence d’offrandes massives. Il s’agit d’un site d’offrande de première importance et unique dans le paysage rituel Tiwanaku. (2) Analyse zooarchéologique
Un feston provenant du locus 63 (effondrement de la coupe 1–3) attire notre attention, car il possède des traces d’engobe de couleur rouge et de très fines incisions géométriques de style Tiwanaku (Figure 5.52). Seuls quelques rares exemplaires possèdent encore des pigments et l’iconographie a généralement disparu. Nous pensons que ces incisions atypiques pour l’incensario Tiwanaku ont pu être dessinées sur la surface de la céramique afin de délimiter les futurs motifs de l’iconographie aujourd’hui manquante. Tous les festons répondent aux mêmes critères de production et possèdent approximativement la même forme et les mêmes dimensions.
Les fragments d’ossements représentent 34 % de l’assemblage du sondage #3 et constituent avec les fragments de céramique la majorité du matériel archéologique mis au jour (92,8 %). Sur les 273 ossements (100 %), l’analyse taxonomique permet de distinguer comme suit: 117 fragments appartenant à des camélidés (42,9 %), 17 fragments appartenant à des oiseaux lacustres (6,2 %), 79 fragments appartenant à des batraciens (28,9 %), 59 fragments appartenant à des poissons (21,6 %) et 1 canine de félin (0,4 %) (Capriles 2013: 95–118). Les coquilles d’œufs n’ont pas été inventoriées.
Tous ces éléments permettent de confirmer que la totalité du corps céramique appartient à cette forme et par conséquent à la culture Tiwanaku. L’absence systématique de connexions physiques entre les fragments ne permet pas de reconstituer des bases ou des formes partiellement complètes vu que la couleur, les textures et l’épaisseur des fragments ne sont pas des critères fiables. Afin de déterminer le Nombre Minimum d’Individus (NMI), nous avons estimé le poids moyen de l’incensario à ± 1 300 g grâce aux exemplaires intacts découverts dans le sondage #1. Tous les fragments de céramique issus du sondage #3 totalisent un poids de 9 153 g. En appliquant le même ratio
Les conclusions de l’analyse ostéométrique sont identiques à celles effectuées sur les macrorestes du sondage #1: les ossements de camélidés appartiennent à des lamas domestiques juvéniles entiers (camelidae) dont les offrandes post-mortem sont associées aux incensarios à des têtes de puma. La présence d’une canine de félin dans le sondage #3 [locus 55] est par conséquent exceptionnelle, non seulement par analogie avec les céramiques, mais également en termes d’informations sur les pratiques liées aux performances rituelles d’offrandes d’incensarios et/ou du culte documentées à Khoa. Les autres ossements sont d’origine naturelle et conformes à 148
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.53. Coupe du sondage #3 [1–2] – Distribution des ossements de lamas [incensario en transparence] et des datations 14C.
un écosystème immergé. La présence systématique dans les couches Tiwanaku d’ossements d’oiseaux lacustres, de coquilles d’œufs et d’arêtes de poissons endémiques du Titicaca indique que l’arrecife n’était pas totalement immergé. Khoa était un espace privilégié pour ces oiseaux, en particulier les cormorans (phalacrocorax brasilianus), car il s’agit d’un secteur isolé sans prédateurs et riche en ressources naturelles comme les poissons (orestias, trichomycterus) et les grenouilles (telmatobius culeus).
amont de la coupe à partir du piquet n° 2 et un ou deux individus dans la partie aval du sondage au niveau du piquet n° 1 (Figure 5.53). Ils sont principalement associés aux fragments d’incensarios [en transparence] conservés dans une couche dense de 20 à 40 cm d’épaisseur et permettent de déterminer la présence de différents dépôts d’offrandes d’incensarios.
Le lama est la principale espèce étrangère à ce milieu naturel. Afin de déterminer le NMI, nous privilégions également l’identification des éléments anatomiques propres au squelette du camélidé: les deux premières vertèbres de la colonne vertébrale (atlas et axis) et les os longs des membres supérieurs et inférieurs (humérus et fémurs). Un atlas a été conservé à 100 % dans le locus 52 [1 individu], un axis a été préservé à 75 % dans le locus 27 [1 individu], cinq fragments d’humérus ont été identifiés dans les loci 12, 16, 28 et 52 dont trois conservés à 25 %, un à 50 % et un à 75 % [1 individu] et cinq fragments de fémur ont été identifiés dans les loci 10, 28, 51 et 61 dont trois conservés à 25 %, un à 75 % et un à 100 % [2 individus] (Capriles 2013: 114, table 2). Seuls les fragments de fémurs indiquent qu’il y a au moins deux sacrifices de camélidés distincts dans le sondage #3. D’autres observations permettent toutefois de majorer ce NMI.
Deux informations complémentaires sont en faveur de notre argumentation sur la présence de différents événements. Premièrement, la concentration et la taphonomie des fragments d’incensarios sont différentes entre la partie amont et la partie aval du sondage [coupe 1–2]. Deuxièmement, quatre datations isotopiques permettent d’établir des distinctions chronologiques. Dans la partie amont du sondage, nous avons effectué deux datations 14C sur deux dents de camélidés (collagène): l’une associée au locus 29 (échantillon UBA-27008) et l’autre associée au locus 51 (échantillon UBA-27009). Le premier échantillon est daté de 772–880 (1σ) et de 759–897 PCN (2σ – 77,9 %) et le second de 776–956 (1σ) et de 770–970 PCN (2σ). Nous pensons qu’ils sont contemporains puisque tous deux été prélevés au niveau de la roche-mère et que la distribution des ossements de camélidés dans ce secteur est cohérente. Il peut donc s’agir d’un sacrifice de lama effectué entre 770 PCN et 897 PCN (Figure 5.53).
La distribution des ossements de camélidés dans la coupe 1–2 apporte en effet de nouvelles informations. Nous constatons que deux ou trois secteurs de concentration possèdent un pendage différent (décomposition progressive in situ). Ceux-ci correspondent probablement à des sacrifices distincts de lamas, avec un individu en
Ensuite, deux échantillons de charbon ont été prélevés dans la partie aval du sondage: l’un est associé au locus 43 (échantillon UBA-23685), l’autre est associé au locus 71 issu de l’effondrement de la coupe 1–3 (échantillon UBA23688). Le premier échantillon est daté de 895–980 (1σ) et de 886–989 PCN (2σ), et le second de 878–968 149
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie (1σ) et de 856–982 PCN (2σ – 87,7 %). Ce secteur a été perturbé par l’effondrement de la coupe 1–3: l’échantillon du locus 71 provient donc de la coupe aval [entre 620 et 650 cm de profondeur], tandis que celui du locus 43 a été prélevé in situ (Figure 5.53). Si ces deux échantillons sont contemporains, ils sont associés à une offrande massive effectuée entre 886 PCN et 982 PCN. S’ils ne sont pas contemporains, comme l’indiquerait la distribution des ossements dans la coupe, il peut s’agir de deux événements distincts effectués dans un laps de temps maximum de 133 ans (2σ). La distribution des probabilités n’est en effet pas une distribution gaussienne: aucune date ne peut être privilégiée au sein de l’intervalle de probabilité (Kenney and Keeping 1962: 167–169).
sédimentaire). Nous pensons que les courants dominants du lac ont également contribué à conserver ces éléments, et de facto, l’intégrité des offrandes originelles. Durant la saison sèche, les vents dominants viennent de l’ouest (Ronchail et al. 2014: 2–3). Cette information pourrait expliquer la variabilité des assemblages entre le sondage #3 (à l’ouest) et le sondage #1 (à l’est). Les éléments fragiles ou de petite taille sont restés conservés au pied de l’arrecife dans la partie occidentale du site, alors que ceux situés de l’autre côté ont été emportés au large par le courant. En général, la navigation sur le lac est optimale durant la saison sèche; il est possible que les offrandes subaquatiques Tiwanaku aient été effectuées durant cette saison.
Les datations 14C associées aux sacrifices de lamas juvéniles indiquent au moins deux événements: les ossements situés en amont du sondage sont datés de 770–897 PCN (un individu) et ceux situés en aval sont datés de 886–989 PCN et/ou de 856–982 PCN (un ou deux individus). Les dynamiques de distribution des offrandes dans ce secteur de l’arrecife sont différentes de celles documentées dans le sondage #1 et liées à la morphologie naturelle du site. Le sondage #3 est situé directement en contrebas d’une paroi abrupte; les premières offrandes se sont déposées directement au niveau de la roche-mère, avant le processus de sédimentation progressive, et respectent donc l’inclinaison générale de cet affleurement. Ensuite, les différentes offrandes postérieures effectuées dans ce secteur ne se sont pas accumulées de manière verticale « au-dessus » des premières offrandes, mais ont chaque fois respecté l’inclinaison de la pente régulièrement modifiée par les événements d’effondrement. Les offrandes plus récentes se sont donc écoulées vers l’aval, en contrebas des offrandes plus anciennes. Ce constat est déterminant, car techniquement, en termes de cotes de profondeur, les offrandes récentes sont « plus profondes » que les offrandes anciennes.
Nous distinguons deux ensembles d’offrandes en pierre ou en coquillage. Tous ces artefacts sont d’origine anthropique, mais certains sont façonnés (artefacts miniatures), et d’autres non. Au moins trois artefacts ont été façonnés à partir d’une espèce de coquillage provenant du littoral de l’Océan Pacifique équatorien ou du nord du Pérou: le spondylus princeps. L’objet 1 est un petit camélidé de ± 3,5 cm de long x 3 cm de haut dont l’ancienneté (Tiwanaku) est exceptionnelle; les Incas en façonneront également dans ce même matériau [locus 52]. L’objet 2 est une applique décorative de ± 2 cm de haut x 1 cm de large, légèrement évasée à la base et possédant une perforation latérale dans la partie supérieure [locus 56]. L’objet 3 est un pendentif de ± 2 cm de haut sur 0,7 cm de large avec une perforation dans la partie supérieure [locus 67]. L’objet 4 est probablement un fragment non façonné d’épine d’un spondylus princeps [locus 67] (Figure 5.54). Trois autres artefacts ont également été façonnés en diverses pierres semi-précieuses. L’objet n° 5 est un pendentif fragmentaire de ± 3,5 cm de haut x 2 cm de large avec une perforation dans la partie supérieure et taillé dans une pierre de couleur verte (jade?) et polie [locus 55]. L’objet 6 est une petite perle perforée de forme prismatique taillée dans une pierre de couleur noire [locus 71]. L’objet 7 est exceptionnel: il s’agit d’un pendentif perforé en forme de félin manufacturé dans du lapis-lazuli de ± 2 cm de haut x 1,8 cm de large. Il y a une petite incision au niveau de la gueule et l’artisan a utilisé une veine naturelle de calcite qui démarre au niveau des yeux pour donner du « volume » à l’objet [locus 56] (Figure 5.54). Il s’agit d’artefacts miniatures en matière « précieuse » dont le rendu indique une maîtrise accomplie des techniques de façonnage de ces matériaux. Les couleurs sont vives et rares (dans la nature) et ont probablement contribué à leur sélection. Dans l’état actuel de la recherche, nous ne connaissons pas d’artefacts similaires découverts dans d’autres contextes de fouilles. Khoa se distingue donc non seulement pas la qualité et la facture de ces matériaux atypiques, mais également par la quantité de ceux-ci au sein d’un sondage de seulement 4 m2.
L’absence de couches intermédiaires stériles dans la partie amont du sondage #3 entre la roche-mère et la couche archéologique indique, tout comme dans le sondage #1, que le niveau d’eau du lac a probablement augmenté rapidement au 8e siècle de notre ère. Avant cette date, le site était exposé aux intempéries à cette profondeur (± 3803 m d’altitude ou +670) et la roche-mère était régulièrement mise à nu par l’action des vagues. Les offrandes subaquatiques situées en aval de l’arrecife, notamment dans le secteur de Reinhard, pourraient par conséquent être plus anciennes. (3) Analyse du matériel lithique et macologique (Tiwanaku) Les éléments en pierre et en coquillage d’origine anthropique représentent 2,6 % de l’assemblage du sondage #3 et proviennent tous de la « couche » Tiwanaku. La morphologie en cuvette du secteur est en effet idéale pour conserver les artefacts légers ou de petite taille, car la zone d’impact est presque horizontale (plateau
D’autres objets non manufacturés ont également été inventoriés (Figure 5.55). La concentration de ceux-ci à proximité de fragments d’incensarios et leurs couleurs atypiques par rapport aux résidus détritiques (débris 150
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.54. Sondage #3 – Artefacts miniatures en spondyle et en pierres semi-précieuses.
Figure 5.55. Sondage #3 – Offrandes non manufacturées en spondyles, pierres et moraines.
issus de l’érosion de l’arrecife) confirment leur origine anthropique, car ceux-ci n’ont pas été observés dans les secteurs où les artefacts sont absents. Par ailleurs, ces petites pierres naturelles sont étrangères à la morphologie du secteur, et ont été intentionnellement importées sur le site lors de pratiques d’offrandes subaquatiques. Cellesci sont omniprésentes dans tous les loci du sondage. Les objets 1 et 3 (écofacts) sont des galets de forme ou de couleurs atypiques [loci 12 et 61], tandis que le lot de « cailloux » n° 4 est un ensemble de petites moraines de couleur verte ou blanche, découvertes ensemble [locus 67]. Enfin, un spondylus princeps non manufacturé, l’objet 2, a également été mis au jour [locus 56].
(4) Analyse des artefacts en métal (Tiwanaku) Dix-neuf artefacts en métal précieux représentent 2,4 % de l’assemblage du sondage (ou 2,6 % si l’on prend en compte les deux artefacts attribués à la période inca). Ils proviennent tous de la « couche » Tiwanaku et sont systématiquement associés aux incensarios et aux sacrifices de lamas. Il s’agit également de feuilles de métal de couleur dorée (Au + Ag + Cu ou Au + Cu) (projet ULB en collaboration avec Dr M. Guerra: résultats des analyses prévus pour 2017). Excepté les objets n° 8 et 14, tous les artefacts en métal sont malléables à mains nues (Figure 5.56). Nous distinguons quatre ensembles: 151
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.56. Sondage #3 – Artefacts en métal précieux laminés [19 exemplaires].
• • • •
les feuilles en métal non décoré, mais de formes variables [objets 2, 7, 10, 12, 17], les cintas ou rubans de métal [objets 13 et 19], les médaillons ou appliques figurant une iconographie poinçonnée [objets 8 et 14], les artefacts de forme zoomorphe possédant généralement des détails poinçonnés [objets 1, 3, 4, 5, 6, 9, 11, 15, 16, 18].
perforée [locus 55] (Figure 5.56). Ce dernier artefact n° 17 et le micro fragment n° 10 exceptés, tous ces objets sont perforés et devaient être attachés ou cousus à des éléments aujourd’hui disparus en matériau périssable, comme du textile ou du cuir, ou associés aux sacrifices de lamas. 2) Les rubans en métal: l’artefact 13 est un fragment de cinta ou ruban en métal fragmentaire dont les dimensions originelles sont inconnues [locus 46] et l’artefact 19 est une cinta entortillée sur elle-même qui devait à l’origine être enroulée autour d’un élément périssable tel que du bois [locus 16] (Figure 5.56). Tous les cintas et les artefacts de formes variables ont été réalisés dans de fines feuilles de métal dont le poids est inférieur à 1 g et ne présentent pas de décorations sur leur surface.
1) Les formes variables: l’artefact 2 est une petite feuille perforée « chiffonnée » aux bords concaves [locus 29] dont la forme est identique à celle de l’artefact 6 issu du sondage #1. L’artefact 7 est une petite feuille perforée dont la forme en X peut s’apparenter à une « peau de bête » [locus 61]. L’artefact 10 est un micro fragment replié sur lui-même dont la forme originelle est inconnue [locus 67]. L’artefact 12 est une petite feuille intacte, quadrangulaire perforée [locus 46], dont la forme et les dimensions sont identiques à celles de l’artefact 4 découvert dans le sondage #1. L’artefact 17 est une applique circulaire concave non
3) Les médaillons ou appliques décorés: les artefacts 8 et 14 ont été réalisés en épaisse feuille de métal et offrent une iconographie complexe (Figure 5.57). Le premier est un pectoral circulaire mesurant ± 4 cm de diamètre, avec une 152
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) 14.1a
Artefact 8 [Z3 - Locus 63]
Artefact 14 [Z3 - Locus 59]
8.1 8.2
14.1
8.3
8.4 14.1b 8.5
0
5cm
?
?
?
?
?
Figure 5.57. Sondage #3 – Artefacts en métal avec une iconographie de style Tiwanaku [artefacts 8 et 14].
perforation dans la partie supérieure (médaillon), et pesant 5,44 g [locus 71]. Il est presque identique à celui découvert par Reinhard en février 1991 (Pareja 1992: 559, objet n° 70). Le registre iconographique est composé d’un visage humain rayonnant et de motifs de plantes [8.1], de condors [8.2], de poissons [8.3], d’oiseaux [8.4] et de pumas [8.5] (Figure 5.57).
forme de « puma » dont les découpes sont particulièrement précises pour la taille de l’artefact de ± 1,5 cm [locus 71], les neuf derniers artefacts répondent aux mêmes critères de production, de fabrication et de codification. Il s’agit de feuilles zoomorphes codifiées dont l’identification de la représentation, qu’elle soit naturelle (puma ou lama) ou mythique (puma/lama), est difficile à déterminer (Figure 5.58). Quelques rares parallèles de wari willka, d’après la terminologie de Posnansky (1957:135, pl. XCII), ont été découverts en contextes terrestres, dont un exemplaire dans une offrande d’abandon de la fin de la période Tiwanaku V documenté à l’île de Pariti (Korpisaari and Pärssinen 2011: 64). L’identification et la présence de neuf exemplaires au sein du sondage #3 sont par conséquent exceptionnelles. Quatre d’entre aux sont fragmentaires: la partie la plus fragile de la feuille, la tête, est absente. La présence de corrosion montre que la feuille a été abîmée de manière naturelle (pas de geste rituel) et que celle-ci devait être « à moitié enfouie dans le sédiment ».
Les motifs sont linéaires, mais composés en réalité d’une juxtaposition de traits poinçonnés. La réalisation de ceuxci sur une surface aussi restreinte démontre la maîtrise de l’artisan: le tracé net et précis confère un résultat soigné et harmonieux. Le verso n’est pas décoré. Le second artefact n° 14 est une applique en forme de L décorée par poinçonnage. L’objet est fragmentaire dans la partie supérieure et corrodé dans la partie inférieure (couleur noire); il pèse 13,56 g [locus 59]. L’objet originel devait être en forme d’oméga majuscule Ω plus évasé. Les principaux motifs sont géométriques (en escalier) et se terminent par une tête hybride ou biface d’un puma-condor [14.1]: le même motif représente d’un côté une tête de condor [14.1a] et de l’autre côté une tête de puma [14.1b] (Figure 5.57). L’extrémité supérieure est littéralement déchirée et il est probable que l’autre moitié du même objet soit toujours conservée à proximité du sondage #3. L’extrémité droite est intacte; elle se caractérise par la présence de quatre éléments circulaires réalisés avec la technique du repoussé qui devaient avoir une vocation fonctionnelle (sorte de boutons à pression).
En dépit de dimensions et de proportions différentes, chaque feuille zoomorphe répond aux mêmes critères de représentation: patte(s) avant et patte(s) arrière, une queue, et une tête avec une oreille pointue orientée vers l’arrière et une « gueule » aux des dents proéminentes; toutes les feuilles sont perforées (± 1 mm) le long de l’échine (Figure 5.58). Ces feuilles figurent soit un « lama », soit un « puma », soit un être mythique, le « puma-lama ». La présence de pattes bifides, d’oreilles pointues inclinées vers l’arrière (animal soumis), d’une petite queue, d’un « museau » formant la mâchoire supérieure et d’une mâchoire inférieure protubérante d’où s’échappent des dents incurvées milite en faveur de la représentation d’un camélidé, comme l’illustre l’artefact « stylisé » n° 3 (Figure 5.58). Par contre, dans le cas de l’artefact n° 9, la longue queue, la gueule « féroce », les oreilles pointues et la morphologie générale de la représentation s’apparenteraient davantage à un félin. Si tel est le cas, les pieds « bifides » seraient l’expression conventionnelle des quatre pattes du félin (Figure 5.58), bien que ce soit en rupture avec les codes de représentation. Nous privilégions donc la figuration d’un être mythique « hybride » avec des
Le métal, par sa couleur, son épaisseur ou son grain plus épais (martelage?), est particulièrement similaire à celui du médaillon [artefact 8] (Maria Guerra 2014, communication personnelle). Ils sont tous les deux associés à l’effondrement de la coupe #1–3 [entre +620 et +650] et nous pensons qu’ils peuvent correspondre à des éléments appartenant à la même composition iconographique propre à l’imagerie du « Dieu-aux-bâtons » de la Porte du Soleil, avec le médaillon (la tête) et l’applique en L (piédestal pyramidal). Ils pourraient avoir été cousus sur du textile et/ou sur du cuir qui n’a pas été conservé. 4) Les feuilles zoomorphes. Excepté l’artefact 11 qui correspond à une petite feuille miniature en métal en 153
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
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Artefact 1 [Locus 28]
Artefact 6 [Z3 - Locus 61]
5cm
Artefact 3 [Locus 52]
Artefact 4 [Locus 37]
Artefact 9 [Z3 - Locus 67]
Artefact 5 [Locus 61]
Artefact 15 [Z3 - Locus 52]
Artefact 16 [Z3 - Locus 52]
Artefact 18 [Locus 12]
Artefact 5 [Locus 42] Sondage #1
Figure 5.58. Sondage #3 – Feuilles en métal zoomorphes [un exemplaire du sondage #1].
excepté, où les traits ont été marqués au moyen d’un poinçon pointu qui donne un résultat en « repoussé »; • certaines feuilles zoomorphes, telles que l’artefact 9, sont très soignées dans les découpes et les décors, alors que d’autres, tel l’artefact 3, ont été réalisées rapidement et sont inachevées (travail à la chaîne?) (Figure 5.58).
attributs de félin, telle la longue queue, et des attributs de camélidé (pieds bifides ou mâchoire inférieure de lama). La présence de feuilles zoomorphes intactes [artefacts 1, 3, 9, 15, 16] confirme qu’il n’y a pas eu de « mutilation rituelle »; ce matériel a contribué à l’identification des artefacts fragmentaires sans tête du sondage #3 [artefacts 4, 5, 6, 18], de même qu’à celle du fragment de tête issu du sondage #1 [artefact 5] (Figure 5.58). L’assemblage originel des deux sondages devait donc être identique. Grâce à l’analyse préliminaire effectuée au binoculaire (X30) par Maria Guerra, de nouvelles informations émergent (résultats complets prévus pour 2017):
Les radiographies réalisées sur les artefacts par Orlando Limaclli Kantuta (UMSA) ont permis de reproduire en détail les décors poinçonnés (Figure 5.59). Nous observons trois marques d’outils: (1) rectangulaire, (2) trapézoïdale et (3) triangulaire. Or, ces différentes marques indiquent la forme du poinçon (rectangulaire), l’inclinaison de l’outil de l’artisan lors du travail, et le sens dans lequel le tracé a été réalisé. Lorsque la marque est rectangulaire, l’outil était tenu à la verticale et laisse un sillon de profondeur homogène. Lorsque la marque est trapézoïdale, c’est que l’outil était tenu légèrement incliné; il laisse alors empreinte plus profonde dans un angle. Dans le cas où la marque est triangulaire, cela reflète la manipulation de l’outil en position fortement inclinée et seule la marque de l’angle du « rectangle » est apparente. La variabilité de ces marques documente ainsi la réalisation « cursive » du tracé.
• les formes ont été découpées à partir d’une feuille laminée de métal (a priori il n’y a pas de traces apparentes de martelage); • les découpes sont fraîches et les artefacts semblent neufs (la découpe déborde parfois le trait); • la forme a été tracée avant la découpe: l’artisan n’a pas toujours découpé la feuille en suivant le tracé et ce dernier est donc parfois visible; • à l›exception de l’artefact 3, les détails anatomiques ou de convention sont poinçonnés sur la feuille zoomorphe: une croix au niveau du pied « bifide », un double trait au-dessus du pied, un collier au niveau du cou, les oreilles, la narine et le contour de la gueule; • les traces d’outils sont nettes (artefacts neufs), et le travail « cursif » a été réalisé par une seule main (un seul artisan par artefact); • tous les artefacts ont été réalisés au moyen d’un outil à pointe « angulaire » inférieure à 1 mm, l’artefact 1
Par ailleurs, certains traits ont été réalisés en deux fois: on remarque des chevauchements tels que celui à la patte arrière de l’artefact 9, ou des croisements, comme les traits de l’œil où la courbe supérieure et la courbe inférieure ont été dessinées en deux temps (Figure 5.59). Les techniques relevées sur ces feuilles zoomorphes sont identiques à
154
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
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Artefact 9 [Z3 - Locus 67]
5cm
Figure 5.59. Sondage #3 – Détails des décors poinçonnés d’une feuille zoomorphe [artefacts 9].
celles utilisées sur le « médaillon » à tête rayonnante et l’applique décorée en forme de L (Figure 5.57).
de camélidé, petite et pointue, mais bien d’une queue de félin, longue et à l’xtrémité arrondie. Il peut donc s’agir de « pumas » ou d’êtres mythiques hybrides « puma-lama » si le code de représentation des pattes bifides est celui du lama. Ces différentes observations correspondent à celles que nous avons effectuées sur les incensarios: ils sont à la fois tous différents, d’après les formes et la pâte de la céramique, et tous identiques, d’après les critères de production.
Les observations issues de l’analyse de ces feuilles zoomorphes (Maria Guerra) sont riches en informations, car elles mettent en évidence les techniques de production d’objets rituels méconnues dans ce type de matériaux durant la période Tiwanaku. En relation avec les différents contextes de découvertes, la variabilité des feuilles zoomorphes apporte également des informations sur les gestes rituels et valide plusieurs constats. Premièrement, les artefacts en métal ont probablement été produits pour les événements d’offrandes subaquatiques, car les traces de découpes et de poinçons sont « neuves ». Ensuite, la couleur des différentes feuilles zoomorphes est légèrement différente, en relation à des alliages de composition diverse. Elles n’ont donc pas été réalisées à partir de la même feuille de métal. Si certains artefacts sont contemporains, nous pouvons exclure la production « industrielle » au sein du même atelier par un même artisan. Si aucun artefact n’est contemporain, les techniques de découpe et de poinçonnage, de même que les codes de représentation, montrent toutefois qu’ils répondent tous aux mêmes critères de production.
5.5.3. Discussion: assemblages des offrandes (Tiwanaku) Des 803 fragments issus du sondage #3, nous pouvons exclure 155 ossements d’origine naturelle (poissons, batraciens et oiseaux lacustres), pour atteindre un total de 648 éléments d’origine anthropique. Le registre archéologique de ce sondage est exceptionnel, car il présente stratigraphiquement une accumulation sédimentaire cohérente livrant des artefacts d’affiliations culturelles distinctes. L’analyse nous a permis d’identifier des fragments d’offrandes de la période formative (± 400–600 PCN), des offrandes de la période Tiwanaku (600–1050 PCN), des offrandes de la période inca (± 1430–1530 PCN) et des offrandes contemporaines (± 1950 PCN). Dans le bassin lacustre, l’arrecife de Khoa est par conséquent un site majeur d’offrandes. Les différents dépôts sont exclusivement subaquatiques, intentionnels, et témoignent d’activités cérémonielles intermittentes, mais continues depuis la période d’émergence de la culture Tiwanaku (300–500 PCN).
Par ailleurs, tous les poinçons, hormis l’artefact 1, et toutes les formes zoomorphes sont semblables (Figure 5.58). Si les artefacts ne sont pas contemporains, les outils étaient les mêmes attestant un même atelier ou une tradition identique de production d’outils pour le travail du métal; en outre, la présence d’un tracé de prédécoupe peut témoigner de l’existence d’un modèle ou d’une tradition de représentation de cette figure. Certaines feuilles zoomorphes possèdent une queue pointue, d’autres une queue arrondie ou plate. Or, ces variantes ne sont pas dues à une convention de représentation, mais plutôt à la technique de découpe. Par exemple, la présence d’un tracé de prédécoupage sur la queue pointue de l’artefact 3 indique que celle-ci a été « mal découpée » et que la forme initiale était différente (M. Guerra 2014, communication personnelle). Par conséquent, il ne s’agit pas d’une queue
Les différents contextes de découvertes indiquent toutefois que l’arrecife de Khoa a été principalement l’objet d’offrandes régulières et/ou massives durant la période Tiwanaku. Attestées par deux fragments dans le sondage #3, les offrandes de la période pré-Tiwanaku reflètent probablement l’émergence de la pratique d’offrande subaquatique, tandis que les offrandes de la période inca, attestées par deux fragments dans le sondage #3 et vingthuit coffrets en pierre découverts entre 1977 et 1992, documentent une trentaine d’événements rituels liés à 155
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie n’y pas de distinction stratigraphique due à des événements d’effondrement de pierres, car les trajectoires n’étaient pas linéaires dans cet espace ouvert. Seule la distribution des ossements de camélidés est cohérente et permet de dissocier au moins deux événements chronologiquement distincts (Figure 5.53). Troisièmement, la morphologie naturelle du secteur est complexe et les offrandes mises au jour dans ce sondage en 2013 sont encore connectées avec le sédiment non fouillé dans la partie amont [coupe 4–5] et la partie aval [coupe 1–2, 1–3].
conquête et à la réappropriation de l’espace mythique par les Incas au cours du 15e siècle. Les offrandes contemporaines, quant à elles, ont probablement été pratiquées depuis la (re)découverte du site archéologique en 1977 ou 1988, voire depuis la sécheresse de 1943 où l’affleurement rocheux était visible. Proportionnellement, les offrandes antérieures et postérieures à la période Tiwanaku sont anecdotiques par rapport à la densité du dépôt de cette époque. Les offrandes de la période Tiwanaku constituent la majorité des artefacts découverts en 2013, mais également durant la mission de Reinhard entre 1989 et 1992. Sur les fragments anthropiques du sondage #3, nous comptabilisons comme suit: 8 offrandes d’incensarios (NMI), 2 sacrifices de camélidés juvéniles (NMI), 19 artefacts ou fragments en métal (NMI), 3 éléments manufacturés dans du spondylus princeps (NMI), 3 éléments manufacturés en pierres semi-précieuses, dont le jade et le lapis-lazuli (NMI), 1 spondylus princeps non travaillé (NMI), de nombreuses offrandes non manufacturées en moraines et pierres possédant des formes originales (non quantifiées).
Toutefois, dans les limites du sondage #3, la distribution des fragments dans l’espace (projection verticale) est plus lisible, car les offrandes ont littéralement été figées sur place par les effondrements de pierres. Les offrandes originelles sont donc plus homogènes (variabilité des matériaux), et les assemblages, bien qu’incomplets, sont perceptibles grâce aux secteurs de concentrations d’incensarios dans le secteur de la faille secondaire [coupe 4–5] et dans la partie amont à proximité du piquet n° 2 [coupe 1–2: amont], ainsi qu’une zone de concentration très importante dans la partie aval du sondage [coupe 1–2: aval, coupe 1–3]. Nous avons quantifié les fragments d’incensarios dans chaque secteur de concentration, car ceux-ci peuvent correspondre à au moins trois offrandes originelles distinctes; celles situées en aval sont connectées entre elles et forment un assemblage (Figure 5.60).
La présence d’éléments organiques est également attestée par des poches sédimentaires noires homogènes (textile?). La distribution des fragments dans la coupe (projection horizontale) apporte peu d’informations. En effet, premièrement, toutes les offrandes, en particulier celles d’incensarios, sont connectées entre elles au sein d’un sondage de seulement 4 m2 (Figure 5.48). Deuxièmement, il
Nous parlerons par conséquent de l’assemblage 4–5, de l’assemblage 2, et de l’assemblage 1–3, c’est-à-dire composé de l’assemblage 1 et 3. Cette distribution spatiale
Figure 5.60. Sondage #3 – Distribution et concentration des fragments d’incensarios [projection verticale].
156
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa)
Figure 5.61. Datations radiocarbones du sondage #3 (Oxcal 4.2 – ShCal13).
est par ailleurs intéressante, car nous avons déterminé que les sacrifices de camélidés et les fragments d’incensarios de la coupe 1–2 sont associés à quatre échantillons 14C (Figure 5.61). Ils indiquent au moins deux événements chronologiquement distincts: les offrandes de l’assemblage 2 sont associées aux échantillons contemporains UBA27008/UBA-27009 et datées de 770–897 PCN (un événement) et celles de l’assemblage 1–3 sont associées aux échantillons UBA-23685/UBA-23688 et sont datées de 886–989 PCN et/ou de 856–982 PCN (un ou deux événements) (Figure 5.61).
de l’incensario, nous avons obtenu un quotient de 7,04. Or, en respectant la distribution des fragments dans l’espace avec ces trois assemblages distincts, le Nombre Minimum d’Individus peut atteindre neuf exemplaires (2+5+2). Ces chiffres ne permettent néanmoins pas d’évaluer le nombre d’incensarios par événement d’offrandes, car à l’inverse du sondage #1, tout l’espace n’a pas été fouillé. Par contre, ce sondage nous permet de reconstituer différents assemblages d’offrandes originelles en identifiant les connexions entre les incensarios, les sacrifices de lamas et les artefacts en métal, en spondyle et en pierre. Nous subdivisons l’assemblage 1–3 en trois sous-assemblages, vu que les deux lots illustrés dans la partie inférieure gauche de la figure sont issus de l’effondrement de la coupe 1–3: le premier au niveau du piquet 1 et le second au niveau du piquet 3 (Figure 5.62).
Dans l’assemblage céramique 2, nous comptabilisons 95 fragments d’incensario pour un poids de 1 837 g. En appliquant le ratio de 1 837 g (poids total) sur 1 300 g (poids moyen d’un incensario), nous obtenons un quotient de 1,41. Nous pouvons donc déterminer le Nombre Minimum d’Individus à 1,41 ou 2 incensarios distincts. Ils correspondent aux offrandes Tiwanaku les plus anciennes dans le secteur (échantillons 14C UBA-27008 et UBA27009). Ensuite, concernant l’assemblage céramique 1–3, nous comptabilisons 188 fragments d’incensario au niveau du piquet 1 (poids = 3 645 g) et 117 fragments au niveau du piquet 3 (poids = 2 268 g) pour un poids total de 5 913 g. Nous obtenons un quotient de 4,54 (2,80 + 1,74). Nous sommes dès lors en mesure de déterminer le Nombre Minimum d’Individus à 4,54 ou 5 incensarios distincts. Ces offrandes sont plus récentes que celles de l’assemblage 2 (échantillons 14C UBA-23685 et UBA2368) et peuvent correspondre à deux événements ou une seule offrande massive. Enfin, de l’assemblage 4–5, nous comptabilisons 69 fragments d’incensarios pour un poids de 1 337 g. Nous obtenons un quotient de 1,02 et établissons le Nombre Minimum d’Individus à 1,02 ou 2 incensarios distincts. Aucune datation 14C n’est associée à ce secteur d’intervention.
Assemblage 2 (coupe 1–2; partie amont) L’assemblage 2 correspond aux fragments découverts au niveau de la roche-mère en amont de la coupe 1–2 (Figure 5.62, en haut à droite). Celui-ci se compose comme suit: des ossements de camélidés juvéniles, des fragments de deux incensarios (NMI), dont un feston, un fragment d’œil, la partie inférieure de la queue-effigie, un fragment de l’applique quadrangulaire, et une feuille zoomorphe en métal ainsi qu’une feuille en métal perforée (artefacts 1 et 2, Figure 5.58). Il s’agit des offrandes Tiwanaku les plus anciennes du sondage (échantillons UBA-27008 et UBA-27009). Cette information est cruciale, car nous constatons que certains artefacts ou fragments d’incensarios sont différents des autres offrandes plus récentes situées en aval du sondage. Premièrement, une feuille zoomorphe unique en son genre (artefact 1) est issue de ce sondage: les décors n’ont pas été poinçonnés au moyen d’un outil « angulaire », mais au moyen d’un outil à l’extrémité pointue qui donne à
En appliquant le ratio de 9 153 grammes (poids total des fragments d’incensarios du sondage #3) sur le poids moyen 157
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Assemblage 2 (coupe 1-2, amont)
Assemblage 1-3 (coupe 1-3)
+580
+550
1
2
in situ (coupe 1-3)
5
effondrement coupe 1-3
+530
3
effondrement coupe 1-3
+570
4 +520
Assemblage 4-5 (coupe 4-5, faille) Figure 5.62. Sondage #3 – Assemblages d’offrandes Tiwanaku associées aux incensarios.
toujours à la même de tradition de production que les autres exemplaires.
la feuille un rendu au repoussé. Par ailleurs, la gueule a été découpée, mais n’est pas ouverte à l’avant comme les autres exemplaires. La facture est soignée et rend compte d’un travail lent et minutieux. Ensuite, concernant les incensarios, nous observons que l’œil fragmentaire ne possède pas une forme en amande, mais un rendu semi-circulaire qui donne une impression d’agressivité. Par ailleurs, le fragment inférieur de la queue-effigie, façonné en bandeau grossier et collé à la barbotine sur le corps céramique, représente l’unique exemplaire de ce type découvert en 2013 (Figure 5.62). Nous pensons que tous ces éléments peuvent refléter des variantes de type chronologique (Tiwanaku IV), bien qu’ils répondent
Assemblage 4–5 (coupe 4–5, petite faille) L’assemblage 4–5 correspond aux fragments découverts au niveau de la petite faille située en amont du sondage (Figure 5.62, en bas à droite). Celui-ci est composé comme suit: des ossements de camélidés juvéniles, des fragments de 2 incensarios (NMI) dont deux festons et un fragment de base, un artefact non travaillé en pierre (artefact 1, Figure 5.55), une feuille zoomorphe en métal fragmentaire et une cinta enroulée sur elle-même (artefacts 18–19, Figure 5.58). 158
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) Aucun échantillon 14C n’y a été prélevé. Toute la partie inférieure de la faille connectée au sondage #3 a été fouillée. Cet assemblage est toutefois associé à la partie supérieure de la faille et aux offrandes encore conservées dans le sédiment. Ces offrandes Tiwanaku étaient situées à ± 30 cm en dessous des deux artefacts de caractère inca, dont la petite figurine de lama en argent ou en tumbaga.
Khoa durant cette période. Nous ignorons si ces artefacts sont tous issus du même événement; rappelons toutefois qu’ils ont été mis au jour dans un espace inférieur à 1 m2 et dans une couche homogène de 40 cm d’épaisseur agglomérée avec des petites pierres d’effondrement et du sédiment compact. La présence de nombreux artefacts miniatures en feuille de métal, en pierres semi-précieuses et en spondyle associés aux incensarios et aux sacrifices de lamas juvéniles n’est pas une coïncidence. Ils possèdent tous une perforation et devaient vraisemblablement être attachés directement aux céramiques et/ou aux camélidés ou, indirectement, à des artefacts plus lourds tels que des textiles ou des objets manufacturés en cuir. Dans le cas contraire, ces éléments miniatures dont le poids est inférieur à 2 g n’auraient pas pu être associés à ce contexte de découverte, mais auraient été emportés par le courant. Leur condition de conservation est sans ambiguïté: ils ont toujours été conservés dans l’eau et sont bien issus d’offrandes subaquatiques intentionnelles.
Bien que fragmentaire, la feuille zoomorphe (artefact 18) est identique à celles issues de la partie aval du sondage associée à des datations 14C postérieures à 850 PCN (Tiwanaku V). Il peut donc s’agir d’offrandes Tiwanaku plus récentes. Le galet blanc (artefact 1) contrastait avec la couleur du sédiment et les résidus détritiques de l’érosion de la roche naturelle. Il a été identifié par le codirecteur bolivien du projet (Marcial Medina Huanca) qui a attiré notre attention sur leur signification anthropique. Or, dès ce moment là, nous avons constaté que ces pierres naturelles étaient omniprésentes dans la couche archéologique Tiwanaku et absentes dans les autres interfaces. Les moraines faisaient bien partie de l’offrande. L’origine — les glaciers de haute montagne — n’est pas sans intérêt pour l’interprétation de ces offrandes subaquatiques.
La morphologie des incensarios est identique à celle documentée dans le sondage #1. Le plus surprenant est la variabilité des pâtes céramiques et des alliages des métaux au sein de ce contexte de découverte « clos » et, a priori, contemporain. Cette information indique clairement que ces offrandes ne sont pas issues d’un seul atelier de production. Ces artefacts rituels, en particulier les incensarios, sont rares et peu produits. Ils étaient l’objet d’un contrôle de production par une classe d’élite spécifique probablement attachée à un complexe cérémoniel. Ils répondent tous aux mêmes critères de production (paysage culturel et rituel homogène), mais leur variabilité pourrait suggérer l’intervention de différents complexes cérémoniels régionaux dans le cadre d’une performance rituelle unique et fédérée. Nous envisageons donc la présence de différents intervenants, des ministres du culte, issus de régions distinctes du basin lacustre et/ ou l’occurrence d’événements rituels sponsorisés par un état centralisé durant la période Tiwanaku V (800–1050 PCN). La qualité, la quantité et la richesse des objets rituels militent en faveur de cette hypothèse. L’offrande plus modeste et plus ancienne de l’assemblage 2 serait-elle dès lors l’expression d’un culte régional insulaire semiautonome de la période Tiwanaku IV? Ce culte aurait par la suite été incorporé au sein d’une pratique rituelle propre à un espace centralisé avec une intensification d’offrandes fédérées sur le site. La feuille zoomorphe « stylisée » et inachevée (pas de poinçonnage) en serait un « symptôme », car elle semble avoir été produite rapidement de manière « industrielle » (M. Guerra 2014, communication personnelle). Dans les deux situations, l’arrecife de Khoa devait avoir une signification très importante dans les croyances et les mythes de la culture Tiwanaku, et cela bien avant l’arrivée des Incas au 15e siècle.
Assemblage 1–3 (coupe 1–2, partie aval, coupe 1–3) L’assemblage 1–3 correspond aux fragments découverts dans la partie aval du sondage (Figure 5.62). Ces fragments d’offrandes sont connectés aux deux échantillons 14C postérieurs à 850 PCN (UBA-23685 et UBA-2368). Nous distinguons trois sous-assemblages: • Le premier est documenté in situ dans la partie aval de la coupe 1–2 (Figure 5.62, en haut à gauche). • Le second est issu de l’effondrement de la coupe 1–3 à proximité du piquet n° 1 (Figure 5.62, à gauche au milieu). • Le troisième est issu de l’effondrement de la coupe 1–3 à proximité du piquet n° 3 (Figure 5.62, bas à gauche). Ils sont tous potentiellement connectés entre eux (offrande massive Tiwanaku V?), mais nous souhaitons distinguer les artefacts issus de l’effondrement de la coupe 1–3. Le premier sous-assemblage est un exemple magistral de la composition initiale d’une offrande subaquatique de la période Tiwanaku V (800–1050 PCN). Celui-ci consiste comme suit en: des ossements de camélidés juvéniles, des fragments d’incensarios dont quatre festons, la partie supérieure d’une queue-effigie, un fragment de museau et une applique quadrangulaire intacte, un spondylus princeps naturel et un artefact en pierre de forme originale non travaillée (artefacts 2–3, Figure 5.55), quatre feuilles zoomorphes en métal et une feuille en métal en forme de « peau de bête » (artefacts 3–7, Figure 5.58), un pendentif en forme de « puma » en lapis-lazuli et une applique perforée en spondyle (artefacts 7 et 2, Figure 5.54).
Le second sous-assemblage est issu de l’effondrement de la coupe 1–3 au niveau du piquet 1, et est directement associé à l’assemblage précédent (Figure 5.62, à gauche au milieu). Celui-ci se compose comme suit de: des ossements de camélidés juvéniles, des fragments d’incensarios dont
Cet assemblage Tiwanaku montre la richesse et la qualité des offrandes subaquatiques effectuées à l’arrecife de 159
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie trois festons, deux fragments d’applique quadrangulaire et la partie supérieure d’une tête-effigie, une canine de félin, un médaillon en métal décoré d’une tête rayonnante du Dieu-aux-bâtons, une feuille zoomorphe en métal, un fragment de métal et un micro puma en métal (artefacts 8 à 11, Figure 5.55), un pendentif perforé en spondyle et un fragment de spondylus princeps non travaillé et une perle de forme prismatique de couleur noire (artefacts 3, 4, 6, Figure 5.54), des moraines naturelles (artefact 4, Figure 5.55).
Le dernier sous-assemblage est également issu de l’effondrement de la coupe 1–3, mais au niveau du piquet 3 (Figure 5.62, en bas à gauche). Bien qu’il soit potentiellement connecté avec les autres offrandes de la partie aval du sondage, nous avons souhaité l’isoler pour préserver les connexions entre les artefacts. Ce sousassemblage comprend, comme suit: des ossements de camélidés juvéniles dont un fragment de bassin et une côte, des fragments d’incensarios dont un feston, deux fragments d’applique quadrangulaire, un fragment de « museau », un fragment de queue-effigie et deux fragments possédant encore un engobe « crayeux » de couleur rose-orange, une feuille quadrangulaire en métal perforée, un fragment de cinta, un fragment d’applique en métal avec des motifs hybrides de « puma-condor », deux feuilles zoomorphes en métal et une applique décorative circulaire (artefacts 12 à 17, Figure 5.56), un petit lama en spondyle et un pendentif perforé en jade (artefacts 1 et 5, Figure 5.54).
Les os longs et les vertèbres de camélidés sont bien conservés et découverts en contexte clos: ils pourraient attester un sacrifice de camélidé entier associé aux incensarios et offrandes précieuses. Le fragment de tête en céramique est particulièrement intéressant, car il est, d’une part, identique à certains exemplaires du sondage #1, et, d’autre part, légèrement érodé; cela signifie que les offrandes sont restées exposées durant une certaine période en surface du sédiment, avant d’être enfouies et écrasées par les événements d’effondrement de pierres. Les artefacts organiques n’ont donc pas pu être conservés, car les conditions d’anaérobie n’ont pas été assez rapides, contrairement à celles documentées par les fragments de cuirs dans les couches inférieures du sondage #1. L’épine d’un spondylus princeps pourrait être associée à l’assemblage précédent documenté in situ dans la partie aval de la coupe 1–2, et ainsi correspondre à la même offrande, massive. Les couleurs des moraines, particulièrement vives et toutes différentes, ont dû contribuer à leur sélection.
L’assemblage est aussi diversifié que les deux précédents et peut lui aussi correspondre à des offrandes Tiwanaku V. Les deux feuilles zoomorphes sont d’un grand intérêt, vu qu’elles ont été découvertes l’une à côté de l’autre. Or, la première possède une couleur cuivrée et la seconde une couleur dorée. D’après une remarque de Maria Guerra, il est possible que la couleur, générée par deux alliages différents, soit issue d’un processus intentionnel et non d’un résultat conditionné par la qualité de la feuille en métal (M. Guerra 2014, communication personnelle). Le secteur a toutefois été remanié et la réalisation de la feuille indique deux « mains » différentes. Il s’agit d’un des rares
+450
+500
+450 +500
+450
Arrecife
+500
+350 +500 +450
+350
Arrecife Arrecife
+450
Cotes de profondeurs [cm]
+200
Sondage
+530
Arrecife
+610
Pierres
+660
Sédiment
RM +620 Roche-mère
+300
+500 +450
0
2m
Figure 5.63. Plan du sondage #2 – Artefact en métal et morphologie du secteur en 2013 [pendant la fouille].
160
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) artefacts en métal de couleur cuivrée; l’alliage devait être plus pauvre en or que celui des autres artefacts, ce qui reflète peut-être un approvisionnement difficile en minerai aurifère.
approches analytiques, telles les projections horizontales et/ou verticales, la fouille en sondage a non seulement permis d’identifier différents événements d’offrandes subaquatiques durant la période Tiwanaku, mais également de proposer des reconstitutions des assemblages initiaux. Les deux principaux secteurs d’interventions, les sondages #1 et #3, ont en effet l’avantage de se compléter mutuellement. Les offrandes du sondage #1 proviennent d’un contexte clos (faille): elles permettent d’estimer le Nombre Minimum d’Individus (NMI) associé à différents événements, mais les éléments de petite taille ont disparu. Les offrandes du sondage #3 proviennent d’un espace « ouvert » partiellement fouillé, mais ont littéralement été figées dans l’espace. Bien qu’elles soient plus fragmentaires, elles reflètent les différentes composantes associées à l’origine aux offrandes subaquatiques. En recoupant les données de ces deux sondages, nous pouvons donc proposer une reconstitution hypothétique de l’offrande initiale effectuée à l’arrecife de Khoa durant la période Tiwanaku (Figure 5.64).
5.6. Sondage #2 5.6.1. Morphologie et description du sondage (stérile) Le sondage #2 a été implanté sur un plateau sédimentaire parsemé de blocs d’effondrement monolithiques, et situé à ± 5 m de profondeur dans un secteur « géostratégique » entre les deux massifs principaux de l’arrecife de Khoa (Figure 5.12). La superficie d’intervention a été délimitée par les parois naturelles de l’affleurement: elle correspond à une petite dépression encaissée dans l’arrecife. Les dimensions sont de ± 3 m de long x 1 m de large (Figure 5.63). La superficie d’intervention a atteint toutefois ± 4 m2 à la fin de la fouille, car toute cette cuvette a été déblayée. La fouille a été rapide, réalisée en quatre heures: la suppression d’un substrat sédimentaire de ± 40 cm d’épaisseur a directement révélé la roche-mère orientée dans l’axe des parois de l’arrecife. Le sédiment était principalement composé de fragments de gastéropodes (« sable »), de racines et de pierres de maximum 40 cm en diamètre. Or, excepté un fragment de cinta en métal, long de 3,2 cm (Figure 5.63) et sept ossements d’origine naturelle de batraciens, aucun autre artefact n’a été découvert dans ce secteur. La cinta est issue d’un registre sédimentaire identique à la couche superficielle du sondage #3 contenant les deux artefacts de la période inca. Cet unique fragment en métal précieux appartient donc probablement au même horizon culturel.
La majorité des contextes de découvertes sont associés à des échantillons 14C postérieurs à 850 PCN et datent de la période Tiwanaku V. Ceux-ci se caractérisent par des offrandes massives ou régulières d’incensarios, de sacrifice(s) de camélidé(s) et d’artefacts de bonne facture en matériaux précieux ou semi-précieux. Les fragments d’offrandes issus des couches inférieures répondent à la même tradition de production, mais semblent quantitativement plus modestes. Les échantillons 14C associés à ces événements plus anciens indiquent qu’ils ne sont pas antérieurs à 650 PCN (dans ce secteur). L’association d’artefacts en métal à des éléments spécifiques est incertaine, car ils ont généralement été découverts isolés. La présence presque systématique de perforations sur les feuilles de métal indique toutefois qu’elles étaient associées aux incensarios, au sacrifice de camélidés et/ou à des éléments organiques non conservés.
5.7. Conclusions Les fouilles réalisées à l’arrecife de Khoa en 2013 n’excèdent pas 16 m2 de superficie. Grâce à différentes
Céramique
Artefacts en métal
Macrofaune
Incensarios (puma)
Sacrifice de lama juvénile ? Objets manufacturés non conservés [cuir, textile]
Offrandes manufacturées et naturelles (spondylus et pierres)
Figure 5.64. Reconstitution d’une offrande subaquatique de la période Tiwanaku V (850–1050 PCN).
161
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 5.65. Modélisation de l’arrecife de Khoa durant la période Tiwanaku (Projet PH13 / L. Masselin).
Premièrement, les feuilles de métal zoomorphes sont attestées dans les deux sondages; on aura noté, en particulier, les neuf exemplaires issus du sondage #3. Or, nous avons également déterminé le NMI d’incensarios de ce sondage au nombre de neuf. Nous pensons que cette similitude numérique ne relève pas d’une coïncidence et que la quantité de feuilles zoomorphes était identique à celle des incensarios offerts. Ensuite, certaines feuilles en métal, perforées et de formes variables, étaient conservées dans le sondage #1, dans un secteur de concentration d’ossements de camélidés. Nous pensons également qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence, car les feuilles zoomorphes, associées aux incensarios, ont presque toutes disparu dans ce sondage, alors que certaines feuilles de métal, protégées par le camélidé avant sa décomposition, ont été conservées in situ. Enfin, certains médaillons, pectoraux, appliques décoratives fragmentaires et rubans en métal (cintas) étaient probablement associés à des éléments en textile ou en cuir. Certains fragments de cuirs et certaines poches homogènes de couleur « très sombre » ont en effet été conservés grâce à des conditions d’anaérobie rapide suite à des effondrements.
climatique important durant la période Tiwanaku V et/ou à la fin de celle-ci avec une augmentation importante du volume d’eau du lac, mais également, d’un point de vue quantitatif, que la pratique d’offrandes subaquatiques s’est intensifiée durant cette période. Cette situation n’est pas non plus fortuite et nous pensons qu’elle reflète une mutation culturelle et rituelle importante de la société Tiwanaku vers 850 PCN, mutations également documentées dans de nombreux registres archéologiques « terrestres », comme au complexe de Putuni à Tiahuanaco. La quantité, la qualité et la diversité des matériaux manufacturés associés aux offrandes de cette dernière période corroborent cette mutation, tout en reflétant également une pratique « centralisée ». La présence de fragments de céramique de la période pré-Tiwanaku et Tiwanaku IV peut donc documenter un culte « régional » qui, vers 850 PCN, sera récupéré par une entité politique et/ou rituelle forte, attestée par des pratiques fédérées ou centralisées. Les premiers artefacts Tiwanaku ont été découverts à 5,9 m de profondeur dans le sondage #1 (+590), et à 6 m de profondeur dans le sondage #3 (+600). Les résultats négatifs du sondage #2 sont également d’un grand intérêt, car ils confirment l’absence systématique d’offrandes Tiwanaku entre la surface de l’eau [0] et 6 m de profondeur [+600]. Toutes les observations effectuées en 2013 indiquant que le niveau du lac était beaucoup plus bas durant la période Tiwanaku sont les suivantes:
En présumant que les couches d’éboulis étaient plus épaisses au pied de l’arrecife et que des offrandes plus anciennes que celles des Incas n’y ont pas été perturbées par les missions précédentes, nous avons délibérément choisi d’implanter nos sondages stratigraphiques dans la partie « sédimentaire » la plus proche de l’affleurement. Or, les résultats sont étonnamment homogènes: la majorité des artefacts issus de ces contextes correspondent aux offrandes Tiwanaku les plus récentes, c’est-à-dire les dernières. Cela indique non seulement un changement
• les zones d’érosions intensives liées au phénomène de « ressac » (sondage #1), • les différents événements d’effondrement de pierre (sondages #1 et #3), 162
L’incensario au cœur de la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku: fouilles 2013 (Khoa) • la distribution des artefacts Tiwanaku découverts en 2013 et en 1989–1992, • l’analyse taphonomique des fragments de céramiques (roulées, émoussées, intactes), • la présence d’ossements d’une faune lacustre locale dans les couches Tiwanaku (cormorans, canards) et l’absence de ceux-ci dans les couches « incas ».
l’hypothèse d’offrandes effectuées depuis un bateau et à proximité des paléorivages. Quatre ancres ont également été découvertes à l’arrecife de Khoa entre 1988 et 1992 (Annexe 5.1) et au moins deux d’entres elles offrant une forme identique à celle découverte dans le sondage #1 sont attribuées à la période Tiwanaku. Les offrandes étaient effectuées dans des secteurs où le fond était visible depuis la surface (maximum 4–5 m), car les assemblages et certains incensarios y ont été déposés « délicatement ». La proximité de toutes les composantes de l’offrande au sein de contexte clos ou restreint corrobore en effet une intentionnalité de conserver l’assemblage intègre. Il n’y avait pas de « destructions rituelles » d’incensarios et une répartition aveugle des artefacts en matières précieuses au sein du site. Bien au contraire, les offrandes devaient être « scellées » et immergées dans un secteur unique. Les offrandes « plus profondes » issues du secteur de Reinhard sont donc probablement plus anciennes. En effet, nous constatons qu’au moins quatre incensarios y sont différents de ceux découverts en 2013: ils ne possèdent pas de bases annulaires, mais plutôt une base zoomorphe. Il pourrait s’agir là d’une variante de type chronologique.
Le plateau sédimentaire sur lequel a été implanté le sondage #2 n’était donc pas immergé, ou légèrement immergé et formant une zone propice pour la faune lacustre. L’absence, d’une part, d’offrandes Tiwanaku dans ce secteur [entre +500 et +540] et la présence, d’autre part, d’offrandes Tiwanaku à partir de 6 m de profondeur dans les sondages #1 et #3 sont donc d’excellents marqueurs matériels qui permettent de déterminer que le paléorivage de la période Tiwanaku était à ± 5 m de profondeur (3804,7 m d’altitude) (Figure 5.65) et probablement plus profond durant les périodes antérieures. Cette information nous permettra notamment de localiser l’espace portuaire de Puncu en 2014 au sud de l’île du Soleil (chapitre 4). L’arrecife de Khoa était donc une paléoîle ou un paléoîlot entre 600 et 1050 PCN. Si l’on fait abstraction de la fine couche sédimentaire qui recouvre tout le plateau sédimentaire du sondage #2, ce secteur est accidenté et impropre à une occupation. S’il y a eu des activités, telles que des foyers ou des sacrifices de camélidés, tous les vestiges de ceux-ci ont été lessivés ultérieurement par l’augmentation du niveau d’eau du lac. Nous pensons toutefois que les officiants de la cérémonie d’offrandes subaquatiques effectuaient leurs offrandes depuis un bateau, car l’accès à cet îlot devait être difficile (accidenté, glissant, et probablement sacré), et que celui-ci était de très petite taille; ainsi, le « massif central » n’excède pas les 15 m de long.
Il intéressant de constater que les couches d’éboulis situées au-dessus des offrandes Tiwanaku ne sont guère épaisses. L’érosion de l’arrecife se stabilise; il a dû être rapidement et totalement immergé. Si un changement climatique important a contribué au contexte de crise qui verra l’« effondrement » de la culture Tiwanaku et la disparition de l’élite dirigeante vers 1050 PCN, il ne s’agit pas d’une « sécheresse » qui aurait anéanti la production agricole intensive en camellones nécessaire au maintien d’une population importante. Bien au contraire, les plaines agricoles auraient plutôt été inondées et les productions anéanties. Ce phénomène naturel aurait pu créer un exode important des populations du bassin lacustre vers d’autres régions.
La présence d’une ancre en andésite d’origine Tiwanaku découverte dans le sondage #1 appuie elle aussi
La présence du thème du « Dieu-aux-bâtons » sur les deux artefacts en métal Tiwanaku V issus du sondage
Figure 5.66. Motifs du Dieu-aux-bâtons et accompagnants de profils (d’après Agüro et al. 2003:77).
163
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie #3 (Figure 5.57) est sans équivoque. Les offrandes font explicitement référence à la figure mythique et/ ou religieuse principale du répertoire iconographique religieux Tiwanaku. D’après Patricia Knobloch, l’iconographie de ces deux artefacts est liée en particulier à l’art lapidaire de Tiahuanaco (stèles, linteaux, porte du Soleil) et moins au registre iconographique de la céramique (P. Knobloch 2015, communication personnelle ). Les offrandes de l’arrecife de Khoa sont donc non seulement associées aux signes de prestige et de pouvoir situés sur les espaces publics et les complexes monumentaux des sites d’occupation Tiwanaku, mais également à la figure centrale du répertoire iconographique composé principalement du « Dieu-aux-bâtons » représenté de face et accolé d’accompagnants figurés de profil (Figure 5.66).
la fertilité. Bien au contraire, durant la période Tiwanaku V, la qualité et la quantité d’offrandes effectuées sur le site immergé place l’arrecife de Khoa au centre des croyances et du paysage rituel Tiwanaku. Il s’agissait d’un espace privilégié d’interaction, d’un espace exclusif contrôlé par une classe élitaire et spécialisée — pour rappel, le site est inaccessible —, d’un espace faisant déjà, peut-être, référence à l’origine mythique de la culture Tiwanaku. Or, l’objet incensario représente le cœur de l’offrande subaquatique. Il est omniprésent dans le registre sédimentaire de cette période et est régulièrement associé aux offrandes de camélidés juvéniles et aux artefacts en matériaux semi-précieux. L’incensario est par conséquent le principal indicateur matériel nous permettant d’aborder l’étude de la pratique d’offrandes subaquatiques. Ce constat servira de base à notre raisonnement méthodologique et justifiera notre choix d’analyser d’autres contextes de découvertes dans les prochains chapitres.
Par conséquent, nous excluons l’hypothèse d’un lieu de culte associé à une « divinité secondaire » de l’eau ou de
164
Chapitre 6 Morphologie et technologie des incensarios pour classer et dater l’incensario, notamment à partir du traitement des couleurs et de la forme (Bennett 1934), à partir de l’iconographie et de la forme (Wallace 1957), à partir d’échantillons 14 C (Ponce 1961) ou encore en conciliant à la fois l’approche stylistique, morphologique et technologique (Alconini 1995). En 2003, Janusek a formulé une nouvelle classification de la céramique Tiwanaku afin de proposer un seul outil de référence en termes de chronologie, de terminologies, de catégories et de formes (chapitre 2). Nous avons employé cette typologie dans l’analyse des artefacts issus du dépotoir portuaire de Puncu.
6.1. Introduction La céramique de type incensario matérialise avec les camélidés juvéniles et les feuilles de métal précieux zoomorphes le cœur de l’offrande initiale effectuée sous l’eau durant la période Tiwanaku (chapitre 5). Or, la complexité de sa forme, sa présence régulière au sein des différents contextes archéologiques terrestres et son rattachement aux espaces cérémoniels font de l’incensario une des céramiques les plus représentatives de la culture Tiwanaku, et pourtant encore difficilement interprétable au sein de la performance rituelle. Des fragments d’incensarios sont régulièrement découverts dans d’autres contextes de fouilles, mais jamais de manière systématique, et généralement en faible pourcentage dans l’assemblage céramique. Par ailleurs, il est relativement rare de découvrir un incensario complet, et encore moins plusieurs exemplaires au sein du même contexte de découverte. Ce constat propre à l’incensario a eu une incidence sur l’étude de cet objet, et se reflète actuellement par une méconnaissance liée à (1) sa période d’utilisation, (2) sa forme et (3) sa fonction.
Sur les 15 formes Tiwanaku identifiées par Janusek, l’incensario correspond au type 11 qu’il divise dans un premier temps en deux groupes morphologiques distincts, et dans un second temps en fonction de l’animal représenté (2003a: 71–73) (Figure 6.1): • Incensarios de forme hyperboloïde (type 11.1) • Représentant le puma (type 11.1.1) • Représentant le lama (type 11.1.2) • Représentant le condor (type 11.1.3) • Incensarios de forme zoomorphe complète (type 11.2) • Représentant le puma (type 11.2.1) • Représentant le lama (type 11.2.2)
Il est donc nécessaire d’aborder l’étude de ces offrandes subaquatiques en effectuant dans un premier temps une analyse de l’objet incensario. Il constitue en effet la totalité du matériel céramique découvert sous l’eau à l’arrecife de Khoa. Une trentaine d’exemplaires y ont été découverts, ce qui représente le lot le plus homogène et le plus important découvert à ce jour en contexte archéologique.
Par ailleurs, Janusek constate que tous les incensarios sont différents (Janusek 2003a: 71). L’unique caractéristique morphologique qui rassemble tous les exemplaires au sein du même groupe de formes (type 11) est l’omniprésence d’une tête modelée zoomorphe de puma, lama ou condor. Le corpus céramique utilisé par Janusek provient des fouilles effectuées à Lukurmata et à Tiahuanaco, principalement dans les secteurs d’Akapana, d’AkapanaEast et de Putuni. En fonction de la présence, la densité ou l’absence d’incensarios dans les différents planchers d’occupations datés par 14 C, Janusek propose de limiter l’utilisation de l’objet incensario à la période LF2 (300– 500 PCN) et à la phase Tiwanaku IV (500–800 PCN) (2003: 71).
Les offrandes subaquatiques en céramique analysées en 2013 représentent également 97 % du patrimoine matériel anthropique. L’identification des problématiques propres à cet objet apparaît donc non seulement comme une nouvelle opportunité de recherches, mais également une étape obligatoire pour aborder l’étude de la pratique d’offrandes d’incensarios (chapitre 7), et pour analyser sa fonction en dehors du prisme d’interprétation des offrandes et composantes narratives propres à l’occupation du lac Titicaca par les Incas (chapitre 8). In fine, nous proposerons de présenter la tradition d’offrandes subaquatiques de la période inca pour mettre en évidence les ruptures et continuités entre ces deux périodes séparées par plus de 300 ans (chapitre 9).
Ce constat nous interpelle, car nous avons déterminé que la majorité des offrandes d’incensarios découverts en 2013 à l’arrecife de Khoa date de la phase Tiwanaku V (800–1150 PCN). La production et l’utilisation de l’objet incensario ne sont donc pas limitées à la phase TIV, mais bien attestées durant toute la période Tiwanaku. Bien que l’identification des exemplaires intacts est sans équivoque, nous avons constaté que cette forme est difficilement identifiable par rapport à celle du sahumador. Ce dernier est comme l’incensario une forme adaptée d’une céramique de style Qeya de
6.2. Problématiques Un style céramique est défini par la forme, le traitement de la surface et l’iconographie, et est spécifique à chaque groupe culturel et à son espace-temps. Depuis 80 ans, de nombreux chercheurs ont proposé différentes approches 165
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
11.1.1
11.1.2
11.1.3
TYPE 11.1
11.2.1
11.2.2
Photos: 11.1.1: MQB*.71.1878.75 11.1.2: Ponce 2006: fig. 91 11.1.3: SDM**.VA.64467
TYPE 11.2
11.2.1: SDM.VA.11692 11.2.2: SDM.VA.11871 * SDM: BERLIN ** MQB: PARIS
Figure 6.1. Illustration de la typologie d’incensarios Tiwanaku de Janusek (d’après Janusek 2003a).
Wallace a été d’effectuer « la première critique systématique de l’Horizon Tiwanaku comme un phénomène unique […] » (2003a: 33). En relation avec notre thématique, nous retenons trois résultats présentés par Wallace: (1) il a identifié une tradition de production plus ancienne en distinguant les incensarios pré-Tiwanaku (Qeya) des incensarios Tiwanaku (Wallace 1957: 122a). (2) Bien que sa classification générale soit presque identique à celle de Bennett formulée en 1934 (1956: 70–86), il sera le premier à regrouper au sein du même groupe tous les incensarios, et identifiera clairement les différentes formes générales de celui-ci. (3) Il fera une synthèse sur les observations des 82 fragments d’incensarios qu’il a analysé (Wallace 1957: 36–40), ce qui représente une source d’information considérable d’un point de vue représentatif. L’incensario correspond au type 3 de cette ancienne classification, que l’auteur subdivise en 7 variantes: 3a à 3g (Wallace: 1957: 33–33a) (Figure 6.2).
la période formative (LF2) (Janusek 2003: 70–71). Ces deux céramiques possèdent une base annulaire et étaient utilisées pour consumer de la graisse animale et/ou des plantes générant de la fumée. Par conséquent, que ce soit pour sa fonction mal définie ou pour sa forme identique dans sa partie inférieure, ces deux terminologies sont couramment employées pour désigner l’une ou l’autre forme. Nous pensons que les difficultés de diagnostic, la prolifération des terminologies (plus de 15 termes distincts recensés dans la littérature1) et leurs faibles nombres au sein des contextes archéologiques terrestres ont contribué à la méconnaissance de l’objet incensario, et notamment sa période d’utilisation. Une des typologies antérieures à celle utilisée aujourd’hui – celle de Dwight T. Wallace publiée en 1957 – attire également notre attention, car elle intègre dans son analyse plus de 82 exemplaires et fragments d’incensarios, ce qui représente presque 10 % du corpus céramique du manuscrit (Table 1, Wallace 1957: 33). D’après Janusek, l’apport de
• Type 3a (11 exemplaires analysés): Wallace rassemble dans ce groupe les formes pré-Tiwanaku (Qeya 1) à fond plat et avec 4 , 6 ou 8 festons constituant le bord ondulé. Leur hauteur varie entre 7,5 et 15 cm (3 et 6 inches). La décoration est toujours incisée, et il n’y a pas de tête zoomorphe (1957: 36).
1 Hiukaaña, Timiaterio, Thymiaterium, Censer, Puma bowls, Modeled puma incense bowls, Libation bowls, Wavy rim libation cup, Escudilla de libación de base cóncava, Escudilla modelada como puma, Pebeteros, Sahumador, Sahumerio, Incense-burner, Ceremonial burner, Kheri, Jewk’echaña, Encensoir.
166
Morphologie et technologie des incensarios
3a
3b
3c
3d
3e
3f
3g
Figure 6.2. Sous-types (a-g) de la forme 3 de la classification de Wallace (d’après Wallace1957: 33a).
vers le bas. Les têtes représentent le puma et le lama, jamais le condor. Le cou est parfois plus long, et la tête légèrement orientée vers le haut. Certaines formes sont peintes (Wallace 1957: 39). • Type 3f (9 exemplaires analysés): ce dernier groupe désigne les incensarios avec une forme animale complètement modelée avec 4 pieds. Seuls les pumas et les lamas sont représentés. Il n’y a pas d’applique quadrangulaire, les bords ne sont jamais ondulés et la queue de la céramique-effigie est toujours orientée vers le bas. La hauteur peut parfois atteindre 22,5 cm (9 inches). Cette forme est rare, et la surface est soit non décorée, soit peinte avec des motifs géométriques ou naturels représentant les taches de la peau du félin (Wallace 1957: 39). • Type 3g (27 exemplaires) correspond à un sahumador (type 10 de Janusek 2003a), dont la base annulaire est identique à celle de l’incensario à forme hyperboloïde, et que Wallace a donc intégré dans son type 3 (Figure 6.2).
• Type 3b (31 exemplaires analysés): cette variante rassemble les formes pré-Tiwanaku (Qeya 2) à base annulaire avec des têtes de puma pleines. Celles-ci sont attachées dans la continuité des festons, avec les oreilles dépassant au-dessus, ou en extension verticale au-dessus du bord ondulé. La queue est représentée soit par un feston plus large, soit par une applique de section trapézoïdale avec une projection verticale audessus du bord ondulé. La hauteur de cette forme varie entre 7,5 et 16,25 cm (3 et 6,5 inches). La décoration est peinte et/ou incisée (Wallace 1957: 37) • Type 3c (6 exemplaires analysés): ce groupe est caractérisé par la présence de têtes de puma creuses qui sont complètement « détachées » du bord ondulé. Les têtes sont « plates » à l’arrière. Les festons sont plus larges que le sous-type précédent (3b), et sont tous percés d’un petit trou. La queue est cylindrique, creuse, verticale, et dépasse la hauteur des festons. Une anse se trouve à la base de la queue. La hauteur de la céramique varie entre 18,75 et 26,25 cm (7,5 et 10,5 inches). La largeur est proportionnellement moins importante que le sous-type précédent (3b). Ils possèdent tous des motifs peints (Wallace 1957: 37–38). • Type 3d (14 exemplaires analysés): il rassemble les formes à base annulaire qui possèdent une tête zoomorphe creuse, mais reliée au bord festonné par un cou creux et ouvert vers le corps céramique. Aucun feston n’est percé. Certaines têtes modelées représentent un condor, mais les bords sont droits. Dans les deux cas, la tête est généralement « encadrée » par une applique quadrangulaire qui sépare la tête du cou. La queue de cette céramique effigie est identique au sous-type précédent (3c). Les proportions varient, mais la céramique est plus large que les sous-types 3a et 3b et moins large que le sous-type 3c. Ce sous-type est la forme la plus commune dans le corpus céramique (Wallace 1957: 38–39). • Type 3e (11 exemplaires analysés): Wallace rassemble dans ce groupe tous les incensarios qui possèdent un corps zoomorphe, de forme elliptique et avec deux pieds modelés à l’avant. Certaines de ces formes ont une applique quadrangulaire, un bord ondulé et une queue verticale, mais la forme la plus caractéristique possède un bord plat et une queue creuse orientée
L’avantage de la classification de Wallace est qu’elle intègre notamment les incensarios pré-Tiwanaku. Il détermine en effet qu’il existe une tradition de production plus ancienne dans le bassin lacustre, mais en gardant toutefois la distinction entre le style Qeya (3a, 3b, Figure 6.3) du style Tiwanaku (3c à 3d) (1957: 19–19a). Il fonde son argumentation sur l’analyse d’un lot de céramiques de style différent issu des fouilles de Bandelier effectuées en 1895 au cimetière de Qeya Qollu Chico sur l’île du Soleil (Wallace 1957: 26, Bandelier 1910), et propose de remplacer l’« Early Tiahuanaco style » de Bennett par le style Qeya (1957: 19a). La présence de ces exemplaires sur l’espace insulaire attire donc notre attention. Dans un article publié en 1985, Karen Mohr Chávez approfondira l’étude des incensarios pré-Tiwanaku en analysant 62 fragments ou formes complètes (1985: 138–178). L’auteur propose une association stylistique et chronologique entre cet échantillonnage et 5 incensarios pré-Tiwanaku complets découverts en Bolivie « appartenant au Style Qeya » (1985: 138). Elle détermine que tous ces incensarios appartiennent au même groupe stylistique et qu’ils répondent à la même fonction 167
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
3a/b
3a
SDM.VA.1818 (Berlin)
SDM.VA.16724 (Berlin)
3b
SDM.VA.16703 (Berlin)
Figure 6.3. Illustration de la typologie d’incensarios pré-Tiwanaku ou Qeya de Wallace (d’après Wallace1957).
cérémonielle (1985: 138). De nombreux exemplaires d’incensarios pré-Tiwanaku se distinguent par ailleurs des formes plus tardives (Tiwanaku) par la présence d’une décoration incisée (comme les fragments découverts à l’arrecife de Khoa) rehaussée de pigments rouge, jaune et blanc.
les réserves des musées constituent par conséquent un échantillonnage représentatif de la variabilité des formes pour une étude approfondie. • Cette forme est presque exclusivement rattachée aux espaces cérémoniels. Ceux-ci ont été les premiers à avoir fait l’objet de fouilles dès la fin du 19e siècle, et les exemplaires conservés dans les musées sont régulièrement intacts. Ceux issus des contextes de fouilles actuels sont fragmentaires et incomplets. • Les exemplaires conservés dans les musées appartiennent à de nombreux fonds distincts. Bien que leur origine ne soit pas toujours clairement déterminée, les objets proviennent en général de nombreux sites du bassin lacustre, ce qui augmente statistiquement l’identification des potentielles variabilités régionales. L’analyse des exemplaires au sein d’un même espace de travail facilite par ailleurs l’étude comparative, non seulement au niveau de la forme, mais également d’un point de vue technologique afin de déterminer si la variabilité des représentations (puma, lama, condor) répond à d’autres techniques de façonnage.
6.3. Nouveaux référentiels typologiques Afin de déterminer à la fois la période d’utilisation et la fonction de l’incensario, nécessaires pour aborder l’étude des pratiques d’offrandes subaquatiques Tiwanaku, nous proposons de réanalyser tous les contextes de découvertes du bassin lacustre associés à des fragments de cette céramique. La variabilité de sa forme, la prolifération de terminologie et sa fonction mal définie rendent toutefois cette révision de la littérature impossible en l’absence de critères d’identification spécifiques à l’incensario et celle d’une classification adaptée à nos besoins. Avant d’analyser les contextes d’offrandes terrestres (chapitre 7), nous proposons donc de reformuler dans ce chapitre un nouveau cadre de référence cohérent que nous pourrons utiliser comme outil d’interprétation et grille de lecture pour recenser les exemplaires.
Notre stratégie d’analyse de ces exemplaires issus de collections a été dans un premier de recenser tous les incensarios identiques à ceux découvertes en 2013 à Khoa, dans un second temps d’identifier les critères morphologiques et technologiques qui définissent ceuxci afin de pouvoir répertorier par après ceux documentés par la littérature scientifique, et dans un troisième de temps de comparer les incensarios-puma avec les autres représentations regroupées dans le type 11 de Janusek (type 11) afin de déterminer également par après si la variabilité de l’incensario a une incidence sur sa fonction et sa période d’utilisation.
Pour atteindre cet objectif, nous avons analysé 86 incensarios non documentés provenant principalement des collections du Musée du Quai Branly (MQB) et du Staatliche Museen zu Berlin (SMB). Nous avons également choisi cette stratégie d’étude pour les raisons suivantes: • L’incensario était un objet recherché par les musées pour son esthétisme et la complexité de sa forme. Celui-ci représente par exemple presque 10 % de l’ensemble des objets en terre cuite de la culture Tiwanaku conservés au MQB (38 sur 448), alors qu’il représente en général moins de 1 % du matériel céramique découvert en contexte de fouilles. Les exemplaires conservés dans
Ces approche répondent en effet aux résultats et observations issus de l’analyse des incensarios découverts à l’arrecife de Khoa: 168
Morphologie et technologie des incensarios Troisièmement, la pratique d’offrande d’incensarios à l’arrecife de Khoa apparaît à la fin de la période formative (LF2), continue durant la phase Tiwanaku IV et s’intensifie durant la phase Tiwanaku V. Or, pour ces deux dernières phases (seuls deux fragments non modelés LF2 ont été découverts), nous constatons que les incensarios répondent toujours aux deux premières observations: il s’agit de céramique-effigies à tête de puma et de forme hyperboloïde.
Premièrement, tous les incensarios mis au jour en 2013 représentent exclusivement le puma. Il n’y a aucun exemplaire avec une tête modelée représentant le lama ou le condor. Après 35 ans d’intervention et de découverte à l’arrecife de Khoa, cette particularité n’est donc pas une coïncidence ou le résultat d’interventions aléatoires. Qu’elle soit le fruit d’une variabilité régionale, chronologique ou fonctionnelle, elle est significative. Deuxièmement, les formes des incensarios immergés correspondent exclusivement au premier groupe présenté par Janusek (type 11.1): ce sont toutes de grandes céramiques-effigies de forme hyperboloïde. Par ailleurs, bien qu’elles soient toutes différentes en termes de dimension et de proportion, elles répondent pourtant à la même tradition de fabrication et de codification: une base annulaire, un bord festonné, une queue et tête creuse, des yeux en amandes, et une applique quadrangulaire entre la tête de puma et le cou.
Base annulaire et forme hyperboloïde (1)
Q E Y A
Par conséquent, nous avons décidé de reformuler la classification de Janusek (type 11) en accordant la priorité au critère de codification ou de représentation – le puma – et seulement dans un second temps celui de la forme générale de la céramique: hyperboloïde ou zoomorphe. Cette inversion de priorité par rapport à la proposition de Janusek nous permettra de nous focaliser sur les incensarios-pumas, et non pas sur les incensarios à forme hyperboloïde, qu’ils représentent le puma, le condor ou le lama.
Base surélevée et forme zoomorphe complète (2)
Quadrupède et forme zoomorphe complète (3)
(a) PUMA
(A) PUMA
T I W A N A K U
(B) LAMA
(C) CONDOR
Figure 6.4. Nouvelle classification des incensarios pré-Tiwanaku et Tiwanaku (référentiels).
169
Formes atypiques (4)
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Nous ignorons en effet dans l’état actuel de la recherche si cette variabilité de représentation correspond à une fonction distincte de la céramique-effigie. Vu que l’incensario est avant tout une céramique codifiée – avec des caractéristiques morphologiques non fonctionnelles comme la présence d’un bord ondulé (festons) – et que la représentation du puma est exclusive à l’arrecife de Khoa, il est nécessaire de différencier dans une nouvelle classification les incensarios représentant soit le puma (A), soit le lama (B) et soit le condor (C) (Figure 6.4, lecture de gauche à droite).
de conservation (taphonomie). Dans plus de 95 % des situations, l’engobe et l’iconographie ont été effacés par les phénomènes d’érosions chimiques, biologiques et mécaniques. Le traitement de la surface superficielle a disparu. Une partie des données est donc perdue, mais ce constat peut représenter une opportunité: il ne reste plus que le « squelette » de la céramique. Les techniques de façonnage et d’assemblage sont visibles à l’œil nu. Vu que l’incensario est une céramique complexe, l’assemblage des différentes composantes (analyse technologique et morphologique) donne de nombreuses informations sur l’objet et sur les techniques de production. Nous présentons ces résultats en distinguant dans un premier temps les formes pré-Tiwanaku (Qeya), et ensuite les formes Tiwanaku. Toutes les descriptions et les illustrations présentées dans ce chapitre sont issues de l’analyse des 86 exemplaires du MQB et SDM (annexe 6.1. pour l’inventaire complet).
Notre second critère de classification correspond à la morphologie de la céramique-effigie, car la technologie des exemplaires (techniques de façonnage, assemblage, etc.) permet également d’identifier la codification de certains incensarios (A, B, ou C), même en l’absence de la tête ou de la queue-effigie. Certaines caractéristiques sont en effet uniques à certaines formes. Par exemple, la tête de l’incensario-condor est toujours assemblée de la même manière.
6.4. Forme(s) de l’incensario pré-Tiwanaku 6.4.1. L’incensario-puma (a)
Au niveau des formes, nous distinguons par ailleurs quatre ensembles d’incensarios: (1) ceux à base annulaire et à forme hyperboloïde, (2) ceux à base surélevée et de forme zoomorphe modelé, (3) à base quadrupède et de forme zoomorphe modelé et (4) les formes atypiques (4) (Figure 6.4). Par exemple, dans cette grille de lecture, un incensario de type B.2 correspond à un incensario-condor à base surélevée et zoomorphe. L’avantage de cette terminologie est qu’elle peut se greffer à la typologie présentée par Janusek, car on peut également employer la terminologie 11.A.2, en préservant à la fois la classification en vigueur (Type 11) et en incluant nos nouveaux critères de codification (A, B, C) et de formes (1, 2, 3, 4) qui répondent aux nouveaux besoins de la recherche. Un des objectifs de Janusek était d’homogénéiser les terminologies et la classification de la céramique. Nous ne souhaitons donc pas contribuer à la prolifération des typologies.
L’incensario de la période LF2 est communément appelé incensario de style Qeya (Wallace 1957; Janusek 2003a). La désignation pré-Tiwanaku a l’avantage d’insister sur la tradition de production de cette forme dans l’espace Tiwanaku. Elle permet également de la distinguer des autres incensarios de la période LF2, par exemple les incensarios de style Pucara. La production de l’incensario durant cette période se caractérise par une expérimentation des formes (variabilité régionale ?), mais attire notre attention, car elle définit les futures caractéristiques et les techniques de façonnage de l’incensario-puma Tiwanaku le plus commun (type A.1): (1) une base annulaire, (2) une forme hyperboloïde, (3) un bord ondulé constitué de 6 festons, (4) une tête de puma modelée et (5) une queue en applique. En comparaison, tous les incensarios de la période Tiwanaku se caractérisent par la présence d’une tête et d’une queue zoomorphe assemblées sur la partie supérieure d’un corps céramique ouvert, et la base de la céramique-effigie est surélevée par rapport aux bords inférieurs. Cette association permet de distinguer aisément l’incensario Tiwanaku des autres formes. Toutefois, certaines rares céramiques-effigies de la période Tiwanaku (vasijas complexes) possèdent également une tête zoomorphe, mais assemblée sur un corps céramique fermé (Planche 1 et 29 in Korpisaari et Pärssinen 2011).
Nous incluons également dans notre classification les incensarios appartenant à la période pré-Tiwanaku ou Qeya (Figure 6.4). La production de l’objet rituel se fonde en effet sur une tradition de production, et les caractéristiques qui définissent l’objet incensario de la période Tiwanaku apparaissent durant cette période. Les incensarios découverts en contexte archéologique préTiwanaku (LF2), décrits notamment par Bermann (1990, 1994) et par Janusek (1994), sont en effet des céramiqueseffigie qui possèdent une base annulaire surélevée et une tête modelée zoomorphe représentant un puma. Les incensarios pré-Tiwanaku, communément associés au style Qeya (Wallace 1957, Janusek 2003a), répondent donc à la même tradition de production (et sans doute d’utilisation), et la présence de fragments appartenant à cette période à l’arrecife de Khoa pourrait confirmer une longue tradition d’utilisation.
Par définition, il n’existe donc qu’une seule forme d’incensario pré-Tiwanaku: le type a.1. (Figure 6.5). Celle-ci est une production originale propre à l’espace préTiwanaku et n’existe pas sous cette forme dans d’autres traditions de production. D’un point de vue rituel, il est intéressant de constater que toutes les têtes zoomorphes représentent le puma. L’association au puma est donc une codification exclusive au sein de la performance rituelle
En archéologie subaquatique, le matériel issu des fouilles présente des caractéristiques uniques à son contexte 170
Morphologie et technologie des incensarios
INCENSARIO-PUMA (a.1) - PRÉ-TIWANAKU 1
0
SMB.VA.30852 10cm
0
SMB.VA.16703 10cm
2
4
3
0
SMB.VA.30829 10cm
0
SMB.VA.34847 10cm
6
5
0
SMB.VA.12283 10cm
0
SMB.VA.16724 10cm
BOL QEYA À FOND PLAT (a.4) 8
7
0
SMB.VA.1818 10cm
MQB.71.1933.72.46 0 10cm
Figure 6.5. Incensarios pré-Tiwanaku de type a.1 et bols Qeya à fond plat de type a.4.
modelé à la main et possède chaque fois 4 caractéristiques: (1) les yeux, (2) le museau-narines, (3) la bouche-gueule fermée et (4) les oreilles. La décoration donne parfois plus de détails, comme la représentation des dents. Il existe certaines variabilités dans le collage/garnissage de la céramique: certaines têtes sont appliquées audessus du bord et sont légèrement orientées vers le haut (Figure 6.5 /1), d’autres sont appliquées au-dessus du bord, mais suivent l’inclinaison du bord (Figure 6.5 /2), et les dernières sont directement assemblées en applique sur la paroi, et seule les oreilles dépassent du bord (figures 6.5 /3–5).
d’offrande d’incensario pré-Tiwanaku. En parallèle, cette codification va s’étendre au lama (B) et au condor (C) durant la période Tiwanaku, et peut refléter une diversification des activités rituelles au sein de l’espace Tiwanaku. Par ailleurs, nous constatons que malgré cette diversification, l’incensario-puma à base annulaire et à forme hyperboloïde (type A.1) restera également la forme majoritaire au sein de l’assemblage céramique rituel de la période Tiwanaku. Le choix d’utiliser la terminologie a.1 (pré-Tiwanaku) et A.1 (Tiwanaku) se justifie, et reflète l’importance de cette pérennité culturelle (Figure 6.4). Au niveau technologique, la queue de l’incensario préTiwanaku est pleine (non creuse) et est assemblée en applique au corps céramique. La tête est un appendice
La tête est parfois légèrement concave à l’arrière. Une tête fragmentaire annonce peut-être les prémisses des têtes 171
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie creuses: elle est un peu plus grande que les autres et il y a une petite cavité à l’intérieur. La hauteur de la céramique est également légèrement plus grande (Figure 6.5 /5). Dans l’ensemble, les caractéristiques morphologiques et technologiques répondent au même schéma de production, et il est inutile de distinguer des variantes au sein de ce groupe.
incensarios-puma pré-Tiwanaku de type a.1, qu’ils soient incisés ou non, possèdent 6 festons. La présence de «8 festons» correspond à cette forme mais la queue et la tête n’ont pas été conservées: ils représentent la naissance du feston/tête et du feston/queue. Dans sa morphologie générale, vue de plan (figures 6.5 /1–2), l’incensario-puma pré-Tiwanaku possède en effet 8 appliques assemblées sur le corps céramique, mais constituées de 6 festons, une tête zoomorphe et une queue située à l’opposé.
Certains festons du bord ondulé sont presque quadrangulaires ou plus espacés en fonction de l’exemplaire. Ils sont toujours au nombre de six. Le feston n’est pas un attribut fonctionnel, mais bien un élément codifié dont nous essayerons de déterminer la signification. Ces 5 exemplaires sont tous peints et non incisés. Les pigments utilisés sont rouge, noir et blanc. Les motifs concilient à la fois des formes géométriques et des motifs figurés schématiques propres à une iconographie complexe et codifiée (cérémonielle). Quatre exemplaires, illustrés par Mohr sont incisés et «non-décorés» (1985: 159, n°/ fig. 65–69), mais les incisions du cinquième exemplaire sont rehaussées de traits peints post-cuisson (1985: n°/fig. 69). Dans ce cas-là, les pigments utilisés sont: le rouge, le blanc et le jaune. Les motifs sont toujours géométriques. Nous avons analysé un exemplaire de ce type, mais la tête n’est pas conservée (Figure 6.5 /6). Il est possible que tous les incensarios incisés étaient accentués par des pigments, mais que ceux-ci ont disparu à cause des conditions de conservation. La présence d’incision n’est pas un critère chronologique. Les pâtes sont de couleur beige-rosée, zonée (pâte «sandwich»), et possèdent de nombreuses inclusions de mica doré.
En parallèle, nous constatons que le bol Qeya à fond plat illustré par Janusek possède 4 festons: ceux-ci sont de petite taille et très espacés (Fig. 3.19 /B in Janusek 2003a: 50). Toutefois, un autre exemplaire provenant des fouilles de Bandelier à Qeya Qollu Chico (1895) possède 6 petits festons, une minuscule queue-applique assemblée au corps céramique en dessous du bord et une petite tête zoomorphe (Fig. 4.5 in Bauer et Stanish 2001: 91). Il y a donc clairement deux variantes à fond plat de morphologie identique mais de garniture différente. Cette période est caractérisée par une expérimentation des formes et une époque de mutation rituelle et socio-économique. Dans l’état actuel de la recherche, nous ignorons si cette différence correspond à une variabilité chronologique, régionale et/ou de fonction au sein de la performance rituelle. Le Bol Qeya à fond plat possédant 4 festons pourrait éventuellement représenter symboliquement le puma, mais avec une codification différente. Nous avons analysé et manipulé deux exemplaires (figures 6.5 /7–8): un seul feston est conservé sur le 1er exemplaire et deux sur le second. Théoriquement, ils peuvent appartenir à l’une ou l’autre forme. Les motifs sont incisés, géométriques, et rehaussés de pigment: le rouge, le blanc et le jaune. La couleur jaune est donc une caractéristique des variantes incisées des types a.1 et a.4, alors que la couleur noire y est absente. Ces deux types se distinguent toutefois entre eux par la texture de la pâte. Dans le cas du Bol Qeya à fond plat, toutes les pâtes sont de couleur brun foncé, sans engobe, et avec de nombreuses inclusions de mica doré. La pâte n’est pas zonée.
L’incensario-puma pré-Tiwanaku correspond au type 3.b de Wallace. Il est le seul à l’avoir isolé dans sa typologie (1957: 37) (Figure 6.2). Bennett a toutefois probablement intégré dans son type B.a des têtes de puma «pleines» appartenant à cette forme (1956: 72). Janusek a effectué une typologie différente pour cette période (plus régionale). L’incensario-puma pré-Tiwanaku correspond à la forme Qeya de type 2.a, qu’il distingue du Bol Qeya à fond plat de type 2.b (Janusek 2003a: 47, 50: Fig. 3.19 /a et Fig. 3.19 /b).
6.5. Formes de l’incensario Tiwanaku
6.4.2. Bol Qeya à fond plat
Les incensarios de la période Tiwanaku se caractérisent non seulement par une tradition de production héritée de la période pré-Tiwanaku, mais également par une diversification des formes. Toutefois, nous ne distinguons pas directement la variabilité des incensarios sur base de critères morphologiques, mais sur des critères de codification et de représentation: le puma (A), le lama (B) et le condor (B). L’incensario-puma est non seulement l’unique représentation durant la période pré-Tiwanaku, mais également l’unique référence dans le cadre des offrandes subaquatiques Tiwanaku. Cette codification a donc une signification.
Le Bol Qeya à fond plat – et donc sans base surélevée – est-il un incensario? Bennett rassemble cette variante à fond plat dans son type B.a, indique qu’elle possède 4 ou 6 festons et que dans certains cas, il y a une tête modelée zoomorphe (1956: 72). Wallace isole cette forme dans son type 3.a, indique qu’elle possède 4, 6 ou 8 festons, et qu’il n’y a pas de tête modelée zoomorphe (1957: 36). Enfin, Janusek identifie cette forme comme la variante de type 2.b de la céramique Qeya à bord festonné, mais qui possède un fond plat et pas de tête modelée zoomorphe. Il indique également que sa variante 2.a n’a pas toujours de tête modelée zoomorphe (2003a: 47).
La période Tiwanaku voit l’émergence de nouvelles associations: le lama (B) et le condor (C). Ils peuvent refléter une diversification des activités cérémonielles et
Les différents auteurs parlent de la présence de 4, 6 ou 8 festons. Dans notre analyse, nous constatons que les 172
Morphologie et technologie des incensarios une fonction différente au sein de la performance rituelle d’offrande d’incensario. Il n’est pas anodin que ces deux dernières représentations soient moins communes dans le registre archéologique. Par ailleurs, l’incensario-puma est le seul type attesté dans tout l’espace Tiwanaku, non seulement dans le bassin lacustre, mais également dans les régions éloignées sous « contrôle » ou influence Tiwanaku. Nous pensons que ce constat a eu une incidence sur la variabilité de sa forme, car l’incensario-puma de type A.1 est celui qui possède le plus de variantes morphologiques, ce qui peut refléter une variabilité régionale et/ou chronologique.
pour le type B.1. En d’autres mots, l’incensario-puma est principalement de forme hyperboloïde à base annulaire (A.1) et zoomorphe à base surélevée (A.2), l’incensariolama est quasi exclusivement zoomorphe (B.2 et B.3), et l’incensario-condor n’existe que dans une seule forme (C.1). La présence de festons est une codification quasi exclusive à l’incensario-puma depuis la période préTiwanaku (a.1 et A.1). Les techniques de façonnage déterminent le modus operandi dans la production des incensarios. Leur point commun est le modelage à main libre (Girault 1961: 96). Par définition, il n’y a donc pas de production « industrialisée », en particulier pour cette céramique cérémonielle qui devait répondre à un monopole ou un contrôle de production. Il n’y a aucun témoignage de l’existence de moules en pierres pour produire les têtes zoomorphes. Théoriquement, ces caractéristiques n’interdisent pas une « production à la chaîne » ou celle d’un lot de plusieurs céramiques cérémonielles. Trois moules «temporaires» en céramique sont toutefois attestés à Ch’iji Jawira (Rivera 2003: 308) et peuvent correspondre à la production de têtes modelées zoomorphes. Mais la grande diversité des finitions et le faible pourcentage de l’incensario dans l’assemblage céramique documentent une production limitée. Girault distingue différentes étapes pour la technique de modelage à main libre: le modelage des différentes composantes, le collage et le garnissage (1961: 96–102).
Les critères morphologiques, technologiques et de codification sont indissociables. Certains attributs codifiés ont une incidence sur la forme et la technique de façonnage. La production de certaines formes nécessite également des stratégies de modélisation différentes, et les techniques de façonnage peuvent avoir un impact sur la forme. Nous faisons toutefois une distinction. Premièrement, la codification correspond à la représentation de la céramique-effigie: le puma, le lama et le condor. Cette représentation possède des attributs codifiés distincts. Ensuite, la morphologie fait référence à la forme, et donc au résultat. Il représente le critère le plus utilisé dans les différentes typologies existantes, car il permet de distinguer des types ou des sous-types entre eux. Cette distinction est donc inévitable pour identifier des incensarios dans le registre archéologique. Enfin, la technologie est la technique de façonnage utilisée pour obtenir le résultat (la forme). Girault identifie différents critères technologiques: composition des pâtes, les modes de cuissons et températures, les techniques de façonnage et le traitement de la surface (1961: 83–110). Nous avons identifié dans ce chapitre les problématiques de l’incensario, mais également les opportunités. C’est pourquoi nous nous concentrerons sur les techniques de façonnage.
Tous les incensarios sont constitués de 4 parties modelées séparément: (1) la base, (2) la partie supérieure à forme ouverte, (3) la tête et (4) la queue. Les deux premières parties sont collées à la barbotine et définissent la forme du corps principal de la céramique. Les deux dernières peuvent être façonnées en plusieurs parties, et sont garnies au corps principal (Figure 6.6). En rappel, le garnissage est un processus de collage, mais qui consiste également à une adaptation du corps principale de la céramique. Vu que nous ne maîtrisons pas tout le modus operandi, nous parlerons de collage en général.
Notre premier critère de classification est donc la « codification » (A-B-C). Le second est la morphologie: nous identifions 4 groupes de formes pour l’incensario Tiwanaku (Figure 6.1): (1) à base annulaire et à forme hyperboloïde, (2) à base surélevée et (3) à forme zoomorphe complète, (4) à base quadrupède et à forme zoomorphe complète et les formes atypiques. En effet, malgré certaines variabilités (tous les incensarios sont différents), chaque forme répond au même schéma de production et définit un résultat propre à son groupe de formes. Cette distinction permet d’identifier tous les incensarios dans le registre archéologique.
Une des caractéristiques technologiques de l’incensario à base annulaire et à forme hyperboloïde (A.1/B.1/C.1) est le collage de la tête au corps céramique par une double attache à l’intérieur de la céramique (Figure 6.6, vue de plan). Cette double attache est visible sur la partie supérieure du corps principale de la céramique, mais également sur les fragments de tête isolés. Elle permet donc de déterminer si les têtes appartiennent à un corps céramique à forme hyperboloïde ou zoomorphe. L’analyse des caractéristiques technologiques permet donc de distinguer certaines formes entre elles, en particulier entre les incensarios de type A/B.1 et A/B.2. Elle permet également d’identifier des traditions différentes de façonnage et des traditions de codification distinctes. Nous pensons que ces différences peuvent être des variables temporelles et/ou régionales.
Bien qu’au total nous distinguons 8 formes générales réparties entre ces 3 représentations, les formes les plus communes sont les types A.1 et A.2 pour l’incensario-puma, les types B.2 et B.3 pour l’incensario-lama et le type C.1 pour l’incensario-condor (Figure 6.1). Les types A.4 et B.4 sont des formes attestées qu’une seule fois dans le registre archéologique et il n’existe que 2 exemplaires 173
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 11
SMB.VA.34846 0
10cm
Figure 6.6. Exemple de doubles attaches sur le corps principal d’un incensario-puma de type A.1.
Notre troisième critère de classification isole ces différentes traditions. Nous distinguons certains groupes de variantes, principalement pour l’incensario-puma de type A.1. Par définition, la codification de la céramique n’est pas un critère technologique, mais l’analyse des fragments d’incensarios permet d’identifier ces éléments codifiés non conservés à partir de l’analyse des techniques de collage utilisées. Par exemple, l’applique quadrangulaire qui sépare la tête et le corps de la céramique a toujours été modelé à part, et se caractérise par un « rajout » de matière lors du collage. Les techniques de façonnage ont donc été adaptées afin de permettre cette codification.
de puma modelée ouverte et (5) une queue en applique creuse (Figure 6.7 /1). La tête est façonnée en plusieurs parties. Elle est perforée à l’avant au niveau de la bouchegueule, et est collée au corps céramique par une double attache. La queue est creuse, verticale, façonnée en deux parties et collée à l’arrière de la céramique. On voit la jonction du collage au niveau du bord de la céramique et du rajout vertical de la queue. Certaines variantes ont un appendice en dessous de cette queue (Figure 6.8 /1a) permettant sans doute plus de facilité dans la manipulation de l’objet. Les yeux peuvent être ronds ou en « amandes ». Cette distinction est importante, car tous les incensarios de l’arrecife de Khoa ont les yeux en amandes. Certaines céramiques de ce type A.1.1 peuvent être très large et très lourde (Figure 6.8 /1a), d’autres plus élancées, petites et légères (Figure 6.8 /1 b). La majorité a une pâte compacte de couleur beige rosée avec des inclusions de mica. Elles se distinguent de celles de Khoa qui ont une pâte beige-brune micacée plus « grossière » avec des traces de fibres végétales (dégraissant). À titre d’information, cette variante représente 42,45 % des incensarios de type A.1 (14/33) que nous avons analysé dans les collections.
6.5.1. L’incensario-puma (A) L’incensario-puma est attesté dans les quatre formes (Figure 6.7). Il est commun dans le type A.1 et A.2, et rare dans le type A.3. Le type A.4 est une forme unique provenant d’une collection publique (SMB VA.2780Berlin). La représentation de la tête est le principal critère d’identification qui rassemble tous les incensarios-puma au sein du même groupe (A). Elle est creuse et possède chaque fois 3 caractéristiques: les yeux, le museau-narines et la bouche-gueule. L’ensemble représente une tête de félin, et permet de la distinguer des têtes de lama (B) et de condor (C). La tête est également la partie la plus complexe de cette céramique-effigie, non seulement au niveau des techniques de façonnage, mais également au niveau de la codification.
Variante 2 (A.1.2): cette variante est identique à la précédente, exceptée dans les techniques de façonnage de la tête (Figure 6.8 /2). Celle-ci est modelée en une seule partie et est donc plus petite, et n’est pas perforée à l’avant (caractéristique de cette variante). Il s’agit parfois plus d’une tête « pleine » avec une cavité à l’intérieur qu’une « tête creuse ». Les finitions sont également parfois moins soignées, asymétriques et les traits sont plus marqués. Cette « simplicité » n’est probablement pas un critère chronologique, car on a retrouvé certaines têtes de puma de finition « grossière » à Khoa en contexte Tiwanaku V, associées aux variantes A.1.1. À titre d’information, cette variante représente 45,45 % des incensarios de type A.1 (15/33) que nous avons analysé dans les collections.
Type A.1 (base annulaire et forme hyperboloïde) L’incensario-puma de type A.1 est la forme la plus commune, la « plus ancienne », et celle où il existe le plus de variabilité. Dans l’état actuel de la recherche, nous identifions 3 traditions différentes de façonnage (variantes) et 2 traditions de codification. Ces différentes traditions se distinguent par le résultat (la forme de la céramique), mais sont surtout perceptibles dans l’élaboration de la partie la plus complexe de l’incensario: la tête.
Variante 3 (A.1.3): cette variante se distingue par sa morphologie générale. Vue de plan (Figure 6.8 /3), le bord de la céramique est garni de 6 festons, dont un « festontête » et un « feston-queue ». Par conséquent, la tête est creuse, mais fermée à l’arrière vu qu’elle est collée sur le feston. Le « feston-queue » n’est pas zoomorphe et ne représente techniquement pas une queue. Par ailleurs,
Variante 1 (A.1.1): cette variante est la forme qui correspond aux incensarios découverts à l’arrecife de Khoa: (1) une base annulaire, (2) une forme hyperboloïde, (3) un bord ondulé constitué de 6 festons, (3) une tête 174
Morphologie et technologie des incensarios
INCENSARIO-PUMA (A) - TIWANAKU A.1: Base annulaire et forme hyperboloïde
0
10cm
KHOA.Z1.P209
A.2: Base surélevée et forme zoomorphe complète
0
A.3: Quadrupède et forme zoomorphe complète
10cm
SMB.VA.11692
A.4: Forme atypique (1 exemplaire)
Museo Nacional de Arquelogía ( La Paz - Bolivia)
0
10cm
SMB.VA.2785
Figure 6.7. Formes de l’incensarios-puma (A) – Tiwanaku.
elle se caractérise par la présence d’une petite anse à l’arrière de la céramique. Dans l’ensemble, l’incensario est moins large et plus élancé. Les festons sont perforés et au nombre de 4, bien qu’il soit possible que certains exemplaires possèdent 6 festons en plus du « feston-tête » et du « feston-queue ». La tête est modelée en plusieurs parties, perforée à l’avant au niveau de la bouche-gueule, et les yeux sont toujours ronds. À titre d’information, elle représente 12,1 % (4/33) des incensarios de type A.1 que nous avons analysé dans les collections.
de type B.1 proviennent de fonds anciens de musées (Tiwanaku et Paris) et sont rares. Au niveau morphologique (forme générale), la troisième variante se distingue des deux précédentes, mais les techniques de façonnage de la tête sont toutes les trois différentes. Nous avons également identifié 2 traditions de codifications distinctes de la tête de puma qui correspondent à la distinction principale entre le type 3c et 3d de Wallace (1957: 37–39): 1. Certains incensarios ont une applique quadrangulaire qui sépare la tête du corps céramique (figures 6.8/1–2), d’autres non (figures 6.8/3–5). L’applique quadrangulaire est soit simple (Figure 6.8 /1a), soit complétée à l’arrière par un « bourrelet » (Figure 6.7/8 b). Celui-ci peut correspondre soit à une technique de collage avec un rajout de matière, soit représenter un
La caractéristique de l’incensario-puma de type A.1 est la présence de festons. Si le bord est festonné, mais que la tête n’est pas conservée, on peut identifier à 99 % l’incensariopuma de ce type. En effet, l’incensario-condor de type C.1 n’a pas de feston, et les 2 exemplaires d’incensario-lama 175
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
INCENSARIO-PUMA (A.1) - TIWANAKU 1a
MQB.71.1878.8.75 0 10cm
1b
0
SMB.VA.10491 10cm
2
MQB.71.1946.7.5 0 10cm
3
0
SMB.VA.64591 10cm
4
0
SMB.VA.12291a 10cm
Figure 6.8. Exemples de différents incensarios-puma de type A.1.
176
Morphologie et technologie des incensarios collier. Les oreilles ne sont pas représentées. L’unique exception est un exemplaire découvert à l’arrecife de Khoa en 2013: deux oreilles modelées sont collées directement à l’arrière sur l’applique quadrangulaire (KH.Z1.P209). 2. En l’absence de cette applique quadrangulaire, certaines têtes de puma ont deux oreilles collées au-dessus de la tête et pas de collier. Il s’agit d’une particularité unique à la variante A.1.3 (Figure 6.8 /3). D’autres possèdent deux oreilles et un « bourrelet-collier ». Il s’agit probablement d’un « collier », car dans l’exemple qui illustre cette caractéristique (Figure 6.8 /4), le collier est connecté à une applique circulaire modelée située sur le « torse » de la céramique-effigie. Ce motif circulaire est omniprésent sur les incensarios, mais généralement peint. Or, nous constatons que ce motif de collier est commun dans l’iconographie représentant le puma et le lama (domestication ?).
Conventionnellement, on parle de « puma », de « lama » et de « condor ». Pour le puma, il existe au moins 6 espèces différentes de félin dans les Andes: le jaguar (Panthera onca), l’ocelot (Felis pardalis) et le margay (Felis wiedii) qui vivent en dessous de 3000 m d’altitude, et le titi/chat des Andes (Felis jacobita), le chat de Geoffroy (Felis geoffroyi) et le chat des pampas (Felis pajeros) qui vivent au-dessus de 3000 m d’altitude (Anderson 1997, cit. in Korpisaari et Pärssinen 2011: 140). Le titi est le nom vernaculaire aymara du chat andin, et l’une des étymologies proposées pour le lac Titicaca (Rocher du titi). Ce toponyme est peut-être d’ascendance préinca. Pour la problématique des incensarios, la présence de cette applique quadrangulaire est intéressante à plus d’un titre, car elle donne de nombreux indices d’interprétation. En effet, l’applique quadrangulaire est omniprésente pour les incensarios-condor (C), absente pour les incensarios-lama (B) et sur les 86 exemplaires que nous avons manipulés (annexe 6.1), elle est attestée dans au moins 66,6 % des incensarios-puma de type A.1 (22/33). Pour l’incensariopuma de type A.2, nous n’avons pas d’exemple, mais il existe au moins un modèle avec cette applique quadrangulaire conservée au Museo Chileno de Arte Precolombino (n° d’inventaire MCHAP 0996). Ce constat corrobore l’interprétation de Korpisaari et Pärssinen, car tous les incensario-condor possèdent cette applique et qu’aucun incensario-lama n’en possède. Pourquoi certains incensarios-puma en possèdent-ils ?! Et pourquoi les incensarios-condor n’ont-ils pas de festons alors que tous incensarios-puma de type A.1 en possèdent ?
L’applique quadrangulaire n’est pas une caractéristique fonctionnelle. D’après Korpisaari et Pärssinen, la présence de cette applique est « une convention artistique ou rituelle » (2011: 145, note 84). Ils établissent ce constat à partir de deux exemplaires de céramique-effigie à forme fermée découverte à l’île de Pariti. Ces deux céramiques de type vasija représentent un aigle sur ses deux pattes, avec une queue et une tête de rapace encadrée par une applique quadrangulaire peinte de motifs rayonnants (Planche 55 /B). Ils proposent que cette « couronne de rayons » soit la représentation stylisée de la « couronne de plume » qui encadre la tête naturelle de l’aigle lorsqu’il est menaçant (2001: 144–145). Ils suggèrent également que cette couronne de plumes ait été « l’inspiration originale pour les potiers et/ou prêtres dans la tradition d’équiper certaines céramiques Tiwanaku [incensarios] avec cette applique quadrangulaire autour du cou » (Korpisaari et Pärssinen 2011: 145, note 84). Cette observation est intéressante, car certaines appliques quadrangulaires entourant des têtes d’incensario-puma possèdent encore des traces de motifs peints rayonnants (Figure 6.8/1 b).
L’incensario est une céramique-effigie codifiée, et nous pensons que l’incensario-puma à bord festonné (type A.1) pourrait représenter un « puma à plumes » ou un « puma ailé ». En effet, l’applique quadrangulaire peut faire référence à la couronne de plumes de l’incensariocondor. Ensuite, certains festons documentés dans la littérature scientifique sont peints de motifs à plumes
1
2
0
10cm
0 10cm Tiahuanaco (Akapana) MQB.71.1958.56.5 (Girault 1958)
Île de la Lune (Coati) Adapté de Bauer and Stanish 2004: 168, fig. 6.45
3
Motif d’une botella de l’île de Pariti Adapté de Villanueva et Korpisaari 2013: 90, Fig.3
Figure 6.9. «Puma ailé» modelé (incensario-puma A.1) ou décoré (iconographie).
177
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie ou sont « bicolore » (plume stylisée ?) (figures 6.9/1–2). Par ailleurs, si les festons représentent des « plumes », il est donc normal qu’ils soient absents des incensarioscondor, car la représentation du condor est conférée par la tête et la queue de la céramique-effigie. Il faut toutefois rester prudent, car il existe des rares festons décorés avec d’autres motifs, par exemple une tête trophée (Fig. 23 in Girault 1990: 215). Enfin, certains éléments décoratifs conservés, tels que le motif circulaire sur le torse de l’incensario, font référence à l’iconographie rituelle Tiwanaku. Il y a donc un lien entre la forme modelée de l’incensario et l’iconographie codifiée Tiwanaku.
Le « puma ailé » ou le « puma à plumes » est représenté sur une botilla découverte à Pariti (Figure 6.9 /3) (adapté de 2013: 90, Fig.3). Nous envisageons donc la possibilité que l’incensario-puma de type A.1 soit une représentation « modelée » de cet animal mythique. Dans une perspective narrative propre à l’interprétation de Villanueva et Korpisaari, l’hypothèse d’une représentation modelée du « puma à plumes » de l’incensario de type A.1 pourrait correspondre à l’étape de juxtaposition (2) ou d’hybridation (3), et la feuille en or circulaire découverte à Khoa et représentant la tête rayonnante du Dieu-auxbâtons correspond à l’étape de fusion (4). Ce concept de transformation rituelle d’une réalité naturelle (puma) pourrait donc être particulièrement important dans la pratique d’offrande de l’incensario, et en particulier pour celle des offrandes subaquatiques. Indirectement, il donne également des indices d’interprétations de cette pratique, et de la perception de l’espace sacré Tiwanaku (chapitre 8).
Dans une interprétation narrative de l’iconographie Tiwanaku, Villanueva et Korpisaari observent que « la céramique commune de Pariti répond à une relation forte entre l’iconographie, la couleur et la forme de la céramique, et présente différentes composantes narratives associant les motifs d’oiseaux et de félins: depuis la séparation complète et individuelle [1] jusque la fusion totale des ces deux motifs [4], en passant par une étape de juxtaposition [3] et d’hybridation [4] » (2013: 89). Dans cette analyse, ils distinguent par ailleurs 4 types de formes céramiques associés à chacune de ces étapes: (1) la céramique commune et le concept de la dualité, (2) les céramiqueseffigies [naturalistes] et la dualité au quotidien, (3) les céramiques de transition et la transformation de la dualité et (4) les challadores et la rupture de la dualité (Villanueva et Korpisaari 2013: 103–104).
Enfin, pour clôturer ce point, nous avons identifié dans les problématiques la difficulté d’isoler l’incensario de type 1 (figures 6.10 /A.1-B.1-C.1) avec la forme sahumador lorsque la partie inférieure de la céramique n’est pas conservée. Les sahumadores possèdent en effet également une base annulaire et un fond surélevé brûlé (Figures 6.10/1–2-3). Type A.2 (base surélevée et forme zoomorphe complète)
Cette observation est intéressante pour l’étude de l’incensario, car d’une part, il peut exister une juxtaposition/hybridation de certaines représentations animales dans l’iconographie, et d’autres parts, il y a un lien direct entre les formes céramiques et cette iconographie.
1
L’incensario-puma de type A.2 ressemble dans sa morphologie générale aux céramiques-effigies représentant un animal « naturel » (vasijas). Il se distingue toutefois par sa forme ouverte et son fond surélevé « brûlé », ce qui permet de l’associer au type incensario.
2
3
MQB.71.1946.7.96 0
0
10cm
A.1
SMB.VA.63028 10cm
B.1
0
KHOA.Z1.P209 10cm
0
SMB.VA.34848 10cm
C.1
Museo de Sitio en Tiahuanaco (échelle inconnue)
Figure 6.10. Comparaison entre les sahumadores (1–2–3) et les incensarios (A.1, B.1 et C.1).
178
0
SMB.VA.64467 10cm
Morphologie et technologie des incensarios
INCENSARIO-PUMA (A.2) - TIWANAKU 1b
1a
MQB.71.1946.7.2
0
10cm
MQB.71.1946.7.7
10cm
3
2
MQB.71.1946.7.6
4
0
0
0
10cm
5
SMB.VA.11692 10cm
6
0
SMB.VA.16734 10cm
SMB.VA.11890
0
10cm
Figure 6.11. Exemple de différents incensarios-puma de type A.2.
Les caractéristiques qui déterminent cette forme sont: (1) une base ovoïdale (2) avec deux appliques figurant les pattes avant, (3) un corps céramique ouvert allongé relié de manière discontinue à la tête de puma modelée, et (4) une queue zoomorphe creuse orientée vers le bas (Figure 6.11).
incensarios-puma zoomorphes (A.2), nous retrouvons 4 distinctions: une tête avec deux oreilles collées au-dessus, mais avec un appendice qui démarre de l’oreille et s’arrête au menton (Figure 6.1 A/1a) ou aux joues (Figure 6.11 /1 b), une tête avec deux oreilles et un collier modelé entre la tête et la naissance du corps céramique (Figure 6.11 /2), une tête avec deux oreilles et une sorte de collier plat encadrant toute la tête, mais distinct de l’applique quadrangulaire (Figure 6.11 /3), et la tête de puma sans oreilles et une applique quadrangulaire encadrant la tête (Figure 6.11 /4). Les trois premières peuvent s’apparenter à la première tradition de codification de l’incensario-puma de type A.1 et la dernière à la seconde tradition de codification.
Il se distingue également du type A.1 non seulement par sa forme générale, mais également par l’absence d’un bord ondulé (festons), et l’absence quasi systématique d’une applique quadrangulaire encadrant la tête. Nous distinguons deux traditions de façonnage distinctes qui sont identiques aux deux premières variantes énoncées dans le point précédent: les têtes de puma modelées en différentes parties, perforées au niveau de la bouche-gueule et ouvertes à l’arrière peuvent représenter la variante A.2.1, et les têtes de puma creuses fermées à l’avant ou plus « grossières » avec la naissance d’une cavité à l’intérieur (semi-creuses) peuvent représenter la variante A.2.2 (figures 6.11/5–6).
Les caractéristiques générales de représentation de la tête sont communes entre les 3 formes de l’incensario-puma (A.1, A.2 et 1.3), bien que l’applique quadrangulaire soit plus spécifique au type A.1 et la présence d’un appendice en dessous des oreilles au type A.2.
Les différentes traditions de codification de la tête de puma sont légèrement différentes du type A.1. Dans le cas des
L’incensario-puma zoomorphe est toutefois une création originale de la période Tiwanaku. À titre d’information, 179
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie bien que cela ne soit pas représentatif d’un registre archéologique, l’incensario-puma de type A.2 représente 16 % des incensarios-puma (8/45) analysés dans les collections des musées (annexe 6.1), alors que l’incensariopuma de type A.1 représente 66 % de l’inventaire (33/50). Les trois dernières formes représentent 4 % pour le type A.3 (2/50) et également 4 % pour le type A.4 (2/50). Cinq incensarios-puma (10 %) sont indéterminés (5/50).
Type A.3 (quadrupède) et A.4 (atypique ou forme unique) Ces deux dernières formes sont rares. L’incensario-puma de type A.3 se distingue du type A.2 par la présence de 4 pieds de félin modelés (Figure 6.6/ A.3). L’incensario de type A.4 est une forme unique et atypique (Figure 6.7/ A.4), qui ressemble dans sa morphologie à l’incensariocondor. Nous avons également intégré dans ce groupe un
INCENSARIO-LAMA (B) - TIWANAKU B.1: Base annulaire et forme hyperboloïde (2 exemplaires)
B.4: Forme atypique (1 exemplaire)
Museo de Sitio en Tiahuanaco
Museo de Sitio en Tiahuanaco
B.2: Base surélevée et forme zoomorphe complète
0
B.3: Quadrupède et forme zoomorphe complète
0
SMB.VA.64590 10cm
Figure 6.12. Formes de l’incensarios-lama (B) – Tiwanaku.
180
10cm
SMB.VA.11871
Morphologie et technologie des incensarios de type A.3, sauf qu’à la place de 4 pieds de félins, il y a 4 pieds bifides (Figure 6.12 /B.3). Le type B.4, que nous n’avons pas manipulé ni dessiné, est une forme hybride entre le type B.1 (festons et queue creuse verticale), et le type B.2 (base ovoïdale avec deux appliques figurant les pâtes avant) (Figure 6.12 /B.4).
exemple exceptionnel: un incensario-puma miniature à fond plat conservé à Berlin (Inventaire: SMB VA.10599). 6.5.2. L’incensario-lama (B) L’incensario-lama est également attesté dans les quatre formes (Figure 6.12). Il est toutefois commun dans les types B.2 et B.3, et rare dans le type B.1 (2 exemplaires) et le type B.4 (1 exemplaire). L’incensario-lama est donc principalement zoomorphe. La représentation de la tête est, comme l’incensario-puma, le principal critère d’identification qui rassemble tous les incensarioslama au sein du même groupe (B). La tête est creuse et très sophistiquée dans son façonnage, et témoigne d’une maîtrise de la modélisation de la céramique durant la période Tiwanaku. Elle possède chaque fois 6 caractéristiques: (1) un museau ouvert constitué d’une lèvre supérieure évasée et (2) d’une lèvre inférieure avec une langue pendante, (3) une applique circulaire perforée placée sur le museau, (4) des yeux et (5) des oreilles en forme de « feuille » connectée à (6) un collier modelé. Certaines oreilles sont toutefois dressées à la verticale (exemple Figure 6.12/ B.2), alors que les autres sont couchées contre la tête (exemples figures 6.12/B.1-B.3-B.4). Les têtes qui illustrent nos 4 types ne sont pas représentatives de la forme.
L’incensario-lama (B) est toutefois assez rare ou mal identifié dans le registre archéologique, et sa fonction inconnue. L’identification au lama est également une convention utilisée par les chercheurs. Les plateaux d’altitudes boliviens et péruviens (Altiplano) sont caractérisés par l’élevage de camélidés, et il existe au moins quatre variétés-désignations: (1) le lama, (2) le guanaco [lama non domestiqué], (3) l’alpaga, et (4) la vigogne. La représentation d’un camélidé est parfois mise en doute, mais principalement dans l’iconographie. Certaines têtes de lama sont en effet agressives, et possèdent régulièrement des canines protubérantes. Les motifs représentant un animal mythique « hybride » peuvent également prêter à confusion si certains traits de lama sont associés au puma. La tête du lama est toutefois rare dans l’iconographie rituelle, et sa représentation complexe en tant que céramique-effigie est donc intéressante, et nécessite une révision de la littérature scientifique.
Nous avons analysé un seul exemplaire d’incensario-lama de type B.1 (MQB 71.1946.7.15). Seule la tête est conservée. Or, il s’agit d’une « tête-feston » représentant le lama, mais identique au niveau des caractéristiques morphologiques à la variante A.1.3 décrite précédemment: la tête est creuse, mais fermée à l’arrière vu qu’elle est collée sur le feston. Ensuite, excepté la tête, la morphologie de l’incensariolama de type B.2 est identique à l’incensario-puma de type A.2: (1) une base ovoïdale avec deux appliques figurant les pattes avant, (2) un corps céramique ouvert allongé relié de manière discontinue à (3) la tête de lama modelée, et (4) une queue zoomorphe creuse orientée vers le bas (Figure 6.12 /B.2). L’incensario-lama de type B.3 est également identique à la forme de l’incensario-puma
6.5.3. L’incensario-condor (C) L’incensario-condor est attesté dans une seule forme (Figure 6.13). Nous avons manipulé et analysé 8 têtes d’incensarios-condor, dont une forme complète (annexe 6.1), et ils répondent tous à la même tradition de façonnage et de codification. Les caractéristiques de la forme sont: (1) une base annulaire, (2) une forme hyperboloïde, (3) un bord plat, une tête de condor fermée encadrée par (4) une applique quadrangulaire, (5) une queue en applique plate en forme de plumes fixées en face de la tête et (6) une petite anse.
INCENSARIO-CONDOR (C) - TIWANAKU C.1: Base annulaire et forme hyperboloïde
0
Figure 6.13. Forme de l’incensario-condor (C) – Tiwanaku.
181
10cm
SMB.VA.64467
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie schématiquement une tête de rapace, conventionnellement attribuée au condor, et est constituée d’un bec fermé séparé par un trait accentuant l’extrémité crochue, et collée à une applique carrée dont les yeux sont représentés sur le côté. La tête fait au moins 5 cm de longueur, ce qui la distingue de certaines appliques creuses en forme de condor de petite taille. Il faut donc être vigilant, car ces dernières sont des appliques qui appartiennent en général à la céramique de type kero. Dans l’état actuel de la recherche, nous ignorons si sa fonction est identique à celle des autres incensarios (A et B).
Comme tous les incensarios de cette forme (type 1), la tête est collée au corps céramique par une double attache, visible non seulement à l’intérieur du corps principal, mais également sur les têtes. Il existe une perforation sur l’exemplaire complet que nous avons analysé (Figure 6.13). Cette perforation existe parfois sur d’autres incensarioslama (Figure 6.12 /B.3) et incensarios-puma (Figure 6.7 /A.3), mais sa présence est variable. Sa fonction est probablement d’attiser le foyer à l’intérieur de la céramique. La tête est modelée en plusieurs parties, dont la composante tête et l’applique quadrangulaire. La tête représente
182
Chapitre 7 L’incensario comme indicateur de l’espace rituel travers tout son territoire. La nature de l’occupation dans la vallée de Moquega démontre par exemple que l’expansion Tiwanaku n’est pas une « extension » du système social attesté dans le basin lacustre (Williams 2003: 34). Malgré l’ascendance politique et religieuse du site éponyme de Tiahuanaco, la centralisation du pouvoir possédera en effet des degrés d’interactions différents en fonctions de la nature de la relation.
7.1. Introduction L’objet incensario est indissociable de la pratique rituelle, et représente un des meilleurs indicateurs matériels de l’espace sacré (pré) Tiwanaku. Nous identifions et regroupons dans la catégorie «espaces sacrés» tous les lieux ou registres archéologiques au sein desquels ont été identifiés des gestes rituels. Dans ce chapitre, nous proposons d’aborder la fonction de l’incensario au sein de la pratique d’offrandes en inventoriant les témoignages documentés dans la littérature scientifique. Notre stratégie de recherche est d’analyser en parallèle les contextes de découvertes et la variabilité de l’incensario afin d’analyser sa fonction, et de voir si celle-ci évolue à travers le temps.
L’objet incensario est documenté dans ces trois « régions », principalement dans le noyau cérémoniel de (1) Tiahuanaco, (2) celui de Lukurmata et (3) dans la vallée de Moquega. Son omniprésence n’est pas une coïncidence, et l’incensario pourrait être un indicateur culturel de l’occupation Tiwanaku à l’extérieur du bassin lacustre. Dans l’état actuel de la recherche, nous ignorons le rôle de l’incensario au sein de la société Tiwanaku, que ce soit au niveau rituel, socio-économique ou politique. La chicha par exemple, qui participe dans des performances de « chicha-feasting», est produite localement dans la vallée de Moquega (Goldstein 2003:165). L’approche extralacustre permet par conséquent d’aborder indirectement la nature du pouvoir de Tiahuanaco, et la variabilité régionale des pratiques au sein du territoire occupé.
L’incensario est un objet codifié et complexe dans son façonnage, et se caractérise par une diversification des formes durant la période Tiwanaku. Notre nouvelle classification (chapitre 6) nous permet d’analyser chaque contexte de découverte en relation avec la codification de la céramique, et d’identifier les incensarios-puma (A), les incensarios-lama (B) et les incensarios-condor (C). L’avantage de cette céramique-effigie est qu’elle ne représente qu’un faible pourcentage dans les registres archéologiques, et qu’elle est assez caractérisée pour être mentionnée dans les rapports de fouilles. Nous resterons également attentifs aux objets associés pouvant représenter le « kit hallucinogène » d’après la terminologie de Browman (1990: 101–102).
7.2. L’incensario et les espaces rituels de Tiahuanaco (300–1050 PCN) Tiahuanaco est la « capitale » éponyme de la culture Tiwanaku. Le site se situe à une quinzaine de km au sud du lac Titicaca sur une légère élévation au milieu de la plaine alluviale, dans la partie centrale de la vallée (Janusek 2004: 54). Cet espace est propice à l’agriculture et à l’élevage de camélidés. L’urbanisation de Tiahuanaco se caractérise principalement par (1) un centre cérémoniel monumental construit en pierres de taille et (2) par des secteurs résidentiels construits en adobe. La perception actuelle de l’espace est donc conditionnée par ces matériaux, car seul le secteur monumental est conservé. Les structures, complexes et secteurs au sein desquels nous avons identifié des incensarios sont (Figure 7.1): le complexe du Puma-Puncu (7.2.1), la pyramide Akapana (7.2.2), le secteur Akapana-east AKE (7.2.3), le secteur de Mollo Kontu (7.2.4), le complexe résidentiel de Putuni (7.2.5), le Kheri Kala (7.2.6), le Chunchukala (7.2.7), la plate-forme monumentale du Kalasasaya (7.2.8), le temple semi-souterrain (7.2.9) et le secteur spécialisé de Ch’iji Jawira (7.2.10). Excepté le Puma-Puncu qui est décentralisé, tous les autres secteurs se situent à proximité du noyau cérémoniel. Seules les formes identifiées avec certitude sont inventoriées (annexe 7.1).
La chronologie est l’une des principales problématiques de cet objet. Par conséquent, nous privilégions les contextes associés à des datations 14 C. Afin d’homogénéiser toutes les dates au sein de ce manuscrit, nous recalibrerons les échantillons avec le programme OxCal 4.2 en utilisant la courbe de calibration ShCal13 (hémisphère sud). Nous utiliserons à la fois l’intervalle de probabilité (écart-type) de 1 sigma (1σ), conventionnellement utilisé dans les Andes sud-centrales pour les séquences chronologiques culturelles (avec une marge d’erreur de 31,8 % contre 68,2 % de fiabilité), et l’intervalle de probabilité 2 sigma (2σ). Ce dernier est statistiquement plus fiable (95,4 %), mais difficile à exploiter, car l’intervalle est plus large. Nous citerons le premier, mais utiliserons principalement le deuxième dans les interprétations (2σ). Nous proposons de faire une distinction entre Tiahuanaco (7.2), les espaces rituels du bassin lacustre (7.3) et ceux des territoires en périphérie (4.4) (Figure 7.3). La culture Tiwanaku se caractérise en effet par l’absence d’une organisation socio-économique totalement hiérarchisée à
183
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 7.1. L’incensario et le site de Tiahuanaco.
7.2.1. Pumapunku
une tête de puma fermée à l’arrière (Fig. 11.5 in Yaeger et Vranich 2013: 133). Un échantillon 14C est directement associé à l’offrande (2013: 134, 138 ; Table 11.1), et est daté de 690–859 PCN (1σ) et 680–884 PCN (2σ) (AA-65282). Yaeger et Vranich font deux observations intéressantes:
Le Pumapunku est une construction monumentale constituée de trois plates-formes et d’une structure semi-souterraine en son centre (patio). Vranich parle de « complexe du Pumapunku », car cet édifice est aménagé au cœur d’un système de places publiques (1999: 72). Cette planification particulière et son éloignement par rapport au noyau cérémoniel sont interprétés comme un espace dédié à l’accueil des pèlerins (Figure 7.1). Ceuxci accédaient à Tiahuanaco par un agencement de places, d’entrées et de passages étroits (Vranich 1999: 263, 277). Il s’agit donc d’un complexe ouvert vers l’extérieur, mais avec des secteurs restreints (patio). Différents fragments d’incensario y ont été découverts.
1. Ils ont fouillé sur 100 m le long de la face nord de l’édifice (2013: 134), et ils n’ont pas trouvé d’autres offrandes de céramiques. Celle-ci est donc unique. 2. Une vasija miniature de 9 cm de hauteur a été découverte associée à l’incensario (2013: 133, Fig. 11.5). Yaeger et Vranich ont également identifié un évènement de réouverture de l’offrande – celle-ci a été brûlée et fragmentée (2013: 134) – et suggèrent que ce geste rituel a été effectué par des personnes qui connaissaient l’emplacement exact de l’offrande. L’échantillon AA65282 est associé à cet évènement, et non à l’offrande originelle (2013: 134–135). Dans cette perspective, l’incensario-puma de type A.1.3 est antérieur à 680–884 PCN (2σ). À titre d’information, l’échantillon OS-17860 qui date le début de la construction de l’édifice (Yaeger et Vranich 2013: 138) correspond à 585–633 PCN (1σ) et 546–645 PCN (2σ). Cet incensario pourrait être contemporain des premières phases de construction de l’édifice.
Les fragments d’un incensario-puma (A.1) ont été mis au jour en 2000–2001 sous le revêtement en andésite de la première plate-forme, près de l’extrémité orientale de la face nord de l’édifice (Yaeger et Vranich 2013: 132–133). Il s’agit d’une offrande votive ou de fondation (feature 260, unit C-29) associée à la première phase de construction du Pumapunku (2013: 133). L’édifice a été modifié ultérieurement (Vranich 1999: 207–221), et l’offrande a été scellée par un nouveau revêtement en andésite. L’incensario-puma identifié appartient à la variante A.1.3 (Figure 8.5/2). L’exemplaire se caractérise en effet par des bords festonnés, une anse en applique (pas de queue) et
Ensuite, la tête d’un incensario-condor (C.1) a été découverte en 1984 dans le sondage PPI-1, dans le secteur 184
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel sud-est du patio intérieur de l’édifice (Arellano 1991: 269–271, 272 Fig. 29). Elle a été mise au jour en contexte secondaire dans une des trois unités stratigraphiques situées entre la couche superficielle moderne et la surface pavée du patio intérieur (1991: 270–271). Arellano associe l’incensario à la période Tiwanaku IV d’après la classification stylistique de Ponce (1991: 271–272, Fig. 29). En parallèle, Yaeger et Vranich suggèrent que l’édifice du Pumapunku a été abandonné durant la phase TV (2013: 140–144). Toutefois, Vranich distingue plusieurs phases de constructions, et la (re)construction du patio est associée à la dernière phase de construction de l’édifice (1999: 208–221 ; 2006: 124, Fig. 2). Celle-ci est typique de la dernière mutation urbanistique de Tiahuanaco (chapitre 2), et nous suggérons que le patio intérieur pourrait être daté de la phase TV, ainsi que l’incensario-condor (C1). Un échantillon 14C (AA -68184), associé à des offrandes de camélidés et des céramiques Tiwanaku décorées, provient du secteur sud de l’édifice, et est daté de 994–1128 PCN (1σ) et de 988–1148 PCN (2σ) (Yaeger et Vranich 2013: 140). Celui-ci pourrait démontrer que le site était encore en activité durant la phase TV.
première plate-forme, et qui se caractérise par la présence de crânes humains séparés du reste du corps. Notons également la présence intéressante de coquillages marins dans ce dépôt (Alconini 1995: 82, 84 Fig.10). Enfin, une offrande de « camélidés et céramiques » (R -37) localisée à l’ouest de la première plate-forme contient 26,5 % de fragments de céramique de type 6.4. Ceux-ci, appartenant probablement a des incensarios, représentent 7,7 % des sahumadores inventoriés (Alconini 1995: 103, 110–111, Fig. 29a et 29b). Vu qu’Alconini identifie ces formes à bords ondulés dans ce dépôt, nous présumons qu’elle a notamment manipulé des festons. Ceux-ci sont un critère d’identification de l’incensario-puma (A.1). Sur base de critères stratigraphiques et de 6 échantillons 14C, Alconini associe successivement ces trois offrandes (28 b, 28 A et 37) à la phase A (400–500 PCN), la phase B (500–750 PCN) et la phase D (900–1150 PCN). Par ailleurs, Manzanilla identifie la présence de fragments d’incensarios dans deux contextes d’offrandes avec les restes désarticulés d’individus humains. L’individu n° 2 (R8a) est associé à deux keros et des fragments d’incensario (Manzanilla 1992: 73–74), et les individus 3a, 3 b et 3c (R7) sont également associés avec des keros et des fragments d’incensarios, mais deux camélidés désarticulés étaient placé à la fois au-dessus et en dessous de cette offrande (Manzanilla 1992: 73–74). Nous pensons qu’il n’y a pas de confusion sur l’emploi du terme incensario par Manzanilla, car elle identifie d’autres incensarios-puma au sommet de la pyramide (1992: 62, Fig. 31). Alconini identifie également dans la première offrande (R-8a) des variantes atypiques de sahumadores de type 6.6 (1995: 86). L’échantillon 14 C ETH -5640 est associé à celle-ci, mais provient d’un contexte secondaire (Knobloch 2013: 218): 892–1131 PCN (1σ) et 836–1180 PCN (2σ). Alconini fait 3 observations intéressantes:
7.2.2. Akapana La pyramide Akapana est l’édifice le plus imposant du centre cérémoniel de Tiahuanaco. Il s’agit d’une structure monumentale avec un appareillage en pierres et un réseau de canalisation complexe. Elle possède au moins 7 plates-formes, et un patio semi-souterrain est aménagé au sommet (Alconini 1995: 18–19). Les vestiges d’un escalier monumental sont documentés sur la face orientale de l’édifice. Les secteurs fouillés entre 1988 et 1989 correspondent aux deux premières plates-formes du secteur nord-ouest de la pyramide, et un secteur résidentiel situé dans le secteur nord du sommet de l’édifice (Manzanilla 1992). Il s’agit principalement d’un espace cérémoniel et résidentiel restreint à l’élite. Celui-ci n’est pas aménagé pour accueillir des personnes étrangères au ministère du culte, et les cérémonies d’offrandes étaient donc exclusives. Différents fragments d’incensario y ont été découverts (1) à la base de la pyramide dans l’angle nord-ouest et (2) au sommet. La céramique a été analysée par Alconini, et nous serons attentifs aux variantes de sahumadores, en particulier le type 6.4 de sa classification, car il possède une base annulaire et un bord festonné (1995: 58, 121). Ceux-ci correspondent en réalité à des incensarios. (1) Base de la pyramide:
• Elle suggère que ce secteur est dédié au dépôt d’offrandes, et que la régularité de celles-ci peut indiquer des évènements particuliers associés à un calendrier rituel. • Elle observe une pratique de réouverture rituelle de ces offrandes: la surface était nettoyée et certaines composantes étaient ordonnées une seconde fois dans l’espace (1995: 113). L’agencement des offrandes sur la surface est intentionnel. • Elle suggère que certaines offrandes (R-2) étaient spécialement produites pour l’évènement, et que la pâte de la céramique appuie l’hypothèse d’ un seul atelier de production (1995: 100)
Un pied d’incensario-puma zoomorphe (A.3) de petite taille a été identifié par Alconini dans un dépôt d’offrandes massives (R-28 b) réparti entre la base et le sommet de la première plate-forme (Alconini 1995: 76, 163, Fig. 62). Les incensarios correspondent à 0,3 % de l’assemblage de cette offrande (1995: 158, Fig. 59). Ensuite, des fragments de type incensario (non identifiés) représentent 1,6 % du matériel céramique appartenant à une autre offrande (R-28A) localisée à la base de la
Un contexte atypique peut faire référence au félin-puma (animal): un squelette de carnivore a été découvert en connexion anatomique à la sortie de la canalisation, à la base de la première plate-forme, mais se caractérise par l’absence des pattes et de la tête (Manzanilla 1992: 83). L’échantillon 14C SMU-2330, daté de 892–1147 PCN (1σ) et 766–1223 PCN (2σ), est associé à cette offrande (Knobloch 2013: 218 ; Alconini 1995: 102). La présence de ce squelette nous interpelle, car: 185
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Nicole Couture suggère que le corps a été déplacé, probablement avant la reconstruction du complexe au début de la période Tiwanaku V (Korpisaari 2006: 89). Certaines « tombes d’élite » pouvaient être réouvertes pour déplacer, vénérer et/ou conserver le corps. • Le deuxième est un ensemble de 14 corps partiellement ou complètement désarticulés, et placés dans une canalisation en pierre de taille. Korpisaari suggère qu’il s’agit d’offrandes sacrificielles de fondation effectuées également avant la reconstruction du complexe (2006: 89). Certaines « tombes sacrificielles » peuvent se caractériser par des rituels de démembrement postmortem et d’agencement dans l’espace. • Le troisième est un ensemble de 6 tombes découvertes dans les fondations d’une structure appartenant à la période de reconstruction du complexe du Putuni. Korpisaari suggère qu’il s’agit d’offrandes votives (2006: 89).
• Le carnivore pourrait éventuellement correspondre à un puma sacrifié. Celui-ci appartient à une offrande d’abandon rituelle de la pyramide (Manzanilla 1992). • Celui-ci a été l’objet d’une désarticulation intentionnelle: la tête du carnivore a été détachée du corps, comme celles de certains incensarios-puma que nous observerons dans les autres contextes de découvertes de la pyramide Akapana. Notons par ailleurs que les individus 4 (R-8) et 5 (R-9) ont des marques de morsures de carnivore (Knobloch 2013: 219), mais qu’il s’agit peut-être d’une intrusion tardive. (2) Sommet de la pyramide: Un secteur résidentiel d’habitations en forme de L a été mis au jour dans le secteur nord-ouest du sommet de la pyramide, au nord du patio semi-souterrain, mais qui pouvait avoir à l’origine une forme de U (Manzanilla 1992: 54). Ce secteur a en effet été en partie démantelé par les fouilles de la mission de Créqui-Montfort en 1903 (Alconini 1995: 115). Le complexe est constitué d’une juxtaposition d’au moins 11 habitations quadrangulaires de ± 4 m2 distribuées autour d’un patio pavé. Les murs sont formés d’une double rangée de pierres de taille (fondation), et l’élévation devait être en adobe (Manzanilla 1992: 54–55).
Nous avons malheureusement peu d’informations sur l’état de conservation des 6 individus découverts au sommet de la pyramide (1 + 5), mais la description de Manzanilla sur la position et l’orientation des corps montre que ceux-ci n’avaient pas été déplacés, et que les 5 « accompagnants » n’avaient a priori aucun mobilier funéraire (1992: 61–62). L’individu principal pourrait correspondre à la tombe d’un incensario-officiant. La présence des 5 autres individus est plus problématique, mais l’agencement illustre un évènement contemporain. Ils n’ont pas été démembrés et ne possèdent pas de mobilier associé. S’il s’agit d’accompagnants sacrificiels, il y avait probablement une différence de statut entre certains sacrifiés: les prisonniers (exogène) ou les « privilégiés » (endogène).
Un premier incensario-puma (A.1) a été découvert in situ dans les mains d’un individu d’âge adulte enterré en position fléchie (n° 1, R -30), face à 5 autres individus, sous le patio du complexe résidentiel (Manzanilla 1992: 61– 62, 68). Manzanilla et Woodard proposent qu’il s’agisse de la tombe d’un prêtre (1990: 137). D’après le dessin, il s’agit d’une tête de puma avec des yeux en amande et deux oreilles en applique (Fig. 39 /dr. in Manzanilla 1992: 68). Toutefois, d’après la photo de la tombe (Fig. 38 in Manzanilla 1992: 67), la tête n’a pas d’oreilles, mais une applique quadrangulaire autour du cou. Elle fait ± 10 cm sur 10 cm (sans l’applique). L’individu tient dans ses mains l’incensario-puma avec sa tête posée sur celle de la céramique (Manzanilla 1992: 68). Certains fragments de l’incensario ont été illustrés, notamment un fragment de bord festonné noir (Fig. 40 in Manzanilla 1992: 69). Le fond n’a pas été illustré, mais Manzanilla dit qu’il était « brûlé à l’intérieur » (1992: 62). Le mobilier associé cité par Manzanilla est: une vasija [cántaro] miniature (Fig. 41, 1992: 70), une cuillère en os et un pulidor en forme de S (Manzanilla 1992: 62). Alconini rajoute toutefois que des tessons de ollas, tinajas et de petites vasijas non décorées sont associé au contexte de découverte (1995: 143).
Ensuite, une offrande d’abandon a été mise au jour dans l’habitation n° 1 (R -11) du sommet de la pyramide, avec des offrandes disposées à l’intérieur et à l’extérieure de celle-ci. Les composantes de l’offrande sont positionnées et orientées dans l’espace, et la tête d’un incensariopuma (A.1) a été mis au jour « directement à l’extérieur de l’habitation », associée à « des outils en os, des pierres polies – jaspe, mica, silex – un fragment de métal en argent, et les restes d’une cántaro [vasija ?] et d’une céramique polychrome » (Manzanilla 1992: 61). Manzanilla propose que l’évènement se soit déroulé après le démantèlement des parties supérieures de la structure, car quelques ossements de camélidés débordaient partiellement sur les fondations des murs (1992: 55). La tête de l’incensario a donc été intentionnellement séparée du corps de la céramique, et posée à l’extérieur de l’habitation. Celle-ci possède une gueule entre-ouverte avec deux canines, des yeux en amandes et deux oreilles. La tête fait ± 7 cm sur 8 cm (sans les oreilles), et est donc plus petite que celle de l’incensarioofficiant. Il n’y a pas d’applique quadrangulaire (Fig. 31 in Manzanilla 1992: 62). Des fragments de sahumadores de type 6.4 de la variante d’Alconini (bords ondulés) font partie de l’assemblage céramique réparti dans les angles à l’intérieur de l’habitation (1995: 172, Fig. 67 b). Nous pensons qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence, et la tête d’incensario situé à l’extérieur et les bords ondulés
D’après Antti Korpisaari, la position de l’individu à l’incensario pourrait correspondre à une tombe d’élite (2006: 156), et la présence des 5 autres individus en face de celui-ci pourrait représenter des accompagnants sacrifiés (2006: 157). Trois exemples du complexe de Putuni illustrent la variabilité des contextes funéraires de Tiahuanaco. • Le premier est une tombe riche en mobilier funéraire, mais dans laquelle il n’y avait plus d’ossements humains. 186
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel (festons) situés à l’intérieur correspondent en réalité à la même céramique (incensario-puma de type A.1). Nous avons par conséquent le témoignage complet d’une pratique de fragmentation rituelle de l’incensario, avec la tête à l’extérieur et le reste de la céramique à l’intérieur. Nous observerons par la suite que cet exemple n’est pas atypique, et que d’autres têtes d’incensarios sont isolées, et placées à l’extérieur d’autres structures.
complexe résidentiel (Alconini 1995: 117, 123). Celle-ci est composée d’ossements de camélidés et de céramiques, dont au moins un incensario-puma (A.1). Nous avons en effet identifié 1 feston dans l’assemblage (Fig.51, in 1995: 140) qui d’après Knobloch appartient à la phase C [750 et 900 PCN] (2013: 221). L’offrande R -24 et certaines de l’arrecife de Khoa peuvent par conséquent être contemporaines. Nous avons par ailleurs déterminé que chaque incensario découvert à Khoa était probablement associé à une seule feuille de métal zoomorphe et des sacrifice de camélidés (chapitre 5). Nous n’avons identifié qu’un seul incensario-puma et une seule feuille zoomorphe en métal dans l’offrande R -24 associé à des ossements de camélidés. L’offrande R -24 a été réalisée lorsque le secteur d’habitation était encore en activité, car celle-ci était déposée à l’extérieur des murs des habitations, et non pas « partiellement sur les fondations » comme l’offrande R -11.
Deux échantillons 14C sont associés à cette offrande (Knobloch 2013: 221): INAH -972 daté de 776–1142 PCN (1σ) et 678–1212 PCN (2σ), et SMU-2473 datés de 994–1397 PCN (1σ) et 677–1620 PCN (2σ). Ces deux échantillons proviennent du même contexte et sont donc contemporains. Par conséquent, l’offrande n’est pas antérieure à 994 PCN et postérieure à 1142 PCN (1σ), ou elle n’est pas antérieure à 678 PCN et postérieure à 1212 PCN (2σ). Dans la première alternative (1σ), il s’agit d’une offrande d’abandon de la fin de la période Tiwanaku entre 1000 et 1150 PCN. Dans la seconde alternative (2σ), cette offrande peut correspondre à la période de transition TIV-V (abandon de la pyramide Akapana vers 800 PCN) ou à un abandon vers 1050–1150 PCN. D’un point de vue stratigraphique, Alconini date cette offrande de sa phase D (900–1150 PCN) (1995: 141). Au regard des mutations des paysages urbains des secteurs cérémoniels et résidentiels de Tiwanaku (chapitre 2), les démantèlements sont typiques de la période de transition vers 800 PCN. Toutefois, à l’inverse du complexe de Putuni, rien n’a été construit au-dessus du complexe résidentiel du sommet de l’Akapana, et cette offrande est donc probablement associée à une offrande d’abandon définitif à la fin de la période Tiwanaku. Un autre contexte corrobore cette interprétation: une offrande de 5 kg de coquillages marins du Pacifique a été découverte à proximité dans une US située juste au-dessus (Alconini 1995: 142). Il s’agit d’une offrande inca, car Janusek parle d’une figurine masculine taillée dans du coquillage marin (2003a: 73).
Une dernière offrande (R -18) de la phase C d’Alconini (750–900 PCN) a également été effectuée à l’extérieur du mur occidental, mais contre l’habitation n° 4 du complexe résidentiel (Alconini 1995: 121). Deux fragments de sahumador de type 6.4 de la variante d’Alconini, dont 1 feston (1995: 128, Fig.39), témoignent de la présence d’au moins un incensario-puma (A.1) supplémentaire ou appartenant au même exemplaire (fragmentation rituelle de l’incensario). Alconini confirme par ailleurs la présence de la variante 5.3 [6.4] « avec les bords ondulés, une base à piédestal et la présence de mica dans la pâte », et qu’il y a également des « sahumadores atypiques par la présence d’une couleur vert malachite […] post-cuisson. En général, cette couleur verte est utilisée pour démarquer les yeux des incensarios en forme de puma » (1995: 121– 122). Il y a donc des festons appartenant à des offrandes intermédiaires. Où sont les autres fragments et les têtes d’incensarios ? Au sud du complexe résidentiel que nous venons de décrire, deux édifices quadrangulaires situés en vis-à-vis, mais de chaque côté de la dépression de la structure semisouterraine, ont été fouillés: la sala sur et la sala norte. (Alconini 1995: 143–146). Un mur de contention séparait le secteur résidentiel de la salle nord, et Manzanilla suggère qu’il servait à séparer les activés domestiques des activités cérémonielles [autour du temple semi-souterrain] (Alconini 1995: 143).
Ensuite, une description de Manzanilla attire notre attention, car une « petite feuille d’argent en forme de puma représenté de profil » a été découverte dans l’offrande R -24 (Manzanilla 1992: 105). Nous n’avons malheureusement pas d’illustration, mais Johan Reinhard écrit la même année que trois feuilles d’or de puma/lama « similaires en taille et en conception [que celles qu’il a découvertes en janvier 1992 à l’arrecife de Khoa], bien que sans incisions, ont été mise au jour récemment près du temple Kalasasaya à Tiahuanaco » (1992: 737–738). Nous ignorons si Reinhard parle du même contexte de découverte, mais la présence de feuilles en métal précieux zoomorphes similaires à celles découvertes à l’arrecife de Khoa attire notre attention, car dans le cas de la pyramide Akapana, ce contexte de découvert (offrande R -24) est également associé à des incensarios.
Le matériel céramique de la salle nord est identique au style de celui de l’offrande R -18 que nous venons de décrire (avec des incensarios A.1), et Alconini propose que la construction du complexe résidentiel et des deux salles soit contemporaine et correspond au début de la période Tiwanaku V (1995: 145). De l’autre côté du sommet de la pyramide, deux têtes d’incensario-condor (C.1) ont été découvertes à l’extérieur de la salle sud (R -20), avec des fragments de ollas, tinajas, fuentes, et une vasija miniature qui contenait des pigments verts (Alconini 1995: 146). Les têtes de condors sont probablement creuses et possèdent une applique quadrangulaire autour du cou (Fig. 16 in
Cette dernière offrande (R-24) a été mise au jour à l’extérieur du mur occidental de l’habitation n° 8 du 187
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Manzanilla 1992: 49). Il y a par ailleurs de nombreuses zones brûlées à l’intérieur de la salle sud, et Alconini suggère qu’elle a servi à « brûler des matières organiques » [encenser] (1995: 146). Ce contexte est exceptionnel, car son analyse nous donne de nombreuses informations: (1) les têtes de condors sont isolées et ont probablement été l’objet d’une fragmentation rituelle à l’extérieur de l’édifice, (2) les têtes de pumas ont été découvertes dans le complexe résidentiel et les têtes de condors dans ces deux structures autour du patio semi-souterrain, (3) les têtes de condor sont associées à une vasija miniature, comme l’incensario-officiant R -30, (4) la céramique de type vasija contenait des pigments verts qui sont selon Alconini est typique de l’incensario (1995: 122) et probablement associée à la pratique d’offrande d’incensarios ou à la fonction de l’incensario-officiant, et (5) la salle nord a pour fonction « d’encenser » (Alconini 1995: 146).
celui de l’incensario (Janusek 1994: 106–107). Il s’agit d’un fragment de ± 4 cm de côté d’un bord festonné appartenant à un incensario-puma de petite taille avec des décors géométriques peints (Fig. 6.4 in Janusek 1994: 120). Ce contexte est recouvert par une seconde couche d’occupation et un petit monticule de débris dans lequel a été prélevé l’échantillon 14C SMU-2471 (Knobloch 2013: 214), daté de 572–768 PCN (1σ) et 439–880 PCN (2σ). En accord avec Knobloch, le feston est antérieur à cette date (2013: 214). Cette surface stérile « représente la création d’espaces sacrés appropriés à différents types de cérémonies ou d’offrandes rituelles » (Janusek 1994: 112). Par ailleurs, la surface intérieure de l’habitation n° 1 est constituée de bandes stériles orientées en diagonale avec une alternance de bandes jaunes (sable) et rouges (argile et limon). Il y avait ensuite de nombreuses fosses intrusives et des éclats d’ossements sur la seconde surface qui recouvrait l’incensario. D’après Janusek, ces éléments désignent une fonction rituelle et « l’idée de pureté suggère des cérémonies périodiques » (Janusek 1994: 106, 112). Ce contexte de découverte illustre une pratique d’offrande d’incensario pré-Tiwanaku. Nous observons déjà une pratique de fragmentation rituelle et le dépôt d’un fragment isolé à l’extérieur des structures. La tête et le reste de la céramique n’ont pas été découverts. Ce fragment est brûlé à l’intérieur et la céramique a donc été utilisée (Janusek 1994: 112, note 2).
L’échantillon 14C SMU-2336 est associé en contexte secondaire aux deux têtes d’incensarios-condor (Knobloch 2013: 221), et est daté de 686–967 PCN (1σ) et 630–1105 PCN (2σ). Il a été publié avec une datation conflictuelle en 2003, puis republié en 2013 (Knobloch 2013: 231, note 15). L’écart type 2σ est large, et peut théoriquement correspondre aux deux phases de la période Tiwanaku. En résumé, exclusivement pour la pyramide Akapana, nous avons recensé 11 incensarios (NMI), dont 1 incensario-puma zoomorphe (A.3), 5 incensarios-puma (A.1), 2 incensarios-condor (C.1) et 3 incensarios indéterminés (TIW), mais de base annulaire et forme hyperboloïde (C.1/C.3). Aucun incensario-lama n’a été découvert ou identifié (annexe 7.1).
Ensuite, dans le secteur AKE-2, différents fragments d’un « modeled incensario » ont été découverts à l’angle sud-ouest d’un complexe résidentiel domestique (Janusek 1994: 143). Ce complexe est composé d’une structure (habitation n° 1) avec des fondations en briques d’adobes, et d’un espace extérieur délimité au sud et à l’ouest par un long mur (Janusek 1994: 140–142). Trois niveaux de sol distincts sont documentés dans l’habitation n° 1 avec du matériel céramique daté de la fin de la période Tiwanaku IV et du début de la période Tiwanaku V (600– 900 PCN). Le second niveau de sol du patio extérieur est pavé de galets et donne sur l’entrée de l’habitation n° 1 (Janusek 1994: 142).
7.2.3. Akapana-East ( AKE ) La terminologie « Akapana-East » désigne un secteur résidentiel « domestique » situé à l’est de la pyramide Akapana, mais sans connexion directe. Il se caractérise par sa proximité du centre monumental et par différents planchers d’occupations bien conservés. Janusek distingue 2 secteurs de fouilles (Figure 7.1): le secteur AKE-1 est situé à l’intérieur du « fossé de l’enceinte cérémonielle », et a été fouillé entre 1988 et 1991 sur une superficie totale de 624 m2. Le secteur AKE-2 est un petit monticule situé plus à l’est à l’extérieur du « fossé de l’enceinte cérémonielle », et a été fouillé en 1990 sur une superficie de 176 m2 (Janusek 1994: 86, notes 3–4, Janusek 2004: 137–138). D’après Janusek, ces deux secteurs « offrent un aperçu des pratiques de la vie quotidienne, ainsi que les principales tendances de l’organisation spatiale, sociale et économique du centre urbain [de Tiahuanaco] » (Janusek 2004:138).
Le complexe résidentiel de l’habitation n° 1 est fort perturbé par des couches intrusives, mais Janusek a identifié un couloir étroit fermé à l’ouest par le mur de délimitation de l’espace extérieur et à l’est de celui-ci par un petit mur parallèle. Les fragments de type incensario ont été découverts sur le seuil d’entrée extérieur situé à l’extrémité sud-ouest de ce couloir (1994: 143). Par conséquent, les seuls fragments de céramiques appartenant à ce type de céramique ont été placés à l’endroit le plus stratégique du complexe: l’entrée. Il n’y a malheureusement pas de description détaillée ou de dessins de ces fragments. Toutefois, Janusek spécifie que ces fragments appartiennent à deux incensarios-puma différents (NMI), dont un avec des taches noires sur le corps (1994: 147). Janusek fait implicitement une distinction entre deux formes différentes, dont un incensario-puma zoomorphe
Le fragment d’un incensario-puma pré-Tiwanaku (a.1) a été mis au jour dans le secteur AKE-1 à l’extérieur de 3 structures en adobes. Il était positionné 2 cm audessus d’une surface préparée et constituée d’une couche homogène argilo-limoneuse rougeâtre (Figure 8.10/1). La particularité de ce contexte est que la surface est préparée et stérile, et que le seul artefact présent est 188
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel (A.3). Le second est un incensario indéterminé Tiwanaku (TIW). Les fragments ont été découverts sans le reste du corps de la céramique, dont la tête-effigie.
Khoa. Elles ont donc été intentionnellement importées et associées aux offrandes subaquatiques d’incensarios. Kolata suggère que « les architectes de l’Akapana ont sélectionné ces graviers [moraines] pour les inclure dans la structure, précisément à cause de leur symbolique puissante associée avec les montagnes sacrées du massif de Quimsachata [situées dans l’axe de l’Akapana] qui étaient des points de références spirituels importants […]. Ce gravier vert condense dans un seul matériau l’essence symbolique de deux éléments sacrés Tiwanaku: les montagnes et l’eau » (1993: 109). Dans cette interprétation, Kolata aborde le concept de paysage sacré. Dans cette perspective, la pyramide Akapana pourrait être une recréation anthropique symbolique d’une réalité naturelle qui permet notamment à l’élite de Tiwanaku de s’« approprier le sacré » (1993: 90, 109–111).
Cette information est cruciale, car que ce soit dans le secteur AKE-1 ou AKE-2, les têtes d’incensarios sont absentes. Ensuite, Janusek confirme que les « incensarios sont clairement associés avec les rituels domestiques » (1994: 213). La pratique d’offrande d’incensarios est donc attestée à la fois dans les espaces sacrés des structures cérémonielles monumentales et dans les espaces sacrés domestiques identifiables par la surface rituelle stérile. La différence est que les composantes les plus importantes de la céramique-effigie telle que la tête sont omniprésentes dans les structures cérémonielles (pyramide Akapana), alors que seuls les fragments « secondaires » sont présents en contexte domestique (secteurs AKE-1 et AKE-2). Dans cette perspective, tous les fragments étaient conservés, mais pouvaient être parfois déposés en offrandes dans des espaces éloignés, et de statut différent. Nous pensons que la pratique de fragmentation rituelle de l’incensario que nous identifions a pu également générer les difficultés d’identification de cette forme dans d’autres contextes archéologiques du bassin lacustre.
7.2.4. Mollo Kontu Mollo Kontu est un complexe cérémoniel et résidentiel situé à ± 200 m au sud de la pyramide Akapana (Figure 7.1). Il est donc « physiquement et symboliquement séparé des structures monumentales principales du site [de Tiahuanaco] […] » (Couture 2003: 202). Mollo Konto signifie en aymara le « monticule des pierres blanches »: celui-ci fait ± 40 sur 50 m, et est entouré d’un large fossé qui selon Nicole Couture « a probablement servi comme frontière rituelle pour délimiter le monticule en tant qu’espace sacré » (2003: 202).
Enfin, les derniers exemplaires proviennent du sondage V effectué par Bennett en 1934. Il localise ce sondage à 126 m à l’est de la pyramide Akapana, au sud de la « maqueta » [Kantatallita], et à l’intérieur du « fossé de l’enceinte cérémonielle » (1956: 28, Fig.1). Celui-ci est toutefois un peu plus à l’ouest que le secteur AKE-1 de Janusek, et donc plus proche de la pyramide. Il a découvert des oreilles de pumas modelés dans les unités stratigraphiques US2 et US3 (1956: 82). Nous avons donc au moins un incensariopuma indéterminé (A) (NMI). L’US2 est situé entre 50 et 100 cm de profondeur, et l’US3 est situé entre 100 et 150 cm de profondeur (Bennett 1956: 28). À la base de l’US2, il y a un niveau constitué d’argile compacte à 100 cm de profondeur, avec dans l’angle sud-est un regroupement de pierres brutes de couleur verte (Bennett 1956: 28). Et à la jonction de l’US2/US3, juste en dessous de cette couche d’argile, il y a une petite plate-forme [autel ?] constituée de deux pierres plates posées sur deux petites pierres, et sans doute de configuration intentionnelle (Bennett 1958: 28–29). Dans l’US4, Bennet a localisé une canalisation de pierres de taille (1958: 29).
Le secteur de « Mollo Kontu South » est situé au pied du monticule, et illustre trois phases d’occupation résidentielle distinctes datées de la période Tiwanaku (Couture 2003: 203–210). Un fragment d’incensario indéterminé (TIW) a été identifié dans l’assemblage céramique de la seconde occupation datée de la période de transition Tiwanaku IV-Tiwanaku V (Couture 2003: 205, 210, table 8.6). Les fouilles effectuées entre 1990 et 1991 sur le second niveau de sol du complexe résidentiel occidental ont révélé un espace extérieur (patio ?), avec des zones de comblement (Couture 2003: 2006). Le tesson d’incensario vient de ce secteur, et représente seulement 0,1 % de l’assemblage céramique total de la seconde occupation (Table 8.3 in Couture 2003: 210). Le plus intéressant est qu’aucun fragment d’incensario n’a été localisé dans la première occupation (Tiwanaku IV), ni dans la troisième occupation (Tiwanaku V), mais dans l’occupation intermédiaire (Tiwanaku IV-V), et dans un espace extérieur. Il pourrait être associé à un geste rituel caractéristique de cette période de crise. Dans les 3 niveaux, 208 fragments de sahumadores ont été inventoriés (Table 8.5 in Couture 2003: 215). Il est donc possible que certains fragments d’incensarios n’aient pas été identifiés.
L’association de fragments d’incensario avec un lot ou une couche de couleur verte, et qui scelle un potentiel autel à offrandes, est intéressante. Premièrement, ces petites pierres vertes sont présentes sur la pyramide Akapana: Alan Kolata les identifie comme étant des résidus d’érosions [moraines] provenant des montages de Quimsachata et Chila situées juste au sud de Tiahuanaco (1993: 109, 111). Ensuite, ces petites pierres vertes scellent la couche d’abandon du complexe de Putuni et serviront de fondation aux nouvelles structures construites au début de la période Tiwanaku V (Couture et Sampeck 2003: 248). Enfin, ces moraines vertes sont également présentes à l’arrecife de
Un autre fragment d’incensario indéterminé (TIW) a été identifié, mais dans le secteur de « Mollo Kontu Mound ». Aucune structure architecturale n’a été découverte au sommet du monticule, et Couture suggère qu’il pouvait y avoir des structures temporaires. Le fragment d’incensario 189
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie fragments de céramiques étaient éparpillés sur celle-ci, dont « la partie d’un sahumerio non décoré » associé à un fragment d’une vasija pequeña (miniature) décorée d’une tête zoomorphe stylisée de couleurs blanche et noire (Couture 2002: 8–9).
a été identifié dans l’assemblage provenant d’un des 3 évènements de comblement identifiés au sommet par Nicole Couture (2003: 212–213). Ces couches sont caractérisées par une densité importante d’artefacts de quartz et d’obsidienne qui représentent entre 5 et 10 % de l’assemblage matériel par unité stratigraphique (Couture 2003: 215). Le monticule de Mollo Kontu a-t-il une fonction cérémonielle ? La faible densité d’incensarios dans ce secteur pourrait refléter des offrandes isolées, car l’omniprésence de quartz et d’obsidienne démontre que Mollo Kontu est avant tout un secteur d’activité spécialisé.
L’emploi du terme sahumerio désigne généralement dans la littérature de langue espagnole l’incensario, et est utilisé par exemple par Eduardo Pareja dans son analyse des offrandes subaquatique de l’arrecife de Khoa provenant des missions de 1988 à 1992 (1992: 583–706). Toutefois, Couture utilisera 3 ans plus tard le terme de sahumador dans une autre publication pour parler du même contexte (2003: 232). Dans le cas présent, nous pensons qu’il s’agit bien d’un fragment de sahumador pré-Tiwanaku, mais qui peut s’apparenter à une variante « d’offrande pré-incensario ». L’association entre les incensarios et les vasijas miniatures est en effet régulièrement attestée, notamment à la pyramide Akapana ou à Lukurmata.
7.2.5. Putuni Le Putuni est un complexe cérémoniel et résidentiel d’élite composé d’un secteur d’habitations et d’une plate-forme surélevée autour d’un patio central. Il se trouve au cœur de la planification cérémonielle monumentale de Tiahuanaco, à l’ouest du Kalasasaya et au nord-ouest de la pyramide Akapana (Figure 7.1). Les proportions de la plate-forme limitent les activités cérémonielles à un groupe restreint, et la présence du secteur résidentiel donne « l’opportunité d’étudier à la fois le domaine public et privé du quotidien de l’élite de Tiahuanaco » (Couture et Sampeck 2003: 226).
Une offrande «pré-incensario» a été découverte en 2004– 2005 dans une autre vallée du bassin lacustre à 50 cm à l’extérieure des murs de fondation d’une plate-forme de Khonkho Wankane (Janusek et Plaza 2006: 113, 124– 125, Fig. 16). L’offrande est composée d’un sahumador complet non décoré, d’une olla miniature [vasija], d’un fœtus de lama et d’un enfant humain. La variabilité des terminologies utilisées pour cette céramique miniature à travers les différentes publications complique également son identification, mais celle de Khonkho Wankane (Fig. 16 in Janusek et Plaza 2006: 124) est identique à la vasija miniature découverte dans la tombe de l’incensarioofficiant (R-30) au sommet de la pyramide Akapana. Les « offrandes pré-incensarios » peuvent se caractériser par une expérimentation des formes et des assemblages dans un contexte culturel d’apparition progressive de l’incensario Tiwanaku.
Dans le domaine de l’archéologie, le complexe de Putuni est le principal contexte de découverte qui a permis d’affiner les séquences chronologiques de la période Tiwanaku (chapitre 2). Les fouilles de 1999– 2000 documentent en effet trois périodes d’occupations distinctes du secteur résidentiel: la période pré-Tiwanaku (Tiwanaku III ou LF2), la période Tiwanaku IV et la période Tiwanaku V (Couture et Sampeck 2003: 228– 259). Celles-ci sont clairement délimitées par différentes couches stratigraphiques d’abandon et/ou de fondation, et les datations sont complétées par des échantillons 14 C. La plate-forme monumentale est malheureusement mal conservée, car elle a été démantelée pour ses pierres dès le 16e siècle et a été fouillée intensivement en 1903 par la mission de Créqui-Montfort. Il est possible que certains fragments des 15 incensarios (NMI) appartenant à cette mission, et que nous avons analysés au MQB, proviennent de ce secteur (annexe 6.1).
Ensuite, aucun témoignage d’incensario n’a été découvert dans l’assemblage céramique appartenant à l’occupation du complexe résidentiel de la période Tiwanaku IV. Dès la période de transition suivante, le Putuni est démantelé et recouvert en entier par une épaisse couche de gravier verdâtre (période de crise TIV-TV). Couture et Sampeck proposent que cette couche ait pour fonction de stabiliser les fondations du futur complexe architecture (2003: 248), mais l’analogie avec d’autres secteurs indique que celle-ci participait à la performance rituelle.
L’occupation la plus ancienne du complexe du Putuni date de la période pré-Tiwanaku (Tiwanaku III/ LF2). Cette occupation est documentée par l’échantillon 14C OS11306 (Couture et Sampeck 2003: 230), daté de 531–588 PCN (1σ) et 468–630 PCN (2σ). Celui-ci est associé à une couche de transition (Clay Platform Structure), car l’assemblage céramique pré-Tiwanaku de ce contexte voit l’apparition des premières formes de style Tiwanaku (Couture et Sampeck 2003: 231). La période préTiwanaku n’est donc pas postérieure à 588 PCN (1σ) ou 630 PCN (2σ) (Delaere 2009: 60–82). Un autre contexte pré-Tiwanaku, publié dans le rapport de fouilles de 2000, attire notre attention: une surface compacte marquée par les intempéries a été identifiée 150 cm de profondeur, et appartenait à une surface extérieure (patio). Quelques
Directement à l’ouest de la plate-forme, un nouveau complexe résidentiel est construit sur cette couche d’abandon au début de la période Tiwanaku V. Il s’agit de différentes structures organisées autour d’un large patio extérieur, dont le « palais occidental » et le « palais des pièces multicolores » (Couture et Sampeck 2003: 251). Ce dernier fait 22 m de long sur 6 m de large, et doit son nom aux pigments de couleurs rouge, jaune, orange, vert et bleu qui recouvraient les briques en adobe, et qui ont été repeints plusieurs fois. La surface du palais était relativement stérile, et les quelques objets découverts sur 190
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel le sol sont des objets d’apparat, dont un collier en lapislazuli (Couture et Sampeck 2003: 251–254).
au SMB (Figure 6.7 /3). Le complexe du Kheri Kala est d’après Sampeck contemporain de l’occupation Tiwanaku IV du complexe du Putuni, car il était partiellement recouvert par la même couche de fondation rituelle de la période Tiwanaku V documentée au Putuni (Couture et Sampeck 2003: 244). L’incensario-puma de type A.1.3 est probablement un exemplaire de la période Tiwanaku IV.
Ce matériau est rare, et attire notre attention, car un pendentif en forme de puma en lapis-lazuli a été découvert à l’arrecife de Khoa en 2013 (chapitre 5). Ensuite, 4 petites fosses contenant du matériel céramique peint et des ossements d’animaux ont été découvertes en dessous du niveau du sol, et documentent des évènements particuliers « privés » à l’intérieur de l’édifice. Des fragments d’au minimum un incensario indéterminé (TIW) représentent moins d’1 % de l’assemblage céramique de ces évènements (Couture et Sampeck 2003: 255).
7.2.7. Chunchukala Le Chunchukala est une structure située directement au nord du complexe de Putuni (Figure 7.1). Sa forme, sa fonction et sa période d’utilisation sont inconnues. Styg Rydén a effectué son sondage n°1 dans ce secteur (pit I) entre 1938 et 1939, à ± 10 m au nord d’un petit monticule situé au niveau du mur septentrional du Kalasasaya (Rydén 1946: 7, 16). Dans l’US1 (0–75 cm de profondeur), Rydén a identifié un fragment d’une tête d’un incensario-puma (A.1) (Fig. 2 in Rydén 1947: 19). Il indique par ailleurs qu’un fragment de «base à piédestal avec des décorations noires » a été découvert dans cette couche (1947: 20).
En conclusion, le complexe de Putuni se caractérise par l’absence quasi complète de l’objet incensario. En comparaison, nous avons identifié au moins 6 incensarios (NMI) avec les composantes les plus importantes – les têtes – dans le secteur résidentiel du sommet de la pyramide Akapana. Nous pensons que cette différence peut refléter une distinction de statut entre une classe d’élite religieuse (pouvoir spirituel) et une classe d’élite dirigeante (pouvoir temporel). Les seuls fragments d’incensarios du Putuni appartiennent à une couche de transition et à des fosses appartenant à des évènements ponctuels. L’incensarioofficiant y était-il convié ?
7.2.8. Kalasasaya La plate-forme du Kalasasaya est l’une des grandes structures monumentales du noyau cérémoniel de Tiahuanaco. Elle est située au nord de la pyramide Akapana, à l’est des complexes de Putuni et de Chunchukala, et à l’ouest du Temple semi-souterrain (Figure 7.1). La plate-forme fait ± 129 m de long (ouest-est) et 120 m de large (Escalante 1997: 173). Le Kalasasaya a été fouillé et restauré entre 1965 et 1973 (Kolata et Ponce 2003: 28). Un patio central, sans doute délimité par des petits murs de contention, était situé dans la partie orientale de la structure (Seddon 2013: 126–127). Ce complexe se distingue principalement par ses murs monolithiques et sa superficie de 15 480 m2. Il pouvait être le cadre de cérémonies publiques à grande échelle.
Trois échantillons 14C sont associés au « palais des chambres multicolores » (Couture et Sampeck 2003: 255): l’échantillon SMU-2465 est daté de 897–1026 PCN (1σ) et 880–1144 PCN (2σ), l’échantillon SMU-2466 est daté de 861–992 PCN (1σ) et 770–1020 PCN (2σ), et l’échantillon SMU-2467 est daté de 893–1016 PCN (1σ) et 773–1130 PCN (2σ). Ces trois échantillons proviennent de la même tombe (18F), et sont donc contemporains. Cette inhumation de la phase TV n’est donc pas antérieure à 897 PCN (1σ) ou 880 PCN (2σ), et n’est pas postérieure à 992 PCN (1σ) ou 1020 PCN (2σ). 7.2.6. Kheri Kala
Le rapport de fouilles n’a malheureusement jamais été publié. Toutefois, un contexte funéraire décrit en 1976 dans une étude sur la « céramique de l’époque I de Tiwanaku » attire notre attention: un « intéressant exemplaire de céramique brûlée » était posé au-dessus de la tombe d’un individu masculin adulte enterré avec son mobilier funéraire (Ponce 1976: 7).Nous constaterons par la suite que cette pratique est également documentée à Lukurmata, mais avec des exemplaires d’incensarios posés sur la tombe.
Le Kheri Kala est un grand et large complexe d’élite mesurant ± 50 m (Nord-sud) sur 75 m (ouest-est), situé directement à l’ouest du complexe du Putuni (Figure 7.1). Les fouilles effectuées entre 1974 et 1976 ont révélé une série de petites pièces construites avec des pierres en andésite et des fondations en arenisca, réparties autour d’un large patio extérieur (Couture et Sampeck 2003: 244). Hugo Boero illustre un fragment de tête d’incensariopuma (A) qui a été découvert dans ce secteur à 40 cm de profondeur (1980: 292). Nous n’avons malheureusement pas plus d’information, mais la tête correspond à la variante de type A.1.3 (Fig. in Boero 1980: 293): l’arrière paraît concave, ce qui est typique des têtes-feston, et possède deux yeux globuleux et deux oreilles appliquées au-dessus.
Ensuite, deux fragments d’incensarios provenant des fouilles de Théodore Ber sont conservés au MQB, dont un incensario-puma complet (A.1) et un fragment de queue creuse typique de la forme A.1 (annexe 6.1). Ber a réalisé des sondages en 1876 au niveau des murs monolithiques du Kalasasaya, probablement dans la partie occidentale (archives MQB). La présence éventuelle de fragments d’incensarios au pied du Kalasasaya attire notre attention,
La morphologie de la tête de cet incensario est en effet identique aux exemplaires 71.1911.21.146 et 71.1946.7.9 conservés au MQB, et l’exemplaire VA.64591 conservé 191
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie car Bennett en a découvert au pied de la structure « Kalasasaya » à Lukurmata (Bennett 1936: 484).
203). L’incensario a participé à ce processus de formation culturelle et restera un critère identitaire important dans l’histoire de Tiwanaku.
Un dernier contexte exceptionnel documente une pratique d’offrande d’incensarios. Des fragments de bords festonnés appartenant à 4 incensarios distincts ont été découverts en 1984 dans le sondage KN-I (Arellano 1991: 270). Ce sondage se trouve à ± 10 m au nord-est du Kalasasaya (Kalasasaya Nord), à l’extérieur du complexe, dans un secteur où une stèle Yaya-Mama venait d’être découverte (Arellano 1991: 269, 271). Quatre unités stratigraphiques ont été documentées: l’US-2 et l’US-3 contenaient du matériel céramique et des perles en sodalite, et le piédestal de la stèle a été découvert dans l’US-4 avec une tête en pierre en arenisca (grès rouge) et un fragment de crâne humain. Les fragments d’incensarios proviennent de l’US3 (Arellano 1991: 271, 273).
Le concept de tradition Yaya-Mama a été développé par Chávez et Mohr Chávez (Stanish 2001a: 202). Karen Mohr Chávez écrit en 2001 que les habitants du bassin lacustre « partagent une idéologie commune qui se traduit par l’organisation de cérémonies publiques conduites dans des Temples semi-souterrains. Ces sanctuaires constituent la première preuve tangible d’architecture publique de cette région, mais reprennent certains traits culturels -notamment d’architecture monumentale, le terre-plein en forme de U, le culte du félin – d’autres régions andines » (Mohr Chávez 2001: 25, en français dans le texte). Dans le cadre de la problématique du « culte des stèles », Louis Girault a effectué deux observations sur les Kallawayas. Cette source ethnographique nous intéresse, car d’après L. Stark, le Machay Jujay parlé par ces derniers est une langue hybride forgée à partir d’un lexique à prédominance pukina et d’une syntaxe quechua (Girault 1984: 37).
Nous n’avons malheureusement pas de descriptions, mais les 4 fragments sont illustrés (Fig. 28 /A-B-C-D in Arellano 1991: 270). Nous constatons que les fragments A et B appartiennent à 2 incensarios-puma pré-Tiwanaku (a.1) distincts, le fragment C appartint à un incensariopuma Tiwanaku (A.1), et le fragment D est un incensariopuma indéterminé (a.1), mais probablement de la période pré-Tiwanaku.
D’après Thérèse Bouysse-Cassagne, les habitants de la culture Tiahuanaco parlaient le pukina (2011: 283–285). Pour ces cultures sans écriture, la tradition orale est importante, et nous pensons que les Kallawayas pourraient être actuellement les derniers dépositaires (les Urus ont disparu au milieu de 20e siècle) d’une tradition préinca métissée, et que certaines pratiques et composantes narratives de ce groupe ethnique aient une ascendance ancienne (Chapitre 9).
Les deux premiers sont perforés et possèdent des motifs géométriques (peints et/ou incisés) caractéristiques de la période pré-Tiwanaku. Le fragment B est par ailleurs identique à celui découvert sur la couche stérile dans le secteur Akapana-East 1 (AKE-1) (Fig. 6.4 in Janusek 1994: 120), et date bien de cette période. Le troisième est perforé et peint d’un motif de style Tiwanaku: on perçoit un fragment d’un motif en escalier, alors que les figures peintes des incensarios pré-Tiwanaku sont courbes. Il pourrait toutefois appartenir à la période de transition préTiwanaku/Tiwanaku. Le dernier n’a pas de décoration, mais « semble » avoir des incisions verticales sur le feston.
Les Kallawayas vivent dans le bassin versant oriental du lac Titicaca, et se caractérisent par leur isolement et leur maîtrise des plantes médicinales dans leur pratique de médecins itinérants. Leur tradition orale est donc puissante, transmise de génération en génération pour leur fonction, et Louis Girault a transcrit leurs connaissances sur les plantes. Deux essences en particulier sont intéressantes: la première est une résine suintante de l’arbuste Pukullu (en kallawaya) ou Aku Wayaka (en aymara), et qui « en brûlant […], sert comme offrande aux divinités autochtones, aux esprits des ancêtres et à la déesse terre » (Girault 1984: 250). Il cite également le chroniqueur Murua (1590), mais à propos d’une pratique inca: « Ils ont aussi des arbres d’où sort une liqueur comme du lait, et qui devient comme une gomme, employée pour encenser leurs idoles » (Girault 1984: 250).
Ce contexte de découverte est exceptionnel, car il associe directement la pratique d’offrande d’incensarios préTiwanaku avec une stèle Yaya-Mama. Les fragments ont été découverts dans l’US3, donc presque au niveau du sol originel, et documentent une pratique de fragmentation. Or, les incensarios pré-Tiwanaku représentent exclusivement le puma. Cette représentation s’est diversifiée durant la période Tiwanaku (lama et condor), mais le félin est bien un thème central dans l’apparition de la pratique d’offrande d’incensario. En parallèle, les stèles YayaMama sont les témoins matériels les plus éloquents de la tradition Yaya-Mama qui « représente l’apparition d’une nouvelle idéologie de l’élite associée à un changement profond de la structure sociale et politique de la société du bassin lacustre du Titicaca: c’est le développement de la hiérarchisation » (Stanish 2001a: 203). Pour Stanish, cette tradition a eu un rôle décisif dans la formation de l’état Tiwanaku grâce au contrôle de l’idéologie par une élite (2001a: 201), contrôle qui se reflète par l’apparition d’une iconographie surnaturelle et un « kit rituel » (2001a:
La seconde essence est une petite plante qui s’appelle Wira Koya (en kallawaya) et Wira Khoa (en aymara), et qui est une espèce qui pousse à 4000 m d’altitude (Girault 1984: 487). Girault indique que cette « plante s’emploie également dans bon nombre de pratiques magiques et religieuses sous forme d’offrandes et de fumigations » (1984: 487). Elle est notamment utilisée pour fabriquer une amulette avec « […] une feuille d’argent et une feuille d’or, des morceaux de graisse de lama, […] », et dont les pouvoirs « concernent également les travaux agricoles de toute sorte, la bonne reproduction du bétail et sa protection » 192
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel (1984: 561). Celle-ci est d’autant plus intéressante, car elle pousse également en bordure du lac Titicaca — nous en avons observé dans la région du détroit de Tiquina — et que d’un point de vue étymologique, la racine Koya ou Khoa est identique au toponyme de l’arrecife de Khoa où nous avons découvert à la fois des incensarios, des ossements de lama, et des offrandes en métal dont l’alliage est composé majoritairement d’argent et d’or.
variante a été découverte dans les couches anciennes, et est donc probablement exclusive à la phase Tiwanaku IV (500–800 PCN). Ensuite, 6 fragments ont été identifiés dans la couche supérieure (US2), dont 2 bords et 1 fond de céramique (Girault 1990: 39). Nous identifions au moins un incensario-puma (A.1). Un feston décoré d’une tête trophée est en effet illustré (Fig. n° 23 in Girault 1990: 215), et provient du sondage I.15 (1990: 214). D’après le plan topographique publié par Ponce (1964: 49, Lamina IV), ce sondage est situé au niveau du mur septentrional du Temple.
7.2.9. Temple semi-souterrain Le Temple semi-souterrain est une structure caractéristique de la tradition Yaya-Mama pré-Tiwanaku. Celui de Tiahuanaco est de forme quadrangulaire de ± 28,5 sur 26 m, avec un escalier monumental au sud (Ponce 1964: 44) (Figure 2.5, chapitre 2).
Enfin, le fragment de l’US1 et les 3 autres de l’US2b ne sont ni illustrés ni contextualisés. Girault indique par ailleurs que certains fragments de bord appartiennent à l’applique quadrangulaire qui sépare la tête de condor ou de puma du reste du corps (Girault 1990: 101). Aucune tête d’incensario-condor n’a été découverte au Temple semisouterrain. Ces appliques appartiennent probablement à un incensario-puma (A.1).
Cette configuration n’est pas un héritage direct de sa première phase de construction (pré-Tiwanaku), car le Temple a été démantelé et reconstruit ultérieurement au début de la période Tiwanaku IV (Janusek 2004: 108– 109). D’après une estimation d’Alexei Vranich, les stèles du Temple semi-souterrain ont été enterrées durant la campagne d’extirpation d’idolâtrie entre 1549 et 1610, mais étaient à l’origine érigées verticalement (1990: 40). Elles ont été redécouvertes par Bennett en 1932 et sont au nombre de 3: une stèle Tiwanaku monumentale de 7,3 m de haut, et 2 petites stèles de 2,5 m et de 1,5 m de haut (1956: 101–121). Ces deux dernières correspondent aux n° 15 et n° 14 (Ponce 1964: 24–25, 52), et sont de style YayaMama. La présence de stèles « anciennes » aux côtés de la stèle Tiwanaku prouve que celles-ci étaient conservées et toujours actives dans l’histoire de l’occupation Tiwanaku. Les incensarios découverts au pied de la stèle Yaya-Mama du Kalasasaya Nord justifient notre choix d’intégrer les incensarios pré-Tiwanaku dans notre analyse.
Il est intéressant de constater que les deux fragments associés au registre archéologique ne proviennent pas du centre du temple, mais des sondages effectués au niveau des murs latéraux. Par ailleurs, le sondage VII de Bennett correspond aux stèles du Temple semi-souterrain, et il n’a découvert aucun incensario (1956: 37–39). Les stèles ont toutefois été enterrées à la fin du 16e siècle et il s’agit d’un contexte secondaire. Par conséquent, nous ignorons si la configuration de la stèle Yaya-Mama du secteur Akapana Nord pourrait être appliquée dans cette situation. 7.2.10. Ch’ iji Jawira Le secteur de Ch’ iji Jawira est un secteur d’activités spécialisées dans la production de la céramique, situé à un peu plus de 1 km à l’est de la pyramide Akapana, et à ± 500 m à l’est du secteur Akapana-east 2 (AKE-2) (Figure 7.1). Il couvre une superficie de 6 hectares répartie autour d’un petit monticule, et est recouvert de débris de céramiques liées à sa production (Rivera 2003: 297). Par ordre décroissant, les fouilles effectuées entre 1990 et 1991 ont révélé une production de (1) tinajas, (2) tazones, cuencos, keros, (3) ollas, (4) cuencos de grande taille et fuentes et (5) sahumadores et incensarios (Rivera 2003: 296, 310). D’après Rivera, la communauté de Ch’ iji Jawira était organisée de « manière autonome, en dehors de toute intervention directe ou de contrôle de la part de l’élite » (Rivera 2003: 311).
Louis Girault a identifié 11 fragments d’incensarios dans l’assemblage céramique (1990: 39). D’après les coupes publiées par Ponce (1964: 65, Lamina VI), les fouilles effectuées en 1960 ont documenté trois unités stratigraphiques continues: US1, US2 et US3. L’US2b correspond aux couches de remblais effectuées après les fouilles de Courty (1903) et de Bennett (1932). Au niveau quantitatif, 1 fragment provient de l’US1, 6 fragments de l’US2, 1 fragment de l’US3 et 3 fragments sont décontextualisés (US2b) (Girault 1990: 39). Un seul fragment a donc été identifié dans la couche la plus profonde (US3): il s’agît d’un incensario-puma de la variante (A.1.3) qui se caractérise par l’absence d’une queue modelée, mais par la présence d’une petite anse à l’arrière (Fig. n° 152 in Girault 1990: 215). Celui-ci provient du sondage I.11 (Girault 1990: 216), qui d’après le plan topographique publié par Ponce (1964: 49, Lamina IV), est situé au pied du mur méridional juste à l’est de l’escalier monumental. L’US3 documente la fondation des murs du Temple de la période Tiwanaku IV (niveau de sol et sub-sol). Cette information est cruciale, car pour la troisième fois, après le Pumapunku et le Keri-Kala, cette
Rivera suggère que des incensarios ont pu être produits dans ce secteur d’activités spécialisées. Trois fragments de moules ayant l’empreinte partielle d’une tête zoomorphe ont en effet été découverts associés à des débris de production (2003: 308). Ceux-ci ont pu être utilisés dans la production de petites céramiques, mais aussi dans le façonnage de petites composantes modelées anthropomorphes et zoomorphes, appliquées sur les keros 193
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 7.2. L’incensario et le bassin méridional du lac Titicaca.
la phase suivante (800–1150 PNC). Or, « la présence d’une architecture et d’artefacts de type rituel dans le bassin lacustre n’est pas simplement le résultat de l’expansion d’un culte – sans composantes politiques – mais indique que le rituel joue en réalité un rôle clef dans la transformation politique […] » (Bandy 2013: 113–114).
et les incensarios (Rivera 2003: 308). Rivera nuance toutefois son propos en disant que « bien qu’il y en ait en petites quantités, il n’y a pas de preuve directe que les récipients de céramiques rituelles somptuaires ou fines ont été produits ici » (2003: 310). Par conséquent, ces moules correspondent-ils à la production des appliques modelées d’incensarios-puma ?
7.3.1. Lukurmata
7.3. L’incensario et les espaces rituels du bassin lacustre (300–1050 PCN)
Lukurmata est la seconde urbanisation Tiwanaku la plus dense du bassin lacustre méridional. Le centre est doté d’un centre cérémoniel monumental, de secteurs résidentiels et d’espaces d’activités spécialisés. Le complexe monumental est érigé sur une élévation à la jonction entre la vallée du bassin versant Katari et la péninsule de Taraco, à seulement 13 km de Tiahuanaco à vol d’oiseau. Le site se trouve actuellement au bord du lac Titicaca, mais nous avons déterminé que Lukurmata était en réalité bordé d’une vaste plaine agricole exploitée par l’homme durant la période la période Tiwanaku (Chapitre 4). Nous avons constaté la présence d’incensarios dans de nombreux secteurs distincts du site. Ceux-ci permettent de donner un aperçu représentatif de la variabilité des espaces associés à la pratique d’offrandes d’incensarios ou celle des gestes rituels de l’incensario-officiant: (1) les espaces monumentaux cérémoniels, (2) les espaces ouverts non aménagés, (3), les espaces funéraires, (4) les espaces de productions spécialisés, (5) et les espaces d’exploitation agricole.
Après l’analyse des contextes de découvertes d’incensarios du site éponyme de Tiahuanaco, nous proposons de recenser ceux qui ont été mis au jour dans d’autres régions du bassin lacustre: le site de Lukurmata (7.3.1), la péninsule de Taraco (7.3.2), le bassin du Desaguadero (7.3.3), l’île Pariti (7.3.4), l’île du Soleil (7.3.5), l’île de la Lune ou Coati (7.3.6), et dans le bassin lacustre septentrional (7.3.7) (Figure 7.2, [partie méridionale]). Un tiers des incensarios illustrés par la littérature scientifique proviennent toutefois du site de Lukurmata situé dans la vallée de Katari. Cette particularité a été l’une des raisons qui ont motivé Janusek à déterminer que cette céramiqueeffigie « représente une expression créative régionale cérémonielle du style céramique Tiwanaku» dans cette partie du bassin lacustre (2003a: 71). L’approche « extra-capitale » permet d’aborder la potentielle variabilité régionale des formes de l’incensario et des pratiques rituelles, notamment entre les sites de Tiahuanaco et de Lukurmata. Le degré d’interaction entre les régions du bassin lacustre est en effet l’une des problématiques de la culture Tiwanaku (chapitre 2). Certains centres civico-cérémoniels possédaient une semi-autonomie durant la phase TIV (500–800 PCN), mais la hiérarchisation de la société s’accentuera durant
(1) La plate-forme de type « Kalasasaya » La plate-forme de K’ atupata fait partie du complexe civico-cérémoniel Willakolu de Lukurmata (Janusek 2004: 168). La configuration de type « kalasasaya » est similaire à celle documentée à Tiahuanaco, Pajchiri, Khonko 194
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel Wankané et Santiago de Oje (Kolata 1993: 103). Il y a en réalité deux plates-formes: une première sur laquelle est construit le Temple semi-souterrain, et la seconde de type « Kalasasaya » dont la façade orientale est située à ± 30 m à l’ouest du Temple semi-souterrain, comme à Tiahuanaco (Fig. 6.2 /B in Janusek 2004: 172).
de la tête. Ce collier est identique à celui que nous avons analysé sur un incensario-puma zoomorphe provenant de « Sampaya-Copacabana » et conservé au SMB (VA.11692, annexe 6.1). Le deuxième est un ensemble de fragments d’incensario-puma (A.1) qui possèdent deux particularités: un appendice situé en dessous de la queue-effigie verticale creuse et des décorations caractéristiques de la « robe du félin ». D’un point de vie morphologique, ce dernier est identique à un autre exemplaire provenant du même site et illustré par Janusek (2004: 191, Fig. 6.7) (Figure 8.6/3). Le dernier correspond au fond d’un incensario à base annulaire (TIW).
Bennett a découvert en 1934 trois offrandes votives au pied de la façade orientale constituée de blocs monolithiques en andésite (Secteur B). Les deux premières ont été localisées à 50 cm de profondeur au sud et à l’est de ce mur, et sont chacune constituées d’un « puma bowl » ou incensariopuma (A) fragmentaire. La troisième a été localisée à 80 cm de profondeur à l’ouest du mur, mais à l’extérieur de la partie septentrionale de la plate-forme. Cette dernière est constituée de 3 incensarios-puma (A) « cassés » associés à un kero noir (Bennett 1936: 484 ; Fig. 36). Des ossements de lamas, un fragment de tupu, et un autre kero noir avec de l’oxyde de cuivre à l’intérieur [de couleur verte] ont été découverts à proximité des trois derniers incensarios (Bennett 1936: 484–485).
Bennett indique qu’« aucun bol complet n’a été découvert » et que des « puma-bowls ont été découverts en nombreux morceaux le long du mur de façade de la terrasse B et dans certaines fosses à l’extérieur du monticule » (1936: 492). Les 3 incensarios-puma (A.1) conservés au AMNH sont étiquetés « Lucurmata Temple », et proviennent donc d’un des 6 contextes que nous venons de décrire. Bennett fait une description sélective du matériel découvert, et mélange probablement des bases de sahumadores avec celles d’incensarios (cf. 8.4.1), mais les offrandes de dédicaces étaient homogènes (secteur B). Nous retenons qu’au moins 2 incensarios-puma de type A.1 (NMI) proviennent de la plate-forme K’ atupata.
Vu que Bennett a fouillé sur toute la longueur à l’extérieur de la façade orientale, et dans les angles des extrémités septentrionales et méridionales (Secteur B) (1936: Fig. 36), nous avons une perception représentative de l’espace avec trois offrandes d’incensarios: une à l’est, et une à chaque extrémité de la façade près de l’angle nord-est et l’angle sud-est.
(2) Le temple semi-souterrain Le Temple semi-souterrain de Lukurmata (complexe de Wilakollu) fait ± 10 m de côtés. Il a été fouillé en 1934 par Bennett, et refouillé en 1986 dans le cadre du projet Wilajawira dirigé par Alan Kolata (Rivera Sundt 1989: 59, 77). Dans l’angle nord-est de la structure, deux incensario-puma (A) ont été découverts en contexte primaire à l’extérieur de la structure au niveau d’une canalisation (Rivera Sundt 1989: 69, 88). Ceux-ci ont été mis au jour à 12 cm en dessous du niveau du sol originel dans deux offrandes distinctes composées chacune d’un « vasoefigie de puma como sahumador y una jarrita [vasija miniature] » (Rivera Sundt 1989: 69). Chaque incensariopuma possède des traces de carbonisation à l’intérieur, et selon Rivera Sundt, a été utilisé une seule fois avant d’être enterré (1989: 69). Il s’agit donc de deux offrandes de dédicace.
Ensuite, à l’intérieur du « Kalasasaya » (secteur C), Bennett a localisé une zone perturbée par des fouilles précédentes, mais caractérisée par un secteur pavé (patio intérieur ?) (1936: 485). À 120 cm à l’ouest de ce secteur, 3 offrandes ont été mises au jour: la première est constituée d’un incensario-puma (A) et de 3 céramiques miniatures [vasijas ?], la seconde d’un fragment d’incensario-puma (A) et la troisième d’un petit bol (Bennett 1936: 487). Enfin, au nord du « kalasasaya » (Secteur D), Bennett a découvert à 75 cm de profondeur un incensario-puma (A) fragmentaire, et à 50 cm de profondeur une olla contenant un kero décoré et un sahumador [two-handled incense bowl] (1956: 489). Au total, pour cette plateforme, Bennett a découvert 8 fragments de « puma-bowls » répartis en 6 contextes de découvertes différents. La terminologie de « puma bowl » est assez vague. Nous avons toutefois analysé les exemplaires d’incensarios provenant des fouilles effectuées à Lukurmata par Bennett, et qui sont actuellement conservés à l’American Museum of Natural History à New York (AMNH).
Le plus intéressant est l’association, comme à Tiahuanaco, de l’incensario-puma et de la vasija miniature. Les descriptions ne sont malheureusement pas détaillées et la traduction peut donner une double interprétation: un incensario-puma [utilisé] comme encensoir ou un incensario-puma comme [la forme] d’un sahumador. En parlant du même contexte, Ponce parle toutefois « d’incensarios en forme de puma » (1989: 47) et précise que « les incensarios sont décorés d’une tête de puma et sont des vases zoomorphes de libation […] » (Ponce 1989: 78). Au total, trois contextes d’incensarios entiers ont été publiés en 1989 et Ponce illustre 3 incensarios: un exemplaire intact et richement décoré, et les deux autres sont restaurés (Fig. 94 in Ponce 1989: 283).
Seuls 3 incensarios-puma (A.1) sont inventoriés avec la légende « Lucurmata Temple » qui correspond à cette plateforme de K’ atupata: 41.1/3845, 41.1/3846 et 41.1/3847. Le premier est un exemplaire presque complet: il s’agit d’un grand incensario-puma (A.1) richement décoré, avec 6 festons « bien dessinés », une queue-effigie verticale creuse et les fragments d’une tête de puma avec deux oreilles. Un petit collier droit encadre le cou au niveau 195
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie donc pas antérieure à 414 PCN (1σ) ou 343 PCN (2σ). Un fragment d’incensario-puma (a.1) pré-Tiwanaku a été identifié dans « une poignée de fragments » incisés appartenant aux structures 19–20 (Bermann 1994: 135). Il s’agit d’un bord festonné et des décors géométriques incisés. Une petite anse inhabituelle est présente (Fig. 9.5 in Bermann 1994: 136). Aucun fragment de céramique de la structure 20 n’est décoré (Bermann 1990: 184), nous présumons donc qu’elle provient de la structure 19.
Rivera Sundt a noté que les 4 céramiques appartenant aux deux offrandes « étaient fragmentées par la pression qu’exerçaient les couches supérieures » (1989: 69). Par conséquent, nous présumons qu’il s’agît des deux incensarios restaurés illustrés par Ponce et découverts au Temple semi-souterrain. Le premier est un incensariopuma zoomorphe (A.2), mais de forme légèrement atypique: la queue est creuse, mais verticale, les 4 canines sont pointues et les narines sont protubérantes. La morphologie générale correspond toutefois au type A.2. Il y a deux oreilles et pas d’applique quadrangulaire. Par contre, le second exemplaire est un incensario-puma (A.1) à base annulaire et à bord festonné. La queue est creuse et verticale, il y a deux oreilles et un « collier ». La tête n’est toutefois pas collée en double applique sur le corps céramique comme tous les exemplaires que nous avons analysés, mais par une applique collée de chaque côté sur le bord. Les deux formes sont complexes, mais légèrement irrégulières. Nous ignorons si ces deux offrandes sont contemporaines.
La structure 19 est associée à un patio extérieur (Bermann 1990: 178), et se caractérise par la présence d’outils et d’objets en os décorés, dont un tube à priser pyrogravé de motifs complexes (Bermann 1990: 180–181 ; 1994: 134, Fig. 9.3). Bermann propose que « les fragments d’ossements puissent être liés au rituel, et la structure liée à la maison d’un spécialiste à temps partiel » (1990: 183). Nous ignorons d’où provient exactement ce fragment d’incensario, mais en rappel, celui découvert sur la surface stérile d’Aakapana-East 1 (AKE-1) est identique, et la surface située juste au-dessus était recouverte par des éclats d’ossements (Janusek 1994: 106–112) (cf. 9.2.3). Nous avons donc deux contextes identiques à la fois à Tiahuanaco et à lukurmata. Dans les deux cas, seuls les fragments « secondaires » d’incensario sont présents.
Pour les fouilles de 1934, Bennett a identifié des fragments de « puma-bowls » dans les couches supérieures (0–100 cm) du temple semi-souterrain (1936: 492–493). Il a ensuite documenté la surface du sol originelle du temple où quelques fragments de céramique étaient présents. Il observe que la majorité de ces fragments appartiennent à des « puma-bowls », et que « dans un lot, 87 % des fragments appartiennent à cette forme » (1936: 493). Il n’y a que des fragments, et ceux-ci peuvent appartenir à des incensarios-puma (A) et à d’autres formes. Notons la présence intéressante d’au moins quelques fragments d’incensarios sur la surface du sol (abandon ?), et un lot qui documente un secteur de concentration (offrande de dédicace ?). Bennet fait une description sélective du matériel céramique, dont un « lot de 87 % »: l’incensario fait partie de l’assemblage céramique, mais ne constitue pas l’assemblage.
L’apparition d’incensarios et du « kit hallucinogène » – tubes à priser, cuillères, etc. – dans le registre archéologique de la période pré-Tiwanaku sont des indicateurs de mutations importantes dans le bassin lacustre méridional et qui, selon une expression de Browman cité par Marc Bermann, apparaît sous la forme d’une « culture de la drogue » (1990: 101–102). La vasija miniature est également omniprésente dans les contextes de découvertes d’incensario et d’objets appartenant au « kit hallucinogène ». Un exemplaire de 8 cm de haut avec des inclusions de mica doré a été découvert dans l’assemblage céramique de la structure 19 (N 2896-E 2917) (Fig. 83 in Bermann 1990: 487). Or, l’incensario associé date de la période pré-Tiwanaku, et les vasijas miniatures font bien partie du «kit de l’incensarioofficiant». Cette fonction apparaît donc durant la période pré-Tiwanaku.
(3) Secteur résidentiel au sommet de la crête Ce secteur correspond à la zone de fouilles principale effectuée par Marc Bermann en 1986 sur une superficie de 48 m2 (1990: 49, 74). Il est localisé à ± 200 m au sud-ouest du centre civico cérémoniel décrit précédemment. Plus de 39 structures ont été identifiées, depuis le niveau du sol stérile (structure 1) jusqu’aux structures les plus récentes (structure 39), et documentent un secteur d’habitation ininterrompu de type domestique (Bermann 1990: 20). De nombreux incensarios ont été identifiés dans l’assemblage céramique à travers différents planchers d’occupations, et documentent la présence d’espaces « sacrés » au sein du complexe résidentiel.
Ensuite, un pied d’incensario-lama (B.3) est associé aux structures 22–24. Le fragment est peint, possède des pigments de couleurs rouge, blanc et gris, et a été découvert à l’est de la structure 23 dans une fosse de comblement (Fig. 10.6 in Bermann 1994: 144). Dans l’état actuel de la recherche, ce fragment documente pour la première fois un fragment d’incensario-lama découvert en contexte de fouilles. Le pied est en effet modelé et bifide, ce qui le distingue des pieds modelés des incensario-puma. La structure 23, de 6,5 sur 3 m, a été « endommagée par de nombreux puits d’intrusions » (Bermann 1990: 190). La surface est recouverte d’une dizaine d’objets, dont des tubes à priser en os, mais l’incensario-lama provient d’un puits qui a percé cette surface (Fig.10.3, plan, in Bermann 1994: 141). Il est donc peut-être plus récent et
Les premiers fragments de céramique pré-Tiwanaku « de style -Tiwanaku III » apparaissent dans les structures 14– 16 (Bermann 1994: 150–157). L’échantillon 14C SMU2118, issu de la structure 11 (Janusek 2003a: 39), est daté de 414–570 PCN (1σ) et 343–635 PCN (2σ). La période de transition pré-Tiwanaku des structures 14–16 n’est 196
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel associé aux structures 25–28 situées à 10–15 cm au-dessus des structures 22–24 (Bermann 1990: 241).
, qui provient de la structure 38 (Janusek 2003a: 39), est daté de 778–992 PCN (1σ) et 756–1032 (2σ – 92%). Par conséquent, avec un intervalle de probabilité de 68,2 %, ce complexe n’est pas antérieur à 778 PCN (1σ). Avec un intervalle de probabilité de 92 %, ce complexe pourrait être daté entre 756 et 1032 PCN (2σ – 92%). L’occupation des structures 33–39 peut correspondre à la fin de la période Tiwanaku IV, mais également à la période Tiwanaku V (800–1050 PCN).
Bermann identifie une activité spécialisée liée au rituel dans la structure 19, mais associe explicitement celle de la structure 22 [et 23] au « complexe hallucinogène» grâce à la présence de tubes et cuillères à priser (1990: 192). Plus intéressant encore, Bermann observe qu’« après l’abandon des structures 22–24, toutes les formes de céramique de style Tiwanaku III (LF2) disparaissent de lukurmata […] (1994: 147). Celles-ci apparaissent donc dans les structures 14–16 (Bermann 1994: 119) et disparaissent dans les structures 22–24.
Dix tombes ont été localisées dans cet espace: six d’entre elles n’étaient clairement pas « intrusives dans les structures 35 et 37 », et sont donc contemporaines au complexe résidentiel (Bermann 1990: 283). Deux des dix tombes sont exceptionnelles. La première (Tombe n° 11) est une construction circulaire composée de deux chambres: la chambre supérieure dépasse délibérément du niveau du sol et contient le squelette d’un individu adulte de sexe masculin, et la chambre inférieure contient un incensario-lama quadrupède (B.3) presque intact.
Le matériel céramique des structures 25–28 appartient donc exclusivement à la période Tiwanaku (Bermann 1990: 251), mais illustre une continuité des pratiques « hallucinogènes » attestées depuis la structure 19. Une vasija miniature contenant des pigments rouges a été découverte sur la surface de la structure 27 (Fig. 11.18 in Bermann 1994: 168, Bermann 1990: 246). Cette structure est située directement au-dessus de la structure 22 (Bermann 1990: 244). Ensuite, Bermann indique que le « modeled puma incensario » est une forme qui fait partie de l’assemblage céramique des structures 25–28 (1990: 251).
La partie supérieure de la tombe, située dans un espace extérieur, était donc visible pour les occupants du complexe résidentiel 33–39 (culte funéraire ?), et la partie inférieure enterrée avec l’incensario, crée une zone tampon entre le sol et la chambre funéraire. Un incensariolama est donc associé à une tombe prestigieuse. Le plus remarquable est que la tête de cet incensario était absente (Bermann 1994: 200–202). Des têtes d’incensarios (pumas) sont régulièrement découvertes isolées. Dans le cas présent, nous avons une situation inverse: la céramique est complète, mais la tête est absente. L’incensario-lama (B.3) possède 4 pieds modelés bifides, une queue-effigie creuse et pointue orientée vers le bas, et un médaillon circulaire modelé en applique sur le « torse » de la céramique (Fig. 12.19 in Bermann 1994: 201). La seconde tombe (n° 12) possède également deux chambres, mais sans incensario.
Nous ignorons de quelle structure proviennent ces fragments, mais nous pensons que la présence de tessons d’incensarios modelés pourrait avoir un lien avec le pied de l’incensario-lama découvert dans une « couche intrusive » juste en dessous. Les structures 25–28 sont « scellées » par la structure 29 à laquelle est associé l’échantillon 14C ETH3177 (Janusek 2003a: 39), daté de 650–857 PCN (1σ) et 586–970 (2σ). Le fragment de l’incensario-lama (B.3) est par conséquent antérieur à cet intervalle chronologique, et vu qu’il est associé à une couche de transition préTiwanaku/Tiwanaku, date de la période Tiwanaku IV. Après l’abandon des structures 25–28, un complexe résidentiel est construit à proximité (Bermann 1990: 258). Celui-ci est composé d’un ensemble de 7 structures (33–39) associées à des foyers, des tombes et des espaces d’activités extérieurs. Ce complexe se distingue des occupations précédentes par une « plus grande uniformité dans l’organisation spatiale » avec une « nouvelle forme d’unités domestiques » organisée autour d’un patio entre 800 et 900 PCN (Bermann 1990: 259–260). Les structures 33–35 sont réparties autour du patio A et les structures 36–38 autour du patio B (Bermann 1994: 179). La structure 39 est située à l’extrémité de complexe et fait probablement partie d’un autre groupe d’habitations adjacent [« patio C »] (Bermann 1990: 281–282).
Enfin, Bermann documente 5 offrandes intrusives associées à des incensarios dans ce complexe résidentiel 33–39. Sa terminologie est toutefois problématique: il indique que chaque offrande est constituée d’un incensariospuma zoomorphe, mais que l’incensario est une grande céramique-puma modelée de 25–35 cm de haut, avec une base surélevée et un bord ondulé (Bermann 1994: 199). Par conséquent, Bermann emploie le terme de « zoomorphe », mais décrit clairement une céramique de forme hyperboloïde et à bord ondulé de type A.1. Il indique par ailleurs que parmi ces 5 offrandes, deux d’entre elles sont antérieures à la structure 26 et que les trois autres sont plus tardives (1994: 1999). Pour rappel, un fragment d’incensario-lama « intrusif » a été documenté dans les structures 22–24 (Fig. 10.6 in Bermann 1994: 144), et que des « modeled puma incensario » intègre l’assemblage céramique des structures 25–28 (Bermann 1990: 251). Nous avons donc probablement 2 incensarios-puma (A.1) datés de la période Tiwanaku IV, et 3 incensarios-puma (A.1) daté de la fin de
Chaque groupe domestique est composé de 3 structures, dont deux sont consacrées aux activités domestiques et la dernière à des activités « non résidentielles »: la structure 34 (patio A) et la structure 37 (patio B) (Bermann 1994: 195). Bermann date ce complexe résidentiel à la fin de la période Tiwanaku IV (1990: 258). L’échantillon 14 C ETH -3179 197
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie la période Tiwanaku IV ou du début de la période Tiwanaku V, dont l’un est associé avec des os longs de camélidés rehaussés de couleur verte (Bermann 1990: 325).
(6) Qeyakuntu (vallée de Katari) Qeyakuntu est d’après Janusek un centre « tertiaire » d’importance (2004: 169). Cette hiérarchisation des sites répond à un modèle d’interprétation socio-économique et politique de la culture Tiwanaku entre les sites primaires (Tiahuanaco-capitale), les sites secondaires (ex. Lukurmata) et les sites tertiaires (ex. QeyaKuntu). Qeyakuntu possède une large plate-forme artificielle en face de la plaine, et 11 % de l’assemble céramique correspondent à des formes de service rituel de boisson-nourriture et cérémonielle, incluant de nombreux fragments incensarios indéterminés (TIW) « de style lukurmata » (Janusek 2004: 169).
(4) Espace extérieur non construit À ± 50 m à l’ouest du secteur résidentiel, un espace ouvert est aménagé en « terrasse » sur la face nord du sommet de la crête, à l’extrémité occidentale. Cet espace ouvert ne possède pas de construction, mais a été aménagé: il est délimité par un mur, et la surface est composée d’une couche homogène de cendre grise d’origines inconnues de 3 à 5 cm d’épaisseur (Bermann 1994: 195). Un « modelled zoomorphic puma » a été découvert dans l’angle nordouest à l’intérieur d’une fosse tapissée de pierres de 60 cm de profondeur. Les résidus d’une plante carbonisée se trouvaient encore à l’intérieur de la céramique (Bermann 1990: 304).
(7) Secteur d’exploitation agricole Lakaya (vallée de Katari) Le secteur de Lakaya est un autre centre majeur doté d’une « plate-forme extensive », et qui est situé stratégiquement dans la vallée qui fait la connexion entre Lukurmata et Tiahuanaco (Janusek 2004: 169). Ce secteur est bordé d’un espace d’exploitation agricole. Les 3 tranchées réalisées en 1986 ont permis d’analyser la « technologie agricole », en particulier les techniques d’exploitation intensives des camellones, ou champs-talus surélevés. Ceux-ci étaient séparés entre eux par des espaces d’irrigations qui généraient un microclimat permettant aux tubercules de résister aux gelées nocturnes (Kolata et Graffam 1989: 173–212). Dans la tranchée n° 2, le pied modelé d’un incensario-puma (A.3) a été découvert. Celui-ci provient probablement d’un contexte d’offrande détruit, car d’autres fragments de céramiques, incluant des keros décorés, étaient mélangés avec les différentes couches de remblais qui ont servi à la construction de ces camellones (Kolata et Graffam 1989: 186). Toutefois, la présence de ce fragment illustre probablement une pratique d’offrande extérieure liée à la production agricole. Dans le cas présent, il s’agit d’un fragment d’incensario-puma zoomorphe quadrupède (A.3). Ceux-ci sont assez rares, et ce contexte est par conséquent d’autant plus intéressant.
Par ailleurs, deux autres fragments de « modelled zoomorphic puma », situé à 50 cm l’un de l’autre, ont également été découvert, mais sur la surface de l’espace (Fig. 12.16, in Bermann 1994: 197). En respectant la terminologie de Bermann, nous avons donc un incensariopuma (A.1) intact découvert dans une fosse (offrande), et deux fragments appartenant probablement à un autre incensario-puma (A.1). Ces derniers documentent peutêtre une pratique de fragmentation rituelle. Bermann interprète cette terrasse comme un espace consacré à des activités cérémonielles (1994: 195). Notons la présence d’une petite pierre ornementale de couleur verte et l’offrande d’un fœtus de camélidé. (5) Espace funéraire Une « plate-forme aménagée avec des tombes », probablement un cimetière réservé à l’élite, a été localisée à plus de 300 m au sud-est du secteur résidentiel (Bermann 1990: 286, 378, Fig. 6). Une tombe en particulier attire notre attention (N 2579-E 3152): il s’agit d’une fosse circulaire de 80 cm de diamètre et de 120 cm de profondeur contenant un adulte âgé de sexe indéterminé. La tombe est scellée par une large pierre plate. Un incensario-puma (A.1) intact avec des résidus organiques carbonisés était placé au-dessus de la tombe (Bermann 1990: 286).
(8) Pampa Koani (vallée de Katari) Bermann indique que des fragments d’incensarios indéterminés (TIW) ont été identifiés sur la plate-forme la plus complexe (PK-5) de Pampa Koani (1990: 223– 224). D’après Kolata, cette structure fait ± 120 sur 75 m, et intègre probablement un temple semi-souterrain en son centre (Kolata 1986: 754, table 1). Cette plate-forme est probablement de type « Kalasasaya », et la présence d’incensario est donc systématique.
Dans ce contexte, l’incensario ne fait donc pas partie du mobilier funéraire, mais est lié au rite funéraire. L’emplacement de la tombe était connu des habitants de Lukurmata, et peut-être qu’elle était régulièrement entretenue avec des « encensements » réguliers. L’incensario-puma est donc également associé au « culte des morts ». Cet incensario correspond au troisième exemplaire publié par Ponce (Fig. 94 in Ponce 1989: 283). Bermann identifie par ailleurs un fond d’incensario décoré de tête de squelettes de camélidés (Bermann 1990: 326), que Knobloch identifiera plus tard comme étant la base d’un keru (2013: 227). Cet exemple montre la difficulté d’identifier les céramiques dans les sources antérieures à 2003.
(9) Pajchiri (vallée de Katari) Le site de Pajchiri se trouve actuellement au bord du lac mineur, sur un massif naturel situé à l’extrémité nordouest de la vallée Katari, et possède également une plateforme de type Kalasasaya (Kolata 1993: 103). Bennet a identifié en 1934 une tête d’incensario-puma (A) dans
198
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel l’assemblage céramique provenant de la surface de la plate-forme (1936: 464).
L’incensario-puma (A.1) est presque complet, richement décoré, et possède une tête modelée avec deux yeux ronds, des canines bien dessinées, et deux oreilles prolongées par un « collier » plat qui entoure la tête (Fig. 20 /a in Burkholder 2001). Nous avons constaté que cette morphologie est une caractéristique récurrente des incensarios-puma conservés à Lukurmata situé à 17 km à vol d’oiseau. Par ailleurs, la pâte est unique dans l’assemblage céramique issu des 9 Unités stratigraphiques: elle est gris-foncé, avec des inclusions de particules claires et sombres (Isbell et Burkholder 2002: 219).
7.3.2. Taraco (péninsule) Des fragments d’incensarios ont été identifiés sur la péninsule de Taraco, en particulier à (1) Iwawe et (2) Sonaje. La péninsule de Taraco est le prolongement occidental du massif qui délimite la partie septentrionale de la vallée de Tiahuanaco, et qui sépare la vallée de Katari de la vallée de Tiahuanaco (Figure 7.2). Le site de Lukurmata est situé sur le versant nord, alors qu’Iwawe est situé sur le versant sud. La péninsule se jette dans le lac mineur du Titicaca.
Par conséquent, il est statistiquement probable que cet exemplaire d’incensario-puma (A.1) a été importé sur le site, et qu’il provient donc d’un atelier de production extérieur. Cette information est cruciale dans le cadre de la problématique de la circulation des incensarios au sein de l’espace Tiwanaku. Ensuite, cet exemplaire a été localisé entre 130 et 180 cm de profondeur (US IV). La couche inférieure (US 5) est une couche stérile verdâtre. Les auteurs pensent qu’il s’agit de pierres ponces d’origine volcanique, mais l’échantillon a été contaminé avant son analyse (Isbell et Burkholder 2002: 212). La présence de cette couche verte n’est pas un cas isolé, et fait référence à celles que nous avons décrites auparavant.
(1) Iwawe Le site d’Iwawe, ou Ojje-Puco, est situé en bordure du lac mineur à 23 km de Tiahuanaco, à la jonction entre la péninsule de Taraco et la vallée de Tiahuanaco (Figure 3.4). Le site archéologique se caractérise principalement par un monticule artificiel de 3 ha et la présence de 32 pierres de taille en andésite, non seulement sur le monticule, mais également en bordure de la rive actuelle (Isbell et Burkholder 2002: 199–201, Fig. 7.2). D’après Ponce, ce site aurait été le relais pour acheminer par bateaux les pierres de la péninsule de Copacabana jusqu’à la « capitale » Tiahuanaco (Ponce et Mogrovejo 1970: 261– 274 ; Ponce 1971: 90) (chapitre 4). Lors des fouilles de 1993, effectuées au nord-ouest du monticule (Queneqere) sur une superficie de 36 m2, Isbell et Burkholder ont identifié 9 unités stratigraphiques distinctes (2002: 210– 211, Fig. 7.6, Fig. 7.7).
Enfin, l’incensario a été identifié à proximité d’un contexte funéraire: la tombe n° 6 (Isbell et Burkholder 2002: 216). Nous avons constaté que lorsque l’incensario est associé à une couche verte, il a généralement été l’objet d’une fragmentation rituelle. Dans le cas présent, la présence d’un incensario presque intacte à côté d’une tombe peut correspondre au contexte de découvert documenté dans le « cimetière de Lukurmata », avec la céramique posée sur la tombe (Bermann 1990: 286).
Ils proposent une nouvelle stratégie d’analyse du matériel céramique, en distinguant 14 groupes (ware) sur base de critères technologiques, et 9 formes (shape) sur base de critères morphologique, dont la forme de l’incensariopuma (shape 5) (Isbell et Burkholder 2002: 214–220). Les résultats issus de cette analyse sont d’un grand intérêt, car au sein de la stratigraphie, Isbell et Burkholder ont identifié à la fois un exemplaire d’incensario-puma pré-Tiwanaku (a.1) dans l’US VII, et un exemplaire d’incensario-puma Tiwanaku (A.1) dans l’US IV (2002: 219).
L’incensario-puma (A.1) possède des traces de matières organiques carbonisées à l’intérieur, et peut documenter également une pratique d’entretien de la tombe et un « culte des morts ». Isbell et Burkholder ont effectué une datation 14C de ces résidus organiques, et qui sont donc directement associés à la céramique (2002: 224). Nous avons également recalibré cet échantillon (pas de numéro de laboratoire), et qui donne le résultat suivant: 772–956 PCN (1σ) et 764–986 (2σ – 91,4 %). Par ailleurs, un autre échantillon 14C associé à l’US3 est daté de 1018–1146 PCN (1σ) et 986–1178 (2σ). Cet exemplaire documente vraisemblablement une tombe de la période Tiwanaku V, et prouve également que l’incensario est toujours présent dans le « paysage rituel » de cette période. En conclusion, l’analyse de cet incensario-puma (A.1) nous donne 6 informations: (1) il est situé stratigraphiquement au-dessus d’un incensario-puma a.1 pré-Tiwanaku (2) et issu d’un atelier de production extérieur au site. (3) La morphologie de la tête est identique à d’autres exemplaires découverts à Lukurmata. (4) Cet exemplaire est également situé audessus d’une couche de couleur verte (5) et tout comme celui de Lukurmata, il est presque intact, isolé et associé à un contexte funéraire. (6) Enfin, il daté par 14C à la période Tiwanaku V. Nous ne pouvons pas déterminer la fonction
L’incensario-puma (a.1) est attesté par la présence de la tête et de deux fragments de bord festonné caractéristiques de la période pré-Tiwanaku (Fig. 7, Fig. 10 /a-b in Burkholder 2001), et a été localisé dans la couche située entre 210 et 240 cm de profondeur (US7). Cette surface documente un espace de travail extérieur, et est associée avec des tinajas et des « bols hémisphériques ». L’incensario est l’unique élément décoré dans l’assemblage céramique. Au niveau technologique, la pâte est semi-compacte, poreuse, avec de nombreuses inclusions de quartz, mica doré et d’autres particules minérales (ware 11). L’intérêt est que cette pâte est seulement attestée dans les US VII et US VIII (Isbell et Burkholder 2002: 216, 219, 223). Il s’agit d’une caractéristique technologique propre à la période pré-Tiwanaku. 199
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie style Tiwanaku, mais une en particulier se distingue des deux autres, car un incensario-lama (B.2/B.3) y était associé (Janusek 2013: 10–12). Nous ignorons si la forme de cet incensario est quadrupède (B.3) ou non (B.2), mais la présence de celui-ci en contexte funéraire permet de faire une analogie avec celui découvert dans la chambre inférieure de la tombe n° 11 de Lukurmata (Bermann 1994: 200–202).
de l’incensario-puma pré-Tiwanaku de l’US VII, mais sa présence documente une pérennité rituelle dans l’espace Tiwanaku. (2) Sonaje Sonaje est une communauté située à l’extrémité occidentale de la péninsule de Taraco, près du village de Santa Rosa. Ce site possède un intérêt particulier au sein de ce projet de recherche, car il pourrait représenter un des rares ports potentiels de la période Tiwanaku. La profondeur du lac devient en effet abrupte très rapidement, et la ligne de rivage est restée presque identique depuis la période Tiwanaku. Différents sondages ont été effectués en 2005. Nous n’avons malheureusement pas plus d’informations, mais une illustration publiée dans le rapport de fouilles documente le fragment de la queue-effigie d’un incensariocondor (C.1) (Hastorf et al. 2005: 65–66, Fig. 5.1 /c).
Durant la même période, lors des fouilles de 1938, Rydén a identifié un fragment d’incensario-puma indéterminé (A) dans le sondage 5 qu’il a effectué à [Khonkho] Wankani » dans le Temple semi-souterrain (Ryden 1947: 160–161, Table I). Il est possible que ce fragment soit d’origine pré-Tiwanaku, mais l’illustration du type de forme dans la Table I montre clairement une affiliation Tiwanaku. Janusek indique par ailleurs que le « complexe des deux courts » est la seule structure cérémonielle qui documente réellement une occupation Tiwanaku (2013: 21). Toutefois, les Temples semi-souterrains font également partie du paysage cérémoniel Tiwanaku, et il est possible que celuici était toujours « actif ».
Cette céramique est rare, et sa localisation à plus de 30 km à vol d’oiseau de Tiahuanaco, où sa présence est plus systématique, est intéressante. Notons également la présence dans une tombe (A204) d’une vasija miniature qui était « remplie de pigments » (Hastorf et al. 2005: 66–67, 129, Fig. 5.1 /b). Par ailleurs, une autre illustration publiée dans le rapport de fouilles montre la présence de la tête d’un incensario-puma (a.1) pré-Tiwanaku (Hastorf et al. 2005: 66, Fig. 5.1 /b). Sonaje documente donc une occupation continue depuis la période pré-Tiwanaku jusqu’à la fin de la période Tiwanaku, et devait être relié par voies navigables avec la péninsule de Copacabana et les « carrières » d’andésite.
Deux échantillons 14C documentent l’occupation Tiwanaku à Khonkho Wankane (Janusek 2013: table 2.1): l’échantillon KW- 016 est daté de 772–876 PCN (1σ) et 682–946 PCN (2σ), et l’échantillon KW-009 est daté de 895–985 PCN (1σ) et 862–1020 PCN (2σ). L’occupation Tiwanaku est donc également attestée durant la période Tiwanaku V, et les différents exemplaires que nous venons de décrire peuvent par conséquent appartenir à la fois à la période Tiwanaku IV et à la période Tiwanaku V. En rappel, l’incensario-lama de la tombe 11 de Lukurmata n’est pas antérieur à 778 PCN (1σ) et 682 PCN (2σ).
7.3.3. Desaguadero (bassin) Le bassin de la rivière du Desaguadero est une vaste plaine alluviale inondable située dans la partie méridionale du lac mineur du Titicaca (Figure 7.2). Des fragments d’incensarios y ont été identifiés, en particulier à: (1) Khonkho Wankani, (1) Iruhito et (3) Nazacara.
(2) Iruhito Iruhito est situé à 36 km à vol d’oiseau de Tiahuanaco, dans la plaine inondable du Desaguadero, et a été fouillé en 2006 (Perez 2006: 217). La particularité d’Iruhito [IruItu] est que « l’endroit » était encore vénéré au début du 20e siècle, et qu’il abritait les derniers Urus [de langue urupukina] (Vellard 1954 ; 1963: 34). Les Urus pourraient avoir une affiliation « linguistique » directe avec la culture Tiwanaku (Bouysse-Cassagne 2011: 283–285).
(1) Khonkko Wankani Le site de Khonkho Wankani est situé dans la vallée du Desaguadero, à ± 25 km de Tiahuanaco. Il s’agit d’un centre cérémoniel majeur de la période formative (LF1 et LF2), et qui documente également une occupation Tiwanaku, mais à moindre échelle. (Janusek 2013: 8–9, 21). Nous pensons qu’il y a peut-être un lien entre la diminution de l’occupation durant la période Tiwanaku et à l’inondation partielle de la plaine alluviale générée par l’augmentation du volume d’eau du lac Titicaca et le « percement du Desaguadero » (Chapitre 5). Le centre monumental de Khonkho Wankani est composé de différentes platesformes, patios internes et un Temple semi-souterrain, avec de nombreuses stèles de traditions Yaya-Mama.
Un fragment de bord ondulé d’engobe rouge et d’inclusions de micas dorés appartenant à un incensario-puma (a.1) pré-Tiwanaku a été identifié dans l’US2 de l’Unité 4–2 du secteur de la « Ribera » (Pérez 2006a: 24, Fig. 12). Perez indique que la céramique de style Chiripa disparaît à partir de l’US10, que 2 fragments de sahumadores apparaissent dans l’US3 et qu’un « fragment du même type » [que l’incensario] apparaît dans l’US2 (2006a: 5–6). Nous présumons que d’autres fragments d’incensarios sont donc également présents dans la couche inférieure, et appartiennent peut-être au même exemplaire. La coupe montre que l’US1 correspond à une zone cultivée, et que l’US2 est située en 5 et 15 cm de profondeur (Pérez 2006b: 219, Fig.1). Vu que des fragments du même type de forme
Les fouilles effectuées par Portugal Zamora entre 1937 et 1941 ont notamment documenté 3 tombes de la période Tiwanaku. Toutes possédaient du mobilier funéraire de 200
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel sont présents dans l’US3, les premières couches ont probablement été remaniées.
diagnostic sur l’appartenance exclusive des incensarios à cette période (2001: 612). Vu qu’il a été découvert en surface, Pärssinen n’envisage pas d’occupation plus tardive. Nous savons actuellement que cette association, qui a également permis de dater d’autres sites, est erronée, et nous envisageons une occupation du site durant la période Tiwanaku V.
Ensuite, un feston perforé décoré d’un motif de « plumes » appartenant à un incensario-puma (A.1) a été identifié dans l’US VI du secteur du « Monticule » (Perez 2006a: 27, Fig. 18). Il se trouve à ± 120 m du secteur de la « Ribera ». Le matériel céramique Tiwanaku se trouve principalement dans l’US1 et l’US2, et les niveaux inférieurs possèdent également des tessons, mais avec des pâtes plus micacées et des fibres végétales. Pérez place l’US6, située ± entre 60 et 70 cm de profondeur, dans la période pré-Tiwanaku (LF2) à la base des couches Tiwanaku (2006 b: 220, 239, Fig.2).
Ensuite, Pärssinen mentionne que Portugal a découvert une tête d’incensario-puma (a.1) sur le même site dans la première moitié du 20e siècle, « identique à celle découverte par son père à Anco-Anco près de La Paz » (2001: 609). L’incensario de Ancu-Ancu décrit par Mohr (1985: 173) est une forme incisée pré-Tiwanaku, et il s’agit donc bien d’un fragment de type a.1 (chapitre 7). Ce fragment confirme les datations 14C qui documentent une occupation du site à partir de la période pré-Tiwanaku (LF2).
(3) Nazacara Le site de Nazacara se situe à 45 km de Tiahuanaco, dans la partie moyenne du bassin du Desaguadero. Dans le cadre de la problématique des fluctuations du lac Titicaca, ce site est d’un intérêt capital, car il se situe exactement sur la rivière du Desaguadero, à plus de 40 km de l’embouchure située sur les rives du lac mineur du Titicaca. Or, le matériel céramique mise au jour entre 1989 et 1990 est exclusivement de « pur style Tiwanaku » (Pärssinen 2001: 605).
Enfin, à moins de1 km de Nazacara en direction de Jesús de Machaca, Pärssinen et Faldín ont effectué en 1989 des sondages (?) sur deux monticules: Dieliticollo (plate-forme nord) et Tococollo (plate-forme sud). Ils ont notamment identifié un sahumador complet [et non pas un incensario] contenant des cendres et deux dents humaines, et le fragment d’une tête d’incensario-puma (A) indéterminé (Pärssinen 2001: 607, 610, Fig. 2). Le site se trouve à une altitude de 3840 m, c’est à dire à 31 m au-dessus du niveau du lac par rapport à nos référentiels 2012–2014.
Le tracé d’un fleuve est capricieux, et le lit des rivières se déplace à travers le temps dans les plaines alluviales. L’émergence d’un secteur d’activités et d’occupation de l’espace alluvial à partir de la période Tiwanaku n’est donc pas une coïncidence. Nous pensons que cet élément reflète encore une fois les fluctuations du lac Titicaca et le « percement de la rivière Desaguadero » (Chapitre 5). Dans un sondage de 2 x 2 m, Pärssinen identifie 3 Unités stratigraphiques dans le secteur de « Kusipata », situé à l’entrée du village de Nazacara. Le matériel archéologique est dense dans les deux premiers niveaux (US1 et US2), et l’US3 est « mélangé avec l’US2 » (Pärssinen 2001: 609– 611, Fig. 3).
7.3.4. Île Pariti L’île de Pariti se trouve dans le lac mineur, exactement à 9 km au nord de Lukurmata, et à 23 km à vol d’oiseau de Tiahuanaco (Figure 7.2). Elle est bordée de totoras et d’eau stagnante atteignant maximum 4 m de profondeur. Á la période Tiwanaku, Pariti n’était toutefois pas un espace insulaire, mais une élévation topographique naturelle côtière (fosse de Chua) située à l’extrémité occidentale de la vallée de Katari, et accessible par voie terrestre (Chapitre 4). Le matériel céramique atypique découvert à Pariti documente un site exceptionnel orienté dans des activités de type rituelle, et probablement astronomique. Les fouilles effectuées entre 2003 et 2006 ont révélé deux contextes d’offrandes exceptionnelles sur l’actuelle « place publique » (Villanueva et Korpisaari 2013: 85). Ce secteur non nivelé, unique sur l’île, devait également constituer un espace de performance sociale et rituelle durant la période Tiwanaku.
Pärssinen a daté deux échantillons 14C (2001: 612): le premier, Ua-2323 (US2), est daté de 340–518 PCN (1σ) et 246–540 PCN (2σ), et le second, Ua-2322 (US2/US3), est daté de 429–592 PCN (1σ) et 358–654 PCN (2σ). Par conséquent, l’occupation des rives de la rivière et le « percement du Desaguadero » n’est pas postérieure à 518 PCN (1σ) et 540 PCN (2σ), et n’est pas antérieur à 340 PCN (1σ) et 246 PCN (2σ). Cet évènement date probablement de la période pré-Tiwanaku (LF2), entre 300 et 500 PCN.
Le sommet des deux offrandes a été localisé à 140 cm de profondeur sous le niveau de sol actuel: il s’agit de deux fosses cylindriques de maximum 80 cm de diamètre et 180 cm de profondeur. Celles-ci étaient comblées par plus de 404 céramiques richement décorées et de « bonnes factures » qui ont été l’objet d’une fragmentation rituelle massive. Parmi celles-ci, 379 sont contextualisées stratigraphiquement. Ces deux puits d’offrandes sont contemporains, car 19 de ces céramiques ont pu être « reconstruites » avec des fragments découverts à la
Le fragment de la partie inférieure d’un incensario-lama (B.2) a été découvert à la surface du sondage de Kusipata (Pärssinen 2001: 609, 612–613, Fig. 4). Cet exemplaire est malheureusement décontextualisé, probablement par l’exploitation agricole actuelle qui privilégie les espaces légèrement en surélévation (et statistiquement archéologiques). Pärssinen associe les fragments de céramiques des 3 Unités stratigraphiques à la période Tiwanaku IV (2001: 605). Toutefois, il fonde son 201
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie fois dans la première et la seconde fosse (Korpisaari et Pärssinen 2011: 71, Villanueva et Korpisaari 2013: 87).
d’un objet rare (production limitée), et chaque fragment est « précieux » • L’incensario-officiant possède un rôle actif dans la « vie publique ». Il participe à la fois dans la performance sociale, comme à Pariti, et dans la performance rituelle, comme à Khoa.
Ces deux offrandes ont été localisées dans les unités de fouilles 2, 3 et 4: la fosse n° 1 se situe entre les unités 2 et 3, et la fosse n° 2 se situe entre les unités 3 et 4 (Fig. 21 in Korpisaari et Pärssinen 2011: 61). Deux fragments d’incensarios-puma (A.1) y ont été découverts: le premier dans la fosse n° 2 (unité 3–4), et le second dans les couches superficielles de l’unité 4, à côté de la fosse n° 2 (Korpisaari et Pärssinen 2011: 94–95). Il s’agit de deux festons de taille identique, avec un engobe rouge et des résidus de pigments noirs (Fig. 28 /E in Korpisaari et Pärssinen 2011). L’offrande n° 2 est située entre 126 et 299 cm de profondeur. Or, le feston de l’incensario-puma (A.1) a été localisé entre 160 et 170 cm de profondeur en dessous du niveau du sol actuel, et donc dans les niveaux supérieurs de l’offrande (Antti Korpisaari 2015, communication personnelle). Les autres formes représentées reflètent une « performance sociale » exceptionnelle: chaque céramique fragmentée a été positionnée dans les deux offrandes selon une hiérarchisation spécifique. Sur les 102 exemplaires de l’offrande n° 2, 10 % des céramiques sont situées audessus du fragment d’incensario (entre 120 et 160 cm de profondeur), et 90 % des céramiques sont situées en dessous de celui-ci (entre 160 et 280 cm de profondeur) (Villanueva et Korpisaari 2013: 83–108, table 1, Fig. 5, 7, 11).
Dans cette perspective, les offrandes subaquatiques de l’arrecife de Khoa sont particulièrement importantes et prestigieuses, car non seulement les incensarios étaient la finalité de l’offrande, mais ils étaient également déposés intacts, soit en grande quantité, soit régulièrement: leur état fragmentaire est lié aux mécanismes d’érosion du site (Chapitre 5). Vu que l’incensario est l’unique forme représentée en contexte subaquatique, nous pensons que la cérémonie d’offrande (le rite) était effectuée exclusivement par un ou plusieurs incensario-officiant(s). La présence de feuilles zoomorphes en métal précieux est également un indicateur, non seulement de l’importance du rite d’offrandes subaquatiques, mais également de la fonction de celles-ci. Or, une feuille d’or zoomorphe identique à celles découvertes à l’arrecife de Khoa est associée à la fosse n° 2 de Pariti. La présence de cet objet est donc exceptionnelle, et sa position au sein de l’élévation stratigraphique davantage: la feuille zoomorphe en or a été découverte au fond de la même fosse que l’incensario (Korpisaari et Pärssinen 2011: 64). Par conséquent, le premier geste perceptible de la cérémonie d’offrandes est le dépôt de cet objet, qui symboliquement et physiquement, sépare l’offrande de la « terre », et le dernier est le dépôt du fragment d’incensario. Cette feuille zoomorphe est par ailleurs associée à une autre feuille d’or: un « accompagnant de profil ». Celui-ci, dont les représentations les plus connues proviennent de la porte du Soleil à Tiahuanaco, est une figure hybride d’un puma anthropomorphique ailé, avec un bâton associé à une tête trophée (Fig. 2 /A in Korpisaari et Pärssinen 2011).
Presque toutes les céramiques ont pu être reconstituées, excepté l’incensario où un seul fragment a été découvert. Celui-ci a été l’objet d’une fragmentation rituelle, confirmant ce que nous avons décrit précédemment, mais surtout devait être utilisé dans la cérémonie d’offrande en tant qu’instrument de l’officiant (Korpisaarie et al. 2012: 262). Par ailleurs, toutes les formes complexes, telles que les challadores, les fuentes, les vasijas escultóricas, les vasijas prosopoformos et les keros ont été découverts « hiérarchiquement » en dessous du fragment d’incensario, excepté une céramique-effigie en forme de canard (Villanueva et Korpisaari 2013: Fig. 5, 7, 11). Toutes ces céramiques constituent l’offrande, car elles ont été fragmentées rituellement et enterrées. Le fragment d’incensario ne fait pas réellement partie de l’offrande: elle possède un rôle distinct dans la performance rituelle.
D’autres objets « prestigieux » sont également associés dans la fosse, mais sans indication précise de leur unité stratigraphique: deux «pointes de flèche » finement travaillée, une de couleur blanche et l’autre de couleur noire, une tige creuse en or de 17 cm de long (tube à priser du kit hallucinogène ?), et 3 petits « pendentifs » en or (Korpisaari et Pärssinen 2011: 95–96, Fig. 29). Les 8 échantillons 14C associés aux deux fosses documentent une offrande d’abandon « définitif » à la fin de la période Tiwanaku. Trois d’entre eux sont directement associés à l’offrande n° 2 (Korpisaari et Pärssinen 2011: table 1): l’échantillon HELA-1081 est daté de 1016–1145 PCN (1σ) et 987–1159 PCN (2σ), l’échantillon HELA-1082 est daté de 1028–1146 PCN (1σ) et 1012–1178 PCN (2σ) (93,6 %), et l’échantillon HELA-1083 est daté de 1016– 1140 PCN (1σ) et 990–1150 PCN (2σ).
À partir de ce constat, nous pouvons compléter nos observations: • Le fragment d’incensario confirme la présence d’un officiant, et probablement d’un incensario-officiant • Cette personne-fonction a présidé la cérémonie d’offrande et a utilisé un fragment de l’incensario pour clôturer celle-ci • L’objet incensario est l’attribut d’une fonction spécifique et particulièrement prestigieuse: il s’agit d’un objet liturgique • La charge « sacrée » de l’incensario n’est pas diminuée par sa fragmentation rituelle. Bien au contraire, il s’agit
Vu que les échantillons proviennent d’un contexte contemporain, l’offrande n’est pas antérieure à 1028 PCN (1σ) et 1012 PCN (2σ), et n’est pas postérieure à 1140 PCN (1σ) et 1150 PCN (2σ). Il est intéressant de constater 202
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel que les principaux auteurs travaillant sur la culture Tiwanaku déterminent la date de la fin de cette période en 1050 et/ou 1150 PCN, ce qui correspond à la l’intervalle de probabilité utilisé: 1σ ou 2σ.
Ce secteur documente donc une utilisation ininterrompue de cet objet depuis son émergence jusqu’à sa disparition. En contexte « pré-Tiwanaku » (LF2), Seddon indique que « quelques exemples d’incensarios à bord ondulés sont présents. Généralement, ils sont juste attestés par la présence de fragment de festons » (1998: 217). Trois de ceux-ci sont illustrés (Fig. 4.7 in Seddon 1998: 264): un fragment d’incensario-puma (a.1) pré-Tiwanaku et deux fragments d’incensario(s)-puma (A.1). Seddon indique que le contexte de découverte est l’unique contexte LF2 intact documenté par la fouille (1998: 214), mais indique par après qu’il s’agit de puits d’offrande Tiwanaku IV (2004: 93). Par ailleurs, certains contextes documentés à Lukurmata (structures 22–24) montrent la « coexistence » de matériel mixte au sein de la même couche. La transition entre la période pré-Tiwanaku (III) et la période Tiwanaku (IV-V) n’est pas une phase de « rupture », mais de continuité. Ces 3 fragments proviennent de 3 contextes clos (puits de comblement): n° 25, n° 32 et n° 34. Un de ces fragments provient du puits n° 32, identifiable par un ensemble de pierres de petite taille. Le fragment d’un feston d’incensario a été localisé au-dessus de ces pierres, et des ossements de lamas et de cuy [cochon d’Inde] mélangés avec une couche brûlée étaient situés en dessous (Seddon 2004: 99).
Pou clôturer, le second feston d’un incensario-puma (A.1), peut-être appartenant à la même céramique, a été localisée à l’extérieur de la fosse n° 2 (unité 4) entre 80 et 100 cm de profondeur en dessous du niveau du sol (Korpisaari et Pärssinen 2011: 95). Par conséquent, au niveau stratigraphique, ce fragment a été localisé au minimum à 26 cm au-dessus de la partie supérieure de la fosse/offrande n° 2. Entre 70 et 100 cm de profondeur, les fondations d’un muret en pierres qui se prolongent dans les unités 2 et 3 ont été localisées, et une « small vasija » [miniature ?] a été localisée à 112 cm de profondeur sous une pierre, « probablement comme offrande » (Korpisaari et Pärssinen 2011: 64). Les deux fosses/offrandes ont peut-être été insérées au sein d’un espace fermé ou extérieur, avec une vasija miniature à 14 cm « au-dessus » de la fosse n° 2, et un fragment d’incensario à ± 26 cm au-dessus. Les couches superficielles ont été abîmées, mais la présence de ces deux objets pourrait appartenir au même contexte de découverte et constituer le « geste » de clôture définitif de l’offrande par l’incensario-officiant. Si ces deux objets ne sont pas associés à l’offrande, ils indiquent toutefois la fonction potentielle de cet espace. L’omniprésence de cette association n’est pas une coïncidence. Ce contexte de découverte prouve également que l’incensario était présent durant la période Tiwanaku V.
L’échantillon 14C OS-12671 a été prélevé dans le puits n° 25 (Seddon 2004: 108, Table 5.1), et est donc directement associé avec les 3 fragments d’incensarios (a.1 et A.1): 632–680 PCN (1σ) et 590–765 (2σ). Ceux-ci correspondent bien à des activités de la période Tiwanaku IV. Ensuite, la base d’une olla a été également été localisée au-dessus de la tombe n° 49 datée de la même période: le fond est brûlé et a été utilisé comme un « encensoir » (Seddon 2004: 107). Pour rappel, Ponce indique qu’un « intéressant exemplaire de céramique brûlée » était posé au-dessus d’une tombe découverte au Kalasasaya (Ponce 1976: 7), et peut refléter une variante des incensarios découverts audessus de certaines tombes, comme celle de Lukurmata (Bermann 1990: 286).
7.3.5. Île du Soleil L’île du Soleil, située à l’extrémité de la péninsule de Copacabana, documente une occupation ancienne, complexe, et semi-autarcique (Figure 4.1). L’île de 14,3 km2 se caractérise par une diversité de secteurs écologiques favorable à l’émergence d’une occupation stable, et est isolée du « continent » par des eaux profondes. Dans le cadre de la problématique des incensarios, la proximité de l’arrecife de Khoa avec l’île établit un lien direct avec la pratique d’offrandes subaquatique. Le site est situé à 2800 m de l’extrémité septentrionale de l’île, et au minimum à 3500 m de l’espace portuaire potentiel le plus proche.
Vers ± 750 PCN, tout le secteur cérémoniel est réaménagé et délimité par un nouveau mur d’enceinte. La plate-forme nouvellement « scellée » est entièrement recouverte par une couche de remblais et une couche de sable stérile, et une large structure « non-domestique » est construite sur la plate-forme (Seddon 1998: 308 ; 2013: 125). D’après Seddon, la présence de matériel Tiwanaku IV dans la couche de remblais qui servira de fondations aux futures structures démontre que ces dernières ont été construites durant la période Tiwanaku V (1998: 309). Il a également identifié un niveau sédimentaire atypique constitué d’argile compacte de couleur verte (2.5Y 5/4). Cette surface était remarquablement nivelée et « propre » ; aucun artefact n’a été trouvé sur cette même surface, excepté un objet: la tête d’un incensario-puma (A.1) (1998: 310, 312, 385, Fig. 5.18). Seddon associe cette surface verte à un étroit corridor (construit dessus) apposé à l’extérieur de la
(1) Chucaripupata Le principal site d’occupation Tiwanaku documenté par la littérature est le secteur de Chucaripupata situé au nord de l’île. La plate-forme cérémonielle se trouve à 100 m au sud de Santiago Pampa (Seddon 1998: 438), terminologie actuelle pour désigner le Rocher sacré du complexe cérémoniel inca. Le site Tiwanaku est fort érodé, et surtout marqué par les aménagements postérieurs effectués par les Incas (Seddon 1998: 445–446). La présence d’incensarios est attestée dans tous les « niveaux stratigraphiques »: Tiwanaku III (pré-Tiwanaku), Tiwanaku IV et Tiwanaku V. 203
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie structure (mur nord du temple), et qui devait permettre de contrôler l’accès au sein de ce complexe.
Parmi ces 74 fragments, 34 proviennent du « second fill », ce qui correspond à la couche Tiwanaku V « abîmée par l’occupation inca » qui recouvre l’occupation Tiwanaku IV (Seddon 1998: 349, Table 5.4). Seuls deux fragments sont illustrés (provenance inconnue): un feston appartenant à un incensario-puma (A.1) et un fragment de l’applique quadrangulaire appartenant un incensario indéterminé (TIW) (Fig. 5.43/ a-b in Seddon 2004: 134). Tous les incensarios illustrés et identifiés à Chucaripupata appartiennent à des incensarios-puma (A), et en particulier ceux à base annulaire, à bord festonné et forme hyperboloïde (A.1). Il s’agit, à deux exceptions près, de l’unique forme attestée en offrande subaquatique à l’arrecife de Khoa. Les 34 fragments provenant du « second fill » ne sont pas contextualisés, mais indiquent la présence potentielle de l’incensario-officiant au sein des activités de cet espace cérémoniel.
En résumé, nous avons: 1. la tête d’un incensario-puma isolé 2. déposée sur une strate stérile de couleur verte 3. à l’extérieur de la structure 4. dans un endroit d’accès géostratégique 5. dans une couche de transition Tiwanaku IV-Tiwanaku V Par conséquent, nous avons exactement le même contexte que celui décrit par Janusek dans le secteur AKE1 (1994: 106–107), à la différence que ce dernier était une couche de transition pré-Tiwanaku / Tiwanaku, et que le fragment était composé d’un feston et non d’une tête. La fragmentation rituelle ne diminue pas la charge sacrée des fragments d’incensario, mais il y a des fragments importants (espace cérémoniel), et d’autres secondaires (espaces domestiques).
Les 25 autres fragments sont issus d’un contexte unique: une structure résidentielle située à l’extérieur de la plateforme. Huit fragments proviennent de la surface de la « maison », 3 sont associées à la destruction de cette maison, et 14 sont associés à des remblais situés sur la maison (Seddon 1998: 349, Table 5.4). Cette structure a été localisée sur la première terrasse située au nord de la plate-forme (Unité n° 20), et construite sur un puits de rejets/offrandes (Unité n° 22). L’échantillon 14C OS-12676 provient de ce puits (Seddon 1998: 321), et est daté de 680–835 PCN (1σ) et 676–876 (2σ). La construction de la « maison » n’est donc pas antérieure à 680 PCN (1σ) et 676 PCN (2σ), et n’est pas postérieure à 835 PCN (1σ) et 876 PCN (2σ).
Cet évènement de restructuration majeur est également identique à celui documenté dans le complexe de Putuni: cette « vague » de transformation ne se limite pas à Tiahuanaco. Par ailleurs, la strate verte documentée par Vranich dans le complexe du Pumapunku à Tiahuanaco apporte également d’autres informations: il affirme que la surface verte est dans un état impeccable et qu’elle n’a pas du tout été abîmée (1999: 214). Cette surface est composée de plâtre et de pigments de malachite verte. Par conséquent, son état impeccable ne prouve pas qu’elle a été bien entretenue, mais qu’en réalité elle n’a jamais été à découvert (Delaere 2009: 122). Vranich décrit par ailleurs qu’une fine couche de sable la recouvre, ainsi que d’autres couches stériles de remblais au-dessus (1999: 215). La position de la tête de l’incensario-puma à Chucaripupata montre que l’offrande d’incensario et la construction du « corridor » sont contemporaines. Cette strate verte et la tête devaient toutefois être recouvertes par une autre couche qui constituait le niveau de sol réel du complexe cérémoniel. L’offrande de cet incensario clôture l’occupation Tiwanaku IV, ou inaugure l’occupation Tiwanaku V.
La structure est un édifice rectangulaire de ± 2,6 sur 4 m de dimension, et est connectée à un espace extérieur avec un foyer (Seddon 1998: 320–321). La surface intérieure a été fort abîmée par la destruction de l’édifice, et la céramique associée à celle-ci et aux couches de destructions est principalement représentée par des ollas, des tinajas et des keros (Fig. 5.29/a-b, 5.30 /a-b in Seddon 1998: 395, 396). D’autres fragments sont minoritaires, dont les 14 fragments d’incensario. Il est intéressant de constater que ces quatre formes sont les formes majoritaires découvertes dans l’espace portuaire de Puncu au sud de l’île du Soleil. Cet espace portuaire, situé loin de tout secteur résidentiel, documente le matériel céramique qui était importé et/ou exporté de l’île (chapitre 4).
Le nombre de fragments d’incensarios au sein de la distribution céramique de Chucaripupata apporte également une autre information: Seddon a identifié 8 fragments d’incensario dans la couche d’occupation Tiwanaku IIIIV (dont les 3 que nous avons décrits précédemment). Ils représentent 0,16 % du matériel céramique, et 42,11 % de la céramique « cérémonielle » (2004: 111, Table 5.3). Dans la couche d’occupation Tiwanaku V, Seddon a identifié 74 fragments d’incensario, et tous de production locale (2004: 130, 133, Table 5.6, Table 5.7). Ils représentent 0,30 % du matériel céramique, et 51,75 % de la céramique « cérémonielle ». Statistiquement, la production de l’objet incensario ne diminue donc pas durant la période Tiwanaku V. Nous avons constaté la même chose à Puncu (chapitre 4).
Nous ignorons quelles étaient les dynamiques « commerciales » entre l’île du Soleil et le continent, mais cet assemblage céramique peut argumenter des mécanises d’échanges liés aux performances rituelles et sociales: les ollas (nourriture), les tinajas (chicha), les keros (pour boire la chicha) et les incensarios. Or, le keru est comme l’incensario un récipient liée à une personne: la présence d’incensario au port de Puncu est un indicateur matériel du déplacement des incensario-officiants qui participaient à des performances rituelles extérieures, et le keru peut refléter la circulation de personnes qui participaient à des performances sociales extérieures. L’incensario204
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel officiant, en tant qu’individu, devait par ailleurs posséder son propre keru. La présence d’inscription gravée en dessous de kerus découverts à Pariti prouve en effet que cet objet était probablement un objet personnel (Fig. 25 in Korpisaari et Pärssinen 2011). Seddon indique également que « les occupants [de cette structure] avaient accès, et utilisaient une gamme complète de céramique de cuisson, de stockage, et de services ». Il dit également que les céramiques étaient particulièrement « décorées avec une vaste gamme de motifs de style Tiwanaku » (1998: 328).
Pour Stanish et Bauer, la fin de la période formative LF2 correspond « au premier contrôle de l’île par l’état Tiwanaku » (2004: 29). Seddon nuance toutefois cette observation en insistant particulièrement sur l’omniprésence de cet état durant la période Tiwanaku V (2013: 129). Le site de Chucaripupata a été physiquement et symboliquement récupéré après par les Incas. Les réaménagements effectués par ceux-ci ont perturbé les couches Tiwanaku les plus récentes (Tiwanaku V). Deux échantillons 14C (dupliqués), OS-12672 et OS-12677, documentent cet évènement (Seddon 2004: 108, Table 5.1): le premier est daté de 1430–1478 PCN (1σ) et 1415–1612 (2σ), et le second de 1411–1440 PCN (1σ) et 1398–1452 (2σ). Ces deux échantillons proviennent de la même « source 14C », et de la couche de destruction du site Tiwanaku: ils reflètent donc l’implantation définitive des Incas sur l’île. En couplant les dates de Chucaripupata, l’occupation inca du site (et de l’île ?) n’est pas antérieure à 1430 PCN (1σ) et 1415 PCN (2σ), et n’est pas postérieure à 1440 PCN (1σ) et 1452 PCN (2σ).
Les fragments minoritaires découverts dans la structure n° 20 sont constitués de cuencos, escudillas et vasijas (céramique de service). Seddon indique que le pourcentage de vasijas dans ce contexte est beaucoup plus élevé que dans d’autres (1998: 325). Nous ignorons si ces vasijas ont un lien avec les vasijas miniatures décrit dans d’autres contextes d’incensarios, mais cette observation attire notre attention. Seddon a également identifié des outils en pierres, des outils d’exploitation agricole, et des aji mano « qui peuvent aussi avoir été utilisés pour moudre des drogues hallucinogènes » (1998: 329). La présence de fragments d’incensarios dans cette structure situé directement en contrebas de la plate-forme cérémonielle pourrait refléter un occupant prestigieux ou de statuts différents.
En se basant sur les chroniques de Cieza de León (1554) et de Cobo (1653), Bauer et Stanish estiment l’arrivée des Incas au lac Titicaca « dans le milieu des années 1400 PCN » lors de la seconde campagne de conquête militaire menée par Pachacuti Inca Yupanqui. Par ailleurs, Manco Inca serait né à Tiahuanaco « trois générations après », et deux décades avant l’arrivée des Espagnols [1531] sur le continent (2001: 51–52). Avec les données historiques, on peut estimer cette occupation insulaire entre 1430 et 1530 PCN (un siècle). Le registre archéologique confirme ces dates, mais celui documenté au site subaquatique de Puncu montre deux « phases » distinctes. La domination inca du bassin lacustre ce serait effet effectué au moins en deux étapes: (1) conquête, occupation et premiers aménagements, et (2) consolidation du pouvoir documenté par la réalisation de travaux de construction importants.
Les restes organiques d’herbes brûlées [ichu] découverts dans la couche d’effondrement devaient constituer la toiture de la structure, et l’échantillon 14C OS-12675 associé date par conséquent la destruction de celle-ci (Seddon 1998: 323): 895–992 PCN (1σ) et 890–1015 PCN (2σ). L’abandon définitif est donc daté entre 900 et 1000 PCN. L’écart type maximum entre la construction et la destruction de l’édifice est de 680–992 (1σ) et 676–1015 (2σ). Cet échantillon 14C est par ailleurs très intéressant, car il est contemporain des dernières offrandes subaquatiques documentées à l’arrecife de Khoa. L’échantillon 14C le plus récent prélevé à Khoa, UBA-23687, est en effet daté de 898–991 PCN (1σ) et 890–1014 PCN (2σ). À trois années près, l’écart type 1σ et 2σ de ces deux échantillons est identique à 100 %.
(2) Qeya Qollu Chico Le matériel céramique issu des fouilles de Bandelier en 1895 au cimetière de Kea-Kollu Chico est à la base de l’argumentation de Wallace sur l’existence d’un style préTiwanaku (1957: 19a). Bandelier note que le terme de Kea « est le nom d’une plante […] » (1910: 241, note 3), dont l’analogie avec le toponyme de l’arrecife de Khoa ne peut nous échapper. Au moins deux incensarios proviennent de ce site, et sont illustrées par Bauer et Stanish: le premier est un incensario-puma (a.1) avec une base annulaire, 6 festons, et la queue et la tête sommairement modelées. Le second est toutefois un bol qeya (a.4), avec 6 petits festons, mais avec une tête de puma et une petite applique à l’opposée représentant la queue (Fig. 4.4 - 4.5 in Bauer et Stanish 2001: 90–91). La relation entre ces deux formes (a.1 et a.4) n’est pas clairement définie, mais leur présence et leur « vocation de représentation du félin » au sein d’un même contexte de découverte documentent une fonction identique à l’origine.La forme de ce bol a.4 a en effet muté vers une représentation morphologique de type incensario:
Nous pensons que cette analogie n’est pas une coïncidence: d’un côté, nous avons la destruction d’un édifice situé à côté d’une plate-forme cérémonielle et possédant de nombreux fragments d’incensarios dans sont assemblage céramique, et à exactement à 4 km au large de ce site côtier, nous documentons l’abandon d’offrandes subaquatiques constituées d’incensarios. Ensuite, Chucaripupata est le site Tiwanaku principal situé à l’extrémité nord de l’île du Soleil, et donc le plus proche de Khoa, et qui possède par ailleurs une caractéristique unique: c’est le seul site d’occupation Tiwanaku situé sur la rive occidentale de l’île. Tous les autres sites sont situés sur les crêtes et dans les baies orientales. L’espace littoral oriental de l’île est en effet plus favorable à l’occupation avec des espaces cultivables, protégés des vents dominants venant de l’ouest, et constamment ensoleillé. Or pourquoi la plateforme de Chucaripupata a-t-elle été construite sur le versant occidental, et non sur le versant oriental ? 205
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie la tête et la queue ont été ajoutées, et le bol se transforme en céramique-effigie. Il est toutefois dangereux de considérer cet exemplaire comme le « chaînon manquant », mais la présence de celui-ci démontre une expérimentation des formes durant cette période, en lien avec un contexte qui documente l’apparition des premiers exemplaires d’incensario-puma (a.1) sous leur forme définitive.
(1) Iñak-Uyu préinca L’unique site d’occupation Tiwanaku documenté par l’archéologie est celui d’Iñak-Uyu. Il est situé sur le flanc oriental de la partie centrale de l’île, et n’est donc pas directement relié à la baie de Sampaya qui est située en face de l’autre versant insulaire. Le site est principalement connu pour son complexe architectural bien conservé daté de la période inca: l’Acllawasi (quechua), ou Iñak-Uyu (aymara). Le Temple inca est une structure en U avec de nombreuses « chambres » distribuées autour d’un patio central situé sur un entablement de 3 terrasses qui épousent la morphologie naturelle du site (Bauer et al. 2004: 139, 141, Fig. 6.5). Le complexe est orienté vers le lac et aménagé dans une baie naturelle, à moins de 120 m de la rive actuelle.
7.3.6. Île de la Lune L’île de Coati [Koati], ou l’île de la Lune, est également un espace insulaire « isolé du continent », mais dont la superficie est inférieure à 1 km2. L’île se trouve à plus de 7 km à l’ouest de l’extrémité sud de l’île du Soleil (Puncu), et à un peu moins de 5 km au nord-ouest au large de la péninsule de Copacabana (Figure 4.1). Elle est orientée d’axe Nord/ouest – Sud/est.Nous pensons que l’île de Coati était un un espace insulaire Tiwanaku exclusivement cérémoniel, et possédait probablement une « charge sacrée » plus importante que l’île du Soleil durant la période préinca. Nous énonçons cette hypothèse à partir de trois observations:
Les fouilles réalisées en 1996 ont documenté l’occupation inca, mais ont également mis au jour une occupation intensive de cet espace par Tiwanaku sous les fondations du complexe du 16e siècle (Bauer et al. 2004). Il n’existe sur l’île qu’une deuxième baie identique à celle-ci, située également sur le flanc oriental, mais à l’extrémité nordest de Coati. C’est exactement à cet endroit que se trouve le second complexe insulaire Tiwanaku: Uila-Peki [la tête rouge]. Celui-ci n’a toutefois pas été réoccupé par les Incas. L’aménagement de l’espace est identique à celui d’IñakUyu: nous supposons donc que les Incas ont construit ce nouveau complexe en respectant l’aménagement antérieur effectué par Tiwanaku.
• Deux complexes cérémoniels Tiwanaku sont aménagés sur l’île: Uila-Peki et le pré-Iñak-Uyu. D’un point de vue géométrique, ces deux complexes cérémoniels représentent proportionnellement une stratégie d’occupation exclusive de l’espace insulaire. • Cette île est beaucoup plus isolée: par voies navigables, l’île du Soleil se trouve à moins de 2 km de la baie de Yampupata, alors que l’île de Coati est à plus de 5 km. • Les fouilles archéologiques effectuées dans les fondations du site inca Iñak-Uyu documentent une « richesse matérielle » Tiwanaku.
Les 15 Unités de fouilles de 1996 ont été ouvertes à proximité du patio central d’Iñak-Uyu (2004: 162–168, Fig. 6.47). Dans l’unité n° 6, à ± 100 cm en dessous du niveau de sol actuel, ont été localisés des fragments de céramiques Tiwanaku associés à l’échantillon 14 C I -18,554 (Bauer et al. 2004: 161, 164, Table 6.1), daté de 677–858 PCN (1σ) et 641–904 (2σ). Les fondations d’un mur d’orientation est-ouest ont ensuite été localisé à 40 cm de profondeur dans l’unité n° 8 située au pied de la façade occidentale du complexe inca.
Par ailleurs, différentes observations liées directement à l’objet incensario attirent notre attention: premièrement, le toponyme Coati établit un lien étymologique avec celui de l’arrecife de Khoa. Ce toponyme pourrait être d’ascendance inca, mais sa présence dans le lexique linguistique d’origine pukina des Kallawayas argumente une origine étymologique préinca. La plante « Khoa » [Qoa, Koya, Coa, Q’oa], dont l’absence d’écriture a favorisé une variabilité de transcriptions (et non de prononciation), est comme nous l’avons démontré indissociable de l’objet incensario et de la pratique d’encensement. Nous pensons que la présence d’incensarios au sein de différents sites Tiwanaku insulaires dont les toponymes sont (1) arrecife de Khoa, (2) cimetière de Kea-Kollu Chico, ou (3) île de Coati, n’est pas une coïncidence.
Les vestiges perturbés de deux tombes ont été mis au jour « bien en dessous » de ce mur, associé à du matériel Tiwanaku: les corps n’étaient plus présents, excepté quelques dents (déplacement rituel ?), et le matériel « le plus remarquable » consiste en 3 fragments d’incensarios. Ces tombes ont été perturbées et recouvertes par au moins 50 cm de sable (Bauer et al. 2004: 165). Toute l’occupation Tiwanaku a été perturbée par le réaménagement de l’espace par les Incas. Une couche de fondation et de remblais importés (sable) scelle probablement toute la surface. Ces deux tombes sont donc également à ± 100 cm de profondeur (40 cm + 50 cm), et peuvent être associés à l’échantillon 14 C I -18,554 prélevé à moins de 10 m à l’ouest de cette unité n° 8.
Ensuite, l’île de Coati était reliée par un axe navigable à la baie de Sampaya. Or, non seulement de nombreux incensarios ont été découverts de par et d’autres de cette « route », mais celle-ci représente dans l’état actuel de la recherche l’unique témoignage de la présence simultanée des 3 représentations de l’incensario: les incensariospuma (A), les incensarios-lama (B) et les incensarioscondor (C). L’objet incensario, dans toute sa variabilité, est indissociable de l’île de Coati.
Deux têtes d’incensarios-puma (A.1) proviennent de ce contexte, dont une est illustrée (Fig. 6.41 in Bauer and Al. 2004: 166). Tous les incensarios sont différents, mais nous constatons que celui-ci est exactement identique à ceux 206
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel découverts en offrandes subaquatiques: une tête modelée avec une applique quadrangulaire, la gueule et les narines perforées et les yeux en amandes. Par ailleurs, au moins 4 feuilles zoomorphes en métal ont été découvertes à l’île de Coati (chapitre 10). Nous pensons qu’il peut y avoir un lien entre l’île de Coati [Koati] et l’arrecife de Khoa. À titre d’information, le site d’offrandes subaquatiques se trouve à 18,5 km d’Iñak-Uyu et n’est pas perceptible depuis ce site. La navigation entre ces deux points est donc envisageable, mais non probable.
de céramiques « les plus notables » découverts dans les nouvelles unités de fouilles de 1996 sont des fragments de « […] Upper Formative and Tiwanaku incense burners […] » (Bauer et al. 2004: 169), qui d’après la terminologie des auteurs peuvent tous correspondre à des incensarios indéterminés Tiwanaku (TIW). Les terrasses sont actuellement cultivées par les populations insulaires et ont été fouillées par Bandelier en 1895. La présence d’incensarios sur ces niveaux peut argumenter la préexistence de ces terrasses durant la période Tiwanaku, et peut-être une similitude sur ceux découverts en contrebas de la plate-forme de Chucaripupata (île du Soleil). Bandelier note par ailleurs qu’il a découvert à Kalich-Pata, situé sur l’île de Coati, « […] two bowls, most beautifully decorated in paint, and with handles representing each a puma with open mouth […] ». Ces deux exemplaires correspondent aux objets B/5700 et B/5701 conservés à l’American Museum of Natural History à New York (AMNH) (Sumru Aricanli 2015, AMNH, communication personnelle). Cette observation est importante, et nous oblige à être vigilants dans les anciennes sources, car ces deux « puma bowls » ne sont pas des incensarios Tiwanaku, mais bien des bols de la période inca.
Un fragment de pied bifide d’incensario-lama (B.3) provient également de ce contexte (Fig. 6.42 in Bauer et al. 2004: 166). Nous ignorons si d’autres fragments d’incensarios sans diagnostic ont été découverts, car les auteurs proposent une description sélective de l’assemblage céramique. Les incensarios-lama sont associés à des tombes à Lukurmata, et les têtes isolées d’incensariopuma à des contextes d’offrandes spécifiques, notamment à Chucaripupata (île du Soleil). Le contexte est ici perturbé et la fonction indéfinissable. Par ailleurs, ils associent les deux têtes d’incensarios-puma (A.1) à la période Formative tardive -LF2 (2004: 165). Les incensarios sont effet traditionnellement daté de la période Tiwanaku III (LF2) et Tiwanaku IV, et ont été régulièrement utilisés pour dater des contextes de découverte. Nous savons actuellement que ce critère chronologique n’est plus fondé.
(2) Yampupata À la fin du 19e siècle, les habitants de la baie de Yampupata, située à l’extrémité nord-est de la péninsule de Copacabana, avaient des connexions avec ceux de l’île de Coati. Bandelier indique que ce toponyme est d’origine aymara, et non quechua [inca], comme celui de « Titicaca » (Bandelier 1910: 50, 77, 286, note 9). Nous ne pouvons pas certifier que l’accès à l’île se faisait depuis Yampupata durant la période Tiwanaku, mais la situation géostratégique de la baie en face de Coati, les conditions de navigations sur le lac et l’origine non-incaïque de ce toponyme appuient cette hypothèse. Aucune fouille « moderne » n’a été effectuée à Yampupata, mais Max Uhle y a découvert (ou acheté) 3 incensarios: un incensario-puma de type A.1 (VA.11693), un incensariolama de type B.2 (VA.11871), et un incensario-condor de type C.1 (VA.11844) (annexe 6.1). Excepté l’incensariolama, l’état de conservation des deux autres exemplaires et la présence de résidus de terre, montre qu’ils proviennent probablement de fouilles ou d’une découverte fortuite faite par les agriculteurs.
L’unité n° 13 est intéressante, car elle est située au cœur du patio central, et illustre une stratigraphie identique à celle des unités n° 6 [échantillons 14C Tiwanaku] et n° 8 [incensarios] (Bauer et al. 2004: 167). Le niveau Tiwanaku, également associé à une couche sombre, se trouve dans ce contexte entre 110 et 130 cm de profondeur. Une tête d’incensario-puma (A.1) « presque identique à celles découvertes dans l’unité n° 8 » a été identifiée, ainsi qu’un fragment appartenant à un « large incensario Tiwanaku V » (Bauer et al. 2004: 167). Ce fragment est un feston décoré d’un motif d’oiseau ou de plumes appartenant à un incensario-puma (A.1) (Fig. 6.45 in Bauer et al. 2004: 168) (Figure 6.8 /1). Le feston « Tiwanaku V » et la tête « Upper Formative » peuvent théoriquement appartenir au même incensario. Cette unité se trouve également scellée sous une couche de sable et dans le même contexte stratigraphique que l’échantillon 14C: tous les fragments d’incensarios peuvent par conséquent être indirectement associés à l’intervalle chronologique situé entre 677–858 PCN (1σ) et 641–904 (2σ).
La présence de ces incensarios dans la baie de Sampaya renforce l’hypothèse de connexion avec l’île. Aucune structure cérémonielle n’y a jusqu’à présent été identifiée. Son identité « portuaire » indique que ces incensarios étaient soit importés depuis l’île, soit exportés jusqu’à celle-ci. Les deux situations sont également envisageables simultanément, mais dans les deux cas, appuient l’hypothèse de l’importance de l’objet incensario, et donc de l’incensario-officiant, avec l’île de Coati. Dans seulement 15 Unités de fouilles, 3 têtes d’incensariospuma ont été identifiées en 1996 à Iñak-Uyu, et elles ne sont pas [encore] décorées. Existait-il un atelier spécialisé de production d’incensario sur cette île ?
Aucun incensario pré-Tiwanaku n’a été identifié, et le complexe cérémoniel devait être actif principalement durant la période Tiwanaku. Toutefois, du matériel appartenant à la période Formative moyenne a également été découvert dans les niveaux inférieurs, et montre que le site était déjà occupé. Mais les formes sont associées à du matériel de type domestique (Bauer et al. 2004: 168). Les différentes terrasses situées en contrebas du complexe étaient « extrêmement perturbées », mais les fragments 207
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie l’espace Tiwanaku, et mettent en évidence une continuité de ces pratiques après cette période (2012: 185).
La tradition orale était puissante, et le toponyme Coati a peut-être un lien avec celui a priori utilisé durant la domination inca: l’île de la Lune. Or, peut-on faire un lien entre la « lune » et les offrandes d’incensarios ? Nous ne pouvons pas fonder notre argumentation scientifique sur base de cette hypothèse, mais l’expérience que nous avons acquise lors de nos plongées au Titicaca nous a permis d’identifier un des facteurs qui avait une incidence sur nos travaux: la lune. Comme tout lac, et principalement ceux situés en altitude, il existe un phénomène de marées. Nous avons constaté que lors de la période de la pleine lune, les difficultés de la navigation sur le lac nous empêchaient de plonger. Les habitants de la période Tiwanaku, qui étaient des navigateurs expérimentés (cf. chapitre 4), ont également dû faire ce constat, et la perception de l’espace sacré est indissociable de celle de l’espace lacustre. L’association de la lune et du lac faisait-elle partie de leurs croyances, et donc de leurs rites ?
Ensuite, un incensario-puma de transition (a.1/A.1) a été découvert intact avec un kero par les habitants, mais sans contexte de découverte bien documenté. Ceux-ci indiquent que ces objets « ont été récupérés sur les terrasses ainsi que dans une autre grotte située du côté nord-est de l’île […]. Dans cette dernière grotte, il y a de l’eau permanente [semi-immergée], et les habitants disent qu’il y a encore d’autres têtes de félins » (Chávez et Stanish 2012:187). Cet incensario est en effet de « transition », car il répond aux critères morphologiques de l’incensario Tiwanaku, mais avec des « résidus » caractéristiques de la période pré-Tiwanaku: il s’agît d’une céramique-effigie de forme hyperboloïde, à base annulaire et aux bords festonnés. Il y a toutefois une anse située à l’arrière, comme la variante de type A.1.1 que nous datons du début de la période Tiwanaku IV, et une tête modelée sommairement, mais déjà creuse et en projection sur la partie avant (Fig. 10.7 in Chávez et Stanish 2012:187).
7.3.7. Bassin lacustre septentrional (Pérou) Les incensarios pré-Tiwanaku et Tiwanaku sont omniprésents dans le basin méridional du Titicaca. D’autres exemplaires sont également présents en faible quantité sur les îles et les rives septentrionales du lac, mais en interaction avec d’autres traditions dans le registre archéologique de la période Formative. Un des critères qui justifie l’emploi du terme « incensario pré-Tiwanaku » est de ce fait la distinction que nous souhaitons faire avec ceux de tradition de production différente (Chapitre 9). À titre d’information, des fragments d’incensarios pucara, découvert sur le site éponyme de Pucara au nord du bassin lacustre, sont associés à l’échantillon 14C AA-51770 (Klarich 2005: 141–143, 293). Celui-ci est daté de 80– 202 (1σ) et 58–224 PCN (2σ), et appartient à la première phase de la période Formative tardive (LF1). La tradition de production de l’incensario pré-Tiwanaku dans la partie méridionale du bassin lacustre date de la seconde phase de la période LF2, associée à la période d’émergence de la culture Tiwanaku (300–500 PCN).
Le plus intéressant dans ce contexte de découverte est la présence d’incensarios (pré) Tiwanaku dans une grotte. Ce cas n’est pas isolé, mais attire notre attention, car cet « espace » est non aménagé et non construit: il s’agît d’un espace naturel sacré. Le site d’offrandes subaquatiques est dans ce sens identique. Notons par ailleurs que l’arrecife de Khoa est situé à 350 m à l’est de la grotte de l’île de Khoa. Dans les deux cas, la présence d’offrandes d’incensarios dans, ou en face d’une grotte, n’est probablement pas une coïncidence. Chávez et Stanish suggèrent un culte de l’eau. La grotte semi-immergée de Tikonata ne devait toutefois pas être immergée durant cette période (sauf s’il s’agit d’une source), et nous pensons que la présence d’incensarios-puma est principalement liée à la cavité, et non exclusivement à la présence de l’eau. Enfin, la présence de céramiques miniatures, bien qu’a priori plus tardives, est d’après les auteurs liés à un « assemblage céramique largement rituel » (2012: 189). Des fragments d’incensarios (TIW) ont également été découverts dans les années 1980 à l’intérieur d’une grotte de l’île Amantaní, située à moins de 7 km à l’est de l’île de Tikonata (Arkush 2005: 237).
(1) Isla Tikonata L’île de Tikonata est située en face de la péninsule de Capachica, à 72 km au nord-ouest de l’île du Soleil. Il s’agit d’une petite île sans habitations permanentes de 700 m de long, proche de la rive ouest du nord du lac Titicaca. Le témoignage d’activités funéraires Tiwanaku et postTiwanaku a été découvert fortuitement en 2005 dans une grotte située au sud-est de l’île (Chávez et Stanish 2012:183–185). La tête d’un incensario-puma (a.1) préTiwanaku y a été découverte à proximité de 8 momies, probablement plus tardives. Chávez et Stanish suggèrent que ce fragment appartient au style Pucara (2012: 185). Toutefois, la morphologie de la tête modelée (Fig. 10.9 in Chávez et Stanish 2012:188), son association (in) directe avec un contexte funéraire post-Tiwanaku et la présence d’autres fragments d’incensario et keros sur l’île suggèrent une tradition Tiwanaku. Chávez et Stanish concluent d’ailleurs que l’île faisait partie intégrante de
(2) Puno Des fouilles effectuées dans la baie de Puno sur le site de Huajje P5, caractérisé par un monticule en forme de U, ont mis au jour des « fragments » d’incensarios à une profondeur de 310 cm, stratigraphiquement au-dessus de fragments de styles pucara (500–380 cm) et en dessous de fragments de style inca (220–230 cm). L’échantillon 14C Beta -195437, provenant d’une couche située entre 280 et 290 cm (Schultze et al. 2012: 271), est daté de 652–765 (1σ) et 608–875 PCN (2σ). Il s’agit donc de fragments de céramiques de la période Tiwanaku. Les auteurs indiquent par ailleurs qu’il y avait un incensario presque complet, et qu’une feuille de cuivre était plaquée sur les dents de 208
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel
Figure 7.3. L’incensario et les territoires périphériques.
la tête de la céramique-effigie (2012: 273). Ils indiquent ensuite qu’il s’agit d’un incensario-puma (A) (2012: 282). Cette information est très intéressante, en particulier pour les petites feuilles dorées (cuivre doré et/ou or cuivré) que nous avons identifiées à l’arrecife de Khoa. Elles étaient peut-être associées aux incensarios.
offre des conditions climatiques différentes propres à son « palier écologique », et est propice à l’agriculture intensive, principalement celle du maïs. Les fouilles réalisées depuis le début des années 1980 ont permis d’identifier de nombreux sites d’occupation et d’activités dans toute la vallée, et de distinguer « deux vagues » de colonisation: Omo (± 700 PCN) et Chen Chen (± 850 PCN).
7.4. L’incensario et les espaces rituels des territoires périphériques (300–1050 PCN)
(1) Temple Omo 10
Les territoires périphériques sont ceux situés en dehors du bassin lacustre du Titicaca, mais qui sont en connexion avec la culture matérielle de celui-ci (Figure 7.3). L’étude de cette occupation extra-lacustre permet d’aborder la thématique de l’« expansion Tiwanaku », et la nature qu’entretenaient ces populations avec Tiahuanaco (Goldstein 2013: 41–63). La vallée de Moquegua en particulier est probablement l’occupation Tiwanaku la plus dense (ou la mieux documentée). Paul Goldstein distingue différentes régions, dont: (1) Moquegua, (2) Cochabamba et (3) San Pedro de Atacama (2003: 152– 163). Toutes illustrent la présence d’incensarios dans le registre archéologique. Or, qu’elle est le rôle de cet objet dans les mécanismes d’implantation en périphérie ? Par ailleurs, une des caractéristiques est l’absence d’incensarios pré-Tiwanaku dans ces territoires, et indique que cette « expansion » est indissociable de l’émergence de Tiwanaku en tant que groupe culturel distinct.
Entre 1987 et 1990, les fouilles réalisées sur le site Omo 10 ont mis au jour les vestiges d’un complexe cérémoniel Tiwanaku composé de trois esplanades délimitées par des murs d’adobe: la cour inférieure, la cour intermédiaire et la cour supérieure sur laquelle sont construites des structures réparties autour d’un Temple semi-souterrain (Goldstein 1993: 32–35). L’accès au sommet est canalisé par un système de porte et d’escaliers, qui définissent un espace de plus en plus restrictif à proximité du Temple situé sur la dernière plate-forme de ± 34 sur 36 m (Goldstein 1993: 33). Cette caractéristique est propre à la période Tiwanaku V (Seddon 2013), et est confirmée par l’échantillon 14C Beta -39679 (Goldstein 1993: 34). Celui-ci provient d’un fragment de linteau en bois qui délimitait l’entrée proprement dite du Temple: il est daté de 890–987 PCN (1σ) et 840–1021 PCN (2σ – 90,1 %). D’après la terminologie de Goldstein, ce temple a donc été construit durant la période Chen Chen qui correspond à l’occupation Tiwanaku V de la vallée. Ensuite, il indique que la surface du Temple suggère un nettoyage rigoureux: la surface est stérile (1993: 36). Peu, ou pas d’objets y ont été découverts, et ceux-ci proviennent majoritairement de « caches » et contextes d’offrandes. Enfin, les bonnes conditions de conservation documentent la présence de l’empreinte du pivot d’une porte associée au linteau en
7.4.1. Moquegua La vallée de Moquegua se situe à ± 300 km à l’ouest de Tiahuanaco, et à ± 200 km à vol d’oiseau du lac Titicaca (Figure 7.3). Il y a un dénivelé de 1200 m entre la basse (800 m) et la haute vallée (2000 m). Toute la région est située au pied des contreforts de la cordillère occidentale qui délimite l’Altiplano et le bassin lacustre. Cette région 209
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie bois [14C], et des vestiges de pigments de couleurs rouge, jaune et vert dans l’encadrement de l’entrée. Par ailleurs, les traces d’un enduit peint de couleur rouge avec quelques décorations en vert étaient encore conservées sur les parois internes du temple semi-souterrain (Goldstein 1993: 37).
communs entre ces deux cultures est par ailleurs le registre iconographique qu’elles partagent. L’iconographie, en particulier rituelle, est indissociable de la perception du monde sacré, et démontre que Huari et Tiwanaku sont deux groupes ethniques distincts, mais qui appartiennent à la même aire culturelle.
Des fragments d’incensario ont également été découverts (Goldstein 1993: 40), dont au moins un incensario-puma (A.1). La figure n° 11 illustre en effet un incensario à forme hyperboloïde, à base annulaire et à bord ondulé, et les fragments d’une applique quadrangulaire décorée de motifs (Fig. 11 /b in Goldstein 1993: 41). Ensuite, les fragments de base de deux incensarios indéterminés (TIW) appartiennent probablement au type A.1. Ceux-ci se caractérisent toutefois par leur petite taille (Fig. 11 /a in Goldstein 1993: 41). Enfin, contexte de découverte très intéressant, une cache de 4 vasijas miniatures a été localisée à la base de l’escalier du Temple (Goldstein 1993: 40–41, Fig. 11/c).
En 2007, au sein du Temple Arundane huari (complexe D), situé au sommet du Cerro Baúl, a été mis au jour un espace Tiwanaku contenant les fragments de 6 incensarios (Williams 2013: 37). D’après Williams et Nash, la planification de ce complexe, décentralisé par rapport à l’urbanisation du site, répond à une orientation qui respecte l’alignement naturel du sommet d’une montagne dont le nom a été attribué au Temple par les archéologues (2006: 464). Or, le complexe a également été construit autour d’une grande roche naturelle qui « émerge » d’une plate-forme nivelée par l’homme. Le sommet de cette roche en andésite est situé à presque 3 m au-dessus du niveau du sol, dont l’espace est délimité par des murs en pierre. D’après les auteurs, il s’agit d’une anomalie naturelle du site dont la forme et sa particularité atypique « peuvent avoir été considérées comme un rocher sacré » (Williams et Nash 2006: 465). Les fragments d’incensarios ont été découverts dans cet espace (Williams 2015, communication personnelle).
Notons également la présence d’offrande de fœtus de camélidés concentrés dans un espace situé entre la structure arrière et le mur d’enceinte, et dans d’autres endroits, des objets isolés en lapis-lazuli, malachite [vert] et spondyle, et le fragment d’une tapisserie représentant un « accompagnant de profil » à tête de puma (Goldstein 1993: 40). Ces matériaux précieux ont également été découverts à l’arrecife de Khoa, et le motif de l’« accompagnant de profil » à Pariti (Korpisaari et Pärssinen 2011).
L’analogie entre ce site de découverte et l’arrecife de Khoa est flagrante. Dans les deux cas, nous retrouvons des offrandes d’incensarios réparties autour d’une anomalie topographique naturelle du paysage environnant, constitué par un éperon rocheux isolé du reste du paysage. Bien que l’arrecife de Khoa soit actuellement sous l’eau, le site répond à la même morphologie: la charge sacrée est probablement due à cette anomalie, et non, pour le cas d’Arundane, au complexe huari construit autour. La présence d’une occupation huari autour d’un espace rituel de la culture Tiwanaku montre qu’il y avait des échanges entre les deux groupes, comme l’atteste la cohabitation dans la vallée.
Goldstein insiste [en 1993] sur la présence d’une catégorie de céramique indissociable de la fonction du temple, les vasijas miniatures, et de leur présence attestée au sommet de la pyramide Akapana (1993: 40). Nous pouvons déterminer actuellement que cette céramique miniature est non seulement indissociable de l’objet incensario, mais également de l’incensario-officiant. Ensuite, notons la présence exclusive d’incensarios-puma (A.1) dans ce contexte Tiwanaku V, probablement avec une applique quadrangulaire. Ceux-ci sont identiques à ceux découverts à l’arrecife de Khoa, et dans d’autres contextes contemporains. Cette forme majoritaire de la période Tiwanaku V documente la production d’une forme standardisée, et reflète probablement la nature du pouvoir Tiwanaku: centralisé, et expansif.
Par exemple, une offrande composée de deux céramiques Huari et d’un kero Tiwanaku a été découverte dans un autre secteur du sommet du massif (Williams et al. 2001: 81). Il y avait donc peut-être une tolérance dans le « partage » de l’espace sacré autour du rocher. Les mêmes auteurs suggèrent que « durant l’occupation Huari du Cerro Baúl, il y avait une participation de gens de Tiwanaku dans certaines cérémonies importantes auxquels ils devaient participer en tant qu’invités » (2001: 81). En relation avec le complexe cérémoniel Omo 10 décrit précédemment, Goldstein indique [en 1993] que « ce n’est peut-être pas une coïncidence que la cour supérieure [et le Temple semisouterrain] offre également un des rares points de vue du sommet lointain du Cerro Baúl […] » (1993: 38).
(2) Cerro Baúl La haute vallée de Moquegua illustre un des rares espaces d’interaction physique entre la culture Tiwanaku et la culture Huari. L’occupation de la vallée est contemporaine, mais la différence de stratégie d’occupation du territoire – dans l’architecture, l’urbanisation et l’exploitation agricole des terres – « reflète un modus operandi distinct de l’organisation [et l’identité] de la société Tiwanaku et Huari » (Williams 2013: 32). Le Cerro Baúl, qui est un massif naturel qui domine le haut de la vallée, a ceci de particulier qu’il se caractérise par une occupation exclusive Huari, mais au sein de laquelle il y a une enclave rituelle à la fois Huari et Tiwanaku. Un des points
Les 6 fragments d’incensarios sont illustrés, et composés de 13 fragments: un fragment décoré isolé (Fig. 6a), une 210
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel tête de puma avec une applique quadrangulaire (Fig.6b), un fragment de queue creuse (Fig. 6c), un feston perforé (Fig. 6d), 1 fragment de bord ondulé avec 2 festons, 1 fragment de base annulaire et 1 fragment isolé (Fig. 6e), et 5 fragments d’une tête zoomorphe et 1 fragment de patte indéterminé (Fig. 6f) (Williams et Nash: in press). Au total, l’incensario-puma de type A.1 est la forme dominante, avec au moins 3 exemplaires distincts, car la tête peut appartenir à l’une des trois formes.
Une autre feuille zoomorphe en métal précieux a également été découverte en contexte Huari dans la région de Cuzco (Fig.32 in Chávez 1984: 42). Cet exemplaire possède deux petites lignes incisées sur le haut des pattes et une perforation au niveau de l’échine, comme celles de Khoa. Chávez indique qu’il s’agît d’une « silhouette de camélidé » (1984: 8), et qu’elle provient d’une collection « associée avec des tombes » étudiée en 1978 (1984:1). Les feuilles zoomorphes huari et tiwanaku sont différentes, mais devaient avoir la même fonction dans la performance rituelle.
Nous avons ensuite un fragment que Williams et Nash attribuent sur un critère de décoration à un incensariolama (B.2) (in press), mais que nous attribuons par prudence à un incensario Tiwanaku indéterminé (TIW). Le dernier correspond aux fragments d’une tête zoomorphe, a priori de puma, avec une applique quadrangulaire. La présence d’un fragment de patte indéterminé peut correspondre à un incensario-puma de type (B.2), mais sans certification, nous l’attribuons également à une autre forme indéterminée (TIW). Le plus intéressant dans cet assemblage est la diversité des formes, et peut refléter une variabilité chronologique et/ou régionale (importation ?).
Pour clôturer, Owen et Goldstein indiquent que l’occupation Tiwanaku dans la vallée de Moquegua se termine vers 1000 PCN, et que « l’iconographie et les autres aspects de la culture matérielle changeront par rapport au style Omo et Chen Chen […], probablement à cause de la diminution des contacts avec les experts et les canons iconographiques de l’Altiplano […] » (2001: 182). En accord avec ce raisonnement, nous pensons que la disparition de l’objet incensario vers 1000–1050 PCN est liée à la disparition de l’incensario-officiant. En effet, d’autres formes, telles que les keros, continueront à exister dans la région des Andes Sud centrales jusqu’à la période inca. L’incensario répond quant à lui à des critères de production contrôlés par une élite ou un groupe spécifique, et la disparition de l’élite dirigeante Tiwanaku vers 1050 PCN a donc entraîné la disparition de cet objet. L’incensario-officiant devait par conséquent être proche de cette élite dirigeante, car sa fonction ne survivra pas à l’effondrement de la culture Tiwanaku.
La présence de ces incensarios dans un espace sacré en connexion avec un culte potentiel de la montagne, ou pour reprendre la terminologie inca utilisée par Williams et Nash, les apus (2006: 455–468), n’est pas sans connexion avec l’arrecife de Khoa et la présence de moraines de glaciers importés sur le site. Par ailleurs, si le rocher du Cerro Baúl représente une autre dimension, le Cerro Arundane, peut-on supposer que l’arrecife de Khoa ait la même fonction et soit une projection cognitive d’une « montagne » environnante ? En effet, l’arrecife est situé seulement à 200 m à l’est de l’île [et la grotte] de Khoa. La particularité est qu’il n’y a aucun vestige de construction sur cette île. Est-ce que l’arrecife était la mesa d’offrandes [lieu de culte] pour célébrer l’objet du culte [île de Khoa] ?
(3) Occupation Omo et Chen Chen L’occupation Chen Chen se concentre en amont des sites d’implantation Omo. Le site Chen Chen M1 est un secteur d’occupation divisé entre des espaces résidentiels (secteurs 11–12–13), et des espaces réservés aux activités cérémonielles (secteurs 14–15). Ces derniers secteurs se caractérisent en effet par une faible concentration de céramiques de service et par la présence d’incensarios (Goldstein 2005: 192). Trois fragments d’exemplaires provenant de ce site sont illustrés, avec au moins la base d’un incensario-puma (A.1) avec des décorations circulaires, une tête d’incensario-puma indéterminé (A) dont les oreilles et le « collier » sont semblables aux incensarios-puma zoomorphes, et les fragments d’une applique quadrangulaire appartenant peut-être au premier incensario-puma (A.1) (Fig. 19/a in Goldstein et Owen 2001: 164). Aucun incensario-condor n’a été identifié dans la vallée de Moquegua, ni aucun incensariolama, excepté peut-être l’attribution non certifiée d’un exemplaire au Cerro Baúl.
L’analogie entre le site du Cerro Baúl et Khoa est par ailleurs renforcée par la présence d’une feuille de métal précieux zoomorphe. Elle a été découverte dans la couche inférieure d’une autre structure du sommet du Cerro Baúl (Structure D) (Williams et al. 2001: 81). Celle-ci fait ± 3 cm de long sur 2 cm de hauteur, et est de morphologie identique à celles de l’arrecife de Khoa (Fig. 9 in Williams et al. 2001: 79). Celle-ci est toutefois en argent, ne possèdent pas d’incisions de décorations et les attributs de l’animal représenté (puma/ lama) sont plus sommaires. Cette feuille zoomorphe huari est indirectement associée à l’échantillon 14C TX-9279 prélevé dans l’unité 5 (structure D) (Williams et al. 2001: 74, Table 1), daté de 892–990 PCN (1σ) et 842–1025 PCN (2σ – 91,8 %). La présence d’une feuille zoomorphe de ce type dans un contexte de découverte proche d’incensarios Tiwanaku indique au moins des analogies entre les pratiques rituelles Huari et Tiwanaku, et indirectement à celles contemporaines de l’arrecife de Khoa. Notons par ailleurs l’échantillon 14C GX-24706 associé à l’Unité 3 du même secteur monumental du Cerro Baúl (Williams et al. 2001: 74, Table 1), et daté de 640–762 PCN (1σ) et 600– 769 PCN (2σ – 91,8 %).
Goldstein a également identifié 5 vasijas miniatures et un tupu de bronze avec une tête de lama/puma associé aux structures cérémonielles (Fig. 19/b-c in Goldstein et Owen 2001: 164). Il indique par ailleurs que des fragments d’incensarios zoomorphes sont occasionnellement découverts en contexte domestique Chen Chen. Un 211
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie (Anderson 2013: 90). La vallée centrale de Cochabamba possède également sa propre terminologie d’occupation Tiwanaku, avec une distinction entre la phase Illataco et la phase Piñami. La première se caractérise par l’apparition de l’influence Tiwanaku dans la vallée, et la seconde par l’augmentation d’objets de style Tiwanaku dans l’assemblage céramique (Anderson 2013: 90). En comparaison, cette distinction n’est pas sans rapport avec les deux vagues d’immigration Tiwanaku dans la vallée de Moquegua – Omo et Chen Chen -(Anderson 2013: 94), et pourrait refléter une politique cohérente de Tiwanaku à travers tous les territoires périphériques.
incensario-puma zoomorphe (A.2) est illustré: seul le corps est conservé, ainsi que les pattes avant en appliques non bifides (Fig. 13 in Goldstein et Owen 2001: 157). Par ailleurs, au moins 5 exemplaires d’incensarios-puma (A.1) sont également illustrés, dont un exemplaire identique à celui découvert dans le Temple Omo 10 et dans la structure Chen Chen M1, avec des motifs de décoration circulaire. Goldstein attribue ceux-ci au « style Chen Chen », y compris celui du temple Omo 10, car il est daté de la période Tiwanaku V (Fig. 13 in Goldstein et Owen 2001: 157). Goldstein indique également que des incensarios zoomorphes ont été découverts en contexte domestique Omo, ainsi que d’autres objets rituels du kit hallucinogène, des « pigments utilisés pour des peintures faciales », des objets en métal et des bijoux (2005: 198). Nous avons constaté sur le site de Chucaripupata (île du Soleil) que certaines unités domestiques pouvaient documenter des objets de prestiges liés à une fonction ou un statut spécifique. La frontière entre l’unité domestique et l’unité domestique « d’un ministre du Culte » est parfois seulement perceptible par le matériel associé, et non par la morphologie de la structure. Trois incensarios zoomorphes sont illustrés, dont un incensario-puma (A.2) avec des yeux globuleux et une applique autour du cou identique à ceux découverts à Lukurmata, un incensario-puma (A.2) avec une queue peinte de traits noirs et une tête encadrée par une applique quadrangulaire (rare), et un dernier incensariopuma (A.2) avec également une tête de félin encadrée par une applique quadrangulaire (figures 8.7/2a-b). Enfin, il illustre également un incensario-puma (A.1), mais à base annulaire et à forme hyperboloïde. Les festons sont dans cet exemple plus angulaires que « ceux de style Chen Chen », et il n’y a pas de motifs de décoration circulaire (Fig. 8 in Goldstein et Owen 2001: 152). Si l’assemblage est proportionnellement représentatif, il y a plus d’incensariopuma zoomorphe (A.2) dans les sites d’occupations Omo, et plus d’incensario-puma (A.1) dans les sites d’occupation Chen Chen, ou datés de la période Tiwanaku V.
Anderson signale la présence d’incensarios Tiwanaku sur le site éponyme de Piñami, et suggère que cette phase [vague d’immigration] pourrait être plus précoce (2013: 90), car elle indique que l’incensario est une forme caractéristique Tiwanaku IV. Nous savons aujourd’hui que cette association est erronée, et pourrait indiquer que la phase Piñami est plus tardive que celle de Illataco, et peutêtre contemporaine de la vague d’immigration Chen Chen vers 850 PCN. Plus de 42 tombes de l’Horizon Moyen ont été découvertes sur le site de Piñami, dont certaines sont associées avec des offrandes de céramiques rituelles: incensarios et céramiques-effigie (Anderson 2013: 101–103). Anderson indique ensuite que ces céramiques rituelles sont exclusivement associées aux « early burials » de la phase Illataco [Tiwanaku IV] (2013: table 6.4). Nous n’avons pas plus d’informations, mais une photographie de 1988 illustre une des tombes de Piñami (P-I, N-13): nous pouvons observer une fosse circulaire contenant le corps bien conservé d’un adulte de sexe féminin enterré en position fléchie, avec au moins une céramique de type kero, et un incensario-puma zoomorphe (A.2) posé dessus (Cespedes 2001: 47). La céramique possède une base surélevée, une queue creuse orientée vers le bas et une tête perforée au niveau de la gueule, avec deux oreilles, mais sans « collier » ni applique quadrangulaire. La présence unique de cet incensario associée à cette tombe dans le cimetière de Piñami pourrait correspondre à celle d’un incensario-officiant. Si tel est le cas, l’association à une femme (cf. légende de la photo) pourrait indiquer une fonction de prêtresse.
Les contextes de découverte de ces 6 incensarios-puma (A.1) et des 4 incensarios-puma zoomorphes (A.2) ne sont pas documentés, mais Goldstein indique que des incensarios ont été découverts en contexte funéraire (2005: 251). Pour ces deux formes, leur association à des tombes est documentée à Lukurmata (Bermann 1990, 1994).
7.4.3. San Pedro de Atacama Le désert de San Pedro de Atacama est la région la plus éloignée du bassin lacustre, à plus de 800 km au sud de Tiahuanaco (Goldstein 2003: 152) (Figure 7.3). Les conditions climatiques, avec l’absence d’humidité, ont favorisé la conservation de matériaux organiques. La région documente par conséquent un assemblage peu représenté dans le bassin lacustre: textiles, tablettes et objets en bois, résidus de plantes et de substances liées au kit hallucinogène, en particulier dans les contextes funéraires. Entre 5 et 10 % des céramiques associées à ces contextes sont de « pur style Tiwanaku », et montrent que la production de la majorité de celles-ci n’est pas locale. Elles sont importées en tant que « biens de prestiges pour l’élite locale » (Stovel 2001: 379).
7.4.2. Cochabamba La région de Cochabamba se caractérise par des vallées intermédiaires situées entre 1800 et 2800 m d’altitude, à ± 500 km de Tiahuanaco (Goldstein 2003: 153). C’est une région propice à l’agriculture, située sur les versants orientaux de la cordillère à la jonction avec le basin amazonien (Figure 7.3). L’implantation Tiwanaku est toutefois moins « intrusive » que dans la vallée de Moquegua, car seulement 10 % des céramiques décorées découvertes dans le registre archéologique des vallées plus éloignées [fouillées par Anderson] sont de style Tiwanaku 212
L’incensario comme indicateur de l’espace rituel Bien qu’aucun contexte de découverte associé à des incensarios ne soit documenté par la littérature scientifique, certains exemplaires sont conservés au Museo Chileno de Arte Precolombino (annexe 6.1), mais leur présence est rare à San Pedro de Atacama. Le lien entre cette région et le bassin lacustre est toutefois attesté par le registre iconographique des tablettes en bois qui servaient à priser des substances hallucinogènes. Sur 120 tablettes analysées, 57 d’entre elles possèdent une iconographie Tiwanaku (Niemeyer et al. 2015: 127). Les motifs représentés principaux sont (Torres 2001: 435–444): (1) le Dieu-auxbâtons, dont la représentation la plue connue est celle de la porte du Soleil, (2) les figures et visages rayonnants, (3) les personnages de profil ou figures animales anthropomorphes de profil, que ce soit à tête de puma, de condor ou humaine, (4) les figures zoomorphes de puma/lama, (5) le serpent à tête de puma, ou « katari » et (6) des représentations
plus complexes, modelées, ou uniques. Au moins trois des motifs que nous venons d’énumérer sont attestés à l’arrecife de Khoa, et peuvent créer un lien entre la pratique d’offrandes subaquatiques d’incensarios et les activités rituelles liées au kit hallucinogène: la tête rayonnante (sur une feuille de métal circulaire), les figures zoomorphes (feuilles zoomorphes en métal détouré) et le serpent à tête de puma (sur une feuille en métal quadrangulaire). Enfin, une tablette en particulier attire notre attention, car elle est incrustée de petites perles de couleur verte (Fig. 7 in Niemeyer et al. 2015: 130). Par exemple, un «chapelet» en lapis-lazuli [de couleur vert-bleu] a été découvert dans le complexe de Putuni (Couture et Sampeck 2003: 251– 254). Le bois ne se conserve pas sur l’Altiplano, et nous pensons que certaines de ces perles peuvent être associées à des objets en bois qui ne sont plus conservés.
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Chapitre 8 L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré artistique, politique, sociale ou rituelle. Il est également utilisé en linguistique pour aborder le thème des narrations épiques (Odyssée). Il se traduit donc en français, mais dénote, en anthropologie, une signification spécifique de la performance. Par exemple, « les dénominateurs communs [entre les performances artistiques et les performances rituelles] concernent [1] la spatialité en jeu, [2] la nature des éléments de la manipulation, [3] le temps hors norme de l’action et [4] une volonté de produire du symbolique » (Pasqualino et Schneider 2009). Dans les études américanistes, le concept de la performance sociale est omniprésent; le concept de la performance du rituel est, par ailleurs, régulièrement employé, mais non clairement défini.
8.1. Introduction Nous avons recensé au total cent deux incensarios (NMI) en registre archéologique documenté à travers tout le territoire Tiwanaku (chapitre 7), dont vingt-huit exemplaires sur le site de Tiahuanaco (27,4 %), cinquantetrois exemplaires dans le bassin lacustre (52 %) et vingtet-un exemplaires en périphérie (20,6 %) (Annexe 7.1). Au minimum, quatre-vingt-un incensarios ont donc été découverts dans le bassin du Titicaca entre ± 1980 et 2010. En termes de distribution spatiale, l’incensario est par conséquent représentatif de l’occupation Tiwanaku et ne reflète pas seulement une création régionale. Nous constatons ensuite que cette pratique d’offrandes ne se limite pas à l’occupation Tiwanaku IV, mais est également représentative de toute la période, depuis son apparition durant la phase pré-Tiwanaku (LF2) jusqu’à la fin de l’occupation Tiwanaku V. L’incensario est par conséquent un indicateur culturel, car il s’accorde aux critères d’espace et de temps qui définissent cette culture. Indépendamment des offrandes de l’arrecife de Khoa, la présence d’incensarios dans les contextes de découverte à chaque phase chronologique démontre que le critère de datation relatif à telle ou telle période en particulier ne s’applique pas à cet objet.
Le concept de performance sociale se réfère aux moyens de production, physique et/ou symbolique, qui permettent aux individus d’agir socialement les uns envers les autres à travers des significations emblématiques (Villanueva et Korpisaari 2013: 87). En adaptant cette définition, le concept de performance rituelle peut se référer aux moyens de production physique et/ou symbolique qui permettent aux individus d’agir rituellement avec une autre « entité » [par exemple le lac], à travers des significations emblématiques.
8.2. Performance rituelle et perception de l’espace sacré Tiwanaku
En d’autres mots, l’Homme rationalise sa relation à son environnement (croyances et mythes); il développe des significations pour exprimer cette relation au moyen d’éléments d’interaction (iconographie, objets, aménagements cérémoniels) et crée des rites visant à l’entretenir. Il s’agit en réalité d’un processus complexe de rationalisation ou de « sacralisation » de son espace de vie ou de certaines composantes de celui-ci; ce processus conduira à la production d’activités humaines de type rituel. Les offrandes subaquatiques sont par conséquent les témoignages d’une interaction entre les individus Tiwanaku et leur espace de vie, à savoir le lac Titicaca. Elles donnent un aperçu tant de la signification qu’ils accordaient au lac que de la perception qu’ils avaient de cet espace. Le processus inverse de compréhension des offrandes et des pratiques grâces à leur perception de l’espace sacré est presque impossible, car nous ne possédons pas de narrations directes datant de la période Tiwanaku, tels que des mythes. Par contre, dans le cas des offrandes subaquatiques incas, ce raisonnement nous est autorisé dans les deux sens; en effet, nous disposons à la fois du témoignage archéologique de leurs offrandes et du témoignage, via les sources coloniales, de leur perception de l’espace sacré.
Le concept de performance est un terme anglo-saxon appliqué en sciences humaines: on parle de performance
Pour aborder cette problématique, nous pouvons formuler le concept de performance rituelle sous forme d’équation:
Dans ce chapitre, nous proposons d’analyser le rôle de l’incensario au sein de la performance rituelle d’offrandes, qu’elle soit « terrestre » ou subaquatique. Tout d’abord, nous définirons et nous développerons le concept de performance rituelle (8.2), puis, nous analyserons statistiquement la distribution de l’objet incensario dans l’espace et dans le temps (8.3). La perception de l’« espace sacré », un processus cognitif propre à l’Homme, reflète une identité culturelle. Nous aborderons cette perception grâce aux données matérielles et nous redéfinirons, en fonction de sa variabilité, le concept d’« espace rituel », qu’il soit construit, aménagé ou naturel (8.4). L’objet incensario est caractérisé par ailleurs par un cadre rituel complexe associé à un assemblage matériel, ou encore par la codification des couleurs et par son association régulière avec le kit hallucinogène. Ces données permettront d’envisager sous un autre angle l’étude de la culture Tiwanaku, en identifiant une fonction spécifique au sein de l’élite dirigeante: l’incensario-officiant (8.5).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie ([rites] + [offrandes]) = perception de l’espace sacré [croyances et mythes]. L’élément [rites] constitue donc une autre inconnue de cette équation. Antti Korpisaari résume cette situation en essayant de distinguer les différences de statut entre les individus inhumés; certaines tombes paraissent plus « prestigieuses », mais toutes, en règle générale, possèdent la même quantité de mobilier funéraire. Dès lors, si l’on prend en compte l’hypothèse de l’entretien et de la réouverture des tombes qui faisaient l’objet d’un culte, c’est la durée même des pratiques funéraires qui marque une différence de statut entre les inhumations (2006: 154–155).
légitimité inca. On aurait affaire à des mythes hybrides qui opèrent par déplacement d’éléments et par recompositions successives entre les cycles lacustres et les mythes d’autochtonie envisagée à partir de Cuzco » (1992: 97). Nous suggérons qu’un mythe fondateur inca en particulier, celui qui narre le percement du Désaguadero, pourrait intégrer des composantes narratives plus anciennes; nous sommes en effet en mesure de déterminer cet événement lors de l’augmentation du volume d’eau lacustre au début de la période pré-Tiwanaku, probablement vers 300 PCN (chapitre 4). En 1905, Bandelier déclare « qu’il y a une tradition qui indique que la rivière Désaguadero s’est ouverte (par un processus inconnu) à une époque très reculée et qui est transmise par la mémoire » (Bandelier 1905: 452). Cette tradition se transmet sous forme de mythe et est encore vivante de nos jours. Ce récit, déjà publié en 1639 par Antonio de La Calancha, décrit qu’un serviteur indiscipliné du dieu inca Viracocha « […] ouvrit avec sa barque le Désaguadero qui jusqu’ici n’existait pas » (BouysseCassagne 1992: 99).
Par conséquent, nous ne pouvons pas calculer certaines variables dans ces pratiques funéraires, telles que les danses, la durée du deuil, les acteurs impliqués, la quantité de denrées périssables utilisée, etc. Dans le cas des offrandes subaquatiques, nous ignorons également la nature et la composition de ces activités, comme le nombre d’acteurs participant au rite, la présence ou non de musique et de danses, la durée de la cérémonie d’offrande(s), la période de l’année ou la régularité des événements. Si la perception du temps et de l’espace par les Incas est mieux documentée, on ignore pour autant si elle était identique aux yeux des populations antérieures.
Le niveau du lac Titicaca se situe à l’heure actuelle à ± 3 810 m d’altitude et l’étiage zéro, c’est-à-dire le lit de la rivière Désaguadero, à ± 3 804 m d’altitude. Par conséquent, si le niveau du lac baisse de ± 6 m, ses eaux ne s’écoulent plus dans le bassin du Désaguadero qui représente l’unique endroit où le Titicaca se déverse en dehors du lac même. Par exemple, Vellard indique que, durant la sécheresse de 1943, « la baisse a été telle que le Désaguadero s’est trouvé au-dessus du niveau du Titicaca: de déversoir il est devenu affluent; coulant en sens inverse il drainait vers le Lac les eaux des marais […]. Les vieux Indiens se souviennent avoir vu dans leur enfance une sécheresse et un retrait du Lac encore plus marqué. Ceci devait se passer vers 1865. En 1835, le voyageur anglais Pentland avait assisté à une crise analogue, et il nota aussi que le Désaguadero avait inverti son cours et se déversait dans le Lac. » (Vellard 1954: 29).
Certaines données matérielles apportent toutefois des indices. Il y a par exemple une concentration d’offrandes dans la partie nord-est de l’arrecife de Khoa, ainsi qu’une concentration d’ancres. Cela pourrait correspondre à une volonté de répartition des offrandes dans l’espace en fonction des points cardinaux. Nous pensons cependant que la variabilité des vents dominants et des courants lacustres peut également avoir une incidence sur la répartition des zones d’offrandes du site subaquatique. Lorsque le vent dominant venait de l’est, les bateaux s’ancraient à l’ouest pour ne pas s’échouer sur l’arrecife « paléo-île ». Mais lorsque le vent venait de l’ouest, ceux-ci devaient s’ancrer à l’est de l’arrecife, zone de plus grande concentration des offrandes et des ancres. Pouvons-nous dès lors établir le lien entre une période de l’année et la variabilité des vents? À l’heure actuelle, les vents dominants estivaux viennent de l’est et apportent des masses d’air humide de l’Amazonie (pluie). En hiver, les vents dominants viennent de l’ouest, à partir des zones désertiques, et apportent un air sec (Ronchail et al. 2014: 2–3). Si la fluctuation des vents était identique dans les temps anciens, les offrandes Tiwanaku auraient pu être principalement effectuées durant la saison sèche. Selon nous, certaines données « non matérielles » relatives aux rites peuvent donc être perceptibles dans une faible mesure.
L’événement du percement du Désaguadero a pu se dérouler à de nombreuses reprises. Les Incas ne sont toutefois pas originaires du bassin lacustre et ne l’ont occupé que durant un siècle. Il est donc probable que certaines composantes narratives de ce mythe proviennent d’une tradition plus ancienne, mais dans l’état actuel de la recherche, il est difficile de les distinguer, car ces récits ont été profondément recomposés. La récupération par les Incas des sites et des traditions antérieures répondait en effet à une motivation politique ayant pour but de renforcer leur nouveau pouvoir en place. À l’arrecife de Khoa, ce processus de récupération et de légitimation participe par définition du concept de performance rituelle, car il « réactive » des sites et des traditions ancestrales; avec son apport culturel étranger, il a également généré des mutations profondes au sein des traditions et des pratiques. Les offrandes subaquatiques de la période inca reflètent une pratique originale et
Malgré l’absence d’écriture, serait-il possible d’appréhender la perception de l’espace sacré Tiwanaku grâce aux composantes narratives plus récentes? Il est en effet envisageable que les Incas aient non seulement récupéré symboliquement et physiquement les espaces sacrés, mais qu’ils se soient en outre réapproprié la tradition orale. Bouysse-Cassagne suggère que « la tradition lacustre entrera de diverses façons dans la fabrication d’une 216
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré culturellement distincte de celles effectuées par la culture Tiwanaku. L’importance et la sacralité du lac Titicaca devaient par ailleurs être connues des Incas, bien avant la conquête du bassin lacustre, et pouvaient être une motivation de celle-ci. Les sources coloniales en sont révélatrices: jamais les Incas n’ont mis autant d’énergie dans la conquête d’un territoire, pourtant bien défendu par les populations qui y vivaient. Car, a priori, leur ambition de conquérir la région des Yungas répondait surtout à une motivation géostratégique de contrôle des sources aurifères. Or, qu’avait à offrir le lac Titicaca, si ce n’est du prestige profitable à leur hégémonie?
La perception de l’espace, d’après les mythes et les croyances actuels, est en effet principalement un héritage de la domination inca du bassin lacustre (exemple: huaca, ayllu, apu, etc). Il est généralement fait appel à cette tradition pour interpréter la signification des pratiques rituelles des populations plus anciennes qui ont évolué dans la région de la Cordillère des Andes et dans les territoires limitrophes. Cette approche permet principalement de comprendre « les continuités et les transformations historiques sur le long terme dans la région [de l’Altiplano] », en comparant notamment les différentes cultures matérielles associées aux pratiques rituelles (Janusek 2004: 28). Quoique limitée et source de dérives, la démarche peut néanmoins ouvrir des opportunités d’étude afin « d’enrichir notre point de vue d’un passé lointain par analogie comparative » (Janusek 2004: 50).
Notons toutefois qu’il existe d’autres récits pouvant éventuellement se démarquer de cette tradition pro-inca. La tradition orale est un vecteur de transmission et les sources coloniales indiquent la présence d’au moins trois langues dominantes, dont le quechua, l’aymara et le pukina. Le quechua est la langue native des Incas (Bauer et Stanish 2001: 30–33) et les communautés circum lacustres qui le parlent actuellement reflètent probablement les anciens sites d’implantation (mitmaes) de cette population d’origine étrangère, ou ceux déplacés ultérieurement par les reducciones coloniales. L’aymara est ensuite la langue dominante parlée à l’heure actuelle sur les rives du lac. À l’inverse, le pukina est une langue quasi éteinte, dont certaines variantes étaient encore usitées par les Urus au début du 20e siècle et, de nos jours, par un groupe de population très réduit, les Kallawayas.
Dans la tradition en cours, l’espace naturel est un concept indissociable de l’espace sacré. Pour les Aymaras [et les Incas], « certains traits saillants du paysage [huacas], tel que les sources, les lacs, les montagnes et autres éléments naturels, sont sacrés pour le groupe qui réside autour et près de ceux-ci ». Ces espaces sacrés sont des « endroits qualitativement différents des autres en tant qu’espace d’interaction et de proximité spirituelle entre les humains et leurs ancêtres, le présent et le passé mythique » (Janusek 2004: 36). Les ancêtres sont matérialisés dans ces espaces [apus] et le « passé est présent dans le paysage naturel » (Janusek 2004: 37). Le temps, à travers les ancêtres, est omniprésent dans l’espace naturel. Partant de ce point de vue, nous pouvons donc aborder les offrandes subaquatiques de la période inca, car cette culture a redéfini la perception de l’espace [mythique] du Titicaca dès le 15e siècle. Ces offrandes subaquatiques « tardives » sont par ailleurs illustrées par Ramos Gavilán (1621); elles représentent finalement une pratique d’offrande normalisée inca, effectuée à la huaca de l’arrecife de Khoa, ou comme nous le pensons, à la huaca Titicaca.
Thérèse Bouysse-Cassagne suggère que les habitants de Tiwanaku parlaient le pukina (2011: 283–285) et que cette langue est attestée dans le bassin lagunaire au moins jusqu’au milieu du 17e siècle. Les populations parlant le pukina auraient été marginalisées dès la période inca, et ensuite, durant la période coloniale (2010: 284–285). Cette information est intéressante, car si une partie de la population de la période Tiwanaku parlait cette langue et que leurs descendants ont été marginalisés dès l’arrivée des Incas, certains groupes isolés, tels que les Urus et les Kallawayas, ont pu théoriquement préserver dans leur tradition orale des composantes narratives pré-incas. Il n’y a que trois cent cinquante ans entre la fin de la période Tiwanaku et le début de l’occupation inca: cette période, encore méconnue, reste bien courte à l’échelle de la tradition orale.
Pour les Aymaras et les Incas, l’espace naturel et l’espace sacré ne sont donc pas deux concepts différents. L’espace naturel, dans lequel l’Homme évolue, est l’espace sacré. La délocalisation et le rassemblement de nombreux groupes distincts durant la période coloniale (reducciones), à partir des années 1570, ont par conséquent « largement contribué à des transformations [culturelles] considérables en imposant de nouveaux concepts d’espace, de temps, de société, et de relations homme-environnement […] » (Janusek 2004: 41). Nous pensons que ce processus de mutation de la période coloniale est identique à celui qui a suivi la conquête du bassin par les Incas quand les concepts d’espace et de relation entre l’Homme et son environnement ont été redéfinis.
Les croyances propres aux Urus peuvent représenter l’un des cycles narratifs les mieux préservés de la perception de l’espace lacustre pré-inca. Les principes de dualité qui régissent la société des Urus déterminent, comme l’indique Wachtel (1994: 13) « la distribution du territoire, la répartition des groupes sociaux et la conception de l’univers et des forces sacrées » (Janusek 2004: 31). Le principe de dualité dans la société uru régit non seulement les conventions sociales de répartition territoriale, mais reflète également leurs croyances et donc leur perception de l’espace [sacré]. Dans l’état actuel de la recherche, il est malheureusement difficile de déterminer à quelle tradition appartiennent ces composantes narratives.
Cette conquête du bassin lacustre date du milieu du 15e siècle (Bauer et Stanish 2001: 51). Suivant la logique du processus de création ou de réappropriation d’un mythe, la narration de l’origine des Incas se référant au lac Titicaca est sous doute une composition tardive dans l’histoire de ceux-ci. Les nombreuses variantes qui 217
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie et la compréhension d’une fonction spécifique au sein de l’élite dirigeante de Tiwanaku: l’incensario-officiant.
existent sur le lieu d’origine mythique/historique inca en sont en effet révélatrices. Selon nous, ce processus de réappropriation et de composition du mythe par les Incas a été interrompu par la conquête espagnole. Se pose alors la question de comment aborder ces mythes. Selon Michel Graulich, les mythes et les rites « ne peuvent pas » être étudiés séparément; les rites font référence aux mythes, tandis que ceux-ci génèrent les rites. Le développement des mythes se répercute directement sur celui des rites: si les croyances changent, des rites peuvent disparaître ou se transformer. Dans son étude sur les mythes et les rites méso-américains, Graulich a identifié différentes « strates » dans la composition des mythes transmis au 16e siècle aux Espagnols. Bien qu’exprimés sous leur forme la plus récente, ces mythes comprenaient un fondement beaucoup plus ancien (Graulich 1987: 207).
8.3.1. Distribution de l’incensario dans l’espace Dans un premier temps, nous proposons d’analyser la distribution de l’objet incensario dans l’espace Tiwanaku. Notre premier critère de classification de cet objet, que nous avons justifié précédemment, est fondé sur une codification de représentation: l’incensario-puma (a/A), l’incensariolama (B) et l’incensario-condor (C) (chapitre 6). Nous avons ensuite constaté que la forme originelle de l’incensario (pré-Tiwanaku) figurait exclusivement le puma (a). C’est cette forme conventionnelle qui restera la plus emblématique durant toute la période Tiwanaku. Parmi les cent deux exemplaires, nous avons identifié treize incensarios pré-Tiwanaku (a.1/a.4) et quatre-vingtneuf incensarios Tiwanaku (Annexe 7.1). Datant de cette dernière période, nous avons recensé soixante-deux incensarios-puma (69,7 %), six incensarios-lama (6,7 %) et quatre incensarios-condor (4,5 %); s’y ajoutent dixsept incensarios Tiwanaku (TIW) indéterminés (19,1 %) (Figure 8.1).
Les rites et les mythes étant indissociables, notre stratégie d’étude consiste en l’analyse de ces rites à travers les témoignages matériels [offrandes], afin d’appréhender la perception de l’espace sacré Tiwanaku [croyances et mythes]. Le patrimoine matériel représente en effet, de nos jours, l’unique expression perceptible du paysage rituel Tiwanaku. Certaines données « non matérielles » permettent d’enrichir l’interprétation, mais ne peuvent pas étayer toute l’argumentation scientifique. C’est pourquoi nous nous concentrerons principalement sur ce que nous pouvons percevoir: les offrandes, et en particulier celles d’incensarios.
Notre second critère de classification se base sur la morphologie de l’incensario, entre les céramiques-effigies à base annulaire et à forme hyperboloïde (forme 1), à base surélevée et à forme zoomorphe complète (forme 2), et à base « quadrupède » et à forme zoomorphe complète (forme 3). Les formes atypiques (forme 4), absentes ou non identifiées dans le registre archéologique, sont seulement attestées dans les collections de musées. L’incensariopuma pré-Tiwanaku (a.1) est uniquement caractérisé par une base annulaire et une forme hyperboloïde. Cette forme la plus ancienne sera à l’origine des productions futures de l’objet incensario; elle constitue, d’une part, la forme majoritaire de l’incensario-puma (A) et, d’autre part, la forme unique de l’incensario-condor (C). On remarquera que cette forme est rarement utilisée chez l’incensariolama (B). Jusqu’à présent, nous n’en avons observé qu’un seul exemplaire au MQB (inventaire n° 71.1946.7.15); cette forme est donc particulièrement rare dans ce type d’incensario.
8.3. Distribution de l’incensario dans l’espace et dans le temps La distribution de l’objet incensario au sein du territoire Tiwanaku, que ce soit sur le site de Tiahuanaco, dans le bassin lacustre ou en périphérie, apporte de nombreuses informations sur l’identité de la culture Tiwanaku. Grâce à un échantillonnage représentatif de cent deux exemplaires, nous sommes en mesure de distinguer, à travers tout le territoire, des particularités propres aux différentes formes d’incensarios et, au cours du temps, le développement des variantes de certaines formes. In fine, cette approche statistique nous permet d’identifier certaines caractéristiques qui seront utiles à l’identification
Figure 8.1. Distribution de l’incensario par codification: puma (a/A), lama (B) et condor (C).
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L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré Les soixante-deux incensarios-puma (A) de la période Tiwanaku se répartissent comme suit:
suivant: l’objet incensario est omniprésent, mais souvent en unique exemplaire au sein des assemblages céramiques. Sa production, limitée, était l’objet d’un contrôle très strict de la part de l’élite religieuse de Tiwanaku.
• quarante-cinq incensarios-puma (A.1) à base annulaire et à forme hyperboloïde (72,6 %), • six incensarios-puma (A.2) à base surélevée et à forme zoomorphe complète (9,7 %), • deux incensarios-puma (A.3) à base « quadrupède » et à forme zoomorphe complète (3,2 %), • neuf incensarios-puma (TIW) à forme indéterminés (14,5 %).
Une des difficultés inhérentes à l’étude de la céramique est de déterminer la circulation des exemplaires au sein d’un espace culturel. Il n’existe pas encore de base de données représentative des pâtes céramiques (argile) sur l’ensemble le territoire Tiwanaku, en particulier pour les ateliers/sites potentiels de production du bassin lacustre méridional. L’objet incensario possède l’avantage d’être hautement caractéristique; en outre, comme la production en est limitée, il est aisé de suivre « sa trace » entre différents sites. Nous proposons d’analyser les occurrences de l’objet incensario tant à l’échelle interrégionale, dans le bassin lacustre et les territoires en périphérie, qu’à l’échelle régionale, en particulier dans les sites de Tiahuanaco et de Lukurmata. Nous sommes par ailleurs attentifs à la présence des incensarios pré-Tiwanaku dans le registre archéologique, dénotant une longue tradition de production et d’occupation. On ajoutera encore que, si d’un point de vue interrégional, les données sont représentatives de l’occupation Tiwanaku à travers tous les secteurs, elles ne le sont guère d’un point de vue quantitatif, en raison de la disproportion statistique liée aux activités des travaux archéologiques.
Les six incensarios-lama (B) sont classés comme suit: • un incensario-lama (B.2) à base annulaire et à forme hyperboloïde (16,6 %), • quatre incensario-lama (B.3) à base surélevée et à forme zoomorphe complète (66,8 %), • un incensario-lama (B) de forme indéterminée (16,6 %). Nous avons enfin quatre incensarios-condor (C.1) à base annulaire et à forme hyperboloïde (100 %) (Figure 8.2). Nous distinguons ensuite trois « espaces » différents: (1) le site éponyme de Tiahuanaco, (2) le bassin lacustre du Titicaca et (3) les territoires en périphérie, ou extralacustres. La production de l’objet incensario est proportionnellement insignifiante comparée à d’autres productions, telles que celles des ollas pour la céramique de cuisson ou des keros pour la céramique de « service » domestique ou rituelle (chicha-feasting). Le constat est le
Deux observations s’imposent d’emblée. D’une part, tous les types de représentation sont attestés dans le bassin lacustre: le puma (A), le lama (B), et le condor (C); a contrario, seul l’incensario-puma (A) a clairement été
Figure 8.2. Distribution de l’incensario par codification (A-B-C) et par forme (1–2–3).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 8.3. Distribution de l’incensario par codification (A-B-C) à travers le territoire Tiwanaku.
de l’autre. Ces deux sites témoignent d’une occupation ancienne, attestée au moins depuis la période formative (200 ACN–300 PCN) et ont développé chacun des particularités régionales dans la production de leur patrimoine matériel. Or, c’est précisément en raison du nombre important de cette forme dans les contextes de découverte de Lukurmata que Janusek, en 2003, suggère que l’incensario soit une expression créative régionale: « bien que les incensarios soient souvent considérés comme une expression paradigmatique du style céramique Tiwanaku, dans les faits, ils sont en réalité beaucoup plus communs dans les sites de la vallée de Katari [Lukurmata] que dans la vallée de Tiahuanaco. […] Par conséquent, ils représentent une expression cérémonielle créative et régionale du style céramique Tiwanaku » (Janusek 2003a: 71).
identifié en périphérie. Les incensarios-lama (B) et les incensarios-condor (C) correspondent par conséquent à une caractéristique régionale propre au bassin lacustre du Titicaca et la diffusion de ces deux types s’est limitée au sein de cet espace. Par exemple, l’incensario-lama (B) est attesté dans la vallée de Katari (Lukurmata), dans la vallée du Désaguadero (Khonkho Wankani et Nazacara) et dans l’espace insulaire (île de Coati) (Annexe 7.1). D’autre part, on remarquera avec intérêt que la forme dominante de cette céramique, l’incensario-puma de type A.1, est celle attestée dans les régions éloignées de Tiahuanaco, que ce soit dans la vallée de Moquega (± 300 km), à Cochabamba (± 500 km) et à San Pedro d’Atacama (± 800 km) (Figure 8.3). Nous pouvons formuler différentes hypothèses sur la présence de cette unique forme en périphérie:
Bien que nous puissions déterminer à l’heure actuelle que l’objet incensario est un marqueur culturel représentatif de tout l’espace Tiwanaku, nous relevons, entre ces deux sites, d’importantes différences morphologiques et typologiques; celles-ci peuvent correspondre à des caractéristiques de type régional. En effet, le site de Lukurmata se caractérise par la présence d’incensarios-lama (B) et par l’absence d’incensario-condor (C), alors qu’à l’inverse, Tiahuanaco se caractérise par l’absence d’incensario-lama (B) et par la présence d’incensarios-condor (C) (Figure 8.4). Ces données doivent être nuancées, car au moins un exemplaire d’incensario-lama conservé au musée de Tiahuanaco aurait été découvert sur le site. Mais ces données illustrent bien une réalité distincte et, pour compléter la formulation de Janusek (2003a), l’incensario-lama peut représenter à l’origine une expression cérémonielle propre à une particularité régionale de Lukurmata.
• elle illustre une « simplification » des pratiques rituelles dans les territoires éloignés et une diversification de celles-ci dans le bassin lacustre, • elle reflète le lieu d’origine des migrants où seule cette forme est attestée, • elle reflète une standardisation de l’objet incensario par une politique rituelle centralisée d’un état émergeant, • elle correspond à un critère chronologique de production de cet objet. Ces deux dernières hypothèses sont indissociables. Nous verrons par la suite que, durant la période Tiwanaku V, la « dernière vague » d’immigration en périphérie est particulièrement associée à cette forme et reflète un état beaucoup plus centralisé. D’un point de vue régional, l’on s’intéressera à la distribution de l’objet incensario entre Tiahuanaco et Lukurmata, situés seulement à ± 13 km à vol d’oiseau l’un
Par ailleurs, l’incensario-puma de type a.1, attesté sur les deux sites, montre que la tradition de production de cette
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L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré
Figure 8.4. Comparaison par codification entre les incensarios de Tiahuanaco et de Lukurmata.
céramique-effigie, de même que les pratiques liées à l’objet et la fonction même de l’incensario-officiant, remontent à la période pré-Tiwanaku. La forme apparaît probablement avec l’apparition de la tradition Yaya-Mama qui unifiera culturellement et rituellement tous les sites d’occupation du bassin lacustre (Stanish 2001: 203), organisés autour d’un centre cérémoniel et d’un temple semi-souterrain. Au début de la période Tiwanaku, ces deux sites vont toutefois développer et diversifier leurs propres critères de production, de formes et de types dérivés de l’incensario pré-Tiwanaku. Ce constat peut appuyer l’hypothèse de la relative autonomie des deux sites durant la période Tiwanaku IV. Par conséquent, ces données ne deviennent réellement pertinentes qu’une fois intégré le facteur chronologique dans cette analyse de distribution de l’incensario à travers le territoire Tiwanaku.
La première phase consiste en une période d’émergence où apparaîtront les caractéristiques qui définiront la culture Tiwanaku, distinctes de celles de la tradition Yaya-Mama (LF2, Tiwanaku III ou pré-Tiwanaku). La seconde phase est une période où le patrimoine reflète une homogénéisation matérielle en tant que groupe culturel spécifique, même si l’émergence des différents centres cérémoniels et résidentiels du bassin lacustre se caractérise par une certaine autonomie (Tiwanaku IV). La troisième phase est une période de mutations profondes qui redéfiniront l’espace-temps Tiwanaku à travers tout le territoire. Elles refléteront probablement un pouvoir centralisé, cohérent dans sa politique culturelle et rituelle, à partir du site éponyme de Tiahuanaco [« capitale »] en tant que vecteur culturel dominant (Tiwanaku V) (chapitre 2). Les incensarios-puma pré-Tiwanaku (a.1/a.4) sont un héritage de la tradition Yaya-Mama. Cette période préTiwanaku est marquée par une mutation progressive des formes céramiques et voit l’émergence d’un incensario distinct de cette tradition Yaya-Mama. Les caractéristiques de celui-ci définissent les canons de production de cet objet durant toute la période Tiwanaku. L’apparition en parallèle d’une iconographie complexe, spécifique, et de plus en codifiée, milite en faveur de l’apparition d’une élite dirigeante qui a renforcé son pouvoir par un contrôle de l’idéologie (Stanish 2001: 203). Dans la tradition Yaya-Mama et la tradition pré-Tiwanaku, la figure-type de l’incensario ayant pour unique thème le félin (puma/ titi) montre que cet animal a eu une place importante dans les croyances et dans la performance rituelle. Cette représentation du puma a probablement occupé une position importante dans les mythes Tiwanaku.
8.3.2. Distribution de l’incensario dans le temps Nous avons recensé au total vingt-huit contextes de découverte d’incensario, associés à des échantillons 14C et répartis comme suit: • sept contextes pour le site de Tiahuanaco, • dix-huit contextes pour le bassin lacustre en dehors de Tiahuanaco, • trois contextes pour les territoires en périphérie, ces derniers au sein du Temple Omo 10 de la vallée de Moquegua (Annexe 7.1). La « période Tiwanaku », en intégrant sa période d’émergence, est traditionnellement divisée en trois phases distinctes: la période pré-Tiwanaku, Tiwanaku III ou LF2 (300–500 PCN), la période Tiwanaku IV (500–800 PCN) et la période Tiwanaku V (800–1050/1150 PCN). Cette distinction ne se fonde pas sur des variantes stylistiques de la céramique, mais plutôt sur l’identification de différents types d’occupation distincte, qui se reflètent principalement dans l’architecture monumentale et dans l’aménagement des centres cérémoniels (Janusek 2004).
Deux contextes de découverte d’incensario pré-Tiwanaku (a.1) sont indirectement associés à un échantillon 14 C. Le premier est un fragment de bord festonné découvert isolé sur une couche stérile située entre deux planchers d’occupation du site AKE1 à Tiahuanaco et scellée par des remblais postérieurs associés à l’échantillon SMU221
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 2471 (Janusek 1994: 106–108; Knobloch 2013: 214). Cet incensario-puma pré-Tiwanaku est donc antérieur à 572–768 PCN (1σ) et 439–880 PCN (2σ). Le second est également un fragment de bord festonné découvert dans l’unité domestique de la structure 19 sur le site de Lukurmata; le vestige se trouvait en contexte plus récent par rapport aux structures 14–16 associées à l’échantillon SMU-2118 (Bermann 1994: 140–142; Janusek 2003: 39). Ce fragment d’incensario-puma pré-Tiwanaku est donc postérieur à 414–570 PCN (1σ) et 343–635 PCN (2σ).
Les incensarios-puma (a.1) pré-Tiwanaku sont donc principalement attestés dans les vallées de Tiahuanaco, Katari et du Désaguadero, sur la péninsule de Taraco, et jusqu’à l’île du Soleil. En dépit de nombreuses variantes de cette forme, les exemplaires de cette période indiquent qu’ils répondent à des critères identiques de production. Cette période d’émergence n’est donc pas survenue de manière isolée dans la partie méridionale du bassin lacustre, mais bien de manière homogène sur l’ensemble du territoire. La nature du pouvoir Tiwanaku est encore mal définie pour cette période, mais la production de cet objet démontre qu’il y a déjà une certaine forme de centralisation du pouvoir par une élite religieuse et/ou séculière.
Il est par ailleurs assez commun de rencontrer du matériel céramique pré-Tiwanaku associé à des exemplaires de style Tiwanaku. Il s’agit donc d’une période de transformation progressive qui met en évidence une transition entre la tradition Yaya-Mama et la tradition Tiwanaku. On n’observe pas de rupture culturelle entre ces deux traditions, mais plutôt l’émergence graduelle de caractéristiques qui définiront la période Tiwanaku. Dans le site de Lukurmata, d’une part, Bermann note que le matériel issu de cette phase de mutation disparaîtra complètement du registre archéologique après l’abandon des structures 22–24 (1994: 147). D’autre part, l’occupation pré-Tiwanaku identifiée dans le complexe de Putuni (Tiahuanaco) est associée à l’échantillon 14C OS-11306 (Couture et Sampeck 2003: 230) et est datée de 531–588 PCN (1σ) et 468–630 PCN (2σ). Il s’agit également d’une couche de transition, car ce contexte de découverte voit l’apparition des premières formes de style Tiwanaku (Couture et Sampeck 2003: 230). Grâce à cette troisième datation, nous pouvons estimer que la période d’utilisation de l’incensario-puma (a.1) pré-Tiwanaku n’est pas postérieure à 588 PCN (1σ) ou 630 PCN (2σ) et peut correspondre à une phase de transition située entre ± 450–550 PCN (1σ) et ± 400–600 PCN (2σ).
Par ailleurs, vingt-six contextes de découverte, en relation à des échantillons 14C, associent la pratique d’offrande d’incensario à la période Tiwanaku IV-V. Certaines données permettent déjà d’isoler certaines formes sur base de critère chronologique (voir infra Figure 8.8). Par souci de cohérence avec le point précédent, nous proposons d’analyser la période d’utilisation de ces formes en fonction des trois secteurs que nous avons isolés. Même si cette forme est peu produite, nous verrons si l’on peut distinguer l’incensario Tiwanaku IV de l’incensario Tiwanaku V. (1) Tiahuanaco Deux échantillons 14C sont associés à la phase d’abandon de la structure résidentielle située au sommet de la pyramide Akapana (Knobloch 2013: 221). Une tête d’incensariopuma (A.1) a été découverte à l’extérieur de l’habitation n° 1 (R-11) (Manzanilla 1992: 61) et nous avons déterminé que le reste de la céramique faisait probablement partie de l’assemblage céramique découvert dans les angles à l’intérieur de cette cellule. Il s’agit d’un abandon définitif de ce complexe, car quelques ossements de camélidés, situés à l’intérieur de l’habitation, recouvraient partiellement des fondations de celle-ci (Manzanilla 1992: 55).
Des fragments d’incensario-puma (a.1/a.4) pré-Tiwanaku ont été découverts sur le site de Tiahuanaco (quatre exemplaires) et sur d’autres sites du bassin lacustre tels que Lukurmata, Iwawe, Sonaji, Iruhito, Nazacara, l’île du Soleil et l’île de Tikonata (neuf exemplaires). Or, aucun exemplaire n’a été identifié dans les territoires situés en périphérie (Annexe 7.1). Cette observation prouve que la tradition de production et d’utilisation de cet objet est bien originaire du bassin lacustre et a été « exportée » sous sa forme définitive durant la période Tiwanaku à l’extérieur du bassin lacustre. La diffusion de cette forme est indissociable des vagues d’immigration et d’implantation identifiées dans la vallée de Moquegua, à Cochabamba et dans le désert de San Pedro d’Atacama.
L’échantillon 14C INAH-972 a été prélevé dans l’angle nordest de cette cellule n° 1 (R-11) tandis que l’échantillon 14C SMU-2473 provient de l’angle sud-est (Knobloch 2013: 221). Ils sont donc contemporains; le premier est daté de 776–1142 PCN (1σ) et 678–1212 PCN (2σ) et le second est daté de 994–1397 PCN (1σ) et 677–1620 PCN (2σ). L’incensario n’est donc ni antérieur à 994 PCN (1σ) et 678 PCN (2σ) ni postérieur à 1142 PCN (1σ) et 1212 PCN (2σ). Au regard des échantillons 14C et des dynamiques de transformation des secteurs cérémoniels et résidentiels de Tiahuanaco (chapitre 2), l’incensario-puma (A.1) de cette offrande R -11 peut correspondre à la période Tiwanaku V, probablement dans le cadre d’un abandon définitif de la pyramide Akapana à la fin de la période Tiwanaku. En fonction de ces données, nous estimons la période d’utilisation de l’incensario-puma (a.1/A.1) entre ± 450/550–1050 PCN (1σ) et ± 400/600–1150 PCN (2σ), ce qui correspond à toute la période Tiwanaku (III-IV-V).
Les incensarios-puma (a.1) pré-Tiwanaku se distinguent, et dans l’espace et dans le temps, des incensarios qui sont en interaction avec d’autres traditions [pucara] durant la période LF1 (≤ 300–400 PCN). Ensuite, la présence d’incensarios durant la période pré-Tiwanaku démontre donc que la fonction de l’incensario-officiant Tiwanaku existe déjà. Celle-ci évoluera probablement durant les cinq siècles suivants, mais l’omniprésence de cet objet montre qu’elle ne disparaîtra pas avant 1050–1150 PCN. 222
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré les objets proviennent de six structures différentes du complexe cérémoniel: la pyramide Akapana, la pyramide de Puma-Punku, le Putuni, le Kalasasaya, le Temple semisouterrain et des sondages effectués à 25 m à l’est de ce dernier temple. Par conséquent, sur les douze incensarioscondor (4 + 8), six d’entre eux proviennent de Tiahuanaco. Par ailleurs, ils possèdent tous une applique quadrangulaire autour d’un cou. Nous verrons par la suite que cette particularité apparaît exclusivement à Tiahuanaco durant la période Tiwanaku IV et qu’elle deviendra omniprésente sur tout le territoire durant la période Tiwanaku V.
Ensuite, trois têtes d’incensario-condor ont été découvertes sur le même site: l’une en contexte secondaire dans le Temple semi-souterrain du complexe de Pumapunku (Arellano 1991: 269–271, 272 Fig. 29) et deux à l’extérieur de la salle sud (R-20) située au sommet de la pyramide Akapana. Ce dernier contexte de découverte est associé à l’échantillon 14C SMU-2336 (Knobloch 2013: 221), daté de 686–967 PCN (1σ) et 630–1105 PCN (2σ). D’après la courbe graphique de cet échantillon, nous avons satistiquement 54,9 % de probabilité que cet échantillon soit daté entre 763 et 967 PCN, 68,2 % de probabilité qu’il soit daté entre 686 et 967 PCN (1σ) et 95,4 % de probabilité qu’il soit daté entre 630 et 1105 PCN (2σ). En termes de probabilité absolue, cet incensario-condor peut donc être daté à la fois de 630 PCN et de 1105 PCN. L’écart-type est malheureusement beaucoup trop large pour distinguer l’une ou l’autre période. Le fragment d’incensario-condor du Pumapunku provient d’un contexte secondaire et est, lui aussi, difficilement datable.
Enfin, la variante d’incensario-puma A.1.3 est une forme produite exclusivement durant la période Tiwanaku IV. Trois exemplaires ont été découverts à Tiahuanaco: le premier appartient à une offrande de dédicace (R-260) localisée sous le revêtement en andésite [tardif] de la première plate-forme du Pumapunku (Yaeger et Vranich 2013: 132–133). Un échantillon 14C associé à un événement de réouverture de l’offrande est indirectement connecté à ce contexte de découverte: AA-65282 (Yaeger et Vranich 2013: 134–135). Il est donc antérieur à l’intervalle de probabilité 690–859 PCN (1σ) et 680–884 PCN (2σ). Le second a été découvert sur le complexe de Kheri Kala, scellé par la couche verte Tiwanaku V telle qu’identifiée au Putuni (Boero 1980: 292) et le troisième provient de l’US3 du Temple semi-souterrain (Girault 1990: 215). Ce dernier exemple a donc également été découvert dans les couches profondes, associées aux fondations de la reconstruction du Temple que Janusek estime au début de la période Tiwanaku IV (Janusek 2004: 108–109). Cette variante d’incensario-puma A.1.3 est rare, et est probablement l’expression d’une production propre à Tiahuanaco durant cette période.
Toutefois, dans les trois situations, ces incensarioscondor ont été à chaque fois découverts dans les couches les plus récentes, en haut d’une séquence stratigraphique mettant en évidence une longue tradition d’occupation. Ensuite, les pyramides du Pumapunku et de l’Akapana ont également été l’objet de transformation durant la période de transition; les aménagements les plus récents datent de la période Tiwanaku V. Enfin, ces incensarios sont rares, et hormis un quatrième fragment découvert sur le site de Sonaji à l’extrémité de la péninsule de Taraco (Hastorf 2005b: 65–66, Fig. 5.1), tous les incensarioscondor mis au jour proviennent du site de Tiahuanaco et, chaque fois, du cœur du dispositif cérémoniel (Temple semi-souterrain). Nous suggérons donc que cette forme soit principalement représentative de la période Tiwanaku V (800–1050/1150 PCN).
Un exemplaire, conservé à Berlin, aurait été découvert à Tiahuanaco (Figure 8.5/1). En comparant cette forme avec celle découverte à Pumapunku (Figure 8.5/2), nous constatons que la morphologie et les proportions de ces deux céramiques sont identiques, ce qui est extrêmement rare vu que tous les incensarios sont en principe uniques.
Cette proposition n’est pas en contradiction avec l’échantillon 14 C SMU-2336. Si l’incensario-condor n’est pas bien représenté dans les registres archéologiques fouillés entre ± 1980 et 2010, nous notons néanmoins la présence d’au moins huit exemplaires conservés dans des collections, dont cinq au Musée du Quai Branly (MQB) et trois aux Staatliche Museen zu Berlin (SMB). Ils sont tous enregistrés comme « provenant » de Tiahuanaco et de Bolivie, excepté l’exemplaire n° VA.11844 (SMB), découvert ou acheté par Max Uhle sur le site de Sampaya situé en face de l’île Coati. Parmi les sept autres exemplaires, trois proviennent de la mission française dirigée par G. de Créqui-Montfort et E. Sénéchal de la Grange: 71.1908.23.505, 71.1908.23.505 et 71.1908.23.506 (MQB).
Par ailleurs, le dépôt archéologique de la Municipalité d’Escoma, située sur les rives orientales du lac Titicaca à ± 110 km à vol d’oiseau de Tiahuanaco, conserve un exemplaire de cette variante A.1.3. Elle est facilement identifiable en raison de l’absence d’une queue-effigie, de la présence d’une anse en applique et d’une tête creuse; cette dernière est complètement fermée et seule l’analyse technologique permet d’en identifier les caractéristiques de façonnage. Ces données relatives à la variante A.1.3 nous permettent d’énoncer différentes observations et hypothèses:
Ces derniers ont été découverts sur le site éponyme de Tiahuanaco en 1903 par A. de Mortillet, entre le 8 et le 14 août, et par Georges Courty, entre le 3 septembre et le 15 décembre (Créqui-Montfort et Sénéchal de la Grange 1904). En analysant les quatre-vingt-dix-huit photographies conservées au MQB que les frères Sintich ont effectuées durant la mission, nous constatons que
• elle est originaire de Tiahuanaco, • elle est produite durant la période Tiwanaku IV, • par rapport à la tradition de production de l’incensario pré-Tiwanaku, elle reflète une expérimentation des
223
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 1
0
SMB.VA.64591 10cm
2
Pumapunku (Tiahuanaco) 0 10cm
Adapté de Yaeger and Vranich 2013: 133, Fig. 11.5
Figure 8.5. Comparaison entre deux incensarios de la variante A.1.3 (Tiwanaku IV).
techniques de façonnage afin d’augmenter la taille de la céramique et de la tête, • tous les exemplaires possèdent a priori les mêmes dimensions, ce qui peut mettre en évidence un atelier de production unique et un modèle de référence, • la présence d’un exemplaire à Escoma peut donner des indices sur la nature des relations qu’entretenait Tiahuanaco avec des sites d’implantation plus éloignés du bassin lacustre, • l’exemplaire d’Escoma a probablement été importé depuis Tiahuanaco, peut-être en tant que vecteur de diffusion propre à l’émergence de ce nouveau groupe culturel spécifique dès la période Tiwanaku IV. Par ailleurs, la vaisselle est dépourvue d’applique quadrangulaire, mais les deux oreilles sont représentées.
L’incensario-lama est par conséquent représentatif des périodes Tiwanaku IV-V sur le site de Lukurmata et la forme devait être produite entre ± 650–1050 PCN (1σ) et ± 550– 1150 PCN (2σ). D’autres exemplaires ont été découverts en contexte secondaire dans la vallée de Katari (Kolata et Graffam 1989: 186), dans la vallée du Désaguadero sur les sites de Khonkho Wankane (Janusek 2013: 10–12) et de Nazacara (Pärssinen 2001: 613), et sur l’île de Coati (Bauer et al. 2004: 165–166). Nous avons déterminé que la forme d’origine est probablement une création régionale propre au site de Lukurmata. La présence de cette forme dans d’autres vallées et péninsules, et probablement à Tiahuanaco, montre toutefois que cette forme a été reproduite et/ou diffusée dans d’autres régions du bassin lacustre à une période indéterminée.
(2) Bassin lacustre
L’incensario-puma (a.1/A.1) est également la forme dominante sur le site de Lukurmata. Toutefois, à l’inverse du site de Tiahuanaco, les incensarios à base surélevée et à forme zoomorphe complète (A.2), et ceux à base « quadrupède » et à forme zoomorphe complète (A.3) y sont régulièrement découverts. Qu’il s’agisse de l’incensario-puma (A.2/A.3) ou l’incensario-lama (B.2/B.3), nous pensons que ces deux formes se sont particulièrement développées dans la vallée de Katari; elles peuvent indiquer un foyer d’origine en tant que production originale. La tendance, propre à Lukurmata, à figurer l’incensario-lama sous forme animale et plus naturaliste pourrait être à l’origine de la diversification des formes de l’incensario-puma (A.1/A.2/A.3).
L’échantillon 14C ETH-3179 a été prélevé au sein des structures 33–38 de Lukurmata, auxquelles est associée une tombe complexe (n° 11) avec un incensario-lama quadrupède (B.3) situé dans l’espace inférieur entre le sol et la chambre funéraire (Bermann 1994: 200–202). L’échantillon est daté de 778–992 PCN (1σ) et 756– 1032 PCN (2σ – 92 %); il documente un culte funéraire actif durant de la période Tiwanaku V. Ensuite, un autre fragment d’incensario-lama (B.3) a été découvert dans un puits intrusif au sein du même complexe, mais dans les structures plus anciennes 22–24 (Bermann 1990: 144, 190). Ces dernières sont scellées par la structure 29 à laquelle est associé l’échantillon 14C ETH-3177 (Janusek 2003: 39), daté de 650–857 PCN (1σ) et 586–970 PCN (2σ). Ce second exemplaire « intrusif » peut être associé à cet échantillon et également à la période Tiwanaku V, mais l’accumulation sédimentaire et l’assemblage céramique mettent en évidence un registre beaucoup plus ancien, associé à la période Tiwanaku IV.
En parallèle, l’incensario à base annulaire et à forme hyperboloïde restera la forme dominante à Tiahuanaco, en particulier chez les incensarios-puma (A.1), mais aussi chez les incensarios-condor (C.1), une production originale propre au site. L’absence d’incensario-lama (B.2/ B.3) à Tiahuanaco peut expliquer la quasi-absence 224
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré 1
2
3
MQB.71.1946.7.7
MQB.71.1946.7.2 0
10cm
0
Adapté de Janusek 2004: 191, Fig. 6.7 /A
10cm
Figure 8.6. Caractéristiques technologiques d’incensario-puma de Lukurmata.
sur l’île de Pariti (Korpisaari et Pärssinen 2011: 94–95). Trois échantillons 14C sont associés à cette offrande et en sont donc contemporains. Nous avons déterminé que cet exemplaire d’incensario n’est pas antérieur à 1028 PCN (1σ) et 1012 PCN (2σ) ni postérieur à 1140 PCN (1σ) et 1150 PCN (2σ) (chapitre 7).
d’incensario-puma (A.2/ A.3) de forme zoomorphe sur le site. Par ailleurs, l’incensario-puma (A.1) à applique quadrangulaire est à la fois omniprésent dans le registre archéologique de Tiahuanaco et attesté dans le bassin lacustre et dans les territoires périphériques durant la période Tiwanaku V. C’est cette forme qui est attestée à l’arrecife de Khoa; selon nous, l’intensification des offrandes subaquatiques dans les couches supérieures reflète un état beaucoup plus centralisé et, à travers tout le territoire, une standardisation de l’incensario-puma durant la période Tiwanaku V.
L’incensario-puma (A.1) est également attesté dans le registre Tiwanaku IV, par exemple sur le site de Chucaripupata (île du Soleil). Au moins deux exemplaires ont été découverts associés à l’échantillon OS-12671 (Seddon 2004: 99, 108, Tableau 5.1) daté de 632–680 PCN (1σ) et 590–765 PCN (2σ). Enfin, vu que huit incensariospuma pré-Tiwanaku (a.1/a.4) ont également été découverts dans le bassin lacustre, nous pouvons estimer la période d’utilisation de l’incensario-puma (a.1/A.1) entre ± 450/550–1050 PCN (1σ) et ± 400/600–1150 PCN (2σ). Ces dates sont donc les mêmes que celles de Tiahuanaco, à la différence que l’applique quadrangulaire est probablement une caractéristique propre au site de Tiahuanaco, apparaissant au cours de la période Tiwanaku IV, et dont la production se serait standardisée à travers tout le territoire durant la période Tiwanaku V.
À l’inverse, d’autres caractéristiques technologiques, résultant notamment sur la forme de la tête, sont spécifiques au site de Lukurmata. Les techniques de façonnage de la tête de l’incensario-puma offrent en effet de nombreuses variantes qui ont été identifiées dans le chapitre 6. Dans le cas présent, il s’agit de têtes de puma dont les deux oreilles rapportées, comme hypertrophiées, se prolongent en un appendice jusqu’à la joue ou au menton (Figure 8.6). Cette technique de façonnage est documentée par Janusek d’après un incensario découvert sur le site de Lukurmata (Janusek 2004: 191, Fig. 6.7/A) (Figure 8.6 /3); cet incensario-puma (A.1) correspond à l’un des trois incensarios illustrés par une photographie dans la publication de Ponce Sanguinés en 1989 (Ponce 1989: 283, Fig. 94). Nous avons pu déterminer que les deux premiers sont ceux découverts par Rivera Sundt au niveau d’une canalisation à l’extérieur du Temple semisouterrain (1989: 69, 88), et que le troisième, pourvu de cette caractéristique technologique, est donc celui qui a été découvert, placé au-dessus d’une tombe à Lukurmata (Bermann 1990: 286).
Trois têtes d’incensarios-puma (A.1) portant cet attribut de l’applique quadrangulaire ont été découvertes sur le site d’Iñak-Uyu « pré-inca » à l’île de Coati, dont deux dans le sondage n° 8 et une dans le sondage n° 10 (Bauer et al. 2004: 166–167, Fig. 6.41). Toutes trois provenant du même type d’unité stratigraphique peuvent être associées à l’échantillon 14 C I -18,554 (Bauer et al. 2004: 161, 164, Tableau 6.1) daté de 677–858 PCN (1σ) et 641– 904 PCN (2σ). D’après les auteurs, un feston appartenant à un « large incensario Tiwanaku V » a également été découvert dans le sondage n° 10 (Bauer et al. 2004: 167). Nous avons déterminé que ce dernier peut appartenir à la même céramique que la tête de puma. Les seules autres céramiques pourvues de cette applique quadrangulaire et provenant des îles du Soleil et de la Lune ont été mises au jour à l’arrecife de Khoa. Il est par conséquent intéressant de constater que cette caractéristique, absente sur les spécimens datant du Tiwanaku IV, n’apparaîtra réellement que durant la période Tiwanaku V, où les exemples les plus représentatifs proviennent des offrandes subaquatiques.
Du point de vue chronologique, de nombreux incensariospumas A.1 sont attestés dans le bassin lacustre, dont au moins deux exemplaires associés à des pratiques de la période Tiwanaku V. Le premier a été découvert à Iwawi sur la péninsule de Taraco; de l’échantillon 14C prélevé à l’intérieur de la céramique quasi intacte (Isbell et Burkholder 2002: 224), on obtient les datations 772– 956 PCN (1σ) et 764–986 PCN (2σ – 91,4 %). Le second est le fragment de feston découvert dans les couches supérieures de l’offrande d’abandon n° 2 découverte 225
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 1
PHASE CHEN CHEN
2a-b
PHASE OMO
Reconstitution hypothétique 0
0 10cm Adapté de Goldstein and Owen 2001:157
10cm
Adapté de Goldstein and Owen 2001:152
Figure 8.7. Exemplaire(s) d’incensarios de style Chen Chen et Omo (Vallée de Moquegua).
urbains tels que celui-ci possède sa propre identité culturelle, intimement liée à et exprimée par certaines caractéristiques de production matérielle. Owen et Goldstein estiment que l’occupation « Omo/Tiwanaku IV » dans la vallée de Moquegua est datée de 700 à 1000 PCN et que l’occupation « Chen Chen/Tiwanaku V », correspondant à la seconde vague d’immigration, est datée de 850 à 1000 PCN (2001: 171).
(3) Territoires en périphérie En premier lieu, les seuls contextes de découverte d’incensarios associés à des échantillons 14C proviennent du Temple Omo 10, de phase Chen Chen. Il y a au moins trois exemplaires, à base annulaire et de forme hyperboloïde. Ils appartiennent probablement tous à des incensarios-puma de type A.1, car un exemplaire a conservé des bords ondulés. Sont également attestées deux appliques quadrangulaires se rattachant à deux incensarios différents (Goldstein 1993: 41, Fig. 11). L’échantillon 14 C Beta -39679 associé au linteau de l’entrée du temple (Goldstein 1993: 34) correspond à 890–987 PCN (1σ) et 840–1021 PCN (2σ – 90,1 %). Ces incensarios datent donc de la période Tiwanaku V. Un autre exemplaire à « applique » (Figure 8.7/1) appartenant à la phase Chen Chen est également illustré (Goldstein et Owen 2001: 157, Fig. 13). Ces incensarios font partie des exemples permettant de soutenir que cette forme et cette applique quadrangulaire sont quasi systématiquement attestées durant la période Tiwanaku V.
Nous pensons que ces deux groupes ont importé soit l’objet incensario, soit les canons de production de cet objet. La distinction entre les incensarios Omo et Chen Chen pourrait donc également refléter, dans la chronologie même, une variante morphologique et technologique. Par ailleurs, l’occupation Chen Chen, beaucoup plus dense que l’occupation Omo (Owen et Goldstein 2001: 171), pourrait illustrer la volonté d’une colonisation de la vallée par un pouvoir centralisé durant la période Tiwanaku V. Toutefois, les contextes de découverte d’autres incensarios appartenant aux phases Omo et Chen Chen ne sont malheureusement pas documentés, et il est encore difficile de distinguer ces caractéristiques, d’un point de vue chronologique. En effet, bien que Goldstein différencie les occupations Omo et Chen Chen, il associe du matériel de la période Tiwanaku V de certains sites Omo, tel que le temple Omo 10, au style Chen Chen (Goldstein et Owen 2001: 157, Fig. 13).
Deuxièmement, un exemplaire appartenant à la première vague d’immigration (Omo) attire notre attention; une tête d’un incensario-puma zoomorphe (A.2) possède en effet les caractéristiques technologiques que nous venons de reconnaître au site de Lukurmata (Figure 8.7/2a). Par ailleurs, trois des quatre incensarios de style Omo illustrés par Goldstein et Owen sont zoomorphes et cette forme est particulièrement représentée dans la vallée de Katari (Goldstein et Owen 2001: 152, Fig. 8) (Figure 8.7/2 b). À titre d’hypothèse, la présence de ces caractéristiques pourrait indiquer que la première vague d’immigration dans la vallée de Moquegua soit originaire de la vallée de Katari. Nous avons en effet déterminé que cette partie du bassin méridional du Titicaca subira de nombreuses « crises » liées aux fluctuations du lac Titicaca (chapitre 4). Il est dès lors envisageable que l’inondation d’une partie de la vallée de Katari, et en particulier de la plaine agricole située devant le centre cérémoniel de Lukurmata, puisse avoir un lien avec l’implantation de cette nouvelle colonie Tiwanaku à Moquegua.
On ajoutera que ces caractéristiques ne sont pas exclusivement représentatives de ces deux phases, car d’après Goldstein et Owen, l’incensario zoomorphe de style Omo que nous avons illustré en Figure 8.7/2a possède une applique quadrangulaire. En effet, cet attribut ne constitue pas un critère chronologique propre à la période Tiwanaku V, puisqu’il est attesté sur le site de Tiahuanaco avant cette phase. Par conséquent, cette applique peut soit documenter un contexte Tiwanaku IV en connexion avec le site de Tiahuanaco, soit documenter la période de standardisation de cette forme durant la période Tiwanaku V. Enfin, vu que l’incensario est un objet liturgique, la date d’offrande pourrait être beaucoup plus tardive que sa date de production, puisque l’objet pouvait, en théorie, être conservé longtemps. Les offrandes récentes mises au jour dans la zone 1 de l’arrecife de Khoa sont probablement contemporaines, quoique toutes de facture
Cette hypothèse apporterait également une autre information: bien que Lukurmata fasse partie de « l’espace Tiwanaku », chaque population des différents centres 226
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré différente. Celles-ci représenteraient une offrande massive de vaisselle cultuelle, devenue obsolète, effectuée par plusieurs incensario-officiants rattachés à différents centres cérémoniels.
• alors que les incensarios à base annulaire et à forme hyperboloïde sont omniprésents à Tiahuanaco où apparaîtra également l’incensario-condor; • toutes ces formes vont toutefois se « standardiser » durant la période Tiwanaku V, comme en témoigne l’omniprésence de l’applique quadrangulaire dont le type apparaît avant cette phase sur le site de Tiahuanaco.
8.3.3. Vers une typo-chronologie? Les résultats que nous venons d’énoncer sont encourageants, mais ne permettent pas encore de formuler une typo-chronologie fiable à 100 %, puisque de nombreuses variables restent inconnues. Il est toutefois envisageable de compléter les données avec les exemplaires conservés dans les musées en effectuant des datations par thermoluminescence.
8.4. Variabilité de l’espace rituel et des pratiques d’offrandes 8.4.1. Définition de l’espace rituel La notion d’espace est un critère d’analyse indissociable du concept de « paysage culturel ». Dans la définition du paysage rituel, l’« espace » se rapporte cette fois-ci exclusivement aux secteurs au sein desquels l’archéologie identifie des pratiques de type rituel. Nous avons constaté que la pratique d’offrande d’incensarios est à la fois attestée dans les espaces cérémoniels monumentaux, dans les espaces non construits, mais aménagés, et dans les espaces naturels. L’analyse de ces différents espaces rituels permet d’identifier la variabilité des rites d’offrandes d’incensarios et d’appréhender, grâce à l’étude des variantes, comment était perçu l’espace sacré Tiwanaku.
Dans l’état actuel de la recherche, une première synthèse peut cependant illustrer les grandes lignes qui se dégagent de l’analyse, grâce à l’identification de récurrences observées dans cet échantillonnage composé de cent deux exemplaires (Figure 8.8). En résumé, nous avançons que: • l’incensario de tradition Tiwanaku est originaire du bassin lacustre, • les incensarios-lama et les formes zoomorphes sont probablement originaires de la vallée de Katari,
PRE-TIWANAKU
Puma a.1
T I A H U A N A C O
B A S S I N
P E R I -
TIWANAKU V
TIWANAKU IV
Puma A.1 Puma A.1.3
Lama (B) Condor (C)
Puma a.1
L A C U S T R E
Puma A.1 Puma A.2 Lama (B) Condor (C)
P H E R I E
Puma A.1 Puma A.2
0
100
200
300
400
500
600
Figure 8.8. Distribution de l’incensario dans le temps et dans l’espace.
227
700
800
900
1000
1100
PCN
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Comment définir et identifier un espace rituel? Goldstein indique que les représentations monumentales du pouvoir de l’état sont cristallisées par l’architecture cérémonielle qui, que ce soit à Tiahuanaco ou en périphérie, ont des caractéristiques reconnaissables: « (1) les monticules artificiels en terrasses, (2) les structures rectangulaires, comme celles délimitées par des murs [kalasasaya] ou des temples semi-souterrains, et (3) les systèmes de portes et escaliers qui canalisent l’accès aux structures cérémonielles » (1993: 24). Ainsi se distinguent les structures de type cérémoniel et les espaces voués à des activités rituelles tels que les patios extérieurs aménagés au sein des édifices monumentaux. Les travaux récents ont toutefois nuancé cette définition: le concept d’« espace sacré » est beaucoup plus complexe dans le paysage rituel Tiwanaku et il ne peut pas se limiter à une démarcation matérielle.
mutation progressive, suite à la déformation inévitable de la tradition orale. En l’absence de rites, le site devient de moins en moins tangible, se dénature concrètement, et entre progressivement dans une réalité oubliée, de l’ordre du mythe. Si les Incas ont hérité de la mémoire de ce site, les données archéologiques montrent clairement qu’ils n’avaient probablement pas connaissance de la présence d’offrandes Tiwanaku. Ils récupèrent alors ces anciennes croyances pour servir leurs intérêts propres et redéfinissent l’espace et le mythe en développant de nouvelles pratiques d’offrandes subaquatiques. Leur perception de cet espace sacré [croyances et mythes] est donc nouvelle, ce qui se reflète dans les modifications de rites et d’offrandes. La présence d’une surface stérile dans les contextes d’offrandes d’incensarios constitue par ailleurs une constante, que ce soit dans les secteurs résidentiels ou cérémoniels, dans les espaces aménagé ou de facto dans les espaces naturels. Cette surface stérile « représente la création d’espaces sacrés appropriés à différents types de cérémonies ou d’offrandes rituelles » (Janusek 1994: 112). Celle-ci peut-être éphémère, semi-permanente ou permanente. Ces surfaces stériles peuvent être créées artificiellement, telles que les surfaces de graviers et/ou de couleur verte, ou entretenues, telles que les patios extérieurs ou les temples semi-souterrains. Goldstein indique en effet que la surface du Temple Omo 10, dans la vallée de Moquegua, suggère un « nettoyage rigoureux » (1993: 36).
Un espace rituel est-il forcément un espace sacré? La perception de l’« espace sacré » est un processus cognitif propre à l’Homme qui reflète une identité culturelle: l’espace sacré est défini par l’espace rituel. Nous sommes en mesure d’identifier l’espace sacré grâce aux témoignages matériels. L’objet incensario est assurément l’un des marqueurs les plus fiables de ces espaces. Par ailleurs, les variations au sein des espaces illustrent les variations dans la pratique des rituels d’offrandes, et vice versa. Dans le registre archéologique, nous pouvons aborder ces espaces rituels de deux manières: d’une part, en étudiant la distribution de l’objet incensario au sein d’une surface, tel un patio extérieur ou intérieur, et d’autre part, en analysant la distribution de cet objet au sein de l’accumulation sédimentaire.
8.4.2. Variantes de l’espace rituel En inventoriant les incensarios documentés par des contextes de découverte, nous avons identifié de nombreux espaces différents que nous avons donc regroupés en trois catégories. Notre volonté de distinguer ces trois groupes ne répond pas seulement à des critères d’aménagement, mais également à des critères de pratiques rituelles. Nous avons en effet constaté que la pratique de fragmentation rituelle de l’objet incensario est seulement attestée dans les espaces construits et jamais dans les espaces aménagés extérieurs ou dans les espaces naturels.
Nous constatons que cette dernière approche apporte d’autres types d’informations sur la perception de l’espace sacré. Par exemple, Janusek a identifié un fragment d’incensario pré-Tiwanaku sur une surface stérile du secteur AKE1 intercalée entre deux planchers d’occupation domestique (Janusek 1994: 106–107). La présence d’un fragment d’incensario sur cette surface n’indique pas que cet espace était un espace sacré, mais au contraire, indique que cet espace a été sacralisé. En termes de définition et de sémantique, le concept d’espace sacré n’est donc pas toujours une réalité permanente. Il peut parfois s’agir d’un geste rituel, tel que le placement d’une couche stérile de fondation au sein d’un complexe d’habitations. Il s’agit, dans cet exemple, d’un espace rituel éphémère, créé par l’intervention d’une autorité spirituelle au sein d’un espace « privé », mais sans incidence à long terme sur l’aménagement de l’espace proprement dit.
(1) Espaces construits Les espaces construits sont soit de type cérémoniel, tels les complexes monumentaux, soit de type résidentiel, que ce soit d’élite ou domestique. Ensuite, alors ces espaces intègrent des secteurs « urbanisés », nous avons pu établir que les offrandes d’incensarios se situaient toujours à l’extérieur des structures, comme les lieux de passage, les patios ou dans les temples semi-souterrains des secteurs cérémoniels, et comme les surfaces extérieures des unités résidentielles domestiques ou d’élite. L’unique exception correspond aux offrandes d’abandon définitif; celles-ci peuvent intégrer à la fois un espace extérieur et un espace intérieur. En pratique, elles se situent toutes à l’extérieur, car l’édifice a généralement été démantelé, comme en témoigne le secteur résidentiel situé au sommet de la pyramide Akapana abandonné à la fin de la période Tiwanaku V (chapitre 7).
A contrario, l’arrecife de Khoa est un espace sacré, et sa sacralité est régulièrement entretenue par des pratiques rituelles et des offrandes d’incensarios. Dans ce cas, l’espace sacré est permanent, et il le demeure jusqu’à l’abandon de la pratique d’offrandes. Après cet abandon, la tradition orale peut conserver la mémoire de l’endroit, sans pour autant entretenir les rites. Le site peut par conséquent rester « actif », alors que son caractère sacré a été l’objet d’une 228
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré Les surfaces rituelles des espaces construits sont soit permanentes, comme dans les temples, soit éphémères, lorsqu’une couche stérile est « intercalée » entre deux planchers d’occupation ou d’activités. Celle-ci peut sceller l’occupation ancienne ou inaugurer la nouvelle occupation, et est attestée à la fois dans les secteurs cérémoniels et les secteurs résidentiels. La présence de l’objet incensario n’est donc pas exclusivement propre aux espaces d’élite ou aux complexes cérémoniels. Dans le cadre de la pratique de fragmentation rituelle, nous pouvons en effet pointer une différence: les fragments « secondaires », tels que les bords festonnés, sont associés aux unités domestiques, alors que les fragments principaux, telle la tête de l’incensario, sont associés aux offrandes des complexes cérémoniels. La charge sacrée de l’objet n’est pas diminuée par la pratique de fragmentation, mais elle reflète une hiérarchisation sociale suivant que le bénéficiaire, que ce soit une personne ou un groupe, relève d’un contexte domestique ou cérémoniel.
la salle sud située au sommet de la pyramide Akapana (Alconini 1995: 146). La surface n’était toutefois pas stérile et il y avait d’autres fragments de céramique. Il est possible que ces derniers n’aient pas été identifiés comme appartenant au corps céramique de l’incensario-condor. Enfin, quelques « caches » ou offrandes votives ont été localisées dans les fondations de différents édifices monumentaux. Or, ces offrandes se situaient également à l’extérieur, que ce soit au niveau du patio central ou des murs qui délimitent le complexe cérémoniel. Ce type de pratique, qui se distingue par l’absence de fragmentation rituelle de l’objet incensario, a été documenté à Lukurmata par Bennett (1936: 484) et dans la vallée de Moquegua par Goldstein (1993: 40–41). (2) Espaces aménagés Les espaces aménagés sont toujours des espaces extérieurs, tels les cimetières ou certaines surfaces délimitées par des murs (places extérieures), qui se distinguent des surfaces construites, car ils sont généralement décentrés des espaces urbanisés. Un espace funéraire en particulier, dont la configuration peut désigner un cimetière d’élite, a été localisé à 300 m au sud-est du secteur résidentiel de Lukurmata sur une surface aménagée (Bermann 1990: 286, 378, Fig. 6). Un incensario-puma complet a été découvert au-dessus d’une tombe circulaire de 80 cm de diamètre contenant un adulte âgé (Bermann 1990: 286). Dans cet exemple, l’incensario n’a donc pas été l’objet d’une fragmentation rituelle. Bien au contraire, il était soigneusement conservé au-dessus de la tombe et devait être utilisé régulièrement lors de pratiques d’encensement associées au culte des morts. Ensuite, la tombe contenant l’incensario-lama découvert dans la chambre inférieure répond quant à elle à un espace différent, car elle était associée à différents complexes résidentiels de Lukurmata, mais toujours à l’extérieur des structures (Bermann 1994: 200–202). Dans cet exemple, il y a probablement un lien direct entre le défunt et les habitants qui occupaient ces unités d’habitations: culte d’une lignée ou d’un parent éloigné [fondateur]? Cette pratique est également attestée dans d’autres sites du bassin lacustre, comme à Khonkho Wankani (Janusek 2013: 10–12) et probablement à Iwawi (Isbell et Burkholder 2002: 216), mais également dans les territoires périphériques, que ce soit dans la vallée de Moquegua (Goldstein 2005: 251) ou à Cochabamba (Anderson 2013: 101–103, Tableau 6.4).
Cette pratique de fragmentation est attestée au sommet de la pyramide Akapana où la tête de l’incensario se trouvait à l’extérieur et le reste de la céramique à l’intérieur, dans le secteur AKE1 sur une couche stérile intermédiaire, au pied d’une stèle de style Yaya-Mama située au nord du Kalasasaya, à l’île de Pariti dans le cadre d’une offrande d’abandon définitive dont le fragment montre clairement que la cérémonie a été présidée par un incensarioofficiant, ou encore à Chucaripupata sur l’île du Soleil où une tête d’incensario a été découverte positionnée sur une strate verte, à l’entrée d’un couloir d’accès d’une structure cérémonielle (chapitre 7). Tous les incensarios associés aux pratiques de fragmentation ont été identifiés; ils appartiennent tous au type incensario-puma (A.1). Dans cette perspective, tous les fragments étaient conservés: ils étaient répartis dans des espaces de statut différent en fonction du fragment, ou produits spécialement pour un événement et offerts au sein du même espace, comme le démontre l’offrande d’abandon du sommet de la pyramide Akapana. Dans cet exemple, il peut également s’agir d’un incensario utilisé auparavant en tant qu’objet liturgique, puis fragmenté au sein d’un espace homogène lors de la disparition de la fonction de l’incensario-officiant. Dans la même perspective, l’exemple de l’offrande de l’île de Pariti démontrerait que certains fragments étaient conservés à long terme (festons), puis intégrés au sein d’une offrande. Dans ce dernier exemple, il est également possible que le reste de la céramique ait été offert dans un autre espace, encore indéterminé.
Une seule surface, décentrée par rapport aux espaces urbanisés et délimitée par des murs, a été clairement identifiée et documentée par Bermann sur le site de Lukurmata. Localisée à ± 50 m à l’ouest du secteur cérémoniel, elle se caractérise par un espace ouvert aménagé en terrasse et recouvert par une couche homogène de cendre grise (Bermann 1994: 195). Un incensariopuma intact a été découvert dans une fosse d’offrande de 60 cm de profondeur dans l’angle nord-ouest de l’espace (Bermann 1990: 304); d’autres fragments, découverts en contexte secondaire (Bermann 1994: 197), peuvent
La pratique de fragmentation rituelle n’est pas clairement attestée dans le cas des incensarios-lama (B); ceuxci étaient a priori conservés et utilisés intacts. Notons toutefois qu’il manquait la tête de l’incensario-lama découvert dans la chambre inférieure de la tombe atypique de Lukurmata (Bermann 1994: 200–202). Cette pratique est par contre attestée sur les incensarios-condor, vu que deux têtes isolées ont été découvertes à l’extérieur de 229
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie également correspondre à ce type d’offrande, mais ils ont été perturbés par des aménagements postérieurs. Les objets découverts sur cette surface mettent en valeur un espace consacré à des activités cérémonielles (Bermann 1994: 195). Notons également la présence d’un fragment d’incensario-puma dans les remblais qui ont servi de fondation aux camellones fouillés dans le secteur de Lakaya (Kolata et Graffam 1989: 186). Il peut s’agir d’un contexte secondaire, mais également d’une pratique d’offrande liée à l’exploitation agricole de la vallée de Katari.
en soi, mais témoigne de l’utilisation de l’instrument rituel au cours de la cérémonie d’offrandes par l’incensarioofficiant. Les offrandes d’incensarios dans les espaces naturels sont donc particulièrement importantes, car dans ce contexte, l’instrument de l’incensario-officiant est l’objet même de l’offrande. 8.4.3. Variantes dans la pratique rituelle L’objet incensario permet donc d’identifier trois types d’espaces sacrés, qu’ils soient temporaires ou permanents; ceux-ci illustrent la diversité des pratiques impliquant la présence de l’incensario-officiant. Ces pratiques peuvent à leur tour être regroupées en deux types distincts d’utilisation de l’objet incensario: soit en tant qu’objet liturgique, soit en tant qu’offrande proprement dite. C’est la fonction liturgique de cet objet qui est probablement la plus importante; nous pouvons en distinguer le contenant [incensario] du contenu [matière organique brûlée], comme l’attestent par exemple les pratiques funéraires. Cette fonction est également connectée à la pratique de fragmentation rituelle, indissociable des événements exceptionnels de mutations sociales, politiques ou religieuses que nous percevons à partir de la reconstruction ou de l’abandon de complexes monumentaux. La « seconde » utilisation de cette céramique s’illustre dans des contextes où l’incensario devient l’objet de l’offrande.
(3) Espaces naturels Les espaces naturels regroupent tous les lieux non construits et non aménagés où sont attestées des pratiques de type rituel, que ce soit dans des grottes ou autour d’un rocher [sacré], qu’il soit terrestre ou subaquatique. En archéologie, l’identification des espaces rituels est facilitée par les vestiges matériels des ruines. Les espaces sacrés naturels sont plus difficilement identifiables; nous ne possédons plus la mémoire de ces lieux sacralisés. Notre perception de l’espace sacré Tiwanaku est dès lors tronquée. De nombreuses découvertes fortuites effectuées dans le passé montrent que ces espaces peuvent être multiples. Pouvons-nous localiser des offrandes Tiwanaku au pied des glaciers, dans des rivières et des lacs, dans d’autres grottes, fissures et autres anomalies topographiques? Ces composantes environnementales font pourtant partie du paysage rituel et de l’espace cognitif dans lequel vivaient les habitants de la période Tiwanaku. Les seuls exemples documentés par l’archéologie sont les incensarios découverts dans deux grottes situées sur des îles du Titicaca, Tikonata et Amantaní, autour du rocher « sacré » au sommet du Cerro Baúl dans la vallée de Moquegua, et les offrandes subaquatiques réparties autour de l’arrecife de Khoa.
Dans cette perspective, l’arrecife de Khoa est unique, non seulement en raison de la présence d’incensarios — l’offrande subaquatique pourrait représenter une offrande atypique d’une pratique normalisée —, mais aussi en raison de la quantité d’incensarios identifiés. Or, les offrandes subaquatiques semblent être constantes et « normales » durant les périodes pré-Tiwanaku et Tiwanaku IV et iront s’amplifiant durant la période Tiwanaku V. Dans l’état actuel de la recherche, nous pouvons énoncer deux hypothèses:
Ces offrandes prouvent que l’espace sacré ne se réduit pas aux espaces délimités physiquement par des structures ou des surfaces extérieures. En outre, ces offrandes en espace naturel se différencient de ces dernières; en effet, les incensarios y sont toujours complets et ne font pas l’objet de fragmentations rituelles. Nous avons envisagé dans un premier temps que les offrandes subaquatiques avaient été intentionnellement fragmentées lors de la pratique d’offrande et pouvaient s’apparenter aux pratiques identifiées à l’île de Pariti, où plus de quatre cent quatre céramiques richement décorées ont été brisées et réparties entre deux fosses (Korpisaari et Pärssinen 2011: 71; Villanueva et Korpisaari 2013: 87), ou, par analogie, au « kerus smash » identifié sur les premières plates-formes de la pyramide Akapana (Alconini 1995: 85, 101–102). Cependant, la présence d’incensarios intacts à Khoa nous prouve le contraire.
• soit les offrandes Tiwanaku V reflètent une récupération du site par un état centralisé à des fins politico-rituelles, • soit elles résultent d’un dépôt massif et sont liées à la période de crise préludant à la disparition de l’élite dirigeante de Tiwanaku et au dépeuplement progressif du bassin lacustre. Dans ces deux situations, pourquoi ces offrandes ont-elles eu lieu en particulier à l’arrecife de Khoa? Ce site avait-il [déjà] une place importante dans les croyances et dans les mythes fondateurs de la culture Tiwanaku? Les pratiques liées à l’objet incensario ont toutes un dénominateur commun: elles font référence au monde sacré et invisible, que ce soit dans les rites funéraires, dans les offrandes de dédicaces domestiques ou cérémonielles, dans le culte des « stèles » Yaya-Mama et dans les temples semi-souterrains, et elles sont omniprésentes lors des périodes de crise. L’incensario est l’objet intercesseur avec le monde invisible, et de facto, la figure mythique du puma [ailé].
La présence d’un feston dans l’offrande de Pariti indique par ailleurs une fragmentation rituelle de l’objet; dans ce cas, l’unique tesson d’incensario ne consiste pas l’offrande 230
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Figure 8.9. Variabilité des rites funéraires associés à l’objet incensario. Reconstitution hypothétique.
Le plus intéressant est que la présence de cet objet n’est pas systématique en contexte funéraire. Bien au contraire, seules quelques rares tombes sont associées à l’incensario. Nous pouvons formuler deux hypothèses en vue d’expliciter ces contextes de découverte: soit l’incensarioofficiant était impliqué dans toutes les pratiques funéraires sans pour autant abandonner l’incensario à chaque fois — sinon on en aurait trouvé dans toutes les tombes —, soit l’officiant n’exerce sa pratique qu’envers des individus au statut particulier. Dans la première situation, l’incensarioofficiant présidait les rites funéraires et, à la fin de la période de deuil et de l’encensement d’usage, « récupérait » dans certains cas son instrument liturgique. Dans la deuxième situation, l’implication de l’incensario-officiant se limite à certains événements funéraires seulement: soit l’individu possédait un statut particulièrement important, soit le groupe familial associé au défunt finançait la participation de l’incensario-officiant, qui pouvait éventuellement « abandonner » l’objet liturgique à la fin de la période de deuil.
(1) L’objet liturgique incensario L’incensario est présent dans certains rites, principalement les rites funéraires. La position de cet objet au sein du contexte de découverte démontre que l’incensario n’intègre pas le mobilier funéraire: il n’est jamais directement associé à l’individu enterré. Trois contextes en particulier documentés par la littérature scientifique retiennent notre attention: • une tombe découverte à Lukurmata au-dessus de laquelle il y avait un incensario-puma (A.1) intact possédant des traces de carbonisation (Bermann 1990: 286) (Figure 8.9/1), • une tombe de Cochabamba découverte sur le site de Piñami où un incensario-puma zoomorphe (A.2) a été localisé couché au-dessus de l’individu (Cespedes 2001: 47) (Figure 8.9/2), • une tombe complexe où un incensario-lama quadrupède (B.3) a été localisé dans la chambre inférieure située en dessous du défunt (Bermann 1994: 202, Fig. 12.20) (Figure 8.9/3).
D’autres contextes de découverte documentent des pratiques d’encensement liées au rite funéraire. Ponce décrit par exemple qu’un « intéressant exemplaire de céramique brûlée » était posé au-dessus de la tombe d’un individu masculin adulte enterré avec son mobilier funéraire (Ponce 1976: 7). Cette tombe a toutefois été découverte dans la structure pré-Kalasasaya de Tiahuanaco et illustre une pratique funéraire de la période formative tardive (LF1 ou LF2). Dans un autre exemple, Seddon a observé sur le site de Chucaripupata (île du Soleil) que la base d’une olla a été déposée au-dessus de la tombe n° 49 datée de la période Tiwanaku IV; d’après le fond brûlé et cette olla a été utilisé comme un « encensoir » (Seddon 2004: 107). Dans cet exemple, la base d’une céramique utilisée normalement pour la cuisson ou la conservation de denrées périssables a été tronquée et le fond récupéré comme support pour des pratiques d’encensement.
L’objet incensario est donc à dissocier du mobilier funéraire proprement dit; à celui-ci sont associées d’autres céramiques, dont le keru est la forme la plus fréquente. Dans le premier exemple, l’incensario est situé physiquement en dehors de la tombe et les traces de carbonisation identifiées à l’intérieur mettent en évidence des pratiques régulières d’encensement associées au culte des morts. Dans le second exemple, l’incensario a été posé sur l’individu inhumé: soit cette disposition est analogue à celle du premier exemple, soit l’incensario a été intentionnellement posé sur le corps à la fin de la période de deuil et d’encensement. Dans le troisième exemple, l’incensario se trouve physiquement en dessous du corps; nous ignorons toutefois si le niveau du sol correspondait à celui de la chambre supérieure ou à celui de la chambre inférieure, ce qui impliquerait une pratique régulière d’encensement. 231
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Figure 8.10. Pratique de fragmentation rituelle de l’incensario dans les registres de transition. Reconstitution hypothétique.
Ces deux trouvailles livrent de nombreuses données. Il s’agit de deux contextes funéraires, anciens ou datés du début de la période Tiwanaku, où serait donc mise en évidence une pratique funéraire « pré-incensario », à une période où les types de formes et les modèles de production de cette vaisselle n’étaient pas encore clairement définis. Toutefois, ces deux contextes proviennent de fondations situées en dessous d’une structure cérémonielle plus tardive, et, dans les deux cas, de l’espace « préKalasasaya ». Les complexes cérémoniels Tiwanaku ont été construits sur des espaces rituels plus anciens et étaient donc déjà associés à une élite dirigeante. Par conséquent, la pratique funéraire d’encensement était probablement attitrée à une partie de la population Tiwanaku.
Le premier exemple correspond au fragment d’incensario pré-Tiwanaku découvert par Janusek dans le secteur AKE1 (1994: 106–107, 120, Fig. 6.4): le fragment d’un bord festonné était positionné 2 cm au-dessus d’une surface stérile d’argile et de limon de couleur rougeâtre, située à l’extérieur d’une structure domestique (Figure 8.10/1). Cette couleur, omniprésente dans la vallée de Tiahuanaco, correspond à la couleur naturelle du sédiment de vallée alluviale. Il est probable que les structures domestiques ont été intentionnellement démantelées et que des briques d’adobe, de couleur rouge, ont été utilisées pour créer une surface homogène servant de fondation aux futures unités résidentielles. L’occurrence de ce fragment d’incensario indiquerait que les individus résidant dans ce secteur ont soit sponsorisé une cérémonie rituelle pour consacrer les fondations du nouveau complexe résidentiel, soit qu’ils étaient (in) directement associés au complexe cérémoniel situé à l’ouest de ce secteur et que la présence de l’incensarioofficiant était naturelle. La présence de ce fragment, isolé sur une couche stérile, indique un dépôt intentionnel de la part de l’officiant, tandis que le caractère de second plan de ce fragment indique qu’il devait probablement exister une hiérarchisation sociale ou rituelle liée aux bénéficiaires de la cérémonie. Partant de cet exemple de fragmentation, nous envisageons deux hypothèses:
D’autres pratiques rituelles liées à la fonction de l’incensario-officiant sont attestées dans le registre archéologique; elles reflètent des événements importants où la pratique de fragmentation rituelle de l’objet incensario est attestée. Trois exemples démontrent que cette pratique de fragmentation est, premièrement, indissociable des registres archéologiques de transition et, deuxièmement, représentative de toute la période Tiwanaku. Une telle pratique est en effet attestée dans le secteur AKE1 durant la période de transition pré-Tiwanaku/Tiwanaku IV (US A/B), sur la plate-forme de Chucaripupata durant la période de transition Tiwanaku IV/Tiwanaku V (US B/C), et sur la pyramide Akapana à la fin de la période Tiwanaku V (US C/D) (Figure 8.10/1, 2, 3). Ces phases de transition se caractérisent par le démantèlement de structures résidentielles ou cérémonielles. Dans tout l’espace Tiwanaku, ces épisodes de démantèlement identifiés par les archéologues leur ont par ailleurs servi d’indicateurs chronologiques pour déterminer les trois phases principales de l’histoire de l’occupation Tiwanaku. L’incensario-officiant était par conséquent une personnalité incontournable de l’élite de Tiwanaku, si l’on en juge par l’omniprésence des gestes liés à sa fonction, à chaque événement clé de l’histoire de Tiwanaku.
• soit l’incensario-officiant préside une cérémonie « privée » et, à la fin de celle-ci, prélève un fragment de son instrument liturgique pour marquer la surface nouvellement sacralisée, • soit l’incensario-officiant intervient dans différents secteurs, en fragmentant [hiérarchiquement] au fur et à mesure son incensario sur des surfaces rituelles éphémères; ce scénario illustrerait alors une des interventions rituelles de l’événement dont le centre cérémoniel et résidentiel de Tiahuanaco a été l’objet durant cette période de transition. 232
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré Lors de ces pratiques de fragmentation, nous suggérons que les fragments traduisent un geste rituel, alors que la présence, dans d’autres espaces, d’incensarios intacts démontre clairement une pratique différente.
de cet usage, observé à travers les registres archéologiques, montre l’importance de cette figure de puma dans les espaces géostratégiques, et en particulier dans les lieux d’accès aux structures et complexes. Le puma [ailé] établit par convention le lien mythique entre le monde invisible et le « monde des vivants » et se positionne en trait d’union entre ces deux mondes. Selon nous, le « puma ailé », ou l’être appartenant à une de ses phases de transformation documentées par l’iconographique, dénote probablement, dans les croyances et dans les mythes fondateurs de la culture de Tiwanaku, un rôle de psychopompe, de gardien mythique ou de monstre mythologique, mais dont la signification réelle reste difficile à déterminer.
Le second exemple illustre la deuxième période de transition, caractérisée par de profondes mutations au sein de la culture Tiwanaku et durant laquelle la forme de l’incensario s’est standardisée à travers tout le territoire. Cet exemple, rapporté par Seddon (1998: 310, 312, 385, Fig. 5.18), consiste en une tête isolée d’un incensariopuma posée sur une couche verte, dans un « corridor » situé à l’extérieur, au nord de la structure principale de la plate-forme cérémonielle de Chucaripupata (Figure 8.10/2). Cette strate de couleur est régulièrement attestée dans les couches de transition Tiwanaku IV-V, que ce soit à Tiahuanaco ou dans le bassin lacustre. Stérile, la strate consiste en une couche intermédiaire située audessus d’une ancienne occupation et en dessous de la reconstruction d’un espace cérémoniel ou résidentiel. Dans ce cas, la présence de la seule tête de l’incensario-puma met en évidence la pratique de fragmentation rituelle de l’objet et associe la présence de l’incensario-officiant à cet événement de fondation, dont témoigne la strate de couleur verte. Le caractère de premier plan fragment se distingue par ailleurs de celui du fragment associé au secteur AKE1; il reflète l’importance de l’espace qui a été l’objet de cet événement, en l’occurrence un secteur cérémoniel. Bien qu’il s’agisse d’un secteur « non résidentiel », nous reconnaissons ici une surface rituelle éphémère, qui a été directement recouverte et qui servira de fondation rituelle au nouvel aménagement. En conséquence, ce fragment révèle un geste rituel propre à un événement ponctuel, au sein d’un centre cérémoniel qui renvoie à un espace permanent d’activités rituelles.
Ce dernier exemple, illustre selon nous un espace temporaire de pratique rituelle, car la vocation première de ce secteur est résidentielle. Toutefois, vu la nature de l’offrande et de l’événement, cette offrande peut représenter la création d’un espace sacré définitif, où le geste rituel est l’ultime acte posé par l’incensario-officiant au sein de la pyramide Akapana. Cette sacralité « permanente », même si elle a cessé d’être entretenue par les rites, restera active dans la mémoire jusqu’à la période inca. À ce titre, cette offrande d’abandon peut s’apparenter aux offrandes massives de l’arrecife de Khoa; dans les deux sites en effet, bien que la sacralité du lieu ne soit plus activée par les mêmes acteurs, elle est entretenue par la tradition et intègre les croyances du paysage rituel du bassin lacustre en tant que réalité oubliée. À la différence de l’arrecife de Khoa, la sacralité de l’Akapana restera toutefois visible et perceptible de manière permanente dans le paysage naturel [et rituel]. Un autre contexte exceptionnel illustre une pratique de fragmentation d’incensarios pré-Tiwanaku et Tiwanaku (IV) au pied d’une stèle de style Yaya-Mama, située à ± 10 m au nord-est du Kalasasaya (Arellano 1991: 269–271). Quatre fragments de bord festonné ont été découverts dans l’US 3, située immédiatement au-dessus du piédestal de la stèle (Figure 8.11/1). Dans les années 1980, celle-ci a été découverte enterrée et acéphale. Nous pensons que ce contexte de découverte met en évidence une pratique tardive de désacralisation intentionnelle de la stèle, durant la campagne d’extirpation d’idolâtrie vers 1550–1610 (Vranich 1999: 40).
Le troisième exemple, illustrant l’un des événements d’abandon définitif attesté dans le bassin lacustre, provient du secteur résidentiel situé au sommet de la pyramide Akapana (Manzanilla 1992: 55–61). La tête d’un incensario-puma a été découverte sur le seuil de l’habitation n° 1 (R-11) et nous avons déterminé que le reste de l’incensario faisait probablement partie de l’assemblage céramique découvert dans les angles, à l’intérieur de cette habitation (Figure 8.10/3). Cet exemplaire résulte donc d’une fragmentation rituelle de l’objet incensario, où tous les fragments sont attestés au sein du même espace. Nous pensons que cette particularité est due à l’événement de crise particulièrement sévère qui précédera la disparition définitive, à la fois de l’élite dirigeante de Tiwanaku et de l’incensario-officiant. L’objet incensario, en tant qu’objet liturgique emblématique de l’identité rituelle de cette culture, est physiquement et symboliquement abandonné, de manière définitive.
Pour Morh Chávez, la tradition Yaya-Mama est associée au « culte du félin » (2001: 25). Les quatre fragments en question appartiennent au type incensario-puma (a.1/A.1). Vu qu’ils sont tous différents, nous pensons qu’ils sont associés à au moins quatre événements distincts. Ce contexte permet de déterminer que la pratique de fragmentation est indissociable de cette céramique-effigie, depuis son apparition dans l’espace rituel. La présence de cette stèle décentralisée par rapport au Kalasasaya est par ailleurs intéressante. À l’heure actuelle, les stèles sont réintégrées de manière « esthétique » dans les complexes cérémoniels, mais les fouilles réalisées par l’équipe de Janusek sur le site de Khonkho Wankane ont démontré que de nombreux exemplaires se trouvaient à l’extérieur des complexes cérémoniels (Ohnstad 2013: 54, Fig. 5.1).
Malgré cette crise, la pratique du positionnement intentionnel des fragments de la vaisselle au sein d’un espace homogène respectera les conventions d’usage que nous avions relevées, à savoir le placement, à l’extérieur de l’édifice, de la tête de la céramique-effigie. La constance 233
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Adapté de Ohnstad 2013:55, Fig. 5.2 Figure 8.11. Pratique de fragmentation rituelle de l’incensario – stèle Yaya-Mama (KN-I).
Une de ces stèles, très semblable à celle du Kalasasaya de Tiahuanaco (Figure 8.11/2), figure deux petits félins anthropomorphes ainsi que le puma-serpent katari (Ohnstad 2013: 55, Fig. 5.2). Par ailleurs, le puma-ailé aux pieds bifides est attesté sur une autre stèle (Ohnstad 2013: 57, Fig. 5.3); il pourrait illustrer une des étapes de transformation de cette figure mythique dans une scène narrative illustrant un mythe [fondateur] Tiwanaku.
offrandes de dédicace peuvent également donner d’autres informations; elles semblent indiquer que, d’une part, l’incensario-officiant est un personnage central de l’élite religieuse associée aux complexes cérémoniels, et que, d’autre part, les offrandes d’incensarios effectuées lors de la (re)construction du complexe cérémoniel désignent la fonction principale de cet espace, dans la mesure où elles sont associées à d’autres objets liturgiques (vasijas).
(2) L’offrande d’incensario(s)
Bennett a clairement identifié trois offrandes de dédicace constituées d’incensarios au pied de la façade orientale extérieure du « Kalasasaya » de Lukurmata (1936: 484). Vu que toute la façade a été fouillée, celles-ci offrent une perception homogène de la pratique d’offrande au sein d’un complexe cérémoniel: la première a été découverte au pied de la façade orientale, vers le centre (Figure 8.12/1) et les deux autres à chaque extrémité nord-est et sud-est de la façade. Ensuite, correspondant également au même type, deux offrandes constituées d’un incensario et d’une vasija miniature ont été découvertes au « niveau du sol extérieur supérieur » du Temple semi-souterrain de Lukurmata, dans l’angle nord-est (Rivera Sund 1989: 69) (Figure 8.12/2). Ces dernières correspondraient soit à des offrandes de fondation de la structure (dédicace), soit à des « caches » composées de matériel liturgique associé au temple, ou refléteraient un événement isolé.
Les rites présidés par l’incensario-officiant sont multiples; certains, on l’a vu, sont « enrichis » par le geste rituel de fragmentation de l’instrument de l’officiant. Nous pensons que la présence de cet officiant peut être beaucoup plus systématique dans d’autres performances rituelles. Cellesci ne sont toutefois pas identifiables matériellement, car la pratique de fragmentation de l’objet incensario est principalement associée aux événements de transition. En parallèle, d’autres contextes de découverte illustrent exclusivement des offrandes d’incensarios. Les céramiques-effigies, consistant en soit l’unique objet de l’offrande, soit l’objet principal associé à d’autres objets [liturgiques], démontrent clairement que l’incensario est l’offrande. Nous relevons deux types de contexte de découverte: soit dans les secteurs cérémoniels avec des offrandes de dédicace localisées dans les fondations extérieures des structures ou dans les patios, soit dans les sites naturels sacrés où les offrandes d’incensarios réactivent régulièrement un espace d’interaction privilégié avec le monde invisible et mythique du paysage rituel Tiwanaku.
Enfin, à l’ouest d’un secteur pavé (patio intérieur) localisé sur la plate-forme « Kalasasaya » de Lukurmata, Bennett a mis au jour trois offrandes dont l’une est composée d’un incensario-puma (A) et de trois céramiques miniatures [vasijas] (Bennett 1936: 485–487). Ce contexte de découverte est donc identique à celui du temple semisouterrain; il démontre également que ces céramiques miniatures sont régulièrement associées, en tant qu’objet liturgique, ou, en tant qu’accessoire du kit liturgique de l’incensario-officiant.
Il est intéressant de constater que dans les pratiques liées aux événements d’inauguration, l’incensario est complet, alors qu’il fait l’objet d’une fragmentation dans le cadre d’événement de démantèlement de structures. Les 234
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré
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«Kalasasaya»
Temple Semi-souterrain
Figure 8.12. Reconstitution hypothétique des offrandes de «dédicace» d’incensario et vasija miniature (Lukurmata).
Ces offrandes de dédicace ne sont pas le propre de Lukurmata: une offrande de ce type a été localisée sous le revêtement en andésite de la première plate-forme du Pumapunku à Tiahuanaco (Yaeger et Vranich 2013: 132–133). Nous avons déterminé que cette offrande d’incensario-puma associée à une vasija miniature était la seule tout au long de cette façade nord du complexe, entièrement fouillée. La plate-forme du Pumapunku a été réaménagée et agrandie en plusieurs étapes (Vranich 1999: 207–221); selon nous, cette offrande n’était pas, à l’origine, englobée dans la structure, mais située au pied de celle-ci sur une surface rituelle extérieure. L’événement de réouverture observé par les auteurs (Yaeger et Vranich 2013: 134) peut indiquer que l’offrande a été l’objet d’une nouvelle manipulation rituelle, probablement durant cet événement d’agrandissement.
146). La fonction de cette céramique miniature est liée aux pratiques rituelles de pigmentation. Elle est par ailleurs attestée à Pariti (Korpisaari et Pärssinen 2011: 64), dans une « cache » du Temple Omo 10 de la vallée de Moquegua (Goldstein 1993: 40– 41), et au complexe cérémoniel Chen Chen M1 (Goldstein et Owen 2001: 164). Une telle association est donc liée à la fonction de l’incensario-officiant et apparaît dès la période pré-Tiwanaku. Nous avons déterminé qu’il existait des rites funéraires de type « pré-incensario » à une période où les types de forme et les modèles de production de cette vaisselle n’étaient pas clairement définis. Dans cette optique, nous pensons que les assemblages céramiques n’étaient pas encore « figés ». En effet, nous retrouvons des vasijas miniatures associées à des sahumadores dans ces anciens contextes de découverte, notamment au complexe de Putuni (Couture 2000: 8–9) et sur le site de Khonko Wankane (Janusek et Plaza 2006: 124, Fig. 16).
Outre les trois exemples ci-dessus, cette association est également attestée à la pyramide Akapana dans la tombe de « l’incensario-officiant » (Manzanilla 1992: 62), dans l’offrande d’abandon R-11 du complexe résidentiel (Manzanilla 1992: 61), et à l’extérieur de la salle nord où une vasija miniature contenant des pigments verts était associée à deux têtes d’incensario-condors (Alconini 1995:
Enfin, les offrandes d’incensarios sont également attestées dans les espaces naturels sacrés. Les incensarios y sont intacts et exclusivement associés à des espaces non aménagés qui se caractérisent par des anomalies
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Figure 8.13. Reconstitution hypothétique des offrandes d’incensario autour du rocher sacré d’Arundane (Cerro Baúl).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Secteur Résidentiel
Patio Extérieur
Figure 8.14. Reconstitution hypothétique de la tombe de l’incensario-officiant (Akapana).
topographiques, comme les grottes ou les rochers sacrés « terrestres » et subaquatiques. Ces espaces sont en général difficilement accessibles et éloignés des centres urbanisés: au sommet d’une montagne (Cerro Baúl), dans une grotte insulaire (Tikonata) ou au milieu du lac (arrecife de Khoa). Il devait donc s’agir d’événement privé réservé à quelques individus, dont un ou plusieurs incensario-officiant(s).
54–55). Il s’agit d’un adulte, d’âge mûr et de sexe indéterminé, enterré en position fléchie. La céramique-effigie a été découverte dans un assemblage comportant une vasija miniature, une cuillère en os et un pulidor en forme de S (pilon de mortier ?), probablement trois accessoires du kit liturgique de l’incensario-officiant (Figure 8.14). Cette tombe se distingue par l’absence de mobilier funéraire « traditionnel » et par sa position au sein du complexe résidentiel d’élite situé au nord-est de structures cérémonielles dont la vocation est de « brûler de la matière organique » (Alconini 1995: 146). La nature de l’inhumation peut également indiquer que sa localisation était probablement connue des résidents du complexe et faisait peut-être l’objet d’un culte (lignage?). Quant à cet individu inhumé, la fonction de prêtre a déjà été proposée par Manzanilla et Woodard (1990: 137) tandis que, relativement aux offrandes d’abandon de Pariti, une fonction associée à l’incensario a également été suggérée (Korpisaari et al. 2012: 262).
Notons toutefois que les fragments d’incensarios découverts autour du rocher sacré du sommet du Cerro Baúl (Williams 2013: 37) étaient fragmentaires. Nous pouvons, dans ce contexte, formuler deux hypothèses: soit les incensarios étaient intacts à l’origine et ont été perturbés par la construction du complexe cérémoniel huari (Figure 8.13/1), soit ils ont été l’objet d’une fragmentation rituelle (Figure 8.13/2). Dans le cadre de cette deuxième hypothèse, cette pratique se distinguerait de celle de l’arrecife de Khoa, mais pourrait être comparée à celles attestées au pied de la stèle Yaya-Mama du secteur Kalasasaya Nord.
Les résultats nous permettent actuellement de présenter dix observations et hypothèses sur l’identité et les caractéristiques qui définissent cette personne-fonction au sein de la culture Tiwanaku:
8.5. L’incensario-officiant au sein de la société Tiwanaku La nature du pouvoir et du système politique Tiwanaku est une problématique essentielle à la compréhension de cette culture (chapitre 2). L’étude de l’incensario, dont nous avons relevé l’omniprésence au sein du paysage culturel et rituel, ouvre une nouvelle opportunité de recherche. Son analyse permet en effet de reconnaître de nombreux gestes rituels associés à une fonction inconnue au sein de l’élite Tiwanaku: l’incensario-officiant. L’incensario est donc, au-delà de l’objet, l’attribut d’une fonction spécifique et particulièrement prestigieuse.
1. L’incensario-officiant est une fonction indissociable de l’espace-temps (pré) Tiwanaku; elle apparaît et disparaît avec cette culture (300/500 –1050/1150 PCN). 2. L’incensario-officiant est une figure principale de l’élite religieuse, au rôle clairement distinct de l’élite séculière. 3. Les gestes liés à la fonction de l’incensario-officiant sont particulièrement attestés durant les périodes de transition que ce soit en contexte domestique, d’élite ou cérémoniel. Ils montrent qu’il s’agit d’un personnage public incontournable. 4. Chaque incensario-officiant est rattaché à un complexe cérémoniel, tout en pouvant participer, en
Jusqu’à aujourd’hui, la tombe découverte au sommet de la pyramide Akapana est le seul témoignage d’une association directe entre un incensario et un individu (Manzanilla 1992: 236
L’incensario-officiant: performance rituelle et perception de l’espace sacré tant qu’invité, à des performances sociales ou rituelles extérieures. 5. L’incensario-officiant, à travers sa fonction, est le principal médiateur avec le monde invisible et mythique de la société Tiwanaku. 6. L’incensario-officiant intervient dans de nombreux rites tels que le culte des morts ou des stèles, lors d’événements de consécration rituelle d’espaces éphémères ou permanents. Il est également le principal intervenant dans les espaces privilégiés d’interaction sacrée tels que l’arrecife de Khoa. 7. La production de l’objet liturgique incensario est contrôlée; cet objet fait partie d’un kit liturgique associé à la fonction de l’incensario-officiant. 8. La fonction de l’officiant prime sur l’individu. La personne est effacée au profit de la charge d’officiant, qu’il soit de sexe masculin ou féminin. 9. La charge sacrée de l’objet liturgique incensario n’est pas affaiblie par la pratique de fragmentation rituelle; chaque fragment reste un marqueur privilégié pour consacrer un espace et les pratiques rituelles d’encensement et de pigmentation sont associées à cette fonction. 10. Les pratiques associées à l’espace littoral révèlent que le lac Titicaca n’était pas un lac sacré durant la période Tiwanaku et que seul l’arrecife de Khoa avait une position de premier plan au sein des mythes fondateurs Tiwanaku. À l’inverse, le lac Titicaca devient « sacré » durant la domination du bassin lacustre par les Incas, tradition dont les habitants actuels sont les dépositaires directs.
rituels privés et des espaces résidentiels d’élite, se distingue du complexe de Putuni situé dans le prolongement de la plate-forme Kalasasaya dont l’espace pouvait être l’objet d’événement à plus grande échelle et où se dressent également des stèles. Les quelques fragments d’incensarios attestés dans des fosses événementielles au Putuni montrent probablement que l’incensario-officiant participait parfois à des événements en tant qu’invité, mais qu’il n’est pas directement connecté aux résidents du complexe, membres de l’élite du pouvoir séculier. La fonction de l’incensario-officiant va connaître des changements. De statut sans doute plus élevé au sein de l’élite dirigeante durant la période Tiwanaku V, l’officiant a probablement joué un rôle dans les vagues de migration ou de colonisation vers les territoires périphériques. L’incensario-officiant est en quelque sorte le garant de l’identité Tiwanaku à l’extérieur de son foyer culturel d’origine, le bassin lacustre. D’un point de vue spatial, les dynamiques culturelles vont peu à peu se complexifier tout au long de la période Tiwanaku: dans un premier temps entre les secteurs d’occupation locaux du bassin lacustre, ensuite à un niveau régional et, enfin, à une échelle interrégionale. Or, que ce soit d’un point de vue territorial ou chronologique, l’incensario-officiant est omniprésent. Les gestes liés à la fonction de l’incensario-officiant sont beaucoup plus prononcés dans les événements de transition. D’après Janusek, « les périodes de construction au Kalasasaya et à Akapana-East (AKE) marquent des événements périodiques importants durant lesquels les groupes se sont réunis pour recréer ou agrandir des monuments significatifs et des espaces communautaires » (Janusek 2004: 125–126). La participation de l’incensarioofficiant est attestée par le geste de fragmentation rituelle de l’objet incensario. Il était probablement l’acteur principal en conférant, grâce au geste, une signification à l’espace [sacré ou sacralisé].
L’incensario-puma est la principale forme de l’objet liturgique; cela montre que le motif du puma [ailé] est une figure centrale des composantes narratives Tiwanaku, dans les croyances et dans les mythes, et qu’il peut refléter un récit complexe, aujourd’hui disparu, narrant les différentes étapes de transformation mythique de cet animal. Celuici est en outre indissociable de la figure de la divinité principale Tiwanaku, le Dieu-aux-bâtons. Le puma est toutefois absent du répertoire iconographique des stèles de tradition Tiwanaku qui figurent un personnage séculier possédant d’autres attributs de pouvoir.
Selon nous, chaque incensario-officiant devait être rattaché à un centre cérémoniel; par ailleurs, la « circulation de l’objet » à travers le territoire Tiwanaku montre que cette personnalité peut sortir de sa « juridiction ». Nous avons par exemple identifié des fragments d’incensarios dans le dépotoir portuaire de Puncu (chapitre 4). Vu qu’il s’agit d’un objet liturgique de production limitée et contrôlée, ces quelques fragments sont indissociables de la fonction et donc de la circulation de l’incensarioofficiant, en particulier durant la période Tiwanaku V. Cette dernière phase se caractérise non seulement par des offrandes massives d’incensarios à l’arrecife de Khoa, mais également par une standardisation de la forme de la céramique-effigie. Seddon (1998) indique que « l’influence et le contrôle de la part du site de Tiahuanaco se sont intensifiés [à l’île du Soleil] après 800 PCN » (Janusek 2004: 69). Au regard de la différence de concentration d’offrandes à Khoa entre la période Tiwanaku IV et la période Tiwanaku V, nous envisageons la possibilité que les offrandes subaquatiques reflètent, à l’origine, une pratique insulaire régionale (300/500–800 PCN) qui sera
La distribution des incensarios dans les différents registres archéologiques démontre qu’il y avait une séparation du pouvoir entre l’élite séculière et l’élite religieuse de Tiwanaku. La distribution du matériel céramique est en effet différente entre le secteur résidentiel du sommet de la pyramide Akapana et celui du complexe résidentiel d’élite du Putuni. L’incensario est omniprésent sur la pyramide Akapana et se définit comme un trait d’union entre les résidents du complexe résidentiel et les activités rituelles attestées de part et d’autre du Temple semi-souterrain, dans la salle nord et la salle sud du sommet de la pyramide (Manzanilla 1992, Alconini 1995). À l’inverse, l’objet incensario représente moins de 1 % de l’assemblage céramique identifié dans le palais des pièces multicolores daté de la période Tiwanaku V (Couture et Sampeck 2003: 255). La pyramide Akapana, une entité monumentale autonome intégrant des espaces 237
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Akapana, à Iwawe et à Chucaripupata. Des moraines vertes sont également attestées à l’arrecife de Khoa.
ensuite récupérée rituellement et politiquement par un état centralisé durant la période Tiwanaku V (800–1150 PCN). Les mutations importantes observées au complexe cérémoniel principal de l’île du Soleil à Chucaripupata durant cette période (Seddon 1998, 2013) corroborent cette hypothèse.
L’on remarque donc des conventions d’usage dans l’utilisation des couleurs et celles-ci devaient être un attribut propre à l’incensario-officiant. Browman, en développant le concept du « complexe hallucinogène » (1978: 336), identifie un ensemble d’objets spécifiques qui font tous référence aux pratiques hallucinogènes et aux prises de substances psychotropes dans le cadre d’occasions importantes (1978: 333–335). Cet assemblage est constitué de (1) mortiers en pierres et de pilons, (2) de bols et coupes en pierres, (3) de tablettes [en bois] à sniffer, (4) d’incensarios et de bols en céramique [vasija miniature?], (5) de tubes à sniffer et (6) de cuillères à priser (Browman 1978: 335–336). La tombe de l’incensarioofficiant au sommet de la pyramide Akapana (Figure 8.14) possédait également une vasija miniature qui pourrait correspondre au bol décrit par Browman et un pulidor en forme de S qui pourrait correspondre au pilon d’un mortier. Les matériaux en bois ne sont malheureusement pas conservés dans la région de l’Altiplano et, excepté quelques rares fragments de cuir à l’arrecife de Khoa (sacoche de l’officiant?), les exemplaires proviennent des régions plus désertiques.
Enfin, la fonction de l’incensario-officiant est liée à la pratique rituelle de pigmentation. Des vasijas miniatures sont en effet régulièrement attestés (chapitre 7) et leur association avec l’incensario a été mise en évidence à Moquegua (Goldstein 1993: 40). Or, certains exemplaires sont encore remplis de pigments, en particulier de la malachite ou une autre essence de couleur verte. Dans la vallée de Moquegua, Goldstein indique que le pigment vert est rare: « uniquement découvert sur les céramiques incensarios zoomorphes et que cette couleur devait être réservée à des fins religieuses » (2005: 290). Cette couleur demeure donc indissociable des espaces rituels d’accès restreint, les Temples semi-souterrains, où la présence de nombreux fragments d’incensarios, et de l’incensario-officiant, est attestée par l’archéologie. D’autres exemples illustrent également la connexion entre ce pigment et cette fonction: au fond d’une vasija miniature découverte avec un incensario-condor sur la pyramide Akapana étaient encore conservés des pigments de couleur verte (Alconini 1995: 146) et un incensariopuma découvert à Lukurmata était associé à des os longs de camélidés portant des résidus de pigment vert (Bermann 1990: 325). Ces derniers servaient probablement à pulvériser des couleurs sur d’autres supports. Que ce soit sous forme de moraines, d’enduits ou de cendres agglomérées, la couleur verte est également systématique dans les couches de transition de nombreux secteurs d’occupation, comme au complexe du Puma-Punku, au complexe de Putuni, au secteur AKE1, à la pyramide
L’expérience hallucinogène est l’une des composantes de la performance rituelle, mais à l’échelle individuelle. Kathleen Hull parle d’expérience sensorielle ou de l’expérience du corps [experiencing body] qui incluent « les aspects visuels, auditifs, olfactifs, thermiques, gustatifs et tactiles » (Hull 2014: 166). L’incensario-officiant, en tant que principal médiateur du monde invisible, était peut-être dans un état de « transe », dans un acte de recréation d’une réalité mythique, ce qui n’est pas sans rapprochement avec les différentes étapes de transformation de la figure du « félin ailé ».
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Chapitre 9 Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN) de Khoa en 1977 (Municipio de Copacabana), l’arrecife de Merk’e Takiri en 2013 (Municipio de San Pedro de Tikina) et l’arrecife de K’Akaya en 2014 (Municipio de Escoma) (Figure 9.1).
9.1. Introduction La conquête du lac Titicaca par les Incas date de la première moitié du 15e siècle. Peu de temps après, les nouveaux venus, en fonction de leurs propres critères culturels, ont réalisé des aménagements dans les deux espaces insulaires principaux du bassin lacustre, les îles du Soleil et de la Lune, répondant ainsi à leurs croyances et à leur perception du paysage (chapitre 1, Figure 1.9). Bien que nous ayons présenté exclusivement la pratique d’offrandes subaquatiques Tiwanaku de l’arrecife de Khoa, le site archéologique est en réalité réputé pour ses offrandes de la période inca, en particulier depuis les découvertes de Reinhard entre 1989 et 1992. Dans le cadre de ce dernier chapitre, nous proposons de présenter le phénomène de réappropriation physique et idéologique du lac Titicaca par les Incas, à partir de l’analyse des offrandes découvertes à Khoa. Un peu moins de quatre siècles après l’abandon du site par la culture Tiwanaku — pendant ce temps, les offrandes d’incensarios ont été interrompues — Khoa a en effet été l’objet d’une forme nouvelle et originale de pratique d’offrandes.
Premièrement, l’arrecife de Khoa, réputé en raison de sa période d’utilisation quasi ininterrompue et de la qualité de facture de ses artefacts, est le premier site archéologique immergé à avoir été découvert au lac Titicaca. En réalité, il s’agit non seulement d’un site majeur de culture inca mais également de l’un des sites d’offrandes Tiwanaku les plus importants de la région, essentiellement en raison de la quantité d’offrandes telle qu’on a pu l’estimer lors de nos fouilles de 2013. Deuxièmement, l’arrecife de Merk’e Takiri a mis en évidence une pratique contemporaine d’offrande subaquatique, qui sur ce site remonterait aux années 1950; cette découverte illustre la transmission des traditions et des croyances depuis la période inca jusqu’à nos jours. Troisièmement, la localisation d’une offrande isolée de la période inca à l’arrecife de K’Akaya permet de rompre le schéma traditionnel d’interprétation suivant lequel Khoa était l’unique site d’offrande subaquatique de cette période.
Les fouilles subaquatiques que nous y avons effectuées en 2013 ont principalement mis au jour un dépotoir très dense d’offrandes Tiwanaku (chapitre 5). Alors que les contextes de découvertes de celles-ci étaient enfouis sous plus de 1 m de sédiment et d’éboulis, et dès lors, jusqu’à aujourd’hui, inaccessibles en l’absence de stratégie de fouilles dans le sédiment, la majorité des offrandes incas ont été prélevées sur le fond lacustre entre 1977 et 1992. Ces offrandes plus tardives ont donc été les premières à avoir attiré l’attention des plongeurs. Au total, vingt-huit offrandes incas incomplètes, à l’origine scellées dans autant de coffrets en pierre, ont été sorties de l’eau (Ponce et al. 1992). En 2013, lors du « percement » des couches superficielles sur trois sondages stratigraphiques, nous avons toutefois mis au jour une petite cinta d’or et une figurine de lama en argent de la période inca (Figure 5.49). L’unité stratigraphique associée à ces artefacts était perturbée, sans doute par les missions antérieures de plongée; elle est néanmoins située dans un niveau supérieur et distinct du dépotoir Tiwanaku. Nous avons à présent l’opportunité de reprendre l’étude de ces pratiques d’offrandes post-Tiwanaku, notamment grâce à notre nouvelle topographie qui nous permet de localiser les anciens contextes de découvertes de 1988 à 1992.
Ces trois sites archéologiques ont tous été identifiés dans des secteurs de faible profondeur et se caractérisent notamment par la distance importante qui les sépare. Les résultats permettent de distinguer quatre périodes durant lesquelles les habitants du bassin lacustre ont effectué des offrandes au lac: • la période Formative Récente, LF2 (300–500 PCN) (Khoa) • la période Tiwanaku (500–1050/1150 PCN) (Khoa) • la période inca [(1430–1532 PCN) (Khoa et K’Akaya) • la période coloniale/contemporaine (1532 à aujourd’hui) (Khoa et Merk’e Takiri) En dépit des variantes entre certaines offrandes, les gestes rituels associés à ces quatre périodes mettent en évidence deux traditions principales d’offrandes subaquatiques: la première appartient au faciès culturel de Tiwanaku (300– 1050/1150 PCN) et la seconde à la tradition inca à laquelle nous intégrons les offrandes plus tardives (1532 PCN à aujourd’hui). Bien qu’en théorie nous n’excluions pas la présence d’offrandes de la période Altiplano, cette pratique n’est pas attestée entre 1150 PCN et 1430 PCN. Ce constat renforce notre hypothèse de la rupture entre ces deux traditions et ce scénario trouve confirmation dans l’analyse des assemblages qui répondent à des mécanismes et des enjeux totalement différents.
9.2. Rupture et continuité de la tradition d’offrandes En l’état actuel de la recherche, trois sites d’offrandes subaquatiques ont été localisés au lac Titicaca: l’arrecife
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 9.1. Sites d’offrandes subaquatiques du lac Titicaca, Bolivie.
9.3. Description des offrandes
La première tradition (300–1050/1150 PCN) se rapporte à la pratique Tiwanaku d’offrandes d’incensarios. La présence de fragments de céramique LF2 associés au dépotoir de Khoa (Figure 5.50) indique par ailleurs que cette pratique d’offrandes subaquatiques est en réalité plus ancienne et associée à la phase d’émergence préTiwanaku. Bien que distinctes, les offrandes associées à ces deux périodes appartiennent à une tradition homogène dont Tiwanaku sera l’expression la plus aboutie.
9.3.1. Arrecife de Khoa Bien que l’affiliation culturelle des offrandes découvertes à Khoa n’a pas toujours été clairement établie, les résultats des fouilles de 2013 nous permettent de dissocier les assemblages incas de ceux des périodes antérieures. Il a, de ce fait, été clairement établi que les ossements de camélidés juvéniles sont associés aux offrandes Tiwanaku, alors que les coffrets en pierres appartiennent à la période inca (chapitre 5). Ces résultats, issus de l’analyse de la distribution des artefacts dans l’accumulation sédimentaire et sur base d’assemblages chronologiquement cohérents, permettent par conséquent de revenir à l’étude de cette pratique (Annexe 5.1).
La deuxième tradition (1430 PCN à aujourd’hui) illustre un culte étranger importé par les Incas au lac Titicaca. Ceux-ci adapteront leurs gestes rituels à l’espace lacustre immergé où l’offrande proprement dite, constituée de figurines, correspond à une pratique normalisée sur l’ensemble du territoire contrôlé par les Incas. Bien que les offrandes récentes se distinguent de celles des Incas par la nature des matériaux et des assemblages, les témoignages contemporains attestés au 20e siècle représentent un héritage de la tradition inca déformée par cinq siècles de mutations culturelles. Cela aboutira à une pratique originale, où le bénéficiaire de l’offrande reste, toutefois, fondamentalement identique.
Au total, sur les 2 552 artefacts et écofacts issus des opérations de plongées sur le site entre 1977 et 2013, nous recensons 58 artefacts incas [en incluant les couvercles]: • 28 coffrets en pierres [cajas] + 7 couvercles [tapas] • 15 figurines miniatures
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Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN)
Figure 9.2. Arrecife de Khoa – coffrets en pierre et figurines masculines miniatures (Photos J. Reinhard).
• 6 figurines masculines en spondyle (2), en or (3) ou en argent (1) • 3 figurines féminines en spondyle (2) ou en or (1) • 1 figurine anthropomorphe indéterminée en argent (1) • 5 figurines miniatures de lama en spondyle (1) ou en argent (4) • 8 éléments miniatures • 3 tupus miniatures en or (3) • 3 appliques miniatures perforées en or (1) ou en argent (2) • 2 cintas en or (2)
reconstituer les assemblages potentiels de figurines en fonction des données disponibles. (1) Morphologie des coffres en pierre (contenant) et contextes de découverte Nous observons que tous les exemplaires répondent à la même tradition de fabrication. Ils sont tous façonnés en andésite, une pierre volcanique exploitée dans la péninsule de Copacabana, et sont de proportions massives. Ils ont donc été produits au sein d’un atelier local, probablement contrôlé par les Incas. Certains exemplaires possèdent des rainures sur les côtés qui devaient servir à immerger les offrandes à l’aide de corde (Reinhard 1992a, Portugal 1992). Nous observons trois formes principales (Figure 9.4): (1) les coffrets à base circulaire (dix-neuf exemplaires), (2) les coffrets à base quadrangulaire (sept exemplaires) et (3) les coffrets atypiques (deux exemplaires).
Avec la découverte de trois tupus miniatures en or à l’intérieur d’un coffret en pierre en janvier 1988 (Portugal 1992: 540–541) et d’un coffret en pierre fermé en mars 1991 comprenant deux figurines masculines en or (Figure 9.2), de deux figurines en argent dont une masculine et une de sexe indéterminé, ainsi que de deux appliques en argent perforées de forme trapézoïdale (Reinhard 1992a: 431), il a été clairement établi qu’à l’origine tous les coffrets en pierres, des contenants, devaient renfermer un contenu en offrandes de ce type (Reinhard 1992a, 1992b). Reinhard indique également que ceux-ci « ont été très probablement manufacturés durant la période inca » (1992a: 434), ce que nous confirmons à l’heure actuelle.
La majorité des spécimens possèdent un aménagement dans la partie supérieure permettant d’insérer un couvercle de manière hermétique, en vue de sceller l’offrande. La localisation des stations de référence topographique de la mission de Reinhard de 1989–1992 ainsi que l’analyse du plan de la mission de juillet 1988 (chapitre 5) nous a permis de reporter seize coffrets en pierre sur nos relevés du site (Figure 9.3). En regardant la distribution des coffrets en pierre dans l’espace, nous pouvons soutenir l’hypothèse de l’offrande unique:
Les cinquante-huit artefacts incas appartiennent donc au minimum à vingt-huit offrandes distinctes consistant en vingt-huit coffrets. Toutefois, seuls sept couvercles ont été découverts, dont trois seulement in situ en juin 1989 (un exemplaire) et en juin 1991 (deux exemplaires) (Reinhard 1992a: 431). Les données sont par conséquent lacunaires, ce qui a eu des répercussions sur l’étude générale de cette pratique d’offrandes. Dans l’état actuel des connaissances, nous proposons, premièrement, de regrouper tous les exemplaires de coffrets en pierre et de localiser leurs contextes respectifs de découverte et, deuxièmement, de
• Chaque coffret en pierre a généralement été localisé de manière isolée, exception faite des coffrets n°16, n°19 et n°20 qui proviennent du sommet de l’arrecife. • Chaque coffret en pierre est unique en son genre. Si deux coffrets étaient contemporains et issus du même atelier de production, ils seraient identiques. Or, que ce soit dans la taille, la conception de la forme ou le système de fermeture, chaque coffret est différent. 241
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
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Figure 9.3. Arrecife de Khoa – distribution des offrandes incas (1430–1532 PCN) (coffrets = contenants).
• L’importante dépense d’énergie nécessaire au façonnage d’un coffret dans un bloc d’andésite limite la production. • L’offrande découverte en 2014 à l’arrecife de K’Akaya semble incontestablement avoir été déposée en tant qu’offrande unique, puisqu’aucune autre offrande n’a été découverte à proximité.
ou en argent. L’absence des autres figurines pourrait être associée à des manipulations « maladroites » des offrandes de la part des plongeurs de 1977 et de 1988, mais l’hypothèse la plus probable est celle d’un contexte secondaire généré par les fluctuations du lac. Seuls huit coffrets des vingt-huit exemplaires sont garnis de bouchons [tapas]; nous suggérons qu’en l’absence de dispositif de fermeture les contenus de figurines ont pu se déverser tout le long de l’arrecife lors de ces événements d’érosion intensive. Il est possible que les deux feuilles incas en or découvertes en 2013 proviennent de ces contextes (Annexe 5.1). Les opérations de prospection menées de 1989 à 1992 par l’équipe de Reinhard étaient systématiques; si des bouchons étaient associés à des coffrets, ils auraient été découverts à proximité. Nous pensons donc que la majorité des offrandes incas ont donc été perturbées, dès avant l’arrivée des premiers plongeurs en 1977 ou 1988.
(2) Assemblage des figurines (contenu) Parmi les vingt-huit coffrets en pierre de Khoa, seuls quatre exemplaires peuvent être associés à des figurines, dont un partiellement (Figure 9.5). Pour les trois coffrets intacts (n°23, n°26 et n°27), nous constatons qu’il n’existe pas d’assemblage mixte, du point de vue de la représentation, couplant figurine masculine et figurine féminine, mais bien du point de vue symbolique: • une figurine masculine en or et un lama en argent (n°27) • deux figurines masculines en or et deux figurines masculines en argent (n°26) • une figurine de lama en argent, mais associé à un coffret phallique (n°23)
Cinq figurines en spondyle ont également été remontées en 1977: deux féminines, deux masculines et une figurant un lama. Les assemblages observés en haute montagne confirment que ce matériau était systématiquement associé à un objet en métal (cf. discussion). Par conséquent, ces cinq figurines peuvent théoriquement appartenir à cinq coffrets différents en pierre. Deux autres figurines en argent représentant un lama ont été découvertes isolées: la première dans le sondage #3 en 2013 et la seconde
Le coffret en pierre n°11 contient par ailleurs trois tupus miniatures en or et devait donc être associé à une figurine féminine en or et probablement une figurine en spondyle 242
Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN)
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Caja n°1-4 (’septembre’1977) Caja n°5-12 (janvier 1988) Caja n°13-18 (juillet 1988) Caja n°19-23 (juin 1989)
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Caja n°24 (juin 1990) Caja n°25-27 (juin 1991) Caja n°28 (janvier 1992) Caja n°29 (juin 2014 - K’Akaya)
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Figure 9.4. Morphologie des coffrets en pierre incas découverts à l’arrecife de Khoa entre 1977 et 1992 (1–28).
243
50cm
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie
Figure 9.5. Assemblage de figurines miniatures [contenu] associé aux coffrets de pierres [contenant].
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Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN) en 1992. Cette dernière est peut-être associée au coffret en pierre n°28 trouvé à proximité (Reinhard 2014, communication personnelle). Ces deux figurines en métal peuvent théoriquement appartenir à un assemblage comprenant les cinq figurines en spondyle. Selon nous, des objets de petite taille en or ou en argent, ou même des figurines en argent et/ou en cuivre qui se désintègrent facilement dès qu’on les touche, ont pu également passer inaperçus sous l’eau.
• situés en dehors des axes de circulation et d’activités, généralement difficiles d’accès ou fort éloignés des sites occupés par l’homme; • présentant des anomalies topographiques, immergées ou non dans les eaux du lac, telles les arrecife à la morphologie particulière. Ces secteurs ont coutume d’être des écosystèmes privilégiés par des oiseaux lacustres en période de nidification, comme en témoignent, d’une part, les excréments dont la couleur blanche est visible sur les arrecife non immergés, ou, d’autre part, la présence de coquilles d’œufs et d’ossements dans le sédiment au pied des arrecife immergés. • situés entre 3 812 m d’altitude (+ 3 m) et 3 807 m d’altitude (– 3 m de profondeur), car cet intervalle correspond au niveau du lac à la période inca, en prenant
9.3.2. Arrecife de K’Akaya Les critères pris en compte dans le modèle prédictif des sites d’offrandes subaquatiques de la période inca se caractérisent par l’étude des secteurs:
Caja lítica n°29 Mission ULB Arrecife de K’Akaya (Escoma) (juin 2014) 0
10cm
Figure 9.6. Offrande intacte [contenu et contenant] provenant de l’arrecife de K’akaya (M. Escoma).
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Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie en compte les fluctuations saisonnières (chapitre 4). Les anomalies situées à de plus grandes profondeurs ne sont pas exclues, mais l’absence de visibilité de ces sites depuis la surface de l’eau réduit l’utilisation potentielle de ceux-ci par les Incas.
étaient concrétionnées dans la couche superficielle du sédiment, agglomérées à de l’argile et à des débris végétaux. À l’heure actuelle, on retrouve ce même type de céramiques, abandonnées aux abords des habitations des îles avoisinantes (Figure 9.7).
Sur base des données bathymétriques et topographiques, l’inventaire de toutes les anomalies du paysage naturel du lac Titicaca a permis de localiser ce nouveau site d’offrandes subaquatiques incas. L’arrecife de K’Akaya appartient à un chapelet de plusieurs îlots dont seul le dernier possède une caractéristique différente: il est de couleur blanche. La partie de l’arrecife émergeant de l’eau est en effet un lieu propice à l’occupation par des oiseaux nichant dans les anfractuosités, et dont les excréments ont donné cette couleur particulière au rocher. Le secteur est une formation de grès rougeâtre avec une inclinaison de 35° vers l’ouest. Il est constitué de cinq éminences, dont la plus haute culmine à 2 m au-dessus du niveau du lac et la moins élevée à 0,5 m de profondeur. L’arrecife est entrecoupé de deux failles majeures dans la partie nord. De nombreuses cavités et « surplombs » dominent un plateau de sable à une profondeur constante de 6 m. La superficie totale de l’arrecife avoisine les 600 m2 (60 x 10 m). C’est dans la partie ouest du secteur qu’une offrande isolée inca a été localisée à 5,5 m de profondeur. Le coffret de pierre était fort érodé sur la face exposée au courant lacustre, ce qui prouve que l’offrande, non seulement, n’a jamais été déplacée depuis le 16e siècle, mais, en outre, qu’elle a toujours été immergée (Figure 9.6).
La tradition orale est puissante dans le bassin lacustre, et de nombreux récits d’ascendance inca ont été transmis jusqu’à aujourd’hui. Lors de nos missions en 2013 et 2014, les dirigeants traditionnels des communautés lacustres [malkus] nous ont demandé d’effectuer une offrande sacrificielle « subaquatique » avant de débuter les fouilles. Par deux fois, suivant les consignes des dirigeants, nous avons déposé l’offrande sur le fond lacustre, et nous avons dû répandre du vin rouge sous l’eau autour de l’offrande. Les gestes rituels que nous effectuons au quotidien avant de plonger consistent la plupart du temps en une offrande de trois feuilles de coca avec de l’alcool blanc à 97%. Or, dans le cadre de ces deux offrandes subaquatiques, nous avons dû effectuer cette offrande avec du vin rouge: l’offrande a été nappée dans un nuage aqueux « rouge sang ». 9.4. Discussion Le lac Titicaca et les îles sacrées possèdent un statut privilégié au sein du paysage culturel et rituel inca. D’un point de vue politique, le bassin lacustre était sous le contrôle direct de Cuzco et, d’un point de vue rituel, la tradition a fait l’objet d’une recomposition narrative des mythes fondateurs incas en plaçant l’espace lacustre au centre des croyances. Dans l’état actuel de la recherche, nous pouvons proposer deux hypothèses d’interprétation relatives à la pratique d’offrandes subaquatiques de la période inca: il s’agit soit d’un culte aux ancêtres de la lignée royale, et en particulier celui du couple [mythique] fondateur de la dynastie inca, soit d’une variante adaptée au contexte lacustre de la cérémonie de capacocha.
Nous avons pris le parti de protéger l’offrande et son couvercle in situ avant sa remontée. Le couvercle mesure 10 cm de diamètre x 7 cm de hauteur; il était aggloméré à la pierre par des concrétions naturelles. Les dimensions du coffret en pierre sont 17 cm (ht) x 27 cm (l) x 36 cm (L). À chacun des petits côtés, une perforation de ± 3 cm de diamètre est destinée aux cordages assurant la descente de l’offrande dans le lac. Au centre, est aménagée une cavité dont l’orifice mesure 10 cm en diamètre; l’évidement est profond de 12 cm. Si l’on compte l’épaisseur du bouchon qui venait s’insérer, il reste donc pour les offrandes un espace haut de 5 cm et rempli de sédiment lacustre. Nous en avons effectué la « fouille » en procédant à un prélèvement sédimentaire, centimètre par centimètre. Une feuille d’or enroulée sur elle-même et un petit lama en spondyle étaient encore concrétionnés au fond du contenant en pierre.
Selon la première hypothèse, la pratique relèverait plus d’un acte politique que rituel et d’une volonté de légitimation de pouvoir de l’occupation inca sur cet espace nouvellement conquis. Le lieu d’origine mythique du couple primordial est directement associé au lac Titicaca dans certaines sources. L’espace lacustre devait être porteur d’une charge sacrée très importante dans la tradition andine pré-inca; en récupérant symboliquement et physiquement cet espace, les nouveaux arrivants ont accru leur prestige et leur légitimité en tant que souverains d’essence divine. Dans la seconde hypothèse, la pratique pourrait également relever d’un acte politico-rituel, où, de surcroît, les offrandes reflètent une pratique normalisée liée à des événements réguliers dans le but d’entretenir l’ordre cosmique du monde inca grâce à la cérémonie de capacocha. Dans les deux cas, le registre archéologique et la distribution des offrandes incas au sein de l’espace immergé indiquent que les offrandes répondent à des mécanismes rituels différents de ceux employés par les populations de Tiwanaku. Selon nous, les Incas ignoraient probablement l’existence et la nature des offrandes
9.3.3. Arrecife de Merk’e Takiri Carlos Ponce évoque la présence d’« un îlot affleurant l’eau entre l’île de Takiri et la péninsule de Copacabana » durant la sécheresse de 1941 (1992: 57–58). En février 2013, Les opérations de prospection géophysique ont permis de localiser cet arrecife à 3,2 m de profondeur. Trois céramiques de type cuencos y ont été localisées sur une surface de moins de 6 m2. Elles sont associées à deux petites fioles manufacturées en verre. Une céramique isolée de type olla a été localisée à 5 m au nord du lot d’objets, portant à six le total des objets. Les céramiques 246
Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN)
Figure 9.7. Arrecife de Merk’e Takiri – offrandes subaquatiques post-incas.
Tiwanaku avant de se réapproprier l’espace, car l’unique figurine inca que nous avons découverte en 2013 (Figure 5.49) était séparée des offrandes Tiwanaku par plus de 30 cm de sédiments et d’éboulis.
fait référence aux offrandes subaquatiques documentées à l’arrecife de Khoa et l’arrecife de K’Akaya, tout deux situés au nord-ouest de l’île de Soleil. La localisation du site d’offrande décrit par Ramos Gavilán pourrait toutefois correspondre parfaitement à la situation géographique de l’arrecife de Khoa, car il parle d’un îlot [Paapiti] qui a été submergé par les fluctuations du lac, et où les pratiques de sacrifices qui s’y déroulaient ont donné le toponyme de Vilacota, qui signifie le lac de sang, à l’île voisine (Ramos Gavilán 1976 [1621]: 96–97). Or, l’arrecife de Khoa est bien un îlot submergé situé à côté d’une île [Khoa], au nord-ouest de l’île du Soleil, où ont été découverts des coffrets fermés en pierre et de bonne facture à l’intérieur desquels il y avait l’offrande [et le sacrifice].
Deux sources écrites documentent la pratique d’offrandes subaquatiques [incas] au lac Titicaca. La première est une source coloniale publiée par Ramos Gavilán en 1621 et la seconde est une source tardive publiée en 1954 par Jehan Vellard. Ces deux publications relatent des récits transmis par la tradition orale, retranscrits par les auteurs. Les descriptions détaillées du premier récit, en particulier les coffrets en pierres immergés, et l’analogie matérielle avec les pratiques d’offrandes subaquatiques documentées par l’archéologie prouvent que celui-ci possède un fond historique fiable. Le second récit est beaucoup plus tardif, mais peut néanmoins se rapporter à une pratique métissée d’ascendance inca.
Reinhard envisage donc la possibilité que certains coffrets en pierre aient servi comme récipient pour contenir du sang humain ou animal [le sacrifice] (1992a: 445). D’un point de vue archéologique, aucun ossement humain n’a été découvert à Khoa et les ossements de lamas sont stratigraphiquement associés aux offrandes Tiwanaku. S’il y avait des sacrifices d’enfants ou d’animaux associés aux offrandes incas, ils étaient effectués préalablement, peutêtre sur l’île voisine de Khoa, et le sang était conservé et transvasé dans le coffret en pierre. Certains de ces coffrets possèdent par ailleurs un orifice latéral (n°7, n°9, n°12 et n°24), perforation qui peut faciliter soit l’immersion, soit l’écoulement du sang sacrificiel dans le lac. D’un point de vue étymologique, Vilacota signifierait d’après Ramos Gavilán « lac de sang ». Intéressante étymologie s’il en est, car la pratique de sacrifice de lamas durant la période Tiwanaku, ou éventuellement la présence de sang dans les coffrets en pierre inca, pourraient en effet transformer les eaux du lac en une lagune de sang.
Dans le récit de 1621, Ramos Gavilán écrit que Huayna Capac [le dernier empereur pré-conquête], mécontenté par les dieux, a décidé de changer de lieu de culte « […] sur une autre île visible depuis Titicaca [île du Soleil] en direction de Guancané [au nord-ouest] […] » et qu’« après le premier hiver, il y a eu tellement d’eau que le niveau du lac augmenta rapidement pour inonder l’îlot [isleta] et le couvrir de manière à ce qu’on le perde de vue […]. [Huayna Capac] demanda qu’on recherche avec grande rigueur le lieu de celui-ci, ordonna que les sacrifices ne cessent pas […], et fit faire plusieurs coffrets de pierres de bonne facture que l’on puisse fermer, et à l’intérieur desquels ils mirent l’offrande et le sacrifice, et qu’avec des cordes, il ordonna qu’on les dépose dans le même lieu où l’on effectuait avant les sacrifices à pied sec. Et il y avait à l’intérieur du sang d’innocents […] appartenant à des enfants et des animaux […] » (Ramos Gavilán 1976 [1621]: 95–97).
Dans le récit de 1954, les pêcheurs aymaras procédaient encore à des offrandes au lac au début du 20e siècle. Vellard a enregistré deux récits quasi identiques, l’un de la part de pêcheurs de Copani près de Yunguyo (étape du pèlerinage inca), et l’autre de la part de pêcheurs de la
Ce récit, déjà rapporté par Bouysse-Cassagne (1992: 127– 128), Ponce Sanguinés (1992: 47) et Reinhard (1992a: 435), 247
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie mythique à échelle réduite a-t-elle une signification? Les mannequins en paille décrits par Vellard font explicitement référence au sacrifié: ils sont produits à l’image du coucho. Les figurines masculines découvertes par Reinhard au lac Titicaca possèdent des attributs physiologiques, au niveau des oreilles, de la noblesse inca. Certaines pourraient dès lors représenter une offrande de substitution d’un membre du lignage royal (Ceruti 2004: 117). Par conséquent, nous n’excluons pas que ces figurines découvertes au Titicaca puissent documenter un culte officiel des ancêtres ou de couples mythiques ascendants de l’Inca.
rive orientale du lac Titicaca (région où a été découverte l’offrande subaquatique inca en 2014): « Lorsque la saison est mauvaise, nous autres, les lagunéros ou pêcheurs, nous demandons à notre divin, le Yatiri, de consulter les feuilles de coca avant d’offrir le coucho [offrande sacrificielle]. Pendant trois jours, personne ne va pêcher. La coca désigne la victime qui doit être une personne jeune, garçon ou fille, et qui n’a jamais été sur le lac. Le Layka [sorcier aymara] fait un mannequin de paille à la ressemblance de la personne désignée, ou bien une poupée, ou prend une simple touffe de paille attachée avec des fils de couleur, qui représente le coucho, la victime à sacrifier. La nuit, après des incantations et des cérémonies secrètes, ce mannequin est jeté dans le lac avec du copal [q’oa], de la coca, de l’alcool et du sucre. […] Si la première cérémonie ne produit pas les effets attendus, la victime est enivrée, parée de ses plus beaux vêtements, conduite dans un balsa au milieu du lac, et abandonnée seule, sans rames et sans voile […] » (Vellard 1954: 56–57).
Vellard indique également que ce mannequin de paille est parfois très sommaire, comme une « touffe de paille attachée avec des fils de couleur » (Vellard 1954: 56–57). Cette seconde information est également intéressante, car l’offrande subaquatique inca découverte en 2014 dans la région d’Escoma était simplement constituée d’une figurine de lama en spondyle et d’une petite feuille d’or enroulée sur elle-même. Nous pensons que cette feuille d’or et l’assemblage de l’offrande sont identiques à certaines découvertes à Khoa, telle l’offrande n°27, mais sous sa plus simple expression. La feuille d’or serait un substitut de la figurine en or, qui elle-même se substitue rituellement à la personne sacrifiée.
Ce récit exceptionnel, raconté au début du 20e siècle par des pêcheurs, est l’un des rares témoignages tardifs enregistrés sur la pratique d’offrandes subaquatiques dont le déroulement s’apparente à une pratique métissée d’ascendance inca. Ce récit, tout comme le premier, fait en effet explicitement référence au rituel inca de la capacocha qui se caractérise par le sacrifice d’enfant(s). L’existence de cette pratique, documentée par les chroniques espagnoles, a régulièrement été considérée comme une déformation volontaire des religieux espagnols pour diaboliser les pratiques précolombiennes. Celle-ci est toutefois attestée par l’archéologie depuis les années 1990 avec la découverte par Reinhard et son équipe de différents complexes d’offrandes et de sacrifices intacts conservés en haute montagne et impliquant des enfants sacrifiés. Or, des figurines miniatures, identiques à celles découvertes au lac Titicaca, sont omniprésentes dans les rituels de la capacocha, alors que la présence de sacrifices d’enfants n’est pas systématique (Bray et al. 2005: 83).
En ce qui concerne l’offrande découverte en 2014 à K’Akaya, celle-ci pourrait: • soit représenter une variante régionale de la pratique d’offrande subaquatique. Le culte attesté à Khoa, quant à lui, est sponsorisé par une élite en connexion avec Cuzco et le site fait l’objet d’un culte exclusif lié au lignage royal. En parallèle, l’offrande de K’Akaya illustrerait donc une pratique identique, mais à l’échelle régionale. • soit refléter une offrande tardive datant de la période de contact avec les Espagnols. L’« approvisionnement » ou l’acquisition de biens de prestige n’était plus possible suite à l’effondrement de la société inca et la disparition des ateliers de production spécialisés. À la figurine miniature se substitué dès lors un objet plus simple, dont la signification et la fonction sont néanmoins identiques.
Les offrandes subaquatiques incas (le contenu) sont placées dans des coffrets en pierre (le contenant) déposés à l’aide de cordes au fond du lac. Certains coffrets en pierre possèdent en effet des aménagements incurvés taillés dans la pierre facilitant le sanglage de cordes (n°7, n°9, n°12) et le coffret en pierre de K’Akaya (n°29) présente clairement deux orifices sur les parties latérales. Il n’y a pas de sacrifice associé aux offrandes.
Avant la découverte de l’offrande inca en 2014 à 30 km de l’arrecife de Khoa, nous partions du postulat que les vingt-huit coffrets en pierre étaient à l’origine intacts et contenaient des figurines anthropomorphes et/ou zoomorphes, que ce soit en argent, en or ou en spondyle. Or, l’offrande intacte de K’Akaya indique que ces coffrets en pierre ne devaient pas spécifiquement contenir des figurines, mais pouvaient également contenir d’autres objets de référence. La feuille d’or enroulée de K’Akaya peut représenter une miniaturisation d’un bracelet en or que possédaient les nobles incas. Un bracelet en or miniature a en effet été découvert dans la vallée de Cuzco dans un autre contexte de capacocha, ainsi que des fragments de métaux laminés en or et en argent (Andrushko et al. 2011: 328, Figs. 6 et 7). La présence de figurines modelées n’est
Dans le récit de Vellard, le coucho, ou la victime sacrificielle, est au centre du rituel. La cérémonie se déroulait toutefois en deux étapes: la première impliquait la réalisation d’une poupée, à l’image de la personne, qui sera l’objet du sacrifice, ou en d’autres mots, d’une figurine miniature de substitution. De nombreuses questions se posent encore de nos jours sur le rôle des figurines miniatures au sein de la performance rituelle inca. Quelle était leur fonction? Représentent-elles une divinité ou une personnalité humaine? Ont-elles un rôle de médiateur ou de substitut? La reproduction d’une réalité vivante ou 248
Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN) donc pas systématique; elles peuvent être remplacées par d’autres miniatures associées à des attributs de pouvoir (bracelet), ou, sous forme sommaire, par des feuilles laminées, en tant qu’objets de substitution, auxquels la nature du métal, or ou argent, confère néanmoins toute leur valeur symbolique.
Dans le monde tel que conçu par les Incas, la perception de l’espace naturel est indissociable de l’espace sacré. Or, certains de ces espaces, tels que des lacs ou des sommets de montagnes, sont des « endroits qualitativement différents des autres en tant qu’espace d’interaction et de proximité spirituelles entre les humains et leurs ancêtres, le présent primordial et le passé mythique » (Janusek 2004: 36). Symboliquement et physiquement, les Incas vont récupérer tous les espaces sacrés des territoires nouvellement conquis afin d’assimiler le prestige et la charge sacrée de ceux-ci dans un acte politique de réappropriation. En récupérant ces espaces, les Incas récupèrent également le passé des peuples conquis. Cette stratégie d’implantation va redéfinir tout le paysage culturel et rituel dans la cordillère des Andes, en particulier celui du bassin lacustre du lac Titicaca.
Les offrandes subaquatiques incas se distinguent par le contenant, le coffret en pierre. Celui-ci permettait non seulement de rassembler les différentes offrandes en un même « lot », mais également de les protéger pour qu’elles soient associées pour l’éternité. Selon nous, les « objets » isolés possèdent une charge sacrée moins importante que ceux rassemblés en lot: c’est l’assemblage qui est déterminant. Des vingt-neuf coffrets en pierre découverts au Titicaca, dont vingt-huit proviennent de l’arrecife de Khoa, seuls six sont donc partiellement ou complètement intacts. Ceux-ci nous offrent donc une opportunité unique pour traiter des assemblages en relation avec d’autres contextes de découvertes identiques, en particulier ceux de hautes montagnes. Par ailleurs, sept figurines isolées (une figurine féminine en or, une figurine de lama en argent et cinq figurines en spondyle de 1977) complètent le corpus.
Les offrandes les mieux conservées et documentées ont été découvertes en haute montagne, mais d’autres furent découvertes également sur les versants de montagnes ou dans des grottes (Mignone 2009: 59). Les figurines miniatures sont principalement façonnées en spondyle, en argent ou en or. L’offrande de K’Akaya montre, d’une part, que la figure elle-même, qu’elle soit anthropomorphe ou zoomorphe, n’est pas présente de manière systématique, et, d’autre part, que le matériau utilisé se pare d’une connotation symbolique. Durant la période inca, le spondyle est souvent assimilé à Mama Cocha, la divinité inca des eaux, en tant que symbole de féminité et de fertilité, alors que les métaux, or et argent, au-delà de leur association au Soleil et la Lune, ont une connotation politique. Ils sont assimilés au pouvoir et à l’élite dirigeante, que ce soit à Cuzco ou en périphérie (Mignone 2009: 59). Ces deux matériaux distincts, métal et coquillage, sont systématiquement associés et peuvent refléter « la représentation de la reproductivité quotidienne: le mâle fécondateur (en métal) et la femelle, symbole de fertilité (coquillage) » (Mignone 2009: 64).
D’après María Rostworowski, il existe deux formes de cérémonie de capacocha: la première consiste à sacrifier des enfants jeunes et beaux, ou des filles juvéniles, et la seconde consiste à transporter du sang liquide dans une vasija sur une trajectoire rituelle prédéterminée lors d’une procession [depuis Cuzco?] jusqu’au site de destination (2003: 97–123). Cette définition est intéressante à plus d’un titre, car les offrandes en haute montagne ne sont pas systématiquement associées à des offrandes sacrificielles d’enfants. En parallèle, les offrandes subaquatiques au lac Titicaca excluent également la présence de sacrifices sur le site, mais pourraient être associées à des manipulations rituelles de liquide, en l’occurrence du sang. Or, que ce soit avec ou sans sacrifice, en haute montagne, toutes les offrandes sont associées à des figurines anthropomorphes et zoomorphes en or, argent ou spondyle.
Nous relevons principalement deux types d’assemblages de figurines miniatures en haute montagne: (1) les assemblages « unisexués » et (2) les assemblages « isolés ». L’un des complexes rituels de la capacocha le mieux conservé a été découvert en 1999 par l’équipe de Reinhard sur le volcan Llullaillaco (Argentine), à 6 739 mètres d’altitude. Au sein d’une plateforme rectangulaire, trois corps d’enfants ont été découverts, en association à différents assemblages de figurines miniatures unisexuées (Ceruti 2004: 108–112):
Les vingt-huit coffrets en pierre de l’arrecife de Khoa peuvent donc refléter une des variantes de la cérémonie de capacocha qui implique des offrandes avec, potentiellement, des manipulations de sang liquide. Ces offrandes s’inscrivent dans le cadre d’événements spécifiques propres à un calendrier rituel, en tant qu’aboutissement d’une performance rituelle [procession] pouvant débuter à un autre endroit. Le rituel de la capacocha est particulièrement attesté dans les régions périphériques, et la présence d’offrandes adaptées dans le lac Titicaca répond aux mêmes mécanismes rituels que ceux attestés en haute montagne. La connotation politique est par ailleurs importante au sein de cette pratique rituelle. La capacocha est également un « mécanisme religieux et économique de contrôle social, qui relie Cuzco à l’élite dirigeante locale située en périphérie, de manière à consolider la domination inca au sein des différentes provinces du Tawantinsuyu » (Mignone 2009: 58).
• un garçon de 7 ans était associé à une figurine masculine en or et une figurine en spondyle représentant un lama; • une fille de 6 ans était associée à quatre figurines féminines en or, argent et spondyle; • une fille de 15 ans était associée à trois figurines féminines, en or, argent, et spondyle. Par ailleurs, plus de cent quarante objets sont associés à ce complexe sacrificiel, dont d’autres assemblages de figurines (Mignone 2009: 61). Par exemple, dans 249
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie le secteur S-C, ont été mises au jour cinq figurines miniatures (assemblage isolé): une figurine masculine en or, une figurine masculine en spondyle et trois figurines représentant un lama, une en or, une en argent et une en spondyle (Mignone 2009: 61–63). Or, pour citer C. Ceruti (2004): « les figurines zoomorphes en métal étaient associées à la figurine masculine en spondyle et la figurine de lama en spondyle était associée à la figurine masculine en or » (Mignone 2009: 63). Que pouvons-nous en déduire?
découvertes au sommet de l’arrecife de Khoa ne suivraient pas un calendrier, mais représentent plutôt une réaction rituelle à un événement naturel, dont l’objectif est d’éviter de perdre le contrôle de la « nature domestiquée ». Les offrandes subaquatiques localisées à de plus grandes profondeurs attestent toutefois que cette pratique existait avant Huayna Capac, dès le 15e siècle, et que le récit de Ramos Gavilán documente une « ordonnance royale » récente de production de coffrets, dont la tradition existait déjà depuis plusieurs décennies.
• Soit la représentation de la figurine miniature correspond au sexe de l’individu sacrifié (assemblage unisexué): les figurines masculines sont associées aux garçons et les figurines féminines sont associées aux filles (Ceruti 2004: 116). • Soit le matériau utilisé possède une signification importante: les figurines en métal sont généralement associées à des figurines en spondyle (Mignone 2009: 63). • Soit la nature du métal utilisé ne fait pas explicitement référence à la charge sexuée symbolique: l’or n’a pas de connotation exclusivement « masculine » [Soleil] et l’argent n’est pas exclusivement associé à la connotation « féminine » [Lune].
Le rituel de la capacocha, qu’il soit préventif, planifié, ou en réponse à un événement naturel, a pour objectif d’entretenir l’ordre cosmique du monde inca. Celui-ci est matérialisé dans l’espace [Huacas] et dans le temps [Apus], et son représentant [gardien] n’est autre que l’Inca, souverain du Tawantinsuyu. Le récit de Vellard de 1954 est par ailleurs explicite: les figurines anthropomorphes sont façonnées « à l’image » de l’enfant sacrificiel et sont utilisées dans un premier temps en tant qu’objet de substitution du sacrifié. Or, si les dieux ne répondent pas, « la victime est enivrée, parée de ses plus beaux vêtements » et deviendra réellement l’objet du sacrifice (Vellard 1954: 56–57). 9.5. Conclusion
Ces observations sont corroborées par deux autres contextes de découvertes. En 1985, au sommet de la montagne Aconcagua, à 5 300 m d’altitude, a été découvert le corps d’un garçon sacrifié de 7 ans. À ce dernier étaient associées trois figurines miniatures d’un individu masculin (une en or, une en argent et une en spondyle), au sein d’un assemblage comprenant également une figurine en argent et une autre en spondyle en forme de lama (Ceruti 2004: 105–106). Par ailleurs, les restes d’un individu de sexe féminin ont été découverts en 1985 au sommet du mont Quehuar (Argentine), à 6 130 m d’altitude; plus tard, en 1999, a été localisée une figurine féminine en spondyle, issue de ce même contexte (Ceruti 2004: 107).
Pour reconstituer les offrandes de l’arrecife de Khoa, deux critères sont donc déterminants: • une figurine en spondyle est toujours associée à au moins une figurine/feuille en métal; • une figurine en or est souvent associée à une figurine en argent, mais n’implique pas la présence d’une figurine en spondyle. Il n’existe pas d’assemblage mixte [couple] d’un point de vue de la représentation (figurine masculine et figurine féminine), mais bien d’un point de vue symbolique. Les différents assemblages documentent en effet une mixité des matériaux: soit argent et or, soit métal et spondyle. Ces assemblages peuvent refléter le principe des opposés et de dualité dans la tradition inca. La distinction entre le culte des ancêtres et le rituel de la capacocha n’est pas clairement établie, mais pourrait bien répondre aux mêmes objectifs. Les offrandes subaquatiques de Khoa peuvent en effet correspondre à la fois à un culte des ancêtres à l’échelle « impériale » du souverain inca et à une variante de la cérémonie de la capacocha. Cette dernière, indissociable de l’élite dirigeante inca, est attestée d’une part sous forme de cérémonie impliquant des manipulations de sang liquide où la représentation de la figurine fait référence au genre de l’individu sacrifié. D’autre part, on la reconnaît dans la première étape documentée par Vellard (1954); le sacrifice [sang] en est absent, mais des figurines de genre différent y apparaissent en tant que substitution miniature de l’individu sacrifié symboliquement.
En se basant sur la chronique de Bernabe Cobo de 1653, Ceruti propose une double interprétation de la cérémonie de capacocha: • soit, elle peut refléter en contexte régional des moments importants de la vie dynastique de l’élite dirigeante et de l’Inca, tels que la maladie, la mort ou les périodes de successions, • soit, elle peut avoir été utilisée pour apaiser les forces naturelles [Apus] lors d’événements de sécheresse, épidémie ou éruption volcanique (Ceruti 2004: 113). Cette dernière information nous apprend que les événements de la capacocha ne sont pas figés dans un calendrier [quadriennal]. Dans le cadre d’offrandes subaquatiques, Ramos Gavilán se réfère explicitement, en 1621, à un événement de crise [augmentation du niveau d’eau du lac] et précise que Huayna Capac ordonna de confectionner des coffrets en pierre afin que les « sacrifices ne cessent pas » (Ramos Gavilán 1976 [1621]: 95–97). Dans cette perspective, les offrandes subaquatiques
L’analogie entre des figurines masculines, d’après les attributs des oreilles, et l’élite dirigeante de Cuzco, peut 250
Réappropriation du sanctuaire Tiwanaku de Khoa: offrandes subaquatiques incas (1530–1532 PCN) l’inclinaison des parois où le flanc oriental est abrupt et le flanc occidental offre une pente plus douce.
éventuellement exprimer le sacrificium maximum du souverain inca associé à un culte officiel de ses ancêtres sur leur lieu d’origine mythique, dont l’application effective n’est mise en œuvre que par substitution.
Il est également intéressant de noter que deux coffrets incas en pierre ont été découverts à l’île du Soleil. Le premier a été envoyé par Georges Dorsey en 1892 à Chicago et le second a été découvert par Bandelier en 1895 et envoyé à New York (Bauer and Stanish 2001: 203). Cette découverte est remarquable; en effet, elle pourrait illustrer les seuls coffrets en pierre destinés à des offrandes subaquatiques et, ainsi, établir une connexion entre l’île du Soleil et l’arrecife de Khoa. Toutefois, après examen, nous constatons que ces coffrets ne sont pas du tout adaptés à la pratique d’offrandes subaquatiques, que ce soit du point de vue de la taille ou de l’agencement du couvercle.
Le rocher sacré de l’île du Soleil, le Titikala, est considéré comme le lieu de naissance du premier couple royal inca (Stanish 2001: 225). Le site était déjà occupé durant la période Tiwanaku, mais les aménagements postérieurs ont détruit tout témoignage pouvant documenter un culte potentiel dans cet espace. Charles Stanish s’interroge comme suit: « compte tenu de l’importance politique de ce lieu sacré, une question fondamentale est de savoir si l’Inca a créé un nouveau sanctuaire, ou coopté une zone sacrée préexistante pour la convertir en un lieu de pèlerinage panandin » (2001: 225). Dans les faits, la charge rituelle de l’espace sacré du Titikala a été cooptée au 15e siècle par cette ethnie étrangère.
Les offrandes incas illustrent la nature de la relation qui existait entre l’homme et le lieu dans lequel il vivait. Il a rationalisé l’espace [mythes et croyances], a créé des objets symboliques pour le représenter [assemblage de figurines] et a élaboré des rites pour entretenir cette relation [offrandes et rituel de capacocha]. En effet, pour les Incas, « la communication avec les divinités, les huacas et les ancêtres s’effectuaient au moyen des offrandes […] » (Seddon 2013: 117). Par ailleurs, d’après Molina [1553], chaque sommet ou Apu avait une signification différente dans le culte impérial inca: certains étaient alignés selon la course du Soleil, d’autres avaient une signification cosmogonique (Seddon 2013: 117). Les espaces sacrés possèdent donc des charges sacrées différentes et certains espaces sont plus importants que d’autres, tels que le lac.
Organisés autour des pratiques de l’incensario-officiant Tiwanaku, les mécanismes rituels pré-incas démontrent que la signification de l’île et du lac en tant qu’espace était différente au sein de leur paysage rituel. L’analogie entre l’arrecife de Khoa et le rocher sacré [Titikala] peut également être établie. Le rocher sacré est au cœur du complexe cérémoniel insulaire mis en place par les Incas et l’arrecife de Khoa a été l’objet de plus de vingt-huit offrandes. Si le registre archéologique du Titikala a subi des dommages aux cours des derniers siècles, Bandelier, en 1895, y a toutefois découvert (ou acheté) au moins quatre figurines miniatures en argent, deux masculines et deux féminines, et trois tupus miniatures. Des tissus [six ponchos] et deux tupus à taille réelle ont également été découverts à proximité du rocher sacré (Bandelier 1910: 232, 237, Pl. LVII). Par ailleurs, deux tupus miniatures en or (figurine féminine) y ont été découverts (Bandelier 1910: 298–299, Pl. LXXVIII). Bandelier indique en outre que le site, fouillé depuis longtemps, a livré de nombreuses figurines anthropomorphes et zoomorphes en or et en argent, des tupus et des fragments de textiles provenant de ce secteur et conservés dans la collection Garcés (1910: 220).
Ces derniers feront l’objet d’un « pèlerinage contrôlé par l’État contribuant à l’intégration du territoire, la perception de l’espace sacré et l’intensification des liens économiques, politiques et religieux entre le centre et la périphérie de l’espace inca » (Ceruti 2004: 113). D’après la chronique d’Hernández Príncipe publiée en 1622, le rituel de la capacocha est en effet attesté dans tout le Tawantinsuyu, dont Cuzco, Quito, Yahuarcocha et le lac Titicaca (Bray et al. 2005: 86). La notion rituelle est donc indissociable de la notion politique dans les stratégies de contrôle du territoire. Le paysage rituel des Incas est complexe et reflète la variabilité des relations qu’entretenait l’homme avec différents espaces où il interagit. Les offrandes subaquatiques attestent une pratique adaptée au contexte lacustre et illustrent une perception de l’espace sacré différente de celle des prédécesseurs. Les offrandes subaquatiques incas découvertes à l’arrecife de Khoa (1977–2013) et à l’arrecife de K’Akaya (2014) font peutêtre référence au récit de d’Hernández Príncipe: le lac Titicaca était l’un des théâtres privilégiés de la cérémonie de la capacocha. Nous envisageons l’existence d’autres offrandes subaquatiques au Titicaca, mais aussi dans d’autres espaces immergés, tels que l’Océan Pacifique.
La pratique d’offrande de figurines miniatures au Titikala est donc identique à celle attestée à l’arrecife de Khoa. Reinhard précise par ailleurs que « l’arrecife [de Khoa] possède la forme et la taille approximative du rocher sacrer […] » (1992a: 442–443). En 2013, nous avons obtenu la première image acoustique de l’arrecife de Khoa (Sonar et échosondeur). Notre première observation fut effectivement de constater l’analogie existant entre ces deux anomalies topographiques. En d’autres mots, pour visualiser l’arrecife de Khoa, il suffit d’observer le rocher sacré, et puis de l’imaginer sous l’eau, ou affleurant à la surface pour les périodes plus anciennes. Non seulement la taille et la forme sont identiques, mais également
251
Conclusion Les conditions naturelles du bassin lacustre ont favorisé les premiers peuplements des rives et des îles, et le lac Titicaca a, progressivement, fait partie de l’identité des populations qui s’y sont installées. Que ce soit sur le plan politique, socioculturel ou rituel, le lac a eu une incidence sur l’évolution de ces populations et a favorisé l’émergence de pratiques indissociables à un espace lacustre. Les géostratégies d’occupation du territoire en sont tributaires, ainsi que les stratégies de subsistance, de vie et de survie, notamment durant les périodes de crise. Sur le plan rituel et sacré, cette « mer intérieure » relevait du quotidien et, en tant que telle, a joué un rôle prépondérant dans la relation qu’entretenait l’homme avec l’espace dans lequel il vivait. Il a rationalisé cet espace pour le comprendre (croyances, mythes, etc.), a développé des schémas et des objets symboliques pour le représenter (iconographie, offrandes, etc.), et a créé des rites pour l’entretenir.
stratégies de fouilles adaptées à la nature de l’accumulation sédimentair. Celle-ci est relativement homogène, compacte et contrastée, ce qui facilite la lecture du registre archéologique en stratigraphie. Chaque site nécessite toutefois une adaptation des techniques de fouilles, non seulement en relation avec la nature des artefacts, mais également avec celle des mécanismes d’érosion et de sédimentation du lac. En général, l’ensemble des témoignages matériels conservés sous l’eau est associé à des couches secondaires. Ils sont, en outre, perturbés soit par le remaniement du littoral lié aux phénomènes de ressac (Puncu), soit par une érosion intensive de la formation rocheuse qui engendrera de nombreux effondrements liés au phénomène de cryoclastie (Khoa). Dans les deux situations, les fluctuations du lac sont les principales responsables de la mutation du paysage lacustre et de celui immergé.
Depuis plusieurs décennies, de nombreux projets de recherches ont mis en évidence une occupation dense et complexe du bassin lacustre du Titicaca. L’utilisation des plaines, des vallées et des élévations naturelles connectées au lac ou en surplomb de celui-ci est donc physiquement marquée par l’occupation de cette culture. Or, l’utilisation ancienne de ces espaces ne s’arrête pas à la frontière entre la terre ferme et cette vaste étendue d’eau. Dans le cadre de cette dissertation, nous proposons d’élargir — au sens propre et figuré — l’étude de la culture Tiwanaku en agrandissant le territoire usuellement étudié grâce à l’intégration de deux espaces dont l’utilisation ancienne est encore à l’heure actuelle totalement méconnue: l’espace littoral (les côtes) et l’espace lacustre (le lac).
Nous avons développé et testé trois d’enregistrement et d’intervention distinctes:
stratégies
• Par lots codifiés en loci à l’arrecife de Khoa (2013). L’absence de lisibilité de la stratigraphie est due à la nature du sédiment composé exclusivement de couches d’effondrements ; en outre, elle est accentuée par l’exiguïté des zones d’interventions. • Par unités stratigraphiques restreintes grâce à l’implantation de sondages discontinus à Puncu 1 (2014). Ceux-ci permettent de faire des projections stratigraphiques des secteurs intercalés non fouillés, sur un type de littoral dont l’inclinaison importante du fond lacustre est marquée par les fluctuations du lac. • Par unités stratigraphiques continues grâce à l’implantation de sondages successifs permettant de former une tranchée à Puncu 2 (2014). Cette plus grande surface d’intervention favorise la lisibilité de l’accumulation sédimentaire sur un type de littoral lacustre, où l’inclinaison plus faible stabilise les différents niveaux de sédiments qui sont particulièrement homogènes.
Afin d’aborder l’utilisation et la perception du lac Titicaca durant la période Tiwanaku — en rapport constant avec celles de la période inca — nous avons privilégié l’étude de l’espace de l’île du Soleil. Les résultats obtenus au site portuaire de Puncu (fouilles 2014) permettent d’aborder l’utilisation et la « fonction » du lac Titicaca entre ces deux périodes, et en particulier l’espace littoral. Les résultats obtenus à l’arrecife de Khoa (fouilles 2013) mettent en évidence, quant à eux, la nature de la relation qu’entretenaient les habitants du bassin lacustre avec cette vaste étendue d’eau. Notre approche méthodologique met en exergue la nécessité d’intégrer le patrimoine subaquatique dans l’étude générale de l’occupation du bassin lacustre. Un site d’offrandes sous l’eau ne peut en effet être analysé de manière isolée, car il reflète des pratiques rituelles du passé en relation avec d’autres espaces non immergés.
Ces trois stratégies d’enregistrement ont chacune mis en évidence des indices des fluctuations du lac Titicaca dans le passé, observables in situ, d’une part, dans des registres d’effondrements (cryoclastie), ou dans la morphologie atypique des roches retaillées par le ressac (hydroclastie) (Khoa, 2013). D’autre part, on observe ces fluctuations grâce à la présence d’écoulements de galets qui suivent l’inclinaison générale des paléofonds lacustres (Puncu 1, 2014), ou grâce à la présence d’une trame stratigraphique composée d’une alternance de couches minérales et végétales. Ces dernières
Nous avons observé que le lac Titicaca présente des conditions de travail idéal pour reformuler de nouvelles 253
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie constituent un grand nombre d’interfaces très intercalées au sein même de certaines unités stratigraphiques (Puncu 2, 2014). Le recoupement entre les données issues tant de l’enregistrement de la fouille que de l’accumulation sédimentaire permet alors d’obtenir un « nuage de points » représentant des projections horizontales et verticales d’artefacts (Delaere 2017). Les coupes, une fois analysées, ouvrent de nouvelles perspectives d’interprétation.
couches d’effondrements. Cette reconstitution permet de déterminer que la plaine agricole de la baie de Lukurmata et l’organisation socio-économique et politique de ce site semi-autonome ont pu être anéanties par des inondations à la fin du 9e siècle. Le cordon littoral de la période inca (1450–1532 PCN) se trouve actuellement entre le rivage actuel et 1 m de profondeur, et peut-être 1 ou 2 m plus bas durant la période de contact et de conquête (1400–1450 PNC). Cet événement d’augmentation du volume du lac est attesté par les sources coloniales (Ramos Gavilán 1976 [1621]: 95–97, chapitre XXX).
Les vestiges matériels immergés sont principalement constitués de fragments de céramiques qui représentent en moyenne 97 % des artefacts mis au jour. Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca a souvent été magnifié dans le passé avec la présence supposée de trésors potentiels (que nous n’excluons pas), et celle de ruines immergées (théoriquement possibles pour les périodes LF1 et LF2). Excepté les sites d’offrandes subaquatiques Tiwanaku et Inca, les modèles prédictifs préliminaires et les résultats issus des fouilles déterminent que ± 90 % des témoignages matériels conservés sous l’eau sont situés sur les espaces littoraux, où la céramique est le principal indicateur culturel.
D’une part, les résultats issus de l’analyse du site de Puncu (2014) et des premières données observées sur l’espace littoral insulaire suggèrent que la culture Tiwanaku était un peuple de navigateurs expérimentés. Ils maîtrisaient et exploitaient leur écosystème en développant les techniques de la navigation, et lac Titicaca était avant tout un vecteur socio-économique situé au cœur de l’espace lacustre. Les populations Tiwanaku utilisaient probablement le lac dans sa totalité: ils devaient en exploiter les ressources piscicoles au large des côtes ou dans les baies, utiliser les embarcations pour circuler de manière régulière entre les différents sites d’occupation et d’activités spécialisées, utiliser la zone littorale comme « zone industrielle » associée au travail de la laine, du cuir et du lithique, et favoriser les échanges — que ce soit en termes de circulation de biens ou de personnes — entre les différents rivages du bassin lacustre. Tiwanaku est la dernière population native qui a unifié l’ensemble du territoire lacustre et laissé une empreinte matérielle indélébile sur celui-ci. Tiwanaku a donc hérité d’une longue tradition d’occupation du bassin lacustre, comme l’épanouissement des pratiques culturelles indissociables du lac en témoigne.
L’assemblage céramique du patrimoine subaquatique est atypique en relation avec celui documenté sur la terre ferme. En général, sur les quatorze formes céramiques principales du répertoire Tiwanaku formulées par Janusek, la majorité de celles-ci sont attestées dans les contextes archéologiques Tiwanaku. Elles sont toutefois représentées en proportion différentes en fonction de la nature du site, résidentiel, cérémoniel ou spécialisé, qu’il soit domestique ou d’élite. Dans les contextes de découvertes immergés, la densité et la distribution des artefacts au sein des assemblages permettent, dans certaines situations, d’identifier des phases chronologiques distinctes (TIV et TV), mais la représentativité des formes est tout à fait atypique vu que seuls sept types de céramiques sont attestés, principalement les ollas, tinajas et keros, et que seul l’incensario — ce qui est tout à fait exceptionnel — est associé aux offrandes subaquatiques. Ces assemblages céramiques subaquatiques reflètent une utilisation distincte des secteurs documentés — l’espace littoral (rives) et l’espace lacustre (lac) —, qui sont indissociables de la thématique des fluctuations du lac durant les périodes anciennes. Excepté le site d’offrandes subaquatiques de Khoa qui a été découvert de manière fortuite par des plongeurs japonais en 1977, aucun autre ensemble préhispanique d’artefacts n’avait été identifié dans les eaux du lac Titicaca.
D’autre part, le type d’utilisation de l’espace portuaire de Puncu met en évidence que les Incas étaient non seulement des étrangers, mais également que la navigation ne faisait pas partie de leur culture. Les sources coloniales indiquent qu’ils ont sollicité les populations Altiplano nouvellement conquises pour utiliser des bateaux qui existaient déjà, et acquérir ainsi leur expérience (Ramos Gavilán [1621] 1976: 20–21). En tant qu’ethnie étrangère et conquérante, les Incas ont réaménagé l’espace insulaire en fonction de leurs propres critères culturels, mais aussi en fonction de leur représentation de l’espace sacré. Ce réaménagement répondait donc non seulement aux enjeux sociopolitiques et économiques, mais surtout rituels. La nature de l’occupation du bassin lacustre durant la période inca dénote cette réappropriation de l’espace: les secteurs éloignés des rives sont délaissés au profit des espaces exclusivement orientés vers le lac. Le Titicaca était donc principalement un vecteur mythique qui possédait une charge sacrée importante, et dont le potentiel socioéconomique a été délaissé par les Incas.
Après trois campagnes d’interventions entre 2012 et 2014, nous sommes à présent en mesure de comprendre l’absence de résultats dans le passé. Ce sont, en fait, les fluctuations du lac qui, une fois quantifiées, nous permettent actuellement de localiser et d’identifier de nouveaux sites archéologiques. Le cordon littoral de la période Tiwanaku se trouve actuellement entre 4 et 5 m de profondeur (800–1150 PCN), et probablement entre 6 et 7 m un peu avant (500–800 PCN). Dans les deux situations, ce cordon littoral est enfoui sous 1 m de sédiment lacustre et/ou de
Ces étrangers vont reconfigurer l’utilisation de l’espace insulaire et déplacer les populations natives vers Yunguyo (Ramos Gavilán [1621] 1976: 21). Ils transformeront l’île du Soleil en sanctuaire totalement dédié au culte ; 254
Conclusion les nouveaux résidents sont essentiellement représentés par des ministres de cultes, des servants et des ouvriers pour l’exploitation agricole nécessaire à la production de la chicha sacrée insulaire et à l’accueil des pèlerins (Bauer et Stanish 2001). Les Incas réglementeront la navigation sur le lac en limitant l’accès à l’île du Soleil par le secteur de Puncu. Dans cette configuration, le lac, intégralement devient sacré, et la navigation strictement contrôlée et taboue.
À l’heure actuelle, les habitants du bassin lacustre ne se baignent pas dans le lac, et la plupart de ceux-ci ne savent pas nager. Bien que ce constat ne soit pas explicitement énoncé en tant qu’un tabou faisant partie du quotidien, il existe toutefois une règle tacite. Il s’agit d’un héritage de l’occupation du bassin lacustre par les Incas dont les populations actuelles sont les principales dépositaires. Le lac est actuellement sacré, et les croyances et les mythes associés à celui-ci sont encore ancrés dans la tradition. La représentation et la perception de l’espace lacustre durant la période Tiwanaku devaient fondamentalement être différentes. Bien qu’il y avait sans doute moins de tabous associés à cet espace lacustre, nous ne pouvons toutefois pas exclure de manière catégorique l’absence d’une certaine forme de charge sacrée associée au lac. Celui-ci est omniprésent dans le paysage naturel, il faisait partie du quotidien des populations Tiwanaku, et correspond donc à un critère identitaire. Le lac devait avoir une place privilégiée au sein de leur tradition orale, mais l’intensité inégalée des offrandes d’incensarios à Khoa — non immergé durant cette période — place plus particulièrement ce site au cœur de leurs mythes fondateurs associés à la divinité du Dieu-aux-bâtons en relation à la figure du « félin-ailé ». Ces offrandes n’étaient donc pas connectées à une divinité secondaire — tel un dieu de la fertilité —, mais se situent bien au centre de leurs croyances et de leur paysage rituel. Nous estimons que les Incas ignoraient l’existence d’offrandes plus anciennes enfouies dans le sédiment lacustre lorsqu’ils ont immergé leurs coffrets en pierre.
En comparaison avec ces données, la variabilité des offrandes subaquatiques documentées à l’arrecife de Khoa (2013) complète l’argumentation en démontrant que les pratiques rituelles Tiwanaku et Inca ne répondent pas aux mêmes critères culturels: les enjeux de la performance rituelle étaient différents. Durant la période Tiwanaku, nous pensons que le lac Titicaca n’était probablement pas sacré en tant qu’espace ou volume d’eau, mais que seule l’arrecife de Khoa avait une signification dans les croyances des populations (Delaere et al. 2019). La présence massive d’offrandes d’incensarios à l’arrecife de Khoa montre que le site avait une place importante dans la mythologie Tiwanaku, et qu’elle était associée à une fonction spécifique et centrale de la société Tiwanaku jusqu’alors méconnue: l’incensario-officiant. Ce dernier était un personnage public appartenant à l’élite dirigeante, mais exclusivement associée au pouvoir spirituel. Ce résultat apporte donc des informations sur la nature du système politique de Tiwanaku, car malgré de nombreuses connexions, le pouvoir temporel était dissocié du pouvoir spirituel. Les représentants de chacun de ces groupes constituaient probablement « l’aristocratie » Tiwanaku. La disparition de celle-ci vers 1050–1150 PCN entraînera avec elle l’effondrement du système socio-économique et politique de Tiwanaku.
Cette pratique reformulera la tradition d’offrandes subaquatiques qui répondent aux nouvelles croyances, principalement liées au lieu de naissance du soleil et de la lune, indissociable du culte du couple fondateur de la dynastie inca. La tradition actuelle d’offrandes subaquatiques est un héritage de cette occupation tardive et a pu été réactivée au 20e siècle par l’observation de « ruines » mal interprétées au fond du lac. La présence d’offrandes incas sur le site de Khoa n’est toutefois sans doute pas une coïncidence, vu la superficie du lac. L’arrecife devait émerger du lac à l’arrivée des Incas. Il apparaît que la chaîne de transmission de la tradition orale depuis la période Tiwanaku n’a pas été totalement interrompue, comme en témoigne le récit suivant de 1621: « sans vouloir écouter les originaires et résidents de l’île [du Soleil], l’Inca les a obligés à déménager au village de Yunguyo, mais en se réservant quelques anciens et anciennes que l’Indien, son guide, lui avait signalés pour devenir maîtres de cérémonie […]. Ces derniers, qui étaient experts et expérimentés dans leur métier, lui ont appris ce qu’il devait faire s’il voulait être agréable à son dieu du Soleil, qui était l’idole principale que les Incas vénéraient » (Ramos Gavilán [1621] 1976: 21).
Durant la période inca, les offrandes subaquatiques de l’arrecife de Khoa montrent en réalité qu’il s’agit d’une pratique normalisée, mais adaptée au contexte immergé. La pratique d’offrandes de figurines miniatures en spondyle ou métaux précieux est en effet attestée dans de nombreux registres terrestres d’offrandes contemporaines. Celles du lac Titicaca ont été adaptées pour faciliter l’immersion de celles-ci au sein du site grâce à un contenant — le coffret en pierre — alors que le contenu représente réellement l’offrande: les figurines. Nous identifions au minimum vingt-huit événements à l’arrecife de Khoa qui se sont probablement déroulés durant une période restreinte entre 1450 et 1532 PCN, période contemporaine de la transformation de l’espace insulaire en « île-sanctuaire » (Delaere in press). Durant cette dernière période, nous pensons, dans ce cas, que les offrandes n’étaient pas destinées à l’arrecife proprement dit, mais au lac dans son ensemble. La présence d’une nouvelle offrande subaquatique à l’arrecife de K’Akaya (Delaere et Capriles in press) pourrait confirmer cette hypothèse, car peu importe où l’offrande est déposée, le bénéficiaire reste le même: la huaca Titicaca. La principale fonction du lac durant cette période était par conséquent associée à sa charge sacrée en tant qu’espace homogène et indissociable.
Ce récit prouve que certaines composantes narratives d’ascendance Tiwanaku ont été transmises aux Incas, de même la charge sacrée de l’arrecife de Khoa. Les prêtres natifs insulaires ont alors expliqué au souverain Inca comment il devait faire pour adorer son dieu à l’île du Soleil 255
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie (pas celui Tiwanaku). Les Incas se réapproprieront non seulement l’espace, mais également cette tradition native lacustre pour composer une nouvelle forme syncrétique du mythe fondateur inca. La présence de différentes variantes de ces récits cosmogoniques à l’arrivée des Espagnols en 1532, quelques décennies seulement après la mise en place du sanctuaire du Titicaca, pourrait prouver que cette recomposition narrative a été interrompue par la conquête espagnole. Si celle-ci s’était déroulée quelques décennies plus tard, peut-être que seule l’origine mythique du monde inca aurait été transmise aux générations futures.
fouilles de l’arrecife de Khoa et de Puncu nous invitent à penser que ce type d’intervention permet de contribuer à l’étude des populations anciennes connectées à une vaste étendue d’eau, que ce soit sur un territoire de type lacustre, maritime ou en bordure de rivières. Souvent considérées comme des « cultures de la terre » (agriculture, pastoralisme, etc.), les sociétés préhispaniques du lac Titicaca ont bien, en réalité, développé de nombreuses pratiques propres aux « cultures de la mer » (navigation, offrandes, etc.). (Référence à l’ouvrage de Pétrequin 1984). Ces espaces ont favorisé l’émergence de pratiques spécialisées — qu’elles soient de nature socio-économique ou rituelle — dont l’identification et l’analyse permettent théoriquement d’enrichir l’interprétation et d’appréhender l’étude de ces cultures sous un nouvel angle d’approche.
Pour clôturer, nous aimerions rappeler le caractère indissociable de l’archéologie subaquatique de la discipline même de l’archéologie. Les résultats issus des
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Vranich, Alexei N. 1999 Interpreting the Meaning of Ritual Spaces: The Temple Complex of Pumapunku, Tiwanaku, Bolivia. Unpublished Ph.D. dissertation, University of Pennsylvania.
265
Annexes (codifiées par chapitre)
267
Annexe 2.1 Inventaire et datation des prélèvements organiques analysés – fouilles 2013 et 2014 UBA: 14Chrono Centre – Queens University Belfast (Stephen Hoper) RICH: Institut royal du Patrimoine artistique – IRPA (Mathieu Boudin) Calibration: OxCal 4.2 / ShCal13 (Christophe Delaere) N°
Site
Echantillon Code Lab.
Âge radiocarbone
1-σ
%
2-σ
%
Période
2212 ± 40
355–148 BC
68,2
366BC108BC
95,4
/
1251 ± 32
774–880
68,2
688–950
95,4
TIW
764–894
88
KHOA 1
Z1–31
2
Z1–44
dent
UBA-27005
camélidé
(anomalie)
charbon
UBA-23686
3
Z1–53
charbon
UBA-23687
1138 ± 26
898–991
68,2
890–1014
95,4
TIW (V)
4
Z1–72
arête
UBA-27006
1301 ± 40
682–843
68,2
679–876
95,4
TIW
774–843
68,2
688–876
95,4
772–880
68,2
682–959
95,4
759–897
77,9
poisson 5
Z3–29
dent
UBA-27008
1256 ± 41
camélidé 6
Z3–43
charbon
7
Z3–51
dent
8
Z3–71
9
IS-2
10
#8 – US8
TIW
1161 ± 26
895–980
68,2
886–989
95,4
TIW (V)
UBA-27009
1218 ± 33
776–956
68,2
770–970
95,4
TIW
charbon
UBA-23688
1197 ± 25
878–968
68,2
779–982
95,4
TIW
856–982
87,7
coquillage
UBA-27002
1051 ± 24
993–1040
68,2
990–1135
95,4
TIW (V)
charbon
RICH-21581
1539 ± 31
540–626
68,2
480–643
95,4
LF2/TIW
517–643
93,1
500–644
95,4
518–644
94,8
1464–1635
95,4
INCA
497–644
95,4
LF2/TIW
518–644
94,4
camélidé
PUNCU
11
#8 – US6
charbon
RICH-21580
1537 ± 30
542–626
68,2
12
#8 – US3
charbon
RICH-21579
371 ± 30
1498–1626 68,2
13
#11- US8 charbon
RICH-21583
1536 ± 31
542–626
68,2
TIW
14
#11 – US6 charbon
RICH-21582
1527 ± 34
549–630
68,2
520–648
95,4
TIW
15
#12 – US3 charbon
RICH-21584
2015 ± 34
46 BC-60 AD
68,2
56 BC-113 AD
95,4
LF1
16
#5 – US5
UBA-27010
1617 ± 30
435–524
68,2
414–570
95,4
LF2/TIW
dent humaine
269
Annexe 3.1 Liste des plongeurs par opération subaquatique – lac Titicaca – Bolivie (1954–2014) Archives – Unidad de Arqueología y Museos (UDAM) N°
Année
Mois
Equipe
Plongeur
Nationalité
1
1954
Novembre
MARDOF, WILLIAM
X
USA
2
1966
Décembre
AVELLANEDA, RAMÓN
X
ARGENTINE
VILLAVERDE, LUIS
X
ESPAGNE
BRUNNER, LEÓN
X
BELGIQUE
COUSTEAU, JACQUES-YVES
X
FRANCE
FALCO, ALBERT
X
FRANCE
DUMAS, FREDERIC
X
FRANCE
COLL, RAYMOND
X
FRANCE
GAURET, ROBERT
X
FRANCE
RIANT, JEAN-CLAIR
X
FRANCE
SOTTE, BERNARD
X
FRANCE
JUKUMANI, PLÁCIDO 3
1968
Octobre
BOLIVE
ICHAC, MARCEL
FRANCE
DELOIRE, MICHEL
FRANCE
AVELLANEDA, RAMÓN
X
ARGENTINE
VILLAVERDE, LUIS
X
ESPAGNE
BRUNNER, LEÓN
X
BELGIQUE
MAXERA, ANDRES
X
ARGENTINE
LODIGLIANI, JOSE
X
ARGENTINE
4
1968
Décembre
ZALLES, JORGE
X
BOLIVIEN
5
1975
Mai
KOBAYASHI, RICARDO
X
BOLIVIEN
HUGHES, JOE KELLY
X
USA
OTAKE, RYOICHI
X
JAPON
WATANABE, YOSHIAKI
X
JAPON
KANEKO, KICHINOSUKA
X
JAPON
MATSUMOTO, HISAMI
X
JAPON
TAJIMA, MAKOTO
X
JAPON
SUSUKI, KOJIN
X
JAPON
6
7 8
1977
1980 1980
Octobre
Octobre Décembre
SIGUICHI, NABUO
JAPON
VILLARROEL, EDDY
BOLIVIE
RIVERA SUNDT, OSWALDO
BOLIVIE
PONCE SANGINÉS, CARLOS
BOLIVIE
IRIZARRI, IVAN
X
IRIZARRI, ALEX
X
ROUSSAY, JACQUES
X
PORTO RICO FRANCE
KOLATA, ALAN
USA
PONCE SANGINÉS, CARLOS
BOLIVIE
ESTEVEZ, JOSE
BOLIVIE
271
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie N°
9
Année
1981
Mois
Octobre
Equipe
Plongeur
HUIDOBRO BELLIDO, JOSE
BOLIVIE
PROCHASKA, RITA
USA
FUJI, MASAO
X
JAPON
MORI, KENJI
X
JAPON
ROSASPINI, ROBERTO
X
ARGENTINE
REINHARD, JOHAN
X
USA
HUIBRIDO BELLIDO, JOSE
BOLIVIE
ESTEVEZ, JOSE
BOLIVIE
PONCE SANGINÉS, CARLOS 10
11
1988
1988
Janvier
Juillet
BOLIVIE
SATO, SHINICHI
X
JAPON
SHIMIZU, MITZUO
X
JAPON
YOSHIKASU
X
JAPON
DOI, HIROSHI
JAPON
SHIMABUKURO, KINJO
JAPON
PORTUGAL, MAX (arq.)
BOLIVIE
ROBLES, WEIMAR
BOLIVIE
VARGAS, MARCOS
X
BOLIVIE
OVANDO, ALEJO
X
BOLIVIE
CHUQUIMIA, IVAN
X
BOLIVIE
CARJAVAL, RODOLFO
X
BOLIVIE
SATO, SHINICHI
X
JAPON
SHIMIZU, MITZUO
X
JAPON
MOZAI, TORAO
X
JAPON
SHIMABUKURO, KINJO
JAPON
WASEDA, HARRY
?
SATO, MAKITO
JAPON
CARJAVAL, RODOLFO
X
PORTUGAL, MAX (arq.) 12
1989
Juin-juillet
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
ARCE, FREDDY
14
1990
1990
Juin
Août
BOLIVIE BOLIVIE
RIVERA, OSWALDO
13
Nationalité
BOLIVIE X
BOLIVIE
CARJAVAL, RODOLFO
X
BOLIVIE
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
REZNICEK, MIGUEL
X
BOLIVIE
VON BERGEN, CONRAD
X
BOLIVIE
LOSANO, JAIME
X
BOLIVIE
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
ARCE, FREDDY
X
BOLIVIE
LINDENAUER, JULIAN
X
/
LLEWELLYN, CHARLES
X
/
ARIAS, SIMON
BOLIVIE
CHOQUE, JUSTINO
BOLIVIE
HUANCA, LUCIO
BOLIVIE
272
Liste des plongeurs par opération subaquatique – lac Titicaca – Bolivie (1954–2014) N°
15
16
17
Année
1991
1991
1992
Mois
Février-mars
Juillet-août
Janvier
Equipe
Plongeur
TICONA, RICHARD
BOLIVIE
MAXIMO, TICONA
BOLIVIE
MENDOZA, HUGO
BOLIVIE
MENDOZA, MOISES
BOLIVIE
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
BARNES? TOM
X
/
DE AVILA, REINALDO
X
/
ARIAS, SIMON
BOLIVIE
CHOQUE, JUSTINO
BOLIVIE
HUANCA, LUCIO
BOLIVIE
TICONA, RICHARD
BOLIVIE
MAXIMO, TICONA
BOLIVIE
MENDOZA, HUGO
BOLIVIE
MENDOZA, MOISES
BOLIVIE
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
ARIAS, SIMON
BOLIVIE
CHOQUE, JUSTINO
BOLIVIE
HUANCA, LUCIO
BOLIVIE
TICONA, RICHARD
BOLIVIE
MAXIMO, TICONA
BOLIVIE
MENDOZA, HUGO
BOLIVIE
MENDOZA, MOISES
BOLIVIE
REINHARD, JOHAN
X
USA
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
ARIAS, SIMON
BOLIVIE
CHOQUE, JUSTINO
BOLIVIE
HUANCA, LUCIO
BOLIVIE
TICONA, RICHARD
BOLIVIE
MAXIMO, TICONA
BOLIVIE
MENDOZA, HUGO
BOLIVIE
MENDOZA, MOISES 18
19
2000
2004
Août
Août
BOLIVIE
EPIS, LORENZO
X
ITALIE
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
CONFENTE, GIOVANNI
X
ITALIE
KAZUO, JORGE
X
ITALIE
AYUB, SORAYA
X
ITALIE
EPIS, LORENZO
X
ITALIE
PAJERA, EDUARDO
X
BOLIVIE
CONFENTE, GIOVANNI
X
ITALIE
KAZUO, JORGE
X
ITALIE
AYUB, SORAYA
X
ITALIE
ARCE, FREDDY 20
2012
avril
Nationalité
DELAERE, CHRISTOPHE
273
BOLIVIA X
BELGIQUE
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie N°
21
Année
2013
Mois
février
Equipe
Plongeur
Nationalité
MEDINA, MARCIAL
X
BOLIVIE
TRIBOULET, JEAN
X
FRANCE
CORDIER, FREDERIC
BELGIQUE
DELAERE, CINDY
BELGIQUE
DELAERE, CHRISTOPHE
X
BELGIQUE
MEDINA, MARCIAL
X
BOLIVIE
FONTENLA, RUTH
BOLIVIE
FLORES, CARLA
BOLIVIE BELGIQUE
CORDIER, FREDERIC 22
2013
Juin-Juillet
DELAERE, CHRISTOPHE
X
BELGIQUE
MEDINA, MARCIAL
X
BOLIVIE
DEBRAND, BERENGER
X
FRANCE
MASSELIN, LAURENT
X
FRANCE
ENCUENTRA, JOSE-OSCAR
X
ESPAGNE
SPADA, GIORGIO
X
ITALIE
LAFOREST, PASCAL
X
FRANCE
BOURGUIGNON, ARNAUD
X
BELGIQUE
DECLERCK, MARIE-JULIE
BELGIQUE
HUYBRECHTS, ALINE
BELGIQUE
FONTENLA, RUTH
BOLIVIE
FLORES, CARLA
BOLIVIE
CORDIER, FREDERIC
BELGIQUE
TRIBOULET, JEAN
23
2014
Mai-juin
X
FRANCE
ROPARS, BENOIT
FRANCE
QUISPE, HILARION
BOLIVIE
MAMANI, ALICIA
BOLIVIE
BEERNAERTS, JOHN
X
BELGIQUE
PIERRE, OLIVIER
X
BELGIQUE
TEREZ RAMIREZ, HOMAR
BELGIQUE
DEBUSSCHERE, FABRICE
BELGIQUE
CAPRILES, JOSE
BOLIVIE
DELAERE, CHRISTOPHE
X
BELGIQUE
MEDINA, MARCIAL
X
BOLIVIE
DEBRAND, BERENGER
X
FRANCE
MASSELIN, LAURENT
X
FRANCE
LAURENT, FABRICE
X
FRANCE
SPADA, GIORGIO
X
ITALIE
LAFOREST, PASCAL
X
FRANCE
DEZ, JULIEN
X
FRANCE
CAPRILES, JOSE
BOLIVIE
DECLERCK, MARIE-JULIE
BELGIQUE
HUYBRECHTS, ALINE
BELGIQUE
FONTENLA, RUTH
BOLIVIE
GUERRA, MARIA
FRANCE BELGIQUE
CORDIER, FREDERIC TRIBOULET, JEAN
274
X
FRANCE
Liste des plongeurs par opération subaquatique – lac Titicaca – Bolivie (1954–2014) N°
Année
Mois
Equipe
Plongeur
Nationalité
ROPARS, BENOIT
FRANCE
TEREZ RAMIREZ, HOMAR
BELGIQUE
DEBUSSCHERE, FABRICE
BELGIQUE
GOBBE, EMMANUEL
FRANCE
CROMPHOUT, ALEXANDRA
BELGIQUE
275
Annexe 4.1 Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014) Inventaire et identification: Ruth Fontenla SECTEUR DE PUNCU 1 Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#1
US1
1
Fuente
Inca
P284
46
#1
US1
1
Fuente
Inca
P285
25
#1
US1
1
Cántaro
Inca
P286
52
#1
US1
1
Indéterminée
Moderne
P1
10
#1
US1
1
Indéterminée
Moderne
P2
18
#1
US1/US2
3
Cántaro
Inca
P3
21
#1
US1/US2
3
Fuente
Altiplano
P4
60
#1
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P5
11
#1
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P6
11
#1
US2
2
Aribalo
Inca
P7
9
#2
US2
1
Fuente
Altiplano
P8
10
#2
US2
1
Cántaro
Inca
P9
51
#2
US2
2
Indéterminée
Inca
P10
4
#2
US2
1
Cuenco
Altiplano
P11
10
#3
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P12
8
#3
US2
4
Indéterminée
Inca
P13
15
#3
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P14
13
#3
US2
3
Fuente
Altiplano
P15
219
#3
US2/US3
4
Fuente
Altiplano
P16
51
#3
US2/US3
4
Jarra
Inca
P17
15
#3
US2/US3
2
Indéterminée
Altiplano
P18
10
#3
US2/US3
2
Indéterminée
Altiplano
P19
8
#1#3
US1
3
Cántaro
Inca
P281
82
#1#3
US1
2
Indéterminée
Inca
P282
8
#1#3
US1
2
Indéterminée
Altiplano
P283
4
#3
US2/US3
2
Indéterminée
Inca
P20
9
#3
US2/US3
1
Cuenco
Alitplano Inca
P21
12
#4
US1
1
Tinaja
Tiwanaku
P22
35
#4
US2
1
Aribalo
Inca
P23
16
#4
US2
1
Fuente
Altiplano
P24
89
#4
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P25
12
#4
US2
4
Indéterminée
Tiwanaku
P26
6
#4
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P27
6
#4
US2
7
Indéterminée
Tiwanaku
P28
9
#4
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P29
11
277
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#4
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P30
6
#4
US2/US1
2
Indéterminée
Moderne
P31
65
#5
US2
2
Indéterminée
Moderne
P32
32
#5
US2
2
Olla/Cántaro
Inca
P33
28
#5
US2
3
Cántaro
Inca
P34
192
#5
US2
3
Indéterminée
Inca
P35
7
#5
US2
3
Cuenco
Altiplano
P36
4
#5
US2
3
Indéterminée
Altiplano
P37
0
#5
US2
7
Olla
Altiplano
P38
40
#5
US2
3
Indéterminée
Altiplano
P39
9
#5
US2
2
Olla
Altiplano
P40
20
#5
US2
2
Cuenco
Alitplano Inca
P41
14
#5
US2
1
Cuenco
Alitplano Inca
P42
5
#5
US2
1
Cuenco
Alitplano Inca
P43
4
#5
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P44
6
#5
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P45
6
#5
US2
4
Indéterminée
Altiplano
P46
12
#5
US2
3
Indéterminée
Altiplano
P47
7
#5
US2
3
Indéterminée
Altiplano
P48
18
#5
US2
6
Fuente
Altiplano
P49
71
#5
US2
4
Indéterminée
Altiplano
P50
48
#5
US2
3
Indéterminée
Altiplano
P51
8
#5
US2
4
Indéterminée
LF1
P52
40
#5
US2
7
Indéterminée
Altiplano
P53
3
#5
US2
5
Indéterminée
Altiplano
P54
5
#5
US2
1
Fuente
Altiplano
P55
6
#5
US2
2
Fuente
Altiplano
P56
23
#5
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P57
4
#5
US3
2
Cántaro
Inca
P58
201
#5
US3
1
Fuente
Altiplano
P59
17
#5
US3
4
Indéterminée
Altiplano
P60
20
#5
US3
1
Cuenco
Alitplano Inca
P61
27
#5
US3
2
Cuenco
Alitplano Inca
P62
11
#5
US3
1
Cuenco
Altiplano
P63
11
#5
US3
1
Cuenco
Altiplano
P64
15
#5
US3
1
Cuenco
Alitplano Inca
P65
18
#5
US3
1
Indéterminée
Moderne
P66
18
#5
US3
1
Indéterminée
Alitplano Inca
P67
24
#5
US3
3
Indéterminée
Alitplano Inca
P68
20
#5
US3
4
Indéterminée
Alitplano Inca
P69
11
#5
US4
3
Olla
Tiwanaku
P70
12
#5
US4
2
Tinaja
Tiwanaku
P71
35
#5
US4
1
Kero
Tiwanaku
P72
12
#5
US4
1
Indéterminée
Tiwanaku
P73
8
#5
US4
3
Jarra
LF2
P74
43
#5
US4
6
Tinaja
Tiwanaku
P75
59
278
Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014) Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#5
US4
2
Jarra
LF2
P76
19
#5
US4
2
Indéterminée
Inca
P77
5
#5
US4
4
Olla
Tiwanaku
P78
32
#5
US4
4
Olla
Tiwanaku
P79
14
#5
US4
4
Olla
LF2
P80
28
#5
US4
4
Indéterminée
Tiwanaku
P81
18
#5
US4
2
Kero
Tiwanaku
P82
3
#5
US4
2
Tinaja
Tiwanaku
P83
84
#5
US4
1
Kero
Tiwanaku
P84
15
#5
US4
10
Cuenco
Altiplano
P85
145
#5
US4
1
Indéterminée
Moderno
P86
76
#5
US4
5
Fuente
Altiplano
P87
34
#5
US4
1
Jarra
Alitplano Inca
P88
26
#5
US4
1
Indéterminée
Alitplano Inca
P89
10
#5
US4
1
Cuenco
Altiplano
P90
21
#5
US4
5
Indéterminée
Altiplano
P91
6
#5
US4
2
Indéterminée
Altiplano
P92
0
#5
US4
4
Indéterminée
Alitplano Inca
P93
5
#5
US4
3
Olla
LF2
P94
11
#5
US4
2
Olla
Tiwanaku
P95
4
#5
US5
2
Kero
Tiwanaku
P96
13
#5
US5
6
Olla
Tiwanaku
P97
74
#5
US5
1
Fuente
Altiplano
P98
27
#5
US5
6
Possible incensario
Tiwanaku
P99
36
#5
US5
2
Kero
Tiwanaku
P100
23
#5
US5
3
Olla
Tiwanaku
P101
42
#5
US5
1
Indéterminée
Altiplano
P102
1
#5
US5
3
Kero
Tiwanaku
P103
14
#5
US5
3
Olla
Tiwanaku
P104
13
#5
US5
4
Indéterminée
Tiwanaku
P105
26
#5
US5
1
Olla
Tiwanaku
P106
10
#5
US5
1
Kero
Tiwanaku
P107
6
#5
US5
1
Cántaro
Inca
P108
4
#5
US5
1
Aribalo
Inca
P109
7
#5
US5
1
Indeterminado
Inca
P110
0
#5
US5
1
Indeterminado
Inca
P111
8
#5
US5
1
Indeterminado
Inca
P112
5
#5
US5
1
Fuente
Altiplano
P113
13
#5
US5
2
Kero
Tiwanaku
P114
23
#5
US5
2
Kero
Tiwanaku
P115
8
(suite, effondrement sondage #5) #5
US4/5
5
Fuente
Altiplano
P116
58
#5
US4/5
1
Olla
Tiwanaku
P117
13
#5
US4/5
1
Olla
Tiwanaku
P118
25
#5
US4/5
2
Olla
Tiwanaku
P119
11
#5
US4/5
2
Olla
Tiwanaku
P120
18
279
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#5
US4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P121
13
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P122
6
#5
US4/5
2
Indéterminée
Altiplano
P123
5
#5
US4/5
1
Indéterminée
Inca
P124
4
#5
US4/5
1
Indéterminée
LF1
P125
1
#5
US3/4/5
11
Olla
LF2
P126
17
#5
US1
1
Tinaja
Tiwanaku
P127
207
#5
US4/5
5
Fuente
Altiplano
P128
56
#5
US4/5
3
Fuente
Altiplano
P129
27
#5
US4/5
6
Jarra
LF2
P130
26
#5
US4/5
6
Olla
Tiwanaku
P131
15
#5
US4/5
4
Olla
Tiwanaku
P132
14
#5
US4/5
2
Fuente
Altiplano
P133
7
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P134
8
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P135
6
#5
US4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P136
3
#5
US3/4/5
4
Olla
LF2
P137
13
#5
US4/5
4
Fuente
Altiplano
P138
32
#5
US4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P139
13
#5
US4/5
4
Indéterminée
Tiwanaku
P140
19
#5
US4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P141
14
#5
US4/5
7
Indéterminée
Tiwanaku
P142
5
#5
US4/5
3
Kero
Tiwanaku
P143
13
#5
US4/5
1
Cántaro
Inca
P144
26
#5
US4/5
2
Indéterminée
Inca
P145
2
#5
US4/5
6
Indéterminée
Altiplano
P146
2
#5
US4/5
1
Olla
Tiwanaku
P147
21
#5
US4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P148
9
#5
US4/5
4
Kero
Tiwanaku
P149
8
#5
US4/5
6
Indéterminée
Tiwanaku
P150
4
#5
US4/5
2
Indéterminée
Altiplano
P151
3
#5
US3/4/5
5
Tinaja
Tiwanaku
P152
17
#5
US2/US3
1
Aribalo
Inca
P153
7
#5
US4/5
4
Fuente
Altiplano
P154
74
#5
US4/5
1
Fuente
Altiplano
P155
62
#5
US4/5
6
Fuente
Altiplano
P156
38
#5
US4/5
1
Indéterminée
Tiwanaku
P157
10
#5
US4/5
6
Fuente
Altiplano
P158
17
#5
US4/5
4
Indéterminée
Tiwanaku
P159
3
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P160
7
#5
US4/5
1
Indéterminée
Moderne
P161
7
#5
US4/5
3
Indéterminée
LF1
P162
4
#5
US4/5
3
Indéterminée
Altiplano
P163
7
#5
US4/5
3
Kero
Tiwanaku
P164
6
#5
US4/5
4
Indéterminée
Tiwanaku
P165
14
#5
US4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P166
25
#5
US4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P167
5
#5
US4/5
6
Indéterminée
Altiplano
P168
9
#5
US4/5
2
Indéterminée
Altiplano
P169
0
280
Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014) Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P170
4
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P171
3
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P172
12
#5
US3/4/5
3
Olla
Tiwanaku
P173
163
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P174
7
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P175
9
#5
US4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P176
18
#5
US4/5
2
Jarra
LF1
P177
8
#5
US4/5
1
Aribalo
Inca
P178
9
#5
US4/5
1
Aribalo
Inca
P179
7
#5
US3/4/5
4
Olla
LF2
P180
78
#5
US3/4/5
5
Fuente
Altiplano
P181
50
#5
US3/4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P182
8
#5
US3/4/5
3
Olla
Tiwanaku
P183
29
#5
US3/4/5
5
Possible incensario
Tiwanaku
P184
16
#5
US3/4/5
3
Fuente
Altiplano
P185
17
#5
US3/4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P186
6
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P187
12
#5
US3/4/5
3
olla
Tiwanaku
P188
20
#5
US3/4/5
2
Kero
Tiwanaku
P189
11
#5
US3/4/5
1
Indéterminée
Inca
P190
4
#5
US3/4/5
1
Indéterminée
LF1
P191
7
#5
US3/4/5
3
Kero
Tiwanaku
P192
4
#5
US3/4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P193
6
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P194
11
#5
US3/4/5
2
Indéterminée
Altiplano
P195
4
#5
US3/4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P196
15
#5
US3/4/5
4
olla
Tiwanaku
P197
9
#5
US3/4/5
8
olla
LF2
P198
34
#5
US3/4/5
2
Fuente
Altiplano
P199
21
#5
US3/4/5
5
Possible incensario
Tiwanaku
P200
23
#5
US3/4/5
2
Possible incensario
Tiwanaku
P201
24
#5
US3/4/5
1
Possible incensario
Tiwanaku
P202
28
#5
US3/4/5
4
Indéterminée
Tiwanaku
P203
7
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P204
8
#5
US3/4/5
2
Kero
Tiwanaku
P205
17
#5
US3/4/5
2
olla
Tiwanaku
P206
15
#5
US3/4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P207
13
#5
US3/4/5
1
Indéterminée
Altiplano
P208
7
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Altiplano
P209
9
#5
US3/4/5
9
Indéterminée
Tiwanaku
P210
12
#5
US3/4/5
5
Indéterminée
Tiwanaku
P211
2
#5
US3/4/5
4
Kero
Tiwanaku
P212
10
#5
US3/4/5
3
Olla
LF2
P213
56
#5
US3/4/5
4
Fuente
Altiplano
P214
33
#5
US3/4/5
2
Fuente
Altiplano
P215
93
#5
US3/4/5
5
Olla
Tiwanaku
P216
21
#5
US3/4/5
3
Olla
Tiwanaku
P217
24
#5
US3/4/5
6
Indéterminée
Tiwanaku
P218
15
281
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#5
US3/4/5
3
Possible incensario
Tiwanaku
P219
11
#5
US3/4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P220
9
#5
US3/4/5
1
Cuenco
Altiplano
P221
33
#5
US3/4/5
1
Jarra
Tiwanaku
P222
22
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P223
9
#5
US3/4/5
2
Kero
Tiwanaku
P224
19
#5
US3/4/5
3
Indéterminée
Tiwanaku
P225
8
#5
US3/4/5
2
Indéterminée
Tiwanaku
P226
23
#5
US3/4/5
2
Kero
Tiwanaku
P227
31
#5
US3/4/5
1
Indéterminée
Tiwanaku
P228
8
#5
US3/4/5
1
Indéterminée
Altiplano
P229
8
#6
US2
2
Aribalo
Inca
P230
57
#6
US2
4
Aribalo
Inca
P231
45
#6
US2
2
Aribalo
Inca
P232
10
#6
US2/3
7
Indéterminée
Tiwanaku
P233
17
#6
US2/3
10
Indéterminée
Tiwanaku
P234
23
#6
US2/3
1
Aribalo
Inca
P235
5
#6
US2/3
2
Olla
Tiwanaku
P236
68
#6
US2/3
2
Indéterminée
Inca
P237
5
#6
US2/3
4
Indéterminée
Tiwanaku
P238
4
#6
US2/3
3
Indéterminée
Tiwanaku
P239
15
#6
US2/3
1
Kero
Tiwanaku
P240
6
#6
US2/3
1
Indéterminée
Altiplano
P241
27
#6
US2/3
2
Indéterminée
Altiplano
P242
15
#6
US1/2/3
3
Tinaja
Tiwanaku
P243
40
#6
US2/3
1
Indéterminée
Tiwanaku
P244
3
#6
US2/3
1
Indéterminée
Tiwanaku
P245
5
#6
US1
1
Indéterminée
Moderne
P246
25
#7
US2A
2
Fuente
Altiplano
P247
10
#7
US2A
2
olla
Tiwanaku
P248
8
#7
US2A
1
Indéterminée
Altiplano
P249
3
#7
US2A
1
Cuenco
Altiplano
P250
14
#7
US2A
1
Kero
Tiwanaku
P251
8
#7
US2A
1
Indéterminée
Tiwanaku
P252
8
#7
US2A
1
Indéterminée
Indéterminé
P253
5
#7
US2A
1
Cuenco
Inca
P254
52
#7
US2A
1
Cuenco
Inca
P255
9
#7
US3/US4
2
Cántaro
Inca
P256
62
#7
US3/US4
2
Indéterminée
Altiplano
P257
7
#7
US3/US4
1
Cántaro
Inca
P258
90
#7
US3/US4
2
Indéterminée
Altiplano
P259
6
#7
US3/US4
2
Indéterminée
Indéterminé
P260
9
#7
US3/US4
6
olla
Tiwanaku
P261
15
#7
US3/US4
1
Indéterminée
Altiplano
P262
4
#7
US3/US4
1
Indéterminée
Altiplano
P263
0
282
Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014) Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#7
US3/US4
1
Kero
Tiwanaku
P264
20
#7
US3/US4
2
Indéterminée
LF1
P265
6
#7
US3/US4
1
Indéterminée
Indéterminé
P266
5
#7
US3/US4
1
Cuenco
Inca
P267
11
#7
US3/US4
2
Cuenco
Altiplano
P268
43
#7
US3/US4
2
Indéterminée
LF1
P269
33
#7
US3/US4
1
Indéterminée
LF1
P270
7
#7
US3/US4
4
Indéterminée
Altiplano
P271
6
#7
US3/US4
1
Jarra
Altiplano
P272
0
#7
US3/US4
1
Olla/Cántaro
Altiplano
P273
69
#7
US3/US4
1
Indéterminée
Indéterminé
P274
29
#7
US3/US4
5
Olla
Tiwanaku
P275
22
#7
US3/US4
4
Olla
Tiwanaku
P276
8
#7
US3/US4
2
Cuenco
Altiplano
P277
14
#7
US3/US4
2
Cántaro
Inca
P278
21
#7
US3/US4
5
Indéterminée
Altiplano
P279
12
#7
US3/US4
2
Indéterminée
Indéterminé
P280
6
TOTAL
767
SECTEUR DE PUNCU 2 Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#8
US1A
1
Indéterminée
Tiwanaku
P1
3
#8
US2
2
Indéterminée
Tiwanaku
P2
16
#8
US2
1
Indéterminée
Tiwanaku
P3
1
#8
US2
1
Aribalo
Inca
P4
4
#8
US2
1
Indéterminée
Tiwanaku
P5
2
#8
US2
1
Indéterminée
Tiwanaku
P6
0
#8
US2
4
Indéterminée
Tiwanaku
P7
4
#8
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P8
5
#8
US2
4
Indéterminée
Tiwanaku
P9
6
#8
US2
5
Indéterminée
Tiwanaku
P10
9
#8
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P11
11
#8
US2
5
Indéterminée
Inca
P12
5
#8
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P13
0
#8
US2
1
Kero
Tiwanaku
P14
4
#8
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P15
4
#8
US2
2
Fuente
Altiplano
P16
30
#8
US2
1
Fuente
Altiplano
P17
32
#8
US2
2
Olla
Tiwanaku
P18
35
#8
US2
2
Incensario
Tiwanaku
P19
16
#8
US2
1
Indéterminée
Inca
P20
0
#8
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P21
5
#8
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P22
4
#8
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P23
1
#8
US2
2
Cántaro
Altiplano
P24
33
#8
US2
2
Indéterminée
Tiwanaku
P25
12
#8
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P26
0
283
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#8
US8
1
Olla
Tiwanaku
P27
43
#8
US8
3
Indéterminée
Indéterminé
P28
55
#8
US8/US4
6
Indéterminée
Tiwanaku
P29
14
#8
US4
7
Indéterminée
Tiwanaku
P30
16
#8
US4
5
Indéterminée
Tiwanaku
P31
18
#8
US4/US6
3
Indéterminée
Tiwanaku
P32
24
#8
US4
6
Indéterminée
Tiwanaku
P33
8
#8
US4
3
Kero
Tiwanaku
P34
16
#8
US4/US6/ US10
7
Posible incensario
Tiwanaku
P35
44
#8
US6
6
Indéterminée
Tiwanaku
P36
20
#8
US6
4
Indéterminée
Tiwanaku
P37
5
#8
US6
8
Tinaja
Tiwanaku
P38
29
#8
US6
5
Indéterminée
Tiwanaku
P39
17
#8
US6
1
Jarra
Tiwanaku
P40
15
#8
US6/US8
5
Olla
Tiwanaku
P41
36
#8
US6/US10
3
Indéterminée
Tiwanaku
P42
23
#8
US8
2
Indéterminée
Tiwanaku
P43
5
#8
?
1
Olla
Tiwanaku
P44
17
#9
US1/2
1
Fuente
Altiplano
P45
80
#9
US1/2
1
Indéterminée
Altiplano
P46
17
#9
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P47
9
#9
US2
1
Fuente
Altiplano
P48
66
#10
US2
2
Tinaja
Tiwanaku
P49
33
#10
US2
4
Indéterminée
Tiwanaku
P50
9
#10
US2
1
Cántaro
Inca
P51
75
#10
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P52
18
#10
US2
2
Tinaja
Tiwanaku
P53
63
#10
US2
2
Indéterminée
Tiwanaku
P54
16
#10
US2
1
Indéterminée
Moderne
P55
14
#10
US2
2
Posible incensario
Tiwanaku
P56
68
#10
US2
1
Indéterminée
Tiwanaku
P57
17
#10
US2
2
Posible incensario
Tiwanaku
P58
16
#10
US8
7
Sahumador
Tiwanaku
P59
107
#10
US8
2
Olla
Tiwanaku
P60
7
#10
US8
2
Indéterminée
Tiwanaku
P61
15
#10
US8
4
Indéterminée
Tiwanaku
P62
18
#10
US8
2
Indéterminée
Tiwanaku
P63
14
#10
US8
3
Indéterminée
Tiwanaku
P64
11
#10
US8
2
Olla
Tiwanaku
P65
12
#10
US8
3
Indéterminée
Tiwanaku
P66
5
#10
US8
2
Incensario
Tiwanaku
P67
46
#10
US8
1
Olla
Tiwanaku
P68
11
#10
US8
2
Olla
Tiwanaku
P69
17
#10
US8
3
Indéterminée
Tiwanaku
P70
13
284
Inventaire du matériel céramique issu des fouilles de Puncu (2014) Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#10
US8
1
Indéterminée
Tiwanaku
P71
9
#10
US8
2
Sahumador/incensario
Tiwanaku
P72
26
#10
US8
4
Sahumador
Tiwanaku
P73
52
#10
US8/10
2
Indéterminée
Tiwanaku
P74
4
#10
US8/10
2
Indéterminée
Tiwanaku
P75
11
#10
US8/10
2
Tinaja
Tiwanaku
P76
14
#10
US8/10
1
Rueca de huso
Tiwanaku
P77
7
#10
US8/10
1
Posible incensario
Tiwanaku
P78
15
#10
US8/10
2
Olla
Tiwanaku
P79
47
#10
US8/10
3
Indéterminée
Tiwanaku
P80
11
#10
US8/10
3
Olla
Tiwanaku
P81
36
#10
US8/10
2
Indéterminée
Tiwanaku
P82
6
#10
US8/10
2
Indéterminée
Tiwanaku
P83
3
#10
US8/10
1
Indéterminée
Tiwanaku
P84
0
#11
US2
8
Tinaja
Tiwanaku
P85
89
#11
US2
1
Fuente
Altiplano
P86
56
#11
US2
1
Sahumador/incensario
Tiwanaku
P87
8
#11
US2
1
Sahumador/incensario
Inca
P88
2
#11
US2
2
Fuente
Altiplano
P89
63
#11
US2
1
Indéterminée
Inca
P90
21
#11
US2
4
Olla
Tiwanaku
P91
16
#11
US2
4
Olla
Tiwanaku
P92
7
#11
US2
4
Olla/Tinaja
Altiplano Inca
P93
9
#11
US2
5
Olla
Tiwanaku
P94
56
#11
US2
4
Indéterminée
Tiwanaku
P95
9
#11
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P96
7
#11
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P97
12
#11
US2
4
Olla
Tiwanaku
P98
29
#11
US2
1
Kero
Tiwanaku
P99
205
#11
US6
7
Tinaja
Tiwanaku
P100
92
#11
US6
5
Indéterminée
Tiwanaku
P101
27
#11
US6
10
Olla
Tiwanaku
P102
38
#11
US6
4
Posible incensario
Tiwanaku
P103
55
#11
US6
13
Indéterminée
Tiwanaku
P104
21
#11
US6
3
Indéterminée
Tiwanaku
P105
8
#11
US6
4
Indéterminée
Tiwanaku
P106
9
#11
US6
3
Jarra
Tiwanaku
P107
8
#11
US10
2
Indéterminée
Tiwanaku
P108
11
#12
US2
1
Tinaja
Tiwanaku
P109
80
#12
US2
4
Olla/Tinaja
Tiwanaku
P110
44
#12
US2
1
Olla
Tiwanaku
P111
35
#12
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P112
23
#12
US2
2
Indéterminée
Altiplano
P113
17
#12
US2
1
Indéterminée
Tiwanaku
P114
21
#12
US2
3
Olla
Tiwanaku
P115
17
285
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage
US
Nbr Fgts
Forme
Période
Pièce
Poids (g)
#12
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P116
2
#12
US2
2
Tinaja
Tiwanaku
P117
212
#12
US2
1
Indéterminée
Altiplano
P118
12
#12
US2
2
Tinaja
Tiwanaku
P119
38
#12
US2
3
Indéterminée
Tiwanaku
P120
8
#12
US2
2
Cuenco
Altiplano
P121
14
#12
US2
1
Indéterminée
Indéterminé
P122
15
#12
US2
2
Aribalo
Inca
P123
8
#12
US2
2
Olla/Tinaja
Tiwanaku
P124
9
#12
US9
3
Cuenco
Tiwanaku
P125
63
#12
US9
8
Sahumador
Tiwanaku
P126
36
#12
US9
3
Indéterminée
Tiwanaku
P127
28
#12
US9
4
Olla
Tiwanaku
P128
13
#12
US9
3
Indéterminée
Tiwanaku
P129
15
#12
US9
5
Olla
Tiwanaku
P130
72
#12
US9
6
Incensario
Tiwanaku
P131
84
#12
US8/9
1
Jarrita
Tiwanaku
P132
69
TOTAL
370
286
Annexe 4.2 Inventaire des ossements (humains et faune) issus de Puncu (2014) Inventaire et identification: José Capriles SECTEUR DE PUNCU 1 Sondage US
Nbre fgts Classe
Taxa
Élément
Portion
%
#1
US2
1
Mammalia
Camelidae
Molar
Completo
100
5,85
#2
US2
1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Medial
25
9,01
#4
US1
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Ilión
25
8,84
#4
US1
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Proximal
25
3,61
#4
US1
1
Mammalia
Camelidae
Molar
Completo
100
1,62
#4
US1
1
Amphibia
Telmatobius
Tibia-fibula
Completo
100
oui
0,29
#4
US2
1
Mammalia
Ovicaprido
Metacarpo
Completo
75
oui
18,32
#4
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
#4
US2
1
Mammalia
Camelidae
Molar
Medial
25
4,91
#4
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,17
#4
US2
1
Aves
Indeterminado
Digito
Completo
100
0,08
#4
US2
1
Aves
Rallidae
Fémur
Distal
25
0,29
#4
US2
1
Aves
Indeterminado
Hueso largo
Medial
25
0,11
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Húmero
Distal
50
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Húmero
Medial
25
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Proximal
50
oui
49,07
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Proximal
25
oui
24,3
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Distal
25
oui
29,95
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Distal
25
non
10,69
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Medial
25
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Proximal
50
oui
29,95
#5
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Húmero
Completo
100
oui
0,38
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Tarsal central
Completo
75
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Atlas
Completo
100
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Medial
25
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
#5
US2
1
Mammalia
Ovicaprido
Segunda falange Completo
100
non
2,16
#5
US2
1
Mammalia
Ovicaprido
Húmero
Distal
50
oui
5,79
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,43
#5
US2
3
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,87
#5
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Lateral
25
1,67
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
4,99
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
9,22
287
Épiphyse Poid (g)
1,64
oui
63,41 11,09
18,98
3,82 oui
29,04 13,37
oui
9,05
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage US
Nbre fgts Classe
Taxa
Élément
Portion
%
Épiphyse Poid (g)
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2,68
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2
#5
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
4,02
#5
US3
1
Mammalia
Camelidae
Metacarpo
Proximal
50
oui
12,57
#5
US3
1
Mammalia
Ovicaprido
Molar
Proximal
50
6,19
#5
US3
1
Mammalia
Camelidae
Tercera falange
Completo
100
1,04
#5
US3
1
Mammalia
Caviomorfo
Húmero
Completo
100
#5
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Pelvis
Medial
25
4,83
#5
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
Medial
25
0,26
#5
US4
1
Aves
Indeterminado
Vértebra cervical Completo
75
0,23
#5
US4
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Cuerpo
50
non
6,47
#5
US4
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Apófisis
25
oui
8
#5
US4
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Apófisis
25
4,85
#5
US4
2
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Esplacnocráneo
25
8,17
#5
US4
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Proximal
25
1,75
#5
US4
7
Mammalia
Camelidae
Cuneiforme
Completo
75
1,07
#5
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
1,81
#5
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
1,73
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,37
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Proximal
50
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Proximal
50
33,77
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Distal
25
2,01
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Cuerpo
25
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Neurocráneo
25
2,9
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Medial
25
9,74
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
7,95
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
4,24
#5
US5
1
Aves
Ardeidae
Húmero
Completo
100
2,5
#5
US5
1
Aves
Indeterminado
Pelvis
Medial
25
0,81
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Proximal
25
3,35
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
7,15
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Medial
25
2,55
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2,62
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,45
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,86
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,54
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Completo
100
oui
23,56
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
non
10,57
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Proximal
25
oui
2,62
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
non
1,45
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Medial
25
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Proximal
25
non
5,16
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Lateral
25
non
2,79
#5
US5
1
Mammalia
Camelidae
Incisivo
Completo
75
1,34
#5
US5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2,22
288
oui
oui
non
25
0,31
66,42
0,59
0,17
4,69
Inventaire des ossements (humains et faune) issus de Puncu (2014) Sondage US
Nbre fgts Classe
Taxa
Élément
Portion
#5
US5
1
Humano
Homo sapiens
Mandíbula
Completo
75
27,83
#5
US5
2
Humano
Homo sapiens
Cráneo
Neurocráneo
25
9,52
#5
US5
1
Bivalba
Indeterminado
Concha
75
0,94
%
Épiphyse Poid (g)
(effondrement sondage #5) #5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Medial
25
48,86
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Medial
50
30,72
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Medial
25
3,64
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Isquión
25
oui
16,34
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Húmero
Distal
25
oui
10,51
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
2,23
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Cresta
25
2,84
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Medial
25
10,1
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
5
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,85
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Mandíbula
Distal
25
6,39
#5
US3/4/5 1
Aves
Indeterminado
Tarso-metatarso
Medial
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Completo
100
oui
38,73
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Cresta
25
non
0,75
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Metacarpo
Proximal
75
oui
21,53
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Medial
75
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Ilión
25
#5
US3/4/5 1
Amphibia
Anura
Húmero
Completo
100
oui
0,2
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Cuerpo
50
non
5
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Costilla
Medial
25
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Metacarpo
Proximal
25
oui
12,87
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Caviomorfo
Fémur
Medial
75
non
0,24
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Apófisis
25
1,8
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Metapodio
Medial
25
1,59
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,71
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,74
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,29
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
1,25
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,56
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,43
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,46
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,25
#5
US3/4/5 1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
1,93
#5
US4/5
1
Mammalia
Macrofauna
Molar
Medial
25
0,41
#5
US4/5
1
Mammalia
Canidae
Metatarsal
Completo
100
1,05
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Hoja
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
#5
US4/5
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2,14
#5
US4/5
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,7
#5
US4/5
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,43
289
25
0,36
5,11 non
4 17,57
1,13
3,07 oui
3,44
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage US
Nbre fgts Classe
Taxa
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
#5
US4/5
1
Osteichthyes Orestias
#5
US4/5
1
Amphibia
Telmatobius
#5
US4/5
1
Aves
Ardeidae
%
Épiphyse Poid (g)
Segunda falange Completo
100
oui
Interopérculo
Proximal
75
0,05
Pelvis
Proximal
50
0,17
Húmero
Distal
75
Élément
Portion
oui
2,93
2,05
#5
US4/5
1
Mammalia
Microfauna
Hueso largo
Proximal
50
0,87
#5
US4/5
1
Mammalia
Microfauna
Hueso largo
Distal
50
0,26
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Completo
100
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Proximal
25
oui
9,18
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Proximal
50
oui
28,38
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Ilión
50
oui
62,84
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Cuerpo
50
oui
12,65
#5
US4/5
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Proximal
25
Partiel
8,64
#5
US4/5
1
Mammalia
Ovicaprido
Cráneo
Neurocráneo
25
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Proximal
50
oui
58,27
oui
33,59 5,19
4,77
#6
US2/3
1
Mammalia
Ovicaprido
Calcáneo
Proximal
50
oui
13,56
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Medial
50
oui
67,37
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Completo
100
oui
10,44
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Proximal
75
oui
8,53
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Esplacnocráneo
25
#6
US2/3
1
Mammalia
Macrofauna
Costilla
Proximal
25
oui
2,87
#6
US2/3
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
Partiel
2,54
#6
US2/3
1
Aves
Phalacrocorax
Ulna
Proximal
75
oui
1,73
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Completo
100
oui
10,68
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Esplacnocráneo
25
23,85
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Calcáneo
Completo
100
18,95
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
50
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Cuerpo
50
non
6,62
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Cuerpo
50
oui
11,33
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
25
1,68
#7
US3
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,74
#7
US3
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,16
#7
US3
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,1
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Metatarsal
Proximal
50
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Medial
25
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra lumbar Distal
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
1,84
#7
US3
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
25
0,38
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Axis
Proximal
50
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Esplacnocráneo
25
7,52
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Distal
25
2,06
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Distal
50
29,61
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Completo
100
oui
41,71
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Completo
100
non
31,38
290
Distal
25
8,13
5,45
oui
17,3 9,14
Partiel
oui
0,98
12,09
Inventaire des ossements (humains et faune) issus de Puncu (2014) Sondage US
Nbre fgts Classe
Taxa
Élément
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
#7
US4a
1
Mammalia
Camelidae
#7
US4a
1
Mammalia
#7
US4a
1
US6
1
#7
%
Épiphyse Poid (g)
Vértebra lumbar Completo
100
non
Vértebra lumbar Cresta
25
6,59
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,32
Amphibia
Telmatobius
Basioccipital
Completo
100
0,85
Mammalia
Camelidae
Radio-ulna
Proximal
25
oui
Élément
Portion
%
Épiphyse Poid (g)
Portion
13,3
49,76
TOTAL 182 SECTEUR DE PUNCU 2 Sondage US
NISP
Classe
Taxa
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
Medial
50
3,18
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Cráneo
Neurocráneo
25
1,31
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Atlas
Lateral
50
5,81
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Calcáneo
Completo
100
5,41
#8
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Proximal
25
#8
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2,59
#8
US2
1
Mammalia
Microfauna
Costilla
Medial
25
0,3
#8
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Basioccipital
Completo
100
0,56
#8
US2
1
Osteichthyes Trichomycterus
Basioccipital
Completo
100
0,91
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Distal
25
2,13
#8
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,41
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Atlas
Completo
100
16,1
#8
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Cresta
25
1,62
#8
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,56
#8
US4
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
25
5,17
#8
US4
1
Mammalia
Macrofauna
Costilla
Medial
25
0,54
#8
US4
3
Amphibia
Telmatobius
Vértebra
Completo
100
0,31
#8
US4
1
Osteichthyes Orestias
Opérculo
Completo
100
0,14
#8
US4
1
Amphibia
Húmero
Completo
100
#8
US4
1
Osteichthyes Trichomycterus
Supraoccipital
Completo
100
#8
US4
1
Aves
Indeterminado
Tibio-tarso
Completo
75
#8
US6
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Apófisis
25
#8
US6
1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Distal
25
non
3,37
#8
US6
1
Mammalia
Camelidae
Primera falange
Medial
50
non
2,44
#8
US6
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,91
#8
US8
1
Mammalia
Cervidae
Cráneo
Neurocráneo
25
14,37
#8
US8
1
Mammalia
Macrofauna
Costilla
Medial
25
0,8
#8
US8
1
Amphibia
Anura
Tibia-fibula
Completo
100
0,05
#8
US8
1
Mammalia
Macrofauna
Ovicaprido
Neurocráneo
25
7,62
#9
US2
1
Aves
Indeterminado
Húmero
Proximal
25
0,79
#10
US2
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Distal
50
20,23
#10
US2
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Isquión
50
oui
30,75
#10
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Fémur
Completo
100
oui
0,1
#10
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
Telmatobius
291
Medial
8,05 Partiel
oui
3,19
0,46 0,08
non
0,29 4,15
2,02
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Sondage US
NISP
Classe
#10
US8
1
#10
US8
1
#10
US8
#10
Élément
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
1,34
Aves
Indeterminado
Fémur
Distal
50
0,1
1
Humano
Homo sapiens
Metacarpo
Distal
75
US8/10
1
Aves
Indeterminado
Vértebra cervical Completo
#10
US8/10
1
Mammalia
Macrofauna
Vértebra torácica Cuerpo
25
#10
US8/10
1
Mammalia
Camelidae
Escápula
Medial
50
25,95
#10
US8/10
2
Mammalia
Macrofauna
Cráneo
Neurocráneo
25
2,18
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Costilla
Medial
50
0,41
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Escápula
Completo
75
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Canino
Completo
100
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Vértebra torácica Completo
100
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Costilla
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Tibia
Medial
75
non
40,73
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Cráneo
Neurocráneo
25
non
52,68
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Sacro
Completo
100
Partiel
79,87
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Cráneo
Neurocráneo
25
oui
68,15
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Vértebra torácica Completo
100
Partiel
3,09
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Ulna
Completo
100
oui
32,12
#10
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Molar
Completo
100
#10
US8/10
1
Mammalia
Camelidae
Fémur
Distal
50
#10
US8/10
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra torácica Completo
75
#11
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
Medial
25
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Acetábulo
25
oui
10,71
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Acetábulo
25
oui
11,67
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Medial
25
5,35
#11
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
2
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Pelvis
Ilión
#11
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Cuerpo
50
1,82
#11
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Tibia-fibula
Completo
100
0,32
#11
US6
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,44
#11
US6
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,76
#11
US6
1
Amphibia
Telmatobius
Dentario
Completo
75
0,24
#11
US6
1
Amphibia
Telmatobius
Escápula
Completo
75
0,1
#11
US6
1
Mammalia
Caviomorfo
Húmero
Distal
75
#11
US6
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Escápula
Completo
75
oui
46,41
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Costilla
Completo
100
oui
25
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Vértebra cervical Completo
75
non
2,62
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Clavícula
Medial
50
4,3
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Molar
Completo
100
1,96
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Canino
Completo
100
1,06
#11
US6
1
Humano
Homo sapiens
Incisivo
Completo
100
0,76
#11
US6
1
Mammalia
Caviomorfo
Sacro
Completo
100
0,29
#11
US10
1
Osteichthyes Orestias
Costilla
Completo
100
0,06
292
Portion
Medial
%
Épiphyse Poid (g)
Taxa
non
100
0,21 non
oui
0,46
52,48 1,05
oui
25
50
1,83
12,5 2,15
1,18 oui
141,61 7,74
oui
32,59 1,83
oui
oui
25
73,55
0,28 0,83
Inventaire des ossements (humains et faune) issus de Puncu (2014) Sondage US
NISP
Classe
Taxa
Élément
Portion
%
Épiphyse Poid (g)
#11
US10
1
Mammalia
Camelidae
Costilla
#11
US10
1
Mammalia
Camelidae
Calcáneo
Proximal
25
oui
Completo
100
15,5
#11
US10
1
Humano
Homo sapiens
Trapecio
Completo
100
0,75
#11
US10
1
Humano
Homo sapiens
Metatarsal
Completo
75
4,57
#11
US10
1
#11
US10
1
Humano
Homo sapiens
Molar
Humano
Homo sapiens
Húmero
Completo
100
#11
US10
1
Humano
Homo sapiens
Radio
Proximal
25
#12 #12
US2
1
Mammalia
Camelidae
Húmero
Proximal
25
US2
1
Osteichthyes Orestias
Opérculo
Completo
100
0,11
#12
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Escápula
Completo
75
0,17
#12
US2
1
Mammalia
Camelidae
Metapodio
Distal
25
#12
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Apófisis
25
2,57
#12
US2
1
Mammalia
Camelidae
Vértebra cervical Apófisis
25
1,58
#12
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,09
#12
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
7,89
#12
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,19
#12
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
0,32
#12
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Escápula
Completo
100
0,25
#12
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Pelvis
Acetábulo
50
0,19
#12
US2
1
Amphibia
Telmatobius
Digito
Completo
100
0,16
#12
US2
1
Mammalia
Macrofauna
Hueso largo
Medial
25
1,63
#12
US2
1
Osteichthyes Orestias
Cleitro
Completo
100
0,08
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Tibia
Medial
50
non
6,59
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Vértebra torácica Completo
75
non
8,27
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Pelvis
50
1,74
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Vértebra torácica Completo
100
11,93
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Costilla
25
1,32
#12
US8/10
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,79
#12
US8/10
1
Mammalia
Macrofauna
Indeterminado
25
0,06
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Cráneo
Neurocráneo
25
non
29,67
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Clavícula
Completo
100
non
3,77
#12
US8/10
1
Mammalia
Camelidae
Tibia
Distal
25
non
9,33
#12
US8/10
1
Mammalia
Caviomorfo
Mandíbula
Completo
75
0,53
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Metacarpo
Completo
100
3,73
#12
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Navicular
Completo
100
10,08
US8/10
1
Humano
Homo sapiens
Fibula
Medial
50
5,22
#12
TOTAL 119
293
100
Ilión Medial
1,77
1,41 oui
80,4 1,68
Partiel
non
31,76
6,57
Annexe 5.1 Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
1
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
2
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
couvercle
Andésite
Inca
1
3
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
4
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
5
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
6
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
/
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
7
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
2
Figurine masc.
Spondylus
Inca
1
8
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
3
Figurine masc.
Spondylus
Inca
1
9
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
4
Figurine féminine Spondylus
Inca
1
10
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
5
Figurine féminine Spondylus
Inca
1
Mois
11
Japonaise
1977 octobre
Shapiro 1978: 19
6
Figurine lama
Spondylus
Inca
1
12
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 558
1
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
13
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 559
2
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
14
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 560
3
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
15
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 561
4
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
16
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 562
5a
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
17
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 562
5b
Couvercle
Andésite
Inca
1
18
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992:563
6
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
19
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 564
7a
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
20
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 564
7b
Couvercle
Andésite
Inca
1
21
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 540
7c
Tupu miniature
Or
Inca
1
22
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 540
7d
Tupu miniature
Or
Inca
1
23
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 540
7e
Tupu miniature
Or
Inca
1
24
Nippon TV
1988 janvier
Portugal 1992: 565
8
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
25
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 567
9 (10)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
26
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 567
10 (4)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
27
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 568
11 (5)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
28
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 569
12 (1)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
29
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 570
13 (12)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
30
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 571
14a (16)
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
31
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 571
14b (16)
Couvercle
Andésite
Inca
1
32
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 572
15 (2)
Ancre
Andésite
Indéterminé 1
33
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 573
16 (15)
Indéterminé
Andésite
Indéterminé 1
34
Asahi TV
1988 juillet
Torai Mozai 1988
/ (3)
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
35
Asahi TV
1988 juillet
Torai Mozai 1988
/ (14)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
36
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 574
2744 (6)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
37
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 575
2745 (7)
Incensario zoo.
Céramique
Tiwanaku
1
38
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 576
2746 (13)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
39
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 577
2747 (9)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
40
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 578
2748 (11)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
41
Asahi TV
1988 juillet
Portugal 1992: 579
2749 (8)
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
42
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 623
1
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
295
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Lot
Mission
An.
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
43
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 623
2
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
44
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 624
3
Incensario zoo.
Céramique
Tiwanaku
1
45
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 624
4a
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
46
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 624
4b
Couvercle
Andésite
Inca
1
47
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 625
5
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
48
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 625
6
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
49
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 626
7
Figurine lama
Argent
Inca
1
50
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 626
8b
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
51
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 627
8a
Couvercle
Andésite
Inca
1
52
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 628
10
Ossement
Poisson
Naturel
1
53
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 628
11
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
Mois
54
Reinhard
1989 juin
Pareja 1992: 629
12
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
55
Reinhard
1989 juillet
Pareja 1992: 629
13
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
56
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 630
14
Olla-Tinaja
Céramique
Indéterminé 1
57
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 630
15
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
Tiwanaku
1
58
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 631
16
Ossement
Lama
59
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 612–616
17
Ossement
Indéterminé Indéterminé 1
60
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 631
18
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
61
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 632
19
Ossements
Lama
Tiwanaku
8
62
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 632
20
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
63
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 633
21
Figurine féminine Or
Inca
1
64
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 633
22
Incensario
Tiwanaku
7
65
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 634
23
Indéterminé
Céramique
Indéterminé 11
66
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 634
24
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
67
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 635
25
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
68
Reinhard
1990 juin
Pareja 1992: 692
26
Indéterminé
Céramique
Indéterminé 1
Céramique
69
/
1990 /
Pareja 1992: 612–616
27
Ancre
Andésite
Indéterminé 1
70
/
1990 /
Pareja 1992: 635
28
Ancre
Andésite
Tiwanaku
1
71
/
1990 /
Pareja 1992: 636
29
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
72
/
1990 /
Pareja 1992: 636
30
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
73
/
1990 /
Pareja 1992: 637
31
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
74
/
1990 /
Pareja 1992: 637
32
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
75
/
1990 /
Pareja 1992: 638
33
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
76
/
1990 /
Pareja 1992: 638
34
Ossement
Oiseau
Naturel
1
77
/
1990 /
Pareja 1992: 639
35
Ossements
Lama
Tiwanaku
10
78
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 639
36
Coquillage
Spondylus
Indéterminé 1
79
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 640
37
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
80
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 640–641
38
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
81
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 641
39
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
82
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 642
40
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
83
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 642
41
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
84
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 643
42
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
85
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 643
43
Olla-Tinaja
Céramique
Indéterminé 4
86
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 644
44
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
87
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 644
45
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
88
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 645
46
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
89
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 645
47
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
90
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 646
48
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
91
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 646
49
Ossement
Oiseau
Naturel
1
296
Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
92
Reinhard
1990 août
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
Pareja 1992: 647
50
Céramique
Tiwanaku
2
Incensario
93
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 647
51
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
94
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 648
52
Incensario zoo.
Céramique
Tiwanaku
1
95
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 648
53
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
96
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 649
54
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
97
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 649
55
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
98
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 650
56
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
99
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 650
57
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
100
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 651
58
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
101
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 651
59
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
102
Reinhard
1990 août
Pareja 1992:652
60
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
103
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 612–616
61
Indéterminé
Céramique
Indéterminé 1
104
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 652
62
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
105
Reinhard
1990 août
Pareja 1992: 653
63
Incensario
Céramique
Tiwanaku
15
106
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 653
64
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
107
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 612–616
65a
Cinta
Or
Tiwanaku
1
108
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 654
65b
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
109
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 654
65c
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
110
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 655
65d
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
111
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 655
65e
Ossements
Lama
Tiwanaku
9
112
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 656
66a
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
113
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 656
66b
Incensario
Céramique
Tiwanaku
4
114
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 657
67a
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
115
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 657
67b
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
116
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 658
68
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
117
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 658
69a
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
118
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 559
69b
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
119
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 559
70
Médaillon
Or
Tiwanaku
1
120
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 660
71
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
121
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 660
72
Ossement
Poisson
Naturel
1
122
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 660
72
Ossements
Oiseau
Naturel
12
123
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 661
73
Cinta
Or
Indéterminé 1
124
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 661
74
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
125
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 662
75
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
126
Reinhard
1991 février
Pareja 1992: 662
76
Vaso
Or
Tiwanaku
1
127
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 663
77
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
128
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 663
78
Coquillage
Spondylus
Indéterminé 1
129
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 664
79
Incensario
Céramique
Tiwanaku
130
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 612–616
80
Ancre
Andésite
Indéterminé 1
131
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 664
81a
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
132
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 665
81b
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
133
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 665
82
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
134
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 666
83
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
135
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 667
84
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
136
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 667
85
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
/
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 668
86
Ossements
Lama
Tiwanaku
19
138
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 668
87
Correspond au n°23 de l’inventaire de Pareja
1
/
138
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 669
88a
Incensario
Céramique
Tiwanaku
3
139
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 669
88b
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
297
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Lot
Mission
An.
140
Reinhard
1991 mars
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
Pareja 1992: 670
89
Lama
Tiwanaku
1
Ossement
141
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 670
90
Incensario
Céramique
Tiwanaku
2
142
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 671
91
Ossements
Lama
Tiwanaku
12
143
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 671
92
Incensario
Céramique
Tiwanaku
20
144
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 672
93
Ossements
Lama
Tiwanaku
8
145
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 672
94
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
146
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 673
95
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
147
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 673
96
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
148
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 674
97
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
149
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 674
98a
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
150
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 674
98b
Couvercle
Andésite
Inca
1
151
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 675
99
Figurine masc.
Or
Inca
1
152
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 675
100
Figurine masc.
Or
Inca
1
153
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 676
101a
Figurine masc.
Argent
Inca
1
154
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 676
101b
Figurine anthro.
Argent
Inca
1
155
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 611
101c
Applique perf.
Argent
Inca
1
156
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 611
101c
Applique perf.
Argent
Inca
1
157
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 677
102
Incensario
Céramique
Tiwanaku
4
158
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 677
103
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
159
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 678
104
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
160
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 678
105
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
161
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 679
106
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
162
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 679
107
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
163
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 680
108
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
164
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 680
109
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
165
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 681
110
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
166
Reinhard
1991 mars
Pareja 1992: 681
111
Incensario zoo.
Céramique
Tiwanaku
1
167
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 682
112
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
168
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 682
113
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
169
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 683
114a
Figurine masc.
Or
Inca
1
170
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 683
114b
Applique perforée Or
Inca
1
171
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 684
115
Figurine lama
Argent
Inca
1
172
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 612–616
116
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
173
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 692
117
Coquillage
Spondylus
Indéterminé 1
174
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 685
118
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
175
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 685
119
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
176
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 686
120
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
177
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 686
121
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
178
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 687
122
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
179
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 687
123
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
180
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 688
124
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
181
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 688
125
Incensario
Céramique
Tiwanaku
4
182
Reinhard
1991 juillet
Pareja 1992: 689
126
Ossements
Lama
Tiwanaku
12
183
Reinhard
1991 août
Pareja 1992: 689
127
Ossements
Lama
Tiwanaku
46
184
Reinhard
1991 août
Pareja 1992: 690
128
Incensario
Céramique
Tiwanaku
2
185
Reinhard
1991 août
Pareja 1992: 690
129
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
186
Reinhard
1991 août
Pareja 1992: 691
130
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
187
Reinhard
1991 août
Pareja 1992: 691
131
Perle
Pierre bl.
Indéterminé 1
298
Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
132
Coffret en pierre
Andésite
Inca
1
188
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
189
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
133
Lama
Argent
Inca
1
190
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
134
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
191
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
135
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
192
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
136
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
193
Reinhard
1992 janvier
Reinhard 1992: 737–739
137
Ancre
Andésite
Tiwanaku
1
194
Akakor
2000 août
Pajeja 2000: 1–5
/
Vasija
Céramique
Moderne
2
195
Akakor
2000 août
Pajeja 2000: 1–5
/
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
196
Akakor
2004 août
Akakor 2004
/
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
197
ULB
2013 juin
Zone 1
L.0
Vasija
Céramique
Moderne
4
198
ULB
2013 juin
Zone 1
L.0
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
199
ULB
2013 juin
Zone 1
L.0
Perle
Bolivianita
Tiwanaku
1
200
ULB
2013 juin
Zone 1
L.1
Incensario
Céramique
Tiwanaku
31
201
ULB
2013 juin
Zone 1
L.1
Ossements
Lama
Tiwanaku
12
202
ULB
2013 juin
Zone 1
L.1
Ossements
Grenouille
Naturel
5
203
ULB
2013 juin
Zone 1
L.1
Ossements
Poisson
Naturel
18
204
ULB
2013 juin
Zone 1
L.1
Moraines
Moraines
Tiwanaku
2
205
ULB
2013 juin
Zone 1
L.2
Incensario
Céramique
Tiwanaku
16
206
ULB
2013 juin
Zone 1
L.2
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
207
ULB
2013 juin
Zone 1
L.2
Ossements
Grenouille
Naturel
5
208
ULB
2013 juin
Zone 1
L.2
Ossement
Oiseau
Naturel
1
209
ULB
2013 juin
Zone 1
L.2
Ossements
Poisson
Naturel
2
210
ULB
2013 juin
Zone 1
L.3
Incensario
Céramique
Tiwanaku
23
211
ULB
2013 juin
Zone 1
L.3
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
212
ULB
2013 juin
Zone 1
L.3
Ossements
Poisson
Naturel
17
213
ULB
2013 juin
Zone 1
L.5
Incensario
Céramique
Tiwanaku
20
214
ULB
2013 juin
Zone 1
L.5
Ossements
Lama
Tiwanaku
6
215
ULB
2013 juin
Zone 1
L.5
Ossements
Grenouille
Naturel
2
216
ULB
2013 juin
Zone 1
L.5
Cinta
Or
Tiwanaku
1
217
ULB
2013 juin
Zone 1
L.6
Incensario
Céramique
Tiwanaku
37
218
ULB
2013 juin
Zone 1
L.6
Ossements
Lama
Tiwanaku
8
219
ULB
2013 juin
Zone 1
L.6
Charbon
14C
Tiwanaku
1
220
ULB
2013 juin
Zone 1
L.7
Incensario
Céramique
Tiwanaku
26
221
ULB
2013 juin
Zone 1
L.7
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
222
ULB
2013 juin
Zone 1
L.9
Vasija
Céramique
Moderne
1
223
ULB
2013 juin
Zone 1
L.9
Ossements
Grenouille
Naturel
4
224
ULB
2013 juin
Zone 1
L.9
Pierre de leste
Pierre
Moderne
1
225
ULB
2013 juin
Zone 1
L.9
Moraines
Moraines
Indéterminé 3
226
ULB
2013 juin
Zone 1
L.11
Incensario
Céramique
Tiwanaku
3
227
ULB
2013 juin
Zone 1
L.11
Ossements
Grenouille
Naturel
2
228
ULB
2013 juin
Zone 1
L.13
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
229
ULB
2013 juin
Zone 1
L.14
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
230
ULB
2013 juin
Zone 1
L.14
Ossements
Grenouille
Naturel
16
231
ULB
2013 juin
Zone 1
L.14
Ossements
Oiseau
Naturel
8
299
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Lot
Mission
An.
232
ULB
2013 juin
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
Zone 1
L.14
Poisson
Naturel
7
Ossements
233
ULB
2013 juin
Zone 1
L.14
Charbon
14C
Indéterminé 1
234
ULB
2013 juin
Zone 1
L.15
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
235
ULB
2013 juin
Zone 1
L.15
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
236
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.17
Incensario
Céramique
Tiwanaku
6
237
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.17
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
238
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.18
Incensario
Céramique
Tiwanaku
4
239
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.18
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
240
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.18
Ossements
Grenouille
Naturel
3
241
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.18
Ossement
Oiseau
Naturel
3
242
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.18
Ossements
Poisson
Naturel
6
243
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.19
Incensario
Céramique
Tiwanaku
6
244
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.19
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
245
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.19
Ossements
Grenouille
Naturel
3
246
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.19
Ossement
Oiseau
Naturel
3
247
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.19
Ossements
Poisson
Naturel
25
248
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.20
Incensario
Céramique
Tiwanaku
7
249
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.20
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
250
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.20
Ossement
Grenouille
Naturel
1
251
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.21
Incensario
Céramique
Tiwanaku
2
252
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.21
Pectoral carré
Or
Tiwanaku
1
253
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.23
Incensario
Céramique
Tiwanaku
15
254
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.23
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
255
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.24
Incensario
Céramique
Tiwanaku
25
256
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.24
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
257
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.24
Ossements
Grenouille
Naturel
7
258
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.25
Incensario
Céramique
Tiwanaku
10
259
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.25
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
260
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.26
Incensario
Céramique
Tiwanaku
27
261
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.26
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
262
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.26
Ossements
Grenouille
Naturel
13
263
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.26
Ossements
Oiseau
Naturel
2
264
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.26
Ossements
Poisson
Naturel
73
265
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
266
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Ossements
Lama
Tiwanaku
14
267
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Ossements
Grenouille
Naturel
2
268
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Ossement
Oiseau
Naturel
1
269
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Ossements
Poisson
Naturel
2
270
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Charbon
14C
Tiwanaku
3
271
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.30
Moraines
Moraines
Tiwanaku
2
272
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.31
Incensario
Céramique
Tiwanaku
7
273
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.31
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
274
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.31
Ossement
Grenouille
Naturel
1
275
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.32
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
276
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.32
Ossements
Lama
Tiwanaku
1
277
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.33
Incensario
Céramique
Tiwanaku
3
278
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.38
Incensario
Céramique
Tiwanaku
3
279
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.38
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
280
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.39
Incensario
Céramique
Tiwanaku
9
300
Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
281
ULB
2013 juillet
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
Zone 1
L.41
Céramique
Tiwanaku
1
Incensario
282
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.41
Ossements
Lama
Tiwanaku
28
283
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.41
Ossements
Grenouille
Naturel
3
284
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.41
Ossements
Poisson
Naturel
7
285
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Incensario
Céramique
Tiwanaku
34
286
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Ossements
Lama
Tiwanaku
24
287
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Ossement
Grenouille
Naturel
1
288
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Ossements
Poisson
Naturel
2
289
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
290
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
291
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
292
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Charbon
14C
Tiwanaku
6
293
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Cuir
Cuir
Tiwanaku
1
294
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.42
Ancre
Andésite
Tiwanaku
1
295
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.44
Incensario
Céramique
Tiwanaku
6
296
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.44
Ossements
Lama
Tiwanaku
30
297
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.44
Ossements
Grenouille
Naturel
2
298
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.44
Ossements
Poisson
Naturel
2
299
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.44
Charbon
14C
Tiwanaku
1
300
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.45
Incensario
Céramique
Tiwanaku
4
301
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.45
Ossements
Lama
Tiwanaku
14
302
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.45
Ossements
Grenouille
Naturel
13
303
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.45
Ossements
Poisson
Naturel
11
304
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.45
Concrétion
Organique
Tiwanaku
1
305
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.47
Incensario
Céramique
Tiwanaku
24
306
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.47
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
307
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.50
Incensario
Céramique
Tiwanaku
19
308
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.50
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
309
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.50
Ossements
Grenouille
Naturel
2
310
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.50
Ossements
Oiseau
Naturel
2
311
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.50
Ossements
Poisson
Naturel
103
312
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Incensario
Céramique
Tiwanaku
14
313
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Ossements
Lama
Tiwanaku
14
314
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Ossements
Grenouille
Naturel
4
315
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Ossements
Oiseau
Naturel
1
316
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Ossements
Poisson
Naturel
7
317
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.53
Moraines
Moraines
Tiwanaku
1
318
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.54
Incensario
Céramique
Tiwanaku
28
319
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.54
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
320
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.57
Incensario
Céramique
Tiwanaku
20
321
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.57
Ossements
Lama
Tiwanaku
13
322
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.57
Ossement
Grenouille
Naturel
1
323
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.57
Moraines
Moraines
Tiwanaku
1
324
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.58
Incensario
Céramique
Tiwanaku
12
325
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.58
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
326
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Incensario
Céramique
Tiwanaku
10
327
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Ossements
Lama
Tiwanaku
24
328
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Ossements
Grenouille
Naturel
11
329
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Ossement
Oiseau
Naturel
1
301
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Lot
Mission
An.
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
330
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Ossements
Poisson
Naturel
5
331
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Brindille
Bois
Tiwanaku
1
332
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.60
Moraines
Moraines
Tiwanaku
1
333
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.64
Incensario
Céramique
Tiwanaku
2
334
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.64
Ossement
Grenouille
Naturel
1
335
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.65
Incensario
Céramique
Tiwanaku
41
Mois
336
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.65
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
337
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Incensario
Céramique
Tiwanaku
23
338
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Ossements
Lama
Tiwanaku
9
339
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Ossement
Grenouille
Naturel
1
340
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Ossements
Poisson
Naturel
3
341
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Feuille canelée
Or
Tiwanaku
1
342
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Brindille
Bois
Tiwanaku
1
343
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Cuir
Cuir
Tiwanaku
1
344
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.68
Moraines
Moraines
Tiwanaku
5
345
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.70
Incensario
Céramique
Tiwanaku
8
346
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.70
Ossements
Grenouille
Naturel
2
347
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.70
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
348
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.72
Pectoral carré
Or
Tiwanaku
1
349
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.73
Incensario
Céramique
Tiwanaku
9
350
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.73
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
351
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.73
Ossements
Grenouille
Naturel
8
352
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.74
Incensario
Céramique
Tiwanaku
13
353
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.74
Ossements
Lama
Tiwanaku
1
354
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.74
Feuille miniature Or
Tiwanaku
1
355
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.74
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
356
ULB
2013 juillet
Zone 1
L.74
Coquillage
Spondylus
Tiwanaku
1
357
ULB
2013 juin
Zone 2
L.4
Ossements
Grenouille
Naturel
7
358
ULB
2013 juin
Zone 2
L.4
Cinta
Or
Inca
1
359
ULB
2013 juin
Zone 3
L.8
Vasija
Céramique
Moderne?
1
360
ULB
2013 juin
Zone 3
L.8
Cinta
Or
Inca
1
361
ULB
2013 juin
Zone 3
L.8
Figurine lama
Argent
Inca
1
362
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
363
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Ossements
Grenouille
Naturel
10
364
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Ossements
Oiseau
Naturel
11
365
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Ossements
Poisson
Naturel
32
366
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Charbon
14C
Indéterminé 1
367
ULB
2013 juin
Zone 3
L.10
Pierre de leste
Pierre
Indéterminé 1
368
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Incensario
Céramique
Tiwanaku
9
369
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
370
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Ossements
Grenouille
Naturel
5
371
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Ossement
Poisson
Naturel
1
372
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
373
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Brindille
Bois
Tiwanaku
1
374
ULB
2013 juin
Zone 3
L.12
Galet blanc
Galet blanc
Tiwanaku
1
375
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.16
Incensario
Céramique
Tiwanaku
37
376
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.16
Ossements
Lama
Tiwanaku
10
377
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.16
Cinta Tortillée
Or
Tiwanaku
1
378
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.22
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
302
Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
379
ULB
2013 juillet
Mois
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
Zone 3
L.27
Céramique
Tiwanaku
27
Incensario
380
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.27
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
381
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.27
Ossements
Grenouille
Naturel
7
382
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.27
Ossement
Oiseau
Naturel
1
383
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.27
Ossements
Poisson
Naturel
3
384
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.28
Incensario
Céramique
Tiwanaku
3
385
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.28
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
386
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.28
Ossements
Grenouille
Naturel
18
387
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.28
Ossements
Poisson
Naturel
4
388
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.28
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
389
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.29
Incensario
Céramique
Tiwanaku
29
390
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.29
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
381
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.29
Ossements
Grenouille
Naturel
6
392
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.29
Ossements
Poisson
Naturel
2
393
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.29
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
394
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.34
Incensario
Céramique
Tiwanaku
9
395
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.34
Ossements
Grenouille
Naturel
2
396
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.34
Ossement
Poisson
Naturel
1
397
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.35
Incensario
Céramique
Tiwanaku
23
398
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.35
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
399
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.35
Ossements
Grenouille
Naturel
2
400
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.35
Ossements
Poisson
Naturel
6
401
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.35
Concrétion
Organique
Tiwanaku
1
402
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.36
Incensario
Céramique
Tiwanaku
14
403
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.36
Ossements
Lama
Tiwanaku
3
404
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.36
Ossements
Grenouille
Naturel
5
405
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.37
Incensario
Céramique
Tiwanaku
16
406
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.37
Ossements
Lama
Tiwanaku
12
407
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.37
Ossements
Grenouille
Naturel
10
408
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.37
Ossement
Poisson
Naturel
1
409
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.37
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
410
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.40
Incensario
Céramique
Tiwanaku
9
411
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.40
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
412
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.40
Ossement
Grenouille
Naturel
1
413
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.40
Concrétion
Organique
Tiwanaku
3
414
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.43
Incensario
Céramique
Tiwanaku
46
415
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.43
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
416
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.43
Ossement
Oiseau
Naturel
1
417
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.43
Charbon
14C
Tiwanaku
3
418
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.43
Concrétion verte
Concrétion
Tiwanaku
3
419
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.46
Incensario
Céramique
Tiwanaku
6
420
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.46
Incensario
Céramique
LF2
1
421
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.46
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
422
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.46
cinta
Or
Tiwanaku
1
423
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.46
Feuille perforée
Or
Tiwanaku
1
424
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.48
Incensario
Céramique
Tiwanaku
35
425
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.48
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
426
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.51
Incensario
Céramique
Tiwanaku
31
427
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.51
Ossements
Lama
Tiwanaku
6
303
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Lot
Mission
An.
Publication
N° Fouilles Objet
Matériau
Période
Fgts
428
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.51
Ossements
Grenouille
Naturel
5
429
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.51
Ossements
Poisson
Naturel
2
430
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Incensario
Céramique
Tiwanaku
46
431
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
432
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Ossements
Grenouille
Naturel
5
433
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Ossement
Oiseau
Naturel
1
434
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Ossements
Poisson
Naturel
2
435
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
436
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
437
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.52
Figurine lama
Spondylus
Tiwanaku
1
438
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Incensario
Céramique
Tiwanaku
20
Mois
439
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Incensario
Céramique
LF2
1
440
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
441
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Canine
Félin
Tiwanaku
1
442
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Ossements
Poisson
Naturel
3
443
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Feuille ronde
Or
Tiwanaku
1
444
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.55
Pendentif
Jaspe
Tiwanaku
1
445
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Incensario
Céramique
Tiwanaku
27
446
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Ossements
Lama
Tiwanaku
5
447
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
448
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Pendentif
Spondylus
Tiwanaku
1
449
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Coquillage
Spondylus
Tiwanaku
1
450
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.56
Pendentif
Lapis-lazuli Tiwanaku
1
451
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Incensario
Céramique
10
Tiwanaku
452
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Ossements
Lama
Tiwanaku
6
453
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Ossement
Grenouille
Naturel
1
454
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Ossements
Poisson
Naturel
2
455
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Pectoral en L
Or
Tiwanaku
1
456
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Concrétion
Organique
Tiwanaku
2
457
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Concrétion verte
Organique
Tiwanaku
1
458
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.59
Moraines
Moraines
Tiwanaku
2
459
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Incensario
Céramique
Tiwanaku
5
460
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
461
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Ossement
Oiseau
Naturel
1
462
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
463
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
464
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.61
Feuille en X
Or
Tiwanaku
1
465
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.62
Incensario
Céramique
Tiwanaku
12
466
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.62
Ossements
Lama
Tiwanaku
2
467
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.62
Concrétion verte
Organique
Tiwanaku
1
468
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.62
Pierre quadrang.
Galet plat
Tiwanaku
1
469
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.63
Incensario
Céramique
Tiwanaku
20
470
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.63
Ossements
Lama
Tiwanaku
4
471
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.63
Pectoral rond
Or
Tiwanaku
1
472
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.66
Incensario
Céramique
Tiwanaku
1
473
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Incensario
Céramique
Tiwanaku
15
474
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Ossement
Lama
Tiwanaku
1
475
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Ossement
Oiseau
Naturel
1
476
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Feuille Zoo.
Or
Tiwanaku
1
304
Inventaire et identification des lots d’offrandes subaquatiques de Khoa (1977–2013) Lot
Mission
An.
Publication
N° Fouilles Objet
477
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
478
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Coquillage
Spondylus
Tiwanaku
1
479
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Pendentif
Spondylus
Tiwanaku
1
480
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.67
Moraines
Moraines
Tiwanaku
7
Mois
Matériau
Feuille miniature Or
Période
Fgts
Tiwanaku
1
481
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.69
Incensario
Céramique
Tiwanaku
10
482
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.69
Ossements
Lama
Tiwanaku
6
483
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.69
Moraine
Moraine
Tiwanaku
1
484
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Incensario
Céramique
Tiwanaku
8
485
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Ossements
Lama
Tiwanaku
7
486
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Ossements
Grenouille
Naturel
2
487
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Ossement
Oiseau
Naturel
1
488
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Feuille Zoo. min. Or
Tiwanaku
1
489
ULB
2013 juillet
Zone 3
L.71
Perle
Pierre noire Tiwanaku
1
TOTAL
305
2.552
Annexe 6.1 Inventaire et identification des incensarios conservés à Berlin (SMB) et Paris (MQB) Nbre Musée 1
Fouilles Inventaire
SMB
VA 30852
Auteur/Don
Année
Provenance
Type
Herrmann, Wilhelm
1908
Tiahuanaco
a.1
2
SMB
VA 16703
Garrlepp, Otto
1904
Tiahuanaco
a.1
3
SMB
VA 34847
Herrmann, Wilhelm
1913
Tiahuanaco
a.1
4
SMB
VA 64591
Scott
1938
Tiahuanaco
A.1.1
5
SMB
VA 64467
Scott
1938
Tiahuanaco
C.1
6
SMB
VA 2785
Küne, Carl
1880
Isla del Sol
A.4
7
SMB
VA 11871
Uhle, Max
1895
Sampaya (Copacabana)
B.2
8
SMB
VA 10491
Hettner, Alfred
1890
La Paz (achat)
A.1
9
SMB
VA 1818
Bastian, Adolf
±1900
Bolivie
a.4
10
SMB
VA 34845
Herrmann, Wilhelm
1913
Tiahuanaco
A.1
11
SMB
VA 34846
Herrmann, Wilhelm
1913
Tiahuanaco (Région)
A.1
12
SMB
VA 11692
Uhle, Max
1894
Sampaya (Copacabana)
A.2
13
SMB
VA 64590
Scott
1938
Tiahuanaco (Région)
B.3
14
SMB
VA 12283
Uhle, Max
1894
Tiahuanaco (Région)
a.1
15
SMB
VA 30829
Herrmann, Wilhelm
1908
Tiahuanaco
a.1
16
SMB
VA 16724
Garrlepp, Otto
1904
Tiahuanaco
a.1
17
SMB
VA 16735
Garrlepp, Otto
1904
Tiahuanaco (Région)
A.1
18
SMB
VA 10592
Hettner, Alfred
1890
Tiahuanaco
C.1
19
SMB
VA 16734
Garrlepp, Otto
1904
Tiahuanaco (Région)
A.2
20
SMB
VA 64497
Scott
1938
Tiahuanaco (Région)
A.2
21
SMB
VA 12291a
Uhle, Max
1894
Tiahuanaco (Région)
A.1
22
SMB
VA 30791
Herrmann, Wilhelm
1908
Tiahuanaco (Région)
A.1
23
SMB
VA 10545
Hettner, Alfred
1890
Tiahuanaco
A.1
24
SMB
VA 64494
Scott
1938
Tiahuanaco (Région)
A.1
25
SMB
VA 10599
Hettner, Alfred
1890
Tiahuanaco (Région)
A.4
26
SMB
VA 64495
Scott
1938
Bolivie
A.1
27
SMB
VA 11890
Uhle, Max
±1900
Titicachi (Copacabana)
A.2
28
SMB
VA 11844
Uhle, Max
±1900
Sampaya (Copacabana)
C.1
29
SMB
VA 11693
Uhle, Max
±1900
Sampaya (Copacabana)
A.1
30
SMB
VA 12291a
Uhle, Max
±1900
Tiahuanaco
A.1
31
SMB
VA 12291b
Uhle, Max
±1900
Tiahuanaco
A.1
32
SMB
VA 12291d
Uhle, Max
±1900
Tiahuanaco
A.1
33
SMB
VA 12293
Uhle, Max
±1900
Tiahuanaco
B
34
MQB
x
71.1878.8.75
Ber, Théodor
1878
Tiahuanaco
A.1
35
MQB
x
71.1908.23.421
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A.1
36
MQB
71.1946.7.4
P., A.
1946
Bolivie
A.1
37
MQB
71.1933.72.44
Métraux, Alfred
1933
Bolivie
TIW
38
MQB
71.1878.8.2
Ber, Théodor
1878
Tiahuanaco
TIW
x
39
MQB
71.1911.21.146
Berthon, Paul
1911
Bolivie
A.1.1
40
MQB
71.1946.7.9
P., A.
1946
Bolivie
A.1.1
41
MQB
42
MQB
x
71.1958.56.5
Girault, Louis
1958
Tiahuanaco
TIW
71.1946.7.5
P., A.
1946
Bolivie
A.1
307
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie 43
MQB
71.1908.23.508
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A.1
44
MQB
71.1946.7.2
P., A.
1946
Bolivie
A.2
45
MQB
71.1946.7.7
P., A.
1946
Bolivie
A.2
x
46
MQB
71.1946.7.6
P., A.
1946
Bolivie
A.2
47
MQB
71.1946.7.3
P., A.
1946
Bolivie
A.3
71.1933.72.46
Métraux, Alfred
1933
Bolivie
a.4
71.1908.23.372
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
a.1
48
MQB
49
MQB
x
50
MQB
71.1937.3.2
Sever, Jacques
1937
Bolivie
a.1
51
MQB
71.0946.7.14.D
P., A.
1946
Bolivie
a.1
71.1946.7.18.D
P., A.
1946
Bolivie
C.1
71.1908.23.505
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
C.1
71.1946.7.19.D
P., A.
1946
Bolivie
C.1
52
MQB
53
MQB
54
MQB
55
MQB
x
71.1908.23.512
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
C.1
56
MQB
x
71.1908.23.506
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
C.1
57
MQB
x
71.1908.23.569
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
B.3
58
MQB
x
71.1908.23.570
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
B.3
59
MQB
x
60
MQB
x
71.1908.23.568
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A.3
71.1948.0.1204
/
1948
Bolivie
B.2
61
MQB
71.1946.7.15
P., A.
1946
Bolivie
B.1
62
MQB
71.1946.7.10
P., A.
1946
Bolivie
B
63
MQB
71.1908.23.422
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A.1
x
64
MQB
71.1946.7.11.D
P., A.
1946
Bolivie
A.2
65
MQB
x
71.1908.23.509
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A.1
66
MQB
x
71.1908.23.423
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A
67
MQB
x
71.1908.23.420
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A
68
MQB
x
71.1908.23.424
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
A
69
MQB
x
71.1908.23.586
Créqui-Montfort
1908
Tiahuanaco
TIW
70
MQB
71.1946.7.12.D
P., A.
1946
Bolivie
A
71
MQB
71.1933.72.45.1
Métraux, Alfred
1933
Bolivie
A
72
MQB
71.1946.7.1
P., A.
1946
Bolivie
A.1
73
AMNH*
x
41.1/3845
Bennett, Wendell
1934
Lukurmata
A.1
74
AMNH
x
41.1./3446
Bennett, Wendell
1934
Lukurmata
A.1
75
AMNH
x
41.1/3847
Bennett, Wendell
1934
Lukurmata
TIW
76
AMNH
x
41.1/3848
Bennett, Wendell
1934
Lukurmata
B.2
77
AMNH
x
SAA/0006
Bandelier, Adolph
1895
Tiahuanaco
A.1
78
AMNH
x
B/2875
Bandelier, Adolph
1895
Tiahuanaco
A.1
79
AMNH
x
B/2871
Bandelier, Adolph
1895
Tiahuanaco
A.1
80
AMNH
x
B/2872
Bandelier, Adolph
1895
Tiahuanaco
A.1
81
AMNH
x
B/2876
Bandelier, Adolph
1895
Tiahuanaco
A.1
82
AMNH
x
B/2197
Bandelier, Adolph
1895
Isla del Sol
a.1
83
AMNH
x
B/2375
Bandelier, Adolph
1895
Isla del Sol
a.4
84
MCHAP**
MCHAP/3005
Larraín García-Moreno
±1970
Chili (?)
A.1
85
MCHAP
MCHAP/0996
Larraín García-Moreno
±1970
Chili (?)
B.1
86
ESCOMA***
/
/
±2010
Escoma
A.1.1
* AMNH: American Museum of Natural History (New-York) ** MCHAP: Museo Chileno de Arte Precolombino (Santiago de Chile) *** ESCOMA: Deposito arqueológico, Municipio Escoma, Bolivia
308
Annexe 7.1 Inventaire et identification des incensarios documentés en contexte de fouilles (NMI) (Par ordre d’apparition dans le texte) Nbre Site
Année (max) Structure
Publication
Figure
Sondage
Type
1
Tiahuanaco
2001
Puma-Puncu
Yaeger and Vranich 2013: 133
Fig.11.5
F-260 (C29)
A.1(.3) oui
2
Tiahuanaco
1984
Puma-Puncu
Arellano 1991: 272
Fig.29
PPI-1
C.1
/
3
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 163
Fig.62
R-28b
A.3
/
4
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 84
/
R-28A
TIW
/
5
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 110–111
/
R-37
A.1
/
6
Tiahuanaco
1989
Akapana
Manzanilla 1992: 71–72
/
R-8
TIW
/
7
Tiahuanaco
1989
Akapana
Manzanilla 1992: 72
/
R-7
TIW
oui
8
Tiahuanaco
1989
Akapana
Manzanilla 1992: 72
Fig.38–39 R-30
A.1
/
9
Tiahuanaco
1989
Akapana
Manzanilla 1992: 61
Fig.31,39
R-11
A.1
oui
10
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 140
Fig. 51
R-24
A.1
/
11
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 121, 128
Fig.39
R-28
A.1
/
12
Tiahuanaco
1989
Akapana
Manzanilla 1992: 49
Fig.16
R-20
C.1
oui
13
Tiahuanaco
1989
Akapana
Alconini 1995: 146
/
R-20
C.1
oui
14
Tiahuanaco
1991
Akapana-East
Janusek 1994: 106–107, 120
Fig. 6.4
AKE1
a.1
oui
15
Tiahuanaco
1990
Akapana-East
Janusek 1994: 14, 147
/
AKE2
TIW
/
16
Tiahuanaco
1990
Akapana-East
Janusek 1994: 143, 147
/
AKE2
TIW
/
17
Tiahuanaco
1932
Akapana-East
Bennett 1956: 82
/
5 /US2–3
A
/
18
Tiahuanaco
1991
Mollo Kontu
Couture 2003: 210, 215
/
Niveau 2
TIW
/
19
Tiahuanaco
1991
Mollo Kontu
Couture 2003: 220
/
Mound Fill
TIW
/
20
Tiahuanaco
2000
Putuni
Couture 2003: 255
/
Fosse
TIW
oui
21
Tiahuanaco
1976
Keri Kala
Boero 1980: 292
p.293
/
A.1(.3) /
22
Tiahuanaco
1939
Chunchukala
Rydén 1946: 18–19
Fig.2
PIT I
A.1
/
23
Tiahuanaco
1984
Kalasasaya Nord
Arellano 1991: 270
Fig.28
KN-I
a.1
/
24
Tiahuanaco
1984
Kalasasaya Nord
Arellano 1991: 270
Fig.28
KN-I
a.1
/
25
Tiahuanaco
1984
Kalasasaya Nord
Arellano 1991: 270
Fig.28
KN-I
A.1
/
26
Tiahuanaco
1984
Kalasasaya Nord
Arellano 1991: 270
Fig.28
KN-I
a.1
/
27
Tiahuanaco
1960
Temple Sem.
Girault 1990: 216
N°152
I.11.US3
A.1(.3) /
28
Tiahuanaco
1960
Temple Sem.
Girault 1990: 214
N°23
I.15.US2
A.1
/
29
Lukurmata
1934
P-F K’atupata
Bennett 1936: 484–485
AMNH
Secteur B/C
A.1
/
30
Lukurmata
1934
P-F K’atupata
Bennett 1936: 484–485
AMNH
Secteur B/C
A.1
/
31
Lukurmata
1934
P-F K’atupata
Bennett 1936: 484–485
AMNH
Secteur B/C
A
/
32
Lukurmata
1986
Temple Sem.
Rivera Sundt 1989: 69
/
12 Cm de P.
A.2
/
33
Lukurmata
1986
Temple Sem.
Rivera Sundt 1989: 69
/
12 Cm de P.
A.3
/
34
Lukurmata
1934
Temple Sem.
Bennett 1936: 492–493
/
Secteur A
A
/
35
Lukurmata
1934
Temple Sem.
Bennett 1936: 492–493
/
Secteur A
A
/
36
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann1990:136
Fig.9.5
Structure 19
a.1
oui
37
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann1994:144
Fig.90
Structure 23
B.3
/
38
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 201
Fig.12.19
S. 33–39
B.3
oui
39
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 199
/
± Struct. 26
A.1
/
40
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 199
/
± Struct. 26
A.1
/
309
C
14
Le patrimoine subaquatique du lac Titicaca, Bolivie Nbre Site
Année (max) Structure
Publication
Figure
Sondage
Type
14
41
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 199
/
St. 33–39
A.1
/
42
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 199
/
St. 33–39
A.1
/
43
Lukurmata
1986
Main principal
Bermann 1994: 199
/
St. 33–39
A.1
/
44
Lukurmata
1986
Terrasse
Bermann 1994: 195
/
Terrasse
A.1
/
45
Lukurmata
1986
Terrasse
Bermann 1994: 197
/
Terrasse
A.1
/
46
Lukurmata
1986
Cimetière
Bermann 1990: 86
/
Cimetière
A.1
/
47
Qeyakuntu
1986
Plate-forme
Janusek 2004: 169
/
/
TIW
/
48
Lakaya
1986
camellones
Kolata and Graffam 1989: 186
/
Tranchée 2
B.3
/
49
Pampa Koani
1982
PK-5
Bermann 1990: 223–224
/
/
TIW
/
50
Pajchiri
1934
Plate-forme
Bennett 1936: 464
/
/
A
/
51
Iwawe
1993
Queneqere
Burkholder 2001
Fig. 7
US VII
a.1
/
52
Iwawe
1993
Queneqere
Burkholder 2001
Fig. 20
US IV
A.1
oui
53
Sonaji
2005
Sondage
Hastorf 2005 and Al.: 65–66
Fig. 5.1
/
C.1
/
54
Sonaji
2005
Sondage
Hastorf 2005 and Al.: 66–67
Fig. 5.1
/
a.1
/
55
Khonko
1941
tombe
Janusek 2013: 10–12
/
/
B.2–3
/
56
Khonko
1938
Temple Sem.
Ryden 1947: 160–161, table I
/
sondage 5
A
/
57
Iruhito
2006
Sondage
Perez 2006a: 24
Fig. 12
US2
a.1
/
58
Iruhito
2006
Monticule
Perez 2006a: 27
Fig.18
US VI
A.1
/
59
Nazacara
1990
Kusipata
Pärssinen 2001: 613
Fig. 4
Surface
B.2
oui
60
Nazacara
1950
Kusipata
Pärssinen 2001: 609
/
/
a.1
/
61
Nazacara
1989
Tococollo
Pärssinen 2001: 610
Fig.2
/
A
/
62
Isla Pariti
2006
Place
Korpisaari and Pärssinen 2011
Fig.28/E
80–100 Cm
A.1
oui
63
Isla Pariti
2006
Place
Korpisaari and Pärssinen 2011
Fig.28/E
160–170 Cm A.1
oui
64
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 1998: 264
Fig. 4.7
n° 25, 32, 34 a.1
oui
65
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 1998: 264
Fig. 4.7
n° 25, 32, 34 A.1
oui
66
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 1998: 264
Fig. 4.7
n° 25, 32, 34 A.1
oui
67
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 1998: 310–312
Fig. 5.18
Entrée
A.1
oui
68
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 2004: 134
5.43/a
/
A.1
oui
69
Isla del Sol
1998
Chucaripupata
Seddon 2004: 134
5.43/b
/
TIW
oui
70
Isla del Sol
1895
Kea-Kollu Chico
Stanish and Bauer 2001: 90–91
Fig. 4.4
Cimetière
a.1
/
71
Isla del Sol
1895
Kea-Kollu Chico
Stanish and Bauer 2001: 90–91
Fig. 4.5
Cimetière
a.4
/
72
Isla Coati
1996
Patio Central
Bauer and Al. 2004: 165
/
Unité 8
A.1
oui
73
Isla Coati
1996
Patio Central
Bauer and Al. 2004: 165–166
Fig.6.41
Unité 8
A.1
oui
74
Isla Coati
1996
Patio Central
Bauer and Al. 2004: 165–166
Fig.6.42
Unité 8
B.3
oui
75
Isla Coati
1996
Patio Central
Bauer and Al. 2004: 167
/
Unité 13
A.1
oui
76
Isla Coati
1996
Patio Central
Bauer and Al. 2004: 168
Fig.6.45
Unité 13
A.1
oui
77
Isla Coati
1996
Terrasses
Bauer and Al. 2004: 169
/
/
TIW
/
78
Isla Ticonata
2005
Grotte
Chávez and Stanish 2012: 185
Fig.10.9
/
a.1
/
79
Isla Ticonata
2005
Grotte
Chávez and Stanish 2012: 187
Fig.10.7
/
a.1/A.1 /
80
Isla Amantaní
1980
Grotte
Arkush 2005: 237
/
/
TIW
/
81
Puno
2010
Huajje P5
Schultze and Al. 2012: 271
/
310 Cm
A
oui
82
Moquegua
1990
Omo 10
Goldstein 1993: 40–41
Fig. 11 /b
/
A.1
oui
83
Moquegua
1990
Omo 10
Goldstein 1993: 40–41
Fig. 11 /a
/
TIW
oui
84
Moquegua
1990
Omo 10
Goldstein 1993: 40–41
Fig. 11 /a
/
TIW
oui
85
Moquegua
2007
Cerro Baúl
Williams and Nash: in press
Fig. 6b/c
Offrande
A.1
/
86
Moquegua
2007
Cerro Baúl
Williams and Nash: in press
Fig. 6d
Offrande
A.1
/
87
Moquegua
2007
Cerro Baúl
Williams and Nash: in press
Fig. 6e
Offrande
A.1
/
88
Moquegua
2007
Cerro Baúl
Williams and Nash: in press
Fig. 6a
Offrande
TIW
/
89
Moquegua
2007
Cerro Baúl
Williams and Nash: in press
Fig. 6f
Offrande
TIW
/
310
C
Inventaire et identification des incensarios documentés en contexte de fouilles (NMI) Nbre Site
Année (max) Structure
Publication
Figure
Sondage
Type
14
90
Moquegua
1998
Chen Chen M1
Goldstein and Owen 2001: 164
Fig.19/ a
/
A.1
/
91
Moquegua
1998
Chen Chen M1
Goldstein and Owen 2001: 164
Fig.19/ a
/
A
/
92
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.2
/
93
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.1
/
94
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.1
/
95
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.1
/
96
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.1
/
97
Moquegua
1998
Chen Chen
Goldstein and Owen 2001: 157
Fig.13
/
A.1
/
98
Moquegua
1998
Omo
Goldstein and Owen 2001: 152
Fig. 8
/
A.2
/
99
Moquegua
1998
Omo
Goldstein and Owen 2001: 152
Fig. 8
/
A.2
/
100 Moquegua
1998
Omo
Goldstein and Owen 2001: 152
Fig. 8
/
A.2
/
101 Moquegua
1998
Omo
Goldstein and Owen 2001: 152
Fig. 8
/
A.1
/
102 Cochabamba
2005
Piñami
Anderson 2013 (?)
XXX
/
A.2
/
311
C